Project Gutenberg's La nuit de Noël dans tous les pays, by Alphonse Chabot This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: La nuit de Noël dans tous les pays Author: Alphonse Chabot Release Date: January 24, 2005 [EBook #14788] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA NUIT DE NOËL DANS TOUS LES PAYS *** Produced by Suzanne Shell, Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)
Prix franco: UN Franc.
SE TROUVE CHEZ L'AUTEUR.
18, Mail Ouest,
PITHIVIERS.
IMPRIMERIE MODERNE,
1, IMPASSE DE L'ÉGLISE
IMPRIMATUR
Aurel., Die. 3 Décemb. 1907
A. BRUANT,
vic. gén.
Nous avons déjà publié, en 1905 et en 1906, deux brochures sur les coutumes populaires de Noël dans tous les pays: Noël dans les pays étrangers et Les Crèches de Noël. Cette troisième publication La Nuit de Noël sera, nous l'espérons, mieux accueillie encore que ses deux soeurs. Il suffira de lire le titre des chapitres qu'elle renferme, pour se rendre compte de l'intérêt qu'elle peut offrir:
I. La veillée de Noël et les légendes qu'on y raconte.
II. La bûche de Noël.
III. Les particularités de la Messe de minuit.
IV. Le réveillon et les gâteaux de Noël.
V. Les cadeaux de Noël (l'arbre de Noël et le soulier de Noël).
Nous ne donnons, dans ce petit livre, qu'un exposé très succinct des nombreux documents que nous avons recueillis depuis bien des années. Comme nous l'avons déjà annoncé, nous nous proposons de faire paraître, plus tard, deux autres brochures intitulées La Fête des Rois dans tous les pays et Noël dans l'Histoire ou Éphémérides de Noël.
Quatre provinces surtout nous ont fourni des documents nombreux, variés et très intéressants pour cette nouvelle brochure: la Normandie, le Berry, la Provence et la Bretagne.
La Normandie, que nous avons visitée tant de fois de Rouen à Caen et du Mont-Saint-Michel à Saint-Vaast-la Hougue, nous est chère à bien des titres. Nous avons connu et apprécié, pendant vingt-cinq ans, dans notre paroisse de Pithiviers, le zèle et le dévouement de deux de ses communautés dont le souvenir est encore très vivant parmi nous: les Religieuses du Sacré-Coeur de Coutances et les Religieuses des Écoles chrétiennes de la Miséricorde de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Puisse notre petit livre leur porter, dans leur solitude et leur éloignement, l'hommage de notre profonde gratitude et de notre inaltérable attachement.—M. Georges Dubosc, le chercheur infatigable et l'écrivain si distingué du Journal de Rouen, qui a épuisé, pour ainsi dire, tout ce qu'on peut dire sur les coutumes normandes, a été un de nos guides les plus sûrs et les plus éclairés.
Le Berry, notre pays d'origine, a laissé dans nos souvenirs d'enfant toutes ces vieilles et naïves légendes que l'on contait aux veillées d'hiver, de Villemurlin à Châtillon-sur-Loire, et d'Aubigny à Saint-Florent-le-Jeune.—Laisnel de la Salle, dans son savant ouvrage: Croyances et Légendes, n'a rien oublié de ce qui se disait et se passait, de son temps, dans les campagnes des bords de la Loire, de l'Indre et du Cher. Nous lui avons fait, à titre de compatriote, des emprunts presque textuels, craignant d'altérer le charme et la couleur locale qu'il sait si bien donner à ses récits.
La Provence est riche en souvenirs de toutes sortes. Son musée d'Arles, où l'on admire, dans la salle de Noël les deux scènes si vivantes, si pittoresques du Gros Souper et de la Bûche de Noël, est, une véritable merveille. Quelles poses gracieuses dans tous ces personnages, quelles richesses dans tous ces costumes arlésiens!—L'éminent poète provençal, Frédéric Mistral, malgré ses quatre-vingts ans, a bien voulu correspondre avec nous et nous donner, de sa main, les détails les plus intimes de la vie familiale en Provence, au temps de Noël.—Souvent aussi, nous avons consulté les Miettes de Provence, par Stéphen d'Arve, la Revue de Provence et le Clocher provençal, qui contiennent des pages ravissantes sur les coutumes méridionales.
La Bretagne a toujours eu pour nous des charmes indicibles avec ses étroites vallées, son aspect sauvage, ses donjons en ruines, ses vieilles abbayes, ses huttes couvertes de chaume, ses forêts de houx grands comme des chênes, ses bruyères semées de pierres druidiques autour desquelles planent les oiseaux de mer, ses landes, ses grèves, une mer qui blanchit contre mille écueils: région solitaire, triste, orageuse, couverte de nuages, où le bruit des vents et des flots est éternel.—Aussi les légendes naissent nombreuses dans l'imagination vive et néanmoins mélancolique des Bretons, si attachés à leur religion et à leurs foyers.—Tout le monde connaît les ouvrages d'Emile Souvestre, de Paul Féval et de Brizeux: ces écrivains évoquent souvent des souvenirs bretons qui nous ont fourni de précieux documents sur les usages de Noël au pays des dolmens et des menhirs.
Parmi les nombreux amis que nous ont faits nos recherches sur les coutumes de Noël, il y en a plusieurs que nous voudrions nommer ici, mais nous craindrions de blesser leur modestie. Quelques-uns nous ont écrit avec autant d'empressement que de grâce et de talent: que ceux-là surtout soient cordialement remerciés. Dans le cours de cet opuscule, nous nous sommes permis de citer quelques initiales; la reconnaissance nous en faisait un devoir; nous avons tenu cependant à garder la plus absolue discrétion.
Montrer combien la fête de Noël est populaire dans le monde entier, faire connaître et aimer davantage le divin Enfant de Bethléem, tels sont les deux sentiments qui nous ont inspiré ce long travail, qu'avec la grâce de Dieu et le concours de nos amis, nous espérons mener à bonne fin.
Cette brochure et les deux précédentes «Noël dans les Pays étrangers» et «Les Crèches de Noël dans tous les Pays» se vendent au profit des trois Ecoles libres et des Oeuvres paroissiales de Pithiviers. Nous prions nos lecteurs de les faire connaître autour d'eux.
Quelles douces heures que celles des veillées de décembre et quel charme elles ont laissé dans nos souvenirs d'enfance!
Alors au foyer brillent les joyeuses flambées, pendant que le vent ébranle la maison et que la pluie bat les vitres. Vous voyez d'ici, n'est-ce pas, la salle bien close la lampe sous son abat-jour, le feu de sarments qui pétille avec un bruit sec, illuminant le plafond à solives.
Bébé, heureux et affairé, trottine dans la chambre; il touche au soufflet, renverse la pelle et regarde avec étonnement et envie son père qui tisonne, tandis que les flammes bleuâtres, longues et minces, lèchent l'écusson de la vieille cheminée aux teintes noires et luisantes.
Assis au coin du feu, le grand-père se chauffe tout pensif, tandis que la marmite fait «glouglou» et que de chaque côté de son lourd couvercle s'échappe un mince filet de vapeur.
La maîtresse du logis a quitté sa belle coiffe et pris le bonnet du soir; debout, la main gauche posée sur la hanche, elle tourne et retourne, de sa main droite, sa grande cuillère de bois dans le ragoût qui «mijote» sur le fourneau.
Dans un coin de la chambre, grand'mère explique à sa petite-fille les enluminures d'un vieil almanach déjà noirci par les années.
La vieille horloge, au large balancier de cuivre, frappe lourdement ses coups...
Telles sont à peu près les veillées d'hiver dans la plupart des campagnes.
La veillée de Noël revêt un caractère particulier, surtout dans le Midi de la France.
Elle comprend:
Le repas maigre (appelé en Provence gros souper);
Les divertissements;
Les légendes.
«Il existe dans notre Auvergne des coutumes qui, pour être moins éclatantes, n'en ont pas moins un charme tout particulier et un sens profondément chrétien. La veille de Noël, la nuit venue, la table est dressée devant le foyer. On la couvre d'une nappe bien blanche, et, au centre d'une magnifique brioche, on place un chandelier en cuivre soigneusement fourbi. La maîtresse de la maison fouille dans la grande armoire et revient avec une chandelle précieusement enveloppée dans du papier gaufré.
«La belle chandelle prend place au milieu de la table.
«... Les préparatifs termines, mon vieux père, quoique malade, veut assister au repas. Il prend, de sa main tremblante, la chandelle de Noël, l'allume, fait le signe de la croix, puis l'éteint et la passe au frère aîné. Celui-ci, debout et tête nue, l'allume à son tour, se signe, l'éteint, puis la passe à sa femme. La chandelle passe ainsi de main en main, pour que chacun, à son rang d'âge, puisse l'allumer. Elle arrive enfin entre les mains du dernier né. Aidé par sa mère, celui-ci l'allume à son tour, se signe et, sans l'éteindre, la place au milieu de la table, où elle brille—bien modestement—pendant tout le repas.
«N'est-ce pas là le souvenir touchant de la Lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde1?
Note 1: (retour) Joann. I, 9.
«Ce rite accompli, le repas commence joyeux, animé, assaisonné par le jeûne de la vigile, agrémenté par l'apparition de la traditionnelle soupe au fromage et par les surprises que ménage la cuisinière. Et quand les grâces sont dites, les enfants vont se coucher, bercés par l'espoir—souvent trompé—d'aller à la Messe de minuit. On roule dans le foyer une grosse souche, et on attend minuit, en chantant les vieux Noëls ou en racontant les histoires d'autrefois.
«Quand l'heure est venue, quand les habitants des villages arrivent de tous côtés, avec leurs lanternes et leurs torches de paille, on se dirige vers l'église pour goûter les émotions toujours nouvelles de cette bienheureuse nuit2.»
Note 2: (retour) D'après la Semaine de Clermont.
On nous écrit des Salces (Lozère):
«Quelquefois la ménagère, la mère de famille, n'a pas pu assister à la Messe de minuit. Elle a dû préparer le réveillon. Ce repas consiste souvent, dans nos montagnes, en lait bouilli et chaud, saucisses fraîches et autres productions de la ferme, sans exclure la rasade de vin pétillant.»
La chandelle de Noël, conservée précieusement, est allumée au matin du premier jour de l'an, quand les parents et les amis viennent, avant l'aube, offrir leurs voeux empressés. C'est elle encore qui éclaire de ses dernières lueurs les royautés éphémères du jour de l'Épiphanie.
Cette gracieuse coutume a été célébrée par un de nos meilleurs poètes:
LES CHANDELLES DE NOËL
Aujourd'hui que l'acétylène,
Le gaz ou l'électricité
Ont détrôné sans nulle gêne
L'antique et fumeuse clarté
De la Chandelle,
Peut-on vraiment
Vous parler d'elle
En ce moment?
Cependant elle vit encore
Et se livre à de beaux exploits
Quand, de Minuit jusqu'à l'Aurore,
Elle rayonne en maints endroits.
Venez plutôt dans la Lozère:
Au début de tout Réveillon
Une Chandelle seule éclaire
La familiale collation.
L'aïeule, d'une main tremblante,
L'allume, se signe... et l'éteint;
Puis, enfants, serviteurs et servante
De même font, d'un tour de main.
Précieusement conservée,
Dame Chandelle, huit jours après,
Avec sa mèche ravivée
Éclaire encor voeux et souhaits.
Et ce n'est qu'à l'Épiphanie,
A ce joyeux banquet des Rois,
Qu'à l'Étoile portant envie,
Elle brille... et meurt à la fois!
Comtesse O'MAHONY
En Provence, toute la famille se réunit à table pour le gros souper. Dès sept heures du soir, les rues de la ville ou du village, sont désertes et, par contre, toutes les maisons sont brillamment éclairées; on oublie pour un jour l'économie du luminaire; la modeste lampe à l'huile (lou calèn) est mise de côté et l'on place sur la table, d'une façon symétrique, les belles chandelles cannelées, ornées de festons.
La place d'honneur appartient de droit au plus âgé, grand-père ou quelquefois bisaïeul. Avant de passer à table, on allume dans la cheminée l'énorme bûche de Noël (cacho fio) qui doit brûler une moitié de la nuit.
Le plus jeune des enfants de la maison, muni d'un verre de vin, fait trois libations sur la bûche, tandis que l'aïeul prononce, en provençal, les paroles solennelles de la bénédiction:
Alegre! Diou nous alegre!
Cacho-fio ven, tout ben ven.
Diou nous fague la graci de veire l'an que ven,
Se sian pas mai, siguen pas men!
Réjouissons-nous! Que Dieu nous donne la joie! Avec la Noël, nous arrivent tous les biens. Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année qui va venir! Et si l'an prochain nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.
Tandis que la bûche flambe, on s'assied pour le plantureux repas. «Le plus jeune enfant, avec une gentille gaucherie, bénit les mets, en dessinant de ses mains mignonnes, lentement dirigées par l'aïeul, un grand signe de croix au-dessus de la table. Il semble tout naturel de choisir ce petit être innocent comme le représentant du Christ nouveau-né3».
Note 3: (retour) Nicolay, Hist. des croyances, t. II, p. 78.
Ce repas, comme c'est jour d'abstinence, n'est composé que de plats maigres, mais servis à profusion; poissons frais, poissons salés, légumes, figues sèches, raisins, amandes, noix, poires, oranges, châtaignes, pâtisseries du pays. C'est donc avec raison qu'on donne à ce festin le nom dou gros soupa.
Les enfants, qui ont obtenu, ce soir, la permission de tenir compagnie aux vieux parents, regardent toutes ces gourmandises avec des yeux émerveillés. Dans certaines familles, on met de la paille sous la table, en souvenir de la crèche où naquit le Sauveur. Quelquefois, par esprit de charité, on permet, ce jour-là, aux serviteurs de prendre leur repas à la table du maître.
Le gros souper commence parfois tristement, et cela se conçoit: les convives se comptent et la mort cruelle fait que bien souvent il manque quelque parent à l'appel. On cause un moment des absents, on adresse un hommage ému à leur mémoire, on rappelle leurs qualités. Mais la grandeur de la fête, la joie des enfants, mettent bientôt fin à ces tristes souvenirs. Les conversations deviennent plus bruyantes, le vin circule, le nougat se dépèce et, quand l'appétit est satisfait, les regards se tournent vers la Crèche qui représente le grand mystère du jour.
C'est devant la Crèche qu'après le gros souper, se continue la fête de famille. On chante avec entrain les vieux noëls provençaux souvent plusieurs fois séculaires: ceux de Saboly et ceux de Doumergue sont les plus populaires. La soirée de famille se prolonge ainsi toute la veillée. Alors tout le monde se rend à l'église pour assister à la Messe de minuit4.
Note 4: (retour) D'après Fred. Charpin et François Mazuy.
Pour les Provençaux, la fête la plus traditionnelle, la plus régionale, c'est bien la Noël. Dans cette veillée, dont l'usage se perpétue avec le même esprit familial depuis des centaines d'années, on s'unit plus étroitement aux morts vénérés et aimés. Bien des inimitiés prennent fin dans cette fête à laquelle on n'ose pas manquer et qui établit entre tous les parents une profonde et chrétienne intimité. Rester seul, chez soi, à l'écart, ce jour-là, serait regardé comme la marque d'un mauvais naturel et d'un coeur peu chrétien.
Dans le Comtat-Venaissin, l'ordonnance de la collation de Noël est de la plus grande simplicité. Du poisson ou des escargots, suivant les ressources des convives, du céleri, des confitures, des fruits de toutes sortes, verts ou secs. Au milieu de la table, un pain ou gâteau de forme élevée et conique nommé pan calendau ou pain de Noël; il ne doit pas s'entamer avant le premier jour de janvier. Au-dessus de ce pain, un rameau de houx frelon ou vert bouissé, garni de ses fruits rouges et de ganses faites avec la moelle de jonc. Les chandelles ou bougies qui éclairent le repas doivent être neuves et leur usage, ainsi que celui de la bûche de Noël, doit se prolonger jusqu'au jour de l'an.
Nous ne saurions mieux faire que de laisser Frédéric Mistral lui-même nous raconter la veillée de Noël en Provence:
Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c'était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dévalaient de bonne heure; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l'huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci et qui de-là, les serviteurs s'en allaient, pour «poser la bûche au feu», dans leur pays et dans leur maison. Au Mas, ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n'avaient pas de famille; et, parfois, des parents, quelques vieux garçons, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant:
—Bonnes fêtes! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.
Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la «bûche de Noël», qui—c'était de tradition—devait être un arbre fruitier. Nous l'apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d'un bout, moi, le dernier-né, de l'autre; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant:
Allégresse! Allégresse,
Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d'allégresse!
Avec Noël, tout bien vient,
Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n'y pas être moins.
Et, nous criant tous: «Allégresse, allégresse, allégresse!» on posait l'arbre sur les landiers et, dès que s'élançait le premier jet de flamme:
A la bûche,
Boutefeu!
disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions, à table.
Oh! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l'entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleil, suspendu, à un roseau, qui, dans le courant de l'année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu'un, c'était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu'on avait mis germer dans l'eau, le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plais sacramentels: les escargots, qu'avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le muge5 aux olives, le cardon, le scolyme, le céleri à la poivrade, suivis d'un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme: fouaces à l'huile, raisins secs, nougat d'amandes, pommes de paradis; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l'on n'entamait jamais qu'après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.
Note 5: (retour) Muge, poisson de mer appelé aussi mulet.
La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue, ce jour-là; et, longuement, autour du feu, on y parlait des anciens ancêtres et on louait leurs actions6.
Note 6: (retour) Frédéric Mistral.
A Marseille, pour le repas maigre de la veillée de Noël, il faut invariablement un plat d'anguille, une raïto, sorte de sauce au poisson, et des légumes. Le dessert se compose de fruits secs, de gâteaux, de confitures, en un mot de tout ce qu'on nomme, à Marseille, les Calenos. Autrefois, suivant la coutume des anciens seigneurs provençaux, la table demeurait couverte de mets pendant les trois jours de fête; on se contentait de relever la nappe quand la repas était terminé.
Pour compléter ce que nous avons déjà dit de la veillée de Noël en Provence, nous citerons la description que nous fait de gros souper Jeanne de Flandreysy dans le Museon Arlaten.
Le musée d'Arles, fondé en 1896 par Frédéric Mistral, est une véritable reconstitution du passé intime, familial de la Provence.
L'illustre fondateur y a réuni, dans six grandes salles ouvertes au public, tout ce qui a trait aux moeurs locales et régionales du pays.
Dans la première salle, dite salle, de Noël (Salo Calendalo), est représentée la cuisine d'un mas (ferme, métairie). Nous y voyons, entourant la grande cheminée, tous les meubles, ustensiles, table, crédence, panetière, huche, armoires, dressoirs pour les étains, horloge, chenets, la vaisselle, verriers, lampes, batterie de cuisine, brocs de cuivre, poteries grossières, etc., en un mot tout le mobilier traditionnel d'une ancienne maison agricole de Provence.
En voyant cette pièce, nous sentons parfaitement que nous sommes chez de riches paysans. Les étables doivent être pleines, les mûriers doivent donner des brassées de feuilles pour le réveil des vers à soie, et la vigne doit saigner aux vendanges, comme un taureau blessé ensanglante une arène.
... Sur la table, trois nappes, trois chandelles, symbolisent le mystère de la sainte Trinité. A ses deux extrémités, cette table est garnie des prémices de la moisson sous la forme de blé en herbe, et couverte de tous les plats conventionnels: le pain calendal (de Noël) portant une incision cruciale (on en réserve un quart pour le premier pauvre qui passe), le muge (faute de muge, on mange de la morue), les escargots, le cardon, le céleri et enfin la fougasso (fouasse), galette percée de trous.
Nous y voyons encore le sauve-crestian, grosse bouteille renfermant des grains de raisin dans l'eau-de-vie, et enfin le barralet, petit tonneau contenant le vin cuit, ce fameux vin cuit dont les Provençaux boivent une rasade dans leurs festins.
Nous terminerons par une lettre très intéressante que nous a écrite un confrère de Bretagne7.
Note 7: (retour) A. G., ancien curé de Malestroit.
«Dans beaucoup de familles, vous le savez comme moi, le réveillon de Noël n'a plus de raison d'être. Bien des gens qui ne vont pas à la messe et qui se vantent de ne plus croire à rien, croient encore au réveillon, parce que c'est un prétexte à ripaille, mais ils ne se soucient nullement de la naissance de l'Enfant Jésus. Eh bien! je crois que, proportion gardée, on pourrait presque en dire autant du repas maigre.»
Assurément les Auvergnats et les Provençaux dont vous parlez sont encore des croyants, puisqu'ils ont conservé la tradition du repas maigre à la veillée de Noël; mais pourtant ce repas est trop plantureux et trop varié pour qu'on puisse y voir une mortification. Évidemment tous ces détails sont pleins d'intérêt et vous avez eu grandement raison de ne pas les négliger, surtout au point de vue du pittoresque local. Mais, je le répète, ces repas maigres sont de vrais festins et non des collations de vigile, et, à la veillée de Noël, je les trouve tout à fait déplacés. Est-ce bien, pour des chrétiens, le moment de faire bombance, quand l'Evangile nous montre Marie et Joseph cherchant inutilement un gîte et peut-être un morceau de pain?
Qu'après la Messe de minuit, on se réjouisse, on réveillonne, rien de mieux, parce qu'alors les bergers sont déjà venus apporter des provisions à la Crèche et que la Sainte Famille n'a plus à craindre la disette; mais, avant minuit, je vous avoue que cela me choque, d'autant plus que je ne vois, dans la soirée, aucun acte religieux préparatoire à la fête de Noël.
En Bretagne, rien de plus frugal que le repas de la vigile de Noël. A Bignan, par exemple, on fait cuire, dans le four de la ferme, un petit pain rond pour chaque personne de la famille. Ce petit pain est mangé tout sec, sans beurre et sans autre boisson qu'un verre d'eau. C'est là tout le repas de la vigile.
On ne commence à manger qu'après le coucher du soleil et lorsqu'on a pu compter au moins neuf étoiles, en mémoire des neuf mois pendant lesquels la Vierge Marie a porté l'Enfant Jésus.
Ce maigre repas achevé, on s'assied autour de la bûche traditionnelle, et la veillée se passe en prières. A Mohon, où j'ai été trois ans recteur, avant de partir pour la messe de minuit, on tient à réciter «les mille Ave». Chacun dit un chapelet à son tour, pendant que les autres répondent. Après trois ou quatre chapelets récités de la sorte, on se délasse un peu en chantant quelque vieux Noël; puis on reprend la prière, jusqu'à ce que soient achevés les vingt chapelets nécessaires pour faire le total des mille Ave.
Voilà ce que devrait être, avec des variantes, selon les régions, la veillée de Noël dans toute famille vraiment chrétienne: Ne prendre de nourriture que ce qui est nécessaire pour soutenir le corps; puis, le repas achevé, prier en union avec l'Ange, en saluant mille fois la Vierge qui, dans quelques instants, sera la Mère de Dieu, mais qui, pour le moment, erre encore dans les rues de Bethléem à la recherche d'un gîte qui lui sera refusé. Tout à l'heure, au retour de la Messe de minuit, la nature reprendra ses droits et on réveillonnera copieusement, pour se réjouir de la naissance de Jésus et aussi pour réparer les fatigues de la marche et de la veillée; mais alors la Sainte Famille aura reçu la visite des bergers et ne sera plus dans le dénûment.»
Nous sommes bien de l'avis de notre aimable correspondant. Le véritable esprit chrétien de la nuit de Noël doit consister dans la mortification du repas maigre de la vigile et, après la Messe de minuit, dans la joie exubérante du réconfortant réveillon auquel prend part la famille tout entière.
Nous allons citer quelques divertissements auxquels donne lieu la fête de Noël.
Nous avons trouvé dans une notice sur Beaufort, commune de l'Anjou, une très ancienne coutume dont il ne reste pas trace dans les traditions du pays.
C'était, à Beaufort, un usage que tous les jeunes gens mariés dans l'année se réunissent la veille de Noël, pour offrir au public un grand divertissement.
A l'heure indiquée, ils se rendaient, escortés de toute la foule, sur un pont situé sur une petite rivière, à l'extrémité de la ville. Là, au signal donné par les premiers magistrats de la cité, et en présence du seigneur du lieu qui présidait la cérémonie, ils se précipitaient dans l'eau pour y saisir, en nageant, une pelote que l'on avait jetée dans le courant. Les nageurs avaient la liberté d'arracher la pelote des mains de ceux qui l'avaient saisie les premiers; c'était, on peut le penser, une lutte fort longue et fort distrayante. Celui qui, le plus fort ou le plus adroit, parvenait à se rendre maître de la pelote était proclamé le vainqueur. Il recevait cinquante livres pour «monter son ménage» et était reconduit chez lui au son de la trompe, au bruit des tambours, des fifres et des hautbois.
Ceux des jeunes gens qui, n'étant pas malades, «ne voulaient pas grelotter en nageant après la pelote», payaient une amende au profit du vainqueur.
Une coutume à peu près semblable avait lieu en Normandie, au Mesnil-sous-Jumièges et à Yville.
La dernière mariée de l'année—et c'était à qui se marierait la dernière pour avoir cet honneur,—en présence de toute la paroisse assemblée, jetait par-dessus l'église une boule ou une pelote où était enfermée une somme d'argent. Chacun faisait ses efforts pour s'en emparer. Or, pour en demeurer maître, il fallait rentrer chez soi et faire baiser la pelote à la bûche de Noël, dans la cheminée. Quiconque touchait le porteur, lui criait: «Lâche la pelote», et de nouveau la pelote était lancée.
Souvent cette partie de balle lancée durait fort longtemps, et parfois l'heureux possesseur de la balle demeurait éloigné du village deux eu trois jours avant de rentrer chez lui, attendant que ses adversaires, lassés, aient abandonné la partie. Une sorte de superstition s'en mêlait, la pelote portant bonheur au hameau qui la possédait. C'était un talisman qui assurait de belles récoltes à celui qui pouvait la garder.
Tout cela était très inoffensif, mais les bousculades, les batteries qui s'ensuivaient, l'étaient moins, et, en 1866, on a supprimé définitivement cette originale coutume normande8.
Note 8: (retour) Journal de Rouen, suppl. du 25 déc. 1898.
Voici, d'après M. J. Carnandet9, ce qui se passait, la veille de Noël, dans les villages champenois.
Note 9: (retour) Bibliothécaire de la ville de Chaumont.
C'est à la nuit tombante que commencent les réjouissances de la fête de Noël. Dès que la dernière lueur du jour s'est fondue dans l'ombre, tous les habitants du pays ont grand soin d'éteindre leurs foyers, puis ils vont en foule allumer des brandons à la lampe de l'église. Lorsque ces brandons ont été bénits par le clergé, ils les promènent par les champs: c'est ce qu'on appelle la fête des flambarts. Ces flambarts sont le seul feu qui brûle dans le village: ce feu bénit et régénéré jettera de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé dans quelques instants, image symbolique de la renaissance spirituelle apportée au monde par Jésus-Christ.
Puis on allume la bûche de Noël.
Pendant la veillée, les paysans, sur l'esplanade et dans les cours, se livrent à mille passe-temps agréables et se divertissent au jeu des folles entreprises. Les uns feignent de vouloir prendre la lune avec les dents, les autres de rompre une anguille avec les genoux, les autres d'étouper les quatre-vents, d'autres, enfin, de faire taire les femmes qui coulent la buie (la lessive).
Mais tous les jeux cessent à minuit, alors que les cloches tintent dans les airs obscurcis. De tous côtés, s'en viennent à l'église de longues files de paroissiens portant des brandons goudronnés, des torches de poix ardente qui répandent de larges clartés sur les campagnes éblouissantes et font scintiller le givre aux buissons des clôtures.
Nous avons reçu d'un de nos aimables confrères le récit le plus charmant qu'on puisse désirer d'une veillée de Noël dans le Rouergue 10.
Note 10: (retour) M. l'abbé M..., du diocèse de Rodez.
«Nos coutumes se perdent de plus en plus dans notre Rouergue, comme partout ailleurs; à mesure que les progrès s'infiltrent dans nos montagnes, les vieilles traditions disparaissent peu à peu pour faire place à la monotone banalité de l'égoïsme et du bien-être.
«Voici cependant ce qui se passe généralement, à l'occasion de Noël, dans la région montagneuse et accidentée qui entoure Rodez: c'est le vieux Rouergue, qui sut se garantir du protestantisme et de l'invasion anglaise.
«Là, dans les vastes plaines arides du Causse, comme sur les montagnes du Levézou et les mamelons boisés du Ségala, il fait grand froid vers la fin de décembre; aussi on ne ménage pas le bois dans la vaste cheminée autour de laquelle se groupe toute la famille pour la veillée.
«Autrefois, les voisins arrivaient, eux aussi; on se réunissait, ainsi, nombreux, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, on devisait joyeusement, sans contrainte ni gêne aucune, grignotant de savoureuses châtaignes grillées et les arrosant de cidre ou du petit vin blanc qu'on récolte dans nos vallons. Hélas! la politique s'est glissée sournoisement jusque chez nous—et finies nos patriarcales réunions.
«Groupée donc autour d'un grand feu, la famille cause doucement: tout à coup, les cloches se font entendre. «Les carillons!» dit l'un des anciens, et là-dessus, pour satisfaire l'avide curiosité des jeunes, on rappelle toutes les antiques légendes de la fête de Noël, que tout le monde sait déjà, mais qui plaisent toujours.
«On raconte que les cloches de telle ancienne paroisse détruite, jetées dans quelque gouffre profond par les protestants ou les révolutionnaires, se mettent à sonner d'elles-mêmes pour répondre aux joyeux carillons de leurs soeurs qui chantent si gaiement dans le clocher du village.
«Viennent ensuite les récits les plus variés sur la naissance du Sauveur... Presque toujours ces récits se terminent par un cantique de Noël—en patois, bien entendu:
Au miezo mièch,
Lous pastrès quitou lou lièch,
Per ona audoura la noissenço,
Moun Dious!
D'un Dious plé de puissenço
Benez esse Dious!
A minuit,
Les bergers quittent le lit,
Pour aller adorer la naissance,
Mon Dieu!
D'un Dieu plein de puissance,
Venez être Dieu!
«Que de fois n'ai-je pas ouï la voix chevrotante de ma bonne vieille «Mimi», âgée de plus de quatre-vingts ans, qui me berçait sur ses genoux au rythme mélancolique et suppliant de ce chant naïf.
«Avant de partir pour la Messe de minuit, on plaçait la bûche de Noël (souquo naudolenquo). D'après la tradition, la bûche de Noël, dans toute maison qui se respecte, doit durer jusqu'au 1er janvier, et même, pour s'assurer une heureuse et prospère année, il faut qu'elle brûle sans s'éteindre jusqu'à l'Épiphanie, afin que, si les Rois Mages viennent à passer par là, ils aient de quoi réchauffer leurs membres fatigués et glacés par l'âpre bise de nos montagnes. Aussi ce sont des arbres entiers ou d'immenses souches de chêne que j'ai vu porter par trois ou quatre valets de ferme dans la gigantesque cheminée de la cuisine.»
Une plume très exercée a su mettre en scène l'antique veillée de Noël au pays lorrain; nous sommes heureux de reproduire ce gracieux tableau.
«C'était la veillée de Noël en pays lorrain. Dans la grande salle du château, maîtres et serviteurs sont rassemblés, le souper vient de finir; les pages apportent les galettes dorées et les aiguières de vin vermeil qui doivent égayer la soirée. Au haut de la table, le comte Raoul de Briamont a présidé le repas sur le grand fauteuil seigneurial sculpté aux armoiries de sa maison; il a crié «Noël!» en élevant gaiement la coupe d'argent, et sa voix sonore a éveillé, en même temps que les échos de la grande salle, la joie dans tous les cours des convives. Car tous les serviteurs de Briamont présents au festin de Noël aiment leur jeune maître de quinze ans et respectent sa tête blonde, comme ils respectaient jadis les cheveux blancs de son aïeul. A la droite du comte Raoul se trouvent: le chapelain, messire Didier, qui, tout à l'heure, célébrera dans la chapelle la Messe de minuit; puis Alain, le vieil écuyer du défunt seigneur; dame Pernette, qui a nourri et élevé l'enfant; les servantes, les hommes d'armes de la petite garnison qui défend le château pendant ces jours troublés; les varlets, les pages et, enfin, une famille de pauvres laboureurs qui est venue le jour même chercher derrière les murs de Briamont un abri contre la fureur des bandes pillardes qui dévastent la campagne. Et tous ont répété: «Noël! Vive notre jeune seigneur!»
«—Merci à vous, mes bons serviteurs et amis, reprend le comte Raoul; merci de votre affection et des soins dont vous m'avez entouré pendant toute cette année, la dernière que je passe parmi vous et sous le toit de mes pères. Bientôt sonnera l'heure du départ; bientôt, sous la conduite de mon suzerain, j'irai trouver notre sire le roi Charles; bientôt je serai chevalier, je pourrai courir sus à l'Anglais et aider, s'il plaît à Dieu, à le chasser hors du royaume de France. Criez donc: Noël! mais aussi: Vive notre gentil dauphin Charles VII!11».
Note 11: (retour) Marie de Lacertelle, Ann. d'Orléans, 7 janv. 1905.
A Paris, comme dans toutes les grandes capitales, le mouvement et l'animation redoublent la veille de Noël et se prolongent non seulement fort avant dans la soirée, mais encore une partie de la nuit. La Noël, l'une de nos plus grandes fêtes religieuses, l'une des plus touchantes fêtes de famille, est en même tempe la plus franchement joyeuse des fêtes populaires.
Dès la nuit tombée, les rues sont envahies par la foule: sur les boulevards, auxquels les petites boutiques provisoires prêtent la physionomie d'une fête enfantine, c'est un flot toujours croissant, toujours renouvelé de promeneurs.
Les terrasses des cafés s'encombrent à vue d'oeil; à tous ces gens attablés, des camelots viennent proposer le jouet du jour, en accompagnant leur boniment des facéties les plus originales. Des mendiants cherchent à exploiter la pitié des passants et des industriels sans ressources s'improvisent artistes pour la circonstance.
Ces sortes de «minstrels» pullulent depuis quelques années. Certains exercent leur talent sans collaboration, mais la plupart sont groupés en duo ou trio pour donner leur concert. Ils débitent leur répertoire, généralement insignifiant, devant un public peu exigeant, car c'est d'une façon bien distraite qu'on les écoute. Ces virtuoses du pavé, pauvres «cigales» de l'art, auxquelles la lumière électrique tient lieu de «soleil», accompagnent souvent leurs chants de «danses» qui ne leur assurent pas toujours ce qu'il faut «pour subsister».
Un usage des plus édifiants et des plus touchants existe encore au village de Montsecret (Orne). La veille et le matin du jour de Noël, une jeune fille pieuse et estimée de tous va par les maisons porter l'Enfant-Jésus de la Crèche et le fait baiser aux petits enfants. Les parents remettent alors une offrande pour l'entretien de la lampe qui, pendant tout le mois de janvier, brûle à l'église devant la Crèche. Cette visite est regardée comme un honneur et une bénédiction par les familles: les enfants l'attendent avec impatience et l'accueillent avec joie12.
Note 12: (retour) D'après l'abbé V..., du diocèse de Séez.
Ce qui fait le plus grand charme de la veillée de Noël, ce sont assurément les légendes qu'on y raconte: leur ensemble forme un des plus captivants chapitres de la littérature populaire; elles sont tour à tour terribles ou touchantes, dramatiques ou gracieuses. Il serait bien difficile de dire quelle est l'origine de ces fables, historiettes ou contes, qui ont trait à la naissance de l'Enfant-Dieu. Ces récits, auxquels les vieillards savent donner tant de charmes, font toujours les délices des enfants.
Les légendes de la veillée de Noël peuvent se diversifier d'après les êtres qui entrent en scène. Êtres inanimés, animaux, démons, récits édifiants; tel est l'ordre que nous suivrons.
Êtres inanimés
En Franche-Comté, on raconte qu'une roche pyramidale, qui domine la crête d'une montagne, tourne trois fois sur elle-même pendant la Messe de minuit, quand le prêtre lit la généalogie du Sauveur. En cette même nuit, les sables des grèves, les rocs des collines, les profondeurs des vallées s'entr'ouvrent et tous les trésors enfouis dans les entrailles de la terre apparaissent à la clarté des étoiles.
Dans cette même contrée existe la légende de la pierre qui vire. C'est une pierre pointue dressée en équilibre sur un rocher, entre les villages de Scey-en-Varais et de Cler, et qui, dit-on, fait un tour complet sur elle-même au coup de minuit, à Noël13.
Note 13: (retour) L'abbé V..., du diocèse de Besançon.
Dans les Vosges, la pierre tournerose, bloc élevé qui existait près de Remiremont, se mettait elle-même en mouvement quand les cloches de Remiremont, de Saint-Nabord et de Saint-Etienne (deux paroisses voisines de Remiremont) appelaient les fidèles à la Messe de minuit14.
Note 14: (retour) Richard, Traditions populaires.
C'est surtout au pays de Caux (Seine-Inférieure) qu'existe la légende des pierres tournantes. Ces pierres faisaient autrefois trois tours sur elles-mêmes pendant la Messe de minuit, et les monstres qui étaient censés y habiter exécutaient autour d'elles des danses folles qu'il eût été dangereux de troubler. Citons la chaise de Gargantua à Duclair, la pierre Gante à Tancarville, la pierre du Diable à Criquetot-sur-Ouville.
A Millières, dans le Cotentin (Manche), au carrefour des Mariettes, se trouve un bloc de pierre pesant mille kilos, qui, dit-on, saute trois fois, le jour de Noël, à minuit.
On croit encore, au pays de Caux, que les cloches perdues sonnent pendant la Messe de minuit.
Certains affirment avoir entendu l'ancienne cloche de l'église des moines d'Ouville-l'Abbaye, qui passe pour être enfouie dans le «Bose-aux-Moines», à Boudeville.
Mais il faut surtout lire les légendes bretonnes.
Nombreuses autant qu'énormes sont les pierres qui se déplacent pendant la Messe de minuit, pour aller boire, comme des moutons altérés, aux rivières et aux ruisseaux.
Un mégalithe, près de Jugon (Côtes-du-Nord), se rend à la rivière de l'Arguenon. Dans le bois de Couardes, un bloc de granit, haut de trois mètres, descend pour aller boire au ruisseau voisin et remonte à sa place de lui-même.
Il y a, au sommet du mont Beleux, un menhir qui se laisse enlever par un merle et qui met à découvert un trésor.
Il faut entendre surtout, telle qu'elle nous est contée par Emile Souvestre, la jolie légende des pierres de Plouhinec qui vont boire à la rivière d'Intel15.
Note 15: (retour) Emile Souvestre, Le Foyer Breton, tome II. p. 181.
La plus célèbre était jadis la grosse pierre de Saint-Mirel, dont Gargantua se servit pour aiguiser sa faux, et qu'il piqua, après la fauchaison, comme on la retrouve encore aujourd'hui. Elle cachait un trésor qui tenta un paysan des alentours. Ce paysan était si avare qu'il n'eût pas trouvé son pareil: le liard du pauvre, la pièce d'or du riche, il prenait tout; il se serait payé, s'il eût fallu, avec la chair des débiteurs.
Quand il sut qu'à la Noël les roches allaient se désaltérer dans les ruisseaux, en laissant à découvert des richesses enfouies par les anciens, il songea, pendant toute la journée, à s'en emparer.
Pour pouvoir prendre le trésor, il fallait cueillir, durant les douze coups de minuit, le rameau d'or qui brillait à cette heure seulement dans les bois de coudriers et qui égalait en puissance la baguette des plus grandes fées. Lors, ayant cueilli le rameau, il se précipita de toute sa force vers le plateau où le rocher de Gargantua profilait sa masse sombre, et, lorsque minuit eut sonné, il écarquilla les yeux.
Lourdement le bloc de pierre se mettait en marche, s'élevant au-dessus de la terre, bondissant comme un homme ivre à travers la lande déserte, avec des secousses brusques qui faisaient sonner au loin le terrain de la vallée.
Jusqu'à ce moment la branche magique éclairait l'endroit que la pierre venait de quitter. Un vaste trou s'ouvrait, tout rempli de pièces d'or.
Ce fut un éblouissement pour l'avare, qui sauta au milieu du trésor et se mit en devoir de remplir le sac qu'il avait apporté. Une fois le sac bien chargé, il entassa ses pièces d'or dans ses poches, dans ses vêtements, jusque dans sa chemise. Dans son ardeur, il oubliait la pierre qui allait venir reprendre sa place. Déjà les cloches ne sonnaient plus. Tout à coup le silence de la nuit fut troublé par les coups saccadés du roc qui gravissait la colline et qui semblait frapper la terre avec plus de force, comme s'il était devenu plus lourd après avoir bu à la rivière. L'avare ramassait toujours ses pièces d'or. Il n'entendit pas le fracas que fit la pierre quand elle s'élança d'un bond vers son trou, droite comme si elle ne l'avait pas quitté.
Le pauvre homme fut broyé sous cette masse énorme, et de son sang il arrosa le trésor de Saint-Mirel16.
Note 16: (retour) Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 190.
Animaux
Il existe, en France surtout, une croyance populaire dont les formes varient suivant les différentes contrées: c'est la conversation des animaux entre eux pendant la Messe de minuit et surtout pendant la lecture ou le chant de la Généalogie.
C'est sans doute une réminiscence de la représentation de l'ancien «Mystère de la Nativité», pendant laquelle on faisait parler les animaux.
Cette croyance si répandue, avec de nombreuses variantes, peut se résumer ainsi: un paysan, probablement ivre, ayant omis d'offrir à son bétail le réveillon traditionnel, entend ce dialogue entre les deux grands boeufs de son étable:
Premier boeuf: «Que ferons-nous demain, compère»?
Second boeuf: «Porterons notre maître en terre...»
Le maître, furieux, en entendant cette prédiction, saisit une fourche pour frapper le prophète de malheur; mais, dans sa précipitation, il se blesse maladroitement lui-même à la tête... et le lendemain les boeufs le portent en terre.
Tel est le thème développé différemment suivant les provinces.
Dans les Vosges, à la Bresse, canton de Saulxures-sur-Moselotte, on a soin de donner abondamment à manger aux animaux avant d'aller à la Messe de minuit.
A Cornimont, au Val-d'Ajol, on croit encore que les animaux se lèvent et conversent ensemble pendant la Messe de minuit. On raconte à ce sujet qu'un habitant de Cornimont, jouissant de la réputation d'esprit fort, voulut s'assurer de ce fait surnaturel. Il alla se coucher dans un coin obscur de l'écurie située derrière sa maison.
A l'heure de minuit, il vit un de ses boeufs se réveiller, puis se lever pesamment et demander, en bâillant, à son compagnon de fatigue, ce qu'ils feraient tous deux le lendemain. Celui-ci lui répondit qu'ils conduiraient leur maître au cimetière. La chose ne manqua pas d'arriver, dit la tradition: notre esprit fort fut saisi d'une telle frayeur qu'il en tomba raide mort sur place. Ainsi, sans doute, le racontèrent les boeufs.
On assure aussi qu'une semblable aventure arriva à une femme de Raon-aux-Bois, canton de Remiremont. Poussée par la curiosité, elle alla visiter ses étables pendant la Messe de minuit. Elle apprit également de ses boeufs qu'ils ne tarderaient pas à la conduire en terre17.
Note 17: (retour) Traditions populaires, par Richard. Remiremont, 1848.
La nuit de Noël est célèbre par une vieille légende que les paysans landais racontent avec terreur, pendant les veillées d'hiver.
Ils prétendent que le jour de Noël, vers minuit, l'âne et le boeuf se mettent à parler entre eux. Ils causent du temps où l'Enfant-Jésus n'avait pour se réchauffer que leur haleine. Ce don miraculeux de la parole est le cadeau envoyé tous les ans par le Ciel à ces deux animaux, en souvenir des bons offices rendus à l'Enfant-Jésus dans l'étable de Bethléem. Mais malheur à celui qui tente de surprendre leur mystérieuse conversation.
Sa témérité est punie d'une manière terrible: il tombe mort à l'instant même18.
Note 18: (retour) Le Petit Landais, 25 décembre 1902.
Un bon paysan de Gaillères l'éprouva à ses dépens. Pour se convaincre de la vérité du fait, il vint écouter à l'étable, et voilà qu'à minuit juste, le boeuf dit à son voisin:
«Hoù Bouêt?—Hoù Bortin.
—Que haram-nous, douman matin?
—Que pourteram lou boué ou clôt.
E lou boué que mouri sou cop»19.
Note 19: (retour) Sorcières et loups-garous dans les Landes, p. 39.
Voici comment Laisuel de Lasalle a gracieusement brodé cette légende: la scène se passe en Berry 20.
Note 20: (retour) Croyances et légendes, tom. I, p. 17.
«On assure qu'au moment où le prêtre élève l'hostie pendant la Messe de minuit, toutes les aumailles (bêtes à cornes) de la paroisse s'agenouillent et prient devant la Crèche. On assure encore qu'après cette oraison toute mentale, s'il existe dans une étable deux boeufs qui sont frères, il leur arrive infailliblement de prendre la parole.
«On raconte qu'un boiron21 qui, dans ce moment solennel, se trouvait couché près de ses boeufs, entendit le dialogue suivant:
«—Que ferons-nous demain? demanda tout à coup le plus jeune du troupeau.
Note 21: (retour) On appelle boiron le jeune garçon qui touche ou aiguillonne les boeufs pendant le labourage.—On dit aussi boyer pour bouvier—en italien, boaro.
«—Nous porterons notre maître en terre, répondit d'une voix lugubre un vieux boeuf à la robe noire, et tu ne ferais pas mal, François, continua l'honnête animal en arrêtant ses grands yeux sur le boiron qui ne dormait pas, tu ne ferais pas mal d'aller l'en prévenir, afin qu'il s'occupe des affaires de son salut.
«Le boiron, moins surpris d'entendre parler ses bêtes qu'effrayé du sens de leurs paroles, quitte l'étable en toute hâte et se rend auprès du chef de la ferme pour lui faire part de la prédiction.
«Celui-ci se trouvait attablé avec trois ou quatre francs garnements de son voisinage et, sous prétexte de faire le réveillon, présidait à une monstrueuse orgie, tandis que la cosse de Nau (bûche de Noël) flamboyait dans l'âtre et que sa femme et ses enfants étaient encore à l'église.
«Le fermier fut frappé de l'air effaré de François à son arrivée dans la salle.
«—Eh bien? Qu'y a-t-il? lui demanda-t-il brusquement.
«—Il y a que les boeufs ont parlé, répondit le boiron consterné.
«—Et qu'ont-ils chanté? reprit le maître.
«—Ils ont chanté qu'ils vous porteraient demain en terre; c'est le vieux Noiraud qui l'a dit, et il m'a même envoyé vous en avertir, afin que vous ayez le temps de vous mettre en état de grâce.
«—Le vieux Noiraud en a menti, et je vais lui donner une correction, s'écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.
«Et, sautant sur une fourche de fer, il s'élance hors de la maison et se dirige vers les étables. Mais il est à peine arrivé au milieu de la cour qu'on le voit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.
«Était-ce l'effet de l'ivresse, de la colère ou de la frayeur?
«Nul ne le sait.
«Toujours est-il que ses amis, accourus pour le secourir, ne relevèrent qu'un cadavre et que la prédiction du vieux Noiraud se trouva accomplie.
«Depuis cette aventure, que l'on dit fort ancienne, les boeufs ont toujours continué à prendre, une fois l'an, la parole; mais personne n'a plus cherché à surprendre le secret de leur conversation.»
«A Romorantin, nous écrit un de nos correspondants, lorsque j'étais enfant, on me recommandait de me trouver à la Crèche, le jour de Noël, à minuit sonnant; c'était, me disait-on, l'heure où le boeuf et l'âne empruntaient la voix humaine pour saluer le Christ naissant.»
Dans le Cotentin, où la foi est naïve, on est persuadé que toute la création adore le petit Jésus, à Noël. A l'heure de minuit, dit-on, tous les animaux de ferme s'agenouillent, et tel curieux qui voudrait alors pénétrer dans l'étable, uniquement pour s'assurer du fait, serait immédiatement puni de sa témérité22.
Note 22: (retour) Ces détails nous ont été donnés par un habitant de Millières (Manche).
Démons et croyances superstitieuses.
Un ancien Noël nous donne une description frappante et naïve de la rage du démon, à la venue du Messie:
AIR: J'endève.
Le démon, assurément,
Dedans son coeur endève,
Car Dieu vient présentement
Pour sauver les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve!
Il régnait absolument
Sans nous donner de trêve,
Mais ce saint avènement
Délivre les fils d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve!
Chantons Noël hautement,
Sortons de notre rêve,
Bénissons le sauvement
De tous les enfants d'Adam
Et d'Eve, d'Eve, d'Eve23!
Note 23: (retour) Bible des Noëls, p. 33.
La nuit de Noël est la plus mystérieuse de toutes les nuits. Il semble que Satan, exaspéré par l'échec que ce divin anniversaire lui remet en mémoire, sente, à chaque retour de la grande fête, redoubler sa haine et sa rage contre l'humanité. C'est alors qu'il sème dans les sentiers et sur les carroirs24 que doivent parcourir les pieuses caravanes de la Messe de minuit, ces larges et splendides pistoles qui jettent dans l'ombre de si magiques et de si attrayants reflets. C'est alors qu'il ouvre, au pied des croix et des oratoires champêtres, ces antres béants au fond desquels on voit ruisseler des flots d'or. Malheur à celui qui tente de garnir son escarcelle de cette brillante monnaie. Chaque pistole ramassée échappe aussitôt des mains, en laissant aux doigts une empreinte noire, ineffaçable, avec une sensation de brûlure atroce, pareille à celle du feu de l'enfer.
Note 24: (retour) On donne le nom de carroirs à tous les carrefours Champêtres, c'est-à-dire à tout terrain vague ou désert où viennent se croiser plusieurs chemins.
Le Maufait (le malfaisant, le diable) est partout, on le rencontre courant la campagne sous les formes les plus imprévues.
Autrefois, au collège de Saint-Amand, un vieux domestique contait ainsi l'aventure fantastique qui lui était arrivée le 25 décembre 1783.
Malgré les recommandations de son père, il avait tendu des collets dans un ancien cimetière. Il y courut pendant la Messe de minuit et trouva pris au piège un lièvre qui, au lieu de l'attendre, se coupa la patte avec les dents. Lui de le poursuivre, l'autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivèrent tous les deux aux bords du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d'un seul bond. Alors se tournant vers le jeune homme épouvanté: «Eh bien! l'ami, s'écria le Diable qui avait repris sa forme, est-ce bien sauté pour un boiteux?»
En Limousin, dans les campagnes, existe cette croyance que les maléfices, les sortilèges, toutes les oeuvres de l'Esprit du mal perdent, la nuit de Noël, leur puissance; qu'il est possible de pénétrer jusqu'aux trésors les plus cachés, la vigilance des monstres ou des êtres surnaturels qui les gardent se trouvant en défaut, ou leur pouvoir suspendu25.
Note 25: (retour) M. G., de la Société archéologique du Limousin.
Shakespeare, le grand poète anglais, connaissait cette tradition quand, dans Hamlet, il fait dire à Marcellus:
Some say that ever'gainst that season comes,
Wherein Our Saviour's birth is celebrated,
The bird of dawning singeth a night long;
And then, they say, no spirit dare stir abroad;
The nights are wholesome; then no planets strike,
No fairy takes, nor witch hath power to charm;
So hallowed and so gracious is the time26
Note 26: (retour) Shakespeare, Hamlet, acte I, scène I.
Il y en a qui disent que toujours à l'époque
Où est célébrée la naissance de notre Sauveur,
L'oiseau de l'aurore27 chante tout le long: de la nuit;
Alors, dit-on, aucun esprit n'ose errer dans l'espace:
Les nuits sont sans malignité, nulle planète ne peut nuire,
Nulle fée ne prend, et nulle sorcière n'a le pouvoir de jeter des sorts;
Si béni et si plein de grâce est ce moment de l'année!
Note 27: (retour) Le coq.
Et, en effet, un moment vient où le Malin est enfin réduit à l'impuissance: c'est lorsque tinte le premier coup de minuit. Écoutez plutôt ce que lit Jean Scouarn, de Saint-Michel-en-Grève, près de Ploumilliau (Côtes-du-Nord).
Un jour qu'il errait sur les grèves de Saint-Michel, il rencontra un pauvre chemineau qui, pour le remercier d'un morceau de pain qu'il lui avait donné, lui révéla le moyen de gagner la fortune et le bonheur. Il lui apprit, en effet, qu'au milieu de la grève se dressait un château habité par une princesse, belle comme une fée et riche comme les douze pairs de France. Les esprits de l'Enfer la retenaient sous les eaux. A Noël, au premier coup de minuit, la mer s'ouvrait et laissait voir le château: si quelqu'un pouvait y entrer et aller prendre dans la salle du fond une baguette magique, il pouvait devenir le mari de la châtelaine. Mais il fallait avoir mis la main sur la baguette avant le dernier coup de minuit; sinon, la mer revenait engloutir le château, et l'audacieux chercheur était métamorphosé en statue.
Scouarn résolut de tenter l'aventure. A minuit, en effet, la mer s'écarta comme un rideau qu'on tire et laissa voir un château resplendissant de lumières. Scouarn ne fit qu'un bond vers l'entrée et franchit la porte. La première salle était remplie de meubles précieux, de coffres d'or et d'argent. Tout autour se dressaient les statues des chercheurs d'aventures qui n'avaient pu aller plus loin. Une seconde salle était défendue par des lions, des dragons et des monstres aux dents grinçantes. Jean Scouarn était perdu s'il hésitait.
Comme le sixième coup de minuit sonnait, il réussit à passer au milieu des bêtes enchantées qui s'écartèrent et pénétra dans un appartement plus somptueux que tous les autres, où se tenaient les filles de la mer. Il allait se laisser entraîner dans leur ronde, quand il aperçut tout au fond la baguette magique: il s'élança et la saisit victorieusement.
Le douzième coup de minuit sonna.
Mais Scouarn tenait la baguette magique et il n'avait plus rien à craindre. A sa voix, la mer mugissante s'éloigna du château, et les esprits de l'Enfer, définitivement vaincus, s'enfuirent en poussant des cris à faire trembler les rochers.
La princesse délivrée offrit sa main au vaillant sauveur.
Ce furent des noces splendides, et Jean Scouarn, dans sa reconnaissance pour les Saints qui l'avaient protégé, employa la moitié des trésors à construire une chapelle à l'archange saint Michel28.
Note 28: (retour) Lectures pour Tous, déc. 1903, p. 193.
Nombreuses sont les croyances superstitieuses, à l'occasion de la fête de Noël:
Dans les villages bisontins, on observé quel vent souffle au sortir de la Messe de minuit: ce sera, paraît-il, le vent qui dominera durant la nouvelle année.
Dans les campagnes des Vosges, les douze jours entre Noël et les Rois indiquent le temps des douze mois de l'année29; ces jours sont appelés, dans le pays, jours des lots.
Note 29: (retour)Dans la Vaucluse, ce sont les douze jours qui précèdent Noël qu'on appelle jours compteurs.
Dans les environs de Gien (Loiret), on appelle jours féviés (jours de la fève) le temps qui s'écoule de Noël au premier janvier. Ils indiquent, en général, la température dominante des six premiers mois de l'année suivante, mais dans l'ordre inverse: le 31 décembre correspond à janvier et le 26 décembre à juin.
Pour connaître le temps qu'il fera, on prend les dispositions suivantes:
On place en ligne douze oignons creusés en forme de coquilles de noix et cela dès le 25 décembre, dans l'ordre suivant:
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0
Dans chaque oignon ainsi creusé, on met quelques grains de sel. Le premier oignon, en commençant par la gauche, correspond au mois de janvier, et les autres oignons aux mois suivants, d'après leur rang.
Au jour des Rois, qui est le dernier des jours des lots, on examine les oignons. Là où le sel n'est pas fondu, le mois correspondant doit être sec; là où il est fondu, le mois correspondant doit être humide.
Dans la Normandie, on augure de la fécondité des pommiers, selon que la lune éclaire plus ou moins les personnes qui vont à la Messe de minuit ou qui en reviennent.
Au pays de Caux, on plaçait autrefois sur une jatte de bois ou un plateau quelconque un morceau de pain bénit de la Messe de minuit. On le laissait aller à la dérive sur les rivières jusqu'à ce que le plateau s'arrêtât de lui-même, indiquant ainsi où se trouvait le corps d'un noyé. Longtemps les Cauchois des rives de la Seine eurent cette croyance.—Ils croyaient aussi que le pain bénit de la Messe de minuit avait le pouvoir de délier la langue des enfants. Dans certaines familles cauchoises, on le conserve comme un talisman ayant la vertu d'indiquer l'état de santé des absents.
En Corse, les jeunes gens ont l'habitude de courir de maison en maison de manière à faire sept veillées avant la Messe de minuit, afin d'être jugés dignes d'apprendre, de vieilles femmes, certains signes superstitieux qui leur permettent, le cas échéant, de rendre impuissantes et inoffensives les piqûres des scorpions et des autres animaux nuisibles. Ces signes ne peuvent valablement se communiquer que la nuit de Noël et seulement à ceux qui ont fait les sept veillées.
La Bretagne surtout peut être appelée la terre classique des légendes. Interrogez les vieux paysans réunis aux veillées d'hiver. Pendant que l'assistance frissonne d'épouvante et se presse autour du foyer où brille un feu de genêts épineux, ils vous révéleront les noms de tous les êtres mystérieux ou sinistres qui peuplent les nuits de la vieille Armorique. C'est pendant la nuit de Noël surtout que l'ordre ordinaire de la nature est bouleversé. Quand la cloche annonce l'élévation de la Messe de minuit, tout ce qu'il y a d'êtres créés sur la terre se montre à la fois dans le monde. Prêtons l'oreille à l'antique tradition: elle le mérite par sa poétique étrangeté!
Voici les fantômes qui s'avancent. Près des fées des bois et des eaux, se montrent les korigans avec leurs marteaux et les dragons gardiens des trésors. Ensuite apparaissent le garçon à la grosse tête, épouvantail des nuits pluvieuses, l'homme-loup, le conducteur des morts et le cheval trompeur.
Le char de l'ankou porte l'oiseau de la mort et Jean de feu. Les flammes bleues qui dansent dans les cimetières, les noyés qui sortent de la mer, le diable des carrefours qui vient acheter la poule noire, le sorcier qui cherche l'herbe d'or, les damnés qui soulèvent la pierre de leur tombe pour demander des prières, les lavandières nocturnes... telle est l'épouvantable procession qui chemine à travers la lande, pendant que la neige tourbillonne et que les fidèles sont prosternés devant l'autel30.
Note 30: (retour) Noël, chez Desclées, p. 78.
Récits édifiants
Innombrables sont ces sortes de légendes. Nous n'en citerons qu'un petit nombre.
On raconte qu'à Marienstein, ce sanctuaire aimé de la Suisse septentrionale et de l'Alsace, éclosait, la nuit de Noël, une rose, fermée toute l'année, et d'où s'échappaient une délicieuse odeur et une lumière éclatante: c'était la rose de Noël ou la rose des neiges.
On raconte, dit Albert de Mun, dans nos landes de Bretagne, que lorsque les Mages arrivèrent à l'étable de Bethléem, ils y trouvèrent les bergers qui, n'ayant rien autre à offrir au divin Enfant, enguirlandèrent avec des fleurs des champs la Crèche où il était couché; les Mages étalèrent leurs riches présents.
Ce que voyant, les bergers se dirent entre eux: «Nous voilà bien! A côté de ces belles choses d'or et d'argent, que vont devenir nos pauvres fleurs? L'Enfant ne les regardera seulement pas!»
Mais voilà que l'Enfant-Jésus, repoussant doucement du pied les trésors entassés devant lui, étendit sa petite main vers les fleurs, cueillit une marguerite des champs, et, la portant à ses lèvres, y posa un baiser.
C'est depuis ce temps que les marguerites, qui jusqu'alors étaient toutes blanches, ont au bout des feuilles une belle couleur rosée qui semble un reflet de l'aurore, et, au coeur, le rayon d'or tombé des lèvres divines.
Finissons par la Noël des trépassés.
C'était au temps du bon roi saint Louis, temps béni où la foi et la piété régnaient au pays de France.
L'office de la nuit de Noël venait d'être achevé dans l'église abbatiale de Saint-Vincent du Mans. Les moines s'étaient tous retirés et l'abbé était rentré dans sa cellule. Accablé par l'âge, il s'était étendu promptement sur son humble couchette. Un lourd sommeil s'empara bientôt de son être. Tout à coup, un bruit étrange fait résonner la porte de la cellule. L'abbé, réveillé en sursaut, se lève à demi. Le bruit se renouvelle plus violent, plus fantastique. Le moine se précipite vers la porte; il l'entr'ouvre.
Un spectacle terrifiant se présente à ses yeux.
Une foule immense d'êtres, revêtus de suaires blancs, sont là, dans le long corridor. Tous portent une torche allumée. Un effroyable silence plane sur cette multitude.
Saisi de frayeur, l'abbé, craignant quelque oeuvre diabolique, fait sur lui d'abord, puis sur toute cette foule, un grand signe de croix. Ces êtres s'inclinent alors, répétant tous le même signe sacré. Pour le faire, ils écartent leur suaire, et l'abbé voit alors que ce sont des squelettes décharnés. Une lueur lugubre est comme attachée à ces os desséchés et ces squelettes semblent grandement souffrir de ces flammes. Le moine, rassuré par le signe de la croix si pieusement fait par ces fantômes, leur demande: «Qui êtes-vous? Que voulez-vous?» Point de réponse. Les deux plus proches le saisissent par son scapulaire et l'entraînent à leur suite. Une procession se forme après eux. Tous se dirigent vers l'église.
Bientôt l'autel est préparé; les uns allument les cierges, les autres disposent les ornements sacrés. L'abbé comprend que ces êtres veulent assister au divin sacrifice de l'autel. Il revêt la chasuble et commence la sainte Messe. Des voix gémissantes répondent aux versets que récite le prêtre. Les squelettes sont agenouillés pieusement dans le choeur, dans la nef; l'église en est remplie. Le silence est rompu seulement par la voix du ministre de Dieu et par les prières des assistants. A l'Orate fratres, lorsque l'abbé se retourne, il voit que les squelettes ont quitté leurs linceuls. Le moment de la consécration est arrivé; à la voix de son prêtre, Jésus descend invisiblement sur l'autel. Alors, les gémissements cessent, une harmonie céleste remplit l'église. Un chant sublime de triomphe et de délivrance se fait entendre jusqu'à la fin de la Messe. Lorsque le moine se retourne, à l'Ite missa est, les squelettes ont tous disparu; une nuée lumineuse montant vers le ciel, l'écho affaibli de mystérieux cantiques, voilà tout ce qui reste du sublime spectacle auquel il vient d'assister.
L'abbé rentre dans sa cellule profondément ému, heureux surtout d'avoir été, dans cette circonstance, l'instrument de la miséricorde divine.
Depuis, chaque année, en l'abbaye de Saint-Vincent, on avait coutume de célébrer, après l'office solennel de la nuit de Noël, une messe basse pour les angoisseux du Purgatoire31.
Note 31: (retour) Em. Louis Chambois, Semaine du Mans, 25 déc. 1903.
Écoutons dom Guéranger nous décrire la veillée de Noël et nous en donner le vrai sens chrétien:
«C'est là que nous avons vu, et nul souvenir d'enfance ne nous est plus cher, toute une famille, après la frugale et sévère collation du soir, se ranger autour d'un vaste foyer, n'attendant que le signal pour se lever comme un seul homme et se rendre à la Messe de minuit. Les mets, qui devaient être servis au retour et dont la recherche simple, mais succulente devait ajouter à la joie d'une si sainte nuit, étaient là préparés d'avance; et, au centre du foyer, un vigoureux tronc d'arbre, décoré du nom de bûche de Noël, ardait vivement et dispensait une puissante chaleur dans toute la salle. Sa destinée était de se consumer lentement durant les longues heures de l'office, afin d'offrir, au retour, un brasier salutaire pour réchauffer les membres des vieillards et des enfants engourdis par la froidure.
«Cependant, on s'entretenait avec une vive allégresse du Mystère de la grande nuit; on compatissait à Marie et à son doux Enfant exposé dans une étable abandonnée à toutes les rigueurs de l'hiver; puis bientôt on entonnait quelqu'un de ces beaux noëls, au chant desquels on avait passé déjà de si touchantes veillées dans tout le cours de l'Avent. Les voix et les coeurs étaient d'accord, en exécutant ces mélodies champêtres composées dans des jours meilleurs. Ces naïfs cantiques redisaient la visite de l'ange Gabriel à Marie et l'annonce d'une maternité divine faite à la noble pucelle; les fatigues de Marie et de Joseph parcourant les rues de Bethléem, alors qu'ils cherchaient en vain un gîte dans les hôtelleries de cette ville ingrate; l'enfantement miraculeux de la Reine du Ciel; les charmes du nouveau-né dans son humble berceau; l'arrivée des bergers avec leurs présents rustiques, leur musique un peu rude et la foi simple de leurs coeurs32. On s'animait en passant d'un noël à l'autre; tous soucis de la vie étaient suspendus, toute douleur était charmée, toute âme épanouie. Mais, soudain, la voix des cloches, retentissant dans la nuit, venait mettre fin à de si bruyants et de si aimables concerts. On se mettait en marche vers l'église; heureux alors les enfants que leur âge un peu moins tendre permettait d'associer pour la première fois aux ineffables joies de cette nuit solennelle, dont les fortes et saintes impressions devaient durer toute la vie»33.
Note 32: (retour) Tels sont bien, en effet, les sujets traités dans nos anciens noëls dont la poésie est si naïve et si pieuse.
Note 33: (retour) Dom Guéranger. Le temps de Noël, tome I, p. 161.
Puissions-nous faire revivre ces chères et touchantes habitudes qui confondaient les saintes émotions de la religion avec les plus intimes jouissances de la famille!
La bûche de Noël réunissait autrefois tous les habitants de la maison, tous les hôtes du logis, parents et domestiques, autour du foyer familial.
La bénédiction de la bûche avec les cérémonies traditionnelles dont elle se parait n'était que la bénédiction du feu, au moment où les rigueurs de la saison le rendent plus utile que jamais: cet usage existait surtout dans les pays du Nord. C'était la fête du feu, le Licht des anciens Germains, le Yule Log, le feu d'Yule des forêts druidiques, auquel les premiers chrétiens ont substitué cette fête de sainte Luce34 dont le nom, inscrit le 13 décembre au calendrier, rappelle encore la lumière.
Note 34: (retour) Évidemment, Lucie vient du latin lux, lucis, lumière.
Il est tout naturel qu'on mette en honneur, au vingt-cinq décembre, au coeur de l'hiver, le morceau de bois sec et résineux qui promet de chauds rayonnements aux membres raidis sous la bise. Mais, souvent, cette coutume était un impôt en nature, payé au seigneur par son vassal. A la Noël, on apportait du bois; à Pâques, des oeufs ou des agneaux; à l'Assomption, du blé; à la Toussaint, du vin ou de l'huile.
Il arrivait aussi, quelquefois, que les pauvres gens ne pouvant se procurer des bûches convenables pour la veillée de Noël, se les faisaient donner. «Beaucoup de religieux et de paysans, dit Léopold Bellisle, recevaient pour leurs feux des fêtes de Noël un arbre ou une grosse bûche nommée tréfouet». Le tréfeu, le tréfouet que l'on retrouve sous le même nom en Normandie, en Lorraine, en Bourgogne, en Berry, etc., c'est, nous apprend le commentaire du Dictionnaire de Jean de Garlande, la grosse bûche qui devait, suivant la tradition, durer pendant les trois jours de fêtes. De là, du reste, son nom: tréfeu, en latin très foci, trois feux.
Partout, même dans les plus humbles chaumières, on veillait autour de larges foyers où flambait la souche de hêtre ou de chêne, avec ses bosses et ses creux, avec ses lierres et ses mousses. La porte restait grande ouverte aux pauvres gens qui venaient demander un gîte pour la nuit. On leur versait en abondance le vin, la bière ou le cidre, suivant les contrées, et une place leur était accordée à la table de famille.
On attendait ainsi la Messe de minuit.
Qu'on se représente les immenses cheminées d'autrefois: sous leur manteau pouvait s'abriter une famille tout entière, parents, enfants, serviteurs, sans compter les chiens fidèles et les chats frileux. Une bonne vieille grand'mère contait des histoires qu'elle interrompait seulement pour frapper la bûche avec sa pelle à feu et en faire jaillir le plus possible d'étincelles, en disant: «Bonne année, bonnes récoltes, autant de gerbes et de gerbillons».
La bûche de Noël était un usage très répandu dans presque toutes les provinces de notre vieille France.
Voici, d'après M. J. Cornandet35, le cérémonial que l'on suivait dans la plupart des familles:
«Dès que la dernière heure du jour s'était fondue dans l'ombre de la nuit, tous les chrétiens avaient grand soin d'éteindre leurs foyers, puis allaient en foule allumer des brandons à la lampe qui brûlait dans l'église, en l'honneur de Jésus. Un prêtre bénissait les brandons que l'on allait promener dans les champs. Ces brandons portaient le seul feu qui régnait dans le village. C'était le feu bénit et régénéré qui devait jeter de jeunes étincelles sur l'âtre ranimé.
Note 35: (retour) Bibliothécaire de la ville de Chaumont
«Cependant, le père de famille, accompagné de ses enfants et de ses serviteurs, allait à l'endroit du logis où, l'année précédente, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche. Ils apportaient solennellement ces tisons; l'aïeul les déposait dans le foyer et tout le monde se mettant à genoux, récitait le Pater, tandis que deux forts valets de ferme ou deux garçons apportaient la bûche nouvelle. Cette bûche était toujours la plus grosse qu'on pût trouver; c'était la plus grosse partie du tronc de l'arbre, ou même la souche, on appelait cela la Coque36 de Noël; on y mettait le feu et les petits enfants allaient prier dans un coin de la chambre, la face tournée contre le mur, afin, leur disait-on, que la souche leur fit des présents; et tandis qu'ils priaient l'Enfant-Jésus de leur accorder la sagesse, on mettait au bout de la bûche des fruits confits, des noix et des bonbons.
Note 36: (retour) Le gâteau allongé en forme de bûche que l'on donne aux enfants le jour de Noël porte encore dans certains pays le nom de coquille ou petite bûche, en patois, le cogneu.
«A onze heures, tous les jeux, tous les plaisirs cessaient. Dès les premiers tintements de la cloche, on se mettait en devoir d'aller à la messe, on s'y rendait en longues files avec des torches à la main.
«Avant et après la messe, tous les assistants chantaient des Noëls, et on revenait au logis se chauffer à la bûche et faire le réveillon dans un joyeux repas.».
Un vieil auteur, Marchetti, expose le sens religieux de ces pratiques: «La bûche de Noël, dit-il, représente Jésus-Christ qui s'est comparé lui-même au bois vert. Dès lors, continue notre auteur, l'iniquité étant appelée, dans le quatrième Livre des Proverbes le vin et la boisson des impies, il semble que le vin répandu par le chef de famille sur cette bûche signifiait la multitude de nos iniquités que le Père Eternel a répandues sur son Fils dans le mystère de l'Incarnation, pour être consumées avec lui dans la charité, dont il a brûlé durant le cours de sa vie mortelle.» J. J.37.
Note 37: (retour) Semaine religieuse du diocèse de Langres, 23 décembre 1905.
Nous allons raconter ce que la bûche de Noël offrait de particulier en Berry, en Normandie, en Provence et en Bretagne.
La bûche de Noël en Berry
En Berry, elle s'appelle cosse de Nau38 et quelquefois trèfoué, trouffiau, trufau (trois feux).
Note 38: (retour) Cosse (codex), souche.Nau signifie Noël: ce mot était employé par nos pères dans ce sens:
Au sainet Nau chanteray...
Car le jour est fériau.
Nau! Nau! Nau!
Car le jour est fériau!
(Anciens Noëls. Bibl. imp.).
Les forces réunies de plusieurs hommes sont nécessaires pour apporter et mettre en place la cosse de Nau, car c'est ordinairement un énorme tronc d'arbre destiné à alimenter la cheminée pendant les trois jours que dure la fête de Noël.
A l'époque de la féodalité, plus d'un fief a été donné, à la charge, par l'investi, de porter, tous les ans, la cosse de Nau au foyer du suzerain39.
Note 39: (retour) BOUTARIC, Traité des drois seigneuriaux, p. 645.
La cosse de Nau doit, autant que possible, provenir d'un chêne vierge de tout élagage et qui aura été abattu à minuit. On le dépose dans l'âtre, au moment où sonne la messe nocturne, et le chef de famille, après l'avoir aspergé d'eau bénite, y met le feu.
C'est sur les deux extrémités de la bûche ainsi consacrée que les mères et surtout les aïeules se plaisent à disposer les fruits, les gâteaux et les jouets de toute espèce auxquels les enfants feront, à leur réveil, un si joyeux accueil. Comme on a fait croire à ceux qui pleuraient pour aller à la messe de minuit, qu'on les mènerait à la messe du cossin blanc—c'est-à-dire qu'on les mettrait au lit,—on ne manque jamais, le lendemain matin, de leur dire que, tandis qu'ils assistaient à cette messe mystérieuse, toutes ces belles et bonnes choses ont été déposées là, à leur intention, par le petit Naulet40.
Note 40: (retour) Le petit Jésus, Naulet, Noëlet, enfant de Noël.
On conserve ces débris de la cosse de Nau d'une année à l'autre: ils sont recueillis et mis en réserve sous le lit du maître de la maison. Toutes les fois que le tonnerre se fait entendre, on en prend un morceau que l'on jette dans la cheminée, et cela est suffisant pour protéger la famille contre le feu du temps, c'est-à-dire contre la foudre41.
Note 41: (retour) Laisnel de La Salle, tom. I, p. 1 et suiv.
«Dans quelques vieilles maisons de notre Berry, je cherchais à m'expliquer pourquoi l'un des deux grands chenets en fer forgé était d'une seule pièce, tandis que l'autre se démontait en deux pièces par le simple emboîtement de la branche verticale sur la branche horizontale et formait, de cette manière, un simple tréteau: une octogénaire m'en a donné l'explication suivante: Dans mon jeune temps, la veille de Noël, on choisissait pour le truffiau (tréfeu) le tronc d'un arbre assez gros pour qu'on fût obligé de le faire traîner par un cheval, et les chenets étaient ainsi faits pour pouvoir le hisser plus facilement. On posait l'une des extrémités sur le grand chenet et l'on faisait glisser latéralement l'autre extrémité sur le chenet démonté, à l'aide de leviers, car cette bûche atteignait très souvent deux ou trois mètres de long sur un mètre de circonférence. On se servait le plus souvent de trognards que l'on rencontre encore beaucoup dans nos haies: le bois fendu était rigoureusement exclu. La longueur de ces bûches explique la forme de ces cheminées géantes d'autrefois»42.
Note 42: (retour) H.-G., d'Henrichemont (Cher).H.-G., d'Henrichemont (Cher).
Dans l'Orléanais, province voisine du Bercy, existaient à peu près les mêmes usages.
La ménagère plaçait dans le foyer, au milieu d'un épais lit de cendres, et enguirlandée de branches de bruyère ou de genièvre, la plus forte souche du bûcher. C'était ordinairement une énorme culée de chêne.
Dans la Beauce et le val Orléanais (rive gauche de la Loire), cette bûche se nomme, selon les localités, tréfoy, trifoué ou trifouyau.
Le moment de déposer, dans l'âtre nettoyé avec soin, la bûche traditionnelle variait selon les pays. Ici on la plaçait aux premiers coups de la cloche annonçant l'office de la nuit, là on attendait l'instant où la cloche sonnait la voix Dieu, c'est-à-dire l'élévation de la messe de minuit. C'était le grand-père, quelquefois le plus jeune enfant qui, après l'avoir aspergé d'eau bénite, y mettait le feu en se signant et en prononçant à haute voix: In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Amen!
Le tréfoué devait brûler, sans flamme, l'espace de trois jours, afin d'entretenir une constante et douce chaleur dans la chambre où se réunissaient, avant et après les offices, mais principalement avant et après la messe de minuit, tous les membres de la famille. Cependant la bûche de Noël se consumait lentement. Les fêtes terminées, on recueillait les restes du tréfoué et on les conservait d'une année à l'autre.
La bûche de Noël en Normandie
Voici en quels termes Marchangy (1782-1826) parle de cet usage en Normandie:
«Le père de famille, accompagné de ses fils et de ses serviteurs, va à l'endroit du logis où, l'année précédente, à la même époque, ils avaient mis en réserve les restes de la bûche de Noël. Ils rapportent solennellement ces tisons qui, dans leur temps, avaient jeté de si belles flammes à rencontre des faces réjouies des convives. L'aïeul les pose dans ce foyer qu'ils ont connu et tout le monde se met à genou en récitant le Pater. Deux forts valets de ferme apportent lentement la bûche nouvelle, qui prend date, comme dans une dynastie. On dit la bûche 1re, la bûche 2e, la 20e, la 30e, ce qui signifie que le père de famille a déjà présidé une fois, deux fois, vingt fois, trente fois semblable cérémonie.
«La bûche nouvelle est toujours la plus grosse que le bûcheron puisse trouver dans la forêt, c'est la plus forte partie du tronc de l'arbre ou, le plus souvent, c'est la masse de ses énormes racines, qu'on appelle la souche ou la coque de Noël.
«A l'instant où l'on y met le feu, les petits enfants vont prier dans un coin de l'appartement, afin, leur dit-on, que la souche leur fasse des présents, et, tandis qu'ils prient, on met à chaque bout de cette souche des paquets d'épices, de dragées et de fruits confits». Qu'on juge de l'empressement et de la joie des enfants à venir recevoir de pareils présents!
De nos jours, l'usage de la bûche de Noël tend à disparaître des pays normands.
Longtemps, les pauvres gens des campagnes, en attendant l'heure de la messe de minuit, ont dû se réchauffer autour de l'énorme bûche éclairant de sa lumière flamboyante la compagnie réunie sous la hotte de la cheminée. C'est assis, devant son brasier, qu'on restait jusqu'au moment où, à travers champs, on allait gagner la pauvre église où devait se célébrer la Messe des bergers. C'est devant l'âtre rougeoyant qu'on se racontait toutes ces légendes merveilleuses de Noël, toutes ces traditions qui, contées par la voix tremblante des aïeules, se sont transmises jusqu'à nos jours: et les pierres tournantes, comme celles de Gerponville, de Saint-Arnoult, de Malle-mains, qui tournent sept fois pendant la nuit de Noël; et les trésors qui ne se découvrent que lorsqu'on sonne le premier coup de la messe nocturne; et les feux follets qui dansent pendant la nuit sur les tombes du cimetière et bien d'autres contes fantastiques43.
Note 43: (retour) G. Dubosc. Journal de Rouen, 25 décembre 1898.
La bûche de Noël en Provence
Les Provençaux apportaient au foyer le joyeux cariguié, ou vieux tronc d'olivier choisi pour brûler toute la nuit; ils s'avançaient solennellement en chantant les paroles suivantes:
Cacho fio.................... Cache le feu (ancien).
Bouto fio..................... Allume le feu (nouveau).
Dieou nous allègre.... Dieu nous comble d'allégresse!
Le plus ancien de la famille arrosait alors ce bois, soit de lait, soit de miel, en souvenir de l'Eden, dont l'avènement de Jésus est venu réparer la perte, soit de vin, en souvenir de la vigne cultivée par Noé, lors de la première rénovation du monde. Le plus jeune enfant de la maison prononçait, à genoux, ces paroles que son père lui avait apprises:
«O feu, réchauffe pendant l'hiver les pieds frileux des petits orphelins et des vieillards infirmes, répands ta clarté et ta chaleur chez les pauvres et ne dévore jamais l'étable du laboureur ni le bateau du marin.»
Cette scène si touchante de la bûche de Noël occupe toute une salle du musée d'Arles; en voici la description:
Neuf mannequins de grandeur naturelle sont groupés autour de la cheminée dans laquelle flambe la bûche de Noël. La première personne de gauche est l'aïeul, en costume du dix-huitième siècle. Il arrose, il bénit la bûche avec du vin cuit et prononce les paroles sacramentelles. Cette formule renferme tout à la fois une prière et d'heureux souhaits pour toute la famille, debout devant la table chargée des plats réglementaires.
Alègre! Alègre! Dieu nous alègre.
Calendo vèn, tout ben vèn
E se noun sian pas mai, que noun fuguen men!
Dieu vous fague la graci de veire l'an que vén.
«Dieu nous tienne en joie; Noël arrive, tout bien arrive! Que Dieu nous fasse la grâce de voir l'année prochaine, et si nous ne sommes pas plus nombreux, que nous ne soyons pas moins!»
En face, assise, l'aïeule file sa quenouille. Derrière elle, le fermier, aîné des garçons, dit lou Pelot, s'appuie sur la cheminée, ayant sa femme vis-à-vis. A côté du Pelot, sa jeune soeur, souriante et rêveuse; elle s'entretient avec lou rafi (valet de ferme). Près de la table, à gauche, l'aînée des filles prépare le repas, tandis qu'au fond le guardian, armé de son trident, et le berger avec son chien, se préparent à assister au festin familial. Une jeune enfant écoute religieusement la bénédiction du grand-père (benedicioun d'où cacho-fio)44.
Note 44: (retour) Le Museon Arlaten, par Jeanne de Flandreysy.
Mistral, quand il fut nommé membre de l'Académie marseillaise, en cette langue provençale si colorée, qu'il parle si bien, nous a donné, dans son discours, un tableau pittoresque de cette scène ravissante de la bûche de Noël:
«Au bon vieux temps, la veille de Noël, après le grand repas de la famille assemblée, quand la braise bénite de la bûche traditionnelle, la bûche d'olivier, blanchissait sous les cendres et que l'aïeul vidait, à l'attablée, le dernier verre de vin cuit, tout à coup, de la rue déjà dans l'ombre et déserte, on entendit monter une voix angélique, chantant par là-bas, au loin dans la nuit.»
Et le poète nous conte alors une légende charmante, celle de la Bonne Dame de Noël qui s'en va dans les rues, chantant les Noëls de Saboly à la gloire de Dieu, suivie par tout un cortège de pauvres gens, miséreux des champs et des villes, gueux de campagne, etc., accourus dans la cité en fête.
«Et vite alors, tandis que la bûche s'éteignait peu à peu, lançant ses dernières étincelles, les braves gens rassemblés pour réveillonner ouvraient leurs fenêtres, et la noble chanteuse leur disait: «Braves gens, le bon Dieu est né, n'oubliez pas les pauvres!» Tous descendaient alors avec des corbeilles de gâteaux, et de nougats—car on aime fort le nougat dans le Midi—et ils donnaient aux pauvres le reste du festin».
Comment résister au désir que nous avons depuis longtemps de publier la bûche de Noël de Frédéric Mistral qui a bien voulu correspondre avec nous et nous donner des renseignements si intéressants sur les coutumes de Noël.
Cette description si gracieuse, si poétique, faisait primitivement partie du poème de Mireille: l'auteur a cru devoir la supprimer pour éviter les longueurs45.
Note 45: (retour) Il faut être bien puissant et bien sûr de soi pour négliger un tel tableau ou le reléguer dans les bas côtés de son oeuvre. Lisons, relisons la traduction de ces beaux vers. Quelle naïveté! Quelle beauté simple et pieuse! Quelle rusticité pleine de saveur! De plus, quelle noblesse fière! Oui, c'est ainsi que doit être sauvée l'âme d'un peuple et maintenue la haute tradition d'un pays. Chaque stance est soutenue par un souffle divin (X***).
«Ah! Noël, Noël, où est ta douce paix? Où sont les visages riants des petits enfants et des jeunes filles? Où est la main calleuse et agitée du vieillard qui fait la croix sur le saint repas?
«Alors le valet qui laboure quitte le sillon de bonne heure, et servantes et bergers décampent, diligents. Le corps échappé au dur travail, ils vont à leur maisonnette de pisé, avec leurs parents, manger un coeur de céleri et poser gaiement la bûche au feu avec leurs parents.
«Du four, sur la table de peuplier, déjà le pain de Noël arrive, orné de petits houx, festonné d'enjolivures. Déjà s'allument trois chandelles neuves, claires, sacrées, et dans trois blanches écuelles germe le blé nouveau, prémice des moissons.
«Un noir et grand poirier sauvage chancelait de vieillesse. L'aîné de la maison vient, le coupe par le pied, à grands coups de cognée, l'ébranlé et, le chargeant sur l'épaule, près de la table de Noël, il vient aux pieds de son aïeul le déposer respectueusement.
«Le vénérable aïeul d'aucune manière ne veut renoncer à ses vieilles modes. Il a retroussé le devant de son ample chapeau, et va, en se hâtant, chercher la bouteille. Il a mis sa longue camisole de cadis blanc, et sa ceinture, et ses braies nuptiales, et ses guêtres de peau.
«Cependant, toute la famille autour de lui joyeusement s'agite...—«Eh bien? posons-nous la bûche, enfants?—Allégresse! Oui». Promptement, tous lui répondent: «Allégresse.»—Le vieillard s'écrie: «Allégresse! que notre Seigneur nous emplisse d'allégresse! et si une autre année nous ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins!»
«Et, remplissant le verre de clarette devant la troupe souriante, il en verse trois fois sur l'arbre fruitier. Le plus jeune prend l'arbre d'un côté, le vieillard de l'autre, et soeurs et frères, entre les deux, ils lui font faire ensuite trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
«Et dans sa joie, le bon aïeul élève en l'air le gobelet de verre: «O feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beau temps!»
«Bûche bénie, allume le feu! Aussitôt, prenant le tronc dans leurs mains brunes, ils le jettent entier dans l'âtre vaste. Vous verriez alors gâteaux à l'huile et escargots dans l'aïoli heurter dans ce beau festin vin cuit, nougat d'amandes et fruits de la vigne.
«D'une vertu fatidique vous verriez luire les trois chandelles, vous verriez des esprits jaillir du feu touffu, du lumignon vous verriez pencher la branche vers celui qui manquera au banquet, vous verriez la nappe rester blanche sous un charbon ardent et les chats rester Muets!»
La bûche de Noël en Bretagne46
Note 46: (retour) Cette description de la bûche de Noël en Bretagne a été reproduite par un grand nombre de journaux, et revues: les Annales politiques, la Revue française, etc.
En Bretagne, la plus grande fête de l'année était la fête de Noël, et ce que nous, pauvres paysans, nous aimions le plus dans cette fête, c'était la Messe de minuit. Maigre plaisir, pour vous autres citadins qui aimez vos aises; mais qu'était-ce pour nous, paysans, qu'une nuit blanche? Même quand il fallait cheminer dans la boue et sous la neige, pas un vieillard, pas une femme n'hésitait. On ne connaissait pas encore les parapluies à Saint-Jean-Brévelay, ou du moins on n'y connaissait que le nôtre, qui était un sujet d'étonnement et d'admiration. Les femmes retroussaient leurs jupes avec des épingles, mettaient un mouchoir à carreaux par-dessus leurs coiffes, et partaient bravement dans leurs sabots pour se rendre à la paroisse. Il s'agissait bien de dormir! Personne ne l'aurait pu. Le carillon commençait dès la veille après l'Angelus du soir, et recommençait de demi-heure en demi-heure jusqu'à minuit! et pendant ce temps-là, pour surcroît de béatitude, les chasseurs ne cessaient pas de tirer des coups de fusil en signe d'allégresse; mon père fournissait la poudre. C'était une détonation universelle. Les petits garçons s'en mêlaient, au risque de s'estropier, quand ils pouvaient mettre la main sur un fusil ou un pistolet.
Le presbytère était à une petite demi-lieue du bourg; le recteur faisait la course sur son bidet, que le quinquiss (le bedeau) tenait par la bride. Une douzaine de paysans l'escortaient, en lui tirant des coups de fusil aux oreilles. Cela ne lui faisait pas peur, car c'était un vieux chouan, et il avait la mort de plus d'un bleu sur la conscience. Avec cela, bon et compatissant, et le plus pacifique des hommes, depuis qu'il portait la soutane, et que le roi était revenu.
On faisait ce soir-là de grands préparatifs à la maison. Telin-Charles et Le Halloco mesuraient le foyer et la porte de la cuisine d'un air important, comme s'ils n'en avaient pas connu les dimensions depuis bien des années. Il s'agissait d'introduire la bûche de Noël, et de la choisir aussi grande que possible. On abattait un gros arbre pour cela; on attelait quatre boeufs, on la traînait jusqu'à Kerjau (c'était le nom de notre maison), on se mettait à huit ou dis pour la soulever, pour la porter, pour la placer: on arrivait à grand'peine à la faire tenir au fond de l'âtre; on l'enjolivait avec des guirlandes; on l'assurait avec des troncs de jeunes arbres; on plaçait dessus un gros bouquet de fleurs sauvages, ou pour mieux dire de plantes vivaces. On faisait disparaître la table du milieu; la famille mangeait un morceau sur le pouce. Les murs étaient couverts de nappes et de draps blancs, comme pour la Fête-Dieu; on y attachait des dessins de ma soeur Louise et de ma soeur Hermine, la bonne Vierge, l'Enfant Jésus.
Il y avait aussi des inscriptions: Et homo factus est! On ôtait toutes les chaises pour faire de la place, nos visiteuses n'ayant pas coutume de s'asseoir autrement que sur leurs talons. Il ne restait qu'une chaise pour ma mère, et une tante Gabrielle, qu'on traitait avec déférence et qui avait quatre-vingt-six ans. C'est celle-là, mes enfants, qui savait des histoires de la Terreur! Tout le monde en savait autour de moi, et mon père, plus que personne, s'il avait voulu parler. C'était un bleu, et son silence obstiné était peut-être conseillé par la prudence, dans un pays où il n'y avait que des chouans. L'encombrement était tel dans la cuisine, tout le monde voulant se rendre utile et apporter du genêt, des branches de sapin, des branches de houx, et le bruit était si assourdissant, à cause des clous qu'on plantait et des casseroles qu'on bousculait, et il venait un tel bruit du dehors, bruits de cloches, de coups de fusil, de chansons, de conversations et de sabots, qu'on se serait cru au moment le plus agité d'une foire.
A onze heures et demie, on entendait crier dans la rue: Naoutrou Personn! Naoutrou Personn! (M. le recteur, M. le recteur). On répétait ce cri dans la cuisine, et à l'instant tous les hommes en sortaient; il ne restait que les femmes avec la famille. Il se faisait un silence profond. Le recteur arrivait, descendait de son bidet que je tenais par la bride (c'est-à-dire que j'étais censé le tenir, mais on le tenait pour moi; il n'avait pas besoin d'être tenu, le pauvre animal). A peine descendu, M. Moizan montait les trois marches du perron, se tournait vers la foule découverte, ôtait lui-même son chapeau, et disait, après avoir fait le signe de la croix: «Angelus Domini nuntiavit Mariæ». Un millier de voix lui répondaient. La prière finie, il entrait dans la maison, saluait mon père et ma mère avec amitié, M. Ozon, le maire, qui venait d'arriver de Pénic-Pichou, et M. Ohio, le maréchal ferrant, qui était greffier du juge de paix. M. Ozon, M. Ohio étaient les plus grands seigneurs du pays. Ils savaient lire; ils étaient riches, surtout le premier. On offrait au recteur un verre de cidre qu'il refusait toujours. Il partait au bout de quelques minutes, escorté par M. Ozon et M. Ohio, puis, aussitôt, on se disposait à bénir la bûche de Noël. C'était l'affaire de dix minutes.
Mon père et ma mère se tenaient debout à gauche de la cheminée. Les femmes que leur importance ou leurs relations avec la famille autorisaient à pénétrer dans le sanctuaire, ce qui veut dire ici la cuisine, étaient agenouillées devant le foyer en formant un demi-cercle. Les hommes se tenaient serrés dans le corridor, dont la porte restait ouverte, et débordaient dans la rue jusqu'au cimetière. De temps en temps, une femme, qui avait été retenue par quelques soins à donner aux enfants, fendait les rangs qui s'ouvraient devant elle, et venait s'agenouiller avec les autres. Tante Gabrielle, revêtue de sa mante, ce qui annonçait un grand tralala, était à genoux au milieu, juste en face de la bûche, ayant à côté d'elle un bénitier et une branche de buis, et elle entonnait un cantique que tout le monde répétait en choeur.
Vraiment, si j'en avais retenu les paroles, je ne manquerais pas de les consigner ici; je les ai oubliées, je le regrette; non pas pour vous, qui êtes trop civilisés pour vous plaire à ces souvenirs, mais pour moi. Et, après tout, je n'ai que faire de la chanson de tante Gabrielle, puisque je ne sais plus un mot de bas-breton. L'air était monotone et plaintif, comme tout ce que nous chantons chez nous à la veillée; il y avait pourtant un crescendo, au moment où la bénédiction allait commencer, qui me donnait ordinairement la chair de poule....
Jules Simon.
Ce chapitre est le plus intéressant de tous, car c'est la Messe de minuit qui donne surtout à la fête de Noël sa grande popularité.
Un ancien usage, qui semble remonter jusqu'au pape Télesphore (IIe siècle), ou au moins jusqu'à saint Grégoire le Grand (homélie 8e sur l'évangile du jour), permet aux prêtres de dire trois messes le jour de Noël47. Il semble que l'intention de l'Eglise, en autorisant cette coutume, a été d'honorer les trois naissances différentes de Jésus-Christ.
Note 47: (retour) En Espagne, les prêtres ont aussi le privilège de dire trois messes le jour des Morts, à la condition de les appliquer à tous les défunts et sans honoraires. Les Grecs unis ne disent qu'une seule messe le jour de Noël.
La première est sa naissance temporelle à Bethléem, que l'Eglise honore particulièrement à la Messe de minuit. Celle-ci se célèbre à l'heure même où l'on pense communément que Notre-Seigneur a voulu naître.
La seconde est sa naissance spirituelle dans les coeurs des fidèles, figurée par sa manifestation aux bergers qui est racontée dans l'évangile qu'on lit à la Messe de l'aurore.
La troisième est sa naissance éternelle dans le sein de son Père, rappelée à la Messe du jour; l'Eglise nous y fait lire pour épître et pour évangile deux passages de l'Écriture où la divinité de Jésus-Christ est clairement énoncée.
Quoique les fidèles ne soient obligés, par le précepte de l'Eglise, qu'à assister à une des trois messes de Noël, l'usage des personnes pieuses est de les entendre toutes les trois.
A Rome, le Pape disait la première messe de Noël (la Messe de la nuit), dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, à l'autel de la Crèche.
La seconde messe était célébrée dans l'église de Sainte-Anastasie, martyre de Sirmich, dont les reliques étaient vénérées à Constantinople; cette église se trouvait dans le quartier le plus central de Rome.
La troisième messe était célébrée dans l'Eglise de Saint-Pierre. C'est pendant cette messe que le pape Léon III, en couronnant Charlemagne empereur d'Occident, inaugura, en 800, le Saint-Empire romain.
Ordinairement le pape lui-même célébrait les trois messes.
La messe de la nuit, dite à Sainte-Marie-Majeure, était surtout solennelle: une foule immense remplissait toujours la vaste basilique, toute resplendissante avec ses mosaïques, ses bronzes, ses porphyres, ses tabernacles d'or étincelants de pierres précieuses, et surtout sa longue et majestueuse nef soutenue par trente-huit colonnes de marbre blanc. Représentez-vous cette immense église aussi éclairée qu'en plein jour. C'étaient partout des lumières, il en jaillissait des faisceaux de chaque colonne; le sanctuaire surtout était tout en feu. Et toutes ces lumières se détachaient sur des draperies de velours cramoisi à franges d'or, dont l'église tout entière aussi bien que la colonnade était ornée.
Les chanoines de la basilique allaient en grande pompe chercher la pauvre Crèche qui servit de berceau à l'Enfant-Jésus.
Dès que la sainte relique était exposée à la vénération des fidèles, le Souverain-Pontife commençait la Messe. Et quelle Messe! De quelles suaves et indicibles émotions devaient être inondés les témoins mille fois privilégiés de cette Messe de minuit, dite par le Chef de l'Eglise, près du berceau du Sauveur, à l'heure même où l'Eglise rappelle le souvenir de sa naissance!
Après avoir contemplé et admiré ces splendeurs, abaissons nos regards sur l'humble église de nos villages. Comme la scène de la nuit de Noël est belle dans sa touchante simplicité!
Dans une demi-obscurité, l'office commence.
Au-dessus de l'autel, dominant une Crèche de branchages, une sorte de transparent reflète en vagues miroitements la lumière tremblante des cierges.
Minuit! Un Sauveur nous est né! Chantons Noël!
L'enfantelet de cire, étendu sur la paille, semble baigné d'un flot d'or perçant la claire-voie de l'étable.
Tout autour du choeur flamboie, en lettres d'un mètre de haut, le cantique des Anges, le cri d'amour et d'adoration: Gloria in excelsis Deo!
Le sanctuaire est bien humble, bien pauvre, si pauvre que les cierges vacillants de l'autel et de la nef ont grand'peine à dissiper les ténèbres et qu'il faut, pour suivre l'office dans le gros paroissien aux lettres d'alphabet, s'aider du lumignon qui guidait tout à l'heure les pèlerins à travers la campagne endormie.
Mais une foi ardente anime ces âmes croyantes, à la seule pensée du Mystère qu'on commémore en cette nuit de Nativité. Une extase intérieure illumine la petite enfant qui épelle, comme la vieille grand'mère qui ne sut jamais lire48.
Note 48: (retour) Lire les belles pages que dom Guéranger a écrites sur le Temps de Noël.
En allant à la Messe de minuit.
«Jeannot, mon vieux, prends ta béquille;
Faut aller voir l'Enfant-Jésus.
La coque en feu flambe et pétille,
L'eau bénite a coulé dessus.
Si la Bonne-Dame (à Dieu plaise!)
Entre chez nous, toute la nuit
Elle y trouvera de la braise
Pour la bouillie à son petit49.
«J'ai mon bâton. La neige est dure,
Tiens-toi bien, prends garde de choir;
Déjà le vent de la froidure
Éteint ma lanterne... il fait noir.
Marchons doucement.—C'est peut-être
La dernière fois, ô mon vieux,
Que nous allons voir notre Maître,
Si bon pour nous, les pauvres gueux?»
Note 49: (retour) La coque de Noël doit brûler toute la nuit, sans interruption, même en l'absence des gens de la maison, car la sainte Vierge peut avoir besoin d'entrer dans le logis pour faire de la bouillie à l'Enfant-Jésus et il faut qu'elle trouve le feu tout prêt.
(Légende nivernaise).
—«Oui, nous avons passé sur terre,
Tous deux, plus de septante-huit ans;
L'heure est proche où notre misère
Doit prendre fin... il est bien temps!
Trimer, bûcher, voilà l'aubaine,
Toujours minable et tracassé...
Mais plus en ce monde l'on peine,
Plus on sera récompensé!
«Au Paradis, ma pauvre vieille,
On n'aura plus ni froid ni faim;
On n'y connaîtra pas, la veille,
Le grand souci du lendemain.
Nous prierons Jésus tout à l'heure
De nous y faire entrer tous deux,
Puisque la place la meilleure,
Il l'a réserve aux malheureux.
—«O mon vieux, ce que, moi, j'espère,
C'est de revoir au Paradis
Nos défunts, le père et la mère,
D'y retrouver nos chers petits.
Ah! Jésus pourvu que personne
De chez nous ne manque là-haut!...
Mais voici la cloche qui sonne,
Nous arriverons comme il faut.»
Ainsi, le dos rond sous la bise,
Qui court le long du sentier blanc,
Les vieux s'avancent vers l'église,
Tout chevrotant et gambillant.
Pauvres gens!—quoique la distance
Ne soit pas grande, ils sont bien las;
Mais, dans leur rêve d'espérance,
Ils ne s'en aperçoivent pas.
Oh! comme l'église flamboie!
Oh! tant de cierges sur l'autel!
Oh! les beaux cantiques de joie!
L'encens fume... Noël! Noël!
Le chant, le parfum, la lumière
Mettent en leurs coeurs éblouis
Une allégresse avant-courrière
Des liesses du Paradis.
Ils n'ont jamais, depuis l'enfance,
Manqué la messe de minuit:
Avec la même confiance
Les voilà qui prient aujourd'hui.
—Votre prière n'est pas vaine,
O bonnes gens agenouillés,
Puisqu'elle charme votre peine
Et que vos maux sont oubliés!...
Ils partent. Simulant l'aurore,
La lune éclat à l'horizon.
Sur leurs lèvres murmure encore
La douce et naïve oraison.
Le couple en silence chemine
Et, sous les piqûres du gel,
Les vieux rentrent dans leur chaumine,
Transis, contents... Noël! Noël!
Achille MILLIEN,50.
à Beaumont-la-Ferrière (Nièvre).
Note 50: (retour) Cette ravissante poésie est extraite d'un des nombreux ouvrages de l'éminent poète nivernais, intitulé L'Heure du Couvre-Feu: cet ouvrage, comme plusieurs de ses aînés, a été couronné par l'Académie française.
Le vicomte Walsh, dans son admirable ouvrage des Fêtes chrétiennes, nous raconte une Messe de minuit pendant la Révolution qui a bien ce caractère de simplicité dont nous venons de parler:
«Je me souviens d'une Messe de minuit dite en cachette pendant les persécutions de 93.
«En ce temps-là, il n'y avait plus d'église pour célébrer les Saints Mystères: une grange fut choisie par les habitants du hameau. Les femmes la décorèrent pendant la nuit précédente: des draps de grosse toile bien blanche furent tendus tout à l'entour. Une table rustique, recouverte des linges les plus blancs, devait servir d'autel; des branches de houx, à petites baies rouges, étaient placées comme bouquets de chaque côté du crucifix d'ébène; deux chandelles de résine furent mises dans des flambeaux de fer: c'était toute la pompe de ces temps de persécution.
«Isolément et sans faire aucun bruit, les fidèles se rendirent à la grange préparée pour la fête. Avec quelle piété ces paysans bretons tombaient à genou devant cet autel si pauvre!
«Quand le prêtre parut à l'autel, des pleurs s'échappèrent de tous les yeux.
«Lui-même fut tellement ému qu'il répandait aussi des larmes qui n'étaient pas sans douceur. Confesseur de la foi quelques jours auparavant, il avait touché de près à la mort et le voilà qui va célébrer un mystère de sainte joie!51».
Note 51: (retour) V. «Une Messe de minuit en exil», Noël dans les pays étrangers, page 33.
Avant d'aborder les très intéressantes particularités de la Messe de minuit que nos amis ont bien voulu nous signaler dans toutes les contrées de la France, on voudra bien nous permettre de citer une ravissante nouvelle d'Auguste Nisard, qu'on pourrait intituler: Une Messe de minuit manquée, et qu'on pourrait résumer ainsi:
«Notre mère attendait, pour nous emmener avec elle à la Messe de minuit, que chacun de nous eût ses sept ans accomplis..... A onze heures et demie, ma mère vint m'éveiller..... Las! je dormais d'un sommeil si dur que je n'entendis pas cette voix chérie et continuai de ronfler de toutes mes forces. A un second appel, je ne répondis pas davantage..... Enfin, à la troisième sommation..... j'ouvris les yeux, je me débrouillai comme je pus de mes visions nocturnes et, tirant de dessous mes draps cette jambe-ci, puis cette autre, je tombai plutôt que je ne fus sur mes jambes..... Je n'étais pas tout à fait endormi, et pas tout à fait éveillé..... Voilà-t-il pas que je retombe lourdement, et je dis à ma chère mère que je veux me recoucher..... A quoi celle-ci n'eut garde de s'opposer.....
«Au matin je m'en voulus mal de mort de ma lâcheté. Je ne me suis jamais consolé de cette Messe de minuit manquée.»
Messe de minuit en Normandie
C'est au pays de Caux surtout que la Messe de minuit se célébrait avec une grande solennité, sous le nom de fête des bergers.
Son origine était complètement normande. Au début, cette fête ne fut, en effet, qu'un de ces petits drames liturgiques latins que parfois on intercalait, comme une sorte de jeu sacré, dans l'office solennel, telles la Messe de l'étoile et la Messe de l'âne, qui furent représentées souvent, dans les premières années du Moyen Age, à la cathédrale de Rouen.
On représentait aussi dans la même église le Drame des pasteurs, adoration pieuse et naïve de l'Enfant-Jésus par les Bergers.52
Note 52: (retour) Deux manuscrits de la Bibliothèque de Rouen nous ont conservé toute cette mise en scène primitive qui a été publiée par Du Cange dans son Glossarium.
Ces pastorales donnèrent naissance à la fête des bergers. C'est la même naïveté dans le scénario, avec un caractère rustique qui remplace la gravité sacerdotale.
C'était aux garçons du village que revenait l'organisation de la fête. A Goderville et à Froberville, ils élisaient même un maître qui devait recueillir les offrandes pour rachat d'un somptueux pain bénit.
A minuit, la vieille église du village s'estompait dans la brume blanchâtre et glacée. Sous le porche et dans l'allée centrale piétinaient, avec un perpétuel chuchotement, les curieux, étrangers à la paroisse qui cherchaient, comme dans les théâtres des villes, «des places assises d'où l'on puisse très bien voir.» Tous étaient attirés par le charme de poésie touchante qui caractérisait cette pittoresque cérémonie.
De tout ce mouvement, de tout ce bruit, sont presque scandalisés les habitants du village, rangés dans leurs bancs bien cirés: cultivateurs venus avec leurs valets par les chemins creux, vieux paysans aux casquettes de poil et aux sabots de bois rembruni; bonnes femmes dont le serre-tête de coton s'agite sans cesse d'un petit mouvement saccadé; fermières et leurs servantes, bien au chaud dans leurs amples manteaux de laine, dans leurs capelines sombres, qu'égayent de blancs pompons légers et mouvants.
Dans le clocher de pierre, les douze coups de minuit viennent de sonner; les chantres ont achevé le Te Deum, le silence se fait dans toute l'église; qu'attend-on?
Réunis auprès des fonts baptismaux, se tenaient tous les garçons du village, portant en écharpe une serviette blanche, tandis que le maître se distinguait au milieu d'eux par une sorte de petite nappe à longs effilés, portée à la ceinture. À leur groupe se joignaient les bergers du pays. Ceux-ci avaient revêtu leur costume traditionnel: longue limousine rayée à pèlerine et à capuchon, chapeau de feutre à larges bords, sabots aux pieds et houlette ornée à la main.
A un signal donné, le cortège ainsi formé se mettait en marche. Souvent il était précédé par une sorte de chandelle allumée, mise en mouvement et glissant, à l'aide d'un fil de fer, d'un bout de l'église à l'autre, du portail à l'autel. C'était la Marche à l'étoile. Les bergers tenaient en laisse ou portaient un bel agneau blanc tout enrubanné; ils venaient l'offrir au Christ-Enfant couché dans une Crèche devant l'autel.
Souvent on tirait la queue à la pauvre bête ou on la piquait avec une épingle, afin qu'elle se mit à bêler dans les moments les plus solennels.
Mais ce qui attirait surtout les regards de la foule, c'était la civière du pain bénit, éblouissante de lumières, de cierges et de chandelles allumées.
Cette civière, comme à Néville, près de Saint-Valéry, était un véritable monument de menuiserie, en forme de pyramide, à plateaux ronds et superposés, ornés de lumières et reliés par des girandoles illuminées; elle était en outre parée de jolies touailles ou nappes de broderies et de dentelles. Au beau milieu se dressait un mât portant cinq plateaux d'un diamètre de plus en plus diminué, en montant, et donnant l'aspect d'un cône. Du sommet de ce mât, comme quatre haubans, descendaient quatre branches de fer portant, de distance en distance, des bras de candélabres et des torchères où brillaient de nombreuses bougies. Une sorte de manivelle—pour employer le terme populaire une chincholle—placée à la partie supérieure, actionnait tous les plateaux qui tournaient alors sur leur axe, en projetant l'éclat de mille petits cierges scintillants. Sur les plateaux reposaient les couronnes de pain bénit, ornées de fleurs et de feuillage: houx, laurier, lierre, roses de Noël; un bouquet terminait également le mât pyramidal.
Tout ce cortège, dans lequel deux garçons étaient chargés de mettre le mécanisme en mouvement, venait, à un moment donné, faire l'offrande du pain bénit; les fameux plateaux tournants faisaient surtout un effet magique.
Nous avons extrait ces détails d'un excellent article de M. Georges Dubosc, dont tout le monde, en Normandie, connaît le talent et l'érudition53.
Note 53: (retour) Journal de Rouen, 22 déc. 1901.
A Saint-Victor-l'Abbaye, quatre petites filles, tout de blanc habillées, couronnées de roses, portent sur leurs épaules le symbole vivant de l'Enfant-Dieu, un agneau immaculé, incarnation d'innocence, de pureté et de douceur. Couché sur un tapis moelleux de chauds lainages, l'agnelet dresse sa petite tête placide et sereine, sous un dôme de verdure et de fleurs, formé d'un entrelacement de feuilles de lierre et de branchages de houx, piqué çà et là de roses, d'oeillets et de chrysanthèmes54.
Note 54: (retour) Item, 25 déc. 1904.
Messe de minuit en Picardie
Dans la plupart des villages se formait un nombreux cortège de bergers et de bergères vêtus de blanc. Le roi de la troupe, tout enrubanné et couronné de fleurs, portait, dans une magnifique corbeille, un petit agneau d'une blancheur de neige. On se rendait processionnellement à l'église, au chant des Noëls locaux et au son des musettes et des tambourins. Le prêtre bénissait l'innocente créature à la Messe de minuit, au milieu de la joie universelle.
L'heureux agnelet était ramené à la bergerie où il était l'objet de soins particuliers. On le laissait mourir de vieillesse; car, par une pieuse naïveté, on le regardait comme le «sauveur du troupeau».
Cette vieille coutume picarde nous rappelle la touchante cérémonie qui a lieu, chaque année, à Rome, dans l'église de Sainte-Agnès-hors-les-Murs, le jour de la fête de la glorieuse martyre (21 janvier).
Après la messe, on organise une procession. En tête, s'avancent des prêtres en grands manteaux noirs. Ils tiennent chacun sur les bras un superbe coussin de damas rouge orné de franges d'or, sur lequel est mollement couché un petit agneau blanc comme la neige, la tête couronnée de roses. Ces agneaux sont placés sur l'autel et bénits par le célébrant.
Ils sont fournis par les Pères Trappistes des Trois-Fontaines. Après la cérémonie dont nous venons de parler, ils sont remis à deux chanoines de Saint-Jean-de-Latran, qui les offrent au Pape. Le Pape les bénit de nouveau et les confie aux Religieuses du monastère de Sainte-Cécile, au Transtévère, qui en prennent le plus grand soin.
Leur toison est coupée au mois d'avril et sert à confectionner les Palliums, manteaux d'honneur qui, après avoir été déposés sur le tombeau de saint Pierre, au Vatican, sont envoyés par le Pape aux archevêques comme symbole de leur union avec le Pontife romain.
Messe de minuit en Champagne
A Clinchamp (Haute-Marne), le pain bénit, surmonté d'un dôme de verdure et de fleurs, est offert à la Messe de minuit par une jeune fille vêtue de blanc, comme une première communiante.
Cette jeune fille porte le pain bénit non point sur le bras, comme cela se fait ordinairement, mais sur la tête.
Le petit échafaudage, en forme de coupole, qui surmonte le pain bénit, est orné, au sommet surtout, de petits cierges allumés.
La scène est des plus gracieuses: la jeune fille s'avance gravement, portant d'une main un cierge bien décoré et de l'autre maintenant sur sa tête le pain bénit tout resplendissant de lumières.
Bien que cette cérémonie excite la curiosité de tous les assistants, elle s'accomplit toujours dans le recueillement le plus parfait.
Notre aimable confrère qui nous transmet ces ravissants détails nous en expose le symbolisme frappant. Le pain bénit convient bien au Mystère de Bethléem, la maison du pain 55, et les cierges allumés représentent la céleste lumière qui environna les bergers quand l'Ange leur annonça la joyeuse naissance de Celui qui est la «lumière du monde». Ego sum lux mundi56, lumen ad revelationem gentium 57.
Note 55: (retour) Hom. Saint Greg., 7e lec., Mat. de Noël.
Note 56: (retour) Joann., VIII, 12.
Note 57: (retour) Luc, II, 32.
Au pays d'Armagnac, au commencement de la Messe de minuit, on bénit le pain de Noël. Chaque famille offre le sien. Au retour, on en coupe un morceau qui est religieusement gardé pour la Noël prochaine. Le reste est mangé de suite pour commencer le réveillon.
Dans le Condomois, tous les boulangers offrent en cadeau à leurs clients le gâteau de Noël. C'est un pain spécial pétri avec des oeufs et de l'anis et d'un goût excellent.
Les grandes familles reçoivent plusieurs de ces gâteaux de leurs boulangers. Elles envoient le plus beau à l'église pour être distribué aux fidèles à la Messe de minuit: ces pains sont donnés à l'assistance en grande quantité.
Il est d'usage, dans un grand nombre, de villages des Pyrénées, de faire bénir, à la Messe de minuit, des petits pains que l'on garde pendant toute l'année et qu'on donne aux bestiaux quand ils sont malades, principalement aux brebis.
Dans le Rouergue (Aveyron), après l'élévation de la Messe de minuit, on entonne le Nodolet (chant de Noël), cantique particulier, embryon de drame liturgique. Le choeur des jeunes filles, de ses voix les plus douces—pour imiter les anges—s'exprime en français, annonçant le Mystère de ce jour, et toute l'assistance, en choeur, répond, en patois, demandant des explications et exprimant son étonnement de la naissance d'un Dieu pauvre.
Identique pour le fond, le «Nodolet» varie beaucoup dans la forme, suivant les diverses paroisses.
Ce chant dialogué se rencontre aussi en Provence et en Normandie.
En Provence, quatre jeunes gens, dont trois représentent des pasteurs et le quatrième un ange, s'avancent à l'entrée de l'église, avant la Messe de minuit: ils conduisent un agneau orné de rubans. Ils chantent sur deux airs différents un dialogue, l'ange en français et les bergers en provençal. L'ange invite les bergers à se livrer à l'allégresse et à venir à Bethléem adorer le Messie. Un des bergers, surpris des paroles auxquelles il ne comprend rien, appelle son camarade Jean, qui entend le français, et il le prie de lui interpréter les paroles de cet inconnu.
Jean s'enquiert du voyageur, de l'objet de sa venue et pourquoi il fait tant de bruit à la porte de leurs cabanes; alors l'ange leur annonce la naissance de Jésus.
Quand ce dialogue est terminé, l'ange et les pasteurs entrent dans l'église, s'approchent de la Crèche et, s'étant mis à genoux, ils offrent l'agneau en chantant un dernier verset en choeur.
Une scène à peu près semblable a lieu, en Normandie, dans l'église de Saint-Victor-l'Abbaye.
Avant la Messe de minuit, quatre jeunes filles, groupées au pied de l'autel, se lèvent et lancent cet appel.
Venez, bergers, accourez tous,
Laissez vos pâturages.
Un nouveau roi est né pour vous,
Portez-lui vos hommages.
N'oubliez pas vos chalumeaux,
Ni vos douces musettes,
Et faites de vos airs nouveaux
Retentir ces retraites.
Ces jeunes filles figurent les anges annonciateurs de la venue du Messie aux bergers endormis dans la plaine de Bethléem. Leurs voix pures et fraîches nuancent avec délicatesse la naïve invitation. Mais, à la voix des anges, quelqu'un répond du porche de l'église.
Rauque, angoissée, avec des intonations discordantes, sans aucun souci du rythme et de la mesure, lançant les notes les plus fausses qu'il soit possible d'entendre, c'est la voix d'un berger qui, volontairement bourru, s'écrie:
Quelle est cette importune voix
Qui frappe mon oreille,
Ne puis-je dormir une fois
Sans que l'on me réveille?
Tantôt c'est le coq par son chant,
Tantôt l'enfant qui crie.
On doit laisser dormir les gens
Quand ils en ont envie.
Sans se laisser déconcerter par cet accueil quelque peu brutal, les anges répètent leur invitation qui ne reçoit point de réponse: le berger s'est sans doute rendormi.
Tout à coup, à la voûte du choeur, immédiatement au-dessus de l'autel, la lueur fulgurante d'une traînée de fulmi-coton allumant les bougies d'une vaste étoile symbolique illumine l'église tout entière.
Cette fois, le berger ne résiste plus; il lui fallait sans doute un miracle...
Ah! Quel éclat frappe mes yeux,
Malgré la nuit profonde!
Sans doute, c'est le Roi des cieux
Qui vient de naître au monde.
Je sens déjà dans mon esprit
Sa grâce qui m'éclaire,
Et sa lumière me suffit
Pour un si grand mystère.
Les couplets se succèdent alors interminables, les anges multiplient leurs exhortations et le berger ses louanges et ses protestations d'amour et de fidélité58.
Note 58: (retour) Pierre Villette, Journal de Rouen, 25 déc. 1904.
Ces dialogues rappellent la coutume qu'on avait autrefois de célébrer par des scènes animées la naissance du Christ. Cet usage se pratiquait dans nos anciennes provinces, pendant la nuit de Noël. Ces sortes de représentations, connues sous le nom de Pastorales59, finirent par dégénérer en bouffonneries sur divers points et donnèrent lieu à de sévères interdictions. Un chant, nommé Chant des Pasteurs, fut seul maintenu dans nos anciennes basiliques comme dans les églises de campagne: il précédait, dans les Landes, le cantique Benedictus; alors la voix des fidèles, des chantres et des enfants de choeur répétait à l'unisson les mêmes paroles, en s'unissant aux accords harmonieux de l'orgue; quelquefois aussi ce chant était accompagné par les musettes, les hautbois, les fifres et les tambourins.
Note 59: (retour)De nos jours, à Paris et dans plusieurs villes de province, on s'est mis à jouer des Pastorales ou scènes de Noël, avec toute la dignité et la piété qui leur conviennent.
A Pithiviers, la Pastorale a été jouée, en 1911, avec un plein succès par les jeunes filles de la Persévérance.
La Messe de minuit en Vendée
En Vendée, Noël est toujours la grande fête populaire, exclusivement religieuse.
Il n'y a pas de temps ni de chemins, si mauvais qu'ils soient, qui empêchent les gens de venir à la Messe de minuit.
Les habitants du village de Sallertaines (dans le Marais) se rendent en bateau ou mieux en yole à la Messe de minuit.
Il n'y a guère que de la Saint-Jean à la Toussaint qu'ils peuvent venir à pied dans le village; le reste de l'année, ils ne peuvent sortir qu'en bateau. Alors ils suivent les fossés qu'ils connaissent comme des chemins et se rendent à l'entrée du bourg.
Comment décrire ces barques oscillantes au milieu des ténèbres, portant à l'avant une lanterne accrochée à un bâton, «étoile menue qui fouille les eaux, balancée par la marche et secouée par le vent60?»
Note 60: (retour) René Bazin, La terre qui meurt.
Au détour des fossés que cette lumière vacillante éclaire de ses lueurs falotes en faisant étinceler le givre des arbres, on croit voir d'étranges silhouettes. On entend le clapotis des lames sous les coups de la ningle (rame). «Quelquefois les herbes amoncelées en maint endroit barrent le passage; des oiseaux se lèvent au frôlement des roseaux, jetant un cri déchirant ou plaintif: vanneaux, pluviers, bécassines61.»
Note 61: (retour) Id., loc. cit.—Pithiviers s'est aussi appelé Pluviers; quelques auteurs ont pensé que ce nom pourrait bien venir des pluviers que l'on rencontrait autrefois dans la vallée de la rivière de l'Oeuf. Aujourd'hui cet oiseau a complètement disparu. Il y a plusieurs sortes de pluviers, comme on peut le voir au musée de Carnac (Morbihan); le pluvier doré est un gibier rare et très recherché.
Des centaines de voix font entendre de joyeux Noëls et les échos répondent sur l'immense étendue des prairies inondées62.
Note 62: (retour) Quand, dans une ferme du Marais, il y a un malade qui doit recevoir le saint Viatique, tous les habitants des hameaux voisins, à deux ou trois kilomètres, sont prévenus. Une yole de chaque maison, avec quelques personnes, se dirige vers le fossé que doit suivre le prêtre avec le Saint-Sacrement. Dès que le prêtre est passé, chacune des yoles venues à sa rencontre se met à sa suite, et l'on arrive ainsi avec toute une petite flottille à la demeure du malade. C'est très poétique et très édifiant.
La Messe de minuit en Provence
Les fêtes de Noël se passent avec beaucoup d'entrain, de religion, de naïveté et de grâce dans toute la Provence et le Comtat.
Il existe, en Provence, un usage rappelant la coutume suédoise qui associe les oiseaux à la solennité de Noël63.
Note 63: (retour) Noël dans les pays étrangers, le réveillon des petits oiseaux, p. 14. 1°.
A Entraigues (Vaucluse), la veille de Noël, les jeunes gens se mettaient à poursuivre les roitelets que les Comtadins appellent Petouses (petoua). Lorsqu'ils étaient parvenus à en prendre un vivant, ils en faisaient hommage au curé de la paroisse. «Celui-ci, d'après le récit de Barjavel, dans son livre curieux sur les Dictons et Sobriquets patois de Vaucluse, après la Messe de minuit, montait en chaire tenant l'oiseau enrubanné de couleur rose et le lâchait dans l'église en présence d'une nombreuse réunion. Le choix que l'on faisait, en cette circonstance, d'un des oiseaux les plus petits avait peut-être pour but de reporter l'esprit des fidèles vers le petit Enfant de Bethléem, et la liberté accordée solennellement par le pasteur au passereau était vraisemblablement la représentation naïve de l'affranchissement de l'âme humaine, délivrée par la venue du Messie des chaînes du ravisseur infernal.
Une coutume pareille se pratiquait aussi à Mirabeau, de temps immémorial. Les jeunes gens apportaient un roitelet vivant à la grand'messe au son du tambourin; ils recevaient la somme de trois francs que leur remettait le curé.
A Mazan et dans quelques pays voisins, un grand nombre de personnes apportaient, à la Messe de minuit, des oiseaux de diverses espèces, qu'on lâchait au moment de l'élévation et dont le gazouillement joyeux venait ajouter un charme de plus à l'éclat de la fête.
Ce devait être un spectacle gracieux que ces multitudes de petits oiseaux retrouvant dans la Crèche, qu'entouraient de nombreux et verts branchages, une image imparfaite de leur retraite habituelle. L'éclat d'une vive lumière, rappelant le soleil, ajoutait l'illusion, et le chant des oiseaux semblait se mêler aux voix célestes des anges, pour annoncera l'humanité tout entière l'auguste et consolant Mystère de Noël64.
Note 64: (retour) Le Clocher provençal, 25 déc. 1905.
Cet usage rappelle le lâcher d'oiseaux qui avait lieu dans la cathédrale de Rouen le jour de la Pentecôte. Voici ce que raconte le vieux chroniqueur normand: «Pendant le Veni Creator..., du haut des voûtes, les domestiques du trésorier de la cathédrale jetaient en bas, sur une foule de personnes qui s'y trouvaient, quantité de feuilles d'arbres, des étoupes ardentes et des oiseaux jusqu'à l'Evangile65.»
Note 65: (retour) Farin, Histoire de Rouen, tome Ier, 3e partie, au chap. des Processions générales.
On sait que la symbolique chrétienne a souvent représenté le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe mystique, descendant d'une nuée lumineuse.
La petite ville des Baux66, située à trois lieues d'un versant des Alpines, a gardé intactes les traditions ancestrales, et, tous les ans, pour Noël, une curieuse cérémonie se renouvelle.
Note 66: (retour) Site grandiose qui attire le voyageur et l'artiste.
Quand la Messe de minuit sonne, tous les bergers, toutes les bergères du pays s'acheminent vers l'église où rayonne près de l'autel une immense Crèche en rocailles.
On se presse, on s'agenouille autour, et lorsque tous les fidèles sont rassemblés, qu'il ne manque plus une pastourelle, plus un pasteur, l'un d'eux entonne un Noël. Après lui, un autre berger chante le second couplet, celui-là en provençal. Et tous deux alternent ainsi, tandis que le fifre et le tambourin donnent la ritournelle.
Puis l'adoration des bergers commence. Un cortège pittoresque s'avance vers l'autel. D'abord une petite charrette fleurie, attelée d'un bélier enrubanné, caparaçonné d'or, où repose un agneau couché. Des bergères suivent, en robes blanches et ceinture d'aurore et d'azur, accompagnées de bergers aux manteaux sombres. Celui qui suit la charrette l'arrête au pied de l'autel. Alors, délicatement, il prend l'agnelet sur sa couchette, s'approche de l'officiant dont il baise l'étole, et se tourne vers sa compagne. Il fait un salut; elle fait une révérence. Le berger tend l'agneau à la bergère, qui se tourne à son tour vers son voisin, pour lui remettre le présent. De mains en mains, l'agnelet passe ainsi avec toujours les mêmes gracieux saluts, les mêmes révérences, pour demeurer enfin le cadeau fait à la Crèche.
Quelques-unes des bergères doivent s'incliner avec beaucoup de précaution devant l'agneau. Elles portent, en effet, une coiffure fragile: une corbeille chargée d'an gâteau67.
Note 67: (retour) Le Pèlerin, déc. 1906.
Une cérémonie à peu près semblable a lieu dans quelques communes des environs d'Arles:
A la Messe de minuit, au moment de l'offrande, on voit s'avancer vers l'autel le corps des bergers, précédé du tambourin, de la cornemuse et de tous les instruments rustiques qu'on peut réunir dans le pays. Ils portent de grandes corbeilles remplies de fruits et d'oiseaux de différentes espèces. Les bergers suspendent ces corbeilles à leur ceinture par un ruban et les femmes les portent sur leur tête.
A Maussane, les prieuresses sont coiffées du garbalin; sorte de gerbe élégante en forme de bonnet conique et, fort haut, garni tout autour de pommes et d'oranges. A la suite du corps des bergers est un petit char tout couvert de verdure, éclairé par une multitude de bougies et traîné par une brebis dont la toison, d'une blancheur éclatante, est encore relevée par des noeuds de rubans distribués en guise de flocons. L'agneau sans tache est dans le char. Une seconde troupe de bergers et de bergères, jouant et chantant des Noëls, ferme la marche. Les prieurs font l'offrande de l'agneau et des corbeilles, et le cortège retourne dans le même ordre. Le même cérémonial est répété à la messe de l'aurore et à celle du jour68.
Note 68: (retour) Ces détails nous sont fournis par les auteurs de la Statistique des Bouches-du-Rhône.
En 1872, dans le village des Lagnes (Vaucluse), bergers et bergères, costumés et chargés de présents rustiques, célébraient la Nativité. Détails curieux: on y portait une étoile au bout d'un bâton nommé guérindon et le cortège se terminait par un groupe de jeunes filles armées d'une épée à la pointe de laquelle se trouvait une pomme lardée de pièces d'argent, qui était déposée dans la Crèche.
Nous citons textuellement le récit qu'on a bien voulu nous faire de la Procession des bergers, à la Messe de minuit, à l'Isle-sur-Sorgue (Vaucluse).
A la Messe de minuit, un peu avant qu'elle commence, tandis que le Te Deum qui termine les Matines est solennellement chanté aux sons harmonieux de l'orgue, un mouvement bien prononcé se produit dans l'église. On entend dans le lointain le bruit vague du tambourin et le son aigu du fifre... Bientôt ils sont à la porte... Des enfants jettent des cris: «la charrette! la charrette!»
La charrette est un petit chariot à deux roues; il est couvert, mais les côtés ouverts sont fermés par de petits barreaux artistement tournés; il est décoré de guirlandes de buis et enrubanné; il est traîné par deux brebis à la blancheur d'hermine, précédé du tambourin, du fifre et des tinclettes; les bailes (ou fermiers) en tête, dont l'un porte un tout petit agneau blanc.
Ils entrent dans l'église en jouant un air retentissant, rustique et traditionnel dont il serait impossible de donner une juste idée, mais dont l'entrain et la gaieté électrisent la nombreuse assistance. Ils vont se ranger auprès de la Crèche qui occupe une des vastes chapelles latérales, au centre de la nef. Le silence se fait, l'émotion religieuse est visible; ce calme n'est interrompu de temps en temps que par le bêlement de l'agneau auquel répond celui des brebis mères, bêlement grave d'un octave plus bas mais dont le contraste est d'un effet charmant et touchant.
L'office terminé, la grand'messe commence.
Après l'Incarnatus est, le diacre se détache, accompagné des enfants de choeur (ils sont vingt-quatre, tous de rouge vêtus), et va à la Crèche. Là, après avoir encensé l'Enfant-Jésus, il le prend et l'apporte dans son frêle berceau; il est précédé des enfants de choeur et des bailes, tenant des cierges allumés; le premier baile place son cher petit agneau blanc sur l'autel.
Le Credo et l'offertoire terminés, l'orgue donne le signal du départ en jouant l'air obligé (comme ci-dessus) qui est répété par les tinclettes, le fifre et le tambourin. C'est le beau moment; tout est préparé: les bailes en ligne, les torches allumées, la charrette où sont attelées les brebis richement harnachées, le petit agneau entre les bras du premier baile qui, la tête couronnée d'un étincelant diadème, couvert d'un magnifique manteau écarlate, ouvre le cortège et se dirige vers l'autel.
Quelle majesté! Quelle grâce naïve! Ils s'avancent lentement; tous, sous le coup de l'émotion qui dut être celle des bergers auprès de la Crèche de Bethléem.
L'agneau bêle de temps à autre. Tout le monde est debout: on veut voir la brebis, la charrette toute illuminée dans laquelle on aperçoit des pigeons, des poulets, de petits oiseaux, un lapin blotti au coin du véhicule. L'enthousiasme est à son comble; des larmes coulent dans les yeux de beaucoup de fidèles. C'est bien la scène de Bethléem, ce sont bien les bergers qui arrivent à la Crèche pour adorer l'Enfant divin, anéanti sous la forme humaine; on voudrait être du cortège qui arrive à l'autel.
Le célébrant, qui a déjà baisé le divin Enfant, est là, entouré du diacre, du sous-diacre et des enfants de choeur. Il tient dans ses mains le petit Jésus qu'il fait baiser d'abord au suisse, qui a levé son chapeau, puis à tous les bailes et à ceux qui se sont joints à eux, ensuite à la musique champêtre et aux bergers qui conduisent les brebis. Tous font le tour de l'autel, suivant le char traîné par les brebis, et de là retournent à la Crèche où le diacre va déposer le Bambino.
Ainsi se termine cette offrande qui sera répétée à la grand'messe du jour et à celle de la Purification, le 2 février.
Une Messe de minuit en Bretagne.
Brizeux, le poète breton par excellence (décédé en 1854), qui ne chante que son pays natal:
«La terre de granit recouverte de chênes»
à décrit, avec la fraîcheur et la sincérité de l'inspiration, une Messe de minuit dans le pays des genêts et des bruyères».
Ouvre! c'est moi, Joseph!—Quoi! si tard en voyage!
N'as-tu pas rencontré les chiens par le village?
Mon Dieu! Seul et si tard dans le creux des chemins!
A ce feu de Noël viens réchauffer tes mains,
Noël! t'en souvient-il? Quand, pour bâtir la Crèche,
Les prêtres nous menaient cueillir la mousse fraîche?
—Ne ris pas! C'est Noël qui chez toi me conduit:
Je viens entendre encore la Messe de minuit.
Par un gai carillon enfin fut annoncé
L'office de minuit. Le chemin est glacé,
Disait Joseph Daniel en traversant la lande:
Chaque pas retentit. Comme la lune est grande!
Entends-tu dans le pré, des voix derrière nous?
—Oui, j'entends des chrétiens, des pasteurs comme vous.
Ils ont vu cette nuit la légion des Anges
Passer, et du Très-Haut entonner les louanges:
Gloire à Dieu! Gloire à Dieu dans son immensité!
Paix sur la terre aux cours de bonne volonté!
Et tous vont adorer Jésus, l'Enfant aimable,
Le roi des pauvres gens, le Dieu né dans l'étable».
O vivants souvenirs! La nuit, par ce beau ciel,
Tandis que nous marchions en célébrant Noël,
Les arbres, les buissons, les murs du presbytère,
Dans la brune vapeur passaient avec mystère.
Toute l'église est pleine; et, courbant leurs fronts nus,
Les pieux assistants chantent l'Enfant Jésus.
Chaque femme, en sa main, porte un morceau de cierge.
On a placé la Crèche à l'autel de la Vierge;
Je reconnais les Saints, les lampes, les deux croix,
Enfin, tout dans l'église était comme autrefois.
Je restais comme une ombre, immobile à ma place.
Muet, ou pour pleurer les deux mains sur ma face.
A la communion, quand le prêtre arriva
Offrant le corps du Christ, mon front se releva.
Les hommes, les enfants et les femmes ensuite
Marchèrent lentement vers la table bénite;
Et, comme en un festin, où beaucoup sont conviés,
Dès qu'un communiant avait reçu l'hostie,
Du ciboire sortait la blanche Eucharistie.69.
Note 69: (retour) Brizeux, Poème de Marie.
Une Messe de minuit à Paris.
«Parmi les souvenirs de ma toute petite enfance, écrit François Coppée, il en est un, particulièrement doux, qui surgit en ce moment du fond de ma mémoire: c'est celui d'une messe de Noël.
«La neige était tombée avec abondance les jours précédents, puis une forte gelée avait durci le blanc tapis de frimas, et les rues, alors peu fréquentées, de cette partie du faubourg Saint-Germain, faisaient songer à la retraite de la Grande Armée à travers les steppes de Russie et au passage de la Bérésina.
«Toute la famille s'était proposé d'assister à la Messe de minuit; mais, devant la rigueur de la température, il fut décidé que les femmes garderaient le coin du feu, et que seuls, les hommes—j'en étais un, songez donc, cinq ans et demi,—se risqueraient à mettre le nez dehors.
«Donc, quand les cloches commencèrent à sonner dans le ciel étoilé, ma mère nous emmitoufla soigneusement, mon père et moi, sous les paletots et les cache-nez, et, faisant craquer la neige durcie sous nos semelles, nous gagnâmes tous les deux, en suivant la rue Vanneau et la rue de Varenne, la chapelle des Missions étrangères qui était alors notre paroisse.
L'église bondée de foule, la chaleur étouffante, le violent parfum de l'encens, l'harmonieux rugissement de l'orgue, les innombrables lumières des cierges qui semblaient une pluie d'or immobilisée, je revois et je ressens tout cela comme si j'y étais encore. La Crèche surtout, la Crèche avec ses personnages et ses animaux de bois peint, et son petit Jésus de cire que les brins de paille auréolaient comme des rayons, émerveillèrent mes yeux d'enfant»70.
Note 70: (retour) François Coppée, Lointain Noël.
Une Messe de minuit dans l'église
de Notre-Dame de Bethléem, à Ferrières-en-Gâtinais.
La seconde année de son pontificat, saint Pierre avait envoyé saint Savinien, saint Potentien et saint Altin, prêcher l'Evangile dans les Gaules.
Après une longue marche pleine de périls, les nouveaux apôtres arrivèrent en un lieu solitaire, situé au bord d'une petite rivière appelée depuis la Cléry, non loin de l'endroit où la voie romaine qui va d'Auxerre à Chartres se croise avec celle de Genabum à Sens, à neuf lieues de cette dernière ville.
De rares habitants vivaient au milieu de la nature agreste de ces contrées, demeurant dans des cabanes grossières que protégeaient les grands bois silencieux. Ils recueillaient du minerai de fer, dont les gisements abondants apparaissaient çà et là, et l'exploitaient dans des fourneaux de forge qui plus tard firent donner à la ville bâtie en ce lieu le nom de Ferrières.
C'était au milieu de l'hiver, à la fin du mois de décembre. Les trois apôtres s'étaient retirés dans la cabane hospitalière de quelqu'un de ces pauvres forgerons, élevée non loin de la rivière. Entourés de gens du voisinage, accourus pour contempler ces étrangers, ils se mirent à annoncer la religion de Jésus, mort sur une croix pour nous sauver. Bientôt un grand nombre des habitants fut converti par leur parole et surtout par les miracles dont elle était accompagnée.
Mais, de tous ces miracles, le plus éclatant fut celui qui arriva la veille de Noël, vers minuit, dans une petite chapelle où la communauté chrétienne était réunie pour prier et honorer l'anniversaire de la naissance de l'Enfant Jésus.
Saint Savinien disait la sainte Messe. Tout à coup une lumière mystérieuse remplit l'enceinte sacrée. Les assistants saisis d'émotion, levant les yeux au ciel, purent contempler à loisir l'Enfant Jésus, la Sainte Vierge, saint Joseph; au-dessus de la Crèche, les Anges chantaient leur harmonieux cantique: Gloria in excelsis Deo. Saint Savinien, transporté d'admiration et de joie, s'écria: «C'est bien là Bethléem!»
Les envoyés de saint Pierre, ravis de bonheur, se crurent un instant dans l'étable de la Nativité. C'est pourquoi ils donnèrent à leur chapelle le nom de Notre-Dame de Bethléem71.
Note 71: (retour) Cette apparition est marquée d'un caractère particulier c'est d'avoir eu lieu du vivant même de la Sainte Vierge.
Telle est, d'après les Actes de la Grande Passion de saint Savinien et de ses compagnons martyrs (Ve siècle), l'origine du premier sanctuaire consacré à la Mère de Dieu sur la terre de France. Tel fut le commencement de ce culte toujours vivace qui, depuis dix-huit siècles, amène chaque année, à Ferrières-du-Gâtinais, d'innombrables pèlerins dans le sanctuaire de Notre-Dame de Bethléem72.
Note 72: (retour) Eugène Jarossay. Histoire d'une abbaye, p. 12-14.
La Fête des Ânes, à Rouen.
L'âne joue un certain rôle dans les offices du Moyen Age.
Bien que cet animal ait la réputation d'être sobre, patient, laborieux et pour ainsi dire infatigable, ce n'est point pour ces précieuses qualités qu'on le fêtait, mais uniquement à raison des divers épisodes que rappelle l'Écriture.
Sans parler de l'ânesse fameuse du prophète Balaam, c'est sur un âne que la Sainte-Famille fuit en Égypte; c'est sur un âne encore que Notre-Seigneur entre triomphalement à Jérusalem, le jour des Rameaux.
La fête de l'âne est, croit-on, originaire de Vérone73 d'où elle se répandit dans toute la chrétienté du Moyen Age.
Note 73: (retour) D'après certaines traditions, Pane qui porta Notre-Seigneur serait venu mourir dans cette ville.
D'après Du Cange74 qui reproduit l'ancien Ordinaire de la cathédrale de Rouen, on faisait dans cette église l'Office des Pasteurs pendant la nuit de Noël. Les chanoines habillés en bergers et les enfants de choeur en anges, venaient après le Te Deum des Matines adorer Jésus-Christ dans la Crèche, derrière l'autel.
Note 74: (retour) Glossarium ad scriptores mediae et infimae latinitatis, Parisiis, 1733. Art. Festum asinorum, tome 3, coll. 424-427.
Après Tierce, se faisait la procession des ânes.
Le cortège suivait le cloître et la grande nef. Les chanoines y figuraient habillés en prophètes.
On y voyait Isaïe, Zacharie, Jean-Baptiste; Balaam même y était avec son ânesse (ce qui fit donner le nom de procession des ânes), Nabuchodonosor: les trois enfants dans la fournaise y paraissaient aussi bien que Virgile et la Sybille. A la Messe, on ne manquait pas de chanter la Prose de l'âne75.
Note 75: (retour) Farin, Histoire de Rouen, tome I, 3e partie, au chap. des Processions générales.
M. Nicolay, traduisant à peu près littéralement le Glossarium de Du Cange, nous décrit admirablement toute cette Pastorale76.
Note 76: (retour) Nicolay, loc. cit.
Au milieu de la nef de la cathédrale, on dressait une sorte de bûcher composé de linges et d'étoupes, et, après avoir chanté Tierce (processio ordinetur post Tertiam), le clergé faisait processionnellement le tour du cloître, puis venait s'arrêter au centre de l'église, entre deux groupes représentant, l'un les Juifs, l'autre les Gentils; au bout de l'édifice étaient massés de nombreux personnages destinés à jouer le rôle des prophètes dans l'Ancien Testament.
Les chantres commençaient par apostropher avec impétuosité les Juifs et les Gentils, qui, de leur place, leur répondaient par un verset non moins violent. Les mêmes chantres, s'adressant ensuite à celui qui jouait le rôle de Moïse, disaient: «Voici Moïse, le législateur!» Un Moïse à longue barbe, portant une corne au front (cornuta facie), vêtu d'une aube et d'une chape, tenant une baguette dans une main et les tables de la loi dans l'autre, entonnait à son tour un chant prophétique, relatif à la naissance du Christ. Puis un cortège, célébrant les louanges du Messie, conduisait Moïse près du brasier. Le même cérémonial se renouvelait pour chacun des prophètes successivement interpellés: ils s'avançaient à mesure qu'ils étaient appelés.
Moïse était suivi d'Amos, vieillard barbu, ayant un épi à la main, ensuite venait Isaïe, vêtu d'une aube, le front ceint d'un bandeau rouge; puis Aaron, couvert d'ornements pontificaux, la mitre en tête, précédant Jérémie en habits sacerdotaux et tenant une petite boule à la main. Daniel, représenté par un jeune ecclésiastique, était drapé dans une tunique verte, et le prophète Habacuc, vieillard boiteux, suivait orné d'une dalmatique; dans un vase étaient des racines qu'il mangeait entre deux versets.
Après lui, Balaam, monté sur une ânesse, tirait la bride et frappait l'ânesse de ses éperons, tandis qu'un jeune homme, lui barrant le passage avec une épée, l'obligeait à s'arrêter. (Le jeune homme figure, ici, l'ange armé dont parle l'Écriture dans l'épisode de Balaam). Un clerc, se dissimulant sous l'ânesse, disait alors d'une voix étrange: Pourquoi me déchirez-vous ainsi avec l'éperon?
Puis l'ange disait à Balaam: «Renonce à servir les desseins du roi Balac». Et les chantres de dire: «Balaam prophétise».—Alors Balaam répondait: «Une étoile sortira de Jacob!» Orietur stella ex Jacob77.
Note 77: (retour) Nombr. XXII-XXIV. Tunc Balaam ornatus, sedens super asinam (hinc festo nomen) habens calcaria, retineat lora et calcaribus percutiat asinam, et quidam juvenis, tenens gladium, obstet asinæ. Quidam sub asina dicat: «Cur me calcaribus miseram sic læditis?» Hoc dicto, angelus ei dicat: «Desine regis Balac præceptum perficere». Vocatores: «Balaam, esto vaticinans». Tunc Balaam respondeat: «Exibit stella ex Jacob!» (Du Cange, loc. cit.).
A Balaam succédait le prophète Samuel, puis David, paré des emblèmes de la royauté. A la suite des prophètes, on voyait Zacharie, habillé en juif et accompagné de sa femme Elisabeth, vêtue de blanc; leur fils Jean-Baptiste avait les pieds nus.
Derrière lui se tenait le vieillard Siméon et enfin Virgile, au visage resplendissant de jeunesse 78, qui devait s'étonner un peu de se trouver en si sainte compagnie: c'était ordinairement lui qui fermait la marche.
Note 78: (retour) Tous les personnages du cortège, à l'exception de Daniel et de Virgile, portaient la barbe; leur nom est toujours accompagné, dans Du Cange, de l'épithète barbatus.
Si l'on admettait le grand poète latin à la procession de Noël, c'est qu'il était réputé avoir prédit la naissance du Sauveur.
On lit, en effet, dans l'églogue qu'il adressa au consul Pollion, les vers suivants:
Ultima Cumæi jam carminis ætas:
Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo,
Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna;
Jam nova progenies coelo demittitur alto.
Tu modo nascenti puero, quo ferrea primun
Desinet ac toto surget gens aurea mundo,
Casta, fave, Lucina: tuus jam regnat Apollo!79
Note 79: (retour) Buc, Eglog. IV.
Voici que le dernier âge prédit par l'oracle de Cumes est arrivé. La grande révolution des siècles va recommencer son cours. Déjà une Vierge revient et Saturne nous ramène l'âge d'or; déjà un Enfant va descendre des cieux.—Veille sur Lui avec un soin jaloux, ô chaste Lucine; c'est par Lui que l'âge de fer cessera et que l'âge d'or reviendra sur la terre; déjà règne ton Apollon!
La procession de Noël se terminait souvent, dit le Mémorial de Rouen80, par un clerc habillé en sybille, portant une couronne sur la tête et chantant des versets contenant des prédictions.
Note 80: (retour) Ordinarium Rothomagense, cité par Du Cange dans son Glossarium, s. v. Festum.
On est aussi étonné de voir la sibylle dans ce cortège. Cependant, on admet assez généralement que les sibylles pouvaient connaître et prévenir l'avenir. Saint Jérôme leur attribuait le don de prophétie, et l'Eglise, dans la Prose des Morts, invoque l'autorité de la sibylle et semble l'assimiler à l'autorité même de David:
Teste David cum sibylla.
C'est la raison pour laquelle Michel-Ange les a représentées dans les célèbres fresques du plafond de la chapelle Sixtine, et Raphaël dans l'église Santa-Maria-della-Pace, à Rome.
Quant à la Prose de l'âne, nous n'avons trouvé aucun document qui nous prouve qu'elle ait été chantée à l'office de Noël. Farin seul l'affirme: nous serions donc porté à croire qu'elle était chantée à la porte de l'église.
Elle commençait par cette strophe:
Orientis partibus
Adventavit asinus
Pulcher et fortissimus,
Sarcinis aptissimus.
Hez, sire âne, hez!
Des contrées de l'Orient, il est arrivé un âne beau et fort, propre à porter les fardeaux.—Hez, sire âne, hez!
Cette cantilène n'avait rien de choquant, ni pour le goût, ni pour les convenances.
Telle était cette fête de l'âne dont on a dit beaucoup de mal, parce qu'elle prêtait à certains abus et dégénéra vite en un cortège peu digne du sanctuaire, ce qui la fit interdire par l'autorité ecclésiastique. Il n'en est pas moins vrai qu'elle naquit d'une pensée de foi, d'une interprétation et d'une mise en scène ingénieuse des prophéties sur le Messie.
Nous terminerons ce chapitre par le ravissant usage de:
LA «SCALA» DE NOËL
Dans un causse aride et sauvage,
Aux flancs d'un rocher accroché,
Est un ancien Pèlerinage
Entre ciel et terre perché.
C'est Rocamadour qu'il s'appelle.
Lieu saint et des plus vénérés,
Où pour atteindre la chapelle
Il faut gravir deux cents degrés
Là survit un touchant usage:
A chaque soir de la Noel,
Petits et grands de ce village
Semblent faire l'assaut du ciel!
La population tout entière
Monte à genoux chaque degré,
En récitant sur chaque pierre
De l'Archange le doux Ave.
Et les prêtres sont à la tête
De cette étrange ascension
Faite au son gai de la musette
Avec peine et dévotion.
Telle, à Rome, la foule sainte
Au Latran montant à genoux
La Scala Santa toute empreinte
Du sang du Christ versé pour nous?
(Comtesse O'Mahony.)
La Messe de minuit, nous l'avons dit, était ordinairement précédée d'un repas maigre, qu'on nommait, en Provence, le gros souper; elle était suivie d'un repas gras qu'on était convenu d'appeler, dans tous les pays, le réveillon.
Ce repas avait sa raison d'être par suite du jeûne de la veille, de la privation de sommeil, de la longueur des offices de la nuit, qui souvent duraient plusieurs heures81 et aussi des fatigues d'une longue route parcourue pour venir à l'église.
Note 81: (retour) La grand'messe de minuit était précédée des trois Nocturnes des Matines et suivie des Laudes.
Telle a été l'origine du réveillon.
Nous parlerons successivement des groupes de quêteurs en vue du réveillon, du repas lui-même et des gâteaux de Noël.
L'Aguilloné dans le pays d'Armagnac
L'Aguilloné est le chant de joie de Noël; il est en patois gascon. Pendant tout le mois de décembre, les jeunes gens qui doivent tirer au sort vont chanter l'Aguilloné, le soir, après souper, devant les portes. Comme récompense, on leur donne quelques sous, des oeufs, de la farine, des châtaignes. Avec le produit de cette quête, ils font le réveillon de Noël.
L'Aguilloné se chante sur un air très gracieux et très entraînant. Les chanteurs (lous aguillounès) portent le béret bleu du pays, brodé avec de la laine rouge, jaune, verte, blanche, le tout surmonté d'un pompon aux multiples couleurs: c'est avec ce costume bigarré qu'ils se promènent crânement dans les foires et marchés.
«Il ne faut pas oublier, nous dit notre aimable correspondant, que nous sommes au doux pays d'Armagnac, pays du bon vin et du gai soleil, et on aime beaucoup chez nous à rire et à s'amuser. Il y a de braves gens tout de-même, et si les têtes sont un peu légères, les coeurs sont toujours bons82.»
Note 82: (retour) M. l'abbé B., du diocèse d'Auch.
CHANT DE L'AGUILLONÉ
1
Trois compagnons sont arrivés
Devant la porte d'un chevalier.
Refrain
Gentil Seignou,
L'Aguilloné
Il faut donné
A ous coumpagnous
2
Aci qué bouha lou bént d'aoutan,
Daoubrit la porto, qu'entreran.
Gentil Seignou!
(et la suite du refrain qui se répète à chaque couplet).
3
Brabos gens, allucat la candello,
Bous pourtant no gran noubello.
4
Inta Nadaou, escoutats ben,
Jésus va néché à Bethléem.
5
Dam-mous aoumen un bresserou,
Inta coucha lou Salvadou.
6
Dam-mous un brioulletto,
Indé bouta déguens sa manetto.
7
Enségnam-mous un cansoun,
Indé hé risé lou maynatjoun.
Etc., etc.
TRADUCTION
1
Trois compagnons sont arrivés
Devant la porte d'un chevalier.
Gentil Seigneur,
L'Aiguilloné
Il faut donner
Aux compagnons.
2
Ici souffle le vent d'antan.
Ouvrez la porte, nous entrerons.
3
Braves gens, allumez la chandelle,
Nous vous portons une grande nouvelle.
4
Pour Noël, écoutez bien,
Jésus va naître à Bethléem.
5
Donnez-nous au moins un petit berceau.
Pour y coucher le Sauveur.
6
Donnez-nous une violette,
Pour mettre dans sa petite main.
7
Enseignez-nous une chanson,
Pour faire rire le petit enfançon.
Etc., etc.
Ainsi se continuent indéfiniment les couplets de l'Aguilloné qui se termine toujours par des souhaits, en rapport avec l'aumône reçue ou refusée.
Si les chanteurs ne reçoivent rien, ils disent les choses les plus désagréables, par exemple:
Diou bous counserbe la santat
Coumo l'aygo déguens tin bergat.
Dieu vous conserve la santé
Comme l'eau dans un panier percé.
Mais s'il se trouve un donateur généreux, on souhaite toutes sortes de prospérités à sa maison, par exemple:
Lou boun Diou bous doungo aoutant d'aoucats
Coumo d'herbetto deguens tous prats.
Que le bon Dieu vous donne autant d'oies
Qu'il y a de brins d'herbes dans les prés.
Diou benasisco aquesto maysoun,
Mous an baillat caoucoun dé boun.
Dieu bénisse cette maison,
Car on nous a donné quelque chose de bon.
Cette chanson, comme on le voit par le texte lui-même, se rapporte surtout à la fête de Noël. Elle est chantée à l'occasion des quêtes qui ont lieu pendant tout le mois de décembre.
La chanson traditionnelle que répètent les enfants, pendant le temps de l'Avent, la vieille chanson de quête, aux environs de Rouen, est encore celle-ci:
Aguignette,
Miettes, miettes,
J'ons des miettes dans not' pouquette,
Pour les jeter à vos poulettes.
Si elles pondent de gros oeufs,
La maîtresse, donnez-m'en deux!
Aguignolo!
Dans les environs de Ploërmel, la veille de Noël, quand le soir arrive, des enfants, réunis par petits groupes de trois ou quatre, vont de porte en porte, éclairés par une bougie que tient le chef de la bande. Ils posent d'abord à la maîtresse de maison cette question: «Faut-il chanter Noé?» Si la réponse est affirmative, ils entonnent le couplet suivant:
Chantons Noé,
Ma bonne femme,
Chantons Noé,
Vous et moi.
Pour eun' pomm', pour eun' peire,
Pour un p'tit coup d' cidr' à beire,
Chantons Noé, etc.
Puis, après avoir reçu quelques sous ou quelques friandises, ils s'en vont à une autre porte répéter la même chanson.
Dans certaines paroisses des Hautes-Pyrénées, situées entre Lourdes et Bagnères, les enfants s'en vont, le matin de la veille de Noël, «musiquer» devant chaque maison; on donne à chacun un petit pain fait exprès par la ménagère. Régulièrement, les enfants pauvres seuls devraient aller à cette distribution d'aumônes, mais, par camaraderie et par amusement, les enfants des familles aisées se joignent à eux. On désigne ces joyeux quêteurs sous le nom patois de «Eis allégrès», en français «les joyeux»; ce mot n'est jamais employé qu'à Noël.
Dans la vallée d'Arros, au centre du même département, il y a trente ans, les enfants couraient de même, de maison en maison, la veille de Noël, pour demander «la prouesse», c'est-à-dire des pommes, des noix et des friandises. Cet usage a à peu près disparu.
Dans le pays d'Auribat (Landes), les enfants de la campagne se forment en groupes joyeux, la veille de Noël. Ils vont solliciter des offrandes devant toutes les maisons où il y a eu un baptême dans l'année. Ils chantent alors un refrain connu vulgairement sous le nom de lou Piguehoü:
Pigue hoü, hoü, hoü
Pigue talhe, talhe, talhe
Dat loumouyne à le canalhe.
Pigue hus, hus, hus
Les miches à ca de dus.
Pigue, hégn, hégn, hégn
Lé maye part que si lou mégn.
Pigue hoü, hoü, hoü
Pigue, taille, taille, taille,
Donnez l'aumône à la marmaille.
Pigue hus, hus, hus.
Les miches83 à chacun d'eux
Pigue hégn, hégn, bégn
La plus grande portion que ce soit la mienne.
Note 83: (retour) Pain d'anis.
Malheur à celui qui ferait la sourde oreille; les enfants, de leur ton le plus aigu, hurleraient un refrain vengeur, mais trop grossier pour pouvoir être reproduit.
Dans l'Orléanais, le réveillon avait des mets et des chants traditionnels; le porc composait le menu de ce festin. C'était sous toutes les formes et par parties que la victime était servie sur la table. Partout son sang apparaissait sous la forme de boudin succulent, et sa chair hachée sous celle de crépinettes, sorte de saucisses longues qui, dans certaines communautés, étaient servies à chaque personne, dès le retour de la Messe de minuit. La fin du repas était égayée par le chant de Noëls. locaux.
Dans les familles angevines, il était d'usage, à Noël, de tuer un des porcs mis à l'engrais.
Dès le matin, le boucher, accompagné de ses valets, se rendait à domicile et, après avoir saigné, épilé 84 le porc, puis taillé sa chair, se mettait à faire force saucisses et boudins, car il fallait en envoyer à tous les parents et amis...
Note 84: (retour) Épiler, enlever le poil.
Le soir arrivé, une grande chaudière d'airain était posée sur le feu. Cette chaudière était remplie de la chair du porc coupée en petits morceaux et destinés à faire des rilleaux. Le chef de la famille se signait, jetait de l'eau bénite sur le feu, puis plaçait dans la chaudière trois mesures de sel.
A l'aube du jour, les rilleaux étaient cuits, et alors on se délassait, dans ce gai repas, des veilles de la nuit. Ensuite on partait pour l'église paroissiale, en emportant sur un large plateau un magnifique jambon couvert de verdure. Ce jambon était déposé devant le maître-autel.
Un prêtre, en habit de choeur, venait le bénir et prononçait une prière consacrée à cette cérémonie, prière qu'on retrouve encore dans nos anciens rituels du Moyen Age.
Après la bénédiction, le jambon était reporté à la maison et suspendu dans l'âtre de la cheminée; il y restait jusqu'à Pâques. Ce jour-là, il était décroché et mis sur la table autour de laquelle la famille venait s'asseoir et rompait avec cette viande bénite l'abstinence du Carême 85.
Note 85: (retour) Extrait du Bulletin historique et monumental de l'Anjou.
Dans le Rouergue (Aveyron), tout en se chauffant autour du souquonaudolengo qui flambe, on réveillonne avec un bon morceau de saucisse, cuite à point par les soins de la ménagère, ou, à défaut de saucisse, on se régale tout bonnement d'un morceau de porc salé, conservé depuis le carnaval passé. Et, comme dessert, une rissole aux prunes ou aux pommes bien chaude et bien dorée.
Le jour de Noël est un jour de grande liesse; c'est le maître, «le bourgeois» qui «régale» la famille et les domestiques. C'est à lui qu'incombe le soin de tout disposer, car c'est, ce jour-là, la fête des petits, des humbles, des serviteurs; le maître «paie» à toute la maisonnée.
Mais, en revanche, le jour des Rois sera sa fête à lui.
A leur tour, les domestiques paieront ou seront censés payer, et ce soir-là encore, il y aura grande liesse dans la ferme, éclairée autant par le grand feu de la cheminée que par la lampe du plafond86.
Note 86: (retour) L'abbé M——, du diocèse de Rodez.
En Poitou, Lucas Le Moygne, curé de Notre-Dame de la Garde (Poitiers), a composé un nouël où il est raconté quel réveillon on faisait, après la Messe de minuit:
Conditor, le jour de Noël,
Fit un banquet non pareil
Qui fut faict, passé v'là longtemps,
Et si le fit à tous venans.
Suit le menu: «perdrix, chapons, oiseaux sauvages, hérons, levrauts, congnilz, faisans, sangliers, lymaces au chaudumé», voilà pour les plats de résistance, et j'en oublie. Maintenant, pour le dessert: la pâtisserie, «les fouaces», les crasemuseaux, gâteaux secs, pains de chapitre, échaudés pour les mauvaises dents... avec du vin.
................de l'Ypocras,
Vin carapy et faye Montjeau,
Pour enluminer tout museau
Nouël!
Il y vint même un bouteillier
Qui onc ne cessa de verser
Tant que un quartault il assécha
In sempiterna secula.
A défaut du petit vin clairet de Poitiers, on avait «de derrière les fagots» quelque réserve, en cachette, «de pomme sans iau» ou «de poiré doulcereux» pour arroser chansons qui ne tarissaient guère87.
Note 87: (retour) J. Noury.
Dans les Hautes-Alpes, Noël est le grand jour de réunion familiale. Au marché qui précède la fête, les femmes se pourvoient d'une bougie par ménage, car, le soir de Noël, on ne s'éclaire ni avec le bouillon-blanc trempé dans l'huile, ni avec le bois résineux qui sert là de lumière, comme dans les villages russes.
Il est de coutume de manger, après la Messe de minuit, des soupes de pâté qu'on appelle sazanes ou creusets. Le chef de la famille prend le premier un verre plein de vin et porte la santé de tous les siens; le verre passe ensuite de main en main, la même santé se répète et, à la fin du repas, chacun à son tour y boit à ceux des membres de la famille que la nécessité retient absents.
Dans le Var, après la Messe de minuit, les tourtes, gros gâteaux ronds faits avec du miel, de la farine, de la confiture, de l'huile, dérident tous les fronts88.
Note 88: (retour) L'abbé Ch., du diocèse de Fréjus (Var).
En Armagnac. Devant la souche de Noël, en partant à la Messe de minuit, on laisse «mijoter» le pot de la daube, qui est la base du réveillon. La daube est un plat national et bien gascon: elle se compose d'un morceau de boeuf cuit dans une sauce noire, faite avec du vin rouge et force condiments. On ne comprendrait pas, en Armagnac, un dîner de Noël sans la daube. Les familles les plus pauvres se paient ce luxe gastronomique, et si leur misère était trop grande pour pouvoir se donner ce régal, de charitables voisins se font un devoir de le leur procurer.
Le réveillon se complète avec de longs morceaux de saucisses cuites sur le gril, toujours avec les charbons de la souche. On termine par les châtaignes grillées, arrosées de vin nouveau89.
Note 89: (retour) L'abbé B., du diocèse d'Auch.
«Si vous voulez quelques notes sur les fêtes de Noël, dans notre beau Béarn, je puis vous en donner. Tout se passait très simplement: les amis se réunissaient, on chantait des Noëls béarnais, en attendant la Messe de minuit. On nous faisait rôtir des marrons et on nous faisait boire de cet excellent vin blanc qu'aimait tant notre bon Henri (Henri IV, le Béarnais); seulement on nous le donnait à très petite dose, car il porte. Puis on nous mettait au dodo, en nous promettant de nous réveiller au moment voulu... Et le lendemain grand désespoir de n'avoir pas été réveillé à temps, mais le tour était joué.
«Et l'on nous menait voir le petit Jésus dans sa Crèche, où nous lui promettions d'être sages. Ceci se passait dans ma petite enfance, il y a trois quarts de siècle90».
Note 90: (retour) Mme la comtesse de X...
Dans les montagnes du Gévaudan (Lozère), on arrive à trois heures du matin de la Messe de minuit. On prend un air de feu et on se met à table. Depuis des siècles, le menu est toujours le même: oreille de porc, riz au lait, saucisse, fromage.
Le tout était jadis arrosé de Vivarais, vrai nectar que les vieux seuls ont connu. Aujourd'hui, c'est le Languedoc qui figure à la table de nos montagnards. Il monte facilement à la tête, mais il ne réjouit pas le coeur91.
Note 91: (retour) M. l'abbé R..., du diocèse de Mende.
En Corse, dans les familles pauvres, on mange, au réveillon, la traditionnelle polenta (bouillie de farine de châtaignes ou de maïs), avec des tranches de porc tué exprès la veille.
Dans le pays bizontin, on prend, au retour de la Messe de minuit, un peu de vin chaud, avec une petite tranche de pain, c'est la «mouillotte».
Pour la journée de Noël, on fait actuellement une grande fournée de gâteaux. Autrefois, en montagne, quand on mangeait habituellement le pain d'avoine et d'orge, on préparait, pour Noël, des pains d'orge mélangée d'un peu de froment: chacun avait sa michotte. La mère de famille avait soin d'en faire une de plus pour le premier pauvre qui passait: on l'appelait la «pâ Dé» (la part à Dieu.)
Dans le pays de Caux (Seine-Inférieure). Dans les campagnes, le réveillon est réduit aux plus modestes proportions. Pendant que, dans l'âtre, se consume la traditionnelle bûche de Noël, on se contente d'un frugal repas où figure parfois, chez les pauvres, une «fricassée» d'oiseaux pris, le soir à la «soutarde»; on termine aussi quelquefois par une tasse de «flippe», boisson chaude et composée de cidre doux, d'eau-de-vie et de sucre réduits au feu.
En Alsace, le réveillon se fait avec des saucisses, des jambons, des boudins arrosés de vin blanc. C'est le Kuttelschmauss.
Nous avons dit qu'en Angleterre il se fait, à l'occasion de Noël, une consommation considérable d'oies grasses92. Il en était ainsi autrefois dans nos provinces méridionales de la France; il n'était pas de fête, en Languedoc et en Béarn, où l'antique gardien du Capitole ne figurât à la place d'honneur. Le plus souvent, le réveillon se composait d'une bonne soupe aux choux, dont la marmite avait été enterrée sous la cendre, avant le départ pour la Messe de minuit, d'une oie rôtie, d'une saucisse fraîche et d'un pâté de foie gras.
Note 92: (retour) Noël dans les pays étrangers, p. 16.
Le jour de Noël, M. de Talleyrand avait l'habitude de servir à ses invités l'oie traditionnelle dont il avait lui-même imaginé la recette. Vous plaît-il de la connaître?
«Foncez une casserole de bandes de lard et de tranches de jambon. Veuillez ajouter quelques oignons piqué de clous de girofle, une gousse d'ail, un peu de thym et de laurier. Sur ce matelas parfumé, posez une oie grassouillette, bien jeune, bien tendre, soigneusement farcie de son foie et de crêtes de coq; arrosez généreusement de sauternes, semez une pincée légère de muscade, et laissez tomber quelques gouttes d'orange amère. Couvrez enfin de papier beurré et, feu dessus, feu dessous, faites partir.»
Décidément, il avait beaucoup d'esprit, M. de Talleyrand!
L'oie de Noël est bien un vrai rôti de fête! Tandis que les cloches égrènent dans le ciel leurs joyeux carillons, que le boudin fume et crie sur le gril, que les marrons pétillent sous la cendre, que les gâteaux de famille profilent leur coupole feuilletée, l'oie fumante est placée au milieu de la table, aux applaudissements des convives. De ses flancs embaumés s'échappent bientôt de succulents marrons: les enfants tendent leur assiette en criant: Noël! Noël!
Et la douce voix des cloches semble leur répondre: «Réjouissez-vous, enfants, car Jésus est né»93.
Note 93: (retour) Fulbert-Dumonteil.
Mme de Sévigné, dans la nuit de Noël de l'an 1677, offrit un réveillon, dans son merveilleux hôtel Carnavalet, aujourd'hui transformé en musée de Paris historique, ancien et moderne.
D'après le cérémonial accoutumé, Coulange met le feu à la bûche de Noël, dans la grande cheminée Henri II. La table est garnie au centre d'un agneau tout entier. Sur l'immense dressoir, qui occupe tout un panneau de la salle, des orangers encadrent les aiguières et la vaisselle d'argent et de vermeil.
Les jets d'une haute fontaine les parfument encore de l'essence des fleurs les plus odorantes et les plus variées.
Le réveillon se prolonge au milieu des huit services dont la simple énumération, en sa consistance abondante et variée, suffirait à soulever d'effroi les estomacs de notre temps.
Qu'il nous suffise d'indiquer qu'après les soupes, les entrées, les deux services de rôtis, gros et menu gibier, le service des poissons: saumon, truite et carpe, parurent deux énormes buissons d'écrevisses flanqués de quatre tortues dans leur écaille. Au sixième service, on en était encore aux légumes: cardons et céleris, et le huitième service termina le repas par les amandes fraîches et les noix confites, les confitures sèches et liquides, les massepains, les biscuits glacés, les pastilles et les dragées.
Les meilleurs crus de Bourgogne et des côtes du Rhône avaient arrosé les divers services du repas, le muscat de Languedoc restant réservé aux babioles du dessert94.
Note 94: (retour) La Rouvraye.
A Paris, le réveillon est plus à la mode que jamais, et la statistique serait impuissante à établir la quantité de boudin grillé qui se consomme, pendant la nuit du 24 au 25 décembre, dans la grande capitale.
Plus que toute autre ville, Paris subit l'influence des coutumes étrangères. Il a pris à l'Angleterre les joies gastronomiques du Christmas, à l'Allemagne son arbre de Noël si charmant et si poétique. C'est seulement dans les quartiers paisibles du Marais et de l'île Saint-Louis, loin des rues grondantes de la grande ville, où les chaudes rôtisseries, les charcuteries enrubannées toutes grandes ouvertes, les cafés et les restaurants illuminés offrent jusqu'au matin l'odeur et le flamboiement d'un immense festin; c'est dans ce Paris ignoré qu'il serait possible de retrouver quelques traces des vieux usages de nos pères.
A l'occasion de Noël, il se fait une grande consommation de gâteaux qui, suivant les pays, portent différents noms.
Dans les Vosges, on réveillonne surtout avec du vin, de l'eau-de-vie et des coigneux, gâteaux à forme particulière, fabriqués exprès pour la fête de Noël. Il est d'usage que les parrains et marraines donnent à leurs filleuls un coigneux à Noël. C'est un acompte sur les étrennes.
«Le nom français de cette pâtisserie, dit X. Thiriat, n'existe pas dans le dictionnaire de l'Académie: il varie suivant les pays. A Saint-Amé, on dit queugna; à Dommartin, queugno; à Gérardmer, coïeue; à Rambervillers, cogneu95.»
Note 95: (retour) La vallée de Cleurie, p. 329.—Coigneux et ses variantes viennent peut-être de l'allemand Kuchen, gâteau.
Les Lorrains ont l'habitude de s'entredonner, à l'époque de Noël, des cognés ou cogneux, espèces de pâtisseries dont les unes figurent deux croissants adossés et dont les autres, plus longues que larges, se terminent également, à leurs extrémités, par deux croissants.
Dans les Flandres, on donne aux enfants, le jour de Noël, des kéniolles ou coignolles ou quégnolles, gâteaux de forme oblongue, au creux desquels un Enfant-Jésus en sucre est mollement couché, piquant une note rose au sein de la pâte dorée.
Dans le département du Nord, ces mêmes gâteaux sont connus sous le nom de coquilles. Dans certaines villes, les boulangers et les pâtissiers en offrent à leurs clients, à titre d'étrennes, immédiatement après la Messe de minuit96.
Note 96: (retour) M. D..., boulanger à W... (Nord), nous a envoyé, pour la Noël 1906, une succulente coquille que nous avons admirée et appréciée: c'était en souvenir d'un voyage resté mémorable.
Dans le pays chartrain et en Beauce, on servait au réveillon des cochelins, petites galettes feuilletées ovales ou losangées, qui étaient saupoudrés de grains en sucre rose et blanc; ils servaient aussi d'étrennes.
En Normandie, les indigents se pressent, à l'heure du réveillon, à la porte des fermes, en demandant des aguignettes (étrennes) et chantent en choeur ce vieux couplet:
Aguignette, Aguignon,
Coupez-moi un p'tit cagnon;
Si vous n'volez pas le coper,
Donnez-moi l'pain tout entier.
Les Aguignettes! Tout le monde connaît, en Normandie, ces galettes feuilletées, ces gâteaux de deux sous, cousins germains des «cheminaux tout chauds» et des vieilles «nourolles» découpées à l'emporte-pièce et revêtant les formes les plus diverses, suivant les caprices du boulanger.
Quelle jolie couleur elles vous ont à la sortie du four et comme elles fleurent le bon beurre frais! Elles sont surtout succulentes, quand un léger coup de feu leur a donné une teinte d'acajou et qu'elles craquettent sous la...
[Texte détérioré—reliure défectueuse]
Quelles pâtisseries affriolantes que ces Aguignettes d'enfants!
En Berry97, les pains ou gâteaux de Noël étaient de deux sortes: les cornabeux et les naulets. Les cornabeux ou pains aux boeufs sont confectionnés dans les fermes, et on les distribue aux pauvres dans la matinée de Noël: ces pains sont en forme de cornes ou de croissants.
Note 97: (retour) D'après Laisnel de la Salle, Croyances et Légendes, t. I, p. 6.
A Argenton, à Saint-Gaultier, etc., les cornabeux sont connus sous le nom de holais. Tous les laboureurs de ces contrées donnent aux pauvres, le jour de Noël, autant d'holais qu'ils possèdent d'animaux de labour, boeufs ou chevaux.
Les naulets sont ces petites galettes que fabriquent les boulangers pour le jour de Noël. On leur donne, autant que possible, la forme d'un petit Jésus, qu'au Moyen Age, on désignait quelquefois sous le nom de Naulet ou Nolet, pour Noëlet (petit Noël):
J'ai ouï chanter le rossigneau
Qui chantoit un chant si nouveau,
Si gai, si beau,
Si résonneau;
Il m'y rompoit la tête,
Tant il preschoit,
Et caquetoit;
A donc prins ma houlette,
Pour aller voir Nolet98.
Note 98: (retour) Bible des Noëls, de Ribaut de Laugardière, p. 15, Bourges, 1857.
Tous ces gâteaux n'auraient-ils pas pour origine ces pains de Noël, espèce de redevance payée jadis par les vassaux à leur seigneur? 99.
Note 99: (retour) Voir du Cange, Glossarium, s. v. panis.
Nous pourrions citer encore une foule d'autres gâteaux que l'on sert à l'occasion des fêtes de Noël et du jour de Tan; en Beauce, les nieules, espèce d'échaudées; en Normandie, les nieules 100, petites gaufrettes un peu semblables aux oublies, pâtisserie légère que fabriquait, à Rouen, la corporation des oubleyeurs-neuliers; on les voit souvent figurer comme redevances, comme les oublies les chemineaux, les fouaces; en Provence, le calendau et le nougat que l'on sert orné de feuilles vertes; en Normandie, les craquelins, qu'on appelle bourettes à Valognes, etc.
Note 100: (retour) Les nieules étaient surtout jetées, du haut des galeries, dans la cathédrale de Rouen, le jour de la Pentecôte (Farin).
A ces sortes de gâteaux doit se rapporter le petit pain blanc que, chez nos voisins des Amognes (Nièvre), les parrains et les marraines offraient, naguère encore, aux approches de Noël, à leurs filleuls et que l'on connaissait, dans ces contrées, sous le nom d'apogne cornue.
On pourrait encore ranger dans la catégorie des apognes, l'ai gui l'an de Vierzon (Cher), dont Raynal parle en ces termes 101: «A Vierzon pendant quelques jours des environs de Noël, tous les pâtissiers vendent un petit gâteau de forme bizarre qu'on nomme l'ai gui l'an.»
Note 101: (retour) Histoire du Berry, tom. I, p. 17.
«Dans notre province, comme en beaucoup d'autres, ajoute Raynal, on donne encore les noms de guilané, guilaneu aux aumônes spéciales ou à de certains présents que l'on distribue aux premiers jours de l'an. Les mots guilané, guilaneu signifient, dit-on, gui l'an neuf102».
Note 102: (retour) Les auteurs sont très partagés sur cette étymologie. V. le Barzaz-Breiz, de M. de la Villemarqué, t. I, p. 396.
En Picardie, il y a quelques années, les cabaretiers offraient, la veille de Noël, à leurs clients des cuignons ou cuignots, sorte de tarte aux pommes en forme de croissants allongés.
Dans la Flandre flamingante, les gâteaux de Noël se nomment Kerskoeken et représentent un porc ou un sanglier, comme les cougnoux de Namur.
Le réveillon des animaux103.
Note 103: (retour) Voir Noël dans les pays étrangers, p. 13. Le réveillon des oiseaux.
Dans un grand nombre de pays, les animaux eux-mêmes font réveillon.
En Berry, les animaux de la ferme, à l'issue de la Messe de minuit, reçoivent une provende extraordinaire du meilleur fourrage.
Il en est ainsi en Lorraine et dans le pays bisontin. Dans un village voisin de Besançon, à Mamirolle, il y a quelques années, un cultivateur qui n'avait aucune religion se levait avec grande diligence, pour conduire son bétail à l'abreuvoir public, tout au sortir de la Messe de minuit. Il fallait, disait-il, que ses animaux eussent la première eau de Noël. Cette habitude superstitieuse a quelque chose de bien poétique et n'est que l'application abusive d'une idée admirable du Mystère de Noël. 104
Note 104: (retour) L'abbé B..., du diocèse de Besançon.
On nous écrit que, dans certaines paroisses perdues des montagnes de l'Auvergne, à l'occasion de Noël, tous les animaux participent aux réjouissances communes; «il n'est pas une tourterelle ni un pigeon qui ne fasse réveillon.»
Le même usage existe en Bretagne. Au retour de la Messe de minuit, on donne à tous les animaux une botte du meilleur foin qui se trouve à l'étable. Les paysans bretons (de Bignan, au diocèse de Vannes) pensent qu'il est convenable que les animaux eux-mêmes participent à la joie universelle, la nuit de Noël, en mémoire de la place que Dieu leur assigna, d'après la tradition, dans l'étable de Bethléem, au moment de la Nativité.
En Touraine, dans plusieurs villages, la Messe de minuit terminée, chacun regagne sa demeure. Mais avant d'aller prendre sa part au gai repas du réveillon, le maître de la maison passe d'abord à l'étable. En souvenir des deux animaux qui, de leur tiède haleine, ont réchauffé les membres tremblants du Sauveur-Enfant, il donne à chacun de ses animaux domestiques une double ration. C'est leur réveillon à eux 105.
Note 105: (retour) M. l'abbé B... du diocèse de Tours.
Le poète qui a si bien chanté le réveillon des oiseaux devait aussi chanter le réveillon des animaux; il l'a fait sous ce titre gracieux:
LA GERBE DE NOËL
Dans les nombreux pays où la sainte croyance
Vit encor dans le coeur du campagnard heureux,
—A l'heure où de Jésus l'on chante la naissance,
On observe un usage aussi bon que pieux.
La venue ici-bas de cet Enfant aimable
Mit en liesse la terre, aux chants du Paradis;
De même le croyant s'en va dans son étable
Réjouir son bétail, ses agneaux, ses brebis.
Il donne à l'âne, au bouf, une exquise provende,
Aux chèvres, aux moutons, ou du sucre ou du sel:
Car tout être vivant doit, suivant la légende,
Faire son réveillon dans la nuit de Noël106.
Note 106: (retour) Comtesse O'Mahony.
Aujourd'hui l'usage se répand de plus en plus de donner des cadeaux aux enfants, à l'occasion de la fête de Noël.
On donne à cette coutume une double origine. Quelques auteurs ont voulu la faire remonter aux Romains, qui s'envoyaient les uns aux autres des présents, afin de commencer la nouvelle année sous d'heureux auspices. Les nouveaux convertis eurent beaucoup de peine à se défaire de cette coutume payenne.
A la fin du IVe siècle, saint Maxime de Turin la condamne avec véhémence: il reproche aux chrétiens de donner des présents exagérés, quelquefois même en contractant des emprunts107.
Note 107: (retour) Homil. C. de Kalendis gentilium, Migne, LVII, col. 492-493.
Dans la suite, Noël prit peu à peu la place des Calendes de janvier et fut considéré comme le commencement de l'année108.
Note 108: (retour) En provençal, Noël se dit Caleno ou Calendo pour cette raison.—Noël fut appelé Calendes, nom qu'on donnait Auparavant au premier janvier.
Il nous semble exagéré de faire remonter aux Romains l'usage des cadeaux de Noël; cette coutume chrétienne nous paraît avoir son origine toute naturelle dans l'idée même de la fête. En effet, Noël, étant un jour de joie universelle, est en même temps une fête de famille: les étrennes en sont la conséquence.—Comme Dieu s'est donné en présent aux hommes pour leur prouver son amour, les hommes se donnent entre eux des signes d'amitié et de bienveillance. Les parents surtout pensent à réjouir leurs enfants en souvenir du divin Enfant-Jésus, qu'ils leur montrent comme leur meilleur ami et leur plus parfait modèle.
Les cadeaux de Noël se font surtout par l'arbre de Noël et par le soulier de Noël.
Partout l'arbre est regardé comme un symbole de vie, d'abondance et de prospérité109.
Note 109: (retour) L'arbre joue un grand rôle dans la symbolique chrétienne. On a souvent mis en face l'un de l'autre l'arbre de la science du bien et du mal, principe de la déchéance de l'humanité, et la croix, principe de rédemption et de salut.
L'arbre de Noël est un petit arbuste vert, le plus ordinairement un sapin, aux branches duquel on attache les cadeaux que l'on veut distribuer aux enfants, à l'occasion de la fête. Il apparaît tout éclatant de lumières, tout chargé de jouets et de friandises. Cet arbre merveilleux est pour les coeurs innocents le symbole de Celui qui est «la lumière du monde» et la source de tout don céleste.
Cet arbre, en effet, a pour les enfants une signification chrétienne. Ce sapin, qui reste vert au milieu du deuil de la nature et qui produit des fruits absolument inusités, fournit l'occasion de parler aux petits enfants de ce Jésus qui s'est fait enfant pour nous, de ce Jésus qui, dans sa crèche, leur prêche la piété, l'obéissance, la pauvreté. Ils écoutent comme on écoute quand on est enfant: plus tard ils se souviendront!...
Qui donc peut assister sans être profondément ému à cette scène ravissante d'un arbre de Noël dans nos Écoles maternelles? «Devant les yeux émerveillés des tout petits, le verdoyant sapin, illuminé de mille petites lumières tremblotantes, se dresse tout chargé de jouets et de cadeaux qui, pendant des heures, mettent du bonheur dans les âmes de tout ce monde enfantin. A ces joujoux d'un jour, on joint quelquefois une large distribution de bons vêtements chauds et de hardes neuves: tricots qui recouvrent les petits membres grelottants, mitaines qui préservent des engelures, foulards où s'enfouissent les petits nez rougis par la bise, bonnes galoches qui sonnent sur le pavé au moment des glissades. Et comme il n'est point de belles fêtes sans chanson, on chante quelques-uns de ces jolis noëls naïfs, sur des airs qui ont traversé les siècles et qui n'en sont pas pas moins une bonne et égayante musique110».
Note 110: (retour) Nous empruntons cette description de l'arbre de Noël au savant article, si documenté, si varié et si plein d'humour de M. Georges Dubosc (Journal de Rouen, 25 déc. 1897).
Le romancier anglais Ch. Dickens décrit ainsi l'arbre de Noël111: «Cet arbre, planté au milieu d'une large table ronde et s'élevant au-dessus de la tête des enfants, est magnifiquement illuminé par une multitude de petites bougies et tout garni d'objets étincelants. Il y a des poupées aux joues roses qui se cachent derrière les feuilles vertes, il y a des montres, de vraies montres, ou du moins avec des aiguilles mobiles, de ces montres qu'on peut monter continuellement; il y a de petites tables vernies, de petites armoires et autres meubles en miniature qui semblent préparés pour le nouveau ménage d'une fée; il y a de petits hommes à face réjouie, beaucoup plus agréables à voir que bien des hommes réels—car si vous leur ôtiez la tête, vous les trouveriez pleins de dragées.—Il y a des violons et des tambours, des livres, des boîtes à ouvrage, des boîtes de bonbons... toutes sortes de boîtes; il y a des toutous, des sabots, des toupies, des étuis à aiguilles, des essuie-plumes et des imitations de pommes, de poires et de noix, contenant des surprises. Bref, comme le disait tout bas devant moi un charmant enfant à un autre charmant enfant, son meilleur ami: «Il y avait de tout et plus encore!»
Note 111: (retour) Christmas carols.
Comment installer et garnir l'arbre de Noël
Il faut choisir, dans la forêt, un beau sapin aux branches épaisses et bien vertes: on le plante dans une caisse profonde remplie de terre: les parois sont ornementées de papier multicolore ou d'andrinople. C'est, à Paris, au marché du quai aux Fleurs qu'on trouve à meilleur compte les sapins de Noël; chaque année, les forêts de France et même de l'étranger en envoient un stock considérable.
Il est bon de placer l'arbre au tiers de la pièce où l'on doit se réunir, afin de laisser, en avant, un espace suffisant pour recevoir les invités, grands et petits.
On peut établir, dans un coin de la salle, une sorte de cloison de tentures, faite avec de longs rideaux épais. Derrière cette cloison, on peut placer un piano ou un harmonium autour duquel grands frères et grandes soeurs chanteront des noëls populaires: leurs voix sembleront se perdre dans un lointain mystérieux, et parfois imiter les Anges de Bethléem, annonçant aux bergers la venue du Sauveur.
Il faut, sur le fond de verdure sombre qu'offre le sapin, placer des boules de verre ou de petits miroirs qui refléteront, en mille facettes, la lumière des petites bougies suspendues dans l'arbre. Souvent on sème sur les branches quelques poignées de givre argenté et de neige artificielle; on y ajoute aussi quelquefois de longs fils d'argent qu'on appelle des «cheveux d'ange». Enfin, on accumule, avec art et bon goût, tout ce qu'on peut trouver de petits rubans, de faveurs, et on agrémente le tout de nombreuses bouffettes, de noeuds et de croisettes de bolduc rose112.
Note 112: (retour) Grosse ficelle rose, plate.
Quant aux bibelots, jouets et friandises à placer sur l'arbre de Noël, on a le choix, assurément, mais il faut prévoir ce qui fera le plus grand plaisir à l'assistance: les fruits et les jouets à surprises ont toujours le plus grand succès. Les enfants préfèrent souvent les objets peu coûteux aux cadeaux de grand prix: il faut surtout savoir les enjoliver et les présenter, sous les formes les plus gracieuses et les plus attrayantes: par exemple, les petits paniers et les corbeilles seront recouverts de percaline et doublés de satinette rose ou bleue; on collera sur les panoplies des papiers de couleur, des papiers de fantaisie à dessins comiques, etc.
Quelquefois, on place, au sommet de l'arbre de Noël, une étoile lumineuse étincelante de rubis et d'émeraudes, ou un ange de carton aux ailes d'or et aux mains pleines de présents.
On trouve dans les bazars et chez les marchands de jouets tous les accessoires d'un arbre de Noël à des prix très abordables.
Les savants ne sont pas d'accord sur l'origine de l'arbre de Noël: les uns le font remonter au temps du paganisme, les autres lui donnent une origine gauloise, d'autres, enfin, le font venir des plus pures traditions germaniques.
Origine payenne. L'arbre de Noël, suivant une légende, remonterait aux peuples payens, qui célébraient, par des réjouissances, les derniers jours de l'année. Le sapin, «roi des forêts» 113, comme disent encore certains chants populaires allemands, recevait alors un culte idolâtrique: des sacrifices humains avaient même arrosé ses racines. Cependant, il faut observer que, parmi les nombreuses espèces d'arbres pour lesquels les anciens Germains avaient un culte, on ne vit jamais figurer le sapin. Il faut aller jusqu'à l'extrême Scandinavie où, dans les temps payens, lors des fêtes de Youl114, célébrées à la fin de décembre, en l'honneur du retour de la terre vers le soleil, on plantait, devant la maison, un sapin auquel on attachait des torches et des rubans de couleur.
Note 113: (retour) Il faut visiter les belles forêts du mont Saint-Odile, en Alsace, pour voir que le sapin mérite bien ce titre d'honneur.
Note 114: (retour) Noël dans les pays étrangers, p. 19.
Le christianisme aurait transformé cette coutume et l'aurait appropriée au Mystère de Noël, qui se célèbre à cette époque de l'année; cette ancienne cérémonie serait tombée en désuétude avec le cours des siècles.
Origine gauloise. Vers 573, saint Colomban, poussé par un ordre mystérieux de Dieu, quitta l'Irlande, son pays natal, et le monastère de Bangor, où les fortes études n'empêchaient pas l'enthousiasme de se développer. Il partit pour la Gaule dont, malgré la conversion de Clovis, les habitants avaient grand besoin d'être évangélisés. L'ardent missionnaire fut bien accueilli par Gontran, roi des Bourguignons.
Bientôt l'étroite enceinte du vieux château romain d'Annegray, que lui avait concédé ce prince, fut insuffisante pour ses nombreux disciples. Une portion de la nouvelle communauté dut se transporter à Luxeuil, au pied des Vosges.
Un soir de Noël, saint Colomban prit avec lui quelques-uns de ses religieux et parvint avec eux, en chantant des hymnes, jusqu'au sommet de la montagne où se trouvait un antique sapin encore vénéré par quelques habitants. Les religieux accrochent à l'arbre leurs lanternes et leurs torches; un d'eux parvient jusqu'à son faîte et y dessine une croix lumineuse.
Les paysans accourent et saint Colomban leur raconte les merveilles de la nuit qui donna au monde un Sauveur.
Malgré ce fait, nous ne croyons pas que la tradition de l'arbre de Noël soit née sur notre vieille terre française. Nous n'en trouvons aucune trace dans nos vieux noëls normands, gascons, bourguignons ou provençaux. Dans toutes nos Pastorales, dans l'Officium pastorum, même silence au sujet du vert sapin étoilé de lumières. Ce n'était point le sapin, mais bien le chêne celtique qui était l'arbre symbolique par excellence dans les vieilles forêts druidiques de l'ancienne Gaule115.
Note 115: (retour) Noël dans les pays étrangers, p. 18, note.
Origine allemande. Il y a un siècle environ que l'arbre de Noël est devenu populaire dans les contrées du Nord de l'Allemagne.
C'est en Norwège et en Suède qu'il fut d'abord adopté aux fêtes chrétiennes de Noël, et tout indique qu'il a été propagé, en Allemagne, par les Suédois, pendant la guerre de Trente ans.
C'est peut-être en Alsace qu'il faut chercher l'origine de l'arbre de Noël. Dans ce pays, les charmes de la poésie ont enveloppé tous les actes de la vie publique et privée.
Nous trouvons la plus ancienne mention de l'arbre de Noël dans une description des usages de la ville de Strasbourg, en 1605. On y lit le passage suivant: «Pour Noël, il est d'usage, à Strasbourg, d'élever des sapins dans les maisons; on y attache des roses en papier de diverses couleurs, des pommes, des hosties coloriées, du sucre, etc.»116.
Note 116: (retour) Auf Weihnachten richtett man Dannenbaümen zu Strasburg in den Stuben auf, daran hencket man rossen auss vielfarbigen. Papier geschnitten, Aepfel, Oblaten, Zischgolt, Zucker (Rietschel, I. C., p. 144).
En 1765 encore, Goëthe se trouvant à Leipsick, chez un ami, en face d'un arbre de Noël, exprime la surprise que lui cause ce spectacle qu'il voyait pour la première fois.
L'un des plus anciens vestiges de cette coutume se trouve dans l'Essence du Catéchisme que publia, vers le milieu du XVIIe siècle, le pasteur protestant Dannhauer, de Strasbourg. Il constate que depuis quelque temps, en Alsace, on suspend, à la Noël, pour la récréation des enfants, des bonbons et des jouets aux branches d'un sapin. Il déclare qu'il ignore d'où cet usage, qu'il blâme fortement, a pu tirer son origine117.
Note 117: (retour) Katechismusmilch (le lait du Catéchisme), 1642-1646, cité par Rietschel. I. C., p. 145.
L'arbre de Noël fut introduit à Paris, en 1840, par la princesse Hélène de Mecklembourg, duchesse d'Orléans, et favorisé plus tard par l'impératrice Eugénie.
Dans cette même année, le prince Albert, époux de la reine Victoria, l'introduisit au palais royal de Buckingham, à Londres, et le mit en honneur dans l'aristocratie et la bourgeoisie anglaise.
Cette touchante et délicieuse tradition de l'arbre de Noël, perpétuée à travers les âges, semble aujourd'hui plus vivace encore que jamais. La preuve en est dans l'immense quantité de sapins qui, dès l'aube, chaque année, sont alignés sur les deux côtés de la Madeleine, à Paris.
Les sapins!... Ils sont là des centaines, des milliers, de toute taille, de tout âge. Les uns, tout petits, les autres très grands avec d'énormes racines. Ceux-là, de quelques centimètres de hauteur; ceux-ci atteignant plusieurs mètres.
Et tous ces arbres de Noël, disposés en ordre, forment de grandes et de petites allées... C'est comme une forêt en miniature, où l'oeil se perd dans les masses de feuillage sombre, où l'esprit se reprend à rechercher les images exquises de Pierre Dupont, le chantre des Sapins, évocateur génial des beautés de la nature:
Le Sapin brave et l'hiver et l'orage,
Chaque printemps lui fait un éventail;
Droite est sa flèche et vibrant son feuillage;
L'art grec s'y mêle au gothique travail...
Dieu d'harmonie
Et de beauté,
J'adore ton génie
Dans sa simplicité.
Qui de nous n'a contemplé, avec larmes, en 1870, l'arbre de Noël de nos ennemis insolents et vainqueurs? Ces hommes du Nord abattaient les rares sapins de nos bosquets et en détachaient la cime. Dressée dans un tonneau, cette cime devenait leur arbre de Noël. Ils suspendaient à ses branches des pommes au lieu d'oranges, et des saucisses en guise de guirlandes: le tout était éclairé par des chandelles fumeuses. C'était plutôt lugubre!...
Les Chartrains se rappellent encore cet épouvantable incendie qui, le jour de Noël, détruisit le château du prince Napoléon, à Gourdez. Un sapin immense était dressé dans les magnifiques salons. Pour célébrer leur «Weihnachten», les Allemands suspendirent à ses branches toutes sortes de victuailles; le tout était éclairé a giorno par de nombreuses bougies. L'on festoya, l'on dansa autour de l'arbre de Noël. Le feu ne tarda pas à se déclarer; bientôt le château n'était qu'un brasier, et malheur aux paroissiens de Morancez qui essayèrent de conjurer l'incendie 118!
Note 118: (retour) L'abbé G..., du diocèse de Chartres.
Nous avons donné dans notre premier opuscule une longue description de l'arbre de Noël allemand 119, nous nous contenterons de citer l'arbre de Noël des petits forains et l'arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains à Paris.
Note 119: (retour) Noël dans les pays étrangers, p. 39-49.
L'arbre de Noël des petits forains, à Paris
Le 24 décembre, une vaste salle avait été mise gracieusement à la disposition de l'École foraine; la réunion fut très belle. Un public nombreux voulut prendre part à la joie des pupilles de Mlle Bonnefois.
M. Gaston Lacoin, avocat à la Cour d'appel, dans un à-propos très brillant sur l'École foraine et sa fondatrice, fit savoir qu'elle n'avait pas été oubliée par le bonhomme Noël, puisque le Conseil général, sur la proposition de M. Duval-Arnoult, lui allouait une subvention de 500 francs.
Cette heureuse nouvelle fut accueillie avec joie.
Mmes L. Vaillant et J. Jucquot ont ouvert le concert par un charmant morceau à quatre mains. Mme Raucet-Banès a charmé l'auditoire par son talent de fine diseuse. Mme Benoiste a brillamment exécuté une Étude de Liszt et accompagné tous les artistes avec un réel talent. Deux jeunes élèves de Mlle Caroline Brun ont fait entendre de ravissantes mélodies avec des voix bien posées, une diction parfaite et un style impeccable.
La distribution des présents de toutes sortes suspendus à un splendide arbre du Noël eut ensuite lieu au milieu de la joie générale; tous les petits forains paraissaient être au comble du bonheur.
Mlle Bonnefois peut être heureuse et Mlle Giraud fière de ses petits élèves. Puissent-elles longtemps encore assister à cette fête de famille!
L'arbre de Noël des Alsaciens-Lorrains, à Paris
Il n'est pas un journal, en France et surtout en Alsace-Lorraine, qui n'ait raconté, au moins une fois, cette cérémonie si particulièrement touchante et patriotique.
Tout le monde connaît l'Association des Alsaciens-Lorrains, à Paris. Cette oeuvre a distribué, depuis son origine, des millions de secours et procuré du travail et des moyens d'existence à des milliers de familles émigrées.
Comme l'arbre de Noël est en grand honneur dans toutes les familles alsaciennes, on pensa, dès l'année qui suivit la guerre de 1870, à une fête qui rappelât aux petits émigrés les joies du foyer natal.
Jules Claretie a raconté l'origine de cette fête, dans une salle de café-concert, à l'Alcazar, où les petits Alsaciens étaient accourus. On en attendait quelques centaines; il en était venu plus d'un millier.
«Les fillettes et les gamins, dit Jules Claretie montaient, tout émus, les marches de l'estrade. Même après avoir pillé les épiciers du voisinage, on n'allait bientôt plus avoir rien à leur donner. Il fallut briser par fragments les tablettes de chocolat, pour que les derniers emportassent quelque chose. C'est Gambetta qui les cassait en deux, ces tablettes de chocolat, et les passait à Mme Floquet qui les distribuait à ces petites mains tendues.»
Cette fête de famille, très modeste à l'origine, reçut dans la suite un développement considérable; entourée de la sympathie universelle, elle devint une manifestation charitable vraiment grandiose.
Qu'on en juge par le récit que nous en fait un journal de la capitale 120:
Note 120: (retour) Le Monde illustré, 26 déc. 1881.
«Le 25 décembre 1881, a eu lieu, dans l'après-midi, à l'Hippodrome, la Noël des Alsaciens-Lorrains.
«De patriotiques souvenirs planaient sur cette fête. Une foule émue et sympathique se pressait dans l'immense vaisseau, admirablement décoré pour la circonstance.
«Des Alsaciens, au nombre de six mille, et environ quatre mille enfants, avaient été convoqués dans cette vaste enceinte, afin de participer aux libéralités que leur réservaient les Dames patronnesses de l'Oeuvre, sous la forme d'agréables et utiles dons, consistant en vêtements chauds, objets de toute espèce, jouets et bonbons.
«Au centre de l'arène se dressait un énorme sapin, provenant des forêts d'Alsace 121, dont les gigantesques rameaux, ornés de rubans aux couleurs nationales, ployaient sous une charge coquette de joujoux et de Lanternes.
Note 121: (retour) Avant de l'expédier, ses racines avaient été soigneusement enveloppées d'une grosse motte de terre alsacienne.«Des mâts, autour desquels s'enroulaient des oriflammes et des drapeaux tricolores, étaient plantés de place en place. Ils portaient tous, au centre, les armes des villes des pays annexés, ainsi que l'écusson de la ville de Paris.
«Sur des tables placées au pied de ces mâts, s'amoncelaient des piles de cadeaux, qui attiraient les regards de la troupe enfantine, assise au milieu de l'ellipse.
«Le reste de l'assistance s'étageait sur les gradins de l'amphithéâtre.
«On y remarquait bon nombre de sénateurs, de députés, des élèves de l'École polytechnique, de l'École centrale...
«La musique de la Garde républicaine et plusieurs sociétés chorales ont fait entendre, comme intermèdes, des morceaux très applaudis.
«Des pièces de vers et des chants patriotiques ont été chaleureusement acclamés.
«Ensuite a commencé le défilé des enfants qui sont venus, accompagnés de leurs parents, recevoir, des mains charitables, les dons destinés à chacun d'entre eux.
«Les bienfaiteurs se sont retirés avec la conscience d'un doux et cher devoir de commisération accompli en faveur de frères malheureux.
«Les Alsaciens pauvres ont mieux compris qu'ils faisaient toujours partie du territoire français, et que, en dépit des efforts faits pour les séparer de nous, la charité supprimait les frontières nouvelles.»
Ce spectacle charmant de l'arbre de l'Hippodrome fait retrouver aux pauvres exilés, dans la douce fête de l'arbre de Noël, le souvenir vivant de la patrie absente, et ceux qui veulent être généreux pour l'enfance proclameront hautement «qu'elles sont bonnes et touchantes, les traditions qui permettent ainsi de faire le bien et la charité, en les parant de cette poésie émue et naïve qui, depuis dix-neuf siècles, s'attache à la plus populaire de nos fêtes 122».
Note 122: (retour) Le Journal de Rouen, loc. cit.
Rückert, le plus poétique révélateur, dit Baur, de l'amour divin manifesté dans la grotte de Bethléem, nous a laissé une poésie très aimée des enfants. C'est comme une perce-neige toute pure et toute délicate qui s'est épanouie sur le bord de la Crèche; nous ne ferons que résumer le poète allemand:
L'arbre de Noël et l'enfant pauvre
«Un petit enfant étranger parcourt les rues superbes d'une ville inconnue: il admire les jouets exposés aux vitrines, la lumière des palais et les étincelants sapins entrevus dans les salles bien chauffées.
«Tout enfant, dit-il, a son petit arbre et sa bougie: tout enfant, chez ses parents, a sa douce surprise, et, moi seul, je n'ai rien. Et il frappe tristement à toutes les portes, et personne n'a pitié de lui et ne l'invite à entrer.
«O saint Enfant-Jésus, s'écrie-t-il, je n'ai ni père, ni mère, je n'ai que vous; puisque personne ne m'écoute, venez à mon secours.» Il joint ses petites mains glacées par le froid, et, tout grelottant, il attend, anxieux, dans la rue.
«Et voici que descend vers lui un autre petit enfant, entouré d'une lumière étrange et qui lui dit:
«Je suis le divin Jésus... tout le monde te repousse, moi je viens à toi... tu auras aussi ton arbre de Noël, regarde!»
«De la main, l'Enfant-Jésus lui montre alors le ciel dans lequel brille un gigantesque arbre de Noël tout scintillant d'étoiles.
«L'enfant, dont l'âme est inondée de joie et de paix, se sent soulevé lentement, doucement par mille petits anges qui se détachent de l'arbre merveilleux.
«.....Il est retourné dans sa vraie patrie, et là il oublie toutes les souffrances d'ici-bas!»
Il faut lire cette ravissante poésie dans le texte allemand pour en savourer toute la suavité.
Après avoir célébré tous les charmes de l'arbre de Noël, parlons de la coutume si française du soulier ou du sabot de Noël, mis dans l'âtre pendant la Messe de minuit, pour le plus grand bonheur de nos naïfs enfants.
L'heure de la veillée est déjà avancée; les plus petits enfants consentent à assister à la Messe de minuit dans la chapelle blanche, c'est-à-dire à dormir sous leurs blancs rideaux, pendant que leurs parents iront à l'église. Mais auparavant, tout émus, ils déposent, avec grand soin, leur soulier au pied des chenets de fonte. Pendant leur sommeil, ils rêvent de sucre de pomme, de polichinelles, de bonbons et de jouets de toutes sortes...
Maman attend que bébé soit bien endormi; puis, elle s'avance discrètement et remplit l'escarpin mignon, largement ouvert, des objets qu'elle sait que son cher petit désire le plus,—elle le lui a fait dire tant de fois!...
Le lendemain, dès son réveil, l'enfant accourt, pieds nus, le cour battant, l'oeil encore gros de sommeil et déjà brillant de plaisir, pour contempler les trésors, objets de toutes ses espérances.
Malgré la nuit plus courte, avec quel empressement le père et la mère sont debout, dès le jour naissant, pour guetter le réveil de leur fils, pour être les heureux témoins de sa surprise, de sa joie exubérante, quand il aperçoit les jouets, friandises et cadeaux de toutes sortes, que lui envoie le petit Jésus par son fidèle messager le bonhomme Noël123.
Note 123: (retour) Lectures pour tous, déc. 1903. Extrait d'un article de François Veuillot.
Quelquefois, quand les enfants n'ont pas été sages, quand ils ont été espiègles, menteurs, gourmands, désobéissants ou colères, le petit Jésus n'envoie, en souvenir... qu'une poignée de verges.
Qui de nous n'a été la naïve et heureuse victime de cette supercherie toute imprégnée d'affection maternelle? Une petite fille disait à sa maman: «Je ne sais pas pourquoi ma petite soeur Luce trouve toujours dans son soulier de Noël précisément ce qu'elle désire?»
—«Ah! ma chère Lise, c'est qu'elle est toujours plus sage que toi!»
«Oh! que papa et maman vont être surpris et contents, disait un charmant bébé, quand ils verront tout ce que le petit Jésus m'a apporté!»
Aussi, quand à notre raison plus complètement éveillée s'est dévoilé le mystère, quelle amère déception, quel trouble dans nos joies enfantines!
Il n'y a rien de plus gracieux que cette fiction du soulier de Noël, utilisée par les mamans pour rendre raisonnables leurs bébés capricieux.
Un critique connu la recommandait, et nous voulons reproduire le tableau plein de fraîcheur que sa plume traçait il y a quelques années.
C'était aux environs de Noël, la scène se passait au bazar de la rue d'Amsterdam; nous citons les paroles de l'éminent écrivain124:
Note 124: (retour) Fr. Sarcey. Annales polit. et littér., du 22 déc. 1889.
«Je suivais une jeune mère qui tenait par la main une petite fille. L'enfant s'extasiait sur les poupées et les joujoux. Elle voulait qu'on lui achetât le bazar tout entier.
—Non, lui disait doucement sa mère: c'est bientôt Noël et le petit Jésus t'apportera dans ton soulier ce qu'il aura choisi pour toi.
—C'est ici, répond la petite, que l'Enfant Jésus vient acheter des joujoux?
—Oui, sans doute, pour les enfants bien sages.
—Pour les petits enfants bien sages?
—Oui, le petit Jésus tient à leur faire une surprise pour les récompenser.
—Alors, je serai bien sage!
«... Qu'est-ce que ce petit Jésus qui achète des jouets chez les marchands... et qui s'introduit mystérieusement dans les cheminées? Les enfants ne s'en rendent pas bien compte.
«Ce qu'il y a de certain, c'est que le petit Jésus n'est pas pour eux une abstraction, un symbole. Ils le voient qui traverse l'air, qui presse sur sa poitrine des mains pleines de gâteaux et de jouets, ils le sentent au-dessus d'eux très bon et très juste: ils se disent qu'avec Lui il faut marcher droit, ou sinon... les souliers resteront vides. Quels cris de joie ils vont jeter quand ils verront que le petit Jésus a justement choisi ce qu'ils désiraient le plus, ce qu'ils avaient demandé dix fois à leur mère.»
Quelquefois l'Enfant-Jésus réserve aux pauvres et aux affligés ses meilleurs cadeaux, comme le prouve la légende des bigorneaux.
Jadis vivait à Saint-Malo une pauvre femme dont presque tous les garçons s'étaient noyés en mer. Un seul avait survécu. Sa mère le garda auprès d'elle...
Un jour de décembre, elle tombe gravement malade.
Son fils l'entend qui pleure. Il se souvient qu'on est à la veille de Noël. Donc, doucement il se déchausse et vient poser son sabot usé auprès des cendres froides; puis il ouvre la fenêtre et se met à prier en regardant le ciel. Soudain, au moment où les cloches annoncent la Messe de minuit, il aperçoit un nuage lumineux qui s'arrête juste au-dessus de la maison.
Ce n'était pas un nuage ordinaire, ou, pour mieux dire, c'était un essaim de ces escargots de mer que l'on appelle des bigorneaux et, que l'on mange sur la côte bretonne. Les premiers remplirent les sabots, les suivants couvrirent le plancher, et quand la place manqua dans la pauvre chambre, ils rampèrent sur les panneaux de bois de la façade, ou s'accrochèrent aux ardoises du toit.
Cependant la pauvre veuve émerveillée se sentait mieux... Elle remplit en hâte plusieurs paniers qu'elle alla vendre le lendemain: jamais elle n'avait fait de si belles recettes, car personne n'avait jamais vu d'escargots de mer si beaux et si appétissants.
On sut bientôt, dans le pays, le prodige qui s'était opéré et l'on appela la vieille maison le château des bigorneaux125.
Note 125: (retour) Lectures pour Tous, loc. cit.
Nos poètes ont souvent traité ce sujet si touchant et si naïf du soulier de Noël:
Ainsi qu'ils le font chaque année,
En papillotes, les pieds nus,
Devant la grande cheminée
Les bébés roses sont venus.
A minuit chez les enfants sages
Le joli Jésus qu'à genoux
On adore sur les images
Va, les mains pleines de joujoux,
Du haut de son ciel bleu descendre;
Et, de crainte d'être oubliés,
Les bébés roses, dans la cendre,
Ont tous mis leurs petits souliers.
Derrière une bûche ils ont même,
Tandis qu'on ne les voyait pas,
Mis, par précaution suprême,
Leurs petits chaussons et leurs bas.
Puis, leurs paupières se sont closes
A l'ombre des rideaux amis.
Les bébés blonds, les bébés roses,
En riant se sont endormis
Et jusqu'à l'heure où l'aube enlève
Les étoiles du firmament
Ils ont fait un si joli rêve
Qu'ils riaient encore en dormant126.
Note 126: (retour) Rostand.
Nos enfants savent par coeur ces beaux vers d'André Theuriet:
Il est minuit, l'étable est sombre,
La Vierge rêve et Joseph dort;
L'Enfant repose dans cette ombre
Ayant au front l'étoile d'or.
Vêtu de satin et de moire,
Le front ceint d'un rayon vermeil,
A travers la grande nuit noire,
Jésus passe comme un soleil.
Glissant sur un rayon de lune,
Il pénètre dans les foyers.
Seul le grillon, dans la nuit brune,
Voit remplir les petits souliers.
Noël! Jésus vient de naître.
Souliers et sabots de hêtre
Sont rangés dans l'âtre noir.
Noël! Enfants, venez voir
Les merveilles qu'à la ronde,
Jésus, pour le petit monde,
Du haut des cieux fait pleuvoir!
Non moins gracieuse est la poésie suivante que nous envoie un de nos bons amis du Canada127.
Note 127: (retour) Le rév. Père B***, qui, bien des fois, dans notre belle église de Pithiviers, a su intéresser et charmer ses auditeurs.
Hier au soir, à l'Angélus,
Quand la nuit étendait son voile,
J'ai vu, de la plus belle étoile
Descendre le petit Jésus.
Sur le toit de chaque demeure,
Il s'arrêtait pour écouter!
Car à l'enfant méchant qui pleure
Il ne viendra rien apporter.
Celui qui manque sa prière,
Ou qui déchire ses habits,
N'aura qu'une verge sévère,
Avec un morceau de pain bis.
Mais Jésus, aux enfants bien sages,
Apportera de beaux joujoux,
Des livrets tout remplis d'images,
Et des bébés aux grands yeux doux.
Avec une plume éternelle,
En caractères triomphants,
Un ange écrivait sur son aile
Le nom des bons petits enfants.
Que ceux-là, dans la cheminée,
Mettent sans crainte leur soulier
Petit Jésus, dans sa tournée,
Saura ne pas les oublier.
PRÉFACE.
CHAPITRE PREMIER.
La veillée de Noël et les légendes qu'on y raconte.
La veillée de Noël.
I.—Le REPAS MAIGRE.
En Auvergne.
En Provence.
Dans le Comtat-Venaissin.
A Marseille.
Le gros souper du musée d'Arles.
En Bretagne.
II.—LES DIVERTISSEMENTS.
La fête de la pelote en Anjou.
La fête de la pelote en Normandie.
La fête des flambarts en Champagne.
Une veillée de Noël dans le Rouergue.
Une veillée de Noël au pays lorrain.
Une veillée de Noël à Paris.
Une pieuse coutume à Montsecret (Orne).
III—LES LÉGENDES
Êtres inanimés.
En Franche-Comté.
Dans les Vosges.
Au pays de Caux.
En Bretagne.
Animaux.
Dans les Vosges.
Dans les Landes.
En Berry.
Démons et croyances superstitieuses.
En Limousin.
Opinion d'un poète anglais.
A Saint-Michel-en-Grève.
En Franche-Comté.
Dans les Vosges.
En Normandie.
En Corse.
En Bretagne.
Récits édifiants.
La rose de Marienstein.
La Marguerite de Bethléem.
La Noël des trépassés.
La veillée de Noël (dom Guéranger).
CHAPITRE II
La Bûche de Noël.
Origine de la bûche de Noël.
En Berry.
En Normandie.
En Provence.
En Bretagne.
CHAPITRE III
Les particularités de la Messe de minuit.
Les trois messes de Noël.
Les trois messes de Noël à Rome.
La Messe de minuit au village.
En allant à la Messe de minuit.
Une Messe de minuit pendant la Révolution.
Une Messe de minuit manquée.
Une Messe de minuit en Normandie.
Une Messe de minuit en Picardie.
Les agneaux de Sainte-Agnès à Rome.
Une Messe de minuit en Champagne.
Une Messe de minuit au pays d'Armagnac.
Une Messe de minuit dans le Rouergue.
Une Messe de minuit en Provence.
Une Messe de minuit à Saint-Victor-l'Abbaye.
Une Messe de minuit en Vendée.
Une Messe de minuit à l'Isle-sur-Sorgue.
Une Messe de minuit en Bretagne.
Une Messe de minuit à Paris.
Une Messe de minuit à Ferrières.
La fête des Ânes à Rouen.
La Scala de Noël.
CHAPITRE IV
Le réveillon et les gâteaux de Noël
Origine du réveillon.
I.—Les quêteurs.
L'Aguilloné au pays d'Armagnac.
Les Aguignettes en Normandie.
A Ploërmel.
Dans les Pyrénées.
Dans les Landes.
II.—Le repas.
Dans l'Orléanais.
Dans l'Anjou.
Dans le Rouergue.
Dans le Poitou.
Dans le Dauphiné.
Dans l'Armagnac.
Dans le Béarn.
Dans l'Auvergne.
En Corse.
En Franche-Comté.
Dans le pays de Caux.
L'oie de Noël.
Le réveillon de Mme de Sévigné.
Le réveillon à Paris.
III.—LES GÂTEAUX.
Dans les Vosges.
En Lorraine.
En Flandre.
Dans le pays chartrain.
En Normandie.
En Berry.
Le réveillon des animaux.
CHAPITRE V
Les cadeaux de Noël
(l'Arbre de Noël et le Soulier de Noël)
Origine des étrennes.
I.—L'ARBRE DE NOEL.
II.—LE SOULIER DE NOEL.
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