The Project Gutenberg EBook of Les Contes, by Bonaventure Des Périers

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Title: Les Contes
       ou Les nouvelles récréations et joyeux devis

Author: Bonaventure Des Périers

Contributor: Charles Nodier

Editor: Paul Lacroix

Release Date: May 31, 2017 [EBook #54819]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

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Note sur la transcription: Une Table de Matières est ajouté pour faciliter l’accès aux Nouvelles.

LES CONTES

OU

LES NOUVELLES RÉCRÉATIONS

ET JOYEUX DEVIS

DE

BONAVENTURE DES PERIERS,

Valet de chambre de la reine de Navarre.


PARIS.—IMPRIMERIE DE V^e DONDEY-DUPRÉ,
Rue Saint Louis, 46, au Marais.


LES CONTES

ou

LES NOUVELLES RÉCRÉATIONS

ET JOYEUX DEVIS

DE BONAVENTURE DES PERIERS,

Valet de chambre de la reine de Navarre,

Avec un choix des anciennes notes
DE BERNARD DE LAMONNOYE ET DE SAINT-HYACINTHE,
Revues et augmentées
par P.-L. JACOB, bibliophile;
ET UNE NOTICE LITTÉRAIRE
PAR CHARLES NODIER,
De l’Académie Française.

PARIS.
LIBRAIRIE DE CHARLES GOSSELIN
Éditeur de la Bibliothèque d’Élite,
9, RUE SAINT-GERMAIN-DES-PRÉS.

MDCCCXLI


TABLE DE MATIÈRES

AVERTISSEMENT BONAVENTURE DES PERIERS. SONNET. AU LECTEUR. NOTES:
LES NOUVELLES     
I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI.
XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. XXII.
XXIII. XXIV. XXV. XXVI. XXVII. XXVIII. XXIX. XXX. XXXI. XXXII. XXXIII.
XXXIV. XXXV. XXXVI. XXXVII. XXXVIII. XXXIX. XL. XLI XLII. XLIII. XLIV.
XLV. XLVI. XLVII. XLVIII. XLIX. L. LI. LII. LIII. LIV. LV.
LVI. LVII. LVIII. LIX. LX. LXI. LXII. LXIII. LXIV. LXV. LXVI.
LXVII. LXVIII. LXIX. LXX. LXXI. LXXII. LXXIII. LXXIV. LXXV. LXXVI. LXXVII.
LXXVIII. LXXIX. LXXX. LXXXI. LXXXII. LXXXIII. LXXXIV. LXXXV. LXXXVI. LXXXVII. LXXXVIII.
LXXXIX. XC. XCI. XCII. XCIII. XCIV. XCV. XCVI. XCVII. XCVIII. XCIX.
C. CI. CII. CIII. CIV. CV. CVI. CVII. CVIII. CIX. CX.
CXI. CXII. CXIII. CXIV. CXV. CXVI. CXVII. CXVIII. CXIX. CXX. CXXI.
    CXXII. CXXIII. CXXIV. CXXV. CXXVI. CXXVII. CXXVIII. CXXIX.

AVERTISSEMENT.

M. Charles Nodier, dans son excellente notice sur Bonaventure des Periers, a si bien dit tout ce qu’il faut dire du charme exquis et du mérite supérieur de ces Contes, que nous renonçons à y ajouter quelque éloge qui les fasse lire et apprécier davantage: nous les regardons comme un des trésors les plus purs de notre littérature du seizième siècle, et voilà pourquoi nous les réimprimons avec l’espoir de les rendre populaires. Bonaventure des Periers, spirituel et gracieux conteur, est en outre, un des bons écrivains qui ont concouru à former la langue avec Rabelais, Calvin, Amyot et Montaigne.

Antoine Dumoulin, qui avait mis au jour, en 1544, le Recueil des Œuvres de des Periers en vers et en prose, trouvées dans ses papiers, fut sans doute aussi l’éditeur des Contes, quoique La Croix du Maine attribue la plus grande part de ces contes à Jacques Pelletier, du Mans, et Nicolas Denisot, également amis de Bonaventure des Periers. Cette première édition est intitulée: Les nouvelles Recréations et joyeux Devis, contenant quatre-vingt-huit contes en prose, Lyon, Robert Granjon, 1558, petit in-4o, imprimé en caractères dits de civilité (on les appelait autrefois lettre française).

Jacques Pelletier et Nicolas Denisot avaient sans doute travaillé avec Antoine Dumoulin à revoir et à compléter l’ouvrage de leur ami; puisque ces contes renferment des interpolations qui ne peuvent avoir été glissées dans le texte qu’après la mort de l’auteur, ils joignirent aux éditions suivantes quatre contes qui paraissent sortis de la même main que les premiers, et ensuite trente-sept autres qui sont empruntés évidemment à divers auteurs contemporains. Ce livre, ainsi augmenté, a été réimprimé neuf ou dix fois jusqu’en 1735, date de la dernière édition. Voilà donc plus d’un siècle que Bonaventure des Periers n’a eu les honneurs d’une réimpression!

Ces éditions sont les suivantes: Lyon, J. Roville, 1561, in-4o; Paris, Galiot du Pré, 1564 et 1568, petit in-12; Lyon, Benoît Rigaud, 1571, même format; Paris, Nicolas Bonfons, 1572, in-16; Paris, Claude Bruneval, 1582 ou 1583, in-16; Paris, Didier Millot, 1588, in-12; Rouen, 1606, in-12; Rouen, David du Petit-Val, 1615, in-12; Cologne, Gaillard, 1711, 2 vol in-12 (cette édition contient les notes de La Monnoye, avec des observations du même sur le Cymbalum mundi); Amsterdam; Z. Chatelain (Paris); 1735, 3 vol. in-12.

C’est le texte de cette édition que nous avons suivi, car il avait été collationné par La Monnoye sur les éditions originales. Mais, comme l’édition de 1735 fut faite, depuis la mort de La Monnoye, d’après un exemplaire corrigé et annoté par lui; Saint-Hyacinthe, ou Prosper Marchand, qui semble avoir été l’éditeur anonyme, n’a pas donné au texte toute la correction désirable, et y a laissé beaucoup de fautes qui accusent une extrême négligence, sinon peu de connaissance de ce qu’on nommait alors notre vieux gaulois. Cet éditeur a eu raison d’abréger çà et là les notes de son savant devancier, en y mêlant les siennes.

Nous avons encore abrégé ce commentaire, en modifiant le style et souvent les idées du commentateur; nous y avons incorporé nos propres remarques, sans autres prétentions que de faire mieux comprendre le langage et d’expliquer quelques faits obscurs. Nous nous sommes attachés particulièrement à rendre le texte intelligible par la ponctuation; mais, suivant notre système, nous ne respectons pas l’ancienne orthographe, qui n’est qu’un obstacle inutile à la lecture et à la popularité des chefs-d’œuvre de notre ancienne littérature.

Paul L. JACOB,    
Bibliophile.    


1

BONAVENTURE DES PERIERS.

Les hommes sont injustes et la renommée capricieuse. C’est un axiome de tous les temps, et j’aime à le rappeler pour la consolation des génies incompris de notre siècle, qui ne sont pas satisfaits de la gloire qu’ils se composent à eux-mêmes dans les réclames hyperboliques de leurs journaux. Ce n’est cependant pas d’eux que je me propose, de parler aujourd’hui, et j’ai pour cela des raisons à moi connues. Ils sont trop difficiles à contenter.

La première moitié du seizième siècle est dominée en France par trois grands esprits auxquels les âges anciens et modernes de la littérature n’ont presque rien à opposer. Ce sont ceux-là qui ont fait la langue de Montaigne et d’Amyot, la langue de Molière, de La Fontaine et de Voltaire, et il faut leur en conserver une reconnoissance éternelle. Une langue qu’ils n’ont point faite, à la vérité, c’est celle que l’on parle à présent dans les livres incompréhensibles des génies incompris; mais l’art est long, la vie courte, l’expérience difficile, comme dit Hippocrate, et on ne peut pas tout prévoir. Cette langue excentrique, qui échappe à la logique et à la grammaire, étoit du nombre des choses imprévues, sinon des choses impossibles.

Des hommes que j’ai indiqués, le premier, c’est2 Rabelais; le second, c’est Clément Marot. Voilà une double proposition qui ne souffrira point de difficultés. Quant au troisième, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille; vous ne le trouverez pas, car les distributeurs officiels de hautes réputations ne lui ont pas délivré de brevet, et c’est tout au plus si les biographes daignent lui accorder un misérable certificat de vie.

Il s’appeloit Bonaventure Des Periers, et Bonaventure Des Periers n’est, sous aucun rapport, inférieur aux deux autres. La prééminence est une question de goût ou de sentiment que je ne m’aviserai pas de décider; mais, quel que soit celui des trois auquel on en décerne l’honneur, on ne se trompera pas de beaucoup. Je me rangerai volontiers du côté de ceux qui regarderont Bonaventure Des Periers comme le talent le plus naïf, les plus original et le plus piquant de son époque; mais cette opinion a besoin d’être appuyée sur des faits, et, dans ce qui me reste à dire de cet ingénieux écrivain, presque tous les faits sont nouveaux. C’est le seul genre d’intérêt que puisse offrir cette notice aux lecteurs qui ne s’occupent pas spécialement de notre histoire littéraire.

Nous ne manquons pas de détails, plus ou moins exacts, sur la vie de Clément Marot, de Cahors, et sur celle de François Rabelais, de Chinon. Quant à Bonaventure Des Periers, la seule chose que nous sachions positivement de lui, c’est son nom. Cette notion doit même avoir été fort équivoque pour le savant jésuite Mersenne, qui ne l’auroit pas appelé Perez en françois, et Peresius dans son excellent latin, si la vérita3ble orthographe lui avoit été plus familière. L’époque et le lieu de sa naissance présentent bien d’autres difficultés. S’il est mort à trente-sept ans, comme le prétendent nombre d’écrivains contemporains, il n’est pas né sur la fin du quinzième siècle, comme le prétend mon ami M. Weiss, qui le fait mourir en 1544; s’il est né à Arnay-le-Duc en Bourgogne, ainsi que l’avance le même biographe, il n’étoit ni de Bar-sur-Aube en Champagne, comme le pense La Croix du Maine, ni d’Embrun en Dauphiné, comme le veut Guy-Allard, qui l’appelle Périer. Il n’y a pas, dans toute la république des lettres, un écrivain plus difficile à baptiser.

L’opinion de M. Weiss, qui a suivi celle de l’abbé Goujet, est d’ailleurs la plus probable. Dolet, qui étoit l’ami de Des Periers, et que des rapports d’âge, d’études et de sentimens, avoient dû faire pénétrer dans tous ces secrets de son histoire, si embarrassans pour nous, l’appelle Eutychum (Bonaventure) de Perium, Heduum poetam. Il est vrai de dire cependant qu’Hedua s’est dit pour la ville d’Autun elle-même, comme pour l’Autunois, et ce seroit là une quatrième hypothèse à débattre avec les autres. On n’en finirait pas.

Tout ce qu’on sait de la première jeunesse de Des Periers, c’est qu’elle avoit dû être fort studieuse, ou bien que Des Periers étoit organisé de manière à profiter en peu de temps et avec beaucoup d’éclat de quelques études superficielles effleurées entre deux plaisirs. C’est une grâce d’état que la Providence des gens d’esprit accorde quelquefois aux mauvais sujets. Dolet nous informe en effet que Bonaventure Des Pe4riers avoit mis au net, de sa propre main, le premier tome des Commentarii linguæ latinæ, et Dolet n’étoit pas homme à confier ce travail à un humaniste du second ordre. Des Periers ne persista cependant pas long-temps dans ce genre d’occupations sérieuses, lui qui avoit pris pour devise: Loisir et liberté. Il n’avoit nul souci de la gloire, et il se connoissoit assez en bonheur pour ne pas mettre son bonheur dans une vaine réputation littéraire. Personne n’a poussé plus loin le dédain de la publicité et du bruit, puisqu’il ne reste pas une page imprimée de son vivant à laquelle il ait attaché son nom.

Le temps de la mort de Bonaventure Des Periers n’est pas plus facile à déterminer que celui de sa naissance. Ce qu’il y a de certain, c’est que cet événement n’est pas antérieur à l’année 1539, où le poète écrivoit, dans un rhythme gracieux dont il est l’inventeur, son joli Voyage de Lyon à l’isle de Notre-Dame, et qu’il n’est pas postérieur à l’année 1544, où Antoine Du Moulin donna l’édition posthume de ses Œuvres, sans entrer d’ailleurs dans les moindres détails sur les circonstances et sur les causes d’une catastrophe si tragique. Nous apprenons toutefois d’Henri Estienne que Bonaventure Des Periers se perça de son épée dans les accès d’une fièvre chaude ou d’un désespoir furieux, et quelques mémoires plus positifs insistent sur les particularités de ce suicide avec toute l’assurance d’un témoignage oculaire. Les uns rapportent qu’il se précipita sur la pointe de son arme, et qu’elle le traversa de part en part jusqu’à la garde; les autres ajoutent qu’il déchira sa blessure de ses mains, et qu’il en5 arracha ses entrailles, comme Caton. A l’existence près de Bonaventure Des Periers, tout devant rester équivoque dans son histoire, Prosper Marchand doute même du fait principal, et, comme il a voulu justifier son auteur favori d’impiété, il ne tient pas à lui de l’absoudre, aux yeux de la postérité, d’un horrible attentat sur lui-même. Dans les embarras d’une pareille biographie, il reste certainement beaucoup de choses à deviner, et l’on ne peut tenter d’y être instructif sans s’exposer à être téméraire.—In re parum nota conjectare licet.

Osons donc conjecturer, puisqu’il le faut, que Bonaventure Des Periers étoit, vers 1536, un jeune homme de sang noble, d’éducation distinguée, de manières brillantes, qui se faisoit remarquer par cette indépendance de pensées si favorable au succès des ouvrages d’imagination, et à laquelle on ne pouvoit refuser alors les honneurs du courage. Il fondoit en effet, avec Rabelais et Marot, cette école de scepticisme railleur qui produisit long-temps après Fontenelle et Saint-Evremont, puis ce formidable esprit de Voltaire qui a renversé tout l’édifice patient et laborieux de la civilisation à coups de marotte. Ce n’est pas sous ce rapport que Des Periers m’intéresse, et que j’ai tenté de réhabiliter sa mémoire oubliée. Je rends volontiers justice au talent partout où il se trouve, et même quand il accomplit la funeste mission de détruire; mais la mission du génie est de conserver, quand il est venu trop tard pour créer encore.

Quoi qu’il en soit, c’est probablement à ce caractère particulier de son esprit que Bonaventure Des Pe6riers fut redevable de la faveur d’une grande princesse dont les premiers penchans inclinèrent vers un scepticisme absolu, et qui finit toutefois, comme tant d’autres incrédules, par mourir dans les visions ascétiques de la mysticité. Marguerite n’avoit encore que quarante-cinq ans, et on sait qu’aussi savante que belle, elle aimoit à réunir dans sa cour les hommes les plus distingués de son temps. Marot avoit été son valet de chambre pendant plusieurs années, et depuis 1530 seulement elle avoit senti l’impossibilité de le défendre contre ses nombreux accusateurs, sans se compromettre ou se perdre elle-même. Bonaventure Des Periers le remplaça au même titre, et jouit de la protection dont on n’osoit plus couvrir son imprudent ami. Le palais reprit son éclat, sa gaieté, ses veillées et ses fêtes. Les muses y rentrèrent comme dans leur temple à l’appel de leur dixième sœur, et sous les auspices d’un de leurs plus brillans favoris. Marot y reparoissoit de temps à autre, dans les rares intervalles que lui laissoient des persécutions trop souvent méritées. Deux jeunes gens de grande espérance, qui terminoient à Paris d’éclatantes études, et qui devoient conserver à Des Periers une amitié bien fidèle, y apportoient en tribut les fruits d’une verve précoce dont toutes les promesses n’ont pas été tenues. C’étoit Jacques Pelletier du Mans, l’audacieux grammairien; c’étoit le précepteur des belles Seymour, Nicolas Denisot, plus connu depuis sous la maussade anagramme du comte d’Alsinois. Nous ne parlons ici que des personnages célèbres de l’époque dont le nom doit nécessairement se retrouver dans la suite de notre notice.

7

Les soirées de Marguerite ne ressembloient pas aux soirées vives et turbulentes du dix-neuvième siècle. La danse n’étoit pas encore en honneur comme elle l’est aujourd’hui. Le jeu n’occupoit que les personnes d’un esprit peu élevé. Les belles dames prenoient plaisir à entendre jouer du luth, ou, ainsi qu’on le disoit alors, du luc et de la guiterne, par quelque artiste habile, et Des Periers excelloit à jouer du luth en s’accompagnant de sa voix. Il est presque inutile de dire qu’il chantoit ses propres vers, et qu’il les improvisoit souvent. Ces fêtes rappeloient donc quelque chose du temps des troubadours et des ménestrels dont le souvenir vivoit toujours dans la mémoire des vieillards. Un autre genre de divertissement s’étoit introduit en France dès le règne de Louis XI, et faisoit le charme des veillées: c’étoit la lecture de ces nouvelles, quelquefois intéressantes et tragiques, presque toujours galantes et licencieuses, dont il paroît que Boccace avoit puisé le goût à Paris. Marguerite y fournissoit quelque chose pour sa part, et sa part est facile à reconnoître quand on a fait quelque étude de son style; Pelletier, Denisot, Des Periers surtout, concouroient à cet agréable amusement avec toute l’ardeur de leur âge et toute la vivacité de leur esprit. Boaistuau et peut-être Gruget, qui sortoient à peine de l’adolescence, tenoient tour à tour la plume, et nous avons à ces scribes fidèles l’obligation d’un livre charmant, dont je ne tarderai pas à nommer le véritable auteur.

Vers la fin de l’an 1538, ou au commencement de 1539, cette agréable société fut dissoute par un événement qui n’est pas bien expliqué. Les chants avoient8 cessé. Des Periers, long-temps errant, se réfugioit à Lyon, écrivoit ses derniers vers, et disparoissoit tout-à-coup du monde littéraire, où son nom ne reparoît plus qu’en 1544, avec l’édition posthume de ses ouvrages. Constant dans une noble amitié, il adresse à Marguerite les touchans adieux de sa muse, et il est facile de s’apercevoir, à la dernière strophe de son Voyage, que Marguerite devoit avoir le secret de son asile et de ses chagrins:

Retirez-vous, petits vers mistes (mêlés),
A seureté, soubz les couleurs
De celle dont (quand estes tristes)
L’espoir apaise vos douleurs.

Si l’on se reporte à l’époque où Des Periers composoit l’agréable voyage dont j’ai parlé, on n’aura point de doute sur l’objet et la nature de ses inquiétudes. Le Cymbalum Mundi, dont il sera question plus tard, avoit paru en 1537, et il avoit été aussitôt poursuivi avec une violence dont presque aucune prohibition littéraire n’offre l’exemple. Jehan Morin, l’imprimeur, étoit en prison; l’ouvrage étoit saisi et presque anéanti; l’auteur pouvoit être déjà nommé dans quelques-uns des aveux qu’arrachoit la torture. S’étoit-il rendu à Lyon pour donner ses derniers soins à la réimpression exécutée en 1538, par Benoist Bonyn, ou, ce qu’il est plus naturel de présumer, n’avoit-il d’autre but que de la détruire? Tout cela est fort incertain, mais les conséquences d’une pareille position se déduisent plus naturellement. L’anonyme étoit reconnu, Marguerite elle-même étoit compromise, et Des Periers se tua. Cet événement ne doit pas être postérieur à l’an 1539.

9

Il n’est pas possible d’oublier nulle part, en poursuivant cet examen, que toute la destinée de Bonaventure Des Periers est marquée d’un sceau fatal d’incertitude et d’oubli. Ce qu’il y a de plus positif dans la vie d’un écrivain, ce sont ordinairement ses écrits, et les moindres écrits de Bonaventure Des Periers sont enveloppés d’un profond mystère auquel il paroît avoir pris plaisir lui-même. Homme du monde bien plus qu’il n’étoit homme de lettres, et homme de lettres seulement parce qu’il étoit homme du monde, il ne se résout à publier quelques écrits qu’en 1537, et il garde avec soin le voile de l’anonyme qu’il avoit quelquefois intérêt à ne pas laisser soulever. On ne sauroit lui contester l’Apologie de Marot absent, imprimée dans le recueil des Disciples et Amis de Marot, Lyon, Pierre de Sainte-Lucie, sans date, mais certainement en 1537, puisque cette pièce y est attribuée à Bonaventure, valet de chambre de la royne de Navarre, par un éditeur qui ne pouvoit se tromper sur les différens collaborateurs de son recueil. La réticence du nom de famille est probablement imposée par quelque circonstance particulière, et la persécution exercée dès lors contre Des Periers est très-suffisante pour l’expliquer. Dans la réimpression de Paris, publiée en 1539, Bonaventure est écrit Bonadventure avec une intention sensible de déguisement, et La Monnoye, à qui appartenoit mon exemplaire, se croit obligé de marquer à la marge qu’il s’agit ici de Des Periers. Le nom de Des Periers, l’impiissimus nebulo, de Voetius, étoit déjà proscrit; ses meilleurs amis ne le rappeloient pas sans crainte, et, selon toute apparence, les poursuites de la justice10 avoient eu leur dernier résultat. Des Periers étoit en fuite. Il étoit probablement mort.

C’est aussi en 1537 que paroissent trois autres pièces que les vieux bibliothécaires du seizième siècle attribuent à Des Periers. La première est le Valet de Marot contre Sagon, petit chef-d’œuvre de verve satirique et bouffonne, qui ne peut être que de Des Periers, puisque les bienséances de la modestie ne permettoient pas à Marot de le composer; la seconde est la Prognostication des Prognostications, par M. Sarcomoros, secrétaire du roy de Cathay, boutade pleine de sel et de philosophie contre un genre de charlatanisme, alors fort accrédité, auquel Rabelais avoit porté les premiers coups quatre ans auparavant dans la Prognostication Pantagrueline. Cette facétie, qui est omise par M. Barbier, et que M. Brunet indique sans nom d’auteur, n’en est pas moins l’ouvrage authentique de Des Periers, puisque Du Moulin l’a réimprimée dans l’édition de 1544, où il n’est rien entré d’apocryphe. La troisième est la traduction de l’Andrie de Térence et du Traité des Quatre Vertus Cardinales, selon Sénecque, dont on ne connoît plus qu’une édition de 1555, Lyon, in-8o, qui est d’une grande rareté, mais bien moins rare, à coup sûr, que celle de 1537, indiquée par M. Weiss et M. Barbier, et dont l’existence m’est démontrée. Une question singulière s’élève cependant ici: Comment cette traduction de l’Andrie a-t-elle échappé à son ami Antoine Du Moulin, qui publia ses Œuvres, et qui a recueilli le poème des Quatre Vertus? Quelque circonstance particulière, dont nous ne pouvons plus rendre raison, auroit-elle11 enveloppé cet invisible volume dans la proscription du Cymbalum Mundi? Les questions de ce genre se présentent souvent, comme on sait, dans l’histoire de Bonaventure Des Periers.

Malheureusement pour Des Periers, toutes ses productions n’étoient pas de nature à défier la censure ecclésiastique, alors si puissante, comme les innocens opuscules dont nous venons de parler. Dans cette année féconde en travaux ingénieux, il publioit encore ou laissoit publier le Cymbalum Mundi, le plus célèbre de tous ses ouvrages. S’il faut en croire Nicolas Catherinot, dont le témoignage de médiocre valeur a cependant été accueilli par Beyer et par Vogt, la première édition de ce livre fameux sortit des presses de Bourges. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette édition n’a jamais été vue par Catherinot lui-même, qui en convient, et on est fort autorisé à la tenir au nombre des livres imaginaires. L’édition reconnue, jusqu’ici, comme originale, fut donnée à Paris par un pauvre libraire nommé Jehan Morin, et détruite avec tant de soin qu’on n’en connoissoit plus que deux exemplaires au commencement du dix-huitième siècle, celui de la Bibliothèque du Roi, et celui du savant Bigot. Le premier a disparu depuis long-temps; le second, qui avoit passé de la bibliothèque de Gaignat dans celle de La Vallière, et qui avoit été acquis pour le roi, si mes souvenirs ne me trompent, ne se retrouve, dit-on, pas plus que l’autre. On ne sauroit donc où reprendre une de ces éditions originales du Cymbalum, si Benoist Bonyn ne l’avoit réimprimé à Lyon en 1538, et les exemplaires en sont devenus si rares aussi,12 qu’ils se réduisent probablement à deux, celui de la Bibliothèque du Roi et le mien, qui provient de l’élégante collection de Girardot de Préfond. Le premier est enrichi d’une requête de Jehan Morin, fac-simile fait avec soin, qu’on attribue à Dupuy; et ce précieux volume a été lui-même égaré pendant vingt ans, au milieu des innombrables richesses du magnifique dépôt dont il fait partie, mais où il était inutilement cherché, dans ces derniers temps, par les curieux. Jamais fatalité plus obstinée ne s’est attachée à la réputation d’un auteur et de ses écrits.

Un tel livre ne pouvoit cependant pas se perdre absolument. Prosper Marchand le réimprima en 1711, avec une préface apologétique dont l’objet est fort singulier. Prosper Marchand, savant homme d’ailleurs, et qui se connoissoit merveilleusement en livres, n’étoit pas doué d’un esprit de critique fort pénétrant; comme le vieux bibliothécaire Du Verdier, il n’avoit vu dans l’ouvrage de Des Periers qu’un badinage ingénieux à la manière de Lucien, et il prend à tâche de prouver que le reproche d’impiété fait au Cymbalum Mundi n’est fondé sur aucune raison plausible, ce qui prouve seulement que Prosper Marchand ne savoit pas lire le Cymbalum Mundi. Voltaire adopta plus tard la même opinion, et ceci prouve autre chose, c’est que Voltaire ne l’avoit pas lu. L’idée qu’un homme d’esprit du seizième siècle avoit jugé à propos d’écrire un volume de persiflages contre les dieux de la mythologie, et de jeter du ridicule sur Jupiter et sur Mercure en l’an de grâce 1537, peut passer pour une des fantaisies les plus bizarres qui soient jamais13 entrées dans la tête des savans. Dans Prosper Marchand, c’est la vision d’un pédant épris de l’auteur qu’il publie. Dans Voltaire, c’est le paradoxe d’un spirituel et admirable étourdi.

Voltaire, qui étoit tout dans son siècle, si ce n’est peut-être physicien, naturaliste, linguiste et grammairien, ne jugeoit guère les écrivains de la Renaissance dont le nom lui étoit parvenu, que sur la foi de leurs derniers éditeurs. Le petit livre de Des Periers étoit, de tous les écrits de cette époque, celui qui alloit le mieux à son esprit et auquel il devoit plus de sympathie; car, ce livre, il l’auroit fait lui-même deux cents ans plus tôt; mais il falloit lire quelques pages welches, et cela répugnoit à ses habitudes. Il aima mieux s’en rapporter à ce bon M. Le Duchat qui trouve le Cymbalum inintelligible, et à ce bon M. Goujet qui le trouve ennuyeux. M. Le Duchat avoit la compréhension obtuse, et M. l’abbé Goujet n’étoit pas facile à amuser. Le Cymbalum Mundi ne seroit en effet qu’une imitation tout-à-fait servile de Lucien, qu’il faudroit le citer encore comme un des chefs-d’œuvre de langue du quinzième siècle. On va voir que c’étoit autre chose.

Le Cymbalum Mundi reparut dans une édition plus soignée en 1732, avec la préface de Prosper Marchand et des notes de La Monnoye, qui étoit mort depuis quelques années. Cette circonstance explique assez bien comment il se fait que ces notes ne soient pas plus nombreuses, et que cette édition ne soit pas meilleure. La Monnoye ne s’étoit occupé du Cymbalum Mundi qu’en passant, et à l’occasion de son édition des Contes et nouvelles Récréations du même au14teur. Une lecture plus réfléchie, des études moins superficielles auroient produit, sous sa plume, un excellent travail dont il étoit certainement plus capable que tout autre, et il ne nous resteroit rien à dire sur cette matière, s’il l’eût approfondie au lieu de l’effleurer. Il l’a malheureusement laissée toute neuve, soit qu’il n’ait jamais trouvé l’occasion de s’en occuper avec plus de détails, soit qu’il ait craint, avec quelque raison, d’aborder au vif une discussion alors irritante et dangereuse. Plusieurs de ses notes prouvent que la clef du Cymbalum Mundi ne lui avoit pas échappé, et cette clef n’échapperoit aujourd’hui à personne, car elle est cachée dans le plus simple de tous les artifices, c’est-à-dire dans l’anagramme. On concevroit même à peine que Des Periers eût dissimulé son secret sous un voile si léger, si l’anagramme avoit été aussi vulgaire de son temps que du nôtre, et il est vrai de dire qu’on cite peu de livres remarquables où elle ait été employée avant lui, comme le Pantagruel d’Alcofribas Nasier, masque transparent de François Rabelais. Mais ce n’étoit pas un nom que Bonaventure Des Periers s’étoit avisé de cacher dans l’anagramme: c’étoit une idée, et il reste encore à savoir si la justice elle-même avoit deviné le mot de cette énigme, car l’arrêt du 7 mars 1537, avant Pâques, seul document subsistant de l’accusation et de la poursuite, n’a pas pris la peine de nous en informer. Or, il n’y a rien de plus significatif: le livre est adressé par le prétendu traducteur, Thomas Du Clenier, à son ami Pierre Tryocan, c’est-à-dire par Thomas l’Incrédule, à Pierre Croyant; cette traduction ne laisse pas le15 moindre doute sur le véritable motif de l’écrivain, et il est assez évident qu’il s’agit ici de l’incrédulité de Thomas et de la croyance de Pierre, qui n’ont certainement rien à démêler avec les superstitions surannées de la mythologie. C’est la raillerie de Lucien et d’Apulée, j’en conviens, mais elle a changé d’objet.

Il est vrai que toutes les éditions portent Thomas Du Clevier, et non pas Thomas Du Clenier, sans en excepter l’édition invisible de 1537, si la réimpression de 1732 l’a suivie fidèlement et à une lettre près: mais il est besoin de dire que le v consonne s’écrivoit, en 1537, comme l’u voyelle, et que la figure de la lettre u et celle de la lettre n, qui se confondent si facilement dans notre écriture cursive, étoient plus sujettes encore à se confondre dans l’impression gothique. Le manuscrit seul de Des Periers pourroit éclaircir cette question; mais cela est assez inutile à vérifier. Tout le monde sait que la suppression ou la mutation d’une lettre étoit un des priviléges de l’anagramme.

Je me sens arrêté par une autre difficulté au moment de continuer cette notice. Je suis éditeur de la petite découverte dont je viens de parler, et qui s’est refusée, je ne sais comment, aux secrètes investigations de La Monnoye, si patient et si subtil à débrouiller des anagrammes, mais je n’en suis pas propriétaire. Bien qu’il ait comblé mon esprit d’une douce satisfaction à l’âge de quinze ans, je ne me suis pas précautionné d’un brevet d’invention pour l’exploiter à mon aise, et je n’ai aucune envie d’en dérober l’honneur à M. Éloi Johanneau, qui l’a faite de16 son côté. M. Éloi Johanneau est sans doute assez riche de son propre fonds pour me faire avec plaisir l’aumône de cette obole bibliographique, qui ne représente guère plus de valeur que l’explication d’une charade ou d’un rébus, et je ne crois pas avoir à redouter de sa part la moindre réclamation; mais il ne faut pas oublier que nous vivons sous l’empire d’une littérature essentiellement processive, qui a transporté au Parnasse l’antre odieux des Chiquanous. C’est pourquoi je me hâte de me prémunir contre un soupçon de plagiat dont le méchant état de mes affaires pécuniaires ne me permettroit pas pour le moment de me défendre en justice, et je recommande humblement cet exemple modeste aux honnêtes gens peu versés dans la pratique, qu’une passion funeste a entraînés comme moi dans la carrière des lettres. L’idée est devenue une denrée si rare, qu’on a été obligé de la mettre, comme la Toison d’Or, sous la protection de certains dragons, qui n’ont garde eux-mêmes d’y toucher. Le plus sûr est donc de suivre une méthode prudente, qui s’est fort accréditée de nos jours, et de n’écrire que des choses qui ne ressemblent à rien du tout.

L’imitation de Lucien est si sensible dans le Cymbalum Mundi, qu’il n’est pas étonnant qu’elle ait trompé Prosper Marchand sur le fond du sujet. Pour se rendre un compte exact de l’idée que Des Periers a voulu cacher sous ces formes de fantaisie, il faut se décider à recourir à l’analyse et entrer dans quelques détails. Ce soin ne sera peut-être pas entièrement inutile. Il y a si peu de personnes qui lisent, et parmi les 17 personnes qui lisent, il y en a si peu qui aient lu le Cymbalum Mundi!

Le premier dialogue est à quatre personnages, une hôtesse comprise. Mercure descend à Athènes, chargé par les dieux de différentes commissions, et entre autres choses, de faire relier tout à neuf le livre des destinées, qui tomboit en pièces de vieillesse. Il entre au cabaret, où il s’accoste de deux voleurs qui lui dérobent son précieux volume, pendant qu’il est allé lui-même à la découverte pour voler quelque chose, et qui en substituent un autre à la place, «lequel ne vault de guère mieulx.» Mercure revient, boit, et se dispute avec ses compagnons, qui l’accusent d’avoir blasphémé et le menacent de la justice, «parce qu’ils peuvent lui amener de telles gens qu’il vauldroit mieulx pour lui avoir à faire à tous les diables d’enfer que au moindre d’eulx.» Ces deux drôles s’appellent Byrphanes et Curtalius, et La Monnoye croît reconnoître sous ces deux noms les avocats les plus célèbres de Lyon, Claude Rousselet et Benoît Court. Quoique le grec et le latin se prêtent assez bien à cette hypothèse d’étymologie ou d’analogie, elle est certainement plus hasardée que les hypothèses du même genre qui sont fondées sur l’anagramme, et cependant je n’hésiterois pas à l’admettre. L’idée de mettre le dieu des voleurs aux prises avec deux avocats qui s’emparent du livre des destinées pour le remplacer par le bouquin de la loi; qui font ensuite à ce dieu, qu’ils ont reconnu d’abord, un procès en sacrilége, et qui parviennent à lui faire redouter à lui-même les suites de son impiété, cette idée, dis-je,18 est tout-à-fait digne de Des Periers, et je serois désespéré qu’il ne l’eût pas eue; mais c’est une conviction qu’on ôteroit difficilement de mon esprit.

Prosper Marchand imagine que le second dialogue est transposé, et qu’il devroit suivre le troisième, qui pouvoit en effet se rattacher immédiatement au premier; mais Prosper Marchand se trompe. Ce second dialogue est un entr’acte, un véritable intermède, dont l’action se passe entre le premier et le troisième. Mercure volé ne s’est pas aperçu d’abord du larcin qui lui avoit été fait; il sortoit «de l’hostellerie du Charbon blanc, où il avoit bu un vin exquis; c’estoit la veille des bacchanales, il estoit presque nuict, et puis tant de commissions qu’il avoit encore à faire luy troubloient si fort l’entendement, qu’il ne sçavoit ce qu’il faisoit.» Il a donné au relieur un livre pour l’autre sans y prendre garde, et c’est en attendant son livre qu’il s’amuse à parcourir Athènes, dans la compagnie de son ami Trigabus. Parmi les bons tours qu’il a joués autrefois aux habitans de cette ville classique de la sagesse, il en est un qui a produit de graves résultats. Pressé par eux de leur céder la pierre philosophale qu’il leur avoit fait entrevoir, il a mis la pierre en poudre et l’a ainsi semée dans l’arène du théâtre, où ils n’ont cessé depuis de s’en disputer les fragmens. Il n’y en a cependant pas un qui en ait trouvé quelque pièce, quoique chacun d’eux se flatte en particulier de la posséder tout entière. C’est ici, selon Prosper Marchand, une raillerie des chimistes, c’est-à-dire de ceux qui cherchent la pierre philosophale, et c’est en effet le sens propre d’une métonymie19 dont Des Periers n’a pas pris beaucoup de peine à cacher le sens figuré. Qu’est-ce en effet, selon lui, que cette pierre philosophale? «C’est l’art de rendre raison et juger de tout, des cieulx, des champs élyséens, de vice et de vertu, de vie et de mort, du passé et de l’advenir. L’ung dict que pour en trouver il se fault vestir de rouge et de vert, l’autre dict qu’il vauldroit mieulx estre vestu de jaune et de bleu.—L’ung dict qu’il fault avoir de la chandelle, et fût-ce en plein midi; l’aultre tient que le dormir avec les femmes n’y est pas bon.» Nous voilà bien loin du grand œuvre des alchimistes. Et qu’importe leur vaine science à l’auteur du Cymbalum Mundi? La pierre philosophale de Des Periers, c’est la vérité, c’est la sagesse révélée; tranchons le mot, c’est la religion; et cette allégorie impie est si claire, qu’elle ne vaut presque pas la peine d’être expliquée; mais si elle laissoit quelque doute, l’anagramme l’éclairciroit ici d’une manière invincible. Quels sont ces hommes opiniâtres qui contestent entre eux la possession du trésor imaginaire? Ce ne sont vraiment pas des alchimistes; ce sont des théologiens. C’est Cubercus ou Bucerus, c’est Rhetulus ou Lutherus, les deux chefs, divisés en certains points, de la nouvelle réforme; c’est Drarig ou Girard, un des écrivains militans de la communion romaine. Tout ceci est d’une évidence qui devoit frapper La Monnoye; mais La Monnoye se contente de le faire deviner, sans le dire positivement. L’antiquité n’a certainement point de fiction plus vive et plus ingénieuse. Ajoutons qu’elle n’en a point de plus claire et de mieux exprimée.

20

Le troisième dialogue est moins important, mais il est délicieux. Mercure a reporté dans l’Olympe le prétendu livre des destinées, si méchamment remplacé par les Institutes et les Pandectes. Jupiter vient de renvoyer le messager céleste sur la terre pour y faire promettre, par écrit public, une récompense honnête à la personne qui aura trouvé «iceluy livre, ou qui en saura aulcune nouvelle.—Et par mon serment, je ne sçay comment ce vieulx rassoté n’a honte! Ne pouvoit-il pas avoir vu autrefoys dans ce livre (auquel il cognoissoit toutes choses) ce qu’il devoit devenir? Je croy que sa lumière l’a éblouy; car il falloit bien que cestuy accident y fût prédit, aussi bien que tous les aultres, ou que le livre fût faulx.»—Une fois ce gros mot lâché, Des Periers oublie son sujet, et le reste du dialogue n’est qu’une fantaisie de poète, mais une fantaisie à la manière de Shakespeare ou de La Fontaine, dont la première partie rappelle les plus jolies scènes de la Tempête et du Songe d’une nuit d’été, dont la seconde a peut-être inspiré un des excellens apologues du fabuliste immortel. Il faut relire dans l’ouvrage même, pour comprendre mon enthousiasme, et, si je ne m’abuse, pour le partager, la charmante idylle de Célia vaincue par l’Amour, et les éloquentes doléances du Cheval qui parle.

L’idée de faire parler des animaux avoit mis Des Periers en verve. Son quatrième dialogue, qui n’a aucun rapport avec les autres, est rempli par un entretien entre les deux chiens de chasse qui mangèrent la langue d’Actéon, et qui reçurent de Diane la faculté de parler. Les raisons dont Panphagus se sert pour21 se dispenser de parler parmi les hommes contiennent les plus parfaits enseignemens de la sagesse, et, quoique n’étant que d’un simple chien, elles méritent toute l’attention des philosophes. Il faut remarquer aussi dans ce dialogue la jolie fiction des Nouvelles reçues des Antipodes, où la vérité menace de se faire jour par tous les points de la terre, si on ne lui ouvre une issue libre et facile. C’est une de ces inventions familières au génie de Des Periers, comme la vérité disséminée en poudre impalpable dans l’amphithéâtre, comme le livre délabré des lois humaines substitué au livre plus délabré encore des lois divines, et la moindre de ces idées auroit fait chez les anciens la réputation d’un grand homme.

Il est donc trop prouvé aujourd’hui que l’ouvrage de Des Periers méritoit réellement le reproche d’impiété qui lui a été adressé par son siècle, et qu’il s’étoit bien attiré des persécutions que rien ne justifie d’ailleurs, car rien ne peut justifier la persécution. Il est fort douteux que Dieu éprouve jamais le besoin de se venger des folles insultes des hommes; mais il est suffisamment démontré aux esprits sensés que la société n’est pas investie du droit de venger Dieu. Cette conviction est trop universellement répandue à l’époque où nous vivons pour qu’il soit nécessaire de l’affermir par des raisonnemens; on peut seulement regretter qu’elle soit plutôt le résultat de l’indifférence que celui de la réflexion.

Abstraction faite du scepticisme effréné de Des Periers, de son ironie et de ses sarcasmes, son livre est digne de plus de réputation qu’il n’en a conservé.22 A l’époque où il parut, notre littérature ne possédoit rien d’un style aussi pur et d’un tour aussi délicat. C’est un précieux texte de langue dont la réimpression seroit favorablement accueillie des gens de lettres, car celle de Prosper Marchand et celle de La Monnoye ont cessé d’être communes dans le commerce, et l’ingénieux chef-d’œuvre du moderne Lucien y est noyé dans une multitude de conjectures confuses et de notes inutiles, ceci soit dit sans préjudice du respect qui est dû à ces excellens esprits.

Il ne fut permis de rappeler le nom de Des Periers qu’en 1544, et c’est la date d’une édition du Recueil de ses œuvres, publiée in-8o, à Lyon, chez Jean de Tournes, par Antoine Du Moulin, qui la dédie à la reine de Navarre dans une épître fort mal écrite. Le prétendu Recueil des œuvres de Des Periers est loin de justifier les promesses de son titre; il ne contient ni les jolies pièces de Des Periers pour la défense de Marot, ni la traduction de l’Andrie, et on comprend à merveille qu’il ne peut pas contenir le Cymbalum Mundi. Antoine Du Moulin convient lui-même, en son lourd style, qu’il n’a pu recouvrer qu’une partie de ces nobles reliques, «desquelles aussi (à ce qu’il a ouy dire au deffunct) la royne conserve rière elle assez bonne quantité.» Nous verrons plus tard en quoi cette partie consistoit. «D’autres notables, ajoute-t-il, sont entre les mains d’ung mien cogneu à Montpellier,» et on pourroit reconnoître à cette désignation Jacques Pelletier du Mans, dont la vie errante se prête à toutes les conjectures, l’époque dont nous parlons concourant avec celle de ses études23 en médecine. Le Recueil des œuvres de Bonaventure Des Periers se réduit, au reste, à un mince volume de cent quatre-vingt-seize pages, dont quarante et une occupées par une traduction en prose du Lysis de Platon, qui ne se recommande que par un style facile et naïf. C’est probablement un ouvrage de jeunesse. Une autre pièce en prose, intitulée Des Mal-Contens, et adressée à Pierre de Bourg, Lyonnois, mérite mieux d’être remarquée, quoiqu’elle se renferme en six pages, parce qu’elle démontre invinciblement l’identité de l’auteur avec celui d’un autre livre dont il sera question tout-à-l’heure. C’est déjà la manière philosophique de Montaigne, et, chose étrange, c’est déjà un style que Montaigne n’auroit pas désavoué.

La troisième et dernière pièce de prose du Recueil de Des Periers n’est que de la prose apparente, et ceci a besoin d’explication. Marguerite, ayant chargé ce fidèle serviteur d’un travail sur son histoire, dont le sujet n’est pas autrement expliqué, le voyoit avec peine perdre un temps précieux à ne lui écrire qu’en vers, et demandoit expressément des lettres en prose. Des Periers adopte donc la forme vulgaire de correspondance qu’on lui a prescrite, mais il prend plaisir à prouver qu’elle ne fait que gêner son allure naturelle, et que les vers lui arrivent sans effort, même quand il ne les cherche point. On peut la copier sous la forme rhythmique, sans que le style y perde rien de sa souplesse et de son abandon. Ajouterai-je que cet abandon excède quelquefois les bornes de la bienséance requise entre un valet de chambre et sa maîtresse? Honny soit qui mal y pense.

24

Des Periers a laissé peu de vers, mais ceux qui nous restent lui assignent une place honorable parmi les poètes de son temps, tout près de Clément Marot et de Mellin de Saint-Gelais. Ce qui le distingue comme eux, c’est la pureté d’un langage qui semble anticiper, par quelque étrange prévision, sur une époque bien postérieure. Il est évident que Ronsard faillit corrompre tout-à-fait la langue en essayant de l’enrichir. En acquérant sous sa plume, hélas! trop savante, je ne sais quelle pompe verbale peu compatible avec son esprit, elle perdit ce charme de simplesse et de naturel qui ne fut retrouvé que par La Fontaine et Molière. La Fontaine ne désavoueroit peut-être pas ces vers de Des Periers, dont le tour et la pensée ont été reproduits si souvent dès lors, mais qui avoient du temps de Des Periers toute la fraîcheur de leur sujet:

.... Vous donc, jeunes fillettes,
Cueillez bientôt les roses vermeillettes
A la rosée, avant que le temps vienne
Les dessécher: et tandis vous souvienne
Que cette vie, à la mort exposée,
Se passe ainsi que roses ou rosée.

Le volume est terminé par une espèce de post-face de Jean de Tournes, qui est entièrement hors-d’œuvre, mais qui contient d’excellentes idées sur la question de contrefaçon, si débattue aujourd’hui, et une apostille de cet illustre imprimeur, dans laquelle il exprime l’espoir de recouvrer incessamment d’autres ouvrages du poète. Cette seconde partie n’a jamais paru, et la première, qui n’a pas été réimprimée, est d’une grande25 rareté, comme tous les ouvrages de Des Periers en édition originale. Il ne faut cependant pas juger de sa valeur par le prix exorbitant de 272 francs qu’elle vient d’atteindre à la vente des livres de M. de Pixérécourt. L’exemplaire acquis à ce taux hyperbolique doit plus de moitié de sa fortune aux armoiries du comte d’Hoym, dont les plats de sa couverture étoient décorés. Il est permis de douter que le nom et les armes des grands seigneurs de notre époque impriment à leurs livres, quand ils en ont, une recommandation aussi profitable: l’âge des bibliothèques est passé. Le plus curieux de tous les cabinets du monde ne rapporte pas d’intérêts.

L’ouvrage de Bonaventure Des Periers auquel nous arrivons par l’ordre chronologique des publications est beaucoup moins connu que les précédens, quoiqu’il soit encore plus digne de l’être. Il faut fouiller dans ces vagues mais précieuses archives de l’histoire littéraire qu’on appelle les Ana, ou interroger de vieux catalogues, pour en retrouver quelques indices. La Monnoye a cru pouvoir l’attribuer à Élie Vinet et à Jacques Pelletier du Mans, si souvent nommé dans la biographie de Des Periers, et c’est l’opinion que M. Barbier a suivie, quoique des savans, mieux fondés dans leurs conjectures, en fissent honneur à Des Periers. Mais qui se seroit résigné à l’examen approfondi de cette question, quand l’éditeur du livre semble avoir pris plaisir à la rendre tout-à-fait étrangère aux études sérieuses, par le choix d’un titre énigmatique et bizarre qui n’annonce qu’une lourde facétie? C’est en 1557 qu’Enguilbert de Marnef26 imprima, à Poitiers, avec une élégance à laquelle l’imprimerie n’atteindra plus, le singulier volume in-4o de 112 pages, intitulé: Discours non plus mélancoliques que divers, de choses mesmement qui appartiennent à notre France: et à la fin, la manière de bien et justement entoucher les lucs et guiternes. Personne n’est tenté, il faut en convenir, d’aller chercher un chef-d’œuvre là-dessous. Pour l’y trouver, il faut lire, et l’occasion de lire les Discours se présente fort rarement, car mes recherches ne constatent pas l’existence de plus de trois exemplaires. J’en possède un que j’ai lu et relu souvent, le lecteur peut m’en croire, et je lui dois le fruit de mes observations dont il est maître de tirer telle conséquence que bon lui semble. Ma conviction est aussi parfaitement établie que si j’avois assisté à la composition du livre, mais je n’ai pas l’autorité nécessaire pour l’imposer à personne, et c’est un de mes moindres soucis.

Jacques Pelletier étoit l’ami de Des Periers résidant à Montpellier, en 1544, qui avoit conservé en ses mains une partie des nobles reliques de cet admirable écrivain, et dont Antoine Du Moulin fait mention dans sa dédicace à la reine de Navarre. Il étoit à Paris, en 1556 ou 1557, prêt à commencer d’assez longs voyages en Italie, en Suisse et en Savoie. Il étoit venu peut-être y recueillir l’héritage littéraire de son compatriote Nicolas Denisot, mort un ou deux ans auparavant, et y préparer la publication des ouvrages inédits de Des Periers, qui parurent, en effet, peu de temps après. Ses habitudes de cosmopolite lui avoient procuré des relations suivies avec les gens27 de lettres et les libraires d’un grand nombre de villes, mais plus particulièrement de Lyon et de Poitiers, où il avoit plus long-temps résidé que partout ailleurs. Les Discours dont nous nous occupons maintenant furent cédés à Enguilbert de Marnef, qui imprimoit à Poitiers, et les Nouvelles Récréations à Robert Granjon, qui imprimoit à Lyon. Pelletier, disposé à s’expatrier, ne pouvoit se dispenser de rendre ce dernier devoir à la mémoire de Des Periers, et il seroit même assez difficile d’expliquer qu’il eût tardé si long-temps d’accomplir cette obligation, si la réprobation fatale qui pesoit sur l’auteur du Cymbalum Mundi avoit permis de le rappeler sans péril. Que Pelletier ait introduit dans ces deux ouvrages quelques pièces posthumes de Nicolas Denisot, c’est une chose naturelle à supposer et facile à comprendre. Il est encore moins douteux qu’il ait saisi cette occasion de faire voir le jour à quelques-uns de ses opuscules, qui risquoient de se perdre, sans cette précaution, à cause de leur peu d’étendue. Malheureusement pour Pelletier et Denisot, leur part n’est pas difficile à retrouver dans les pages si spirituellement pensées et si vivement écrites de Des Periers, qui ne laissa son secret à personne, au moins parmi ses contemporains. Quant au bonhomme Élie Vinet, il n’a certainement rien à y réclamer, et la méprise de La Monnoye repose, selon toute apparence, sur la conformité du sujet d’un de ces Discours, où il est traité de l’art de faire les cadrans, avec celui d’un livret qu’Élie Vinet a composé sur la même matière. Des Periers, comme Voltaire, inimitable bouffon, même dans les questions les plus28 sérieuses, avoit un cachet que l’on ne pouvoit contrefaire. Le Des Periers du Cymbalum Mundi est bien le Des Periers des Contes, et tous deux sont le Des Periers des Discours. Pour retrouver quelque chose de cette allure libre et badine, il faut remonter jusqu’à Rabelais, qui étoit mort en 1557, ou descendre jusqu’à l’auteur inconnu du Moyen de parvenir, qui n’étoit pas encore né. Il se distingue d’ailleurs de l’un et de l’autre par la vigueur adulte de son style sans pédantisme, sans affectation, sans manière, qui s’affranchit déjà des archaïsmes du premier, qui ne tombe pas encore dans les néologismes du second, et qui a tous les avantages d’une langue faite. Ce qui le caractérise, c’est cette ironie de bon ton, naturelle à un homme qui joint assez d’esprit à beaucoup de savoir pour estimer le savoir lui-même à sa véritable valeur, et qui se joue de son érudition avec la moqueuse gaieté du scepticisme, parce qu’il n’a pas besoin d’être savant pour être quelque chose. C’est, si l’on veut, la fatuité d’un homme du monde qui s’est acquis le droit de railler les pédans par des études plus fortes que les études des pédans, et qui ne se mêle à leurs débats que pour leur en laisser le ridicule. C’est surtout l’instinct du conteur aimable qui fait volontiers rentrer l’historiette jusque dans ses parenthèses, et l’expansion rieuse du philosophe insouciant qui fait consister la sagesse à rire de toutes choses. On mettroit à l’alambic tous les lourds ouvrages de Nicolas Denisot, de Jacques Pelletier et d’Élie Vinet, sans en tirer un atome de l’esprit de Des Periers. La proposition qui leur attribue un des29 ouvrages de Des Periers ne peut pas être soutenue.

Les Discours de Des Periers (qu’on me permette de convertir cette hypothèse en fait) appartiennent à ce genre d’écrits que l’on connoissoit alors sous le nom de Diverses Leçons, et qui aboutirent, sans beaucoup varier dans leur forme, au livre le plus éminent de notre ancienne littérature, les Essais de Montaigne. La philosophie sérieuse a moins de part aux Discours qu’aux Essais, ou plutôt elle y est déguisée sous une ironie si fine et si railleuse, que bien peu d’esprits pouvoient en pénétrer le mystère. A cela près, c’est un ouvrage d’examen sceptique, plus particulièrement appliqué aux études historiques et littéraires, à la grammaire et à l’archéologie. L’érudition ne s’étoit jamais montrée aussi spirituelle et aussi aimable que dans ces vingt chapitres, où le savoir d’Henri Estienne est assaisonné de tout le sel attique de Rabelais. L’étymologie, si mal connue jusque là, y est traitée avec une pénétration exquise; les traditions héréditaires de ces nombreuses générations de savans, dont l’opinion s’accréditoit de siècle en siècle, y sont présentées sous un point de vue moqueur qui en détruit le prestige. Rien ne se rapproche autant, dans les trois grandes époques de notre littérature, du persiflage de Voltaire. Le style même se ressent de cette anticipation sur l’âge de l’esprit françois, parvenu à son plus haut degré de raffinement; il est vif, coulant, enjoué, toujours pur, jusque dans son affectation badine. J’en citerai pour exemple, et non sans dessein, un passage où il est fait allusion à quelques pédans qui corrigeoient les vers de Térence:

30

«Puisque nostre langage actuel est sans quantité (je diray quelque jour ce que j’y en trouve, s’il plaist à Dieu), quand nous venons à parler les langues estranges, nous ne gardons la quantité naturelle desdits langages, que nous n’avons pas naturellement, si nous n’y estudions bien à bon escient, et ne l’apprenons de ceux qui ont naturels tels langages. Voyla pourquoy vous ne trouvés aujourd’hui homme qui, en parlant, garde ceste quantité en grec et latin, parce qu’il n’y a plus de gens qui parlent naturellement ces langages dont on puisse ouïr la vraye prononciation, et qu’ils ne se trouvent qu’aux livres, qui sont muets, comme sçavés. Quand doncques aujourdui je veus faire un vers latin, je vay voir en Virgile quelle quantité ont les syllabes des mots que je veus mettre en mon vers: autrement ne puis rien faire, et ne cognois que la première syllabe d’arma soit longue et l’autre courte, sinon que Virgile me l’enseigne, ou quelque autre ancien d’authorité. Mais qui a appris à Virgile que telle estoit la quantité de ces deux syllabes? Est-ce point le poëte Lucrèce, ou Enne qu’il lisoit tant, ou quelque autre de devant luy? Non, c’est nature (ne me venez icy sophistiquer sur ce mot de nature, je vous prie), car tout le monde à Romme, hommes, femmes, grans et petits, nobles et vilains, parloient le langage que voyés en Virgile et autres autheurs latins, et prononçoient arma, la première syllabe longue, et la seconde courte: et Virgile, incontinant qu’il a esté né, l’a ouï ainsi prononcer à sa nourrice, et estant grand en a ainsi usé pour la mesure de son vers héroïque. Que si quelqu’un doute de ce que je dy,31 qu’il ailhe lire le troisième livre de l’Orateur de Cicéron, et trouvera vers la fin que si ce grand Domine, alias, grand magister de nostre pays, qui a voulu adroisser un qui a plus d’escus que luy, parloit aujourd’hui son ramage à Romme, devant les poissonnières qui vendoient les bonnes huistres à Lucule, elles l’appelleroient plus barbare qu’il n’est rébarbatif, quoy qu’il fasse du fin. Et faut que je die icy, que je suis tout estonné de la mervelheuse audace d’un Espagnol, d’un Gaulois, de quelques Alemans et Italiens, qui en nostre temps ont osé entreprendre de corriger les vers de Térence. O les grans fols! barbares, qui ne sçavés ni sçaurés jamais prononcer droit la moindre syllabe qui soit en ce latin, osés-vous mettre là la main? J’entends bien que les anciens escrivains ont corrompu et gasté ce pauvre poëte, et trouverois bon à mervelhes qu’il fus rabilhé: mais qui est celui-là qui aujourdui le pourroit faire, et laudabimus eum? Lessés cela, quenalhe, et vous allés dormir, ni touchés, profanes, à ces saintes reliques: et s’il y a quelque chose que trouvés bonne à vostre goust, dites-en, faites-en tels livres que voudrés, mais n’y touchés. Car que sçavés-vous si ce langage coulant et commun de Romme ne passoit point des syllabes, que les grans messeres faisoient plus longues et poisantes, comme ils se portoient? et au contraire, si n’estendoit point quelquefois les courtes? Davantage ne sçavés-vous pas, et mesme par plusieurs lieux de Plaute, qu’on faisoit des solœcismes, des fautes, et la prononciation des paroles sotes et nouvelles, tout ainsi que voyés en nos tant plaisans badinages de France,32 et ce tout à gardefaite pour faire rire les assistans? Je pren le cas que le comique faisant parler yvroigne qui chancelle, un courroucé jusques à estre hors de sens, une folete chamberiere d’estrange païs, un vielhard tout blanc, tremblant, aie tout exprès pour le personnage mis ou plus ou moins de temps aus vers, de sorte qu’à ton aulne tu trouves une iambe en un trochaïque, ou un trochæe en un iambique, tu me viendras incontinant faire là du corrigeart, et gaster ce qui estoit bien? Mau de pipe te bire.»

L’Espagnol dont il est question dans cette piquante et judicieuse diatribe est certainement le Portugais Govea qui enseignoit publiquement à Lyon, pendant les deux dernières années de la vie de Des Periers, le Terentius pristino splendori restitutus, publié peu de temps après, et cette circonstance a toute la précision d’une date. Plusieurs autres passages des Discours marquent, en effet, qu’ils furent composés à Lyon, et vers la même époque. Mais ce qui les donne incontestablement à Des Periers, je le répète, c’est le style. Il n’y avoit plus personne, et il n’y avoit personne encore qui écrivît dans ce goût. La singulière dissertation sur la manière d’entoucher les lucs et guiternes, si bizarrement annexée à ces mélanges d’histoire et de haute littérature, est une preuve de plus. On sait déjà que cet art, qui étoit un des divertissemens favoris de Des Periers, avoit contribué à ses succès. C’étoit donc à Des Periers qu’il appartenoit d’en écrire. Et qui auroit pu le faire avec cette érudition facile et cette gaieté libertine qui le caractérise, si ce n’étoit Des Periers lui-même? Les savans artistes qui s’occupent des vicis33situdes et des progrès de la facture instrumentale diroient mieux que moi si Des Periers a contribué, comme je le pense, au perfectionnement de la guitare; ce n’est pas là mon affaire. Ce que j’avois à cœur de démontrer, c’est qu’il a contribué au perfectionnement de la langue, et qu’il est fâcheux qu’une édition complète et bien soignée de ses Œuvres ait manqué jusqu’ici à notre bibliothèque classique. On y viendra, peut-être, quand la littérature du siècle, fatiguée de produire pour le lendemain, laissera quelques jours de relâche à nos presses. En attendant, il faut laisser passer les poésies rêveuses, les romans intimes et les feuilletons.

Les Nouvelles Récréations et Joyeux Devis de Des Periers, le dernier de ses ouvrages posthumes, dans l’ordre de publication, parurent à Lyon en 1558, petit in-4o, au même instant où paroissoit à Paris, par une remarquable coïncidence, l’Histoire des Amants fortunez, mise au jour par Pierre Boaistuau, dit Launay. C’est ici la première édition des Nouvelles de Marguerite de Valois, mais fort différente de la seconde, publiée par Gruget, en 1559, et par le nombre des contes, et par leur disposition, et par une grande partie des leçons du texte, et par une circonstance bien plus digne encore de considération: c’est que, suivant les expressions de Gruget, «le nom de Marguerite y est obmiz ou celé.» Ceci me paroît s’expliquer très-facilement, et le lecteur sera probablement de mon avis, s’il se rappelle les circonstances dans lesquelles et pour lesquelles ces deux ouvrages furent composés.

J’ai dit que les contes et les nouvelles étoient depuis long-temps un des divertissemens habituels des soi34rées de la haute société françoise, comme le furent depuis les proverbes et les parades. Tout le monde y contribuoit à son tour, et la reine de Navarre y avoit certainement contribué comme les autres, dans le cercle brillant qu’elle dominoit de toute la hauteur de son rang et de son esprit. Les compositions médiocres ou mauvaises, tolérées par la politesse d’une cour indulgente, ne vivoient pas au-delà des bornes de la veillée; les autres se conservoient, au contraire, avec soin, et devenoient peu à peu les matériaux d’un livre qui n’avoit plus besoin que d’être revu par un secrétaire intelligent. L’ajustement de ce travail à un cadre dans la manière de Boccace étoit aussi, sans doute, du ressort de la rédaction définitive. Il est parfaitement évident pour moi que l’Heptaméron ne s’est pas formé autrement. Qu’est-ce donc que l’Heptaméron, sinon un recueil de contes et de nouvelles lus chez la reine de Navarre par les beaux esprits de son temps, c’est-à-dire par Pelletier, par Denisot, et surtout par Bonaventure Des Periers lui-même, qu’il est si facile d’y reconnoître? Marguerite n’y est pas méconnoissable non plus, car elle avoit son style à elle, comme tous les écrivains de cette époque naïve et créatrice, où les génies les moins heureux imprimoient cependant un sceau particulier à leurs paroles. Le style de Marguerite n’étoit pas des meilleurs, il s’en faut de beaucoup. Il est généralement lâche, diffus et embarrassé, tirant à la manière et au précieux, quand il n’est pas tendu, lourd et mystique. Rien ne diffère davantage du style abondant, facile, énergique, pittoresque et original de Des Periers, qui ne peut se confondre avec aucun35 autre, dans la période à laquelle il appartient, et qu’aucun autre n’a surpassé depuis. Les contes nombreux de l’Heptaméron qui portent ce caractère sont donc l’ouvrage de Des Periers, et la propriété ne lui en seroit pas plus assurée s’il les avoit signés un à un, au lieu d’abandonner leur fortune aux volontés de sa royale maîtresse. Je regrette profondément qu’un homme de la portée d’esprit de La Monnoye n’ait pas constaté cette différence ou consacré cette restitution par quelques apostilles manuscrites à la marge d’une édition ancienne; mais tout lecteur qui aura fait une étude attentive des autres écrits de Des Periers saura bien le retrouver dans celui-ci. Il n’y a pas moyen de s’y tromper.

La parfaite mesure de bienséance qui existoit au moment où nous parlons dans le monde littéraire, comme dans tout le reste du monde social, ne permettoit pas aux amis de Des Periers de publier les Contes que l’Heptaméron n’avoit pas recueillis, tant que l’Heptaméron n’avoit pas paru. L’hommage de la collection entière étoit bien dû à Marguerite, puisque ses principaux auteurs étoient ses domestiques ou ses amis, titres qui se confondoient alors, jusqu’à un certain point, dans le sens comme dans l’étymologie, mais dont notre aristocratie bourgeoise n’a pas compris les rapports. Il falloit donc que les éditeurs de Marguerite et les éditeurs de Des Periers s’entendissent avant tout sur la composition de leur recueil respectif; et c’est apparemment pour cela que Pelletier venoit conférer à Paris avec Boaistuau, quand Denisot fut mort; les contes qui furent écartés ou repoussés, quelques36uns pour leur brièveté, quelques autres pour leur licence, un certain nombre parce qu’ils ne pouvoient s’assortir au caractère convenu de l’interlocuteur, et le plus grand nombre, peut-être, parce qu’ils avoient perdu le piquant de l’anecdote et le sel de la nouveauté, furent renvoyés aux Nouvelles Récréations et Joyeux Devis, où ils ne figurent pas mal. Quant aux droits de l’auteur, Pelletier, qui avoit, dit-on, pris assez de part à cette œuvre libre et facile pour revendiquer une partie de son succès, n’hésita pas à en faire honneur à son ami et à son maître, Bonaventure Des Periers, qui étoit mort depuis vingt ans; et nous ne savons que par des inductions dont je vais m’occuper tout de suite que Pelletier et Denisot ont quelque chose à réclamer dans l’ouvrage. C’étoit là le véritable siècle d’or de la probité littéraire, et nos associations fiscales et tracassières le rendront de plus en plus regrettable. Il est horrible de penser qu’il a fallu, dans le code sacré de la république des lettres, des mesures préventives contre le vol.

Je suis loin toutefois de penser, comme La Monnoye, que cette coopération de Pelletier et de Denisot ait été fort considérable. Plus j’ai relu les Contes de Des Periers, plus j’y ai trouvé de simultanéité dans la forme, dans les tours, dans le mouvement du style. Quoiqu’il y ait des exemples nombreux, dans les lettres comme dans les arts, de cette aptitude à l’imitation, je ne l’accorde pas sans regret, et surtout sans réserve, à Pelletier et à Denisot, qui n’ont jamais eu le bonheur de ressembler à Des Periers, si ce n’est dans les écrits de Des Periers où l’on veut qu’ils aient pris part. Je con37viens très-volontiers cependant que Des Periers, mort avant 1544, et selon moi en 1539, n’a pas pu parler de la mort du président Lizet, décédé en 1554 (nouvelle XIX), et de celle de René du Bellay, évêque du Mans, qui ne cessa de vivre qu’en 1556 (nouvelle XXIX). Il en est de même de deux ou trois faits pareils que La Monnoye a recueillis avant moi, et probablement de quelques autres qui nous ont échappé à tous deux. Mais qu’est-ce que cela prouve? Ces phrases: naguères décédé, décédé évesque du Mans, etc., ne sont autre chose que des incises qu’un éditeur soigneux laisse volontiers tomber dans son texte pour en certifier l’authenticité ou pour en rafraîchir la date. Il ne seroit même pas étonnant que les noms propres auxquels Des Periers aime à rattacher ses historiettes eussent été souvent remplacés par des noms plus récens, plus populaires, plus capables de prêter ce qu’on appelle aujourd’hui un intérêt piquant d’actualité aux jolis récits du conteur. L’auteur même qui publieroit son ouvrage après l’avoir gardé vingt ans en portefeuille, ne négligeroit pas ce moyen facile de le rajeunir, et il est tout simple que l’éditeur de Des Periers s’en soit avisé; car, à son défaut, l’idée en seroit venue au libraire. Laissons donc à Denisot et à Pelletier, puisqu’on en est convenu, l’honneur d’une collaboration modeste dans les ouvrages de leur maître, mais gardons-nous bien de pousser cette concession trop loin. Si Pelletier et Denisot avoient pu s’élever quelque part à la hauteur du talent de Des Periers, ils n’auroient pas caché cette brillante faculté dans les Contes38 et dans les Discours de Des Periers, eux qui ont vécu assez long-temps pour la manifester dans leurs livres, et qui ont fait malheureusement assez de livres pour nous donner toute leur mesure. Il n’y a qu’un Rabelais, qu’un Marot, qu’un Montaigne, qu’un Des Periers dans une littérature. Des Denisot et des Pelletier, il y en a mille.

Ce que l’on concluront de tout ceci, à supposer que l’on voulût bien en conclure quelque chose, c’est que Des Periers est le véritable et presque le seul auteur de l’Heptaméron, comme des Nouvelles Récréations. Je ne fais pas difficulté d’avancer que je n’en doute pas, et que je partage complètement l’opinion de Boaistuau, qui n’a pas eu d’autre motif pour obmettre et céler le nom de la reine de Navarre. La restitution de ce nom, faite par Gruget, ne me paroît qu’un hommage de courtisan; mais je suis très-loin de penser qu’il faut effacer le nom de Marguerite du titre de l’Heptaméron pour rendre à Des Periers ce délicieux ouvrage. L’Heptaméron appartient à la spirituelle et savante princesse sous les auspices de laquelle il fut écrit. Il lui appartient par droit de suzeraineté, comme les Cent Nouvelles appartiennent à Louis XI, qui n’en a probablement pas composé une seule. Un souverain qui aime les lettres, qui appelle autour de lui ceux qui les cultivent, et qui jouit de leurs travaux en les couvrant d’une faveur intelligente, mérite bien ses droits d’auteur dans les chefs-d’œuvre de son siècle. Je comprendrois à merveille qu’une édition du plus parfait de tous les théâtres39 du monde fût mise au jour sous ce titre singulier: Œuvres de Molière et de Louis XIV, car cela seroit juste et vrai. Cette grande et utile influence des rois sur la civilisation des sociétés par les lettres est d’ailleurs fort passée de mode, et il ne faut pas décourager ceux qui seroient tentés de la remettre en honneur.

Il ne me reste plus que quelques mots à dire. Pourquoi Des Periers n’est-il pas plus connu? Pourquoi s’est-il passé trois siècles entre le jour de sa mort et le jour où paroît sa première biographie? Pourquoi ce charmant écrivain n’a-t-il jamais eu l’avantage si vulgaire et si sottement prodigué d’une édition complète? Les Italiens ont par douzaine des quinquecentistes illustres, et ils les réimpriment tous les mois. Nous en avons cinq qu’on ne lit plus ou qu’on ne lit guère, Rabelais, Marot, Des Periers, Henri Estienne et Montaigne, et il en est deux dont personne n’a jamais vu tous les ouvrages. Pour se former une collection bien entière des petits chefs-d’œuvre de Des Periers, il faut la patience d’un bouquiniste et la fortune d’un agent de change. Dieu me garde de désapprouver la promiscuité presque fastidieuse des éditions de ces vieux romanciers dont Villon débrouilla l’art confus, et qui surchargent aujourd’hui de leurs somptueuses réimpressions les brillantes tablettes de Crozet et de Techener; mais pourquoi Des Periers, qui est un de nos excellens textes de langue, manque-t-il à toutes les bibliothèques? Pourquoi en est-il de même de ces beaux livres françois d’Henri Estienne, qui auroient déjà cessé d’exister, si ses40 presses, ses types et ses papiers n’avoient pas mieux valu que les nôtres? Voilà des questions qui méritent d’être approfondies avec soin, et je les soumettrai hardiment à la librairie lettrée... quand elle nous sera revenue.

Charles Nodier.    


41

LES CONTES

OU

LES NOUVELLES RÉCRÉATIONS

ET JOYEUX DEVIS

DE

BONAVENTURE DES PERIERS,

VALET DE CHAMBRE DE LA REINE DE NAVARRE.


42–43

43

LES

CONTES ET JOYEUX DEVIS

DE

BONAVENTURE DES PERIERS1.

SONNET.

Hommes pensifs, je ne vous donne à lire
Ces miens devis, si vous ne contraignez
Le fier maintien de vos fronts rechignés:
Ici n’y a seulement que pour rire.
 
Laissez à part votre chagrin, votre ire,
Et vos discours de trop loin desseignés2:
Une autre fois vous serez enseignés.
Je me suis bien contraint pour les écrire.
 
J’ai oublié mes tristes passions;
J’ai intermis3 mes occupations.
Donnons, donnons quelque lieu à Folie:
 
Que maugré nous ne nous vienne saisir,
Et en un jour plein de mélancolie,
Mêlons au moins une heure de plaisir.

AU LECTEUR4.

Le temps, glouton dévorateur de l’humaine excellence, se rend souvente fois coutumier (tant nous est-il ennemi) 44 de suffoquer la gloire naissante de plusieurs gentils esprits, ou ensevelir d’une ingrate oubliance les œuvres exquises d’iceux: desquelles si la connoissance nous étoit permise, ô Dieu tout bon, quel avancement aux bonnes lettres! De cette injure, les siècles anciens, et nos jours mêmes, nous rendent épreuve plus que suffisante. Et vous ose bien persuader, ami lecteur, que le semblable fût advenu de ce présent volume, duquel demourions privés sans la diligence de quelque vertueux personnage, qui n’a voulu souffrir ce tort être fait, et la mémoire de feu Bonaventure Des Periers, excellent orateur et poète, rester frustrée du los5 qu’elle mérite. Or, l’ayant arraché de l’avare main de ce faucheur importun, je vous le présente avec telle éloquence que chacun connoît ses autres labeurs être doués. D’une chose je m’assure, que l’ennuyeux pourra abbayer6 à l’encontre tant qu’il voudra, mais y mordre, non. Davantage7, le front tétrique8 ici trouvera de quoi dérider sa sérénité, et rire une bonne fois: tant est gentille la grâce de notre auteur à traiter ces facéties. Les personnes tristes et angoissées s’y pourront aussi heureusement récréer et tuer aisément leurs ennuis. Quant à ceux qui sont exempts de regrets et s’y voudront ébattre, ils sentiront croître leur plaisir en telle force, que le rude chagrin n’osera entreprendre sur leur félicité; se servant de ce discours comme d’un rempart contre toute sinistre fâcherie. De faire à notre âge offre de chose tant gentille, je l’ai estimé convenable, mêmement en ces jours tant calomnieux9 et troublés. Votre office sera, débonnaire lec45teur, de le recevoir d’une main affable, et nous savoir gré de notre travail: lequel sentant bien reçu, serons excités à continuer en si louable exercice, pour vous faire jouir de choses plus ardues et sérieuses. Adieu.

De Lyon, ce 25 de janvier 1558.


NOUVELLE I.

EN FORME DE PRÉAMBULE.

Je vous gardois ces joyeux Propos à quand la paix seroit faite10, afin que vous eussiez de quoi vous réjouir publiquement et privément, et en toutes manières. Mais quand j’ai vu qu’il s’en falloit le manche, et qu’on ne savoit par où la prendre, j’ai mieux aimé m’avancer pour vous donner moyen de tromper le temps, mêlant des réjouissances parmi vos fâcheries, en attendant qu’elle se fasse de par Dieu. Et puis, je me suis avisé que c’étoit ici le vrai temps de les vous donner; car c’est aux malades qu’il faut médecine. Et vous assurez que je ne fais pas peu de chose pour vous, en vous donnant de quoi vous réjouir, qui est la meilleure chose que puisse faire l’homme. Le plus gentil enseignement pour la vie, c’est bene vivere et lætari. L’un vous baillera pour un grand notable11, qu’il faut réprimer son courroux; l’autre, peu parler; l’autre, croire conseil; l’autre, être sobre; l’autre, faire des amis. Et bien, tout cela est bon; mais vous avez beau étudier, vous n’en trouverez point de tel qu’est: Bien vivre et se réjouir. Une 46trop grande patience vous consume; un taire12 vous tient gehenné13; un conseil vous trompe; une diète vous dessèche; un ami vous abandonne. Et pour cela, vous faut-il désespérer? Ne vaut-il pas mieux se réjouir, en attendant mieux, que se fâcher d’une chose qui n’est pas en votre puissance? Voire-mais, comment me réjouirai-je, si les occasions n’y sont, direz-vous? Mon ami, accoutumez-vous-y. Prenez le temps comme il vient; laissez passer les plus chargés; ne vous chagrinez point d’une chose irrémédiable. Cela ne fait que donner mal sur mal, croyez-moi, et vous vous en trouverez bien; car j’ai bien éprouvé que, pour cent francs de mélancolie, n’acquitterons pas pour cent sols de dette. Mais laissons là ces beaux enseignements, ventre d’un petit poisson! Rions. Et de quoi? de le bouche, du nez, du menton, de la gorge, et de tous nos cinq sens de nature. Mais ce n’est rien, qui ne rit du cœur. Et pour vous aider, je vous donne ces plaisants Contes. Et puis, nous vous en songerons bien d’assez sérieux quand il sera temps. Mais savez-vous quels je vous les baille? Je vous promets que je n’y songe ne mal ne malice. Il n’y a point de sens allégorique, mystique, fantastique. Vous n’aurez point de peine de demander: «Comment s’entend ceci? comment s’entend cela?» Il n’y faut ne vocabulaire ne commentaire. Tels les voyez, tels les prenez. Ouvrez le livre: se un conte ne vous plaît, haye14 à l’autre. Il y en a de tous bois, de toutes tailles, de tous estocs, à tous prix et à toutes mesures, fors que pour pleurer. Et ne me venez point demander quelle ordonnance j’ai tenue; car quel ordre faut-il garder quand il 47est question de rire? Qu’on ne me vienne non plus faire des difficultés. «Oh! ce ne fut pas cettui-ci qui fit cela.—Oh! ceci ne fut pas fait en ce quartier-là.—Je l’avois déjà ouï conter.—Cela fut fait en notre pays.» Riez seulement, et ne vous chaille, si ce fut Gautier ou si ce fut Garguille15. Ne vous souciez point si ce fut à Tours en Berry ou à Bourges en Touraine16: vous vous tourmenteriez pour néant; car comme les ans ne sont que pour payer les rentes, aussi les noms ne sont que pour faire débattre les hommes. Je les laisse aux faiseurs de contrats et aux intenteurs de procès. S’ils y prennent l’un pour l’autre, à leur dam! Quant à moi, je ne suis point si scrupuleux. Et puis, j’ai voulu feindre quelques noms tout exprès, pour vous montrer qu’il ne faut point pleurer de tout ceci que je vous conte; car peut-être17 qu’il n’est pas vrai. Que me chaût-il, pourvu qu’il soit vrai que vous y prenez plaisir? Et puis, je ne suis point allé chercher mes contes à Constantinople, à Florence, ne à Venise, ne si loin que cela; car s’ils sont tels que je les vous veux donner, c’est-à-dire pour vous récréer, n’ai-je pas mieux fait d’en prendre les instruments18 que nous avons à notre porte, que non pas les aller emprunter si loin? Et comme disoit le bon compagnon, quand à chambrière, qui étoit belle et galante, 48lui venoit faire les messages de sa maîtresse: «A quoi faire irai-je à Rome? les pardons sont par deçà19.» Les nouvelles qui viennent de si lointain pays, avant qu’elles soient rendues sur le lieu, ou elles soupirent20 comme le safran, ou s’enchérissent comme les draps de soie, ou il s’en perd la moitié, comme des épiceries, ou se buffettent21 comme les vins, ou sont falsifiées comme les pierreries, ou sont adultérées comme tout; bref, elles sont sujettes à mille inconvénients, sinon que vous me veuillez dire que les nouvelles ne sont pas comme les marchandises, et qu’on les donne pour le prix qu’elles coûtent. Et vraiment, je le veux bien. Et pour cela, j’aime mieux les prendre près, puisqu’il n’y a rien à gagner22. Ha! ha! c’est trop argué23. Riez, si vous voulez; autrement, vous me faites un mauvais tour. Lisez hardiment, dames et damoiselles; il n’y a rien qui ne soit honnête; mais se, d’aventure, il y en a quelques-unes d’entre vous qui soient trop tendrettes, et qui aient peur de tomber en quelques passages trop gaillards, je leur conseille qu’elles se les fassent échansonner24 par leurs frères, ou par leurs cousins, afin qu’elles mangent peu de ce qui est trop appétissant. «Mon frère, marquez-moi ceux qui ne sont pas bons, et y faites une croix.—Mon cousin, cettui-ci est-il bon?49—Oui.—Et cettui-ci?—Oui.» Ah! mes fillettes, ne vous y fiez pas, ils vous tromperont, ils vous feront lire un quid pro quod25 Voulez-vous me croire? lisez tout, lisez, lisez. Vous faites bien les étroites! Ne les lisez donc pas. A cette heure, verra-l’on si vous faites bien ce qu’on vous défend. O quantes dames auront bien l’eau à la bouche quand elles orront26 les bons tours que leurs compagnes auront faits! et qu’elles diront bien qu’il n’y en a pas à demi! Mais je suis content que, devant les gens, elles fassent semblant de coudre ou de filer, pourvu qu’en détournant les yeux elles ouvrent les oreilles, et qu’elles se réservent à rire quand elles seront à part elles. Eh! mon Dieu! que vous en comptez de bonnes, quand il n’y a qu’entre vous autres, femmes, ou qu’entre vous, fillettes! Grand dommage! Ne faut-il pas rire? Je vous dis que je ne crois point ce qu’on dit de Socrate, qu’il fut ainsi sans passions. Il n’y a ne Platon ne Xénophon, qui le me fît accroire. Et quand bien il seroit vrai, pensez-vous que je loue cette grande sévérité, rusticité, tétricité27, gravité? Je louerois beaucoup plus celui, de notre temps, qui a été si plaisant en sa vie, que, par une antonomasie28, on l’a appelé le Plaisantin29; chose qui lui étoit si naturelle et si propre, qu’à 50l’heure même de sa mort, combien que tous ceux qui y étoient le regrettassent, si ne purent-ils jamais se fâcher... tant il mourut plaisamment! On lui avoit mis son lit au long du feu, sus le plâtre du foyer, pour être plut chaudement; et quand on lui demandoit: «Or çà, mon ami, où vous tient-il?» il répondoit tout foiblement, n’ayant plus que le cœur et la langue: «Il me tient, dit-il, entre le banc et le feu,» qui étoit à dire, qu’il se portoit mal de toute la personne. Quand ce fut à lui bailler l’extrême-onction, il avoit retiré ses pieds à quartier, tout en un monceau; et le prêtre disoit: «Je ne sais où sont ses pieds.—Eh! regardes, dit-il, au bout de mes jambes, vous les trouverez.—Eh! mon ami ne vous amusez point à railler, lui disoit-on; recommandez-vous à Dieu.—Et qui y va? dit-il.—Mon ami, vous irez aujourd’hui, si Dieu plaît.—Je voudrois bien être assuré, disoit-il, d’y pouvoir être demain pour tout le jour.—Recommandez-vous à lui, et vous y serez en hui30.—Et bien, disoit-il, mais que j’y sois, je ferai mes recommandations moi-même.» Que voulez-vous de plus naïf que cela? Quelle plus grande félicité? certes, d’autant plus grande, qu’elle est octroyée à si peu d’hommes!


NOUVELLE II.

Des trois fols, Caillette, Triboulet et Polite31.

Les pages avoient attaché l’oreille à Caillette avec un clou contre un poteau, et le pauvre Caillette demouroit et 51ne disoit mot; car il n’avoit point d’autre appréhension32, sinon qu’il pensoit être confiné là pour toute sa vie. Il passe un des seigneurs de la cour, qui le voit ainsi en conseil avec ce pilier, qui le fait incontinent dégager de là, s’enquérant bien expressément qui avoit fait cela, et qui l’a mis là. «Que voulez-vous? un sot l’a mis là, un sot là l’a mis33.» Quand on disoit: «Ç’ont été les pages?» Caillette répondoit bien en son idiotisme: «Oui, oui, ç’ont été les pages.—Saurois-tu connoître lequel ç’a été?—Oui, oui, disoit Caillette, je sais bien qui ç’a été.» L’écuyer, par commandement du seigneur, fait venir tous ces gens de bien de pages en la présence de ce sage homme Caillette, leur demandant à tous l’un après l’autre: «Venez çà! a-ce été vous?» Et mon page de nier, hardi comme un saint Pierre34. «Nenni, monsieur, ce n’a pas été moi.—Et vous?—Ne moi.—Et vous?—Ne moi aussi.» Mais allez faire dire oui à un page, quand il y va du fouet! Caillette étoit là devant, qui disoit en cailletois35: «Ce n’a pas été moi aussi.» Et voyant qu’ils disoient tous nenni, quand on lui demandoit: «A-ce point été cettui-ci?—Nenni, disoit Caillette.—Et cettui-ci?—Nenni.» Et à mesure qu’ils répondoient nenni, l’écuyer les faisoit passer à côté, tant qu’il n’en resta plus qu’un; lequel n’avoit garde de dire oui, après tant d’honnêtes 52jeunes gens, qui avoient tous dit nenni; mais il dit comme les autres: «Nenni, monsieur, je n’y étois pas.» Caillette étoit toujours là, pensant qu’on le dût aussi interroger, se ç’avoit été lui; car il ne lui souvenoit plus qu’on parlât de son oreille: de sorte que, quand il vit qu’il n’y avoit plus que lui, il va dire: «Je n’y étois pas aussi.» Et s’en va remettre avec les pages, pour se faire coudre l’autre oreille au premier pilier qui se trouveroit. A l’entrée de Rouen (je ne dis pas que Rouen entrât, mais l’entrée se faisoit à Rouen), Triboulet fut envoyé devant pour dire: «Vois-les ci venir36,» qui étoit le plus fier du monde d’être monté sur un beau cheval caparaçonné de ses couleurs, tenant sa marotte des bonnes fêtes. Il piquoit, il couroit, il n’alloit que trop. Il avoit un maître avec lui pour le gouverner. Eh! pauvre maître, tu n’avois pas besogne faite! Il y avoit belle matière pour le faire devenir Triboulet lui-même. Ce maître lui disoit: «Vous n’arrêterez pas, vilain? Si je vous prends!... Arrêterez-vous?» Triboulet, qui craignoit les coups (car quelquefois son maître lui en donnoit), vouloit arrêter son cheval; mais le cheval se sentoit de ce qu’il portoit; car Triboulet le piquoit à grands coups d’éperon: il lui haussoit la bride, il la lui secouoit; et cheval d’aller. «Méchant, vous n’arrêterez pas! disoit son maître.—Par le sang-Dieu! disoit Triboulet (car il juroit comme un homme), ce méchant cheval, je le pique tant que je le puis, encore ne veut-il pas demourer!» Que direz-vous là? sinon que Nature a envie de s’ébattre, quand elle se met à faire ces belles pièces d’hommes, lesquels seroient heureux, mais ils sont trop ignoramment plaisants, et ne savent pas connoître qu’ils sont heureux, qui est le plus grand malheur du 53monde. Il y avoit un autre fol, nommé Polite37, qui étoit à un abbé de Bourgueil. Un jour, un matin, un soir, je ne saurois dire l’heure38, M. l’abbé avoit une belle garse toute vive couchée auprès de lui, et Polite le vint trouver au lit, et mit le bras entre les linceuls par les pieds du lit; là il trouve premièrement un pied de créature humaine: il va demander à l’abbé: «Moine, à qui est ce pied?—Il est à moi, dit l’abbé.—Et cettui-ci?—Il est encore à moi.» Et ainsi qu’il prenoit ces pieds, il les mettoit à part, et les tenoit d’une main; et de l’autre main, il en print encore un, en demandant: «Cettui-ci, à qui est-il?—A moi, ce dit l’abbé.—Ouais, dit Polite; et cettui-ci?—Va, va, tu n’es qu’un fol, dit l’abbé; il est aussi à moi.—A tous les diables soit le moine! dit Polite; il a quatre pieds comme un cheval.» Et bien pour cela, encore n’est-il fol que de bonne sorte. Mais Triboulet et Caillette étoient fols à vingt et cinq karats, dont les vingt et quatre font le tout39. Or çà, les fols ont fait l’entrée. Mais quels fols? Moi, tout le premier, à vous en conter, et vous, le second, à m’écouter; et cettui-là, le troisième; et l’autre, le quatrième. Oh! qu’il y en a! jamais ce ne seroit fait. Laissons-les ici et allons chercher les sages; éclairez près, je n’y vois goutte40.


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NOUVELLE III.

Du chantre, basse-contre de Saint-Hilaire de Poitiers, qui accompara les chanoines à leurs potages.

En l’église Saint-Hilaire de Poitiers, y eut jadis un chantre qui servoit de basse-contre, lequel, parce qu’il étoit bon compagnon, et qu’il buvoit bien (ainsi que voulentiers font telles gens), étoit bien venu entre les chanoines, qui l’appeloient bien souvent à dîner et à souper. Et, pour la familiarité qu’ils lui faisoient, lui sembloit qu’il n’y avoit celui d’eux qui ne désirât son avancement; qui étoit cause que souvent il disoit à l’un et puis à l’autre: «Monsieur, vous savez combien de temps il y a que je sers en l’église de céans; il seroit désormais temps que je fusse pourvu: je vous prie le vouloir remontrer en chapitre. Je ne demande pas grand’chose: vous autres, messieurs, avez tant de moyens41; je me contenterai de l’un des moindres.» Sa requête étoit bien prinse et écoutée, et chacun d’eux en particulier lui faisoit bonne réponse; disant que c’étoit chose raisonnable. «Et quand Chapitre n’auroit la commodité de te récompenser, lui disoient-ils, je t’en baillerai plutôt du mien.» Somme, à toutes les entrées et issues de chapitre, où il se trouvoit toujours pour se ramentevoir à messieurs, ils lui disoient à une voix42: «Attends encore un petit; Chapitre ne t’oubliera pas; tu auras le premier qui vaquera.» Mais quand ce venoit au fait, il y avoit toujours quelque excuse: ou que le bénéfice étoit trop gros, et pourtant l’un de messieurs l’avoit eu; ou qu’il étoit trop petit, et qu’on ne lui 55voudroit faire présent d’un si peu de chose; ou qu’ils avoient été contraints de le bailler à un des neveux43 de leur frère; mais qu’il n’y auroit faute qu’il n’eût le premier vacant. Et de ces belles paroles ils entretenoient ce basse-contre, tant, que le temps se passoit; et servoit toujours sans rien avoir. Et cependant, il faisoit toujours quelque présent, selon sa petite faculté, à messieurs tel et tel, de ceux qu’il connoissoit avoir la plus grande voix en chapitre: comme fruits nouveaux, poulets, pigeonneaux, perdriaux, selon la saison, que le pauvre chantre achetoit au marché vieux ou à la regretterie44, leur faisant accroire qu’ils ne lui coûtoient rien. Et toujours ils prenoient. A la fin, le basse-contre voyant qu’ils n’en étoient jamais meilleurs, ains qu’il y perdoit son temps, son argent et sa peine, se délibéra de ne s’y attendre plus; mais il se proposa de leur montrer quelle opinion il avoit d’eux; et, pour ce faire, il trouva façon de mettre cinq ou six écus ensemble; et tandis qu’il les amassoit (car il y falloit du temps), il commença à tenir plus grand compte de messieurs qu’il n’avoit de coutume, et à user de plus grand’ discrétion. Quand il vit son jour45 à point, il s’en vint aux principaux d’entre eux, et les pria l’un après l’autre qu’ils lui voulsissent faire cet honneur de dîner le dimanche prochain en sa maison; leur disant qu’en neuf ou dix ans qu’il y avoit qu’il étoit à leur service, il ne 56pouvoit faire moins que leur donner une fois à dîner; et qu’il les traiteroit, non pas comme il leur appartenoit, mais au moins mal qu’il lui seroit possible; toujours usant de telles paroles de respect. Ils lui promirent, mais ils ne furent pas si mal soigneux que, quand ce vint le jour assigné, ils ne fissent faire leur cuisine ordinaire chacun chez soi, de peur d’être mal dînés chez ce basse-contre, se fiant plus en sa voix qu’en sa cuisine. A l’heure du dîner, chacun envoie son ordinaire chez le chantre, lequel disoit aux varlets qui l’apportoient: «Comment, mon ami, monsieur votre maître me fait-il tort? a-t-il si grand’peur d’être mal traité! il ne devoit rien envoyer.» Et cependant il prenoit tout. Et à mesure qu’ils venoient, il mettoit tous les potages ensemble en une grande marmite qu’il avoit expressément apprêtée en un coin de cuisine. Voici messieurs venus pour dîner, qui s’assirent tous selon leurs indignités46. Le chantre leur présente, de belle entrée de table, les potages de cette marmite. Et Dieu sait de quelle grâce ils étoient; car l’un avoit envoyé un chapon aux poireaux, l’autre au safran; l’autre avoit la pièce de bœuf poudrée47 aux naveaux48; l’autre un poulet aux herbes, l’autre bouilli, l’autre rôti. Quand ils virent ce beau service, ils n’eurent pas le courage d’en manger; mais ils attendoient chacun que leur potage vînt, sans prendre garde qu’ils les eussent devant eux. Mon chantre, qui alloit et venoit, faisant bien l’empêché à les servir, regardoit toujours leur contenance de table. Étant le service un peu long, ils ne se purent tenir de lui dire: «Ote-nous ces potages, basse-contre, et nous apporte les nôtres.—Ce sont bien les vôtres, dit-il.—Les nôtres? non, sont 57pas.—Si sont bien,» dit-il. A l’un: «Voilà vos naveaux!» à l’autre: «Voilà vos choux!» à l’autre: «Voilà vos poireaux!» Lors ils commencèrent à reconnoître leurs soupes et à s’entre-regarder. «Vraiment! dirent-ils, nous en avons d’une. Est-ce ainsi que tu traites tes chanoines, basse-contre? Le diable y ait part!—Je disois bien que ce fol nous tromperoit, disoit l’un; j’avois le meilleur potage que je mangeai de cet an.—Et moi, disoit l’autre, j’avois tant bien fait accoutrer49 à dîner! je me doutois bien qu’il le valoit mieux manger chez moi.» Quand le basse-contre les eut bien écoutés: «Messieurs, dit-il, se vos potages étoient tous si bons, comment seroient-ils empirés en si peu de temps? Je les ai fait tenir auprès du feu, bien couverts; il me semble que je ne pouvois mieux faire.—Voire-mais, dirent-ils, qui t’a apprins à les mettre ainsi tous ensemble? Savois-tu pas qu’ils ne vaudroient rien en la sorte?—Et donc, dit-il, ce qui est bon à part n’est pas bon assemblé! Vraiment! je vous en crois, et ne fût-ce que vous autres, messieurs; car, quand vous êtes chacun à part soi, il n’est rien meilleur que vous êtes: vous promettez monts et vaux; vous faites tout le monde riche de vos belles paroles; mais quand vous êtes ensemble en votre chapitre, vous ressemblez à vos potages.» Alors ils entendirent bien ce qu’il vouloit dire: «Ah! ah! dirent-ils, c’étoit donc là que tu nous attendois! Vraiment, tu as raison, va! Mais cependant, ne dînerons-nous point?—Si ferez, si ferez, dit-il, mieux qu’il ne vous appartient.» Et leur apporta ce qu’il leur avoit fait accoutrer, dont ils mangèrent très-bien, et s’en allèrent contents. Et conclurent ensemble, dès l’heure, qu’il seroit pourvu; ce qu’ils firent. Ainsi, son invention de soupes lui valut plus que toutes ses requêtes et importunités du temps passé.


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NOUVELLE IV.

Du basse-contre de Rheims, chantre, Picard, et maître-ès-arts.

Un chantre de Notre-Dame de Rheims en Champagne avoit singulièrement bonne voix de basse-contre; mais c’étoit l’homme du monde le plus fort50 à tenir, car il ne passoit jour qu’il ne fît quelque folie: il frappoit l’un, il battoit l’autre; il jouoit aux cartes et aux dés. Il étoit toujours en la taverne, ou après les garses, dont les plaintes se faisoient à toutes heures à messieurs de chapitre; lesquels le remontroient souvent à ce basse-contre, le menaçant à part et en public; et lui faisoient assez de fois promettre qu’il seroit homme de bien. Mais incontinent qu’il étoit hors de devant eux, messire Jean ce vin51 lui remettoit sa haute gamme en la tête, qui le faisoit toujours retourner à ses bonnes coutumes. Or, étoient-ils contraints d’en endurer, pour deux raisons: l’une, qu’il chantoit fort bien; l’autre, qu’ils l’avoient pris de la main d’un archidiacre de l’église, auquel ils portoient honneur; et ne lui vouloient pas reprocher les folies de l’homme, pensant qu’il les sût aussi bien comme eux, et qu’il l’en dût reprendre, comme, à la vérité, il faisoit quand il en étoit averti; mais il n’en savoit pas la moitié. Advint un jour que ce chantre fit une faute si scandaleuse, que les chanoines furent contraints de le dire pour une bonne fois à M. l’archidiacre, lui remontrant comme, 59pour le respect de lui, ils avoient longuement supporté les insolences de cet homme; mais maintenant qu’ils le voyoient incorrigible, et qu’il alloit toujours en empirant, ils ne s’en pouvoient plus taire. «Il a, dirent-ils, cette nuit passée, battu un prêtre, tant qu’il ne dira messe de plus de deux mois. Se n’eût été pour l’amour de vous, long-temps a que nous l’eussions chassé. Mais n’y voyant plus autre remède, nous vous prions de ne trouver point mauvais se nous vous en disons ce qui en est.» L’archidiacre leur fit réponse, qu’ils avoient raison et qu’il y donneroit ordre. Et, de fait, envoie incontinent quérir ce basse-contre; lequel se douta bien que ce n’étoit pas pour lui donner un bénéfice. Toutefois il y va. Il ne fut pas sitôt entré, que M. l’archidiacre ne lui commençât à chanter une autre leçon que de matines. «Viens çà! dit-il; tu sais combien de temps il y a que ceux de l’église de céans endurent de toi, et combien j’ai eu de reproches pour ta vie. Sais-tu qu’il y a? va-t’en, et ne te trouve plus devant moi. Je ne veux plus endurer de reproches pour un homme tel que toi. Tu n’es qu’un fol! Se je faisois mon devoir, je te ferois mettre au pain et eau d’ici à un an.» Il ne faut pas demander si mon chantre fut peneux52. Toutefois, il ne fut pas si étonné, qu’il ne se mît en réponse: «Monsieur, dit-il, vous qui vous connoissez si bien en gens, vous ébahissez-vous si je suis fol? Je suis chantre, je suis Picard et maître-aux-arts53.» L’archidiacre, à cette réponse, ne savoit que faire, de s’en fâcher ou de s’en rire; mais il se tourna du bon côté; car il apaisa un peu sa colère; et lui fut force de faire comme l’éveque du Courtisan54, lequel pardonna au prêtre qui 60avoit engrossé cinq nonnains, ses filles spirituelles, pour la soudaine réponse qu’il lui fit: Domine, quinque talenta tradidisti mihi, ecce alia quinque superlucratus sum. (Matth., chap. XXV, v. 20.) Un Picard a la tête près du bonnet; un chantre a toujours quelques minimes55 en son cerveau; un maître-aux-arts est si plein d’ergots56, qu’on ne sauroit durer auprès de lui. Et vraiment, quand ces trois bonnes qualités sont en un personnage, on ne se doit pas émerveiller s’il est un petit coquelineux57; mais se faudroit bien plus émerveiller s’il ne l’étoit point.


NOUVELLE V.

Des trois sœurs, nouvelles épousées, qui répondirent chacune un bon mot à leurs maris la première nuit de leurs noces.

Au pays d’Anjou, y eut jadis un gentilhomme qui étoit riche et de bonne maison; mais il étoit un peu sujet à ses plaisirs. Il avoit trois filles, belles et de bonne grâce, et de tel âge, que la plus petite eût bien attendu le combat corps à corps. Elles étoient demourées sans mère, jà long temps avoit. Et parce que le père étoit encore en bon âge, il entretenoit toujours ses bonnes coutumes, qui étoient de recevoir en sa maison toutes joyeuses compagnies; là 61où l’ordinaire étoit de baller58, jouer et toutes sortes de bonnes chères. Et d’autant qu’il étoit de sa nature indulgent, facile et sans grand soin du fait de sa maison, ses filles avoient assez de liberté de deviser avec les jeunes gentilshommes, lesquels communément ne parlent pas de renchérir le pain, ne encore du gouvernement de la république. Davantage, le père faisoit l’amour de son côté comme les autres; qui donnoit une hardiesse plus grande aux jeunes damoiselles de se laisser aimer, et par conséquent d’aimer aussi. Car elles, ayant le cœur en bon lieu, et sentant leur bonne maison, estimoient être chose de reproche et d’ingratitude d’être aimées et n’aimer point. Pour toutes ces raisons ensemble, étant chacune d’elles prisée, caressée et poursuivie tous les jours et à toutes heures, elles se laissèrent gagner à l’amour, eurent pitié de leur semblable, et commencèrent à jouer au passe-temps de deux à deux, chacune en leur endroit. Auquel jeu elles exploitèrent si bien que les enseignes59 en sortirent. Car la plus âgée, qui étoit mûre et drue, ne se print garde que le ventre lui leva; dont elle fut un peu étonnée, car il n’y avoit moyen de se tenir couverte, comme en un lieu où il n’y a point de mère, lesquelles se prennent garde que leurs filles ne soient trop tôt abusées, ou bien elles savent remédier aux inconvénients quand il leur est advenu quelque surprise. Et la fille, n’ayant avis ni moyen aucun de se dérober sans le congé de son père, ce fut force qu’il le sût. Quand il eut entendu cette nouvelle, il en fut fâché de prime-face; mais il ne s’en désespéra point autrement; d’autant qu’il étoit de cette bonne pâte de gens qui ne prennent point trop les matières à cœur. 62Et à dire vrai, de quoi sert se tourmenter d’une chose, quand elle est faite, sinon de l’empirer? Il envoie soudain sa fille aînée à deux ou trois lieues de là, chez une de leurs tantes, sous couleur de maladie, parce que l’avis des médecins étoit que le changement d’air lui étoit nécessaire; et ce, en attendant que les petits pieds sortissent60. Mais comme une fortune ne vient jamais seule, ce pendant qu’elle sortoit d’affaires, sa sœur la seconde y entroit; peut-être par permission divine, pour s’être en son cœur moquée de sa sœur aînée, dont Dieu la voulut punir. Pour faire court, elle s’aperçut qu’elle en avoit dedans le dos, dis-je dedans le ventre, et le père le sut aussi. «Eh bien! dit-il, Dieu soit loué: c’est le monde qui croît: nous fûmes ainsi faits.» Et se doutant de tout, il s’en vint à la plus jeune, laquelle n’étoit pat encore grosse, mais elle en faisoit son devoir tant qu’elle pouvoit. «Et toi, ma fille, comme te portes-tu? N’as-tu pas bien suivi le train de tes sœurs aînées?» La fille, qui étoit jeunette, ne se put tenir de rougir, ce que le père print pour une confession. «Or bien, dit-il, Dieu vous doint bonne aventure, et nous garde de plus grande fortune!» Si se pensa pourtant qu’il étoit temps de pourvoir à ses affaires; ce qu’il connoissoit fort bien ne pouvoir mieux faire qu’en mariant ses trois filles; mais il le trouvoit un petit malaisé; car il savoit bien que de les bailler à ses voisins, il n’y avoit ordre; d’autant que le fait de sa maison étoit connu, ou pour le moins bien suspect. D’autre part, de les faire prendre à ceux qui étoient les faiseurs, ce n’étoit chose qui se pût bonnement faire; car possible qu’il y en avoit plus d’un, et que l’un avoit fait les pieds, et l’autre les oreilles, et quelque autre encore le nez. Que sait-on com63ment les choses de ce monde vont? Et puis, encore qu’il n’y en eût eu qu’un à chacune, un homme ne se fie pas voulentiers à une fille qui lui a prêté un pain sus la fournée. Le père trouva le plus expédient d’aller chercher des gendres un peu à l’écart. Et comme les hommes de joyeuse nature et de bonne chère, à grand’ peine finissent-ils mal, il ne faillit pas à rencontrer ce qu’il lui faisoit besoin; qui fut au pays de Bretagne, où il étoit bien connu, tant pour le nom de sa maison que pour le bien qu’il avoit audit pays, non guère loin de la ville de Nantes. Au moyen de quoi, lui fut facile de causer61 son voyage là-dessus. Bref, quand il fut audit pays, tant par personnes interposées que par lui-même, il mit en avant le mariage de ses filles; à quoi les Bretons ouvrirent assez tôt les oreilles; de sorte qu’il en trouva à choisir. Mais, entre tous, il trouva une riche maison de gentilhomme de Bretagne où il y avoit trois fils de bon âge et de belle taille, beaux danseurs de passe-pieds et de trihoris62, beaux lutteurs et n’en eussent craint homme collet à collet: de quoi mon gentilhomme fut fort aise. Et parce que le plus tôt étoit le meilleur, il conclut son affaire promptement avec le père et les trois enfants, qu’ils prendroient ses trois filles en mariage, et même qu’ils feroient de trois noces une, savoir est, qu’ils épouseroient tous trois en un jour. Et, pour ce faire, les trois frères s’apprêtèrent en peu de temps, et partirent de leur maison pour venir en Anjou avec le père des trois filles. Or, n’y avoit celui des trois qui ne fût assez accort. Car, combien qu’ils fussent Bretons, toutefois ils n’étoient pas tonnants63, et s’étoient mê64lés de faire de bons tours avec ces brettes, qui sont d’assez bonne voulenté, comme l’on dit; toutefois, hors de combat64. Quand ils furent en la maison du gentilhomme, ils se prindrent à regarder la contenance chacun de sa chacune, et les trouvèrent toutes trois belles, disposes et éveillées; parmi cela, elles faisoient bien les sages. Les mariages furent conclus, les apprêts se firent: ils achetèrent leurs bans et leurs selles65 de l’évêque. Quand la veille des noces fut venue, le père appela ses trois filles en une chambre à part, et leur va dire ainsi: «Venez çà! vous savez quelle faute vous avez faite toutes trois, et en quelle peine vous m’avez mis. Si j’eusse été de la nature de ces pères rigoureux, je vous eusse désavouées pour filles, et jamais n’eussiez amendé66 de mon bien. Mais ai mieux aimé prendre peine une bonne fois pour raccoutrer les choses, que non pas vous mettre toutes trois au désespoir, et moi en perpétuel regret pour votre folie. Je vous ai ici amené à chacune un mari: délibérez-vous de leur faire bonne chère. Ayez bon courage, vous n’en mourrez pas. S’ils s’aperçoivent de quelque chose, à leur dam! pourquoi y sont-ils venus? Il les falloit aller quérir. Quand vous teniez vos états, vous ne songiez pas en eux, n’est-il pas vrai?» Et elles répondirent toutes trois, en souriant, que non. «Eh bien! donc, dit le père, vous ne leur avez point encore fait de faute. Mais pour l’avenir, ne me mettez plus en cet ennui, par faute de bien vous gouverner; gardez-vous-en bien. Et je vous as65sure que je suis délibéré de mettre en oubli toutes les fautes du temps passé. Et si y a bien plus (pour vous donner meilleur courage), je vous promets que celle de vous qui dira le meilleur savouret67, la première nuit qu’elle sera avec son mari, je lui donnerai deux cents écus davantage qu’aux deux autres. Or allez, et pensez bien à votre cas.» Après ce bon admonestement, il se va coucher, et les filles aussi, lesquelles pensèrent bien, chacune à part soi, quel bon mot elles pourroient dire, la nuit des combats, pour avoir ces deux cents écus; mais elles se délibérèrent à la fin d’attendre l’assaut, espérant que le bon Dieu leur donneroit sus l’heure ce qu’elles auroient à dire. Le jour des noces fut l’endemain68: ils épousèrent; ils font grande chère; ils ballent; que voulez-vous plus? Les lits se font: les trois pucelles de Marolles69 se couchent, et les maris après. Celui de la plus grande, en la mignardant, lui met la main sus le ventre et partout; qui trouva incontinent qu’il étoit un peu ridé par le bas: qui lui fit souvenir qu’on la lui avoit belle baillée. «O ho! dit-il, les oiseaux s’en sont allés.» La damoiselle lui répond tout comptant: «Tenez-vous au nid.» Et une. Le mari de la seconde, en la maniant, trouva que le ventre étoit un peu rond: «Comment, dit-il, la grange est pleine!—Battez à la porte,» lui répondit-elle. Et deux. Le mari de la 66tierce, en jouant les jeux, connut incontinent qu’il n’étoit pas le fol70. «Le chemin est battu,» dit-il. La jeune lui dit: «Vous ne vous en égarerez pas sitôt.» Et trois. La nuit se passe; le lendemain elles se trouvèrent devant leur père; et chacune lui rapporta ce qui lui étoit advenu et ce qu’elle avoit répondu. Quæritur71 à laquelle des trois le père devoit donner les deux cents écus. Vous y songerez, et ne sais si vous serez point des miens, qui suis d’avis qu’elles devoient toutes trois départir72 les deux cents écus; ou bien, en avoir chacune deux cents, propter mille rationes, quarum ego dicam tantum unam, brevitatis causa; c’est-à-dire, pour mille raisons, dont je vous en dirai une pour briéveté: c’étoit que toutes trois étoient de bonne voulenté. Toute bonne voulenté est réputée pour le fait. Ergo in tantum consequentia est, in barbara73, ou ailleurs. Mais cependant, s’il ne vous déplaît, je vous ferai une question à propos de celle-ci: Lequel vous aimeriez mieux, être cocu en herbe ou en gerbe? Et ne répondez pas trop tôt, qu’il vaut mieux l’avoir été en herbe et ne l’être point en gerbe; car vous savez combien c’est chose rare et de grand contentement, que d’épouser une pucelle. Eh bien! s’elle vous fait cocu après, le plaisir vous demeure toujours (je ne dis pas d’être cocu, je dis de l’avoir dépucelée). Et puis, vous avez mille faveurs, mille avantages à cause d’elle. Pantagruel74 le dit bien. Mais je ne 67veux pas débattre les raisons d’une part et d’autre. Je vous en laisse le pensement à votre loisir; puis vous m’en saurez à dire.


NOUVELLE VI.

Du mari de Picardie qui retira sa femme de l’amour par une remontrance qu’il lui fit en la présence des parents d’elle.

Il y eut jadis un roi de France75, duquel le nom ne se sait point au vrai, quant à cette affaire dont nous voulons parler. Tant y a qu’il étoit bon roi et digne de sa couronne. Il se rendoit fort communicatif à toutes personnes, et s’en trouvoit bien; car il apprenoit les nouvelles auprès de la vérité; ce qu’on ne fait pas quand on n’écoute. Pour venir à notre conte, ce bon roi se promenoit par les contrées de son royaume, et quelquefois alloit par villes en habit dissimulé, peur mieux entendre la vérité de toutes sortes d’affaires. Un jour, il voulut visiter son pays de Picardie en personne royale, portant toutefois sa privauté accoutumée, Étant à Soissons, il fit venir les plus apparents de la ville, et les fit seoir à sa table par signe de grande familiarité, les invitant et enhardissant à lui conter toutes nouvelles, les unes joyeuses, les autres sérieuses, ainsi qu’il venoit à propos. Entre autres, il y en eut un qui se mit à conter devant le roi la nouvelle qui s’ensuit: «Sire, il est advenu, dit-il, naguère, en une de vos villes de Picardie, qu’un personnage de robe longue et de justice, lequel vit encore, ayant perdu sa femme après avoir été as68sez longuement avec elle, et s’étant assez bien trouvé d’elle, print envie de se marier en secondes noces à une fille qui étoit belle, jeune et de bon lieu: non toutefois qu’elle fût sa pareille en biens, et moins encore en autres choses; car il étoit déjà plus de demi passé, et elle en la fleur de ses ans et gaillarde à l’avenant, tellement qu’il n’avoit pas le fouet pour mener cette trompe76. Quand elle eut commencé à goûter un peu que c’étoit des joies de ce monde, elle sentit que son mari ne la faisoit que mettre en appétit. Et combien qu’il la traitât bien d’habillements, de la bouche, de bonne chère, de visage et de paroles, toutefois cela n’étoit que mettre le feu auprès des étoupes; si bien, qu’il lui print fantaisie d’emprunter d’ailleurs ce qu’elle n’avoit pas à son gré à la maison. Elle fait un ami, auquel elle se tint pour quelque temps; puis, ne se contentant de lui seul, en fit un autre, et puis un autre; de manière qu’en peu de temps ils se trouvèrent si bon nombre, qu’ils nuisoient les uns aux autres, entrant à heures dues et indues en la maison pour l’amour de la jeune femme, qui avoit déjà mis à part la souvenance de son honneur, pour entendre du tout77 à ses plaisirs, ce pendant que son mari ne s’en avisoit pas, ou, par aventure, si bien; mais il s’armoit de patience, songeant en soi-même qu’il falloit porter la pénitence de la folie qu’il avoit faite d’avoir, sus le haut de son âge, prins une fille si jeune d’ans. Ce train dura et continua tant, que ceux de la ville en tenoient leurs comptes; dont les parents de lui se fâchèrent fort; l’un desquels ne se put plus tenir qu’il ne lui vînt dire, lui remontrant la rumeur qui en étoit; et que, s’il n’y obvioit, il donneroit à penser qu’il seroit de 69vil courage, et enfin qu’il seroit laissé de tous ses parents et de gens de sorte78. Quand il eut entendu ce propos, il fit semblant, devant celui qui lui tenoit, tel que le cas le requéroit, c’est-à-dire, d’un grand déplaisir et fâcherie; et lui promit qu’il y mettroit ordre par tous les moyens à lui possibles. Mais quand il fut à part soi, il songea bien ce qui en étoit; qu’il étoit hors de sa puissance de nettoyer si bien une tel affaire, que les taches n’en demourassent toujours ou long-temps. Il pensoit que la femme se dût garder par un respect de la vertu et par crainte de son déshonneur; autrement, toutes les murailles de ce monde ne la sauroient tenir, qu’elle ne fît une fois des siennes. Davantage, lui qui étoit homme de bon discours, raisonnoit en soi-même que l’honneur d’un homme tiendroit à bien peu de chose s’il dépendoit du fait d’une femme79. Ce qui le gardoit d’appréhender les matières trop avant. Toutefois, pour ne sembler être nonchalant de son inconvénient domestique, lequel étoit estimé si déshonnête du commun des hommes, il s’avisa d’un moyen, lequel seul il pensoit être expédient en tel cas: ce fut qu’il acheta une maison qui étoit joignante au derrière de la sienne, et des deux en fit une; disant qu’il vouloit s’accommoder d’une entrée et d’une issue par deux côtés. Ce qui fut exécuté diligemment; et fut posé un huis de derrière le plus proprement qu’il se put aviser; duquel il fit faire demi-douzaine de clefs, et n’oublia pas à faire faire une galerie bien propice pour les allants et venants. Cela ainsi apprêté, il choisit un jour de commodité pour inviter à dîner les principaux parents de sa femme, sans toutefois appeler ceux du côté de lui pour 70celle fois. Il les traita bien et à bonne chère.» Quand ils eurent dîné, avant que personne se levât de table, il se print à leur dire ainsi en la présence de sa femme: «Messieurs et mesdames, vous savez combien de temps il y a que j’ai épousé votre parente que voici; j’ai eu le loisir de connoître que ce n’étoit pas à moi à qui elle se devoit marier, d’autant que nous n’étions pas pareils, elle et moi. Toutefois, quand ce qui est fait ne se peut défaire, il faut aller jusques au bout.» Puis, en se tournant vers sa femme, lui dit: «Ma mie, j’ai eu depuis peu de temps en çà des reproches de votre gouvernement, lesquels m’ont grandement déplu. Il m’a été dit que vous avez des jeunes gens, qui viennent céans à toutes heures du jour, pour vous entretenir: chose qui est à votre grand déshonneur et au mien. Si je m’en fusse aperçu d’heure80, j’y eusse pourvu plus tôt. Si est-ce qu’il vaut mieux tard que jamais. Vous direz à ceux qui vous hantent que d’ici en avant ils entrent plus discrètement pour vous venir voir. Ce qu’ils pourront faire par le moyen d’une porte de derrière que je leur ai fait faire, de laquelle voici demi-douzaine de clefs que je vous baille, pour leur en donner à chacun la sienne; et s’il n’y en a assez, nous en ferons faire d’autres; le serrurier est à notre commandement. Et leur dites qu’ils trouveront moyen de départir leur temps le plus commodément pour vous et pour eux qu’il sera possible. Car si vous ne vous voulez garder de mal faire, au moins ne pouvez-vous que le faire secrètement, pour empêcher le monde de parler contre vous et contre moi.» Quand la jeune femme eut ouï ces propos venant de son mari, et en la présence de ses parens, elle commença à prendre ver71gogne de son fait, et lui vint au-devant le tort et déshonneur qu’elle faisoit à son mari, à ses parents, et à soi-même: dont elle eut tel remords, que, dès lors en là81, elle ferma la porte à tous ses amoureux et à ses plaisirs désordonnés; et depuis véquit avec son mari en femme de bien et d’honneur. Le roi, ayant ouï ce conte, voulut savoir qui étoit le personnage: «Foi de gentilhomme! dit-il, voilà l’un des plus froids et des plus patients hommes de mon royaume: il feroit bien quelque chose de bon, puisqu’il sait bien faire la patience.» Et dès l’heure lui donna l’état de procureur-général au pays de Picardie. Quant est de moi, si je savois le nom de cet homme de bien, je le voudrois honorer d’une immortalité. Mais le temps lui a fait le tort de supprimer son nom, qui méritoit bien d’être mis ès chroniques, voire d’être canonisé; car il a été vrai martyr en ce monde, et crois qu’il est maintenant bienheureux en l’autre. Qu’ainsi vous en prenne: Amen. Car un prêtre ne vaut rien sans clerc82.


NOUVELLE VII.

Du Normand allant à Rome, qui fit provision de latin pour porter au saint-père; et comme il s’en aida.

Un Normand, voyant que les prêtres avoient le meilleur temps du monde, après que sa femme fut morte, eut envie de se faire d’Eglise; mais il ne savoit lire ni écrire que bien peu. Et toutefois, ayant ouï dire que pour argent on fait tout, et s’estimant aussi habile homme que beaucoup de prêtres de sa paroisse, s’adressa à l’un de ses 72familiers, lui demandant comment il se devoit gouverner en cet affaire. Lequel, après plusieurs propos débattus d’une part et d’autre, l’en réconforta, et lui dit que, s’il vouloit bien faire son cas, il falloit qu’il allât à Rome; et qu’à grand’peine en auroit-il la raison83 de son évêque, qui étoit difficile en cas de faire prêtres et de bailler les a quocumque84; mais que le pape, qui étoit empêché à tant d’autres choses, ne prendroit garde à lui de si près et le dépêcheroit incontinent. Davantage, qu’en ce faisant, il verroit le pays, et que, quand il seroit retourné ayant été créé prêtre de la main du pape, il n’y auroit celui qui ne lui fît honneur, et qu’en moins de rien il seroit bénéficié85, et deviendroit un grand monsieur. Mon homme trouve ces propos fort à son gré; mais il avoit toujours ce scrupule sur sa conscience, touchant le fait du latin; lequel il déclara à son conseiller, lui disant: «Voire-mais, quand je serai devant le pape, quel langage parlerai-je? il n’entend pas le normand, ni moi le latin; que ferai-je?—Pour cela, dit l’autre, ne te faut pas demeurer; car, pour être prêtre, il suffit de savoir bien sa messe de Requiem86, de Beata87, et du Saint-Esprit, lesquelles tu auras assez tôt apprinses quand tu seras de retour. Mais, pour parler au pape, je t’apprendrai trois mots de latin bien assis, que quand tu les auras dits devant lui, il croira que tu sois le plus grand clerc du monde.» Mon homme fut très-aise, et voulut savoir tout-à-l’heure ces trois mots. «Mon ami, lui dit l’autre, incontinent que tu seras devant le pape, tu te jetteras à genoux en lui disant: Salve, Sancte Pater. 73Puis il te demandera en latin: Unde es tu? c’est-à-dire, d’où êtes-vous? Tu répondras: De Normania. Puis il te demandera: Ubi sunt litteræ tuæ? Tu lui diras: In manica mea. Et promptement, sans aucun délai, il commandera que tu sois expédié88. Puis, tu t’en reviendras.» Mon Normand ne fut oncques si joyeux, et demeura quinze ou vingt jours avec son homme, pour lui mettre ces trois mots de latin en la tête. Quand il pensa les bien savoir, il s’apprêta pour prendre le chemin de Rome; et en allant, ne disoit chose que son latin: Salve, Sancte Pater. De Normania. In manica mea. Mais je crois bien qu’il les dit et redit si souvent et de si grande affection, qu’il oublia le beau premier mot, Salve, Sancte Pater; et, de malheur, il étoit déjà bien avant de son chemin. Si mon Normand fut fâché, il ne le faut pas demander; car il ne savoit à quel saint se vouer pour retrouver son mot, et pensoit bien que de se présenter au pape sans cela, c’étoit aller aux mûres sans crochet89; et si ne cuidoit point qu’il fût possible de trouver homme si fidèle enseigneur, et qui lui sût si bien montrer comme celui de sa paroisse, qui lui avoit apprins. Jamais homme ne fut si marri, jusques à tant qu’un samedi matin il entra en une église de la ville où il étoit attendant la grâce de Dieu; là où il entendit que l’on commençoit la messe de Notre-Dame, en note: Salve, Sancta Parens. Et mon Normand d’ouvrir l’oreille: «Dieu soit loué et Notre-Dame!» dit-il. Il fut si réjoui, qu’il lui sembloit être revenu de mort à vie. Et incontinent s’étant fait redire ces mots par un clerc qui étoit là, jamais depuis n’oublia Salve, Sancta Parens, et 74poursuivit son voyage avec son latin: croyez qu’il étoit bien aise d’être né. Et fit tant par ses journées qu’il arriva à Rome. Et faut noter que, de ce temps-là, il n’étoit pas si malaisé de parler aux papes comme il est de présent. On le fit entrer devers le pape, auquel il ne failloit à faire la révérence, en lui disant bien dévotement: Salve, Sancta Parens. Le pape lui va dire: Ego non sum mater Christi. Le Normand lui répond: De Normania. Le pape le regarde et lui dit: Dæmonium habes?In manica mea, répondit le Normand. Et en disant cela, il mit la main en sa manche pour tirer ses lettres. Le pape fut un petit surpris, pensant qu’il allât tirer le gobelin90 de sa manche. Mais quand il vit que c’étoient lettres, il s’assura, et lui demanda encore en latin: Quid petis? Mais mon Normand étoit au bout de sa leçon, qui ne répondit meshui rien à chose qu’on lui demandât. A la fin, quand quelques-uns de sa nation l’eurent ouï parler son cauchois91, ils se prinrent à l’arraisonner92; auxquels il donna bientôt à connoître qu’il avoit apprins du latin en son village pour sa provision, et qu’il savoit beaucoup de bien, mais qu’il n’entendoit pas la manière d’en user.


NOUVELLE VIII.

De l’assignation donnée par messire Itace93, curé de Bagnolet, à une belle vendeuse de naveaux, et de ce qui en advint.

Messire Itace, curé de Bagnolet, combien qu’il fût grand homme de bien, docteur en théologie, ergo il étoit homme, ergo naturel par arguments pertinents, ergo ai75moit les femmes naturelles comme un autre; si bien que, voyant un jour une belle vendeuse de naveaux, simple et facile à toutes bonnes choses faire, il l’arraisonna un peu en passant, lui demandant comment se portoit marchandise94, et si ses naveaux étoient bons et sains, parce qu’il en aimoit fort le potage; à cette occasion, lui montra son Joannes95, auquel commanda lui enseigner son logis, pour lui en apporter dorénavant, dont elle seroit bien payée, et reliqua, car il étoit charitable, et davantage respectif d’adresser ses charités et aumônes en lieu qui le méritoit. Elle lui promit d’y aller; et Joannes, par provision, en emporte sa fourniture, la payant au double par le commandement de son maître. La marchande de naveaux ne fait faute au premier jour de passer par devant le logis, et demander si on vouloit des naveaux: il lui fut dit qu’elle vînt le soir parler secrètement à monsieur, afin de recevoir une libéralité honnête, laquelle fournie de la main dextre, il ne vouloit pas, selon que dit l’Évangile, que la main senestre en sentit rien; à l’occasion de quoi il assignoit la nuit prochaine. La jeune femme s’y accorde; le curé demeure en bonne dévotion, sur le soir, l’attendant, et commandant à Joannes, son famulus, de soi coucher de bonne heure en la garde-robe; et s’il oyoit, d’aventure, quelque bruit, de ne s’en réveiller, ni relever, ni formaliser aucunement. Cependant le bon Itace se pourmène, descend, remonte, regarde par la fenêtre se cette marchande vient point: bref, il est réduit en semblable agonie que Roger en l’attente d’Alcine, au roman de Roland furieux96. Finalement, étant lassé de tant descendre et 76monter par son escalier, s’assit en une chaire en sa chambre, ayant toutefois laissé la porte de son logis entr’ouverte pour recevoir la marchande, sans en faire ouïr aucun bruit aux voyageurs, de peur de scandale, qui seroit plus grand, procédant de sa qualité, que des autres, à cause de la vie qui doit être exemplaire. Voici arriver la chalande97, qui monte droit en haut: «Bonsoir, monsieur, dit-elle.—Vous soyez la très-bien venue, m’amie, répondit-il. Vraiment! vous êtes femme de promesse et de tenue.» Et s’approchant pour la tenir et accoler amoureusement, survint un quidam, qui les surprend et s’écrie à la femme: «O méchante! je me doutois bien que tu allois en quelque mauvais lieu, quand tu te robois98 ainsi sur la brune!» Et ce disant avec un gros bâton et à tour de bras commença à ruer sur sa draperie99, quand le bon Itace s’y oppose et se met entre deux, disant: «Holà! tout beau! (Et tout ce qui lui pouvoit venir en la tête et en la bouche comme à personne bien étonnée du bateau100.)—Comment, monsieur, réplique l’homme, subornez-vous ainsi les femmes mariées que vous faites venir de nuit en votre logis? Et vous prêchez que: Qui veut mal faire suit les ténèbres et fuit la lumière!» La femme alors lui dit: «Mon mari, mon ami, vous n’entendez pas notre cas: le bon seigneur que voici, averti de notre pauvreté honteuse, m’a fait dire par ses gens qu’il nous vouloit faire une libéralité, mais qu’il n’en prétendoit au77cune vaine gloire et ne vouloit qu’elle fût vue ni sue. Et pource que nous couchons mal, en faveur de lignée et génération, il s’est résolu de nous donner son lit, que vous voyez bel et bon, à la charge seulement de prier Dieu pour lui; chose qu’il ne pouvoit bonnement exécuter qu’à telle heure, pour les raisons que dessus. Pour ce, mon mari, passez votre colère, et, au lieu de faire ainsi l’olibrius101, remerciez messire Itace.» Adonc se print le mari à s’excuser grandement du péché d’ire envers son bon curé et confesseur, lui en demandant pardon et merci. Cette bonne et subtile invention de femme réjouit aucunement messire Itace, lequel étoit en voie d’être testonné102 par ledit mari irrité, et en danger d’être scandalisé des voisins; chose qui eût été grandement énorme pour un homme de son état. Le mari, avec fort gracieuses paroles de remercîment, tire le lit de plume en la place, sans oublier les draps mêmes qui y étoient tout blancs attendant l’escarmouche. Il monte après, défait le beau pavillon de sarges103 de diverses couleurs qui y étoit, print sa charge du plus lourd fardeau, et sa femme, du reste, avec très-humbles actions de grâces. Eux ainsi départis, messire Itace, non trop content, tant de la proie qui lui étoit si facilement échappée, que du butin qu’on lui avoit enlevé, appelle Joannes, qui avoit assez ouï le bruit et entendu la plupart du jeu, auquel dit de mine fort fâchée: «Aga famule! le vilain, comme il a emboué ma paillasse de ses pieds! au moins, s’il eût ôté ses souliers avant que de monter sur mon lit!» Le Joannes, voulant d’une part consoler son maître, et d’autre part étant fâché qu’il 78n’avoit eu sa part au butin, lui dit: «Domine, vous savez le bon vieil latin: Rustica progenies nescit habere modum, c’est-à-dire, oignez vilain, il vous poindra. Si vous m’eussiez appelé quand les souillons sont venus céans, je les eusse chassés à coups de bâton, et ne seriez maintenant fâché de voir votre chambre dégarnie sans l’aide de sergents.»


NOUVELLE IX.

Des moyens qu’un plaisantin donna à son roi afin de recouvrer argent promptement.

Puisque Triboulet a eu crédit ès meilleures compagnies, et que ses facéties tiennent lieu en ce présent livre, il nous a semblé bon de lui donner pour compagnon un certain plaisant, des mieux nourris en la cour de son roi: et pour ce qu’il le voyoit en perplexité de recouvrer argent pour subvenir à ses guerres, lui ouvrit deux moyens, dont peu d’autres que lui se fussent avisés104. «L’un, dit-il, sire, est de faire votre office alternatif, comme vous en avez fait beaucoup en votre royaume: ce faisant, je vous en ferai toucher deux millions d’or, et plus.» Je vous laisse à penser si le roi et les seigneurs qui y assistoient rirent de ce premier moyen, desquels, pensant mettre ce fol en sa haute game105, lui demandèrent: «Eh bien! maître fol, est-ce tout ce que tu sais de moyens propres à recouvrer finances?—Non, non, répond le fol se présentant au roi; j’en sais bien un autre aussi bon et meilleur: c’est de commander, par un édit, que tous les lits des moines 79soient vendus par tous les pays de votre obéissance, et les deniers apportés ès coffres de votre épargne.» Sur quoi le roi lui demanda en riant: «Où coucheraient les pauvres moines quand on leur auroit ôté tous leurs lits?—Avec nonnains.—Voire-mais, répliqua le roi, il y a beaucoup plus de moines que de nonnains.» Adonc le compagnon eut sa réponse toute prête; et fut qu’une nonnain en logeroit bien une demi-douzaine pour le moins: «Et croyez, disoit ce fol, qu’à cette fin les rois vos prédécesseurs, et autres princes, ont fait bâtir en beaucoup de villes les couvents des religieux vis-à-vis de ceux des religieuses.»


NOUVELLE X.

Du procureur qui fit tenir une jeune garse du village pour s’en servir, et de son clerc qui la lui essaya.

Un procureur en parlement étoit demeuré veuf, n’ayant pas encore passé quarante ans, et avoit toujours été assez bon compagnon, dont il lui tenoit toujours, tellement qu’il ne se pouvoit passer de féminin genre, et lui fâchoit d’avoir perdu sa femme si tôt, laquelle étoit encore de bonne emploite106. Toutefois, et nonobstant, il prenoit patience, et trouvoit façon de se pourvoir le mieux qu’il pouvoit, faisant œuvre de charité, c’est à savoir: aimant la femme de son voisin comme la sienne; tantôt revisitant les procès de quelques femmes veuves et autres qui venoient chez lui pour le solliciter. Bref, il en prenoit là où il en trouvoit, et frappoit sous lui comme un casseur d’acier. Mais quand il eut fait ce train par une espace de temps, il le trouva un petit fâcheux; car il ne pouvoit bonnement prendre la peine d’aguetter107 ses commodités, 80comme font les jeunes gens: il ne pouvoit pas entrer chez ses voisins sans suspicion, vu qu’il ne l’avoit pas accoutumé. Davantage, il lui coûtoit à fournir à l’appointement. Parquoi il se délibéra d’en trouver une pour son ordinaire. Et lui souvint qu’à Arcueil, où il avoit quelques vignes, il avoit vu une jeune garse, de l’âge de seize à dix-sept ans, nommée Gillette, qui étoit fille d’une pauvre femme gagnant sa vie à filer de la laine. Mais cette garse étoit encore toute simple et niaise, combien qu’elle fût assez belle de visage. Si se pensa le procureur, que ce seroit bien son cas, ayant ouï autrefois un proverbe qui dit: Sage ami, et sotte amie. Car d’une amie trop fine, vous n’en avez jamais bon compte: elle vous joue toujours quelque tour de son métier; elle vous tire à tous les coups quelque argent de sous l’aile108: ou elle veut être trop brave, ou elle vous fait porter les cornes, ou tout ensemble. Pour faire court, mon procureur, un beau temps de vendanges, alla à Arcueil et demanda cette jeune garse à sa mère pour chambrière, lui disant qu’il n’en avoit point, et qu’il ne s’en sauroit passer; qu’il la traiteroit bien, et qu’il la marieroit quand il viendroit à temps. La vieille, qui entendit bien que vouloient dire ces paroles, n’en fit pas pourtant grand semblant, et lui accorda aisément de lui bailler sa fille, contrainte par pauvreté, lui promettant de la lui envoyer le dimanche prochain; ce qu’elle fit. Quand la jeune garse fut à la ville, elle fut toute ébahie de voir tant de gens, parce qu’elle n’avoit encore vu que des vaches. Et pour ce, le procureur ne lui parloit encore de rien; mais alloit toujours chercher ses aventures, en la laissant un peu assurer. Et puis, il lui 81vouloit faire faire des accoutrements, afin qu’elle eût meilleur courage de bien faire. Or, il avoit un clerc en sa maison qui n’avoit point toutes ces considérations-là, car, au bout de deux ou trois jours, étant le procureur allé dîner en la ville, quand il eut avisé cette garse ainsi neuve, il commence à se faire avec elle, lui demandant d’ond elle étoit, et lequel il faisoit meilleur aux champs ou à la ville: «M’amie, dit-il, ne vous souciez de rien; vous ne pouviez pas mieux arriver que céans; car vous n’aurez pas grand’peine: le maître est bon homme, il fait bon avec lui. Or çà, m’amie, disoit-il, ne vous a-t-il point encore dit pourquoi il vous a prinse?—Nenni, dit-elle; mais ma mère m’a bien dit que je le servisse bien, et que je retinsse bien ce qu’on me diroit, et que je n’y perdrois rien.—M’amie, dit le clerc, votre mère vous a bien dit vrai; et pource qu’elle savoit bien que le clerc vous diroit tout ce que vous auriez à faire, ne vous en a point parlé plus avant. M’amie, quand une jeune fille vient à la ville chez un procureur, elle se doit laisser faire au clerc tout ce qu’il voudra; mais aussi le clerc est tenu de lui enseigner les coutumes de la ville, et les complexions de son maître, afin qu’elle sache la manière de le servir. Autrement, les pauvres filles n’apprendroient jamais rien, ni leur maître ne leur feroit jamais bonne chère, et les renvoieroit au village.» Et le clerc le disoit de tel escient, que la pauvre garse n’eût osé faillir à le croire, quand elle oyoit parler d’apprendre à bien servir son maître. Et répondit au clerc d’une parole demi-rompue, et d’une contenance toute niaise: «J’en serois bien tenue à vous!» disoit-elle. Le clerc, voyant, à la mine de cette garse, que son cas ne se portoit pas mal, vous commença à jouer avec elle; il la manie, il la baise. Elle disoit bien: «Oh! ma mère ne me l’a pas dit!» Mais cependant mon clerc la82 vous embrasse; et elle se laissoit faire, tant elle étoit folle, pensant que ce fût la coutume et usance de la ville. Il la vous renverse toute vive sur un bahut: le diable y ait part: qu’il étoit aise! et depuis continuèrent leurs affaires ensemble à toutes les heures que le clerc trouvoit sa commodité. Ce pendant que le procureur attendoit que la garse fût déniaisée, son clerc prenoit cette charge sans procuration. Au bout de quelques jours, le procureur ayant fait accoutrer la jeune fille, laquelle se faisoit tous les jours en meilleur point109, tant à cause du bon traitement que parce que les belles plumes font les beaux oiseaux (aussi à raison qu’elle faisoit fourbir son bas), eut envie d’essayer s’elle se voudroit ranger au montoir110; et envoya par un matin son clerc en ville porter quelque sac; lequel, d’aventure, venoit d’avec Gillette de dérober un coup en passant. Quand le clerc fut dehors, le procureur se met à folâtrer avec elle, lui mettre la main au tetin; puis sous la cotte. Elle lui rioit bien, car elle avoit déjà apprins qu’il n’y avoit pas de quoi pleurer; mais pourtant elle craignoit toujours avec une honte villageoise, qui lui tenoit encore, principalement devant son maître. Le procureur la serre contre le lit; et parce qu’il s’apprêtoit de faire en la propre sorte que le clerc, quand il l’embrassoit, la pressant de fort près, la garse (hé! qu’elle étoit sotte!) lui va dire: «Oh! monsieur, je vous remercie, nous en venons tout maintenant, le clerc et moi.» Le procureur, qui avoit la brayette bandée, ne laissa pas à donner dedans le noir111; mais il fut bien peneux, sachant que son clerc avoit com83mencé de si bonne heure à la lui déniaiser. Pensez que le clerc eut son congé pour le moins.


NOUVELLE XI.

De celui qui acheva l’oreille de l’enfant à la femme de son voisin112.

Il ne se faut pas ébahir si celles des champs ne sont guère fines, vu que celles de la ville se laissent quelquefois abuser bien simplement. Vrai est qu’il ne leur advient pas souvent; car c’est ès villes que les femmes font les bons tours de par Dieu, c’est là. Car je veux dire qu’il y avoit en la ville de Lyon une jeune femme, honnêtement belle, laquelle fut mariée à un marchand d’assez bon trafique113; mais il n’eut pas été avec elle trois ou quatre mois, qu’il ne lui fallût aller dehors pour ses affaires, la laissant pourtant enceinte seulement de trois semaines: ce qu’elle connoissoit, à ce qu’il lui prenoit quelquefois défaillement de cœur, avec tels autres accidents qui prennent aux femmes enceintes. Si tôt qu’il fut parti, un sien voisin, nommé le sire André, s’en vint voir la jeune femme sa voisine, comme il avoit de coutume de hanter privément en la maison par droit de voisiné114: qui se print à railler avec elle, lui demandant comme elle se portoit en ménage. Elle lui répond qu’assez bien; mais qu’elle se sentoit être grosse. «Est-il possible! dit-il; votre mari n’auroit pas eu le loisir de faire un enfant depuis le temps que vous êtes ensemble.—Si est-ce que je le suis, dit-elle; 84car la dena115 Toiny m’a dit qu’elle se trouva ainsi, comme je me trouve, de son premier enfant.—Or, ce lui dit le sire André (sans toutefois penser grandement en mal, ni qu’il lui en dût advenir ce qu’il en advint), croyez-moi, que je me connois bien en cela; et, à vous voir, je me doute que votre mari n’a pas fait l’enfant tout entier, et qu’il y a encore quelque oreille à faire: sur mon honneur! prenez-y bien garde. J’ai vu beaucoup de femmes qui s’en sont mal trouvées, et d’autres, qui ont été plus sages, qui se sont fait achever leur enfant en l’absence de leur mari, de peur des inconvénients. Mais incontinent que mon compère sera venu, faites-le lui achever.—Comment? dit la jeune femme; il est allé en Bourgogne, il ne sauroit pas être ici d’un mois, pour le plus tôt.—M’amie, dit-il, vous n’êtes donc pas bien: votre enfant n’aura qu’une oreille; et si êtes en danger que les autres d’après n’en auront qu’une non plus; car voulentiers, quand il advint quelque faute aux femmes grosses de leur premier enfant, les derniers en ont autant.» La jeune femme, à ces nouvelles, fut la plus fâchée du monde. «Eh mon Dieu! dit-elle, je suis bien pauvre femme! je m’ébahis qu’il ne s’en est avisé de le faire tout, devant que de partir.—Je vous dirai, dit le sire André; il y a remède par tout, fors qu’à la mort. Pour l’amour de vous vraiment, je suis content de le vous achever, chose que je ne ferois pas si c’étoit une autre; car j’ai assez d’affaires environ les miens; mais je ne voudrois pas que, par faute de secours, il vous fût advenu un tel inconvénient que celui-là.» Elle, qui étoit à la bonne foi, pensa que ce qu’il lui disoit étoit vrai; car il parloit brusquement, et comme s’il lui eût voulu faire entendre qu’il faisoit beaucoup pour elle, et que ce fût 85une corvée pour lui. Conclusion, elle se fit achever cet enfant, dont le sire André s’acquitta gentiment, non pas seulement pour cette fois-là, mais y retourna assez souvent depuis. Et à une des fois, la jeune femme lui disoit: «Voire-mais! si vous lui faites quatre ou cinq oreilles arrière116, ce sera une mauvaise besogne.—Non, non, ce dit le sire André, je n’en ferai qu’une; mais pensez-vous qu’elle soit si tôt faite? Votre mari a demeuré si longtemps à faire ce qu’il y a de fait! Et puis, on peut bien faire moins, mais on ne saurait en faire plus; car quand une chose est achevée, il n’y faut plus rien.» En cet état, fut achevée cette oreille. Quand le mari fut venu de dehors, sa femme lui dit en folâtrant: «Ma figue117! vous êtes un beau faiseur d’enfant! vous m’en aviez fait un qui n’eût eu qu’une oreille, et vous en étiez allé sans l’achever.—Allez, allez, dit-il, que vous êtes folle! les enfans se font-ils sans oreilles? Oui-dà, ils se font, dit-elle: demandez-le au sire André, qui m’a dit qu’il en a vu plus de vingt qui n’en avoient qu’une, par faute de les avoir achevés, et que c’est la chose la plus mal aisée à faire que l’oreille d’un enfant; et s’il ne la m’eût achevée, pensez que j’eusse fait un bel enfant!» Le mari ne fut pas trop content de ces nouvelles. «Quel achèvement est-ce ci? dit-il: qu’est-ce qu’il vous a fait pour l’achever?—Le demandez-vous! dit-elle: il m’a fait comme vous me faites.—Ah! ah! dit le mari, est-il vrai! m’en avez-vous fait d’une telle?» Et Dieu sait de quel sommeil il dormit là-dessus! Et lui, qui étoit homme colère, en pensant à l’achèvement de cette oreille, donna par fantaisie118 plus de cent coups de dague à l’acheveur. Et lui dura la nuit plus de mille 86ans, qu’il n’étoit déjà après ses vengeances. Et de fait, la première chose qu’il fit quand il fut levé, ce fut d’aller à ce sire André, auquel il dit mille outrages, le menaçant qu’il le feroit repentir du méchant tour qu’il lui avait fait. Toutefois, de grand menaceur, peu de fait; car, quand il eut bien fait du mauvais, il fut contraint de s’apaiser pour une couverte119 de Catalogue que lui donna le sire André; à la charge toutefois qu’il ne se mêleroit plus de faire les oreilles de ses enfants, et qu’il les feroit bien sans lui.


NOUVELLE XII.

De Fouquet, qui fit accroire au procureur son maître que le bon homme étoit sourd, et au bon homme que le procureur l’étoit; et comment le procureur se vengea de Fouquet.

Un procureur en Châtelet tenoit deux ou trois clercs sous lui, entre lesquels y avoit un apprenti, fils d’un homme assez riche de la ville même de Paris, lequel l’avoit baillé à ce procureur pour apprendre le style120. Le jeune fils s’appeloit Fouquet, de l’âge de seize à dix-sept ans, qui étoit bien affeté121 et faisoit toujours quelque chatonnie122. Or, selon la coutume des maisons des procureurs, Fouquet faisoit toutes les corvées; entre lesquelles, l’une étoit qu’il ouvroit quasi toujours la porte quand on tabutoit123 pour connoître les parties que servoit son maître, et pour savoir qu’elles demandoient, pour le lui rapporter. Il y avoit un homme de Bagneux, qui plaidoit en Châtelet, et avoit prins le maître de Fouquet pour son pro87cureur, lequel il venoit souvent voir; et, pour mieux être servi, lui apportoit par les fois chapons, bécasses, levrauts; et venoit voulentiers un peu après midi, sus l’heure que les clercs dînoient ou achevoient de dîner; auquel Fouquet alloit souvent ouvrir; mais il n’y prenoit point de plaisir à une telle heure; car il y alloit du temps pour lui, parce que le bon homme se mettoit en raison avec lui, tellement qu’il falloit bien souvent que Fouquet allât parler à son maître, et puis en rendre réponse, qui faisoit qu’il dînoit quelquefois bien légèrement. Et son maître, d’une autre part, n’avoit pas grand respect à lui, car il l’envoyoit à la ville à toutes heures du jour, vingt fois et cent fois, ne sais combien, dont il étoit fort fâché. A l’une des fois, voici ce bon homme de Bagneux qui frappe à la porte, et à heure accoutumée; lequel Fouquet entendoit assez au frapper. Quand il eut tabuté deux ou trois coups, Fouquet lui va ouvrir, et en allant s’avisa de jouer un tour de chatterie à son homme, qui vient, disoit-il, toujours quand on dîne; et se pensa comment son maître en auroit sa part. Ayant ouvert l’huis: «Et puis, bon homme, que dites-vous?—Je voulois parler à monsieur, dit-il, pour mon procès.—Et bien! dit Fouquet, dites-moi que c’est, je le lui irai dire.—Oh! dit le bon homme, il faut que je parle à lui, vous n’y ferez rien sans moi.—Bien donc, dit Fouquet, je m’en vais lui dire que vous êtes ici.» Fouquet s’en va à son maître et lui dit: «C’est cet homme de Bagneux qui veut parler à vous.—Fais-le venir, dit le procureur.—Monsieur, dit Fouquet, il est devenu tout sourd; au moins il ouït bien dur: il faudroit parler haut, si vous vouliez qu’il vous entendît.—Eh bien! dit le procureur, je parlerai prou haut.» Fouquet retourne au bon homme, et lui dit: «Mon ami, allez parler à monsieur; mais savez-vous que c’est? Il a eu88 un catarrhe qui lui est tombé sus l’oreille et est quasi devenu sourd: quand vous parlerez à lui, criez bien haut; autrement, il ne vous entendroit pas.» Cela fait, Fouquet s’en va voir s’il achèveroit de dîner; et allant, il dit en soi-même: «Nos gens ne parleront pas tantôt en conseil.» Ce bon homme entre en la chambre où étoit le procureur, le salue en lui disant: «Bonjour, monsieur!» si haut qu’on l’oyoit de toute la maison. Le procureur lui dit encore plus haut: «Dieu vous garde, mon ami! Que dites-vous?» Lors, ils entrèrent en propos de procès, et se mirent à crier tous deux comme s’ils eussent été en un bois. Quand ils eurent bien crié, le bon homme prend congé de son procureur et s’en va. De là à quelques jours, voici retourner ce bonhomme; mais ce fut à une heure que par fortune Fouquet étoit allé par ville, là où son maître l’avoit envoyé. Ce bon homme entre; et après avoir salué son procureur, lui demande comment il se porte. Il répond qu’il se portoit bien: «Eh! monsieur, dit le bon homme, Dieu soit loué! vous n’êtes plus sourd au moins. Dernièrement que vins ici, il falloit parler bien haut; mais maintenant vous entendez bien, Dieu merci!» Le procureur fut tout ébahi: «Mais vous, dit-il, mon ami, êtes-vous bien guéri de vos oreilles? C’étoit vous qui étiez sourd.» Le bon homme lui répond qu’il n’en avoit point été malade, et qu’il avoit toujours bien ouï, la grâce à Dieu. Le procureur se souvint bien incontinent que c’étoient des fredaines de Fouquet; mais il trouva bien de quoi le lui rendre. Car un jour qu’il l’avoit envoyé à la ville, Fouquet ne faillit point à se jeter dedans un jeu de paume, qui n’étoit pas guère loin de la maison, ainsi qu’il faisoit le plus des fois, quand on l’envoyoit quelque part. De quoi son maître étoit assez bien averti; et même l’y avoit trouvé quelquefois en passant. Sachant bien qu’il y89 étoit, il envoya dire à un barbier son compère, qui demeuroit là auprès, qu’il lui fît tenir un beau balai neuf tout prêt; et lui fit dire à quoi il en avoit affaire. Quand il sut que Fouquet pouvoit être bien échauffé à testonner la bourre124, il vint entrer au jeu de paume, et appelle Fouquet, qui avoit déjà bandé sa part de deux douzaines d’éteufs, et jouoit à l’acquit. Quand il le vit ainsi rouge: «Eh! mon ami, vous vous gâtez, dit-il, vous en serez malade; et puis, votre père s’en prendra à moi.» Et là-dessus, au sortir du jeu de paume, le fait entrer chez le barbier, auquel il dit: «Mon compère, je vous prie, prêtez-moi quelque chemise pour ce jeune fils qui est tout en eau, et le faites un petit frotter.—Dieu! dit le barbier, il en a bon métier; autrement, il seroit en danger d’une pleurésie.» Ils font entrer Fouquet en une arrière-boutique, et le font dépouiller au long du feu qu’ils firent allumer pour faire bonne mine. Et ce pendant, les verges s’apprêtoient pour le pauvre Fouquet, qui se fût bien voulentiers passé de chemise blanche. Quand il fut dépouillé, on apporte ces maudites verges, dont il fut étrillé sous le ventre et partout. Et en fouettant, son maître lui disoit: «Dea! Fouquet, j’étois l’autre jour sourd; et vous, êtes-vous point punais à cette heure? Sentez-vous bien le balai?» Et Dieu sait comment il plut sur sa mercerie125! Ainsi le gentil Fouquet eut loisir de retenir qu’il ne fait pas bon se jouer à son maître.


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NOUVELLE XIII.

D’un docteur en décret126 qu’un bœuf blessa si fort qu’il ne savoit en quelle jambe c’étoit.

Un docteur en la faculté de décret, passant pour aller lire aux écoles127, rencontra une troupe de bœufs (ou la troupe de bœufs le rencontra), qu’un varlet de boucher menoit devant soi. L’un desquels quidam bœuf, comme M. le docteur passoit sur sa mule, vint frayer un petit contre sa robe, dont il se print incontinent à crier: «A l’aide! ô le méchant bœuf! il m’a tué! je suis mort!» A ce cri s’amassèrent force gens, car il étoit bien connu, parce qu’il y avoit trente ou quarante ans qu’il ne bougeoit de Paris; lesquels, à l’ouïr crier, pensoient qu’il fût énormément blessé. L’un le soutenoit d’un côté, l’autre d’un autre, de peur qu’il ne tombât de dessus sa mule. Et entre ses hauts cris, il dit à son famulus, qui avoit nom Corneille: «Viens çà. Eh! mon Dieu! va-t’en aux écoles, et leur dis que je suis mort, et qu’un bœuf m’a tué, et que je ne saurois aller faire ma lecture, et que ce sera pour une autre fois!» Les écoles furent toutes troublées de ces nouvelles, et aussi messieurs de la faculté. Et incontinent l’allèrent voir quelques-uns d’entre eux, qui furent députés, qui le trouvèrent étendu sur un lit, et le barbier environ, qui avoit des bandeaux d’huiles, d’onguents, d’aubins d’œufs128, et tous les ferrements, en tel cas requis. M. le docteur plaignoit la jambe droite si fort, qu’il ne pouvoit endurer qu’on le déchaussât; mais fallut 91incontinent découdre la chausse. Quand le barbier eut vu la jambe à nu129, il ne trouva point de lieu entamé ni meurdri130, ni aucune apparence de blessure, combien que toujours M. le docteur criât: «Je suis mort, mon ami, je suis mort!» Et quand le barbier y vouloit toucher de la main, il crioit encore plus haut: «Oh! tous me tuez, je suis mort!—Et où est-ce qu’il tous fait de plus de mal, monsieur? disoit le barbier.—Eh! ne le voyez-vous pas bien? disoit-il. Un bœuf m’a tué, et il me demande où c’est qu’il m’a blessé! Eh! je suis mort!» Le barbier lui demandoit: «Est-ce là, monsieur?—Nenni.—Et là?—Nenni.» Bref, il ne s’y trouvoit rien. «Eh! mon Dieu! qu’est ceci? Ces gens-ci ne sauroient trouver là où j’ai mal: n’est-il point enflé? dit-il au barbier.—Nenni.—Il faut donc, dit M. le docteur, que ce soit en l’autre jambe; car je sais bien que le bœuf m’a heurté.» Il fallut déchausser cette autre jambe. Mais elle se trouva blessée comme l’autre. «Bah! ce barbier-ci n’y entend rien: allez m’en quérir un autre.» On y va: il vint, il n’y trouve rien. «Eh! mon Dieu! dit M. le docteur, voici grand’chose; un bœuf m’auroit-il ainsi frappé sans me faire mal? Viens çà, Corneille; quand le bœuf m’a blessé, de quel côté venoit-il? N’étoit-ce pas devers la muraille?—Oui, domine, ce disoit le famulus.—C’est donc en cette jambe ici. Je leur ai bien dit le commencement; mais il leur est avis que c’est se moquer.» Le barbier, voyant bien que le bon homme n’étoit malade que d’appréhension, pour le contenter y mit un appareil léger, et lui banda la jambe en lui disant que cela suffiroit pour le premier appareil: «Et puis, dit-il, monsieur notre maître, quand vous 92aurez avisé en quelle jambe est votre mal, nous y ferons quelque autre chose.»


NOUVELLE XIV.

Comparaison des alquemistes131 à la bonne femme qui portoit une potée de lait au marché132.

Chacun sait que le commun langage des alquemistes c’est qu’ils se promettent un monde de richesse, et qu’ils savent des secrets de nature, que tous les hommes ensemble ne savent pas; mais à la fin, tout leur cas s’en va en fumée, tellement que leur alquemie133 se pourroit plus proprement dire art qui mine ou art qui n’est mie134. Et ne les sauroit-on mieux comparer qu’à une bonne femme qui portoit une potée de lait au marché, faisant son compte ainsi: qu’elle la vendroit deux liards; de ces deux liards, elle en achèteroit une douzaine d’œufs, lesquels on mettroit couver et en auroit une douzaine de poussins; ces poussins deviendroient grands, et les feroit chaponner; ces chapons vaudroient cinq sols la pièce, ce seroit un écu et plus, dont elle achèteroit deux cochons, mâle et femelle, qui deviendroient grands et en feroient une douzaine d’autres, qu’elle vendroit vingt sols la pièce, après les avoir nourris quelque temps: ce seroient douze francs, 93dont elle achèteroit une jument, qui porteroit un beau poulain, lequel croîtroit et deviendroit tant gentil; il sauteroit et feroit hin. Et en disant hin, la bonne femme, de l’aise qu’elle en avoit en son compte, se print à faire la ruade que feroit son poulain; et en ce faisant, sa potée de lait va tomber et se répandit toute. Et voilà ses œufs, ses poussins, ses chapons, ses cochons, sa jument et son poulain tous par terre. Ainsi les alquemistes, après qu’ils ont bien fournayé135, charbonné, luté136, soufflé, distillé, calciné, congelé, fixé, liquefié, vitrefié, putréfié, il ne faut que casser un alambic pour les mettre au compte de la bonne femme.


NOUVELLE XV.

Du roi Salomon, qui fit la pierre philosophale; et la cause pourquoi les alquemistes ne viennent au-dessus de leurs intentions.

La cause pour laquelle les alquemistes ne peuvent parvenir au bout de leurs entreprises, tout le monde ne la sait pas; mais Marie137 la prophétesse la met bien à propos et fort bien au long dans un livre qu’elle a fait de la grande excellence de l’art, exhortant les philosophes, et leur donnant bon courage, qu’ils ne se désespèrent point; et disant ainsi que la pierre138 des philosophes est si digne et si 94précieuse, qu’entre ses admirables vertus et excellences, elle a puissance de contraindre les esprits; et que quiconque l’a, il les peut conjurer, anathématiser, lier, garrotter, bafouer, tourmenter, emprisonner, gehener, martyrer. Bref, il en joue de l’épée à deux mains; et peut bien faire tout ce qu’il veut, s’il sait bien user de sa fortune. Or est-ce, dit-elle, que Salomon eut la perfection de cette pierre; et si connut, par inspiration divine, la grande et merveilleuse propriété d’icelle, qui étoit de contraindre les gobelins139, comme nous avons dit. Parquoi, aussitôt qu’il l’eut faite, il conclut de les faire venir. Mais il fit premièrement faire une cuve de cuivre, de merveilleuse grandeur; car elle n’étoit pas moindre que tout le circuit du bois de Vincennes; sauf que s’il s’en falloit quelque demi-pied ou environ, c’est tout un; il ne faut point s’arrêter à peu de chose. Vrai est qu’elle étoit plus ronde, et la falloit ainsi grande pour faire ce qu’il en vouloit faire; et, par même moyen, fit faire un couvercle le plus juste qu’il étoit possible; et quand et quand140, et pareillement, fit faire une fosse en terre assez large pour enterrer cette cuve, et la fit caver141 le plus bas qu’il put. Quand il vit son cas bien appareillé, il fit venir, en vertu de cette sainte pierre, tous les esprits de ce bas monde, grands et petits, commençant aux empereurs des quatre coins de la terre; puis fit venir les rois, les ducs, les comtes, les barons, les colonels, capitaines, caporaux, lancespessades142, soldats à pied et à cheval, et tous, tant qu’il y en avoit; et, à ce compte, il n’en demeura pas un pour faire la cuisine. Quand ils furent venus, Salomon 95leur commanda en la vertu susdite, qu’ils eussent tous à se mettre dedans cette cuve, laquelle étoit enfoncée dedans ce creux de terre. Les esprits ne surent contredire qu’ils n’y entrassent. Et croyez que c’étoit à grand regret, et qu’il y en avoit qui faisoient une terrible grimace. Incontinent qu’ils furent là-dedans, Salomon fit mettre le couvercle dessus, et le fit très-bien luter cum luto sapientiæ; et vous laisse messieurs les diables là-dedans; lesquels il fit encore couvrir de terre, jusqu’à ce que la fosse fût comble. En quoi, toute son intention étoit que le monde ne fût pas infecté de ces méchants et maudits vermeniers143, et que les hommes de là en avant144 véquissent en paix et amour, et que toutes vertus et réjouissances régnassent sur terre. Et, de fait, soudainement après furent les hommes joyeux, contents, sains, gais, drus, hubis145, vioges146, allègres, ébaudis, galants, gallois, gaillards, gents, frisques, mignons, poupins147, brusques148. Oh! qu’ils se portoient bien! Oh! que tout alloit bien! La terre apportoit toutes sortes de fruits, sans main mettre149; les loups ne mangeoient point le bestial150; les lions, les ours, les tigres, les sangliers, étoient privés comme moutons; bref, toute la terre sembloit être un paradis, ce pendant que ces truands151 de diables étoient en basse fosse. Mais qu’advint-il? Au bout d’un long espace de temps, ainsi que les règnes se changent, et que les villes se dé96truisent, et qu’il s’en réédifie d’autres, il y eut un roi, auquel il print envie de bâtir une ville. La fortune voulut qu’il entreprînt de la bâtir au propre lieu où étoient ces diables enterrés. Il faut bien que Salomon faillît à y faire entrer quelque petit diable qui s’étoit caché sous quelque motte de terre quand ses compagnons y entrèrent. Lequel quidam diablotin mit en l’entendement de ce roi de faire sa ville en cedit lieu, afin que ses compagnons fussent délivrés. Ce roi mit gens en œuvre pour faire cette ville, laquelle il vouloit magnifique, forte et imprenable. Et, pour ce, il y falloit de terribles fondements pour faire les murailles; tellement que les pionniers cavèrent si bas, que l’un d’entre eux vint tout premier à découvrir cette cuve où étoient ces diables; lequel l’ayant ainsi heurtée, et ne s’étant souvenu que ses compagnons s’en fussent aperçus, il pense bien être incontinent riche, et qu’il y eût un trésor inestimable là-dedans. Hélas! quel trésor c’étoit! Eh Dieu! que ce fut bien en la mal’heure! Oh! que le ciel étoit bien lors envieux contre la terre! Oh! que les dieux étoient bien courroucés contre le pauvre genre humain! Où est la plume qui sût écrire? où est la langue qui sût dire assez de malédictions contre cette horrible et malheureuse découverte? Voilà que fait l’avarice, voilà que fait l’ambition, qui creuse la terre jusques aux enfers pour trouver son malheur, ne pouvant endurer son aise. Mais retournons à notre cuve et à nos diables. Le conte dit qu’il ne fut pas en la puissance de ces bêcheurs de la pouvoir ouvrir sitôt; car, avec la grandeur, elle étoit épaisse à l’avenant. Pour ce, il fut force que le roi en eût la connoissance; lequel, l’ayant vue, ne pensa pas autre chose que ce qu’en avoient pensé les pionniers. Car qui eût jamais imaginé qu’il y eût eu des diables dedans, quand même on ne pensoit plus qu’il y en eût au monde, vu le97 long temps qu’il y avoit qu’on en avoit ouï parler? Ce roi se souvenoit bien que ses prédécesseurs rois avoient été infiniment riches; et ne pouvoit estimer autre chose, sinon qu’ils eussent là enfermé une finance incroyable; et que les destins l’avoient réservé à être possesseur d’un tel bien, pour être le plus grand roi de la terre. Conclusion, il employa tant de gens qu’il en avoit, environ cette cuve. Et ce pendant qu’ils chamailloient152, ces diables étoient aux écoutes; et ne savoient bonnement que croire, si on les tiroit point de là pour les mener pendre, et que leur procès eût été fait depuis qu’ils étoient là. Or les gastadours153 donnèrent tant de coups à cette cuve, qu’ils la faussèrent, et quand et quand enlevèrent une grande pièce du couvercle, et firent ouverture. Ne demandez pas si messieurs les diables se battoient à sortir à la foule; et quels cris ils faisoient en sortant, lesquels épouvantèrent si fort le roi et tous ses gens, qu’ils tombèrent là comme morts. Et mes diables devant et au pied. Ils s’en revont par le monde chacun en sa chacunière; fors que, par aventure, il y en eut quelques-uns qui furent tout étonnés de voir les régions et les pays changés depuis leur emprisonnement. Au moyen de quoi, ils furent vagabonds tout un temps, ne sachant de quel pays ils étoient, ne voyant plus le clocher de leur paroisse. Mais partout où ils passoient, ils faisoient tant de maux, que ce seroit une horreur de les raconter. En lieu d’une méchanceté qu’ils faisoient le temps jadis pour tourmenter le monde, ils en inventèrent de toutes nouvelles. Ils tuoient, ils ruoient, ils tempêtoient, ils renversoient tout sens dessus dessous. Tout alloit par écueles; mais aussi les diables y étoient. De ce 98temps-là y avoit force philosophes (car les alquemistes s’appellent philosophes par excellence), d’autant que Salomon leur avoit laissé par écrit la manière de faire la sainte pierre, laquelle il avoit réduite en art, et s’en tenoit école comme de grammaire; tellement que plusieurs arrivoient à l’intelligence; attendu même que les vermeniers154 ne leur troubloient point le cerveau, étant enclos, mais sitôt qu’ils furent en liberté, se ressentant du mauvais tour que leur avoit joué Salomon en vertu de cette pierre, la première chose qu’ils firent, ce fut d’aller aux fourneaux des philosophes, et les mettre en pièces. Et même trouvèrent façon d’effacer, d’egraffigner155, de rompre, de falsifier tous les livres qu’ils purent trouver de ladite science; tellement qu’ils la rendirent si obscure et si difficile, que les hommes ne savent qu’ils y cherchent, et l’eussent voulentiers abolie du tout; mais Dieu ne leur en donna pas la puissance. Bien eurent-ils cette permission d’aller et de venir pour empêcher les plus savants de faire leurs besognes; tellement que quand il y en a quelqu’un qui prend le bon chemin pour y parvenir, et que telle fois il ne lui faut quasi plus rien qu’il n’y touche, voici un diablon qui vient rompre un alambic, lequel est plein de cette matière précieuse; et fait perdre en une heure toute la peine que le pauvre philosophe a prise en dix ou douze ans; de sorte que c’est à refaire; non pas que les pourceaux y aient été156, mais les diables qui valent pis. Voilà la cause pourquoi on voit aujourd’hui si peu d’alquemistes 99qui parviennent à leurs entreprises; non que la science ne fût aussi vraie qu’elle fut oncques, mais les diables sont ainsi ennemis de ce don de Dieu. Et parce qu’il n’est pas qu’un jour quelqu’un n’ait cette grâce de la faire aussi bien que Salomon la fit oncques; de bonne aventure, s’il advenoit de notre temps, je le prie, par ces présentes, qu’il n’oublie pas à conjurer, adjurer, excommunier, anathématiser, exorciser, cabaliser, ruiner, exterminer, confondre, abîmer ces méchants gobelins, vermeniers, ennemis de nature et de toutes bonnes choses, qui nuisent ainsi aux pauvres alquemistes, mais encore à tous les hommes, et aux femmes aussi, cela s’entend. Car ils leur mettent mille rigueurs, mille refus et mille fantaisies en la tête; voire et eux-mêmes se mettent en la tête de ces vieilles sempiterneuses157, et les rendent diablesses parfaites. De là est venu que l’on dit d’une mauvaise femme qu’elle a la tête au diable.


NOUVELLE XVI.

De l’avocat qui parloit latin à sa chambrière, et du clerc qui étoit le truchement.

Il y a environ vingt-cinq ou quarante ans, qu’en la ville du Mans y avoit un avocat qui s’appeloit La Roche Thomas, l’un des plus renommés de la ville, combien que de ce temps-là y en eût un bon nombre de savants, tellement qu’on venoit bien à conseil, jusques au Mans, de l’université d’Angers. Cettui sieur de La Roche étoit homme joyeux, et accordoit bien les récréations avec les choses sérieuses. Il faisoit bonne chère en sa maison; et quand il étoit en ses bonnes (qui étoit bien souvent), il latinisoit le françois, et francisoit le latin; et s’y plaisoit 100tant, qu’il parloit demi-latin à son valet, et à sa chambrière aussi, laquelle il appeloit pedissèque158. Et quand elle n’entendoit pas ce qu’il lui disoit, si n’osoit-elle pas lui faire interpréter ses mots; car La Roche Thomas lui disoit: «Grosse pécore arcadique, n’entends-tu point mon idiome?» De ces mots, la pauvre chambrière étoit étonnée des quatre pieds159, car elle pensoit que ce fût la plus grande malédiction du monde. Et, à la vérité, il usoit quelquefois de si rudes termes, que les poules s’en fussent levées du juc160. Mais elle trouva façon d’y remédier; car elle s’accointa de l’un des clercs, lequel lui mettoit par aventure l’intelligence de ces mots en la tête par le bas; et la secouoit, dis-je, la secouroit au besoin; car quand son maître lui avoit dit quelque mot, elle ne faisoit que s’en aller à son truchement qui l’en faisoit savante. Un jour de par le monde, il fut donné un pâté de venaison à La Roche Thomas; duquel ayant mangé deux ou trois lèches161 à l’épargne162 avec ceux qui dînèrent quand163 lui, il dit à sa chambrière en desservant: «Pedissèque, serve164 moi ce farcime de ferine165, qu’il ne soit point famulé166.» La chambrière entendit assez bien qu’il lui parloit d’un pâté; car elle lui avoit autrefois ouï dire le mot de farcime; et puis, il le lui montroit. Mais ce mot de famulé, qu’elle retint en se hâtant d’écouter, elle ne savoit encore qu’il 101vouloit dire; elle print ce pâté, et, ayant fait semblant d’avoir bien entendu, dit: «Bien, monsieur!» Et vint à ce clerc, quand ils furent à part (lequel, d’aventure, avoit été présent au commandement du maître), pour lui demander l’exposition de ce mot famulé; mais le mal fut, que pour cette fois il ne lui fut pas fidèle; car il lui dit: «M’amie, il t’a dit que tu donnes de ce pâté aux clercs, et puis, que tu serres le demeurant.» La chambrière le crut, car jamais elle ne s’étoit mal trouvée de rapport qu’il lui eût fait. Elle met ce pâté devant les clercs, qui ne l’épargnèrent pas comme on avoit fait à la première table; car ils mirent la main en si bon lieu, qu’il y parut. Le lendemain La Roche Thomas, cuidant que son pâté fût bien en nature, appelle à dîner des plus apparents du Palais du Mans (qui ne s’appeloit pour lors que la Salle) et leur fit grande fête de ce pâté. Ils viennent, ils se mettent à table. Quand ce fut à présenter ce pâté, il étoit aisé à voir qu’il avoit passé par bonnes mains. On ne sauroit dire si la pedissèque fut plus mal menée de son maître, d’avoir laissé famuler ce farcime, ou si ledit maître fut mieux gaudi167 de ceux qu’il avoit conviés, pour avoir parlé latin à sa chambrière, en lui recommandant un friand pâté; ou si la chambrière fut plus marrie contre le clerc qui l’avoit trompée; mais, pour le moins, les deux ne durèrent pas tant comme le tiers; car elle fongna168 au clerc plus d’un jour et une nuit, et le menaça fort et ferme, qu’elle ne lui prêteroit jamais chose qu’elle eût. Mais, quand elle se fut bien ravisée qu’elle ne se pouvoit passer de lui, elle fut contrainte d’appointer169, le dimanche matin, que tout le 102monde étoit à la grand’messe, fors qu’eux deux, et mangèrent ensemble ce qui étoit demeuré du jeudi, et raccordèrent leurs vielles comme bons amis. Advint un autre jour que La Roche Thomas étoit allé dîner à la ville chez un de ses voisins, comme la coutume a toujours été en ces quartiers-là de manger les uns avec les autres, et de porter son dîner et son souper; tellement que l’hôte n’est point foulé170, sinon qu’il met la nappe. La Roche Thomas, qui pour lors étoit sans femme, avoit fait mettre pour son dîner seulement un poulet rôti, que sa chambrière lui apporta entre deux plats. Il lui dit tout joyeusement: «Qu’est-ce que tu m’afferes171 là, pedissèque?» Elle lui répondit: «Monsieur, c’est un poulet.» Lui, qui vouloit être vu magnifique, ne trouve pas cette réponse bonne, et la note jusques à tant qu’il fût retourné en sa maison, qu’il appela sa chambrière tout fâcheusement: «Pedissèque!» laquelle entendit bien à l’accent de son maître qu’elle auroit quelque leçon. Elle va incontinent quérir son truchement, pour assister à la lecture, et lui rapporter ce que son maître lui diroit; car il tançoit bien souvent en latin et tout. Quand elle fut comparue, La Roche Thomas lui va dire: «Viens çà, gros animal brutal, idiote, inepte172, insulse173, nugigerule174, imperite175 (et tous les mots du Donat176). Quand je dîne à la ville, et que je te demande que c’est que tu m’afferes, qui t’a montré à ré103pondre un poulet? Parle, parle une autre fois en plurier nombre, grosse quadrupède, parle en plurier nombre. Un poulet! Voilà un beau dîner d’un tel homme que La Roche Thomas!» La pedissèque n’avait jamais été déjeunée177 de ce mot de plurier nombre; par quoi elle se le fit expliquer par son clerc, qui lui dit: «Sais-tu que c’est? Il est marri qu’aujourd’hui en lui portant son dîner, quand il t’a demandé que c’étoit que tu lui apportois, que tu lui aies répondu, un poulet; et il veut que tu dises des poulets, et non pas un poulet. Voilà ce qu’il veut dire par plurier nombre, entends-tu?» la pedissèque retint bien cela. De là à quelques jours, La Roche Thomas étant encore allé dîner chez un sien voisin (ne sais si c’étoit chez le même de l’autre jour), sa chambrière lui porta son dîner. La Roche Thomas lui demande, selon sa coutume, que c’est qu’elle afferoit. Elle, se souvenant bien de sa leçon, répondit incontinent: «Monsieur, ce sont des bœufs et des moutons.» Par cette réponse, elle apprêta à rire à toute la présence178: principalement quand ils eurent entendu qu’il apprenoit à sa chambrière à parler en plurier nombre.


NOUVELLE XVII.

Du cardinal de Luxembourg, et de la bonne femme qui vouloit faire son fils prêtre, qui n’avoit point de témoins179; et comment ledit cardinal se nomma Phelippot.

Du temps du roi Louis douzième, y avoit un cardinal de la maison de Luxembourg, lequel fut évêque du Mans180; 104et se tenoit ordinairement sus son évêché: homme vivant magnifiquement; aimé et honoré de ses diocésains, comme prince qu’il étoit. Avec sa magnificence, il avoit une certaine privauté, qui le faisoit encore mieux vouloir de tout le monde, et même étoit facétieux en temps et lieu; et s’il aimoit bien à gaudir, il ne prenoit point en mal d’être gaudi. Un jour, se présenta à lui une bonne femme des champs, comme il étoit facile à écouter toutes personnes. Cette femme, après s’être agenouillée devant lui, et ayant eu sa bénédiction, comme ils faisoient bien religieusement de ce temps-là, lui va dire: «Monsieur, ne vous despiése, sa voute gresse181; contre vous ne set pas dit: j’ai un fils qui a déjà vingt ans passés, ô révérence, et qui est assez grand; quer182 il a déjà tenu un an les écoles de notre paroisse: j’en voudras ben faire un prêtre, si c’étoit le piésir de Dieu.—Par foi183, dit le cardinal, ce seroit bien fait, m’amie; il le faut faire.—Vére-més, monsieur, dit la bonne femme, il y a quelque chouse qui l’engarde; més en m’a dit que vous l’en pourriez bien récompenser (la bonne femme vouloit dire dispenser).» Le cardinal, prenant plaisir en la simplicité de la bonne femme, lui dit: «Et qu’est-ce, m’amie?—Monsieur, voez-vous ben, il n’a point.....—Qu’est-ce qu’il n’a point? dit-il.—Eh! monsieur, dit-elle, il n’a point..... Je n’ouseras dire; dont vous m’entendez ben.... ce que les hommes portent.» Le cardinal, qui l’entendoit bien, lui dit: «Et qu’est-ce que les hommes portent? N’a-t-il point de chausses longues?—Bo, bo, ce n’est pas ce que je veux dire, monsieur, il 105n’a point de chouses....» Le cardinal fut long-temps à marchander avec elle, pour voir s’il lui pourroit faire parler bon françois, mais il ne fut possible; car elle lui disoit: «Eh! monsieur, vous l’entendez ben; à qué faire me faites-vous ainsi muser?» Toutefois, à la fin, elle lui va dire: «Agardez-mon184, monsieur; quand il étoit petit, il étoit petit; il chut du haut d’une échelle, et se rompit185; tant qu’il a failli le sener (sener, en ce pays-là, est châtrer). Et sans cela je l’eussions marié; quer c’est le plus grand de tous mes enfants.» Le cardinal lui dit: «Par foi! m’amie, il ne laissera pas d’être prêtre pour cela, avec dispense, cela s’entend. Que plût à Dieu que tous les prêtres de mon diocèse n’en eussent non plus que lui!—Eh! monsieur, dit-elle, je vous remercie; il sera ben tenu de prier Dieu pour vous et pour vos amis trépassés. Més, monsieur, il y a encore un autre cas que je voudras ben dire, més qui ne vous despiésît.—Et qu’est-ce, m’amie?—Oh! regardez-mon, monsieur, je vous voudras ben prier; en m’a dit que les évêques pouvont ben changer le nom aux gens: j’ai un autre hardeau (ainsi appellent-ils aux champs un garçon; et une garce, une hardelle); ils ne font que se moquer de li. Il a nom Phelippe (sa voute gresse); il m’est avis, quand il aira un autre nom, que j’en serai pus à mon èse; quer ils crient après li Phelipot, Phelipot. Vous savez ben, monsieur, qu’il fâche ben aux gens quand les autres se moquent d’eux. Je voudras ben, si c’étoit voute piésir, qu’il eût un autre nom.» Or est-il que le révérendissime s’appeloit en son nom Philippe. «Par foi! m’amie, dit-il, c’est mal fait à eux d’appeler ainsi votre fils Phelipot, il y faut remédier. Mais savez-vous bien, m’amie? Je ne lui 106ôterai point le nom de Philippe; car je veux qu’il le garde pour l’amour de moi: je m’appelle Philippe, m’amie, entendez-vous? Mais je lui donnerai mon nom, et je prendrai le sien; il aura nom Philippe, et j’aurai nom Phelipot; et qui l’appellera autrement que Philippe, venez-le-moi dire, et je vous donnerai congé d’en faire tirer une querimoine186; est-ce pas bien dit, m’amie? Voua ne serez pas fâchée que votre fils porte mon nom?—En bonne foi, monsieur, dit-elle, vous nous faites pus d’honneur qu’à nous n’appartient; je prie à Dieu, par sa gresse, qu’il vous doint bonne vie et longue, et paradis à la fin.» La bonne femme s’en alla bien contente d’avoir eu ainsi bonne réponse de son évêque, et fit entendre à tous ceux de son village ce que l’évêque lui avoit dit. Et depuis, ledit seigneur, qui récitoit voulentiers telles manières de contes, se nommoit Phelipot par manière de passe-temps, et disoit qu’il n’avoit plus nom Philippe; et y fut depuis souvent appelé; dont il ne se faisoit que rire, à la mode d’Auguste César, lequel gaudissoit voulentiers, et prenoit les gaudisseries en jeu. Témoin l’apophthegme tout commun de lui187 et d’un jeune fils qui vint à Rome, lequel sembloit si bien à Auguste, qu’on n’y trouvoit quasi rien à dire quant aux traits du visage; et le regardoit-on, par toute la ville, en grande singularité, pour la grande ressemblance d’entre l’empereur et lui; de quoi Auguste étant averti, lui dit une fois: «Dites-moi, mon ami, votre mère a-t-elle été autrefois en cette ville?» Le jeune fils, qui entendit ce qu’Auguste vouloit dire: «Sire, dit-il, non pas ma mère, elle n’y fut jamais, que je sache, mais mon père assez de fois.» Et par là rendit à Auguste ce 107qu’Auguste avoit voulu mettre sur lui; car il n’étoit pas impossible que le père du jeune fils n’eût connu la mère d’Auguste, non plus qu’Auguste celle du jeune fils. Le même empereur print encore sans déplaisir que Virgile188 l’appelât fils d’un boulanger; parce qu’au commencement qu’il le connut, il ne lui faisoit donner que des pains pour tous présents, mais depuis il lui fit assez d’autres grands biens.


NOUVELLE XVIII.

De l’enfant de Paris nouvellement marié, et de Beaufort qui trouva moyen de jouir de sa femme, nonobstant la soigneuse garde de dame Pernette189.

Un jeune homme natif de Paris, après avoir hanté les universités de çà et de là les monts, se retira en sa ville, où il fut un temps sans se marier, se trouvant bien à son gré ainsi qu’il étoit, n’ayant point faute de telle sorte de plaisirs qu’il souhaitoit, et même de femmes (encore qu’il ne s’en treuve point à Paris de malheur!190), desquelles ayant connu les ruses et finesses en tant de pays, et les ayant lui-même employées à son profit et usage, il ne se soucioit pas trop d’épouser femme, craignant ce maudit mal de cocuage; et n’eût été l’envie qu’il avoit de se voir père et d’avoir un héritier descendant de lui, il fût voulentiers demeuré garçon perpétuel. Mais lui qui étoit homme de discours191, pensa bien qu’il falloit passer par là (je dis par le mariage), et qu’autant valoit y entrer 108de bonne heure comme attendre plus tard, se proposant qu’il ne faut pas se garder tant qu’on soit usé pour prendre femme; car il n’est rien qui ouvre la porte plus grande à cocuage que l’impuissance du mari. Et puis, il avoit réduit en mémoire, et par écrit, les ruses plus singulières que les femmes inventent pour avoir leur plaisir. Il savoit les allées et les venues que font les vieilles par les maisons, sous ombre de porter du fil, de la toile, des ouvrages, des petits chiens. Il savoit comme les femmes font les malades, comme elles vont en vendanges, comme elles parlent à leurs amis qui viennent en masque, comme elles s’entrefont faveur sous ombre de parentage. Et avec cela, il avoit lu Boccace192 et Célestine193. Et de tout cela délibéroit de se faire sage; faisant les desseins en soi-même: «Je ferai le meilleur devoir que je pourrai, pour ne porter point les cornes. Au demeurant, ce qui doit advenir viendra!» Et de cette empreinte194, se signa de la main droite, en se recommandant à Dieu. Adonc, entre les filles de Paris, dont il étoit à même, il en choisit une à son gré, la mieux conditionnée, du meilleur esprit et la plus accomplie: et n’y faillit de guère, car il la print jeune, belle, riche et bien apparentée. Il l’épouse, et la mène en sa maison paternelle. Or, il tenoit une femme avec soi assez âgée, qui avoit 109été sa nourrice, et qui de tout temps demeuroit en la maison, appelée dame Pernette, avisée et accorte femme. Il la présente à sa jeune épouse, d’entrée de ménage, lui disant: «M’amie, je suis bien tenu à cette femme-ci: c’est ma mère nourrice. Elle a fait de grands services à mes père et mère et à moi après eux: je vous la baille pour vous faire compagnie; elle sait du bien et de l’honneur: vous vous en trouverez bien.» Puis, en particulier, il enchargea à dame Pernette de se tenir près de sa femme et de ne l’abandonner, sus les peines qu’il lui dit, et en quelque lieu qu’elle allât. La vieille lui promit sûrement qu’elle le feroit. Et ci dirai en passant qu’il y a un méchant proverbe, je ne sais qui l’a inventé; mais il est bien commun: casta quam nemo rogavit195. Je ne dis pas qu’il soit vrai; je m’en rapporte à ce qu’il en est. Mais je dis bien qu’il n’est point de belle femme qui n’ait été priée, ou qui ne le soit tôt ou tard. «Ah! je ne suis donc pas belle?» dira celle-ci.—«Ni moi donc aussi?» dira celle-là. Eh bien! j’en suis content, je ne veux point de noise. Tant y a qu’une femme bien apprinse se garde bien de dire qu’elle ait été priée, principalement à son mari; car, s’il est fin, il pensera de sa femme que, si elle n’eût donné occasion et audience, elle n’eût pas été requise. Pour venir à mon conte, il advint qu’entre ceux qui hantoient en la maison de monsieur le marié (n’attendez pas que je le vous nomme), y avoit un jeune avocat, appelé le sieur de Beaufort; lequel étoit du pays de Berry, hantant le barreau pour usiter et pratiquer ce qu’il avoit vu aux études; auquel monsieur faisoit grande familiarité et bonne chère, parce qu’ils s’entre-étoient vus aux universités, et même 110avoient été compagnons d’armes en plusieurs factions196. Ce Beaufort n’étoit pas mal surnommé, car il étoit beau, adroit, et de bonne grâce. Et, pour ce, la dame lui faisoit bon œil, et lui à elle, tant qu’en moins de rien, par fervens messages des yeux, ils s’entre-donnèrent signe de leurs mutuelles volontés. Or, le mari sachant que c’étoit de vivre, ne se montroit point avoir de froid aux pieds197; mêmement, à la nouveauté, ne se défiant pas grandement d’une si grande jeunesse qui étoit en sa femme, ni de l’honnêteté de son ami, et se contentant de la garde que faisoit dame Pernette. Beaufort, qui de son côté entendoit le tour du bâton198, voyant la grande privauté que lui faisoit le mari, et le gracieux accueil que lui faisoit la jeune femme, avec une affection (ce lui sembloit) bien plus ouverte qu’à nul autre, comme il étoit vrai, trouve l’occasion, en devisant avec elle, de la conduire au propos d’aimer; d’autant qu’elle avoit été nourrie en maison d’apport199 et qu’elle savoit suivre et entretenir toutes sortes de bons propos. A laquelle Beaufort, de fil en aiguille, se print à dire telles paroles: «Madame, il est assez aisé aux dames d’esprit et de vertu à connoître le bon vouloir d’un serviteur; car elles ont toujours le cœur des hommes, encore qu’elles ne veuillent. Pour ce, n’est besoin de vous faire entendre plus expressément l’affection et l’honneur que je porte à l’infinité de vos grâces; lesquelles sont accompagnées d’une telle gentillesse d’esprit, qu’homme n’y sau111roit aspirer qui ne soit bien né, et qui n’ait le cœur en bon lieu. Car les choses précieuses ne se désirent que des gentils courages; qui m’est grande occasion de louer la fortune, laquelle m’a été si favorable de me présenter un si digne et si vertueux sujet, pour avoir le moyen de mettre en évidence l’inclination que j’ai aux choses de prix et de valeur. Et, combien que je sois l’un des moindres de ceux desquels vous méritez le service, je me tiens pourtant assuré que vos grandes perfections, lesquelles j’admire, seront cause d’augmenter en moi les choses qui sont requises à bien servir. Car quant au cœur, je l’ai si bon et si affectionné envers vous, qu’il est impossible de plus; lequel j’espère vous faire connoître si évidemment, que vous ne serez jamais mal contente de m’avoir donné l’occasion de vous demeurer perpétuellement serviteur.» La jeune dame, qui étoit honnête et bien apprinse, oyant ce propos d’affection, eût bien voulu son intention aussi facile à exécuter comme à penser; laquelle, d’une voix féminine, assez assurée pourtant, selon l’âge d’elle (auquel communément les femmes ont une crainte accompagnée d’une honte honnête), lui va répondre ainsi: «Monsieur, quand bien j’aurois voulenté d’aimer, si n’aurois-je encore eu le loisir de songer à faire un autre ami que celui que j’ai épousé; lequel m’aime tant et me traite si bien, qu’il me garde de penser en autre qu’en lui. Davantage, quand la fortune devroit venir sur moi pour mettre mon cœur en deux parts, j’estime tant de votre bon cœur, que vous ne voudriez être la première cause de me faire faire chose qui fût à mon désavantage. Quant aux grâces que vous m’attribuez, je laisse cela à part, ne les connoissant point en moi, et les rends au lieu dont elles viennent, qui est à vous. Mais pour mes autres défenses, voudriez-vous bien faire ce tort à celui qui se fie tant en vous, qui vous112 fait si bonne chère? Il me semble qu’un cœur si noble que le vôtre ne sauroit donner lieu à une telle intention que celle-là. Et puis, vous voyez les incommodités assez grandes, pour vous divertir d’une telle entreprise, quand vous l’auriez. Je suis toujours accompagnée d’une garde, laquelle, quand je voudrois faire mal, tient l’œil sus moi si continuel, que je ne lui saurois rien dérober.» Beaufort se tint bien aise quand il ouït cette réponse, et principalement quand il sentit que la dame se fondoit en raisons, dont les premières étoient un peu fortes; mais, par les dernières, la jeune dame les rabattoit elle-même; auxquelles Beaufort répondit sommairement: «Les trois points que vous m’alléguez, madame, je les avois bien prévus et pourpensés; mais vous savez que les deux dépendent de votre bonne volonté, et le tiers gît en diligence et bon avis. Car, quant au premier, puisque l’amour est une vertu, laquelle cherche les esprits de gentille nature, il vous faut penser que quelque jour vous aimerez tôt ou tard; laquelle chose devant être, mieux vaut que de bonne heure vous receviez le service de celui qui vous aime comme sa propre vie, que d’attendre plus longuement à obéir au Seigneur, qui a puissance de vous faire payer l’usure du passé, et vous rendre entre les mains de quelque homme dissimulé, qui ne prenne pas votre honneur en si bonne garde comme il mérite. Quant au second, c’est un point qui a été vidé, longtemps a, en l’endroit de ceux qui savent que c’est que d’aimer. Car, pour l’affection que je vous porte, tant s’en faut que je fasse tort à celui qui vous a épousée, que plutôt je lui fais honneur, quand j’aime de si bon cœur ce qu’il aime. Il n’y a point de plus grand signe que deux cœurs soient bien d’accord, sinon quand ils aiment une même chose. Vous entendez bien, si nous étions ennemis, lui et moi, ou si n’avions point de113 familiarité l’un à l’autre, je n’aurois pas l’opportunité de vous voir, de ne vous parler si souvent. Ainsi le bon vouloir que j’ai vers lui, étant cause de la grand’amour que je vous porte, ne doit pas être cause que vous me laissiez mourir en vous aimant. Quant au tiers, vous savez, madame, qu’à cœur vaillant rien n’est impossible. Avisez donc que c’est qui pourroit échapper à deux cœurs soumis à l’amour, lequel est un seigneur qui fait si bien valoir ses sujets.» Pour abréger, Beaufort lui conta si honnêtement son cas, qu’honnêtement elle ne l’eût su refuser. Et demeurèrent les affaires en tel point, que la jeune dame fut vaincue d’une force volontaire; si qu’il ne restoit plus qu’à trouver quelque bonne opportunité de mettre leur entreprise à exécution. Ils avisèrent les moyens uns et autres; mais quand ce venoit à les faire bons, dame Pernette gâtoit tout; car elle avoit deux yeux qui valoient bien tous ceux du gardien de la fille d’Inache200. Et puis, d’user de finesses que Beaufort avoit autrefois faites, il n’y avoit ordre, car le mari les savoit toutes par cœur. Toutefois il s’ingénia tant, qu’il en avisa une qui lui sembla assez bonne. Ce fut que, sachant bien qu’en toutes bonnes entreprises d’amours il y faut un tiers, il se découvre à un sien ami, jeune homme, marchand de draps de soie et encore non marié, demeurant en une maison que son père lui avoit naguère laissée au bout du pont Notre-Dame; et même étoit bien connu du mari. Un jour de Toussaint, comme il avoit été avisé entre les parties, la jeune femme, que le dieu d’amour conduisoit, partit de sa maison sur l’heure du sermon, pour aller ouïr un docteur201 qui prê114choit à Saint-Jean en Grève, et qui avoit grand’presse; et le mari demeura en sa maison pour quelque sien affaire. Ainsi que la dame passoit par devant la maison du sire Henri (ainsi s’appeloit le marchand), voici qu’il lui fut jeté (selon que le mystère avoit été dressé) un plein seau d’eau, qui lui couvrait toute la personne; et fut jeté si à point, que tous ceux qui le virent cuidèrent bien que ce fut par inconvénient. «O lasse202! dit-elle, dame Pernette, je suis diffamée203! Eh! que ferai-je?» Le plus vite fut qu’elle se jetât dedans la maison du sire Henri, et dit à dame Pernette: «M’amie, courez vitement me quérir ma robe fourrée d’agneau crépée204; je vous attendrai ici chez le sire Henri.» La vieille y va; et la dame monte en haut, où elle trouva un fort beau feu, que son ami lui avoit fait apprêter; lequel ne lui donna pas le loisir de se dévêtir, qu’il la jette sur un lit qui étoit là auprès du feu: là où pensez qu’ils ne perdirent point temps, et si eurent assez bon loisir de bien faire avant que la vieille fût allée et venue, et prins robe et tous autres accoutrements. Le mari étant à la maison, entendit que dame Pernette étoit en la chambre de devant; laquelle faisoit son affaire sans lui en dire rien, de peur qu’il se fâchât d’aventure. Il vient, et trouve la bonne Pernette, et commence à lui dire: «Que faites-vous ici? où est ma femme?» Dame Pernette lui conte ce qui lui étoit advenu, et qu’elle étoit venue quérir des habillements pour elle: «O de par le diable! dit-il, en fongnant205; voilà un tour de finesse qui n’étoit 115point encore en mon papier: je les savois tous, fors celui-là. Je suis bien accoutré! Il ne faut qu’une méchante heure pour faire un homme cocu. Allez-vous-en à elle, et je lui enverrai le reste par un garçon.» Dame Pernette y va; mais il n’étoit plus temps, car Beaufort avoit fait une partie de ses affaires, et se sauva par un huis de derrière, selon l’avertissement qu’il eut par celui qui faisoit le guet pour voir venir dame Pernette; laquelle, quand elle fut venue, n’y connut rien; car combien que la jeune dame fût un petit en couleur, elle pensa que ce fût de la chaleur du feu: aussi étoit-ce, mais c’étoit du feu qui ne s’éteint pas pour l’eau de la rivière.


NOUVELLE XIX.

De l’avocat en parlement qui fit abattre sa barbe pour la pareille; et du dîner qu’il donna à ses amis.

Un avocat en parlement, qui étoit bien au compte de la douzaine206, plaidoit une cause devant M. le président Lizet207, naguère décédé208, abbé de Saint-Victor prope muros209. Et parce que c’étoit une cause d’importance, il 116plaidoit d’affection; esquelles causes est toujours avis aux avocats, qu’ils ne sauroient trop expressément parler pour le profit des parties et pour leur honneur; et, pour ce, il redisoit d’aventure quelque point déjà allégué, craignant (possible) qu’il n’eût pas été prins de la Cour (ce qu’il ne faut pas craindre à Paris), de sorte que le président se levoit pour aller au conseil. L’avocat, ayant la matière à cœur, disoit: «Monsieur le président, encore un mot.» Le président n’oyoit point: mais étoit aux opinions de Messieurs. L’avocat, étant affectionné, va dire: «Monsieur le président, un mot: eh! un mot pour la pareille210.» Quand le président entendit parler de pareille (pour laquelle honnêtement ne se doit rien refuser), il demeure à écouter l’avocat tout à son gré, pour lui faire entendre qu’il vouloit bien faire quelque chose pour lui à la pareille. De quoi il fut bien ris. Et Dieu sait s’il eût voulu retenir sa pareille! Toutefois il dit ce qu’il vouloit dire. Et s’il gagna ou perdit pour la pareille, le conte n’en dit rien; mais bien dit que l’avocat dont est question portoit longue barbe, chose, encore qu’elle ne fût plus nouvelle, car assez d’autres en portoient, et de l’état même d’avocat, toutefois ne plaisoit pas à M. Lizet; parce que de son règne avoit été fait l’édit des Barbes211; lequel pourtant 117n’avoit pas tenu longuement; car on suivoit la mode de cour, là où chacun portoit barbe indifféremment. Suivant propos, il advint que, de là à quelques jours, l’avocat même plaidoit une autre cause (ledit seigneur président étant alors en ses bonnes); lequel, quand ce vint à prononcer l’arrêt, y ajouta une queue, en disant: «Et quand et quand, et pareillement, Jaquelot212, vous ferez cette barbe?» Et, avec une petite pausette, dit: «Pour la pareille.» De quoi il fut encore mieux ris qu’il n’avoit été la première fois; car cette pareille étoit encore de fraîche mémoire. Il fut contraint d’abattre sa barbe; autrement, il n’eût jamais eu patience à M. le président, auquel il devoit cette pareille. Environ ce même temps, Jaquelot se trouva en compagnie de gens de bonne chère, faisant le sixième en la maison de l’abbé Chatelus, là où ils déjeûnèrent, mais assez sommairement, parce que possible ne se trouvèrent pas viandes prêtes sus l’heure, et qu’ils étoient tous familiers; desquels Chatelus se dispensa privément. Jaquelot, au départir, les convia à dîner, et appela encore quelques-uns de ses amis, qui dînèrent tous ensemble familièrement. Et y étoit entre autres un personnage213 dont le nom est bien connu en France, tant pour son titre d’honneur que de son savoir, lequel avoit été au déjeûner de Chatelus. Et, de sa part, je crois bien 118qu’il se contentoit bien de chacun des traitements; car les hommes de respect prennent garde à la bonne chère214 des personnes plus qu’à l’exquisition des viandes. Toutefois, par manière de passe-temps, il en fit une épigramme.

Chatelus donne à déjeuner
A six, pour moins d’un carolus,
Et Jaquelot donne à dîner
A plus pour moins que Chatelus.
Après ce repas dissolu,
Chacun s’en va gai et fallot:
Qui me perdra chez Chatelus
Ne me cherche chez Jaquelot.

NOUVELLE XX.

De Gillet le menuisier: comment il se vengea du lévrier qui lui venoit manger son dîner.

Un menuisier de Poitiers, nommé Gillet, qui travailloit pour gagner sa vie le mieux qu’il pouvoit, ayant perdu sa femme, qui lui avoit laissé une fille de l’âge de neuf à dix ans, se passoit du service d’elle, et n’avoit autre valet ni chambrière. Il faisoit sa provision le samedi de ce qu’il lui falloit pour la semaine; et mettoit, de bon matin, sa petite potée au feu, que sa fille faisoit cuire; et se trouvoit aussi bien de son ordinaire comme un plus riche du sien. Or, il se dit en commun langage, qu’il ne fait pas bon avoir voisin trop pauvre ni trop riche; car, s’il est pauvre, il sera toujours à vous demander, sans vous pouvoir secourir de rien; s’il est trop riche, il vous tiendra en subjétion, et vous faudra endurer de lui, et ne l’oserez emprunter de rien. Ce menuisier avoit pour voisin un 119gentilhomme de ville; lequel étoit un petit trop grand seigneur pour lui, et tenoit grand train d’allants et venants215 et de valets; et, d’autant qu’il aimoit la chasse, il tenoit des chiens en sa maison, pour ce qu’il ne lui falloit pas sortir loin de la ville pour avoir son passe-temps du lièvre. Entre ces chiens, y avoit un lévrier fort méfaisant216, qui entroit partout; et ne trouvoit rien trop chaud ne trop pesant; pain, chair, fourmage, tout lui étoit fourrage. Et le pauvre menuisier en étoit le plus foulé, car il n’y avoit que la muraille entre le gentilhomme et lui: au moyen de quoi, ce lévrier se fourroit à toute heure chez lui, et emportoit tout ce qu’il trouvoit. Et même, ce lévrier avoit cette astuce, que de la patte il renversoit le pot qui bouilloit au feu, et en prenoit la chair, et s’en alloit à-tout; dont bien souvent le pauvre Gillet étoit mal dîné: chose qui lui fâchoit fort, qu’après avoir travaillé toute la matinée, il fût desservi, avant se mettre à table. Et le pis étoit qu’il ne s’en osoit plaindre. Mais il proposa de s’en venger, quoi qu’il en dût advenir. Un jour qu’il vit entrer ce lévrier, qui alloit à sa prise, il s’en va après, sans faire grand bruit, avec une grosse limande217 carrée en sa main; et le trouve qu’il étoit environ son pot, à tirer la chair qui étoit dedans. Il ferme la porte bien à point, et vous attrape ce lévrier; auquel, en moins de rien, donna cinq ou six coups de cette limande sur les reins, et ne s’y feignit point218. Et tout incontinent il laisse sa limande et print une houssine en la main, qui n’étoit pas plus grosse que le 120doigt, longue d’une aune ou environ, et ouvre l’huis au lévrier, qui crioit à gueule ouverte, comme errené219 qu’il étoit. Ce menuisier couroit après, avec sa houssine, dont il le frappoit toujours, et le poursuivit jusques en la rue en disant: «Vous n’irez pas, monsieur le lévrier. Si vous y retournez! Vous venez manger ici mon dîner!» Faisant semblant qu’il ne l’avoit frappé que de la verge. Mais ç’avoit été d’une verge souple comme un pied de selle220, dont il avoit accoutré le lévrier; si que le gentilhomme ne mangea depuis lièvre de sa prise.


NOUVELLE XXI.

Du savetier Blondeau, qui ne fut oncques en sa vie mélancolique que deux fois; et comment il y pourvut; et son épitaphe.

A Paris sus Seine trois bateaux y a221, mais il y avoit aussi un savetier que l’on appeloit Blondeau, lequel avoit sa loge près la Croix du Tiroir222; là où il refaisoit les souliers, gagnant sa vie joyeusement, et aimant le bon vin surtout; et l’enseignoit voulentiers à ceux qui y alloient. Car, s’il y en avoit en tout le quartier, il falloit qu’il en tâtat; et étoit content d’en avoir davantage et qu’il fût bon. Tout le long du jour, il chantoit et réjouissoit tout le voisiné223. Il ne fut oncques vu en sa vie marri, que deux fois, l’une quand il eut trouvé en une vieille mu121raille un pot de fer, auquel il y avoit grande quantité de pièces antiques de monnoie, les unes d’argent, les autres d’aloi224, desquelles il ne savoit la valeur. Lors il commença de devenir pensif. Il ne chantoit plus; il ne songeoit plus qu’en ce pot de quincaille225. Il fantasioit226 en soi-même: «La monnoie n’est pas de mise. Je n’en saurois avoir ni pain ni vin. Si je la montre aux orfèvres, ils me décèleront, ou ils en voudront avoir leur part, et ne m’en bailleront pas la moitié de ce qu’elle vaut.» Tantôt il craignoit de n’avoir pas bien caché ce pot et qu’on le lui dérobât. A toutes heures il partoit de sa tente227, pour l’aller remuer. Il étoit en la plus grand’ peine du monde; mais à la fin il se vint à reconnoître, disant en soi-même: «Comment! je ne fais que penser en mon pot! Les gens connoissent bien, à ma façon, qu’il y a quelque chose de nouveau en mon cas. Bah! le diable y ait part au pot! il me porte malheur.» En effet, il le va prendre gentiment, et le jette en la rivière; et noya toute sa mélancolie avec ce pot. Une autre fois, il se trouva fâché contre un monsieur qui demouroit tout vis-à-vis de sa logette; au moins il avoit sa logette tout vis-à-vis de monsieur, lequel quidam monsieur avoit un singe qui faisoit mille maux au pauvre Blondeau, car il l’épioit d’une fenêtre haute, quand il tailloit son cuir, et regardoit comme il faisoit. Et aussitôt que Blondeau étoit allé dîner, ou en quelque part à son affaire, ce singe descendoit et venoit en la loge de Blondeau, et prenoit son tranchet, et découpoit le cuir de Blondeau comme il l’avoit vu faire. Et de cela faisoit 122coutume à tous les coups228 que Blondeau s’écartoit: de sorte que le pauvre homme fut tout un temps qu’il n’osoit aller boire ni manger hors de sa boutique sans enfermer son cuir. Et si quelquefois il oublioit à le serrer, le singe n’oublioit pas à le lui tailler en lopins: chose qui lui fâchoit fort; et si n’osoit pas faire mal à ce singe, par crainte de son maître. Quand il en fut bien ennuyé, il délibéra de s’en venger, s’étant bien aperçu de la manière qu’avoit ce singe, qui étoit de faire en la propre sorte qu’il voyoit faire: car si Blondeau avoit aiguisé son tranchet, ce singe l’aiguisoit après lui; s’il avoit poissé du ligneul229, aussi faisoit ce singe; et s’il avoit cousu quelque carrelure, ce singe s’en venoit jouer des coudes, comme il lui avoit vu faire. A l’une des fois, Blondeau aiguisa un tranchet, et le fit couper comme un rasoir. Et puis, à l’heure qu’il vit ce singe en aguet230, il commença à se mettre ce tranchet contre la gorge, et le mener et ramener, comme s’il se fût voulu égosiller231. Et quand il eut fait cela assez longuement pour le faire aviser à ce singe, il s’en part de sa boutique, et s’en va dîner. Ce singe ne faillit pas incontinent à descendre; car il vouloit s’ébattre à ce nouveau passe-temps qu’il n’avoit point encore vu faire. Il vint prendre ce tranchet, et tout incontinent se le met contre la gorge, en le menant et ramenant comme il avoit vu faire à Blondeau. Mais il l’approcha trop près; et ne se print garde qu’en le frayant contre sa gorge, il se coupe le gosier de ce tranchet, qui étoit si bien effilé: dont il mourut avant qu’il fût une heure de là. Ainsi Blondeau fut vengé de son singe sans danger, et se remit à sa cou123tume première de chanter et faire bonne chère, laquelle lui dura jusqu’à la mort. Et en la souvenance de la joyeuse vie qu’il avoit menée, fut fait un épitaphe de lui, tel que s’en suit.

Ci-dessous gît en ce tombeau
Un savetier nommé Blondeau,
Qui en son temps rien n’amassa,
Et puis après il trépassa.
Marris en furent les voisins,
Car il enseignoit les bons vins.

NOUVELLE XXII.

De trois frères qui cuidèrent être pendus pour leur latin.

Trois frères de maison avoient longuement demeuré à Paris, mais ils avoient perdu tout leur temps à courir, à jouer et à folâtrer. Advint que leur père les manda tous trois pour s’en venir; dont ils furent fort surpris; car ils ne savoient un seul mot de latin. Mais ils prindrent complot d’en apprendre chacun un mot pour leur provision. Savoir est, le plus grand apprint à dire: Nos tres clerici232. Le second print son thème sur l’argent, et apprint: Pro bursa et pecunia233. Le tiers, en passant par l’église, retint le mot de la grand’messe: Dignum et justum est234. Et là-dessus partirent de Paris, ainsi bien pourvus, pour aller voir leur père; et conclurent ensemble que, partout où ils se trouveroient, et à toutes sortes de gens, ils ne parleroient autre chose que leur latin; se voulant faire estimer par là les plus grands clercs de tout le pays. Or, 124comme ils passoient par un bois, il se trouva que les brigands avoient coupé la gorge à un homme et l’avoient laissé là après l’avoir détroussé. Le prévôt des maréchaux étoit après avec ses gens, qui trouva ces trois compagnons près de là où le meurdre235 s’étoit fait, et où gisoit le corps mort. «Venez çà, dit-il. Qui a tué cet homme?» Incontinent le plus grand, à qui l’honneur appartenoit de parler le premier, va dire: «Nos tres clerici.—O ho! dit le prévôt: et pourquoi l’avez-vous fait?—Pro bursa et pecunia, dit le second.—Eh bien! dit le prévôt, vous en serez pendus.—Dignum et justum est, dit le tiers.» Ainsi les pauvres gens eussent été pendus à crédit, n’eût été que, quand ils virent que c’étoit à bon escient, ils commencèrent à parler le latin de leur mère236, et à dire qui ils étoient. Le prévôt, qui les vit jeunes et peu fins, connut bien que ce n’avoit pas été eux, et les laissa aller, et fit la poursuite des voleurs qui avoient fait le meurdre. Mais les trouva-t-il? Et qu’en sais-je? mon ami, je n’y étois pas.


NOUVELLE XXIII.

Du jeune fils qui fit valoir le beau latin que son curé lui avoit montré237.

Un laboureur riche, après avoir tenu son fils quelques années à Paris, le manda quérir par le conseil de son curé. Quand il fut venu, le père, qui étoit jà vieux, fut joyeux de le voir, et ne faillit à envoyer incontinent quérir monsieur le curé à dîner, pour lui faire fête de son fils. Le curé vint, qui vit le jeune enfant, et lui dit: 125«Vous soyez le bienvenu, mon ami. Je suis bien aise de vous voir. Or çà, dînons, et puis nous parlerons à vous.» Ils dinèrent très-bien. Après dîner, le père dit au curé: «Monsieur le curé, vous voyez ce garçon, je l’ai fait venir de Paris: comme vous m’aviez conseillé, il y aura trois ans à cette Chandeleur qu’il y alla. Je voudrois bien savoir s’il a proufité; mais j’ai grand’peur qu’il ne veuille rien valoir. J’en voulois faire un prêtre: je vous prie, monsieur le curé, de l’interroger un petit pour savoir comment il a employé son temps.—Oui dà, mon compère, dit le curé, je le ferai pour l’amour de vous.» Et sur-le-champ, et en la présence du bonhomme, fit approcher le jeune fils: «Or çà, dit-il, vos régents de Paris sont grands latins. Que je voie comment ils vous ont apprins? Puisque votre père veut vous faire prêtre, j’en suis bien aise; mais dites-moi un peu en latin un prêtre; vous le devez bien savoir?» Le jeune fils lui répondit sacerdos. «Eh bien! dit le curé, ce n’est pas trop mal dit; car il est écrit: Ecce sacerdos magnus; mais prestolus est bien plus élégant et plus propre; car vous savez bien qu’un prêtre porte l’étole. Or çà, dites-moi en latin un chat.» (Le curé voyoit le chat au long du feu.) L’enfant répond catus, felis, murilegus. Le curé, pour donner à entendre au père qu’il savoit bien plus qu’ils ne savoient pas à Paris, dit au jeune fils: «Mon ami, je pense bien que vos régents vous ont ainsi montré; mais il y a bien un meilleur mot: c’est mitis238. Car vous savez bien qu’il n’est rien tant privé qu’un chat, et même la queue, qui est souève239 quand on la manie, s’appelle suavis. Or çà, comment est-ce en latin, du feu?» L’enfant répond ignis. «Non, non, 126dit le curé, c’est gaudium, car le feu réjouit. Ne voyez-vous pas comme nous sommes ici à notre aise auprès du feu? Or çà, de l’eau, comme s’appelle-t-elle en latin?» L’enfant lui dit aqua. «C’est mieux dit abundantia, dit le curé. Car vous savez qu’il n’y a chose plus abondante que l’eau. Or çà, un lit?» L’enfant dit lectus. «Lectus! dit le curé; vous ne parlez que le latin tout vulgaire, il n’y a enfant qui n’en dît bien autant. N’en savez-vous point d’autre?» L’enfant répond torus. «Encore n’y êtes-vous pas, dit le curé. N’en savez-vous point d’autre?» L’enfant dit cubile. «Encore n’y êtes-vous pas.» A la fin, quand il n’eut plus rien à lui dire pour le latin d’un lit: «Jean, je vous le vois240 dire, dit le curé; c’est requies, mon ami; pource qu’on y dort et qu’on y prend son repos.» Ce pendant que le curé l’interrogeoit ainsi avec ses or çà, le bonhomme de père ne faisoit pas guère bonne chère241, et eût voulentiers battu son fils, et pensoit qu’il avoit perdu son argent. Mais le curé, le voyant fâché, lui dit: «Non, non, compère, il n’a pas mal proufité; je sais bien qu’on lui a ainsi montré comme il dit; il ne répond pas trop mal; mais il y a latin et latin, dea! Je sais des mots de latin dont ils n’ouïrent jamais parler à Paris. Envoyez-le-moi souvent, je lui apprendrai des choses qu’il ne sait pas encore; et vous verrez que, devant qu’il soit trois mois, je l’aurai rendu bien autre qu’il n’est.» Le jeune enfant cependant n’osoit pas répliquer, pource qu’il étoit craintif et honteux; mais il n’en pensoit pas moins pourtant. De là à quelques jours, le curé fit tuer un pourceau gras, et envoya quérir à dîner le bonhomme de père pour lui donner des charbonnées242 et des boudins, et 127lui manda qu’il ne faillît pas à mener son fils. Ils vinrent et dînèrent. Le jeune fils, qui avoit bien retenu le latin que lui avoit enseigné le curé, et qui avoit déjà songé la manière de le mettre en exécution pratique, s’étant levé de table de bonne heure, va gentiment prendre le chat, et lui ayant attaché un bouchon de paille à la queue, met le feu dedans la paille avec une allumette, et vous laisse aller ce chat, qui se print à fuir comme s’il eût eu le feu au cul. Le premier lieu où il se fourre, ce fut sous le lit du curé, là où le feu fut bientôt pris. Quand le jeune fils connut qu’il étoit temps d’adopérer243 son latin, il s’en vint vitement au curé, et lui dit: «Prestole, mitis habet gaudium in suavi: quod si abundantia non est, tu amittis tuum requiem.» Ce fut au curé à courir, voyant le feu déjà grand; et, par ce moyen, le jeune fils approufita le latin que lui avoit apprins M. le curé, pour lui apprendre à ne le faire plus infâme244 devant son père.


NOUVELLE XXIV.

D’un prêtre qui ne disoit autre mot que Jésus en son Évangile.

En une paroisse du diocèse du Mans, laquelle se demande245 Saint-Georges, y avoit un prêtre qui autrefois avoit été marié; et depuis que sa femme fut morte, pour mieux faire son devoir de prier Dieu pour elle, et aussi pour gagner une messe qu’elle avoit ordonné par son testament être dite en l’église parrochiale246, se voulut faire d’église. Et combien qu’il ne sût du latin que pour sa 128provision, encore pas, toutefois il faisoit comme les autres et venoit à bout de ses messes au moins mal qu’il lui étoit possible. Un jour de bonne fête, vint à Saint-Georges un gentilhomme, pour quelque affaire qu’il y avoit, et arriva entre les deux messes; et pource qu’il n’avoit bonnement loisir d’attendre la grand’messe, voulut en faire dire une basse, et commanda à son homme de lui trouver un prêtre pour la lui dire; lequel s’adressa à cettui-ci duquel nous parlons, qui étoit prêt comme un chandelier247. Et combien qu’il ne sût que ses messes de Requiem, de Notre-Dame et du Saint-Esprit, toutefois il n’en faisoit jamais semblant de rien, de peur de perdre ses six blancs248. Il se vêt, il commence sa messe, il se dépêche de l’Introït, combien qu’il lui coûtât assez; l’Epitre encore plus. Mais le gentilhomme n’y prenoit bonnement garde, étant empêché à dire ses Heures; jusqu’à ce que vint l’Évangile, lequel n’étoit pas bien à l’usage du prêtre; car il ne l’avoit jamais dit que trois ou quatre fois; au moyen de quoi il étoit fort empêché, sachant bien qu’on l’écoutoit; qui étoit cause que la crainte lui faisoit encore plus fourcher sa langue. Il disoit cet Évangile si pesamment, et trouvoit tant de mots nouveaux et longs à épeler, qu’il étoit contraint d’en laisser la moitié; et vous disoit à tous coups Jesus, encore qu’il n’y fût point. A la fin il s’en tira à bien grand’peine, et acheva sa messe comme il put. Le gentilhomme, ayant noté la souffisance249 de ce bon capelan250, le fit payer de sa messe, et dit à son homme qu’il le fît venir chez le curé pour dîner avec lui, quand la grand129’messe seroit dite. Ce qu’il fit voulentiers; car qui baille six blancs à un homme et lui donne bien à dîner, il lui donne la valeur de cinq bons sols à proufit de ménage. En dînant, le gentilhomme vint en propos de la messe et du service du jour, et se print à dire: «Messire Jean, l’Évangile du jour d’hui étoit fort dévotieux: il y avoit beaucoup de Jésus!» Lors, messire Jean, qui étoit un peu regaillardi, tant pour la familiarité du gentilhomme que pour la bonne chère qu’il avoit faite, lui dit: «J’entends déjà bien là où vous voulez venir, monsieur; mais je vous dirai, monsieur, il n’y a encore que trois ans que je suis prêtre, monsieur; je ne suis pas encore si bien stylé, monsieur, comme ceux qui l’ont été vingt ou trente ans, monsieur. L’Évangile du jour d’hui, monsieur, pour dire vérité, je ne l’avois point encore vu, monsieur, que trois ou quatre fois, comme il y en a beaucoup d’autres au messel251, monsieur, qui sont un peu mal aisés, monsieur. Mais quand je dis la messe, monsieur, devant les gens, monsieur, de bien, et qu’en l’Évangile il y a de ces mots difficiles à lire, monsieur, je les saute, monsieur, de peur de faire la messe trop longue, monsieur; mais je dis Jesus au lieu, qui vaut mieux, monsieur.—Vraiment, dit le gentilhomme, messire Jean, vous avez bien cause d’avoir raison. Quand je viendrai ici, je veux toujours ouïr votre messe: j’en vais boire à vous.—Grand merci, dit messire Jean: et ego cum vos. Prou252 vous fasse, monsieur, quand vous aurez affaire de moi, monsieur! je vous servirai aussi bien que prêtre, monsieur, de cette paroisse.» Et ainsi print congé, gai comme Pérot253.


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NOUVELLE XXV.

De maître Pierre Fai-feu254, qui eut des bottes qui ne lui coûtèrent rien; et des copieux de la Flèche en Anjou.

N’a pas encore long-temps que régnoit en la ville d’Angers un bon affieux de chiendent255, nommé maître Pierre Fai-feu, homme plein de bons mots et de bonnes inventions, et qui ne faisoit pas grand mal, fors que quelques fois il usoit des tours villoniques256; car, pour mettre comme un homme habile le bien d’autrui avec le sien, et vous laisser sans croix ni pile, maître Pierre le faisoit bien257, et trouvoit fort bon le proverbe qui dit que tous biens sont communs, et qu’il n’y a que manière de les avoir. Il est vrai qu’il le faisoit si dextrement, et d’une si gentille fa131çon, qu’on ne lui en pouvoit savoir mauvais gré, et ne s’en faisoit-on que rire, en s’en donnant garde pourtant, qui pouvoit. Il seroit long à raconter les bons tours qu’il a faits en sa vie. Mais j’en dirai un qui n’est pas des pires, afin que vous puissiez juger que les autres devoient valoir quelque chose. Il se trouva, une fois entre toutes, si pressé de partir de la ville d’Angers, qu’il n’eut pas loisir de prendre des bottes. Comment, des bottes! il n’eut pas le loisir de faire seller son cheval; car on le suivoit un peu de près; mais il étoit si accort et si inventif, qu’incontinent qu’il fut à deux jets d’arc de la ville, trouva façon d’avoir une jument d’un pauvre homme, qui s’en retournoit dessus en son village, lui disant qu’il s’en alloit par là, et qu’il la laisseroit à sa femme en passant; et pource qu’il faisoit un peu mauvais temps, il entra en une grange, et en grande diligence fit de belles bottes de foin, toutes neuves, et monte sur sa jument, et pique; au moins talonne tant, qu’il arriva à la Flèche, tout mouillé et tout mal en point, qui n’étoit pas ce qu’il aimoit; dont il se trouvoit tout peneux. Encore pour amender son marché258, en passant tout le long de la ville, où il étoit connu comme un loup gris et ailleurs avec, les copieux (ainsi ont-ils été nommés pour leurs gaudisseries259) commencèrent à le vous railler de bonne sorte: «Maître Pierre, disoient-ils, il seroit bon à cette heure parler à vous; vous 132êtes bien attrempé260.» L’autre lui disoit: «Maître Pierre, ton épée vous chet.» L’autre: «Vous êtes monté comme un saint Georges, à cheval sur une jument.» Mais, par-dessus tous, les cordouanniers se moquoient de ses bottes. «Ah! vraiment, disoient-ils, il fera bon temps pour nous: les chevaux mangeront les bottes de leurs maîtres.» Mon M. Pierre étoit mené, qu’il ne touchoit de pied en terre261, et d’autant plus voulentiers se prenoient à lui, qu’il étoit celui qui gaudissoit les autres. Il print patience, et se sauve en l’hôtellerie pour se faire traiter. Quand il fut un petit revenu auprès du feu, il commence à songer comment il auroit sa revanche de ces copieux, qui lui avoient ainsi fait la bienvenue. Si lui souvint d’un bon moyen que le temps et la nécessité lui présentoient pour se venger des cordouanniers, en attendant que Dieu lui donnât son recours contre les autres. Ce fut qu’ayant faute de bottes de cuir, il imagina une invention de se faire botter par les cordouanniers à leurs dépens. Il demanda à l’hôte (comme s’il n’eût guère bien connu la ville) s’il n’y avoit cordouanniers là auprès, faisant semblant d’être parti d’Angers en diligence, pour quelque affaire qu’il lui dit, et qu’il n’avoit eu le loisir de se houser ni éperonner. L’hôte lui répondit, qu’il y avoit des cordouanniers à choisir. «Pour Dieu! ce dit maître Pierre, envoyez m’en quérir un, mon hôte.» Ce qu’il fit. Il en vient un, lequel, de bonne aventure, étoit l’un de ceux qui l’avoient ainsi bien lardé à sa venue. «Mon ami, dit maître Pierre, ne me feras-tu pas bien une paire de bottes pour demain le 133matin?—Oui dà, monsieur, dit le cordouannier.—Mais je les voudrois avoir une heure devant jour.—Monsieur, vous les aurez à telle heure et si bon matin que vous voudrez.—Eh! mon ami, je t’en prie, dépêche-les-moi, je te paierai à tes mots262.» Le cordouannier lui prend sa mesure et s’en va. Incontinent qu’il fut départi, maître Pierre envoie par un autre valet quérir un autre cordouannier, faisant semblant qu’il n’avoit pas pu accorder avec celui qui étoit venu. Le cordouannier vint, auquel il dit tout ainsi qu’à l’autre, qu’il lui fît venir une paire de bottes pour le lendemain une heure devant le jour, et qu’il ne lui challoit qu’elles coûtassent, pourvu qu’il ne lui faillît point, et qu’elles fussent de bonne vache de cuir263, et lui dit la même façon dont il les vouloit qu’il avoit dit à l’autre. Après lui avoir prins la mesure, le cordouannier s’en va, et mes deux cordouanniers travaillèrent toute la nuit, environ264 ces bottes, ne sachant rien l’un de l’autre. Le lendemain matin, à l’heure dite, il envoya quérir le cordouannier, qui apporta ses bottes. Maître Pierre se fait chausser celle de la jambe droite, qui lui étoit faite comme un gant ou comme de cire, ou comme vous voudrez; car les bottes ne seroient pas bonnes de cire. Contentez-vous qu’elle lui étoit moult bien faite. Mais quand ce vint à chausser celle de la jambe gauche, il fait semblant d’avoir mal à la jambe: «Oh! mon ami, tu me blesses! j’ai cette jambe un petit enflée d’une humeur qui m’est descendue dessus; j’avois oublié à te le dire, la botte est trop étroite; mais il y a bon remède. Mon ami, va la remettre à l’embauchoir; je t’attendrai 134plutôt une heure.» Quand le cordouannier fut sorti, maître Pierre se déchausse vitement la botte droite, et mande quérir l’autre cordouannier, et, ce pendant, fit tenir sa monture toute prête, et compta et paya. Voici venir le second cordouannier avec ses bottes. Maître Pierre se fait chausser celle de la jambe gauche, laquelle se trouva merveilleusement bien faite; mais, à celle de la jambe droite, il fit telle fourbe comme il avoit fait à l’autre, et renvoie cette botte droite pour être élargie. Incontinent que le cordouannier s’en fut allé, maître Pierre reprend sa botte de la jambe droite et monte à cheval sur sa jument, et va vie265 avec ses bottes et des éperons, lesquels il avoit achetés, car il n’avoit pas loisir de tromper tant de gens à un coup; et de piquer. Il étoit déjà à une lieue, quand mes deux cordouanniers se trouvèrent à l’hôtellerie, avec chacun une botte en la main, qui s’entre-demandèrent pour qui étoit la botte: «C’est, ce dit l’un, pour maître Pierre Fai-feu, qui me l’a fait élargir parce qu’elle le blessoit.—Comment! dit l’autre, je lui ai élargi celle-ci.—Tu te trompes; ce n’est pas pour lui que tu as besogné.—Si est, si est, dit-il. N’ai-je pas parlé à lui? Ne le connois-je pas bien?» Tandis qu’ils étoient à ce débat, l’hôte vint, qui leur demande que c’étoit qu’ils attendoient. «C’est une botte pour maître Pierre Fai-feu, que je lui rapporte,» dit l’un. Et l’autre en disoit autant. «Vous attendrez donc qu’il repasse par ici, dit l’hôte; car il est bien loin, s’il va toujours.» Dieu sait si les deux cordouanniers se trouvèrent camus266. «Et que ferons-nous de nos bottes?» se disoient-ils l’un à l’autre. Ils s’avisèrent de les jouer à belle condemnade267, parce qu’elles 135étoient toutes deux d’une même façon. Et maître Pierre échappe de hait268, qui étoit un petit mieux en équipage que le jour de devant.


NOUVELLE XXVI.

De maître Arnaud, qui emmena la haquenée d’un Italien en Lorraine, et la rendit au bout de neuf mois.

Il y avoit en Avignon un tel averlan269. Je ne sais s’ils avoient été ensemble à même école, maître Pierre Fai-feu et lui; mais tant il y a qu’ils faisoient d’aussi bons tours l’un comme l’autre; et si n’étoient pas loin d’un même temps. Cettui-ci s’appeloit maître Arnaud, lequel même usa en Avignon de la propre pratique d’avoir des bottes, que nous avons dit; et si n’étoit point si pressé de partir comme maître Pierre; mais un jour, voulant faire un voyage en Lorraine, le disoit à tout le monde. Et, pource qu’il ne se tenoit jamais garni de rien, s’assurant en ses inventions, on pensoit qu’il se moquât. Quand il avoit un manteau, on lui demandoit où il prendroit des bottes; s’il avoit des bottes, on lui demandoit où il prendroit un chapeau; et puis de l’argent, qui étoit la clef du métier. Mais cependant il trouvoit de tout; tellement que, pour son voyage de Lorraine, il se trouva prêt petit à petit de tout ce qu’il lui falloit; fors qu’il n’avoit point de cheval. Mais, se fiant bien que Dieu ne l’oublieroit au besoin, il se tenoit toujours botté comme un messager, se promenant par ci, par là, faisant semblant de dire adieu à ses amis. Mais il épioit sa proie, qui étoit à avoir un cheval par quelque bonne fortune. Ceux qui le connoissoient lui disoient en riant: «Or çà, maître Arnaud, vous irez en Lorraine quand vous 136aurez un cheval; vous êtes botté pour coucher en cette ville.—Eh bien, bien! disoit-il, laissez faire; je partirai quand il sera temps.» Mon homme pensoit tout au contraire des gens; car ce qu’on cuidoit qui lui fût le plus mal aisé à recouvrer, il l’estimoit le plus facile: ce qu’il montra bien; car, quand il vit son appoint270, il s’en vint, environ les neuf heures du matin, devant le Palais, là où quelques missères271 étaient entrés le matin pour les affaires de la légation272, lesquels sont quasi tous Italiens, qui sur une haquenée, et qui sur une mule; principalement les vieilles personnes, car les jeunes s’en peuvent bien passer. Or, il y en a toujours quelqu’une de mal gardée; car les laquais les attachent à quelque boucle contre la muraille, et s’en vont jouer ou ivrogner, en attendant qu’il soit heure de venir quérir leur maître. A l’heure susdite, maître Arnaud vit là quelques montures, parmi lesquelles y avoit une haquenée bien jolie, qui lui plut sur toutes les autres; laquelle étoit à un Italien qu’il connoissoit être bonne personne. Et voyant que le valet n’y étoit pas, il s’approche de cette haquenée, et, en la détachant, lui demanda si elle vouloit venir en Lorraine. Cette haquenée ne dit mot et se laisse détacher. Et mon homme, qui étoit légiste, prit à son proufit le brocard de droit273: Qui tacet, consentire videtur; et commença à mener cette haquenée par la bride, hors de la place du Palais, en tirant sur le pont274 137où j’ouïs chanter la belle. Quand il se vit hors des yeux de ceux qui la lui avoient vu prendre, il monte habilement dessus, et devant275, à Villeneuve, qui est hors de la juridiction du pape; et de là pique le plus droit qu’il peut le chemin de Lorraine, là où il arriva, par ses journées, à joie et santé; et y demeura huit ou neuf mois sans envoyer de ses nouvelles à misser Juliano, qui fut bien ébahi, à l’issue du Palais, quand il ne trouva point sa haquenée, et encore plus quand il n’en oyoit point de nouvelles, un jour, deux jours, un mois, deux mois, trois mois; tellement qu’à la fin il fut contraint d’accepter une mule; car il étoit vieux et mal aisé de sa personne. Et cependant, maître Arnaud lui entretenoit sa haquenée, et lui faisoit gagner son avoine. Au bout du terme des femmes grosses276, maître Arnaud, ayant dépêché ses affaires en Lorraine, s’en retourna en Avignon sus ladite haquenée; et pour faire son entrée en la ville, il épia justement l’heure qu’il étoit quand il la print, en séjournant quelque peu à Villeneuve pour boire un doigt. Sus le point de neuf heures, il se trouva devant le Palais, et vint attacher gentiment sa haquenée à la propre boucle, là où il l’avoit prinse, et s’en va par ville. Et, de fortune277, il magnifico misser278 étoit cette matinée au Palais, qui descendit tantôt après; et quand ce fut à monter dessus sa mule, il jeta l’œil sus cette haquenée, qui étoit assez bonne à reconnoître; si se pensa en lui-même qu’elle ressembloit fort à celle qu’il avoit perdue l’année passée, de poil, de 138taille et encore de harnois; lequel quidam harnois maître Arnaud n’avoit point changé: vrai est qu’il n’étoit pas si neuf comme il l’avoit prins; car il l’avoit fait servir ses trois quartiers. Mais l’Italien ne s’en osoit assurer du premier coup, vu le long temps qu’il l’avoit adiré279. Il appelle son garçon, qui avoit nom Torneto: «Ven qua; vedi che questo mi par esser il cavallo, ch’io perdi l’an passato.» Le varlet regarde cette haquenée; qui la trouvoit toute telle, excepté qu’elle n’étoit en si bon point; mais il ne savoit bonnement que répondre; car ils songèrent tous deux qu’elle dût appartenir à quelque autre monsieur. Toutefois, tant plus ils la regardoient, et plus ils trouvoient que c’étoit elle. Et demeurèrent là tous deux, jusqu’à onze heures et plus; là où en raisonnant toujours ensemble sus cette haquenée, et voyant que personne ne la prenoit, ils s’assurèrent pour vrai que c’étoit elle. Misser Juliano commanda à Torneto de la prendre et de la mener chez lui en l’étable; là où elle se rangea aussi proprement comme si elle n’en eût jamais bougé. Il la fit ramener le lendemain en la même place, pour voir si quelqu’un la revendiqueroit; mais il ne venoit personne; donc il fut fort ébahi, et pensoit que ce fût quelque esprit qu’il l’eût ramenée. De là à quelque temps, maître Arnaud s’adresse à misser Juliano, lequel il trouva monté sur sa haquenée, et lui dit: «Monsieur, je suis fort aise de savoir que cette haquenée soit à vous; car assurez-vous qu’elle est bonne, je l’ai essayée. Il y a environ un an, que je la trouvai près du pont du Rhône, qu’elle s’en alloit toute seule, et qu’un garçon la vouloit prendre. Mais, connoissant à sa façon qu’elle n’étoit pas sienne, je la lui ôtai, et la gardai un jour ou deux, sans pouvoir 139savoir à qui elle étoit. Le troisième jour, je la menai jusqu’à Villeneuve, où j’ouïs dire qu’un gentilhomme françois la cherchoit, et qu’il lui avoit été dit qu’on l’avoit vu emmener par un garçon sur le chemin de Paris. Le gentilhomme alloit après; et moi, sachant cela, je pique après lui, pour la lui rendre; mais je ne le pus jamais atteindre, car il alloit grand train pour atteindre son larron, et allai tant, en cherchant, que je me trouvai en Lorraine: là où voyant que je n’oyois point de nouvelles de ce gentilhomme, je la gardai long-temps. Et, à la fin, m’en suis revenu en cette ville, où je l’avois prinse, et y ai trouvé par quelqu’un de mes amis, qu’il se souvenoit l’avoir vue en cette ville, mais ne savoit à qui, sinon que ce fût à quelqu’un de messieurs de la légation. Sachant cela, je l’ai fait mener en place du Palais, afin que celui à qui elle étoit la pût apercevoir. Et cependant, je m’en étois allé d’ici à Nîmes, d’où je suis retourné depuis deux jours. Mais Dieu soit loué qu’elle a retourné son maître280; car j’en étois en grand’peine.» L’Italien écouta toute la belle harangue de maître Arnaud; et enfin le remercia, en lui disant: «O valente huomo, io vi ringratio; io faceva conto de l’aver persa, ma Iddio hà voluto che sia casca in buona mano. Se voi havete bisogno di cosa che sia ne la possanza mia, io son tutto vostro.» Messire Arnaud le remercia de son côté, et depuis alla souvent voir l’Italien. Et pensez que ce ne fut pas sans lui jouer toujours quelques tours de son métier, lesquels je vous raconterois voulentiers si je les savois, pour vous faire plaisir; mais je vous en dirai d’autres en récompense.


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NOUVELLE XXVII.

Du conseiller et de son palefrenier, qui rendit sa mule vieille en guise d’une jeune.

Un conseiller du Palais avoit gardé une mule vingt-cinq ans ou environ; et avoit eu, entre autres, un palefrenier, nommé Didier, qui avoit pansé cette mule dix ou douze ans; et l’ayant assez longuement servi, lui demanda congé, et avec sa bonne grâce se fit maquignon de chevaux, hantant néanmoins ordinairement en la maison de son maître, en se présentant à lui faire service, tout ainsi que s’il eût toujours été son domestique. Au bout de quelque temps, le conseiller, voyant que sa mule devenoit vieille, dit à Didier: «Viens çà; tu connois bien ma mule; elle m’a merveilleusement bien porté: il me fâche bien qu’elle devienne si vieille, car à grand’peine en trouverai-je une telle; mais regarde, je te prie, à m’en trouver quelqu’une. Il ne te faut rien dire, tu sais bien quelle il la me faut.» Didier lui dit: «Monsieur, j’en ai une en l’étable, qui me semble bien bonne; je vous la baillerai pour quelque temps: si vous la trouvez à votre gré, nous accorderons bien vous et moi; sinon, je la reprendrai.—C’est bien parlé à toi,» dit le conseiller. Et suivant cette offre, il se fait amener cette mule, et ce pendant il baille la sienne vieille à Didier pour en trouver la défaite; lequel lui lime incontinent les dents, il la vous bouchonne, il la vous étrille, il la traite si bien, qu’il sembloit qu’elle fût encore bonne bête. Tandis281, son maître se servoit de celle qu’il lui avoit baillée; mais il ne la trouva pas à son plaisir, et dit à Didier: «La mule que tu m’as baillée ne 141m’est pas bonne; elle est par trop fantastique282. Ne veux-tu point m’en trouver d’autre?—Monsieur, dit le maquignon, il vient bien à point; car, depuis deux ou trois jours en çà, j’en ai trouvé une que je connois de longue main: ce sera bien votre cas. Et quand vous aurez monté dessus, s’elle ne vous est bonne, reprochez-le-moi.» Le maquignon lui amène cette belle mule au frein doré, qu’il faisoit bon voir. Ce conseiller la prend, il monte dessus, il la trouve traitable au possible; il s’en louoit grandement, s’ébahissant comme elle étoit si bien faite à sa main, elle venoit au montoir le mieux du monde. Somme, il y trouvoit toutes les complexions de la sienne première; et attendu même qu’elle étoit de la taille, il appelle ce maquignon: «Viens çà, Didier; où as-tu prins cette mule? Elle semble toute faite283 à celle que je t’ai baillée, et en a toute la propre façon.—Je vous promets, dit-il, monsieur, quand je la vis du poil de la vôtre et de la taille, il me sembla qu’elle en avoit les conditions, ou que bien aisément on les lui pourroit apprendre. Et pour cette cause, je l’ai achetée, espérant que vous vous en trouveriez bien.—Vraiment, dit le conseiller, je t’en sais bon gré. Mais combien me la vendras-tu?—Monsieur, dit-il, vous savez que je suis vôtre, et tout ce que j’ai. Si c’étoit un autre, il ne l’auroit pas pour quarante écus. Je la vous laisserai pour trente.» Le conseiller s’y accorde, et donne trente écus de ce qui étoit sien, et qui n’en valoit pas dix.


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NOUVELLE XXVIII.

Des copieux de la Flèche en Anjou; comme ils furent trompés par Picquet au moyen d’une lamproie.

Nous avons ci-dessus284 parlé des copieux de la Flèche; lesquels on dit avoir été si grands gaudisseurs, que jamais homme n’y passoit qui n’eût son lardon. Je ne sais pas si cela leur dure encore; mais je dis bien qu’une fois un grand seigneur entreprint d’y passer sans être copié, et pensa d’y arriver si tard, et en partir de si bon matin, qu’il n’y auroit personne qui se pût gaudir de lui. Et, à la vérité, pour son entrée, il mesura tellement son chemin, qu’il étoit tout nuit quand il y arriva. Par quoi, étant le monde retiré, il ne trouva homme ne femme qui lui dît pis que son nom285. Et quand il fut descendu à l’hôtellerie, il fit semblant d’être un peu mal disposé, et se retira en sa chambre, où il se fit servir par ses gens, si bien que la nuit se passa sans inconvénient. Mais il commanda, au soir, au maître d’hôtel, que tout le monde fût prêt à partir le lendemain deux heures devant le soleil levant. Ce qui fut fait, et lui-même le premier levé; car il n’avoit aucune envie de dormir, de grand désir qu’il avoit de passer sans être copié. Il monte à cheval sus l’heure que l’aube commençoit à paroître, et qu’il n’y avoit encore personne debout par la ville. Il marche jusqu’aux dernières maisons de la 143Flèche, et pensoit bien avoir quitté tous les dangers, dont il étoit déjà bien fier; mais voici qu’il y avoit une vieille accroupie au coin d’une muraille, qui lui vint donner sa copie, en lui disant en son vieillois286: «Matin, matin, de peur des mouches.» Jamais homme ne fut plus marri d’être ainsi copié au dépourvu, et encore d’une vieille. Et si c’eût été un roi, comme on dit que c’étoit, je crois qu’il eût fait mauvais parti à la vieille damnée. Mais la plus saine partie croit qu’il n’étoit pas roi, encore que ceux de la Flèche se vantent que si. Or, quel qu’il fût, il eut son lardon comme les autres. Mais, comme on dit en commun proverbe, que les moqueurs sont souvent moqués, ceux de la Flèche en recevoient quelquefois de bonnes, comme celle que nous avons dite de maître Pierre Fai-feu; et encore leur en fut donnée une autre bonne par un qui s’appeloit Picquet. Ce fut qu’il acheta une lamproie à Duretal287, et la mit dans un bissac de toile, qu’il portoit derrière soi à l’arçon de sa selle: laquelle lamproie il attacha fort bien par l’un des trous288 d’auprès de la tête, avec une ficelle, tellement qu’elle ne pouvoit échapper de dedans le bissac; mais il lui fit seulement paroître la queue par dehors. Quand il fut auprès de la Flèche, cette lamproie, qui étoit bien vive, démenoit toujours la queue, tant qu’en passant par la ville, les copieux avisèrent qu’en se démenant, elle paroissoit toujours un peu davantage hors du bissac, et mes gens de se tenir près, attendant qu’elle dût choir. Et Picquet passoit tout à son aise par la ville, comme s’il n’eût pas eu grand’hâte, pour toujours amasser des copieux davantage; lesquels sortoient des maisons et le suivoient, 144pour avoir cette lamproie quand elle tomberoit. D’entre ceux qui sortirent, il y en eut quatre ou cinq des plus friands, qui s’y attendoient comme à leurs œufs de Pâques289, disant l’un à l’autre: «J’en dînerons, j’en dînerons.» Et Picquet ne faisoit pas semblant de les aviser290, fors quelquefois, comme si son cheval ne fût pas bien sanglé, il regardoit de côté ses laquais qui le suivoient. Quand il fut hors de la ville, il commença à piquer un peu plus fort; et mes copieux après, cuidant qu’elle ne dût plus demeurer291 à tomber; car elle paroissoit toute dehors. Il les vous mène un petit quart de lieue toujours après cette lamproie. Mais il y en eut deux qui se lassèrent de trotter, pource qu’ils étoient un petit peu chargés de cuisine292. Les deux autres tinrent bon, et furent bien aises que les deux s’en allassent; et dirent l’un à l’autre: «Tez tai, j’en airons meilleure part.» Quand Picquet eut connu qu’il n’avoit plus que deux laquais, lesquels étoient assez dispos de leurs personnes, il commence à piquer un peu plus fort, et encore un peu plus fort, et mes deux copieux après, tellement qu’ils le suivirent plus d’une grande demi-lieue, toujours courant après, qui pensoient bien se venger sur la lamproie; et Picquet toujours piquoit; mais cette lamproie ne tomboit point; dont ils commencèrent à se fâcher; joint que Picquet, qui en avoit son passe-temps, se prenoit à rire, par les fois, si fort, qu’ils s’en aperçurent et virent bien qu’ils en avoient d’une. Toutefois l’un d’eux, pour faire bonne mine, dit de loin à Picquet: «Hau, mon145sieur, votre lamproie vous cherra.» Picquet se retourne vers eux en leur disant: «Ah! ah! il la vous faut, la lamproie? Venez; venez, vous l’aurez; elle cherra tantôt.» Ces gens furent tout camus et dirent: «A tous les diesbes la lamproie!» Puis, quand ils furent de retour, Dieu sait comment ils furent copiés de ceux de la ville, qui entendirent la fourbe, en leur demandant à quelle sauce ils la vouloient. Ainsi les gaudisseries retournent quelquefois sur les gaudisseurs.


NOUVELLE XXIX.

De l’âne ombrageux qui avoit peur quand on ôtoit le bonnet; et de Saint-Chelaut et Croisé, qui chaussèrent les chausses l’un de l’autre.

Plusieurs ont vu le nom de messire René du Bellay, dernièrement décédé293, évêque du Mans: lequel se tenoit sus son évêché, studieux des choses de la nature, et singulièrement de l’agriculture, des herbes, et du jardinage. Il avoit en sa maison de Tonnoye un haras de juments, et prenoit plaisir à avoir des poulains de belle race. Il avoit un maître d’hôtel qui mettoit peine de lui entretenir ce qu’il aimoit; et à celui même fut donné par quelqu’un de ses amis un âne, par grande singularité, qui étoit si beau et si grand, qu’on l’eût prins à tous coups pour un mulet; et même en avoit le poil. Avec cela, il alloit l’amble aussi bien qu’un mulet. Pour ce, le maître d’hôtel voyant la bonté de cet âne, bien souvent le bailloit à l’un des officiers, sus lequel il suivoit aussi bien le train, encore 146que ledit seigneur piquât aussi bien, comme pas un des autres. Et à la fin, ledit âne demeura pour l’un des aumôniers, lequel on appeloit294 Saint-Chelaut; ne sais si c’étoit son nom, ou si on lui avoit donné ce soubriquet295, ou si c’étoit quelque bénéfice qu’il eût eu de son maître. Or, pource qu’il n’y a chose si excellente qui n’ait quelque imperfection, cet âne étoit un petit ombrageux. Que dis-je, un petit? J’entends un petit beaucoup; car, au moindre remuement qu’il eût senti faire, il gambadoit, il sautoit: et qui failloit à se tenir bien, il vous terrassoit son homme. Au moyen de quoi, Saint-Chelaut, qui n’étoit pas des plus habiles écuyers du monde, à tous les coups étoit passé chevalier dessus cet âne. Quand à quelque détour il voyoit une souche couchée le long du chemin, ou quand quelque homme se présentoit à la rencontre et au dépourvu296, ou quand il tomboit à Saint-Chelaut le bréviaire de sa manche, le bruit seul faisoit tressaillir cet âne, qui ne cessoit de tempêter, qu’il n’eût porté mon aumônier par terre. Mais surtout, cet âne se fâchoit quand il voyoit qu’on ôtoit un bonnet; car quand on saluoit Monsieur du Mans par les chemins, comme telles personnes sont saluées de tout chacun, cet âne, au maniement des bonnets, faisoit rage: il couroit à travers pays, comme si le diantre297 l’eût emporté: et ne failloit point à vous porter le pauvre Saint-Chelaut en un fossé, 147ou en quelque tarte bourbonnoise298, de sorte qu’il étoit contraint de demeurer derrière, et n’aller point en troupe, pour éviter les inconvénients des salutations. Et, d’aventure, s’il rencontroit quelqu’un de connoissance par les chemins venant au-devant de lui, il lui crioit tout de loin: «Monsieur, je vous prie, ne me saluez point, ne me saluez point.» Mais bien souvent, pour avoir passe-temps, on lui attitroit299 des salueurs, qui lui faisoient de grandes révérences et barretades300, pour voir un peu cet âne en son avertin301 faire ses gambades. Quelquefois Saint-Chelaut partoit devant, dont il avoit bien meilleur marché: premièrement, pour éviter le danger susdit; secondement, pour aller prendre un avantage de buvettes; spécialement les après-dîners, qu’il ne lui falloit point attendre Monsieur pour dire la messe devant lui. Une fois donc de par Dieu, qu’il étoit en plein été, faisant grand’chaleur sus l’après-dîner, et que Monsieur attendoit le chaud à passer302, Saint-Chelaut partit devant, avec un qui étoit solliciteur303 dudit seigneur, nommé Croisé. Et pource que la traite n’étoit pas trop longue, ils arrivèrent de bonne heure au logis, là où ils se rafraîchirent en buvant, et burent en se rafraîchissant; et en attendant le train à venir, donnèrent ordre au souper. Mais, quand ils virent que Monsieur ne venoit point si tôt, ils se mirent gentiment à souper de ce 148que bon leur sembla; et même, voyant que rien ne venoit, ils recommandèrent tout à l’hôte, et au cuisinier, qui étoit venu quant et eux, et eux aussi quant et le cuisinier: et se firent bailler une petite chambre jacopine304, où ils couchèrent très-bien et très-beau, et commencèrent à jouer à la ronfle305. Tantôt voici Monsieur venir. Et quand ses gens surent que mes deux compagnons étoient couchés, ils les laissèrent jusques après souper, que deux ou trois d’entre eux trouvèrent façon d’entrer en la chambre où ils dormoient, sans faire de bruit; et les trouvèrent en leur premier somme. Or, il faut noter que Saint-Chelaut étoit si maigre, que les os lui perçoient la peau; mais Croisé faisoit bien autant d’honneur à celui qui le nourrissoit, comme Saint-Chelaut lui faisoit de déshonneur; car il étoit si gras et si fafelu306 qu’on l’eût fendu d’une arête. Que firent mes gens? Ils prindrent les chausses des deux dormants, les décousirent par moitié, et les mépartirent307 l’une d’avec l’autre, rattachant la droite de l’une avec la gauche de l’autre, et la gauche avec la droite, le plus proprement qu’ils purent, et les remirent en leur place, et vous laissèrent dormir mes deux pèlerins jusques au lendemain qu’il fut jour, et que Monsieur fut prêt de monter 149à cheval; car il vouloit aller à la fraîcheur308. Et, sur ce point, l’un des pages qui savoit toute la trafique, car telles gens ne se trouvent jamais loin de toutes bonnes entreprises, vint frapper en grand’hâte à la porte de la chambre où ils étoient couchés, disant: «Monsieur Croisé, monsieur de Saint-Chelaut, voilà Monsieur à cheval, voulez-vous pas vous lever?» Mes deux gens s’éveillent en sursaut; et de prendre leurs vêtements bien à la hâte. Saint-Chelaut en eut bien meilleur compte que non pas monsieur Croisé; car lui, qui étoit maigre, entra dedans les chausses de Croisé, comme les mariés de l’année passée. Il se chausse, il s’habille, et fut aussitôt prêt qu’un chien auroit sauté un échalier309. Il monte à cheval sur son âne, et devant310. Mais Croisé, qui d’aventure avoit chaussé la bonne chausse la première, quand ce vint à celle de Saint-Chelaut, le diable y fut; car elle étoit si étroite, qu’à grand’peine y eût-il mis le bras. Il tiroit, il tiroit; mais il y fût encore; et si ne songeoit point que la chausse ne fût à lui; car il n’eût jamais pensé en tels affaires; et puis, il n’étoit pas encore bien éveillé, comme sont gens replets, et qui ont repu au soir. A la fin, de force de tirer, il éclata tout; qui fut cause de le réveiller, et de le faire entrer en colère. «Que diable est ceci?» disoit-il. Il regarde à son cas de plus près, et connut que ce n’étoit pas sa chausse; et n’y put jamais entrer, sinon qu’il passa toute la jambe et la cuisse par la fendasse qu’il avoit faite; afin, au moins, que le fessier lui demeurât couvert, en attendant qu’il eût moyen de remédier à son cas, et chausse sa botte de ce côté-là tout à nu sus sa jambe, et monte à cheval, galo150pant après Monsieur, qui étoit déjà à une lieue de là. Et Dieu sait comment il fut ri de leurs jeux. Car quand ils furent à la dînée, là où, de fortune, il n’y avoit point de ravaudeurs, ne de couturiers, car c’étoit en une maison de gentilhomme un petit à l’écart, on vit tout à clair le fait comme il s’étoit passé. Ils s’entrerendirent chacun sa chausse, et se mirent à les rabillecoutrer, tandis qu’on dînoit, qui fut en déduction de ce qu’ils avoient le soir soupé si bien à leur aise. Ce ne fut pas mauvais pour M. Croisé; car la diète ne lui étoit que bonne. Mais le pauvre Saint-Chelaut en eut mauvais parti; car il n’avoit pas affaire de cela; et puis Croisé lui avoit rompu toute sa chausse. Ainsi la mauvaise fortune jamais ne vient, qu’elle n’en apporte une ou deux, ou trois avec elle, sire. Oui, oui, cela est dedans Marot311. Les uns me conseilloient que je dise que ceci étoit advenu en hiver, pour mieux faire valoir le conte; mais, étant bien informé que ce fut en été, je n’ai point voulu mentir; car, avec ce, qu’un conte froid n’est pas trouvé si bon, je me damnerois, ou pour le moins il m’en faudroit faire pénitence. Toutefois il sera permis à ceux qui le feront après moi de dire que ce fut en hiver, pour enrichir la matière. Je m’en rapporte à vous. Quant à moi, je passe outre.


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NOUVELLE XXX.

Du prévôt Coquillaire, malade des yeux, auquel les médecins faisoient accroire qu’il voyoit.

Au même pays du Maine, y avoit naguère un lieutenant du prévôt des maréchaux312, qu’on appeloit Coquillaire; homme qui faisoit bien un procès, et qui savoit bien la ruse du lieutenant Maillard313, lequel, un jour, ayant entre ses mains un homme qui avoit fait des maux assez (mais il alléguoit qu’il avoit tonsure), le vous laissa refroidir quelque temps en prison; puis, à heure choisie, le fait venir devant soi, et commença à faire le familier avec lui: «Vraiment, dit-il (tel, l’appelant par son nom), c’est bien raison que soyez renvoyé par-devant votre évêque, je ne vous veux pas faire tort de votre privilége; ains vous en voudrois avertir, quand vous n’y penseriez pas; mais je vous conseille que, d’ici en avant, vous vous retiriez ès lieux où se font les actes d’honneur. Vous êtes beau personnage et vaillant: vous devriez aller servir le roi; vous vous feriez incontinent connoître, et seriez pour avoir charge et pour vous faire grand; non pas vous amuser ès villes et par les chemins, et vous mettre en danger 152de votre vie et vous déshonorer à jamais.» Incontinent le galant, qui se sentoit loué: «Monsieur, dit-il, je ne suis pas maintenant à connoître que c’est du service du roi; j’étois bien devant Pavie quand il fut prins314, dessous la charge du capitaine Lorge315, et depuis me trouvai à la suite de M. de Lautrec316 à Milan317 et au royaume de Naples.» Alors Maillard vous lui achevoit son procès, et le vous faisoit pendre haut et court avec sa tonsure et lui apprenoit que c’étoit de servir le roi. Coquillaire savoit bien faire cela et semblables choses, et voyoit assez clair dans un sac, des yeux de l’esprit; mais des yeux de la tête, il n’y voyoit pas la longueur de quatre doigts. Et ne lui falloit point demander lequel il eût mieux aimé avoir le nez aussi long que la vue318, ou la vue aussi longue que le nez; car il n’y avoit pas beaucoup à dire de l’un à l’autre. Advint qu’un jour l’évêque du Mans, allant visiter par son diocèse, le voulut voir en passant, pource qu’il le connoissoit bon justicier, et que son chemin s’adonnoit par là; il le trouva au lit, malade d’une humeur qui lui étoit tombée sur ses pauvres yeux. «Eh bien! monsieur le prévôt, dit l’évêque, comment vous trouvez-vous?—Monsieur, dit-il, il y a un mois ou davantage que je suis ici.—Vous avez toujours mauvais yeux, dit l’évêque: comment en êtes-vous?—Monsieur, dit Coquillaire, j’espère 153que je m’en porterai mieux, le médecin m’a dit que je vois319.» Pensez que c’étoit un fin homme de se rapporter au médecin s’il voyoit ou non. Mais il ne se rapportoit pas si voulentiers au dire des prisonniers pour leur fait propre, comme il faisoit au médecin pour le sien.


NOUVELLE XXXI.

Des finesses et des actes mémorables d’un renard qui étoit au bailli de Maine-la-Juhés.

En la ville de Maine-la-Juhés320, au bas pays du Maine, c’est ès limites de ce bon pays de Cydnus321 y avoit un bailli, 154homme de bonne chère selon le pays, et qui se délectoit de beaucoup de gentillesse, et avoit en sa maison quelques animaux apprivoisés. Entre lesquels étoit un renard, qu’il avoit fait nourrir petit; et lui avoit-on fait couper la queue; et pour ce, on l’appeloit le Hère322. Ce renard étoit fin, de père et de mère, mais il avoit encore passé la nature en conversant avec les hommes; et avoit si bon esprit de renard, que, s’il eût pu parler, il eût montré à beaucoup de gens qu’ils n’étoient que bêtes. Et certainement il sembloit, à sa mine, que quelquefois il s’efforçât de parler en son plaisant renardois323 qu’il jargonnoit. Et quand il étoit avec le valet de la maison, ou avec la chambrière, pour ce qu’ils le traitoient bien à la cuisine, vous eussiez dit qu’il les vouloit appeler par leur nom. Il savoit aussi bien quand M. le bailli devoit faire un banquet, à voir les gens de là dedans tous empêchés324, et principalement le cuisinier. Il s’en alloit chez les poulaillers, et ne failloit point à apporter connils, chapons, pigeons, perdrix, levrauts, selon les maisons; et les prenoit si finement, que jamais il n’étoit surprins sur le fait; et vous fournissoit la cuisine de son maître merveilleusement bien. Toutefois il alla et retourna si souvent en méfait, qu’il commença à se faire connoître des poulaillers, et des autres à qui il déroboit les gibiers; mais pour cela, il ne s’en soucioit guère; car il trouvoit toujours nouvelles finesses, les dérobant toujours de plus en plus, tant qu’ils conspirèrent de le tuer. Ce qu’ils n’osoient pas faire apertement, pour la crainte de son maître, qui étoit le grand monsieur de la ville; mais se délibérèrent, chacun de leur part, de 155le surprendre de nuit. Or, mon Hère, quand il vouloit aller quêter, entroit, tantôt par le soupirail de la cave, tantôt par une fenêtre basse, tantôt par une lucarne; tantôt il attendoit que l’on vînt ouvrir la porte sans chandelle, et entroit secrètement comme un rat. Et s’il avoit des inventions d’entrer, il en avoit bien autant de sortir avec sa proie. O quantesfois le poulailler parloit de lui pour le tuer, qu’il étoit tout auprès à écouter la conspiration, pensant en soi-même: «Tu ne me tiens pas!» On lui tendoit quelque gibier en belle prinse; et là-dessus le poulailler veilloit avec une arbalète bandée, et le garrot325 dessus, pour le tuer. Mais mon renard sentoit bien cela, comme si c’eût été la fumée du rôti; et ne s’approchoit jamais tandis qu’on veilloit. Mais l’homme n’eût su si tôt avoir les yeux clos pour sommeiller, que mon Hère ne croquât le gibier; et devant. Si on lui tendoit quelques trébuchets ou repoussoirs326, il s’en savoit garder, comme si lui-même les y eût mis; tellement qu’ils ne savoient jamais être si vigilants de le pouvoir attraper; et ne trouvèrent autre expédient, sinon tenir leur gibier serré en lieu où le Hère ne pût atteindre. Encore, pour cela, il ne laissoit pas d’en trouver toujours quelqu’un en voie; mais c’étoit peu souvent. Dont il commença à se fâcher; partie pour n’avoir plus si grands moyens de faire service au cuisinier; partie aussi qu’il n’en étoit point si bien de sa personne, comme il souloit. Et pour ce, tendant déjà sur l’âge, il devint soupçonneux, et lui fut avis qu’on ne tenoit plus de compte de lui. Et peut-être aussi qu’on ne lui faisoit pas tant de caresses que de coutume; car c’est grand’pitié que vieillesse. Et pour ces causes, il com156mença à devenir méchantement fin; et se print à manger les poulailles de la maison de son maître. Et quand tout étoit couché, il s’en alloit au juc327, et vous prenoit tantôt un chapon, tantôt une poule: tant qu’on ne se doutoit point de lui. On pensoit que ce fût la belette, ou la fouine; mais à la fin, comme toutes méchancetés se découvrent, il y alla tant de fois, qu’une petite garce qui couchoit au bûcher, pour l’honneur de Dieu, s’en aperçut, qui déclara tout. Et dès lors le grand malheur tomba dessus le Hère; car il fut rapporté à monsieur le bailli que le Hère mangeoit les poulailles. Or, mon renard se trouvoit partout, pour écouter ce qu’on disoit de lui: et avoit de coutume de ne perdre guère le dîner et le souper de son maître; pource qu’il lui faisoit bonne chère, et l’aimoit, et lui donnoit toujours quelque morceau de rôti. Mais depuis qu’il eut entendu qu’il mangeoit les poules de la maison, il lui changea de visage; tant qu’une fois en dînant, que le Hère étoit là derrière les gens en tapinois, monsieur le bailli va dire: «Que dites-vous de mon Hère, qui mange mes poules? J’en ferai bien la justice, avant qu’il soit trois jours.» Le Hère, ayant ouï cela, connut qu’il ne faisoit plus bon à la ville pour lui; et n’attendit pas les trois jours à passer qu’il ne se bannît de lui-même; et s’enfuit aux champs avec les autres renards. Pensez que ce ne fut pas sans faire la meilleure dernière main qu’il put. Mais le pauvre Hère eut bien affaire à s’appointer avec eux; car, du temps qu’il étoit à la ville, il avoit apprins à parler bon cagnesque328, et les façons des chiens aussi; et alloit à la chasse avec eux, et, sous ombre de compérage, trompoit les pauvres renards sau157vages, et les mettoit en la gueule des chiens. Dont les renards se souvenant, ne les vouloient point recevoir avec eux; et ne s’y fioient point. Mais il usa de rhétorique, et s’excusa en partie, et en partie aussi leur demanda pardon; et puis il leur fit entendre qu’il avoit le moyen de les faire vivre aises comme rois, d’autant qu’il savoit les meilleurs poulaillers du pays, et les heures qu’il y falloit aller; tant, qu’à la fin ils crurent en ses belles paroles et le firent leur capitaine. Dont ils se trouvèrent bien pour un temps; car il les mettoit ès bons lieux, où ils trouvoient de butin assez. Mais le mal fut qu’il les voulut trop accoutumer à la vie civile et compagnable329, leur faisant tenir les champs et vivre à discrétion; de sorte que les gens du pays, les voyant ainsi par bandes, menoient les chiens après; et y demouroit toujours quelqu’un de mes compères les renards. Mais cependant le Hère se sauvoit toujours; car il se tenoit à l’arrière-garde, afin que, tandis que les chiens étoient après les premiers, il eût loisir de se sauver; et même il n’entroit jamais dedans le terrier, sinon en compagnie d’autres renards. Et quand les chiens étoient dedans, il mordoit ses compagnons, et les contraignoit de sortir, afin que les chiens courussent après, et qu’il se sauvât. Mais le pauvre Hère ne sut si bien faire, qu’il ne fût attrapé à la fin; car d’autant que les paysans savoient bien qu’il étoit cause de tous les maux qui se faisoient là autour, ils ne cherchoient que lui et n’en vouloient qu’à lui; tant, qu’ils jurèrent tous une bonne fois qu’ils l’auroient. Et, pour ce faire, s’assemblèrent toutes les paroisses d’alentour, qui députèrent chacune un marguillier pour aller demander secours aux gentilshommes du pays; les priant que, pour la commu158nauté, ils voulussent prêter quelques chiens, pour dépêcher330 le pays de ce méchant garniment331 de renard. A quoi voulentiers s’accordèrent lesdits gentilshommes, et firent bonne réponse aux ambassadeurs. Et même la plupart d’entre eux, long-temps avoit qu’ils en cherchoient leurs passe-temps sans y avoir pu rien faire. En somme, on mit tant de chiens après, qu’il y en eut pour lui et ses compagnons, lesquels il eut beau mordre et harasser; car, quand ils furent prins, encore fallut-il qu’il y demourât, quelque bon corps qu’il eût. Il fut empoigné tout en vie, et fut traîné, acculé en un coin de terrier, à force de creuser et de bêcher: car les chiens ne le purent jamais faire sortir hors du terrier, ou fût qu’il leur jouât toujours quelque finesse, ou, qui est mieux à croire, qu’il leur parloit en bon cagnesque, et appointoit à eux; tellement qu’il y fallut aller par autres moyens. Or, le pauvre Hère fut prins et amené ou apporté tout vif en la ville du Maine, où fut fait son procès. Et fut sacrifié publiquement pour les voleries, larcins, pilleries, concussions, trahisons, déceptions, assassinements, et autres cas énormes et tortionnaires par lui commis et perpétrés; et fut exécuté en grande assemblée; car tout le monde y accouroit comme au feu, parce qu’il étoit connu à dix lieues à la ronde pour le plus mauvais garçon de renard que la terre porta jamais. Si dit-on pourtant que plusieurs gens de bon esprit le plaignoient, parce qu’il avoit tant fait de belles gentillesses et si dextrement, et disoient que c’étoit dommage qu’il mourût un renard de si bon entendement. Mais, à la fin, ils ne furent pas les maîtres, quoiqu’ils missent la main aux armes pour lui sauver la vie; car il 159fut pendu et étranglé au château de Maine. Voilà comment n’y a finesse ne méchanceté qui ne soit punie en fin de compte.


NOUVELLE XXXII.

De maître Jean du Pontalais; comment il la bailla bonne au barbier d’étuves qui faisoit le brave.

Il y a bien peu de gens de notre temps qui n’aient ouï parler de maître Jean du Pontalais332, duquel la mémoire n’est pas encore vieille, ne des rencontres, brocards et sornettes qu’il faisoit et disoit; ne des beaux jeux qu’il jouoit; ne comment il mit sa bosse contre celle d’un cardinal, en lui montrant que deux montagnes s’entre-rencontroient bien, en dépit du commun dire. Mais pourquoi, dis-je cette-là, quand il en faisoit un million de meilleures? Mais j’en puis bien dire encore une ou deux. Il y avoit un barbier d’étuves qui étoit fort brave333, et ne lui sembloit point qu’il y eût homme dans Paris qui le surpassât en esprit et habileté. Même étant tout nu en ses étuves, pauvre comme frère Croiset, qui disoit la messe en pourpoint334, n’ayant que le rasoir en la main, disoit à ceux qu’il étuvoit: «Voyez-vous, monsieur, que c’est que d’esprit. Que pensez-vous que ce soit de moi? Tel que vous me voyez, je me suis avancé moi-même. Jamais parent ne ami que j’eusse ne m’aida de rien. Se j’eusse été un 160sot, je ne fusse pas où je suis.» Et s’il étoit bien content de sa personne, il vouloit que l’on tînt encore plus grand compte de lui. Ce que connoissant maître Jean du Pontalais, en faisoit bien son proufit, l’employant à toutes heures à ses farces et jeux, et fournissoit de lui quand il vouloit; car il lui disoit qu’il n’y avoit homme dedans Paris qui sût mieux jouer son personnage que lui: «Et n’ai jamais honneur, disoit Pontalais, sinon quand vous êtes en jeu. Et puis, on me demande qui étoit cettui-là qui jouoit un tel personnage: oh! qu’il jouoit bien! Lors je dis votre nom à tout le monde, pour vous faire connoître. Mon ami, vous serez tout ébahi que le roi vous voudra voir: il ne faut qu’une bonne heure.» Ne demandez pas si mon barbier étoit glorieux. Et, de fait, il devint si fier, qu’homme n’en pouvoit plus jouir. Et même il dit un jour à maître Jean du Pontalais: «Savez-vous qu’il y a, Pontalais? Je n’entends pas que, d’ici en avant, vous me mettiez à tous les jours. Et ne veux plus jouer, se ce n’est en quelque belle moralité, où il y ait quelques grands personnages, comme rois, princes, seigneurs. Et si veux avoir toujours le plus apparent lieu qui soit.—Vraiment, dit maître Jean du Pontalais, vous avez raison, et le méritez. Mais que ne m’en avisiez-vous plus tôt? J’ai bien faute d’avis, que je n’y ai pensé de moi-même; mais j’ai bien de quoi vous en contenter d’ici en avant; car j’ai des plus belles matières du monde, où je vous ferai tenir la plus belle place de l’échafaud335. Et pour commencement, je vous prie ne me faillir dimanche prochain, que je dois jouer un fort beau mystère, auquel je fais parler un roi d’Inde la Majeur336. 161Vous le jouerez, n’est-ce pas bien dit?—Oui, oui, dit le barbier. Eh! qui le joueroit si je ne le jouois? Baillez-moi seulement mon rôle.» Pontalais le lui bailla dès le lendemain. Quand ce vint le jour des jeux337, mon barbier se représenta en son trône avec son sceptre, tenant la meilleure majesté royale que fit oncques barbier. Maître Jean du Pontalais cependant avoit fait ses apprêts pour la donner bonne à monsieur le barbier. Et pource que lui-même faisoit voulentiers l’entrée338 des jeux qu’il jouoit, quand le monde fut amassé, il vint tout le dernier sur l’échafaud, et commença à parler tout le premier, et va dire:

Je suis des moindres le mineur,
Et si n’ai targe ni écu;
Mais le roi d’Inde la Majeur
M’a souvent ratissé le cu.

Et disoit cela de telle grâce qu’il falloit pour faire entendre la braveté dudit ratisseur. Et si avoit fait son jeu de telle sorte, que le roi d’Inde ne devoit quasi point parler, seulement tenir bonne mine; afin que, si le barbier se fût dépité, le jeu n’en eût pas moins valu; et Dieu sait s’il n’apprint pas bien à monsieur l’étuvier339 jouer le roi, et s’il n’eût pas bien voulu être à chauffer ses étuves. On dit du même Pontalais un conte que d’autres attribuent à un autre; mais quiconque en soit l’auteur, il est assez joli. C’étoit un monsieur le curé340, lequel, un jour de 162bonne fête, étoit monté en chaire pour sermoner, là où il étoit fort empêché à ne dire guère bien; car, quand il se trouvoit hors propos (qui étoit assez souvent), il faisoit des plus belles digressions du monde. «Et que pensez-vous, disoit-il, que ce soit de moi? On en trouve peu qui soient dignes de monter en chaire; car, encore qu’ils soient savants, si n’ont-ils pas la manière de prêcher. Mais à moi, Dieu m’a fait la grâce d’avoir tous les deux; et si sais de toutes sciences, ce qu’il en est.» Et en portant le doigt au front, il disoit: «Mon ami, si tu veux de la grammaire, il y en a ici dedans; si tu veux de la rhétorique, il y en a ici dedans; si tu veux de la philosophie, je n’en crains docteur qui soit en la Sorbonne; et si n’y a que trois ans que je n’y savois rien, et toutefois vous voyez comment je prêche? Mais Dieu fait ses grâces à qui il lui plaît.» Or est-il, que maître Jean du Pontalais, qui avoit à jouer cette après-dînée-là quelque chose de bon, et qui connoissoit assez ce prêcheur pour tel qu’il étoit, faisoit ses montres341 par la ville. Et, de fortune, lui falloit passer par devant l’église où étoit ce prêcheur. Maître Jean du Pontalais, selon sa coutume, fit sonner le tabourin au carrefour, qui étoit tout vis-à-vis de l’église; et le faisoit sonner bien fort et longuement tout exprès pour faire taire ce prêcheur, afin que le monde vînt à ses jeux. Mais c’étoit bien au rebours; car tant plus il faisoit de bruit, et plus le prêcheur crioit haut. Et se battoient Pontalais et lui, ou lui et Pontalais (pour ne faillir pas), à qui auroit le dernier. Le prêcheur se mit en colère, et 163va dire tout haut par une autorité de prédicant: «Qu’on aille faire taire ce tabourin.» Mais, pour cela, personne n’y alloit; sinon que, s’il sortoit du monde, c’étoit pour aller voir maître Jean du Pontalais, qui faisoit toujours battre plus fort son tabourin. Quand le prêcheur vit qu’il ne se taisoit point, et que personne ne lui en venoit rendre réponse: «Vraiment, dit-il, j’irai moi-même; que personne ne se bouge; je reviendrai à cette heure.» Quand il fut au carrefour tout échauffé, il va dire à Pontalais: «Hé! qui vous fait si hardi de jouer du tabourin tandis que je prêche?» Pontalais le regarde, et lui dit: «Hé! qui vous fait si hardi de prêcher tandis que je joue du tabourin?» Alors le prêcheur, plus fâché que devant, print le couteau de son famulus qui étoit auprès de lui, et fit une grand’balafre à ce tabourin avec ce couteau; et s’en retournoit à l’église pour achever son sermon. Pontalais print son tabourin et courut après ce prêcheur, et s’en va le coiffer comme d’un chapeau d’Albanois342, le lui affublant du côté qu’il étoit rompu. Et lors, le prêcheur, tout en l’état que il étoit, vouloit remonter en chaire, pour remontrer l’injure qui lui avoit été faite, et comment la parole de Dieu étoit vilipendée. Mais le monde rioit si fort, lui voyant ce tabourin sur la tête, qu’il ne sut meshui avoir audience; et fut contraint de se retirer, et de s’en taire. Car il lui fut remontré que ce n’étoit pas le fait d’un sage homme de se prendre à un fol.


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NOUVELLE XXXIII.

De madame la Fourrière, qui logea le gentilhomme au large.

Il n’y a pas long-temps qu’il y avoit une dame de bonne voulenté, qu’on appeloit la Fourrière343, laquelle fuyoit quelquefois la cour: qui étoit quand son mari étoit en quartier. Mais le plus du temps elle étoit à Paris; car elle s’y trouvoit bien, d’autant que c’est le paradis des femmes, l’enfer des mules et le purgatoire des solliciteurs. Un jour, elle étant audit lieu, à la porte du logis où elle se retiroit, va passer un gentilhomme par là devant, accompagné d’un sien ami, auquel il dit tout haut, en passant auprès de ladite dame, afin qu’elle l’entendit: «Par Dieu, dit-il, si j’avois une telle monture pour cette nuit, je ferois un grand pays d’ici à demain matin.» La dame Fourrière ayant entendu cette parole du gentilhomme, qu’elle trouvoit à son gré, car il étoit dispos, dit à un petit poisson d’avril344 qu’elle avoit auprès de soi: «Va-t’en suivre ce gentilhomme que tu vois ainsi habillé, et ne le perds point que tu ne saches où il entrera; et fais tant que tu parles à lui, et lui dis que la dame qu’il a tantôt vue à la porte d’un tel logis se recommande à sa bonne grâce, et que, s’il la veut venir voir à ce soir, elle lui donnera la collation entre huit et neuf heures.» Le gentilhomme accepta le message; et, renvoyant ses recommandations, manda à la dame qu’il s’y trouveroit à l’heure. Et faut entendre que les deux logis n’étoient pas loin l’un de l’autre. Le 165gentilhomme ne faillit pas à l’assignation, et trouva madame la Fourrière qui l’attendoit. Elle le reçut gracieusement et le festoya de confitures. Ils devisent ensemble un temps: il se fait tard, et ce pendant la chambrière apprêtoit le lit proprement comme elle savoit faire. Là, le gentilhomme s’alla coucher, selon l’accord fait entre les parties, et madame la Fourrière auprès de lui. Le gentilhomme monta à cheval et commença à piquer, et puis repiquer. Mais il ne sut oncques, en tout, faire que trois courses, depuis le soir jusques au matin, qu’il se leva d’assez bonne heure pour s’en aller; et laissa sa monture en l’étable. Le lendemain, ou quelque peu de jours après, la Fourrière, qui avoit toujours quelque commission par la ville, vint rencontrer le gentilhomme, et le salua en lui disant: «Bonjour, monsieur de Deux et As345.» Le gentilhomme s’arrêta en la regardant, et lui va dire: «Par le corps-bieu! madame, si le tablier eût été bon, j’eusse bien fait ternes346.» Et ayant su le nom d’elle, le jour de devant (car elle étoit femme bien connue), lui dit: «Madame la Fourrière, vous me logeâtes l’autre nuit bien au large?—Il est vrai, dit-elle, monsieur, mais je pensois pas que vous eussiez si petit train347.» Bien assailli, bien défendu.


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NOUVELLE XXXIV.

Du gentilhomme qui avoit couru la poste, et du coq qui ne pouvoit caucher348.

Un gentilhomme, grand seigneur, ayant été absent de sa maison pour quelque temps, print le loisir de venir voir sa femme, laquelle étoit jeune, belle et en bon point; et pour y être plus tôt, il print la poste environ de deux journées de sa maison; là où il arriva sus le tard, et que sa femme étoit déjà couchée. Il se met auprès d’elle; laquelle fut incontinent éveillée, bien joyeuse d’avoir compagnie, s’attendant qu’elle auroit son petit picotin349 pour le fin moins; mais sa joie fut courte, car monsieur se trouva si las et si rompu de la course, que, quelque caresse qu’elle lui fît, il ne se put mettre en devoir, et s’endormit sans lui rien faire; dont il s’excusa vers elle, lui disant: «Ma mie, dit-il, le grand amour que je vous porte m’a fait hâter de vous venir voir; et suis venu en poste tout le long du chemin. Vous m’excuserez pour cette fois.» La dame ne trouva pas cela à son gré; car on dit «qu’il n’est rien qu’une femme trouve plus mauvais (et non sans cause) que quand l’homme la met en appétit sans la contenter.» Et a été souvent vu par expérience, qu’un amoureux, après avoir long-temps poursuivi une dame, s’il advient 167qu’elle prenne quelque soudaine disposition de l’accepter, et que lui se trouve surprins de telle sorte, qu’il soit impuissant, ou par trop grande affection, ou par crainte, ou par quelque autre inconvénient, jamais depuis il n’y recourra, si ce n’est par grande adventure. Toutefois la dame print patience, moitié par force et moitié par ciseaux350; et n’en eut autre chose pour celle nuit. Elle se leva le matin d’auprès monsieur, et le laissa reposer. Au bout d’une heure ou deux qu’il se voulut lever, en s’habillant, il se met à une fenêtre qui regardoit sus la basse-cour; et madame à côté de lui. Il avisa un coq qui muguettoit une poule; puis la laissoit; puis refaisoit ses caresses assez de fois, mais il ne faisoit autre chose. Monsieur, qui le regardoit faire, s’en fâcha, et va dire: «Voyez ce méchant coq, qu’il est lâche! il y a une heure qu’il est à muguetter cette poule, et ne lui peut rien faire; il ne vaut rien: qu’on me l’ôte et qu’on en ait un autre.» La dame lui répond: «Eh! monsieur, pardonnez-lui: peut-être qu’il a couru la poste toute la nuit.» Monsieur se tut à cela et n’en parla plus, sachant bien que c’étoit à lui à qui ces lettres s’adressoient.


NOUVELLE XXXV.

Du curé de Brou351, et des bons tours qu’il faisoit en son vivant.

Le curé de Brou, lequel en d’autres endroits a été nommé curé de Briosne352, a fait tant d’actes mémorables 168en sa vie, que qui les voudroit mettre par écrit, il en feroit une légende plus grande que d’un Lancelot ou d’un Tristan353. Et a été si grand bruit de lui, que quand un curé a fait quelque chose digne de mémoire, on l’attribue au curé de Brou. Les Limousins ont voulu usurper cet honneur pour leur curé de Pierre-Buffière354, mais le curé de Brou l’a emporté à plus de voix, et duquel je réciterai ici quelques faits héroïques, laissant le reste355 pour ceux qui voudront un jour exercer leur style à les décrire tout du long. Il faut savoir que ledit curé faisoit unes choses et autres, d’un jugement particulier qu’il avoit, et ne trouvoit pas bon tout ce qui avoit été introduit par ses prédécesseurs: comme les Antiennes, les Respons, les Kyrie, les Sanctus et les Agnus Dei. Il les chantoit souvent à sa mode; mais surtout ne lui plaisoit point la façon de dire la Passion à la mode qu’on la dit ordinairement par les églises, et la chantoit tout au contraire. Car quand Notre-Seigneur disoit quelque chose aux Juifs ou à Pilate, il le faisoit parler haut et clair afin qu’on l’entendît. Et quand c’étoient les Juifs ou quelque autre, il parloit si bas, qu’à grand’peine le pouvoit-on ouïr.

Advint qu’une dame de nom et autorité, tenant son chemin à Châteaudun pour y aller faire ses fêtes de Pâques, passa par Brou le jour du Vendredi-Saint, environ les dix heures du matin; et voulant ouïr le service, s’en 169alla à l’église, là où étoit le curé qui le faisoit. Quand se vint à la Passion, il la dit à sa mode, et vous faisoit retentir l’église quand il disoit: Quem quæritis? Mais quand c’étoit à dire: JESUM NAZARENUM, il parloit le plus bas qu’il pouvoit. Et en cette façon continua la Passion. Cette dame, qui étoit dévotieuse, et pour une femme étoit bien entendue en la sainte Écriture et notoit bien les cérémonies ecclésiastiques, se trouva scandalisée de cette manière de chanter; et eût voulu ne s’y être point trouvée. Elle en voulut parler au curé et lui en dire ce qu’il lui en sembloit. Elle l’envoya quérir après le service fait, pour venir parler à elle. Quand il fut venu, elle lui dit: «Monsieur le curé, je ne sais pas où vous avez apprins à officier à un tel jour qu’il est aujourd’hui, que le peuple doit être tout en humilité. Mais, à vous ouïr faire le service, il n’y a dévotion qui ne se perdît.—Comment cela, madame? dit le curé.—Comment! dit-elle, vous avez dit une Passion tout au contraire de bien. Quand Notre-Seigneur parle, vous criez comme si vous étiez en une halle; et quand c’est un Caïphe ou un Pilate, ou les Juifs, vous parlez doux comme une épousée. Est-ce bien dit à vous? est-ce à vous à être curé? Qui vous feroit droit, on vous priveroit de votre bénéfice, et vous feroit-on connoître votre faute.» Quand le curé l’eut bien écoutée: «Est-ce cela que me vouliez dire, madame? ce lui dit-il. Par mon âme! il est bien vrai, ce que l’on dit; c’est qu’il y a beaucoup de gens qui parlent des choses qu’ils n’entendent pas. Madame, je pense aussi bien savoir mon office comme un autre, et veux que tout le monde sache que Dieu est aussi bien servi en cette paroisse selon son état qu’en lieu qui soit d’ici à cent lieues. Je sais bien que les autres curés chantent la Passion tout autrement; je la chanterois bien comme eux si je voulois; mais ils n’y entendent rien. Car170 appartient-il à ces coquins de Juifs de parler aussi haut que Notre-Seigneur? Non, non, madame, assurez-vous qu’en ma paroisse je veux que Dieu soit le maître, et le sera tant que je vivrai; et fassent les autres en leur paroisse comme ils entendront.» Quand cette bonne dame eut connu l’humeur de l’homme, elle le laissa avec ses opinions bigearres356, et lui dit seulement: «Vraiment, monsieur le curé, vous êtes homme d’esprit, on le m’avoit bien dit, mais je ne l’eusse pas cru, si je ne l’eusse vu.»


NOUVELLE XXXVI.

Du même curé et de sa chambrière; et de sa lexive qu’il lavoit; et comment il traita son évêque et ses chevaux, et tout son train.

Ledit curé avoit une chambrière, de l’âge de vingt et cinq ans, laquelle le servoit jour et nuit, la pauvre garce! dont il étoit souvent mis à l’office357, et en payoit l’amende. Mais, pour cela, son évêque n’en pouvoit venir à bout. Il lui défendit une fois d’avoir chambrières, qu’elles n’eussent cinquante ans pour le moins: le curé en print une de vingt ans et l’autre de trente. L’évêque, voyant bien que c’étoit error pejor priore, lui défendit qu’il n’en eût point du tout; à quoi le curé fut contraint obéir, au moins il en fit semblant; et pource qu’il étoit bon compagnon et de bonne chère, il trouvoit toujours des moyens assez pour apaiser son évêque; lequel même passoit par chez lui; car il lui donnoit de bon vin, et le fournissoit quelquefois de compagnie françoise358. Un jour, l’évêque lui manda qu’il vouloit aller souper le lendemain avec lui; 171mais qu’il ne vouloit que viandes légères, pource qu’il s’étoit trouvé mal les jours passés, et que les médecins les lui avoient ordonnées pour lui refaire son estomac. Le curé lui manda qu’il seroit le bienvenu; et incontinent s’en va acheter force courées359 de veau et de mouton, et les mit toutes cuire dedans une grande oulle360, délibéré d’en festoyer son évêque. Or, il n’avoit point lors de chambrière, pour la défense qui lui en avoit été faite. Que fit-il? Tandis que le souper de son évêque s’apprêtoit, et environ l’heure qu’il savoit que ledit seigneur devoit venir, il ôte ses chausses et ses souliers, et s’en va porter un faix de drapeaux361 à un douet362 qui étoit sur le chemin par où devoit passer l’évêque; et se mit en l’eau jusqu’aux genoux, avec une selle, tenant un battoir en la main, et lave ses drapeaux bien et beau; et si faisoit de cul et de pointe363 comme une corneille qui abat noix. Voici l’évêque venir: ceux de son train qui alloient devant vinrent à découvrir de loin mon curé de Brou, qui lavoit sa buée, et, en haussant le cul, montroit parfois tout ce qu’il portoit. Ils le montrèrent à l’évêque: «Monsieur, voulez-vous voir le curé de Brou qui lave des drapeaux?» L’évêque, quand il le vit, il fut le plus ébahi du monde, et ne savoit s’il en devoit rire ou s’il s’en devoit fâcher. Il s’approcha de ce curé, qui battoit toujours à tour de bras, faisant semblant 172de ne voir rien: «Et viens çà, gentil curé, que fais-tu ici?» Le curé, comme s’il fût surprins, lui dit: «Monsieur, vous voyez, je lave ma lexive.—Tu laves ta lexive! dit l’évêque; es-tu devenu buandier? est-ce l’état d’un prêtre? Ah! je te ferai boire une pipe d’eau en mes prisons, et t’ôterai ton bénéfice.—Et pourquoi, monsieur? dit le curé: vous m’avez défendu que je n’eusse point de chambrière; il faut bien que je me serve moi-même, car je n’ai plus de linge blanc.—O le méchant curé! dit l’évêque. Va, va, tu en auras une. Mais que souperons-nous?—Monsieur, vous souperez bien, si Dieu plaît: ne vous souciez point, vous aurez des viandes légères.» Quand ce fut à souper, le curé servit l’évêque, et ne lui présenta d’entrée que ces courées bouillies. Auquel l’évêque dit: «Qu’est-ce que tu me bailles ici? Tu te moques de moi.—Monsieur, dit-il, vous me mandâtes hier que je ne vous apprêtasse que viandes légères: j’ai essayé de toutes sortes de viandes: mais quand ce a été à les apprêter, elles alloient toutes au fond du pot, fors qu’à la fin j’ai trouvé ces courées, qui sont demourées sus l’eau, ce sont les plus légères de toutes.—Tu ne valus de la vie rien, dit l’évêque, ne ne vaudras. Tu sais bien les tours que tu m’as faits. Eh bien, bien! je t’apprendrai à qui tu te dois adresser.» Le curé pourtant avoit fort bien fait apprêter le souper, et de viandes d’autre digestion, lesquelles il fit apporter; et traita bien son évêque, qui s’en trouva bien. Après souper, il fut question de jouer une heure au flux364; puis l’évêque se voulut retirer. Le curé, qui connoissoit sa complexion, avoit apprêté un petit tendron, pour son 173vin de coucher365; et d’autre côté, aussi à tous ses gens chacun une commère, car c’étoit leur ordinaire quand ils venoient chez lui. L’évêque, en se couchant, lui dit: «Va, retire-toi; curé, je me contente assez bien de toi pour cette fois. Mais sais-tu qu’il y a? J’ai un palefrenier qui n’est qu’un ivrogne: je veux que mes chevaux soient traités comme moi-même, prends-y bien garde.» Le curé n’oublie pas ce mot; il prend congé de son évêque jusqu’au lendemain, et incontinent envoie par toute sa paroisse emprunter force juments, et en peu de temps il en trouva autant qu’il lui en falloit; lesquelles il va mettre à l’étable auprès des chevaux de l’évêque. Et chevaux de hennir, de ruer, de tempêter environ366 ces juments; c’étoit un triomphe de les ouïr. Le palefrenier, qui s’en étoit allé étriller sa monture à deux jambes, se fiant au curé de ses chevaux, entend ce beau tintamarre, qui se faisoit à l’étable, et s’y en va le plus soudainement qu’il peut, pour y donner ordre; mais ce ne put jamais être sitôt, que l’évêque n’en eût ouï le bruit. Le lendemain matin, l’évêque voulut savoir qu’avoient eu ses chevaux toute la nuit à se tourmenter ainsi. Le palefrenier le vouloit faire passer pour rien, mais il fallut que l’évêque le sût: «Monsieur, dit le palefrenier, c’étoient des juments qui étoient avec les chevaux.» L’évêque, songeant bien que c’étoient des tours du curé, le fit venir et lui dit mille injures: «Malheureux que tu es, te joueras-tu toujours de moi? tu m’as gâté mes chevaux; ne te chaille, je te...» Mon curé lui répondit: «Monsieur, ne me dites-vous pas au soir que vos chevaux fussent traités comme vous-même? Je leur 174ai fait du mieux que j’ai pu. Ils ont eu foin et avoine; ils ont été en la paille jusqu’au ventre: il ne leur falloit plus qu’à chacun leur femelle; je la leur ai envoyé quérir: vous et vos gens, n’en aviez-vous pas chacun la vôtre?—Au diable le méchant curé! dit l’évêque, tu m’en donnes de bonnes. Tais-toi, nous compterons, et je te paierai des bons traitements que tu me fais.» Mais, à la fin, il n’y sut autre remède, sinon que de s’en aller jusqu’à une autre fois. Je ne sais si c’étoit point l’évêque Milo367, lequel avoit des procès un million, et disoit que c’étoit son exercice; et prenoit plaisir à les voir multiplier, tout ainsi que les marchands sont aises de voir croître leurs denrées; et dit-on qu’un jour le roi les lui voulut appointer, mais l’évêque ne prenoit point cela en gré, et n’y voulut point entendre; disant au roi que, s’il lui ôtoit ses procès, il lui ôtoit la vie. Toutefois, à force de remontrances et de belles paroles, il y falloit aller, de sorte qu’il consentit à ces appointements; de mode qu’en moins de rien lui en furent, que vuidés, que accordés, que amortis, deux ou trois cents. Quand l’évêque vit que ses procès s’en alloient ainsi à néant, il s’en vint au roi, le suppliant à jointes mains qu’il ne les lui ôtât pas tous, et qu’il lui plût au moins lui en laisser une douzaine des plus beaux et des meilleurs, pour s’ébattre.


NOUVELLE XXXVII.

Du même curé, et de la carpe qu’il acheta pour son dîner.

Pour revenir à notre curé de Brou, un dimanche matin qu’il étoit fête, se pourmenant autour de ses courtils368, il 175vit venir un homme qui portoit une belle carpe. Si se pensa que le lendemain étoit jour de poisson369 (c’étoient possible les Rogations): il marchanda cette carpe, et la paya. Et pource qu’il étoit seul, il print cette carpe, et l’attache à l’aiguillette de son sayon370, et la couvre de sa robe. En ce point, s’en va à l’église, où ses paroissiens l’attendoient pour dire la messe. Quand ce fut à l’offerte371, ledit curé se tourne devers le peuple avec sa plataine372, pour recevoir les offrandes. La carpe, qui étoit toute vive, démenoit la queue fois à fois, et faisoit lever l’amict de M. le curé, de quoi il ne s’apercevoit point; mais si faisoient bien les femmes, qui s’entre-regardoient et se cachoient les yeux, à doigts entr’ouverts. Elles rioient, elles faisoient mille contenances nouvelles. Et cependant le curé étoit là à les attendre, mais n’y avoit celle qui osât venir la première; car elles pensoient de cette carpe que ce fût la très-douce chose que Dieu fit croître. Le curé et son assistant avoient beau crier: «A l’offrande, femmes! qui aura dévotion?» elles ne venoient point. Quand il vit qu’elles rioient ainsi, et qu’elles faisoient tant de mines, il connut bien qu’il y avoit quelque chose: tant qu’à la fin il se vint aviser de cette carpe qui remuoit ainsi la queue: «Ha, ha, dit-il, mes paroissiennes, j’étois bien ébahi que c’étoit qui vous faisoit ainsi rire: non, non, ce n’est pas ce que vous pensez, c’est une carpe que j’ai au matin achetée pour demain à dîner373.» Et en disant cela, 176il recoursa374 sa chasuble, et son amict, et sa robe, pour leur montrer cette carpe; autrement, elles ne fussent jamais venues à l’offrande. Il se soucioit du lendemain, le bonhomme de curé, nonobstant le mot de l’Évangile: Nolite solliciti esse de crastino; lequel pourtant il interprétoit gentiment à son avantage; car quand quelqu’un lui dit: «Comment, monsieur le curé! Dieu vous a défendu de vous soucier du lendemain, et toutefois vous achetez une carpe pour votre provision.—C’est, dit-il, pour accomplir le précepte de l’Évangile; car quand je suis bien pourvu, je ne me soucie pas du lendemain.» Les uns veulent dire que ce fut un moine375, qui avoit caché un paté en sa manche, étant à dîner à certain banquet; mais tout revient à un. On dit encore tout plein d’autres choses de ce curé de Brou, qui ne sont point de mauvaise grâce; comme, entre autres, celle qui s’ensuit.


NOUVELLE XXXVIII.

Du même curé, qui excommunia tous ceux qui étoient dedans un trou.

Un jour de fête solennelle, et à l’heure du prône, le curé de Brou monte en une chaire pour prêcher ses paroissiens: laquelle étoit auprès d’un pilier, comme elles 177sont voulentiers. Tandis qu’il prêchoit, vint à lui le clerc376 du presbytère, qui lui présenta quelques mémoires de quérimoines377, selon la coutume, qui est de les publier les dimanches. Le curé prend ses mesures, et les met dedans un trou qui étoit au pilier tout exprès pour semblables cas; c’est-à-dire, pour y mettre tous les brevets qu’on lui apportoit durant le prône. Quand ce fut à la fin de son prêche, il voulut ravoir ces mémoires, et met le doigt dedans le trou; mais ils étoient un peu bien avant, pource qu’en les y mettant il étoit possible ravi à exposer quelque point difficile de l’Évangile. Il tire, il tourne le doigt; il y fait tout ce qu’il peut: il n’en sut jamais venir à bout; car au lieu de les tirer, il les poussoit. Quand il eut bien ahanné378, et qu’il vit qu’il n’y avoit ordre: « Mes paroissiens, dit-il, j’avois mis des papiers là-dedans, que je ne saurais ravoir; mais j’excommunie tous ceux qui sont en ce trou-là.»

Les uns attribuent cela à un autre curé, et disent que c’étoit un curé379 de ville. Et, de fait, ils ont grande apparence; car ès villages n’y a pas communément de chaires pour faire le prône. Mais je m’en rapporte à ce qui en est. Si celui qui c’est prétend que je lui ai fait tort en donnant cet honneur au curé de Brou pour le lui ôter, m’en avertissant, je suis content d’y mettre son nom. Au pis aller, il doit penser qu’on a bien fait autant des Jupiters et des 178Hercules380; car ce que plusieurs ont fait, on le réfère tout à un pour avoir plus tôt fait: d’autant que tous ceux du nom ont été excellents et vaillants. Aussi il n’y avoit point d’inconvénient de nommer par antonomasie381 Curés de Brou, tous prêtres, vicaires, chanoines, moines, et capellans382, qui feront des actes si vertueux comme il a fait.


NOUVELLE XXXIX.

De Teiran qui, étant sur la mule, ne paroissoit point par-dessus l’arçon de la selle.

En la ville de Montpellier, y avoit naguère un jeune homme qu’on appeloit le prieur de Teiran, lequel étoit homme de bon lieu et d’assez bonnes lettres; mais il étoit mal aisé383 de sa personne; car il avoit une bosse sur le dos, et l’autre sur l’estomac, qui lui faisoient mal porter son bois384, et qui l’avoient si bien gardé de croître, qu’il n’étoit pas plus haut que d’une coudée. Attendez, attendez, j’entends de la ceinture en sus. Un jour, en s’en allant de Montpellier à Toulouse, accompagné de quelques siens 179amis de Montpellier même, ils se trouvèrent à Saint-Tubery385, à l’une de leurs dînées, et pource que c’étoit en été, et que les jours étoient longs, ses compagnons après dîner ne se hâtoient pas beaucoup de partir, et attendoient la chaleur à s’abaisser386 et même quelques-uns d’entre eux se vouloient mettre à dormir: ce que Teiran ne trouva pas bon, et fit brider une mule qu’il avoit, tout en colère (n’entendez pas que la mule fût en colère; c’étoit lui), et monte dessus en disant: «Or, dormez tout votre saoul, je m’en vais», et pique devant, tout seul, tant qu’il peut. Quand ses compagnons le virent délogé, ne le voulant point laisser, se dépêchent d’aller après. Mais Teiran étoit déjà bien loin. Or, il portoit un de ces grands feutres d’Espagne pour se défendre du soleil, qui le couvroit quasi lui et toute sa mule; sauf toutefois à en rabattre ce qui sera de raison. Ceux qui alloient après, virent un paysan en un champ assez près du chemin, auquel ils demandèrent: «Mon ami, as-tu rien vu un homme à cheval ici devant, qui s’en va droit à Narbonne?» Le paysan leur répond: «Nenni, dit-il, je n’ai point vu d’homme; mais j’ai bien vu une mule grise qui avoit un grand chapeau de feutre sur sa selle, et couroit à bride abattue.» Mes gens se prindrent à rire, et connurent bien que c’étoit leur homme qui piquait d’une telle colère, qu’ils ne le purent oncques atteindre, qu’ils ne fussent à Narbonne. Aucuns ont voulu dire que la mule n’étoit pas grise, et qu’elle étoit noire. Mais il y a des gens qui ont un esprit de contradiction dedans le corps: et qui voudroit contester avec ceux, ce ne seroit jamais fait.


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NOUVELLE XL.

Du docteur qui blâmoit les danses, et de la dame qui les soutenoit, et des raisons alléguées d’une part et d’autre.

En la ville du Mans, y avoit naguère un docteur en théologie, appelé notre maître d’Argentré, qui tenoit la prébende doctorale387, homme de grand savoir et de bonne vie, et n’étoit point si docteur, qu’il n’entendît bien la civilité et l’entregent, qui le faisoit être bienvenu en toutes compagnies honnêtes. Un jour, en une assemblée des principaux de la ville, qui avoient soupé ensemble, lui étant du nombre, il y eut, d’aventure, des danses après souper, lesquelles il regarda pour un peu de temps, pendant lequel il se print à parler avec une dame de bien bonne grâce, appelée la Baillive de Sillé388, femme, pour sa vertu, bonne grâce et bon esprit, très-bien venue entre les gens d’honneur, avenante en tout ce qu’elle faisoit, et entre autres à baller: là où elle prenoit un grandissime plaisir. Or, en devisant de propos et autres, ils commencèrent à parler des danses. Sur quoi le docteur dit que, de tous les actes de récréation, il n’y en avoit point un qui sentît moins son homme389 que la danse. La Ballive lui va dire, tout au contraire, qu’elle ne pensoit qu’il y eût chose qui réveillât mieux l’esprit que les danses, et que la me181sure ne la cadence n’entreroient jamais en la tête d’un lourdaud: lesquels sont témoignage que la personne est adroite et mesurée en ses faits et desseins. «Il y en a même, disoit-elle, de jeunes gens qui sont si pesants, qu’on auroit plus tôt apprins à un bœuf à aller à la haquenée390 qu’à eux à danser; mais aussi, vous voyez quel esprit ils ont. Des danses, il en vient plaisir à ceux qui dansent et à ceux qui voient danser; et si ai opinion, si vous osiez dire la vérité, que vous même y prenez grand plaisir à les regarder; car il n’y a gens, tant mélancoliques soient-ils, qui ne se réjouissent à voir si bien manier le corps, et si allègrement.» Le docteur, l’ayant ouïe, laissa un peu reposer les termes de la danse, entretenant néanmoins toujours cette dame d’autres propos, qui étoient divers, mais non pas tant éloignés qu’il n’y pût bien retomber quand il voudroit. Au bout de quelque espace, qu’il lui sembla être bien à point, il va demander à la dame Baillive: «Si vous étiez, dit-il, à une fenêtre, ou sur une galerie, et que vous vissiez de loin en quelque grande place une douzaine ou deux de personnes qui s’entre-tinssent par la main, et qui sautassent, qui virassent, d’aller et de retour, en avant et en arrière, ne vous sembleroient-ils pas fous?—Oui bien, dit-elle, s’il n’y avoit quelque mesure.—Je dis encore qu’il y eût mesure, dit-il, pourvu qu’il n’y eût point de tabourin ne de flûte.—Je vous confesse, dit-elle, que cela pourroit avoir mauvaise grâce.—Et donc, dit le docteur, un morceau de bois percé, et une feuille391 étoupée de parchemin par les deux bouts, ont-ils tant de puissance, que de vous faire trouver bonne une 182chose qui de soi sent sa folie?—Et pourquoi non? dit-elle. Ne savez-vous pas de quelle puissance est la musique? Le son des instruments entre dedans l’esprit de la personne, et puis l’esprit commande au corps, lequel n’est pour autre chose que pour montrer par signes et mouvements la disposition de l’âme à joie ou à tristesse. Vous savez que les hommes marris font une autre contenance que les hommes gais et contents. Davantage392, en tous endroits faut considérer les circonstances; comme vous-même prêchez tous les jours. Un tabourineur qui flûteroit tout seul seroit estimé comme un prêcheur qui se mettroit en chaire sans assistants. Les danses sans instruments ou sans chansons seroient comme les gens en un lieu d’audience sans sermoneur. Parquoi, vous avez beau blâmer nos danses, il faudroit nous ôter les pieds et les oreilles; et vous assure, dit-elle, que, si j’étois morte, et j’ouïsse un violon, je me lèverois pour baller. Ceux qui jouent à la paume se tourmentent bien encore davantage pour courir après une petite pelote de cuir et de bourre, et y vont de telle affection, que quelquefois il semble qu’ils se doivent tuer, et si n’ont point d’instrument de musique, comme les danseurs, et ne laissent pas d’y prendre une merveilleuse récréation. Pensez-vous ôter les plaisirs du monde? Ce que vous prêchez contre les voluptés, si vous voulez dire vrai, n’est pas pour les abolir, sinon les déshonnêtes; car vous savez bien qu’il est impossible que ce monde dure sans plaisir; mais c’est pour empêcher qu’on n’en prenne trop.» Le docteur vouloit répliquer; mais il fut environné de femmes, qui le mirent à se taire, craignant qu’à un besoin elles ne l’eussent prins pour le mener danser. Et Dieu sait si c’eût bien été son cas.


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NOUVELLE XLI

De l’Écossois et sa femme qui étoit en peu trop habile au maniement.

Un Écossois, ayant suivi la cour quelque temps, aspiroit à une place d’archer393 de la garde, qui est le plus haut qu’ils désirent être quand ils se mettent à servir en France; car lors ils se disent tous cousins du roi d’Écosse.

L’Écossois, pour parvenir à ce haut état, avoit fait tout plein de services, pour lesquels, entre autres, il eut cette faveur d’épouser une fille, qui étoit damoiselle d’une bien grand’ dame; laquelle fille étoit d’assez bon âge. Elle n’eut guère été en mariage, qu’elle ne se souvînt des commandements qu’on donne aux jeunes épousées; premièrement: que la nuit elles tiennent leur couvre-chef à deux mains, de peur que leur mari les décoiffe; qu’elles serrent les jambes comme un homme qui descend en un puits sans corde; qu’elles soient un peu rebelles, et que, pour un coup qu’on leur baille, elles en rendent deux. Cette jeune damoiselle commença à observer de bonne heure ces beaux et saints enseignements, l’un après l’autre, jusqu’à ce qu’elle en fit une leçon, et les pratiqua tous à la fois, dont l’Écossois ne fut pas trop content, spécialement du dernier point. Et voyant qu’elle s’en savoit aider de si bonne heure, il sembla à ce pauvre homme qu’elle avoit apprins ces tordions394 d’un autre maître que 184de lui; de mode qu’il lui fongna395 bien gros, en lui disant: «Ah! vous culi396!» Et oncques puis ne dormit de bonne somme. Et même, à toutes heures qu’il étoit avec elle, il lui disoit: «Ah! vous culi! ah! vous culi! c’est un putain qui culi!» Et s’y fonda bien si fort, qu’il ne pouvoit regarder sa femme de bon œil, ne la nuit même ne la baisoit point de bon cœur. Elle, de son côté, se retira petit à petit, et se garda, de là en avant, d’être trop frétillante. Et voyant que cet Écossois avoit toujours froid aux pieds et mal à la tête, et qu’il fongnoit toujours, elle devint toute mélancolique et pensive: dont Madame, sa maîtresse397, s’aperçut, et lui demandoit souvent: «Qu’avez-vous, m’amie? Vous êtes enceinte?—Sa’ votre grâce398, madame, disoit-elle.—Qu’avez-vous donc? Il y a quelque chose.» Elle la pressa tant, qu’il fallut qu’elle sût ce qu’il y avoit, ainsi que les femmes veulent tout savoir. Je peux bien dire cela ici, car je sais bien qu’elles ne liront pas ce passage. Elle lui conta le cas. Quand Madame l’eut entendue: «Hé! n’y a-t-il que cela? dit-elle. Taisez-vous; vraiment, je parlerai bien à lui.» Ce qu’elle fit de bonne heure; et appela cet Écossois à part; et lui commença à demander comment il se trouvoit avec sa femme. «Madame, dit-il, je trouvi bien, grand merci vous.—Voire—mais votre femme est toute fâchée: que lui avez-vous fait?—J’aurai pas rien fait, madame. Je savois pas pourquoi fait-il mauvaise chère.—Je le sais bien, moi, dit-elle; 185car elle m’a tout dit. Savez-vous qu’il y a, mon ami? Je veux que vous la traitiez bien, et ne faites pas le fantastique399; êtes-vous bien si neuf de penser que les femmes ne doivent avoir leur plaisir comme les hommes? pensez-vous qu’il faille aller à l’école pour l’apprendre? Nature l’enseigne assez. Et que pensez-vous? que votre femme ne se doive remuer non plus qu’une souche de bois? Or çà, dit-elle, que je n’en oie plus parler: et lui faites bonne chère.» Mon Écossois se contenta, moitié par force, moitié par amour. Et incontinent, Madame fit savoir à la damoiselle ce qu’elle avoit dit à l’Écossois. Et peut bien être que la damoiselle étoit en la garde-robe à l’écouter sans que l’Écossois en sût rien. Mais elle ne fit pas semblant à son mari d’en rien savoir; et faisoit toujours de la fâchée le jour et la nuit, et ne se revengeoit plus des coups qu’elle recevoit, jusqu’à ce qu’une des nuits, il lui dit, la réconfortant: «Culi, culi! Madame le vouli bien.» De quoi elle se fit un peu prier; mais, à la fin, elle se rapprivoisa; et l’Écossois ne fut plus si fâcheux.


NOUVELLE XLII.

Du prêtre et du maçon qui se confessoit à lui.

Il y avoit un prêtre d’un village, qui étoit tout fier d’avoir vu un petit plus que son Caton400; car il avoit lu De 186Syntaxi401, et son Fauste precor gelida402. Et, pour cela, il s’en faisoit croire, et parloit, d’une braveté grande, usant des mots qui remplissoient la bouche, afin de se faire estimer un grand docteur. Et même, en confessant, il avoit des termes qui étonnoient les pauvres gens. Un jour, il confessoit un pauvre homme manouvrier, auquel il demandoit: «Or çà, mon ami, es-tu point ambitieux?» Le pauvre homme disoit que non, pensant bien que ce mot-là appartenoit aux grands seigneurs, et quasi se repentoit d’être venu à confesse à ce prêtre; lequel il avoit ouï dire qu’il étoit si grand clerc, et qu’il parloit si hautement, qu’on n’y entendoit rien, ce qu’il connut à ce mot ambitieux; car, car encore qu’il l’eût possible ouï dire autrefois, si est-ce qu’il ne savoit pas que c’étoit. Le prêtre, en après, lui va demander: «Es-tu point fornicateur?—Nenni.—Es-tu point glouton?—Nenni.—Es-tu point superbe?» Il lui disoit toujours nenni. «Es-tu point iraconde403?—Encore moins.» Ce prêtre, voyant qu’il lui répondoit toujours nenni, étoit tout admirabonde. «Es-tu point concupiscent?—Nenni.—Et qu’es-tu donc? dit le prêtre.—Je suis, dit-il, maçon; voici ma truelle.» Il y en eut un autre qui répondit de même à son confesseur, mais il sembloit être un peu plus affaité404. C’étoit un berger, auquel le prêtre demandoit: «Or çà, mon ami, avez-vous bien gardé les commandements de Dieu?—Nenni, 187disoit le berger.—C’est mal fait, disoit le prêtre. Et les commandements de l’Église?—Nenni.» Lors dit le prêtre: «Qu’avez-vous donc gardé?—Je n’ai gardé que mes brebis405,» dit le berger.

Il y en a un autre qui est vieil comme un pot à plume406; mais il ne peut être qu’il ne soit nouveau à quelqu’un. C’étoit un, lequel, après qu’il eut bien conté tout son affaire, le prêtre lui demanda: «Eh bien! mon ami, qu’avez-vous encore sur votre conscience?» Il répond qu’il n’y avoit plus rien, fors qu’il lui souvenoit d’avoir dérobé un licol. «Eh bien! mon ami, dit le prêtre, d’avoir dérobé un licol n’est pas grand’chose, vous en pourrez aisément faire satisfaction.—Voire mais, dit l’autre, il y avoit une jument au bout.—Ha, ha, dit le prêtre, c’est autre chose. Il y a bien différence d’une jument à un licol. Il vous faut rendre la jument, et puis la première fois que vous reviendrez à confesse à moi, je vous absoudrai du licol.»


NOUVELLE XLIII.

Du gentilhomme qui crioit la nuit après ses oiseaux, et du charretier qui fouettoit ses chevaux.

Il y a une manière de gens qui ont des humeurs colériques, ou mélancoliques, ou flegmatiques. Il faut bien que 188ce soit l’une de ces trois; car l’humeur sanguine est toujours bonne, ce dit-on, dont la fumée monte au cerveau qui les rend fantastiques, lunatiques, erratiques, fanatiques, schismatiques et tous les attiques qu’on sauroit dire, auxquels on ne trouve remède, pour purgation qu’on leur puisse donner. Pource, ayant désir de secourir ces pauvres gens, et de faire plaisir à leurs femmes, parents, amis, bienfaiteurs et tous ceux et celles qu’il appartient, j’enseignerai ici, par un bref exemple advenu, comme ils feront quand ils auront quelqu’un aussi mal traité principalement de rêveries nocturnes; car c’est un grand inconvénient de ne reposer ne jour ne nuit. Il y avoit un gentilhomme au pays de Provence, homme de bon âge, et assez riche et de récréation. Entre autres, il aimoit fort la chasse et y prenoit si grand plaisir le jour, que la nuit il se levoit en dormant: il se prenoit à crier ne plus ne moins que le jour, dont il étoit fort déplaisant et ses amis aussi; car il ne laissoit reposer personne qui fût en la maison où il couchoit, et réveilloit souvent ses voisins, tant il crioit haut et long-temps après ses oiseaux. Autrement, il étoit de bonne sorte et étoit fort connu, tant à cause de sa gentillesse que pour cette imperfection fâcheuse, pour laquelle l’appeloit-on l’Oiseleur. Un jour, en suivant ses oiseaux, il se trouva en un lieu écarté, où la nuit le surprint, qu’il ne savoit où se retirer, fors qu’il tourna et vira tant par les bois et montagnes, qu’il vint arriver tout tard en une maison, étant sur le grand chemin toute seule, là où l’hôte logeoit quelquefois les gens de pied qui étoient en la nuit, pource qu’il n’y avoit point d’autre logis qui fût près. Et quand il arriva, l’hôte étoit couché, lequel il fit lever, lui priant de lui donner le couvert pour cette nuit, pource qu’il faisoit froid et mauvais temps. L’hôte le laisse entrer, et met son cheval à l’étable des vaches, en lui mon189trant un lit au sau407; car il n’y avoit point de chambre haute. Or, y avoit là-dedans un charretier voiturier, qui venoit de la foire de Pézénas, lequel étoit couché en un autre lit tout auprès; lequel s’éveilla à la venue du gentilhomme, dont il lui fâcha fort; car il étoit las et n’y avoit guère qu’il commençoit à dormir. Et puis, telles gens de leur nature ne sont gracieux que bien à point. Au réveil ainsi soudain, il dit à ce gentilhomme: «Qui diable vous amène si tard?» Ce gentilhomme, étant seul et en lieu inconnu, parloit le plus doucement qu’il pouvoit: «Mon ami, dit-il, je me suis ici traîné en suivant un de mes oiseaux; endurez que je demeure ici à couvert, attendant qu’il soit jour.» Ce charretier s’éveilla un peu mieux, et, regardant ce gentilhomme, vint à le reconnoître; car il l’avoit assez vu de fois à Aix en Provence et avoit assez souvent ouï dire quel coucheur c’étoit. Le gentilhomme ne le connoissoit point; mais, en se déshabillant, lui dit: «Mon ami, je vous prie, ne vous fâchez point de moi pour une nuit; j’ai une coutume de crier la nuit après mes oiseaux; car j’aime la chasse, et m’est avis toute la nuit que je suis après.—Ho, ho! dit le charretier en jurant. Par le corps bieu! il m’en prend ainsi comme à vous, car toute la nuit il me semble que je suis à toucher mes chevaux, et ne m’en puis garder.—Bien, dit le gentilhomme; une nuit est bientôt passée; nous supporterons l’un l’autre.» Il se couche; mais il ne fut guère avant en son premier somme, qu’il ne se levât de plein saut et commença à crier par la place: Volà, volà, volà408. Et, à ce cri, mon charretier s’éveille, qui vous prend son fouet, qu’il avoit auprès de lui, et le vous mène à tort 190et à travers, à la part409 où il sentoit mon gentilhomme, en disant: Dia, dia, houois, hau, dia410. Il vous sangle le pauvre gentilhomme, il ne faut pas demander comment: lequel se réveilla de belle heure aux coups de fouet et changea bien de langage; car, en lieu de crier volà, il commença à crier à l’aide et au meurtre; mais le charretier fouettoit toujours, jusqu’à tant que le pauvre gentilhomme fut contraint se jeter sous la table sans plus dire mot, en attendant que le charretier eût passé sa fureur; lequel, quand il vit que le gentilhomme s’étoit sauvé, se remit au lit, et fit semblant de ronfler. L’hôte se lève, qui allume du feu et trouve ce gentilhomme mussé sous le banc, et étoit si petit, qu’on l’eût bien mis dans une bourse d’un double411, et avoit les jambes toutes frangées412 et toute sa personne blessée de coups de fouet, lesquels certainement firent grand miracle; car oncques puis ne lui advint de crier en dormant, dont s’ébahirent depuis ceux qui le connoissoient; mais il leur conta ce qu’il lui étoit advenu. Jamais homme ne fut plus tenu à autre que le gentilhomme au charretier de l’avoir ainsi guari d’un tel mal comme celui-là; comme on dit qu’autrefois ont été guaris les malades de saint Jean413; et aux chevaux rétifs on dit qu’il ne faut que leur pendre un chat à la queue, qui les égratignera tant par derrière, qu’il faudra 191qu’ils aillent de par Dieu ou de par l’autre414; et perdront la rétivité en le continuant trois cent soixante et dix-sept fois et demie et la moitié d’un tiers. Car dix-sept sols et un onzain, et vingt-cinq sols moins un treizain, combien valent-ils?


NOUVELLE XLIV.

De la veuve qui avoit une requête à présenter, et la bailla au conseiller-lai pour la rapporter.

Une bonne femme veuve avoit un procès à Paris, là où elle étoit allée pour le solliciter: en quoi elle faisoit grande diligence, combien qu’elle n’entendît guère bien ses affaires; mais elle se fioit que Messieurs de parlement auroient égard à sa vieillesse, à son veuvage et à son bon droit. Un matin, de bonne heure avant le jour415, plus tôt que de coutume, elle n’entra pas en son jardin pour cueillir la violette; mais elle print sa requête en sa main, en laquelle étoit question de certains excès faits à la personne de son feu mari. Elle va au Palais, à l’entrée de Messieurs, et s’adressa au premier conseiller qu’elle vit venir, et lui présenta sa requête pour la rapporter. Le conseiller la print; et, la lui baillant, la femme lui fait ses plaintes pour lui donner bien à entendre son cas. Quand le conseiller, qui d’aventure étoit des ecclésiastiques, ouït parler de crimes, il dit à la bonne: «Ma mie, ce n’est pas à moi à rapporter votre requête; il faut que ce soit un conseiller-lai qui la rapporte.» La bonne femme, ne sachant que vouloit dire un conseiller-lai, entendit que ce dût être un conseiller laid; pource qu’elle vit que cettui, d’a192venture, étoit beau personnage et de belle taille. Elle vous commence à vous regarder de près ces conseillers qui entroient, pour voir s’ils seroient beaux ou laids: en quoi elle étoit fort empêchée. A la fin, en voici venir un qui n’étoit pas des plus beaux hommes du monde, au moins au gré de la bonne femme, pource (peut-être) qu’il portoit une longue barbe et étoit tondu. La bonne femme pensa bien avoir trouvé son homme, et lui dit: «Monsieur, on m’a dit qu’il faut que ce soit un conseiller bien laid qui rapporte ma requête; j’ai bien regardé tous ceux qui sont entrés, mais je n’en ai point trouvé de plus laid que vous; s’il vous plaît, vous la rapporterez.» Le conseiller, qui entendit bien ce qu’elle vouloit dire, trouva bonne la simplicité d’elle, et print sa requête, et la rapportant, ne faillit pas à en faire le conte à ceux de sa chambre, lesquels expédièrent la bonne femme.


NOUVELLE XLV.

De la jeune fille qui ne vouloit point d’un mari parce qu’il avoit mangé le dos de sa première femme.

A propos de l’ambiguité des mots qui gît en la prolation416, les François ont une façon de prononcer assez douce; tellement que de la plupart de leurs paroles, on n’entend point la dernière lettre: dont bien souvent les mots se prendroient les uns pour les autres, si ce n’étoit qu’ils s’entendent par la signification des autres qui sont parmi. Il y avoit en la ville de Lyon une jeune fille, qu’on vouloit marier à un homme qui avoit eu une autre femme, laquelle lui étoit morte, à l’aide de Dieu, depuis un an ou deux. Cet homme avoit le bruit de n’être guère bon mé193nager; car il avoit vendu et dépendu417 le bien de sa première femme. Quand il fut question de parler de ce mariage, la jeune fille s’y trouva en cachette derrière quelque porte pour ouïr ce qu’on en diroit. Ils parlèrent de cet homme en diverses sortes; et y en eut un, entre autres, qui vint dire: «Je ne serois pas d’avis qu’on la lui baillât, c’est un homme de mauvais gouvernement: il a mangé le dot418 de sa première femme.» Cette jeune fille ouït cette parole, qu’elle n’entendoit point telle que l’autre l’entendoit; car elle étoit jeune et n’avoit point encore ouï dire ce mot de dot; lequel ils disent en certains endroits de ce royaume, et principalement en Lyonnois, pour douaire; et pensoit qu’on eût dit que cet homme eût mangé le dos ou l’échine de sa femme. Et la fille, bien marrie, qui va faire une mauvaise chère419 devant sa mère, lui dit franchement qu’elle ne vouloit point du mari qu’on lui vouloit donner. Sa mère lui demande: «Eh! pourquoi ne le voulez-vous, ma mie?» Elle répond: «Ma mère, c’est le plus mauvais homme: il avoit une femme qu’il a fait mourir; il lui a mangé le dos.» Dont il fut bien ri, quand on sut là où elle le prenoit. Mais elle n’avoit pas du tout tort de n’en vouloir; car combien qu’un homme ne soit pas si affamé de manger le dot d’une femme, comme s’il lui mangeoit le dos, si est-ce qu’ils ne valent guère ne l’un ne l’autre pour elles.


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NOUVELLE XLVI420.

Du bâtard d’un grand seigneur qui se laissoit prendre à crédit, et qui se fâchoit qu’on le sauvât.

Le bâtard d’un grand seigneur, ou, pour le moins, fils putatif, n’étoit sage que de bonne sorte, encore pas; car il lui sembloit que tout chacun lui devoit faire autant d’honneur qu’à un prince, pource qu’il étoit bâtard d’une si grande maison; et lui étoit avis encore que tout le monde étoit tenu de savoir sa qualité, son lieu421, et son nom; de quoi il ne donnoit pas grande occasion aux gens; car le plus souvent il s’en alloit vaguant par le pays, avec un équipage de peu de valeur; et se mettoit en toutes compagnies, bonnes ou mauvaises; tout lui étoit un. Il jouoit ses chevaux quand il étoit remonté, et ses accoutrements lorsqu’il étoit ès hôtelleries; et maintes fois alloit à beau pied, sans lance. Un jour qu’il étoit demeuré en fort mauvais ordre422, il passoit par le pays de Rouergue, s’en revenant vers la France pour se remonter; et se trouve à passer par un bois où quelques voleurs tout fraîchement avoient tué un homme. Le prévôt qui poursuivoit les brigands vint rencontrer ce bâtard, habillé en soudard, auquel il demande d’où il venoit. Le bâtard ne lui répond autre chose, sinon: «Qu’en avez-vous affaire d’où je viens?—Si ai, dea! j’en ai affaire, dit le prévôt. Êtes-vous point de ceux qui ont tué cet homme? dit-il.—Quel homme? dit-il.—Il ne faut point demander quel homme, dit le prévôt: je vous prendrois bien pour en savoir quel195ques nouvelles.» Il répond: «Qu’en voulez-vous dire?» Le prévôt le print au mot, et au collet, qui étoit bien pis, et le fait mener. En attendant toujours, ce bâtard disoit: «Ah! vous vous prenez donc à moi, monsieur le prévôt? je vous ai laissé faire.» Le prévôt, pensant qu’il le menaçât de ses compagnons, se tint sur sa garde, et le mène droit au premier village, là où il lui fait sommairement son procès; mais, en lui demandant qui il étoit, et comment il s’appeloit, il ne répondoit autre chose: «On le vous apprendra qui je suis. Ah! vous pendez les gens!» Sus ces menaces, le prévôt le condamne par sa confession même, et le fait très-bien monter à l’échelle. Ce bâtard se laissoit faire, et ne disoit jamais autre chose, sinon: «Par le corps bieu! monsieur le prévôt, vous ne pendîtes jamais homme qui vous coûtât si cher; ah! vous êtes un pendeur de gens!» Quand il fut au haut de l’échelle, il y eut, par fortune (ainsi que tant de gens se trouvent à telles exécutions), un Rouerguois, qui avoit autrefois été à la cour, lequel connoissoit bien ce bâtard, pour l’avoir vu assez de fois à la cour et en autres lieux. Il le reconnut incontinent, et encore s’approche plus près de l’échelle, pour ne faillir point, et tant plus connut-il que c’étoit lui. «Monsieur le prévôt, dit-il tout haut, que voulez-vous faire? c’est un tel. Regardez bien que c’est que vous ferez.» Le bâtard, entendant ce Rouerguois, dit: «Mot, mot, de par le diable! laissez-lui faire pour lui apprendre à pendre les gens.» Le prévôt, quand il l’eut ouï nommer, le fit promptement descendre, auquel le bâtard dit encore: «Ah! vous me vouliez pendre? on vous en eût fait souvenir, par Dieu, monsieur le prévôt! Mais que ne laissois-tu faire?» dit-il au Rouerguois en se fâchant. Pensez le grand sens dont il étoit plein, de se laisser pendre; et qu’il en eût été bien vengé? Mais qui croira que cela fût196 fils d’un grand seigneur? même d’un gentilhomme? Le pauvre homme ne sembloit423 pas à celui que le roi vouloit envoyer par devers le roi d’Angleterre, qui étoit pour lors bien mauvais François; lequel gentilhomme répondit au roi: «Sire, dit-il, je vous dois et ma vie et mes biens, et ne ferai jamais difficulté de les exposer pour votre service et obéissance; mais si vous m’envoyez en Angleterre en ce temps ici, je n’en retournerai jamais: c’est aller à la boucherie, et pour un affaire qui n’est point si fort contraint qu’il ne se puisse bien différer à un autre temps, que le roi d’Angleterre aura passé sa colère; car maintenant qu’il est animé, il me fera trancher la tête.—Foi de gentilhomme! dit le roi, s’il l’avoit fait, il m’en coûteroit trente mille pour la vôtre, avant que je n’en eusse la vengeance.—Voire mais, dit le gentilhomme, de toutes ces têtes, y en auroit-il une qui me fût bonne?» C’est un pauvre reconfort à un homme, que sa mort sera bien vengée. Vrai est que, aux exécutions vertueuses, l’homme de bien y va la tête baissée, sans autre circonstance, que pour le respect de son honneur, et pour le service de la république.


NOUVELLE XLVII.

Du sieur de Raschaut, qui alloit tirer du vin, et comment le fausset lui échappa dedans la pinte.

En la ville de Poitiers, y avoit un gentilhomme, de bien riche maison et de bon cœur: mais il avoit un grandissime défaut naturel, qui étoit de la langue; car il n’eût su dire trois mots sans bégayer, et encore demeuroit-il une heure à les dire, et à la fin il ne se pouvoit faire en197tendre. Mais il troussoit bien gentiment la parole première qu’il disoit, comme un sang Dieu, et une mort Dieu, quand il étoit en sa colère: qui est signe qu’un tel vice ne provient que d’une humeur colérique, abondante extrêmement en l’homme, laquelle l’empêche de modérer sa parole. (Je devrois payer l’amende pour m’apprendre à philosopher.) Dont son père, le voyant ainsi vicié424, le recommanda, dès sa petitesse425, au vicaire de Saint-Didier, qui le faisoit psalmodier à l’église, chanter des leçons de matines et de vigiles, et des Benedicamus, pour lui façonner sa langue: là où pourtant il ne proufita d’autre chose, sinon que quand il chantoit, il prononçoit assez distinctement; car, quant à son langage quotidien, en parlant il retint toujours cette imperfection. Il fut marié à une damoiselle de bonne maison, vertueuse et sage, qui le savoit bien gouverner. Un jour qu’il étoit l’une des quatre bonnes fêtes426, ainsi que tout le monde étoit empêché aux dévotions, ce bon gentilhomme, ayant fait les siennes, s’en vint à la maison avec un sien valet, pour déjeuner de quelque pâté de venaison que madamoiselle avoit fait. Mais quand ce fut à bien faire427, il se trouva qu’elle emportoit la clef: qui lui fâcha fort; car il n’y avoit ordre d’empêcher les dévotions de la damoiselle, et de la faire venir de l’église pour un pâté. Mais, ayant appétit, il envoya son homme deçà, delà, quérir quelque chose pour déjeuner. Toutefois, quand il avoit de l’un, il lui failloit428 de l’autre: beurre pour fricasser; un œuf pour faire la sauce; ognons, vinaigre, moutarde. Ils étoient 198tous deux bien empêchés en l’absence des femmes, qui entendent cela, principalement ès maisons ménagères: lesquelles (non pas les maisons, mais les femmes) n’étoient pas pour venir de l’église, que la grand’messe ne fût achevée. Mon gentilhomme étant impatient de faire un métier qu’il n’entendoit pas, et voyant que son valet ne faisoit pas bien à son appétit429, le vous chasse de la maison, et l’envoie au diable. Quand il se vit ainsi destitué d’aide, il se trouva bien ébahi; toutefois si ne voulut-il perdre son déjeuner, lequel étoit prêt, que de bond, que de volée430; excepté que le mot de l’Évangile étoit en pays: Vinum non habent431. Que fit-il? Il n’avoit pas la clef de la cave, mais il se prend à belle serrure de Dieu432, et la rompt très-bien à grands coups de marteau et de ce qu’il trouva; et prend un pot, et s’en va tirer du vin; mais il s’y entendoit moins qu’à fricasser; car premièrement il oublia à porter de la chandelle; secondement il ne savoit de quel tonneau il devoit tirer. Toutefois il tâtonna tant par cette cave, environ ces tonneaux, qu’il en trouva un qui avoit un fausset. Et mon homme environ433; mais il ne se print garde qu’en tirant le vin le fausset lui 199échappa dedans le pot: le voila puni à toutes rigueurs; car le vaisseau étoit si étroit, qu’il ne pouvoit mettre la main dedans, et peut-être encore que le fausset étoit tombé en terre. O pauvre homme, que feras-tu? Il n’eut rien plus prêt que de mettre le doigt au devant du pertuis du tonneau; car il ne vouloit pas laisser gâter434 son vin; et demeura là tout un temps. Mais, cependant, o tapet bien do pé435, il grinçoit les dents, il ronfloit, il pétilloit, il juroit à toutes restes: il maugréoit Colin Brenot436 et ses quittances. A la fin, tandis qu’il prenoit si bonne patience en enrageant, voici venir madamoiselle, de l’église, qui trouva les huis ouverts, entre autres celui de la cave, et la serrure et les crampons par terre: elle se douta bien, incontinent, que M. de Raschaut avoit fait ce terrible ménage. Tantôt elle l’entendit par le soupirail de la cave qui disoit ses kyrielles; auquel elle se print à dire: «Eh mon Dieu! que faites-vous là-bas, monsieur de Raschaut?» Il lui répondit en un langage jurois, tantôt en béguois437, tantôt en tous deux; et s’il étoit en peine, si étoit-elle aussi; car elle n’osoit pas descendre en la cave, à cause qu’elle étoit en ses beaux drapeaux438; et puis, n’entendant point ce qu’il disoit, ne songeoit jamais qu’il 200fût ainsi engagé. A la parfin, voyant qu’il ne venoit point, elle pensa qu’il y devoit avoir quelque chose; et s’avisa, pour le faire parler, de lui dire: «Chantez, monsieur de Raschaut, chantez?» Mon homme, encore qu’il n’eût pas envie, aima mieux pourtant le faire que de demourer toujours là. Si se print à chanter le grand Maledicamus439 en haute note. «Et çà, de par le diable! çà, dit-il, le douzil440 est en la pinte.» Quand madamoiselle l’eut entendu, elle l’envoya dégager par sa chambrière. Mais pensez qu’en chaude cole441 monsieur de Raschaut lui donna des ados442 pour son déjeuner, encore qu’il ne fût pas jour de poisson, et qu’elle n’en pût mais443.


NOUVELLE XLVIII.

Du tailleur qui se déroboit soi-même, et du drap gris qu’il rendit à son compère le chaussetier.

Un tailleur de la même ville de Poitiers, nommé Lyon, étoit bon ouvrier de son métier, et accoutroit fort proprement un homme et une femme et tout; excepté que quelquefois il tailloit trois quartiers de derrière en lieu de deux, ou trois manches en un manteau, mais il n’en cousoit que deux; car, aussi bien, les hommes n’ont que deux bras. Et avoit si bien accoutumé à faire la bannière444, 201qu’il ne se pouvoit garder d’en faire de toutes sortes de drap, et de toutes couleurs. Voire même quand il failloit un habillement pour soi, il lui étoit avis que son drap n’eût pas été bien employé s’il n’en eût échantillonné quelque lopin, et caché en la liette445, ou au coffre des bannières, comme l’autre, qui étoit si grand larron, que, quand il ne trouvoit que prendre, il se levoit la nuit446, et se déroboit l’argent de sa bourse. Non pas que je vueille dire que les tailleurs soient larrons; car ils ne prennent que ce qu’on leur baille, non plus que les meuniers. Et comme la bonne chambrière, qui disoit à celle qui la louoit: «Voyez, madame, je vous servirai bien, mais...—Quel mais? disoit la dame.—Agardez-mon447, disoit la garce: j’ai les talons un petit court, je me laisse choir à l’envers, je ne m’en saurois tenir. Mais je n’ai que cela en moi, car en toutes les autres choses vous me trouverez aussi diligente qu’il sera possible.» Aussi notre tailleur faisoit fort bien son métier, mais il avoit448 cette petite fautette449. D’ond, de par Dieu, il avoit une fois fait un manteau, d’un fin gris de Rouen, à un sien compère chaussetier, qui s’en vouloit aller bientôt dehors pour 202quelque sien affaire; duquel gris il avoit retenu un bon quartier. Ce compère s’en aperçut bien, mais il ne voulut point autrement s’en plaindre; car il savoit bien, par son fait même, qu’il falloit que tout le monde véquît de son métier. Un matin que le chaussetier passoit par devant la boutique du tailleur, avec son manteau vêtu, il s’arrête à caqueter avec lui. Le tailleur lui demande s’il vouloit déjeuner d’un hareng, car c’étoit en carême. Il le voulut bien: ils montent en haut pour faire cuire ce hareng; le tailleur crie d’en haut à l’apprenti: «Apporte-moi ce gril qui est là-bas.» L’apprenti pensoit qu’il demandoit ce drap gris qui étoit resté du manteau, et qu’il le voulût rendre à son compère le chaussetier. Il print ce drap, et le porte en haut à son maître. Quand le compère vit ce grand lopin de drap: «Comment! dit-il, voilà de mon drap: et n’en prends-tu que cela? Ah! par le corbieu, ce n’est pas assez.» Le tailleur, se voyant découvert, lui va dire: «Et penses-tu que je te le voulsisse retenir, toi qui es mon compère? Ne vois-tu pas bien que je l’ai fait apporter pour le te rendre? On lui épargne son drap, encore dit-il qu’on le lui dérobe!» Le compère chaussetier fut bien content de cette réponse; il déjeune et emporte son gris. Mais le tailleur fit bien la leçon à l’apprenti, qu’il fût une autrefois plus sage. La faute vint, que l’apprenti avoit toujours ouï dire grille450 féminin, et non pas gril: qui fut ce qui découvrit le pâté451.


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NOUVELLE XLIX.

De l’abbé de Saint-Ambroise et de ses moines, et d’autres rencontres452 dudit abbé.

Maître Jacques Colin453, naguère mort abbé de Saint-Ambroise454, étoit homme de bon savoir, comme il l’a assez fait connoître tandis qu’il a vécu, et avoit une grande assurance de parler de quelque propos que ce fût, et rencontroit singulièrement bien; tellement, que ces parties toutes ensemble le firent fort bien venir vers la personne du feu roi François, devant lequel il a lu longuement. On dit de lui tout plein de bons contes, lesquels seroient longs à réciter; mais, parmi tous, j’en conterai un ou deux, qui sont de bonne grâce, qu’il dit devant ledit seigneur. 204Il étoit en pique contre ses moines, lesquels lui faisoient tout du sanglant pis qu’ils pouvoient, et lui faisoient bien souvenir du proverbe commun455, qui dit: «Qu’il se faut garder du devant d’un bœuf, du derrière d’une mule, et de tout côtés d’un moine.» Vrai est qu’il se revanchoit456 bien, et en toutes les sortes dont il se pouvoit aviser: dont la plus fâcheuse pour les pauvres moines étoit qu’il les faisoit jeûner. Ce qu’ils ne prenoient point en gré toutefois; et s’en plaignirent à tant de gens, et en tant de lieux, que, par le moyen des uns, et puis des autres, il fut rapporté jusques aux oreilles du roi; lequel, voulant savoir la vérité du fait, dit un jour à maître Jacques Colin: «Saint-Ambroise, vos moines se plaignent de vous, et disent que vous ne les traitez pas ainsi que porte leur règle, et que vous les faites mourir de faim.»—Qu’en est-il, sire? répondit Saint-Ambroise; il vous a plu me faire leur abbé, ils sont mes moines, et puisque je représente la personne du fondateur de leur règle, raison veut que je leur fasse maintenir selon l’intention de lui, qui étoit qu’ils véquissent en humilité, pauvreté, chasteté et obédience. J’ai avisé et consulté tous les moyens 205qu’il a été possible; mais je n’en ai point trouvé de plus expédient, que par la sobriété. Car elle est cause de tous biens; comme la gourmandise, de tous maux. Je crois que David entendoit d’eux quand il disoit: «Si non fuerint saturati, murmurabunt457.» Et interprétoit ce mot au roi, selon son office de lecteur: «Et depuis, dit-il, le Nouveau Testament a parlé d’eux tout apertement, là où il est écrit en saint Matthieu, au chap. 17, v. 20: Hoc genus dæmoniorum non egicitur, nisi oratione et jejunio. Hoc genus dæmoniorum, dit-il, c’est-à-dire ce genre de moines.» Une autre fois, il avoit perdu un procès à la cour; et peut-être que ce fut contre ses moines susdits; qui fut du temps que les arrêts se délivroient en latin. En l’arrêt contre lui donné, y avoit selon le style: Dicta curia debotavit et debotat dictum Colinum de suâ demandâ. Et ce Saint-Ambroise, ayant reçu le double de ces arrêts, par un solliciteur, se trouva devant le roi, et lui dit à une heure qu’il sut choisir: «Sire, je ne reçus jamais si grand honneur que j’ai fait depuis trois jours en çà.—Et comment? dit le roi.—Sire, dit-il, votre cour de parlement m’a débotté.» Le roi, ayant entendu où il le prenoit, le trouva bien bon, après avoir connu leur élégance de ce beau latin ferré à glace. Mais depuis on a mis les arrêts en bon françois458. De quoi on dit, par raillerie, que maître Jacques Colin en avoit été cause: afin qu’on ne dît plus que la cour se mêlât de débotter les gens; mais débouter, tant qu’on voudroit, et plus que beaucoup ne voudroient bien. On dit encore tout plein de bons mots venant de lui. Étant à table, un maître d’hôtel, en as206seyant les plats, lui répandit un potage sus une saye459 de velours qu’il portoit. Il trouva occasion de mettre en propos un personnage qui étoit à table auprès lui, nommé Fundulus460, homme de bonnes lettres, mais tout exténué, partie de sa naturelle complexion, et partie de l’étude. Auquel l’abbé Saint-Ambroise dit: «Monsieur Fundulus, vous êtes tout maigre, il semble que vous vous portez mal.—Je me porte, dit Fundulus, toujours ainsi: je ne puis engraisser pour temps qui vienne.—Je vous enseignerai, dit Saint-Ambroise, un bon remède. Il ne faut que parler à monsieur le maître que voilà, il ne vous engraissera que trop.» Il y en a de lui assez de tels; mais tout cela appartient aux apophthegmes.


NOUVELLE L.

De celui qui renvoya ledit abbé avec une réponse de nez.

Ce même personnage, dont nous parlions, étoit de ceux qu’on dit qui ont été allaités d’une nourrice ayant les tettins durs461; contre lesquels le nez rebouche462 et devient mousse463; mais cela ne lui advenoit point mal, car il étoit homme trape464, bien amassé, et même qui savoit bien jouer des couteaux465; au moyen de quoi, se connoissoit en lui, ce que disait une excellente dame, en comparant 207les hommes contre les femmes: «Nous autres femmes, disoit-elle, ne nous faisons pas beaucoup estimer, sinon par l’aide de la beauté; et pour ce, il nous la faut soigneusement entretenir et nous faire valoir ce pendant que nous en avons la commodité; car quand notre beauté est passée, on ne tient plus de compte de nous. Quant est des hommes, je n’en vois point de laids, je les trouve tous beaux.» Suivant propos, Saint-Ambroise, un jour, étant accoudé sur une galerie à Fontainebleau, devisant avec quelques siens familiers, avisa en la cour basse un homme qu’il pensa bien connoître, lequel étoit seul de compagnie466 et avoit la contenance d’un nouveau venu. Saint-Ambroise ne se trompoit point, car il l’avoit assez vu de fois et même fréquenté du temps qu’il faisoit la rustrerie467. «Par Dieu! dit-il à ceux qui étoient avec lui, c’est un tel, c’est mon homme, je le vais un peu accoûtrer.» Il descend et s’en vint faire connoissance à son homme, toutefois d’une autre façon qu’il n’avoit fait jadis; car il y alloit à la réputation468, laquelle les courtisans ne peuvent pas bonnement déguiser, quand bien ils le voudroient. Cet homme, voyant la mine de Saint-Ambroise, lui tint assez bonne469 de son côté; car, encore qu’il ne hantât guère la cour, si en savoit-il assez bien les façons. Après quelques salutations, Saint-Ambroise lui va dire: «Or çà, que faites-vous en cette cour? vous n’y êtes pas sans cause.—Par ma foi! dit l’autre, je n’y fais pas grand’chose pour cette heure; je regarde qui a le plus 208beau nez.» Maître Jacques Colin lui va montrer le roi, lequel, d’aventure, étoit à une fenêtre à deviser. «Voici donc, ce dit-il, celui-là que vous cherchez.» Car, de fait, le roi François, avec ce qu’il étoit royal de toute façon470, avoit le nez beau et long471, autant que maître Jacques l’avoit court et retroussé. Par ce, il entendit bien que ces lettres ne s’adressoient point à autre qu’à lui-même; et lui tarda qu’il ne fût hors de là pour en aller faire le conte à ceux qu’il avoit laissés, auxquels il dit: «Par le corps bieu! mon homme m’a payé tout comptant. Je lui demandois qu’il faisoit ici; il m’a répondu qu’il regardoit qui avoit le plus beau nez.» On dit que le même personnage (qu’on dit avoir été le receveur Éloin, de Lyon) en donna d’une semblable à un cardinal qui lui demandoit: «Or çà, dit-il, que faites-vous maintenant de bon? vous n’êtes pas sans avoir quelque bonne entreprise?—Ma foi, monsieur, répondit-il, sauve votre grâce, je ne fais rien, non plus qu’un prêtre.»


NOUVELLE LI.

De Chichouan, tabourineur, qui fit ajourner son beau-père pour se laisser mourir, et de la sentence qu’en donna le juge.

N’a pas long-temps qu’en la ville d’Amboise, y avoit un tabourineur, qui s’appeloit Chichouan, homme récréatif et plein de bons mots, pour lesquels il étoit aussi bien venu par toutes les maisons comme son tabourin. Il print en mariage la fille d’un homme vieux, lequel étoit logé 209chez soi, en la ville même d’Amboise; homme de bonne foi, sentant la prud’homie du vieux temps; et se passoit aisément n’avoir autre enfant472 que cette fille. Et pource que Chichouan n’avoit pas d’autres moyens que son tabourin, il demandoit à ce bon homme quelque argent comptant en mariage faisant, pour soutenir les frais du nouveau ménage. Mais ce bon homme n’en vouloit point bailler, disant pour ses défenses à Chichouan: «Mon ami, ne me demandez point d’argent; je ne vous en puis bailler pour cette heure; mais vous voyez bien que je suis sur le bord de ma fosse; je n’ai autre héritier ni héritière que ma fille; vous aurez ma maison et tous mes meubles: je ne saurois plus vivre qu’un an ou deux, au plus.» Ce bon homme lui dit tant de raisons, qu’il se contenta de prendre sa fille sans argent. Mais il lui dit: «Écoutez, beau sire, je fais, sous votre parole, ce que je ne voudrois pas faire pour un autre; mais m’assurez-vous bien de ce que vous me dites?—Ehem! dit le bon homme, je ne trompai jamais personne; jà Dieu ne plaise que vous soyez le premier.—Eh bien! dit donc Chichouan, je ne veux point d’autre contrat que votre promesse.» Le jour des épousailles vint: Chichouan part de sa maison, et va quérir sa femme chez le père; et lui-même la mène à l’église avec son tabourin. Quand elle fut là: «Encore n’est-ce pas tout, dit-il; Chichouan est allé quérir sa femme; à cette heure, il se va quérir et s’en retourne à son logis.» Et tout incontinent voi le-ci473 qui se ramène lui-même à210tout son tabourin, à l’église, là où il épouse sa femme, et puis la ramène: et étoit le marié et le mènétrier; il gagnoit son argent lui-même. Il fit bon ménage avec elle, vivant toujours joyeusement. Au bout de deux ans, voyant que son beau-père ne mouroit point, il attend encore un mois, deux mois; mais il vivoit toujours. Il s’avise, pour son plaisir, de faire ajourner son beau-père, et, de fait, lui envoya un sergent. Ce bon homme, qui n’avoit jamais eu affaire en jugement, et qui ne savoit que c’étoit que d’ajournements, fut le plus étonné du monde de se voir ajourné; et encore à la requête de son gendre, lequel il avoit vu le jour de devant et ne lui en avoit rien dit. Il s’en va incontinent à Chichouan, et lui fait sa plainte, lui remontrant qu’il avoit grand tort de l’avoir fait ajourner, et qu’il ne savoit pourquoi c’étoit. «Non! non! dit Chichouan: je le vous dirai en jugement.» Et n’en eut autre chose, tellement qu’il fallut aller à la cour. Quand ils furent devant le juge, voici Chichouan qui proposa sa demande lui-même: «Monsieur, dit-il, j’ai épousé la fille de cet homme ici, comme chacun sait; je n’en ai point eu d’argent, il ne dira pas le contraire; mais il me promit, en me baillant sa fille, que j’aurois sa maison, et tout son bien, et qu’il ne vivroit qu’un an ou deux, pour le plus. J’ai attendu deux ans, et plus de trois mois davantage: je n’ai eu ne maison ne autre chose. Je requiers qu’il ait à se mourir, on qu’il me baille sa maison, ainsi qu’il m’a promis.» Le bon homme se fit défendre par son avocat, qui répondit en peu de plaid ce qu’il devoit sensément répondre. Le juge, ayant ouï les parties, et les raisons d’une part et d’autre, connoissant la gaudisserie474 intentée par Chichouan, le débouta de sa demande. Pour 211le fol ajournement, le condamna ès dépens, dommages et intérêts du bon homme, et, outre cela, en vingt livres tournois envers le roi. Incontinent Chichouan va dire: «Ah! monsieur, Chichouan en appelle.—Attendez, dit le juge en se tournant vers Chichouan: je modère, dit-il, à un chapon et sa suite475, que le bon homme paiera demain en sa maison; et en irez tous manger votre part ensemblement, comme bons amis: et une aubade que lui donnerez tous les ans, le premier jour du mois de mai476, tant qu’il vivra. Et puis, après sa mort, vous aurez sa maison, se elle n’est vendue, aliénée, ou tombée en fortune477 de feu.» Ainsi l’appointement du juge fut de même478 la demande de Chichouan, auquel il fit une peur du commencement. Mais il modéra sa sentence, ainsi que peut faire un juge, pourvu que ce soit sur-le-champ, comme il est noté in l. Nescio, ff Ubi et quando; per Bartholum, Baldum, Paulum, Salicetum, Jasonem, Felinum, et omnes tormentatores juris479.

NOUVELLE LII.

Du Gascon qui donna à son père à choisir des œufs.

Le Gascon, après avoir été à la guerre, s’étoit retiré chez son père, qui étoit un homme des champs déjà vieux, et qui étoit assez paisible: mais son fils étoit escarbillat480, et 212faisoit du soudard en la maison comme s’il eût été le maître. Un vendredi, à dîner, il disoit à son père: «Père, dit-il, nous avons assez de pinte de vin pour vous et pour moi, encore que n’en buviez point.» Son père et lui avoient mis cuire trois œufs au feu, dont le Gascon en prend un pour l’entamer, et tire l’autre à soi, et n’en laisse qu’un dedans le plat. Puis, il dit à son père: «Choisissez, mon père.» Le père lui répondit: «Hé! que veux-tu que je choisisse? il n’y en a qu’un.» Lors, le Gascon lui dit: «Cap de bieu, encore avez-vous à choisir, à prendre ou à laisser.» C’étoit faire un bon parti à son père. Quand son père éternuoit, il lui disoit: «Dieu vous aide, mon père!» Et après, il ajoutoit: «S’il veut, car il ne fait rien par force.» Il étoit honteux comme une truie qui emporte un levain; car il n’osoit pas maudire son père, mais il disoit: «Vienne le cancre481 à la moitié du monde.» Et quand et quand482 il disoit à un sien compagnon: «Donne, dit-il, le cancre à l’autre moitié, afin que mon père en ait sa part.»


NOUVELLE LIII.

Du clerc des finances qui laissa choir deux dés de son écritoire devant le roi.

Le roi Louis onzième étoit un prince de grande délibération et d’une exécution de même; lequel, entre autres siennes complexions, aimoit ceux qui étoient accorts et qui répondoient promptement; et si ne faisoit, comme on dit, jamais plus grand présent que de cent écus à une 213fois. Un jour, entre autres, qu’il falloit signer quelques lettres, et n’y avoit point de secrétaire des commandements présent, le roi commanda à un jeune homme de finances, qui étoit là (car il n’étoit point autrement difficile), lequel, ouvrant son écritoire pour signer, laissa tomber deux dés sur la table, qui étoient dans le calemard483. «Comment! dit le roi, quelle drogue est-ce là? à quoi est-elle bonne?—Contra pestem, sire, dit le clerc.—Contra pestem! dit le roi: tu es de mes gens.» Et commanda qu’on lui donnât cent écus. Un jour, les Genevois484 (desquels il est écrit Vane Ligur485), voyant que le roi s’en alloit au-dessus de ses affaires et qu’il rangeoit ses ennemis à la raison, pensant préoccuper486 sa bonne grâce, lui envoyèrent un ambassadeur, lequel avec sa belle harangue s’efforçoit de faire trouver bon au roi que ses ennemis étoient si prêts et appareillés de lui obéir, et que de leur bon gré et franche voulenté ils se donnoient à lui plutôt qu’à autre prince de la terre, pour la grandeur de son nom et de ses prouesses. «Oui, dit le roi; les Genevois se donnent-ils à moi?—Oui, sire.—Ils sont donc à moi sans repentir?—Oui, sire.—Et je les donne, dit le roi, à tous les diables.» Il faisoit un aussi bon présent comme il avoit reçu; et si ne donnoit rien qui ne fût à lui. Car on dit communément qu’il n’est point de plus bel acquêt que de don.


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NOUVELLE LIV.

De deux points pour faire taire une femme.

Un jeune homme, devisant avec une femme de Paris, laquelle se vantoit d’être la maîtresse, lui disoit: «Si j’étois votre mari, je vous garderais bien de faire tout à votre tête.—Vous! disoit-elle, il vous faudrait passer par là aussi bien comme les autres.—Oui! dit-il, assurez-vous que je sais deux points487 pour avoir la raison d’une femme.—Vites-vous? fit-elle; et qui sont ces deux points-là?» Le jeune homme, en fermant la main, lui dit: «En voilà un!» dit-il. Puis, tout soudain, en fermant l’autre main: «Et voilà l’autre.» De quoi il fut bien ri. Car la femme attendoit qu’il lui allât découvrir deux raisons nouvelles pour mettre les femmes à la raison, prenant points de point; mais l’autre entendoit poings de poing. Eh! par mon âme! je crois qu’il n’y a poing ni point qui sût assaigir488 la femme quand elle l’a mis en sa tête.


NOUVELLE LV.

La manière de devenir riche.

D’un petit commencement de marchandise, qui étoit de contreporter489 des aiguillettes, ceintures et épingles, un homme étoit devenu fort riche; de sorte qu’il achetoit les terres de ses voisins, et ne se parloit que de lui autour du pays. De quoi s’ébahissant, un gentilhomme, qui alloit 215avec lui de compagnie par chemin, lui va dire: «Mais venez çà, tel (le nommant par son nom): qu’avez-vous fait pour devenir aussi riche comme vous êtes?—Monsieur, dit-il, je le vous dirai en deux mots: c’est que j’ai fait grand’diligence et petite dépense.—Voilà deux bons mots, dit le gentilhomme; mais il faudrait encore du pain et du vin. Car il y en a qui se pourroient rompre le col, qu’ils n’en seroient pas plus riches.» Pour le moins, si font-ils mieux à propos, que de celui qui disoit que, pour devenir riche, il ne falloit que tourner le dos à Dieu cinq ou six bons ans.


NOUVELLE LVI.

D’une dame d’Orléans qui aimoit un écolier qui faisoit le petit chien à sa porte, et du grand chien qui chassa le petit.

Une dame d’Orléans, gentille et honnête, encore qu’elle fût guêpine490 et femme d’un marchand de draps, après avoir été assez longuement poursuivie d’un écolier, beau jeune homme, et qui dansoit de bonne grâce; car il y avoit de ce temps-là491 danseurs d’Orléans, flûteurs de Poitiers, braves d’Avignon, étudiants de Toulouse. L’écolier étoit nommé Clairet, auquel la femme se laissa gagner, comme pitoyable et humaine qu’elle étoit, et le mit en possession 216du bien amoureux, duquel il jouissoit assez paisiblement au moyen des avertissements, propos et messages qu’ils s’entrefaisoient. Ils avoient de petites intelligences ensemble, qui étoient jolies; desquelles ils usoient, par ordre, des unes et puis des autres: entre lesquelles, l’une étoit que Clairet venoit sur les dix heures de nuit à la porte d’elle, et jappoit comme un petit chien; à quoi la chambrière étoit faite, qui lui ouvroit incontinent la porte sans chandelle et sans lanterne, et se faisoit le mystère sans parler. Il y avoit un autre écolier, logé tout auprès de la jeune dame, qui en étoit fort amoureux, et eût bien voulu être en part avec Clairet; mais il n’en pouvoit venir à bout, ou fût qu’il n’étoit pas au gré d’elle, ou qu’il ne savoit pas s’y gouverner, ou (qui est mieux à croire) que les dames, qui sont un peu fines, ne se donnent pas voulentiers à leurs voisins, de peur d’être découvertes. Toutefois, étant bien averti que Clairet avoit entrée, et l’ayant vu aller et venir ses tours, et, entre autres, l’ayant ouï japper et vu comme on lui ouvroit la porte, que fit-il l’une des fois que le mari étoit dehors? Après s’être bien acertainé492 de l’heure que Clairet y entroit, il se pensa qu’il avoit bonne voix pour faire le petit chien comme Clairet, et qu’il ne tiendroit à abbayer493, que la proie ne se prînt. Adonc il s’en vint un peu avant les dix heures et fit le petit chien à la porte de la dame, hap, hap. La portière, qui l’entendit, lui vint incontinent ouvrir, dont il fut fort joyeux, et sachant bien les adresses494 de la maison, ne faillit point à s’aller mettre tout droit au lit auprès de la dame, qui cuidoit que ce fût Clairet; et pensez qu’il ne perdoit pas temps auprès d’elle. Tandis qu’il jouoit ses 217jeux, voici Clairet venir selon sa coutume, et se mit à faire à la porte hap, hap. Mais on ne lui ouvroit pas, combien que la dame en eût bien entendu quelque chose, mais elle ne pensoit jamais que ce fût lui. Il jappe encore une fois, dont la dame commença à soupçonner je ne sais quoi, et mêmement, pource que celui qui étoit avec elle lui sembloit avoir une autre guise et autre maniement que non pas Clairet. Et pour ce, elle se voulut lever pour appeler sa chambrière et savoir que c’étoit. Quoi voyant l’écolier, voulant avoir cette nuit franche, où il se trouvoit si bien, se lève incontinent du lit, et, se mettant à la fenêtre, ainsi que Clairet faisoit encore hap, hap, il va répondre en un abbai de ces clabaux495 de village, hop, hop, hop. Quand Clairet entendit cette voix: «Ha! ha! dit-il, par le corps bieu! c’est la raison que le grand chien chasse le petit. Adieu, adieu, bon soir et bonne nuit.» Et s’en va. L’autre écolier se retourne coucher, apaisant la dame le mieux qu’il peut, à laquelle il fut force de prendre patience; et depuis il trouva façon de s’accorder avec le petit chien, qu’ils iroient chasser aux connils496, chacun en leur tour, comme bons amis et compagnons.


NOUVELLE LVII.

Du Vaudrey497, et des tours qu’il faisoit.

Il n’y a pas long-temps qu’étoit vivant le seigneur de Vaudrey, lequel s’est bien fait connoître aux princes, et 218quasi à tout le monde, par les actes qu’il a faits, en son vivant, d’une terrible bigearre498, accompagnés d’une telle fortune, que nul, fors lui, ne les eût osé entreprendre; et, comme l’on dit, un sage homme en fût mort plus de cent fois: comme quand il print une pie, en la Beauce, à course de cheval, laquelle il lassa tant, qu’enfin elle se rendit; et quand il étrangla un chat à belles dents, ayant les deux mains liées derrière; et quand une fois, voulant éprouver un collet de buffle qu’il avoit vêtu, ou un jaque de maille499, ne sais lequel, il fit planter une épée toute nue contre la muraille, la pointe devers lui; et se print à courir contre l’épée, de telle roideur, qu’il se perça d’outre en outre, et toutefois il n’en mourut point. Il faut bien dire qu’il avoit bien l’âme de travers500. En outre toutes ses folies, il y en eut encore une qui mérite bien d’être racontée. Il passoit à cheval sur les ponts de Sey501, près d’Angers, lesquels sont bien hauts de l’eau pour ponts de bois502; il portoit en croupe un gentilhomme, qui lui dit en riant: «Viens çà, Vaudrey; toi qui as tant de belles inventions, et qui sais faire de si bons tours, si tu voyois maintenant les ennemis aux deux bouts de ce pont qui t’attendissent à passer, que ferois-tu?—Lors, dit Vaudrey, que je ferois! Mort bieu! voilà, dit-il, que je ferois.» Et ce disant, il donna de l’éperon à son cheval, et le fit sauter par-dessus les accou219dières503 dedans Loire; et se tint si bien, qu’il échappa avec le cheval. Si son compagnon échappa comme lui, il fut aussi heureux que sage pour le moins; car c’étoit grand’folie à lui de se mettre en croupe derrière un fol; vu que, quand on en est à une lieue, encore n’en est-on pas assez loin.


NOUVELLE LVIII.

Du gentilhomme qui coupa l’oreille à un coupeur de bourses.

En l’église de Notre-Dame de Paris, un gentilhomme étant en la presse, sentit un larron qui lui coupoit des boutons d’or qu’il avoit aux manches de sa robe; et, sans faire semblant de rien, tira sa dague et print l’oreille du larron et la lui coupa toute nette; et en la lui montrant: «Aga504, dit-il, ton oreille n’est pas perdue, la vois-tu là? Rends-moi mes boutons, et je te la rendrai.» Il ne lui faisoit pas mauvais parti, s’il eût pu recoudre son oreille, comme le gentilhomme ses boutons.


NOUVELLE LIX.

De la damoiselle de Toulouse qui ne soupoit plus, et de celui qui faisoit la diète.

Une damoiselle de Toulouse, au temps de vendanges, étoit à une borde505 sienne, et avoit pour voisine une autre damoiselle de la ville même: lesquelles entendoient à faire leur vin, et s’entrevoyoient souvent, et quelquefois mangeoient ensemble. Mais il y en avoit une qui avoit prins coutume de ne souper point, et disoit à sa voisine: «Ma220damoiselle, j’ai vu le temps que je me trouvois quasi toujours malade, jusques à tant que j’ai prins coutume de ne souper plus, et de faire seulement un petit506 de collation au soir.—Et de quoi collationnez-vous, madamoiselle? disoit l’autre.—Savez-vous, dit-elle, comment j’en use? Je fais rôtir deux cailles entre belles feuilles de vigne (comme ils les accoûtrent en ce pays-là pour les faire cuire avec leur graisse; car elles sont fort grasses), et fais mettre une poire de râteau507 entre deux braises. (Ces poires sont grosses comme le poing, et mieux.) Je fais collation de cela, dit-elle: et quand j’ai mangé cela, et bu une jatte de vin (qui vaut loyalement la pinte de Paris) avec un pain d’un hardi508, je me trouve aussi bien de cela, comme si j’avois mangé toutes les viandes du monde.—Sec509! se dit l’autre: le diable vous en feroit bien mal trouver.» Et quand le temps des cailles étoit passé, à belles peringues510, à belles palombes511, à belles pellixes512, pensez que la pauvre damoiselle étoit bien à plaindre. J’aimerois autant celui qui disoit à son varlet: «Recommande-moi bien à monsieur le maître513, et lui dis que je le prie qu’il m’envoie seulement un potage, un morceau de veau, une aile de chapon et de perdrix et quelque autre petite chose; car je ne veux guère manger à cause de ma diète.» Et l’autre, 221cuidant être estimé sobre en demandant à boire, après qu’il eut été interrogé, duquel514 il vouloit: «Donnez-moi, dit-il, du blanc, cinq ou six coups; et puis, du clairet, tant qu’il vous plaira.» Mais il ne sembloit pas à celle qui plaignoit l’estomac: «J’ai, dit-elle, mangé la cuisse d’une alouette, qui m’a tant chargé l’estomac, que je n’en puis durer.» Il n’y eût pas entré la pointe d’un jonc.


NOUVELLE LX.

Du moine qui répondoit à tout par monosyllabes rimés515.

Quelque moine, passant pays, arriva en une hôtellerie sur l’heure du souper. L’hôte le fait asseoir avec les autres qui avoient déjà bien commencé; et mon moine, pour les atteindre, se mettre à bauffrer d’un tel appétit, comme s’il n’eût vu de trois jours pain. Le galant s’étoit mis en pourpoint516 pour mieux s’en acquitter: ce que voyant un de ceux qui étoient à table, lui demandoit force choses, qui ne lui faisoit pas plaisir; car il étoit empêché à remplir sa poche517. Mais, afin de ne perdre guère de temps, il répondoit tout par monosyllabes rimés: et crois bien qu’il avoit apprins ce langage de plus longue main; car il y étoit fort habile. Les demandes et les réponses étoient. Un lui demande: «Quel habit portez-vous?—Froc.222—Combien êtes-vous de moines?—Trop.—Quel pain mangez-vous?—Bis.—Quel vin buvez-vous?—Gris.—Quelle chair mangez-vous?—Bœuf.—Combien avez-vous de novices?—Neuf.—Que vous semble de ce vin?—Bon.—Vous n’en buvez pas de tel?—Non.—Et que mangez-vous les vendredis?—Œufs.—Combien en avez-vous chacun?—Deux.» Ainsi, ce pendant, il ne perdoit pas un coup de dent; et si satisfaisoit aux demandes laconiquement. S’il disoit ses matines aussi courtes, c’étoit un bon pilier d’église.


NOUVELLE LXI.

De l’écolier légiste et de l’apothicaire qui lui apprint la médecine.

Un écolier, après avoir demouré à Toulouse quelque temps, passa par une petite ville près de Cahors en Querci, nommée Saint-Antonin, pour là repasser ses textes de loi; non pas qu’il y eût grandement proufité, car il s’étoit toujours tenu aux lettres humaines, ès quelles il étoit bien entendu; mais il se songea518, puisqu’il s’étoit mis en la profession du droit, de ne s’en devoir point retourner égarant519, et qu’il n’en sût répondre comme les autres. Soudain qu’il fut à Saint-Antonin (comme en ces petites villes on est incontinent vu et remarqué), un apothicaire le vint aborder en lui disant: «Monsieur, vous soyez le bienvenu!» Et se met à deviser avec lui: auquel, en suivant propos, il échappa quelques mots qui appartenoient à la médecine, ainsi qu’un homme d’étude et de jugement a toujours quelque chose à dire en toutes professions. Quand l’apothicaire l’eut ainsi ouï parler, il lui dit: 223«Monsieur, vous êtes donc médecin, à ce que je puis connoître?—Non suis point autrement, dit-il, mais j’en ai bien vu quelque chose.—Je pense bien, dit l’apothicaire, que tous ne le voulez pas dire, pource que vous n’avez pas proposé de vous arrêter en cette ville; mais je vous assure bien que vous n’y feriez pas mal votre proufit. Nous n’avons point de médecin pour le présent: celui que nous avions naguère est mort riche de quarante mille francs. Se vous y voulez demourer, il y fait bon vivre: je vous logerai, et vivrons bien, vous et moi; mais que520 nous nous entendions bien, venez-vous-en dîner avec moi?» L’écolier, oyant parler cet apothicaire, qui n’étoit pas bête (car il avoit été par les bonnes villes de France pour apprendre son état), se laisse emmener à dîner, et se pensa en soi-même: «Il faut essayer la fortune, et si cet homme ici fera ce qu’il dit; aussi bien en ai-je bon métier. Voici un pays égaré521, il n’y a homme qui me connoisse: voyons ce que pourra être.» L’apothicaire le mène dîner en son logis. Après dîner, ayant toujours continué ses premiers propos, ils furent incontinent cousins. Pour abréger, l’apothicaire lui fit accroire qu’il étoit médecin; et lors, l’écolier lui va dire premièrement ce qui s’en suit: «Savez-vous qu’il y a? je ne pratiquai encore jamais en notre art, comme vous pouvez penser; mais mon intention étoit de me retirer à Paris, pour y étudier encore quelques années, et pour me jeter en la pratique, en la ville d’où je suis; mais, puisque je vous ai trouvé bon compagnon, et que je connois que vous êtes homme pour me faire plaisir, et moi à vous, regardons à faire nos besognes; je suis content de demourer ici.—Monsieur, dit l’apothicaire, 224ne vous souciez, je vous apprendrai toute la pratique de médecine en moins de quinze jours. Il y a long-temps que j’ai été sous les médecins, et en France, et ailleurs; je sais leurs façons et leurs recettes toutes par cœur: davantage, en ce pays ici, il ne faut que faire bonne mine, et savoir deviner: vous voilà le plus grand médecin du monde.» Et dès lors l’apothicaire commence à lui montrer comment s’écrivoit une once, une drachme, un scrupule, une pongnée, un manipule522; et un autre demain523, il lui apprint le nom des drogues les plus vulgaires; et puis, à doser, à mixtionner, à brouiller, et toutes telles besognes. Cela dura bien dix ou douze jours, pendant lesquels il gardoit la chambre, faisant dire par l’apothicaire qu’il étoit un peu mal disposé. Toutefois l’apothicaire n’oublia pas à dire par toute la ville que cet homme étoit le meilleur médecin et le plus savant que jamais fût entré à Saint-Antonin. De quoi ceux de la ville étoient fort aises, et commencèrent à le caresser, incontinent qu’il fut sorti de la maison, et se battoient à qui le convieroit: et si eussiez dit qu’ils avoient déjà envie d’être malades, pour le mettre en besogne, afin qu’il eût courage de demourer. Mais l’écolier (que dis-je, écolier! docteur passé par les mains d’un apothicaire) se faisoit prier, ne fréquentoit que peu de gens, tenoit bonne mine, et, sur toutes choses, ne partoit guère d’auprès de l’apothicaire, qui lui rendoit ses oracles en moins de rien. Voici venir urines de tous côtés. Or, en ce pays-là, il falloit deviner par urines, si le patient étoit homme ou femme, et en quelle part il sentoit son mal, et quel âge il avoit. Mais ce médecin faisoit bien plus; il devinoit qui étoit son père et sa 225mère, s’il étoit marié ou non, et depuis quel temps, et combien il avoit d’enfants. Somme, il disoit tout ce que en étoit, depuis les vieux jusqu’aux nouveaux; et tout par l’aide de son maître l’apothicaire. Car, quand il voyoit quelqu’un qui apportoit une urine, l’apothicaire alloit le questionner, ce pendant que le médecin étoit en haut; et lui demandoit de bout en bout toutes les choses susdites; et puis, et puis, le faisoit attendre, tandis qu’il alloit avertir secrètement son médecin de tout ce qu’il avoit apprins de ce porteur d’urine. Le médecin en les prenant, les regardoit incontinent haut et bas, mettoit la main entre l’urine et le jour; et le baissoit, et le viroit, avec les mines en tel cas requises, puis il disoit: «C’est une femme.—O par ma fé, segni ben disez vertat524!—Elle a une grande douleur au côté gauche, au-dessous de la mamelle; ou de ventre ou de tête, selon que lui avoit dit l’apothicaire.—Il n’y a que trois mois qu’elle a fait une fille.» Ce porteur devenoit le plus ébahi du monde, et s’en alloit incontinent conter partout ce qu’il avoit ouï de ce médecin; tant, que de bouche en bouche le bruit couroit qu’il étoit venu le premier homme du monde. Et si d’aventure quelquefois son maître l’apothicaire n’y étoit pas, il tiroit le ver du nez525 à ces Rouerguois, en disant par une admiration: «Bien malade!» A quoi le porteur répondoit incontinent: il ou elle. Au moyen de quoi, il disoit (après avoir un peu considéré cette urine): «N’est-ce pas un 226homme?—O, certes, be es un homme526, disoit le Rouerguois.—Ha! je l’ai bien vu incontinent,» disoit le médecin. Mais quand ce venoit à ordonner devant les gens, il se tenoit toujours près de son magister, lequel lui parloit le latin médicinal, qui étoit en ce temps-là fin comme bureau teint527. Et sous cette couleur-là, l’apothicaire lui nommoit le recipé528 tout entier, faisant semblant de parler d’autre chose: en quoi je vous laisse à penser s’il ne faisoit pas bon voir un médecin écrire sous un apothicaire! En effet, ou fût pour l’opinion qu’il fit concevoir de soi, ou par quelque autre aventure, les malades se trouvoient bien de ses ordonnances; et n’étoit pas fils de bonne mère qui ne venoit à ce médecin; et se faisoient accroire qu’il faisoit bon être malade, ce pendant qu’il étoit là; et que, s’il s’en alloit, ils n’en recouvreroient jamais un tel. Ils lui envoyoient mille présents, comme gibiers, ou flacons de vins; et ces femmes lui faisoient des moucadous et des camises529. Il étoit traité comme un petit coq au panier530; tellement, qu’en moins de six ou sept mois, il gagna force écus, et son apothicaire aussi, par le moyen l’un de l’autre: de quoi il se mit en équipage pour s’en aller de Saint-Antonin, faisant semblant d’avoir reçu lettres de son pays, par lesquelles on lui mandoit nouvelles; et qu’il falloit qu’il s’en allât, mais qu’il ne failliroit à retourner bientôt. Ce fut à Paris qu’il s’en vint: là 227où depuis étudia en la médecine, et peut-être que oncques puis il ne fut si bon médecin, comme il avoit été en son apprentissage (j’entends qu’il ne fit point si bien ses besognes531). Car quelquefois la Fortune aide plus aux aventureux que non pas aux trop discrets; car l’homme savant est de trop grand discours: il pense aux circonstances, il s’engendre une crainte et un doute, par lequel on donne aux hommes une défiance de soi, qui les décourage de s’adresser à vous; et, de fait, on dit qu’il vaut mieux tomber ès main d’un médecin heureux que d’un médecin savant. Le médecin italien entendoit bien cela; lequel, quand il n’avoit que faire, écrivoit deux ou trois cents recettes, pour diverses maladies; desquelles il prenoit un nombre, qu’il mettoit en la facque de son saye532; puis, quand quelqu’un venoit à lui pour urines, il tiroit une de ces recettes à l’aventure, comme on met à la blanque533, et la bailloit au porteur, en lui disant seulement: «Dio te la daga buona.» Et s’il s’en trouvoit bien: «In buona hora.» S’il s’en trouvoit mal: «Suo danno534.» Ainsi va le monde.


NOUVELLE LXII.

De messire Jean qui monta sur le maréchal pensant monter sur sa femme535.

Un maréchal, demourant en un village qui étoit un lieu de passage, avoit une femme passablement belle, au moins au gré d’un prêtre qui demouroit tout auprès de lui, ap228pelé messire Jean: lequel fit tant, qu’il accorda ses flûtes536 avec cette jeune femme: et s’entendoit tellement avec elle, que, quand le maréchal s’étoit levé pour forger ses fers (que le prêtre connoissoit bien, quand il entendoit battre à deux, car c’étoit signe que le maréchal y étoit avec le varlet), lors messire Jean ne failloit point à entrer par un huis de derrière, dont elle lui avoit baillé la clef, et se venoit mettre au lit en la place du maréchal, qu’il trouvoit toute chaude; là où il forgeoit de son côté sus une autre enclume; mais on ne l’oyoit pas de si loin faire sa besogne; et quand il avoit fait, il se retiroit gentiment par l’huis où il étoit entré. Mais ils ne surent faire leur cas si secrètement, que le maréchal ne s’en aperçût, au moins qu’il n’en eût une véhémente présomption, ayant ouï ouvrir et fermer cet huis; tant qu’il s’en print un jour à sa femme, et la menaça, et la pressa tant et avec une colère telle qu’ont voulentiers ces gens de feu, qu’elle lui demanda pardon, et lui confessa le cas, et lui dit comme messire Jean se venoit coucher auprès d’elle, quand il oyoit battre à deux. Le maréchal ayant ouï ces nouvelles, après que sa femme lui eut bien crié merci, ce lui fut force de demourer là. Mais pensez que ce ne fut pas sans lui donner dronos et chaperon de même537. De là à quelques jours après, le maréchal trouva le prêtre, auquel il dit: «Messire Jean, vous venez voir ma femme quand vous avez le loisir?» Le prêtre le nia fort et ferme, lui disant qu’il ne lui voudroit pas faire ce tour-là, et qu’il aimeroit mieux être mort. «Vous êtes mon compère, di229soit le prêtre.—Et bien, bien, dit le maréchal, je m’en rapporte à vous: chevauchez-la à votre aise quand vous y serez; mais gardez-vous bien de me chevaucher: car s’il vous advient, le diable vous aura bien chanté matines538.» Le prêtre, connoissant que le maréchal étoit un mauvais fol, se tint dès lors sur ses gardes, et ne voulut plus venir à la forge; mais le maréchal dit à sa femme: «Savez-vous qu’il faut que vous fassiez? mais gardez-vous bien de faire la borgne ni la boiteuse; car vous savez bien que votre marché n’en seroit pas meilleur: refaites connoissance à messire Jean, et l’entretenez de paroles; et puis, un matin, je vous dirai ce que vous aurez à faire.» Elle fut fort contente de lui promettre tout ce qu’il voulut, de peur de la male aventure. Et faut entendre qu’elle savoit bien battre539, et de bonne mesure: car elle avoit apprins à battre avec le varlet, pour faire la besogne quand le maréchal n’y étoit pas. A donc elle se mit à faire bon semblant à messire Jean, ainsi que son mari l’avoit instruite; lui donnant à entendre que le maréchal n’y pensoit point, et que ce n’étoit qu’une opinion, qui lui avoit passé par l’entendement; et le vous assura par belles paroles, lui disant: «Venez, venez demain au matin, à l’heure accoutumée, quand vous orrez qu’ils battront à deux.» Messire Jean la crut, le pauvre homme! Quand le matin fut venu, le maréchal dit à sa femme, en la présence du varlet: «Levez-vous, et allez battre en ma place; car je me trouve un peu mal.» Ce qu’elle fit, et se mit à la forge, et bat avec ce varlet. Incontinent que messire Jean entendit battre à deux à la forge, il ne fut pas endormi. Il se leva avec sa grosse robe de nuit, entre par l’huis ac230coutumé, et se vient coucher auprès de ce maréchal, pensant être auprès de sa femme. Et, pource qu’il y avoit long-temps qu’il n’avoit donné ès gauffriers540, il étoit lors tout prêt à le bien faire; et ne fut pas sitôt au lit, que, de plein saut, il ne se rua dessus ce maréchal: lequel le vous commença à serrer à deux belles mains, en lui disant: «Eh! vertubieu (pensez que c’étoit par un D541), messire Jean, qui vous a ici fait venir? Je vous avois tant dit que vous ne me chevauchissiez point, et que j’étois mauvaise bête, et vous n’en avez rien voulu croire!» Le prêtre se vouloit défaire542, mais le maréchal le vous tenoit à deux bons bras, et se print à crier à son varlet, qui étoit en bas, lequel monta incontinent, et apporta du feu: et Dieu sait comment monsieur le prêtre fut étrillé à beaux nerfs de bœuf, que le maréchal tenoit tout prêts, et expressément pour battre à deux sur le dos de messire Jean, à la recrue543 du maître et du varlet. Et cependant il n’osoit pas crier au secours; car le maréchal le menaçoit de le mettre en la fournaise; pource il aimoit mieux endurer les coups que le feu. Encore en eut-il bon marché au prix de celui qui eut les deux témoins544 enfermés au coffre, et le feu allumé derrière: tellement qu’il fut contraint de les couper lui-même avec le rasoir qui lui avoit été baillé en la main545.


231

NOUVELLE LXIII.

De la sentence que donna le prévôt de Bretagne, lequel fit pendre Jean Trubert et son fils.

Au pays de Bretagne, y eut un homme, entre autres, qui ne valoit guère, nommé Jean Trubert; lequel avoit fait plusieurs larcins, pour lesquels il avoit été reprins assez de fois, et en avoit été, à l’une fois, frotté, et l’autre étrillé: qui étoit assez pour s’en souvenir. Toutefois il y étoit si affriandé, qu’il ne s’en pouvoit châtier; et même il commençoit à apprendre le train à un fils qu’il avoit, de l’âge de quinze à seize ans, et le menoit avec lui en ses factions546. Advint, un jour, que lui et son fils dérobèrent une jument à un riche paysan, lequel se douta incontinent que ce avoit été Jean Trubert: dont il ne faillit à faire telle poursuite, qu’il se trouva, par bons témoins, que Jean Trubert avoit mené vendre cette jument à un marché, qui avoit été le mercredi de devant, à cinq ou six lieues de là. Trubert et son fils furent mis entre les mains du prévôt des maréchaux547: lequel Jean Trubert ne tarda guère que son procès ne lui fût fait, et son dicton548 signifié: qui portoit, entre autres, ces mots: Jean Trubert, pour avoir prins et robbé549 un grand jument, seroit pendu et étranglé, le petit avec lui: et là-dessus, fait livrer Jean Trubert à l’exécuteur de la haute justice; auquel il bailla son greffier, qui n’étoit pas des plus scientifiques du monde. Quand ce fut à faire l’exécution, le bourreau pen232dit le père haut et court: et puis, il demanda au greffier que c’est qu’il falloit faire de ce jeune gars. Le greffier va lire la sentence, et après avoir bien examiné ces mots: le petit avec, il dit au bourreau qu’il fît son office: ce qu’il fit, et pendit ce pauvre petit tout pendu, et l’étrangla, qui étoit bien pis. L’exécution ainsi faite, le greffier s’en retourna au prévôt, lequel lui va dire: «Et puis, Jean Trubert?—Jean Trubert, dit le greffier, seroit pendu.—Et le petit? dit le prévôt.—Par Dieu! et le petit, dit le greffier.—Comment, par tous les diables! dit le prévôt, seroit pendu le petit!—Par Dieu! oui, le petit, disoit le greffier.—Comment! dit le prévôt, j’avois pas dit cela.» Et là-dessus, débattirent long-temps le prévôt et le greffier, disant le greffier que la sentence portoit que le petit seroit pendu; et le prévôt, au contraire; lequel, après longs débats, va dire: «Lisez la sentence. Par Dieu! j’avois pas entendu que le petit seroit pendu.» Le greffier lui va lire cette sentence, et ces mots substantiels: Jean Trubert, pour avoir prins et robbé un grand jument, seroit pendu et étranglé, le petit avec lui. Par lesquels mots avec lui, le prévôt vouloit dire que Jean Trubert seroit pendu, et que son fils seroit présent pour voir faire l’exécution, afin de se châtier de faire mal par l’exemple de son père. Ce prévôt vouloit expliquer ces mots, mais il étoit bien tard pour le pauvre petit: et le greffier, d’un autre côté, se défendoit, disant que ces mots avec lui signifioient que le petit devoit être pendu avec Trubert son père. A la fin, le prévôt ne sut que dire, sinon que son greffier avoit raison ou cause de l’avoir, et dit seulement. «Pien550, le petit, bien, seroit pendu; par 233Dieu! dit-il, ce seroit une belle défaite, que d’un jeune loup.» Voilà toute la récompense qu’eut le pauvre petit, excepté que le prévôt le fit dépendre, de peur qu’il en fût nouvelles.


NOUVELLE LXIV.

Du garçon qui se nomma Toinette pour être reçu en une religion de nonnains; et comment il fit sauter les lunettes de l’abbesse qui le visitoit551.

Il y avoit un jeune garçon, de l’âge de dix-sept à dix-huit ans; lequel, étant, à un jour de fête, entré en un couvent de religieuses, en vit quatre ou cinq qui lui semblèrent fort belles, et dont n’y avoit celle552 pour laquelle il n’eût voulentiers rompu son jeûne; et les mit si bien en sa fantaisie553, qu’il y pensoit à toutes heures. Un jour, comme il en parloit à quelque bon compagnon de sa connoissance, ce compagnon lui dit: «Sais-tu que tu feras? Tu es beau garçon: habille-toi en fille, et t’en va rendre à l’abbesse; elle te recevra aisément: tu n’es point connu en ce pays ici.» (Car il étoit garçon de métier, et alloit et venoit par pays.) Il crut assez facilement ce conseil, se pensant qu’en cela n’avoit aucun danger qu’il n’évitât bien quand il voudroit. Il s’habille en fille assez pauvrement, et s’avisa de se nommer Toinette. Donc, de par Dieu, s’en va au couvent de ces religieuses, où elle trouva façon de se faire voir à l’abbesse, qui étoit fort vieille, et, de bonne aventure, n’avoit point de chambrière. Toinette parle à l’abbesse, et lui conte assez bien son cas, disant qu’elle étoit une pauvre orpheline d’un village de là auprès, qu’elle lui nomma. Et, en effet, parla si humble234ment, que l’abbesse la trouva à son gré, et par manière d’aumône la voulut retirer, lui disant que pour quelques jours elle étoit contente de la prendre, et que s’elle vouloit être bonne fille, qu’elle demoureroit là-dedans. Toinette fit bien la sage, et suivit la bonne femme d’abbesse: à laquelle elle sut fort bien complaire, et quant et quant554 se faire aimer à toutes les religieuses, et même, en moins de rien, elle se print à ouvrer555 de l’aiguille (car peut-être qu’elle en savoit déjà quelque chose), dont l’abbesse fut si contente, qu’elle la voulut incontinent faire nonne de là-dedans. Quand elle eut l’habit, ce fut bien ce qu’elle demandoit, et commença à s’approcher fort près de celles qu’elle voyoit les plus belles, et, de privauté en privauté, elle fut mise à coucher avec l’une. Elle n’attendit pas la deuxième nuit, que, par honnêtes et aimables jeux, elle fît connoître à sa compagne qu’elle avoit le ventre cornu, lui faisant entendre que c’étoit par miracle et vouloir de Dieu. Pour abréger le conte, elle mit sa cheville au pertuis de sa compagne, et s’en trouvèrent bien et l’une et l’autre; laquelle chose, en la bonne heure, il (dis-je elle) continua assez longuement, et non seulement avec celle-là, mais encore avec trois ou quatre des autres, desquelles elle s’accointa. Et quand une chose est venue à la connoissance de trois ou de quatre personnes, il est aisé que la cinquième le sache, et puis la sixième; de mode, qu’entre ces nonnes (y en ayant quelques-unes de belles, et les autres laides, auxquelles Toinette ne faisoit pas si grande familiarité qu’aux autres), avec maintes autres conjectures, il leur fut facile de penser je ne sais quoi; et y firent tel guet, qu’elles les connurent assez certainement; et com235mencèrent à en murmurer si avant, que l’abbesse en fut avertie, non pas qu’on lui dît que nommément ce fût sœur Toinette; car elle l’avoit mise là-dedans, et puis elle l’aimoit fort, et ne l’eût pas bonnement cru: mais on lui disoit, par paroles couvertes, qu’elle ne se fiât pas en l’habit, et que toutes celles de léans n’étoient pas si bonnes qu’elle pensoit bien; et qu’il y en avoit quelqu’une d’entre elles qui faisoit déshonneur à la religion, et qui gâtoit les religieuses. Mais quand elle demandoit qui c’étoit et que c’étoit, elles répondoient que, s’elle les vouloit faire dépouiller, elle le connoîtroit. L’abbesse, ébahie de cette nouvelle, en voulut savoir la vérité au premier jour; et, pour ce faire, fit venir toutes les religieuses en chapitre. Sœur Toinette, étant avertie par ses mieux aimées de l’intention de l’abbesse, qui étoit de les visiter toutes nues, attache sa cheville par le bout avec un filet556 qu’elle tira par derrière; et accoutre si bien son petit cas, qu’elle sembloit avoir le ventre fendu comme les autres, à qui n’y eût regardé de bien près: se pensant que l’abbesse, qui ne voyoit pas la longueur de son nez, ne le sauroit jamais connoître. Les nonnes comparurent toutes. L’abbesse leur fit sa remontrance, et leur dit pourquoi elle les avoit assemblées; et leur commanda qu’elles eussent à se dépouiller toutes nues. Elle prend ses lunettes pour faire sa revue, et en les visitant les unes après les autres, il vint557 au rang de sœur Toinette; laquelle voyant ces nonnes toutes nues, fraîches, blanches, refaites558, rebondies, elle ne put être maîtresse de cette cheville, qu’il ne se fît mauvais jeu; car, sur le point que l’abbesse avoit les yeux le plus près, la corde vint rompre; et en déban236dant tout à un coup, la cheville vint repousser contre les lunettes de l’abbesse, et les fit sauter à deux grands pas loin. Dont la pauvre abbesse fut si surprise, qu’elle s’écria: «Jésus! Maria! Ah! sans faute, dit-elle, et est-ce vous? Mais qui l’eût jamais cuidé être ainsi? Que vous m’avez abusée!» Toutefois, qu’y eût-elle fait? Sinon, qu’il fallut y remédier par patience; car elle n’eût pas voulu scandaliser la religion. Sœur Toinette eut congé de s’en aller avec promesse de sauver l’honneur des filles religieuses.


NOUVELLE LXV.

Du régent qui combattit une harengère du Petit-Pont559 à belles injures.

Un martinet560 s’en alla, un jour de carême, sus le Petit-Pont, et s’adressa à une harengère pour marchander de la moulue561; mais de ce qu’elle lui fit deux liards, il n’en offrit qu’un: dont cette harengère se fâcha, et l’appela injure562, en lui disant: «Va, va, Joannes563, porte ton liard aux tripes!» Ce martinet, se voyant ainsi outragé en sa présence, la menace de le dire à son régent. «Et va, marmiton, dit-elle, va le lui dire, et que je te 237revoie ici, toi et lui.» Ce martinet ne faillit pas à s’en aller tout droit à son régent, qui étoit bon fripon564, et lui dit: «Per diem, domine565, il y a la plus fausse566 vieille sur le Petit-Pont: je voulois acheter de la moulue, elle m’a appelé Joannes.—Et qui est-elle? dit le régent. La me montreras-tu bien?—Ita, domine, dit l’écolier. Et encore m’a-t-elle dit que si y alliez, qu’elle vous renvoiroit bien.—Laisse faire, dit le régent. Per dies567! elle en aura.» Ce régent se pensa bien que pour aller vers une telle dame, qu’il ne falloit pas être dépourvu; et que la meilleure provision qu’il pouvoit faire, c’étoit de belles et gentilles injures; mais qu’il lui en diroit tant, qu’il la mettroit ad metam non loqui568. Et, en peu de temps, il donna ordre d’amasser toutes les injures dont il se put aviser, y employant encore ses compagnons, lesquels en composèrent tant, en chopinant, qu’il leur sembla qu’il en avoit assez. Ce régent en fit deux rôlets569, et en étudia un par cœur: l’autre, il le mit en sa manche, pour le secourir au besoin, si le premier lui failloit. Quand il eut 238bien étudié ses injures, il appela ce martinet, pour le venir conduire jusques au Petit-Pont, et lui montrer cette harengère; et print encore quelques autres galochers570 avec lui; lesquels, in primis et ante omnia, il mena boire à la Mule571; et quand ils eurent bien chopiné, ils s’en vont. Ils ne furent pas si tôt sur le Petit-Pont, que la harengère ne reconnût bien ce martinet; et quand elle les vit ainsi en troupe, elle connut à qui ils en vouloient. «Ah! vois-les là, dit-elle, vois-les là, les gourmands: l’école est effondrée.» Le régent s’approche d’elle, et lui vient heurter le baquet où elle tenoit ses harengs, en disant: «Hé! que faut-il à cette vieille damnée?—Oh! le clerice, dit la vieille, es-tu venu assez tôt pour te prendre à moi?—Qui m’a baillé cette vieille maquerelle? dit le régent. Par la lumière! c’est à toi, voirement, à qui j’en veux.» En disant cela, il se plante devant elle, comme voulant escrimer à beaux coups de langue. La harengère, se voyant défiée: «Merci Dieu! dit-elle, tu en veux donc avoir, magister crotté? Allons, allons par ordre, gros baudet, et tu verras comment je t’accoutrerai. Parle, c’est à toi.—Allez, vieille sempiterneuse, dit le régent.—Va, ruffien.—Allez, vilaine.—Va, maraud.» Incontinent qu’ils furent en train, je m’en vins, car j’avois affaire ailleurs. Mais j’ai ouï dire à ceux qui en savent quelque chose, que les deux personnages combattirent vaillamment, et s’entredirent chacun une centaine de bonnes et fortes injures d’arrache-pied; mais il advint au régent 239d’en dire une deux fois, car on dit qu’il l’appela vilaine pour la seconde fois. Mais la harengère lui en fit bien souvenir. «Merci Dieu! dit-elle, tu l’as déjà dit, fils de putain que tu es!—Eh bien, bien! dit le régent: n’es-tu pas bien vilaine deux fois, voire trois?—Tu as menti, crapaud infect!» Il faut croire que le champion et la championne furent tout un temps à se battre si vertueusement, que ceux qui les regardoient ne savoient qui devoit avoir du meilleur. Mais, à la fin, le régent étant au bout de son premier rôlet, va tirer l’autre de sa manche, lequel il ne savoit pas par cœur, comme l’autre; et, pour ce, il se troubla un petit, voyant que la harengère ne faisoit que se mettre en train; et se va mettre à lire ce qui étoit dedans, qui étoient injures collégiales, et le vouloit dépêcher tout d’une traite, pour penser étonner la vieille, en lui disant: «Alecto, Megera, Tisiphone, détestable, exécrable, infande572, abominable.» Mais la harengère le va interrompre, disant: «Ha! merci, Dieu! tu ne sais plus où tu en es. Parle bon françois, je te répondrai bien, grand niais, parle bon françois. Ah! tu apportes un rôlet! Va étudier, maître Jean, va, tu ne sais pas ta leçon.» Et la déesse573, comme à un chien, abboie, et toutes ces harengères se mettent à crier sur lui, et le pressent tellement, qu’il n’eut rien meilleur que se sauver de vitesse; car il eût été accablé, le pauvre homme. Et, pour certain, il a été trouvé que, quand il eût eu un Calepin574, un vo240cabulaire, un dictionnaire, un promptuaire, un trésor d’injures, il n’eût pas eu la dernière de cette diablesse. Par ainsi, il s’en alla mettre en franchise575 au collége de Montaigu576, courant tout d’une halenée, sans regarder derrière soi.


NOUVELLE LXVI.

De l’enfant de Paris qui fit le fol pour jouir de la jeune vefve, et comment elle, se voulant railler de lui, reçut une plus grande honte.

Un enfant de Paris, d’assez bonne maison, jeune, dispos, et qui se tenoit propre de sa personne, étoit amoureux d’une femme vive, bien jolie, et qui étoit fort contente de se voir aimée, donnant toujours quelques nouveaux attraits577 à ceux qui la regardoient, et prenant plaisir à faire l’anatomie des cœurs des jeunes gens; mais elle ne faisoit compte, sinon de ceux que bon lui sembloit, et encore des moins dignes, et, par sus tous, elle vous savoit mener ce jeune homme, dont nous parlons, de telle ruse, qu’elle sembloit tout vouloir faire pour lui. Il parloit à elle seul à seule; il manioit le tetin et baisoit, voire et touchoit bien souvent à la chair, mais il n’en tâtoit point; tellement qu’il mouroit tout en vie auprès d’elle. Il la prioit, il la conjuroit, il lui présentoit578; mais il ne pouvoit rien avoir, fors qu’une fois, ainsi comme ils devi241soient ensemble en privé579, et qu’il lui contoit bien expressément son cas, elle lui va dire: «Non, je n’en ferai rien, si vous ne me baisez le derrière;» disant le mot tout outre, mais pensant en elle qu’il ne le feroit jamais. Le jeune homme fut fort honteux de ce mot; toutefois, lui, qui avoit essayé tant de moyens, se pensa qu’il feroit encore cela, et qu’aussi bien personne n’en sauroit rien; et lui répondit, s’il ne tenoit qu’à cela pour lui complaire, qu’il n’en feroit point de difficulté. La dame étant prinse au mot, l’y print aussi, et se fait baiser le derrière sans feuille. Mais quand ce fut à donner sus le devant, point de nouvelles: elle ne fit que se rire de lui, et lui dire les plus grandes moqueries du monde, dont il cuida désespérer et s’en départit le plus fâché que fut jamais homme, sans toutefois se pouvoir départir d’alentour d’elle, fors qu’il s’absenta pour quelque temps, de honte qu’il avoit de se trouver non seulement devant elle, mais devant les gens, comme si tout le monde eût dû connoître ce qui lui étoit advenu. Une fois, il s’adressa à une vieille qui connoissoit bien la jeune dame, et lui dit sus le propos de son affaire: «Viens çà! N’est-il possible que j’aie cette femme-là? Ne saurois-tu inventer quelque bon moyen pour me tirer de la peine où je suis? Assure-toi, si tu la me veux mettre en main, que je te donnerai la meilleure robe que tu vêtis de ta vie.» La vieille l’en reconforta580 et lui promit d’y faire tout ce qu’elle pourroit, lui disant que s’il y avoit femme en Paris qui en vînt à bout, qu’elle en étoit une. Et, de fait, elle y fit ses efforts, qui étoient bons et grands. Mais la vefve qui étoit fine, sentant que c’étoit pour ce jeune homme, n’y voulut entendre en sorte quel242conque, peut-être l’espérant avoir en mariage, ou pour quelque autre respect581 qu’elle se réservoit, car les rusées ont cette façon de tenir toujours quelqu’un des poursuivants en langueur, pour faire couverture à la jouissance qu’elles donnent aux autres. Tant y a que la vieille n’y sut rien faire et s’en retourna à ce jeune homme, lui disant qu’elle y avoit mis toutes les herbes de la Saint-Jean582; mais dit qu’il n’y avoit ordre, sinon qu’à son avis, s’il vouloit se déguiser, comme s’habiller en pauvre et aller demander l’aumône à la porte de sa dame, qu’il en pourroit jouir. Il trouva cela faisable: «Mais quel moyen me faudra-t-il tenir? disoit-il.—Savez qu’il vous faut vous faire? dit la vieille. Il faut que vous vous barbouilliez le visage, de peur qu’elle vous connoisse, et puis que vous fassiez le fol, car elle est merveilleusement fine.—Et comment ferai-je le fol? dit le jeune homme.—Que sais-je, moi? dit-elle. Il faut toujours rire et dire le premier mot que vous aviserez, et ne dire que cela, quelque chose qu’on vous demande.—Je ferai bien ainsi,» dit-il. Et avisèrent, la vieille et lui, qu’il riroit toujours et ne parleroit que formage583. Il s’habille en gueux, et s’en va à la porte de sa dame à une heure du soir que tout le monde commençoit à se retirer; et faisoit assez froid, combien que ce fût après Pâques. Quand il fut à la porte, il commença à crier assez haut en riant: «Ha, ha, formage!» jusques à deux ou trois fois; et puis il se pausoit un petit584, recommençoit son «Ha, ha, formage!» tant que la vefve, 243qui avoit sa chambre sur la rue, l’entendit et y envoya sa chambrière pour savoir qui il étoit et qu’il vouloit. Mais il ne répondit jamais, sinon: «Ha, ha, formage!» La chambrière s’en retourne à la dame, et lui dit: «Mon Dieu, ma maîtresse, c’est un pauvre garçon qui est fol: il ne fait que rire et ne parle que de formage.» La dame voulut savoir que c’étoit, et descend, et parle à lui: «Qui êtes-vous, mon ami?» Et ne lui dit autre chose que: «Ha, ha, formage!—Voulez-vous du formage? dit-elle.—Ha, ha, formage!—Voulez-vous du pain?—Ha, ha, formage!—Allez-vous-en, mon ami, retirez-vous.—Ha, ha, formage!» La dame, le voyant ainsi idiot: «Perrette, dit-elle, il mourra de froid cette nuit; il le faut faire entrer, il se chauffera.—Mananda585! dit-elle, c’est bien dit, madame.—Entrez, mon ami, entrez; vous vous chaufferez.—Ha, ha, formage!» disoit-il. Et entra cependant, en riant et de bouche et de cœur, car il pensa que son cas commençoit à se porter bien. Il s’approcha du feu, là où il montroit ses cuisses à découvert, charnues et refaites, que la dame et la chambrière regardoient d’aguignettes586. Elles l’interrogeoient s’il vouloit boire ou manger; mais il ne disoit que: «Ha, ha, formage!» L’heure vint de se coucher. La dame, en se déshabillant, disoit à sa chambrière: «Perrette, il est beau garçon; c’est dommage de quoi il est ainsi fol.—Mananda! disoit la garce; c’est mon587, madame; il est net comme une perle.—Mais si 244nous le mettions coucher en notre lit, dit la dame; à ton avis?» La chambrière se print à rire: «Et pourquoi non? Il n’a garde de nous déceler, s’il ne sait dire autre chose.» Somme, elles le font déshabiller, et n’eut point besoin de chemise blanche, car la sienne n’étoit point sale, sinon par aventure déchirée, et le firent coucher gentiment entre elles deux. Et mon homme dessus sa dame; et à ce cul, et vous en aurez. La chambrière en eut bien quelques coups; mais il montra bien que c’étoit à la dame à qui il en vouloit. Et, cependant, n’oublioit jamais son Ha, ha, formage! Le lendemain, elles le mirent dehors, de bon matin, et s’en va vie588. Et depuis, il continua assez de fois à y retourner pour le prix, dont il se trouva fort bien et ne se fit oncques connoître par le conseil de la vieille. De jour, il reprenoit ses habits ordinaires, et se trouvoit auprès de sa dame, devisant avec elle à la mode accoutumée, la poursuivant comme devant, sans faire autre semblant nouveau. Le mois de mai vint, pour lequel ce jeune homme se voulut habiller d’un pourpoint vert, de chausses vertes et bonnet vert; disant à sa dame que c’étoit pour l’amour d’elle: ce qu’elle trouva fort bon, et lui dit que, en faveur de cela, elle le mettroit en bonne compagnie de dames, le premier jour qu’il viendroit à propos. Étant en cet état, se trouva en une compagnie de dames, entre lesquelles étoit la sienne; et aussi y étoient d’autres jeunes gens, lesquels étoient en un jardin, assis en rond, hommes et femmes entremêlés un pour une, et ce jeune homme étoit auprès de sa dame. Il fut question de faire des jeux de récréation, par l’avis même de la jeune vefve, laquelle 245étoit femme inventive et de bon esprit, et avoit d’assez longue main pensé en soi-même par quel moyen elle se gaudiroit589 de son jeune homme, qu’elle cuidoit bien avoir trompé à cette fois-là. Car elle ordonna un jeu, que chacun eût à dire quelque bref mot d’amour, ou d’autre chose gentille, selon ce qu’il lui conviendroit le mieux et que lui viendroit en fantaisie. Ce qu’ils firent tous et toutes en leur rang. Quand il toucha à la vefve à parler590, elle vint dire, d’une grâce affaitée, ce qu’elle avoit prémédité dès le paravant:

Que diriez-vous d’un vert vêtu,
Qui a baisé sa dame au cul,
En lui faisant hommage?

Chacun jeta les yeux sur ce jeune homme, car il fut aisé de connoître que cela seul s’adressoit à lui. Mais il ne fut pas pourtant fort égaré: inçois, tout rempli d’une fureur poétique, vint répondre promptement à la dame:

Que diriez-vous d’un fol tout nu,
Qui a dansé sur votre cul,
Disant: Ha! ha! formage!

Si la dame fut bien peneuse, il ne le faut point demander; car, quelque rusée qu’elle fût, ce lui fut force de changer de couleur et de contenance; laquelle se rendit assez coupable devant toute l’assistance: dont le jeune homme se trouva vengé d’elle, à un bon coup, de toutes les cautelles du temps passé. Cet exemple est notable pour les femmes moqueuses, et qui font trop les difficiles et les assurées, lesquelles le plus souvent se trouvent at246trapées, à leur grand’honte. Car les dieux envoient leur aide et faveur aux amoureux qui ont bon cœur; comme il se peut voir de ce jeune homme, auquel Phébus donna l’esprit poétique pour répondre promptement en se défendant contre le blason591 que sa dame avoit si finement et délibérément songé contre lui.


NOUVELLE LXVII.

De l’écolier d’Avignon et de la vieille qui le print à partie.

Il y avoit en Avignon une bande d’écoliers qui s’ébattoient à la longue boule, hors les murailles de la ville: l’un desquels, en faisant son coup, faillit à bouler droit, et envoya sa boule dedans un jardin. Il trouva façon de sauter par-dessus le mur pour l’aller chercher. Quand il fut sauté, il trouva au jardin une vieille qui plantoit des choux, laquelle se print incontinent à crier sus lui: «Eh! que, diable, venez-vous faire ici? Vous me venez dérober mes melons?» Mais l’écolier ne s’en soucioit pas, cherchant toujours sa boule, en lui disant seulement: «Paix, vieille damnée!» La vieille commença à lui dire mille maux592. Quand l’écolier la vit ainsi entrer en injures, pour en avoir son passe-temps, il lui va parler le premier langage dont il s’avisa, en lui disant: Cum animadverterem quam plurimos homines593, en lui faisant signes de menaces, pour la faire encore mieux batailler. Et la vieille, de crier, mais c’étoit en son avignonnois594: 247«Oh! ce méchant, ce voleur, qui saute par-dessus les murailles!» L’écolier continuoit à lui dire ces beaux préceptes de Caton: Parentes ama595. «Allez de par le diable, disoit la vieille à l’écolier; que le lansi596 vous éclate!» Et l’écolier: Cognatos cole597. «Oui, oui, à l’école, de par le diable!» Et l’écolier: Cum bonis ambula598. «Je n’ai que faire de ta boule, disoit-elle. Que maugré n’aie bieu de toi599! tu parles italien; je t’entends bien.—Et voire, voire, dit l’écolier: Foro te para600.» Mais s’il l’eût voulu entretenir, il eût fallu dire tout son Caton, tout son Quos decet601. Encore n’en eût-il pas eu le bout; mais il s’en vint achever sa partie.


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NOUVELLE LXVIII.

D’un juge d’Aigues-Mortes, d’un pasquin602, et du concile de Latran.

En la ville d’Aigues-Mortes, y avoit un juge nommé De alta domo603; lequel avoit un cerveau fait comme de cire604; et donnoit, en son siége, des appointements605 tout cornus; hors son siége, faisoit des discours de même. Advint, un jour, qu’il entra en dispute d’un passage de la Bible avec un bon apôtre, qui étoit bien aise de faire bateler606 monsieur le juge. Le différend étoit, à savoir-mon si de toutes les bêtes qui sont aujourd’hui au monde, y en avoit deux de chacune en l’arche de Noé. L’un disoit qu’il n’y avoit point de souris, et qu’elles s’engendrent de pourriture, ainsi que depuis a bien confermé maître Jean Buteo607, de l’ordre Saint-Antoine en Dauphiné, en son 249traité De Arca Noe. L’autre disoit, qu’il n’y avoit qu’un lièvre, et que la femelle échappa à Noé, et se perdit en l’eau, et, pour cela, que le mâle porte comme la femelle. L’un disoit de l’un, l’autre de l’autre608. Mais, à la fin, monsieur le juge, qui vouloit toujours avoir du bon, se fâchoit que ce bon marchand tînt ainsi fort contre lui, auquel il va dire: «Vous ne savez de quoi vous parlez: où l’avez-vous vu?—Où je l’ai vu! dit l’autre; il est écrit en Genèse.—Genèse! dit le juge; vous me la baillez belle. C’est un griffon griffant609; il demeure à Nismes; je le connois bien. Il n’y entend rien, ne vous avec.» Et, de fait, y avoit un greffier à Nismes, qui s’appeloit Genèse; et le pauvre juge pensoit que ce fût celui dont l’autre entendoit. Il faut dire qu’il savoit toute la Bible par cœur, fors le commencement, le milieu et la fin. Il sembloit610 quasi à celui que l’on dit, qui611, devant le roi François, ainsi qu’on parloit d’un pasquin qui avoit été nouvellement fait à Rome, voulant aussi en dire sa râtelée612, dit au roi: «Sire, je l’ai bien vu, Pasquin; c’est un des plus galants hommes du monde.» Adonc le roi, qui s’aperçut bien de l’humeur de l’homme, lui va dire: «Vous l’avez vu! Où l’avez-vous vu?—Sire, dit-il, je le vis dernièrement à Rome, qu’il étoit bien en ordre. Il portoit une cape à l’espagnole, bandée de velours, et une chaîne au col, d’un613 quatre-vingts ou cent écus; et avoit deux var250lets après lui. Mais c’étoit l’homme du monde qui rencontroit le mieux, et étoit toujours avec ses cardinaux.—Allez, allez, dit le roi; allez quérir les plats; vous avez envie de m’entretenir.» C’étoit encore un bon homme, qui étoit produit pour témoin en une matière bénéficiale, où il étoit question d’une certaine décision du concile de Latran. Le juge disoit à ce bon homme: «Venez çà, mon ami; savez-vous bien de quoi nous parlons?—Oui, monsieur, vous parlez du concile de Latran614; je l’ai assez vu de fois: il avoit un grand chapeau rouge, et étoit toujours ceint, et portoit voulentiers une grande gibecière de velours cramoisi. Et si ai bien encore connu sa femme, madame la Pragmatique615.» Voilà ce qu’il en sembloit au bon homme. Je ne sais pas si vous m’en croyez, mais il n’est pas damné qui ne le croit.


NOUVELLE LXIX.

Des gendarmes qui étoient chez la bonne femme de village.

Au temps que les soudards vivoient sus le bonhomme616, ils vivoient aussi sus la bonne femme; car il en passa une 251bande par un village, là où ils ne faisoient pas mieux que ceux du proverbe, qui dit: Un avocat en une ligne; un noyer en une vigne; un pourceau en un blé; une taupe en un pré; un sergent en un bourg; c’est pour achever de gâter tout. Car ils pilloient, ils ruinoient, ils détruisoient tout. Il y en avoit deux, ou trois, ou quatre, je ne sais combien, chez une bonne femme; lesquels lui mettoient tout par écuelles: et comme ils mangeoient ses poules, qu’ils lui avoient tuées, elle faisoit une chère pitrasse617, disant la patenôtre du singe618. Mais ces gendarmes faisoient les galants, en disant à la vieille: «Ah! ah! bonne femme de Meudon, vous vous en allez mourir; ayez-vous regret en vos poules? Sus, sus, faites bonne chère, dites après moi: Au diable soit chicheté! Direz-vous?» La bonne femme, toute maudolente619, lui dit: «Au diable soit le déchiqueté620!» Elle avoit bien raison, car

Depuis que décrets eurent ales621
Et gens d’armes portèrent malles,
Moines allèrent à cheval:
Toutes choses allèrent mal622.

252

NOUVELLE LXX.

De maître Berthaud, à qui on fit accroire qu’il étoit mort.

Jadis, en la ville de Rouen (je ne sais donc où c’étoit), y eut un homme qui servoit de passe-temps à tous allants et venants, quand on le savoit gouverner, cela s’entend. Il s’en alloit par les rues, tantôt habillé en marinier, tantôt en magister, tantôt en cueilleur de prunes623, et toujours en fol: et l’appeloit-on maître Berthaud. C’étoit, possible, celui qui comptoit vingt et onze, et étoit fier de ce nom de maître, comme un âne d’un bât neuf; et qui eût failli à l’appeler, on n’en eût point tiré de plaisir; mais en lui disant, maître Berthaud, vous l’eussiez fait passer par le trou au chat624. Et ce qui le faisoit ainsi niais fol, c’étoit que quelques bons maîtres de métier625 l’avoient veillé onze nuits tout de suite, lui fichant de grosses épingles dedans les fesses, pour le garder de dormir: qui est la vraie recette de faire devenir un homme parfait en la science de folie, par B carre et par B mol626. Vrai est qu’il faut qu’il y ait de la nature, comme pensez qu’il y avoit en maître Berthaud. Or, est-il, qu’il tomba un jour entre les mains de quelques gens de bien qui le menèrent aux champs; lesquels, par les chemins, après en avoir 253prins le plus de passe-temps qu’ils purent, lui commencèrent à faire accroire qu’il étoit malade, et le firent confesser par un qui fit le prêtre; lui firent faire son testament, et enfin lui donnèrent à entendre qu’il étoit mort, et le crut: parce, principalement, qu’en l’ensevelissant ils disoient: «Hé! le pauvre maître Berthaud, il est mort; jamais nous ne le verrons. Hélas! non.» Et le mirent dans une charrette qui revenait de la ville, chantant toujours: Libera me, Domine, sus le corps de maître Berthaud, qui faisoit le mort au meilleur escient qu’il eût. Mais il y en avoit quelques-uns d’entre eux qui lui faisoient bien sentir qu’il étoit vif, car ils lui piquoient les fesses avec des épingles, comme nous disions tantôt; dont il n’osoit pourtant faire semblant, de peur de n’être pas mort; et même lui fâchoit bien quelquefois de retirer un peu la cuisse, quand il sentoit les coups de pointe. Mais, à la fin, il y en eut un qui le piqua bien si fort, qu’il n’en put plus endurer, et fut contraint de lever la tête, en disant tout en colère au premier qu’il regarda: «Par Dieu! méchant, si j’étois vif aussi bien comme je suis mort, je te tuerois tout à cette heure.» Et tout soudain se remit à faire le mort, et ne se réveilla plus, pour chose qu’on lui fît, jusqu’à tant que quelqu’un vînt dire: «Ha! le pauvre Berthaud qui est mort!» Alors mon homme se leva: «Vous avez menti, dit-il, il y a bien du maître pour vous. Or sus, je ne suis pas mort.» Par dépit, voilà comment maître Berthaud ressuscita, pour ce qu’on ne l’appeloit pas maître.

Il se fait un autre conte d’un maître Jourdain, mais qui s’estimoit un peu plus habile que celui-ci, combien qu’il n’y eût guère à dire. Il y eut quelque crocheteur, en portant ses faix par la ville, qui le heurta assez indiscrètement, c’est-à-dire assez lourdement; et puis, il lui254 dit gare627 (il étoit temps ou jamais). Lors, maître Jourdain va dire: «Viens çà! pourquoi fais-tu cela, ange de Grève628? Par Dieu! si je n’étois philosophe, je te romprois la tête, gros sot que tu es!» Tous deux en tenoient: vrai est que l’un étoit fol, et l’autre philosophe629.


NOUVELLE LXXI.

Du Poitevin qui enseigne le chemin au passants630.

Il y a beaucoup de manières de s’exercer à la patience; comme sont les femmes qui tentent, un varlet qui caquette ou qui gronde ou qui n’oit goutte, et qui vous apporte des pantoufles quand vous demandez votre épée, ou votre bonnet en lieu de votre ceinture, et met un bois vert dedans un feu quand vous mourez de froid, là où il faut brûler toute la paille du lit avant qu’il s’allume; ou d’un cheval encloué ou déferré par les chemins, ou qui se fait piquer à tous les pas, et cent mille autres malheurs qui arrivent. Mais ceux-là sont trop fâcheux; ils sont pour 255souhaiter à quelques ennemis631. Il y en a d’autres, qui ne sont pas si fort à endurer, parce qu’ils ne durent pas tant et même sont de telle sorte qu’on est plus aise par après de les avoir pratiqués et d’en faire ses comptes. Telles aventures sont bonnes à ces jeunes gens pour leur faire rasseoir un peu leur trop chaude colère: entre lesquels est la rencontre d’un Poitevin, quand on va par pays comme: Prenez le cas que vous ayez à faire une diligence et qu’il fasse froid ou quelque mauvais temps; en somme, que vous soyez fâché de quelque autre chose, et par fortune vous ne sachiez votre chemin; vous avisez un Poitevin assez loin de vous, qui laboure un champ; vous vous prenez à lui demander: «Eh hau! mon ami, où est le chemin de Parthenai?» Le pique-bœuf632, encore qu’il vous entende, ne se hâte pas trop de répondre; il parle à ses bœufs: «Garea, frementin, brichet633, chatain, ven aprês moay; tu ves ben crelincoutant634,» ce dit-il à son bœuf, et vous laisse crier deux ou trois fois bonnes et hautes. Puis, quand il voit que vous êtes en colère et que voulez piquer droit à lui, il sible635 ses bœufs pour les arrêter, et vous dit: «Qu’est-ce que vous dites?» Mais il a bien meilleure grâce au langage du pays: «Quet o que vo disez?» Pensez que ce vous est un grand plaisir, 256quand vous avez si longuement demeuré à vous estuver636 et crié à gorge rompue, que ce bouvier vous demande: «Que c’est que vous dites?» et bien, si faut-il que vous parliez. «Où est le chemin de Parthenai? Dis.—De Parthenai, monsieur? ce vous dira-t-il.—Oui, de Parthenai. Que te vienne le chancre!—Et d’ond venez-vous, monsieur?» dira-t-il. Il faut ressuer ou de cœur ou de bouche: «D’ond je viens? Où est le chemin de Parthenai?—Y voulez-vous aller, monsieur? Or, sus, prenez patience.—Oui, mon ami, je m’y en vais; où est le chemin?» A donc il appellera un autre pique-bœuf qui sera là auprès, et lui dira: «Micha, icoul homme demande le chemin de Parthenai: n’et o pas per qui aval637?» L’autre répondra (s’il plaît à Dieu): «O m’est avis qu’ol est par deçay638.» Pendant qu’ils sont là tous deux à débattre de votre chemin, c’est à vous à deviner si vous deviendrez fol ou sage. A la fin, quand ces deux Poitevins ont bien disputé ensemble, l’un d’eux vous va dire: «Quand vous serez à iceste grand cray, tournai à la bonne main, et peu, allez dret; vous ne sariez faillir639.» En avez-vous, à cette heure? Allez hardiment, meshui vous ne ferez mauvaise fin, étant si bien adressé. Puis, quand vous êtes en la ville, s’il est, d’aventure, jour de marché et que vous alliez acheter quelque chose, vous aurez affaire à bons et fins marchands: «Mon ami, combien ce chevreau?—Iquou chevreau640, monsieur?—Oui.—Le voulez-vous 257avec la mère? dé, ol est bon, iquou chevreau.—C’est mon! il est bien bon. Combien le vendez-vous?—Sopesez, monsieur, col est gras.—Voire! Mais combien?—Monsieur, la mère n’en a encore porti que dou.—Je l’entends bien; mais combien me coûtera-t-il?—Ne voulez-vous qu’une parole? I sçai bien qu’il ne vous faut pas surfaire.—Non; mais combien en donnerai-je?—Ma foay! o ne vous coustera pas may de cinq sou e dimé.» Voilà votre marché: prenez ou laissez.


NOUVELLE LXXII.

Du Poitevin, et du sergent qui mit sa charrette et ses bœufs en la main du roi.

Je ne m’amuserai ici à vous faire les autres contes des Poitevins, lesquels, sans point de faute, sont fort plaisants; mais il faudroit savoir le courtisan641 du pays pour les faire trouver tels; et puis, la grâce de prononcer vaut mieux que tout; mais je vous en puis dire encore un, tandis que j’y suis. Il y avoit un Poitevin qui, par faute de payer la taille, avoit été exécuté par un sergent, lequel, faisant son exploit par vertu de son mandement, mit la charrette et les bœufs de ce pauvre homme en la main du roi, dont il fut assez marri; mais si fallut-il qu’il passât par là. Advint, au bout de quelque temps, que le roi vint à Châtelleraut. Quoi sachant ce paysan, qui étoit de la Tircherie642, y voulut aller pour voir l’ébat643, 258et fit tant qu’il vit le roi comme il alloit à la chasse. Mon paysan, incontinent qu’il l’eut vu, n’ayant plus rien à faire à la cour, s’en retourna au village; et, en soupant avec ses compères pique-bœufs, il leur dit: «La merdé! j’ay veu le roay d’aussi près qu’iquou chein; ol a le visage comme in homme; mais i parlerai ben à iqueo bea sergent, qui mist avant-hier ma charrette et mon bœuf en la main du roay. La merdé! o n’a pas la main pu gran que moay644.» Il étoit avis à ce Poitevin que le roi devoit être grand comme le clocher Saint-Hilaire645, et qu’il avoit la main grande comme un chêne, et qu’il y devoit trouver sa charrette et ses bœufs. Mais pourquoi ne vous en conterai-je bien encore un?


NOUVELLE LXXIII.

D’un autre Poitevin, et de son fils Micha.

C’étoit un homme de labeur, assez aisé, qui avoit mené deux siens fils à Poitiers pour étudier en grimauderie646, lesquels se mirent avec d’autres patrias647 caméristes près du Bœuf couronné: l’aîné avoit nom Michel, et l’autre Guillaume. Leur père les ayant logés, retint l’endroit où ils demeuroient et les laisse là, où ils furent assez longtemps sans lui écrire, et même il se contentoit d’en savoir des nouvelles par les paysans, qui alloient quelquefois à 259Poitiers; par lesquels il envoyoit quelquefois à ses enfants des formages, des jambons et des souliers bien bobelinés648. Advint que tous deux tombèrent malades, dont le petit mourut, et l’aîné, qui n’étoit encore guéri, n’avoit la commodité d’écrire à son père la mort de son frère. Au bout de quelque temps, ce père fut averti qu’il étoit mort un de ses enfants, mais on ne lui sut pas dire lequel c’étoit. De quoi étant bien fâché, fit faire une lettre au vicaire de sa paroisse, laquelle portoit en suscription: A mon fils Micha, demeurant au Roay do beu, ou iqui près649. Et au dedans de cette lettre y avoit entre autres bons propos: «Micha, mande moay lo quau ol est qui est mort, de ton frère Glaume ou de toay; car j’en seu en un gran emoay. Au par su, i te veu ben adverti quo disant que noustre avesque est à Dissay650. Va t’y-en per prendre couronne, et la pren bonne et grande, afin qu’o n’y faille point torné à deu foay.» Maître Micha fut si aise d’avoir reçu cette lettre de son père, qu’il en guérit incontinent tout sain, et se lève pour faire la réponse, qui étoit pleine de rhétorique qu’il avoit apprise à Poyté651, laquelle je ne dirai ici à cause de brièveté; mais, entre autres, y avoit: «Mon père, i vous averti quo n’est pas moay qui suis mort, mais ol est mon frère Glaume: ol est bien vrai qu’i estai pu malade que li; car la pea me tomboit comme à in gor260ret652.» N’étoit-ce pas vertueusement écrit, et vertueusement répondu? Vraiment! qui voudroit dire le contraire, il auroit grande envie de tancer653.


NOUVELLE LXXIV.

Du gentilhomme de Beauce, et de son dîner.

Un des gentilshommes de Beauce, que l’on dit qui sont deux à un cheval quand ils vont par pays654, avoit dîné d’assez bonne heure, et fort légèrement, d’une certaine viande qu’ils font, en ce pays-là, de farine et de quelques moyeux d’œufs; mais à la vérité, je ne saurois pas dire de quoi elle se fait par le menu: tant y a, que c’est une façon de bouillie, et l’ai ouï nommer de la caudelée655. Ce gentilhomme en fit son dîner; mais il mangea si diligemment, qu’il n’eut loisir de se torcher les babines, là où il demeura de petits gobeaux656 de cette caudelée: et, en ce point, s’en alla voir un sien voisin, selon la coutume qu’ils avoient de voisiner en leurs maisons, comme de baudouiner657 par les chemins. Il entre privément chez ce voisin, lequel il trouve qu’il se vouloit mettre à table, et commença à parler galamment: «Comment! dit-il, n’avez-vous pas encore dîné?—Mais vous, dit l’autre, avez-vous 261déjà dîné?—Si j’ai dîné! dit-il; oui, et fort bien, car j’ai fait une gorge chaude d’une couple de perdrix, et n’étions que madamoiselle ma femme et moi. Je suis marri que n’êtes venu en manger votre part.» L’autre, qui savoit bien de quoi il vivoit le plus du temps, lui répondit: «Vous dites vrai; vous avez mangé de bons perdreaux: voi l’en là658 encore de la plume?» en lui montrant ce morceau de caudelée qui lui étoit demeuré en la barbe. Le gentilhomme fut bien penaud quand il vit que sa caudelée lui avoit découvert ses perdreaux.


NOUVELLE LXXV.

Du prêtre qui mangea à déjeuner toute la pitance des religieux de Beaulieu.

En la ville du Mans, y avoit un prêtre qu’on appeloit messire Jean Melaine659, lequel étoit un mangeur excessif; car il dévoroit la vie de neuf ou dix personnes pour le moins à un repas. Et lui fut sa jeunesse assez heureuse; car, jusqu’à l’âge de trente ou trente-cinq ans, il trouva toujours gens qui prenoient plaisir à le nourrir; principalement ces chanoines qui se battoient à qui auroit messire Jean Melaine, pour avoir le passe-temps de le soûler660. De sorte qu’il étoit aucunes fois retenu pour une semaine à dîner et à souper, par ordre, chez les uns, et puis chez les autres. Mais depuis que le temps commença à s’empirer, ils commencèrent aussi à se retirer, et laissèrent jeûner le pauvre messire Jean Melaine; lequel devint sec comme une bûche, et son ventre creux comme une lan262terne. Et véquit trop longuement, le pauvre homme; car ses six blancs n’étoient pas pour lui donner le pain qu’il mangeoit. Or, du temps qu’il faisoit encore bon pour lui, il y avoit un abbé de Beaulieu, qui le traitoit assez souvent; et une fois entre autres, il entreprint de le faire mettre si bien à son aise qu’il en eût assez. Il se faisoit un anniversaire en l’abbaye, là où se trouvèrent force prêtres, desquels messire Jean Melaine étoit l’un. L’abbé dit à son pitancier661: «Savez-vous que c’est? qu’on donne à déjeuner à messire Jean, et qu’on le fasse tant manger, qu’il en demeure devant lui.» Et, la-dessus, il dit lui-même au prêtre: «Messire Jean, incontinent que vous aurez chanté messe, allez-vous-en à la dépense662 demander à déjeuner, et faites bonne chère, entendez-vous? J’ai dit qu’on vous traitât à votre plaisir.—Grand merci, monsieur,» dit le prêtre. Il dépêcha sa messe, laquelle il dit en chasseur663, ayant le cœur à la mangerie. Il s’en va à la dépense, là où il lui fut atteint664 d’entrée une grande pièce de bœuf, de celles des religieux, et un gros pain de lévriers665, et une bonne quarte666 de vin mesure de ce pays-là. Il eut dépêché cela en moins qu’une horloge auroit sonné dix heures667; car il ne faisoit qu’étourdir ses mor263ceaux. On lui en apporte encore autant, qu’il dépêche aussitôt. Le pitancier, voyant le bon appétit de l’homme, et se souvenant du commandement de l’abbé, lui fait apporter deux autres pièces de bœuf tout à la fois; lesquelles il eut incontinent mises en un même sac avec les autres. Somme, il mangea tout ce qui avoit été mis pour le dîner des religieux; car il fut tiré, comme le fit le roi devant Arras668 jusqu’à la dernière pièce669; tant, qu’il fut force d’en mettre cuire d’autres à grand’ hâte. L’abbé, cependant, se pourmenoit par les jardins en attendant que messire Jean eût déjeuné, lequel, ayant bien repu, sortit pour s’en aller. L’abbé, qui le vit en s’en allant, lui demanda: «Eh! puis, messire Jean, avez-vous déjeuné?—Oui, monsieur, Dieu merci et vous, dit le prêtre: j’ai mangé un morceau et bu une fois en attendant le dîner.» A votre avis, ne pouvoit-il pas bien attendre un bon dîner, pourvu qu’il ne demeurât guère?

Une autre fois, qu’il étoit vendredi, on lui donna à déjeuner d’une saugrenée de pois670, pleine une grande jatte, avec de la soupe assez pour six ou sept vignerons. Mais 264celui qui la lui apprêta, connoissant le patient, mit parmi ces pois deux grandes poignées de ces osselets ronds de moulue671 qu’on appelle patenôtres, avec force beurre et verjus, et la présente à messire Jean, qui la vous dépêcha en forme commune672 et mangea patenôtres et tout. Et crois bien qu’il eût mangé l’Ave Maria et le Credo673, s’il y eût été. Vrai est que ces os lui croquoient parfois sous les dents; mais ils passoient nonobstant. Quand il eut fait, on lui demanda: «Eh bien! messire Jean, ces pois étoient-ils bons?—Oui, monsieur, Dieu merci et vous! mais ils n’étoient pas encore bien cuits.» N’étoit-ce pas bien vécu pour un prêtre? Dieu fit beaucoup pour ce bas monde, de le faire d’Église; car s’il eût été marchand, il eût affamé tout le chemin de Paris, de Lyon, de Flandres, d’Allemagne et d’Italie; s’il eût été boucher, il eût mangé tous ses bœufs et ses moutons, cornes et tout; s’il eût été avocat, il eût mangé papiers et parchemins: dont ce n’eût pas été grand dommage; mais il eût mangé ses clients, combien que les autres les mangent aussi bien. S’il eût été soudard, il eût mangé brigandines674, morions675, hacquebutes676, et toutes les caques677 de poudre. Et s’il eût été marié avec tout cela, pensez que sa pauvre femme n’eût pas eu meilleur265 marché de lui qu’eut celle de Cambles678, roi des Lydes, qui mangea la sienne une nuit toute mangée. Dieu nous aide, quel roi! il en devoit bien manger d’autres.


NOUVELLE LXXVI.

De Jean Doingé, qui tourna son nom par le commandement de son père.

A Paris la grand’ville679, y avoit un personnage de nom et de qualité, homme de grand savoir et de jugement, qu’on appeloit monsieur Doingé680; mais comme il advient que les hommes savants ne font pas voulentiers des enfants des plus spirituels du monde (je crois que c’est parce qu’ils laissent leur esprit en leur étude quand ils vont coucher avec leurs femmes), celui dont nous parlons avoit un fils, déjà grand d’âge, nommé Jean Doingé: lequel en la chose qu’il ressembloit le moins à son père, étoit l’esprit. Un jour que son père étoit empêché à écrire ou à étudier, ce vertueux fils étoit planté devant lui, comme une image, à regarder son père sans rien faire, sinon une contenance d’un homme qui a sa journée payée. De quoi, à la fin, son père, ennuyé, lui va dire: «Eh! mon ami, de quoi sers-tu ici le roi? que ne vas-tu faire quelque chose?266—Monsieur, dit-il à son père, que voudriez-vous que je fisse? je n’ai pas rien à faire.» Le père, voyant cet homme de si bon cœur, lui dit: «Tu ne sais que faire, pauvre homme? eh! va tourner ton nom.» Maître Jean print cette parole à son avantage et bon escient; laquelle son père lui avoit dite comme on a de coutume dire à un homme qui aime besogne faite. Et, de cette empeinte681, s’en va enfermer dans son étude, pour mettre son nom à l’envers: tantôt il trouvoit Doingé Jean, tantôt Jean Gédoin, tantôt Gédoin Jean. Et puis, il va montrer toutes ces pièces de nom à quelque jeune homme de ses familiers, lui demandant s’il étoit bien tourné ainsi; mais l’autre dit que, pour tourner son nom, ce n’étoit pas assez de le mettre par les syllabes sens devant derrière, mais qu’il falloit mêler les lettres les unes parmi les autres, et en faire quelque bonne devise. Mon homme se retourne incontinent enfermer, et vous recommence à découper son nom tout de plus belle: là où il fut bien deux ou trois jours, qu’il en perdoit le boire et le manger, ne s’osant trouver devant son père que ce nom ne fût tourné. A la fin, il tourna et vira tant qu’il en trouva de deux sortes, les plus propres du monde. Dont il fut si aise, qu’il en rioit tout seul en allant et venant, et lui duroit mille ans qu’il ne trouvoit l’heure de le dire à son père: laquelle ayant bien épiée, lui vint dire tout à hâte, comme s’il l’eût voulu prendre sans vert682: «Monsieur, dit-il à son 267père, je l’ai tourné.» Son père, qui pensoit en tout, fors qu’en ce tournement de nom, fut tout ébahi, tant pource qu’il ne l’avoit vu de tous ces deux jours, qu’aussi pour l’ouïr ainsi parler sans propos: «Tu l’as tourné! dit-il. Et qui est-ce que tu as tourné?—Monsieur, vous me dites lundi que j’allasse tourner mon nom. Je n’ai cessé d’y travailler depuis; mais, à la fin, j’en suis venu à bout.—Vraiment, je t’en sais bon gré, dit le père. Tu l’as donc tourné? et qu’as-tu trouvé, pauvre homme?—Monsieur, dit-il, je l’ai tourné en beaucoup de sortes; mais je n’en ai trouvé que deux qui soient bonnes: j’ai trouvé Janin Godé683, et Angin d’oie.—Vraiment, dit son père, je t’en crois; tu n’as pas perdu ton temps.» N’étoit-ce pas là un gentil fils? Bohémiennes lui pourroient bien dire: «Vous êtes d’un bon père et d’une bonne mère, mais l’enfant ne vaut guère.» Quelqu’un me dira: «Voire-mais nous n’écrivons pas engin par a.» Non; mais que voulez-vous? qu’on homme perde une si belle devise comme celle-là pour le changement d’une seule lettre!


NOUVELLE LXXVII.

De Janin, nouvellement marié.

Janin s’étoit marié la sienne fois684, et avoit pris une femme qui jouoit des mannequins685, laquelle ne s’en ca268 choit point pour lui, ne voulant point faire de tort au beau nom de son mari. Quelque jour, un des voisins de Janin lui disoit des demandes, et lui faisoit les réponses en forme d’une assez plaisante farce686. «Or çà, Janin, vous êtes marié?» Et Janin répondit: «O voire!—Cela est bon, disoit l’autre.—Pas trop bon: elle a trop mauvaise tête.—Cela est mauvais.—Pas trop mauvais pourtant.—Et pourquoi?—C’est une des belles de notre paroisse.—Cela est bon.—Pas trop bon aussi.—Et pourquoi?—Il y a un monsieur qui la vient voir à toute heure.—Cela est mauvais.—Pas trop mauvais pourtant.—Et pourquoi?—Il me donne toujours quelque chose.—Cela est bon.—Pas trop bon aussi.—Et pourquoi?—Il m’envoie toujours de çà, de là.—Cela est mauvais.—Pas trop mauvais pourtant.—Et pourquoi?—Il me baille de l’argent, de quoi je fais grand’chère par les chemins.—Cela est bon.—Pas trop bon aussi.—Et pourquoi?—Je suis à la pluie et au vent.—Cela est mauvais.—Pas trop mauvais pourtant.—Et pourquoi?—J’y suis tout accoutumé.» Achevez le demeurant si vous voulez, celle-ci est à l’usage d’étrivières687.


NOUVELLE LXXVIII.

Du légiste qui se voulut exercer à lire, et de la harangue qu’il fit à sa première lecture.

Un légiste, étudiant à Poitiers, avoit assez bien profité en sa vacation de droit; et en savoit non pas trop aussi: et si n’avoit pas grand’hardiesse, ni moyen d’expliquer son savoir. Et parce qu’il étoit fils d’un avocat, son père, 269qui avoit passé par là, lui manda qu’il se mît à lire, afin qu’il se fît la mémoire plus prompte en s’exerçant. Pour obéir au commandement de son père, il se délibère de lire à la Ministrerie688; et, afin de mieux s’assurer, il s’en alloit tous les jours en un jardin, qui étoit assez secret689, pour être loin des maisons: auquel y avoit des choux beaux et grands. Il fut long-temps qu’à mesure qu’il avoit étudié, il alloit faire sa lecture devant ces choux, les appelant domini, et leur alléguant ses paragraphes, tout ainsi que si c’eussent été écoliers auditeurs. S’étant ainsi bien apprêté par l’espace de quinze jours ou trois semaines, il lui sembla bien qu’il étoit temps de monter en chaire: pensant qu’il diroit aussi bien devant les écoliers comme il faisoit devant ces choux. Il se présente, et commence à faire sa harangue; mais avant qu’il eût dit une douzaine de mots, il demeura tout court, qu’il ne savoit où il en étoit, tellement qu’il ne sut dire autre chose, sinon: Domini, ego bene video quod non estis caules, c’est-à-dire (car il y en a qui en veulent avoir leur part en françois): «Messieurs, je vois bien que vous n’êtes pas des choux.» Étant au jardin, il prenoit bien le cas que les choux fussent écoliers; mais, étant en chaire, il ne pouvoit prendre le cas que les écoliers fussent des choux.


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NOUVELLE LXXIX.

Du bon ivrogne Janicot, et de Janette, sa femme.

Dedans Paris, où il y a tant de sortes de gens, y avoit un couturier, nommé Janicot, lequel ne fut jamais avaricieux; car tout l’argent qu’il gagnoit, c’étoit pour boire. Lequel métier il trouva si bon, et s’y accoutuma de telle sorte, qu’il lui fallut quitter celui de couturier; car, quand il revenoit de la taverne et qu’il se vouloit mettre sur la besogne, en enfilant son aiguille, il faisoit comme les nouveaux mariés, il mettoit auprès; et puis, lui étoit avis d’un filet que c’en étoient deux; et cousoit aussitôt une manche par derrière comme par devant: tout lui étoit un; de sorte qu’il renonça du tout à ce fâcheux couturage, pour se retirer au plaisant métier de boire; lequel il entretint vaillamment. Car, depuis qu’il étoit au fond d’une taverne, il n’en bougeoit jusqu’au soir, fors quand quelquefois sa femme le venoit quérir, qui lui disoit mille injures; mais il les avaloit toutes avec un verre de vin. Bien souvent il la flattoit tant, qu’il la faisoit asseoir auprès de soi, en lui disant: «Tâte un peu de ce vin-là, ma mie; c’est du meilleur que tu bus jamais.—Je n’ai que faire de boire, disoit-elle; cet ivrogne, ici venras-tu690?—Eh! Janette, tu ne bevras691 que tant petit que tu vourras692.» A la fin, elle se laissoit aller; car la bonne dame disoit en soi-même: «Aussi bien, est-ce moi qui paie tout; il faut bien que j’en boive ma part.» Vrai est qu’elle avoit un peu plus de discrétion que Janicot; car elle ne se chargeoit pas 271tant693, qu’elle ne le remenât à la maison; mais croyez que c’étoit une dure départie, que du pot et de Janicot. Une autre fois, quand elle faisoit la fâcheuse, il lui disoit: «Janette, tu sais bien que c’est que je vis hier: ce monsieur? tu m’entends bien. Je n’en dirai mot, Janette; mais laisse-moi boire: va-t’en, ma mie! je serai aussitôt que toi au logis.» Et de reboire; puis, en s’en retournant, qui n’étoit jamais qu’il n’en eût sa charge hardiment, qu’il étoit plus aisé à savoir d’où il venoit, que non pas où il alloit; car la rue ne lui étoit pas assez large. Il alloit chancelant, dandinant, trébuchant; il heurtoit toujours à quelque ouvroir694; ou, quand il étoit nuit, à quelque charrette: et se faisoit à tous coups une bigne695 au front; mais elle étoit guarie avant qu’il s’en aperçût. Il se laissoit maintes fois tomber du haut d’un degré, ou en la trappe d’une cave; mais il ne se faisoit point de mal. Dieu lui aidoit toujours. Et si vous me demandez où il prenoit de quoi payer, je vous réponds qu’il n’y avoit plat ni écuelle qui ne s’y en allât. Les nappes, les couvertures du lit, il vendoit tout cela: quand sa femme étoit quelque part en commission, son demi-ceint696, s’il le pouvoit avoir, ses chaperons, sa robe, à un besoin. Mais pourquoi n’eût-il engagé tout cela, quand il eût engagé sa femme même à qui lui eût voulu donner de quoi boire? Et puis, il y avoit toujours quelque payeur; car ce que le pertuis d’en haut697 dépensoit, celui d’en bas en répondoit. A propos, Janicot avoit toujours sa bouteille de trois chopines, laquelle il tenoit toute la nuit auprès de soi; et l’égouttoit toutes fois 272qu’il s’éveilloit: et en dormant même, il ne songeoit qu’en sa bouteille, et y avoit une telle adresse, que tout endormi il y portoit la main et la prenoit pour boire, tout ainsi que s’il eût veillé. Quoi connoissant sa femme, bien souvent le prévenoit, et lui buvoit le vin de sa bouteille, laquelle elle remplissoit d’eau, que le pauvre Janicot buvoit en dormant; et bien souvent se réveilloit à ce goût aquatique, qui lui affadissoit toute la bouche. Mais il se rendormoit sur cette querelle, sans faire grand bruit; et le plus souvent même y avoit un tiers couché en même lit, qui dansoit la danse trevisaine698 avec sa femme; mais tout cela ne lui faisoit point de mal. Quelquefois il s’avisoit de mettre de l’eau en son vin; mais c’étoit avec la pointe d’un couteau, lequel il mouilloit dedans l’aiguière, et en laissoit tomber une goutte en son voirre699, et non plus. Vous ne l’eussiez jamais trouvé sans un osselet de jambon en sa gibecière. Il aimoit uniquement les saucisses, le formage de Milan, les sardines, les harengs-saurs, et tous semblables aiguillons à vin. Il haïssoit les femmes et les salades comme poison, les flannets700, les tartelettes. Quand il les entendoit crier par les rues, il bouchoit ses oreilles. Il avoit les yeux bordés de fine écarlate: et un jour qu’il y avoit mal, sa femme lui fit défendre par un médecin d’eau douce qu’il ne bût point de vin; mais on eût fait avec lui tous les marchés plutôt que celui-là, car il aimoit mieux 273perdre les fenêtres que toute la maison. Et quand on lui disoit qu’il se pouvoit bien laver les yeux de vin blanc: «Eh! disoit-il, que sert-il s’en laver par dehors? c’est autant de gâté. Ne vaut-il pas mieux en boire tant, qu’il en sorte par les yeux, et s’en laver dedans et dehors?» Quand il grêloit, il se jetoit à genoux, et ne plaignoit que les vignes à haute voix; et quand on lui disoit: «Eh! Janicot, les blés!—Quoi! les blés? disoit-il: avec un morceau de pain gros comme une noix, je bevrai une quarte de vin: je ne me soucie pas des blés; il y en aura bien peu, s’il n’y en a assez pour moi.» Et ceci étoit quand il étoit en son meilleur sens; car les uns disent, quand il eut prins son pli, que depuis il ne désenivra; et même tiennent que tout son sang se convertit en vin; et s’il eût été prêtre, il n’eût chanté que de vin, tant il avoit sa personne bien avinée. Il est bien vrai qu’il fallut qu’il mourût en son rang; pour ce, deux ou trois jours avant sa mort, on lui ôta le vin, ce qu’il accorda, au plus grand regret du monde, en disant qu’on le tuoit, et qu’il ne mouroit que par faute de boire. Et quand ce fut à se confesser, il ne se souvenoit point d’avoir fait aucun mal, sinon qu’il avoit bu, et ne savoit parler d’autre chose à son confesseur, que de vin. Il se confessoit combien de fois il en avoit bu qui n’étoit pas bon, dont il se repentoit et en demandoit à Dieu pardon. Puis, quand il vit qu’il falloit aller boire ailleurs, il ordonna par son testament qu’il fût enterré en une cave, sous un tonneau de vin, et qu’on lui mît la tête sous le dégouttoir, afin que le vin lui tombât dedans la bouche701 pour le désaltérer; car il avoit bien vu au cimetière des Innocents que les trépassés ont la bouche 274bien sèche. Avisez s’il n’étoit pas bon philosophe de penser que les hommes avoient encore après la mort le ressentiment de ce qu’ils avoient aimé en leur vie. C’est le vin qui fait ainsi l’homme, qu’il ne lui est rien impossible. Les autres disent qu’il voulut être enterré au pied d’un cep de vigne, lequel cep ne cessa oncques-puis de porter de plus en plus, tellement qu’on a vu toute la vigne grêlée, que le cep s’est défendu, et a porté autant ou plus que jamais. Je vous laisse à penser s’il est vrai, et comment il en va.


NOUVELLE LXXX.

D’un gentilhomme qui mit sa langue dans la bouche d’une demoiselle en la baisant.

En la ville de Montpellier, y eut un gentilhomme, lequel, nouvellement venu audit lieu, se trouva en une compagnie où on dansoit. Entre les dames qui étoient en cette tant honnête assemblée, étoit une damoiselle de bien bonne grâce, laquelle étoit veuve et encore jeune. Je crois qu’ils dansèrent la piémontoise702, et fut question de s’entre-baiser. Il advint que ce gentilhomme se print à cette jeune veuve. Quand ce vint à baiser, il en voulut user à la mode d’Italie, où il avoit été; car, en la baisant, il lui mit sa langue en la bouche. Laquelle façon étoit pour lors bien nouvelle en France, et est encore de présent, mais non pas tant qu’alors; car les François commencent fort à ne trouver rien mauvais, principalement en telle matière. La damoiselle se trouva un peu surprinse d’une telle pigeonnerie703; et, combien qu’elle ne sût pas prendre les choses en mal, si est-ce qu’elle regarda ce gentilhomme 275de fort mauvais œil; et si ne s’en put taire; car, bien peu après, elle en fit le conte en une compagnie où elle se trouva, à laquelle un personnage qui étoit là, et qui peut-être lui appartenoit en quelque chose, lui dit ainsi: «Comment avez-vous souffert cela, madamoiselle? C’est une chose qui se fait à Rome et à Venise, en baisant les courtisanes.» La damoiselle fut fort fâchée, entendant, par cela, que le gentilhomme la prenoit pour autre qu’elle n’étoit; tant, qu’avec l’instance que lui en faisoit ledit personnage, elle se mit en opinion que, s’elle laissoit cela ainsi, elle feroit grand tort à son honneur. Sur quoi, après avoir songé des moyens uns et autres d’en rechercher704 le gentilhomme, il ne fut point trouvé de meilleur expédient que de le traiter par voie de justice, pour mieux en avoir la raison et à son honneur. Pour abréger, elle obtint incontinent un ajournement personnel contre son homme, pour les moyens705 qu’elle avoit en la ville; lequel ne s’en doutoit point autrement, jusque à tant que le jour lui fut donné. Et parce qu’il n’étoit pas de la ville, combien qu’il ne fût de loin de là, ses amis lui conseillèrent de s’absenter pour quelque temps, lui remontrant qu’il n’auroit pas du meilleur, et qu’elle, qui étoit apparentée des juges et des avocats, lui pourroit faire telle poursuite qu’il en seroit fâché; car de nier le fait, il n’y avoit point d’ordre; d’autant que lui-même l’auroit confessé en quelques compagnies, où il s’étoit depuis trouvé. Mais lui, qui étoit assez assuré, n’en fit pas grand cas, et répondit qu’il ne s’enfuiroit point pour cela, et qu’il savoit bien ce qu’il avoit à faire. Le jour de l’assignation venu, il se présenta en jugement, où y avoit as276sez bonne assemblée pour ouïr débattre ce différend, qui étoit tout divulgué par la ville. Il lui fut demandé d’unes choses et autres: «Si un tel jour il n’étoit pas en une telle danse?» Il répondit que oui. «S’il ne connoissoit pas bien la dame complaignante?» Il répondit qu’il ne la connoissoit que de vue, et qu’il voudrait bien la connoître mieux. «S’il vouloit dire ou maintenir qu’elle fût autre que femme de bien?» Répondit que non. «S’il étoit pas vrai qu’un tel soir il l’eût baisée?» Répondit que oui. «Voire-mais, vous lui avez fait un déshonneur grand, ainsi qu’elle se plaint?» Et lui, de le nier. «Vous lui avez mis votre langue en sa bouche.—Eh bien, quand ainsi seroit? dit-il.—Cela ne se fait, dit le juge, qu’aux femmes mal notées: ce n’étoit pas là où vous deviez adresser.» Quand il se vit ainsi pressé, alors il répondit: «Elle dit que je lui ai mis la langue en la bouche; quant à moi, il ne m’en souvient point. Mais pourquoi ouvroit-elle le bec, la folle qu’elle est?» Comme à dire: S’elle ne l’eût ouvert, je ne lui eusse rien mis dedans. Mais à ceux qui entendent le langage du pays, il est un peu de meilleure grâce: Et per che badava, la bestia? C’est-à-dire: Pourquoi bâilloit-elle, la bête? Voire-mais, qu’en fut-il dit? Il en fut ri, et les parties hors de cour et de procès; à la charge pourtant qu’une autre fois elle serreroit le bec quand elle se laisseroit baiser.


NOUVELLE LXXXI.

Du coupeur de bourses, et du curé qui avoit vendu son blé.

Il n’y a pas métier au monde qui ait besoin de plus grande habileté que celui des coupeurs de bourses; car ces gens de bien ont affaire à hommes, à femmes, à gentilshommes, à avocats, à marchands, et à prêtres, que je277 devois dire les premiers; bref, à toutes sortes de personnes, fors, par aventure, aux cordeliers: encore y en a-t-il qui ne laissent pas de porter argent, nonobstant la prohibition francisquine706; mais ils la tiennent si cachée, que les pauvres coupe-bourses n’y peuvent aveindre. Lesquels, avec ce qu’ils ont affaire à tous les susnommés, le pis est, et le plus fort, qu’ils vous dérobent en votre présence, et ce que vous tenez le plus cher. Et puis, ils savent bien de quoi il y va pour eux. Et pour ce, vous laisserai à penser comment il faut qu’ils entendent leur état, et en quantes manières. Je vous raconterai seulement deux ou trois de leurs tours, lesquels j’ai ouï dire pour assez subtils, ne voulant nier toutefois qu’ils n’en fassent bien d’aussi bons, voire de meilleurs, quand il y affiert707. Je dis donc qu’en la ville de Toulouse fut prins l’un de ces bons marchands dont nous parlons: je ne sais pas s’il étoit des plus fins d’entre eux; mais je penserois bien que non, puisqu’il se laissa prendre, et puis pendre, qui fut bien le pire; mais la cruche va si souvent à la fontaine, qu’à la fin elle se rompt le col. Tant y a, qu’étant en la prison, il encusa708 ses compagnons, sous ombre qu’on lui promit impunité; et se met à déclarer tout plein de belles pratiques du métier, desquelles celle-ci étoit l’une: Qu’un jour les coupeurs de pendants709, lesquels étoient bien dix ou douze de bande, se trouvèrent en la ville susdite à la Peyre710, à un jour de marché, où ils virent comme un 278curé avoit reçu quarante ou cinquante francs en beau paiement, pour certain blé qu’il avoit vendu: lesquels deniers il mit en un gibecière qu’il portoit à son côté (vous pouvez bien penser qu’il ne la portoit pas sur sa tête). De quoi ces galants furent fort réjouis; car ils n’en eussent pas voulu tenir un denier moins. Et parce que le butin étoit bon, ils commencèrent à se tenir près les uns des autres (car c’étoit là qu’ils se devoient attendre; ailleurs, non), et se mirent à presser ce curé de plus près qu’ils purent; lequel étoit jaloux de sa gibecière comme un coquin de sa poche711; car, étant en la presse, il avoit toujours la main dessus, se doutant bien des inconvénients; et lui étoit avis que tous ceux qu’il voyoit étoient coupeurs de bourses et de gibecières. Ces compagnons cependant le serroient, le tournoient, le viroient en la foule, faisant semblant d’avoir hâte de passer, pour trouver moyen de croquer cette gibecière; mais, pour tourment712 qu’ils sussent faire, ce curé ne partoit point la main de dessus sa prise; dont ils se trouvèrent fort fâchés et ébahis de ce qu’un curé leur donnoit tant de peine. Et, de fait, celui qui le racontoit dit au juge qui l’interrogeoit qu’il s’étoit trouvé en une centaine de factions; mais qu’il n’avoit point vu d’homme plus obstiné à se donner garde que ce curé, ni qui eût moins d’envie de perdre sa bourse. Or avoient-ils juré qu’ils l’auroient. Que firent-ils en le pourmenant ainsi parmi la foule? Ils firent tant, qu’ils le firent approcher d’un grand monceau de souliers, de buche, alias des sabots, qu’ils disent en ce pays-là des esclops713 (si bien m’en souvient), lesquels esclops ils sont 279pointus par le bout, pour la braveté714. Voyez; encore se fait-il de braves sabots. Quoi voyant l’un d’entre eux, comme ils sont tous accorts de faire leur profit de tout, vint pousser avec le pied l’un de ces esclops, et en donner un grand coup contre la grève de ce curé; lequel, sentant une extrême douleur, ne se put tenir, qu’il ne portât la main à sa jambe, car un tel mal que celui-là fait oublier toutes autres choses; mais il n’eut pas plus tôt lâché la gibecière, que cet habile hillot715 ne la lui eût enlevée. Le curé, avec tout son mal, voulut reporter la main à ce qu’il tenoit si cher; mais il n’y trouva plus rien que le pendant; dont il se print à crier plus fort que de sa jambe; mais la gibecière était déjà en main tierce, voir quarte, si besoin étoit; car, en telles exécutions; ils s’entre-secourent merveilleusement bien. Ainsi le pauvre curé s’en alla mauvais marchand de son blé, étant blessé en la jambe et ayant perdu sa gibecière et son argent. Il y en a qui sont si scrupuleux, qui diroient que c’étoit de péché de vendre les biens de l’Église; mais je ne dis rien de cela, j’aime mieux vous faire une autre conte.


NOUVELLE LXXXII.

Des mêmes coupeurs de bourses, et du prévôt La Voulte716.

Il faut entendre que le meilleur avis qu’aient prins les 280coupeurs de bourses a été de se tenir bien en ordre717; car, quand ils étoient habillés chétivement, ils n’eussent pas osé se trouver parmi les gens d’apparence, qui sont les lieux où ils ont le plus grand affaire; où, s’ils s’y trouvoient, on se donnoit garde d’eux; car les hommes mal vêtus, quand ils seroient plieurs de corporaux718, si sont-ils à tous coups prins pour espies. A propos, un jour, étant le roi François à Blois, se trouvèrent de ces bons marchands719, dont est question, qui étoient tous habillés comme gentilshommes: desquels y en eut un qui se laissa surprendre en la basse-cour de Blois, faisant son état; il fut incontinent représenté devant M. de La Voulte, homme qui a fait passer les fièvres en son temps à maintes personnes. Je faux; il donnoit la fièvre720, mais il avoit le médecin721 quant et lui, qui en guérissoit. Étant ce coupe-bourses devant le prévôt, s’amassèrent force gens à l’entour de lui; ainsi qu’en tel cas chacun y court comme au feu; et ce, tant pour connoître cet homme de métier que pour voir la façon du prévôt, qui étoit un mauvais et dangereux fol, avec son cou tors. Or, les autres coupeurs de bourses se tinrent assis là auprès, faisant mine de gens de bien, pour ouïr les interrogatoires que faisoit ce prévot à leur compagnon, et aussi pour pratiquer quelque 281bonne fortune, s’elle se présentoit; comme en tel lieu les hommes ne se donnent pas bien garde; car ils ne pensent point qu’il y ait plus d’un loup dedans le bois; et il y en a peut-être plus de dix. Et puis, qui penseroit qu’il y en eût de si hardis de dérober au propre lieu où se fait le procès d’un larron! Mais il y en eut bien de trompés. Or, devinez qui ce fut? vous ne devinerez pas du premier coup! Jean722! ce fut M. le prévôt. Car, ce pendant qu’il examinoit celui qu’il avoit entre ses mains, touchant la bourse qui avoit été coupée, il y en eut un en la foule qui lui coupa la sienne dedans sa manche723, et la bailla habilement à un sien compagnon et ami. Le prévôt, quelque ententif724 qu’il fût environ ce prisonnier, si sentit-il bien qu’on lui fouilloit en sa manche. Il tâte, et trouve sa bourse tirée; dont il fut le plus dépité du monde; et ne voyant autour de soi que des gens de bien, au moins bien habillés, il ne savoit à qui s’en prendre. Mais, à la chaude725, vint saisir un gentilhomme le plus prochain de lui, en lui disant: «Est-ce vous qui avez prins ma bourse?—Tout beau, monsieur de La Voulte, lui dit le gentilhomme; retournez vous cacher726, vous n’avez pas bien deviné: prenez-vous-en à un autre qu’à moi.» Le prévôt 282cuida désespérer. Et le bon fut, que, pendant qu’il étoit empêché à questionner de sa bourse, celui qu’il tenoit lui échappe et se sauve parmi le monde. Dont M. de la Voulte, par un beau dépit, en fit pendre une douzaine d’autres qu’il tenoit prisonniers; et puis leur fit faire leur procès.


NOUVELLE LXXXIII.

D’eux-mêmes encore, et du coutelier à qui fut coupée la bourse.

A Moulins en Bourbonnois, y en avoit un qui avoit le renom de faire les meilleurs couteaux du pays. Duquel bruit ému, un de ces vénérables coupeurs de cuir727, s’en alla jusqu’à Moulins trouver ce coutelier, pour faire faire un couteau, se pensant qu’en voyant ce pays, il pourroit gagner son voyage, tant par les chemins que sur les lieux. Étant arrivé à Moulins (car je ne dis rien de ce qu’il fit en allant), il va trouver ce coutelier et lui dit: «Mon ami, me ferez-vous bien un couteau de la façon que je vous deviserai?» Le coutelier lui répond qu’il le feroit, si l’homme de Moulins le faisoit. «Mon ami, dit cet homme de bien, la façon n’en est point autrement difficile. Le plus fort est qu’il coupe bien: car je le voudrois fin comme un rasoir.—Eh bien! dit le coutelier, l’appelant monsieur (car il le voyoit bien en ordre); ne vous souciez point du tranchant: dites-moi seulement de quelle sorte vous le voulez.—Mon ami, dit-il, je le veux d’une telle grandeur et d’une telle façon.» Et n’oublia pas à le lui desseigner728 tout tel qu’il le lui falloit; en lui disant: «Mon ami (car il le falloit amieller729), faites-le moi seu283lement; et ne vous souciez du prix; car je vous payerai à votre mot.» Il s’en va; le coutelier se met après ce couteau, qui fut prêt à heure nommée. L’autre le vint quérir, et le trouva bien fait à son gré et à son besoin. Il tire un teston de sa faque et le baille au coutelier. Et comme telles gens ont toujours l’œil au guet pour épier si fortune leur envolera point quelque butin, il vit que ce coutelier tira sa bourse de sa manche pour mettre ce teston, ainsi qu’on la portoit de ce temps-là; et la mettoit-on par une fente qui étoit en la manche du sayon ou du pourpoint. Incontinent que le galant vit cette bourse à découvert, il commence à presser ce coutelier de quelque propos aposté730; et l’embesogna tellement, qu’il lui fit oublier de remettre la bourse en sa manche, et le laissa pendre sans y prendre garde. Étant cette bourse en si beau gibier, le galant se tenoit toujours près de sa proie, entretenant fort familièrement et de près le coutelier, duquel il étoit déjà cousin. De propos en propos, ce coutelier s’aventure de lui dire: «Mais, monsieur, vous déplaira-t-il point si je vous demande à quoi c’est faire ce couteau? j’en ai fait, en ma vie, de beaucoup de façons, mais je n’en fis jamais de semblable.—Mon ami, dit-il, si tu pensois à quoi il est bon, tu en serois ébahi.—Et à quoi, dites-le-moi, je vous en prie.—Ne le diras-tu point? dit le coupe-bourses.—Non, dit le coutelier, je le vous promets.» Le coupe-bourses s’approche, comme pour lui parler en l’oreille, et lui dit tout bas: «C’est pour couper des bourses.» Et en disant cela, fit le premier chef-d’œuvre de son couteau; car il ne faillit à lui couper cette bourse ainsi pendante. Puis, après lui avoir la bourse, il lui coupe la queue731; et s’en va chercher sa pratique, de çà, 284de là, par la ville; là où il fit plusieurs belles exécutions de son métier avec ce couteau. Mais je crois bien qu’il s’affrianda tant en ce lieu, qu’il fut surprins en un sermon, coupant la bourse à un jeune homme de la ville (ainsi que sont ceux du métier toujours attrapés tôt ou tard; car les renards se trouvent tous à la fin chez le pelletier). Quand il eut été quelques jours en prison, on lui promit, selon la coutume, qu’il n’auroit point de mal s’il vouloit parler rondement et dire les vérités en tel cas requises. Sus laquelle promesse, il commença à se déclarer et à dire tout ce qu’il savoit. En ces interrogatoires étoit comprins le cas de ce coutelier; d’autant qu’il avoit ouï dire que ce coupeur de bourses étoit prins, et s’étoit venu rendre partie et se plaindre à la justice. Sur quoi le prévôt (car telles personnes ne sont pas voulentiers renvoyées devant l’évêque732), le prévôt lui dit en riant, mais c’étoit un rire d’hôtelier733: «Viens çà! tu étois bien mauvais de couper la bourse à ce coutelier qui t’avoit fait l’instrument pour t’aider à gagner ta vie?—Eh! monsieur, dit-il, qui ne la lui eût coupée? elle lui pendoit jusques aux genoux.» Mais le prévôt, après tous jeux, l’envoya pendre jusques au gibet.


NOUVELLE LXXXIV.

Du bandoulier734 Cambaire, et de la réponse qu’il fit à la cour de parlement.

Dedans le ressort de Toulouse, y avoit un fameux bandoulier, lequel se faisoit appeler Cambaire; et avoit autre285fois été au service du roi avec charge de gens de pied, là où il avoit acquis le nom de vaillant et hardi capitaine; mais il avoit été cassé avec d’autres, quand les guerres furent finies: dont, par dépit et par nécessité, s’étoit rendu bandoulier des montagnes et des environs. Lequel train il fit si à l’avantage, qu’il se fit incontinent connoître pour le plus renommé de ses compagnons: contre lequel la cour de parlement fit faire telle poursuite, qu’à la fin il fut prins et amené en la conciergerie, où il ne demeura guères, que son procès ne fût fait et parfait; par lequel il fut sommairement conclu à la mort, pour les cas énormes par lui commis et perpétrés. Et combien que, par les informations, il fût chargé de plusieurs crimes et délits, dont le moindre étoit assez grand pour perdre la vie, toutefois la cour n’usa pas de sa sévérité accoutumée; car on dit: «Rigueur de Toulouse, humanité de Bordeaux, miséricorde de Rouen, justice de Paris; bœuf sanglant, mouton bêlant, et porc pourri: et tout n’en vaut rien, s’il n’est bien cuit.» Mais elle eut certain respect à ce Cambaire, qu’elle lui voulut bien faire entendre devant qu’il mourût. Et après l’avoir fait venir, le président lui va dire ainsi: «Cambaire, vous devez bien remercier la cour, pour la grâce qu’elle vous fait, qui avez mérité une bien rigoureuse punition pour les cas dont vous êtes atteint et convaincu735. Mais parce qu’autres fois vous vous êtes trouvé ès bons lieux, où vous avez fait service au roi, la cour s’est contentée de vous condamner seulement à perdre la tête.» Cambaire, ayant ouï ce dicton, répondit 286incontinent en son gascon: «Cap de Diou! be vous donni lou reste per un viet-daze736.» Et, à la vérité, le reste ne valoit pas guères, après la tête ôtée; attendu même, que le tout n’en valoit rien. Mais si est-ce que, pour cette réponse, il lui en print fort mal; car la cour, irritée de cette arrogance, le condamna à être mis en quatre quartiers.


NOUVELLE LXXXV.

De l’honnêteté de M. de Salzard.

Je vous veux faire un beau conte d’un honnête monsieur qui s’appeloit Salzard. Savez-vous quel homme c’étoit? Premièrement il avoit la tête comme un pot à beurre; le visage froncé comme un parchemin brûlé; les yeux gros comme les yeux d’un bœuf; le nez qui lui dégouttoit, principalement en hiver, comme la poche d’un pêcheur, et alloit toujours levant le museau, comme un vendeur de cinquailles737; la gueule torte comme je ne sais quoi; un bonnet gras, pour lui faire une potée de choux; sa robe avallée738, que tous eussiez dit qu’il étoit épaulé739; une jaquette ballant jusqu’au gras de la jambe; des chausses déchiquetées au talon, tirant par le bas comme aux amoureux de Bretagne (je faux, ce n’étoient pas des chausses, c’étoit de la crotte bordée de drap); sa belle chemise de trois semaines, encore étoit-elle déjà sale; ses ongles assez grands pour faire des lanternes, ou pour bien s’égraffi287gner740 contre celui qui est sous les pieds de saint Michel741. A qui le marierons-nous, mesdamoiselles? Y a-t-il point quelqu’une d’entre vous qui soit frappée des perfections de lui?... Vous en riez? Or, n’en riez plus. Lui donne femme qui en saura quelqu’une qui lui soit bonne! Quant à moi, je n’en connois pour lui, si je n’y pensois. Non, non, ne différez point à l’aimer; car il est gracieux, en récompense. Et quand on lui demandoit: «Monsieur, comme vous portez-vous?» Il répondoit en villenois742: «Je ne me porte jà.—Qu’avez-vous, monsieur?—J’ai la tête plus grosse que poing.—Monsieur, le dîner est prêt.—Mangez-le.—Monsieur, ils sont onze heures743.—Ils en seront plus tôt douze.—Voulez-vous le poisson frit ou bouilli, ou rôti, ou quoi?—Je le veux coi.» Et qui étoit cet honnête homme-là? Voire, allez le lui dire pour engendrer noise; ne vous enquérez point de lui, si vous ne le voulez épouser.


NOUVELLE LXXXVI.

De deux écoliers qui emportèrent les ciseaux du tailleur.

En l’université de Paris, y avoit deux jeunes écoliers qui étoient bons fripons, et faisoient toujours quelque chatonnie744, principalement en cas de remuement de besognes745. Ils prenoient livres, ceintures, gants, tout leur 288étoit bon. Ils n’attendoient point que les choses fussent perdues pour les trouver; et falloit qu’ils prinssent, et n’eussent-ils dû emporter que des souliers. Même, étant dedans votre chambre, tout devant vous, s’ils eussent vu une paire de pantoufles sous un coin de lit, l’un d’eux les chaussoit gentiment sur ses escarpins, et s’en alloit à-tout. Et se conte, pour se donner garde d’eux, qu’il leur falloit regarder aux pieds et aux mains; combien que le proverbe ne nous avertisse que des mains. Somme, ils avoient fait serment qu’en quelque lieu qu’ils entreroient, ils en sortiroient toujours plus chargés, ou ils ne pourroient; et s’entendoient bien ensemble; car tandis que l’un faisoit le guet, l’autre faisoit la prise. Un jour, ils se trouvèrent tous deux chez un tailleur (car ils n’étoient quasi jamais l’un sans l’autre), là où l’un d’eux se faisoit prendre la mesure de quelque pourpoint. Et comme ils jetoient les yeux, de çà, de là, pour voir ce qu’ils emporteroient, ils ne virent rien qui fût bonnement de leur gibier; sinon que l’un d’eux avisa une paire des ciseaux en assez belle prise, dont son compagnon étoit le plus près: auquel il dit en latin, en le guignant de la tête: Accipe. Son compagnon, qui entendoit bien ce mot, et le savoit bien mettre en usage, prend tout doucement ces ciseaux, et les met sous son manteau, tandis que le tailleur étoit amusé ailleurs; lequel ouït bien ce mot: Accipe; mais il ne savoit qu’il vouloit dire, n’ayant jamais été à l’école; jusques à tant que, les deux écoliers étant départis, il eut affaire de ses ciseaux; lesquels ne trouvant point, il fut fort ébahi, et vint à penser en soi-même, qui étoit venu en sa boutique, dont ne se peut douter, que de ces deux jeunes gens; et même, se réduisant en mémoire la contenance qu’il leur avoit vu faire, se souvint aussi de ce mot Accipe, dont il commença à croître en lui suspicion. Il vint tantôt un289 homme en sa boutique, auquel, en parlant de ses ciseaux (car il souvient toujours à Robin de ses flûtes746), il demanda: «Monsieur, dit-il, que signifie Accipe?» L’autre lui répond: «Mon ami, c’est un mot que les femme entendent. Accipe signifie prends.—Oh! de par Dieu (je crois qu’il dit bien: le diable)! si Accipe signifie prends, mes ciseaux sont perdus!» Aussi étoient-ils sans point de faute; pour le moins, étoient-ils bien égarés.


NOUVELLE LXXXVII.

Du cordelier qui tenoit l’eau auprès de soi à table et n’en buvoit point.

Un gentilhomme appeloit ordinairement à dîner et à souper un cordelier, qui prêchoit le carême en la paroisse; lequel cordelier étoit bon frère, et aimoit le bon vin. Quand il étoit à table, il demandoit toujours l’aiguière auprès de soi, le compagnon; et toutefois il ne s’en servoit point, car il trouvoit le vin assez fort sans eau, buvant sicut terra sine aqua; à quoi le gentilhomme ayant prins garde, lui dit une fois: «Beau père, d’où vient cela, que vous demandez toujours de l’eau, et que vous n’en mettez point en votre vin?—Monsieur, dit-il, pourquoi est-ce que vous avez toujours votre épée à votre côté, et si n’en faites 290rien?—Voire-mais, dit le gentilhomme, c’est pour me défendre si quelqu’un m’assailloit.—Monsieur, dit le cordelier, l’eau me sert aussi pour me défendre du vin s’il m’assailloit; et pour cela, je la tiens toujours auprès de moi; mais voyant qu’il ne me fait point de mal, je ne lui en fais point aussi.»

Un cordelier, qui est ceint747 homme,
Boit du vin comme un autre homme.

NOUVELLE LXXXVIII.

D’une dame qui faisoit garder les coqs sans connoissance de poules.

Une grande dame de Bourbonnois avoit apprins, par l’enseignement d’un personnage qui savoit que c’étoit de vivre friandement, que les jeunes cochets748, sans être châtrés, pourvu qu’ils n’eussent point connoissance de poules, avoient la chair aussi tendre et plus naturelle que les chapons; et que ce qui faisoit les coqs devenir ainsi durs, c’étoit l’amour des gelines749: comme font tous les mâles avec les femelles. Car, sans point de faute, celui parloit bien en homme expérimenté qui disoit que: «Qui le moins en fait trompe son compagnon; que les apprentis en sont maîtres; que les plus grands ouvriers en vont aux potences; que les hommes en meurent, et que les femmes en vivent;» et autres bons mots appartenant à la matière. Toutefois, je m’en rapporte à ce qui en est; ce que j’en dis n’est pas pour apaiser noise. A propos de nos cochets, cette dame dont nous parlons les faisoit garder à part des poules, pour servir à table en lieu de chapons, dont elle se 291trouvoit bien. Un jour, la vint voir (comme sa maison étoit grande et principale) un grand seigneur, auquel elle fit tel et si honorable racueil750 qu’elle savoit faire; lui voulut faire voir les singularités de sa maison, une pour751 une: entre lesquelles elle n’oublia point ses cochets, lui en faisant grand’fête, et lui promettant de lui en faire voir l’expérience à souper. Ce seigneur print cela pour une grande nouveauté; mais il eut pitié de ces pauvres cochets, lesquels il vit ainsi punis à la rigueur d’être privés du plus grand plaisir que nature eût mis en ce monde; et se pensa en soi-même qu’il feroit œuvre de miséricorde de leur donner quelque secours: qui fut que, s’étant mis à part d’avec madame, il fit appeler l’un de ses gens, auquel il commanda secrètement que tout à l’heure il lui recouvrât trois ou quatre poules en vie; et qu’il ne faillît à les aller mettre dedans le poulailler où étoient ces cochets, sans faire bruit: ce qui fut incontinent fait. Aussitôt que ces poules furent là-dedans, et mes cochets environ, et de se battre. Jamais ne fut telle guerre: comme l’un montoit, l’autre descendoit; ces pauvres poules furent affolées752; car on dit que

Gallus gallinis ter quinque sufficit unus;
At ter quinque viri non sufficiunt mulieri.

Mais je crois que ce dernier est faux; car j’ai ouï dire à une dame qu’elle se contentoit bien de trois fois la nuit, l’une à l’entrée du lit, l’autre entre deux sommes, et la tierce au point du jour; mais, s’il y en avoit quelqu’une extraordinaire, qu’elle la prenoit en patience. De 292moi, je dirois cette dame assez raisonnable, et qu’une fois n’est rien; deux font grand bien; trois, c’est assez; quatre, c’est trop; cinq, c’est la mort d’un gentilhomme, sinon qu’il fût affamé: au-dessus, c’est à faire à charretiers753. Vrai est qu’il y avoit un gentilhomme qui se vantoit de la dix-septième fois pour une nuit: dont chacun qui l’oyoit s’en émerveilloit. Mais, à la fin, quand il eut bien fait valoir son compte, il se déclara, en disant qu’il y avoit une faute qui valoit quinze: c’étoit bien rabattu. Mais qu’est-ce que je vous conte? Pardonnez-moi, mesdames: ç’ont été les cochets, qui m’ont fait choir en ces termes. Par mon âme! c’est une si douce chose, qu’on ne se peut tenir d’en parler à tous propos. Aussi n’ai-je pas entreprins, au commencement de mon livre, de vous parler de renchérir le pain.


NOUVELLE LXXXIX.

De la pie et de ses piaux.

C’est trop parlé de ces hommes et de ces femmes; je vous veux faire un conte d’oiseaux. C’étoit une pie, qui conduisoit ses petits piaux par les champs, pour leur apprendre à vivre; mais ils faisoient les besiats754, et vouloient toujours retourner au nid, pensant que la mère les dût toujours nourrir à la béchée: toutefois, elle, les voyant tous drus pour aller par toutes terres, commença à les laisser manger tout seuls petit à petit, en les instruisant ainsi: «Mes enfans, dit-elle, allez-vous-en par les champs; 293vous êtes grands pour chercher votre vie: ma mère me laissa, que je n’étois pas si grande de beaucoup que vous êtes.—Voire-mais, disoient-ils, que ferons-nous? Les arbalestriers nous tueront.—Non feront, non, disoit la mère. Il faut du temps pour prendre la visée: quand vous verrez qu’ils lèveront l’arbalète et qu’ils la mettront contre la joue pour tirer, fuyez-vous-en.—Et bien, nous ferons bien cela, disoient-ils; mais si quelqu’un prend une pierre pour nous frapper, il ne faudra point qu’il prenne de visée. Que ferons-nous alors?—Et vous verrez bien toujours, disoit la mère, quand il se baissera pour amasser la pierre.—Voire-mais, disoient les piaux, s’il portoit d’aventure la pierre toujours prête en la main pour ruer755?—Ah! dit la mère, en savez-vous bien tant! Or, pourvoyez-vous, si vous voulez.» Et ce disant, elle les laisse et s’en va. Si vous n’en riez, si n’en plourerai-je pas.


NOUVELLE XC.

D’un singe qu’avoit un abbé, qu’un Italien entreprint de faire parler.

Un M. l’abbé avoit un singe, lequel étoit merveilleusement bien né; car, outre les gambades et plaisantes mines qu’il faisoit, il connoissoit les personnes à la physionomie; il connoissoit les sages et honnêtes personnes, à la barbe, à l’habit, à la contenance, et les caressoit; mais un page, quand bien il eût été habillé en damoiselle, si l’eût-il discerné entre cent autres; car il le sentoit à son pageois756, incontinent qu’il entroit dans la salle, encore que jamais plus il ne l’eût vu. Quand on parloit de quelque propos, il écoutoit d’une discrétion, comme s’il eût entendu les 294parlants; et faisoit signes assez certains pour montrer qu’il entendoit: et s’il ne disoit mot, assurez-vous qu’il n’en pensoit pas moins. Bref, je crois qu’il étoit encore de la race du singe de Portugal757, qui jouoit fort bien aux échecs. M. l’abbé étoit tout fier de ce singe et en parloit souvent, en dînant et en soupant. Un jour, ayant bonne compagnie en sa maison, et étant pour lors la cour en ce pays-là, il se print à magnifier758 son singe: «Mais n’est-ce pas là, dit-il, une merveilleuse espèce d’animal? Je crois que Nature vouloit faire un homme quand elle le faisoit, et qu’elle avoit oublié que l’homme fût fait, étant empêchée à tant d’autres choses: car, voyez-vous? elle lui fit le visage semblable à celui d’un homme; les doigts, les mains et même les lignes écartées dedans les paumes, comme à un homme. Que vous en semble? il ne lui faut que la parole, que ce ne soit un homme. Mais ne seroit-il possible de le faire parler? On apprend bien à parler à un 295oiseau, qui n’a pas tel entendement ni usage de raison comme cette bête-là. Je voudrais qu’il m’eût coûté une année de mon revenu et qu’il parlât aussi bien que mon perroquet, et ne crois point qu’il ne soit possible; car même, quand il se plaint, ou quand il rit, vous diriez que c’est une personne, et qu’il ne demande qu’à dire ses raisons, et crois, qui voudroit aider à cette dextérité de nature, qu’on y parviendroit.» A ces propos, par cas de fortune, étoit présent un Italien, lequel, voyant que l’abbé parloit d’une telle affection et qu’il étoit si bien acheminé à croire que ce singe dût apprendre à parler, se présente d’une telle assurance (qui est naturelle à sa nation) et va dire à l’abbé, sans oublier les révérences, excellences et magnificences: «Seigneur, dit-il, vous le prenez là où il le faut prendre; et croyez, puisque Nature a fait cet animal si approchant de la figure humaine, qu’elle n’a voulu être impossible que le demeurant ne s’achevât par artifice, et qu’elle l’a privé de langage pour mettre l’homme en besogne et pour montrer qu’il n’est rien qui ne se puisse faire par continuation de labeur. Ne lit-on pas des éléphans759 qui ont parlé? et d’un âne760 semblablement (mais plus de cent, eussé-je dit voulentiers)? et suis émerveillé qu’il ne se soit encore trouvé roi, ni 296prince, ni seigneur, qui l’ait voulu essayer de cette bête: et dis que celui-là acquerra une immortelle louange qui premier en fera l’expérience.» L’abbé ouvrit l’oreille à ces raisons philosophales, et principalement d’autant qu’elles étoient italiques761; car les François ont toujours eu cela de bon (entre autres mauvaises grâces) de prêter plus voulentiers audience et faveur aux étrangers qu’aux leurs propres. Il regarde cet Italien, de plus près, avec ses gros yeux, et lui dit: «Vraiment, je suis bien aise d’avoir trouvé un homme de mon opinion, et y a longtemps que j’étois en cette fantaisie.» Pour abréger, après quelques autres argumens allégués et déduits, l’abbé, voyant que cet Italien faisoit profession d’homme entendu, avec une mine762 qui valoit mieux que le boisseau, lui va dire: «Venez çà! voudriez-vous entreprendre cette charge de le faire parler?—Oui, monseigneur, dit l’Italien, je le voudrois entreprendre: j’ai autrefois entreprins d’aussi grandes choses, dont je suis venu à bout.—Mais en combien de temps? dit l’abbé.—Monsieur, répondit l’Italien, vous pouvez entendre que cela ne se peut pas faire en peu de temps: je voudrois avoir bon terme pour une 297telle entreprise, que celle-là, et si inconnue; car, pour ce faire, il le faudra nourrir à certaines heures, et de viandes choisies, rares et précieuses, et être environ763 nuit et jour.—Eh bien! dit l’abbé, ne parlez point de la dépense, car, quelle qu’elle soit, je n’y épargnerai rien, parlez seulement du temps.» Conclusion, il demanda six ans de terme; à quoi l’abbé se condescendit, et lui fait bailler ce singe en pension, dont l’Italien se fait avancer une bonne somme d’écus, et prend ce singe en gouvernement. Et pensez que tous ces propos ne furent point demenés sans apprêter à rire à ceux qui étoient présens; lesquels toutefois se réservoient à rire, pour une autre fois, tout à loisir, n’en voulant pas faire si grand semblant devant l’abbé. Mais les Italiens, qui étoient de la connoissance de cet entrepreneur, s’en portèrent bien fâchés, car c’étoit du temps qu’ils commençoient à avoir vogue en France764, et, pour cette singéopédie765, ils avoient peur de perdre leur réputation. A cette cause, quelques-uns d’entre eux blâmèrent fort ce magister, lui remontrant qu’il déshonoroit toute la nation par cette folle entreprise, et qu’il ne devoit point s’adresser à M. l’abbé pour l’abuser; et que, quand il seroit venu à la connoissance du roi, on lui feroit un mauvais parti. Quand cet Italien les eut bien écoutés, 298il leur répondit ainsi: «Voulez-vous que je vous dise? vous n’y entendez rien, tous tant que vous êtes. J’ai entrepris de faire parler un singe en six ans; le terme vaut l’argent, et l’argent le terme. Ils viennent beaucoup de choses en six ans. Avant qu’ils soient passés, ou l’abbé mourra, ou le singe, ou moi-même par adventure; ainsi, j’en demeurerai quitte766.» Voyez que c’est que d’être hardi entrepreneur: on dit qu’il advint le mieux du monde pour cet Italien. Ce fut que l’abbé, ayant perdu ce singe de vue, se commença à fâcher; de manière qu’il ne prenoit plus plaisir en rien; car il faut entendre que l’Italien le print avec condition de lui faire changer d’air; avec ce, qu’il se disoit vouloir user de certains secrets, que personne n’en eût la vue, ni la connoissance. Pour ce, l’abbé, voyant que c’étoit l’Italien qui avoit le plaisir de son singe, et non pas lui, se repentit de son marché et voulut ravoir ce singe. Ainsi, l’Italien demeura quitte de sa promesse, et cependant il fit grand’ chère des écus abbatiaux.


NOUVELLE XCI.

Du singe qui but la médecine.

Je ne sais si ce fut point ce même singe dont nous parlions tout maintenant; mais c’est tout un: si ce ne fut lui, ce fut un autre. Tant y a que le maître de ce singe devint malade d’une grosse fièvre, lequel fit appeler les médecins, qui lui ordonnèrent tout premièrement le clystère et la saignée, à la grand’mode accoutumée; puis des sirops par quatre matins; et tandis767, une médecine, laquelle l’apo299thicaire lui apporte de bon matin au jour nommé; mais, ayant trouvé son patient endormi, ne le voulut pas réveiller, d’autant même qu’il n’avoit reposé, long-temps avoit. Mais il laisse la médecine dedans le gobelet dessus la table, couvert d’un linge, et s’en alla, en attendant que le patient se réveillât, comme il fit au bout de quelque temps, et vit sa médecine sus la table; mais il n’y avoit personne pour la lui bailler, car tout le monde étoit sorti pour le laisser reposer; et, par fortune, avoient laissé l’huis de la chambre ouvert, qui fut cause que le singe y entra pour venir voir son maître. La première chose qu’il fit fut de monter sur la table, où il trouve ce gobelet d’argent, auquel étoit la médecine. Il le découvre, et commence à porter ce breuvage au nez, lequel il trouva d’un goût un petit fâcheux, qui lui faisoit faire des mines toutes nouvelles. A la fin, il s’aventure d’y tâter; car jamais ne s’en fût passé. Mais, pour cette amertume sucrée, il retiroit le museau, il démenoit les babines, il faisoit des grimaces les plus étranges du monde. Toutefois, parce qu’elle étoit douçâtre, il y retourna encore une fois, et puis une autre. Somme, il fit tant en tâtant et retâtant, qu’il vint à bout de cette médecine et la but toute; encore s’en léchoit-il ses barbes768. Cependant le malade, qui le regardoit, print 300si grand plaisir aux mines qu’il lui vit faire, qu’il en oublia son mal, et se print à rire si fort et de si bon courage, qu’il guérit tout sain; car, au moyen de la soudaine et inopinée joie, les esprits se revigorèrent, le sang se rectifia, les humeurs se remirent en leur place, tant que la fièvre se perdit. Tantôt le médecin arrive, qui demanda au gisant comment il se trouvoit, et si la médecine avoit fait opération. Mais le gisant rioit si fort, qu’à grand’peine pouvoit-il parler; dont le médecin print fort mauvaise opinion, pensant qu’il fût en rêverie et que ce fût fait de lui. Toutefois, à la fin, il répondit au médecin: «Demandez, dit-il, au singe quelle opération elle a faite?» Le médecin n’entendoit point ce langage, jusques à tant que, lui ayant demouré quelque espace de temps, voici ce singe qui commença à aller du derrière tout le long de la chambre et sus les tapisseries: il sautoit, il couroit, il faisoit un terrible ménage. A quoi le médecin connut bien qu’il avoit été lieutenant du malade769, lequel à peine leur conta le cas comme il étoit advenu, tant il rioit fort, dont ils furent tous réjouis; mais le malade encore plus, car il se leva gentiment du lit et fit bonne chère, Dieu merci, et le singe!


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NOUVELLE XCII.

De l’invention d’un mari pour se venger de sa femme770.

Plusieurs ont été d’opinion que, quand une femme fait faute à son mari, il s’en doit plutôt prendre à elle que non pas à celui qui y a entrée, disant que qui veut avoir la fin d’un mal, il en faut ôter la cause, selon le proverbe italien: Morta la bestia, morto il veneno; et que les hommes ne font que cela à quoi les femmes les invitent, et qu’ils ne se jettent voulentiers en un lieu auquel ils n’aient quelque attente causée par l’attrait des yeux ou du parler, ou par quelque autre semonce771. De moi772, si je pensois faire plaisir aux femmes en les défendant par la fragilité, je le ferois voulentiers, qui ne cherche que leur faire service; mais j’aurois peur d’être désavoué de la plupart d’entre elles et des plus aimables de toutes, desquelles chacune dira: «Ce n’est point légèreté qui le me fait faire; ce sont les grandes perfections d’un homme qui mérite plus que tous les plaisirs qu’il pourroit recevoir de moi; je me rends grandement honorée, et m’estime très-heureuse, me voyant aimée d’un si vertueux personnage comme celui-là.» Et certes, cette raison-là est grande et quasi invincible, à laquelle il n’y a mari qui ne fût bien empêché de répondre. Vrai est que si, d’aventure, il se pense honnête et vertueux, il a occasion de retenir la femme toute pour soi; mais, si sa conscience le juge qu’il n’est pas tel, il semble qu’il n’ait pas grand’raison de tan302cer ni de défendre à sa femme d’aimer un homme plus aimable qu’il n’est; sinon qu’on me répondra qu’il ne la doit voirement ni ne peut empêcher d’aimer la vertu et les hommes vertueux. Mais il s’entend de la vertu spirituelle, et non pas de cette vertu substantifique et humorale, et qu’il suffit de joindre les esprits ensemble, sans approcher les corps si près l’un de l’autre; car

Le berger et la bergère
Sont en l’ombre d’un buisson,
Et sont si près l’un de l’autre,
Qu’à grand’peine les voit-on773.

D’excuser les femmes par la force des présents qu’on leur fait, ce seroit soutenir une chose vile, sordide et abjecte. Plutôt les femmes méritent griève punition, qui souffrent que l’avarice triomphe de leur corps et de leur cœur; combien que ce soit la plus forte pièce de toute la batterie, et qui fait la plus grande brèche. Mais sur quoi les excuserons-nous donc? Si faut-il trouver quelques raisons, sinon suffisantes, à tout le moins recevables, par faute de meilleur paiement. Certes, mon avis est qu’il n’y a point de plus valable défense que de dire qu’il n’est place si forte que la continuelle et furieuse batterie ne mette par terre. Aussi n’est-il cœur de dame si ferme, ne si préparé à résistance, qui à la fin ne soit contraint de se rendre à l’obstinée importunité d’un amant. L’homme même qui s’attribue la constance pour une chose naturelle et propriétaire774 se laisse gagner plus souvent que tous les jours, et s’oublie ès choses qu’il doit tenir pour les plus défensables, exposant en vente ce qui est sous la clef de 303la foi. Donc, la femme, qui est de nature douce, de cœur pitoyable, de parole affable, de complexion délicate, de puissance foible, comment pourra-t-elle tenir contre un homme importun en demandes, obstiné en poursuites, inventif en moyens, subtil en propos, et excessif en promesses? Vraiment, c’est chose presque difficile jusques à l’impossible; mais je n’en résoudrai rien pourtant en ce lieu-ci, qui n’est pas celui où se doit terminer ce différend. Je dirai seulement que la femme est heureuse, plus ou moins, selon le mari auquel elle a affaire; car il y en a de toutes sortes: les uns le savent et n’en font semblant, et ceux-là aiment mieux porter les cornes au cœur que non pas au front; les autres le savent et s’en vengent, et ceux-là sont mauvais, fols et dangereux; les autres le savent et le souffrent, qui pensent que patience passe science, et ceux-là sont pauvres gens. Les autres n’en savent rien, mais ils s’en enquièrent; et ceux-là cherchent ce qu’ils ne voudroient pas trouver. Les autres ne le savent ni entendent à le savoir; et ceux-ci, de tous les cocus, sont les moins malheureux, et même plus heureux que ceux qui ne le sont point et le pensent être. Tous ces cas ainsi prémis775, nous vous conterons d’un monsieur qui en étoit; mais certainement, ce n’étoit pas à sa requête, car il s’en fâchoit fort; mais il étoit de ceux du premier rang, dissimulant, tant qu’il pouvoit, son inconvénient, en attendant que l’opportunité se présentât d’y remédier, fût en se vengeant de sa femme, ou de l’ami d’elle, ou de tous deux s’il lui venoit à point. Et parce qu’il étoit mieux à main de se prendre à sa femme, le premier sort tomba sur elle, au moyen d’une invention qu’il imagina. Ce fut 304qu’au temps de vacations de cour776, il s’en alla ébattre à une terre qu’il avoit à deux lieues de la ville, ou environ, et y mena sa femme avec un semblant de bonne chère, la traitant toujours à la manière accoutumée tout le temps qu’ils furent là. Quand vint qu’il s’en fallut retourner à la ville, un jour ou deux avant qu’ils dussent partir, il commanda à un sien valet (lequel il avoit trouvé fidèle et secret) que quand ce viendroit à abreuver la mule sus laquelle montoit sa femme, qu’il ne la menât pas à l’abreuvoir, mais qu’il la gardât de boire tous les deux jours: avec cela qu’il mît du sel parmi son avoine, ne lui disant point pourtant à quelle fin il faisoit faire cela; mais il se connut par l’événement qui depuis s’en ensuivit. Ce valet fit tout ainsi que son maître lui commanda, tellement que, quand il fut question de partir, la mule n’avoit bu de tous les deux jours. La damoiselle monte sus cette mule, et tire droit le chemin de Toulouse, lequel s’adonnoit ainsi, qu’il falloit aller trouver la Garonne, et cheminer au long de la rive quelque temps, qui étoit la première eau qu’on trouvoit par le chemin. Quand ce fut à l’approche de la rivière, la mule commence de tout loin à sentir l’air de l’eau, et y tira tout droit pour l’ardeur qu’elle avoit de boire. Or, les endroits étaient creux et non guéables, et falloit que la mule, pour boire, se jetât en l’eau, tout de secousse, dont la damoiselle ne la put jamais garder; car la mule mouroit d’altération, tellement que ladite damoiselle étant surprise de peur, empêchée d’accoutrements, et le lieu difficile, tomba du premier coup en l’eau, dont le mari s’étoit tenu loin tout expressément, avec son valet, pour laisser venir la chose 305au point qu’il avoit prémédité: si bien qu’avant que la pauvre damoiselle pût avoir secours, elle fut noyée suffoquée en l’eau777. Voilà une manière de se venger d’une femme qui est un peu cruelle et inhumaine. Mais que voulez-vous? il fâche à un mari d’être cocu en propre personne, et si se songe que, s’il ne se prenoit qu’à l’ami, son mal ne sortiroit pas hors de sa souvenance, voyant toujours auprès de soi la bête qui auroit fait le dommage; et puis, elle seroit toute prête et appareillée à faire un autre ami; car une personne qui a mal fait une fois (si c’est mal fait que cela toutefois) est toujours présumée mauvaise en ce genre-là de mal faire. Quant est de moi, je ne saurois pas qu’en dire. Il n’y a celui qui ne se trouve bien empêché quand il y est. Par quoi, j’en laisse à penser et à faire à ceux à qui le cas touche778.


NOUVELLE XCIII.

D’un larron qui eut envie de dérober la vache de son voisin779.

Un certain accoutumé larron, ayant envie de dérober la vache de son voisin, se leva de grand matin devant jour; et étant entré en l’étable de la vache, l’emmène, faisant semblant de courir après elle. Auquel bruit le voisin s’é306tant éveillé, et ayant mis la tête à la fenêtre: «Voisin, dit ce larron, venez-moi aider à prendre ma vache qui est entrée en votre cour, pour avoir mal fermé votre huis.» Après que ce voisin lui eut aidé à ce faire, il lui persuada d’aller au marché avec lui (car, demeurant en la maison, il se fût aperçu du larcin). En chemin, comme le jour s’éclaircissoit, ce pauvre homme, reconnoissant sa vache, lui dit: «Mon voisin, voilà une vache qui ressemble fort à la mienne.—Il est vrai, dit-il; et voilà pourquoi je la mène vendre, pource que tous les jours votre femme et la mienne s’en débattent, ne sachant laquelle choisir.» Sur ce propos, ils arrivèrent au marché; alors le larron, de peur d’être découvert, fait semblant d’avoir affaire parmi la ville, et prie sondit voisin de vendre, ce pendant, cette vache le plus qu’il pourroit, lui promettant le vin. Le voisin donc la vend, et puis lui apporte l’argent. Sur cela, s’en vont droit à la taverne, selon la promesse qui avoit été faite. Mais, après y avoir bien repu, le larron trouve moyen d’évader, laissant l’autre pour les gages. De là s’en vint à Paris, et là se trouvant, une fois entre autres, en une place du marché, où il y avoit force ânes attachés (selon la coutume) à quelques fers tenant aux murailles, voyant que toutes les places étoient remplies, ayant choisi le plus beau, monte dessus, et, se promenant par le marché, le vendit très-bien à un inconnu, lequel acheteur, ne trouvant place vide que celle dont il avoit été ôté, le rattache au lieu même. Qui fut cause que celui qui étoit le vrai maître de l’âne, et auquel on l’avoit dérobé, le voulant, puis après, détacher pour l’emmener, grosse querelle survint entre lui et l’acheteur, tellement qu’il en fallut venir aux mains. Or, le larron qui l’avoit vendu, étant parmi la foule et voyant ce passe-temps, mêmement que l’acheteur étoit par terre, chargé de coups de poing,307 ne se put tenir de dire: «Plaudez780, plaudez-moi hardiment ce larron d’ânes!» Ce qu’oyant ce pauvre homme qui étoit en tel état, et ne demandoit pas mieux que de rencontrer son vendeur, l’ayant reconnu à la parole: «Voilà, dit-il, celui qui me l’a vendu!» sur lequel propos il fut empoigné, et toutes les susdites choses avérées par sa confession, fut exécuté par justice, comme il méritoit.


NOUVELLE XCIV.

D’un pauvre homme de village qui trouva son âne, qu’il avoit égaré, par le moyen d’un clystère qu’un médecin lui avoit baillé781.

Ès pays de Bourbonnois (où croissent mes belles oreilles782), fut jadis un médecin très-fameux, lequel, pour toutes médecines, avoit accoutumé bailler à ses patients des clystères, dont, de bonheur, il faisoit plusieurs belles cures; et pour ce, en étoit-il plus estimé; en manière qu’il n’y avoit enfant de bonne mère qui ne s’adressât à lui en sa maladie. Advint qu’au même temps un pauvre homme de village avoit égaré son âne par les champs, dont il étoit fort troublé. Et ainsi qu’il alloit par les détroits783, quérant cet âne, il rencontra en son chemin une bonne vieille femme qui lui demanda qu’il avoit à se tourmenter ainsi; à laquelle il fit réponse qu’il avoit perdu 308son âne, et qu’il en étoit si fort courroucé, qu’il en perdoit le boire et le manger. Alors la vieille lui enseigna la maison de ce médecin, auquel elle l’envoya sûrement, l’avertissant que de toutes choses perdues il en disoit certaines nouvelles, sans faute, dont le bon homme fut très-aise; et, pour ce, print son chemin vers ledit médecin; et quand il fut en son logis, et il vit tant de gens à l’entour de lui, qui l’empêchoient d’approcher, il fut fort ennuyé, et, pour ce, il commença à crier: «Hélas! monsieur, pour Dieu, rendez-moi mon âne; c’est toute ma vie! Je vous prie, ne le cachez point (on m’a dit que vous l’avez), ou me l’enseignez.» Et réitéra telles paroles par plusieurs fois, criant toujours plus haut, dont le médecin fut ennuyé, et, pour ce, le regarda en face; et cuidant qu’il fût hors de son entendement, il commanda à ses serviteurs qu’ils lui baillassent un clystère, ce qui fut tôt fait. Puis le pauvre homme sortit de léans, espérant trouver son âne en sa maison; et quand il fut à mi-chemin, il fut pressé de vider son clystère, et, pour ce, incontinent se retira dedans une petite masure, où il opéra très-bien; et ainsi qu’il étoit en telles affaires, il entendit la voix de son âne qui hennissoit784 parmi les champs, dont le pauvre homme fut très-joyeux, et n’eut pas le loisir de lever ses chausses pour courir après son âne, lequel recouvert785, il fit grand’fête, et puis monta dessus et s’en retourna à la ville bien vitement pour remercier le médecin. Et ce pendant, par les chemins publioit le grand savoir et prudence de sondit médecin, et comment par son moyen il avoit retrouvé son âne, dont le médecin fut encore prisé davantage, et plus estimé que jamais n’avoit été.


309

NOUVELLE XCV.

D’un superstitieux médecin qui ne vouloit rire avec sa femme, sinon quand il pleuvoit; et de la bonne fortune de ladite femme après son trépas786.

En la ville de Paris est récentement advenu qu’un médecin se fonda tellement en raisons superstitieuses, jouxte la quintessence787, qu’il estimoit, par astrologie, que rire et prendre le déduit avec femme en temps sec lui fût très contraire, et, pour ce, il s’en abstenoit totalement; et encore, quand il véoit le temps humide, observoit-il le cours de la lune: ce qui ne plaisoit guère à sa femme, laquelle souvent le requéroit du déduit, et, par nécessité qu’elle avoit, s’efforçoit à le faire joindre. Mais elle ne gagnoit guère; et pour toute résolution, il lui donnoit à entendre que le temps n’étoit disposé, et que telle chose lui seroit plus nuisible qu’à son proufit: ainsi rapaisoit sa pauvre femme, à rien ne faire. Advint que familièrement la médecine788 conta son affaire à une sienne voisine; laquelle lui conseilla qu’incontinent qu’elle seroit couchée, elle fît porter trois ou quatre seaux d’eau en son grenier, et les fît verser en un bassin de plomb qui étoit jouxte789 la fenêtre dudit grenier, et servoit à recevoir les eaux des égouts de la pluie, pour la faire distiller par un tuyau, ou canal de plomb, jusqu’au bas de la cour, ainsi que l’on a accoutumé faire aux bonnes maisons. Et dit la voisine, qu’incontinent elle oiroit le bruit de ladite eau, qu’elle en avertît son mari: ce que la bonne dame médecine fit très310 voulentiers; et combien que la journée eût été chaude et sèche, néanmoins elle exécuta son entreprise. Et quand tous deux furent couchés en leur lit, la chambrière, instruite, laisse peu à peu découler l’eau par ledit canal, ce qui rendoit bruit: auquel la dame éveilla son médecin, le conviant à faire le déduit. Ce que le médecin exécuta à son pouvoir; non toutefois qu’il ne fût ébahi comment le temps étoit si fort changé. La dame continua par aucuns jours à telle subtilité, dont elle se trouva bien aise. Depuis, advint que le médecin mourut; et pource que ladite dame étoit une très-belle femme, jeune et riche, plusieurs la demandoient en mariage, mais oncques ne voulu accorder à aucun, tant riche fût-il, qu’elle n’eût parlé à lui. De médecins, elle n’eut plus cure, et demandoit aux autres s’ils se connoissoient aux étoiles et à la lune: et plusieurs d’iceux, ignorants du fait, lui répondoient qu’ils en avoient fort bien appris tout ce qu’il en falloit savoir; lesquels, pour cela, elle éconduisoit. Advint qu’un bon compagnon, assez lourdaud, lui demanda s’elle le vouloit pour mari; et ainsi qu’ils devisoient joyeusement, elle l’interrogea s’il se connoissoit aux étoiles; lequel fit réponse qu’il ne le connoissoit au soleil, ni aux étoiles, n’à la lune, et ne savoit quand il se falloit aller coucher, sinon quand il ne véoit plus goutte. Cette parole plut à la dame; et, pour ce, elle le print à mari; dont elle fut très-bien labourée et à proufit, et se vanta depuis qu’elle avoit trop de ce qu’elle avoit eu trop peu auparavant.


311

NOUVELLE XCVI.

D’un bon compagnon hollandois qui fit courir après lui un cordonnier qui lui avoit chaussé des bottines790.

Ce ne sera chose hors de propos de réciter ici l’habileté d’un bon compagnon, se promenant parmi une assez bonne ville de Hollande; lequel entré en la boutique d’un cordonnier, le maître lui demande s’il y a quelque chose qui lui plaise; et l’ayant aperçu jeter la vue sur des bottines qui étoient là perdues, lui demande s’il avoit envie d’en avoir une paire. Quand il eut répondu qu’oui, il lui choisit celles qui lui sembloient le mieux venir à ses jambes, et les lui chaussa. Quand il les eut, il se fit aussi essayer des souliers, lesquels lui semblèrent venir bien à ses pieds, comme les bottines à ses jambes. Après ceci, au lieu de faire marché et de payer, il vint à demander au cordonnier par manière de jaserie: «Dites-moi par votre foi, ne vous advint-il jamais que quelqu’un que vous auriez ainsi bien équipé pour courir s’en soit fui sans payer?—Jamais, dit-il.—Et si d’aventure il advenoit, que feriez-vous?—Je courrois après, dit le cordonnier.—Dites-vous ceci en bon escient?—Je le dis en bon escient, et ne ferois point autrement, répondit le cordonnier.—Il en faut voir l’expérience, dit l’autre. Or sus, je mettrai à courir le premier, courez après moi.» Et sur ceci commença à fuir tant qu’il put. Alors le cordonnier de courir après, et de crier: «Arrêtez le larron! arrêtez le larron!» Mais l’autre, voyant qu’on sortoit des maisons, et de peur qu’il avoit qu’on ne mît la main sur lui, faisant bonne mine 312comme celui qui ne faisoit ceci que pour son passe-temps: «Que personne, dit-il, ne m’arrête, car il y a grosse gageure.» Ainsi s’en revint en la maison le pauvre cordonnier, bien fâché d’avoir perdu et son argent et encore sa peine; car l’autre avoit gagné le prix quant à courir. Or, combien qu’en ce joyeux devis il soit usé de ce mot bottines, toutefois il ne faut pas entendre des bottines faites à la façon des nôtres, puisqu’elles se mettent en des souliers791.


NOUVELLE XCVII.

De l’écolier qui feuilleta tous ses livres pour savoir que signifioient ramon, ramonner, hart, sur peine de la hart, etc.792

Un méchant mot, hart, fort renommé et prêché en France en temps de paix, avoit autrefois fâché un jeune écolier de ce qu’il n’en pouvoit rendre l’interprétation à ceux qui lui demandoient, encore qu’il l’eût demandé mille fois aux clercs de son village; mais c’étoit un mot plus que hébreu pour eux. De quoi plus qu’auparavant irrité, l’écolier n’épargna frère793 Calepinus auctus et recognitus, Cornucopia, Catholicon magnum et parvum794, où il ne cherchât, mais pour néant; car il n’y étoit pas. Toutefois, après qu’il eut bien ruminé à part lui, il se souvint que, environ dix ans auparavant, une chambrière, qui se 313disoit Picarde (combien qu’elle fût de Normandie), lui apprint sans y penser, que c’étoit un soir qu’il étoit à Paris; faisant collation d’une bourrée, devant qu’aller au lit; et de laquelle il avoit prins un peu auparavant, que ramon étoit un balai, et ramonner, balier795, en la chansonnette: Ramonnez-moi ma cheminée. «Hart, donc, disoit-il en discourant à part lui, est le lien d’un fagot, ou d’une bourrée à Paris, qu’on appelle une riorte en mon benoît pays: parquoi j’entends que, quand on crie: De par le roi, sur peine de la hart (hart est feminini generis), vaut autant à dire que sur peine de la corde; jadis qu’on s’aidoit des branches des arbres pour épargner la chanvre.» Ainsi s’acquitta de sa promesse le gentil écolier, ayant lu ce qui est écrit en une épître de Clément Marot au roi: que sentir la hart, vaut autant à dire que chatouilleux de la gorge.

Ainsi s’en va, chatouilleux de la gorge,
Ledit valet, monté comme un saint George796.

NOUVELLE XCVIII.

De Triboulet, fol du roi François Ier, et de ses facétieux actes797.

Le défunt roi François, premier du nom (que Dieu absolve!), fut très-vertueux prince et magnanime, lequel nourrissoit un pauvre idiot, pour aucunefois en avoir quelque ébattement, après son travail ès affaires du royaume de France; et le faisoit voulentiers marcher devant lui quand il chevauchoit par les chemins. Advint quelque jour, ainsi que Triboulet marchoit devant le roi, devisant toujours de quelque sornette emmanchée au bout 314d’un bâton798; son cheval fit six ou huit pets, dont Triboulet fut fort courroucé. Et, pour ce, il descendit incontinent de la selle de son cheval, et prend la selle sur son dos, et dit au roi: «Cousin, vous m’avez, ce jour d’hui, baillé le plus méchant cheval qui fut oncques; c’est un ivrogne: après qu’il a bien bu, il ne fait que péter. Par Dieu! il ira à pied. Ha, ha, il a pété devant le roi!» Et de sa massue799 frappoit son cheval, et, lui, étoit toujours chargé de la selle: ainsi fit environ demi-lieue à pied. Une autre fois, advint que le roi entra en sa Sainte-Chapelle à Paris pour ouïr vêpres; et Triboulet le suivoit; et d’entrée il vit la plus grande silence léans, qu’il étoit possible. Peu de temps après, l’évêque commença Deus in adjutorium, assez bellement; et incontinent après, tous les chantres répondirent en musique, en sorte que l’on n’eût pas ouï tonner léans. Alors, Triboulet se leva de son siége, et s’en alla droit à l’évêque qui avoit commencé l’office, et à grands coups de poing il lorgnoit dessus lui. Quand le roi l’eut aperçu, il l’appela, et lui demanda pourquoi il frappoit cet homme de bien; et il dit: «Da, da, mon cousin, quand nous sommes entrés céans, il n’y avoit point de bruit, et celui-ci a commencé la noise; c’est donc lui qu’il faut punir800.» Une autre fois, Triboulet vendit son cheval pour avoir du foin; autre fois vendoit son foin pour avoir une massue: et ainsi vécut toujours folliant jusques à la mort801, qui fut bien regrettée; car on dit qu’il étoit plus heureux que sage.


315

NOUVELLE XCIX.

Des deux plaidants qui furent plumés à propos par leurs avocats802.

Un paysan assez résolu en ses affaires, s’étant avisé, en mangeant ses choux, du tort et dommage que lui faisoit un sien voisin, le mit en procès en la cour; et, par l’avis d’aucuns siens amis, choisit un avocat, lequel il pria vouloir prendre sa cause en main; ce qu’il accepta. Au bout de deux heures après, vint la partie adverse, qui étoit un homme riche, et le prie semblablement d’être son avocat en cette même cause, ce qu’il accepta aussi. Le jour approchant que la cause se devoit plaider, le paysan s’en vint à son avocat (duquel il se pensoit assuré, qu’il ne faudroit à ce qu’il lui avoit promis), et ce, pour l’avertir de se tenir prêt à plaider le lendemain: dont il fut aucunement honteux, attendu la charge qu’il avoit prise pour sa partie adverse. Toutefois, pour contenter le paysan, il lui remontra et fit accroire qu’il ne lui avoit promis s’employer pour lui. Et, pour mieux se décharger, lui disoit: «Mon ami, l’autre fois que vous vîntes, je ne vous dis rien, pour raison des empêchements que j’avois; maintenant je vous avertis que je ne puis être votre avocat, étant celui de votre partie adverse: mais je vous baillerai lettres adressantes à un homme de bien qui défendra votre cause.» Alors, mettant la main à la plume, écrivit à l’autre avocat ce qui s’ensuit: «Deux chapons gras sont venus entre mes mains: desquels ayant choisi le meilleur et le plus gras, je vous envoie l’autre.» Puis, sous secret, étoit écrit: 316«Plumez de votre côté, et je plumerai du mien.» Cette lettre, ainsi expédiée, fut baillée par le susdit avocat à ce paysan: lequel, ne s’assurant mieux de celui à qui il devoit porter les recommandations, qu’à l’avocat qui les envoyoit, s’enhardit de les ouvrir: et, icelles lues, après avoir long-temps plaidé sans avoir rien avancé, et se voyant déçu par les trop grandes faveurs et autorités de sa partie, délibéra d’appointer avec lui, ayant été plusieurs fois sollicité de ce faire par ses amis propres.


NOUVELLE C.

Des joyeux propos que tenoit celui qu’on menoit pendre au gibet de Montfaucon803.

Un bon vaurien, ayant pour ses mérites été monté de reculons jusques au bout d’une échelle pour descendre par une corde (disent les bons compagnons), faisoit là merveilles de prêcher. Durant lequel sermon, le maître des hautes œuvres, affutant son cas804, passoit souvent la main sous et autour la gorge dudit prêcheur; tant qu’à la fin il le vous regarde. «Hé! maître mon ami, dit-il, ne me passe plus là la main: je suis plus chatouilleux de la gorge que tu ne penses. Tu me feras rire, et puis, que diront les gens? que je suis mauvais chrétien, et que je me moque de justice.» Puis, sentant l’heure approcher qu’il devoit faire le guet à Montfaucon, et que, pour ce, il passoit par la porte de la ville, il se print à hucher à pleine tête le portier par plusieurs fois, lequel l’entendit bien dès la première. Mais, à cause qu’il se sentoit autant 317ou plus chatouilleux de la gorge que celui qu’on menoit pendre, se remue bel et beau de là, en lieu de venir parler à cet homme; de peur qu’il ne l’accusât à la justice comme telles gens disent plus aucunefois qu’on ne leur demande. Ainsi s’adresse, à la parfin, ce pauvre altéré à son confesseur, et lui dit: «Mon père, je vous prie dire au portier qu’il ne laisse hardiment de fermer la porte de bonne heure; car je n’ai pas délibéré de retourner aujourd’hui coucher à Paris.» Et comme son confesseur, entre autres consolations, lui disoit: «Mon ami, en ce monde, n’y a rien que peines et ennuis: tu es heureux de sortir aujourd’hui hors de tant de misères.—Ha, ha, frère, dit-il; plût à Dieu que fussiez en ma place, pour jouir tôt de l’heur que me prêchez.» Le pater ne faisoit semblant d’entendre cela, et passant outre, lui disoit: «Prends courage, mon ami; quelques maux que tu aies faits, demande pardon à Dieu de bon cœur; tout te sera pardonné, et iras aujourd’hui souper là-haut en paradis avec les anges, etc.—Souper aujourd’hui en paradis, beau-père! ce seroit beaucoup si j’y pouvois être demain à dîner. Et pource qu’un homme se fâche fort par les chemins quand il est seul, je vous prie, venez-moi tenir compagnie jusque là: faites-moi cette œuvre de charité, et mêmement si savez le chemin.» Plusieurs autres petits devis faisoit le gentil falot, lesquels seroient trop longs à réciter.


318

NOUVELLE CI.

Du souhait que fit un certain conseiller du roi François, premier du nom805.

Un conseiller du roi François, premier de ce nom, homme qui avoit l’esprit naturellement fertile de facéties, s’étant trouvé, un jour qu’on tenoit propos au roi des moyens qu’il devoit choisir pour faire tête à l’empereur qu’on disoit venir avec grandes forces, et ayant ouï l’un souhaiter au roi tant de nombre de bons Gascons, l’autre tel nombre de lansquenets, les autres faisant quelque autre bon souhait: «Sire, dit-il, puisque il est question souhaiter, je ferai aussi, s’il vous plaît, mon souhait; mais je souhaiterois une chose, à laquelle ne vous faudroit faire aucune dépense, au lieu que ce qu’ils ont ici souhaité vous coûteroit beaucoup.» Le roi lui ayant demandé quelle étoit cette chose (répondant d’une promptitude d’esprit): «Sire, dit-il, je souhaiterois seulement devenir diable pour l’espace d’un quart d’heure.—Et que feriez-vous? dit le roi.—Je m’en irois droit rompre le col à l’empereur.—Vraiment, dit le roi, vous êtes un grand fol de dire cela, comme s’il n’y avoit pas de l’eau bénite au pays de l’empereur, comme au mien, pour faire fuir les diables.» Alors, comme bien délibéré de faire rire le roi, il répliqua: «Sire, vous me pardonnerez, s’il vous plaît: je crois bien que si c’étoit quelque jeune diable qui n’entendît pas bien son métier, il s’enfuiroit; mais un diable tel que je m’estime ne s’enfuiroit pas.» Il disoit cela de telle grâce, qu’il provoquoit un 319chacun de la compagnie à rire, tant il étoit copieux806 en dits et faits.


NOUVELLE CII.

De l’écolier qui devint amoureux de son hôtesse, et comment ils finirent leurs amours807.

Du temps qu’on portoit souliers à poulaine808, qu’on mettoit pots sus table, et que pour prêter argent on se cachoit, la foi des femmes vers les hommes et des hommes vers leurs femmes étoit inviolable; fors, de jour ou de nuit, aucunefois celui des hommes vers leurs prudes femmes l’enfreindre809. Ainsi étoit une coutume réciproquement observée, dont n’étoient moins à louer, qu’en merveilleuse admiration; au moyen de quoi jalousie n’étoit en vigueur, fors celle qui provient de mal aimer, et de laquelle les janins810 meurent. A l’occasion de cette merveilleuse confidence, couchoient indifféremment tous les mariés ou à marier en un grand lit fait tout à propos, sans peur ou crainte de quelque démesuré pensement; et n’aimoient les hommes et femmes l’un l’autre que pour conter leurs pensées. Toutefois le monde étant venu mauvais garçon, chacun a voulu avoir son lit à part pour 320cause, et ce, pour obvier à tous et un chacun des dangers qui en eussent pu sourdre. Pour exemple de ceci, sera mis en lieu ce jeune écolier, lequel, n’ayant atteint le dix-huitième an de son âge, commença à pratiquer les bonnes grâces de son hôtesse, et, passant plus outre, à hanter les compagnies joyeuses, non sans pratiquer quelque cas avec les garces. De quoi aucunement échaudé, se rangea du tout à son hôtesse, et se fourra si avant en son amour, qu’il jeta au loin toutes dialectiques, logiques, physiques, et toutes autres telles rêveries à tous les diables; après, partie de son argent, pour mieux obtempérer à ses passions et entretenir ses fantaisies. Si bien que, de sophiste et fol logicien, il devint l’un des plus forts amants du monde: comme il se fit connoître à l’endroit de son hôtesse; car, voulant lui manifester ses passions, disoit: «Hélas! principale et seule régente de mes entrailles, que n’ai-je le moyen de vous en faire anatomie sans mort! vous verriez comme mon cœur s’échauffe, le foie fenit811, mon poulmon rôtit, et l’épine me brûle si ardemment, que j’en ai la vie gâtée: dont je suis perdu, s’il ne vous plaît me consoler.» Puis, se souvenant de la sentence du poète, soupirant, disoit: «Hélas! mon Dieu! que de peines à celui qui commence à aimer! il n’en peut manger sa soupe sans en graisser sa jaquette. Ah! ah! amour, quand je pense en votre assiette, je conclus qu’il y faut entrer de nature, en B dur, car le mol n’y vaut rien.» Puis, se recordant du moyen que feu son oncle lui avoit délaissé pour tromper ses ennuis, se mit à contrepointer une chanson: dont avertie son amie, doutant qu’il ne publiât ses angoisses douloureuses, et passions nocturnes, où il étoit par elle détenu, lui pria de chanter, disant: «Ami, 321refermez votre bouche; j’ai avisé le coin du mémorial, où vous l’avez enfermée en votre cerveau pour la garder sûrement;» pensant par ces allusions le divertir de son propos. Toutefois, par trop longuement passionné, commença:

CHANSON.      

Ce refus tout outre me passe,
Et peu s’en faut que n’en trépasse;
Las! il faut endurer beaucoup
Pour aimer un seul petit coup.
 
Ah! vous avez grand tort, voisine;
Je tous pensois douce et bénigne:
Mais j’ai bien connu, en effet,
Que vous vous moquez de mon fait.
 
Je tous ai déclaré ma peine,
Et que c’est qui vers vous m’amène;
J’en souffre trop de la moitié,
Et n’en avez point de pitié.
 
Or, faut-il bien faire autre chose:
Car l’amour qui est dans moi close
Ne me lairroit point en repos,
Si vous n’avez autre propos.
 
Toutes les fois que vous vois rire,
Je vous voudrois voulentiers dire:
«Dites-moi, belles, si m’aimez?»
Je vous aime, ne m’en blâmez.
 
Visage avez de bonne grâce;
Comme moi, êtes grosse et grasse.
Aimez-moi donc, dame, aimez-moi;
Et mon cœur jetez hors d’émoi.
322 
Si mon malaise vous peut plaire,
Mon heur vous pourra-t-il déplaire?
Qui dit mal d’autrui s’éjouit,
Le sien fait qu’on s’en réjouit.
 
Tous les jours, en la patenôtre,
Pardonnons à l’ennemi nôtre:
Point ne suis-je votre ennemi,
Mais votre langoureux ami.
 
Si de m’aimer n’avez envie,
Pardonnez au moins à ma vie,
Et en ayez quelque remord,
Ou serez cause de ma mort.
 
Je ne saurois me plaire au vivre,
Languissant toujours à poursuivre:
Il me vaut trop mieux n’aimer point
Qu’attendre, sans venir au point.
 
Aimez donc, puisque êtes aimée;
Vous en serez mieux estimée;
Votre grâce, votre maintien,
Me gluent en votre entretien.
 
Mon las cœur commença dimanche:
N’est-il pas temps que vous emmanche?
J’ai déjà trois jours attendu,
C’est trop pour un homme entendu.
 
Je ne puis bonnement comprendre
Quel plaisir c’est de tant attendre:
Du temps perdu je suis marri,
N’en déplaise à votre mari.

323

NOUVELLE CIII.

Du curé qui se coléroit en sa chaire de ce que ses semblables ne faisoient le devoir, comme lui, de prêcher leurs paroissiens812.

Un curé813, de par le monde assez remarqué par ses facéties et insuffisance de la charge à lui commise, se mit, un jour qu’il prêchoit à ses paroissiens, à jurer de par Dieu, en dépit814 des luthériens de son temps; et voulant prouver qu’ils étoient pires que les diables: «Le diable, disoit-il, s’enfuiroit incontinent que je lui aurois fait le signe de la croix; mais si je faisois le signe de la croix à un luthérien, par Dieu! il me sauteroit au cou et m’étrangleroit. Parquoi je vous conseille, mes paroissiens, que vous fuyiez, du tout, en tout, leur compagnie.» Puis, se colérant en lui-même de ce que plusieurs autres curés ne faisoient le devoir de prêcher comme lui, commença à s’exclamer en sa chaire: «Et ils disent qu’ils ne sont assez savants! Qu’ils étudient, de par Dieu ou de par tous les diables! et s’ils ne le sont, ils le deviendront comme moi.» Et observant diligemment les contenances de ses paroissiens, leur disoit: «Eh! vous savez bien, messieurs et dames, qu’il n’y a qu’un an que je ne savois rien, et maintenant vous voyez comment je prêche.» Mille et mille autres petits contes faisoit ce copieux815 curé à ses paroissiens, afin de les engarder de dormir à ses sermons.


324

NOUVELLE CIV.

D’un tour de villon816 joué dextrement par un Italien à un François étant à Venise817.

Il advint à Venise, en l’hôtellerie de l’Esturgeon, qu’un François nouvellement arrivé fut averti par un Italien, lequel y étoit aussi logé, qu’en leur pays il n’étoit sûr à ceux qui avoient de l’argent de montrer qu’ils en avoient; et pourtant l’avisa que, quand il auroit des écus à peser, ou quelque somme à compter, il ne fît comme il avoit accoutumé, mais qu’il fermât la chambre sur soi. Le François, prenant cet avertissement comme étant procédé d’un cœur débonnaire, le remercia bien fort, et dès lors fit connoissance avec lui. L’Italien, incontinent qu’il eut senti qu’il y faisoit bon, lui vint dire que, s’il lui plaisoit de changer des écus au soleil contre des écus-pistolets818, il feroit cet échange avec lui; et: «Au lieu, disoit-il, que vos écus au soleil ne vous vaudroient ici non plus que des pistolets, je vous les ferai valoir quelque chose davantage.» Le François lui ayant fait réponse que c’étoit le moindre plaisir qu’il lui voudroit faire, il lui pria de se souvenir de ce qu’il lui avoit dit, deux des jours auparavant, quant à tenir secret l’argent qu’on a: «Pourtant, dit-il, je serois d’opinion que nous nous missions en une gondole, portant avec nous un trébuchet, et en nous promenant par le grand canal, nous pésissions nos écus, et fissions notre échange.» Le François répond d’être prêt à 325faire tout ce que bon lui sembleroit. Le lendemain donc, ils entrent en une gondole; et là le François déploie ses écus, lesquels l’Italien serra, les ayant toutefois préalablement pesés pour faire meilleure mine. Après les avoir serrés, ce pendant qu’il fait semblant de chercher sa bourse, où étoient ceux qu’il devoit bailler en échange, se fait mettre à bord par le barquerole819, auquel il avoit donné le mot du guet; et d’autant qu’il aborda en un lieu de la ville où il y a plusieurs petites ruelles d’une part et d’autre, il fut si bien perdu pour ledit François, qu’il est encore pour le jourd’hui (comme il est à présupposer) à ouïr des nouvelles de lui et de ses cent écus. Et crois fermement que le proverbe des Italiens, pratiqué en plusieurs nations, lui devoit servir d’avertissement à l’avenir: de ne s’adjoindre à tels changeurs ayant (pour autoriser leur renommée, signant leur front) cette sentence en usage: «Zara a chi tocca,» donnant facilement à entendre que malheureux est celui qui s’y fie.


NOUVELLE CV.

Des facétieuses rencontres820 et façons de faire d’un Hibernois821, pour avoir sa vie en tous pays.

Un Hibernois, homme d’assez bon esprit, se proposa de connoître les manières de faire des nations étrangères et leur usage de parler; tant, qu’il voyagea en plusieurs contrées, où, encore que son argent fût égaré dedans les semelles de ses souliers, pour cela il ne perdit à dîner, tant il se savoit bien entregenter822 en toutes compagnies; et, 326comme peu convoiteux des honneurs de ce monde, ne se soucioit d’injures qu’on lui fît, aimant trop mieux pratiquer la manière de faire des Miconiens823 (gens pauvres et femelies824, qui, pour leur indigence, s’ingéroient eux-mêmes aux banquets et convis825), que perdre son temps en procès. Un jour, ce gentil frérot, étant entré en la maison du roi à l’heure du dîner, ne voulant point perdre l’occasion de se soûler826, ayant vu la table préparée pour le dîner des officiers du roi, attendit qu’on s’assit; puis, s’assied avec eux, et dîne très-bien sans sonner aucun mot. De quoi émerveillés, aucuns de la compagnie, qui n’avoient point accoutumé de voir cette oie étrangère dîner avec eux, lui demandèrent de quel pays il étoit, et à qui il appartenoit; et leur rendit réponse tout de même, sans qu’il perdît un seul coup de dent. Puis, lui demandèrent s’il avoit quelque charge en la cour: «Non, dit-il, mais j’y en voudrois bien avoir.» Lors, lui firent commandement de se lever de table et gagner au trot, sur peine de recevoir bientôt le paiement de sa trop grande témérité et hardiesse. «Oui-dà, dit-il, messieurs, je le ferai, mais que j’aie dîné.» Et cassoit827 toujours. Ce qu’ayant longuement observé ceux qui lui avoient fait cette peur, se sentant offensés, furent contraints de quitter leur colère, et rire comme les autres. Et, pour en tirer davantage de passe-temps et plaisir, lui demandèrent comment il avoit été si hardi, étant étranger du pays, et sans aveu, d’entrer en la maison et sommellerie du roi. «Pour ce, dit-il, 327que je savois bien que le roi étoit assez riche pour me donner à dîner.» Par cette gaillardise et promptitude d’esprit, il captivoit le plus souvent la bonne grâce de ceux qui, en le regardant seulement, l’eussent du tout rejeté.


NOUVELLE CVI.

Des moyens dont usa un médecin afin d’être payé d’un abbé malade, lequel il avoit pansé828.

Un médecin, assez recommandé envers plusieurs, pour sa bonne réputation et doctrine, fut mandé par un abbé, afin de le secourir en sa maladie: ce qu’il accepta voulentiers; et en fit si bien son devoir, qu’en peu de jours il l’avoit remis debout. Or, aperçut-il qu’au lieu que l’abbé, étant au fort de sa maladie, lui promettoit chiens et oiseaux829; et quand il recommençoit à revenir en convalescence, il ne le regardoit pas de bon œil, et ne faisoit aucune mention de le contenter de ses peines; et doutoit fort qu’enfin il ne toucheroit aucuns deniers. Il s’avisa d’user d’un moyen pour se faire payer; c’est qu’il fit entendre à son abbé qu’il craignoit fort une rechute, pire que la maladie, et qu’il en avoit de grandes conjectures; et pourtant, qu’il lui falloit encore prendre une médecine, laquelle il lui fit faire telle, que deux heures après l’avoir prise, il trouva qu’il avoit compté sans son hôte; qu’il avoit plus grand besoin de son médecin que jamais. Se trouvant donc en tel état, envoie messagers l’un sur l’autre vers son médecin; mais comme auparavant il avoit fait de l’oublieux à le contenter, aussi faisoit alors le médecin, 328de l’empêché. Enfin, l’abbé lui envoya un sien serviteur, qui lui garnit très-bien la main, et lui dit que son maître le prioit pour l’honneur de Dieu qu’il l’allât visiter; et qu’il ne pensoit pas réchapper de sa maladie. Ce serviteur donc ayant usé du vrai moyen pour faire cesser tous les empêchements du médecin, fit tant, qu’il alla visiter l’abbé, lequel il rendit gai comme Perot830 au bout de trois jours; au bout desquels il eut derechef la main garnie. Par ce moyen, ce gentil médecin fut payé de son abbé, lequel il avoit en peu de temps délibéré faire vivre et mourir, ou mourir et vivre, en vrai médecin.


NOUVELLE CVII.

De l’apprenti larron qui fut pendu pour avoir trop parlé831.

Un apprenti larron, étant entré par le toit en une maison, pour voir s’il ne trouveroit point quelque bonne aventure, fut découvert par ceux qui étoient dedans, à raison du bruit qu’il avoit mené y entrant: qui fut occasion que les voisins d’entour s’assemblèrent pour voir que c’étoit. Mais le larron, voyant que chacun entroit à foule pour le chercher, descendit par quelques adresses qu’il avoit remarquées, et se vint rendre parmi la foule du peuple qui entroit pour le chercher; et, par ce moyen, se garda d’être découvert. Un peu après qu’il eut vu le bruit apaisé, et qu’on ne cherchoit plus le larron, d’autant qu’on pensoit qu’il fût échappé, se délibéra de sortir par 329la porte; feignant être demeuré seul pour le chercher, ne craignant aucunement d’être connu. Mais, par faute d’être maître de sa langue, il se donna lui-même à connoître, et se mit la corde au col; car, ainsi qu’il pensoit sortir, ayant rencontré plusieurs à la porte qui devisoient du larron, en le maudissant, vint à le maudire aussi, disant qu’il lui avoit fait perdre son bonnet. Or, faut-il noter que, pendant que ce rustre tâchoit à se sauver, fuyant tantôt çà, et tantôt là, son bonnet lui étoit tombé: lequel on avoit gardé en espérance qu’il donneroit des enseignes du larron. Quand on lui eut ouï dire cela, on entra incontinent en soupçon, tellement qu’il fut prins, et incontinent pendu, pour avoir trop parlé.


NOUVELLE CVIII.

De celui qui se laissa pendre sous ombre de dévotion832.

Un certain prévôt de par le monde, voulant sauver la vie à un larron qui étoit tombé entre ses mains, à l’intention qu’il participeroit au butin, comme aussi ils en étoient d’accord; en considérant, d’autre part, qu’il en seroit reprins, et que le murmure seroit grand s’il n’en faisoit justice, et même qu’il se mettoit en grand danger, usa de ce moyen. C’est qu’il fit prendre un pauvre homme, auquel il dit qu’il y avoit long-temps qu’il le cherchoit; et que c’étoit lui qui avoit fait un tel acte, et un tel. Cet homme ne faillit à lui nier fort et ferme, comme celui qui avoit la concience nette de tout ce qu’on lui mettoit à sus833. Mais ce prévôt, étant résolu de passer outre, lui fit 330remontrer qu’il gagneroit bien mieux de confesser (puisque, aussi bien, ainsi qu’en çà, il lui falloit perdre la vie), et que, s’il le confessoit, le prévôt s’obligeroit par son serment de lui faire tant chanter de messes, qu’il pourroit être assuré d’aller en paradis; au lieu qu’en ne confessant point, il ne laisseroit d’être pendu, et si iroit à tous les diables; d’autant qu’il n’y auroit personne qui fît chanter pour lui une seule messe. Ce pauvre homme, oyant parler d’être pendu, et puis aller à tous les diables, se trouva fort étonné, et aima mieux être pendu et aller en paradis; tellement qu’en la fin il vint à dire qu’il ne se souvenoit point d’avoir fait ce de quoi on le chargeoit; toutefois, que si on s’en souvenoit mieux que lui, et on en étoit bien assuré, il prendroit la mort en gré; mais qu’il prioit qu’on lui tint promesse touchant les messes. Et n’eut plus tôt dit le mot, qu’on le mena tenir la place de l’autre, qui avoit mérité la mort. Mais quand il fut à l’échelle, et que la fièvre commença à le saisir, il entra en des propos par lesquels il donnoit à entendre qu’il se repentoit, nonobstant ce qu’on lui avoit promis. Pour à quoi remédier, le prévôt, qui craignoit qu’il ne le décelât au peuple, fit signe au bourreau qu’il ne lui laissât achever: ce qui fut fait. Et ainsi fut pendu sous ombre de dévotion ce pauvre homme.


NOUVELLE CIX.

D’un curé qui n’employa que l’autorité de son cheval pour confondre ceux qui nient le purgatoire834.

Un curé voulant donner à connoître combien il avoit l’esprit aigu et gaillard, encore qu’il n’eût long-temps versé835 331en bonnes lettres, n’employa que l’autorité de son cheval pour confondre ceux qui nient le purgatoire; au lieu que les autres, pour ce faire, ont employé et emploient ordinairement les autorités de tant de bons et savants docteurs. Parlant donc, ce bon personnage, des luthériens, qui ne vouloient croire qu’il y eût un purgatoire: «Je vais, dit-il, vous faire un conte, par lequel vous connoîtrez combien ils sont méchants de nier le purgatoire. Je suis fils de feu M. d’E... (comme vous le savez), et nous avons un assez beau lieu, en un village d’ici entour836. Y allant un jour, ainsi que la nuit nous avoit surprins, mon mallier837 (notez, disoit-il, que je veux que vous sachiez que j’ai un fort beau et bon mallier, au commandement et service de toute la compagnie) s’arrêta, contre sa coutume, et commença à faire pouf, pouf. Je dis à mon varlet: «Pique, pique.—Je pique, dit-il, monsieur. Mais votre mallier voit quelque chose pour certain.» Alors, il me souvint de ce que j’avois ouï dire, un jour, à madame ma mère, qu’il y avoit eu autrefois quelque apparition en ce lieu-là: parquoi, je me mis à dire mon Pater et Ave Maria, qu’elle m’avoit apprins, la bonne dame, et commande derechef à mon varlet de piquer, ce qu’il fit; mais le cheval ayant marché deux ou trois pas en avant, s’arrêta de puis beau, et fit encore pouf, pouf (étant, par aventure, trop sanglé), et m’ayant encore assuré, mon varlet, que ce cheval voyoit quelque chose, j’ajoutai mon De profundis, que feu mon père m’avoit apprins: et incontinent, ne faillit mon cheval à passer outre. Mais s’étant arrêté pour la troisième fois, je n’eus pas plus tôt dit: Avete omnes, etc., et Requiem, etc., qu’il passa franchement, et depuis n’en 332fit difficulté.» (Peut-être qu’il ne lui remena point depuis). Or, maintenant, il disoit à ses paroissiens: «Que ces méchants disent qu’il n’y a point de purgatoire, et qu’il ne faut point prier pour les trépassés, je les renverrai à mon mallier; voire à mon mallier, pour apprendre leur leçon!»


NOUVELLE CX.

Du bateleur qui gagea contre un duc de Ferrare qu’il y avoit plus grand nombre de médecins en sa ville que d’autres gens; et comment il fut payé de sa gageure838.

Un plaisant bateleur, assez bien reçu en plusieurs des bonnes maisons d’Italie, se présenta un jour au marquis de Ferrare, Nicolas839, prince vertueux et fort récréatif, qui, pour expérimenter ce plaisant, lui demanda en riant: «Quel plus grand nombre il estimoit qu’il y eût de personnes exerçant un même état et vacation en la ville de Ferrare?» Le bateleur connoissant l’humeur du marquis, se proposa d’attirer à soi840 de son argent, sous couleur de gageure; et lui rendant réponse à ce qu’il lui avoit demandé, lui dit: «Eh! qui est celui qui doute que le nombre des médecins ne soit plus grand en cette ville que de tous autres états?—O pauvre sot! dit le marquis; il appert bien que tu n’as pas beaucoup fréquenté en cette ville, vu qu’à grand’peine y pourroit-on trouver deux médecins, soit naturels ou étrangers.» Le bateleur répliqua, et lui 333dit: «Oh! qu’un prince est empêché en grands et urgents affaires, qui n’a visité ses villes, et ne sait quels sujets et vassaux il a!» Alors le marquis dit au bateleur: «Que veux-tu payer si ce que tu m’as assuré n’est trouvé véritable?—Mais, dit le bateleur, que me donnerez-vous s’il vous en apparoît et qu’il soit véritable?» Dès lors, accordèrent le marquis et le bateleur, de ce que le perdant donneroit au gagnant. Parquoi, le lendemain au matin, le bateleur vint à la porte de la maîtresse église de la ville, vêtu de peaux, ouvrant la bouche et toussant le plus fort qu’il pouvoit, faisoit accroire qu’il étoit bien malade. Et comme chacun qui entroit en l’église l’avoit aperçu, plusieurs lui demandoient quelle maladie le tourmentoit, et leur disoit que c’étoit le mal des dents, pour lequel guarir plusieurs lui donnoient des remèdes; desquels il prenoit leurs noms et remèdes, et les écrivoit en une petite tablette; et afin de mieux assurer sa gageure, il se traînoit par la ville, et prioit les personnes qu’il rencontroit en son chemin de lui enseigner quelque remède à son mal, et par ce moyen remarqua plus de trois cents personnes qui lui avoient enseigné des remèdes; desquels il écrivit les noms et surnoms en ses tablettes. Ce qu’ayant fait, entra en la maison du marquis, lequel vit à table comme il dînoit, et se présenta à lui ainsi embéguiné qu’il étoit, faisant semblant d’être bien tourmenté de maladie. Et comme le marquis l’eut aperçu, ne pensant aucunement que ce fût son bateleur, et qu’il lui dit qu’il commençoit un peu à se bien porter de ses dents: «Prends, dit le marquis, la médecine que je t’ordonne, et prie M. saint Nicolas, et tu seras incontinent guari.» Le bateleur, ayant entendu cette recette, s’en retourna en sa maison, print une feuille de papier, et écrivit tous et un chacun les remèdes et les noms des personnes qui les lui avoient donnés, et mit en premier lieu334 le marquis, et conséquemment les uns les autres en leurs rangs. Trois jours après, faisant semblant d’être quasi guari, s’étant noué la gorge et embéguiné comme auparavant, s’en vint trouver le marquis, lui montrant sa feuille de papier où il avoit écrit tous les remèdes qu’on lui avoit donnés, et requiert qu’il lui fasse délivrer sa gageure. Le marquis ayant lu ce qui étoit écrit en cette feuille de papier, et aperçu qu’il tenoit le premier lieu entre les médecins, il se print à rire avec toute sa compagnie, qui étoit informée de ce fait, et se confessant vaincu par le bateleur, commanda qu’on lui délivrât ce qu’il lui avoit promis.


NOUVELLE CXI.

Des tourdions841 joués par deux compagnons larrons qui depuis furent pendus et étranglés842.

Un bon fripon, natif de la ville d’Issoudun en Berri, ayant commis un infini nombre de larcins, et ayant été souvent menacé, en la fin fut condamné à être pendu et étranglé. Mais ainsi qu’on le menoit pendre, advint qu’un seigneur843 passa par là, par le moyen duquel il obtint sa grâce du roi, pour avoir craché quelques mots de latin rôti844; lesquels, encore qu’ils ne fussent entendus, firent 335penser que c’étoit quelque homme de service. Et de fait, comme tel, après avoir eu sa grâce, fut envoyé par le roi aux Terres-Neuves, avec Roberval845, lequel voyage servit de ce qui est allégué d’Horace:

Cœlum, non animum mutant, qui trans mare currunt.

C’est-à-dire:

Ceux qui vont delà la mer
Changent le ciel, non leur amer846.

Car étant de retour, il poursuivit plus fort que paravant son métier de dérober; tellement qu’étant surpris pour la seconde fois, il passa le pas qu’il avoit autrefois failli. Et, à dire la vérité, je crois que cettui-ci n’en fut pas échappé à meilleur marché, d’autant qu’il est vraisemblable qu’il avoit été maintes autres fois surpris; n’étant possible qu’en faisant les larcins par douzaines, il procédât par art en un chacun d’iceux; car si on vit jamais homme auquel on peut considérer que c’est que d’une nature incline à dérober, cettui-ci en étoit un très-beau miroir; lequel, pour récompense de la peine qu’auroit prins un sien ami, de lui sauver la vie par plusieurs fois, il lui emporta une robe longue toute neuve, et plusieurs autres hardes, avec laquelle il fut surpris, l’ayant vêtue; et encore une autre par-dessus, qu’il avoit pareillement dérobée ailleurs. Aussi, lui furent trouvées trois chemises, vêtues l’une sur l’autre; et, bien peu auparavant, il en avoit fait autant d’un saye de velours de quelqu’un qui lui avoit fait ce bien de le loger. Mais le plus 336insigne larcin de lui, en matière d’habillements, ce fut quand il déroba tous ceux qui avoient été faits pour un certain époux et épouse, lesquels lui semblèrent bien valoir les prendre pource que la plupart étoient de soie. Et ce qui faisoit s’ébahir davantage de ce larcin, étoit que, pour tout emporter (comme il avoit fait), il lui avoit convenu faire si ou sept voyages. Or, les avoit-il emportés en un logis qu’on lui prêtoit au monastère des dames de Sainte-Croix de Poitiers; auquel logis il étoit, pour lors qu’on vint pour lui faire rendre compte desdits habillements, d’autant qu’on n’avoit soupçon que sur lui. Mais ayant vu par la fenêtre ceux qui le venoient trouver, ne les attendit pas, ains s’enfuit, ayant très-bien fermé la porte. Néanmoins, on trouva moyen d’entrer en ce logis, auquel, outre ces habillements qu’on cherchoit, on trouva ce qu’on ne cherchoit pas, à savoir environ quarante paires de souliers de toutes sortes et façons, et plusieurs paires de chausses; aussi, plusieurs pièces de drap taillé, avec plusieurs livres qu’il avoit emportés aux écoliers. Mais ce galant accoûtra bien mieux sesdites hôtesses qu’il n’avoit fait ses hôtes; car, au lieu qu’il ne leur avoit emporté que quelques habits, il emporta à ces dames leurs plus belles reliques pour reconnoissance du plaisir. Toutefois, le plus notable tour que joua ce subtil larron fut celui qu’il commit en la prison où il étoit détenu pour ses forfaits: en laquelle étant logé par fourrier847, ne put toutefois attendre qu’il en fût sorti pour retourner à son métier; mais léans même empoigna très-bien le manteau du geôlier, et là même le vendit, l’ayant passé à travers des treillis de ladite prison, qui étoient sur la rue. Toutefois, quelque 337subtilité qu’il exerçât, il ne put éviter qu’il ne fût mors848 d’une mule849, et puis pendu et étranglé.


NOUVELLE CXII.

D’un gentilhomme qui fouetta deux cordeliers pour son plaisir850.

Un gentilhomme de Savoie, exerçant ses brigandages dedans ou auprès de sa maison, avoit851 quelque humeur particulier852; et, ores qu’il fût brigand de meilleure grâce qu’aucuns qui s’en mêlent, toutefois il se contentoit le plus souvent de partir853 avec ceux qu’il détroussoit, quand ils se rendoient de bonne heure, et sans attendre qu’il se fût mis en colère. Mais ce dont, au contraire, on lui vouloit plus de mal pour lors, c’étoit qu’il en vouloit fort aux moines et moinesses; et prenoit son passe-temps à leur jouer plusieurs tours, qui étoient (comme on dit en proverbe) jeux de pommes, c’est-à-dire jeux qui plaisent à ceux qui les font. Entre lesquels sera ici parlé d’un sien acte, ou plutôt d’un divisé en deux parties, par lesquelles il rendit deux cordeliers, premièrement (ce lui sembloit) bien joyeux, et puis bien fâchés. C’est qu’ayant reçu ces deux cordeliers en son château, et leur ayant fait bonne chère, leur dit que, pour parachever le bon traitement, il leur vouloit donner des garces, à chacun la sienne. De quoi eux ayant fait refus, il leur pria de se montrer pri338vés en son endroit; d’autant qu’il considéroit bien qu’ils étoient hommes comme les autres; et enfin les enferma de fait et de force en une chambre avec les garces, où les retournant trouver au bout d’une heure ou environ, leur demanda comment ils s’étoient portés en leurs nouveaux ménages. Et leur voulant faire accroire qu’ils avoient fait l’exécution, les contraignoit de le confesser malgré eux; et, les intimidant, leur disoit: «Comment, méchants hypocrites, est-ce ainsi que vous surmontez la tentation?» Et là-dessus, furent les deux pauvres cordeliers dépouillés nus, comme quand ils vinrent du ventre de leurs mères; et, après avoir été tant fouettés, que les bras de monsieur et de ses valets pouvoient porter, furent renvoyés ainsi nus. Or, si cela étoit bien fait, ou non, j’en laisse la décision à leurs savants juges.


NOUVELLE CXIII.

Du curé d’Onzain près d’Amboise, qui se fit châtrer à la persuasion de son hôtesse854.

Un curé d’Onzain près d’Amboise, persuadé par une sienne hôtesse (laquelle il entretenoit) de faire semblant d’ôter, disoit-elle, tout soupçon à son mari, se fit châtrer (qu’on dit plus honnêtement tailler); et se mit en la miséricorde d’un nommé monsieur maître Pierre des Serpents, natif de Vilantrois en Berri; et envoya ce prince-curé quérir tous ses parents et amis; et après qu’il leur eut dit qu’il n’avoit jamais osé leur déclarer son mal, mais qu’enfin il se trouvoit réduit en tels termes, qu’il lui étoit force d’en passer par là, fit son testament. Et, pour faire 339encore meilleure mine, après avoir dit à ce maître Pierre (auquel toutefois il avoit baillé le mot du guet855, de ne faire que semblant, et, pour ce, lui avoit baillé quatre écus) qu’il lui pardonnoit sa mort de bon cœur, si d’aventure il advenoit qu’il en mourût, se mit entre ses mains, se laissa lier, et du tout accoutrer comme celui qu’on vouloit tailler vraiment. Or, faut-il noter que, comme ce curé avoit donné audit maître Pierre le mot du guet de ne faire que semblant, aussi le mari de l’hôtesse, de son côté (après avoir entendu cette farce), avoit donné le mot du guet de faire à bon escient, avec promesse de lui donner le don de ce qu’il avoit reçu dudit prêtre pour faire la mine856; tellement que maître Pierre, persuadé par le mari, et tenant le pauvre curé en sa puissance, après l’avoir bien attaché, lié et garrotté, exécuta son office réalement et de fait; et puis le paya de cette raison, qu’il n’avoit point accoutumé se moquer de son métier; et que, s’il s’en étoit une seule fois moqué, son métier se moqueroit de lui. Voilà comment le pauvre curé se trouva de l’invention de cette femme, et comment, au lieu que, suivant cette finesse, il se préparoit à tromper le mari mieux que jamais, il fut trompé lui-même, d’une tromperie beaucoup plus préjudiciable à sa personne.


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NOUVELLE CXIV.

D’une finesse dont usa une jeune femme d’Orléans pour attirer à sa cordelle857 un jeune écolier qui lui plaisoit858.

Une jeune femme d’Orléans, ne voyant aucun moyen par lequel elle pût avertir un jeune écolier qui lui plaisoit sur tous, usa, pour parvenir à son intention, qui étoit de l’attirer à sa cordelle, de la débonnaireté de son beau père confesseur, qu’elle vint trouver dedans l’église, où le jeune écolier se promenoit; et, faisant la désolée, conta, sous prétexte de confession, à ce beau père, qu’il y avoit un jeune écolier qui la pourchassoit incessamment de son déshonneur, en se mettant lui et elle aussi en très-grand danger; lequel elle lui montra, par cas fortuit, au même lieu, ne pensant aucunement à elle; le pria affectueusement de lui faire telles remontrances qu’il savoit être requises en tel cas. Et, sur cela, comme celle qui feignoit tout ceci, afin de faire venir à soi celui qu’elle accusoit faussement d’y venir, elle disoit quant et quant à ce père confesseur, par le menu, tous les moyens desquels l’écolier usoit: racontant qu’il avoit accoutumé de passer au soir par-dessus une telle muraille, à telle heure, pource qu’il savoit que son mari n’y étoit pas alors; et qu’il montoit sur un arbre, pour puis après entrer par la fenêtre: bref, qu’il faisoit ainsi et ainsi, et usoit de tels moyens, qu’elle avoit grande peine à se défendre. Le beau père parle à l’écolier, et lui fait les remontrances qu’il pensoit être les

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plus propres. L’écolier, qui savoit en sa conscience qu’il n’étoit rien de tout ce que cette femme disoit, et qu’il n’y avoit jamais pensé, fit toutefois semblant de recevoir ses remontrances, comme celui qui en avoit besoin, et en remercia le beau père. Mais, comme le cœur de l’homme est prompt au mal, il eut bien de l’espoir jusque là pour connoître que cette femme l’avoit accusé de ce qu’elle désiroit qu’il fît, vu même qu’elle lui donnoit toutes les adresses et tous les moyens dont il devoit user. Sur laquelle occasion, le jeune homme, allant de mal en pis, ne faillit à tenir le chemin qu’un lui enseignoit; de sorte qu’au bout de quelque temps, le pauvre beau père, qui y avoit été à la bonne foi, se voyant avoir été trompé par la ruse de cette femme, ne se put tenir de crier en pleine chaire: «Je la vois celle qui a fait son maquereau de moi!» Et, ayant été décelée, n’osa depuis retourner à confesse à lui.


NOUVELLE CXV.

La manière de faire taire et danser les femmes lorsque leur avertin859 les prend860.

Un quidam assez paisible, et rassis d’entendement, épousa une femme qui avoit une si mauvaise tête, qu’encore qu’il prînt toute la peine de la maison et de faire la cuisine, où qu’il fût, à table, en compagnie, il ne pouvoit éviter qu’il ne fût d’elle tourmenté et maudit à tous coups, et que, pour belles remontrances et gracieux accueil qu’il lui sût faire, elle ne s’en voulsît garder, encore que le plus souvent Martin-bâton l’accolât. De quoi 342le bon homme, fort étonné, se délibéra d’user d’un autre moyen, qui fut tel, qu’à chacune fois qu’elle pensoit le fâcher et maudire, il se prenoit à jouer d’une flûte qu’il avoit, de laquelle il ne savoit non plus l’usage que de bien aimer. Toutefois, pour cela, sa femme ne laissa de continuer ses maudissons, jusqu’à ce que, s’étant aperçue et s’étant indignée de ce qu’il ne s’en soucioit si fort qu’auparavant, elle se print à danser de colère; et étant aucunement lassée au son d’icelle, lui arracha d’entre les mains. Mais le bon homme, ne voulant perdre les moyens par lesquels il trompoit ses ennuis, se pendit d’une main à son col pour recouvrir sa flûte; et dès lors recommença plus beau que devant à siffler et en jouer; tellement, que cette mauvaise femme, se sentant offensée par l’importunité que lui faisoit cette flûte, sortit de la maison, se promettant de n’endurer à l’avenir de telles complexions; et, dès le lendemain qu’elle fut retournée, elle reprint ses maudissons mieux qu’auparavant. Toutefois, le mari ne délaissa à jouer de sa flûte, comme il souloit; et se voyant sa femme vaincue par lui, lui promit qu’à l’avenir elle lui seroit plus qu’obéissante en toutes choses honnêtes, pourvu qu’il mît sa flûte reposer, et n’en jouât plus, pource, disoit-elle, qu’elle se sentoit étourdie du son. Par ce moyen, le bon homme adoucit sa femme; et connut que le proverbe ne fut jamais mal fait, qui dit: «Qu’il y a plusieurs moyens pour abaisser l’orgueil des femmes, et les faire taire, sans coups frapper.»


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NOUVELLE CXVI.

De celui qui s’ingéra de servir de truchement aux ambassadeurs du roi d’Angleterre, et comment s’en acquitta avec grande honte qu’il y reçut861.

Un personnage assez remarqué pour les grands honneurs, èsquels il étoit entretenu en France, montra bien qu’il avoit du savoir en sa tête, mais non pas plus qu’il lui en falloit pour sa pourvision862; car quand il eut lu la lettre que le roi d’Angleterre, Henri huitième, écrivoit au roi François, premier de ce nom, où il y avoit entre autres choses: Mitto tibi duodecim molossos, c’est-à-dire: Je vous envoie une douzaine de dogues; il interpréta: Je vous envoie une douzaine de mulets; et, se fiant à cette interprétation, s’en alla avec un autre seigneur trouver le roi, pour le prier de leur donner le présent que le roi d’Angleterre lui envoyoit. Le roi, qui n’avoit encore ouï parler de ceci, fut ébahi comment d’Angleterre on lui envoyoit des mulets, disant que c’étoit grande nouveauté; et, pour ce, il les vouloit voir. Or, ayant voulu voir pareillement la lettre, et la faire voir aussi aux autres, on trouva duodecim molossos, c’est-à-dire douze dogues. De quoi ledit seigneur, se voyant être moqué (et faut penser de quelle sorte), trouva une échappatoire qui le fit être encore davantage; car il dit qu’il avoit failli lire, et qu’il avoit pris molossos pour muletos. Toutefois, pour cela, ceux qui étoient autour du roi ne laissèrent à bien rire, ne se voulant aucunement formaliser de son latin.


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NOUVELLE CXVII.

Des menus propos que tint un curé au feu roi de France Henri, deuxième de ce nom863.

Un certain curé, faisant sermon à ses paroissiens, ouït plusieurs petits enfants crier qui lui empêchoient à dire et expliquer ce qu’il avoit en l’entendement, dont il fut courroucé; et se souvenant que quelques autres enfants alloient par la ville, chantant vilaines chansons: «Un tas de petits fils de putains, disoit-il, s’en vont chantant une telle chanson: Vous aurez sur l’oreille, etc. Je voudrois être leur père: Dieu sait comment je les accoutrerois864!» Aussi bien rencontra-t-il une autre fois en parlant au roi Henri, deuxième de ce nom, qui l’avoit fait appeler pour en tirer du plaisir; car le roi lui ayant demandé des nouvelles de ses paroissiens, il lui dit qu’il ne tenoit pas à les bien prêcher, qu’ils ne fussent gens de bien. Et le roi l’ayant interrogé s’ils se gouvernoient pas bien: «En ma présence, dit-il, ils font bonne mine et mauvais jeu, et sont prêts de faire tout ce que je leur commande; mais sitôt que j’ai le cul tourné, soufflez, sire!» Ce qui fut pris en bonne part de lui, comme n’y allant point à la malice, non plus qu’ès rencontres qui lui étoient coutumières en ses prêches; car, si on eût aperçu qu’il eût équivoqué de propos délibéré sur ce mot de soufflez, qui, outre sa première signification, se prend en langage du commun peuple, pour cela aussi qui dit autrement: de belles, c’est-345à-dire: il n’en est rien; on lui eût appris à souffler d’une autre sorte. Et puis, sonnez, tabourin865!


NOUVELLE CXVIII.

De celui qui prêta argent sur un gage qui étoit à lui, et comment il en fut moqué866.

Un bon fripon ayant convié à dîner deux siens compagnons, lesquels il avoit rencontrés par la ville, et voyant au retour qu’en sa maison il n’y avoit rien plus froid que l’âtre, et que tous les prisonniers867 s’en étoient fuis de sa bourse, s’avise incontinent de cet expédient pour tenir promesse à ceux qu’il avoit conviés. Il s’en va en la maison d’un quidam, avec lequel il avoit quelque familiarité; en l’absence de la chambrière, prend un pot de cuivre, dedans lequel cuisoit la chair; et, l’ayant mis sous son manteau, l’emporte chez soi. Étant arrivé, commande à sa chambrière de verser le potage avec la chair en un autre pot de terre. Et après que ce pot de cuivre fut vidé, l’ayant très-bien fait écurer, envoya un garçon à celui auquel il appartenoit, pour le prier de lui prêter quelque somme d’argent, en retenant ce pot pour gage. Le garçon rapporte bonne réponse à son maître, à savoir une pièce d’argent, qui vint fort bien à point pour fournir à table du reste qu’il y falloit; et un petit mot de cédule, par laquelle ce créditeur868 confessoit avoir reçu le pot de cuivre 346en gage sur la somme. Lequel, se voulant mettre à table, trouva faute d’un des pots qui avoient été mis au feu; et alors, ce fut à crier. La cuisinière assure que, depuis qu’elle l’avoit perdu de vue, n’étoit entré que ce bon fripon. Mais on faisoit conscience de le soupçonner d’un tel acte. Toutefois enfin on va voir si on l’apercevra point chez lui; et, pource qu’on n’en oyoit point de nouvelles, on le mande à lui-même; il répond qu’il ne sait que c’est. Et quand il se sentit pressé (d’autant qu’on lui maintenoit qu’autre que lui n’étoit entré vers le temps qu’il avoit été prins): «Il est bien vrai, dit-il, que j’ai emprunté un pot, mais je l’ai renvoyé à celui duquel je l’avois emprunté.» Ce qu’ayant été nié par le créditeur: «Voyez, messieurs, dit ce fripon, comme il se fait bon fier aux gens de maintenant sans bonne cédule. Il me voudroit incontinent accuser de larcin, si je n’avois cédule écrite et signée de sa main.» Alors il montra la cédule que lui avoit apportée le garçon, tellement que, pour paiement, le créditeur reçut de la moquerie par toute la ville, le bruit étant couru incontinent qu’un tel (en le nommant) avoit prêté argent sur un gage qui étoit à lui.


NOUVELLE CXIX.

De la cautelle dont usa un jeune garçon pour étranger869 plusieurs moines qui logeoient en une hôtellerie870.

Au diocèse d’Anjou, fut une bonne femme vefve, hôtesse, laquelle, par bonne dévotion, avoit accoutumé loger les cordeliers, et les bien traiter selon son pouvoir, dont 347un sien fils en fut marri, voyant qu’ils dépendoient871 beaucoup du bien de sa mère, sans espoir de récompense; et, pour ce, délibéra les étranger. Advint que, trois ou quatre jours après, deux cordeliers arrivèrent léans, pour y héberger: auxquels le fils ne voulut faire semblant de malveillance, de peur d’offenser sa mère. Mais quand un chacun se fut retiré en sa chambre, sur la minuit, ledit fils apporta un jeune veau de trois semaines ou un mois, en la chambre des frères, secrètement, sans qu’il fût aperçu aucunement. Et quand ce maître veau sentit qu’il n’avoit sa nourrice près de lui, il se traînoit par toute la chambre, cherchant à repaître; et, de fortune, se mit sous le lit où les cordeliers étoient fort endormis. Et ainsi comme ce pauvre veau furetoit, il rencontra la tête du plus jeune qui pendoit du côté de la ruelle du lit; et ce veau commença à lécher le pauvre moine, qui suoit comme un pourceau, de sorte qu’il s’éveilla en sursaut et appela en aide son compagnon cordelier, auquel il dit qu’il y avoit des esprits léans, qui l’avoient attouché par le visage, le suppliant de le vouloir consoler. Et en disant telles paroles, il trembloit si fort, qu’il étonna son compagnon, lequel lui commanda, sur peine d’inobédience, de se lever et aller allumer du feu: ce que le pauvre frère refusoit faire, craignant l’esprit. Toutefois, nonobstant les requêtes qu’il fit, il se leva du lit et se retira vers le foyer pour allumer de la chandelle. Quand le veau entendit marcher, cuidant que ce fût sa mère, s’approcha et mit le museau entre les jambes dudit cordelier, et empoigna ses dandrilles; car les cordeliers sont court vêtus par-dessous leur grand’robe. Adonc le pauvre cordelier commença à crier hautement miséricorde; incontinent s’en retourna 348coucher, implorant la grâce de Dieu, disant ses Sept-Psaumes et autres oraisons. Ce veau, ennuyé de perdre la tette de sa nourrice, couroit par la chambre, et enfin cria un haut cri de voix argentine, comme pouvez savoir, dont les moines furent encore plus étonnés. Le lendemain, devant les quatre heures, le fils retourna aussi secrètement qu’il avoit fait auparavant, et emmena son veau. Quand les pauvres cordeliers furent levés, ils annoncèrent à l’hôtesse de léans ce qu’ils avoient ouï la nuit, et lui donnoient à entendre que c’étoit un trépassé qui faisoit léans sa pénitence; et ainsi décrièrent tant cette hôtellerie, en le racontant à tous les frères qu’ils rencontroient, qu’oncques-puis n’y logea cordelier ni autre moine.


NOUVELLE CXX.

Du larron qui fut aperçu fouillant en la gibecière de feu le cardinal de Lorraine872; et comment il échappa873.

Il advint, au temps du roi François, premier du nom, qu’un larron habillé en gentilhomme, fouillant en la gibecière de feu le cardinal de Lorraine, fut aperçu par le roi, étant à la messe, vis-à-vis du cardinal. Le larron, se voyant aperçu, commença à faire signe du doigt au roi, qu’il ne sonnât mot, et qu’il verroit bien rire. Le roi, bien aise de ce qu’on lui apprêtoit à rire, le laissa faire; et, peu de temps après, vint tenir quelque propos audit cardinal, par lequel il lui donna occasion de fouiller en sa gibecière. Lui, n’y trouvant plus ce qu’il y avoit mis, 349commença à s’étonner et à donner du passe-temps au roi, qui avoit vu jouer cette farce. Toutefois, ledit seigneur, après avoir bien ri, voulut qu’on lui rendît ce qu’on lui avoit prins; comme aussi il pensoit que l’intention du preneur avoit été telle. Mais, au lieu que le roi pensoit que ce fût quelque honnête gentilhomme, et d’apparence, à le voir si résolu, et tenir si bonne morgue874, l’expérience montra que c’étoit un très-expert larron déguisé en gentilhomme, qui ne s’étoit point voulu jouer, mais, en faisant semblant de se jouer, fit à bon escient. Et alors ledit cardinal tourna toute la risée contre le roi, lequel, usant de son serment accoutumé, jura, foi de gentilhomme! que c’étoit la première fois qu’un larron l’avoit voulu faire son compagnon875.

NOUVELLE CXXI.

Du moyen dont usa un gentilhomme italien afin de n’entrer au combat qui lui avoit été assigné; et de la comparaison que fit un Picard des François aux Italiens876.

Un gentilhomme italien, voyant qu’il ne pouvoit éviter honnêtement un combat qu’il avoit entreprins contre un de sa qualité sans qu’il alléguât quelque raison péremptoire, l’avoit accepté. Mais, s’étant depuis repenti, n’allégua autre raison, quand l’heure du combat fut venue, sinon qu’il dit à son ennemi qu’il étoit prêt à combattre, et l’attendoit à grande dévotion, disant: «Tu es désespéré, toi? Moi, je ne le suis pas; et pourtant je me garderai bien de combattre contre toi.» Il est bien vrai quel350qu’un pourra répondre que, pour un, il ne faut pas faire jugement de tous, et que, si cela avoit lieu, on pourroit tourner à blâme à tous les François ce qui fut dit par un Picard rendant témoignage de sa prouesse; car, se vantant d’avoir été quelques années à la guerre sans dégaîner son épée, et étant interrogé pourquoi: «Pource, dit-il, que je n’entrois mie en colère. Mais toutes et quantes fois, disoit-il (en continuant son propos), on voudra confesser vérité, on dira haut et clair que les Italiens ont plus souvent porté les marques des François colères que les François n’ont porté les marques des Italiens désespérés; et que quand il n’y auroit un seul Picard qui sût entrer en colère, pour le moins les Gascons y entrent assez (voire y sont quelquefois assez entrés) pour faire trembler les Italiens dix pieds dedans le ventre, s’ils l’avoient si large; combien que sept ou huit ineptes et sots termes de guerre, que nous avons empruntés d’eux, mettent en danger et les Gascons et toutes les autres contrées de France d’être réputés autres qu’ils n’étoient auparavant.»


NOUVELLE CXXII.

De celui qui paya son hôte en chansons877.

Un voyageant par pays, sentant la faim qui le pressoit, se mit en un cabaret, où il se rassasia si bien pour un dîner, qu’il eût bien attendu le souper, pourvu qu’il eût été bientôt prêt. Or, comme le tavernier son hôte, visitant ses tables, l’eut prié de payer ce qu’il avoit dépendu878, et faire place à d’autres, il lui fit entendre qu’il n’avoit point d’argent, mais que, s’il lui plaisoit, il le paieroit si 351bien en chansons, qu’il se tiendroit content de lui. Le tavernier, bien étonné de cette réponse, lui dit qu’il n’avoit besoin d’aucunes chansons; mais qu’il vouloit être payé en argent comptant, et qu’il avisât à le contenter et s’en aller. «Quoi! dit le passant au tavernier, si je vous chante une chanson qui vous plaise, ne serez-vous pas content?—Oui, vraiment,» dit le tavernier. A l’instant, le passant se print à chanter toutes sortes de chansons, excepté une, qu’il gardoit pour faire bonne bouche; et, reprenant son haleine, demanda à son hôte s’il étoit content: «Non, dit-il, car le chant d’aucune de celles que vous avez chantées ne me peut contenter.—Or bien, dit le passant, je vous en vais dire une autre, que je m’assure qui vous plaira.» Et, pour mieux le rendre attentif au son d’icelle, il tira de son aisselle un sac plein d’argent, et se print à chanter une chanson assez bonne et plus qu’usitée à l’endroit de ceux qui vont par pays: «Metti la man a la borsa, et paga l’hoste,» qui est à dire: «Mets la main à la bourse, et paie l’hôte.» Et, ayant icelle finie, demanda à son hôte si elle lui plaisoit et s’il étoit content: «Oui, dit-il, celle-là me plaît bien.—Or donc, dit le passant, puisque vous êtes content et que je me suis acquitté de ma promesse, je m’en vais.» Et à l’instant se départit sans payer et sans que son hôte l’en requît.


NOUVELLE CXXIII.

D’un procès mû entre une belle-mère et son gendre pour n’avoir dépucelé sa fille la première nuit879.

Au pays de Limousin fut faite une noce entre une jeune fille âgée de dix-huit ans, ou environ, et un bon garçon 352de village très-bien emmanché. Or, advint que le compagnon, dès la première nuit, se mit en devoir d’accomplir l’œuvre de son mariage; et, pour gratifier880 à sa tendre épousée, lui bailla auparavant son manche à tenir, pour lui donner envie de le secourir à son affaire. Mais quand la pauvre fille l’eut tenu et aperçu qu’il étoit si gros, elle ne voulut oncques que le marié lui mît en son étui, de peur qu’il ne la blessât, dont le marié fut fort ennuyé; et quoi qu’il pût faire, jamais ne put persuader à la mariée de lui faire beau jeu; au moyen de quoi il fut contraint pour la nuit s’en passer. Et quand le jour fut venu, la mère s’en alla par devers la fille, pour savoir comment elle s’étoit portée avecques son mari, et comment il lui avoit fait. Elle lui fit réponse qu’ils n’avoient rien fait. «Comment, dit la mère, votre mari est doncques châtré!» Alors, comme furieuse, s’en alla au conseil de l’Église881, afin de faire démarier sa fille, donnant à entendre que son gendre n’étoit habile à engendrer. Sur cette colère, elle le fit citer, afin qu’il lui fût permis de marier sa fille à un autre, dont le pauvre marié fut très-mal content, considérant qu’il n’avoit offensé ni donné occasion pour être ainsi déshonoré. Et quand ils furent tous devant M. l’official, et que la demanderesse eut requis séparation de sa fille et de son gendre; et, par882 ses raisons, dit que la nuit de ses noces il ne voulut et ne sut oncques faire l’œuvre de mariage à sa fille, et qu’il étoit châtré; adonc le gendre, au contraire, se défend très-bien, et dit qu’il étoit aussi bien fourni de lance que sa femme étoit de cul, et ne demandoit autre chose 353que lutter. Mais sa femme n’y voulut oncques entendre, et fit la cane883, au moyen de quoi il n’avoit pu rien faire. Adonc l’official demanda à la jeune femme épousée si elle l’avoit refusé; et elle lui dit que oui, au moyen de ce que son mari l’avait si gros, qu’elle craignoit (comme encore faisoit) qu’il ne la blessât; car elle espéroit, en après, beaucoup plutôt la mort que la vie. Quand la mère eut entendu cette confession, et que par tels moyens elle devoit être condamnée, elle supplia au juge d’asseoir les dépens sur sa fille, attendu qu’elle avoit été cause de ce procès. Toutefois, par sentence, M. l’official condamna la pauvre jeune fille à prêter son beau et joli instrument à son mari, pour y besogner et faire ce qu’il devoit avoir fait la nuit précédente, et sans dépens, attendu la qualité des parties.


NOUVELLE CXXIV.

Comment un Écossois fut guari du mal de ventre, au moyen que lui donna son hôtesse.

Il n’y a pas long-temps qu’un Écossois de la garde du roi de France, lequel avoit dès sa jeunesse goûté quelque peu des bonnes lettres, voyant que le roi884 s’y adonnoit, et, d’autre part, considérant le moyen qu’il avoit d’y vaquer pendant le temps qu’il étoit hors de quartier et de service, pour ce faire il choisit le logis d’une bonne femme vefve, où il se logea par quelque temps. Un jour, se sentant mal de sa personne, et n’ayant la langue si à délivre885, pour faire entendre à autrui (comme il faisoit à son hôtesse, à laquelle il demandoit conseil sur son mal), 354il lui dit: «Madame, moi a grand mal à mon boudin.» Son hôtesse, qui entendoit assez bien qu’il disoit le ventre lui faire mal, et que, pour recouvrer prompt allégement, il lui demandoit son avis, elle lui dit qu’il falloit qu’il fît ses prières et oraisons à M. saint Eutrope, lequel on dit guarir de tel mal886. L’Écossois ayant entendu cela, et sentant son ventre aller de pis en pis, ne voulut mettre en mépris le conseil de son hôtesse; ainsi, suivant icelui, s’en alla à l’église plus prochaine qu’il rencontra, et se mit en prières et oraisons telles, qu’il sembloit à ceux qui l’entendoient que le saint dût promptement venir à lui. D’aventure, pendant qu’il étoit en telle méditation, il se trouva un bon fripon, lequel étoit pendu au derrière de saint Eutrope, et contemploit les allants et venants avec leurs contenances; et ayant remarqué les mines que faisoit cet Écossois, il commença à crier: «Tru, tru, tru, pour Jean d’Écosse et son bagage!» L’Écossois, qui entendit celle parole jetée assez rudement, pensoit que ce fût quelqu’un qui le voulsît empêcher en ses dévotions; et ayant remarqué le lieu d’où pouvoit être partie cette voix, il prend son arc et sa flèche, et vous décoche rasibus l’image du saint. Le fripon, qui étoit derrière, craignant que l’Écossois ne redoublât son coup, se print à descendre l’escalier de bois où il étoit monté; mais il ne peut s’enfuir si secrètement, qu’il ne fît un bruit qui effraya tellement l’Écossois (lequel pensoit que ce fût le saint qui fût mis à le poursuivre, afin de le punir de l’offense qu’il avoit faite), qu’il entra en telle frayeur, que depuis il ne se sentit saisi du mal de ventre.


355

NOUVELLE CXXV.

Des épitaphes de l’Arétin887, surnommé Divin; et de son amie Madelaine.

L’Arétin, non l’Unique888, mais celui qui a usurpé le surnom de Divin889, s’est aussi donné arrogamment le titre de fléau des princes, étant du tout enclin à médisance; en quoi il n’épargnoit (comme on dit en commun proverbe) ni roi ni roc890; car il écrit en une préface d’une sienne comédie italienne891 que le roi très-chrétien François, premier du nom, lui avoit enchaîné la langue d’une 356chaîne d’or, faite en façon de langues, qu’il lui avoit envoyée, afin qu’il n’écrivît de lui comme il avoit fait de plusieurs autres seigneurs. Mêmement, en l’un des dialogues qu’il a faits, il introduit deux courtisanes, racontant l’une à l’autre les moyens par lesquels elles étoient parvenues aux richesses, et comme, par leur sage conduite et maintien gracieux, elles s’étoient entretenues en honnêtes compagnies. A raison de quoi, étant l’une d’elles décédée de son temps, il lui fit l’épitaphe tel qu’il s’ensuit:

De Madelaine ici gisent les os:
Qui fut des v... si friande en sa vie,
Qu’après sa mort tout bon faiseur supplie,
Pour l’asperger, lui pisser sur le dos.

Or, est mort n’a pas long-temps892 ce prud’homme avertin893, à qui les Florentins ses compatriaux ont fait cette épitaphe, digne de lui et de son athéisme:

Qui giace l’Aretino, amaro tosco
Del seme human: la cui lingua traffisse
E vivi e’ morti: di Dio mal non disse:
Et si scusò con dir’ No lo conosco.

C’est-à-dire:

Ici gît l’Arétin, qui fut l’amer poison
De tout le genre humain; dont la langue fichait
Et les vifs et les morts: contre Dieu son blason
N’adressa; s’excusant, qu’il ne le connoissoit.

357

NOUVELLE CXXVI.

De la harangue qu’entreprint de faire un jeune homme en sa réception en l’état de conseiller, et comment il fut rembarré.

Ce jeune homme ayant été envoyé aux universités, pour y apprendre la loi civile et s’en servir en temps et lieu, au gré et contentement de son père, fut là entretenu assez soüefvement894 et délicatement. Advint que, se baignant en ses aises et délices, il rejeta au loin ses Digestes; et, ayant empreint en son cerveau l’idée d’une amie, s’adonna à la lecture de Pétrarque et autres tels prodigues d’honneur. Pendant ce temps, son père alla de vie à trépas. De quoi avertis, les parents et amis du jeune homme, pensant qu’il fût un savant docteur, et qu’il eût profité passablement en loi, lui mandèrent la mort de son père, et l’avertirent qu’il étoit temps qu’il choisît moyen de se pourvoir d’état en office: à quoi faire, ils se montreroient amis. Le jeune homme, se rangeant sur leur conseil et avis (encore qu’il n’eût aucunement étudié en la loi), prit son chemin vers la maison de feu son père. Après qu’il les eut visités et qu’il fut assuré des biens que son père lui avoit délaissés, il lui vint en l’entendement d’acheter un état de conseiller en la cour de parlement895. A quoi s’accordèrent ses amis; et pour l’amitié qu’ils avoient eue avec son père, lui promirent d’en faire demande au roi François Ier, duquel ils étoient très-fidèles serviteurs, et de lui réciproquement chéris. Un jour qu’ils étoient avec le roi, ils lui firent demande de cet état de conseiller: ce qu’il leur octroya, et leur en furent délivrées lettres. De cela bien joyeux, en avertirent le jeune homme, 358auquel ils donnèrent à entendre comme il se devoit gouverner pour se faire recevoir en la cour. Le jeune homme, suivant en tout et partout leur conseil, fit ses supplications et apprêts. Il présente ses lettres d’état: elles sont montrées et lues en pleine chambre. Après qu’elles eurent été lues, et que la cour eut été informée du personnage qui les présentoit, demandant à être reçu, il fut refusé, et pour cause. Le jeune homme, bien étonné, s’en retourne vers ses amis et les supplie de faire entendre au roi le refus qu’on lui avoit fait en la cour du parlement, ce que fut fait. Le roi étant averti de cela, il mande Messieurs de la cour, à ce qu’ils eussent à venir parler à lui. La cour de parlement délègue deux conseilleurs d’icelle, lesquels avoient charge de faire telles remontrances que de raison. Après qu’ils se furent présentés devant le roi, afin d’entendre sa volonté, il leur demanda pourquoi ils faisoient refus de recevoir ce jeune homme en leur compagnie, vu qu’il lui avoit fait don de cet office de conseiller. Les délégués lui firent entendre leur charge, et dirent que la cour étoit assez informée de son insuffisance, et, pour tant, ne le pouvoit honnêtement admettre. Le roi, ayant reçu cette remontrance pour sainte et raisonnable, en sut bon gré à Messieurs de la cour, et ne s’en soucioit plus. Quelque temps après, le jeune homme reprend ses erres de supplication, et importune tellement ses amis, qu’ils furent contraints supplier derechef le roi de mander à la cour de recevoir, se soumettant à l’examen requis en tel cas, lui remontrant, au surplus, qu’il étoit homme pour lui faire service à l’avenir; joint aussi que le père du jeune homme avoit été son officier par un long temps, et avoit acquis un bon bruit896 pendant sa vie. Le roi, enten359dant ces remontrances aussi, et se souvenant de celles que lui avoient faites Messieurs de la cour sur ce fait, il recommanda derechef qu’il fût reçu. La cour de parlement s’y opposa et fit seconde remontrance. Ce nonobstant, le roi voulut que le jeune homme fût reçu. Et comme Messieurs de la cour lui remontroient que le jeune homme étoit léger d’entendement, et fol, il leur dit: «Et puisqu’ils sont si grand nombre de doctes et savants personnages, ne sauroient-ils endurer un fol entre eux?» A cette parole, les délégués se départent, et rendent la cour certaine de la volonté du roi. Le jeune homme, se confiant en lui-même d’être parvenu au-dessus de son attente, se présente derechef à la cour, et demande à être examiné selon l’ordonnance. La cour commande à un des huissiers de le faire entrer et conduire en une chaire, que, pour ce faire, on lui avoit préparée. Après qu’il fut monté en cette chaire, et qu’il eut bien ruminé sa harangue, commença par un verset du psaume 118, et dit ainsi qu’il s’ensuit: Lapidem, quem reprobaverunt ædificantes, hic factus est in caput anguli. C’est-à-dire:

La pierre par ceux rejetée
Qui du bâtiment ont le soin
A été assise et plantée
Au principal endroit du coin897.

Voulant par là donner à entendre à la cour qu’elle n’avoit dû le mépriser ainsi qu’elle avoit fait. Ce qu’ayant entendu un des anciens de la cour, auquel ne plaisoit guère la témérité de ce jeune homme, il se leva, et faisant réponse condigne à telle harangue, répondit ce qui 360s’ensuit: A Domino factum est istud, et est mirabile in oculis nostris. C’est-à-dire:

Cela est une œuvre céleste
Faite, pour vrai, du Dieu des dieux,
Et un miracle manifeste,
Lequel se présente à nos yeux.

Par cette réponse, il réprima tellement l’audace du jeune homme, que depuis il ne lui advint de haranguer de telle sorte en une si honnête compagnie.


NOUVELLE CXXVII.

Du chevalier âgé qui fit sortir les grillons898 de la tête de sa femme par saignée; laquelle, avant, il ne pouvoit tenir sous bride, qu’elle ne lui fît souvent des traits trop gaillards et brusques899.

C’est un grand bien en mariage de connoître les imperfections les uns des autres, et d’y trouver le remède pour éviter les inconvénients de tant de riotes et débats qui adviennent ordinairement en la plupart des ménages; comme en celui d’un fort gentil chevalier du pays de Toscane; lequel, après avoir employé la fleur de sa jeunesse au fait des armes, de la chasse et des lettres pareillement, s’avisa un peu tard à soi ranger ès-liens de mariage, qui fut enfin, avec une belle et jeune damoiselle; laquelle il traita fort gracieusement en toutes choses, fors au déduit d’amour, auquel il se portoit assez lâchement, à cause de son âge. Mais la nouvelle mariée n’eut connoissance, par quelque temps, de ce défaut, sinon par communication d’autres bonnes commères qu’elle fréquentoit, et lesquelles 361elle ouït deviser du passe-temps dru et menu qu’elles recevoient de leurs jeunes maris: qui l’émut à en vouloir sentir pareille fourniture que les autres. Mais, pour y parvenir avecques couverture de son honneur, en adressa la plainte à sa propre mère; laquelle, après quelques remontrances (au contraire de la conscience blâmée du moyen), ne la pouvant à plein détourner de cette intention ainsi par elle dictée, pour rompre ce coup, lui dit: «Ma fille, puisque je ne vois autre onguent qui puisse adoucir votre mal, je vous dirai: Il y a des hommes de diverses humeurs et complexions, les uns qui se taillent et font choir les cornes par fer ou par poison; aucuns qui les portent patiemment, et, comme étant de meilleur estomac, digèrent les pilules de cocuage facilement, sans mot sonner. Pour ce, faut-il que vous essayiez la patience du vôtre par quelques traits légers et de peu d’importance.» A quoi répond la fille qu’elle ne veut point user de tant de finesses, que d’attraire à sa cordelle un personnage de disposition gaillarde et de bonne réputation, sous le manteau duquel soit couverte la réputation, telle qu’étoit celle de son capelan900. La mère lui chargeant de tenter ainsi la douceur du chevalier, et, selon icelle, donner bon ordre au demeurant, la fille lui promet de n’y tarder guère, pour cela exploiter en diligence. Ce pendant qu’il étoit à la chasse, elle va, avec une cognée, au jardin, abattre un beau laurier, planté de la main de son mari, qu’il aimoit fort, et y passoit voulentiers le temps sous l’ombrage à banqueter, jouer et faire bonne chère avec ses amis. Pour le vous faire court, voilà l’arbre par terre, voici venir le mari: elle lui en fait mettre du branchage au feu; lequel, ayant aperçu cela, se doute de son laurier: 362toutefois, avant que d’en mener bruit, rejette son manteau sur ses épaules, et va sur le lieu pour s’en assurer. Il ne faut point demander, après qu’il eut vu la fosse fraîche, s’il fut bien troublé. Il s’en alla plein de menaces à sa femme, demandant qui lui avoit joué ce bon tour; laquelle lui fit entendre qu’elle l’avoit fait pour le réchauffer à son retour de la chasse, à raison de la vertu de cet arbre, qu’elle avoit entendu porter une chaleur fort naturelle à conforter vieillesse; tellement, qu’elle l’apaisa par son babil, et cuida lui avoir fait avaler sa colère aussi douce que sucre. De ce fait, le lendemain, elle avertit sa bonne mère, qui lui dit que c’étoit bon commencement; mais qu’il falloit encore essayer davantage, comme à lui tuer la petite chienne qu’il aimoit tant. Ce qu’elle entreprint de faire, et le fit, à l’occasion que cette petite chienne revenant de la ville d’avecques son maître, toute boueuse, elle se jeta sur le lit, où la dame avoit exprès mis une fort riche couverture; et après, étant chassée de là, s’en vint sauteler contre sa robe de satin cramoisi. Parquoi, saisit un couteau en la présence de son mari, et lui en coupa la gorge. Le chevalier étant de ce passionné901 ce ne fut pas encore fait assez, au jugement de la mère, si, après l’arbre inanimé, et la chienne vive tuée, elle n’offensoit d’abondant902 son mari, en quelques personnes des plus chères qu’il eût. Ce qu’elle fit semblablement, et renversa la table qui étoit chargée de viandes, en un banquet qu’il faisoit à la fleur de ses amis, trouvant excuse d’avoir fait ce par mégarde et en se levant pour quelque service faire. Sur quoi la nuit ayant donné conseil au bon gentilhomme, ainsi que903 le matin la dame se 363vouloit lever du lit, l’empêcha bon gré mal gré, et lui remontra qu’il falloit qu’elle s’y tint encore pour quelques remèdes qu’il lui avoit apprêtés pour la guarir. Elle, en se défendant, disoit qu’elle se trouvoit en bonne disposition et gaillarde en son esprit. «Je le crois ainsi, dit-il, et trop de quelques grains; à quoi convient remédier d’heure.» Lors, lui ramentevant les trois honnêtes tours qu’elle lui avoit joués consécutivement, nonobstant les remontrances et menaces qu’il lui avoit faites à chacune fois, par lesquelles il avoit juste crainte de quelque quatrième, pire que tous les autres précédents, envoie quérir un barbier, auquel il fit entendre ce qu’il vouloit qu’il exécutât; c’est à savoir que, pour certaines considérations, qu’il lui taisoit, son plaisir et intention étoit qu’aussitôt qu’il lui auroit présenté sa femme, il ne fît faute d’exécuter sa charge, s’il vouloit lui complaire. Le barbier, après avoir entendu tels propos, s’enhardit de demander au gentilhomme quelle étoit sa volonté; de laquelle il fut incontinent assuré. Le gentilhomme, après avoir fait allumer un grand feu en une chambre de son logis, où l’attendoit le barbier, s’en va en la chambre de sa femme, qu’il trouva tout habillée, feignant d’aller voir sa mère, à laquelle, peu de jours auparavant, elle avoit décelé l’impuissance de son mari, lui requérant au surplus la vouloir adresser au combat amoureux qu’elle avoit entreprins contre un champion de son âge. De ce averti, le gentilhomme redoublant le fiel et courroux, qu’il déguisa au mieux qu’il put, lui va dire: «M’amie, certainement vous avez le sang trop chaud; qui vous cause, par son ébullition, tous ces caprices et inconsidérés tours que faites tous les jours. Les médecins, à qui j’en ai parlé et consulté, sont d’avis qu’il convient vous saigner un peu, et disent cela pour votre santé.» La damoiselle, enten364dant ainsi parler son mari, et ne s’étant encore aperçue de son entreprise, se laissa conduire où il voulut. Il la mena en la chambre où le barbier l’attendoit, et lui commanda s’asseoir, le visage devant le feu, et fit signe au barbier qu’il prînt son bras dextre et lui ouvrît la veine; ce qu’il fit. Tandis que le sang découloit du bras de cette damoiselle, son mari, qui sentoit oculairement les grillons s’affoiblir, commanda fermer cette veine, et ouvrir celle du bras senestre; ce qui fut pareillement fait; tellement que la pauvre damoiselle resta demi-morte. Le gentilhomme, bien joyeux d’être parvenu à fin de son entreprise, la fait porter sur un lit, où elle eut tout loisir d’apprendre à ne plus fâcher son mari. Sitôt qu’elle fut revenue de pâmoison, elle envoie un de ses gens vers sa mère: laquelle, ayant apprins du messager toutes les traverses et algarades qu’elle avoit jouées à son mari, et se doutant, la bonne dame, qu’au moyen de ce, sa fille la voulût semondre de la promesse que outre son gré elle lui avoit faite, s’en va la trouver au lit, et commença à dire: «Eh bien! ma fille, comment vous va? Ne vous fâchez point, votre désir sera bientôt accompli, touchant ce que m’avez recommandé.—Ha, ma mère, répondit-elle, hélas! je suis morte: telles passions ne trouvent plus fondement en moi, si bien y a opéré mon mari: auquel je me sens aujourd’hui plus tenue du bon chemin où il m’a remise par sa prudence, que de l’honneur qu’il m’avait premièrement fait de m’épouser; et si Dieu me rend la santé, j’espère que vivrons en bon et heureux ménage.» L’histoire raconte qu’ils furent depuis en mutuel amour et loyauté, au grand contentement l’un de l’autre.


365

NOUVELLE CXXVIII.

De deux jouvenceaux siennois, amoureux de deux damoiselles espagnoles: l’un desquels se présenta au danger pour faire planchette904 à la jouissance de son ami; ce qui lui tourna à grand contentement et plaisir905.

A Sienne, y avoit deux jeunes hommes de fort bonne maison, voisins, et nourris ensemble et de même marchandise: ce qui engendra une très-grande et intrinsèque amitié entre eux. Ils se délibérèrent un jour de faire un voyage en Espagne, pour le trafique de leurs marchandises. Après qu’ils eurent quelque temps séjourné à Valence en Espagne, ils devinrent extrêmement amoureux de deux gentifemmes espagnoles, mariées à deux nobles chevaliers du pays. Les deux Siennois se nommoient, l’un Lucio, et l’autre Alessio. Lucio étoit plus avisé en l’amour de sa dame Isabeau que son compagnon n’étoit en la poursuite de sa choisie; et lesquelles ne cédoient en mutuelle amitié à la fraternité des deux Italiens. Or, dura ce pourchas d’amour entre eux l’espace de deux ans, qu’ils furent à négocier en Valence, sans qu’ils pussent parvenir plus avant qu’aux simples caresses de la vue et œillades, plus pour le respect qu’ils avoient aux chevaliers qu’au danger où ils se fussent mis eu pays étrange, s’ils eussent attenté de plus près par ambassades, missives, réveils906 et aubades. Il advint, un jour, que la damoiselle Isabeau entra en une église, où le passionné Lucio s’étoit mis à 366couvert de le pluie. De bon heur, en se pourmenant par l’entour de l’église, il aperçut sa dame assise en un coin, et accompagnée d’une seule servante, qui fut aussi à propos comme s’il eût été mandé. Cette rencontre lui donna hardiesse de s’approcher d’elle, et la salua gracieusement. Elle lui rendit salut, avec une modestie assaisonnée d’une sourde gaieté. La servante, qui, par aventure, étoit du conseil secret, et bien apprise, se leva d’auprès sa maîtresse, comme pour aller regarder quelque image. Lucio, bien joyeux de cette commodité, de pouvoir manifester ses passions à sa dame, commença sa harangue ainsi que s’ensuit: «Madame, je crois que ne soyez ignorante de l’amour démesuré qui depuis deux ans entiers me tient prisonnier de votre beauté, à laquelle il ne s’est pu découvrir, pour la révérence de votre honneur. Aussi, suis-je assuré qu’avez assez ouï dire combien ce feu d’amour, si longuement clos et couvert en ma poitrine, l’a embrasée, ne trouvant en moi issue pour s’évaporer. Je ne fais doute que le dieu Cupido ne soit apaisé et contenté à la fin, par le sacrifice continuel de mes longs soupirs, larmes et travaux, et que, pour en recouvrer allégeance, il ne m’ait préparé cette opportunité, en laquelle je vous requiers, madame, en brièves paroles que le lieu et le temps peuvent souffrir, pitié, merci et miséricorde.» La dame Isabeau, non moins passionnée d’ardeur amoureuse que Lucio, lui répondit: «Mon ami, puisque votre courtoisie, honnêteté et constance, ont mérité ce nom, je vous prie de vous assurer d’amour réciproque en mon endroit, et que la commodité seule en a jusques aujourd’hui retardé le mutuel contentement. Toutefois, je suis délibérée d’employer tous mes sens à nous moyenner bientôt une heureuse rencontre, qui puisse assouvir nos longs désirs; de laquelle je ne faillirai à vous donner bon et sûr avertissement.» Lucio,367 l’en remerciant, un genou en terre, n’oublia de lui ramentevoir son compagnon Alessio, pour lequel elle lui promit pareillement qu’elle feroit office de bonne amie envers sa compagne, pour le mérite de son amour constante. La survenue du peuple, à l’heure du service, les fit départir fort envis907. Bref, Lucio vole, pour porter ces nouvelles à son ami Allessio; et ne passèrent deux jours, qu’ils reçurent un message de eux trouver environ les deux heures de nuit au logis de madame Isabeau; à quoi ils ne faillirent d’une seule minute d’horloge. Là les attendoit madame Isabeau; laquelle, après la porte ouverte aux poursuivants, s’arrêta à deviser avec Lucio, et lui dit que son mari ayant depuis quelque temps renoncé à la suite de la cour et au plaisir de la chasse, l’avoit par si long-temps frustrée de l’occasion de leur entrevue, non moins désirée de son côté que du sien; mais qu’à la fin, vaincue d’extrême affection, elle avoit voulu hasarder ce larcin de Vénus, si lui et son compagnon avoient en eux la hardiesse d’en accomplir le dessein; c’est à savoir que Alessio se dépouilleroit à nu et iroit en son lit, près de son mari, tenir sa place, tandis que Lucio demeureroit pour deviser avec elle. Alessio, quelque grande amitié quasi fraternelle qu’il portât à Lucio, trouva cela de dure et difficile entreprise; si la damoiselle Isabeau ne l’eût renforcé par promesse du guerdon908 qu’elle lui avoit moyenné envers sa compagne, outre le profond sommeil de son mari, qui ne se fût réveillé jusques au jour. Or, tout ce qu’elle persuadoit à Alessio étoit afin que, se remuant dedans le lit, son mari sentit sa jambe, ou quelque autre partie humaine qu’il penseroit être elle. Quoi! le vous ferai-je long? 368Alessio, persuadé par l’un et par l’autre, se dépouille, non sans grande frayeur, et s’en va, tenant Isabeau par la robe, et se couche doucement en sa place, se gardant de tousser et cracher si près de son hôte. Cependant Lucio et Isabeau jouent leurs jeux paisiblement en une autre chambre du logis. Le pauvre Alessio, se voyant près la personne du chevalier, sans qu’il osât se remuer, trembloit, tombant en diverses pensées: maintenant il disoit que la damoiselle les trahissoit tous deux, le livrant le premier à la gueule du loup; maintenant estimoit, si elle les traitoit de bonne volonté, qu’elle s’oublioit entre les bras de son ami, le laissant en ce grand et éminent danger jusques à la pointe du jour: à laquelle heure il est tout ébahi, qu’il les vit entrer en la chambre après qu’ils eurent fait un grand tintamarre d’huis; et, approchant de la courtine, lui demandèrent comme il avoit reposé celle nuit. A l’instant, la damoiselle Isabeau leva la couverture du lit, qui fit apparoir à Alessio s’amie couchée auprès de lui, en lieu de l’ennemi; et n’avoit, la tendrette, non plus remué ni cligné l’œil que lui. De cela furent fort loués les deux amants, c’est à savoir, Alessio, pour le danger où il se mit afin d’avancer l’intreprise de son ami, et son amie, à raison de ce qu’elle s’étoit si honnêtement contenue, étant couchée auprès de lui; qui fut occasion de les laisser prendre quelque demi-once de plaisir au combat amoureux. On dit que cette couple d’amants entretint son crédit pendant le temps que les maris servoient leur roi pour un même quartier.


369

NOUVELLE CXXIX.

D’une jeune fille surnommée Peau-d’Ane, et comment elle fut mariée, par le moyen que lui donnèrent les petites fourmis909.

En une ville d’Italie y avoit un marchand, lequel, après qu’il se vit passablement riche, délibéra de se reposer, et achever joyeusement le demourant de sa vie avec sa femme et ses enfants; et pour cette considération, se retira en une métairie qu’il avoit aux champs. Or, pource qu’il étoit homme d’assez bonne chère, et qu’il aimoit la gentillesse d’esprit, plusieurs bons personnages le visitoient, et, entre autres, un gentilhomme d’ancienne maison et son voisin, lequel, pour le désir qu’il avoit de joindre quelques pièces de terre du marchand avec les siennes, lui fit accroire qu’il désiroit grandement que le mariage se fît de son fils avec la puînée de ses filles, nommée Pernette, pourvu qu’il l’avançât en quelque chose. Le marchand entendant assez bien où tendoit le gentilhomme, qui le moquoit, l’en remercia gracieusement, comme celui qui n’eût jamais pensé tel bien lui devoir advenir. Toutefois, ces propos parvenus aux oreilles du fils du gentilhomme et de la fille du marchand, ils osèrent bien, chacun endroit soi910, sonder les cœurs et les affections l’un de l’autre. Ce qui fut conduit si dextrement, que, de propos familier, ils se promirent mariage, et se résolurent d’en avertir leurs parents. Quelque temps après, le fils du gentilhomme s’adressa au père de Pernette, lequel il combattit avec telles raisons emmiellées de promesses de l’avantager en son 370propre, qu’il le rangea à sa volonté, et qu’elle lui demeureroit à femme pourvu que sa mère y consentit. Or, il faut entendre que les sœurs de Pernette étoient jalouses de son aise et de ce qu’elle marchoit la première; tellement que, pour divertir leur père de sa promesse, elles lui mirent à sus911 choses et autres. D’autre part, la mère, qui se repentoit de l’avoir jamais portée en son ventre, ne voulut consentir à ce mariage, si, avant toutes choses, Pernette ne levoit de terre, et avec sa langue, grain à grain, un boisseau plein d’orge, qu’à cette fin elle lui feroit épandre. Outre-plus, le marchand, voyant que ce mariage ne plaisoit à sa femme, et prenant pied912 à ce que ses autres filles lui avoient dit, il voulut que, dès lors en avant, Pernette ne vêtit autre habit qu’une peau d’âne qu’il lui acheta, pensant par ce moyen la mettre en désespoir et en dégoûter son ami. Pernette, au contraire, redoubloit son amour par la rigueur qu’on lui tenoit, et se promenoit souvent vêtue de cette peau. Ce qu’entendant son ami, il s’en va vers le marchand, lequel, faisant bonne mine et plus mauvais jeu, lui dit qu’il lui vouloit tenir promesse; mais que sa femme vouloit telle chose (qu’il lui conta) être faite. Pernette, oyant ces propos, se présente à son père, et lui demande quand il vouloit qu’elle se mît en besogne. Son père, ne pouvant honnêtement rompre sa promesse, lui assigna jour. Elle n’y faillit pas; et, comme elle étoit environ913 ces grains d’orge, ses père et mère faisoient soigneuse garde, si elle en prendroit deux en une fois, afin de demourer quittes de leurs promesses. Mais comme la constance rend les personnes assurées, voici arriver un 371nombre de fourmis, qui se traînèrent où étoit cette orge, et firent telle diligence avec Pernette (et sans qu’on les aperçût), que la place fut vue vide. Par ce moyen, Pernette fut mariée à son ami, duquel elle fut caressée et aimée, comme elle l’avoit bien mérité. Vrai est que, tant qu’elle véquit, le sobriquet Peau d’Ane lui demeura.

SONNET.

DE L’AUTEUR AUX LECTEURS.

Or çà, c’est fait: en avez-vous assez?
Mais, dites-moi, êtes-vous saouls de rire?
Si ne tient-il pour le moins à écrire,
Ces gais devis j’ai pour vous amassés.
 
J’ai jeune et vieux pêle-mêle entassés:
Haye914 au meilleur, et me laissez le pire;
Mais rejetez chagrin, qui vous empire,
Tant plus, songeards, en rêvant, ravassez.
 
Assez, assez les siècles malheureux
Apporteront de tristesse entour d’eux:
Donc, au beau temps, prenez éjouissance;
 
Puis, quand viendra malheur vous faire effort,
Prenez un cœur. Mais quel? Hardi et fort,
Armé, sans plus, d’invincible constance.

NOTES:

1 Tous ces contes ne sont pas de Bonaventure Des Periers, quoique publiés sous son nom, après sa mort; les éditeurs, Jacques Pelletier et Nicolas Denisot, en ont ajouté plusieurs à la première édition, donnée par Antoine Dumoulin en 1548.

2 Dessinés.

3 Interrompu.

4 Cet avertissement doit être d’Antoine Dumoulin, éditeur des œuvres poétiques du même Bonaventure Des Periers.

5 Éloge, renommée.

6 Pour abboyer.

7 De plus, en outre.

8 Triste, chagrin, morose.

9 Diaboliques. Peut-être faut-il lire calamiteux.

10 Ce prologue paroît avoir été écrit en 1538, peu de temps après l’entrevue de Charles-Quint et de François Ier à Nice, où ils dévoient traiter de la paix sous les auspices du pape Paul III, et où ils conclurent seulement une trêve.

11 Axiome.

12 Le silence.

13 Gêné, tourmenté.

14 Allons, vite. C’est l’onomatopée dont se servent les charretiers pour faire avancer leurs chevaux.

15 On voit que ces deux noms étaient déjà populaires et passés en proverbe avant que le comédien Hugues Guéru les eût adoptés au théâtre dans les premières années du dix-septième siècle.

16 Imitation bouffonne de Rabelais, qui, dans la harangue de son Janotus de Bragmardo (Gargantua, chap. 19), place Londres en Cahors et Bordeaux en Brie.

17 Allusion à la naïveté de ce curé qui, voyant ses paroissiens fondre en larmes à son sermon de la Passion, s’avisa, pour les consoler, de leur dire: «Ne pleurez pas, mes amis: peut-être que ce que je vous ai dit n’est pas vrai.»

18 Terme de pratique, actes, mémoires.

19 Le dernier huitain d’un vieux poème: l’Amant rendu cordelier à l’observance d’amour, commence ainsi:

Plusieurs gens envoient à Rome,
Qui à leurs huis ont le pardon.

20 S’éventent.

21 S’altèrent, s’affaiblissent, se gâtent.

22 Il faut sous-entendre à les prendre loin.

23 Argumenté, discuté.

24 Essayer, parce que les échansons faisaient l’essai du vin à la table des princes.

25 Quiproquo, qu’on écrivait alors quid pro quo.

26 Entendront.

27 Morosité, mauvaise humeur.

28 Antonomase, emploi de l’épithète pour le nom.

29 Le Plaisant. Ce personnage se rapporte assez à ce que la tradition nous apprend des facéties de Rabelais à son lit de mort. Mais Rabelais vivait encore à l’époque de la publication de ces Contes. Pour reconnaître Rabelais dans ce passage, il faudrait supposer que ce prologue, qui rappelle beaucoup son style et sa manière, nous le représente comme mort sous le nom de Plaisantin, afin de pouvoir citer quelques-unes des boutades hardies que les biographes ont depuis attribuées à ses derniers moments.

30 Aujourd’hui.

31 Caillette était un fou en titre d’office sous François Ier; Triboulet avait eu le même emploi à la cour de Louis XII; mais Polite fut seulement au service d’un seigneur, abbé de Bourgueil. En ce temps-là, pour se donner des airs de prince, on avait un bouffon domestique. Voyez la dissertation sur les fous des rois de France, en tête des Deux Fous, dans le volume des Romans historiques du bibliophile Jacob, faisant partie du Panthéon littéraire.

32 Idée.

33 Allusion aux notes de musique sol, la, mi, la. La, la, mi, sol. C’est la réponse de Caillette.

34 Lorsque saint Pierre renia Jésus-Christ.

35 En son langage de Caillette. Guillaume Bouchet, dans sa 14e Sérée, attribue à Triboulet cette naïveté.

36 Pour: Les voici venir.

37 Ce conte est le 277e des Facéties du Pogge, qui y fait figurer un autre fou et un archevêque de Cologne.

38 Cette plaisanterie est imitée dans le chap. 26 du Moyen de parvenir.

39 Cette définition de la folie de Triboulet est de Rabelais, qui l’introduit dans le IIIe livre de Pantagruel.

40 Imitation de Rabelais, qui commence ainsi le prologue de son IVe livre: «Gens de bien, Dieu vous sauve et garde: où êtes-vous? Je ne vous peux voir.»

41 Bénéfices.

42 Tout d’une voix.

43 C’est-à-dire à leurs enfans propres. Un évêque faisant sa visite s’arrêta chez un prêtre de son diocèse, dans la maison duquel il vit deux petits enfants, et lui demanda à qui ils appartenoient, lui ordonnant de dire la vérité. «Monseigneur, lui répondit-il, ce sont les neveux de mon frère.» Le bon évêque se contenta de cette réponse, et ce ne fut que quelques jours après qu’un prêtre de sa suite lui en apprit le véritable sens.

44 Regraterie, chez les revendeurs.

45 Il vaudroit mieux lire tour.

46 Jeu de mots sur dignités.

47 Saupoudrée.

48 Navets.

49 Préparer.

50 Le plus difficile à retenir, maintenir.

51 Jeu de mots et allusion à un personnage du nom de Sevin. Il y avait une ancienne famille d’Orléans, de laquelle étaient Adrien Sevin, traducteur du Philocope de Boccace, et Charles Sevin, chanoine de Saint-Étienne d’Agen, ami intime de Jules Scaliger.

52 Honteux, confus, penaud.

53 Pour maître-ès-arts.

54 Ouvrage italien de Baltazar Castiglione. Le conte dont il s’agit est tiré originairement des fables d’Abstemius, fable IV de la 2e partie. Bandello (Nouv. LVI de la 3e partie) rapporte le fait plus au long, et nomme Gerardo Landriano, évêque de Côme et cardinal. Le même conte est aussi dans le Moyen de parvenir, ch. 69.

55 Blanches, notes de musique.

56 Pour ergo, formule de l’argumentation scolastique.

57 Étourdi, peu sensé.

58 Danser.

59 Signes.

60 C’est-à-dire qu’elle accouchât.

61 Motiver.

62 C’étoient des branles de Bretagne.

63 C’est-à-dire qu’ils n’étoient pas Bretons bretonnants, ou de la basse Bretagne.

64 Jeu de mots par allusion à brettes, signifiant des épées et des femmes galantes ou bonnes lames.

65 Jeu de mots imité de Rabelais, l. III, chap. 26, où frère Jean dit à Panurge, en lui conseillant de se marier: «Deshui au soir fais-en crier les bancs et le châlit.»

66 Profité, hérité.

67 Bon mot.

68 Il en a été de ce mot comme de lendit, lierre, landier, luette, etc., où l’article s’est incorporé.

69 Autrefois Maroilles, en latin Maricolæ, Mareoliæ et Mariliæ, village de Hainaut, dépendoit d’une abbaye de l’ordre de saint Benoît, diocèse de Cambrai. Comme les moines y étoient les maîtres, leur familiarité avec les filles du village fit qu’elles eurent mauvaise réputation; en sorte que, par une contre-vérité qui a passé en proverbe, on a nommé pucelles de Marolles celles qui ne le sont pas.

70 Les fous, en toute occasion, s’avancent et marchent les premiers. «C’est le fol qui a commencé la danse,» dit Beroalde de Verville, chap. 45 du Moyen de parvenir.

71 Formule de philosophie scolastique: On demande.

72 Partager.

73 Terme de logique qu’il fait semblant de prendre pour un titre d’ouvrage ou pour un nom d’auteur.

74 L. III, chap. 28, frère Jean dit à Panurge: «Si tu es cocu, ergo ta femme sera belle; ergo tu seras bien traité d’elle; ergo tu auras des amis beaucoup; ergo tu seras sauvé.»

75 C’est sans doute Louis XI. Cependant le serment de foi de gentilhomme que l’auteur lui met à la bouche sembleroit personnifier François Ier.

76 Toupie.

77 Tout-à-fait, exclusivement.

78 De condition, qualité.

79 Molière et Montaigne ont répété plus d’une fois la même chose.

80 Pour de bonne heure. Peut-être faut-il lire d’heur, par bonheur.

81 Dorénavant, depuis lors.

82 Proverbe qui signifie qu’un exemple ne vaut rien s’il n’est imité.

83 Permission, licence.

84 Terme de la formule de l’ordination.

85 Pourvu de bénéfices.

86 Des morts.

87 De la Vierge.

88 C’est-à-dire, ordonné prêtre.

89 Crochet pour pendre aux branches du mûrier le panier où l’on met les mûres, qu’on ne pourrait cueillir autrement sans se tacher.

90 Esprit familier, démon.

91 Langage du pays de Caux.

92 Interroger.

93 Pour Eustache.

94 Comment allait le commerce.

95 Valet niais.

96 Chant VII.

97 On appelait chaland un bateau plat qui amenait les marchandises à Paris. De là le surnom de chaland et chalande, appliqué aux personnes qui apportaient du plaisir dans les lieux où elles se rendaient.

98 Dérobais.

99 Frapper sur son drap, sur ses épaules.

100 Jeu de mots sur bâton et bateau.

101 Le nom du consul Olibrius, qui fut empereur d’Occident en 472, devint synonyme de bizarre, original, glorieux, etc.

102 Peigné, frotté.

103 Serges.

104 Ce passage se retrouve presque mot à mot dans Henri Estienne, ch. 21 de son Apologie pour Hérodote.

105 C’est-à-dire, en veine de folie.

106 Usage, acquisition, emplette.

107 Attendre, épier.

108 On mettait autrefois l’argent sous l’aisselle, dans une poche secrète qu’on appelait gousset.

109 C’est-à-dire, qui s’embellissait tous les jours.

110 Métaphore obscène tirée de la docilité routinière des mules de procureurs, lesquelles venaient d’elles-mêmes se ranger le long des montoirs de pierre et présenter l’étrier à leurs maîtres.

111 Image licencieuse, tirée du jeu de l’arbalète.

112 Imité par La Fontaine (le Faiseur d’oreilles et le Raccommodeur de moules), qui a complété ce conte en s’inspirant de Boccace et des Cent Nouvelles nouvelles, III, la Pêche de l’anneau.

113 C’est-à-dire, qui faisait un assez bon trafic.

114 Voisinage.

115 Dame, en patois lyonnais.

116 De plus.

117 Pour: ma foi!

118 En pensée.

119 Couverture.

120 La procédure, le style de palais.

121 Sournois, trompeur.

122 Malice, niche, tour; de chatterie.

123 Heurtait.

124 C’est-à-dire, à pousser l’éteuf, balle de bourre.

125 Expression proverbiale pour exprimer les coups qui avaient plu sur son dos.

126 Droit canon.

127 Les écoles des Quatre-Nations étaient situées dans la rue du Fouare, dite alors du Feurre.

128 Des blancs d’œufs.

129 La profession de barbier n’étant point séparée en ce temps-là de celle de chirurgien.

130 Pour meurtri.

131 Alchimistes.

132 Le sujet de ce conte était populaire avant Bonaventure Des Periers; car dans le Gargantua de Rabelais, ch. 33, un vieux routier dit à Picrochole, qui projetait la conquête du monde: «Toute cette entreprise sera semblable à la farce du Pot au lait, duquel un cordouannier se faisait riche par rêverie; puis, le pot cassé, n’eut de quoi dîner.» La Fontaine a tiré de là la Laitière et le Pot au lait, fable 9 du liv. III.

133 Alchimie.

134 Pas.

135 Allumé leurs fourneaux.

136 Bouché des vases avec du lut, enduit chimique.

137 Sœur d’Aaron et de Moïse. Le livre publié sous son nom est supposé, comme une infinité d’autres que les alchimistes ont attribués à divers anciens philosophes, rois, etc. Le bain-marie tire son nom de cette Marie.

138 Ceci est rapporté également par Jacques de Voragine, auteur de la Légende dorée, et par Pierre de Natalibus, dans la Vie de sainte Marguerite, le vingtième jour de juillet.

139 Esprits, farfadets.

140 Avec, en outre.

141 Creuser.

142 Anspessades, enseignes.

143 Maudite vermine.

144 Dorénavant.

145 Bien nourris.

146 Vivaces, selon La Monnoye.

147 Proprets, coquets.

148 Vifs.

149 Sans y mettre la main.

150 Pour bétail.

151 Gueux, coquins.

152 Travaillaient.

153 Pionniers.

154 Les diables. On croyait autrefois que la folie ou l’estre des poètes et des savants résultait de la présence d’un ver dans le cerveau.

155 Égratigner.

156 Les pourceaux, dans nos champs ensemencés, font beaucoup de dégâts.

157 Sempiternelles.

158 Pedisequa, suivante.

159 C’est-à-dire, jusqu’à être en danger de tomber à la renverse, quand même elle aurait eu quatre pieds.

160 Perchoir.

161 Léchées, petits morceaux.

162 Parcimonieusement.

163 Avec.

164 Garde.

165 Pâté de venaison.

166 Livré aux valets.

167 Raillé, complimenté.

168 Fit la mine. On dit encore renfrogner.

169 Faire la paix.

170 Rançonné.

171 Apportes.

172 Ce passage nous apprend que ces deux mots nouveaux n’étaient pas encore admis dans la langue.

173 Fat.

174 Badin.

175 Ignorant.

176 Livre contenant les éléments de la langue latine; ainsi appelé du nom de son auteur. On s’en servait dans les collèges.

177 Nourrie, servie.

178 L’assistance, l’assemblée.

179 Testicules.

180 Il avait d’abord été évêque d’Arras, ensuite de Boulogne-sur-Mer, et enfin du Mans. Il mourut âgé de soixante-quatorze ans, en 1519, et fut béatifié. On a de lui quelques traités de dévotion mystique.

181 En patois manceau: Ne vous déplaise, sauf votre grâce.

182 Car.

183 Par ma foi! comme en italien a fè.

184 Regardez, voyez ça.

185 Se fit une hernie.

186 Plainte en justice.

187 Voy. Macrob, Saturn. II, 4.

188 Dans la Vie de Virgile, par Tib. Claud. Donatus.

189 Imité des Cent Nouvelles, nouvelle XXXVII, le Bénétrier d’ordures.

190 C’est une ironie. Voy. Pantagruel (liv. II, chap. 15), sur une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris.

191 Cette expression doit signifier un homme volage, coureur d’amourettes, dans le véritable sens du mot discursus.

192 Le Décameron de Boccace, où l’on voit de bons tours joués par les femmes à leurs maris, livre qu’Agrippa, dans son traité de Vanit. Scient., au chap. de Lenonia, appelle un excellent maquereau.

193 Fameuse tragi-comédie espagnole, ainsi nommée du nom d’une entremetteuse qui en est un des principaux personnages. Cette pièce, en prose, commencée, dit-on, par Jean de Mena, le plus ancien poète espagnol, au quinzième siècle, ou, selon d’autres, par Rodrigue Cota, au commencement du seizième, a été achevée peu de temps après par le bachelier Fernande Rojas.

194 Sous cette impression.

195 «Celle-là est chaste que personne n’a tentée.» On ne sait pas l’auteur de cet hémistiche, qu’on attribue à Ovide.

196 Ce mot me semble pris dans l’acception de joutes, tournois, jeux, etc.

197 La jalousie refroidit, et le froid commence par les pieds, comme la partie la plus éloignée du cœur.

198 C’est-à-dire, qui était adroit. Proverbe tiré du petit bâton avec lequel les joueurs de gobelets font des tours de passe-passe.

199 De commerce.

200 Argus, qui gardait Io, métamorphosée en vache.

201 C’était le fameux Olivier Maillard, qui mêlait le burlesque aux plus sublimes mystères de la religion. Il prêcha sous Louis XI, Charles VII et Louis XII. On ne sait pas positivement si ses sermons ont été prononcés tels qu’ils furent imprimés, en latin mêlé de phrases françaises.

202 A l’italienne, ohime lassa!

203 Salie, souillée.

204 C’est-à-dire, de peau d’agneau à poil frisé.

205 En se renfrognant.

206 C’est-à-dire, du commun. Les Italiens disent de même da dozzina, et dozzinale, par mépris.

207 Pierre Lizet, né à Saint-Flour, en 1482, devint premier président du parlement de Paris en 1529. Victime du ressentiment de la duchesse de Valentinois et du cardinal de Lorraine, il fut accusé d’avoir parlé insolemment du roi, et après s’être démis de sa charge, il se retira dans l’abbaye de Saint-Victor, où il composa des livres de piété, que Théodore de Bèze tourna en ridicule dans son Passavant.

208 Le 7 de juin 1554, plus de dix ans après Des Periers, mort avant l’an 1544; ce qui ne sert pas peu à confirmer ce qu’a dit La Croix du Maine, que Des Periers n’est pas l’auteur de tous ces contes.

209 Allusion au titre de l’épître macaronique de Bèze, sous le nom de Passavant: Responsio ad commissionem ibi datam a venerabili domino Petro Lizeto, nuper curiæ Parisiensis præsidente, nunc abbate Sancti-Victoris prope muros.

210 Bèze, dans son Passavant, semble avoir affecté, en parlant du livre du président Lizet, Contra Pseudo-Evangelicos, de dire pour la pareille: O Domine, dit-il, pro pari dicatis mihi si vidistis librum domini nuper præsidentis. Et Guillaume Bouchet, Serée 14, fait le conte d’un criminel qui, étant sur l’échelle, pria les assistants de dire pour lui un Pater noster à la pareille.

211 En 1521, François Ier étant, le jour des Rois, à Romorantin, comme il se divertissait à combattre à boules de neige contre le comte de Saint-Pol et sa bande, un tison jeté par une fenêtre blessa le roi à la tête: il fallut lui couper les cheveux. Les Suisses et les Italiens portaient alors les cheveux courts et la barbe longue; François Ier suivit cette mode, qui devint bientôt celle de toute la France.

212 C’était un avocat distingué, qui devint conseiller du parlement en 1553, après avoir plaidé dans la cause des massacres de la Cabrière et de Mérindol.

213 Merlin ou Mellin de Saint-Gelais, abbé du Reclus, contemporain et émule de Clément Marot. Ses gracieuses et naïves poésies étaient estimées à la cour de Henri II.

214 Bonne mine.

215 La Monnoye voit ici un jeu de mots, et dit que les allants étaient des chiens anglais; mais ces allants et venants ne sont ici que des gens de service fort affairés autour de leur maître.

216 Malfaisant.

217 Pièce de bois de sciage, carrée en long et plate.

218 C’est-à-dire, ne le ménagea pas.

219 Éreinté.

220 Chaise.

221 Ces mots ont tout l’air du commencement d’une vieille chanson.

222 La Croix du Tiroir, ou Trahoir, ou Trioir, ainsi nommée d’un supplice ou d’un marché, était le carrefour de la rue de l’Arbre-Sec.

223 Voisinage.

224 Alliage dont beaucoup de monnaies blanches étaient composées.

225 Vieux deniers.

226 Rêvait.

227 Echoppe couverte d’une toile.

228 Toutes les fois.

229 Gros fil.

230 Aux aguets, attentif.

231 Couper la gorge.

232 Nous trois clercs.

233 Pour la bourse et pour l’argent.

234 Il est digne et juste.

235 Meurtre.

236 C’est-à-dire, à parler français.

237 Il y a un conte à peu près semblable dans les Nuits de Straparole, fable 4 de la IXe nuit.

238 De là chatemite.

239 Douce, molle.

240 Vais.

241 Bon visage.

242 Carbonnades.

243 Employer.

244 Indigne, ignorant.

245 Italianisme (si domanda), pour se nomme.

246 Paroissiale.

247 Ce proverbe vient de ce qu’un chandelier se porte aisément où l’on veut.

248 C’était alors le prix d’une messe.

249 Valeur, capacité.

250 Chapelain, prêtre.

251 Missel.

252 Profit, grand bien.

253 «Ce mot, dit La Monnoye, fait allusion à pet, rot, les deux choses du monde les plus gaies: un pet et un rot chantant l’un et l’autre du moment de leur naissance jusqu’à celui de leur mort.»

254 Charles de Bourdigné, prêtre angevin, a écrit la Légende dorée, ou Vie plaisante de maître Pierre Fai-feu, imprimée à Angers l’an 1532. Ce conte fait le vingt-et-unième chapitre de cette Légende, en soixante-deux vers, dont les moins mauvais sont les deux derniers:

Car d’eux il eut, sans faire grand’bataille,
Houseaux de cuir pour ses bottes de paille.

255 Affieux signifiant graine, plant, et le chiendent étant une mauvaise herbe qui étouffe les bonnes, cette expression figurée est plus facile à expliquer qu’à traduire. La Monnoye dit que c’est un matois qui donne de l’exercice à ceux qui se frottent à lui.

256 Tours de matois, friponneries plaisantes telles qu’en faisait le poète François Corbeuil, surnommé Villon, parce que de son temps ville signifiait tromperie. Voyez dans Rabelais une terrible facétie de Villon contre le sacristain de Saint-Maxent. Pantagruel, livre IV, ch. 13.

257 Imitation de quatre vers de la fameuse ballade sur frère Lubin, par Clément Marot.

258 C’est-à-dire, pour augmenter la mauvaise chance.

259 Ainsi nommé du verbe copier, dans le sens d’imiter malignement les manières de quelqu’un pour le rendre ridicule. Ménage, dans ses Origines de la langue française, écrit: les copieurs de la Flèche. C’était un proverbe dans ce temps-là, où les habitants de chaque ville se trouvaient qualifiés par un sobriquet proverbial. Voyez les Proverbes et dictons populaires publiés par M. Crapelet.

260 Quolibet consistant dans une allusion du mot attrempé, qui signifie posé, rassis, modéré, au mot trempé, qui signifie mouillé.

261 Parce qu’on le ballottait, selon La Monnoye; mais il vaut mieux entendre que la foule le pressait de toutes parts et le soulevait de terre.

262 C’est-à-dire, tout ce que tu demanderas.

263 Transposition de mots burlesque, pour de bon cuir de vache.

264 Après. On dit encore dans le peuple: travailler après quelque chose.

265 Italianisme: Va via, va son chemin.

266 Confus.

267 Jeu de cartes à trois personnes, espèce de lansquenet.

268 De grand cœur, à souhait.

269 Maquignon, matois.

270 Le moment opportun.

271 Messires; italianisme.

272 Le comtat d’Avignon était gouverné par un cardinal, depuis que les papes étaient rentrés à Rome.

273 Il y avait un vieux manuel de droit intitulé: Brocardia juris.

274 C’est le pont d’Avignon, désigné ici par une vieille chanson dont le commencement est:

Sur le pont d’Avignon j’ouïs chanter la belle,
Qui en son chant disoit une chanson nouvelle.

275 Pour en avant!

276 C’est-à-dire, neuf mois.

277 Par hasard.

278 Ce titre, qui a été autrefois donné en Italie aux seigneurs les plus qualifiés, y dégénéra dans la suite et fut enfin entièrement aboli.

279 Perdu de vue, terme de palais.

280 C’est un de ces italianismes qui étaient entrés en France avec les Médicis, et qui devenaient chaque jour plus à la mode.

281 Pendant ce temps.

282 Fantasque.

283 Toute semblable.

284 Voyez la Nouvelle XXV.

285 Bèze, dans son Passavant: Et postquam veni, et me debotavi audacter, quia nemo unquam mihi dixit pejus quam meum nomen. Furetière donne à ce proverbe deux explications opposées, l’une au mot nom, où il dit qu’on ne saurait dire pis que son nom à un homme quand il est connu pour un scélérat; l’autre au mot pis, où il dit tout au contraire que ce mot s’entend d’un homme à qui on ne peut rien reprocher.

286 Langage de vieille.

287 Petite ville à trois lieues de la Flèche.

288 Les ouïes.

289 On nommait ainsi des présents qu’on faisait aux enfants ou aux valets à la fête de Pâques, parce qu’autrefois c’étaient des œufs durs peints de diverses couleurs.

290 Voir.

291 Tarder.

292 D’embonpoint.

293 En 1556, plus de douze ans après la mort de Des Periers, qui par conséquent n’a pas écrit ce conte, René du Bellay avait succédé, comme évêque du Mans, à son oncle, le célèbre Jean du Bellay, poète, ambassadeur de François Ier, et protecteur de Rabelais.

294 Par corruption, pour sainte Sesaut, vierge du Maine au septième siècle, en latin sancta Sicildis. On ne dit aujourd’hui ni sainte Sesaut ni saint Chelaut, mais sainte Serote, qui est le nom d’une commune du Mans.

295 Pour sobriquet.

296 A l’improviste.

297 Dans la première édition et dans quelques autres qui l’ont suivie, on lisait: Comme si le diammour l’eût porté; en quelques-unes: Comme si le dieu Amour.

298 C’est un bourbier, tel qu’il s’en trouve en divers endroits des chemins du Bourbonnais. Le dehors, qui paraît sec et uni, ressemblant à une grande tarte, invite ceux qui ne connaissent pas le terrain à passer par-dessus, et ils enfoncent dans une boue liquide et infecte.

299 Dépêchait, adressait.

300 Coups de barrette ou chapeau.

301 Fantaisie, vertigo.

302 Pour attendait que le chaud fût passé.

303 Mandataire, agent comptable.

304 C’est-à-dire une petite chambre nattée. On prononçait autrefois jacopin, à la manière des Toscans, qui disent encore jacopo ou giacopo. Les jacobins ont donné lieu à diverses expressions, telles que soupe à la jacobine et tartes jacobines.

305 La ronfle, en Italie et en France, était une sorte de jeu aux cartes. Peut-être avait-on donné le nom de ronfle à ce jeu parce que le joueur qui avait le plus haut point l’entonnait avec une espèce de ronflement pompeux. Ici, jouer à la ronfle n’est autre chose, par allusion à cet ancien jeu, que dormir en ronflant.

306 Ou farfelu, épais, dodu.

307 Intervertirent.

308 On dirait maintenant à la fraîche.

309 La clôture d’un champ, dite échalier parce qu’elle est faite d’échalas.

310 En avant.

311 Ce sont trois vers de Clément Marot, dans sa fameuse épître au roi pour avoir été dérobé. Scaron, qui apparemment n’avait pas manqué de lire ces contes, semble avoir eu cet endroit en vue dans une scène de son Jodelet maître-valet, où Lucrèce, qui parle à D. Fernand, ayant fait entrer dans son discours quelques vers de Mairet, D. Fernand lui dit tout aussitôt:

Ces vers sont de Mairet, je les sais bien par cœur;
Ils sont très à propos et d’un fort bon auteur.

312 Les prévôts des maréchaux étaient des juges d’épée qui jugeaient souverainement les voleurs, les vagabonds et les gens de guerre. Il y avait en France cent quatre-vingts maréchaussées ressortissant de la connétablie, qui avait son siége à la table de marbre du Palais de Paris.

313 Gilles Maillard, lieutenant criminel, contre qui Marot a fait la sanglante épigramme intitulée du Lieutenant criminel et de Semblançay. Il avait procédé avec tant de rigueur contre les nouveaux hérétiques calvinistes, que son nom fut voué à l’exécration et au mépris. Clément Marot faillit être une de ses victimes.

314 Le 24 février 1525.

315 Jacques de Lorge, capitaine de la garde écossaise de François Ier, et père de Gabriel de Lorge, comte de Montgomery, qui eut le malheur de causer la mort de Henri II dans un tournoi.

316 Odet de Foix, seigneur de Lautrec, un des plus grands capitaines de son siècle, commanda dans toutes les guerres d’Italie jusqu’à sa mort, arrivée devant Naples le 16 août 1528.

317 Il fallait dire dans le Milanais, que Lautrec avait presque tout reconquis, à Milan près, en 1528.

318 C’est la seconde des Questions tabariniques, part. I.

319 On lit un fait analogue dans les Mémoires du comte de Bussi-Rabutin. Son oncle, Hugues de Bussi, grand-prieur de France, malade à la mort, venait de se confesser à un augustin, qui se retirait avec son compagnon au moment où le comte de Bussi entra. Celui-ci demanda à son oncle comment il se trouvait de ces bons pères. «Fort bien, mon neveu, lui répondit-il; ils disent que j’ai l’attrition.»

320 Cette ville a été ainsi appelée de Juhel, premier du nom, qui, vers le milieu du douzième siècle, fit bâtir le château de Mayenne.

321 Presque toutes les éditions, au lieu de Cydnus, mettent Nus; quelques autres, de Nus. L’auteur avait probablement écrit Cydnus, car la tradition fabuleuse introduite par Annius de Viterbe veut qu’un certain Cydnus, fils de Ligur, ait donné le nom aux anciens peuples du Maine, appelés premièrement par cette raison Cydnomans, et depuis Céomans.

Sans recourir à Cydnus, ne pourrait-on pas dire que l’auteur, par ce bon pays Nus, aurait entendu le pays du Maine, où il y avait plusieurs fiefs tenus en nuesse, à nu, nuement, de nu à nu, à pur; c’est-à-dire, immédiatement du prince? La Croix du Maine, dans sa Bibliothèque, parle d’un Samson Bedouin, moine bénédictin de l’abbaye de la Couture, auteur de plusieurs chansons, et, entre autres, de la Réplique aux chansons des Nuciens ou Nutois, autrement appelés ceux de Nuz au bas pays du Maine.

322 Animal sans queue.

323 Langage de renard.

324 Occupés, affairés.

325 Trait, dard.

326 Machines qui repoussent rudement pour peu qu’on les touche.

327 Juchoir, poulailler.

328 Langage des chiens.

329 Sociable.

330 Délivrer.

331 Pour garnement.

332 Ce personnage s’est rendu célèbre à Paris, du temps de François Ier, par la représentation des moralités, mystères et farces, qu’il faisait jouer aux Halles, non loin d’un égout appelé le Pont-Alais, dont il prit le nom. Il était à la fois auteur et acteur, comme son contemporain Pierre Gringoire.

333 Fat, orgueilleux.

334 C’est-à-dire sans habit.

335 Le théâtre était un échafaud à plusieurs étages.

336 Au septième livre de la comédie des Actes des Apôtres, jouée à Paris l’an 1541, composée par Louis Choquet, et imprimée cette même année à Paris par les Angeliers, il y a un personnage de Migdeus, roi d’Inde la Majour.

337 La représentation. Pendant les jeux, tous les acteurs, en costume, étaient rangés sur des gradins, en attendant le moment de descendre sur la scène.

338 Le prologue, compliment aux spectateurs.

339 Pour étuviste.

340 Henri Estienne, chap. 36 de son Apologie pour Hérodote, fait connaître que c’était le curé de Saint-Eustache; ce qui est confirmé par d’Aubigné, chap. 13 du liv. II de son Baron de Fæneste.

341 Promenade des acteurs en costume pour annoncer le spectacle du jour.

342 Chapeau en forme de pain de sucre que portaient les soldats albanais.

343 Son nom et son surnom étaient, comme on l’a appris d’une vieille épigramme, Marguerite Noiron.

344 C’est-à-dire un maquereau, parce que c’est au mois d’avril que l’on pêche le poisson de ce nom-là.

345 Terme de trictrac, pour dire trois.

346 Autre terme de trictrac, pour dire six, lorsque les dés amènent deux trois.

347 On a fait là-dessus un huitain, dont le titre est De la réponse de Margot Noiron à un gentilhomme qui avoit couché avec elle.

348 C’est-à-dire monter sur la poule. Quelques éditions ont chaucher; d’autres, chevaucher.

349 Allusion à une petite chanson de Clément Marot:

En entrant dans un jardin,
Je trouvai Guillot Martin
Avec sa mie Hélène,
Qui vouloit pour son butin
Son beau petit picotin...
Non pas d’aveine.

350 Equivoque sur force, violence, et forces, grands ciseaux.

351 Petite ville du Perche-Gouet, dans le diocèse de Chartres, sur la rivière d’Ozane, à quatre lieues de Châteaudun et à vingt-cinq de Paris.

352 En Normandie, sur la Rille, à neuf lieues de Rouen, entre Evreux et Pont-Audemer.

353 Lancelot du Lac et Tristan de Leonnois sont les deux plus fameux chevaliers de la Table-Ronde. Le roman de Lancelot fut imprimé pour la première fois à Paris, chez Antoine Verard, l’an 1494, en trois vol. in-folio. Le roman de Tristan contient deux parties, qui font un assez gros volume in-folio gothique.

354 Touchant ce curé, voyez Henri Estienne, chap. 36 de son Apologie pour Hérodote.

355 La plus ancienne édition écrit la reste.

356 Bourrues, fantastiques. La plupart des éditions ont bigarrées.

357 A la justice de l’official.

358 Ou galloise, gaie, joyeuse.

359 Pour corées, comme les Parisiens prononçaient alors: c’est le cœur, le foie, la rate, le poumon, soit du mouton, soit du veau. Le tout s’appelle aussi fressure.

360 Proprement, pot de terre, de fer ou de fonte. C’est un mot gascon.

361 Draps, linges.

362 Quelques éditions ont douit, qui signifie de même ruisseau, canal, courant d’eau.

363 On dit plutôt de cu et de tête.

364 C’est un jeu de cartes à quatre. On donne quatre cartes à chacun. Celui des quatre qui a le plus de cartes d’une même couleur a le flux et gagne l’enjeu.

365 On appelait vin de coucher celui qu’on buvait avant de s’endormir.

366 Autour, auprès de.

367 Milon, Miles d’Illiers, évêque de Chartres, mort à Paris l’an 1493.

368 Jardins: de là le nom de la Courtille.

369 C’est-à-dire jour maigre.

370 Pourpoint à basques, attaché aux chausses avec des aiguillettes. «Il n’y a guère qu’un siècle, disait La Monnoye en 1735, que les bonnes gens aiguilletoient ainsi leur haut-de-chausses.»

371 Pour offertoire.

372 Patène.

373 Bouchet, dans sa sixième serée, a rapporté ce conte, qu’il applique à un cordelier, en y changeant diverses circonstances. Il dit que le moine s’étant aperçu de ce qui faisait rire ces femmes, se troussa jusqu’à la ceinture et leur dit: Tenez, regardez, friandes: vous croyez que c’est de la chair, et c’est du poisson.

374 Retroussa. Terme provincial fort usité à Dijon par les femmes du menu peuple, qui disent qu’elles se récorsent, quand, après avoir troussé leur robe, elles la rattachent par derrière.

375 Bouchet, serée 15, fait le même conte; mais l’original est dans le livre intitulé Mensa philosophica, par Thibault Auguilbert, Irlandais; traité 4.

376 Ecclésiastique servant le curé pour les affaires de la cure.

377 Terme de cour d’Eglise; requêtes ou plaintes présentées au juge d’Eglise pour obtenir la permission de publier monitoire.

378 Soufflé, fait des efforts, comme un bûcheron qui fend du bois et fait han à chaque coup de cognée.

379 Ce curé de Saint-Eustache de Paris dont il a été question dans la Nouvelle XXXII. On ajoute même qu’après avoir dit qu’il excommuniait tous ceux qui étaient dans le trou, il fit réflexion que, parmi les personnes nommées dans les quérimoines, se trouvaient l’évêque de Paris et son official: il déclara donc qu’il exceptait ces deux-là. H. Estienne, chap. 6 de l’Apologie pour Hérodote.

380 Cicéron, au livre III De la nature des Dieux, compte trois Jupiter et six Hercules.

381 C’est une figure de rhétorique qui consiste à désigner quelqu’un par un autre nom que son nom propre. Antonomase est le mot d’usage.

382 Chapelains.

383 Infirme.

384 C’est-à-dire, avoir mauvais air. Façon de parler venue des anciens romans, qui appellent souvent bois les lances des chevaliers.

385 Petite ville sur l’Hérault, diocèse d’Agde, ainsi nommée de saint Tibère, martyr, appelé ailleurs saint Tiberge.

386 C’est-à-dire, que la chaleur diminuât.

387 Cette prébende, appelée plutôt théologale, était établie dans chaque église cathédrale ou collégiale, depuis le quatrième concile de Latran, sous Innocent III, et affectée à un docteur en théologie, qui prêchait tous les dimanches.

388 Sillé-le-Guillaume, petite ville du Maine, entre Mayenne et le Mans.

389 C’est-à-dire, qui fît moins valoir son homme, qui fût moins digne d’un homme raisonnable.

390 Aller l’amble, comme les haquenées que montaient les dames.

391 D’autres éditions portent seille, seau, ce qui exprime mieux un tambourin.

392 En outre, de plus.

393 On les appelait archers, quoiqu’ils portassent la hallebarde, parce qu’auparavant c’était un arc qu’ils portaient. La garde écossaise a été en honneur auprès des rois de France depuis les services que les Écossais rendirent à Charles VII contre les Anglais.

394 Ou tourdion, diminutif de tour, petit mouvement léger. On appelait ainsi les basses danses.

395 Fongner ou foigner, selon La Monnoye, signifiait gronder, se dépiter, et vient de foin! interjection d’impatience et de dépit, dont alors on se servait en guise de juron.

396 Il voulait dire: «Ah! vous culetez.»

397 Ce doit être quelque princesse ou la reine elle-même, au service de qui la femme de l’Ecossais était attachée sans doute.

398 Contraction de sauf votre grâce.

399 Pour fantasque.

400 Il entend ce que l’on nomme vulgairement les Distiques de Caton, soit par allusion au livre que Caton le Censeur intitula Carmen de Moribus, quoiqu’il l’eût écrit en prose, soit parce que la doctrine morale contenue dans ces distiques a été jugée digne de Caton lui-même.

401 La Syntaxe de Despautère, publiée en 1513.

402 C’est ainsi que commence la première églogue de Baptiste Mantuan. Au seizième siècle, on lisait publiquement dans les écoles de Paris les poésies latines de ce moine, aussi célèbres alors que celles de Virgile et d’Horace.

403 Colérique. On voit dans un passage de Rabelais que les pédants seuls se servaient alors de ces mots nouvellement forgés du latin, iraconds, admirabonds.

404 Expérimenté, dressé, façonné.

405 Cette réponse naïve a été imitée dans le Moyen de parvenir. Sire George était malade: «Çà, mon ami, lui disait une dame, courage; il faut prendre quelque chose. N’avez-vous rien pris aujourd’hui?—Sauf votre grâce, madame, répondit-il, j’ai pris une puce à la raie de mon cu.»

406 Parce que les pots dont on se sert pour mettre la plume sont toujours vieux et ébréchés.

407 Pour au sol, au rez-de-chaussée.

408 Cri des fauconniers provençaux en lâchant l’oiseau.

409 A l’endroit.

410 Dia, pour faire avancer les chevaux; hau, pour les arrêter.

411 C’est-à-dire dans le plus petit espace; le double était une monnaie de cuivre valant deux deniers.

412 Les coups de fouet lui faisaient aux jambes des espèces de franges.

413 L’épilepsie est appelée le mal de saint Jean, parce que saint Jean guérit ce mal; mais on ne dit pas si c’est le précurseur ou l’évangéliste.

414 C’est-à-dire le diable.

415 Ce doit être le commencement de quelque chanson de ce temps-là.

416 Prononciation, débit.

417 Dépensé.

418 Ce mot a été masculin jusqu’au milieu du dix-septième siècle.

419 Mine, figure.

420 La soixante-quinzième des Cent Nouvelles nouvelles a quelque analogie, quant aux détails, avec celle-ci.

421 Origine, naissance.

422 En piteux équipage.

423 Pour ressemblait.

424 Atteint de ce vice.

425 Enfance.

426 Pâques, Pentecôte, Toussaint et Noël.

427 C’est-à-dire à déjeuner.

428 Manquait.

429 C’est-à-dire à propos, à son désir.

430 C’est-à-dire tant bien que mal.

431 Aux noces de Cana, Jésus, entendant dire autour de lui: Vinum non habent, changea l’eau en vin.

432 Expression du petit peuple, qui rapporte pieusement tout à Dieu. Rien n’est plus commun dans la bouche des bonnes vieilles que ces espèces d’hébraïsmes: Il m’en coûte un bel écu de Dieu; il ne me reste que ce pauvre enfant de Dieu; donnez-moi une bénite aumône de Dieu. Quelquefois aussi, dans un sens tout ironique, on dira: Je n’ai gagné à son service qu’une belle sciatique de Dieu.

433 Le sens demande ici un verbe, car l’ellipse serait trop forte autrement pour dire que cet homme tâtonne environ autour de ce fausset.

434 Perdre.

435 C’est-à-dire, en patois poitevin, il frappait bien du pied.

436 Homme riche, mais de mauvaise foi. Il avait le secret d’une encre chimique qui en moins de quinze jours s’effaçait d’elle-même et tombait en poudre. On dit qu’ayant donné, pendant le cours d’une année, des quittances écrites avec cette encre pour des sommes considérables, il se fit payer une seconde fois par ses débiteurs, qui, ne pouvant justifier du premier paiement, eurent tout loisir de donner au diable Colin Brenot et ses quittances.

437 C’est-à-dire tantôt en jurant, tantôt en bégayant.

438 Habillements.

439 Le contraire de Benedicamus, commencement d’un psaume; c’est-à-dire sa piteuse aventure.

440 Synonyme de fausset.

441 En colère.

442 Equivoque sur à dos, coups dans le dos. Ados ou à dots est un mot poitevin.

443 C’est-à-dire qu’elle n’y pût rien.

444 On appelle bannière la pièce d’étoffe qu’on accuse les tailleurs de dérober en coupant un habit, parce qu’il y a dans cette pièce de quoi faire une banderolle. On dit aussi par manière de proverbe que les tailleurs marchent les premiers à la procession, parce qu’ils portent la bannière. On lit dans le Piovano Arlotto le conte plaisant d’un tailleur qui vit en songe une vaste bannière que le diable produisait contre lui au jour du Jugement, bannière composée de tous les morceaux d’étoffe qu’il avait volés autrefois.

445 Pour layette, boîte, coiffe.

446 Jovien Pontan et d’autres ont écrit que le cardinal Angelo avait coutume d’aller la nuit par une porte secrète dans son écurie pour y dérober l’avoine de ses chevaux.

447 Italianisme qui signifie: Voyez comment.

448 Plusieurs éditions portent allouoit.

449 Ou fautelette, comme on lit dans d’autres éditions.

450 On parlait ainsi en Saintonge, en Bourgogne et dans quelques autres provinces.

451 Ortensio Lando raconte l’origine de ce proverbe dans son Cemmentario d’Italia. Une femme qui voulait régaler sa commère fit un pâté à l’insu de son mari; une pie babillarde, nourrie en cage dans la chambre où le pâté venait d’être fait, ne manqua pas, lorsque le maître rentra, de répéter plusieurs fois: «Madame a fait un pâté.—Oh! oh! dit-il, et où est donc ce pâté? n’y a-t-il pas moyen de le voir?—Prenez-vous garde, répondit la femme, à ce que dit une bête? Il n’y a point ici de pâté; vous devez m’en croire plutôt qu’une pie.» Le mari, prenant cela pour argent comptant, sortit; mais il ne fut pas plus tôt sorti, que la femme court à la cage, prend la pie, et, par vengeance, lui pelle la tête. Le lendemain, un frère quêteur étant venu à la porte demander l’aumône, capuchon bas, la pauvre pie, qui lui vit la tête rase, crut qu’on la lui avait ainsi pelée pour avoir parlé de pâté: «Ah! ah! lui cria-t-elle, tu as donc parlé de pâté!»

452 Bons mots, boutades, reparties.

453 Jacques Colin, d’Auxerre, a passé pour l’homme de son temps qui savait le mieux sa langue. L’honneur qu’il eut d’être secrétaire de François Ier lui donna beaucoup de crédit auprès de ce prince, et le mit en état, comme il affectionnait les lettres, de favoriser ceux qui en faisaient profession. Cependant il se vit disgracié en 1527, et sa mort arriva peu de temps après. Il fut le protecteur d’Amyot, de Melin de Saint-Gelais, de Clément Marot, etc.

454 Couvent de Bourges desservi par des chanoines réguliers de saint Augustin.

455 Tabourot, dans ses Bigarrures, au chapitre des Entend-trois, dit qu’un avocat ayant allégué ce précepte, qu’il attribuoit à saint Ambroise: «Il faut se garder du devant d’une femme, du derrière d’une mule, et d’un moine de tous côtés,» à l’issue de l’audience, la partie adverse, qui était un abbé, lui soutint que saint Ambroise n’avait rapporté ce passage nulle part. L’avocat maintint vraie sa citation; l’abbé gagea qu’elle était fausse, et perdit, l’avocat lui ayant fait voir dans les contes de Des Perier le proverbe, qui n’est pas, il est vrai, de saint Ambroise, docteur de l’Église, mais bien de l’abbé de Saint-Ambroise, Jacques Colin, que François Ier appelait familièrement Saint-Ambroise.

456 Se revengeait, prenait revanche.

457 Ps. 58.

458 Depuis le mois d’octobre 1539, date de l’ordonnance de François Ier.

459 Pourpoint.

460 Jérôme Fondulo, ou Fonduli, était de Crémone. Il a demeuré long-temps en France, tantôt à Paris, tantôt à Lyon, où il vivait en 1537. Sa maigreur était proverbiale.

461 Cette plaisanterie est prise de Rabelais, liv. I, chap. 40.

462 Rebrousse, retrousse.

463 Pour émoussé, écrasé.

464 Ou trapu, carré.

465 C’est-à-dire savait bien se servir de son épée. Cette locution est employée ici dans un sens obscène.

466 Façon de parler ridicule, employée peut-être ici pour se moquer de ceux qui en usaient.

467 C’est-à-dire du temps qu’il faisait la vie, courait le guilledou.

468 La Monnoye pense qu’on doit lire représentation.

469 Pour: la lui tint.

470 Allusion à de façon suis royal, anagramme de François de Valois, faite par Marot.

471 Le nez de François Ier laissa de tels souvenirs dans le peuple, qu’on disait encore au dix-septième siècle: le roi François grand nez, ou le roi grand nez.

472 Suivant La Monnoye, se passait aisément signifierait se suffisait aisément, de l’italien passarsi; quant à n’avoir autre enfant, il faudrait sous-entendre pour, c’est-à-dire parce qu’il n’avait point d’autre enfant. Mais il est plus naturel d’interpréter cette phrase: «Il se consolait aisément de n’avoir pas d’autre enfant.»

473 Pour le voici.

474 Plaisanterie.

475 C’est-à-dire les abattis de la bête.

476 En ce temps-là, on avait coutume de donner des aubades ou sérénades aux personnes de l’un ou l’autre sexe pour lesquelles on voulait manifester de la considération.

477 Accident.

478 Le sens voudrait que ce même fût remplacé par tout autre mot; il faut lire sans doute: mettre à néant.

479 Équivoque sur commentatores juris.

480 Terme populaire, par lequel on entendait un homme non seulement allègre et dispos, mais étourdi, trop vif, remuant jusqu’à en être incommodé.

481 A la gasconne, pour: le chancre.

482 Ensuite.

483 Ou galimard, étui d’écritoire.

484 Génois. On disait anciennement Genevois, par une composition bizarre du français Gênes et de l’italien Genovesi.

485 Ces mots, adressés par la reine des Volsques au Ligurien Aunus, et depuis à tous les Liguriens, font le commencement du vers 715 du onzième livre de l’Enéide.

486 Accaparer, se ménager.

487 Tabourot, chap. 7 de ses Bigarrures; Bouchet, serée 3, et plusieurs autres, ont fait mention de cette équivoque, mais postérieurement à Des Periers.

488 Rendre sage.

489 Pour colporter.

490 Médisante. Guépin était le sobriquet ordinaire des habitants d’Orléans.

491 Chassenée, sans son Catalogus gloriæ mundi, partie 10, considér. 32, dit que, de son temps (c’est-à-dire au commencement du seizième siècle), on donnait aux universités de France et d’Italie les épithètes suivantes: les flûteux et joueux de paume de Poitiers, les danseurs d’Orléans, les braguars d’Angiers, les crottés de Paris, les brigueurs de Pavie, les amoureux de Turin, les bons étudiants de Toulouse.

492 Assuré.

493 Pour aboyer.

494 Les êtres.

495 Chiens de chasse criards.

496 Lapins. Il y a ici une équivoque obscène.

497 Les Vaudrey, d’une ancienne et illustre famille de la Franche-Comté, ont passé pour intrépides. Gilbert Cousin (Gilbertus Cognatus) les traite de héros; et leur histoire effectivement, de même que celle des héros, a été mêlée de beaucoup de fables; témoin le seigneur de Vaudrey dont il est parlé dans cette nouvelle; témoins encore les amours romanesques de Charles de Vaudrey et de la dame de Vergy, dans le quatrième volume des Nouvelles du Bandel.

498 pour bizarrerie.

499 Corcelet fait de mailles ou boucles de fer entrelacées. Le diminutif jaquette signifie en général une robe, un habillement.

500 C’est-à-dire, l’esprit à l’envers.

501 On ne dit plus que le pont de Sé, au singulier.

502 Ces ponts de bois ont été remplacés par un seul pont de pierre, long de mille pas.

503 Parapets.

504 Interjection populaire: regarde, vois, tiens.

505 Borderie, petite métairie trop peu importante pour une paire de bœufs, et qui est desservie par des ânes.

506 Un peu.

507 Espèce de grosses poires d’hiver, à chair ferme et parfumée. Il y avait aussi des pommes de râteau.

508 Ou ardi, liard, en langage toulousain.

509 Ancienne exclamation, qui peut venir du latin sic. Rabelais dit: Sec, au nom des diables!

510 Pigeons sauvages, bizets.

511 Ramiers.

512 Mot toulousain qui paraît corrompu. Ce sont peut-être des perdrix.

513 Pour maître d’hôtel, majordome.

514 C’est-à-dire de quel vin.

515 Clément Marot, dans son Dialogue des deux amoureux, avait le premier donné un exemple de ces réponses par monosyllabes. Rabelais a imité cette nouvelle de Bon. Des Periers, dans le cinquième livre du Pantagruel, où frère Fredon épuise, pour ainsi dire, tous les monosyllabes de la langue. Ce cinquième livre ne fut publié qu’en 1562, après la mort de Rabelais; le recueil de Bon. Des Periers avait paru en 1549.

516 C’est-à-dire avait ôté sa robe de moine.

517 Pour estomac.

518 On disait aussi: il se pensa.

519 La Monnoye croit devoir lire égarément, c’est-à-dire à la volée, inconsidérément.

520 Pour afin que.

521 On dit aujourd’hui: pays perdu.

522 Une poignée, une pincée.

523 Le surlendemain.

524 C’est-à-dire: Oh! par ma foi, seigneur, vous dites bien la vérité.

525 On dit aujourd’hui: tirer les vers du nez. Ce proverbe vient des charlatans, qui, en voyant quelqu’un atteint de folie, disaient qu’il avait un ver dans la tête, et offraient de l’en tirer. C’est là ce qu’anciennement on appelait le vercoquin.

526 C’est-à-dire: oui, certes bien, c’est un homme.

527 C’est-à-dire, très-grossier; le bureau, ou bure, étant une étoffe de grosse laine qui paraît moins fine encore lorsqu’elle est teinte.

528 L’ordonnance commençait par recipé, c’est-à-dire prenez.

529 C’est-à-dire des mouchoirs et des chemises.

530 On dit maintenant: coq en pâte. Cette expression vient de ce qu’on met sous un panier à claire-voie la volaille qu’on veut empâter, engraisser.

531 Affaires.

532 La poche du juste-au-corps.

533 A la loterie.

534 C’est le Pogge qui fait le conte de ce médecin.

535 Le même conte se trouve dans le premier livre des Faceti e motti de Louis Domenichi.

536 C’est-à-dire qu’il se mit d’accord, d’intelligence.

537 C’est-à-dire sans l’avoir battue de la bonne manière. Donner dronos et le chaperon de même signifiait, selon La Monnoye, fouetter et mitrer un coupable. Cette expression est prise ici au figuré.

538 C’est-à-dire le diable vous aura rendu un mauvais service.

539 Forger sur l’enclume.

540 C’est-à-dire, en termes couverts, pris le déduit; par allusion à la pâte que l’on jette dans le moule à faire les gauffres.

541 C’est-à-dire qu’il jurait le nom de Dieu.

542 Débarrasser, délivrer.

543 Fatigue.

544 Testicules.

545 C’est le sujet de la 85e des Cent Nouvelles nouvelles, intitulée le Curé cloué.

546 Expéditions.

547 Ces prévôts étaient établis dans toutes les maréchaussées de France ressortissant au tribunal des maréchaux, qui avait son siége à la table de marbre du palais de Paris.

548 Arrêt.

549 Pour dérobé.

550 Pour bien, suivant la prononciation de ce prévôt des maréchaux.

551 Imité par La Fontaine: Les Lunettes, IV, 12.

552 C’est-à-dire dont il n’y avait pas une...

553 Imagination.

554 En même temps.

555 Travailler.

556 Pour fil.

557 Il faut lire certainement elle.

558 C’est-à-dire en bon point, en bon état.

559 Le Petit-Pont à Paris n’a pas changé de nom depuis la démolition du petit Châtelet, qui le séparait de la rue Saint-Jacques.

560 On appelait ainsi autrefois dans l’université de Paris les écoliers qui changeaient souvent de collége, à cause de leur ressemblance avec ces oiseaux nommés martinets, qui changent tous les ans de demeure, venant au mois de mars et s’en retournant à la Saint-Martin.

561 Pour morue.

562 C’est-à-dire lui chanta pouille, lui dit des injures.

563 C’est le nom qu’on donnait aux valets des régents de collége. Le nom de Jean était ridicule ou méprisable, à force de devenir commun.

564 Dans le sens de badin, facétieux.

565 Au lieu de per Deum, jurement déguisé. On dit encore pardienne, qui vient de per diem. Un bon curé disait que c’était le jurement de David, et le prouvait par le verset 6 du psaume 120: Per diem sol non uret te. On avait inventé dans notre langue une infinité de correctifs à ce jurement, tous plus ridicules les uns que les autres: Pardi, pardienne, pargué, parguienne, parguieu, parbieu, parbleu, pardigues, pardille, pardine, pargoi.

566 Méchante.

567 L’écolier n’avait juré que per diem; le régent, croyant, comme Laroche-Thomas, que le pluriel avait plus de force, jure per dies.

568 C’est une phrase des prédicateurs burlesques Olivier Maillard ou Michel Menot: Ponere aliquem ad metam non loqui, mettre quelqu’un en termes de ne pouvoir parler.

569 Pour rôles, rouleaux de papier, catalogues.

570 Ecoliers externes, ou qui ne demeuraient pas dans la collége, nommés alors galochers et depuis galoches, parce qu’ils portaient des galoches pour se tenir les pieds secs en allant au collége.

571 C’était sans doute l’enseigne d’un cabaret renommé dans le quartier de l’université.

572 C’est le latin infanda, dont on ne peut parler sans horreur. Il paraît que les mots détestable, exécrable et abominable n’étaient pas encore admis dans la langue usuelle.

573 La Monnoye croit devoir mettre ici là-dessus, au lieu de la déesse.

574 Le grand dictionnaire polyglotte de Calepin avait fait donner le nom de calepin à toute espèce de vocabulaires.

575 C’est-à-dire en sûreté, comme un criminel poursuivi se retirant dans certains lieux d’asile.

576 Ancien collége de Paris, fameux par la pédanterie de ses régents et par sa malpropreté. Il fut supprimé à la révolution, et ses bâtiments servent aujourd’hui de prison militaire, au coin de la rue des Sept-Voies.

577 Amorces.

578 Ce verbe doit être employé ici dans le sens de faisoit des présents.

579 En particulier.

580 Lui donna courage et espérance.

581 Considération, égard.

582 Cette expression proverbiale vient de ce que les bonnes gens attribuent des vertus merveilleuses aux herbes cueillies la veille de la Saint-Jean.

583 Pour fromage.

584 Il faisait une petite pause.

585 Exclamation, serment de femme, qui semble une ellipse de: Par mon âme, dea!

586 C’est-à-dire, en les guignant de l’œil. La vieille tour d’Étampes se nomme tour de Guignette, parce que, placée sur un monticule, elle guignait, pour ainsi dire, les environs.

587 La Monnoye met ici une note que les éditeurs ont sans doute mal lue: «Sit modo, comme si l’on écrivait soit mon, prononçant soit par sait.» Dans le vieux langage, mon se prenait quelquefois pour donc; ainsi, à savoir mon signifie à savoir donc. C’est mon équivaut à or donc, oui-dà, vraiment, etc.

588 Voyez, sur cet italianisme, une note de la Nouvelle XXV.

589 Se moquerait.

590 Quand ce fut au tour de la veuve de parler.

591 «Le blason, dit Thomas Sibilet, chap. X de son Art poétique, est une perpétuelle louange du continu vitupère de ce qu’on s’est proposé blasonner.» Épigramme, portrait satirique.

592 Pour maudissons, malédictions.

593 Ce sont les premiers mots de l’épître qui sert de préface aux Distiques de Caton.

594 Patois d’Avignon.

595 «Aimez vos parents.» C’est le deuxième précepte de Caton.

596 L’esquinancie.

597 «Portez honneur à vos proches.» C’est le troisième précepte de Caton.

598 «Fréquentez les gens de bien.» Septième précepte de Caton.

599 Imprécation mitigée par la négation n’aie. C’est comme si elle eût dit: Maugré bieu de toi.

600 Sixième précepte de Caton: «Accommodez-vous au temps.»

601 Des Periers entend par là un mauvais petit poème, De moribus in mensâ servandis, qui était alors à l’usage des basses classes, commençant ainsi:

Quos decet in mensâ mores servare docemus
Virtuti ut studeas litterulisque simul.

Jean Sulpice de Veroli, qui en est l’auteur, vivait sur la fin du quinzième siècle.

602 Ou pasquil, épigramme ou satire qu’on attachait à la vieille statue de Pasquin, à Rome, et qui bravait alors la puissance des papes.

603 En français, de Haut-Manoir. C’est celui dont on fait le conte suivant. Un jour, vantant sa noblesse: «Il suffit qu’on sache, disait-il, que je suis sorti de Haut-Manoir.—Vous! lui répondit un rieur, vous, sorti de Haut-Manoir! et comment cela pourrait-il être? votre mère était une Anglaise, de la maison de Bacon.»

604 Faible, sans consistance, malléable.

605 Arrêts.

606 Dire des sottises, comme font les bateleurs.

607 C’est le nom latin qu’avait pris Jean de Bolton, religieux de Saint-Antoine de Vienne. Son traité de Arca Noe a été imprimé pour la première fois, à Lyon, in-4o, en 1554, plus de dix ans après la mort de Des Periers, qui, par conséquent, n’a pu le citer ni avoir écrit ce conte. Voici les paroles de Joannes Buteo, page 19: Quamquam sunt qui putent mures in Arca non fuisse, et id genus similia, propterea quod ex corruptione nascantur.

608 C’est-à-dire l’un disait d’une manière, et l’autre de l’autre.

609 Griffon. C’était alors le synonyme vulgaire de greffier. Griffant est mis pour griffonnant.

610 Pour ressemblait.

611 Toutes les éditions portent que; nous nous sommes permis ce changement pour la clarté de la phrase.

612 On dit aujourd’hui dans le même sens: Défiler son chapelet. Râtelée s’entend de ce que l’on a sur le cœur.

613 Ce n’est pas une façon de parler extraordinaire, comme le dit La Monnoye, mais sans doute une faute de copiste. Nous proposons de la corriger ainsi: du prix ou du poids de 80 ou 100 écus.

614 Il entend le cinquième concile de Latran, commencé en 1512 sous Jules II, et fini en 1517 sous Léon X, dans la onzième session duquel on approuva le concordat fait entre Léon X et François Ier, en 1516, et la bulle du 19 décembre suivant, par laquelle, du consentement de François Ier, le pape révoquait et abrogeait la Pragmatique ou les libertés de l’église gallicane.

615 Cette naïveté est empruntée à Rabelais, livre III, chap. 39; lequel troisième livre de Rabelais n’a été imprimé pour la première fois qu’en 1546, deux ans après la mort de Des Periers.

616 On nommait ainsi le peuple, depuis la révolte des Jacques-Bonhomme sous Charles V.

617 Piètre ou mauvais visage.

618 C’est-à-dire grommelant, en remuant les babines, comme les singes.

619 Mécontente.

620 Les gens de guerre, et surtout les lansquenets, portaient des habits avec des crevés et des chausses déchiquetées.

621 Pour ailes; c’est-à-dire décrétales.

622 Homenas, dans Rabelais, livre IV, chap. 52, où sont reproduits ces quatre vers, dit que ce sont petits quolibets des hérétiques nouveaux. Nul auteur plus ancien que Pierre Grosnet, qui écrivait vers l’an 1536 ou 1537, n’a rapporté ce dicton.

623 Cueilleur de prunes, ou plus communément cueilleur de pommes, se dit d’un homme sans habit, qui a un tablier sale retroussé autour de lui.

624 Il vaut mieux lire rat.

625 Marchands, maîtres dans les corps de métier.

626 Quand on dit qu’un homme est fou par bémol et par bécarre, on entend qu’il l’est par nature, parce que, dans les termes de l’ancienne gamme, chanter par nature, c’est passer de B mol en B carre par nature.

627 On sait la réponse de Caton en pareille rencontre. Un homme qui portait un coffre le heurta, et tout en le heurtant lui dit: Gare. «Est-ce, lui demanda Caton, que tu portes autre chose que ce coffre?» Cicéron, livre 2, de Oratore.

628 Crocheteur de la place de Grève, à qui ses crochets tiennent lieu d’ailes.

629 Quelques éditions écrivent philofole.

630 D’Ouville, ou plutôt Bois-Robert, sous le nom de son frère d’Ouville, page 54 de la IIIe partie de ses Contes, dit que c’étaient deux jésuites qui demandaient le chemin de Pamperoux à un laboureur poitevin, lequel feignait de ne les pas entendre et ne parlait qu’à ses bœufs. Enfin, après avoir long-temps exercé la patience de ces pères, quand il sut qu’ils étaient jésuites, il leur dit qu’ils le prenaient pour un autre, et qu’il n’était pas si sot que de se mêler d’apprendre la moindre chose à des gens qui savaient tout.

631 Rien n’était plus commun parmi les Grecs et les Latins que ces sortes de souhaits.

632 Le laboureur. Cette expression vient de ce que, dans certaines provinces, on aiguillonnait les bœufs au labour avec une espèce de longue pique.

633 Ce sont des noms que les paysans du Poitou donnent à leurs bœufs, par rapport à la couleur du poil de ces animaux: garea, de varius, bigarré; frementin, pour fromentin, de couleur de froment; brichet, pour bourrichet, d’un gris tirant sut le roux.

634 Viens après moi; tu vas bien clopin clopant.

635 Pour siffle, en patois.

636 A vous échauffer jusqu’à en suer comme dans une étuve.

637 C’est-à-dire: Michel, cet homme demande le chemin de Parthenay; n’est-ce pas de ce côté-ci, en descendant?

638 Il m’est avis que c’est par deçà.

639 C’est-à-dire: Quand vous serez à cette grande croix, tournez à droite, et puis allez tout droit; vous ne pouvez manquer.

640 Voici la traduction du patois poitevin: Ce chevreau, monsieur?... le voulez-vous avec la mère? Da, il est bon, ce chevreau!... Pesez, monsieur, comme il est gras... La mère n’en a encore porté que deux... Ne voulez-vous qu’une parole? Je vois bien qu’il ne faut pas vous surfaire... Ma foi! il ne vous coûtera pas moins de cinq sous et demi.

641 Patois, idiome.

642 Village à trois lieues de Châtelleraut et autant de Poitiers.

643 Chasse au courre et au vol.

644 La merdé! j’ai vu le roi d’aussi près qu’aucun: il a le visage comme un homme; mais je parlerai à ce beau sergent qui mit avant-hier ma charrette et mon bœuf en la main du roi. La merdé! il n’a pas la main plus grande que moi.

645 C’est une des principales églises de Poitiers, qui compte saint Hilaire au nombre de ses premiers évêques.

646 A l’Université, avec ou comme les grimauds.

647 Compatriotes, en patois poitevin. Caméristes, c’est-à-dire en chambre, à l’enseigne du Bœuf couronné.

648 Rapetassés.

649 C’est-à-dire: A mon fils Michel... au Roi des bœufs ou auprès... Michel, mande-moi lequel c’est qui est mort, de ton frère Guillaume ou de toi; car j’en suis en une grande peine. Du reste, je veux bien t’avertir qu’on dit que notre évêque est à Dissai: vas-y pour prendre couronne (tonsure de prêtre); et la prends bonne et grande, afin qu’il n’y faille pas retourner à deux fois.

650 Château en Poitou, sur le Clain.

651 En poitevin, c’est Poitiers.

652 Mon père, je vous avertis que ce n’est pas moi qui suis mort; mais c’est mon frère Guillaume: il est bien vrai que j’étais plus malade que lui, car la peau me tombait comme à un cochon.

653 Contredire, disputer.

654 Les proverbes n’étaient pas favorables aux gentilshommes de cette province. On disait: Gentilhomme de la Beauce, qui garde le lit quand on refait ses chausses, et qui vend ses chiens pour avoir du pain.

655 En patois beauceron, chaudeau.

656 Ou gobets, morceaux.

657 Péter.

658 Pour en voilà.

659 Messire Jean Melaine ressemble assez au carme de la 83e des Cent Nouvelles nouvelles.

660 Gorger, rassasier.

661 Aujourd’hui cellerier.

662 A l’office.

663 C’est-à-dire avec l’impatience d’un chasseur qui entend le son du cor et le cri des chiens.

664 Atteindre se prend ici pour aveindre.

665 Un pain, non pas de la qualité, mais de la grosseur de ceux qu’on coupe par morceaux pour la soupe des lévriers.

666 Mesure à vin, ainsi appelée parce qu’elle tient quatre chopines.

667 La Guiche, valet de pied du prince de Condé, Henri de Bourbon, deuxième du nom, gagea de manger une éclanche pendant que midi sonnerait, pourvu qu’auparavant elle fût coupée en morceaux, et gagna la gageure. Il est fait mention de ce La Guiche dans une gazette bouffonne imprimée à Dijon en 1633: L’art admirable de La Guiche pour manger méthodiquement un membre de mouton pendant que douze heures sonnent.

668 On a dit depuis: Comme fit le roi François Ier devant Pavie. Ce proverbe: comme fit le roi devant Arras, vient de ce qu’en 1477 Louis XI, indigné contre les habitants d’Arras, fit tirer jusqu’à la dernière pièce de son artillerie sur leur ville, pour se venger de leurs insolences.

669 Il vaut peut-être mieux lire pierre, comme portent plusieurs éditions. On appelait pierre toute espèce de boulet, parce que les premiers boulets de canon furent en effet des pierres de grès arrondies.

670 C’étaient des pois cuits seulement avec de l’eau, du sel et de l’huile.

671 Pour morue.

672 C’est-à-dire qu’il ne lui fit point de grâce, parce que, en termes de chancellerie romaine, quand on dit qu’une provision est expédiée en forme commune, on entend qu’elle est expédiée sans grâce, sans privilège.

673 Allusion à patenôtre, Pater noster.

674 Cuirasse de brigand.

675 Casques. On les appelait morions à cause de leur couleur noire.

676 Arquebuses.

677 La caque était un quart de muid.

678 La Monnoye aurait dû nous apprendre quel est ce roi Cambles ou Cambletes. Je crois plutôt que ce nom est altéré, ainsi que la phrase qui termine cette Nouvelle: il s’agit peut-être de Candaule, roi de Lydie, de la famille des Héraclides, qui, une nuit, fit cacher son favori Gigès dans la chambre de la reine et la lui montra nue; ce qui amena sa perte, par vengeance de cette princesse outragée et non mangée.

679 Commencement d’une ancienne chanson.

680 Le vrai nom de cette famille était Gédoin. Voyez les Bigarrures, du seigneur des Accords (Tabourot), au chapitre des Anagrammes. Jean Gédoin était fils de Robert Gédoin, seigneur du fief nommé le Tour, et secrétaire de Louis XI, Charles VIII, Louis XII et François Ier.

681 Ce mot, qui nous est inconnu et qui ne figure dans aucun dictionnaire, équivaut peut-être à la locution usitée aujourd’hui: de ce pas. On pourrait lire aussi empêche, empêchement; emprise, entreprise, et empenne, plumes qui garnissent une flèche.

682 C’est-à-dire prendre au dépourvu. Allusion à un vieil usage selon lequel il ne fallait pas se montrer sans un rameau ou une feuille verte le premier jour de mai, sous peine de payer l’amende aux plaisants et de recevoir des avanies. Il y a une comédie de La Fontaine intitulée: Je vous prends sans vert.

683 Godé, en patois de Dijon, pour guedé, rouge de vin; ou godet.

684 Ou à sa manière, ou bien une fois dans sa vie.

685 Expression figurée, obscène, empruntée à Rabelais.

686 Doit-on lire face, comme dans d’autres éditions?

687 C’est-à-dire qu’on l’allonge ou raccourcit tant qu’on veut.

688 La salle de l’École de droit à Poitiers, où se lisaient les Institutes, s’appelait la Ministrerie. Florimond de Rémond, livre VII, chap. 11 de son Histoire de l’hérésie de ce siècle, en parlant d’Albert Babinot, un des premiers disciples de Calvin, dit qu’il avait été lecteur des Institutes en cette Ministrerie de Poitiers, et Calvin et d’autres le nommèrent M. le ministre; d’où ensuite le même Calvin prit occasion de donner le nom de ministres aux pasteurs de son Eglise.

689 Retiré.

690 Pour viendras-tu.

691 Pour boiras.

692 Pour voudras.

693 Ne buvait pas tant.

694 Boutique, étal.

695 Bosse.

696 Ceinture de métal, d’argent ordinairement.

697 C’est-à-dire la bouche.

698 Ce proverbe érotique est ancien dans la langue italienne, d’où il est tiré. Il se trouve dans Boccace, Journée VII de son Décameron, Nouv. 8, où Antoine Le Maçon a rendu la dansa trivigiana par la danse de l’ours, proverbe français équivalant, au lieu duquel on a dit depuis plus communément, et peut-être par corruption, la danse du loup.

699 Pour verre.

700 Petits flans.

701 Ce sont les idées mêmes de l’ancienne chanson bachique qui commence ainsi: Aussitôt que la lumière.

702 Danse où les danseurs s’embrassaient.

703 Caresse, baiser à la manière des pigeons.

704 Poursuivre, actionner, demander raison à.

705 Intermédiaires, entremetteurs.

706 La règle de saint François défendait aux cordeliers de porter de l’argent sur eux.

707 C’est-à-dire quand il y a matière, quand il le faut.

708 Pour accusa.

709 Bourses, escarcelles qu’on portait pendues à la ceinture.

710 A Toulouse, la place où se tient le marché s’appelle la Pierre, et en langage du pays, la Peyre.

711 Gueux, mendiant, chargé d’une poche ou besace.

712 Il faut lire tournement ou tournoiement, quoique toutes les éditions aient tourment.

713 Les Toulousains prononcent ainsi et appellent escloupet, petit sabot. On pourrait croire que le bruit qu’on fait en marchant avec ces esclops ou éclots leur a formé ce nom par onomatopée.

714 Élégance, recherche de parure.

715 Selon La Monnoye, ce mot est écrit à la gasconne, pour fillot, garçon, d’où l’on a fait filou.

716 François Dupatault, sieur de la Voulte, prévôt de l’hôtel du roi en 1545. Il est parlé de lui dans les Annales d’Aquitaine de J. Bouchet et dans l’Apologie pour Hérodote, ch. 17.

717 Ou bien en point, habillés comme il faut.

718 C’est-à-dire gens dévots, qui servent volontiers des messes, plient les chasubles, les corporaux, parent les autels, etc.

719 Cette expression s’entend de ces gens qui ont la mine trompeuse et qui cherchent à tromper le monde comme de vrais marchands.

720 C’est-à-dire la peur. On disait proverbialement la fièvre de Saint-Vallier, en mémoire de celle qui fit blanchir en une seule nuit les cheveux du seigneur de Saint-Vallier, un des complices du connétable de Bourbon, sous François Ier.

721 Le bourreau.

722 C’est un jurement affirmatif. On a dit: Par saint Jean! saint Jean! Jean! ah Jean! et à Jean!

723 En ce temps-là on portait la bourse pendue à un cordon en forme de baudrier sous l’aisselle gauche, d’où on la tirait quand on en avait besoin. «On la mettait, dit-il dans le conte suivant, par une fente qui était en la manche du sayon ou du pourpoint.»

724 Pour attentif.

725 Tout-à-coup, à l’improviste.

726 Allusion au jeu du métier deviné, où, quand on n’a pas deviné juste, on retourne se cacher, en attendant qu’on prépare la représentation d’un autre métier.

727 Coupeurs de bourses, parce que la plupart des bourses étaient de cuir et attachées à des courroies.

728 Pour dessiner ou désigner.

729 On dit maintenant emmieller.

730 Préparé, mis en avant, prétexte.

731 C’est-à-dire il tranche court, il finit la conversation. Couper la queue se disait autrefois du joueur qui ne voulait point donner de revanche après avoir gagné la partie.

732 Devant l’officialité, tribunal de l’évêque.

733 Parce que le prévôt riait aux dépens du criminel, de même que l’hôtelier rit aux dépens de son hôte.

734 C’est le nom qu’on a originairement donné aux voleurs qui habitaient les monts Pyrénées, vraisemblablement parce qu’ils allaient par bandes. On a depuis entendu par ce nom toute sorte de voleurs.

735 Guillaume Bouchet, qui rapporte le même fait, Serée 14, l’a tiré de ce conte.

736 Au propre, visage d’âne; mais le peuple donnait un sens obscène à ce terme injurieux, parce que le vieux mot vis, en gascon viet, n’était plus usité dans le sens de visage.

737 Ou quincailles, quincailleries.

738 Tombant, descendue.

739 Ayant l’épaule disloquée.

740 Pour égratigner.

741 Le diable.

742 En langage de vilain.

743 Ce gasconisme s’est conservé jusqu’au dix-septième siècle, puisque Ménage le reproche aux gens de la chambre des comptes de son temps.

744 Voyez une note sur ce mot dans la Nouvelle XII.

745 Enlèvement de meubles, d’objets nécessaires.

746 Beroalde de Verville, au ch. 31 de son Moyen de parvenir, prétend qu’il faut dire: Il souvient toujours à Martin de sa flûte, et fait là-dessus un conte. D’autres rapportent l’origine du proverbe à un biberon nommé Robin, accoutumé à ces verres appelés flûtes, qui tiennent chopine. «Le compagnon, disent-ils, étant devenu goutteux, n’osait plus, de peur d’augmenter ses douleurs, boire son vin que trempé; ce qui était cause que toutes les fois qu’il buvait il se souvenait de ses flûtes et les regrettait.» Mais l’origine la plus vraisemblable de ce proverbe se trouve dans la 76e des Cent Nouvelles nouvelles, intitulée la Musette.

747 Équivoque sur le mot saint.

748 Petits coqs.

749 Poules.

750 Pour accueil.

751 Il faut lire sans doute par.

752 La Monnoye croit que ce mot est pris pour affoulées, foulées, c’est-à-dire éreintées, estropiées.

753 Cette nomenclature érotique est imitée presque mot à mot d’une épigramme de Clément Marot.

754 Besiat, ou beziat, est un mot languedocien qui signifie douillet, mignard.

755 Pour la lancer.

756 Air, façon de page.

757 C’est un conte qui se trouve au livre 2 du Cortegiano de Baltazar de Castiglione. Un gentilhomme, à qui ce singe appartenait, jouant un jour contre lui aux échecs, en présence du roi de Portugal, perdit la partie; ce qui le mit si fort en colère, qu’ayant pris une pièce des échecs, il en donna un grand coup sur la tête du singe. L’animal, se sentant frappé, fit un cri; et se retirant dans un coin, semblait, en remuant les babines, demander au roi justice de l’injure qui lui avait été faite. A quelque temps de là, son maître, pour faire la paix, lui demanda revanche: le singe se fit beaucoup prier pour y consentir; enfin il se remit au jeu, où il ne manqua pas, de même que la première fois, d’avoir bientôt l’avantage. Mais, jugeant à propos de prendre ses sûretés, il saisit de la main droite un coussin et s’en couvrit la tête pour parer le coup qu’il appréhendait de recevoir, tandis que de la main gauche il donnait échec et mat au gentilhomme; après quoi, il alla gaillardement faire un saut devant le roi en signe de victoire.

758 Exalter.

759 Oppien, livre II de la Chasse, attribue aux éléphans un langage articulé semblable à la voix humaine; et Christophe Acosta dit à peu près la même chose des éléphans du Malabar. Il cite même l’exemple d’un de ces animaux, qui fut requis par le gouverneur de la ville de Cochin de prêter son concours à la mise à flot d’une galiote du roi de Portugal, et qui répondit très à propos et très-intelligiblement: Hoo, hoo; ce qui, dans la langue du pays, signifiait qu’il le voulait bien.

760 Hygin, dans son poème astronomique, livre II, chap. 23, raconte que l’âne sur lequel Bacchus passa certain marais de Thesprotie reçut, en récompense de ce service, le don de la parole.

761 Il semble que cela regarde Guilio Camillo Delminio, inventeur d’une mnémonique à l’aide de laquelle il se faisoit fort, dans l’espace de trois mois, de rendre un homme capable de traiter en latin quelque matière que ce fût, avec toute l’éloquence de Cicéron. François Ier, auprès de qui, en 1533, il trouva moyen d’avoir accès, lui fit donner six cents écus et le chargea de rédiger son invention par écrit; ce que Jules, mort en 1544, n’a exécuté que fort imparfaitement dans deux petits traités assez confus qu’il a laissés, l’un intitulé Idea del theatro, l’autre Discorso in materia di esso theatro. Étienne Dolet, dans ses lettres et dans ses poésies, a parlé de cet Italien comme d’un escroc qui avait pris le roi pour dupe.

762 Jeu de mots sur mine, figure, air d’une personne, et mine, mesure de grains contenant six boisseaux de Paris.

763 Occupé autour du singe.

764 Ce fut vers la fin du règne de François Ier et après le mariage de Catherine de Médicis avec le dauphin, depuis roi de France sous le nom de Henri II.

765 Instruction de singe. Mot fait à l’imitation de cyropédie, instruction de Cyrus. La Monnoye fait observer que le mot de cyropédie ayant été créé par Jacques des comtes de Vintimille, traducteur de l’Institution de Cyrus par Xénophon, et cette traduction n’ayant été imprimée pour la première fois qu’en 1547, on peut juger que Bonaventure Des Periers, mort avant 1544, n’a pu prendre cyropédie pour le modèle de singéopédie.

766 C’est la morale de la fable de La Fontaine.

767 Tandis pour cependant se disait encore du temps de Malherbe.

768 Joubert, dans son traité du Ris, fait un conte à peu près semblable d’un médecin qui avait un singe. Il dit que ce médecin étant dangereusement malade, ses domestiques crurent qu’il n’en reviendrait pas. Dans cette pensée, craignant peut-être qu’ils ne fussent mal payés de leurs gages, ils délibérèrent de se payer eux-mêmes par leurs mains. L’un s’empara d’une courtepointe, l’autre d’un tapis, l’autre d’un paquet de linge; chacun se munit de quelque pièce. Le singe, attentif à leurs mouvements, prit de son côté la robe rouge et le bonnet de son maître; et celui-ci, le voyant se carrer dans cet équipage, trouva la chose si plaisante, qu’il ne put s’empêcher d’en rire aux éclats. Par l’effet de ce rire, une chaleur bienfaisante venant à se répandre dans tout son corps, la nature reprit des forces, et peu de temps après il guérit entièrement.

769 On trouve très-souvent l’expression de lieutenant du mari dans les Cent Nouvelles nouvelles.

770 Imité des Cent Nouvelles nouvelles, XLVII.

771 Invitation, avance.

772 Quant à moi.

773 Couplet de quelque chanson de ce temps-là.

774 Qui lui est propre.

775 Mis en avant.

776 Les vacances des cours souveraines. Ce mari était donc un magistrat ou un avocat.

777 Naudé, dans ses Considérations sur les coups d’Etat, trouve, par rapport à la matière de son livre, l’invention de ce médecin parfaitement bien imaginée.

778 C’est ici que finissent les Contes attribués à Bonaventure Des Periers. Les suivants sont de ses éditeurs, qui les ont empruntés la plupart, presque textuellement, à d’autres conteurs, tels que Henri Estienne, Noël du Fail, etc.

779 Imité de l’Apologie pour Hérodote, par Henri Estienne, chap. 15.

780 Pour pelaudez, battez, écorchez, prenez au poil et à la peau.

781 Imité des Cent Nouvelles nouvelles, LXXIX, l’Ane retrouvé, et reproduit dans les Serées de J. Bouchet, serée 10, et dans le recueil des Plaisantes Nouvelles, nouvelle 58.

782 Rabelais dit dans son Pantagruel, livre II, chap. 1: «Autres croissent par les oreilles, lesquelles tant grandes avoient, que de l’une faisoient pourpoint,» etc.

783 Défilés, vallons.

784 Jeu de mots sur âne et hennir, qu’on écrivait hannir.

785 Recouvré, retrouvé.

786 Ce conte se trouve aussi dans les Plaisantes Nouvelles, nouvelle 14.

787 Jusqu’à la philosophie occulte.

788 Femme de médecin.

789 Près de.

790 Imité d’Érasme in Convisio fabuloso, et répété par Henri Estienne dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 15.

791 Ce passage nous apprend qu’au seizième siècle on donnait d’abord le nom de bottines à des espèces de guêtres en cuir, et que, par extension, ce nom avait été appliqué à des demi-bottes.

792 On lit un conte à peu près semblable dans le Recueil de divers Discours, imprimé à Poitiers, in-4o, en 1556.

793 Il vaut mieux lire guère.

794 Ce sont les titres des dictionnaires latins en usage à cette époque dans les classes.

795 Pour balayer.

796 Dans la fameuse Épître au roi pour avoir été dérobé.

797 Recueilli aussi dans les Plaisantes Nouvelles, 68. Voyez sur Triboulet la 3e Nouvelle de Bonaventure Des Periers.

798 C’est-à-dire, sans doute, quelque folie dont il assommait les auditeurs.

799 Marotte, sceptre de fou.

800 Le Domenichi, dans son recueil imprimé à Florence l’an 1548, rapporte un fait analogue sans nommer Triboulet.

801 Elle eut lieu vers l’année 1537, puisque son épitaphe se trouve dans les poésies latines de Jean Voulté, publiées en 1538.

802 Ce conte, tiré du vingtième sermon de l’Avent par Olivier Maillard, a été traduit textuellement par Henri Estienne, au chap. 6 de l’Apologie pour Hérodote.

803 Imité du Recueil de divers Discours, imprimés à Poitiers, in-4o, en 1556.

804 C’est-à-dire préparant sa pendaison.

805 Ce conte se trouve aussi dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 39; Henri Estienne nomme ce conseiller Godon.

806 Qui copie, imite, contrefait plaisamment, comme les copieux de La Flèche, qui font plus haut le sujet de deux Nouvelles.

807 Ce conte est tiré presque mot à mot du sixième et quatorzième chapitre des Propos rustiques de Noël du Fail.

808 Cette mode date du règne de Charles VI, vers 1390.

809 Il faut rétablir ce passage d’après le texte même des Propos rustiques: «La foi des femmes vers les hommes étoit inviolable; et n’étoit aussi loisible aux hommes, fors de jour ou de nuit, vers leurs prudes femmes l’enfreindre. Ainsi, etc.»

810 Oies mâles.

811 Se sèche comme du foin.

812 Raconté aussi par Henri Estienne, dans son Apologie pour Hérodote, chap. 36.

813 Il se nommait Le Coq et était curé de Saint-Eustache et chanoine de Notre-Dame. Il passait pour un savant théologien.

814 C’est-à-dire en haine.

815 Plaisant.

816 Fripon. Le nom du poète Villon était un sobriquet que François Corbeuil devait à ses vols.

817 Recueilli dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 15.

818 Des demi-pistoles.

819 Batelier, gondolier.

820 Boutades, bons mots.

821 Irlandais.

822 Avoir de l’entregent.

823 Habitants de l’île de Micone. C’est Érasme qui fait le portrait de ces parasites.

824 Faméliques.

825 Assemblées, festins.

826 Se rassasier.

827 Mangeait. On dit encore familièrement: casser des croûtes.

828 Voyez ce conte dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 16.

829 C’est-à-dire monts et merveilles.

830 Il semble que l’on a dû dire perot pour perroquet, qui se nommait autrefois papegai; mais perot doit plutôt s’entendre d’un de ces moines gaillards qu’on appelait pères ou beaux pères.

831 Recueilli aussi par Henri Estienne, chap. 15 de l’Apologie pour Hérodote.

832 Rapporté par Henri Estienne, chap. 17 de l’Apologie pour Hérodote.

833 On disait plutôt mettre sus.

834 Voyez encore l’Apologie pour Hérodote, chap. 36.

835 Étudié, médité, travaillé.

836 Henri Estienne ajoute: au pont d’Antoni.

837 Gros cheval pour porter une malle ou valise.

838 Imité de Jean-Jovien Pontan, et de Chassaneus, partie XIe du Catalogus gloriæ mundi, considér. 48.

839 C’est Nicolas III, marquis d’Est et de Ferrare, qui vivait au quinzième siècle, et qui fut un des princes les plus estimés de son temps.

840 Nous avons, pour le sens, changé ainsi le texte original, qui porte à fois.

841 Tours de passe-passe. On appelait ainsi les danses vives et pétulantes, accompagnées de beaucoup de passes ou figures.

842 Rapporté aussi par Henri Estienne, chap. 15 de l’Apologie pour Hérodote.

843 Henri Estienne nous apprend que ce fut M. de Nevers; sans doute François de Clèves, premier du nom, duc de Nevers, né en 1516, mort en 1566.

844 Henri Estienne a supprimé ce mot, qu’il n’entendait peut-être pas, et qui doit signifier fatigué, usé, défiguré, dans le sens de l’expression populaire: Il a rôti le balai.

845 L’île de Terre-Neuve fut découverte en 1504 par des pêcheurs normands, et François Ier y envoya, en 1524, Jean Vérazzan pour en prendre possession.

846 Fiel, cœur.

847 Il faut lire sans doute par fourrière, remise préventive sous la garde de la justice.

848 Mordu.

849 Locution proverbiale, signifiant qu’il lui arriva malheur.

850 Recueilli aussi dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 18, où ce gentilhomme est nommé d’Avenchi.

851 L’édition de La Monnoye porte ayant, ce qui fait une phrase mal agencée.

852 Henri Estienne écrit particulière.

853 Partager.

854 Imité des Cent Nouvelles nouvelles, LXIV, le Curé rasé, et rapporté aussi par Henri Estienne, chap. 15.

855 C’est-à-dire, il était convenu en secret avec lui.

856 Semblant.

857 C’est-à-dire dans ses lacs.

858 Imité du Décamerone de Boccace, Nov. 5, Giorn. III; des Cent Nouvelles nouvelles, et recueilli aussi par Henri Estienne, chap. 15. Le conte du Magnifique, parmi ceux de La Fontaine, a quelque analogie avec celui-ci.

859 Maladie d’esprit, vertigo, ver-coquin.

860 Voyez une nouvelle à peu près semblable dans Bebelius, Facet. II, 136; et dans Le Domenichi, Facetie e Motti, l. 3.

861 Voyez la même anecdote dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 16, où le chancelier cardinal Duprat est désigné comme l’auteur de ce coq-à-l’âne, ainsi qu’on disait alors.

862 Pour provision.

863 Rapporté aussi par Henri Estienne, dans l’Apologie pour Hérodote, chap. 36. Ce curé est celui de Brou, que Bonaventure Des Periers nous a déjà fait connaître dans plusieurs contes.

864 Arrangerais.

865 Cette dernière phrase est imitée des bateleurs et des charlatans, qui, après avoir annoncé leur marchandise ou leurs tours, disent à leurs musiciens de sonner une fanfare.

866 Recueilli par Henri Estienne, chap. 15 de l’Apologie pour Hérodote.

867 C’est-à-dire les écus.

868 Créancier, prêteur.

869 Éloigner, écarter.

870 Cette nouvelle se trouve aussi dans le Recueil de plaisantes Nouvelles, page 249.

871 Pour dépensaient.

872 Charles de Lorraine, archevêque et duc de Reims, cardinal, fils de Claude de Lorraine, premier duc de Guise. Il naquit en 1524 et mourut en 1574.

873 Recueilli également par Henri Estienne, chap. 15 de l’Apologie pour Hérodote.

874 Contenance, maintien, mine.

875 Complice.

876 Cette anecdote est aussi racontée par Henri Estienne, ch. 18 de l’Apologie pour Hérodote.

877 Imité du Pogge, conte 259.

878 Pour dépensé.

879 Imité des Cent Nouvelles nouvelles, LXXXVI, la Terreur panique, ou l’official juge, et raconté aussi dans les Nouvelles plaisantes, p. 198.

880 Dans le sens de être agréable.

881 Le tribunal de l’officialité.

882 Il vaut mieux lire pour.

883 C’est-à-dire eut peur.

884 François Ier, qui aimait les lettres et surtout la poésie, parce qu’il y réussissait aussi bien que ses poètes pensionnaires.

885 Si délibérée, dégagée.

886 La plupart des maladies étaient placées chacune sous la protection spéciale d’un saint. Saint Eutrope passait pour guérir l’hydropisie.

887 Pierre Arétin, natif d’Arezzo, fameux satirique, qui força tous les princes de son temps à acheter son silence, composa dans sa jeunesse les ouvrages les plus licencieux et les plus impies, et, dans sa vieillesse, les plus dévots et les plus mystiques.

888 Bernard Accolti, d’Arezzo, fils de l’historien Benoit Accolti, fut surnommé l’Unico Aretino, à cause de son merveilleux talent pour improviser en vers; et pourtant on ignore l’époque de sa naissance et de sa mort. Il était en grand honneur à la cour du pape Léon X; mais ses poésies imprimées ne justifient guère sa réputation.

889 Il avait fait graver une médaille à son effigie avec cette légende: Il divino Aretino. Il se vantait d’ailleurs d’être aussi puissant que Dieu, auquel il ne croyait pas.

890 Cette expression proverbiale est empruntée au jeu des échecs, où la tour se nommait autrefois roc.

891 Ce n’est point dans la préface d’une comédie que l’Arétin parle de cette chaîne, mais dans la scène 7 du troisième acte de sa Corrigiano. En outre, il ne dit ni comment cette chaîne était faite ni pour quel motif elle lui avait été donnée; mais seulement que, si le roi ne l’eût arrêté avec cette chaîne, il allait prendre le parti de se retirer à Constantinople auprès de Louis Gritti. Cette comédie, d’ailleurs, ayant été imprimée dès 1530, la chaîne dont il s’agit, quoique promise, n’avait pas encore été envoyée, et ne le fut que trois ans après.

892 En 1556.

893 Maniaque, bizarre, poète enfin.

894 Doucement.

895 Les charges étaient vénales en France.

896 Bonne renommée.

897 Ces vers sont extraits de la version de Théodore de Bèze.

898 Au figuré, les fantaisies, désirs d’amour, convoitises.

899 Ce conte est tiré du roman italien d’Erasto intitulé en latin Historia septem sapientum Romæ.

900 Chapelain, prêtre.

901 Affligé, tourmenté, crucifié.

902 En outre, de plus.

903 Alors que.

904 C’est-à-dire pour seconder, favoriser.

905 Ce conte est tiré in Parabosco, journée 1, nouv. 2. Il fait un des plus plaisants épisodes de la nouvelle de Scarron intitulée la Précaution inutile. La Fontaine l’a mis en vers sous ce titre: le Gascon puni, II, 13.

906 Sérénades.

907 A contre-cœur, malgré eux.

908 Récompense, prix.

909 Cette nouvelle est tout-à-fait différente du conte de Perrault, qui a lui-même une source très-ancienne.

910 Vis-à-vis de soi.

911 Pour mirent en avant.

912 S’arrêtant.

913 Auprès de.

914 Cri des charretiers pour faire avancer leurs chevaux; c’est-à-dire va.


FIN.


Paris.—Imprimerie de Me Ve Dondey-Dupré, rue Saint-Louis, 16, au Marais.






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Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of
computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
from people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
www.gutenberg.org



Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
volunteers and employees are scattered throughout numerous
locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
date contact information can be found at the Foundation's web site and
official page at www.gutenberg.org/contact

For additional contact information:

    Dr. Gregory B. Newby
    Chief Executive and Director
    gbnewby@pglaf.org

Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment. Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements. We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
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While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations. To
donate, please visit: www.gutenberg.org/donate

Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.

Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
freely shared with anyone. For forty years, he produced and
distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
volunteer support.

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