Project Gutenberg's Études sur L'Islam et les tribus Maures, by Paul Marty

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Title: Études sur L'Islam et les tribus Maures
       Les Brakna

Author: Paul Marty

Release Date: December 22, 2013 [EBook #44488]

Language: French

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Au lecteur

Table des matières

Table des illustrations

COLLECTION DE LA REVUE DU MONDE MUSULMAN


PAUL MARTY


ÉTUDES SUR L'ISLAM
ET LES
TRIBUS MAURES


LES BRAKNA


PARIS

ÉDITIONS ERNEST LEROUX

28, RUE BONAPARTE (VIe)


1921

ÉTUDES SUR L'ISLAM
ET LES
TRIBUS MAURES

COLLECTION DE LA REVUE DU MONDE MUSULMAN


PAUL MARTY


ÉTUDES SUR L'ISLAM
ET LES
TRIBUS MAURES


LES BRAKNA


PARIS

ÉDITIONS ERNEST LEROUX

28, RUE BONAPARTE (VIe)


1921

A MONSIEUR LE COLONEL GADEN

GOUVERNEUR DES COLONIES

COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT GÉNÉRAL EN MAURITANIE

Respectueux hommage.

PAUL MARTY.

LES BRAKNA


LIVRE PREMIER
HISTOIRE GÉNÉRALE


CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES. INVASIONS BERBÈRES (Çanhadja) ET ARABES (Hassanes)

J'ai donné dans mon ouvrage «L'Émirat des Trarza» les traditions historiques et légendaires relatives au séjour dans la basse Mauritanie du premier peuple que nous y voyons installé, à l'aurore de son histoire, vers le dixième siècle: le peuple bafour.

On retiendra seulement que ce peuple, qu'il soit noir, comme le veulent plusieurs traditions maures, ou d'extraction juive, comme le croit M. Gaden, vit mettre un terme à son indépendance par la poussée des tribus berbères çanhadja du Sud marocain. La plus grande partie de ces Bafour descendit vers le fleuve Sénégal; ils le traversèrent et 2 refoulèrent à leur tour vers le sud, les peuples socé de la rive gauche du Sénégal.

D'autre part, certaines fractions bafour restèrent sur les lieux, après avoir fait acte de soumission, et payèrent tribut aux vainqueurs. Plusieurs lettrés maures affirment que ces Bafour asservis sont, dans le Trarza, les actuelles fractions zenaga Id Rarla des Lemradin, et dans le Brakna, les Ahel Ramouch, qui sont tantôt chez les Zombot du Trarza et tantôt dans le Chamama du Brakna, les uns et les autres tributaires des émirs. Il est plus vraisemblable que les Bafours primitifs n'ont pas seuls donné naissance à ces fractions, d'ailleurs métissées, mais qu'ils ont contribué par fusion avec des éléments maures, à les former au cours des siècles.

Le mouvement almoravide a pour principaux effets d'introduire la race berbère et la religion islamique jusqu'aux abords du fleuve Sénégal. Désormais toute la région saharienne qui est au nord du fleuve, ou plus exactement au nord du Chamama, devient le territoire des parcours des berbères lemtouna et de leurs innombrables troupeaux. C'est le sort du pays brakna actuel, comme celui du Trarza. Les tribus qui vivent à la frange méridionale de la région saharienne vont, par leur contact quotidien avec les Nigritiens, se teinter fortement de noir. Ceux-ci remontaient d'ailleurs beaucoup plus haut qu'à l'heure actuelle, n'ayant pas perdu le souvenir du temps où ils dominaient jusque dans l'Agan et sans doute plus au nord encore. Dans ce Brakna toucouleur, à chaque puits, à chaque oued, à chaque pâturage, à chaque lieu dit même, le nom maure est accompagné d'un nom poular. De multiples traditions et légendes locales y sont attachées, qui seraient des plus utiles pour la reconstitution historique du pays et qu'il est regrettable de voir disparaître à chaque génération.


Jeune fille brakna.
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Au sud, c'est-à-dire entre les dernières dunes sahariennes et le fleuve, dans cette zone d'inondation et de cultures 3 qu'on appelle le Chamama et où seuls les Mélaniens peuvent vivre et travailler, l'élément noir continue à subsister; mais les relations avec ses voisins blancs seront plus d'une fois tendues, et pratiquement ces cultivateurs qui passent d'ailleurs le plus facilement du monde d'une rive à l'autre, vivront dans un demi-état de dépendance, jusqu'au jour où les invasions arabes viendront troubler cet équilibre politique et social, chasser la majeure partie des Noirs vers le sud, asservir les autres et accaparer les terres.

C'est Abou Bekr ben Omar qui, à la tête de bandes lemtouna, Djodala et Messoufa, descendues du sud marocain par la sebkha d'Idjil, fit, entre 1062 et 1087, la conquête de l'empire bafour précité. On retrouve aujourd'hui, sous ce même nom, leurs descendants en basse Mauritanie: les Lemtouna dans le Brakna, l'Assaba et le Tagant; les Guedala (ex-Djodala) dans le Tiris et le Brakna, où, comme on le verra, les campements haratines des Oulad Abd Allah sont dénommés haratines Igdala.

Il y avait évidemment dans cette invasion berbère bien d'autres tribus que les ancêtres des actuels campements guedala et lemtouna. Comme on peut déjà le constater dans l'Afrique du Nord, après un siècle d'occupation, certaines fractions des peuples envahisseurs se sont accrues démesurément et ont fini par être désignées sous leur nom propre, perdant ainsi leur nom général de tribu, et arrivant même quelquefois à le remplacer chez les autres fractions.

En ce qui concerne le Brakna, il y a donc bien d'autres tribus que les campements cités plus haut, qui soient d'origine berbère.

Il y a: 1o une grande partie des fractions tributaires, plus spécialement appelées zenaga (ou lahma, «viande»; ou ashab, «gens») chez les guerriers, et telamides chez les marabouts; 2o toutes les fractions proprement maraboutiques (zouaïa, tolba). On en verra la liste plus loin de ces fractions qui sont aujourd'hui les seules lettrées, se sont attribué, 4 des origines, soit chérifiennes, soit pour le moins arabes: c'est là une question de mode, une sorte de snobisme universel dans le monde islamique, blanc ou noir. On ne nie pas la plupart du temps provenir du haut pays marocain et être d'origine lemtouna et çanhadja, mais on déclare qu'il ne faut pas confondre ces tribus, berbères si l'on veut par leur habitat, avec les autres tribus berbères, les vraies, les autochtones marocaines, les Chleuh. Les Chleuh sont des aborigènes. Les Çanhadja-Lemtouna sont les descendants de tribus arabes, immigrées d'Orient en Afrique du Nord, les uns peu après l'hégire, les autres mêmes antérieurement à l'islam, ce qui explique leur islamisation tardive. On donne comme cause de leur établissement pré-islamique au milieu des Berbères que le roi Friqicha, qui les avait à sa solde, les abandonna dans le Moghreb, au cours de ses expéditions à travers le monde. Ces Arabes étaient fils de Tobbaa, qui s'était enfui de chez ses frères d'Orient. Par ces explications les plus intelligents d'entre les lettrés maures (Cheikh Sidia, par exemple) espèrent concilier dans leur esprit leur indubitable origine berbère marocaine et leur traditionnelle arrivée dans le Sahara méridional avec les bandes d'Abou Bekr ben Omar, d'une part, et leur vif désir de se rattacher, envers et contre tout, à une souche arabe d'autre part. On trouvera développé plus loin, dans la notice consacrée à chaque tribu, le récit légendaire de ces origines.

Quant à l'usage de parler zenaga, il est complètement tombé en désuétude dans les tribus brakna. En dehors du Trarza, on ne le trouve plus en Mauritanie. Mais le dialecte maure qui porte le nom de hassania, c'est-à-dire langue des hassanes, Arabes des invasions, et qui s'est substitué par droit de conquête à la langue zenaga a été fortement marqué par l'empreinte de cette dernière langue. On y trouvera plus spécialement une foule de noms de lieux, de flore, de faune, des termes concernant la vie matérielle, etc., tous mots 5 constituant une onomastique spéciale au pays, et que les Arabes ont dû emprunter aux tribus qu'ils trouvaient sur les lieux et soumettaient à leur domination.

A tous ces titres et attendu que les traditions, forgées par les zouaïa, pour se donner des origines chérifiennes, himyarites ou qoreïchites, ne reposent sur aucune précision et leur sont contestées formellement par les hassanes très souvent par leurs propres frères, marabouts comme eux, on peut conclure que les tribus maraboutiques maures sont pour la très grande majorité des Berbères, soit descendant des hordes guerrières qui suivaient Abou Bekr ben Omar, ce qui est admis par les intéressés mêmes chez les Medlich, Tendra et Tadjakant (Trarza), chez les Dieïdiba (Brakna), chez les Ida Ou Aïch (Tagant-Assaba), et chez les Mechdouf (Hodh), soit issus des familles ou des individualités qui, par la suite, vinrent chercher fortune dans la Mauritanie zenaguïa.

*
*  *

A la fin du quatorzième siècle, se place un événement considérable qui allait changer la face de la Mauritanie. Cet événement, générateur de la situation actuelle, est l'arrivée dans l'Ouest saharien des bandes d'origine arabe. Cette introduction de sémites, nomades guerriers et pillards, dans un milieu berbère, devait être une cause de troubles; et comme elle devait se renouveler, les immigrants, quoique moins nombreux, allaient dompter les Berbères, leur imposer leurs conditions et modifier leur état social.

Je ne reviendrai pas sur l'histoire des Arabo-hassanes. Elle a été faite dans mon ouvrage «L'Émirat des Trarza» et avec plus de détails encore dans «Les tribus maures du Sahel et du Hodh».

On retiendra seulement ceci: les groupements hassanes, qui, vers 1400, envahissent la Mauritanie sont au nombre de deux, issus des deux fils de Hassan: Oudeï et Delim.

6 De Delim sont issus les Oulad Delim, dont il n'y a pas lieu de s'occuper ici.

C'est d'Oudeï que sont sorties les tribus hassanes qui peuplent le Brakna, celles-là mêmes qui portent ce nom, à l'exclusion de toutes les autres tribus maraboutiques zenaga ou haratines, qui peuvent habiter les pays Brakna (trab brakna), mais ne sont pas dites telles. Voici ces origines d'après les traditions générales et les généalogies données universellement, à quelques variantes près. Ce tableau résume les données de la tradition maure. Il établit la filiation arabe de ces tribus, leur parenté avec leurs cousins du Sahara et leur rattachement commun à Oudeï, fils de Hassan.

                           
  Hassân.
 
 
 
Oudeï. Delim,
ancêtre des O. Delim.
Hamma,
ancêtre des Berabich.
 
 
Marfar,
ancêtre des Merafra.
Rizg,
ancêtre des O. Rizg.
Mohammed. Arrouq.
 
Othman. Daoud,
ancêtre des Oulad Daoud Mohammed.
Daoud,
ancêtre des Oulad Daoud Arrouq.
 
 
Omran. Yahia,
ancêtre des O. Yahia ben Othman.
Antar,
ancêtre des Oulad Nacer.
Rehhal,
ancêtre des Rehahla.
 
 
Heddaj. Mohammed,
ancêtre des O. Mohammed et des O. Mbarek.
 
 
Barkenni,
ancêtre des Brakna.
Terrouz,
ancêtre des Trarza.
Khouaou,
ancêtre des Khouaouat (disparus).

CHAPITRE II
LA DOMINATION DES HASSANNES OULAD RIZG
(XVe SIÈCLE)

Le quinzième siècle paraît dominé: dans le Tiris et dépendances, par les descendants et bandes de Rizg, fils d'Oudeï, fils de Hassan; dans l'Adrar et le Hodh, par les descendants et bandes de Daoud, autre fils d'Oudeï.

Les Oulad Rizg, comme les appelle la tradition, comprenaient les campements de ses cinq fils, à savoir les Oulad Mezzouq, les Oulad Aïd, les Djaafar, les Sekakna et les Rehamna (ou Rehamin), respectivement issus ou dépendants de Mezzouq, Aïd, Djaafer, Sekkoun et Rahmoun, fils de Bassin.

Des Oulad Rizg, il convient de dire que subsistent aujourd'hui dans le Trarza, mais fort amoindries numériquement et politiquement, quelques petites fractions, restées hassanes indépendantes: les Oulad Moussa, les Oulad Beniouk, les Oulad Khalifa, les Oulad Ben Ali, qui marchent dans le sillage des Oulad Ahmed ben Dâmân. Les autres: Oulad Aïd, quelques tentes Bassin, sont fondus chez les Arroueïjat du Trarza, dans diverses tribus du Brakna et du Gorgol, ou bien encore sont telamides des Ahel Barik Allah; et enfin quelques tentes Rehamna et Zebeïrat qui ont été réduites à la suite de guerres malheureuses, à l'état de tributaires 8 des Oulad Ahmed ben Dâmân. Ils sont guerriers néanmoins et marchent en rezzou avec leurs suzerains.

Les Oulad Rizg et les Agcharat (ceux-ci sont des Oulad Daoud) étaient appelés alors Arabes Regueïtat, c'est-à-dire, dans la terminologie maure, Arabes qui occupent un territoire inhabité, sorte de zone neutre, sise entre deux États auxquels elle n'appartient pas.

Cette explication philologique éclaire singulièrement le rôle qu'au quinzième siècle les envahisseurs arabes, installés approximativement dans l'Aftout, vont jouer, tant vis-à-vis des Berbères du Nord (Tiris et Adrar) que des Noirs du Sud (Chemama, Gorgol et Tagant).

Aux Berbères du Nord, ils font sentir leur présence par de nombreux pillages et par toute sorte d'avanies. J'en ai fait le récit dans «L'Émirat des Trarza» et n'y reviendrai pas.

Cet effacement des Berbères paraît tout à fait regrettable. S'ils avaient voulu résister fermement aux envahisseurs, leur nombre et leurs richesses leur permettaient facilement de dompter ces quelques pillards et de les rejeter au loin ou de les assimiler. La civilisation berbère, pratique et progressiste, valait bien les coutumes arabes, négatives ou oppressives, issus d'un nomadisme invétéré, impropre à toute évolution sérieuse. Au point de vue économique, le Sahara occidental, méthodiquement mis en valeur par la tenacité âpre et presque cupide du Berbère, serait vraisemblablement beaucoup plus riche qu'il ne l'est maintenant. Ce n'était pas seulement sur les tribus berbères que s'exerçaient les pillages des hassanes. Les peuples noirs qui vivaient à ce moment sur la rive droite du Sénégal et mettaient en valeur le Chamama, le Gorgol et même le Tagant, avaient aussi à souffrir de leurs déprédations.

CHAPITRE III
LA DOMINATION DES OULAD MBAREK
(XVIe SIÈCLE)

Pendant que les Oulad Rizg faisaient sentir leur prépondérance, une autre branche, issue également d'Oudeï, se multipliait et allait conquérir, vers la fin du quinzième siècle, la suprématie politique. Il s'agit des Merafra, ainsi nommés parce qu'ils descendent de Marfar, fils d'Oudeï, et frère par conséquent de Rizg et de Daoud.

Ces Merafra n'ont pas laissé un souvenir trop abhorré. Leur nom, passé dans le langage courant, est synonyme aujourd'hui, chez les Tolba, de «guerriers valeureux et relativement honnêtes».

Ils se présentent, dès le premier jour, sous la forme de deux bandes: l'une composée de la famille et des amis et fidèles de Mohammed, fils d'Omran, fils d'Othman, fils de Marfar. Ce sont les Oulad Mbarek. L'autre composée des familles, amis et fidèles du frère de Mohammed, le nommé Heddaj, fils d'Omran, fils d'Othman, fils de Marfar. Cette dernière bande, commandée par les trois fils d'Heddaj: Terrouz, Barkenni et Khaou, est encore immobilisée par les dissensions intestines. Elle n'apparaîtra définitivement constituée en corps de tribus, sous le nom 10 de Trarza, Brakna et Khouaouat, qu'un siècle plus tard, c'est-à-dire vers la fin du seizième siècle.

Au commencement de ce seizième siècle donc, la suprématie du Tiris passe aux Oulad Mbarek. Ce n'est probablement pas sans résistance que leurs cousins Oulad Rizg leur cédèrent la place. Ni l'histoire ni la tradition n'en ont conservé le souvenir, de même qu'elles ne font pas connaître si ces bandes de Merafra arrivaient alors en Mauritanie en envahisseurs, ou si, venus un siècle plus tôt avec les premiers hassanes, elles avaient crû et s'étaient formées sur les lieux mêmes.

De la domination des Oulad Mbarek pendant le seizième siècle, la tradition zouaïa ne nous cite que quelques faits, visant naturellement l'oppression qu'ils faisaient subir aux marabouts.

Je n'y reviendrai pas, en ayant fait le récit dans «L'Émirat des Trarza».

Les Oulad Mbarek allaient passer, à la fin du seizième siècle, au second plan de la scène politique du Tiris, en attendant que, quelques années plus tard, ils émigrassent vers le Hodh, où ils constituent aujourd'hui la tribu que l'on connaît. Cette chute paraît résulter des intrigues et des ruses des zouaïa exaspérés qui surent mettre aux prises le groupement des Oulad Mbarek et celui des Trarza-Brakna-Khouaouat.

Les Yaqoubïïn, c'est-à-dire les deux actuelles tribus tachomcha: Id Eqouïb et Ahel Barik Allah (Trarza), alors campés à Tin Mejouk, allaient amener le dénouement en refusant de payer leur tribut. Ahmed Doula, leur chef, dont la famille existe toujours, vint faire part à Oudeïk, chef des Oulad Mbarek, de la décision de la tribu. Le «Chauve», surnom d'Oudeïk, prit aussitôt ses dispositions pour razzier les rebelles. Ceux-ci, qui regrettaient leur attitude de révoltés, ainsi qu'il résulte des paroles que leur adressa Ahmed Doula: «Mes discours à Oudeïk nous 11 ont grandement nui», s'étaient groupés autour du saint vénéré, Habib Allah ben Yaqoub, et lui demandèrent le secours de ses prières. C'est alors que l'on apprit l'attaque imminente du camp d'Oudeïk par les guerriers Brakna: les Oulad zenaguïa. Oudeïk, qui était précisément l'hôte du faqih Habib Allah, lui confia ses bagages et partit au secours des siens. Le combat se livra à Aguiert; et Oudeïk y fut tué par Al-Ograïra ben Al-Afna, dont la famille vit toujours dans sa tribu des Oulad Abd Allah (Brakna). Les Zouaïa étaient sauvés.

Le faqih Habib Allah, qui est manifestement l'artisan de cette heureuse diversion, n'eut garde d'oublier de renvoyer à la famille d'Oudeïk les bagages qu'il avait en dépôt. Quant à la femme d'Oudeïk, Kartoufa, à l'annonce de la mort de son mari, elle monta à son campement d'In Saraïer sur un taïchot (balanites cogytiaca) et fit entendre sans trève des gémissements. L'arbre en a gardé le souvenir, et fut dès lors appelé le «Tichtaïa de Kartoufa».

Les Oulad Mbarek disparaissent de Mauritanie à la fin du seizième siècle, et c'est à ce moment que s'élèvent les Trarza-Brakna dans la région, qui depuis a porté leur nom.

CHAPITRE IV
LES ORIGINES DES BRAKNA

Le tableau généalogique ci-après, dégagé des branches collatérales, permet de saisir d'un coup d'œil les origines des Brakna.

Hassan.
 
Oudeï.
 
Marfar.
 
Othman.
 
Omran.
 
Heddaj.
 
 
(début du quinzième siècle).
Barkenni,
ancêtre des Brakna.
Terrouz,
ancêtre des Trarza.
 
Mellouk.
 
Kerroum.
 
 
Abd Al-Jebbar. Abd Allah,
ancêtre des Oulad Abd Allah.
Al-Yatim,
ancêtre des Litama (Gorgol et Assaba).
 
 
Mohammed, etc.
Biri, etc. ancêtre des Oulad Biri.
Ahmed,
ancêtre des Oulad Ahmed.

13 Au quinzième siècle, c'est-à-dire peu après l'arrivée des premiers hassanes dans la haute Mauritanie, les fils de Heddaj: Barkenni et Terrouz, qui conduisaient leur groupement d'envahisseurs, jusqu'alors uni, durent se séparer à la suite de querelles intestines, nées à propos de partage de butin.

Le groupe des fils et serviteurs de Barkenni, se développant au cours du quinzième siècle, devait constituer le peuple Brakna, que nous voyons apparaître à la fin du seizième siècle seulement. Les Trarza se formaient de la même façon.

Trarza et Brakna dépouillent, comme il a été dit, les Oulad Mbarek de leur suprématie et les repoussent vers l'est. Ils vont désormais et jusqu'à nos jours rester chacun maître dans leur région.

Le quinzième siècle est approximativement rempli par les trois générations: Barkenni, Mellouk fils de Barkenni, et Kerroum fils de Mellouk, sur lesquels nous n'avons aucun renseignement.

Au début du seizième siècle, par les trois fils de Kerroum on voit se constituer les tribus d'origine brakna: a) Abd Al-Jebbar donnera naissance par son fils Ahmed aux Oulad Ahmed et par son fils Biri ould Mohammed aux Oulad Biri.

b) Abd Allah donnera naissance aux Oulad Abd Allah, qui sont les seuls qui portent dans le langage courant des tribus le nom de Brakna.

c) Al-Yatim est l'ancêtre éponyme des Litama.

Il y a donc à l'heure actuelle quatre tribus véritablement brakna; les Oulad Biri, les Oulad Ahmed, les Oulad Abd Allah, les Litama.

Les Oulad Biri habitent les confins du Trarza et du Brakna. Dans cette marche neutre, ils ont subi l'influence des Trarza plus fortement et sont, depuis un siècle, et sous notre régime même, compris dans l'orbite trarza. Ils 14 ont d'ailleurs versé dans le maraboutisme. Mais ils n'ignorent pas leur origine brakna et à ce titre ont toujours conservé avec ces tribus, et notamment avec les Oulad Ahmed, leurs cousins plus immédiats, comme on le voit par le tableau précité, et leurs voisins, des relations étroites de sympathie et d'alliance.

Les Litama ont appuyé vers l'est et, à demi assujettis par les Id Ou Aïch, à demi fondus dans l'élément nègre, ils font aujourd'hui, sur les bords du Sénégal et du Gorgol, figure de Zenaga.

Seuls les Oulad Abd Allah et les Oulad Ahmed sont restés vrais fils de Barkenni, guerriers pillards, hassanes mécréants et chefs politiques du pays à qui ils ont donné leur nom. Et encore seuls les Oulad Abd Allah ont-ils conservé l'appellation de leur ancêtre éponyme, puisque seuls ils sont dits «Brakna».

J'ai décrit dans mon «Émirat des Trarza», d'après le «Chiam az-Zouaïa» les luttes engagées et menées à bien par les Brakna et Trarza contre les Oulad Rizg, au début du dix-septième siècle. Les hassanes des premières invasions furent soumis et asservis.

Les Zouaïa, qui avaient pour le moins soutenu les vaincus de leurs sympathies, furent très affectés de leur défaite et, craignant des représailles, eurent un moment la pensée de s'enfuir avec eux. Le départ de l'Aroussi, le plus acharné de leurs ennemis, les rassura. Ils restèrent donc, mais les discussions qui les agitèrent alors provoquèrent un déclassement de tribus. Le «Chiam az-Zouaïa» donne la liste de ces nouveaux groupements et, en ce qui concerne les Brakna, signale que les Beni Iddan Abiaj, des Tachomcha, allèrent se joindre, à cette date, aux Dieïdiba.

Les fils de Kerroum, qui, à la tête du groupement brakna et avec l'assistance des Trarza, avaient réduit les Oulad Rizg, entendaient bien chausser leurs bottes. Ils invitèrent donc les Berbères à acquitter entre leurs mains 15 les redevances coutumières. «Ceux-ci, dit le «Chiam az-Zouaïa», mirent la plus tenace obstination dans leur refus et finirent par avoir gain de cause.»

La chose paraît fort douteuse, mais ce qui est plus étrange encore, c'est la prétention qu'affectent les Zouaïa d'avoir reçu des gages de prix des hassanes. Al-Mokhtar, fils d'Abd Allah ben Kerroum, l'ancêtre éponyme des Oulad Abd Allah (Brakna), était venu offrir un chameau de choix à Al-Fadel (Sidi-l-Falli), fils de Mohammed ben Dîman. Il fut rencontré par Ahmed ben Dâmân (Trarza), qui à sa vue s'empressa de courir chez les siens et leur fit comprendre qu'il valait mieux faire des cadeaux aux Zouaïa que de prélever sur eux des tributs. A la suite de ce discours, les Oulad Dâmân se précipitèrent chez les Zouaïa avec tellement de rapidité, qu'ils devancèrent les Oulad Abd Allah et purent effectuer avant ceux-ci la remise de leurs présents. Le «Chiam az-Zouaïa» ne manque pas de tirer la morale de ce récit: «Ce sont ces bons procédés qui sont la cause de la situation élevée que les Oulad Dâmân ont conservée jusqu'à ce jour: il leur faut donc honorer les descendants de Sid Al-Fadel.»

Il n'est pas impossible que les Brakna, comme les Trarza, aient fait des cadeaux aux Zouaïa. La chose se passe encore de nos jours entre deux pillages de campements tolba. Mais il est à croire que les hassanes continuaient, malgré toute l'obstination des Berbères, à prélever sur eux le tribut. On en trouvera la confirmation dans la haine que Sid Al-Fadel, qui paraît avoir été à ce moment le personnage maraboutique le plus en vue des Zouaïa, portait aux hassanes. «Je hais les Merafra, disait-il; car ils extermineront mes descendants. Une guerre terrible doit incessamment éclater entre eux.»

La prédiction n'allait pas tarder à se réaliser. Sid Al-Fadel comprenait bien que les deux peuples arabes et berbères ne pouvaient vivre ainsi sur le pied d'égalité, et 16 puisque les Berbères,—son peuple,—ne voulaient pas assurer leur défense, les armes à la main, il fallait qu'ils s'inclinassent devant les guerriers.

Le «Chiam az-Zouaïa» signale un dernier trait: Sid Brahim, le chef des Aroussiïn, n'avait pas abdiqué toute prétention sur les Zouaïa. Du nord où il campait, il envoya un jour son fils Al-Habib, à la tête d'une forte bande, prélever le tribut auquel il croyait avoir droit. Les Zouaïa concentrèrent leur force à Tin Goufanin; mais plus confiants dans la ruse que dans la force, ils demandèrent conseil à Lamin, fils de Barik Allah. Ils lui promirent par tente un tribut d'une livre de grain (moudd) et d'une mesure de beurre fondu, s'il les débarrassait des hassanes. Le marabout prit quatre piquets, récita sur chaque piquet un verset du Coran, et les planta aux quatre coins du rassemblement tachomcha. Après quoi il ordonna aux jeunes gens d'aller galoper autour de l'ennemi, cependant que l'un d'eux: Abd Allah ould Kadda, des Id ag Jemouella, doué d'un organe sonore, poussait des commandements retentissants, auxquels la troupe répondait par des acclamations prolongées.

Il paraît que ce spectacle impressionna tellement les Aroussiïn, qu'ils levèrent le camp et se retirèrent en fuyards.

CHAPITRE V
LA GUERRE DE BABBAH ET LES IMAMS BERBÈRES

Les graves événements qui allaient se dérouler en Mauritanie, vers le milieu du dix-septième siècle, devaient bouleverser complètement les tribus maures et établir d'une façon définitive les conditions de la vie sociale telles que nos ancêtres les ont vues vers la fin du dix-septième siècle, et telles que nous les voyons nous-mêmes aujourd'hui.

A cette date, politiquement, les Berbères, sans opposer de résistance militaire, essaient de tenir tête aux prétentions des hassanes, tantôt par leur obstination implacable à refuser tout tribut, tantôt par des offres de cadeaux, qui peuvent écarter momentanément l'orage en semant la division chez l'ennemi.

La politique du grand marabout et imam, Nacer ad-Din, allait être le signal de profondes modifications. Portés un instant au pinacle par la volonté de fer de ce saint homme et unis sous sa baraka, les Berbères faillirent triompher et exterminer les hassanes. La mort de Nacer ad-Din, les divisions qui suivirent, réduisirent à néant leurs succès. Ce sont là des aventures de marabouts, qui se sont renouvelées maintes fois jusqu'à nos jours.

J'ai décrit longuement, dans L'Émirat des Trarza, la 18 «guerre de Babbah», comme l'appelle la tradition maure, ses diverses péripéties, la fin de la lutte, ses conséquences. Il n'y a pas lieu d'y revenir ici.

Il suffit de rappeler que les tribus maraboutiques du Brakna ne surent pas s'unir contre l'ennemi commun. Seuls les Dieïdiba semblent s'être engagés à fond à la suite de l'imam national. Les autres ou se désintéressèrent de la lutte, ou se prétendirent contraints de tenir tête aux hassanes locaux. Les Brakna, au contraire, marchèrent en bloc avec leurs cousins Trarza, fournirent des contingents et des subsides et immobilisèrent leurs marabouts.

Les Dieïdiba, au cours de la lutte vers 1668, firent une fois bande à part et faillirent provoquer une scission en élevant un anti-imam, Nahoui ben Agd Abd Allah, contre Mounir ad-Din, frère de Nacer ad-Din et cinquième imam. L'accord se fit et Mounir resta en titre, Nahoui fut son Khalifa officiel. Il ne put malheureusement faire prévaloir ses avis sur ceux de Mounir, jeune homme inexpérimenté, et tous deux par bravade acceptèrent avec des forces inférieures le combat que leur offraient les hassanes. Ils furent tués à Dokol, à 20 kilomètres en amont de Dagana, et les troupes taillées en pièces (vers 1670).

On ne sait pas à quelle tribu appartenaient ce Nahoui, candidat des Dieïdiba, et son frère Agd al-Mokhtar, qui fut le sixième et dernier imam. Il paraît établi qu'ils étaient originaires d'une tribu maraboutique du Brakna, probablement des Dieïdiba. C'est sur le territoire brakna, en effet, que se déroulèrent les derniers incidents de la lutte (1670-1674). L'imam fit d'abord des courses, souvent heureuses, contre les Oulad Abd Allah, les Oulad Mbarek et les Litama. Le suprême combat s'engagea à Tin Ifdadh, près d'Ouezzan, dans l'Agan (Brakna septentrional). Agd Al-Mokhtar, son frère Imijen, et les derniers guerriers zouaïa y périrent.

On connaît le traité de paix qui intervint, en 1674, à Tin 19 Iefdadh. En voici, d'après la tradition brakna, les trois principales clauses: 1o Les Zaouïa donneront l'hospitalité à tous les Merafra qui viendront la leur demander, et cette hospitalité durera au moins trois jours.

2o Les Zaouïa feront parvenir chez lui (id est, sans traîtrise et en lui donnant des montures) tout hassani qui leur demandera son chemin.

3o Les hassanes auront droit au tiers de l'eau des puits, lors de l'abreuve des animaux.

Les Dieïdiba comptèrent parmi les tribus les plus éprouvées, et se virent affectés comme vassaux-marabouts aux Oulad Abd Allah mêmes. Cette alliance a duré jusqu'à nos jours inclus. Les hassanes sont restés fidèles à leurs tolba, comme ceux-ci l'étaient à leurs Arabes; ils se sont mutuellement porté secours, au fil de leur histoire, et l'occupation française les a fait fuir ensemble vers le nord, unis jusque dans la chute de l'ancien régime.

On remarquera, en terminant, combien jusqu'à cette fin du dix-septième siècle la berbérisation a été profonde dans la basse Mauritanie. La plupart des noms de lieux et même de personnes sont des noms berbères. Tout individu, à côté de son nom arabe, a son nom berbère ou zenagui, sous lequel, dans le langage courant, il est plus généralement désigné. La langue en usage est encore le berbère. Mais, avec la conquête hassane, l'arabe va prendre le dessus et refouler insensiblement langue et coutumes berbères. La langue berbère n'est plus parlée du tout aujourd'hui sur le territoire brakna.

CHAPITRE VI
LA BRANCHE AÎNÉE DES ÉMIRS BRAKNA: OULAD NORMACH

C'est à cette date (deuxième moitié du dix-septième siècle) que se constituait définitivement l'émirat des Brakna. Il est nécessaire de donner tout d'abord le tableau généalogique des premiers Brakna de la tente princière.

1. Abd Allah,
ancêtre des Oulad Abd Allah (seizième siècle).
 
 
2. Mohammed,
Dix-septième siècle.
Bakar. Mansour. Mokhtar. Naggad. Eli.
 
 
3. Normach,
ancêtre des Oulad Normach.
Siyed,
ancêtre des Oulad Siyed.
Oubbeïch.

D'Abd Allah, l'ancêtre éponyme des Oulad Abd Allah, c'est-à-dire des Oulad Normach et des Oulad Siyed, on ne sait presque rien. Il vécut au seizième siècle, et eut six fils: Mohammed, Bakar, Mansour, Mokhtar, Naggad et Eli.

Mohammed, son successeur, est le chef de la tente où va se fixer le commandement pour plus d'un siècle dans la descendance de son fils aîné Normach (1650-1766 environ), puis dans la descendance de son fils cadet Siyed (1766-1903). Un troisième fils de Mohammed, Oubbeïch, a laissé 21 une postérité qu'on retrouve en partie chez les Normach, mais surtout chez leurs tiab. Sa descendance est constituée en grande partie par les Koumba et se trouve représentée par des femmes et par Eli ould Ahmed ould Omar.

Bakar, deuxième fils d'Abd Allah, paraît avoir été un grand chef de guerre. Il vécut au dix-septième siècle et on peut en induire de là que c'est lui qui conduisit les Brakna à la guerre contre les marabouts; mais la tradition est muette sur ce point. Il mourut en 1680. Sa descendance ne comprend plus que deux tentes chez les Normach et une tente chez les Oulad Ahmed.

De Mansour, troisième fils d'Abd Allah, la descendance, qui fut jadis puissante et nombreuse, s'est fondue dans les campements de ses frères et aussi chez les Oulad Siyed.

Celle de Mokhtar, quatrième fils d'Abd Allah, a disparu.

Celle de Naggad est actuellement en très grande partie chez les Tiab Oulad Normach; une tente se trouve chez les Normach mêmes.

La postérité d'Eli, dernier fils d'Abd Allah, a émigré vers l'est. Elle constitue l'actuelle tribu des Oulad Eli, qui nomadise sur le Gorgol et dans l'Assaba.

Il faut maintenant revenir aux deux fils de Mohammed ould Abd Allah: Normach et Siyed, ancêtres éponymes de leur descendance et double branche qui fut successivement à la tête du Brakna.

Mais ici, pour pouvoir suivre jusqu'à nos jours le cours des événements historiques, il faut avoir sous les yeux les tableaux généalogiques des deux branches.

Branche aînée: les Oulad Normach.

3. Normach,
ancêtre des O. Normach.
 
4. Heïba (Mohammed Al-Heïba),
† 1728.
 
22 5. Ahmed (Ahmed Heïba),
† 1762.
 
 
6. Eli
(entre 1762-1780).
7. Ahmeïada,
vers 1780.
 
 
Mohammed. Mokhtar Cheikh. Hiba, etc.
 
 
Brahim. Mokhtar. Mohammed.
 
  Brahim. Hiba.
 
 
  Hiba. Sidi Ahmed.
 
 
  Bakar. Mohammed.
 
 
  Mohammed. Mokhtar.
 
 
  Lobat,
chef actuel.
 

Branche cadette: les Oulad Siyed.

Siyed.
 
Seddoun (Brahim).
 
 
Aghrich (Mohammed). M'Khaïtir.
 
Mokhtar.
 
 
1. Mohammed,
† vers 1800.
2. Sidi Eli 1er,
vers 1800 † 1818.
Sidi Mohammed.
 
 
Aghrich. 3. Ahmeddou 1er,
1818 † 1841.
4. Mokhtar Sidi,
1842.
Mohamm. Mokhtar.
 
7. Sidi Eli II,
1858 † 1893.
Moh. Al-Habib. Moh. Sidi. 5. Moh. Rajel.
 
Othman. Mohammed.
 
 
8. Ahmeddou II, 1893-1903. Mokhtar,
† 1884.
Moh. Krara. Bakar. Habib,
chef actuel.
  Sidi Mohammed, 1903.
 
 
Ould Assas,
† 1907.
M'hammed. Sidi Bakar. Mokhtar.

23 Au sujet des règles de la dévolution du pouvoir, disons tout de suite que la conception de l'hérédité avec partage n'a jamais été en vigueur chez les Brakna. Ce fut en principe l'idée de l'hérédité par aînesse qui domina, tempérée par l'usage, en vigueur dans les pays islamiques, que le frère cadet ou l'oncle pouvait succéder à l'émir défunt. Ici, ce dernier usage ne fut appliqué que dans le cas de minorité du fils de l'émir précédent. Et encore son clan ne considérait-il le gouvernement du collatéral que comme une régence, tout au plus un émirat transitoire, car, dès sa majorité, le fils réclamait ses droits, et ses partisans étaient tout de suite prêts à l'aider à les faire valoir.

Normach vécut approximativement vers la fin du dix-septième siècle. La tradition rapporte qu'il prit part aux derniers événements du Cherr Boubbah (1674). Son tombeau se trouve près de Mal. A cette date, les Brakna, de l'aveu de tous les chroniqueurs et annalistes maures, sont les maîtres politiques du pays et tous les autres hassanes gravitent dans leur orbite. Les Trarza eux-mêmes devront attendre jusqu'à Ali Chandora, pour se dégager de la suzeraineté politique des Brakna.

Vers cette époque, une tradition relate que les Brakna et les Id Eïchelli furent en guerre. Ils se livrèrent un violent combat au rocher de Tajala, en plein Amatlich, en 1689.

Le fils de Normach, Heïba, de son vrai nom Mohammed Al-Heïba, est à cheval sur le dix-septième et le dix-huitième siècle. On ne sait que peu de choses sur son compte.

Ali Chandora et Heïba eurent de nombreux démêlés. C'est à cette date que les Trarza vont se dégager de la suprématie brakna, alors établie sur tous les hassanes du Sud mauritanien.

Ali Chandora s'étant rendu à Fez, accompagné d'Abd Allah Maham, fils d'Al-Qadi, le grand Cheikh Ida Ou Ali de Chingueti, y reçut l'accueil le plus favorable du sultan 24 et en ramena des contingents marocains qui lui permirent d'abord de se rendre définitivement maître du Trarza et, ensuite, de conquérir son indépendance vis-à-vis des Brakna.

Les Brakna, maîtres politiques de la région, furent défaits et repoussés. Le P. Labat rapporte que leur émir, qui venait faire la récolte de la gomme dans les bois d'acacia contestés et la vendait à l'escale du Terrier-Rouge, fut assailli par Ali Chandora et s'enfuit dans la direction du Rekiz (lac Cayar des Noirs). La tradition complète ces victoires de l'émir trarza, en relatant que, par la suite, les Brakna conclurent avec lui des traités d'alliance et de soumission.

Les hostilités devaient reprendre par la suite. Elles amenèrent la mort d'Ali Chandora, qui s'était avancé à la poursuite des Brakna en retraite jusqu'à Boghé. Certains disent qu'il aurait été tué dans un combat livré à l'émir Heïba lui-même. D'autres qu'il fut empoisonné dans la nuit qui suivit le combat. La tradition est unanime à relater qu'il a été enterré un peu au-dessus de Boghé (le Dibango des Toucouleurs), sur une dune où l'on montre encore son tombeau, ou du moins l'emplacement de son tombeau, près d'un petit bosquet (1727).

Heïba ne devait pas tarder à le suivre dans la tombe. Le poème d'Ibn Khalna dit qu'il mourut peu après le sultan Moulay Ismaïl et l'émir Ali Chandora, soit donc vers 1728. Ce poème l'appelle «cheikh des Arabes, chef des bandes, lion de la bourse, homme à la belle prestance». Son tombeau est à Belaoua.

Il faut ajouter qu'une autre tradition affirme que ce Mohammed Al-Heïba du poème n'est pas le chef normachi, mais le chef Oulad Eli, son homonyme et contemporain.

Le fils et successeur de Heïba fut Ahmed. Par une contradiction fréquente chez les Maures, son nom, Ahmed ould Al-Heïba, devint Ahomel Heïba. Jusqu'alors, les Oulad 25 Abd Allah avaient été à la tête de la confédération merafra, c'est-à-dire des Arabes envahisseurs, de la postérité de Marfar ould Oudeï ould Hassân. Cette confédération, qui par son union et la solidarité de ses membres avait réalisé la conquête de la Basse Mauritanie et l'asservissement des tribus berbères, comprenait, outre les Trarza qui vivaient, depuis la fin des hostilités, dans une quasi autonomie, les Brakna, les Oulad Mbarek, les Oulad Ghouizi et les Oulad Nacer. Il est à peu près certain qu'avec le temps, et dès la fin du dix-septième siècle, la prépondération des Oulad Abd Allah, tente princière des Brakna, était devenue surtout nominale.

Mungo-Park, qui passait dans le Sahel de Nioro en 1796, entendait encore parler du haut prestige des «Il-braken».

C'est sous les règnes de Heïba et de son fils Ahomel que se produisit la scission. De cette séparation est née la situation qui a duré jusqu'à nos jours. Il y a deux versions au sujet de cette scission des Merafra, l'une, maure, recueillie par Duboc, l'autre, toucouleure, décrite par Siré Abbas; mais il est certain que cette scission ne fut rendue possible que par les coups fâcheux qu'Eli Chandora porta au prestige des Brakna.

D'après la version maure, ce fut Maham Mokhtar ould Nasri qui fut l'auteur du conflit. Il s'y prit d'une façon originale.

La djemaa des zenaga, composée des parents de la mère de Maham Mokhtar, refusa d'obéir à Ahomel Heïba. Pour les soumettre, ce dernier quitta l'Adrar et vint avec de nombreux partisans à Baghdad, à environ 8 kilomètres de Tijikja, où nomadisait le campement révolté. Ahomel Heïba était très orgueilleux et d'une susceptibilité rare.

Dès son arrivée, les zenaga, sur les conseils de Mokhtar, lui envoyèrent une ambassade pour solliciter la paix; puis lui-même se présenta alors à Ahomel Heïba, son cousin, 26 avec quelques jeunes gens des Merafra, et feignant d'être très mal avec les zenaga, demanda en son nom et au nom de ses amis que les ambassadeurs leur soient remis pour les tuer; avec insistance, il promit de leur payer le prix que fixerait Ahomel Heïba, lui assurant qu'il ferait une bonne affaire. Furieux que des membres de sa famille le croient capable d'agir ainsi, navré que l'on ait à l'assimiler à un trafiquant, considérant qu'on lui avait fait dans le Tagant la plus grande insulte qui pouvait être faite à un homme de son rang, il jura de ne plus reparaître dans ce pays et d'abandonner à leur sort les populations qui y habitaient.

Il rentra alors dans l'Adrar et les Merafra se divisèrent en plusieurs branches ne reconnaissant plus l'autorité du successeur de Barkenni. Chacun garda le nom de son ancêtre éponyme, qu'elle portait déjà, à titre d'unité intégrante de la confédération, et devint, sous ce nom, une tribu indépendante. On eut donc désormais les Oulad Abd Allah (Brakna), les Oulad Mbarek, les Oulad Ghouizi, les Oulad Nacer.

Voici maintenant la version toucouleure, vue du côté du fleuve, et telle qu'elle est rapportée par le distingué traditionnaliste Siré Abbas. Elle diffère peu d'ailleurs de la version maure.

Les Oulad Abd Allah (c'est-à-dire l'ensemble des Merafra désignés sous le nom de la tribu dirigeante) étaient les seigneurs du Chamama. Ils forçaient leurs voisins, tels que les Id Ou Aïch, à leur verser des tributs. Les Id Ou Aïch leur donnaient annuellement un poulain. Les Touabir, les Oulad Aïd et tous ceux de rang social modeste, qui vivaient auprès d'eux, étaient frappés de contributions. Cet état de choses dura jusqu'à la bataille d'Al-Hareïkat, localité du Tagant, à l'Est de Tijikja, et où se trouve depuis fort longtemps le tombeau d'Ilou Yaladi Diadé Padiq, père de Foullal. Cette bataille mit aux prises les Oulad Abd Allah et les Id Ou Aïch. Lorsque ceux-ci aperçurent qu'ils n'étaient pas de taille à lutter loyalement contre leurs adversaires, ils mirent en commun toutes leurs ruses et en usèrent pour les diviser. Cela leur 27 porta bonheur. Les Oulad Al-Ghouizi et les Oulad Mbarek émigrèrent vers Nioro et Kayes. C'est alors que se produisit le conflit entre Oulad Eli et Oulad Yatim. A l'accord, qui régnait au sein des Oulad Abd Allah, se substitua une hostilité cordiale. Ils ne se mettaient d'accord que rarement et pour un laps de temps très court. Les Id Ou Aïch profitèrent de leurs discordes intestines pour s'affranchir de leur joug. C'est ainsi qu'ils cessèrent de payer le tribut annuel d'un poulain.

L'émir Ahmed Al-Hiba eut les relations suivantes avec le grand saint des Oulad Dîman: Mohammed Al-Yadali, thaumaturge, orateur et fécond écrivain.

Le griot-danseur de l'émir, ancêtre des actuels Ahel Manou, avait composé un poème où il glorifiait son maître. Sous couleur de commentaire d'un de ses propres poèmes, Mohammed Al-Yadali fit une satire amère du poème du griot, reprenant les expressions de louange exagérée qu'il avait employées pour l'émir, et les appliquant lui-même au Prophète.

Quand il apprit ces faits, Ahmed Al-Hiba se fâcha et proféra des menaces à l'encontre du poète. Mohammed Al-Yadali, qui ne tenait pas à en attendre l'exécution, se hâta de venir trouver l'émir. Celui-ci lui fit des reproches: «Comment peux-tu démarquer le poème qui m'a été adressé? Comment oses-tu en détourner le sens sur un autre que moi? Tu as fait là quelque chose de grave.» Le marabout répondit simplement: «J'ai transporté vos louanges vers quelqu'un (Mahomet) qui est meilleur que moi et que vous.»

La colère de l'émir tomba, et il lui fit don d'un chameau, s'engageant à ce tribut en son nom et au nom de ses successeurs jusqu'au jour du jugement dernier. Par la suite, leurs relations furent tout à fait cordiales, et le poète dîmani composa à la louange d'Ahmed ould Heïba et de sa maison une très élogieuse qacida[1].

[1] La traduction de ce poème a été donnée dans le Bulletin du Comité d'Études historiques de l' A. O. F., 1920.

28 Les derniers jours d'Ahmed Al-Heïba furent encore agités par des luttes entre les Oulad Ahmed, alliés aux descendants des Oulad Rizg et l'émir Mokhtar ould Omar, des Trarza (vers 1758). Les Oulad Ahmed vaincus, et qui s'étaient avancés en territoire trarza, furent refoulés vers les pays brakna.

Les luttes intestines qui avaient déchiré la confédération merafra allaient se produire au sein même des Oulad Abd Allah et amener leur scission: 1o en les tribus Normach et Siyed, telles que nous les trouvons aujourd'hui dans le Brakna; 2o en Oulad Eli et Litama, tels que nous les trouvons dans le Gorgol et l'Assaba.

A Ahomel Heïba, mort en février 1762, d'après le poème d'Ibn Khalina, et enterré à Nagué, dans l'Aoukar, succédèrent d'abord son fils aîné Eli, ensuite son fils cadet Ahmeïada. Une autre tradition dit que Ahmeïada est le fils, non le frère d'Eli. Le tombeau d'Eli se trouve à Al-Qadra dans le Raag et celui d'Ahmeïada, à Tijam dans l'Agan.

C'est sous le commandement de ces deux chefs, c'est-à-dire dans les années qui suivirent 1782, que se produisirent ces graves événements. Jusqu'à cette époque, les Normach nomadisaient en hivernage près de la Sebkha de Tidjiniakout, et autour de Talorza et d'Achamin, situé à une journée de marche au nord de la Sebkha. La saison sèche les amenait, comme la plupart des tribus dans le Tiris. Avec Ahmeïada, ils se fixèrent dans l'Aftout pendant la saison sèche, et dans l'Agan, pendant l'hivernage. Les luttes intestines qui éclatèrent à cette date provoquèrent un exode plus méridional encore: les Oulad Eli, les Oulad Al-Yatim et les Oulad Siyed allèrent s'installer à Guimi. Ils se battirent entre eux, comme ils s'étaient battus avec les Oulad Normach. Les Oulad Al-Yatim, commandés par Seïbouli, furent vaincus et émigrèrent à l'est du Gorgol, dans la région qui depuis a pris leur nom: le Litama. Les Oulad 29 Eli les y suivirent peu après, et s'installèrent auprès d'eux dans la vallée inférieure du Gorgol.

Les Normach et les Siyed, restés seuls en présence, se partagèrent le pays: les premiers nomadisèrent dans la haute région entre Guimi et l'Agan; les autres se fixèrent dans la partie méridionale du Brakna, de Guimi au lac d'Aleg et jusque dans le Chamama. Cette division amena l'indépendance des Siyed vis-à-vis des Normach. Leur chef, Mokhtar ould Aghrich, entendit comme son père Aghrich l'avait déjà tenté, ainsi qu'on le verra plus bas, être l'égal, à tous points de vue, de son cousin Ahmeïada, et être l'émir des Oulad Siyed comme Ahmeïada était l'émir des Oulad Abd Allah.

Mokhtar mourut, d'après Golberry, en 1766. C'est du moins ce qui ressort de son texte. «En 1766, le chef des Brachknaz mourut, et Hamet Moktar, son fils, devint, par droit de naissance et de succession, chef et roi des deux tribus des Maures-Brachknaz et Darmanke.» Il se pourrait d'ailleurs que cette succession vacante fût due, non à la mort de Mokhtar, chef des Oulad Siyed, mais à celle d'Ahmeïada, chef des Oulad Normach et émir des Brakna.

La chose est de peu d'importance d'ailleurs. Toujours est-il que c'est en 1766, ou autour de cette date, que les chefs Oulad Siyed, branche cadette de la dynastie, prennent définitivement figure d'émirs de Brakna.

Ce fut la situation politique et géographique respective des deux tribus qui amène ce curieux résultat. Les Européens de Saint-Louis, tant Français qu'Anglais, tant de l'administration que du commerce, s'habituèrent définitivement à traiter avec les Oulad Siyed, qui commandaient les voies d'accès au fleuve dans cette région du Chamama, et à les considérer comme les vrais et seuls maîtres du pays, à l'exclusion des Normach, dont ils ignoraient l'existence ou qu'ils considéraient comme une fraction soumise aux Oulad Siyed. L'émir des Siyed fut pour eux le véritable 30 émir du pays, et c'est à ce «sultan des Brakna», Mohammed ould Mokhtar lui-même, que nous voyons les Anglais payer, dès avant 1767, les coutumes annuelles et c'est avec lui que le Gouverneur de Repentigny va conclure le premier traité que nous avons conservé (1785). On comprend que les chefs Oulad Siyed ne firent rien pour détromper les gens de Saint-Louis. On devine même qu'ils aidèrent, de toutes leurs forces, à la confusion.

Par la suite et avec le temps, leur usurpation fut confirmée; la prescription leur fut acquise à leurs propres yeux, aux yeux de l'ensemble des tribus maraboutiques, et aux yeux mêmes ou peu s'en faut des Oulad Normach. Ceux-ci en effet, dépossédés de leur commandement depuis un siècle et demi, n'ont élevé, depuis notre occupation, que des prétentions fort timides. Ils parlent de leur commandement comme d'une chose fort lointaine, à proprement parler comme d'un droit historique et périmé, souvenir glorieux du passé.

C'est à Aghrich que la tradition Brakna, déjà signalée par Faidherbe en 1864, attribue l'honneur d'avoir noué officiellement les premières relations commerciales avec les Français, d'avoir entamé et protégé la traite de la gomme, et enfin de l'avoir canalisée par les escales du Coq[2] et du Terrier Rouge[3]. Elles allaient devenir, pendant deux siècles, les marchés nécessaires de la gomme du Brakna, et même, au moins pour la première, le marché intermittent du Trarza, quand les nombreuses guerres que nous dûmes entretenir avec cette confédération guerrière amenèrent sa fermeture.

[2] L'escale du Coq, sise à la pointe de l'île à Podor, à 10 kilomètres en aval de Podor-Ville, était sur la rive gauche. C'était une escale commune aux Trarza et aux Brakna, quoique l'émir du Brakna en eût généralement la surveillance.

[3] L'escale du Terrier-Rouge était spéciale aux Brakna. Elle était sise à 50 kilomètres en amont de Podor et sur la rive droite.

Le service que rendit ainsi Aghrich à son peuple, ou 31 plutôt sans doute la tradition diplomatique qui se créa chez nous de ne traiter qu'avec ce prince, puis avec les membres de sa famille, qui se dirent ses successeurs réguliers, et de ne donner qu'à celui-là les pièces de guinée des coutumes, qui formaient le plus clair des revenus de l'émir, contribuèrent puissamment, ainsi qu'il a été dit, à établir, d'une façon définitive, la dévolution de l'émirat brakna. Cette dignité va se perpétuer dans les Ahel Aghrich, les «Lakariches», comme les appellera en 1824 René Caillié.

Les escales classiques, surtout le Coq, conservèrent leur importance pendant tout le dix-huitième siècle. Quand en 1744, par l'initiative de l'intelligent directeur de la Compagnie, David, les Français s'installèrent à Podor, ce village devint l'escale officielle des Brakna et le terrain neutre des négociations. Abandonnée quelques temps, lors de l'occupation anglaise de Saint-Louis (1758) l'escale reprit peu après, avec les Anglais mêmes, son importance et ne la perdit plus. Le chef du village était, comme dit René Caillié (1824), «Ministre du Roi» auprès de cette autorité française. Mais l'escale réelle, le marché des transactions, où les navires jetaient l'ancre, où se réunissaient traitants sénégalais et vendeurs maures, chefs Oulad Abd Allah, marabouts locaux et délégués du grand Borom de Saint-Louis, où seul pouvait s'effectuer la traite de la gomme et le commerce des autres produits, était située au confluent terminal du fleuve et du marigot de Doué, à ce Coq, célèbre pendant deux siècles dans nos annales sénégalaises. Le dix-neuvième siècle, plus libéral dans la réglementation économique, devait voir les transactions s'effectuer d'un bout à l'autre du fleuve, et ces escales de l'ancien régime dépérir et disparaître.

C'est, au dire de Golberry, l'ancienne Compagnie des Indes qui avait fondé l'usage des coutumes annuelles, payées aux chefs maures, voisins du Sénégal, et aux princes, chefs et rois des nations noires, avec lesquelles le commerce exigeait des relations.

32 Quand les Anglais devinrent maîtres du Sénégal par une suite des événements de la guerre de Sept ans, pour l'avantage de leur commerce, ils suivirent l'usage de faire des traités d'alliance et de bonne intelligence avec les princes maures et les princes nègres... Ils avaient une sorte de registre manuscrit qui contenait dans le plus grand détail les motifs, l'énumération et l'ordre des coutumes qu'on devait payer annuellement aux chefs de ces nations africaines, les époques où ces coutumes devaient être délivrées, des notes relatives à l'importance respective de ces chefs et de ces nations, des instructions sur les règles qu'il fallait suivre en délivrant ces coutumes, et des observations politiques sur le commerce de cette partie de l'Afrique.

On voit à quel point les Anglais, maîtres ès arts politiques, poussaient leur documentation. Leur habileté dans l'action n'était pas moindre. Ils ne dédaignaient pas les moyens d'agiter ces hordes des Maures, de les animer l'une contre l'autre, de les balancer, de les contenir et de leur inspirer réciproquement des jalousies.

Golberry, qui eut l'occasion d'avoir un de ces registres politiques de l'administration anglaise «pendant le temps qu'ils ont possédé le Sénégal, c'est-à-dire, depuis 1760 jusqu'en 1779», en a traduit certains passages intéressants.

Voici le texte concernant le Brakna:

Coutumes à payer à Hamet Moktar, chef des deux tribus maures de la famille Agrichy.

Am-Hamet-Moktar est chef des tribus maures Ouled Abdallah, communément appelés Brachknaz et Darmanko, qui forment la famille Agrichy. Le commerce de la gomme avait engagé de payer annuellement des coutumes à ce roi maure; elles furent augmentées à l'époque, où l'on demanda la permission d'ériger un fort à Podhor, avec un village attenant, dont les habitants auraient autant de terres qu'ils croiraient nécessaire d'en cultiver dans les environs du fort.

Cette coutume fut payée régulièrement jusqu'en 1765; alors les Français abandonnèrent le fort et le village. Mais en conséquence d'un accord fait avec Am-Hamet-Moktar, le fort de Podhor fut rétabli ainsi que le village, en 1772, avec les mêmes privilèges.

A l'époque de ce rétablissement, il fut convenu que les coutumes que 33 les Français étaient dans l'usage de payer au chef des Maures Brachknaz seraient aussi rétablies, mais que Hamet Moktar ne pourrait les réclamer qu'à commencer du mois d'août 1775, parce qu'alors seulement la reconstruction des forts et village de Podhor serait achevé.

Le but de rétablissement de Podhor n'est pas seulement d'entretenir la bonne intelligence et le commerce avec les Maures brachknaz et darmanko, mais aussi d'acquérir par là, assez de poids et d'influence sur les Foulhas-Peuls, qui sont les habitants natifs de la contrée; prévenir les hostilités et les pillages qu'ils faisaient tous les jours sur le commerce des Blancs et autres marchands de l'île Saint-Louis du Sénégal: surtout pendant le voyage de Galam et au retour de ce voyage, les brigandages et les hostilités de ces nègres menaçaient de la perte entière du commerce dans ces districts.

Cette circonstance prouve suffisamment l'importance et l'utilité de ce fort, l'avantage de son établissement et de son entretien, et des coutumes payées à Hamet Moktar pour la protection qu'il s'engage de donner à l'établissement de Podhor contre les Foulhas.

Coutume annuelle qui sera payée au roi Hamed Moktar, chef de la famille Agrichy, aussi longtemps que subsisteront le fort et l'établissement de Podhor.

On rendra aussi des honneurs aux rois et chef des Maures Trarshaz et Brachknaz, quand ils se rendront à l'île de Saint-Louis du Sénégal.

Am-Hamet Mokhtar Agrichy, roi des Maures Brachknaz et Darmanko, sera salué de cinq coups de canon de la même batterie, en arrivant et en partant.

Il est d'usage de nourrir certains chefs du continent aux dépens du roi, quand ils viennent à l'île du Sénégal, bien entendu qu'ils n'y restent que pour arranger quelque affaire avec le Gouverneur.

C'est ainsi que tout était prévu et arrangé à l'égard de ces chefs maures avec lesquels il est important, pour l'avantage du commerce, de s'entretenir en bonne harmonie, et en bonne intelligence.

34 La forêt des gommiers, qui était reconnue officiellement aux Brakna, était celle d'Al-Fatak, comme la forêt de Lebiar était celle des Id Ou Al-Hadj (Darmanko), et la forêt du Sahel celle des Trarza. En réalité, ces bois de gommiers n'étaient que les principales et plus riches agglomérations d'acacias, et on faisait la cueillette de la gomme un peu partout dans tous les boqueteaux d'«irouar» qui couvrent le territoire de la Basse Mauritanie.

CHAPITRE VII
LA BRANCHE CADETTE DES ÉMIRS BRAKNA: OULAD SIYED

1.—Mohammed ould-Mokhtar (1766, † vers 1800).

Mohammed ould-Mokhtar, petit-fils d'Aghrich, peut être considéré comme le premier émir de la branche cadette des Oulad Abd Allah: les Oulad Siyed. Il apparaît dans la tradition comme le successeur d'Ahmeïada, fils ou petit-fils d'Ahomel Heïba, des Normach. C'est vers 1766 que se produisit cette substitution.

Depuis deux générations déjà, les Oulad Siyed étaient établis entre le lac d'Aleg et le fleuve. On sait par la tradition que Mokhtar, père de Mohammed, a été enterré à Oumm Djeljel, près de Regba, et que Aghrich, son grand-père, mort de maladie, a été enterré à Taboumlib, près d'Ouezzan. Quant à Seddoum, père d'Aghrich, il fut tué au cours d'un rezzou et fut enterré à Oumm Abboun, dans le Zemmour. Le tombeau de son père, Siyed, l'ancêtre éponyme, se trouve dans l'Agan.

Les Oulad Siyed et, à l'occasion, les Oulad Normach se signalaient par d'incessantes incursions dans le Fouta. Les Chroniques de Siré Abbas signalent une longue et cruelle guerre de sept ans que le Cheikh Souleïman Bal et les derniers 36 souverains de la dynastie de Tenguella soutinrent contre les pillards Oulad Abd Allah, vers 1770.

Le document anglais précité, de 1767, donné par Golberry, relata qu'à cette date déjà les coutumes sont payées à Mohammed ould Mokhtar.

Un peu plus tard, en 1785, quand les Anglais ont dû vider les lieux, un document officiel français nous atteste à nouveau la présence de Mohammed ould Mokhtar à la tête de l'émirat brakna.

Le 10 mai 1785, Mohammed ould Mokhtar, «roi», dit le texte français, «sultan», dit le texte arabe, des Brakna, signait sous les auspices et protection du gouverneur, comte de Repentigny, avec le sieur Durand, directeur général de la Compagnie de Commerce du Sénégal, un traité d'amitié et de réglementation de la traite de la gomme.

Il était réglé en substance dans cet acte, où le texte français déforme toujours le nom de l'émir en «Ahmed Mokhtar»:

a) La Compagnie a le droit d'établir un comptoir à Podor et d'autres comptoirs dans tout autre point du territoire d'Ahmed avec liberté entière de traite sur toutes matières.

b) Ces établissements sont sous la sauvegarde spéciale de Mohammed Mokhtar.

c) Suppression de tout commerce direct ou indirect avec les Anglais, avec gratification à l'émir chaque fois qu'il arrêtera une caravane allant chez les Anglais de Portendik.

d) Promesses des bons offices de l'émir pour l'activité de la traite, la fixation du «kantar» au plus bas prix et à la plus haute mesure possible, l'aplanissement de toutes difficultés.

e) Versement d'une coutume annuelle: 1o à l'émir (400 pièces de Guinée, 100 fusils fins, 200 barils de poudre de 2 livres, etc., sans oublier une moustiquaire, plus une pièce de guinée par huit kantar mesures et conduits à bord; 2o à Sidi Eli, frère du roi (14 pièces de guinée, etc.); 3o à la femme du roi (8 pièces de guinée, etc.); 4o à Fatma, sœur aînée du roi (4 pièces de guinée, etc.); 5o à chacune des quatre jeunes sœurs de Mohammed Mokhtar et à sa fille (2 pièces de guinée); 6o au premier ministre (5 pièces de guinée, etc.); 7o pour les soupers 37 de Sidi Ely et des marabouts qu'il loge chez lui (1 mouton et 2 bouteilles de mélasse); 8o pour sa suite (id). Tous ces objets payables un tiers au commencement de la traite, un tiers au milieu, et un tiers à la fin.

Le total des coutumes versées aux Brakna était évalué, en 1787, d'après le livre de comptes de la Compagnie, à 5.598 livres.

L'émir Mohammed ould Mokhtar, allié aux Id Ou Aïch, soutint une lutte implacable contre son voisin Eli Kouri du Trarza. Un combat violent, dit Mohammed Youra, s'engagea près du puits d'In Temadhi (un peu avant 1786, année de la mort d'Eli). Les Trarza vaincus durent prendre la fuite vers l'ouest. Après une course éperdue, ils arrivèrent à Kheroufa, célèbre alors par un grand arganier. Rejoints en ce point par Homeïada ben Ali, descendant d'Ahmed ben Dâmân, et par un parti de guerriers, ils firent face à l'ennemi. Le sort changea. Les Trarza reprirent le dessus et poursuivirent à leur tour les Brakna, qui se hâtèrent de tourner bride vers l'est. La tradition rapporte qu'au puits de Djefaïf les fugitifs rencontrèrent un campement de tolba qui abreuvaient leurs bœufs. Un des guerriers brakna, fatigué de cette course éperdue, sauta sur une vache pour continuer sa route, mais celle-ci fit un bond et jeta à terre l'homme qui tomba malencontreusement, montrant que, sous sa chemise, il n'y avait pas de culotte, ce qui fit rire tout le monde.

La lutte devait prendre des proportions plus grandes encore par l'entrée en scène des «Foulhas» (Toucouleurs sans doute), alliés des Brakna. «Nous fûmes, en 1786, décrit Golberry, les témoins oisifs et inutiles de l'explosion qui fermentait depuis plusieurs années.

En 1785, Hamet-Mokhtar, roi des Brachknaz, homme à la fois lâche, orgueilleux et insolent, parce qu'il était soutenu par le roi des Foulhas, enleva la femme favorite d'Eli-Kouri, et sut si bien s'attacher cette 38 femme qu'elle fit déclarer à son premier maître, qu'elle se séparait à jamais de lui.

Les hostilités recommencèrent l'année suivante. Eli Kouri provoqua Mohammed ould Mokhtar. Le combat s'engagea, en octobre 1786, à 20 lieues de Saint-Louis. Eli Kouri fut vaincu et tué.

Le vainqueur Mohammed ould Mokhtar ne fut pas exempte de souci, car peu après le «Siratick-almami» attribuant la victoire à ses 400 guerriers» prétendit faire la loi, non seulement aux Trarshaz, mais aussi aux Brachknaz, aux Darmanko, aux rois nègres ses voisins, et même aux Français du Sénégal.

Golberry constate encore en 1785-1787 «que les Darmanko (= Ida Ou Al-Hadj, du Trarza), ont pour les Brakhknaz un attachement et une déférence qui ne se sont jamais démentis; que leur chef témoignait le plus grand respect pour Hamet-Mokhtar (Mohammed Mokhtar), chef des Brachknaz, qu'il le reconnaissait comme «roi, comme général de la nation, comme le père de la famille des Agrichys; que, dans toutes les circonstances, les intérêts de ces deux tribus sont toujours réunis, toujours compris dans les mêmes traités, et que le roi des Brachknaz discute, agit, conclut tout seul pour ces tribus germaines, sans que jamais il y ait aucune réclamation, aucune opposition de la part des Maures Darmanko.»

Golberry qui a vu à peu près juste l'immigration des hassanes (les Maures Oulad, comme il les appelle, oubliant le mot principal: Hassan) fait venir ensemble du Nord les Brakna et les «Ouled El-Hadj». Ces tribus, dit-il, «n'en formaient autrefois qu'une seule», ce qu'il faut entendre non au sens des origines ethniques, puisque les Brakna sont Arabes, et les Ida Ou Al-Hadj, Berbères, mais au sens de la confédération d'une tribu guerrière et d'une tribu maraboutique. Mieux encore, l'intérêt économique explique cette alliance du dix-huitième siècle, qui a disparu par la suite. Golberry signale avec justesse cette cause: «Ils s'attribuèrent la possession du territoire compris entre celui des Trarchaz et le Ludamar, l'exploitation des forêts (de 39 gomme) d'Al-Fatack et d'El-Hiebar, ainsi que plusieurs mines de sel, situées dans ces déserts de sable.

Mohammed ould Mokhtar eut les honneurs de la correspondance qu'adressait régulièrement Boufflers à Mme de Sabran. Il est vrai que la relation de Boufflers est loin d'être flatteuse pour l'émir brakna et que si celui-ci avait pu se douter du jugement ironique du Gouverneur, il aurait été moins ravi de l'entrevue. Mais peut-être cette impression défavorable est-elle due à la chaleur de 50° Réaumur, à l'ombre, que Boufflers eut à supporter, ayant eu l'idée fâcheuse de faire son voyage au mois d'avril (1787). L'émir maure «lui parut misérable et rapace».

Il dit encore: «C'est un homme fort puissant, mais fort doux et en même temps fort dévot. Il n'aime que les femmes et les prêtres, et passe sa vie le plus qu'il peut à Podor pour être loin de son camp, loin de ses ennemis. Il habite une mauvaise chambre du fort avec une femme en titre et trois ou quatre dames d'honneur qui en manquent de temps en temps, livré aux conseils de ses marabouts qui lui laissent faire toutes ses sottises et toutes ses fredaines, pourvu qu'il porte une centaine de leurs petits scapulaires qu'ils appellent gris-gris, et qu'il fasse par jour environ huit à dix prières ridicules sur une peau de mouton qu'on étend à ses pieds. Le reste du temps, il converse—cela s'appelle palabrer—sur les intérêts de sa prétendue couronne et le résultat de tous ses palabres est de demander des présents et des secours qu'on ne lui donne que le moins qu'on peut, d'emprunter au tiers et au quart des étoffes, des fusils et d'autres marchandises, sous prétexte d'une guerre à soutenir, mais qu'il donne par le fait à tout ce qui l'entoure... Sa figure est assez belle; il ressemble à une sainte face dont la couleur aurait beaucoup poussé au noir. Il est plutôt drapé qu'habillé d'une manière très pittoresque, presque toujours en blanc. Du reste, il a absolument la dégaine d'un roi fainéant et, qui plus est, d'un roi mendiant.»

40 Les deux interlocuteurs échangèrent des cadeaux. Boufflers reçut pour sa part un cheval du fleuve. Après quoi, il confirma l'alliance traditionnelle et s'empressa de venir à Saint-Louis.

Le 29 mars 1793, an II de la République, un décret de la Convention nationale interdit toute relation avec l'émir. En voici le texte:

«La Convention nationale, voulant obtenir la réparation des vexations que Hamet Moktar, chef de la tribu des Maures braknas, s'est permises envers les Français qui sont allés dans ce pays pour faire la traite de la gomme, Décrète ce qui suit:

«Article premier.—Il sera signifié à Hamet Mokhtar, chef de la tribu des Maures Braknaz, que la Nation française ne lui paiera plus aucune coutume, et cessera toute relation de commerce avec lui jusqu'à ce qu'il ait réparé les vexations qu'il s'est permises envers les Français et qu'il ait donné des otages, qui répondent de sa conduite pour l'avenir.

«Art. II.—Il est défendu provisoirement à tout bâtiment français de faire aucune traite de gomme à l'escale qui est sous la domination d'Hamet Mokhtar; le conseil exécutif est autorisé à établir sur la rivière un bâtiment armé qui fera respecter cette défense.»

L'émir ne conçut aucune fierté de cette marque d'attention spéciale de notre Convention nationale. Les démarches qu'il se hâta de faire et les assurances qu'il donna pour l'avenir firent surseoir à ce décret, mais l'exécution allait en être décidée quelques années plus tard.

En 1799, en effet,—une délibération du 14 ventôse, an 7, nous l'atteste,—des envoyés d'Amar Koumba, émir des Trarza, se présentaient devant le Commandant (Blanchet) et les principaux habitants du Sénégal (Comié, Pellegrin, Pierre Dubois, Blandin fils, etc.), «assemblés en la maison du Gouvernement», et informaient les Français de la part 41 de leur maître que l'émir Brakna se préparait à faire la guerre au Sénégal et qu'il avait député son fils Aghrich à Amar Koumba pour lui communiquer sa résolution et le presser de se joindre à lui. L'émir des Trarza avait refusé, et la rupture des bonnes relations avec les Brakna en était résultée.

Comme suite à cette délibération, Amar ould Koumba était remercié au nom du Gouvernement français et recevait un «présent extraordinaire», tandis que Mohammed Mokhtar voyait mettre à exécution contre lui les mesures hostiles prescrites par la Convention.

Mohammed Mokhtar disparaissait peu après (vers 1800).

2.—Sidi Eli Ier (vers 1800, † 1810).

L'émir Mohammed ould Mokhtar fut remplacé, à sa mort, par son frère Sidi Eli (vers 1800). C'est dans cette branche cadette que s'est perpétué le commandement.

Les relations de Sidi Eli avec les Français furent cordiales. On le voit intervenir en médiateur, au début de 1806, entre les Français et le Fouta agité par la révolution musulmane. Ses bons offices aidèrent à la conclusion du traité du 4 juin 1806, où il apparaît comme premier ministre de l'almamy Abdoul-Qadir, «Roi des musulmans du Fouta».

Les préliminaires du traité portent en effet: «Au nom de Dieu et de S. M. Impériale Napoléon Ier, paix, amitié et bonne intelligence entre tous les habitants du Sénégal, et ceux du pays Fouta, qui seront tenus de part et d'autre, après la ratification d'Almamy, de se conformer aux conventions et règlements prescrits et arrêtés définitivement par le général Blanchot, commandant pour S. A. M. I., d'une part, et de l'autre par Sidi Eli, fils de Mokhtar Agrisse, chef de la tribu des Bracknas, chargé des pouvoirs d'Almamy...»

42 Pour reconnaître ces bons offices, le Gouvernement français lui versa, pendant les deux années où il se maintint encore au Sénégal, «une coutume d'honneur». Cette coutume devait être reversée à son fils Ahmeddou dans le traité de 1819. Elle continua d'être payée jusqu'à Faidherbe. On le trouvera en annexe dans l'état des coutumes de 1840, donné à titre d'exemple.

Mais ce qui apparaît à cette heure, c'est que les Maures brakna, tant guerriers que marabouts, après avoir considérablement aidé au succès du parti torodo et de la révolution religieuse du Fouta (fin du dix-huitième siècle), vont conserver pendant tout le dix-neuvième siècle une influence considérable sur les dirigeants du peuple toucouleur tant du Fouta occidental (Toro, Lao) que du Fouta oriental (Yrlabé, Ebyabé, Bosséa).

On a conservé de Sidi Eli le traité passé, le 7 juin 1810, avec le lieutenant-gouverneur Maxwell, représentant de l'autorité anglaise, qui venait de conquérir le Sénégal. Ce traité est identique au traité que passa le même jour le lieutenant-colonel Maxwell avec l'émir des Trarza. Il est à remarquer que pour la première fois les émirs brakna y reçoivent leur titre exact: «chef d'une tribu des Brakna», c'est-à-dire les Oulad Siyed.

Les dispositions de ce traité sont beaucoup moins minutieuses que celle des traités français. Le principe des coutumes est reconnu, mais la liste en est dressée individuellement pour chaque bâtiment arrivant à l'escale, après entente entre le capitaine et le subrécargue et le chef maure. Une copie de cette liste reste entre les mains des deux parties contractantes.

En l'absence de l'émir, c'est Mohammed Sidi, son premier ministre qui le remplace.

A la disparition des Anglais, Sidi Eli s'empressa de renouer les relations avec les Français. «Ma joie a été à son comble, écrivait-il en 1817 au colonel Schmaltz, en apprenant 43 votre arrivée au Sénégal»; et il ajoutait immédiatement: «Remettez à mes envoyés la coutume que les Français omirent de payer, lors de la prise du Sénégal par les Anglais, ainsi que celle dont ces derniers s'emparèrent, l'année passée, dans l'affaire du bâtiment de Fara Blondin.»

3.—Ahmeddou Ier (1818-1841).

Ahmeddou Ier succéda à son père Sidi Eli, au début de 1818. Le tombeau de ce dernier se trouve à Arroug, dans le Chamama.

Il faisait, dès les premiers jours, la preuve de sa bonne volonté, en offrant ses services au gouverneur, qui avait alors des difficultés avec certaines tribus peul et avec des villages du Oualo. On lui fit tenir des secours en armes et en munitions. Il passa le fleuve avec quelques bandes et pilla plusieurs villages ennemis et par-dessus le marché Nguik, qui nous était dévoué. Cette guerre s'accompagna de pamphlets, suivant la coutume maure. A une satire, que nous n'avons pas, et qui fut envoyée sur Sidi Eli aux gens de Nguik, ceux-ci répondirent:

Dieu lui-même a défendu aux malfaiteurs de se trouver face à face avec ses serviteurs.

Eli s'il amène la destruction sur le pays de son père, doit être repoussé par les honnêtes gens.

N'est-ce pas déjà assez qu'il ait été cause de la ruine de notre village et de celui de Ouadan?

Nous, gens de Nguik, nous ne saurions être contents d'Eli si le Gouvernement n'en est pas content lui-même.

Que lui et sa bande viennent dans notre village et nous les chasserons sans retard.

Et pourquoi Nguik ne les chasserait-il pas? N'ont-ils pas amené la ruine sur Nguik?

Au même moment, des combats victorieux contre ses 44 voisins Trarza: Oulad Dâmân, Oulad Sassi, Ahel Attam asseyaient son influence et sa réputation.

Le 20 mai 1819, Ahmeddou conférait à l'escale du Coq avec le colonel Schmaltz, commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépendances. Un traité était signé le même jour.

Le préambule constate «la conduite juste et irréprochable, tenue par Ahmeddou envers les traitants de Saint-Louis, le grand intérêt qu'il a de se conserver en bonne intelligence avec les Français, et—ici nous retrouvons Schmaltz et ses projets de colonisation agricole—les immenses avantages, qui résulteraient infailliblement pour lui, son pays et ses sujets, si le système de colonisation projeté sur la rive gauche du fleuve, était en même temps exécuté sur le territoire considérable et populeux qu'il possède sur la rive droite». Cette belle prose coulait en vain, car elle n'est pas traduite dans le texte arabe du traité.

Voici les principales dispositions de cet acte:

a) Ahmeddou, «roi de la tribu des Bracknas», s'engage à favoriser par tous les moyens la traite de la gomme et tout autre commerce;

b) Maintien des coutumes sur les bases anciennes;

c) Ahmeddou s'engage à se conformer aux règlements, pris par le commandant pour empêcher la fraude, et à ne jamais arrêter ou suspendre la traite, avant d'en avoir référé au commandant et reçu sa réponse. Ces dispositions sont nouvelles et témoignent de l'emprise de plus en plus profonde de l'autorité française.

d) Neutralité d'Ahmeddou dans les guerres au Sénégal;

e) Ahmeddou «invite» (!) le commandant français à diriger sur son pays des sujets du roi de France pour y former, conjointement avec les siens des établissements de culture, comme ceux qui étaient alors tentés sur la rive gauche dans le Ouale;

f) Cession à la France des territoires propres à la formation d'établissements agricoles;

g) Autorisation de construire des forts et d'y mettre des garnisons;

h) Maintien au fils de la coutume d'honneur versée au père, Sidi Eli.

45 Schmaltz professait pour Ahmeddou une grande estime et cherchait à l'intéresser à ses plans de colonisation. Il écrit de lui au ministre, le 27 mai 1820, alors que pourtant ses bonnes relations avec l'émir sont déjà rompues. «Ce prince avait toujours paru distingué, parmi les Maures, par des pensées plus grandes, une inclination toute favorable à adopter les idées des Européens. Sa justice sévère et sa loyauté avaient ramené l'ordre dans son escale et gagné la confiance des traitants.»

Schmaltz signale encore que l'émir avait un «vif désir d'obtenir la concession d'une nouvelle coutume annuelle, appartenant en propre à l'aîné de ses enfants, et non divisible entre les princes comme le sont les autres. Il espérait par ce moyen fixer la royauté dans sa famille, en raison de la prépondérance que donneraient à l'héritier présomptif les richesses dont il pourrait disposer.» On ne sait qui du courtisan Schmaltz ou du cupide Ahmeddou eut, le premier, cette idée géniale.

Malgré ces bons rapports, malgré la nécessité qui s'imposait à Ahmeddou, en guerre avec les Id Ou Aïch, de s'appuyer sur nous pour éviter les défections de nombre de ses gens et pouvoir tenir tête à ses ennemis, l'émir se laissa entraîner par les excitations religieuses et xénophobes des «Foulhas». L'année précédente (1819), Schmaltz avait créé le poste de «Baquel» et montré sa volonté de faire la traite dans le haut fleuve, en s'en tenant rigoureusement aux termes des actes passés avec les almamys du Fouta et sans autre condition. Les choses s'envenimèrent très rapidement. Schmaltz, qui était venu en février 1820 à Podor, pour éclairer la situation et faire cesser les attaques des convois, ne put rien obtenir et fut bientôt lui-même assailli.

Il croyait pouvoir compter sur Ahmeddou, avec qui il avait eu plusieurs entrevues à Podor même, et qui l'avait assuré de son dévoûment. Il n'en fut rien. Ahmeddou se 46 laissa entraîner par l'exemple des Trarza et des Poule-Toucouleurs qui, les premiers, sous la conduite de leur émir Amar ould Mokhtar, non reconnu par nous, les autres sous le commandement de l'almamy Siré, de Tierno Moli et de l'éliman Bou Bakar, tentaient d'ameuter tout le pays contre nous, au lendemain de la réoccupation de la colonie. On escomptait même la coopération du damel du Cayor. Toutes ses bandes envahirent le Oualo, qui venait de conclure avec nous un traité de commerce et d'amitié et dont le brak restait fidèle à ses engagements. Une petite colonne marcha de Saint-Louis à leur rencontre. Elle se renforça d'auxiliaires ouolofs, chassa les pillards du Oualo, et envahit à son tour les abords du Fouta. Deux villages furent détruits par l'artillerie de la flotille fluviale. Les Maures se hâtèrent de repasser le fleuve. La paix fut conclue aussitôt avec les Foutanké. Les pourparlers s'engagèrent avec les Trarza et les Brakna, mais ce n'était plus Schmaltz qui les devait faire aboutir.

Le 25 juin 1821, un nouveau traité de commerce et d'amitié était signé avec Ahmeddou. L'auteur en était le capitaine de vaisseau Le Coupé, successeur de Schmaltz. Il y est dit en substance:

a) Ahmeddou s'engage à favoriser par tous les moyens la traite de la gomme et tout autre commerce;

b) Maintien des coutumes, versées tant par le commerce que par le Gouvernement, mais le payement en sera effectué à Saint-Louis à la fin de la traite. Pas de traite, pas de coutumes;

c) En cas de difficultés entre la France et le Toro sénégalais, transfert de l'escale hors de la portée des Foutanké;

d) En cas de discussion de l'émir avec un traitant, suspension de la traite pour ce seul commerçant. Règlement de la question par l'émir et l'assemblée des traitants;

e) Neutralité des Brakna dans les guerres sénégalaises et reconnaissance de la propriété des habitants de Saint-Louis sur le Oualo;

f) Projets d'établissement de culture, notamment de coton, dans le Chamama. Dispositions réciproques à ce sujet.

47 Ce traité scellait l'alliance de Saint-Louis et des Brakna. Il était la récompense des services rendus par Ahmeddou, qui, sur les désirs du gouverneur, avait attaqué le village de Dialmath, tué un homme, fait prisonnier trois autres, et effectué un certain nombre de pillages. L'éliman Bou Bakar était ainsi puni d'avoir arrêté un navire, qui allait faire la traite à l'escale du Coq.

Les relations continuèrent, très inégales comme toujours, avec le chef des Brakna. Le baron Roger en trace, le 28 août 1824, un portrait moins flatteur que celui de Schmaltz: «Amedou, chef des Maures Braknas, est du caractère le plus perfide, et pour l'avidité, il ne le cède à aucun Maure. Il faut l'écouter, accueillir même ses propositions, en lui promettant de riches récompenses, en cas de succès, mais on doit bien se garder de rien lui délivrer d'avance, c'est un véritable escroc.»

Il constate en même temps que Sidi-Aïba, un des principaux chefs chez les Brakna, esprit remuant, avide, menace d'abolir l'escale de Bakel, qui fait depuis longtemps ombrage à celle des Brakna, soit qu'il veuille favoriser celle-ci, soit qu'il ait le projet d'en établir une pour son compte, soit qu'il cherche seulement à se faire acheter. Il est accompagné et conseillé par un nommé Moksé, ancien ministre disgracié de l'escale des Brakna, fripon, rusé, qui connaît bien les Européens et qui peut faire beaucoup de mal.»

C'est peu après, en fin 1824, que René Caillié fit dans le campement brakna le séjour qui devait le préparer à jouer son rôle de jeune Égyptien dans la traversée de l'Afrique, de Boké à Tanger. Il arrivait à Podor, le 29 août 1824, et en repartait immédiatement avec les agents «de Hamet-Dou» qui revenaient de Saint-Louis, où ils avaient touché les coutumes. Il s'installa misérablement dans le campement de «Mohammed-Sidy-Mectar, grand marabout du roi et chef de la tribu des Dhiédhiébe». Il venait en effet 48 se mettre à l'école de ce saint homme, dans le but, disait-il, de se convertir à l'Islam.

Après une visite, trop longue à son gré, à l'émir, dont le camp «pouvait contenir à peu près 100 tentes et de 4 à 500 habitants» il revint chez son marabout, s'arma d'une planchette à ânonner le Coran, et à chanter les louanges du Prophète. Il vécut ainsi neuf mois, bousculé par les uns, relativement bien traité par les autres, s'entraînant inlassablement à la terrible aventure dans laquelle il allait se jeter, et qui a fait de lui le premier de nos explorateurs par l'énergie et la force du caractère.

Au début de mai 1825, s'étant rendu compte qu'il lui fallait des subsides pour se constituer une façade respectable en tribu, il descendit à Saint-Louis, et demanda un secours au gouverneur. Des offres insuffisantes lui furent faites. La mort dans l'âme, Caillié dut abandonner son double projet de retourner achever son éducation dans le Brakna et de partir à travers le Sahara par Oualata et Tombouctou.

Ses compagnons brakna, comprenant alors qu'ils avaient été dupés par son faux zèle pour la religion musulmane, l'abreuvèrent d'injures et s'en retournèrent bredouilles.

René Caillié s'est plaint avec amertume—et non sans raison—de n'avoir pas été soutenu par l'administration. Il faut reconnaître au moins que celle-ci, à son insu, veilla sur lui pendant son équipée au Brakna, et fit comprendre à Ahmeddou que ses sujets établis à Saint-Louis étaient garants de la sécurité du voyageur.

Caillié a laissé au tome Ier de son «Journal» plusieurs chapitres consacrés à l'ethnographie des Maures. S'ils souffrent, par le manque de méthode habituel de l'auteur, de certains défauts littéraires, et notamment d'une exposition convenable, ces renseignements n'en sont pas moins d'une sincérité et d'une véracité parfaites. C'est peut-être 49 encore à l'heure actuelle ce qui a été écrit de plus juste et de plus intéressant sur les mœurs et les coutumes maures.

Retenons simplement ici:

Chacune de ces tribus (brakna, qu'il vient d'énumérer) a son chef particulier et indépendant. Hamet-Dou est reconnu roi par le Gouvernement français; c'est à lui que l'on paye les coutumes pour favoriser la traite de la gomme; il reçoit celles que payent les navires traitants; mais les marchandises qui en proviennent sont partagées entre tous les chefs et les princes, et ceux-ci les distribuent ensuite à leurs sujets. Les marabouts ne reçoivent rien des princes.

Ces tribus se font souvent la guerre entre elles et peuvent l'entreprendre sans le consentement du roi. La couronne n'est héréditaire qu'autant que le roi laisse en mourant un fils majeur: s'il meurt sans enfants, et même s'il ne laisse que des fils mineurs, la couronne revient à son frère qui la conserve jusqu'à sa mort; alors, s'il y a eu des fils mineurs du roi précédent, l'aîné rentre dans ses droits et reprend la couronne de son père.

En 1834, l'état de guerre déclarée entre la France et les Ouolofs de Fara Pinda dans le Oualo et les Trarza provoqua la fermeture des escales du bas fleuve et un afflux considérable de caravanes maures et de navires saint-louisiens à l'escale du Coq. Aussi une convention particulière intervient-elle, le 5 mai 1834, entre Ahmeddou et le capitaine Caillié, représentant du gouverneur, pour fixer la traite de la gomme par des mesures spéciales à cette année-là. Les coutumes furent prélevées sur la quantité de gomme traitée et non sur le jaugeage des bâtiments (cf. annexe).

Cette année-là, la traite se fit sous forme d'association en participation, et par parts égales conformément à une convention qui fut adoptée par les habitants de Saint-Louis et approuvée par le gouverneur (cf. annexe).

A ce sujet, il est intéressant de citer une lettre, écrite l'année précédente (24 juin 1834) par le gouverneur de 50 Saint-Germain «au Commandant de l'escale des Braknas». Elle témoigne de l'insatiable avidité des émirs maures et de l'incurable rivalité des traitants.

Tâchez de faire comprendre à Ahmeddou qu'il ne m'est pas permis de faire ce que la loi défend (de lui faire des avances), et que ce qu'il demande est réellement contraire à ses intérêts. Invitez en même temps les traitants à lui refuser des avances payables en gomme.

C'est là la véritable origine des mauvaises affaires qu'ils ont faites depuis nombre d'années. S'ils n'avaient pas l'imprévoyance de se lier par ses avances, ils seraient libres de changer d'escale, lorsqu'ils éprouvent des vexations et ils obligeraient par là les Maures à établir entre chaque escale, une rivalité de bons procédés au lieu de la rivalité d'extorsions qui existe aujourd'hui. Cette position, considérée dans ses résultats, est de beaucoup préférable à quelques minces profits qui se font sur les avances.

Je ne saurais trop le répéter: les habitants de Saint-Louis seront, du jour qu'ils le voudront, les maîtres de la traite de la gomme, dont ils ne sont que des esclaves. Ils ont malheureusement fait choix du premier rôle: qu'ils l'abandonnent dès aujourd'hui. Le Gouvernement fait pour eux tout ce qui est en son pouvoir: conseils, assistance, protection; qu'ils fassent aussi quelque chose pour eux-mêmes.

Le correspondant du gouverneur, était le capitaine Caillié, qui, commandant de l'escale du Coq et chargé des relations avec les Brakna, y fit preuve des plus sérieuses qualités de curiosité documentaire, d'adresse et de tact. Il inaugurait les éminents services que jusqu'en septembre 1847, date de sa mort en rade de Gorée, il devait rendre à la colonie, en qualité d'inspecteur mobile de la Traite et de directeur des Affaires extérieures. Il n'eut pas déparé ces bureaux arabes qui menaient alors, avec tant d'éclat, la politique indigène de l'Algérie; on retrouve son action habile dans toutes les négociations avec les chefs et les tribus maures, et il en manœuvre tous les fils à la fois. Le souvenir de cet officier de talent est conservé par le nom d'une rue de Dakar.

Un dernier traité devait être conclu avec Ahmeddou, le 51 9 mai 1839, par les soins du capitaine de vaisseau, gouverneur Charmasson. Il avait pour but de mettre fin aux violences exercées par les Brakna sur les traitants saisis en fraude de gomme, hors des limites de l'escale du Coq. Il comportait en substance:

a) Tout traitant, surpris en fraude, sera tenu de payer la même coutume que le navire de même tonnage commerçant légalement à l'escale;

b) Le navire fraudeur sera conduit au Coq ou à Dagana par les soins d'Ahmeddou;

c) L'embargo ne pourra être mis et la coutume perçue que par le ministre de l'émir;

d) Le bâtiment fraudeur, arrêté par les Français, sera envoyé d'office au Coq.

Les pillages commis par les Brakna seront remboursés par les soins de l'émir au double de leur valeur.

A cette date également se place l'intervention du Gouvernement pour obtenir des deux émirs trarza et brakna la cessation de leurs courses dans le Diolof. Le bour voulut bien s'engager au payement d'un tribut envers l'émir Mohammed Al-Habib, et le taux en fut fixé, en mai 1840, à 200 bœufs, tous les deux ans, mais il ne voulut rien promettre à Ahmeddou qu'il ne craignait pas. L'état d'hostilité se maintint ainsi pendant plusieurs années. Mais cette solution partielle suffisait au gouverneur, qui ne cherchait que la possibilité d'établir en paix un poste à Mérinaghen.

Le long règne d'Ahmeddou (1818-1841), s'écoula non sans difficultés avec les campements de la branche aînée. Elles commencèrent avec Ahmed, fils aîné d'Ahmeïada, qui revendiquait le pouvoir pour les Oulad Normach, et s'accentuèrent beaucoup plus avec son frère Mokhtar Cheikh qui, à sa mort, pris sa succession politique.

Les hostilités durèrent plusieurs années et provoquèrent le jeu des alliances ordinaires Brakna—Id Ou Aïch. Les 52 Normach trouvèrent des subsides et des partisans chez leurs alliés Abakak. Les Oulad Siyed firent appel au concours des Chratit, dont Ahmeddou avait épousé une fille. La victoire resta aux Oulad Siyed, et Mokhtar Cheikh dut s'enfuir dans le Tassaguert, où il meurt vers 1835. Cette mort n'arrêta d'ailleurs pas les hostilités. Ses frères continuèrent par intermittence la lutte contre Ahmeddou, et celui-ci s'en plaignait encore au gouverneur, en 1840, et lui demandait des secours.

Le combat le plus chaud de ces luttes intestines paraît avoir été celui de Youga, que Bouvrel décrit en ces termes: «Les cousins d'Ahmeddou, Mohammed-Sidi, Mbaoua, Ahmet-Sidi et Mokhtar, jaloux de ce que le roi touchait les coutumes sans les partager avec eux, lui déclarèrent la guerre et appelèrent à leur secours Mohammed Ould-Zoueïd Ahmed, cheikh des Douaïch et père de Bakar. Les deux armées se rencontrèrent à Youaga (non loin du marigot de Guet-nguérè), vaste plaine de dix lieues de tour, sans arbres et parfaitement unie. La bataille dura trois jours, et la victoire resta au parti d'Ahmeddou, malgré son infériorité numérique. Il perdit 54 hommes, et les révoltés 98. Ces derniers vaincus se réfugièrent dans le Tagant. On voit près de Youga le tombeau d'un grand marabout, Moctar Ali, près duquel les marabouts brakna viennent en pèlerinage chaque année.» On y voit aussi les tombes des guerriers morts ce jour-là.

Ahmeddou mourut en 1841, involontairement empoisonné par sa femme, Leïla ment Rassoul, du campement princier des Chratit (Id Ou Aïch). Celle-ci ne lui ayant pas donné d'enfants, il avait épousé la fille d'un de ses haratines, qui lui donna un fils. Ce fut Sidi Eli, qui ne devait disparaître qu'en 1893, après avoir été mêlé, pendant un demi-siècle, à l'histoire des Brakna et à notre politique. Or Leïla, jalouse, comme il convient, de l'enfant de son mari et de la famille de sa co-épouse, qui affichait une attitude 53 blessante à son endroit, résolut de faire disparaître ses adversaires. Elle versa du poison dans la calebasse familiale, alors que son mari était absent. Mais par une circonstance fâcheuse, il rentra impromptu et but le lait empoisonné avec un de ses frères consanguins, son fils: Mohammed, et Al-Khedich, son frère utérin, notable influent des Oulad Siyed. Tous décédèrent. L'enfant, âgé de huit ans, et sa mère avaient échappé au danger.

Le long règne d'Ahmeddou avait popularisé ce prince dans le commerce français installé à Saint-Louis. Entre 1840 et 1850, on voit un trois-mâts, du port de Nantes, décoré du nom de «Roi Hameddou» effectuer des transports constants entre la France et le Sénégal.

4.—Mokhtar Sidi (1841-1843).

La mort d'Ahmeddou fut le signal de déchirements intérieurs chez les Brakna. Une partie de la tribu, et notamment les Oulad Normach, les Oulad Mançour et des campements Oulad Siyed, élurent un cousin d'Ahmeddou, Mokhtar Sidi ould Sidi Mohammed, avec qui nous étions en relations depuis plusieurs années, et qui protégeait l'escale de Gaë, transportée ensuite à Cham. La plus grande partie des Oulad Siyed et le reste des Brakna, guidés par Ndiak Mokhtar, vizir d'Ahmeddou Ier, «un vilain homme» comme l'appelle le gouverneur Pajol et par Bou Bakar, fils de Khodiéh, l'empoisonné, portèrent à l'émirat Mohammed Rajel ould Mokhtar ould Sidi Mohammed, par conséquent, cousin aussi d'Ahmeddou et neveu du précédent.

La lutte s'engagea aussitôt, et chaque parti chercha des alliances. Les frères d'Ahmeddou et notamment Al-Hiba et Bakar, partisans de Mokhtar Sidi, allèrent lui chercher du secours chez Mamadou Biram, almamy du Fouta. Les Oulad Siyed n'attendirent pas l'arrivée des contingents noirs. 54 Ils se jetèrent sur Mokhtar Sidi et dispersèrent ses bandes, puis, se retournant contre Bakar et Al-Hiba, qui arrivaient avec un groupe de Toucouleurs, ils les battirent, refoulèrent les Toucouleurs sur la rive gauche, tuèrent Bakar et mirent en fuite Al-Hiba.

Ces luttes intestines arrêtaient depuis deux ans la traite. Le gouverneur p. i. Pageot des Neutières résolut d'y mettre fin, en faisant disparaître du territoire brakna l'émir qui ne ralliait pas la majorité des suffrages Oulad Siyed, tribu en qui nos relations d'un siècle nous avaient habitués en quelque sorte à voir le corps électoral du groupement. Une circonstance heureuse permet d'appréhender, sans encombre, Mokhtar Sidi.

On venait d'apprendre le 27 janvier 1843 que le prince avait pillé un cotre de Saint-Louis qui avait atterri non loin de son campement. Caillié partit le soir même. Il se saisit de Mokhtar Sidi et l'emmena à Saint-Louis. Quelques temps après, le gouverneur Bouet-Willaumez fit instruire son affaire. Les griefs ne manquaient pas. Mokhtar Sidi reconnut que c'était lui qui avait donné l'ordre de couper les routes et d'intercepter les caravanes de gomme, parce que son rival était maître de l'escale. Par ailleurs, le prince avait soulevé la haine d'un certain nombre de traitants en dénonçant à Saint-Louis ceux qui faisaient la traite clandestine de la gomme, et même en en poursuivant quelques-uns devant les tribunaux. Il fut dès lors envoyé au Gabon, que nous venions d'occuper l'année précédente, et interné au fort d'Aumale. Il inaugurait ainsi la série des internements politiques dans cette colonie, qui devait se perpétuer jusqu'à nos jours.

Cette mesure eut diverses conséquences. Sur les habitants de Saint-Louis, elle produisit une impression profonde. Ils craignaient une réaction des peuples riverains. Ils croyaient voir leur commerce anéanti; l'inquiétude était à son comble. «Il n'en fut rien.»

Sur le fleuve, les conséquences furent assez inattendues. 55 Les partisans de Mokhtar furent dans la stupéfaction.

Réunis aux chefs du Toro, dit une lettre du gouverneur p. i. Laborel, à la date du 28 juin 1844, ils restèrent plusieurs jours dans l'inaction la plus complète; un choc aussi violent les avait étourdis. Ils allaient enfin se décider à se réunir en conseil, lorsque l'arrivée de l'almamy parmi eux les détermina à attendre sa décision. Celui-ci, malgré tous ses efforts dans le Fouta (dont il était le chef), n'avait pu parvenir à entraîner ces peuples dans la querelle, et ne voulant point abandonner ses projets de vengeance, il s'était jeté dans le Toro, qu'il espérait encore soulever; là il mit tout en œuvre pour exciter la haine contre les Blancs et stimuler les partisans de Moctar. Mais au lieu de l'enthousiasme et du dévouement qu'il avait espéré il ne trouva qu'irrésolution et découragement. D'un autre côté l'air rassuré des Oulad Sihit[4] et les démonstrations imposantes du Sénégal leur inspiraient de sérieuses craintes.

[4] C'est-à-dire des partisans de Mohammed Râjel, dont les Oulad Siyed constituaient la principale force.

Il se détermina donc à essayer de la voie des négociations et m'écrivit une lettre dans laquelle, après avoir rejeté sur les Oulad Sihit toutes les causes de la guerre, il donnait à entendre qu'il ne serait plus éloigné d'entrer en arrangement. Un rendez-vous fut dès lors ménagé entre lui, M. le commandant Caille et les chefs maures. Mais, cette fois comme toujours, il n'eut aucun résultat par la duplicité de ce souverain.

Quelques jours après, grâce à ses persévérants efforts, étant parvenu à retirer de leur engourdissement les chefs du Toro, il les entraîna avec lui sur le territoire de la Mauritanie. Là, il eut à soutenir un combat des plus vifs contre les Oulad Sihit qui le battirent complètement, lui tuèrent 113 hommes et lui firent 19 prisonniers.

Cet engagement a entraîné des événements importants et des plus heureux pour notre politique et notre commerce dans le fleuve: l'almamy dépossédé, et remplacé par un autre chef qui ne nous est pas hostile; l'orgueil de la rive gauche abattu pour longtemps; tous les peuples riverains épouvantés et demandant grâce.

Un autre résultat non moins important que les précédents, obtenu par l'exemple terrible qui vient d'être donné à ces barbares, c'est que les Trarzas, dont vous connaissez l'esprit remuant, avaient manifesté quelques intentions peu amicales, et qu'à cette nouvelle ils se sont empressés de rentrer dans l'ordre.

Quant à Mokhtar Sidi, il allait encore faire parler de lui pendant plusieurs années. Le 13 septembre 1844, il s'évadait 56 du fort d'Aumale avec ses deux ministres, ses compagnons de captivité et, qui mieux est, avec les trois soldats noirs, ses gardes. Il fut obligé de réintégrer le poste peu après, n'ayant évidemment rencontré qu'hostilité chez les sauvages et fétichistes populations noires gabonaises. Mais au poste même, mué en fervent musulman, il avait «en sa qualité de marabout, dit un rapport de l'époque, pris un grand ascendant sur le personnel noir du comptoir».

La surveillance sévère qu'on exerça sur lui déjoua dès lors toute manœuvre, mais en mars 1845, on apprenait avec émotion à Saint-Louis qu'un de ses parents était allé à Bathurst pour «réclamer la protection anglaise et solliciter un passage pour aller au Gabon voir ce roi déchu. J'ignore ce qui lui a été répondu, dit le gouverneur Thomas, mais je ne doute pas que si nos voisins peuvent nous jouer un mauvais tour, ils le feront de tout cœur. Si les deux Gouvernements s'entendent, il n'en est pas ainsi des particuliers surtout ici où la concurrence commerciale amène des rivalités continuelles.» Et Thomas fait part de ses craintes de voir les Anglais continuer leurs manœuvres, soit du côté de Portendick, soit par le Ouli, afin de brouiller les Maures entre eux, et, à la faveur de ces dissensions, d'attirer la gomme à eux, jusqu'à l'interné du fort d'Aumale. Caillié venant de mourir quelques mois auparavant à Gorée, Mokhtar espéra sa liberté et fit connaître son sort par des moyens inconnus à Paris. Sans tarder, le 5 mai 1848, Schœlcher, sous-secrétaire d'état aux Colonies, écrivait au Commissaire du Gouvernement à Saint-Louis, la lettre ci-après, où l'on trouve avec l'idéologie et la grande éloquence des hommes du temps un peu de ce robuste bon sens français, qui heureusement ne perd jamais ses droits et permet de s'arrêter à la limite des sottises.

Citoyen Commissaire,

Depuis le mois de juin 1844, le chef maure Mokhtar Sidy est détenu 57 au Gabon comme prisonnier politique. Je sais que son arrestation, opérée avec des circonstances que je regarde comme une violation du droit des gens, a inspiré aux populations du Fouta des haines et des défiances, auxquelles il faut certainement attribuer une partie des agressions qu'elles ont depuis lors si souvent exercées sur les traitants et les navires du Sénégal.

La République ne gouverne que par des principes d'honneur et de loyauté. Il lui importe de montrer qu'elle n'approuve pas des actes de cette nature et qu'elle en répudie la solidarité. Ce sera faire en même temps de la bonne politique, car nous témoignerons ainsi aux indigènes que ce gouvernement entend pratiquer envers eux les principes de justice et de loyauté qu'il leur demande à eux-mêmes de représenter dans leurs relations avec lui.

Je suis instruit d'ailleurs que Mokhtar Sidy tient au Gabon une conduite louable et se montre supérieur par son caractère au malheur qui l'a frappé.

Je décide que ce chef maure sera reconduit au Sénégal et qu'il y sera laissé en toute liberté, sauf à user envers lui de moyens avouables pour le combattre et le vaincre, s'il essaye de fomenter contre notre commerce et nos intérêts de nouvelles coalitions.

Je ne fixe pas d'ailleurs de termes précis pour l'exécution de cette mesure de réparation, vous laissant à en apprécier l'opportunité. Mais si un ajournement, qui dépasserait la fin de l'année, vous paraissait indispensable, vous auriez à me rendre compte immédiatement de vos motifs et à prendre de nouveau mes ordres.

Bien avant la fin de l'année, les hommes de la Révolution avaient disparu, et l'on n'entendit plus parler de Mokhtar Sidi. Comme la tradition ne relate pas son retour dans le Brakna, il est probable qu'il a dû mourir de sa belle mort au Gabon.

Quant à Mohammed Râjel, il avait été, dès 1843, reconnu officiellement comme émir, mais sans préjudice des droits du jeune Sidi Eli ould Ahmeddou Ier, qui, à sa majorité, devait entrer en possession du commandement de son père.

5.—Mohammed Râjel (1842-1851).

Mohammed Râjel ould Mokhtar était le neveu et rival de 58 Mokhtar Sidi. Son règne se passa à batailler contre ses concurrents Normach, et surtout contre le grand émir des Trarza, Mohammed Al-Habib.

Un des frères du Terrouzi, Ahmed Leïgat, dont l'influence était considérable, et qui d'ailleurs était l'aîné de Mohammed Al-Habib, mais n'avait pas revendiqué ses droits, lors de la mort de leur père, avait conçu le projet de détrôner son frère. Il y était d'ailleurs poussé par les Français, qui pensaient faire ainsi échec à l'émir des Trarza. Il put rallier à sa cause Mohammed Râjel, qui était aussi notre allié et à la tête des bandes Siyed que lui donna le chef berkenni, il attaqua Mohammed Al-Habib. Celui-ci, soutenu par des contingents ida ou ali, le battit non sans peine, et pour en finir trouva plus expédient de faire assassiner, vers 1850, par les Euleb, Ahmed Leïgat, qui s'était réfugié dans l'Adrar. Il entreprit par la suite des campagnes contre les Brakna et contre l'Adrar, pour les punir de l'appui prêté au rebelle.

Dans le Brakna, il avait tenté, une première fois, d'introniser son protégé Mohammed Sidi, qu'il avait rasé de ses propres mains (1845).

Voici d'après Caillié, le récit de cette aventure et de ses projets:

Mohammed El-Habib, roi des Trarzas, fit un voyage chez les Bracknas, sous prétexte d'engager les Oulad-Bellis, ses tributaires, à rentrer dans leurs pays, qu'ils avaient quitté l'année dernière, à la suite de trois assassinats qu'ils avaient commis. Dans ce voyage, il s'arrêta quelques jours chez les Oulad Hamed où se trouvait le neveu du traître, Mactar Sidy, jeune homme âgé d'environ quinze ans. Sur la simple demande du chef des Oulad Hamed (auquel sans doute il ne manqua pas d'en insinuer adroitement l'idée) et de quelques mécontents, partisans de l'ex-roi, il promit de le soutenir comme roi des Bracknas. Il chargea ensuite deux cavaliers de son escorte de conduire son élu chez les Oulad Sihit et les Arralines, nos alliés, de les informer de son intention et de leur intimer l'ordre de le reconnaître pour leur roi.

Les chefs des Oulad Sihit protestèrent aussitôt contre la conduite de 59 Mohamed El-Habib et se rendirent auprès de lui, pour lui signifier qu'il eût à se mêler des affaires de son pays et à ne point s'occuper de ce qui se passait chez eux.

Les partisans du neveu de Moctar-Sidy, ayant appris que les Oulad Sihit et les Arralines étaient chez le roi des Trarzas, s'y rendirent aussi pour défendre leurs droits, et aujourd'hui le bruit court que les deux partis n'ayant pu s'entendre, ils se préparent à la guerre.

Que doit-on augurer de cette conduite du Roi des Trarzas et quel est son but en agissant ainsi? Soutiendra-t-il son ouvrage et aurait-il la prétention de s'ériger en potentat sur les autres puissances du fleuve et de leur imposer des rois à son gré?

Les combinaisons vont plus loin: ses sollicitations réitérées auprès du Gouvernement français pour obtenir une escale à Gaé, les promesses et propositions fallacieuses, qu'il a faites l'année dernière aux Oulad Sihit mêmes, afin de les brouiller avec Mohammed Rajel, tout démontre jusqu'à l'évidence qu'il cherche à faire naître de nouveaux troubles à l'escale du Coq dont il médite depuis longtemps la ruine et qu'il veut à toute force nous faire abandonner pour en ouvrir une chez lui.

L'émir trarza dut rentrer chez lui, cette fois sans avoir pu arriver à ses fins.

Au début de mai 1846, le gouverneur p. i. Houbé visitait les escales du fleuve. Il était accompagné de l'inspecteur du Génie, des directeurs du Génie, des Ponts et Chaussées et de l'Artillerie, du Préfet apostolique, de M. Alsace, membre du Conseil d'administration. Il ne put voir Mohammed Al-Habib, malgré son vif désir. Il tenait en effet à «essayer d'effacer de son souvenir par une bonne réception la fâcheuse impression laissée dans l'esprit des Maures par l'arrestation du roi des Braknas». En revanche, il put joindre facilement Mohammed Râjel. «N'diack Mokhtar, ministre du roi des Braknas, raconte-t-il, était à Podor, avec quelques autres personnages. Nous les prîmes à bord et nous nous dirigeâmes vers Mao. Le camp des Maures bracknas était établi sur la rive droite. Le roi vint à bord avec sa suite: plusieurs femmes de princes et de marabouts les suivirent. J'eus avec le roi et le ministre une conférence dont je fus pleinement satisfait. Je leur fis au nom du roi des 60 Français les cadeaux d'usage. Je leur parlai d'aller visiter le camp et je rejetai la proposition qu'ils me firent de rester à bord comme otages. Nous débarquâmes donc tous, précédés de la fanfare et de ma petite escorte. Après un quart d'heure de marche, nous parvînmes dans le camp; nous nous assîmes sur les nattes au milieu d'une nombreuse et bruyante assistance. Puis, à la nuit, nous retournâmes à bord. Le roi Mohammed Râjel nous envoya un bœuf, un mouton et du lait. Nous redescendîmes le fleuve, emmenant avec nous N'diack Mokhtar et sa suite, que nous déposâmes à Podor.»

L'année 1848 vit un déclassement d'alliances et une intervention française très prononcée dans les affaires maures.

Le jeune Sidi Eli, fils d'Ahmeddou Ier, avait alors une douzaine d'années. Trop jeune pour remplacer son père, à sa mort (1841), il avait été écarté du trône jusqu'à ce qu'il fût en âge de régner, mais tous les tributaires du pays lui appartenaient et la plus grande partie des campements lui était attachée, en souvenir de son père. On a vu que Mokhtar Sidi avait été éliminé en 1843. Quant à Mohammed Râjel, il n'était qu'un fantoche. Sa conduite, qui ne lui avait guère jusque-là valu qu'une très mince considération, lui attira les haines des Oulad Siyed, à la suite de son alliance avec l'émir des Trarza, et de la guerre qu'il mena contre eux.

Craignant que le jeune Sidi Eli ne cherchât, un jour ou l'autre, à lui enlever le principal, il cherchait à s'en débarrasser, mais Sidi Eli était élevé, loin de l'émir Brakna, par Ould Leïgat, frère de Mohammed Al-Habib et parent maternel de l'enfant. A la suite des différends qui éclatèrent entre les deux princes trarza, Ould Leïgat se réfugia chez les Brakna, dans la tribu des Oulad Siyed, où il avait de nombreux parents par sa femme. Il amenait avec lui le fils d'Ahmeddou. Mohammed Al-Habib saisit ce prétexte pour 61 donner suite à ses projets d'invasion et demanda à la tribu de chasser son frère. De son côté Mohammed Râjel, effrayé de voir Sidi Eli au sein même des Brakna, s'unit à l'émir des Trarza pour attaquer les Oulad Siyed, ses propres parents et sujets.

Au début de mai 1849, la mehalla trarza entrait sur le territoire des Oulad Siyed et les acculait au fleuve, au confluent du marigot de Doué. Les Brakna se préparaient à une résistance énergique, quand leurs zenaga Arallen les abandonnèrent dans la nuit du 10 au 11 mai, et passèrent dans le camp ennemi, où se trouvaient avec Mohammed Râjel tous leurs troupeaux. La situation des Oulad Siyed était désespérée. Ils furent sauvés par «le citoyen commissaire Du Chateau», qui, à la nouvelle de l'invasion trarza, était accouru avec trois bateaux au secours des Brakna. «Je n'avais d'autre but dit-il lui-même, que de conserver la concurrence, si utile à notre commerce, entre la nation des Brakna et celle des Trarza. Avant tout, il importait au Sénégal que l'une de ces deux nations ne fût pas absorbée par l'autre. L'existence de toutes les deux est plus qu'utile à nos intérêts; elle est indispensable.»

Le commissaire en était si convaincu qu'il était résolu à intervenir par les armes, s'il le fallait, et qu'il n'hésita pas, dans la nuit du 10 au 11 mai, à faire débarquer des troupes pour tenter une diversion favorable aux Oulad Siyed. Cette manifestation en imposa à Mohammed Al-Habib qui n'osa pas attaquer les Brakna.

Ceux-ci, conduits par Bou Bakar ould Khoddich, protecteur du jeune Sidi Eli, et par Ould Leïgat, demandèrent alors à Du Chateau de faciliter leur passage sur la rive gauche. C'est ce qu'il fit bien volontiers, sauvant ainsi la vie à toute la tribu Oulad Siyed. Le même jour, hommes, femmes, enfants, tentes, troupeaux, étaient sur la rive sénégalaise, à l'abri, sinon de tout danger, du moins d'un massacre immédiat.

62 Les deux troupes remontèrent alors le fleuve, chacune sur sa rive, les Brakna s'éloignant autant que possible du territoire trarza, les Trarza guettant les premiers dans l'espoir de les mettre en pièces, le jour où, tôt ou tard, ils devraient repasser le fleuve pour rentrer sur la rive maure. Quant à Du Chateau, considérant que son rôle n'était pas fini, tant que Mohammed Al-Habib ne serait pas rentré chez lui, il remontait avec sa flotille le fleuve Sénégal, sous prétexte d'aller palabrer à Podor avec les chefs du Fouta, et empêchait ainsi par sa seule présence tout engagement d'une rive à l'autre du fleuve.

Les Oulad Siyed ne firent que passer à Podor, mais avant de continuer leur route sur Guidé et Mokhtar Salam, où, disaient-ils, ils étaient assurés de trouver protection, ils demandèrent à Du Chateau de prendre sur ses bateaux tous les enfants. Les gens de Podor, qui ne doutaient pas du sort que leur réservaient Trarza, Toucouleurs et Peul, pour avoir donné asile aux Brakna, firent aussi embarquer leurs enfants, et en outre leurs femmes, au total 300 personnes. Quant aux Brakna, ils avaient juré entre les mains de Bou Bakar Khoddich qu'aucune de leurs femmes ne serait embarquée, afin de mourir en les défendant, s'il le fallait.

Tout le monde se remit en marche; à peine Podor était-il évacué que les flammes s'élevaient de partout. Toucouleurs et Peul venaient d'y mettre le feu, puis attaquaient les Oulad Siyed qui leur infligèrent des pertes et continuèrent leur route. Ils retrouvaient le soir même, 13 mai, à Mokhtar Salam, leurs familles, déposées là par Du Chateau.

Cependant celui-ci, ayant immédiatement viré de bord, revint à l'escale du Coq, avec son vapeur, y prit Eliman Bou Bakar, chef du Dimar, dont l'intervention allait lui être utile auprès des chefs du Toro, et alla jeter l'ancre à Yatal, où, en face de la mehalla trarza, se constituait une forte bande toucouleure et peul. Les Trarza se préparaient 63 à passer le fleuve, et tous devaient marcher contre les Oulad Siyed pour les exterminer.

Mohammed Al-Habib ayant demandé alors une entrevue à Du Chateau, celui-ci la refusa, disant que dans le pays Brakna, il n'avait rien à régler avec le roi des Trarza, et qu'il le verrait, s'il le voulait, lors du passage à son escale. «Ce refus, puis l'arrivée du «Basilic», le second aviso de la flotille, jetèrent le trouble dans l'esprit des Trarza, qui, se considérant hors de chez eux, se sentaient déjà moins de courage. En 24 heures, toute la mehalla se débandait et rentrait sur le territoire trarza, suivie de près par son émir. Les gens du Fouta, gagnés par le palabre, se dispersaient à leur tour.

Quant à Mohammed Râjel, il montait humblement à bord et reconnaissait ses torts.

Les Oulad Siyed étaient sauvés; ils ne pardonnèrent pas à Mohammed Râjel sa conduite indigne, et les conflits recommencèrent, mais localisés cette fois au Brakna. Pour le soustraire à tout danger, et l'élever dans des sentiments de loyalisme et d'amitié envers les Français, Du Chateau se fit remettre le jeune Sidi Eli et pourvut à son éducation, à Saint-Louis, dans l'espérance que le jeune homme «n'oublierait pas tout à fait les soins dont il était l'objet, les services qui lui étaient rendus et la protection que le Sénégal lui avait accordée, alors qu'il était fugitif et malheureux». On le retrouvera plus tard, sous le nom de Sidi Eli II.

Mohammed Al-Habib ne pardonna pas à Mohammed Râjel sa défection. En 1851, avec l'aide de contingents ouolofs et toucouleurs, il renversa cet émir, et le remplaça par Mohammed Sidi neveu de l'émir déchu.

Nos relations avec Mohammed Râjel furent généralement courtoises. Ce chef, s'étant plaint à plusieurs reprises que de nombreux commerçants fissent la traite de la gomme, hors des escales ordinaires du fleuve, à leur retour de Galam, contrairement aux arrêtés en vigueur, le gouverneur réunit 64 une Commission syndicale, le 15 février 1846. De l'interrogatoire des traitants signalés, il résulta, ce qui n'était pas flatteur pour eux, que «si tous ou la majeure partie d'entre eux, ne se sont pas livrés à cette traite illicite, c'est qu'ils n'ont point trouvé de marchands de gomme, ou bien parce qu'ils manquaient de marchandises, ou bien encore parce qu'ils n'ont pas pu s'arranger avec les Maures.»

Le commerce est, à cette date, très florissant. Le commandant Caillié signalait, le 8 mars, qu'il avait été traité depuis le début du mois:

35.855 kilos de gomme au Coq.
18.220 —— —— aux Trarza.
1.029 —— —— aux Darmankour.

Le montant des bâtiments était de 184, dont 51 au Coq, 56 aux Trarza, et 17 à l'escale des Darmankour.

Ces bonnes dispositions de Mohammed Râjel ne l'empêchaient pas de faire quelquefois l'important. A trois mois de l'humiliation rapportée plus haut, il avait, en bon Bédouin, l'outrecuidance d'écrire au gouverneur qui avait usé de l'intermédiaire de commerçants: «J'ai succédé à Ahmeddou, comme Ahmeddou a succédé aux anciens rois. Le bien appartient à celui qui exerce l'autorité, et c'est aux Oulad Agrich, dont je suis le chef et représentant depuis sept ans; vous ne devez vous occuper que du roi et c'est à lui que vous devez payer. Le reste ne vous regarde pas.» (4 août 1848.)

Son autorité ne s'étendit guère d'ailleurs qu'au gros des Oulad Siyed et aux Oulad Ahmed.

6.—Mohammed Sidi (1851-1858).

Mohammed Sidi était un autre neveu de ce Mokhtar Sidi qu'en 1842 l'autorité française avait déporté au Gabon pour 65 ramener le calme dans le Brakna. Avec son cousin Mohammed Al-Habib, fils de Mokhtar Sidi, il s'était réfugié auprès de l'émir des Trarza qui s'était chargé de leur éducation et les poussa par la suite contre Mohammed Râjel, son ennemi. Comme Mohammed Al-Habib n'était qu'un enfant, ce fut Mohammed Sidi qui rallia définitivement les suffrages de l'émir des Trarza et des Brakna dissidents.

Mohammed Sidi, prétendant pendant tout le commandement de Mohammed Râjel, erra sans cesse des Id Ou Aïch aux Trarza en quête de secours. En avril 1847, son mariage avec une fille d'Ahmeddou Ier enfla son parti de campements fidèles à l'ancien émir. C'est le signal de sa fortune. A plusieurs reprises, il vint attaquer son rival. En août 1848, notamment, à la tête de contingents trarza il atteignit le camp de Mohammed Râjel et le pillait. Les deux chefs furent blessés: le premier, d'une balle qui lui emporta deux doigts de la main, l'émir d'une balle dans le pied. L'émir fut complètement défait.

A partir de cette date, l'autorité de Mohammed Sidi s'accroît. Mohammed Râjel, sur les instances du Sénégal, est contraint de lui céder le tiers des coutumes. Dès l'année suivante l'autorité française le traite comme un véritable «Roi», suivant ses propres prétentions. Il est salué quand il vient à l'escale de salves de coups de canon et y perçoit les coutumes.

En 1850, une intervention en faveur de Mohammed Râjel fut tentée par le gouverneur. Pour faire échec aux bandes alliées de Mohammed Al-Habib et de Mohammed Sidi, il établit un camp d'instruction à Podor, y fit venir quelques troupes et s'y transporta de sa personne. Il put se rendre compte ainsi de la faiblesse de l'émir, que soutenait Ahmed Leïgat, le frère révolté de Mohammed Al-Habib, et dut abandonner sa cause.

Mohammed Sidi ne devait toutefois être complètement débarrassé de son rival qu'en 1851, date où son allié Mohammed 66 Al-Habib, émir des Trarza, battit et mit en fuite Mohammed Râjel.

Le commandement de Mohammed Sidi devait, comme il convient, être agité par les agressions d'un nouveau prétendant: Sidi Eli, fils d'Ahmeddou Ier, qui, parvenu à la majorité, entendait recueillir la succession de son père. A la tête de ses partisans siyed et normach, il se heurta à plusieurs reprises aux bandes siyed et Oulad Ahmed, de l'émir.

Allié de Mohammed Al-Habib, son principal soutien, Mohammed Sidi ne nous fut jamais très sympathique. Il persécuta notamment les pourognes du fleuve, à qui il reprochait leur attachement aux Noirs et à la France. Aussi fonda-t-on, à plusieurs reprises, des espoirs sur son rival, Sidi Eli, et lui vint-on en aide dans ses luttes contre l'émir.

Dès avril 1853, on profita d'une brouille de l'émir avec Mohammed Al-Habib pour faire proclamer Sidi Eli, qui jusque-là avait été soutenu d'abord par Ahmed Leïgat, son oncle par alliance, puis, après l'assassinat de celui-ci par les bandes qui marchaient à sa suite. Mohammed Sidi, abandonné par tous, sauf par le chef d'une fraction siyed: Mokhtar ould Amar, s'enfuit jusque dans l'Adrar. Sidi Mborika, fils de Mohammed Al-Habib, le poursuivit plusieurs jours sans pouvoir l'atteindre. Cette année-là, Sidi Eli toucha les coutumes, au Coq.

Ce ne fut d'ailleurs qu'un intermède. Aussitôt Mohammed Al-Habib rentré chez lui, Mohammed Sidi revint dans le Brakna, la lutte reprenait entre les deux prétendants, quand les marabouts ramenèrent provisoirement la paix. L'émir gardait son titre de «roi» et renouait son alliance avec Mohammed Al-Habib. Sidi Eli gardait le commandement de quelques tribus.

Les hostilités entre les deux chefs reprenaient en 1854. La politique active de Faidherbe dans les affaires maures l'amenait, dès la fin de l'année, à prendre parti pour Sidi 67 Eli, que les chefs toucouleurs de Podor lui avaient présenté, contre Mohammed Sidi, allié des Trarza.

Il lui écrivait, le 15 novembre 1855, ainsi qu'aux principaux chefs des Brakna, cette lettre habile:

Je désire vivement que Sidi Eli vienne à bout de Mohammed Sidi, ce captif de Mohammed El-Habib, qui ruine les Brakna pour faire plaisir aux Trarza.

Les Français et Brakna ont été des amis de tout temps contre les Trarza, excepté dans ces dernières années parce que Mohammed El-Habib, qui est très fier, était parvenu à tromper les Français. Il est temps de rétablir les choses sur l'ancien pied.

Le fils d'Ahmédou doit être l'ami des Français comme son père. Et qu'il fasse comprendre à tous les Brakna qu'ils doivent se réunir pour former une nation forte et puissante et qui ne soit pas à la merci de ses voisins.

Que Sidi Eli pousse vivement Mohammed Sidi et vienne s'établir près de Podor. Qu'il demande l'appui des gens de Toro qui sont nos amis.

Nous allons entrer avec une armée chez les Trarza; nous nous placerons de manière que les Trarza ne puissent pas empêcher la traite des Brakna à Podor. Si Sidi Eli s'arrange avec moi, qu'il vienne à Podor ou à bord d'un bateau, quand il voudra, pour qu'on le salue et qu'on le reconnaisse comme roi des Brakna. C'est lui qui recevra tous les cadeaux pendant la traite.

L'année dernière, j'ai donné plus de 25.000 francs à Mohammed Sidi et ce n'était qu'une partie de ce que je voulais lui donner, puisque mon intention est de faire cadeau, tous les ans, au roi des Brakna d'une pièce par mille livres de gomme.

Mais Mohammed El-Habib a forcé son tributaire de lui en donner la plus grande partie et d'empêcher des Brakna de continuer leur commerce.

Les Trarza sont déjà dans la plus grande misère. Nous allons achever à les ruiner cette année.

Que Sidi Eli s'entende avec les chefs raisonnables de son peuple et qu'il me réponde par une bonne lettre pour que nous puissions nous arranger.

Si nous nous arrangeons, je te donnerai des fusils et de la poudre et j'enverrai un vapeur au-dessus de Podor.

Mohammed Al-Habib répondait à cette diplomatie par un 68 coup de maître. Il provoqua, au début de 1856, une grande conférence sous les auspices du grand Cheikh Sidïa, à Tindaouja. Une réconciliation générale intervint entre l'émir du Trarza, l'émir de l'Adrar et leurs différents chefs insoumis. L'émir du Brakna, Mohammed Sidi, y apparut aussi et donna son assentiment à la coalition maure, qui se préparait contre les Français. En revanche, notre ami, Sidi Eli, dont les sentiments étaient connus, ne fut pas convoqué.

Faidherbe n'attendit pas l'offensive. Par une proclamation en date du 9 février 1856, il interdisait toute communication avec les Brakna, «qui ne voulaient pas se séparer de Mohammed Al-Habib» et attaquait directement cet émir. Par la suite, il chercha, suivant sa propre expression, «à tirer parti des dissensions qui se manifestaient chez les Brakna, pour les détacher de l'alliance des Trarza», et pour faire échec à Mohammed Sidi qui créait des difficultés le long du fleuve et devant Podor.

Il installa, à cet effet, un camp à Koundy, à une lieue au nord de Podor, et y mit une garnison d'un bataillon d'infanterie et d'une section d'artillerie. De ce camp, ses troupes devaient incursionner pendant plusieurs années chez les Trarza et les Brakna.

A la fin de mars 1856, le gouverneur se rendit lui-même à Koundy où il eut une entrevue avec Sidi Eli, à la suite de laquelle les troupes du camp se joignirent aux Maures Brakna révoltés contre leur roi Mohammed Sidi et pénétrèrent dans l'intérieur. Il s'ensuivit quelques engagements heureux pour nos armes, qui cimentèrent l'alliance avec Sidi Eli et donnèrent à ce dernier une plus grande autorité sur ses partisans.

Dans ces différentes affaires, les Guedala, les Id Eïlik, les Tanak perdirent 4.000 moutons, des bœufs et un certain nombre d'hommes, dont le fils du Cheikh des Tanak. Des prisonniers furent faits et conduits à Podor. Sidi Eli restait 69 en selle. En juin, on voulut, pour en finir, aller enlever, en face de Mbamam, le camp de Mohammed Sidi, défendu par les Oulad Ahmed; mais le commandant de Podor, chargé de cette opération, fut mal secondé par Sidi Eli et ne réussit pas. Sidi Eli n'embrassait en effet notre cause qu'avec une certaine mollesse, se souvenant qu'à diverses reprises, antérieurement, les Français l'avaient compromis, puis abandonné pour faire leur paix avec Mohammed Al-Habib.

Cet échec eut quand même un heureux résultat. Mohammed Sidi, inquiet, se retira vers le nord, et allait rejoindre son allié, vaincu, Mohammed Al-Habib.

L'année suivante, les hostilités recommencèrent. Mohammed Sidi, que l'émir du Trarza avait employé auprès de ses amis Toucouleurs pour les gagner à sa cause, parcourut le Fouta, et rentra bredouille. Il prit part à toutes les luttes des Trarza contre les Français ou leurs alliés, et s'attaqua notamment avec des contingents Oulad Ahmed, mais sans grand succès, à son concurrent. La tradition a conservé les noms de plusieurs de ces combats qui se succédèrent de 1855 à 1858: Morliyet, Foni, Lefar, Mbargou, au-dessus de Kaédi, Diabdiola, Djiguéti Monadji dans l'Oued, et à Kindelak, au nord-est du lac Rokiz.

Mohammed Sidi avait avec lui les Oulad Ahmed et une partie des Oulad Siyed, les Normach, les Oulad Eli et les Touabir.

A l'extérieur, chacun des deux partis brakna trouvait pour auxiliaire chacun des deux partis qui, de semblable manière, divisait les Id Ou Aïch. Sidi Eli s'appuyait sur les Chratit et Mohammed Sidi sur les Abakak. Flanqué de son éternel tuteur, Sidi, fils de Mohammed Al-Habib, il allait implorer le secours de l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch.

Ce fut un coup de main des Oulad Ahmed qui amena la paix générale. Lassés de cette guerre incessante, travaillés par Bakkar, chef des Id Ou Aïch, qui venait de conclure 70 un traité avec nous, ils firent alliance avec les Oulad Dâman des Trarza, qui étaient en instance de soumission, et lâchant Mohammed Sidi, décampèrent vers l'est. L'émir, dont ils étaient la principale force, eut recours à Mohammed Al-Habib pour les ramener à l'obéissance. Les deux chefs marchèrent à leur rencontre, mais les Oulad Ahmed, nullement intimidés, n'attendirent pas leur venue et les surprirent une nuit, tuant Mokhtar ould Omar, chef d'une moitié des Siyed, et plusieurs guerriers de Mohammed Sidi, et faisant prisonniers quelques Trarza qu'ils mutilèrent atrocement et renvoyèrent à Mohammed Al-Habib.

C'était la fin. Les deux émirs demandaient la paix. Avec les Trarza elle fut signée en mai 1858. Elle entraîna celle des Brakna, conclue le 10 juin.

L'émir Mohammed Sidi restait en place, mais comme on prévoyait qu'il était à la merci d'un coup heureux de son rival, le Gouvernement concluait avec tous les deux le traité de commerce et d'amitié, qu'il venait de passer avec l'émir des Id Ou Aïch, Bakkar ould Soueïd Ahmed, et qui allait constituer sur le fleuve le régime «des escales» qui a duré jusqu'à notre occupation effective.

Sidi Eli, lâché partiellement par les Français, eut recours à la perfidie, arme accoutumée des Maures. Il annonce officiellement sa soumission. Mohammed Sidi l'accepta, lui fit un accueil bienveillant, dans le secret espoir de s'en débarrasser lui-même et scella la réconciliation générale des Brakna par de grandes réjouissances (novembre 1858). Quelques jours plus tard, au cours d'une promenade, Sidi Eli tuait d'un coup de feu l'émir Mohammed Sidi. Il se faisait immédiatement reconnaître chef des Brakna par ses partisans enthousiastes, dans le silence apeuré du camp adverse; et épousait sans retard Garmi, veuve de sa victime. Elle devait être la mère d'Ahmeddou, le dernier émir et notre adversaire de 1903-1908.

Il y a, en marge de ces intrigues et aventures, une figure 71 curieuse à signaler: c'est celle de Mokhtar Ndiak, premier ministre des différents émirs brakna, qui se succédèrent de 1840 à 1875. Il assurait à sa façon l'esprit de suite et la continuité de la politique brakna, en précipitant la chute des émirs, mais en maintenant soigneusement sa personne en place. Il s'annonce dans l'histoire comme le brillant prédécesseur de celui qui, chez les Trarza voisins, allait porter pendant un demi-siècle (1860-1910) cet art de la politique à sa plus haute expression: Khayarhoum.

Le traité, conclu le 10 juin 1858, avec chacun des deux émirs brakna, comportait les dispositions principales suivantes:

a) «Le roi des Brakna» reconnaît la protection de la France sur les provinces sénégalaises du Dinar et du Ouolof et s'engage à empêcher les courses de ses tribus sur cette partie de la rive gauche.

b) Rétablissement des relations commerciales. La traite de la gomme se fera toute l'année par les escales de Podor, Saldé... Le commerce de tous autres produits est libre.

c) Création d'un droit d'une pièce de guinée pour 600 kilos de gomme traité à Saldé (c'est-à-dire environ 3 p. 100). Ce droit est perçu par le Gouvernement français et versé à l'émir.

d) Neutralité absolue du chef brakna dans le commerce entre ses sujets et les traitants.

e) Droit pour les Français de couper du bois chez les Brakna sans payer de redevance.

Un acte additionnel à ce traité devait intervenir le 5 juin 1879. On le verra un peu plus tard.

Pendant tout ce temps, ce régime a fonctionné normalement et sans trop de heurts. Une seule difficulté s'est souvent présentée, touchant le versement intégral de la coutume aux émirs. A maintes reprises, l'avis officiel suivant, ou un avis semblable, parut à Saint-Louis: «Il ne peut y avoir de crédit dans les opérations commerciales avec ces peuples (maures) qu'aux risques et périls de ceux qui le leur accordent. L'administration a déjà déclaré et déclare 72 que ce crédit n'engagera jamais pour elle la question politique.»

Malgré ces déclarations formelles, elle céda souvent, soit en consentant des avances aux émirs, toujours quémandeurs, soit en leur faisant des retenues pour payer des créanciers, qui attendaient vainement le paiement de leurs factures ou pour garantir de pillages commis par les tribus.

On se doute que les règlements de comptes furent épineux dans ces conditions et que les émirs, souvent furieux et toujours mécontents, se livreront plus d'une fois à des représailles tant sur les caravanes de gommes que sur les traitants du fleuve.

7.—Sidi Eli II (1858, † 1893).

Sidi Eli ould Ahmeddou prenait, en décembre 1858, par l'assassinat, le principat de son père que sa jeunesse l'avait empêché d'occuper, en 1841, à la mort d'Ahmeddou. Sa mère étant une hartanïa des Oulad Siyed.

Son commandement allait s'étendre sur une durée de trente-cinq ans, sans que nous ayons jamais eu à nous plaindre sérieusement de lui.

Les relations avec le nouvel émir débutèrent toutefois par une certaine friction. En juin 1859, des bandes brakna passèrent le fleuve et pillèrent plusieurs villages du Diolof. Invité à faire rendre gorge à ses gens, et impuissant à s'exécuter, Sidi Eli se vit attaquer dans son campement par une colonne volante que dirigeait le commandant Faron. Pris avec tout son monde et son bagage, il dut se soumettre et restituer les gens, bêtes et meubles capturés ou pillés; il jura en outre d'observer et faire observer plus fidèlement le traité signé l'année précédente.

C'est ici que se place le voyage de l'enseigne de vaisseau Bourrel et du lieutenant Alioun Sal, des spahis sénégalais. 73 Ils partirent ensemble, le 12 juillet 1860, de Podor et arrivèrent peu après au campement de l'émir qui comprenait environ «onze cents tentes appartenant aux Oulad Siid, aux Oulad-Mansour, aux Ahratin-Oulad-Siid et aux Ahratin-Tanak.» Ils y passèrent environ trois mois, au cours desquels Bourrel prit de nombreuses notes et étudia le pays et les gens, tandis qu'Alioun Sal entretenait sa tâche de réconcilier Sidi Eli avec les Oulad Normach et Ahmed, toujours rebelles à l'autorité émirale. Il y parvint au moins en apparence, car Brahim ould Ahmeïada fit porter des paroles de paix à l'émir, et celui-ci accepta ses offres et «envoya un beau cheval à Brahim comme témoignage «d'amitié».

Ensuite, Alioun continuait sur le Tagant, où l'appelait une autre mission, tandis que Bourrel rentrait à Podor, en visitant les campements maraboutiques.

La maladresse de l'émir, se greffant sur l'animosité de l'émir terrouzi Sidi Mborika, allait lui attirer des difficultés sérieuses avec les Trarza. En fin 1860, il envoya une mission à Sidi Mborika qui venait de succéder à son père Mohammed Al-Habib. Cette mission était dirigée par un Zenagui du nom de Khaïna ould Baabba, qui ne montra dans ses fonctions diplomatiques qu'une grossièreté inouïe dans cette société maure si policée. Sidi le fit arrêter et garder à vue, mais Khaïna, enfourchant une jument de pur sang de l'émir, s'enfuit à toute hâte. Les pourparlers n'aboutissant pas, Sidi arma ses gens et marcha en personne contre les Brakna. Il trouva aussitôt des partisans sur place, car les Oulad Normach et les Oulad Ahmed n'avaient pas pardonné à Sidi Eli l'assassinat de Mohammed Sidi. Eli dut prendre la fuite. Il offrit des concessions, renvoya la jument, menaça des foudres de son allié le Gouvernement français. Rien n'y fit.

Sidi Mborika avait, en effet, contre Sidi Eli un motif de haine inexpiable. On sait que son père Mohammed Al-Habib 74 avait fait tuer son frère Ahmed Leïgat. Or, le fils d'Ahmed Leïgat, cousin par conséquent de Sidi Mborika, avait épousé la tante de Sidi Eli, et avait été placé par ce dernier chez les Chratit, du parti de Rassoul, allié de Sidi Eli et ennemi des Trarza. Ce jeune homme commençait à grandir et manifestait des projets ambitieux et surtout des desseins de vengeance, qui n'étaient pas sans inspirer de l'inquiétude au fils de celui qui avait fait tuer son père.

Pour aller jusqu'au bout de son plan, Sidi Mborika devait détrôner Sidi Eli, et le remplacer par une de ses créatures. C'est ce qu'il fit en proclamant sa chute et en faisant reconnaître à sa place un cousin de l'émir renversé: Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi, le fils même de cet émir que l'autorité française avait déporté au Gabon en 1842.

Voici en quels termes Sidi Mborika annonçait cette transformation politique au commandant de Podor. Ils prouvent bien quel était l'état de nos relations avec les Maures, sous l'ancien régime:

Il ne faut pas chercher à vous mettre au-dessus de moi. Ecoutez ce que je vous dis, et vous, commandant, faites-le savoir à M. Faidherbe. Dites-vous que vous êtes des commerçants, qui cherchez à échanger vos marchandises. Vous avez besoin de quelqu'un qui surveille les chemins des marchands, qui vendent la gomme et toutes les productions de ce pays. Il vous faut un homme qui puisse chasser les pillards, qui soit intelligent, puissant et sache se faire obéir des sujets. Moi, je ne veux qu'améliorer le pays et empêcher les troubles. Pour cela je ne vois rien de mieux à faire que de nommer Mohammed Al-Habib. Dès que ma lettre vous sera parvenue, faites avec lui ce que vous faisiez avec les anciens princes, qui protégeaient les chemins. Soyez franchement son ami, et lui et moi, nous serons tout à fait vos amis.

Il faut savoir que je suis entièrement de son parti dans cette circonstance. Si vous êtes content et acceptez ce que je vous dis, nous aussi, nous serons satisfaits de vous. Si vous n'acceptez pas ce que nous venons de vous dire, nous serons irrités contre vous.

Cette belle épître ne convainquit pas Faidherbe. Sidi, au 75 dire de celui-ci, employa alors un moyen machiavélique pour nous brouiller avec Sidi Eli. On avait eu le tort, en 1863, pendant la guerre avec le Fouta, d'exciter les Brakna contre les Toucouleurs, alors nos ennemis. Les Brakna ne demandaient pas mieux que de reprendre leurs anciennes habitudes de pillage sur la rive gauche et, par suite, Sidi parvint facilement même, en 1863, à engager une partie des sujets de Sidi Eli, et principalement les Oulad Ahmed, à exercer leurs pillages à main armée, même dans les environs de Podor. Sidi Eli, qui retenait à peine ses plus fidèles sujets, ne put rien faire pour réprimer ceux qui lui résistaient ouvertement.

Ne voulant pas aider à la réussite du projet de l'émir des Trarza, en rendant Sidi Eli responsable de ces pillages, et ne pouvant pas, d'un autre côté, laisser ces pillages et ces assassinats impunis, le gouverneur donna l'ordre au commandant de Podor de s'emparer des principaux coupables, s'il en trouvait l'occasion; c'est ce qui fut fait, et deux d'entre eux, tributaires des Oulad Siyed, convaincus d'avoir pris part à tous les vols et assassinats faits dans la banlieue de Podor, furent fusillés.

Malgré cet exemple, les Oulad Ahmed enlevèrent encore, quelques jours après, les troupeaux de Mao. Sidi Eli se mit immédiatement à leur poursuite, et leur fit dire que s'ils ne rendaient pas tout de suite les troupeaux, il allait leur faire la guerre. En effet, le 13 avril, il attaqua leurs camps, mais cette attaque ayant été faite sans ensemble, fut repoussée, et le parti de Sidi Eli essuya des pertes importantes. Pendant qu'une partie de son armée était ainsi mise en déroute, une autre bande, chargée d'enlever le camp où se trouvaient les femmes et les bagages, surprenait le chef des Oulad Ahmed, Biram, le tuait, ainsi que plusieurs autres personnages importants, et faisait des prises assez considérables.

Les Oulad Ahmed firent alors appel aux Trarza qui se préparèrent à intervenir.

76 L'émir Sidi Eli tergiversa, batailla, n'aboutit à rien.

Cette situation se traduisit par une anarchie épouvantable. La rive gauche du Sénégal ne tarda pas à en sentir les fâcheux effets. Des bandes d'aventuriers s'abattaient en rezzous sur les villages du Toro et les pillaient. Ce fut le sort de Dyouldé-diabé, Laboudou, Gamagué, Diatal, Eidi, Guédé, Foudéa, Nasli, Diambo, et de plusieurs campements de Peul Odabé.

Toutes nos récriminations ne servaient de rien, parce que Sidi Eli était dans l'impuissance de réprimer les brigandages tant de ses amis que de ses ennemis. «Ce n'est que peu de chose, disait-il en juillet 1863, et j'ai fait tout ce qu'on peut faire en pareil cas tant en amendes qu'en menaces de mort. Ceux qui craignaient cette dernière peine se sont sauvés... Quant aux Toucouleurs de Podor (les plaignants), je ne demande à Dieu que de les éviter, et qu'il ne leur arrive aucun accident. Au premier tort, ils courent vers le commandant et me font payer les dégâts. Au surplus, eux-mêmes ne cherchent qu'à me brouiller avec les Français.»

Du 1er janvier 1862 à la fin novembre 1863, il était ainsi enlevé 2.500 bœufs et plusieurs milliers de têtes de petit bétail.

L'émir Sidi Mborika, mettant à exécution ses projets, apparaissait à nouveau dans le Brakna, après avoir écrit au gouverneur une lettre dans laquelle il protestait de ses bonnes intentions, et où il déclarait n'intervenir dans les affaires des Brakna que pour rétablir l'ordre, en substituant à un chef impuissant un chef fort et respecté; il pénétra sur le territoire des Brakna, et fit sa jonction avec les Oulad Ahmed.

Le gouverneur, voulant faire encore une tentative en faveur du roi des Brakna, écrivit à Sidi la lettre suivante:

J'ai reçu votre lettre. Vous me dites que vous voulez intervenir dans les affaires des Brakna pour assurer la tranquillité du pays, pour le bien général. Si cela est vrai, il ne nous sera pas difficile de nous entendre, 77 car nous aussi nous ne voulons que le bien général. Mais comment entendez-vous obtenir ce résultat? On nous dit que vous voulez pour cela nommer Mohammed Al-Habib roi des Brakna, je ne crois pas que cela soit le moyen d'arranger les affaires. Mohammed Al-Habib est un homme qui n'a pas l'habitude du commandement; il n'a ni richesse, ni partisans; il ne peut même pas habiter le pays des Brakna; les Oulad Ahmed seuls consentiraient à le reconnaître et ils sont tout à fait incapables de rétablir l'ordre chez les Brakna. Si vous ne leur aviez accordé votre protection et votre aide, ils se seraient déjà sauvés dans le désert. Tous les Brakna sont d'accord avec Sidi Eli, excepté les Oulad Ahmed. Il est donc bien certain que Mohammed Al-Habib ne pourrait pas gouverner les Brakna, quand même vous le nommeriez. Il y aurait bientôt toute espèce de désordres et c'est à vous, naturellement, que nous serions obligés de nous en prendre.

Vous voyez donc bien que vous allez entreprendre une affaire qui vous créera indubitablement des embarras sérieux d'où il pourra résulter une chose que nous ne désirons, ni vous ni moi, la guerre entre nous! J'ai reçu de France beaucoup de chevaux et de soldats, je n'ai jamais eu autant de forces à ma disposition. S'il survient des désordres dans le fleuve, je ne pourrai pas faire autrement que d'employer ces forces à rétablir l'ordre. Il y aurait un moyen plus simple et plus facile d'arranger les affaires que de suivre cette politique dangereuse: ce serait de vous entendre avec Sidi Eli. Si vous voulez, je vous ferai entrer en communication avec ce chef; je l'engagerai à vous accorder ce qui est juste dans une conférence que vous pourriez avoir ensemble et où assisterait un envoyé de moi.

Après la réception de cette lettre et arrivé à hauteur d'Aléibé, le roi des Trarza fit faire des ouvertures à Sidi Éli, en lui disant que quelques cadeaux arrangeraient l'affaire, et qu'il ne demandait pas mieux que de le laisser roi des Brakna et de s'en retourner chez lui. Sidi attendait les résultats de cette proposition, avant de s'aventurer davantage dans le pays, lorsque le bruit s'étant tout à coup répandu parmi ses troupes que le gouverneur arrivait pour lui couper la retraite; il y eut une débandade générale, et il opéra en deux jours son retour sur le territoire des Trarza.

Sidi Éli s'était réfugié à Tébékout (Saldé), où il avait 78 jadis ouvert une escale et placé comme chef son ami Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et maître du Rag, à qui il abandonnait le tiers de ses coutumes. Il revint sur la rive droite, regroupa ses bandes Siyed, Mansour et Éli, qui ne l'avaient pas abandonné, et assisté de contingents toucouleurs, mis à sa disposition par l'almamy du Fouta, notre allié, il recommença à batailler.

Dans les derniers mois de 1864 enfin, les Français, lassés de ces dissensions, qui portaient un coup fâcheux au commerce, réussirent à concilier les deux adversaires. Sous la haute autorité de Faidherbe, les délégués des deux émirs: Chems Mohameden Fal, des Ida Ou Al-Hadj, et Ahmed ould Braïk pour le Trarza, Djeddna et Rachid pour le Brakna, signèrent un traité de paix entre les deux confédérations (cf. en annexe).

Sidi Éli, se reconnaissant incapable de lutter contre son rival, achetait la paix au prix d'importants sacrifices: il s'engageait «à verser au roi des Trarza une indemnité de 250 pièces de guinée, ou leur valeur en bœufs». Il consentait à ce qu'un quart des droits perçus à son profit sur le commerce de la gomme à Podor fût payé à l'émir des Trarza.

Moyennant ces concessions, Sidi Mborika s'engageait à laisser les caravanes se diriger librement soit sur Podor, soit sur Dagana, et à assurer la sécurité des routes. Il reconnaissait Sidi Éli comme émir des Brakna et nouait amitié avec lui. Le prétendant Mohammed Al-Habib, abandonné de son protecteur, vint chercher asile chez les Oulad Dâmân du Trarza. Par la suite, il devait rentrer chez l'émir Ahmeddou, fils de Sidi Éli, et y finir tranquillement ses jours († vers 1900).

La disparition du prétendant ne ramena pas d'ailleurs le calme complet chez les Brakna. Les Normach revendiquaient toujours le droit de choisir dans leur campement princier l'émir de la confédération. Les Oulad Siyed entendaient 79 conserver ces droits, acquis par prescription depuis un siècle. La lutte recommença donc et se poursuivit de longues années. Les Oulad Ahmed, par tradition d'indiscipline et d'anarchie, se joignirent aux Normach et aggravèrent le désordre. Ils furent même, la plupart du temps, les seuls adversaires des Oulad Siyed.

Voici, par exemple, ce qu'ils écrivaient astucieusement au gouverneur du Sénégal:

Si nous avons volé vos bœufs et ceux de vos amis ce n'était point pour rompre notre ancienne amitié. Notre ancienne amitié a été cause de la guerre qui a eu lieu autrefois entre les Trarza et les Brakna. Les Trarza ont été chassés et nous aussi. Alors nous nous sommes déterminés à voler dans le pays le plus que nous avons pu pour y porter le trouble et forcer Sidi Eli, par restitutions, à perdre le revenu qu'il pouvait recevoir des Blancs et des Noirs. A présent, nous sommes revenus dans le pays pour nous mettre d'accord avec les Oulad Seïd. Ils sont venus nous trouver à Aleïbé pour renouveler notre amitié. Ils se sont entendus avec les Oulad Normach pour nous trahir.

Nous nous sommes sauvés; on nous a poursuivis et on nous a rejoints dans un endroit qu'on appelle Chaïd (vis-à-vis d'Alod). Nous ne pouvions aller plus loin et avons été obligés d'accepter la bataille. Nous les avons repoussés et poursuivis toute une journée: nous en avons tué une quarantaine. Dieu nous a protégés contre leur nombreuse armée, composée de tous les Oulad Beïd, de tous les Oulad Normach, du chef des Oulad Eli, Mohammed ould Eïba et d'une partie des Touabir. Maintenant nous envoyons vers vous pour renouveler l'amitié qui existait entre nous, et nous attendons que vous en fassiez autant.

La preuve que nous avons toujours été vos amis, c'est que nous n'avons pas cessé de surveiller le chemin des gommiers. Depuis que nous avons dû quitter le pays jusqu'à présent, nous n'avons jamais souffert qu'un de nous fît du mal aux marchands de gomme.

Les caravanes du haut pays ont toujours passé près de nous en allant et en revenant et jamais nous ne leur avons rien exigé ou pillé.

Des combats aux issues les plus diverses se succédèrent pendant une dizaine d'années. Sidi Éli, appuyé sur Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli de Kaëdi, et sur les Toucouleurs du Fouta, nos alliés, finit par avoir raison 80 de ses adversaires. Les Id Ou Aïch s'étaient partagés, suivant leur antique alliance, entre les deux camps et prirent part à plusieurs de ces rencontres. Après les combats des Maye-Maye et de Khaleïfi, Sidi Éli fut définitivement victorieux à Doffa, dans l'Oued (vers 1873).

A partir de cette date, s'il rencontre encore de l'opposition chez ces irréductibles ennemis, son autorité émirale n'est plus contestée. Les luttes devaient d'ailleurs reprendre avec une certaine intensité, soit en 1880 contre les Trarza, soit en 1885 contre les Oulad Normach et Ahmed, et leurs alliés Abakak (Id Ou Aïch). On les verra plus bas.

En 1879, les escales vivaient toujours sous le régime du traité de 1858. «Après vingt et un ans de paix profonde entre les deux nations, comme dit le préambule, le moment semble venu d'introduire dans leurs relations commerciales des modifications en rapport avec les liens d'amitié des deux peuples. Un acte additionnel fut donc signé, le 5 juin 1879, par le capitaine Louis, représentant du gouverneur Brière de L'Isle, et l'émir Sidi Éli.

Il y est dit en substance:

a) Il n'y a plus d'escales. Le commerce de la gomme et de tous autres produits est libre; il se fera à terre ou à bord, dans les anciennes escales ou partout ailleurs.

b) La coutume proportionnelle est supprimée. Elle est remplacée par une indemnité fixe, payée par quarts au moment de la traite.

c) Neutralité absolue de l'émir des Brakna dans le domaine commercial.

Une convention, passée le 22 mai 1880, réglait l'indemnité fixe, restée indéterminée dans l'acte additionnel. La quotité en était de 1.600 pièces de guinée filature, dont 400 étaient distraites au projet de Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et de l'escale de Tébékout (Saldé).

Une autre convention, en date du 13 août 1886, fixait cette quotité à 2.000 pièces, dont un quart pour le chef de 81 l'escale de Tébékout (Saldé), Sidi Ahmed, qui dans l'intervalle avait succédé à son père Mohammed Heïba.

Des incursions des Oulad Dâmân en 1878-1879 faillirent rallumer la guerre entre Trarza et Brakna. Les bons offices du gouverneur, d'une part, et l'intercession du Cheikh Sidia Baba, qui faisait ainsi ses premières armes, d'autre part, ramenèrent la concorde. L'affaire fut réglée par indemnités.

Il en fut de même de plusieurs incursions de Toucouleurs sur des tribus maraboutiques, et notamment les Tagnit, alors dépendant du Brakna. L'émir, qui nous savait en délicatesse avec les gens de Dibango (Aleïba), offrit de faire nos affaires en faisant les siennes. Il voulait se jeter sur ces Toucouleurs et les piller. L'affaire se régla par transaction.

En 1881, Sidi Éli engagea son ami Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli, à s'interposer entre les Français et Abdoul Boubakar, chef des Bosséa, qui se posait en révolté. De plus, il adressait à Abdoul lui-même une lettre pressante pour l'engager à faire la paix. Il lançait en même temps une proclamation dans le Bosséa «pour faire comprendre aux habitants que la paix avec les Français était indispensable pour la tranquillité et le bien-être de leur pays».

En 1885, Sidi Éli se retrouve pris entre les Trarza et les Id Ou Aïch. Du côté des Trarza et par la pression de Saint-Louis, l'affaire s'aplanit presque aussitôt. Éli Diombot, émir des Trarza, se dit exaspéré contre son voisin brakna, qui utiliserait contre lui ou tout au moins laisserait utiliser (notamment par les pillards Oulad Siyed) les secours que les Français lui font passer à l'usage des Toucouleurs du Bosséa. En réalité, il veut rétablir sa popularité en baisse, en conduisant ses hassanes au pillage. Il est d'ailleurs non moins fâché contre les Français, qui «donnent 82 la liberté aux captifs, gardent ses tributaires (Taghredient) sur leur territoire et autorisent les gens du Cayor et du Baol à garder les biens de ses sujets, qui meurent dans ces provinces.» Encore qu'il eût déclaré «qu'il ne supporterait pas cela tant qu'il aurait la tête sur son cou», il finit par s'amadouer devant les menaces que proféra le gouverneur à l'annonce des premiers pillages sur les Oulad Tari.

Mais avec les Id Ou Aïch, les affaires allèrent plus loin. Une bande d'Abakak, alliés des Oulad Normach, envahit le Brakna oriental sous la conduite de Nabra (de son vrai nom Brahim), fils naturel de l'émir Bakkar ould Soueïd Ahmed. Les campements prirent la fuite, tandis que Mokhtar, fils aîné de Sidi Éli, organisait la résistance et demandait naturellement le secours des Chratit, ennemis des Abakak. Il se mit à la tête de bandes siyed et de quelques Oulad Ahmed; mais, repoussé, il dut prendre la fuite et fut tué au cours de la poursuite par Nabra.

A cette nouvelle, Sidi Éli lança son second fils Ahmeddou sur les envahisseurs. Nabra, qui à l'instar du poète arabe chantait: «Ce n'est pas à mes ancêtres que je dois ma gloire, mais à moi-même. C'est moi qui suis un ancêtre. Je suis Brahim ould Brahim», reçut la troupe brakna à coups de feu. Le combat resta indécis et, suivant la coutume maure, on se sépara sans résultat.

Nabra finit par rentrer dans sa tribu. Sidi Éli, rasséréné, prit alors l'offensive lui-même, et surprit et razzia les partisans de Nabra dans le Fori. L'affaire en resta là.

Notre alliance avec Sidi Éli joua en 1891, lors des difficultés qui s'élevèrent entre le Gouvernement français et Amar Saloum, émir des Trarza. Il soutint de toutes ses forces Ahmed Saloum II ould Ali Diembot, rival suscité à Amar Saloum par les Français. Il aida à son triomphe en lui envoyant un groupe de partisans, commandé par son fils Ahmeddou.

83 Cette assistance devait assurer d'excellentes relations, de ce jour et jusqu'à notre arrivée, entre Trarza et Brakna. Elles eurent leur consécration par le mariage du nouvel émir des Trarza avec la fille de Sidi Éli: Fatma. Cette union, si heureuse de ce côté, devait par ailleurs être funeste à Ahmed Saloum, car sa première femme Myriam ould Brahim, jalouse, se retira dans son campement des Oulad Ahmed ben Dâmân, et cette fraction ne tarda pas à passer au parti de Sidi ould Mohammed Fal, rival de l'émir.

Sidi Éli ne devait pas voir ces difficultés de son gendre. Il mourut en 1893, sur les bords du fleuve, à Lehroud, en face de Mafou. Il fut immédiatement et sans difficulté remplacé par son fils aîné Ahmeddou.

8.—Ahmeddou II (1893-1903).

Ahmeddou II ould Sidi Éli était âgé de 40 ans environ à son avènement. Il était complètement inféodé aux Oulad Siyed de par ses origines paternelles et de par ses attaches maternelles: sa mère était en effet une Siyedïa, Garmi ment Ahmed Fal. Par elle, Ahmeddou se trouvait être le frère utérin de Mohammed, fils posthume de l'émir Mohammed Sidi ould Mohammed.

Vers 1878, l'émir Sidi Éli avait fait épouser à son fils Ahmeddou Moumina, fille de son allié Mohammed ould Heïba, chef des Oulad Éli et protecteur des escales de Tébékout (Saldé) et de Kaédi. Il en eut un fils, Sidi Éli, généralement connu sous le sobriquet d'Ould Assas, du nom de sa nourrice.

Moumina, nouvelle Aliénor d'Aquitaine, allait par ses mariages successifs semer la brouille pendant plusieurs années dans cette partie du Sud mauritanien.

En 1883, elle déserta le domicile conjugal et se réfugia 84 chez son père à Kaédi. Puis, en vraie fille de hassane et sans attendre la répudiation, elle épouse Nabra, fils naturel de l'émir des Id Ou Aïch, qu'on a vu plus haut et qui, outre l'avantage de sa stature gigantesque, avait, aux yeux de la vindicative Moumina, le bénéfice du meurtre de Mokhtar, frère de son ex-mari. Ahmeddou, indigné, la répudia aussitôt. L'intrigante ne fut pas étrangère aux luttes qui se déroulèrent alors entre Brakna et Id Ou Aïch.

Quelques années plus tard, Moumina revint à ses premières amours; elle lâcha Nabra, réintégra le «Mahsar» des Brakna et eut l'adresse de se faire épouser une deuxième fois par Ahmeddou. Après divers incidents conjugaux, un nouveau divorce intervint, et Moumina, rendue à la liberté, s'empressa d'aller faire le malheur d'un homme d'Église, le Kounti Sidi Amar ould Sidi-l-Mokhtar, des Ahel Cheikh.

Cette fugue ne dura pas. La princesse mésalliée revint, un an après, dans le campement d'Ahmeddou, y épousa son frère Mohammed Al-Habib, brouilla quelque temps les deux frères, fut répudiée à nouveau, et finalement, ses charmes étaient désormais inopérants, se retira dans le campement de son fils Ould Assas: elle y est morte en 1917, à Touizit, dans le Chamama.

Pour en finir avec les aventures conjugales de l'émir Ahmeddou, il reste à dire qu'il épousa, en mai 1899, la nièce de Rassoul, chef des Chratit: Fatma ment Cheikh ould Éli. Il n'en eut qu'une fille: Garmi, aujourd'hui revenue avec sa mère chez les Chratit. Il répudia, peu après, cette Fatma et depuis cette date ne vécut plus qu'avec des filles de ses haratines et captifs, notamment Diouldé, ancienne captive enlevée au chef des Oulad Normach, et qui a suivi Ahmeddou en dissidence; Ziza ment Haboub, ancienne captive enlevée aux Oulad Ahmed, mariée actuellement à Soumaïla, détenu de droit commun à Aleg; et enfin Ment Baba, Toucouleure. Il en a eu plusieurs enfants: 85 Mohammed, né vers 1899, Bakar, né vers 1900.

Ahmeddou, autant par son caractère fourbe que par la faiblesse de son autorité ou plutôt de ses moyens, devait nous causer jusqu'en fin 1903, date de l'occupation de son pays, toutes sortes de désagréments.

Dans le courant de l'année 1890, le gouverneur Clément Thomas avait fait dénoncer à Sidi Éli la convention de 1886 fixant à 1.500 pièces de guinée le taux de l'indemnité fixe, remplaçant les droits de sortie sur les gommes. 1.000 de ces 1.500 pièces furent accordées à l'émir des Trarza et il n'en resta que 500, que Sidi Éli ne voulut point accepter. Cette mesure avait été prise, parce qu'au cours de la traite des dernières années, il avait été constaté que Sidi Éli était complètement impuissant à maintenir la sécurité de l'escale. Il n'avait plus aucune autorité sur les tribus rattachées à son groupe, il ne pouvait se faire obéir même par ses sujets directs. Il laissait faire, si même il n'encourageait pas les pillages sans nombre par les gens de son propre camp.

Durement atteint par cette réduction de sa rente, Sidi Éli fit de grands efforts pour arriver à rétablir son autorité. La situation restait néanmoins tendue, quand il mourut. Avec son fils Ahmeddou, que l'administration contribua à faire accepter pacifiquement aux tribus, et qui, plus jeune et plus actif, paraissait inspirer confiance, on revint à l'ancien état de choses. On visa à affermir son autorité sur les Oulad Normach et Oulad Ahmed; on renforça le commandement de ses représentants; on exécuta loyalement les conditions du traité du 12 décembre 1891, conclu d'ailleurs avec lui-même, représentant son père, et qui accordait à l'émir brakna une indemnité fixe de 1.000 pièces de guinée filature.

On pensa en même temps utiliser sa vigueur et sa prétendue bonne volonté, en le liguant avec les Ahel Sidi Mahmoud, fâchés de se voir coupé les routes de Bakel par 86 les Id Ou Aïch, et en jetant un fort rezzou de ces deux tribus sur le camp de Bakkar ould Soueïd Ahmed, émir des Id Ou Aïch, qui avait offert l'hospitalité à nos trois irréductibles ennemis sénégalais: Abdoul Boubakar, chef du Bosséa; Ali Bouri Ndiaye, bourba du Diolof, et Amadou Chékou, marabout agitateur.

Toute cette politique fut vaine, et Ahmeddou opposa la force d'inertie, chère aux Maures. Il fallut en arriver à retenir sur ses coutumes la rançon des pillages commis par ses gens, ce qui évidemment ne fit qu'augmenter le nombre des razzias et nous brouiller périodiquement avec Ahmeddou. En mai 1895, dans son indignation, il ferme brutalement l'escale de Podor. Le voyage inopiné du Directeur des Affaires politiques Merlin lui fit perdre contenance, et il rouvrit aussitôt l'escale.

La grande aventure du principat d'Ahmeddou fut la lutte qui éclata entre les Dieïdiba, marabouts classiques des Oulad Biri, marabouts, cousins et alliés des Oulad Ahmed. Par le jeu des alliances traditionnelles et des haines invétérées, la plupart des tribus trarza et brakna, tant guerrière que maraboutique, allaient en être troublées. N'étaient notre présence et l'influence acquise par notre politique dans les affaires maures, des luttes interminables eussent à nouveau ensanglanté les confins trarza-brakna. Elles restèrent localisées aux Oulad Biri et aux Dieïdiba.

Déjà, sous Cheikh Sidïa Al-Kabir, vers 1860, un incident fâcheux, mais qui n'avait pas d'autre importance que celle des menus faits de la vie de tribus voisines, était venu mettre à l'épreuve les bons rapports antérieurs des Oulad Biri et des Dieïdiba. Un individu des Oulad Falli, Mohammed ould Abd El-Fattah, s'étant pris de querelle avec des zenaga Dieïdiba, marcha contre eux à la tête de ses gens, les surprit et en tua seize. Sur l'intervention de Bakkar ould Soueïd Ahmed, émir des Id Ou Aïch, qui 87 était aussi par indivis suzerain des zenaga tués, Cheikh Sidïa Al-Kabir consentit à payer la dïa, qui fut fixée à 16.000 pièces de guinée. L'affaire n'eut donc pas d'autres suites.

Vers 1890, des contestations au sujet de trois points d'eau, Bou Talhaïa, Hasseï Al-Afia et Aredekkel, dans l'Amechtil, dont les deux tribus revendiquaient la propriété, remirent le feu aux poudres. La question s'aggravait encore du fait de contestations similaires sur les terrains de la Dabaye du Chamama. De 1890 à 1900, il se livra une multitude de petits combats, dont il serait fastidieux de donner le détail.

Il suffit de retenir que les hassanes des deux pays prirent respectivement parti pour leurs marabouts. L'émir du Trarza, Ahmed Saloum Ier, son parent, Sidi Ahmed ould Bou Bakar Siré, et surtout les guerriers Oulad Dâmân et Euleb, marchèrent avec les Oulad Biri. L'émir du Brakna, Ahmed ould Sidi Éli, avec ses gens Oulad Abdallah et ses alliés toucouleurs Aleïbé du Chamama, combattaient pour les Dieïdiba. Ces passes d'armes peu sérieuses entre gens qui faisaient parler la poudre sans conviction, et cherchaient surtout à vivre aux crochets des Tolba, sous prétexte de les défendre, furent plus d'une fois fâcheuses pour les Oulad Biri. Le Cheikh faillit être enlevé en 1896 dans son camp d'Aouadane, et ne dut son salut qu'à la valeur de ses élèves noirs, qui se jetèrent avec fureur sur les bandes Dieïdiba et Oulad Siyed et les exterminèrent.

L'intervention de l'autorité française amenait une série de tractations entre les belligérants: d'abord la paix est conclue, au moins en principe, en novembre 1896, à Boïdel Barka, entre les chefs trarza et brakna. Le 29 janvier suivant, les délégués des deux tribus maraboutiques signent à Podor une déclaration, qui énonce qu'aucune réparation ne sera accordée de part et d'autre pour les dégâts respectivement commis. Sous les auspices du gouverneur général, 88 une convention est passée, à Saint-Louis, le 9 février 1897 entre les deux émirs, assistés de leurs ministres et conseillers.

Les actes antérieurs précités y sont confirmés: Podor est reconnu escale brakna, sous l'autorité d'Ahmeddou, mais avec liberté commerciale pour tous les Maures du Trarza. Les deux émirs s'engagent à faire sérieusement la police de leurs tribus. Ahmeddou enfin autorise les Oulad Biri à habiter et à cultiver sur le territoire des Brakna qu'ils occupaient précédemment. Il les autorise notamment à se réinstaller à Dabaye (marigot de Morghen ou de Koundi).

Une nouvelle convention voulut consacrer avec plus de force encore, en 1898, les accords établis l'année précédente[5]. Mais pour éviter les difficultés qui avaient surgi, les terrains litigieux de Dabaye furent déclarés neutres et placés sous la surveillance spéciale de l'administrateur de Podor. Pendant ce temps, les Toucouleurs de la rive gauche passaient sur le fleuve et mettaient les terrains en valeur. Il fut impossible d'obtenir des uns et des autres la bonne volonté nécessaire à des concessions réciproques. Ils ne voulurent même plus se voir: Ahmeddou refusa de rendre visite à un marabout. Cheikh Sidïa ne voulut point se rendre au campement d'Ahmeddou pour éviter de s'y faire assassiner.

[5] Pour les textes français de ces deux conventions de 1897 et 1898 entre Trarza et Brakna, Cf. «L'Émirat des Trarza (Annexes)», par Paul Marty, in collection de la Revue du Monde Musulman.

La lutte continua donc de plus belle entre les tribus; elle finit pourtant par tourner à l'avantage, au moins apparent, des Oulad Biri, en ce qui concerne les puits du nord. Les Dieïdiba vaincus durent évacuer, vers la fin de 1899, l'Amechtil et l'Aoukeïra, mais ils prirent leur revanche en y venant piller, les années suivantes, les campements biri, de sorte que ceux-ci à leur tour durent abandonner les puits litigieux et se concentrer dans l'Aoukeïra. Non entretenus, 89 ces puits tombèrent bientôt en ruines. En 1903, assurés de l'appui de Coppolani et profitant de l'état de l'insoumission de Dieïdiba, qui ne pouvaient ainsi faire valoir leurs droits, Cheikh Sidïa fit réoccuper le territoire abandonné et remettre les puits en état. La soumission des Dieïdiba allait en 1904, soulever à nouveau le conflit. Ils demandèrent sans tarder à entrer en possession de leurs puits. Les Oulad Biri protestèrent, et comme l'affaire traînait en longueur, les combats recommencèrent de toutes parts, entre haratines et captifs d'abord, puis entre zenaga, et enfin entre marabouts.

Les autorités des cercles Trarza et Brakna allaient mettre un terme à ces luttes et procéder à un accord entre les tribus.

Sous les auspices du capitaine Gerhardt, commandant le cercle du Trarza, un arrangement fut conclu, le 7 février 1912, entre Sidi El-Mokhtar, cheikh des Oulad Biri et Mostafa ould Khalifa ould Ouadia, principal notable des Dieïdiba, délégués par eux à ces fins. Le droit de propriété des puits a été reconnu aux Dieïdiba, mais les deux tribus auront la jouissance de l'eau, suffisamment abondante pour contenter tout le monde. Satisfaits de n'avoir pas cédé à leurs adversaires et d'avoir tous à moitié gain de cause, les indigènes ont promis réciproquement de ne pas apporter de gêne à l'exercice de leur droit de jouissance commune; et depuis 1912, ils paraissent avoir tenu parole.

Ahmeddou eut encore à intervenir à plusieurs reprises dans les dissensions intestines, qui déchirèrent les Touabir, de 1896 à 1900. A la mort du cheikh de la fraction Anouazir, Cheikh ould Hammadi, sa succession politique fut disputée entre son fils Hamdel Khalifa et le chef de la famille rivale Neïbat. L'affaire avait d'autant plus d'importance que les Anouazir sont les fractions princières de la tribu, et que leur chef est pratiquement le chef de la tribu. La 90 querelle se maintint peu de temps circonscrite aux deux rivaux: le jeu des alliances et des haines réciproques amena successivement du côté de Hamdel Khalifa une partie des autres Touabir, et notamment les Oulad Al-Kohol, puis Sidi Ahmed ould Mohammed ould Heïba, ex-chef des Oulad Eli de Kaédi, révoqué par nous; du côté d'Ahmed Neïbat, le reste des Touabir et notamment les Oulad Yora, puis M'hammed, chef en fonctions des Oulad Eli, rival du premier. A partir de 1897, le conflit est général, et des rencontres se produisent à chaque occasion.

L'émir des Id Ou Aïch, Bakkar, eut la sagesse de ne pas se laisser entraîner dans le conflit, en arguant que les uns et les autres étant ses tributaires, il n'avait pas à prendre parti en faveur des uns ou des autres. Mais Ahmeddou sollicité à plusieurs reprises, et qui avait d'abord refusé, se laissa tenter par les cadeaux de guinée des Oulad Al-Kohol. Il envoya un contingent à leur secours. Les Oulad Yora firent marcher la cavalerie de Saint-Georges et leurs guerriers, de sorte que leurs ennemis, y compris la bande d'Ahmeddou, furent complètement défaits à Segar. Ils laissaient plus de 100 morts sur le terrain.

L'honneur d'Ahmeddou était engagé: il manifesta l'intention de réduire à merci les révoltés, ce qui valut immédiatement à ceux-ci le concours de ses ennemis Normach et Oulad Ahmed. Ses bandes, commandées par Mohammed Krara, son frère, et Ould Assas, son fils, et composées de Siyed et de Dieïdiba, marchèrent contre les Oulad Yora, en juillet 1901. Ceux-ci, intimidés prirent la fuite. L'affaire en resta là et Hamdel Khalifa fut reconnu chef des Touabir.

A la fin du dix-neuvième siècle, à la veille de notre occupation, la situation politique était la suivante: Les Oulad Siyed dominaient de Zouireth Mohammed (près Dagana) jusque vers Boghé et dans l'intérieur, jusqu'à Aleg et Chogar. Ils protégeaient surtout les Dieïdiba, les Tolba Tanak, les Hijaj et les Kounta-khol Bekkaï.

91 Les Oulad Normach commandaient sur le fleuve, vers Cascas et la région de Mal. Ils protégeaient les Id Eïlik, les Soubak, les Ahel Taleb Mohammed, les Tiab Ould Normach, les Meterambin et les Kounta Ahel Sidi Amar.

Les Oulad Ahmed descendaient quelquefois jusqu'à Boghé et commandaient, vers Chogar, l'Akel et l'Agan, ils protégeaient les Oulad Biri, les Ahel Gasri les Draouat. Les Oulad Eli (O. Abdallah aussi) commandaient vers Kaëdi et le Raag, et protégeaient les Lemtouna, les Toumodek et les Hijaj de l'est.

Les Ahel Souid Ahmed (Id Ou Aïch) faisaient sentir leur influence jusqu'à Guimi, Mal, l'Agueïlat et protégeaient surtout les Tâgât, les Torkoz, les Id ag Jemouella et les Kounta Oulad Bou Sif.

En fait, chaque tribu maraboutique faisait elle-même sa police intérieure et extérieure, et ne faisait intervenir les guerriers que lorsqu'elle ne pouvait pas faire autrement.

Les guerriers pillaient sans vergogne amis et ennemis, prenaient de force ce qu'on ne voulait pas leur donner, tandis que leurs haratines et leurs zenaga volaient sans cesse. Les plus voleurs étaient les haratines Oulad Siyed et le zenaga Arallen (région de Podor), et les Touabir (Khat).

On ne pouvait approcher du fleuve sans être volé. La meilleure police était faite par les Ahel Souid Ahmed, qui, voulant se réserver le monopole du pillage, châtiaient impitoyablement les zenaga, Hassanes Oulad Talha, Oulad Bou Sif marabouts et autres pillards qui rançonnaient leurs gens.

Le principat d'Ahmeddou allait prendre fin en décembre 1903 par l'occupation française.

Dès 1902, et tout en poursuivant sa politique d'apprivoisement en tribu, Coppolani avait installé un fort à Regba à la limite des pays trarza et brakna, et un autre à Boghé au débouché sur le fleuve du pays brakna. Il avait entamé 92 avec Ahmeddou des relations pleines d'espoir. Malheureusement les sympathies qui l'attachaient à Cheikh Sidïa étaient une forte cause de défiance pour les Dieïdiba marabouts et conseillers de l'émir et de ses Oulad Siyed. Coppolani prit son congé en France dans l'été 1903. Pendant son absence, divers traitants, intéressés au maintien de l'anarchie, donnèrent à l'émir les plus mauvais conseils et firent donner les Dieïdiba. Il arriva qu'Ahmeddou, moitié par crainte, moitié par esprit de résistance, rassembla ses fidèles et ses haratines et fit décider l'alliance avec les Id Ou Aïch. Il partit aussitôt les retrouver. C'est peu après que Coppolani allait prononcer sa déchéance et confisquer ses biens au profit du Trésor (décembre 1903).

CHAPITRE VIII
L'OCCUPATION FRANÇAISE

Arrivé à Boghé en fin novembre 1903, Coppolani apprenait qu'Ahmeddou réunissait ses contingents à Aleg, et s'apprêtait à s'unir aux Id Ou Aïch pour nous combattre, malgré toutes les promesses de dévouement faites antérieurement.

Toutes les tribus religieuses armées, et notamment les Dieïdiba, suivaient ce mouvement concerté avec notre vieil ennemi, l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch. Toutefois et par opposition de principe, les Oulad Normach et une partie des Oulad Ahmed, dont les chefs étaient venus à Boghé saluer le gouverneur général, de passage au début de l'année, demeuraient fidèles à leurs engagements.

En présence de cette situation et pour arrêter des incursions certaines vers le fleuve, Coppolani activait l'exécution de son programme d'occupation du pays brakna, simple acte préliminaire de l'occupation de Tagant.

Le 1er décembre 1903, il quittait Boghé, accompagné du résident du pays brakna, du commandant des troupes du Tagant et d'un détachement de spahis. Par la mare de Sarak, il était sur les bords cultivés du lac Aleg, le 3. Aucun incident ne s'était produit sur la route. Une fraction importante des Dieïdiba, rencontrée le lendemain au cours 94 d'une reconnaissance, et campée sur la rive opposée du lac, apprit à la colonne la fuite d'Ahmeddou, de ses hassanes, et du reste des Dieïdiba vers Chogar.

Coppolani leur envoyait aussitôt des émissaires spéciaux pour les inviter à ne pas quitter le pays. Mais Ahmeddou poussé par ses deux neveux, deux fils de Bakkar et un certain nombre d'Id Ou Aïch, arrêtait ces émissaires, groupait ses haratines, quelques contingents Dieïdiba, Oulad Ahmed et autres dissidents, au total 400 fusils environ, et, la nuit du 8 au 9 décembre, se jetait sur le camp des envahisseurs. Toutes les précautions avaient été prises. Après une vive fusillade, les agresseurs furent repoussés, laissant quelques morts et quelques blessés sur le terrain. De notre côté, nous avions un tirailleur et quelques porteurs blessés et deux goumiers tués. Quelques chevaux de spahis, effrayés par les feux de salve, avaient cassé leurs entraves et pris la fuite. Dès l'aube, le commandant des troupes, faisant une reconnaissance aux environs, rencontrait quelques Oulad Siyed, en tuait trois et chassait les autres. Il désarmait le campement des Dieïdiba précités et le faisait installer près du poste pour avoir guides et moyens de transport sous la main.

Cette agression d'Ahmeddou, commise surtout à l'instigation des Id Ou Aïch, fut le principal fait d'armes de l'occupation du Brakna.

Quelques jours plus tard, le capitaine Chauveaux mettait fin à toute récidive en surprenant à Chogar, à 40 kilomètres d'Aleg, le campement d'Ahmeddou et en mettant en déroute ses bandes hassanes.

L'action politique de Coppolani s'exerça aussitôt sur les tribus religieuses. Les premiers, les Kounta, ennemis invétérés des Id Ou Aïch, vinrent à lui, et promirent de les combattre en liaison avec lui, dès qu'il s'avancerait vers l'est.

C'est à cette date que fut créé le poste d'Aleg avec toutes 95 les précautions défensives d'usage. Sis sur une hauteur et habilement fortifié, il était, pour ainsi dire, imprenable. Au point de vue local, il domine tout le pays brakna et permet la surveillance de toute la région, comprise entre Aleg, Boutilimit, Podor et Boghé. Au point de vue politique, il est placé sur la bifurcation des routes du Tagant, situé à 6 jours au nord-est. Ils constituait en plus, à cette date, un excellent bastion sur le flanc des Id Ou Aïch.

La mission de Tagant prit sans plus tarder la direction du nord-est. Les tribus zouaïa du Brakna, déjà ralliés lui firent ses envois entre Boghé et Aleg.

Quant à Ahmeddou, il n'abandonnait pas toute résistance. Dans une conférence tenue à Agadel, près d'Acheram, et à laquelle participèrent Ahmeddou, Bakkar et leurs fils, le plan de campagne suivant fut arrêté:

Les Id Ou Aïch rallieraient tous leurs tributaires et tenteraient l'enlèvement du poste d'Aleg, où ils se fortifieraient solidement. Puis deux colonnes iraient, l'une à Gueïlat, à l'est de la région du moyen Mounguel, l'autre à Mbout. Elles s'y installeraient sur des positions retranchées, afin de s'opposer à la pénétration française. L'occupation de Mbout paraît avoir été à ce moment la grande crainte de Bakkar, et il joua de cette inquiétude pour rallier définitivement à lui les Chratit, toujours frondeurs à l'égard des Abakak, et les Oulad Aïd.

Ce plan de campagne n'aboutit pas. La mission d'organisation du Tagant se mit en marche, accompagnée d'un goum où l'on voit figurer, à côté des chefs trarza, plusieurs chefs brakna: Bakar ould Ahmeïada, chef des Normach; Biram ould Himeïmed, chef des Oulad Ahmed, et enfin Sidi Ahmed ould Heïba, chef des Oulad Eli, de Kaëdi. C'était sur leur propre territoire que les Id Ou Aïch devaient sauver l'honneur de leur nom.

La mission arrivait à Mal, le 1er février, et y installait un poste fortifié semblable à celui qu'elle venait d'établir 96 à Mouit. Sis à 70 kilomètres à l'ouest d'Aleg et à 80 kilomètres au nord de Kaédi, Mal réunissait des condition excellentes pour la surveillance du fleuve et la centralisation des moyens nécessaires au départ de la mission et à l'organisation même du plateau central du Tagant. La région, couverte de lougans, offre des ressources en bestiaux et en cultures. C'est un plateau boisé que traverse un important marigot terminé par un lac de 40 kilomètres de circonférence, où existe toujours une eau limpide, de qualité excellente.

Les tribus religieuses Id ag Jemouella, Torkoz, Touabir, Toumodok, Lemtouna, Tâgât, Hejaj, et des campements divers, etc., vinrent aussitôt faire leur soumission et demander la protection française. Les Oulad Ahmed, au nombre de 600 fusils, suivirent le mouvement et sur la demande de Coppolani, s'installèrent aux environs de Mal. Plusieurs autres fractions religieuses, retirées entre Mal et la falaise, et qui attendirent notre installation à Mal pour en faire autant, se décidèrent quelques jours plus tard, et échappèrent non sans peine à la surveillance des guerriers Id Ou Aïch.

Ceux-ci, excités maintenant par Ahmeddou, qui sentait la partie lui échapper définitivement, projetèrent d'attaquer soit Mal, soit Mouit. Ils commencèrent par des escarmouches et finirent par investir Mouit dans la nuit du 16 au 17 février, au nombre de plusieurs milliers. Ahmeddou menait le bal. Ils furent repoussés avec des pertes sérieuses et se retirèrent au pied de la falaise du Tagant.

En même temps, Coppolani n'oubliait pas de faire intervenir puissamment l'influence de ses amis marabouts. Cheikh Sidïa vint le trouver dans son campement, et par sa présence, ses palabres, ses lettres, contribua fortement à mettre fin à cette campagne de guerre sainte, qui commençait à prendre naissance sur le haut fleuve et dans certaines tribus. Par lui encore et pour satisfaire leur haine 97 nationale, les Kounta du Brakna et de Tagant, même quelques fractions Ahel Sidi Mahmoud, la plupart des campements Chrattit, quelques Tadjakant se rapprochaient des Français, ou tout au moins promettaient leur neutralité.

Le Brakna pouvait dès lors être considéré, sinon comme entièrement pacifié, au moins comme suffisamment en main pour permettre de passer à la deuxième partie du programme, ou tout au moins de l'amorcer: l'occupation du Tagant. Aussi, dès le 9 mars 1904, la mission se mettait-elle en branle vers la falaise. Un détachement quittait Mal sous la direction même de Coppolani; un autre détachement commandé par le capitaine Payn et comprenant plusieurs chefs toucouleurs: Abdoulaye Kane, Samba, etc., partait de Mouit, à la même date. Ils faisaient leur jonction le 11, et le 14 atteignaient à Gour Mal les nombreux campements hassanes et tolba qui, sous la direction d'Ahmeddou et d'Othman ould Bakkar, cheminaient vers le Nord-Est pour se réfugier dans les montagnes de l'Assaba. A l'approche de la colonne, les guerriers prirent le devant; les marabouts revinrent sur leurs pas avec de nombreux troupeaux. Par l'humanité de Coppolani, qui fit prendre des hausses supérieures aux distances appréciées, les pertes des ennemis furent minimes.

La colonne rentrait, dès le lendemain, sur le territoire brakna, en en ramenant les habitants.

Le 13 juillet 1904, 120 tentes Oulad Siyed, c'est-à-dire à peu près toute la tribu princière,—nobles et haratines—venait faire, sous la conduite de Mohammed Krara, frère de l'émir, sa soumission à Boghé. Ils avaient, dans leur fuite, subi des fatigues énormes et étaient complètement épuisés. Une quinzaine de personnes étaient mortes de faim. Mohammed Krara, Abd El-Jelil, chef des marabouts Dieïdiba, qui demandait aussi l'aman, et Cheikh Fal arrivaient peu après à Saint-Louis. Ils apportèrent la soumission du Brakna.

98 Une contribution de guerre de 500 bœufs et de 1.000 fr. leur fut infligée: elle fut répartie ainsi:

Oulad Siyed 102 bovins
Id ag Fara Brahim 120 —— 3.848 francs
Id ag Fara 93 —— 1.987 ——
Zemarig 99 —— 2.115 ——
Ahel Mohammed Othman 5 —— 320 ——
Tabouit 60 —— 1.282 ——
Ahel Negza 21 —— 448 ——

Désormais le Brakna reprenait sa vie normale. Les hostilités y étaient closes; tous revinrent en foule travailler ou faire travailler dans le Chamama. Les derniers irréductibles n'étaient plus que des dissidents.

Les vaincus—qui étaient les seuls hassanes—n'acceptaient pas toutefois sans résistance morale le nouvel état de choses. Voici, à titre d'échantillon, la protestation qu'ils adressaient, en fin 1905, au représentant du Gouvernement français.

Quoique non producteurs, nous tenions presque tout le commerce entre nos mains. Nous faisions les opérations nous-mêmes ou par l'intermédiaire de marabouts complaisants, qui recevaient pour leur salaire un quart de la valeur de la vente. Les acheteurs étaient les dioula du Diolof ou du Cayor, les marabouts trarza et les traitants du fleuve. A part un peu de gomme, la région trop pauvre fournissait peu au commerce; nous étions donc approvisionnés par de fructueuses razzias et par les caravanes venues du Nord. Les principaux articles de vente, et l'on peut dire les seuls, étaient les animaux pillés (bœufs, chameaux, chevaux, moutons) et les captifs. En 1903, les Tadjakant, les Larlal, les Ida Ou Ali et les Kounta ont versé sur le marché brakna plus d'un millier de captifs, par convois qui atteignaient parfois le chiffre de 200. Ce trafic était d'un bon rapport pour tous: vendeurs, acheteurs et commissionnaires et l'on a le droit de se plaindre de votre surveillance et de votre contrôle pour en empêcher le retour.

Quant aux irréductibles et aux pillards du Nord, ils se signalaient encore par quelques petits coups de mains, tels 99 les Oulad Bou Sba, qui s'emparèrent notamment d'un convoi de munitions entre Aleg et Mal, razzièrent les Kounta de Chogar et en s'en retournant pillèrent, près de Mal, les troupeaux des tribus maraboutiques. D'autres Bou Sba, ceux-là nos amis, leur donnèrent la chasse. A signaler encore, à la lisière des territoires trarza et brakna, à 30 kilomètres au nord-est de Podor, l'attaque nocturne du poste de Ragba par un rezzou que dirigeait le fils de Mokhtar Oummou, des Oulad Dâmân (Trarza), dans l'intention de venger son frère, tué quelque temps auparavant par une de nos bandes toucouleures. Cette attaque fut facilement repoussée.

Ahmeddou, presque seul, demandait l'hospitalité à son allié Bakkar, et se retirait dans les campements Abakak de l'Assaba.

Bakkar pressé entre la mission, qui préparait sa marche vers le Tagant, et les tribus Kounta et Oulad Nacer des confins du Sahel, qui le harcelaient, ne tarda pas à faire des offres de soumission. Elles ne devaient toutefois pas aboutir immédiatement, car la marche de la mission fut arrêtée et l'occupation du Tagant fut ajournée à la saison sèche suivante. Pendant ce temps, Ahmeddou avec ses guerriers Siyed et ses marabouts Dieïdiba se tenaient dans l'expectative dans les campements Abakak.

Le meurtre de Coppolani et les événements qui agitèrent en 1905, et surtout en 1906, le Tagant purent sembler à Ahmeddou et à son fils Ould Assas une occasion de revanche. Ils comptèrent parmi les plus bouillants guerriers du Chérif, Moulay Dris, envoyé par le Maroc pour tenir l'étendard de la guerre sainte et cimenter l'union des tribus rebelles. Ils prirent une part active au siège de Tijikja.

En outre, Bakkar ould Ahmeïada, chef des Normach se laissait séduire par les paroles sucrées du Chérif et de son entourage, et faisait défection en novembre 1906.

Cette défection se produisait à la suite d'un essai de règlement 100 assez intempestif, effectué par l'administration entre les Normach et les Kounta-Ahel Sidi-l-Mokhtar.

A la suite d'une agression, en 1904, des Normach contre les Kounta, un tribunal composé de trois cadis, condamna les premiers au paiement d'un certain nombre de «dïa». La saisie des biens fut opérée, mais un reliquat restait dû à Sidi Amar, chef des Kounta, qui ne cessait de réclamer le paiement intégral de la somme fixée. Les deux tribus, ennemies entre elles, essayaient à tout instant de se nuire. La situation toujours très tendue fut dénouée brutalement, en octobre 1906, par une nouvelle agression des Normach contre les Kounta. Une véritable bataille fut livrée, et de part et d'autre quelques individus restèrent sur le carreau. Bakkar prit immédiatement la brousse et alla donner son adhésion au Chérif.

Ainsi par sa proximité du Tagant, le Brakna subissait, en fin 1906, une répercussion assez sensible des incidents de Tijikja.

En novembre, les Oulad Normach dissidents faisaient une incursion sur le fleuve et pillaient le troupeau du village de Cascas. Le 16 décembre, ils s'emparaient de trois troupeaux de bœufs, appartenant aux Peul de Falcandé et tuaient un indigène. En même temps, une bande de dissidents fort mêlée tentait d'enlever le troupeau du poste de Ragba, mais était repoussée avec pertes. Les gens de Bakkar pillaient peu après les campements Id Eïlik, et notamment celui de leur chef Tig ould Moïn, qui avait présidé le tribunal des cadis précité.

En même temps, un petit mejbour d'Oulad Ahmed dissidents, commandé par Seneïba, ex-chef de la tribu, pénétrait sur le territoire brakna. Rencontré par une reconnaissance entre Chogar et Digguet-Memmé, il s'enfuyait sans accepter le combat.

Ould Assas et sa bande inauguraient cette série de pillages par lesquels il allait se signaler pendant deux ans. Il opérait 101 plusieurs razzias aux environs d'Aguiert, pillait un courrier à Digguet-Memmé, et enlevait des troupeaux aux Touabir M'haïmdat et aux Soubak.

En même temps, le consortium de nos grands ennemis: Ahmeddou ex-émir des Brakna, Mohammed Mokhtar, chef des Kounta du Tagant et Othman ould Bakkar, émir des Id Ou Aïch, écrivait à Cheikh Sidia et à Mohammed Saloum III ould Brahim, émir des Trarza, pour les inviter à évacuer le pays trarza et à se joindre à eux-mêmes ou tout au moins à les laisser attaquer en toute liberté les Français et leurs partisans.

Il n'est pas jusqu'aux Id Ou Aïch qui ne se missent de la partie. A la tête d'un rezzou d'Ahel Soueïd Ahmed et d'Oulad Talha, Deï ould Bakkar, frère d'Othman précité, entrait dans le Brakna par la passe de Tizigui. Il enlevait à Melga, à 20 kilomètres à peine de Mal, un troupeau de 300 bœufs et de 1.200 moutons aux Id ag Jemouella.

Cette recrudescence de mejbour était due à la dissémination forcée des ennemis, provoquée par l'arrivée à Tagant de la colonne de secours Michard et par le besoin impérieux où se trouvaient les dissidents de se ravitailler.

Peu de tribus maraboutiques firent dissidence. Il n'y eut guère que quelques campements Messouma et Torkoz. Ils se hâtèrent d'ailleurs de demander l'aman, dès que la colonne Michard eut dispersé rebelles et ennemis du Tagant. Les conditions qui leur furent imposées comprenaient principalement le paiement d'une amende de guerre proportionnée à leurs ressources, le désarmement partiel, et la reddition de toutes les armes à tir rapide.

L'histoire du Brakna se résume à dater de cette heure, dans la nomenclature des rezzous et contre-rezzous dont il est le champ d'opérations. Puis peu à peu les chefs de bandes sont tués, meurent en exil ou font leur soumission. Le calme s'accroît. A partir de 1910, quand l'Adrar est 102 définitivement pacifié, on peut dire que la tranquillité générale n'est plus troublée.

Voici les principaux faits de cette période; chez les Noirs riverains du Sénégal d'abord.

Le 1er février 1908, le chef du canton du Démette signalait qu'une troupe de Maures avait pillé à trois reprises le village de Gorel, situé entre Dinetiou et Dara (Podor), et était disposée à se jeter sur Boghé ou Thiénel; que quatre indigènes avaient été tués ou blessés, et que d'autres engagements avaient lieu, notamment à Gallol, depuis une huitaine de jours.

La venue d'Ould Assas et d'une bande de 40 guerriers maures et pourognes était également signalée; un pillage d'une centaine de vaches et d'un millier de moutons était commis sur des Peul du canton d'Edy, qui avaient passé le fleuve pour mener leurs troupeaux dans les pâturages de la rive droite.

D'autre part, à Boghé, on annonçait successivement le pillage d'un village de cultures près de Chabou: le passage d'Ould Assas dans les campements des Dieïdiba, aux environs d'Aleg, et l'attaque, le 27 janvier, du village de Gorel.

A la suite de ces attaques et pillages, suivis de meurtres qui provoquèrent parmi la population sédentaire des bords du fleuve une profonde émotion, des mesures immédiates furent prises pour exercer une active police dans le pays.

Le peloton de spahis, commandé par le lieutenant Corrart des Essarts, reçut l'ordre de se rendre à Boghé et d'exécuter des reconnaissances dans la région troublée.

En outre, quelques fusils 74 distribués dans les villages les plus exposés aux pillages devaient permettre aux habitants de repousser les attaques éventuelles des petits groupes armés.

A ce moment, Bakkar ould Ahmeïada, chef dissident des 103 Oulad Normach, était également signalé dans la région nord de Boghé. Après diverses tentatives infructueuses de recherches des «Mejbour», le lieutenant des Essarts réussissait à tomber, le 27 février, à la mare de Sarrak (située à 40 kilomètres au nord de Boghé), sur la bande d'Id Ou Aïch et d'Oulad Talha commandée par Ould Assas et la mettait en pleine déroute.

Ould Assas fut grièvement blessé et passa plusieurs mois pour mort. Recueilli et soigné par les Dieïdiba, il fut reconduit, sur la fin de sa guérison dans l'Adrar. Le cadavre pris pour le sien, sur le champ de bataille, était celui d'un indigène des Euleb. Trente autres Maures restaient sur le terrain. Un noir blessé et fait prisonnier était ramené à Boghé. Cet indigène n'était autre que l'artilleur bambara qui avait déserté en 1904, après avoir tiré sur son chef, le lieutenant Coupaye; il avait porté les armes contre nous en diverses circonstances notamment, contre les détachements français qui ont sillonné le Tagant en 1905.

Le combat de la mare de Sarrak eut une importance politique considérable et ramena le calme dans la région du Chamama.

Dès lors, la présence des spahis n'étant plus d'une nécessité urgente à Boghé, le peloton reçut l'ordre d'exécuter une tournée de police dans le cercle du Brakna pour consolider par cette manifestation les résultats obtenus.

En même temps, les prises importantes faites sur les tribus dissidentes du Gorgol, à Mbout, permirent de rendre aux habitants des villages riverains du Sénégal une partie des biens qui leur avaient été enlevés par les bandes d'Assas. Un millier de moutons furent ainsi répartis à Podor entre les indigènes qui avaient été les plus éprouvés.

Les pillages, commis sur les populations maures, étaient moins importants que ceux dont les indigènes du Sénégal étaient victimes.

104 Les Id ag Jemouella avaient, le 2 janvier 1907, un troupeau de 60 bœufs enlevé, à 4 kilomètres du poste de Mal; les Rahahla, campés dans le Chamama, à proximité des Dabaï et attaqués par la bande des Trarza dissidents Oulad Ahmed ben Dâmân, avaient deux hommes tués et un blessé; les Tâgât, réfugiés à 150 mètres du poste d'Aguiert, se voyaient enlever leurs troupeaux par les Oulad Bou Sba; ces derniers purent être rejoints par une reconnaissance qui reprit les biens volés, après avoir tué un des pillards.

D'autre part, le chef des Oulad Normach dissidents, Bakkar ould Ahmeïada, attaquait vers la fin de janvier, les Toumoudek de Sidi-l-Mokhtar; les Touabir M'haïmdat, accourus au secours du campement, contribuèrent à repousser cette attaque dans laquelle furent tués 9 hommes: le propre frère de Bakkar, Omar Bou Salif, du côté des Oulad Normach, et 8 Toumodek et Touabir.

Quelque temps après, il pillait le village de Mbagne (mai 1907). Énergiquement poursuivi par le lieutenant Chabre, il est atteint à Chagour, mais peut encore échapper, abandonnant toutefois une grande partie de son butin.

Après quelques exploits de ce genre, et notamment le pillage dans la région du Mal, le 8 novembre 1907, d'un campement Torkoz qui eut 18 hommes tués et se vit enlever un nombreux bétail, Bakkar était assassiné dans la nuit du 30 décembre par un de ses hommes, à la suite d'une altercation violente. 4 hommes de sa bande rentraient immédiatement à Aleg et faisaient leur soumission.

Le ralentissement des rezzous et surtout l'occupation de plus en plus efficace du Tagant permirent à ce moment-là la suppression des petits postes du début. C'est ainsi que Guimi et Aguiert disparaissent en fin 1906; Mal, en septembre 1907.

A la même date, on envisagea un instant l'évacuation d'Aleg et le transfert de la capitale du Brakna à Chogar. On trouvait Aleg placé dans de mauvaises conditions 105 hygiéniques, et surtout hors du centre géométrique des tribus principales. Le choix se portait sur Chogar, mieux placé pour l'administration des nomades, sis à une vingtaine de kilomètres des meilleures zones de pâturage du cercle, où les chameaux peuvent séjourner toute l'année et à 4 jours du fleuve seulement. De plus, la nature très boisée des environs offre en abondance des matériaux de construction. Ce projet fut ajourné, et malgré qu'il ait été repris plusieurs fois, n'a jamais abouti.

Le 4 juin 1908, un convoi de ravitaillement, montant vers Aleg, est attaqué à Azlat par quelques dissidents, conduits, a-t-on dit, par Seneïba. Ils tuèrent les mulets à coups de couteaux et fusillèrent l'interprète noir et plusieurs gardes qui s'étaient laissés surprendre.

En novembre 1908, Cheikh vint à Aleg pour saluer le colonel Gouraud, Commissaire du Gouvernement, et palabrer avec les tribus.

En fin décembre 1908, et au début de 1909, Ahmeddou fait une apparition dans le Brakna et jusque dans le Chamama pour entraîner la dissidence des tribus, et surtout des Oulad Ahmed. Pourchassé, il ne put donner suite à son projet et s'enfuit.

Par la suite, on voit Hobeïb, frère d'Ahmeddou, incursionner aussi dans le Brakna et se faire donner, mi de gré, mi de force, des cadeaux par les marabouts ou les Toucouleurs. Il est plusieurs fois mis à mal par les gens d'Eliman Abou.

Le retour de l'Adrar de la colonne Gouraud, en décembre 1909, amena la soumission à peu près générale de tous les chefs rebelles du Trarza et du Brakna: Ould Deïd, Isselmou ould Mokhtar Oummou, Ahmed ould Bou Bakar, Lobat ould Ahmeïada, Sidi Ahmed ould Bou Bakkar, etc., se présentent soit à Boutilimit, soit à Aleg par des chassés-croisés plus ou moins habiles, et déposent les armes. Il ne restait plus en dissidence que Seneïba, qui revenait à son tour 106 quelques semaines plus tard, et l'émir Ahmeddou, qui, irréductible jusqu'au bout, s'enfonçait vers le sud marocain.

Le 1er juillet 1910, un groupe de pillards enlevait près d'Aguiert 70 chameaux aux Tâgât, et le lendemain pillait une caravane de dioula à Lekfotar et brûlait les correspondances enlevées d'un courrier.

Le lieutenant Bourguignon rattrapait les pillards à la passe de Tizigui, reprenait marchandises et chameaux enlevés et tuait 2 pillards. La leçon fut salutaire; elle amena leur soumission presque immédiatement à Chingueti.

Peuple heureux, le Brakna n'a désormais plus d'histoire.

Le cercle du Brakna fut constitué dans sa première forme par un arrêté du Gouverneur général du 26 décembre 1905; il était formé des anciennes régions de Mal et de Regba, auxquelles fut jointe la partie de l'ancienne région de Gorgol, située sur la rive droite de cet oued. Le chef-lieu en fut Aleg, avec deux résidences annexes: Boghé et Mal.

Le cercle devait être remanié et délimité par l'arrêté du Gouverneur général, en date du 26 décembre 1912. Il était borné au nord par le cercle de Tagant, à l'est par le Gorgol, à l'Ouest par le Trarza, au sud par le fleuve Sénégal, le séparant de la colonie du même nom. Il comprenait en cet état le Brakna proprement dit, ou territoire des Maures, avec Aleg comme chef-lieu, et le Chamama, zone d'inondation du Sénégal, peuplé de Noirs (Toucouleurs), avec Boghé comme chef-lieu. Aleg restait la capitale du cercle.

Un arrêté du 30 juin 1918 a partagé le cercle en deux nouveaux cercles, calqués sur ces deux régions géographiques: le premier, qui conserve son nom de Brakna, est le cercle Maure et reste soumis à un officier (Aleg); le second, qui prend le nom de Chamama, est un cercle Noir, et se trouve désormais commandé par un administrateur (Boghé). 107 Nul doute qu'un avenir prochain ne mette fin à ce partage inutile, et même fort gênant, et ne ramène les choses en leur état antérieur.

Le Brakna maure actuel comprend quatre grandes régions naturelles; l'Amechtil, pays des grandes dunes et des puits profonds. Le sol, surtout sablonneux, est partout très perméable—L'Agan, région de dunes et de roches. Les mares et les oglat y sont nombreux, et l'eau y persiste longtemps, suivant les pluies, et quelquefois toute l'année. L'Akel, région intermédiaire entre les deux autres; le sol assez compact retient l'eau. Les mares et les oglat y sont nombreux, mais l'eau ne persiste que pendant deux ou trois mois après l'hivernage. L'Aftouth, qui s'étend au nord du Chamama, dont il le sépare par une ligne de dunes de faible altitude. C'est un pays de «tamourt» nombreuses (cuvettes, déversoirs de bassins fermés), où l'eau abonde en hivernage, tandis qu'en été, on la trouve à faible profondeur. Les principales sont l'Aguiert, Guimi; Chogar-Toro; Lemaoudou; Aleg (bassin de l'Oued Katchi); Mal, qui se déverse quelquefois dans le Sénégal par le Khat; la rive droite du bassin du Gorgol avec les tamourt de Dionaba, Chogar-Godel, et enfin les oueds Lgoussi, Mouit, Mounguel. La rivière la plus importante du Brakna est l'oued Katchi (prononcé à peu près Katyi, Kaki) dont le cours a environ 170 kilomètres et qui se jette dans le lac d'Aleg. Les lits de ces tamourt et oueds sont formés d'une bonne terre alluvionnaire, où les haratines maures font leurs lougans.

La transhumance des troupeaux est soumise à la règle générale des tribus du nord immédiat du fleuve: réserver pour la saison sèche les points où l'eau sera abondante et facile à prendre, c'est la loi du moindre effort. Aussi, dès le début de l'hivernage, tout le monde s'éparpille, fuyant les grands tamourt où pullulent mouches et moustiques. L'oued Katchi est la plus grande région d'attraction, l'herbe et l'eau y abondent et les campements peuvent s'installer 108 sur les plateaux qui l'entourent, plateaux assez dénudés, d'où le grand vent chasse les moustiques. Lorsque les premiers froids ont détruit les moustiques, que les petites mares sont à sec, on se rapproche des grands tamourt. Lorsqu'en ces puits l'eau a disparu, on creuse les oglat. A mesure que la sécheresse augmente, beaucoup d'oglat se dessèchent. En mai-juin, les tribus sont toutes concentrées autour des 4 ou 5 points d'eau principaux; Aleg, Guimi, Mal, le bassin de Gorgol et autour des grands puits.

LIVRE II
CHRONIQUE ET FRACTIONNEMENT DES TRIBUS


Les tribus qui habitent actuellement le territoire brakna sont d'origine arabo-berbère, comme toutes les tribus de l'Afrique du Nord et de l'Afrique occidentale.

Certaines sont nettement d'origine arabe: ce sont les hassanes[6] Oulad Abd Allah (I Oulad Normach et II Oulad Siyed) et III, Oulad Ahmed, qui se rattachent, comme on l'a vu plus haut aux invasions arabes des quatorzième et quinzième siècles. Leurs généalogies claires, simples, incontestées chez eux et au dehors, les lient indiscutablement à ces grands condottieri qui descendent du Sud marocain. Ce sont eux d'ailleurs les seuls qui portent le nom de «Brakna». Le pays a pris d'eux le nom de «territoire brakna» ou «territoire des Brakna» (trab Brakna), parce qu'ils en étaient les maîtres politiques, mais ce serait faire une injure grave aux tribus maraboutiques que de les appeler «Brakna». Elles sont simplement, à leur dire, domiciliées sur le territoire brakna.

[6] La numérotation indique l'ordre d'étude de ces tribus.

Nos prédécesseurs sur la terre sénégalaise avaient, dès le dix-huitième siècle, fait la distinction, sans toujours bien se rendre compte des faits. Voici par exemple Labarthe, qui dit: «La troisième tribu, appelée Ebraquana, s'étend à 110 l'est de celle Aulad el Hagi... Les Maures Braknas font partie de la tribu Ebraquana.» (1784). Les «Maures Bracknas» sont pour lui évidemment les hassanes, ou vrais Brakna commandés par «Hamet-Mocktard». C'est exact. Mais il fait erreur quand il veut les insérer dans une tribu Ebraquana. Il n'y a pas de tribu de ce nom, autre que la première, quelle qu'en soit l'orthographe, mais il y a un territoire brakna, où nomadisent d'autres tribus que les Brakna.

La deuxième couche des Brakna est constituée par les tribus tolba ou zouaïa, dont nous avons fait les «tribus maraboutiques» et qui sont plus nombreuses d'ailleurs que les tribus guerrières. Ce sont les: IV Dieïdiba; V Zemarig; VI Kounta; VII Torkoz; VIII Hijaj; IX Id Eïlik; X, Id ag Jemouella, ceux-ci se prétendant Chorfa; XI Tâgât; XII Tolba Tanak; XIII Ahel Gasri; XIV Draouat; XV Tachomcha. Ces tribus maraboutiques sont toutes d'origine berbère, encore qu'elles se donnent par delà leur ascendance berbère-marocaine une lointaine extraction arabe. Il est d'ailleurs avéré que, soit dans leur passé sud-marocain, soit depuis les invasions hassanes, quelques gouttes du sang arabe se sont infusées à leur sang, de même que du sang berbère s'est répandu par les mariages dans les veines des hassanes. Ces tribus berbères sont en général celles qui ont pris part à la grande guerre de Cherr Babbah (dix-septième siècle), dont l'issue malheureuse les a définitivement muées en marabouts.

Viennent enfin au troisième degré les tribus zenaga proprement dites, c'est-à-dire «tributaires». J'ai expliqué dans l'Émirat des Trarza que zenaga avait perdu son sens originel de Çanhadja, pour prendre celui de «tributaire», encore qu'il y ait des tributaires qui ne soient pas Çanhadja et des zenaga-Çanhadja qui ne soient pas tributaires. Il n'y a pas à y revenir ici. Ces tribus zenaga, qui vivaient à demi-guerrières dans le sillage des hassanes et avaient réussi 111 à se faire respecter d'eux, sont les XVI, Behaïhat; XVII, Soubak; XVIII, Toumodek; XIX, Tabouit; XX, Touabir.


La mosquée d'Aleg.
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Il ne reste à ajouter à cette nomenclature que XXI, le village sédentaire (dabaï) d'Aleg, dont la création ne remonte qu'à notre occupation (fin 1903).

Avant d'entamer l'étude directe de chaque tribu, il faut donner, au moins pour la perfection de la documentation, les prétendues et fantaisistes—au moins pour la plupart—origines arabes que se donnent les tribus du Brakna.

Sont Qoreïchites: les Oulad Abd Allah (Oulad Normach et Oulad Siyed), les Oulad Ahmed, les Kounta, les Hijaj.

Sont Himyarites: les Dieïdiba, les Torkoz, les Tâgât; les Id Eïlik, les Soubak, les Toumodek, les Behaïhat, les Arallen, les Touabir.

Sont Chorfa: les Id ag Jemouella.

CHAPITRE PREMIER
OULAD NORMACH

1.—Historique.

On a vu dans la première partie de cet ouvrage les origines et l'histoire des Oulad Normach. Jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, en effet, cette dynastie dirige le sort des Brakna et l'histoire de l'une n'est que l'histoire des autres.

Vers 1780, le pouvoir passe définitivement aux Oulad Siyed dans la personne de l'émir Mohammed ould Mokhtar. C'est à cette branche cadette qu'est lié désormais le sort de la tribu. Pour continuer à suivre l'histoire des Oulad Normach, il faut la reprendre à cette date.

Ahmeïada, fils ou petit-fils de Ahomel Heïba, paraît être mort, ou en tout cas avoir perdu le commandement de la confédération vers 1780. Une tradition dit qu'il aurait été assassiné par ses gens révoltés. Il laissait de nombreux enfants, dont les plus connus, pour avoir joué un rôle ou pour avoir laissé une descendance subsistant aujourd'hui, sont Mohammed, Mokhtar Cheikh, Sidi Ahmed, Hiba et Bakkar. Ces enfants étaient tous en bas âge: ce fut sans doute une raison de plus, qui permit aux Oulad Siyed de se substituer aux Normach.

113 A l'intérieur des Oulad Normach, l'anarchie régna plusieurs années. Mohammed, fils aîné d'Ahmeïada, parvenu à l'âge d'homme, refusa de faire valoir ses droits et se convertit au maraboutisme. Ses jeunes frères s'étaient retirés chez les Oulad Eli de Gorgol, dont le chef Sidi Heïba avait épousé leur sœur Fatima Ahmeïada. Dès qu'il fut à l'âge d'homme, Mokhtar Cheikh, deuxième fils d'Ahmeïada décida son beau-frère à combattre les Oulad Normach et leurs berbères zenaga Oulad Aïd. Il ne subit que des échecs et se rendit compte qu'il ne pourrait par la force assouvir sa haine et venger la mort de son père. Sidi Heïba essaya alors de diviser les Oulad Normach et leurs tributaires. Il «fit connaître aux premiers qu'il ne leur en voulait pas, et qu'il ne désirait que vivre en bonne intelligence avec eux, pourvu qu'ils se séparassent des Oulad Aïd».

Les Oulad Normach allaient accepter, quand Mokhtar Cheikh leur demanda audience. Dès qu'ils l'eurent mis au courant de leur projet d'abandonner les Oulad Aïd, pour éviter la continuation des hostilités avec les Oulad Eli, il les en dissuada, leur déclarant que cette action serait indigne de leur passé et de leurs aïeux, qui, eux, n'avaient jamais abandonné leurs vassaux. Il leur fit comprendre que Sidi faisant une telle proposition, n'avait d'autre but que de les diviser et de les vaincre en détail, puisqu'il n'avait pu les anéantir, lorsqu'ils étaient réunis. Il ajouta que s'il le fallait, pour l'honneur du nom, il n'hésiterait pas à marcher contre les Oulad Eli eux-mêmes, dans les rangs des Oulad Aïd.

Les Oulad Normach auraient été tellement touchés du raisonnement de Mokhtar Cheikh et de son dévouement à sa tribu d'origine qu'ils déclarèrent qu'ils ne pourraient avoir un meilleur chef que lui, lui dressèrent une tente au centre du campement et lui rendirent l'héritage paternel.

L'ambition du fils d'Ahmeïada, seul chef désormais des Oulad Normach, était satisfaite. Il déclara la guerre aux tribus des régions voisines, Trarza, Tagant, et jusque dans 114 le Hodh. Avec les Oulad Siyed il fut en lutte perpétuelle. Il tua ainsi près de Kaédi Sidi Heïba son beau-frère, qui l'avait élevé. Il fit si bien qu'à la fin de son règne, les deux tiers des hommes valides de la tribu étaient morts sur les champs de bataille. Il fut enterré à Chogar.

Son frère Heïba ould Ahmeïada lui succéda.

L'alliance conclue par son prédécesseur avec les Ahel Soueïd Ahmed, qui habitaient le Tagant, fut consolidée et il leur vint en aide contre les Chratit, leurs cousins. Il continua la lutte contre les Oulad Siyed et Oulad Eli et mourut un an après, de la variole.

Il fut remplacé par son frère, Sidi Ahmed, dont la mère appartenait aux Ahel Mohammed Aïda, famille régnante de l'Adrar. Celui-ci conclut la paix avec toutes les tribus originaires de la souche Oulad Abdallah et elles déclarèrent alors la guerre aux Oulad Ahmed, qui, quoique Brakna, faisaient toujours bande à part.

La guerre ne dura que quelques années, car les Oulad Ahmed vaincus demandèrent la paix. Ils s'empressèrent du reste de la violer en assassinant Heïba ould Sidi Ahmed à Tamourt Nadj.

Les Oulad Ahmed se vengèrent, avant même d'attendre le successeur de leur chef tué, Brahim ould Mokhtar, qui se trouvait dans le Tagant, lors de l'assassinat de son oncle. Ils massacrèrent près de Chogar toute une caravane Oulad Ahmed. Quelque temps après, Brahim épousa une jeune fille des Oulad Ahmed et les deux tribus se réconcilièrent.

Pendant tout le temps que dura le commandement de Brahim, Oulad Ahmed et Oulad Normach vécurent en bonne intelligence, nomadisant ensemble. Pendant l'hivernage, ils vivaient sur l'oued Katchi à Guimi, à Tamersnat et dans l'Agan. Pendant la saison sèche, ils étaient installés: les Oulad Normach, au nord du Chamama, en face la province du Lac, dont les habitants étaient leurs amis; les Oulad Ahmed, en face du canton des Aleïbé.

115 Toutes deux marchaient ensemble contre leurs ennemis communs, les Oulad Siyed.

Ces derniers vivaient constamment près du fleuve, en face du canton de Toro, qui s'étend de Edi à Podor, et dont les habitants leur étaient aussi dévoués que ceux du Lac l'étaient aux Oulad Normach.

Quelque temps avant la mort de Brahim ould Mokhtar Cheikh, son cousin, Mokhtar ould Ahmeïada, essaya de lui enlever le commandement. Il ne parvint qu'à opérer une scission dans la tribu. Elle se fractionna en deux groupements, dont chacun eut un chef indépendant. Celui de Brahim continua à vivre avec les Oulad Ahmed. Cette situation ne se prolongea pas au delà de deux ans, car, à la mort de Brahim survenue vers 1871, Mokhtar put réunir à nouveau les deux campements et en devint le chef.

La guerre continua avec les Oulad Siyed, entrecoupée par de courtes périodes de paix.

De 1871 à 1876, les hostilités furent ininterrompues. Elles aboutirent à la paix de 1876, à la suite de la victoire de Khaïrou Eli remportée par les Oulad Siyed.

La guerre commença en 1878, sur la demande d'un nommé Ali Salim de Guidabé, qui avait eu son père tué par les Oulad Siyed.

Mokhtar ould Ahmeïada ayant accepté, la lutte dura quatre ans, à la suite desquels, Sidi Eli demanda la paix par l'intermédiaire de Sidi Mohammed Bekkaï ould Cheikh Sidi-l-Mokhtar. Lorsqu'elle fut conclue, Oulad Siyed et Oulad Normach réunirent leurs campements et nomadisèrent ensemble. Le tamtam de guerre fut confié à Mokhtar ould Ahmeïada en sa qualité de descendant direct de Normach.

Cette entente fut de courte durée, car en 1885, Nabra, fils de Bakkar ould Soueïd Ahmed, chef des Id Ou Aïch, alliés de longue date aux Oulad Normach, ayant tué, en duel, à Iguig, comme on l'a vu dans la première partie, Mokhtar fils d'Ahmeddou chef des Oulad Siyed, ceux-ci considérèrent 116 les Normach comme complices du meurtrier. Les campements se séparèrent et la guerre recommença.

Cette fois-ci, les Oulad Normach s'allièrent avec les Trarza al-Biodh; et les Oulad Siyed eurent les Trarza al-Kohol comme partisans. La lutte dura cinq ans. En 1890, les amis des Oulad Normach ayant perdu leur chef Amar ould Salim, rentrèrent chez eux.

Mokhtar ould Heïba, chef des Oulad Normach, ayant été abandonné par les Arabes de sa tribu, dont le chef était son frère Mohammed et qui était allé vivre près du fleuve, fut obligé de demander la paix à l'émir Ahmeddou, des Oulad Siyed.

Ahmeddou la lui accorda et il vécut avec quelques haratines près de Chogar et de Guimi, tant que les Oulad Normach furent commandés par son frère, puis par le fils de ce frère, son neveu Mohammed. Celui-ci vivait aussi en bonne relation avec les Oulad Siyed, dont le chef était le mari de sa tante Oum Mouminin mint Heïba.

Le jeune chef des Oulad Normach mourut à Cascas, en 1892, et son oncle ne lui survécut que d'une vingtaine de jours. Ceux des Oulad Normach qui vivaient avec Mokhtar ould Ahmeïada descendirent près du fleuve et campèrent avec leurs compatriotes. Le chef de la tribu Sidi Ahmed, vécut en bonne intelligence avec les Oulad Siyed, dont il devint en quelque sorte un des vassaux. Il est bon de dire que sa parenté avec Ould Assas, fils d'Ahmeddou et de sa tante Oum Mouminin, lui facilitera beaucoup les rapports avec les Oulad Siyed, dont Ould Assas commençait déjà à suppléer le chef.

Pendant ce temps, Bakkar, fils de Mokhtar ould Ahmeïada, âgé de 16 ans, vivait dans la tribu des Oulad Ahmed avec sa mère Mint Dioghédan. Quand il fut en état de porter le fusil, il commença, avec ses camarades du même âge des Oulad Ahmed, à piller les Oulad Siyed. En 1898, à la tête d'une bande dans laquelle se trouvait Brahim ould Ahmoïmid, ancien chef d'un campement Oulad Ahmed, Omar 117 ould Bou Salîf, Mohammed Brahimat, et Mokhtar ould Naïm, il se rendit au campement des Oulad Siyed et y tua Mohammed ould Ahmeddou, dont le frère Mohammed Krara avait tué son frère aîné Brahim ould Mokhtar ould Ahmeïada, à Guimi.

Entre temps, avec les Oulad Biri et les Oulad Ahmed il se battit contre les Oulad Siyed, les Oulad Normach commandés par son cousin Sidi Ahmed et contre les Dieïdiba. Il ne voulut pas rentrer dans sa tribu, trouvant dans sa haine pour les ennemis de son père la volonté de vivre loin des siens, ne voulant pas habiter dans une tribu qui pliait devant la volonté des Oulad Siyed.

En 1901, les Touabir Oulad M'haïmidat et les Oulad Yara, battus par les Oulad Siyed, qui épousaient la querelle des Oulad Kohol allèrent trouver Bakkar chez les Oulad Ahmed et lui demandèrent de marcher avec eux contre leur ennemi commun. Ils trouvèrent les Oulad Ahmed à Tamourt Nadj. Leur chef Ahmoïmid leur déclara qu'il était prêt à épouser leur querelle, pourvu qu'ils le reconnaissent comme chef et non Bakkar, qui dans le campement n'était qu'un étranger.

Après avoir été du même avis que Ahmoïmid, Oulad Mohaïmidat et Oulad Yara se récusèrent, dès qu'ils furent dans le Chamama avec les guerriers Oulad Ahmed. Furieux, Ahmoïmid chercha à se réconcilier avec les Oulad Siyed. Lorsque sa tribu connut ses démarches, elle l'abandonna et se choisit comme chef Brahim ould Ahmoïmid, son cousin germain. Pendant ce temps, Séneïba était dans le Tagant. Dès qu'il apprit les difficultés éprouvées par Ahmoïmid, il revint chez les Oulad Ahmed et s'il ne parvint pas à déposséder Brahim, il réussit du moins à lui enlever une partie de ses tentes. Les Oulad Ahmed furent alors partagés en deux campements. En même temps, Bakkar prenait le commandement des Oulad Normach en remplacement de Sidi Ahmed, destitué pour sa faiblesse à l'égard de la tribu ennemie, les Oulad Siyed.

118 Oulad Normach, Oulad Ahmed, Touabir Oulad M'hamidat et Oulad Yara se préparèrent activement à la guerre contre les Oulad Siyed lors de notre arrivée en Mauritanie en 1903.

C'est alors que l'émir Ahmeddou, ses Oulad Siyed et ses partisans attaquèrent la mission Coppolani à Aleg.

Les ennemis des Oulad Siyed, sous le commandement de Bakkar ould Ahmeïada, firent alors cause commune avec nous.

Mais par la suite, au fur et à mesure de la progression de notre occupation, plusieurs personnages se détachèrent de notre alliance, et notamment Bakkar ould Mokhtar.

Après avoir pillé pendant plus d'un an les tribus du cercle de Brakna, Bakkar avait pris la route de l'Adrar pour ne pas subir un jugement prononcé contre lui.

Il se signala par ses rezzous jusqu'en janvier 1907, date où il fut assassiné par un de ses compagnons de rapines, Mokhtar ould Leïli, des Oulad Mansour.

Tableau généalogique des chefs Normachi actuels.

Ahmeïada,
dernier émir Normachi
(† vers 1780).
 
 
Mohammed. Mokhtar Cheikh,
1845.
Sidi Ahmed. Hiba. Bakkar.
 
 
Ahmed. Brahim. Mokhtar. Mohammed.
 
Eli.   Mokhtar Cheikh.   Brahim,
tué par Ahmeddou Krara.
  Hiba,
tué par les Siyed.
 
Ahmed.   Ahmeïada.   Hiba,
mort en bas âge.
  Mohammed. †
 
 
    Bakkar,
né en 1878, tué en dissidence en 1907.
  Sidi Ahmed,
né vers 1882.
 
    Mohammed.     Mohammed.
 
 
    Hiba,
dit Lobat, chef actuel.
  Mokhtar. †
 

119 A l'heure actuelle, subsistent:

a) de la famille de Mokhtar ould Hiba ould Ahmeïada, son fils aîné, Mohammed, qui versé dans le maraboutisme, a refusé le commandement de la tribu; sa mère n'était qu'une concubine de Mokhtar; son dernier fils Hiba, dit Lobat, chef actuel de la tribu et qu'on retrouvera plus tard;

b) de la famille de Mohammed ould Hiba ould Ahmeïada, frère du précédent: Mohammed, né vers 1906, fils de son fils Sidi Ahmed. Il est élevé par sa mère, chez les Oulad Ahmed. Tous ses autres fils ont été tués, Hiba par les Oulad Siyed à Ouezzou, Mohammed et Mokhtar, un peu plus tard;

c) de la famille de Mokhtar Cheikh ould Ahmeïada son arrière-petit-fils, Ahmed ould Eli et ses deux petit-fils Mokhtar Cheikh et Ahmeïada, fils de Brahim. Ahmed ould Eli, né vers 1908, n'est qu'un enfant qui a remplacé son père Eli ould Ahmed. Celui-ci, né vers 1876, courageux, éloquent, généreux, était très aimé de la tribu, qui espérait en lui un chef. Il fut dissident jusqu'en janvier 1908, date à laquelle il fit sa soumission. Il est mort vers 1914. Mokhtar Cheikh est né vers 1865. Il ne descendit du Tagant dans le Brakna, que pour solliciter l'emploi de chef des Oulad Normach, chaque fois qu'elle se trouvait vacante. Candidat malheureux, il regagnait toujours son pays natal, après un court séjour dans le Brakna. En 1906, après la bataille de Niémelan, à laquelle il prit part vraisemblablement, Mokhtar Cheikh partit dans l'Adrar avec les Oulad Soueïd Ahmed. Mais quelques mois après, ayant vu arriver dans l'Adrar Bakkar ould Ahmeïada et la plupart des membres de sa famille, il vint faire sa soumission pour solliciter à nouveau le commandement des Oulad Normach. Son frère cadet, Ahmeïada, est né vers 1880. Il vit dans la fraction de sa mère, les Oulad Soueïd Ahmed, avec lesquels il partit dans l'Adrar, après l'attaque de Tijikja, où il se distingua;

120 d) de la famille de Mokhtar, dit Badior, fils de Normach subsistent deux branches issues de ses deux fils: Samba et Ahmed. Le chef de la première est Samba ould Mohammed ould Sidi Ahmed ould Abd allah ould Samba. Les chefs de la seconde sont: Ahmed et Mohammed ould Brahim o... ould Ahmed;

e) de la famille d'Al-Mekhaïlig ould Normach subsistent plusieurs tentes, dont les chefs sont Samba et Brahim ould Mokhtar ould Siyed ould Mokhtar Salem ould Eli ould Amar ould Al-Mekhaïlig;

f) de la famille d'Abd Allah ould Normach, subsiste la tente de Yahdi ould Amar ould Ahmed Mahmoud ould Eli ... ould Abd Allah;

g) les descendants de Siyed ould Normach sont les Tiab ould Normach;

h) d'Ahmed ould Normach, le fils aîné, seul, Baouba, a sa postérité chez les Normach: les chefs de tentes sont: Mohamed Saloum ould Mbarek Fal ould Eli Saloum ould Mohamed Saloum ould Baouba, et Amar ould Mohamed ould Brahim ould Othman ould Baouba. Le fils cadet a laissé aussi des descendants, qui se sont maraboutisés et fondus chez les Tagnit.

2.—Fractionnement.

Les Oulad Normach, victimes de leurs dissensions perpétuelles, sont aujourd'hui réduits à un chiffre infime. Ils comprennent 75 tentes et 339 individus. Encore de ce chiffre les tiab et les haratines constituent-ils la plus grande partie.

tentes personnes bovins ovins camelins ânes
Normach nobles 10 78 34 215 10 6
Haratines Normach 39 179 23 685 2 17
Tiab Normach 26 82 58 173 2 17
__ ___ ___ ____ __ __
75 339 115 1.073 12 40

121 On remarquera que cette tribu guerrière ne possède pas un seul cheval. Ce petit fait indique nettement sa décadence. Ils n'ont pas de marque, suivant la coutume des guerriers.

Ils nomadisent en hivernage, entre Aleg et Daguet Mémé; en saison sèche, au Sud de Mal et aux environs de Dielowar. Leur territoire de commandement était compris, à notre arrivée, entre Mal, Cascas et l'oued Katchi. En cas d'insuccès dans leurs luttes contre les Oulad Siyed, ils refluaient vers le nord: Chogar, Guimi, Aguiert, se rapprochant ainsi des Oulad Ahmed, leurs alliés ordinaires.

Les marabouts des Oulad Normach sont: les Dieïdiba et les Id Eïlik; ce sont ceux-ci qui, depuis plusieurs générations, ont fourni leurs cadis. C'était jadis Tig ould Al-Atig. En 1915, ils l'ont abandonné et usent maintenant des bon offices du cadi de la deuxième fraction des Id Eïlik Kabir ould Al-Aqel, des Ahel Aleg. Au surplus, l'influence religieuse des uns et des autres est bien minime. On ne rencontre que quelques Normach pourvus de l'ouird.

Le chef général des Normach est actuellement Lobat (de son vrai nom Hiba ould Mokhtar ould Hiba). Sa mère Oumm Mouminin ment Mohamed Jerdane est des Oulad Ahmed. Il est né vers 1895, et exerce malgré sa jeunesse son commandement avec beaucoup de doigté. Encore enfant à notre arrivée, il suivit les siens dans leur dissidence. Il se trouvait au combat des Touigdaten, près d'Ajoujt où fut tué le capitaine Repoux, puis revint dans le Brakna et fit sa soumission après la mort de son frère Bakar. Il repartit en dissidence en fin 1908 avec ses oncles maternels les Ahel Bou Bakkar, des Oulad Ahmed, fit partie de quelques rezzous dans le Regueïba et le Hodh, et se soumit en fin 1909 avec Mohamed ould Bou Bakkar. Le droit au commandement lui revenait par hérédité. Deux mois après son retour, il en était pourvu en remplacement de Mohammed ould Badior, chef intérimaire. Ce jeune et intelligent pillard de 122 la veille comprit qu'il devait se rapprocher des Français pour restaurer sa tribu. Il vint donc habiter Aleg au début de 1912, et suivit pendant plusieurs mois les cours de l'école. Puis trouvant que les progrès n'étaient pas assez rapides, il alla faire un an d'études à la médersa de Saint-Louis et deux années à la médersa du Boutizimit. L'ex-chef Mohammed ould Badior assurait son intérim. Rentré en novembre 1916 à Aleg, il suivait quelque temps encore les cours de l'école locale, puis jugeant son instruction terminée, il reprenait le commandement de sa tribu. Aujourd'hui il parle et écrit convenablement le français.

C'est un chef excellent, qui se tient très bien et qu'il ne faut pas juger sur son maintien d'ex-écolier qui lui fait du tort. Il a fait preuve pour lui comme pour les siens de beaucoup d'énergie. Son ambition serait de restaurer le prestige de sa tribu en mettant la main sur ses anciens tributaires qui lui ont échappé. Mais c'est là de l'histoire ancienne. Les Touabir veulent bien encore faire des cadeaux aux Normach, et le 13 novembre 1916 cinq zenaga lui remettaient officiellement le horma classique, mais ils tiennent par-dessus tout à leur indépendance recouvrée, et nous ne pouvons, malgré toute notre sympathie pour Lobat et les siens, qu'approuver cette régénération des Touabir.

Les notables de la tribu Normach sont: a) Mohammed ould Brahim ould Ahmed, dit Badior (ould Bakkar ould Ali ould Ahmed ould Hiba ould Normach). Son grand-père Ahmed fut un guerrier cruel; ses exactions sur ses zenaga Touabir, dont il pillait sans répit les troupeaux lui valut le surnom de «Badior» qui est le nom d'une maladie qui décime les moutons. Mohammed ould Badior, comme on l'appelle communément, semble avoir joué un rôle assez effacé avant notre arrivée. Il ne partit jamais en dissidence, non plus que sa famille. Aussi après le départ de Bakkar ould Mokhtar fut-il nommé chef, comme étant le notable le plus représentatif, il fut remplacé au début de 1910 par 123 Lobat, héritier naturel, et assura les intérims de celui-ci pendant ses absences. Retiré dans sa tribu, il y vit aujourd'hui tranquille et assez besogneux.

b) Yahdi ould Amar ould Ahmed Mahmoud ould Eli ould Abd Allah; Ce personnage, né vers 1848, paraît être le notable le plus important des Normach. Il est très renommé pour sa science médicale et s'était acquis dans l'exercice de cet art un beau cheptel de bœufs et de moutons. Il prit part à Tartonguel à l'échauffourée qui mit aux prises Oulad Normach et Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar et, à la suite de ces incidents, fut le principal artisan de la dissidence des Normach. Il fut notamment le mauvais génie de Bakkar ould Ahmeïada en le dissuadant de se rendre auprès des autorités du Brakna et en lui conseillant la fuite vers l'Adrar. Il partit lui-même peu après en dissidence, entraînant un grand nombre de tentes. Il retint Bakkar dans le Nord tant qu'il put et ne fit lui-même sa soumission que parmi les derniers. Au cours de son exil, il fut victime de plusieurs pillages, qui ont considérablement diminué sa fortune. Il faut signaler dans l'entourage de Yahdi le forgeron Qassim ould Al-Kehel, intelligent et ouvert, qui paraît n'avoir suivi Bakkar et Yahdi dans l'Adrar que par fidélité à ses chefs.

c) Bou Daha ould Qadiri, né vers 1888. Il est issu d'une famille de Tiab ould Normach redevenue guerrière. Vigoureux, sans fortune, orphelin, il prit la vie de pillard qui convenait le mieux à son tempérament. Quand cet art devint trop dangereux dans le Brakna il suivit Bakkar dans l'Adrar et fut de toutes ses razzias. Après la mort de son chef de bande, il fit sa soumission, et depuis cette date s'est tenu tranquille.

d) En dehors des personnalités précitées, il n'y a guère à signaler que quelques jeunes gens, de plus ou moins d'avenir: Samba ould Siyed, né vers 1892, neveu de Yahdi, chez qui il vit; Brahim, son frère, né vers 1895, Abd Er-Rahman 124 leur cousin. Ils ont tous suivi le chef de famille dans l'Adrar.

Chez les Haratines Oulad Normach, les personnages principaux sont les deux frères Khanfari (Sidi Bouna), né vers 1878, et Ahmeïada, né vers 1878, fils d'Eliman ould Yarg. Ils ont été tous deux de fidèles compagnons de Bakkar. Dans leur campement vit le fils d'une bonne famille normach, orphelin de père et de mère, Mahmoud ould Eïbouti. Il l'a suivi dans sa dissidence comme dans sa soumission.

Les Haratines ne témoignent que d'une piété fort minime. Rares sont ceux d'entre eux qui ont reçu une affiliation, toujours qadrïa d'ailleurs. Ils nomadisent en tout temps sur l'oued Katchi et dans l'Oubeïr, entre Aleg et Kaédi.

Ils on pris, comme leurs maîtres hassanes, depuis notre arrivée, le feu lam-alif des Id Eïlik, contre-marqué d'un trait inférieur, soit .

Les Tiab ould Normach sont comme leur nom l'indique, les descendants de guerriers Normach qui, lassés de leur vie d'aventure ou plus probablement incapables de la continuer en face de dangers trop grands pour leur courage, ont abandonné le statut des guerriers et ont déclaré vivre en bons et pieux musulmans. Certains campements mènent cette vie depuis fort longtemps, tels les Ahel Melkhail, qui se convertirent une génération après Abd Allah; d'autres sont venus «à la voie droite» tout récemment, tels les Ahel Khajaj. Au surplus, le nombre de ces Tiab varie; s'il augmente tous les jours par l'afflux de nouveaux éléments, il subit aussi des déperditions, car des familles converties n'hésitent pas à reprendre les armes, quand l'occasion s'en présente.

Le nom de Tiab Oulad Normach qu'on leur donne n'est pas exact. Il y a bien des Normach, mais il y a aussi des Oulad Oubbeïch, frères de Normach, les uns et les autres Oulad Mohammed. Il y a aussi des Oulad Naggad, frères 125 des Oulad Mohammed, les uns et les autres Oulad Abd Allah. Le vrai nom devrait être Tiab Oulad Abd Allah. Au surplus, le chef est d'origine neggadi, et non normachi. Mais l'habitude est prise aujourd'hui.

C'est à la tente des Ahel Bou Bakkar qu'appartient héréditairement le pouvoir. Aujourd'hui, à cause du jeune âge du représentant de cette famille, le commandement est exercé par Sidi-l-Mokhtar. Abd El-Ouadoud ould Mohammed Mokhtar ould Abd El-Ouadoud ould Mohammed ould Bou Bakkar ould Samba ould Siyed ould Normach est né en effet vers 1890 seulement.

Son père étant mort peu après, le commandement fut donné à Sidi-l-Mokhtar ould Samba (ould M'hammed ould Amar Fal ould Ahmed ould Mohammed ould Samba ould Neggad). Cette famille compte en effet parmi les plus influentes, car son ancêtre Semba ould Neggad, passe pour être le premier qui se convertit et donna naissance à la tribu. Ce chef n'est jamais parti en dissidence et fit sa soumission dès le début. Il remplit très convenablement ses fonctions, quoique déjà âgé et parfois radoteur. Il est qadri par l'imposition de Cheikh Sidia, auprès de qui il est allé séjourner quelque temps.

Le maître d'école de la tribu est Mostafa ould Ahmijen, personnage insignifiant. Les Tiab Normach envoient la plupart du temps leurs enfants étudier chez les Dieïdiba, Tagag et Hijaj; mais en réalité, ils ne se piquent ni de culture ni de piété.

Les notables sont: Mohammed Mahio ould Maïef; Mohammed Mokhtar ould Mohammed Salem; Ahmeïdou ould Maïef.

Jusqu'à 1904, les Tiab vécurent sous la dépendance directe du chef des Oulad Normach et firent donc partie intégrante de cette tribu. Au départ de Bakkar, on leur a rendu leur autonomie et ils l'ont conservée depuis.

Ils apposent le feu lam-alif sur la cuisse gauche de 126 leurs animaux, avec comme contre-marques l'outarde patte de poule ou la croix .

Terrains de parcours. Hivernage: entre Guimi et Chogar Gadel, ainsi que dans l'Agan et Akel. Saison sèche: à l'est de Chogar Gadel et Mouit.

Les Tiab Normach n'ont qu'un maigre cheptel. C'est une tribu pauvre et sans importance, qui n'a rien gagné à revenir à Allah.

CHAPITRE II
OULAD SIYED

Tableau généalogique des chefs Siyed actuels.

Aghrich.
 
Mokhtar.
 
 
1. Mohammed,
†  vers 1804.
2. Sidi Eli Ier,
vers 1804 † 1818.
Sidi Mohammed.
 
 
3. Ahmaddou Ier,
1818 † 1841.
Mohammed. Mokhtar.
 
 
7. Sidi Eli II,
1858 † 1893.
4. Mokhtar Sidi. 6. Mohammed Sidi,
1851 † 1858.
5. Moh. Râjel,
1842-1851.
 
Moh. Al-Habib,
† 1900.
Mohammed.
 
Othman. Hachem.
 
 
8. Ahmeddou II,
1893-1903.
Mokhtar,
† 1884.
Moh. Krara. Bakkar. Hobeïb,
chef actuel.
Sidi Moh.
 
  Ould Assas,
1907.
Mokhtar. Mokhtar. Sidi Mohammed.
 
    Ould Assas.
 
 
    M'hamed.
 
 
  Sidi.
 
 
    Bakkar.
 
128

1.—Historique.

Il n'y a pas à revenir ici sur l'histoire des Oulad Siyed. Tout ce qui les concerne a été dit, soit au livre premier «Histoire générale», soit au chapitre précédent, relatif à leurs cousins les Oulad Normach. Il ne reste qu'à rattacher les personnages actuels aux gens et aux événements du passé.

L'émir Ahmeddou II ould Sidi Eli est resté l'irréductible ennemi du début. En dissidence depuis 1903, il a reculé d'année en année devant les progrès de notre occupation: le Tagant, l'Adrar, la zaouïa de Smara, et finalement, depuis 1909, le Sud marocain l'ont tour à tour hébergé. Il a toutefois esquissé une tentative de rapprochement en 1914. Il s'en fut trouver le caïd Aïad al-Djerari à Agadir et écrivit, par l'intermédiaire des Gouvernements marocains et aofien, à ses anciens fidèles pour leur demander des subsides. Sa lettre ne trouve aucun écho dans le Brakna. Bien plus le chef de son ancienne tribu maraboutique, les Dieïdiba, lui fit cette réponse typique. Le texte français est de l'auteur lui-même.

De la part de Mustapha ould Oudâa et de la Djemâah des Djedjé ba à M. Hamedou ould Sidi Eli.

Monsieur,

Nous avons l'honneur de vous faire savoir que nous sommes en possession de votre lettre que nous avons vivement acclamée et reçue avec grand plaisir.

Quant à votre observation, on voit clairement que la discontinuation de liaisons entre nous ne vous plaît pas, mais est-ce à nous, Dieïdiba, qu'il faut donner le tort? Nous n'avons fait que rester dans nos parages. 129 A l'arrivée des Français, tout le monde était parti en dissidence parce qu'on les croyait plus méchants qu'ils ne le sont. Nous autres, nous n'avions été nulle part. Nous gardons toujours notre pays de peur qu'en notre absence, on ne le confiât à un chef étranger, c'est-à-dire qui n'appartient ni à nous ni à notre famille.

Maintenant la tranquillité est partout. Les Français donnent à tout le monde la liberté d'appliquer ses anciennes coutumes. D'ailleurs les chefs Arabes ont aujourd'hui le sort qu'ils n'ont jamais eu autrefois; on leur obéit à souhait et ils ont encore le droit de recevoir exactement tout ce que leurs administrés donnaient dans le temps.

Toutes les autres régions, telles que Trarza et Oulad Bieri, n'ont qu'un seul chef à la tête de chacune. Il n'y a que Brakna qui est occupé par plusieurs chefs, et cela ne tient qu'à ce que vous n'y êtes. A notre avis, il faut revenir pour contenter votre peuple en le dirigeant au lieu d'autres. C'est assez abandonné. D'abord les Européens sont devenus maîtres partout; c'est inutile de résister contre eux. Aussi il vaut mieux se soumettre avant d'être pris par force.

Dans le cas que vous voudrez vous rendre, n'ayez qu'à nous le dire à nous-mêmes, pour faire la négociation avec les Européens.

Devant cette réponse qu'il n'attendait pas, Ahmeddou finit par lâcher le parti Makhzen et se rapprocher d'Al-Hiba. Celui-ci, dans l'espérance de l'utiliser quelque jour, le traîne à sa suite quand il en a besoin, et l'entretient tant bien que mal. En 1919, Ahmeddou était campé dans l'Oued Noun et vivait avec ses gens des libéralités des chefs tekna: Mohammed Yahia ould Hiba, chef des Azouafid, et Mokhtar ould Nojem, chef des Aït Lahsen. Ahmeddou est aujourd'hui un vieillard de soixante-quinze ans. Il paraît, vu la situation du Brakna, absolument inoffensif. Il relève déjà de l'histoire. Sa femme Moumina ment Mohammed ould Heïba, mère d'Ould Assas est décédée, en 1917, à Tizouit, dans le Chamama chez les Oulad Siyed.

Il a laissé comme postérité connue dans le Brakna: 1o son petit-fils Ould Assas (Sidi Eli) junior, fils posthume d'Ould Assas ould Ahmeddou, le chef des rezzous du début. Ce jeune homme, né vers 1907, vit son grand-oncle Hobeïb chef de la tribu; 2o et 3o ses fils M'hammed, né 130 vers 1899, et Sidi, vers 1900, tous deux avec leur père dans leur Sud marocain; 4o Bakar, né vers 1900, qui campe tantôt chez son oncle Hobeïb, tantôt chez Cheikh Fal; 5o une fille Garmi, campée avec sa mère chez les Chratit de l'Assaba. Elle vient de temps à autre chez les Oulad Siyed.

Parmi les frères d'Ahmeddou fils de Sidi Eli, il faut citer: 1o Mokhtar, vu plus haut, et tué en 1884 par les Ahel Soueïd Ahmed; sans postérité; 2o Mohammed Krara, le meurtrier de Brahim ould Mokhtar ould Ahmeïada, le Normachi. Il est mort en 1904 à son retour de Saint-Louis. Il a laissé deux fils: Mokhtar, né vers 1899, qui campe chez son oncle Hobeïb, et Sidi Eli qui campe chez les Ahel Bou Bakkar (Oulad Ahmed); et deux filles, dont l'une est mariée chez les Tabouit et l'autre chez les Oulad Ahmed; 3o Mohammed, tué par Bakkar en 1900. Il a laissé un fils, actuellement en dissidence et une fille, Garmi, jadis mariée avec un Dâmâni, aujourd'hui divorcée; 4o Bakkar, décédé vers notre arrivée, et dont le fils Mokhtar, né vers 1885, partit en dissidence avec son oncle l'émir Ahmeddou, est revenu avec l'aman, le 23 décembre 1918. 5o Hobeïb, chef actuel des Oulad Siyed et qu'on verra plus loin; 6o Sidi Mohammed, né vers 1879, et tué en 1905 par les Oulad Dâmân; il a laissé un fils: Sidi Mohammed, né vers 1905, et emmené en dissidence par son oncle l'émir Ahmeddou, chez qui il se trouve toujours, et une fille Mahjouba. Leur mère Moïnetou ment Toumoni, hartanïa, est avec eux dans l'oued Noun; 7o Fatma, veuve de l'ex-émir du Trarza, Ahmed Saloum II, et qui a deux enfants: Sidi Eli et Cheikh Saad Bouh; 8o Mouminin, veuve d'un Id ag Fari.

Dans la branche collatérale, descendance de Sidi Mohammed ould Mokhtar ould Aghrich, et qui a fourni deux émirs siyed, il faut citer; 1o Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi, qui, père et fils, ont été vus plus haut. Mohammed al-Habib, qui s'était retiré chez les Oulad Dâmân, rentra par la suite au Brakna et y finit tranquillement ses jours 131 vers 1900, dans le campement d'Ahmeddou. Il a laissé une fille et deux fils: Othman, né vers 1870, qui est en dissidence avec son parent dans le Sud marocain, et Mohammed, né vers 1880, qui campa chez les Oulad Siyed; 2o Hachem ould Mohammed ould M'hammed Sidi († 1858); ex-chef de la tribu pendant trois ans, et relevé de ses fonctions. Né vers 1888, c'est un homme apathique, sans autorité et sans prestige. Ses frères et sœurs sont décédés depuis longtemps.

3o Hamoud, fils de l'ex-émir Mohammed Râjel (1842-1851) et qui n'a pas de postérité; 4o Boya, sœur dudit Hamoud, qui a épousé un Dâmâni, du nom d'Amar et en a plusieurs enfants, actuellement chez les Oulad Dâmân.

Une branche collatérale plus éloignée, celle de M'khetir (frère d'Aghrich) ould Seddoum ould Siyed subsiste encore de nos jours. Le chef en est Sidi ould Ahmeddou ould Sidi ould Othman ould Brahim M'khaïtir; et les principaux notables: Baouba ould Otham, Brahim ould Terraza et Amar ould Bakar.

Restent enfin trois branches collatérales, plus éloignées encore, et se rattachent à Sidi Ahmed, Amar Lobat et Eli, tous trois frères de Seddoum et fils de Siyed.

Leur descendance subsiste à l'heure actuelle et se trouve au bas des tableaux généalogiques:

Tableau no 1.

Sidi Ahmed.
 
Brahim.
 
Bou Bakkar.
 
Kheddouch.
 
Bou Bakkar.
 
 
Othman. Mohammed.
 
 
Mohammed. Sidi Eli. Brahim
dit Bouya.
Bou Bakar.

132 Tableau no 2.

Amar Lobbat.
 
 
Benioug. Barani.
   
 
Lamin Fal. Hamouna. Benioug.
 
Boustan. Lamin.
 
Mohammed Fal. Sidi. Mokhtar.
 
Brahim. Mokhtar. Sidi Ahmed.
 
Mohammed Fal. Sidi. Mokhtar.
 
 
Brahim. Ahmed Fal. Mohammed. Sidi Ahmed.

Tableau no 3.

Eli.
 
Soueïd Ahmed.
 
Mohammed.
 
Sidi Ahmed.
 
Mohammed.
 
Mohammed.
 
Mokhtar,
élève de la médersa.
133

2.—Fractionnement.

Ce fractionnement classique des Oulad Siyed s'est établi ainsi jusqu'à nos jours.

Oulad Siyed.   Oulad Siyed proprement dits.
Oulad Mansour.
Haratines Oulad Siyed.
Haratines Oulad Mansour.
Haratines Tanak.
Aralen.
Ahel Ghaïta, Azafal et Igdala.

Sous notre occupation, les zenaga Aralen et les haratines Ahel Ghaïta, Azafal et Igdala ont été constitués en fractions autonomes. Elles n'en continuent pas moins à vivre dans le sillage de la tribu et en rapports étroits avec elle.

Les Oulad Siyed proprement dits ont pour chefs Hobeïb, frère germain de l'émir Ahmeddou II, fils de l'émir Sidi Eli II, et chef général de la tribu. Il est né vers 1870; sa mère était Garmi ment Lamin Fal.

A notre arrivée (1903), dès que la dissidence de l'émir Ahmeddou fut avérée, Coppolani songea aussitôt à donner un chef aux Siyed, restés fidèles et qui formaient un bloc d'attraction. Son frère, Mohammed Krara fut choisi, et vint à Saint-Louis où il fut agréé. Il était à peine rentré dans le Brakna qu'il mourait (1904).

On confia alors les fonctions de chef à un intérimaire, Sidi Eli ould Kheddich (1904-1909). Sa naissance obscure ne lui assura aucune autorité. Orgueilleux, mais intelligent, il n'osait pas se déclarer en notre faveur, mais souhaitait tout de même notre succès. En 1909, ses exactions et compromissions furent telles qu'on dut l'arrêter et le condamner à cinq ans de prison. Il devait être gracié en 1910.

134 Il fut remplacé alors par son neveu, comme lui cadet éloigné des Abel Aghrich: Hachim ould Mohammed Sidi ould M'hammed ould Sidi Mokhtar à Aghrich. Né vers 1896, Hachim était très jeune à notre arrivée dans le pays. Il partit avec toute sa tribu après l'affaire d'Aleg et vécut avec elle. Il repartit à nouveau avec son cousin. Lorsque ce dernier fut tué à Sarak, il venait de quitter le rezzou pour conduire vers le Nord le butin pris aux Toucouleurs. Il fit sa soumission au capitaine Bablon, à Boutilimit. Nommé chef trop jeune, Hachim n'eut pas l'autorité nécessaire pour se faire craindre et obéir de ses gens, notamment des Haratines Tanak et Oulad Mânsour, qui sont des pillards consommés. Les conseils de son père lui furent de peu d'utilité, non plus que ceux de son oncle maternel Sidi Eli ould Othman ould Bou Bakkar, l'ancien chef. Se sentant peu en selle, il passa le commandement provisoire à son père et vint à Aleg suivre les cours de l'école locale, puis alla à la médersa de Saint-Louis.

A son retour, il ne sut pas mieux asseoir son autorité, se signala par quelques exactions, et finalement dut céder la place, en 1915, au chef de la famille des Ahel Aghrich: Hobeïb, frère d'Ahmeddou.

Hobeïb ould Sidi Eli a épousé une femme des Kounta. C'est un homme intelligent et ambitieux, qui, parti en dissidence à notre arrivée, fit sa soumission en 1909, quand il comprit la ruine définitive de l'ancien régime et se retira chez les Ahel Agd Ammi, des Dieïdiba. Il se déclara dès lors ennemi d'Ahmeddou, et se sauva à Podor, au risque de laisser ses gens partir en dissidence, quand l'ancien émir fit son apparition dans le Brakna. Ce n'était d'ailleurs, de la part d'Hobeïb, qu'une feinte. Il entrait peu après en pourparlers avec les rezzous et ne fournissait aucun renseignement au détachement chargé de purger le Chamama des dissidents. Par la suite, il vécut paisiblement, ne se signalant que par ses compétitions avec Hachim, pour attirer 135 à lui les anciens zenaga d'Ahmeddou. Il attendait son heure qui sonna en 1915. Il reçut alors le commandement des Oulad Siyed. S'il est, de par sa naissance, universellement accepté, Hobeïb n'est pas très aimé; il s'est attiré par ses exactions l'animosité des Arallen qui ont demandé et obtenu en 1917, d'être soustraits à son autorité immédiate. Les Ahel Ghaïta se sont également plaints de lui. Sa jalousie contre Sidi Eli ould Keddich l'a incité à accuser celui-ci de fomenter des troubles, ce qui a valu à Sidi Eli une amende et un séjour obligatoire d'un an à Aleg. Malgré cela Hobeïb reste le seul chef possible. Il est d'ailleurs sévèrement tenu en laisse. En février 1917, il était emprisonné sous l'inculpation de vol de moutons et dissimulation de sommes perçues dans sa tribu pour les orphelins de la guerre. Il fut relâché, faute de preuves, les plaignants ayant arrangé l'affaire entre eux.

Hobeïb est en excellentes relations avec les chefs trarza, depuis Ahmed Saloum II, qui avait épousé sa sœur Fatma. A la mort de cet émir, en 1905, Fatma est venue chercher un asile avec ses enfants auprès de Hobeïb. Celui-ci est également dans les meilleurs termes avec Cheikh Sidïa.

Le successeur éventuel de Hobeïb au commandement des Oulad Siyed est son neveu Mokhtar[7].

[7] Hobeïb est mort de la grippe au début de 1919. Il a été remplacé par Mokhtar.

Les notables de la fraction sont: Hachim ould Sidi, et Sidi Eli ould Kheddich, ancien chef; Mohammed ould Kheddich; Brahim ould Lamin Fal; Bou Bakkar ould Kheddich, vieillard très versé dans l'histoire du Brakna, traditionnaliste oral, à qui il ne manque que de savoir écrire pour se faire un nom de savant réputé.

La fraction comprend vingt tentes et 102 individus. Elle possède 4 chevaux, 23 bovins, 192 ovins, 13 ânes, 4 chameaux.

Les Oulad Mansour, descendance fort réduite de Mansour 136 ould Abd Allah, oncle de Normach et de Siyed, se sont fondus dans ces deux tribus. Ils constituent toutefois chez les Oulad Siyed une petite fraction personnelle de 20 tentes, comprenant 74 personnes. Ils possèdent 37 bovins, 346 ovins et 10 ânes. Ils n'ont ni un cheval ni un chameau.

Leur chef est Bakkar ould Heïnnoun. Un seul notable mérite une mention: Ould Mohammed Tolba.

Les Haratines Oulad Siyed et Oulad Mansour sont restés fidèles à leurs maîtres hassanes, qui avaient pour eux un attachement particulier, car ils étaient considérés comme les tributaires de la couronne. Ils comprennent 32 tentes et 140 âmes, et possèdent 94 bovins, 1.384 ovins et 10 ânes.

Le chef de la fraction était, au milieu du dix-neuvième siècle, Samba Fal ould Douik. Il mourut vers 1875 et eut pour successeur son cousin Khalil ould Kouar. A celui-ci, mort en 1902, succéda le fils de Samba Fal, Baba qui mourut en 1903. Depuis cette date, le chef est Ahmed ould Samba Yarg; le chef des Oulad Mansour, Naji ould Amar. Les principaux notables sont Bouya ould Al-Falli; Bou Bakar ould al-Falli et Aleya ould Yarg.

Les enfants de ces haratines héritaient jusqu'au degré de cousin seulement. Au delà, la succession était partagée par moitiés entre la couronne et les héritiers naturels.

La redevance due aux hassanes était une pièce de guinée «filature» par tente et par an.

Les Haratines Tanak se divisent en deux sous-fractions: Zeïat et Oulad Houm, et comprennent 28 tentes et 112 personnes. Ils possèdent 105 bovins, 803 ovins et 4 ânes.

Ils étaient groupés, à notre arrivée, sous le commandement d'Omar ould Abber. Ils se partagèrent à sa mort, et vécurent ainsi plusieurs années. Ils se sont reconstitués avec Tiouley ould Blal.

Le campement Al-Yarg est composé d'anciens captifs, 137 affranchis jadis par Eli ould Brahalla, chef des Tanak, et donnés par lui à Ahmeddou ould Sidi Fli, émir des Brakna. Ils ne paient pas de redevance fixe, ce qui est déplorable, car les hassanes leur prennent tout ce qu'ils veulent.

Les Zeïat sont libres, parce que descendants d'un hartani Tanak et d'une mère libre. Ils doivent une pièce de guinée ou le lait d'une vache par tente et par an. Ils sont aussi tenus d'aider leurs patrons dans l'achat d'un cheval de race.

Les Arallen (au sing. Aralli) sont les zenaga guerriers de l'émir et de quelques parents de l'émir. Ils lui doivent une redevance annuelle d'une pièce de guinée ou le lait d'une vache. Leur tradition leur assigne nettement une origine berbère et les fait frères de plusieurs tribus çanhadja, et notamment des Arouiejat, d'une partie des Oulad Aïd, des Oulad Al-Fari et même de fractions Tadjakant. Ils seraient sortis des Aroueijat, au temps d'Aghrich (fin du dix-septième siècle), et sous la conduite d'Al-Aouaj conquirent leur demi-autonomie de zenaga guerriers. Ils se sont signalés, au cours de ces deux siècles, par d'incessantes razzias. En 1847, entre autres, nous voyons dans les archives qu'ils pillaient à plusieurs reprises les troupeaux d'Eliman Bou Bakkar, qui finissait par passer le fleuve avec 300 Toucouleurs, poursuivait les pillards et reprenait son bien.

Leur chef, Kheïna ould Mohammed ould Babou ould Al-Aouaj ould Abd Allah ould Moussa ould Arrali, leur assura pendant plus d'un demi-siècle (1830 † 1870) le prestige de parfaits pillards. Il mourait sans héritier vers 1870. Les Arallen se fractionnèrent alors en deux groupes sous l'autorité de Mokhtar ould Chouikh et de Chikh ould Ahmed Tegueddi. A la mort du premier, la Djemaa élut Mokhtar ould Habib, au lieu du fils du défunt, Bouïtou, ce qui accentua encore les dissensions. Elles ne cessèrent de se perpétuer avec les deux nouveaux chefs: Mohammed 138 Foudh ould Al-Falli et Hamoïma ould Mokhtar. Vers 1913 enfin, sur nos conseils, un accord est intervenu et la fraction s'est reconstituée, sous le commandement de Touiguigui d'abord, puis de Hamoïma ould Mokhtar ould Brahim.

Les Arallen ont leurs haratines, ex-captifs qu'ils ont affranchis, et dont ils possèdent les biens: ce sont les Abid Arallen. D'autre part, la coutume de la fraction veut que les filles n'héritent pas; c'est le maître hassani qui prend possession de leur part d'hoirie. En revanche, elles ne paient pas de rafer.

Les notables Arallen sont: Habib ould Al-Khattar; Brahim ould Tegueddi; Mokhtar ould Hobeïb; et Mahfoudh ould Al-Falli.

La fraction comprend 72 tentes et 373 âmes. Son cheptel est de 105 bovins, 803 ovins et 4 ânes.

Les Ahel Ghaïta, Azaffal et Igdalen sont trois fractions de haratines Oulad Siyed qui vivent étroitement unis depuis plusieurs générations. Ils étaient les haratines mêmes du Mahsar, au camp royal, et dépendaient directement de l'émir. A leur retour de dissidence, les chefs Oulad Siyed se virent pour leur châtiment enlever le commandement de ces haratines, qui fut donné à Cheikh Fal. Depuis le 1er janvier 1918, cette autonomie a pris fin et les trois fractions, tout en restant sous l'autorité de Cheikh Fal, ont été rattachées au chef général des Oulad Siyed.

Les Ahel Ghaïta, dont le nom signifierait «qui crient en l'honneur de l'émir» sont d'anciens captifs affranchis par Ahmeddou 1er.

Les Azaffal, dont le nom signifierait «qui entourent la tente de l'émir», étaient les hommes de confiance de l'émir depuis plusieurs générations. Leur ancien chef Koueïri ould Ségou, a donné sa fille en mariage à Cheikh Fal. Ils paient une redevance d'une pièce de guinée ou le lait d'une vache aux héritiers de Sidi Eli.

139 Les Igdalen, dits aussi Guedala, sont les descendants des tribus Godala des auteurs du moyen âge, sous le nom desquels on n'a aucune peine à retrouver le vocable des Gétules de l'ère romaine. Il est d'ailleurs certain que ces Igdalen ne sont qu'une faible partie de la descendance des Guedala; le reste s'est fondu et a perdu son nom dans d'autres tribus.

Le chef de ces trois fractions est la personnalité fort intéressante de Cheikh Fal, de son vrai nom Mohammed Cheikh ould Sidi M'hammed ould M'haïmed, lequel ancêtre était originaire de Hijaj de l'Est. Sa mère est une Dieïdibiya. Né vers 1860, Cheikh Fal fut élevé à Saint-Louis par un traitant qui avait été frappé par son intelligence. Il y apprit à parler le français, à lire et à écrire. Après avoir passé toute sa jeunesse comme boy, garçon de magasin, garçon de café, employé des postes, et portier de la loge maçonnique de Saint-Louis, ce qui donne les raisons pour lesquelles il fait suivre de trois points sa signature, Cheikh revint dans le Brakna, chez les Oulad Siyed.

Il fut employé, étant le seul Maure sachant parler, lire et écrire le français, par l'émir Ahmeddou pour traiter ses affaires avec nos représentants. C'est ainsi qu'il put écrire à M. de Freycinet, alors ministre de la Guerre, une lettre très amicale de collègue à collègue.

Le ministre français envoya alors à Cheikh Fal, comme cadeau, un canon bronzé de petite dimension. Les ennemis d'Ahmeddou furent consternés de voir une arme semblable, mise à la disposition de Cheikh Fal.

Au combat de Ouazan, où les Oulad Siyed luttaient contre les Oulad Normach et les Oulad Ahmed, Cheikh Fal mit le canon en batterie, pointa et fit partir le coup. Le canon éclata, tuant plusieurs hommes et contusionnant fortement le pointeur; l'armée d'Ahmeddou prit aussitôt la fuite. Mais la détonation de l'arme avait été telle que leurs ennemis, pris de peur, se sauvèrent en jetant leurs 140 armes, envoyèrent des parlementaires à Ahmeddou, et la paix fut conclue en faveur des possesseurs du canon.

Cheikh Fal, en 1903, prit part à l'attaque d'Aleg et suivit son chef, Ahmeddou, dans le Regueïba et dans le Tagant.

En 1904, il descendit faire sa soumission. Malgré les marques de bienveillance, qui lui furent prodiguées, il continua à rester en relations avec Ahmeddou, renseignant les mejbour, et ne fournissant aucun renseignement pour nous permettre de les atteindre. Il empêchait même, dit-on, les dissidents en mal de soumission de venir à nous.

Avec le temps, il finit toutefois par se rallier plus franchement, surtout après 1909, où les derniers dissidents disparaissent. Nullement fanatique, très au courant des choses de la Mauritanie et des coutumes indigènes, il fut nommé en 1912, en outre de ses fonctions, agent forestier dans le Chamama. Il y rendit de bons services, mais on a dû finir par le relever de ses fonctions en 1919, après avoir maintes fois constaté que sa sévérité s'exerçait au delà de toute mesure sur ses ennemis, mais que ses amis avaient toute latitude pour commettre les déprédations qu'ils voulaient. Bavard et intrigant, Cheikh Fal est tout de même un homme intéressant[8].

[8] Cheikh Fal est mort de la grippe au milieu de 1919.

Les notables de ces fractions sont: Guenfit ould Amar ould Abid; Mohammed Fadel Allah; Sliman ould Fadel et Mouboud ould Bel-Aïd.

Elles comprennent 45 tentes et 236 personnes. Leur cheptel se compose de 3 chevaux, 45 bovins, 1 chameau, 923 ovins et 23 ânes.

*
*  *

Les fractions Oulad Siyed ne se séparent guère dans leurs transhumances. On les trouve en hivernage, dans les environs de Diguet Mémé, au nord de Chabbour et 141 Kraat-Asfar; en saison sèche à Bou Dioud et Maye-Maye.

Le cheptel de l'ensemble de la tribu est de 7 chevaux, 509 bovins, 6.250 ovins, 5 chameaux, 101 ânes. Comme tous les hassanes, les Oulad Siyed n'ont pas de marque. Quelques-uns ont cependant le feu qaf emprunté aux Dieïdiba, qui sont tous tolba.

La tribu comprend 217 tentes et 1.037 ânes (Recensement 1918). Son cadi particulier est Dida, cadi des Dieïdiba, qu'on verra plus loin. L'esprit religieux de cette tribu guerrière est des plus faibles. Il n'y a qu'un nombre infime de gens à avoir reçu l'ouird et encore n'en pratiquent-ils pas les rites. On cite entre autres, Bou Bakkar Kheddich, Qadri par Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Mostafa ould Cheikh al-Qadi, des Dieïdiba, et le chef de tribu lui-même, Hobeïb, qadri aussi, par le Cheikh Obeïd ould Salim.

CHAPITRE III
OULAD AHMED

1.—Historique.

Au vrai sens du terme, les Oulad Ahmed sont des Brakna, c'est-à-dire des descendants de Barkanni. Leur ancêtre éponyme, Ahmed, est un des nombreux fils d'Abd El-Jebbar ould Kerroum ould Mellouk ould Barkenni. Ils sont donc les cousins germains: 1o des Oulad Abd Allah (Oulad Siyed et Oulad Normach, puisque Mohammed (fils d'Abd Allah et père de Siyed et de Normach) et Ahmed ould Abd El-Jebbar sont tous deux petits-fils de Kerroum; 2o des Oulad Biri, puisque Ahmed précité et Mohammed, père de Biri, sont tous deux fils d'Abd El-Jebbar.

Ce sont donc de vrais Arabes hassanes, du groupe dit Marafra, ou descendants de Marfar ould Oudeï ould Hassan.

Au début du dix-huitième siècle, les Oulad Ahmed, qui ne s'étaient pas encore séparés des Oulad Biri, vivaient avec eux dans l'Iguidi, entre Khroufa et Boutilimit, en bordure des Trarza, ou entremêlés à eux. Quand les Oulad Abd Allah, après la conquête du Brakna, vinrent se fixer dans l'Agan, sous le commandement d'Ahmeïada, les deux tribus appuyèrent vers l'Est. C'est là que les Oulad Ahmed trouvèrent les Oulad Abd Allah. Ils ne les quittèrent plus, 143 fusionnèrent avec eux et arrivèrent à considérer comme un insigne honneur d'être pris pour les descendants d'Oulad Abd Allah, origine que les vrais Oulad Abd Allah leur ont contestée à juste titre.

Des la séparation des Oulad (Mohammed ould Abd Allah en Oulad Siyed et Oulad Normach), les Oulad Ahmed suivirent ces derniers et s'allièrent à eux par des mariages, contractés presque exclusivement entre hommes Oulad Normach et femmes Oulad Ahmed. Quoique considérant les Oulad Ahmed comme des gens inférieurs, les Normach consentirent, par intérêt politique, à leur laisser entendre qu'ils croyaient à une origine commune. Ils affectaient de prendre pour des liens de fraternité ce qui n'était qu'un cousinage. C'est ainsi qu'ils avaient pour eux les égards et traitements qu'on se doit entre membres de la même famille. On sait par exemple qu'il est une habitude chez les Maures, qu'ils soient guerriers ou Berbères, c'est de ne jamais priser, ni fumer, ni parler de femmes ou entendre parler d'elles devant un membre de sa famille, qui ne soit pas de son âge.

Ces flatteries des Normach étaient intéressées, car, par suite des guerres continuelles, le nombre de leurs guerriers avait diminué considérablement et ils devinrent très inférieurs numériquement à leurs adversaires: les Oulad Eli et les Oulad Siyed. C'est alors qu'ils s'allièrent avec les Oulad Ahmed en leur faisant des cadeaux, en les caressant, et en leur laissant piller indistinctement amis et ennemis.

Contrairement aux deux groupes Oulad Abd Allah, les Oulad Ahmed n'exercèrent jamais leur suprématie sur la même région; ils vivaient tantôt dans l'Agan, à côté d'Ouezzan, à Aleg, à Chogar, dans le Chamama, près des Oulad Normach, tantôt à Tamourt Nadj, près des Ahel Soueïd Ahmed.

Les Oulad Ahmed pillaient un peu partout, surtout là où il n'y avait pas de danger, et ils méritèrent le surnom qui leur fut donné par les tribus du Brakna, «les corbeaux».

144 Mollien qui fit, en 1817, le voyage de Podor et qui a laissé sur les Maures des renseignements, généralement exacts, fait des Oulad Ahmed une description peu flattée et non sans fantaisie.

C'est près de ce fleuve (Sénégal) que l'on rencontre les Oulad Ahmed, restes d'une tribu de Bédouins qui a été presque totalement exterminée. Chassée des bords du Nil, où elle était établie, elle vint se réfugier sur ceux du Sénégal, où elle exerça sa fureur sacrilège, même sur les marabouts, crime impardonnable chez les Maures. Le roi des Braknas jura leur perte; leur destruction suivit de près sa menace. Réduits à un petit nombre, les Oulad Ahmed se font remarquer par un caractère féroce; ils le cèdent pourtant en ce point aux Ouladamins (Oulad Delim) qui errent dans le voisinage de Portendic, car ceux-ci sont, dit-on, anthropophages. L'aspect d'un Oulad Ahmed respire, comme celui du tigre, une soif de sang que rien ne peut assouvir; son regard farouche se promène de tous côtés, comme pour découvrir une proie; sa barbe est rare, mais dure et hérissée; son corps est petit, mais plein de vigueur. Son costume est comme celui des autres Maures, excepté qu'il n'a qu'une tunique, qu'il serre autour de ses reins avec une ceinture. On dirait, en voyant son air féroce, qu'il médite de venger la mort de ses ancêtres et de se soustraire au tribut qu'on lui a imposé. Le cri de mort que poussaient ces barbares, en pénétrant dans un camp qu'ils voulaient piller, m'ont dit les Maures, ressemblait au rugissement des bêtes féroces; il glace encore d'effroi les Maures, lorsqu'on l'imite devant eux.

A notre arrivée dans le pays, la réputation des Oulad Ahmed était toujours aussi brillante et nous pûmes constater, les premiers temps, qu'elle était parfaitement justifiée.

On peut dire des Oulad Ahmed qu'ils ont le génie du mal, écrit le lieutenant Duboc en 1907. Il n'y a pas de méfait qui se commette dans le pays sans qu'on ne puisse y trouver la main de l'un d'eux. Ils pillent les caravanes non armées, s'attaquent aux gens inoffensifs, volent la récolte de gomme aux campements de captifs qui sont isolés dans la brousse, leur enlèvent leurs guerbas d'eau pour les faire souffrir de la soif. On peut se rendre compte que le surnom qui leur fut donné par ceux qui ont à souffrir de leur lâcheté, n'a rien d'exagéré.

Avec le temps on a compris que la meilleure solution à cet état de choses était l'utilisation à notre profit de ces 145 qualités guerrières. Les Oulad Ahmed jouent désormais un rôle de couverture militaire sur le front du Brakna. Au début de 1916, on a formé chez eux et avec leurs meilleurs guerriers trois goums de 8 fusils chacun. Les armes, ainsi que 600 cartouches, 12 rahla et 24 guerba, ont été confiés à Seneïba, chef de tribu, de façon à lui permettre de faire partir directement ses hommes de son camp de Chogar sur les traces de l'ennemi. Les Oulad Ahmed se sont ainsi distingués à plusieurs reprises dans la poursuite des rezzous Regueïbat. Ils font de plus de fréquentes reconnaissances sur la ligne Al-Ouasta, In Tichilit, Ouezzan, et envoient les «chouf» vers le Nord.

Pour bien comprendre l'historique des derniers événements et la situation actuelle, il faut d'abord donner le tableau généalogique de la tente princière des Oulad Ahmed.

Tableau généalogique.

1. Ahmed,
ancêtre éponyme.
 
 
2. Bou Bakkar. Rouizi. Al-Afna. Moummou. Rouis. Heddi.
 
 
Fati Omran. Beïhoum. 3. M'haïmdat.
 
4. Mbodye.
 
5. Dadif.
 
6. Bou Bakkar.
 
7. Sidi.
 
 
8. Mbarek. Biram.
 
9. Sidi. Ahmoïmid.
 
 
10. Seneïba. M'moïmed. Mbarek. Mohammed. Sidi Ahmed. Biram.

146 (1) Ahmed l'ancêtre éponyme, fils d'Abd El-Jebbar, a de nombreux frères, Mohammed, l'ancêtre des Oulad Biri Qrah, Abhoum, Besserin, Ajem, ancêtres des petites fractions Ida Qrahoua, Id Abhoum, Ida Besserin et Ijouam, qui vivent chez les Oulad Biri, et enfin Al-Gouassi, ancêtres de la fraction repentie (tiab) de ce nom, qui vit chez les Tagat. Il a en outre six fils: (2) Bou Bakkar, chef après son père, Rouizi et Al-Afna, Moumou et Rouis dont la postérité constitua 4 fractions des actuels Oulad Ahmed; Heddi, dont la postérité est éteinte.

(2) Bou Bakkar, fils d'Ahmed, eut 4 fils: Fati, dont la postérité est éteinte; Omram et Beïhoum dont la postérité s'est fondue chez les Oulad Ahmed; M'haïmdat, qui continua le commandement.

(3) M'haïmdat, (4) Mbodye, et (5) Dadif n'ont laissé aucune trace.

(6) Bou Bakar, fils de Dadif, et chef de la tribu vers le milieu du dix-huitième siècle, est l'ancêtre de la tente princière actuelle des Oulad Ahmed: les Ahel Bou Bakkar, et c'est pourquoi on voit les personnages actuels ordinairement dénommés sous le nom d'Oul Bou Bakkar, encore que quatre générations les séparent de leur ancêtre.

(7) Sidi, fils et successeur de Bou Bakkar eut deux fils: (8) Mbarek et Biram, ancêtres des branches aînées et cadette de la tente princière. C'est de là que partent les dissentiments et rivalités qui ont agité les Oulad Ahmed pendant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, et jusqu'à nos jours.

A Mbarek succéda à la tête des Oulad Ahmed son fils (9) Sidi, et à celui-ci son fils aîné (10) Seneïba. Nous allons voir successivement les cinq fils de Sidi, ainsi que leur cousin Biram ould Ahmoïmid ould Biram ould (7) Sidi et retracer aussi les événements actuels.

Seneïba, né vers 1865, était chef des Oulad Ahmed à notre arrivée; mais d'un caractère mystique et formé à la 147 piété par Cheikh Sidïa, son maître, il avait de plus en plus tendance à se détacher des choses politiques et à se consacrer à la prière. En fait, c'était son frère immédiatement cadet, H'moïmed qui exerçait le commandement. Seneïba, circonvenu par Cheikh Sidïa, fit sa soumission, dès le début. Il fut nommé chef de goum par Coppolani et reçut une mensualité de 300 francs. Cette allocation lui ayant été supprimée, avec la disparition des goums (1905), Seneïba partit en dissidence pour l'Adrar. Il assista à divers razzis, dirigés contre nos sujets brakna, mais ne semble pas avoir pris part à la surprise du convoi de ravitaillement d'Aslat (4 juin 1908), bien qu'on le lui ait reproché. Quelque temps après, il partit pour le Maroc avec un compagnon des Ahel Cheikh Al-Qadi (Dieïdiba) pour faire le pèlerinage de la Mecque. Le Dieïdibi étant mort en route, Seneïba n'eut pas le courage d'aller plus loin: il s'arrêta à Fez, revint à Marrakech, et y vécut assez misérablement. Il demanda l'aman en 1911 et, autorisé à rentrer au début de 1912, sur la demande de Cheikh Sidïa, alla se faire oublier et vivre dans la piété auprès de son maître spirituel. Nous le retrouverons plus bas.

Au départ de Seneïba, son commandement fut disputé entre ses deux frères, H'moïmed, déjà vu, et à qui sa conduite antérieure envers les Oulad Siyed, alors qu'il exerçait le commandement au nom de Seneïba, avait attiré bien des haines, et Mohammed, H'moïmed fut reconnu, mais après une certaine période de tiraillements, il abandonna la partie et se réfugia dans le campement de son cousin Biram ould Ahmoïmid. Mohammed, resté seul, se fit bientôt haïr de ses administrés, qui l'abandonnèrent pour la plupart, et allèrent planter leurs tentes dans le campement de H'moïmed et de Biram.

Les dissensions se perpétrèrent jusqu'à 1908. Les deux partis se dénonçaient eux-mêmes à Aleg. Par Biram, on arrivait à prouver, en mars 1907, que Mohammed avait caché 148 à plusieurs reprises, dans son campement, Bakkar, le chef des Normach dissidents: et que de plus il avait pris part lui-même à des vols à main armée; il fut donc arrêté, ainsi que son jeune frère Sidi Ahmed, et condamné à 8 mois de prison par le tribunal de cercle (1908). Cette aventure réconcilia les frères ennemis. Par la complicité de H'moïmed, Mohammed et Sidi Ahmed ne tardèrent pas à s'évader de la prison de Boghé. Ils pillèrent les campements de leurs dénonciateurs et partirent en dissidence en entraînant leurs frères, et notamment l'inquiet et indécis H'moïmed, quelques Oulad Ahmed et le jeune Lobat, des Normach. Par la suite, on revit maintes fois Mohammed dans les razzi qui s'abattirent sur le Brakna, mais la voix publique prétend qu'il les accompagnait sans armes, et sans prendre part aux pillages. Néanmoins, plusieurs fois, des Oulad Ahmed restés loyalistes et attaqués par les dissidents furent blessés et même tués; et ces faits soulevèrent contre les Ahel Bou Bakar des haines inextinguibles.

C'est ici qu'apparaît Biram ould Ahmoïmid, chef de la branche cadette, à la tête de la tribu. Jusqu'à cette date, il ne s'était guère signalé que comme un coupeur de routes et un condottieri. Il accompagnait, dit-on, Bakkar ould Ahmeïada, quand celui-ci, vers 1898, vint assassiner Mohammed ould Sidi Elî, frère de l'émir. Vers 1901, mis à la tête de leur campement par quelques tentes Oulad Ahmed, mécontentes de Seneïba et surtout de H'moïmed, il fait bande à part et devient chef ouvert de l'opposition. Il se rallia à nous, dès notre arrivée dans le pays, et commanda plusieurs fois un goum de guerriers Oulad Ahmed. A ce titre, il reçoit une mensualité de 300 francs qui lui est supprimée en 1905. Mais plus prudent que son cousin Seneïba, il accepte la chose sans esclandre. Après la fuite de Bakkar, il est accusé de complicité et déporté au Sénégal. Il vécut paisiblement à Kaolak, et fut gracié et 1908. Peu après, le départ en dissidence de ses cousins de la branche aînée 149 le laissait maître de la situation. Il fut élu chef de la tribu.

Son commandement fut des plus médiocres; aussi, dès le retour de H'moïmed, celui-ci fut-il remis à la tête de la tribu (octobre 1910); mais ce n'était pas encore la bonne solution, H'moïmed ayant laissé trop de haines derrière lui, et n'étant pas au surplus le représentant héréditaire des Ahel Bou Bakkar. Biram fut donc réélu un mois après (novembre 1910), mais cette fois avec deux assesseurs (Sidi Ahmed ould Boun et Ahmed Louli), chargés de le surveiller et de contrôler ses actes.

Cependant les Ahel Bou Bakar rentraient peu à peu; ce furent d'abord les deux évadés de Boghé: Mohammed et Sidi Ahmed, puis le chef de la famille, Seneïba lui-même (fin 1911). L'insuffisance du triumvirat, qui gouvernait les Oulad Ahmed, se faisait sentir de plus en plus. Un incident combla la mesure. Une occasion s'offrait pour eux de témoigner de leur dévouement et de leur adresse: c'était la capture de Sidi Lamin ould Bakkar ould Soueïd Ahmed, chef d'une bande id ou aïch qui opérait à cheval sur les cercles du Tagant, de Gorgol et du Brakna. Leur goum n'obtint aucun résultat, alors que les circonstances étaient entièrement favorables pour en finir avec ces pillards. On alla donc chercher Seneïba dans sa retraite spirituelle, auprès de Cheikh Sidïa, et on l'invita à réconcilier les deux partis rivaux: celui du chef Biram et celui de H'moïmed.

Les pourparlers s'éternisèrent et donnèrent lieu à des chassés-croisés amusants. Biram et H'moïmed, inquiets de voir l'influence que Seneïba reprenait rapidement, se rapprochèrent. Biram fit des avances et H'moïmed y accéda en venant planter sa tente chez H'moïmed. Enfin l'accord se fit en 1913. L'énergique intervention de Seneïba réalisa l'unité de la tribu, et comme se fut à son profit que la chose se fit, il fut nommé chef des Oulad Ahmed (fin 1913). Son frère H'moïmed et son cousin Biram restaient chefs de leurs 150 campements respectifs. Depuis ce jour, l'administration des Oulad Ahmed est assurée convenablement.

Seneïba est aujourd'hui vieux, malade, usé. Il faut lui prévoir un remplaçant. Ses candidats seraient ses frères Mohammed et Sidi Ahmed, avec une certaine préférence pour le premier. Ahmed Louleï, lettré distingué et notable de poids, se pose aussi en prétendant. Seneïba est des plus instruits pour un guerrier. Il est toujours dans les meilleurs termes avec Cheikh Sidïa. Son influence morale s'exerce au delà des Oulad Ahmed.

H'moïmed, frère de Seneïba, est le chef du campement dit Oulad Ahmed Blancs. Il vit tranquille chez lui et n'a que peu d'autorité.

Mohammed, frère des précédents, n'a guère fait parler de lui depuis son retour. Après avoir été notre ennemi, de 1903 à 1905, puis de 1908 à 1910, il a servi comme partisan dans le Tagant, et comme chef de goum pendant la colonne du Hodh. Il s'occupe surtout de chasse, et passe pour un excellent guerrier actif et audacieux; il était très craint de tous les marabouts locaux, et ses pillages lui valurent la condamnation précitée. Aujourd'hui il exerce son allant sur les rezzous et ne craint pas de travailler pour son propre compte. Il vit à part, craint et fort respecté. C'est évidemment le seul successeur de Seneïba.

Sidi Ahmed, frère des précédents, semble avoir choisi Mohammed comme modèle. Assez jeune au moment de notre arrivée, il se rallia avec ses frères. Emprisonné en 1908 avec Mohammed et condamné à 6 mois de prison, il s'enfuit avec lui et l'accompagna en dissidence. Il fit partie des razzi et rentra en fin 1909. Il a servi comme partisan de mars 1911 à mai 1912, et a rendu de très bons services dans les recensements du cercle. C'est un très bon guide, parfaitement au courant du pays. Chargé de conduire un goum contre des pillards Ahel Soueïd Ahmed, il n'eut pas assez d'autorité sur ses gens pour obtenir des résultats décisifs. 151 Il fut d'ailleurs choisi à tort pour cette mission, car il était apparenté par sa mère avec les principaux pillards.

Biram ould Ahmoïmid, cousin des précédents, commande actuellement un gros groupement Oulad Ahmed, sous l'autorité de Seneïba. Il n'a qu'une valeur guerrière et une autorité relatives. Il passe pour être un homme loyal, mais fanfaron et prêt à toutes les compromissions pour se procurer de l'argent. Au demeurant, il n'y a rien à craindre de lui.

Un des frères des quatre Ahel Bou Bakar précités, Mbarek, a été tué en 1903 au cours d'un combat contre les Id Ou Aïch. Sa famille vit chez Seneïba.

2.—Fractionnement.

Les Oulad Ahmed se divisent en:

Les six premières fractions sont de pure origine Oulad Ahmed; les Oulad Akerroumt se rattacheraient à Kerroum ould Mallouk par une autre filiation que celle d'Ahmed, et ne seraient donc que les cousins des Oulad Ahmed, mais ils sont aujourd'hui complètement nationalisés dans la tribu.

Les Haratines Oulad Ahmed se divisent en:

152 Ils n'ont pas de chef général. En plus des fractions précitées, un grand nombre de haratines vivent isolés par individus ou par tentes dans les campements nobles.

Les nobles comprennent 62 tentes et 266 âmes; les haratines: 76 tentes et 339 personnes, soit au total 138 tentes et 605 personnes.

Ils possèdent: les nobles: 5 chevaux, 33 chameaux, 50 ânes, 87 bovins et 1.273 ovins; les haratines: 1 chameau, 79 ânes, 164 bovins et 3.863 ovins, soit au total, 5 chevaux, 34 chameaux, 129 ânes, 251 bovins, 5.336 ovins.

Comme tous les hassanes, les Oulad Ahmed n'apposent pas de marque de feu à leurs troupeaux.

Leurs terrains de parcours sont: en hivernage, les rives de l'oued Katchi, les environs de Diguet Mémé, et jusqu'à Chogar; en saison sèche, le nord de Chogar et quelquefois le sud jusqu'à Boghé. Ils ont été jadis les maîtres incontestés de l'Agan et de l'Akel, vers Chogar Toro. On leur reconnaît encore aujourd'hui cette qualité.

Les notables de la tribu sont: a) Mokhtar et Mohammed Mahmoud, fils tous deux d'Omar ould Bou Salif. Cette famille des Ahel Bou Salif, des Rouïssat, est ralliée depuis longtemps à nous. L'un de ses membres, Ahmed Louleï, a toutefois marché avec nous, et a servi comme partisan dans de nombreuses occasions. Il suivit le capitaine Bablon à Akjoujt et lui rendit des services, il fit les colonnes de l'Adrar, du Hodh, et de Smara, tuant dans cette dernière de sa main un chef pillard. Ennemi des Ahel Bou Bakkar, il est un peu le chef de parti de l'opposition, surtout depuis qu'il a échoué à l'élection de chef de tribu. C'est un excellent chef de partisan et un homme dévoué. Son cousin, Sidi Mohammed, se rendit utile au lieutenant Duboc; b) Sidi Mohammed Boun, notable qu'on avait chargé de surveiller Biram et qui se laissa conduire par lui; c) Sidi Ahmed ould Deïna; d) Omar ould Omar Beyat.

Véritable tribu makhzen, les Oulad Ahmed sont armés 153 par nos soins. En outre du goum régulièrement constitué et dont il a été parlé plus haut, ils fournissent des partisans auxiliaires. C'est pourquoi ils sont détenteurs, par nos soins de 71 fusils, dont 31, modèle 92, et 20, modèle 74, aux nobles; et 20, modèle 74, aux haratines.

Les Oulad Ahmed semblent profiter des bons conseils qu'on leur prodigue depuis le début et portent de plus en plus leur activité vers des buts plus lucratifs, sinon moins glorieux, que le pillage et la razzia. Ils s'adonnent de plus en plus aux cultures et surtout à l'élevage. Leurs cultures ont pris, ces dernières années, une certaine extension et notamment par le développement des canaux d'irrigation. Ils ont la coutume, à eux spéciale, de partager leurs lougans en longues bandes orientées nord-sud, et abritées du vent d'est par des plantations de gonakiers. Ils retardent ainsi, par l'ombre de cette haie bien fournie, l'évaporation des eaux.

Moins encore que chez les autres hassanes, on remarque chez eux de manifestations de piété. Le chef de la tribu, Seneïba, en est aussi le marabout. D'être les cousins et champions des Oulad Biri, tolba par excellence du Sud mauritanien, il suffit à l'islam des Oulad Ahmed.

CHAPITRE IV
DIEÏDIBA

1.—Historique.

Le vocable Dieïdiba (ou Djeïjiba) est une corruption de Id Ejba, «les fils d'Ejba», prononciation berbère de Id Eilba ou Id Eïleb. Les Dieïdiba sont donc les cousins des Id Eïleb, ou Deïlouba, de Oualata et du Hodh oriental. Ils sont, de leur propre aveu, d'origine berbère, étant les parents «des Touareg voilés du Sahara». Ils se hâtent d'ajouter, il est vrai et suivant la légende fantaisiste des origines arabes, que par delà leur extraction berbère, ils sont, de par Ejba lui-même, des Himyarites d'Arabie.

Ejba arrivait du Sous. On ne sait rien sur lui. Ses descendants habitaient, dans un passé indéterminé, l'Azaouad, au nord de Tombouctou. Des migrations les amenèrent successivement vers l'Ouest, et vers le seizième siècle, lors des invasions hassanes, ils étaient dans l'Agan. Ils prirent part à la guerre de Boubba contre les Oulad Abd Allah, et furent quasi-exterminés. De cette première unité dieïdiba, il ne reste aujourd'hui qu'une dizaine de tentes. La personnalité la plus en vue en serait Ahmed Mahmoud ould Mohammeda, cadi des Oulad Siyed, qu'on verra plus loin.

155 La tribu devait être reconstituée par l'arrivée d'immigrants Deïdouba, leurs cousins. Cet élément nouveau, plus fort et plus nombreux, submergea les vieux Dieïdiba. Cette migration se produisit entre 1670 et 1700 et se présenta en trois vagues successives: groupement d'Atjfara Brahim et d'Atjfara (Bakkaï) qui étaient cousins; groupement de Chems-eddin dit Zamrag. Ce sont les ancêtres éponymes des trois principales fractions Dieïdiba: Id Atjfara (ou Id ag Fara) Brahim, Id Atjfara (ou Id ag Fara) et Zemarig. A remarquer, dès maintenant, que les Zemarig ont demandé et obtenu leur autonomie, et ne font plus partie, administrativement, des Dieïdiba. Les autres fractions dieïdiba, Ahel ag Ammi Ahel Mohammed Othman, id Ayank, descendent aussi de ces ancêtres communs; mais avec le temps et par suite des rivalités de famille, elles se sont détachées du tronc principal, tout en restant incorporées à la tribu.

Le premier arrivé des immigrants, Atjfara Brahim, épousa, quelque temps après son arrivée dans l'Agan, Fatima, fille d'Aguennoui, le chef des premiers Dieïdiba. Il devint son vizir et recueillit sa succession. Il semble bien que ce chef prit part à la guerre de Boubba. Il n'eut guère pu d'ailleurs agir autrement. D'autres liens patrimoniaux se nouèrent alors et amenèrent la fusion des deux éléments. A la mort d'Atjfara Brahim, la chose est faite. Son fils Ammi (Mokhtar), ancêtre des Ahel Ag Ammi, lui succéda sans difficulté et fut remplacé, à sa mort, par son frère cadet Abhoum qui devait garder dans sa descendance la dévolution du commandement et fut l'ancêtre des Ahel Atjfara Brahim proprement dits (fin du dix-septième siècle).

Au dix-huitième siècle, la tradition donne comme successeurs d'Abhoum son fils Mahim; Agd Abd Allah, fils de Maham; et Imijen, fils d'Agd Allah (cf. plus loin tableau généalogique). Le dix-neuvième s'ouvre sur le commandement de Habibouna Ier fils d'Imijen. Il meurt peu après, laissant deux fils: Qadina et Ahmed Babou. Ils furent successivement 156 les chefs de la tribu, ce qui donne à la postérité de l'un et de l'autre, des droits au commandement. Le dix-neuvième siècle devait être rempli par les conflits, ordinairement suivis de rixes et quelquefois de meurtres, des deux familles. C'est ainsi que vers 1860 Habibouna II ould Cheïbata ould Qadida, assassina Mostafa ould Al-Oudaa Ahmed Babou, alors chef, pour prendre sa place. Mais, quelques jours plus tard, le parti adverse prenait sa revanche et l'assassin était tué, à son tour, chez les Oulad Siyed par Cheïbata ould Al-Oudaa ould Mostafa.

A dater de ce moment, les Dieïdiba, outrés de ces mœurs de hassanes, ont abandonné la branche aînée et ne choisissent plus leurs chefs que dans la tente cadette, celle des Ahel Ahmed Babou.

Les Dieïdiba ont entretenu, au dix-neuvième siècle, des guerres fréquentes contre les Toucouleurs-Aleïbé. Dans le système général des alliances Maures-Toucouleures, c'est avec le Toro qu'ils marchèrent traditionnellement.

Si le commandement politique était dans la fraction Id Atjfara Brahim, l'autorité religieuse, au moins depuis un siècle, était dans la fraction Id Atjfara, et on verra plus loin que le prestige des pontifes était aussi fort que celui des Cheikhs et que même certains visèrent à se substituer à eux.

On a vu dans la première partie que c'est chez les marabouts «Diedhiéba» que René Caillié vint faire son éducation islamique, en 1824. Il n'eut guère à s'en louer.

Depuis un siècle et par suite tant des rivalités religieuses que des contestations de points d'eau, les Dieïdiba sont en lutte armée avec les Oulad Biri. Innombrables sont les combats qui se sont livrés sur les dunes et autour des puits, à la limite actuelle du Trarza et du Brakna. Dans mon ouvrage, L'Émirat des Trarza, j'ai donné un aperçu rapide des derniers conflits et j'ai cité les textes des conventions de 1897 et 1898, par lesquelles le Gouvernement français essayait de mettre fin à cette question brûlante.

157 Cette vieille haine se manifestait encore, en 1908, à propos d'un incident futile: la trouvaille d'un œuf d'autruche par un berger des Zemarig. Quelques Oulad Biri et haratines Oulad Ahmed le lui disputèrent. Une bataille à coups de bâton s'engagea, comme il convient entre marabouts, à qui leur caractère sacré interdit l'usage des armes. Il y eut de nombreux blessés. Le lendemain, les Oulad Ahmed intervinrent, et en leur qualité de guerriers, firent parler la poudre. Cette fois, il y eut des morts; l'affaire fut péniblement arrangée.

En octobre 1917, nouvelle bataille entre les télamides quêteurs des Oulad Biri, conduits par un fils de Cheikh Sidïa en personne et plusieurs tentes Dieïdiba. On échangea de vigoureux coups de bâton.

Les difficultés n'ont évidemment pas cessé à ce jour, et de temps à autre, mais de plus en plus rarement, des coups sont encore échangés à la limite des cercles trarza et brakna, autour des puits de Bir el-Barka, Dokhon, Bou Talheïa. Des conciliations partielles interviennent, quand il le faut. En février 1913, les tribus se mettaient complètement d'accord au sujet des puits de l'Amechtil, qui les divisaient depuis fort longtemps. Une délégation Dieïdiba se rendit chez les Oulad Biri. Ces derniers reconnurent aux Dieïdiba la propriété des puits contestés et les Dieïdiba autorisèrent les Oulad Biri à boire à ces puits.

Un peu plus tard, un accord entre les commandants des cercles du Trarza et du Brakna réglait la question de Bir el-Barka et de la zone de nomadisation environnante des Dieïdiba. En voici le texte; il peut servir de modèle pour les nombreux cas de ce genre.

«Les capitaines commandant les cercles du Trarza et du Brakna ont réuni à Bir el-Barka les chefs, principaux notables et cadis des Dieïdiba et Oulad Biri, afin de régler l'affaire survenue entre Dieïdiba et Laghlal au sujet de ces 158 puits. Quelques épineux, jetés par les Dieïdiba dans le puits, telle fut la cause de l'incident.

«Entre Dieïdiba et Laghlal est survenu un arrangement à l'amiable. Les Dieïdiba reconnaissent aux Laghlal les trois quarts du puits et gardent le dernier quart. Ils s'engagent, en outre, à le remettre en état. Une convention a été écrite par les Laghlal et les Dieïdiba, réglant toutes les questions pouvant être une source de litiges entre les deux tribus, au sujet des terrains de culture et des puits morts.

«Afin d'éviter à l'avenir tout conflit entre Dieïdiba et Oulad Biri, le capitaine commandant le cercle du Trarza restreint du puits de Bir el-Barka à Dokhon la zone de nomadisation des Dieïdiba, tant que les questions litigieuses qui pourraient s'élever avec les Oulad Biri, du fait de leur occupation de cette région, pendant une période de 12 années, n'auront pas été réglées.»

Il est hors de doute toutefois que l'animosité sévit presque aussi fort que par le passé: les relations sont peu fréquentes et peu cordiales. Un fils de notable Dieïdiba, élève de la médersa de Boutilimit, dut être renvoyé par suite de l'hostilité de ses camarades et notamment des Oulad Biri. Divers jeunes garçons Dieïdiba, candidats à la médersa, ont bien spécifié qu'ils voulaient aller à celle de Saint-Louis et non à celle de Boutilimit où ils sont «au contact avec des gens qu'ils n'aiment pas».

Liés de vieille date avec les Oulad Siyed, les Dieïdiba les suivirent en masse dans leur exode, lors de notre occupation. Seuls quelques campements, dont plusieurs Id ag Fara et celui même du chef de la tribu, Ahmedna ould Qadina, n'eurent pas le temps d'enlever leurs marchandises et de faire filer leurs troupeaux vers le Nord. Surpris, ils firent leur soumission sans difficultés. Les autres tentes rentrèrent peu à peu, abandonnant l'émir à son sort. La dernière fraction dissidente fit sa soumission à la fin de mars 1905. Pendant plusieurs années encore, ils conservèrent leur 159 attachement à l'émir déchu, et favorisèrent ses entreprises ou celle de ses alliés dans le Brakna. Leur chef Ahmedna finit par attirer sur lui les foudres de l'administration, lassée d'apprendre que son campement était le refuge de mejbour. Une certaine réaction contre la politique d'approvisionnement de Coppolani se fait alors sentir. «Deux punitions de prison, dit un rapport de juin 1908, lui (Ahmedna) ont prouvé que nous n'étions plus à la politique des pains de sucre.»

Quand Ahmedna dut abandonner définitivement la partie et se retirer dans le Sud marocain, il se trouva encore quatre Dieïdiba pour le suivre dans son exil.

Aujourd'hui la situation s'est parfaitement rassérénée, et ces incidents ne sont plus que de l'histoire ancienne.

2.—Chroniques et fractionnement des Dieïdiba.

Les Dieïdiba se divisent à l'heure actuelle en les dix fractions suivantes:

Id ag Fara Brahim 272 tentes 1.425 âmes
Haratines id. 56 —— 216 ——
Id Atjfara 175 —— 561 ——
Haratines id. 80 —— 344 ——
Ahel Agd Ammi 61 —— 325 ——
Haratines id. 82 —— 488 ——
Ahel Mohammed Othman 45 —— 198 ——
Haratines id. 22 —— 114 ——
Id Ayank 65 —— 283 ——
Asbat Negza 42 —— 135 ——

soit au total 900 tentes et 4.089 personnes.

Les Id Ag Fara Brahim, qu'on prononce souvent avec rapidité Id ag Farabrim ou Id Atjfararim, sont, comme on 160 l'a vu, la fraction princière des Dieïdiba. L'ascendance de la tente du commandement s'établit ainsi:

Atjfara Brahim.
 
 
Ammi,
ancêtre des Ahel Agd Ammi.
Abhoum,
ancêtre des Ahel Atjfara Brahim.
 
Maham.
 
 
Agd Abd Allah. Agda Maham. Agd Haïb Allah.
 
 
Othman,
ancêtre des Ahel Mohammeden Othman.
Imijan. Mohammed Maham.
 
 
Habibouna 1er. Al-Qadi, Akrabat, Ali,   Mostafa,   Saïd,
 
 
  descendance
dans la tribu.
descendance
dans la tribu.
 
Qadina. Ahmed Babou.
 
Cheïbata. Al-Oudaa.
 
 
Habibouna. Mostafa. Cheïbata. Qadina.
 
Khalifa. Moh. Fal. Ahmedna.
 
Mostafa. Oudaa.

La fraction se divise en les sous-fractions suivantes:

161Haratines:   Haratines proprement dits,
Touarig,
Kouar Dieïdiba.

Les Ahel Mohammed Thofeil sont originaires des Ahel Mohammed Othman.

Les Glagma sont originaires du Hodh: le premier qui vint dans le Brakna, au début du dix-neuvième siècle, est un certain Abd Er-Rahman, la Guelguemi.

Les Ahel Agda Nahoui sont la sous-fraction qui eut l'honneur de donner l'hospitalité à René Caillié, en 1824. Il n'en a pas dit le nom, mais il a été facile de le trouver, car il a donné le nom de son maître. Mohammed Sidi-l-Mokhtar, «grand marabout du roi». Ce Sidi-l-Mokhtar ould Mohamedden ould Mostaf ould Agda Nahoui a laissé en effet le souvenir d'un homme de piété et de science. Son descendant, chef du campement, est aujourd'hui Abd Allah ould Mohammed ould Abd Allah ould Sidi Mokhtar. C'est un notable considéré.

Les Id Ou Amin, ou Douamin, sont originaires des Hijaj.

Les Touarig sont d'origines diverses, mais surtout Id Ou Al-Hadj. Jadis libres, ils vivent aujourd'hui avec leurs haratines et se sont négrisés.

Les Kouar Dieïdiba, ou Noirs des Dieïdiba, sont, dit-on, les descendants des Id Agfa (Peul de la rive gauche), qui se seraient mélangés avec les haratines.

Le chef des Id Ag Fara Brahim, chef général en outre des Dieïdiba, est Mostafa ould (Khalifa ould Mostafa ould) Ai-Oudaa. A notre arrivée en Mauritanie, le chef était Ahmedna ould Qadina, cousin de Moustafa. Ahmedna, de son vrai nom Haïb Allah, mais plus connu sous ce sobriquet donné par sa mère; il ne nous donna pas satisfaction. Énergique et obéi, il tenait bien en main sa fraction; mais il se signalait par une sourde opposition à notre autorité, donnait 162 asile au Mejbour, empêchait les Asbat, Tabouit et Id Atjfara, qui se ralliaient moralement, de venir franchement à nous, et nous faisait espionner à Aleg. En 1907, c'est dans son campement qu'Ould Assas, le fils d'Ahmeddou, reçut asile, pendant que ses gens préparaient leur razzia. C'est là que Mohammed Amoïjin, chef des haratines zemarig et notre agent, fut attaché et frappé et n'échappa à la mort que par la fuite. On put craindre, à plusieurs reprise, qu'il ne partît en dissidence, et il l'aurait certainement fait sans la crainte des pillages des Oulad Yahya ben Othman. Il fut destitué, en 1909, et remplacé par Mostafa précité.

Mostafa est né vers 1888, à Bou Talhaya. Sa mère, Çaleha ment Al-Hadj, est des Ida Ou Ali. Son père Khalifa était chef de la tribu, avant Ahmedna. Lui-même a pour l'instant un fils, Mohammed Abd Allah, né en 1915. Mostafa était trop jeune à notre arrivée pour jouer un rôle; il ne partit pas en dissidence, sans doute parce que, comme plusieurs groupements de sa fraction, il n'en a pas eu le temps.

Très ambitieux, il a visé de bonne heure à un commandement et, vers 1906, fit punir de prison ses partisans qui sur ses instructions, avaient dans ce but fait quelque agitation. Fort instruit en arabe, il a voulu savoir un peu de français et a suivi plusieurs mois les cours de l'école d'Aleg. C'est un homme intelligent, énergique et pondéré, qu'il importe de ne pas laisser gagner à la main, comme il en aurait la tendance. Il s'est rendu coupable, il y a quelques années, de fraude dans les recensements: il forçait les rôles de ses ennemis et diminuait considérablement ceux de ses partisans. Mostafa aurait quelque tendance à jouer au chef religieux. Il semble par moments que son désir est d'imiter Cheikh Sidïa. L'opinion publique l'a remarqué, et à plusieurs reprises le bruit a couru qu'il abandonnerait son commandement politique et s'y ferait remplacer par une de 163 ses créatures, pour pouvoir se consacrer à la vie religieuse. Il est actuellement secondé par son cousin et Khalifa: Mohammed Abdou ould Mohammed Mostafa ould Abd Al-Jelil, dit Babia. Ce Mohammed Abdou, né vers 1880, est un homme actif et intelligent.

Les principales personnalités Id Ag Fara Brahim sont: a) Jeddou ould Habbab ould Qadina, des Ahel Qadina, né vers 1848, et candidat perpétuel au commandement de la tribu. Il est naturellement en fort mauvais termes avec Mostafa, comme il l'a été avec ses prédécesseurs, et ne se gêne pas pour signaler ses méfaits. b) Sidi-l-Mokhtar ould Cheikh Abd Allah ould Mostafa ould Sidi Mokhtar Ouali. C'est un chérif, originaire des Id Ag Jemouella, mais il vit avec les Id Ag Fara Brahim, depuis deux générations. C'est un saint homme et un savant professeur. Son école coranique est la mieux achalandée de la tribu. A son prestige personnel il joint la baraka de son père et de son grand-père, qui furent des marabouts célèbres, et surtout de son aïeul, à qui la renommée donna le nom de Ouali; c) Mohammed ould Habib Rahman, chef d'une sous-fraction et adversaire déclaré de Mostafa. Il groupa longtemps autour de lui les adversaires du chef. Las et inquiet, il a fini par abandonner la lutte, et par se retirer dans une autre fraction Dieïdiba.

Les Id ag Fara Brahim sont la fraction la plus importante et la plus riche de la tribu. Ils campent dans la région d'Aleg, des Biar, d'Arona, de Chogar et de l'Oued.

Leurs haratines ont pour chef Mohammed ould Brahim. Ils campent avec leurs maîtres. Quelques tentes passent souvent sur la rive gauche, à Edy, ou ailleurs. D'autres sont au lougan de Ballel.

Les Id ag Fara se rattachent à Atjfara Bekkaï, dont la tradition a laissé tomber le nom de Bekkaï.

164 Voici le tableau généalogique du campement princier.

Atjfara (Bekkaï).
 
Biaye.
 
Aoubak.
 
Al-Mokhtar Nalla.
 
 
Haïb Allah. Abd Allah.
 
 
Atjfara Ahmed Baba. Mbaleïhi. Maham Taka, descendance chez les Id ag Fara.
 
 
Al-Qadi. Al-Hadj.
 
Cheikh Al-Qadi.
 
 
Cheikh Mostafa. Cheikh Abd Er-Rahman. Ahmed Mahmoud.
 
Mohammed Abd Ad-Jelil.
 
 
Mostafa. Moh. Mahfoudh.
 
Moh. Abd Allah, chef de la fraction.

Les Id ag Fara ne sont plus maintenant que deux sous-fractions: Ahel Qadi et Ahel Hadj Qadi. Toutes les autres se sont fondues en celles-là.

Le chef des Id ag Fara était, à notre arrivée, Mohammed Abd Al-Jelilou Id Cheikh Mostafa. Il accompagna les Oulad Siyed vers le Tagant, mais fit vite sa soumission et revint vers ses campements. En même temps que les Dieïdiba se voyaient infliger une forte contribution de guerre, il devait, lui leur chef, passer deux mois à Saint-Louis en résidence obligatoire. Chef intelligent et juste, il accepta, quoique ami d'Ahmeddou, la nécessité de notre domination, maintint la paix chez ses gens et vécut en bons termes avec nous. Il mourut en mai 1912, et était remplacé en août suivant, 165 par son fils cadet Mohammed Mahfoudh; l'aîné avait, en effet, refusé l'autorité.

Mohammed Mahfoudh est né vers 1882. Ainsi que son frère aîné, il partit en dissidence à notre arrivée, séjourna un an dans le Regueïba, mais sans porter les armes contre nous, et fit sa soumission avec sa fraction. Ce sont tous les deux des personnes intelligentes et instruites. Mostafa s'est confiné dans le domaine religieux et, ayant hérité de l'influence maraboutique de la famille, fait le cadi et le professeur de la tribu. Il a un fils, Mohammed Abd Allah, qui semble devoir être le successeur de son oncle.

Il est à remarquer, en effet, que cette tente est, depuis quatre générations, depuis Cheikh Al-Qadi ould Al-Hadj nommément, une véritable pépinière de saints marabouts. Cheikh Al-Qadi fut à la fin du dix-huitième siècle, un des élèves du Cheikh Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir, le Kounti, auprès de qui il resta six mois. Quelques années plus tard, Cheikh Sidïa Al-Kabir devait le suivre dans cette voie. Il avait 40 ans quand il apprit la mystique et acheva par elle ses études. Ce fut un grand pontife, qui a assuré la fortune de sa postérité. Il a été enterré à Bou Talheya, aux côtés de son grand-père Atjfara Ahmed Baba. Son frère, Mostafa ould al-Hadj, fut aussi un marabout de renom.

Les enfants de Cheikh Al-Qadi, tous Cheikh réputés, assirent définitivement la situation maraboutique de la famille.

Cheikh Mostafa fut un saint homme, adonné aux choses du ciel, et qui laissa la direction du temporel à son frère cadet, Cheikh Abd Er-Rahman. Celui-ci, dès le début de juin 1858, se tournait vers l'autorité croissante de Faidherbe et lui écrivait:

Le but de cette lettre est de vous faire connaître que le pays se perd et devient malheureux. Le malheur s'étend sur les habitants du pays et sur les étrangers. C'est une vérité et c'est très sérieux. Il faut que vous songiez à établir la paix et le bonheur sur la terre, et ce sera un bonheur 166 pour vous. La paix n'existera qu'après la réconciliation des Oulad Seïd entre eux. Ordonnez à Mohammed Sidy d'agir dans ce sens et venez-lui en aide.

Cette époque de misère a élevé des individus méprisables et en a abaissé de respectables. Le dernier des guerriers commet des iniquités dans le pays et son chef ne peut l'en empêcher, parce qu'il craint son inimitié. Mohammed Sidy ne songe qu'à établir la paix entre les Oulad Seïd et les Chrétiens. De leur réconciliation résultera le bien du pays. Les actions de Mohammed Sidy ne peuvent le faire considérer comme l'ennemi des Chrétiens.—Souvent il s'est trouvé dans l'obligation d'agir malgré lui, parce qu'il était contrarié, et que les Oulad Ahmed étaient des Trarza et que, s'il avait agi autrement, il aurait été méprisé.—Aujourd'hui il ne songe qu'à réconcilier son peuple; alors, ni les Trarza ni les Oulad Ahmed n'auraient de pouvoir sur lui.

Le Gouverneur doit se souvenir de moi, car il est venu à nous l'année dernière.

Le texte arabe de cette lettre est en annexe.

Le troisième des enfants de Cheikh Al-Qadi, Ahmed Mahmoud entretint aussi une correspondance suivie avec les agents de Faidherbe et tint ce gouverneur au courant de la politique et des faits et gestes d'Al-Hadj Omar.

Cette famille a fourni non seulement les chefs politiques de la fraction, mais très souvent les cadis et chefs religieux de la tribu. Sous le couvert de cette influence, ils ont tenté à plusieurs reprises d'accaparer la direction des affaires. En principe rien ne pouvait être décidé par le chef politique, sans que le cadi fût consulté. Au contraire, il arriva même qu'Abd Al-Jelil, grâce à l'intérêt que lui portèrent les émirs Sidi Eli et son fils Ahmeddou, usurpa les fonctions d'Ahmedna jusqu'à notre occupation. Ce ne fut qu'au départ d'Abd Al-Jelil dans l'Adrar avec son protecteur Ahmeddou qu'Ahmedna dut de pouvoir, en 1903, être réintégré dans son commandement. Il n'y eut d'ailleurs aucun mérite, car si son campement n'avait pas fini avec les autres Id Ag Fara, c'est qu'il n'en avait pas eu le temps.


A gauche: Cheikh M'hammed ould Bekkaï, Chef des Ahel Cheikh.
A droite: Dida, Cadi supérieur des Brakna.

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Les principales personnalités Id ag Fara sont: a) Mohammed Mahmoud ould Al-Mrabet, dit Dida, cadi de la 167 tribu. Dida appartient à une famille maraboutique très influente. L'origine de cette considération remonte à son bisaïeul Al-Qadi ouali renommé, qui mourut vers 1780, et fut enterré à Bou Talheya, où son tombeau est l'objet de pèlerinages. Il était fils d'Atjfara Ahmed Babou, vu ailleurs, et se rattachait ainsi à la ligne même d'Atjfara (Bekkaï). Il laissait quatre fils: Al-Falli, Oummoui, Babana et Haïb qui furent tous de saints personnages. Haïb Allah, mort vers 1815, laissa à son tour plusieurs enfants dont l'aîné, Mohammed Mahmoud, mort vers 1862, fit refleurir toutes les vertus de l'ancêtre. Aussi lui donne-t-on le surnom de Mrabet. Son fils Mohammed Abd Allah n'a pas fait parler de lui. Dida est le fils aîné de Mohammed Abd Allah. Au surplus voici le schéma généalogique de cette famille.

  
Al-Qadi,
† vers 1780.
 
 
Al-Falli. Oummoui. Babana. Haïb Allah,
† vers 1815.
 
 
Mohammed Mahmoud,
dit Al Mrabet † vers 1862.
Ahmeddou. Moh. Mokhtar. Mostafa.
 
Mohammed Abd Allah.
 
Mohammed Mahmoud, dit Dida.

Dida est né vers 1884. Sa mère est d'origine Arallen. Parti en dissidence avec sa tribu, il se soumit avec elle et depuis a eu une attitude parfaitement loyaliste. Il a été nommé cadi de sa tribu en 1909 et, peu après, cadi supérieur du cercle. A ce titre, il jouit d'une grande influence, encore que les ennemis de Dieïdiba eussent préféré un cadi qui n'appartînt pas à cette tribu. En 1912, à la mort d'Abd Al-Jelil et avant la nomination de son fils, il a fait l'intérim de chef de fraction. Il a, de par ses ancêtres, de nombreuses relations dans toutes les tribus du cercle, son père en effet et surtout son grand-père Al-Mrabet ayant 168 été les professeurs et les initiateurs dont relèvent la presque totalité des marabouts et notables de la région. Dida est lui-même un professeur émérite, en qui on s'accorde à voir spécialement un juriste de premier plan. Il enseigne le droit à une trentaine de jeunes gens, surtout Dieïdiba. Sa tente est toujours plantée aux environs d'Aleg. Dida est un homme intelligent, instruit, dévoué, qui nous rend les plus précieux services. Sa popularité lui vaut dans sa tribu et ailleurs, plus spécialement chez les Touabir et Arallen, de nombreux cadeaux. Il est moqaddem qadri par la chaîne mystique suivante, qui se rattache aux Kounta: Cheikh Ahmed Babou ould Al-Hadj; Cheikh Abd Allah ould Mostafa; Cheikh Sidi Mohammed ould Cheikh Abd Allah; Cheikh Mostafa ould Cheikh Al-Qadi; Cheikh Al-Qadi, père du précédent; Cheikh Sidi Mokhtar Al-Kabir, le Kounti.

b) Ahmed Mahmoud ould Mohammedda qui passe pour être un des représentants de la première tribu Dieïdiba. Il est né vers 1863 et a fait ses études auprès de Mohammed Abd Allah, père de Dida. Jadis cadi des Id Ag Fara Brahim, puis cadi des Dieïdiba par la nomination de Coppolani, à la suite de la dissidence du cadi de la tribu, il démissionna pour que ces fonctions judiciaires ne soient exercées que par un membre des Ahel Cheikh Abd Allah. Intelligent et fort instruit, il fut accusé, en 1906, d'avoir fait sa cour au Chérif marocain, en lui faisant don d'une jeune captive. On a pu constater aussi l'élasticité de sa conscience par la proposition qu'il fit d'affirmer, sous serment coranique, l'authenticité de pièces fausses. Il enseigne le droit et un peu de théologie à une vingtaine de jeunes gens. Entre temps, il fait sur Cascas, Boghé et Podor des voyages commerciaux. Il est très connu, mais il ne jouit que d'une influence restreinte.

c) Cheikh Sidi-l-Mokhtar ould Cheikh Abd Allah ould Mostafa. Né vers 1883, il a eu son père pour professeur, 169 mais son père lui-même est un des élèves du grand Al-Mrabet. Il appartient à une tente chérifienne, établie depuis plusieurs générations chez les Dieïdiba. Parti en dissidence avec les siens, il fit sa soumission avec eux, mais affecta longtemps de nous ignorer et resta à l'écart. Il s'est rapproché avec le temps. Il donne l'enseignement coranique à une cinquantaine d'élèves, et fait quelques cours supérieurs. Son influence religieuse s'étend surtout chez les Noirs, Toucouleurs et Ouolof, riverains de Cascas à Saint-Louis. Il a même quelques telamides d'occasion à Sierra-Léone, jeunes gens venus ici par hasard et que son renom a attirés à son ouird. Il voyage souvent sur le fleuve pour son commerce.

d) Cheikh Mohammed Mahfoud ould Cheikh Mostafa ould Cheikh Mohammed Mahmoud. Né vers 1884, il a épousé Maïram, sœur de Dida. Il jouit d'une renommée locale comme professeur et descendant de Cheikh Al-Qadi. Son influence s'étend sur les haratines du Chamama, à l'ouest de Boghé. Il a une trentaine d'élèves, grands et petits.

Les haratines Id ag Fara ont pour chef Abd Allah ould Aïcha. Leurs terrains de cultures sont dans le Regueïba, soit avec les autres haratines Regueïba.

Les Ahel Ag Ammi se rattachent, comme on l'a vu, à Ammi, fils d'Atjfara Brahim. Ils sont donc en principe Id ag Fara Brahim, mais ils se sont séparés de leurs frères, il y a plusieurs générations et ont pris le nom spécial de leur ancêtre, laissant celui de la fraction à la descendance de son frère Abhoum. Ils ne dépendaient donc plus des Id ag Fara Brahim, comme tous les gens des Tassaguert. Si dans les Biar, le droit des chefs (Gach, morceau de la poitrine de toute bête de bétail abattue) était pour les Ahel Oudaa, chez les Tassaguiert, ce droit était payé, pour les Ahel Agd Ammi, à la tente princière des Ahel Haïbelti.

A notre arrivée, leur chef était Cheikh ould Sidi Lamin 170 (ould Mohammed ould Haïbelti... ould Ammi). Il est mort au début de février 1912, et a été remplacé, sur élection de la djemaa, par son fils Naji. Naji est né vers 1890. Sa mère est une Jemouellïa. Trop jeune à notre arrivée, il n'est pas parti en dissidence. Malgré son jeune âge, il gère son groupement avec habileté et énergie. Il est secondé par le notable Mohammeddou ould Habib Allah ould Mohammedden. Les autres notables les plus en vue sont: Habib ould Habib, ancien chef de sous-fraction qui a été condamné le 16 août 1916 à un an de prison, et Mohammed ould Cheddad, qui l'a remplacé comme chef...

Les Ahel ag Ammi n'ont pas de zenaga. Leurs haratines sont sédentaires à Aroua. Ils cultivent en outre des lougans à Balé, en face de Dara et de Paté Gallo.

Les Ahel Mohammedden Othman se sont, comme les Ahel Ag Ammi, détachés des Ahel Atjfara Brahim pour constituer une fraction indépendante. Ils se rattachent à Mohammedden ould Othman, quatrième descendant d'Abhoum fils d'Atjfara Brahim (cf. infra tableau généalogique). La scission paraît s'être produite avec le fils ou le petit-fils de Mohammedden, dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle. A cette date, la fraction, dite aussi des Tessaguert, cessa de donner le gach au chef des Id ag Fara Brahim et le donna à ses chefs: les Ahel Mekhiyen.

Le chef de la fraction est Hamda ould Sidi ould Abdi ould Mekkiyen ould Abd Allah ould Mohammed Othman. Sa mère est une Jemouellïa. Sa famille jouit d'une excellente réputation dans tout le cercle. Lui-même assure son service avec beaucoup de zèle et d'adresse. Il est occasionnellement employé comme assesseur au tribunal de cercle.

La fraction n'a pas de zenaga. Ses haratines sont peu importants et cultivent avec ceux des Ahel ag Ammi.

171 Les Id Ayank ne sont pas de pure origine Dieïdiba. Leur ancêtre Andach était un étranger (halif) venu s'installer chez Atjfara Bekkaï, qui s'y maria et dont la descendance se nationalisa Id ag Fara. Leur chef est Ali ould Mohammed ould Omar ould Mikheïtir ould... ould Andach. Il a succédé, en 1912, à Al-Goumach.

Les Id Ayank n'ont ni zenaga, ni haratines; ils ont de nombreux chameaux, dont Bakar ould Soueïd Ahmed se servit souvent contre nous. Ils nomadisent entre Mal et le Tagant, et ne descendent jamais dans le Chamama.

Les Asbat Negza devraient s'appeler aujourd'hui simplement Ahel Negza ou Oulad Negza. Ce vocable d'Asbat est le souvenir d'un état de choses qui a subsisté pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle et a aujourd'hui disparu. Il rappelle la «confédération» des Id Ayank, des Id ag Jemouella et des Negza. Ces fractions formaient à elles trois un groupement très particulariste, qui, tout en s'unissant par des liens conjugaux, ne fusionna pas. Ils se considéraient et on les considérait comme des «alliés» (Asbat). Par la suite, chacune des fractions a repris son indépendance.

Negza ould Othman, l'ancêtre éponyme des Negza, était originaire des Oulad Aïd du Gorgol, qui ne sont d'ailleurs qu'une colonie des Oulad Aïd du Trarza. Ce sont, comme on le sait, des Zenaga, non tributaires, et guerriers, d'origine arabo-hassanes et qui ont été asservis par les invasions hassanes postérieures. Ce Negza, dont le vrai nom était Mzaïdef, vint s'établir, peu avant 1800, dans le campement de Cheikh Al-Qadi et fut son disciple empressé. Il avait alors 40 ans et était suivi de son fils Ali. Il mourut vers 1812, et fut enterré à Aleb Niatara. Son fils, ayant épousé une haratinïa des Oulad Ahmed, se fixa définitivement chez les Dieïdiba. Les 6 fils d'Ali prirent femmes dans cette tribu et constituèrent l'origine de la fraction. Les Oulad Ahmed 172 les considérèrent pendant un certain temps comme leur zenaga et leur imposèrent un tribut. Mais les Dieïdiba les rachetèrent et se les attachèrent comme télamides. Voici le schéma généalogique de la tente du commandement:

Othman.
 
1. Mzaïdef dit Negza.
 
2. Ali.
 
 
Mahmoud. 3. Soueïd. Mohammed. Brahim. 4. Al-Kouri. Mokhtar.
 
 
7. Al-Kouri. 5. Bachir. 6. Mahfoudh.

Les chefs de fraction se succédèrent dans l'ordre de numérotation du tableau. Bachir (5), qui était mort en 1880, fut remplacé par son frère Mahfoudh ould Al-Kouri. Ce fut lui que Coppolani trouva en 1905 et confirma dans son commandement, à son retour de dissidence avec les Id ag Fara. Chef assez apprécié d'une tribu de voleurs et de pillards, il fut plusieurs fois puni pour avoir donné asile à des mejbour, au début; à des prisonniers évadés, ces temps derniers. Il fut destitué, en 1917, et remplacé par son cousin Al-Kouri ould Soueïdi.

Anciens zenaga, devenus «tiab», les Asbat Negza se ressentent aujourd'hui encore de ces origines. Ils ne jouissent que d'une demi-considération. Ils n'épousent pas notamment les filles des hautes classes dieïdiba.

Ils suivent tous, aujourd'hui comme il y a un siècle, le sillage religieux des Dieïdiba. Ils leur ont emprunté leur feu pour les troupeaux et leur sont, malgré les sollicitations des Zemarig dissidents, restés fidèlement attachés.

Les haratines Dieïdiba doivent leur émancipation à Coppolani. Affranchis des droits de horma à la suite de la rébellion 173 de leurs maîtres, ils furent distribués en autant de campements qu'il y avait de sous-fractions suzeraines, établis dans la région de Chabbour et placés sous le commandement de Mohammed Amouijin, des Zemarig.

Par la suite, ce commandement général a été supprimé et chaque sous-fraction de haratines a son chef particulier.

Les Dieïdiba ont un beau cheptel de 4.030 bovins, 43.144 têtes de petit bétail et 878 ânes. Leurs chameaux sont au nombre de 165, à peu près tous chez les Id ag Fara et Id ag Fara Brahim. A ce propos, on peut remarquer la tendance des Dieïdiba à se partager en deux groupements: l'un à peu près uniquement pasteur et nomade, qui campe dans la région du Nord, à Dokhon, etc. Il est composé des deux fractions précitées; l'autre, campé au Sud, autour du lac, est composé des Ahel Agd Ammi, des Ahel Mohammedden Othman, etc. Ce sont des nomades à petit rayon et des cultivateurs en voie de sédentarisation pendant quelques mois de l'année.

Le feu des Dieïdiba est le qaf , qu'ils apposent sur le côté droit du cou pour les chameaux, sur la cuisse droite pour les bovins. Ils ont de nombreuses contre-marques: le «del» et le madda chez les Ahel agd Ammi; la patte de poule chez les Id ag Fara Brahim; la croix chez les Id ag Fara; les signes ou dans le campement Mrabet, etc.

Les Dieïdiba font, par leurs haratines et même par les plus pauvres d'entre les personnes de condition libre, de nombreuses cultures dans la cuvette d'Aleg. Aleg est un point très important pour les Maures. C'est un centre de cultures: on y fait un peu de riz et beaucoup de mil. Les indigènes y campent une partie de l'année. Ils viennent s'y installer en hiver, après avoir terminé leurs travaux dans le Chamama; ils en repartent en automne, au moment des pluies. Il n'y avait ni villages, ni maisons; Aleg est seulement 174 une grande cuvette où se répandent sur une très grande surface les eaux de l'oued Katchi. La terre appartient exclusivement à la tribu des Dieïdiba; mais ces derniers, moyennant des redevances légères, permettent à d'autres tribus, telles que les Tendra, les Tagnit, les Hijaj, d'y faire des cultures.

Noms des terrains: Fractions auxquelles appartient la terre:
Frioua, Id ag Fara.
Al-Mrifeg, Jeddou Al-Habbab.
Meifed, Ahel Mohamedden Othman.
Gouissi, Ahel Ag Ammi.
Adimmour, Cheikh des Dieïdiba.
Tichetayat, Oulamouichém.
Tidar, Id ag Fara.
Aroua, Ahel ag Ammi.

Les territoires de nomadisation des Dieïdiba sont en hivernage: l'Agan, Chogar, l'oued Katchi, Kra al-Asfar, et le sud d'Aleg; en saison sèche: le lac d'Aleg et Aleg même, Bir el-Barka, Dokhon, Bou Telheïa, Chabbour, Regba, Ballé. Leur point d'eau central était jadis Ndokhon, puits réputé de 50 mètres de profondeur, dans une dépression très boisée. A côté du puits, on trouve aujourd'hui les ruines d'une construction en baraco, que les premières reconnaissances en 1905-1907 trouvèrent encore bien conservée. Elle affectait la forme d'un carré de 25 mètres de côté avec cour centrale. Cette casba avait été édifiée alors qu'ils étaient les maîtres du pays. Ils durent l'évacuer à la suite de leurs luttes avec les Oulad Biri.

Les professeurs les plus réputés des Dieïdiba sont: a) le cadi Dida, campé à Chogar, mais que ses fonctions maintiennent à Aleg la plupart du temps; b) Mohammed Mahmoud ould Mohammedden, campé chez les Id Atjfara Brahim. Ces deux maîtres ont été vus plus haut. A leur 175 clientèle maure ordinaire, surtout Dieïdiba, se joignent un certain nombre de jeunes Toucouleurs. Leur enseignement est d'abord coranique (ils sont suppléés en cette branche par un ou plusieurs adjoints) et ensuite supérieur: droit, grammaire, théologie, littérature et langue.

Les principaux lieux de pèlerinage des Dieïdiba sont les tombeaux et cimetières de leurs ancêtres: Bou Telheya, où sont inhumés Al-Qadi, Cheikh Ahmed Babou et Haïb Allah, etc.; Bir el-Barka, où est inhumé Cheikh Abder-Rahman ould Cheikh Al-Qadi, celui-là même qui écrivait à Faidherbe la lettre donnée en annexe; Ndokhon, où sont enterrés Cheikh Mohammed ould Babou et Cheikh Qadi ould Ahmed Babou, etc.; Raddeka, où sont enterrés Mohammed Mahmoud (Mrabet), grand-père de Dida; Mohammed Abd Allah, fils du précédent; Al-Falli ould Al-Qadi; Oummoui, etc.; Touirsat, cimetière benié, etc.

CHAPITRE V
ZEMARIG

1.—Historique.

Si administrativement les Zemarig constituent une tribu indépendante, on a vu ci-dessus qu'ethniquement, ils sont des Dieïdiba. Depuis l'heure où leur ancêtre éponyme Chems ed-Din, dit Zemrag, c'est-à-dire «le fort», rejoignit ses cousins Atjfara Brahim et Atjfara (Bekkaï) dans le Brakna, ils ont vécu avec les Dieïdiba et ont fait partie intégrante de la tribu. C'est de nos jours seulement qu'ils se sont détachés d'eux.

La chronique des Zemarig commence donc avec Chems ed-Din, originaire comme ses cousins, des Dieïdiba ou Id Eïleb du Hodh. Une tradition le fait proprement le fils d'Atjfara (Bekkaï). Voici le tableau généalogique de la tente du commandement:

Zemrag.
 
 
Tegueddi. Baba Imijan.
 
 
Taleb Mohammed, descendance chez les Oulad Bou Sif. Brahim. Ba Ahmoud (Zmarig). Agd Eïlek. Atjfara Saloum.
 
 
Mohammedden. Quelques tentes chez les Oulad bou Sif, le reste chez les Zemarig.
 
Amar.
 
177 Abd El-Qader.
 
 
Mohammed. Mostafa.
 
Sidi-l-Mokhtar. Chibani.
 
 
Mohammed Sidi, ex-chef. Tofaïl. Limam, chef actuel.

C'est par suite d'un phénomène d'ordre économique qu'un certain nombre de tentes Zemarig se sont agglutinées aux Oulad Bou Sif. Propriétaires de chameaux, elles ne purent suivre les autres Dieïdiba dans leur lent fléchissement vers le Sud. Obligées de vivre loin du fleuve, elles se groupèrent auprès des Oulad Bou Sif pour être protégées, mais elles sont restées en bonnes relations avec leurs cousins et ne renient pas leurs origines.

Les Zemarig ont toujours été considérés un peu comme des parents pauvres par les autres Dieïdiba.

Les Id ag Fara Brahim étaient la fraction qui avait le commandement politique. Les Id ag Fara possédaient l'autorité religieuse et judiciaire. Les Zemarig, tiers état, n'avaient plus qu'à obéir. Ils se lassèrent de cette situation, et après des luttes fréquentes avec les Id ag Fara Brahim, ils s'éloignèrent d'eux et vinrent se fixer à Chabour, dans le Chamama. Chassés par les Toucouleurs, ils vinrent vers Boghé et nomadisèrent entre Boghé, Al-Meriché, la rivière de Mal, et Cascas. Ils entrèrent dans le système politique de l'équilibre local en contractant alliance avec les Toucouleurs de Boghé et en luttant contre ceux du fleuve. Leur dabaï était installé près de Boghé.

Depuis longtemps donc ils vivaient pratiquement séparés des Dieïdiba. A la fin du siècle dernier, ils furent gravement pillés par les Oulad Ahmed; ceux-ci étant les alliés des Oulad Biri, les Zemarig se rapprochèrent des Dieïdiba et prirent part aux luttes de cette tribu contre les Oulad 178 Biri et Oulad Ahmed. Ce rapprochement amena leur dissidence, à la suite d'Abd Al-Jelil, chef des Id ag Fara, lors de l'occupation française (1904). A leur retour du Tagant ils furent mis à l'amende à part. Les autres dissidents ayant refusé de faire une répartition égale pour ces contributions, les Zemarig sentirent renaître toute leur animosité. Ils demandèrent à vivre en dehors de la tribu et, depuis, ils ont joui de leur autonomie.

2.—Fractionnement.

Le fractionnement des Zemarig s'établit ainsi:

Zemarig libres: 56 tentes 224 personnes.
Haratines Zemarig: 100 —— 475 ——

soit au total 156 tentes et 699 personnes.

Le chef était, lors de notre arrivée, en 1903, Mohammed Sidi ould Sidi-l-Mokhtar, né vers 1848. C'était un homme intelligent et peu aimé de sa tribu à cause de sa fourberie et de ses exactions. Il fut destitué, en 1912, pour avoir pillé les animaux de ses gens, et remplacé par son cousin Limam.

Par le refus de son frère aîné, Thofeïl, d'exercer le commandement, Limam est chef depuis 1912. Il est né vers 1885. Très jeune à notre arrivée, il dut suivre le mouvement de dissidence de sa tribu, mais revint peu après. C'est un bon chef, estimé et obéi par ses gens. Il est quelque peu apathique. Il a voulu faire un jour acte d'énergie, mais ce geste ne lui a pas réussi: il fut puni d'une peine disciplinaire pour avoir protesté contre la nomination de Dida comme cadi.

Le commandement est définitivement fixé dans ce campement, et spécialement dans la tente des Ahel Abd El-Qader, 179 celui-ci étant le bisaïeul de Limam. C'est pourquoi on leur assigne dans la pratique ce nom. Limam par exemple n'est désigné que sous le nom de Limam ould Abd El-Qader. C'est aux Ahel Abd El-Qader que traditionnellement était versé le gach ou morceau de poitrine de toute bête abattue. Chez les haratines Zemarig, c'était aux Abdi ould Daïa.

La djemaa de la tribu comprend:

a) Mohammed Sidi, ex-chef, déjà vu,

b) Thofeïl, de son vrai nom Mostafa ould Abd El-Qader, frère aîné de Limam. Né vers 1875, il a fait de bonnes études et s'est consacré à l'ascétisme et aux choses du ciel. Il est sur la voie de la sainteté. Il fut, dans les débuts, puni d'une peine légère d'emprisonnement. Aussitôt libéré, il partit pour l'Adrar, allant offrir ses services au Chérif Moulay Dris. Après un séjour de plusieurs années, où il put goûter toutes les misères de l'exil, il demanda l'aman et rentra. Il se tient tranquille maintenant. Il remonte chaque année vers l'Adrar pour aller faire la guetna.

c) Ahmeïdou ould Cheikh Mohammed Al-Qadi ould Mohammed Hemar ould Atjfara Salem. C'est un marabout qadri, qui relève de Cheikh Adallah des Dieïdiba, et par lui de cheikh Sidi Mohammed son cousin, et de Cheikh Mostafa ould Cheikh Al-Qadi des Dieïdiba.

d) Ahmed ould Babou et e) Abdi ould Yahia, notables.

f) Mohammed Abd Allah ould Cheikh Mohammed Qadi, qui est mort en 1916. Né vers 1870, il avait été le brillant élève et le disciple de Mohammed Abd Allah ould Al-Mrabet. Il ne partit pas en dissidence avec sa tribu, mais en 1908 se mit en route pour la Mecque sans autorisation. A la réalité, il ne dépassa pas l'Adrar et dut bientôt rentrer. Cette incartade lui valut une peine disciplinaire. Cadi de sa tribu, il jouissait d'une grande réputation et se 180 consacra en dernier lieu avec beaucoup de zèle aux soins de sa charge.

g) Il a été remplacé par Ahmed Salem, ould Sidi ould Dahi, élève de Mohammed Abd Allah. Il fait également l'école coranique, et quelquefois des cours d'enseignement supérieur.

Au point de vue religieux, outre les obédiences précitées, il faut signaler celle de Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Mostafa ould Cheikh Mohammed Mahfoudh, des Id Atjfara (Dieïdiba), et celle de Cheikh Saad Bouh, qui s'est exercée ici par son missionnaire Abou-l-Maali ould Cheikh Ahmed Hadrami, des Tagat. Limam, le chef de tribu, relève de ce dernier ouird.

Les Zemarig font leur pèlerinage à Al-Meriché et à Azlat (Al-Azlat). A Meriché, on voit le tombeau vénéré du grand saint Cheikh Mohammed Abd Allah ould Cheikh Mohammed Al-Qadi.

Leur cheptel est de 6 chevaux, 347 bovins, 1.000 têtes de petit bétail et 48 ânes. Leur feu est le gaf, soit des Dieïdiba, apposé sur la cuisse droite. Ils ont comme contremarques le dal sur le membre intérieur droit, le «moulana» et le sad au-dessus du gaf. Cette dernière appartient aux Ahel Abd El-Qader.

Les Zemarig nomadisent entre Azlat et Kra al-Asfar, en hivernage; au nord-ouest de Boghé avec leurs haratines, en saison sèche.

Les haratines des Zemarig sont fort nombreux, plus nombreux même que leurs maîtres et ont fait leur fortune. Ils sont campés dans le Chamama, au nord-ouest de Boghé, et ne se déplacent que dans un petit rayon. Ils restent ainsi à proximité de leurs terrains de cultures: Tienel, Boghé, Chabour, Regba. Ceux-ci appartiennent à la famille de Bes Moro, du village de Sinthiou Dangdé (Sénégal), mais depuis notre installation en Mauritanie, ces Toucouleurs ont cessé de réclamer la location des terrains 181 leur appartenant. En revanche, ils ont dû payer en 1917, 650 francs de dioldé (droit de location dû par le cultivateur) à Baïla Biram, chef du Lao maure, mais c'est à contre-cœur, et ils assurent que la terre n'appartient pas à Baïla (comme le dit Chéruy), mais que ce chef se serait emparé de ces domaines lors du trouble qui suivit l'arrivée des Français, et qu'il les fit travailler par les Zemarig haratines, qui ne s'étaient pas enfuis.

Le chef des haratines Zemarig était, à notre arrivée, Mohammed Amoïjin. Il nous témoigna un dévouement complet. Il était envoyé, en novembre 1906, pour prendre des renseignements sur la marche d'un mejbour, commandé par Ould Assas. Dénoncé par Ahmedna, chef des Id ag Fara Brahim, il fut capturé, amarré et battu par les dissidents. Il réussit à s'enfuir et, pour se venger, guida le lieutenant Corrard des Essards à la mare de Tioulé-Tiabé où était rassemblé le rezzou. Par la suite, sa tête fut mise à prix par Ahmeddou. Il rendit des services précieux, nous fournissant sans cesse des renseignements sur la marche des rezzous. Les égards qu'on lui témoigna abusèrent son orgueil. Il se mit à piller ses gens, et sur leurs plaintes fut relevé de son commandement et emprisonné à Boghé (1909). A sa sortie de prison, il a rejoint sa tribu d'origine, les Id ag Fara.

Il a été remplacé par Sambeït ould Sambeït, homme intelligent et qui assure convenablement son service.

Les notables de la tribu sont: Ahmed Fal ould Abhoum, Sidi ould Ahmed Abd et Mokhtar ould Mohammed.

Les haratines Zemarig n'ont qu'une piété superficielle. Certains cependant se font, à l'instar de leurs maîtres, conférer l'ouird qadri. Ils le demandent aussi au Cheikh Mohammed Fal ould Mostafa ould Cheikh Mahmoud des Id Eïlik, qui relève de Cheikh Al-Qadi précité.

CHAPITRE VI
KOUNTA

1.—Historique.

Dans mes deux mémoires sur «les Kounta de l'Est» et «les Kounta du Hodh», j'ai exposé les origines et la tradition historique des Kounta. On ne peut ici qu'y renvoyer, et on les supposera connus.

Trois fractions Kounta vivent dans le Brakna, autour de Guimi, leur point d'eau commun et le centre de nomadisation: les Oulad Bou Sif, les Meterambrin et les Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar. Les deux premières dérivent de la même source: ils descendent de Sidi Mohammed Al-Kounti As-Sarir (seizième siècle) et proviennent des Kounta du Tagant. La troisième dérive du grand Cheikh Sidi-l-Mokhtar († 1811) par son fils Baba Ahmed, et provient donc d'abord de l'Azouad, et en dernier lieu du Hodh.

On n'oubliera pas que ces deux sources se rejoignent au quinzième siècle en la personne du saint Sidi Ahmed Al-Bekkaï. En effet, Sidi Mohammed Al-Kounti As-Sarir, patriarche des Oulad Bou Sif et des Meterambrin, et Sidi Omar Cheikh, sont frères, fils tous deux du dit Ahmed Al-Bekkaï.

A.—Source Tagant.—Sidi Mohammed Al-Kounti As-Sarir 183 vécut à cheval sur le quinzième et seizième siècle. Fils aîné de Sidi Ahmed Al-Bekkaï, il hérita de l'autorité politique, laissant à son frère Cheikh Sidi Omar Cheikh la baraka et l'apostolat. Du Hodh, où son père était mort et avait été enterré, il revint, vers la fin de sa vie, avec ses campements vers le Tagant, laissant autour de Oualata les tentes de ses cadets, qui, un peu plus tard, allaient appuyer vers l'Est et émigrer vers le Faguibine et l'Azaouad.

Sidi Mohammed As-Sarir mourut vers 1850, et fut enterré à Kerkach, au sud-ouest de l'Adrar. Il laissait sept fils qui sont les ancêtres des Kounta du Hodh, du Brakna, du Tagant et de l'Adrar. Ce sont: Sidi Bou Bakar, Sidi Haïb Allah, Sidi Oueïs, Meteramber, Omar Rekkab, Oghal et Ahmed. Ils sont les ancêtres des fractions qui portent leurs noms.

Deux fractions Kounta du Brakna se rattachent donc à cette branche: les Oulad Bou Sif, descendants de Sidi Oueïs, par son petit-fils Bou Sif; et les Meterambrin, descendants de Meteramber.

Les Oulad Bou Sif tiennent ce nom de Bou Sif de leur ancêtre Baba Bou Sif, petit-fils de Sidi Oueïs. Baba Bou Sif eut, d'une premier femme noire, nommée Haoua, les Ouled Bou Sif Al-Kohol (Noirs) qui sont ici même et au complet, et d'une autre femme blanche, Lalla Fatma, deux fils Ahmed et Oueïs, ancêtres des Oulad Bou Sif Al-Biodh (Blancs), dont une partie est ici et dans le Gorgol, et dont les autres constituent la fraction Oulad Bou Sif du Hodh. Baba Bou Sif a été enterré à Rekhaïmiat dans le Tagant.

Les Oulad Bou Sif noirs sont ici depuis le milieu du dix-huitième siècle, comme on le verra plus loin. Les blancs viennent d'arriver, il y a quelques années à peine et depuis notre occupation. On peut considérer que leur exode n'est pas encore terminé.

Le pays propre des Oulad Bou Sif noirs était l'Agan. 184 Vers 1850, fatigués par les luttes avec les Id Ou Aïch, une partie d'entre eux alla chercher fortune dans le Hodh et, sur leurs rapports enthousiastes, le gros de la tribu suivit. Ils en revinrent toutefois vers 1880, sauf quelques campements qui sont restés dans le Hodh.

En juillet 1904, ils furent pillés par les Oulad Bou Sba et perdirent 3.000 chameaux, tout le cheptel. Sidi ould Mohammed ould Ahmed Abd, leur chef, les détermina alors à quitter l'Agan où ils vivaient depuis Sidi Mohammed Al-Kounti, et à émigrer vers le Sud. Ils s'établirent autour de Guimi. C'est depuis lors que les Oulad Bou Sif ont cessé d'être une tribu à chameaux pour devenir une tribu à bœufs et surtout à petit bétail.

Leur soumission date du premier jour; cependant plus d'une fois par la suite, ils ont servi de receleurs au gens de Tagant et de l'Adrar pour leur produit de leurs pillages et surtout dans le commerce de captifs.

Les Meterambrin tirent leur nom de leur ancêtre Meteramber dit «l'enveloppé», parce qu'il avait l'habitude de s'envelopper des pieds à la tête dans son boubou. Ses descendants sont donc devenus «les fils de l'enveloppé», ou «Meterambrin». Son vrai nom, d'après une tradition de l'Azouad, non confirmée ici, aurait été Amar.

Les Meterambrin ne semblent pas avoir émigré vers le Hodh.

Ils quittèrent l'Adrar et notamment Ouadan, leur centre, sous la conduite d'Abd Er-Rahman, fils de Meteramber, vers la fin du dix-septième siècle, pour venir se fixer dans l'Agan, qui désormais sera le pays même des Kounta. Il y mourut et fut enterré près d'Aguiert, où l'on voit son tombeau, ainsi que celui de son fils et successeur, Sidi Mohammed Reggad; c'est de celui-ci que date cette amitié constante et profonde qui va unir les Kounta de cette branche et les almamy des Fouta. Elle durera jusqu'à nos jours. Le Reggad se signala à la reconnaissance de ses gens, en faisant 185 planter à Lemaoudou une palmeraie dont subsistent encore quelques débris.

Sidi Mohammed, qui succéda à Mohammed Reggad, son père, raffermit cette alliance et ne quitta plus l'almamy Mamadou Biram. La tribu, sauf deux mois d'hivernage qu'elle allait passer à Lemaoudou, séjournait constamment dans le Chamama.

Sidi Mohammed fut enterré à Galaïbé Wan-Van, sur le fleuve, et son fils Mohammed Lamin lui succéda. Les bonnes relations entre ce chef et les almamy furent légendaires. Il ne quitta, dit-on, ses amis Toucouleurs qu'une seule fois en 42 ans de commandement.

René Caillié eut affaire à un Kounti qui ne pouvait être que Bou Sifi ou Meterambri. L'un des marabouts présents au camp de l'émir Ahmeddou, quand il y arriva en septembre 1824, «Chérif, Kount de nation, lui proposa d'aller habiter son camp, lui promettant de le considérer comme un fils». Déjà engagé avec le chef des Dieïdiba, Caillié refusa cette offre aimable. Ledit «Kount» faillit d'ailleurs compromettre Caillié en le surprenant à écrire une page de son journal. Il ne le détrompa qu'en usant de ruse et en déclarant que c'étaient des chansons, ce qui ne convainquit qu'à moitié «le défiant chérif». Ils vivaient à la fin du dix-huitième siècle dans le Tagant. Ils asservirent, d'après leur tradition, les Mechdouf qui durent leur payer tribut un certain temps, mais prirent surtout part avec leurs frères Kounta de ce territoire, et avec les Oulad Bou Sif qui s'étaient joints à eux, à d'indéterminables luttes contre les Ahel Sidi Mahmoud, alors en pleine expansion. Les confins de la Mauritanie et du Sahel sont à ce moment le théâtre de luttes sanglantes: Arabes hassanes, contre Arabes hassanes (Oulad Nacer contre Oulad Mbarek), tribus zenaga contre tribus zenaga (Abakak contre Chratit); marabouts contre marabouts (Kounta contre Ahel Sidi Mahmoud). L'équilibre politique s'établit alors, sur la formation 186 de deux groupes d'alliances, comprenant chacun une tribu arabo-hassane, une tribu zenaga, une tribu maraboutique, à savoir groupement Oulad Nacer, Abakak, Kounta, contre groupement Oulad Mbarek, Chratit, Ahel Sidi Mahmoud. On peut croire que les batailles entre ces marabouts furent fréquentes et sans pitié. On fut longtemps sans arriver à une solution complète, car le vaincu trouvait toujours des renforts parmi ses alliés.

Dans le courant du dix-neuvième siècle cependant, la situation se modifia: les Oulad Nacer refoulaient les Oulad Mbarek et dominaient politiquement le Sahel occidental (Nioro); les Abakak et les Chratit, ces frères ennemis, s'unifiaient sous le commandement des Ahel Soueïd Ahmed et devenaient la puissante tribu des Id Ou Aïch, qui relevaient, après bien des siècles, le prestige du nom berbère. Les Kounta enfin étaient battus par les Ahel Sidi Mahmoud et contraints de vider les lieux.

La plupart d'entre eux refluaient vers le nord du Tagant et de l'Adrar. Deux campements: les Meterambrin, issus de la fraction de ce nom, et les Oulad Bou Sif, immigrés de fraîche date, se détachaient de la tribu-mère et descendaient vers le territoire des Brakna. Les Meterambrin s'installaient dans le Chamama; les Oulad Bou Sif allèrent d'abord dans l'Aouker, puis descendirent vers l'Agan et Guimi, sous la pression des rezzous du Nord.

Vers 1890, par suite des hostilités qui existaient entre Meterambrin et Oulad Normach, leur frère Mohammed Lamin quitta le Chamama et partit vers le Tagant, d'où il ne revint que dix ans après avec Bakar ould Ahmeïada.

Mohammed Lamin ne se rendit jamais à Lemaoudou pour hiverner, la palmeraie plantée par son grand-père ayant été détruite par les Tadjakant, alors en guerre avec les Kounta.

Pendant tout son commandement, il marcha avec Ibra Almamy, fils d'Almamy Mamadou, chef du Lao, contre 187 les Toucouleurs du Bosséa. En revanche, Ibra le soutint contre les éternels ennemis: les Ahel Sidi Mahmoud.

Les Meterambrin ont fait leur soumission à Coppolani dès son arrivée dans le Brakna.

B.—Source Hodh-Azaouad.—Sous le nom d'Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar, on désigne les descendants et télamides d'un petit-fils de ce grand Cheikh Kounti, venu s'installer dans le Brakna, il y a un demi-siècle environ. On voit une fois de plus combien le nom prestigieux du Cheikh Sidi-l-Mokhtar domine toute la basse Mauritanie; il a formé et consacré à la fois trois grands pontifes: Cheikh Sidïa Al-Kabir, Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, le principal maître spirituel du Brakna, Cheikh ould Nenni, un des Cheikh les plus notoires du Tagant. Il a donné en outre naissance—ici même et ailleurs—à une importante fraction qui porte son nom.

Cheikh Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir laissait à sa mort dans l'Azaouad, en 1811, huit fils énumérés dans mon ouvrage Les Kounta de l'Est, et dont le plus brillant successeur spirituel de son père fut Cheikh Sidi Mohammed.

Parmi les sept autres, le quatrième, Baba Ahmed, éclipsé par la renommée de son frère, vint chercher fortune entre 1820 et 1825 environ, dans la Hodh, auprès de ses cousins de lointaine origine (source Tagant), qui s'y trouvaient déjà. Il fut rejoint par un certain nombre de ses parents et télamides de l'Azouad, et à sa mort, vers 1840, il laissait déjà, sous le nom général d'Ahel Cheikh, les noyaux de trois des actuelles fractions kounta du Hodh (cf. tableau en annexe).

Baba Ahmed laissait cinq fils; les trois premiers sont les ancêtres éponymes des trois fractions Ahel Cheikh précitées du Hodh; du quatrième, la descendance s'est fondue dans les campements de ses frères. Le cinquième, Bekkaï ould Baba Ahmed, est celui-là même qui nous intéresse. Une 188 partie de sa postérité s'est dispersée aussi dans les campements fraternels, mais deux de ses fils, Sidi-l-Mokhtar et Sidi Mohammed et un de ses petits-fils Khalifa, ould Al-Abidin, venus chercher fortune vers l'Ouest, entre 1840 et 1860, ont définitivement abandonné le Hodh et leurs parents, à cette date, et sont les fondateurs de la fraction Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar qui nous intéresse.

Sidi-l-Mokhtar (dit aussi Sidina) ould Bekkaï ould Baba Ahmed, en quête d'un établissement convenable, vint quêter vers 1842, chez les Touabir, disciples des Kounta. Il vécut tantôt chez eux et tantôt chez les Oulad Normach, et finalement se fixa dans le Brakna par un mariage avec une femme des Id Eïlik. Il en eut deux fils Baba, et Sidi Amar. C'est de cette époque que date la redevance que les Touabir ont payé et paient encore aux membres de cette famille: un mouton choisi et une outre de beurre par an et par troupeau. Sidi-l-Mokhtar devait mourir vers 1887, à Chingueti, où il était en voyage. Il fut remplacé par son fils aîné, Baba, qui mourut tôt vers 1891 à Kaédi. Les fils de Baba étant en bas âge, ce fut son frère Sidi Amar qui lui succéda.

Le second des fils de Bekkaï ould Baba Ahmed, Sidi M'hammed, vint chercher fortune sur les traces de son frère, en 1860; il spécifie lui-même qu'il arriva dans le Brakna l'année du meurtre de l'émir Trarza Mohammed Al-Habib. Il se partagea une dizaine d'années entre le campement de son frère, celui des Oulad Siyed et celui de Cheikh Sidïa Al-Kabir et de son fils Mohammed Khalifa. Ses voyages, ses cours, ses vertus lui attirèrent un certain nombre de disciples maures et noirs. Il se fixa avec eux sur la rive droite du fleuve, en face de Podor. Vers 1886, il remonta vers la zone saharienne et alla s'installer, à Guimi, où il se trouve encore actuellement.

Quelques années plus tard enfin, en juin 1883, à la suite de querelles intestines, les fils de Baba ould Bekkaï tuèrent leur oncle Abidin. Ces événements provoquèrent l'exode de 189 plusieurs campements Kounta. Khalifa ould Abidin s'expatria vers ses oncles du Brakna conduisant ses fidèles. Son père avait eu, dès son vivant, des velléités d'immigration. Il n'y donna pas suite. Après sa mort tragique et son inhumation à Néma, ce fut son fils Khalifa qui les réalisa.

Les relations des intrigants Kounta avec l'autorité française remontent à Faidherbe même. En août et octobre 1863, ce gouverneur du Sénégal concluait des conventions avec certains notables Ahel Cheikh, fort mal déterminés à cette date, mais où il est certain qu'à côté des Kounta du Brakna se trouvaient des Kounta de Tombouctou, au surplus, les uns et les autres de la filiation de Cheikh Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir. Ces conventions assuraient une protection réciproque aux voyageurs, commerçants et envoyés des deux contractants.

Elles donnèrent lieu à une correspondance, aussi abondante qu'intéressée, de la part des Kounta. On remarquera cette épître filandreuse, écrite le 1er août 1865, par le Cheikh, jeune alors—Sidi M'hammed ould Bekkaï, et où le pieux adolescent s'exerçait déjà à cette onction religieuse où cinquante ans après, il est passé maître.


Nul ne peut lutter contre la volonté divine; nous sommes des amis de Dieu et c'est lui qui défendra notre cause.

On lit dans le Coran:

«Dieu est le défenseur de tous les croyants!» par conséquent celui qui a Dieu pour défenseur ne craint personne.

Le Prophète a dit aussi:

«Celui qui fait du mal à mon ami m'attaque moi-même.»

Il n'est pas donné à un homme le pouvoir de se battre avec Dieu, si vous admettez cela, continuez donc à être ami avec nous et traiter bien tous ceux qui vont chez vous de notre part et bien plus encore ceux qui y résident et qui sont mes parents, comme nous le faisons pour tous ceux qui viennent nous visiter de votre part.

Détruisez-vous l'amitié qui existe entre nous?

Dieu a dit dans le Coran:

«Celui qui détruit l'amitié de quelqu'un se fait du tort à lui-même.»

190 Le pouvoir de Dieu est illimité. Ceux qu'il protège sont toujours les plus forts. A la fin d'une affaire, c'est toujours le plus croyant qui remporte la victoire. Quand Dieu veut détruire une nation, il commande à cette nation de faire du mal à ses protégés.»

2.—Fractionnement.

A.—Oulad Bou Sif Blancs.

Les Oulad Bou Sif Blancs se divisent:

En libres   Ahel Baba.
Ahel Diebaba.
Ahel Maham.
Ahel Oueïs.
Tributaires Zaghoura.
Braïkat.
Zkouïat.

Les Ahel Baba, Ahel Diebaba (ceux-ci peu nombreux ici) et Ahel Maham descendent d'Ahmed premier, fils de Baba Bou Sif; le second fils, Oueïs, n'est représenté ici que par deux tentes, les Ahel Oueïs. Sa descendance est beaucoup plus nombreuse dans le Hodh.

Parmi les tributaires, les Zaghoura méritent une mention spéciale. Ce seraient des Zenaga, non pas issus de Berbères, mais d'Arabes. Ils seraient avec les Kounta, depuis le temps de Mohammed Kounti As-Sarir, et auraient pris part avec valeur à toutes leurs luttes contre les Id Ou Al-Hadj. Il n'y a pas de Zaghoura dans la région de Tombouctou, et il n'y en a plus dans le Hodh. On n'en trouve que chez les Kounta du Tagant et du Brakna et dans le Chamama de Boghé.

Les Braïkat sont peu nombreux ici. La plus grande partie est dans le Hodh. Les Zkouïat ne sont que 6 tentes. Le plus 191 grand nombre est dans l'Adrar, tributaires des Kounta de cette région.

C'est à mars 1911 que remonte l'arrivée des premiers Bou Sif Blancs, dans le Brakna. A cette date, on voit apparaître un jour, chez les Bou Sif Noirs de Guimi, un gros campement venant de l'Est sous le commandement de Mohammed ould Hammadi. Un autre campement de 25 tentes arrive en octobre. Cet afflux d'étrangers amena une certaine perturbation chez les Kounta. Les Bou Sif Noirs étaient débordés et leur chef n'était pas obéi. Les Blancs reconnaissaient en principe l'autorité de Mohammed ould Hammadi, mais il y avait des dissidents, comme Sidi Ahmed ould Mokhtar ould Sidi-l-Mokhtar, qui, venu de sa propre initiative et à la tête de ses gens, entendait garder son autonomie.

Il fallut régler la situation au début de 1911. Noirs et Blancs furent séparés. Les Noirs restèrent sous les ordres de leur ancien chef: Sidi Ould Ahmed Abd. Les Blancs furent tous placés sous l'autorité de Mohammed ould Hammadi. De son vrai nom, il s'appelle Mohammed ould Sidi Mohammed Al-Kounti (celui-ci mort vers Nioro pendant l'exode) ould Hammadi ould M'hammed ould Ahmed ould Maham ould Baba ould Ahmed ould Baba Bou Sif. Comme descendant direct, dans la branche aînée, de Baba Bou Sif, c'est à lui que par hérédité revient le commandement de tous les Oulad Bou Sif Blancs. Il est né vers 1885. C'est un bon chef, qui s'acquitte correctement de ses devoirs et est aimé de ses gens. Il attribue l'exode des Bou Sif du Hodh, en 1911, au désir de rejoindre le pays ancestral: Tagant et Agan.

Cet exode devait d'ailleurs se continuer en 1912: on vit successivement arriver 30 tentes nouvelles en mars, puis 60 tentes en septembre, après un court séjour dans le Gorgol. Les derniers se présentèrent en août 1913: ils comprenaient des Ahel Maham, des Zaghoura et des Rekkabat. Leur arrivée donna lieu à certaines difficultés au sujet du 192 règlement d'une dïa fort ancienne entre eux et les Oulad Nacer. L'affaire fut réglée par arbitrage.

Les notables de la tribu sont aujourd'hui:

Cet Al-Jeïli, né vers 1882, est le cadi de la tribu. Il a fait de fortes études auprès du grand Cheikh de Oualata: M'hamdi ould Sidi Othman. Il est qadri et a reçu l'ouird de Cheikh Ahmed ould Adoubba, des Bou Sif Noirs du Tagant, qui, par son père, Cheikh Adoubba, se rattachait à Cheikh Sidïa Al-Kabir. Ce Cheikh Ahmed ould Adoubba paraît être le principal maître spirituel des Bou Sif Blancs du Tagant. On trouve aussi quelques initiations directes de Cheikh Sidïa Baba.

Dans la fraction, il faut signaler la présence de Sidi ould Sidi Lamin ould Khiarhoum qui, par hérédité, serait le véritable chef des Rekkabat, encore dans le Hodh. Son attitude est d'ailleurs correcte, encore qu'il s'efforce d'attirer les Rekkabat dans le Brakna.

Les Bou Blancs ont pour objet de pèlerinage les tombeaux de leurs ancêtres à Kçar al-Barka et Ferkach.

Ils comprennent 178 tentes et 556 âmes. Leur cheptel se décompose en 17 camelins, 115 bovins, 6.775 têtes de petit bétail et 212 ânes.

Leur feu est la marque générale des Kounta: le lam-alif.

Leurs terrains de parcours sont: en hivernage: Gaoua et Tachot ad-Dokhna; en saison sèche: Chogar, Gadel, Tendel, Lemaoudou. Quelques tentes restent dans l'Agan.

193
B.—Oulad Bou Sif Noirs.

Les Oulad Bou Sif Noirs se divisent en:

Libres   Ahel Mokhtar ould Baba Bou Sif.
Oulad Haïb Allah ould id.
Ahel Omar ould id.
Ahel Abd Er-Rahman ould id.
Oulad Ad-Daoui.
Tributaires
Zekhaïmat.
  Oulad Al-Hemeiti.
Oulad Kani.
Zemarig.

Les Zekhaïmat sont d'origine Oulad Nacer. Leur ancêtre éponyme était le petit-fils d'Antar ould Nacer par son père Hossin. Il s'était installé chez les Kounta du Tagant et y avait crû. La tradition rapporte que ce guerrier repenti fut le disciple de Sidi Mohammed Al-Kounti et qu'il fut enterré par la suite aux côtés de son maître dans l'Adrar Tmar (seizième siècle). Un de ses fils, Al-Guellas, alla vivre chez les Hammonat et s'y fixa. Sa descendance a constitué l'actuelle fraction des Zekhaïmat des Hammonat. Les Zekhaïmat du Brakna sont venus ici du Tagant avec leurs marabouts au dix-huitième siècle. Ils passent pour être des chasseurs consommés.

Les Oulad Heneïti se subdivisent en deux sous-fractions autonomes et du même nom. Haïdoud Al-Kohol est le chef de la première qui comprend 73 tentes, et Abd Allah ould Ali ould Ahmed, le chef de la seconde, qui comprend 30 tentes. Les Oulad Kani ont pour chef Mokhtar ould Al-Kouri ould Al-Hadj et comprennent 74 tentes. Les Zemarig sont originaires de la tribu du même nom. Ils se sont séparés de leurs frères et ne veulent plus rien avoir de commun avec eux. Ils comprennent 25 tentes et ont pour chef Mohammed Abd El-Kerim ould Moïma.

Le chef général des haratines était Sidi Ahmed ould 194 Ahmed Jiyed qui, puni de 6 mois de prison pour exactions, fut remplacé par Sidi Lamin, chef de la tribu, le 16 mai 1916.

A notre arrivée, le chef des Oulad Bou Sif Noirs était Sidi ould Mohammed ould Ahmed Abd (ould Lamin ould Mokhtar ould Sidi Amar ould Mokhtar). Sa mère était une Zemraguïa. Il ne partit pas en dissidence et vint s'installer près de Guimi, où il groupa la plupart de ses campements et tous les tributaires. Formée de beaucoup de tentes sans aveu, la tribu a longtemps joui d'un assez mauvais renom qui rejaillissait sur son chef. Bon chef qui savait se faire obéir et ne rencontrait guère de difficultés que chez les Oulad Heneïti, Sidi ould Mohammed ould Ahmed Abu dont le fils Mohammed, dit Cheïna, avait été le naïb, fut remplacé à sa mort par Sidi Lamin ould Lamin (1914). Sidi Lamin, jeune et sans prestige, ne sut ni se faire obéir de ses administrés ni apprécier par l'autorité française. D'ailleurs, cette fraction est tellement agitée de perpétuelles dissensions, que l'unité de commandement est devenue impossible. Il a donc fallu accorder l'autonomie à chacune des cinq sous-fractions qui la composent, et qui, cependant, au total, ne comprennent que 131 tentes et 436 âmes. Sidi Lamin fut donc relevé de ses fonctions, le 28 octobre 1917. Sidi Ahmed ould Ahmed Jiyed qui le remplaça fut destitué quelques mois après par la djemaa. L'élection a ramené au pouvoir en 1918, Sidi ould Ahmed. Son fils Mohammed lui sert de naïb.

L'ensemble des Oulad Bou Sif Noirs, libres et tributaires, comprend 333 tentes et 1.200 âmes. Ils ont un très riche cheptel: 126 camelins, 572 bovins, 23.506 ovins, 743 ânes. Avec leurs 36 chevaux, ils sont les mieux montés du cercle. Leur marque est le lam-alif des Kounta, auquel ils ajoutent comme contre-marque quelques traits sur la joue droite.

Leurs terrains de parcours s'étendent: en hivernage entre 195 Guimi et Lamaoudou; en saison sèche, entre Guimi et les environs de Chogar.

Le personnage religieux le plus important de la fraction est l'ex-cadi Mohammed ould Sidïa, né vers 1868. C'est un élève et un disciple de Cheikh Sidïa. Longtemps cadi de la fraction, homme simple et paisible, il a fini par abandonner officiellement ses fonctions. Mais il a conservé toute son influence, due tant à ses talents personnels qu'au prestige de ses ancêtres, et ses cours d'enseignement supérieur, de droit notamment, en bénéficient. Les tribus voisines viennent souvent le consulter.

On peut encore citer Ahmed ould Adoubba, né vers 1850, professeur réputé, et qui se relie au Cheikh Sidi-l-Mokhtar.

Un personnage politique mérite aussi une mention: Haïdoud ould Al-Kohol, qui, à la tête d'un petit groupe de notables, s'est toujours signalé par son opposition à l'ordre établi.

La grande majorité des Oulad Bou Sif est qadrïa et se rattache à l'une des trois branches suivantes: 1) Cheikh Ahmadou ould Zouin, des Ahel Babiya, et, par lui, à Cheikh Sidïa Baba; 2) Sidi Mohammed ould Bekkaï, des Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar; 3) Zeini ould Khalifa.

Les Ahel Babiya précités sont un campement de marabouts instruits, qui seraient les descendants d'Atjfara Aoubok, des Tinouajiou, Cheikh de grande valeur qui s'installa chez Baba Bou Sif et fut le précepteur de ses enfants. Ils sont aujourd'hui chez les Bou Sif Noirs. Ce sont d'actifs commerçants qu'on voit sur les pistes du Tagant et de l'Adrar et sur les rives du fleuve. Aux Babiya, il faut ajouter, comme autres holafa (nationalisés), des Oulad Bou Sif, quelques tentes Tachomcha.

C.—Meterambrin.

Les Meterambrin comprennent 64 tentes et 318 âmes.

Leur chef est Limam ould Mokhtar ould Reggad ould 196 Abd Er-Rahman ould Ahmed ould Mokhtar ould Meterember. On a vu plus haut le rôle joué par chacun de ses ascendants dans l'histoire de la fraction; Limam en est donc héréditairement le chef. Il est né vers 1880. Il a succédé, en 1909, à son oncle Mohammed Lamin ould Sidi Mohammed. Il n'a pas grande autorité sur ses gens, qui, comme beaucoup de groupements Kounta, ont des tendances vers la dissociation. Malgré le caractère guerrier des Meterambrin, Limam se pare d'une grande piété extérieure; il a plusieurs fois manifesté des velléités de départ pour la Mecque. Il a épousé récemment Kounta Houïa ment Ahmedi, sœur du chef des Oulad Bou Sif Blancs.

Il est secondé par son Khalifa Mohammed ould Mbarek. Les notables de la fraction sont: Seïba ould Mohammed Mbarek et Boubout ould Sidi Mohammed.

Le cheptel des Meterambrin comprend 2 juments, 119 bovins, 1.240 ovins, 6 chameaux et 42 ânes. Au lam-alif classique des Kounta, ils ajoutent la contre-marque billahi, soit .

Leurs terrains de parcours sont: en hivernage, entre Chogar et Lemaoudou; en saison sèche, à l'est de Mal. En mars 1911, ils tentèrent de déboucher dans le Chamama, mais après un court séjour, ils retournèrent dans la région de Lemaoudou.

Les Meterambrin passent pour être les plus guerriers des Kounta. Ils n'attaquaient pas leurs voisins, mais en cas de légitime défense, ils savaient user de leur supériorité armée. A l'égard toutefois de leurs ennemis héréditaires: Ahel Sidi Mahmoud, ainsi que Tadjakant et Chratit, leurs alliés, ils ne craignaient pas de se montrer agressifs. Il ne faut donc s'étonner de ne trouver chez eux aucune personnalité religieuse et de voir cette fraction d'une tribu, qui porte pourtant un nom maraboutique fameux, faire appel pour les services judiciaires et cultuels aux bons offices de Tig ould Al-Atig, des Id Eïlik, qu'on verra plus loin.

197 La plus grande partie des Meterambrin habite encore l'Adrar, leur pays d'origine. Ils n'ont que peu de relations avec leurs cousins du Brakna.

Les Meterambrin ont laissé la plus grande partie de leurs haratines s'installer sur la rive gauche du Sénégal, où ils ont fondé des villages qui dépendent des chefs de cantons du Lao et des Irlabé-Ebyabé. Par suite de leurs bonnes relations avec les Almamys du Fouta, ces haratines cultivèrent longtemps pour rien les terrains que leur donnaient les Toucouleurs. En échange, les Maures prévenaient les indigènes du fleuve de l'approche des pillards ou leur donnaient des indications pour leur permettre de retrouver leurs animaux ou d'en poursuivre le remboursement. De plus, il y a auprès de Limam des haratines qui continuent à payer le horma à leurs ex-maîtres du Tagant. (Oulad Sidi Haïb Allah.)

Une personnalité féminine curieuse mérite une mention chez les Meterambrin. C'est Belana, fille unique de Mohammed Lamin, l'ex-chef, et cousine par conséquent de Limam. Elle est née vers 1878 et avait déjà secondé son père dans son commandement. Elle continua sa collaboration à son cousin, successeur de son père. C'est du reste grâce à elle que Limam put à 19 ans prendre le commandement de la fraction, car un membre d'une famille rivale des Ahel Sidi Mohammed Reggad voulait l'en écarter. Elle déjoua les intrigues, en prenant en main la régence et en l'exerçant à la satisfaction de tous. Elle avait été mariée à Sidi Amar, des Ahel Cheikh, et en avait eu une fille. Ayant repris sa liberté, elle fut sur le point d'être épousée par Limam, moins âgé qu'elle de douze ans, mais leur parenté de lait fut un obstacle dirimant. Aujourd'hui sa tente est plantée à côté de celle de Limam et elle continue à faire sentir son autorité dans la fraction.

198
D.—Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar.

Les Ahel Cheikh, comme on les appelle communément, sont divisés en deux sous-fractions, qui ont été nommées fort arbitrairement par notre autorité: Ahel Sidi Amar et Ahel Bekkaï. Ces dénominations sont en usage aujourd'hui chez les intéressés.

Les Ahel Sidi Amar ont pour chef Chebani ould Baba ould Sidi-l-Mokhtar. Ils comprennent 61 tentes et 335 personnes. Leur cheptel se compose de 2 chevaux, 7 chameaux, 114 bovins, 500 moutons, 72 ânes.

Les notables sont: Cheikh ould Taïeb, Baba ould Moghar et Jeïli ould Kobbadi.

La fraction passe l'hivernage entre Chogar et Lemaoudou; la saison sèche à l'est de Mal. Au lam-alif des Kounta elle joint comme contre-marque sur la cuisse droite le feu billahi: .

Chibani, le chef de fraction, est fils de Baba que nous avons vu mourir à Kaédi en 1891. Sidi Amor, son frère, lui avait succédé à cette date. Il fit sa soumission à Coppolani, dès le premier jour, et, depuis, s'est généralement bien comporté à notre égard. Il était d'une grande susceptibilité religieuse et était loin d'avoir la bonhomie de son oncle Sidi M'hammed. Très orgueilleux, il émit à plusieurs reprise la prétention de céder le commandement de la fraction à son neveu et à faire donner à son campement une autonomie personnelle. Ses difficultés avec Bakar ould Ahmeïada l'amenèrent à régler le différend les armes à la main. Son prestige religieux en souffrit beaucoup. Il manifesta à plusieurs reprises l'intention d'aller à la Mecque pour se purifier, mais il n'en fit rien. Au début de l'occupation, il essaya de s'approprier 119 chameaux et 35 bœufs, qui lui avaient étés confiés, et se vit condamner à 1.200 fr. 199 de restitutions. Il mourut en fin août 1912. Il laissait un fils, Sidi-l-Mokhtar, né vers 1908.

Sa succession administrative et spirituelle passa à son neveu, Bambaye ould Baba (octobre 1912). Bambaye est un surnom maternel. Son vrai nom est Bekkaï. Bambaye, né vers 1882, est l'élève des Ahel Cheikh Mohammed, des Hijaj. Il jouit d'une bonne réputation et sera évidemment dans quelques années un marabout de renom. Il a toutefois été relevé de ses fonctions pour fautes administratives, en juillet 1915, et notamment pour avoir disparu avec l'impôt de la fraction. Il a été remplacé par son frère Chibani, précité.

Les Ahel Bekkaï ont pour chef le vieux Sidi M'hammed ould Bekkaï, l'immigrant précité de 1860. Né vers 1840, il n'a jamais quitté le Brakna, depuis son arrivée dans le pays, et s'y est acquis une influence considérable. Il est certainement le marabout le plus vénéré de la région. C'est un homme paisible, modeste, fort instruit, dont les hautes qualités intellectuelles paraissent malheureusement s'estomper avec l'âge. Il fut Cheikh des Ahel Bekkaï depuis l'origine jusqu'à juillet 1912. A cette date, déjà vieux et fatigué, il demanda à être relevé de son commandement, et fut remplacé par son neveu, Khalifa ould Al-Abidin.

Khalifa, né vers 1880, avait été proposé par son oncle au choix de la djemaa et continua à vivre avec lui. Avec assez de bonne volonté, il commit des maladresses, quelques exactions, et s'aliéna la plus grande partie des tentes. D'ailleurs, arrivé du Hodh en 1909, il n'avait pas eu le temps de s'imposer et était encore peu connu. Il fallut lui donner un remplaçant et on n'en put trouver d'autre pour ramener le calme, que le vieux Sidi M'hammed. Il a donc repris le titre de Cheikh et en exerce les fonctions par Khalifa.

Sidi M'hammed est un professeur réputé; il a autour de 200 lui une trentaine de jeunes gens, surtout Kounta, à qui il donne des cours d'enseignement supérieur. Il a reçu l'ouird et le titre de moqaddem de son parent Khettari ould Sidi-l-Bekkaï ould Hammadi ould Sidi-l-Bekkaï ould Cheikh Sidi-l-Mokhtar. Ce Khettari, venu rejoindre dans le Brakna Sidi-l-Mokhtar ould Bekkaï, se rattachait à Cheikh Sidi Mohammed, le protecteur de Laing. Sa descendance est toujours, sous le nom d'Ahel Khettari, dans le campement de Sidi M'hammed.

Les notables de la fraction sont:

Les Ahel Bekkaï comprennent 83 tentes et 598 personnes. Leur cheptel est de 4 chevaux, 269 bovins, 6 chameaux, 3.348 têtes de petit bétail et 150 ânes. Leur feu est le lam-alif contre-marqué du billahi . Ils l'apposent sur la cuisse droite des bovins et sur la face gauche du cou pour les chameaux.

Leurs terrains de parcours s'étendent: en hivernage, entre Guimi et Chogar Gadel; en saison sèche, à l'Est de Guimi.

Aux Kounta, il faut rattacher un petit groupement qui a longtemps vécu dans son sillage et sous les ordres de Sidi M'hammed, et qui est encore en constantes relations avec eux: les Ahel Al-Azrag. Ils vivaient jadis au Tagant et avaient une palmeraie à Talorza. Quelques années déjà avant notre occupation, ils descendaient dans l'Agan, près des Oulad Bou Sif, pendant la saison sèche et ne remontaient dans le Tagant qu'aux premières pluies. Ils ne se fixèrent dans le Brakna que vers 1905 et se dispersèrent de tous côtés; toutes les tentatives faites pour les regrouper 201 ont échoué. Sidi Mohammed se voua lui-même à ce projet et fit nommer par la djemaa Sidi-l-Ami ould Cheikh ould Hanna, dit Sidïa ould Henna, petit-fils d'un marabout de grand renom et qui bénéficiait de la réputation ancestrale. Né vers 1882, c'était d'ailleurs lui-même un homme intelligent et instruit avec lequel les relations furent toujours cordiales. Après des débuts heureux, l'entreprise échoua encore. Les Ahel Al-Azrag, au nombre total de 61 tentes, sont aujourd'hui répartis dans le Brakna, le Gorgol et le Tagant, suivant le tableau ci-joint:

Brakna, groupement Al-Azrag 25 tentes.
—— chez les Tagant 3 ——
—— chez les Torkoz 1 ——
—— chez les Oulad Bou Sif 1 ——
Gorgol,   ——  ——  —— 7 ——
Tagant (très dispersés) 24 ——

Ce sont des commerçants avisés et actifs. Ils prétendent se rattacher généalogiquement à Cheikh Sidi Omar Cheikh, le grand marabout Kounti du seizième siècle.

Les Ahel Cheikh, tant Ahel Sidi Amar qu'Ahel Bekkaï, vont visiter en pèlerinage les tombeaux de leurs ancêtres, et notamment ceux de: a) Baba ould Sidi-l-Mokhtar à Maouella, près de Kaédi, sur la rive gauche du Sénégal; b) Sidi Amar, à Sif al-Fil au sud de Mouit; c) Bambaye ould Sidi Amar, dans le Raag de Kaédi.

Comme tous les Kounta, ce sont de grands voyageurs et d'actifs commerçants. Leur centre de négoce est surtout Kaédi.

ANNEXE
Tableau généalogique des Ahel Cheikh (Kounta) du Brakna.

Cheikh Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir
† 1811.
 
Baba Ahmed
† vers 1840.
 
Bekkaï
† 1853.
 
 
Baba 1879. Sidi-l-Mokhtar dit Sidina,
† vers 1887.
Sidi M'hammed, chef des Ahel Bekkaï. Al-Abidin.
 
 
Baba 1891. Sidi Amar. Khalifa.
 
 
Bambaye. Chibani,
chef actuel des Ahel Sidi Amar.
Sidi-l-Mokhtar,
né vers 1908.

CHAPITRE VII
TORKOZ

1.—Historique.

Les Torkoz se flattent généralement d'être d'origine arabe (Beni Oummiya). Ils rattachent leur ancêtre éponyme Abd Er-Rahman Rekkaz à Oqba ben Nâfi, le conquérant de l'Afrique du Nord et l'aïeul revendiqué par les Kounta. Voici sa chaîne généalogique: Rekkaz ould Bou Bakrin ould Abd Allah ould Sidi Mohammed ould Sidi Salem ould Sidi Brahim ould Sidi Othman ould Alioun ould Sidi Abd Allah ould Sidi Jaafer ould Salem ould Oqba.

Une autre tradition, recueillie chez les tribus voisines et non déniée par quelques Torkoz, leur donne une origine berbère. Les ancêtres des Rakkaz, dit-elle, vinrent, par delà l'Adrar, du Sud marocain avec Bou Bakar ben Omar (onzième siècle). Leurs descendants arrivèrent dans le Sahara occidental, en même temps que les pères des Medlich et des Id Ar-Zimbo. Par la suite, les Torkoz qui s'étaient créé de belles palmeraies dans l'Adrar, en furent dépouillés puis furent chassés du pays par les Smassid. Il en reste à peine quelques tentes dans l'Adrar. Les Torkoz sont les cousins des Chleuh Rekakza et autres qui habitent l'Oued Noun, où ils sont restés guerriers et à moitié sédentaires, et également les cousins des Terkeïza, qui habitent l'oasis 204 de Mreïbot, près de Tindouf. Cette tradition se rapproche certainement de la vérité.

Rekkaz, id est «le tapoteur» ainsi nommé parce qu'il portait toujours un bâton avec lequel il frappait le sol, vivait au temps de l'imam Hadrami, c'est-à-dire vers la fin du seizième siècle et le début du dix-septième siècle. Cette date est bien déterminée par la tradition, parce qu'elle fait de son fils Ahmed et de son petit-fils Berrek, les chefs Torkoz pendant «la guerre de Boubbah» (dix-septième siècle).

Voici le tableau généalogique établissant la filiation ethnique de toutes les fractions torkoz (Brakna, Tagant et même Hodh et Azaouad) à l'égard de Rekkaz.

Abd Er-Rahman, le Rekkaz   Ahmed   Berrek, père des Brarka (Aleg).   Ahel Bahmouda.
Ida Ou Amar.
Helalma.
Ahel Hemid ould Boubah.
O. Eli Mbarek.
 
Sidi Ahmed, père des Oulad Sidi Ahmed (Moudjéria).   O. Sidi Bou Bakar.
O. Sidi Reguieg.
O. Sidi Ahmed Aleïa.
Ahel Bar (rares).
O. Sidi Boussar.
O. Sidi Salé.
 
Abd Er-Rezzaq, père des Ahel Abd Er-Rezzaq (Hodh.) (Regueïba).   Belahmar, ancêtre des Oulad Belahmar (Tagant).
Renia, ancêtre des Id ag Renia (Trarza).
Talaba, père des Ahel Sidi-l-Mokhtar et des Ahel Tahel Ahmed.
 
Mohammed, père d'Ali Bou Ghareb, qui est l'ancêtre des Ghouareb ou Lghouareb (Tagant).
 
Amar, père de Tiki, qui est l'ancêtre des Oulad Tiki (Tagant).

205 Les premiers Torkoz arrivèrent dans le Brakna «vers le temps du Cherr Boubbah, ou peu après», c'est-à-dire à la fin du dix-septième siècle. C'est de là que date la scission de la tribu. Tribu à chameaux jusque-là, les nouvelles conditions géographiques la transformèrent. Les fractions du Tagant: Oulad Sidi Ahmed et Ghouareb, gardèrent leur cheptel camelin. Les Brarka et quelques sous-fractions cousines qui descendaient avec eux vers le sud et s'établissaient dans l'Aftout devinrent propriétaires de bœufs. Les premiers furent longtemps les plus riches. Mais, par la suite, les Brarka doublèrent leurs richesses pastorales par le commerce et furent classés les plus fortunés des cinq fractions.

Les Torkoz assurent qu'ils ne prirent pas part à la guerre de Boubbah, n'étant arrivés dans le Sud que quelques années après la conclusion de la paix. Mais les Tolba voisins placent leur arrivée avec la fin du Cherr Boubbah, et disent formellement qu'ils prirent part au combat final de Tin Yefdan. C'est de ce jour que daterait leur dispersion. Ils durent, comme les autres tolba, se soumettre au payement d'une horma, qui fut fort longtemps perçue par les Oulad Ahmed et les Oulad Yahia ben Othman et les Ahel Soueïd Ahmed sur les fractions torkoz ressortissant à leur autorité. Par la suite, leur état s'aggrava de redevance envers les Ahel Soueïd Ahmed. Il est vrai qu'avec le temps les Torkoz du Brakna ont pu se dégager de ces tributs, depuis longtemps déjà en ce qui concerne les Oulad Ahmed, plus récemment pour les Abakak, à qui, par transformation de la tradition, ils ne peuvent encore aujourd'hui refuser, de temps en temps, de légers cadeaux. On trouve, d'ailleurs encore, un certain nombre de tentes torkoz dans les campements Abakak, à qui ils servent de tolba.

En résumé, il n'y a plus aujourd'hui dans le Brakna, en fait de Torkoz, que la fraction Brarka. Les Oulad Sidi Ahmed, les Ghouareb et les Oulad Tiki sont dans le Tagant; les Ahel Abd Er-Rezzaq se partagent entre le Hodh et 206 le Regueïba, le Tagant et le Trarza. Il y a même une fraction torkoz de 10 tentes chez les Kounta de l'Azouad, dans la fraction Regagda, sous-fraction des Ahel Sidi Ceddiq.

Les Oulad Sidi Ahmed ont vécu plusieurs années au Brakna, où ils s'étaient réfugiés après la perte de leurs chameaux. Ils retournèrent au Tagant, en 1911-1912, mais entendirent conserver l'usage des pâturages du Sud, ce qui amena des conflits avec leurs cousins. Il y eut des batailles sanglantes entre Oulad Sidi Ahmed, Ghouareb, que les premiers voulaient empêcher de boire à Tindel, dans l'influent du Gorgol et Brarka. Elle donna lieu aux sanctions suivantes des autorités du Brakna et du Tagant.

1o Une amende de 500 francs, répartie entre les principaux membres de la djemaa, a été infligée aux Oulad Ahmed;

2o D'après les mêmes dispositions, une amende de 300 francs a été infligée aux Brarka;

3o Trois Oulad Ahmed, coupables d'avoir tiré sur les Brarka, ont été punis de quinze jours de prison;

4o Les Torkoz ont été désarmés;

5o Leur tribu, sous le commandement de Sidina a été groupée dans un rayon en rendant la surveillance facile pour le Commandant de Cercle;

6o Une dïa est payée par les coupables aux Brarka blessés. Elle a été fixée, suivant les coutumes, à 340 pièces de guinée filature payables, la moitié en mai et l'autre moitié en août.

Après entente avec le Tagant, la question de principe fut réglée ainsi en 1914. Le Brakna, sauf la partie Est-Agan, et le Trarza: Aguiert, Tin Yarech, Letfotar, sont interdits aux Oulad Sidi Ahmed. D'autre part, défense est faite aux Brarka de dépasser la ligne Ouezzan—Lmeïdja—Tindel.

Avec les Id ag Jemouella, les relations ont toujours été forts tendues. Avant et depuis notre arrivés, de sanglants combats ont été livrés entre ces deux tribus, et, jusqu'en 1915, où une répression sévère intervint, et jusqu'en mai 1917 où cinq Abakak venus récolter de la gomme et pillarder aussi sur le 207 territoire torkoz et qui furent pris pour des Id ag Jemouella, furent criblés de coups de feu et blessés à coups de massue. Cette méprise n'eut pas d'autres suites que les réparations accoutumées.

2.—Fractionnement.

Les Torkoz du Brakna, c'est-à-dire la fraction torkoz des Brakna, se divise en huit sous-fractions.

Les Ahel Bou Hammadi et la sous-fraction suivante: Ahel Habrezza sont des Ahel Bahmouda. Ils ont pour chef Sidi ould Hammadi, et pour djemaa: Jiyed ould Oualati; Abd El-Fettah ould Hamida; Hachim ould Oualati.

Les Ahel Habrezza tirent le nom de Habrezza, qui eut une célébrité marquée en son temps, et dont le tombeau se trouve dans le Brakna, en un point ignoré. Ils ont pour chef Mohammed Limam ould Al-Boustami ould Ahmed Jeddou (ould Ali Menna ould Habrezza ould Ba Ahmouda ould Berrek), qui est aussi le chef général de la tribu. Voici la succession depuis Habrezza:

(1) Habrezza.
 
(2) Eli Menna.
 
 
(3) Mohammed. Ahmed Jeddou. Amar.
 
 
(5) Ahmed Jeddou. Sidi. (4) Boustami. Cheikh. Ahmoud.
 
fille mariée à Sidi Ahmed.   (6) Ahmed Jeddou. Moh. Mokhtar. Moh. Lamin.
 
 
  Moh. Limam, chef actuel
 
 
  Mostafa.
 
 
  Sidi Ahmed.
 

208 Au moment de notre occupation, la tribu vivait sous l'autorité de la djemaa, les derniers chefs (4) Boustami et (5) Ahmed Jeddou ould Mohammed, ayant discrédité le commandement par leurs rivalités. Boustami ayant disparu, ce fut Ahmed Jeddou qui fut porté par l'élection à la tête de la fraction. Il mourut vers 1909 et fut remplacé par (6) Ahmed Jeddou ould Boustami. Les nombreuses plaintes dont il fut l'objet provoquèrent sa démission en janvier 1911. Il mourut peu de temps après (30 mars 1911).

On put trouver la solution de ce commandement difficile, en sortant des Ahel Eli-Menna, et (7) Sidina ould Zeïn ould Bouddia fut nommé chef, grâce à l'appoint des Oulad Sidi Ahmed. Ceux-ci partis au Tagant, Sidina n'eut plus qu'une minorité dans la tribu. Il fut rapidement convaincu d'exactions par l'ensemble des Brarka, qui, fidèles à leur campement héréditaire, ne voulaient pas de lui, et révoqué (fin 1912).

On revint donc aux Ahel Eli Menna, et (8) Mohammed Limam ould Boustami, frère d'Ahmed Jeddou fut élu. Son élection fut assurée par le bloc des Ahel Bahmouda, Helalma et Ida Ou Amar, mais il eut l'adresse, le jour même, de caresser les opposants et de s'attirer leur sympathie. Depuis ce jour, le calme semble revenu. Mohammed Limam, né vers 1870, assure très correctement son service. C'est un marabout vénéré et paisible. Il vit, autour de Mal, en bonnes relations avec ses voisins et particulièrement avec Cheikh Sidïa. Il a un fils, Boustami, né vers 1905, qui commence à le seconder. Il a un beau troupeau, et passe pour riche[9].

[9] Mohammed Limam est mort de la grippe en décembre 1918.

Les notables de la sous-fraction Habrezza sont: Sidi Ahmed et Mostafa ould Eli Menna, frère du Cheikh, ses cousins, nommés au tableau généalogique, et Alfa ould Khouna.

Les Ahel Ammi ont pour chef Sidi Ould Ammi et pour 209 notables: Cheikh ould Ammi et Sidna ould Omar. Ils sont Ahel Hemid ould Aoubak, ainsi que les deux sous-fractions suivantes:

Les Ahel Hemid ould Aoubak sont le noyau d'une fraction, jadis florissante, et qui a essaimé. Leur chef est Abd El-Ouadoud ould Sidi Brahim et leurs notables sont: Al-Hadj ould Ahmed Maaloum et Ahmed Maaloum ould Sidi Brahim;

Les Ahel Taleb Maham ont pour chef Sidi Mohammed ould Omar ould Bouddïa et pour notable: Ahmoud ould Bachir.

Les Ida Ou Omar ont pour chef: Ali ould Mokhtar, leur djemaa comprend Mahfoudh ould Boubba; Brahim ould Al-Ouâar et Sidi ould Ahmed Bouh.

Les Helalma (au sing. Helalmi) ont pour chef Bouna ould Alioua et pour notables: Mohammed Sidi ould Al-Hadi et Cheikh ould Taleb Ali.

Les Tolba sont une sous-fraction issue des Oulad Eli Mberrek. Ils ont pour chef: Abd El-Moumen ould Cheikh Mohammed Mahmoud ould Abd El-Fettah, et pour notables Abd El-Rafour ould Tolba et Brahim ould Mohammed ould Taleb Ali.

Les Torkoz nomadisent en saison sèche autour du Mal; en hivernage entre Mal, Guimi et Aguiert.

Leur feu est «berek» qu'ils apposent sur la cuisse droite des animaux. Ils ont plusieurs contre-marques: un trait oblique sur la joue droite, chez les Ahel Ammi; un trait sur la nuque chez les Eli Menna, ainsi que l'amama (turban) soit , sur le barek; un T sur le côté droit chez les Ahel Amar Bouddïa; et chez la plupart des gens deux traits parallèles sur le côté droit du cou.

Les statistiques de 1917 donnant, pour l'ensemble de la fraction, 208 tentes et 855 âmes, 15 équidés, 73 camelins, 741 bovins, 8.730 ovins et 262 ânes.

Les Torkoz sont, avec les Tagant, les gens les plus commerçants 210 du Brakna. Ils vont à Saint-Louis, Louga, Kaolak, Dakar et jusqu'en Gambie et en Casamance, pour vendre des milliers de moutons. Ils servent même d'intermédiaires à certaines tribus voisines pour la vente de leur bestiaux.

3.—Vie religieuse.

Un nom domine la vie religieuse du Torkoz: Mrabet ould Sidi Mohammed ould Mrabet Abd El-Fettah, tant par son prestige personnel que par l'héritage acquis de son grand-père, un des grands pontifes de son temps.

Mrabet Abd El-Fettah ould Taleb Ali (ould Mohammed ould Ahmed ould Amar ould Eli Mbarek) remplit l'histoire religieuse des Torkoz et d'une partie du Brakna pendant toute la première moitié du dix-neuvième siècle. Il fut l'élève de deux grands maîtres: Sidi-l-Mokhtar, des Id Abhoum (Oulad Biri); Cheikh Menni, des Tagat, l'ancêtre de la fraction Ahel Menni. On lui doit la revivification de Diok et un exemple précieux. Passant un jour à Diok. à 30 kilomètres environ au sud-est de Moudjéria, au cours d'un de ses nombreux voyages dans le Brakna, il affirma à ses compagnons de route qu'une inspiration divine lui faisait connaître que ce lieu était béni du ciel et qu'il le choisissait pour y vivre jusqu'à sa mort et que c'est là qu'il désirait voir s'élever son tombeau.

Dieu ayant exaucé ses prières, il trouva de l'eau à 0 m. 50 en creusant le sable brûlant. Puis il envoya quelques jeunes captifs, ses élèves, chercher des plants de palmiers, qu'ils payèrent deux vaches aux Oulad Sidi Haïb Allah, de Kçar el-Barka? (Tagant).

Sa plantation terminée, Mrabet ould Abd El-Fettah creusa quelques puits de 8 mètres de profondeur; deux d'eau douce qui lui servirent pour arroser ses palmiers et pour les besoins de sa famille, et deux d'eau très légèrement 211 salée pour ses chameaux. Mrabet, qui avait déjà cinquante ans lorsqu'il s'installa à Diok, y mourait vingt-cinq ans plus tard (vers 1840). Son tombeau, construit par son fils Sidi Mohammed, se voit encore près de la palmeraie plantée par Mrabet. C'est une simple construction en pierre et en banco. Il se trouve exactement à Mouilah, près de Diok; il est l'œuvre de son fils Sidi Ahmed.

Pendant toute sa vie et les dix années qui suivirent, les palmiers donnèrent une belle et abondante récolte de dattes. La production ayant considérablement diminué, les habitants de Diok, courant de nombreux risques de pillage de la part des Oulad Nacer, qui ravageaient le pays et étant obligés de donner une large hospitalité aux guerriers de passage, Cheikh Sidi Mohammed vers 1875, abandonna la propriété paternelle. Toutefois, il continua de venir tous les ans faire la récolte des dattes; mais les arbres laissés sans soin et d'autre part abîmés par des troupeaux de singes, ne produisirent plus qu'une récolte tous les deux ans.

Vers 1897, Mrabet ould Sidi Mohammed ould Fettah, partagea, pendant six ans encore, la récolte avec son oncle Cheikh Mohammed. Puis la palmeraie fut abandonnée complètement en 1903. Ayant appris qu'en 1908 un homme des Ghouareb avait récolté à Diok, dans la palmeraie abandonnée, deux charges de chameau de dattes, Mrabet revendiqua ses droits de propriétaire et paya à un Alaoui de Tijikja une pièce et demie de guinée pour tailler et féconder les dattiers.

La palmeraie de Mrabet Abd El-Fettah qui fut partagée entre ses deux fils, Sidi Mohammed et Cheikh Mohammed Ahmed, tous deux décédés, comprend aujourd'hui deux propriétés distinctes: l'une appartenant à Mrabet ould Sidi Mohammed, fils unique de Sidi Mohammed et l'autre aux cinq fils de Cheikh Mohammed, dont l'aîné porte le nom d'Abd Es-Selam.

212 En outre, près de cette palmeraie, quelques dattiers ont été plantés par les frères Brahim et Ahmed Djilani ould Dechar qui, par vénération pour la mémoire de leur professeur se constituèrent les gardiens de son tombeau même après le départ de ses fils.

La propriété de ces quelques dattiers a été contestée à l'unique fille héritière de Brahim et de Ahmed, Douila ment Ahmed-Abd Allah par Mrabet ould Sidi Mohammed. Ce dernier, en bas âge lors de la plantation des dattiers, prétendit à sa majorité, que ces arbres ayant été placés dans un domaine de sa famille sans autorisation, il les considérait comme sa propriété. L'accord s'est fait aujourd'hui.

C'est ce Mrabet ould Sidi Mohammed ould Abd El-Fettah qui est aujourd'hui le maître des destinées religieuses de la tribu. Né vers 1870 d'une mère hijajïa, il a fait ses études auprès de son père et de Cheikh Mohammed Abd Allah ould Mohammed Mahmoud, dans Dieïdiba, dont il est le disciple qadri, et de qui il a reçu les pouvoirs de moqaddem. Il a fait sa soumission dès l'occupation du pays et n'a jamais créé de difficultés. Son frère fut bien mis en prison, en mars 1911, pour opposition à l'élection du chef et lui-même ne fut peut-être pas étranger aux intrigues du moment, mais il a, depuis ce temps, fait oublier ce mauvais moment. Les nombreuses aumônes qu'il reçoit lui ont procuré de grands biens, mais son hospitalité est large. Il est le cadi écouté et le professeur d'enseignement supérieur de la tribu. Ses élèves varient entre 30 et 50. A côté d'une majorité de Torkoz, on y trouve des jeunes gens de plusieurs tribus voisines. Sa réputation dépasse le Brakna et s'étend au Trarza, au Tagant et au Gorgol.

La plupart des Torkoz sont les disciples spirituels, dans la voie du Qaderisme, de Mrabet; mais parmi les jeunes gens on voit certaines dissidences se produire et se rallier à Cheikh Sidïa ou à Saad Bouh.

213 Le frère de Mrabet, Abd El-Fettah ould Sidi Mohammed, est aussi un marabout de renom, mais plus occupé que son frère des choses temporelles. C'est un professeur réputé, qui a fait ses études chez les Tendra et se rattache au Cheikh Mohammed Abd Er-Rahman ould Mohammed Salem.

Un dernier nom à mentionner: Mohammed ould Taleb Ahmed, notable fort écouté, et qui est un de ceux qui travaillèrent le plus à la réunion des Brarka et des Oulad Sidi Ahmed.

Les Torkoz du Brakna honorent par leurs pèlerinages les tombeaux de leurs ancêtres à Hemmal, Begguert, Mal et Kedouacha.

Ils sont considérés par les Abakak (Id Ou Aïch) comme leurs marabouts cadis et professeurs. Les relations des deux tribus sont tout à fait cordiales.

CHAPITRE VIII
HIJAJ

1.—Historique.

Les Hijaj sont une tribu dérivée des Rehahla. Ils sont donc d'origine arabo-hassane, puisque Rehhal, ancêtre éponyme des Rehahla, est le frère d'Antar, de Yahia et d'Omran, ancêtres des Oulad Nacer, des Oulad Yahia ben Othman, et des Trarza et Brakna, et que ces quatre personnages sont les fils d'Othman ould Oudaï ould Hassan.

En ce qui concerne l'historique des Rehahla et par conséquent l'historique lointain des Hijaj, je ne puis que renvoyer à mon ouvrage l'Émirat des Trarza.

C'est de la fin de la guerre de Boubbah que date leur «conversion» au maraboutisme; elle résulte probablement, bien que la tradition soit muette sur ce point, de la défaite des Rehahla, hassanes des premières invasions, et de leurs alliés les marabouts, par les Trarza-Brakna. Un individu des Rehahla, le nommé Samba, premier ancêtre connu des Hijaj, ne pouvant plus vivre dans sa tribu vaincue, vint chercher fortune sur les rives de l'Oued Katchi. Il était accompagné d'un de ses cousins, dit Damâni, et de plusieurs serviteurs (fin du dix-septième siècle). 215 Samba eut deux fils: Hamdan et Abd En-Nebi, qui sont les ancêtres des deux premières fractions Hijaj. Damâni est l'ancêtre éponyme de la troisième et dernière fraction des Douamin.

Il faut, à partir de maintenant avoir sous les yeux le tableau généalogique de la tente princière pour pouvoir suivre le cours des événements.

Tableau généalogique.

Samba.
 
 
Hamdan. Abd En-Nabi.
 
 
Maham. Taleb Brahim. Taleb Amed. Meskour.
 
Al-Hadj Mohammed. Al-Hadj Hossin. Al-Hadj Mokhtar. Mohammed Barhoum.
 
Mokhtar.
 
1. Mohammed Lamin.
 
 
2. Sidi Abd Allah. Al-Qadi. Cheikh Mohammed.
 
 
Hamenni. Mrabet. Cheikh Ahmed Mahmoud. Mohammed Lamin.
 
 
3. Mahmoud. 4. Mohammed Al-Mrabet † 1914. Mohammed. Mokhtar. Moh. Mostafa.
 
 
Sidi Abd Allah. 6. Ahmed. Inedji. 5. et 7. Mahmoud. Hadj Amin. Ma-l-Aïnin.

Hamdan, qui vécut dans le premier quart du dix-huitième siècle, est le premier qui ait fait le pèlerinage à la Mecque et inauguré ainsi ce nom de Hadj, qui allait devenir celui de la tribu. Il eut quatre fils, dont l'un, Meskour, est l'ancêtre de la tente princière des Hijaj. Les trois autres mirent au monde chacun un fils, Mohammed, Hossin et 216 Mokhtar. Ces trois cousins firent ensemble le pèlerinage de la Mecque, vers le milieu du dix-huitième siècle. Le second, Hossin, mourut à la Mecque même et y fut enterré; les deux autres revinrent à bon port et furent enterrés, après une vie embellie par les vertus islamiques, le premier à Al-Aguilat, près de Mouit, l'autre à Al-Ouasta. Ce triple pèlerinage auréola ce petit campement d'une gloire, assez rare alors, et on se prit à les désigner sous le sobriquet de «tribu des Hadj» ou «Hijaj». Le nom leur en est resté définitivement. Et de ce jour-là la tribu se voua à la vie maraboutique.

La tribu naissante vivait alors dans l'Agan et buvait au puits d'Oudenech, situé à Zkil, au nord-ouest de Chogar-Toro, et à celui d'Al-Ouasta, sis à 15 kilomètres au nord-ouest du premier.

Il n'y a rien à dire sur les premiers descendants de Meskour, au cours du dix-huitième siècle. Le commandement est d'ailleurs, à cette époque, l'objet d'âpres compétitions. C'est au début du dix-neuvième siècle qu'il se fixa définitivement dans les Oulad Hamdan et dans les Ahel Meskour par les vertus et le prestige de Mohammed Lamin ould Mokhtar ould Mohammed Barhoum ould Meskour.

Cette dévolution de l'autorité devait entraîner, au cours du dix-neuvième siècle, des scissions répétées dans la tribu. Une première fraction alla s'installer dans le Gorgol; on les y retrouve aujourd'hui sous ce nom. En 1910, ils ont été réunis à la tribu-mère du Brakna. D'autres retournèrent vers les cousins Rahahla et furent asservis comme eux au tribut. D'autres enfin, mais antérieurement, qui n'avaient voulu se muer aux marabouts définitifs, allèrent s'affilier aux Oulad Eli (Brakna du Gorgol). De nos jours enfin, vers 1902, la fraction Douamin, qui n'est à proprement parler que cousine des deux, et, à ce titre a toujours fait preuve d'indépendance, ne voulant pas accepter l'autorité des Oulad Hamdan, est allée s'incorporer aux 217 Id ag Fara Brahim, des Dieïdiba. L'accord faillit se faire, il y a quelques années, mais, au dernier moment, on ne s'entendit pas et les choses restèrent en l'état.

Mohammed Lamin est compté comme le premier chef de la tribu, désormais constituée en une unité bien vivante. C'est sous son règne, semble-t-il, qu'eut lieu la guerre fort dure, rapportée par le Tarikh de Oualata, et où luttèrent d'une part les Oulad Bella et les Masna de Tichit, d'autre part les Hijaj et les Dehahna alliés. Les Hijaj du Brakna envoyèrent des contingents à leurs frères du Nord. Un combat sanglant, le 19 juillet 1850, mit fin aux hostilités. Après Mohammed Lamin, le pouvoir est resté dans la descendance de son fils aîné (2) Sidi Abd Allah. C'est ce Sidi Abd Allah, «homme magnifique, avec une barbe imposante qui descendait jusqu'à la poitrine, un vrai patriarche» que visita l'enseigne Bourrel, en 1860, et qui lui fit un si cordial accueil. Les chefs, ses fils, furent d'abord (3) Mahmoud, mort sans postérité, et (4) Mohammed El-Mrabet, mort au début de 1914.

Mohammed Al-Mrabet était chef de la tribu lors de l'occupation française. Obéi et aimé de ses gens, dévoué à nos intérêts, il fut un excellent chef qu'on a eu le regret de voir mourir de la variole en janvier 1914. Il fut remplacé par surprise et sous l'influence du grand marabout de la famille, Cheikh Ahmed Mahmoud, par son neveu (5) Mahmoud ould Mohammed Mokhtar, au détriment de ses fils.

De ses fils, l'aîné, Sidi Abd Allah, ne voulut pas revendiquer ses droits et les céda à son cadet Ahmed. Ahmed faisait alors ses études chez les marabouts du Nord. Il revint immédiatement et réclama le commandement. Entre temps, il suivait les cours de l'école d'Aleg. On finit par lui donner droit, et en fin 1914, il fut nommé chef de la tribu.

Mais jeune et léger (6) Ahmed ne sut pas se faire obéir; il manqua totalement de pondération dans son commandement, 218 et dut être remplacé, en avril 1917 par son prédécesseur (7), Mahmoud ould Mohammed Mokhtar.

Mahmoud, né vers 1862, marabout paisible, n'a qu'une influence limitée; il est simplement le membre le plus notoire de la djemaa. Il a trois fils: Hamma Lamin, Mohammed et Ahmed; il subit fortement l'influence de ses frères: Had Amin et Mrabet, et surtout de son cousin, le grand Cheikh spirituel de la tribu, Ahmed Mahmoud. Le jeune Ahmed, qui avait commencé par faire quelque opposition et avait été, de ce fait, puni disciplinairement, est revenu au calme[10].

[10] Mahmoud ould Mohammed Mokhtar est mort de la grippe en décembre 1918.

2.—Fractionnement.

Les Hijaj du Brakna se partagent ethniquement et administrativement en les fractions suivantes:

1o Oulad Hamdan; chef: Mahmoud ould Mohammed Mokhtar; 120 tentes et 580 âmes; 200 camelins, 958 bovins, 2.495 ovins, 164 ânes;

2o Oulad Abd En-Nabi: première sous-fraction administrative; chef: Cheikh ould Taleb Brahim, qui a succédé à son frère Jeddou, tous deux neveux de l'ancien chef Cheikh Mostafa ould Taleb Brahim, vieux et cassé, 9 tentes et 28 personnes; 20 bovins, 270 ovins et 10 ânes; deuxième sous-fraction administrative; chef: Mohammed ould Khalil, 20 tentes et 57 personnes, 131 bovins, 325 ovins et 20 ânes;

3o Haratines Hijaj; chef: Kaouri ould Obeïd; 40 tentes et 160 âmes; 74 bovins, 404 ovins et 12 ânes. Ces haratines sont pour la plupart domiciliés dans le Chamama auprès de Mbagne. Un petit nombre d'autres est resté nomade vers Bassi Nguidi.

219 L'ensemble comprend donc 189 tentes et 831 âmes. Le cheptel est de 200 camelins, 1.183 bovins, 3.494 ovins, et 206 ânes. Le feu de la tribu est, comme il convient à ces fils de pèlerins, la marque «Makka» , qu'ils apposent sur la cuisse droite des animaux.

Les Hijaj se partagent, d'après leur genre de vie, en deux groupes: les Oulad Hamdan, ou grands nomades du Nord (Amechtil et Akel) et les Oulad Abd En-Nabi, rattachés récemment encore au Gorgol, ou petit nomades du Sud-Est. On pourrait y joindre le groupe cultivateur des Haratines.

Fraction à chameaux, les Oulad Hamdan nomadisent dans le Nord-Ouest. En hivernage, ils sont aux environs de Diguet Menné et dans l'Oued; en saison sèche, à Chogar, et aux environs, à Oudnech et à Al-Ouasta. Ce n'est que de nos jours qu'ils ont pu revenir vers ces puits ancestraux. Vers 1900, victimes de plusieurs pillages de la part des Oulad Bou Sba de l'Adrar, ils avaient été obligés de les abandonner et s'étaient cantonnés à Diguet Memmé et à Chogar Tora. De nos jours, ils n'échappent pas toujours aux rezzous, mais ils retrouvent en fin de compte leurs pertes. C'est ainsi que pillés par les Regueïbat en juin 1914, ils rentrèrent peu à peu en possession de leurs chameaux, repris par le peloton méhariste de l'Adrar.

Fraction à bœuf et à petit bétail, les Oulad Abd En-Nebi, ne possèdent pas un seul chameau. Ils nomadisent dans un petit rayon, en hivernage, vers Al-Kouïat et Al-Ousakat; en saison sèche, à Bassi Nguidi et à Bilal.

Le cadi de la tribu est Mohammed Salem ould Jeddou, d'origine Ahel Babouya, né vers 1865, savant professeur et juriste, élève et disciple de Mohammed Lamin ould Cheikh Mohammed. D'une famille peu connue, Mohammed Salem commence seulement à percer grâce à sa science et à sa probité.

Les principaux notables sont: les deux fils de Cheikh 220 Mohammed ould Mohammed Lamin, à savoir: Cheikh Ahmed Mahmoud et Mohammed Lamin. Cheikh Ahmed Mahmoud, né vers 1868, est le marabout le plus en vue des Hijaj. Il passe déjà pour être un ouali. Élève et disciple qadri de son père, il se rattache par lui aux grands Cheikhs Sidi Mohammed ould Menni des Tagat, Cheikh Al-Qadi des Deïdiba, et Sidi-l-Mokhtar Al-Kabir, des Kounta. Il est fort instruit, possède une bibliothèque bien garnie et distribue l'enseignement coranique et supérieur à une cinquantaine d'élèves, tant des Hijaj que des tribus voisines, notamment Tadjakant et Id ag Jemouella. Ce Cheikh se confine de plus en plus dans la piété et le mysticisme; il a fini par se désintéresser complètement des affaires administratives et du commandement de la tribu; il abandonne même souvent son école à son cadet. Il vit à l'écart, ermite, plongé dans une quasi perpétuelle kheloua. Son seul fils peut alors l'approcher, et quelquefois son frère Mohammed Lamin. C'est un thaumaturge reconnu, au demeurant le marabout le plus notoire du Cercle, après M'hammed ould Bekkaï, des Kounta. Son frère, Mohammed Lamin, né vers 1870, de la même obédience, très intelligent et très instruit, est moins confiné dans le mysticisme. Il dirige avec beaucoup de savoir une école de trente élèves, où l'on voit, à côté des Hijaj, des Tadjakant et des Dieïdiba. Quand son frère aîné disparaît dans sa retraite, c'est près de cent élèves que comprend cette petite Université nomade. Les deux Cheikhs ont distribué leur ouird à la majeure partie de leurs contribules.

Les Hijaj sont tous qadrïa, relevant de deux obédiences différentes, soit surtout celle de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, soit celle de Cheikh Sidïa, en définitive par conséquent de la même source des Kounta de l'Azaouad.

Les principaux notables de la tribu sont: chez les Oulad Hamdan, Mohammed Fal ould Khalil; Mohammed Fal ould Bokhari, Ahmed ould Najid; Mohammed Abd Er-Rahman 221 ould Sidi; chez les Oulad Abd En-Nabi (1re sous-fraction) Sidi Abd Allah ould Abaïdi, et (2e sous-fraction) Youssef ould Aïssa et Brahim ould Salek; chez les haratines Ahmed ould Biyad et Samba ould Al-Yarg.

Le maître d'école coranique attitré de la tribu est Ahmed Abd Ed-Daïm ould Sidi ould Mokhtar Fal, né vers 1855, vieillard peu intelligent et médiocrement instruit, mais honnête, sympathique et très en confiance.

CHAPITRE IX
ID EÏLIK

1.—Historique.

Les Id Eïlik se prétendent, comme il convient, d'origine arabe, et se donnent une ascendance ommeïade. Ce qui est plus certain, c'est que l'ancêtre éponyme, Eïlik était un Berbère marabout, qui vivait avec les siens dans le sillage des Oulad Abd Allah, au seizième siècle. Depuis une ou deux générations au moins, cette sympathie unissait les deux tribus: Hassane et Zenaga. La tradition est formelle à ce sujet; elle prétend même que, dès le temps de Bou Baker ben Omar (onzième siècle), les deux tribus étaient alliées, étant venues ensemble d'Arabie, ce qui est un anachronisme manifeste, puisque les Arabes n'arrivent en Mauritanie qu'au quinzième siècle. Il est plus probable qu'Eïlik, Berbère du Sud marocain, arriva au seizième siècle dans les bandes Oulad Abd Allah, qui s'abattaient sur la Mauritanie. C'est ce qui expliquerait l'arrivée commune de la tradition historique.

Eïlik laissait quatre fils: Zar, Badelli, Diaoudiaye et Ab Amrar. La descendance des deux derniers s'est fondue dans celle de Zar et de Badelli, et aujourd'hui les Id Eïlik s'attribuent tous l'une de l'autre de ces deux filiations.

223 Zar, de son vrai nom Ishaq, était l'aîné. Le commandement devait rester dans sa famille jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, où il passa dans la branche cadette avec Atig, septième descendant de Badelli.

En leur qualité de marabouts, les Id Eïlik prirent part à la guerre de Boubbah, au début au moins, dans le clan de leurs frères dans la foi. Mais ils finirent par céder à leur amitié traditionnelle pour les Oulad Abd Allah, et lâchèrent les marabouts se rangeant aux côtés des hassanes. La légende veut que cette trahison ait été consommée à Tin Yefdad même, c'est-à-dire à la dernière et suprême bataille du «Cherr Boubbah».

On raconte en effet que, repoussés une première fois par les marabouts, les guerriers s'étaient retirés au Tagant. Les deux camps, s'étant mis à nouveau en marche l'un contre l'autre, se rencontrèrent à la mare de Tin Yefdad, au sud d'Ouezzan. Ils se faisaient face depuis plusieurs jours, quand les Ahel Badelli allèrent trouver les chefs guerriers et leur conseillèrent de prendre de nuit le plus d'eau possible dans la mare, puis de la rendre imbuvable, en y faisant piétiner des animaux, traînant des branches d'épineux. Ce conseil fut suivi. Puis au matin, les hassanes attaquèrent les marabouts. Repoussés, ils revinrent inlassablement à la charge et épuisèrent leurs adversaires. A la nuit, chacun resta sur ses positions, mais tandis que les guerriers buvaient et se refaisaient, les marabouts mouraient de soif devant la mare. Le lendemain, incapables de continuer la lutte, ils durent se reconnaître vaincus et accepter les conditions des guerriers.

Toute cette histoire paraît bien fantaisiste. Il n'en reste pas moins que les Id Eïlik, marabouts des Oulad Normach, ne leur payent pas de horma officielle, contrairement à toutes les coutumes maures, et que les uns et les autres sont d'accord pour reconnaître que cette situation privilégiée remonte à la guerre de Boubbah et aux concours 224 que les Normach reçurent à cette époque des Id Eïlik. On peut donc en admettre le principe.

A la fin du dix-huitième siècle, et sans qu'on sache en quelles circonstances exactement, le commandement passe dans les mains d'Atig ould Ahmed ould Habid ould Hand ould Mohand ould Malik ould Tegueddi ould Badelli ould Eïlik, chef de la branche cadette.

Atig meurt en 1810, laissant deux fils: Cheikh Mohammed Mahmoud et Mouïn. C'est à cette date, et par suite des rivalités des deux fils, qui se constituent le groupement actuel des Id Eïlik en deux fractions: Ahel Aleg, Ahel Abary, du nom de la région où ces campements nomadisaient habituellement. On connaît Aleg. Abary est le nom d'une petite rivière du Chamama.

Tableau généalogique.

Atig,
† vers 1810.
 
 
Cheikh Mohammed Mahmoud, † vers 1840. Mouïn, vers 1880.
 
 
Mostafa,
† vers 1839.
Sidi Salem.   Tig.
 
 
Cheikh Moh. Fal. Mahfoudh.   Mostafa.   Ahmed Mouïn.
 
 
 
Mostafa. Naji,
chef des Ahel Aleg.
Isselmou.   Abd El-Kerim.   Mahmoud, chef des Ahel Abary.
 
 
    Ahmed.
 

Cheikh Mohammed Mahmoud, tout en reconnaissant une certaine indépendance aux Ahel Abary de son frère, conserva encore, nominalement au moins, le commandement de la tribu. A sa mort, vers 1840, il ne laissait que des petits-enfants en bas âge, car son fils Mostafa était 225 mort un an avant lui. Cette situation permit à Mouïn, chef des Ahel Abary, de prendre sa complète autonomie.

Cheikh Mohammed Fal ould Mostafa ould Cheikh Mohammed Mahmoud a été un très pieux, très influent et très réputé marabout. On trouva son obédience dans plusieurs tribus maures voisines, et chez beaucoup de Toucouleurs du Chamama. Il était chef des Ahel Aleg, à notre arrivée, et conserva le commandement jusqu'à sa mort (fin 1912), mais depuis plusieurs années déjà, il ne s'occupait plus que de choses pieuses et laissait la direction politique de la fraction (Ahel Aleg) à son fils Naji et à son frère Mahfoudh. Nous n'eûmes que peu de rapports avec ce Cheikh. Il affecta de nous ignorer.

Naji (de son vrai nom Mohammed Mahmoud) a succédé à son père Mohammed Fal, en fin 1912, tant dans son commandement politique que dans sa direction spirituelle. A ce titre, il jouit d'un grand prestige dans sa tribu et au dehors, principalement dans la dabaï de haratines et dans les villages toucouleurs du Chamama et perçoit de nombreux cadeaux de toute nature. Très intelligent, fort instruit, sympathique, Naji, vers 1884, est déjà un professeur renommé. Son cours supérieur est suivi assidûment par une trentaine de jeunes gens Id Eïlik, haratines et Toucouleurs. Une de ses sœurs a épousé un fils de Cheikh Sidïa; elle vit actuellement séparée de son mari.

La deuxième fraction, les Ahel Abary, sont sous le commandement de la branche cadette de la tente Atig. A Mouïn ould Atig, décédé vers 1880, a succédé son fils Mohammed Salem, dit Tig ould Latig, qui s'est éteint en 1915, à l'âge de 80 ans. Ce fut un saint homme, très vénéré, ancien élève de Mohammed Mahmoud le grand «Mrabet», et dont on fit au début le cadi du Cercle. Son instruction et son esprit de conciliation lui avaient acquis une renommée universelle. C'était de plus un traditionaliste remarquable et un professeur, autour de qui se pressaient des 226 enfants de toutes les tribus du Brakna. Il recevait des aumônes de partout et principalement des Touabir et des Kounta; parmi ceux-ci, surtout des Meterambrin.

Depuis plusieurs années, ses facultés baissaient et il se faisait suppléer par son fils, Ahmed Mahmoud.

2.—Fractionnement.

Les Id Eïlik se partagent en deux fractions se décomposant à leur tour en huit sous-fractions.

A.—Ahel Aleg.

Les deux premières sous-fractions sont seules de pure origine eïlik: la première de Badelli, la seconde de Zar. Les Ahel Taleb M'hammed sont d'origine bourba, nationalisés (holafa) Eïlik depuis fort longtemps; les Njamra sont dans les mêmes conditions, mais d'origine medlich.

Ils comprennent 121 tentes et 575 personnes et sont riches de 10 chameaux, 591 bovins, 1.161 ovins et 87 ânes.

Les principaux notables sont: Mahfoudh ould Mostafa, oncle de Naji; et Mostafa, frère aîné, et Isselmou, frère cadet de Naji. Mostafa, orphelin de mère, et jaloux des préférences manifestées par son père à Naji s'est retiré depuis 1907 chez les Ahem Abary, où il s'est marié. Isselmou paraît devoir être un savant de quelque envergure.

B.—Ahel Abary.

227 Ils comprennent 62 tentes dont 42 pour les gens libres et 20 pour les haratines, et 352 personnes dont 70 haratines. Ils possèdent 11 chameaux, 285 bovins, 644 ovins et 48 ânes.

Les principaux notables de la djemaa sont: Sidi Salem ould Al-Altig; et ses fils Mostafa; Abd El-Karim et Ahmed. Il aurait tendance à former bande à part dans les Ahel Abary. Sidi Salem est en effet l'aîné de Mouïn, et c'est à lui qu'aurait dû revenir le commandement, s'il n'avait eu la méfiance d'envoyer son frère à Coppolani en 1905. Mohammed Fald ould Al-Atig; Ahmeïdou o. Ahmed Chella; Mohammed Lamin ould Habib; Mohammed Salem ould Obeïd Allah; Soudani ould Souleïman, Abmoïjin ould Moïjen.

L'ensemble de la tribu comprend donc 183 tentes et 297 personnes, et possède 21 chameaux, 876 bovins, 1.805 ovins et 135 ânes.

La marque commune est le lam-alif qu'ils apposent sur la cuisse droite. La zone de nomadisation est, en saison sèche comme en hivernage, d'Aleg à Mal. Quant aux haratines, ils sont en hivernage, au sud de Dielowar, en saison sèche, dans le Chamama entre Cascas et Boghé.

Ces haratines étaient jusqu'à 1912 groupés sous le commandement de Beya ould Birama, qui était responsable vis-à-vis des deux chefs. Groupés, ces haratines avaient plus de cohésion et travaillaient mieux. Mais dévoué à Cheikh Mohammed Fal, et de ce fait, assez partial vis-à-vis des gens de Tig, son commandement, satisfaisant de par ailleurs, provoqua des réclamations. Il fut scindé, et aujourd'hui les haratines vivent séparés, comme leurs maîtres.

3.—La vie religieuse.

Les Id Eïlik jouissent, entre les diverses tribus maraboutiques du Brakna, d'un grand prestige religieux, grâce sans 228 doute aux personnalités de renom qu'ils ont fourni à la génération précédente: Cheikh Mohammed Fal ould Mostafa et Tig ould Latig. De tous les points du Brakna et du Chamama, on vient compléter son instruction dans leurs tentes, et certaines d'entre elles sont de vraies petites zaouïa nomades. On leur demande, par la même occasion, l'ouird qadri, détenu ici par filiation dans la famille princière, depuis le grand Cheikh Mohammed Mahmoud ould Atig, qui était un disciple de choix de Mostafa ould Al-hadj, frère et élève de Cheikh Al-Qadi des Deïdiba, personnage bien connu. Cette obédience rattache, comme presque partout ailleurs, les Id Eïlik aux Kounta de l'Azouad, car les deux frères précités reçurent l'ouird dans le campement du grand Cheikh Kounti, Sidi-l-Mokhtar, et de sa main même.

Les principales tribus qui composent la clientèle des Id Eïlik sont: les Soubâk, les Zemarig, les Oulad Normach, les Touabir-Oulad Yarra, les Tadjakant de M'Bout, les Oulad Hid du Gorgol. Dans le Chamama, sis à l'est de Boghé, on ne trouve pas de village toucouleur, qui ne compte quelques-uns de leur talibé. Il en va de même, au moins en partie, sur la rive gauche. La personnalité la plus notoire de ces disciples noirs est Amadou Mokhtar, chef du Toro sénégalais.

Actuellement le moqaddem en titre est Naji (Mohammed Mahmoud) par dérivation de son père et de son grand-père. Cette tente vise avec un soin jaloux à ce que la baraka ne sorte pas de la famille.

L'influence de Cheikh Sidïa est assez sensible dans cette tribu. Son point de départ est le mariage projeté depuis longtemps, et effectué en 1911, d'un fils de Cheikh Sidïa avec Mariam, dit Maroum, sœur de Naji. Il y eut des tiraillements. Les Dieïdiba, jaloux de voir les Oulad Biri s'immiscer dans le Brakna, y firent une grande campagne d'opposition. Les Kounta s'en mêlèrent, car Maroum avait 229 été en quelque sorte promise à Bambaye. La campagne ne fut pas sans succès, car quand Cheikh Mohammed Fal mourut en fin 1912, Naji ne fut appelé par la djemaa à le remplacer que conditionnellement. Ce mariage ne dura pas d'ailleurs. Le fils de Cheikh Sidïa, ayant épousé, malgré ces promesses, une deuxième femme, Maroum revint dans le campement fraternel.

Les deux cadis des fractions Id Eïlik sont: pour les Ahel Aleg, Kabir ould Mohammed Salem, né vers 1880, ouvert, assez instruit, mais peu intelligent; pour les Ahel Abary Sidi Salem ould Oummoui, né vers 1850, vieillard ouvert et sympathique.

Le cimetière classique des Id Eïlik, celui qui renferme la plupart de leurs tombes et où ils vont faire leurs pèlerinages, est à Tiabba Taba, près du lac d'Aleg. On trouve là les tombeaux de tous les ancêtres des chefs marabouts actuels.

CHAPITRE X
ID AG JEMOUELLA

1.—Historique.

Les Id ag Jemouella se disent Chorfa. Leurs ancêtres arrivèrent dans la haute Mauritanie peu après l'époque lemtouna. Un peu plus tard, ils participent, aux côtés du fameux imam Hadrami, aux luttes contre les Tachomcha. Quand les hassanes envahissent l'Adrar c'est aux Id ag Jemouella que les Oulad Mbarek ont affaire, et de durs combats s'ensuivirent. Les Id ag Jemouella passent en outre pour avoir pris une part active aux différentes phases de la guerre de Boubbah (Cherr Boubbah).

Cette suite ininterrompue de guerres avait épuisé la tribu; elle penchait dès lors vers le maraboutisme. Seules, quelques tentes obstinément guerrières ne voulaient pas se convertir. Elles furent à peu près détruites par les attaques des Litama; les derniers campements se réfugièrent chez les Oulad Eli ould Abd Allah, prirent qualité de marabouts et s'engagèrent à leur payer des redevances.

Une autre tradition brakna, celle-ci extérieure aux Id ag Jemouella, ne conteste pas l'enchaînement de ces faits, mais leur dénie l'origine chérifienne. Elle relate que les Id ag Jemouella sont les descendants d'une vieille tribu berbère, 231 établie dans le Brakna, bien avant l'arrivée des Oulad Abd Allah, et qui perdit son antique puissance lors des luttes contre ces invasions arabes. C'est à cette date qu'ils se muèrent en marabouts, et du même coup, en chorfa. Cette tradition paraît plus vraisemblable.

Quoi qu'il en soit, l'ancêtre éponyme de la tribu serait un certain Abd Er-Rahman, dit Jamal al-Din (beauté de la religion). Il aurait été le fils, ou tout au moins le descendant, du fameux Sidi Yahia, le grand saint de Tombouctou, ancêtre également des Glagma et des Ahel Taleb Mokhtar du Hodh. La généalogie de ce Sidi Yahia est connue et a été donnée ailleurs. Abd Er-Rahman Jamal eut trois fils: Othman, Izzoun et Eïdyé, et ce sont ceux qui ont donné naissance aux trois groupements ethniques de la tribu: Oulad Othman, Oulad Izzoun, Oulad Eïdyé.

Le pouvoir se perpétua dans la branche aînée: celle d'Othman. La tradition rapporte que son cinquième descendant, Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Yeïja, «Le dernier héros des temps antiques» fut tué à la bataille de Tin Iefdadh, qui termina le Cherr Boubbah.

Eïdyé, de son vrai nom Youssef, laissa quatre fils: Maham Aboubak, Abd Allah et Imijen, dont la descendance se retrouve aujourd'hui chez les Oulad Eïdyé.

Il en est de même pour Izzoun.

Avec le temps, le pouvoir est devenu héréditaire dans la tente des Ahel Kebd, branche aînée des Oulad Othman. On donne de ce nom de Kebd qui signifie «foie» une explication amusante. De même que le foie est un viscère qu'on ne peut avoir qu'après la mort de l'animal, de même le pouvoir ne peut sortir des Ahel Kebd qu'avec leur disparition totale. Ce Kebd, qui mourut au début du dix-neuvième siècle, s'appelait de son vrai nom Taleb Othman ould Sidi Mohammed ould Taleb Othman ould Al-Alem ould Othman ould Abd Er-Rahman.

Lors de notre arrivée en Mauritanie, les Ahel Kebd 232 n'avaient pas de membres capables de les représenter. La djemaa chargea donc son président, le cadi Abd Allah ould Hamed des Ahel Othman, d'apporter la soumission de la tribu à Coppolani; par la suite, il conserva son commandement et l'exerça du reste avec intelligence. Aussi, pour reconnaître les services qu'il lui rendit au cours de sa mission Coppolani lui accorda-t-il une petite palmeraie près de Tijikja.

Abd Allah ould Ahmed (ould Belal ould Lamin ould Mohammed Karim ould Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Yeïja ould Abd Er-Rahman ould Mohammed ould Othman ould Abd Er-Rahman Jemal Ad-Din), né vers 1868, riche, intelligent et instruit, cadi de sa tribu, s'est maintenu chef des Id ag Jemouella jusqu'en 1914. Son commandement a été troublé par divers graves incidents.

En 1905, il a à supporter les attaques des Id Ou Aïch, qui lui ont voué un haine féroce. Ils déclarent que c'est lui qui est cause de l'installation des Français à Mal, en 1904, et le pillent à plusieurs reprises. La tribu, déchirée par les dissensions, finit par se partager en deux fractions: l'une qui reste rangée derrière son chef, l'autre qui subit l'influence de Cheikh Mohammed Mahfoudh, disciple de Saad Bouh, jeune ambitieux et intrigant, né vers 1878, et qui fut quelque temps cadi de la tribu. Après avoir tenté de se faire inscrire à Kaédi, un beau jour, en mai 1906, il part avec six de ses élèves vers le Nord. Il fut très bien reçu par Ma-l-Aïnin qui lui confia la gérance de ses biens à Atar. Sa disparition a ramené le calme et l'unité dans la tribu.

En juillet 1908, des contestations éclatèrent entre Lemtouna et Id ag Jemouella au sujet de l'usage de certains puits. Les Lemtouna provoquèrent à plusieurs reprises des rixes sanglantes.

En 1915-1916, le chef des deux petites fractions hassanes Naji ould Baji; le fils de l'ancien chef: Ba Naji et deux pillards réputés: Mokhtar et Naji ould Taïeb prennent la 233 brousse et se livrent à une série de petits pillages, dans le Brakna et le Raag. Quelques tirailleurs, insoumis ou déserteurs, se joignent à eux. Enfin, traqués et pris par les partisans, ils sont jugés et le calme renaît.

Dans ces dernières années, de violents conflits avec les Torkoz au sujet de pâturages et de points d'eau ont amené par une mesure rigoureuse et intempestive la condamnation de la tribu à 27.000 francs de dommages-intérêts envers les Torkoz. Elle est sortie de cette affaire complètement épuisée et n'a pas pu encore se relever.

Le mécontentement de la djemaa et de l'administration a dès lors contraint le Cheikh Abd Allah à se retirer. Déjà dès 1911, on avait cessé de faire la prière devant sa tente; il a été remplacé par le représentant héréditaire des Ahel Kebd: Sidi Mohammed. Abd Allah s'est retiré sous sa tente et y vit en philosophe paisible.

Dans le dernier état de choses, les Id ag Jemouella payaient un rafer aux Oulad Mohammed et un autre aux Oulad Eli du Gorgol.

2.—Fractionnement.

Les Id ag Jemouella (au sing. Jemouelli) se divisent aujourd'hui administrativement en dix fractions à savoir:

234 Ce fractionnement a été voulu par eux lors de la réorganisation de la tribu; ethniquement, ils se divisent en trois fractions et quatorze sous-fractions, conformément aux données historiques exposées plus haut. A savoir:

Oulad Othman   Ahel Bilal
Ahel Alem
Oulad Othman proprement dits
Ahel Taleb Abeïdi
Ahel Idyé
Id ab Emchif
Id ag Messaad
Oulad ben Brahim
 
Oulad Izzoun   Ahel Bou Daha
Ahel Obeïd ould Cheïn
Oulad Tegueddi
Id ag Bounka (d'où descend la tente des Ahel Cheikh Abd Allah, des Id ag Fara Brahim).
 
Oulad Eïdyé   Ahel Sidi Youssef
Ahel Mokhtar ould Mohammed

Les Id ag Jemouella hassanes, qui ne sont d'ailleurs guère plus guerriers que de nom, forment deux sous-fractions, issues des groupements précités:

Ces deux groupements n'ont plus que quelques tentes, qui vivent mêlées soit au tolba, soit surtout aux haratines. Certaines tentes sont allées chercher fortune chez les Dieïdiba-Asbat Negza et chez les Touabir. Elles s'y incorporèrent vraisemblablement.

Le chef actuel de la tribu est Cheikh Sidi Mohammed ould Moussa ould Cheikh Mohammed Al-Mokhtar ould Kebd, nommé en 1914. En sa qualité de représentant héréditaire des Ahel Kebd, il jouit d'une autorité incontestée, 235 et c'est au surplus un personnage dévoué; mais la tribu n'est tout de même pas en main. Il y a trop d'éloquents bavards et d'intrigants parmi ces chérifiens, d'ailleurs intelligents et ouverts.

Le cadi est Mohammed Mahfoudh ould Naji ould Sidi Youssef, des Oulad Eïdyé. Né vers 1875, c'est un personnage sympathique et instruit. Il relève dans l'ordre mystique de Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Moustafa ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba.

Les personnalités importantes de la tribu sont: a) Al-Mehaba ould Taleb Imijen, né vers 1880, très instruit, juriste et traditionaliste; b) Abd Allah ould Hamed ould Abd Allah, né vers 1885, professeur intelligent et ouvert; c) Taïeb ould Hassen ould Sidi Ahmed, né vers 1875, professeur de renom; d) Mohammed Liman, qui après être resté en dissidence dans l'Adrar de 1906 à 1912, fit sa soumission avec les Ahel Soueïd Ahmed, et rentré dans le Brakna se signala au début par quelque opposition; e) Cheikh Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Taj al-Arifin ould Cheikh Mohammed Lamin, vu antérieurement. Il serait toujours dans le Sous, où il aurait fait, dit-on, sa soumission au Makhzen et aurait épousé une fille de Haïda ould Mouïzz, le glorieux pacha de Taroudant.

Le recensement général des Id ag Jemouella a donné pour l'exercice 1918: 250 tentes et 2.275 personnes; 7 chevaux, 3 chameaux, 462 bovins, 1.602 ovins et 200 ânes. Les marques de la tribu sont soit le lamha, commun à tous, et qui s'appose sur la cuisse droite ou à la naissance de la hanche, soit le narli sur la hanche et spécial aux Ahel Mokhtar ould Mohammed. On met souvent comme contremarque un petit dal sur le lam du lamha.

La tribu nomadise en hivernage à l'ouest de Guimi et vers Bidi Ngal. Les haratines sont en outre, en hivernage, au nord-ouest de Mouit et aux environs de Guimi, en saison 236 sèche, à Dielowar et Chogar. Depuis leur conflit avec les Torkoz, on a interdit aux Id ag Jemouella la région de Mal pour éviter tout contact entre ennemis. Ils sont un peu à l'étroit dans la région de Guimi. On leur a donné en outre des tamourts importants et non cultivés au nord de Kra Lemaoudou.

Les tombeaux les plus vénérés sont ceux de: a) Mohammed, dit Bilal, ould Kamin, grand-père d'Abd Allah ould Ahmed, à Guimi; b) Abd Er-Rahman ould Bilal, fils du précédent, savant et traditionaliste de renom, mort vers 1880, à Nouadich (Tagant). Il est l'auteur du poème, bien connu ici, qui donne en vers élégants la généalogie des Id ag Jemouella (Cf. en annexe).

La tribu dans l'ensemble pratique l'ouird qadri. Les moqaddem locaux sont au nombre de deux: Cheikh Ahmed Salem ould Bou Daha qui relève de Sidi-l-Mokhtar ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, et Cheikh Abd Allah ould Mostafa, des Taleb Mohamedden, des Dieïdiba, considéré par les Id ag Jemouella comme un maître.

ANNEXE
Poème généalogique des Id ag Jemouella.


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CHAPITRE XI
TAGAT

1.—Historique.

Les Tagat (au sing. Tagati) appartiennent dans la tradition maure à la souche des Ansar. Leur ancêtre serait Youssef ould Yaqoub ould Abou Dojennas, l'Ansari. Par lui, ils seraient les cousins des Id Eïboussat.

Les Tagat sont en réalité, semble-t-il, comme tous les marabouts maures, des Berbères. Leur parenté avec les Lemtouna est affirmée par tout le monde et reconnue par eux-mêmes. Ils sont originaires de l'Azaouad et ne vinrent en Mauritanie par le Hodh et le Tagat qu'aux seizième et dix-septième siècles, à la suite des invasions marocaines. Un des leurs, Ahmed ould M'haïmid, bientôt suivi de toute la tribu, serait venu s'installer à Aguiert, où dominaient alors les Noirs. Ceux-ci, dit la tradition, cultivateurs et pasteurs, étaient alors fort nombreux et riches dans la région d'Aguiert. Ils habitaient des cases en pierres, dont on ne retrouve plus les débris aujourd'hui. L'immigrant accabla ses hôtes de brimades et fut assassiné par vengeance, l'année suivante. Chacun resta alors sur ses positions (vers le dix-septième siècle).

Les nouveaux arrivés ne prirent pas part à la guerre de Boubbah, n'ayant pas encore eu le temps de faire alliance 240 avec les marabouts. Ils étaient, au contraire, les amis des hassanes, à cause de la réception cordiale que leur aurait faite Boussam ould Cheïboubi, chef des Oulad Al-Yatim, les futurs Litama (Oulad Abd Allah). Ils se mirent sous sa tutelle et lui payèrent la horma.

A la mort de Boussam, les Litama se scindèrent. Décimés par des guerres continuelles avec les Ahel Mohammed et les Oulad Eli du Gorgol, ils perdirent la plus grande partie de leurs vassaux et marabouts, dont les Tagat. Ceux-ci contractèrent alliance avec les fractions abakak, des Id Ou Aïch, qui devinrent leurs suzerains en même temps qu'ils le devenaient des Torkoz. C'était à l'époque en effet où les guerriers Id Ou Aïch commençaient à descendre dans l'Aftout et menaçaient le Brakna.

Les Tagat, installés à la bordure ouest du Tagant, ont vécu dans cette situation de tributaires des Id Ou Aïch et spécialement des Ahel Soueïd Ahmed jusqu'à nos jours, tant les fractions à chameaux, nomadisant au nord, que les fractions à bœufs et petit bétail nomadisant au sud. Ils étaient également bien avec les Oulad Ahmed et leurs campements reçurent plusieurs fois les femmes et les enfants Oulad Ahmed, quand ceux-ci étaient vaincus dans leurs luttes classiques contre les Oulad Siyed.

La tradition, plus ou moins légendaire, rapporte que l'ancêtre éponyme de la tribu fut un certain Tâgât, descendant de Youssef l'Ansari. Il eut cinq fils, ancêtres de tous les campements actuels soit du Tagant, soit du Brakna, soit du Gorgol, à savoir:

Tagât.
 
 
 
Eli,
père des Oulad Eli-Tagat (Gorgol) et des Ahel Cheikh ould Menni (Tagant).
Sidi Ahmed,
père des Oulad Sidi Ahmed Bou Hajar (Tagant).
Eineb,
père des Id Eïneb (Brakna).
Aouach,
père des Id Aouach (Brakna).
Atjfara,
père des Atjfara Id (Brakna).

241 Les trois dernières sous-fractions descendent de frères germains. C'est ce qui expliquerait en partie leur union actuelle. Il faut y ajouter aussi une autre cause: le genre de vie et la richesse pastorale. Les premières fractions étaient surtout des fractions à chameaux, vivant dans un large rayon de nomadisation; les autres des nomades, de moindre envergure, dont le cheptel était surtout de bovins.

Les campements Tagat vécurent longtemps ensemble. A la suite de disputes avec les Id Atjfara, les Oulad Eli Tagat se séparèrent de la tribu et allèrent planter leurs tentes chez les Tadjakant du Gorgol (début du dix-neuvième siècle). Peu après, à la mort de leur chef, Cheikh ould Menni, les Ahel Cheikh ould Menni, qui sont ethniquement des Oulad Eli, partirent à leur tour et se rapprochèrent du Tagant. A notre arrivée cette scission s'accentua. Les Ahel Cheikh ould Menni furent englobés dans le Tagant; les Oulad Eli dans le Gorgol; les dernières fractions restèrent Brakna. Depuis ce temps, diverses questions d'intérêt et notamment l'affaire de Gadel, ont encore accentué cette haine entre Tagat du Tagant et Tagat du Brakna. Les premières considèrent comme une injure, dirent-ils, d'être appelés Tagat, et comme il y a parmi eux quelques tentes, qui descendent des Id Ar-Zimbo, ils assurent se rattacher à cette tribu du Trarza.

Les Oulad Sidi Ahmed Bou Hajar, ou Oulad Sidi Ahmed des cailloux, n'ont pas à être étudiés ici, puisqu'ils relèvent du Tagant. Ils sont en excellentes relations avec les Kounta avec lesquels ils cultivaient, et cette intimité n'est pas étrangère à leur glissement vers le nord-est. Certaines tentes ont des origines chorfa. La fraction aura dès lors une tendance à évoluer vers cette dignité chérifienne.

Restent donc pour constituer les Tagat du Brakna tous les campements, descendant des trois derniers fils de Tagat, c'est-à-dire les Id Eïneb, les Id Aouach, et les Id Atjfara.

242 Remarquons qu'il y a une génération, deux campements Id Aouach sont allés s'installer dans le Guidimaka.

Les Tagat n'ont jamais eu, à leur tête, un chef unique pour toute la tribu, avant notre arrivée en Mauritanie. Chacune des sous-fractions avait un chef indépendant des autres. Toutefois, pour les affaires concernant toute la tribu, les chefs se réunissaient, accompagnés chacun de quelques membres de la djemaa, choisis parmi les plus sages. Néanmoins, la supériorité numérique d'une sous-fraction, avait une influence considérable dans les décisions de cette espèce de conseil de famille. C'est ainsi que les Ahel Ceddiq, la plus importante sous-fraction de la tribu Tagat a toujours exercé sa suprématie sur les actes de la tribu.

En 1868, à défaut d'un membre de cette famille, capable d'assurer la responsabilité du commandement de la tribu, un nommé Sidi ould Ahmed Ralla, des Ahel Taleb Brahim, de la sous-fraction des Ahel Bou Khiyar, fut choisi pour commander les Id Atjfara. Cet homme qui eut une supériorité marquée sur ses prédécesseurs et sur tous les chefs maures du Brakna fut assassiné en 1892, à Aguiert, par Aminou, fils de Bakar ould Soueïd Ahmed. Cet assassinat fut commis par vengeance, car le chef tagat, anciennement tributaire des Ahel Soueïd Ahmed, voulant s'affranchir de la redevance annuelle que fournissait sa tribu, refusa du mil à celui qui devait devenir son assassin. Il fut remplacé par Mokhtar ould Ben, de la fraction Ahel Bou Khiyar, qui était le chef des Tagat, lors de l'arrivée de Coppolani en Mauritanie.

Il fut remplacé par Cheikh Hadrami, de la famille où le pouvoir était héréditaire. A celui-ci, mort en 1899, succéda Mokhtar ould Oubba, des Ahel Bou Khiyar, qui était en fonctions lors de l'arrivée des Français.

A cette date, les Tagat, comme tous les Maures, ne crurent pas que nous nous établirions dans leurs pays à titre 243 définitif. Aussi les chefs ne se dérangèrent-ils pas, et c'est ainsi que pour paraître faire acte de soumission et éviter d'être pillés par les guerriers de leur race, les Tagat dépêchèrent Mrabet ould Abd Ed-Daïm à Coppolani.

Mrabet (ould Abd Ed-Daïm ould Amar Fal ould Ahmed ould Aouissa ould Youssef ould Atjafara) se trouvait par hasard dans le campement du chef des Tagat. Il avait la réputation d'un homme intelligent, sachant mener parfaitement ses affaires. Il fut donc choisi parmi ses compatriotes pour les représenter. Ils lui donnèrent même un cadeau pour le dédommager du retard qu'auraient à subir ses affaires du fait de son déplacement. Coppolani l'agréa comme chef. Il est inutile de dire que par la suite le chef ainsi dépossédé par la tribu et par nous, avec sa complicité propre, protesta et voulut reprendre son commandement. Quant aux Tagat, se trouvant bien, ils ne réclamèrent pas.

Mrabet servit de guide à Coppolani jusqu'à Tijikja et incontestablement lui rendit des services. Par la suite, son attitude fut digne, sans provocation; il protesta de son désir de bien faire et se montra décidé à nous être utile, ou tout au moins à ne pas faire échec à notre autorité. Il montra sa souplesse en se faisant seconder par son prédécesseur Mokhtar ould Oubba dont l'ambition était de reprendre ses fonctions de chef et qui intriguait pour faire déposséder Mrabet. Il est vrai qu'à cette date (1906) Mrabet fit dans le Tagant une absence de trois mois, qui coïncida fâcheusement avec la venue du Chérif marocain, Si Dris. Il lui aurait fait tenir 150 pièces de guinée. Mrabet se défendit vivement de toute trahison et prétendit que ses cadeaux n'avaient aucune signification politique, mais avaient uniquement pour but d'obtenir la restitution de chameaux volés. Il est certain en tout cas que l'intervention du Chérif lui valut la restitution d'une partie de son troupeau, pillé par les Oulad Delim à Tidiniakout, et que 244 d'autre part Mrabet ramena avec lui plusieurs familles dissidentes, et même quelques tentes du Tagant.

Mrabet avait été puni, en 1913, d'une amende de 100 francs pour avoir dit que le poste de Moudjéria était commandé par des Noirs (interprètes). Connu dans tout le cercle, il était en relation avec tous les chefs. C'était un marabout très vénéré, disciple qadri de Saad Boudh, et qui caressa longtemps le projet—qu'il ne put réaliser—de faire le pèlerinage de La Mecque. Il avait manifesté à plusieurs reprises l'intention de démissionner, et il allait avoir satisfaction, quand il mourut le 22 février 1918.

Il laissait quatre fils: Abd El-Ouadoud, né vers 1892; Hossin, né vers 1894; Mohammed Ahmed, né vers 1903, et Mohammed, né vers 1908, ainsi que plusieurs filles, mariées à des notables de la tribu.

Il fut remplacé par son fils aîné, Abd El-Ouadoud, que la djemaa élut à l'unanimité. Six mois ne s'étaient pas écoulés que la djemaa se réunissait à nouveau, destituait Abd El-Ouadoud pour insuffisance et nommait à sa place Ahmadou ould Habib (ould Mohammed ould Habib ould Amar ould Naïmat ould Bou Khiyar ould Youssef ould Atjfara). Né vers 1870, Ahmadou est le chef actuellement en fonctions.

Riches pasteurs, les Tagat ont été maintes fois, victimes des pillards du Nord. Pour ne rappeler que les derniers, ils ont vu leurs troupeaux enlevés en 1900 par les Oulad Bou Sba, et c'est le désir de les recouvrer qui les amena à Coppolani, les premiers de tout le Brakna, dès 1900. En fin 1906, pillage par les Oulad Delim, qui eut les conséquences relatées plus haut. Au début de 1907, nouveau pillage par les Oulad Bou Sba, à Aguiert. La garnison du poste fit une sortie, reprit les troupeaux volés et tua un des agresseurs.

245

2.—Fractionnement.

Les Tagat se divisent ethniquement en les fractions et sous-fractions suivantes:

Id Atjfara   Ahel Ceddiq
Ahel Bou Khiyar
Ahel Aouis
Oulad Atjfara
Ahel Taleb Brahim
Ahel Taleb Bou Maham
 
Id Aouach   Ahel Aoubak
Ahel Taleb Jeddou
Ahel Amarna Al-Mokhtar
Ahel Mokhtar (à Kiffa)
 
Id Eïneb   Ahel Taleb Ahmed
Ahel Taleb Mohammed

Ces fractions maraboutiques, agitées, inquiètes, intrigantes, se sont ingéniées à troubler leur situation ethnique. Elles se sont aujourd'hui reconstituées en cinq groupements (rekiz) que l'administration française a respectés, et qui sont:

a) Ahel Aouissat, formés surtout d'Id Atjfara, soit Aouissat, soit Taleb Brahim-Cheikh: Abd El-Ouadoud. Notables: Youssef ould Brahim et Abdou ould Ahmed; 73 tentes et 219 âmes.

b) Ahel Bou Khiyar, formés surtout d'Id Atjfara, soit Ahel Bou Khiar, soit Oulad Atjfara, soit Taleb Bou Maham.—Cheikh: Ahmed ould Abd Ed-Daïm.—Notables: Ahmeïdou ould Yali; Mokhtar ould Bak; Mounir ould Mohammed Maïna.—100 tentes et 670 âmes.

c) Ahel Ceddiq, formés d'Id Atjfara, surtout Ahel Ceddiq, et d'Id Aouach, surtout Amarna.—Cheikh: Mohammed Mahmoud ould Seïma.—Notables: Mami ould 246 Mohammed Lamin; Manmoud ould Taleb Amar; Mohammed Mahmoud ould Sidi-l-Mokhtar.—71 tentes, et 236 âmes.

d) Id Aouach, comprenant surtout les Ahel Aoubak et Ahel Taleb Jeddou, qui sont ethniquement Id Aouach.—Cheikh: Mohammed ould Ahmeddou.—Notables: Mokhtar Fal ould Lamin; Mohammed ould Othman; Biraïm ould Bouna.—199 tentes et 578 âmes.

e) Ahel Taleb Mohammed, qui comprennent à peu près tous les Id Eïneb, c'est-à-dire non seulement la sous-fraction Ahel Taleb Mohammed, mais aussi l'autre: Ahel Taleb Ahmed.—Cheikh: Mohammed Limam ould Al-Hadj Ahmed; Taleb Ahmed.—Notables: Mohammed Mahmoud Abd El-Rali; Mounir ould Taleb Maham; Sidi-l-Mokhtar ould Lamin.—61 tentes et 233 âmes.

La tribu comprend au total 504 tentes et 1.986 âmes. Il faut y joindre quelques tentes de haratines, dont Thofeïl ould Aleïa est le chef.

Un campement: les Ahel Hadj ould Boudda, qui a été rattaché aux Id Eïneb, serait d'origine Bassin (zenaga). Leur ancêtre, étant allé à la Mecque, prit le nom de Hadj, et à son retour s'installa à Chogar-Tora, où, vivant en bons termes avec les hassanes, il donna naissance à une nombreuse postérité. Ce campement est dirigé depuis plusieurs années par un Tâmegati, d'origine Brahim ould Cheikh.

On trouve chez les Kounta de l'Azaouad un campement du nom de Tâgat, qui se prétend cousin des Tagat du Brakna. Il comprend cinq tentes, qui sont installées chez les Ahel Baddi, sous-fraction des Regagda.

La diversité des richesses pastorales des Tagat tendrait à provoquer de nouvelles scissions au sein de la tribu: les Id Atjfara, gens de chameaux, voudraient monter plus au nord, tandis que les deux autres fractions, propriétaires de bovins et de lougans, tendraient à rester dans la région des puits et des cultures.

247 Le cheptel comprend dans son ensemble: 4.280 bovins, 11.551 ovins, 270 chameaux et 613 ânes.

La marque générale de la tribu est le lam-alif ou le ⊥ qu'ils apposent généralement sur le cou. Le campement Oulad Eli n'utilise que le lam-alif et quelquefois le mim-ha. Beaucoup de fractions ont leurs contre-marques: les Ahel Ceddiq ba ba-alif ou >— les Ahel Taleb Brahim; les Ahel Taleb Khiar lam-kaf ⊥; les Ahel Mohammed Bou Khiar ain-dal-dal; les Ahel Eïneb lam mim-alif; les Aouissat >—<; les Ahel Cheikh ould Manni croix; etc.

Leurs terrains de parcours, avant notre arrivée en Mauritanie, étaient les suivants:

Pendant l'hivernage, l'Agan dans sa partie orientale, Letfotar, Touri Deilil, et Aguiert.

Pendant la saison sèche: Aguiert, Gaoua, Choggar-Gadel, Tindel et Lemaodou. Depuis 1896, époque à laquelle éclata la guerre entre les Abakak et les Oulad Nacer de Kiffa, ces derniers ravageant le pays, les Tâgât n'osèrent pas remonter plus haut qu'Aguiert. Pendant plusieurs années, ils nomadisèrent dans les mêmes points, mais n'allèrent plus dans l'Agan. Aujourd'hui leur territoire de nomadisation s'étend, en tout temps, entre Gaoua, Aguiert, Douira et le Tagant. Aguiert comporte une trentaine de puits de 5 mètres de profondeur. L'eau, qui ne s'épuise jamais, provient de l'oued par infiltration. Elle est excellente. Guelaïta Tindel, à 30 kilomètres au nord, est une grande mare, où l'eau est plus ou moins abondante, suivant les pluies, jusqu'en janvier; Letfotar, à 45 kilomètres au nord-est d'Aguiert, sur la route de Moudjeria, est un mauvais marigot qui tarit en janvier; Garouel, à 60 kilomètres du sud-est, est une grande source inépuisable, dans la barrière du Tagant, Gaoua Al-Aouidja, à 45 kilomètres au sud, comprend de nombreux puits de 5 mètres dans le lit de l'oued Gaoua: Ouazan, à 50 kilomètres au nord-ouest, comprend deux puits de 3 mètres, creusés dans la cuvette au pied du 248 rocher. L'eau est assez abondante en toute saison. Dikel, Tiyegui, Tidiniakout, sur la piste d'Oujeft, ont de l'eau en toute saison. Tichilit, à 60 kilomètres au nord de Kreni, comprend plusieurs puits de 2 mètres dans la sebkha. L'eau y est saumâtre.

Les Tagat sont d'industrieux cultivateurs. En mars-avril 1911, ils ont construit une digue à Chogar Gadel pour faciliter l'inondation de leurs terrains de culture. Ces terrains sont à partager entre les Ahel Cheikh ould Menni et les Oulad Eli. Ils ont des plantations de palmiers à 2 kilomètres de la palmeraie d'Al-Moïlah et au confluent du déversoir de la tamourt de Gadel dans le Gorgol, au lieu dit Dakhfig. Très travailleurs, ils ne craignent pas de se mettre à la terre avec leurs haratines.

Ce sont en outre d'avisés commerçants. Ils passent pour les plus habiles trafiquants du cercle.

3.—La vie religieuse.

Les Tagat comptent au nombre des marabouts les plus pieux et les plus lettrés du cercle. Cette réputation semble s'être assise, au début du dix-neuvième siècle, avec le grand Cheikh Al-Ouali Sidi Mohammed ould Menni. Cette grande figure, semblable à celle de Cheikh Sidïa Al-Kabir ou de Cheikh Mohammed Fadel, qui vivaient vers le même temps, provoqua un renouveau de ferveur et d'instruction dans la moyenne Mauritanie (Tagant et haut Brakna). L'impulsion s'est continuée jusqu'à nos jours chez les Tâgât, bien que la fraction même du grand marabout, les Ahel Cheikh ould Medni, se soit détachée du corps de la tribu, et du Tagant, où elle est réfugiée, vive, dans les plus mauvais termes avec ses frères Tâgât.

Cheikh Al-Ouali ould Menni, qui était un qadri de l'obédience de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba, est mort vers 1850. 249 Son tombeau, au dire de l'enseigne Bourrel, qui le visita en 1860, était très honoré. Il était gardé par un ermite, élève du marabout, qui vivait de la charité publique et des offrandes faites à son patron. Depuis lors, le gardien a disparu, mais ce tombeau qui se trouve à Taounïa, non loin de Guimi, est toujours l'objet de pèlerinages. Le Cheikh a laissé plusieurs enfants, dont l'étude ressortit au Tagant. Le plus connu d'entre eux fut Sidi Zin al-Abidin qui rompit définitivement avec les Tâgât à la suite de contestations multiples, et quelquefois sanglantes, au sujet des pâturages de la région. Il est enterré à proximité de la tamourt de Gadel, qui envoie des eaux vers le Gorgol, et son tombeau est visité même par ses ennemis.

La deuxième grande figure de la tribu est son ancien chef: Cheikh Ahmed Hadrami ould Mohammed Abd Ed-Daïm. C'était un des principaux telamides de Sidi Abd Allah ould Hadj Brahim, des Ida Ou Ali, et il exerça longtemps les pouvoirs de moqaddem qadri et chadli. Son tombeau, très vénéré, est une construction qui s'élève à Al-Aouija de Gaoua.

De ces deux Cheikhs relève un grand nombre de Tâgât. Les autres se partagent entre l'obédience qadrïa de Cheikh Sidïa et l'obédience multiforme, mais surtout tidjanïa, de Saad Bouh.

Les personnalités notoires de la tribu sont, à l'heure actuelle: a) Cheikh Abd Er-Rahman ould Omar Babana ould Taleb Ahmed, qui vient de mourir en 1916. Né vers 1868, il avait fait ses études chez Saad Bouh, et se soumit dès notre arrivée. Il était un des professeurs de renom de la tribu, et sa clientèle scolaire, à qui il enseignait surtout la théologie, se recrutait non seulement chez les Tagat, mais encore chez les Ahel Cheikh ould Menni, les Torkoz, et les Oulad Biri. Il recevait des aumônes de ces différentes tribus; b) Cheikh Ahmed Abou-l-Maali, fils de Cheikh Ahmed Hadrami précité (ould Ahmeddou ould Mohammed ould 250 Abd ed-Daïm ould Taleb ould Khiyar ould Youssef ould Atjfara ould Tagat). Il est né vers 1902 et, malgré son âge peu avancé, joue déjà un grand pontife: Sa tête toujours inclinée, son air compassé, ses pieux et perpétuels ronrons assurent déjà son renom de piété. C'est au surplus un bon lettré; c) Cheikh Sidi ould Abd Er-Rahman ould Al-Maaloum, décédé en 1915. Né vers 1875, c'était un des bons élèves de Saad Bouh; il passait pour un excellent professeur et recrutait ses élèves non seulement parmi les Tâgât, mais encore chez les Chorfa du Gorgol, et les Id Ou Aïch du Tagant. Ses fréquentes tournées du Trarza au Tagant ne l'avaient pas enrichi; d) Mokhtar ould Oubba, chef des Ahel Bou Khiyar, riche et influent. Il a remplacé, au début de 1907, Mrabet parti à Tijikja; e) Ahmed ould Hamoïdié, ancien cadi. Ce personnage fort instruit avait reçu de Coppolani des promesses d'indemnité, qui, par la mort de ce dernier, ne furent pas tenues. Il en a conservé jusqu'à sa mort, survenue en 1914, une attitude boudeuse; f) Brahim ould Omar Babana, fils de l'ancien chef. Né vers 1870, il semble avoir définitivement abandonné l'attitude religieuse en licenciant son école et toute ambition politique en refusant la succession de son père. C'est un homme riche, intelligent et ouvert, qui se consacre tout entier au négoce et notamment au commerce des bestiaux. On le voit de Saint-Louis, à Tombouctou. Il fait les convois, effectue des fournitures, soumissionne aux appels d'offre; g) Abd Ed-Daïm ould Hachmi, intelligent, adroit et dévoué; il a été employé, dès le début, et notamment par Pein, comme guide et comme convoyeur. Il est susceptible de rendre encore des services.

Les campements-universités de la tribu sont, outre ceux des Cheikhs précités, qui s'adonnent à l'enseignement, les Ahel Taleb Brahim et les Ahel Mohammed Abd Ed-Daïm.

Les tombeaux visités sont ceux des Cheikh susnommés 251 ainsi que les saints ancêtres (Çalihin), enterrés aux cimetières nationaux de Melzem al-Kouïma, Khouimet ad-Douigui; Aguiert Tindel; Sga. Ajouter celui de Mokhtar Ali, à Yougà.

On ne saurait omettre l'influence des marabouts tagat pour le développement de petites palmeraies locales.

Vers 1833, un marabout du nom de Ahmed ould Sidi Abdallah, des Aouïssat, défricha à Gaoua une grande étendue de terrain. Ayant pu pendant cinq ans obtenir une récolte abondante, il résolut de se fixer dans cet endroit. A cet effet, il creusa un puits de 5 mètres à Aouïja, tout près de Gaoua. Ce puits lui fournit une eau suffisante pour sa famille et ses troupeaux pendant les cinq années qu'il vécut dans sa propriété. Elle suffit aussi à ses enfants qui l'habitèrent pendant quinze ans après la mort de leur père.

Vers 1855, par suite de trois années successives de sécheresse, ces héritiers de Ahmed ould Sidi Abdallah, ayant en vain essayé de percer une énorme pierre qui défend l'accès de la nappe d'eau, furent obligés d'abandonner la propriété de leur père. Ce n'est que vers 1858 qu'un autre marabout, Cheikh Hadrami précité, vint s'installer à la place des enfants du premier occupant d'Aouija. Il fit venir de Kçar al-Barka une vingtaine de plants de dattiers et les planta à Gaoua; il put les arroser, grâce au peu d'eau qu'il trouva dans le puits creusé par ses prédécesseurs.

Le débit d'eau lui paraissant trop inférieur, il résolut coûte que coûte de percer la roche qui barrait le puits d'Aouïja. Il descendit alors à Saint-Louis où il acheta des outils plus perfectionnés que ceux dont il se servait habituellement. Après deux mois d'efforts vains, il dut se rendre compte de l'inutilité de son travail et l'abandonna. Il quitta Gaoua, comme l'avaient fait les héritiers d'Ahmed Sidi Abd Allah, mais ses dattiers ayant poussé, il y revenait de temps à autre pour les soigner et faire la récolte.

252 Les Maures, ne pouvant comprendre la présence de cette pierre au-dessus de la nappe d'eau d'Aouija, attribuent l'inutilité des efforts qui furent tentés à deux reprises différentes à l'intervention divine due aux prières de Cheikh Mohammed Zouin, des Ahel Babiya de Tinouajiou, demeurant chez les Kounta et ennemi de Cheikh Mohammed Hadrami. C'est parce que ce dernier marabout aurait maudit les entreprises que pourrait faire son rival, que celui-ci ne put faire mieux à son tour à Mbal, près de Ouazan, pour la construction d'un autre puits.

Malgré ce manque d'eau relatif, tout au moins pendant une partie de l'année, dix-sept des vingt dattiers fournirent une récolte abondante à Cheikh Hadrami et à ses fils jusqu'en 1896, date à laquelle ils durent abandonner leur palmeraie par crainte des pillages des Oulad Nacer.

Deux de ces dattiers seulement ont continué à donner des dattes de mauvaise qualité, les autres ayant été brûlés soit par les pillards, soit par un feu de brousse. Les héritiers des deux vivificateurs de Gaoua, Abou-l-Maali, fils de Hadrami, et Abdou et Sidïa, petit fils de Ahmed ould Sidi Abd Allah, n'élèvent aucune prétention au sujet de cette propriété.

Il serait à désirer que l'autorité française, qui est à l'abri des maléfices des marabouts brakna, tente à son tour de briser la fameuse pierre du puits d'Al-Aouija, et y réussisse. Ce serait une façon certaine de fixer les Tagat à Gaoua et le gage de la revivification par ces industrieux travailleurs d'excellents terrains à palmiers.

CHAPITRE XII
TOLBA TANAK.

Les Tolba Tanak (au sing. Tanaki) sont d'origine berbère avouée. Ils descendent des Id Ou Aïch par un nommé Aleïa ould Mohammedden ould Eli ould Mokhtar ould Gueïda ould Arouch ould Aboubak ould Amouin, qui serait venu habiter chez les Oulad Siyed, il y a une centaine d'années. Il eut de nombreux fils, dont deux, Mohammed Mahmoud et Mohammedden, sont bien connus. Ces enfants furent les ancêtres des Tolba Tanak.

Telle est la source principale du gros des Tanak, tant haratines que Tolba; mais il y a une autre tradition qui donne à un certain nombre de tentes une origine arabe; le nom même de l'ancêtre éponyme serait arabe, Tanak ayant été un fils ou plutôt un descendant d'Abd Allah, le chef hassani. Il est certain en tout cas que les Tanak se sont unis, au cours des générations, par de nombreux mariages avec les Oulad Siyed et les Oulad Mansour, et qu'ils sont donc incontestablement métissés de sang arabe.

C'est du temps de la conversion des Tolba Tanak que la scission avec leurs haratines s'effectua. Jusqu'alors les Tanak avaient été guerriers et incorporés aux Oulad Siyed. Quand ils voulurent se muer en Tolba, les Oulad Siyed ne 254 les en empêchèrent pas, mais ils gardèrent leurs haratines. Cette fraction de haratines Tanak, qui a conservé son nom, est toujours fraction intégrante des Oulad Siyed.

Tolba Tanak et Oulad Siyed vivent toujours côte à côte et dans les meilleurs termes. Ils s'unissent très souvent par des liens matrimoniaux.

Les Tolba Tanak n'ont pas d'histoire. Faidherbe signale en 1858 que les Tanak se mettent au service du lam Toro pour intercepter les communications avec Podor. Il assure, sans autres explications, qu'il y mit facilement ordre. Depuis notre arrivée, un seul incident est à relater: en mai 1911, une véritable bataille s'engagea à propos d'une infraction à la coupe de bois qui avait été signalée par le chef et qui entraîna des mesures de répression. Haratines et Tolba mêlés se partagèrent en deux camps et à coups de pierres et de bâtons et se blessèrent grièvement. Le calme est revenu depuis lors.

Le chef de la tribu est Mohammed Mahmoud ould Sidi ould Mohammedden ould Aleïa. C'est un excellent homme, qui a toujours rempli ses fonctions sans bruit et avec ponctualité. Il n'est jamais parti en dissidence. Riche, et maître de nombreux clients, il est aimé et obéi par les siens.

Les principaux notables sont: Brahim ould Mohammed Mokhtar et Ahmeddou ould Younès.

Le taleb en renom de la tribu était Mokhtar Soufi, qui est mort en 1918. C'était un maître d'école très estimé. Il n'a pas encore été remplacé.

La tribu comprend 19 tentes et 88 âmes. Elle est riche de 73 bovins, 305 ovins, 3 chameaux et 10 ânes. Elle a comme marque la djaja patte de poule, apposée sur la cuisse gauche. Elle nomadise: en hivernage, dans l'Oued Katchi, du sud d'Aleg jusqu'à Chogar; en saison sèche, autour d'Aleg et de Mouit. Les Tanak vont cultiver à Maye Maye, où ils ont de beaux lougans de mil.


Mahfoudh,
Fils de Cheikh Saad Bouh.

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255 Toutes les tentes sont affiliées à l'obédience qadrïa. La plupart, comme celle du Cheikh, ont reçu cet ouird du Cheikh Sidi-l-Mokhtar ould Abd El-Jelil, des Tendra, qui par Cheikh Sidi ould Bou Bakar, de la même tribu, se rattachait à Cheikh Mostafa ould Al-Qadi, des Dieïdiba. Les autres se rattachent à la même source par un autre descendant de Cheikh Al-Qadi: Cheikh Mohammed Mahfoudh.

Les tombeaux visités sont ceux de leurs saints ancêtres (çalihin); à Aleg d'abord, où le plus notoire est celui d'Ahmed Fal ould Beraba, grand-père maternel de Mohammed Mahmoud; à Maye Maye ensuite, où les plus honorés sont ceux de Dib ould Aleïa et d'Ahmed Salem ould Younès.

CHAPITRE XIII
AHEL GASRI

Les Ahel Gasri sont une petite tribu de formation récente. Ils comprennent deux fractions d'origines différentes: a) les Oulad Al-Hadj ould Al-Gasri qui sont d'ascendance lointaine ida ou ali, et proviennent en dernier lieu de la fraction du même nom, comprise dans les Telamides de Cheikh Sidïa; et b) les Ahel Brahim Al-Adib, qui sont d'ascendance Oulad Ahmed, et se sont convertis et incorporés aux premiers, lors de leur arrivée dans le Brakna en 1913. Par la suite, quelques tentes Gasri, qui se trouvaient chez les Toumodek, ont demandé à venir se joindre à leurs frères.

Cette petite tribu, en formation dans le Brakna, comprend à l'heure actuelle 20 tentes et 93 personnes. Elle est riche de 22 chameaux, 50 ânes, 191 bovins et 700 ovins. Elle a pour marque le sur la hanche droite, mais beaucoup ne l'utilisent pas.

Il y a peu d'années encore, certaines tentes nomadisaient de préférence dans la région de Mal, tandis que d'autres allaient dans la région de Bir Al-Barka. Aujourd'hui, ils sont groupés, et vont en hivernage entre Chogar et Chogar-Gadel; en saison sèche, à l'ouest de Chogar.

257 Le chef de la tribu est Mohammed Al-Hassan ould Noureïn (les deux lumières) personnage de peu d'importance.

La djemaa se compose de Brahim ould Salek; Sidi Mohammed ould Al-Kaouri; Mohammed Lamin ould Mokhtar; Mahmoud ould Abd Er-Rahman.

L'ouird tidjani est pratiqué par tous. C'est le fait de l'importation des tentes d'origine ida ou ali.

CHAPITRE XIV
Draouat.

Les Draouat (au sing. Draoui) sont une petite tribu, dont l'autonomie est récente. Leur ancêtre est un certain Al-Qassem Ad-Draoui, c'est-à-dire originaire de l'Oued Dra, qui serait venu à Chogar dans le courant du dix-huitième siècle. Il se promena de Chogar à Guimi et à Aleg, épousant des femmes locales et se constituant un petit campement, qui vécut par la suite, tantôt chez les Dieïdiba, tantôt chez les Oulad Ahmed, tantôt chez les Oulad Biri, tantôt et fort longtemps chez les Euleb.

A notre arrivée, ils s'étaient partagés entre les Dieïdiba et les Oulad Biri. Le groupement campé avec les Oulad Biri fait toujours partie de cette tribu et comprend une soixantaine de tentes, qui comptent parmi les telamides de Cheikh Sidïa. Le groupement campé chez les Dieïdiba s'en est détaché en 1914 et s'est vu accorder son autonomie.

Le chef de tribu est Cheikh ould M'hamdi ould Sidi-l-Mokhtar ould Mostafa ould Sidi ould Beïdiba ould Al-Qassem. La djemaa est composée de Mohammed Mokhtar ould Tolba; Sidi Lamin ould Othman; Ahmed ould Hamenni; Abd Allah ould Amar Oummar.

La tribu comprend 18 tentes et 158 personnes. Elle est 259 riche de 251 bovins, 639 ovins et 25 ânes. Ses marques sont soit le habara qu'elle appose sur la cuisse gauche, soit le qaf des Dieïdiba, apposé sur la cuisse droite.

Elle nomadise en hivernage entre Aleg et Lemaoudou, dans l'Oued; en saison sèche, au nord-ouest du lac d'Aleg et à Chogar.

L'obédience prédominante est celle de Mohammed Mahfoudh ould Cheikh Mostafa, qui par son père et par son grand-père se rattache au Cheikh Mostafa ould Cheikh Al-Qadi. Plusieurs individus se réclament aussi de l'ouird de Cheikh Sidïa.

Les maîtres de renom sont: Mahfoudh ould Tolba pour le premier degré, et Sidi Lamin ould Othman pour l'enseignement supérieur.

Les Draouat honorent les tombeaux de leurs ancêtres, à Tifagag, Kreïmi, et Taïert al-Melaïzmat, ainsi que ceux des Dieïdiba.

CHAPITRE XV
TACHOMCHA

Les Tachomcha du Brakna sont une petite colonie de la grande confédération du même nom, florissant dans le Trarza sous le nom d'Oulad Dimân, Id Eïqoub et Oulad Barik Allah. Ils sont originaires des Id Atjafara (Oulad Dimân); leur arrivée dans le Brakna ne remonte qu'à 1906, année où la misère les chassa de leur pays.

Cette petite fraction de 10 tentes et 46 personnes a gardé son autonomie administrative, encore qu'elle marche dans le sillage des Aouïssat (Tagat). Elle nomadise en tout temps entre Douaïa et Aguiert.

Elle est riche de 15 bovins, 745 ovins, 2 chameaux et 12 ânes.

Le chef de fraction est Mohamed Oulad Mokhtar ould Mohammed Ahmed. La djemaa comprend en outre les nommés Cheikh ould Mohammed; Mohammed Mokhtar ould Ahmed Dadi; Mostafa ould Sidi, qui sont aussi les savants les plus notoires.

CHAPITRE XVI
BEHAÏHAT

1.—Historique.

Les Behaïhat (au sing. Behaïhi) sont des Berbères qui, par-dessus leur origine çanhadjïa, prétendent se rattacher aux Ansar. Leur habitat était l'Adrar Tmar, où ils vivaient comme tributaires dans le sillage des Oulad Ammoui. Chaque événement politique de cette région troublée, et notamment chaque décès d'émir, avec les compétitions de zenaga qu'il entraînait, était pour eux une source de brimades et de pillages, si bien qu'ils finirent par abandonner leurs maîtres et par descendre par petites fractions vers le Sud. Du Tagant, où ils séjournèrent quelque temps, ils vinrent jusque dans le haut Brakna, où on les trouve aujourd'hui. La première de ces migrations, dont la date nous soit bien connue, est celle des Ahel Atrous, qui suivit la mort du grand émir Ahmed ould Aïda (vers 1858). Un quart de siècle plus tard, lors des troubles, qui suivirent la mort de l'émir Ahmed ould Mohammed ould Ahmed Aïda, trois autres sous-fractions vinrent rejoindre les Ahel Atrous. Vers 1900, à la mort d'Ahmed ould Sidi Ahmed, quatre campements se mettent en marche. Entre 1903 et 262 1905, nouveau départ de quatre campements: deux tout d'abord lors du décès d'Ahmed ould Sidi-l-Mokhtar, puis deux lorsqu'on apprit l'arrivée de Coppolani dans le Tagant.

Les Behaïmat furent en effet des premiers à se soumettre. Ils avaient, il est vrai, suivi tout d'abord les Ahel Soueïd Ahmed, tente princière des Id Ou Aïch, leurs nouveaux protecteurs, dans leur recul vers l'Assabat, mais ils les abandonnèrent presque aussitôt et vinrent faire leur soumission à Mouit et à Mal. Ils furent autorisés à nomadiser dans cette région et cessèrent définitivement de remonter vers le Tagant, à la saison des pluies.

Lorsque Gouraud arriva dans l'Adrar, quelques tentes Behaïhat, qui nomadisaient encore entre Tagant et Adrar, demandèrent et furent autorisées à se joindre à leurs parents du Brakna (1908). C'est ainsi que s'est constituée l'actuelle tribu des Behaïhat du Brakna. Le reste de la tribu habite toujours l'Adrar.

Zenaga incultes, et au surplus émigrés du gros de la tribu, les Behaïhat du Brakna ne possèdent aucune tradition historique. C'est sans doute dans les campements de l'Adrar qu'on pourra avoir quelques renseignements à ce sujet. Ils savent simplement que leur ancêtre éponyme était un certain Behih, qui laissa cinq fils: Othman, Ferzouz, Haïmed, Samba et Merzoug, ancêtres éponymes à leur tour des cinq fractions ethniques de la tribu: Athamna, Fraziz, Oulad Haïmed, Oulad Samba et Oulad Merzoug. Par suite des événements relatés plus haut, ces cinq fractions se sont entremêlées avec le temps et on ne les retrouve pas aujourd'hui dans cette forme.

Les Behaïhat étaient, ces dernières années, en perpétuel désaccord avec les Torkoz et les Touabir. Ces conflits proviennent surtout de ce que les Behaïhat sont à cheval sur les trois cercles de Brakna, du Gorgol et de l'Assaba. On envisagea un moment de leur imposer l'obligation de nomadiser en hivernage sur la rive gauche du Kraa al-Asfar, 263 de Digguet Mémé à Aleg; et pendant la saison sèche, près du poste même. Mais ces projets n'eurent pas de suite. Un règlement, intervenu en mars 1914, prescrit à tous les Behaïhat de rentrer au Brakna et leur a indiqué la limite exacte du cercle qu'ils ne doivent pas franchir. Toutefois, après entente avec le cercle de Gorgol, ils ont l'autorisation de boire aux Ogol nord-ouest de Mouit.

Cette réglementation a bien souffert quelques accrocs. C'est ainsi qu'en décembre 1916, les Behaïhat ont dû, à la suite d'une bagarre, payer une forte dïa à M'Bout. Ils sont d'autre part toujours soumis à des rafer vis-à-vis de l'émir de l'Adrar et n'arrivent pas à s'en racheter.

2.—Fractionnement.

A notre arrivée, le Cheikh de la tribu était Omar ould Omar Ketch. Son rôle était difficile. Il n'avait que peu d'autorité par lui-même, obligé qu'il était de tenir compte des deux fortes personnalités, Eli et Fedila ould Ahmed Atrous. Il devait de plus ménager les gens de l'Adrar,—nos ennemis,—dont il était tributaire et qui pouvaient nuire à ses contribuables, restés sous leur autorité. Il fut remplacé à sa mort, vers 1910, par Brahim ould Omar Ketch.

Brahim assura son service assez correctement, mais sans grande énergie devant les pillards, et sans grande autorité pour maintenir ses gens dans l'ordre. Il se signala surtout par d'excellents recensements qui amenèrent une forte plus-value d'impôt. Toujours malade, il dut, au début de 1918, donner sa démission. Il voulut faire nommer à sa place son neveu Ahmed ould Sidïa ould Sidi ould Omar Ketch, mais la djemaa ne le suivit pas dans cette voie et élut Sidi ould Al-Falli (3 mai 1918). C'est ce dernier qui est actuellement le chef de tribu.

264 Les Dieïdiba de Brakna comprennent cinq sous-fractions:

Ahel Omar Ketch 66 tentes 277 personnes
Ahel Ahmed Atrous 43 —— 174 ——
Ahel Al-Falli 52 —— 195 ——

Soit au total 238 tentes et 905 personnes. Dans ce nombre sont comprises quelques tentes chorfa, installées à demeure chez les Behaïhat. Les personnalités importantes sont: 1re sous-fraction: Cheikh Ahmed ould Omar Ketch, Sidi ould Omar Ketch, Eli ould Barhoun; 2e sous-fraction: Cheikh Eli ould Ahmed Atrous, Mohammed ould Miloud, Mohammed ould Brahim; 3e sous-fraction: Cheikh Sidi ould Al-Falli, Mohammed Saloum ould Al-Falli, Isselmou ould Barhoun; 4e sous-fraction: Cheikh Ahmed ould Baba ould Jériou, Mohammed ould Aïda, Naji ould Jérima; 5e sous-fraction: Cheikh Omar ould Omar, Maqam ould Touijer, Maham ould Gheraba.

Le cheptel de la tente comprend 586 bovins, 21.125 ovins, 28 camelins et 644 ânes. Les gens n'ont généralement pas de marques. Quelques-uns ont pourtant emprunté le feu de leurs voisins Torkoz et Tagat.

La zone de parcours est autour de Chogar Gadel, en hivernage; et l'est de Mal, en saison sèche.

Les Behaïhat de Brakna ont conservé de bonnes relations avec leurs contribules de l'Adrar. Ils leur donnent asile lorsque ceux-ci viennent dans le Sud pour se réapprovisionner en mil. De plus, à la période de récolte des dattes, ceux du Brakna vont dans l'Adrar et n'en reviennent qu'avec une ample provision de ces fruits.

Cette tribu est réfractaire à toute idée de commerce. Aussi, pour ses achats et pour la vente de ses animaux, a-t-elle recours à un intermédiaire, généralement Tagat ou Torkoz.

Zenaga guerriers, les Behaïhat ont le sentiment islamique aussi développé que leurs anciens maîtres hassanes. 265 Ils ne se livrent à aucune pratique et ne reçoivent pas l'ouird, sauf quelques rares individualités, qui se réclament de l'obédience de Saad Bouh. Ils n'ont chez eux aucun maître d'école attitré. Quelques tentes envoient leurs enfants quérir un rudiment d'instruction chez les marabouts voisins Tagat ou Torkoz.

On ne peut pas abandonner les Behaïhat sans dire quelques mots d'une petite fraction d'origine arabe, les Oulad Bou Lahia, qui, après un séjour de quelque durée dans le Sud mauritanien, est repartie vers l'Adrar, laissant ici quelques tentes.

Ces Oulad Bou Lahia appartiennent au groupe hassane des Merafra. Lors de sa scission, ils restèrent en entier dans l'Adrar. Ils quittèrent par la suite ce pays, pour venir habiter dans le Tagant près des Chratit, leurs partisans. C'est là qu'ils vivaient lors de notre arrivée en Mauritanie. Ils firent leur soumission en 1904 à M'Bout, si tant est que leur retour individuel et effacé puisse être considéré comme une soumission, puis ils quittèrent le cercle du Gorgol, pour venir s'installer dans le Brakna, sans prévenir ni le commandant de cercle du Gorgol, ni celui du Brakna.

Dix tentes seulement restèrent dans le Brakna; 3 avec les Oulad Bou Sif, 2 avec les Behaïhat, et 5 choisirent un des leurs, Mohammed Lamin ould Al-Kouaïri, comme chef autonome. Il repartit du reste à son tour pour l'Adrar, quelques années plus tard. Les trois tentes qui ne le suivirent pas demandèrent à se retirer, une chez les Behaïat, et deux dans le campement de Sidi Mohammed Bekkaï des Kounta. En un mot, cette tribu a disparu du cercle et les tentes isolées qui sont restées sont partagées entre les Behaïhat et les Kounta.

Les Oulad Bou Lahia étaient réputés comme les plus pillards de tous les Maures et les plus impitoyables; aussi étaient-ils l'objet du mépris et de la haine de tous.

266 «Que Dieu les maudisse!» telle est l'expression qui est prononcée, dès que le nom de cette tribu est cité ainsi du reste que celui de leurs parents, les Oulad Talha du Tagant. Bon sang arabe ne saurait mentir. Ils ont été longtemps les guides des rezzous dans la région.

CHAPITRE XVII
SOUBÂK

Les Soubâk (au sing. Soubâki) ont des origines très mêlées. Le gros de la tribu est constitué par des zenaga Oulad Normach, qui sont venus se grouper autour d'un chef religieux émigré. D'autres éléments maraboutiques sont venus ensuite s'adjoindre à la tribu naissante. C'est une formation qui ressemble singulièrement à celle des Kounta.

On distinguera donc chez les Soubâk trois éléments:

1o Des zenaga Oulad Normach, surtout d'origine Touabir Al-Kohol, et peut-être aussi des zenaga Oulad Siyed, provenant de chez les Ahel Oubba. La tradition rapporte que ces Berbères prirent part à la lutte des marabouts contre les hassanes et furent vaincus avec eux à la journée de Tin Fefdadh, qui mit fin au Cherr Babbah (1674). C'est à un campement de ces zenaga que les Soubâk devraient leur nom; Soubâk ou Soubâka, qui est enterré au nord de Tamerzguid, où ces gens vivaient alors. Le chef actuel, Brahim Salem, descend de Soubâk: Brahim Salem ould Mohammed Mokhtar ould Abd Er-Rahman ould Al-Kherrachi ould Taleb Amar ould Adyé ould Ibennan ould Soubâka.

2o Un grand marabout, d'origine d'Id Eïqoub, Mahaouam 268 ould Ioqob, qui survint chez les Soubâk au début du dix-neuvième siècle et dont le renom de vertu et de piété attira les campements dispersés de cette tribu. Par lui elle se reconstitua politiquement et se transforma de zenaga en tribu maraboutique. La horma n'en restait pas moins due d'ailleurs au suzerains Oulad Normach, et la situation s'est maintenue telle jusqu'à nos jours. Ce Mahaouma (Mohammed) a été enterré à Nouakil, aujourd'hui territoire Oulad Biri. Sa tente est représentée actuellement par Mohammed Mahmoud ould Mohammed Abd Allah, dit Al-Ouali, ould Mohammed ould Sidi-l-Falli ould Abd Allah ould Mahaouma.

3o Plusieurs tentes étrangères aux Soubâk, et notamment des Id Eïqoub, qui, attirés par la réputation de Mahaouma, sont venues vivre en telamides auprès de lui, puis, avec le temps, se sont fondues dans la tribu.

Sous l'ancien régime, les Soubâk vécurent partagés en deux groupements autonomes; l'un, groupement à chameaux, vivait dans le Nord aux puits de Toumbousseri, Al-Mouirja, Tin Ouissé, et aux mars d'Isefag, Aghmourat et Bou Zeriba, où ils faisaient de belles cultures. On lui donne le nom de Soubâk Sahelïin. Le groupement à bœufs vivait dans le Sud et en portait le nom (Soubâk Cherguïin). Ils faisaient leurs cultures dans le Chamama. Les pillages des Regueïbat et Oulad Bou Sba eurent pour effet de rapprocher les deux tronçons qui menaçaient de se constituer en unités indépendantes. Les Soubâk Sahelïin durent se réfugier plusieurs années (1904-1906) dans le Chamama. Quand ils purent rentrer dans l'Agan, ils n'oublièrent pas le chemin du Chamama et chaque année, depuis ce temps, on les y voit revenir. Réciproquement, certaines tentes des gens du Sud remontent vers le Nord avec leurs cousins.

Le fractionnement des Soubâk s'établit ainsi:

Les Ahel Haïb Allah sont sortis des Oulad Ibennan, Haïb Allah étant un fils d'Ibennan. Les haratines appartiennent en très grande majorité aux Oulad Ibennan.

La tribu comprend 91 tentes et 543 âmes. Elle est riche de 95 chameaux, 201 ânes, 710 bovins, 2.415 ovins. La marque générale des bœufs est le lam-alif qu'on contremarque, suivant les campements, des trois façons suivantes lam-alif avec croix  lam-alif avec «,»  lam-alif. Pour les chameaux on utilise les deux feux croix ou sad-ha. Tous ces feux s'apposent sur la cuisse droite.

Les territoires de nomadisation de la tribu sont: en hivernage, l'Aftout et l'Akel; Oued Katchi, Guimi, Kreïmi; en saison sèche, Hasseï el-Ma, Guimi et Chogar.

A notre arrivée, le chef de tribu était Biyni (Mohammed Al-Mokhtar) ould Mohammed Cheikh. Il fut, quinze ans durant, un chef convenable et paisible, mais sans grande autorité. Au début de 1918, malade et incapable d'assurer son service, il fut, sur ses demandes réitérées, relevé de ses fonctions. La djemaa lui donna comme successeur, le 3 mai 1918, son cousin Brahim Salem ould Mohammed Mokhtar. Né vers 1860, c'est un homme ouvert, intelligent et sympathique.

Les Soubâk sont considérés comme une fraction de professeurs. Tous leurs maîtres—et ils sont au moins une quinzaine—sont très réputés. Autour d'eux se pressent des étudiants de tout le Brakna, et même du dehors, tels les Larlal. Les tentes les plus notoires sont celles de Mohammed Mahmoud précité, descendant de Mahaouma; Mohammed Sidi ould Lamin Fal; et Sidi Ahmed Bekkaï ould Ahmed Meska.

270 Dans son ensemble, la tribu relève de l'affiliation qadrïa. L'obédience la plus répandue est celle du Cheikh Mohammed Mahmoud ould Cheikh Mohammed ould Mohammed Lamin, des Hijaj, qui, par Cheikh Sidi Mohammed ould Manni, relève de Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba. On trouve encore quelques telamides des Kounta, quelques autres de Cheikh Sidïa, et de moins nombreux encore de Saad Bouk.

A signaler enfin deux ou trois Tidjanïa, adeptes des Ida Ou Ali.

Un personnage, de peu d'envergure d'ailleurs, Cheikh Al-Khalif ould Mohammed Fal, a fait parler de lui, il y a quelques années. Il s'attribua de lui-même le titre de Cheikh et eut, pendant un certain temps, une grande vogue. Puis des discussions surgirent; on lui contesta son titre; comme il faisait ouvertement pratique de magie, certaines personnes attribuèrent à ses maléfices la mort de leurs parents. Bref son ardeur, baissant avec l'âge, il a mis une sourdine à son action, et se tient tranquille chez lui.

ANNEXE
Poème sur la jeune fille Soubâk.

C'est à Dieu qu'elle appartient la belle fille des Soubâk. Elle marche noblement, sur les hautes dunes d'Al-Ouaki.

Elle est massive comme un morceau de sable[11]. C'est une jeune fille délicate. Elle se balance sans cesse laissant croire, mais à tort, qu'elle va tomber.

O perle brillante, plus vivace que les âges. Salut à toi. Je t'envoie un souffle parfumé, délicieux comme ton propre parfum.

En ta figure, nous voyons cette image qui représente en même temps l'eau de la vie et l'eau de la mort.

[11] C'est un compliment, sans le paraître. Les Maures engraissent leurs femmes comme les juives de Tunis, et la beauté est proportionnelle à l'embonpoint.

Texte arabe.

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CHAPITRE XVIII
TOUMODEK

1.—Historique.

Les Toumodek (au sing. Toumodeki) sont des Berbères qui se rattachent à la famille lemtouna. Leur tradition relate que leur ancêtre, Atjfara, était un des frères des Id ag Bambra et Id ag Fara, qui constituent aujourd'hui l'actuelle tribu des Lemtouna (Gorgol). En réalité, les Toumodek préexistaient, comme Lemtouna, à l'arrivée d'Atjfara, le Lemtouni. Mais cet immigré, qui arrivait avec ses captifs et ses troupeaux, infusa un nouveau sang à la tribu qui périclitait. Des mariages les unirent. La descendance d'Atjfara a prévalu, mais sous l'ancien nom de Toumodek.

C'est à peu près vers la guerre de Babbah (dix-septième siècle), qui amena un reclassement général des tribus maures, que ces événements survinrent. La tradition relate que les Toumodek prirent part au Cherr Babbah, mais ne spécifie pas si ce fut dans leur premier ou dans leur nouvel état. Il est probable que ce fut dans le premier état et que c'est justement l'issue malheureuse de la guerre qui amena le déclin de la tribu et son relèvement par l'afflux d'éléments nouveaux.

Comme dans beaucoup de traditions maures, Toumodek, 273 l'ancêtre éponyme, aurait eu deux femmes: une blanche et une noire. De celle-ci sont nés les Toumodek al-Kohol (Noirs) qui sont les Toumodek du Brakna, et dont on verra plus loin le fractionnement. De la première sont issus les Toumodek al-Biodh (Blancs), qui ne sont plus très nombreux, et sont disséminés au Tagant, au Gorgol et au Guidimaka. Ils se fractionnent en Ahel Miloud (ou Ahel Amar ould Miloud) ould Sidi Mohammed; Ahel Leffot; Ahel Al-Falli. Rien dans leur teint ne distingue évidemment les Toumodek Blancs des Toumodek Noirs.

Le commandement fut exercé, pendant tout le dix-neuvième siècle, par les Ahel Baye (cf. annexe) descendant du fils aîné d'Atjfara. Il devait passer, vers 1885, chez les Ahel Al-Hadi, branche cadette dont (1) Ahmed ould Mohammed Aïnina était le représentant (cf. annexe). Peu avant notre arrivée, Ahmed ould Mohammed Aïnina quitta le Chamama pour aller vivre plus au nord, vers Sangara Fal. C'est alors le chef des Oulad Eli, dont dépendaient les Toumodek, fit nommer (2) Mohammed Mahmoud ould Taleb Amar, des Ahel Baye, comme chef de tribu. Nous le reconnûmes à notre arrivée, mais il mourut peu après (1905).

Les fils d'Ahmed, ayant suivi leur père dans le Nord, le commandement passe à (3) Sidi-l-Mokhtar ould Sidi Ahmed, neveu d'Ahmed; mais, au bout de cinq mois, ce dernier partit dans le Tagant, se disant malade.

Le choix se porta alors sur la tente cadette des Ahel Al-Hadi, et (4) Mohammed Aïnina ould Abd Allah fut élu (1905). Ce Mohammed Aïnina, intelligent et ouvert, comprit tout l'intérêt qu'il avait à vivre en bonne intelligence avec nous. Il avait été du reste l'un des premiers à venir, à la tête de ses gens, présenter sa soumission à Coppolani. Malheureusement, s'il était très vénéré comme marabout, il était nul comme chef et sans aucune autorité. 274 Il remplit les fonctions de cadi, en même temps que celui de chef de tribu.

Vieilli et usé, il demandait depuis longtemps à être relevé, quand on accéda à son désir, en octobre 1912. Il mourait en janvier 1913. Il fut remplacé par son fils Abd Allah, jeune homme ouvert et instruit, qui, après avoir fait de bonnes études auprès de Mohammed Lamin ould Cheikh Mohammed, des Hijaj, servit plusieurs années de khalifa à son père. Mais avant d'avoir pris possession de son commandement, Abd Allah commit un faux qui l'écarta du pouvoir. Sur un fragment de feuille de convocation, revêtu d'un cachet et de la signature de l'Administrateur de Boghé, il écrivit, en arabe, par ordre de ce résident, que la région du Khat était interdite au Toumodek, et il vint apporter ce papier à Aleg, en accusant du méfait le chef des Touabir-Oulad M'haïmdat. Confronté avec Bikel ould Beyyat, Abd Allah dut avouer le faux. Il fut condamné par le tribunal à six mois de prison, et le projet de nomination fut arrêté.

Il fut remplacé dans ses fonctions provisoires par son frère, Mohammed Abd Er-Rahman. La lutte électorale se circonscrivit dans les deux tentes Ahel Al-Hadi, les Ahel Baye n'étant représentés à cette date (1913) que par un enfant. Elle fut très chaude. Ce fut enfin (5) Abd Allah ould Ahmed qui l'emporta.

Abd Allah ould Ahmed ould Mohammed Aïnina est né vers 1867, il a fait d'excellentes études auprès de son père, qui était lui-même un élève de Mohammed Mahmoud ould Habib Allah ould Cheikh Al-Qadi, des Dieïdiba. C'est un homme intelligent et instruit, qui jouit d'une grande renommée à cause de sa piété et son honnêteté et qui enseigne le droit et la théologie à une trentaine de jeunes gens. Il a éprouvé, au début, une certaine opposition de la part d'Abd Allah ould Mohammed Aïnina. Il aurait même été victime, ainsi que Mohammed Abd Er-Rahman, 275 d'une tentative d'assassinat. Depuis la fuite du coupable dans le Hodh, le calme s'est rétabli.

2.—Fractionnement.

Les Toumodek du Brakna, ou Toumodek noirs, se partagent en 4 fractions:

Elle possède le cheptel suivant, qui est surtout la propriété des fractions libres: 2 juments, 170 vaches, 25 génisses, 95 bœufs, 25 veaux (soit 316 bovins), 8 chameaux, 2.705 ovins et 53 ânes.

Les notables des fractions libres sont:

La djemaa de la fraction des haratines se compose de:

Les terrains de parcours de la tribu sont: en saison sèche, le Gorgol, et de l'est de Gadel à Mouit; en fin de saison sèche et en hivernage, le nord de Chogar Gadel, et dans l'oued Derga; les haratines restent dans le Khat 276 du Chamama. Souvent quelques tentes en sortent pour nomadiser avec les gens libres.

La marque des bestiaux est le «fala», exact , ou renversé , qu'on appose sur la cuisse droite de tous les animaux.

L'ensemble de la tribu est qadri et se rattache à l'obédience des grands marabouts Ahel Al-Qadi des Dieïdiba. Il y a pourtant quelques Tidjanïa, disciples des Ida Ou Ali par Cheikh Ahmed Al-Beddi.

L'enseignement est très répandu. La tente des Ahel Al-Hadi s'y distingue particulièrement. Elle a toujours joui dans le pays d'une grande réputation juridique et elle fournit à peu près constamment les cadis de la tribu. Autrefois rien ne se jugeait dans l'Est de l'Aftouth, sans la présence de Mohammed Aïnina ould Ahmed ould Al-Hadi.

C'est à Raï, près de Mal, que se trouvent les tombeaux d'Al-Hadi, de son fils, Ahmed, grand saint qui récitait le Coran tous les soirs, entre le crépuscule et la nuit tombée, et qui accomplit beaucoup d'autres miracles, et enfin de son fils Mohammed Aïnina précité. C'est le principal centre des pèlerinages de la tribu. Les gens aiment à y faire enterrer leurs défunts, en cette pieuse campagne.

ANNEXE
Généalogie des Toumodek.

A.—Les Ahel Baye.
Atjfara.
 
Baye.
 
Ahmed Baba.
 
Taleb Amar.
 
 
Ahmed Baba. 2. Mohammed Mahmoud. Hassan.
 
Taleb Amar,
né vers 1890.
Ahmed Babou,
né vers 1904.
277
B. Les Ahel Al-Hadi.
Atjfara.
 
Mohammed.
 
Ammar Al-Khalifa.
 
Al-Hadi.
 
Ahmed.
 
 
Mohammed Aïnina. Abd Allah.
 
 
(1) Ahmed. Abd Er-Rahman. Sidi Ahmed. Sidi-l-Mokhtar. (4) Moh. Aïnina. Ahmed.
 
 
(5) Abd Allah.   Moh. Mahmoud, qui a épousé la sœur de Mohammed Abd Er-Rahman.   (3) Sidi-l-Mokhtar.   Mohammed Aïnina.   Abd Allah.   Moh. Ab-Erd Rahman.   Abd Allah, dit Mamatna.

Les numéros indiquent l'ordre de succession du commandement.

CHAPITRE XIX
TABOUIT

Les Tabouit constituaient jadis une importante tribu, formée, semble-t-il, d'un noyau arabo-hassane, d'origine Oulad Nacer, autour duquel s'étaient groupés de nombreux éléments berbères. Avec le temps elle se dissocia, et l'on en trouve aujourd'hui trois tronçons: l'un, les Ahel Bribich, se disant Chorfa, sont dans l'Adrar; l'autre s'est incorporé aux Ahel Sidi Mahmoud de Kiffa; le dernier n'est autre que le groupement Tabouit du Brakna, qui assure être surtout d'origine Nacer.

Les Tabouit du Brakna, gens à chameaux, ont vécu longtemps dans l'Aoukar, ce qui explique les nombreuses redevances qu'ils servaient aux guerriers, car ils devaient acquitter un rafer à tous les rezzous ou campements guerriers qui passaient par ce carrefour. Avec le temps, les Tabouit se rapprochèrent des Dieïdiba. Ceux-ci, notamment les Id ag Fara, rachetèrent la plupart des horma et rafer des Tabouit et les prirent à leur compte. Ce rachat devait donner lieu par la suite, à de nombreux conflits. Les Id ag Fara, et spécialement Abd El-Jelil, réclament le paiement de la redevance et le remboursement de leurs frais. Les Tabouit assurent ne rien devoir au Dieïdiba, offrant de continuer à donner, comme par le passé, de petits cadeaux à leurs marabouts, mais pas de redevance fixe. Il est certain, en tout cas, que si les horma et rafer sont contestés, la zakat et la 279 hadiya ne le sont pas, et que les Tabouit l'acquittent sans rechigner.

Le chef de tribu est, depuis notre arrivée, Cheikh ould Ali ould Ahmed Abdou. Il est parti en dissidence avec ses gens, en même temps que les Oulad Siyed.

Il revint en même temps que les Asba et Negza; mais ses gens furent pillés au retour par les Id Ou Aïch. Il est riche en bétail et en clients. Il assure assez correctement son service, quoiqu'il ne mérite qu'une confiance limitée, aussi bien dans ses renseignements que dans ses recensements.

La djemaa se compose des nommés Ahmoud ould Abd Er-Rahman, Ahmed ould Ahmed Chaïn, et Chibani ould Abakak.

La tribu comprend 42 tentes et 205 personnes. Elle est riche de 165 bovins, 3.450 ovins et 52 ânes.

Le feu est celui de Dieïdiba, le qaf qu'ils apposent sur la cuisse droite ou au cou droit.

Les terrains de parcours sont: en hivernage, l'Oued Katchi et l'est de Chogar; en saison sèche, l'ouest d'Aleg et les environs du lac.

Les Tabouit ne paraissent pas animés d'une grande dévotion, et ce serait peut-être la meilleure preuve de leurs origines hassannes. On y trouve cependant quelques individus pourvus de l'ouird qadri et relevant du célèbre Cheikh Al-Qadi par les marabouts dieïdiba.

CHAPITRE XX
TOUABIR

1.—Historique.

Les Touabir (au sing. Tibari) sont des Berbères et ne le nient pas, ce qui est un cas fort rare; mais ils se hâtent d'ajouter que leurs ascendants berbères étaient, dans le lointain des âges, venus d'Himyar. Leur ancêtre éponyme, Tibar, serait arrivé dans le pays en même temps que l'invasion hassanne des Oulad Abd Allah. Ses descendants ne se séparèrent pas de ces Brakna et devinrent leur zenaga.

Tibar aurait eu trois fils: Aïssa, qui est l'ancêtre des Oulad Yarra, et de certaines tentes Anouazir et Oulad Al-Kohol (Aleg); Harouna, qui est l'ancêtre des Houarin et autres Anouazir (Kaédi); Deïloud, ancêtre des Oulad Al-Kohol (Mbout). Comme on le voit, les Touabir sont aujourd'hui à cheval sur trois cercles: Brakna, Gorgol et Assaba.

Ethniquement les Touabir comprennent donc trois grands rameaux: les Oulad Yarra, les Anouazir et les Oulad Al-Kohol.

1o Les Oulad Yarra se partageaient en deux fractions: les Blancs (Al-Biodh) qui marchaient généralement avec les Oulad Normach; et les Noirs (Al-Kohol), qui suivaient le sillage des Oulad Siyed. La séparation daterait du temps de la scission des Normach et des Siyed. Ces derniers étaient dits «Noirs» parce qu'ils vivaient, comme leurs suzerains 281 Oulad Siyed dans le Chamama, près des Toucouleurs, et qu'ils s'alliaient à ces noirs par des mariages assez nombreux. Avec le temps, les «Blancs» ont conservé le nom d'Oulad Yarra, et les «Noirs» ont pris celui de M'haïmdat. Oulad Yarra et M'haïmdat constituent aujourd'hui les deux fractions Touabir du Brakna.

Les Oulad Yarra comprennent quatre sous-fractions: Oulad Obeïd Allah, Al-Khassina, et Agouarir, qui sont chez les Brakna: M'haïrdat, qui sont partagés entre les Oulad Yarra du Brakna et les Id Eïnik du Trarza.

Les M'haïmdat (primitivement Oulad Yarra al-Kohol) se subdivisent en Oulad Brahim; Oulad Moumen, Relachat; Mrazig, Ahel Digué, Inmeïlet, Al-Hiadna, Ladem et Chebahin. Les Mrazig sont issus des Oulad Brahim; les Ahel Digué, des Relachat; les Inmeïlet et Al-Hiadna des Agouazir. Les Ladem sont venus du Hodh; les Chebani ne passent pas pour être de pure origine; certains disent qu'ils viennent de l'Est, et il est certain qu'on trouve dans la région de Sokolo (Sahel soudanais oriental) une fraction du nom de Chebahin; mais celle-ci assure à son tour venir de Chebahim du Brakna. Qui est veritas? Une autre tradition dit que les Chebahin se rattachent à Deïloud, dernier fils de Tibar.

2o Les Anouazir, ou fils de Nizar, fils de Harouna, comprennent les sous-fractions Zaghoura, Hemamta, Al-Hiadna, Al-Mouajna, Cherourat, Inmeïlat, Brarga et Oulad Hommadin. Elles ressortissent au Gorgol et ne nous intéressent pas ici.

3o Les Oulad Al-Kohol comprennent les Oulad Saoud, les Ahel Hennad, et les Oulad Qreïchat. Ils ont vécu dans le Brakna jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Après de longues luttes avec les M'haïmdat, ils furent définitivement vaincus en face du village de Fodé Eliman (Lao) et se réfugièrent auprès des Oulad Siyed. C'est ce qui explique qu'ayant lié leur sort à celui de cette tribu, ils partirent en 282 dissidence avec Ahmeddou; alors que leurs frères faisaient leur soumission. Par la suite, ils s'installèrent chez les Tadjakant de M'Bout. Après avoir plusieurs fois manifesté l'intention de revenir dans le Brakna, ils ont fini par rester dans l'Assaba. Ils ne nous intéressent donc plus ici.

Riches, nombreux et guerriers, les Touabir avaient su se faire une place dans l'ancienne société maure. Ils étaient des zenaga, mais des zenaga dont les services guerriers étaient indispensables à leurs suzerains, et qui, à ce titre, marchaient à peu près sur le même pied qu'eux et ne leur payaient que peu ou même pas de redevances. Ils constituaient l'élément qui faisait pencher la balance en faveur de la tribu à laquelle ils s'alliaient. En 1821-1822, ils prennent part comme alliés de l'almamy Youssoufou Siré aux luttes intestines du Fouta. Ils font prisonnier le prétendant, ex-almamy, Abou Bakari Lamin Bul, et décident de le tuer. Seule l'intervention de l'Almamy Youssoufou les en empêcha et put faire rendre la liberté au prisonnier (Chronique de Siré Abbas-Soh).

Peu avant notre arrivée dans le pays, les Oulad M'haïmdat avaient tâté les Oulad Siyed pour se joindre, avec les Oulad Yarra, aux Oulad Normach et Oulad Ahmed. Grâce à cette alliance, Bakar put revenir de son exil dans le Tagant, résister aux attaques des Oulad Siyed et, dès notre arrivée, passer à l'offensive. Ainsi donc, les Touabir jouirent pendant tout le dix-neuvième siècle d'un traitement de faveur, et s'étant rendus à peu près indépendants, dominèrent dans le Khat. A nous-mêmes, en 1904, ils disaient: «Nous ne connaissons que nos troupeaux et nos fusils.»

Ils purent dès lors avoir leur diplomatie personnelle, tant vis-à-vis des Français que vis-à-vis des Toucouleurs. Ils firent preuve d'un certain sens politique en entretenant depuis 1850, des relations épistolaires avec les autorités françaises de Saint-Louis. La djemaa écrivait de temps en temps, donnait des nouvelles, protestait de ses sympathies et se recommandait à la bienveillance du gouverneur du Sénégal. 283 Mais d'autre part, ils étaient en coquetterie avec les chefs toucouleurs du Bosséa, qui nous opposèrent une si vive résistance. Aussi leur mauvaise réputation était-elle bien établie sur le fleuve. A propos du pillage d'un chaland près de Cascas, le Moniteur officiel du Sénégal du 27 juin 1865 les définit «tribu qui n'obéit à aucun des chefs, avec lesquels nous avons des traités et ne vit que de brigandages». En 1875, alliés aux gens du Lao et aux Irlabé-Aleïdi, ils mettent en déroute les gens de Bosséa, les Irlabé Diéri et les Oulad Aïd, de Hamma Heïba. Ils en profitent pour piller le village de Ndulliba. La paix ne fut rétablie que par l'intervention de Saint-Louis. Quelques années plus tard, ils nous rendirent des services, lors des luttes contre Abdoul Bou Bakar, chef rebelle du Bosséa. Poursuivis par les gens d'Ibra Almamy, aidés des Touabir Abdoul fut rejoint à Taghada (près Kiffa) et contraint de se réfugier chez les Id ou Aïch, où il fut assassiné par les Chratit (1891).

Bourrel, qui traversa les campements Touabir, en 1860, dit que c'est une tribu puissante qui se tient généralement en dehors de toutes guerres intestines. «Ils sont tributaires, ajoute-t-il, de 4 chefs: Bakar, émir des Dowaïch; Brahim ould Ahmeïada, chef des Oulad Normach; Rassoul, chef des Chratit (Oulad Kohol); Sidi Eli, émir des Brakna. Bakar en possède le plus grand nombre, puis Rassoul, puis Sidi Eli et Brahim.» Depuis cette date, comme on le verra plus loin, les Touabir se sont rachetés de leurs redevances ou ont profité de notre arrivée et de la dissidence de plusieurs de leurs suzerains pour ne plus les acquitter.

2.—Fractionnement.

Les Touabir se partagent aujourd'hui en deux fractions autonomes: Oulad Yarra, Oulad M'haïmdat.

A. Les Oulad Yarra comprennent 50 tentes et 295 âmes. Ils sont riches d'une jument, de 3 chameaux, de 295 bovins, 284 de 3.076 ovins et de 64 ânes. Ils n'ont pas de marques spéciales et empruntent généralement le feu des Id Eïlik, soit lam-alif souligné.

La djemaa se compose des nommés Bella ould Amar; Ahmed ould Armohir, Sidi Mbarek ould Bou Bakar, Hossin ould Talmoudi.

La tribu nomadise en hivernage entre Mal et Guimi; en saison sèche, à Mal et aux environs.

Avant notre arrivée, et jusqu'en 1898, le chef de tribu fut Mohammed Sidi ould Al-Qadri. C'était un homme fort intelligent et grand seigneur, mais autoritaire et dur; il mécontenta les Oulad Yarra qu'il traitait avec mépris et dut abandonner le commandement. En 1907, ils voulurent l'élire à nouveau, mais comme Mokhtar ould Touil devait continuer à s'occuper des affaires de la tribu, il ne voulut pas accepter cette collaboration et refusa. Il nomadisait la plupart du temps avec les Meterambrin. Il est mort en 1914.

Lors de sa soumission, en 1898, la djemaa lui donna comme successeur intérimaire Mokhtar ould Deïloud ould Mohammed ould Touil, plus connu sous le nom de Mokhtar ould Touil; il n'était pas de la famille des chefs, et c'est pourquoi à plusieurs reprises en 1904, à notre arrivée, puis en 1907, il fut question de le remplacer. Mais ce projet n'aboutit pas. C'était un homme intelligent et riche en bétail et clients. Il nous a toujours bien servis, mais fut sans grande autorité sur ses gens; il vivait dans le sillage des Oulad M'haïmdat, conduits eux-mêmes par Sidi Amar, chef et pontife des Kounta. Il est mort en 1915, et son frère Sidi, et son jeune fils ayant été écartés, il a été remplacé sur élection de la djemaa par un notable influent: Ceddiq ould Mokhtar ould Bokhari.

Ceddiq est un homme ouvert et sympathique, qui dirige bien sa tribu.

B. Les Oulad M'haïmdat comprennent 85 tentes et 285 400 personnes. A ce nombre il faut joindre 7 tentes et 30 personnes pour les haratines M'haïmdat. Ils sont riches de 2 chevaux, 11 chameaux, 416 bovins, 5.200 ovins et 96 ânes.

Le chef de la tribu était, à notre arrivée, Bouha ould Brahim ould Haïb Allah. Il mourut peu après, ne s'étant guère signalé avec ses gens que par son opposition à la création du poste de Mouit, en 1904, ce qui valut à la fraction une amende de 100 bœufs. Ils abandonnèrent alors le Rag et vinrent dans la région de Mal. Le fils de Bouha étant trop jeune pour lui succéder, la djemaa élut Mohammed ould Mokhtar Salem ould Beyyat, dit Bidiel ould Beyyat. C'est un assez bon chef, faible pourtant devant ses gens, et qui se laissait jadis guider par Sidi Amar, des Kounta, et depuis la mort de celui-ci, par les notables intrigants.

La djemaa se compose de Cheikh ould Mokhtar, Mokhtar ould Ahmeïdat, Mohammed ould M'haïd et Sidina ould Alioua.

Le chef des Haratines est Amoïjen ould Samba; et les notables Sidi-I-Abd ould Al-Hartani et Bokhari ould Terko.

La marque des M'haïmdat est la même que celle des Oulad Yarra.

La fraction nomadise en hivernage, entre Mal et Guimi; et en saison sèche, à Mal et aux environs.

Guerriers par profession et par atavisme les Touabir en ont pris les mœurs, et notamment le dédain pour les choses islamiques. Les gens disent d'eux: «Ils sont comme les hassanes. Il n'y a aucune tente «de sciences chez eux». C'est exact. De même, il n'y a aucune personnalité maraboutique notoire. Les écoles coraniques végétant sans élèves, quand un enfant veut pousser ses études, il va chez les Kounta ou Dieïdiba voisins.

Les affiliations religieuses sont donc très rares. A signaler pourtant quelques ouird Qadrïa, relevant soit des Kounta 286 (M'hammed ould Bekkaï), soit des Id Eïlik (Naji), soit des Dieïdiba. Les Kounta sont en quelque sorte les suzerains religieux des Touabir, surtout des M'haïmdat, qui continuent à leur payer comme jadis une hadiya annuelle d'un mouton de choix et de 4 litres de beurre par troupeau de moutons. Les Oulad Yarra acquittant vis-à-vis de Cheikh Fal des redevances qui sont autant des horma que des hadiya.

Les Touabir rachètent leur tiédeur religieuse par une certaine ardeur au travail manuel. Ce sont de bons éleveurs et d'excellents puisatiers.

CHAPITRE XXI
DABAÏ D'ALEG

La dabaï (ou adabaï) d'Aleg n'est autre que le village noir et métis, qui s'est constitué au pied du poste militaire. C'est la seule agglomération sédentaire du Brakna. Elle est de création récente, ne remontant qu'à 1904, date de notre occupation du mamelon d'Aleg, et s'est constitué par l'immigration sporadique de noirs du fleuve, de captifs libérés, de tirailleurs licenciés, de haratines en rupture de vasselage. Elle comprend, en 1918, 40 cases et 149 personnes. Elle est riche de 3 juments, 41 bovins, 1.177 ovins, 24 chameaux et 17 ânes. Ces troupeaux ne s'éloignent pas des environs d'Aleg.

Le chef de la dabaï est Yéro Diakité, né vers 1870, Ou assoulouké d'origine, égaré ici à la suite d'aventures diverses. C'est un brave homme, très dévoué, et qui rend d'excellents services. Il tient bien en main cette population aux origines diverses et qui n'a encore acquis que fort peu le lien et la solidarité collectifs.

Les notables sont: a) Tierno Bou Bakar, d'origine foula du Labé, almamy et maître de l'unique école coranique qui compte une douzaine d'élèves, enfants de la dabaï ou de la demi-compagnie de tirailleurs. On peut dire à ce propos que l'école française voisine, tenue actuellement par Mamoudou Ba, élève distingué de la médersa de Saint-Louis 288 et fils du cadi de Kaédi, est bien plus florissante avec 25 jeunes gens, tous Maures. Tierno Bou Bakar, né vers 1870, est un homme sympathique et relativement lettré; b) Harouna Kaïta; c) Mamadi Kamara.

Toute la population de la dabaï est musulmane, qu'elle soit d'origine malinké, bambara, diallonké ou toucouleure. Ce sont pour la plupart d'anciens dioula de kola et de tabac, qui se sont fixés ici, et font maintenant surtout des lougans. Entre temps et à l'occasion, leur ancien métier reparaît et on les voit repartir vers le fleuve: Mafou, Boghé Kaédi, soit avec un âne ou un chameau pour y porter des peaux ou de la gomme et y chercher du mil, du sucre, ou des denrées de fabrication européenne, soit pour y conduire des bestiaux.

A part Tierno Bou Bakar, qui est affilié au Tidianisme de Saad Bouh, les autres habitants de la dabaï ressortissent aux différents ouird qadrïa de la région: Cheikh Sidïa, Saad Bouh, marabouts Dieïdiba, Id Eïlik, Kounta, etc., Yéro Diakité spécialement relevé de Bakkaï, fils de Bou Kounta de N'diassan (Tivaouane).

Aleg est, depuis 1917, pourvue d'une coquette mosquée en banco, avec minaret, qu'a fait élever le lieutenant Bayart, commandant le cercle. Elle est utilisée par la population locale seulement. Quant aux Maures, on sait que, fidèles à leur coutume, ils ne font jamais la prière dans une mosquée bâtie, même quand ils sont à proximité d'un de ces édifices. Cependant les Brakna, que leur service ou leurs affaires appellent à Aleg, savent apprécier à leur façon cette mosquée, en allant coucher, la nuit, sur la terrasse, pour fuir les moustiques qui abondent dans la région et dont ils ont la plus grande frayeur.

LIVRE III
LE CHAMAMA DU BRAKNA


CHAPITRE PREMIER
NOTES GÉOGRAPHIQUES

Le Chamama est cette plaine alluvionnaire qui s'étend sur la rive droite du fleuve Sénégal—la rive maure—de l'embouchure du Gorgol jusqu'au marigot des Maringouins. Il est réparti administrativement en trois branches, dépendant de trois cercles: Gorgol (province de Néré); Chamama proprement dit, ou Chamama du Brakna (provinces des Irlabé-Ebyabé, Lao Alsybé et Toro) et enfin Trarza. Comme on le voit, la portion centrale a donné son nom au cercle, dont Boghé est le chef-lieu. Il y a peu de temps d'ailleurs que ce Chamama de Boghé a été constitué en cercle. Avant l'arrêté du 30 juin 1918, ils constituait une simple subdivision du cercle du Brakna, et les intimes relations qui existent entre Maures Brakna et Toucouleurs riverains suffisaient et suffiront peut-être encore un jour à justifier cette union.

Au nord du Chamama, s'étend la Draa, région de transition vers la haute Mauritanie, pays des collines rocheuses ou sablonneuses, des ruisseaux (oued ou marigots), gonflés en hivernage, des forêts de gommiers et d'épineux divers, des bosquets touffus des tamourts ou dépressions, aqueuses 290 de longs mois, et humides toujours, des aftouh enfin, plateaux peu élevés, où de nombreux troupeaux rencontrent d'abondants pâturages. L'artère centrale en est l'oued Katchi, ou plus simplement «l'oued», et qui se déverse dans la vaste dépression du lac d'Aleg.

Le Chamama qui nous occupe, le Chamama du Brakna[12] s'étend le long du Sénégal du marigot de «Baraouagui» (25 kilomètres ouest de Podor), au village de «Gognadé» (marigot de Diorbivol), situé à 25 kilomètres est de Kaédi.

[12] Cf. pour cette section de chapitre la monographie de l'Administrateur Mère, à laquelle nous avons fait quelques emprunts.

Il est borné au nord par la ligne sinueuse des dunes peu élevées, dont le relief limite la zone d'inondation du fleuve. La largeur du Chamama, qui s'identifie avec la région inondable, varie de 2 à 15 kilomètres.

Il forme donc une plaine allongée, avec de différences de niveau de quelques mètres seulement, qui suffisent à déterminer deux natures de terrain: 1o les «Fondé» ou parties qui ne sont pas atteintes par l'inondation et qui sont recouvertes d'arbres, de broussailles et de pâturages; 2o les «Coladé» plus ou moins inondés en hivernage par les eaux du Sénégal, suivant l'importance de la crue du fleuve. Ces coladés, qui forment plus des deux tiers du Chamama, sont d'une grande fertilité, toujours entretenue par les alluvions: ils constituent un terrain d'élection pour la culture du gros mil.

Les pluies d'hivernage commencent dans le courant du mois de juillet et durent jusqu'au 15 octobre. Elles arrivent sous forme de tornades, d'une façon irrégulière, paraissant plus nombreuses dans la période de croissance de la lune. Toutefois leur irrégularité est telle, que les cultures de dunes, dites d'hivernage (petit mil, pastèques, arachides), semées aux premières pluies, sont d'une réussite toujours problématique et ne sont considérées par l'indigène que comme un secours supplémentaire et aléatoire.

291 L'importance de la crue du Sénégal, dépendant de la quantité d'eau tombée dans la région du haut fleuve, et l'abondance de la récolte du gros mil dans les colés étant en raison directe de l'inondation, cette récolte est peu influencée par les pluies locales. Une année de sécheresse où les pâturages manquent, où les cultures d'hivernage ne donnent pas, peut fournir une excellente récolte de mil.

L'arbre qui domine dans le Chamama est le «gonakier» (amour), que l'on y rencontre en quantités considérables et dont la graine est utilisée par les Maures à cause de sa grande richesse en tannin. On rencontre également le tamarinier (cellaha), une grande quantité d'épineux—dont quelques gommiers (irouar)—sur les premiers revers des dunes.

Le Chamama est aujourd'hui à peu près exclusivement peuplé et cultivé par les Toucouleurs (Toro, Alsybé, Lao, Irlabé-Elyabé) et par les haratines maures. Ces derniers, presque sédentaires, quoique continuant à habiter la tente, ont leurs campements établis ordinairement à la limite de la région sablonneuse.

D'autres races habitèrent le Chamama dans le passé: 1o les Ouolof, probablement au moyen âge. Outre la légende le «yettodé», de nombreuses familles, surtout de pêcheurs en a conservé le souvenir. Les Ouolof, qui étaient installés vraisemblablement beaucoup plus dans le Nord, reculèrent peu à peu vers le fleuve, sous la pression des Peul Bababé, et des tribus berbères-maures; 2o les Sérères, dont on peut situer la présence dans la même période. Beaucoup de ruines de village ou des villages existant encore, ont conservé des noms sérères. Les Sérères se retirèrent peu à peu vers le Sud du Sénégal après une série de défaites; 3o Les Sarakollé, qui semblent n'être venus qu'en très petit nombre arrivant de l'Est, et dont on trouve encore deux familles dans le Lao et les Alsybé.

292 Ces différentes races occupèrent réellement le pays, parfois jusqu'au Tagant. Elles achevèrent leur exode, lors des invasions des Peul venant du Macina, puis des Dénianké arrivant du Fouta.

C'est de la fusion de toutes ces races qu'est sorti le peuple toucouleur. La révolution islamique de la deuxième moitié du dix-huitième siècle lui donnait la conscience de son unité nationale et religieuse. Il la fortifia par de nombreuses luttes contre ses voisins et particulièrement contre les tribus maures, qui n'ont jamais cessé jusqu'au dernier jour, sur les deux rives du fleuve, de piller, de brûler et d'emmener les populations en esclavage.

Après une longue période, l'élément Toucouleur resta à peu près implanté dans la région du Chamama, située à l'est de Boghé (Irlabé-Elyabé, Lao), tandis que les Maures du Brakna restèrent maîtres dans la région ouest (Aleybé Toro), où ils devinrent les propriétaires de la terre. Il en résulte aujourd'hui que les premiers sont restés possesseurs du sol de la région qu'ils occupent, et qui appartient à certaines familles. Il est régi selon la coutume toucouleure, et à la tête de chaque groupement, se place un chef de terrain. Dans les Aleybé et le Toro, où l'autorité française s'est substituée aux émirs du Brakna vaincus, la terre est devenue propriété domaniale, «Baïti». Le cultivateur n'en jouit qu'à titre précaire. Il ne doit ni la vendre, ni la céder sans autorisation.

Le chef-lieu administratif et l'agglomération principale du Chamama du Brakna est Boghé, que les Maures appellent Dibango, ou Doubango.

La population totale est de 19.550 habitants, dont 18.200 noirs et 1.350 haratines maures.

CHAPITRE II
L'ISLAM NOIR

Avant notre pénétration sur la rive gauche, les Toucouleurs du Toro et des Aleybé—à part quelques exceptions chez ces derniers—n'habitaient pas le Chamama. Les habitants des villages de la rive gauche ne venaient cultiver qu'avec l'autorisation de l'Emir du Brakna et moyennant le paiement de droit fixé plus ou moins arbitrairement.

En général, l'émir faisait percevoir sur les Noirs, autorisés à cultiver: l'assaka (1/10 de la récolte), le dioldi (location), plus un cadeau variable pour avoir le droit de défricher tout nouveau terrain. De plus, les cultivateurs devaient payer le bakh ou droit de protection à certaines familles de guerriers. Chaque colengal (sing. de colé) avait un chef de terrain ou «Dion colengal» qui était chargé de recueillir ces différentes contributions pour les remettre aux destinataires ou au percepteur de l'émir.

L'émir ne se faisait aucun scrupule de retirer ses autorisations, selon son unique bon plaisir. La population noire était administrée par la colonie du Sénégal sur la rive gauche où elle habitait.

Au contraire, chez les Toucouleurs du Loo et des Irlabé-Elyabé, qui habitaient en assez grand nombre sur la rive droite, où ils avaient pris pied, lors de la révolution islamique du Fouta, les villages s'étaient dégagés des hassanes 294 et relevaient administrativement des chefs des mêmes provinces de la rive gauche.

Ils y percevaient l'impôt de capitation, rendaient la justice, suivant les lois et coutumes en usage au Sénégal.

Du temps des almamys, la justice était rendue par leurs cadis.

Les chefs de terrains étaient élus par la famille, puis agréés par l'almamy, qui, à ce titre, recevait d'eux de nombreux cadeaux.

Suivant l'origine du terrain et celle de la famille des cultivateurs, le chef de terrain percevait certains droits: Assaka (impôt religieux du 1/10 de la récolte); Dioldi (droit variable de location); Thiottigou (droit de succession, acquitté par l'héritier au chef de terrain); Doftal (prestation en nature au propriétaire). Dans la pratique, le montant de ces droits allait à l'almamy, au percepteur chef de terrain, et aux principaux membres de la famille propriétaire.

L'almamy disposait plus ou moins arbitrairement des terrains non encore occupés, ainsi que de ceux qui devenaient vacants par suite de l'extinction de la famille propriétaire, en faveur de ses suivants, de ses créatures, et pour récompenser ses services rendus à la guerre.

Ce sujet de la propriété immobilière dans le Chamama a été traité avec une telle documentation, avec une telle précision par M. Chéruy qu'il suffit ici d'y renvoyer. On trouvera cette étude soit dans les suppléments au journal officiel de l'A. O. F. de mars-avril 1911, soit en une brochure, édition spéciale.

Les Toucouleurs du Chamama paient, à l'instar de leurs frères de la rive gauche, l'impôt de capitation. Il était fixé en 1918 à 6 francs. Il a produit, pour 18.200 habitants, dont 13.719 contribuables, 82.314 francs.

Les chefs de provinces touchaient jadis des remises au titre de l'impôt de capitation. Depuis le 1er janvier 1918, ils touchent un traitement fixe.

295 Les chefs de village portent généralement le nom, dérivé de l'arabe, d'«élima». Ils étaient tantôt élus par le conseil des notables, tantôt choisis par le chef du Lao ou l'almamy du Fouta, mais dans tous les cas, on tenait compte du droit héréditaire de certaines familles. Les mêmes principes sont aujourd'hui observés par l'administration française.

La population noire du Chamama du Brakna est entièrement toucouleure et en parle la langue (poular)[13]. On y trouve exceptionnellement une trentaine de Sarakollé perdus dans la masse des autres indigènes et en ayant pris le langage et les coutumes, et quelques Ouolof que l'on peut considérer comme des passagers, car ce sont des traitants ou des ouvriers, dont toutes les relations de famille sont étrangères au pays, et qui arrivent et qui repartent suivant les nécessités de leur commerce ou de leur travail.

[13] Cf. sur la langue des Toucouleurs le très remarquable ouvrage de Henri Gaden, le Poular, chez Ernest Leroux, Paris.

Les pêcheurs du fleuve, dont l'origine remonte à l'occupation du pays par les Ouolof, en ont pratiquement perdu le souvenir. Ils parlent le poular et se considèrent comme de cette race, à laquelle ils se sont d'ailleurs mélangés par de nombreux croisements.

Les Toucouleurs du Chamama se divisent comme leurs frères de la rive gauche en castes ou classes. On y distingue notamment: les Torodbé, classe qui a fait la révolution religieuse de la fin du dix-huitième siècle, qui est resté le parti maraboutique par excellence, et qui est toujours le milieu où se recrutent les familles dirigeantes du pays; les Diniankobé, ancienne classe prépondérante, réduite au second plan par les Torodbé; les Koliabé, clients et serviteurs des deux premières classes; les Tioubalbé, pêcheurs du fleuve; les forgerons, Laobé, griots, etc.

Les principales familles sont: dans le Toro, les Kane, 296 famille des chefs, les Li, les Si, les Tiélo; chez les Aleybé, les Vagne et les Lam; dans le Lao, les Wane, famille des chefs, les Kane, les Li, les Baro, les Diatys, les Bousso; chez les Irlabé, les Ane, les Diallo, assimilés aux Kans, les Li, les Si, les Ba; chez les Elyabé, les Li, les Kane, les Ba.

Les familles d'origine peule, qui sont devenues toucouleures, c'est-à-dire qui se sont islamisées, instruites ès sciences arabes et alliées aux Toucouleurs, ont gardé le souvenir de leurs origines. D'autres groupements peul ont gardé au contraire leur caractère national. Ils ont conservé leur nom et leurs mœurs, leurs habitudes de nomadisation, leurs richesses en cheptel, leur endogamie; ils se sont bien islamisés dans l'ambiance locale, mais plus faiblement, et leur islam est plus fermé aux influences extérieures. Peu d'entre eux sont affiliés à une voie religieuse, et ceux-là ne semblent pas en pratiquer les rites spéciaux.

Certaines familles, comme les Kane, se sont partagés les Kane de Yahia Kane (Irlabé, Ebyabé maures), sont devenues toucouleures; les Kane d'Abdoulaye Kane (Irlabé-Elyabé de la rive gauche) sont restés peul, ou du moins visent à le rester. Chez les Toucouleurs d'origine peule, comme chez les Peul restés intacts, on trouve des représentants des trois grandes tribus originelles peul: Ba, Diallo et Bari. Seule, la quatrième tribu, les Soh, n'est pas représentée ici.

Les familles d'origine maure ont aussi gardé le souvenir de leurs origines. C'est ainsi que les Wane descendent d'un père Larlal, qui avait épousé une femme noire, et qui appartenait aux Larïal blancs, créateurs de Ouadan. Son fils Eli s'établit à Oualalbé, auprès des Toucouleurs Si, Sal, Sar, Thiam et Diop qui lui donnèrent le nom de Wandé Dien (l'aurore). Le farba de Oualaldé à conservé ce nom. On dit aussi que cette famille prit le diamou de Wane, parce qu'elle s'était primitivement installée auprès d'une termitière (Wandé).

297 Les Kane, qui sont originaires du Dimar, assurent que leur antique village de Dimatch est une corruption de Dimachq (Damas) et que leur ancêtre était un Arabe de Syrie.

Certains Li, passés ensuite sur la rive gauche à Dogo (Matam), assurent descendre d'Abd El-Malik ould Merouan.

Il faut souligner d'ailleurs fortement que si l'apport du sang maure est relativement minime dans la formation du peuple toucouleur, le voisinage, la prédication, l'enseignement, la contrainte même parfois des tribus maraboutiques maures voisines ont contribué plus que tout autre cause à l'islamisation primitive des Foutanké, à la révolution religieuse qui donne le pouvoir aux néo-convertis, et à leur raffermissement depuis un siècle et demi dans la foi du Prophète.

Au surplus, les tributaires et les groupements toucouleurs ont, dès le début, associé leurs dissensions intestines et noué entre eux des alliances locales (qism) pour lutter contre des alliances de même composition. C'est ainsi qu'il était classique que les gens du Lao et les Aleybé étaient les alliés des hassanes Oulad Normach et Oulad Ahmed et des marabouts Kounta, notamment des Meterambrin; que le Toro était l'allié des Oulad Siyed; les Irlabé et Ebyabé, les alliés des Oulad Eli—Oulad Naceri; le Bosséa, l'allié des Oulad Eli—Ahel Hiba. Une guerre entre tribus maures entraînait souvent l'entrée en ligne des Toucouleurs alliés. Il en est de même dans les luttes entre Toucouleurs.

Les personnalités les plus notoires du Chamama sont actuellement au nombre de quatre: Tierno Sakho, Eliman Abou, Baïla Biram et Yahia Kane.

Tierno Ahmadou, fils de Mokhtar Tierno, dit Sakho, du nom de son village d'origine, est né en 1867, à Ségou, où son père s'était établi à la suite d'Al-Hadj Omar. Il y fit 298 ses premières études et y commença le droit. Il étudia ensuite la théologie et les sciences sacrées à Nioro et Kolomina, et acheva son éducation chez Al-Harith ould Maham des Id ab Lahsen. C'est aujourd'hui un homme très instruit ès sciences arabes et islamiques, et comme on en rencontre rarement chez les noirs, même chez les Toucouleurs, qui sont le peuple où l'on trouverait le plus grand nombre de cette sorte de docteurs. Nommé cadi de Boghé, en octobre 1905, peu après l'occupation, il exerce ces fonctions depuis cette date avec une autorité et un dévouement inlassables. Intelligent, ouvert, pondéré, il nous a rendu d'inappréciables services. Unissant à une parfaite science juridique, une connaissance complète du droit local et des traditions et coutumes maures et toucouleures, il sait toujours trouver la solution idéale qui conciliera les intérêts de tout le monde. Il jouit d'une autorité incontestée même chez les Maures. Dans les conflits qui divisent les nomades, anciens maîtres du pays, et les Toucouleurs des deux rives, on s'en remet par avance à sa décision. On voit des Maures du Trarza, du Brakna, du Gorgol et même du bas Tagant le choisir comme arbitre suprême. Son influence lui a permis de venir en aide, à Yahia Kane, chef des Irlabé-Elyabé maures, lors des recrutements intensifs. Il fut mis ensuite à la disposition du commandant du cercle de Podor pour user de ses bons offices diplomatiques auprès des villages toucouleurs, rebelles au recrutement et qui s'armaient. Il y réussit parfaitement.

Ahmadou Sakho a reçu l'ouird tidiani, en 1890, de Mohammed Fal ould Baba, des Ida Ou Ali du Trarza; et les pouvoirs de moqaddem du Chérif Çalih ould Al-Mekki, originaire d'Orient et qui s'était installé à Tivouane, où il est mort. C'est au cours d'un voyage à Podor que ce Chérif qui, par Chérif Makki, le Hossini, se rattachait à Mohammed Rali, lui conféra ce titre.

Ahmadou Sakho tient par intermittence une école coranique. 299 Il professe avec plus de continuité l'enseignement supérieur. Il donne des cours sur l'Alfiya, d'Ibn Bouna, la Rissala, la Soghra et la Ouasta, la Tohfat et le Précis à une douzaine de jeunes gens, surtout Toucouleurs ou haratines.

Toro.Eliman Abou, chef de la province du Toro maure, est né à Podor, vers 1858. Son père Ibrahima Kane était installé à Thioffi, dont il fut le chef. Il fut un des chefs les plus dévoués à notre cause et reçut des autorités du moment de nombreuses attestations que son fils montre encore avec orgueil. Le commandant de l'artillerie de Podor témoigne en 1863 qu'il «a aidé la colonne de Podor de tous ses moyens; qu'il a prêté gracieusement ses partisans, ses porteurs, ses bœufs; qu'il a guidé la colonne». Il est proposé pour la médaille d'or de 1re classe par le gouverneur du Sénégal, qui atteste qu'il «est le seul homme du pays qui se ferait tuer pour le service du Gouvernement français».

A la même date, le chef du bataillon sénégalais «certifie que, comme volontaire, il a conduit avec la plus grande bravoure toute la colonne qui a opéré dans le Fouta. Sa conduite au combat de Ndiomou fut intrépide». Ibrahima Kane serait mort au cours d'une mission, dont il avait été chargé, dans le but d'arrêter une insurrection dans le Fouta.

Mis à l'école des otages de Saint-Louis, son fils Eliman Abou en sortit comme interprète et fut employé en cette qualité au Soudan. En 1888, il reçoit un premier témoignage de satisfaction du commandant de Bafoulabé. En 1888, il remplit, outre ses fonctions d'interprète, celles de professeur à l'école des otages. En 1891, inculpé à tort dans l'assassinat de l'administrateur Jeandet à Podor, il est acquitté, et est nommé successivement chef des Célobé, puis chef des Aleybé dans le cercle de Podor. En 1900, il est envoyé à Paris avec les fils de chefs et nommé officier 300 d'Académie. En 1901, il reçoit les félicitations du gouverneur pour la bonne administration de sa province et du gouverneur général pour le concours qu'il a prêté à l'autorité militaire pour l'organisation des convois de la relève du Soudan. En 1905, il est percepteur et chargé du transit de la Mauritanie. En février 1906, à la suite de la suppression de la perception de Podor, il était nommé à sa fonction actuelle.

La famille d'Eliman Abou a donné le même exemple d'adaptation: son frère Mamadou Abdoul est mort à Toulon, en 1882, comme lieutenant de spahis; son fils aîné, Racine Kane, né vers 1890, écrivain expéditionnaire au Sénégal, est sous-officier de tirailleurs aux armées; le second Abdoul Eliman, né vers 1891, est tantôt secrétaire de son père, tantôt comptable de la maison Oldani à Podor. Il a fait partie de la colonne de l'Adrar (1908), à la tête des partisans levés par son père; le troisième, Ibrahima Kane, né vers 1893, sert de Khalifa à son père; le quatrième Ndiak Eliman, né vers 1894, est comptable de la maison Oldani à Podor. Ils sont tous intelligents, instruits et considérés dans la région. Les plus jeunes sont aux armées.

Eliman Abou a une bonne instruction arabe. Il parle encore et écrit même suffisamment le français.

Il a deux femmes légitimes, personnes de bonne famille, et un grand nombre de concubines, qui lui ont donné une vingtaine d'enfants qu'il emploie à la culture de ses lougans. Il possède de beaux troupeaux de bœufs et de petit bétail.

Doyen des chefs du cercle, il dirige avec autorité une province, sinon très importante, du moins difficile à commander par suite du mélange des populations: Toucouleurs et Peul des deux rives, haratines, Maures.

Il est, comme beaucoup de Kane, et par opposition au mouvement omari, de l'obédience qadrïa.

Peu de marabouts méritent une mention dans cette province 301 du Toro: Mamadou Othman, né vers 1875, professeur et almamy de père en fils à Thioné; Ahmadou Mountaga, petit-fils d'Al-Hadj Omar, né vers 1870, disciple de Tierno Sakho, sans profession bien définie, tour à tour cultivateur et commerçant; Aliou Penda Li, né vers 1860, imam de Mboyo, disciple tidiani de Mourtada Tal, de passage ici.

Les mosquées-diouma de la province sont à Guédé et Ndioum, sur la rive sénégalaise.

Le Toro comprend 1.500 habitants dont 930 contribuables. Il était inscrit au rôle de 1918 pour 5.580 francs. Son chef reçoit un traitement annuel de 900 francs. L'influence islamique s'y est fait sentir dans l'onomastique locale: on y trouve les villages de Dar al-Barka, la capitale, Diama al-Ouali, Louboudou et Médina.

Lao.Aleybé.Baïla Biram Wane est le chef de province du Lao et des Aleybé. Il est le descendant d'une vieille famille maraboutique, qui exerçait une influence religieuse et politique sur toute la population du Lao-Formangué. C'est l'almamy Biram qui, chef du Fouta, porta le renom de la famille à son apogée. Son troisième fils, Abdoul fut, sous le règne d'Almamy Madadou, chef du Lao-Hernagué. Le fils d'Abdoul, Biram, fut un vaillant guerrier, qui marcha longtemps pour notre cause aux côtés d'Ibra Almamy, son cousin germain, dont nous allions faire, quelques années plus tard, le chef du Fouta.

Baïla Biram, fils aîné de Biram Abdoul, est né en 1881 à Mbouba (Podor). Son frère aîné, Ibra Biram, né en 1898, est chef du village d'Abdallah; ses frères cadets sont: Bokar Biram, né en 1888, interprète à Atar, et Mamadou Amat, né en 1890, tirailleur aux armées.

Mis à l'école des fils de chefs, Baïla en sortit en 1902 et fut aussitôt nommé interprète à Matam, puis à Bakel. Mis hors cadres en Mauritanie, il fut interprète à Mal, puis à 302 Aleg. En 1908, il était nommé chef du Lao maure; deux mois plus tard, il prenait le commandement du goum toucouleur qui allait opérer dans l'Adrar avec la colonne Gouraud. Il s'y conduisit brillamment, fut blessé deux fois, fut l'objet de deux citations à l'ordre et reçut la croix et la médaille coloniale. En 1912, il accompagnait encore la colonne Patey dans la colonne du Hodh et l'occupation de Tichit. Au retour de cette colonne, le chef de la province des Aleybé, Lamin Samba ayant été destitué, Baïla joignit le commandement de cette province à celle du Lao.

Baïla est un chef intelligent et dévoué, qui a toujours témoigné d'un parfait loyalisme, et sait administrer avec beaucoup de tact ses populations, dont il est très aimé. Les divers recrutements de la grande guerre se sont effectués chez lui sans à coups. En 1915, il recevait à cette occasion une médaille d'honneur de 1re classe. En 1918, il donnait lui-même le bon exemple et s'engageait à la tête de son contingent. Il gagna rapidement les galons d'officier.

Baïla Biram a deux femmes légitimes de bonne famille: Khadi Seck, fille de Bou-l-Mogdad et Fatimata Kane, fille d'Abdoulaye Kane. Il en a eu plusieurs enfants, encore en bas âge.

Bon arabisant, Baïla a aussi d'excellentes connaissances de français. Comme les vieilles familles jadis prépondérantes, lors de l'avènement d'Al-Hadj Omar, et par réaction contre son tidjanisme, Baïla appartient au qaderisme.

En dehors de Baïla Biram, dont l'influence, quoique d'essence religieuse, s'exerce surtout dans le domaine politique, il faut citer parmi les marabouts notoires du Lao-Aleybé, soit qu'ils y résident personnellement, soit qu'ils habitent la rive sénégalaise et qu'ils ne comptent ici que des disciples: a) Tierno Ali Lam, né vers 1858, maître d'une école de 15 élèves et disciple tidiani du Cheikh Mortada Tal; b) Tierno Ndiaye, de son vrai nom Alfa Ahmadou, né vers 1870. C'est l'almamy du Bababé, le plus gros village 303 de la région qui, avec ses 4 écoles et sa mosquée de banco, est un foyer d'islam. Tierno fait l'école du premier degré et quelquefois des cours supérieurs. Il est disciple tidiani, de l'obédience de Tierno Ibrahima Mohammed Mojtaba, qui fut un des fidèles d'Al-Hadj Omar, et revint mourir à Béré, dans le Lao; c) Alfa Ahmadou Ndiaye, né vers 1870, almamy de Diouldé-Diabé, maître de l'école locale, qui comprend une dizaine d'élèves et disciple tidiani d'Al-Hadj Malik de Tivaouane.

A côté de cette obédience omarïa, la propagande des missionnaires de Saad Bouh n'a pas été sans succès. Il faut citer parmi ces personnages, domiciliés d'ailleurs à l'extérieur: d) Cheikh Mamadou, père du marabout connu de Damga, Abdou Salam; e) Cheikh Mamadou Biram Almamy, cousin de Baïla, mort vers 1890 dans un pèlerinage à la Mecque, et son disciple Al-Hadj Mamadou Abdou Wane; f) Cheikh Mamadou Biram Abdou, mort à la même date; g) Cheikh Moussa Kamara, du Damga.

Le qaderisme, en dehors du chef de province, comprend quelques adeptes de Cheikh Sidïa et de Cheikhs de passage, comme Tourad et Sidi-l-Khir, des Ahel Taleb Mokhtar du Hodh, et les fidèles du Cheikh Mohamed Fal, des Eïlik du Brakna, décédé récemment et que son fils Naji a remplacé.

Jusqu'à ces temps derniers, une grande figure religieuse rayonnait dans le Lao: Alfa Mamadou, imam de Oualaldé (Koliabé). Il «a affirmé la religion musulmane», dit-on de lui, ce qui est exact; car, par ses prédications, ses exhortations et son exemple, il a ramené les mœurs locales à une orthodoxie plus rigoureuse. Il a laissé de nombreux enfants et disciples, qui, partagés sur les deux rives, continuent sa tradition. Son fils aîné, Alfa Chibani, élève de Tierno Sakho, vise à le remplacer. Un de ses disciples, Hamidou Ahmadou, de Diatta (Podor), cultivateur, maître d'école et lettré, paraît devoir se faire une renommée locale.

304 En résumé, le Lao et les Aleybé ont été jusqu'à 1850 les disciples des Cheikhs qadrïa de Mauritanie. Cette tradition s'est maintenue, même sous Al-Hadj Omar, car les adeptes de ce dernier le suivirent au Soudan. Ce n'est que lors du retour de ces dissidents, dont plusieurs avaient été les propres disciples d'Ahmadou Chékou, à Nioro, et à la suite de plusieurs voyages de son frère Mourtada que le tidianisme s'implanta fermement sur la rive maure. L'inimitié très vive qui, au début, sépara ceux qui étaient restés au pays et les nouveaux venus s'est apaisée avec le temps, et les deux rives vivent en bons termes côte à côte.

La grande mosquée du Vendredi pour ces deux provinces se trouve à Démette, sur la rive sénégalaise.

La population totale est de 7.500 habitants, dont 6.077 contribuables. Le Lao était inscrit, au rôle de 1918, pour 1.216 francs et les Aleybé pour 3.461 francs. Leur chef reçoit un traitement annuel de 2.800 francs. L'influence locale se fait sentir dans l'onomastique des villages, tels que Abd Allah Oualo, Abd Allah Diéré, Fodé Elimane.

Irlabé-Elyabé.—Le chef des provinces Irlabé et Elyabé est Yahia Kane. Né vers 1875 à Diaba (Saldé), il appartient, tant du côté paternel que du côté maternel, au meilleur lignage. Du côté paternel, il est fils de Mamadou Alfa, fils de Alfa Ahmadou Mokhtar, fils de Tierno Samba, fils de Mamadou, fils de Hamidin Samba. Du côté maternel, il compte plusieurs almamys et notamment l'almamy Ahmadou, son bisaïeul, et l'almamy Youssouf. Son père, Mamadou Alfa, servit d'intermédaire entre le Gouvernement du Sénégal et Abdoul Bou Bakar, lors de la conclusion des traités avec le Fouta. Son oncle, Cheikh Ndiaye, est cadi supérieur de Matam.

Il a quatre frères dont les plus notoires sont Ahmadou Mokhtar Kane, ancien élève de la médersa de Saint-Louis, secrétaire du tribunal de subdivision des Irlabé-Elyabé, son 305 khalifa et successeur éventuel; et Abd-El-Aziz Kane, assesseur au tribunal de cercle d'Aleg. Les autres poursuivent encore leurs études.

Jadis cadi et président du tribunal des Irlabé-Elyabé de la rive droite, Yahia Kane fut, en février 1906, à la mort de Mamadou Lamin, nommé chef politique et président du tribunal local de la même province du même nom sur la rive maure. Il exerça ces deux fonctions jusqu'en 1918, date où il résilia ses fonctions judiciaires par suite de la concentration à Boghé de toutes les juridictions de province. Il a reçu une médaille d'honneur en 1916.

C'est un homme riche et très considéré et un chef qui a de l'autorité. Il a de nombreux lougans et de beaux troupeaux.

Il a été affilié au Qaderisme par Saad Bouh, qu'il a rencontré à Saint-Louis au cours d'un voyage.

Les principales personnalités maraboutiques des Irlabé-Elyabé sont: a) Tierno Aliou Oumar, de Davélé, né vers 1850, qui, par Tierno Mamadou Alimou, se rattache au Tidianisme omari. C'est un petit maître d'école; b) Tierno Mahmoudou Dielïa de Mbagne, né vers 1856, almamy d'une mosquée de quartier, maître d'une petite école coranique et disciple de ce même Tierno Alimou, de Bokidiavé; c) Tierno Ciré Ahmed, de Fokone, né vers 1880, maître d'école, de la même obédience; d) Tierno Samba, de Serimali, né vers 1876, disciple tidiani d'Al-Hadj Omar Galleya, qui était un fidèle du grand Al-Hadj Omar.

La mosquée du Vendredi des Irlabé-Elyabé est à Mbagne.

La population totale est de 9.200 habitants dont 6.712 contribuables. Ils étaient inscrits, au rôle de 1918, pour 40.272 francs. Leur chef reçoit un traitement annuel de 2.600 francs. L'influence islamique s'y fait sentir dans l'onomastique de certains villages, tels que Taïbata, Maloum Diaba, etc.

CHAPITRE III
FRACTIONS MAURES

Trois fractions maures habitent en permanence le Chamama du Brakna: les Tendra, les Id Ar Zimbo, les Haratines Chorfa; trois autres fractions y envoient leurs haratines cultiver, au moment de l'inondation: Haratines Id Ab Lahsen, Haratines Tagnit, Haratines Oulad Biri. Tous ces groupements sont originaires des tribus Trarza du même nom. Le total de cette population maure est de 1.350 âmes.

Tendra.—Les Tendra du Chamama sont une colonie de la grande tribu du Trarza occidental. Ils sont venus dans le pays au début du dix-neuvième siècle, attirés par la richesse des cultures. On y trouvait, au début, les origines sociales les plus diverses: zenaga, haratines, captifs, et même marabouts de condition libre, à qui leur misère imposa cet exode et cette vie inférieure. Avec le temps, la fusion s'est produite dans cette fraction.

D'autres individualités et même de petits campements ont rejoint, au cours du dix-neuvième siècle et jusqu'à nos jours, les premiers émigrants. Le plus récent est celui du Cheikh Abd Allah ould Ahmeddou, de la fraction Oulad Bou Sidi, venu ici à la suite d'un rezzou Oulad Bou Sba.

A notre arrivée, la fraction était sous les ordres de Cheikh Ahmed ould Bachir. Elle fut rattachée par Coppolani à la 307 subdivision du Chamama. A Cheikh Ahmed, décédé en 1916, a succédé Ahmeddou ould Cheikh Mohameddou ould Habib Rahman ould Bou Saïri ould Ahmed ould Mohamedden ould Agd Abhoum, des Ahel Agd Abhoum. Né vers 1870, il n'est arrivé ici que vers 1900. Son frère, le vieux Cheikh centenaire Mohameddou, vit encore dans le Nord, dans la tribu d'origine. C'est un personnage religieux fort considéré. Il est le disciple qadri de Cheikh Ahmed ould Khalifa, disciple lui-même de Mostafa ould Cheikh Al-Qadi des Dieïdiba, qui fut l'élève du grand Cheikh Kounti Sidi-l-Mokhtar. Cheikh Mohameddou est le marabout de son fils et d'un grand nombre de Tendra du Chamama.

La plupart des autres tentes, et notamment Cheikh Abd Allah précité, né vers 1842, se rattachent à la même obédience de Mostafa ould Cheikh Al-Qadi, mais par le canal des Cheikhs Tendra: Mohammed Abd Er-Rahman ould Mohammed Salem et Sidi ould Bou Bakar.

Il y a enfin quelques Tidjania, relevant de l'obédience d'Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali.

La fraction comprenait au début deux sous-fractions: Id Agd Abhoum et Oulad Bou Sidi. Elles ont contracté de si nombreux liens matrimoniaux qu'elles ont fusionné à peu près complètement, et ne se distinguent plus l'une de l'autre.

L'instruction est répandue dans ces campements de cultivateurs. Chaque campement a son petit maître d'école. Le plus considéré paraît être Babba ould Bou Siri, né vers 1860.

Les tombeaux particuliers visités sont: celui de Cheikh Sidïa ould Al-Kharachi, mort vers 1917, à Maye-Maye; et celui de Mohammed Abd Allah ould Al-Hassen, des Tendra du Sahel, venu mourir ici vers 1900, à Bou Naya.

Les Tendra du Chamama ont de beaux troupeaux de bœufs et de petit bétail. Comme ils trouvent de l'eau partout soit dans les marigots qui sillonnent le pays, soit dans des 308 puisards qu'on creuse en un point quelconque, ils ont perdu toute habitude de nomadisation. Quand l'un d'entre eux a, par atavisme, besoin d'une cure de grand air, il va passer quelque temps dans les campements de la tribu-mère. La marque des troupeaux est le feu général des Tendra patte de poule, apposé sur la cuisse gauche. Ils ont comme contre-marque un point, ou le ha, et aussi le patte de poule avec point qu'ils apposent sur le côté gauche du cou. Ils ont payé en 1916 une zakat de 1.213 fr. 65.

Leurs principaux coladé de culture sont: Ammara, les mares de Gondelat, et Baïssat colengal, dans le Toro; Rahahiat Adninaye, Oum Hani et Berbar. Leur impôt achour s'est monté, en 1918, à 1.640 francs pour Ammara, et 540 pour Maye-Maye. Le chiffre de la population dépasse 400 âmes.

Les Id Ar Zimbo du Chamama, colonie de la tribu zenaga du même nom du Trarza, comprennent deux sous-fractions: Ib Ab Amrar et Oulad Imijen.

Les Ib Ab Amrar sont, par droit héréditaire, sous l'autorité de Mohamed ould Mohamedden ould M'hamdi ould Abd Allah ould An-Nahoui ould Djeddana ould Mokhtar ould Ahmed ould Mohamedden ould Sidi Ahmed ould Amrar, l'ancêtre éponyme, qui, par son père Abd Allah ould Mohammed, se rattachait à Zeïneb, femme d'Ali et fille du Prophète. C'est du nom de Zeïneb déformé que viendrait le nom de la tribu «Zimbo». On voit que les traditions généalogiques—fantaisistes évidemment au moins pour les premiers âges—ne se sont pas perdus dans la fraction, malgré son exode.

Mohammed est né vers 1875, et n'occupe les fonctions de chef que depuis 1900. A notre arrivée, son père Mohamedden, marabout fort considéré et professeur très réputé d'enseignement coranique et de sciences supérieures, était 309 Cheikh de la fraction. Il ne voulut pas par méfiance faire connaître sa qualité et on présenta à sa place le hartani Boubba ould Mgari. Celui-ci fut révoqué quelque temps après. Après plusieurs expériences de ce genre, Mohamedden finit par se faire connaître et désigna son fils comme Cheikh du groupement. Il en est aussi l'imam. Depuis ce jour, il n'y a plus eu de difficultés.

L'ensemble de cette sous-fraction est tidjani et relève de l'obédience du Cheikh Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali de Djerarïa. On va souvent lui faire visite et lui porter des cadeaux.

Leurs lieux de pèlerinage sont les tombeaux de leurs ancêtres à Tin Houmed Debdouba, et Derba, dans l'Aftouth du Trarza.

Leurs coladé de culture sont à Tichamamaten, Tabba, Dokhon, Bab Ouinita et Tenouakoujar. Ils ont payé, en 1918, 760 francs d'achour.

Les Oulad Imijen sont depuis fort longtemps dans le Chamama. Ils ont perdu le souvenir de leur arrivée; ils en attribuent la cause à leur désir d'échapper aux perpétuels rezzous du Nord.

Leur chef est Khatri ould Ahmed ould Mokhtar ould Abdi ould Imijen. Cet Imijen, dont le nom est synonyme de Mersoul ou «Envoyé» (de Dieu), était le frère d'Amrar, vu plus haut.

Les Oulad Imijen sont affiliés en très grande majorité, et notamment leur Cheikh Khatri, au Qaderisme de Cheikh Sidïa. Ils visitent le cimetière de leurs ancêtres à Timouzin. Aucun nom de marabout ne mérite chez eux une mention spéciale.

Ils cultivent à Djoueïha, dans le Tichamamaten, à Afliou, et aux environs. Ils ont payé, en 1918, un achour de 1.050 francs.

Les Id Ar Zimbo n'ont que peu de troupeaux et encore sont-ils à peu près tous chez les Id Ab-Amrar. Leur marque 310 est , qu'ils apposent sur la fesse droite des bœufs et de ânes. Quelques tentes ont emprunté à leurs oncles maternels, les Ida Ou Ali, chez qui d'ailleurs, elles vont quelquefois camper, le feu . La zakat de 1918 était de 104 fr. 10 chez les Id ab Amrar; elle était nulle chez les Oulad Imijen. Le chiffre total de la population dépasse 700 âmes.

Les Haratines Chorfa sont une colonie d'affranchis des Chorfa de Nouagour (Trarza); quelques-uns d'entre les Chorfa, miséreux et inconsidérés, sont venus se déclasser, en s'installant chez ces haratines et en s'alliant à eux. C'est parmi eux qu'est pris le Cheikh: Lbou ould Moulay Ahmed ould Sidi Ellah ould Ahmed Logman ould Maazouz ould Mohammed ould Chérif, né vers 1875. C'est ce Mohammed ould Chérif, originaire de Fez, qui vint le premier dans le pays, peu après que le voyage de l'émir Ali Chandora dans la capitale du Maghreb eut attiré l'attention sur la basse Mauritanie (début du dix-huitième siècle). Venu pour quêter simplement, il s'y établit sans esprit de retour.

Ces haratines relèvent par leurs maîtres de diverses obédiences: soit qadrïa de Cheikh Sidïa ou des Tendra, soit tidjanïa, du Cheikh Ahmed Beddi, des Ida Ou Ali.

Leur centre et lieu de cultures est à Diaouldé, entre le fleuve et le marigot de Koundi. Ils ont quelques bœufs et des ânes qu'ils marquent soit d'un patte de poule, sur la cuisse droite, soit d'un grand trait , sur le côté droit du cou. Leur zakat était de 64 fr. 15 et leur achour de 560 francs pour l'exercice 1918. Ils sont environ 200 personnes.

Des haratines Tagnit, Id ab Lahsen et Oulad Biri, il n'y a rien à dire ici. Ils sont domiciliés avec leurs maîtres dans le haut Trarza et ne viennent dans le Chamama qu'à l'époque des cultures et dans cette seule intention. Ils ont 311 d'ailleurs été étudiés ailleurs (cf. mes Études sur l'Islam maure), notamment la dabaï des haratines Oulad Bïri, sise à Mbagnik, sous l'autorité de Dris ould Mohameddou. L'achour des haratines Tagnit était, pour l'exercice 1918 et pour le Chamama du Brakna, de 5.100 francs; celui des Id Ab Lahsen, de 400 francs; celui des Oulad Biri, de 1.550 francs.

LIVRE IV
COUTUMES SOCIALES ET POLITIQUES


CHAPITRE PREMIER
LA JUSTICE

Conformément à la coutume générale des pays musulmans, la justice civile était exercée dans les tribus maures du Brakna, au premier degré par le cadi de tribu, au degré supérieur par le cadi de l'émir. La dualité politique entraîna généralement deux juridictions supérieures. Il y avait, au Sud, le Cadi de l'émir des Oulad Siyed qui tranchait les contestations, nées dans cette tribu et dans les tribus guerrières, zenaga et maraboutiques, qui ressortissaient à son autorité. Il y avait, au Nord, celui des Oulad Normach, qui opérait dans les mêmes conditions.

Le cadi était un marabout, homme de science et de vertu, qui s'imposait par ses vertus personnelles ou par le prestige de sa famille. Chez les Oulad Siyed, il était choisi parmi les Deïdiba; chez les Oulad Normach, parmi les Deïdiba et les Id Eïlik.

Dans les tribus, le cadi du premier degré tenait ces fonctions de la voix populaire.

La justice pénale était administrée par le chef politique, ici comme ailleurs. Mais ce chef ne faisait guère qu'homologuer 314 et exécuter les sentences du cadi et des marabouts, ses conseillers judiciaires.

Dans le Chamama toucouleur, les juridictions s'échelonnent de l'éliman du village au chef de province et à l'almamy suprême.

L'administration française a respecté, autant que possible, ces antiques coutumes.

En pays maure, les cadis de tribu, en pays noir, les éliman locaux continuent à être les juges de pays et de conciliation. Quoique leurs sentences n'aient pas force de loi, c'est à eux généralement qu'on s'adresse et qu'on s'en tient.

Au premier degré, on trouve le tribunal de subdivision, présidé par un magistrat indigène chez les noirs, par l'adjoint au commandant de cercle chez les Maures, assisté de deux assesseurs. Le tribunal du Chamama comporte, sous un président commun deux chambres: une pour les Noirs, une pour les Maures, afin que ces deux catégories de justiciables soient représentées dans le tribunal.

Les appels sont interjetés devant le tribunal de cercle, que préside le commandant de cercle assisté de deux assesseurs indigènes.

En dernier lieu enfin, domine la chambre d'homologation de Dakar, à qui doivent être soumises les décisions prononçant une peine supérieure à cinq années d'emprisonnement.

Cette organisation judiciaire fait l'objet du décret du 16 août 1912, véritable charte judiciaire de l'A. O. F., et de l'arrêté du gouverneur général du 5 octobre 1913, spécial à la Mauritanie.

Le droit appliqué continue à être, comme par le passé, le droit musulman, mitigé des coutumes locales. Nous n'en avons supprimé que les dispositions contraires à l'humanité et à la civilisation.

CHAPITRE II
LES IMPÔTS

Les impôts, auxquels sont soumis, à l'heure actuelle, les Maures du Brakna, sont les impôts traditionnels d'origine islamique: l'achour et la zakat.

L'achour est la dixième partie du revenu agricole. Les modes de fixation diffèrent. Voici le premier: on admet par l'expérience qu'un lougan, ensemencé avec une petite corbeille de 3 kg. 700 de mil, donne, dans les terrains, dits «Walléré» et pour les bonnes années, 100 grandes corbeilles de 7 fois 3 kg. 700, soit 2.590 kilos. Dans les moyennes années, ce revenu est seulement de 30 grandes corbeilles, soit 777 kilos. L'achour sera donc de 259 kilos dans le premier cas et de 7 kg. 77 dans le second cas. Dans la pratique, on évalue toujours faiblement la récolte, de sorte que ce «dixième» se rapproche sensiblement du vingtième.

Dans les terrains «coladé», la bonne année donne 60 corbeilles et la mauvaise 10 seulement.

Voici un autre mode d'évaluation: la mesure (moudd) de semence, soit 4 kilos, donne de 8 à 20 matar, suivant les années et les terrains. Le matar étant de 20 moudd, ou 80 kilos, la récolte varie entre 640 et 1.600 kilos; d'où un kilo de semence produit de 160 à 400 kilos. L'achour sera donc de 16 à 40 kilos par kilo de semence jeté en terre.

Les Noirs du Chamama ne paient pas l'achour à notre 316 administration. Mais cette redevance, qu'ils appellent assaka, déformation de l'arabe zakat, est encore payé bénévolement par eux et suivant la coutume ancienne, qui date de leur islamisation, à leurs chefs locaux. La raison de ce maintien est en effet qu'il ne fait pas concurrence à notre impôt, puisque nous ne les avons astreints qu'à l'impôt de capitation. En revanche, chez les haratines, où nous l'avons maintenu, il est tombé en désuétude, et les chefs toucouleurs ont dû renoncer à le percevoir.

Le total de l'achour pour le Brakna a été, en 1918, de 19.653 fr. 95. La répartition par tribu est donnée ci-après.

Les principaux terrains de culture de chaque tribu sont situés dans le Brakna, soit autour du lac d'Aleg, soit dans les divers oued, et notamment l'oued Katchi, qui s'y déversent dans les affluents Chelkha du haut Gorgol. En outre, chaque tribu envoie ses haratines, et même les plus miséreux de ses gens libres, cultiver, lors de l'inondation annuelle, dans les coladé du Chamama.

Voici les principales régions de culture par tribu:

Oulad Siyed.—Dans le Chamama: à Ouamal, Zahaf, Zalla Draouala-Tléla, Diadia, Lemdeïben.

Arallen.—Chamama, Al-Megfa.

Oulad Normach.—Bouéré, Diélouar, Chamama (C. de Guiro).

Oulad Ahmed.—Chogar, Soubara, Kreïmi.

Beheïhat.—Youli Chogar, Aguemi, Sâdi Ladé.

Touabir.—Kra Lebkhaine.—Taïchot Lehout, Douwal-Al-Khat-Mbota; dans les divers coladé des Irlabé-Pété (Chamama), et dans celui de Sawalel (Ebyabé).

Dieïdiba.—Mbeïdia, Diont, Arich, Diambet, Maye Maye, Regba Bou Dioud, Diongal, Ouamat, Diadé, et surtout à Bella et dans le lac d'Aleg (Idâg Fara Brahim).

Tenouïssat-Id Ayank-Guimfa, Taïchot, Touizert, Tijom, Al-Khat, Lemchouka, Regba, Lakhchab, Tichilit Ndiaye, Damet, Diadié, Maye-Maye, Bou-Diour Balla et surtout dans le lac d'Aleg (Id ag Fara).

Ragg, Khat Lopaj, Toiba, Tiatahaka Bella, Donga Chebour, Arsa, et surtout dans le lac d'Aleg (Ahel Mohammedden).

Lac d'Aleg (Asbat), Maye-Maye, Bella, Arsa, Seksa, Oued Cheddid, 317 Diadié Chabour, et surtout à Ouamal, Tiaktachaka, Dongo, et dans le lac d'Aleg (Ahel Agd Ammi).

Zemarig.—Al-Meriché; et dans le Chamama, les coladé de Sawar, Galadji, Beida, de Waboundé, de Thidé-Oldi, tous terrains Walaldé du Lao.

Tabouit.—Lac d'Aleg et Bella (Chamama).

Oulad Bou Sif Noirs.—Taïchot Dagana, Tijam, Tegora, Khatal, Ouara Boulla, Touizert, Touïdimi, Agueni. Ils vont quelquefois chez les Id Ag Jemouella.

Oulad Bou Sif Blancs.—Sambou Diana, Ameïré, Borella Taïchot Dagna.

Ahel Cheikh Mokhtar.—Cheikhat, Rouéré, Oum Agneïn Chamama; Gondéré Nouib, Bidi-Ngal, Ameïré.

Meterambrin.—Aboïsal, Lamaoudou, Bifdi.

Torkoz.—Ouesseni, Mal, Tourtoguel.

Hijaj.—Cheikhat, Afougan et surtout Bassi Nguidé. Dans le Chamama les coladé de Doumgal, Diogué, Diarra, les fondé Diarra et Mamadou (T. des Irlabé-Dieri); les terrains de Niokoul et de Sokol (Irlabé).

Id Eïlik.—Louran, Oguéré et Toul de Ameïré; dans le Chamama: Douwal et divers coladé des Irlabé-Pété.

Tagat.—Barkéol, Guimi, Aguiert, Agouawa, Chelkhat Riyah, Chelkhat Tramoni, Al-Meridi Doïra, Laouija, Chéga, Farawa, Chogar Gadel, O. Ahmoud, O. Agneïn, Rekaïs, Gadel, Bidi Ngal, Boueïré, Oum al-Karech, Tezekra, Al-Gouissi, et surtout Gaoua.

Id ag Jemouella.—Surtout Bidi Ngal et Guimi, et aussi à Lahouar, Barkéol, Bora et au puits de Chacal.

Soubâk.—Tenmissat Temat, Agueïllet Touya, Dienouga, Al-Khachba, Tin Bouzekri, le Chamama pour les Haratines.

Toumodek.—Modi Founti, L'Khat; et dans le Chamama, le colengal de Sawalel (Elyabé) et les terrains de Fokol (Elyabé).

T. Tanak.—Maye-Maye.

Ahel Gasri.—Tartouguel.

Tiab Normach.—Guimi.

Braouat.—Chelkhat Garich, Lac d'Aleg.

Tachomcha.—Avec les Tagat.

Dabaye d'Aleg.—Lac d'Aleg.

De plus, ces tribus se reçoivent les unes chez les autres.

Enfin, il faut signaler des tribus étrangères au cercle qui y viennent cultiver.

Torkoz du Tagant.—A Tendel, Douiat, Diounaba, Wandia.

318 Id Imijen des Oulad Biri.—A Eloïskat.

Ahel Agmoïli de Mbout, au Chelkhat Rekham.

Ahel Cheikh Menn (Tagat) du Tagant.—A Agmimi et Gadel.

La fraction Kounta du Tahani: Ahel Mohammed ould Sidi Lamin, à Oudeï Lafkarrin.

Toumodek du Gorgol.—Bou Soïlif.

Les régions particulièrement fréquentées et cultivées sont, en dehors du lac d'Aleg, les points de Maoudou, Tendel, Gadel et Gaoua.

Vaste marécage de 3 kilomètres de long sur 2 de large, dirigé de l'ouest à l'est, et rempli, depuis le début de l'hivernage jusque fin avril, le lit du marigot de Maoudou est creusé, en temps de sécheresse, par de nombreux puits de 2 à 5 mètres. Il est environné de nombreux lougans et d'excellents pâturages, mais la région est tellement infestée de moustiques que, la plupart de temps, elle est complètement abandonnée par les troupeaux maures. Le lac est alimenté par les eaux de l'oued Blektaer aux nombreux méandres.

Le beau lac de Tendel, bordé des grands arbres de la tamourt, a une superficie de plusieurs hectares. Il est à quelques pas du Gorgol desséché. C'est le point de rendez-vous de toutes les caravanes qui d'Aguiert, de Moudjéria, et du Tagant par Garouel descendent vers le fleuve. Jadis fréquenté par les rezzous, la région de Tendel est aujourd'hui occupée surtout par les Tadjakant riches de plus de 2.000 chameaux et d'une immense quantité de bœufs, et de têtes de petit bétail. Les campements quittent le Tagant et l'Assaba, après l'hivernage, pour passer la bonne saison dans le Regueïba, et entre le Maoudou-Tendel et Chogar-Gadel. Avec la paix, ils ont poussé dans l'Agan jusqu'à Ouazan, et même vers Dikel et Tiguegui.

Gadel ne possède la plupart du temps qu'une petite mare d'eau corrompue. Les Maures prétendent n'avoir jamais pu y trouver de l'eau, à quelque profondeur qu'ils aient 319 creusé, et de guerre lasse, avoir reporté leur travail à Gaoua.

Gaoua, dans l'oued, consiste en quatre excellents puits, signalés au loin par un maigre dattier et le tombeau de Si Ahmed Hadrami, chef des Tagat.

La Zakat est la taxe qui grève les troupeaux, pour la valeur d'un quarantième. Aujourd'hui, pour en faciliter la perception, nous l'avons fixée, une fois pour toutes, à un taux invariable. Ce taux est, pour l'exercice 1918, le suivant:

Juments 7 francs. Veau 1 fr. 50
Pouliches 6 —— Anes 0 fr. 50
Chevaux 5 —— Chameaux 2 francs
Poulains 4 —— Chamelles 2 francs
Vaches 2 fr. 45 Chamelon 1 fr. 25
Génisses 2 francs Mouton 0 fr. 15
Bœufs 2 ——

Le total de l'impôt zakat pour le Brakna a été, en 1918, de 67.905. fr. 70. La répartition par tribu est donnée ci-après.

On s'est aujourd'hui définitivement rangé au maintien de l'impôt zakat dans les tribus maures. Universellement accepté, à cause de ses origines religieuses et coutumières, c'est aussi celui qui est le plus juste, car il grève proportionnellement le revenu, et c'est aussi celui qui rapporte le plus, car il atteint la principale, l'unique même richesse locale: le cheptel. Le prélèvement de cet impôt a nécessité le recensement, chaque année de plus en plus exact, de ce cheptel. Voici cet état de recensement pour l'exercice 1918.

Équidés 156, dont 112 juments, 7 pouliches, 30 chevaux et 7 poulains.

Bovins 17.537, dont 9.606 vaches, 3.415 génisses, 3.026 bœufs, et 1.490 veaux.

Camelins 1.155, dont 233 chameaux, 708 chamelles et 214 chamelins.

Petit bétail: 156.980 têtes.

Anes: 5.134.

320 Il faut remarquer que la peste bovine a fait baisser, en 1917, le cheptel de 3.000 individus, et que, d'autre part, depuis quelques années, un mouvement commercial s'est établi sur la foire de Louga, et surtout sur l'usine frigorifique de Lyndiane et que la plupart des bœufs adultes prennent le chemin du Sénégal.

Principale richesse des tribus du Brakna, les troupeaux font l'objet de maintes contestations et rapines, en quoi consiste le principal souci de l'administration locale. Mais depuis que Mercure s'échappa de son berceau, le soir même de sa naissance, pour aller ravir le troupeau de bœufs de son frère Apollon, les vols de bestiaux sont la monnaie courante de la vie des peuples pasteurs. Et avec leur flair de nomades et leurs marques de feu bien connues et données plus haut, les Maures aux longs cheveux retrouvent aussi facilement leurs bêtes que le Dieu subtil des pâturages de l'Hellade.

Dans le Chamama, il a été longtemps difficile de faire une évaluation même approximative du nombre d'animaux. La plus grande partie (Peul du Sénégal, Maures du Nord), y viennent parfois de très loin, quand l'herbe y est abondante. De plus, les familles toucouleures qui habitent le pays ont des membres sur les deux rives du fleuve et leurs troupeaux pâturent indistinctement au Sénégal et en Mauritanie. Les animaux ne font donc que passer dans le Chamama, en y séjournant plus ou moins longtemps. Leur nombre et la durée de leur séjour sont limités uniquement par l'abondance du pâturage. Vers la fin de mai, les pâturages sont épuisés. Les troupeaux venus de la rive gauche, après l'hivernage, y retournent, ceux des Maures restent jusqu'aux premières pluies dans la région des dunes voisines, se nourrissent, tant bien que mal, des maigres plantes desséchées qui y restent encore. On a tout de même, ces derniers temps, pu établir un recensement des troupeaux maures de la région. Ce cheptel comprendrait une 321 dizaine de chevaux, 25 juments, 275 bœufs, 595 vaches, 5.268 têtes de petit bétail.

Il n'y a pas à revenir sur les zones de pâturage, ni sur les marques et contre-marques de feu, particulières à chaque tribu. Elles ont été exposées plus haut, dans la notice qui leur a été consacrée.

Tribus. Zakat. Achour.
Oulad Siyed 1.379,75 1.696,20
Arallen 764,50 541,80
Oulad Normach 290,60 102   »
Oulad Ahmed 1.633,60 63   »
Al-Behaïhat 4.864   » 230   »
Touabir-Oulad M'haïmdat 1.745,25 135   »
Touabir-Oulad Yara 1.061,90 80   »
Oulad Bou Sif Noirs (Kounta) 5.546,65 235   »
Oulad Bou Sif Blancs (Kounta) 1.403   » 72   »
Ahel Bekkaï —— 1.224,95 174   »
Ahel Sidi Amar —— 386,10 120   »
Meterambrin —— 495,80 510   »
Tiab Oulad Normach 166,05 301,80
Dieïdiba 15.096,45 3.978,15
Tagat 13.626,35 4.947   »
Zemarig 1.243   » 1.118   »
Tabouit 897   » 124,20
Soubâk 2.226,55 206   »
Torkoz 3.329,20 380   »
Hijaj 3.664,65 1.097   »
Toumodek 1.156,25 282   »
Id Aj Jemouella 1.352,65 1.779   »
Id Eïlik-Ahel Aleg 1.806,95 160   »
Id Eïlik-Ahel Abary 751,80 90   »
Draouat 644,85 54   »
Ahel Gasri 584,19 24   »
Tolba Tanak 223,20 108   »
Tachomcha 159,65 »   »
Dabaye d'Aleg 261,40 »   »
Oulad Biri Id Imijen »    45   »
Torkoz (du Tagant) »    199,80
Ahel Ag Moïli (de Mbout) »    174   »
Ahel Cheikh Menni (du Tagant) »    350   »
Kounta (du Tagant) »    42   »
Toumodek (du Gorgol) »    33   »
Totaux 67.986,20 19.653,95

322 Dans le Chamama, les Noirs ne sont soumis qu'au seul impôt de capitation. Il est dû par toute personne ayant dépassé l'âge de 8 ans. Il a augmenté sensiblement dans ces dernières années. Il est actuellement de 6 francs, par an et par tête.

En résumé, les recensements de 1918 donnent: pour le Brakna, 20.829 habitants, se décomposant en 6.800 hommes, 7.585 femmes, 3.299 garçons et 3.145 filles. Ils versaient 87.640 fr. 15 d'impôt achour et zakat. Pour le Chamama, 18.200 habitants, dont 13.779 contribuables, versaient 82.214 fr. d'impôt de capitation.


Dames maures en déplacement.

Cliché du Dr Mercier.

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CHAPITRE III
LES REDEVANCES COUTUMIÈRES

J'ai étudié longuement dans mon ouvrage l'Émirat des Trarza les origines, la nature et les modalités des redevances coutumières maures: horma, rafer, bakh. Il suffit d'y renvoyer. On ne trouvera ici que la liste des redevances particulières, en vigueur dans les tribus du Brakna, à notre arrivée. Plusieurs d'entre elles ont été rachetées sous notre occupation, conformément à notre souci d'émancipation des uns et à notre désir de ménager les droits acquis et les moyens de subsistance des autres. «La variété des espèces, dit une circulaire du commissaire du Gouvernement général en Mauritanie (1er novembre 1914), interdit toute réglementation uniforme. Le taux du rachat devra être estimé d'après le caractère et l'origine de la redevance et aussi d'après les ressources réelles du tributaire.»

Ce rachat est loin d'être aussi avancé dans le Brakna que dans le Trarza, sans doute parce que les autorités locales y ont poussé avec moins de force; en revanche beaucoup de ces redevances sont tombées en désuétude par le départ en dissidence des maîtres et n'ont pas été relevées à leur retour. Quoi qu'il en soit, il ne sera pas inutile de connaître les antiques biens de cette sorte de vasselage, qui unissait tribu hassane à tribu maraboutique ou zenaga. Même après leur disparition par rachat ou de toute autre façon, ces biens ne 324 disparaissent pas complètement. Il y faudra plusieurs générations.

Les Asba et Negza devaient aux Ahel Bou Bakar des Oulad Ahmed une redevance de quatre pièces de guinée par année et par tente. Les bénéficiaires prétendaient tenir ce droit par héritage des Oulad Biri. Les tributaires niaient avoir dû une horma de ce genre aux Oulad Biri et par conséquent à leurs prétendus ayants droit, les Ahel Bou Bakar. Ils donnaient l'explication suivante: au début du dix-neuvième siècle, un de leurs ancêtres avait épousé une hartanïa des Oulad Ahmed. Les enfants de ce couple firent de temps en temps des cadeaux aux anciens maîtres de leur mère. Étant les plus forts, les Oulad Ahmed exigèrent ensuite que les cadeaux leur fussent continués, et transformèrent ainsi des actes de générosité en un droit de rafer. La redevance, qui était encore payée en 1907, subit un rude coup, lors du départ en dissidence des Ahel Bou Bakar. Pourtant, dans une conférence tenue à Aleg, le 30 décembre 1914, devant le commandant de cercle, il fut reconnu que le droit des Ahel Bou Bakar était authentique; et les Ahel Negza tributaires (12 tentes) s'en rachetèrent aussitôt par la livraison de 70 moutons, 4 vaches et 2 ânes (paiement effectué le 10 janvier 1915).

Les Tabouit sont tributaires des Ahel Baouba (Oulad Ahmed) et leur ont payé une redevance annuelle d'un mouton par tente jusqu'en 1897, époque à laquelle les Tabouit et les Dieïdiba s'allièrent pour marcher contre les Oulad Biri et les Oulad Ahmed. Le conflit traîna en longueur, grâce à l'appui des Oulad Siyed. Notre arrivée y mit fin. Depuis cette date, les Tabouit ont cessé leurs paiements. Pourtant les discussions se perpétuaient. Une conférence réunit les intéressés à Aleg, le 23 décembre 1914. Devant le commandant de cercle, il fut reconnu que les pillages des Oulad Ahmed eux-mêmes, les protecteurs, avaient dégagé leurs tributaires de toute obligation.

325 Les Ida Ou Ali, du Tagant payaient, depuis plusieurs générations, aux Oulad Ahmed une redevance, destinée à assurer la sécurité de leurs caravanes venant dans le Brakna. Cette redevance se montait à trente mesures de blé et trente mesures de dattes. Elle n'était pas payée dans le Brakna. D'après les conventions, elle ne pouvait être exigée que lors de l'arrivée des premières caravanes dans la région du Brakna, et n'était payée que dans le Tagant, où les Ahel Bou Bakar devaient aller réclamer leurs droits. Elle est, avec notre occupation, tombée en désuétude.

Les Ahel Menna, des Anouazir du Gorgol, et les Oulad Yara et Oulad M'haïmdat, des Touabir du Brakna, ont payé jusqu'à notre arrivée en Mauritanie une redevance d'un mouton ou d'une pièce de guinée par tente aux Ahel Amar Beyyat (Ahel Soueïd Ahmed) pour la protection qui leur était accordée par cette famille contre les tribus guerrières du cercle, et notamment contre les Oulad Ahmed. Ce rafer a fait l'objet de deux conventions de rachat. Les Touabir se sont libérés les premiers par un acte passé à Aleg le 17 mars 1915. Ils ont versé 340 moutons à leurs tributaires (130, les Oulad Yarra, 210, les Oulad M'haïmdat). Les Anouazir en ont fait autant le 8 décembre 1917 à Kaédi. Ils ont versé 350 francs aux Ahel Amar Beyyat, et 470 francs aux Ahel Ahmed ould Sidi.

Les Brarka et les Rouarib des Torkoz sont devenus, vers le milieu du dix-neuvième siècle, tributaires des Ahel Brahim Naama (des Oulad Ahmed), qui avaient acheté aux Ahel Sabar les rafer, payés à ces derniers. Cette acquisition aurait consisté en un total de 40 annuités. Cette redevance qui était d'un jeune chameau par an, a été payée jusqu'à nos jours. Par un acte passé à Aleg, le 8 janvier 1915, les tributaires se sont rachetés, moyennant le paiement effectué le 5 mai 1915, d'une somme de 200 francs.

Par un acte, passé à Aleg le 1er décembre 1914, les Haratines Tanak ont racheté solidairement toutes les horma 326 qu'ils devaient aux Oulad Siyed sous ces conditions: Livraison de 6 vaches, 4 bœufs, 100 moutons, 2 veaux. La moitié a été livrée le jour même; l'autre moitié, le 1er juillet 1915. Paiement d'une somme de 365 francs, le 1er janvier 1916, pour se libérer de tous droits de bakh, ou autres, sur leurs terrains de culture.

Les Arallen payaient aux Oulad Siyed une pièce de guinée par tente et par an. Cette redevance remontait, dit-on, au traité qui mit fin à la grande guerre des hassanes et des zaouïa (Cherr Babbah). Par un acte, passé le 8 décembre 1914, la djemaa des Arallen s'est rachetée aux conditions suivantes, qui ont été exécutées: Livraison de 6 vaches, 7 bœufs, 200 moutons, 2 veaux, 3 ânes, le 1er avril 1915. Paiement d'une somme de 700 francs, le 1er septembre 1915, pour se libérer de tous droits de bakh, ou autres, sur leurs terrains de culture.

Les deux horma précitées (Arallen et Haratines Tanak) furent réparties, trois jours plus tard, proportionnellement aux titres des ayants droit et suivant les dispositions suivantes: a) les guerriers Oulad Siyed présents reçurent intégralement leur part; b) la part des guerriers en dissidence fut confisquée et remise, à titre de secours, aux héritiers pauvres (mais présents au Brakna) des guerriers en dissidence, à Hobeïb, à Hachem, à Sidi Ali, à charge pour eux de venir à leur tour en aide aux sous-héritiers; c) le reste fut réservé pour faire face à toute revendication légitime et omise dans la présente répartition.

Par un acte, passé le 8 décembre 1914 à Aleg, les hassanes Oulad Siyed ont libéré leurs haratines de toutes leurs redevances traditionnelles (horma, ghafer, bakh), sans condition aucune. En conséquence, sont abolis, d'une façon définitive, les droits et redevances de toutes sortes, dues par les haratines Oulad Siyed à leurs anciens maîtres.

Par deux actes, passés à la même date à Aleg, les hassanes 327 Oulad Siyed ont procédé à la même libération vis-à-vis de leurs fractions tributaires: 1o les Ahel Ghaïta, Azafal et Igdala; 2o les haratines Oulad Mansour.

Par une décision prononcée le 10 décembre 1914, à Aleg, par le capitaine commandant le cercle, toutes les prétentions à droits de horma, rafer ou autres, émises par les Oulad Siyed sur leurs anciens tributaires, Tabouit et Id Ayank, ont été reconnues infondées et irrecevables, pour les raisons suivantes: 1o le seul ayant droit Ahmeddou, ex-émir, est toujours en dissidence; 2o lesdits tributaires ont été pillés, à notre arrivée dans le pays, par les Oulad Siyed eux-mêmes, leurs protecteurs. En conséquence, sont seules susceptibles d'être examinées les horma particulières de guerriers Oulad Siyed sur des tributaires isolés, ex-haratines ou autres, réfugiés ou habitant chez les Tabouit de Id Ayank.

Par un acte passé à Aleg, le 10 décembre 1914, les Oulad Normach ont libéré définitivement leurs haratines dans les mêmes conditions, exposées plus haut, où les Oulad Siyed avaient libéré les leurs.

Les fractions Touabir, soit Oulad Yarra et Oulad M'haïmdat du Brakna, soit Anouazir du Gorgol, devaient chacune aux Ahel Ahmeïada (Oulad Normach) une horma consistant en une brebis laitière et un mouton de boucherie par tente et par an. Ces animaux pouvaient être remplacés par le paiement d'une pièce de guinée.

Les deux premières fractions se sont libérées, à Aleg, en 1914, par un accord avec leurs suzerains par la livraison de 260 moutons, le 15 janvier 1915 (Oulad M'haïmdat) et de 225 moutons le 25 janvier 1915 (Oulad Yarra).

Les Anouazir se sont rachetés, à Kaédi, en 1915, par le versement définitif de 500 moutons. Ce n'est pas sans difficultés que ce dernier rachat a pu être conclu. Les Anouazir estimaient en effet qu'ayant rompu leurs liens avec ces Normach et fait alliance avec les Oulad Siyed, et ayant tenu 328 tête victorieusement aux Normach, ils étaient libérés par le fait de guerre. La solution a pu heureusement être dénouées à l'amiable.

Les Anouazir payaient encore une horma de deux moutons et d'une pièce de guinée aux Ahel Mohammed ould M'hammed Cheïn, des Chratit. Mais l'émir Bakkar, des Id Ou Aïch, la leur avait enlevée, et c'était à lui que, dans le dernier état de choses, elle était versée. Un rachat est intervenu, le 15 décembre 1916, par le versement définitif aux Abakak de 550 moutons.

C'est dans les mêmes conditions qu'est intervenu le rachat des Oulad Aïd vis-à-vis des Abakak, le 23 décembre 1916 par le paiement de 400 moutons.

Les haratines Oulad Bou Sif Noirs payaient un rafer d'un jeune chameau par an aux Ahel Habib. Ceux-ci avaient acquis par achat ce droit des Ahel Bou Bakar, qui le possédaient de longue date. Par acte, passé à Aleg le 10 décembre 1914, Lobbat ould Ahmeïada, chef des Oulad Normach, a reçu, à titre de rachat définitif de cette fraction, la somme de 175 francs.

Par un acte, passé à Aleg le 10 décembre 1914, les hassanes Oulad Ahmed ont libéré de tous droits et sans aucune condition leurs haratines, à l'exception toutefois des nommés Amar ould Habib Al-Béguer Saïd ould Ngomohid, Miloud ould Mbarek, Sidïa ould Baye, Samba ould Seneïba, Kha ould Jara, qui s'engagèrent à se racheter, moyennant le paiement du dixième de leur avoir actuel. C'est ce qui fut fait quelque temps après.

Les Oulad Al-Heneïti, des Zekhaïmat, devaient aux Ahel Alouïn, des Oulad Ahmed, un rafer d'un chameau par an, que les bénéficiaires tenaient par héritage des Ahel Melitra. Par un acte, passé à Aleg le 16 décembre 1914, il a été reconnu que Chmat ould Ahmed, chef de la tente bénéficiaire, n'avait pas rempli les obligations de son droit, puisque les Oulad Ahmed: Biram et H'moïmed avaient enlevé 329 aux Oulad Al-Haneïti sans défense, 11 chameaux, 2 ânes et un troupeau de moutons. Ces chameaux n'ayant pu être restitués aux victimes, les droits de Chmat ont été annulés sans conditions.

Les haratines Oulad Bou Sif Noirs furent jadis condamnés à payer une dïa à Hamoumou ould Ahmed, chef d'un campement de Oulad Ahmed pour le meurtre de six de ses gens. Cette dïa avait été transformée en une horma annuelle d'un jeune chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 décembre 1914, lesdits haratines se rachetèrent définitivement de cette horma par le versement d'une somme de 250 francs effectué le 15 février 1915.

Les Oulad Bou Sif Blancs payaient au campement de Brahim ould Sidi Brahim un rafer annuel. Désireux de se racheter, les Oulad Bou Sif Blancs du Brakna provoquèrent une conférence à Aleg, le 23 décembre 1914, et se libérèrent définitivement, en ce qui les concerne, par une somme de 100 francs, qui fut payée le 10 février 1915.

Les haratines Oulad Bou Sif Noirs et les Oulad Al-Heneïti devaient à la tente d'Ahmed Saloum ould Mokhtar Oummou, des Oulad Dâmân (Trarza) un rafer annuel d'un jeune chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, les tributaires se sont rachetés définitivement par le versement de 30 moutons pour les Haratines, et de 45 moutons pour les Oulad Al-Heneïti.

Les Haratines Oulad Bou Sif Noirs payaient aux Ahel Soueïd Ahmed et Ahel Ahmed Bounan un rafer global et annuel de 3 chameaux. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, le rachat de cette redevance a été effectué pour 110 moutons, mâles et femelles, d'une valeur moyenne de 5 francs. Le paiement a été effectué le 1er juillet 1915.

Les Oulad Bou Sif Blancs payaient aux Oulad Dâmân (Trarza) un rafer annuel d'un chameau. Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, les deux parties ont reconnu que la fraction Bou Sif du Brakna ne représentait que le quart 330 de la tribu, les autres étant dans le Hodh. Le rachat du rafer, en ce qui les concerne, a donc été fixé à 40 moutons, qui ont été livrés le 1er juillet 1915.

Les Id Ayank payaient une horma d'une pièce de guinée par an et par tente aux Ahel Soueïd Ahmed (Id Ou Aïch). Par un acte passé à Aleg, le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 300 moutons, mâles et femelles, qui ont été livrés le 1er juillet suivant.

Les Oulad Kani (Oulad Bou Sif Noirs) payaient aux Abakak (Id Ou Aïch) un rafer annuel de dix jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, ce rachat a été effectué pour 200 moutons, mâles et femelles, qui ont été livrés le 17 juillet suivant.

Les Oulad Al-Heneïti payaient aux Abakak deux rafer de 10 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 100 gros et grands moutons, moitié mâles, moitié femelles, qui ont été livrés le 17 juillet suivant.

Les Id Ag Jemouella hassanes payaient aux Ahel Soueïd Ahmed une horma d'une pièce de guinée, marque meïlis, par tente et par an. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 3 vaches, 1 bœuf, 85 moutons, qui ont été livrés le 17 avril 1915.

Les Behaïhat payaient aux Ahel Soueïd Ahmed (Id Ou Aïch), comme détenteurs de leurs biens, une horma d'une à quatre pièces de guinée par tente et par an, et leur fournissait le lait de plusieurs vaches et brebis laitières. Par un acte, passé à Aleg le 17 mars 1915, le rachat a été effectué pour 500 moutons moyens, moitié mâles, moitié femelles, et pour 10 vaches de 3 ans, qui ont été livrés le 16 juin 1915.

Les Tabouit payaient jadis aux Abakak une horma annuelle de 100 moutons. A la requête des bénéficiaires, une conférence réunit les intéressés à Aleg, le 18 mars 1916. Il fut reconnu que les tributaires avaient été complètement pillés en 1914 par les propres cousins de Bouna Ould Soueïd 331 Ahmed: Sidi Mohammed et Mohammed Mahmoud, et qu'aucune restitution n'avait été effectuée. En conséquence, par une décision du commandant de cercle, en date du même jour, les Tabouit ont été définitivement libérés.

Les Oulad Bou Sif Blancs payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 4 chameaux. La fraction Bou Sif du Brakna ne représente que le quart de la tribu. Aussi le rachat, effectué à Aleg le 16 juin 1915, a-t-il fixé leur part à 100 moutons seulement, moitié mâles, moitié femelles, qui ont été livrés le 1er octobre 1915.

Les Meterambrin payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 3 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 16 juin 1915, le rachat a été effectué pour 40 moutons et 100 moudd de mil (400 kilos), livrés le 1er août suivant.

Les Brarka des Torkoz payaient aux Ahel Soueïd Ahmed un rafer annuel de 2 jeunes chameaux. Par un acte, passé à Aleg le 17 juin 1915, le rachat a été effectué pour 90 moutons, livrés le 20 août suivant.

Les Tabouit payaient jadis à l'émir du Trarza un rafer annuel de 60 moutons. L'émir céda ce droit, en reconnaissance de certains services, à Mohammed ould Mohammed Lefdhil, chef des Oulad Dâmân. Khattari, fils et héritier du bénéficiaire, ayant offert aux Tabouit de se racheter, ceux-ci se sont libérés par un acte, passé à Aleg le 13 mai 1918, pour la somme de 1.000 francs, 250 francs furent versés comptant, le reste trois mois plus tard.

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Outre ces horma et rafer collectifs, tous éteints à l'heure actuelle, il faut signaler un grand nombre de horma particulières à des tentes de hassanes, à percevoir sur des tentes particulières de zenaga et de marabouts. Les bénéficiaires appartiennent soit aux tribus guerrières du cercle: Oulad 332 Siyed et Oulad Mansour, Oulad Normach, Oulad Ahmed; soit à des tribus et fractions, extérieures au cercle, telles que les Ahel Gankou, Oulad Dâmân et Euleb (Trarza); Ahel Soueïd Ahmed (Tagant), Oulad Hammoni (Adrar). Les haratines appartiennent indifféremment à toutes les tribus zouaïa ou zenaga du cercle. La plus grande partie a été rachetée.

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Un certain nombre de horma et rafer collectifs sont encore en suspens, et donnent lieu à discussion, à savoir:

Doivent à l'émir de l'Adrar:

Les Oulad Bou Sif Blancs, un chameau par an;

Les Oulad Bou Sif Noirs (Haratines), un chameau par an; rafer non accepté par les tributaires;

Les Torkoz, un chameau par an;

Les Behaïhat, une chamelle laitière, cette dernière personnelle à l'émir Sidi Ahmed.

Doivent aux Oulad Hammouni de l'Adrar: les Behaïhat, un rafer annuel d'une chamelle laitière, d'une bande de tente et de 5 calebasses de beurre.

Doivent aux Euleb de Boutilimit: les Oulad Bou Sif Blancs, 1 chameau par an; les Oulad Bou Sif Noirs haratines, 1 chameau par an. Les Oulad Bou Sif Blancs, ayant été pillés par leurs protecteurs et ayant eu un homme tué, se déclarent dégagés de toute redevance envers les Euleb.

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A côté de ces droits, dont la plupart remontent à la capitulation maraboutique de 1674, qui suivit la suprême défaite des zouaïa à Tin Iefdadh, il faut citer plusieurs redevances d'ordre religieux, consenties volontairement par plusieurs tribus à des Cheikhs ou à des tribus tolba. En voici les principales:

333 Les Touabir du Brakna et du Gorgol paient un mouton de choix, et une outre de beurre par campement à Sidi Amar des Kounta.

Les Touabir, soit Oulad M'haïmdat, soit Oulad Yara, soit Anouazir, paient la même redevance au chef des Id Eïlik-Ahel Abari.

Les Touabir-Oulad Yara paient la même redevance au chef des Id Eïlik-Ahel Aleg.

Les Oulad Ahmed, soit libres, soit haratines, paient la même redevance à la famille de Cheikh Sidïa.

La dïa ou prix du sang est universellement connue. Son taux était dans le Brakna de 480 pièces de guinée, sauf pour les Oulad Normach, Oulad Siyed et Dieïdiba, chez qui il était seulement de 400 pièces. Comme partout ailleurs, le chiffre élevé de cette dïa n'est pas payé. Il en va de même d'ailleurs pour la dot. Un tiers est immédiatement exigible; pour les deux autres, il y a un délai, qui pratiquement est sans terme. Avec le temps, la prescription et la réciprocité des meurtres, ces reliquats de dette s'éteignaient par la confusion juridique. Il y a tout un tarif pour la série des diverses blessures; le taux d'une blessure à la tête est de 20 à 24 pièces de guinée, etc.

Les différents rafer, qui frappaient les caravanes commerciales, ont évidemment disparu avec l'occupation française. C'est même de toutes les redevances coutumières celle qui est le plus vite, le plus complètement, et le plus facilement tombée en désuétude.

Aujourd'hui, le mouvement commercial afflue vers les escales du fleuve, situées sur deux rives du Sénégal. Les deux principales de la rive droite, pour le Brakna évidemment, sont Boghé et Mbagne. La traite se fait surtout avec les Maures venus de l'intérieur pour vendre de la gomme, du bétail et les menus produits de leurs industrie 334 (nattes, objets de cuir, etc.) et pour acheter le mil, les étoffes, le thé, le sucre, le tabac, les objets de quincaillerie et verroterie, qui leur sont nécessaires. Les Maures s'adressent, lorsqu'il est possible, directement au producteur pour leurs achats de mil; mais le cultivateur, toujours plus ou moins endetté, est forcé la plupart du temps de vendre sa récolte à bref délai et, de ce fait, l'intermédiaire, gros acheteur, s'interpose entre le consommateur et le producteur au grand détriment des deux. En revanche, la spéculation sur le mil est assez aléatoire pour le traitant dont la campagne se solde parfois par une perte considérable; elle a en outre l'avantage de régulariser les cours.

Avec les traitants installés d'une façon permanente, dont certains, à Boghé, atteignent un chiffre d'affaire de 500 francs par jour, des boutiques secondaires s'ouvrent d'avril à juillet, saison où la traite de mil, de la gomme et du bétail se fait avec plus d'intensité.

Les traitants importants, au nombre d'une dizaine, ne sont que les agents des grosses maisons de commerce de Podor et de Saint-Louis. Par suite de la concurrence, qui a été particulièrement prononcée, depuis quelques années, entre ces différentes maisons de commerce, les prix de vente ont sensiblement baissé.

Le Toucouleur n'est ni un dioula, ni un convoyeur. C'est le Maure de l'intérieur qui vient chercher ce dont il a besoin; il arrive par petits groupes ou isolément sans jamais former une grosse caravane. Les gens de l'Adrar et du Tagant, qui font, pour le compte de nos postes du Nord, des entreprises de transports et qui reçoivent, à ce titre, des avances de fonds, profitent ordinairement de leur retour pour emporter sur une partie de leurs animaux les marchandises qu'ils achètent avec ces avances. Le mil particulièrement sert à remplir les bâts de charge (tarfa) de leurs animaux porteurs.

CHAPITRE IV
LES HARATINES

Les haratines se présentent, ici comme ailleurs, sous la forme d'anciens captifs affranchis (liberti) ou de leurs descendants (libertini). Une redevance annuelle à l'égard de leurs anciens maîtres leur est, la plupart du temps, imposée: c'est une des différentes modalités de la horma.

La condition de hartani ne dérive que d'une source: la volonté du maître. Nos règlements eux-mêmes n'ont pu de leur propre chef transformer les captifs en haratines. Certains d'entre eux, mûrs pour la liberté, se sont affranchis complètement, à l'abri de la législation nouvelle. Mais la plupart n'ont repris qu'une liberté fort mitigée et après seulement en avoir obtenu l'autorisation de leur maître et avoir fixé, d'un commun accord, la qualité de la horma.

Cette transformation de la condition servile, cette demi-libération, est la rémunération de services exceptionnels rendus par le captif à son maître: par exemple, le captif a sauvé la vie de son maître ou de l'un de ses enfants; il a soigné ceux-ci pendant leur enfance avec un grand dévouement; il a fait pour son maître des opérations commerciales fructueuses; il l'a suivi à la guerre et lui a fait honneur, etc. En certains cas, dérivés du droit musulman ou de la coutume locale, le maître est presque tenu d'affranchir son captif: par exemple, quand, dans un ménage de captifs 336 lui appartenant, la femme a deux jumeaux, le bénéfice de la mesure s'applique à l'un des deux jumeaux, plus souvent encore, surtout dans les tribus maraboutiques, elle s'applique à la suite d'un vœu ou par expiation de ses péchés.

Ces affranchissements étant très communs, la société captive en pays maure se muait et se mue encore inévitablement en classes de haratines en trois générations. La classe servile ne se renouvelait que par l'afflux de nouvelles individualités.

L'affranchi, souvent nanti d'une vache ou d'un petit troupeau de chèvres, don de son maître ou de ses économies, s'en va la plupart du temps planter sa tente dans un campement de haratines, affilié à la tribu de son maître. Il était avec les hassanes Oulad Siyed; il émigre chez les Haratines Oulad Siyed, et plus spécialement dans la sous-fraction hartanïa correspondant à la sous-fraction hassanïa. Les deux campements marchent souvent ensemble d'ailleurs ou dans un voisinage immédiat.

Pendant la période des cultures toutefois, ils se séparent et les haratines vont se fixer dans le Chamama, pour cultiver le mil dans les terrains d'inondation du Sénégal. Ce n'est pas d'ailleurs un fait nouveau pour eux. Ils font, comme haratines, ce qu'ils faisaient antérieurement comme captifs. Ce campement est la «dabaï».

La redevance se paie au moment de la récolte, et les suzerains hassanes ne manquent pas de venir la chercher; le paiement en est effectué en nature: grain généralement, souvent aussi pièces de guinée.

Les terrains ne sont plus très abondants, ni le courage de ces affranchis très entreprenant. Aussi, parmi ces nouvelles recrues de la liberté, beaucoup d'entre elles, au lieu de mériter généreusement leur nouveau sort, cèdent-elles aux belles promesses des chefs de canton toucouleurs et se mettent-elles à leur remorque, cultivant leurs lougans et retombant dans une quasi-captivité, qui ne vaut même pas la première.

337 Cette question de haratines a soulevé, de longue date déjà, des conflits entre maîtres maures et riverains toucouleurs.

Il y a plus de deux siècles, par exemple, que les premiers captifs ou haratines des Zemarig, évadés de chez leurs maîtres, sont venus se mettre sous la protection des Toucouleurs. Ils s'établirent d'abord à Demette et s'allièrent avec les habitants de ce village. Au début du dix-huitième siècle environ, ils allèrent former un village de culture (dabaï) non loin de là. En même temps, les Aleybé mettaient à leur disposition quelques lougans sur la rive droite du Sénégal.

Avec le temps et l'accroissement régulier de ces Soudanes Zemarig, ces terrains furent insuffisants. Les Aleybé amenèrent leurs hôtes auprès du Farda de Oualaldé, mieux pourvu. C'est alors vers la fin du dix-huitième siècle que leur fut cédé le colengal de Galadji, qui était abandonné depuis vingt-cinq ans.

Vers 1870, la sécurité, qui règne alors en Mauritanie, incite Toucouleurs et Soudanes Zemarig à passer sur la rive droite: ils viennent s'établir au village de Thiénel, et acquièrent de ses habitants des lougans dans les coladé de Thidé Oldi, de Gueïmar, de Dialcodjé et de Dalorga.

Les guerres que soutinrent par la suite leurs patrons Dieïdiba, d'abord et conjointement avec les Oulad Siyed, contre les Aleybé (vers 1890), ensuite contre les Oulad Biri (de 1895 à 1898) contraignirent les Soudanes Zemarig à émigrer deux fois. Ils allèrent d'abord dans les provinces du Lao et des Irlabé Elyabé, puis s'en revinrent chez leurs premiers amis de Oualaldé. A chaque fois, leurs terrains leur furent rendus par les Toucouleurs, qui les cultivaient pendant leur absence.

A ce moment, les Soudanes Zemarig payaient aux propriétaires toucouleurs les droits ci-après:

1o Le «dioldi», soit cinq coudées de guinée par cultivateur et par an;

338 2o L'«assaka», ou dixième partie de la récolte par lougan et par an;

3o L'«aorftal», soit trois journées de travail par an;

4o Le «thiottetigou», droit de succession qui variait entre 2 et 10 pièces de guinée suivant l'importance du ou des lougans.

Ces Soudanes Zemarig, ainsi d'ailleurs que ceux des autres tribus maraboutiques, dépendaient plutôt des Toucouleurs, qui leur avaient donné un asile et des terres, que de leurs maîtres, chez lesquels ils n'avaient pas pu vivre. Ces derniers, la plupart du temps, ne pouvaient même obtenir ce qui leur était dû qu'avec l'appui de chefs toucouleurs. D'ailleurs, les Soudanes Zemarig ne se sont installés définitivement en Mauritanie qu'entre 1870 et 1890, et ce fut simplement, semble-t-il, pour se soustraire à l'impôt de capitation, qui allait être établi en territoire français. Auparavant, ils n'y venaient que pour travailler leurs lougans. La récolte faite, ils regagnaient le Sénégal, où ils vivaient plus paisiblement.

Aussi, au début de l'occupation, ces groupements de Soudanes furent-ils considérés comme indépendants des tribus maraboutiques. Des circonstances historiques contribuèrent encore à cette émancipation. A la suite de l'attaque du poste d'Aleg et de la dissidence des Oulad Normach et des Dieïdiba, Coppolani déclara leurs haratines dégagés de toute redevance. Aussi, pendant plusieurs années, furent-ils astreints à payer leur impôt directement aux résidences de Boghé et de Kaédi, tandis que leurs patrons versaient le leur à Mal et à Aleg. Le départ de la mission vers le Nord, la mort de Coppolani et les graves événements qui suivirent, la rentrée des dissidents enfin, permirent aux hassanes de recommencer leur perception; mais avec le temps, le mouvement séparatiste a fait du progrès, et cette fois intérieur. Notre occupation a transformé la situation et accentué encore ce mouvement d'émancipation. Point n'était besoin d'ailleurs de règlements 339 hâtifs pour arriver à ces résultats. Notre seule présence, nos prédications humanitaires, l'accroissement de richesse, le contact avec les Toucouleurs les produisaient nécessairement.

Cependant, en 1910, sur la réclamation de différents chefs de tribus tolba et hassanes, à qui de lourdes charges de convois et de partisans étaient imposées et qui, par conséquent, avaient besoin de leurs captifs et serviteurs divers pour assurer ce service, les Soudanes furent rattachés aux tribus de leurs anciens patrons.

Telle est leur situation aujourd'hui (1918), mais elle ne va pas sans difficultés. Les Toucouleurs ne se font pas faute d'attirer plus que jamais leurs frères noirs, serviteurs ou vassaux des Maures.

On proposa, dès le début, de remédier à cette situation en interdisant aux Toucouleurs de recevoir des haratines maures dans leurs villages. Cette mesure était inopportune.

Il convenait, en effet, de s'en tenir aux mesures suivantes, qui ne sont autres que les règles de la tradition, légèrement adaptées et adoucies.

a) Obliger tous les haratines d'une même tribu, ou tout au moins les pousser à se regrouper en un point choisi, à portée des terrains de culture qu'on leur allouera et qui faciliteront leur sédentarisation.

b) Leur prescrire de se choisir parmi eux un chef de campement et asseoir fortement son autorité.

c) Grouper les différents campements haratines, provenant de la même confédération maure et portant les noms des différentes sous-fractions dont ils sont issus, sous le commandement d'un même chef responsable, à la façon des chefs de canton.

Cette pratique a tendu à fixer les haratines au sol, en leur donnant le sentiment de la propriété, en leur faisant aimer le pays qu'ils cultivent et qui devient le berceau de leur 340 famille, en développant enfin chez eux le sentiment de leur indépendance.

Depuis le début de notre occupation, beaucoup de haratines se sont dispersés: leurs «dabaï» sont restées tantôt attachées au campement libre et tantôt se sont transplantées dans le Chamama et ont été rattachées aux provinces toucouleures. Pour plusieurs de ceux-ci, le changement a été minime; ils se sont replacés en quelque sorte dans un nouveau servage. Les chefs toucouleurs de la rive droite, qui attirent à eux ces recrues nouvelles, se défendent en disant que ces Soudanes, leurs cousins maurisés, ne feront jamais de progrès s'ils restent sous la dépendance, même relâchée, de leurs maîtres, tandis qu'auprès d'eux, bénéficiant du statut toucouleur auquel ils participent par leurs origines, leurs mœurs de quasi-sédentaires et leurs nombreuses alliances, ils feront l'apprentissage de la vie libre et de la civilisation française.

Tiraillés entre leurs anciens maîtres et leurs nouveaux chefs de canton, leur sort comporte quelques difficultés. On ne déplorera qu'à demi cette situation, si cette double redevance qu'ils ont à payer fait produire à ces paresseux et à ces imprévoyants un double travail.

CHAPITRE V
LA GOMME

La gomme est le principal, sinon l'unique produit que, depuis trois siècles, les Européens du Sénégal sont allés chercher aux escales maures. Les opérations de cette traite sont bien connues, ayant été décrites maintes fois depuis le P. Labat jusqu'aux auteurs contemporains. Il est inutile d'y revenir ici.

En ce qui concerne le Brakna, on a vu au livre premier la naissance historique de la traite, et les escales où elle se pratiquait et on trouvera en annexe les principales tractations officielles auxquelles elle a donné lieu.

On connaît l'explication ingénieuse que Bérenger-Feraud a donné à cette idée dont furent, plusieurs siècles durant, pénétrés les Maures, à savoir que la gomme était absolument indispensable à la vie des Français.

«On s'est souvent demandé, avec étonnement, pourquoi les Maures se figurent obstinément que la gomme nous est indispensable en France pour l'existence même des populations et que, si nous en manquions, des villes entières mourraient de faim; il n'est pas impossible qu'une erreur d'interprétation, d'expression, qu'un malentendu, en un mot, ait été l'origine de cette croyance. En effet, nous trouvons dans les traités de mai 1785, entre Durand, directeur général de la Compagnie du Sénégal et les marabouts Darmankour que le titre de pensionnaire du roi était traduit par un mot qui signifie plus exactement «fournisseur des vivres de la maison du roi» (Silvestre de Sacy).

342 «Or pourquoi ce fournisseur vient-il au Sénégal en personne, se dirent les Maures, si ce n'est pour un objet tenant directement à l'alimentation? Ils durent croire que Durand était le restaurateur du roi comme quelque individu, qu'ils connaissaient bien à Saint-Louis, était le restaurateur des employés de la Compagnie, et, par une série de raisonnements, dont on comprend aisément la filière, ils arrivèrent à penser que c'était réellement pour nourrir des hommes, et non pour des besoins industriels, que nous mettions cette extrême insistance à acheter de la gomme, que nous leur recommandions bien de ne pas vendre aux Anglais nos ennemis.»

Le fait est exact, et n'est pas spécial aux seuls Id Ou al-Hadj (Darmankour). Le premier traité avec les Brakna que nous ayons conservé, le traité avec Mohammed ould Mokhtar, répétant sans doute des traités antérieurs, traduit «pensionnaire du roi», par «iaati aïch ahel sultan takoul», ce qui signifie «qui donne la nourriture à manger aux gens du Roi» et ce qui est évidemment tout le contraire du sens réel. Ce n'est pas la première fois que je signale des erreurs de traduction dans les textes arabes de l'histoire de l'Afrique occidentale française. Si celle-ci paraît insignifiante, encore qu'elle ait pu ancrer chez les Maures des idées fausses à notre égard et les exciter souvent à nous résister dans les tractations diplomatiques ou commerciales de la gomme, d'autres eurent des conséquences plus importantes.

Dans le but d'obtenir un plus fort rendement de la gomme, les indigènes détruisent les gommiers en les saignant. Leur méthode est une incision parallèle à l'axe. C'est cela qui détermine l'exsudation la plus abondante. Toute autre méthode ne donne qu'une exsudation insignifiante, mais ils pratiquent leur incision brutalement, atteignant et dépassant l'aubier, pratiquant de larges, inutiles et dangereuses entailles dans le cœur de l'arbre. En même temps, ils écorcent partiellement l'arbre. Après trois ou quatre ans de ce régime, l'arbre s'étiole et meurt.

343 Les instructions qu'on leur donne annuellement, comme les amendes qu'on ne leur ménage pas, ne les ont jamais corrigés. Voici, à titre de curiosité et sous sa forme originale, la circulaire envoyée d'Aleg par le commandant de cercle aux dirigeants de tribu, le 28 mars 1911:

«O chefs, parlant des affaires des tribus Brakna, le Colonel, commandant les pays maures, vous informe de ce qui suit:

«Les gommiers sont nombreux dans vos pays et y constituent une richesse, mais si ces gommiers sont saignés sans intelligence, cette richesse vous sera enlevée. Il a dit que l'arbre, par exemple, était comme l'homme: si en le saignant, on lui enlevait de grands morceaux de chair, il ne tarderait pas à mourir.

«Maintenant nous préparons le moyen de saigner les arbres sans les tuer. Tout d'abord, le Colonel vous autorise cette année à saigner les gommiers à votre façon et pour éviter de gâter vos arbres, il vous ordonne:

1o De ne pas saigner les gommiers qui seraient plus minces que le poignet d'une main;

2o De ne pas couper trop de branches pour s'approcher du tronc de l'arbre;

3o D'enlever peu de fibres sur le tronc de l'arbre et peu sur chacune des grandes branches: une largeur d'index au plus;

4o De ne pas couper l'arbre avec les fibres. Ceux parmi vous, ô Maures, qui agiront contrairement à cet ordre, seront sévèrement punis et seront, eux et leurs tribus, empêchés de ramasser la gomme. Vous devez, ô chefs de tribus, interdire et ordonner, et par conséquent empêcher ceux qui ramassent la gomme de dépasser ces limites.»

Les Maures ne songent jamais à remplacer les plants détruits. Les graines de gommier tombent à terre et fort peu parviennent à germer. Si l'on veut que cette branche de l'industrie maure ne prenne pas fin par la disparition des arbres, il conviendra d'avoir, aux environs d'Aleg dans un terrain fertile, une pépinière soigneusement entretenue par les moyens locaux. Cette pépinière distribuera, chaque année, un certain nombre de jeunes plants aux tribus, et chaque tribu sera contrainte de les faire fructifier au centre 344 de leurs territoires de nomadisation. Les Maures sont trop avisés pour ne pas continuer d'eux-mêmes, quand le premier effort aura été imposé.

On pourra d'ailleurs appliquer les mêmes procédés à la culture des gonakiers et surtout à la création et à l'extension de palmeraies.

Le territoire du Brakna était, en effet, doté de palmeraies dans un passé peu éloigné. Il en existe encore des vestiges:

1o A Diouk, à 35 kilomètres au Sud de Moudjéria et à la même distance au Nord-Est d'Aguiert. Ils sont la propriété des Torkoz. L'humidité naturelle du sol permet aux palmeraies de bien venir sans irrigation;

2o A Maoudou, près de la tamourt. Cette palmeraie est la propriété des Kounta Meterambrin;

3o A Gaoua, où il paraît avoir existé jadis une palmeraie assez florissante, qui puisait une eau abondante par les fissures de la roche superficielle;

4o A Talorza, à 2 jours au Nord d'Aguiert. Elle est la propriété des Ahel Al-Azrag.

Les tribus maures se livrent à peu près toutes à la cueillette de la gomme, mais ce sont surtout les tribus maraboutiques qui y déploient le plus d'efforts. Les plus grands producteurs de gomme sont, par ordre de grandeur décroissante, chez les marabouts, les Dieïdiba, les Torkoz, les Id Eïlik et les Zemarig; et chez les Hassanes, les Oulad Ahmed.

Les forêts de gommiers sont la propriété commune et nul ne peut prétendre avoir un droit particulier sur telle ou telle région. Cependant, une sorte de prescription s'établit au profit des campements qui viennent depuis plusieurs années cueillir la gomme dans le même secteur. Mais ce conflit de droits donne toujours lieu à des discussions, et souvent même à des rixes à main armée. Un exemple historique en est resté: le conflit des Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar 345 (Kounta) et des Oulad Normach, en 1905-1906. Il aboutit à la dissidence vers l'Adrar de plusieurs tentes Normach et de leur chef Bakkar ould Ahmeïada.

La saignée entraîne des droits sur le gommier au profit du saigneur. C'est sans doute encore une des raisons pour lesquelles les indigènes saignent vite et mal les arbres. Au lieu d'errer dans la brousse à la recherche de la gomme et faire ainsi de nombreux kilomètres, en cherchant à arriver les premiers, ils affirment leurs droits de propriété par de nombreuses et maladroites entailles. Dès lors, il y a commencement de travail et par conséquent droit indiscutable sur les produits de l'arbre. Les conflits n'en surgissent pas moins.

La récolte de la gomme évolue d'après l'abondance des pluies. Elle est solidaire aussi du prix des marchés d'Europe, et quand ces prix sont trop bas, les Maures préfèrent ne pas déranger leurs captifs pour un trop mince profit. Quand les prix s'annoncent rémunérateurs, on les voit parcourir toutes les forêts de gommiers de la rive droite, et même passer le fleuve et se répandre dans les cantons voisins du Fouta et jusque dans le Ferlo. Les auteurs du siècle dernier et même de la fin du dix-huitième siècle signalaient déjà ces cueillettes aventureuses.

Les principales régions de saignée sont:

Pour les Toumodek: le Khat;

Pour les Kounta-Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar: Diéloar;

Pour les Kounta-Meterambrin, les Hijaj, les Tagat et les Torkoz: Bilal;

Pour les Oulad Normach: Tadioukel;

Pour les Id Eïlik: Jouidal;

Pour les Oulad Ahmed-Ahel Biram: Tadioukel, près de Cascas;

Pour les Oulad Ahmed-Ahel Bou Bakar: Chogar;

Pour les Touabir-Oulad M'haïmdat: Bedou, au Nord, au Sud Ouest de Bassi Nguidi.

Paul Marty.

ANNEXES

ANNEXE I
TRAITÉ avec le roi Ahmed Mokhtar pour la traite de la gomme, captifs, etc.

10 mai 1785.

Au nom du Tout-Puissant, créateur du ciel, de la terre et de tous les êtres vivants:

Sous les auspices et la protection de M. le Cte Repentigny, gouverneur pour S. M. le Roi très Chrétien de France et de Navarre.

Soit notoire à tous ceux qu'il appartiendra ou doit appartenir en matière quelconque.

Ahmed Mokhtar, Roi des Braknas, d'une part:

Jn Bte Lard Durand, ancien consul de France, Pensionnaire du Roi, et Directeur général de la Compagnie ayant le privilège exclusif pour la traite de la gomme dans la rivière du Sénégal et dépendances, d'autre part:

Désirant toutes parties établir entre elles une parfaite union, une amitié constante et des règles positives sur tout ce qui peut les intéresser pour le commerce en général, et surtout pour la traite de la gomme pendant le temps du privilège de la Compagnie, et tout le temps encore qu'il plaira à Sa Majesté de le prolonger, sont convenus des articles suivants:

Article premier.

La Compagnie aura la liberté d'établir, ainsi qu'elle le jugera à propos, un comptoir à Podor, où elle tiendra des employés et des marchandises propres à la traite qu'il s'y fait, soit en gomme, captifs, morfil, et autres objets; elle aura pareillement sa liberté d'en établir d'autres aux mêmes fins dans toute autre partie du pays d'Ahmed Mokhtar, et d'en désigner la position qui paraîtra la plus avantageuse.

Article 2.

Ahmed Mokhtar prend le comptoir de Podor, et tous les autres qui pourraient s'établir, sous sa sauvegarde spéciale, et les garantit de toutes insultes ou avanies quelconques.


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350

Article 3.

Ahmed Mokhtar par une suite de l'affection qu'il a et conservera pour les Français et par une suite encore des conditions du présent traité, jure et promet de n'avoir jamais directement ou indirectement aucune communication avec les Anglais; il jure de plus et promet d'employer tous les moyens praticables pour intercepter et supprimer complètement le commerce que les Anglais pourraient faire avec Portendik, soit avec ses propres sujets, soit avec toute autre nation ou particuliers qui passeraient pour cet objet dans son pays.

Cette promesse de la part d'Ahmed Mokhtar, portant non seulement sur la traite de la gomme, mais encore sur toute autre traite, dont il entend, veut et promet d'exclure les Anglais.

Article 4.

En conséquence de l'obligation portée dans le précédent article, et en retour des bonnes dispositions d'Ahmed Mokhtar. Le Sr Durand, Directeur général de la Compagnie, s'engage pour elle, et promet de lui donner une gratification, en sus de la coutume, toutes les fois qu'il arrêtera ou fera arrêter de la gomme dans le chemin de Portendik, et la fera conduire à Podor, de manière que la Compagnie puisse être assurée qu'il n'en sera point vendu à Portendik.

Article 5.

Ahmed Mokhtar promet et s'engage de faire tous ses efforts pour procurer annuellement à la Compagnie la traite de gomme la plus abondante possible.

Article 6.

Ahmed Mokhtar, considéré comme l'arbitre du prix de la gomme et de la mesure du kantar, promet encore et s'oblige de régler annuellement le payement dudit kantar au plus bas prix possible, et de fixer sa mesure conformément au kantar dont la précédente Compagnie était en usage de se servir.

Article 7.

Dans tous les temps et dans toutes les circonstances, Ahmed Mokhtar promet et s'oblige de favoriser en tout les opérations de la Compagnie, et particulièrement la traite de la gomme; il promet encore de la servir de son influence et de ses bons offices auprès des marchands maures et tous autres qui auraient à traiter avec elle.

Article 8.

En retour des dispositions d'Ahmed Mokhtar, le Sr Durand au nom 351 de la Compagnie, promet et s'engage de le traiter toujours comme un ami distingué, et de lui accorder la plus grande faveur.


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352

Article 9.

Le commerce ayant introduit l'usage de payer une coutume à Ahmed Mokhtar, pour traiter la gomme, les captifs, le morfil et autres objets généralement quelconques, dans son pays, et cette coutume ayant varié suivant les circonstances, elle vient d'être fixée, tant pour la gomme, captifs, morfil et autres objets de traite, d'une manière positive et permanente, par l'article suivant:

Article 10.

Toutes les fois que la coutume fera traiter de la gomme, le Sr Durand, Directeur général de la Compagnie s'oblige pour elle de payer annuellement à Ahmed Mokhtar.

400 pièces de guinée.
100 fusils fins à un coup.
200 barils de poudre de 2 livres.
100 pièces de platille.
100 miroirs de traite.
20 paires de pistolets à un coup.
80 barres de fer de 8 pieds.
1.000 balles.
3.000 pierres à feu.
120 mains de papier.
150 tabatières pleines de girofle.
150 cadenas.
150 peignes de buis.
150 paires de ciseaux.
150 jambettes.
2 pièces de mousseline.
1 pièce d'écarlate.
50 piastres en argent.
1 filière d'ambre no 2.
1 filière de corail no 2.
2 fusils fins à 2 coups.
2 paires de pistolets à 2 coups.
1 chaudron de cuivre.
1 moustiquaire.
1 matelas de crin.
1 pièce de guinée tous les 8 kantars-mesures et conduits à bord.

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De plus on lui payera pour des soupers, pendant la traite, 2 pièces de guinée tous les huit jours.

100 pintes de mélasse une fois payées.
10 pains de sucre une fois payés.

Pour Sidi Ély, frère du Roi.

14 pièces de guinée.
1 fusil fin à 2 coups.
1 paire de pistolets fins à 2 coups.
2 fusils fins à un coup.
4 pièces de platille.
4 miroirs.
8 coudées d'écarlate.
6 tabatières pleines de girofle.
6 cadenas.
6 paires de ciseaux.
6 peignes de buis.
6 jambettes.

A la femme du Roi.

8 pièces de guinée.
4 pièces de platille.
4 tabatières pleines de girofle.
4 cadenas.
4 paires de ciseaux.
4 peignes de buis.
4 jambettes.
4 miroirs.
8 coudées d'écarlate.

A Fatma, sœur aînée du Roi.

4 pièces de guinée.
4 coudées d'écarlate.
4 pièces de platille.
4 paires de ciseaux.
4 tabatières pleines de girofle.
4 cadenas.
4 peignes de buis.
4 jambettes.
2 miroirs.
355
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356 Aux quatre jeunes sœurs d'Ahmed Mokhtar et à sa fille.

A chacune,
2 pièces de guinée.
2 pièces de platille.
2 miroirs.
2 cadenas.
2 tabatières pleines de girofle.
2 jambettes.
2 peignes de buis.
2 paires de ciseaux.

Au premier ministre.

5 pièces de guinée.
4 pièces de platille.
4 fusils fins à un coup.
4 cadenas.
4 miroirs.
4 jambettes.
4 paires de ciseaux.
4 peignes de buis.
4 tabatières pleines de girofle.

Pour les soupers de Sidi Ély et des marabouts qu'il loge chez lui.

1 mouton.
2 bouteilles de mélasse par jour pendant la traite.

Pour sa suite:

1 mouton.
2 bouteilles de mélasse.

Tous les objets ci-dessus détaillés, tant pour le Roi que pour les autres, seront payés; savoir:

Un tiers au commencement de la traite, un tiers au milieu, et l'autre à la fin.

Article 11.

Lorsque la Compagnie enverra ses bâtiments, à l'époque réglée pour la traite de la gomme, à Podor ou tout autre pays d'Ahmed Mokhtar, si ces mêmes bâtiments n'étaient pas d'une capacité suffisante pour recevoir toute la gomme qui se présenterait, le Directeur la fera enlever successivement par ses embarcations particulières qui la conduiront dans ces établissements, soit à Podor, soit ailleurs, de manière qu'elle aura la faculté de traiter en tout temps toutes les parties de gomme qu'on transportera dans les différentes escales de traite du pays d'Ahmed Mokhtar.


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357

Article 12.

Au moyen des conventions arrêtées et convenues dans l'article 10 du présent traité, Ahmed Mokhtar n'aura plus rien à prétendre, et renonce dès à présent, pour toujours, à toute autre demande qui sera étrangère à ce qui vient d'être réglé.

Article 13.

Demeure convenu que le comptoir de Podor et tous autres qui pourraient être établis ne seront tenus à aucun payement, et qu'ils auront la faculté de traiter annuellement tous les objets qui se présenteront; il en sera de même pour les bâtiments que la Compagnie pourrait expédier dans le courant de l'année pour la traite des captifs, morfil et autres productions du pays d'Ahmed Mokhtar, le tout en considération de la coutume arrêtée par l'article 10.

Article 14.

Les parties contractantes de part et d'autre promettent d'observer sincèrement, fidèlement et de bonne foi, tous les articles contenus et établis dans le précédent traité, sans faire ni souffrir qu'il y soit fait de contravention directe on indirecte; mais au contraire, elles se garantissent généralement et réciproquement toutes ses clauses.


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Note de l'auteur.—A la suite de son «voyage au Sénégal», Durand a fait paraître un troisième tome, qu'il appelle «Atlas» et où sont contenus les traités passés par lui avec les Maures, et 44 planches dont les 16 premières sont des cartes et des plans et les autres des gravures fort originales de scènes maures et sénégalaises.

De ces planches, seule, la 32e, fort curieuse et des plus fantaisistes, mérite une mention. Elle représente «M. Durand recevant à son bord et donnant à dîner au roi Hamet-Moctard et à sa famille».

Dans les trois traités passés par Durand figure celui de l'émir des Brakna que nous donnons plus haut. Nous l'avons reproduit quand même ici, afin que la collection des traités passés par la France avec les Brakna fût trouvée ici au complet, et qu'au surplus l'Atlas de Durand est à peu près introuvable.

Une note de l'Atlas relate:

«Ces traités sont en français et en arabe, ils sont précédés d'un avertissement du citoyen Silvestre de Sacy, professeur d'arabe à la 360 Bibliothèque nationale, qui a bien voulu se charger de revoir le texte, d'en suivre l'impression à l'imprimerie de la République, et qui y a joint des notes aussi savantes qu'indispensables pour l'intelligence de l'arabe.»

Nous nous permettrons ici de combler les lacunes que signale l'illustre orientaliste dans son avertissement et dans ses notes. Parmi les mots dont il n'a pu reconnaître l'origine il cite «baka», couteau: c'est le vocable «paka» ouolof; de même «sit», miroir: c'est le ouolof «sito». «Idjin», le vin, c'est sans doute le mot anglais «gin». Le «bour Koursi» et non «Kirsen» c'est le «maître du trône». Le «Kariba» est une déformation de «barika», barrique, baril. Les autres fautes, signalées par lui dans le texte arabe, sont des erreurs de copiste. Elles n'existent pas dans le texte original de nos Archives de Dakar.

De plus, le texte du traité, publié par Durand, porte un article quinzième et dernier, qui semble bien avoir été ajouté après coup et par lui-même, car il n'existe pas dans le texte officiel et au surplus était du plus grand intérêt pour sa Compagnie. Le voici:

«Art. 15.—En cas de contestations sur l'exécution ou l'interprétation d'un ou de plusieurs articles du présent traité, les parties contractantes s'en remettent volontairement et sans retour à la décision de M. le Gouverneur du Sénégal, et promettent de s'en tenir à son jugement.»

ANNEXE II
Délibération au sujet des préparatifs de guerre
du chef de la tribu des Braknas.

14 ventôse, an 7
(1799).

LIBERTÉ ÉGALITÉ

Aujourd'hui quatorzième jour du mois de ventôse de l'an VII de la République Française une et indivisible.

Des envoyés de Amar Comba, chef de la tribu des Maures Trarzas, se sont présentés devant le Commandant et les principaux habitants du Sénégal, assemblés en la maison du gouvernement, et ont dit qu'ils venaient au nom et de la part de Amar Comba instruire le Gouvernement français que Ahmed Mokhtar chef des Maures Braknas se préparait à faire la guerre au Sénégal, qu'il avait député son fils Agris à Amar Comba pour lui communiquer sa résolution et le presser de se joindre à lui, mais que Amar Comba s'était refusé à ses sollicitations, et avait répondu qu'il voulait toujours entretenir la bonne intelligence et l'amitié qui existait entre lui et les Français; que, d'après ce refus, Ahmed Mokhtar avait rompu toute liaison avec les Trarzas, et paraissait se disposer à armer contre eux, ainsi que contre le Sénégal.

En conséquence de ce rapport, le Commandant du Sénégal a déclaré qu'il ferait mettre dès ce moment à exécution le décret de la Convention nationale du 29 mars 1793, an 2e de la République, relatif à Ahmed Mokhtar, qui interdit toute relation avec lui, suspend le payement de ces coutumes, et prescrit les dispositions nécessaires à cet effet; décret auquel il avait été sursis d'après les démarches de Ahmed Mokhtar et les assurances qu'il avait donné pour l'avenir.

En même temps, le Commandant du Sénégal arrête que Amar Comba, chef de la tribu des Maures Trarzas, sera remercié au nom du Gouvernement de l'avis amical qu'il a donné à cette colonie, et qu'il lui sera fait en reconnaissance un présent extraordinaire.

Fait en la maison du gouvernement de l'Ile du Sénégal, les jours, mois et an ci-dessus.

Signé: Blanchot, Cormié, Pre Dubois, Malalle, Blondin fils, Paul Bénis, Flamand, Fs Pellegrin, H. Pellegrin et Charboniez, greffier.

ANNEXE III
Traité passé entre le Lieutenant-Gouverneur Maxwell et Sidy Ély, chef d'une tribu des Bracknas.

7 juin 1810.

Soit notoire à tous ceux à qui il appartiendra ou peut appartenir, que moi Lieutenant-Colonel Ch. W. Maxwell, gouverneur de S. M. Britannique pour les établissements du Sénégal, Gorée et dépendances, d'une part;

Et moi Sidy Ély chef d'une tribu des Braknas, d'autre part;

Considérant que depuis quelque temps la traite de gomme dans la rivière a été interrompue et désirant de prévenir à l'avenir toutes querelles et mésintelligences et établir des règlements sûrs et positifs pour le bien général de toute la traite: nous sommes convenus solennellement des arrangements suivants: c'est-à-dire:

Article premier.

Aussitôt l'arrivée d'un bâtiment ou canot quelconque aux escales des Braknas, le roi Sidy Ély prendra des arrangements par écrit avec le Capitaine ou subrécargue, pour les coutumes qui doivent lui être payées, dans lesquels arrangements il sera exactement spécifié les qualités et différentes qualités des marchandises convenues pour lesdites coutumes; il en sera dressé deux copies, dont une sera remise au Capitaine ou subrécargue et l'autre au Roi, ou à toute autre personne autorisée par lui, comme il sera spécifié ci-dessous.

Article 2.

Le Roi, en son absence, autorisera son premier ministre, qui sera chargé par lui de régler lesdites coutumes avec les capitaines et subrécargues suivant les conditions spécifiées dans l'article premier.

Le Roi promet solennellement de remplir et se conformer en tout aux arrangements et conventions qui seront passés par son ministre.

Article 3.

Les coutumes ainsi fixées seront payées au Roi ou à son chargé de pouvoir, comme il est spécifié dans l'article 2 dans les proportions suivantes, 363 c'est-à-dire: un tiers lorsque le bâtiment aura mesuré sa première barrique de gomme, un tiers lorsqu'il sera à moitié chargé et l'autre tiers lorsqu'il aura fini sa traite. Un reçu sera donné par le Roi ou par son député, au Capitaine ou subrécargue, lors du payement du dernier tiers des coutumes convenues.

Article 4.

Le Lieutenant-Gouverneur promet et s'engage de faire respecter les engagements et de faire payer les coutumes ainsi contractées d'après les articles ci-dessus mentionnés, et facilitera de tout son pouvoir la traite de gomme aux escales des Bracknas.

Finalement les deux parties promettent et s'engagent mutuellement de remplir et exécuter fidèlement les engagements qu'elles ont contractés par ces présents.

Fait et passé au Sénégal, le 7 juin 1810.

Signé; Sidy Ély, Ch. W. Maxwell, Lieutenant-Gouverneur, Ch. Porquet, maire, et Ed.-O. Hara.

Sénégal 13 June 1810, By order of the Lt Gouvr Heddle.

ANNEXE IV
Traité avec Ahmed Dou, roi de la tribu des Bracknas, et M. Julien Schmaltz, commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépendances.

20 mai 1819.

A la gloire du Tout-Puissant, créateur du ciel et de la terre, père éternel de tous les êtres vivants.

Au nom et sous les auspices de S. M. T. C. le Roi de France et de Navarre.

J. Schmaltz, Chevr de l'ordre Royl milre de Saint-Louis et de l'ordre Royl de la Lég. d'hon., Colonel, Commandant pour le Roi et Administrateur du Sénégal et dépendances, d'une part;

Ahmedou, Roi de la tribu du Brackna, d'autre part;

Réunis à l'escale du Coq et confèrent sur les intérêts généraux tant des établissements français du Sénégal que des maures et divers peuples indigènes qui habitent les bords du fleuve;

Prenant en considération, d'une part, la conduite juste et irréprochable tenue par Ahmedou envers les traitants de Saint-Louis, depuis qu'il a succédé à Sidi Ély, son père, et la confiance qu'une telle manière d'agir doit inspirer pour la suite; de l'autre, le grand intérêt que ledit Ahmedou a de se conserver toujours et quoi qu'il puisse arriver, en bonne intelligence avec les établissements français du Sénégal et les immenses avantages qui résulteraient infailliblement pour lui, son pays et ses sujets, si le système de colonisation projeté sur la rive gauche du fleuve était en même temps exécuté sur le territoire considérable et populeux qu'il possède sur la rive droite.

Et désirant établir entre eux une union inaltérable, une paix et une amitié constante et ouvrir aussitôt qu'il se pourra des nouvelles relations tendant à augmenter les ressources et la prospérité, tant de la France que du pays occupé par les Bracknas, sont convenus des articles suivants:

Article premier.

Ahmedou, Roi de la tribu des Bracknas, promet et s'engage de favoriser par tous les moyens qui seront en son pouvoir, la traite de gomme 365 366 qui se fait à son escale et tout autre commerce qui pourrait s'ouvrir par la suite entre les sujets du Roi de France et les siens dans toute l'étendue de son pays.

Article 2.

Les coutumes à payer par les bâtiments qui viendront en traite de gomme resteront telles qu'elles ont été jusqu'à ce jour; et Ahmedou, Roi des Bracknas, s'engage et promet de se conformer aux règlements que fera le Commandant pour le Roi pour empêcher toute espèce fraude, et de veiller de son côté à ce qu'ils soient strictement exécutés par ses sujets.


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Article 3.

Dans aucun cas de discussion entre les traitants et lui, le Roi Ahmedou n'arrêtera ni suspendra la traite, avant d'en avoir donné connaissance au Commandant, pour le Roi, et d'avoir reçu sa réponse.

Article 4.

Chaque fois que les envoyés d'Ahmedou viendront au Sénégal pour les cas prévus dans le livre des coutumes, ils recevront leurs vivres ainsi qu'il a été réglé par les anciennes conventions.

Article 5.

Reconnaissant que sa principale richesse provient du commerce que les Français viennent faire à son escale, n'ayant pas de plus grand intérêt que de le conserver et voulant par-dessus toutes choses assurer pour toujours la bonne intelligence qui existe entre eux et lui, Ahmedou, Roi des Bracknas, s'engage et promet de garder franchement une pleine et entière neutralité dans toutes les guerres où pourraient entrer les habitants français du Sénégal, lorsqu'il ne serait pas appelé à les assister ou que des considérations particulières ne lui permettraient pas de se joindre à eux.

Article 6.

Ayant entendu parler des établissements de culture libre, que le Gouvernement français se propose de former sur la rive gauche du fleuve et des traités que le Commandant pour le Roi a déjà conclu avec le Brack et les principaux chefs du pays de Walo, à ce sujet, sentant que le commerce de la gomme, qui ne soutiendra qu'avec peine la concurrence de produits plus précieux, ne peut suffire à un pays tel 367 que celui qu'il commande lequel s'étend, sur la rive droite, depuis Bakel jusqu'au marigot de Guerer, frontière du pays de Fouta, pensant que vu la fertilité du territoire, qui est la même que celui de l'île à morfil et le grand nombre d'hommes qu'il peut fournir pour le cultiver, rien ne serait plus important pour lui et ses sujets que de le mettre en valeur et d'y retirer le commerce; Ahmedou, Roi des Bracknas, invite le Commandant pour le Roi, à diriger sur son pays, des sujets du Roi de France, pour y former conjointement et avec le secours des siens des établissements de culture dans toutes les positions qui lui paraîtront propres à les recevoir.

368

Article 7.

En conséquence de l'article ci-dessus, pour son exécution et dans la vue de déterminer ledit Commandant pour le Roi à se rendre au vif désir qu'il en a et aussitôt que ses autres entreprises les lui permettront, Ahmedou, Roi des Bracknas, s'oblige et s'engage, dès à présent, à céder, remettre et transporter à S. M. le Roi de France en toute propriété et pour toujours toutes les portions de son territoire qui paraîtront, au Commandant pour le Roi, propres à la formation de tous les établissements de culture qu'il jugera à propos d'entreprendre par la suite.


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Article 8.

La tranquillité du pays et la sûreté des personnes et des propriétés exigeant des mesures de protection suffisantes pour les mettre à l'abri de toutes incursions de la part des peuples voisins, l'intention et la bonté d'Ahmedou, Roi des Bracknas étant, en outre, du moment où les Français s'établiront chez lui, de ne plus faire qu'avec eux, de considérer leurs amis et ennemis comme les siens propres, de tenir sévèrement la main à ce qu'il ne leur soit donné aucun motif de mécontentement par ses sujets; il demande qu'il soit construit, dans son pays, des forts, partout où ils seront jugés nécessaires par le Commandant pour le Roi et qu'il y soit placé des garnisons qu'exigera leur défense, se réservant d'y être reçu en toute circonstance où il sera forcé de pourvoir à sa sûreté personnelle, par fait de guerre dans son pays; et qu'il soit pourvu à sa subsistance pendant le séjour qu'il y fera.

Article 9.

L'intention du Gouvernement français étant que tous les établissements qu'il formera soient exploités par des bras libres, Ahmedou, Roi des Bracknas, s'oblige et promet de faire concourir aux défrichements 369 et plantations des terres, ainsi qu'aux travaux de toute espèce desdits établissements les cultivateurs soumis à son autorité et de les fournir aux mêmes conditions que celles faites avec le pays de Walo dont on lui a donné communication et dont il déclare avoir pleine connaissance.

370

Article 10.

En reconnaissance de la conduite juste et irréprochable, tenue constamment, envers les habitants de Saint-Louis par Ahmedou, Roi des Bracknas, et en retour des dispositions ci-dessus, de la neutralité à laquelle il s'est obligé par le présent traité, ainsi que du désir qu'il a témoigné de concourir aux vues du Gouvernement français et des engagements qu'il a pris à cet égard; le Commandant pour le Roi, s'engage et promet de traiter ledit Ahmedou, comme un ami distingué, tant qu'il persistera dans sa conduite et ses intentions actuelles; de lui rendre et lui payer les coutumes d'honneur ci-devant accordées à Sidy Ély, son père, pour avoir contribué à la paix conclue avec le pays de Fouta, le 4 juin 1806; laquelle sera exigible le 1er août prochain et tous les ans désormais à pareille époque.

Article 11.

Et quant à ce qui concerne l'invitation par lui faite d'envoyer des sujets français former des établissements de culture dans son pays, de l'engagement qu'il a pris de céder toutes les portions de son territoire qui seront jugées convenables et de fournir les bras nécessaires à leur exploitation, etc., etc. Le Commandant pour le Roi les accepte pour en profiter aussitôt que ces entreprises actuelles le lui permettront;—s'engageant et promettant de lui accorder, en retour de ses concessions une coutume qui sera fixée pour la traite qu'ils passeront ensemble, avant de commencer les établissements et d'accorder pour les travailleurs qui seront fournis les mêmes conditions qui ont été faites avec Brack et les chefs du pays de Valo.


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Article 12.

Les parties contractantes, de part et d'autre, promettent d'exécuter finalement et de bonne foi tous les articles contenus et établis dans le présent traité, sans faire ni souffrir qu'il y soit fait aucune contravention directe ni indirecte, se garantissant généralement et réciproquement toutes les stipulations y consenties.

Fait quintuple le 20 mai de l'an 1819 à bord du brick de S. M. l'Isère mouillé à l'escale du Coq, le tout arrêté et convenu en présence 372 de M. M. N. G. Courtois, chef de Bon du génie et M. Armand, enseigne des vaisseaux du Roi, l'un et l'autre choisis par le Commandant pour le Roi; et des sieurs C. Potin et F. Pellegrin désignés par Ahmedou, Roi des Bracknas; lesquels ont signé comme témoins avec les parties.

Signé: Courtois et Armand.

Signé: Jn Schmaltz.


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ANNEXE V
Traité conclu entre le gouvernement de France et Hamet Dou, Roi de la tribu du Bracknas.

25 Juin 1821.

A la gloire du Tout-Puissant, Créateur du Ciel et de la Terre et des Mers, Père éternel de tous les êtres vivants.

Au nom et sous les auspices de S. M. très chrétienne, Roi de France et de Navarre.

Louis-Jean-Baptiste Le Coupe, Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis et de l'Ordre royal de la Légion d'honneur, Capitaine des vaisseaux du Roi, Commandant pour le Roi, et administrateur du Sénégal et dépendances, d'une part.

Hamet Dou, Roi de la tribu du Bracknas, d'autre part.

Désirant établir entre eux une union inaltérable, une paix et une amitié constantes, et ouvrir aussitôt qu'il se pourra de nouvelles relations tenant à augmenter les ressources et la prospérité tant de la France que du pays occupé par les Bracknas, sont convenus des articles suivants:

Article premier.

Hamet Dou, Roi de la tribu du Bracknas, promet et s'engage de favoriser, par tous les moyens qui seront en son pouvoir, la traite de la gomme qui se fait à son escale et tout autre commerce qui pourrait s'ouvrir par la suite, entre les sujets du Roi de France et les siens, dans toute l'étendue de son pays.

Article 2.

Les coutumes à payer par les bâtiments qui viendront en traite de gomme resteront telles qu'elles ont été jusqu'à ce jour et Hamet Dou, Roi des Bracknas, s'engage et promet de se conformer aux règlements qu'il fera d'un commun accord avec le Commandant pour le Roi et administrateur du Sénégal et dépendances pour empêcher toute espèce de fraude, et de veiller, de son côté, à ce qu'ils soient strictement exécutés par ses sujets.


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Article 3.

En cas de mésintelligence entre le Gouverneur français et le pays de 376 Toro, le Roi Hamet Dou s'engage à transporter son escale à Souley era, entre Bakolle et Faneye pour éviter que les bâtiments en traite ne soient insultés par les habitants de ce même pays de Toro.

Article 4.

Dans un cas de discussion entre le Roi du Bracknas ou un de ses sujets avec un traitant, la traite sera suspendue pour le traitant, et les intérêts des deux parties seront discutés tant par le Roi des Bracknas ou des envoyés que par la majorité des traitants présents à l'escale. Dans le cas où l'avis de la majorité des traitants serait en faveur du particulier qui aurait souffert de la suspension de la traite, ce particulier indemnisé, soit par le Roi des Bracknas, soit par celui de ses sujets qui aurait occasionné le différend; et l'indemnité sera fixée conjointement entre les traitants et le Roi des Bracknas. Dans le cas, au contraire, où la majorité des traitants serait d'un avis favorable au Roi ou à ses sujets, le traitant condamné par cet avis sera tenu d'un dédommagement fixé aussi par les traitants et le Roi des Bracknas ou ses envoyés.

Article 5.

Chaque fois que les envoyés d'Hamet Dou viendront à Saint-Louis pour les cas prévus dans le livre des coutumes, ils recevront leurs vivres ainsi qu'il a été réglé par les anciennes conventions.

Article 6.

Reconnaissant que sa principale richesse provient du commerce que les Français viennent faire à son escale, n'ayant pas de plus grand intérêt que de le conserver et voulant par-dessus toute chose, assurer pour toujours la bonne intelligence qui existe entre eux et lui: Hamet Dou, Roi des Bracknas, s'engage et promet de garder franchement une pleine et entière neutralité, dans toutes les guerres où pourront entrer les sujets du Roi de France au Sénégal, lorsqu'il ne serait pas appelé à les assister ou que des considérations particulières ne lui permettraient pas à se joindre à eux.

Article 7.

Le Roi Hamet Dou promet et s'engage de respecter et faire respecter par tous ses sujets, les terres et habitants du pays de Wallo; les regardant comme faisant partie de l'île et habitants de Saint-Louis. Il reconnaît et garantit en outre au Commandant pour le Roi et Administrateur du Sénégal et dépendances tous les arrangements qu'il a fait avec les chefs de ce pays et toutes les conciliations stipulées par eux et le gouvernement français.


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378

Article 8.

Le Roi Hamet Dou engage le Commandant pour le Roi et Administrateur du Sénégal et dépendances à faire dans son pays des établissements de culture: et lui concède à cet effet tous les terrains où il jugerait convenable de former des habitations et de faire des lougans, lui promettant d'y contribuer lui-même de tout son pouvoir, de les défendre, respecter et faire respecter. Il promet, en outre, au Gouvernement français d'élever des forts ou batteries pour la défense et protection des habitants et lougans qui pourront se former par la suite.

Article 9.

Le Roi Hamet Dou s'engage à favoriser de tout son pouvoir toutes espèces de cultures, et particulièrement, celle du coton sur les terres qui sont sous sa domination: il promet en outre d'engager et de porter ses sujets à en cultiver et à en vendre aux bâtiments qui vont traiter; et dans le cas où quelques-uns des Noirs déserteraient des habitations qui pourront s'établir sur les terres qu'il concède ainsi qu'il est exprimé dans l'article ci-dessus, le Roi Hamet Dou s'oblige expressément à les faire ramener à leurs propriétaires sans aucune rançon ni rachat.

En retour, le Gouvernement français s'oblige à rendre au Roi Hamet Dou ceux de ses sujets ou captifs qui pourraient déserter sur les possessions françaises.

Article 10.

Le Commandant pour le Roi et Administrateur du Sénégal et dépendances, accepte au nom de S. M. le Roi de France les offres stipulées dans les articles 8 et 9, par le Roi Hamet Dou; mais seulement pour en profiter lorsque les circonstances le permettront, et il s'engage d'accorder en retour de ces concessions, une coutume qui sera fixée par le traité qu'ils feront ensemble avant le commencement de tous établissements quelconques sur les terres du Roi Hamet Dou.

Article 11.

Moyennant l'exécution pleine et entière des conditions ci-dessus le Commandant pour le Roi s'oblige à payer fidèlement les anciennes coutumes consenties entre le Gouvernement français et les Bracknas et fixées dans les livres des coutumes.

Le Commandant pour le Roi entend payer les coutumes à Saint-Louis tous les ans à la fin de la traite. Dans le cas où la traite aurait été suspendue ou n'avoir pas eu lieu par la faute des Bracknas les coutumes seront supprimées pour chaque année où la traite aura manqué.


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380

Article 12.

Le Roi Hamet Dou et le Commandant pour le Roi promettent d'exécuter, fidèlement et de bonne foi, tous les articles contenus dans le présent traité, sans faire ni souffrir qu'il y soit fait aucune contravention directe ni indirecte, se garantissant réciproquement toutes les stipulations qui sont consenties.

Fait à Saint-Louis, 25 juin 1821.

Signé: Le Coupe.


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ANNEXE VI
Convention passée entre Amedou Ould Sidy-Elly, Roi des Bracknas, et M. Caille, capitaine au 2e régiment de la marine, revêtu des pouvoirs de M. le Gouverneur du Sénégal et Dépendances.

Savoir:

Attendu les circonstances extraordinaires dans lesquelles se trouve le Sénégal par l'effet de la guerre, avec les gens de Fara Pinda et les Trarzas, le Gouverneur du Sénégal et le Roi Amedou ne consultant que la justice, tant pour les habitants du Sénégal que pour les marabouts Bracknas, ont pris les arrangements suivants, qui ne serviront que pour la traite de 1834, sans qu'ils puissent être invoqués pour toute autre traite:

Il sera prélevé pour les coutumes d'Amedou:

1o Une pièce de guinée par millier de gomme;

2o Vingt pièces de guinée par cent milliers de gomme pour son ministre;

3o Le présent annuel de 100 pièces de guinée aux 2/3 de la traite;

4o Quatre bagatelles par cent milliers de gomme;

5o Soupers du Roi ou du Ministre tous les jours, c'est-à-dire la bagane de kouskous.

Toutes ces coutumes seront prélevées pour cette traite seulement, sur la quantité de gomme traitée et non sur le jaugeage des bâtiments, qui, cette année, se rendront en trop grand nombre à l'Escale du Coq, à cause de la fermeture des Escales du bas fleuve. Le Gouverneur ne veut retrancher rien des coutumes du Roi Amedou, mais aussi il compte sur l'équité de celui-ci pour qu'il n'exige pas non plus au delà de ce qui lui revient. C'est d'après ce principe de justice qu'il a été décidé que cette traite serait ainsi réglée, sans rien préjuger sur celle à venir.

Les bâtiments du Sénégal seront escortés jusqu'à l'île de Mahouguesse et aussitôt qu'ils auront dépassé cette île, Amedou garantit qu'il ne leur sera fait aucun mal, se rendant responsable des avaries qui pourraient provenir d'une attaque de qui que ce soit.

A l'ouverture de la traite il sera fait à Amedou une avance de 383 720 pièces de guinées qui devront être précomptées sur les premières gommes traitées.

Les parties contractantes, de part et d'autre, promettent d'exécuter fidèlement tout ce qui est contenu dans la présente convention, sans faire ni souffrir qu'il y soit fait aucune contravention directe ni indirecte: se garantissant généralement et réciproquement toutes les stipulations y consenties.

Fait double le cinq mai mil huit cent trente-quatre, à bord de la goélette de l'État l'Aglaé, mouillée devant le village de Podor, le tout arrêté et convenu entre le Roi des Bracknas et M. Caille, capitaine au 2e régiment de la marine, désigné par M. le Gouverneur du Sénégal et dépendances.

Signés: Amedou et Caille.

ANNEXE VII
Arrêté du Gouverneur du Sénégal et dépendances, touchant la traite de la gomme a l'escale des Bracknas

1834.

Sénégal et dépendances.

Nous Gouverneur du Sénégal et dépendances,

Vu la convention, passée le 5 du courant avec le Roi des Braknas, touchant l'ouverture de la traite de la gomme;

Vu le projet d'association en participation qui a été discuté et adopté, en notre présence, par les négociants et habitants appelés par nous à cet effet;

Vu l'impossibilité où se trouveraient moitié des habitants de faire aucune affaire dans cette escale, où ils n'ont point de relations, ce qui pourrait entraîner la ruine de plusieurs d'entre eux;

Vu les circonstances exceptionnelles dans lesquelles se trouve la colonie du Sénégal, lesquelles ne permettent pas de suivre les usages ordinaires du commerce pour la traite des gommes,

Avons arrêté et arrêtons:

Article premier.—La traite de la gomme sera ouverte à l'escale des Braknas.

Art. 2.—Elle aura lieu par forme d'association et par parts égales conformément au projet mentionné plus haut, auquel nous donnons notre approbation.

Les personnes qui auront droit à prendre part à l'Association sont les négociants inscrits au rôle des patentes; les habitants ayant fait la traite pour leur compte pendant les trois dernières années.

Auront droit à une demi-part d'intérêt celles qui, pendant ces trois mêmes années, auront fait la traite, mais pour compte d'autrui.

Art. 3.—Les personnes qui voudront s'intéresser dans la traite devront se faire inscrire sur un registre ouvert à cet effet, dans les journées de dimanche et de lundi 18 et 19 du courant, chez M. l'Administrateur où l'on pourra prendre connaissance des règlements d'association pour la présente année.

385 Art. 4.—Nous nous réservons de fixer plus tard le jour de l'ouverture de la traite et de l'expédition des navires pour l'Escale.

Le présent sera enregistré à l'Administration et à l'Inspection, publié et affiché partout où besoin sera.

Saint-Louis, le 17 mai 1834.

Signé: L. Pujol.

ANNEXE VIII
ANNÉE 1839

Traité conclu entre le Gouverneur du Sénégal
et Amedou Roi des Braknas.

2 mai 1839.

A la gloire du Tout-Puissant, Créateur du ciel, de la terre et des mers, Père éternel de tous les êtres vivants.

Charmasson, capitaine de vaisseau, officier de la Légion d'honneur, Gouverneur du Sénégal et dépendances, d'une part,

Et Amedou Ould Sidi Ély, Roi des Braknas, d'autre part,

Désirant mettre un terme aux actes de violence exercés par les sujets du Roi Amedou envers les traitants saisis en fraude de gomme, hors des limites de l'escale du Coq,

Conviennent de ce qui suit:

Article premier.

Tout traitant surpris en délit de fraude dans l'étendue du royaume des Braknas, au-dessous d'Haleibey, paiera au Roi Amedou la coutume, sur le même pied que les navires du même tonnage qui commercent légalement aux escales. Cette coutume payée, il sera libre de continuer à traiter à l'escale du Coq, et si l'escale était fermée, cette coutume comptera pour la traite suivante.

Article 2.

Le Roi Amedou fera conduire le navire fraudeur au Commandant de l'escale du Coq, et dans le cas où les escales seraient suspendues, il le fera conduire au poste de Dagana.

Article 3.

L'embargo ne pourra être mis et la coutume perçue que par le ministre du Roi.

Article 4.

Tout bâtiment arrêté par l'autorité française et convaincu par elle d'avoir fait en fraude le commerce de gomme sur les côtes du royaume 387 des Braknas au-dessous d'Haleibey, sera tenu de prendre escale au Coq.

Article 5.

Le Roi Amedou ayant à cœur d'entretenir la bonne intelligence qui règne entre le Sénégal et les Braknas, s'engage à faire payer au double de leur valeur tous les pillages commis sur des bâtiments français ainsi que les dommages qui leur auraient été causés par ses sujets.

Fait quadruple à bord du bateau à vapeur l'Érèbe, devant l'escale du Coq, le 9 mai 1839.

Signé: Charmasson et Amedou.


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ANNEXE IX

PORT DE SAINT-LOUIS Année 1840
—— —— ——
Duplicata Sénégal et dépendances
—— ——

DEMANDE AU MAGASIN GÉNÉRAL
Par le Bureau de la Mairie;

Pour la coutume du roi et des princes de la tribu des Bracnas.
Pour l'année mil huit cent quarante. Je dis: pour l'année 1840.
Quantité
en chiffres.
DÉSIGNATION DES OBJETS
A Amedou, chef des Bracnas.
54 Guinée bleue, cinquante-quatre pièces.
8 Platilles, huit pièces.
6 Fusils de traite, six.
1 Mousseline, une pièce de 14 mètres 26 centimètres.
14 m. 28 Écarlate, quatorze mètres vingt-huit centimètres.
1 Pistolet fin, une paire.
14 kgr. 670 Poudre à feu, quatorze kilogrammes six cent soixante-dix grammes.
1 Fusil à deux coups, no 5, un.
200 Pierres à feu, deux cents.
200 Balles de plomb, deux cents.
11 Fers longs, onze barres.
1 Cuivre, un bassin.
30 Piastres (Gourdes), trente.
1 Coffre ferré, un.
12 Loquis ou autres verroteries, douze fillières.
1 Ambre, une fillière de cornaline no 2.
390 A Amedou, pour lui tenir lieu de vivres lorsqu'il est à Podor, par an.
8 Guinée bleue, huit pièces.
A Sidy Ely, père d'Amedou, coutume accordée le 4 juin 1806, et maintenue par le traité passé avec Amedou, en mai 1810.
10 Guinée bleue, dix pièces.
1 Fusil à deux coups, no 3, un.
1 Pistolet fin, une paire.
4 m. 75 Écarlate, quatre mètres soixante-quinze centimètres.
1 Mousseline, une pièce de 14 mètres 28 centimètres.
0 kgr. 84 Ambre no 3 ou 4, quatre-vingt-quatre grammes.
4 Piastres (Gourdes), quatre.
0 kgr. 183 Corail no 3 ou 4, cent quatre-vingt-trois grammes.

Saint-Louis, le 8 avril 1840.

Le Maire de Saint-Louis,
X.
Vu: l'Ordonnateur,
X.
Vu: l'Inspecteur Colonial,
vingt-cinq articles,
X.
Approuvé: le Gouverneur,
Charmasson.

ANNEXE X
Traité de paix entre le Roi des Trarza et le Roi des Brakna (1864).

Sidi-ould-Mohamed-el-Habib, roi des Trarza, représenté par Chems-Mohamedoun-Fal et Ahmed-ould-Braïk, et Sidi Ely, roi des Brakna, représenté par Djidna et Rachid, désirant mettre un terme aux hostilités qui les divisent, sont convenus de ce qui suit:

Article premier.—Sidi Ely s'engage à donner au roi des Trarza 250 pièces de guinée ou leur valeur en bœufs, chevaux ou tous autres objets.

Art. 2.—A cette condition, le roi des Trarza accorde la paix à Sidi Ely, le reconnaît comme seul roi des Brakna, et s'engage à respecter et à faire respecter par ses tribus les sujets et le territoire de ce chef.

Art. 3.—Sidi Ely, reconnaissant que le bon vouloir du roi des Trarza lui est nécessaire pour protéger le commerce des gommes qui se fait à l'escale de Podor, consent à ce qu'un quart des droits perçus à son profit, sur ce point, soit payé au roi des Trarza.

Art. 4.—Le roi des Trarza, de son côté, s'engage à laisser les caravanes se diriger librement, soit sur Podor, soit sur Dagana, et à assurer la sécurité des routes depuis Raz-el-Kara jusqu'aux limites de son territoire dans l'Ouest.

Il accepte également dans ces limites, c'est-à-dire jusqu'à Podor, à l'égard du Gouvernement français, la responsabilité de tous les pillages qui seraient commis sur la rive gauche, soit par des Trarza, soit par des Brakna.

Suivent les signatures des fondés de pouvoirs;

Chems-Mohamedoun-Fal et Ahmed-Ould-Braïk, pour le roi des Trarza;

Djidna et Rachid, pour le roi des Brakna.

Le Gouverneur du Sénégal consent à la cession faite aux conditions ci-dessus, par le roi des Brakna au roi des Trarza, du quart du droit perçu sur les gommes à Podor. Cette partie du droit sera livrée directement par le commandant de Dagana au roi des Trarza ou à son fondé de pouvoirs.

ANNEXE XI
Fac-similé d'une lettre de l'Emir Sidi Eli Ier
(1817).


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ANNEXE XII
Fac-similé d'une lettre de l'Emir Ahmeddou Ier ould Sidi Eli
(1818).


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ANNEXE XIII
Fac-similé d'une lettre de l'Emir Mohammed Râjel
(1849).


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ANNEXE XIV
Fac-similé d'une lettre de l'Emir Mohammed Sidi
(1855).


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ANNEXE XV
Fac-similé d'une lettre de l'Emir des Dieïdiba a Faidherbe
(Juin 1858).


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ANNEXE XVI
Fac-similé d'une lettre collective des tribus maraboutiques du Brakna a Faidherbe (1859).


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ANNEXE XVI bis
Traduction.

Douaïch, Tadjacant, Messouma, Torkos, Tagath, Oulad-Abieyri, Ténouadjiou, Kounta et Oulad-Sidi-Ahmet-bou-Hadjar au Gouverneur du Sénégal.

Nous envoyons vers vous pour vous prier de nous faire restituer par les gens du Toro ce qu'ils ont pillé à notre caravane et de leur faire payer le prix du sang des nôtres qui ont été tués sans motif l'année dernière. On nous a pris 1.000 pièces de guinée et 65 bœufs porteurs. Nous avons eu 2 hommes tués et 2 blessés.

Ceux qui ont commis ce pillage sont les gens d'Aloar, de Diama et de Ngamadji.

Nous vous prions de recevoir favorablement le porteur de cette lettre.

Nous pensons être liés d'une plus étroite amitié avec vous que les gens du Djioloff, pour la cause desquels vous êtes tombés sur les Oulad Siid (Brakna) lorsque ces derniers ont pillé leurs troupeaux.

Rappelez-vous que nous n'avons pas cessé d'être vos amis pendant la guerre entre vous, les Trarza et les Oulad-Abdallah (Brakna), que nous n'avons pas cessé de vous vendre notre gomme, nos bœufs, nos chevaux, notre beurre et nos dattes.

Le poète a dit:

«Un ambassadeur qui va trouver Hakim-ben-el-Mousili ne retourne pas les mains vides.»

Un autre a dit:

«Les chameaux se sont plaint de vous parce qu'ils ont passé beaucoup de montagnes et déserts pour arriver à vous.»

Et un autre:

«En allant vous trouver on marche légèrement et en retournant on marche lourdement chargé.»

Celui qui écrit cette lettre est le nommé Sidi-el-Mokhtar-ben-Sidi-Mohammed.

Vous donnerez à celui de vos agents qui s'occupera de nous faire restituer notre bien, la partie que vous voudrez de ces biens.

(Traduction locale, 1859.)

ANNEXE XVII
Fac-similé d'une lettre et du cachet de l'Emir Sidi Eli II ould Ahmeddou (1857).


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ANNEXE XVIII
Fac-similé d'une lettre du prétendant Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi (1864).


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ANNEXE XIX
Cartes schématiques du Brakna.—Répartition par tribus des terrains de parcours.


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ANNEXE XX
Carte administrative du Brakna.


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ANNEXE XXI
Bibliographie.

Annales Sénégalaises.

Annuaires du Sénégal.

Archives du Gouvernement Général, à Dakar, et du Commissariat de la Mauritanie, à Saint-Louis.

Archives du Brakna et du Chamama, notamment une notice historique sur les tribus du Brakna par le lieutenant Duboc, 1908; une monographie de la résidence d'Aleg par le capitaine Bonnaud, 1912; une monographie de la résidence de Boghé par l'administrateur-adjoint Mère, 1912.

Basset (René).—Recherches historiques sur les Maures.

Bourrel.Voyage dans le pays des Maures Brakna, in Revue algérienne et coloniale.

Cultru.Histoire du Sénégal.

Delafosse.Haut-Sénégal-Niger.

Delafosse et Gaden.Chroniques du Fouta Sénégalais.

Durand.Voyage au Sénégal.

Faidherbe.Le Sénégal.

Golberry.Fragments d'un voyage en Afrique.

Ismaël Hamet.Chroniques de la Mauritanie sénégalaise.

Labarthe.La Jaille.Voyage au Sénégal.

Labat (le P.).—Nouvelle relation de l'Afrique occidentale.

Le Maire.Les Voyages du sieur Le Maire aux îles Canaries, etc.

Marty (Paul).—Études sur l'Islam maure.

——    L'Émirat des Trarza.

Modat (Commandant).—Monographie de l'Adrar.

Poulet.Les Maures de l'A. O. F.

Saugnier.Relation de plusieurs voyages faits à la Côte d'Afrique.

Walckenaër.Histoire générale des voyages. 21 volumes. Afrique occidentale. Vol. I-XIII.

Renseignements fournis par M. le Colonel Gaden, Commissaire du Gouverneur général en Mauritanie; par MM. les lieutenants Bouron (1916-1917), et Bayart (1917-1919), commandant le cercle du Brakna; par MM. les Administrateurs Mère (1912-1913) et Trônot (1917-1919), commandant le Chamama.

TABLE DES MATIÈRES

LIVRE PREMIER

Histoire générale.

Pages.
Chapitre Ier.— Les origines. Invasions berbères (Çanhadja) et arabes (Hassanes) 1
—— II.— La domination des Hassanes Oulad Rizg (XVe siècle) 7
—— III.— La domination des Oulad Mbarek (XVIe siècle) 9
—— IV.— Les origines des Brakna 12
—— V.— La guerre de Babbah et les imams berbères 17
—— VI.— La branche aînée des émirs brakna: Oulad Normach 20
—— VII.— La branche cadette des émirs brakna: Oulad Siyed 35
1.—Mohammed ould Mokhtar (1766, † vers 1800) 35
2.—Sidi Eli Ier (vers 1800, † vers 1818) 41
3.—Ahmeddou Ier (1818-1841) 43
4.—Mokhtar Sidi (1841-1843) 53
5.—Mohammed Râjel (1842-1851) 57
6.—Mohammed Sidi (1851-1858) 64
7.—Sidi Eli II (1858, † 1893) 72
8.—Ahmeddou II (1893-1903) 83
—— VIII.— L'occupation française 93

LIVRE II

Chroniques et fractionnement des tribus.

Avant-propos 109
Chapitre Ier.— Oulad Normach 112
1.—Historique 112
2.—Fractionnement 120
Normach nobles 122
Haratines Normach 124
Tiab Normach 124
396—— II.— Oulad Siyed 127
1.—Historique 128
2.—Fractionnement 133
Oulad Siyed nobles 133
Oulad Mansour nobles 135
Haratines Oulad Siyed et Oulad Mansour 136
Haratines Tanak 136
Arallen 137
Ahel Ghaïta, Azafal et Igdala 138
—— III.— Oulad Ahmed 142
1.—Historique 142
2.—Fractionnement 151
—— IV.— Dieïdiba 154
1.—Historique 154
2.—Chroniques et fractionnement des Dieïdiba 159
Id ag Fara Brahim 159
Id ag Fara 163
Ahel Agd Ammi 169
Ahel Mohammedden Othman 170
Id Ayank 171
Asbat Negza 171
—— V.— Zemarig 176
1.—Historique 176
2.—Fractionnement 178
—— VI.— Kounta 182
1.—Historique 182
A. Source Tagant 182
Les Oulad Bou Sif 183
Les Meterambrin 184
B. Source Hodh-Azaouad 187
Les Ahel Cheikh 187
2.—Fractionnement 190
A. Oulad Bou Sif Blancs 190
B. Oulad Bou Sif Noirs 193
C. Meterambrin 195
D. Ahel Cheikh Sidi-l-Mokhtar 198
Annexe.—Tableau généalogique des Ahel Cheikh (Kounta) du Brakna 202
—— VII.— Torkoz 203
1.—Historique 203
2.—Fractionnement 207
3.—Vie religieuse 210
—— VIII.— Hijaj 214
1.—Historique 214
2.—Fractionnement 218
—— IX.— Id Eïlik 222
1.—Historique 222
3972.—Fractionnement 226
3.—La vie religieuse 227
—— X.— Id ag Jemouella 230
1.—Historique 230
2.—Fractionnement 233
Annexe.—Poème généalogique des Id ag Jemouella 237
—— XI.— Tagat 239
1.—Historique 239
2.—Fractionnement 245
3.—La vie religieuse 248
—— XII.— Tolba Tanak 253
—— XIII.— Ahel Gasri 256
—— XIV.— Draouat 258
—— XV.— Tachomcha 260
—— XVI.— Behaïhat 261
1.—Historique 261
2.—Fractionnement 263
—— XVII.— Soubâk 266
Annexe.—Poème sur la jeune fille Soubâk 271
—— XVIII.— Toumodek 272
1.—Historique 272
2.—Fractionnement 275
Annexe.—Généalogie des Toumodek 276
A. Les Ahel Baye 276
B. Les Ahel Al-Hadi 277
—— XIX.— Tabouit 278
—— XX.— Touabir 280
1.—Historique 280
2.—Fractionnement 283
A. Oulad Yarra 283
B. Oulad M'haïmdat 284
—— XXI.— Dabaï d'Aleg 287

LIVRE III

Le Chamama.

Chapitre Ier.— Notes géographiques 289
—— II.— L'Islam noir 292
—— III.— Fractions maures 306

LIVRE IV

Coutumes sociales et politiques.

Chapitre Ier.— La justice 313
—— II.— Les impôts 315
398—— III.— Les redevances coutumières 323
—— IV.— Les Haratines 335
—— V.— La gomme 341

ANNEXES

I.— 10 mai 1785.—Traité avec le roi Ahmed Mokhtar pour la traite de la gomme, captifs, etc. (Textes français et arabe) 348
II.— 14 ventôse an VII.—Délibération au sujet des préparatifs de guerre du chef de la tribu des Braknas 361
III.— 7 juin 1810.—Traité passé entre le lieutenant-gouverneur Maxwell et Sidi Ély, chef d'une tribu des Bracknas 362
IV.— 20 mai 1819.—Traité avec Ahmed Dou, roi de la tribu des Bracknas, et M. Julien Schmaltz, commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépendances (Textes français et arabe) 364
V.— 25 juin 1821.—Traité conclu entre le Gouvernement de France et Hamet Dou, roi de la tribu du Bracknas (Textes français et arabe) 374
VI.— —Convention passée entre Amedou Ould Sidi-Elly, Roi des Bracknas, et M. Caille, capitaine au 2e régiment de la marine (5 mai 1834) 382
VII.— 1834.—Arrêté du Gouverneur du Sénégal et dépendances, touchant la traite de la gomme à l'escale des Bracknas (17 mai 1834) 384
VIII.— Année 1839.—Traité conclu entre le Gouverneur du Sénégal et Amedou Roi des Braknas (Textes français et arabe) (2 mai 1839) 386
IX.— Demande au Magasin général par le Bureau de la Mairie, pour la coutume du roi et des princes de la tribu des Bracnas pour l'année 1840 389
X.— Traité de paix entre le Roi des Trarza et le Roi des Brakna (1864) 391
XI.— Fac-similé d'une lettre de l'Emir Sidi Eli Ier (1817) 392
XII.— Fac-similé d'une lettre de l'Emir Ahmeddou Ier ould Sidi Eli (1818) 392
XIII.— Fac-similé d'une lettre de l'Emir Mohammed Râjel (1849) 392
XIV.— Fac-similé d'une lettre de l'Emir Mohammed Sidi (1855) 392
XV.— Fac-similé d'une lettre de l'Emir des Dieïdiba à Faidherbe (juin 1858) 392
XVI.— Fac-similé d'une lettre collective des tribus maraboutiques du Brakna à Faidherbe (1859) (Textes français et arabe) 392
XVII.— Fac-similé d'une lettre et du cachet de l'Emir Sidi Eli II ould Ahmeddou (1857) 392
XVIII.— Fac-similé d'une lettre du prétendant Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi (1864) 392
XIX.— Cartes schématiques du Brakna.—Répartition par tribus des terrains de parcours 393
XX.— Carte administrative du Brakna 394
XXI.— Bibliographie 395

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Pages.
Jeune fille brakna 2
La mosquée d'Aleg 111
Cheikh M'hammed ould Bekkaï, chef des Ahel Cheikh, et Dida, Cadi supérieur des Brakna 167
Poème généalogique des Id ag Jemouella 237
Mahfoudh, Fils de Cheikh Saad Bouh 254
Poème sur la jeune fille Soubâk (texte arabe) 271
Dames maures en déplacement 322
Traité avec le roi Ahmed Mokhtar pour la traite de la gomme, captifs, etc. (texte arabe) 349
Traité avec Ahmed Dou, roi de la tribu des Bracknas, et M. Julien Schmaltz, commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépendances (texte arabe) 365
Traité conclu entre le Gouvernement de France et Hamet Dou, Roi de la tribu du Bracknas (texte arabe) 375
Traité conclu entre le gouverneur du Sénégal et Amedou, Roi des Braknas (texte arabe) 387
Fac-similé d'une lettre de l'Emir Sidi Eli Ier (1817) 392
—— —— de l'Emir Ahmeddou Ier ould Sidi Eli (1818) 392
—— —— de l'Emir Mohammed Râjel (1849) 392
—— —— de l'Emir Mohammed Sidi (1855) 392
—— —— de l'Emir des Dieïdiba à Faidherbe (juin 1858) 392
—— —— collective des tribus maraboutiques du Brakna à Faidherbe 392
Fac-similé d'une lettre et du cachet de l'Emir Sidi Eli II ould Ahmeddou (1857) 392
Fac-similé d'une lettre du prétendant Mohammed Al-Habib ould Mokhtar Sidi (1864) 392
Cartes schématiques du Brakna.—Répartition par tribus des terrains de parcours 393
Carte administrative du Brakna 395

5049.—Tours, Imprimerie E. Arrault et Cie.

MISSION SCIENTIFIQUE DU MAROC

REVUE DU MONDE MUSULMAN

Publiée sous la direction de: A. Le CHATELIER


CONSEIL TECHNIQUE:
MM. A. CABATON.—H. CORDIER.—M. DELAFOSSE.—Cl. HUART. —P. MARTY.—E. MICHAUX-BELLAIRE.—J. VINSON.—A. VISSIÈRE.


L. BOUVAT, secrétaire général.
L. MASSIGNON, directeur.


Adresser toutes les communications relatives à la rédaction
à M. Louis Massignon, 21, rue Monsieur, Paris-VIIe.


Abonnements et vente: Éditions Ernest Leroux, 28, rue Bonaparte, 28.


La publication de la Revue du Monde Musulman avait été ralentie par la guerre. Le volume XXXVII clôt cette période. L'année 1920 comprend cinq volumes: le volume XXXVIII pour le premier trimestre, et les volumes XXXIX à XLII pour 1920.

L'année 1921 a repris avec six volumes: un volume tous les deux mois.

A la Revue du Monde Musulman proprement dite, s'ajoute la Collection de la Revue, recueil de ses tirages à part, et des mémoires originaux trop importants pour trouver place dans la Revue.

REVUE DU MONDE MUSULMAN, 1907-1920.

41 volumes in-8, avec de très nombreuses illustrations et cartes. La collection complète (quelques exemplaires seulement) 1.000 fr.
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COLLECTION DE LA REVUE DU MONDE MUSULMAN

Environ 40 volumes ou brochures in-8, en partie épuisés,
parus de 1907 à 1920, dont:

Delafosse (M.) et Gaden (H.). Chroniques du Fouta Sénégalais, par Siré-Abbas-Soh. Traduction française avec notes et glossaire (cartes) 12 fr. »
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Gaden (H.). Le Poular, dialecte peul du Sénégal.
  Tome Ier: I. Étude morphologique. II. Textes 15 fr. »
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Hakki Bey. De Stamboul à Bagdad. Notes d'un homme d'Etat turc 3 fr. »
Monteil (C.). Les Khassonké. Monographie d'une peuplade du Soudan français. Un fort vol. avec carte et fig. 15 fr. »
Musulmans (Les) français et la guerre. Adresses et témoignages de fidélité des chefs musulmans et de personnages religieux. Textes en fac-similé et traductions
—— I. Afrique Occidentale 4 fr. »
—— II. Algérie et Tunisie 3 fr. 50
—— III. Maroc 3 fr. »
Rabino (H.-L.). Les Anciens Sports au Guilan (6 pl.) 2 fr. 50
—— Les Tribus du Louristan. Médailles des Qâdjârs (2 pl.) 2 fr. 50
—— et Lafont (F.-D.). Notes sur la Perse. Culture de la gourde à ghaliân, en Guilan et en Mazenderan 2 fr. »
—— Culture de la canne à sucre en Mazanderan (pl. et fig.) 2 fr. »
Salut (Le) au drapeau. Témoignages de loyalisme des Musulmans français. I. Algérie. Textes en fac-similé et traduction, avec 20 portraits hors texte 5 fr. »
Honour to the Flag (Traduction anglaise avec portrait de Lord Kitchener) 5 fr. »
Pripiet Znameni (Traduction russe) 5 fr. »
Vissière (A.). Études sino-mahométanes, 2 vol. avec fig. Chacun 7 fr. 50

ARCHIVES MAROCAINES


Tomes I à VIII. Mélanges. 8 volumes in-8.

T. Ier. Besnier, Géographie ancienne du Maroc.—T. II Michaux-Bellaire et Salmon, El-Qçar El-Kebir. Une ville de province au Maroc septentrional (avec 1 carte et 7 planches).—T. III. Salmon, Les Chorfa Filala et Djebala de Fès.—T. IV, V, VI et VII. Michaux-Bellaire et Salmon, Les tribus arabes de la vallée du Lekkoûs.—Joly, Xicluna et Mercier, Tétouan (avec planches et illustrations).—N. Slousch, Étude sur l'histoire des Juifs au Maroc.—T. VIII, Coufourier, Chronique de Moulay El-Hasan.—Salmon, Noms de plantes en arabe et en berbère. Etc., etc.

IX, X. Kitab Elistiqsa. Quatrième partie. Chronique de la dynastie alaouie du Maroc (1631-1894), traduite par Eugène Fumey, premier drogman de la Légation de France au Maroc. 2 vol. in-8.

XI. Mémoires divers. In-8, fig.

Michaux-Bellaire: Les Musulmans d'Algérie au Maroc.—L'organisation des finances au Maroc.—Description de la ville de Fès.—Blanc: Khorâfa d'Ali Ch-Châtar, etc.

XII, XIII. La Pierre de Touche des Fétwas de Ahmad Al-Wanscharîsî. Choix de consultations juridiques des Faqih du Maghreb, traduites ou analysées par Émile Amar. I. Statut personnel. II. Statut réel, 2 volumes in-8.

XIV. Hébræo-Phéniciens et Judeo-Berbères. Introduction à l'histoire des Juifs et du Judaïsme en Afrique, par N. Slousch. In-8.

XV. Mélanges. Un volume en 3 fascicules. In-8.

Le fasc. III comprend: Touhfat al-Qouddât bi bad Masa'il ar-Rouât (Recueil des questions relatives aux bergers et décisions prises sur ces questions par un grand nombre de jurisconsultes). Par le Faqîh Al-Malouy. Texte arabe et traduction par Michaux-Bellaire, Martin et Paquignon.

XVI. Al Fakhrî. Histoire des dynasties musulmanes, depuis la mort de Mahomet jusqu'à la chute du Khalifat Abbâsîde de Baghdâd (11-656 de l'Hégire=632-1258 de J.-C.), par Ibn At-Tiqtaqâ. Traduit de l'arabe et annoté par Émile Amar. In-8.

XVII. Quelques tribus de montagne de la région du Habt, par Michaux-Bellaire. Un volume in-8, fig.

XVIII. Mélanges. Un volume in-8, planches.

A. Péretié: Le Raïs El-Khadir Ghaïlan.—Les Medrasas de Fès.—A. Joly: L'industrie à Tétouan.—S. Biarnay et Péretié: Recherches archéologiques au Maroc.

XIX. La Daouhat an-Nâchir, d'Ibn 'Askai. Sur les vertus éminentes des chaikhs du Maghrib au dixième siècle. Traduction de A. Graulle. In-8.

XX. Le Gharb, par Michaux-Bellaire. In-8, 60 planches et tableaux.

XXI. Nachr al-Mathânî de Mouhammad Al-Qâdiri, traduite par A. Graulle et P. Maillard. Tome Ier. In-8.

XXII, XXIII. Les Habous de Tanger. Registre officiel d'actes et de documents. I. Texte arabe reproduit en fac-similé. II. Analyses et extraits, par Michaux-Bellaire et A. Graulle. 2 vol. in-8.

XXIV. Nachr al-Mathâni de Mouhammad Al-Qâdirî, traduite par Michaux-Bellaire. Tome II. In-8.


VILLES ET TRIBUS DU MAROC


Vol I et II. Casablanca et la Chaouïa. 2 vol. in-8, fig.  
Vol. I. Introduction.—Le pays.—Casablanca.—Les Chaouïa.—Appendices. In-8o 20 fr.
Vol. II. Les tribus.—Casablanca-banlieue.—Mediouna.—Oulâd Ziyân.—Zenata.—Ziyaïda.—Oulâd Hâriz.—Mdhakra et Oulâd Ali-Mzâb et A'châch (Qaçba Ben Ahmed).—Oulâd Saïd.—Settat et ses tribus (Mzamza.—Oulâd Bou Ziri.—Oulâd Sidi Ben Dâoud).—Appendices. In-8o 20 fr.
Vol. III. Rabat et sa région. T. Ier. Les villes avant la conquête. In-8o, fig.  
Première partie. Histoire. I. Les villes et la région.—II. Histoire politique et administrative.—III. Relations commerciales de Salé avec l'Europe.—Deuxième partie. Description. Rabat.—Banlieue.—Salé.—Banlieue de Salé. Mehediya. In-8o 20 fr.
Vol. IV. Rabat et sa région. T. II. Les villes après la conquête. In 8-o, fig.  
Organisation du protectorat.—Rabat, la ville européenne.—Salé.—Qenitra.—Appendice. In-8o 20 fr.
Vol. V. Rabat et sa région. T. III. Les tribus. In-8o, fig.  
Historique.—Les tribus.—Zaer.—Zemmour.—Beni Ahsen.—Cherada. In-8o 20 fr.
Vol. VI. Rabat et sa région. T. IV. Le Gharb (les Djebala). In-8o, fig.  
Le Gharb (sofyan et Beni Malek).—Khlot et Tliq.—Tableaux de commandement du Gharb.—Les tribus des Djebala. Les tribus administrées des Djebala.—Ouezzan.—Généalogie des Chorfa d'Ouezzan.—Marche des Djebala.—Documents statistiques. In-8o 20 fr.
Vol. VII. Tanger et sa zone. In.-8o 30 fr.

EDITIONS ERNEST LEROUX, 28, RUE BONAPARTE


ŒUVRES DE M. PAUL MARTY

(Revue du Monde Musulman et collection de la Revue)


Vol. I.—L'Islam en Mauritanie et en Sénégal. 1915-1916, in-8, 483 p. avec figures 25 fr. »
La politique indigène du Gouverneur Général Ponty.—Cheikh Sidïa et sa «Voie».—Les Fadelïa.—Les Ida Ou Ali, Chorfa Tidianïa de Mauritanie.—Les groupements tidianïa dérivés d'Al-Hadj Omar (Tidianïa Toucouleurs).—Le groupement tidiani d'Al-Hadj Malik (Tidianïa Ouolofs).—Le groupement de Bou Kounta.—Les Mandingues, élément islamisé de Casamance.—Chérif Younous de Casamance.  
Vol. II et III.—Études sur l'Islam au Sénégal. 1917, 2 vol. in-8.  
T. Ier. Les personnes.—De l'influence religieuse des cheikhs maures au Sénégal.—Les groupements tidianis dérivés d'Al-Hadj Omar (Tidianïa Toucouleurs).—Le groupement tidiani d'Al-Hadj Malik (Tidianïa Ouolofs).—Les Mourides d'Amadou Bamba.—Le groupement de Bou Kounta.—Les Mandingues, élément islamisé de Casamance.—Chérif Younous de Casamance. 483 p., fig. 25 fr. »
T. II. Les doctrines et les institutions.—Les doctrines et la morale religieuse.—Les mosquées, sanctuaires et lieux de prière.—Les écoles maraboutiques.—La Médersa de Saint-Louis.—Rites et pratiques.—L'Islam dans les institutions juridiques, les coutumes sociales, le domaine économique. 444 p., fig. 25 fr. »
Vol. IV.—L'Islam en Guinée. Fouta-Diallon. In-8. 588 p., fig. 35 fr. »
Les groupements chadelïa.—Les Diakanké Qadrïa de Touba.—Les Tidianïa Toucouleurs de Dinguiraye.—Les Tidianïa Fouta, etc.
Vol. V.—L'Émirat des Trarzas. 1919, in-8, 483 p., fig. 30 fr. »
Vol. VI, VII, VIII et IX.—Études sur l'Islam et les tribus du Soudan. 4 vol. in-8.
T. Ier. Les Kounta de l'Est.—Les Berabich.—Les Iguellad. 1918-1919. 385 p. 30 fr. »
T. II. La Région de Tombouctou (Islam Songaï).—Dienné, le Macina et dépendances (Islam Peul). Avec fig. 30 fr. »
T. III. Les tribus maures du Sahel et du Hodh 30 fr. »
T. IV. La région de Kayes.—Le pays bambara.—Le cercle de Nioro 30 fr. »
Vol. X.—La Vie des Maures par eux-mêmes. Vol. in-8, 320 p.
Vol. XI.—Études sur l'Islam et les tribus maures. Les Brakna, in-8, 408 p., fig.
Vol. XII.—L'Islam à la Côte d'Ivoire.

5049.—Tours, imprimerie E. Arrault et Cie.

Au lecteur.

L'orthographe d'origine a été conservée, mais les erreurs typographiques évidentes ont été corrigées. La liste de ces corrections se trouve ci-dessous. La table des matières et la table des illustrations ont été corrigées pour correspondre au texte. Les pages de catalogue ont été regroupées à la fin du livre.

La ponctuation a fait l'objet de quelques corrections mineures.

Le texte original contient à quelques endroits les lettres r ou h pointées, comme dans r.afer, Reh.ah.la ou R.elachat et sporadiquement dans Mer.afra. Les mots en question sont—imparfaitement—représentés comme rafer ou Rehahla. La version originale du texte peut être consultée sur «The Internet Archive», sous https://archive.org/details/tudessurlislamet00mart.

Corrections:

Page 4: «nom» remplacé par «noms» (une foule de noms de lieux).

Page 4: «mot» par «mots» (tous mots constituant une onomastique spéciale).

Page 9: «ahoré» par «abhorré» (un souvenir trop abhorré).

Page 19: «Aba» par «Abd» (aux Oulad Abd Allah mêmes).

Page 32: «rétablissemnt» par «rétablissement» (A l'époque de ce rétablissement).

Page 37: «neleva» par «enleva» (enleva la femme favorite d'Eli-Kouri).

Page 38: «les les» par «les» (ont pour les Brakhknaz un attachement et une déférence).

Page 44: «essayaient» par «asseyaient» (asseyaient son influence et sa réputation).

Page 46: au lieu de «Poule-Toucouleurs» il faut sans doute lire «Peul-Toucouleurs».

Page 48: «dupé» remplacé par «dupés» (ils avaient été dupés par son faux zèle).

Page 51: «Charmassen» par «Charmasson» (capitaine de vaisseau, gouverneur Charmasson).

Page 54: ajouté «que» (parce que son rival était maître).

Page 56: «en» remplacé par «on» (on apprenait avec émotion à Saint-Louis).

Page 56: «ses» par «ces» (à la faveur de ces dissensions).

Page 57: «avait» par «avaient» (les hommes de la Révolution avaient disparu).

Page 58: «des» par «de» (qui d'ailleurs était l'aîné de Mohammed Al-Habib).

Page 61: «nouvel» par «nouvelle» (à la nouvelle de l'invasion trarza).

Page 65: «Mahommed» par «Mohammed» (l'autorité de Mohammed Sidi s'accroît).

Page 67: «donnée» par «donné» (j'ai donné plus de 25.000 francs).

Page 70: «le» par «les» (pour les ramener à l'obéissance).

Page 70: «Bakkar ould Soueï dAhm ed» par «Bakkar ould Soueïd Ahmed».

Page 74: «lez» par «les» (chez les Chratit).

Page 77: «nous» par «vous» (comment entendez-vous obtenir ce résultat?)

Page 78: «Sid» par «Sidi» (Sidi Mborika s'engageait à laisser).

Page 79: «Outad» par «Oulad» (se sont entendus avec les Oulad Normach).

Page 81: «tributs» par «tribus» (incursions de Toucouleurs sur des tribus maraboutiques)

Page 87: «ponts» par «points» (au sujet de trois points d'eau).

Page 88: «se» par «de» (refusa de rendre visite).

Page 89: «reconnnu» par «reconnu» (a été reconnu aux Dieïdiba).

Page 90: «entention» par «intention» (l'intention de réduire à merci les révoltés).

Page 93: «CHAPITRE VII» par «CHAPITRE VIII».

Page 94: «aggresseurs» par «agresseurs» et «repoussées» par «repoussés» (les agresseurs furent repoussés).

Page 94: «aggression» par «agression» (Cette agression d'Ahmeddou).

Page 97: «Dteïdiba» par «Dieïdiba» (chef des marabouts Dieïdiba).

Page 100: «saisi» par «saisie» (La saisie des biens fut opérée).

Page 104: «Sidil-Mokhtar» par «Sidi-l-Mokhtar» (les Toumoudek de Sidi-l-Mokhtar).

Page 116: «allés» par «allé» (qui était allé vivre près du fleuve).

Page 120: «Oula» par «Oulad» (Les Oulad Normach).

Page 120: «dissenssions» par «dissensions» (leurs dissensions perpétuelles).

Page 120: Une erreur d'addition dans le nombre de camelins est laissée telle quelle (12 au lieu de 14).

Pages 123, 125 ligne 8, 125 ligne 13, 161, 163, 165, 188, 189 et 273: «Sidi-I-Mokhtar» remplacé par «Sidi-l-Mokhtar».

Page 123: «pu» remplacé par «put» (Il retint Bakkar dans le Nord tant qu'il put).

Page 127: On note des différences appréciables entre le tableau généalogique des Oulad Siyed présenté ici et celui de la page 22. Par exemple, Mokhtar Sidi (le quatrième émir dans ce tableau) est montré ici comme étant le petit-fils de Sidi Mohammed. A la page 22 il est le fils de Sidi Mohammed.

Page 130: «Souïed» remplacé par «Soueïd» (tué en 1884 par les Ahel Soueïd Ahmed).

Page 131: «subsistent» remplacé par «subsiste» (Leur descendance subsiste à l'heure actuelle).

Page 132: «Beniong» par «Benioug» (fils de Barani dans le Tableau no 2).

Page 135: «Hobaïb» par «Hobeïb» (Hobeïb n'est pas très aimé).

Page 140: «ses» par «ces» (Les notables de ces fractions sont).

Page 145: «envoie» par «envoient» (Ils font ... et envoient les «chouf» vers le Nord).

Page 146: «aponyme» par «éponyme» (Ahmed l'ancêtre éponyme).

Page 149: «actss» par «actes» (et de contrôler ses actes).

Page 156: «une» par «un» ( ce qui donne à la postérité de l'un et de l'autre).

Page 165: «Ckeikh» par «Cheikh» (tous Cheikh réputés).

Page 171: «Abat Negza» par «Asbat Negza» (Les Asbat Negza devraient s'appeler).

Page 172: «tribu» par «tribut» (et leur imposèrent un tribut).

Page 172: «devenu» par «devenus» (Anciens zenaga, devenus «tiab»).

Page 175: «cimetière» par «cimetières» (les tombeaux et cimetières de leurs ancêtres).

Page 175: «inhumés» par «inhumé» (où est inhumé Cheikh Abder-Rahman).

Page 179: «goutter» par «goûter» (où il put goûter toutes les misères de l'exil).

Page 180: l'auteur mentionne le signe «gaf», mais l'image qu'il en donne est un «qaf» sans points.

Page 182: «Sid» remplacé par «Sidi» (ils descendent de Sidi Mohammed Al-Kounti).

Page 183: «Sidi Mohammed As-Sarir mourut vers 1850»: cette date, certainement erronée, n'est pas corrigée.

Page 184: «et et» par «et» (et perdirent 3.000 chameaux).

Page 186: «allianes» par «alliances» (de deux groupes d'alliances).

Page 189: «nous» par «vous» (tous ceux qui vont chez vous de notre part).

Page 194: «rejaillissaient» par «rejaillissait» (un assez mauvais renom qui rejaillissait sur son chef).

Page 196: «aggressifs» par «agressifs» (ils ne craignaient pas de se montrer agressifs).

Page 197: «reprit» par «repris» (Ayant repris sa liberté).

Page 198: «sous-fraction» par «sous-fractions» (sont divisés en deux sous-fractions).

Page 206-207: «et et» par «et» (entre le Hodh et le Regueïba).

Page 207: «Liman» par «Limam» (Ils ont pour chef Mohammed Limam ould Al-Boustami).

Page 207: Le tableau généalogique de Habrezza est confus au niveau des fils de (4) Boustami. La forme donnée ici est basée sur le texte.

Page 209: «notables» par «notable» (et pour notable: Ahmoud ould Bachir).

Page 213: «est» par «et» (la réunion des Brarka et des Oulad Sidi Ahmed).

Page 217: «rapportés» par «rapportée» (rapportée par le Tarikh de Oualata).

Page 218: «domiciliées» par «domiciliés» (pour la plupart domiciliés).

Page 218: «Chamana» par «Chamama» (dans le Chamama auprès de Mbagne).

Page 220: «Cheileb» par «Cheikh» (Cheikh Ahmed Mahmoud, né vers 1868).

Page 224: «Mohamme» par «Mohammed» (laissant deux fils: Cheikh Mohammed Mahmoud et Mouïn).

Page 224: «Chamana» par «Chamama» (une petite rivière du Chamama).

Page 225: «Chamana» par «Chamama» (beaucoup de Toucouleurs du Chamama).

Page 227: «oul» par «ould» (Sidi Salem ould Al-Altig).

Page 232: «Ma-I-Aïnin» par «Ma-l-Aïnin» (Il fut très bien reçu par Ma-l-Aïnin).

Page 240: «Sied» par «Siyed» (leurs luttes classiques contre les Oulad Siyed).

Page 243: «secondé» par «seconder» (en se faisant seconder par son prédécesseur).

Page 248: «un» par «une» (ils ont construit une digue).

Page 249: «de de» par «de» (surtout tidjanïa, de Saad Bouh).

Page 264: «chef» par «chez» (installées à demeure chez les Behaïhat).

Page 269: «tantes» par «tentes» (La tribu comprend 91 tentes et 543 âmes).

Page 273: «Chamma» par «Chamama» (Ahmed ould Mohammed Aïnina quitta le Chamama).

Page 276: titre «ANNEXE» ajouté (ANNEXE—Généalogie des Toumodek).

Page 278: «zaka» remplacé par «zakat» (la zakat et la hadiya ne le sont pas).

Page 287: «dadaï» par «dabaï» (Le chef de la dabaï est Yéro Diakité).

Page 290: «Alsg» par «Aleg» (la vaste dépression du lac d'Aleg).

Page 316: «puique» par «puisque» (puisque nous ne les avons astreints qu'à l'impôt).

Page 321: «Touabit» par «Touabir» (Touabir-Oulad Yara).

Page 322: «le le» par «le» (pour le Brakna, 20.829 habitants).

Page 331: «Ahmel» par «Ahmed» (payaient aux Ahel Soueïd Ahmed).

Page 332: «droit» par «droits» (A côté de ces droits).

Page 337: «Dieïdba» par «Dieïdiba» (leurs patrons Dieïdiba).

Page 350: «Artice» par «Article» (Article 7.)

Page 397: «Jemonella» par «Jemouella» (Poème généalogique des Id ag Jemouella).

Annexe VII: le titre de cette annexe, qui manquait dans l'original, a été ajouté.

Annexe XIV: «1845» remplacé par «1855».

Annexe XVI bis: cette traduction de l'annexe XVI, placée après l'annexe X dans l'original, a été placée ici après l'annexe XVI.

Table des matières: dans l'original les annexes XI à XVIII portent toutes le numéro de page 392, qui est maintenu ici.







End of the Project Gutenberg EBook of Études sur L'Islam et les tribus Maures, by 
Paul Marty

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To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation information page at www.gutenberg.org


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
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state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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throughout numerous locations.  Its business office is located at 809
North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887.  Email
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     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org

Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
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