The Project Gutenberg eBook of Divertissements: poèmes en vers This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Divertissements: poèmes en vers Author: Remy de Gourmont Illustrator: P.-E. Vibert Release date: March 27, 2021 [eBook #64939] Language: French Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DIVERTISSEMENTS: POÈMES EN VERS *** REMY DE GOURMONT DIVERTISSEMENTS POÈMES EN VERS PORTRAIT DE L’AUTEUR GRAVÉ SUR BOIS PAR P.-E. VIBERT PARIS GEORGES CRÈS ET Cie LES MAÎTRES DU LIVRE 3, PLACE DE LA SORBONNE, 3 MCMXII [Illustration] PRÉFACE Il y a une quinzaine d’années, quand le _Mercure_ commençait sa Bibliothèque, un des poètes qui allaient être édités me demandait pourquoi je ne publiais pas, moi aussi, un recueil de poèmes. J’acceptai l’insinuation pour les environs de l’année 1910, et je n’y pensais plus (car la vie nous comble de multiples soucis) et n’y aurais peut-être jamais plus pensé, quand se présenta une occasion très favorable. J’ai toujours aimé que le hasard régisse visiblement ma destinée, et dans l’ordre littéraire, comme en d’autres, j’ai si peu eu à me plaindre de lui que je lui cède volontiers. Pourtant ce n’est pas sans appréhension que je livre aux amateurs de poésie un recueil aussi hétéroclite et d’âges si divers, quoique le titre, _Divertissements_, soit d’une extrême modestie. Je ne plaide pas la sincérité. J’ai été sincère, quand il m’a plu de l’être, et d’ailleurs la sincérité, qui est à peine une explication, n’est jamais une excuse. Si j’en avais besoin d’une, je n’irais pas la chercher si naïve et j’aime mieux avouer qu’en somme il faut prendre au sérieux un titre qui ne l’est guère aux yeux de la plupart des hommes. La joie, la joie cachée, le contentement intérieur, est un sentiment sans lequel je ne saurais vivre avec plénitude et avec lequel, non plus, je ne saurais longtemps me plaire. La plupart des _Divertissements_ représentent les heures où, avant de prendre congé d’un mutuel accord, ce sentiment s’exalta un instant. La vie est discontinue et ne se compose que d’instants reliés par l’inconscience; la nature essentielle de chaque poésie change selon le caractère de ces instants où le poète a pu prendre conscience de lui-même. Les poésies de joie n’ont pas fleuri dans les jardins les plus heureux, ni les plus douloureuses dans les jardins les moins ensoleillés. Il y a très peu, dans ce recueil, de poésies purement verbales, que domine le plaisir de régir le troupeau obligeant des mots, dont on sent bien que l’obéissance m’a découragé à mesure que je m’assurais de leur docilité excessive. Peut-être même trouvera-t-on que j’ai fini par concevoir le poème sous une forme trop dépouillée, mais cela était peut-être permis à l’auteur du _Livre des Litanies_, d’ailleurs rejeté d’un recueil qu’il voulait représentatif d’une vie de sentiment plutôt encore que d’une vie d’art. C’est sans doute un malheur pour le poète quand il s’aperçoit enfin qu’il y a peut-être plus de poésie dans un regard ou dans un contact de mains qu’il ne saurait en créer avec la plus adroite et la plus périlleuse construction verbale. C’est un malheur, parce que cela coïncide avec le dépeuplement de sa vie, au moment même où la faculté des miracles de l’écriture est sur le point de lui échapper aussi, et parce que c’est là un inéluctable sentiment de dissolution où il ne peut plus noter que d’inutiles rêves et de tristes intentions. Mais comme c’est un malheur qui met fin à toute poésie, on espère qu’on n’en trouvera pas ici de traces trop visibles. Il peut être curieux d’apprendre comment aucun genre d’études les plus opposées, selon le commun jugement, à l’exercice de la poésie, n’a pas tué, dans l’auteur des _Divertissements_, la faculté de se livrer avec foi (avec la foi apollonienne) à ces jeux jugés incompatibles avec la raison. A vrai dire, je n’en sais rien. Seulement, je sens que, si la vie me l’avait permis, je m’y serais bien davantage attaché. Les poèmes les plus beaux (le sentiment n’est pas assez original pour être faux) sont ceux que je n’ai pas écrits ou qui n’ont laissé dans mes papiers que des traces imparfaites de leur naissance. Je dis cela en particulier d’un poème sur les yeux que j’ai médité longtemps et pour lequel j’avais relevé la couleur et toutes les changeantes nuances des yeux d’une centaine de femmes ou de leurs portraits, et rapproché tous ces précieux regards de ceux des pierres de couleur, qui sont moins lucides. Que d’autres divagations! J’ai rappelé celle-ci, par piété et par pitié envers moi-même et envers les yeux oubliés! Temps perdu: c’est, à mon avis, ce qu’on pourrait dire de plus cruel et aussi de plus injuste à propos de ces _Divertissements_ rêvés ou réalisés, car je n’ai pas bien la notion de l’utile, dont se targuent les hommes raisonnables, mais j’estime que l’on n’a jamais perdu le temps où l’on vécut sa vie (et laquelle donc vivrait-on?). D’ailleurs si un seul être choisi a été ému par un seul de ces vers, je suis payé de ma peine, déjà bien compensée par mon plaisir, et les moralistes eux-mêmes doivent s’en montrer satisfaits. Rien ne serait mieux à sa place, peut-être plus que ces réflexions trop personnelles, en tête d’un volume de vers, que des remarques, en apparence désintéressées, sur la versification française. Mais à l’heure présente il semble que la technique poétique soit devenue aussi personnelle que la poésie elle-même, qui ne l’est pas peu. Les poètes l’ont enfin compris, que les autres l’admettent ou non; ils doivent se fabriquer, ou avoir l’air de se fabriquer eux-mêmes, leur instrument. C’était, paraît-il, une coquetterie des vieux artisans d’avant les machines, de façonner leurs outils de leurs propres mains, pour leurs propres mains, au lieu de les recevoir tout faits de l’industrie indifférente. C’est plus que jamais la coutume parmi les poètes de ne se servir que d’un vers dont ils aient ordonné, à leur mesure, le degré de flexibilité. Encore que je me sois plié çà et là à l’antique rigidité du vers romantique, ou plutôt parnassien, j’ai un faible pour le vers incertain né au temps de ma jeunesse, au nombre incertain, aux rimes incertaines. Certes, si la langue française était, comme la langue latine, toute en syllabes sonores, également, avec des temps forts ou faibles, soumises à la prononciation, le vers plein serait de tous les vers celui que je préférerais; j’ai essayé, en d’autres pages, de dire la beauté de sa plénitude; mais le phonétisme français contient trop de lettres muettes auxquelles une versification purement nombreuse accorde, verbalement, une vie et une sonorité factices et, pour un homme des en deçà de la Loire, déplaisantes. A vouloir faire entrer dans le nombre du vers toutes les syllabes exactement comptées pour des unités, on gasconne une langue née et formée en des bouches moins décisives et qui se plaisent aux demi-teintes musicales, ou bien, si l’on néglige celles qui vraiment sont mortes, on ne parvient à l’harmonie nombreuse qu’en se fiant au hasard des injonctions de l’écriture, de la mémoire visuelle ou de je ne sais quelle tradition, venue d’un temps de certitude phonétique qui ne trouve plus créance près de nos oreilles. L’autre méthode exige aussi des complicités et aussi des divinations, mais elle s’appuie du moins sur l’usage présent, et si elle demande au lecteur plus de pénétration, elle lui laisse aussi, en même temps qu’au poète, plus de liberté. C’est son principal mérite. Notre versification, dite classique, est basée sur la prononciation du XIVe siècle. On pouvait en ce temps-là, et peut-être encore un peu plus tard, écrire des vers parfaitement réguliers pour le nombre. Ronsard ne le pouvait plus, ni Racine, ni les autres, ni Verlaine. Aussi les laisses d’alexandrins ne sont-elles que des illusions, où qu’on les prenne, jadis ou naguère, et je ne fais pas de différence, sinon dans l’esprit et l’intention, entre les vers de Racine et ceux, par exemple, de M. Vielé-Griffin. Il me semble que j’ai montré cela, déjà, avec l’appui de preuves sensibles. Mais il fallait bien y faire allusion ici, non moins qu’aux métamorphoses de la rime, qui a enfin reconquis le droit à l’assonance. Le seul défaut de l’assonance des poètes contemporains est d’accepter comme assonance la rime pour l’œil des parnassiens, de ne pas tenir compte de la longueur des voyelles, mais peut-être sommes-nous mal préparés pour ces nuances qui, hormis en quelques cas trop frappants, sont mal fixées. Le provincialisme de quelques poètes fera naître des variétés dans l’homophonie, légitimes comme tout ce qui est un fait naturel. Je n’insiste pas. Je ne veux que faire réfléchir un peu plus sur ces formes nouvelles d’une technique qui a toujours beaucoup d’ennemis et de laquelle je suis loin de prétendre qu’on trouvera plus loin des exemples dignes de mémoire. Mais, si c’est surtout pour moi-même, c’est aussi pour quelques-uns et quelques-unes que je donne ce ballet: _Divertissements_. REMY DE GOURMONT. DIVERTISSEMENTS HIÉROGLYPHES I HIÉROGLYPHES O pourpiers de mon frère, pourpiers d’or, fleur d’Anhour, Mon corps en joie frissonne quand tu m’as fait l’amour, Puis je m’endors paisible au pied des tournesols. Je veux resplendir telle que les flèches de Hor: Viens, le kupi embaume les secrets de mon corps, Le hesteb teint mes ongles, mes yeux ont le kohol. O maître de mon cœur, qu’elle est belle, mon heure! C’est de l’éternité quand ton baiser m’effleure, Mon cœur, mon cœur s’élève, ah! si haut qu’il s’envole. Armoises de mon frère, ô floraisons sanglantes, Viens, je suis l’Amm où croît toute plante odorante, La vue de ton amour me rend trois fois plus belle. Je suis le champ royal où ta faveur moissonne, Viens vers les acacias, vers les palmiers d’Ammonn; Je veux t’aimer à l’ombre bleue de leurs flabelles. Je veux encore t’aimer sous les yeux roux de Phrâ Et boire les délices du vin pur de ta voix, Car ta voix rafraîchit et grise comme Elel. O marjolaines de mon frère, ô marjolaines, Quand ta main comme un oiseau sacré se promène En mon jardin paré de lys et de sesnis, Quand tu manges le miel doré de mes mamelles, Quand ta bouche bourdonne ainsi qu’un vol d’abeilles Et se pose et se tait sur mon ventre fleuri, Ah! je meurs, je m’en vais, je m’effuse en tes bras, Comme une source vive pleine de nymphéas, Armoises, marjolaines, pourpiers, fleurs de ma vie! II FIGURE DE RÊVE SÉQUENCE La très chère aux yeux clairs apparaît sous la lune, Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves. La lumière bleuie par les brumes cendrait D’une poussière aérienne Son front fleuri d’étoiles, et sa légère chevelure Flottait dans l’air derrière ses pas légers: La chimère dormait au fond de ses prunelles. Sur la chair nue et frêle de son cou Les stellaires sourires d’un rosaire de perles Étageaient les reflets de leurs pâles éclairs. Ses poignets Avaient des bracelets tout pareils; et sa tête, La couronne incrustée des sept pierres mystiques Dont les flammes transpercent le cœur comme des glaives, Sous la lune éphémère et mère des beaux rêves. 1888. III FRA I SOSPESI Les tortures sont douces aux pieds de mon amie: Le plaisir appelé tout bas sommeille encore, La peine avec le doute enfin s’est endormie. L’Alighier de Florence, descendu chez les morts, Vit des âmes semées parmi les airs, légères Comme des feuilles d’automne sous les souffles du nord: Et ces âmes flottaient de la gloire à l’enfer, Pareilles en leur vol au troupeau des nuées Qui s’envole et sans cesse passe entre ciel et terre. Ames qui ne sont pas élues, non plus damnées, La géhenne éternelle les refuse; pourtant Les joies de l’éternel amour leur sont fermées. Ainsi je vais morose et les yeux souriants, Les mains pleines de rose et pleines de soucis. Le cœur est un jardin; ô soleil, sois clément, Les soucis, ni les roses, n’ont pas encore fleuri. 1889. IV ASCENSION Un soir, dans la bruyère délaissée, Avec l’amie souriante et lassée... O soleil, fleur cueillie, ton lourd corymbe Agonise et descend tout pâle vers les limbes. Ah! si j’étais avec l’amie lassée, Un soir, dans la bruyère délaissée! Les rainettes, parmi les reines des prés Et les roseaux, criaient énamourées. Les scarabées grimpent le long des prêles, Les geais bleus font fléchir les branches frêles. On entendait les cris énamourés Des rainettes, parmi les reines des prés. Un chien, au seuil d’une porte entr’ouverte, Là-haut, pleure à la lune naissante et verte Qui rend un peu de joie au ciel aveugle; La vache qu’on va traire s’agite et meugle, Un chien pleure à la lune naissante et verte, Là-haut, au seuil d’une porte entr’ouverte. Pendant que nous montons, l’âme inquiète Et souriante, vers la courbe du faîte, Le Rêve, demeuré à mi-chemin, S’assied pensif, la tête dans sa main, Et nous montons vers la courbe du faîte, Nous montons souriants, l’âme inquiète. 1892. V LE SOURIRE Le sourire est un être équivoque, lumière Éphémère, fuyante risée des libellules Qui rasent l’eau dormante et claire des étangs verts. Frère d’Eros, il a des ailes minuscules Et aux flèches d’argent qui peuplent son carquois La pointe est un désir et la barbe un scrupule. Ses yeux sont des saphirs heureux, discrètes joies D’amour, mais quand l’oubli amuse ses prunelles, Ils ont l’air de lapis, souvent, ou de turquoises. La bouche est rouge, elle a la grâce d’un pastel Et le pourpre très doux, le velours d’un œillet; Quand elle s’ouvre, il en sort un ruban d’étincelles. Le sourire est un être équivoque, si léger Qu’il ne pose pas plus qu’un oiseau sur la branche. Il vole et se renvole, il nargue les aguets. On croyait le tenir, il a fui comme un charme. Pas plus qu’une hirondelle on ne le prend au piège Et s’il était captif, il mourrait dans sa cage. Il s’arrête par-ci par-là, dans un cortège D’éclairs, jase et d’un seul coup d’aile part en fusée. Il fait joujou, il raille, car il est très espiègle. Il est lumière, il est parfum, il est rosée, Il se métamorphose: flambeau, phosphorescence, Étoile au crépuscule, feu follet dans les prés. Il est lumière, il a autour de ses cheveux, Les violets, les zinzolins, les améthystes, Les sinoples, les roses, les mauves et les bleus: Les couleurs, mais surtout les douteuses, les tristes, Ces fleurs pâles d’avoir trop aimé le soleil, Les blondes, ces plaisirs où l’on s’endolorise, Les blancs trempés un peu de chair ou de paillet, Les outre-mer, les pers et les glauques divins, Dont se teignaient les yeux moqueurs des Immortelles. --Oh! les piquants bitumes sous des yeux libertins! Oh! les brûlants cinabres sur des joues de déesses, Diane aux genoux blancs, et toi Vénus aux seins Prédestinés!--Il est parfum, et les caresses Des odeurs souveraines animent ses baisers, Baumes métaphysiques, spasmes par catachrèse! Il est lumière, il est parfum, il est rosée. Le sourire est un être équivoque et charmeur. --Envoi.--Ah! chère! Il t’aime, il vient à toi en roi, Il installe son charme et sa grâce en ton cœur, Il adore tes lèvres, tes yeux, tes dents, ta voix. 1890. VI LE LAC SACRÉ Les vagues gémissaient comme des femmes blessées, Le lac sacré râlait sous la haine du ciel Et l’invisible chœur des amours trépassées Aboyait à la mort et broyait de ses ailes Les vagues gémissant comme des femmes blessées. * * * * * O lac sacré, témoin de tant d’anniversaires Et des chuchotements de tant d’âmes royales, Toi qui vis, surgissant des dalles funéraires, Tant de fantômes blancs étendant leurs mains pâles Vers le témoin sacré de tant d’anniversaires! O lac sacré, asile où les pieds nus des folles Ont lavé leur poussière et fini leur voyage; Firmament où les fleurs, au baiser des étoiles, Se pâmaient et parlaient le langage des mages Dans l’asile sacré, sous les pieds nus des folles! O lac sacré, ô pacifique mer océane, Adorable refuge, port des barques mystiques, Golfe aux yeux violets, ô pensée diaphane, Gouffre rempli de perles, gouffre métaphysique, O lac sacré, ô pacifique mer océane! * * * * * Les vagues gémissaient comme des femmes blessées, Le lac sacré râlait sous la haine du ciel Et l’invisible chœur des amours trépassées Aboyait à la mort et broyait de ses ailes Les vagues gémissant comme des femmes blessées. VII MARITURA Dans la terre torride une plante exotique, Penchante, résignée: éclos hors de saison, Deux boutons fléchissaient, l’air grave et mystique; La sève n’était plus pour elle qu’un poison. Et je sentais pourtant de la fleur accablée S’évaporer l’effluve âcre d’un parfum lourd, Mes artères battaient, ma poitrine troublée Haletait, mon regard se voilait, j’étais sourd. Dans la chambre, autre fleur, une femme très pâle, Les mains lasses, la tête appuyée aux coussins. Elle s’abandonnait; un insensible râle Soulevait tristement la langueur de ses seins. Mais ses cheveux tombant en innombrables boucles Ondulaient sinueux comme un large flot noir Et ses grands yeux brillaient du feu des escarboucles Comme un double fanal dans la brume du soir. Les cheveux m’envoyaient des odeurs énervantes, Pareilles à l’éther qu’aspire un patient, Je perdais peu à peu de mes forces vivantes Et les yeux transperçaient mon cœur inconscient. 1878. VIII LA FORÊT BLONDE Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Mes herbes sont des cils trempés de larmes claires Et mes liserons blancs s’ouvrent comme des paupières. Voici les bourraches bleues dont les yeux doux fleurissent Pareils à des étoiles, à des désirs, à des sourires, Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Mes lierres sont les lourds cheveux et mes viournes Contournent leurs ourlets, ainsi que des oreilles. O muguets, blanches dents! églantines, narines! O gentianes roses, plus roses que les lèvres! Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Mes saules ont le profil des tombantes épaules, Mes trembles sont des bras tremblants de convoitise, Mes digitales sont les doigts frêles, et les oves Des ongles sont moins fins que la fleur de mes mauves, Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Mes sveltes peupliers ont des tailles flexibles, Mes hêtres blancs et durs sont de fermes poitrines Et mes larges platanes courbent comme des ventres L’orgueilleux bouclier de leurs écorces fauves, Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Boutons rouges, boutons sanglants des pâquerettes, Vous êtes les fleurons purs et vierges des mamelles. Anémones, nombrils! Pommeroles, aréoles! Mûres, grains de beauté! Jacinthes, azur des reines! Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse, Mes ormes ont la grâce des reins creux et des hanches, Mes jeunes chênes, la forme et le charme des jambes, Le pied nu de mes aunes se cambre dans les sources Et j’ai des mousses blondes, des mystères, des ombres, Je suis le corps tout plein d’amour d’une amoureuse. 1889. IX SYMBOLES Les violets, les ors, les verts, les pourpres fiers Ont tonné dans le bleu naissant de l’Orient; Les doutes, les ardeurs, les désirs, les colères Troublent l’océan blanc de l’âme qui m’est chère. Pourpres et violets s’entremêlent, aveuglant Les yeux du dieu Soleil qui revient des enfers; Les doutes, les colères s’allument, enténébrant Le cœur pur où fulgure obscur le diamant. Çà et là des ors tels que des lampes légères; Plus haut planent lucides les verts évanescents; Les désirs, s’envolant sur le dos des chimères, Jouent avec la lumière et le crin des crinières. Soleil! salut, sauveur! Salut, soleil vivant, Maître du ventre nu et prince de la terre! Salut, âme! Et salut chair, sauvées du néant! Ame, donne ta grâce, et chair, donne ton sang. LES SAINTES DU PARADIS HOMMAGE A Filiger, là-bas, dans sa maison des grèves, A Filiger qui peint des fresques pour les cieux Et qui rêve en silence aux saintes dont les yeux Sont calmes comme des lunes et cruels comme des glaives. DÉDICACE O pérégrines qui cheminez songeuses, Songeant peut-être à des roses lointaines, Pendant que la poussière et le soleil des plaines Ont brûlé vos bras nus et votre âme incertaine, O pérégrines qui cheminez songeuses, Songeant peut-être à des roses lointaines! Voici la route qui mène à la montagne, Voici la claire fontaine où fleurissent les baumes, Voici le bois plein d’ombre et d’anémones, Voici les pins, voici la paix, voici les dômes, Voici la route qui mène à la montagne, Voici la claire fontaine où fleurissent les baumes! O pérégrines qui cheminez songeuses, Suivez la voix qui vous appelle au ciel: Les arbres ont des feuillages aussi doux que le miel Et les femmes au cœur pur y deviennent plus belles. O pérégrines qui cheminez songeuses, Suivez la voix qui vous appelle au ciel. Agathe, Joyau trouvé parmi les pierres de la Sicile, Agathe, vierge vendue aux revendeuses d’amour, Agathe, victorieuse des colliers et des bagues, Des sept rubis magiques et des trois pierres de lune, Agathe, réjouie par le feu des fers rouges, Comme un amandier par les douces pluies d’automne, Agathe, embaumée par un jeune ange vêtu de pourpre, Agathe, pierre et fer, Agathe, or et argent, Agathe, chevalière de Malte, Sainte Agathe, mettez du feu dans notre sang. * * * * * Agnès, Agnelle, épouse du feu, Agnelle, amie de l’Agneau, Agnès, plus forte que la magie des jeunes cheveux, Agnès, fille sacrée du signe de la croix, Agnès, Agnelle et Danielle, toi qui caressas D’une main pure la crinière cruelle des brasiers, Blanche Agnès, décollée par le glaive aveugle, Et trempée dans la gloire vierge des lys rouges, Brebis, Toison, Manteau, trame et chaîne des palliums, Sainte Agnès, filez pour nous la laine éternelle. * * * * * Angèle, Qui avez vu dans le ciel une échelle, Une longue échelle rouge où montaient des jeunes femmes, De belles jeunes femmes vêtues de blanc, Angèle qui avez gravi l’échelle de neige et de sang, Angèle qui êtes montée au ciel en revenant de Jérusalem, Angèle qui avez le pouvoir d’apaiser les orages, Sainte Angèle, apaisez les orages de notre cœur. * * * * * Catherine, Contemplatrice héroïque du Rêve, Catherine que le démon battait comme la mer Bat le sable innocent des dunes et des grèves, Catherine visitée par Jésus familièrement --Jésus venait chanter le psautier avec elle,-- Catherine au front orné du diadème sanglant, Catherine pleine de larmes, pleine de charmes, pleine de songes, Sainte Catherine, protégez nos âmes pleines de songes. * * * * * Colette, Douloureuse beauté cachée dans la prière, Colette, dure à son cœur et plus dure à sa chair, Colette prisonnière dans les cloîtres amers Où les colliers d’amour sont des chaînes de fer, Colette qui pour mourir se coucha sur la terre, Colette après sa mort restée fraîche comme une pierre, Sainte Colette, que nos cœurs deviennent durs comme des pierres. * * * * * Françoise, Sœur favorite de l’invisible Frère, Miraculeuse amie des puissances de l’air, Astrologue admirable de la Tour des Miroirs A qui Dieu écrivit des lettres en lettres d’or, Françoise dont les mains multipliaient les pains Pour nourrir les mendiants qui vont par les chemins, Sainte Françoise, nourrissez nos âmes qui ont faim. * * * * * Geneviève, Innocente exilée vers la dents des halliers, Chair déchirée par le mensonge et par les ronces, Et qui n’a d’autre toit que les bons arbres hospitaliers, Geneviève à qui les cerfs venaient lécher les pieds, Geneviève à qui les loups faisaient les yeux doux, Geneviève mère d’un enfant pauvre et nu comme un faon, Sainte Geneviève, visitez nos cœurs abandonnés. * * * * * Gertrude, Abbesse insigne à la crosse d’ivoire, Gertrude, salut d’amour au soleil de l’hostie, Fille de l’Écriture, écrite par le cilice, Miel fondu dans le vin douloureux de la vie, Cinnamome jeté dans la prison de l’encensoir; Gertrude, cil, larme et pois de senteur, Gertrude, enivrée par l’odeur de la vigne, Sainte Gertrude, versez votre ivresse dans nos cœurs. * * * * * Gudule, Née parmi les nuées des fleuves d’autrefois, Dans la prairie, à l’ombre des trembles et des saules, Gudule dont les épaules portent une cathédrale, Gudule qui fut aimée, enfant, par saint Michel, Gudule qui fut aimée, morte, par Charlemagne, Gudule, parfum des roses et chanson des roseaux, Sainte Gudule, embaumez la chanson de nos âmes. * * * * * Hélène, Hôtelière du Calvaire, mère du Labarum, Tête frappée en médailles et en monnaie d’amour, Poitrine expiatrice des stupres de la pourpre; Hélène, pérégrine vers le sang du Sauveur, Hélène, qui baisas la terre des douleurs, Hélène, qui choisis, entre les trois, la Seule, Hélène, Palestine, Hélène, Basilique, Hélène, crucifiée sur la croix byzantine, Sainte Hélène, guidez nos âmes pérégrines. * * * * * Jeanne, Bergère née en Lorraine, Jeanne qui avez gardé les moutons en robe de futaine, Et qui avez pleuré aux misères du peuple de France, Et qui avez conduit le Roi à Reims parmi les lances, Jeanne qui étiez un arc, une croix, un glaive, un cœur, une lance, Jeanne que les gens aimaient comme leur père et leur mère, Jeanne blessée et prise, mise au cachot par les Anglais, Jeanne brûlée à Rouen par les Anglais, Jeanne qui ressemblez à un ange en colère, Jeanne d’Arc, mettez beaucoup de colère dans nos cœurs. * * * * * Julie, Victime très douce des Juifs et des Vandales, Vendue par un marchand de femmes et de sandales, Martyre dont le seul juge fut un vieux préteur ivre; Julie morte en souriant près de la mer, le soir, Julie qui, en mourant, murmurait: Je suis libre, Julie, pendue par ses beaux cheveux noirs, Sainte Julie, délivrez nos cœurs du désespoir. * * * * * Marcelle, Pétale d’or pâle au front des dames romaines, Pâleur solitaire parmi les fleurs des fêtes rouges, Marcelle, amie des cryptes et des catacombes, Marcelle riche et pauvre, Marcelle, fière et humble; Marcelle enjeu sanglant du vinaigre et des verges, Marcelle revêtue d’une robe de morsures, Sainte Marcelle, étanchez le sang de nos blessures. * * * * * Marguerite, Plaisir d’amour, ensuite poussière Sous les sandales de saint François, Guérie de la chair par l’horreur d’une chair adorée, Sauvée par la bonté d’un figuier paternel, Languie trois ans dans les limbes de la tristesse; Marguerite, muette oratrice du linceul, Dont l’aveu étonna l’ombre des cathédrales, Marguerite, pécheresse contrite, Au visage écrasé par le sable des briques, Sainte Marguerite, courbez notre orgueil vers la terre. * * * * * Marie, Amertume des baisers sur les barques du Nil, Robe de soleil et voile bleu que la nuit caresse, Marie voyageuse amoureuse et pauvre, Jetée par l’ouragan dans l’île pénitente, Et qui brûlas tes lèvres au soufre du Jourdain, Marie des sables, Marie des palmes, Marie des lions, Marie nourrie sept ans d’un pain miraculeux, Sainte Marie, brûlez nos cœurs au feu divin. * * * * * Mathilde, Princesse dont les bras blancs portaient la peine des pauvres, Mathilde dont les mains blanches usaient les durs psautiers, Mathilde, reine de trois mille et l’une des mille servantes, Mathilde, dont le cilice de fer avait trois pointes, Mathilde, dont les genoux furent le sceau des dalles, O Mathilde, baiser, sandale et bracelet, Rose d’automne tombée dans l’eau des pénitences, Sainte Mathilde, jetez nos cœurs sur les pavés. * * * * * Natalie, Née parmi les orages des lointaines forêts Et portée longtemps sur les mers aux cheveux clairs, Natalie qui aimas tes sœurs et tes pareilles Plus que toi-même et, plus que tout, l’Amour, Natalie élue entre toutes dès le premier jour Pour parer de roses blanches les glaives de l’amour Dont les sept pointes font sept blessures de joie, Natalie emmêlant bure et cuir à la soie, Natalie souriante au bord de la géhenne, Sainte Natalie, soyez le parfum de nos peines. * * * * * Paule, Amie de saint Jérôme, pourpre réduite en cendre, Épaule où le vieux moine grava le nom de Dieu, Paule, manteau de laine sur le dos nu des pauvres, Paule couchée par terre, les yeux vers les étoiles, Paule, cendre, corde et pierre, fagot d’épines, Crâne rasé comme un rocher de Palestine, Cœur plein de la poussière de Bethléem, Sainte Paule, humiliez nos âmes tristes et vaines. * * * * * Ursule, Griffon du nord, bête sacrée venue Dans la lumière bleue d’un rêve boréal, Ursule, flocon de neige bu par les lèvres de Jésus, Ursule, étoile rouge vers la tulipe de pourpre, Ursule, sœur de tant de cœurs innocents, Et dont la tête sanglante dort comme une escarboucle Dans la bague des arceaux, Ursule, nef, voile, rame et tempête, Ursule, envolée sur le dos de l’oiseau blanc, Sainte Ursule, emportez nos âmes vers les neiges. * * * * * Zite, Sainte aux yeux doux, sainte en bonnet, sainte en sabots, Zite dont l’oratoire était une cuisine, Zite, qui pour marmitons avait les Anges du ciel, Zite, bon cœur, bon feu, bonne soupe et bon gîte, Zite aux mains rouges fleuries de menthe et d’estragon, Sainte Zite, mettez la table où s’attable l’Amour. ORAISONS MAUVAISES I Que tes mains soient bénies, car elles sont impures! Elles ont des péchés cachés à toutes les jointures; Lys d’épouvante, leurs ongles blancs font penser sous la lampe, A des hosties volées dans l’ombre blanche, sous la lampe, Et l’opale prisonnière qui se meurt à ton doigt, C’est le dernier soupir de Jésus sur la croix. II Que tes yeux soient bénis, car ils sont homicides! Ils sont pleins de fantômes et pleins de chrysalides, Comme dans l’eau fanée, bleue au fond des grottes vertes, On voit dormir des fleurs qui sont des bêtes vertes, Et ce douloureux saphir d’amertume et d’effroi, C’est le dernier regard de Jésus sur la croix. III Que tes seins soient bénis, car ils sont sacrilèges! Ils se sont mis tout nus, comme un printanier florilège, Fleuri pour la caresse et la moisson des lèvres et des mains, Fleurs du bord de la route, bonnes à toutes les mains, Et l’hyacinthe qui rêve là, avec un air triste de roi, C’est le dernier amour de Jésus sur la croix. IV Que ton ventre soit béni, car il est infertile! Il est beau comme une terre de désolation; le style De la herse n’y hersa qu’une glèbe rouge et rebelle, La fleur mûre n’y sema qu’une graine rebelle, Et la topaze ardente qui frissonne sur ce palais de joie, C’est le dernier désir de Jésus sur la croix. V Que ta bouche soit bénie, car elle est adultère! Elle a le goût des roses nouvelles et le goût de la vieille terre, Elle a sucé les sucs obscurs des fleurs et des roseaux; Quand elle parle on entend comme un bruit perfide de roseaux, Et ce rubis cruel tout sanglant et tout froid, C’est la dernière blessure de Jésus sur la croix. VI Que tes pieds soient bénis, car ils sont déshonnêtes! Ils ont chaussé les mules des lupanars et des temples en fête, Ils ont mis leurs talons sourds sur l’épaule des pauvres, Ils ont marché sur les plus purs, sur les plus doux, sur les plus pauvres, Et la boucle améthyste qui tend ta jarretière de soie, C’est le dernier frisson de Jésus sur la croix. VII Que ton âme soit bénie, car elle est corrompue! Fière émeraude tombée sur le pavé des rues, Son orgueil s’est mêlé aux odeurs de la boue, Et je viens d’écraser dans la glorieuse boue, Sur le pavé des rues, qui est un chemin de croix, La dernière pensée de Jésus sur la croix. SIMONE POÈME CHAMPÊTRE (1898) I LES CHEVEUX Simone, il y a un grand mystère Dans la forêt de tes cheveux. Tu sens le foin, tu sens la pierre Où des bêtes se sont posées; Tu sens le cuir, tu sens le blé, Quand il vient d’être vanné; Tu sens le bois, tu sens le pain Qu’on apporte le matin; Tu sens les fleurs qui ont poussé Le long d’un mur abandonné; Tu sens la ronce, tu sens le lierre Qui a été lavé par la pluie; Tu sens le jonc et la fougère Qu’on fauche à la tombée de la nuit; Tu sens le houx, tu sens la mousse, Tu sens l’herbe mourante et rousse Qui s’égrène à l’ombre des haies; Tu sens l’ortie et le genêt, Tu sens le trèfle, tu sens le lait; Tu sens le fenouil et l’anis; Tu sens les noix, tu sens les fruits Qui sont bien mûrs et que l’on cueille; Tu sens le saule et le tilleul Quand ils ont des fleurs plein les feuilles; Tu sens le miel, tu sens la vie Qui se promène dans les prairies; Tu sens la terre et la rivière; Tu sens l’amour, tu sens le feu. Simone, il y a un grand mystère Dans la forêt de tes cheveux. II L’AUBÉPINE Simone, tes mains douces ont des égratignures, Tu pleures, et moi je veux rire de l’aventure. L’Aubépine défend son cœur et ses épaules, Elle a promis sa chair à des baisers plus beaux. Elle a mis son grand voile de songe et de prière, Car elle communie avec toute la terre; Elle communie avec le soleil du matin, Quand la ruche réveillée rêve de trèfle et de thym, Avec les oiseaux bleus, les abeilles et les mouches, Avec les gros bourdons qui sont tout en velours, Avec les scarabées, les guêpes, les frelons blonds, Avec les libellules, avec les papillons, Et tout ce qui a des ailes, avec les pollens Qui dansent comme des pensées dans l’air et se promènent; Elle communie avec le soleil de midi, Avec les nues, avec le vent, avec la pluie Et tout ce qui passe, avec le soleil du soir Rouge comme une rose et clair comme un miroir, Avec la lune qui rit et avec la rosée, Avec le Cygne, avec la Lyre, avec la Voie lactée; Elle a le front si blanc et son âme est si pure Qu’elle s’adore elle-même en toute la nature. III LE HOUX Simone, le soleil rit sur les feuilles de houx: Avril est revenu pour jouer avec nous. Il porte des corbeilles de fleurs sur ses épaules, Il les donne aux épines, aux marronniers, aux saules; Il les sème une à une parmi l’herbe des prés, Sur le bord des ruisseaux, des mares et des fossés; Il garde les jonquilles pour l’eau, et les pervenches Pour les bois, aux endroits où s’allongent les branches; Il jette les violettes à l’ombre, sous les ronces Où son pied nu, sans peur, les cache et les enfonce; A toutes les prairies il donne des pâquerettes Et des primevères qui ont un collier de clochettes; Il laisse les muguets tomber dans les forêts Avec les anémones, le long des sentiers frais; Il plante des iris sur le toit des maisons, Et dans notre jardin, Simone, où il fait bon, Il répandra des ancolies et des pensées, Des jacinthes et la bonne odeur des giroflées. IV LE BROUILLARD Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles de beauté où les femmes Sont belles comme des arbres et nues comme des âmes; Nous irons vers les îles où les hommes sont doux Comme des lions, avec des cheveux longs et roux. Viens le monde incréé attend de notre rêve Ses lois, ses joies, les dieux qui font fleurir la sève Et le vent qui fait luire et bruire les feuilles. Viens, le monde innocent va sortir d’un cercueil. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles où il y a des montagnes D’où l’on voit l’étendue paisible des campagnes, Avec des animaux heureux de brouter l’herbe, Des bergers qui ressemblent à des saules, et des gerbes Qu’on monte avec des fourches sur le dos des charrettes. Il fait encore soleil et les moutons s’arrêtent Près de l’étable, devant la porte du jardin, Qui sent la pimprenelle, l’estragon et le thym. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. Nous irons vers les îles où les pins gris et bleus Chantent quand le vent d’ouest passe entre leurs cheveux. Nous écouterons, couchés sous leur ombre odorante, La plainte des esprits que le désir tourmente Et qui attendent l’heure où leur chair doit revivre. Viens, l’infini se trouble et rit, le monde est ivre: Nous entendrons peut-être, en rêvant sous les pins, Des mots d’amour, des mots divins, des mots lointains. Simone, mets ton manteau et tes gros sabots noirs, Nous irons comme en barque à travers le brouillard. V LA NEIGE Simone, la neige est blanche comme ton cou, Simone, la neige est blanche comme tes genoux. Simone, ta main est froide comme la neige, Simone, ton cœur est froid comme la neige. La neige ne fond qu’à un baiser de feu, Ton cœur ne fond qu’à un baiser d’adieu. La neige est triste sur les branches des pins, Ton front est triste sous tes cheveux châtains. Simone, ta sœur la neige dort dans la cour, Simone, tu es ma neige et mon amour. VI LES FEUILLES MORTES Simone, allons au bois: les feuilles sont tombées; Elles recouvrent la mousse, les pierres et les sentiers. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes? Elles ont des couleurs si douces, des tons si graves, Elles sont sur la terre de si frêles épaves! Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes? Elles ont l’air si dolent à l’heure du crépuscule, Elles crient si tendrement, quand le vent les bouscule! Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes? Quand le pied les écrase, elles pleurent comme des âmes, Elles font un bruit d’ailes ou de robes de femme. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes? Viens: nous serons un jour de pauvres feuilles mortes. Viens: déjà la nuit tombe et le vent nous emporte. Simone, aimes-tu le bruit des pas sur les feuilles mortes? VII LA RIVIÈRE Simone, la rivière chante un air ingénu, Viens, nous irons parmi les joncs et la ciguë; Il est midi: les hommes ont quitté leur charrue, Et moi, je verrai dans l’eau claire ton pied nu. La rivière est la mère des poissons et des fleurs, Des arbres, des oiseaux, des parfums, des couleurs; Elle abreuve les oiseaux qui ont mangé leur grain Et qui vont s’envoler pour un pays lointain; Elle abreuve les mouches bleues dont le ventre est vert Et les araignées d’eau qui rament comme aux galères. La rivière est la mère des poissons: elle leur donne Des vermisseaux, de l’herbe, de l’air et de l’ozone; Elle leur donne l’amour; elle leur donne les ailes Pour suivre au bout du monde l’ombre de leurs femelles. La rivière est la mère des fleurs, des arcs-en-ciel, De tout ce qui est fait d’eau et d’un peu de soleil: Elle nourrit le sainfoin et le foin, et les reines Des prés qui ont l’odeur du miel, et les molènes Qui ont des feuilles douces comme un duvet d’oiseau; Elle nourrit le blé, le trèfle et les roseaux; Elle nourrit le chanvre; elle nourrit le lin; Elle nourrit l’avoine, l’orge et le sarrasin; Elle nourrit le seigle, l’osier et les pommiers; Elle nourrit les saules et les grands peupliers. La rivière est la mère des forêts: les beaux chênes Ont puisé dans son lit l’eau pure de leurs veines. La rivière féconde le ciel: quand la pluie tombe, C’est la rivière qui monte au ciel et qui retombe; La rivière est une mère très puissante et très pure, La rivière est la mère de toute la nature. Simone, la rivière chante un air ingénu, Viens, nous irons parmi les joncs et la ciguë; Il est midi: les hommes ont quitté leur charrue, Et moi, je verrai dans l’eau claire ton pied nu. VIII LE VERGER Simone, allons au verger Avec un panier d’osier. Nous dirons à nos pommiers, En entrant dans le verger: Voici la saison des pommes. Allons au verger, Simone, Allons au verger. Les pommiers sont pleins de guêpes, Car les pommes sont très mûres: Il se fait un grand murmure Autour du vieux doux-aux-vêpes. Les pommiers sont pleins de pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Nous cueillerons la calville, Le pigeonnet et la reinette, Et aussi des pommes à cidre Dont la chair est un peu doucette. Voici la saison des pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Tu auras l’odeur des pommes Sur ta robe et sur tes mains, Et tes cheveux seront pleins Du parfum doux de l’automne. Les pommiers sont pleins de pommes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. Simone, tu seras mon verger Et mon pommier de doux-aux-vêpes; Simone, écarte les guêpes De ton cœur et de mon verger. Voici la saison des guêpes, Allons au verger, Simone, Allons au verger. IX LE JARDIN Simone, le jardin du mois d’août Est parfumé, riche et doux: Il a des radis et des raves, Des aubergines et des betteraves Et, parmi les pâles salades, Des bourraches pour les malades; Plus loin, c’est le peuple des choux, Notre jardin est riche et doux. Les pois grimpent le long des rames; Les rames ressemblent à des jeunes femmes En robes vertes fleuries de rouge. Voici les fèves, voici les courges Qui reviennent de Jérusalem. L’oignon a poussé tout d’un coup Et s’est orné d’un diadème, Notre jardin est riche et doux. Les asperges tout en dentelles Mûrissent leurs graines de corail; Les capucines, vierges fidèles, Ont fait de leur treille un vitrail, Et, nonchalantes, les citrouilles Au bon soleil gonflent leurs joues; On sent le thym et le fenouil, Notre jardin est riche et doux. X LE MOULIN Simone, le moulin est très ancien: ses roues, Toutes vertes de mousse, tournent au fond d’un grand trou: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Les murs tremblent, on a l’air d’être sur un bateau A vapeur, au milieu de la nuit et de l’eau: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Il fait noir; on entend pleurer les lourdes meules, Qui sont plus douces et plus vieilles que des aïeules: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Les meules sont des aïeules si vieilles et si douces Qu’un enfant les arrête et qu’un peu d’eau les pousse: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles écrasent le blé des riches et des pauvres, Elles écrasent le seigle aussi, l’orge et l’épeautre: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles sont aussi bonnes que les plus grands apôtres, Elles font le pain qui nous bénit et qui nous sauve: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles nourrissent les hommes et les animaux doux, Ceux qui aiment notre main et qui meurent pour nous: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Elles vont, elles pleurent, elles tournent, elles grondent Depuis toujours, depuis le commencement du monde: On a peur, les roues passent, les roues tournent Comme pour un supplice éternel. Simone, le moulin est très ancien: ses roues, Toutes vertes de mousse, tournent au fond d’un grand trou. XI L’ÉGLISE Simone, je veux bien. Les bruits du soir Sont doux comme un cantique chanté par des enfants; L’église obscure ressemble à un vieux manoir; Les roses ont une odeur grave d’amour et d’encens. Je veux bien, nous irons lentement et bien sages, Salués par les gens qui reviennent des foins; J’ouvrirai la barrière d’avance à ton passage, Et le chien nous suivra longtemps d’un œil chagrin. Pendant que tu prieras, je songerai aux hommes Qui ont bâti ces murailles, le clocher, la tour, La lourde nef pareille à une bête de somme Chargée du poids de nos péchés de tous les jours; Aux hommes qui ont taillé les pierres du portail Et qui ont mis sous le porche un grand bénitier; Aux hommes qui ont peint des rois sur le vitrail Et un petit enfant qui dort chez un fermier. Je songerai aux hommes qui ont forgé la croix, Le coq, les gonds et les ferrures de la porte; A ceux qui ont sculpté la belle sainte en bois Qui est représentée les mains jointes et morte. Je songerai à ceux qui ont fondu le bronze Des cloches où l’on jetait un petit agneau d’or, A ceux qui ont creusé, en l’an mil deux cent onze, Le caveau où repose saint Roch, comme un trésor; A ceux qui ont tissé la tunique de lin Pendue sous un rideau à gauche de l’autel; A ceux qui ont chanté au livre du lutrin; A ceux qui ont doré les fermoirs du missel. Je songerai aux mains qui ont touché l’hostie, Aux mains qui ont béni et qui ont baptisé; Je songerai aux bagues, aux cierges, aux agonies; Je songerai aux yeux des femmes qui ont pleuré. Je songerai aussi aux morts du cimetière, A ceux qui ne sont plus que de l’herbe et des fleurs, A ceux dont les noms se lisent encore sur les pierres, A la croix qui les garde jusqu’à la dernière heure. Quand nous reviendrons, Simone, il sera nuit close; Nous aurons l’air de fantômes sous les sapins, Nous penserons à Dieu, à nous, à bien des choses, Au chien qui nous attend, aux roses du jardin. PAYSAGES SPIRITUELS I LA DAME DE L’ÉTÉ Sous les yeux d’or des églantines blanches, Les liserons grimpent autour des fougères. La fleur des ronces met des petites croix blanches Dans la haie d’où surgissent les fougères. L’herbe des prés ondule en vagues blondes, Qui vont mourir sous les pas du faucheur, Il y a dans l’herbe des ailes bleues, des ailes blondes, Et la grande aile noire de la faux du faucheur. Alors j’ai vu, assise près d’une source, Cueillant des joncs pour lier ses cheveux, Une femme aux yeux clairs comme une source, Qui me permit de baiser ses cheveux. Et je fus plein d’amour pour les yeux verts De la dame de l’été qui vient sourire Au bord des sentiers, au fond des bois verts, Et mirer dans les sources son beau sourire. 1898. II CHANSON DE L’AUTOMNE Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. L’automne humide et monotone, Mais les feuilles des cerisiers Et les fruits mûrs des églantiers Sont rouges comme des baisers, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. Viens, mon amie, le rude automne Serre son manteau et frissonne Mais le soleil a des douceurs; Dans l’air léger comme ton cœur, La brume berce sa langueur, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. Viens, mon amie, le vent d’automne Sanglote comme une personne. Et dans les buissons entr’ouverts La ronce tord ses bras pervers, Mais les chênes sont toujours verts, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. Viens, mon amie, le vent d’automne Durement gronde et nous sermonne, Des mots sifflent par les sentiers, Mais on entend dans les halliers Le doux bruit d’ailes des ramiers, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. Viens, mon amie, le triste automne Aux bras de l’hiver s’abandonne, Mais l’herbe de l’été repousse, La dernière bruyère est douce, Et l’on croit voir fleurir la mousse, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. Viens, mon amie, viens, c’est l’automne, Tout nus les peupliers frissonnent, Mais leur feuillage n’est pas mort; Gonflant sa robe couleur d’or, Il danse, il danse, il danse encor, Viens, mon amie, viens, c’est l’automne. 1898. III LA DAME DE L’AUTOMNE La Dame de l’Automne écrase les feuilles mortes Dans l’allée des souvenirs: C’était ici ou là... le vent passe et emporte Les feuilles de nos désirs. O vent, emporte aussi mon cœur: il est si lourd! La Dame de l’Automne cueille des chrysanthèmes Dans le jardin sans soleil: C’est là que fleurissaient les roses pâles que j’aime, Les roses pâles au cœur vermeil. O soleil, feras-tu fleurir encore mes roses? La Dame de l’Automne tremble comme un oiseau Dans l’air incertain du soir: C’était ici ou là, et le ciel était beau Et nos yeux remplis d’espoir. O ciel, as-tu encore des étoiles et des songes? La Dame de l’Automne a laissé son jardin Tout dépeuplé par l’automne: C’était là... Nos cœurs eurent des moments divins... Le vent passe et je frissonne... O vent qui passe, emporte mon cœur: il est si lourd! IV LES GRANDS LYS PALES Songez au sourire pâle des grands lys dans la nuit. Ils ont des faces tristes et de beaux airs penchés; Leur regard s’allonge en lueur douce et poursuit Ceux qui marchent dans le jardin le front penché. Songez que les grands lys écoutent les paroles Qui sortent des abîmes où sommeillent les cœurs. Ils tendent comme des oreilles leurs corolles Et ils n’oublient jamais le murmure des cœurs. Ils écoutent si bien qu’ils entendent le silence; Ils entendent le bruit du sang dans les artères, Ils entendent les épaules frissonner en silence, Ils entendent ce qu’on tait et qu’on voudrait taire. Les lys aux faces tristes entendent les dentelles Que le vent et la vie gonflent sur les corsages, Ils entendent les cheveux doux comme des dentelles Qu’un souffle agite et tourmente en signe d’orage. Les lys aux faces tristes regardent dans la nuit; Ils voient lorsque les mains se rapprochent tremblantes D’avoir osé s’unir un instant dans la nuit, Et leur sourire a des ironies complaisantes, Car ils savent ce qu’ignorent les hommes et les femmes Et ils pourraient prédire aux âmes leurs destins Et enseigner aux hommes à lire le cœur des femmes: Songez aux grands lys pâles indulgents et divins. V CHANSON PERSANE Celle qui tient mon cœur m’a dit languissamment: «Pourquoi donc es-tu triste et pâle, ô mon Charmant?» M’a dit languissamment celle qui tient mon cœur. Celle qui tient mon cœur m’a dit moqueusement: «Quel miel d’amour a donc englué mon Charmant?» M’a dit moqueusement celle qui tient mon cœur. Moi, j’ai pris un miroir et j’ai dit à la Belle: «Regarde en ce miroir, regarde, ô ma cruelle!» Et j’ai dit à la Belle, en brisant le miroir: «Comme une perle d’ambre attire un brin de paille, La langueur de ton teint m’appelle, je défaille, Je suis le brin de paille et toi la perle d’ambre.» «Apportez-moi des fleurs fleurantes et des cinnames Pour ranimer le cœur de mon Roi qui se pâme, Des cinnames pour son âme et des fleurs pour son cœur!» VI LE CHÊNE Il me semblait que ma pensée Était un chêne solitaire Qui rêve sur sa vie passée Et qui regarde au loin la terre. Devant lui s’étendent des plaines Dont l’homme a fauché les moissons, Et des montagnes incertaines, Là-bas, ferment son horizon. Il a vu la brume et la pluie, Le soleil, le rire et l’amour; Il a vu les jours et les nuits, Et puis les nuits et puis les jours. Des amants, couchés sous son toit, Ont échangé là des mensonges; Et d’autres au cœur grave et droit L’ont pris à témoin de leurs songes. Les plaintes de la volupté Ont fait frissonner son feuillage, Et lui, dans son ample bonté, Donnait aux amants son ombrage. Il chantait: de tendres oiseaux Se poursuivaient parmi ses branches; Leurs cris tombaient en avalanche, Mêlés aux rires des ruisseaux. Il pleurait: les vents d’occident Répandaient sur son front placide Leurs larmes de plomb ou d’argent Et leur neige ou leur gel lucide. Il vivait: son cœur plein de sève Éclatait parfois en sanglots: «Des sirènes semblent des rêves, Songeaient-ils, là-bas, sur les flots...» * * * * * Un jour la mer vint en colère Envahir la plaine et les bois; Mais le chêne à la tête fière Se dressait toujours, sans émoi. «Je suis la vie, je suis le monde, «Lui dit la mer aux flots nombreux. «J’apporte du fond de mes ondes «Un être au cœur aventureux. «Sois toi-même, chêne orgueilleux, «Redeviens homme dans ta chair, «Retrouve ta bouche et tes yeux «Et lève au soleil ton front clair. «Oublie les vieilles amertumes «Que tu trouvas près de la femme. «C’est la nuit; le désir allume «Plus d’un désir au fond des âmes. «Vois: mes vagues silencieuses «S’endorment comme des enfants; «Elle est là: l’heure précieuse «S’éveille et sourit doucement.» Le chêne au multiple feuillage Devint homme, ouvrit ses deux bras, Et la sirène au blanc visage Entra dans son cœur et chanta. VII LA VOITURE DE FLEURS I L’ivresse des jasmins, la tendresse des roses, Ces robes, ces figures, ces yeux, toutes les nuances, Les violettes pâles et les pivoines roses Où l’amour se pâme avec indolence. Ainsi s’en va, traîné le long des rues, Le songe de mes anciens printemps, Cependant qu’une femme a rougi d’être nue Dans la foule indiscrète des amants. Pourquoi? Tu as senti l’odeur de mon désir? Tu as senti la fraîcheur amoureuse des nuées Tomber sur tes épaules, et le plaisir Souffler du vent dans tes cheveux dénoués? Je ne te voyais pas. Je regardais les femmes et les fleurs Comme on regarde des étoffes ou des images: Je me souviens alors de toutes les couleurs Qui enchantaient mes premiers paysages. Ces belles fleurs m’apportent des campagnes et des jardins, Dans leurs aisselles et parmi les plis frais de leurs feuilles, Je reconnais le goût des filles des chemins, Du sureau, de la sauge, du tendre chèvre-feuille; Je promène mon rêve autour de tes rosiers Et de tes pavots, parc aux antiques sourires; Puis je me glisse à travers la houle de vos halliers, Bois où mon cœur avec joie se déchire. II Je me souviens des bois et des jardins, Des arbres et des fontaines, Des champs, des prés et aussi des chemins Aux figures incertaines. Ce vieux bois qui, dans sa verte douceur, Aimait mon adolescence, Il a toujours l’adorable fraîcheur Et la chair de l’innocence. Il a toujours le chant de son ruisseau, Et les plumes de ses mésanges Et de ses geais et de ses poules d’eau, Et le rire de ses anges Car on entend souvent au fond des bois Des souffles, des voix frileuses, Et l’on ne sait si ce sont des hautbois Ou l’émoi des amoureuses. Il a toujours les feuilles de ses aulnes Dont les troncs sont des serpents; Il a toujours ses genêts aux yeux jaunes Et ses houx aux fruits sanglants, Ses coudriers aimés des écureuils, Ses hêtres, qui sont des charmes, Ses joncs, le cri menu de ses bouvreuils, Ses cerisiers pleins de larmes; Ses grands iris, dans leur gaîne de lin, Qu’on appelle aussi des flambes, Ses liserons, désir rose et câlin, Qui grimpe le long des jambes: Liserons blancs, aussi liserons bleus, Liserons qui sont des lèvres, Et liserons qui nous semblent des yeux Doux de filles ou de chèvres; Beaux parasols semés d’insectes verts, Angéliques et ciguës; Vous qui montrez à nu vos cœurs amers, Belladones ambiguës; Blonds champignons tapis sous les broussailles, Oreilles couleur de chair, Morilles d’or, bolets couleur de paille, Mamelles couleur de lait! Il a toujours tout ce qui fait qu’un bois Est un lit et un asile, Un confident aimable à nos émois, Une idée et une idylle. * * * * * Mais un désir me ramène au jardin: Je retrouve ses allées, Ses bancs verdis, ses bordures de thym, Ses corbeilles dépeuplées. Voici ses ifs, ses jasmins, ses lauriers, Ses myrtes un peu moroses, Et voici les rubis de ses mûriers Et ses guirlandes de roses. Je viens m’asseoir à l’ombre du tilleul, Dans la rumeur des abeilles, Et je retrouve, en méditant, l’orgueil, O sourire, et tes merveilles. Sur ce vieux banc, je retrouve l’espoir Et la tendresse des aubes: Je veux, ayant vécu de l’aube au soir, Vivre aussi du soir à l’aube. Le présent rit à l’abri du passé Et lui emprunte ses songes: Le renouveau d’octobre a des pensées Douces comme des mensonges. O vieux jardin, je vous referai tel Qu’en vos nobles jours de grâce; J’effacerai tous les signes de gel Qui meurtrissaient votre face. III Voilà toutes les fleurs, qui passaient dans les rues, En ce matin équivoque de mai. Viens, leurs demeures me sont connues: Nous les retrouverons aux jardins du passé. Viens respirer l’odeur jeune de la vieille terre, Du bois et du grand parc abandonné aux oiseaux. Viens, nous ferons jaillir de son cœur solitaire Des moissons de fruits et de rêves tendres et nouveaux. VIII LÉDA L’innocente Léda baignait ses membres nus, La grâce de son corps enchantait l’eau du fleuve, Et les roseaux, saisis de troubles inconnus, Chantaient une chanson aussi vieille que neuve, Quand le cygne parut, blanche nef sur le fleuve. Quand le cygne parut, blanche nef au front d’or, Léda tressaillit d’aise et demeura songeuse, Puis, lentement, sans bruit, elle revint au bord Et se coucha dans l’herbe, à l’ombre d’une yeuse; La bête s’avançait, belle, ardente et songeuse. La bête s’avançait, belle, ardente, et d’un air Si royal et si mâle, que Léda fut charmée Et qu’elle regretta, dans l’erreur de sa chair, De n’être pas un cygne, afin d’en être aimée Parmi l’ombre et parmi l’herbe molle et charmée. Parmi l’ombre et parmi l’herbe molle et les lys, Léda se ploie au poids de l’animal insigne Tout ruisselant encore des eaux de Simoïs, Et son corps étonné frissonne et se résigne A ne caresser que le plumage d’un cygne. IX LE SOIR DANS UN MUSÉE Les seigneurs blancs couchés dans leurs corsets de marbre, Larves que le sommeil mène à l’éternité? Ces colonnes vêtues de lierre comme des arbres, Ces fontaines qui virent sourire la beauté? Les évêques de cire à la mitre de cuivre, Les mères qu’un enfant fait penser au calvaire, L’angoisse de l’esclave, l’ironie de la guivre, Diane, dont les seins fiers se gonflent de colère? Cette femme aux longues mains pâles et douloureuses? Ces beaux regards de bronze, ces pierres lumineuses Qui semblent encore pleurer un amour méconnu? Non. Soumis au désir qui m’écrase et me charme, Je ne voyais rien dans l’ombre pleine de larmes Qu’une main mutilée crispée sur un pied nu. X LE VOYAGEUR L’herbe fleurit toujours au creux frais de ton ventre, Terre, pourquoi refuser ton ventre au voyageur? Et si le seigle est mûr, il a faim et ses mains Tremblent d’amour quand il pense à toutes les gerbes. Il sait que la forêt bleue et verte est ouverte Aux chiens qui vont flairer le parfum des tanières: Les fleurs fanées d’hier ont des odeurs d’étoiles, Mais le vieux ciel est moins cruel que l’aubépine. La spirale s’enroule aux serpents de l’éther, Frappe et plie, pèlerin, tes épaules pensives: Le moulin tourne et la mélancolie des oies Écrit ta destinée sur l’horizon sanglant. Heure, ami, crépuscule, et le plaisir des mules Et les pleurs de la roue et l’ange qui s’envole: Ferme tes poings, dors-toi dans l’astre de ton rêve: L’escadre des méduses tombe et crève sur les grèves. 1895 XI RONDEAU LYRIQUE Les cœurs dorment dans des coffrets Que ferment de belles serrures; Sous les émaux et les dorures La poussière des vieux secrets Et des lointaines impostures Se mêle aux frêles moisissures Des plus récentes aventures: Chère, ôtez vos doigts indiscrets, Les cœurs dorment. Vos doigts ravivent des blessures Et vos regards sont des injures, Laissez-les reposer en paix. Comme des rois dans leurs palais Ou des morts dans leurs sépultures, Les cœurs dorment. XII LES ROSES DANS L’ORAGE Les roses pâles sont blessées Par la rudesse de l’orage, Mais elles sont plus parfumées, Ayant souffert davantage. Mets cette rose à ta ceinture, Garde en ton cœur cette blessure, Sois pareille aux roses de l’orage. Mets cette rose en un coffret Et souviens-toi de l’aventure Des roses blessées par l’orage, L’orage a gardé son secret, Garde en ton cœur cette blessure. XIII INSCRIPTIONS CHAMPÊTRES Printemps, ô frêle et bleue anémone Dans la langueur pâle de tes yeux clairs L’amour a mis son âme éphémère, Le vent te donne un parfum d’automne. * * * * * Été, quand l’orgueil des roseaux sur la rive Marque le cours du fleuve vers la mer, le soir On voit dans l’eau des ombres se coucher pensives: Lents et doux, les bœufs s’en vont à l’abreuvoir. * * * * * Automne, il pleut des feuilles, il pleut des âmes, Il pleut des âmes mortes d’amour, les femmes Contemplent l’Occident avec mélancolie, Les arbres font dans l’air de grands gestes d’oubli. * * * * * Hiver, femme aux yeux verts tombés sous le linceul des neiges, Tes cheveux sont poudrés de gel, d’amertume et de sel, O Momie, et ton cœur vaincu, docile aux sortilèges, Dort, escarboucle triste, au fond de ta chair immortelle. XIV L’EXIL DE LA BEAUTÉ (FRAGMENT) A N. C. B. «... Va, cherche dans la vieille forêt humaine L’abri que je destine à ta vie incertaine. Ne tremble pas trop quand le soir resserrera tes veines; Songe que les chairs fanées ne peuvent refleurir Et garde aux coins de ta bouche pâle l’ombre d’un sourire. Prends un bâton, si tu veux, et aussi une besace, Marche, en suivant, le long des champs, la trace Que font les bœufs qui s’en vont au labour Et les enfants en quête des fleurs nouvelles de l’amour. Tu trouveras peut-être l’amour sur ton chemin Ou la mort, ou des pauvres qui tendront la main Vers ton cœur ou bien vers ta gorge: Tu leur donneras ce que tu as, un morceau de pain d’orge, Mais ils diront des injures Et des larmes te viendront aux yeux d’entendre des paroles impures. Ne pleure pas, lève la tête, les dieux, Quand ils sont en exil, marchent encore dans les cieux. Dérobe aux hypocrites ta noble nudité, Sois pour eux la laideur, toi qui es la beauté...» XV LE SOIR Heure incertaine, heure charmante et triste: les roses Ont un sourire si grave et nous disent des choses Si tendres que nos cœurs en sont tout embaumés; Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée, La nuit a la douceur des amours qui commencent, L’air est rempli de songes et de métamorphoses; Couchée dans l’herbe pure des divines prairies, Lasse et ses beaux yeux bleus déjà presque endormis, La vie offre ses lèvres aux baisers du silence. Heure incertaine, heure charmante et triste: des voiles Se promènent à travers les naissantes étoiles Et leurs ailes se gonflent, amoureuses et timides, Sous le vent qui les porte aux rives d’Atlantide; Une lueur d’amour s’allume comme un adieu A la croix des clochers qui semblent tout en feu Et à la cime hautaine et frêle des peupliers: Le jour est pâle ainsi qu’une femme oubliée Qui peigne à la fenêtre lentement ses cheveux. Heure incertaine, heure charmante et triste: les heures Meurent quand ton parfum, fraîche et dernière fleur, Épanche sur le monde sa candeur et sa grâce: La lumière se trouble et s’enfuit dans l’espace, Un frisson lent descend dans la chair de la terre, Les arbres sont pareils à des anges en prière. Oh! reste, heure dernière! Restez, fleurs de la vie! Ouvrez vos beaux yeux bleus déjà presque endormis... Heure incertaine, heure charmante et triste: les femmes Laissent dans leurs regards voir un peu de leur âme; Le soir a la douceur des amours qui commencent. O profondes amours, nobles filles de l’absence, Aimez l’heure dont l’œil est grave et dont la main Est pleine des parfums qu’on sentira demain; Aimez l’heure incertaine où la mort se promène, Où la vie, fatiguée d’une journée humaine, Entend déjà chanter, tout au fond du silence, L’heure des soleils nouveaux et l’heure des renaissances! LE VIEUX COFFRET I SONGE Je voudrais t’emporter dans un monde nouveau Parmi d’autres maisons et d’autres paysages Et là, baisant tes mains, contemplant ton visage, T’enseigner un amour délicieux et nouveau, Un amour de silence, d’art et de paix profonde: Notre vie serait lente et pleine de pensées, Puis, par hasard, nos mains un instant rapprochées Inclineraient nos cœurs aux caresses profondes. Et les jours passeraient, aussi beaux que des songes, Dans la demi-clarté d’une soirée d’automne, Et nous dirions tout bas, car le bonheur étonne: Les jours d’amour sont doux quand la vie est un songe. II BERCEUSE Viens vers moi quand tu chantes, amie, j’ai des secrets Que tu liras toi-même au reflet de mes yeux. Viens, entoure mon cou dans tes bras, viens tout près Et ton cœur entendra des mots silencieux. Viens vers moi quand tu rêves, amie, j’ai des paroles Dont le murmure seul est comme une douceur. Elles imposent l’oubli, le doute, elles désolent, Et pourtant leur musique enchante la douleur. Viens vers moi quand tu ris, amie, j’ai des regards Très longs qui vont porter la peur au fond de l’âme. Viens, ils transperceront ton cœur de part en part Et tu sentiras naître en toi une autre femme. Viens vers moi quand tu pleures, amie, j’ai des caresses Qui captent les sanglots amers au bord des lèvres. Je ferai tressaillir la chair de ta jeunesse Amie, viens boire une âme nouvelle sur mes lèvres. III IN UNA SELVA OSCURA La lumière est plus pure et les fleurs sont plus douces, Le vent qui passe apporte des roses lointaines, Les pavés sous nos poids deviennent de la mousse, Nous aspirons l’odeur des herbes et des fontaines. Un printemps nous enveloppe de son sourire, Entre nous et le bruit un rideau de verdure Tremble et chatoie, nous protège et soupire, Cependant que notre âme s’exalte et se rassure. O vie! Fais que ce léger rideau de verdure Devienne une forêt impénétrable aux hommes Où nos cœurs, enfermés dans sa fraîcheur obscure, Soient oubliés du monde, sans plus penser au monde! IV LES FOUGÈRES O Forêt, toi qui vis passer bien des amants Le long de tes sentiers, sous tes profonds feuillages, Confidente des jeux, des cris et des serments, Témoin à qui les âmes avouaient leurs orages. O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus Un jour d’été fouler tes mousses et tes herbes, Car ils ont trouvé là des baisers ingénus Couleur de feuilles, couleur d’écorces, couleur de rêves. O Forêt, tu fus bonne, en laissant le désir Fleurir, ardente fleur, au sein de ta verdure. L’ombre devint plus fraîche: un frisson de plaisir Enchanta les deux cœurs et toute la nature. O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus Un jour d’été fouler tes herbes solitaires Et contempler, distraits, tes arbres ingénus Et le pâle océan de tes vertes fougères. V L’ÉCRIN _LE COLLIER_ Voici le beau collier des tendres souvenirs Pour le cou blanc aux veines de verveine. Le premier rang est fait de mes désirs Et le second, des perles de mes peines; Le troisième, où les grains sont plus purs et plus lourds, Représente la joie de mes heures d’amour. _LES BRACELETS_ Je referme mes mains autour de tes poignets, J’arrête sans pitié le cours de tes artères Et je mets pour fermoirs à ces deux bracelets Deux rubis embrasés. _LES BAGUES_ Pour bagues, j’ai mordu la phalange De chacun de tes doigts menus et doux, Et j’ai serti dans ces bijoux étranges Des baisers jaloux, des baisers fous. _LA MONTRE_ Penche-toi sur mon cœur et incline ta joue Sur le rideau de chair. C’est la montre. Ainsi sont ordonnées ses aiguilles et ses roues Qu’elles marquent toujours l’heure de l’amour et du songe. _LA CHAINE_ Que la chaîne de tes pensées Soit toujours à mon cou passée. VI LA MAIN _A NA.... S_ I Main qui chantais, main qui parlais, Main qui étais comme une personne, Main amoureuse qui savais Comment on prend, comment on donne; Main sur laquelle on a pleuré Comme d’une fontaine fraîche, Main sur laquelle on a crié D’amour, de joie ou de détresse; Main qui reçus les confidences Que la peur fait à la volupté, Main de calme et d’impatience, Main de grâce et de volupté; Main que des dents ont mordue Et que des ongles ont déchirée Dans leur frénésie ingénue, Main que des lèvres ont pansée; Main des rêves, main des caresses, Main des frissons, main des tendresses, Main de la ruse et de l’adresse, O main, maîtresse des maîtresses; Main qui donnas tant de joies A tant de chairs éperdues, O main comme de la soie Sur les belles poitrines nues; O main, toi qui avais une âme Pour l’heure douce du désir, Et qui avais encore une âme A l’heure âpre du plaisir, O main, tu trembles encore aux souvenirs charnels! II Afin que tu éprouves des tendresses nouvelles, Je te donne à l’amie qui régit mon destin: Ses yeux sont des fleurs vives, ses cheveux sont des ailes, Son esprit se promène, songeur et incertain, Sois sage, ô main trop tendre, et cache le passé Sous tes ongles, aux replis secrets de tes jointures, Comme je cache au fond de mon vieux cœur blessé Le souvenir sacré des belles meurtrissures. O main, je te regarde avec mélancolie. TABLE DES MATIÈRES Pages. PRÉFACE 7 HIÉROGLYPHES I. HIÉROGLYPHES 21 II. FIGURE DE RÊVE 24 III. FRA I SOSPESI 26 IV. ASCENSION 28 V. LE SOURIRE 30 VI. LE LAC SACRÉ 34 VII. MARITURA 37 VIII. LA FORÊT BLONDE 39 IX. SYMBOLES 42 LES SAINTES DU PARADIS HOMMAGE 47 DÉDICACE 49 AGATHE 51 AGNÈS 52 ANGÈLE 53 CATHERINE 53 COLETTE 54 FRANÇOISE 54 GENEVIÈVE 55 GERTRUDE 55 GUDULE 56 HÉLÈNE 57 JEANNE 57 JULIE 58 MARCELLE 59 MARGUERITE 59 MARIE 60 MATHILDE 60 NATALIE 61 PAULE 62 URSULE 62 ZITE 63 ORAISONS MAUVAISES I. QUE TES MAINS SOIENT BÉNIES 67 II. QUE TES YEUX SOIENT BÉNIS 68 III. QUE TES SEINS SOIENT BÉNIS 68 IV. QUE TON VENTRE SOIT BÉNI 69 V. QUE TA BOUCHE SOIT BÉNIE 69 VI. QUE TES PIEDS SOIENT BÉNIS 70 VII. QUE TON AME SOIT BÉNIE 70 SIMONE I. LES CHEVEUX 73 II. L’AUBÉPINE 76 III. LE HOUX 79 IV. LE BROUILLARD 81 V. LA NEIGE 84 VI. LES FEUILLES MORTES 86 VII. LA RIVIÈRE 88 VIII. LE VERGER 92 IX. LE JARDIN 95 X. LE MOULIN 97 XI. L’ÉGLISE 100 PAYSAGES SPIRITUELS I. LA DAME DE L’ÉTÉ 107 II. CHANSON DE L’AUTOMNE 109 III. LA DAME DE L’AUTOMNE 112 IV. LES GRANDS LYS PALES 115 V. CHANSON PERSANE 118 VI. LE CHÊNE 120 VII. LA VOITURE DE FLEURS 125 VIII. LÉDA 133 IX. LE SOIR DANS UN MUSÉE 136 X. LE VOYAGEUR 138 XI. RONDEAU LYRIQUE 140 XII. LES ROSES DANS L’ORAGE 143 XIII. INSCRIPTIONS CHAMPÊTRES 145 XIV. L’EXIL DE LA BEAUTÉ 146 XV. LE SOIR 148 LE VIEUX COFFRET I. SONGE 153 II. BERCEUSE 155 III. IN UNA SELVA OSCURA 157 IV. LES FOUGÈRES 159 V. L’ÉCRIN: LE COLLIER 161 LES BRACELETS 162 LES BAGUES 162 LA MONTRE 162 LA CHAINE 163 VI. LES MAINS 165 CE LIVRE, LE CINQUIÈME DE LA COLLECTION DES MAITRES DU LIVRE, A ÉTÉ ÉTABLI SOUS LA DIRECTION DE AD. VAN BEVER. TIRÉ A HUIT CENT CINQUANTE-QUATRE EXEMPLAIRES, SOIT: 3 EXEMPLAIRES SUR VIEUX JAPON IMPÉRIAL, NUMÉROTÉS DE 1 A 3; 5 EXEMPLAIRES SUR CHINE, NUMÉROTÉS DE 4 A 8; 46 EXEMPLAIRES SUR JAPON IMPÉRIAL (DONT 6 HORS COMMERCE), NUMÉROTÉS DE 9 A 48 ET DE 49 A 54; ET 800 SUR PAPIER D’ARCHES (DONT 50 HORS COMMERCE), NUMÉROTÉS DE 55 A 804 ET DE 805 A 854. LE PRÉSENT OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER PAR TOURBIER, LOOS ET Cie, A MONTROUGE, LE XIV FÉVRIER MCMXII. LES ORNEMENTATIONS TYPOGRAPHIQUES ONT ÉTÉ DESSINÉES ET GRAVÉES SUR BOIS PAR JACQUES BELTRAND ET P.-E. VIBERT. Note du transcripteur En raison de pages manquantes dans l’exemplaire original, les poèmes _Symboles_, _Dédicace_ et _Agathe_ ont été tirés de l’édition du Mercure de France, 1914. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DIVERTISSEMENTS: POÈMES EN VERS *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. 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START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate. While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate. Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. 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