The Project Gutenberg eBook of Le livre de Girart de Nevers et de la belle Euriant s'amye

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Title: Le livre de Girart de Nevers et de la belle Euriant s'amye

Author: active 13th century de Montreuil Gerbert

Illustrator: Loyset Liédet

Release date: August 20, 2023 [eBook #71455]

Language: French

Original publication: Bruges: copy made by order of Philip III duke of Burgundy, 1419

Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DE GIRART DE NEVERS ET DE LA BELLE EURIANT S'AMYE ***

Le livre de Girart de Nevers et de la belle Euriant s’amye

Note du transcripteur : La table des chapitres qui suit ne figure pas dans l’original. On a repris les numéros des miniatures, indiqués dans la marge dans l’original, pour numéroter les chapitres (il y a exactement une miniature par chapitre).

Table des chapitres et des illustrations

Prologue
Chap. 1
Cy commence de Girart conte de Nevers et de la grant court que tinst le roy Loys le gros.
Chap. 2
De la gaigure que Girart de Nevers fist a l’encontre de Liziart conte de Forest.
Chap. 3
Comment Liziart conte de Forest vinst a Nevers et comment il parla a la belle Euriant et de la faulce vielle qui traïst sa maistresse.
Chap. 4
Comment la faulce vielle traïst sa maistresse et comment elle fist ung pertuis en la paroit de la chambre affin que le conte de Forest vist l’enseigne que la belle Euriant avoit sur sa dextre mamelle.
Chap. 5
Comment Liziart prinst congié de la damoiselle et de la vielle et s’en retourna a la court.
Chap. 6
Comment Girart envoya querre s’amye par ung sien escuier et parent.
Chap. 7
Comment la belle Euriant vinst a court et comment Liziart lui imposa qu’elle avoit couchié avec lui et fait sa volenté d’elle.
Chap. 8
Comment Girart se partist de la court moult desplaisant et Euriant s’amye sans autre compaignie.
Chap. 9
Comment Girart volt copper la teste a Euriant s’amie en la forest d’Orliens, du serpent qui lui vinst corir sus, et comment il la laissa toute seule en ladicte forest.
Chap. 10
Comment Girart se mist a genoulx rendant graces a Dieu de ce qu’il estoit eschappé et qu’il avoit tué le serpent et comment il laissa Euriant seule.
Chap. 11
Comment le duc de Metz ariva en la forest ou il trouva la belle Euriant.
Chap. 12
Comment le duc de Metz emmena Euriant, voulsist elle ou non.
Chap. 13
Comment Girart au departir qu’il fist de s’amye qu’il avoit laissié en la forest vinst en Nyvernois a ung villaige que alors on nommoit la Marche en l’ostel d’un jongleur qu’il congnoissoit.
Chap. 14
Comment Girart vinst a Nevers la viole au col ou il chanta devant Liziart.
Chap. 15
Comment Girart se chaffoit derriere le conte ou il oyst par la vielle la maniere comment elle avoit traÿe Euriant.
Chap. 16
Comment Girart de Nevers arriva en ung chastel en Ardenne.
Chap. 17
Comment Galerant vinst a grant puissance devant le chastel de la damoiselle.
Chap. 18
Comment Girart combatist le chevalier et le desconfist vaillamment et a grant force.
Chap. 19
Comment la damoiselle vinst a Girart qui estoit moult fort navré et l’ayda a porter a l’ostel.
Chap. 20
Comment Girart se partist du chastel de la damoiselle et vinst a Chalon en Champaigne ou il fust long temps malade.
Chap. 21
Comment la pucelle fille de l’oste dona a Girart ung esprivier a prendre congié d’elle.
Chap. 22
Comment Girart vinst a Couloigne et comment il y fist de merveilleusement beaux fais d’armes contre les saines.
Chap. 23
De la grant bataille qui fut devant Couloingne ou Girart fist merveilles.
Chap. 24
Comment le duc Milon de Coulongne gaigna la bataille sur les saines par les grans proesses de Girart de Nevers et de la grant gloire qui lui fut faicte quant il rentra a Couloingne.
Chap. 25
Comment Aglentine fille du duc et Florentine eurent grosses paroles ensemble pour amour de Girart duquel elles estoient amoreuses.
Chap. 26
Comment Girart de Nevers vinst a court ou il fut bien receu et comment Aglentine parla a lui et de leurs devises.
Chap. 27
Comment les deux damoiselles par jalousie tencerent l’une a l’autre et comment la vielle fist la poisson.
Chap. 28
Comment Girart beust la poison que la vielle avoit faicte pour le decevoir.
Chap. 29
Comment Girart fut feru de l’amour d’Aglentine apres ce qu’il fut empoisonné et comment il prinst congié d’elle.
Chap. 30
Comment Girart se departist de la court et comment le lendemain ilz alerent assigier ung chastel que le duc prinst par le moyen de Girart.
Chap. 31
Comment Euriant perdist son anel d’or que Girart lui avoit donné par l’aloe qui l’emporta, elle estant avec la seur du duc de Metz.
Chap. 32
Comment Meliatir le desloyal chevalier cuida enforcier Euriant et de la male adventure qu’il lui pourchassa.
Chap. 33
Comment Meliatir murdrist piteusement Ysmaine cuidant avoir occis la belle Euriant.
Chap. 34
Comment Girart et Aglentine se amerent tant que le duc en volt faire le mariage.
Chap. 35
Comment Girart ala vouler es champs ou il prinst l’aloe qui avoit a son col l’anel qu’il avoit autreffois donné a Euriant parquoy il delaissa Aglentine pour Euriant.
Chap. 36
Comment Girart prist congié de son hoste et lui bailla son esprivier pour porter a Aglentine.
Chap. 37
Comment Girart trouva ung chevalier soubz ung arbre a qui on avoit ostee sa femme et comment Girart lui ramena.
Chap. 38
Comment Girart combatist le chevalier de Langarde et l’ocist et osta la damoiselle de la fontaine, laquelle le vouloit depuis faire murdrir en dormant.
Chap. 39
Comment Girart s’endormist ou geron de la damoiselle et comment il fut esveillié par ung escuier.
Chap. 40
Comment Girart rencontra ung escuier en une lande et de leurs devises.
Chap. 41
Comment Girart rencontra ung chevalier qui menoit avec lui sa femme et sa fille en demenant grant dueil.
Chap. 42
Comment Girart combatist le geant et le tua et rescouist les sept freres et la damoiselle leur seur, et de la grant chiere que leur pere lui fist.
Chap. 43
Comment Girart prinst congié du chevalier et de la dame, et du grant dueil que demena la damoiselle quant elle veist partir Girart.
Chap. 44
Comment Girart vinst a Metz et trouva en son chemin gens qui y venoient et lui dirent comment par une femme estrange la seur du duc avoit esté murdrie par quoy ilz venoient pour la jugier.
Chap. 45
Comment les barons estoient au conseil pour jugier la belle Euriant a mort, et comment Girart emprinst a combatre a l’encontre du chevalier qui l’avoit accusee a tort et sans cause.
Chap. 46
Comment Girart desconfist Meliatir et lui fist cougnoistre la mauvaise trayson qu’il avoit commise.
Chap. 47
Cy parle du grant honneur que le duc de Metz et les barons firent a Girart et a s’amye Euriant et des recougnoissances qu’ilz firent.
Chap. 48
Comment Girart vinst au tournoy a Montargis et es monstres.
Chap. 49
Comment Girart de Nevers gaigna le pris du tournois a Montargis.
Chap. 50
Comment le roy et ses barons convoyerent Girart de Nevers jusques en son logis.
Chap. 51
Comment Girart de Nevers vinst a la court et comment il appella Liziart en champ et getta son gaige.
Chap. 52
Comment Girart de Nevers desconfist Liziart conte de Forest et lui fist congnoistre et confesser la trayson qu’il avoit commis a l’encontre de Girart et Euriant s’amye dont il fut trayné au gibet de Montargis.
Chap. 53
Comment le roy Loys donna a Girart la conté de Forest et lui rendist sa conté de Nevers, et comment Girart prinst a mariage Euriant s’amye, et de la grant qu’ilz firent.
Chap. 54
Comment la faulce vielle Gondree fut arce et brulee en ung feu d’espines.
Chap. 55

 

1

Treshault et puissant prince et mon tresredoubté seigneur monseigneur Charles conte de Nevers et de Retel, baron de Donzy ; moy qui tous les temps de ma vie, des le commencement de vostre plus florie jeunesse, ay esté et suis vostre treshumble et obeyssant serviteur pour la tressinguliere amour que j’ay tousjours eu, et ay, et vueil avoir toute ma vie ; comme tenu suis de vous servir, complaire et obeir en toutes choses, mesmement en celles que 2 je sentiroye vous estre plaisantes et agreables comme ung serviteur est tenu et obligié de faire a son seigneur et maistre, et aussi pour ce que je vous sens estre enclin a prendre plaisir a veoir et oyr lire les plaisantes et gracieuses hystoires des fais des nobles et vaillans princes, jadis voz predecesseurs, et mesmement de tous autres nobles hommes qui parcydevant par leurs proesses et vaillances au confort a l’ayde de leur noble chevalerie ont fait leurs conquestes, dont depuis ilz ont tenu et possessé leurs terres et seigneuries et par ce aquis honneur gloire et recommandacion de proesse, et tant que leurs fais ont esté et sont encores prins pour bon exemple, miroir et fondacion es nobles et vaillans hommes qui depuis eulx ont regné et regnent sur terre, et dont la memoire des hommes 3 vivans seroit estainte et faillie, ce n’estoit que leurs dis et fais fussent mis et redigez par escript en lengaige aourné et plaisant selon le petit entendement de ceulx qui a ce faire labeurent :

Je a ceste cause me suis ingeré et avancié de moy traveillier et appliquier mon petit sens et entendement a mettre et redigir par escript ce petit livret, lequel par avant estoit en lengaige provençal et moult difficile a entendre. Lequel je vous donne et presente en vous suppliant treshumblement icellui prendre benignement en gré et non pas prendre garde au don ne a l’euvre mais au bon vouloir et couraige qui me meut a ce faire. Suppliant de rechief a tous nobles qui liront ou orront lire ce present livre que, se perfluité ou trop habondance de lengaige y est trouvé, il leur plaise supplier mon ignorance et regarder a 4 l’entendement de l’istoire plus que a l’ordonnance et façon de mon ouvrage. Et se en ce vous comprenez ou trouvez chose qui puist tourner et proffiter a l’emplificacion de la vaillance et recommendacion de vostre noble personne, il vous plaise retenir a la louenge du souverain roy de gloire et memoire de moy vostre humble et petit serviteur.

Cy finist le prologe de ce present livre.

 

5

Cy commence de Girart conte de Nevers et de la grant court que tinst le roy Loys le gros.

Pour le temps que l’on contoit l’an de l’incarnacion de nostre seigneur Jhesucrist mil cent et dix, regna en France le tresvertueux roy nommé Loys le gros, qui en son temps eust moult d’affaires a l’encontre de pluseurs princes et autres rebelles de son royaume, lesquelz par pluseurs batailles les vainquist et submist en son 6 obeyssance et lui firent homaige ; pluseurs de leurs villes et chasteaulx fist abatir et demollir, puis apres, lui veant son royaume en paix, pour faire exerciter sa chevalerie affin de non cheoir en huiseuse fist par tout publier joustes et tournois ou de pluseurs contrees venoient en grant nombre, c’estassavoir ducs, contes et barons, chevaliers, dames et damoiselles.

Si advint que a ung jour de Penthecoste le roy Loys estoit venu au pont de l’arche ou il tinst grant feste et plus grande que on n’avoit long temps veu.

Les barons chevaliers et dames qui la vindrent receust en moult grant reverance et les festia haultement comme bien le savoit faire et furent tous et toutes trescontents de lui, et aussi fist pareillement la royne.

Plus beau prince ne plus belle dame long temps par avant 7 eulx ne s’estoient veuz en France. Avec la beaulté dont nostre seigneur les avoit si largement partis leur avoit fait ceste grace que de toutes bonnes vertus, tant d’umilité, de sens et de courtoisie, estoient tellement garnis que se en ce temps les vertus eussent esté pardues en eulx eussent esté recouvrees.

Apres les festes de Pentecoste avint que ung jour apres disner le roy et la royne, pour festier ceulx et celles qui estoient venus, commanda faire dancier et esbatre.

Alors chascun a son povoir se aquita au mieulx qu’il peust. Chevaliers, dames et damoiselles y chantoient pluseurs chançons.

La contesse de Besançon qui en ce tens estoit moult belle dame se prinst a chanter. Apres ce que elle eust achevee sa chançon madame Aelis duchesse de Bourgoingne commença a chanter tenant son amy par la main 8 et lui dist : « Amy, chantez. » Il lui respondist moult humblement que pour eulx deux elle se voulsist acquiter. Lors a voix basse et serie moult doulcement commença a chanter. Quant la duchesse eust finee sa chanson, une moult belle damoisselle seur du conte de Blois se prinst a chanter et dist que ja ne se maryroit mais toute sa vie vouloit estre amoreuse.

Apres commença a chanter une damoiselle nommee Ysabel seur du conte de Saint Pol qui moult estoit belle et gente. Apres que elle eust finee sa chançon, pluseurs dames et damoiselles, comme la fille au seigneur de Couchy, la chastellaine de Saint Omer, puis la chastellaine de Dijon et assés d’autres pluseurs.

Mais tant vous puis dire que si bien se acquiterent que a les avoir oy le roy et la royne et les grans princes et princesses s’en resjoyrent 9 tous ; et eulx la estans, les jeunes chevaliers, dames et damoiselles en eulx tenans par les mains, actendans que de nouvel venist aucun pour recommencier la feste, le roy Loys se leva en piés, en regardant par le palais, choysist ung jeusne escuier soy permenant et tenant ung esprivier sur son poing. Le roy l’appella et lui dist : « Girart il vous fault venir dancer ; mettez jus vostre esprivier et le bailliez a ung de voz gens. » « Sire, se dist Girart, je suis prest de faire vostre vouloir, ja soit ce que de chanter me sçay assés peu entremettre ; mais par vostre commandement, lequel ne vouldroye trespasser, en feray mon povoir. »

Icellui Girart estoit filz du conte de Nevers, lequel de nouvel estoit trespassé, et n’avoit icellui Girart que dix sept ans.

Mais tant vous ose dire que pour cellui jour le pareil en beauté 10 ne en force on ne trouvast en terre chrestienne. Dieu et nature n’avoient riens oblié a le former : se la beauté, sens, courtoisie, humilité, hardiesse et proesse qui en lui estoient vous vouloye raconter au long je vous pouroye anuyer. Et avec ce estoit le mieulx chantant et le mieulx denssant qui pour lors se trouvast en France. Quant il fust venu a la feste il n’y eust dames ne damoiselles qui ne fussent esbaÿes et ne changessent couleur de la beauté et des belles et nobles vertus qu’elles virent estre en la personne de Girart ; et pareillement estoit s’amye, laquelle passoit en beauté toutes les autres qui la estoient et estoit la plus loyale en amours envers son amy que oncques on veist. Le jouvencel se approucha de la feste et prinst la chastellaine de Dijon par la main, laquelle moult courtoisement lui pria qu’il 11 voulsist dire une chançon.

« Madamoiselle, dist il, voz prieres me soient commandemens ; ja Dieu ne plaise que le vous refuse. »

Lors Girart de Nevers se prinst a chanter. Apres ce ledit Girart, a qui gaires ne chaloit des envieux, eust dicte sa chançon, il se arresta et dist que bien avoit raison de chanter et mener joye, quant il amoit et estoit amé de la plus belle et plus assouvye qui fust en France, et que ce vouloit maintenir et prouver a l’encontre de tous ceulx qui le contraire vouldroient dire ; puis dist que en mer n’estoit mie sans mast, mais cellui estoit sans mast ou en tel lieu avoit son cuer mis ou il ne scet s’il est amé. « Et pour ce puis je bien dire et affermer que pas ne suis cellui qui ayme sans partie. Car d’elle suis amé plus que dire ne vous sauroye. Et pour ce que d’elle me suis venté pour amour 12 d’elle diray une chançon. » Lors Girart se prinst a chanter si bien et si doulcement et tant bien lui seoit que le roy et la royne et les dames et damoiselles y prenoient le plus grant plaisir du monde.

 

De la gaigure que Girart de Nevers fist a l’encontre de Liziart conte de Forest.

Quant Girart eust finé sa chançon, fut loé et prisié de pluseurs chevaliers dames et damoiselles. Mais assez en y eust d’autres qui par envye commencerent 13 a murmurer sur lui, dont il en y eust ung entre les autres nommé Liziart conte de Forest, lui esmeu par une tresmauvaise envie si grande que a peu qu’il ne crevoit, car tant estoit felon et plain de mauvais art que oncques en Guenelon n’en eust austant. Grant homs estoit, maigre et sec, hardy et aigre estoit en armes. Et ainsi comme par fierté et desdaing se trouva vers aucuns chevaliers qu’il sentoit estre de sa part et leur dist : « Comment donques entre vous tous n’avez oy ce vassal oultrecuidié a qui il semble que nul de nous se doye comparer a lui ? N’avez oy ses ventanses, comment il va louant s’amye qui croire le vouldroit de pareille n’auroit au monde ! Je sçay bien le contraire de ce qu’il a dit, car il n’est pas tant amé d’elle comme il cuide. Mais se je ne cuidoye troubler le roy ne dire chose qui 14 lui despleust je gaigeroye ma terre a l’encontre de lui qui ainsi s’est venté devant nous tous ; pourveu qu’il en soit content et qu’il ne face point savoir a s’amye la gaigure deans huit jours que je feray ma volenté d’elle sans ce que elle me refuse. Et se ainsi ne le fais comme je vous dis, je lui donne ma terre et seignorie de Forest et de Beaujolois. D’autre part se d’elle je fais mon plaisir, laquelle chose je ne doubte point que je ne face, il me baillera pareillement sa terre et seignorie de Nevers. » Quant le jeusne conte de Nevers Girart oyst ainsi parler Liziart, soy confiant en la loyaulté de s’amye, la belle Euriant, se leva sur piés et dist a haulte voix que de chascun fust entendu, et dist : « Sire Leziart, de la gaigure que voulez faire ne serez escondis. Je vous donne ma conté de 15 Nevers ou cas que vous puissiés venir a chief de l’emprinse que voulés faire, et avec ce vous prometz que par nul homme vivant ne le feray savoir a m’amye en quelque maniere que ce soit. »

Le roy qui la estoit present, oyant la gaigure des deux vassaulx, appella Liziart et lui dist que de ceste gaigure se povoit assés deporter, et que a l’un ou a l’autre porroit venir a trop grant damage.

« Sire, dit Liziart, pour riens ne m’en vouldroye deporter. » Quant il oyst ces paroles il lui dist qu’il se gardast bien qu’il feroit car se il ne venoit a chief de son emprise, ce seroit pour perdre sa terre et que en grant folye se mettoit, que pour honnir et deshonnorer autruy il se mettoit en aventure de perdre tout.

« A sire, dist Girat, je vous supplie humblement que de ceste chose vous vueilliez deporter de plus en parler 16 a Liziart. Car de certain je cuide que avant ce qu’il en peust venir a chief a mon advis il auroit plus tost conquis les Alemaignes. » Quant le roy vist que de ceste fole emprise ne les porroit en riens destourber leur dist que pour asseurer la chose vouloit que chascun d’eulx baillast plaige souffisant pour la gaigeure entretenir. Lors Leziart bailla plaiges et le roy respondist pour Girart de Nevers, apres que les plaiges furent livrez. Leziart a qui il tardoit de son emprinse mettre a fin au plus tost qu’il peust se partist de la court du roy, lui .vi.e de chevaliers vestuz et abilliez en maniere de pelerins, et tant exploita de chevauchier que a ung soir bien tart il ariva a Primery qui est a cinq lieuues de Nevers. Apres ce qu’ilz eurent souppé, alerent dormir, 17 mais Liziart ne peust prendre ung seul somme tant avoit paour de perdre sa gaigure. Quant vinst au bien matin ilz se partirent de Primery et vindrent a Nevers droit a l’eure que la belle Euriant revenoit de l’eglise.

Liziart, qui des honneurs mondains savoit assés, descendit incontinent de son mulet emblant et pareillement ses gens. La noble damoiselle veant les chevaliers descendus, pour venir saluer Liziart se arresta elle et ses damoiselles. Liziart, veant ce, vint a elle et la salua humblement et baisa en la bouche et apres ses damoiselles.

La belle Euriant qui bien le cognoissoit lui dist moult courtoisement que de sa venue estoit moult joyeuse.

« Belle, dit Liziart, par moy Girart vous mande salut, auquel a mon partement avoye promis de non passer sans 18 vous veoir. » « Sire, dit Euriant, il soffiroit bien de moindre message que vous, et s’il vous plaist vous viendrez prendre la pacience au disner au l’ostel de telz biens qui y sont. »

« Ma damoiselle, dist il, je suis prest de faire tout ce qu’il vous plaira. » Adoncques la belle Euriant prinst congié de lui et s’en vinst ou chastel de Nevers, qui alors estoit pres de l’eglise, et commanda a son maistre d’ostel qu’il feist avancier le disner. Ce pendant Liziart partist de son logis et rencontra le chastellain, duquel il estoit bien accointé, et lui pria chierement qu’il le voulsist logier en sa maison.

Le chastellain, qui en nul mal ne pensoit, lui dist que bien fust il venu et que grant honneur lui feroit de y logier. « Mon amy, dit Liziart, je vous mercie chierement. » Puis Liziart ala en l’ostel du chastellain et fut moult bien receu, 19 et le mena le chastellain en une belle chambre bien paree et bien mise a point comme il appartenoit, et la se desabila Leziart et prinst nouveaulx habis et se mist bien en point pour mieulx cuidier complaire a celle pour laquelle decevoir s’estoit mis en aventure de perdre sa terre. Quant il fust habillié et mis sur le bon bout, lui .iii.e partist de son logis et s’en vinst ou chastel ou il trouva pluseurs gentilz qui vindrent au devant de lui, disans que bien fust il venu, et le emmenerent en la sale. Euriant le receust trescourtoisement et deviserent ung peu. Le disné fust prest, ilz laverent et puis se assirent. La noble damoiselle, qui nul mal ne pensoit, le festia haultement et lui fist tresbonne chiere comme s’il eut esté son frere. Des metz dont ilz furent servis je m’en passe pour 20 cause de briefté.

Quant ilz eurent disné et que tous furent levez de table, Liziart, desirant de parler a la damoiselle, la prinst par la main et lui dist : « Belle, je vous ay ung message a faire ; se vostre plaisir estoit de moy oyr, grant desir ay de le vous dire, car chargié en suis de le vous dire de par ung que assés cognoissés. » La belle Euriant, non riens saichant de la grant malice qui lui pourchassoit et a Girart son amy, vint avec Liziart a une fenestre ou eulx deux ensemble se appuyerent. Liziart, a qui il tardoit moult de son emprise accomplir, commença de penser et puis s’approucha ung peu pres d’elle et lui dist : « Ma dame, du tout me metz a vostre mercy ; tant ay oy parler de vous et de vostre beauté, et courtoisie et du bien que chascun dist de vous, que de vostre amour suis si surpris que par force mon cuer m’a contraint 21 de vous venir veoir. Ja pour chose qui avenir me doye ne vous laray a dire la peine et le tourment que nuyt et jour sueffre pour vostre amour ; en moy n’est le vous dire le grief mal que jusques a ores ay souffert ; pour Dieu vous prie que de moy ayez mercy, ou autrement je ne puis appercevoir que la mort ne me soit prouchaine. »

 

Comment Liziart conte de Forest vinst a Nevers et comment il parla a la belle Euriant et de la faulce vielle qui traïst sa maistresse.

22 Quant la damoiselle entendist Liziart, assés ne se peust esmerveillier et lui dist : « A sire mercy vous vueil prier : se ainsi est que par courtoisie je me sueffre vous dire, aucune laidure savoir m’en devez gré : car premiers que a vostre volenté me voulsisse consentir, vous auriés plus tost prinse et saisie la lune qui est ou ciel, que de moy incliner a donner mon amour a vous. Et pour ce se aucune besoingne avez autre part a faire se y alez, car besoing ne vous est ester icy pour ceste cause. Ja soit que pour chose que me ayez dit je ne suis pas si troublee que mon hostel et les biens qui y sont ne vous soient abandonnez. Mais je vous prie que ne me parlez plus de chose ou je puisse prendre aucun desplaisir, et que plus ne vous en avancez. » « Ha noble dame, dist Liziart, 23 il m’est advis que vous avez grant tort : en vous gist ma mort ou ma vie. Car se mon mal ne vous puis monstrer la fin de ma vie vois apparoir prouchainne. Mais se la mort ou aucun tourment en devoye recevoir pourtant ne laray a vous dire tout ce qui sur le cuer me gist, car en moy n’est la force ne le povoir de moy en abstenir ; mal feu et male flamble puist ardoir le premier qui de vous me parla, ja soit ce que jamais ne eusse creu la tierce partie de vostre beauté, vostre nom, vostre humilité par qui suis en voye de morir. »

La damoiselle oyant Liziart tenir son propos lui respondist moult ireement et lui dist : « Sire, saichiés de la requeste que faicte m’avez et que encores faictes me vient a tresgrant desplaisir. Alez vous pourchassier ailleurs ; a moy avoir avez failly ; besoing 24 ne vous est plus en parler ; mieulx ameroye estre arse et bruye que pour vostre gracieuse complainte qui est garnie de faulceté voulsisse faire vostre requeste. Saichiez que pas ne suis femme pour ce faire. Alez autre part querre amie a qui vous passiez voz deduis ; desormais vous tiendroye pour fol de moy plus parler de ceste matiere. » Lors la damoiselle se leva sans plus parler et laissa Liziart tout seul appuyé sur une fenestre, la main a sa maisselle, pensant a sa terre qui seroit perdue. La damoiselle commanda a mettre les tables puis se assirent et maingerent ; pluseurs metz de viandes y avoit mais oncques Liziart n’en menga tant estoit pensif et melencolieux et ne savoit quel maniere tenir. Ainsi comme le conte Liziart estoit a table pensif la maistresse de la damoiselle le prinst moult fort a regarder, laquelle 25 se apperceust aucunement qu’il estoit amoreux de sa damoiselle. Elle qui estoit malicieuse et remplie de toute faulceté afferma en son couraige de aydier et secorir a son povoir Liziart et tant faire qu’il feroit sa volenté de sa damoiselle. Celle vielle estoit moult laide et refroignee et estoit native de la Charité sur Loire ; oncques en sa vie ung seul bien n’avoit fait, et savoit de sorceries austant ou plus que oncques avoit fait Astarot. Autreffois avoit eu deux enffans, lesquelz elle avoit murdry par nuyt. Celle vielle regardant tousjours le conte Liziart se pensa que elle lui feroit tel service que a tousjours il la tiendroit comme sa mere ou sa femme et espose. L’ardant couvoitise dont elle estoit plaine l’esmeust a traÿr sa maistresse par qui elle avoit eu moult de biens. 26 Apres que les tables furent ostees et les graces dictes la damoiselle prinst congié de Liziart et s’en ala en sa chambre, les gentilz hommes demeurent en la sale eulx devisans. Liziart ala tout seul a une fenestre tout pensif et comme mornez, lui cognoissant avoir perdue sa terre, et maudisoit l’eure et le jour que la gaigure avoit esté faicte, car nulle esperance n’avoit en soy qu’il ne perdist sa terre. Ainsi comme la estoit pensant, la tresorde vielle Gondre vinst a Liziart et lui dist : « Sire a ce que en vous puis apercevoir il m’est advis que grant douleur avez au cuer. »

« Dame, dist Liziat, plus grant ne porroye ou monde avoir. » « Sire, dist la vielle, assez apperçoy en vous la cause de vostre doleance.

Mais se dire me volez vostre fait, je vous ayderay par tel maniere que vous viendrez au dessus de voz desirs. » 27 « Dame, dist Liziart, je vous jure et prometz ma foy que, se a mon affaire me voulez aydier, soyez certainne que jamais ne tiendray denier ou vous ne ayés part, et ne sera chose si chiere que vouliez avoir que tantost ne le vous face avoir. » « Sire, dist la vielle, assés ay peu veoir a vostre contenance que pour amour de ma damoiselle estes icy venu, et pour ce ay grant desir vous complaire, car je desire vostre bien de tout mon cuer ; et soyez seur que je cuide tellement besoingnier et faire vostre fait que viendrez du tout au dessus. »

Liziart, oyant la vielle puante ainsi le reconforter, lui commença a dire et reconter la maniere de la gaigure. Quant la vielle entendist Liziart a ung brief parler lui dist : « Sire conte de Forest, vostre besoingne ay entendue, en laquelle mettray tel remede que du tout ferez 28 a vostre plaisir, ou se en ceste maniere ne la povez avoir, je trouveray aucun soubtil moyen par quoy serez asseuré de non perdre vostre terre et que gaignerez la conté de Nevers. » « Dame, dist Liziart, se vous povez mener ceste euvre a fin et que d’elle puisse avoir vrayes enseignes, je suis tout asseuré que je gaigneray ma querelle. » « Sire, dit la faulce vielle, de ce ne faictes nulle doubte, car je vous promest que ainçois qu’il soit demain je feray pour vous tel chose que d’elle aurez la joyssance ou enseignes si certaines que vous serez creu a la court du roy, et par lesquelles vous gaignerez et aurez la joyssance de la conté de Nevers ; si vous conseille que meshuy alez reposer jusques a demain et ne faictes doubte de riens. »

Alors le conte Liziart s’en ala en sa chambre qui pour lui estoit appareillee, ou lui et ses chevaliers dormirent 29 celle nuyt, lesquelz tous ensemble jurent, lesquelz eussent bien voulsu que la pucelle eust esté advertie de la cause pour quoy leur seigneur estoit venu, et plaignoient fort le jeusne conte et s’amye Euriant par laquelle avoient estez si bien festiez et receuz. Apres ce la vielle vinst en la chambre de sa dame pour la aydier a couchier. Quant la damoiselle fust en son lit point ne volt desvestir sa chemise.

La vielle, veant sa dame couchier atout sa chemise, lui dist : « Ha ma damoiselle, trop ne me puis esmerveillier de ce que oncques en ma vie ne vous veis despoillier vostre chemise. Il y a sept ans passé que premiers vous ay gardee. » « Maistresse, dist la damoiselle, saichiez pour verité que jamais nuli fors que Girart ne la me fera desvestir : par lui m’a esté deffendu pour ce que sur 30 moy ay une enseigne qui n’est homme ne femme ou monde, tant me soient prochains parens, qui jamais l’aist veue fors mon amy, auquel j’ay promis que se il estoit homme mortel en vie qui puist dire ne soy venter la avoir veue, il croira certainement que de moy aura fait sa volenté, parquoy l’amour de noz deux sera departie. Ma treschiere maistresse de ce que vous ay dit me povez croire et le savoir pour certain. »

« Ma dame, dit la faulce vielle, ja Dieu ne plaise que jour de vostre vie fasiez chose parquoy au doy soyez monstree, ne que ayez villain reproche ; car se croire me voulez, nul fors que vous deux ne le saura. Il est tart d’aler dormir, ma damoiselle, Dieu vous doint bonne nuiyt. »

 

31

Comment la faulce vielle traïst sa maistresse et comment elle fist ung pertuis en la paroit de la chambre affin que le conte de Forest vist l’enseigne que la belle Euriant avoit sur sa dextre mamelle.

La desloyale vielle fust partie de la chambre de la damoiselle a telle douleur que a peu ne crevoit de ce que ne povoit savoir quelle enseigne sa damoiselle portoit sur elle. Icelle vielle s’en ala couchier a mal repos et a mal aise, jusques au bien matin que 32 elle se leva de son lit hastivement et fist appareillié ung baing en sa chambre, et quant il fut prest incontinent ala esveillier sa maistresse la damoiselle et lui parla tant d’une chose et d’autre que elle trouva maniere de la mener baignier en sa chambre. Mais mieulx lui eust valu que jamais ne se fust baignee pour le tresgrant meschief et anuy que depuis lui en advint, ainsi que cy appres pourez oyr. Quant la damoiselle fust en la chambre de la vielle ou le baing estoit prest elle dist a la vielle que se partist de la chambre car elle vouloit estre seule ou autrement elle ne se baigneroit point.

La mauvaise vielle se partist de la chambre bien couroucee, pensant en son coraige que tel broet lui brasseroit que grant mal et anuy lui en aviendroit, et trouva maniere d’avoir ung tarelle dont 33 hastivement a ung coing de la paroit de sa chambre fist ung pertuis, affin que elle peust veoir baignier sa maistresse la damoiselle. Quant le pertuis fut fait la vielle regarda parmy et vist clerement sa damoiselle et vist que sur sa destre mamelle avoit une enseigne moult gente en semblance d’une violette apparant de couleur ynde sur la mamelle blanche. La vielle veant celle enseigne se esmerveilla moult fort, incontinent s’en vinst en la chambre du conte secretement, et esveilla le conte qui encores dormoit et lui dist : « Sire, levez vous et faictes bonne chiere, car je vous asseure que des maintenant vostre querelle avez gaignee ; car telles enseignes vous monstreray par lesquelles porrez dire que des maintenant estes seigneur de la conté de Nevers. Or tost levez sus et venez apres moy et je 34 vous monstreray ce pourquoy vous estes cy venu. » Lors Liziart salist hors de son lit et s’abilla diligemment et ala avec la vielle tant qu’ilz furent au pertuis que la vielle desloyale avoit fait, et mist l’ueil a l’endroit et regarda la damoiselle et aperceust et cogneust l’enseigne qui estoit sur sa dextre mamelle, et eust bien voulsu a celle heure estre empres elle mais autre chose n’en povoit avoir. Quant assés l’eust veue et regardee, Il vinst devers la vielle et lui dist : « Dame, vous m’avez gardé d’une grant perte, parquoy me repute estre a tousjours mais vostre serviteur, et vueil que soyés dame et maistresse de toutes mes terres et seignories, lesquelles je avoye perdues se n’eussiez vous esté ; il est bien raison que en soyés gueredonnee. Je vous mercie cent mil fois et adieu jusques au revoir qui sera brief. »

 

35

Comment Liziart prinst congié de la damoiselle et de la vielle et s’en retourna a la court.

Quant Liziart eust pris congié de la vielle, il vinst en sa chambre et se appareilla lui et ses gens pour soy partir. Puis apres la vielle vinst hurter a l’uys de la chambre ou se baignoit la damoiselle. Icelle damoiselle, saichant que c’estoit la vielle sa maistresse, saillist a cop du bain et vestist sa chemise et son coteron et vinst ouvrir l’uys, puis pour elle asseurer se bota 36 en son lit, apres se vestist et abilla au plus tost que elle peust et vinst en la saule pour ce que par la vielle estoit advertie du partement du conte Liziart.

Quant elle fust venue en la saule humblement salua le conte et tous ses chevaliers. « Ma damoiselle, dist le conte, je vous mercie chierement de la bonne chiere que avez faicte a moy et a mes gens. » Ayant prins congié de la damoiselle et de ceulx qui avec elle estoient, il devala les degrez et monta sur son mulet, puis lui et ses gens se misrent en chemin, et la belle Heuriant demeura ou chastel accompaignee de sa faulce vielle que ainsi l’avoit traÿe, de laquelle layrons a parler. Si vous raconteray de Liziart conte de Forest qui tant exploita de chevauchier sans quelque aventure avoir que en quatre jours il ariva a Melun ou le 37 roy Lois estoit. Quant Liziart fut a la court, illec trouva pluseurs chevaliers et barons desirans de savoir la maniere comment il avoit besoingnié.

A ce jour que Liziart ariva a Melum, Girart le jeusne conte de Nevers s’estoit alé jouer jusques a Corbueil ou gaires ne arresta, car par aucuns de ses amis fust adverty de la venue de Liziart, mais se partist de Corbeil incontinent qu’il sceust les nouvelles, accompaignié de jeusnes enffans, contes et barons de la court, ses parens et cousins, et vinst a Melum bien seignorieusement comme a lui appartenoit ; et venoient iceulx jeusnes seigneurs deux et deux chascun ung chappel de roses sur leur chief ; moult grant presse de gens avoit par les rues de Melum pour les veoir passer. Girart ou mylieu d’eux venoit chantant et les aucuns lui respondoient et vinst Girart en ceste maniere 38 a Melun lequel grans et petis virent volentiers. Quant Girart et sa seigneurie furent descendus ilz vindrent en une saule paree et tendue de riche tappisserie ou le roy et ses barons estoient actendans Girart. Quant il entra dedens la saule et le veirent ainsi accompaignié il n’y eust si grant qui ne lui feist honneur, mesmement le roy duquel il estoit moult amé le regarda sousriant. Quant tous furent assemblez en presence du roy chascun se teust et fist silence.

Lors Liziart conte de Forest veant Girart estre venu se leva en piés et dist tout hault en soy tournant devers le roy : « Sire, je vous tieng assés recors que ung jour passé, Girart et moy feismes une gaigure ; lequel a bien monstré qu’il est enffant, quant sur la fiance d’une femme il a perdue sa terre, laquelle est mienne et l’ay gaignee par la gaigure 39 que avons eu ensemble. Vous, sire, et tous les princes et barons qui cy sont, vous en appelle en tesmoings. Et pour ce que pour morir ne vouldroye dire ne mettre avant chose qui ne fust veritable, Girart face mander s’amye, et elle estre venue en presence de vous et d’elle prouveray que entierement j’ay gaignié la conté de Nevers et toutes ses appartenances, et ce je vueil prouver et dire enseignes que elle ne porra aler au contraire. »

 

Comment Girart envoya querre s’amye par ung sien escuier et parent.

40 Quant le roy eust oy proposé Liziart, il se tourna devers ses barons disant que mieulx ne povoit dire. Il appella Girart et lui dist qu’il envoyast querir s’amye. « Sire, dist Girart, jour de ma vie ne le croiray, mais pour savoir la verité du fait l’envoyeray querre par ung mien neveux qui cy est. » Auquel nepveu Girart dist que incontinent montast a cheval et qu’il alast a Nevers querre Euriant s’amye. Le jeusne escuier se partist incontinent et chevaucha si fort que il vinst en cinq jours a Nevers ou il trouva Euriant assise es fenestres du chasteau, et estoit assise au plus pres d’elle Gondree la tresorde vielle. Quant elle veist l’escuier elle le vinst acoler et baisier en lui demandant comment fasoit son seigneur. L’escuier comme bien apris lui dist : « Ma damoiselle, quant je 41 partis de lui je le laissay sain et alegre. Par moy vous envoie querre, en vous priant que incontinent venez pardevers lui. »

La damoiselle oyant les nouvelles fut tresjoyeuse et fist tresbonne chiere a l’escuier et lui dist que incontinent seroit preste. Et commanda a son maistre d’ostel que bien pensast du jeusne escuier. Puis elle desirant complaire a son amy fist aprester son bagaige au plus tost que elle peust et recommanda tout son hostel a la vielle. Icelle faulce vielle desloyale sorciere, bien saichant la cause pourquoy sa damoiselle estoit mandee, luy dist que en riens ne feist doubte et que tellement penseroit du mesnaige que a son retour auroit toutes bonnes nouvelles. La belle Euriant baisa sa maistresse en prenant congié d’elle. La desloyale vielle fist semblant de plorer 42 et dist au departir : « Je sçay assés que vostre retour me sera long. » La damoiselle ayant son fait apresté commanda a tirer les chevaulx hors de l’estable, lesquelz estoient merveilleusement beaulx et moult richement abiliez de selle, de harnas et couvertes. Et elle et ses gens de atours et vestemens si riches et si pompeux que c’estoit grant beauté de les veoir.

Quant elle veist ses gens estre prestz elle fist amener son aguenee sur laquelle elle monta sans prendre aventaige.

Puis elle, accompaignee de trois chevaliers des plus nobles de Nivernois et de pluseurs autres gentilz hommes, se partist de la cité de Nevers et fust convoyee des plus grans d’icelle cité. Car tant estoit amee des grans et des petis que se a la verité eussent seu son destourbier jamais pour riens ne l’eussent laissier partir. Quant ilz 43 eurent convoyez la damoiselle jusques a une lieuue en plorant prirent congié d’elle et s’en retournerent a Nevers. La belle Eurian et sa compaignie se misrent au chemin faisant la plus grant chiere du monde. Mais se advertie eust estee de ce qui devoit avenir elle n’eust pas faicte si bonne chiere. Tant exploitta sans sejourner que ung bien matin ariverent a Melum et se vinst logier en ung moult riche hostel qui estoit au plus pres de l’eglise Saint Gille, ouquel elle fust de son hoste et de son hostesse tres notablement receue ; et la menerent en une chambre richement paree ; et ne sceust on nouvelle a la court de sa venue pour ce que le roy et tous ses barons estoient alez a la chasse, ou ilz furent jusques pres de mynuit avant qu’ilz retournassent. Pourquoy la belle Euriant, 44 saichant que si tost ne retourneroient, commanda appareillier son soupper et quant il fust prest elle se assist a table ; apres ce que elle et ses gens eurent souppé, elle qui estoit lasse et traveillee se ala couchier et reposer jusques au matin que deux de ses damoiselles la vindrent esveillier. Quant elle veist le jour estre venu, par ses damoiselles se feist vestir et mettre a point de ses attours qui estoient moult riches et beaulx. Mais bien vous ose dire que oncques Elaine, Policena, Dido ne la belle Florence de Romme, mesmement la belle orgueilleuse d’amour, de beaulté, d’umilité n’estoient a comparer pour le temps que elles vivoient a la belle Euriant. Aujourd’uy ne se trouveroit paintre, tant fust il bon ouvrier, qui sceust contrefaire ne qui vous sceust au vray deviser de sa beaulté ne de ses riches atours, 45 tant estoit si merveilleusement belle et assouvye, et tant que Dieu et nature en elle n’avoient riens oblié. Encores n’avoit elle pas .xvi. ans de age.

Quant elle fust du tout paree et vestue elle fist venir toutes ses gens comme chevaliers, gentilz hommes, dames et damoiselles, et ala a court mais en alant que elle fasoit y avoit si grant presse par les rues de gens qui la venoient veoir que c’estoit merveilles et estoient tous esmerveilliés de la grant beaulté qui estoit en la belle Euriant. Et premiers que elle peust venir a la court Girart eust nouvelles que elle venoit : quant il sceust qu’elle venoit lui et pluseurs chevaliers lui vindrent au devant tous esbaÿs de la grant beauté qu’ilz virent en la belle Euriant, laquelle moult gentement venoit chevauchant sur une belle aguenee faisant les saulx parmy 46 les rues ; et ne fut gaire loings de son hostel que elle encontra Girart son amy qui lui venoit au devant, lequel lui dist : « Belle, moult joyeulx suis de vostre venue ; a bonne heure puissiez vous venir. » « Sire, dit Euriant, la longue attente de vous veoir m’a esté ennuyeuse, mais Dieu mercy puis que je vous voy chose n’est qui me puist nuyre. » Eulx deux tenans par les mains vindrent a la court ou ilz descendirent ; gaires n’y eust chevalier ne gentil homme qui ne venist au devant d’eulx pour le desir que chascun avoit de les veoir venir ensemble a court. Quant tous furent descendus ilz monterent amont les degrez de la saule ou le roy estoit et ses barons estoient les attendans.

 

47

Comment la belle Euriant vinst a court et comment Liziart lui imposa qu’elle avoit couchié avec lui et fait sa volenté d’elle.

Quant ilz furent entrez en la saule, il n’y eust si grant prince ne baron qui ne leur feist honneur, mesmement le roy qui se leva et prinst Eurian par la main et lui dist : « Belle, bien soyés venue. » « Sire, dit elle, si eureuse vouldroye estre que en ma vie vous puisse service qui a vous et a la royne venist a plaisir. » Le roy en soy tournant devers ses barons leur dist : « Seigneurs, 48 ores puis je veoir la verité certaine de ce que de ceste damoiselle m’a esté dit. Car onques en mon vivant plus belle ne plus gracieuse ne veis. » La belle Eurian comme sage et soubtile, soy veant sans femme excepté les siennes, et cuidant trouver la royne avec le roy, pensa que pour aucune chose estoit mandee et lors prinst en elle une freur de ce que le roy avoit dit et moult piteusement commença a regarder Girart son amy. Elle estant en ceste freur, Liziart conte de Forest et de Beaujolois se mist a genoulx devant le roy et lui dist : « Sire, assés vous tiens estre recors que puis nagaires Girart conte de Nevers, comme jeusne et non saichant (tel le puis je nommer) qui tant c’est volu fier en femme que de avoir gaigié sa terre a l’encontre de la mienne, par tel si que, se je povoie trouver maniere de faire mon plaisir de Eurian s’amye, 49 il estoit content de moy donner sa terre franche ; et ou cas que ainsi ne le porroye faire je lui promis pardevant vous et voz barons que il auroit comme son propre heritaige mes contez de Forest et de Beaujolois. Or est ainsi que par droit et raison il a perdue sa terre. Car devant vous sire vueil prouver et monstrer par bonnes enseignes que j’ay fait mon plaisir de la belle Euryant que la veez, et n’est ja besoing de en faire champ de bataille car assés apperra par vive raison. » La belle, oyant Liziart parler, dist a Girart en riant : « Amy, pour certain au dessus estes de la gaigure, car oncques le desloyal n’eust a moy quelque atouchement villain. Maintenant vous povez dire conte de Forest et de Beaujolois. » Liziart, sans soy esbaÿr ne avoir en lui crainte ne paour, a chiere levee 50 passa avant et dist au roy, oyans tous les barons : « Sire, bien me puis venter que de l’amye Girart l’enffant ay fait toute ma volenté, a telles enseignes que sur sa dextre mamelle est assise une moult belle violette ainsi comme elle mesmes le me dist quant avec elle je couchay nu a nu. Et avec ce me raconta que entre elle et Girart son amy avoient fait certaine devise, que se chose estoit que aucun prouchain son cousin ou estrange se povoit venter d’avoir veu les enseignes que certainement croiroit ses amours estre fausees et avoir fait sa volenté de Euriant, fors tant seulement eulx deux car nul ne savoit riens de l’enseigne, ne n’en devoit riens savoir. Sire, dist Liziart, ainsi comme le vous dis la chose est advenue et comme il appert par les enseignes que vous ay dictes. Et pour 51 ce sire vous requiers avoir mon droit ainsi comme par vous et voz barons a esté ordonné, car se au dessus n’en fusse venus toute ma terre avoye perdue. Et pour ce est fol qui en femme a grant fiance et qui en mest sa terre en gaige, combien que assés m’en repentis, mais la mercy nostre seigneur tant ay fait que la querelle ay gaignié. »

 

Comment Girart se partist de la court moult desplaisant et Euriant s’amye sans autre compaignie.

Quant le roy et les barons eurent oy Liziart 52 et que si affirmativement disoit ses enseignes, lesquelles de l’enffant Girart n’estoient debatues, et ne dist riens a l’encontre de Liziart, ne aussi ne fist Euriant, mais tous deux furent comme paumez, de quoy toute la seignorie fut moult desplaisant et n’y eut homme qui deist ung seul mot, car tant amoient Girart que tous larmoyoient du deshonneur et perde d’icellui Girart et par espicial quant ilz veirent Euriant cheoir paumee devant le roy. Quant elle fust relevee elle getta ung moult hault cry en disant : « O tresdoulce vierge Marie, ayés pitié de ceste dolante creature qui a grant tort a esté desloyalment traÿe et deshonnoree.

A, sire Girart, ceste mensonge jamais ne creez, car oncques le desloyal n’eust de moy la joyssance, ne nul quel qu’il soit fors vous. Mieulx ameroye estre arse que d’avoir consentir a ce deshonneur. » 53 Girart plain d’ire et de couroux moult fierement lui dist que son excusacion ne valoit riens. « Ma terre ay perdue par vous. Assés recognois les enseignes parquoy ce qu’il dist est vray. Bien savez les devises que aviesmes euz ensemble, lesquelles n’est ja mestier de recorder pour le present, mais soiez seure que tel loyer en aurez que a toutes autres sera exemple. » Alors les cousins et parens de Girart lui demanderent son entencion ne que il vouloit devenir, eulx offrans de aler avec lui et de non le jamais habandonner. « Seigneurs dist Girart, je vous mercie chierement ; je ne vueil personne avec moy que celle par qui je suis desherité et m’en vueil aler en aucun estrange païs passer mes douleurs. » Oncques pour priere ne requeste qu’ilz lui sceussent faire Girart ne volt consentir que nulz d’eulx alast avec 54 lui, dont le roy et ses barons furent fort troublez, car tant amoient Girart et grans et petis qu’il n’y eust cellui d’eulx qui de pitié ne plorast.

Alors Girart fist amener son cheval et la haguenee de s’amye Euriant a laquelle il commanda monter sur ladicte aguenee. Elle doulante et esploree fist ce qu’il lui commanda, puis Girart lui seul sans serviteur monta sur son cheval et ne volt avoir aucune compaignie d’omme ne de femme quel qu’il fust et prinst congié lui et Euriant du roy et des barons et s’en alerent ; et en passant qu’ilz fasoient par la ville de Melum il n’y avoit homme ne femme qui ne menast grant dueil du desplaisir de Girat, et maudisoient Liziart par quy cest affaire estoit a Girart et a Euriant, a laquelle ilz veoient demener le plus merveilleux dueil 55 du monde. Quant ilz furent yssus de la ville, Girart tira tout droit en la forest d’Orleans et se bouta dedans, lui et s’amye Euriant triste et doloreuse, et aloit chevauchant apres elle sans dire ung seul mot l’un a l’autre. Et se partirent Girart et s’amye de la court en ceste maniere dolans et courouciez, et Liziart demeura joyeux de sa bonne adventure et tant fist vers le roy et son conseil que la conté de Nevers lui fust a plain delivree et en fist hommaige au roy en la presence des barons, dont les parens et amis de Girart furent moult dolans et maudisoient l’eure que oncques il s’estoit enamoré de ceste demoiselle.

Quant Liziart eust fait hommaige au roy, lui accompaignié de ses amys prist congié du roy et s’en ala de tire a Nevers ou il fust receu des bourgeois a seigneur, mais oncques plus grant 56 pitié ne fust veue, pour les piteux regretz qu’ilz fasoient de leur naturel seigneur et de leur damoiselle que ainsi avoient perdus, et estoient de povres et de riches fort plains et regretez. Mais a Liziart ne a la faulce vielle n’en chaloit gaires pour ce qu’ilz se veoient au dessus de leurs besoingnes. Et eust la vielle le gouvernement de toute la conté de Nevers, et estoit Liziart content de tout ce qu’elle vouloit sans riens contredire, et se monstroient moult grant amour l’un a l’autre ; mais la vielle estoit tant haÿe par tout le païs que ce n’eust esté pour doubte de Liziart on l’eust gettee en ung puis ou en la riviere pour les mauvaises coustumes, tailles et gabelles qu’elle avoit mis sus. De Liziart et d’elle lairay a parler et parleray de Girart de Nevers et s’amye la belle Euriant.

 

57

Comment Girart volt copper la teste a Euriant s’amie en la forest d’Orliens, du serpent qui lui vinst corir sus, et comment il la laissa toute seule en ladicte forest.

Bien avez oy parcidevant le piteable departement de Girart de Nevers et de s’amye. Apres ce qu’ilz furent departis de Melun eulx deux ensemble plains de tristesse et de melencolie entrerent en une forest ou tout le jour sans boire et sans maingier furent, jusques ce vint apres jour failly qu’ilz trouverent ung 58 petit hostel de povres gens ou celle nuyt logerent, puis le matin se departirent en eulx tellement exploitant qu’ilz ariverent en la forest d’Orliens. Girart, veant que assés loing de gens estoient et qu’il ne veoit homme, il regarda a costiere du chemin et choisist ung moult gros chaisne soubz lequel il descendist et fist descendre Euriant et ataicha les chevaulx a ung arbre, et vinst apres a Euriant et lui dist : « Par vous et vostre desloyauté j’ay perdu toute ma terre ; par vous suis escillié, ne jamais en court de prince n’est besoing de moy trouver. Saichiés que jamais apres moy ne tromperez homme : aujourd’uy est venu vostre derrain jour. » La belle Euriant se mist a genoulx devant lui, lui requerant que d’elle voulsist avoir compassion. « O tresdesloyale et mauvaise, vous ressemblez a Briseida 59 l’amye de Troylus et encore pire, car dame et maistresse vous avoye faitte de mes terres et seignories, mais par vostre desordonnee laicherie m’avez rendu mal guerdon ; et pour ce vous paieray la desserte que avez gaignee. »

Alors Girart en ostant amour et pitié de lui comme celui qui a l’eure estoit remply de yre et de couroux prinst Euriant par les cheveux et tira son espee, et ainsi qu’il cuidoit frapper, Euriant vist venir ung grant et orrible serpent, et dist a Girart : « A, sire, pour Dieu sauvez vous, regardez venir contre vous une beste moult orrible et espoentable. » Grosse avoit la teste et les yeux plus ardans que feu. La quehue avoit moult grande et eserchelee.

« A, sire, dist Euriant se tost ne vous gardez et que vous fuyez, il est imposible que par elle ne soyez devoré ; quant est de moy, puis 60 que morir me couvient, ne me chault soit par vous ou par la beste estre devoree. Car je voy bien que par autre maniere ne puis eschapper. » Lors Girart laissa la belle Euriant et regarda la orrible beste qui venoit contre lui le grant pas. Lui, comme cellui qui en riens ne doubtoit la mort, conclud en soy que pour paour il ne lairoit de soy esprouver a l’encontre du serpent. Lors il laissa Euriant et envelopa son manteau alentour de son bras, l’espee ou point, et vint contre le serpent. Lequel serpent venoit gulle ouverte gettant une flambe moult orrible et puant. Girart qui moult estoit hardy advisant le serpent qui venoit pour l’englotir prinst son espee par la croix et la getta de grant force en la gorge du serpent et tellement qu’il lui trencha le foye et le vint attaindre au cuer. 61 Quant le serpent sentist le cop il getta ung cry si orrible que toute la forest retentissoit et chut le serpent a terre. Lors Girart, veant la beste estre morte, prinst herbes et fueilles en sa main et tira son espee hors de la gorge du serpent, puis a ung petit ruissot d’une fontaine la estant la lava et l’essua a son mantel et le rebouta ou forreau.

 

Comment Girart se mist a genoulx rendant graces a Dieu de ce qu’il estoit eschappé et qu’il avoit tué le serpent et comment il laissa Euriant seule.

62 Apres ce que Girart eust occis le serpent orrible il se mist a genoulx les yeux contre le ciel, rendant graces a Dieu de ce qu’il avoit vaincu le serpent, et pensa en son coraige et dist : « O vray Dieu, vueilliez moy aidier : comment me seroit il possible ne avoir le corage de mettre a mort celle qui m’a saulvee la vie ? Car se par elle n’eusse esté adverty j’eusse esté tué du serpent. Certes pour riens mal ne lui feroye, car raison y est grande, car maintenant avoye l’espee ou point pour la tuer et copper la teste, et quant elle a veu venir l’orrible serpent pour moy sauver la vie m’a dit que me gardeisse. Laquelle chose n’eusse jamais pensé ne aussi ne croiroie qu’il fust femme au monde qui eust le coraige ne telle volenté de vouloir sauver ne garentir de mort cellui qui la vouldroit tuer, 63 par ainsi lui vueil sauver la vie, ja soit ce qu’elle m’a fait perdre ma terre ; combien qu’elle demorra seule, dont j’ay pitié quant il couvient que seule et esgaree je la laisse. Certes a tousjours mais ara m’amour. Mais nulz homs vivans ne le saura. Icy la lairay sans ly aucun mal faire. Dieu par sa grace la vueille pourveoir et pardonner son meffait. » Il vinst vers la damoiselle et lui dist : « Euriant, en la garde de Nostre Seigneur te laysse, auquel je prie humblement que de mal te vueille garder et toy pardonner la faulte que m’as faicte. » Et la laissa toute seule et monta sur son cheval prenant son chemin en la forest. Et la belle Euriant seule et esgaree demeura au bois moult doulante en faisant ses regrez piteux, detordant ses mains, tirant ses cheveulx, et disoit : « Las moy chetive, a male heure fus oncques 64 nee quant ainsi a tort et sans cause mon amy c’est departy de moy et m’a ainsi laissee seule et perdue en my ce bois. »

 

Comment le duc de Metz ariva en la forest ou il trouva la belle Euriant.

Alors rencommença son dueil moult grant. « Las moy, il me vaulsist mieulx avoir esté tuee de mon amy Girart, ou avoir esté devoree par le serpent ! Pieça m’a esté dit que useroye ma vie en pleurs. » Puis es mains et es oncles se esgraffinoit toute sa face ; 65 moult pale et descoloree estoit, tout transy et couvert estoit de sang et mieulx sembloit morte que vive et cheust a terre paumee. Ainsi, comme en celle pasmoison estoit, par la passa le duc de Metz, lui .xx.e de chevaliers, lequel tout droit venoit de Saint Jaques et avoit ce jour disné a Baugensi, et ainsi comme il approcha de la forest d’Oliens il entra en ung grant chemin et veist a dextre ung cheval estaichié a une branche, et veist empres ung grant et orrible serpent mort ; en apres vist une damoiselle gesant a terre, laquelle lui sembloit selon ses habilemens estre de grant lieu, dont il fut effré, pensant que le serpent avoit tuee la damoiselle, mais moult se esmerveilloit comment le serpent avoit esté tué. Il appella ses chevaliers et leur dist : « Seigneurs, vecy la plus grant merveille du monde. Regardez 66 l’orrible serpent et ceste gente damoiselle la gisant morte. Il peult estre qu’elle avoit mis jour et heure a son amy et que elle le attendoit icy. » Ainsi comme le duc se devisoit a ses chevaliers la belle Euriant se revint de pasmoison en soy esmerveillant de veoir empres elle tant de gens, et incontinent se prinst a nettoyer son visaige et ses yeulx qui estoient tous plains de sanc et de larmes. Quant le duc la veist revenue et que point n’estoit morte il fust moult joyeux, desirant savoir d’elle quelle male aventure l’avoit la menee, et pour en savoir la verité mist pié a terre et la salua moult courtoisement ; laquelle ne lui respondist ung seul mot car elle ne povoit tant avoit le cuer estraint et commença de plorer et soy desconforter en blasmant sa doulante vie. Le duc la reconfortoit moult doulcement et 67 lui dist : « Belle, je vous prie que me vueilliez dire la cause de vostre doleance. » La belle Euriant, la larme a l’ueil, lui respondist et lui dist : « Sire, je vous prie que me laissiés ester ; grant pechier faictes de vous cy arrester pour savoir ne enquerir de ma grant maleurté. Je suis une povre esgaree et exillee plus desirant la mort que la vie. Par moy autre chose ne povez savoir, mais se par vous ou voz gens estoie mise a mort grant merite aquerriez envers Dieu. »

Le duc oyant ses piteuses complaintes eust en lui grant pitié et la prinst moult fort a regarder ou visaige et lui sembla que oncques jour de sa vie plus belle creature mieulx faite ne mieulx formee il n’avoit veue. Et dist en lui mesmes que se de ses gens ne cuidoit estre blasmé il la prendroit a femme et la feroit duchesse de Metz 68 et de Lorrainne, et dist qu’elle sembloit es habilemens qu’elle portoit estre de grant et noble lieu yssue et que par honneur ung grant roy la poroit prendre, et la prist moult fort a amer, desirant avoir son accointance et lui dist : « Belle, or tost levez vous sus, sans prendre en vous quelque excusacion, montés sur vostre aguenee ; il vous en fault venir avec moy en mon païs. Grant joye ay en mon cuer de vous avoir trouvee. Oncques a nul jour si grant eur ne vous avint, car a femme vous vueil avoir et serez dame et duchesse de Metz et de toute Lorraine. » Quant Euriant entendist le duc, oncques mais ne fut plus dolante, et lui dist a basse voix : « Sire, ja Dieu ne plaise que me faciés cest honneur, car se vous saviez la verité de mon fait et la vie que j’ay menee avant ce que me prissiez vous me feriez ardoir 69 ou enfoir, car oncques plus desloyale ne plus mauvaise ne fust que j’ay esté toute ma vie. Verité est que sont environ trois ans passés que je devins femme commune ; pour ma mauvaistié fus appellee ligiere ; mon pere fut ung charreton, lequel depuis nagaires a esté pendu. Puis apres ay esté amye d’un larron lequel m’amoit tresfort. Tout ce qu’il povoit embler il le mettoit sur moy : sy riche robe n’estoit, se avoir la vouloye, que tantost ne la me feist avoir, fust de soye ou d’autres fins draps, forrees de vairs ou de gris ainsi comme bon me sembloit. Si advint par une aventure que ceste robe, que me veez porter a present, il l’avoit nouvellement emblé et tant qu’il fut apperceu au partir que feismes d’Orliens lui et moy et fusmes poursuis tant que en courant son cheval tomba par terre et fut prins, 70 et moy lasse maleureuse eschappay et suis icy venue dont c’est moult grant damage. Sire, de telle femme que je suis n’avez a faire, car pour riens ne porroye laissier la vie que j’ay tous temps menee. » Le duc en la regardant lui dist que telle excusacion ne lui estoit mestier de faire : « De tout ce que dit m’avez ne me chault, mais que de cy en avant vous gardez. » « Sire, dit Euriant, saichiés que envis meurt qui aprins ne l’a ; trop me greveroit et me seroit estrange de delaissier la vie que tous temps ay voulu mener. Certes pour riens ne m’en tiendroye. Moult grant folye avez emprinse qui cuidiez tant faire par voz paroles de moy destourber a mener la vie que j’ay tousjours accoustumee. »

 

Comment le duc de Metz emmena Euriant, voulsist elle ou non.

71 Quant le duc entendist la damoiselle plus que devant fut amoreux d’elle et la prinst par la main et lui dist : « Belle, tout ce que dictes ne vous vault ; voz excusacions ne voz plaintes ne vous y peuent aydier, car c’est force que venez avec moy, vueilliez ou non. » Lors le duc la fist monter sur sa aguenee par quatre chevaliers qu’il fist descendre et se misrent en chemin. La belle Euriant demenoit grant dueil pour son amy Girart duquel estoit ainsi departie. Grant pitié estoit 72 de la veoir, et en avoient les chevaliers du duc grant pitié et contredisoient moult fort au duc qui bien se gardast de la prendre a femme, que assés de plus belles en trouveroit en son païs et que il veoit bien que c’estoit une maleureuse. « Sire, dirent les chevaliers, deportez vous de ceste folye et la laissiez aler ou elle vouldra aler. » Quant le duc vist que ses chevaliers blasmoient la demoiselle, laquelle il amoit, il leur deffendist que plus n’en parlassent et que pour eulx ne pour homme vivant ne s’en deporteroit.

Les chevaliers oyans la volenté de leur seigneur se teurent sans plus en parler et se misrent en chemin.

Le duc regardoit tousjours Euriant et de plus en plus y mettoit son cuer. Mais a la belle Euriant n’en chaloit, ains ploroit et fasoit ses regretz, quant de son amy Girart avoit souvenance. Le duc la reconfortoit le 73 mieulx qu’il povoit, mais pour priere qu’il lui sceust faire elle ne se vouloit deporter de son dueil. Tant esploiterent de chevauchier par villes et chasteaulx que en moings de huit jours ariverent a Metz en Lorraine ou le duc fut moult bien receu. La belle Euriant il bailla en garde a une sienne seur qu’il avoit, dont elle fut moult amee pour sa beauté et doulceur. Le duc l’aloit souvent veoir esperant lui faire perdre son dueil mais tousjours la belle se excusoit ; de laquelle pour le present vous lairay a parler et vous compteray de Girart qui seul s’en aloit chevauchant.

 

Comment Girart au departir qu’il fist de s’amye qu’il avoit laissié en la forest vinst en Nyvernois a ung villaige que alors on nommoit la Marche en l’ostel d’un jongleur qu’il congnoissoit.

74 Ainsi comme parcidevant avez oy Girart de Nevers s’estoit party de s’amye Euriant et l’avoit laissee en la forest toute seule, dont il avoit plus de desplaisir que d’avoir pardue sa terre. Souvent la larme a l’ueil aloit regrettant s’amye en disant : « O tresnoble jouencelle, que ores suis pour vous dolant et marry ! Je vous cuidoye avoir a femme, mais pas ne suis seul avoir esté deceu de femme. Salomon, qui tant estoit saige, mains damages receust de sa femme. Sançon 75 le fort fust par sa femme traÿ et pluseurs autres. Cellui est fol et pour fol doit estre tenu de soy aseurer trop en amour : nul ne doit assayer s’amye mais la doit laissier en paix sans la esprouver en quelque maniere que ce soit. Je le dis, las moy, mais oncques ne m’en ay sceu garder. » Puis apres quant il eust fait sa complainte moult tendrement commença de plorer, en plaignant le corps, la beauté et la humilité de s’amye et par pluseurs jours en soy desconfortant et demenant grant dueil s’en aloit vacrant par bois, par plains et par villes ; et tant que volenté lui vinst de tirer contre Nevers, dont autreffois avoit esté seigneur, disant en lui meismes que, soit folye ou savoir, il yra veoir comment Liziart se gouverne en sa terre que faulcement avoit gaignee. Tant chevaucha par 76 valees et par montaignes qu’il ariva a la Marche seant sur la riviere de Loire ou avoit pour le temps ung moult fort chastel, et se vinst logier au plus celeement qu’il peust en une maisonnette ung peu arriere de la ville, ou pour le temps estoit demeurant ung jongleur, auquel par pluseurs fois avoit fait mains biens et donné robes et forures. Quant Girart entra en l’ostel du jongleur, moult bien fut recogneu de l’omme et de la femme et furent moult joyeulx de sa venue et tresdesplaisans de sa fortune, et a leur povoir lui firent bonne chiere. « Amy, dist Girart, ne faictes a nully semblant de ma venue. » « Sire, dist le jongleur, de ce ne vous couvient doubter, car homme du monde riens n’en saura. » Quant le cheval de Girart fut appointié il vinst a l’ostel ou la femme avoit mise la table 77 et apporté de telz biens qu’ilz avoient et se assirent tous trois au soupper ou ilz firent bonne chiere. Apres ce qu’ilz eurent souppé ilz alerent dormir jusques le demain au matin. Girart se leva et se abilla et appella son hoste et lui dist qu’il lui pretast une de ses vielles robes et ung chappel et ung chapperon, pour ce qu’il faisoit lait temps de pluye et de vent, puis lui dist qu’il lui aportast sa vieule, de laquelle Girart savoit moult bien jouer et de pluseurs autres instrumens, fust de harppe, de leu, de salterion ou de orgues. Le jongleur apporta a Girat tous les habilemens qu’il lui avoit demandé, puis abila Girart et lui pendist la vieule au col, puis lui dist : « Sire, il semble proprement que autreffois avez esté du mestier, tant vous vient bien cestui habilement. »

 

78

Comment Girart vinst a Nevers la viole au col ou il chanta devant Liziart.

Apres ce que Girart fust abilié en abit de violeur, le jongleur lui apporta unes ousettes et les lui chaussa, pour ce que le temps estoit moult ort et faisoit mauvais cheminer ; puis Girart prist congié de son hoste et se mist a chemin tirant contre Nevers, et tant chemina qu’il vinst a Nevers a grant peinne, car pas n’avoit aprins d’aler a pié, et entra deans la ville, et en alant qu’il faisoit 79 par icelle oyst pluseurs bourgeois qui disoient l’un a l’autre : « Se jongleur se traveille bien en vain, il pouroit tout le jour violer et chanter avant ce qu’il trouvast homme qui escouter le voulsist, car oncques puis que perdismes Girart et Euriant s’amye toute nostre joye fust perdue. Motez, chançons, balades ne chans d’oyseaulx ne seront jamais a Nevers voulentiers escoutees au moings tant que le traytre Liziart soit en vie ne qu’il ait la terre en sa main. » Girart les entendoit moult bien et tant chemina par la ville la vieule au col qu’il vinst en l’eglise Saint Cire, ou il fist une moult devote oroison a Nostre Seigneur en lui priant que reconforter et aydier voulsist a Euriant s’amye ; puis apres se partist de l’eglise, et vinst vers la porte du chastel ou se assist en attendant de estre par 80 aucun appellé. Si advint que ung chevalier entra ou chastel et appella Girart et lui dist : « Amy, venés amont en la saule et jouerez devant monseigneur qui est au disner. » « Sire, dist Girart, moult volentiers me chaufferoye car j’ay grant froit et suis las de cheminer. » Lisiart oyant ce qu’il se excusoit lui dist : « Il n’est dangier que de villain le dyable vous a cy apporté ; pendu soit qui meshuy vous en priera. » Lors Girart, qui moult estoit descongneu par une herbe dont il s’estoit froté le visage et les mains, vint avant et attrempa sa vyole, et dist en luy mesmes : « En jongleur a mauvais mestier, car plus a froit et malaise et plus on le presse de chanter et de jouer, combien que je m’en passeroye bien, et toutesfois il le me fault faire puis que je y suis, ja soit ce que ce n’est pas mon mestier. »

Lors moult doulcement 81 commença a chanter et a violer a moult cler et doulx son une chançon de Guillaume d’Orenges le marchis au court nez ainsi et par la maniere qui s’ensuit :

Grant fut la joye en la sale a Laon
Moult y eust tables oyseaulx et venoison.
Qui que maingeast la char et le poisson
Oncques a Guillaume, n’en passa le menton,
Ains maingea tourte et beust eaue a foison.
Quant eust maingié le chevalier baron
Les nappes trayent sergens et eschançon
Lequel Guillaume mist le roy a raison :
« Qu’as tu emprins, gentilz filz a Charlon ?
Secouras moy vers la geste Mahom
Ja deussent estre les os a charrion. »
Et dist le roy : « Nous en conseillerons
Et le matin savoir le vous ferons. »
O le Guillaume si tant comme charbon :
« Comment sire se plaidera on don ?
82 Est ce la fable du leu et du mouton ? »
Lors se baissa si prinst ung gros baston
Puis dist au roy : « Vostre fief vous rens don
Ne quiers de vous tenir ung esperon
Ne vostre amy ne seray ne voz homs
Et si venrrez ou vous vueilliez ou non. »

Ainsi comme vous oyez Girart chanta de Guillaume au court nez moult grant espice mais oncques le conte Liziart ne lui fist presenter a boire ne a maingier.

 

Comment Girart se chaffoit derriere le conte ou il oyst par la vielle la maniere comment elle avoit traÿe Euriant.

83 Apres ce qu’il eust finé sa chançon, vinst au feu qui estoit gros pour soy assuer et se mist derriere Liziart et derriere la vielle traiteuse qui estoit assise empres lui. Girart regardant par leans parceust assés qu’il n’y avoit ordre ne conroy et que tout estoit a l’abandon. Alors la vielle Gondre commença moult fierement a parler au conte Liziart et luy reprouva et dist que par elle et par son pourchas il estoit conte de Nevers et que a tort et a mauvaise cause elle avoit trouvé la maniere de traÿr sa bonne maistresse, que riens ne lui avoit meffait, et a Girart fait perdre sa terre, parquoy eulx deux estoient desers des biens et joye de ce monde : « Puis quant vous veés que du tout estes au dessus vous ne voulez faire chose dont vous requierre. »

Liziart bien saichant que 84 verité lui disoit, moult courtoisement lui respondist que elle lui disoit verité, et lui promist sa foy que a tousjours mais sa terre et son avoir lui habandonnoit, et lui dist : « Je cognois et sçay pour certain que se vous ne fussiés je eusse perdue toute ma terre. Car oncques de la belle Euriant je n’eus mon plaisir ne ma volenté accomplie dont il me desplaist. Au fort puis que ainsi est et que autrement ne peult estre il me souffist ; puis que j’ay toute sa terre il ne me chault de riens : elle est mienne et par vous m’est venu ce bien, raison est que le recongnoisse. Girart lui estant au feu escouta et oyst tout au long ce que Liziart avoit dit, que oncques de lui ne se prirent garde, ja soit ce que les paroles qu’ilz dirent et profererent ensemble Liziart et la vielle leur seront a la fin chier vendues, comme cy apres 85 porrez oyr en ceste hystoire.

Alors que Girart eust oy et entendu la maniere et comment lui et s’amye avoient esté traÿs, au plus tost qu’il peust, sans congié prendre, se departist de la court et vinst en la ville ou il ne demeura gaires jusques a ce qu’il vinst a la porte et saillist dehors es champs, tousjours la viole a son col, tant joyeulx des nouvelles qu’il avoit oyes que merveilles, et ne cessa de trocter tant qu’il fust arriere en l’ostel du jongleur ou il avoit esté si bien festié ; lequel lui vinst au devant et lui demanda comment il avoit besongnié et comment si tost estoit retourné. « Amy, dist Girart, vous le saurez assés a temps. Mais non pas si tost que je vouldroye. » Lors Girart entra a l’ostel et se assist a table avec son hoste et son hostesse ou ilz firent bonne chiere de ce qu’ilz avoient. 86 Apres ce qu’ilz eurent souppé ilz alerent dormir, combien que Girart ne dormist gaires car il ne fasoit que penser toute la nuyt, puis quant il fust jour il se leva et se abilla et le jongleur son hoste lui mist a point son cheval et le tira hors de l’estable. Lors Girart prinst congié de son hostesse et de son hoste et leur remercia la bonne chiere que faicte lui avoient, et puis monta a cheval et se mist en chemin, pensant en quelle contree il porroit oyr nouvelles vrayes de s’amye Euriant, et ne savoit quel part il la peust trouver ne querir, et de courroux et desplaisir qu’il prinst en lui commença a trambler en menassant Liziart, affermant en son coraige que s’il peult trouver s’amye, que corps a corps lui vouldra prouver qu’il a fait comme ung desloyal traytre.

 

87

Comment Girart de Nevers arriva en ung chastel en Ardenne.

Ainsi comme vous oés Girart l’enffant triste et pensif aloit chevauchant par pluseurs contrees. Si vinst en Bourgoingne ou il enqueroit savoir nouvelles d’Euriant s’amye. Quant la n’en peust savoir nouvelles il vinst a Paris et puis passa oultre et chevaucha par France et Picardie, puis vinst par le pays d’Ardene tousjours enquerant de s’amye. Si advint que 88 apres ce qu’il eust pluseurs journees chevauchié, ainsi comme a ung vespre, il choisist ung chastel sur une riviere qui estoit moult fort, et bien mis a deffence a le veoir, et le pays d’entour sembloit estre en guerre car a deux lieuues alentour n’y avoit riens laboré ne edifié fors maisons brulees et destruites. Apres ledit Girart vist deux hommes a cheval armez tenans leurs espees en leurs mains et les escuz en cautel, comme se deussent combatre, qui estoient sur le pont tournez, puis apres en vindrent quatre de pié moult bien armez et embastonnez. Girart vinst a eulx et les salua bien courtoisement et leur pria et requist que pour la nuyt le voulsissent logier. Ilz lui respondirent que voulentiers le feroient, mais bien savoient que il ne leur en sauroit ja gré car, dirent 89 ilz, « nous avons vivres a si grant dangier que vous ne serez pas receu comme a vous appartient, car impossible nous est de longuement tenir la place que nous ne ayons tous les testes coppees, car tant fort avons esté guerrié que en trois ans n’avons peu cueillir ne semer ung muy de blé, et nous fait mal de vous abregier pour ce que bien nous semblés homme de hault affaire. » « Seigneurs, dist Girart, puis que l’ostel me voulez prester ceste nuyt je vous mercie. »

Girart entra dedens la porte et passa le pont que quatre hommes leverent apres. Deux chevaliers le menerent ou donjon, et autres prisrent son cheval et le menerent en l’estable ou il n’y avoit orge ne aveinne fors ung peu de foing qu’ilz donnerent au cheval. Quant Girart entra ou maistre donjon il se merveilla de la povreté qui y 90 estoit et de l’ostel qui estoit si povre, et se ala seoir sur ung coffre et regardoit les chevaliers qui se desarmoient de leurs arnois, qui fort estoient enruilliez, puis se vestirent de leurs robes vielles, rompues et dessirees. Apres ce qu’ilz furent revestus entrerent leans deux routes de chevaliers pailes et maigres moult povrement vestus qui menoient avec eulx une moult belle pucelle et advenant mais tant estoit povre et maigre de jeuner que les os lui parissoient ; trespovrement estoit paree et vestue et estoit estaincte et descoloree ; sa saincture estoit d’un tissu de laine, la boucle et le mordant estoit de cuivre ou de laiton, parquoy il sembloit assés que pas n’estoit de grant richesse. Quant Girart veist la pucelle il se leva et lui vinst au devant et la salua moult humblement. La damoiselle 91 comme courtoise et saige lui dist : « Sire, Dieu vous doint honneur et bien car ceans ne le sauriez trouver, dont je suis moult doulante pour ce que je n’ay de quoy vous puisse festier, ne es autres gens de bien qui passent par ceans, dont j’ay au cuer grant douleur quant ne les puis recevoir ainsi comme voulsisse, combien que il y huit jours passés que ne fusmes si au bas, non obstant que encores ay de provision .vi. pains et deux gasteaulx, deux pertrix et quatre ploviers et ung berril de vin et autre chose ne sçay en ce monde de vivres, et nous est impossible de povoir plus tenir, et demain attendons l’assault d’une gent la plus layde la plus orde que jamais veissiez. » « Dame, se dist Girart, pourquoy est esmeue ceste guerre ? » « Sire, dist la damoiselle, verité est que le seigneur de ces gens que vous 92 ay dit me veult avoir a mariage, mais premiers que m’y consente je ameroye mieulx estre arse en ung feu d’espines, car tant est lais et hideux a veoir que toutes les fois qu’il m’en souvient me fait paour, et de plus saige ne soubtil chevalier ne se porroit trouver. Il m’a mandé par ung sien messagier que demain au matin mettra le siege devant ceste place. Toute ma terre m’a essillee et gastee, mon pere et mes deux freres mors, dont je suis tresdoulante et courroucee et non sans cause pas on ne se doit esmerveillier se consentir ne me vueil de le prendre a mary. » Et lors commença de plorer en soy complaignant moult piteusement, disant : « O mon vray Dieu, a male heure fus oncques nee quant trouver ne puis chevalier qui pour moy se vueille combatre. Je n’ay parent 93 ne cousin que si ozé soit de combatre contre cest anemy. Moult grant desir ay que son orgueil lui voye abaissier. Sire, ce dist la pucelle, se si bonne chiere ne vous puis faire que je deusse, je vous prie que me perdonnez, car le grant anuy que j’ay au cuer me contraint de ce faire, mais pour l’amour de vous et de l’onneur que nous avez fait de venir prendre la pacience ceans je mettray peine de moy resjoyr. » « Damoiselle, de ce que dictes, dist Girart, vous remercie ; je prie a Nostre Seigneur qu’il vous vueille reconforter, mais pour Dieu, ma damoiselle, vous prie que dire me vueilliez se le chevalier qui est vostre anemy, lequel vous tenez si oultraigeux et hardy, se vouldroit combatre a l’encontre de cellui qui vostre droit vouldroit deffendre. Saichiés pour verité que pour amour de vous et pour garder vostre honneur 94 et vostre droit je mettray mon corps et ma vie par tel si que s’il me peult conquerre ou ocir et mettre a mort que vous et vostre terre mettrez a son commandement, et se ainsi est que je le conquiere, il sera tenu de vous rendre et restituer tous les dommaiges et interestz qu’il vous a fais, excepté ceulx qui sont mors, lesquelz jamais on ne peult ravoir. » La damoiselle respondist a Girart que bien estoit contente de ce faire, mais trop redoubtoit le chevalier pour la grant cruaulté de lui et dist : « Sire, humblement vous remercie du grant confort et ayde que me voulez faire. » La dedans avoit ung chevalier moult ancien et saige ; ayant oy les belles offres que Girart avoit faictes a la damoiselle, dist : « Ma damoiselle, bien devez louer Dieu et remercier le jeusne chevalier. Soyés contente et lui octroyés 95 le champ de bataille, car je croy certainement que par lui serez delivree et nous tous du grant dangier ou nous sommes a present. » Quant la damoiselle eust oy parler le chevalier, elle prinst son gant senestre et le bailla a Girart, lequel le receust tres voulentiers, en lui disant : « Sire, mon corps, ma vie, ma terre et mon honneur je metz en la garde de Dieu et de vous, auquel je prie que telle grace vous vueille octroyer que puissiez au dessus de vostre entreprise et nous mettre hors de dangier.

 

Comment Galerant vinst a grant puissance devant le chastel de la damoiselle.

96 Apres ce que eust receu le gaige de la demoiselle tous ceulx du chasteau furent tres joyeux et firent aprester le soupper le mieulx qu’ilz peurent du peu qu’ilz avoient. Quant tout fust prest, tous se misrent a table, et soupperent tous ensemble Girart et la damoiselle avec les autres chevaliers. Quant ilz eurent souppé ilz firent ensemble pluseurs devises puis on ordena le guet et ala chascun en sa garde. Girart et les autres chevaliers qui n’estoient point du guet s’en alerent dormir jusques au matin que chascun se leva. La pucelle se vestist et mist a point le mieulx qu’elle peust, car celle nuyt n’avoit gueres dormy pour la paour et doubte qu’elle avoit de son anemy, et aussi tous ceulx de l’ostel. Quant Girart veist la pucelle empres lui plourant il se cuida lever du lit mais elle incontinent s’avança 97 sur l’esponde du lit en disant a Girart : « Sire, Dieu vous doint tresbon jour. » Hastivement se leva et ly dist : « Belle, vous soyés la tresbien venue. » Puis se vestist et abila et puis alerent ensemble oyr messe bien devotement et puis retournerent et monterent sur les murs et es tours du chastel ; mais si tost n’y sceurent estre venus que toute la plaine ne fust plainne de gens d’armes ; puis regarderent par la porte et choisirent le seigneur d’eulx, lui .iii.e, qui commença a crier a haulte voix a ceulx du chastel qu’ilz lui rendissent leur damoiselle ou ce non il les fera tous mettre a l’espee et fera ardoir le chastel et la damoiselle dedans. Ceulx du chastel entendirent ce que le seigneur leur anemy disoit, dont tous eurent grant paour.

Girart les veant ainsi espaventez leur dist en sousriant : 98 « Seigneurs, resjoyssés vous et vous reconfortez et reconfortez vostre maistresse et du surplus me laissiez convenir, car au plaisir de Nostre Seigneur, ainçois qu’il soit nuyt, cellui par qui tant avez eu de dommaige, de paour et de desplaisir feray repentir des griefz qu’il vous a fais. Faictes bonne chiere et n’ayés paour de riens. Faictes me apporter du harnois, qu’il soit bon et fort, ne me chault se elles sont enruillees. » Lors sans plus attendre lui apporterent arnois si bon que on sauroit deviser et l’armerent tresbien a son plaisir, et lui chasserent ungs esperons dorez, et lui misrent son escu au col, puis lacerent son eaume ; puis prinst son espee qui estoit tresbonne et tresfine, et puis monta sur son destrié tout couvert de sendal vermeil sans mettre le pié en l’estrié ne sans prendre aucun aventaige, dont tous s’esbaïsrent, 99 puis fist le signe de la croix en soy recommandant a Dieu, puis fist ouvrir la porte et prinst congié de la pucelle et saillist hors du chastel la lance ou poing et chevaucha contre Galerant le seigneur anemis du chastel. Quant Galerant, qui tenoit le siege devant le chastel, vist venir Girart si bien en point il s’avança et lui dist : « Vassal, je te prie que me dies comment tu as non, car trop te tiengs hardy et outrecuidié quant par ton orgueil tu es venu pour moy combatre. Grant folie as entreprinse, se ne me veulx rendre le chastel et la damoiselle. » « Vassal, dist Girart, je vieng icy pour deffendre a l’encontre de toy le chastel et la damoiselle par laquelle suis cy envoyé. » Galerant respondist : « Vassal, je cuide que tu es son amy ; bien monstre a ton semblant que tu l’aymes moult chierement quant 100 pour l’amour d’elle tu es venu morir, car nul fors que Dieu ne te peult garantir se a moy veulx combatre. » « Vassal, dist Girart, Je te dis que se tu es si hardy de moy combatre je te feray bel party, par ainsi que se tu me peuls vaincre ou occir je te feray baillier bons hostaiges de toy livrer le chastel et la damoiselle pour en faire a ton plaisir. Et pareillement tu bailleras hostaige souffisant que ou cas que je te conquiere ou mette a mort tu feras reparer et restituer tous les maulx et damages qui par toy et tes gens ont esté fais en la terre de la damoiselle et de ses hommes, et le feras amender a ladicte damoiselle entierement, et a ses hommes et subgetz. » Galerant respondist qu’il estoit tres content et qu’il ne demandoit pas plus bel pain, et que mieulx ne demandoit. »

 

101

Comment Girart combatist le chevalier et le desconfist vaillamment et a grant force.

Quant Galerant eust fait responce a Girart il lui dist : « Je te requiers que je puisse aler jusques a mes gens pour leur dire et racompter les devises faictes entre noz deux. Avec moy ameneray de mes hommes pour tenir hostaige et devant toy les feray jurer et promettre de entretenir les convenances faictes entre toy et moy ; et les feras entrer dedans le chastel affin que toy et la damoiselle 102 soyez mieulx asseurés. » Girart dist qu’il estoit content. Galerant ala a ses gens et leur compta l’emprinse que Girat et lui avoient faicte, et prinst quatre de ses gentilz hommes et les amena a Girart et lui dist qu’il les menast ou chastel jusques a ce que leur champ de bataille seroit accomply. Girart fut content et les envoya ou chasteau et firent serement de entretenir de point en point les promesses et convenances faictes entre les deux vassaulx ; puis apres la damoiselle les fist enclorre en une tour et les fist garder par quatre hommes. Et elle et tous ses chevaliers monterent sur les tours du chasteau pour veoir le champ des deux chevaliers. Quant les ostaiges furent bailliez comme dit est, iceulx chevaliers prinrent leur course les lances es erretz et picquerent cheval d’esperon 103 et vinrent assembler l’un contre l’autre qu’il sembloit une foudre, et tellement encontrerent qu’ilz rompirent leurs lances en plus de cent pieces et cheurent les chevaulx et les maistres par terre ou longuement demorerent tous estourdis, et tant que ceulx qui les regardoient d’un costé et d’autre disrent que oncques de deux chevaliers n’avoient veu ferir si beau cop de lance. Quant long temps eurent demeuré les deux chevaliers endormis a terre et tous estourdis se releverent l’espee ou poing et commencerent a combatre et frapper l’un sur l’autre tant qu’ilz fasoient partir le feu de leurs harnois, et se combatirent tellement et par si longue espace qu’ilz estoient tous en sang et en eaue et ne veoient quasi goute. Ilz laisserent leurs espees et se prisrent a bras et 104 tant bouterent et tirerent l’un l’autre que tous deux cheurent a terre aucune fois l’un dessus l’autre dessoubz, et tant et si longuement luterent ensemble qu’ilz demeurerent comme pasmés si estoient las, et sembloient mieulx mors que vis par la force du sang et de la sueur qu’ilz getoient ; car il n’y eust cellui des deux parties qu’il ne pensast avoir perdu son champion et en menoient grant dueil. Quant ilz revindrent a eulx et qu’ilz furent arriere en force et vigueur, incontinent se leverent en piés et reprirent leurs espees et commencerent a frapper l’un sur l’autre et tellement combatirent qu’il ne leur demeura piece de harnois entiere. Oncques Roland et Fernagu ne combatirent plus fierement. Dont si mal en prist a Galerant qu’il tomba a terre. Quant Girart le vist rué jus, ung souvenir 105 lui vinst de s’amye la belle Euriant, puis leva l’espee contremont et dist a Galeran : « Je te conseille, affin de ta vie sauver, que tu te rendes et me cryes mercy, car trop grant damage seroit de ta mort. » Alors Galeran plain d’orgueil et d’otrecuidance dist a Girart que encores n’estoit il pas temps qu’il se deust rendre et que combien qu’il feust a terre il se releveroit bien. « Vassal, dist Girart, ce sera grant merveille se sans mort tu me peuls eschapper. »

Adonc Girart lui coppa les esguillettes de son heaume et puis lui osta de la teste. Quant Galeran se vist en ce point desarmé et rué jus et que sa force ne lui povoit aydier, fust bien esbaÿ combien qu’il avoit grant coraige. Encores Girart qui le tenoit soubz lui [dit] que sa mercy vouloit avoir et que pour desconfy se tinst. « Vassal, dist Galeran, ja Dieu 106 ne plaise que de ma bouche saille ung mot si villain ; tant que la vie auray ou corps par moy le mot ne sera dit. Je n’ay cure de tel mercy ; fiers tant que tu porras, je suis cellui qui la mort oseray bien attendre. » Toutesvoyes Girart eust volentiers trouvé maniere que galeran lui eust prié mercy, mais oncques icellui Galeran ne le voult faire. Quant Girart veist que en nulle maniere ne se vouloit rendre lui coppa la teste de son espee. Quant ceulx du siege virent leur seigneur mort grant desconfort menerent et pour entretenir leurs promesses vindrent a Girart en lui offrant corps et biens a le servir de tout leur povoir.

 

Comment la damoiselle vinst a Girart qui estoit moult fort navré et l’ayda a porter a l’ostel.

107 Apres ce que Girart eust desconfy Galeran, il se reposa car il estoit tresfort navré et las. Incontinent la demoiselle le veant reposer saillist du chasteaul bien accompaignee et vinst a lui et tant de joye comme de pitié commença a plorer et trouva Girart qui se reposoit empres le chevalier mort, lequel Girart estoit tant couvert de sanc par le visaige que a grant peine veoit il goute, dont la damoiselle estoit moult dolante, pensant qu’il 108 deust morir et commença crier a haulte voix :

« O, vierge Marie, comment ce vassal est blecié ! s’il meurt ycy jamais en ma vie n’auray joye. » Et incontinent se aproucha de Girart, lequel estoit tant plain de sang et de sueur que il ne la povoit veoir et d’autrepart estoit comme pasmé. Quant la damoiselle le veist en ce point, commença a soy lamenter et dist : « Lasse, chetive, maleureuse, grant damage est que je suis vive, quant pour moy et pour ma cause il convient que ung si vaillant chevalier soit mort. »

Lors commença a soy tirer par les cheveux et a batre ses mains et menoit ung grant desconfort. Ainsi qu’elle menoit celle dure vie Girart revinst a lui qui estoit en grant peine et getta deux sospirs.

Quant la damoiselle l’oyst elle prinst ung fin 109 couvrechief et lui essua le visaige, les yeux et la bouche ; quant elle l’eust essuyé il commença ung peu a ouvrir les yeux et la bouche et a grant peine commença a parler une voix casse et vaine et dist a la damoiselle qu’elle le feist emporter pour le desarmer et pour veoir ses plaies. La damoiselle lui respondist en plorant que volentiers le feroit ; adonc incontinent lui osta son escu et le ayda a emporter a l’ostel. Quant tous les gentilz hommes de Galerant virent venir la damoiselle, lui vindrent prier mercy en eulx offrant corps et chevance a la servir et lui firent hommaige.

Apres la damoiselle vinst ou chastel et fist desarmer Girart et le coucha en ung bon lit et puis le visita par tout le corps, ou y avoit pluseurs playes mais nulle n’en y avoit mortelle, lesquelles elle fist 110 mettre a point bien et doulcement et fut bien joyeuse de ce qu’il n’avoit nulle playe mortelle ; et au surplus pensa de Girart le mieulx que possible lui estoit, et tellement que deans brief temps commença fort a amender et fut gary deans ung mois, et se leva du lit et lui souvinst de s’amye Euriant et lui prinst voulenté de soy partir et de prendre congié de la damoiselle car il vouloit serchier et enquerir de s’amye. Advint que ung jour il parla a la pucelle et lui dist : « Ma damoiselle, je suis gary, la mercy Dieu, j’ay esté pres de la mort pour les playes que j’ay receues, mais par vostre bonne diligence et par ce que si bien avez pensé de moy je suis en bonne santé, dont je vous mercie de tous les biens et services que m’avez fait.

Il m’est venu volenté 111 d’accomplir ung voyage que pieça ay entreprins de faire ; parquoy je vueil prendre congié de vous, lequel vous me donnerez s’il vous plaist. Et s’il advenoit que aucun affaire vous survinst je seray prest de vous secourir pour tant que je en soye adverty de par vous, car comme a vostre chevalier me povez commander. Vous priant que, avant que me parte de vous, me vueilliez dire vostre nom. » « Sire, dist la pucelle, puis que mon nom vous plaist savoir moult voulentiers le vous diray : mon pere eust a nom Trargis et je suis appellee Engline. De mon pere et de mes freres avez prins vengence sur cellui qui a ses deux mains les avoit occis, dont a tousjours mais seray tenue et obligee a vous. Je vous prie aussi que vostre nom me vueilliez dire, et se vostre plaisir 112 est de demeurer, ma terre, mes chasteaulx et tout ce que j’ay en ce monde vous est abandonné pour en faire a vostre plaisir, et moy mesmes me donne a vous pour estre vostre femme ou vostre amye s’il vous plaist, laquelle chose chier amy vous prie que vueilliez faire. Je suis de grant lignage, ja soit ce que dame ne damoiselle ne se doit prisier ne vanter. » Girart, qui aperceust assés qu’elle avoit s’amour en lui, lui dist : « Ma damoiselle, pour Dieu ne vous vueille desplaire. Car pour tout l’avoir de Constantin le riche empereur de Romme ne vouldroye laissier de faire le voyage que ay entreprins. » Quant la damoiselle vist que Girart ne vouloit point demeurer et que il avoit le cuer autrepart elle devinst toute pensive et ne povoit parler de desplaisir. Girart la veant en ce pensement la prinst par 113 la main et lui dist : « Ma damoiselle, il n’est point possible que je puisse demeurer, » et lui conta tout son affaire, le grant anuy et la grant perte de sa terre qu’il avoit perdue, et encores plus plaignoit s’amye Euriant. Quant la pucelle oyst qu’il parloit de s’amye, oncques n’eust au cuer plus grant douleur, et dist : « Las moy doulante, comment poura mon cuer soustenir le desplaisir et peinne que j’ay a present et auray de perdre cellui en quy m’amour ay mise et en quy j’avoye toute mon esperance ! Maintenant voy je bien que j’ay perdue ma peinne de ainsi avoir mis mon amour en lui, combien qu’il me aist mis hors de grant maleurté et de grant peinne, si m’a il mis en plus grant mil fois, dont je en suis cause et est par moy, car c’est chose clere et chascun le scet que se il ne 114 fust icy venu jamais il ne fust advenu que me fusse enamoree de lui. »

Ainsi comme vous oez la pucelle se excusoit. Puis apres dist en elle mesmes : « Bien appert que pas ne suis sage quant la coulpe en mettoye sur lui et moy mesmes m’en excusoye. Certes pas ne l’en dois blasmer, mais mon cuer qui a le amer m’a contraint et mes yeulx par quy j’ay esté traÿe ; lasse je en cuidoye estre au dessus, or voy je bien que je en suis bien loings. » Ainsi comme vous oyez se complaignoit la damoiselle. Et Girart a qui il tardoit moult soy de partir prinst congié d’elle et de tous ceulx de l’ostel et monta a cheval et se mist en chemin pour trouver et enquerir nouvelles de s’amye Euriant, de laquelle oncques ne peust trouver aucunes nouvelles.

 

115

Comment Girart se partist du chastel de la damoiselle et vinst a Chalon en Champaigne ou il fust long temps malade.

Ainsi comme vous avez oy Girart se partist du chastel et de la damoiselle et chevaucha six jours moult doulant triste et pensif, dont il fut tellement malade qu’il demeura au lit a Chalon en Champaigne en l’ostel d’un notable bourgeois ou il demeura moult grant espace de temps ; le boire et le maingier perdist, dont il 116 devinst tant sec et tant magre que merveilles, et n’estoit riens qui le peust resjoïr tant pensoit a s’amye Euriant ; il se amoit austant mort que vif et finablement devint si au bas que a la fin il perdist toute cougnoissance et d’Euriant ne d’autre chose ne lui souvenoit plus. Et en fust bien doulant le notable bourgeois son hoste, lequel avoit une tresbelle fille, gente, courtoise, gracieuse et plaisant austant que faire se povoit, laquelle estoit ung jour assise en la chambre de son pere ou elle ouvroit d’or et de soye moult richement de florettes sur ung drap ; elle qui chantoit merveilleusement bien commença a dire une chançon et tant que en la chançon elle nomma Euriant. Girart qui estoit en son lit couchié oyst celle chançon et oyst s’amye nommer. Quant la chançon 117 fut assouvye et que Girart l’eust bien entendue, il se assist sur son lit et commença a penser grant piece, puis dist : « Las moy, le mal que j’ay souffert m’a tourné a grant desplaisir ; je pense que jamais ne sauray trouver le lieu ne l’estre ou est m’amye ; bien voy que l’amour que lui avoye est obliee ; pas ne me merveille se je suis affoibly quant j’ay mis en obly celle qui pour moy a souffert tant de douleurs. Je me vueil efforcier jusques a ce que puisse aler par le pays enquerir d’elle ; se je me puis trouver fort, jamais jour n’aresteray jusques a ce que l’auray trouvee, et pour chose qui me puist avenir ne laray que ne l’emmaine se elle est en vie. » Et pour soy resjoyr et prendre courage commença Girart a chanter bien doulcement et tant que 118 la fille de l’ostel l’oyst et s’en merveilla moult et l’escouta tres volentiers, et pensoit que Girart fust cheu en frenaisie comme il estoit.

La pucelle qui estoit courtoise vinst a Girart, lequel elle trouva assis dedans son lit, et lui pria bien doulcement qu’il se voulsist recouchier, en lui priant qu’il ne se voulsist troubler de ce qu’elle estoit la venue. « Belle, dist Girart, vostre venue m’est moult plaisant mais je vous prie que me faictes apporter a maingier. » Incontinent la pucelle lui fist du lait d’amandres et lui apporta, lequel il beust tresbien, dont la pucelle fut tres joyeuse. Puis il demanda a la pucelle se jamais avoit oy parler d’une damoiselle qui avoit nom Euriant ; la pucelle lui dist que oncque ne l’avoit veue ne congneue, ne que d’elle n’avoit oncques 119 oy parler. « Sire, dist elle, je fus ores troublee quant ainsi vous oys chanter. » « Belle, dist Girart, c’estoit pour moy reconforter, car a celle heure il me souvint de celle pour qui ce mal m’est venu. Car nagaires en chantant la vous oys nommer. » « Sire, dist la pucelle, a ce que j’entens de vous le mal que si long temps avez eu vous est venu d’amer. »

Lors Girart lui raconta tout son fait, son anuy et sa grant perte et de Euriant s’amye. Quant la pucelle eust escouté Girart bien au long, elle lui dist : « Sire, a vous ne a autre n’aviegne jamais de vouloir esprouver s’amye. Il m’est advis que ung homme de grant façon peult assés tost faire une amye ; ligiere chose est de la furnir, mais de la bien savoir entretenir est le sens ; cellui qui se sent avoir bonne amye jamais ne la doit esprouver. » Girart oyant la 120 ainsi parler la pucelle lui dist : « Belle, vous dictes verité, dont humblement vous mercie moult ; grant confort m’avez donné et avez esté mire du mal que si long temps m’a tenu ; tant par vostre parler que par vostre chanter m’avez mis au dessus. » Adonc la pucelle le fist recouchier et le venoit souvent visiter et si bien pensa de lui qu’il revinst en sa force.

 

Comment la pucelle fille de l’oste dona a Girart ung esprivier a prendre congié d’elle.

121 Quant Girart se sentist fort gary il dist que jamais ne cesseroit jusques a ce qu’il eust trouvé nouvelle de Euriant, et la deust il aler querre en Angleterre ou en Escosse, et que jamais son cuer n’auroit joye jusques a ce qu’il l’aist trouvee.

Il appella la pucelle et lui dist : « Belle, je vous prie que je sache ce que je dois ceans. »

« Sire, dit la pucelle, je pense que vous n’avez apporté gaires d’argent avec vous car long temps a que partistes de vostre pays ; se ne seroit pas courtoisie se je prenoye gaige de vous. Je vous tiens assez pour tel que quant vous aurez le povoir que vous nous contenterez bien. Et vous prie qu’il vous plaise prendre cestui esprivier et l’emporter avec vous affin qu’il vous souviengne de l’ostel de ceans. Et saichiez de vray, ainsi comme cellui qui le m’a donné m’a dit, 122 que c’est le mieulx fait et le meilleur que on pourroit trouver. » Girart prinst l’esprivier par les longes qui estoient moult riches, le touret estoit de fin or et avoit dessus ung riche rubis, et remercia bien chierement a la pucelle. « Sire, dit la pucelle, tout tant que j’ay est en bien a vostre commandement. » « Belle, dist Girart, je me sens tant tenu a vous que a tousjours me tiendray pour vostre amy. Et s’il vous plaist moy riens commander je suis cellui qui entierement l’accompliray. »

Avec ce la pucelle lui donna draps, linges et robes pour ce qu’elle savoit bien que les siens ne valoient riens. Girart remercia plus de cent fois la pucelle. Il fist amener son cheval, qui estoit gras pour le bon sejour qu’il avoit eu, et prinst congié de [la] pucelle et monta a 123 cheval et se partist de Chalons et print son chemin contre Lorraine, en demandant et enquerant tousjours de s’amye, mais oncques ne trouva homme ne femme qui lui en sceust dire nouvelle, ja soit ce qu’elle fust ou pays, mais son nom n’avoit voulu dire, et tousjours chevaucha Girart par mons et par vals tant qu’il arriva a Couloingne.

 

Comment Girart vinst a Couloigne et comment il y fist de merveilleusement beaux fais d’armes contre les saines.

124 Quant Girart eust passé la Champaigne, Bar et Lorraine, il ariva a Couloigne et vint descendre en l’ostel d’un moult riche bourgeois qui estoit bien doulx homme et debonnaire, lequel avoit a nom Adam le gregois. Quant il veist Girart estre descendu il fist par son varlet prendre son cheval et le mener en l’estable. Icellui Adam vinst a Girart et lui dist que en son hostel fust tresbien venu, et sa femme pareillement, et le prirent par les mains et le menerent en sa chambre et firent mettre la table et apporter a maingier, puis se assirent tous trois ensemble et firent bonne chiere, car viande avoient a planté et bonnes.

Ainsi comme ilz [furent] ou mylieu de leur disné leur fut rapporté et dit par l’un des varletz de l’ostel que les saines venoient devant la cité pour la assigier 125 et que les fourbours ja estoient ars et brulés et les vignes coppees et que desja ilz estoient escarmuchans es portes de la ville, puis leur conta comment leurs navires estoient sur la riviere chargiés de vivres et d’artillerie et que tous se lougeoient entre la riviere et la porte des trois roys en moult grant puissance et grant nombre de gens moult bien en point ; et que ilz estoient gens de grant entreprinse et que desja avoient prins et mis en leur subgection pluseurs villes et chasteaux. Droit a ceste heure que le varlet de l’oste leur contoit ces nouvelles, ung messagier vint au duc Milon, qui alors estoit seigneur de la cité, lui dire les nouvelles. Quant le duc entendist que les saines l’estoient venu assigier il eust doubte et paour pour ce que si soudainement estoient venus sans ce que riens 126 en sceust car pour le jour il n’avoit gaires grant chevalerie ne gens pour combatre. Adonc comme saige et vaillant prince fist publier a son de trompe par toute la cité que tout homme se mist en point pour deffendre leur ville.

Alors chascun se mist en armes et monterent sur les murs sur les tours et sur les portes pour deffendre leur cité.

L’oste de Girart se leva de table et lui dist : « Sire, moult grant bruit se fait en la cité. » Lors Girart fist oster la table et se leva incontinent, ayant grant paour que l’ost ne se deslogast avant ce que a eulx se fust combatu. Moult doulcement appella son hoste et lui pria que il peust avoir des armeures et qu’il avoit grant desir de estre armé. Quant l’oste entendist Girart et la bonne voulenté qu’il avoit, incontinent vinst 127 en sa chambre et prinst du harnois tel que pour lors on portoit en armes, et l’apporta a Girart et l’arma tresbien et puis lui bailla son escu couvert de vermeil. Quant Girart se veist armé et son cheval tout prest et bien en point il saillist sus sans mettre le pié en l’estrié. L’oste fist tirer son cheval pour le convoyer jusques a la porte ; Girart avoit sa lance en sa main, en laquelle avoit une enseigne rouge, et s’en vint a une poterne avec son hoste et saillist es champs et choisist sur destre du grant chemin .x. chevaliers et .xx. qui les suyvoient. Il entrecopa le chemin, que oncques par les vingt ne fust veu, et vint frapper sur les .x. chevaliers et baissa la lance et en rencontra ung, lequel perça tout oultre et l’emporta a terre. Il retira sa lance du corps du chevalier 128 mort et vint frapper sur les autres et tellement les esparpilla que avant que sa lance feust rompue ne cassee il en abatist quatre. Au quart sa lance rompist, et du tronçon qui lui demeura en la main en abatist ung autre par terre, puis mist la main a l’espee et commença de frapper sur les autres cinq et frappoit si menu qu’ilz n’avoient pas loisir de eulx deffendre. Droit a ceste heure que Girart se combatoit, le duc Milon estoit a la porte regardant les vaillances que Girart faisoit, qui estoit chose increable qui ne l’eust veu. Il se escria moult hault et dist a ses gens qu’ilz secorissent le chevalier et que grant damage seroit se par faulte de estre secoru il estoit occis ou blecié a mort.

Lors se partirent de la cité cent chevaliers pour le secourir. Le duc Milon saillist apres, mais si tost ne sceurent estre vers Girart que desja 129 il n’eust desconfy les .x. chevaliers. Mais saichiés de verité qu’il n’avoit escu ne lance ne harnois entier que tout ne fust mis par pieces, et eust esté desconfy se il n’eust eu si tost secours, car les .xx. chevaliers qui venoient apres les .x. l’avoient desja avironné et ne povoit faillyr de estre mort ou prins. Quant les saines virent venir le secours a Girart ilz furent esbaÿs et ne savoient que faire d’atendre ou de fuyr. Mais le duc et ses gens les hasterent tellement que oncques n’eurent loisir de fuir ne de eulx deffendre, et tant que le duc vint la lance en l’arrest encontre l’ung de ses saine et l’emporta a terre tout mort et puis combatist vaillamment tant que aucuns des saines se misrent en fuite, lesquelz furent suys par Girart et les autres chevaliers jusques tout dedans leurs tentes et leur copperent les cordes de leurs tentes en 130 demenant tel bruit et tel noise que a les oyr sembloient estre dix mil, par quoy tout fut esmeu et se misrent tous en armes, lesquelz estoient bien cent mil hommes. Quant le duc vist la maniere qui estoit homme de guerre il fist tromper la retraite et tout le petit pas sans se effroyer tinst le chemin contre la cité et envoya hastivement ung messaige devant dire qu’il eust secours car il vouloit combatre ceulx de l’ost. Le messaigier dist son messaige es bourgeois de la cité lesquelz furent incontinent prestz et saillirent de la cité bien .xv.m bien en point et bien encoraigiez de combatre et de secorir leur seigneur. Les dames bourgeoises et pucelles monterent sur les murailles pour veoir la bataille, lesquelles prioient Dieu, les unes pour leurs amys, les autres pour leurs peres et freres 131 et les autres pour leurs maris ; et entre les autres y estoit la belle Aglentine qui estoit sur une tour accompaignee de ses damoiselles, fille du duc, de laquelle lairons a parler et parlerons d’autre matiere.

 

De la grant bataille qui fut devant Couloingne ou Girart fist merveilles.

Quant ceulx de la cité furent saillis hors pour secourir leur duc, au plus tost qu’ilz peurent ilz aborderent a lui, dont il fut tresjoyeux quant 132 il les veist aprochier, mais sur tous autres Girart avoit tel joye de ce qu’il veoit la chose approchier car advis lui estoit que les ungs ne les autres ne povoient reculer sans avoir bataille. Il regarda et veist que sur dextre venoit ung chevalier moult fierement chevauchant la lance ou poing et le penon desploié qui partoit de la bataille des saines pour los et pris acquerir. Apres cellui en vinst ung autre, lesquelz commencerent a aprouchier ; quant ilz furent assés pres l’un commença a crier : « Entre voz couloignois couars et faillis y a il personne de vous qui soit si hardy de venir rompre une lance a l’encontre de nous ? Je sçay que aujourd’uy vous tuerons tous et entrerons en vostre cité et de voz filles et femmes ferons noz volentez, que ja ne sera en vous le contredire. » Quant Girart oyst ainsi parler le saine grant desir 133 eust de le rencontrer. Il prinst sa lance et pica cheval d’esperon et vinst a l’encontre du saine et tellement le rencontra qu’il le getta a terre et puis lui dist : « Vassal, c’est folie de soy venter, car pour voz hautes menaces la chose n’aviendra pas ainsi comme vous pensez. » Girart avoit beau parler car l’autre estoit navré a mort et n’avoit garde de soy relever. Girart le laissa la et regarda es batailles qui ja estoient prestes pour assembler et veist ung autre chevalier sainois qui estoit party pour encommencier le hutin ; chevauchant entre deux rencs moult richement en point Girart pica cheval d’esperon et vinst contre le saine.

Le saine veant Girart venir sur lui mist la lance en l’arrestz et picque contre et rencontrerent si bien que la lance du saine rompist en pieces, mais celle de Girart non car 134 elle estoit grosse et forte et tant que le saine cheust a terre et son cheval sur luy et tellement qu’il eust ung bras rompu. Les deux hostz veant celle jouste priserent grandement Girart ; mesmement les dames qui estoient sur les murs en tindrent parlement ensemble. Mais sur toutes celles qui y estoient Aglentine la fille du duc en tinst grant parlement. Elle appella Florentine qui estoit au plus pres d’elle et la prinst par la main et lui dist : « Belle, je te prie par la foy que tu me dois se tu as bien advisé ce chevalier, comment il est duit et bien aprins de porter armes ! N’as tu pas veu quel cop il a donné au saine ? Certes moult volentiers le verroye. En ceste ville est aujourd’uy venu, ainsi comme m’a esté dit. Pleust a Dieu que il m’amast autant que amer le voudroye. » « Dame, dist Florentine, il est bien 135 digne d’estre amé, que ores pleust a Dieu qu’il me fust cousté tout ce que sur le corps de moy ay vestu et une nuyt me tinst entre ses bras. »

Lors Aglentine, enflambee comme ung charbon, moult fierement regarda Florentine et lui dist : « Comme estes vous si abandonnee ne si hardie de vouloir amer cellui ou du tout j’ay mon cuer mis ? Il auroit le jeu mal party se pour vous prendre il me laissoit. Trop vous voy ores oultrecuidee quant devant moy voulez aler. Pensés autrepart, mettez vostre amour ailleurs, car de vous prendre a moy riens ne porriez conquester. » « Damoiselle, vous oyez ce que vous dis, a vous ne me vouldroie prendre, mais toutesfois je vouldroye estre s’amye. » Du debat des demoiselles vous lairay a parler, et parlerons des saines et couloignois qui estoient en bataille l’un devant l’autre.

 

136

Comment le duc Milon de Coulongne gaigna la bataille sur les saines par les grans proesses de Girart de Nevers et de la grant gloire qui lui fut faicte quant il rentra a Couloingne.

Quant les saines veirent que Girart avoit abatu leur chevalier ilz le voulsirent secourir et baisserent leurs lances et ceulx de Couloingne pareillement pour secourir Girart ; et assemblerent d’un costé et d’autre et y eust maintes lances rompues et maintes escuz perciez, grant foison 137 de chevaliers et chevaulx portez par terre, maintes poins, maintes testes coppés. Girart les veant ainsi estre assemblez s’avança et entra en la presse de la bataille et commença a combatre vaillamment et tellement qu’il n’y avoit gaires homme qui l’osast attendre ; ainsi combatoit merveilleusement et de grant puissance car il leur trenchoit leurs harnois tous en pieces. Et tant et si vaillamment combatist qu’il perça la bataille des saines tout oultre et puis retourna dedans faisant merveilles, et choisist ung saine merveilleusement grant auquel Girart avoit veu faire merveilles et tuer pluseurs coulongnois. Desirant tresfort combatre a lui, Girart prinst une lance et vinst a ce grant saine pour le assembler. Le saine ainsi veant venir Girat contre lui s’avança contre Girat et frapperent si 138 grant cop de lance, lesquelles estoient grosses et fortes, que eulx et leurs chevaulx cheurent a terre ; mais incontinent se releverent en piés chascun l’espee ou poing et se combatirent merveilleusement tant que le sang couroit jusques a l’esperon de tous deux.

Quant le saine vist qu’il ne povoit desconfire Girart furieusement se approcha de lui pour le cuidier tuer, mais Girart qui estoit expert en guerre desmarcha, advisant le saine avoir failly, leva son espee a deux mains et frapa sur le saine ung si grant cop qu’il lui coppa le bras dont il tenoit l’espee. Quant icellui saine se sentist ainsi blecié il getta ung merveilleux cry, car il estoit grant et gros plus d’un pié de hauteur que homme de la compaignie, auquel tous les saines avoient toute leur esperance que par lui gaigneroient la bataille. 139 Car en son temps avoit desconfy pluseurs vaillans chevaliers en champ. Alors de tous costez pour le secourir et aydier les saines y acorurent et d’autrepart le duc Milon et sa compaignie vindrent secorir Girart, mais oncques les parties ne y sceurent si tost estre venu que Girart ne lui eust coppee la teste.

Alors a la rescouse de Girart la bataille fut grant et orrible a veoir et y eust pluseurs nobles chevaliers tuez et especiaulment per Girart car quant il vist son secours empres lui il commença a combatre si terriblement que tous ceulx qu’il frappoit il les abatoit tous mors, et n’y avoit si hardy saine qui l’osast attendre, neantmoings qu’il avoit une playe ou costé dextre qui lui grevoit fort. Ce non obstant se remist en la bataille et avisa ung saine qui avoit combatu contre le duc, duquel Girart avoit grant 140 despit, pour ce aussi que tout le jour lui avoit veu fort fouler les colongnois ; Girart prinst ung corage en lui merveilleux et s’approcha du saine plain de couroux et d’ire. Le saine qui en riens ne le doubtoit se approcha aussi de Girart, chascun l’espee ou poing, et se assemblerent et commencerent a frapper par telle maniere l’un sur l’autre que leurs escus et harnois misrent tous en pieces et se navrerent tresfort. Girart moult desplaisant de la mort du seneschal de Couloingne que icellui saine avoit tué, ja soit ce que oncques n’avoit eu accointance a lui fors tant seulement pour les proesses et vaillances qu’il lui avoit veu faire, hauça son espee en hault a deux mains et frappa sur le saine ung si merveilleux cop qu’il lui fendist son heaume et la teste jusques es dens, et cheust le saine 141 a terre tout mort, dont ceulx de sa partie furent moult dolans et desplaisans car c’estoit l’ung de ceulx sur qui ilz avoient toute leur esperance de gaignier la journee.

Alors le duc des saines, veant la grant perte qu’il avoit eu par ung seul chevalier, lequel il veoit mort devant lui, commença a crier a ses gens en les blasmant pourquoy ilz avoient souffert de tuer son chevalier par Girart en leur commandant et amonnestant comment qu’il fust que Girart lui rendissent mort ou vif.

Lors de tous costez approcherent Girart en tirant dars enpennez et viretons contre lui ; mais gaires ne lui en chaloit car il commença a frapper sur eulx par tel maniere qu’il les abatoit plus drul que mouche et ne l’osoient aprouchier ; mais on dit que la force paist le pré, car le duc des saines pressoit 142 si fort Girart que se le duc Milon n’y fust si tost venu Girart eust esté rué jus. Lors eussiez veu combatre merveilleusement les saines et les couloignois. Et en combatant que Girart sentist son secours estre venu regarda a costiere et vist le duc des saines qui abatoit coulougnois a force. Icellui Girart vinst a lui et lui donna si grant cop sur son heaume qu’il l’abatist a terre, puist Girart vinst sur lui pour lui copper la gorge, mais le duc se rendit a lui et lui bailla son espee. Adonc Girart le prinst a mercy et le bailla au duc Milon qui moult joyeulx estoit de tenir son anemy prisonnier, desirant moult cougnoistre Girart par lequel il estoit au dessus de ses ennemis. Les saines veans leur duc prisonnier, lequel le duc Milon fist emmener a Colongne par douze chevaliers, et leurs capitaines mors et desconfis, 143 et cougneurent entre eulx que l’esperance de victoire leur estoit ostee et tout par ung seul chevalier, et leur estendart par terre. Lors sans conroy et sans ordonnance commencerent a fuir et laisserent leurs tentes et pavillons et toute leur artillerie et ne leur chaloit mais que d’eulx sauver. Girart et les autres alerent apres eulx tousjours tuant. Le duc Milon aloit tousjours suivant affin que aucun dangier ne lui venist, lequel vist le sanc tout cler qui lui partoit du costé destre. Lors vinst a Girart et lui dist que assés avant avoient chassié et qu’il estoit heure de soy retraire et de reposer. « Girart, dit le duc, je voy saillir le sanc d’une playe que vous avez, de quoy fay doubte que n’en soyés en dangier. » « Sire, dist Girart, c’est peu de chose. »

Lors le duc fist sonner la retraicte, car plus de deux lieues 144 avoient chassié leurs anemis, en laquelle chasse y eust pluseurs mors et pluseurs prisonniers et pluseurs navrez et y eust si grande occision faicte car long temps avoit que on n’avoit oy parler de la pareille, ne par si peu de gens estre faicte contre si grant nombre de gens comme estoient les saines.

Apres ce fait le duc Milon revinst es tentes des saines et fist desarmer Girart pour veoir ses plaies, et lui dist le sirurgien que Girart n’avoit garde de morir. Lors le duc le fist emporter sur une litiere pour ce qu’il estoit fort affoibly, et se merveilla moult le duc et les barons quant il fut desarmé comment il avoit peu souffrir ne endurer de combatre si vaillamment qu’il avoit fait, veu qu’il estoit si jeusne, car encores n’avoit il pas vingt ans, dont il fut moult prisié ; et le fist le duc partir au butin bien et largement, et n’en retinst 145 riens pour lui, car il le dona a son hoste qui l’estoit venu veoir, lequel estoit bien dolant de Girart qui estoit ainsi fort navré.

Apres que le butin fust party, le duc se mist au chemin contre la cité. Quant il entra en la cité il n’est homme qui sceust dire la grant feste que l’on lui fist et a ses gens pareillement.

Mais sur tous ceulx de la compaignie le duc commanda que on fist a Girart tel et si grant honneur comme a lui mesmes. Se dire et raconter vous vouloie le grant honneur qui fut fait ce jour a Girart de Nevers trop long seroit a racompter. Car les dames, damoiselles, bourgeoises et jeusnes filles qui estoient es fenestres getterent sur la litiere de Girart au passer qu’il faisoit tant de roses et de florettes, eaues roses et autres bonnes flaireurs que grant doulceur estoit de les sentir, dont son hoste estoit tant joyeux 146 qu’il aloit beneissant l’eure et le jour que Girart vinst en son hostel. Trompettes et menestreux aloient sonant devant la litiere. Le duc et les barons et chevaliers le convoierent jusques en son logis puis le duc lui envoya tous ses sirurgiens et medicins, et tous les jours le venoit visiter jusques a ce qu’il fut gary. Lesquelles nouvelles furent racomptees a Aglentine, c’estassavoir comment le chevalier nouvellement venu estoit tresfort blecié.

 

Comment Aglentine fille du duc et 147 Florentine eurent grosses paroles ensemble pour amour de Girart duquel elles estoient amoreuses.

Quant Aglentine fille du duc Mylon entendist les nouvelles que cellui que plus desiroit de veoir estoit ainsi piteusement navré, moult fort le commença a plaindre et dist : « Lasse moy, ores suis je la plus maleureuse que jamais fust veue sur terre quant celluy en qui j’avoye du tout mis mon amour est en peril de mort. S’il meurt jamais n’auray joye.

Je cuydoye faire mon amoreux de lui, or voy je bien que cuidier deçoit. La parole est bien veritable, tel cuide qui fault, assés l’aperçoy en moy car il me sembloit que j’estoye au dessus de mes amours, or maintenant voy je le contraire. » Ainsi comme vous oyez Aglentine se complaignoit pour amour de Girart en plorant. 148 Et ainsi que elle se complaignoit la belle Florentine vinst devers elle, laquelle commença crier et dist tout hault : « Lasse moy, dolante, maleureuse et chetive la plus qui oncques fut, a peu que mon cuer ne part en deux, jamais ne porteray tresse ne cheveulx sur le chief se ainsi est que mon amy moire, tous mes cheveux feray trenchier et me rendray recluse en ung monastere et n’auray jamais de mariage la benediction du prestre. » Aglentine oyant Florentine ainsi se lamenter pour amour de Girart se leva incontinent et lui dist : « Quelle male aventure vous esmeut ! Pensez vous que s’il eschappoit qu’il vous prist a mariage ? Savez vous de certain qu’il vous ayme et qu’il a cure de vous ? Vous avez beau cuidier de penser qu’il vous espeuse devant moy, il yroit bien a 149 rebours. Quelles villes, quelz chasteaulx ne quelle rente auroit il avec vous ? » « Ma damoiselle, dist Florentine, pour Dieu vous prie que pas ne vous vueilliez couroucier. Se ainsi est que le vassal garisse et qu’il retourne en santé, se vous l’avez pas n’en seray courroucee, mais se de vous il ne vouloit faire s’amye, et que il me voulsist avoir pour amye, pensez que plus fiere m’en vouldroye tenir et jamais plus mal ne sentiroye. » Lors Aglentine moult fierement lui respondist et lui dist : « Se ainsi estoit qu’il vous amast et pour vous me laissast je me tresperceroye le cuer ne jamais plus ne vouldroye vivre. Pour verité je sçay, ainsi que pluseurs m’ont dit, que plus belle de moy on ne sauroit trouver. Bien on devroit tenir aveugle cellui qui de beauté vous esliroit devant moy. » « Damoiselle, dist 150 Florentine, besoing n’est de vous courrecier se plus belle et plus cointe estes que moy ; d’autrepart je suis plus gracieuse et plus assavoree. Je seroye de bonne heure nee s’il me vouloit amer et vous laissier. Je vouldroye bien avoir mon plaisir de lui et avoir vostre mal talent tous les jours de ma vie, et il fust ainsi comme je le dis ; se envye avez sur moy, il faudra bien que je l’endure au mieulx que je porray. Je ne sçay comment il en aviendra, s’il me veult amer je soffreray que de moy face sa volenté. »

Lors Aglentine de grant ire eschauffee lui dist par grant fierté : « Vous qui estes demeurant avec moy, comment estes vous si osee d’entreprendre chose a l’encontre de moy et en laquelle je contens ? Je vous demande se vous estes de si hault lignaige que a moy doyés tencier. Soiés seure 151 que bien m’en souviendra quant le cuiderez avoir oblié. » Lors sur ces paroles Aglentine vist son pere venir et toute sa chevalerie, et n’avoit de rire talent mais au mieulx qu’elle peust se cela, et ala a l’encontre de lui et lui demanda comment il lui aloit, et que pour Dieu lui voulsist dire cellui qui pour le jour avoit fait le mieulx. Le duc lui respondist : « Ma fille, saichiés de verité que au monde ne se trouveroit le pareil chevalier comme est cellui qui est logié en l’ostel de Adam le gregeois. Assés vous en orrez parler. » Apres le duc et ses barons se firent desarmer puis vindrent en la sale ou les tables furent prestes pour soupper. Chascun lava les mains et puis se assirent et furent servis de pluseurs metz et d’entremetz a grant plenté.

Lors les barons et chevaliers commencerent a 152 racompter les beaulx fais et grans proesses que Girart avoit fais a la journee et le louoient et prisoient ; et plus le prisoit et plus estoient esprises les deux damoiselles Aglentine et Florentine, lesquelles avoient merveilleuse envie l’une a l’autre et tant que se elles eussent esté a part elles eussent bien parlé l’une a l’autre.

Apres le maingié se leverent de table et commencerent a petier et a deviser par la saule ; Jongleurs et menestreux jouoient de leur mestier, desquelz ne chaloit gaires a Aglentine, car amours la fasoient penser autrepart, et se fist mener en sa chambre et fist appeller sa maistresse pour couvrir son lit ; quant il fut couvert elle se lança sus toute vestue, et n’avoit garde de dormir car si fort pensoit a Girart qu’elle ne savoit quelle maniere tenir. Une fois tordoit 153 ses mains, l’autre fois demeuroit comme ravie et puis disoit en soy mesmes : « Maintenant vois je bien que je suis toute radotee, quant pour ung homme suis en tel point que jamais ne veis et que oncques ne cougneus, fors tant seulement que aujourd’uy au matin l’ay veu armé. Lasse moy, trop tost l’ay amé, il me fault penser autrepart, si le mettray du tout en obly. » Lors incontinent se leva de son lit et se promenoit par sa chambre en mettant peine de oblier Girart. Mais amours qui tousjours atise l’amoreux ou elle veult demeurer le contraint d’amer cellui de qui il cuide oster son cuer. Combien que du tout en tout se mist a penser a Girart, et l’assailloit tousjours amours, et tant que elle se prist a chanter une chançon disant que amours l’avoit mise a malaise se par le mal 154 d’amer n’estoit alegee. Et estoit a celle heure la belle Florentine couchee en ung lit empres la chambre d’Englentine. Laquelle entendist la chançon et icelle oye a peu que ne partist de dueil et se bouta ung peu en son lit sa main a sa maiselle en lui souvenant de Girart et lui prist volenté de dire une chançon pour soy reconforter disant :

« Vous chantez et je meurs d’amer,
Trop vous est petit de mes maulx. »

Englentine lui respondist en tel maniere : « En puist a Dieu souvenir que male mort vous en maine affin que vostre face deviegne ternie. »

« Damoiselle, dist Florentine, ja Dieu ne plaise que ceste cruaulté m’aviegne. Car pas je ne l’ay deservy. Jamais ne veis femme si injurieuse que vous estes. Dieu le vous vueille perdonner et tellement 155 y pourveoir que j’en puisse estre joyeuse. »

A tant vous lairay a parler des deux pucelles, jusques heure soit de y retourner et vous raconteray de Girart de Nevers.

 

Comment Girart de Nevers vinst a court ou il fut bien receu et comment Aglentine parla a lui et de leurs devises.

Assés avez oy par cy devant les grans proesses que Girart conte de Nevers fist devant Coulongne 156 en la bataille a l’encontre des saines ou il fut moult fort navré, parquoy il geust au lit l’espace d’un mois avant ce qu’il fust gari, en laquelle maladie le duc le visita tous les jours.

Apres ce qu’il fut gary il aloit souvent avec le duc a la chasse.

Advint que ung jour le duc le pria au disner. Girart pour complaire au duc y ala. Quant le disner fut prest, Aglentine et Florentine sachans la venue de Girart se parerent le mieulx qu’elles peurent et partirent de leurs chambres et vindrent en la saule ou elles veirent Girart que moult voulentiers regarderent.

Mais Aglentine pensant que nully ne s’en prinst garde le regardoit si fort, que tous apperceurent qu’elle estoit amoureuse de lui et ne povoit oster ses yeulx de Girart. Assez vous pourroye tenir se raconter 157 et dire vous vouloie les regars et manieres qu’elle tenoit. Girart, qui moult estoit courtois, saichant qu’elle estoit fille du duc, vint vers elle et la salua humblement, et elle pareillement moult doulcement le salua. Girart la commença a regarder pensant en lui que se ailleurs n’eust esté amoreulx que voulentiers se fut aprochié d’elle. Lors Florentine s’avança ung petit et vint vers sa damoiselle et lui dist : « Dame, or estes vous maintenant a vostre plaisir. Le sospir que vous avez getté vient il de puis ne de fontaine ? Car a ce que j’ay veu de vous vous l’avez esté querir bien parfont. » Quant Aglentine l’oïst peu s’en faillit que de desplaisir ne marvoiast combien que onques n’en fist semblant. Apres on bailla l’eaue pour les mains et puis se assirent. En ce disner Girart 158 pensa moult fort a Euriant et ne maingea gaires, combien que grant temps avoit que on n’avoit veu en hostel de prince faire si grant disner. Si grant n’avoit leans qui ne veist volentiers Girart et se traveilloit chascun de lui faire plaisir. Des metz dont ilz furent servis ne vueil faire long compte. Apres ce qu’ilz eurent disné se prindrent a deviser les ungs es autres ; les ungs alerent dormir, les autres se promenoient, les autres jouoyent es tables, autres es eschecz, mais a Girart n’en chaloit, et au plus tost qu’il peust les laissa et se vinst apuyer a unes fenestres qui estoient sur le jardin. Et lui commença a souvenir de Euriant, dont a grant peine se povoit soustenir sur piés ; tout le corps et les membres lui faillirent, puis se reprinst et dist en soy mesmes que il ira querir s’amye pour 159 savoir ou trouver la porroit. Ung peu se prinst a reconforter et lui souvint d’une chançon qu’il commença a chanter en fasset. Aglentine qui assez pres estoit moult voulentiers l’escouta ainsi comme celle qui n’y pense. Quant elle eust oye celle chançon elle fust moult joyeuse pensant que c’estoit pour amour d’elle. Elle manda prier a Girart qu’il vinst parler a elle. Girart respondist au messaige que moult volentiers le feroit. Lui et son hoste, qui empres lui estoit, vindrent en la chambre de la pucelle ou y avoit maintes damoiselles. Girart saichant son estre comme homme de court les salua moult courtoisement. Aglentine vinst devers lui, lui disant que bien fust il venu et le prinst par la main et l’assist empres elle, et lui dist : « Sire, se Dieu me vueille aidier, grant desir avoye 160 de vous veoir pour savoir et oyr de vous dont vous estes ne de quel terre. Je vous requiers en droite amour que vous m’en vueilliez dire la verité et je vous prometz sans contredire je feray vostre volenté. » Girart oyant ses paroles lui dist moult courtoisement : « Ma dame, puis que sçavoir le volez je le vous diray. Gaires n’a de temps que je amblay a ung riche marchant sa femme, qu’il avoit moult chiere, lequel estoit moult nyce et lourt et le plus eschars du monde tant estoit riche et plain que ung chariot a quatre chevaulx ne sauroit mener son avoir. Couvoitise me sourprinst pour l’avoir que veis si grant et esposay icelle femme, volsist ou non, mais au plus tost qu’elle peust se eschappa de moy et se plaindist a la justice et ainsi m’en [est] couvenu enfuir. Je suis povre homme et je n’y ose retourner. » 161 La pucelle Aglentine oyant Girart ainsi complaindre qu’il estoit povre fut moult joyeuse ; le cuidant par ses belles offres du tout le attraire a son amour, lui dist : « Amy, la dame qui vous dechassa de son pays vous amoit bien peu quant elle se plaindist de vous. Car se je estoye vostre amye pour riens ne m’en vouldroye plaindre. »

Florentine veant sa damoiselle ainsi de pres parlant a Girart toute vive cuida marvoyer : « Ha, fait elle, lasse dolante, elle est tant soubtille que par ses belles paroles elle fera tant que elle le attraira ; car trop scet de soubtil malice qu’il n’est femme qui tant en saiche. Certes moult la tieng estre hardie quant devant moy l’oze tenir si grant espace en paroles ; bien scet que je sçay sa pensee mais se je revieng a l’assay et que parler je puisse a lui en autre maniere feray 162 tourner sa pensee, que ores pleust a Dieu qu’elle eust la parole perdue ou que elle n’eust point de langue jusques a ce que je vouldroye. Trop m’anuye que elle ne laisse en paix ce jeusne chevalier. Je le voy meu et taisant ; je aperçois assés que peu a conte a son lengaige ; il semble assez a le veoir que son caqueter lui anuye. » Ainsi la belle Florentine en elle mesmes par grant envye se complaint. D’autrepart Aglentine dist a Girart : « Sire, je vous prie que chanter vueilliez pour amour de moy et vous vueilliez reconforter ; si oblierez vostre femme que ores fut elle arse et brulee quant tel mal vous cuida pourchassier. » Lors Girart commença a chanter une chançon moult [hault] et dist : « Je ne voy pas icy celle pour qui je atens ma joye et mon bien etc. »

 

163

Comment les deux damoiselles par jalousie tencerent l’une a l’autre et comment la vielle fist la poisson.

Quant Aglentine oyst la chançon elle cuida que dicte l’eust pour escondit ainsi comme se il n’eust d’elle cure, et de mal talent et de couroux commença toute a tressuer. La face lui devinst obscure, et lui dist : « Sire, bien estes paoureux et avez bien le cuer failly quant amer n’osez ou vous estes amé ; ja povez oyr que je vous 164 requiers vostre amour et vous me escondites. » « Damoiselle, se dit Girart, ne dictes pas ainsi. Je ne vous escondis ne octroye. D’autrepart vous savez que pour parjus seroye tenu se mon mariage faulçoye. Et si vous dis que pour fol et cornart seroye tenu se en si hault lieu je pensoye, chascun diroit que seroye fol et oultrecuidié. Pour Dieu, ma dame, vueilliez vous deporter, car tel vous pouroit oyr que pour fole vous tiendroit. » A ce mot sans plus parler Girart se partist d’elle et prinst congié. Quant elle veist que Girart s’en aloit et que a elle ne vouloit plus parler elle entra dedans sa garde robe ou elle se getta sur une couchette. Le mal d’amer la toucha si fort au cuer qu’elle devinst moult mate et moult vaine et se commença a plaindre et sospirer ; une fois avoit froit, l’autrefois chault. Ainsi que 165 elle estoit en celle peine, Florentine ala venir et lui dist : « Dame, dictes moy comment il vous est, car assés sçay que avez eu prest le vassal pour faire vostre plaisir et en avez fait vostre desir. Se ores estoye si bien de vous que par amour le me voulsissiez prester jusques a ce que je en eusse fait a ma volenté a tousjours mais vous ameroye. »

Aglentine plainne d’ire et de couroux et comme toute forcenee cuida respondre mais elle ne osa pour sa maistresse qu’elle veist venir qui ses sospirs lui fist retrenchier. Sa maistresse la regarda en lui disant : « Madamoiselle, que avez vous ? Je vous prie que dire me vueilliez quelle maladie vous est survenue. Car tant vous voy tainte et pale que je ne sçay que penser dont ce mal vous est survenu. » « Dame, dist Aglentine, je me sens ferue d’un mal, 166 je ne sçay que ce peult estre : une heure ay chault, l’autre ay froit ; une heure fremis et l’autre tramble a la fois ; semble que je suis toute esvanuye. » « Damoiselle, dist la maistresse, assés me cougnois en telz maulx et dont ilz peuent proceder. Saichiez qu’il vous vient d’amours.

Or me dictes, je vous prie, se cellui dont ainsi vous voy ferue vous en requist premierement. » « Dame, dist Aglentine, oncques mot ne m’en dist, mais quant je lui en parlay au plus tost qu’il peust s’en ala, dont j’ay au cuer telle douleur que impossible m’est de plus vivre se brief ne suis secourue. » Quant la maistresse oyst sa damoiselle ainsi soy lamenter et complaindre, en basse voix affin que nul ne l’oyst lui dist : « Ma damoiselle, saichiés que j’ay grant 167 desir vous servir et complaire. Je vous prometz de ma main en la vostre que je feray tant pour vous que a loisir et a vostre aise aurez tous voz plaisirs de lui ; si vous prie que vous vueilliez resjoyr, car telle poison sçay faire que mais que lui en donnez a boire et que apres lui en buvez jamais de vous ne se poura departir et sur toute riens serez amee de lui. » Quant Aglentine oyst sa maistresse elle l’embrassa et le baisa plus de dix fois en lui priant que tost et hastivement se voulsist delivrer de ce faire. « Mais humblement vous prie que vostre coubine Florentine ne s’en aperçoive. » « Damoiselle, dist la maistresse, tant secretement le feray que ja par elle ne sera seu. » La maistresse ysist de la chambre et tira l’uys apres elle, puis entra en ung vergier ou elle 168 cueillist une herbe pour faire la poison qu’elle avoit entreprins de faire. Quant Aglentine eust la promesse de sa maistresse incontinent se leva de son lit et ala monter sur une tour et se apuya a une fenestre la main a sa maiselle et regarda aval la ville se elle verroit venir cellui que tant desiroit, lequel elle ne aperceust point, dont elle fut bien dolante, puis dist qu’elle diroit une chançon si hault et si cler que par aventure sa voix yroit jusques a son amy ; puis apres se reprinst et dist que non feroit et que encores souffreroit, puis dist apres : « Lasse, comment porray je souffrir ? Je cuide que se longuement me tient se mal que je sens a present que je morray ; et toutesfois puis que j’ay entreprins de chanter, quoy qu’il en aviengne, je chanteray, ne me chault 169 se en suis reprinse, adviengne ce que advenir en pourra. » Lors commença de chanter moult hault et dist :

« Qui scet garir du mal d’amer
Si viengne a moy car d’amer muer. »

 

Comment Girart beust la poison que la vielle avoit faicte pour le decevoir.

Ainsi et a ceste heure que la belle Aglentine eust finee sa chançon sa maistresse qui bien avoit escoutee retourna du vergier garnie d’erbes telles qu’elle vouloit avoir, et vinst en la 170 chambre de la damoiselle ou elle estampa les herbes et destrempa ainsi que bien le sçavoit faire, puis les mist en ung pot d’argent si soubtillement meslé avec vin que nully ne s’en savoit prendre garde. Si advint que assés tost apres Girart vinst a court, vestu d’un court manteau d’escarlate fourré d’armines, en intencion de prendre congié du duc pour soy en aler querir Euriant s’amye. Son hoste amenoit avec lui pour lui accompaignier. Incontinent qu’il entra en la saule il encontra la fille du duc qui lui venoit au devant. Quant elle veist Girart, commença de changier couleur. Girart veant ainsi la couleur d’elle changier et que elle ne se mouvoit en quelque maniere vinst vers elle et la salua bien humblement. « Sire, dist elle, joye et bonne aventure vous doint nostre seigneur. Je vous prie tant comme je puis 171 qu’il vous plaise venir en ma chambre pour deviser et passer temps, et d’autre part j’ay ung peu a parler a vous de secret. »

« Dame, dist Girart, je suis prest de faire ce qu’il vous plaira moy commander. » Eulx trois entrerent en la chambre, puis Aglentine prist Girart par la main et le assist empres lui sur une couche, et lui dist : « Assés ne me puis esmerveillier de ce que en nulle maniere ne puis tant faire par devers vous pour priere ne pour requeste que amer me vueilliez. Je vouldroye bien savoir a quoy il tient que vostre amour avoir ne puis et que l’amour que avez a vostre femme ne mettez en obly, quant vous mesmes dictes qu’elle vous het de mort. » « Pucelle, dist Girart, il n’est point en moy de povoir hoster mon cuer de celle pour qui je me dueil. D’autrepart pour riens ne m’en vouldroye oster. » Aglentine 172 oyant ainsi Girart parler se arresta ung peu avant qu’elle parlast, puis apres dist : « Certes sire, bien me doit le cuer faire mal quant oncques d’amer vous priay ; tenue en dois estre pour fole et assés pire que darvee doit la femme estre tenue qui premierement prie ung homme. Bien voy que j’ay failly a prendre ; autrepart me couvient viser. Se croire vouliés mon conseil, en aucun ordre vous yriés mettre. Il m’est advis que vous n’amez point le deduit des dames. Penser ne viser ne puis a quoy vous porriés estre bon. » Quant Girart entendist le reprouche que Aglentine lui disoit sagement lui respondist et dist : « Damoiselle, tant m’avez contraint qu’il couvient que la verité vous die. Saichiez que j’ay aimé dont je sens estre bien amé. Car autrement mon amour vous donnasse. Pas n’eusse attendu que m’en eussiés requis car assés 173 mieulx en cuidasse valoir ; tant cuide savoir de vous que pour riens du monde ne vouldriés que mon amour vous octroyasse et que tout mon cuer meisse a vous amer : grant traÿson et grant villenie seroit a moy se vous fasoye entendre que vous amasse. Et d’autrepart seroit traïson a moy que a m’amye que si long temps ay amee feisse tort et amer autre et la laissier. Certes digne seroye de mort recevoir et d’avoir griefve pugnicion. Mescheoir me puist il se jamais la fausse et aussi puist il faire a cellui qui sera faulx a sa dame, pourtant que d’elle soit loyalment amé. Mais damoiselle des maintenant me offre a vous pour estre vostre chevalier et serviteur se mestier en avez. En vous priant que le congié me vueilliez donner car jamais n’arresteray jusques ad ce que m’amye auray trouvé, laquelle long temps 174 ay perdue. » Quant Aglentine entendist que Girart s’en vouloit aler elle fust moult esperdue, et appella sa maistresse et lui dist qu’elle aportast a boire. Alors la vielle leva sus moult diligemment et fist le commandement de sa damoiselle. La faulce vielle prinst le pot d’argent et versa la poison dedans une couppe. Las quel aventure advint a Girart ! Car se Dieu ne lui eust aidié a tousjours eust perdue s’amye.

La vielle se aproucha de lui et lui tendist la couppe, mais pas ne la vost prendre jusques a ce que la damoiselle eust beu. Lors Aglentine prist la couppe si la bailla a Girart en lui priant que a elle voulsist boire. Girart par son commandement prinst la couppe et beut puis la bailla a Aglentine. Elle qui sçavoit a quoy le boire touchoit beust tout que riens n’y laissa. La vielle maistresse 175 duyte et aprinse de son mestier prinst une tasse et versa d’autre vin et fist boire l’oste de Girart. Quant Girart eust beu le buvrage, ainsi comme s’il fust revenu de pasmoison se assist tout coye sur une couche ou il fust moult grant espace sans penser a Euriant, et lui vinst volenté de regarder Aglentine car tant belle lui sembloit a veoir que saouler ne se povoit de la regarder.

 

Comment Girart fut feru de l’amour d’Aglentine apres ce qu’il fut empoisonné et comment il prinst congié d’elle.

176 Alors Aglentine et la vielle perceurent assés que le buvraige avoit deceu Girart et s’en tinst Aglentine plus fiere et plus orgueilleuse et desdaigneuse envers luy. On dist par usaige qu’il est de coustume que quant femme de ligier coraige quant elle voit et aperçoit ung homme surpris de son amour elle se monstre vers lui desdaigneuse et estrange. La vielle avoit introduitte Aglentine des manieres qu’elle devoit tenir. Icelle Aglentine dist a Girart qu’il s’en alast ainçois que le duc son pere vinst. Girart l’eust volentiers priee d’amours mais il ne lui en osoit parler car trop redoubtoit l’escondire. Toutevoyes il prinst congié de Aglentine et n’oza plus arrester et partist de la chambre et vinst en la saule ou il trouva Florentine assise qui ouvroit de soye. Elle qui moult estoit courtoise se leva incontinent 177 et le salua bien courtoisement. « Damoiselle, dist Girart, seez vous, si ovrez a ce que vous avez commencié, et je vous feray compaignie. » « Sire, sur toute rien je desire estre empres vous pour vous tenir compaignie. Il n’est riens qui plus me plaise que vostre compaignie ; se la mienne vous plaisoit austant je ne fay nulle doubte que nul fors que Dieu nous sceust jamais departir. Or sire, puis que cy vous voy, je vous prie que donner me vueilliez vostre amour ou que dire me vueilliez se point avez d’amye, car je ne me vouldroye traveillier en vain, car trop me porroit grever se j’amoye et point ne fusse amee. Sire, sachiés que pas ne suis coustumiere de moy presenter ne offrir ; oncques mais n’amay plus homme que vous, du commencier suis en grant soussy. » 178 « Belle, dist Girart, mercy vous requiers : ung peu de mon fait vous vueil dire, pour ce que en vous je aperçois loyaulté. Verité est que je suis amoureux, mais n’oseroye dire se celle dont je le suis me ayme austant comme je fais elle. Trop mal me seroit le jeu party se j’amoye sans partie ; se elle ne m’ayme austant comme je fais elle, mon temps auroye bien perdu ; toute ma joye et ma lyesse seroit tournee en douleur, au cuer n’auroye jamais lyesse. Car tant est belle a regarder que mieulx ressemble une deesse que une femme. Elle a la bouche tant vermeille et la chiere tant belle et tant plaisant que ou monde n’a sa pareille ; de beaulté, de sens, de courtoisie passe toutes femmes du monde. Et pour ce au pres de vous vueil dire une chançon. »

Lors Girart commença 179 de chanter. Quant il eust finee sa chançon et que Florentine l’eust entendue elle eust au cuer moult grant douleur et couroux pour ce que bien lui sembloit avoir perdu son esperance de l’amour de Girart qu’elle cuidoit avoir. D’ire et de mal talent trembloit toute. Puis dist a Girart : « Sire, se bonnement osasse, volentiers vous demanderoye ou celle que vous amez demeure ne comment elle a a nom. » « Belle, se dist Girart, pour riens du monde ceste chose ne vous diroye. Mais suis du tout content de souffrir et endurer tout le mal que pour l’amour d’elle je sueffre, jusques a ce que de moy aura pitié et mercy. » Lors se leva et prist congié d’elle.

 

Comment Girart se departist de la court et comment le lendemain ilz alerent assigier ung chastel que le duc prinst par le moyen de Girart.

180 Quant Florentine veist partir Girart de la saule cuida marvoyer. Lui et son hoste alerent a l’ostel, puis quant ce vinst le matin, ilz revindrent a court pour ce que le soir devant on lui avoit dit que le duc vouloit aler dehors. Quant il fut a la court on lui dit que le duc vouloit aler assigier ung chastel moult fort qui estoit a ung chevalier par quy il avoit eu de grans dommaiges. Le païs alentour de Coulongne 181 avoit tout gasté et destruit ; .lx. hommes avoit le chevalier avec lui dedans le chastel preux et hardis es armes ; la plus part d’eulx estoient saines grans et beaulx hommes et cruelz a veoir. Quant le duc aperceust Girart il le prinst par la main et lui dist que bien fust il venu, et lui pria que avec lui voulsist aler courir devant ung chastel qui lui estoit bien pres voisin. Girart desirant complaire au duc lui dist : « Sire, prest suis d’accomplir vostre desir ; tout droit m’en vois monter et armer pour aler avec vous. Girart vint en son hostel et se arma de toutes pieces et monta a cheval la lance ou poing et s’en vinst a la court ou il trouva le duc tout prest. A celle heure qu’ilz estoient en la court Aglentine se mist es fenestres de sa chambre, sa vielle maistresse empres elle, qui dist a la damoiselle : « Que vous semble 182 de vostre amy ? il n’a pas encores trois jours qu’il avoit grant haste de s’en aler. Ores povez apercevoir quel service je vous ay fait. Avisez comment il le fait bon veoir en son harnois. Madamoiselle se vous me voulez croire je feray tant que l’aurez a mary. Jamais ne vous peult eschapper, mais gardez que trop ne vous abandonnez a lui, mais faictes l’estrange, car il vous en amera mieulx ; mais hardiement vous monstrez a ceste fenestre tout a plain afin qu’il vous aperçoive. »

« Ma maistresse, dit Aglentine, a bonne escole avez esté ; bien dois louer Dieu de l’eure que avecques moi venistes ! Car par vous et par vostre sens je suis tournee de mort a vie, puis que j’auray cellui a mary pour qui tant de peine et tant de tourment ay souffert. Je croy que ou monde ne se trouveroit le pareil de beaulté, de sens et de courtoisie. 183 Ung peu me vueil a lui monstrer affin que de moy ait souvenance. »

Lors Aglentine se monstra tout a plain a la fenestre de sa chambre. Girart qui a autre chose ne pensoit l’aperceust assés tost ; moult fort la prist a regarder, et l’eust voulentiers salué se a son honneur l’eust peu faire. Mais oncques il n’osa pour paour d’estre aparceu, et aussi qu’il veoit le duc son pere si pres de lui. Il afferma a son haultain couraige que avant ce que jamais il retourne le pennon de sa lance, qui estoit d’un blanc satin, seroit taint en rouge du sanc de ses anemis.

Lors le duc accompaignié de deux cens chevaliers se partist de Coulongne par une posterne et saillist es champs, que oncques par ceulx de la ville ne fut veu ne apperceu affin que a Miliadus le seigneur du chastel n’en fust aucunement averty. Mais 184 si pres on ne s’en sceust garder que assés tost ne fut a Miliadus averty de la venue du duc parquoy incontinent lui et ses gens se misrent en armes. Le duc venoit tousjours tant qu’il povoit. Quant il fut devant le chastel incontinent Melyadus et ses gens furent tous prestz a la barriere. Le duc veant Meliadus si bien en point et si hardy redoubta fort pour ce aussi qu’il veoit assés plus de gens qu’il n’avoit accoustumé veoir, et se recula ung peu arriere et se arresta tout quoy pour veoir la maniere comment arriere de leur place les porroient faire saillir. Quant Girart veist ses anemis et que ceulx de sa partie se conseilloient ensemble il ne fut pas bien content, car moult lui tardoit combatre. Il advisa Meliadus lui .x.e qui estoit sailly hors pour verdoyer 185 et mist la lance en l’arrest et vinst a l’encontre d’icellui Meliadus. Meliadus comme preux chevalier ne le refusa point, mais aussi mist la lance en l’arrest et vinst a l’encontre de Girart, et tellement rencontrerent que la lance de Meliadus rompist en pieces. Girart qui portoit une lance moult forte et royde rencontra Meliadus par le costé par telle maniere que la lance et le pennon le tresperça tout oultre, et tant que au retirer la lance Meliadus cheust tout mort par terre. Puis vint a ung autre chevalier qu’il tua. Quant ceulx du chastel veirent leur seigneur mort et l’un de leurs chevaliers avec lui, ilz furent bien courrouciez. Incontinent se apresterent pour le vengier et vindrent courir sus a Girart. Quant il les veist venir tous sur lui il tourna ung peu sur costiere en advisant 186 l’un d’eulx qui venoit devant tous les autres. Girart mist la main a l’espee et frappa sur si grant cop sur sa salade qu’il lui abatist une oreille et la moittié du menton sur la poittrine, puis apres frappa ou milieu des autres et les desconfist tous car si hardy d’eulx n’y avoit qui l’osast aprouchier. Quant ilz veyrent que par ung seul homme eulx dix estoient desconfis, les autres que devant la porte estoient cuiderent tous marvoyer ; sans plus attendre les vindrent secourir et saillirent plus d’un tret d’arc de leur porte pour venir enclore Girart. Quant le duc les veist venir pour courir sus a Girart il escria a haulte voix et dist : « Seigneurs, il est temps et heure de secourir ce vaillant chevalier ou briefment sera occis, dont ce seroit grant dommaige. » Alors sans plus 187 dire le duc et ses gens baisserent leurs lances, si se ferirent dedans leurs ennemis qui moult eurent grant paour, car encores plus doubtoient Girart que tout le demeurant. Bien veirent entre eulx que si grant fais ne porroient soustenir, se tournerent incontinent fuyans en leur place, mais si tost n’y sceurent estre que par Girart ne fussent suys jusques dessus le pont, ou il encontra ung saine moult grant et puissant, une hache en sa main, auquel il bailla si grant cop d’espee que les bras et la hache lui abatist a terre. Girart si avant se bouta que se brief n’eust eu secours jamais n’en fust retourné, car ainsi comme sur le pont estoit lui vinst au devant ung saine grant et merveilleux, mieulx resembloit ennemy que ung homme mortel, qui tenoit en ses mains une grande mace 188 de fer, si la leva en hault pour frapper Girart, lequel guencist ung peu arriere et ne fut point attaint, mais descendist le cop sur l’arçon de la selle si roidement que Girart et son cheval abatist sur le pont. Si bien advint a Girart que sans bleceure ne playe il releva sur piés l’espee ou poing et vinst contre cellui qui lui avoit donné le cop. Ceulx du chasteau le veant seul combatre vindrent sur le pont pour le tuer et mettre a mort. Mais le duc Milon et ses gens se hasterent et le vindrent secourir. Quant ceulx du chastel veirent le secours ilz se retrairent si hastivement qu’ilz n’eurent loisir de lever leur pont ne fermer leur porte. Le duc et ses gens les suirent et les occirent et misrent tous a l’espee sans en espargnier ung tout seul. Quant tous furent mors le duc y laissa garnison 189 puis s’en partist bien joyeulx, soy devisant a ses barons des grans proesses de Girart et des grans dengiers ou il s’estoit trouvé. Le duc vinst a lui et l’acola en lui faisant si grant honneur et si grant chiere que Girart en avoit honte. Souventesfois et assés le duc beneissoit l’eure que Girart estoit venu en son païs. Tant chevaucherent qu’ilz ariverent a Coulongne ou a grant honneur furent receuz pour leur joyeuse victoire, et sur tous les autres Girart estoit prisié et honnoré. Chascun lui faisoit feste. Quant ilz furent devant le palais, pensez se la fenestre de la chambre de la belle Aglentine estoit paree de damoiselles, lesquelles regardoient voulentiers Girart, et sur toutes les autres Aglentine qui avoit grant joye de son amy qu’elle veoit avoir tant d’onneur, lequel elle eust plus voulentiers veu 190 de pres. Apres que le duc fut descendu Girart se partist de la court et s’en ala en son logis soy desarmer, lequel fut tres courtoisement receu et festié de son hoste et de son hostesse. Quant il fut desarmé il se rafreschist d’abilemens puis lui et son hoste monterent chascun sur ung cheval et alerent a court ou il fut receu a grant joye du duc et de ses barons, car tant estoit amé que il estoit bien en lui de commander ; ce qu’il vouloit estoit fait, nul ne lui aloit au contraire. Le duc le fist son mareschal en lui baillant tout le gouvernement de ses païs et seignories, mesmement de la justice laquelle il gouverna sans aucune couvoitise, et tant fist que de tous estoit amé et prisié et fut grant espace de temps ou païs et ne se fasoient joustes ne tournois ou il ne fut le premier. 191 En lieu ne se trouvoit qu’il ne gaignast le pris. Il amoit et prisoit les povres chevaliers qu’il sentoit estre vertueux et leur faisoit moult de biens et estoit amé de toutes gens, et sur tous autres de la fille du duc qui merveilleusement l’amoit, comme dessus est dit, et lui elle pareillement et tant que peu lui souvenoit d’Euriant s’amye non plus que se oncques ne l’eust veue. Ung esté et ung yver fust Girart a la court du duc Milon ou il fasoit tous ses plaisirs. A tant vous laray a parler de Girart de Nevers et le laisserons a Coulongne jusques temps et heure soit d’y retourner.

Et parlerons d’Euriant s’amye qui estoit a Metz en Lorraine.

 

Comment Euriant perdist son anel d’or que Girart lui avoit donné par l’aloe qui l’emporta, elle estant avec la seur du duc de Metz.

192 Bien avez oy parcidevant la maniere et comment Girart de Nevers avoit laissé s’amye Euriant en la forest d’Orliens toute seule, et comment par le duc de Metz fut emmenee en sa cité en intencion de la prendre a mariage, et l’eust voulentiers prinse se par ses barons et son conseil n’en eust esté destourbé. Le duc avoit une seur jeusne et moult belle laquelle il bailla a Euriant en garde et pour aprendre a ouvrer de soye, car sur toutes autres femmes Euriant estoit maistresse d’en ouvrer. Si bien aprinst la seur du duc que icelle seur l’ama tant que sans elle une heure ne povoit estre. Si advint que ung jour la belle Euriant toute seule entra en sa chambre et lui ala souvenir de Girart son amy, lequel elle cremoit moult que pour la perte 193 qu’il avoit eu de ses terres et seigneuries qu’il ne se desesperast ou qu’il ne lui survenist aucune maladie.

« Lasse, dit elle, quant me fera Dieu ceste grace que veoir le puisse avant que la mort me prengne ? Lasse moy, se une fois l’avoie veu je seroye contente de morir ! O, desloyal Liziart, Dieu te vueille confondre quant par ta desloyalté et traÿson nous as fait separer et esloingnier. Bien me devroit le cueur partir quant oster m’as ce que plus amoye au monde. Pas ne 194 sçay penser ne sçavoir comment tu pourchassas de sçavoir les enseignes que j’ay sur moy parquoy Girart et moy avons esté traÿs et deceuz. Aussi vrayement que sans cause et raison nous as separez et departis, le mal et la douleur que tous deux en avons receus puist sur toy venir ! Aussi fera il quelquefois car je n’en fais nulle doubte. Lasse moy, pas ne puis a la verité sçavoir comment il me pourra trouver. Assés le pouroye cy attendre avant ce que nouvelle il peust avoir de moy. Car il n’est nul pardeça qui saiche qui je suis ne de quel païs. Bien sçay que ja ne verray l’eure que pardeça le puisse veoir. »

Ainsi comme vous oyez la belle Euriant se devisoit a par elle et n’estoit chose qui en riens la puist conforter, et ainsi que a par elle estoit survinst ung varlet qui lui apporta une aloe qu’il avoit prinse, qu’il 195 lui donna, dont elle eust grant joye si en remercia icellui compaignon. Elle tenoit icelle aloe en son geron et lui donnoit a maingier. Mais avant que gaires demeure l’aloe la fera bien doulante et triste comme vous orrez cy apres. Euriant avoit ung anel ou avoit assis ung saffir lequel Girart son amy autreffois lui avoit donné.

Ainsi comment elle paissoit l’oiselet l’anel saillist hors de son doit et cheust en son geron que oncques garde ne s’en prinst. L’aloe regarda la pierre qui estoit clere et luisant et le prinst au bec si se escouyst tant que l’anel lui entra ou col. Lors l’aloe se esvola et saillist hors par une petite fenestre dont Euriant fut moult doulante et dist : « O, vierge Marie, comme hores me dois ennuyer quant l’anel que mon amy m’avoit donné ay ainsi perdu ! En grant douleur a 196 mon cuer mis l’aloe, que mal feu le puist ardoir. Lasse moy, je ne pensoye pas que je en deusse avoir aucun anuy. Verité est que jamais ung mal ne vient sans l’autre. Joye me fuit, anuy et couroux m’aprochent ; aujourd’uy doublera mon mal. Au maleureux le vireton. Par trop puis haÿr l’aloette ; jamais nulle n’en ameray ; se plus en chiet en mes mains incontinent les feray morir. A, doulx amy, grant temps a que de moy estes esloingnié. A ceste fois puis je apercevoir que tous les temps de ma vie mes joyes seront tournees en pleurs et en tristesse. » Lors commença de tirer ses cheveux et a demener grant dueil.

 

Comment Meliatir le desloyal chevalier cuida enforcier Euriant et de la male adventure qu’il lui pourchassa.

197 Ainsi comme en celle douleur estoit survint vers elle ung chevalier moult felon et de mauvais affaire, le visaige avoit moult felon, qui estoit apellé Meliatir. Traitre et desloyal estoit. Par lui et par son pourchas Euriant eust moult de peine et de grans maulx a souffrir. Et pour ce dist on qu’il advient souvent que ung mal revient sur l’autre. Quant ce chevalier vist que Euriant estoit seule il lui pria et requist d’amer par amours et que tant lui feroit de biens que jamais n’auroit 198 povreté. Euriant moult espaventee du chevalier lui dist : « Sire, ja Dieu ne plaise que ung si hault homme que vous aye aucun atouchement a moy ne a ma char, qui ne fut oncques a homme refusee. » Le chevalier lui dist : « Je croy que vous estes fole ou hors du sens quant ainsi m’escondissiez. » « Ha sire, dit la damoiselle, ja Dieu ne plaise que ceste honte vous aviengne. » Lors le chevalier desirant accomplir sa mauvaise voulenté la prinst et la getta sur le lit. Euriant se veant ainsi estre pressee hauça le pié et frappa le chevalier ou visaige ung si grant cop que quatre dens lui rompist en la gorge, puis comme toute forcenee se leva en piés et l’esgraffina par le visaige tant que le sanc en sailloit de tous costez, puis comme triste et doulante se partist de la chambre et vinst en la saule sans faire quelque semblant, ou 199 elle trouva la seur du duc qui moult voulentiers la veoit, car tant amoient l’une l’autre que deux seurs n’en povoient plus faire.

 

Comment Meliatir murdrist piteusement Ysmaine cuidant avoir occis la belle Euriant.

Quant Meliatir, qui estoit en la chambre triste et couroucié de ce que Euriant lui estoit ainsi eschappee, et encores plus desplaisant pour ses dens qu’il avoit perdues et son visaige esgrafiné, parquoy celui jour il ne se osa trouver 200 en la saule, il se pensa et fist serement de jamais boire ne maingier jusques a ce que de Euriant se fust vengié, et s’appensa par son malice de soy mucier derriere ung coffre jusques a ce qu’il fust nuyt. Quant il veist que chascun eust souppé et que le duc fut retrait pour aler dormir et que les damoiselles furent couchees et endormies en leur lit, c’estassavoir la seur du duc et Euriant qui dormoient ensemble en ung lit, lors le desloyal traittre, ayant l’ennemy avec lui qui le gouvernoit, estant mucié en leur chambre, tira ung coutel qu’il portoit bien trenchant et affilé ; au plus coyement qu’il peust vinst en la ruelle du lit et trouva les deux pucelles, qui dormoient les bras hors du lit pour la chaleur qu’il faisoit celle nuyt et les courtines non tendues ; et s’approcha de la seur du duc cuidant avoir Euriant et lui bouta le 201 coutel en la poitrine et l’ataindist si droit qu’il la frappa au cuer, parquoy oncques ne dist moult ne aussi ne remua piez ne bras ; puis prinst la main d’Euriant qui dormoit et lui mist le coutel en icelle cuidant que ce fust la seur du duc ; puis au plus coyement qu’il peust yssist de la chambre. Quant vinst le lendemain au matin que par layans chascun fut levé et que les chambrieres vindrent en la chambre des damoiselles, icelles chambrieres veirent le sanc courir par la chambre et sur le lit et les linceulx ensanglentez puis veirent Euriant qui tenoit le coutel qui encores estoit ou corps de Ysmaine seur du duc. Lors commença l’une a dire que nulli ne deist mot jusques a ce que le duc les eust veues. Lors l’une d’elles vinst en la saule ou elle trouva le duc soy 202 parmenant et lui dist moult effreement que tost venist en la chambre de sa seur. Le duc sans arrester y ala. Quant il fut en la chambre ou il veist le piteux murdre, adonc Euriant se esveilla pour le bruit qu’ilz menoient en la chambre et se merveilla fort pourquoy tant de gens estoient en la chambre. Le duc la prinst a regarder et lui dist que en elle avoit fait mauvaise garde. « Jamais ne l’eusse cuidié. Bien est raison que anuy et desplaisir en aye et aussi ay je quant oncques euz fiance en vous. » Euriant qui encores ne sçavoit riens de la mort de Ysmaine seur du duc se merveilla moult des paroles que le duc lui disoit. Elle leva ung peu sa teste en hault pour esveillier Ysmaine sa compaigne, laquelle veist morte. Lors commença a crier et desconforter 203 en disant : « Lasse moy, ma damoiselle, qui vous a ainsi atournee ? » Lors le duc par grant courroux la tira par la main et la fist vestir et habilier et la bailla a Meliatir le desloyal chevalier en lui disant. « O, tres desloyale fole, bien dois maudire l’eure que oncques te trouvay ! Ouvré tu as malvaisement d’avoir murdrie ma tresamee seur. Je te prometz que telle justice feray de toy que ce sera exemple a toutes autres. » Euriant esbaÿe de ce merveilleux cas et du crisme que on lui mettoit sus, dont elle estoit innocente, se assist en my la saule comme celle qui mieulx sembloit morte que vive, toute deschevelee, comme de son lit avoit esté tiré par le duc. Elle veant Meliatir qui la traittoit durement se mist a genoulx les mains joinctes et cria 204 mercy au duc et lui dist : « Ha sire, pour Dieu ayez mercy de moy, car oncques a ma vie ne commis ce murdre que me mettez sus. » « O tresdesloyale fole, dist le duc, la chose ne povez nyer car au fait avez esté prinse. » Il manda ses barons et conseilliers devers lui et leur demanda en quel maniere il devoit faire morir celle qui avoit murdri sa seur sans cause. Lors Meliatir le desloyal lui dist : « Monseigneur, besoing ne vous est d’en tenir conseil quant au fait a esté trouvee : autre n’y a que de la faire ardoir en ung feu d’espines. » Lors se leva en piés ung ancien chevalier moult saige que on nommoit le seigneur de Fenestrange, qui pour lors estoit mareschal de Metz, et dist : « Monseigneur, a ceste chose avez bien a regarder ainçois que fasiez justice, et que le cas soit bien approuvé. 205 Le cuer ne me peult jugier que ceste damoiselle ait fait le murdre que on lui mest sus, car tant amoient l’une l’autre que deux seurs ne se povoient plus amer. Car se ainsi estoit que le fait eust commis jamais ou lit n’eust arrestee mais s’en fust fuye quelquepart pour soy sauver. Autrefois ay oy racompter d’un pareil cas que jadis avint a Romme par une empereis, plus avant ne vous en vueil raconter. Mais vous conseille que hastivement envoyez a Bar le Duc querir vostre oncle, qui est moult saige et grant justicier a esté en son temps ; de maintes choses scet a parler plus que nul homme. Faictes mettre ceste damoiselle en prison et la faictes garder sans lui faire aucun desplaisir jusques a ce que vostre oncle le duc de Bar sera venu. » Quant Meliatir oyst le conseil et l’advis du seigneur de Fenestrange 206 il cuida tout vif marvoyer. Si dist : « Sire, mauvaisement faictes que tost ne la faittes ardoir. Car je ose dire et le vueil prouver a l’encontre de cellui qui pour elle se vouldroit combatre que elle mesme sans nul autre a murdrye et mis a mort Ysmaine vostre seur. Et pour ce je dis que vous et tout vostre conseil en ouvrez mauvaisement de ce que tost et hastivement ne la faictes ardoir en ung grant feu d’espines. » « Melyatir, dist le duc, ja justice n’en sera faicte jusques a ce que mon oncle sera venu. » Quant Melyatir oyst le duc oncques jour de sa vie il ne fust plus courrecier. Alors le duc fist mettre Euriant en la prison et envoya querir son oncle le conte de Bar. D’eulx vous lairay a parler jusques heure soit, et retournerons a parler de Girart de Nevers qui estoit a 207 Coulongne en la court du duc, ou il estoit moult bien amé.

 

Comment Girart et Aglentine se amerent tant que le duc en volt faire le mariage.

Parcidevant avés oy comment Girart de Nevers estoit a Coulongne en la court du duc Mylon, duquel il estoit tant amé que toute sa terre lui avoit baillee en gouvernement, dont il en ouvra si bien que de grans et de petis estoit amé, et peu lui souvenoit 208 de s’amye Euriant pour la poison qu’il avoit beu. Mais tant amoit Aglentine fille du duc que jour ne heure n’estoit aise s’il ne la veoit et elle lui pareillement le amoit si tresfort que elle en estoit comme ravye. Le duc s’en aperceust et en tinst sa fille a moings sage, et lui remonstra pourquoy ne comment elle mettoit son amour a ung homme qu’elle ne cognoissoit. Mais oncques pour paroles qu’il lui sceust dire ne laissa point d’amer Girart. Quant le duc veist que sa fille ne se vouloit deporter d’amer Girart, se pensa en lui mesmes qu’il lui donroit a mariage en lui semblant que mieulx ne povoit faire. Ung jour le duc assembla ses barons et son conseil, esquelz il meist la chose en terme, mais il n’y eust oncques cellui qui au contraire voulsist aler, mais 209 tous l’accorderent disans la chose est bien prinse et que mieulx ne povoit estre assignee. Alors le duc en presence de ses barons manda Girart et sa fille pour sçavoir leur volenté. Girart respondist au duc et lui dist : « Tel que je suis m’avez fait. En vous est de moy commander, prest suis de faire vostre vouloir. » « Et vous ma fille, dist le duc, il est temps que soyés mariee ; se Girart vouliez avoir il est prest de faire et obeir a mon commandement. » « Ha sire, dist Aglentine, puis que vostre plaisir est que ainsi se face, commander le me povez. Je suis contente de l’avoir, ainçois aujourd’uy que demain jamais autre que lui ne vueil avoir. » Lors le duc et tous ceulx qui la estoient commencerent a rire. « Ma fille, dist le duc, demain feray venir ma baronnie car je vueil que tous y soient. 210 Si vous feray fiancer puis le lendemain espouser. » « Sire, dist Aglentine, a vostre plaisir soit, mais pluseurs fois ay oy dire que ce que on peult faire le jour on ne doit attendre le demain. » Se par avant avoient eu ris, encores le eurent ilz plus fort assés. Apres ce chascun se departist. Girart mena Aglentine en sa chambre ou ilz deviserent de pluseurs choses, puis se departist d’elle et vinst en son hostel ou il trouva son hoste qui avoit grant joye des nouvelles, qui louoit Nostre Seigneur de l’eure qu’il estoit venu en son hostel. Girart desiroit moult de veoir l’eure qu’il tinst s’amye entre ses bras, car advis lui estoit qu’il n’y vinst jamais a temps ; mais pour oblier le temps lui prinst voulenté d’aler voler atout son esprivier pour le mieulx duire et aprendre. Il appella 211 son hoste et lui dist qu’il se vinst jouer avec lui et que autre que lui ne vouloit avoir avec lui. Alors son hoste pour lui complaire fist mettre a point son cheval. Quant ilz furent prestz ilz monterent a cheval, et chevaucherent ensemble, Girart l’esprivier sur le poin. Quant ilz furent hors de la porte a celle heure mesmes Florentine et Aglentine estoient sur une haulte tour appoyees sur une fenestre. Aglentine tençoit Florentine en la blasmant de ce qu’elle cuidoit attraire Girart a son amour. Florentine lui respondoit le mieulx qu’elle povoit. Quant Girart fut hors de la porte il se retourna et regarda a l’une des fenestres de la tour du palais ou il vist celle que mieulx amoit au monde, et dist a son hoste : « Bel hoste, que vous semble il ? ne veez vous luire le soleil a celle fenestre ? Il 212 m’est advis que la tour est fort embellie pour ce que y vois celle que j’ayme plus au monde et a quy plus desire complaire. Pour amour d’elle vueil dire une chançon, espoir que le vent lui portera affin qu’elle me puist oyr. » Lors encommença de chanter. Quant il eust finee sa chançon, tout en chevauchant contreval du Rin se arresta et oyst la voix d’une aloe qui moult cler aloit chantant. Girart oyant icelle voix fut bien joyeux et se estendist sur ses estriez et lui ala souvenir de ses tresdesirees amours, Aglentine qu’il avoit veue es fenestres, et commença de rechief de chanter une chançon moult hault et a cler son en soy resjoyssant, esperant veoir la journee de povoir joyr de ses amours. Mais avant ce que Girart eust finee sa chançon il veist asseoir l’aloette devant lui.

 

213

Comment Girart ala vouler es champs ou il prinst l’aloe qui avoit a son col l’anel qu’il avoit autreffois donné a Euriant parquoy il delaissa Aglentine pour Euriant.

Alors que Girart veist l’aloe assise il piqua cheval d’esperon et osta les longes a son esprivier. L’esprivier qui estoit bon veist l’aloe et se debatist sur le poing. Girart le laissa aler : l’aloette monta en hault et l’esprivier apres et si bien voula qu’il la prinst, dont Girart fut bien joyeux. Il piqua cheval 214 d’esperon et vinst a son esprivier et descendist et se tinst tout quoy jusques a ce que son esprivier eust esplumé sa proye, puis s’approcha et prinst son esprivier et l’aloe et de la cervelle d’icelle lui fist son droit. Quant l’aloette lui eust ostee il regarda et vist que ou col avoit ung anel moult riche, si appella son hoste et lui monstra l’anel qui moult bel et riche estoit et le commença a regarder. Tant le regarda et tourna qu’il le recogneust et lui sembla que une fois l’avoit donné a s’amye Euriant. Quant il eust ainsi cogneu il demeura une grant piece comme pasmé et sans soy mouvoir de la, de l’angoise qu’il eust quant il lui souvinst de ce qu’il avoit promis a Aglentine et aussi pour amour qu’il avoit a Euriant, de laquelle il lui souvinst quant il veist l’anel. Quant il eust bien demeuré environ 215 une heure en ce point il revinst a luy et moult fort se prinst a blasmer lui mesmes et dist : « Las moy, il m’est advis que grant dommaige est que je suis en vie quant j’ay perdu ce que plus j’amoye ! » Tant est doulant, tant se desconforte qu’il n’est nul qu’il n’eust pitié de le veoir. Lors s’escrie et bat ses palmes et commença son esprivier a soy debatre qui estoit debonnaire et voula sur une arbre. Girart commença a faire son dueil le plus grant que jamais fust veu par homme. « Helas, fait il, pourquoy ne suis occis quant une telle faulte ay commise ? Las moy, que fera ce doulant chetif ? Grant dommaige est que tant suis en vie ! O terre, euvre toy, si m’engloutis ! Pas ne suis digne estre veu des hommes. » Son oste le veant ainsi estre desconforté ne savoit qu’il deust faire mais ploroit de la 216 pitié qu’il avoit de lui, et descendist a terre et le reconforta le mieulx qu’il peust en lui disant : « O treschier seigneur, laissiez vostre dueil et me vueilliez dire la cause de vostre doleance, car tant vous voy pale et amorty que jamais joye n’auray au cuer jusques a ce que le m’aurez dit. » « Ha mon hoste, dist Girart, bien ay cause de moy douloir. Dommaige est que je suis en vie, quant pour moy et ma cause ay perdu celle que tant amoye et pour une autre l’ay mise en obly. Pour ce me plains, car pieça l’ay perdue. » Lors son hoste lui dist : « Ha sire, je vous prie que dire me vueilliez, mais qu’il ne vous desplaise se avez autre amye que Aglentine. » « Oyl mon hoste, ce dist Girart, cent fois plus belle qu’elle n’est. Bien sçay et aperçoy en moy que par mon pechié l’ay mis long temps en obly, et pour ce jamais n’aresteray d’aler et 217 serchier loings et pres jusques a ce que l’auray trouvee ou que aucune nouvele auray d’elle. » « Sire, dist son hoste, que dira ma damoiselle Aglentine quant ces nouvelles lui seront racomptees ? Jamais n’aura mary que vous. Certainement je cuide savoir que se ainsi vous en alez sans prendre congié d’elle que elle morra de dueil. » Quant Girart oyst parler d’Aglentine pas ne seroye deviser comment il se pourra departir de l’une pour l’autre. Or pourons veoir laquelle le contraindra de demeurer ou de departir par sorceries ou par vraye amour. Se ainsi est que Girart s’eslonge d’Euriant et que avec Aglentine il demeure il semblera que sorceries et charmes vaillent mieulx que vraye amour qui viennent naturelment ; mais se droit et raison ont lieu, amour qui vient volentairement est tropt plus 218 grande et de plus grant force, plus courtoise et plus aimable que n’est celle qui vient par art d’enchantemens et de sorceries. Et pour ce raison contraint Girart de laissier Aglentine pour aler serchier Euriant, laquelle il ne delaissera pour mort ne pour vie jusques a ce qu’il l’aura trouvee. Lors monta a cheval et reclama son esprivier qu’il vinst incontinent sur le point, puis appella son hoste et lui dist : « Mon hoste, cest esprivier porterez a Aglentine, que j’ayme moult, et luy direz de par moy que pour amour de moy le vueille prendre et garder. Au surplus direz au duc et a elle aussi que moult de fois leur remercie des grans honneurs et biens qu’ilz m’ont fais, en leur priant de par moy que mes services vueillent avoir pour agreables, et me doint Dieu le povoir que avant que je meure vous 219 rende les biens et services que fais m’avez en vous priant que saluer me vueilliez Aglentine. »

 

Comment Girart prist congié de son hoste et lui bailla son esprivier pour porter a Aglentine.

Ainsi se partist Girart et prinst congié de son hoste et s’en ala lui tout seul sans compaignie, chevauchant per ung sentier, mais oncques son hoste ne se volt departir jusques a ce que de ses yeulx ne le peut plus veoir, puis 220 le recommanda a Dieu. Lors l’esprivier sur le poing monta a cheval et s’en retourna a Colongne et ainsi qu’il fut devant la porte il veist Aglentine qui estoit a la fenestre regardant quant Girart viendroit. Mais quant elle veist retourner l’oste seul ung se commença a esbaïr, pensant pourquoy il ne revenoit avec son hoste, combien que jamais n’eust penser que d’elle se fust departi en quelque maniere ; et se reconforta pensant en elle avoir aucunes nouvelles par son hoste et pourquoy il n’estoit retourner avec lui, combien que tousjours regardoit par la fenestre se elle le verroit venir. Quant elle eust demeuré a la fenestre jusques a la nuyt et que point ne venoit elle devala de la tour et vinst en la saule ou elle trouva l’oste de Girart, l’esprivier de Girart sur le point. Quant elle le veist ainsi estre seul l’esprivier 221 de Girart sur le poing, bien veist qu’il n’aloit pas bien. Incontinent lui ala au devant et lui demanda ou estoit Girart son amy. L’oste triste et doulant et couroucié, a basse et morne voix lui respondist : « Madamoiselle, ce que je vous vueil dire, couroux, regret ne desplaisir ne vous y pouront aydier. Et pour ce vous conseille que de ce dont ne povez recouvrer ne demenez grant dueil, car vous perdriez vostre peinne. » Lors lui racompta les nouvelles et fist le messaige que Girart lui avoit prié, et apres comment son esprivier avoit prinse une aloe qui portoit ung anel a son col, et du grant dueil qu’il demena quant il le recogneust, et du serement qu’il fist de jamais non arrester jusques a ce qu’il auroit trouvee s’amye que de long temps avoit perdue. Puis lui dist : « Ma demoiselle, Girart 222 m’a chargié que de par lui vous saluasse et que de cestui esprivier vous feisse present, lequel par moy vous envoye. » Quant Aglentine oyst le messaige, elle hauça la palme pour frapper l’esprivier, pour le tuer, se n’eust esté le duc son pere qui y mist la main en la blasmant et lui dist : « Ha ma fille, que voulez vous faire ? Povre vengence auriez fait d’occir cest esprivier qui riens ne vous a meffait. » « Mon pere, dit Aglentine, oncques homme tant ne meffit. Car l’oseau a esté trop ligier a prendre l’aloe qui a esté cause de moy faire perdre mon amy. » Lors commença de faire ung deul si grant que layans n’avoit homme qui n’eust grant pitié d’elle, excepté Florentine a quy gaires n’en chaloit. Moult grant dueil et tristesse demenoit Aglentine pour son amy Girart qu’elle avoit ainsi perdu, 223 et n’estoit riens qui la peust reconforter fors le duc son pere, qui tant de choses lui promist que ung peu fut reconfortee, esperant que encores une fois le rauroit, et lui promist de l’envoyer querre par tous païs s’il ne vient deans brief temps. « Et vous feray avoir tel mary que vous serez contente et appaisee et laisserez tous couroux et yre. » « Ha sire, dit Aglentine, saichiez que se je ne le ray et vous me donneissiez l’empereur de Constantinoble ou d’Alemaigne si ne les vouldroye je pas avoir. Jamais autre mary n’auray que Girart que tant ay amé. Pour Dieu, envoyez ung chevalier et lui chargiez comment qu’il soit qu’il le ramaine et face toute diligence, car par cellui Dieu qui me forma jamais autre que lui n’auray a mary. » Le duc oyant sa fille que en nulle maniere ne 224 la povoit appaisier se apres Girart ne envoioit, fist aprester ung escuier et lui chargea de non retourner jusques a ce qu’il eust parlé a Girart et tant a lui fait que avec lui voulsist retourner. Quant Anglentine veist le messaigier aprester, elle se reconforta ung peu et laissa son dueil esperant d’avoir bonnes nouvelles. Le messaigier se partist et ala apres Girart chevauchant au plus tost qu’il peust et tellement diligenta qu’il trouva les passees de son cheval. Il se mist sus et le suist jusques a une grande forest ou les perdit pour l’erbe qui estoit moult grande. Du messagier vous lairons a tant et retournerons a Girart qui aloit chevauchant pour trouver Euriant s’amye.

 

Comment Girart trouva ung chevalier soubz ung arbre a qui on avoit ostee sa femme et comment Girart lui ramena.

225 Apres ce que Girart se fut departy de son hoste Adam le gregois et qu’il lui eust baillié son esprivier pour le baillier a Aglentine il se mist en chemin. Maint mont et mainte valee et maintes forest passa sans gaires adventures trouver dont on doye faire mencion, mais oncques ne sceust tant aler qu’il peust trouver homme ne femme par qui il peust sçavoir nouvelles d’Euriant, dont il eust au cuer grant melencolie. Si 226 advint ainsi comme il aloit ung jour, chevauchant parmy une grande lande, il veist de loings ung grant arbre dessoubz lequel avoit une grosse pierre contre laquelle avoit couchié ung chevalier moult fort navré. Quant Girart le veist il se donna merveilles et le commença moult fort a regarder, et se approucha et luy demanda qui l’avoit ainsi navré. Le chevalier leva ung peu la teste et dist a Girart : « Sire, cellui qui ainsi m’a navré m’a par force ostee ma femme, laquelle j’avoye aujourd’uy espousee. Moy .iii.e de chevaliers m’estoye aujourd’uy mis en chemin pour la mener en mon chastel. Mais au plus pres d’icy demeure le seigneur de Durbus ung traitre et mavais chevalier ; en Ardaine a grant seigneurie ; mon ennemy mortel estoit, mais entre luy et moy avoit treves ; ce non obstant m’a agaittié en ceste forest 227 et m’est venu corir sus et m’a occis ung de mes chevaliers. Les autres s’en sont enfuiz apres ce que j’ay esté par terre ainsi navré comme me veés. Mais encores ay plus grant desplaisir de ma femme qu’il m’a ostee que des playes que j’ay sur moy. » Girart lui respondist : « Amy, de vostre anuy me desplaist. Je ne suis de fer ne d’acier et suis desarmé fors de mon espee que j’ay sainte qui est moult bonne et bien trempee. Saichiés de vray se j’avoye armes, ealme, lance et escu jamais n’arresteroye jusques a ce que au chevalier dont tant vous doulez je me fusse combatu, se vostre femme ne me rendoit. » « Sire, dist le chevalier, se tant de courtoisie me voulliez faire, alez desarmer ce chevalier mort que vous veez la gesant dessoubz cest arbre. » Girart regarda celle part et ala au chevalier mort et le desarma de tout point et se arma au mieux qu’il peust puis vinst 228 a son cheval et monta sus et dist adieu au chevalier navré qui lui enseigna la voye et le sentier et lui dist se ung peu se vouloit haster que bien les consuigroit. Girart desirant de tout son cuer rescourir la femme du chevalier commença a chevauchier roidement et tant chevaucha qu’il les consuist et estoient trois chevaliers. Girart les commença a regarder, qu’ilz estoient descendus et leurs chevaulx attaichiez a des arbres, puis regarda la dame qui demenoit moult grant dueil : toute nue l’avoient despoullee excepté sa chemise ; eulx deux la tenoient par les bras et la batoient de verges, parquoy elle cryoit si hault que c’estoit grant pitié de l’oyr. Girart tourna celle part et vinst vers eulx et veist que la dame estoit toute couverte de sanc des cops de verge qu’il lui avoient donnez. 229 Girart ayant pittié d’elle moult courtoisement leur dist qu’ilz la laissassent en paix et que sur elle ne voulsissent plus frapper. Le chevalier qui ainsi la batoit tourna la teste vers Girart et lui demanda s’il estoit la venu pour la vengier. « Je pense que avant que nous eschappes tu seras en ce point servy. » Girart leur dist : « A ce que je aperçoy de vous, advis m’est que beau parler riens ny vault. Je cuide sçavoir de certain que quant viendra au departir legierement pourez porter le gain que vous y ferez. Sus laissiez la tost car point ne le souffreroy ainsi estre batue. » Alors les chevaliers, oyans Girart eulx menacier, laisserent la dame ou chemin tousjours en chemise et incontinent monterent a cheval en jurant gros seremens que Girart seroit detranchié. Girart veant les chevaliers prestz pour lui courir sus baissa 230 la lance en picquant cheval d’esperon et vint joindre au seigneur d’eulx tous et assigna son escu, qui estoit paint d’or, ung si grant cop et merveilleux lui donna que oncques l’escu ne le aubert ne le peust garantir que la lance ne lui passast parmy le corps. Au retirer qu’il fist sa lance, l’abatist mort par terre. Les autres d’eulx, veans leur seigneur mort, furent moult doulans et courouchiés moult asprement, courirent sus a Girart, pas ne lui donnerent loysir de couchier sa lance. Girart qui en riens n’estoit esbaÿ mist la main a l’espee, si en frappa l’un d’eulx ung cop si desmesuré que le bras atout l’espee lui abatist a terre, mais les autres deux navrent Girart en la cuisse. Quant Girart se sentist navré, d’ire et de couroux frappa cellui qui l’avoit navré, et si bien 231 l’assena sur le healme qu’il le fendist jusques es dens. L’autre regardant le grant cop de Girart qui moult faisoit a redoubter prinst la fuitte au plus tost qu’il peust. Girart veant d’eulx la place estre delivree vinst vers la dame et la fist revestir puis la fist monter a cheval. Quant la dame se veist estre delivre et ostee hors des mains de ceulx qui l’avoient ostee a son mary, fut plus joyeuse que jamais et moult courtoisement en mercia a Girart qui ainsi l’avoit delivree des mains de ses tirans. Si luy demanda : « Sire, je vous prie que dire me vueilliez ou vous me voulez emmener. Bien est raison que partout ou vous me vouldrez emmener que je voise sans faire nul refus car la vie m’avez sauvee. Mais se par vostre courtoisie me vouliez rendre a celluy a qui aujourd’uy 232 ay espousé grant aulmosne feriés combien que je ne sçay s’il est mort ou vif, car au departir que feis de lui le laissay moult fort navré. » « Belle, dist Girart, soyés seure pour certain que je vous remenray a vostre mary que j’ay laissié seul dessoubz ung arbre. J’espoire que garde n’aura de mort. Tant s’exploita Girart et sa dame femme du chevalier navré qu’ilz vindrent ou lieu ou il gesoit. Quant icellui chevalier veist sa femme estre ramenee par Girart, de la grant joye qu’il eust il oublya toute douleur. Lors Girart mist pié a terre et descendist la dame du cheval, qui moult estoit simple de son mary qu’elle veoit ainsi navré. Girart prinst ung couvrechief que la dame portoit et en mist a point le chevalier puis lui demanda s’il sauroit ne pouroit chevauchier et que moult voulentiers le conduiroit jusques 233 en sa maison. « Car, dist Girart, bon mestier avez de mire pour faire visiter voz plaies. » « Sire, dist le chevalier, bien dois louer Dieu et gracier quant il vous amena pardeça. Puis que ainsi est que ceste courtoysie me voulez faire, j’ay ung chastel au plus pres d’icy ou j’ay laissié ung mien parent. Se jusques la me vouliez conduire a tousjours mais suis et seray vostre chevalier. Moy estre gary vous tiendray compaignie en tous les lieux ou vous vouldrez. » « Amy, dist Girart, ne faictes nulle doubte. Jamais de vous ne quiers partir jusques a ce que en lieu seur vous auray mis. » Alors Girart ayda monter le chevalier et la dame et puis monta a cheval et s’en partirent. Tous trois ensemble tant exploiterent qu’ilz vindrent ou chastel du chevalier navré. Quant leans furent entrez, le cousin du seigneur leur vinst au devant 234 moult esbaÿ et triste de veoir son seigneur navré. Si lui demanda dont celui venoit. Lors le chevalier lui racompta et dist la chose comme elle avoit esté. Puis lui compta la maniere comment par Girart avoit esté sauvé et mis au delivre et sa femme rescousse des mains de quatre chevaliers dont les trois furent occis. Lors le parent du seigneur sans plus actendre lui et ceulx de leans coururent a l’estrié de Girart et lui firent tresgrant honneur car leans n’y avoit homme ne femme qui ne se traveillast de lui faire service et honneur. Ilz menerent Girart en une chambre et le desarmerent et se mist a son ayse et furent tresbien penser de son cheval, combien qu’ilz estoient moult doulans du seigneur qui ainsi estoit navré, mais pour amour de Girart s’efforçoient de faire bonne chiere. 235 Car il n’y avoit celluy qu’il ne fust a l’entour de lui et s’efforçoient tous de lui complaire et celle nuyt lui firent tresgrant chiere et fut tresbien servy de toutes choses. Quant vinst apres soupper et qu’il fut temps d’aler couchier, le menerent en une belle chambre moult richement paree ou il dormist celle nuyt, jusques ce vinst au matin qu’il se leva et ala oyr messe. Apres fist une souppe en vin et puis prinst congié du chevalier et de la dame et de tous ceulx de l’ostel, lesquelx le prierent pluseurs fois qu’il lui pleust demeurer a l’ostel et que on lui feroit bonne chiere, mais oncques ne volt demeurer, et se partist de la et monta a cheval et se mist en chemin. Tant chevaucha par mons et par plains qu’il vinst en une grant valee, en laquelle avoit une moult belle fontaine en laquelle seoit 236 une moult belle pucelle toute deschevelee en l’eaue jusques au col, oncques de chose que Girart veist ne fut plus esmerveillié, et pensa que ce povoit estre et pensa de fait que ce fust une fantosme ou aucun deable, et commença a faire le signe de la croix et s’approucha pres en saluant la pucelle. Quant elle veist Girart elle changea couleur et s’abaissa, ung peu fut honteuse et lui dist : « Sire, bon jour vous doint Dieu. »

 

237

Comment Girart combatist le chevalier de Langarde et l’ocist et osta la damoiselle de la fontaine, laquelle le vouloit depuis faire murdrir en dormant.

Quant Girart eust salué la pucelle et qu’elle lui eust rendu son salu, il lui pria qu’elle lui voulsist dire pourquoy elle estoit en celle fontaine ne qui lui faisoit souffrir celle peine d’estre en celle fontaine toute nue jusques au col. « Sire, dist la pucelle, oncques homme vivant ne fist telle derision a femme ne a damoiselle ne pour si peu d’occasion. Jamais plus merveilleux homme ne fut comme est cellui qui m’a icy mise. Moult voulentiers le vous diroye se je osoye aucunement. Il est lassus ; assés tost retournera ; s’il vous treuve icy avec moy a grant martire seray livree. Et pour ce sire vous prie et requiers 238 que incontinent vous departez d’ycy. » « Belle, dit Girart, saichiés pour verité que jamais d’icy ne partiray jusques a ce que m’ayés dit la cause pourquoy vous estes la mise, ou vous souffrez tant de peinne. » Lors la pucelle lui dist a basse voix : « Sire, gaires n’aurez gaignié de le sçavoir, ne je n’en pourroye estre alegee. Mais se a la verité savoye que en riens me puissiez aydier voulentiers le vous diroye. » « Belle, dist Girart, je vous jure et prometz ma foy que se dire le me voulez je mettray tout mon povoir a vous mettre hors de celle peine ou vous voy a present. » « Sire, dist la damoiselle, a ce que je voy de vous vous me semblez estre homme de foy et de credence. Et pour ce vous racompteray la cause pourquoy je suis cy mise. Sire il est vray que le chevalier qui m’a cy mise me requist une fois que 239 amer le voulsisse. Tant me pressa que mon amour lui octroyay. Il m’ama moult et aussi fis je lui. Advint que ung jour lui et moy alasmes jouer es champs et eusmes pluseurs devises ensemble et me requist moult fort que la verité lui voulsisse dire d’une chose qu’il me vouloit demander. Je lui respondis que la verité lui en diroye. Alors il me demanda s’il y avoit chevalier ou monde plus preu, plus bel, plus courtoys, plus sage ne si bien parlant comme il estoit. Je lui respondis que je ne savoye ou monde plus preu, plus bel ne plus sage chevalier qu’il estoit excepté le bel damoisel de Nevers ; parquoy il fut tant troublé et couroucié sur moy, qu’il me dist que desprisié l’avoie et que incontinent me despoillasse et que je me meisse en ceste eaue ou je suis tous 240 les jours une heure et me dist et jura sa foy que a tousjours mais me tiendroit en ce point jusques a ce que par Girart de Nevers, par sa bataille, par sa force m’en auroit ostee. Sire, la verité vous dis. Si vous prie que me vueilliez dire vostre nom. » « Belle, dist Girart, doncques est vostre penitence parfaicte, car je suis cellui qui vous doy delivrer : par mon droit nom suis appelle Girart. Saige et advisee avez estee de moy avoir dicte la verité. » Ainsi comme ensemble aloient devisant, le chevalier monté sur ung cheval noir descendist d’en hault et tantost qu’il veist Girart lui commença a escrier et lui dist : « Vassal, moult grant oultrage avez fait d’icy vous avoir arresté. Jamais plus grant folye ne vous avint. » Girart le regarda moult fierement et lui dist : « Dans chevalier, pourquoy dictes vous ce ? Jamais ne croyroie que a ceste 241 cause me voulsissiez faire aucun desplaisir. » « Vassal, dist le chevalier, vostre priere ne beau parler ne vous y auront mestier que premierement ne vous soit chier vendu de ce que tant y avez arresté. » « Vassal, dist Girart, puis que doulceur ne prieres n’y auront lieu, tost et hastivement vous tirez arriere. » Lors sans plus dire se eslongerent l’un de l’autre et mist chascun la lance en l’arrest et picquerent cheval d’esperon, et rencontrerent tellement et par si grant force que leurs lances furent rompues en plus de cent pieces et n’y demeura sangle ne poitral entier. Chevaulx et maistres cheurent a terre puis se leverent et misrent chascun la main a l’espee et commencerent a combatre merveilleusement, et frappoient si grans cops qu’il ny avoit healme ne piece de harnois qu’il ne fust tout rompu. Jamais 242 par deux chevaliers ne fut plus vaillamment combatu. Toutesvoyes quant ilz eurent beaucop combatu, le chevalier se retraist ung peu arriere et pria a Girart qui se voulsist ung peu retraire, puis lui requist que son nom lui voulsist dire. « Vassal, dist Girart, pour vous ne pour autre ne vouldroye mon nom celer. Saichiez que je suis Girart de Nevers. Or puis que ainsi est que mon nom savez, raison est que me dictes le vostre. » « Vassal, dist le chevalier, par mon droit nom suis appellé Baudrain d’Apremont, lequel avez fait plus joyeulx que oncques fusse en ma vie de ce que vostre nom m’avez dit, puis que vous estes Girart de Nevers. Jamais ne buvray de vin jusques a ce que vostre chief auray tranchié jus de voz espaules ; par mes mains vous couvient morir, imposible vous 243 est d’eschapper. » Quant Girart entendist le chevalier ainsi parler, moult fierement le commença a regarder et lui dist : « Chevalier, se attendre voulez de boire et de maingier jusques a ce que m’ayez ossis, assés porrez attendre. » Lors Girart se approcha de lui et leva l’espee contremont en y employant toute sa force et l’ataindist sur le healme ung cop si desmesuré qu’il le fendist jusques es dens et, au retirer qu’il fist son espee, cheust tout mort, dont moult grant bien fut pour le païs d’Ardene, car jamais on n’avoit veu si faulx ne si mauvais qu’il estoit, ne que plus se advisast de faire mal qu’il faisoit. Quant Girart eust occis ce chevalier il essua son espee et la rebouta dedans son forrel, puis vint a la fontaine, si en tira hors la damoiselle et la mena dessoubz ung arbre ou ses robes estoient et les lui bailla, puis 244 quant elle fut vestue et atournee Girart se merveilla moult de la grant beauté qui estoit en elle, et la prinst par la main et l’assist a terre empres lui et la commença a interroguer dont elle estoit ne quel maison. « Sire, dit la damoisselle, puis qu’il vous plaist savoir dont je suis je vous en diray la verité et ne vous en celeray riens. Mon nom est Denise de la Lande. » « Belle, dit Girart, je vous prie se vostre nom vous ay demandé qu’il ne vous desplaise, ne aussi ung peu me repose empres vous. Deux jours a que ne dormis ne reposay et suis si fort traveillié que a grant peine me puis soustenir. » « Sire, dit la damoiselle, pas ne me doit desplaire. Je ne seroye pas courtoise se n’estoie contente de vous complaire, car je suis tenue a vous plus que a homme du monde et ne m’est pas possible de jamais le vous desservir. »

 

245

Comment Girart s’endormist ou geron de la damoiselle et comment il fut esveillié par ung escuier.

Alors Girart se coucha et mist son chief ou geron de la demoiselle ou il s’endormist tantost et y demeura moult longuement que oncques la damoiselle ne se bougea ne tant ne quant. Ainsi que Girart estoit endormy survinst ung jeusne escuier bel et courtois a merveilles qui estoit monté sur ung bon destrié et pourtoit une 246 moult riche espee. Il regarda la damoiselle assise tenant sa main a sa maisselle et Girart gesant en son geron. Il se approucha d’elle et la salua moult courtoisement. La damoiselle lui respondist moult bas que tresbien fust il venu. L’escuier lui demanda moult doulcement qui estoit le chevalier qui dormoit sur son geron. Elle lui respondist moult bas : « Tresdoulx jouencel, saichiez que c’est le plus faulx et le plus desloyal chevalier du monde, le plus crueux qui oncques nasquist de mere. Tout droit a occis mon amy que la veez mort. Je n’atens l’eure quant il sera esveillié d’estre par lui deshonnoree. Pour Dieu je vous requiers que descendez et prenez vostre espee et coppez la gorge et je vous prometz que incontinent que l’aurez fait je feray toute vostre voulenté. » Quant le jeusne escuier entendist 247 la damoiselle ainsi et sa mauvaise voulenté qu’elle avoit, lui respondist moult saigement : « Damoiselle, jamais bien ne me puist advenir se a cellui qui ne m’a riens meffait que a vostre requeste lui face aucun desplaisir. Mauldit soye je se une heure vois avec vous. Bien devroye estre monstré au doit se a vostre priere commettoie ung tel murdre. Jamais en vous n’auroye fiance quant ung tel chevalier voulez que je murdrisse sans le avoir deffié et en dormant. Pour verité pouroye dire que autretel feriez de moy. Dommaige seroit de murdrir ung si bel chevalier. » Et en devisant qu’ilz fasoient Girart s’esveilla et se leva et fut esbaÿ de veoir se jeusne escuier a cheval. Icellui escuier veant Girart esveillié vinst a lui et le salua moult courtoisement. « Amy, dit Girart, Dieu 248 vous vueille garder. » Lors la damoiselle qui se sentoit avoit meffait dist a Girart : « Ha sire, pour Dieu je vous requiers mercy. Tenez, ma foy, je vous prometz que ce que je dis ores a ce jeusne escuier ce ne fut fors que pour l’essayer. » La desloyale damoiselle, pensant que Girart l’eust oye, s’avança lui dire avant ce que l’escuier en parlast. « Damoiselle dist Girart, grant damaige est de la beauté qui est en vous quant la bonté n’y est aussi. Mal est emploié en vous le beau corps, et la belle façon de tant nature a mal ouvré en vous, que bonté et vertu n’y a mise. Il m’en desplaist moult. Pour telle que vous ay trouvee vous lairay, plus avant d’icy ne vous menray. » Autre chose plus ne lui dist fors que il la commanda a Dieu et la laissa toute seule. La damoiselle prinst congié de l’escuier qui 249 d’autrepart s’en tourna atant. Girart lui seul prinst son chemin par champs, par villes et par chasteaulx en enquerant tousjours d’Euriant s’amye. Quant nouvelles n’en povoit oyr, lui mesmes se dementoit fort. Tant ala Girart chevauchant qu’il choisist une moult belle contree ou il n’y avoit nulle terre arable fors prelz, boscaiges et rivieres sur laquelle il veoit tout au long le plus bel vignoble que il eust jamais veu. La riviere estoit moult grande et large ; par dessus avoit ung moult riche pont tant bien ouvré que oncques plus bel n’avoit veu, puis au bout du pont avoit ung chastel moult fort de murs et de tours et dedans bien garny de belles chambres bien parees. Tant plaisant place estoit que oncques on ne veist plus plaisant. Mais d’une 250 chose Girart ne se peust assez esmerveillier, c’estoit de ce que entour du chastel pres ne loings n’apparissoient bordes ne maisons ne nul bateau sur la riviere qui estoit moult grosse.

 

Comment Girart rencontra ung escuier en une lande et de leurs devises.

Quant Girart eust bien avisé le chastel il fut moult esbaÿ que ce povoit estre d’une telle place qui ainsi estoit seule et que tout entour estoit despeuplee. Ainsi comme en ce 251 penser estoit survint ung gentil homme qui venoit vers lui a grant erre monté sur ung cheval de chasse. L’escuier estoit bel et droit. Quant Girart le veist, il vinst a l’encontre de lui et le salua moult courtoisement en lui priant que la voye du chastel lui voulsist monstrer. L’escuier moult humblement lui rendist le salut et luy dist : « Sire, pour Dieu mercy, gardez que tost et hastivement vous en alez et fuyez, car vostre demeure vous pourroit anuyer. Il n’est homme mortel tant soit preu ne hardy qui cy osast seul attendre ne arrester. » « Amy, dit Girart, pourquoy ne a quel cause me dictes vous ces nouvelles ? Je ne voy ne ne sçay riens pourquoy je me doye espaonter, mais je vous prie que dire me vueilliez la cause pourquoy cestui païs est ainsi 252 despeuplé et destruit. » « Sire, dist l’escuier, ce lieu et ceste contree que ainsi veés estre apovrie souloit estre tant riche tant plantureuse et plaine de biens que la pareille n’avoit ou monde, ainsi comme es anciens ay ouy dire. Verité est que au plus pres d’icy est demeurant ung geant moult grant et hydeux a veoir lequel destruit ce païs et n’y a laissie borde ne maison ; mesmement le chastel que veés il a mis a ruyne ; et a nom ce geant Burgalidans. Et pour ce sire je vous conseille ou cas que n’ayés bonne conduite ou saufconduit que tantost vous departez d’icy ou se aler voulez avant il vous couvient prendre le chemin a main droitte affin d’eschever le peril et dangier en quoy vous porriez encheoir. Car le geant dont je vous parle 253 n’espargne homme du monde qu’il ne prengne ou mette en prison, et la raison pourquoy il le fait je le vous diray. Il est vray que il est passioné d’une maladie moult merveilleuse, car deux fois la sepmaine le tient si merveileusement que il n’est homme tant soit hardy qui n’eust grant paour et grant hyde de l’oyr cryer, si fort le contraint sa maladie. Mais il se treuve alegié d’une chose que vous diray. Les hommes qu’il prent et mest en prison il mainge et destruit l’un apres l’autre. Et par ainsi de ceste cruelle maladie dont il est ainsi tourmenté est du tout alegié. Homme ne femme n’est icy entour demeurant. En ceste grant forest se tient empres ceste grant riviere. Se plus attendons icy nous serons ou mors ou prins. » « Amy, dit Girart, alez vostre chemin. 254 Jamais ne quiers retourner arriere jusques a ce que j’auray veu et visité ceste place que la voy tant belle. » Alors a tresgrant haste l’escuier se departist de Girart et demeura Girart tout seul et s’en ala tout le pas contre le chastel, et ne fut gaires alé avant qu’il veist partir de la place ung chevalier qui avoit le chief enveloppé et couvert d’un mantel.

 

Comment Girart rencontra ung chevalier qui menoit avec lui sa femme et sa fille en demenant grant dueil.

255 Quant Girart veist venir ce chevalier, il ala a l’encontre de lui, mais ainçois qu’il y peust estre il veist que apres le chevalier venoit sa femme et sa fille, qui estoit tant assouvye en beaulté que nature n’y avoit riens oblié ; lesquelz demenoient la plus grant douleur et plus grant dueil du monde ; et apres yssirent d’icelle place pluseurs personnes du plat païs qui plouroient apres eulx ; et estoit chose moult piteable de les veoir desconforter et mener le dueil qu’ilz menoient. Girart veant ce eust grant pitié et se merveilla fort et desira fort de savoir la cause de leur doleance et s’approucha d’eulx et les salua moult humblement, et eulx lui pareillement a voix basse et piteuse. Apres Girart demanda au chevalier et lui dist : « Se anuyer ne vous cuydoye, moult 256 voulentiers sauroye de vous la cause de vostre doleance et de tous ceulx qui viennent apres. » Le chevalier remply de dueil et de melencolie lui dist : « Sire, assés auroye a faire de vous racompter et dire mes douleurs et celles de ces gens qui apres moy viennent. » « Sire, dist Girart, de vostre couroux et anuy suis tres desplaisant. Mais je vous prie que racompter le me vueilliez. » « Sire, dist le chevalier, il est vray que en ce païs et assés pres d’icy est demeurant ung geant grant et orrible qui se tient sur ceste riviere en une place forte a merveilles. Riens ne passe par cy, soit homme ou femme, qu’il ne preigne et mette en sa prison. Si est advenu que j’avoye .vii. filz chevaliers moult vaillans et hardis en armes ; est advenu que ung jour passé ce geant les prinst et les emmena prisonniers. 257 Si est ainsi que lui et moy avons eu parlement ensemble, par tel si que je lui dois mener une mienne fille que j’ay dessoubz cest arbre que la veés, et il me doit rendre mes sept filz, dont moy et ma fille avons au cuer telle douleur que je cuide que nous morrons de desplaisir. Car pas ne sommes encores seurs de ravoir noz enffans pour nostre tresamee fille. » Quant Girart eust oy parlé le chevalier il en eust grant pitié, et lui dist : « Laissiez aler vostre dueil et pensez de vous reconforter. Car moyennant la grace de Dieu je feray tant que voz enffans raurez tous. Faictes que j’aye armures, car les miennes sont rompues. » « Ha sire, toutes les armures du monde ne vous porroient aydier. Car ce geant est crueux et tant orrible car il oseroit bien attendre ung grant ost. » « Sire, 258 dit Girart, trop m’anuye que tant desprisiez l’ayde que vous vueil faire. Alez, si vous hastez de moy apporter du harnois frec et moy mesmes conduiray vostre fille vers le geant pour vostre promesse acquiter, laquelle avec voz sept filz vous ramenray au plaisir de Dieu. » Quant le chevalier oyst ainsi parler Girart et le haultain vouloir qu’il avoit il le regarda moult fort et lui sembla bien estre homme de grant façon. Il le veoit estre grant et fort et bien taillié de tous ses membres, et se reconforta et incontinent envoya querir du harnois en son chastel du plus fort que on peust trouver et les fist apporter a Girart ; puis armerent Girart. Quant Girart fut armé, le chevalier prist sa fille et la baisa en plorant et la mere pareillement et la baillerent a Girart, et puis s’en retournerent ou 259 chastel menans le plus grant dueil du monde. Girart et la damoiselle se misrent au chemin et vindrent a l’arbre ou le geant devoient attendre. Ilz descenderent jus des chevaulx et se assirent a terre. Girart estoit moult desplaisant du dueil et du desconfort qu’il veoit mener a la damoiselle ; toutesvoyes il la reconfortoit le plus doulcement qu’il povoit et lui disoit : « Belle fille, ayés bon espoir en vous et vous refortez. Car au plaisir de Dieu vous et voz sept freres delivreray des mains de ce geant et vous remeneray saufs vers voz pere et mere. » Ainsi comme en ces paroles estoient, Girart regarda aval et amont et veist venir le geant amenant devant lui les sept freres de la damoiselle. Quant la damoiselle veist le geant venir elle fut comme pasmee 260 de la paour qu’elle eust de le veoir et se souhaida pluseurs fois morte ou [en] la riviere noyee.

 

Comment Girart combatist le geant et le tua et rescouist les sept freres et la damoiselle leur seur, et de la grant chiere que leur pere lui fist.

Quant Girart veist le geant venir, il se leva incontinent ; la damoiselle lui ayda a armer sa salade ; et dist Girart a celle damoiselle : « Belle, ne vous desconfortez point, car aujourd’uy 261 au plaisir de Dieu serez asseuree de la grant paour que vous avez. » Girart monta sur son cheval. La damoiselle lui bailla sa lance, et lui dist que pour lui elle voulsist prier. Quant le geant aperceust Girart venir vers lui, de la grant joye qu’il eust se venoit tout poursaillant et ne prisoit Girart tant ne quant. Il vinst pasmoyant sa masue. Moult fierement se regarderent l’un l’autre. Girart picqua cheval d’esperon et baissa la lance et rencontra le geant et l’assigna en la poitrine ung cop si merveilleux que sa lance voula en pieces. Alors le geant leva sa mace pour frapper Girart. Girart guencist arriere et leva son escu. Le cop cheust a terre et entra dedans bien ung pié, et se Girart n’eust guencié le geant l’eust tout fourdroyé de ce cop. Le geant cuida marvoye de ce qu’il se sentist frappé et navré. Girart 262 qui moult estoit desirant de tuer le geant retourna encores sur le geant et lui bailla au plus pres de la ou il l’avoit attaind ung si grant cop d’espee que une playe lui fist en la cuisse moult grande et tant que le sanc en saloit a grant randon ; et au passer que fist Girart le geant leva sa massue en cuidant attaindre Girart sur la teste, mais il faillist pour ce qu’il destourna ung peu arriere ; toutesvoyes il l’attaindist le cheval sur l’arçon de la selle qui fut tout fourdroyé ; et pensez que s’il eust attaint Girart qu’il ne lui eust point falu de mire. Girart veant son cheval mort fut moult doulant et non sans cause, mais lui comme vertueux chevalier moult vivement se getta hors de la selle l’espee en la main, la visiere abaissee, son escu mis en avant et courist sus au geant, si le commença a 263 frapper de son espee en l’assenant sur le costé et le navra moult fort ; dont le geant fut bien couroucié, et cuida marvoyer de ce que Girart lui duroit tant, et s’avança en cuidant frapper Girart, mais il faillist par ce qu’il rencontra une pierre a quoy il choppa et cheust a terre et en cheant sa massue lui cheist hors des mains. Girart qui ne dormoit pas s’avança et prinst la massue et commença a frapper sur le geant ; le geant qui estoit fort a merveilles se releva, lequel estoit moult fort blessié, et vinst a Girart et lui donna ung cop de poing si grant que Girart fut tout estourdy, puis prinst Girart par l’escu et lui tira hors du col, puis a deux mains le hausa et frappa sur Girart ung si grant cop qu’il le feist cheoir a la renverse. Le geant ne le povoit pas bien choisir pour le sanc qu’il 264 lui couroit sur les yeulx des cops que Girart lui avoit donnez.

La damoiselle et ses freres veant Girart estre a terre cuidoient qu’il fust mort, dont ilz eurent grant douleur et cuidoient tous estre perdus. Girart qui estoit vigoreux incontinent se releva la massue en ses mains, desirant soy vengier, frappa le geant si grant cop en la teste qu’il lui fendist la teste en maniere que la cervelle lui sailloit hors. Le geant sentant le cop de la mort getta ung cris si tres horrible que a l’oyr estoit chose espaventable et cheist a terre tout mort et a cheoir qu’il fist prist si grant flac qu’il sembloit ung arbre qui cheist a terre. Quinze piés avoit de longueur quant il estoit en son estant. La pucelle et les seps chevaliers freres veans le geant abatu furent moult joyeux et non sans cause, et fort troublez de ce 265 qu’ilz veoient Girart moult fort blecié. Pas n’estoit de merveilles s’il estoit las et traveillié, car de grans cops avoit receuz du geant et tant qu’il estoit pasmé par terre. Lors les sept chevaliers ayans grans joye et leur seur pareillement qui commença cryer a haulte voix : « Par ma foy, jamais nul jour de mon vivant n’auray mary se je n’ay cellui qui est navré a mort pour amour de moy et cellui qui m’a delivree des mains de ce deable adversier ; se pour moy meurt je prie a Dieu que la mort me soit prouchaine, car apres sa mort jamais plus ne vueil vivre. » Apres le pere et la mere vindrent devers Girart qu’ilz trouverent couchié a terre, et le assuerent d’un couvrechief le sanc et la sueur qu’il avoit ou visaige qui lui couvroient toute la veue. Lors Girart se revint de pasmoison et se leva 266 et dist a haulte voix : « Dieu me doint ceste grace que encores puisse trouver Euriant m’amye par quy j’ay eu maint mal et mainte peinne. Mais pas ne m’en doit desplaire, car vers elle l’ay bien deservy. » La damoiselle entendist Girart et cheist comme pasmee ; son pere et sa mere et ses freres vindrent vers elle et lui aroserent le visaige. Quant elle fut revenue a elle ilz lui disrent que pas n’estoit saige quant encores ne scet la volenté du chevalier ne quel chose il vouldra faire. « Ha sire, dit la pucelle, ores entendis du chevalier qu’il fist ung reclain moult piteux pour une sienne amye qu’il nommoit Euriant par qui il disoit avoir tant de maulx souffert lesquelz il portoit bien en gré. » « Ma fille, dit le chevalier, delaissiez vostre dueil et couroux ; nous irons parler a lui. » Ilz vindrent a Girart et le trouverent couchié sur son escu. 267 Ilz se misrent a genoulx devant lui et le desarmerent du tout puis lui aroserent le visaige d’eaue rose. Apres le seigneur lui dist : « Sire, pas ne sçay vostre nom, mais je vous prie que dire me vueilliez comment vous vous sentez et s’il vous semble que puissiez eschapper. » « Sire, dit Girart, j’ay esperance en Dieu que de mort n’auray garde, ja soit ce que par cest anemy ay esté moult fort blecié, meshuy m’en iray avec vous. Car se demain povoye estre gary, tantost me mettroye au chemin pour aler en une queste ou il couvient que je voise. » Girart se leva sus et ala avec eulx ou chasteau ; quant ceulx de la forteresse les virent venir ilz vindrent au devant d’eulx et avoient la plus grant joye du monde et tous lui crioient : « Sire, a bonne heure soyez venu ! Pardeça de servitute nous avez mis 268 en franchise. A tousjours mais estiesmes perdus se ne fussiez vous. Benoit soit le pere qui vous engendra et la mere qui vous porta quant du terrible geant nous avez fait delivre. »

Alors a grant joye et a grant lyesse entrerent dedans le chastel. Si grant feste menoient le seigneur et la dame et tous ceulx de l’ostel a Girart que merveilles. La fille lui faisoit de moult piteux regars et disoit en soy mesmes que jamais n’avoit plus bel chevalier veu, que ores pleust a Dieu que fusse s’amye mais que amer daignast. Alors de tous costez, varletz et gentilz hommes, chascun se efforçoit de servir Girart. Ilz le menerent en une chambre et le desvestirent et lui misrent a point ses playes ; en la char n’estoit gaires navré parquoy il se deust couchié, fors de grans 269 cops et pesans qu’il avoit receuz dont il estoit las et foulé. Ilz le firent couchier en ung lit pour soy reposer ; quant il eust reposé il se leva et habila et vestist ung mantel d’escarlate qu’ilz lui aporterent puis l’amenerent en la saule. Tous acouroient pour le veoir, car tant bel chevalier estoit que tous disoient que oncques plus bel n’avoient veu. Les tables furent mises et le disner prest. Ilz laverent les mains ensemble puis se assirent. Les sept chevaliers freres le servirent a ce disner, que oncques Girart ne peust tant faire qu’ilz se voulsissent seoir. Le seigneur et la dame s’efforçoient de le conjoyr et faire tout l’onneur qu’ilz povoient. Souvent le regardoit la pucelle qui empres luy estoit assise. Grant desir avoit qu’il la voulsist prier d’amours. 270 Mais a Girart gaires n’en chaloit car autrepart avoit mis son cuer. Moult richement furent servis a ce disner. Quant ilz eurent disné et osté les nappes et lavé, Girart appella le seigneur de l’ostel et lui dist : « Sire, grant necessité est de moy partir pour achever et mettre a fin une chose que j’ay entreprinse. Et pour ce avant que demain vienne je vueil prendre congié de vous en vous merciant du bien et de l’onneur que m’avez fait. » « Sire, dist le chevalier, en moy n’est vous rendre le service et bien que m’avez fait, et aussi a tous mes enffans, car du servage ou nous estiesmes nous avez affranchiz ; a tous avez sauvé la vie. Ma terre et mon avoir vous requiers que vueilliez prendre, et ma fille avec, pour laquelle deffendre avez mis vostre vie en aventure. 271 Car ce ne fust par vostre grant proesse et vaillance a tousjours mais estiesmes en exil. Loué en soit Nostre Seigneur et vous qui de ce peril nous avez getté. » Lors furent alumees torches. Il prinst congié du seigneur et de la dame, de la fille et des sept freres, lesquelz le menerent en sa chambre ou son lit fut moult richement paré et mis a point, puis firent collacion ; apres se partirent et laisserent deux escuiers avec Girart pour le couchier et servir. Girart se coucha qui estoit traveillié, jusques ce vinst le matin qu’il se habila et mist a point et puis vinst en la sale ou il trouva le seigneur auquel il pria que lui voulsist prester ung cheval. « Sire, dist le chevalier, a cheval ne povez faillir car tout ce qui est ceans est vostre ; mais je vous vouldroye bien prier que si tost 272 ne vous vueilliez departir d’icy et attendez tant que soyés plus fort et gary de tout point. » « Ha sire, dit Girart, je vous prie que du demeurer ne me parlez plus ; ja vous ay dit que besoing m’est de partir d’icy pour accomplir mon voyage, que long temps a que l’ay promis. Et pour ce sire vous me pardonnerez car autrement ne le puis faire. » « Sire, dist le seigneur, puis qu’il vous vient a plaisir et que estre ne peult autrement, vostre voulenté se face soit d’aler ou de demeurer. » Alors lui fist amener ung cheval ung des meilleurs qu’il eust.

 

Comment Girart prinst congié du chevalier et de la dame, et du grant dueil que demena la damoiselle quant elle veist partir Girart.

273 Apres ce que Girart eust prins congié du seigneur et de la dame, il monta a cheval. La pucelle saichant le partement de Girart estre si subit, en pur cotheron, les cheveulx espars, ayant ung chappellet de roses sur son chief, vint acourant au devant devant la sale ou elle trouva Girart a cheval prest pour soy partir. Icelle pucelle avoit la couleur fresche plus vermeille que la rose n’est en may qui est couloree de blanc et vermeil. Les yeulx avoit beaulx et vairs, 274 les sourcis traictis, le corps bien fait, les bras longs, les mains blanches et bien faictes ; ung petit avoit surlevé son cotteron qui estoit de damas blanc, par quoy on veoit son petit pié.

De la grant haste qu’elle avoit de venir a Girart se bleça ou petit artoil a l’encontre d’une pierre tant que le sanc en sailloit. Quant elle veist Girart estre monté, par grant force d’amours vinst a lui et le prinst par la bride de son cheval et lui dist : « Ha sire, pour Dieu mercy, vueilliez prendre pitié de moy et ne rompés point la grant amour que j’ay a vous. Jusques a ores ne le vous ay osé dire jusques a ce que fussiez gary, car bien cuidoye que ceans deussiez longuement demeurer. » « Belle dist, Girart, je vous jure loyalment que en moy n’est plus de demeurer. Partir me couvient d’icy : pourtant je vous 275 prie qu’il vous plaise moy donner congié. » La pucelle veant que nullement ne povoit tant faire a Girart qu’il voulsist demeurer fut moult doulante. Girart les commanda tous a Dieu, et eulx prierent a Nostre Seigneur pour lui, fors la pucelle qui demenoit grant douleur. Girart se partist du chastel et se prinst a chevauchier bien roidement car tousjours lui souvenoit d’Euriant. Tant chevaucha celle journee sans aucune adventure trouver qui face a raconter. Il veist devant lui ainsi comme a heure de vespres ung chastel moult bel et fort seant sur une riviere et avoit nom icellui chastel Mousson. Il passa le pont et la porte pensant en lui mesmes que celle nuyt vouloit la demeurer, pour enquerir et savoir se aucunes nouvelles pouroit oyr d’Euriant s’amye. 276 Quant dedans le bourg fut entré il veist une dame vefve assise devant son huys, a laquelle il requist que celle nuyt le voulsist abergier. La dame lui respondist moult courtoisement que voulentiers elle le feroit. Il descendist et entra dedans ; assés trouva varletz et serviteurs qui lui prindrent son cheval et le menerent en l’estable ; les autres le menerent en sa chambre.

Le souppé fut apresté et la table mise ; la dame commença deviser a lui ; apres on apporta l’eaue et laverent puis se assirent entre eulx deux et furent tresbien servis. Quant ce vinst apres souppé et qu’ilz furent levez de table Girart prinst congié de la dame et s’en ala dormir, jusques ce vinst le matin qu’il se leva, et n’avoit gaires dormy celle nuyt car il n’avoit fait que penser a Euriant s’amye. Quant 277 il veist qu’il fut cler jour il ala oyr messe ; quant il eust oy messe il prist une souppe en vin et puis prinst congié de son hostesse et monta a cheval et partist de la ville par la porte ou il estoit entré. Toute celle matinee chevaucha tant qu’il vinst assés pres de Metz. Si pria Dieu devotement que de s’amye Euriant peust avoir nouvelle. En faisant ainsi ses prieres se trouva en une lande moult grande et plaine ou il se prinst fort a chevauchier, et vist venir a dextre grant foison de gens a cheval qui fasoient mener devant eulx grant foison de hernois, males et bahus. Girart desirant savoir de leurs nouvelles les surattendist affin qu’il peust chevauchier avec eulx et sçavoir de leurs nouvelles. Ilz vindrent, Girart les salua et eulx Girat, et chevaucha avec eulx.

 

278

Comment Girart vinst a Metz et trouva en son chemin gens qui y venoient et lui dirent comment par une femme estrange la seur du duc avoit esté murdrie par quoy ilz venoient pour la jugier.

Quant Girart fut meslé avec eulx moult courtoisement leur prinst a demander a quy estoit le riche arnois qu’ilz menoient. « Sire, dist l’un d’eulx, tout le harnois que vous veez est au conte de Bar, lequel vient cy apres nous et va a Metz pour une 279 piteable aventure que n’a gaires y est advenue. Le duc de Metz nepveu de monseigneur avoit une sienne seur germaine, laquelle de nouvel a esté piteusement murdrie par une femme espaysee qu’il trouva en une forest au retour qu’il fist de saint Jaques ou il avoit esté en pelerinage. Tant estoit amee du duc et si grant fiance avoit en elle que du tout le gouvernement de sa seur lui avoit baillié, et couchoit chascune nuyt avec elle, et saichiez que ce n’eussent estez ses barons et conseilliers il l’eust esposee et prinse a femme. Quant Girart oyst l’escuier qui lui disoit ces nouvelles, il lui demanda combien de temps il avoit que le duc l’avoit amenee. Cellui se pensa ung peu et lui dist la verité. Girart ayant oy l’escuier pensa ung peu en lui mesmes qu’il couvenoit 280 que ce fust s’amye Euriant selon le jour et terme que par le duc avoit esté amenee de la forest ou il l’avoit lassee. Si se teust atant sans lui plus riens enquerir ; car advis lui estoit que lui estre venu en la cité plus amplement le poura sçavoir. Au plus tost qu’il peust se partist d’eulx et vinst en la cité et se logea en ung des meilleurs hostelz de la ville, et tantost apres lui y ariva le conte de Bar, lequel fut moult haultement receu par le duc de Metz son nepveu et fut mené en son palaix ; mais d’icelle venue Meliatir ne s’esjoyssoit gaires, car bien eust voulsu estre a ceste heure en Jherusalem. Moult doulant estoit que Euriant n’estoit arse et brulee. D’autrepart Girart estre arivé en son hostel et en sa chambre manda son hoste, que on 281 nommoit Thibault, et lui pria que avec lui voulsist disner. L’oste veant a son semblant Girart estre homme de façon lui accorda moult voulentiers. La table fut mise ilz se assirent et firent bonne chiere. Quant ilz eurent disné et qu’ilz furent levez de table, Girart pria a son hoste qu’il lui voulsist tenir compaignie jusques au palaix, pour ce qu’il avoit oy dire que jugement se devoit faire d’un crisme que on disoit avoir esté commis par une damoiselle estrange, et que bien fait seroit d’y aler ; car en oyant pletz et procés, jugemens et autres choses touchans justice, a l’oyr on povoit moult aprendre.

« J’ay grant merveille comment ceste damoiselle a eu couraige de murdrir celle dont tant estoit amee. Et pour ce, bel hoste, je vous prie que dire me vueilliez la chose 282 ainsi qu’elle est alee. » « Sire, ce dist l’oste a Girart, puis que savoir le voulez je vous diray toute la verité. »

Lors lui racompta et dist tout au long ainsi que la chose estoit advenue, et ainsi parlant s’en alerent jusques au palaix. Quant la furent venus ilz virent grant assemblee de gens, de chevaliers, de barons.

Le duc de Metz et le conte de Bar son oncle estoient assis sur ung banc bien richement paré pour oyr le jugement de la damoiselle. Girart et son hoste se misrent en la presse avec les autres pour escouter et oyr. Gaires ne furent la arrestez qu’ilz virent ung ancien chevalier qui se leva de son siege, lequel estoit parent de Meliatir, qui commença a plaidoyer la cause d’un lengaige moult affaictié et dist tout hault :

« Mes tresredoubtez seigneurs, pour ce que par vous ay esté requis de 283 parler, il n’est aujourd’uy tresor que avoir voulsisse que droit, loyaulté et justice ne voulsisse conseillier. Mais s’il vous plaist sans plus en riens dire pour ceste fois n’en diray plus, raison le doit : car je suis prouchain parent a Meliatir, car riens ne vouldroye dire ou mettre avant chose dont eust suspection sur moy qui mieulx saura si le die. »

 

Comment les barons estoient au conseil pour jugier la belle Euriant a mort, et comment Girart emprinst a combatre 284 a l’encontre du chevalier qui l’avoit accusee a tort et sans cause.

Quant le seigneur de Nauvy eust finé sa raison et que autre chose ne vouloit dire, le seigneur d’Aspremont se leva et dist : « Seigneurs, se vostre plaisir est de moy ung peu entendre de ceste chose vous diray mon advis. Verité est que l’omme qui entreprent a faire ung jugement fait grant mal et pechié se il ne dist la juste verité ; jamais a tort jugement ne se doit faire s’il ne scet loyale occasion parquoy a mort doye jugier homme ou femme. Vous avez oy Melyatir qui veult maintenir que ceste damoiselle estrange a esté prinse au fait, ayant la main sur le coutel duquel la seur du duc a esté murdrie. Quant est a moy jamais ne croiray et si est impossible a croire que ceste 285 damoiselle ait commis ce crisme dont elle est accusee, que jamais elle ne fust arrestee ne attendue d’avoir esté trouvee au fait, mais s’en fust enfuye ou musee en lieu que par homme n’eust esté trouvee, et jamais ne se fust endormie avec elle. Oncques tel hardement ne fut en homme ne en femme s’ilz n’estoient hors du sens. Quant est a moy jamais ne le croiray. Elle fut trouvee dormant. Saichiés que en ce point ne le feriés mie, et aussi en veillant jamais ne l’eust frappee que incontinent ne s’en fust enfuye et soy mise a sauveté. Si conseille, et est mon oppinion, que on voise vers elle et que on lui demande se elle a commis le cas : c’elle dist non il couviendra que Meliatir prengne la lance et l’escu pour ce que lui mesmes dist que elle a fait et commis le murdre. Se chose est que la dame treuve champion qui pour 286 elle se vueille combatre Dieu lui porroit aidier. Car selon mon advis la damoiselle n’y a coulpe se autrement ne se peult prouver. »

Alors tous les barons et chevaliers qui la estoient dirent tous a une voix que jamais meilleur conseil ne virent ne plus droicturier n’avoit esté dit. Et conseillerent tous au duc que la damoiselle envoyast querir. Euriant fut amenee, laquelle estoit bien pale et bien deffaicte du desplaisir qu’elle avoit. Quant elle fut amenee devant le duc il lui demanda pourquoy ne a quel cause elle avoit esté si hardie d’avoir murdrie sa seur. « Sire, dist Euriant, oncques jour de ma vie le crisme ne commis. Se il est trouvé et sceu a la verité que aye celle traÿson commise, je abandonne mon corps a faire tel justice qu’il vous plaira. »

Lors Girart saillist en place 287 et dist : « Sire, je m’offre pour elle pour son droit et querelle deffendre. Je dis et vueil maintenir que se Meliatir veult dire ne prouver qu’elle ait commis le murdre dont par lui a esté enculpee, je suis cellui qui vueil prouver pour elle que oncques elle ne le fist. »

Lors Meliatir saillist avant et dist : « Vassal, saichiés que autre chose ne demande. Car avant qu’il soit vespre vous en recevrez la mort, et la desloyale en sera brulee et arse en ung feu d’espines. Riens n’est aujourd’uy au monde que avoir voulsisse, que a l’encontre de vous ne me combate. » « Vassal, dist Girart, vostre hault parler ne orgueilleuses manieres et menaces ne me font de riens esbaÿ. Car tel menace aucunefois qui a grant paour. Je croy que avant que le vespre soit venu on verra lequel de noz deux se gabera de son 288 compaignon. A nul chevalier n’appartient soy vanter ne dire chose dont a autre puist desplaire. Se je treuve baron ou chevalier qui me vueille faire ceste courtoisie de moy prester harnois, des maintenant suis prest de deffendre la querelle de ceste damoiselle. » Quant le seigneur d’Appremont oyst Girart soy plaindre d’armures, il lui dist : « Sire chevalier, pour armures ne destrié ne demourez de deffendre la damoiselle, car assez vous en feray avoir des meilleures que porray finer. »

 

289

Comment Girart desconfist Meliatir et lui fist cougnoistre la mauvaise traÿson qu’il avoit commise.

Alors incontinent sans plus actendre le duc fist aprester le champ et les lices ainsi comme pour lors estoit accoustumé de faire, puis firent alumer ung grant feu, puis fut amenee Euriant ou champ, laquelle estoit piteuse chose a veoir, et prioient pluseurs a Dieu qu’il voulsist aidier son champion. Girart se fist armer en son logis des armes que le seigneur d’Appremont lui avoit envoyés. Pareillement Meliatir se ala armé, triste et desplaisant de ce que justice n’estoit faicte d’Euriant ; laquelle estoit devant le feu, ou elle fasoit a genoulx et a mains joinctes son oroison moult devote, priant Dieu que son champion voulsist aydier et secourir aussi vrayement 290 que a tort estoit accoupee. Pas ne l’avoit recougneu car elle estoit en telle paour que mieulx sembloit morte que vive.

Les deux champions furent amenez es lices montez chascun sur ung puissant destrier. Girart veant Euriant empres le feu par grant couraige appella Meliatir et lui dist : « Vassal, il n’est pas temps d’user de menaces : or y perra lequel fera le mieulx. Je vous deffie de Dieu et de la vierge Marie sa mere. »

Alors se reculerent et picquerent cheval d’esperon l’un contre l’autre et baisserent les lances et rencontrerent tellement que leurs lances furent rompues en plus de cent pieces, puis misrent la main a l’espee et se combatirent merveilleusement, et frappoient si grans cops que le feu partoit de tous costez, et tellement combatirent qu’ilz furent tous 291 deux bleciez et navrez. Euriant prioit tousjours Nostre Seigneur de bon cuer que aydier voulsist son champion a son bon droit. Girart et Meliatir se combatoient tousjours a l’espee, et tant que Meliatir, qui estoit hardy et vaillant chevalier, leva l’espee contremont et frappa Girart sur le heaume si grant cop que se Girart n’eust guency il l’eust fendu jusques es dens.

Lors Melyatir lui escria : « Vassal, je croy que aujourd’uy vous monstreray la grant folie que avez entreprinse de vous avoir voulu combatre contre moy. Jamais plus beau jour ne verrez, se ainsi est que a moy ne vous rendez vaincu. » Girart oyant Meliatir l’encommença fort a regarder sans ce que ung seul mot lui voulsist respondre. Il tenoit l’espee en la main dextre et frappa Meliatir 292 sur le heaume si couraigeusement que le nez et la moittié du menton lui abatist tout jus. Le cop fut si merveilleux et si pesant qu’il vinst descendant comme fourdre sur le col du cheval de Meliatir tant qu’il lui coppa tout jus et fut force a Meliatir de tomber per terre lui et son cheval.

Lors Girart lui escria a haulte voix et lui dist a haulte voix : « Vassal, desormais je vous conseille que voz vantises et haulx parlez vueilliez refraindre. Assés de foy ay oy dire que trop parler nuyt, pour ce est ce folie de menacier. Car au departir on verra lequel sera maistre de nous deux. »

Meliatir soy voyant par terre fut bien esbaÿ ; se leva a cop l’espee ou poin, affermant en son coraige que mieux amoit morir qu’il ne rendist a Girart le cop qu’il lui avoit donné. Car si 293 grant angoise avoit que gaires n’en failloit qu’il ne yssist de son sens. Il tourna son escu sur son dos puis a deux mains leva son espee et frappa Girart sur son heaume ung si merveilleux cop qu’il fut tout estonné, dont les barons qui la estoient se esmerveillerent moult et disoient que Meliatir estoit vaillant chevalier et que grant dommaige estoit de les laissier combatre.

Lors Girart, moult honteux de ce que Meliatir lui avoit tant duré, s’approcha de lui l’espee ou poing et lui sembloit que honte lui seroit de le combatre a cheval ; saillist jus de son cheval et s’approcha de Meliatir, desirant lui rendre le cop qu’il avoit receu, hauça son espee et le frappa sur l’espaule dextre ung cop si desmesuré que le bras et toute l’espaule lui abatist ou champ ; 294 puis de son corps le hurta de si grant force qu’il abatist par terre et lui saillist sus, et lui coppa les las de son heaume et lui aracha hors de la teste en lui disant qu’il se tinst pour oultre. Meliatir cognoissant son pechié, par lequel il se veoit en dangier de mort, dist a Girart que le duc et les barons fist venir et que la verité cognoistroit du grant crisme que lui mesmes avoit commis. Les gardes du champ qui la estoient presents firent signe au duc et es barons que la voulsissent venir pour oyr ce que Meliatir vouloit dire. Le duc commanda qu’il fust amené devant lui, et la damoiselle pareillement qui estoit devant le feu attendant la grace de Dieu. Meliatir et la damoiselle furent amenez devant le duc et sa compaignie. Quant la furent, Meliatir commença 295 a dire en hault qu’il estoit digne de mort et que a tort et sans cause il avoit accoulpee la damoiselle, puis leur racompta mot apres autre la cause ne pourquoy il avoit commis le murdre et le mis sur la damoiselle Euriant, laquelle devant Dieu et le monde il descoulpoit du murdre et de la grant traÿson qu’il lui avoit mis sus. Le duc et tous les seigneurs ne se peurent assés esbaÿr de Meliatir et de l’orrible crisme, si le jugerent estre trayné et pendu. Lors Meliatir fut pris et attaichié a la quehue d’un cheval et trayné au gibet et puis pendu. Mais oncques ne fut veu a homme tant recevoir de maledicions que le peuple lui faisoit, mesmement les petis enffans lui getoient boe et ordure en lui disant : « O desloyal chevalier, trop as vescu en terre, 296 quant par ta mauvaise traÿson as murdry Ysmaine nostre damoiselle. » Mais pour chose qu’ilz lui deissent oncques ne respondist mot. Et ainsi fut trayné au gibet et fut payé de sa deserte.

 

Cy parle du grant honneur que le duc de Metz et les barons firent a Girart et a s’amye Euriant et des recougnoissances qu’ilz firent.

Apres que le champ fut fait et justice accomplie le duc prinst Girart par la main et l’emmena a l’ostel 297 accompaignié de tous les seigneurs qui la estoient. Il fut receu moult honorablement par son hoste.

Le duc prinst congié de lui et le conte de Bar son oncle aussi et emmenerent Euriant. Quant le duc fut ou palaix il envoya ses medicins et sirurgiens a Girart pour le visiter. Ilz furent devers Girart et le visiterent mais oncques ne lui trouverent chose parquoy il deust laissier a chevauchier ne aler ou bon lui sembleroit. Quant Girart eust esté visité les maistres prirent congié de lui et retournerent devers le duc et lui dirent comment Girart n’estoit point blecié dont il fut moult joyeux.

Le duc regarda Euriant et lui demanda se point ne cognoissoit ce chevalier qui pour elle s’estoit combatu. « Sire, dit Euriant, je ne sçay qui il est et ne m’est point advis que jamais je le veisse. Dieu par sa grace lui vueille 298 rendre le grant service qu’il m’a fait. En moy n’est le remercier fors de prier pour lui. » Ung peu vous lairons a parler d’Euriant et retournerons a Girart qui est en son hostel. Quant Girart fut desarmé et mis a son aise, son hoste lui fist apporter prepoint, chausses, robe et ung riche manteau d’escarlate fouré d’armines, puis mist ung chappeau de roses sur son chief, et lui attaicha son hoste ung frumeau d’or moult riche garny de pierres precieuses. Quant il fut vestu et paré pluseurs chevaliers qui la estoient venus le louoient et prisoient, disans entre eulx que oncques jour de leur vie plus bel jeusne chevalier n’avoient veu ne qui mieulx semblast estre homme de hault affaire. Il se partist de son logis moult bien accompaignie et ala a la court, ou il trouva le duc et son oncle, 299 le conte de Bar, qui le receurent moult courtoisement. Euriant le prist moult fort a regarder et le recongneust incontinent et se prinst a tressaillir pensant qu’elle porroit faire, d’aler vers lui ou d’attendre qu’il la recougneust, et disoit en soy mesmes : « Vray Dieu, que feray je ? Yray je vers lui, ou se attendray qu’il viengne vers moy ? Certes je cuide que jamais n’y viendroit car de moy ne luy chault. » Lors sans plus dire comme une femme ravye, non saichant qu’il lui estoit avenu, la larme a l’ueil et mains joinctes, se vinst getter devant lui, lui requerant perdon et mercy.

Lors Girart qui la cougneust, la veant ainsi a genoulx plorant devant lui, la prinst par les bras et la leva et l’embrassa et baisa plus de cent fois. Le duc et les barons non saichans leur adventure se prindrent 300 moult fort a esmerveillier, car l’un ne l’autre ne cognoissoient et furent tresdesirans de savoir de leur adventure. « Belle, dist Girart, reconfortez vous. L’adversité et le mal que avons eu ensemble devons prendre en gré et louer Nostre Seigneur puis que tous sommes venus jusques a cy. Saichiés, belle, que au plaisir de Nostre Seigneur je raray ma terre, car a tort et sans cause par Liziart conte de Forest vous et moy avons esté traÿs. » Le duc et les barons les oyans ainsi parler furent tous esbaÿs encores plus que devant, et pria le duc a Girart que dire et racompter lui voulsist son adventure, et dont il avoit congnoissance a ceste damoiselle pour qui il s’estoit combatu. « Sire, dist Girart, puis qu’il vous plaist le savoir je vous en diray la verité. Il est vray que je suis nommé Girart de Nevers, et ceste damoiselle 301 est appellee Euriant fille du conte de Savoye, avec laquelle j’ay esté norry toute ma jeunesse en l’ostel de son pere. Si advint n’a pas long temps que par maladie son pere morust. Elle et moy estans avec la contesse sa mere nous commençasmes de tant amer l’un l’autre que elle fist promesse de soy en venir avec ou cas que lui promeisse de la prendre a femme. Je lui promis que ainsi le feroye.

Lors manday querre aucuns de mes barons pour lors estans en ma conté de Nevers. Elle et moy advisames heure et temps de nous partir ; tant nous exploitasmes et feismes telle diligence que en une nuyt partismes de Chambery et passasmes le mont du Chat et venismes au giste a Roussillon sans avoir quelque empeschement ; puis le lendemain venismes a Bourg en Bresse ; tant exploitasmes 302 de nuyt et de jour que arivesmes a Nevers. » Et ainsi racompta au duc en la presence de ses barons la maniere comment il avoit perdue sa terre, et la traïson que lui avoit faicte par Liziart conte de Forest. Apres leur racompta toutes les aventures qu’il avoit eues depuis. Le duc et les barons oyant Girart ainsi parler et ses aventures furent bien esbaÿs, combien que autreffois en avoient oy parler, mais pas ne savoient la verité comment la chose avoit esté demenee. « Girart, dit le duc, veés icy le conte de Bar mon oncle et moy qui vous offrons a nostre povoir vous servir et accompaignier jusques a ce que vostre terre sera remise en voz mains. » La n’y eust baron ne chevalier qu’il ne lui promist le servir de son povoir. Girart les remercia bien humblement. Il tenoit Euriant par la main, laquelle lui dist. « Sire, la verge d’or que derriement 303 me donnastes ay perdue par la plus merveilleuse aventure dont jamais oyssiés parler. » Lors elle lui conta la maniere comment elle l’avoit perdue comme par adevant le povez avoir oy. Girart et tous ceulx qui la estoient se esbaÿrent et encores plus quant Girart leur raconta la maniere comment par son esprivier l’anel avoit esté recouvré, lequel il tira hors de son doit et le bailla a Euriant. Elle le prinst et le mist en son doy ou autreffois l’avoit porté et en fut tant joyeuse que merveilles ; par layans se devisoient ensemble des grans aventures et fortunes que a Girart estoient avenues ; tous lui fasoient grant honneur et a s’amye Euriant. Le disner fut prest, ilz se misrent a table, et fut Girart assis au dessus. Euriant fut assise entre le duc de Metz et le conte de Bar. Des metz et entremetz 304 dont ilz furent servis ne vous vueil faire long compte, car si richement furent servis que on ne pouroit mieulx. Quant ilz eurent disné ilz commencerent a deviser ensemble des adventures de Girart et de Euriant s’amye.

 

Comment Girart vinst au tournoy a Montargis et es monstres.

A ceste heure qu’ilz furent levez de table ariva leans ung jeusne escuier moult courtois et bien aprins. Quant il veist le duc, humblement lui 305 fist la reverence. Le duc qui bien le congnoissoit en sousriant lui dist que bien fust il venu et que dire lui voulsist de ses nouvelles. « Sire, dist il, monseigneur le conte d’Alos vous mande salut par moy, lequel j’ay laissié a Montargis, ou le roy est et tous les grans seigneurs et barons de France. Si advint mardy passé apres souppé Liziart conte de Forest et le conte de Montfort eurent pluseurs hautaines paroles ensemble et tant que le conte de Montfort reprocha a Liziart que par grant mauvaistié il avoit esté cause d’avoir destruit Girart de Nevers et Euriant s’amye qui estoit sa niepce, et que par lui et par son fait eulx deux estoient alez en essil. Tant hault monterent les paroles d’un costé et d’autre que par grant couroux ilz ont entreprins ung tournoy ou chascun d’eulx doit estre accompaignié de 306 ses amis. Et pour ce vous mande vostre cousin le conte d’Alos que vostre arnois mettez a point et vous appareilliez pour estre ce jour au tournoy. Car le conte de Montfort par le grant dueil et courroux qu’il a eu pour sa niepce qui est perdue a mandé tous ses parens et amis. »

Le duc oyant ses nouvelles fut tresjoyeux, mais sur tous autres Girart le fut merveilleusement. Telle joye et lyesse en eust au cuer pour les bonnes nouvelles que advis lui estoit qu’il fust desja au tournoy. Moult desiroit la journee et l’eure que son anemy peust rencontrer. Quant le duc eust oy ces nouvelles, il appella son seneschal et lui commanda que cent arnois fist aprester et les parures et habillemens tous blans pour accompaignier Girart de Nevers auquel il desiroit moult faire service et lui aydier tant 307 qu’il revist sa terre, que Liziart avoit et tenoit par mauvaise traÿson. Le seneschal oyant le commandement du duc fist tout aprester : cent harnois blancs, cent heaumes, cent lances, cent housseures tous blancs comme niege. Quant le duc veist que tout fut prest il fut bien joyeux. Il commença deviser a Girart et lui dist que par droit et raison il devoit bien amer s’amye, car par pluseurs fois il l’avoit requise qu’elle le voulsist avoir a mariage mais oncques ne le volt consentir pour don ne pour promesse que lui sceust faire, mais disoit que tout son temps avoit esté fole femme et de la plus mauvaise vie que jamais femme fut. « Car moult voulentiers l’eusse prinse ce n’eust esté par mes barons qui m’en destourberent. » Quant Girart oïst ainsi parler le duc il fut bien joyeux. 308 Tous les maulx et peines qu’il eust oncques pour elle a celle heure furent obliez pour amour de ce que ainsi saigement s’estoit gouvernee. « Sire, dist Euriant, pas ne vous amoit cellui que si grant peine a mis de vous avoir eslongnié de moy, mais vostre peine et traveil est alegee puis que trouvee m’avez. Loé en soit Nostre Seigneur qui nous a fait ceste grace. Auquel nous devons prier que le demeurant vueille conduire et parfaire ainsi qu’il scet que besoing nous est. »

Ainsi qu’ilz estoient en ses devises le conte d’Alos arriva en la cité de Metz et vinst descendre ou palais et monta amont les degrez en grant compaignie de chevaliers. Avant que de sa venue le duc fust en riens adverty il entra par layans. Quant le duc le veit venir il ala au devant de lui et l’embrassa et incontinent lui racompta la venue de Girart de Nevers dont il fut 309 moult joyeux. Il vinst vers lui et le prinst par la main en soy offrant a le servir de tout son povoir. Girart le remercia chierement. « Girart, dist le conte d’Alos, ores est l’eure et le temps venu que plus deviés desirer, si est de ce que si a point estes venu que a vous ne tient, fors de vous vengier de cellui par quy vous avez esté desherité. Maintenant est en vous d’en prendre vengence. Vostre force ne proesse ne prise en riens se maintenant ne le monstrez. Et quant est a moy pour vous servir suis prest de habandonner corps bien et avoir. » Lors Girart moult courtoisement remercia le conte et lui dist : « Sire, du grant service que me offrez vous remercie, et me doint Dieu tant vivre que le vous puisse remerir. J’ay esperance en Dieu que la peine et le traveil que a sa cause et par sa desloyale traÿson j’ay souffert auray vengence de lui, ou je y moray a la 310 peine. Moult me tarde l’avoir trouvé. » Apres commencerent a parler de pluseurs autres choses. Le souppé fut prest, ilz se misrent a table. Le duc et tous les autres barons firent grant chiere ; chascun se devisoit du tournoy a venir ; peu en y avoit qui ne le desirast. Quant vinst apres et que chascun eust fait bonne chiere et devisé, chascun se retrayst, mais celle nuyt Girart gaires ne dormist pour le grant pensement et desir qu’il avoit de soy trouver ou tournoy. Quant vinst le matin qu’il fut jour chascun se leva, duc, contes et chevaliers qui avoient tout fait aprester pour partir. Les chevaulx furent prestz, entre lesquelx y avoit une belle aguenee sur quoy Euriant monta avec grant compaignie de dames et de damoiselles qui l’accompaignerent. Chascun monta a cheval ; les harnois et bagues furent mises sur chariotz qui estoient 311 desja devant ; tous partirent ensemble de la ville, et tant chevaucherent ensemble qu’ilz vindrent ensemble a Bar le Duc ou le conte les festia haultement car il en estoit adverty. Lequel parla a Girart qui estoit averty de son fait et lui dist que de sa venue estoit moult joyeux et que ores estoit l’eure se jamais le vouloit faire de soy vengier de cellui par quy il avoit tant souffert de maulx. « Sire, dist Girart, Dieu me doint le povoir comme j’ay la volenté de ce faire. » Celle nuyt furent moult bien festiez. Quant vinst le matin, tout fut prest ; chascun monta a cheval ; ilz traverserent la champaigne et chevaucherent tant qu’ilz vindrent a Moret en Gastinois. Quant ilz furent arrivez ilz trouverent beaucop de seigneurs qui aloient au tournois. Ilz firent celle nuy bonne chiere. Quant vinst le demain au matin tout 312 fut prest pour partir, et envoyerent devant leurs forriers a Montargis pour prendre les logis, mais ilz trouverent la ville tant plaine de gens et les fourbours que les jardins estoient tous plains. Mais par l’ordonnance du roy logis leur fut delivré, c’estassavoir pour le duc et sa compaignie, combien que de Girart ne fut oncques faicte mencion car il leur estoit deffendu. Incontinent apres que les logis furent prins, le duc de Metz et Girart ensemble leurs gens vindrent, et demeura Euriant au logis jusques a ce que Girart l’envoieroit querre. Quant ilz entrerent a Montargis ilz avoient grant compaignie avec eulx. Le duc et Girart aloient ensemble, le conte de Bar et le conte d’Alos apres, puis les autres barons et chevaliers apres, et vindrent en leur logis descendre. Le disner fut prest, ilz se misrent a table. Quant 313 ilz eurent disné ilz se leverent de table ; l’eure vinst que les monstres se firent et furent cent chevaliers qui furent tous d’une compaignie. Girart estoit ou milieu d’eulx que oncques par homme ne fut recougneu. De ceulx qui furent es monstres, tant d’un costé que d’autre, ne vous vueil faire long compte affin de abregier nostre matere.

 

Comment Girart de Nevers gaigna le pris du tournois a Montargis.

Quant les monstres furent faites en la prayerie, ou le roy estoit monté 314 sur ung eschaffault, et la royne aussi accompaignee de pluseurs duchesses et contesses et autres dames et damoiselles ; apres la monstre faicte chascun s’en retourna en son hostel et soupperent et firent bonne chiere celle nuyt, jusques le demain au matin que chascun ala oyr messe, puis retournerent en leurs hostelz et misrent a point leurs besoingnes. Chascun d’eulx prinst la souppe en vin et incontinent vindrent heraulx criant par les rues que chascun se mist a point pour venir au tournoy, et que le roy et les dames estoient desja sur les eschaufaulx. Quant les chevaliers entendirent les cris des heraulx, chascun fist amener son cheval bien en point. Trompettes commencerent a sonner merveilleusement, dont les cuers des nobles hommes se esjoyssoient. Girart et sa compaignie, 315 affin d’estre descongneu, furent couvers de blanc. Chascun monta a cheval l’escu au col et la lance ou poing puis deux et deux se misrent en chemin et partirent hors de la ville, et en passant furent moult fort regardez mais oncques par homme ne furent cougneuz, fors seulement que on disoit qu’ilz estoient au duc de Metz. Quant ilz furent ou champ ilz firent la reverence au Roy et es dames. Le roy les regarda fort et se donna merveilles quelz gens se povoient estre, car a les veoir sembloient anges empennez. Lors passa le conte de Monfort en sa compaignie et en sa routte estoit le conte de Bourgoingne, le conte de Roussy, le conte de Ponthieu, le conte de Saint Pol, le seigneur de Garlande, Le seigneur de Barres et pluseurs autres chevaliers, chascun bien armé et bien en point, la 316 lance sur la cuisse, et passerent pardevant la roy en moult belle ordonnance. Quant ilz furent passez oultre ilz se misrent en conroy. Girart veant le conte de Montfort venu incontinent se ala joindre avec lui ainsi comme a ung trait d’arc tenant sa route a part lui.

Apres vinst Liziart conte de Forest atout moult grant chevalerie. Le seigneur de Bourbon y fut, le seigneur de Chalon, le conte d’Avergne, Le conte d’Auceure, le chastellain d’Isodun, le chastellain de Grantpré. Moult grant compaignie de barons et chevaliers y furent assemblez, chascun desirant acquerir honneur et loz. Quant oultre les hours furent passez, ilz se arengerent et misrent en tresbelle ordonnance prestz pour commencier le tournoy. Lors heraulx publierent de par le roy a son de trompe que chascun laissast aler.

Lors les 317 deux parties s’apresterent pour commencier le tournoy. Lors Liziart conte de Forest, chief de l’une des parties, prist la lance ou poing pour commencier la jouste. La y eust ung herault qui commença a crier : « Qui vouldra la jouste si viengne a cellui, mais je cuide que a l’encontre de lui n’y aura nully qui l’oze attendre ne venir a l’encontre de lui. »

Le conte de Montfort veant l’omme au monde que plus haÿssoit mist l’escu avant et prinst la lance moult forte et royde desirant assembler sur lui. Mais Girart qui moult estoit duit, et prest en armes, s’avança en traversant devant lui tant que ceste jouste lui osta moult courtoisement. Il baissa sa lance et vinst assembler Liziart par grant force tant qu’il peust courre, et Liziart pareillement vinst contre lui. Ilz se rencontrerent par si grant force que a les veoir venir sembloit 318 une fourdre ; du cop qu’ilz baillerent leurs lances rompirent en plus de mil pieces, et fut attaint Liziart ou col par si grant force qu’il renversa cheval et maistre a terre. Si cria Girart tout en hault au parfurnir son poindre : « Ce premier cop soit fait pour amour de m’amye Euriant, » cuidant que nully ne l’eust entendu. Apres ce cop le tournoy commença tresfort. Mains chevaliers y eust abatus, desquelz les chevaulx couroient parmy les prés traynans leurs brides. Maintes bannieres y eust abatues par terre et moult fort se combatirent de tronçons de lances et d’espees. Ou plus espetz du tournay se trouva Girart en frappant de tort et de travers sur hommes et sur chevaulx ; la ou il veoit la plus grant presse il se feroit et jamais ne s’en partoit qu’il ne l’eust esclarcie. Quant pres se 319 trouvoit d’eulx et que il ne les povoit frapper, il leur detourdoit et esrachoit les healmes hors des testes. Il abatoit et confundoit tous ceulx qu’il rencontroit, pour tant que a plain cop les peust attaindre. Le roy et tous les barons se donnoient merveilles de le veoir ainsi vaillant homme. Assés demanderent et enquirent qui il estoit mais oncques personne n’en sceust a parler. « Seigneurs, dist le roy, assés est aparant que devant tous autres il aura le pris et l’onneur, car aujourd’uy je n’ay veu chevalier qui lui ait fait tort. Regardez comment il depart les grans pressés ; veez le trestourner et confondre ceulx qu’il rencontre ; souvent le voy courir et recourir pour secourir sa partie. » Ainsi comme vous oez le roy se devisoit de la vaillance de Girart de Nevers.

 

320

Comment le roy et ses barons convoyerent Girart de Nevers jusques en son logis.

Girart estant ou tournoy, faisant merveilles, le conte de Monfort et ceulx de sa partie le suivoient moult de pres, car devant eulx il fasoit place. Tous desiroient savoir son nom et qui il estoit affin d’avoir son accointance. Girart l’espee ou poing regarda sur dextre et choisist le conte d’Averne atout sa route et le seigneur de Garlande qui s’estoient ferus en la bataille du 321 conte de Montfort. Lors Girart tourna celle part. Quant ilz le virent venir il n’y eust cellui que voye ne lui fist ; la pluspart d’eulx regardoient d’un costé et d’autre pour les merveilles qu’ilz lui veoyent faire. Heraulx escuiers et varletz aloient criant apres lui en regardant les dames en disant : « Mes dames et mes damoiselles, vous povez veoir devant vous le miroir des dames, fleur de chevalerie, a qui nul n’est a comparer. Regardez que tout fuit devant lui. » Ainsi crioyent tout le jour apres lui. Tant il fist Girart par sa haulte proesse que Liziart et toute sa route furent chassiés hors du champ, dont le conte de Montfort avoit la plus grant joye du monde ; et y prinst Girart sept prisonniers des meilleurs de la compaignie ; mais mieulx amast avoir pris Liziart qu’il n’eust toute la compaignie, 322 car tant en estoit couroucié de ce qu’il ne l’avoit peu attaindre ne prendre qu’il en cuidoit tout vif marvoyer. Toutesvoyes Girart eust le pris pour la journee. Le tournoy fut achevé, chascun s’en ala en son hostel. Heraulx et trompettes faisoient leurs devois. Le roy et toute la seigneurie convoyerent Girart jusques en son logis. Le roy le laissa la et s’en retourna en son palais, et charga au seigneur de Roye qu’il retournast a Girart et que il lui dist que, devant qu’il partist de la, que le roy le vouloit veoir et parler a lui, car moult desiroit son accointance. Et dist au duc de Metz que dit lui avoit esté que avec lui et en sa compaignie estoit venu. « Sire, dist le duc, verité est que en chemin l’ay rencontré. Je cuide que quant bien l’aurez avisé que bien le cougnoistrez. » Le duc prinst congié du 323 roy qu’il avoit accompaignié et vinst descendre en son logis ou estoit Girart, ou il trouva le seigneur de Roye priant a Girart qu’il vinst parler au roy le demain au mating pour ce que il estoit traveillié. Girat respondist que son commandement feroit de bon cuer. Il pria le seigneur de Roye au soupper et la pluspart de la chevalerie. Il tinst molt grant court celle nuyt sans ce que homme le sceust recongnoistre.

Apres ce qu’ilz eurent souppé chascun s’en ala en son logis. Quant le seigneur de Roye vinst a court, il racompta au roy ce qu’il avoit veu, dont le roy et les barons furent plus esmerveilliez que devant. Le roy lui demanda se point l’avoit oy nommer. Il dist que non mais bien veoit a l’onneur que lui fasoit le duc de Metz et le conte de Monfort et le conte d’Alos qu’il estoit 324 de grant et hault lieu.

Ainsi comme vous oyez le seigneur de Roye fist son rapport au roy.

Apres que Girart veist chascun estre departy de son hostel, y manda querre Euriant s’amye affin que le matin fust devers lui.

Liziart conte de forest estoit en son logis, doulant et triste de ce que ainsi avoit esté rebouté et une partie de ses gens prins, et tout par la grant proesse d’un seul chevalier qu’il desiroit moult a cougnoistre. S’il eust sceu que la deust estre venu pour tout l’or du monde ne s’i fust trouvé. Girart estoit en son hostel bien joyeux desirant que demain vinst. Il se ala couchié mais gaires ne dormist celle nuyt pour les grans pensement ou il estoit. Quant il veist le jour il se leva et ala oyr messe. Au retourner qu’il fist il trouva s’amye qui estoit venue. Tantost courust l’embrassier et baisier 325 devant tous ceulx qui la estoient. Eulx deux ensemble entrerent a l’ostel. Le duc de Metz, le conte de Monfort et les autres barons sceurent qu’elle estoit venue et vindrent devers elle. Euriant, veant son oncle le conte de Montfort, fut moult joyeuse et se mist a genoulx devant lui. Le conte moult hastivement la leva par les bras et la baisa plus de cent fois en lui demandant comment elle avoit fait depuis qu’il ne l’avoit veue, et que estoit devenu Girart son amy.

« Sire, dist elle, veés le la empres vous. » Lors Girart le courust embrassier et firent grans recougnoissances. Le conte ploroit de pitié et de joye quant il leur oyst raconter les peinnes, perilz et travaulx ou ilz avoient estez depuis qu’il ne les avoit veuz. Moult grant feste firent entre eulx. Lors Girart parla a eulx tous ensemble en leur 326 priant que jusques a la court le voulsissent accompaignier. Car son entencion estoit devant le roy et ses barons appeller en champ mortel Liziart conte de Forest pour la grant traÿson qu’il lui avoit faicte. Lors ilz respondirent tous que de corps et d’avoir le serviroient tant qu’il raroit sa terre. Girart les en remercia moult. On amena les chevaulx et une belle aguenee blanche pour Euriant qu’ilz menerent ou mylieu d’eulx jusques a la court. Moult grandement furent accompaigniés de chevaliers et de barons, lesquelx desiroient tous le bien et honneur de Girart pour ce qu’il estoit si vaillant chevalier.

 

Comment Girart de Nevers vinst a la court et comment il appella Liziart en champ et getta son gaige.

327 Quant ilz furent a la court ilz descendirent. Girart prinst s’amye par le bras et elle son oncle le conte de Montfort aussi par le bras. Le duc de Metz et le conte d’Aloz aloient ensemble. A celle heure le roy estoit es fenestres de la grant sale de Montargis, qui veist Girart et s’amye et les autres barons venir devers luy. Si demanda au seigneur de Roye qui estoient ses gens qui venoient. « Sire, dist il, c’est le chevalier qui gaigna hier le tournoy. » « Par ma foy, se dit le roy, 328 il m’est advis que c’est la damoiselle de Nevers et son amy Girart qui la tient par le bras, esquelz Liziart fist si grant anuy. » Lors chascun le commença a cougnoistre. Le roy le commença moult fort a regarder puis dist a ses barons : « Je croy que par lui aurons telles nouvelles qui ne seront gaires plaisans a Liziart. » Lors Girart entra en la court et monta amont. Peu en y eust avec le roy qui ne venissent au devant de lui. Girart saichant les honneurs mondains tant comme homme de son eage se mist a ung genoil et salua le roy et apres tous les barons estant avec le roy. Le roy l’embrassa et lui dist : « Girart, de vostre venue avons grant joye, mais vous prions que dire nous vueilliez les adventures qui vous sont avenues depuis le temps que avez esté dehors et en quel lieu avez esté depuis. » « Sire, dist Girart, puis que savoir 329 les vous plaist, de bon cuer les vous diray. »

Lors Girart commença de raconter au Roy comment en la forest d’Orliens il tua le grant serpent et comment il laissa s’amye en icelle forest toute seule. Apres comment il fut a Nevers en guise de jongleur la viole au col ou il chanta devant Liziart a son disner quatre coupplés de Guillaume d’Orenges.

Puis apres comment il se chauffa derriere Liziart et oyst l’estrif et reproche de Liziart et de la vielle Gondree par quy avoit ainsi esté traÿ et perdu sa terre. Et apres lui raconta au long tout ce qui lui estoit advenu durant le temps qu’il avoit esté dehors, dont le roy et tous ses barons furent bien esbaÿs. Lors Girart se mist a genoulx devant le roy et lui dist : « Sire, je vous supplie humblement que droit me vueilliez faire. Je suis prest pour prouver 330 et maintenir ce que vous ay mis avant qui est vray. Faictes mander Liziart et se chose est que au contraire vueille aler, je suis prest de le combatre et lui monstrer de mon corps contre le sien que onques jour de sa vie il n’eust compaignie a m’amye Euriant que vous veés cy presente. » « Girart, dist le roy, se ainsi est comme vous dictes, il n’a pas bien ouvré ne ja bien ne lui en viendra. » Lors le roy par deux de ses chevaliers manda querre Liziart. Quant Liziart fut venu accompaignié de pluseurs barons il se presenta devant le roy qui estoit assis tenant Girart par la main et Euriant s’amye empres lui, dont il eust au cuer grant douleur ; mais pour couvrir son angoisse affin que de nulz ne fust apperceu salua le roy, puis apres Girart et Euriant et tous les autres barons. Quant Girart veist cellui par quy il avoit 331 esté dechassié et desherité, il se leva en piés moult sagement puis se mist a genoulx devant le Roy et lui dyst : « Sire, assés tieng vostre tresnoble memoire estre recors, et aussi des nobles barons qui cy sont presens, que ung temps qui passa, Liziart qui est par dela fist une gaigure de sa terre a l’encontre de la mienne, que ou cas que de m’amye Euriant feroit sa volenté toute ma terre auroit gaignee et que ou cas qu’il ne le poroit faire sa terre je gaigneroye. Et sur ce il ala a Nevers et trouva manieres par le moyen d’une vielle sorciere qui fist tant pour lui qu’elle lui monstra une enseigne qu’elle avoit sur sa dextre mamelle, laquelle homme ne femme n’avoient jamais veue fors elle et moy. Quant il fut retourné devant vous il dist que de Euriant m’amye avoit fait sa 332 volenté es enseignes qu’il avoit veu. Verité est que les enseignes estoient telles, mais du fait il mentoit tout a plain et mentira quant il le vouldra dire. Car par lui mesmes et la vielle ay oy dire le contraire a Nevers quant je chantay devant luy.

S’il est si mal advisé de vouloir contrarier je offre mon corps contre le sien pour le combatre. Et ou cas que ceste chose ne lui face congnoistre je suis content que me faictes copper la teste et que ma terre lui demeure. » Quant Liziart oyst ainsi parler Girart il eust au cuer grant destresse ; neantmoings que le moings de semblant qu’il povoit faire il en faisoit. Au roy dist : « Sire, jamais de ceste chose ne le creez, car assés povez savoir, puis que ung homme pert sa terre et s’amye qu’il ayme bien il ne lui chault gaires de mettre le corps a l’aventure pour tout 333 recouvrer, nonobstant ce peu y peult gaignier, mieulx lui vauldroit aler en essil ou autrepart pour sa folie oblier et celer sa honte que d’avoir ramentu la chose qu’il doit celer. »

Ainsi comme vous oyez parloit Liziart et dist depuis par grant fierté en soy tournant vers le roy : « Sire, je vueil que ardoir me fassiez ou morir par grant tourment ou cas que avant que le vespre soit venu ne le vous rende confus. »

 

334

Comment Girart de Nevers desconfist Liziart conte de Forest et lui fist congnoistre et confesser la traÿson qu’il avoit commis a l’encontre de Girart et Euriant s’amye dont il fut trayné au gibet de Montargis.

Quant Girart entendist Liziart il passa avant et prinst le pan de sa robe et le presenta au roy. Liziart ce veant accepta le gaige et le couvrist. Lors le roy ne se volt deporter et leur fist a tous deux baillier ostaige. Lors jour fut assigné et pris de les delivrer. Il n’y eust cellui d’eulx qui assés n’en trouvast et fut prins le jour du champ le jour apres ensuivant qu’ilz eurent bailliez ostaiges. Le jour fut venu pour combatre et les lices faictes et ordonnees. Les champions vindrent accompaigniés chascun de parens et amis et vindrent faire la reverence, requerans que 335 les pleges fussent delivrez. Le roy les delivra, puis apres chascun se mist a point. Quant chascun fut prest le roy les fist venir devant lui pour veoir se aucunement les porroit accorder sans eulx combatre, mais oncques le roy ne les barons n’en peurent venir a chief. La estoit le conte de Bourgoingne qui dist tout en hault que la requeste faicte de par le roy et les barons n’estoit raisonnable ne juste. Et dist : « Seigneurs, vous oyez que Girart le appelle de traïson. Ja Dieu ne plaise que je soye en lieu ou traÿson soit couverte. Il le couvient esclarsir. Car l’escripture nous tesmoingne que l’omme qui est entaichié de traÿson est entaichié du plus villain pechié du monde. Si me semble moult grant folie de les vouloir destourber de combatre. Se ainsi estoit que maintenant l’accort se feist et que 336 a Girart on rendist sa terre pourtant ne demoroit pas la renommee dont Euriant a esté acoulpee et sans cause fut du tout anichillee que tousjours contre son honneur on ne parlast. Et pour ce je conseille tant pour l’un que pour l’autre que eulx les laissiez combatre. » Apres ce que le conte de Bourgoingne eust finee sa raison le Roy se leva en piez et dist que ja ne les deportera et que le conte avoit loyalment dit.

Alors le roy fist apporter les sainctes reliques sur quoy ilz jurerent tous deux. Girart fut le premier et Liziart apres. Quant ilz eurent juré, ilz monterent a cheval moult richement armez et couvers et vindrent ou champ chascun la lance ou poing et baisserent les [lances] et picquerent cheval d’esperon et rencontrent par tel raideur que tous deux se porterent hors des selles et furent si estourdis que longue 337 espace furent gesans que on ne sçavoit s’ilz estoient mors ou vifz. Quant a eulx furent revenuz ilz saillerent en piés chascun l’espee en la main et l’escu avant mis et commencerent a combatre par tel fierté que oncques heaume ne escu ne leur demeura entier que tout ne fust en pieces et leur sailloit le sanc de tous costez. Tant se combatirent que nul ne savoit jugier qui avoit le meilleur. Tous deux s’efforçoient de mettre a mort l’un l’autre. Liziart haussa l’espee et assigna Girart sur la teste ung si merveilleux cop que se Girart n’eust ung peu guency il eust esté mort car le cop fut si merveilleux que le riche sercle d’or garny de pierres precieuses fut party et coppé en pieces et abatist a Girart ung quartier de son escu.

Lors Liziart se recula ung peu arriere et dist a Girart ainsi comme par 338 reprouche ; « Vassal, mieulx vous venist, vous et vostre amye, aler par le païs querant les adventures telles que Dieu vous vouldra donner que de vous combatre a moy. Assés porrez trouver en alant de ville en ville gens qui vous donneront or et argent a grant planté affin que Euriant vostre amye ou tant avez mis vostre amour leur prestez et baillez pour leur voulenté faire car ung tel chaudel vous apareille que la mort en recevrez. » Quant Girart oyst Liziart ainsi lui reprouchier ung seul mot ne lui respondist. Il s’approcha au plus pres qu’il peust et hauça son espee en y mettant toute sa force et frappa Liziart sur le heaume ung cop si pesant que l’un des quartiers du heaume lui abatist sur l’espale et lui emporta avec une oreille et la joue tout jus. Et avec 339 ce lui sailloit le sanc par la bouche et par le nez dont il avoit si grant douleur qu’il cuidoit morir.

Liziart, veant que impossible lui estoit d’eschapper de mort, soy faignant par une cautelle et traÿson moult humblement appella Girart et lui dist : « Noble chevalier remply de toute vertu, je te requiers humblement mercy et te prie que viengnes vers moy, si prens mon espee et me bende les yeulx et me trenche la teste. Mais avant je te diray mot apres autre la traÿson et grant mauvaistie que j’ay commis vers toy et vers Euriant t’amye. Je te prie que haster te vueilles, je sens en moy si grant foiblesse que sur piés ne me puis tenir. Viens vers moy, si me soustiens, puis feras appeller le roy et ses barons devant lesquelx je raconteray tous mes pechiés et leur diray la maniere et comment 340 j’ay devers toy ouvré. » Girart veant Liziart en ce dangier pensa que verité lui dist, se approcha de lui et fist tant qu’il tira sa chemise hors et en tira une grant piece pour lui appareillier sa playe. Ainsi comme il se baissoit pour le lier, prinst sa dage qui estoit moult trenchant et en cuida tuer Girart. Mais Girart s’en apperceust. Il leva les bras contremont et destourna le cop, mais oncques ne sceust tant faire qu’il ne feust blecié ou bras bien parfont. Quant Girart sentist le cop il se tira arriere et lui dist : « O Liziart, traictre desloyal, a ton emprise as failli, laquelle te feray chier comparer. » Il haulça l’espee et attaindist Liziart sur l’espaule ung si grant cop que le bras lui abatist a terre. Lors Liziart pour la grant douleur qu’il sentist cheist a terre. Girart le veant par terre lui saillist sus et le desarma du heaume 341 et ne le volt point occire jusques a ce que devant le roy et les barons eust confessé la traÿson qu’il avoit faicte. Au plus hault qu’il peust appella les gardes du champ et leur dist que le roy feissent venir pour oyr Liziart racompter la traÿson que vers lui avoit commis. Le roy et les barons vindrent. Girart se leva l’espee ou poing, et dist a Liziart que la verité cougneust ou il lui trencheroit le chief. Liziart ayant paour de mort, cuidant en soy que du roy auroit mercy par le moyen des barons, raconta et dist au roy toute la maniere et comment il avoit besoingnié et la grant traÿson qu’il avoit faicte en encoulpant la vielle Gondree par quy tout le mal estoit advenu. Quant le roy l’eust oy, il le fist delivrer es mains du prevost des mareschaulx, lequel le fist trainer au gibet et pendre comme il avoit deservir.

 

342

Comment le roy Loys donna a Girart la conté de Forest et lui rendist sa conté de Nevers, et comment Girart prinst a mariage Euriant s’amye, et de la grant qu’ilz firent.

Apres la mort de Liziart, le roy prinst Girart par la main et lui dist : « Des maintenant vous rens vostre terre, que a tort et sans cause vous avoit esté ostee. Et avec ce vous metz en saisine et possession de la conté de Forest, laquelle je vueil que tenez en fief de moy ainsi comme 343 devant fasoit Lisiart. » Girart se mist a ung genoil et remercia treshumblement au roy et lui fist hommaige ainsi armé comme il estoit. Puis se departist le roy tenant Girart par la main et le mena jusques en son hostel ou il se desarma. Apres vinst ou palais bien accompaignié de ducs et de contes ou du roy et des barons furent receuz a grant joye et a grant lyesse. Se dire et racompter vous vouloye les grans honneurs et festes que on feist a Girart et a Euriant s’amye trop porroit eslongier nostre matiere.

Apres ce que Liziart fut mort par le commandement du roy Girart rescrivist hastivement a ses barons de Nivernois que sans plus arrester lui amenassent la desloyale vielle Gondree pour la payer comme elle avoit deservy. Alors le messagier s’en departist et vinst a Nevers et bailla ses lettres es bailli et gouverneur 344 de Nevers. Quant ilz eurent leu les lettres et entendu le contenu en icelles, jamais plus grant joye ne lyesse ne fut veue en la cité de Nevers, quant la verité sceurent que leur naturel seigneur ravoit sa terre et son païs quitte et delivre. Tost et hastivement prindrent la desloyale vielle et la misrent en une prison moult obscure. Apres escripvirent lettres es barons du païs des nouvelles qu’ilz avoient eues, dont ilz furent moult joyeulx. Au plus tost qu’ilz peurent vindrent a Nevers le seigneur de Mercilly, le seigneur de Rochefort, le seigneur de Chastelus et le seigneur de Anesy et pluseurs autres barons et chevaliers en grant nombre. Quant tous furent arivez a Nevers ilz firent prendre et loyer la vielle et la monterent sur une grosse mule et la emmenerent a Montargis ou ilz trouverent le roy et tous les barons a qui ilz firent la 345 reverance. Puis vindrent a Girart leur seigneur et leur damoiselle Euriant. Pitié estoit de les veoir. Assés lui demanderent et enquirent des fortunes et adventures que avenues lui estoient. Girart leur en raconta et dist au long ce qu’il en estoit. Puis lui livrerent la vielle Gondree, laquelle il delivra au prevost des mareschaulx pour en faire justice.

 

Comment la faulce vielle Gondree fut arce et brulee en ung feu d’espines.

Apres ce que tout fut fait et mis 346 a son premier et deu estat et la vielle brulee, le roy pour faire plus grant honneur a Girart manda la royne et toutes les dames du païs et fist esposer Girart et s’amye Euriant et fist la sollempnité des nopces tenant court ouverte huit jours durans. De la feste qui y fut faicte ne vous vueil faire long compte, mais bien vous ose dire que long temps par avant la pareille feste ne fut veue de joustes, tournois et dances ; des grans dons que le roy y fist ne vous vueil parler, car ilz furent si grans qu’il n’y eust cellui qui au departir ne s’en louast. Quant ce vinst au .ix.e jour la court se departist, Girart prinst congié du roy et de la royne, aussi fist Euriant. Ilz se misrent au chemin, le duc de Metz et le conte de Montfort avec eulx, et vindrent tous a Nevers ou a grant joye 347 furent receus des nobles et du commun peuple.

Apres qu’ilz eurent la demeurez huit jours le duc de Metz et le conte de Monfort prindrent congié du conte de Nevers et de la contesse Euriant. Apres leur departement Girart ala prendre possession de la conté de Forest et receust les homaiges et feaultez des nobles du pays et l’obeyssance des villes et chasteaux. Puis s’en retourna a Nevers ou long temps vesquirent ensemble en bonne paix et amour, et eurent deux moult beaux filz dont l’un eust non Loys et l’autre Girart. Et furent en leur temps moult cremeuz et doubtez.

L’esné fut conte de Nevers et l’autre conte de Forest, apres le trespas du conte Girart leur pere et de la contesse Euriant leur mere, pour lesquelz je prie a Nostre Seigneur qui vueille avoir leurs ames et les 348 nostres quant de ce siecle partiront, Amen.

Si fine le livre de Girart de Nevers et de la belle Euriant s’amye qui fut escript par moy Guiot d’Augerans par le commandement de mon tresredoubté et souverain seigneur monseigneur Phelippe par la grace de Dieu duc de Bourgoingne, de Brabant et de Lembourg, conte de Flandres. etc.

NOTES DU TRANSCRIPTEUR

Cette version électronique transcrit le manuscrit de Paris, BnF fr. 24378, provenant de la bibliothèque du duc de Bourgogne. Ce texte est la réécriture en prose du Roman de la Violette, composé dans les années 1220 par Gerbert de Montreuil. Les miniatures sont de Loyset Liédet.

On a conservé l’orthographe de l’original, en résolvant toutefois les abréviations par signes conventionnels (par exemple hõe transcrit homme). Pour faciliter la lecture, on a introduit cédilles, apostrophes et accents, et distingué entre i/j et u/v selon l’usage. On s’est également permis d’ajouter des guillemets, des majuscules sur les noms propres, et une ponctuation, celle-ci étant pratiquement absente dans l’original. Les pieds de mouche (¶) du manuscrit ont été transformés en alinéas.

On n’a corrigé qu’un très petit nombre d’erreurs manifestement dues au copiste : doublons, lettres manquantes nuisant à la prononciation, etc. Quelques mots absents sont proposés entre crochets.

Les titres de la table des matières intégrée au livre électronique ont été abrégés par le transcripteur et ne figurent pas dans l’original.

L’image de couverture, créée expressément pour cette version électronique à partir d’éléments présents dans le manuscrit, a été placée dans le domaine public.