The Project Gutenberg eBook of Egalité des hommes et des femmes

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Title: Egalité des hommes et des femmes

A la Reyne

Author: Marie Le Jars de Gournay

Contributor: Horace

Release date: November 28, 2023 [eBook #72251]

Language: French

Original publication: none: none, 1622

Credits: Claudine Corbasson and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

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Au lecteur

Version modernisée

EGALITÉ
DES
HOMMES ET DES FEMMES.

A LA REYNE.

M. DC. XXII.


A LA REYNE.

Madame,

Ceux qui s’aduiſerent de donner vn Soleil pour deuiſe au Roy voſtre Pere, auec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne penſoient: parce qu’en repreſentans ſa grandeur qui voit preſque touſiours ce Prince des Aſtres ſur quelqu’vne de ſes terres, ſans interuale de nuict; ils rendirent la deuiſe hereditaire en voſtre Majeſté, preſageans vos vertus, & de plus, la beatitude des François ſous voſtre Auguſte preſence. C’eſt diſie chez voſtre Majeſté, Madame, que la lumiere des vertus n’aura point d’Occident, ny cõſequemment l’heur & la felicité de nos Peuples qu’elles eſclairerõt. Or comme vous eſtes en l’Orient de voſtre aage & de vos vertus 4 enſemble, Madame, daignez prendre courage d’arriuer en meſme point au midy de luy & d’elles, ie dis de celles qui ne peuuent meurir que par temps & culture: car il en eſt quelques vnes des plus recommendables, entre autres la Religion, la charité vers les pauures, la chaſteté & l’amour coniugale, dont vous auez touché le midy dés le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort auſsi grand & puiſſant que voſtre Royauté, pour grande & puiſſante qu’elle ſoit: les Roys eſtãt battus de ce malheur, que la peſte infernale des flatteurs qui ſe gliſſent dans les Palais, leur rend la vertu & la clair voyance ſa guide & ſa nourrice, d’vn accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Ie ne ſcay qu’vn ſeur moyen à vous faire eſperer, d’atteindre ces deux midys en meſme inſtant: c’eſt qu’il plaiſe à V. M. ſe ietter viuement ſur les bons liures de prudence & de mœurs: car außi toſt qu’vn Prince s’eſt releué l’eſprit par cet exercice, les flatteurs ſe trouuans les moins fins ne s’oſent plus iouër à luy. Et ne peuuent communemẽt les Puiſſans & les Roys receuoir inſtruction opportune que des mors: parce que les viuans eſtans partis en deux bandes, les foux & meſchans, c’eſt à dire ces flateurs dont eſt 5 question, ne ſçauent ny veulent bien dire pres d’eux; les ſages & gens de bien peuuent & veulent, mais ils n’oſent. C’eſt en la vertu certes, Madame, qu’il faut que les perſonnes de voſtre rang cherchent la vraye hauteſſe & la Couronne des Couronnes: d’autant qu’ils ont puiſſance & non droit de violer les loix & l’equité, & qu’ils trouuent autant de peril & plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Außi nous apprend vn grand Roy luy meſme, que toute la gloire de la fille du Roy eſt par dedans. Quelle eſt cependant ma ruſticité, tous autres abordent leurs Princes & Roys en adorant & loüant, i’oſe aborder ma Reyne en preſchant? Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui meurt d’enuie d’ouyr la France crier ce mot, auec applaudiſſement, La lumiere n’a point d’Occident pour moy, par tout où paſſera voſtre Majesté nouueau Soleil des vertus: & d’enuie encore de tirer d’elle, ainſi que i’espere de ſes dignes commencemens, vne des plus fortes preuues du Traicté que i’offre à ſes pieds, pour maintenir l’egalité des hommes & des femmes. Et non ſeulement veu la grandeur vnique qui vous eſt acquiſe par naiſſance & par mariage, vous ſeruirez de miroir au ſexe 6 & de ſuiet d’emulation aux hommes encore, en l’eſtẽduë de l’Vniuers, ſi vous vous esleuez au prix & merite que ie vo9 propoſe: mais außi toſt, Madame, que vous aurez pris reſolution de vouloir luyre de ce bel & precieux eſclat, on croira que tout le meſme ſexe eſclaire en la ſplendeur de vos rayons. Ie ſuis de voſtre Maieſté

MADAME,

Tres-humble & Tres-obeiſſante
ſeruante & ſubjecte.

Gournay.


7

EGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES.

La pluſpart de ceux qui prennẽt la cauſe, des femmes, contre cette orgueilleuſe preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier: r’enuoyans la preferance vers elles. Moy qui fuys toutes extremitez, ie me contente de les eſgaler aux hommes: la nature s’oppoſant pour ce regard autant à la ſuperiorité qu’à l’inferiorité. Que diſ-je, il ne ſuffit pas à quelques gens de leur preferer le ſexe maſculin, s’ils ne les confinoient encores d’vn arreſt irrefragable & neceſſaire à la quenoüille, ouy meſme à la quenouille ſeule. Mais ce qui les peut conſoler contre ce meſpris, c’eſt qu’il8 ne ſe faict que par ceux d’entre les hommes auſquels elles voudroient moins reſſembler: perſonnes à donner vray ſemblance aux reproches qu’on pourroit voſmir ſur le ſexe feminin, s’ils en eſtoient, & qui ſentent en leur cœur ne ſe pouuoir recommãder que par le credit de l’autre. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les ruës, que les femmes manquent de dignité, manquent auſſi de ſuffiſance, voire du temperament & des organes pour arriuer à cette-cy, leur eloquence triomphe à preſcher ces maximes: & tant plus opulemment, de ce que, dignité, ſuffiſance, organes & temperament ſont beaux mots: n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’vn mal habill’homme, c’eſt de cautionner les choſes ſoubs la foy populaire & par ouyr dire. Voyez tels eſprits comparer ces deux ſexes: la plus haute ſuffiſance à leur aduis où les femmes puiſſent arriuer, c’eſt de reſſembler le commun des hommes: autant eſlongnez d’imaginer, qu’vne grande femme ſe peuſt dire grand homme, le ſexe chãgé, que de conſentir qu’vn homme ſe 9 peuſt eſleuer à l’eſtage d’vn Dieu. Gens plus braues qu’Hercules vrayement, qui ne desfit que douze monſtres en douze combats; tandis que d’vne ſeule parolle ils desfont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui ſe ueulent eſleuer & fortifier de la foibleſſe d’autruy, ſe puiſſent eſleuer ou fortifier de leur propre force? Et le bon eſt, qu’ils penſent eſtre quittes de leur effronterie à vilipender ce ſexe, vſants d’vne effronterie pareille à ſe loüer & ſe dorer eux meſmes, ie dis par fois en particulier comme en general, voire à quelque tort que ce ſoit: comme ſi la verité de leur vãterie receuoit meſure & qualité de ſon impudence. Et Dieu ſçait ſi ie congnois de ces ioyeux vanteurs, & dont les vanteries ſont tantoſt paſſées en prouerbe, entre les plus eſchauffez au meſpris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’eſtre galans & ſuffiſans hommes, de ce qu’ils ſe declarent tels cõme par Edict; pourquoy n’abeſtiront ils les femmes par le contrepied d’vn autre Edict? Et ſi ie iuge bien, ſoit de la dignité, ſoit de la capacité des dames, 10 ie ne pretends pas à cette heure de le prouuer par raiſons, puiſque les opiniaſtres les pouroient debattre, ny par exemples, d’autant qu’ils ſont trop cõmuns; ains ſeulement par l’aucthorité de Dieu meſme, des arcſboutans de ſon Egliſe & de ces grands hommes qui ont ſeruy de lumiere à l’Vniuers. Rangeons ces glorieux teſmoins en teſte, & reſeruons Dieu, puis les Saincts Peres de ſon Egliſe, au fonds, comme le treſor.

Platon à qui nul n’a debattu le tiltre de diuin, & conſequemment Socrates ſon interprete & Protecole en ſes Eſcripts; (s’il n’eſt là meſme celuy de Socrates, ſon plus diuin Precepteur) leur aſſignent meſmes droicts, facultez & functions, en leurs Republiques & par tout ailleurs. Les maintiennent, en outre, auoir ſurpaſſé maintefois tous les hommes de leur Patrie: comme en effect elles ont inuenté partie des plus beaux arts, ont excellé, voire enſeigné cathedralement & ſouuerainement ſur tous les hommes en toutes ſortes de perfections & vertus, dans les plus fameuſes11 villes antiques entre autres Hypathia. Alexandrie, premiere de l’Empire apres Rome. Dont il eſt arriué que ces deux Philoſophes, miracles de Nature, ont creu dõner plus de luſtre à des diſcours de grand poix, s’ils les prononçoient en leurs liures par la bouche de Diotime & d’Aſpaſie: Diotime que ce dernier ne craint point d’appeller ſa maiſtreſſe & Preceptrice, en quelques vnes des plus hautes ſciences, luy Precepteur & maiſtre du genre humain. Ce que Theodoret releue ſi volontiers en l’Oraiſon de la Foy, ce me ſemble; qu’il paroiſt bien que l’opinion fauorable au ſexe luy eſtoit fort plauſible. Apres tous ces teſmoignages de Socrates, ſur le faict des dames; on void aſſez que s’il lache quelque mot au Sympoſe de Xenophon contre leur prudence, à comparaiſon de celle des hommes, il les regarde ſelon l’ignorance & l’inexperience où elles ſont nourries, ou bien au pis aller en general, laiſſant lieu frequent & ſpatieux aux exceptions: à quoy les deuiſeurs dont eſt queſtion ne s’entendent point.

12

Que ſi les dames arriuẽt moins ſouuẽt que les hõmes, aux degrez d’excellence, c’eſt merueille que le deffaut de bonne inſtructiõ, voire l’affluẽce de la mauuaiſe expreſſe & profeſſoire ne face pis, les gardant d’y pouuoir arriuer du tout. Se trouue til plus de difference des hommes à elles que d’elles à elles meſmes, ſelon l’inſtitution qu’elles ont prinſe, ſelon qu’elles ſont eſleuées en ville ou village, ou ſelon les Nations? Et pourquoy leur inſtitution ou nourriture aux affaires & Lettres à l’egal des hommes, ne rempliroit elle ce vuide, qui paroiſt ordinairement entre les teſtes des meſmes hommes & les leurs: puis que la nourriture eſt de telle importance qu’vn de ſes membres ſeulement, c’eſt à dire le commerce du monde, abondant aux Françoiſes & aux Angloiſes, & manquant aux Italiennes, celles cy ſont de gros en gros de ſi loing ſurpaſſées par celles là? Ie dis de gros en gros, car en detail les dames d’Italie triumphent par fois: & nous en auons tiré deux Reynes à la prudence deſquelles la France a trop d’obligation. Pourquoy vrayment 13 la nourriture ne frapperoit elle ce coup, de remplir la diſtance qui ſe void entre les entendemens des hommes & des femmes; veu qu’en cet exemple icy le moins ſurmonte le plus, par l’aſſiſtance d’vne ſeule de ſes parcelles, ie dis ce cõmerce & conuerſatiõ: l’air des Italiẽnes eſtant plus ſubtil & propre à ſubtilizer les eſprits, comme il paroiſt en ceux de leurs hommes, confrontez communement contre ceux là des François & des Anglois? Plutarque au Traicté des vertueux faicts des femmes maintient; que la vertu de l’homme & de la femme eſt meſme choſe. Seneque d’autre part publie aux Conſolations; qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les dames ingratement, ou reſtrainct & racourcy leurs vertus & leurs eſprits, plus que les vertus & les eſprits des hõmes: mais qu’elle les a doüées de pareille vigueur & de pareille faculté à toute choſe honeſte & loüable. Voyons ce qu’en iuge apres ces deux, le tiers chef du Triũuirat de la ſageſſe humaine & morale en ſes Eſſais. Il luy ſemble, dit il, & ſi ne ſçait pourquoy, qu’il ſe 14 trouue rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’eſt ce pas les mettre en particulier à l’egale contrebalance des hommes, & confeſſer, que s’il ne les y met en general il craint d’auoir tort: bien qu’il peuſt excuſer ſa reſtrinction, ſur la pauure & diſgraciée nourriture de ce ſexe. N’oubliant pas au reſte d’alleguer & releuer en autre lieu de ſon meſme liure, cette authorité que Platon leur depart en ſa Republique: & qu’Anthiſtenes nioit toute difference au talent & en la vertu des deux ſexes. Quant au Philoſophe Ariſtote, puiſque remuant Ciel & terre, il n’a point contredit en gros, que ie ſcache, l’opinion qui fauoriſe les dames, il l’a confirmée: s’en rapportant, sans doubte, aux ſentences de ſon pere & grand pere ſpirituels, Socrates & Platõ, comme à choſe conſtante & fixe ſoubs le credit de tels perſonnages: par la bouche deſquels il faut aduoüer que le genre humain tout entier, & la raiſon meſme, ont prononcé leur arreſt. Eſt il beſoing d’alleguer infinis Eraſme Epiſt: & Colloq. Politia: Epiſt. Agripa Precel: du ſexe feminin Courtizan. autres anciens & modernes de nom illuſtre, ou parmy 15 ces derniers, Eraſme, Politien, Agripa, ny cet honneſte & pertinent Precepteur des courtizans: outre tant de fameux Poëtes ſi contrepoinctez tous enſemble aux meſpriſeurs du ſexe feminin, & ſi partiſans de ſes aduantages aptitude & diſpoſition à tout office & tout exercice louable & digne? Les dames en verité ſe conſolent, que ces deſcrieurs de leur merite ne ſe peuuent prouuer habiles gens, ſi tous ces eſprits le ſont: & qu’vn homme fin ne dira pas, encores qu’il le creuſt, que le merite & paſſedroit du ſexe feminin tire court, pres celuy du maſculin; iuſques à ce que par arreſt il ait faict declarer tous ceux là buffles, affin d’infirmer leur teſmoignage ſi contraire à tel decry. Et buffles faudroit il encores declarer des Peuples entiers & des plus ſublins, entre autres ceux de Smyrne en Tacitus: qui pour obtenir iadis à Rome preſſeãce de nobleſſe ſur leurs voiſins, allegoient eſtre deſcendus, ou de Tantalus fils de Iupiter ou de Theſeus petit fils de Neptune ou d’vne Amazone, laquelle par ce moyen ils contrepeſoient 16à ces Dieux. Pour le regard de la loy Salique, qui priue les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inuẽtée au temps de Pharamond, pour la ſeulle conſideration des guerres contre l’Empire duquel nos Peres ſecoüoient le ioug: le ſexe feminin eſtant vray ſemblablement d’vn corps moins propre aux armes, par la neceſſité du port & nourriture des enfans. Hotman pour l’etymologie des Pairs: du Tillet & Math. Hiſtoire du Roy pour les Dames Pairreſſes. Il faut rémarquer encores neantmoins, que les Pairs de France ayans eſté créez en premiere intention comme vne eſpece de perſonniers des Roys, ainſi que leur nom le declare: les dames Pairaiſſes de leur chef ont ſeance, priuilege & voix deliberatiue par tout où les pairs en ont & de meſme eſtendue. Comme auſſi les Lacedemoniens ce braue & genereux Peuple, conſultoit de toutes affaires priuées & publiques auec ſes femmes. Plut. Bien a ſeruy cependant aux François, de trouuer l’inuention des Regentes, pour vn equiualent des Roys; car ſans cela combien y a il que leur Eſtat fuſt par terre? Nous ſçaurions bien dire auiourd’huy par eſpreuue, quelle neceſſité 17 les minoritez des Roys ont de cette recepte. Les Germains ces belliqueux Peuples, dit Tacitus, qui apres plus de deux cens ans de guerre, furent pluſtoſt triumphéz que vaincus; portoient dot à leurs femmes, non au rebours. Ils auoient au ſurplus des Nations, qui n’eſtoient iamais regies que par ce ſexe. Et quand Ænee preſente à Didon le ſceptre d’Ilione, les ſcoliaſtes diſent, que cela prouient, de ce que les dames filles aiſnées, telle qu’eſtoit cette Princeſſe, regnoient anciennement aux maiſons Royalles. Veult on deux plus beaux enuers à la loy Salique, ſi deux enuers elle peut ſouffrir? Si ne meſpriſoient pas les femmes nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois auſſi; lors qu’eſtans vnis en l’armée d’Hanibal pour paſſer les Alpes, ils eſtablirent les dames Gauloiſes arbitres de leurs differends. Et quand les hommes deſroberoient à ce ſexe en pluſieurs lieux, part aux meilleurs aduantages; l’inegalité des forces corporelles plus que des ſpirituelles, ou du merite, peut facilement eſtre cauſe du larrecin & de ſa ſouffrance: forces 18 corporelles, qui ſont vertus ſi baſſes, que la beſte en tient plus par deſſus l’homme, que l’homme par deſſus la femme. Et ſi ce meſme Hiſtoriographe Latin nous apprend, qu’où la force regne, l’equité, la probité, la modeſtie meſme, ſont les attributs du vainqueur; s’eſtonnera-on, que la ſuffiſance & les merites en general, ſoient ceux de nos hommes, priuatiuement aux femmes.

Au ſurplus l’animal humain n’eſt homme ny femme, à le bien prendre, les ſexes eſtants faicts non ſimplement, mais ſecundum quid, comme parle l’Eſchole: c’eſt à dire pour la ſeule propagation. L’vnique forme & difference de cet animal, ne conſiſte qu’en l’ame humaine. Et s’il eſt permis de rire en paſſãt, le quolibet ne ſera pas hors de ſaisõ, nous apprenant; qu’il n’eſt rien plus ſemblable au chat ſur vne feneſtre, que la chatte. L’homme & la femme ſont tellement vns, que ſi l’homme eſt plus que la femme, la femme eſt plus que l’homme. L’homme fut creé maſle & femelle, dit l’Eſcriture, ne comptant ces deux que pour vn. Dont Ieſus-Chriſt eſt appellé 19 fils de l’homme, bien qu’il ne le ſoit que de la femme. Ainſi parle apres le grãd Sainct Baſile: Homil. I. La vertu de l’homme & de la femme eſt meſme choſe, puis que Dieu leur a decerné meſme creation & meſme honneur: maſculum & fœminam fecit eos. Or en ceux de qui la Nature eſt vne & meſme, il faut que les actions auſſi le ſoient, & que l’eſtime & loyer en ſuitte ſoient pareils, où les œuures ſont pareilles. Voila donc la depoſition de ce puiſſant pilier, & venerable teſmoing de l’Egliſe. Il n’eſt pas mauuais de ſe ſouuenir ſur ce poinct, que certains ergotiſtes anciens, ont paſſé iuſques à cette niaiſe arrogance, de debattre au ſexe feminin l’image de Dieu à difference de l’homme: laquelle image ils deuoient, ſelon ce calcul attacher à la barbe. Il failloit de plus & par conſequent, deſnier aux femmes l’image de l’homme, ne pouuant luy reſſembler, ſans qu’elles reſſemblaſſent à celuy auquel il reſſemble. Olda Debora. Dieu meſme leur a departy les dons de Prophetie indifferamment auec les hommes, les ayant eſtablies auſſi pour Iuges, inſtructrices 20 & conductrices de ſon Peuple fidelle en paix & en guerre: & qui plus eſt, rendu triumphantes auec luy des hautes victoires, qu’elles ont auſſi maintefois emportées & arborées en diuers lieux du Monde: mais ſur quelles gens, à voſtre aduis? Cyrus & Theſeus: à ces deux on adiouſte Hercules, lequel elles ont ſinon vaincu, du moins bien battu. Auſſi fut la cheute de Pentaſilée, couronnemẽt de la gloire d’Achilles: oyez Seneque & Ronſard parlans de luy.

L’Amazone il vainquit dernier effroy des Grecs.
Pentaſilée il rua ſur la poudre.

Ont elles au ſurplus, (ce mot par occaſion) moins excellé de foy, qui comprend toutes les vertus principales, que de ſuffiſance & de force magnanime & guerriere? Paterculus nous apprend, qu’aux proſcriptions Romaines, la fidelité des enfãs fut nulle, des affranchis legere, des femmes treſgrande. Que ſi Sainct Paul, ſuyuãt ma route des teſmoignages ſaincts, leur deffend le miniſtere & leur commande le ſilence en l’Egliſe: il eſt euident que ce n’eſt point 21 par aucun meſpris: ouy bien ſeulement, de crainte qu’elles n’eſmeuuent les tentations, par cette montre ſi claire & publique qu’il faudroit faire en miniſtrant & preſchant, de ce qu’elles ont de grace & de beauté plus que les hommes. Ie dis que l’exemption de meſpris eſt euidente, puiſque cet Apoſtre parle de Theſbé comme de ſa coadiutrice en l’œuure de noſtre Seigneur, ſans toucher le grand credit de Saincte Petronille vers ſainct Pierre: & puis auſſi que la Magdeleine eſt nommée en l’Egliſe egale aux Apoſtres, par Apoſtolis. Entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard. Voire que l’Egliſe & eux-meſmes ont permis vne exception de ceſte reigle de ſilence pour elle, qui preſcha trente ans en la Baume de Marſeille au rapport de toute la Prouence. Et ſi quelqu’vn impugne ce teſmoignage de predications, on luy demandera que faiſoient les Sibyles, ſinon preſcher l’Vniuers par diuine inſpiration, ſur l’euenement futur de Ieſus-Chriſt? Toutes les anciennes Nations cõcedoient la Preſtriſe aux fẽmes, indifferemment auec les hommes. Et les Chreſtiens ſont au moins forcez 22 de conſentir, qu’elles ſoyent capables d’appliquer le Sacrement de Bapteſme: mais quelle faculté de diſtribuer les autres, leur peut eſtre iuſtement deniée; ſi celle de diſtribuer ceſtuy-là, leur eſt iuſtement accordé? De dire que la neceſſité des petits enfãs mourãs, ait forcé les Peres anciens d’eſtablir cet vſage en deſpit d’eux: il eſt certain qu’ils n’auroient iamais creu que la neceſſité les peuſt diſpenſer de mal faire, iuſques aux termes de permettre violer & diffamer l’application d’vn Sacrement. Et partant concedans ceſte faculté de diſtribution aux femmes, on void à clair qu’ils ne les ont interdites de diſtribuer les autres Sacremẽs, que pour maintenir touſiours plus entiere l’auctorité des hommes; ſoit pour eſtre de leur ſexe, ſoit afin qu’à droit ou à tort, la paix fuſt plus aſſeurée entre les deux ſexes, par la foibleſſe & rauallement de l’vn. Epiſt. Certes ſainct Ieroſme eſcrit ſagement à noſtre propos; qu’en matiere du ſeruice de Dieu, l’eſprit & la doctrine doiuent eſtre conſiderez, non le ſexe. Sentence qu’on doit generaliſer, pour permettre aux Dames 23 à plus forte raiſon, toute action & ſciẽce honneſte: & cela ſuyuant auſſi les intentions du meſme ſainct, qui de ſa part honnore & auctoriſe bien fort leur ſexe. Dauantage ſainct Iean l’Aigle & le plus chery des Euangeliſtes, ne meſpriſoit pas les fẽmes, non plus que ſainct Pierre, ſainct Paul & ces deux Peres, i’entends ſaint Baſile & ſainct Ieroſme; Electra. puis qu’il leur addreſſe ſes Epiſtres particulieremẽt: ſans parler d’infinis autres Ss: ou Peres, qui font pareille addreſſe de leurs Eſcrits. Quand au faict de Iudith ie n’en daignerois faire mention s’il eſtoit particulier, cela s’appelle dependant du mouuement & volonté de ſon auctrice: non plus que ie ne parle des autres de ce qualibre; bien qu’ils ſoient immenſes en quantité, comme ils ſont autant heroiques en qualité de toutes ſortes, que ceux qui couronnent les plus illuſtres hommes. Ie n’enregiſtre point les faicts priuez, de crainte qu’ils ſemblent, non aduantages & dons du ſexe, ains boüillons d’vne vigueur priuée & ſpecialle. Mais celuy de Iudith merite place en ce lieu, parce qu’il eſt 24 bien vray, que ſon deſſein tombant au cœur d’vne ieune dame, entre tant d’hommes laſches & faillis de cœur, à tel beſoing, en ſi haulte & ſi difficile entrepriſe, & pour tel fruict, que le ſalut d’vn Peuple & d’vne Cité fidelle à Dieu: ſemble pluſtoſt eſtre vne inſpiration & prerogatiue diuine vers les femmes, qu’vn traict purement voluntaire. Comme auſſi le ſemble eſtre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de meſmes circonſtances enuiron, mais de plus ample & large vtilité, s’eſtendant iuſques au ſalut d’vn grand Royaume & de ſon Prince.

Æneid. I.
alluſion.

Cette illuſtre Amazone inſtruicte aux ſoins de Mars,
Fauche les eſcadrons & braue les hazars:
Veſtant le dur plaſtron ſur ſa ronde mammelle,
Dont le bouton pourpré de graces eſtincelle:
Pour couronner ſon chef de gloire & de lauriers,
Vierge elle oſe affronter les plus fameux guerriers.

25

Adjouſtons que la Magdelene eſt la ſeule ame, à qui le Redempteur ait iamais prononcé ce mot, & promis cette auguſte grace: En tous lieux où ſe preſchera l’Euangile il ſera parlé de toy. Ieſus-Chriſt d’autrepart, declara ſa tres heureuſe & tres glorieuſe reſurrection aux dames les premieres, affin de les rẽdre, dit vn venerable Pere ancien, Apoſtreſſes aux propres Apoſtres: cela, cõme lon ſçait, auec miſſion expreſſe: Va, dit il, à cette cy meſme, & recite aux Apoſtres & à Pierre ce que tu as veu. Surquoy il faut notter, qu’il manifeſta ſa nouuelle naiſſance eſgalement aux femmes qu’aux hommes, en la perſonne d’Anne fille de Phannel, qui le recongneut en meſme inſtant, que le bon vieillard Sainct Simeon. Laquelle naiſſance, d’abondant, les Sybilles nommées, ont predite ſeules entre les Gentils, excellent priuilege du ſexe feminin. Quel honneur faict aux femmes auſſi, ce ſonge ſuruenu chez Pilate; s’addreſſant à l’vne d’elles priuatiuement à tous les hommes, & en telle & ſi haulte occaſion. Et ſi les hommes ſe vantent, que26 Ieſus-Chriſt ſoit nay de leur ſexe, on reſpond, qu’il le failloit par neceſſaire bien ſceance, ne ſe pouuant pas ſans ſcandale, meſler ieune & à toutes les heures du iour & de la nuict parmy les preſſes, aux fins de conuertir, ſecourir & ſauuer le genre humain, s’il euſt eſté du ſexe des femmes: notamment en face de la malignité des Iuifs. Que ſi quelqu’vn au reſte eſt ſi fade; d’imaginer maſculin ou feminin en Dieu, bien que ſon nom ſemble ſonner le maſculin, ny conſequemment beſoin d’acception d’vn ſexe pluſtoſt que de l’autre, pour honnorer l’incarnation de ſon fils; cettuy cy monſtre à plein iour, qu’il eſt auſſi mauuais Philoſophe que Theologien. D’ailleurs, l’aduantage qu’ont les hommes par ſon incarnation en leur ſexe; (s’ils en peuuent tirer vn aduantage, veu cette neceſſité remarquée) eſt cõpenſé par ſa conception tres precieuſe au corps d’vne femme, par l’entiere perfection de cette femme, vnique à porter nom de parfaicte entre toutes les creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, & 27 par ſon aſſumption vnique en ſuiect humain auſſi.

Finalement ſi l’Eſcripture a declaré le mary, chef de la femme, la plus grande ſottiſe que l’homme peuſt faire, c’eſt de prendre cela pour paſſedroict de dignité. Car veu les exemples, aucthoritez & raiſons nottées en ce diſcours, par où l’egalité des graces & faueurs de Dieu vers les deux eſpeces ou ſexes eſt prouuée, voire leur vnité meſme, & veu que Dieu prononce: Les deux ne ſeront qu’vn: & prononce encores: L’hõme quittera pere & mere pour ſuiure ſa femme; il paroiſt que cette declaration n’eſt faicte que par le beſoin expres de nourrir paix en mariage. Lequel beſoin requeroit, ſans doubte, qu’vne des parties cédaſt à l’autre, & la preſtance des forces du maſle ne pouuoit pas ſouffrir que la ſoubmiſſiõ vĩt de ſa part. Et quand bien il ſeroit veritable, ſelon que quelques vns maintiennent, que cette ſoubmiſſion fut imposée à la femme pour chaſtiement du peché de la pomme: cela encores eſt bien eſloigné de conclure à la pretendue preferance 28 de dignité en l’homme. Si lon croioit que l’Eſcripture luy commendaſt de ceder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’abſurdité qui ſuiuroit: la femme ſe treuueroit digne d’eſtre faicte à l’image du Createur, de iouyr de la treſſaincte Eucariſtie, des myſteres de la Redemptiõ, du Paradis & de la viſion voire poſſeſſion de Dieu, non pas des aduantages et priuileges de l’homme: ſeroit ce pas declarer l’homme plus precieux & releué que telles choſes, & partant commettre le plus grief des blaſphemes?

FIN.


29

L’IMPRIMEVR A RANGÉ
ces vers icy pour emplir le reſte
de la feuille.

AVTHEVR INCERTAIN.
Lvmine Acron dextro captus, Leonilla ſiniſtro,
Et potis eſt forma vincere vterque Deos.
Blande puer, lumen quod habes concede ſorori:
Sic tu cæcus Amor, ſic erit illa Venus.

VERSION.
Lys & ſa ieune mere außy beaux que les Dieux:
De deux coſtez diuers ont perdu l’vn des yeux.
Lys, donne ton bon œil à ta mere Argentine;
Tu ſeras Cupidon, elle ſera Cyprine.

AVTREMENT
Lyſe & ſon petit Lys außy beaux que les Dieux,
De deux coſtez diuers ont perdu l’vn des yeux.
Si Lys donne l’autre œil à ſa mere admirée;
Il eſt l’aueugle Amour, & Lyſe Cytherée.

30

EX HORATIO.
Dial.
Donec gratus eram tibi,
Nec quiſquam potior brachia candidæ
Ceruici iuuenis dabat,
Perſarum vigüi Rege beatior.
Donec non alia magis
Arſiſti, neque erat Lydia poſt Chloen,
Lydia multi nominis,
Romana vigui clarior Ilia.
Me nunc Thraſſa Chloe regit,
Dulces docta modos & Cytharæ ſciens:
Pro qua non metuam mori,
Si parcent animæ fata ſuperſtiti.
Me torret face mutua
Thurini Calais filius Orinthi:
Pro quo bis patiar mori,
Si parcent puero fata ſuperſtiti.
Quid ſi priſca redit Venus,
Diductosque iugo cogit aheneo?
Si flaua excutitur Chloe
Reiectæque patet ianua Lydiæ?
Quanquam ſidere pulchrior
Ille eſt, tu leuior cortice & improbo
Iracundior Adria;
Tecum viuere amem, tecum obeam libens.

31

DIALOGVE D’HORACE
ET DE LYDIE.
Tandis que mon Amour t’enflãmoit conſtãmẽt,
Tandis qu’vn ieune amy, brauãt ma ialouſie,
Ne preſſoit ton beau col d’vn mol embraſſement,
I’ay flory plus heureux qu’vn Monarque d’Aſie.
Deuant que ton eſprit briſaſt ſa loyauté,
Deuant qu’il euſt chery d’vne aueugle folie
Cloé plus que Lydie, illuſtre de beauté,
I’ay ſurmonté l’eſclat de la Romaine Ilie.
Cloé Greque ſans pair me poſſede à ſon tour
Par sõ luth & ſa voix qui ſcait charmer l’oreille:
Et mourrois volontiers, victime de l’Amour,
Pour conſeruer mourant cette ieune merueille.
Calaïs Thurien épris de mes appas,
Par vn reuers gentil de ſes attraits me bleſſe:
Et ſouffrirois deux fois la rigueur du trespas,
Pour ſauuer du tombeau cette belle ieuneße.
Quoy ſi l’amour premier reſſuſcitant ſon feu
Ramenoit ſoubs ton ioug mon ame reuoltée?
Quoy ſi mon cœur ſolide éterniſant ſon vœu,
Ma Lydie eſt reçeue & Cloé rejettée?
Encor qu’il ſoit pl9 beau qu’vn aſtre au frõt des cieux,
Toy plus leger qu’vn liege & plus mutin que l’õde;
Ie veux rouler mes iours aux priſons de tes yeux,
Ie veux que mon cercueuil tes obſeques ſeconde.

32

INCERTAIN SVR L’HORLOGE
DE SABLE.

Exiguus vitro puluis qui diuidit horas,
Et leuis anguſtum ſæpe recurrit iter,
Olim Alcipus erat: qui Marthæ vt vidit ocellos
Arſit, & eſt ſubito factus ab igne cinis.
Irrequiete cinis, miſeros teſtabere amantes,
More tuo, nulla poſſe quiete frui.

VERSION

Ce peu de poudre, helas qui fîle en ces deux verres,
Courant & recourant ſur ſes eſtroictes erres,
Affin de marquer l’heure & meſurer le iour,
Eſtoit iadis Alcipe eſclaue de l’Amour.
Bruſlé des yeux de Marthe il coula tout en cẽdre:
Et faut, cendre inquiete, en ton aſpect cõprendre:
Qu’vn miſerable eſprit bleſſé par vn bel œil
N’a iamais de repos s’il te manque au cercueil.

VERSION MODERNISÉE


EGALITÉ
DES
HOMMES ET DES FEMMES.

A LA REYNE.

M. DC. XXII.


A LA REYNE.

Madame,

Ceux qui s’adviserent de donner un Soleil pour devise au Roy vostre Pere, avec ce mot, Il n’a point d’Occident pour moy, firent plus qu’ils ne pensoient: parce qu’en representans sa grandeur qui voit presque tousjours ce Prince des Astres sur quelqu’une de ses terres, sans intervale de nuict; ils rendirent la devise hereditaire en vostre Majesté, presageans vos vertus, & de plus, la beatitude des François sous vostre Auguste presence. C’est dis-je chez vostre Majesté, Madame, que la lumiere des vertus n’aura point d’Occident, ny consequemment l’heur & la felicité de nos Peuples qu’elles esclaireront. Or comme vous estes en l’Orient de vostre aage & de vos vertus ensemble, Madame, daignez prendre courage d’arriver en mesme point au midy de luy & d’elles, je dis de celles qui ne peuvent meurir que par temps & culture: car il en est quelques unes des plus recommendables, entre autres la Religion, la charité vers les pauvres, la chasteté & l’amour conjugale, dont vous avez touché le midy dés le matin. Mais certes il faut le courage requis à cet effort aussi grand & puissant que vostre Royauté, pour grande & puissante qu’elle soit: les Roys estant battus de ce malheur, que la peste infernale des flatteurs qui se glissent dans les Palais, leur rend la vertu & la clair voyance sa guide & sa nourrice, d’un accez infiniment plus difficile qu’aux inferieurs. Je ne scay qu’un seur moyen à vous faire esperer, d’atteindre ces deux midys en mesme instant: c’est qu’il plaise à V. M. se jetter vivement sur les bons livres de prudence & de mœurs: car aussi tost qu’un Prince s’est relevé l’esprit par cet exercice, les flatteurs se trouvans les moins fins ne s’osent plus jouër à luy. Et ne peuvent communement les Puissans & les Roys recevoir instruction opportune que des mors: parce que les vivans estans partis en deux bandes, les foux & meschans, c’est à dire ces flateurs dont est question, ne sçavent ny veulent bien dire pres d’eux; les sages & gens de bien peuvent & veulent, mais ils n’osent. C’est en la vertu certes, Madame, qu’il faut que les personnes de vostre rang cherchent la vraye hautesse & la Couronne des Couronnes: d’autant qu’ils ont puissance & non droit de violer les loix & l’equité, & qu’ils trouvent autant de peril & plus de honte que les autres hommes à faire ce coup. Aussi nous apprend un grand Roy luy mesme, que toute la gloire de la fille du Roy est par dedans. Quelle est cependant ma rusticité, tous autres abordent leurs Princes & Roys en adorant & loüant, j’ose aborder ma Reyne en preschant? Pardonnez neantmoins à mon zele, Madame, qui meurt d’envie d’ouyr la France crier ce mot, avec applaudissement, La lumiere n’a point d’Occident pour moy, par tout où passera vostre Majesté nouveau Soleil des vertus: & d’envie encore de tirer d’elle, ainsi que j’espere de ses dignes commencemens, une des plus fortes preuves du Traicté que j’offre à ses pieds, pour maintenir l’egalité des hommes & des femmes. Et non seulement veu la grandeur unique qui vous est acquise par naissance & par mariage, vous servirez de miroir au sexe & de sujet d’emulation aux hommes encore, en l’estenduë de l’Univers, si vous vous eslevez au prix & merite que je vous propose: mais aussi tost, Madame, que vous aurez pris resolution de vouloir luyre de ce bel & precieux esclat, on croira que tout le mesme sexe esclaire en la splendeur de vos rayons. Je suis de vostre Majesté

MADAME,

Tres-humble & Tres-obeissante
servante & subjecte.

Gournay.


EGALITÉ DES HOMMES ET DES FEMMES.

La pluspart de ceux qui prennent la cause, des femmes, contre cette orgueilleuse preferance que les hommes s’attribuent, leur rendent le change entier: r’envoyans la preferance vers elles. Moy qui fuys toutes extremitez, je me contente de les esgaler aux hommes: la nature s’opposant pour ce regard autant à la superiorité qu’à l’inferiorité. Que dis-je, il ne suffit pas à quelques gens de leur preferer le sexe masculin, s’ils ne les confinoient encores d’un arrest irrefragable & necessaire à la quenoüille, ouy mesme à la quenouille seule. Mais ce qui les peut consoler contre ce mespris, c’est qu’il ne se faict que par ceux d’entre les hommes ausquels elles voudroient moins ressembler: personnes à donner vray semblance aux reproches qu’on pourroit vosmir sur le sexe feminin, s’ils en estoient, & qui sentent en leur cœur ne se pouvoir recommander que par le credit de l’autre. D’autant qu’ils ont ouy trompetter par les ruës, que les femmes manquent de dignité, manquent aussi de suffisance, voire du temperament & des organes pour arriver à cette-cy, leur eloquence triomphe à prescher ces maximes: & tant plus opulemment, de ce que, dignité, suffisance, organes & temperament sont beaux mots: n’ayans pas appris d’autre part, que la premiere qualité d’un mal habill’homme, c’est de cautionner les choses soubs la foy populaire & par ouyr dire. Voyez tels esprits comparer ces deux sexes: la plus haute suffisance à leur advis où les femmes puissent arriver, c’est de ressembler le commun des hommes: autant eslongnez d’imaginer, qu’une grande femme se peust dire grand homme, le sexe changé, que de consentir qu’un homme se peust eslever à l’estage d’un Dieu. Gens plus braves qu’Hercules vrayement, qui ne desfit que douze monstres en douze combats; tandis que d’une seule parolle ils desfont la moitié du Monde. Qui croira cependant, que ceux qui se veulent eslever & fortifier de la foiblesse d’autruy, se puissent eslever ou fortifier de leur propre force? Et le bon est, qu’ils pensent estre quittes de leur effronterie à vilipender ce sexe, usants d’une effronterie pareille à se loüer & se dorer eux mesmes, je dis par fois en particulier comme en general, voire à quelque tort que ce soit: comme si la verité de leur vanterie recevoit mesure & qualité de son impudence. Et Dieu sçait si je congnois de ces joyeux vanteurs, & dont les vanteries sont tantost passées en proverbe, entre les plus eschauffez au mespris des femmes. Mais quoy, s’ils prennent droict d’estre galans & suffisans hommes, de ce qu’ils se declarent tels comme par Edict; pourquoy n’abestiront ils les femmes par le contrepied d’un autre Edict? Et si je juge bien, soit de la dignité, soit de la capacité des dames, je ne pretends pas à cette heure de le prouver par raisons, puisque les opiniastres les pouroient debattre, ny par exemples, d’autant qu’ils sont trop communs; ains seulement par l’aucthorité de Dieu mesme, des arcsboutans de son Eglise & de ces grands hommes qui ont servy de lumiere à l’Univers. Rangeons ces glorieux tesmoins en teste, & reservons Dieu, puis les Saincts Peres de son Eglise, au fonds, comme le tresor.

Platon à qui nul n’a debattu le tiltre de divin, & consequemment Socrates son interprete & Protecole en ses Escripts; (s’il n’est là mesme celuy de Socrates, son plus divin Precepteur) leur assignent mesmes droicts, facultez & functions, en leurs Republiques & par tout ailleurs. Les maintiennent, en outre, avoir surpassé maintefois tous les hommes de leur Patrie: comme en effect elles ont inventé partie des plus beaux arts, ont excellé, voire enseigné cathedralement & souverainement sur tous les hommes en toutes sortes de perfections & vertus, dans les plus fameuses villes antiques entre autres Hypathia. Alexandrie, premiere de l’Empire apres Rome. Dont il est arrivé que ces deux Philosophes, miracles de Nature, ont creu donner plus de lustre à des discours de grand poix, s’ils les prononçoient en leurs livres par la bouche de Diotime & d’Aspasie: Diotime que ce dernier ne craint point d’appeller sa maistresse & Preceptrice, en quelques unes des plus hautes sciences, luy Precepteur & maistre du genre humain. Ce que Theodoret releve si volontiers en l’Oraison de la Foy, ce me semble; qu’il paroist bien que l’opinion favorable au sexe luy estoit fort plausible. Apres tous ces tesmoignages de Socrates, sur le faict des dames; on void assez que s’il lache quelque mot au Sympose de Xenophon contre leur prudence, à comparaison de celle des hommes, il les regarde selon l’ignorance & l’inexperience où elles sont nourries, ou bien au pis aller en general, laissant lieu frequent & spatieux aux exceptions: à quoy les deviseurs dont est question ne s’entendent point.

Que si les dames arrivent moins souvent que les hommes, aux degrez d’excellence, c’est merveille que le deffaut de bonne instruction, voire l’affluence de la mauvaise expresse & professoire ne face pis, les gardant d’y pouvoir arriver du tout. Se trouve til plus de difference des hommes à elles que d’elles à elles mesmes, selon l’institution qu’elles ont prinse, selon qu’elles sont eslevées en ville ou village, ou selon les Nations? Et pourquoy leur institution ou nourriture aux affaires & Lettres à l’egal des hommes, ne rempliroit elle ce vuide, qui paroist ordinairement entre les testes des mesmes hommes & les leurs: puis que la nourriture est de telle importance qu’un de ses membres seulement, c’est à dire le commerce du monde, abondant aux Françoises & aux Angloises, & manquant aux Italiennes, celles cy sont de gros en gros de si loing surpassées par celles là? Je dis de gros en gros, car en detail les dames d’Italie triumphent par fois: & nous en avons tiré deux Reynes à la prudence desquelles la France a trop d’obligation. Pourquoy vrayment la nourriture ne frapperoit elle ce coup, de remplir la distance qui se void entre les entendemens des hommes & des femmes; veu qu’en cet exemple icy le moins surmonte le plus, par l’assistance d’une seule de ses parcelles, je dis ce commerce & conversation: l’air des Italiennes estant plus subtil & propre à subtilizer les esprits, comme il paroist en ceux de leurs hommes, confrontez communement contre ceux là des François & des Anglois? Plutarque au Traicté des vertueux faicts des femmes maintient; que la vertu de l’homme & de la femme est mesme chose. Seneque d’autre part publie aux Consolations; qu’il faut croire que la Nature n’a point traicté les dames ingratement, ou restrainct & racourcy leurs vertus & leurs esprits, plus que les vertus & les esprits des hommes: mais qu’elle les a doüées de pareille vigueur & de pareille faculté à toute chose honeste & loüable. Voyons ce qu’en juge apres ces deux, le tiers chef du Triumvirat de la sagesse humaine & morale en ses Essais. Il luy semble, dit il, & si ne sçait pourquoy, qu’il se trouve rarement des femmes dignes de commander aux hommes. N’est ce pas les mettre en particulier à l’egale contrebalance des hommes, & confesser, que s’il ne les y met en general il craint d’avoir tort: bien qu’il peust excuser sa restrinction, sur la pauvre & disgraciée nourriture de ce sexe. N’oubliant pas au reste d’alleguer & relever en autre lieu de son mesme livre, cette authorité que Platon leur depart en sa Republique: & qu’Anthistenes nioit toute difference au talent & en la vertu des deux sexes. Quant au Philosophe Aristote, puisque remuant Ciel & terre, il n’a point contredit en gros, que je scache, l’opinion qui favorise les dames, il l’a confirmée: s’en rapportant, sans doubte, aux sentences de son pere & grand pere spirituels, Socrates & Platon, comme à chose constante & fixe soubs le credit de tels personnages: par la bouche desquels il faut advoüer que le genre humain tout entier, & la raison mesme, ont prononcé leur arrest. Est il besoing d’alleguer infinis Erasme Epist: & Colloq. Politia: Epist. Agripa Precel: du sexe feminin Courtizan. autres anciens & modernes de nom illustre, ou parmy ces derniers, Erasme, Politien, Agripa, ny cet honneste & pertinent Precepteur des courtizans: outre tant de fameux Poëtes si contrepoinctez tous ensemble aux mespriseurs du sexe feminin, & si partisans de ses advantages aptitude & disposition à tout office & tout exercice louable & digne? Les dames en verité se consolent, que ces descrieurs de leur merite ne se peuvent prouver habiles gens, si tous ces esprits le sont: & qu’un homme fin ne dira pas, encores qu’il le creust, que le merite & passedroit du sexe feminin tire court, pres celuy du masculin; jusques à ce que par arrest il ait faict declarer tous ceux là buffles, affin d’infirmer leur tesmoignage si contraire à tel decry. Et buffles faudroit il encores declarer des Peuples entiers & des plus sublins, entre autres ceux de Smyrne en Tacitus: qui pour obtenir jadis à Rome presseance de noblesse sur leurs voisins, allegoient estre descendus, ou de Tantalus fils de Jupiter ou de Theseus petit fils de Neptune ou d’une Amazone, laquelle par ce moyen ils contrepesoient à ces Dieux. Pour le regard de la loy Salique, qui prive les femmes de la couronne, elle n’a lieu qu’en France. Et fut inventée au temps de Pharamond, pour la seulle consideration des guerres contre l’Empire duquel nos Peres secoüoient le joug: le sexe feminin estant vray semblablement d’un corps moins propre aux armes, par la necessité du port & nourriture des enfans. Hotman pour l’etymologie des Pairs: du Tillet & Math. Histoire du Roy pour les Dames Pairresses. Il faut rémarquer encores neantmoins, que les Pairs de France ayans esté créez en premiere intention comme une espece de personniers des Roys, ainsi que leur nom le declare: les dames Pairaisses de leur chef ont seance, privilege & voix deliberative par tout où les Pairs en ont & de mesme estendue. Comme aussi les Lacedemoniens ce brave & genereux Peuple, consultoit de toutes affaires privées & publiques avec ses femmes. Plut. Bien a servy cependant aux François, de trouver l’invention des Regentes, pour un equivalent des Roys; car sans cela combien y a il que leur Estat fust par terre? Nous sçaurions bien dire aujourd’huy par espreuve, quelle necessité les minoritez des Roys ont de cette recepte. Les Germains ces belliqueux Peuples, dit Tacitus, qui apres plus de deux cens ans de guerre, furent plustost triumphéz que vaincus; portoient dot à leurs femmes, non au rebours. Ils avoient au surplus des Nations, qui n’estoient jamais regies que par ce sexe. Et quand Ænee presente à Didon le sceptre d’Ilione, les scoliastes disent, que cela provient, de ce que les dames filles aisnées, telle qu’estoit cette Princesse, regnoient anciennement aux maisons Royalles. Veult-on deux plus beaux envers à la loy Salique, si deux envers elle peut souffrir? Si ne mesprisoient pas les femmes nos anciens Gaulois, ny les Carthaginois aussi; lors qu’estans unis en l’armée d’Hanibal pour passer les Alpes, ils establirent les dames Gauloises arbitres de leurs differends. Et quand les hommes desroberoient à ce sexe en plusieurs lieux, part aux meilleurs advantages; l’inegalité des forces corporelles plus que des spirituelles, ou du merite, peut facilement estre cause du larrecin & de sa souffrance: forces corporelles, qui sont vertus si basses, que la beste en tient plus par dessus l’homme, que l’homme par dessus la femme. Et si ce mesme Historiographe Latin nous apprend, qu’où la force regne, l’equité, la probité, la modestie mesme, sont les attributs du vainqueur; s’estonnera-on, que la suffisance & les merites en general, soient ceux de nos hommes, privativement aux femmes.

Au surplus l’animal humain n’est homme ny femme, à le bien prendre, les sexes estants faicts non simplement, mais secundum quid, comme parle l’Eschole: c’est à dire pour la seule propagation. L’unique forme & difference de cet animal, ne consiste qu’en l’ame humaine. Et s’il est permis de rire en passant, le quolibet ne sera pas hors de saison, nous apprenant; qu’il n’est rien plus semblable au chat sur une fenestre, que la chatte. L’homme & la femme sont tellement uns, que si l’homme est plus que la femme, la femme est plus que l’homme. L’homme fut creé masle & femelle, dit l’Escriture, ne comptant ces deux que pour un. Dont Jesus-Christ est appellé fils de l’homme, bien qu’il ne le soit que de la femme. Ainsi parle apres le grand Sainct Basile: Homil. I. La vertu de l’homme & de la femme est mesme chose, puis que Dieu leur a decerné mesme creation & mesme honneur: masculum & fœminam fecit eos. Or en ceux de qui la Nature est une & mesme, il faut que les actions aussi le soient, & que l’estime & loyer en suitte soient pareils, où les œuvres sont pareilles. Voila donc la deposition de ce puissant pilier, & venerable tesmoing de l’Eglise. Il n’est pas mauvais de se souvenir sur ce poinct, que certains ergotistes anciens, ont passé jusques à cette niaise arrogance, de debattre au sexe feminin l’image de Dieu à difference de l’homme: laquelle image ils devoient, selon ce calcul attacher à la barbe. Il failloit de plus & par consequent, desnier aux femmes l’image de l’homme, ne pouvant luy ressembler, sans qu’elles ressemblassent à celuy auquel il ressemble. Olda Debora. Dieu mesme leur a departy les dons de Prophetie indifferamment avec les hommes, les ayant establies aussi pour Juges, instructrices & conductrices de son Peuple fidelle en paix & en guerre: & qui plus est, rendu triumphantes avec luy des hautes victoires, qu’elles ont aussi maintefois emportées & arborées en divers lieux du Monde: mais sur quelles gens, à vostre advis? Cyrus & Theseus: à ces deux on adjouste Hercules, lequel elles ont sinon vaincu, du moins bien battu. Aussi fut la cheute de Pentasilée, couronnement de la gloire d’Achilles: oyez Seneque & Ronsard parlans de luy.

L’Amazone il vainquit dernier effroy des Grecs.
Pentasilée il rua sur la poudre.

Ont elles au surplus, (ce mot par occasion) moins excellé de foy, qui comprend toutes les vertus principales, que de suffisance & de force magnanime & guerriere? Paterculus nous apprend, qu’aux proscriptions Romaines, la fidelité des enfans fut nulle, des affranchis legere, des femmes tresgrande. Que si Sainct Paul, suyvant ma route des tesmoignages saincts, leur deffend le ministere & leur commande le silence en l’Eglise: il est evident que ce n’est point par aucun mespris: ouy bien seulement, de crainte qu’elles n’esmeuvent les tentations, par cette montre si claire & publique qu’il faudroit faire en ministrant & preschant, de ce qu’elles ont de grace & de beauté plus que les hommes. Je dis que l’exemption de mespris est evidente, puisque cet Apostre parle de Thesbé comme de sa coadjutrice en l’œuvre de nostre Seigneur, sans toucher le grand credit de Saincte Petronille vers sainct Pierre: & puis aussi que la Magdeleine est nommée en l’Eglise egale aux Apostres, par Apostolis. Entre autres au Calendrier des Grecs, publié par Genebrard. Voire que l’Eglise & eux-mesmes ont permis une exception de ceste reigle de silence pour elle, qui prescha trente ans en la Baume de Marseille au rapport de toute la Provence. Et si quelqu’un impugne ce tesmoignage de predications, on luy demandera que faisoient les Sibyles, sinon prescher l’Univers par divine inspiration, sur l’evenement futur de Jesus-Christ? Toutes les anciennes Nations concedoient la Prestrise aux femmes, indifferemment avec les hommes. Et les Chrestiens sont au moins forcez de consentir, qu’elles soyent capables d’appliquer le Sacrement de Baptesme: mais quelle faculté de distribuer les autres, leur peut estre justement deniée; si celle de distribuer cestuy-là, leur est justement accordé? De dire que la necessité des petits enfans mourans, ait forcé les Peres anciens d’establir cet usage en despit d’eux: il est certain qu’ils n’auroient jamais creu que la necessité les peust dispenser de mal faire, jusques aux termes de permettre violer & diffamer l’application d’un Sacrement. Et partant concedans ceste faculté de distribution aux femmes, on void à clair qu’ils ne les ont interdites de distribuer les autres Sacremens, que pour maintenir tousjours plus entiere l’auctorité des hommes; soit pour estre de leur sexe, soit afin qu’à droit ou à tort, la paix fust plus asseurée entre les deux sexes, par la foiblesse & ravallement de l’un. Epist. Certes sainct Jerosme escrit sagement à nostre propos; qu’en matiere du service de Dieu, l’esprit & la doctrine doivent estre considerez, non le sexe. Sentence qu’on doit generaliser, pour permettre aux Dames à plus forte raison, toute action & science honneste: & cela suyvant aussi les intentions du mesme sainct, qui de sa part honnore & auctorise bien fort leur sexe. Davantage sainct Jean l’Aigle & le plus chery des Evangelistes, ne mesprisoit pas les femmes non plus que sainct Pierre, sainct Paul & ces deux Peres, j’entends saint Basile & sainct Jerosme;Electra. puis qu’il leur addresse ses Epistres particulierement: sans parler d’infinis autres Ss: ou Peres, qui font pareille addresse de leurs Escrits. Quand au faict de Judith je n’en daignerois faire mention s’il estoit particulier, cela s’appelle dependant du mouvement & volonté de son auctrice: non plus que je ne parle des autres de ce qualibre; bien qu’ils soient immenses en quantité, comme ils sont autant heroiques en qualité de toutes sortes, que ceux qui couronnent les plus illustres hommes. Je n’enregistre point les faicts privez, de crainte qu’ils semblent, non advantages & dons du sexe, ains boüillons d’une vigueur privée & specialle. Mais celuy de Judith merite place en ce lieu, parce qu’il est bien vray, que son dessein tombant au cœur d’une jeune dame, entre tant d’hommes lasches & faillis de cœur, à tel besoing, en si haulte & si difficile entreprise, & pour tel fruict, que le salut d’un Peuple & d’une Cité fidelle à Dieu: semble plustost estre une inspiration & prerogative divine vers les femmes, qu’un traict purement voluntaire. Comme aussi le semble estre celuy de la Pucelle d’Orleans, accompagné de mesmes circonstances environ, mais de plus ample & large utilité, s’estendant jusques au salut d’un grand Royaume & de son Prince.

Æneid. I.
allusion.

Cette illustre Amazone instruicte aux soins de Mars,
Fauche les escadrons & brave les hazars:
Vestant le dur plastron sur sa ronde mammelle,
Dont le bouton pourpré de graces estincelle:
Pour couronner son chef de gloire & de lauriers,
Vierge elle ose affronter les plus fameux guerriers.

Adjoustons que la Magdelene est la seule ame, à qui le Redempteur ait jamais prononcé ce mot, & promis cette auguste grace: En tous lieux où se preschera l’Evangile il sera parlé de toy. Jesus-Christ d’autrepart, declara sa tres heureuse & tres glorieuse resurrection aux dames les premieres, affin de les rendre, dit un venerable Pere ancien, Apostresses aux propres Apostres: cela, comme lon sçait, avec mission expresse: Va, dit il, à cette cy mesme, & recite aux Apostres & à Pierre ce que tu as veu. Surquoy il faut notter, qu’il manifesta sa nouvelle naissance esgalement aux femmes qu’aux hommes, en la personne d’Anne fille de Phannel, qui le recongneut en mesme instant, que le bon vieillard Sainct Simeon. Laquelle naissance, d’abondant, les Sybilles nommées, ont predite seules entre les Gentils, excellent privilege du sexe feminin. Quel honneur faict aux femmes aussi, ce songe survenu chez Pilate; s’addressant à l’une d’elles privativement à tous les hommes, & en telle & si haulte occasion. Et si les hommes se vantent, que Jesus-Christ soit nay de leur sexe, on respond, qu’il le failloit par necessaire bien sceance, ne se pouvant pas sans scandale, mesler jeune & à toutes les heures du jour & de la nuict parmy les presses, aux fins de convertir, secourir & sauver le genre humain, s’il eust esté du sexe des femmes: notamment en face de la malignité des Juifs. Que si quelqu’un au reste est si fade; d’imaginer masculin ou feminin en Dieu, bien que son nom semble sonner le masculin, ny consequemment besoin d’acception d’un sexe plustost que de l’autre, pour honnorer l’incarnation de son fils; cettuy cy monstre à plein jour, qu’il est aussi mauvais Philosophe que Theologien. D’ailleurs, l’advantage qu’ont les hommes par son incarnation en leur sexe; (s’ils en peuvent tirer un advantage, veu cette necessité remarquée) est compensé par sa conception tres precieuse au corps d’une femme, par l’entiere perfection de cette femme, unique à porter nom de parfaicte entre toutes les creatures purement humaines, depuis la cheute de nos premiers parens, & par son assumption unique en suject humain aussi.

Finalement si l’Escripture a declaré le mary, chef de la femme, la plus grande sottise que l’homme peust faire, c’est de prendre cela pour passedroict de dignité. Car veu les exemples, aucthoritez & raisons nottées en ce discours, par où l’egalité des graces & faveurs de Dieu vers les deux especes ou sexes est prouvée, voire leur unité mesme, & veu que Dieu prononce: Les deux ne seront qu’un: & prononce encores: L’homme quittera pere & mere pour suivre sa femme; il paroist que cette declaration n’est faicte que par le besoin expres de nourrir paix en mariage. Lequel besoin requeroit, sans doubte, qu’une des parties cédast à l’autre, & la prestance des forces du masle ne pouvoit pas souffrir que la soubmission vînt de sa part. Et quand bien il seroit veritable, selon que quelques uns maintiennent, que cette soubmission fut imposée à la femme pour chastiement du peché de la pomme: cela encores est bien esloigné de conclure à la pretendue preferance de dignité en l’homme. Si lon croioit que l’Escripture luy commendast de ceder à l’homme, comme indigne de le contrecarrer, voyez l’absurdité qui suivroit: la femme se treuveroit digne d’estre faicte à l’image du Createur, de jouyr de la tressaincte Eucaristie, des mysteres de la Redemption, du Paradis & de la vision voire possession de Dieu, non pas des advantages et privileges de l’homme: seroit ce pas declarer l’homme plus precieux & relevé que telles choses, & partant commettre le plus grief des blasphemes?

FIN.


L’IMPRIMEUR A RANGÉ
ces vers icy pour emplir le reste
de la feuille.

AUTHEUR INCERTAIN.
Lumine Acron dextro captus, Leonilla sinistro,
Et potis est forma vincere uterque Deos.
Blande puer, lumen quod habes concede sorori:
Sic tu cæcus Amor, sic erit illa Venus.

VERSION.
Lys & sa jeune mere aussy beaux que les Dieux:
De deux costez divers ont perdu l’un des yeux.
Lys, donne ton bon œil à ta mere Argentine;
Tu seras Cupidon, elle sera Cyprine.

AUTREMENT.
Lyse & son petit Lys aussy beaux que les Dieux,
De deux costez divers ont perdu l’un des yeux.
Si Lys donne l’autre œil à sa mere admirée;
Il est l’aveugle Amour, & Lyse Cytherée.
EX HORATIO.
Dial.
Donec gratus eram tibi,
Nec quisquam potior brachia candidæ
Cervici iuvenis dabat,
Persarum vigüi Rege beatior.
Donec non alia magis
Arsisti, neque erat Lydia post Chloen,
Lydia multi nominis,
Romana vigui clarior Ilia.
Me nunc Thrassa Chloe regit,
Dulces docta modos & Cytharæ sciens:
Pro qua non metuam mori,
Si parcent animæ fata superstiti.
Me torret face mutua
Thurini Calais filius Orinthi:
Pro quo bis patiar mori,
Si parcent puero fata superstiti.
Quid si prisca redit Venus,
Diductosque iugo cogit aheneo?
Si flava excutitur Chloe
Reiectæque patet ianua Lydiæ?
Quanquam sidere pulchrior
Ille est, tu levior cortice & improbo
Iracundior Adria;
Tecum vivere amem, tecum obeam libens.
DIALOGUE D’HORACE
ET DE LYDIE.
Tandis que mon Amour t’enflammoit constamment,
Tandis qu’un jeune amy, bravant ma jalousie,
Ne pressoit ton beau col d’un mol embrassement,
J’ay flory plus heureux qu’un Monarque d’Asie.
Devant que ton esprit brisast sa loyauté,
Devant qu’il eust chery d’une aveugle folie
Cloé plus que Lydie, illustre de beauté,
J’ay surmonté l’esclat de la Romaine Ilie.
Cloé Greque sans pair me possede à son tour
Par son luth & sa voix qui scait charmer l’oreille:
Et mourrois volontiers, victime de l’Amour,
Pour conserver mourant cette jeune merveille.
Calaïs Thurien épris de mes appas,
Par un revers gentil de ses attraits me blesse:
Et souffrirois deux fois la rigueur du trespas,
Pour sauver du tombeau cette belle jeunesse.
Quoy si l’amour premier ressuscitant son feu
Ramenoit soubs ton joug mon ame revoltée?
Quoy si mon cœur solide éternisant son vœu,
Ma Lydie est reçeue & Cloé rejettée?
Encor qu’il soit plus beau qu’un astre au front des cieux,
Toy plus leger qu’un liege & plus mutin que l’onde;
Je veux rouler mes jours aux prisons de tes yeux,
Je veux que mon cercueuil tes obseques seconde.

INCERTAIN SUR L’HORLOGE
DE SABLE.

Exiguus vitro pulvis qui dividit horas,
Et levis angustum sæpe recurrit iter,
Olim Alcipus erat: qui Marthæ ut vidit ocellos
Arsit, & est subito factus ab igne cinis.
Irrequiete cinis, miseros testabere amantes,
More tuo, nulla posse quiete frui.

VERSION

Ce peu de poudre, helas qui fîle en ces deux verres,
Courant & recourant sur ses estroictes erres,
Affin de marquer l’heure & mesurer le jour,
Estoit jadis Alcipe esclave de l’Amour.
Bruslé des yeux de Marthe il coula tout en cendre:
Et faut, cendre inquiete, en ton aspect comprendre:
Qu’un miserable esprit blessé par un bel œil
N’a jamais de repos s’il te manque au cercueil.

Au lecteur


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L’orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés.

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