The Project Gutenberg EBook of Galipettes, by Felix Galipaux (1860-1931) This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Galipettes Author: Felix Galipaux (1860-1931) Release Date: June 20, 2004 [EBook #12665] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GALIPETTES *** Produced by Carlo Traverso, Eric Bailey and Distributed Proofreaders Europe, http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. F. GALIPAUX GALIPETTES DESSINS DE P. BARON, E. BEJOT BETHUNE, COURCHET, DETOUCHE FRIM, GRAY, LHEUREUX, L. LOIR, MERWART MESPLES, H. PILLE, RAY, TEYSSONNIERE VALTON PARIS JULES LEVY, LIBRAIRE-EDITEUR 2, RUE ANTOINE-DUBOIS, 2 1887 A MA MERE MON MEILLEUR AMI PREFACE * * * * * _Si tous ceux qui ont applaudi Galipaux, tous ceux qu'il a fait rire, achetaient son livre, ce serait--comme le briquet de Fumade--le plus grand succes qu'on puisse voir de nos jours! Il est si gentil, ce petit Galipaux. Il y a des jours ou on le prendrait pour Dejazet, et on se demande pourquoi il ne joue pas les_ PREMIERES ARMES DE RICHELIEU _et le_ VICOMTE DE LETORIERES. _Un comique qui n'a rien de grotesque, le cas est presque unique. Hyacinthe avait son nez, Ravel avait sa tournure, Baron a un vice de prononciation qui lui rapporte soixante mille francs par an. De tous les comiques connus, l'un a la maigreur; l'autre l'obesite. Galipaux n'a que la gaite, l'esprit, la finesse des nuances. Il voudrait etre ridicule qu'il ne pourrait pas y arriver. Il justifie le proverbe: Qui peut le plus peut le moins. Un premier prix au Conservatoire lui donnait de droit son entree a la Comedie Francaise; mais Galipaux mesura Coquelin qui signait de la rue Lafayette des decrets de Moscou, et, prudemment, il prit l'autre cote du Palais-Royal. Le premier prix du Conservatoire signa un engagement de cinq ans avec le theatre ou triompherent Sainville, Arnal, Alcide Tousez, Achard, Gil-Perez. Et la, meme la, on le tint trois ans sous le boisseau. Les jeunes ont a lutter partout. Il est cependant meridional, ce jeune comique arrive a la force du poignet; mais le midi lui-meme est etouffe par les syndicats et les coalitions. C'est pourquoi Galipaux, desireux d'occuper ses loisirs, se mit a ecrire de petites etudes, des esquisses, des monologues, des proverbes qui ont prouve qu'il etait capable de debiter autre chose que l'esprit des autres. Apres les_ DEUX EPAVES, _saynete en vers, Galipaux se revela sous trois formes differentes dans le_ VIOLON SEDUCTEUR: _auteur, comedien et violoniste, il savoura trois succes en une seance. Pourquoi du Palais-Royal est-il alle a la Renaissance? Et pourquoi de la Renaissance ne va-t-il pas a la Comedie Francaise ou son debut serait une veritable_ RENTREE? _Son professeur, son maitre, le grand Regnier, ce comedien qui, sous l'Empire, etait plus venere qu'un senateur, n'est plus la pour lui ouvrir la barriere. Et cependant quel Mascarille et quel Scapin ferait ce Galipaux, ne pour les planches, qui a du renoncer provisoirement a Moliere et a Regnard pour interpreter Blavet et Bisson!--Il y a des degres, disait a Alexandre Dumas le president du tribunal de Rouen. Galipaux les franchira. En attendant, l'excellent comique, le comedien poete et auteur, offre au public les fleurs de son imagination. La plupart des morceaux qui composent ce volume ont paru dans les journaux de Paris, non point dans les feuilles volantes et ephemeres, mais bien dans les journaux qui ont des abonnes--comme l'Opera. Galipaux a ete imprime tout vif dans le_ FIGARO, _dans l'_ECHO DE PARIS, _dans l'_OPINION, _dans l'_ESTAFETTE. _La Renaissance, l'Athenee les Menus-Plaisirs, le theatre Dejazet ont donne de ses pieces. Il merite d'etre lu, ayant merite d'etre ecoute. Et puisqu'il ne joue que le soir, lisez-le le matin._ AURELIEN SCHOLL. NOS ACTEURS EN TOURNEE _A Alexandre BISSON._ Depuis quelques annees, lorsqu'une piece a du succes a Paris--comedie ou operette--il se trouve toujours une dizaine d'impressarii _in partibus_ tout prets a l'exploiter en province. Pour ce faire, ils racolent dans les agences et cafes du boulevard les comediens inoccupes, montent rapidement l'ouvrage, et en route pour l'exportation dramatique ou musicale! Ces troupes formees de brio et de broc, et composees d'elements heterogenes, offrent la plupart du temps a l'observateur d'innombrables sujets d'etudes, et au caricaturiste quantite de modeles a croquer. Si vous le voulez bien, nous allons examiner ensemble les types que nous presente la tournee Saint-Albert. * * * * * Saint-Albert, grand premier role, aujourd'hui eloigne de la scene (l'ingratitude des auteurs!), vient d'acheter le droit unique de representer dans toute la France la nouvelle piece de Dubequet. Il n'a pas eu la main heureuse, Saint-Albert, dans le recrutement de sa troupe: elle est formee d'une jolie collection de types! Aussi, ce malheureux directeur rentrera-t-il dans la capitale avec les cheveux un tantinet blanchis. Dam! qu'est-ce que vous voulez! quand on a affaire a des gens comme ce Floridor, par exemple!... LE GRINCHEUX Floridor est comique au theatre ... parfois, mais grincheux a la ville ... toujours. Il a decroche avec peine et protection un second accessit au temple du faubourg Poissonniere, ou il n'est cependant reste que six ans. Cela lui suffit pour mettre sur ses cartes de visites "_laureat du Conservatoire_" (laureat! comme c'est malin, c'est pour le bourgeois, ca.) Il n'a pas voulu entrer aux Francais, il n'y aurait rien fait avec Machin qui est la et qui accapare tous les roles. Entre nous, Floridor ne cache pas son jeu. Des qu'on l'ecoute dix minutes, on donne raison a ceux qui disent de lui: sale caractere! Ce n'est pas extraordinaire qu'il soit sans cesse sans engagement: a peine dans un theatre, il debine tout et tous. Depuis le directeur, "qui n'y connait rien", jusqu'aux artistes, "tous mauvais" en passant par le regisseur, "une moule", tout le monde a son paquet avec lui. Je vous laisse a penser ce qu'il dit de l'artiste qui joue son emploi, a lui, Floridor! Enfin, il y a huit jours, il rencontre un camarade, boulevard Saint-Martin, qui lui dit: --Que fais-tu? --Rien. --Veux-tu venir jouer _le Nevrose_ avec nous? --Qui, vous? --Eh bien, Chose, Machin, Dazincourt.... --Ah! mossieu Dazincourt en est? --Oui, qu'est-ce qu'il t'a encore fait, celui-la? Tu n'as pas l'air de l'aimer beaucoup. --Moi? je me fiche pas mal de lui! Ca m'embete seulement de jouer avec un cabot. --Allons, decidement, il t'a fait quelque chose. --Mais non, je t'assure. Et ce serait pour jouer _le Nevrose_, naturellement? --Non, c'est Vilter qui le joue. --Qui ca, Vilter? --Vilter, du cafe de Suede. --Ah! oui je sais ... un comique, plaisanterie a part ... ce sera gai ... Je ne suis pas curieux, mais je voudrais le voir dans _le Nevrose_.... Enfin, l'affaire est signee, non sans peine, et grace au directeur qui a fait toutes les concessions. On a mis, entre le 2e et le 3e acte, un monologue comique dit par Floridor, a la demande de l'artiste qui a reclame cette faveur "afin d'avoir au moins quelque chose dans la soiree, son role etant _une complaisance_. Qu'on ne l'oublie pas!" La repetition generale vient d'avoir lieu, au premier etage d'un cafe du faubourg du Temple. On s'est separe en se donnant rendez-vous pour le lendemain, deux heures, a la gare Saint-Lazare: on joue le soir meme a Versailles. Floridor fait remarquer qu'il est idiot de partir a deux heures. On peut parfaitement ne partir qu'a cinq, on arrive suffisamment tot pour diner et etre pret a l'heure. Au moins, on passerait sa journee a Paris. Il faut etre fou pour n'avoir pas vu ca! Les indicateurs ne sont pas faits pour les chiens. Ah! elle commence bien, cette tournee! * * * * * On part. Naturellement, Floridor, en parfait gentleman, s'est immediatement empare du meilleur coin. La duegne qui, elle, n'a pas eu cette chance, a vainement laisse tomber plusieurs fois cette phrase: --Je sens que je vais etre malade ... chaque fois que je vais en arriere.... Floridor n'a pas bronche. Il bourre silencieusement sa pipe sans tenir compte de l'effroi visible de ses camarades du sexe faible. --Oh! quelle tabagie! baissez au moins la vitre. --Plus souvent! pour attraper un rhume; je joue ce soir, moi! --Eh bien, et nous? * * * * * On arrive. Floridor n'est pas content: --Eh bien, l'omnibus? Ou est l'omnibus pour ma valise? On ne suppose pas que je vais porter moi-meme ma valise a l'hotel? Mais, en voila bien d'une autre! Les yeux de Floridor tombent sur une affiche: --Qu'est-ce que c'est que ca? dit-il ecumant. On a mis Reguval avant moi? C'est trop fort! De quel droit? --Mais, mon petit Floridor, lui dit-on pour le calmer, Reguval joue Gaetan. --Qu'est-ce que ca me fiche? Je suis quelqu'un, moi, on me connait ... ma reputation n'est plus a faire. Dans les _Premieres pages d'une grande histoire_, c'est moi qui ai cree Marceau. --Comment, Marceau? --Certainement, a Ruffec. Bref, apres avoir longuement ronchonne et s'etre apercu qu'on ne pretait qu'une oreille distraite a ses jeremiades, Floridor change tout a coup de ton: --Apres tout, etre le premier ou le dernier sur l'affiche, ca m'est bien egal. La vedette, c'est le public qui vous la fait! * * * * * Floridor se precipite a l'hotel et se dispose a choisir la plus belle chambre, mais le garcon l'arrete: --Pardon, celle-ci est retenue pour votre camarade, M. Dazincourt. --Ah! j'aurais ete bien etonne si ... Enfin! Eh bien! donnez-moi une sale mansarde, alors. On lui offre la chambre mitoyenne et identiquement semblable a celle qu'il voulait prendre. --Monsieur sera aussi bien ici. --Oh! ca ne fait rien. Je sais parfaitement qu'a l'hotel on n'est pas comme chez soi, * * * * * A table, on presente le plat a Floridor. --Mais il ne reste que du maigre. Allez a la cuisine chercher du gras. Le chef revient et avoue, la mine un peu confuse, _qu'il n'en reste plus_. --Voila ma veine! s'ecrie l'artiste, je meurs de faim! Et comme ses camarades se tordent: --Alors, vous trouvez ca drole, vous autres? Il vous en faut peu pour rire! * * * * * Au theatre, le regisseur procede a la distribution des loges. Floridor (que ses camarades appellent La Grinche) a deja mis sa valise dans la premiere, celle qui est la plus pres de la scene. On lui fait poliment comprendre que c'est l'Etoile qui s'habille la, et qu'il est tout naturel qu'il cede cette loge a une femme. --Oui, oui, moi, je m'habillerai dans les dessous, c'est assez bon. --Floridor! on commence! --Non, je ne suis pas pret ... il y a encore une minute! Si par hasard notre comique a du succes, il repond a ceux qui le complimentent: --Oh! pour ce que ca m'avance d'etre applaudi a Versailles! S'il remporte une "tape", et qu'on y fasse allusion, sa reponse est prete: --Dame! ce n'est pas a Versailles qu'il faut chercher les connaisseurs! Le spectacle termine, le regisseur dit: --Mes enfants, demain, depart a sept heures, nous allons a Orleans. --Comment, sept heures! Quand voulez-vous qu'on dorme alors? Et puis, cette idee d'aller de Versailles a Orleans quand on a Chartres a cote de soi! --Mais, mon ami, si on ne va pas a Chartres, c'est que le theatre est pris, le soir. --Eh bien, pourquoi pas en matinee? * * * * * Et pour finir par un mot typique, si pendant le voyage la temperature n'est pas favorable a l'entreprise, Floridor ne cesse de repeter: --Sale tournee ... il pleut tout le temps! CELUI QUI SAIT VOYAGER Parlez-moi au moins de Dazincourt, dit Saint-Albert, voila un pensionnaire aimable, pas bruyant et qui sait voyager! Ah! le fait est que Dazincourt a l'habitude des voyages. Depuis que les tournees fonctionnent, il n'a pas passe un hiver a Paris. Toujours en chemin de fer! Aussi, vous pouvez le questionner a propos d'un trajet quelconque, vous etes certain qu'il vous repondra surement. Interrogez-le sur l'heure du depart, celle de l'arrivee; demandez-lui le nombre de kilometres, si l'on change de train en route, sur quel reseau on voyage (Lyon, Orleans ou Etat), jamais vous ne le prendrez sans vert. Il a tant voyage! Tellement que, maintes fois, lorsque le train s'arrete, on l'apercoit serrant la main du chef de gare: une vieille connaissance. _Je sais voyager, moi!_ est sa phrase favorite, qu'il repete souvent, d'ailleurs. Examinez-le des le depart, et dites-moi si vous n'avez pas devant vous un homme qui connait son affaire. En wagon, il choisit, lui aussi, le meilleur coin, celui qui tourne le dos a la locomotive (afin d'eviter les morceaux de charbon), mais il l'offre gracieusement aux dames, s'il s'en trouve dans le compartiment ... il est vrai qu'il a toujours soin de monter ou elles ne sont pas. Le train a peine ebranle, Dazincourt ouvre son petit sac de nuit--son seul bagage de main et pas encombrant, oh! non--il en retire une casquette legere ou epaisse, selon la saison, et lit le _Petit Journal_ (Dazincourt n'a pas d'opinions, mais raffole des faits divers); le dernier crime lu, il le commente, jusqu'a la grande station ou l'on dejeune. Pendant que ses camarades s'engouffrent au buffet, Dazincourt se glisse discretement a la _buvette_; c'est toujours la meme cuisine, et c'est moins cher. Il remonte en wagon, fume onctueusement sa bouffarde et fait un leger somme qui le rend frais et dispos a l'arrivee. Il ne se presse pas, a l'arrivee: il sait voyager! Tandis que les autres artistes perdent dix minutes pour le choix de l'hotel, Dazincourt, qui a deja joue dans cette ville (ou n'a-t-il pas joue?) sait, lui, ou est le bon hotel, l'hotel raisonnable. Il a ecrit la veille pour retenir sa chambre. Et pour ne pas confondre de noms, car il en a vu des _Hotel du Commerce_, des _Lion d'Or_, des _Cheval blanc!_ il a son petit repertoire, ce cahier cartonne que vous lui avez apercu tout a l'heure dans les mains. Eh! bien, empruntez-le lui (il se fera un veritable plaisir de vous le preter) et vous verrez: _Versailles_. Tel hotel, dejeuner, diner et chambre: tant. V.C. (ce qui veut dire: vin compris). On est bien. Prendre le cafe en face. L'hotel n'est pas loin de la gare, on peut y aller a pied, meme s'il pleut. Tournez la page, et vous verrez au-dessous de la note qui regarde Chartres une petite ligne ecrite au crayon: Descendre a l'hotel.... Eviter le vin. Demander si la cuisiniere Anna, une petite brune, est toujours la! Et un point d'exclamation mysterieux termine cette phrase enigmatique! Dazincourt s'est donc rendu a l'hotel que lui a recommande son petit vade mecum, il donne un bonjour amical aux patrons de l'hotel, s'informe de la sante des enfants, qu'il trouve grandis depuis _Michel Strogoff_--la derniere tournee qui l'a amene ici,--monte au 17, sa chambre habituelle, ouvre la fenetre pour changer l'air, eventre le lit, tate les draps pour s'assurer de leur secheresse, souleve un coin du matelas, a la tete du lit, pour se tranquilliser au sujet des ... petites trotteuses anthropophages, reborde le drap et, cette derniere inspection faite, consulte sa montre. Il n'est que cinq heures. Si la ville dont Dazincourt foule le pave est une ville de garnison, notre artiste se dirige au cafe des officiers: l'absinthe y est toujours de premier choix. Six heures. Dazincourt rentre diner: c'est l'heure de la table d'hote, le meilleur repas, il ne faut pas le rater. Mon Dieu, oui, a six heures, le service des tables d'hote est toujours si mortellement long, il faut diner sans se presser. Son dessert pris, le comedien descend a la cuisine, et, sachant que, le lendemain, le depart a lieu dans la matinee, bien avant l'heure du repas ordinaire, il offre _deux entrees_ au chef, afin que ce Vatel de province, reconnaissant de la bonne soiree passee la veille, lui trousse a son choix un petit dejeuner des plus congruents ... et au vin blanc (le matin, c'est le meme prix, et ca change). En suite, Dazincourt se dirige lentement vers le theatre, en fumant avec onction sa vieille bouffarde, Josephine. Il s'habille sans se presser et joue de meme, en pontifiant un brin. Le rideau baisse sur le dernier acte, l'acteur se degrime et se rhabille avec la meme regularite methodique. Ici, un detail bien caracteristique: Afin d'eviter l'odeur rance des fards qui empesteraient sa malle et ses effets, Dazincourt se demaquille avec de petits frottoirs que sa femme lui a fabriques avec de vieilles chemises en prevision de la tournee et qu'il jette ensuite dans un coin de la loge abandonnee comme un souvenir de son passage! Et comme il est sain de prendre un peu l'air avant de se coucher, surtout quand on a respire, pendant trois heures, l'atmosphere surchauffee d'une loge d'artiste, Dazincourt va en griller une derniere en se promenant sur le cours, et, toujours placide, rentre a l'hotel ou il se fait mettre au reveil suffisamment tot pour ne pas avoir a se bousculer. Monte dans sa chambre, notre acteur se couche, et s'endort enfin avec la conscience d'un homme qui a fait son devoir ... et qui sait voyager. L'ACTEUR PRESSE Cinguy, qu'on pourrait aussi bien appeler Electric ou Dynamite, est la petulance et la vivacite memes. Quel brouillon! Il court, va, vient, monte, descend. Vous le croyez ici, il est la, vous y allez, il n'y est plus. C'est tout essouffle, qu'il arrive a la gare ou ses camarades l'attendent depuis longtemps. --Ou montons-nous? ici ou la? Non, a cote! Je vais voir dans ce wagon, si nous serons seuls? Oh! non, Floridor y est, allons ailleurs! Tiens, Louisa, la-bas; grimpons dans son compartiment. Ses camarades, lasses de zigzaguer sur la voie sont deja cases que Cinguy cherche toujours ou il va monter. Saprelotte! le train siffle, on a ferme les portieres, il va rater le depart! Enfin, il s'accroche a une main, on le hisse, il y est, ca n'est pas malheureux! Les copains installes depuis belle lurette ont place entre eux une valise recouverte d'un plaid et s'appretent a faire un trente-et-un. --En es-tu? Cinguy adore le trente-et-un (quoiqu'il perde toujours, il est si distrait.) C'est toujours lui qui propose de jouer, mais il n'est jamais pret quand on commence. --Non, attendez, j'ai mes journaux a lire. --Zut! fait le choeur. Et Cinguy retire de sa poche, le _Figaro_, l'_Evenement_, le _Gaulois_. Mais le demon du jeu l'empoigne, il lache carrement Prevel, Besson et Nicollet pour regarder les cartes. --Ah! non, pas de conseils, lui crie-t-on, ou bien joue. --Tout a l'heure! Il faut que je lise. Et il lit ou du moins, il essaye de lire, mais son esprit est tout au brelan et au misti que ses voisins annoncent bruyamment. C'est la vingtieme fois au moins que ses yeux fixent: _le programme de la semaine dans nos theatres lyriques_; programme qui lui est du reste profondement indifferent, aujourd'hui qu'il quitte Paris. --Allons bon! en voila bien d'une autre a present. Cinguy en se demenant,--hasard!--a fait tomber son ticket de chemin de fer dans la rainure de la portiere. --Quelle scie, cet animal-la! --On n'est jamais tranquille une minute avec lui! Cinguy derange tous les voyageurs. Tous ses voisins, y compris deux etrangers, essayent d'attraper le billet, celui-ci avec une canne, l'autre avec la courroie de la vitre, etc. Comme toutes les tentatives restent infructueuses, Cinguy tres-embete, dit: --J'ai une idee. --Nous sommes perdus, fait la soubrette. --Non, ne craignez rien! Et s'adressant a un gros homme qu'il ne connait pas: --Pardon, Monsieur, voulez-vous avoir la bonte de me preter un instant votre canif. Et attachant le couteau a une longue ficelle, il le descend entre les deux planches, mais a force de faire la marionnette, il lache la corde et v'lan, le couteau va rejoindre le billet. Tout le monde rit. Tete du monsieur. Enfin, un camarade plus heureux ou plus adroit que ses devanciers peche les deux objets. --Maintenant, j'en suis! dit Vif-Argent aux joueurs. Mais le train s'arrete, on est arrive. * * * * * Cinguy, qui a rencontre quelqu'un avec qui il s'est attarde, sort le dernier. Les omnibus d'hotel viennent de partir. --Eh bien, ou sont les autres? Oh! comme c'est bete de ne pas m'attendre! On lui dit: --Les comediens sont descendus a la _Boule d'Or_. C'est loin, la _Boule d'or_? --Ce n'est pas ici, lui repond-on avec verite. --Quels daims, ces provinciaux! murmure Cinguy vexe de prendre une voiture tout seul et encore plus vexe quand il voit que la _Boule-d'Or_ est a dix pas de la gare et qu'il vient de se coller des frais inutiles. --Quel est le numero de ma chambre? demande-t-il a l'hotelier. --Monsieur, il n'en reste plus, les voyageurs qui viennent d'arriver ont tout pris. --Comme c'est malin, dit Cinguy a ses amis qui redescendent de voir leur chambre, de ne rien retenir pour moi. --Allez a l'_Angleterre_, vous y serez tres bien. --Oh! oui, tres bien, reprend Floridor avec un sourire machiavelique et puis, ce n'est que seize francs par jour! --C'est egal, vous me la paierez, celle-la, fait Cinguy en s'eloignant furieux. Enfin, il est installe. Ses amis lui ont dit: --Nous allons au _Cafe du Commerce_, tu nous y trouveras, si tu ne traines pas. Ah! bien, ouiche, Cinguy qui a fait le tour de la ville pour trouver l'_Hotel de l'Angleterre_, devant lequel il est passe deux fois en courant, mais qu'il n'a pas vu, il est si distrait, arrive au _Cafe du Commerce_, cinq minutes apres le depart de ses amis. Son nez s'allonge. Heureusement, il rencontre un ancien condisciple de Louis-le-Grand, aujourd'hui sous-chef a la prefecture de la ville. Ce jeune provincial savait par les affiches que Cinguy venait jouer ici; il serait bien alle l'attendre a la gare, mais il ignorait l'heure de l'arrivee. N'importe, le voila, il ne lache plus le comedien. D'ailleurs, ses parents sachant _l'ami du fils_ bien eleve quoique artiste, ont charge leur rejeton de l'inviter a diner. Oh! impossible de refuser. Tout est prevu. Sachant que Cinguy avait besoin d'etre au theatre de bonne heure, on dinera a six heures et quart. C'est en-ten-du. * * * * * Au theatre, tout le monde est agite: Cinguy n'est pas arrive et c'est lui qui dit le premier mot. --Me voila! Me voila! En effet, on entend un tapage effroyable: c'est Cinguy qui monte quatre a quatre l'escalier tout en criant: a moi!! je suis en retard!!! coiffeur! habilleur!! vite! Il se deshabille sur le palier, jette ses vetements a un machiniste qu'il prend pour l'habilleur, se fait une tete de clown, tellement il se presse et crie: --On peut frapper!... Non, non, ne frappez pas! j'ai oublie la clef de ma malle a l'hotel. Garcon de theatre! allez vite a l'_Angleterre_, (au bout de la ville) chambre 2, vous trouverez a ma valise un trousseau que vous m'apporterez. Allez vite! L'employe revient, derate, et l'on commence. Un peu avant la fin de la piece, Cinguy, croyant qu'on l'attend "a la sortie" remonte dans sa loge avant sa derniere apparition pour mettre ses souliers de ville, afin de gagner une minute, mais il ne gagne qu'une amende parce que cette ascension lui a fait manquer son entree. Le rideau baisse sur le dernier acte, son ami vient le feliciter de la part de sa famille qui n'a pu l'attendre, vu l'heure tardive,--11 h. 35. Pendant ce temps-la, tout le monde est parti, le theatre est vide, et le gazier est la, ronchonnant apres l'acteur qui n'en finit pas et qu'il attend pour eteindre le dernier papillon et s'en aller. Cinq minutes apres, Cinguy se trouve encore seul dans les rues desertes de cette sous-prefecture inanimee, qu'il fait retentir de son pas d'acteur presse! L'AMATEUR L'amateur est ordinairement un gommeux qui n'a pas besoin de ca, mais que le theatre amuse ou plutot que les artistes amusent, et qui, pour rester davantage avec eux, s'est fait engager pour jouer des _utilites habillees_. Est-il heureux de faire partie de cette tournee! Ah! rien ne lui manque, il a pris ses precautions, celui-la! Voyez ses poches, elles sont bourrees de guides, elles regorgent d'indicateurs, il en a! il en a!! de toutes les formes, de toutes les nuances, le _Chaix_, le _Conty_, le _Noriac_.... Un enorme sac de nuit est a ses cotes--vrai cabinet de toilette ambulant (jeu de brosses complet) avec toute une pharmacie portative. Quelqu'un s'est-il blesse, vite, demandez a l'amateur du taffetas rose: il va vous en decouper un morceau avec ses adorables ciseaux lilliputiens. L'amateur a trois malles. Dame! on part pour un mois, et il n'est pas de bon gout de mettre plus de huit jours de suite le meme vetement. Aussi l'amateur a-t-il emporte quatre complets ... complets, chapeaux et pardessus assortis. Quant a ses cravates et ses gants, on n'en sait plus le nombre. Le soir, s'il y a une annonce a faire, c'est toujours lui qui est charge de cette corvee: il a un si bel habit et il le porte si bien! --C'est son seul talent! insinue cette bonne langue de Floridor. L'amateur voyage pour s'amuser, voir du pays. Et pour eviter le temps perdu, voici comment il procede: Ses innombrables guides lui ayant appris les heures ou les musees sont visibles, les jardins publics ouverts, des qu'il descend du train, il se jette dans un fiacre et dit au cocher d'un air entendu: --Ce qu'il y a de curieux a voir! C'est ainsi qu'il a vu plus de trente cathedrales, _la plus interessante de France au point de vue archeologique_. Bref, son systeme est le meilleur pour voir tout, et tres vite. On le blague bien un peu quand il revient de "ses excursions", on lui monte des scies, en lui demandant regulierement s'il a visite l'aquarium; mais ca lui est egal: "Il a tout vu" et c'est ce qu'il veut, lui, qui voyage pour s'amuser. Quelquefois meme, quand la voiture est au complet, l'amateur l'escorte a cheval. Il est bon cavalier et fait caracoler son coursier de louage, a la grande fureur de Floridor, qui, le voyant passer ainsi, fier de sa monture, grommelle entre ses dents: --Poseur, va! Ces soirs-la, a la facon dont l'amateur joue son role, les jambes un peu ecartees, on s'apercoit visiblement des bienfaits de l'equitation. L'amateur a cependant un avantage, il a toutes les jolies femmes avec lui, _pendant la journee_ (il faut dire que ce n'est pas toujours un avant..., mais il ne s'agit pas de ca). Ces dames le savent si obligeant, si attentionne! L'une lui donne son sac a porter, l'autre, une ombrelle; celle-ci lui a confie son ticket, celle-la l'envoie porter une depeche ... _a son ami de Paris_. Cette derniere commission lui fait bien faire un peu la tete, mais il y va tout de meme. Il a un si bon caractere! Comme compensation a toutes ses politesses, on lui permet, quand il veut dormir en wagon, d'appuyer sa tete sur l'epaule de sa voisine. Comment refuser ce petit service a un monsieur qui vous promene toute la journee en voiture? Et puis, ca ne va pas plus loin, d'ailleurs.... A moins que sous les tunnels ... mais non, je ne crois pas. L'amateur est l'antithese de Cinguy. Autant celui-ci est _coup de vent_, autant celui-la est _tortue_. Ainsi, il n'a qu'une scene, au deuxieme acte: il joue un invite a la soiree; il a fini a neuf heures. Eh bien, quand ses camarades remontent a la fin du spectacle, il n'est pas encore pret et tous les compartiments de sa malle gisent a terre, encombrant le couloir. Aussi, il faut entendre sacrer Floridor! Comme, apres le spectacle, il a pris la ruineuse habitude d'offrir un "ambigu" a ses compagnons enjuponnes, quand, le lendemain, le depart a lieu de bonne heure, il ne peut pas se degrouiller. Il a beau se faire mettre au reveil vingt minutes avant les autres, si son ami Cinguy ne montait pas deux fois lui-meme a sa chambre, apres avoir envoye tous les garcons de l'hotel le reveiller, Lambinos raterait le train. Et quand on lui fait une observation au sujet de son eternelle inexactitude et des "frousses" qu'elle donne a l'administration, l'amateur repond _lentement_. --Je n'ai jamais rien rate! --Heureux homme! soupire melancoliquement Dazincourt. L'amateur a une manie qui lui coute cher: il achete toujours la specialite du pays. C'est ainsi qu'il a remporte du nougat de Montelimar, des biscuits de Reims, un de ces petits sacs de haricots que le buffet de Soissons tient tout prets pour les gourmets ... naifs. Il a achete un pate a Chartres, des sardines a Nantes, seulement il les a prises _a l'huile_, du sucre de pomme a Rouen, des prunes a Agen, des escargots a Troyes; il n'y a qu'a Orleans ou il a vainement cherche des ... mais il ne s'agit pas de ca. Bref, en partant, il avait trois malles, il en a six au retour. Aussi l'impresario a-t-il jure ses grands dieux qu'il n'emmenerait jamais plus avec lui, en tournee, des amateurs: ca coute trop cher d'excedent! LE PECHEUR Le comedien-pecheur n'est pas un type aussi rare qu'on peut le supposer. Encore un calme, celui-la, et tout le premier a rire du pecheur a la ligne si humoristiquement dessine par Richepin. Comme acteur, c'est un consciencieux qui fait tres convenablement sa petite affaire, est tres correct dans les roles qu'on lui confie et ne depare jamais une distribution. Ne compte a son actif ni succes ni veste. On ne dit jamais de lui: "Oh! qu'il est bon!" mais on ne dit pas non plus: "Oh! qu'il est mauvais!" Bref, c'est ce qu'on appelle dans le batiment: un _Complete un excellent ensemble_. Quand il n'est pas d'une piece en repetitions, il va chatouiller le goujon et taquiner l'ablette sur les bords fleuris du canal Saint-Martin ... a deux pas du theatre, au cas ou un accident surgirait, mais par gout il aimerait mieux jeter plus loin sa ligne, l'eau croupissante qui empeste le quai Jemmapes n'ayant pour lui aucun appas. La tournee a justement lieu pendant l'ouverture de la peche, aussi ne voulant rien changer a ses habitudes, le comedien-pecheur a-t-il emporte avec lui toutes ses lignes ... de fond et autres, sans compter, dit-il en riant, celles qu'il a du se fourrer dans la tete. C'est bien un peu genant pour les voisins, ces satanes scions qui tombent sans cesse des filets, mais on ne dit trop rien, le pecheur est si bon enfant et si tranquille! Le prototype de cette espece est sans contredit le grime Samortil. Je crois, en effet, qu'il serait bien embarrasse de dire lui-meme si c'est la peche ou le theatre qu'il prefere. Entre nous, j'ai tout lieu de supposer que ce n'est pas le theatre. Il faut le voir, des qu'on arrive dans une ville, demander a la premiere personne qu'il rencontre: --Y a-t-il de l'eau, ici? Et si la reponse est affirmative, se precipiter a l'endroit indique. Mais c'est comme une fatalite, chaque fois qu'on va dans un pays ou serpente une riviere quelconque, on arrive tard; en revanche, si on doit jouer dans une ville plate et seche comme la poitrine de mademoiselle X ... on arrive des le matin. Lors de sa derniere tournee, on lui en a fait une bien bonne! Ses camarades l'avaient conduit a environ cent metres d'un pont, le plus bel ornement de la ville de C, et lui designant l'eau qu'il ne pouvait voir a cause d'un parapet qui la cachait, l'un d'eux s'ecria: --C'est tres bizarre, vous voyez bien cette riviere, tout le monde s'accorde a la trouver poissonneuse et personne n'a jamais pu prendre la moindre friture. --Des blagueurs! fit Samortil, pique au vif. Je vous fais le pari, moi, de vous rapporter pour demain matin une matelote copieuse. Pari tenu. Dans la journee, notre homme va hors ville, chercher dans les terrains vagues de la bonne _terre a peloter_; le soir, a table, il met dans sa poche tous les morceaux de gruyere qu'il apercoit, excellent appat pour le chevesne et le barbillon. Rentre a l'hotel a minuit, il se fait reveiller a deux heures (quelle conscience!), se dirige vers le pont en question et tend ses lignes au milieu de l'obscurite la plus profonde, mais quel n'est pas son abrutissement lorsqu'a quatre heures, a la clarte de l'aube naissante, il s'apercoit qu'il pechait depuis deux heures dans une _riviere seche_! * * * * * Du reste, il est inoui: n'a-t-il pas profite un jour du moment ou son train stoppait sur un viaduc pour tendre sa ligne par la portiere du wagon! A part ca, il serait parfait, quoique possesseur d'un tic assommant, celui de faire porter a tout le monde sa bonne _terre a peloter_ dans un sac _ad hoc_ (il est tellement encombre par ses engins, qu'il faut bien l'aider). L'acteur atteint de pechomanie conserve meme au theatre ses douces habitudes; oui, c'est plus fort que lui, le soir, si, en jouant, un de ses camarades se trompe, il le repeche. LE PAPERASSIER Le paperassier, c'est Groval. Il adore Paris; aussi veut-il absolument etre au courant de tout ce qui se passe dans la capitale pendant son absence, et devore-t-il les feuilles publiques afin de ne pas cesser "d'etre dans le train" comme s'il n'y etait pas assez! Des qu'on arrive dans une ville, Groval demande immediatement a l'employe qui lui prend son ticket: --A quelle heure arrivent les journaux de Paris? Pendant que ses camarades _font un tour_, jouent aux cartes ou au billard, lui, court de par la ville, cherchant les bureaux de redaction des journaux locaux, et depose sa carte de visite dans le casier des critiques dramatiques. --C'est une politesse a laquelle ils sont sensibles, dit-il a ceux qui le raillent. Quelquefois, sur sa carte il fait preceder son nom de ces deux mots: _Remerciments anticipes_; c'est quand le journal doit paraitre le surlendemain, lui parti. Dans ce cas-la, il donne quelques sous au concierge du theatre pour le lui envoyer _au theatre de X... faire suivre_. Ces courses faites, il va au theatre prendre les journaux a son adresse et s'installe dans un cafe. La, il commence par devorer les comptes rendus de l'_Avenir orleanais_, du _Moniteur d'Avignon_ ou de la _Gazette de Mont-de-Marsan_, en ayant soin de decouper ce qui le concerne. Puis comme il a promis a sa mere ou a sa ... cousine de la rue de Moree de lui ecrire tous les jours les incidents du voyage, les anecdotes curieuses qu'on lui apprend, les moeurs des habitants de province, les reponses bizarres qu'on lui a faites, et Dieu sait si elles abondent! il se met en devoir de rediger pour ELLE un journal quotidien. Et il en barbouille, de ce papier, il en barbouille! Mais comment diable se tire-t-il d'affaire? Il ne peut relater ce qu'on raconte devant lui, car il lit sans cesse; il ne peut non plus decrire les monuments curieux a voir, puisque, pendant que ses camarades les visitent, il ecrit _pour ne pas manquer le courrier_. Alors que peut-il bien ecrire? Ce qu'il a lu probablement. Voulez-vous des timbres-poste? Demandez-en a Groval, il en a surement a vous ceder. Desirez-vous savoir si votre lettre exige une taxe supplementaire, donnez-la lui, il la soupesera en homme habitue et vous dira sans se tromper si c'est un ou plusieurs timbres de quinze centimes qu'il faut ajouter. Il a l'habitude, lui, qui n'arrete pas de lire ou d'ecrire ... meme pendant les entr'actes. --Oh! les paperassiers! Les paperassiers! LE SECOND REGISSEUR Le second regisseur! Ah! en voila un qui ne les benit pas les tournees. A peine defraye, a la fin du voyage il se trouve avoir use ses fonds de culotte sur les banquettes des chemins de fer pour presque rien. Et il travaille le malheureux! Arrive dans une ville, alors que les artistes vont ou ils veulent et font ce que bon leur semble, le second regisseur, lui, reste a la gare pour prendre les bagages et les faire charger sur le camion qui doit les apporter au theatre, ou, une fois arrives, il les fait monter dans les loges des artistes; loges qu'il designe lui-meme et ce n'est par la une aimable besogne, certes, car, il y a toujours un Floridor quelconque qui ronchonne sur l'incommodite, l'insalubrite ou la situation de la sienne. Aussi, generalement, voici comment le second regisseur procede: au premier etage, les dames; au second, les hommes. La plus proche a l'Etoile et ainsi de suite _par rang d'affiche_, aussi c'est toujours celui qui joue le domestique du 2 qui s'habille pres des ... passons. Quand il a fini cette petite besogne et apres avoir donne rendez-vous au camionneur pour onze heures trois quarts, afin de remporter les bagages a la gare, apres le spectacle, le second regisseur va a l'hotel ou sont descendus les artistes, mais comme il arrive forcement le dernier, alors que les autres ont choisi les meilleures chambres, il n'a plus que le numero 53, tout la-haut, au fond du couloir a cote des ... (_voir plus haut_). Le second regisseur dine seul: il faut qu'il soit au theatre a sept heures afin de veiller a ce que decors et accessoires soient prets. Sorti du theatre, le dernier, il grelotte devant la porte des artistes ou fond de chaleur a assister au chargement des bagages. Les billets pris et les malles des artistes enregistrees, comme il a vingt minutes a lui ... et le ventre creux, il avise un caboulot voisin et va casser une croute, ce qui n'empeche pas le regisseur general de lui dire brusquement lorsqu'il l'apercoit: --Eh bien! c'est ca, ne vous pressez pas! voila une demi-heure que nous vous attendons! Ah! vous vous la coulez douce, vous! !!! LE REGISSEUR GENERAL D'abord, celui-la, il ne faut pas l'appeler regisseur general, ca le froisse, mais bien "mossieu l'administrateur", ca sonne mieux a ses oreilles, puis c'est plus long, le mot a plus d'importance. Il administre! Il ne sait pas au juste quoi? Mais il administre tout de meme. C'est un pretentieux, du reste on n'a qu'a en juger par son costume! Redingote noire, pantalon fonce, eternellement visse sur sa tete un chapeau haut de forme (c'est plus commode, en voyage) une sacoche en bandouliere et des gants.... Oh! des gants tres noirs.... C'est plus gai ... et puis ca cache les ongles qui sont de la meme couleur. Le regiss... non, l'administrateur a l'aspect folatre d'un croque-mort qui voyage en touriste! Dans le wagon, il s'isole dans un coin et ne prend jamais part a la conversation generale, ce serait decheoir. Le nez continuellement plonge dans son indicateur fatigue, il fait le train,--il entend par la, regarder l'heure du depart pour le lendemain--quand il serait si simple de se renseigner aupres du chef de gare en arrivant. Malgre ca, les deux heures qu'il consacre a l'etude approfondie du Noriac sont toujours insuffisantes puisqu'elles ne lui permettent pas de voir le meilleur train, le plus commode. Pour lui, il n'y a de pratique que les convois qui partent a minuit cinquante ou ceux de six heures du matin. Aussi, il faut voir le succes qu'il obtient quand il propose ses convois pratiques. Une des grandes preoccupations de mossieu l'administrateur c'est sa visite aux journalistes de l'endroit: C'est du reste pour eux le chapeau haut de forme et les gants noirs. En general, le regisseur de ce nom a enormement de tact et s'il a une observation a faire a un artiste, il attend toujours d'etre ... dans une salle d'attente ou a table d'hote pour crier une recommandation de ce genre: --Dites donc, Reguval, tachez donc de vous faire raser, hein? Je vous ai vu de la salle, hier, soir, vous etiez degoutant? LE DIRECTEUR A l'epoque ou le marronnier du 20 mars songe a confectionner son ombrelle feuillue, les artistes, amateurs de voyage se disent in petto: --Il faut que j'aille voir si Saint-Albert n'aurait pas besoin de moi pour sa tournee. C'est que Saint-Albert est aime de tous ses pensionnaires. Combien d'directeurs, en ce monde, Ne pourraient pas.... Oui, c'est bien le plus agreable impressario qu'on puisse rever! Mais dam, il est difficile pour la composition de sa troupe. Tout d'abord, il ne vous demande pas si vous avez du talent--lui seul en a et ca suffit, il sait qu'en affichant "Tournee Saint-Albert" c'est le maximum assure, et puis si vous aviez du talent vous voudriez etre paye en consequence et ca ne ferait pas son affaire. --Non, il vous demande aussitot: --Etes-vous bon voyageur? Pour lui, tout est la! Comme, a la rigueur, il pourrait tres bien ne pas partir, (madame Saint-Albert n'en ferait pas moins cuire les haricots) il veut avant tout ne pas etre embete par les grincheux, les retardataires et autres raseurs. Aussi, ne s'entourant jamais que de gens aimables et de jolis minois, n'a-t-il que l'embarras du choix pour former sa troupe: tout le monde veut partir avec lui! Par exemple, il exige imperieusement une chose--et pour cela, il est inflexible--que vous n'ayez pas l'air cabot, c'est-a-dire que votre mise soit irreprochable, qu'a table vous ne parliez pas boutique et que vous descendiez dans les premiers hotels. Tous ses artistes recrutes et la piece prete, Saint-Albert dit a ses pensionnaires, huit jours avant le depart. --Mes enfants, il faut vous purger, la vie que nous allons mener pendant un mois, pour etre a peu pres reguliere, n'en est pas moins agitee; il est bon d'y preparer son corps. Donc, Hunyadi Janos et Ricin! Allez! Le succes accompagne presque toujours Saint-Albert dans ses tournees. Je dis presque, car il lui est arrive--a qui n'est-il rien arrive?--une aventure assez amusante, il y a ... peu de temps. C'etait a C... dans le Midi. Saint-Albert arrive avec sa troupe vers 2 heures. A peine descendu de wagon, il est accoste sur le quai de la gare par un joyeux garcon tout rond, tout epanoui, qui lui saute au cou, tout en lui gasconnant: --Ah! te voila, j'ave uneu peur! tu se, il y a de la laucation!! Ah! je t'en prepare un succe! Saint-Albert etait abruti, il ne savait pas du tout qui lui parlait! C'etait tout simplement un monsieur auquel il avait dit un bonjour quelconque, l'an passe, et qui se croyait ainsi autorise a tutoyer l'artiste! Le soir, pendant la representation, notre homme, poste au milieu des fauteuils d'orchestre, dominait ses connaissances chargees de chauffer le _succe de l'ami_ Saint-Albert! Mais va te faire lan laire! Le spectacle etait compose d'une piece en 3 actes pour lever le rideau et d'un petit vaudeville en un acte, joue enfin par Saint-Albert "qui l'avait cree a Paris". Dam! quand au milieu de la grande piece, le public ne vit point l'etoile directoriale, il se mit a murmurer et crier sur l'air des lampions "Saint-Albert! Saint-Albert!" Le regisseur se presente, gante blanc, selon la tradition mais ne pouvant dominer le tapage qui allait crescendo se retire au milieu des "Albert! Albert! bert ..." Saint Albert a moitie vetu entre en scene et va pour s'expliquer, lorsque _son ami_ se levant tout-a-coup, lui crie: --Quand auras-tu fini de te f...re de nous, tu n'es pas dans une bourgade ici, he? Tableau! Pour terminer le portrait de notre directeur, une anecdote prouvant bien sa paternelle sollicitude pour ses pensionnaires et comme cette histoire absolument AUTHENTIQUE est un peu ... croustillante, que mes lectrices veulent bien passer outre. Tous les huit jours, Saint-Albert donne 5 francs aux celibataires de sa troupe. Je n'ai pas besoin d'insister, je crois, sur le but de cette largesse faite a un point de vue _purement_ hygienique et, comble du devouement, pour bien s'assurer que les cent sous sont depenses de cette facon-la, Saint-Albert accompagne ses artistes, seulement lui, ne consomme pas. Rien n'est drole comme de le voir jeter un louis sur le comptoir de la vieille dame en lui disant: --Tenez, payez-vous et a l'annee prochaine! LE JOUEUR Les cartes, toujours les cartes, et encore les cartes! Il a failli avoir une affaire avec un chef de gare a qui on l'avait signale comme "bonneteur" dam! tout le temps il brasse ou fait couper. En wagon, vous lui dites bonjour, il vous repond: Faisons-nous _cinq_ points? Et vous n'avez pas eu le temps de dire: "Ouf" qu'il a deja installe une valise entre vous et lui: --Un valet! C'est moi qui fais. A table, le dessert servi, il met sa pomme ou sa poire dans sa poche et vous souffle a l'oreille: Nous avons 25 minutes, dix fois le temps de faire un ecarte. Si au milieu de la nuit, force de changer de train, vous attendez dans une salle d'attente, le sommeil aux yeux: Le joueur s'approche traitreusement de vous et vous tapant sur l'epaule: --Une petite manille! Quel raseur, ce cartonnier-la, il ne vous laisse jamais en repos. Evitez le joueur enrage. TYPES DIVERS Je ne m'etendrai pas--devant vous--sur la soubrette qui mange tout le temps en voyage, histoire de s'occuper. A chaque station, elle se leve pour demander. --A-t-on le temps d'aller au buffet? Dis donc, Machin, va donc me chercher une brioche. Un jour, elle a failli faire rater le train a un de ses camarades qui etait alle lui chercher un baba. Quelle truqueuse! elle guigne le soir ceux de ses camarades qui soupent dans leur chambre et entrant sans frapper: --Tiens, vous mangez.... Oh! faites voir!... vous permettez.... Et elle s'installe. Une, sur laquelle je ne m'allongerai pas non plus--oh! non--c'est la duegne etourdie, petite folle, va! elle oublie toujours quelque chose dans la ville qu'elle quitte, son parapluie notamment lui revient a 103 francs, a cause des depeches et des ports qu'elle a du debourser. Eh bien, et le prud'homme pontife, celui qui la fait a l'archeologue et qui conduit toujours les nouveaux visiter les curiosites architecturales des villes ou l'on passe. Tantot, il vous force a grelotter dans les caveaux de l'eglise Saint-Michel, a Bordeaux, tantot, il vous plante devant le _Pleureur_ de la cathedrale d'Amiens et vous dit: "Hein? qu'est-ce que vous en dites?" Un jour, il reclame votre admiration devant les vitraux de la necropole d'Auch et vous en fait l'historique, le lendemain vous ne pouvez eviter la contemplation prolongee de la grosse horloge a Rouen. Ah! vous en avez vu des ogives, des corniches, des fleches, des tours, des gargouilles, des statues, des colonnes et des fontaines! Tous les siecles y ont passe! Et pour finir, je vous presente le farceur classique de toute bonne tournee qui se respecte, le rigolo de la bande, le titi de la troupe, celui qui chahute les bottines des locataires de l'hotel et met la bottine du 2 avec les godillots du 36; comme blague, c'est peut-etre bien un peu commis-voyageur, mais bast, il en a tellement dans son sac! Une de ses plus droles, il faut en convenir, c'est celle qu'il fait a l'eternelle retardaire, la jeune alanguie qui, lorsqu'on part a huit heures, se fait mettre au reveil a sept heures et demie afin de rester au lit jusqu'a la derniere minute se souciant peu d'avoir le cou sale toute la journee. Que fait le rigolo? il va a l'ardoise du reveil, efface le 7 et met un 5. Le lendemain matin, il faut voir la tete de la petite dame qui s'est habillee quatre a quatre et qui, prete deux heures trop tot, n'a meme plus le temps d'aller se recoucher! Somme toute, on ne s'ennuie pas en tournee! LE SAC DE GERONTE _A F. ROUVIER._ Dans le sac ridicule ou Scapin s'enveloppe, Je ne reconnais pas l'auteur du Misanthrope! Ce distique monumental a ete commis par l'immortel Boileau et rebondira de generations en generations, en compagnie d'une foule de grandes verites _ejusdem farinoe_. C'est Geronte qui se fourre dans le sac, ainsi que chacun sait, mais il faut bien que la poesie conserve quelque licence, meme sous la plume du plus pedagogue des poetes. Or, que ce soit le maitre ou le valet qui se dissimule sous la toile de ce tres vulgaire recipient, il est evident que, pour jouer les _Fourberies de Scapin_, un sac de dimensions enormes est indispensable. Nous avions monte, entre camarades, une representation a Rouen, au theatre Francais, et devions precisement jouer, le soir, la piece susdite, lorsque, dans la journee, je m'avisai que nous n'etions pas pourvus de cet _accessoire_ indispensable. En province, on a toujours des difficultes inouies a se procurer ces choses insignifiantes par elles-memes, mais dont l'absence rend impossibles de certaines scenes. --Assure-toi du sac, dis-je a mon ami Barral, qui remplissait le role de Geronte. --Oh! un sac! Il n'y a pas a s'en preoccuper, me repondit-il, ce sera bien le diable si, a Rouen, ou on a surement joue les _Fourberies_ plus d'une fois, il ne s'en trouve pas un. --Oui ... mais on nous donnera peut-etre un sac trop petit pour t'enfermer completement, tu es plus grand que le commun des mortels. --Bon, bon, tranquillise-toi; je vais m'en occuper immediatement. --Je ne suis pas tranquille du tout au contraire.... Barral me rit au nez et me quitta pour aller s'assurer de la fameuse _pouche_, comme on dit en Normandie. Le soir, avant d'entrer en scene, je lui demandai: Et le sac?... --Je l'ai. --Parfait. Je jouais Scapin, naturellement. La scene du sac arrive, et aussi le moment ou, allant le chercher dans la coulisse, le malin valet dit a Geronte: "Il faut que vous vous mettiez la-dedans, et que vous vous gardiez de remuer en aucune facon. Je vous chargerai sur mon dos, comme un paquet de quelque chose, et je vous porterai ainsi, au travers de vos ennemis, jusque dans votre maison, ou quand nous serons une fois, nous pourrons nous barricader, et envoyer querir main-forte contre la violence." Je deroule le sac dans lequel Geronte est entre ... et quelle n'est pas ma stupefaction, de voir sur la toile, ecrit en lettres enormes: BERNARD GRAINETIER A ROUEN Naturellement, de la salle on lit en meme temps que moi, et force est d'interrompre la piece, spectateurs et acteurs etant pris d'un fou rire qui dure plusieurs minutes.... Enfin l'hilarite se calme et je dis tout bas, a mon camarade: Retourne-toi. Mais, fatalite etrange! de l'autre cote du sac, apparait de nouveau, persistante, implacable, gigantesque l'annonce industrielle: BERNARD GRAINETIER A ROUEN Les rires reprennent de plus belle, et redoublent, quand le public apercoit, confus et embarrasse, l'honorable et obligeant commercant M. Bernard, fort connu a Rouen, lequel se dissimulait cependant de son mieux, dans le coin le plus obscur d'une avant-scene. Ce n'est pas tout. Le sac entierement deroule n'allait qu'a la ceinture de mon immense Geronte; aussi, chaque fois que je lui disais en _a parte_: "Cachez-vous bien ... ne vous montrez pas", c'etait dans la salle des eclats de rire spasmodiques, auxquels succedaient des salves d'applaudissements.... Evidemment Moliere n'avait pas prevu cet effet-la! Oh! cette representation, quel souvenir! Heureusement que nous etions tres bien vus des Rouennais ... et M. Bernard aussi; nous en fumes donc quittes pour quelques plaisanteries des journaux locaux; dans une ville grincheuse il aurait fallu s'en aller. Mais quand Barral et moi, nous serons vieux, casses, goutteux, cacochymes et atrabilaires, nous retrouverons encore un sourire, en nous rappelant la representation des _Fourberies de Scapin_, dans la patrie de Corneille. CONCERT-EXPRESS _A Ernest MULLER_ La scene se passe a Arcachon, cette jolie station balneaire du golfe de Gascogne dont le doux climat, les pins balsamiques, la plage sans rivale et les huitres exquises ont fait une des reines du littoral. C'etait pendant la saison estivale de 187... J'etais en representations au Casino. Tous les soirs, pendant une semaine, je monologuais entre deux airs que jouait l'orchestre, conduit par le compositeur Metra. Une ouverture, une poesie comique, une valse, un soliloque, un quadrille, un monologue, etc., etc., c'etait peut-etre horriblement monotone, mais je ne m'en plaignais pas. Maintenant une parenthese ... necessaire. Le maire d'Arcachon etait alors M. Deganne, riche proprietaire, lequel, par ses gouts artistiques et son amour du Beau, pouvait pretendre a bon droit a l'estime et a la reconnaissance de ses administres. (Ah! versatiles Arcachonnais.) Il avait fait construire de ses propres deniers un theatre fort beau qui, peut-etre a cause de sa situation un peu excentrique, n'a jamais ete bien frequente. Tous les ans, la petite plage gasconne est honoree de la visite de S. M. la Reine Isabelle, qui vient passer un mois de la saison dans la royale habitation qu'elle s'est fait construire au bord du bassin. La presence de la mere de l'infortune Alphonse XII ne contribue pas peu a l'animation d'Arcachon. Or, tous les ans aussi, on profite du sejour de la Reine, pour organiser une grande fete, en son honneur; cavalcade, mats de cocagne, joutes sur le bassin, illuminations, retraite aux flambeaux, feu d'artifice etc., etc., rien ne manque pour la plus grande joie ... des naturels du pays. Au mois de septembre de cette annee-la, M. Deganne, le maire-impresario (comme Montbars dans _le Mari de la debutante_), se dit:--"Que pourrai-je bien faire, cette fois-ci, pour derider le front royal?" Et, se rappelant bien a point le gout fort prononce que la reine avait toujours montre pour l'art cher a M. Talbot, il se dit, apres avoir pousse le "_Eureka_" classique: "Que la comedie soit jouee!" Il prit sa bonne plume de Tolede et manda les comediens ordinaires de Sa Majeste ... le public bordelais ... ou plus simplement, il engagea les premiers sujets du theatre francais de Bordeaux. Apres avoir murement reflechi, pese et juge chaque piece qu'on lui offrait, pour savoir si elles etaient assez anodines et incapables d'effaroucher les oreilles des jeunes filles et celles de la Reine Isabelle, _ad usum puellarum et Reginae_, Monsieur le maire arreta definitivement son choix sur _L'Ete de la Saint-Martin_, la spirituelle comedie des spirituels Meilhac et Halevy, et sur _le Mari de la veuve_, la charmante piece de Dumas pere. En tout: deux actes ... pas davantage ... la Reine desirant se coucher de bonne heure. C'etait bien, mais ce n'etait pas tout; rien que de la comedie aurait pu ennuyer Sa Majeste, et de petits airs, pas longs, de fraiches ouvertures jouees entre chaque piece, ca ne ferait pas mal, pensa M. le maire, qui songea immediatement aux musiciens de l'orchestre du Casino ... Euterpe et Thalie ensemble, ca devait aller comme sur de bonnes petites roulettes.... Eh bien, non, ca n'allait pas comme sur de bonnes petites roulettes, il y avait un empechement. A cette soiree de gala n'assistaient que des _invites_, munis de cartes colorees portant la griffe de l'hote, car, recevant dans son theatre, M. Deganne etait chez lui et par consequent l'amphitryon; donc, impossible au vulgaire de penetrer dans le sanctuaire sans le Sesame, represente par un bout de carton. Lorsque M. le maire parla d'envoyer querir les violons, ses adjoints lui firent respectueusement observer qu'il n'avait pas le droit de priver le public de l'orchestre du Casino. En effet, la representation de gala n'ayant lieu que pour la Reine et quelques heureux privilegies, il restait encore un nombre considerable de gens, baigneurs, touristes, habitants, qui n'auraient su de la sorte ou passer leur soiree; donc, faire ainsi relache au Casino eut ete un acte autocratique, et sous la Republique ... mais passons. --Je ne peux cependant faire venir un orchestre entier de la vieille Burdigala! s'ecria M. Deganne. Et un nuage sombre voila un instant le front, jadis si radieux, du premier officier municipal d'Arcachon. Comme il etait abime dans ses tristes reflexions l'impresario officiel apercut a travers les vitres de sa fenetre, sur le mur voisin, une affiche du Casino ou s'etalait ce nom: Galipaux. --Galipaux! Galipaux!--murmura par deux fois ce pauvre M. Deganne--ce n'est pas un spectacle ... pourtant consultons-le, les artistes ont parfois des idees. Galipaux, mis au courant de la situation, fut egalement de l'avis de M. le maire; quatre monologues seulement n'auraient pas suffi a remplir une soiree. --N'auriez-vous pas, dans vos connaissances, un artiste de passage ... en villegiature a Arcachon ... chanteur, instrumentiste ... qui pourrait vous seconder? --Si! Et me rappelant bien a point que la veille, j'avais prete mon concours a un pauvre diable de pianiste qui avait organise un concert dans les salons du Grand-Hotel:--J'ai votre affaire, dis-je a M. Deganne, et sans perdre plus de temps, je cours m'assurer du personnage. Je vole a l'hotel du chatouilleur d'ivoire, et j'entre essouffle dans sa chambre, au moment ou il faisait sa malle. --Vous partez? --Oui, ce soir. --Non, pas ce soir. --La voie est encombree! --Pas ca, vous jouez avec moi au casino. --Mais, je ne peux pas rester plus longtemps ici, la vie y est trop chere, et ... --Voyons, une journee de plus n'est pas une affaire, puis ... il y a un cachet; je sais bien que ce n'est pas le Perou, ce n'est qu'Arcachon, mais enfin.... Et je lui racontai ce qui se passait. La situation exposee, il me dit: --Eh bien, j'accepte; mais a la condition que je prendrai le dernier train pour Bordeaux. --Vous le prendrez, fis-je, heureux d'avoir reussi. Et je filai rapporter la nouvelle au maire qui, enthousiasme, m'ouvrit ses bras; je m'y jetai ... mais j'en sortis ... pour aller commander les affiches (il n'y avait pas de temps a perdre, le concert etant pour le soir). Ne sachant comment me remercier du petit service rendu, le directeur _echarpe_ m'offrit gracieusement une invitation a la soiree de gala. J'acceptai avec plaisir. Le soir, arrive de bonne heure au casino, je trouvai mon pianiste qui se _faisait les doigts_. --Deja arrive, peste! pas en retard! --Dame! pour prendre le train de 9 h. 10. --Hein!!! --Oui, le dernier train part a 9 h. 10 et je le prends. --Comment! --Dame, vous me l'avez promis. --Mais, mon cher, c'est de la folie! vous n'y songez pas! --Je vous ai prevenu. --Mais vous savez bien qu'aux bains de mer, on dine fort tard, le monde n'arrive au casino, que vers 9 h. 1/2. --Tant pis. --Cependant ... --Alors, je m'en vais tout de suite. --He, la, ne faites pas ca! Et je donnai un tour de clef pour retenir ce musicien presse. La sueur perlait sur mon front. Que faire devant cet homme qui, ne se contentant pas d'etre pianiste etait, de plus, entete comme un ane!... Insister eut ete inutile, sa decision etait irrevocable. Bah! me dis-je pour me consoler, j'irai au theatre Deganne assister a la representation extraordinaire; je ne suis pas fache de voir comment les artistes de Bordeaux vont interpreter ces pieces. --Allons, allons, commencons, me dit l'instrumen ... triste. --Commencer!!! a 8 heures et demie; mais il n'y a personne dans la salle; le gaz vient seulement d'etre allume, les huissiers ne sont meme pas a leur poste. --Non, non, commencons ... ou je m'en vais. --Oh! la ... ouf! eh bien, commencons ... c'est raide, enfin! Je regarde par le trou du rideau et j'apercois une famille entiere, le pere, la mere et deux enfants de sexe different, qui entrait. --Attendez, au moins, que ces gens-la, qui ont dine de bonne heure, parait-il, soient assis. --Je frappe, hein? poursuit, sans m'entendre, cet homme du clavier. --Allons, frappez! Le rideau se leva melancoliquement, Les quatre personnes qui venaient a peine de prendre place, crurent que c'etait pour une manoeuvre ... de la derniere heure, car ils ne firent pas grande attention, mais, la rampe levee et trois nouveaux coups de marteau redresserent leur tete. Ils apercurent alors devant eux, sur la scene, un monsieur en habit, qu'ils ne purent prendre pour un regisseur venant faire une annonce, car ayant vite salue, le pianiste etait deja sur le tabouret, prestement exhausse. Ses doigts tomberent nerveux sur les notes d'ivoire et attaquerent energiquement l'andante du 5e concerto de Herz. La famille bourgeoise n'avait pas eu le temps de jeter un rapide regard sur le programme, pour savoir ce qu'elle allait entendre, que le pianiste avait disparu comme un eclair; ce jour-la, l'andante de Herz fut jouee _prestissimo_. --Mes enfants, dit le pater familias, ce monsieur que vous venez d'apercevoir, est probablement un accordeur, qui est venu s'assurer de la justesse du piano. --Il parait qu'il etait en retard, hasarda la jeune fille. --Il n'avait pas l'air d'avoir un pas bien mesure, pour un accordeur, ricana la maman, heureuse a l'idee de passer une soiree au spectacle. --A vous! me cria l'agite. --Attendez ... un couple qui entre. --Oh! mon Dieu ... la ... ils viennent de s'asseoir ... et ne soyez pas long, he? --Craignez rien. J'entre comme un fou, et lance mon titre: LES JEUNES FILLES, poeme de Daudet. Nous avons tous, petits ou grands, Ici-bas, des gouts differents, --Plus vite! glapit une voix dans la coulisse. Chacun le sien, dit le proverbe: Les anes aiment le chardon. --Je vais manquer le train! Nous, nous aimons mieux le mouton, Et le mouton prefere l'herbe. --Passez-en! Et c'est dans ces conditions, que je termine enfin cette poesie, dite devant six personnes. Le dernier vers acheve, je salue et me retire posement, lorsque je me heurte a quelque chose. Je crois tout d'abord me tromper de porte et me cogner contre un portant, mais pas du tout, c'est mon satane pianiste qui, n'attendant pas que je sois sorti, s'est precipite sur la scene et m'a rencontre. Deja installe au piano, il commence _La danse des fees_, de Prudent, et sur quel rythme, bone Deus! pif, paf, parapapa, pif, pouf, dig, dig, boum, boum! Je commence a m'essuyer le front, lorsqu'il rentre dans la coulisse, comme une trombe, --Eh bien, vous ne jouez pas votre morceau? demandai-je. --J'ai fini. --Pas possible! --Si fait. A vous! --A moi!!! et je sors de scene! --Non, c'est moi. --Ensemble, alors. Comme je resistais, il me pousse et j'entre abasourdi. Je salue, tout en songeant a l'acte d'insenseisme que nous commettions, et j'annonce: "_Les Ecrevisses_", en pensant a toute autre chose. Vous dire l'effroi des rares spectateurs egares dans la salle, est chose impossible; il me faudrait la plume de Dickens pour vous depeindre la stupefaction profonde, melee d'abrutissement, qu'on lisait sur la figure de ces gens-la. Leurs yeux sortaient de l'orbite. Ils nous regardaient, hebetes, comme on devisage des hallucines, atteints de la danse de Saint-Guy; c'etait de la terreur. Nous avions l'air d'affoles, d'hysteriques, de gens possedes d'un demon invisible qui les pousse malgre eux a agir. Nous semblions mus par un ressort electrique et mysterieux. C'etait de l'Edgard Poe, tout pur. Les huit premiers vers recites: --Passez deux strophes, me cria l'enrage musicien. C'etait ma derniere soiree. Quand vers six heures moins le quart.... --Neuf heures moins le quart! me hurle le pianiste. Enfin, la poesie repetee, comme l'eut fait un enfant presse d'aller en recreation, je rentre dans la coulisse, aneanti et tombe dans un fauteuil. J'etais en eau! Je m'eponge en soufflant: faisons ... un arret. --Un entr'acte! tressaute ce predecesseur de l'homme-cheval. Vous n'y pensez pas! Et il bondit sur la scene. Je parviens a retenir un pan de son habit: --Grace, grace! suppliai-je a genoux. Le pan m'echappe, et l'homme etait au piano. Tout le monde connait la Rapsodie hongroise de Listz, on sait avec quel mouvement endiable ce morceau doit etre joue, sans quoi il perd son caractere. Eh bien! je defie ici quiconque, fut-ce Kowalski, qui a cependant un merveilleux doigte, de jouer cette page avec une rapidite aussi vertigineuse, une nervosite aussi intrepide, un entrainement aussi diabolique que celui de mon complice. C'etaient des gerbes eblouissantes, d'inepuisables scintillements, une sarabande de croches, un roulement de gammes, un tonnerre de variations, un ruissellement de cascades musicales: absolument fantastique! Mon pianiste-telegraphe sorti de scene, sans meme revenir saluer les dix personnes, fortement malades qui se trouvaient dans la salle sauta sur son sac de nuit et fila sans meme prendre le temps de me serrer la main. Enfin, apres un pareil exercice, il n'y avait plus qu'un morceau que je pouvais dire: l'_Obsession_. Alors, rassemblant tous mes moyens vocaux, j'eus la force de jouer ce monologue quasi-lyrique avec une celerite digne de mon acharne pianiste. Je finissais, lorsque j'entendis au loin le sifflet de la locomotive qui emportait l'homme-foudre. J'etais rassure, il n'avait pas manque le train, mais, a mon avis, il aurait mieux fait d'aller a Bordeaux a pied, il serait peut-etre arrive plus tot. Le concert se termina a neuf heures, alors que le monde commencait a remplir le Casino. Je me sauvai comme un fou pour eviter les horions dont le public avait le droit de me gratifier. Ce fut, je l'avoue, avec une immense satisfaction que je me retrouvai dans le Parc ou je pus, en me cachant soigneusement, respirer un peu d'air frais ... bien gagne. --Neuf heures! Que faire? je suis en habit. Tiens, je vais aller a la representation de gala. J'arrive au controle, on me dit: --Eh bien, mais, vous ne jouez donc pas, ce soir, au Casino? Depechez-vous, vous n'avez que le temps, vous savez, ca va commencer. --C'est meme fini! --Ah, bah! Et j'entrai prendre place, au grand ebahissement des huissiers qui n'en revenaient pas. Le lendemain, j'appris que sur la douzaine de spectateurs qui avaient assiste au Concert-express, six avaient fait demander le medecin. UNE RECEPTION _A Leon RICQUIER._ De toutes les maladies dangereuses, la plus terrible et la plus foudroyante est certainement la rage du theatre. Ce genre d'hydrophobie est peut-etre le seul devant lequel la science de Pasteur resterait impuissante. Oui, tout individu pique de cette tarentule peut se considerer a bon droit comme f...lambe, la piqure est venimeuse. En effet, on a vu des artistes, ayant amasse un petit pecule, renoncer a l'Art, a ses pompes et a ses oeuvres, autrement dit a ses succes et a ses vestes, se retirer de cette vie, fievreuse et agitee s'il en fut, avec le desir bien arrete de bourgeoiser tranquillement, de devenir pot au feu en diable, et moins de cinq ans apres, remonter sur les planches, tant le feu sacre qui semblait eteint chez eux etait encore vivace. Du reste, on n'a qu'a jeter un coup d'oeil sur le passe: combien de comediens, je parle seulement des grands talents, ont joue tard sur leurs vieux jours, ne consentant jamais a prendre un repos bien gagne et, se croyant toujours jeunes, ont affronte gaiement le feu de la rampe! La liste en serait longue de ceux qui, enviant l'immortel Moliere, mourant en scene, en prononcant le fameux _juro_ d'Argan, sont restes sur la breche en depit de tout et de tous, s'y acharnant toujours et quand meme. Malgre ou peut-etre meme a cause des difficultes inouies, des obstacles insurmontables, des nombreux froissements d'amour-propre et des deboires sans fin qu'on eprouve dans la carriere dramatique, il se trouve un nombre considerable de gens qui veulent chausser le cothurne (expression d'autant plus bizarre, qu'on l'applique souvent a des gens qui n'ont pas de souliers.) Ces malheureux assoiffes de gloire, qui ont souvent toutes les facilites ... pour faire autre chose que du theatre, et auxquels on ne saurait trop repeter le vers de Boileau: Soyez plutot macons si c'est votre metier. menent pour la plupart une existence bien miserable. Ils servent les trois quarts du temps de souffre-douleur a leurs camarades et on se demande, en les voyant, s'il faut en rire ou en pleurer. Pour celui qui va nous occuper, il faut en rire, car, il a pris son parti en brave et a renonce, pour quelques temps du moins, a la decevante et trompeuse carriere theatrale, pour une plus lucrative et plus calme: il s'est fait teinturier. C'est a present un homme de couleur. Si vous le voulez bien, nous le nommerons Cameleon: ca nous rappellera son metier. Donc, Cameleon sentit un jour chez lui une vocation irresistible pour l'art dramatique; ca lui etait venu tout d'un coup, comme l'attaque d'apoplexie. Mais il n'etait pas encore bien fixe sur le choix du genre qu'il adopterait; serait-il dieu, table ou cuvette? il l'ignorait. Pour faire cesser cette cruelle incertitude (car le doute est l'ennemi de l'homme, dit-on en philosophie) il eut, le malheureux, la triste idee d'aller consulter les artistes du theatre du Palais-Royal!!! Ce ne fut pas la, ce qu'on appelle ordinairement une bonne inspiration.... Mais n'anticipons pas. Cameleon enfreignit donc le dur reglement du theatre et, soudoyant a prix d'or (50c.)l'aimable Pomard, alors le gardien severe mais juste du Temple de la Gaite (quoi que ce soit au Palais-Royal), put franchir la porte d'ordinaire obstinement close au _profanum vulgus_. Arrive au seuil du "Bain a quatre sous", il frappa bien timidement, le _povero_, et recut un "entrez" pousse par huit gaillards dont les voix tonitruantes clouerent sur place mon pauvre Cameleon, qui, pressentant sans doute son etat actuel, changea de couleur. Mis au courant de la situation et lorsque le jeune neophyte eut adresse sa requete, le Bain, par la voix de son secretaire, le machiavelique Numes, repondit au futur martyr, qu'il y avait lieu de se reunir et que le comite lui ecrirait le jour ou il pourrait venir passer l'audition demandee. Cameleon radieux partit enchante et ne dut pas dormir beaucoup cette nuit-la! A peine avait-il referme sur lui la porte du Bain, que tous les baigneurs eclaterent en sourdine, a l'idee de la bonne farce que l'on allait jouer au naif, a ce monsieur qui se figurait que, pour jouer la comedie, il suffisait de monter sur les planches. L'examen devait avoir lieu le lendemain, en grande pompe; tout le Bain y assisterait. Maintenant, une explication necessaire et que le lecteur a deja du chercher. Qu'est-ce donc que le "Bain a quatre sous?" Voici: personne n'ignore que le theatre du Palais-Royal n'a rien de commun avec la salle du Trocadero, en tant qu'espace, bien entendu. Or, la salle etant extremement exigue, on ne se fait pas une idee de ce que sont foyer d'artistes, loges, couloirs, bref la partie du theatre qu'on ne voit pas; ce que le potache appelle, en faisant des yeux blancs: les coulisses! Au Palais-Royal, les loges d'artistes sont reduites a cinq seulement plus une pour les choristes la-haut, la-haut. Sur ces cinq, les vedettes en prennent une chacun, ce qui fait qu'on empile tous les autres dans la meme: Le bain a quatre sous! Nom bien caracteristique et qui s'explique de lui-meme. On attribue a Lassouche la paternite de cette expression; un jour que, recevant une visite (jadis!!!) il s'ecria: "Montez-donc la haut,--_au bain a 4 sous!_" En effet, quand on y entre, c'est un bain pour la chaleur et le deshabille qui y regnent. A present le lecteur en sait autant que moi. Le jour de la reception arriva. On jouait alors _Divorcons_. L'examen devait avoir lieu pendant un entr'acte, afin que tous pussent y assister. Une petite mise en scene avait ete preparee pour cette ceremonie. Ainsi, devant l'unique fenetre de la loge (qui permet qu'on n'etouffe pas tout a fait), on avait cloue de grands journaux qui allaient du haut en bas du chambranle, au milieu de cette toile de fond improvisee, on avait dessine au charbon un masque comique, (afin qu'il n'y eut pas d'erreur, on l'avait ecrit dessous.) Au haut de la fenetre, on avait attache un petit buste de la Republique (?) qu'on avait trouve dans un placard; a droite et a gauche, deux portants pris en bas, et par terre, tout le long, servant de rampe, huit ou dix morceaux de bougie; avec tous les becs de gaz allumes: c'etait complet. A neuf heures, Cameleon se presente. Un fremissement d'aise passe sur tous les visages. --Je ne suis pas en retard? hasarde le malheureux. --Non. --Voyons, venez ici qu'on vous arrange. --Comment? --Savez-vous vous faire une tete? --Hein? --On vous demande si vous savez vous maquiller? --Oh! un peu, fait-il pour montrer qu'il sait quelque chose. --Deshabillez-vous. --Que je me ... --Oui, deshabillez-vous, nous allons vous grimer. --Est-ce bien utile?... --Je crois bien ... pour voir si vous avez la "gueule" lui dit Numes, d'un ton serieux. --Ah! bon, bon, murmure Cameleon, convaincu. Tout d'abord on lui enduit la figure et le cou d'un cold-cream appele generalement saindoux; apres, une couche de blanc gras bien etalee recouvre tout son visage, la poudre de riz vient ensuite saupoudrer le tout et on commence alors a lui faire une tete aupres de laquelle celle qui surmonte les epaules d'un Cynghalais n'est que de la saint-Jean. --Mets du rouge, dit Pellerin. Et Numes lui dessine un rond rouge, grand comme une piece de cinq francs, sur chaque joue. --N'oublie pas le bleu, fait Garon. Et Numes de border d'un beau bleu ces deux circonferences rougeatres. --Eh bien, et le crepe? ajoute Numa. Ce bandit de Numes colle alors avec du vernis, du crepe dans les sourcils de la victime, il lui met des moustaches, de la barbe, des favoris, je ne sais meme pas s'il ne lui en a pas mis un peu dans le nez, pour simuler quelques poils follets. --Tu ne lui dessines pas quelques rides? insinue Raymond. Et le coupable Numes d'ajouter en long, en large, en travers, en biais de grosses raies marron qu'on aurait apercues a dix kilometres; le malheureux avait l'air d'un prisonnier derriere les grilles de son cachot. --Sapristi, il n'a pas de perruque! Et tous ces criminels de chercher la plus longue, la plus lourde et la plus genante des perruques, que l'assassin Numes appliqua sans mot dire sur la nuque du souffre-douleur qui suait sang et eau. Le premier acte de _Divorcons_ termine, les autres artistes monterent; ce furent d'abord Daubray, Calvin, puis Plet, Luguet, sans compter Hyacinthe, venu d'Asnieres expres, Lheritier, Montbars et votre serviteur qui venait pour la premiere fois, depuis son engagement, ce qui lui donna une rude idee de la dose de melancolie qui regnait dans le theatre ou il entrait. Vous dire _l'epatement_, c'est le mot, des nouveaux arrives, a la vue de cet horrible chienlit, est impossible; je vois encore Plet qui tomba sur une chaise, le malheureux se tordait, j'avoue que, pour ma part, n'etant pas de la force de ces fameux pince sans-rire, j'eus bien de la peine a tenir mon serieux. --Allons, commencons vite, dit Daubray. Le patient remet son paletot, enjambe la rampe stearinesque et, apres avoir salue ce public diabolique, demande ce qu'on exige de lui. --Que savez-vous? --_La Greve des Forgerons_. --Ah! en francais? interroge Calvin. Plet se roule. --Dame! fait Cameleon, qui commencait a etre abruti. --Dites-nous la. Il commence. A peine, a-t-il dit les trois premiers vers, que tous les artistes qui etaient assis sur des chaises placees en rang, comme pour entendre quelque chose de serieux, se levent, lui tournent le dos et vont dans un coin de la salle, se former en rond. Comme le patient ne comprenait pas la cause de ce mouvement de rotation, il s'arrete un instant. --Continuez, lui crie-t-on de toutes parts, le jury delibere. Il continue; tout le monde sort et le pauvre naif reste seul, en train de dire la poesie de Coppee. Quelques instants apres, le jury qui etait sorti pour s'esclaffer a son aise, n'y tenant plus d'un tel effort, rentre et ordonne a l'aspirant artiste: --Dites-nous le meme morceau en auvergnat. Plet tombe par terre. --Comment, vous ne comprenez pas? c'est bien simple. Et Milher de dire: --Mon hichtoire, mechieure les juges, chera breve; voichi: --Ah! bon, et Cameleon fit ce qu'on lui demandait! --Assurement, c'est tres gai, la _Greve des Forgerons_, dit Numes, mais n'auriez-vous pas quelque chose de plus en dehors, du meme genre, moins grave? tenez, par exemple, savez-vous: _J'aime pas l'veau_. C'est tres bien _J'aime pas l'veau_ et ca entre bien dans vos cordes. C'est de Milher et de moi, je m'etonne que ce morceau ne fasse pas partie de votre repertoire ... alors, quel est le directeur qui vous engagera? --Je l'apprendrai, monsieur, balbutie Cameleon. --C'est bon. Chantez-nous une chansonnette. Et le malheureux offre de chanter _Le Second mouvement_. --Va pour le _Second mouvement_, dit Daubray, vous ne savez pas le troisieme? --Non, monsieur. --Oui, ajoute des Prunelles, comme pour renseigner le jury, il n'a fait que des etudes superficielles. La chansonnette chantee au milieu de rires difficilement contenus, Numa dit a Cameleon: --Pourquoi ne pas etre franc? est-ce qu'il ne valait pas mieux nous dire tout de suite: "Je suis eleve de Duprez!" --Mais, monsieur, repond le pitoyable postulant, je n'ai jamais pris de lecons de personne. --Allons donc! Ce n'est pas possible, exclame le choeur. --Si, si, fait le chanteur flatte. --Voyons, maintenant vous allez redire la chansonnette sans parler ... je m'explique: vous allez la penser simplement en vous contentant de ne faire que les gestes. C'est pour voir si le geste est bon. Plet se tord. --La, a present, continue Daubray, retournez-vous, regardez la toile de fond et recommencez a chanter ... mentalement. Et Cameleon de regarder le mur en gesticulant en silence. Ah! c'est la qu'on en a profite pour rire un peu. Les uns mettaient leur mouchoir dans la bouche, les autres moins forts sortaient n'y tenant plus. --Voyez-vous! comme il a la figure expressive! --Quelle physionomie mobile, ce garcon-la! --La, maintenant, recommencez, de profil. --Bien, bien, non, de l'autre cote!... oui, la ... comme ca. --Ah! mes enfants, dit Daubray, voyez comme le bout de son nez remue. --A-t-il un nez amusant! Son nez parle positivement. La sonnette de l'entr'acte retentit. On abregea par force cette nouvelle inquisition. --Mon cher ami, nous vous delivrerons demain un certificat avec toutes nos signatures; vous le ferez d'abord parapher par M. Luguet, le regisseur general, et vous vous presenterez ensuite chez M. Briet, le directeur ... vous etes sur de votre affaire. L'acte recommencait. Plusieurs artistes descendent et parmi ceux qui restent, Cameleon trouve encore des ennemis. --Pour vous demaquiller, dit Pellerin, voici une serviette et de l'eau. Tout le monde sait que l'eau est impuissante a enlever le fard; on n'arrive a se nettoyer bien completement qu'avec du cold-cream. --Quant au crepe, ajoute le feroce Numes, c'est bien simple; faites-vous raser les sourcils; nous, la premiere fois, c'est ce que nous avons fait. Le bien a plaindre Cameleon, desireux d'aller respirer un air pur, reconfortant et qui put le remettre de toutes ces emotions, sortit precipitamment avec son fard et son crepe sur la figure. Si on ne l'a pas arrete ce soir-la, c'est qu'il y a un Dieu pour les naifs. Le lendemain, muni de la bienheureuse petition, il se presenta chez les directeurs en agitant triomphalement son certificat. MM. Briet et Delcroix detruisirent les beaux reves de Cameleon en lui apprenant qu'on s'etait f...u de lui. Sorti comme un fou, en jurant de se venger, Cameleon cherche partout Numes pour le tuer. DECEPTION _A Leon LAMQUET._ Un beau matin du mois de mai de l'annee derniere, je recus une lettre dont le format et l'odeur trahissaient hautement la provenance. --Cette missive ne m'est evidemment pas envoyee par un chaudronnier, me dis-je en la retournant dans tous les sens. Car, je ne sais si vous etes comme moi, mais quand je recois une lettre de quelqu'un qui m'est cher ou d'une personne inconnue, avant de decacheter la lettre, je me livre a un vrai petit travail; je la soupese (ce n'est pas que j'aie l'habitude de recevoir des lettres chargees, helas!) je la flaire, je tache, si je ne connais pas l'ecriture, de deviner l'envoyeur, d'apres le nom du quartier estampille sur l'enveloppe, et ce n'est que lorsque je suis suffisamment intrigue que je me decide a l'ouvrir. Aussi ne fis-je sauter le cachet armorie que j'avais devant moi qu'apres m'etre vainement demande: De qui? Tout d'abord, le premier sentiment qui s'empara de moi fut un ennui enorme. Car, dechiffrer des hieroglyphes n'est pas mon fort, et les pattes de mouche que j'avais devant les yeux etaient de purs casse-tete chinois. Enfin, avec une patience dont mes amis ne me soupconnent pas capable, je parvins a deviner ceci: "Monsieur, " J'ai eu bien souvent le plaisir de vous entendre et notamment dimanche dernier, dans un concert au Trocadero." " Fort desireuse de vous connaitre et ayant absolument besoin de vous voir pour vous parler d'une chose qui vous interessera, je vous supplie de bien vouloir prendre la peine de passer chez moi demain, dans la matinee." "_Signe_: Mlle FONTANGES." Rue de M***. --He! he! mais voila, dis-je, qui est du dernier galant. Voyons, voyons, je ne me trompe pas? Et de relire. Mais non, c'est bel et bien un rendez-vous, il n'y a pas a en douter. C'est clair comme le jour. Ah! mais ce n'est pas tout ca. Irai-je ou n'irai-je pas? _That is the question!_ Est-ce serieux? Je n'y crois guere. Un rendez-vous, a moi! non, ce n'est pas possible, je ne suis pas assez veinard pour que cette bonne fortune m'arrive ... et puis, il n'y a que dans les romans que l'on recoit des rendez-vous d'une inconnue. Non. C'est une farce que m'auront voulu faire quelques joyeux camarades qui iront roder aux abords de la maison indiquee et se gausseront tout a leur aise de ma folle naivete.--Oui, c'est une fumisterie, comme aurait dit Lamartine.--N'y allons pas, c'est plus sage. Et de dechirer le billet qui avait trouble un moment la quietude de mon ame. Mais cependant, s'il etait vrai qu'une jeune et jolie fille m'ait remarque? Apres tout, il n'y a rien la de si extraordinaire, et on a assurement vu des choses plus fortes, par exemple, refuser du monde au theatre Beaumarchais. C'est egal, une jeune fille ... ecrire a un artiste ... c'est risque! Enfin, tant mieux. Je ne songeai plus alors qu'a cette aventure et la journee qui me separait du bienheureux moment me parut interminable. * * * * * Inutile de vous dire, cher lecteur, que ce matin-la on n'eut pas de peine a me reveiller. Ce fut l'une des rares matinees ou j'assistai au lever du joyeux Phoebus. Ma toilette fut cependant longue, malgre mon impatience, car jamais je n'y apportai un tel soin. Je refis dix fois le noeud de ma cravate. ... Mon crane etait couvert D'un tube reluisant d'un soigneux coup de fer. Mon vetement etait irreprochable de chic.--On me l'avait apporte le matin meme, heureux hasard. On se serait mire dans le vernis de mes bottines et mes gants eussent ete envies par le plus elegant sportman; bref, j'etais tout a fait copurchic, comme on dit maintenant. Je consultai fievreusement l'indicateur des rues pour savoir dans quel quartier respirait celle.... Je tressaillis en voyant que la rue de M... donnait dans l'avenue des Champs-Elysees. --Allons, allons, le coup de fer n'etait pas de trop! Je descendis et inspectai plusieurs fiacres avant de fixer mon choix. Enfin une voiture passa, elle etait jaune!! Mauvais presage, pensais-je: mais bah! la superstition n'est pas mon fait. Je l'arretai. Du reste la carrick de l'automedon etait vert, couleur de circonstance. Nous roulames. Arrive a la rue de M... mon _fringant attelage_ s'arreta devant une maison qui detonnait au milieu des autres. Elle etait de modeste apparence, a l'encontre de celles qui l'entouraient. Et je m'etonnais de trouver cette bourgeoise au milieu de ces aristocrates. Elle semblait, la, l'oubliee, la Cendrillon en pierre de taille. Mais n'ignorant pas que dans les petites boites sont les ... je passai outre. Je jetai le nom au concierge et m'appretais a jouir de cette nouvelle invention qu'on nomme l'ascenseur, lorsque le vieux cerbere me cria: --Pas par la ... au 3e, a gauche, le petit escalier au fond de la cour! Sapristi! 3e, petit escalier ... hem, hem! enfin! je gravis peniblement. Je ne vous decrirai pas la solennite de l'escalier ... d'abord parce que ca vous ennuirait ... et moi aussi ... et qu'en outre, l'escalier etait tres loin d'etre solennel. Qu'il vous suffise de savoir qu'il etait laid, crasseux, et que les murs suintaient dru. Je gravis les marches en bois non cire, et je m'arretai devant une petite porte sur laquelle une carte de visite eclatait.... C'est bien la ... je tirai discretement la patte de biche et n'eus que le temps de jeter un dernier regard sur ma toilette, lorsqu'on vint m'ouvrir. Une petite bonne accorte me fit entrer dans une antichambre ou mes yeux furent aussitot attires par une Leda en marbre blanc. Peu d'instants apres, la soubrette, a l'air degage, ouvrit une porte cachee par une merveilleuse tenture de Smyrne et je passai dans la chambre de sa maitresse. Ce que j'apercus en entrant ... il m'est impossible de vous le dire!... je ne vis rien ... si, une obscurite complete ... a tel point que, voulant faire un pas, je trebuchai, sur une marche traitresse.... --Venez! soupira une voix alanguie. Et, comme j'ecarquillais les yeux pour distinguer quelque chose: --Par ici! Et l'on me prit la main pour guider mes pas incoherents. Cependant, je commencai doucement a me rendre compte des etres a la faible lueur d'un minuscule lampion dont le timide eclat etait encore tamise par l'epaisseur d'un verre rouge. En ce moment, ce que je ressentais ... ou plutot ce que je sentais ... c'etait l'odeur troublante de ces pastilles du serail que mon invisible interlocutrice avait probablement fait venir de Rivoli-Arcade! Apres m'etre excuse d'arriver en retard ... histoire de dire quelque chose, car j'etais en avance ... je demandai ce qui pouvait me valoir le plaisir.... C'est egal, a ce moment je devais etre bien drole, car je parlais au hasard, ignorant si on etait devant ou derriere moi. --Mon Dieu, me dit d'une voix faible ma mysterieuse inconnue, je vous prie tout d'abord d'excuser la hardiesse de ma demarche, mais je voulais vous voir d'abord pour vous dire quel plaisir ... (ici les compliments d'usage) et ensuite pour vous avouer combien je pense a vous. --Mon Dieu, madame! L'obscurite absolue qui nous entourait me permettait de rougir a mon aise. --Oui, je tenais a vous parler moi-meme, car une lettre, helas! ne vous aurait pas dit ... (la un soupir gros de promesses). --Que votre vie est agreable, reprit-elle soudain, vous allez de fetes en fetes, les invitations vous arrivent par douzaines, partout on vous desire, on vous choie, rien n'est trop beau pour vous. Oh! etre artiste! quel reve! --Je ne vois pas encore, madame.... --Et les femmes, me dit-elle tout a coup en me saisissant les mains. Ah! les femmes! combien seraient heureuses d'etre la preferee; mais vous allez voltigeant de la blonde a la brune, sans vous soucier, petits libertins, des blessures cruelles que vous avez pu faire. --Oui, mais dans tout cela.... --Vous en connaissez beaucoup, n'est-ce pas de ces belles jeunes filles, de ces petites actrices si Parisiennes, si coquettes qui peuplent vos coulisses? --Mais oui.... --Et appele dans le monde, comme vous l'etes tous les soirs, vous coudoyez des marquises du noble faubourg, vous voyez la des femmes du meilleur monde, j'en suis sure? --Assurement, mais ... --Eh bien, j'ai pense que vous pourriez m'etre utile, en priant toutes ces aimables et jolies femmes que vous frequentez, de s'adresser a moi pour tout ce qui regarde la parfumerie. Je tiens a leur disposition: savons dulcifiants, creme onctueuse, poudres de riz, vinaigre de toilette, nakara des Indes, lait antephelique, pommade Dupuytren, iris de Florence, mais surtout, ma specialite, l'eau dentifrice qui a la propriete de blanchir les dents et de rougir les levres. Je renonce, chers lecteurs, a vous depeindre l'ahurissement que me causa cette reclame inattendue, recitee avec une volubilite aupres de laquelle celle de Sarah Bernhardt n'est que de la Saint-Jean. Et voila donc pourquoi je m'etais fait beau et avais pris une voiture pour arriver bien vernis et tout frais! --Du reste, pour que vous parliez de mes produits en connaissance de cause, reprit-on, je vais vous faire remettre un paquet de poudre de riz et un flacon de mon eau dentifrice. L'emploi de ce liquide a besoin d'un mot explicatif: Apres vous etre lave les dents, comme d'habitude, avec de la poudre ordinaire, vous vous rincez la bouche, et ayant verse une goutte de cette eau dans ce petit godet en porcelaine, vous trempez le pinceau que voici et vous frottez. Essayez et vous m'en direz de bonnes nouvelles. Je n'eus pas le temps de protester que l'on avait deja bourre mes poches de paquets, flacons, godets, pinceaux et de prospectus en nombre tel que je disparaissais entierement dessous. Mon ebahissement ne me quitta que chez moi, ou j'etais rentre, sans meme m'apercevoir de la route. Le lendemain, par curiosite, j'essuyai cette fameuse eau; apres l'operation que je fis avec soin, je m'apercus, o desespoir, que j'avais les _levres blanches et les dents rouges!!..._ LES INITIALES _A Georges PEYRAT._ --Entrez! dis-je du ton brusque d'un homme qu'on vient de reveiller tout a coup. Et mon ami Jules, fit son apparition dans ma chambre. Il enjamba pantalon, habit, chapeau, qui trainaient par terre, et s'asseyant sans plus de facon au pied de mon lit--bien qu'un siege vacant ne fut pas introuvable--il aborda carrement la question, me lancant a brule-pourpoint cette phrase traitresse: --Que fais-tu ce soir? --Je me coucherai, fis-je en me retournant de l'autre cote pour montrer a mon ami que, s'il s'en allait tout de suite, il me ferait bien plaisir et me permettrait ainsi de reprendre le somme interrompu. Mais, helas, Jules etait comme l'avare Acheron! --Eh bien, puisque tu es libre, reprit-il, je t'emmene avec moi chez madame de Saint-Girieix. --Pourquoi faire? --Comment, pourquoi faire? mais tu n'as donc pas lu les journaux! Elle donne ce soir un bal splendide dans son hotel, avec kermesse et tout le tralala, au profit des veuves des matelots suisses morts victimes de leur devouement pendant cet incendie terrible qui a detruit une partie de Berne! Mais on ne parle que de cette fete; ce sera absolument feerique, il faut y venir! Judic vendra des peches, Granier des bretelles, Leonce doit faire du trapeze a 6 metres de hauteur dans le cour d'honneur, enfin, je compte sur toi.... Eh, bien! qu'est-ce que tu as? tu restes abruti ... on dirait, ma parole que tu ne comprends pas. --En effet, je ne comprends pas comment toi, qui me connais, toi, mon ami, a qui je n'ai jamais fait le moindre mal, toi qui n'ignores pas ma profonde antipathie pour ces petites fetes choregraphiques, tu viennes m'inviter a en subir une.... Oui, je sais, avec toi.... C'est egal, je te remercie du choix, mais je ne puis.... --Oh! voyons, tu ne vas pas me refuser de m'accompagner, a present surtout que j'ai annonce ta venue a madame de Saint-Girieix. Ce serait joli ... tu me ferais passer pour un farceur! --Comment, est-ce que ... maladie subite ... empechement imprevu.... --Sont des cliches uses, mon cher. --Et puis, crois-tu que madame de Saint-Girieix n'aura pas autre chose a faire qu'a te demander de me presenter.... Dans ces soirees-la, c'est a peine si la maitresse de la maison regarde les gens qu'on lui presente.... Non, va, un de plus, un de moins, ce n'est pas ca qui ... --Voyons, ce n'est pas serieux, ce que tu me dis la. --Parfaitement. Et, tiens, puisque tu n'es pas convaincu, ecoute et suis mon raisonnement: La foule m'enerve, ce soir, on s'etouffera; tu sais quel mal je me donne pour collectionner dix pieces de vingt sous et tu n'ignores pas que pour tenir tete aux assauts nombreux des jeunes bouquetieres, aux sollicitations pressantes, des marchandes de programmes, cigares, etc., il faut pouvoir posseder une certaine quantite de ces petits papiers bleus dont la Banque a seule le monopole. De plus je suis extremement fatigue et tu trouveras bon.... --Non, non, non, mille fois non. Je viendrai te prendre a dix heures, nous irons y passer un moment, et nous rentrerons bien gentiment nous coucher chacun chez nous. Allons, c'est entendu, tu acceptes? --Ah! que le diable t'emporte! je m'etais jure de ne pas sortir ce soir.... Eh bien, oui, la! j'irai, mais a une condition _sine qua non_. C'est que nous n'y resterons pas plus tard que minuit et que tu ne m'obligeras pas a danser la moindre polka? --Soit! * * * * * A dix heures precises, Jules arrivait sous les armes, claque et camelia compris. Vingt minutes apres, nous descendions de voiture devant le perron de l'hotel de madame de Saint-Girieix. Lanternes venitiennes, plantes rares, orchestre Desgranges, sibylle, petits chevaux, rochers factices au milieu desquels serpentait un filet d'eau colore en vert par un continuel feu de bengale invisible; bref, rien ne manquait. Nous montames au salon de danse. Je ne sais si vous etes comme moi, mais rien ne me semble drole comme de voir cirer le parquet a un tas de gens essouffles, rouges comme des tomates et suant sang et eau; ils tournent deux a deux, sans se parler et avec la dignite de gens qui remplissent un sacerdoce; oui, ca m'amuse toujours de voir sauter ainsi mes contemporains.... Ah! j'avoue que la choregraphie est un sens qui me manque! J'etais donc dans l'embrasure d'une fenetre, en train de contempler les minois plus ou moins chiffonnes, lorsque Desgranges, levant son archet magique, donna le signal de la danse. Les couples se formerent. J'apercus alors Octave, un de mes amis que je n'avais pas revu depuis le college, qui invitait une jeune fille blonde et belle comme Venus, quoique moins decolletee. La jeune fille se leva, Octave posa son claque sur sa chaise et tous deux s'enlacerent pour la valse qui preludait. Je les suivis un moment des yeux; mais ce charmant couple disparut dans le tourbillon des danseurs. Une polka remplaca la valse, une scottish succeda a la polka. Changeant alors de spectacle, (j'aime les contrastes), je regardai les duegnes qui tapissaient le salon. Je vis une dame seche et jaune, et qui dut etre fort bien en 1812, sourire derriere son eventail. Je n'y pretais pas une bien grande attention, la chose n'ayant rien d'extraordinaire en elle-meme, lorsque un eclat de rire formidable me fit reporter les yeux au meme endroit. Je vis alors trois ou quatre dames, a droite et a gauche de la sus-indiquee, riant a gorge deployee. Qu'etait-ce donc? Elles se penchaient a l'oreille de leurs voisines pour leur faire part de quelque chose et le nombre des rieuses allait s'augmentant. Bientot l'hilarite devint generale; ce fut comme une trainee de poudre, toute la rangee des matrones etait en ebullition; ces bonnes dames se tordaient dans des convulsions impossibles a decrire; elles avaient toutes l'air d'etre atteintes de la danse de Saint-Guy. C'etait inenarrable! Enfin, grace a l'une de ces _Camerera_ qui, ne se contentant pas de designer des yeux, montrait avec le doigt--O Sainte impolitesse!--un groupe tournoyant au milieu du salon, je sus enfin la cause de cette joie generale: la danseuse d'Octave s'etait, sans s'en etre apercue, assise sur le claque de mon ami, et sa robe en tulle blanc avait garde accrochees les gigantesques initiales de son cavalier, qui s'appelait--horrible fatalite--Octave Quesnel ... et pas par un K! TENOR ET PRESTIGIDITATEUR _A E. MANGIN._ C'etait au chateau de Compiegne en 184... Louis-Philippe voulant celebrer ... je ne sais plus quoi, en l'honneur de ... je ne sais plus qui, fit venir les artistes de l'Opera-Comique pour jouer une piece de leur repertoire sur le theatre royal. Les acteurs se rendirent a cet ordre et obtinrent un grand succes avec le _Domino Noir_, ou la _Dame Blanche_ ... ou quelque chose de couleur, enfin. L'etoile de la petite troupe etait M-S, le fameux tenor qui, a cette epoque, faisait tourner toutes les tetes feminines et dont la renommee etait alors considerable. M-S, homme d'infiniment d'esprit, comme on le verra plus tard, joignait a son tres beau talent de chanteur, l'adresse remarquable du plus agile des prestidigitateurs. L'escamotage et la physique n'avaient plus de secrets pour lui; faire sortir un gigot entier d'une bouteille, avaler un sabre de cuirassier ou jongler avec huit assiettes sans les casser ... etait pour lui l'enfance de l'art. Aussi tenait-il a sa reputation de physicien autant qu'a son renom de chanteur ... qui sait meme ... s'il ne faisait pas comme Ingres et Rossini! Le soir de cette representation a la cour, Louis Philippe fit servir aux artistes un souper merveilleux. Inutile de dire quel entrain et quelle gaite regnerent a ce festin! Tout le monde, heureux du succes obtenu, etait en verve, aussi eclats de rire joyeux et bons mots ne tarissaient pas, les saillies spirituelles partaient comme des fusees; c'etait un vrai feu d'artifice d'esprit! Au Champagne, le moment des toasts arrive, on but naturellement a la sante du roi, a sa cordiale reception, aux artistes, a leur talent, leur education, bref, on but beaucoup. --Maintenant que nous sommes entre nous, fit un chambellan, je crois le moment opportun de nous derider un peu en entonnant l'une de ces vieilles chansons de derriere les fagots, de celles qu'on ne chante qu'a mi-voix.... Qu'en pense notre excellent ami, M-S? M-S ... jusque-la distrait, preoccupe et dont le regard trahissait une vive inquietude, ne quittait pas des yeux madame C... la duegne de la troupe. Et voici pourquoi: Femme charmante, pleine de talent et d'allures distinguees, madame C... avait un terrible defaut, elle etait gourmande, oh! mais la! au point que proverbiale etait sa gourmandise. La patisserie surtout avait le don de l'emouvoir. Pour elle, une tarte a la creme etait un attrait irresistible et le baba juteux lui eut fait commettre des bassesses. Malheureusement, madame C... ne se contentait pas d'engloutir brioches, eclairs et madeleines; non, sa faim difficilement mais a la longue assouvie, a l'instar de la prevoyante fourmi, elle faisait des provisions pour les repas suivants; aussi ne voulant pas laisser echapper une si belle occasion, notre chanteuse bourrait-elle ses poches de massepains, meringues et echaudes! Ses voisins de table, camarades de theatre, avaient beau lui dire, a l'oreille: --Voyons, madame C..., un peu de tenue, on vous observe, vous savez combien notre profession est decriee? Eh bien! ne donnez donc pas ainsi prise aux mauvaises langues. Ah! bien oui, les tartelettes sucrees et les choux debordant de cremes etaient la, devant ses yeux eblouis, attractifs comme des aimants, et lui faisaient tourner la tete. Aussi M-S ... jura-t-il de la punir de son exces de gloutonnerie. * * * * * A la voix du chambellan, M-S ... revint a lui et, declinant l'honneur qu'on lui faisait en l'invitant a chanter, s'excusa en ces termes: --Mon Dieu, messieurs, je suis tres sensible au plaisir que vous me faites en me demandant quelque chose, et je vous en remercie bien sincerement, mais quand j'ai soupe, il m'est impossible d'emettre le moindre son. --Alors, fais-nous quelques tours d'escamotage, hasarda le baryton. Et comme les gentilshommes paraissaient etonnes de cette demande, on leur apprit que M-S. etait un excellent prestidigitateur qui eut rendu des points au celebre professeur Bosco lui-meme! --Allons donc! fit l'un des seigneurs. Eh bien, mais, nous serions tres curieux d'assister a ... --Oh! reprit M-S ... qui n'avait pas l'air d'y tenir beaucoup, vous savez pour ca il faut etre prepare a l'avance ... ou bien que ca vienne tout seul. --Oh! si, voyons! exclama toute l'assistance. Enfin, comme on insistait fort et que son orgueil d'escamoteur commencait a etre suffisamment chatouille: --Je veux bien, s'ecria tout a coup le tenor physicien. Et, comme pris d'une inspiration subite, il ajouta: --Seulement, a la condition expresse de ne vous faire qu'un seul tour. --Entendu! fit-on, en choeur. Et tout le monde se rapprocha afin de ne rien perdre. Alors, s'emparant d'une coupe en verre remplie de gateaux de toutes sortes, le prestidigitateur demanda: --Vous voyez bien ceci?... Il s'agit d'en faire disparaitre le contenu devant vous et sans que vous vous en aperceviez. Alors, avec une adresse incroyable, il jeta bonbons et gateaux dans la serviette qu'il avait sur ses genoux et qui etait preparee ad hoc, et, s'adressant a un de ses spectateurs: --Est-ce ca? --Bravo! bravo! cria-t-on de toutes parts. --Eh bien, voulez-vous savoir ou j'ai fait passer toutes les chatteries? --Oui, oui, oui. --Dans la poche droite de madame C. Etonnement general, mais rires discrets de la part des camarades inities qui devinerent le tour.... Il fallut bien, verification faite, se rendre a l'evidence. Aussi, rouge et confuse, madame C... jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus. LES EXTRA _A Henri PASSERIEU_. --Votre appartement me convient et je l'arrete, dis-je au concierge; seulement je vous previens que je rentre tard, je suis artiste et, dame! l'hiver, _les soirees_ me retiennent fort avant dans la nuit! --Je connais ca. --Ah! vous avez deja pour locataires.... --Non, c'est moi; je suis dans le meme cas que monsieur. En hiver, j'ai aussi beaucoup de soirees. --Comment!... vous etes ... --Extra. --?... --Je sers les rafraichissements dans les soirees. --Ah! bah! --Bien fatigantes _nos_ professions, hein? --Quel drole de concierge, fis-je a part moi, il ignore sans doute que le cumul est defendu, enfin! Jusqu'ici, je croyais ce mot "Extra" specialement charge de designer le petit supplement que s'offre, a la cremerie, le commis faiblement appointe, lorsqu'il demande une anisette additionnelle, ou bien la largesse inaccoutumee que se fait le bourgeois, le dimanche, alors que, revenant ereinte de la campagne, suivi de sa nombreuse tribu et jetant un regard de mepris sur la longue file de tramways bondes de monde, il hele un fiacre, se disant _in petto_: --Ah! bah, pour une fois, faisons un extra! Mais avoir un portier extra ou un extra-portier etait pour moi, chose nouvelle! Extra! Ce metier me fait penser de nouveau aux ennuis sans nombre, aux desagrements de toutes sortes, qu'occasionne sans cesse la similitude du costume de garcon de soiree avec le notre. Nous sommes tous indifferemment en habit noir. L'Extra--puisqu'il faut l'appeler par son nom--n'a rien qui le distingue des invites. Il serait si simple cependant de le mettre en bas de soie ou de lui donner un signe distinctif quelconque qui le ferait reconnaitre; on ne se tromperait plus alors, et l'on eviterait par cela meme les erreurs frequentes et regrettables que l'on commet tous les jours. Ce leger changement a apporter a la toilette de ces valets est bien simple et ne demanderait pas grand peine: il suffirait que cet hiver une mondaine en prit l'initiative et toute la gentry l'imiterait avec ensemble. Mais mes lamentations sont parfaitement inutiles, et vous verrez que, comme par le passe, la routine, la sempiternelle routine continuera a laisser les choses dans un doux statu-quo. Et pourtant, que de gaffes n'a-t-on pas faites! A qui de nous n'est-il pas arrive de dire a un invite orne de longs favoris: --Voici mon pardessus, donnez-moi un numero? Ou bien de converser longuement avec un domestique dont la figure rappelle celle d'un ministre assez mondain, et de lui demander ce qu'il pense de la crise politique que nous traversons! Et il n'y a pas a objecter la distinction et la tenue. Certains domestiques de cercle, qui ont servi longtemps ducs, marquis et barons, ont acquis a ce noble frottement une distinction apparente, une tenue relative qui font que les plus perspicaces s'y trompent. Ce sont des figures bien interessantes a etudier que celles de ces garcons dits "extra!" Il y a l'extra-serieux, le garcon qui pontifie et vous sert un sandwich avec la dignite d'un senateur romain elaborant une loi. Il y a l'extra-gai, celui qui plaisante avec vous, risque le calembourg facile avec le mot _the_. Un type bien curieux, c'est l'extra-prevenant, qui vous dit, lorsque vous lui demandez une glace: --Non, non, ca vous ferait mal, prenez plutot du punch bien chaud. On rencontre egalement l'extra-grincheux, qui _a servi dans des maisons plus importantes ou le buffet etait bien mieux approvisionne_; celui-la vous sert a contre coeur, sans la moindre complaisance il vous donne un sorbet sans cuiller ... et sans grace. Il y a aussi l'extra-susceptible qui vous en veut a mort si vous vous trompez et l'appelez "garcon" tout court; je ne vous engage pas a vous adresser a lui si vous retournez au buffet. Le plus terrible, a mon avis, c'est l'extra-censeur, celui qui censure vos actes; c'est le garcon dont les yeux semblent dire au malheureux qui redemande quelque chose: --Mais, pardon, vous en avez deja pris et si chacun en faisait autant.... On dirait, ma parole, que c'est lui qui paie le buffet. Aussi, que les gourmands me permettent un conseil en passant: --Faites comme moi, adressez-vous chaque fois a un garcon different. Il y a encore l'extra ... ordinaire, rien a dire de celui-la. Mais le plus beau que j'aie rencontre, c'est l'extra-familier, qui, pour un peu, vous tutoierait devant tout le monde et vous frapperait familierement sur le ventre en vous appelant _vieux copain_. Pour celui-la, je demande la permission d'ouvrir une parenthese. Comme je l'ai deja dit, allant frequemment en soirees, l'hiver, chez des amis et chez des etrangers, a cause de ma profession, je me retrouve la, souvent, avec les memes figures d'extra parmi lesquels ils s'en montrent de plus familiers les uns que les autres. Il y en a un que j'ai rencontre plus de cinquante fois; je le vois a peu pres tous les quinze jours dans la saison; mais, des que je l'apercois dans une soiree, je l'evite avec soin, car il m'aborde toujours ainsi: --Eh! bien, nous travaillons donc encore ensemble, ce soir? Et en disant sa petite phrase, il me gratifie d'une tape protectorale sur l'epaule. Ca m'embete, mais je suis force de le subir! Cependant, s'il y a le mauvais cote de la chose, il y a aussi le bon; derriere le revers, la medaille. Dernierement, nous etions ensemble dans la meme soiree; je vais au buffet et je vois "mon protecteur" tres occupe a servir une foule d'habits noirs qui demandaient tout a la fois: chocolat, punch, glaces etc., etc., Il m'apercoit, les delaisse tous et, venant a moi: --Que voulez vous prendre monsieur Galipaux? (car il m'appelle par mon nom). --J'aurais desire prendre un bouillon, mais je viens de vous entendre dire a un monsieur qu'il n'en restait plus, alors je ... --Ah! ca, vous riez! pas de bouillon pour vous!! mais je savais que vous deviez venir ce soir, j'en ai garde pour ... nous deux. Tenez. Et tirant de dessous la table une tasse toute versee, il me dit d'un ton paterne: --Tenez, mon p'tit, buvez ca, vous m'en direz des nouvelles!! --!!! --Ce n'est pas tout. Voici une tranche de rosbeaf froid avec sauce remoulade: avalez-moi ca prenez ce petit pain rond, la salade russe est a cote de vous, et je vais vous verser du Bordeaux. La, debrouillez-vous tout seul, je vais m'occuper un peu de ces gens-la, maintenant. Tout a coup, il bondit sur moi et me dit: --Que faites-vous donc! --Je me verse de l'eau, parbleu! --Pas celle-la! fit-il, en m'arrachant des mains la carafe, et, retirant pour la seconde fois de ce dessous de table decidement inepuisable une carafe frappee: --Celle-ci, a la bonne heure! mais demandez-moi donc ce que vous voulez, avant de vous servir. Comme on le voit, cet "extra" est un pere pour moi! Un "extra" m'a dit un jour, un mot qui, a lui seul, est tout un monde, et prouve une fois de plus en quelle estime, les artistes sont encore tenus ... meme par certains domestiques: --C'etait, il y a trois ans. Le baron X... qui habitait alors place Saint-Michel, mariait la plus jeune de ses filles et, voulant donner plus d'attrait a la soiree de contrat, avait fait venir quelques artistes, entr'autres mademoiselle N... de l'Opera-Comique, son frere, jeune violoniste de talent, R... ex-tenor de l'Opera-Populaire, d'ephemere duree et moi. On passe devant nous des rafraichissements, nous n'en prenons point. Cette sobriete semblant surnaturelle chez des artistes, un "extra", croyant comprendre tout a coup que les sirops, grogs et autres liqueurs qui surchargeaient le plateau n'etaient pas de notre gout, vint a nous, et, comme sur de nous seduire, nous dit avec un sourire indescriptible et que je me rappellerai longtemps: --Voulez-vous du vin? !!!!! UN IMPRESSARIO _A J. LANDIE_. Celui-ci est digne de passer a la posterite la plus reculee, car jamais type semblable ne s'etait vu avant lui! D'abord son prenom est tout un monde.... Je ne vous le revelerai pas parce que, seul possesseur de cette appellation joyeuse, mon bonhomme se reconnaitrait et viendrait me chercher noise.... Je vous dirai seulement que c'est a son homonyme que revint l'honneur de fonder la vie monastique en Palestine, vers l'an de grace 292 ... et si cela ne vous suffisait pas, j'ajouterai que son nom de bapteme flotte entre Hilaire et Hilare; maintenant ne m'en demandez pas davantage. Notre heros, que nous nommerons discretement H..., si vous voulez bien, est d'une autre epoque. Ayant beaucoup joue avec _mademoiselle Rachel_ comme il dit, dans ses tournees et par suite adorateur passionne de la tragedie et de ses nobles representants, Racine, Corneille et Voltaire, il a garde de la frequentation continuelle de ces genies un culte exagere pour les alexandrins classiques; de sorte que dans la vie ordinaire, dans ce prosaique terre-a-terre de tous les jours, il ne peut se resoudre a parler comme tout le monde. L'infame prose dont se servait, sans s'en douter, ce bon M. Jourdain, lui souleve le coeur, lui donne des nausees. Aussi, est-on tout etonne de voir notre homme avec un vulgaire melon sur la tete au lieu du casque reluisant d'Achille, ce n'est pas une redingote en Elbeuf qu'on s'attend a trouver sur lui, mais bien le manteau d'Oreste et pour ses augustes pieds, il faudrait plutot des cothurnes qu'une grosse paire de souliers modernes. Sa conversation est extremement curieuse. Ayant beaucoup lu ... de tragedies ... aussi antiques qu'inconnues ... il a une certaine instruction, une erudition relative, mais ce vernis de science, ce plaque de savoir en impose cependant a bien des gens. Comme je l'ai deja dit, il ne s'exprime pas comme le commun des mortels, ainsi voulant raconter qu'il aura vu un sergent de ville emmener une cocotte qui se promenait sur le trottoir, il dira volontiers: "J'ai apercu un alguazil emmenant une hetaire qui ambulait sur l'asphalte." Pour lui un soldat est un estafier; une fille aimable, une courtisane; et quand il paie son domestique, il doit lui dire assurement: "Tiens, Frontin, prends ces sesterces!" En somme, on le voit, il devrait s'appeler Joseph Prud'homme. Ajoutez a cela une avarice sordide pour ses pensionnaires et vous aurez un apercu de ce directeur. Gerant actuellement un de nos grands theatres, personne n'a lu ... et joue autant de mauvaises pieces que lui ... mais cela se comprend jusqu'a un certain point, le desir de produire des auteurs jeunes ... et riches, l'ayant seul guide dans cette voie lucrative. Ses "premieres" sont extremement houleuses et il n'est pas rare d'assister, si on a eu l'imprudence de s'y egarer, a un combat singulier entre le paradis et l'orchestre. Tout est bon, pour le titi belliqueux ... petits blancs, trognons de pomme, clous ... et meme certaine matiere on ne peut plus odorante.... Un de nos gros critiques, que son metier force a braver ces projectiles divers, se munit toujours lorsqu'il va a ce theatre d'un parasol fortement double en cas de pluie pendant le spectacle! Pour vous donner une idee du monsieur, je vais vous citer quelques-uns de ses mots; eux seuls vous en diront assez. Tout d'abord il faut l'entendre raconter "comment il s'est marie". (C'est lui qui parle). "Une famille m'ayant fait demander pour dire des vers dans une soiree (quelle drole d'idee), je m'y rendis. J'entre et j'apercois une jeune fille belle comme le jour.... J'ouvre la bouche, elle me regarde ... je commence, elle me boit ... je continue ... elle chancelle ... j'acheve, elle se pame.... Eh bien, messieurs ... (un temps) "C'est madame H." Mais ce qu'il faut entendre, c'est le ton doucereux et la vibration de notre individu, car il vibrrre, oh! mais la ... meme en disant "mie de pain!" Reponse prouvant sa generosite: Il fit dans le temps jouer le repertoire de Moliere, Corneille et Racine.... Aussi les jeunes gens du Conservatoire, desireux avant tout de s'essayer, allaient-ils chez notre directeur s'engager pour des sommes on ne peut plus derisoires, par exemple 5 francs par cachet, a jouer tous les roles de leur emploi. Un de mes amis, aujourd'hui a la Comedie-Francaise, jouait ainsi Scapin, Figaro, Mascarille et tous les premiers comiques du repertoire, en attendant de les jouer plus tard sur la premiere scene du monde. Mais quoique tres artiste et fort passionne pour son art, mon camarade a cette epoque-la ne voyait pas couler, chez lui, le Pactole; aussi, tremblant comme la feuille, resolut-il, apres bien des hesitations, d'aller trouver H... arpagon, pour lui demander une legere augmentation. Il prit donc son courage a deux mains et tournant fievreusement son chapeau dans ses doigts--on peut faire les deux choses en meme temps--il balbutia les mots: devouement profond a mon theatre ... roles toujours sus ... mais pas fortune ... les omnibus pour venir repeter ... le rouge et le blanc qu'on ne donne pas ... aussi 10 francs au lieu de 5 par semaine, ne serait peut-etre pas un supplement par trop exagere. Et H... de l'interrompre par ces mots: --Cher monsieur, je vois poindre l'ingratitude. Un jour, un auteur heureux d'etre joue, lui envoya un ameublement complet (il n'y a que ces gens-la pour avoir de la veine). Comme les commissionnaires qui avaient monte au 4e etage armoire, bibliotheque, buffet, consoles, vitrines, etc. etc. attendaient la suant a grosses gouttes le pourboire traditionnel, le secretaire du theatre s'avance et demande a voix basse, a son directeur, s'il ne juge pas convenable de donner quelque chose a ces hommes qui sont ereintes. Lui, apres avoir bien reflechi: --Mais si, comment!... donnez leur donc ... deux billets a demi-droit!!! Ca ne s'invente pas ces choses-la. * * * * * Lorsque, par hasard, il prend une voiture a la course, il ne donne jamais que 15 c. de pourboire au cocher et comme il a peur d'etre empoigne par l'automedon--comme il l'appelle--il prie le concierge de lui remettre la somme, mais le pipelet a une peur bleue, car le cocher ne manque jamais de lui dire: --Ah! tu as garde deux sous, c'est bien, va, la prochaine fois, je le dirai au vieux general! "Vieux general", parce que notre directeur porte moustache et barbiche napoleoniennes. Au beau temps ou la tragedie etait florissante sous sa direction, on jouait un jour _Britannicus_, et comme le heros de Racine n'avait pas de manteau par suite d'une erreur du costumier, notre directeur descendit de chez lui un drap de madame H... pour le remplacer!... !!! * * * * * Delaunay disait de lui: "Quand il commence un alexandrin on a le temps de remonter dans sa loge chercher quelque chose et de redescendre avant qu'il l'ait fini." Et Got: "C'est le seul comique de tragedie qu'ait possede le Theatre-Francais." * * * * * Un jour, dans un hotel de province, au souper qui suivit une de ses representations et que des amis lui offrirent, il recitait un fragment de role tragique et comme il disait avec une emphase extraordinaire: Arretez-vous, Neron, j'ai deux moos a vous dire.... L'aubergiste applaudit. Et lui, de se retourner: --Madame l'hotesse, retournez a vos fourneaux! * * * * * Pour depeindre son admiration pour Rachel, il se plait a raconter cette histoire: Quand je jouais avec la grrrande trrragedienne, je ne dejeunais pas, pour ne rien perdre d'elle, je prenais un verre de vin, j'allais dans une loge et tout en trempant des mouillettes, je l'ecoutais.... Je buvais Ma-de-moi-selle Rachel! * * * * * --Que les temps sont changes! exclamait-il, dernierement. Aujourd'hui les jeunes artistes apprennent leur role et des qu'ils savent le mot a mot, ils se figurent qu'ils sont prets a paraitre devant le public, ils ne veulent point se donner la peine de fouiller, de creuser leur personnage! Ah! de mon temps nous cherchions dix ans un role et ... souvent nous ne le trouvions pas. Ainsi, tenez, voici comment, j'ai trouve l'entree de Neron. Depuis longtemps, je cherchais l'intonation du premier vers, cette phrase m'obsedait sans cesse, enfin, un jour, comme j'entrais chez un patissier, je fus frappe d'un trait de lumiere, et, m'elancant vers le comptoir, je dis a ce paisible commercant: --N'en doutez point, Burrhus.... Le malheur c'est qu'en gesticulant je cassai une carafe que ce manant me fit payer! * * * * * Une marque d'attendrissement et de pitie: Un pauvre malheureux qui jouait chez lui des "utilites", vient un jour lui dire: --Monsieur le directeur, je suis tres malade, je n'en peux plus, le medecin m'a conseille la campagne et je viens vous demander la permission de me faire remplacer ce soir. Alors le directeur, le regardant attentivement bien en face: --Vous vous faites donc raser les sourcils? * * * * * A un auteur en lui rendant son manuscrit: --C'est tres bien fait, tres joliment ecrit, interessant ... mais on devine trop tot que le jeune premier epousera l'ingenue au troisieme acte! Au cafe ... ou il etait invite par un de ses pensionnaires ... naturellement. Le garcon.--Que desire monsieur? Lui.--Un curacao. Le garcon.--Sec? Lui, le reprenant.--Pur. Le garcon, s'en allant.--Un curacao sec! Lui, irrite.--Eh! pur, vous dit-on! O puriste! * * * * * C'est encore lui qui, ecrivant a un de ses artistes qui jouait chez lui les "grimes," mit sur l'adresse M. THEOPHILE B... financier 8, _rue Fontaine_ Vous voyez d'ici, ce que la concierge a du etre prevenante pour son locataire! Du reste, quand dans une piece du repertoire il y avait comme accessoires, des lettres, il mettait parfaitement, pour suscription: "A Mademoiselle, mademoiselle Lucile, amante d'Eraste" ou bien a "Monsieur, monsieur Valere, amant de Lucile". * * * * * Une invention du meme: Il y a six ans, il habitait rue F.... Vous montiez a son troisieme, une fois la, vous sonniez et quelques instants apres, il arrivait lui-meme ouvrir. La porte etait a peine entre-baillee, qu'il jetait sur vous le contenu d'une fiole d'encre, sans souci de votre pantalon blanc ou de votre gilet chamois, et comme vous vous revoltiez etonne: --Paix! disait-il, tout beau! venez ca, qu'on vous lave! suivez moi dans mon laboratoire! Et, vous prenant par la main, il vous entrainait dans sa cuisine ou, une fois rendus, il prenait un chiffon impregne d'un liquide quelconque, qu'il avait invente, et frottant energiquement les endroits taches, repetait avec la volubilite d'un camelot sur la place publique: "Cette substance qui n'est pas corrosive, enleve, nettoie et detache, etc. etc." Tres rarement, il rendait a l'etoffe son etat primitif, mais chaque fois que l'operation ratait, il vous disait sur un ton de doux reproche: --Mais, cher monsieur, ce n'est donc pas tout laine? Apres celle-la, il n'y a plus qu'a tirer l'echelle. UN CONCERT A ATHIS-MONS _A CABOIS._ Il existe sur la ligne d'Orleans, entre Juvisy et Ablon, un petit endroit charmant qu'on dirait fait pour les amoureux ou les poetes, tant les sentiers ombreux, les chemins etroits et les taillis mousseux y abondent, semblant inviter par leurs frais ombrages, leur calme solitude, les joyeuses caresses et les rimes etoilees! Cet Eden champetre a pour nom: Athis-Mons. Aucun village, en effet, ne semble reunir autant de sites pittoresques que celui-la! Rochers abrupts, peupliers geants montant la garde aux cotes de routes tortueuses, la Seine qui serpente dans le bas de la vallee et dont les eaux tranquilles sont sillonnees, le dimanche, par les barques des canotiers parisiens; tout y est empreint d'un charme penetrant jusqu'au petit clocher qu'on apercoit au loin, la mairie, maisonnette a un seul etage sortie d'une boite de joujoux, les grands epis dores qui le soir doivent abriter ... cocottes et serins, le chef de gare, lui-meme, qui, poussant la complaisance jusqu'a ses dernieres limites, attend le monsieur essouffle qui court peniblement la-bas, pour donner le signal du depart ... tout, enfin, s'efforce de vous plaire et semble vous crier: Pourquoi t'en vas-tu? Aussi, chaque fois que notre ami C..., notable habitant de ce village ensoleille, vient me demander mon concours pour la fete du pays, non seulement je le lui accorde avec empressement, mais je le remercie; car, passer une journee dans cet endroit delicieux est pour moi une joie reelle. Et il faut bien que ce soit pour aller dans un pays aussi charmant et pour un ami aussi aimable, car si l'homme est heureux d'aller a Athis, l'artiste entre toutes les fois dans des coleres furieuses. Que mes lectrices se rassurent: Je n'ai pas un caractere irascible et emporte; au contraire, on veut bien me trouver benin et doux, a rendre des points a un mouton ... fut-il de Panurge. Cependant il y a des moments ou, sans etre comme certain violoncelliste qui defend meme de tousser pendant qu'il opere ... on ne peut s'empecher de ... jugez plutot. Le concert qu'on organise a Athis-Mons a lieu sur l'unique place du village. On dresse une de ces immenses tentes qui ont enrichi Pinard et Voisin (je demande pardon a Voisin de le mettre derriere Pinard) et c'est la-dessous que chanteurs, instrumentistes, comediens ou monologuistes debitent a tour de role leur produit. Comme je vous l'ai deja dit, le concert a lieu a l'occasion de la fete du pays, c'est assez dire que chevaux de bois, tirs au pistolet, grandes roues a loterie, massacres des innocents, passe-boules, tourniquets ... rien ne manque; et, comme la tente est adossee a l'Eglise (d'aucuns s'habillent dans la sacristie)--avec l'horloge, c'est complet!!! Aussi l'on comprendra qu'avec l'air du _Chapeau de la Marguerite_, moulu par l'orgue des chevaux de bois, les pif, paf, pan, pan, pan du tir au pistolet, les dzing, dzing de la plaque de tole servant de palais a l'enorme bouche qui rit (jeu, qu'on designe, sous le nom de passe-boule, si je ne m'abuse), les grrirrirri des roues et de tourniquets, les sifflets de la locomotive qui passe non loin de la et surtout, oh! surtout, les dig, ding, don, dig, ding, don! de cette satanee horloge qui sonne tout, quarts, demies, trois-quarts et repete meme l'heure a cinq ... il y a de quoi devenir fou a lier! Du reste, je vais essayer de vous traduire l'effet que produit une poesie dite aux concerts d'Athis-Mons. Le recitateur entre, il annonce: _Aime pour lui-meme_, poesie de Aug. Erhard. A ce moment, l'air du _P'tit bleu_, joue a tour de bras par les chevaux de bois, couvre la voix de l'artiste et prive le public du nom de l'auteur. L'interprete, d'abord etonne, reprend: Qui de nous tous, o mes amis, En cette existence si breve N'a point fait (et c'est bien permis) Cet irrealisable reve? Pif, paf, pan, pan, pan, pan, pan, tonnent les pistolets du tir. Le diseur fait un soubresaut epouvantable, se trouble et perd la memoire mais cherchant a maitriser son emotion, continue: Une femme au regard charmant Brune ou blonde, ou rousse, ou bien meme ... Dzing, dzing, fait la plaque de tole. Le comedien decontenance, perd la tete et poursuit en bafouillant: Enfin, comme il plait a l'amant. Boum! Boum! Boum! prelude la grosse caisse du cirque voisin. Le malheureux, dont une sueur froide inonde le corps, eperdu, rassemble toute son energie et trouve encore la force de dire: Mais qui vous aime pour ... Dig! din! don! dig! din! don! dig! ding! don! carillonne a toute volee cette horloge diabolique. --C'est un bapteme, fait quelqu'un: il y en a pour cinq minutes. --Arretez-vous, crie-t-on de toutes parts. L'infortune monologuiste, dont les yeux injectes de sang sortent de l'orbite, croyant avoir derriere lui l'armoire des freres Davenport, se precipite affole dans les coulisses, en criant:--Si jamais on m'y repince! * * * * * Et il y est repince la fois suivante; car, comment resister a un ami aussi charmant que C... et aux seductions d'un pays aussi ravissant qu'Athis-Mons! LES MEDECINS DE MOLIERE _A. L. CRESSONNOIS._ Parmi les spectateurs qui acclament Purgon, Diafoirus, Fleurant et autres medecins ridicules que Moliere a semes dans plusieurs de ses pieces (_Monsieur de Pourceaugnac_, le _Malade imaginaire_, le _Mariage force_, l'_Amour medecin_, la _Jalousie du barbouille_, le _Medecin malgre lui_, etc.), au grand esbaudissement du public, combien ignorent le veritable motif qui a pousse l'auteur a caricaturer ainsi les gens qui exercent la medecine! Y a-t-il beaucoup de lecteurs du grand comique qui sachent a quel fil a tenu la creation de ces types immortels?--Je ne crois pas. C'est une vengeance personnelle, une satisfaction particuliere qui a fait eclore toutes les oeuvres citees plus haut. Voici dans quelles circonstances l'auteur du _Misanthrope_ resolut de stigmatiser les docteurs de tous genres. Moliere logeait chez un medecin, dont la femme, extremement avare, voulait augmenter le loyer de la portion de maison qu'il occupait; sur le refus qu'il en fit, l'appartement fut loue a un autre. Aussi, depuis ce temps-la, Moliere n'a pas cesse de tourner en ridicule les medecins qu'il avait deja attaques du reste dans le _Festin de Pierre_. Il definissait ainsi le medecin: "Un homme que l'on paye pour conter des fariboles dans la chambre d'un malade jusqu'a ce que la nature l'ait gueri, ou que les remedes l'aient tue." L'_Amour medecin_ est la premiere piece dans laquelle Moliere a donne libre cours a sa verve satirique et antimedicale. Afin de rendre ses plaisanteries plus agreables et en meme temps plus acerbes, plus piquantes, dans l'interpretation de cette piece, qui fut d'abord representee devant le roi, l'auteur y joua les premiers medecins de la cour avec des masques qui ressemblaient aux personnages qu'il avait en vue. Il fallait que Moliere eut un rude courage ... et une bien grande confiance dans la protectionnelle amitie de Louis XIV! J'ai retrouve cette meme audace chez un certain prefet du departement de la Gironde, qui, a l'epoque ou l'on allait jouer _Rabagas_ au theatre Francais de Bordeaux, fit venir le principal interprete de cette piece et lui "ordonna" de se faire la tete exacte du heros de Sardou. Comme on le voit, ce magistrat reactionnaire se moquait completement de sa destitution. Mais quittons le XIXe siecle pour revenir au XVIIe. Les medecins mis en scene, s'appelaient de Fourgerais, Esprit, Guenaut et d'Aquin--rien de Saint-Thomas--et comme Moliere voulait deguiser leur nom (c'etait bien le moins) il pria l'auteur du _Lutrin_ de leur en confectionner de convenables. Boileau en composa en effet, qui etaient tires du grec et qui designaient le caractere de chacun de ces messieurs. C'est ainsi qu'il donna a M. de Fougerais, le nom de _Desfonandres_, qui signifie _tueur d'hommes_; (il parait, que ce bon Fougerais n'y allait pas de main morte, et que, a l'exemple du Crispin du _Distrait_: Il mettait double dose.) A M. Esprit, qui bafouillait en parlant, celui de _Bahis_, qui veut dire, _jappant_, _aboyant_, (j'ignore si ce _cognomen_ a ete trouve par M. Esprit, saint!) _Macraton_ fut le nom qu'il donna a M. Guenaut, parce qu'il parlait lentement (ce rapprochement avec le pere "Bahis" prouve une fois de plus l'evidence absolue de la loi des contrastes.) Et enfin, celui de Ternes, qui, dans la langue familiere a feu Egger, est synonyme de _saigneur_ a M. d'Aquin, qui ordonnait souvent la saignee. Je ne sais si, avec une reputation semblable, il reunissait beaucoup d'invites a ses bals, d'Aquin (aie). Eh bien, dire que si le proprietaire qui avait le tres grand honneur de loger Moliere avait ete complaisant (mais j'oublie que proprietaire et complaisant sont mots incompatibles), nous n'aurions pas eu la bonne fortune d'applaudir le charmant docteur de la "Jalousie du Barbouille", cette piece de Moliere si peu connue et pourtant si gaie! Donc, o proprietaire harpagonesque! merci, merci! car grace a ta bourgeoise cupidite et ... a ta cupide bourgeoise, surtout, il nous a ete donne d'acclamer le prolixe Pancrace et son gai compagnon, le reserve Marphurius. LES ANIMAUX AU THEATRE _A A. BERNHEIM._ J'avais tout d'abord l'idee de donner un autre titre a ces lignes, craignant la confusion; mais non, il n'y a pas de doute possible: c'est bien des betes a quatre pattes dont il s'agit ici. Il y a environ douze ans, MM. Verne et Dennery faisaient representer pour la premiere fois, au theatre de la Porte Saint-Martin, le _Voyage autour du monde en 80 jours_, piece en cinq actes et quinze tableaux. Le succes de cette feerie scientifique fut pyramidal; cinq cents representations ne purent epuiser ce succes persistant. Il fallait louer sa place quinze jours d'avance. Le soir, le strapontin le plus incommode faisait prime et les messieurs a pantalons pattus qui vendent bien plus cher qu'au bureau, firent rapidement fortune. Tous les journaux furent unanimes a louer les auteurs, beaucoup les directeurs et enormement ... les machinistes, decorateurs ... et autres truqueurs ... sans jeu de mots. Mais qui pouvait s'attribuer la gloire de cette vogue retentissante? A qui ou a quoi revenait le plus grand merite de cet incontestable succes? Etait-ce a la vulgarisation des livres de l'un des auteurs? car tout le monde, ayant lu ses emouvantes et spirituelles histoires qui instruisent un peu et amusent beaucoup, tout le monde desirait voir, mise en action, une de ces aventures que M. Verne, lui-meme, qualifie d'extraordinaires! Voulait-on au contraire apprecier la part que son collaborateur, homme d'esprit, avait apportee, renouvelant ce genre de piece a spectacles, en y ajoutant un grain de son originalite? Voulait-on, peut-etre, entendre la voix tonitruante et les ronflements sonores de Dumaine? La foule avide voulait-elle fremir aux males emportements de l'appetissante Patry? Ou bien le peuple anxieux venait-il uniquement pour voir si Phileas-Fogg-Lacressonniere ne raterait pas le bateau en partance pour l'Amerique? Non, impatient lecteur, ce n'etait ni pour le talent du premier role, ni pour la grace de la jeune premiere, pas plus du reste que pour les exploits du traitre celebre que le public se derangeait en masse. Ce qu'il venait voir, c'etait ... l'elephant. Ah! la grande locomotive en carton pate en deperissait a vue d'oeil ... elle en avait une figure de papier mache ... mais il fallait se resigner en silence, se taire sans murmurer, aurait dit feu Scribe, Songez donc! un elephant, un vrai, pour de bon, vivant, tout ce qu'il y a de plus vivant, un elephant en viande! Il n'y avait pas a aller la contre. Ce n'etaient pas des gagistes a quinze sous par soiree, qui, montes les uns sur les autres dans un elephant en baudruche, singeaient (mon mot est mal choisi) le pachyderme. Non, c'etait bien un elephant qui, comme vous et moi, mangeait, buvait, dormait et aimait ... (je m'avance peut-etre un peu, en disant ca). Bref, l'introduction seule de ce mastodonte, dans une piece de theatre, suffisait a exciter au plus haut point la curiosite fructueuse de la plebe ebahie. On avait bien vu des chats, des chiens dans _Mauprat_, des colombes dans _Latude_, des chevres dans le _Pardon de Ploermel_, mais un elephant, un e-le-phant! Oh!! En fourriere, les chevaux de _Charles VI_, a l'Opera! Oh! un elephant!!! Aussi le titi, sitot sa journee faite, accourait-il, sans meme prendre le temps de manger, faire la queue ... pour voir celle de l'animal. Et le lendemain, l'enfant demandait a son pere si c'etait la premiere fois qu'on voyait un elephant en scene. Ce a quoi le pere repondait, a la prud'homme: --Il y a peu de temps, en effet, qu'il y a des betes parmi les acteurs. Et comme ce brave bourgeois serait etonne, si on lui disait que la premiere fois qu'on a introduit un animal sur un theatre, ce fut en 1650! Et l'abrutissement de ce philistin serait bien autre si, croyant que l'auteur qui le premier osa cette tentative s'appelait Cogniard, Clairville ou autre, on lui nommait: Pierre Corneille dit le grand Corneille. Et pour peu qu'il veuille s'instruire, nous raconterions au bonhomme dans quelles circonstances l'auteur du _Cid_ fut le predecesseur de Dennery. Le roi Louis XIV, dans les premiers temps de sa minorite, s'ennuyait, parait-il, comme un simple mortel. Trop jeune pour jouer au billard, sa maman eut l'idee de demander a Corneille un divertissement pour le dauphin; mais Corneille, dont la corde comique n'etait peut-etre pas extremement developpee--en depit du _Menteur_--eut une idee folatre, et s'ecria tout a coup: faisons ... une tragedie, mais une tragedie ou il y aura un clou. Quelque temps apres, il enfantait _Andromede_, tragedie avec machines. La reine mere, qui ne regardait pas a la depense et faisait les choses grandement, fit orner d'une facon magnifique la salle du Petit-Bourbon. Le theatre fort beau, eleve et profond, se pretait du reste fort bien a la circonstance. Le sieur Torelli, ancetre de Godin, machiniste du roi, s'occupa des machines d'_Andromede_ et fit des merveilles; les decorations parurent si belles qu'elles furent gravees en taille douce. Le succes qu'obtint cette tragedie engagea les comediens du Marais a la reprendre, apres la demolition au theatre du Petit-Bourbon. Quoique couteuse, cette reprise leur reussit a tel point qu'elle fut renouvelee, avec profit, en 1682, par la troupe des Comediens. Comme on rencherit toujours sur ce qui a ete fait, on representa le Cheval Pegase par un veritable cheval, ce qui n'avait jamais ete vu en France. Il jouait admirablement son role et faisait en l'air tous les mouvements qu'il pouvait faire sur terre. Il est vrai qu'a cette epoque-la, on voyait souvent des chevaux vivants dans les operas d'Italie; mais ils paraissaient lies, et attaches de telle maniere qu'ils ne pouvaient faire aucun mouvement, ce qui devait produire, on l'avoue, un effet peu agreable a la vue. On s'y prenait d'une facon singuliere dans la tragedie _Andromede_, pour donner au cheval une ardeur guerriere. Extremement affame par un jeune a la Succi, qu'on lui faisait subir, lorsqu'il paraissait, un machiniste, de la coulisse voisine, vannait de l'avoine. Inutile de dire si, a cette vue, l'animal hennissait, trepignait et se cabrait. Ainsi, sans s'en douter, le quadrupede repondait-il parfaitement au dessein qu'on s'etait propose. La scene du cheval etait le clou de la piece et valut a _Andromede_ un nombre respectable de representations. Point n'est besoin d'ajouter que depuis, on a use du truc. L'avoine est remplacee a l'Opera Comique par des carottes qu'on tend a la chevre de Dinorah. Nous connaissons certain acteur auquel l'appat d'une piece de cent sous miroitant dans les frises donnerait un rude entrain. Son directeur devrait en essayer! RIEN DE NOUVEAU _A C. SAMSON._ Je ne sais quel journaliste, dernierement, citait dans ses bons mots cette anecdote: " Sur une ligne de chemin de fer: " Le train s'arrete. Un employe annonce la station d'une voix enrouee et de facon inintelligible. "--Parlez donc plus clairement, lui dit un voyageur, on n'entend pas un mot de ce que vous dites. " L'employe, se retournant: "--Faudrait-il pas vous f... des tenors pour 90 francs par mois". Cette spirituelle repartie n'est pas absolument nouvelle et, sans accuser cet honnete et probablement illettre employe de plagiat, sans le traiter comme Uchard traite Sardou, je me permettrai de lui dire, peut-etre meme de lui apprendre, qu'en repondant ainsi au susdit voyageur, il ne faisait que parodier une phrase jetee du haut de la scene de l'Opera par un acteur en courroux, _au dix-septieme siecle_! C'est, en effet, en 1696 que la scene se passa. On jouait sur la premiere scene lyrique ... de l'epoque, _Ariane et Bacchus_, tragedie-opera, avec un prologue, dont les paroles etaient de Saint-Jean et la musique de Marais. Au cours des representations de cette oeuvre lyrique, l'acteur qui jouait un des principaux personnages tomba malade. Oblige pour le remplacer de prendre une doublure, le directeur s'adressa a un de ces chanteurs subalternes, accoutumes a etre siffles, lorsqu'ils veulent sortir de leur etroite sphere. Ce cabot (dirait-on, aujourd'hui) etait charge a l'improviste de representer un personnage royal. Ce roi postiche et heteroclite parut donc et fut naturellement siffle. Mais comme cet accueil discordant n'etait pas pour lui chose nouvelle et que, des longtemps habituees a cette musique ... wagnerienne, avant la lettre, ses oreilles semblaient ne rien percevoir, il regarda fixement le parterre et sans se deconcerter, du ton le plus tranquille, lui dit avec un etonnement simule: " Je ne vous concois pas. Est-ce que, par hasard, vous vous imaginez que, pour six cents livres qu'on me donne par an, je vais vous donner une voix de mille ecus. Et avant l'employe de P-L-M., un autre acteur avait deja resservi cette meme phrase, au public, dans les memes circonstances. C'etait en 1705, on jouait _Alcine_ tragedie-opera avec prologue, (--paroles de Danchet et musique de Campra). Ce fut un chanteur enroue, charge de remplacer au pied leve une vedette, et la remplacant aussi mal que possible, qui la jeta en reponse aux sifflets des spectateurs. Ce qui prouve--car il faut toujours une moralite--qu'on n'invente rien de nouveau et qu'il ne faut pas s'etonner si, disant quelque part un mot drole, et qu'on croit de soi, un monsieur aimable vous repond: --Charmant, je l'ai lu dans l'amanach de 1827. BILLET DE FAVEUR _A G. BESOMB._ Messieurs les secretaires des theatres de Paris--subventionnes ou non--se reunissent au moins une fois l'an afin de resoudre cette grave question: la suppression des billets de faveur. Tres grave et tres importante, en effet, cette fameuse question des billets! Moins compliquee a coup sur que la question d'Orient, elle ne laisse pas d'etre assez embarrassante. Tous les jours, le nombre des quemandeurs de places va s'augmentant et, si messieurs les secretaires de theatres ne s'empressent pas de mettre un frein a la fureur des flots ... de raseurs, ils conduiront bientot leurs patrons a la ruine. Le Parisien ne peut se resoudre a payer sa place. La mode--deja vieille, helas!--consiste a aller au spectacle _oculo_. Et non seulement, le solliciteur se rencontre parmi les gens les plus pschutt, mais encore dans le peuple. L'ouvrier ne paie pas plus sa place que le gommeux. Il trouve, je ne sais comment, le moyen d'entrer sans bourse delier. Est-ce au moyen de bassesses aupres du chef de claque qui l'embauche _au service_ parce qu'il est pourvu de battoirs gigantesques? Est-ce parce qu'il est bien avec un controleur? Est-ce parce que sa femme a une amie qui est cousine d'une ouvreuse? Toujours est-il que la preposee a la location a rarement la bonne fortune d'apercevoir sa silhouette. La seule difference qui existe entre le grelotteux et le titi, c'est que celui-ci se meurtrit les chairs sur les bancs du paradis, pendant que celui-la se prelasse aux fauteuils. Un de nos amis, secretaire du theatre des Folichonneries Erotiques, nous communique quelques lettres de solliciteurs. Elles valent la peine d'etre lues en bonne compagnie. Premier exemple: A monsieur, monsieur le secretaire "general" du theatre des Folichonneries-Erotiques. (Le solliciteur est persuade que le qualificatif general attendrira l'unique secretaire). _Monsieur, J'ai fait un reve (qui n'en fait en ce bas monde?) sera-t-il jamais realise?_ Chi lo sa!... _dirait l'Italien. C'est d'assister a une representation de_ Machoire d'ane. _Les colonnes de mon journal sont remplies de louanges en faveur de ce chef-d'oeuvre. Il parait que c'est merveilleux. Et cela doit etre, car si le_ Nuage _le dit, c'est que c'est vrai. (Oui, je lis le_ Nuage; _que voulez-vous, il ne coute qu'un sou et le format est si grand que nous avons tous de quoi lire. Ainsi ma femme ne s'interesse qu'aux accidents; moi, ce sont les nouvelles a la main qui me passionnent, Eudoxie devore les romans, c'est de son age--et Reglisse, le mioche, dechiffre les rebus comme pas un). Voici mes titres a la faveur du billet que je sollicite: J'ai fait un acte intitule_ Plumpuding _et qui a ete joue deux fois a Auxerre et une fois a Sens. On l'a repete a Joigny, mais l'ingenue a ete obligee de s'aliter afin de ... enfin je ne peux pas en dire plus long._ _Je crois donc que, comme auteur dramatique, j'ai des droits a la loge que vous allez avoir l'extreme obligeance de laisser chez le concierge a mon nom. Agreez, monsieur le secretaire general du theatre des Folichonneries-Erotiques, avec mes remerciements anticipes, l'assurance de mon profond devouement._ EUSEBE FLORVILLE. _(Je m'appelle Maclou, mais je signe Florville pour des raisons de famille qu'il serait trop long de vous expliquer.) P.-S.--Ah! mettez mon avant-scene au nom de Florville._ Passons a un autre. _Monsieur le secretaire, Des ma plus tendre enfance, ce que les poetes appelleraient ma prime jeunesse, j'ai montre un gout tres prononce pour l'art dramatique. Mes parents, qui ne voulaient pas que je fusse_ saltimbanque, _me mirent a l'ecole des freres, mais, malgre les excellentes lecons que je recus dans cet etablissement illaique, je n'appris rien du tout. Ma tres vive intelligence ne comprenait pas aisement le calcul; l'histoire et la geographie etaient trop arides pour elle et toujours, mon esprit se montrait retif a la connaissance de la grammaire. Je n'eus qu'un seul succes a la pension. Un succes d'acteur (deja!) dans une piece que nous jouames, a la fin de l'annee, a l'occasion de la distribution des prix. A un moment donne, je devais imiter le cri de l'ane, dans la coulisse et je m'acquittai de cette tache avec un naturel si parfait, qu'on me fit bisser. L'auteur me conduisit alors sur la scene, en me montrant au public et me fit ce compliment, que je n'oublierai jamais de ma vie: Un ane et vous, il n'y a pas de difference!" Ma carriere etait donc au theatre. Je n'ai pas le temps de vous raconter tous mes engagements; tant pis pour vous! car, c'est extremement curieux de voir par quelles phases, j'ai passe, et, comment je suis arrive a me faire cette situation que l'Europe artiste m'envie, a l'heure qu'il est. Bref, car, je vois que le courrier s'avance, devant jouer, le mois prochain, le role de Flip dans _"Machoire d'ane"_, je ne serais pas fache de voir comment le tient ce garcon que vous avez engage. Ce n'est pas pour en faire mon profit, certes, mais il faut tout voir. En attendant cinq heures, heure a laquelle je viendrai chercher mon billet, je vous salue bien, monsieur le secretaire,_ BAFOUILLARD Grand premier comique des theatres de Toulouse, Lille et Elbeuf. Voyons celle-ci: _Mossieu, Ce moa ki e fe la rob de madame Therez et afin de voar les fe quel fet, vous sriez bien emabe de me donne deux places, j'irai avec Gule. Merci bien, bien, assurance simpathique._ Veuve PRIFIXE, tailleuse. Et: _Si tu donnes un billet a ta fafame cherie, t'oras c'qu'tu veux._ BEBE. Autre musique: _Monsieur, Puisque je ne peux parvenir a toucher un sou de ce qui m'est du, Vous me dedommagerez de mon attente en m'octroyant des places. Si je n'en ai pas cinq pour ce soir, gare a la sortie!_ Votre creancier: SCHEFER, bottier. Et enfin! _Vieux. J'viens t'rendre grand service, envoie baignoire tres grillee a bibi, Ton directeur devra reconnaissance d'remplir sa boite. Merci et tout a la joie,_ OSCAR. * * * * * J'en passe et des plus droles! CHEZ MOMUS _A. Ed. LHUILLIER._ Mais si, vous le connaissez bien; voyons, tout le monde le connait, le pere Momus, le grand faiseur de revues brevete s. g. d. g., le grand abatteur de feeries en un nombre incalculable de tableaux, l'unique pourvoyeur des petits theatres, le dernier survivant des auteurs de pantomimes. Tout Paris defile de deux a six dans _sa_ chambre. Car son appartement se compose exclusivement d'une piece et d'un tout petit cabinet de toilette. La piece de resistance lui sert donc de chambre a coucher, de salon, de salle a manger et de cabinet de travail. Cette chambre "a tiroirs" est absolument encombree de meubles bizarres, de tableaux de maitres ... et d'eleves, surtout, de photographies d'artistes, de statuettes en marbre, en bronze, en platre, en terre cuite, en saxe; il y en a pour tous les gouts; aux murs, on ne pourrait trouver la surface d'une piece de cinq francs, inoccupee. Le papier qui tapisse ce musee intime, disparait completement derriere les panoplies arabes, les tambours espagnols, les mandolines italiennes, les pipes turques ... autant de souvenirs qui ont ete rapportes a Momus par des amis de toutes provenances. Impossible de remuer dans ce capharnauem sans casser quelque chose. Je me rappellerai toujours ma premiere visite a Momus. J'arrive porteur d'une lettre de recommandation; j'etais tellement trouble par la presence de ce monsieur qui m'en imposait, qu'en saluant, je fais tomber la pelle de la cheminee. Ahuri, je veux m'excuser et, en m'inclinant je decroche les embrasses d'un rideau. Et Momus de me dire, gaiement: --Eh bien, si vous venez chez moi pour casser mon mobilier.... Cette phrase me remit tout a fait. Momus perche au cinquieme, au coin de la rue Taitbout et du boulevard. Il a une fenetre sur chaque voie, mais celle qui donne sur la rue est impraticable, barree qu'elle est par l'immense table de travail. Combien de fois ai-je gravi ces etages? Ah! dame, c'est qu'on s'y amuse chez Momus! On est toujours sur d'y rencontrer des gens joyeux. Et l'on en entend de droles, je vous assure! Les potins de coulisses sont devoiles dans toute leur crudite. C'est la, seulement qu'on apprend le motif veritable qui a pousse Pichu a refuser son role, dans la nouvelle piece de Meilhac. Si vous voulez savoir de qui est le vaudeville qu'on repete au Palais-Royal, allez chez Momus, vous trouverez l'etoile male de ce theatre, qui vous renseignera. Tous les artistes de Paris viennent jaser un brin vers cinq heures, la repetition finie; aussi Momus est-il au courant de tout et de tous, par _oui dire_. Quel brave et spirituel bonhomme! Son age? personne ne le sait, il l'ignore peut-etre lui-meme. Tout rase, comme il convient a "l'ami des artistes", portant perruque, Momus se leve invariablement a six heures, il se met au travail a sept; a neuf heures il dejeune d'un oeuf a la coque et d'une tasse de the. Et a partir de midi, commence le defile des auteurs, artistes, journalistes et autres gens, touchant a l'art de quelque cote. A six heures et demie, Momus s'habille et va diner en ville, car notre vieil ami a trois cent soixante-cinq invitations par an. Il ne dine jamais chez lui. Aujourd'hui, c'est madame une telle qui le recoit a sa table, demain ce sera M. Machin qui sera son hote. Et c'est bien naturel qu'on recherche la societe de Momus; il est si gai, si fin conteur et en meme temps si reserve dans ses gauloiseries! Il vous dit les choses les plus raides avec une naivete telle, qu'on finit par les trouver toutes naturelles. Ah! c'est qu'il en a vu et entendu! Vous comprenez qu'un monsieur qui a eu pour amis Roqueplan, Odry, Pottier, Arnal, Debureau pere et fils, Lesueur, Levassor, Cham, Sainte-Foy (pour ne parler que des morts) doit avoir un stock d'anecdotes assez amusantes. Toujours vetu d'une maniere irreprochable, cravate a la derniere mode, linge d'une blancheur immaculee, Momus cache bien les lustres qu'il doit avoir. Personne ne possede autant et d'aussi belles connaissances que ce spirituel vieillard. Songez donc, il est contemporain de Scribe! Ouvrez un de ces gros albums qui sont sur ce gueridon et vous trouverez des dedicaces de Clairville, Thiboust, Barriere, Bayard, Duvert, Cogniard, etc, etc. Momus ne possede qu'une seule chambre, comme je l'ai deja dit plus haut. Et neanmoins, il trouve moyen de reunir dans cette unique piece, le jour de sa fete, plus de cent personnes. Comment fait-il? Mystere. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils tiennent bien et ils tiennent bien ... a y venir, car je vous certifie que, cette nuit-la ... on est veritablement chez Momus, le dieu de la folie qui agite tellement ses grelots, qu'il les disperse aux quatre coins de la salle! Et comment ne pas se derider en compagnie de tous les comiques de Paris? Le petit tapis qui est devant la cheminee a ete foule par tous les grands artistes de la capitale. Ah! si un bourgeois voulait s'offrir un pareil intermede, il ferait pour sur une breche a sa fortune. Tous les genres, hormis l'ennuyeux, se rencontrent chez lui. Voici Rousseil aux males et tragiques accents; voila Theo, la divette des Varietes; ici Fusier, le gai compere; derriere lui, la bonne et honnete figure de Paul Legrand, dernier mime, le celebre Pierrot; tous enfin se donnent rendez-vous chez le vieil ami qui, l'oeil humide, les contemple d'un air paternel. Il y a quelques ... annees, il s'en est passe une bien bonne chez Momus. A ses _five o'clock_, venait assidument Adolphe, qu'on pourrait assez justement denommer Poivreau, vu son etat d'emotion continuelle. Adolphe, qui au sortir du Conservatoire, est entre a l'Odeon, pour en ressortir du reste aussitot, son debut n'ayant pas ete precisement heureux et s'etant borne a deux soirees, que les etudiants--gens pervers--egayerent de leur mieux, Adolphe, dis-je, est un type bien digne de la plume de Balzac. Quoique n'ayant malheureusement rien de commun, helas! avec l'auteur immortel de la "Comedie humaine", je vais essayer, cependant, de vous esquisser Poivreau ... non, Adolphe. Quarante ou cinquante automnes (il cache soigneusement son matricule), assez grand, tres myope, un air de salete desagreablement repandu sur toute sa personne, Adolphe n'ayant pas--oh! non--reussi comme acteur, eut l'idee nefaste de faire de la direction, en province. Apres plusieurs tentatives uniformement desastreuses, et le sejour des villes departementales n'etant pas, par cela meme, d'une securite absolue pour lui, Adolphe crut prudent pour son repos, de regagner la capitale. Il vint donc a Paris, ou il vivote en organisant a Meaux ou a Coulommiers des petites representations qu'il rend, il faut l'avouer, on ne peut plus extraordinaires par l'appat irresistible de son concours. Il joue les Bressant ... c'est lui qui le dit du moins. Et son nom, mis en lettres fantastiques sur les affiches, attire quelque peu le public ... la premiere fois. De memoire d'homme, on ne se rappelle pas lui avoir vu donner une seconde representation, a la demande generale, dans la meme ville. Bref, Adolphe est extremement connu ... au cafe de Madrid et a la Chartreuse, estaminets uniquement frequentes par les chanteurs de chansonnettes en quete d'alcazars et par les clowns en rupture de maillot. Les agences avoisinantes approvisionnent continuellement ce cabaret extremement artistique. Adolphe possede, entre mille pretentions, celles d'homme a bonnes fortunes et, sous pretexte qu'il joue les Bressant, il essaye, mais en vain, de faire croire que sa vue seule fait tomber en pamoison duchesses, marquises et honnestes dames de haulte noblesse. Car, Adolphe ne fait pas dans le petit, il donne dans le grand. Il ne travaille pas dans le faubourg Antoine, mais bien dans le idem Saint-Honore. Foin des bourgeoises aux gants courts et des ouvrieres, aux bottines vissees! Il fait fi de ce menu fretin, indigne de lui; c'est aux grandes dames, aux comtesses qui menent le high-life a grandes guides qu'il s'adresse! A lui, la noblesse! les blasons! les voitures armoriees! les couronnes princieres! il ne jette son devolu que sur une friponne titree. C'est encore lui qui le dit. Et voici comment le hasard, nous montra qu'Adolphe ne se dechaussait pas pour mentir. Un jour, Momus recut une lettre, portant cette suscription: * * * * * _A Monsieur MOMUS_, _Auteur dramatique_. et tout petit, tout petit, dans le bas de l'enveloppe, cette ligne microscopique que le contemporain du pere Dupin n'apercut pas tout d'abord: _Pour remettre a M. Adolphe_. Naturellement Momus, ne lisant que son nom, decachette et lit. Ah! grands dieux!!! Ce qu'il lut!! non, je renonce a vous en raconter le contenu; c'est en mettant seulement la copie sous vos yeux, que vous comprendrez le legitime fou rire qui s'empara de Momus. Inutile d'ajouter que je respecte scrupuleusement l'orthographe du poulet: "Mon cherit, " Je partirai en voyage jeudi, vient mercredie dans les bras de ta petite famme vilain mechant jalou, lache ta famille, c'est moi qui payerai le dine, je te ferai du plompoudin. At tu retrouve ton portemonnais tu pere toujour tout, grend enfan, tu aura le foit. Je t'embrace bien fors et je te remercit des places au teatre qeu tu m'a envoillie par marie nous savons ris comme des bossu. J'espair que la presante te trouvera de m'aime bien por tant comme ta petit feamme qui t'aime toujour ne soie pas galou de Jules, il n'ait plus ches nous il est coche ches une grande cocotte madame l'a mit a la porte pardone mon grifonage je suis presse je t'adresse c'ete letre ches ton ami Momuz ou tu m'a di queu ta ete l'autte jour, Ta petite ami qui tembrace sur la tu sait t'ou, "JOSEPHINE CACHET. " j'ai perdu ton adrese." Pendant deux mois, on ne parla chez Momus que de la dulcinee d'Adolphe ... qui, du reste, n'apprit jamais l'aventure. Nous nous empressames--naturellement--de prendre une copie de ce chef-d'oeuvre; nous etions une douzaine a connaitre l'epitre, aujourd'hui nous sommes davantage. UN CHANTEUR COMMERCANT _A C. de RODDAZ._ Il n'est pas rare de rencontrer un bourgeois, epicier ou coiffeur, ayant du gout pour la musique, par exemple, et s'exercant le soir, les travaux finis, a dechiffrer quelque partition wagnerienne; ainsi mon dentiste, aussi bon chirurgien qu'aimable garcon, se livre regulierement apres son diner, sur son violoncelle, a une folle sarabande de croches et de doubles croches. Ce type de bourgeois-artistes est donc assez commun; mais ce qui ne se voit que tres rarement, pour ne pas dire jamais, c'est l'_artiste marchand_;--ces deux choses, _art_ et _commerce_, etant si diametralement opposees qu'on ne concoit pas un individu qui s'est voue a l'art par gout, trouvant dans la journee le moyen de debiter quelques denrees coloniales ou autres. Et pourtant, il existe. Il m'a ete donne de le voir cet oiseau rare, ce merle bleu. Voici dans quelles circonstances: Dernierement, je fus appele pour un grand mariage, en province, et nous etions la, trois artistes, une chanteuse, LUI et moi. J'avais beaucoup entendu parler de lui. Il habitait la ville ou nous etions et ne chantait guere que dans les soirees donnees dans son departement. Tres bel homme, avec une taille de carabinier, il a une figure bien etrange, notre heros. Chauve a rendre des points a une bille de billard, il possede la plus epaisse, la plus longue et la plus rousse barbe qu'il m'ait ete donne de contempler. Apres son premier morceau, je le felicitai bien sincerement. --Comment diable se fait-il que vous restiez ici, en province; on vous connait un peu a Paris, vous avez beaucoup de talent, vous auriez vite une reputation superbe. --Oui, je sais bien, j'ai meme pour amis des gens illustres, tels que Faure. --Eh bien, alors? --Oui, mais il y a vingt ans que j'aurais du y aller ... a present, voyez-vous, c'est fini. --Comment fini! vous avez?... --45. --Eh bien? --Et puis je ne peux pas, mon commerce s'en ressentirait. --Votre ... --Ah! oui. C'est juste, vous ne savez peut-etre pas? --Non, rien. --Je vends du champagne. --Ah! bah! --Oui. Oh! mon Dieu, c'est bien simple. Quand j'etais jeune, mes parents ne voulaient sous aucun pretexte m'entendre parler chant ou theatre; alors, pour vivre, il a bien fallu faire quelque chose. J'entrai chez un ami, proprietaire d'une des plus belles caves de Reims. Il me prit comme premier commis, ensuite comme associe et enfin, aujourd'hui, je suis seul a la tete d'une importante maison? Vous n'etes pas sans avoir bu de la carte tricolore? --Non, assurement. --Eh bien, c'est mon champagne! --Tiens, tiens, tiens, tiens ... mais le chant? vous avez donc continue.... Ah! pardon, j'apercois le maitre de la maison qui vient me chercher ... apres mon monologue, si vous voulez bien, nous reprendrons cette petite conversation qui m'interesse infiniment. * * * * * --Vous disiez donc? --Des que je gagnai suffisamment, je pris des lecons et lorsque je fus assez fort pour voler.... --Vos clients? --Farceur, va!... de mes propres ailes, je me risquai au theatre d'ici, dans une soiree de gala, donnee sous le patronage du maire. J'eus du succes et depuis ce temps-la, il ne se donne pas, je ne dirai pas ici, mais dans toute la contree, une ceremonie quelconque, concerts pour les creches, representations au profit des pauvres, mariages, cinquantaines, distributions de prix, sans qu'on vienne me chercher. Je suis, chose assez rare, prophete dans mon pays; mes compatriotes m'adorent ... peut-etre bien, parce que je ne les ai jamais quittes pour la Grand'-Ville. Et de plus, j'ai enormement de lecons. --Ah! je comprends alors.... --C'est egal, le moindre petit nom a Paris, ferait bien mieux mon affaire. --Bah! vous etes heureux comme un roi, ne vous plaignez donc pas. Mais il doit s'en passer de droles, tout de meme, avec ce cumul bizarre. Je vois d'ici quelques qui proquos: La scene represente une soiree dans le monde. Accessoires: lustre brillamment eclaire, piano dans un coin, habits noirs au-fond; a l'avant-scene, dames et demoiselles luxueusement habillees. X... vient de finir une romance de Lhuillier, tout le monde se leve, le maitre de la maison enthousiasme, prend le chanteur par le bras, l'emmene au buffet: --Charmant! delicieux! suave! exquis! --Mille fois trop aimable. --Non, non, c'est sincere. Vous devez avoir besoin de vous rafraichir, sans doute? La figure du chanteur, de souriante qu'elle etait, devient grave tout a coup. Le maitre de la maison, _gracieux_.--J'ai un champagne excellent! LUI.--Moi aussi, monsieur Bidouillard. BIDOUILLARD.--Ah! ah! carte blanche? LUI.--Non, tricolore. BIDOUILLARD, _chauvin_.--Vive la France! (_plus calme_.) Je vais vous offrir mon nectar. LUI.--Non, c'est moi qui allais vous en proposer. BIDOUILLARD.--Du mien? LUI.--Non, du mien. BIDOUILLARD, _etonne_.--He? LUI, _s'apercevant qu'il vient de faire une gaffe, timide, presque honteux._--Vous n'auriez pas besoin par hasard d'un petit champagne delicieux? BIDOUILLARD, _ebahi_.--Hein? LUI.--Je pourrais vous ceder ca, dans des conditions extremement avantageuses. BIDOUILLARD.--Non, merci, pas pour le moment. LUI.--Ah! ca ne fait rien; nous en reparlerons (_a part_) apres mon second morceau. MADAME BIDOUILLARD, _survenant_.--Ces dames reclament avec insitance _Mandolinata_. Lui.--Avec plaisir, madame! Le chanteur-commercant disparait. On apercoit entre les basques de son habit, le col d'un flacon de champagne. * * * * * Double dieze et ai mousseux! LE CONCERT DE LA PLACE DE LA BOURSE _A. ALF. et EUG. BEJOT._ Vous connaissez surement l'_Eldorado_, l'Opera des cafes-concerts; la _Scala_, qui donna l'hospitalite a une princesse pour de bon; les _Ambassadeurs_, rendez-vous des pschutteux tout a fait v'lan, en ete; l'_Alcazar_, que la foule assiege en ce moment pour applaudir chaque soir Fusier, le gai compere; mais je parierais bien que vous ne connaissez pas le _Concert de la place de la Bourse_. * * * * * Ah! dame, comment deviner l'existence de ce ... cette reunion ... qui, a l'encontre des etablissements cites plus haut, dedaigne les affiches-reclames, les voitures-annonces, et tout ce qui peut appeler sur elle l'attention publique. Au lieu de rechercher le bruit et la renommee, ce ... cette societe ecarte avec soin tout ce qui pourrait renseigner sur son ... fonctionnement! Vous ne comprenez, peut-etre, pas tres bien; n'est-pas? Cela ne m'etonne pas: comment, en effet, ne pas rester stupefait a l'idee seule, d'acteurs evitant la presse, de musiciens insensibles a la vue d'un auditoire nombreux? Voulez-vous que j'augmente encore votre surprise? Les soirees en question ne sont ni mensuelles, ni hebdomadaires ni quotidiennes; elles sont ... ou elles ne sont pas, selon le bon plaisir des acteurs ou selon la temperature, car, s'il pleut, nos chanteurs, ces rossignols en veston, se calfeutrent dans leur nid tout la-haut, tout la-haut au cinquieme etage! --Mais leur directeur ne leur intime donc pas.... Ils n'ont pas de directeur (les veinards), pas de maitre, pas de tyran. En vrais democrates de l'art, ils sont en republique: seulement c'est une republique ... artistique, rien de l'autre; autrement dit, ils sont en societe comme aux Francais ou mieux au Chateau-d'Eau (direction Bessac and Company). Les trois mots magiques qui flamboient sur nos monuments: Liberte, egalite, fraternite, sont remplaces chez eux par ces trois noms mythologiques "Melpomene, Thalie, Euterpe." Et pour mettre enfin le comble a votre ahurissement, je vous dirai que nos artistes ne sont pas payes; ils disent, jouent ou chantent _pro ipsa arte!_ Mais comme je vois vos yeux a moitie sortis de leur orbite, vos cheveux drus et vos nerfs contractes, je vais faire cesser cet affolement, bien comprehensible du reste, en vous donnant la clef de l'enigme. * * * * * Il y a quelques semaines, par une belle soiree d'automne, comme octobre nous en reserve quelquefois, je descendais lentement vers huit heures la rue de la Banque, pensant a mille riens qui portaient mon esprit bien loin de mes pas et me faisaient oublier mon itineraire, lorsque j'apercus devant la Bourse un cercle du curieux. Tout d'abord, je n'y prenais pas garde, sachant que de longue date les financiers, boursicotiers et badauds desinteresses ont pris la bonne habitude de stationner des heures durant, en groupes plus ou moins sympathiques, devant le temple de Plutus. Je poursuivais donc mes pas, lorsque des applaudissements aussi nourris que chaleureux, dirait Prud'homme, attirerent de nouveau mon attention et me deciderent a m'approcher de cet endroit que j'avais juge de voir etre un banal rassemblement. Pressentant un orateur loquace ou un ivrogne joyeux, et m'appretant a recevoir un flot d'eloquence ou de ... je m'approchai. * * * * * Ah! que grandissime fut donc mon ebahissement! Tout d'abord trois ou quatre rangs compacts de gens debout: devant eux, des privilegies tronaient, assis sur les bons sieges en fer de la maison ... (pas de reclame) et enfin, au milieu du cercle, un gamin, vrai type de Gavroche endimanche, le chapeau sur l'oreille et les mains dans ses poches, recitant le _Souvenir de la nuit du 4_, d'Hugo, et avec quel emportement! quelle fureur! Je ne sais ce que l'empire a fait a ce moutard et si c'est une offense personnelle, mais saprelotte, il lui garde un chien de sa chienne! Aussi, vous dire les trepignements et les bravos recueillis par ce farouche declamateur est impossible. Pour faire treve a cette emotion generale, une partie de l'auditoire demanda sur l'air des Lampions: Patissier! Patissier! Alors, sans se faire attendre, parut la frimousse eveillee d'un marmiton de chez Julien, vrai patissier de feerie. Ce jeune ephebe, gate-sauce par etat et baryton par gout, entra donc "dans le rond" et entonna d'une voix fraiche les _Bles d'or_. Cette romance sentimentale--genre Debailleul--parut etre du gout general, car, a l'annonce de ce titre estival, un murmure approbateur courut dans l'auditoire et le refrain fut repris par le public avec un ensemble qu'on eut cru conduit par Danbe. Rappels et bis ne firent point defaut a cet emule de Maurel-Vatel. Au patissier lyrique succeda un petit chasseur de chez Champeaux, qui vint a son tour monologuer avec le _Monsieur qui a un tic;_ son succes a du lui faire des jaloux.... La bise commencait a souffler, je partis sans prendre de contre-marque imaginaire. * * * * * Mais, tout en marchant, je songeais a ce bizarre concert en plein vent. Bien curieuse, en effet, cette salle de spectacle dont le plafond est le grand ciel bleu, ou Phoebe sert de lustre, les reverberes de herses, les bancs verts de fauteuils d'orchestre, et ou la Bourse elle meme, ce monument si severe dans la journee, ne craint pas de se rabaisser en tenant lieu, la nuit venue, de toile de fond, et ou enfin, en fait d'etoiles, il n'y a que celles qui brillent au firmament! Ce qui donne encore une note bien originale a ce decor, ce sont les deux statues de Pradier et Petitot. (La Fortune et l'Abondance) qui, du haut de leur piedestal, contemplent maternellement cette tentative bien digne de louanges: la propagation de l'amour de l'art! Ah! c'est bien la, le vrai, le seul theatre populaire ... ou je ne m'y connais pas. Et quel bon public que celui qui est la! Gobeur en diable, il a ses preferes; il fait des entrees aux "forts" et parfois, lorsque l'enthousiasme est a son comble, il jette des sous que s'arrachent ... les loueuses de chaises qui pretent gratis leurs sieges. Pour finir, un mot absolument authentique. Comme je felicitais une jeune ouvriere qui venait d'expectorer quelques vers de Manuel, et lui demandais si elle pensait "faire du theatre" plus tard. Mimi Pinson me repondit avec une pointe d'orgueil: --Oh! oui, monsieur. Du reste, je suis allee voir M. Lapommeraye et il m'a dit que je reussirais tres certainement, car j'avais le profil de la Republique. SANS LE VOULOIR RONDEAU SANS MUSIQUE _A Paul HENRION._ Sans le vouloir, un soir, on se promene, Sans le vouloir on rencontre un minois Dont l'aspect frais et riant, vous amene A cheminer ensemble, en tapinois. Sans le vouloir on rit, on jase, on cause, Sans le vouloir on lui donne le bras, Sans le vouloir vous offrez quelque chose; C'est accepte ... sans faire d'embarras. Sans le vouloir on prend une voiture. Sans le vouloir on tient de gais propos, Sans le vouloir tout bas on lui murmure Des mots d'amour ... exigeant le huis clos! Sans le vouloir on arrive, on se quitte, On se separe en se serrant la main; Mais, cependant, on s'embrasse et s'invite A faire encor, a deux, meme chemin. Sans le vouloir, la semaine suivante, On prend le train pour aller dans les bois; Sous la tonnelle, en dejeunant l'on chante, Quitte a froisser le vertueux bourgeois, Sans le vouloir dans les champs on s'egare, L'un contre l'autre etroitement serres, Et l'on revient, _Lui_, fumant son cigare, _Elle_, baissant ses yeux mal assures. Sans le vouloir on se met en menage, Sans le vouloir on y reste dix ans, Sans le vouloir, helas! on n'est pas sage, Sans le vouloir on a beaucoup d'enfants. Sans le vouloir, alors, en se marie, Pour bien finir ce qu'on a commence, Et l'on s'en va, joyeux, a la mairie Lancer un oui, d'un ton bien decide! Et voila comme on a change sa vie, Un soir d'ete, causant sur le trottoir, Avec deux yeux qui vous faisaient envie, On est heureux et c'est sans le vouloir! LES SOUFFLEURS _Au commandant GEORGIN_. Le lendemain d'une _premiere a succes_, on peut lire dans les journaux le triomphe de l'auteur, les louanges des artistes, le talent des decorateurs, le bon gout du costumier, l'adresse des couturieres; on felicite le directeur; mais il y a un personnage dont on ne parle pas, qu'aucun courrieriste ne nomme, et qui, pourtant, a droit a un salut; C'est le souffleur. Et cependant, quel auxiliaire pour les memoires incertaines! Sans lui, le jeune premier bafouillerait etrangement et la duegne, si rompue a la scene, perdrait completement la tete, si elle ne se _savait tenue_. Pour beaucoup d'artistes, la vue seule du souffleur suffit, Ils se disent qu'a la moindre absence cet humble leur "en verra le mot" et cela les tranquillise. Et c'est cet homme, dont la collaboration est si necessaire, le concours si indispensable, qu'on ne remercie meme pas par un mot d'encouragement! Il serait bien heureux, pourtant, de lire son nom dans les feuilles, d'etre seulement cite, fut-ce apres la petite Trottoirine, dont l'opulent corsage fait seul le succes. Aussi, eprouve-je le besoin de parler un peu de ce meconnu. C'est une classe si interessante a etudier, que celles de ces gens modestes dont le seul agrement est la vue des mollets des petites femmes. Ah! dam, ce sont leurs petits benefices.... Mais en revanche, que de rebuffades, le souffleur doit-il essuyer! Tel acteur qui ne sait pas un mot de son role et que cela rend furieux, a cause du directeur qui est a l'avant-scene, lui dit d'un ton bourru: --Eh bien, quoi? Qu'attendez-vous? vous voyez bien que je suis en plan. Tel autre qui, au contraire, sait _a la lettre_ (c'est meme la son seul merite) veut faire le malin et lui dit impatiente: --Mais saprelotte! ne me bourrez donc pas comme ca, vous voyez bien que je sais. La plupart du temps, le souffleur est un ancien artiste qui, n'ayant pas reussi a prendre une place sur la scene, en a prise une dessous. C'est souvent un homme de bon conseil, et que l'on consulte dans les cas de mise en scene embarrassants. Un type bien amusant, c'est le souffleur _gobeur_. C'est un jeune, celui-la! Il n'est pas encore blase et s'amuse dans son trou, plus que le titi qui a paye sa place. Pour lui, la piece est toujours nouvelle; il sait tous les roles par coeur, y compris ceux des femmes et pourrait, a la rigueur, souffler sans brochure. Il faut le voir pendant la piece, soupirer avec l'amoureux, rire avec le comique, pleurer avec l'ingenue, maudire avec le pere noble; il sanglote trepigne, chauffe le traitre, encourage la duegne et s'oublie parfois jusqu'a crier au premier role: "Vas-y!" Heureux enfant, qui croit que c'est arrive! Laissons-le a ses cheres illusions! Pleure, exulte, va! ca vaut mieux que de blaguer la situation! Combien je prefere ce souffleur convaincu a celui qui la fait _au blase_! Voyez-le dans sa niche, renfrogne, regardant dedaigneusement les artistes et semblant leur dire: --Etes-vous assez mauvais! N'encourageant jamais personne, ne disant du bien que des morts et ne manquant jamais l'occasion de s'ecrier, si l'on vient a lui parler de Saint-Germain: --Ah! si vous aviez vu Arnal! Un souffleur extraordinaire, c'est le pere Ronflard. Tres curieux. Notre bonhomme dort en soufflant ou souffle en dormant, comme il vous plaira; pendant l'entr'acte, au lieu d'aller siroter le mele-cassis chez le concierge du theatre, buvetiere de messieurs de l'orchestre, machinistes et autres employes, il reste enfoui dans le fond de sa boite et dort du sommeil du juste, jusqu'au moment precis ou le rideau se leve; et ce n'est pas la sonnette qui l'a reveille, non plus que la petite _polka-vinaigre_ jouee par l'orchestre: c'est l'instinct. Il ouvre l'oeil au moment voulu; son somme est mesure. Souffler est extremement difficile. Il faut connaitre les acteurs, pour les bien souffler; avoir etudie leur caractere, possede leur temperament, en un mot, savoir a quelle _nature_, on a a faire. Le veritable souffleur doit voir, lorsque l'artiste entre en scene, dans quelles dispositions d'esprit il se trouve. S'il est gai, porte aux cascades, dispose a ajouter au texte, alors, lui laisser la bride sur le cou. S'il est au contraire, morose, ennuye, chagrin par suite d'ennuis de famille ou de discussions avec l'administration, l'encourager, souligner ses effets, approuver son jeu. Si l'artiste est traqueur, ne pas le lacher, le tenir serre, afin qu'il se sente "soutenu." Une chose terrible pour l'artiste _qui sait_, c'est le souffleur qui "envoie" tout, prenant _un temps_ pour une absence de memoire et soufflant jusqu'a ce que le comedien ait dit le mot. C'est horrible alors, de se sentir pousse l'epee dans les reins. * * * * * Un souffleur bien etrange, c'en est un dont on m'a raconte un fait, et qu'on pourrait denommer: le souffleur patriote. Voici pourquoi. Un artiste parisien jouait un soir en representation, dans une ville de l'Est. N'ayant fait qu'un raccord, dans la journee, avec les comediens de la troupe sedentaire, la piece etait loin d'etre _fondue_, aussi a un moment donne, le spectateur initie aux choses de theatre eut pu remarquer, ce qu'on appelle dans le langage des coulisses, _un loup_, c'est-a-dire le desarroi que procure parmi les acteurs une replique omise ou une entree manquee. L'artiste, tres emu, d'abord parce qu'on l'est toujours quand on joue en representations dans une ville de province (la province se vante d'etre plus difficile que Paris) et qu'ensuite, il jouait avec des acteurs qu'il ne connaissait pas, se trouble et quoique possedant une memoire impeccable et, ce qui n'est pas a dedaigner au theatre, l'esprit d'a propos, perd la tete et se voit dans l'impossibilite absolue _d'enchainer_ la situation par une phrase quelconque. A Paris, cela eut ete tout seul, avec un souffleur connaissant son metier, mais dans cette bonne ville, l'employe charge de secourir les memoires troublees heureux de voir l'artiste parisien patauger, lui chuchote au lieu de la phrase si anxieusement attendue: --Hein? vous ne faites pas le malin, maintenant! comme en 70 ... devant les Versaillais! * * * * * Un de mes amis qui jouait un jour le _Pauvre idiot_ si remarquablement cree par Laferriere, eut a subir un souffleur etonnant. On sait qu'un acte se passe dans un cachot ou le pauvre idiot est enferme depuis une vingtaine d'annees. Et cette longue solitude, cette complete ignorance du monde et des choses exterieures ont rendu _idiot_ le heros de la piece. Cet acte doit etre _mime_ par l'acteur charge du principal role. L'Idiot va, vient, rit, pleure, chante, pousse des exclamations, articule des sons rauques, arrose un pot de fleurs, fait des simagrees devant une chapelle; bref, il mime cet acte. A la repetition, il avait ete convenu entre le souffleur et l'artiste que celui-ci ne se mettrait pas a genoux ainsi que l'indiquait sa brochure. Le soir, le moment de la genuflexion arrive, mon ami supprime ce jeu de scene, et attend que le souffleur lui indique ce qui venait apres. Mais il avait compte sans son hote; le souffleur lui dit: "A genoux." Signe negatif de l'acteur. "A genoux!" repete plus fort l'enrage. "Non", murmure mon ami. "A genoux!" hurle presque le souffleur sortant a moitie de sa carapace. Et il fallut que le comedien obeit au souffleur dont il dependait. Le chef d'orchestre seul put entendre cet _a parte de l'idiot_: --Je m'y mets, mais tu me le paieras! * * * * * Il m'a ete donne d'en voir un que je n'oublierai jamais. Ancien premier role aussi mauvais que pretentieux, il souffrait de cette situation penible: habiter les dessous. Tres fier, il ne daignait saluer que les chefs d'emploi et s'appelant Delacroix, mettait sur ses cartes: _de La croix_, en deux mots, sans doute pour faire croire que, si on le voyait dans sa trappe, il n'en descendait pas moins des Croises. Grincheux, ronchonneur en diable, faisant le competent, sous pretexte qu'il avait joue avec des artistes du Francais, on ne pouvait lui adresser la moindre observation. Or, un jour, a un artiste qui lui faisait une remarque, il repondit cette phrase monumentale: --Monsieur, vous saurez que j'ai souffle Ballande! * * * * * Et pour finir, je citerai cette anecdote ... salee qui a trait a Dejazet la Grande. C'etait en 1868, au theatre de Grenoble ou l'immortelle comedienne etait en representations. Un soir, apres le deuxieme acte de _Gentil Bernard_, n'ayant pas eu le chaleureux succes qu'elle attendait--et qu'elle etait en droit d'attendre,--elle fit venir le souffleur au foyer et l'interpella brusquement en ces termes: --Ah! ca, mon garcon, que faisiez-vous donc pendant cet acte, vous aviez l'air de dormir? Que diable, a votre age, vous devez savoir que lorsqu'on est dans un trou c'est pour se remuer! UNE MALADIE DE PEAU _A. G. MAINIEL._ Ah! c'etait un bien drole de type que le vieux Marsac, le pere de Sidonie Marsac, la Dorval moderne. Ne a Clermont (Puy-de-Dome), ce brave homme avait conserve vivaces les qualites et les defauts de l'auverpin. A cote de fines roublardises, il avait certaines naivetes par trop ... simples et bien faites pour etonner les gens. On parlera longtemps au quartier Breda--residence qu'il a choisie depuis la celebrite de sa fille--de sa curieuse maladie.... Oh! oui, l'etrange maladie de peau du papa Marsac n'est pas prete d'etre oubliee! Voici cette etonnante histoire qui a defraye pendant un mois les conversations de Notre-Dame-de-Lorette. Un matin du mois de janvier, alors que les carreaux de vitre sont tout barbouilles de givre et que la neige ouate les toits, le pere Marsac, en s'approchant de la croisee, pour consulter son barometre, constata non sans quelque frayeur, un phenomene assez bizarre sur ses mains: elles etaient veinees de noir. Comme dans toutes les circonstances embarrassantes de sa vie, il fit de nouveau appel aux lumieres de sa fille: --Chidonie! cria-t-il par deux fois, viens, viens voir ton pere, et dis-lui vite che qu'il a. L'actrice, apres avoir regarde attentivement la dextre paternelle, reprima un sourire et, pour rassurer l'auteur de ses jours, ajouta: --Ce n'est rien, va, ca passera tout seul. --Mais je chuis tigre!... che n'est plus un pere que tu as, ch'est un tigre, vougri.... --Allons, du calme, ce n'est rien, te dis-je. --Ch'est egal, je veux aller conchulter un medechin aujourd'hui meme. --Mon Dieu, dit le medecin du pere Marsac, ce n'est pas grave, il ne faut pas s'effrayer outre mesure; vous allez me mettre la dessus un cataplasme de farine de lin, et demain ni vu ni connu, vous aurez la peau comme moi. --Oh! merchi, merchi, monchieur le docteur, je vous promets que votre ordonnance chera chuivie, allez! Effectivement, le soir meme, le pere Marsac se faisait preparer par sa bonne un bon _cataplajme_, qu'il se faisait appliquer sur ses extremites aussi manuelles que zebrees. Dam! vous dire que cette nuit-la, Morphee se livra a sa petite occupation nocturne, qui consiste a effeuiller ses pavots sur le front des gens qui oublient, serait mentir, car Marsac entendit sonner toutes les heures a la vieille horloge de l'eglise. Aussi, des que l'aube apparut indecise et tremblotante, le _malade_ ne fit-il qu'un bond pour s'assurer a la clarte du matin des progres de la cure. Il arracha vivement le linge qui entourait les parties colorees, et constatant aussitot l'impuissance du remede, s'ecria: --Cha n'a rien fait; ch'est encore plus tigre qu'avant. Que faire, fouchtra, que faire! J'irai aujourd'hui meme conchulter un autre medecin, une chpechialichte, vougri. Tant pis, cha couchtera che que cha couchtera. A deux heures, le montagnard penetra dans le salon d'attente du docteur ... (pas de reclame), rue Caumartin, a l'entresol. Six personnes attendaient leur tour, feuilletant impatiemment des albums, journaux, laisses la a dessein. Le pere Marsac, qui ne savait pas lire mais qui ne voulait pas en avoir l'air, prit une brochure intitulee _l'art dentaire_ (ce qui indiquait bien qu'on etait chez un manicure) et s'endormit sur la premiere page qu'il tenait a l'envers. Enfin, apres deux heures d'attente, la porte du fond s'ouvrit et un domestique en livree introduisit le client auquel nous nous interessons. --Mon Dieu, dit tout de suite notre homme, pour dire que je chouffre, je ne chouffre pas, mais ces raies noires m'inquietent et je ne sais comment les faire dichparaitre. Le prince de la science prit une loupe, regarda longtemps, reflechit, s'arma d'une plume, ecrivit quelques mots, et remettant le papier a Marsac anxieux, lui dit: --C'est vingt francs! L'habitant de Clermont fronca les sourcils, s'executa avec lenteur et, prenant la porte, fila comme un trait, desireux de connaitre enfin le nom du mal et le remede a suivre. Une fois dans la rue, il deplia le papier bien cher--bien cher est le mot--et lut avec stupeur: _Delayer du savon de Marseille dans de l'eau et se frotter les mains avec;--la crasse disparaitra aussitot._ LETTRE _A NICOLE T._ Le Havre, 25 Aout 1884 Mon cher ami, Voulez-vous savoir ce que, moi, infime, je fais cet ete? Je m'ereinte. Sitot l'usine fermee, je m'ecrie: --Ah! ah! A nous, la mer! (Je ne garantis pas la phrase; c'est quelquefois: Oh! oh! a nous, la mer.) Et j'ecris tout de suite pour voir s'il n'y a rien a frire au casino de Levallois-les-Sables ou ailleurs. Le directeur, qui ne demande generalement pas mieux que d'animer son casino, me repond invariablement: "Oui, venez!" Mais, neuf fois sur dix, je ne viens pas, ce brave industriel me proposant des petites conditions dans le genre de celle-ci: "Vous payez naturellement vos frais de voyage et d'hotel, ainsi que ceux des artistes qui vous accompagnent; vous me donnerez deux cents francs pour la location de ma salle, soixante francs pour l'affichage; vous payerez les droits d'auteur, et nous partageons le reste.... Ah! j'oubliais; je me reserve deux loges et trois fauteuils d'orchestre." Aussi lui repond-on, comme chez Potin: --Et avec ca? Donc, ce que je recherche avant tout, et je pourrais generaliser, en disant, ce que l'artiste recherche, c'est le _fixe_, le bon fixe: comme ca on ne manque pas de cachet. C'est, je crois, le seul cas ou, en ete, on recherche les _feux!_ Je suis d'autant plus partisan des assurances que je suis absolument deveinard comme directeur. Lorsque je suis _engage_, ca marche tres bien; mais quand je suis _interesse_, ca ne va plus du tout. Aussi, ne suis-je presque jamais mon propre _impresario_, comme disent les Anglais ... qui parlent italien. J'ai la guigne. Je suis sur, si je fais une affaire a mon compte, que ce jour-la il pleut ou le prefet est a toute extremite: alors les gens pschutt de l'endroit ne vont pas au theatre.... Et puis quels soucis, quels _embetements_ ne s'attire-t-on pas!! Ici, il n'y a pas de rideau; la, point de rampe; a tel endroit, c'est le trou du souffleur qui fait defaut; a tel autre, ce sont les portes qui manquent absolument; ailleurs, ce sont les loges pour s'habiller. Comme a Luc-sur-Mer, il y a quatre ans (avant le casino actuel). Nous arrivons: --Ou est le Casino, ici? --Vous voyez ces cabines, eh ben, la pus grosse, c'est le Casino. A propos de Luc, un souvenir: Pour nous habiller, nous nous etions installes dans les cabines des bains chauds; nous avions mis une planche sur la baignoire pour etaler nos affaires. Comme psyche, nous avions un de ces morceaux de glace ou on se voit vert (les etablissements de bains et les hotels de province ont seuls le monopole de ces _miroirs_). Mais a un moment donne, je fais un mouvement--ca m'arrive quelquefois--et, v'lan! la planche bascule et la chemise immaculee glisse dans la baignoire ... ou il restait de l'eau sale. Heureusement que la chemise etait a mon camarade de cabine. Ce que j'ai ri!!! * * * * * Dans les petits endroits, malheur a vous s'il vous faut un accessoire autre qu'une feuille de papier; vous ne trouvez rien, absolument rien. Je jouais, a Meaux, le _Serment d'Horace_. Vous savez que l'oncle Dubreuil appelle sa cameriste avec son revolver. Lorsque je demandai cet instrument necessaire ... a l'action, on me repondit: "Depuis que l'illustre Hedannomur est parti sans payer la location des fusils pour les _Quatre Sergents_, l'armurier ne veut plus louer ses armes...." Je termine cette trop longue lettre par la reponse la plus epique qui m'ait ete faite--et je vous en assure l'authenticite absolue. A Coulommiers. Je demande un vase quelconque, un seau pour vider l'eau de savon. Le concierge me repond: --Pour ca, il faut voir le maire. Ces pays de fromages sont etonnants: quand on veut une cruche, il faut aller trouver le maire. Bien votre. F. G. L'ACTEUR REALISTE _A Charles et Victor LEGRAND._ Le naturalisme n'existe pas seulement en litterature, il sevit encore et surtout au theatre. Certains acteurs, sous pretexte d'etre vrais, s'habillent, se griment et jouent de facon bien amusante, il faut en convenir. Nous avons tous connu, au Conservatoire, un garcon un peu timbre et que nous designerons, si vous le voulez bien, sous le prenom d'Isidore. Je n'oublierai jamais sa premiere classe. * * * * * On sait comment se fait la repartition des eleves au Temple du faubourg Poissonniere. Apres l'examen, le doyen des professeurs, alors, le grand Regnier, choisit d'abord les eleves qui lui conviennent et laisse les autres a M. Got, lequel prend ceux qui ont _une bonne voix_ et passe a M. Delaunay, jeunes premiers et ingenues--un genre qui tend a disparaitre aujourd'hui.--Le reste devenait la propriete de feu Monrose, un comique qui enseignait merveilleusement la tragedie. Ces quatre classes offraient un aspect bien different. Chez Regnier: les travailleurs enrages, ceux que le demon du theatre tourmentait et qui voulaient arriver a tout prix (Regnier avait generalement les plus hautes recompenses aux concours de fin d'annee.) Chez Got: des farceurs qui ne demandaient qu'a s'amuser et organisaient des tournees a Etampes, cette tour d'Auvergne de la Seine-et-Oise, Chartres, etc. Chez Delaunay: la haute gomme, boudines et copurchics toujours tires a plusieurs epingles; jeunes ... filles pour la plupart tres fortes en l'art ... de se faire payer hotel et voiture, mais ne se doutant pas des difficultes du theatre, passant par le Conservatoire parce que c'est le tremplin, mais lachant l'ecole des que le vieux est trouve. A la classe de l'eternel jeune premier, on ne voyait que pelisses, bouquets de violettes, fourrures ... tout au musc! Chez Monrose, enfin, autre genre: la boheme (X... aujourd'hui, a l'Odeon, qui se coupait les poches parce qu'il n'avait rien a y mettre dedans) les echeveles, tragediens farouches, Aricies palottes et grelottantes, beaucoup de jolis minois cependant: le maitre etait amateur! Pour en revenir a notre heros, Isidore voulait jouer la tragedie ou la comedie: peu lui importait pourvu qu'il jouat! Britannicus ou Crispin, son choix n'etait pas fixe. Ayant lu qu'en 1830, les romantiques se laissaient pousser les cheveux, Isidore n'avait rien a envier a Clodion ou a Monsieur de Lapommeraye. Sa toison etait telle qu'oblige de la natter, il l'enfouissait sous son chapeau crasseux. Cette nature bizarre avait empoigne le createur d'Annibal, qui le prit dans sa classe et s'y interessa un moment. --Que savez-vous? lui dit tout d'abord Regnier. --Je sais _Oreste_, repond Isidore en se cambrant. --Ah! Eh bien, montez sur l'estrade et dites nous Oreste. * * * * * La scene jouee, le jeune ephebe regarde, anxieux, la figure du maitre, pour voir l'effet produit: --C'est bien, dit celui-ci, vous apprendrez ... Scapin! Inutile d'ajouter quels eclats de rire, saluerent cette replique! * * * * * Ce satane Isidore avait la rage de vouloir etre vrai. --Jouer vrai, il n'y a que ca! repetait-il a satiete. Il est evident que l'acteur ne saurait fouiller trop minutieusement son role et en creuser les details, jusque dans les plus petits recoins, mais enfin, il ne faut absolument pas aux depens du "mouvement," se perdre dans des details bien souvent subtils; car alors on en arrive a faire comme ce malheureux Isidore, quand il jouait les _Folies amoureuses_. Vous vous rappelez sans doute, lecteurs, les vers que Regnard met dans la bouche de Crispin: Quand on veut, voyez-vous, qu'un siege reussisse, Il faut premierement s'emparer des dehors; Connaitre les endroits, les faibles et les forts. Quand on est bien instruit de tout ce qui se passe, On ouvre la tranchee, (Ici, Isidore faisait le geste d'ouvrir avec une clef imaginaire). On canonne la place, (Boum! Boum!! Boum!!! tonnait le comedien). On renverse un rempart, (Parapatapouf). On fait breche. (Tschb!). Aussitot on avance en bon ordre. (Il marchait comme un soldat dans les rangs). Et l'on donne l'assaut, On egorge, on massacre, on tue, on vole, on pille.... Non; je renonce a decrire la pantomime fatigante a laquelle se livra l'eleve; a ce passage, il sautait hurlait, poignardait l'espace, donnait des coups de baionnette dans le vide, et tout ca, accompagne de pif, paf, pouf, pan, ra, ta, pa, ta, pan, pan, tzing, pft! pft! pan!! C'est de meme a peu pres quand on prend une fille, Sachons gre a Isidore qui, probablement intimide par l'auditoire, ne mima pas ce vers caracteristique. La tirade finie, ce Lauri dramatique tomba epuise sur une chaise et la classe entiere trepigna de joie. Moralite: Ne cherchons pas trop la petite bete, sous peine de passer pour une grande. * * * * * A propos de verite au theatre, je terminerai par un mot epique de vieux cabot, consciencieuse utilite, qui, ayant a annoncer _de la coulisse_, le marquis de Z. dans une piece se passant sous Louis XV, se grimait aussi sincerement que s'il avait du paraitre en public. --Etait-ce bien utile? lui dit un camarade, en designant sa perruque poudree. Et l'autre, sur un ton de melo: --Et si le decor tombait! LAMENTATIONS DE BOIELDIEU _A Emile BOUCHER._ J'etais, l'autre jour, a Rouen, pour les fetes de Corneille, et, passant au pied de la statue de Boieldieu, voici ce que j'entendis murmurer au grand compositeur: Corneille! Corneille!! Corneille!!! Eh bien, nous ne l'oublierons pas Ce nom qui nous corne a l'oreille Depuis huit jours. Vrai, j'en suis las! Les Rouennais ont plein la bouche De celui qu'ils nomment leur dieu, Mais moi, l'on me trouve tres mouche Et pourtant je suis Boieldieu. Qu'a-t-il donc fait ce si grand homme? Le _Cid_, _Horace_ et puis _Cinna_.... Eh bien, moi, je pense qu'en somme, Mon oeuvre est plus pschutteuse, na. Je sais bien qu'il a fait _Dom Sanche_, _Le Menteur_, ca c'est un peu mieux, Mais, moi, j'ai fait la _Dame Blanche_ Et puis quoi, je suis Boieldieu. Pour lui, seul, la ville est en fete; C'est pour lui que sont accourus Ministres, deputes en quete De placer leur speech tres diffus. Academiciens (folie!) Bref, on est venu de tout lieu.... Et pendant ce temps on m'oublie Moi, le seul, le grand Boieldieu. Que de stances ont ete lues! Combien de poemes divers! Et Bornier qui, dans ses "statues" Oublia de me mettre en vers! Il chanta Jeanne d'Arc, Corneille! Napoleon premier ... tudieu! C'est une insulte sans pareille De lacher ainsi Boieldieu! C'est pour lui seul, ces oriflammes, Ces etendards et ces drapeaux, Pour lui seul, les petites femmes Ont arbore de grands chapeaux, Pour lui, la plus belle toilette, Pour lui regards troublants ... pardieu! Mettre ton nom seul en vedette, C'est bien vexant pour Boieldieu. Mais bah, pourquoi tout ce tapage Je prefere mon sort au tien, Tous ces gens avec leur ramage T'embetent et tu ne dis rien. Moi, du moins, Pierre, je n'avale Pas de discours fastidieux, Et si ce n'etait la rafale[1] Je rirais, foi de Boieldieu. [Footnote 1: Il avait fait un temps atroce.] UN DROLE DE COUPLE _A P. BONHOMME_. Connaissez-vous les Pittalugue? Non? Oui? ah tant pis, vous me privez du plaisir de vous les faire connaitre. --Ca ne fait rien, allez-y, du portrait! --Vous etes vraiment bien bon; je commence: M. et madame Pittalugue sont concierges chez un notaire de mes amis. Lui, faineant comme un groupe de couleuvres, elle ... continuellement alteree et se rafraichissant toujours (C'est meme chez madame Pittalugue que j'ai observe pour la premiere fois ce curieux phenomene: le petit bleu fait les nez rouges et les gens gris, mais passons....) Ces deux etres bizarres ont le don de plaire a premiere vue, et parviennent a faire dire, quand on les quitte: --Tiens, c'est etonnant, ils sont polis, ces concierges! Mais lorsqu'on les revoit, la bonne impression s'efface promptement et l'on s'apercoit bientot qu'il faut en rabattre, leurs saluts exageres etant pantomime mecanique, leurs compliments, lecon apprise et leur politesse enfin, pure et enervante obsequiosite! Certes, des pipelets grognons, ronchonneurs et grincheux sont bien desagreables mais ils sont encore preferables aux Pittalugue en question, qui ont resolu ce nouveau probleme: embetants a force d'etre trop gracieux! Si vous passez vingt-cinq fois dans la meme journee devant leur loge, vingt-cinq fois ils vous reciteront sans reprendre haleine et sur le meme ton monocorde et irritant leur interminable chapelet: --Ah! voila, monsieur Bernard! Comment allez-vous monsieur Bernard? Bien? tant mieux! et cette bonne madame Bernard qui est si gentille elle va bien aussi? Ah! quel bonheur! vous etes bien aimable, nous aussi, allons tant mieux, monsieur Bernard! Vous etes deja au second etage que la litanie n'est pas terminee!! * * * * * Comme on ne reste generalement qu'une minute dans leur loge, ces gens-la sont tellement desireux de vous debiter le plus de choses aimables en tres peu de temps qu'ils ne font pas du tout attention a ce que vous leur dites; ils posent les questions et y repondent eux-memes et aie donc, ca ne fait rien! Ainsi, un jour, le premier clerc de mon ami, honnete rond-de-cuir, depuis 25 ans dans la maison, tres malade depuis un mois, avait cesse de venir a l'etude, lorsque la nostalgie de la paperasserie le prenant, il eut l'idee fatale de se trainer a son bureau. Il arrive au premier etage ou est situee la loge des cerberes et n'en pouvant plus, tombe sur une chaise epoumone, soufflant comme un malheureux! Je vous laisse a penser si les Pittalugue qui n'avaient pas vu ce moribond depuis un mois, raterent l'occasion d'entonner leur refrain: --Ah! voila monsieur Buvard! C'est monsieur Buvard; Joseph, viens voir monsieur Buvard. Le mari arrive avec sa fille et recommence: --Ah! voila monsieur Buvard.... Comment allez-vous, monsieur Buvard? Et le pauvre malade que tout ce bruit affolait, qui n'avait pas meme la force de leur imposer silence, leur murmure entre deux quintes: --Ah! je crois bien ... que c'est la derniere fois ... que vous me voyez! Et tous les trois de s'ecrier, en choeur: --Allons, tant mieux! Quel bonheur! Qu'il est gentil!! Le lendemain Buvard mourait ... pas de ca cependant! * * * * * Ces malheureux sont tellement habitues a etre plus que polis envers le public, qu'entre eux-memes ils se servent des qualificatifs les plus tendres. _Mon gros cheri ... petit lapin ... coco adore ..._ sont expressions courantes et font partie de leur repertoire. La premiere fois que je me presentai chez eux, je demandai si mon ami etait chez lui. Je vais demander a _bebe. Bebe? Bebe?_ --Quoi, papa? Je me retourne, baissant la tete, pour voir le poupon. Mais je recule effraye me trouvant en face d'une femme colosse, leur progeniture, agee de 25 ans! (c'etait _Bebe_!!!) Comme Bebe n'etait pas plus fixe que Coco. --Je vais monter, dis-je. Et tous les trois, a l'unisson, comme si je leur rendais un grand service: --Oh! merci, vous etes bien aimable!! * * * * * Ces chevaliers du cordon ont une maniere a eux de vous faire un compliment. Ils ont au-dessus de leur cheminee (on se demande pourquoi) une vieille lithographie representant Lamartine enfant. Comme je regardais, un jour, les traits de l'auteur de Jocelyn: --Ah! me dit M. Pittalugue, en voila un qui avait de l'esprit! il serait a desirer pour vous, que vous en _ayez le quart autant que lui_! --Comment le quart! reprit aussitot madame son epouse, arrivant a la rescousse et ne trouvant pas sans doute le compliment suffisamment flatteur, le quart! tu veux dire le _cintieme!!!_ Et dire que ces impairs ne sont que la consequence facheuse d'un desir immodere de vouloir "etre agreable a tout prix." Du reste, s'il me fallait citer les gaffes de cette interessante famille, je n'en finirais pas; une cependant pour terminer cette esquisse. Dernierement, mon ami qui est celibataire (detail qui a son importance), avait ... comment dirai-je ... attrape ... ce que nos peres appelaient "un coup de pied de Venus". Occupant une situation quasi-officielle, il ne tenait naturellement pas a ce que cet incident fut crie par dessus les toits, aussi s'entourait-il de precautions infinies. Cette indisposition ne l'empechant nullement de vaquer a ses affaires, il etait un jour enferme dans son cabinet avec deux familles, elaborant un contrat de mariage. Madame Pittalugue, toujours zelee, se precipite dans l'etude, demandant aux clercs a parler immediatement au maitre. On lui repond que c'est impossible dans ce moment, mais ne se tenant pas pour battue, elle force la consigne et tombant comme un aerolithe dans la piece a cote, s'ecrie joyeuse en tendant une facture a Monsieur: --C'est pour votre petite note de copahu! LETTRE DE JEANNINE A SUZANNE _A Camille DELAVILLE._ Chere Suzette, Je t'entends d'ici t'ecrier, en decachetant cette lettre:--Comment, de Jeannine! Oui, de Jeannine elle-meme, qui semblait bien a tort t'avoir oubliee quand au contraire elle n'a cesse une minute de penser a toi, la meilleure et la plus sure des amies. Oui, je sais, j'ai garde un silence un peu trop prolonge ... quand on aime les gens, on leur donne des nouvelles ... mais, chere mignonne, on voit bien que tu ne sais pas ce que c'est que la lune de miel. Esperons que ton ignorance sur ce sujet ne durera pas longtemps et laisse-moi te donner beaucoup, beaucoup de details sur ma nouvelle situation. Mariee! Je suis mariee!! Le nom de mon seigneur et maitre? Gaston de Clock, tu trouveras sans doute joli _de Clock_, moi je prefere _Gaston_. Comment cela s'est fait? ou nous nous sommes rencontres la premiere fois? Attends donc, impatiente! C'est au Palais de l'Industrie, j'etais a l'Exposition des _arts decoratifs_ avec papa que la vue d'un vieux tapis de Smyrne absorbait; a nos cotes se trouvait un jeune homme, elegamment vetu quoique sans recherche, et dont la figure expressive et douce me plut aussitot, et, ce qui prouve que la sympathie n'est pas un vain mot--le jeune homme, ayant apercu mon regard, ne me quitta plus des yeux. Il se fit presenter chez nous par un ami commun, vint souvent a la maison et ... tu devines le reste. Quant a son portrait, que te dirai-je, il me plait, c'est tout dire! Il est de taille moyenne, chatain, ses yeux sont tres noirs, voila pour le physique; pour le moral je n'ai pas besoin de te dire qu'il a enormement d'esprit, tu me connais et sais que je n'aurais jamais epouse un homme banal. Gaston adore le theatre, connait toutes les pieces qu'on represente, le nom des auteurs qui les ont signees et celui des acteurs qui les jouent ... peut-etre meme le prenom des actrices, mais, bast! je ne puis etre jalouse du passe! Bref, Gaston est tres Parisien, tres moderne, comme on dit aux Varietes (car aujourd'hui, je vais aux Varietes.) Tiens, pour te donner une idee de l'imagination de mon spirituel mari, ecoute comment le matin s'y est pris pour arriver a ses fins, c'est-a-dire a me conquerir, selon sa propre expression. Ayant appris la piete de mes bons parents et sachant que l'on n'accorderait ma main, qu'a un homme possedant des principes religieux, Gaston suivit regulierement les offices de Saint-Philippe du Roule ... et precisement aux-memes heures que moi ... ce que c'est que le hasard! Cela m'etonnait bien un peu de la part de ce mondain, mais je le savais resolu a tout pour m'obtenir! Desirant voir jusqu'ou irait son amour pour moi, je lui demandai de se confesser, lui promettant que s'il me donnait cette derniere preuve de devouement, nous n'aurions plus qu'a choisir le jour de la demande en mariage. Ce fut avec infiniment de periphrases que j'abordai ce sujet delicat; je tremblais fort, tu te l'imagines, redoutant la cruaute d'un vilain refus; enfin, appelant a moi tout mon courage, j'abordai un soir cette terrible question. Ma demande formulee, te dire que Gaston l'accueillit avec un enthousiasme indescriptible, serait peut-etre exagere, mais enfin, il fit contre fortune bon coeur et me demanda deux jours pour reflechir. Les quarante-huit heures ecoulees, la reponse fut affirmative. Je te laisse a deviner ma joie. C'est pour demain matin, me dit, un samedi soir, en nous quittant, mon fiance, a onze heures, a Saint-Thomas d'Aquin. Je m'etonnai bien un peu de ce changement de paroisse, mais il ne fallait pas non plus se montrer trop exigeante et imposer une eglise plutot qu'une autre: le principal pour moi etait qu'il se confessat. Le lendemain, parvenue non sans peine, a decider mes parents a sortir de leurs habitudes, en venant suivre la messe dans une autre chapelle que la leur, je les conduisis tout naturellement a Saint-Thomas, a l'heure que Gaston m'avait fixee. A peine, etions-nous installes que, levant les yeux, j'apercus celui qui devait etre le compagnon de ma vie, agenouille dans un confessionnal. Je ne manquai, comme tu le penses, de le faire remarquer a mes parents qui, emerveilles des sentiments discretement religieux de mon futur mari, s'empresserent, une fois rentres, de l'inviter a diner pour causer "de notre bonheur"! Et c'est hier soir, seulement, que demandant a Gaston, comment il avait eu le courage--car, c'en etait un pour lui--de faire ce que je lui avais si durement impose, qu'il me repondit, du ton le plus naturel du monde: --Mais, chere enfant, ce cure etait sourd comme une poterie entiere!! * * * * * Je t'embrasse bien fort, mignonne amie, et attends anxieusement tes cheres pattes de mouche. TA JEANNINE DE CLOCK LES TICS _A RIVET._ Qui n'a eu ou n'a pas un ou plusieurs tics? Bien interessante serait la liste des tics possibles et des celebrites "tiquees". Nombreuse par exemple est la collection des gens qui clignotent a paupieres que veux-tu? J'ai connu un jeune homme elegant, instruit, veritable boute-en-train de toute la societe lyonnaise, mais qui etait, helas! dote d'un tic effrayant: il aboyait. Par suite de quelles circonstances cela lui etait-il arrive? Je l'ignore. Etait-ce apres une grande douleur, la perte d'une personne aimee, peut-etre? ou bien cet effroyable malheur fut-il la consequence d'un desastre financier, qui sait? Ce qu'il y a de malheureusement certain, c'est que, par moments, le pauvre garcon traversait des crises atroces pendant lesquelles son martyre devenait effroyable! Les jours d'orage lui etaient particulierement mauvais! Vous lui parliez, il etait tres calme, rien en lui ne faisait pressentir l'approche du mal mysterieux, et, tout a coup, au milieu d'une phrase, ses traits s'alteraient, il devenait bleme, et aboyait rageusement, se tordant les bras, faisant claquer ses doigts. La crise etait par bonheur aussi courte que violente. Mais ce qui augmentait la douleur de cet infortune c'est qu'il se sentait ridicule. Car, bien qu'etant extremement spirituel, gai, serviable et bon garcon, il avait, a cause meme du nombre de ses relations choisies, quelques jaloux, des envieux qui ne demandaient qu'a railler ses "attaques". Du reste, qui n'a pas d'ennemis en province! Un soir, en plein theatre, pendant un entr'acte, il fut en proie a ce mal terrible. Le rideau venait de baisser et les messieurs des fauteuils, debout, claque sur la tete et jumelles en main, lorgnaient les _dames_ du balcon. Soudain, un leger bruit, on se retourne et que voit-on? Notre triste heros la tete completement entree dans son chapeau haut-de-forme; d'un mouvement nerveux, il avait enfonce son couvre-chef sur sa figure, evitant par ce geste silencieux de grands eclats de voix qui eussent pu occasionner un scandale. J'avoue que ce soir-la, il fallut vraiment etre son ami, pour ne pas rire avec toute la salle! Un tic moins grave et qui ne cause de dommage qu'a l'interlocuteur du "tique", c'est celui du _monsieur qui vous deshabille en marchant._ Si vous cheminez longtemps ensemble vous arrivez a destination completement depouille, et vos boutons semes sur le parcours servent de piste aux gens qui vous cherchent. Un tic, bien province aussi, c'est celui du monsieur qui, marchand avec vous, s'arrete a chaque instant a mesure que l'histoire devient interessante. Avec celui-la, il ne faut pas etre presse. Ca s'explique encore dans les petites villes; on n'a rien a faire, c'est une maniere comme une autre de tuer le temps, on met une heure pour faire cent metres. Un maniaque assez insupportable aussi et qu'il faut fuir a l'egal de la peste, c'est le _monsieur qui vous pousse en marchant._ Si vous etes du cote des magasins, il vous envoie dans les carreaux de vitre, resultat: une depense, ou bien, il vous fait tomber dans le ruisseau, consequence: vous etes crotte comme deux barbets. Sans compter qu'en partant vous etiez sur le trottoir de droite et qu'arrives au bout de la rue, c'est sur celui de gauche que vous vous trouvez. Quand j'etais enfant, j'avais un tic assez vilain. Je ... comment diable dire ca, c'est difficile, a expliquer, enfin je ... soufflais du nez. Les uns reniflaient, moi je soufflais. C'est la meme chose, sauf que c'est le contraire, l'un est ascendant et l'autre descendant, voila tout. A chaque instant: tscheu, tscheu et aie donc! et aie donc! Chez moi regnait le desespoir. --Quelle drole de manie, il a a present! --Comment lui faire passer ca! --Attendez, dit ma grand'mere, j'ai un moyen. --Lequel? --Vous verrez ca, au diner. L'heure du repas sonnee, nous nous mettons a table. Je m'assieds et demande pourquoi l'on avait mis devant mon assiette, une petite lampe a essence? --Ce n'est rien, repond la grand'maman, laisse-la. --Bon, fis-je, sans vouloir d'autres explications et je commencai mon potage. Je n'avais pas avale trois cuillerees, que mon satane tscheu, tscheu commenca et la lampe s'eteignit aussitot. Tout le monde de rire aux eclats et moi profondement vexe, de me lever avec la lampe que j'emportai rallumer en bas, a la cuisine. --Et chaque fois que lu l'eteindras, tu recommenceras cette petite promenade, Cinq fois la flamme mourut, mais comme j'ai horreur de me deranger quand je suis a table, la cinquieme fois fut la derniere, et mon tscheu, tscheu, ne se fit plus entendre. Ah! si toutes les grand'meres ressemblaient a la mienne, les enfants si riches en habitudes ridicules se _detiqueraient_ vite. C'est encore a mon aieule, que je dois de m'etre debarrasse d'une manie assez ordinaire chez les bebes gates: celle de tirer la langue aux gens et aux choses ne me plaisant pas. Un jour, que je montrais dans toute son etendue, cet organe du gout et de la parole a un ami de la famille, ma grand-mere vint a pas de loup, derriere moi, et v'lan, sur la langue, une chiquenaude bien sentie, je vous l'assure. Depuis on ne vit plus ma langue, que lorsque je la donnai au chat. Je passe le tic des lyceens imberbes se frisant avec obstination une moustache absente; celui des femmes de quarante ans qui ne cessent de repeter: "a mon age ..." pour qu'on leur reponde, en choeur: "Oh! madame!" Eh bien, et le monsieur qui termine toutes ses phrases par cet agacant "vous comprenez?" Avec ce refrain monotone, ce n'est pas la carte mais la reponse forcee. N'oublions pas non plus le malheureux qui dodeline de la tete, comme un magot de Saxe. L'infortune n'ose aller a la salle des ventes de peur, par une desolante meprise, de se voir adjuger tous les tableaux. Independamment de ses productions locales, chaque contree a ses locutions particulieres. Le Breton dit: _dam!_ Le Marseillais commence ses phrases par: _te!_ Le Bordelais, les finit par: _he?_ Le Belge, les emaille d'un sempiternel: _savez-vous?_ Pas d'Auvergnat, sans un vigoureux: _fouchtra!_ Ah! on ferait une curieuse mosaique avec toutes ces exclamations ... mais n'anticipons pas et laissons aux academiciens de l'an 2886 le soin de rediger ces variantes, quand ils arriveront au mot tic, s'ils en sont a la lettre T, a cette epoque ... ce dont je doute. * * * * * Chez les acteurs, les tics sont assez frequents. D'aucuns s'en sont servis comme attrait irresistible et doivent en partie leur succes a certaines manies bizarres. Celui-ci hoche la tete, celui-la la renverse en arriere, un tel se tape a chaque instant sur les cuisses et, pour finir enfin, nous connaissons tous, ce comedien, qui ayant a dire dans son role: --Hier, j'ai pris l'omnibus. Dira: --Hier, j'ai pris l'omnibus ... j'ai pris l'omnibus ... pris l'omnibus ... omnibus ... nibus ... bus ... sss ... Avec ce systeme-la, il fait finir la piece a minuit et demie, et le lendemain, ce sont les camarades qui ne peuvent pas dire, a leur tour: --Hier, j'ai pris l'omnibus. LES VACANCES D'UN COMEDIEN _A M. LEFEBVRE._ Enfin, nous fermons le 30! s'ecrie le comedien avec un soupir enorme; je vais donc pouvoir me reposer! Voyons, pour ne pas perdre une minute, si j'ecrivais toute de suite ... au theatre d'Etampes-sur-Mer pour organiser quelque chose. Et pendant les deux mois de _vacances_, vous etes febrile parce que le directeur du Casino de Courbevoie-les-Sables vous a ecrit de retarder encore votre venue, tous les baigneurs n'etant pas arrives, ou bien a cause des reparations en train au grand kursaal de Chaville-les-Bains. Un ami qui demeure dans un trou perdu ou il s'etiole a trente francs l'heure, encaisse dans trois rochers, vous conseille de venir a _Nemo_; aucun artiste n'y est venu jusqu'a ce jour (parbleu!); il y a quelque chose a faire (oui, du mauvais sang!). Et ne demandant qu'a vous echauffer la bile ... toujours pour vous reposer, vous prenez votre _ami_ au collet, en vous ecriant: --Nemo! Nemo! Ou est-ce ca, Nemo? Connais pas. J'y vais! Et l'ami, qui exulte a l'idee que vous allez venir peupler sa solitude et, _qu'on sera deux derriere la malle,_ vous explique avec joie votre itineraire. --C'est tres simple, tu pars le matin a six heures dix.... Et, comme vous bondissez, il reprend: --Oh! mon Dieu! pour une fois, tu peux bien te lever de bonne heure. C'est tres loin; on prend la ligne de Sceaux. Tu arrives a Tremoulu, a neuf heures du soir. Ah! aie soin d'emporter de quoi manger, parce que tu ne trouveras rien sur le parcours. --Hein? --Ah! dame, je te previens: c'est un peu sauvage, mais quoi? si tu veux avoir tes commodites comme a Paris, va a Trouville, alors. --C'est bon, ne te faches pas. --A Tremoulu, tu descends et tu prends l'omnibus.... --Ah! il faut encore ... --Oui. Il n'est pas a tous les trains, mais je parlerai au conducteur. A onze heures, enfin, tu mets pieds a terre. --_Nemo!_ Tout le monde descend? --Mais non; attends donc; est-il presse! C'est Saint-Gulier, un petit endroit delicieux. --Oh! a onze heures du soir.... --Il y a une auberge ou remise l'omnibus. Tu vois, c'est commode; tu prends un potage et du saucisson ... il n'y a guere de choix; tu te couches et le lendemain a sept heures.... --Comment, encore!!! --Tu reprends l'omnibus, qui, vingt minutes apres ... vingt minutes, c'est une plaisanterie ... te depose dans mes bras. --Deja!!! --Oui, ris, plaisante, tu seras bien dedommage une fois arrive, je t'assure. Ah! pendant que j'y pense, a Saint-Gulier, defie-toi de l'aubergiste: il est un peu voleur! * * * * * Le lendemain matin, a cinq heures, votre ami se precipite avec fracas dans votre chambre, va a la croisee qu'il ouvre en grand, pousse les contrevents, arrache votre couverture, vous verse un peu d'eau sur le ... front et vous calme par ces mots: --Allons! allons! nous ne sommes pas ici pour dormir! j'espere que tu t'en es paye une partie de traversin! Vous etes tellement abruti par la fatigue des deux derniers jours, par cette troisieme nuit d'insomnie, car le bruit de la mer auquel vous n'etes pas encore fait, et les visites lancinantes des mouches et des punaises--auxquelles vous ne vous ferez jamais--ne vous ont pas permis de fermer l'oeil une seconde; vous etes tellement abruti, dis-je, que, sans comprendre, vous regardez votre ami qui se tord en voyant vos yeux bouffis, votre nez bourgeonnant et surtout, oh! surtout, l'air idiot avec lequel vous vous rendormez. Enfin, des l'aube, a huit heures, vous descendez n'ayant passe qu'un pantalon. --Ah! allons voir la mer! est naturellement votre premiere phrase. --Dans cet accoutrement? tu es fou! --Est-ce que tu esperais me voir mettre un habit noir pour aller sur la greve? --Mais, malheureux, songe donc que l'on te connait ici, je t'ai annonce ... depuis trois jours, on t'attend ... on brule de te voir, tu vas etre epluche.... Allons, habille-toi vite. C'est l'heure du bain, tous les habitants sont sur la plage. Insister serait inutile; vous remontez vous vetir plus convenablement, et en avant pour la plage! Vous n'avez pas fait dix pas que toutes les tetes se tournent de votre cote, et ta, ta, ta, et ta, ta, ta, on chuchote, on vous regarde comme ce malheureux jeune homme a la tete de veau n'a jamais ete regarde. L'ami, fier de son intimite avec vous, vous trimballe dans tous les groupes, vous presente a tous les baigneurs de sa connaissance: --Ah! c'est monsieur dont vous nous avez tant parle (echanges de saluts). Un mollusque a lunettes bleues, croyant vous faire un compliment fantastique, vous lance cette phrase prudhommesque: --Ah! monsieur, il parait que vous avez une memoire etonnante. --Du reste, nous vous connaissons depuis longtemps, reprend la femme du mollusque, une grosse dame, tres forte ... mais pas sur la langue francaise: --Mon fils me parle souvent de vous, monsieur, il vous a entendu a sa pension, a l'Ecole Papin, et il nous raconte toutes les singeries que vous leur avez faites, car vous leur en avez fait, des singeries! --Oh! vous etes trop aimable, madame. --Non, non, je dis la verite. Et toute la sainte journee, ce sont de semblables sorties qu'il faut essuyer. Apres le dejeuner, je demande l'heure a laquelle arrivent les journaux de Paris. --Le surlendemain soir, me repond-on. Et encore le facteur n'est pas tres exact. Mon ami, qui tremble a l'idee que je vais m'ennuyer, me dit: --Si tu veux, nous allons aller trouver le maire et lui demander la permission de donner une soiree dans la salle de l'unique hotel de Nemo: _la Licorne d'or._ --Comment, tu te figures que je vais dire quelque chose devant les vingt moules qui composent la population flottante de ce semblant de pays! Mais ils croiront que monologue est le nom d'un crustace! Jamais! entends-tu bien. Jamais! La crainte d'une brouille me fait ceder. * * * * * L'autorisation est accordee. Un adjoint qui calligraphie s'est charge de faire, a la plume, trois copies-programmes. On en placera une a la gare, la seconde dans la salle a manger de _la Licorne_, et une troisieme, devant la porte de l'hotel. --Les billets a cents sous, vous ferez trois cents francs, m'a-t-on dit. Mais le maire, les adjoints, leur famille, le notaire, le docteur, le pharmacien-dentiste-coiffeur-chirurgien-veterinaire, le chef de gare, la directrice de la poste et tous les parents du patron de _la Licorne_ etant entres pour rien, je me trouve devoir a celui-ci cinquante francs pour la location de la salle. Mais si le resultat pecuniaire a ete nul, voici l'effet produit: A la sortie: --C'est gentil, mais vous auriez du nous dire quelque chose ou vous faites des grimaces. 33, BOULEVARD HAUSSMANN _A A. BELLOT._ Le 13 janvier 1885, Messieurs A-V, T-H, et J-B (ne leur retournons par le poignard dans la plaie, leur piece ne fut jouee que trois fois) lisaient, au theatre de la Renaissance, un vaudeville en 3 actes qui portait provisoirement ce titre d'indicateur: 33, boulevard Haussmann. Un de nos camarades, que nous appellerons Florival, si vous le voulez bien, recut comme chacun de nous son billet de service, sur lequel s'etalaient ces mots: A 2 h. 1/2: Boulevard Haussmann, 33. (Lecture). A l'heure indiquee, tous les artistes du coquet theatre du boulevard Saint-Martin, jouant dans la piece nouvelle, etaient assis au foyer, prets a entendre l'oeuvre inedite. Quand je dis tous, je me trompe, un seul manquait, c'etait Florival. L'inexactitude habituelle du jeune comedien etant proverbiale, on ne s'en etonna pas outre mesure, et l'on commenca la lecture. Cette petite operation terminee, on passe a la collation ... des roles. Il etait 4 heures vingt, lorsque la porte ouverte avec fracas, livra passage a un homme affole, debraille. --Florival! fut le cri pousse par tout le monde, il est temps! --Vous etes a l'amende, dit severement le regisseur. --Ah! monsieur!... si vous saviez ... d'ou je viens, haleta le jeune premier suffoque. --Oui, nous la connaissons, celle-la, elle ne prend plus.... --Mais, monsieur, je viens; comme l'indiquait mon bulletin, du nº 33, boulevard Hausmann! Ici, je renonce, cher lecteur, a vous depeindre les crises de nerfs, les rires homeriques, les convulsions hilarantes, les spasmes fantastiques qui saluerent cette replique inattendue! Cinq minutes apres (pas une de moins) un calme relatif s'etant fait, Florival nous raconta la scene: J'arrive donc au 33, du boulevard Hausmann. Ne sachant de qui etait la piece, je ne pouvais citer un nom au concierge, je me contente de demander: --A quel etage, demeure l'auteur dramatique? Le pipelet me repond: --Ah! monsieur Saint-Albin? au deuxieme, a droite. A ce moment, je crus me souvenir qu'il y a quelques jours, au theatre, on parlait effectivement de la lecture prochaine d'une piece de M. Valabregue (Albin). Je me dis: c'est ca, Saint-Albin Valabregue. Je le savais Albin, mais je ne le croyais pas Saint. Il l'est, voila tout. Je monte. On m'introduit dans un salon, ou mes yeux sont attires par des photographies d'artiste, des menus de centiemes, un portrait de Labiche avec dedicace etc., etc. Je me dis: il n'y a pas d'erreur, je suis bien chez un auteur dramatique. J'en etais la de mes reflexions, lorsque le maitre de la maison, soulevant une tenture parut et vint a moi, le sourire aux levres: LUI.--Monsieur?... MOI.--Florival. LUI.--Florival? MOI.--De la Renaissance. LUI.--Ah! ah! tres bien! vous venez probablement pour ma piece. MOI.--Oui, monsieur, en effet, M. Samuel m'a dit de venir ici. LUI.--Ce serait avec infiniment de plaisir, mais nous faisons le maximum. MOI, _etonne_.--Ah! vous faites le maximum! LUI.--Oui, oui, aussi Bertrand m'a dit: ne donnez rien. MOI, _ne comprenant rien du tout_.--Ah! Bertrand vous a dit.... LUI.--Croyez que je regrette ... mais comme on jouera la piece longtemps encore, je l'espere, vous aurez le temps de la voir. MOI, _comprenant de moins en moins_.--Oui j'aurai le temps ... mais je ne viens pas du tout pour ce que vous croyez. LUI.--Comment, vous ne venez pas me demander des places pour _Gavroche_? MOI.--Pas le moins du monde, je viens pour votre nouvelle piece. LUI.--Ah! tres bien, ma nouvelle piece. MOI.--Oui. LUI.--A la bonne heure. Mais elle n'est pas terminee. MOI.--Comment, elle n'est pas terminee? LUI.--Non, je ne la lirai aux artistes du Palais-Royal.... MOI.--Le Palais-Royal? Je deviens fou! Qu'est-ce que le Palais-Royal vient faire ici? LUI, _furieux_.--Ah! ca, monsieur, est-ce que vous vous moquez de moi! MOI, _abruti_.--Mais pas le moins du monde, monsieur, je suis Florival, de la Renaissance et on m'a dit qu'aujourd'hui, vous nous lisiez une piece nouvelle, 33 boulevard Haussmann. Je suis venu chez vous et j'attends. LUI.--Qu'est-ce que vous me racontez la! C'est Valabregue qui a une piece portant ce titre, et il la lit en ce moment chez votre directeur! MOI, _courant comme un fou_.--Pardon, monsieur! Oh! ma tete! ma tete!! Allons, dit le regisseur, cette equipee est trop amusante pour qu'on vous punisse. Pour cette fois-ci, je leve l'amende; mais une autre fois, regardez mieux le tableau. * * * * * UN PERE _A Edgar PATAY._ Vous me demandiez pourquoi le pere Prunier est fache avec le jeune Alfred Rigodon? Ah! mon Dieu, c'est toute une histoire que je vais essayer de vous raconter en quelques mots. Il faut vous dire tout d'abord, que l'invention du fil a couper le beurre remonte a bien des annees avant la naissance de Prunier, ce qui vous explique le qualificatif qui suit son nom; jadis Charles-le-Temeraire, aujourd'hui Prunier-le-Simple. Donc, nous etions depuis longtemps brouilles avec cet imbe ... ce brave Prunier; j'en etais personnellement ravi, ce froid me privant du deplaisir d'entendre divaguer notre homme. Mais, vous savez, nous habitons la campagne, c'est moi qui lui ai vendu sa villa; nos jardins sont contigus, a chaque instant le facteur confond nos journaux: autant de pretextes pour Poirier, non ... pour Prunier de venir a la maison; bref, pour lui qui grillait du desir de se "remettre avec moi", cent occasions se presentaient chaque jour, que j'evitais avec soin. Cependant, il eut une idee, cet homme nul (o reconnaissance, tu n'es decidement qu'un vain mot!). L'epoque des elections municipales approchait; le conseil actuel etait une reunion de gateux cacochymes qui laissaient aller les affaires du pays a la derive: le besoin de remplacer ces impotents seniles par des hommes robustes et decides se faisait imperieusement sentir. Depuis longtemps, on eprouvait dans le pays le desir de voir un sang jeune et chaud couler dans les veines des nouveaux officiers municipaux a la place du lait fige qui glacait ces vieux cadavres ambulants de conseillers. Je n'ai pas besoin de vous dire que, cherchant un homme intelligent, logique, instruit et spirituel, tous les habitants de la commune dirigerent leurs yeux sur moi. Ce fut Cerisier, allons, bien! Prunier, veux-je dire, qui attacha le grelot; il vint me trouver officiellement, s'excusa de troubler ma retraite, mais le salut du pays en dependait; il me suppliait de consentir a me laisser porter candidat aux elections municipales; ma nomination etait assuree, ajoutait-il, je jouissais de toute la faveur populaire, et un refus serait une grave offense. Tout en l'ecoutant, je me disais: --Mais pourquoi diable insiste-t-il autant? Je ne demande certes pas mieux. Je me levai et, comme le renard de la fable, lui tins a peu pres ce langage: --Mon cher ami, je suis tres sensible a votre demarche, je vous en remercie. J'accepte, non pour les honneurs et la gloire inherents a ce titre de conseiller municipal, loin de la: j'ai toujours, en homme modeste, meprise ces vains hochets du pouvoir. J'accepte, parce que je vois le peril qui menace notre commune; ce village tremble sur sa base, le pays peut compter sur moi. Merci de venir au nom de nos amis me proposer de defendre la nation. Vive la France! Figuier (decidement, j'y renonce) Prunier en pleurait, persuade que l'univers avait les yeux sur nous, il m'embrassa avec effusion, et partit larmoyant, annoncer la bonne nouvelle aux gens du pays qui, anxieux, haletants, attendaient ma reponse. Quinze jours apres, je donnais un grand diner en l'honneur de mon election. Prunier ... oui, je dis bien, Prunier s'etait naturellement invite. Il etait place a table en face de Rigodon (Alfred), un de mes amis, jeune homme charmant qui, dans la semaine, lit les journaux au ministere de l'Interieur. Je ne sais a quel propos, a un moment donne, Prunier lui decoche une grossierete; je me penche a l'oreille de mon voisin (car, me defiant de ses gaffes, je l'avais place a cote de moi) et lui souffle ces mots: --Epargnez-le, je vous dirai pourquoi. * * * * * Maintenant, faisons entrer en scene un personnage nouveau: Mademoiselle Sidonie Prunier, vingt ans, maigre, brune, seche, osseuse, pointue et muette, du moins, je le suppose, car je ne lui ai jamais vu ouvrir la bouche si ce n'est pour manger ou bailler. Est-ce sa dot, qui est cependant acceptable, ou bien son caractere, qui ne l'est peut-etre pas, mais, ce qu'il y a de certain, c'est que mademoiselle Sidonie est d'un casement difficile. Son pere a toutes les peines du monde a lui decrocher un mari, et, sans cesse aux aguets, il croit toujours decouvrir le merle desire ... qui se derobe au dernier moment. * * * * * Aux quelques mots que je lui murmurai rapidement, Pecher, sapristi ... Prunier comprit qu'il se trouvait en presence du gendre introuvable, et sa figure, de rembrunie qu'elle etait, devint sereine et beate. Oui, positivement, a ce moment-la, Prunier avait l'air serein. Alors, sans perdre une minute, notre homme commenca le siege de Rigodon. --Un peu de Chateau-Laffitte? --Supreme de volaille? --Sidonie, passe donc la creme fouettee a monsieur. C'etait en vain qu'Alfred refusait, son assiette etait toujours pleine. On se leve, Rigodon s'apprete a offrir son bras a une dame; las! le malheureux garcon, c'est Prunier qui le prend: il le guettait, l'infame! --J'espere que vous me ferez aussi l'amitie d'accepter mon hospitalite. J'ai une charmante chambre a votre disposition; vous serez la comme chez vous; les Prunier ne sont pas genants; vous aurez votre clef, vous sortirez quand vous voudrez, vous rentrerez a votre heure. Venez diner le samedi a cinq heures et demie et repartez le lundi apres dejeuner. Nous nous amuserons, allez! C'est entendu, hein? Je compte sur vous. A samedi! * * * * * Rigodon n'en revenait pas. Comment, cet homme qu'il ne connaissait pas, qui meme, tout a l'heure avait ete impoli envers lui, se montrait familier au point de lui offrir chambre et nourriture a la campagne? C'est prodigieux! --Bah! je veux bien, se dit Rigodon, voila mes dimanches assures. Ca tombe a pic; Amelie va precisement passer tous les dimanches chez son pere! Et le samedi suivant, Rigodon prenait le train a Saint-Lazare et debarquait a _Poussiere-sur-Seine_, ou Prunier l'attendait a la gare. Alors seulement, Alfred eut une idee du paradis. Arrives a la villa Garibaldi (on n'a jamais pu savoir pourquoi ce buen-retiro bourgeois portait le nom du general italien), Prunier se rua sur notre ami en lui criant: --Asseyez-vous. --Hein? --Asseyez-vous et enlevez vos souliers; voici des pantoufles. --Oh! merci. --Otez votre jaquette. --Pourquoi? --Prenez cette veste de toile, donnez votre chapeau et mettez ce panama. --Que de reconnaissance! --Ne parlez donc pas de ca! Et cela dura tout l'ete de 1884. Le dimanche matin on apportait a Alfred, encore couche, un grand bol de lait ... du lait de vache, celui-la! A table, rien que des produits du jardin, de vrais radis, des artichauts du potager cueillis par _mademoiselle ma fille_, disait Neflier ... Prunier. Le premier dimanche on avait visite le pays; la famille expliquait qu'a tel endroit du bois, Charles IX ou Louis XI (on n'etait pas fixe) avait detache un pendu, pret a rendre le soupir extreme (decidement, ce n'etait pas Louis XI); les autres dimanches, on faisait des excursions, c'etait charmant! De temps en temps, le lundi matin, alors que les Prunier, agitant leur mouchoir, saluaient le depart du train qui emportait Rigodon, notre Parisien se demandait bien a part lui: --Enfin, pourquoi cet accueil? Mais ne trouvant pas de reponse et heureux de cette sympathie qu'il inspirait, il donnait un autre cours a ses idees! Le dernier dimanche de septembre, notre rural prit Rigodon a part et lui demanda cinq minutes. --Avec plaisir, ma vieille branche de Prunier, dit gaiement le citadin. Et apres un silence, employe a la confection de sa phrase, le proprietaire commenca: --Vous ne vous ennuyez pas, Rigodon? --Ah! ca, vous riez, dit le jeune homme, comment voulez-vous que je ... --Non, vous ne comprenez pas, je ne parle pas du moment present ... je fais allusion a votre vie ... pendant la semaine. Est-ce que vous n'eprouvez pas de temps en temps le besoin de faire partager vos joies, vos plaisirs, vos sensations a ... quelqu'un; en un mot, bon Rigodon, ne songez-vous pas a ... vous marier? Rigodon s'ecria alors, devinant tout a coup: --C'est donc pour ca! Et prenant les deux mains de son amphytrion, il lui dit ces simples mots: --Ma femme s'appelle Amelie et j'ai deux garcons! UNE REPRESENTATION EXTRAORDINAIRE _A Laurent CARATSCH_ Oh! bien extraordinaire, en effet, la representation que j'organisai a Bordeaux au mois de septembre 1880. Mais n'anticipons pas. * * * * * Mon premier prix de comedie obtenu, et ayant beaucoup travaille pour le conquerir, je me dis: Enfin, je vais donc aller me reposer un brin dans mon pays, en province! Et de prendre mon ticket pour la ville du bon vin ... et des grands blagueurs. A peine _dechemindeferre_, je courus chez moi me faire presser par les miens. Je n'avais pas fini de pleurer dans le gilet d'un vieil oncle ... que je voyais pour la premiere fois ... qu'on vint m'annoncer la visite d'un inconnu. Le monsieur, introduit dans le salon familial, prit tout a coup la parole, en ces termes: --Je sais que vous etes arrive, aussi je tiens a etre le premier etranger qui vous felicite du grand succes que vous avez eu la-bas ... au Conservatoire.... Ca ne m'etonne pas, du reste.... Je vous connais depuis longtemps, moi. Ah! vous etiez bien petit a l'epoque ... tenez, pas plus haut que ca.... Je le disais a tout le monde ... le petit Felix ... vous verrez ca ... plus tard! Me suis-je trompe, he? --Mon Dieu, monsieur, je vous remercie bien sincerement de l'objet.... --Vous ne le connaissez pas l'objet.... Non, vous ne le connaissez pas ... car je viens aussi vous demander ... --Allons donc! fis-je a part moi. --De vouloir bien preter votre aimable concours a une fete que nous donnons.... --Ah! ah! --Nous serions si heureux d'afficher en grosses lettres le nom de _notre compatriote_, suivi de ce beau titre si difficile a acquerir et si legitimement envie: Premier prix du Conservatoire! Comment refuser, a un homme qui vous a vu pas plus haut que ca ... et qui vous passe tant de pommade. Pas moyen, n'est-ce pas? Aussi lui dis-je: --Vous pouvez compter sur moi. Je croyais qu'il allait m'etouffer. Non, si vous aviez vu ce garcon!... enfin, c'est a se demander quel serait son etat s'il gagnait jamais un lot de 200,000 francs. Ses transports de tendresse un peu calmes, mon admirateur ... interesse reprit: Vous allez lire les journaux, je vais vous, faire passer une _nautte_! Je ne vous dis que ca! Eh bien et les affiches ... non, mais vous verrez les affiches! En effet, je les apercus le lendemain d'un bout de la rue a l'autre. J'avais ce qu'on appelle en argot de theatre: _Le fromage a la creme_, c'est-a-dire mon nom imprime sur une bande blanche. Aussi, pensez ce que mon coeur battait! Ce jour-la, sous pretexte de faire visiter la ville a mon grand-pere, qui l'habitait depuis plus de trente-cinq ans et qui la connaissait naturellement mieux que son petit fils, je le fis passer _par hasard_, devant tous les murs ou l'on affiche d'ordinaire. Elles m'eblouissaient, ces immenses pancartes! Vous n'avez pas idee, o Parisien qui n'etes jamais alle plus loin que la Porte-Maillot, de la dimension extraordinaire, folle, insensee des affiches de theatre en province! On se demande en voyant le nom d'illustres inconnus, comme moi, ecrit en lettres gigantesques s'il y aurait des caracteres assez grands pour imprimer le nom de Got ou de Dupuis, s'ils venaient en representations dans ces parages ... ou on exagere tout. La fete se passa fort bien. Le malheur fut qu'alleche par le grand et immodere succes que me firent mes compatriotes, je pretai une oreille trop encourageante, si j'ose m'exprimer ainsi, comme disait feu Ballande, aux personnes qui me conseillaient d'organiser moi-meme une representation. Ah! si j'ai jamais eu une mauvaise idee, c'est bien ce jour-la! La representation decidee, il s'agissait de trouver un local. On m'indiqua une charmante petite salle qui, jadis, sous le nom de Gymnase dramatique, avait donne tous les soirs, pendant de nombreuses annees, l'hospitalite a des milliers de spectateurs. (Ligier s'y fit meme entendre). Mais depuis une dizaine d'annees, delaissee par les directeurs, elle ne s'entrebaillait qu'a de rares intervalles, pour les troupes de passage. La derniere _tournee_ qui etait passee sur ces planches fut celle de Saint-Germain avec Jonathan. Il fut meme repondu a l'artiste un mot epique, par la _patronne_ d'un hotel voisin. Jouant a 8 heures et la table d'hote etant a 6 heures et demie, Saint-Germain avait demande de diner, lui et sa troupe, un peu plus tot, afin d'avoir tout le temps de s'habiller et de respirer un peu en sortant de table. Ce surcroit de travail ne fut pas goute des domestiques, qui servirent les artistes, comme des chiens. Saint-Germain va trouver l'hotesse: --Je ne vous comprends pas, madame, de tolerer que vos domestiques nous traitent avec un tel sans facon; nous ne demandons pas l'impossible, apres tout; puisque nous payons bien, nous demandons a etre servis convenablement. --Eh! monsieur, c'est ce que je ne cesse de leur repeter: ce sont des comediens, je le sais bien, mais enfin quoi, vous ne savez pas ce que vous pouvez devenir! * * * * * Mais revenons au Gymnase ... bordelais. Cette salle ne sert, la plupart du temps, qu'a l'execution de choeurs, cantates, oratorios, etc., etc., et la scene n'etant pas suffisamment spacieuse pour contenir les cent cinquante ou deux cents personnes qui y prennent place les jours d'execution, on a eu l'idee de l'agrandir au moyen de rallonges, ce qui fait qu'elle va jusqu'au milieu du theatre. Par consequent, le rideau baisse separait la scene en deux parties egales. Je louai donc cette salle, demandant toutefois qu'on me la donnat arrangee et en etat de pouvoir y jouer la comedie, car, n'ayant pas l'intention d'interpreter un drame militaire aux evolutions nombreuses, ce supplement de scene etait pour moi parfaitement inutile et genant. Il me restait alors a chercher trois ou quatre artistes, afin de composer un spectacle presentable. Justement Amiati, de l'Eldorado, etait en representations a l'Alcazar, ou elle faisait _flores_. J'avais eu occasion de la voir souvent, au concert du boulevard Strasbourg; nous avions beaucoup d'amis communs, la presentation fut donc rapidement faite. Mise au courant de la situation, l'Etoile, avec la meilleure grace du monde, me promit son concours, si toutefois elle avait la permission de son directeur. Je la conquis, cette permission! Je flamboyais, victorieux: Je possedais Amiati! Amiati, c'etait mon _clou_ (encore une expression bizarre.) C'etait pour ma soiree, un attrait reel, car la haute societe n'allait pas a l'Alcazar, et desirant fort applaudir la chanteuse, ne manquerait pas cette occasion. En ecrivant le nom de mademoiselle Amiati, il me revient a l'esprit un mot que lui lanca son hotesse. Comme le public qui devait venir au Gymnase applaudir _mon etoile_, etait infiniment mieux eleve que celui qui l'acclamait tous les soirs a l'Alcazar, sa proprietaire lui dit: --Vous n'aurez pas peur de chanter au Gymnase? --Pourquoi ca? --Te, vous allez voir la des gens bien! Decidement, les maitresses d'hotel de Bordeaux ont le monopole des reparties heureuses. Amiati, c'etait assurement beaucoup, mais ca ne suffisait pas. On jouait au Grand Theatre: _Les Etrangleurs de Paris_. J'avais precisement un camarade qui jouait un monsieur parfaitement honnete qu'on etranglait vers les dix heures et quart, je lui proposai de jouer avec moi: _Le petit voyage_. Sur ces entrefaites, un couple vient m'offrir de jouer un lever de rideau. A merveille! Un baryton se presente. Il repete, mais ne chante pas une note de la partition, et comme le pianiste le regarde, abruti: --Allez toujours, lui dit-il, moi, je ne fais pas ce qui est marque! Le pianiste l'envoie promener ... je comprends ca. Le jour de la representation arrive, je cours chez le machiniste qui me demande trois jours pour enlever l'avant-scene. --Trois jours, assassin, mais je joue ce soir! --Oh! alors n'y comptez pas. Je sentais blanchir la moitie de mes cheveux. --Mais comment voulez-vous que je fasse? le trou du souffleur a disparu sous les planches qu'on a ajoutees ... et il sera utile, le trou du souffleur!!! --Eh bien, il faut le mettre a decouvert. --C'est mon avis. --Levons trois planches, alors! --Levons trois planches, alors. Et nous voila levant trois planches. Jusqu'ici j'avais ete organisateur, regisseur, j'etais maintenant menuisier. Les trois planches enlevees, la carapace du souffleur emergea. Mais devant cette boite, il y avait un trou enorme et, de la premiere galerie, on aurait vu les jambes de ce modeste mais utile employe. Je dis au machiniste: --A present, il faut boucher cette cavite avec des planches: Cet ouvrier me repond avec sang-froid. --Avez-vous des planches? Alors, instinctivement je me fouille pour voir si par hasard je n'avais pas sur moi.... Non, voyez-vous ce miserable qui me demande si j'ai des planches!! --Eh bien, et celles-la, fis-je en lui montrant celles que nous venions d'enlever. --Oh! mais je ne puis pas les couper, reprit-il, il me les faudra intactes pour les remettre a leur place. --Eh bien, qu'est-ce que nous allons faire alors, nous ne pouvons cependant pas jouer avec un abime beant au milieu de la scene. --Je ne sais pas, moi.... Clouez un tapis. Le temps s'ecoulait, nous decidames de suivre ce conseil, et nous voila a genoux, clouant un tapis de billard au-dessus de cette immense trappe. J'etais devenu organisateur, regisseur, menuisier, machiniste, tapissier et ce n'etait pas fini!!! Pourvu, grands dieux! que mes artistes ne viennent pas se promener sur ce parquet bizarre, ils n'auraient qu'a disparaitre tout a coup, le public croirait que nous jouons une feerie. Le trou du souffleur se trouvait donc ainsi place _au milieu de la scene_; ce qui fait que le soir, lorsque l'acteur s'avancait par trop, il avait le _souffleur derriere lui_. --Eh bien, et la rampe? ou est-elle la rampe? --Elle est cachee sous les planches. --Alors, nous n'aurons pas de rampe, ce soir??? La seconde moitie de mes cheveux s'argentait. --Allez vite, vite, me dit le menuisier-machiniste, chez le gazier du theatre. --Ou ca? --A l'usine a gaz. --Bien, j'y vais. On sait que les usines a gaz ne sont jamais situees au centre des villes, aussi ce fut seulement une heure apres que je descendis de voiture. --L'employe charge du compteur a gaz du Gymnase ... ou est-il? --A dejeuner, chez lui ... 310, boulevard du Bouscat. (A l'extremite de la ville!) Ah! le criminel! j'y cours. Une fois chez lui, on me dit: --Il vient de partir pour la rue Ornano ou il range un tuyau a gaz, dans la rue. Je vole rue Ornano. Je vois des paves entasses les uns sur les autres ... mais pas de gazier. Je demande aux boutiquiers voisins. --Ou est-il? --Qui? --Le gazier qui etait la tout a l'heure. --Il est alle probablement boire un coup. --L'ivrogne! il sort de table!!! Et me voila, au milieu de la rue, devant un tuyau defonce qui empestait l'air, attendant mon homme. Il arriva enfin, je lui raconte ce qui se passe. Apres m'avoir fait recommencer trois fois mon recit, ce bandit me repond: --Je ne peux pas quitter mon poste sans autorisation du directeur de l'usine. Allez me la chercher. Je galope a l'usine. J'arrache le mot et retourne chercher le gazier que j'entraine avec moi. Une fois au theatre, on me dit: --Le piano n'est pas encore arrive et les artistes attendent pour repeter. Il etait deux heures et je n'avais rien pris depuis la veille au soir. Je me precipite chez le facteur ... de pianos. Ce scelerat me repond: --J'ai oublie de dire hier a mon patron que vous etiez venu, et je ne puis vous preter un piano sans qu'il le sache. --Ou est-il votre patron? --A la campagne, mais il reviendra ce soir a 7 heures. --A 7 heures, canaille!!!! mais je le veux de suite! Et j'allais l'etrangler, lorsque la porte s'ouvrit et la jeune fille de la maison parut. Au lieu de me faire arreter pour tentative d'assassinat, me reconnaissant, elle consent a me louer un Pleyel. J'etais sauve. J'arrive au theatre. Mes artistes ayant perdu patience venaient de partir, ne sachant trop s'ils reviendraient le soir. J'en racole trois au cafe du theatre, et nous repetons pour la premiere fois: _Le petit voyage_. Quelle repetition, mon Dieu! Je croyais devenir fou. Le jeune premier ne savait pas un traitre mot, l'ingenu, qui avait pris des lecons de Talbot, demandait une allumette sur le ton des imprecations de Camille, et quant a celui qui jouait le role de l'aubergiste ... non, celui-la je renonce a vous le depeindre ... Au fait si ... un mot vous donnera une idee de sa betise. J'avais a lui dire, dans la piece, apres lui avoir commande le menu du souper: --Comme dessert, vous nous fricasserez quelque chose de sucre. A quoi, il doit repondre, enumerant ses plats: --Parfait-vanille ... orange, etc. etc. Ce malheureux ignorant qu'il existait de par le monde ... des patissiers des parfaits, me repond d'un air entendu et comme s'il s'agissait de l'adverbe: --Parfait!... vanille, orange. Je lui fus reconnaissant, car il me fit rire. C'etait la premiere fois que ca m'arrivait depuis trois jours. * * * * * Je dis au machiniste: --Comme accessoires, il nous faudra une cheminee.... Il me repond avec ironie: --Une cheminee ... au mois de juillet! Mais ce machiniste m'en a fait une plus drole. Je le vois arriver avec une chaise originale. --Qu'est-ce que c'est que ca? --C'est une precaution. --Qu'est-ce que vous voulez dire? Et me faisant voir la brochure, il me montra ces mots: _Auguste rentrant avec une grande precaution_. Enfin, je vis se terminer cette maudite representation avec un reel grand plaisir. Tout avait bien marche, mais c'est egal, si je ne suis pas devenu fou ce soir-la, c'est que ma cervelle est rudement solide. N'importe, quand on me reprendra a organiser une representation extraordinaire, on refusera du monde a la piscine Rochechouart. LE RUBAN _A Aurelien SCHOLL._ Je vous donne en mille a deviner pourquoi mon ami Georges de Senneville n'a pas fait son volontariat? * * * * * Inutile de chercher, vous ne trouveriez pas; aussi vous le dirai-je, tout de suite. Georges avait dix-neuf ans, son baccalaureat et ... une maitresse pour lui tout seul; aussi comprendrez-vous aisement la grimace qu'il fit, en recevant un beau jour du mois d'avril, un imprime portant ces mots: CLASSE DE 1884 CONVOCATION "Le sieur Fernand-Georges de Senneville, inscrit sur les tableaux de recensement du 1er arrondissement de Paris, est invite a se presenter devant le conseil de revision, qui se reunira le jeudi 24 avril 1884, a huit heures du matin, au Palais de l'Industrie (Champs-Elysees) pavillon Nord-Est, salle du rez-de-chaussee, porte 5, pour proceder a la formation de la classe de 1884." --Sapristi! En voila bien d'une autre! Je n'y pensais plus, moi! Et la tete baissee, Georges, dans une attitude d'abattement indescriptible se prit a penser au vernissage, aux petits soupers qui en sont la consequence, en un mot a ces mille distractions de desoeuvre. Il faudrait donc, pendant douze interminables mois, oublier tous ces plaisirs, se priver de ces fetes ereintantes, il est vrai, mais obligatoires pour quiconque fait partie de ce regiment bizarre et interlope qu'on denomme le Tout-Paris! Certes Georges etait bon patriote dans maintes circonstances, il avait donne de preuves de son attachement au sol natal; dernierement encore, n'avait-il pas a Nanterre fait une conference sur "le repeuplement de la France", conference qui lui avait valu les felicitations et temoignages de sympathie de la part des notables de la commune? N'etait-il pas membre fondateur de la Ligue des patriotes. Et du reste, il avait de qui tenir, car dans sa famille on ne comptait que gentilshommes valeureux et guerriers celebres: Carolus de Senneville, son grand-oncle, dont le portrait en pied etait le plus bel ornement du grand salon paternel, n'etait-il pas la pour donner un dementi eclatant a l'impudent qui aurait doute du courage familial? Non, encore une fois, personne n'ignorait le chauvinisme de Georges comme il se plaisait a dire a lui-meme. Mais c'est egal, quitter tout a coup le pantalon etroit pour la large culotte garance, abandonner les souliers chinois pour les godillots carres, troquer son bon lit de plume contre le sommier gouvernemental, ne plus faire la grasse et reconfortante matinee, ce n'est pas drole; en un mot quand on a pris la douce et facile habitude de ne rien faire, et qu'un beau jour, sans crier gare, on vient vous rappeler que vous devez servir la patrie, eh bien, entre nous, c'est dur, convenons-en. Aussi, l'exclamation ci-dessus n'avait donc rien d'exagere. * * * * * Georges alla, tout deconfit, faire part de la mauvaise nouvelle a Lucie, l'ange blond qui charmait son heureuse existence. --Et il n'y a pas a dire: mon bel ami, soupira-t-il, en lui montrant la cruelle convocation, il faut sauter le pas. --Voyons, dit tout a coup son amie, n'as-tu pas de cas d'exemption, au moyen duquel tu pourrais.... --Helas! non! soupira Georges, j'ai deja obtenu deux sursis, mon pere vit encore ... bien heureusement. Je suis tres bien constitue. --Oui, je sais, murmura Lucie, ses jolis yeux baisses, ah! c'est bien triste! --Oui, tres triste, en effet, repeta Georges sur le meme ton et tout en pensant a autre chose. --Une idee! exclama la jeune fille; si tu te fatiguais beaucoup jusqu'a demain matin, peut-etre qu'en voyant une figure tiree, des yeux battus, on te croirait un peu poitrinaire et alors.... --Ah! bien, ouiche, fit Georges, si tu crois qu'on ne la leur fait jamais, celle-la! Ils n'y coupent plus, va, et depuis longtemps! --Ca ne fait rien, essaye tout de meme. --Mon Dieu, je veux bien. Voyons, qu'est-ce que je pourrais faire qui me fatiguat beaucoup et ne fut pas trop ennuyeux. Il y a la marche, oui; mais ca ne me va pas enormement, sans compter que ca rate quelquefois; ainsi Gaston, tu sais, celui qui est si pale, eh bien, Gaston s'etait livre a cet exercice ereintant: le matin il etait alle de la barriere du Trone a Longchamps, a pied; il arrive au conseil frais et dispos, le visage epanoui, avec des couleurs, le malheureux! --Bon pour le service! lui cria-t-on, l'ayant a peine vu. Tu comprends qu'il ne me sourit guere de juiferranter ainsi pour en arriver a ce resultat!... Voyons, c'est curieux, je ne vois pas.... --Eh! bien, moi, dit Lucie plus rouge qu'une cerise, j'ai trouve--et sans chercher beaucoup--un moyen sur et agreable de te fatiguer.... --J'y suis! cria Georges, qui venait de comprendre, un peu tardivement, entre nous! J'y suis! repeta-t-il par deux fois tout en couvrant de baisers sa gentille maitresse. Oh! amour de ma vie, tu as raison, mais ou donc avais-je la tete de ne pas penser a ... Eh! bien, je veux preparer les choses de longue main, tiens-toi prete a six heures, je viendrai te chercher pour diner. Et fie-toi a moi pour le programme de notre soiree. * * * * * Sorti de chez Maire, a huit heures et demie, notre aimable couple se dirigea du cote des Varietes, ou Georges avait loue une baignoire grillee, s'entend! Vous dire qu'aucune replique des acteurs ne leur echappa serait peut-etre mentir ... leur _attention_ fut un tantinet _distraite_. Venus au quart du premier acte, ils partirent au milieu du dernier. Legerement emoustilles par le champagne et les grivoiseries si chastement lascives de Judic, nos tourtereaux, enfouis dans le fond d'une voiture, arriverent promptement chez eux, animes des meilleures intentions, je vous l'assure. * * * * * A la clarte discretement timide d'une veilleuse opale, Georges et Lucie s'en donnerent a coeur joie et se livrerent a un de ces duels d'ou l'amour sort vainqueur, comme on disait au bon vieux temps. Quand on a fini de rire, on peut causer, a dit Lamartine, je crois (je n'en suis pas sur). Nos amoureux causaient donc de choses et autres--surtout d'autres--et s'embrassaient toutes les deux minutes, pour n'en pas perdre la charmante habitude. C'est ici, o Armand Berquin, qu'il me faudrait ta plume. Comme si elle en eut besoin, la coquette Lucie s'etait vetue, pour se rendre plus irresistible encore, d'une chemisette de soie creme, egayee par endroits de petits noeuds de ruban ponceau! Ayant arrache un de ces rubans, elle jouait avec, s'en faisant tantot un collier, tantot un bracelet; a un moment donne, une idee folle la prit. * * * * * --Mais tu me chatouilles, dit Georges en sursautant; qu'est-ce que tu fais? --Je te decore, balbutia Lucie. * * * * * --Huit heures! leve-toi vite, tu vas etre en retard! --Saprelotte! nous nous sommes endormis, dit Georges en enfilant prestement son pantalon. Adieu, mignonne aimee, a midi je viendrai immediatement t'annoncer, heureux ou triste, le resultat. Notre conscrit fit irruption dans la grande salle du conseil, comme le sergent instructeur appelait son nom. Il etait temps, pensa Georges, rassure a l'idee de n'encourir aucune peine, et passant avec d'autres camarades, fumistes, clercs de notaire et lyceens, dans une salle contigue, il proceda a la toilette de rigueur. --Georges de Senneville, a vous! Il grimpa prestement sur l'estrade et se mit de lui-meme sous la toise. Mais aussitot un formidable eclat de rire retentit, et tous, generaux, chirurgiens, maire, gendarmes de se tordre dans des convulsions hilares et nerveuses. --Exempte, pour vegetation sanguinolente! cria le medecin militaire. Georges ne comprenant qu'une chose, c'est qu'on le rendait a sa chere liberte, sauta comme un cabri sur ses effets et s'habilla sans demander son reste. Mais tout en cherchant la cause du rire fou et spontane qui l'avait accueilli, il jeta un regard sur lui-meme et apercut, joyeux et guilleret, le ruban qui flottait toujours! Le medecin militaire, ayant sans doute cru a un phenomene bizarre, l'avait exempte ex-abrupto. * * * * * Aussi, cheres lectrices, ne soyez point etonnees, si le hasard vous conduit a l'entresol de Georges de Senneville, de voir sur un cadre a fond de velours noir briller un ruban rouge! VIRGO _A Paul LHEUREUX_ --Comment? toi, Petru? dans mes bras! Et depuis quand ici? --D'hier soir, minuit ... vous le voyez, ma premiere visite.... --Oui, c'est gentil tout plein, ca. Mais pourquoi diable etre retourne dans ton satane pays qui n'a qu'un tort, celui d'etre trop loin du cafe Riche? --Que voulez-vous? Bucharest est ma ville natale, et il faut bien de temps a autre aller se retremper "au pays". --Le fait est que tu en avais besoin, apres la vie de patachon que tu menais. A propos, tu sais que tu as fait sans t'en douter une nouvelle conquete. --Allons donc, et qui ca? --Diantre, laisse-moi respirer. Au fait, non, j'aime mieux te faire languir, ca m'amusera. Eh! bien, apprends, miserable veinard, que c'est la plus jolie creature que je connaisse. Des yeux a damner les saints du paradis, des dents a croquer toutes les pommes de ce jardin, des cheveux! une nuque!! tout enfin, tout! Ah! tu n'es pas a plaindre, mon gaillard, et j'en sais plus de mille qui voudraient etre a ta place, car ta future victime fait tourner toutes les tetes en ce moment, Paris entier s'occupe d'elle, sa photographie s'etale chez tous les libraires du boulevard.... --Ah! vous etes cruel. --Et toi, impatient. En un mot, je parle de ... --De? --De Pallas! --La dame de pique! --Non, Pallas, la grande comedienne qui electrise chaque soir deux mille spectateurs dans _Virgo_, le drame naturaliste qu'on joue actuellement aux Fantaisies-Macabres. --Comment, Pallas! la fameuse Pallas qui vient de se reveler dans la piece que vous citez? --Oui, mon cher, elle-meme. --Voyons, c'est pour rire; elle ne m'a jamais vu! --C'est possible, mais elle a vu ton portrait, la, sur la cheminee, et s'est ecriee tout a coup: "Dieu, le joli garcon!" et l'on sait ce que ca veut dire quand Pallas s'ecrie: "Dieu, le joli garcon!" Heureusement que tu viens de te refaire. Enfin, mon bon Petru, je ne t'ai dit que l'absolue verite; vois maintenant ce que tu as a faire, mais tiens-moi au courant, ca m'interesse. * * * * * Neuf heures. Petru sort de chez Noel en machonnant un regalia, et se dirige lentement du cote des _Fantaisies_, ou il est alle retenir dans la journee l'avant-scene du rez-de-chaussee, cote gauche,--cote du coeur--attention qu'on remarquera sans doute. Au-dessus du theatre, le mot _Virgo_, ecrit en lettres de feu, jette une lueur fantastique sur les maisons voisines. A la vue de ces cinq lettres enflammees, le coeur de notre ami bat a eclater. --Si Pallas etait reellement _virgo_, se dit-il, en riant; c'est peu problable, vu son temperament volcanique qui est proverbial. Assourdi par les mille cris s'entre-croisant dans l'air; _Valince, la beun' valince.... D'mandez preugram' ... nom des artiss, leur bieugraphie ... un fauteuil! moins cher qu'au bureau!_ Petru, apres avoir fait involontairement un heureux en jetant son cigare, entra dans la salle, d'un air resolu. Le lever de rideau termine, la claque seule fit son office. Pour occuper les loisirs de l'entr'acte, notre Roumain lorgne avec indifference les epaules cachees au fond des baignoires, et cherche parmi les vieilles gardes les figures de connaissance. Mais l'orchestre prelude et le silence se fait aussitot. * * * * * Au premier acte, Pallas ne parait pas; il est meme a remarquer qu'aujourd'hui les auteurs ne font entrer l'_etoile_ que vers neuf heures, la salle etant entierement pleine a ce moment-la. Les spectateurs n'ecoutaient donc qu'avec une attention relative l'expose de la piece. Enfin, au milieu du second acte, Virgo apparait dans un costume aussi transparent ... qu'une profession de foi de depute. A peine entree, Pallas apercut Petru dont le plastron se detachait clairement au fond de la baignoire obscure. Un instant saisie, elle reprit bientot ses sens et joua des lors tout son role pour lui. Ah! que de passion dans ses scenes d'amour, que de calineries felines dans ses tirades de tendresse. Ses camarades en etaient stupefaits! Jamais Pallas n'avait _donne_ comme ce soir-la. Lorsqu'au milieu du troisieme acte elle adresse une declaration des plus brulantes a Sangor, le jeune premier qui l'a arrachee des mains des corsaires, ce n'est plus a l'artiste, son partenaire, qu'elle parle, non, c'est a lui, l'etre aime, qui ne s'en doute peut-etre pas. O puissance irresistible de l'amour! Elle n'a vu que le portrait de cet homme, il y a six mois, mais cela lui a suffi pour ne plus l'oublier. Merci, blond Cupidon! tu l'as prise en pitie en envoyant ce soir, au theatre, cet inconnu qui marquera peut-etre dans l'existence de la comedienne. Petru, ayant remarque le mouvement de Pallas a sa vue, et ne voulant pas demeurer en reste avec elle, prie l'ouvreuse de porter a l'actrice un bouquet gigantesque avec sa carte de visite, sur laquelle ces mots: "Ou et quand puis-je vous voir?" A la rigueur, _puis-je vous voir_ eut pu etre supprime; mais il fallait etre correct avant tout, au moins pour la premiere fois. Quelques instants apres, la femme aux rubans roses arrive, mysterieuse, et dit en souriant: "Demain matin, 10 heures, 2, Rue de la Fidelite." * * * * * Le lendemain, a l'heure indiquee, Petru jetait a un cocher cette adresse ironique: rue de la Fidelite! Bientot arrive, grace au coursier fougueux de la Compagnie Bixio, le Valaque gravit lestement les marches qui conduisaient au second etage de l'actrice. Ah! quelle emotion avait Petru en tirant le cordon de sonnette qui n'en pouvait mais! La porte s'ouvre enfin. Ciel! que voit notre Turc? Pallas! elle-meme, sa belle et luxuriante toison de cheveux bruns denoues, rejetes en arriere, et ... ... Dans le simple appareil D'une beaute qu'on vient d'arracher au sommeil. Ebloui d'un tel accueil, le Moldave entra chez la comedienne, et ... ... * * * * * Je n'avais pas revu Petru, depuis quatre ou cinq mois, lorsque avant-hier, au coin de la rue Drouot, je le rencontrai et eus, je l'avoue, bien de la peine a le reconnaitre. Ses traits tires, son dos legerement voute, m'impressionnerent vivement; mais, ne voulant pas lui laisser deviner le triste effet qu'il avait produit sur moi, je changeai tout a coup d'expression et, presque souriant, lui demandai: --Eh bien, mortel! toujours heureux? --Ah! mon ami! dit-il en soupirant. Et dans ces trois mots, que de regrets, que de desillusions! --Mon Dieu! tu me fais peur; pourquoi cet air de traitre de melo? Il me semble que ton sort n'est pas a plaindre. --Vous aussi! cria-t-il en m'etreignant le poignet, mais vous ignorez donc ce que c'est que d'etre epris d'une femme de theatre? Ah! ignorez-le toujours: c'est tout ce que je vous souhaite. Et heureux de trouver un gilet d'ami dans lequel il put pleurer a l'aise, Petru s'epancha abondamment dans mon sein. --Cette femme, reprit-il, joue sans cesse la comedie; elle ne peut pas me dire a table: "Passe-moi le sel", sans vibrer effrontement. Si je parle d'une cocotte en la blaguant, aussitot Pallas, prenant une pose tragique, me commence une diatribe echevelee sur le sort infortune des filles livrees a elles-memes, et, pour couronner son discours, appelant a son aide Victor Hugo, termine son dithyrambe en me recitant le fameux: Ah! n'insultez jamais une femme qui tombe! --Bah! --Et tout cela ne compte pas! le plus epouvantable, c'est la nuit; le jour n'est rien, mais c'est la nuit, mon cher! Et comme je clignais malignement. --Oh! non, vous n'y etes pas, poursuivit-il. Vous vous figurez peut-etre, qu'elle me permet de prendre de temps en temps un repos--bien gagne. Ah! bien, oui; au milieu de la nuit elle me reveille en sursaut, me disant brusquement: --Leve-toi. --Hein? --Et prends ca. --Qu'est-ce que c'est? --Racine. --Pour quoi faire? --Donne-moi la replique. Et nous voila tous les deux, en chemise, jouant _Britannicus_. La premiere fois, j'ai trouve ca drole; dire de la tragedie a deux heures du matin, dans ce nouveau peplum, c'etait original; mais, a la longue, je me suis lasse de ce plaisir, et j'ai essaye de faire comprendre a Pallas que les voisins aimeraient mieux dormir paisiblement que d'entendre une partie de la nuit hurler: Rome, l'unique objet.... A cette remarque, bien doucement faite pourtant, elle me jeta le livre a la figure, me crachant au visage cette insulte pleine de mepris: --Bourgeois! --Eh! bien, oui, bourgeois tant que tu voudras, lui ai-je dit; j'ai pour Racine une admiration profonde; mais a quatre heures du matin, j'ai autre chose a faire que de relire ses chefs-d'oeuvres.... Et me voyant sourire, Petru exaspere, s'interrompit: --Oui, oui, riez; mais moi, je pars ce soir pour Bukharest! LETTRE _Le Havre Sainte-Adresse, 18 aout 1885._ Cher monsieur Besson, Apres la tournee de la _Parisienne_, je n'ai eu que le temps de secouer mes effets et de reboucler mes malles pour Sainte-Adresse. Je realise ici le reve de tous les comediens: je suis directeur, directeur artistique s'entend, du casino Marie-Christine. Un directeur pas bien imposant; comme vous voyez. J'ai une petite troupe, oh! pas bien grande; nous sommes ... quatre--deux de chaque sexe--nous jouons deux fois par semaine; ca n'a l'air de rien? eh bien, c'est enorme. C'est enorme par la raison que je renouvelle toutes les fois l'affiche (et quel mal pour trouver un repertoire!) J'ai donne, jusqu'a present, _vingt trois pieces en un acte, en treize soirees (le Serment d'Horace, l'Histoire d'un sou et les Etrennes d'Edouard_), un petit chef-d'oeuvre que j'ai signe avec Evin, mon collaborateur du _Lezard_--ayant ete redemandes, sans compter l'avalanche torrentielle et obligatoire de monologues! J'ai joue tous les actes de Verconsin, Ferrier, Thiboust, Quatrelles, Normand, Grenet-Dancourt, Bilhaud, Lheureux et ... les miens (tiens, donc!) Quelle merveilleuse situation que celle de ce casino huche a mi-cote de Sainte-Adresse! Quelle vue! Quel site! Cet adorable endroit joint aux plaisirs de la station balneaire l'agrement de la grande ville qui est la, a ses pieds. Et jamais monotone un port de mer! Hier, j'ai ete voir debarquer des cochons. Ce qu'ils ... criaient! Pas a la noce, ces compagnons de Saint-Antoine! Places dans une grande caisse, une grue les elevait et les deposait sur le quai. Apres tout, ca n'a rien d'extraordinaire des grues levant des cochons. * * * * * Hier, autre rejouissance: concours de natation. Vraiment curieux, tous ces jeunes gens, en calecon de bain, se precipitant a la fois dans la "_me_" et gagnant le large en cherchant ... a gagner le prix. 500 metres a faire! Le hasard avait place a mes cotes le pere et la mere d'un concurrent qui, avant de fendre les flots, vint recevoir les derniers conseils paternels. --Ne te presse pas surtout, menage ton souffle et fait des brasses, tu entends, fais des brasses. --Savez-vous que c'est raide, dis-je a la mere, 500 metres! --Oh! monsieur le gas, est marin; a sept ans, il a eu un prix. --Oh! bien, vous etes tranquille. --Tiens, regarde ton fils, fait le pere, en s'adressant a sa femme, c'est lui le premier, a present. Aie donc! Et la mere, tout en le suivant des yeux, faisait les memes mouvements que son rejeton. --Jusqu'ou va-t-il? demandai-je. --Il va doubler la barque ou est le drapeau la-bas! --Ah! il va.... (Elle n'est pas solide, pensai-je; c'est egal ce n'est pas commode de doubler une barque en etant dans l'eau. Enfin!...) --Voyez-vous comme il souque! s'ecria la mere triomphante. --Oh! oui, il souque bien! repetai-je en ayant l'air de comprendre ce qu'elle voulait me dire. * * * * * Revenu a terre, le jeune homme sortit de l'eau aux acclamations de la foule enthousiaste. --Bebe! exclama la maman en larmes. (Bebe avait dans les vingt-six ans et une barbe de fleuve.) --Tiens bois, ca, fieu, fit le pere en tendant une fiole de rhum qu'il venait de prendre dans sa poche et embrasse-moi. Je vous assure que c'etait tres drole de voir ce bon vieux couple embrasser ce grand monsieur tout nu et ruisselant. J'en avais les yeux humides.... Il faut dire que j'etais si pres de lui.... Le plus fort, c'est que, quelques instants apres, il recommencait une seconde course de 800 metres, et la gagnait haut ... les bras.... Et comme en nageant on decrit toujours quelques zigzags, ca lui a fait environ 1500 metres qu'il avait dans les jambes a la fin de la journee. Decidement il est plus fort que moi. Et maintenant un mot pour finir: Faisant faire une pendule en bois (accessoire), le peintre du casino embarrasse vint me demander _quelle heure il fallait peindre?_ Et comme je le regardais, pret a pouffer: --Bah! dit-il, je vais mettre onze heures.... C'est toujours a cette heure-la qu'on regarde la pendule. (Historique.) Bien votre, F. G. UN CLARINETTISTE _A Ph. GILLE._ Dire que l'artiste a pour embleme l'humble violette serait a coup sur, une tres jolie phrase, mais qui aurait le tort de n'etre pas positivement exacte. On sait, en effet, que la modestie n'est pas la qualite dominante du monsieur qui fait quelque chose en public. J'ai deja coudoye dans ma courte existence pas mal de comediens poseurs, de chanteurs pretentieux et d'instrumentistes se disant celebrissimes, mais jamais, au grand jamais, il ne m'a ete donne de voir un type aussi acheve, aussi complet que celui que je viens de rencontrer cet ete ... a Galet-sur Mer. Sourdinoff (c'est son nom ... ou a pres), clarinettiste aussi decore que chevelu, vint donner, il y a quelques semaines, un "concert instrumental et spirituel" au casino de la station balneaire precitee. Les plaisirs nocturnes etant plus que rares dans cette oasis de la Normandie, a l'annonce du concert Sourdinoff, tous les baigneurs allerent en foule retenir leur place a cette cellule vitree denommee: Casino. La plage entiere se fit inscrire. Pas de periphrases attenuantes: le concert fut assommant! Du reste, voici le programme, autant que je me le rappelle, jugez vous-meme: Premiere partie: ouverture _executee_ par un vieux monsieur paye 80 fr. par mois pour ereinter l'ivoire de la maison Pleyel, a faire s'agiter les pieds enormes de nos chers voisins, les Anglais. 2º Six morceaux de clarinette (a. b. c. d. e. f.) airs connus, deranges par Sourdinoff et joues par l'auteur. Entr'acte. Reouverture de plus en plus massacree ... executee par le bon vieillard "qui n'avait jamais travaille devant un aussi bel auditoire" et, pour finir, huit morceaux (a. b. c. d. e. f. g. h.) par le beneficiaire! Ah! le criminel! marche funebre et guerriere, valse, tarentelle, pas redouble, melodie, galop, rien ne manqua. Et, comme heureux de ne plus etre oppresse par le poids de ce programme, le public, a l'issue de la soiree, applaudissait timidement; ce Sourdinoff de malheur ne s'avisa-t-il point de recommencer son dernier numero! Il se bissait, l'infame! Je me disposais, joyeux, a regagner mes lares (vieux style) quand un voisin de table d'hote, vint me dire: --Venez feliciter Sourdinoff. --Hein? --Vous ne pouvez pas vous en dispenser, il vous a vu dans la salle et compte sur vos compliments. --Mais ... --Voyons, ca vous coute si peu, et ca lui fera tant de plaisir! Je n'aime pas beaucoup dire le contraire de ce que je pense, surtout en art, et j'avoue que la perspective de serrer la main de mon bourreau en le felicitant, etait pour moi peu rejouissante. Enfin, ne voulant pas m'attirer la haine d'un clarinettiste--ca fait trop de bruit--je suivis notre ami commun. * * * * * Nous arrivames au moment ou une grosse dame disait avec admiration a l'instrumentiste: --Vous devez avoir bien soif! Les presentations faites, je balbutiai quelques paroles vagues: --... Succes reel ... public charme ... devez etre content ... mais le disciple de Christophe Denner m'arretant tout a coup, me dit avec un sourire que je ne crains pas de qualifier d'amer: --Ah! cher confrere (pourquoi m'appelait-il confrere, moi qui ne souffle dans rien du tout? J'ignore) il n'y a que l'etranger pour remporter ce qui s'appelle des succes prodigieux. Je ne parle pas, la, des couronnes qu'on vous lance, des palmes qu'on vous decerne, des medailles qu'on vous offre, des decorations qu'on vous supplie d'accepter, non, tout cela n'est rien, aupres de l'estime qu'on a pour l'artiste! L'estime, voyez-vous, il n'y a encore que ca! C'est a qui vous approchera! Les ducs, les princes considerent comme un honneur insigne de vous serrer la main. --Ah! bah! fis-je, ahuri. --Ainsi, tenez, poursuivit Sourdinoff, laissez-moi vous conter une aventure qui m'est arrivee dernierement, a Potsdam. Je venais de donner un concert qui avait eu un de ces succes!... enfin, je passe. La marquise de Pigalska y assistait. Enthousiasmee de mon grand talent, cette noble dame organisa chez elle, une petite soiree et me pria de vouloir bien m'y faire entendre. Je consentis. Je n'ai pas besoin de vous dire que s'il fut restreint, le public etait compose de tout ce que Potsdam comptait de plus aristocratique; tous mes auditeurs etaient assurement inscrits dans l'almanach de Gotha. J'allais donc jouer la, devant un parterre de princes. * * * * * Sur l'invitation de la grande dame qui me recevait, je me disposais a commencer lorsque je m'apercus que Pedali, mon accompagnateur n'etait pas la. Lui! un garcon si exact d'ordinaire! Son absence devait avoir eu pour cause une indisposition grave; il ne fallait pas compter sur lui, ce soir-la. Je m'excusai de mon mieux aupres de la marquise, lui assurant que je ne pouvais pas plus me passer de mon accompagnateur que de mon propre instrument, et la priai de me pardonner si je ne me faisais point entendre. Mais, a l'idee de son monde vainement reuni, de sa soiree manquee, ma noble hotesse soudainement devenue pourpre, s'adressant a la vieille princesse Diamanfo, pianiste remarquable quoique amateur, la supplia de m'accompagner. La douairiere, que cet honneur inattendu troublait fort, ce qui est bien naturel, se recusa. J'allais partir lorsqu'un monsieur tout chamarre, absolument correct dans son habit noir, s'avanca vers moi et me dit: --Mon Dieu, monsieur, j'ai joue souvent pour me distraire la fantaisie de Demersmann et, si vous voulez bien, je me fais fort de vous suivre. Ne me refusez pas cette gloire, je vous en prie. Apres une demi-seconde d'hesitation, j'acceptai et n'eus pas a m'en plaindre car mon accompagnateur improvise me seconda merveilleusement. Le morceau eut un succes ecrasant, comme d'habitude. Je demandai a mon pianiste inconnu son nom, afin d'aller le remercier moi-meme, il me repondit: --Venez demain a cette adresse; je serai heureux a mon tour, de vous redire toute l'admiration que j'ai pour votre colossal talent. Je n'eus garde d'y manquer, vous le supposez. * * * * * Le lendemain, ma voiture s'arretait devant un magnifique hotel. Une cloche m'ayant annonce, un valet m'introduisit dans un salon superbement orne quoique severe, et quelques instants apres, apparut le maitre de la maison, tout aussi correct chez lui, que la veille, chez la marquise Pigalska. * * * * * Ma modestie m'empeche de vous repeter notre conversation, a l'issue de laquelle je pris conge de mon mysterieux interlocuteur en lui demandant toutefois a qui j'avais l'honneur de parler. --Eh bien, monsieur, savez-vous qui m'avait accompagne la veille? --? --C'etait Bismarck!!! LES COMMANDEMENTS DU COMEDIEN _A. V. REGNARD._ Chez un directeur te rendras, Pour avoir un engagement. Dans son cabinet, tacheras D'etre "refait" mediocrement. Tout d'abord, tu ne signeras Que pour deux annees, seulement. Toujours en vedette seras, Seul et tres gros, turellement. Une loge salubre auras, A l'entresol, sur le devant, Le jour tu ne repeteras Qu'apres midi, jamais avant. Aux claqueurs, tu commanderas, De t'applaudir fort, tout le temps. Aux ouvreuses ordonneras De dire: Il a bien du talent! Le spectacle fini, crieras Ton adresse assez bruyamment: Alors, veinard, remarqueras Jeunes filles et leur maman.... * * * * * * * * * * Mais de ca tu n'abuseras, Vu ton petit temperament. LETTRE _A E. BENJAMIN._ Nous _exploitons_, comme vous le savez, le grrrand succes parisien: _La Mission delicate_. Apres avoir joue tour a tour a Versailles, Chartres, Rennes, Nantes, Angers, Saumur, Angouleme, Libourne, Perigueux. (Entre parentheses, nous avons mange, a Rennes, des pates de Chartres, ou nous avons bu du guignolet d'Angers, que nous n'avons pu nous procurer dans sa ville natale). Apres le pays de M. Ballande, nous avons file vers le Midi. Ah! le Midi! en voila une mine d'observations! C'est la que nous en avons vu, des types! et entendu, des ... reponses! Sont-ils convaincus ou feignent-ils de l'etre? En tout cas, ils sont bien amusants, ces bons Meridionaux, mes doux compatriotes (je suis Bordelais). Quelle reputation surfaite que la vivacite des gens du Sud! Ils sont vifs, oui, en paroles, mais autrement.... Te, pourquoi se presser, he? Je vais copier pour vous quelques reponses que j'ai crayonnees au fur et a mesure que je les entendais. C'est sans suite ni cohesion, mais excusez-moi, je vous ecris pendant un entr'acte (oh! quel metier!) Ah! une recommandation auparavant: Priere de lire avec l'_accint_ sans cela, le mot n'a plus de saveur. A P..., un de nos camarades entre chez un chapelier, en lui designant un manille: --Combien ce chapeau? --Sisse cinquinte et il vous va, he? --Mais il n'entre pas. --Naturellement, il se fera a la tete! Est-ce joli! mais ce qui l'est davantage, c'est que mon copain a achete le couvre-chef! * * * * * A l'hotel ou nous etions descendus, a Cahors. Nous rentrons a minuit. --Garcon, avez-vous une allumette? --Non je ne fume pas! * * * * * Et je vous repete, le seul merite de ces mots, c'est qu'ils sont absolument _vrais_. A Dax, le pays de la fontaine d'eau chaude, nous allons prendre un bock dans un cafe-concert (genre _Ambassadeurs_,) et tout en degustant, nous demandons au patron: --Eh bien! ca va-t-il un peu les affaires? --Heu! heu! --Vous n'etes pas content? --Si, mais c'est tres dur; ici, les femmes sont usees tout de suite; pour bien faire, il faudrait _changer le betail_ tous les huit jours. * * * * * Et a Nimes, cette reponse que nous fit une hoteliere: --Comment, dix sous, ce cafe? --Te, je vous ai servis dans des petites tasses! Elle n'est pas dans un sac, celle-la, hein? * * * * * A Mont-de-Marsan. Au theatre, absence totale de luminaire. --Eh bien, ou est le gaz? --Ah! c'est une nouvelle Compagnie qui est en train de changer les tuyaux, vous en aurez quand les magasins seront fermes. (Ils ferment a onze heures et demie, nous avions fini.) Et le plus amusant, c'est que dans la journee, etant entre dans un bureau de tabac pour allumer un cigare, et m'etonnant de voir le petit tube de caoutchouc eteint, je recus cette reponse: --Ah! c'est que ce soir il y a theatre! * * * * * Je m'apercois, mon cher ami, que je dois etre terriblement monotone et ennuyeux, aussi vais-je terminer cette nomenclature par cette derniere meridionalerie: Nous dinions, a Pau, a table d'hote, quand un compatriote du bon roi, nous entendant dire que nous allions de Tarbes a Cahors, nous dit a brule-pourpoint et tout en vinaigrant sa salade: --Vous allez de _Tarbeuss_ a _Cahorss_? --Oui. --Eh bien il faut _vinte_ heures. --Hein! --Oui, oui, _vinte_ heures. --Mon Dieu, monsieur, dit l'un de nous, cela n'est pas possible, nous ne partons demain qu'a neuf heures et nous jouons, le soir. --Sapristi, je le _se_ bien, j'y _ve_ sans cesse. --A pied, alors? --Non, en voiture! Voyez-vous ce monsieur qui se figurait que nous voyagions _en voiture!_ Je termine en suppliant les Meridionaux qui pourraient lire cette lettre de n'en pas vouloir au signataire qui, orfevre lui-meme, apprecie a sa juste valeur ce pays qui a donne tant d'illustrations politiques et artistiques a la France. Tout a vous, mon cher Benjamin. F. G. LES TOURNEES _A A. DUPRE._ I Mon Dieu que c'est donc amusant De faire en ete des tournees! On s'en va leste, insouciant; Mon Dieu que c'est donc amusant! On croit rapporter de l'argent, De l'argent pour beaucoup d'annees, Et l'on revient comme Gros-Jean, Mais c'est amusant les tournees! II Or, on choisit ses compagnons. Lorsque l'on fait un long voyage Il faut eviter les grognons: On choisit donc ses compagnons. Je vais du cote des chignons, Avec eux je fais bon menage. J'aime les visages mignons Lorsque je fais un long voyage. III Puis un paysage est charmant Quand on le voit pres d'une femme! Il est plus bleu, le firmament, Le paysage est mieux vraiment; On se regarde tendrement La nature epanouit l'ame.... Qu'un paysage est donc charmant Quand on le voit pres d'une femme! IV Le chemin de fer rend joyeux Et vous met d'humeur folichonne, Constamment admirer les cieux Rend le morose tres joyeux; Avec les employes au mieux On plaisante, on rit, on gasconne; On les appelle tous "mon vieux" Dam! l'humeur est tres folichonne. V On descend dans de bons hotels Dont les draps sont parfois humides, Mais de tous temps ils furent tels; En province, oh! les bons hotels! Ou donc le confort des castels? On rit de nous, gens trop timides, Acceptant les affreux Vatels, Ainsi que les vieux draps humides! VI Dans la rue, on dit: Les voila, Les Parisiens! quel spectacle! Sur nos pas, on pousse des ah! Et l'on chuchote: Les voila! Mais nous, plutot, disons: Hola, Les voyant de notre pinacle, Jamais on n'eut reve cela, Les provinciaux, quel spectacle! VII Et puis, comme l'on est gobeur Quand on est loin du cafe Riche! Ou trouve tout bon, tout meilleur, Mon Dieu, comme l'on est gobeur! O Parisien de malheur! D'emballements tu n'es pas chiche, A l'avenir sois moins gobeur Eloigne de ton cafe Riche. VIII Au retour, ils sont tous gueris Les bons amateurs de tournees; Avec joie ils voient leur Paris, Au retour, ils sont tous gueris! Ils n'en sont certes pas marris En voila pour plusieurs annees! Ils sont absolument gueris Des interminables tournees. TABLE DES CHAPITRES Nos acteurs en tournee Le sac de Geronte Concert-express Une reception Deception Tenor et prestigiditateur Les extra Un impressario Un concert a Athis-Nous Les medecins de Moliere Les animaux au theatre Rien de nouveau Billet de faveur Chez Momus Un chanteur commercant Le concert de la place de la Bourse Sans le vouloir Les souffleurs Une maladie de peau Lettre L'acteur realiste Lamentations de Boieldieu Un drole de couple Lettre de Jeannine a Suzanne Les tics Les vacances d'un comedien 33, boulevard Haussmann Un pere Une representation extraordinaire Le ruban Virgo Lettre Un clarinettiste Les commandements du comedien Lettre Les tournees FIN DE LA TABLE End of Project Gutenberg's Galipettes, by Felix Galipaux (1860-1931) *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GALIPETTES *** ***** This file should be named 12665.txt or 12665.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/2/6/6/12665/ Produced by Carlo Traverso, Eric Bailey and Distributed Proofreaders Europe, http://dp.rastko.net. 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If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread public domain works in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH F3. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.