The Project Gutenberg EBook of Le pain dur, by Paul Claudel

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org/license


Title: Le pain dur
       Drame en trois actes

Author: Paul Claudel

Release Date: January 23, 2016 [EBook #51013]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAIN DUR ***




Produced by Winston Smith. Images provided by The Internet Archive.





PAUL CLAUDEL

LE PAIN DUR

DRAME EN TROIS ACTES


nrf

PARIS

ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

35 & 37 RUE MADAME 1918


TABLE DES MATIÈRES

NOTE
PERSONNAGES
ACTE PREMIER
ACTE DEUXIÈME
ACTE TROISIÈME


NOTE

Dans ce drame, qui a, comme partie de son sujet la Rupture des barrières et la Rencontre des races, des Juifs ne pouvaient pas ne pas figurer. C'est à eux peut-être que ce congé de leur antique assujettissement rituel et juridique, leur relèvement de leur poste de témoins, posait la question la plus grave. Si Ali et sa fille paraissent au lecteur antipathiques,—pas plus que mes autres personnages,—je ne veux pas qu'on voie là de ma part l'indice d'aucun jugement général et sommaire. Ce sont là des figures commandées par le drame, rien de plus, et dont je n'ai été que le premier spectateur. Le fait Juif est trop grand et trop magnifique, le peuple Juif est trop important au regard de Dieu, pour qu'il soit possible d'en traiter de cette manière épisodique.

J'ajoute que c'est parmi les Juifs que j'ai rencontré quelques uns de mes meilleurs amis. Je ne voudrais faire de peine à aucun d'eux, à aucun de ces vrais Israélites dont les fils et les frères ont versé leur sang pour la France, et leur demande de ne pas juger de mes intentions hâtivement.

P. C.

Et dixi: Non pascam vos: quod moritur, moriatur; et quod succiditur, succidatur: et reliqui devorent unusquisque carnem proximi sui.

Zach. proph. xi, 9.

Insipientes, incompositos, sine affectione, absque fœdere, sine misericordiâ.

Rom. i, 31.


PERSONNAGES

TURELURE

SICHEL

LUMÎR

LOUIS

ALI HABENICHTS


ACTE PREMIER

SCÈNE I

L'Ancienne bibliothèque du monastère cistercien de Coûfontaine, telle qu'elle est décrite à l'acte I de «L'OTAGE». Tous les livres on été enlevés des rayons et on en voit des piles ça et là sur le plancher. Désordre et poussière; aux fenêtres, par places, carreaux remplacés par du papier. Le grand crucifix de bronze a été descendu, on le voit appuyé contre le mur. A sa place et au-dessus, le portrait du Roi Louis-Philippe, en uniforme de la Garde Nationale, grosses épaulettes et pantalon de Casimir blanc.—Au dehors, Novembre.

Au lever du rideau, SICHEL et LUMÎR[1] assises. LUMÎR en habit d'homme, grande redingote à brandebourgs. On entend TURELURE qui pérore dans la pièce voisine.


VOIX DE TURELURE—... la Monarchie constitutionnelle; traditionnelle par son principe, moderne par ses institutions!

(Applaudissements).

SICHEL—C'est moi qui ai trouvé cette phrase, ça a toujours du succès! Il place ça partout.

VOIX DE TURELURE—Te te te te te ... le développement des ressources nationales qui marche de pair avec le progrès des lumières et d'une sage liberté! Et ceci me ramène, Messieurs à l'événement qui fait l'objet de notre réunion. Aujourd'hui la voie ferrée touche Coûfontaine! Demain, par la vallée de la Marne au delà des Vosges elle atteint le Rhin, elle rejoint l'Orient! Notre main au-delà des frontières va saisir celle que nous tend l'Allemagne fraternelle. Ah, pardonnez son émotion à un vieux militaire! Ce que notre jeunesse a rêvé, ce que n'ont pu faire nos armes et le génie d'un grand homme, la science le réalise! D'un pays à l'autre se fait en paix l'échange des produits, des idées et des plus nobles sentiments. Et pour nos campagnes mêmes, quel avenir! Notre agriculture trouve des débouchés faciles, tout entre en exploitation, les villes encombrées se dépeuplent au profit des champs et leur envoient de joyeux bataillons de travailleurs! Plus de chômage, plus de bras inoccupés! L'industrie allume de toutes parts ses foyers, partout s'élèvent les cheminées des sucreries! Et moi aussi, Messieurs, moi-même, oui, je veux donner l'exemple. Cette terre, cette maison, ce bien héréditaire de notre antique famille, je veux les consacrer au développement de nos forces économiques. Ce monastère va devenir une papeterie. Là où jadis de bien intentionnés ecclésiastiques, dont les plus vieux d'entre vous se souviennent sans doute avec attendrissement, élevaient en l'honneur de la Divinité une voix respectable, mais inutile, va retentir le bruit joyeux des machines et des trémies. Le travail n'est-il pas la meilleure des prières, celle qui est la plus agréable au Créateur? Oui. Mais à qui devons-nous ces bienfaits? à qui, Messieurs? ne l'oublions pas: au Souverain réparateur, qui, sauvant la France de vaines agitations de la démagogie est venu définitivement implanter sur notre sol la Monarchie Constitutionnelle, traditionnelle par son principe, moderne par ses institutions!

(Silence. Puis faibles applaudissements).

SICHEL—Il oublie qu'il l'a déjà dit.

VOIX DE TURELURE.—Messieurs, je lève mon verre en l'honneur de Sa Majesté Louis Philippe Premier, Roi des Français! Vive le Roi et son auguste famille!

(Applaudissements, brouhaha).

SICHEL—Vous me direz que cela ne vous rend pas vos dix mille francs.

LUMÎR—Patience, je les aurai.

SICHEL—Vous croyez que dix mille francs, ça ressort comme ça tout seul?

LUMÎR—Monsieur le Comte est riche.

SICHEL—Pas tant que vous le pensez. Son désordre égale son avarice,

Qui ne le cède qu'à son improbité. Ah, c'est un grand seigneur!

Et vous croyez que parce qu'on est riche, on a de l'argent comme ça à donner? Votre simplicité m'étonne.

Plus l'argent travaille, plus il est difficile de le déranger. Tout est retenu d'avance.

Et ce n'est pas au moment qu'il va construire cette papeterie qu'il peut se passer de monnaie.

LUMÎR—Je sais qu'il a touché de l'argent de votre père.

SICHEL—Oui, vous savez cela? C'est vrai, il a touché vingt mille francs.

LUMÎR—Pour la propriété de l'Arbre-Dormant.

SICHEL—L'antique manoir des Coûfontaine!

Un joli marché que fait mon père! Quelques pans de murs en ruine et des champs de sable! plus, un moulin.

LUMÎR—Mais c'est là que l'embranchement de Rheims va s'accrocher.

SICHEL—Vous êtes bien renseignée.

LUMÎR—J'aurai donc ces vingt mille francs.

SICHEL—C'est vingt mille francs maintenant qu'il vous faut?

LUMÎR—Dix mille francs que j'ai prêtés,

Et dix mille qui sont nécessaires à Louis pour l'échéance.

SICHEL—Cela peut le tirer d'affaire?

LUMÎR—Et lui permettre d'attendre la moisson qui sera belle,—il a plu,—

Et ses rentrées pour fournitures au Corps d'occupation.

SICHEL—C'est sérieux? Louis a fait quelque chose là-bas?

LUMÎR—Trois cents hectares aux portes d'Alger conquis sur les marais de la Mitidja!

Qui commenceront à rendre.

Notre père ne va pas laisser tout cela aller aux Juifs pour dix mille francs.

SICHEL—Vous dites: notre père?

LUMÎR—Louis m'épouse, vous le savez.

SICHEL—Je le sais, il me l'a écrit.

LUMÎR—Il vous écrit?

SICHEL—Pauvre garçon! J'ai de la sympathie pour lui, il le sait.

Je lui rends les services que je puis.

LUMÎR—Vous lui devez bien cela.

SICHEL—Comment est-ce que je lui dois bien cela?

LUMÎR—Toute sa fortune a passé aux mains de votre père.

SICHEL—Est-ce de ma faute ou celle de mon père,

Si M. le Capitaine Louis-Napoléon Turelure-Coûfontaine

S'est mis en tête de conquérir les marais de la Mitidja (trois cents hectares aux portes d'Alger)?

Je dis qu'il doit de la reconnaissance au vieux Habenichts.

Et d'ailleurs, l'argent n'est pas sorti de la famille.

LUMÎR—Je le sais.

SICHEL—Votre père, comme vous dites, n'est nullement étranger aux petites opérations du mien.

LUMÎR—C'est pourquoi je dois avoir mes dix mille francs.

SICHEL—Vous comptez pour cela sur mon aide?

LUMÎR—Madame, je me permets de la solliciter.

SICHEL—Je ne suis pas Madame.

LUMÎR—Sichel...

SICHEL—Je ne suis pas Sichel! C'est le vieux qui m'appelle ainsi. Il ne se souvient d'aucun nom,

Moitié insolence, moitié imbécillité, et nous rebaptise tous,

Si je peux dire.

C'est ainsi que de mon père il a fait Ali Habenichts,—ça lui donne la juste pointe d'Orient et de Galicie, dit-il,—

Et de moi, qui suis Rachel, Sichel, qui est en allemand

Faucille dans le ciel clair du mois nouveau.

Bon. Cela va bien comme ça.

LUMÎR—Je sais que vous pouvez tout ici.

SICHEL—Je suis la maîtresse, n'est-ce pas?

LUMÎR—Si je ne le croyais pas, pourquoi serais-je ici?

SICHEL—Vertueusement accompagnée de notre vieille tante de Grodno, l'ineffable Madame Kokloschkine.

Vous êtes gentille dans ces habits d'homme.

LUMÎR—C'est plus commode pour le voyage.

SICHEL—C'est bien de me traiter ainsi en amie.

Vous êtes jeune, mais raisonnable. Vous ne ferez qu'un mariage raisonnable.

Je ne vous aurais pas crue si attachée à l'argent.

LUMÎR—Cet argent n'est pas à moi.

SICHEL—Je vois. C'est une pauvre petite caisse révolutionnaire.

C'est avec ça qu'on va refaire la Pologne et racheter au musée de Dresde le sabre de Sobieski.

LUMÎR—Non point cette Pologne, Mademoiselle Habenichts, une autre.

SICHEL—Quelle?

LUMÎR, baissant les yeux.—Une nouvelle Pologne.

SICHEL—Où cela?

LUMÎR—Au delà d'ici. De ceux-là faite qui sont morts pour elle.

SICHEL—Sans espérance.

LUMÎR—Morts sans aucune espérance.

(Silence).

SICHEL—Pour vous, vous vivrez en contentement dans cette belle propriété, au soleil d'Algérie.

LUMÎR—Tout d'abord, je dois reporter cet argent là-bas.

SICHEL—Et il est tellement sûr que vous reviendrez?

LUMÎR, la regardant.—Peut-être.

(Silence).

SICHEL, pensive, les yeux baissés.—Vous avez encore une patrie sur terre. Vous avez une place qui de droit est à vous, pas à d'autres. On ne vous a pas extirpés.

Mais nous, Juifs, il n'y a pas un petit bout de terre aussi large qu'une pièce d'or,

Sur laquelle nous puissions mettre le pied et dire: c'est à nous, c'est nous, c'est chez nous, cela a été fait pour nous. Dieu seul est à nous.

Quelle singulière histoire! La prise de Jérusalem (bon Dieu! qui est-ce qui s'occupe de Jérusalem!)

Et à cause de cela, il n'y a pas un homme vivant, si je sors de ceux de ma race,

Qui me tende la main et me dise de son gré: «Viens. Sois à moi. Tu es ma femme.»

Nous sommes refusés par toute l'humanité, et c'est de ce refus que nous sommes faits.

Et je sais, oui, il y a cette autre histoire, celui-ci...

(Elle désigne le crucifix sans le regarder).

Eh bien, ce n'est pas la seule erreur judiciaire qu'on ait commise.

Et était-ce une erreur? Est-ce qu'on pouvait souffrir qu'il se dise Dieu? C'est un blasphème, dit mon père.

Et c'est de plus un mensonge, car il n'y a pas de Dieu.

LUMÎR—Son sang est retombé sur le vôtre. Le sang!

C'est une grande chose que le sang. Vous, devriez causer là-dessus avec ma tante, elle en sait long.

A ce moment, c'a été pour vous comme une nouvelle naissance, dit-elle, une conception par dessus l'autre, un deuxième péché originel, l'inverse de la bénédiction d'Abraham.

SICHEL—C'est de la mysticité à la manière de Grodno! Que parlez-vous de sang?

Nous étions là avant vous et nous sommes les premiers-nés.

Qui êtes-vous à côté de nous? Quand vous pouvez remonter à dix générations, issus de sangs plus entrecroisés que les chiens,

Vous vous dites gentilshommes! Mais nous seuls sommes purs, en droite ligne depuis la création du monde!

C'est à nous que vous devez tout et vous nous excluez.

LUMÎR—Je ne demande pas à sortir de ma race.

SICHEL—Et moi, je demande à sortir de la mienne, à m'arracher de ce ghetto où l'on nous tient étouffés!

Mes pères ont cru en Dieu et ils ont espéré dans le Messie.

C'est leur rôle depuis la création du monde et ils n'ont pas changé, à part, debout sous l'arbre à sept branches, dans une foi et dans une espérance enragées!

Mais moi, je ne crois pas en Dieu, et je n'espère qu'en moi-même, et je sais qu'il n'y a qu'une vie,

Je suis une femme, et je veux avoir ma place avec le reste de l'humanité, et pour cela je suis prête à tout faire et à tout donner, et à tout trahir! Il n'est que temps!

Pensez-vous que votre Pologne m'intéresse? Réjouissez-vous qu'il y ait une frontière de moins. Il n'y a pas de Pologne, il n'y a pas de judaïsme, il n'y a que des hommes et des femmes vivants, pas de Dieu et le même droit pour tous! Dieu n'est pas, il n'y a pas de Messie à attendre, on nous a tous trompés et notre espérance a été vaine.

C'est pourquoi les choses qui existent sont importantes et je n'en serai pas exclue.

LUMÎR—Personne ne vous dispute votre Pair de France.

SICHEL—Pourquoi donc êtes-vous ici?

LUMÎR—Il ne dépend que de vous que je parte.

SICHEL—Non. Monsieur le Comte est à cet âge où l'on veut être aimé pour soi-même.

Et vous obtiendriez tout de lui, car il aime les femmes, ah! c'est un vrai Français!

Excepté de l'argent.

Fi! ne lui parlez point d'argent, c'est bas!

LUMÎR—Sichel, si j'obtiens cet argent qui m'est dû,

Je ne retourne pas à Alger.

—Vous voyez, je vous ai comprise.

SICHEL—Je ne sais ce que vous dites.

LUMÎR—C'est vous qui me poussez!

Je dis que j'obtiendrai cet argent

Par tous moyens. Je l'aurai.

Et qu'il est dangereux pour vous que je reste.

SICHEL—Que pensez-vous faire?

LUMÎR—Croyez-vous que je ne connaisse pas le cœur d'un père comme Monsieur le Comte?

Je suis la fiancée de son fils.

SICHEL—Et certes, je vois que vous l'aimez!

LUMÎR—L'honneur et le devoir avant tout.

SICHEL—C'est l'honneur et le devoir qui vous poussent à capter un vieillard imbécile?

LUMÎR—Oui.

SICHEL—Et à trahir celui qui vous aime?

LUMÎR—Montrez-moi les lettres que le capitaine vous a écrites.

SICHEL—Je pense qu'il vous aime sincèrement.

LUMÎR—Je l'aime aussi.

SICHEL—Pas autant que ces dix mille francs à récupérer.

LUMÎR—Je les lui ai donnés.

SICHEL—Prêtés.

LUMÎR—Je lui ai donné ma vie.

SICHEL—Prêtée à de gros intérêts.

LUMÎR—Nous avons fait assez. Je n'ai pas le droit d'être plus généreuse envers ce Français.

C'est mon frère qui lui a sauvé la vie, le rapportant, tout sanglant de la brèche de Constantine.

Et c'est moi ensuite qui l'ai soigné.

C'est mon frère et moi qui l'aidions pendant qu'il commençait ses défrichements, et je tenais sa maison.

Maintenant mon frère est mort et d'autres devoirs m'appellent.

SICHEL—Je ne vous trouve point si belle.

LUMÎR—Assez pour me faire épouser.

SICHEL—Quels yeux! Quand vous les tenez baissés, tout est si fermé qu'on dirait que vous n'êtes plus là.

Et le plus souvent ils sont fixes et tranquilles comme ceux d'un enfant, si sérieux que Monsieur le Comte lui-même en est décontenancé.

Mais quand ils noircissent et se chargent de furie et qu'on voit l'âme là-dedans qui brûle...

Ce sont de ces yeux-là sans doute qu'il est épris

LUMÎR—Vous vous trompez. Ce ne sont pas mes yeux qu'il aime.

(Silence).

SICHEL—Lumîr, le Comte est vieux et je trouve qu'il a assez vécu.

LUMÎR—Plût au ciel que son sort et cet injuste argent fussent entre mes mains!

SICHEL—Ou entre les miennes, ainsi soit-il! Mais je pense que ce n'est pas aux morts d'enterrer éternellement ceux qui vivent.

LUMÎR—Il est là et nous n'y pouvons rien.

SICHEL—Plus que vous ne pensez.

LUMÎR—Me conseillez-vous un crime?

SICHEL—Je n'appelle pas cela un crime. Quand un homme nous refuse ce qu'il nous doit,

Il dénonce tous nos traités avec lui, nous sommes en état de guerre.

Chacun n'a plus qu'à se servir des armes qu'il peut, à ses risques et périls.

Et le Comte une belle nuit recevrait une balle dans la tête, qui s'en étonnerait? Il est terrible avec les braconniers et tous ses domestiques le haïssent.

LUMÎR, avec un doux sourire.—Exécutez-le donc vous-même.

SICHEL—Tout le monde le peut, pas moi.

Et d'ailleurs je suis une femme.

LUMÎR—Je ne peux pas non plus.

SICHEL—C'est vrai.

Il y a d'autres moyens. Je le connais, voici deux ans que je n'ai pas autre chose à faire que de le regarder.

Il est vieux. Il a peur, peur de la mort.

Il fait le brave encore, mais le médecin dit que le ressort qui anime cette grande carcasse est limé.

Avez-vous vu comme la peau de son crâne est mince? On voit déjà dessous la tête de mort:

La même couleur jaunâtre, il y en a tout un tas près de la maison du jardinier.

Une violence, une émotion, et claque la berloque!

Il sait cela et il a peur. Il y a toujours moyen de faire avec un homme qui a peur.

Presque tous les hommes ont peur de quelque chose.

C'est pour cela qu'il n'ose me chasser.

LUMÎR—Touchante union!

SICHEL—Croyez-vous que ce soit par amour pour moi qu'il m'ait prise? Non, vous ne devineriez jamais! C'est pour m'empêcher de faire de la musique!

Il est incapable de résister à un certain esprit de farce et de taquinerie.

J'étais une artiste, connue dans le monde entier, vous savez mon nom. Croyez-vous que depuis deux ans il m'empêche de toucher à un piano?

Je suis sa teneuse de livres et il m'a réduite en esclavage comme les anciens Israélites.

Et je pensais d'abord qu'il m'épouserait, mais j'ai dû bientôt renoncer à cet espoir enchanteur.

Je vous dis qu'il ne consentira à mourir que s'il a le sentiment ainsi de jouer un tour à quelqu'un.

Et je ne puis tirer un sou de lui: pas plus pour moi, que pour vous.

LUMÎR—Qu'il meure, et le fils vous reste.

SICHEL—Et à vous la sainte Pologne!

LUMÎR—J'ai commis un crime et je dois le réparer.

Mon frère et moi, nous avons prêté cet argent trois fois sacré.

Il faut que je le retrouve.

Jusque-là je ne puis me permettre une autre idée.

SICHEL—Nous nous sommes clairement comprises, je crois?

Jouez votre jeu, je joue le mien, j'ai mes atouts aussi, toutes deux contre le mort.

(Entre Turelure).

[1] Prononcez Loum-yir


SCÈNE II


TURELURE—Eh bien! qui est-ce qui parle de mort?

SICHEL—Nous discutons les principes du whist et le coup d'hier soir: les faibles et les fortes du mort.

TURELURE—Ouais! pauvre homme! me voici bien encadré entre ces deux fines joueuses.

Vous m'avez bien battu hier et ramené tout roulant, il ne m'est resté que les honneurs.

SICHEL—Monsieur le Comte n'est pas près d'en manquer.

TURELURE—Charmant! charmant! «Toujours l'honneur!» c'est ma devise.

«Toujours l'amour!» comme disait le roi de Westphalie en levant son verre.

De quoi les Allemands ont fait «Tschorlemorl», qui est un mélange bien frais de vin blanc et d'eau de Selz.

SICHEL—Je vous laisse. Je crois que la Comtesse Lumîr a besoin de vous parler.

TURELURE—Chère Comtesse! Que c'est aimable à vous d'être venue me rendre visite en cette pauvre maison! Une triste hospitalité!

Les murs sont solides et j'ai eu la bêtise de faire réparer la toiture, il y a deux ans, mais tout est à l'abandon.

Regardez ces piles de livres dont je ne peux parvenir à me débarrasser. Rien que pour les porter à Rheims on me prendra plus qu'ils ne valent. Je vas en faire du feu.

Bon! tout cela va changer avec les machines et le chemin de fer. Cet étang, ce barrage que les moines ont fait là-haut pour leur poisson me donnera la force motrice.

Ah! tout cela me coûte gros d'argent, vous pouvez le dire.

J'ai dû vendre notre bien de famille, c'est dur.

Votre père a fait une bonne affaire, Sichel! Il profite de mon dénuement.

SICHEL—C'est conclu?

TURELURE—Pas encore tout-à-fait. Il veut voir certains plans, prendre certaines sûretés. Ah, c'est un homme prudent!

Vous le connaissez, Comtesse? Il a eu l'occasion d'obliger notre pauvre capitaine.

LUMÎR—Il lui en est reconnaissant.

TURELURE—Je le sais.

Sichel,—Lumîr!—vous me permettez de vous appeler ainsi? ne vais-je pas être votre père? On l'aimera un peu, ce vieux papa?

Que je suis heureux de vous voir causer ainsi comme des amies!

Lumîr, cette petite femme sera une sœur pour vous.

Et pour moi elle a été un ange! non, je dis vrai! un ange par le sens qu'elle a des affaires, et plus de force dans le petit doigt que le chien d'une carabine!

C'est comme pour la musique, quelle artiste, si vous l'entendiez! dire que je ne puis plus obtenir d'elle qu'elle ouvre son piano!

C'est l'art qui a été le premier lien entre nous.

Si vous aviez entendu ce que fait le piano déchaîné sous ses phalanges de fer et cet ouragan de notes, on entend distinctement chacune d'elles!

Ce petit doigt surtout, à l'extrémité de chaque main, ce petit doigt d'acier qui trouve tout-à-coup la touche et tous les points du clavier et la frappe avec une implacable ubiquité!

J'étais enthousiasmé! Je me suis dit il faut que je fasse de ce petit doigt mon ministre et le Gouverneur général du vieux Turelure!

Et voilà! C'est elle qui tire de cette vieille âme tout ce qui lui reste de musique.

(Il lui baise la main).

SICHEL—Cher Comte!

Cher Toussaint!—Adieu, Lumîr! Courage!

Et vous, Toussaint, je vous en prie, faites ce que vous pouvez! J'aime tant ce pauvre Louis.

(Elle sort).


SCÈNE III


TURELURE, lui envoyant un baiser.—Adieu, chère amie!—Adieu, charogne, puisses-tu crever!

Me voici à vous, Mademoiselle, et prêt à vous écouter.

LUMÎR—Je crains de tomber mal en ce jour de fête et parmi tant d'occupations.

TURELURE—Je suis toujours occupé. Et d'ailleurs, l'inauguration est finie.

Là-bas un train orné de feuillages et de drapeaux ramène vers Paris mes invités digérants. Ah, c'est une grande époque!

Quelle levée de pioches sur toute la France! Quel fourmillement de brouettes!

Quatre autres voies comme celle-ci partant de la capitale vers tous les coins du pays

Permettent en quelques heures à tous les citoyens de s'unir sur le même forum.

LUMÎR—La ligne du Midi atteint Lyon déjà et permettra à votre fils d'être ici en quelques heures.

TURELURE—Quoi! C'est-i qu'il vient?

LUMÎR—Je ne sais, je n'ai de lui aucune nouvelle.

TURELURE—Je lui avais recommandé de rester là-bas! Je vous avais prié de lui écrire. Nous n'avons pas besoin de lui!

LUMÎR—J'ai écrit.

TURELURE—Je n'ai rien à lui dire! Je ne veux pas le voir.

LUMÎR—J'en tire bon augure pour le succès de ma requête.

TURELURE, sec.—Toujours ces dix mille francs?

LUMÎR—Vingt mille, s'il vous plaît.

TURELURE—Vingt mille, mon petit monsieur? Comme vous êtes gentille dans votre grande redingote!

LUMÎR—Il a une grosse échéance. S'il ne peut l'honorer, on saisit tout.

TURELURE—Est-il si mal en point? Ces usuriers sont de vrais arabes.

LUMÎR—On dit que vous êtes d'accord avec eux. C'est ainsi que vous lui avez repris les biens de sa mère.

TURELURE—C'est faux, je veux dire c'est vrai. Mais, où est le mal?

Coûfontaine n'est pas à lui, ni à moi.

C'est le bien de la famille. Où est le mal que j'aie voulu l'abriter des fantaisies d'un prodigue?

LUMÎR—Ne le poussez pas au désespoir.

TURELURE—Il lui reste l'armée. Il y retrouvera son grade.

Je suis un père, que diable! Je l'aime. Dites-lui bien que je l'aime. Dites-lui que je m'intéresse à son avancement.

LUMÎR—C'est de l'argent qu'il veut.

TURELURE avec dégoût.—L'argent, ah!

LUMÎR—Il est prêt à vous donner huit pour cent.

TURELURE—Non! C'est un mauvais service à lui rendre que de l'encourager dans cette entreprise absurde. Il n'y a rien à faire en Algérie. Pas d'argent!

LUMÎR, baissant les yeux.—Je voudrais le mien aussi.

TURELURE—Ce n'est pas moi qui l'ai pris.

LUMÎR, levant les yeux sur lui.—Faites cela pour moi, Monsieur le Comte!

TURELURE—Bon. J'aime mieux ce ton-là.

LUMÎR—Je ne vous croyais pas si méchant.

TURELURE—Cent fois non! Je suis un bien bon homme. Doux, doux, flasque. Mou comme de la purée de citrouille.

LUMÎR—Vous pouvez plaisanter, c'est plus vrai que vous ne vous en doutez.

TURELURE—Quoi? Je ne vous fais pas peur? On m'a toujours dit que j'avais l'air d'un loup.

LUMÎR, avec douceur.—Je vous trouve l'air d'un mouton. Un vrai Champenois. Et le bas de la figure est si drôle!

Vos deux lèvres sont comme des marionnettes qui se poursuivent et qui disent tout ce que vous pensez quand vous n'y pensez pas.

TURELURE, vexé.—Merci. Vous oubliez à qui vous parlez.

LUMÎR—Monsieur le Comte, je sais ce que je vous dois.

TURELURE—Et donc que je ne vous dois rien.

LUMÎR—Je ne vous demande pas de me devoir quelque chose.

TURELURE—Mademoiselle ma fille, mon petit bonhomme, il vaut mieux que je vous ôte aussitôt quelques idées de la tête.

Je ne vous rendrai pas ces dix mille francs.

LUMÎR—Vous m'avez fait espérer autre chose.

TURELURE—La politique de Sa Majesté a changé.

LUMÎR—Quoi! C'est une question de politique?

TURELURE.—L'autre jour, nous n'étions pas au mieux avec votre souverain légitime,

C'est le Czar que je veux dire.

Une bonne petite conspiration à Varsovie... Eh, mon Dieu, il n'aurait pas été si mauvais de lui faire sentir la pointe.

LUMÎR—Et au besoin, on gagnait la reconnaissance de mon souverain légitime

En lui donnant quelques indications bienveillantes.

TURELURE—Comme vous dites. Eh bien! notre politique a changé. La Pologne ne nous intéresse pas. Ces gens-là ne sont que des émeutiers.

LUMÎR—Comme les héros des Trois Glorieuses!

TURELURE—Honneur à ces défenseurs de la Constitution!

LUMÎR—Vous respectez les lois?

TURELURE—Chacun son rôle. Le mien est de les faire.

LUMÎR—C'est bien. Il ne me reste donc plus qu'à partir.

TURELURE—Où cela?

LUMÎR—Là-bas. Il faut que je rende mes comptes, pour mon frère et pour moi.

TURELURE—Vous laissez ainsi votre fiancé?

LUMÎR—Il n'est pas mon fiancé tant que ça. Je me dois d'abord à d'autres.

TURELURE—C'est vous qui allez délivrer la Pologne, n'est-ce pas?

LUMÎR—Oui.

TURELURE—Le Czar n'a plus qu'à retenir une petite villa sur les bords du lac de Genève, quelque pension «mit frühstück». Voilà Mademoiselle qui se met en marche comme une armée.

LUMÎR—Le jour est venu.

TURELURE—C'est elle qui va venir à bout de trois Empires avec ses grands yeux bleus et ses petites mains dans son manchon en imitation de lapin.

(Elle le regarde).

Pourquoi me regardez-vous ainsi avec ces yeux qui n'expriment rien et qui sont parfaitement incapables de comprendre quoi que ce soit? On ne sait jamais ce que vous pensez.

LUMÎR—Rendez-moi cet argent.

TURELURE—Non!

LUMÎR—Croyez-vous que je n'aie pas assez d'ennemis sans vous?

TURELURE—Je ne suis pas votre ennemi.

LUMÎR—Non, je ne crois pas.

Monsieur le Comte, est-ce qu'il y a beaucoup de gens dans votre vie qui vous aient dit: Turelure, j'ai confiance en vous?

TURELURE—Ah, petite rusée! Comme tu sais trouver la place faible d'un vieux bonhomme!

LUMÎR—Dois-je vraiment partir?

TURELURE—Non!

LUMÎR—Comte, vous êtes riche et je n'ai rien, et le peu que j'avais n'était pas même à moi.

TURELURE—Ce Louis est un grand coquin!

LUMÎR—L'argent des femmes—ce sont des femmes qui l'ont ramassé,—l'avarice des mères et des veuves, la dot des jeunes filles, le pain des orphelins, les larmes et le sang des proscrits et des martyrs! Pas un sou qui ne soit poissé de sang.

TURELURE—Tout cela sert à défricher les jujubiers de la Mitidja.

LUMÎR—Il est lâche de me voler ainsi, abusant de ma faiblesse!

TURELURE—Je ne vous ai pas volée!

LUMÎR—... Comme un homme qui vole une petite fille, lui prenant sa tartine dans son petit sac!

TURELURE—Je ne vous ai rien volé, sacré bout de bois! J'ai aidé le capitaine tant que j'ai pu. A moi aussi, il me doit de l'argent.

LUMÎR—Rendez-moi mon argent à moi, Monsieur le mouton, et je vous tiens quitte du reste.

TURELURE—Mais il est ruiné dans ce cas et vous ne pouvez l'épouser.

LUMÎR, baissant les yeux.—Naturellement, je ne puis l'épouser sans argent.

TURELURE—Vous ne l'aimez donc pas?

LUMÎR—Ma vie est trop courte pour que je m'attache tellement à aucun homme.

TURELURE—Vous avez raison. Il ne vous aime pas. Il a trop d'idées dans l'esprit.

LUMÎR—Je suis si jeune, j'étais fière qu'il eût besoin de moi.

TURELURE—D'autres peuvent avoir besoin de vous!

LUMÎR—Alors, laissez-moi le moyen de les aider.

TURELURE.—Un autre qui n'est pas loin.

LUMÎR—Qui?

TURELURE—Pourquoi parler de vicomte; et toutes ces images héroïques et funèbres,

Qui font tant de plaisir aux petits enfants? Que diable! C'est bon, la vie!

LUMÎR—Je ne puis rester que si mon argent part à ma place.

TURELURE, sévère.—Lumîr, répondez-moi. Aimez-vous réellement votre pays?

LUMÎR—Je ne sais. C'est une question que je ne me suis jamais posée.

TURELURE—Eh bien, tout de même, vous valez plus pour votre pays que dix mille francs! Il y a autre chose à faire dans la vie que d'être honnête!

Il y a autre chose à faire de la vie quand on est jeune que de mourir bêtement comme dans les versions latines, ou autrement de se laisser mettre les fers aux pieds.

Quand vous vous serez laissé enterrer toute vive à Boufarik, au milieu d'un grand champ de poireaux,

Croyez-vous qu'on n'avait pas autre chose à faire de vous?

LUMÎR—On ne me demande pas davantage.

TURELURE—Louis n'est pas de notre race. Ce n'est pas un Coûfontaine! Il n'a jamais su ce que c'était qu'un Coûfontaine! Il ne pense qu'à ses échéances.

Moi, je vous comprends, Mademoiselle. Mon vieux sang s'échauffe quand je vous entends. Que diable! C'est nous qui avons fait la révolution!

LUMÎR—C'est la Révolution qui vous a faits.

TURELURE—Je ne dis pas non. Mais la chose ne m'amuse plus autant. Et pourtant, faut le dire, parole d'honneur, il y a de bons moments.

Quand Sa Majesté sort des Tuileries, au roulement du tambour, entouré de toute sa cour et des représentants de la Propriété Française, ah, c'est un beau spectacle!

On voit se coudoyer des régicides, des nobles renégats, des raffineurs, des magistrats jansénistes, une douzaine de vieux cornards de l'Empire échappés à tous les champs de bataille, Victor Cousin,

Et au milieu, Monsieur le Roi des Français lui-même qui nous préside avec la dignité d'un chef d'institution et le sourire d'un banquier qui n'est pas absolument sûr de ses chiffres.

C'est un demi-siècle d'histoire qui s'avance! Sa Majesté elle-même y est pour quelques anecdotes.

Ça vaut les Revues Consulaires de l'an X, sur la Place du Carrousel!

LUMÎR—C'est vous qui êtes la France?

TURELURE—C'est vrai, pour le moment, c'est moi qui suis la France, pourquoi pas?

LUMÎR—Et moi, je suis la Pologne, sans aucun ami.

TURELURE—Ne dites pas çà, Mademoiselle! morbleu, vous me faites de la peine.

LUMÎR—Le seul ami que j'avais m'est retiré.

TURELURE—Il ne tient qu'à vous d'en retrouver un autre à la place, mon petit soldat!

LUMÎR—Je ne vous entends pas.

TURELURE, larmoyant.—Écoutez-moi, Mademoiselle. Je suis vieux. J'ai besoin d'un sentiment. Pardonnez à mon émotion.

LUMÎR—Que vous êtes drôle! (Elle sourit)

TURELURE—Je suis comme la France. Personne ne me comprend!

LUMÎR—Mais pourquoi voulez-vous que je vous comprenne?

TURELURE—Est-ce ma faute si je suis Pair de France, et Comte, et Maréchal, et Grand Officier de je ne sais quoi, et Président de ça, et Ministre de ceci, et le diable sait quoi!

Croyez-vous que je n'aimerais pas mieux autre chose?

Ce n'est pas moi qui suis fort et méchant, c'est les autres qui sont si bêtes et si tristes, et qui vous donnent tout avant qu'on leur demande!

C'est une comédie où l'on n'a qu'à jouer son rôle avec aplomb et l'on peut tout se permettre quand on connaît les planches.

Mais il y a autre chose à faire que de jouer la comédie! croyez-vous que je n'aimerais pas mieux autre chose?

C'est comme la France quand elle se jetait sur Versailles ou sur le Louvre.

Ce n'est pas du pain qu'elle demandait, un peuple ne vit pas que de pain!

C'est de la mitraille et du plomb et de grands coups de pied dans les côtes!

Un cheval comme la France, c'est jeune, c'est amoureux, ça aime à rire, ça aime à sentir son maître!

Il faut avoir du genou quand on a l'honneur de tenir une pareille bête entre les jambes, c'est pas un veau.

Mais ce gros Louis qu'elle avait sur le dos,

A peine avait-elle commencé à danser un petit peu qu'il tombait par terre sans aucun mouvement ou bruit, comme un gros boulot de coton.

Qu'est-ce qu'il restait d'autre à faire que de lui couper la tête? Je vous en fais juge.

LUMÎR—Mais que voulez-vous que je vous dise?

TURELURE—Il faut dire: c'est bien.

LUMÎR—C'est bien, Monsieur le Comte, c'est tout à fait bien.

TURELURE—Bon. Où en étais-je? Ah oui, ma femme.

Ma première femme, la seule, car Sichel, c'est pas vrai. Ah, c'était une sainte, Dieu ait son âme!

LUMÎR—Sygne de Coûfontaine.

TURELURE—Répétez un peu, comment avez-vous dit cela?

LUMÎR—Sygne de Coûfontaine.

TURELURE, baissant la voix.—Sygne de Coûfontaine. Cela a une drôle de sonorité dans cette pièce.

Ah, nous fûmes des époux bien accordés pendant tout le temps de notre mariage.

Trop court, hélas! Onze mois en tout, dont neuf séparés. Jamais un mot entre nous. Quelle douceur toujours dans ses manières,

Et quel mépris dans ses yeux quand elle consentait à me voir!

LUMÎR—On m'a raconté certaines choses.

TURELURE—Elle était meilleure que moi, ce n'est pas une raison pour me mépriser.

Ces gens qui ne savent que mépriser, à quoi cela sert-il? Le mépris est le masque des faibles.

Un homme fort ne méprise rien. Il a usage de tout.

LUMÎR—Eh bien, c'est qu'elle était la plus faible, vous le lui avez bien fait voir.

TURELURE—Il ne faut pas être le plus faible avec moi. C'est mauvais.

LUMÎR—Je vais le dire à Sichel.

TURELURE—Ah, elle voudrait bien être la plus forte, mais elle ne peut pas, dont elle rage!

Dès que je la regarde d'un certain œil, elle se trouble et se dérobe.

LUMÎR—Moi, je n'ai pas peur de vous!

TURELURE—Je le sais, c'est délicieux. Il n'y a place que pour un sentiment dans votre petit cœur fervent et dur, dans votre petite âme loyale.

Ce que vous ont dit les gens de votre race, le père, le frère,

Cela seul existe pour vous, et ceux qui ne sont pas de la Race Sacrée,

Ils ne comptent pas l'un plus que l'autre. C'est vrai?

LUMÎR—Les pauvres restent entre eux.

TURELURE—Eh bien, les gens de la Race Sacrée, ils s'entendaient si tellement bien entre eux autrefois

Que pour leur imposer la paix il leur fallait aller chercher au dehors quelqu'un qui fût absolument incapable de les comprendre. Jamais un Polonais n'a pu venir à bout de la Pologne.

LUMÎR—Que signifie cet apologue?

TURELURE—Donnez-moi votre main, et je vous offre mon bras.

LUMÎR—C'est encore une plaisanterie.

TURELURE—Oui, c'est une plaisanterie, mais une plaisanterie sérieuse.

Vous voyez à vos pieds l'homme d'affaires de la nation Française.

Le Maréchal Comte de Coûfontaine, Président du Conseil des Ministres.

Faites-en usage.

LUMÎR—Quel honneur pour moi, Monsieur le Comte!

TURELURE—Savez-vous ce qui me plaît en vous? c'est la tranquillité que je lis dans vos yeux bleus,

La chasteté d'une foi si pure qu'aucune contradiction n'y touche, la stupidité délicieuse de la jeunesse!

Grâces à Dieu, je ne suis pas encore mort!

Il est encore temps de faire une grande bêtise avant de mourir et d'engager mes cheveux blancs au service de mon capitaine!

LUMÎR—C'est sérieux, ce que vous dites?

TURELURE—Qu'en pensez-vous?

LUMÎR—Oui, je crois que c'est sérieux.

TURELURE—Quel meilleur adieu à faire à mon temps et à cette Sainte-Alliance des Saintes Monarchies

Que de leur lancer avant de mourir ce gentil petit brûlot!

Une femme, n'importe laquelle, quand elle vous a une idée dans la tête,

Celui qui sait s'en servir, il peut bouter le feu aux quatre coins du monde avec!

LUMÎR—Dites-moi, je ne suis pas pour vous n'importe laquelle?

TURELURE—Non, Lumîr. Ah, regardez-moi ainsi! Dieu, que vous êtes jeune! Jeune et dangereuse en même temps, mais c'est ce danger que j'aime.

Faites-moi oublier la mort! Faites-moi oublier le temps! Faites-moi trouver intérêt à quelque chose hors de moi!

Utilisez en moi ce qui était fait pour servir et à quoi personne n'a jamais cru.

Faisons une étroite alliance entre nous!

LUMÎR—Et vous me rendrez mes dix mille francs?

TURELURE—Le lendemain de notre mariage!

Avec tous les intérêts mon petit ange, (chantant): Les intérêts composés, mon petit morceau de beurre en or!

LUMÎR—Et que dira Sichel?

TURELURE—Je n'ai pas peur de Sichel!

(Il lui prend la main)

(Entre SICHEL)

LUMÎR, regardant SICHEL et gardant la main de TURELURE, qui voudrait l'ôter, avec un aimable sourire, à demi-voix.—Que vous êtes vieux! Que vous êtes vilain!

Ah, j'aimerais mieux mille fois mourir que d'être à vous!

Ne pensez pas me faire peur.


SCÈNE IV


SICHEL—Monsieur le Comte...

TURELURE—Vous étiez là?

SICHEL—Monsieur le Comte, l'aubergiste du Pot d'Étain, à Fismes...

TURELURE—Qu'il aille au diable!

SICHEL—... Dit Qu'il a reçu un télégramme de Paris. Quelqu'un qui veut venir vous voir. D'urgence. On lui retient une voiture.

TURELURE—Qui a signé le télégramme?

SICHEL—Interrompu par le brouillard.

TURELURE—Ce ne serait pas Louis, par hasard?

SICHEL—Non, qui l'aurait prévenu?

TURELURE—Prévenu de quoi, je vous prie? Il n'y a à le prévenir de rien.

LUMÎR—Louis arrive! Quel bonheur!

TURELURE—Non, Mademoiselle, je vous demande pardon, ce n'est pas un bonheur du tout.

SICHEL—Grossoleil l'aubergiste, n'avait pas de chevaux libres. J'ai pensé bien faire d'envoyer notre voiture.

TURELURE—Vous avez très mal fait. Le cheval est vieux et se passerait bien de ces quinze kilomètres sous la pluie.

SICHEL—Réellement, vous devriez en acheter un autre.

TURELURE (sombre)—Je suis vieux aussi.

LUMÎR—Adieu, je vais faire préparer la chambre de Louis.—Adieu, Monsieur le Comte!

(Elle sort)


SCÈNE V


SICHEL—Charmante enfant! Quel joli page! Je vois avec plaisir que vous êtes en termes excellents.

Elle a obtenu ce qu'elle voulait.

TURELURE—On obtient toujours de moi ce qu'on veut.

SICHEL—Lorsque l'on sait s'y prendre.

TURELURE—Qui a dit à Louis de venir?

SICHEL—Mais je ne sais pas s'il vient.

TURELURE—J'espère que non. J'ai horreur des scènes et des violences! Il n'y a rien de si dangereux pour moi.

SICHEL—Avez-vous peur de lui?

TURELURE—Je suis vieux et je n'aime pas les violences.

SICHEL—Que craignez-vous quand Lumîr va au-devant de lui avec ces bonnes nouvelles?

TURELURE—Ma fille chérie, crois-tu vraiment que je me suis laissé ainsi entortiller?

SICHEL—Plus que tu ne penses peut-être, mon vieux Toussaint!

TURELURE—Quand il me tuerait, il n'aura pas un sou de moi.

SICHEL—Va, donne lui ces dix mille francs.

TURELURE—Quand il me tuerait, il n'aura pas un sou de moi!

SICHEL—Il ne songe pas à tuer son père.

TURELURE—Nous verrons bien qui crèvera le premier.

SICHEL—Tout de même vous êtes le plus vieux.

TURELURE—Pas si vieux qu'il croit.

(Il rit sèchement)

SICHEL—Allons, parle, vieux loup, et ne fais pas l'idiot.

TURELURE—Tu as entendu ces dernières paroles qu'elle disait?

SICHEL—Oui, et elles étaient peu flatteuses, quoique vraies.

TURELURE—Je pense que c'est pour toi qu'elle les disait. Il me semble qu'elle me serrait quelque peu les doigts en même temps.

SICHEL—Alors, c'est ton mariage que tu m'annonces avec elle?

TURELURE—Qui sait?

(Il rit)

SICHEL—C'est cela ce que tu vas mettre dans la main à ton fils?

TURELURE—Ou peut-être lui écrire, quand il sera parti.

SICHEL—L'âge rend les gens imbéciles.

TURELURE—Une certaine imbécillité n'est pas inutile à l'agrément de l'existence.

SICHEL—Non, tu en as ta part!

TURELURE—Cette union immorale avec une Juive coûtait à ma conscience.

SICHEL—A ta conscience?

TURELURE—A ma conscience. J'ouvre les yeux enfin.

J'ai eu des torts envers vous. Je vous ai séduite.

SICHEL—Il est vrai. Je n'ai pas su vous résister.

TURELURE—Moi non plus. J'ai brisé votre carrière d'artiste.

Ah, j'ai eu de grands torts envers vous! Le meilleur moyen pour moi de les reconnaître est de ne pas essayer de les réparer.

SICHEL—C'est un coup bien sensible pour moi.

TURELURE—Vous m'en voyez transpercé.

SICHEL—J'ai bien dit que l'âge t'a rendu idiot.

TURELURE—Peut-être qu'il te rendra polie.

SICHEL—Tu vivras toujours, n'est-ce pas?

TURELURE—Je l'espère de toutes mes forces. L'expérience m'apprend que je survis à tout le monde.

SICHEL—Ce n'est pas l'avis de ton médecin.

TURELURE—J'en prendrai un autre.

SICHEL—Ni de ton fils sans doute.

TURELURE—Faudra bien qu'il s'y accoutume.

SICHEL—Si tu meurs, ayant épousé cette petite,—si tu meurs, dis-je...

TURELURE—J'ai bien entendu! ce n'est pas la peine de répéter.

SICHEL—Je dis que si tu meurs...

TURELURE—Non, je ne mourrai pas.

SICHEL—Tu laisseras une riche héritière.

TURELURE—Il ne peut pas l'épouser. Le Code le lui défend.

SICHEL—Bah!

TURELURE—Je n'aime pas les conjectures qui ont ma disparition pour point de départ.

SICHEL—Je suis sûr que vous n'avez pris aucunes dispositions.

TURELURE—J'ai bien le temps d'y songer.

SICHEL—Tout revient en ce cas à votre fils.

TURELURE—Non, ça serait trop bête!

SICHEL—Ou bien alors vous laissez tout à votre épouse, dernière survivante.

TURELURE—J'aurai un enfant d'elle.

SICHEL—Peut-être.

TURELURE—J'en aurai trois. J'ai lu cela dans ses yeux.

SICHEL—Oui dà!

TURELURE—Ce ne sera pas une hybridation comme la nôtre.

SICHEL—Ne lui donne pas trop d'intérêt à ta disparition.

TURELURE—C'est pourquoi je veux me couvrir.

SICHEL—Ne te mets pas à sa merci.

TURELURE—Je crois que je me ferai aimer de cette petite.

SICHEL—... D'elle et de son amant.

TURELURE—Va-t-en au diable!

SICHEL—Que tu es simple! Ce voyage, n'est-ce pas? c'est une chose toute naturelle?

Et c'est une chose toute naturelle aussi, cette irruption du militaire, comme dans les comédies, l'arme au poing qui se présente à point nommé.

TURELURE—Je me demande ce qu'il vient faire ici.

SICHEL—Il vient réclamer ses dix mille francs,

Plus dix autres mille dont il a un besoin pressant.

TURELURE—Juste ce que j'ai reçu de ton père.

SICHEL—Qui l'a prévenu, je me le demande?

TURELURE—Toi, poison!

SICHEL—Peut-être. Mais je crois que c'est plus simple.

TURELURE—Tu penses que l'affaire est montée entre eux?

SICHEL—Oui, Monsieur le Comte, je suis portée à le penser.

Il veut sa part tout de suite et le reste plus tard.

TURELURE—Eh bien, je lui donnerai ses vingt mille francs.

SICHEL—Oui, mais alors elle est libre et peut se passer de vous.

TURELURE—Eh bien, je ne les lui donnerai pas!

SICHEL—Mais alors vous le poussez à bout et ce n'est pas sans danger!

TURELURE—Eh bien, je ne l'attends pas et je pars pour Paris.

SICHEL—C'est impossible. J'ai envoyé la voiture à Fisme.

TURELURE—Je suis pris! Il ne me reste plus qu'à faire tête.

SICHEL—Et procéder à ces choses que je vais vous dire.

TURELURE, ricânant.—Sois tranquille, tu seras dans mon testament.

SICHEL—Il ne s'agit pas de testament, mais d'une espèce d'assurance.

(Silence)

TURELURE—A ton profit, je commence à comprendre.

SICHEL—Supposez que nous trouvions un moyen de faire passer toute votre fortune à mon nom?

TURELURE—Il y a une idée.

SICHEL—Otez leur toute raison de désirer votre disparition.

(Silence)

TURELURE—Sichel, penses-tu qu'il veut me tuer?

SICHEL—Que feriez-vous à sa place?

TURELURE—Je n'aime pas sa figure. Je désire qu'il soit mort.

SICHEL—Rendez-lui donc sa femme et son argent.

TURELURE—Non, je ne les lui rendrai pas.

SICHEL—Défendez-vous en ce cas.

TURELURE—C'est une chose effrayante que de mourir!

SICHEL—Mais non, c'est une chose très simple.

TURELURE—Tu ne sais pas ce que je sais.

(Roulement de voiture au dehors)

SICHEL—Il me semble que j'entends la voiture.

TURELURE—J'ai peur de la mort.


ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

La même pièce, le lendemain.—Une table est dressée autour de laquelle TURELURE, le CAPITAINE, ALI, SICHEL et LUMÎR achèvent de dîner. Bien qu'il fasse jour on a fermé les volets et deux flambeaux brûlent au milieu de la table.


TURELURE, versant du vin à son fils.—Capitaine, mon Capitaine, que dites-vous de ce vin de Bouzy?

LOUIS—Je le reconnais. J'en ai bu bouteille avec vous le jour de mon départ pour Alger.

TURELURE—C'est le vin de la montagne de Rheims dont Jean de La Fontaine buvait avec Monsieur Pintrel, seigneur de Villeneuve.

Il a encore du degré et fait des jambes sur le verre comme le Bourgogne.

Ça ressemble à un gros bourgeois qui a tout de même de la finesse.

LOUIS—A votre santé, mon père!

TURELURE—A la santé de ces dames!

(Ils boivent tous deux)

LOUIS—Quelle joie de se retrouver dans son pays! Vous avez bien fait de fermer les volets, mon père. On est plus entre soi.

TURELURE—A mon âge un verre de vin vaut la peine d'être tranquillement dégusté. On ne sait jamais s'il y en aura un autre qui suivra.

C'est pas non plus que je crache sur le Beaune, mais c'est un vin qu'il faut boire seul à mon âge.

Une de ces solennelles vieilles bouteilles qu'on vous apporte après dîner et que l'on met deux heures à finir judiciairement,

Plein d'idées et de souvenirs puissants.

ALI—Pour moi, je ne reçois que de l'eau, c'est le médecin qui le veut.

LOUIS—Ça ne fait rien! à votre santé, Monsieur Habenichts!

ALI—A votre santé, mon Capitaine!

(Il boit son eau)

LOUIS la main sur le cœur.—Wohl bekommen! A la santé de mon bienfaiteur!

ALI—Toujours à votre service.

LOUIS—Et ne craignez rien. Vous serez, payé à l'échéance.

ALI—J'en suis sûr! J'en suis sûr!

TURELURE—Tout va bien! rien de tel qu'un bon dîner pour mettre les gens d'accord.

Quant à moi je suis le plus heureux des hommes entre mon quasi-beau-père et ma quasi-belle-fille.

ALI—Vous avez commencé vos travaux?

TURELURE—Nous sommes en train de faire la fosse pour la roue,

En plein dans le cimetière des moines.

Ce que nous avons enlevé d'os, ça n'est pas à croire! Deux charrettes et il y en a encore un tas.

Et au milieu, il y avait une espèce de puits Romain que nous avons curé, c'était déjà une espèce de puits sacré, vous savez, où on élevait des serpents.

Et dans le fond, nous avons trouvé un Mercure de bronze.

ALI—Il faudra me montrer ça. Je suis amateur de tous ces bons dieux.

LOUIS, montrant le Christ.—Vous devriez bien nous débarrasser de celui-ci.

Ce n'est pas une chose à avoir chez soi.

LUMÎR—Si j'avais un bien comme celui-ci, je n'en ferais pas une usine.

LOUIS—Pourquoi donc? Il faut être de son temps.

SICHEL—Lumîr a raison. On peut faire une usine partout. Mais un complexe comme celui-ci...

ALI—On ne dit pas un complexe.

SICHEL—C'est drôle, je ne peux pas vous voir sans parler allemand.

Enfin une chose comme celle-ci, ces cloîtres, ces caves, ces greniers,

On n'en fera pas une autre. C'est dommage de tailler là-dedans.

Ça impressionne. C'est comme dans les romans.

Tout est de l'époque. On ne travaille plus comme ça aujourd'hui.

ALI—Also! On me dit rien que les plombs une fois déjà aussi que vous avez arrachés,

Vous en avez eu pour dix mille francs.

TURELURE—C'est faux.

(Il boit)

LOUIS—Voilà le chemin de fer qui va toucher Coûfontaine.

Il n'y a plus qu'à raser la baraque et à tout bazarder.

Quelle stupidité de tenir tellement à cette vieille terre, quand il y en a d'autres, toutes neuves et toutes chaudes, qui vous rapportent ce que vous voulez!

ALI—Des dattes.

TURELURE—Des dettes.

LOUIS—C'est gras, c'est fondant! Une fois que vous avez extirpé les palmiers nains et toute la saloperie,

La charrue entre là-dedans sans aucun bruit, comme un sabre au travers d'un marchand de cacaouettes! On n'en voit pas le fond.

Ça vous donne du blé comme du plomb zéro et des raisins à tous les ceps comme des paquets de boyaux.

TURELURE—Il n'y a pas d'autre terre que la terre de France.

ALI—Un an de blé, un an de betteraves. Blé, betteraves. Reblé, rebetteraves. Et encore du blé, et encore des betteraves. Et toujours du blé et sempiternellement des betteraves.

Trois pour cent dans les bonnes années. Tous les impôts à payer, toute la sacrée boutique du Gouvernement sur votre dos.

Ce n'est pas vous qui avez la terre, c'est la terre qui vous tient par les bottes, une betterave entre les autres.

TURELURE—Pourquoi donc est-ce que vous avez tellement envie de ma terre de Dormant?

SICHEL—Il n'y a pas de spectacle plus désolant qu'un champ de betteraves.

LUMÎR—Ça fait butter les chevaux.

LOUIS—Vous avez raison, père Ali! Eh, disons-le, sambleu, il n'y a de vraie propriété que celle qu'on a volée, parce qu'on en avait tellement envie!

Un bien qu'on a conquis les armes à la main et qu'on défend à coups de fusil!

Une putain de terre qui vous fout la fièvre et dont vous êtes déterminé à faire ce qu'elle ne veut pas!

TURELURE—C'est comme ça qu'on a pris la Pologne, hé, hé!

ALI—Lisez l'histoire. Il n'y avait pas moyen de faire autrement que de la partager.

TURELURE—Cette méchante Pologne! Oui, c'est elle qui a induit en tentation ses vertueux voisins. Ah, c'est là son grand crime qu'on ne peut lui pardonner!

—Vous ne dites rien, ma chère belle-fille?

LUMÎR—Je cherche mon sac.

TURELURE—Le voici. Il était sous ma serviette. Qu'il est lourd! Qu'est-ce qu'il y a dedans?

LUMÎR, reprenant le sac.—Deux pistolets chargés.

TURELURE—Otez l'un d'eux et faites une place pour mon cœur.

—Eh bien, père Ali, je crois qu'il est temps que nous en finissions et que nous réglions toutes ces affaires ensemble.

LOUIS—Mon père, vous savez que j'ai besoin de vous parler.

TURELURE—Est-ce tellement pressé?

LOUIS—Oui, c'est tellement pressé.

TURELURE—Eh bien, je suis à toi dès que j'aurai fini.

(Sortent TURELURE, ALI et SICHEL.)


SCÈNE II


LOUIS, à Lumîr.—Bonjour, Mademoiselle.

LUMÎR—A vos ordres, mon capitaine.

LOUIS—Voulez-vous avoir la bonté de m'expliquer ce qui se passe en ces lieux?

LUMÎR—C'est Sichel qui vous a dit de venir?

LOUIS—Elle-même.

LUMÎR—Je sais que vous êtes en correspondance avec elle.

LOUIS—Oui. Et vous voyez que je m'en trouve bien.

LUMÎR, dure.—Louis, j'ai demandé à votre père cet argent que vous me devez, et celui qui vous est nécessaire.

J'ai fait le siège du vieillard par tous les bouts et je crois que Sichel m'a aidée de son mieux.

En vain.

LOUIS—Il ne fallait pas demander d'argent. Il fallait que ce soit lui au contraire qui nous en offre.

LUMÎR—On ne peut pas le tromper. Il sait très exactement où nous en sommes.

LOUIS—C'est pourquoi vous avez essayé d'un autre moyen?

LUMÎR—C'est vrai. Il a bien voulu m'offrir sa main hier soir.

LOUIS—Et vous avez l'intention de l'accepter?

LUMÎR—C'est un homme irrésistible.

LOUIS—Que vous a-t-il proposé?

LUMÎR—Il a mis son bras à mon service et m'offre de se faire le général et l'homme d'affaires de la Pologne.

LOUIS, riant aux éclats.—Ah! ah! ah!

LUMÎR—N'est-ce pas, c'est drôle?

LOUIS—Le plus grand coquin a dans son cœur un stock des plus nobles sentiments,

Dont il regrette de n'avoir jamais pu se servir.

C'est comme neuf,

LUMÎR—Croyez-vous que je sois incapable de m'en servir? Qui sait?

Entre un vieillard et une jeune fille, la partie n'est pas égale. Je n'ai qu'à lui sourire d'une certaine manière que j'ai essayée et je vois qu'il la connait.

Un vieillard et une jeune fille! des mains aussi fortes et délicates que celles de la mort.

LOUIS—Ainsi, mon père m'a tout pris et maintenant, il me prend ma femme!

LUMÎR—Vous n'aviez qu'à la défendre.

LOUIS—Voyons, Lumîr, c'est ridicule! vous ne voulez pourtant pas me faire dire que je vous aime.

Non! J'ai beau essayer, cela me reste dans la bouche.

Et il n'est pas facile de vous dire ce qu'on veut, mais vous avez l'air tout de suite si loin quand vous le voulez.

Mais nos vies à tous les trois depuis de longues années, la vôtre, celle de votre frère,

Oui, elles furent tellement réunies, dans la souffrance, dans la lutte, dans l'espoir, dans la misère!

Oui, mon enfant, et dans ce qui n'est pas considéré de ce côté-ci de la mer comme la stricte honnêteté.—Par les honnêtes gens comme mon père.

Je tiens tellement à vous, mon bel ange lointain à mes côtés, est-il possible que nous soyons séparés?

LUMÎR—Ce n'est pas ma faute.

LOUIS—Vous m'avez sauvé la vie!

LUMÎR—Ça suffit à vous donner tous les droits?

LOUIS—Vous êtes toujours là quand je suis triste, quand j'ai la fièvre;

Quand on est vaincu.

Toujours calme, toujours jeune, forte, avisée, et toujours prête à partir dans les vingt minutes

Pas une heure de votre temps depuis ces six années que vous ne m'ayez consacrée, à moi et à mon bien.

Vous avez toujours cru aux possibilités de la Mitidja, ah, c'est un lien entre nous!

LUMÎR—Je vous ai même donné tout ce que j'avais.

LOUIS—Je le sais.

LUMÎR—Et ce que je n'avais pas: ces dix mille francs sacrés.

LOUIS—Je vous les rendrai.

LUMÎR—Dans un mois, vous serez vendu et tout sera fini.

LOUIS, violemment.—On ne me vendra pas ma terre!

LUMÎR—L'échéance est le 30.

LOUIS—Je vous dis qu'on ne me vendra pas!

LUMÎR—Le pays pacifié, les chemins faits, la terre prête à rendre. Le moment est venu pour votre père et pour Ali de mettre la main dessus.

LOUIS—N'essayez pas de me faire perdre la tête. Pour le moment, ce n'est pas ma terre que je suis venu sauver.

C'est vous, mon enfant, ma sœur, vierge Lumîr, contessina, mon petit hussard!

Ne dites pas qu'il n'est plus personne au monde qui m'aime pour autre chose que son propre intérêt.

Ma mère a mieux aimé mourir que de me voir et mon père, dès que je suis né, a mis tout son cœur à me détester.

Je me souviens de ces yeux attentifs dont il me regardait, suivant chacun de mes mouvements.

Et toujours plein de politesse. Toujours il me parlait comme à une grande personne.

J'espérais qu'il y aurait quelque part un enfant et un camarade qui serait à moi seul, simplement parce qu'il m'aime le mieux,

Quelqu'un pour écouter ce que je dis et avoir confiance en moi,

Quelqu'un avec votre visage qui n'est pas tellement beau, mais il n'en est aucun autre qui ait du charme pour moi, et il me parle de tant de choses que je ne comprends pas,

Un compagnon à voix basse qui vous prend dans ses bras et qui vous avoue qu'il est une femme,—un ami,

Un seul, c'est assez d'un.

LUMÎR, les yeux baissés.—Oui, je suis cela pour vous. Ne croyez pas que je suis insensible.

LOUIS—Cependant, tu vas te vendre à mon ennemi, à ce père qui m'a fait!

Nul ennemi ne vous a suffi si ce n'est précisément celui-là.

LUMÎR—Louis, tout de même, j'existais avant de vous connaître. Et moi aussi, avant que vous soyez là,

J'ai un père qui m'a fait.

LOUIS—Vous l'aimiez, lui!

LUMÎR—Mon père, mon frère et moi.

LOUIS—Ici le monde s'arrête.

LUMÎR—Mon frère, mon père! Tous deux sont morts et je reste seule, une même chose avec eux.

LOUIS.—C'est vous-même que je veux épouser et non point votre frère et votre père.

LUMÎR.—Je ne suis pas distincte. Mon père avec nous! Ses bras autour de moi et ma tête sur son épaule!

Je n'ai pas eu d'autre patrie que lui! Son visage, ses yeux, son grand dénuement,

Ces larmes que j'ai vu couler, cette sublime colère comme sur le champ de bataille, son cœur avec celui de son enfant!

Et cet argent, mourant de faim, auquel il ne touchait pas, ce trésor de la patrie, sous sa veste râpée, cette suprême poignée de terre à nous, est-ce que je la laisserai périr?

Je ne fais qu'un avec lui! Qui me prend, il nous prend tous ensemble!

Quelle autre patrie que dans les yeux de mon père quand il me tenait ainsi serrée contre lui?

Je reste seule.

LOUIS—Il reste moi qui suis aussi seul que vous. Laissons le passé où il est.

Il n'est meilleure patrie que celle qu'on se fait soi-même. Qu'est-ce que la Pologne? Nous sommes tous les deux assez forts pour le soleil d'Afrique.

LUMÎR—Il y a un sillage derrière moi que la mer ne suffit pas à disperser.

La Pologne, pour moi, c'est cette raie rose dans la neige, là-bas, pendant que nous fuyions,

Chassés de notre pays par un autre plus fort,

Cette raie dans la neige, éternellement!

J'étais toute petite alors, blottie dans les fourrures de mon père.

Et je me souviens aussi de cette réunion, la nuit, alors que la révolte commença.

Mon père me prit dans mon lit et m'apporta au milieu de ces hommes armés, tous gentilshommes,

Et il me leva tout debout comme il aimait à le faire, mes deux pieds dans ses fortes mains,

Toute droite dans ma longue chemise blanche et mes cheveux bruns répandus,

Comme une petite statue de l'Espérance et de la Victoire!

Et tous ces hommes fiers autour de moi, les sabres dégainés, criant hourra!

LOUIS—Eh bien! Que serait-il arrivé s'ils avaient réussi? Un pays comme celui que vous voyez autour de vous,

Des journaux, des ministres, un parlement et toutes ces choses inexprimablement dégoûtantes,

Le jeu des intérêts, l'opinion publique, l'essor des forces économiques. Pots de vin, raffineries, Sociétés par actions.

Des hommes sur vous comme Toussaint Turelure et comme Ali Habenichts.

Croyez-vous que je sois le fils ou le compatriote de ces gens-là? Il n'y a plus d'autre patrie que soi-même.

La Pologne n'a pas réussi? Tant mieux! Il y a bien assez de patries comme cela!

LUMÎR—Vous parlez comme Sichel.

LOUIS—Son père vaut le mien.

LUMÎR, suave.—Quand je l'aurai épousé...

LOUIS—Plaît-il?

LUMÎR—Quand j'aurai épousé le Comte de Coûfontaine, votre père,...

LOUIS—Vous serez une belle-mère tout à fait charmante.

LUMÎR—Je dis que quand j'aurai épousé votre père,

Je serai bonne pour vous, Louis!

Nous nous intéresserons à vous. Nous mettrons un peu d'argent dans vos cultures. Nous vous recommanderons au Gouverneur.

LOUIS—Ce sera beau. Toutefois, il pourrait arriver quelque chose auparavant.

LUMÎR—Quelque chose? Tu es bien incapable de rien faire, lâche!

LOUIS—Je ne suis pas un lâche!

LUMÎR—Tu veux une femme et tu es incapable de la défendre!

Es-tu un homme? Est-ce que tu te laisseras, marcher sur le ventre jusqu'à la fin? Est-ce que tu te laisseras éternellement chevaucher par ce vieux cadavre?

Ce n'est pas assez de tes biens? Tes biens que tu t'es faits toi-même sans qu'il y soit pour un sou!

C'est ta femme qu'il veut à présent! C'est moi qu'il vient te prendre sous ton nez!

LOUIS—Il ne l'aura pas.

LUMÎR—Il a déjà tes biens. C'est lui qui fera la vendange cette année.

Et toi, on te payera trois francs par jour pour les gros travaux et le sulfatage.

LOUIS—Ne me rends pas fou!

LUMÎR—Maintenant, c'est ta femme qu'il va prendre aussi et je suis à lui.

LOUIS—Il ne l'a pas prise encore.

LUMÎR—Il ne l'a pas prise encore?

Lève-toi, hombre! lève-toi, je te dis!

LOUIS—Malheur à toi, si je me lève!

LUMÎR—Crois-tu que j'ai peur,

Capitaine! Capitaine Louis Napoléon Turelure-Coûfontaine!

Lève-toi, lève-toi que je te regarde! Coûfontaine, Coûfontaine...

(Elle rit aux éclats).

LOUIS, sombre.—Adsum.

(Il se lève).

LUMÎR—Tu es un lâche et je te crache à la figure!

(Silence).

LOUIS, bas.—Lumîr, assez.

LUMÎR, à mi-voix, entre ses dents.—Lâche! lâche!

LOUIS—Assez, petite furie!

LUMÎR, de même.—Rends-moi mes dix mille francs, voleur!

LOUIS—Tais-toi et laisse-moi réfléchir.

LUMÎR—Louis! Caballero! Écoute-moi, soldat de la Légion Étrangère!

Tous les deux nous avons servi sur la terre d'Afrique, sous un drapeau qui n'est pas le nôtre, pour une cause qui ne nous intéresse pas,

Pour l'honneur du Corps,

Sans amis, sans argent, sans famille, sans maître, sans Dieu,

Estimant que ce n'est pas trop de l'esclavage pour payer cette demi-liberté!

Il reste l'Honneur!

Si Dieu existait,

Oui, si Dieu existait,

(Elle regarde le crucifix—d'une voix déchirante):

Si Dieu existait, il y aurait Dieu d'abord, mais il n'y a plus que des soldats dans le même rang et des hommes égaux, le devoir entre les camarades, la batterie des Hommes-sans-peur!

Il y a l'honneur!

Es-tu un lâche? Quand un camarade t'appelle au secours, est-ce que le premier devoir n'est pas de répondre? Il n'y a que nous au monde.

Qui est ton père? Quel bien t'a-t-il fait?

Quand tu étais par terre sur la brèche de Constantine avec trois balles dans la peau,

Est-ce que mon frère a tellement réfléchi pour te charger sur son dos,

Quand tu claquais des dents sous ton gourbi avec une sale fièvre,

Est-ce une autre que j'ai laissée te soigner? Tu faisais sous toi et c'est moi qui te nettoyais comme un enfant.

Qui a eu confiance en toi? Qui t'a prêté de l'argent? Pas un sou que nous ne t'ayons donné, ce qui était à nous et pas.

Sans reçu, sans intérêts, en vrais militaires, en chics camarades, en hommes du même çouf.

Mon frère est mort à ton service, maintenant, je suis seule.

LOUIS—Il est cependant permis de réfléchir et de chercher sa voie.

LUMÎR—Il n'est pas permis de réfléchir et il n'y a qu'une voie.

LOUIS—Le cœur me lève à l'idée de porter la main sur le vieux Monsieur.

LUMÎR, doucement—Louis, sauve-moi. Je suis seule sur la terre.

LOUIS—Tu as confiance en moi?

LUMÎR—Oui, j'ai confiance en toi.

LOUIS—Donne-moi le sac.

LUMÎR, ouvre le sac et en tire deux pistolets.—Fais attention!

Il y a dedans deux pistolets, l'un grand, l'autre petit.

Je les ai chargés moi-même ce matin.

LOUIS—Bien.

LUMÎR—Tu vois? Les amorces sont mises. Maintenant, écoute bien.

Le petit est chargé à blanc, il n'y a pas de balle. Tu as entendu ce que je te dis?

LOUIS—Le petit est chargé à blanc, il n'y a pas de balle.

LUMÎR—Le petit, tu entends? Pas d'erreur.

Le vieux est lâche. Je suis sûre que la peur suffira et qu'il n'y aura pas besoin d'en venir aux extrémités.

Il vient de toucher 20.000 francs d'Ali. C'est Sichel qui me l'a dit. Il les a certainement sur lui.

Il est vieux. Il est usé. Qui sait si l'émotion ne suffira pas? C'est une idée que Sichel m'a donnée.

Elle est avec son père dans l'autre aile du bâtiment. Il n'y a personne dans celle-ci. Il n'y a rien à craindre d'elle.

LOUIS—L'autre pistolet?

LUMÎR—L'autre pistolet est chargé à balle.

LOUIS—C'est bien.

LUMÎR—Tous les deux sont au cran d'arrêt, mais on peut les armer avec une seule main.

LOUIS—J'ai compris.

LUMÎR—Je les remets tous les deux dans le sac.

LOUIS—Mets le sac ici à ma droite.

LUMÎR—Du cœur.

(Elle le regarde et lui sourit. Puis elle sort).


SCÈNE III


(Entre TURELURE).

TURELURE—Monsieur mon fils, me voici à vous, toutes affaires réglées avec le Barkoceba.

Seigneur! Que deviendrions-nous si je n'étais là pour prendre soin de votre héritage!

(Il essaye vivement de prendre le sac que LUMÎR a laissé sur la table. Le capitaine le lui retire. Tous les deux se regardent en silence).

LOUIS—Mon père, pourquoi me faites vous tort? Mon père, pourquoi me faites-vous la guerre?

C'est bien, vous avez le dessus et me voici prêt à composer.

TURELURE—Tu es mon fils unique et mes sentiments pour toi sont ceux du plus tendre intérêt.

LOUIS—Quittez ce ton.

TURELURE, grinçant des dents—Et toi, tu voudrais m'ôter la vie si tu le pouvais!

LOUIS—Pourquoi faites-vous que je ne puisse aller nulle part sans que vous me barriez la route?

TURELURE—Il ne fallait pas me réclamer cet argent de ta mère à ta majorité. Je ne pouvais te le laisser dissiper.

Et ce que tu jetais, il valait autant que je fûsse là pour le ramasser.

LOUIS—Je n'ai pas jeté d'argent et ma vie est dure. Je ne suis pas un homme de plaisir.

TURELURE—Tu es un homme de chimère, donnant ce qu'il a pour ce qu'il n'a pas.

LOUIS—Je suis un homme de conquête. Qui m'y a forcé? Je n'ai eu ni père ni mère. Tout ce que j'ai, il me fallait le tenir de moi-même.

TURELURE—Tu oublies la fortune que tu as reçue de moi.

LOUIS—Reprise de force, mon père, à grand appareil de papier timbré.

TURELURE—Ne t'étonne donc pas que j'essaie de la rattraper.

LOUIS—Vous n'y êtes de rien. C'est le bien de ma mère qu'elle avait reconstitué à grand labeur.

TURELURE—De rien? Tu dis que je ne suis de rien dans Coûfontaine?

Mort de ma vie! J'en suis fait et je l'ai dans les os! qu'est-ce auprès de moi que ces comtes toujours absents, coupés de tous les sangs de France et d'Europe, ces produits de haras et de chenil?

Ah, ça me faisait pitié que de voir cette bonne terre de France fondre et frire comme du beurre sur le sable d'Afrique!

Je suis plus Coûfontaine que toi!

LOUIS—Je ne suis ni Turelure ni Coûfontaine.

TURELURE—Tu es Turelure, le front et le nez sont les miens.

La bouche fine et dessinée est celle de ta mère. Quelque chose d'assez simple.

LOUIS—C'est à cause de la bouche que vous me haïssez?

TURELURE—Non, c'est à cause du nez et du front.

LOUIS—Un père se réjouirait d'être ainsi continué.

TURELURE—Qu'est-ce qu'il y a à continuer? Il n'y a pas besoin de deux Turelure. Et moi, à quoi est-ce que je sers, alors?

LOUIS—Je ne suis pas Turelure.

TURELURE—Tu l'es. Tu te sers de la même figure que moi et ton âme fait les mêmes plis.

Je te comprends à fond, et ne dis pas que tu ne me comprennes pas aussi! ça bouge ensemble.

Ou sinon je ne verrais pas ce regard dans tes yeux. (Bon, je ne te veux pas de mal). C'est cela qui nous fait du mal à tous les deux.

Tu es le Turelure concurrent et successeur.

Il n'y a pas là de quoi se fondre d'amour et de bénignité! Quoi! je me défends!

LOUIS—J'ai mis exprès la mer entre vous et moi.

TURELURE—En emportant mon bien.

LOUIS—Vous dites que vous l'avez repris.

TURELURE—Ma mort te le rendra. Je n'aime pas les gens qui sont intéressés à mon décès.

LOUIS—Ce n'est pas à votre mort que je suis intéressé. Je viens à vous dans un sentiment de tristesse et de curiosité pendant que vous vivez encore.

Pourquoi vous débattre ainsi avec fureur comme si je vous tenais à la gorge?

Je vous regarde, oui, ça m'intéresse, et je voudrais savoir de quoi je suis fait.

Mon père qui m'avez fait, expliquez-moi pourquoi.

Il y avait quelque chose en vous qui n'était pas fini et qui ne pouvait venir à la vie que dans un autre

Par le moyen de cette autre, ma mère.

Et il est bien vrai que je vous ressemble. C'est comme si je vous voyais pour la première fois. Oui, je vous vois en plein et je pourrais tout dessiner.

TURELURE—Pour moi je n'éprouvais aucun besoin de te voir.

LOUIS—N'est-ce pas? un enfant, c'est comme un autre soi-même que l'on peut regarder de ses deux yeux,

Soi-même et quelque chose d'autre et d'intrus,

La conscience hors de vous qui s'anime et qui agite les bras et les jambes,

Une conséquence vivante sur laquelle tu ne peux plus rien, papa!

TURELURE—Il fallait que je fîsse de toi tout le but de mon existence?

LOUIS—Quel a été le but de votre existence?

TURELURE—Quel est le but d'un nageur, sinon de ne pas aller dessous? Pas le temps de réfléchir à autre chose.

Il n'y avait pas de fond de bois pour nous! Pas le temps de faire la planche et de se chauffer le ventre au soleil. Il y en a très bien qui ont bu un petit coup près de papa Turelure!

Ce n'est pas moi qui me suis mis à l'eau, c'est la mer qui m'a pris et qui ne m'a plus quitté.

Je voulais vivre.

Des vagues comme des montagnes! Il faut monter avec elles. Attention qu'elles ne vous versent pas sur la tête comme une charretée de cailloux! Chacun pour soi et tant pis pour les camarades.

LOUIS—Vous voilà au sec.

TURELURE—Oui. J'attends ce que tu as à me dire.

LOUIS—Je sais que vous me tenez. Vous, m'avez suivi de loin avec une patience de chasseur.

Toutes les routes autour de moi sont bouchées. Vous avez bien réfléchi et vous n'en avez pas oublié une.

Vous le savez, je ne puis faire face à l'échéance, du 30.

Faute de quoi je suis saisi et vendu par le compère Habenix.

TURELURE—Il te reste l'armée que tu as désertée,

Et qui est toujours ouverte aux hommes de notre sang. Tu peux toujours compter sur moi pour ton avancement,

Pour un avancement raisonnable.

LOUIS—Saisi, vendu.

TURELURE—Il te reste les espérances.

LOUIS—C'est vrai, il me reste l'espérance.

TURELURE, chantonnant.

Quand papa lapin mourra,
J'aurai sa belle culotte!
Quand papa lapin mourra,
J'aurai sa culotte de drap!

LOUIS—Je vous cède une terre toute molle et nettoyée, une belle terre sans aucun venin, pure comme une pucelle, vous n'y trouveriez pas une racine, pas une pierre aussi grosse que le poing.

C'est moi qui ai fait cela et j'ai manqué d'y crever.

TURELURE—Je vais te dire un secret, mon garçon. Je me fous de ta terre et de ton travail.

Tu n'es qu'un paysan et tu ne vois pas autre chose que la terre qui fait du fruit.

Mais pour moi c'est autre chose qui me paraît bien doux et sucré!

LOUIS—Le «Chapeau de gendarme», n'est-ce pas? Mes sept arpents au bord de la mer près du Camp-des-Zouaves?

TURELURE—Tu l'as dit, mon petit enfant! c'est tout chocolat!

Ah, quels beaux Magasins-Généraux nous allons y construire et matière à warrants!

LOUIS—Et vous ne ferez rien de ma terre de la Mitidja?

TURELURE—Rien du tout, mon capitaine! Pourquoi se donner tant de mal quand il n'y a qu'à attendre, les bras croisés?

Si le pays se développe, nous profiterons du travail des autres.

LOUIS—Écoutez, mon père, je ne vous demande rien; laissez moi seulement comme régisseur sur ma terre,

Sur votre terre, veux-je dire.

TURELURE—Non, le plus sur est d'arrêter les frais et risques,

Et de laisser faire aux gens de cœur.

LOUIS—C'est votre idée?

TURELURE—Oui, mon fils, c'est mon idée.

LOUIS—Et est-ce qu'il ne vous a jamais frappé, Monsieur le Comte,

Qu'il peut être dangereux de réduire un homme au désespoir?

TURELURE—Je n'ai peur que des optimistes.

Il n'y a rien de moins dangereux qu'un homme désespéré;

Quand on est hors de sa portée.

LOUIS, mettant la main sur le sac—Vous n'êtes pas hors de ma portée.

TURELURE—Louis, tu es trop de mon sang pour sauter dans la mare à Gribouille.

LOUIS—Ne vous y fiez pas trop, je vous le conseille. Oui, regardez-moi, Monsieur, vous m'avez bien regardé?

Et ne quittez pas cette table, je vous le défends! Ne bougez bras ni jambes, je vous dis! Fixe!

Ah! Ah! je vois une grosse bosse sous votre redingote. C'est l'argent que vous a donné Habenix?

TURELURE—Ne fais pas de bêtises.

LOUIS—Et vous, ne faites pas le dévorant avec moi, je vous le conseille, Monsieur mon père!

Vous voulez voir ce qu'il y a dans ce petit sac?

Il ouvre le sac et en tire les deux pistolets qu'il arme et place soigneusement devant lui.

TURELURE—Gamin, ce que tu fais est de bien mauvais goût.

Si tu tires, on viendra.

LOUIS—Tout le monde est dans l'autre aile de la maison,

Par les soins de Sichel.

TURELURE—Par les soins de Sichel! je comprends. Quoi donc, c'est sérieux?

LOUIS—Je n'ai pas le choix des moyens, je marche, je ne suis pas libre!

Mon père, je vous en supplie, comprenez qu'il n'y a aucun moyen de reculer.

Je ne suis pas libre! Il me faut cet argent! Je dois!

Je dois cet argent et il faut à tout prix que je le restitue, ou je perds l'honneur, je suis entièrement perdu!

Je vous dis que je dois avoir cet argent.

—Ne bougez pas!—Mon père,

Vous m'avez pris tout ce que j'avais.

TURELURE—Tu n'avais rien du tout.

LOUIS—Gardez-le.

TURELURE—Mille grâces.

LOUIS—Mais donnez-moi ces dix mille francs.

TURELURE—Non. C'est non. Moi non plus, je ne peux pas, je ne peux pas te les donner.

LOUIS—Ces dix mille francs qui ne sont pas à moi, ni à vous; et qui ne sont pas à celle-là même qui me les a prêtés.

TURELURE—Eh bien, elle a pris ses risques.

LOUIS—Je vous assure qu'il me faut ces dix mille francs et que je les aurai.—Ne remuez pas ainsi, je vous en prie, cela me fait mal au cœur.

TURELURE—Et qu'est-ce qui arrivera, pauvre bénêt, si tu lui rends ces dix mille francs?

LOUIS—Cela m'est égal.

TURELURE—Crois-tu qu'elle t'épousera, ruiné comme tu l'es?

LOUIS—Je n'en sais rien.

TURELURE—Jamais, je te dis! jamais! elle me l'a dit.

LOUIS—Raison de plus pour que vous me donniez cet argent.

TURELURE.—Elle fout le camp avec et c'est fini.

LOUIS—Qu'est-ce que cela peut vous faire?

TURELURE.—Ne vois-tu pas que si tu lui rends cet argent,

Nous perdons toute prise sur elle? Ce n'est pas plus ton intérêt que le mien. Qu'est-ce que cela peut me faire, bougre d'égoïste?

Si j'étais son mari, je ne lui donnerais jamais d'argent que sur vu des notes.

LOUIS—Son mari?

TURELURE—Eh! Tu te crois toujours tout seul au milieu de tes jujubiers, espèce de sauvage!

LOUIS—Ainsi, c'est sérieux et je le tiens de votre bouche même;

Vous m'avez pris mon bien et maintenant, tu veux me chauffer ma femme!

TURELURE—C'est toi qui la laisses aller.

LOUIS—Vous lui avez demandé, n'est-ce pas?

TURELURE—Bon, j'ai été repoussé avec perte.

LOUIS—Laissez-la donc tranquille?

TURELURE—Laisser une chose qu'il me faut? Je ne puis quand je le voudrais.

(Geste de LOUIS).

Louis, mon fils, ne me tue pas! Cela ne te servirait à rien. Tu n'auras pas ma fortune. Oui, je t'expliquerai! J'ai des arrangements avec Sichel, elle a tout, j'ai pris une assurance!

LOUIS—Ne me provoquez pas!

TURELURE—J'ai eu tort, j'ai fait le brave. Ce n'est pas ce que je voulais dire! Je me suis laissé entraîner.

Oui, j'ai eu des torts envers toi, laisse moi un peu de temps, je ferai ce que tu voudras!

Je ne suis pas brave. Tu verras comme on tient à la vie quand on est vieux! les jours comptent.

Ne me fais pas de mal, Louis!

LOUIS—Donnez-moi ces dix mille francs.

TURELURE—Je ne peux pas, Louis! Attends un peu! Aie pitié de moi, mon enfant! Cela ne m'est pas possible.

LOUIS—Savez vous une chose, mon père? Savez-vous ce qu'elle m'a dit?

Vous n'êtes pas libre, dites-vous, et je ne le suis pas non plus, et elle ne l'est pas davantage.

Il lui faut cet argent que vous avez et qui n'est pas à elle.

TURELURE—Tout ce que j'ai, si elle veut, est à elle.

LOUIS—Eh bien, soyez content, elle veut. Oui, si je ne lui rends pas ce dépôt dont elle est saisie,

Elle est prête à se laisser épouser.

TURELURE—Louis, c'est une bonne parole. A cause de cela, je te pardonne tout le reste.

Elle est si jeune et si gentille, c'est un rayon de soleil dans ma vie.

Et que ses bras sont blancs! j'ai vu ses bras à dîner, l'autre jour. Il me faut ces bras-là.

LOUIS—Et cela vous est égal de vous faire épouser par nécessité?

TURELURE—Nécessité engendre la crainte, qui est la moitié de l'amour chez une femme.

LOUIS—Et la moitié de la sagesse chez un vieux turlupin.

TURELURE—Louis, tu as eu tort de me dire qu'elle voulait m'épouser.

LOUIS—Elle veut. Vous avez touché son cœur.

TURELURE—Comment veux-tu que je fasse maintenant?

Je t'aurais encore donné cet argent, brigand, bien que ce soit dur.

LOUIS—C'est plus dur encore de mourir.

TURELURE, avec un gros soupir.—C'est vrai, c'est encore plus dur de mourir.

Mais il n'y a pas moyen de faire autrement.

LOUIS—Soyez sage.

TURELURE—Non!

Tu peux tout demander à un Français

Excepté de faire le chapon et de renoncer à une femme par contrainte.

Cela, c'est impossible! cela, non! Je suis Français et tu ne peux pas me demander cela.

Tu peux tuer ton père, si tu le veux.

LOUIS—C'est votre dernier mot?

TURELURE—Tue-moi si tu le veux...

Non, ne me tue pas, j'ai peur!

LOUIS—L'argent.

TURELURE—C'est impossible! Tu ne crois pas en Dieu, Louis?

LOUIS—Je n'y crois pas.

TURELURE—Je suis perdu, je ne suis entouré que de figures impitoyables!

Voici mon fils, et je me tiens au milieu de ces deux femmes qui me conduisent à la mort avec un sourire funèbre!

LOUIS—Est-ce que vous y croyez?

TURELURE—J'y crois! je suis le seul croyant et votre bestialité me fait horreur!

Tu ne comprends pas un homme du vieux temps.

J'y crois de tout mon cœur! Je suis un bon catholique à la manière de Voltaire!

Non, non, je ne ris pas! Mon fils, ne me tue pas! ne me tue pas, mon enfant!

LOUIS, le couchant en joue avec les deux pistolets.—L'argent!

TURELURE, claquant des dents et essayant de tenir bon.—Non. C'est impossible. Ne me tue pas!

LOUIS—L'argent, voleur!

TURELURE—Non!

LOUIS—Mon argent, voleur! mon argent, voleur! les dix mille francs, voleur!

(Signe que non).

(LOUIS tire à la fois avec les deux pistolets. Les deux coups ratent. TURELURE reste un moment immobile et les yeux révulsés. Puis la mâchoire s'avale et il s'affaisse sur un bras du fauteuil.

(LOUIS s'approche de lui, ouvre les vêtements, tâte le cœur, fouille dans les poches, prend l'argent, remet le corps en position. Lui-même, debout et les bras croisés le regarde fixement).

(Entre LUMÎR)


SCÈNE IV


LUMÎR—Je n'entendais plus rien. Je suis entré.

LOUIS—Vous écoutiez à la porte?

LUMÎR—Oui.

(A demi-voix)

Tu as tiré?

LOUIS—Oui.

Les deux coups à la fois.

LUMÎR—Eh bien?

LOUIS—Tous les deux ont raté.

LUMÎR—Mais ton père...

LOUIS—... Est mort. Oui, il est mort tout de même. Il est bien mort. Son misérable cœur s'est arrêté.

LUMÎR—Cependant les amorces étaient fraîches, la poudre sèche et je sais charger.

LOUIS—Tu auras oublié de souffler dans la cheminée. Ce sont de vieilles armes.

LUMÎR—Tu lui as pris l'argent?

LOUIS—Je l'ai. (Il lui donne l'argent). Voici les dix mille francs. Pas besoin de quittance entre nous.

LUMÎR—Louis, que faut-il que je te dise?

LOUIS—J'ai tué mon père.

LUMÎR—Tu l'as tué. C'est bien. Il n'y avait pas autre chose à faire.

LOUIS.—Il fallait. Je n'étais pas libre.

LUMÎR.—Je jure que cet argent était à moi et qu'il n'avait pas le droit de le garder, et que je n'étais pas libre de le lui laisser.

LOUIS.—Il n'y a qu'à ne plus y penser.

LUMÎR.—Comme il est jaune! comme il nous regarde avec ses vieux yeux rouges!

LOUIS.—N'aie pas peur, il ne te fera rien. Le vieux gentleman est tout-à-fait tranquille et jamais il n'a eu l'air si respectable.

LUMÎR.—Louis!

LOUIS—Crois-tu que j'aie regret de ce que j'ai fait? C'est fini, cela n'est plus, il n'y a plus qu'à ne pas y penser.

Je n'étais pas libre.

LUMÎR.—Tu as tiré les deux coups à la fois?

LOUIS.—Oui, je n'aime pas les marivaudages.

Compte ton argent, et moi, j'ai à vérifier quelque chose.

(Elle compte les billets, et lui pendant ce temps, dégageant la baguette d'une des armes, la plonge dans le canon du pistolet court et en fait tomber une balle: qu'il élève entre ses doigts).

Lumîr,

Le premier pistolet aussi était chargé.

(Elle se retourne vers lui et rit).


ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

La même pièce qu'aux actes précédents. Au lever du rideau, SICHEL et LUMÎR, (Costume de femme) sont assises chacune à une table, écrivant sous la dictée de LOUIS qui se promène de long en large. Au milieu, à une autre table le notaire MORTDEFROID, disparaissant derrière des liasses et des dossiers, LOUIS dicte et parle à la fois à tous les trois.

Deux jours ont passé depuis l'acte II.


LOUIS—Attention, Sichel! Notre plus belle écriture de chancellerie, ma fille! et ne gâtez pas cette feuille de papier à tranche dorée, s'il vous plaît, la dernière qui me reste. Nous y sommes?—Je continue:

«... Parmi les épreuves cruelles qui viennent de m'atteindre, je puise un grand réconfort...»

(A LUMÎR). Vous y êtes, Lumîr?

«Keller, Boufarik.»

(A SICHEL). C'est mon copain là-bas, une espèce d'associé.

A LUMÎR. «Mon vieux, ci-joint une traite de 2.000 francs sur Dumont, Zographos et Cie, sur laquelle tu paieras:

A la ligne.

Facture du 30 Juin, ci...»

(A SICHEL). «... un grand réconfort dans ce témoignage de l'estime et de la confiance que Sa Majesté n'a cessé de montrer...»

(A LUMÎR):

ci1.000 fr.
100 journées d'ouvriers à 2 fr. 50, ci250 fr.
Note Laparra . . . . . . . . . . . . .380 fr.
Frais divers . . . . . . . . . . . . .Mémoire.

(A SICHEL). «... à mon père».

(A LUMÎR). Faites le total.

LUMÎR—Vous avez tort de laisser tant d'argent à Keller. Il va tout boire.

LOUIS—Eh bien, qu'il boive à ma santé! On ne perd pas son père tous les jours!—ça va, Monsieur Mortdefroid?

MORTDEFROID—Ce n'est pas facile de s'y retrouver.

LOUIS—Pardon de vous avoir fait venir de si bonne heure, mais je n'aime pas que les choses traînent. Et le corps est levé à dix heures et demie sans faute, on va sonner à l'église dans un moment.

A vos pièces, Sichel!

«Veuillez agréer personnellement, Monsieur le Secrétaire, l'expression de ma haute considération et vous faire l'interprète auprès de sa Majesté...»

(A LUMÎR). «Et quant à ce petit Maltais qui nous embête...»

(A SICHEL)—«... Des sentiments de reconnaissance, de dévouement et de profond respect avec lesquels je suis...» A la ligne, une ligne de blanc.

(A LUMÎR). «... Si tu ne parviens pas à m'en débarrasser avant mon retour...»

(A SICHEL). «... De Sa Majesté».

SICHEL—Cela fait deux fois Majesté.

LOUIS—Eh bien, ça lui fera plaisir!

(Il envoie un baiser au portrait du Roi Louis-Philippe).

(A SICHEL). «... De Sa Majesté...» deux lignes de blanc, en lettres plus petites...

(A LUMÎR). «... Tu es un porc».

(A SICHEL). «... Le très humble et très obéissant serviteur».

(A LUMÎR). «... Mon père est mort, j'ai l'argent pour l'échéance. Je serai là le 20.» Relisez.

Eh bien, Monsieur Mortdefroid?

MORTDEFROID—Ce que je vois n'est pas fameux, mais ce n'est vraiment pas facile de s'y reconnaitre.

Le défunt Comte avait la manie, des affaires et de la spéculation, auxquelles il ne s'entendait mie,

Défiant comme un vieillard, simple et plein de foi comme un petit enfant,

Tendant de toutes parts des fils où il s'empêtrait. Un vrai militaire!

Et cette crise qui se déclare à la Bourse!

LOUIS, nasillard et bouffonnant.—De sorte que si nous mettons d'un côté cette quittance et décharge générale de toutes les obligations, dettes, avals, participations, garanties et engagements quelconques,

Que mon père, le jour de sa mort, a reçus du père de Mademoiselle...

SICHEL—Plus cette somme de 20.000 francs en argent liquide que mon père lui avait versée.

LOUIS—... Que j'ai trouvée sur lui et dont je me suis permis de m'emparer, en ayant grand besoin.

MORTDEFROID—... Si, disons-nous, nous mettons d'un côté cette quittance... C'était une bonne pensée de sa part, pauvre comte! une espèce de pressentiment de sa fin. Le jour même de sa mort! Il voulait laisser une situation nette.

LOUIS—Si, d'autre part, nous faisons état de cette reconnaissance forfaitaire de trois cent mille francs à payer en deux termes de six mois, que mon dit père, le même jour, a signée en faveur du dit père de Mademoiselle...

MORTDEFROID—Je crois que les deux se balancent. Trois cent mille francs, c'est toutes les forces de votre actif. C'est une situation nette.

LOUIS—Pour net, c'est net. Fort bien, je m'y attendais.

(A SICHEL). Je vous félicite, Mademoiselle. Donnez-moi tout cela que je signe.

(Il signe les lettres de SICHEL et celles de LUMÎR).

MORTDEFROID.—On peut tout plaider, naturellement. Il y a certaines choses suspectes: comptes fictifs, papiers antidatés, ce n'est pas difficile de donner du corps à un dossier. Les contre-lettres aussi.—Mais allez faire la preuve.

LOUIS.—Pas de preuve, Monsieur Mortdefroid! Je vous charge de tout vendre et de tout liquider.

(A SICHEL). Nous ferons honneur à notre signature.—

C'est une bonne affaire pour votre étude.

MORTDEFROID.—Puis-je encore vous être utile en quelque chose?

LOUIS.—Nous recauserons après l'enterrement, si vous le voulez bien.

MORTDEFROID.—Serviteur, Monsieur le Comte!

(Il sort).

LOUIS, à SICHEL—C'est une belle dot, Mademoiselle, que mon père vous laisse.

SICHEL—Vous avez reçu votre part.

LOUIS—Ma part, rien de plus juste. Ces 20.000 francs providentiels et toute l'Afrique pour moi!

SICHEL—Et votre fiancée.

LOUIS—Et ma fiancée par-dessus le marché. C'est vrai, tonnerre! Je n'y pensais pas. Il y a de beaux jours pour nous.

Et maintenant, aux affaires sérieuses! Est-ce que votre père est réveillé?

SICHEL—Je ne sais. Je crois qu'il a passé une mauvaise nuit.

LOUIS—Pas réveillé?

Il faut qu'il se réveille. Tout le monde sur le pont! J'ai besoin de lui dans une heure. Et portez-lui ces lettres de faire-part. Dites-lui qu'il s'amuse à écrire les adresses en attendant. Voici la liste. Compris?

(Il lui donne les papiers).

(Elle sort).


SCÈNE II


LUMÎR, posant sa plume.—Il y a des choses que je ne comprends pas.

LOUIS—Il y a des choses que tu ne comprends pas? Qu'est-ce que tu ne comprends pas, mon petit ange?

LUMÎR—Ton père avait peur de toi. Comment a-t-il accepté ce tête à tête?

LOUIS—Il n'a pu faire autrement. Il n'a pas pu résister. C'était intéressant de s'expliquer à fond avec moi et de me voir vaincu et suppliant.

En outre, il me méprisait.

C'était intéressant de me braver en face avec cet argent dans sa poche qui lui chauffait le cœur.

LUMÎR—Et comment a-t-il pu signer cette obligation de trois cent mille francs?

LOUIS—Bah! Qu'avait-il à craindre d'Ali? Tous deux se tenaient par trop de liens et de communications. C'était une assurance à rebours. Il tenait à ce que nous l'aimassions pour lui-même. Rien que ces bons petits vingt mille francs dont il n'a pas eu le courage de se séparer.

LUMÎR—C'est une trouvaille de Sichel.

LOUIS—Elle lui fait honneur.

LUMÎR—Il pensait que s'il lui laissait toute sa fortune,...

LOUIS—D'une part cela m'ôterait tout intérêt à sa mort à lui....

LUMÎR—Et d'autre part, quand il viendrait à mourir,...

LOUIS—Cela m'encouragerait à l'épouser. Oui, c'est bien son genre de plaisanteries.

LUMÎR—Mais tu ne l'aimes pas, Louis, dis-moi?

LOUIS—Si fait, contessina, elle seule.

(Il l'embrasse).

Que votre joue est fraîche et vos mains sont glacées.

(Il feint de vouloir l'embrasser de nouveau. Léger mouvement de répulsion).

Je vous dégoûte, Lumîr?

LUMÎR—J'ai cru voir la figure cruelle et dévorante de votre père, le meunier naïf et méchant.

Non, vous êtes redevenu le même,—le même qu'avant.

LOUIS—Lumîr, je vous demande de ne plus me parler du vieux Monsieur.

C'est vrai, je l'ai tué, j'ai tué mon père, autant que la chose dépendait de moi. Le cœur y était.

Et pour ces souvenirs pénibles, cette action toutes les nuits lentement qui se prépare et qu'on recommence en rêve,

Je sais que c'est une question de fermeté, de patience et de temps.

LUMÎR—Quelles sont tes intentions?

LOUIS—Repartir pour l'Algérie, le plus tôt possible, une fois la liquidation mise en train par quoi tout est remis entre les mains du couple.

LUMÎR—Sans regret?

LOUIS—Des regrets? Qu'ils gardent tous ces biens! C'est un soulagement pour moi.

LUMÎR—Ainsi, rien ne s'est passé?

LOUIS—Rien ne s'est passé.

LUMÎR—Tu retournes en Algérie avec moi?

LOUIS—Avec toi, si tu le veux.

(Elle rit, la tête baissée et fait signe que non).

Non? Tu ne peux pas revenir avec moi?

LUMÎR—Non.

LOUIS—C'est en Pologne que tu veux aller?

LUMÎR à voix basse, comme se parlant à elle-même.—Oui ... en Pologne ... partir...

LOUIS—N'est-ce pas, de toutes manières, tu n'as jamais eu l'intention de revenir avec moi?

(Elle secoue la tête.)

Qui t'appelle dans cette Pologne?

LUMÎR, comme si elle avait l'esprit ailleurs.—Un parent qui est malade m'appelle.

LOUIS—Pourquoi essayes-tu de mentir?

LUMÎR—Pourquoi me poses-tu des questions?

(Silence).

LOUIS—Lumîr, qu'est-ce qu'il y a?

LUMÎR—Que ce lieu est horrible et cette pluie depuis huit jours qui n'en finit pas!

Cette grande maison ravagée, dépossédée de ses maîtres, morte...

Ce mur nu, ce Christ déposé, attendant que quelqu'un l'enlève, et tout cela pendant si longtemps qui fut toute la joie et toute l'espérance de l'humanité,

Maintenant descendu et déposé contre le mur. On l'a oublié là.

Et à la place de Jésus-Christ cette idole hideuse et luisante, ce vieillard colorié qui n'est que joues et toupet!

Que je suis seule ici! Grand Dieu, que je suis seule ici et que je m'y sens étrangère!

Tout, autour de moi, m'est hostile et je n'y ai aucune place. Les choses mêmes autour de moi, on dirait qu'elles ne me voient pas et que je n'y suis pas.

LOUIS—Viens avec moi. Rentre avec moi dans la vie et dans la réalité.

LUMÎR—La réalité est absente. La vraie vie est absente. Moi, du moins, je suis éveillée pour ce court moment.

LOUIS—La vraie vie est présente avec toutes ces choses que nous avons à y faire et qui attendent de nous l'existence.

Le passé est mort, la vie s'ouvre et le chemin devant nous est déblayé.

LUMÎR—Je n'ai point de goût à cette terre étrangère.

LOUIS—La chose qu'on a faite n'est pas une étrangère pour nous.

LUMÎR—Je n'ai rien fait autrement que par loyauté,

A mon frère, à mon père. Tous deux sont morts et j'ai récupéré cet argent.

Maintenant, je suis libre et déliée et toute seule dans ce vaste univers!

Unique et absolument seule.

LOUIS, amer.—Il y a la patrie là-bas.

LUMÎR—Sans père, sans patrie, sans Dieu, sans lien, sans bien, sans avenir, sans amour!

Rien autour de moi que la pluie sempiternelle, ou ce soleil blanc plus effrayant que la mort,

Qui ne me montre rien autour de moi que des figures aussi vaines que le sable, un peuple d'ombres nulles.

Le torrent qui passe et personne absolument de qui je sois connue,

Rien que la rumeur éternelle de ces bouches sans aucun sens qui parlent en une langue étrangère.

LOUIS—Lumîr, je t'ai aimée autrefois et je sais que tu le savais.

LUMÎR (petit sourire).—Autrefois?

LOUIS—Je t'aime encore.

LUMÎR—Non, tu ne m'aimes plus et je suis déjà partie.

Tu n'as pas trop de toute ton âme pour penser à ce que tu fis avant-hier.

LOUIS—Pour cette Lumîr.

LUMÎR (elle étend la main pour le toucher).—C'est vrai. Ah, pauvre ami, ah, frère, que j'ai de peine pour toi!

LOUIS—Et c'est parce que tu m'aimais que tu m'as dressé cette embûche?

LUMÎR—Tu parles de ce petit mensonge que j'ai fait, et de ce premier pistolet qui, effectivement, était chargé à balle?

LOUIS—Tu voulais la mort certaine pour mon père et pour moi le crime et l'échafaud.

LUMÎR.—Je suis plus jeune que toi et tout cela est ma propre part bientôt.

LOUIS—Tu voulais me faire mourir?

LUMÎR—Fallait-il que je te laisse à cette femme?

LOUIS—Je ne veux pas épouser Sichel.

LUMÎR—C'est ce qu'elle veut qui est la chose importante.

Et tu vois qu'elle a tout l'argent.

LOUIS—Que m'importe l'argent?

LUMÎR—Beaucoup. Nous avons vécu trop durement, toi et moi, pour ne pas savoir ce que vaut l'argent.

LOUIS—Je t'ai rendu le tien.

LUMÎR—Oui, tu es quitte avec moi. Nous sommes quittes tous les deux.

LOUIS—Tu m'as fait commettre ce crime et maintenant, tu m'abandonnes.

LUMÎR—Non pas, tu n'as qu'à venir avec moi où je vais.

LOUIS—Tu sais bien que je ne puis pas, toutes ces choses que j'ai commencées m'attachent.

LUMÎR, doucement.—Est-ce que c'est triste que je parte?

LOUIS—Non, ce n'est pas triste.

LUMÎR—Bien vrai, ce n'est pas triste? Ah, n'essaye pas de feindre! Je vois ce regard enfantin dans tes yeux, qui me fait tant de plaisir, et ce trouble qui me rend confuse, et ce petit sourire malheureux!

LOUIS—De cela aussi, je viendrai à bout.

LUMÎR—Louis, est-ce que tu tiens tellement à vivre sans moi?

LOUIS—Ne me mets pas en colère! Ne me regarde pas ainsi de cet air de compassion et de mépris! J'aime mieux ton indifférence.

LUMÎR—Non, je ne reviendrai pas avec toi.

LOUIS—N'est-ce pas un malheur de s'entendre parler ainsi par un bout de femme qu'on tordrait entre ses deux mains?

Tu sais bien que je suis le plus fort. Alors, pourquoi est-ce que tu ne veux pas faire ce que je veux? Ce n'est pas juste.

LUMÎR—Non, je ne reviendrai pas avec toi.

LOUIS—Lumîr, il y a tant de choses devant nous!

LUMÎR—Non, il n'y a pas tant de choses devant nous.

LOUIS, doucement.—Reste, je ne puis me passer de toi.

LUMÎR, passionnément.—C'est vrai que tu ne peux te passer de moi?

Dis-le encore! C'est vrai que tu ne peux te passer de moi? Pour de bon? ah, ce n'était pas long à dire!

C'est une chose courte mais elle tient tout le bonheur que je pouvais avoir. Un bonheur court.

LOUIS—Il sera long si tu veux.

LUMÎR—Je ne suis pas très belle. Si j'étais très belle, peut-être cela vaudrait la peine de vivre.

Je ne sais pas m'habiller. Je n'ai aucun des arts de la femme.

J'ai toujours vécu comme un garçon. Rien, que des hommes autour de moi.

Regarde comme tout tient sur moi. C'est foutu on ne sait comment.

LOUIS—C'est bien ainsi.

LUMÎR—Cependant, je ne suis tout de même pas si mal. J'aurais voulu une fois que tu me voies avec une belle toilette. Une toilette toute rouge.

LOUIS—Je t'aime comme tu es, moj Kotku!

LUMÎR—Bon, il y a mille femmes comme moi, ce n'est pas la peine de vivre.

LOUIS—Il n'y en a qu'une seule pour moi.

LUMÎR—C'est vrai qu'il n'y en a qu'une seule pour toi? Ah, je sais que c'est vrai! Ah, dis ce que tu veux! Il y a tout de même en toi maintenant quelque chose qui me comprend et qui est mon frère!

Une rupture, une lassitude, un vide qui ne peut plus être comblé.

Tu n'es plus le même qu'aucun autre. Tu es seul.

A jamais tu ne peux plus cesser d'avoir fait ce que tu as fait, (doucement) parricide!

Nous sommes seuls tous les deux dans cet horrible désert.

Deux âmes humaines dans le néant qui sont capables de se donner l'une à l'autre.

Et en une seule seconde, pareille à la détonation de tout le temps qui s'anéantit, de remplacer toutes choses l'un par l'autre!

N'est-ce pas qu'il est bon d'être sans aucune perspective? Ah, si la vie était longue.

Cela vaudrait la peine d'être heureux. Mais elle est courte et il y a moyen de la rendre plus courte encore.

Si courte que l'éternité y tienne!

LOUIS—Je n'ai que faire de l'éternité.

LUMÎR—Si courte que l'éternité y tienne! Si courte que ce monde y tienne dont nous ne voulons pas et ce bonheur dont les gens font tant d'affaires!

Si petite, si serrée, si stricte, si raccourcie, que rien autre chose que nous deux n'y tienne!

Va, qu'est-ce que cette Mitidja et cette moisson qui s'en va toute en poussière ne laissant qu'un peu d'or entre les doigts et toutes ces choses à qui nous n'avons pas de proportion?

Viens avec moi et tu seras ma force et ma solidité.

Et moi, je serai la Patrie entre tes bras, la Douceur jadis quittée, la terre de Ur, l'antique Consolation!

Il n'y a que toi avec moi au monde, il n'y a que ce moment seul enfin où nous nous serons aperçus face à face!

Accessibles à la fin jusqu'à ce mystère que nous renfermons.

Il y a moyen de se sortir l'âme du corps comme une épée, loyal, plein d'honneur, il y a moyen de rompre la paroi.

Il y a moyen de faire un serment et de se donner tout entier à cet autre qui seul existe.

Malgré l'horrible nuit et la pluie, malgré cela qui est autour de nous le néant,

Comme des braves!

De se donner soi-même et de croire à l'autre tout entier!

De se donner et de croire en un seul éclair!—Chacun de nous à l'autre et à cela seul!

LOUIS—Que veux-tu de moi?

LUMÎR—Je veux que tu m'accompagnes où je vais.

LOUIS—En Pologne?

LUMÎR—En Pologne et plus loin que la Pologne. La patrie de tristesse, Ur de Chaldée, la source des larmes dans le cœur de celle que tu aimes. Dans ce pays avec moi qui est plus près que la Pologne.

LOUIS—Non, Lumîr.

(Silence).

LUMÎR—C'est bien. Épouse la maitresse de ton père.

LOUIS—Tu y tiens?

LUMÎR—Ne lui as-tu pas fait tort? Ne l'as-tu pas privée de ce Turelure auquel elle avait droit?

Toi aussi, tu es un Turelure.

Va, je te connais à fond. Tu es un Turelure. Tu es un vrai Français.

Est-ce qu'un Français peut se passer de femme?

LOUIS—Je puis me passer de toi.

LUMÎR—Elle t'aime. Tu serres les dents?

LOUIS—Ce n'est pas une chose agréable à entendre dire.

LUMÎR—Elle t'aime. J'ai vu comme elle te regarde aussi tendre et vibrante sous ton œil qu'une corde à violon. Elle te collera au corps avec ses yeux noirs! Elle t'entrera dans le corps comme de la ficelle, le lierre dans du bois de chêne.

LOUIS—C'est bien. C'est tout de même moi qui suis le plus fort.

LUMÎR—Vis heureux.

LOUIS—Heureux ou non.

LUMÎR—Adieu donc, frère!

LOUIS—Ah, ne souris pas ainsi, avec ce sourire qui dégoûte d'être vivant!

LUMÎR—Vis. Je ne veux pas de toi...

LOUIS—Penses-tu sauver la Pologne?

LUMÎR—C'est la moquerie que vous me faites tous, Ali, Sichel, ton père, tous les Juifs autour de nous.

LOUIS—Tu ne peux pas susciter ton pays à toi toute seule.

LUMÎR—Non.

(Elle regarde le crucifix).

LOUIS—Si Dieu existait, il sauverait la Pologne.

LUMÎR—Ce n'est pas de la sauver qu'il s'agit.

LOUIS—De quoi s'agit-il donc?

LUMÎR—De quitter Turelure et les siens.

LOUIS—N'est-ce pas! Il faut donner tort à Dieu une fois de plus? Il faut ajouter une injustice de plus au compte de la Pologne!

(Silence).

Il faut interrompre la prescription? Il faut donner de l'occupation une fois de plus à ses bourreaux?

(Silence).

Les bourreaux de la Pologne, tu ne dis rien?

LUMÎR—Ce sont les Français qui emploient de pareils mots.

LOUIS—Pourquoi donc t'en vas-tu là-bas?

LUMÎR—Je vais vers ma patrie terrestre puisqu'il n'y en a point d'autres. Là où je ne sois plus une étrangère.

Avec ceux-là qui sont d'une même race que moi, mes frères, dans une nuit profonde.

Avec ceux-là qui sont dépouillés de ce qui était inutile et de tout excepté de l'amour que l'on peut se donner l'un à l'autre, mon peuple dans les ténèbres!

Cet amour dont tu n'as pas voulu, cette chose essentielle que je n'ai pu donner, mon âme.

Voici que je la leur apporte, comme un prisonnier lié par tous les membres, qui cherche son frère dans la nuit avec la bouche, une figure humaine dans la nuit pour lui donner ce pain à manger qu'il tient entre les dents!

Si je vis, je ne puis être à tous.

Mais si je meurs, je suis toute à tous et tous sont un en moi.

LOUIS—Ceux qui t'appellent sont fous.

LUMÎR—C'est vrai, je les trouve fous aussi, pauvres frères, mais cela ne fait rien.

LOUIS—Et même si je t'avais épousée, tu pars et me préfères ces gens que tu ne connais pas?

LUMÎR—Oui.

LOUIS—Je fais donc bien de te laisser aller.

LUMÎR—Non, frère. Même si ta vie est longue.

Tu ne trouveras plus une pareille occasion de la donner pour celle qui se donnait à toi.

LOUIS—La consigne est de vivre.

LUMÎR—La mienne est de mourir.

Bassement, ignoblement, entre deux employés mécontents de s'être levés de si bonne heure.

Une lanterne, une nuit de pluie comme il y en a là-bas avant l'hiver, la pluie qui tombe à torrents, sans aucun espoir.

C'est une jeune fille qu'on va pendre à une barre de fer entre les deux murs d'une prison. Adieu!

LOUIS—Sans aucun espoir.

LUMÎR—Oui, adieu sans aucun espoir, dans le ciel et sur la terre!

(Elle sort)


SCÈNE III


(Entre SICHEL)

SICHEL—Voici les papiers que je vous rapporte. Mon père sera ici dans un moment.

LOUIS—Je vous rends grâces.

SICHEL—Louis;

Je suis sûre que vous m'en voulez. Vous pensez que j'ai capté votre héritage.

LOUIS—Gardez-le. Bon débarras. J'ai ce pays en horreur.

SICHEL—Louis, je vous jure que je ne vous ai pas fait tort, autant que vous le croyez.

Ces trois cent mille francs, c'est bien ce que votre père nous doit, exactement.

Y compris ces 20.000 francs que vous avez reçus vous-même.

Mettons 30 ou 40.000 francs en plus ou moins, la valeur de ce bien de Coûfontaine.

C'est votre père qui a voulu mettre un chiffre rond.

Est-ce trop pour ces années d'esclavage?

Je ne dis que la vérité.

LOUIS—Je ne vous en veux point du tout.

SICHEL—Non, vous ne m'en voulez pas, c'est bien à vous.

Mon avenir est détruit, mon protecteur est mort et je suis deshonorée.

De cela aussi vous ne me voulez pas du tout.

LOUIS—Ce n'est pas moi qui ai tué mon père.

(Silence)

SICHEL—Ce n'est pas vous qui avez tué votre père. Non.

Il n'y avait pas besoin d'y mettre la main. Je suppose que la peur a suffi.

Que regardez-vous dans la cour? Vous pourriez me regarder quand je vous parle.

LOUIS—Je guette quelqu'un qui part.

SICHEL—Qui cela?

LOUIS—La Comtesse Lumîr.

SICHEL—Lumîr part?

LOUIS—Elle part, je pense et pour ne pas revenir.

(Silence).

SICHEL—Louis, ça me fait de la peine.

LOUIS—Merçi bien.

SICHEL—Moi, je serais restée.

LOUIS—C'est sûr.

SICHEL—Louis, ce qui se passe dans la cour est intéressant.

Mais il y a ce papier aussi que j'ai dans la main, qui mérite qu'on me regarde.

LOUIS—Qu'est-ce que c'est?

(Elle lui donne le papier).

Je vois, la reconnaissance signée par mon père. Je l'ai déjà vue.

(Il fait le geste de la lui rendre).

SICHEL, évitant de la reprendre.—Je vous jure qu'il n'y a pas d'autres exemplaires.

LOUIS—Reprenez-la.

SICHEL—J'ai eu bien de la peine à l'obtenir de mon père.

LOUIS—Reprenez-la.

(Il l'envoie en l'air d'une chiquenaude).

SICHEL, la rattrapant au vol.—Tout le monde m'accusera de vous avoir dépouillé.

LOUIS—Dormant et Coûfontaine, il y a de quoi vous consoler.

SICHEL—Eh quoi! m'accusez-vous aussi?

LOUIS—Je vous enverrai des dattes au premier de l'an.

SICHEL—Je suis une Juive, n'est-ce pas? Je ne tiens qu'à l'argent? Eh bien, regardez ce que je fais de celui-ci.

(Elle déchire le papier.—Silence.—Tous deux se regardent).

Voilà. Je vous ai tout rendu.

Votre argent et le nôtre. Telle est notre cupidité.

LOUIS—Sichel, ce que vous venez de faire n'est pas bête du tout.

SICHEL—N'est-ce pas? Je vole mon père, je le dépouille et me place à votre merci. Quelle astuce de ma part!

LOUIS—Quel dommage que le mien soit mort!

(Bruit de roues dans la cour. LOUIS va à la fenêtre et reste longuement appuyé à la vitre).

SICHEL—Ce regret m'étonne.

LOUIS—Oui. Je n'ai plus personne pour faire auprès de votre famille les démarches d'usage.

SICHEL—Quelles démarches?

LOUIS—C'est une situation embarrassante pour des jeunes gens bien élevés.

SICHEL—Quelle situation?

LOUIS—Croyez-vous donc que j'accepte ainsi votre générosité? Croyez-vous que j'accepte ainsi votre argent? Il est à vous, vous l'avez bien, gagné, c'est la volonté de mon père.

Et j'ai quelque responsabilité, je le crains;

Dans l'événement qui vous prive de votre protecteur.

Oui, j'ai eu des torts envers le défunt. Je dois prendre égard de ses volontés.

Me voici prêt à tout réparer en homme d'honneur.

SICHEL—Où voulez-vous en venir?

LOUIS—Mademoiselle Habenichts, j'ai l'honneur de vous demander votre main.

SICHEL—Louis, si vous vous moquez ... Capitaine, veux-je dire ... Monsieur le Comte, Monsieur le Capitaine....

(Elle balbutie.)

LOUIS—Vous me ferez payer cette moquerie? N'est-ce pas? C'est ce que vous voulez dire?

SICHEL—Non, je ne vous menace pas.

LOUIS—Et moi, je ne me moque pas.

SICHEL—Louis, si vous m'épousez, quel scandale!

LOUIS—Je n'ai pas peur. C'est cela même qui est drôle.

SICHEL—Votre père...

LOUIS—Je comble ses plus chers désirs. Quel lien entre nous ajouté à celui du sang. L'héritage complet! Il n'y manque quoi que ce soit. C'est le même homme qui continue.

SICHEL—Tout de bon, vous me demandez de m'épouser?

LOUIS—Oui, c'est une idée que j'ai comme ça.

SICHEL—Et si je refusais?

LOUIS—Vous ne refuserez pas. Il le faut. Mekhtoub. C'est préparé d'avance. Nous sommes faits l'un pour l'autre. C'est écrit comme sur du papier timbré.

SICHEL—Croyez-vous que c'est pour en venir là que j'ai déchiré ce papier?

LOUIS—Oui, je le crois tout à fait.

SICHEL—Et quand cela serait encore?

LOUIS—Cela prouve que vous me connaissez.

SICHEL—Cela prouve que je vous aime.

LOUIS—Cela prouve que vous me désirez, moi, mon nom, mon avenir et ma fortune.

SICHEL—Tout ensemble! Pourquoi haïrais-je rien de ce qui est à vous? Oui, c'est tout cela ensemble que je veux! C'est tout cela qui est pour moi et dont je sais l'usage.

Qu'en aurait-elle fait, cette Polonaise absurde? Ce petit morceau de glace ardente? Regarde comme elle vient de te lâcher.

Je sais, Je suis une Juive, j'ai tout machiné pour te prendre. N'est-ce pas? Pauvre innocent, j'ai tout préparé de bien loin contre toi.

Et quand cela serait encore?

Ai-je tant d'amis? Tant de ressources? Tant d'armes sur quoi compter? Ah, je n'ai que moi-même toute seule et je suis Juive.

Et cette pierre écrasante sur nous à remonter, cette malédiction sur nous comme une mâchoire à desserrer!

Voici tant de siècles que nous sommes séparés, de l'humanité! Tant de siècles chez nous que l'on est mis à part comme de l'or dans la bourse d'un avare? La porte s'ouvre tant pis pour ceux qui nous ont lâchés! Tant pis pour toi, mon beau capitaine! Je t'aime et tu verras que je suis la fille de la Faim et de la Soif! Tu es beau!

Nous ne sommes pas blasés, nous autres!

La porte s'est ouverte enfin! Ah, je renie ma race et mon sang! J'exècre le passé! Je marche dessus, je danse dessus, je crache dessus!

Ton peuple sera mon peuple et ton dieu sera mon dieu.

Je serai à toi, mon beau capitaine, et tu verras, si je ne puis te servir à rien.

LOUIS—Juive, tiens-toi, et ne me lèche pas ainsi les mains passionnément comme ces affreux petits chiens fiévreux et affectueux.

Je t'épouse parce que je ne puis faire autrement et tu ne me fais pas peur.

Tu tires sur moi avec une lettre de change de mon père.

C'est bien, j'honore la signature, il le faut.

J'accepte l'héritage et je n'en repousse aucune part, et c'est moi qui ris le dernier.

SICHEL—Tu m'insultes, c'est bon!

LOUIS—Il faut que tout soit clair entre nous.

SICHEL—Insulte, foule-moi sous tes pieds, je n'attends pas de toi autre chose.

Il y a longtemps qu'Israël est humilié comme une chose qu'on abhorre et dont on ne peut se passer!

Tu m'insultes! Mais il y a longtemps qu'Israël boit l'humiliation comme de l'eau!

Ai-je dit comme de l'eau? Non, pas comme de l'eau, mais comme du vin fort et qui coûte cher, qui chauffe et qui vous monte à la tête!

Tu m'insultes! mais tout de même je suis ta femme et j'aurai de toi un enfant qui sera de mon sang et de ma race.

LOUIS—Regarde-moi dans les yeux.

SICHEL—Voilà, je te regarde.

LOUIS—Tu ne me regardes pas, tu souris.

SICHEL—Maintenant je te regarde.

LOUIS—Tu ne me regardes pas, tu rougis, et tes yeux sont déjà ailleurs! Ah, c'est moi tout de même qui suis le maître!

SICHEL—Crois-tu que je n'aie pas vu ce qu'il y a dans les tiens.

Il est arrivé quelque chose depuis l'autre jour et tes yeux ne sont plus les mêmes.

LOUIS—Il n'est rien arrivé.

SICHEL, bas et passant la langue sur ses lèvres.—N'est-ce pas? tu as tué ton père?

LOUIS—Je n'ai pas tué mon père.

SICHEL—Je ne te demande rien. Je n'ai besoin de rien savoir. Mais ces yeux ne sont point ceux d'un homme qui a l'esprit en paix.

LOUIS—Il n'y a pas besoin ni d'esprit ni de paix.

SICHEL—Ah, si tu ne souffres pas la paix, tu n'en trouveras pas mieux que moi pour t'en guérir!

Non, il n'y a pas besoin de paix! Ce serait trop commode pour ces cadavres qui nous entourent et qui ne nous empêcheront pas éternellement de vivre!

Si tu n'as pas pu supporter ton père, nous ne supporterons pas davantage tous ces simulacres.

Si tu connais ton Afrique, je connais la société, comme la carte qu'on étudie d'un pays qui sera à nous, avec ses chemins et ses rivières, toutes les cotes chiffrées!

C'est nous qui sommes faits pour nous imposer et pour faire aux autres la loi.

Il y a quelque chose de rompu entre les hommes et nous, tant pis pour eux, c'est à nous d'en profiter.

LOUIS—Il me reste Sichel Habenichts.

SICHEL—Il te reste Sichel Habenichts et il me reste ce parricide.

Va, ton secret n'est pas si profond que je ne sois dedans et que tu m'y trouves avec toi.

Il y a le sang d'un père sur toi, et sur moi, il y a le sang,—le sang d'un autre.

Il y a assez de malheur et de péché en nous pour suffire à faire de l'amour! Ah, je t'apprendrai à me connaître et tu ne me haïras pas!

Mon beau capitaine! Ah, que tu es sain encore à côté de moi! que tu es grand! que tu es fort et que je t'aime!

Attends que je t'apprenne Paris!

LOUIS—Je ne vais pas à Paris.

SICHEL—Tu ne penses pas rester en ce trou?

LOUIS—Si fait.

SICHEL—Que feras-tu de moi ici?

LOUIS—Ce que je pourrai, et il faudra marcher droit.

SICHEL—Eh bien, nous nous présenterons aux élections.

LOUIS—J'ai besoin de voir ton père.

SICHEL—Je t'ai dit qu'il venait.

LOUIS—Que dira-t-il de cette manière dont tu as servi ses intérêts?

SICHEL—Nous savons mettre nos parents à la raison.

LOUIS—J'ai vu cette affaire de l'achat de Dormant dans les papiers de mon père. Ce n'est encore qu'un projet?

SICHEL—Oui, quoiqu'il ait reçu une avance de 20.000 francs.

Cette somme que tu as trouvée sur lui.

LOUIS—Le prix me semble bien bas.

SICHEL—Il ne s'agit que d'une bicoque et de quelques terres maigres.

LOUIS—Fameusement bien placées.

SICHEL—Écoute. Vends-lui Dormant. Il y tient.

LOUIS—Il faut qu'il y mette le prix.

SICHEL—Je vais t'expliquer. C'est un bon tour de ton père. Ah, il avait des idées.

LOUIS—Il n'aura pas Dormant à moins de cent mille francs. C'est le bien de mes ancêtres,

SICHEL—Il les paiera. Mais je vais t'expliquer.

Ce n'est pas à Dormant que sera l'embranchement de Rheims avec les ateliers et les dépôts de locomotives. C'est à Châlons.

Ton père venait d'arracher cela au Ministre des Travaux Publics. C'est un grand secret encore.

LOUIS—Je vois.

SICHEL—Et il avait acheté lui-même quelques terrains là-bas avec l'aide de mon oncle d'Epernay, le marchand de vins de Champagne, frère de mon père. C'est moi qui ai les papiers.

LOUIS—Habenichts? Il n'y a pas de Habenichts à Epernay.

SICHEL—Il ne s'appelle pas Habenichts. Il s'appelle Dumesloir. Roger Dumesloir. C'est un beau nom.


SCÈNE IV


(Entre Ali HABENICHTS).

ALI HABENICHTS.—Monsieur le Comte, j'ai bien l'honneur de vous saluer.

SICHEL—Ah, père, que je suis heureuse!

(Elle l'embrasse).

ALI HABENICHTS—Que s'est-il passé?

LOUIS—C'est de mon père que vous portez le deuil?

ALI—J'ai cru honnête de mettre ce que j'avais de plus noir.

LOUIS—Ne regrettez rien.

SICHEL—Père!

(Elle l'embrasse)

ALI—Mon enfant.

LOUIS—Mademoiselle et moi, toutes choses examinées,

Avons arrangé les termes entre nous d'une liquidation, ou dirai-je d'une consolidation?

En d'autres termes, elle me fait abandon de votre créance et je l'épouse.

ALI—Qu'entends-je?

SICHEL—Mon père!

(Elle l'embrasse).

LOUIS—Monsieur Habenichts, j'ai l'honneur de vous demander la main de votre fille, s'il vous plaît.

ALI—Monsieur le Comte, vous pensez sans doute que vous me faites un grand honneur?

LOUIS—Le plaisir est pour moi.

ALI—Mon père était un rabbin célèbre. Also! S'il avait su que sa petite-fille épouserait un gentil et que ce sang se mélange au nôtre,

Croyez-vous qu'il aurait pris cela pour un honneur? Qu'en dis-tu, Sichel?

SICHEL—Mon père, nos liens sont rompus.

ALI—Il est vrai, toutes les bornes sont ôtées!

SICHEL—Le monde commence.

LOUIS—Jetons-nous dans les bras les uns des autres.

ALI—Vous êtes mon fils. Votre père était mon ami.

L'alliance que j'avais avec votre famille, la voici resserrée par un lien plus doux. Nous ne faisons plus qu'un.

LOUIS—Bien dit, Monsieur mon père. Ah, que je suis pressé de donner le jour à un beau petit Habenichts!

Le sang des Coûfontaine qui s'est déjà appuyé un Turelure; voilà tout Israël qui débouche dedans. Le nom couvre tout.

SICHEL—Va, je n'en serai pas indigne. Tu verras, je suis intelligente. On peut tout faire de moi.

Et je prendrai la religion que tu voudras.

LOUIS—Catholique.

Tout le monde dit que je suis catholique.

SICHEL—Précisément, c'est la religion que je préfère, elle est si pittoresque!

ALI—Écoutez-la! Elle dit «religion» et «catholique» comme on dit une salle à manger Renaissance.

Ça lui est bien égal! Ganz wurst! C'est tout saucisse pour elle!

LOUIS—Nous sommes d'accord?

ALI—Je ratifie tout ce que ma fille a consentit ce matin. C'est cher! Tant pis! Ce sera sa dot.

SICHEL—Père!

ALI—Oui, je sais ce que tu veux me dire, mon enfant.

SICHEL—J'ai parlé à Louis.

ALI—Allons! Après ce que j'ai fait pour vous, je suis sûr que vous ne voudrez pas me contrarier. Ce n'est pas que je tienne tellement à Dormant, mais j'ai des options sur d'autres terrains à côté, cela me ferait perdre la face.

Et votre père m'avait donné sa parole. Il n'y a plus que la signature qui manque. Vous ne voudrez pas lui faire cette injure.

LOUIS—Je n'ai pas consenti encore.

ALI—En cas de revente avec une majoration au-dessus de 40 pour cent, vos droits à une ristourne sont prévus.

LOUIS—Dormant est le berceau de ma famille.

ALI—Si l'on forme une société, vous avez vingt parts de fondateur.

SICHEL—Tu le sais bien, je t'ai fait tout lire. Fais cela pour mon père. Signe, mon chéri, pour me faire plaisir!

LOUIS—Allons, je consens, où est le papier?

ALI—Le voici?

(Il fouille fébrilement dans sa serviette).

LOUIS—Prenez votre temps.

Quel âge avez-vous, père Ali?

ALI—Soixante-dix ans, Monsieur le comte.

LOUIS—Et toujours autant de gaieté et d'alacrité aux affaires?

ALI—Toujours, Monsieur le Comte, toujours! Ah, je voudrais ne jamais mourir.

Que diable ai-je fait de ce papier?

(Il tire différents objets de sa serviette).

Ça, c'est des minerais qu'on m'envoie de la Sarre, ça, c'est le plan des nouvelles fortifications de Paris—ça, c'est mon contrat avec Blum—ça....

(Il tire de la serviette une bouteille enveloppée dans un journal qu'il essaie de dissimuler).

LOUIS.—Qu'est-ce que c'est?

ALI.—Excusez, Monsieur le Comte, c'est pour le médecin.

LOUIS—Vous souffrez des rognons?

ALI.—Un peu d'albuminurie. Les médecins sont toujours à me taquiner de ce côté. Il y en a qui ne me donnent qu'un an à vivre. Farceurs!—Voilà le papier!

LOUIS lit le papier et signe, puis, lui frappant sur l'épaule.—Vous pouvez dire que vous avez fait une bonne affaire. Ah, vous avez de la chance de m'avoir pour gendre.

(Tous trois se donnent la main).[1]

Et maintenant, j'ai encore quelque chose à vous demander.

ALI.—Tout ce que vous voudrez.

LOUIS montrant le crucifix.—Vous êtes amateur de curiosités, débarrassez-moi de cette horreur.

ALI—Mais cela n'a aucune valeur! la pluie et le temps en ont fait une chose informe.

SICHEL—Mon père, il est du Quinzième.

ALI—Il est rompu en morceaux. On dit que c'est Madame votre mère qui l'a retrouvé et collectionné.

LOUIS—Oui, elle était amateur de ce genre de choses.

ALI—Je n'en veux pas.

LOUIS—C'est du bronze massif comme une cloche.

(Il frappe dessus du doigt).

(ALI frappe aussi modestement).

Allez-y donc, ne vous gênez pas!

Avez-vous quelque chose de dur?

(ALI sort une clef de sa poche)

C'est une clef que j'ai trouvée dans les décombres à Dormant.

(LOUIS prenant la clef en décharge un grand coup sur la tête du Christ).

Ecoutez un peu comme cela sonne!

ALI—Oui, les fondeurs n'étaient pas rares à cette époque.

LOUIS—Qu'est-ce que vous m'en donnez?

ALI—Trois francs le kilo. C'est le prix courant. Vous n'en trouverez pas plus autre part.

LOUIS—Mais c'est du bronze ancien! Regardez!

(Il raye le bras du Crucifix avec la clef)

Ils ne savaient pas raffiner les métaux. Dans ces vieux bronzes, on trouve de tout, même de l'or et de l'argent.

ALI—Je vous en donne trois francs.

LOUIS—Donnez-m'en cinq.

ALI—Allons, je vous en donne quatre, mais c'est trop cher.

Ce n'est plus du commerce, c'est de la fantaisie. Quatre francs! Oui, c'est une mauvaise action que vous me faites faire.

LOUIS—Eh bien, j'accepte quatre francs, et si vous me débarrassez de cette horreur,

J'estime que je serai encore celui qui gagne et non pas celui qui perd.

[1] Ici s'unit le drame à la scène.

FIN

Hambourg, Octobre 1913.

Bordeaux, Octobre 1914.






End of the Project Gutenberg EBook of Le pain dur, by Paul Claudel

*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE PAIN DUR ***

***** This file should be named 51013-h.htm or 51013-h.zip *****
This and all associated files of various formats will be found in:
        http://www.gutenberg.org/5/1/0/1/51013/

Produced by Winston Smith. Images provided by The Internet Archive.

Updated editions will replace the previous one--the old editions
will be renamed.

Creating the works from public domain print editions means that no
one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
(and you!) can copy and distribute it in the United States without
permission and without paying copyright royalties.  Special rules,
set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark.  Project
Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
charge for the eBooks, unless you receive specific permission.  If you
do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
rules is very easy.  You may use this eBook for nearly any purpose
such as creation of derivative works, reports, performances and
research.  They may be modified and printed and given away--you may do
practically ANYTHING with public domain eBooks.  Redistribution is
subject to the trademark license, especially commercial
redistribution.



*** START: FULL LICENSE ***

THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK

To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
distribution of electronic works, by using or distributing this work
(or any other work associated in any way with the phrase "Project
Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
Gutenberg-tm License (available with this file or online at
http://gutenberg.org/license).


Section 1.  General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
electronic works

1.A.  By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
and accept all the terms of this license and intellectual property
(trademark/copyright) agreement.  If you do not agree to abide by all
the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.

1.B.  "Project Gutenberg" is a registered trademark.  It may only be
used on or associated in any way with an electronic work by people who
agree to be bound by the terms of this agreement.  There are a few
things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
even without complying with the full terms of this agreement.  See
paragraph 1.C below.  There are a lot of things you can do with Project
Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
works.  See paragraph 1.E below.

1.C.  The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
Gutenberg-tm electronic works.  Nearly all the individual works in the
collection are in the public domain in the United States.  If an
individual work is in the public domain in the United States and you are
located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
are removed.  Of course, we hope that you will support the Project
Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
the work.  You can easily comply with the terms of this agreement by
keeping this work in the same format with its attached full Project
Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.

1.D.  The copyright laws of the place where you are located also govern
what you can do with this work.  Copyright laws in most countries are in
a constant state of change.  If you are outside the United States, check
the laws of your country in addition to the terms of this agreement
before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
creating derivative works based on this work or any other Project
Gutenberg-tm work.  The Foundation makes no representations concerning
the copyright status of any work in any country outside the United
States.

1.E.  Unless you have removed all references to Project Gutenberg:

1.E.1.  The following sentence, with active links to, or other immediate
access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
copied or distributed:

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever.  You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org/license

1.E.2.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
and distributed to anyone in the United States without paying any fees
or charges.  If you are redistributing or providing access to a work
with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
1.E.9.

1.E.3.  If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
with the permission of the copyright holder, your use and distribution
must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
terms imposed by the copyright holder.  Additional terms will be linked
to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
permission of the copyright holder found at the beginning of this work.

1.E.4.  Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
License terms from this work, or any files containing a part of this
work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.

1.E.5.  Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
electronic work, or any part of this electronic work, without
prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
active links or immediate access to the full terms of the Project
Gutenberg-tm License.

1.E.6.  You may convert to and distribute this work in any binary,
compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
word processing or hypertext form.  However, if you provide access to or
distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
form.  Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
License as specified in paragraph 1.E.1.

1.E.7.  Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.

1.E.8.  You may charge a reasonable fee for copies of or providing
access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
that

- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
     the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
     must be paid within 60 days following each date on which you
     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
     sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
     address specified in Section 4, "Information about donations to
     the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."

- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
     you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
     does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
     License.  You must require such a user to return or
     destroy all copies of the works possessed in a physical medium
     and discontinue all use of and all access to other copies of
     Project Gutenberg-tm works.

- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
     money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
     electronic work is discovered and reported to you within 90 days
     of receipt of the work.

- You comply with all other terms of this agreement for free
     distribution of Project Gutenberg-tm works.

1.E.9.  If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

1.F.3.  LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
written explanation to the person you received the work from.  If you
received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
refund.  If you received the work electronically, the person or entity
providing it to you may choose to give you a second opportunity to
receive the work electronically in lieu of a refund.  If the second copy
is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.