The Project Gutenberg eBook of Dictionnaire de la langue verte

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Title: Dictionnaire de la langue verte

Author: Alfred Delvau

Contributor: Gustave Fustier

Release date: April 3, 2017 [eBook #54482]
Most recently updated: January 24, 2021

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DICTIONNAIRE DE LA LANGUE VERTE ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

I

DICTIONNAIRE
DE LA
LANGUE VERTE

II

A LA MÊME LIBRAIRIE
ALFRED DELVAU
LES HEURES PARISIENNES
Un beau volume grand in-16 sur papier vergé
ILLUSTRÉ DE 25 EAUX-FORTES ET DU PORTRAIT DE DELVAU
Prix: 12 francs

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LES AMOURS BUISSONNIÈRES
Un volume de la collection des «AUTEURS CÉLÈBRES»
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MÉMOIRES D'UNE HONNÊTE FILLE
Un volume de la collection des «AUTEURS CÉLÈBRES» Prix: 60 centimes

ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CH. HÉRISSEY

III

ALFRED DELVAU
Dictionnaire
DE LA
LANGUE VERTE
NOUVELLE ÉDITION
conforme à la dernière revue par l'Auteur
AUGMENTÉE
D'UN SUPPLÉMENT
PAR
GUSTAVE FUSTIER


PARIS
C. MARPON & E. FLAMMARION, ÉDITEURS
rue Racine, 26, près l'Odéon.
Tous droits réservés.

IV V

PRÉFACE DE L'AUTEUR
I

Après l'étude des insectes, ces infiniment petits de la création divine, il n'en est peut-être pas de plus attrayante que l'étude des mots, ces infiniment petits de la création humaine,—aussi destructeurs les uns que les autres, les uns du sol, les autres de l'âme. Le jour où l'homme est devenu savant, il est devenu méchant: la bouche est un arc dont les syllabes sont les flèches. C'est avec cela que nous nous entretuons depuis l'invention de la parole et de sa sœur de lait l'écriture.

Qu'on se rassure! Je ne veux pas remettre de béquet au paradoxe usé de Jean-Jacques, lequel, d'ailleurs, quoique usé, peut marcher encore longtemps: je me contente de constater en passant l'influence désastreuse d'un bienfait. Je regrette peut-être de savoir écrire et de savoir parler, mais je ne regrette pas de savoir lire et de savoir écouter: si mon esprit n'y a rien gagné en ornements, il y a gagné en autre chose. J'ai souffert de savoir, j'en souffrirai jusqu'au bout de ma vie mortelle, mais je suis trop civilisé et trop Parisien pour ne VI pas aimer les picotements de mes plaies. Quand je rendrai mon âme au Créateur,—qui en sera probablement aussi embarrassé que j'en ai été moi-même—je ne me serai pas beaucoup amusé, mais j'aurai été violemment distrait en ayant été violemment houspillé. Distraction passe rentes.

Bonne ou mauvaise, la parole—ou l'écriture, car toutes deux marchent de pair,—est une invention sur laquelle il n'y a pas à revenir. Cela est, que cela soit! Mais précisément parce que cela est, l'entomologie littéraire est une science fort attrayante qui a consumé au moins autant de vaillants cerveaux que l'autre entomologie. Celle-ci compte parmi ses illustrations Réaumur, Linné, Bonnet, Latreille, Lamarck, Van Geer, Duméril, etc., etc. Celle-là compte parmi les siennes:—pour ne pas remonter trop haut:—Érasme, Guillaume Budé, les Scaliger, les Vossius, Casaubon, Turnèbe, Saumaise, les Estienne, Du Cange, Estienne Pasquier, P. Borel, le président Fauchet, Gilles Ménage, Dom Rivet, Le Duchat, Bernard de la Monnoye, Lacurne de Sainte-Palaye, Dupont de Nemours, et, en se rapprochant davantage de nous, Gabriel Peignot, Roquefort, Charles Nodier, Francisque Michel, F. Genin, Marty-Laveaux, Burgaud des Marets, Charles d'Héricault, le comte Jaubert, et d'autres encore. Ah! les entomologistes littéraires ne manquent pas en France!

Moi, je ne compte pas, bien entendu; je fais nombre seulement,—comme les zéros. Je n'ai jamais mis ma gloire à écrire un livre utile sur la matière, comme ont fait la plupart de mes illustres devanciers: j'ai chassé aux mots comme on chasse aux papillons,—pour mon propre plaisir. Aux papillons et aux scarabées aussi, aux chenilles aussi, aux anoplures aussi,—aux anoplures surtout, dirai-je hardiment, sans vergogne aucune. Pourquoi m'en défendre? Toutes les curiosités sont permises: les yeux ont le droit de voir, les oreilles de tout entendre; seules, les lèvres n'ont pas toujours le droit VII de tout révéler,—ce qui est un mal. J'ai laissé aux délicats d'en haut, aux aristocrates de la philologie, le soin de trier, de classer et d'étiqueter leurs trouvailles de choix. Ravageur littéraire, j'ai obscurément, pendant sept ou huit ans, battu de mon crochet tous les ruisseaux, promené ma lanterne sourde dans les coins ténébreux, ramassant sans cesse et sans fin, heureux d'un tesson comme Rousseau d'une pervenche, et enrichissant chaque jour mon musée d'un nouveau débris, sans lui enlever un grain de sa poussière, un atome de sa boue, une parcelle de sa rouille: tel trouvé, tel conservé. En mouchant une expression malpropre, on s'expose à lui arracher le nez, c'est-à-dire le caractère, l'originalité.

Ce sont ces mots morveux que je me suis plu à colliger pendant sept ou huit ans et à réunir en un corps de livre dont je n'espérais jamais tirer parti que pour moi seul, pour ma propre édification. Le hasard—qui est le dieu des livres encore plus que des hommes—en a décidé autrement; le Dictionnaire de la langue verte a paru et l'empressement du public à en épuiser la première édition jusqu'au dernier exemplaire m'a prouvé qu'il y avait de par le monde d'autres curieux que moi. Je m'en réjouis sans m'en enorgueillir, ayant pour vice capital la modestie, et, quoique mon nom soit désormais fatalement accolé au Dictionnaire de la langue verte comme celui du Florentin Vespuce au Nouveau-Monde, je ne fais aucune difficulté pour déclarer que je n'ai pas eu l'honneur de découvrir cette Amérique; il y a eu avant moi de hardis ravageurs parisiens. Je n'ai pas à leur décerner de remerciements, n'ayant pas jugé bon de me servir d'eux, ni à leur adresser d'éloges, n'en ayant déjà pas de trop pour moi. Car enfin, il faut bien que je me décide à le répéter: enfant du pavé de Paris, et d'une famille où l'on est faubourien de père en fils depuis cinq ou six générations, j'ai cueilli sur leur tige et ramassé sur leur fumier natal tous les mots de mon Dictionnaire, VIII tous les termes bizarres, toutes les expressions pittoresques qui s'y trouvent accumulées: il n'en est pas une seule que je n'aie entendue de mes oreilles, cent fois au moins, dans la rue Saint-Antoine ou dans la rue Neuve-Bréda, dans un atelier de peintres ou dans un atelier d'ouvriers, dans les brasseries littéraires ou dans les cabarets populaciers, ici ou là, même ailleurs où beaucoup de délicats n'osent pas aller de peur de s'y crotter l'oreille et de s'y salir l'esprit, et où je n'ai pas craint d'aller, moi, parce que nous avons, nous autres moralistes, le double privilège de la salamandre et de l'hermine, et que nous pouvons traverser toutes les flammes sans en être roussis, toutes les fanges sans en être souillés.

Voilà ce qui constitue le mérite, j'oserai ajouter la saveur, du dictionnaire de la Langue verte, dont je désire qu'on dise—au lieu de le redouter—ce qu'on a dit du Tableau de Paris de Sébastien Mercier, qu'il a été pensé dans la rue et écrit sur une borne: cette ironie serait son éloge et ma récompense, parce qu'elle prouverait qu'il est un fidèle tableau des mœurs ondoyantes et diverses des Parisiens de l'an 1865-66. Et puis, qu'on m'en sache gré ou non, j'ai la conviction d'avoir fait quelque chose d'utile en remuant cette fange, en plongeant résolument dans les entrailles mêmes de cet océan de boue, d'où, si j'ai rapporté des madrépores et des polypes monstrueux, j'ai dû rapporter aussi quelques coraux et quelques perles.

II

Maintenant, pourquoi Dictionnaire de la Langue verte? Ce n'est pas là, qu'on daigne me croire, un titre de fantaisie choisi pour accrocher le regard du passant et forcer son attention: IX je ne l'ai pris que parce que je devais le prendre, parce que les mots de ce Dictionnaire appartiennent à la Langue verte.

Je n'ai pas plus inventé cette appellation singulière que je n'ai inventé les divisions de cant et de slang, qui servent à distinguer les argots anglais, et qui m'aideront à distinguer les argots parisiens. Le  [1],cant c'est l'argot particulier; le slang, c'est l'argot général. Les voleurs parlent spécialement le premier; tout le monde à Paris parle le second,—je dis tout le monde; si bien qu'un étranger, un Russe par exemple, ou un provincial, un Tourangeau, sachant à merveille «la langue de Bossuet» et de Montesquieu, mais ignorant complètement la langue verte, ne comprendrait pas un mot des conversations qu'il entendrait en tombant à l'improviste dans un atelier de peintres ou dans un cabaret d'ouvriers, dans le boudoir d'une lorette ou dans le bureau de rédaction d'un journal. En France, on parle peut-être français; mais à Paris on parle argot, et un argot qui varie d'un quartier à l'autre, d'une rue à l'autre, d'un étage à l'autre. Autant de professions, autant de jargons différents, incompréhensibles pour les profanes, c'est-à-dire pour les gens qui ne font que traverser Pantin, la capitale des stupéfactions, parce qu'elle est celle des étrangetés. L'argot des gens de lettres ne ressemble pas plus à celui des ouvriers que celui des artistes ne ressemble à celui des filles, ou celui des bourgeois à celui des faubouriens, ou celui des voyous à celui des académiciens,—car les académiciens aussi parlent argot au lieu de parler français, ainsi que le prouveront les exemples semés dans ce livre.

X J'en conviens sans effort, c'est une langue sanglante et impie, le cant, l'argot des voleurs et des assassins; une langue triviale et cynique, brutale et impitoyable, athée aussi, féroce aussi, le slang, l'argot des faubouriens et des filles, des voyous et des soldats, des artistes et des ouvriers. Toutes deux, je le sais, renferment une ménagerie de tropes audacieux, ricaneurs et blasphémateurs, une cohue de mots sans racine dans n'importe quelle autre langue, sans aucune étymologie, même lointaine, qui semblent crachés par quelque bouche impure en veine de néologismes et recueillis par des oreilles badaudes; mais toutes deux aussi, quoi qu'on fasse et dise, sont pleines d'expressions pittoresques, de métaphores heureuses, d'images justes, de mots bien bâtis et bien portants qui entreront un jour de droit dans le Dictionnaire de l'Académie comme ils sont entrés de fait dans la circulation, et même dans la littérature [2], où ils se sont si vite acclimatés et où, de voyous, ils sont devenus bourgeois. Et je ne parle pas d'un vaudeville isolé, comme les Deux Papas très bien, où l'on «dévide le jar» aussi proprement qu'à Poissy; je parle du Dictionnaire de M. Littré et des œuvres dramatiques les plus importantes de ce temps, les Effrontés d'Émile Augier, la Vie de Bohème d'Henry Murger, la Famille Benoiton de Victorien Sardou, etc.

Pour qu'il en soit ainsi, pour que des écrivains de valeur—au théâtre, dans le roman, dans la fantaisie—se soient laissé raccrocher par ces expressions hardies, forcées de faire XI le trottoir parce que, sans domicile légal, il faut qu'elles aient des séductions, des irrésistibilités que n'ont pas les mots de la langue officielle, il faut qu'ils aient reconnu dans cette langue du ruisseau la succulence, le nerf, le chien de la langue préférée de Montaigne et de Malherbe [3].

Qui sait d'ailleurs si cette langue parisienne, qui charrie tant de paillettes d'or au milieu de tant d'immondices,—Flore étrange où tant de plantes charmantes s'épanouissent au milieu de tant de plantes vénéneuses—n'est pas appelée un jour à transfuser son sang rouge dans les veines de la vieille langue française, appauvrie, épuisée depuis un siècle, et qui finira par disparaître comme le sanscrit? Les puristes du sérail ont beau la déclarer fixée, immuable, éternelle, cela ne l'empêche pas de se déliter, de s'effriter, de se lézarder: si l'on n'y prend garde, elle s'effondrera, malgré les béquilles que lui mettent en guise d'étais, ses quarante architectes de l'Institut. Caveant consules! Veillez au maintien de la langue parisienne, écrivains qui voulez qu'il y ait encore une langue française!

III

On s'étonnera peut-être de voir réunis, confondus dans une promiscuité fâcheuse, le cant et le slang, l'argot des gredins et XII celui des honnêtes gens, les adorables mimologismes des enfants et les expectorations repoussantes des faubouriens. C'était une nécessité née de la confusion déplorable des classes sociales à Paris, où le crime coudoie le travail, où le cynisme heurte l'innocence, où le vice flâne en compagnie de la vertu, où l'esprit emboîte le pas à la bêtise. Frères ennemis, ces argots, mais frères,—comme les hommes qui les parlent.

On pourrait s'étonner aussi, et tout aussi justement, de voir attribuer à la langue populaire une foule de mots sortis de la langue du bagne, de la prison et des mauvais lieux. Au premier abord, cela choque autant que cela surprend, oui; mais en réfléchissant à la façon dont s'enrichissent les langues, on comprend et l'on s'incline, attristé. Une expression tombe des lèvres flétries d'un forçat, non pas au bagne, où il est défendu aux honnêtes gens d'aller, mais dans un cabaret, dans une rue de Paris, où il est interdit aux coquins de séjourner et où ils accourent tous comme des frelons sur un gâteau de miel: dix paires d'oreilles la ramassent et dix bouches la répètent, sans l'essuyer. Elle fait son chemin d'atelier en atelier, de faubourg en faubourg, jusqu'au jour où, tombant à son tour des lèvres d'un ivrogne [4], dans un café littéraire ou dans une brasserie artistique, elle est alors recueillie par quelque curieux aux écoutes, par quelque flâneur aux aguets, qui la trouve accentuée, originale, et la colporte çà et là,—tant et si bien que, finalement, elle entre dans un article, puis dans un livre, puis dans la circulation générale. Allez donc maintenant l'en retirer, comme tachée de boue et de sang! Essayez donc, au nom de la morale et du goût, de la démonétiser par décret XIII comme une pièce de trente sols! Elle n'est pas frappée à la Monnaie fondée par Richelieu, elle ne porte pas l'effigie de l'un des Quarante, elle n'est pas d'un métal très pur, tout cela est vrai; mais elle sonne bien, argent ou cuivre, et cela suffit pour qu'elle soit échangée comme monnaie courante de la conversation.

Il en est de même des mots à panaches et à images improvisés par des néologues en haillons ou en blouse, par Gavroche ou par Cabrion. L'esprit court les rues et les ateliers; l'œil du voyou ou du rapin, toujours ouvert, comprend plus rapidement que l'œil du bourgeois, toujours endormi ou toujours affairé: lorsqu'un ridicule ou un vice insolent passe à la portée de cet impitoyable rayon visuel, il est happé,—gare à la gouaillerie féroce qui va le fusiller! Ce que, dans mes déambulations diurnes et nocturnes à Paris, j'ai entendu de phrases énormes, pimentées, saisissantes, cruelles, appliquées en plein dos comme des coups de pied, ou en plein visage comme des soufflets, à de pauvres diables de l'un ou de l'autre sexe, affligés, celui-ci de cette infirmité, celle-là de ce ridicule; ce que j'ai entendu composerait un gros livre—inimprimable. Ah! je ne sais pas ce que l'homme a fait à l'homme, mais il se venge bien odieusement de lui—sur lui!

Il y a mille moyens de contagion pour un mot, et c'est précisément ce qui universalise l'argot. La rue d'abord, où passe tout le monde; le cabaret, si diversement peuplé; le mauvais lieu,—une autre rue. Quelque envie qu'aient les gens les plus chastes de mettre un cadenas à leurs oreilles, ils entendent—et retiennent—Dieu sait quels vocables excentriques, bouffons, audacieux, hauts en couleur. Les filles—drôlesses et petites dames mêlées—ont un jargon bariolé qui participe beaucoup de leurs relations aussi multiples que fugaces. Toutes les professions masculines avec lesquelles elles sont en contact permanent donnent à leur langage une teinte polyglotte très XIV prononcée,—polyglotte et cosmopolite, car elles gardent volontiers de ces commerces incessants un certain nombre de mots étrangers qu'elles francisent à leur manière. Un étranger en apprend plus long qu'un Parisien, en un mois de séjour dans un boudoir ou dans une antichambre d'actrice,—et il emporte chez lui une singulière opinion de la «langue de Bossuet». Pauvre Bossuet! Pauvre langue!

IV

Puisque j'en suis au chapitre des étonnements, je dois prémunir mes lecteurs contre celui qu'ils éprouveront certainement à rencontrer çà et là, dans ce Dictionnaire de la Langue verte, des mots auxquels le Dictionnaire de l'Académie a donné asile, comme on donne asile aux gueux et aux vagabonds. Ces mots sont considérés par lui comme bas et populaciers, et il en défend l'usage aux gens du bel air, aussi bégueules que lui: à cause de cela, ils me revenaient de droit, puisque je fais le Glossaire de la langue du peuple parisien, le Compendium du slang. La langue verte, au rebours de la langue académique, se compose précisément des mots qui ne s'écrivent pas, mais qui se parlent à certains étages de la société.

Or, je suis de ceux qui prétendent que «toutes paroles se laissent dire et tout pain mangier»,—avec d'autant plus de raison que les expressions proscrites comme indignes, condamnées comme shocking par le Dictionnaire de l'Académie, sont du meilleur français que je connaisse, d'un français plus étymologique, plus rationnel, plus expressif, plus éloquent que celles auxquelles ladite Académie a accordé droit de cité,—le français de Jean de Meung et de Guillaume de Lorris, XV de François Villon et de François Rabelais, de Philippe Desportes et de Bonaventure Des Périers, d'Henri Estienne et de Clément Marot, de Michel Montaigne et de Mathurin Régnier, d'Agrippa d'Aubigné et de Brantôme, de Froissart et d'Amyot, etc. Il paraît qu'il est de bon goût, dans les hautes régions, de renier ses ancêtres et de mentir à ses origines; les gens distingués se croiraient déshonorés,—savants et gandins,—en parlant la langue des petites gens, qui, cependant, sont les plus fidèles gardiens et les plus rigoureux observateurs de la tradition. Oui, il faut que les gens distingués en prennent leur parti: le peuple est le Conservatoire du vrai langage [5].

Je comprends, du reste, qu'on regimbe à admettre cette vérité élémentaire, qui froisse les habitudes d'esprit prises—parce qu'imposées—dans les collèges, où l'on n'enseigne qu'un français de convention, soufflé comme une baudruche, désossé comme un roastbeef, c'est-à-dire privé depuis longtemps de toute racine étymologique, grâce aux progrès croissants XVI de la Réforme orthographique [6]. Moi aussi, au début de ma vie, en entendant les vieux de mon faubourg natal employer des phrases d'antan, je souriais de pitié, presque de mépris, ne comprenant pas qu'on pût s'exprimer autrement que M. de Campistron en ses tragédies et M. de Marmontel en ses Contes moraux. J'avais alors de sourdes révoltes à propos de l'éloquence forcenée de mon aïeul, qui ne pouvait ouvrir la bouche sans commettre une hérésie, sans se rendre coupable du crime de lèse-majesté classique. Il me semblait qu'il parlait là une langue sauvage, une façon d'algonquin ou de topinambou, qui n'avait jamais été parlée avant lui et ne devait plus l'être après lui, et, pour un peu, à chaque mot tombé de ses lèvres sibyllines, je me fusse signé comme devant un blasphème. Hélas! ce vieux faubourien était un académicien de la bonne roche,—celle d'où jaillit ce français si clair, si pur, si viril, si expressif, si sonore, si complet, si beau, dont il semble qu'on ait tout à fait perdu le secret, aujourd'hui que, langue verte à XVII part, notre littérature est livrée à l'euphuisme, au gongorisme, aux concetti, à la préciosité et à je ne sais plus quelles autres bêtes qui la dévorent en la souillant.

Comme expiation, ou plutôt comme réparation de mon erreur, qui est encore celle de bien des honnêtes gens, j'ai dû donner large place dans le présent livre à cette langue populacière, rejetée avec mépris hors de la littérature et de la conversation. Elle eût été plus convenablement ailleurs, dans le Dictionnaire de l'Académie, par exemple, mais sans l'étiquette déshonorante et ridicule que vous savez; malheureusement, le Dictionnaire de l'Académie n'est hospitalier que pour les siens, et, s'il a consenti à entre-bâiller ses feuillets pour laisser entrer, en rechignant, quelques-uns des mots du langage populaire, il les a bien vite refermés de peur d'en laisser entrer un trop grand nombre,—qui eussent été, pourtant, sa richesse et son orgueil. L'Académie est myope: de l'or elle ne voit que la gangue.

Et, puisque je tiens l'Académie, je ne veux pas la lâcher sans me justifier, non pas devant elle, mais devant mes lecteurs, de l'irrévérence avec laquelle je n'ai pas craint de la traiter en introduisant dans le Dictionnaire de la Langue verte ce que je n'ai pas craint d'appeler l'argot des académiciens. Ce n'est pas là une malignité d'écrivain fantaisiste, mais une impérieuse nécessité de classification. Si les académiciens parlaient XVIII comme tout le monde, je n'eusse jamais songé à leur consacrer une seule ligne dans ce Dictionnaire impertinemment édifié à côté du leur; mais ces pontifes du beau langage, s'imaginant sans doute qu'écrire c'est officier, ont de tout temps employé pour s'exprimer des expressions dont l'emphase prudhommesque et l'inintelligibilité singulière semblent appartenir à ce qu'on pourrait proprement appeler une langue bleue. Bleue ou verte, c'est la même chose, puisque ce n'est pas la langue française de nos aïeux; et, pour ma part, j'avoue ne voir aucune différence entre les périphrases de Commerson et celles de l'abbé Delille, entre l'argot de la rue et l'argot de l'Institut. En quoi, je vous prie, broûter les pâturages de l'erreur est-il plus singulier que le tube qui vomit la fumée? En quoi la plaine liquide est-elle moins burlesque que canonnier de la pièce humide? Et cet animal guerrier qui inventa le trident? Et les larmes de l'aurore? Et les nourrissons du Pinde [7]? Au lieu de confectionner ces tropes plus ridicules qu'ingénieux, MM. les Quarante auraient bien dû, depuis longtemps, s'occuper du Dictionnaire conçu par Charles Nodier et récemment entrepris par M. Littré. «L'académie du Dictionnaire (dit l'auteur des Notions élémentaires de linguistique) ne nous doit que la langue littéraire, et la langue littéraire d'une nation, c'est tout bonnement la langue du peuple. Il ne faut pas sortir de là.»

XIX

V

Toutes les fois que je l'ai pu, j'ai accroché aux mots une étiquette constatant leur étymologie, leur origine, leur millésime, et disant quels sont leurs pères ou leurs parrains, afin d'éviter des tourments aux Saumaise futurs, aux lexicographes distingués ou bas de poil qui commenteront les livres parisiens du XIXe siècle,—spécialement de la seconde moitié du XIXe siècle. Nous serions plus avancés que nous ne le sommes, nous en saurions davantage sur notre langue, si l'on avait pris soin, dès l'origine, de nous conserver les extraits de baptême de certains mots, sinon de tous: cette histoire des mots serait l'histoire des idées, c'est-à-dire l'histoire des mœurs, c'est-à-dire l'histoire de la nation parisienne écrite jour par jour [8].

Malheureusement, quant au millésime, malgré l'envie que j'avais de parler, je suis souvent resté muet,—on comprendra pourquoi.

Quant à la provenance, je l'ai indiquée presque toujours, et fidèlement, j'ose l'affirmer. Aucun des mots auxquels j'ai cru XX devoir accorder l'hospitalité n'est d'origine suspecte ni d'existence douteuse: ce sont des vagabonds, mais ce ne sont pas des ombres. Chaque fois qu'il m'a été impossible de savoir à quel argot spécial appartenait une expression, je me suis abstenu de la ranger dans telle ou telle catégorie, en supposant qu'elle devait être d'un emploi moins restreint, d'une circulation plus générale que les autres. Mes attributions ne sont pas arbitraires, pas plus que les nuances que j'y ai introduites et qui n'échapperont pas aux lecteurs perspicaces. Si je dis argot du peuple et non argot des bourgeois, c'est que l'expression est plus familière au peuple qu'à la bourgeoisie et que je l'ai entendue plus souvent dans la rue que dans la boutique. Lorsque je mets après un mot argot des voyous au lieu d'argot des voleurs, c'est que ce mot, quoique ayant appartenu peut-être d'abord à la langue des prisons, est d'un usage plus fréquent sur les lèvres des voyous que dans la bouche des voleurs. De même pour l'argot des faubouriens, qui n'est pas l'argot des ouvriers, quoique les ouvriers habitent ordinairement les faubourgs de Paris. De même pour l'argot des filles, qui n'est pas l'argot des petites dames ou de Breda-Street, quoique les unes et les autres exercent la même profession,—avec un public différent. Certains argots confinent, comme certains métiers; ils marchent sur une lisière commune, comme certaines agrégations d'individus; ils voisinent pour ainsi dire, comme certaines positions sociales: assurément ils finiront par s'étreindre, par se mêler, par se confondre; le voyou finira par devenir voleur, la petite dame par être fille, l'ouvrier par se faire faubourien, etc., mais jusqu'à ce que la barrière soit franchie, la délimitation effacée, chacun d'eux aura son accent, sa couleur, auxquels on les pourra reconnaître. Voilà pourquoi j'ai parqué d'autorité ce mot dans cette catégorie et non pas dans cette autre, qui a l'air d'être la même,—comme le violet est le bleu; voilà pourquoi j'ai cloué sur ce mot cette étiquette et non pas XXI cette autre, assuré que j'étais de ne pas me tromper; je le maintiens et le maintiendrai jusqu'au feu,—exclusivé.

Pour l'étymologie, c'est autre chose. Peut-être, à ce propos, s'étonnera-t-on de la persistance que je mets à redresser les erreurs et à corriger les bévues de quelques-uns de mes devanciers, et, de ma part, à moi, philologue de fraîche date et ignorant de naissance, cela semblera outrecuidant. Je souscris d'avance à tous les reproches qu'on me fera l'honneur de m'adresser, même à ceux que je mérite le moins.

L'étymologie,—et je ne prends pas ce mot dans l'acception restreinte et purement grammaticale que lui donne Charles Nodier, qui en fait la norma, la ratio scribendi, l'orthographe enfin de toutes les langues de dernière formation,—l'étymologie telle que l'entendent tant de savantes personnes ne doit pas être considérée autrement que comme un pur et simple exercice d'imagination. Heureux les savants qui ont de l'esprit et qui n'ont pas d'imagination: ils amusent et, accessoirement, instruisent. Ceux qui ont de l'imagination, au contraire, en ont trop, et non seulement ils n'instruisent pas, mais encore,—ce qui est plus grave et moins pardonnable,—ils n'amusent personne, pas même eux. L'esprit—on me passera cette fatuité de le définir,—est la raison elle-même, la raison enjouée, folâtre même, mais la raison: c'est une boussole. L'imagination, elle, n'est qu'une faculté superfétative, secondaire, qui joue le rôle de cinquième roue à un carrosse, et qui, si elle n'empêche pas l'esprit de marcher, ne l'y aide du moins en aucune façon; quand elle va de conserve avec lui, c'est bien, nul ne s'en plaint; mais quand elle vole seule, elle perd aisément le nord et s'égare en égarant les autres.

Je ne veux pas me prononcer au sujet de l'esprit ou de l'imagination de mes devanciers, de peur de les fâcher avec un compliment—ou de leur faire plaisir avec une épigramme. Ce n'est pas le lieu d'ailleurs. Mes devanciers ont agi à leur XXII guise, d'après les inspirations de leur génie particulier: je ne les en blâme—ni ne les en loue. Je regrette seulement—pour eux—que quelques-uns d'entre eux n'aient pas su éviter l'écueil contre lequel sont venus échouer avant eux tant d'autres étymologistes trop savants,—par exemple Ménage, qui fait venir canaille de canalis quand il avait canis sous la main. M. Marty-Laveaux le disait très pertinemment: les savants comme Ménage et quelques-uns de mes devanciers vont chercher trop loin leurs étymologies [9], et c'est dans ces voyages au long cours qu'ils rencontrent l'écueil en question. Il est si simple de rester au coin de son feu, les coudes sur la table, les pieds sur les chenets, comme un honnête bourgeois sans prétention, qui trouve sans peine parce qu'il cherche sans effort! L'effort, voilà ce qui a gâté tant de savants livres!

L'étymologie, étant une maladie, a sa contagion; moi, parvulissime, j'ai fait comme les grands docteurs de l'Université de Marburg—et d'ailleurs: je me suis lancé à fond de train dans le champ des hypothèses, et si je ne suis pas parvenu à me casser les reins, j'ai du moins donné quelques entorses au bon sens et à la vérité étymologique. C'est un jeu comme un autre, amusant pour soi, fatigant pour autrui, dont cependant je n'ai pas cru devoir abuser, ainsi qu'on s'en assurera en feuilletant ce volume. Il peut se faire que, dans cette course vagabonde à travers des origines probables, j'aie quelquefois rencontré juste et que quelques-unes de mes trouvailles involontaires méritent d'être prises en considération: ces bonnes fortunes arrivent souvent aux innocents, paraît-il. «Quand on ne sait que ce qu'on a appris, on peut être un savant et un sot; il faut de plus savoir ce qu'on a deviné.» J.-B. Say avait raison, quoique économiste. En tout cas, heureux ou non dans XXIII mes devinettes étymologiques, à mon su ou à mon insu, je m'en tiens à ces premiers essais et m'engage à ne plus jamais recommencer.

VI

Il me reste à parler de cette seconde édition, qui est une véritable nouvelle édition, puisqu'elle a été refondue d'un bout à l'autre et réimprimée en caractères elzéviriens. Aucun des mots de la première ne manque à celle-ci, qui est en outre enrichie d'environ deux mille cinq cents expressions soit du cant, soit du slang, soit de la langue populacière, toutes si dédaigneusement mises à la porte par le Dictionnaire de l'Académie, qui semble ne pas savoir qu'Horace a écrit il y a dix-neuf cents ans:

Ut silæ foliis pronos mutantur in annos,

Prima cadunt; tita verborum vetus interit ætas

Et juvenum ritu florent modo nata vigentque.

Vous entendez, messieurs les Quarante? Il en est des mots comme des feuilles des arbres à l'automne, ce sont les premières venues qui sont les premières parties: de même périt le vieil âge des mots, et d'autres mots, nés tout à l'heure, fleurissent et s'épanouissent maintenant à la manière des jeunes gens. Ne balayez pas les vieux, mais faites place aux jeunes, aux valides, aux vigoureux.

Si le Dictionnaire de l'Académie est incorrigible, je ne le suis pas, et quand j'ai des torts, j'en conviens de bonne grâce; quand j'ai péché, je me frappe de bonne foi la poitrine—en me demandant pardon de mes imperfections et en me promettant XXIV bien d'en diminuer le nombre, sans espérer de les extirper toutes. J'ai donc émendé de mon mieux le texte de la première édition, ainsi qu'en pourront juger les lecteurs; mais cette émendation devait avoir des bornes,—et elle en a eu. Malgré les prières de mon éditeur, qui, par excès de délicatesse, voulait enlever à celui-ci ou à celui-là de mes devanciers encore vivants tout prétexte à récrimination et à reproches de plagiat, même aux moins fondés, j'ai cru de mon devoir et de mon droit de conserver intactes des définitions dont je répondais, que je savais être miennes, malgré leur ressemblance avec celles de mon voisin. Ressemblance forcée, fatale, nécessaire même, tous les gens de bonne foi n'hésiteront pas à le reconnaître. Je ne voudrais pas avoir l'air de m'abriter derrière la spirituelle et très juste définition de Charles Nodier: Les dictionnaires sont des plagiats par ordre alphabétique; mais enfin il est tout simple qu'ayant à définir une expression bizarre—par exemple appeler Azor, le premier venu écrive comme moi: «Siffler un acteur comme on siffle un chien.» On n'a pas de brevet d'invention à prendre pour cette phrase qui traîne sur toutes les lèvres. Appeler Azor signifiant pour tout le monde siffler un acteur, Azor étant pour tout le monde le synonyme de chien, comment s'y prendre pour ne pas dire: «Siffler un acteur comme on siffle un chien?» Je ne vois qu'un moyen, mais il est héroïque—de ridicule: c'est d'imiter le fameux Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour,—D'amour, marquise, vos beaux yeux me font mourir,—Me font, marquise, vos beaux yeux mourir d'amour,—Mourir vos beaux yeux me font d'amour, marquise,—et ainsi de suite jusqu'au jugement dernier. Oui, plus j'y réfléchis, plus je ne vois que ce moyen: on m'excusera, je pense, de ne pas l'avoir employé.

Je glisse—de peur d'appuyer.

On remarquera que dans cette nouvelle édition, plus encore que dans la précédente, je me suis plu à rétablir l'orthographe XXV réelle de vocables que les puristes déclarent être «du patois de Pipelets». (Voy. Albert Hétrel, Code orthographique.) J'en ai mis beaucoup, je regrette de n'en avoir pas mis davantage, afin de confondre les ennemis de la bonne langue, la vieille, et les admirateurs du petit français que l'on parle à présent. Les puristes du sérail veulent qu'on dise chirurgien, chercher, brebis, etc. Je le veux comme eux. Mais ils ricanent lorsqu'ils entendent prononcer cercher, berbis, serurgien, et leurs ricanements me font sourire: la pelle se moque du fourgon,—la pelle a tort.

On m'a reproché d'avoir introduit dans la précédente édition un certain nombre de mots anglais: je réponds en en introduisant un plus grand nombre encore dans cette nouvelle édition. L'anglomanie fait des progrès chez nous, peuple simiesque; nous avons tous les mots nécessaires pour représenter nos idées; mais, par genre, nous habillons ces idées avec des mots de fabrique étrangère: au lieu de dire chien courant comme leurs pères,—de rudes chasseurs, pourtant!—nos sportsmen disent, les uns buck-hound, les autres boarhound. Buck-hound, c'est bien du pur anglais de l'autre côté du détroit; mais, de ce côté-ci, c'est de la langue verte.

Cela dit—avec tout le respect que je dois aux gens à qui je le dis—j'arrive au finale de cette trop longue improvisation. C'est la partie la plus douce de ma tâche d'aujourd'hui, puisqu'il s'agit de remercier hautement ceux de mes confrères qui ont bien voulu jouer le rôle de tibicinateurs en faveur du Dictionnaire de la langue verte et les personnes connues ou inconnues qui ont bien voulu répondre à l'appel que je leur avais fait en me signalant les omissions et les attributions erronées de la première édition. Je remercie donc bien sincèrement ici MM. Jules Noriac, Léo Lespès, Alphonse Duchesne, A. Ranc, Balathier de Bragelonne, Jules Claretie, A. de Fonvielle, Gustave Bourdin, le docteur Stéphen Le Paulmier, Léon XXVI Renard, Henri Delaage, Eugène Mathieu, Coffineau, Alexandre Pothey, Jules Choux—et tous ceux que ma plume sans mémoire oublie de citer. Jules Choux, un chansonnier parisien d'un accent original et qui connaît encore mieux que moi les dessous ténébreux de notre chère ville natale, m'a apporté, à lui seul, une plantureuse moisson que je n'ai eu que la peine d'engranger. Les soins que j'ai apportés à cette seconde édition témoigneront mieux que des paroles de toute ma gratitude pour les encouragements que j'ai reçus de toutes parts: elle est moins défectueuse que la première, et la prochaine sera encore un peu plus digne d'intérêt que celle-ci, les livres du genre du Dictionnaire de la langue verte devant forcément se corriger et se compléter dans des éditions successives. Quand il en sera à sa dixième, j'ose espérer que depuis longtemps on aura fait une croix—sur ma tombe!

Alfred DELVAU.

1

DICTIONNAIRE
DE LA
LANGUE VERTE

A.

Il n'est pas de mots que les hommes n'aient inventés pour se prouver le mutuel mépris dans lequel ils se tiennent. Un des premiers de ce dictionnaire est une injure, puisque jusqu'ici l'abajoue signifiait soit le sac que certains animaux ont dans la bouche, soit la partie latérale d'une tête de veau ou d'un groin de cochon. Nous sommes loin de l'os sublime dedit. Mais nous en verrons bien d'autres.

Avoir les abatis canailles. Avoir les extrémités massives, grosses mains et larges pieds, qui témoignent éloquemment d'une origine plébéienne.

Abbaye ruffante. Four chaud,—de rufare, roussir.

Cette expression, qui sort du Romancero, est toujours employée par le peuple.

On a dit cela de Mirabeau, et on le dit tous les jours des gens dont le visage ressemble comme le sien à une tumeur.

C'est un mot du XIIIe siècle, que quelques écrivains modernes s'imaginent avoir fabriqué; on l'écrivait alors abaylarder,—avec la même signification, bien entendu.

Le mot a trois ou quatre cents ans de noblesse.

Expression du vieux français et des jeunes Parisiens.

Signifie encore Venir, Arriver sans délai, précipitamment, comme une boule.

Faire une chose abracadabra. Sans méthode, sans réflexion.

«Satan vous verra.

De vos mains grossières,

Parmi des poussières,

Ecrivez, sorcières,

Abracadabra

dit Victor Hugo dans la pièce des Odes et Ballades intitulée le Sabbat.

Cet abracadabra était en effet assez singulier, et je comprends qu'on l'ait raillé en en faisant un adjectif,—sans se douter que depuis longtemps le peuple en avait fait un adverbe.

D'où l'expression proverbiale: Un bon cheval va bien tout seul à l'abreuvoir, pour dire: Un ivrogne n'a pas besoin d'y être invité pour aller au cabaret.

Les apocopes vont se multiplier dans ce Dictionnaire. On en trouvera à chaque page, presque à chaque ligne: abs, achar, autor, aristo, eff, délass-com, démoc, poche, imper, rup, soc, liquid, bac, aff, Saint-Laz, etc., etc., etc. Il semble, en effet, que les générations modernes soient pressées de vivre qu'elles n'aient pas le temps de prononcer les mots entiers.

Signifie aussi Cracher en parlant. On a dit à propos d'un 4 homme de lettres connu par son bavardage et ses postillons: «X... demande son absinthe, on la lui apporte, il parle art ou politique pendant un quart d'heure,—et son absinthe est faite.»

Le nom a été donné à cette fête de réception, parce qu'elle précède ordinairement l'absorption réelle qui se fait dans un restaurant du Palais-Royal, aux dépens des taupins admis.

Être de bon acabit. Avoir un excellent caractère, ou jouir d'une excellente santé.

J'ai souligné à dessein coin et chien: c'est la double étymologie de ce verbe, que n'osent pas employer les gens du bel air, quoiqu'il ait eu l'honneur de monter dans les carrosses du roi Henri IV. (V. les lettres de ce prince.) S'acagnarder vient en effet du latin canis, chien, ou du vieux français cagnard, lieu retiré, solitaire,—coin.

On dit aussi s'acagnarder dans un fauteuil.

Les acteurs emploient volontiers ce mot dans un sens péjoratif et comme point de comparaison. Ainsi, du vin d'accessoires, un poulet d'accessoires, etc., sont du mauvais vin, un poulet artificiel, etc.

Se dit aussi d'un chapeau ordinaire sur lequel on s'est assis par mégarde.

Accoucher de quelque chose. Divulguer un secret; faire paraître un livre; prendre un parti.

On dit aussi s'accrouer.

Les faubouriens donnent le même nom à leurs favoris,—selon eux irrésistibles sur le beau sexe, comme les favoris temporaux du beau sexe sont irrésistibles sur nous.

Maurice Alhoy trouvait le mot trivial. Il est au contraire charmant et bien construit. Montaigne n'a-t-il pas écrit: «Je n'ai pas de gardoire»? Garder, gardoire; acheter, achetoires.

Acrée donc! Cette interjection, qui signifie «Tais-toi!» se jette à voix basse pour avertir qu'un nouvel arrivant est ou peut être suspect. On dit aussi Nibé donc!

Eau d'affe, Eau-de-vie.

«. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce qui me console,
C'est que la pauvreté comme moi les affole,»

dit Mathurin Regnier.

On dit aussi Couper.

On dit aussi Coupeur.

L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne.

Le mot vient en ligne droite de ad furem (même signification), qui vient lui-même du fur (voleur de nuit), de Cicéron.

On dit aussi homme d'affût.

Ne serait-ce pas une corruption d'abonir, faire honte, un vieux verbe français encore employé en Normandie ainsi qu'agonir.

On dit aussi Agoniser.

Se faire agrafer. Se laisser prendre.

Signifie aussi filouter, dérober adroitement.

Agripper (S'). Se prendre aux cheveux avec quelqu'un.

(V. A Chaillot!)

C'est à dessein que je donne cette orthographe, qui est aussi véritable,—c'est-à-dire aussi problématique,—que l'orthographe officielle, aigrefin. Le peuple prononce le nom comme je l'écris: est-ce par euphonie, est-ce par tradition? je l'ignore, et les savants n'en savent pas plus que moi là-dessus «Aigre faim, faim très vive (homme affamé)», dit Littré. Sans doute, mais il y a eu jadis une monnaie dite aiglefin, et les escrocs ne sont pas moins affamés d'argent que d'autre chose.

On dit aussi Aileron.

Faire de l'aimant. Faire des 8 embarras, protester hypocritement de son amitié pour quelqu'un, afin de l'attirer à soi.

«Tout en chantant Schubert et Webre,

On en vient à réaliser

L'application de l'algèbre

A l'amour, à l'âme, au baiser.»

On dit aussi Aimer à l'œil.

On dit aussi Aimer quelqu'un comme la prunelle de ses yeux.

L'expression date de l'Histoire comique de Francion.

«Autrefois, chez le roi, on appelait chaise d'affaires, la chaise percée, et brevet d'affaires le privilège d'entrer dans le lieu où le roi est sur sa chaise d'affaires.»

On dit également: Cueillir du persil et Persiller.

On dit aussi Fouiller au pot.

C'est précisément pour y avoir été que Henri III fut blessé mortellement par Jacques Clément, qui le frappa sur sa chaise d'affaires.

C'est l'ancienne expression, plus noble: N'aller que d'une aile.

Elles disent aussi Aller à saint DENIS.

Les femmes corrompues corrompent naturellement tout—jusqu'aux noms des gens avec qui elles sont en contact.

On dit aussi Allez donc vous asseoir!

Se dit aussi du boniment que font les saltimbanques et les marchands forains pour exciter la curiosité des badauds.

L'expression est vieille.

Allumer le miston. Regarder quelqu'un sous le nez.

Allumer ses clairs. Regarder avec attention.

On dit aussi Allumer son gaz,—ce qui, en effet, est une manière de prendre feu.

L'expression a été employée par le duc de Grammont-Caderousse qui, le soir de la 1re représentation du Cotillon, au Vaudeville, avait cassé trois dents à un quidam.

On disait autrefois: Ami de cœur.

Se dit aussi pour Souteneur de filles.

S'amocher la gueule. Se meurtrir mutuellement le visage à coups de poing.

Le mot est du XVe siècle, très évidemment, puisqu'il se trouve dans Marot; mais très évidemment aussi, il a fait le plongeon dans l'oubli pendant près de trois cents ans, puisqu'il ne paraît être en usage à Paris que depuis une trentaine d'années.

Elles disent aussi: Les Anglais ont débarqué.

Faire une anglaise. Payer chacun son écot.

Jouer à l'anglaise. Jouer aux sous.

Offrir son anse. Offrir son bras.

Faire le panier à deux anses. Se promener avec une femme à chaque bras.

Battre l'antif. Marcher. Signifie aussi Tromper, dissimuler.

On dit aussi Antiffle et Antonne.

Le mot est de Gavarni.

(V. Paclin.)

Cependant ils disent plus volontiers quiger, et quelquefois ils étendent le sens de ce verbe selon la nécessité de leur conversation.

Aquiger les brêmes. Faire une 15 marque aux cartes à jouer, pour les reconnaître et les filer au besoin.

Arbalète d'antonne. Croix d'église.

Ils disent aussi Arbalète de chique, arbalète de priante.

On dit aussi Arcase.

Pierre Sarrazin avait déjà employé ce mot dans le même sens, en l'écrivant ainsi: arresoner; je l'ai cherché en vain dans les dictionnaires. D'un autre côté, les voleurs disent: Faire l'arçon, pour signifier: Faire le signal de reconnaissance ou d'avertissement, qui est, paraît-il, le bruit d'un crachement et le dessin d'un C sur la joue droite, près du menton, avec le pouce de la main droite.

Arguche, arguce, argutie. Nous sommes bien près de l'étymologie 16 véritable de ce mot tant controversé: nous brûlons, comme disent les enfants.

Ils disent aristo pour aristocrate, comme sous la Fronde les pamphlétaires disaient Maza pour Mazarin.

A l'arnache. En trompant de toute manière.

Être à l'arnache. Être rusé, tromper les autres et ne jamais se laisser tromper par eux.

C'est une contraction de Renauder.

Milord L'Arsouille. Tout homme riche qui fait des excentricités crapuleuses.

Le mot a été créé par H. de Balzac.

Artie de Meulan. Pain blanc.

Artie de Gros-Guillaume. Pain noir.

Artie de Grimault. Pain chanci.

On dit aussi Arton et Lartie.

On dit aussi Artilleur de la pièce humide.

On l'appelle aussi Azor,—à cause de la peau de chien qui le recouvre.

Envoyer quelqu'un s'asseoir. Le renverser, le jeter à terre. Signifie aussi se débarrasser de lui, le congédier.

C'est un souvenir du passage à Paris, il y a quelques années, de ces petits monstres mexicains exhibés sous le nom d'Aztecs.

D'où Aller à l'astic.

On dit aussi Astiquer quelqu'un, dans le sens d'Agacer.

Signifie aussi capacités, talents.

Attaches d'huile. Boucles de souliers en argent.

Attaches d'Orient. Boucles en or.

Y aller d'attaque. Commencer 19 une chose avec empressement, avec enthousiasme.

On dit aussi Graine d'attrape.

Se faire attraper. Recevoir, sans l'avoir demandée, une bordée d'injures poissardes.

Se faire attraper. Recevoir des pommes crues et des sifflets.

On dit aussi Attraper le haricot ou la fève,—sans doute par allusion au haricot ou à la fève qui se trouve dans le gâteau des rois, et qui met celui à qui elle échoit dans la nécessité de payer sa royauté.

«A Damon vous avez tout permis

Pour l'hymen qu'il vous avait promis;

Mais, Iris, savez-vous la coutume?

Avez-vous pu l'en croire à son serment?

Ceux que l'on fait sur un autel de plume

Sont aussitôt emportés par le vent!»

Expression populaire usitée dès le milieu du XVIIIe siècle.

On dit aussi Avaler sa fourchette, avaler sa gaffe et avaler sa langue.

«Lorsque la cruelle Atropos

Aura tranché mon avaloire,

Qu'on dise une chanson à boire!»

Balzac a dit Avant-cœur.

Je sais bien que Montaigne se souciait peu d'écrire correctement; en tout cas, il avait raison, et le peuple aussi, d'employer ce verbe—que ne peut pas du tout remplacer atteindre,—car il vient bel et bien d'advenire.

C'est aussi le nom que les voleurs donnent au procureur de la République.

L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne.

On dit aussi Pas de chance au bâtonnet!

N'avoir plus d'as dans son jeu. Avoir tout perdu, famille, affection, fortune, en être réduit à mourir.

Avoir des mots avec la Justice. Être traduit en police correctionnelle.

On dit aussi: Le marchand de sable a passé.

On dit aussi Avoir les côtes en long comme les loups, qui en effet ne peuvent pas, à cause de cela, se retourner facilement. Ne pas pouvoir se retourner, ne savoir pas se retourner, c'est la grande excuse des paresseux.

On dit aussi Avoir l'estomac dans les talons.

On dit aussi N'avoir pas inventé la poudre.

Signifie aussi Avoir une dent de moins.

On dit aussi Avoir une écrevisse dans le vol-au-vent, et Avoir une hirondelle dans le soliveau.

25

B

Ils donnent aussi ce nom à tout Livre imprimé.

On dit aussi Babille.

S'en donner par les babines. Manger abondamment et gloutonnement.

S'en lécher les babines. Manifester le plaisir en parlant ou en entendant parler de quelque chose d'agréable,—bon dîner ou belle fille.

Faire la baboue. Faire la grimace.

L'expression se trouve dans Rabelais—et sur les lèvres du peuple.

Le babouin était autrefois une figure grotesque que les soldats charbonnaient sur les murs du corps de garde et qu'ils faisaient baiser, comme punition, à ceux de leurs camarades qui avaient perdu au jeu ou à n'importe quoi. On comprend qu'à force de baiser cette image, il devait en rester quelque chose aux lèvres,—d'où, par suite d'un trope connu, le nom est passé de la cause à l'effet.

Tailler un petit bac. Faire une partie de baccarat.

On dit aussi Faire les bâches.

V. Bête et Emporteur.

On dit aussi Boucler.

Jouer des badigoinces. Manger ou boire.

Dans l'argot du peuple. Avoir du bagout équivaut à N'avoir pas sa langue dans sa poche.

Se dit aussi de la maison du préparateur au baccalauréat, et, par extension de toute maison où il est désagréable d'aller.

Bahut spécial. Saint-Cyr.

Se dit aussi d'un élève qui change souvent de pension.

Le peuple dit aussi Gros bajaf.

Faire une balade ou Se payer une balade. Se promener.

Se dit aussi de la marchande des rues et de sa boutique roulante.

On dit aussi Envoyer à la balançoire.

Signifie aussi Rompre son ban, s'évader.

Envoyer à la balançoire. Se débarrasser de quelqu'un qui ennuie ou qui gêne.

Balle d'amour. Physionomie agréable, faite pour inspirer des sentiments tendres.

Rude balle. Visage caractéristique.

C'était bien ma balle. C'était bien ce qui me convenait.

Manquer sa balle. Perdre une occasion favorable.

Enlever le ballon à quelqu'un. Lui donner un coup de pied dans cette partie du corps sur laquelle on a l'habitude de s'asseoir.

Être bamboche. Être en état d'ivresse.

Faire des bamboches. Faire des sottises plus ou moins graves, qui mènent en police correctionnelle ou à l'hôpital.

Dire des bamboches. S'amuser à dire des contes bleus aux hommes et des contes roses aux femmes.

On dit aussi: Bambochineur.

Faire banco. Tenir les enjeux.

Faire une banque. Imaginer un expédient—d'une honnêteté douteuse—pour gagner de l'argent.

TRUC DE BANQUE! Mot de passe et de ralliement qui sert d'entrée gratuite aux artistes forains dans les baraques de leurs confrères. On les dispense de donner à la quête faite par les banquistes d'une autre spécialité que la leur.

On dit aussi: Baquet insolent, et l'on a raison,—car je ne connais pas de créatures plus «fortes en gueule» que les lavandières: il semble qu'il leur reste aux lèvres quelques éclaboussures des ordures humaines avec lesquelles elles sont en contact permanent.

On dit aussi Baragouin.

Avoir sa barbe. Être ivre.

On dit aussi Prendre une barbe. Se griser.

Barbeaudier de castu. Gardien d'hôpital.

Le dictionnaire d'Olivier Chéreau donne: Babillons de varane.

On dit aussi BARBOT, s. m.

Se barrer. S'en aller.

Ils disaient autrefois Gomorrhe,—du nom d'une mesure juive qui indiquait la quantité de manne à récolter.

Tanner la basane. Battre quelqu'un.

Alphonse Esquiros (Revue des Deux Mondes, avril 1860) donne comme origine à cette expression le club littéraire de lady Montague, où venait assidûment un certain M. Stillingfleet, remarquable par ses bas bleus. D'un autre côté, M. Barbey d'Aurevilly (Nain Jaune du 6 février 1886) en attribue la paternité à Addison. Or, le club de lady Montague ne date que de 1780, et Addison était mort en 1719. Auquel entendre?

Le mot a été créé récemment par M. Barbey d'Aurevilly.

Être basculé. Être exécuté.

Vieux bas de buffet. Vieille femme, vieille coquette ridicule qui a encore des prétentions à l'attention galante des hommes.

On dit aussi Bas du cul.

Basourdir ses gaux picantis, ou seulement ses gaux. Chercher ses poux—et les tuer.

On dit aussi Bassinoire.

Signifie aussi bruit, vacarme.

On ajoute souvent après Faire la bataille de Jésuites, cette phrase: Se mettre cinq contre un.

Bath aux pommes. Superlatif du précédent superlatif.

Il me semble qu'on devrait écrire Bat, ce mot venant évidemment de Batif. Le papier Bath n'est pour rien là dedans.

Aligner son batiau. S'arranger pour avoir une banque satisfaisante.

Le féminin est batifonebative.

Batouse toute battante. Toile neuve.

Signifie aussi Accident arrivé à une chose, accroc à une robe, brisure à un meuble, etc.

Batterie douce. Plaisanterie aimable.

On dit aussi Batture.

C'est plus spécialement le tiers qui bat comtois pour lever le pante.

C'est le: Battre l'estrade des voleurs d'autrefois.

Signifie aussi Espionner.

L'expression a une centaine d'années, ce qui étonnera certainement beaucoup de gens, à commencer par ceux qui l'emploient.

On dit aussi, dans le même argot, S'en battre les fesses,—une expression contemporaine de la précédente.

Bauceresse. Patronne.

Bauce fondu. Ouvrier qui s'est établi, a fait de mauvaises affaires et est redevenu ouvrier.

Se dit aussi pour Fouet, s. m.

Bazarder son mobilier. S'endéfaire, l'échanger contre un autre.

Ex-beau. Elégant en ruines, d'âge et de fortune.

Signifie aussi Baiser.

Se bécoter. S'embrasser à chaque instant.

Ils disaient aussi Gadouan, Malficelé, Museau, Offarmé, Sauvage.

Ils disent aussi Grenuche.

Avoir un béguin pour une femme. En être très amoureux.

Avoir un béguin pour un homme. Le souhaiter pour amant quand on est femme—légère.

On disait autrefois S'embéguiner.

On dit aussi Beugne.

Attendre sa belle. Guetter une occasion.

Être servi de belle. Être arrêté à faux.

Cette dernière expression est plus spécialement de l'argot des voleurs.

«Ne remist buef ne vac, ne chapuns, ne geline,
Cheval, porc, ne berbiz, ne de ble plaine mine,»

dit un poème du XIIIe siècle.

Cette expression est certainement le résultat d'une métathèse: on a dit, on dit encore, berlan pour brelan, berlandier pour brelandier,—et berlauder pour brelander.

Ils disent aussi Béricain.

Être la bête noire de quelqu'un. Être pour quelqu'un un objet d'ennui ou d'effroi.

Faire son beurre. Gagner beaucoup d'argent, retirer beaucoup de profit dans une affaire quelconque.

Y aller de son beurre. Ne pas craindre de faire des frais, des avances, dans une entreprise.

Signifie aussi Ivrogne,—le vin étant le lait des vieillards.

Par extension: Objet de peu de valeur.

Ce mot est une corruption de Bimbelot, qui signifiait à l'origine jouet d'enfants, et formait un commerce important, celui de la bimbeloterie. Aujourd'hui qu'il n'y a plus d'enfants, ce commerce est mort; ce sont les marchands de curiosités qui ont succédé aux bimbelotiers.

Par extension aussi: Bibelotter une affaire dans le sens de Brasser.

C'est une corruption péjorative du mot barbon.

Le mot a été créé en 1857 par Nestor Roqueplan.

Se bichonner. S'adoniser.

Portion de bidoche. Morceau de bœuf bouilli.

D'où Bigardée pour Trouée, Percée.

Bijou de loge. Celui qui se porte au côté gauche.

Bijou de l'ordre. L'équerre attachée au cordon du Vénérable, le niveau attaché au cordon du premier surveillant, et la perpendiculaire 41 attachée au cordon du second surveillant.

On dit aussi: Bijoutier en cuir. Au XVIIe siècle, on disait: Orfèvre en cuir.

On dit aussi Biller.

Ils disent de même: Billet de mille.

Binelle-lof. Banqueroute.

Birbe dab. Grand'père.

Être en bisbille. Être brouillés.

On dit mieux Faire le bitume.

Les étymologistes se sont lancés tous avec ardeur à la poursuite de ce chastre,—MM. Marty-Laveaux, Albert Monnier, etc.,—et tous sont rentrés bredouille. Pourquoi remonter jusqu'à Ménage? Un gamin s'est avisé un jour de la ressemblance qu'il y avait entre certaines paroles sonores, entre certaines promesses hyperboliques, et les vessies gonflées de vent, et la blague fut!

Avoir de la blague. Causer avec verve, avec esprit, comme Alexandre Dumas, Méry ou Nadar.

Avoir la blague du métier. Faire valoir ce qu'on sait; parler avec habileté de ce qu'on fait.

Ne faire que des blagues. Gaspiller son talent d'écrivain dans les petits journaux, sans songer à écrire le livre qui doit rester.

Pousser une blague. Raconter d'une façon plus ou moins amusante une chose qui n'est pas arrivée.

On dit aussi: Blague dans le coin.

Blaguer quelqu'un. Se moquer de lui.

«Si encore il y avait un peu de tabac dans tes blagues!» ai-je entendu dire un jour par un faubourien à une fille qui buvait au même saladier que lui.

Signifie aussi Avocat.

Avoir du blé en poche. Avoir de l'argent dans sa bourse.

N'avoir pas de blé. N'avoir pas le sou.

Les chouans appelaient Bleus les soldats de la République, qui les appelaient Blancs. 44

On dit aussi Petit bleu.

Faire des bleus. Donner des coups.

C'est bleu. C'est incroyable.

En être bleu. Être stupéfait d'une chose, n'en pas revenir, se congestionner en apprenant une nouvelle.

Être bleu. Être Étonnamment mauvais,—dans l'argot des coulisses.

On disait autrefois: C'est vert! Les couleurs changent, non les mœurs.

Être au bloc. Être consigné.

Signifie aussi Prison.

C'est mon blot! Cela me convient.

Se monter le bobêchon. S'illusionner sur quelqu'un ou sur quelque chose; se promettre monts et merveilles d'une affaire—qui accouche d'une souris.

Ils disent aussi Bobine.

On disait aussi Bobinche et Bobinski.

Il n'y a pas de bobo. Il n'y a pas de mal,—dans l'argot des faubouriens, qui parlent ici au figuré.

Se garnir le bocal. Manger.

Avoir un aplomb bœuf. Avoir beaucoup d'aplomb.

Bogue en jonc. Montre en or.

Bogue en plâtre. Montre en argent.

Ce mot et le précédent sont vieux,—comme la misère et le vagabondage. Ce n'est pas à Saint-Simon seulement qu'ils remontent, puisque, avant le filleul de Louis XIV, Mme de Sévigné s'en était déjà servie. Mais ils avaient disparu de la littérature: c'est Balzac qui les a ressuscités, 46 et après Balzac, Henri Murger—dont ils ont fait la réputation.

Payer une goutte. Siffler.

Avoir un moustique dans la boîte au sel. Être un peu fou, un peu maniaque.

Autrefois on disait Pantin-sur-Merde.

Bonicarde. Vieille femme.

Par analogie, manœuvres pour tromper.

On dit aussi: Chevalier grimpant,—par allusion aux escaliers que ce malfaiteur doit grimper.

En dire de bonnes. Raconter des histoires folichonnes.

En faire de bonnes. Jouer des tours excessifs.

Une expression charmante, presque aussi jolie que le sweetheart des ouvriers anglais, et qu'on a tort de ridiculiser.

C'est l'olfacit sagacissime de Mathurin Cordier.

Ils disent Bonhommes.

Courir une bordée. S'absenter de l'atelier sans permission.

Tirer une bordée. Se débaucher.

«Miex ne voulsist estre mesel

Et ladres vivre en ung bordel

Que mort avoir ne le trespas.»

dit l'auteur du roman de Flor et Blanchefleur.

Le mot a plus de cinq centsans de noblesse populaire, ainsi que cela résulte de cette citation du Roman de la Rose:

«Li aultre en seront difamé,
Ribaut et bordelier clamé.»

Au féminin, Boscotte. 49

Se donner une bosse. Manger et boire avec excès.

Se faire des bosses. S'amuser énormément.

Se donner une bosse de rire. Rire à ventre déboutonné.

On dit d'un artiste en ce genre: C'est un joli bottier.

Faire du boucan. Faire du scandale,—ce que les Italiens appellent far bordello.

Donner un boucan. Battre ou réprimander quelqu'un.

Coquer la boucanade. Suborner un témoin.

Boucanière, s. f. Femme légère, qui vit plus volontiers dans les lieux où l'on fait du Boucan que dans ceux où l'on fait son salut.

On dit aussi Boutogue.

Être d'un bon bouchon. Être singulier, plaisant, cocasse.

On sait que les cabarets de campagne, et quelques-uns aussi 50 à Paris, sont ornés d'un rameau de verdure,—boscus.

Boucler la lourde. Fermer la porte.

C'est un nom emprunté au patois manceau.

L'expression est de Mirabeau.

Se dit aussi d'un Homme dont le visage est un peu soufflé.

On dit aussi Se bouffer le nez.

On dit aussi Bougonneur.

Bon bougre. Bon camarade, loyal ami. 51

Bougre à poils. Homme à qui la peur est inconnue.

Mauvais bougre. Homme difficile à vivre.

On écrit aussi Bouis-bouis,—je ne sais pas pourquoi puisque c'est une onomatopée. Bouig-bouig serait plus exact alors.

Ensecreter un bouiboui. Attacher tous les fils qui doivent servir à faire mouvoir une marionnette.

Faire de la bouillabaisse. Arranger confusément des choses ou des idées.

Faire de la bouillie pour les chats. Travailler sans profit pour soi ni pour personne.

Boire un bouillon. Perdre de l'argent dans une affaire.

Bouillon qui chauffe. Nuage qui va crever.

Prendre un bouillon d'onze heures. Se suicider par le poison.

Bonne boule. Physionomie grotesque.

Perdre la boule. Ne plus savoir ce que l'on fait.

Ils disent aussi Bosco, Bossemar.

S'emploie aussi, au figuré, pour gronder, faire d'énergiques reproches.

Comme les mots ne manqueront jamais aux hommes pour désigner les femmes,—du moins une certaine classe de femmes,—ce nom, qui succédait à celui de lorette et qui date de la même époque, a été lui-même remplacé par une foule d'autres, tels que: filles de marbre, prè-catelanières, casinettes, musardines, etc., selon les localités.

Ils disent aussi Boulet à queue.

Les escrocs des siècles passés disaient bouler.

Signifie aussi gouverner, conduire,—dans l'argot des vagabonds, qui savent si mal se boulinguer eux-mêmes.

C'est le bouquet! Cela complète mon malheur.

C'est une corruption ou une ironie du mot anglais book.

On dit dans le même sens, au féminin: Bourgeoise.

On dit aussi Bourrade.

Se monter le bourrichon. Se faire une idée fausse de la vie, s'exagérer les bonheurs qu'on doit y rencontrer, et s'exposer ainsi, de gaieté de cœur, à de cruels mécomptes et à d'amers désenchantements.

Tourner en bourrique. S'abrutir ne plus savoir ce que l'on fait.

Faire tourner quelqu'un en bourrique. L'obséder de reproches ou d'exigences ridicules.

Signifie aussi Faire de petites opérations de Bourse.

On dit aussi Boursicotier.

Faire du bousin. Faire du tapage du scandale; se battre à coups de chaises, de tables et de bouteilles.

M. Nisard, à propos de ce mot, éprouve le besoin de traverser la Manche et d'aller chercher bowsing, cabaret à matelots. C'est, me semble-t-il, renverser l'ordre naturel des choses, et faire descendre 55 François Ier de Henri II. Bowsing n'est pas le père, mais bien le fils de bousin, qui lui-même est né de la bouse ou de la boue. Pour s'en assurer, il suffit de consulter nos vieux écrivains, depuis Régnier jusqu'à Restif de la Bretonne.

Perdre la boussole. Devenir fou.

Ils disent aussi Boussole de refroidi.

On dit aussi Bas du cul.

On dit aussi Boutogue, Boucard.

S'applique aussi à l'autre sexe.

Montrer toute sa boutique. Relever trop haut sa robe dans la rue, ou la décolleter trop bas dans un salon.

Esprit de boutique. Esprit de corps.

Être de la boutique. Être de la maison, de la coterie.

C'est un vieux mot. On le trouve dans la Chanson de Roland.

Abouler de la braise. Donner de l'argent à une fille pour être aimé d'elle, ou à un voleur pour n'être pas tué par lui.

On dit aussi Braisiller.

Faire du branle-bas. Faire du tapage.

On dit aussi Grand Braque,—même à propos d'un homme de taille moyenne.

Brave comme un jour de Pâques. Richement habillé.

On dit quelquefois Brédi-bréda taribara.

Ils disent aussi brobèche et broque.

D'où est sans doute venue l'expression: Battre la breloque, pour signifier d'abord chez les soldats: «Annoncer à son de tambour l'heure des repas;» puis au figuré, chez le peuple: «Déraisonner comme une pendule détraquée.»

Brême de paclin. Carte géographique.

Maquiller les brêmes. Se servir, pour jouer, de cartes biseautées.

Le mot est de Balzac.

Signifie aussi faire des choses que pourraient réprouver la conscience et la morale. Dans ce sens, il a pour parrain Saint-Simon.

On dit aussi Bricolier.

Brider la lourde. Fermer la porte.

«O! le bon appétit, voyez

comme il briffe!» dit Noël Du

Fail en ses Propos rustiques.

On dit aussi Brigands,—à cause de la physionomie rébarbative que vous donnent des cheveux ébouriffés.

On dit aussi Grande bringue.

Signifie aussi Sabre de cavalerie.

On dit aussi Broder.

Ne s'emploie ordinairement que dans cette phrase: Ne pas dire une broquille, pour: Ne pas savoir un mot de son rôle.

Signifie aussi Boucle d'oreille.

Signifie aussi Gagner une partie de billard.

Se faire brosser, v. réfl. Se faire battre,—au propre et au figuré.

On disait autrefois Brouillé avec les espèces.

Ne serait-ce pas par hasard une corruption du Brod allemand?

L'expression appartient à Balzac.

Actualité brûlante. Actualité on ne peut plus actuelle, pour ainsi dire.

Foutre une brûlée. Battre lesennemis dans l'argot des troupiers.

Recevoir une brûlée. Être battu par eux.

Se bûcher. Echanger des coups.

On dit aussi Buse et Buson.

62

63

C

On dit aussi Cabot.

Signifie aussi Tromper, et même Voler.

Signifie aussi Voleur.

On dit aussi Cabe.

«Biau sire, laissiés me caboche,
Par la char Dieu, c'est villenie!»

disent les poésies d'Eustache Deschamps.

On dit aussi Cabosse.

Ce mot a une vingtaine d'années. Au début, il a servi d'enseigne à un petit cabaret modeste du boulevard Montparnasse, puis il a été jeté un jour par fantaisie, dans la circulation, appliqué à toutes sortes de petits endroits à jeunes filles et à jeunes gens, et il a fait son chemin.

Faire caca. Ire ad latrinas.

>Jouer à cache-cache. Jouer à se cacher.

Donner un coup de cachemire sur une table. L'essuyer.

Ils disent aussi Cabriolet, et Carquois d'osier.

Se mettre quelque chose dans le cadavre. Manger.

Savoir où est le cadavre de quelqu'un. Connaître son secret, savoir quel est son vice dominant, son faible.

Baiser Cadet. Faire des actions viles, mesquines, plates.

Faubouriens et commères disent fréquemment, pour témoigner leur mépris à quelqu'un ou pour clore une discussion qui leur déplaît: «Tiens, baise Cadet!»

Tu es un beau cadet! Phrase ironique qu'on adresse à celui qui vient de faire preuve de maladresse ou de bêtise.

Ils disent aussi Cadran humain ou Cadran solaire.

Cage à chapons. Couvent d'hommes.

Cage à jacasses. Couvent de femmes.

Cage à poulets. Chambre sale, étroite, impossible à habiter.

Ils disent aussi Galerie.

C'est aussi le nom qu'il donne au cheval,—pour les mêmes raisons.

Signifie aussi Nez.

Il l'appelle aussi, en employant une image contraire, Madame la Ruine.

Se faire sauter le caisson. Se brûler la cervelle.

Grande calebasse. Femme longue, maigre et mal habillée.

Mais les grandes personnes, même celles qui ont fait leurs classes, veulent qu'on dise caner et non caler, s'appuyant sur la signification bien connue du 67 premier verbe, qui n'est autre en effet que Faire la cane, s'enfuir. Mais je persisterai dans mon orthographe, dans mon étymologie et dans ma prononciation, parce qu'elles sont plus rationnelles et qu'en outre elles ont l'avantage de me rappeler les meilleures heures de mon enfance. En outre aussi, à propos de cette expression comme à propos de toutes celles où les avis sont partagés, je pense exactement comme le chevalier de Cailly à propos de chante-pleure:

«Depuis deux jours on m'entretient

Pour savoir d'où vient chante-pleure:

Du chagrin que j'en ai, je meure!

Si je savais d'où ce mot vient,

Je l'y renverrais tout à l'heure...»

Le mot date de la Restauration, de l'époque où les messieurs de l'aune et du rayon portaient des éperons partout, aux talons, au menton et dans les yeux, et où ils étaient si ridicules enfin avec leurs allures militaires, qu'on éprouva le besoin de les mettre au théâtre pour les corriger.

On dit aussi Caliborgne.

Signifie aussi coquille de noix.

Boiter des calots. Loucher.

Le régiment de la calotte. Société de Jésus,—sous la Restauration. Aux XVIIe et XVIIIe siècles on avait donné ce nom à une société bien différente, composée de beaux esprits satiriques.

Ils disent aussi Clavigne. 68

On dit aussi Clavin.

Le mot est nouveau, dans ce sens du moins, car les membres de la société de la casse et du séné, souvent, ne sont que des associés et pas du tout des amis; ils s'aident, mais ils se méprisent. C'est Henri Delatouche, l'ennemi, et, par conséquent, la victime de la camaraderie, qui est le parrain de ce mot, dont la place était naturellement marquée dans ce Dictionnaire, sorte de Muséum des infirmités et des difformités de la littérature française.

Cambriole de Milord. Appartement somptueux.

Rincer une cambriole. Dévaliser une chambre.

Cambrioleur à la flan. Voleur de chambre au hasard.

Ils disent aussi Camplouse.

Signifie aussi logis quelconque, taudis.

C'est par conséquent un mot qui date de 1852. Les journalistes qui l'ont employé l'ont écrit tous avec un seul l,—comme Alexandre Dumas fils lui-même, du reste,—sans prendre garde qu'ainsi écrit ce mot devenait une injure de bas étage au lieu d'être une impertinence distinguée: un 69 camellia est une fleur, mais le camélia est un καμηλος [grec: kamêlos].

Les frères Cogniard, en collaboration avec M. Boudois, ont adjectivé ce substantif; ils ont dit: Un mariage camelotte.

Signifie aussi mendier, vagabonder.

La camoufle s'estourbe. La chandelle s'éteint.

Piquer une romaine au camp. Dormir.

Se dit aussi pour buveur d'eau-de-vie.

Avoir campo. Être libre.

On dit aussi Couac.

Signifie aussi journaliste.

On dit aussi Cancaneur.

Signifie aussi Pauvre Diable, homme qui ne peut arriver à rien, soit par incapacité, soit par inconduite.

Caner son article. Ne pas envoyer l'article qu'on s'était engagé à écrire.

Offrir une canne. Prier un collaborateur de ne plus collaborer; l'appeler à d'autres fonctions, toutes celles qu'il voudra—mais ailleurs.

Petit canon. La moitié d'un cinquième.

Grand canon. Cinquième.

Charger la canonnière. Manger.

Gargousses de la canonnière. Navets, choux, haricots, etc.

Le cant et le bashfulness, deux jolis vices!

Parler à la cantonade. Avoir l'air de parler à quelqu'un qui est censé vous écouter,—au propre et au figuré.

Ecrire à la cantonade. Ecrire pour n'être pas lu,—dans l'argot des gens de lettres.

Caprice sérieux. Entreteneur.

On dit aussi Marquis de Carabas.

Carabine, s. f. Maîtresse d'étudiant.

Plaisanterie carabinée. Difficile à accepter, parce qu'excessive.

Avoir une mauvaise carcasse. Avoir une mauvaise santé.

On dit aussi Charpentier.

L'expression appartient à Balzac. Déjà Rabelais avait parlé des «escrevisses qu'on cardinalise à la cuite».

On dit aussi Planque.

On dit aussi Voleur à la care.

C'est le pincher anglais.

On dit aussi Carer.

La carline (carlina vulgaris) est une plante qui, au dire d'Olivier de Serres, prend son nom du roi Charlemagne, qui en fut guéri de la peste. La vie étant aussi une maladie contagieuse, ne serait-ce pas parce que la mort nous en guérit, grands et petits, rois et manants, qu'on lui a donné ce nom? Ou bien est-ce parce qu'elle nous apparaît hideuse, comme Carlin avec son masque noir?

Quelques étymologistes veulent qu'on écrive et prononce carle,—probablement par contraction de carolus.

Par analogie, Femme de mauvaise vie et Cheval de mauvaise allure.

Jouer la carotte. Hasarder le moins possible, ne risquer que de petits coups et de petites sommes.

Tirer une carotte. Conter une histoire mensongère destinée à vous attendrir et à délier les cordons de votre bourse.

Carotte de longueur. Histoire habilement forgée.

Carotter l'existence. Vivre misérablement.

Carotter le service. Se dispenser du service militaire, ou autre, en demandant des congés indéfinis, sous des prétextes plus ou moins ingénieux.

Carottier fini. Carottier rusé, expert, dont les carottes réussissent toujours.

On dit aussi caroubleur refilé.

Caroubleur à la flan. Voleur à l'aventure.

On dit aussi Se recarrer.

Être en carte. Être fille publique.

Manier le carton. Jouer aux cartes.—On dit aussi Graisser le carton et Tripoter le carton.

Maquiller le carton. Faire sauter la coupe.

Faire son cas. Alvum deponere.

Montrer son cas. Se découvrir de manière à blesser la décence.

Sauter ou tomber sur le casaquin à quelqu'un. Battre quelqu'un, le rouer de coups.

Avoir quelque chose dans le casaquin. Être inquiet, tourmenté par un projet ou par la maladie.

Le patron de la case. Le maître de la maison, d'un établissement quelconque; le locataire d'une boutique, d'un logement.

Casque-à-mèche. Bonnet de coton.

Avoir du casque, c'est-à-dire parler avec la faconde de Mangin.

Signifie aussi: donner aveuglément dans un piège,—de l'italien cascare, tomber, dit M. Francisque Michel.

Ce verbe a enfin une troisième signification, qui participe plus de la seconde que de la première,—celle qui est contenue dans cette phrase fréquemment employée par le peuple: J'ai casqué pour le roublard (je l'ai pris pour un malin).

C'est le nom d'une sorte de pâtisserie dans l'ouest de la France. Rabelais dit casse-musel.

Passer à la casserolle. Se faire soigner par le docteur Ricord; être soumis à un traitement dépuratif énergique.

C'est une allusion à la rupture du câble transatlantique.

Mettre son chapeau en casseur. Sur le coin de l'oreille, d'un air de défi.

Plomber de la cassolette. Fetidum halitum emittere.

Se dit aussi du Tombereau des boueux, quand il est plein d'immondices et qu'il s'en va vers les champs voisins de Paris fumer les violettes et les fraises.

Chercher castille. Faire des reproches injustes ou exagérés.

Ils disent aussi Castion.

Lou cat a fain
Quant manjo pain,

dit un fabliau ancien.

Faire la causette. Causer tout bas.

Avoir vu des cavalcades. Avoir eu de nombreux amants.

Se payer une cavale. Courir.

Il dit aussi Champ de Navets,—parce qu'il sait qu'avant d'être utilisés pour les morts, ces endroits funèbres ont été utilisés pour les vivants.

On dit aussi Vieux céladon.

Cette expression, familière aux filles et aux voyous, est mise par eux à toutes les sauces: c'est leur réponse à tout. Il faudrait pouvoir la noter.

Centre à l'estorgue. Faux nom, sobriquet.

Centre d'altèque. Nom véritable.

Li marinier qui par mer nage,

Cerchant mainte terre sauvage,

Tout regarde il à une estoile,

disent les auteurs du Roman de la Rose.

Ficher un chabannais. Donner une correction.

L'expression appartient à Balzac.

Quelques écrivains font ce mot du féminin.

Faire du chahut. Bousculer les tables et les buveurs, au cabaret; tomber sur les sergents de ville, dans la rue.

Chaloupe orageuse. Variété de chahut et femme qui le danse.

On dit aussi Chamberlan, et ce mot, comme l'autre, est la première forme de Chambellan. Les gens du bel air ont donc tort de rire des petites gens,—qui parlent mieux qu'eux, puisqu'ils parlent comme Villehardouin, comme Joinville, comme Froissart, qui parlaient comme les Allemands (Kâmmerling ou Chamarlinc).

Le mot a une cinquantaine d'années de bouteille.

Pour beaucoup aussi, c'est du 82 café chaud avec du rhum ou de l'absinthe.

Être entre quatre chandelles. Être conduit au poste entre quatre fusiliers.

Au féminin, Chanoinesse.

Faire chanter. Faire pleurer.

L'expression est vieille comme le vice qu'elle représente.

Chapeau en colonne. Placé dans le sens contraire, c'est-à-dire dans la ligne du nez.

Faire ou Fêter des chapelles. Faire des stations chez tous les marchands de vin.

On dit aussi Chapon de Gascogne.

C'est un souvenir donné à la coiffure des lanciers polonais,—de la garde nationale de Paris.

Se dit aussi pour Auvergnat.

C'est la manœuvre contraire à Appuyer.

Le mot est antérieur à 1789.

Soubrettes de Charlot. Les valets du bourreau, chargés de faire la toilette du condamné à mort.

Les Anglais disent de même Ketch ou Jack Ketch,—quoique Monsieur de Londres s'appelle Calcraft.

Signifie aussi Homme roué, corrompu.

S'appelle aussi Vol à l'Américaine.

Charrieur, cambrousier. Voleur qui exploite les foires et les fêtes publiques.

Charrieur de ville. Celui qui vole à l'aide de procédés chimiques.

Charrieur à la mécanique. Autre variété de voleur.

Faire ou Former le chartron. Ranger les acteurs en ligne courbe devant la rampe, au moment du couplet final.

Ce mot qui ne se trouve pourtant dans aucun dictionnaire respectable, est plus étymologique qu'on ne serait tenté de le supposer au premier abord. Je m'appuie, pour le dire, de l'autorité de Ménage, qui fait venir chassie de l'espagnol cegajoso, transformé par le patois français en chaceuol, qui voit mal, qui a la vue faible. Et, dans le même sens nos vieux auteurs n'ont-ils pas employé le mot chacius?

Châsses d'occase. Yeux bigles, ou louches.

Foutre une chasse. Faire de violents reproches. 85

On dit aussi Chasser l'humidité.

Chat fourré. Juge; greffier.

L'expression est de Balzac.

Être chaud. Se défier.

Il l'a chaud. C'est un malin qui entend bien ses intérêts.

Taper sur le chaudron. Jouer du piano,—dans l'argot du peuple.

J'ai entendu employer aussi cette expression dans un sens contraire à celui que je viens d'indiquer,—dans le sens d'Homme qui s'occupe des soins incombant à la femme de ménage. C'est le mari de la femme qui porte les culottes.

Avoir chauffé le four. Être en état d'ivresse.

Nos pères disaient: Coucher en joue une femme.

Nos pères disaient: Coucher en joue un emploi.

Se dit aussi de tout homme qui amène la gaieté avec lui.

Putain comme chausson. Extrêmement débauchée. Aurélien 87 Scholl a spirituellement remplacé cette expression populaire, impossible à citer, par cette autre, qui n'écorche pas la bouche et qui rend la même pensée: Légère comme chausson.

Chelinguer des arpions. Puer des pieds.

On dit plus élégamment: Chelinguer des arps.

Chelinguer du bec. Fetidum emittere halitum.

L'expression ne viendrait-elle pas de l'allemand schlingen, avaler, ouvrir trop la bouche?

Faire suer le chêne. Tuer un homme.

Chêne affranchi. Homme affranchi, voleur.

Les voleurs anglais ont le même mot: oak, disent-ils d'un homme riche. To rub a man down with an oaken towel, ajoutent-ils en parlant d'un homme qu'ils ont tué en le frottant avec une serviette de chêne,—un bâton.

Chenu sorgue. Bonsoir.

Avoir dix à cherche. Avoir dix points lorsque son adversaire n'en a pas un seul.

Avoir trop d'ingéniosité dans l'esprit et dans le style, s'amuser aux bagatelles de la phrase au lieu de s'occuper des voltiges sérieuses de la pensée. Argot des gens de lettres.

Signifie aussi: Se casser la tête pour trouver une chose simple.

Être bon cheval de trompette. Ne s'étonner, ne s'effrayer de rien.

On dit aussi Romain.

Je regrette de ne pouvoir donner une étymologie un peu noble à ce mot et le faire descendre soit des Croisades, soit du fameux cheveu rouge de Nisus auquel les Destins avaient attaché le salut des Mégariens; mais la vérité est qu'il sort tout simplement et tout trivialement de la non moins fameuse soupe de l'Auvergnat imaginé par je ne sais quel farceur parisien.

Trouver un cheveu à la vie. La prendre en dégoût et songer au suicide.

Voilà le cheveu! C'est une variante de: Voilà le hic!

Avoir la chèvre. Être en colère.

Gober la chèvre. Être victime de la mauvaise humeur de quelqu'un. Signifie aussi se laisser berner.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, on disait, dans le même sens, Prendre la chèvre.

Chiasse du genre humain. Homme méprisable.

Faire de chic. Dessiner ou peindre sans modèle, d'imagination, de souvenir.

Avoir du chic. Être arrangé avec une originalité de bon—ou de mauvais—goût.

Avoir le chic. Posséder une habileté particulière pour faire une chose.

Monsieur Chic. Personne distinguée—par sa générosité envers le sexe.

Discours chic. Discours éloquent,—c'est-à-dire rigolo.

Ce mot a lui-même d'autres superlatifs, qui sont Chicandard et Chicocandard.

On dit aussi Chichard.—Notre vieux français avait chice.

Notre vieux français avait chiceté.

Faire sa chicorée. Se donner des airs de grande dame, et n'être souvent qu'une petite dame.

Ce verbe est vieux: on le trouve dans les Fabliaux de Barbazan.

C'est lui tout chié. Il a le même visage et surtout le même caractère.

Avoir un chien pour un homme. Être folle de lui.

Vieux chien. Vieux farceur,—sly dog, disent nos voisins.

Voilà le chiendent. Voilà le hic.

Remonter jusqu'au XVe siècle pour trouver—dans chéaulz, enfants, et lice, chienne—une étymologie que tous les petits polissons portent imprimée en capitales de onze sur le bas de leur chemise, c'est avoir une furieuse démangeaison de voyager et de faire voyager ses lecteurs, sans se soucier de leur fatigue. Le verbe cacare—en français—date du XIIIe siècle, et le mot qui en est naturellement sorti, celui qui nous occupe, n'a commencé à apparaître dans la littérature que vers le milieu du XVIIIe siècle; mais il existait tout formé du jour où le verbe lui-même l'avait été, et l'on peut dire qu'il est né tout d'une pièce. Il est regrettable que M. Charles Nisard ait fait une si précieuse et si inutile dépense d'ingéniosité à ce propos; mais aussi, son point de départ était par trop faux: «La manière de prononcer ce mot, chez les gamins de Paris, est chiaulit. Les gamins ont raison.» M. Nisard a tort, qu'il me permette de le lui dire: les gamins de Paris ont toujours 91 prononcé chie-en-lit. Cette première hypothèse prouvée erronée, le reste s'écroule. Il est vrai que les morceaux en sont bons.

Le peuple dit quelquefois, pour mieux exprimer le dégoût que lui cause la canaillerie de quelqu'un: Il a chié dans mon panier jusqu'à l'anse.

L'expression, qu'on pourrait croire moderne, sort de la satire Ménippée, où on lit: «Cettuy-là a fait caca en nos paniers: il a ses desseins à part.»

On dit aussi Mou comme une chiffe, mais c'est un pléonasme.

Balancer le chiffon rouge. Parler.

Les voleurs anglais disent de même Red rag.

Signifie aussi coup à la tête ou au visage,—au chanfrein.

On dit aussi Chinois de paravent.

Génin donne à ce mot une origine commune au mot chiffon, ou chiffe: le verbe anglais to chip, qui signifie couper par morceaux. Je le veux bien; mais il serait si simple de ne rien emprunter aux Anglais en se contentant 93 de l'étymologie latine accipere, dont on a fait le vieux verbe français acciper! Acciper, par syncope, a fait ciper; ciper à son tour a fait chiper,—comme cercher a fait chercher.

Signifie aussi: Manger du bout des dents.

Signifie aussi mauvaise humeur,—l'état de l'esprit étant la conséquence de l'état du corps.

Avoir une chique. Être saoul.

Avoir sa chique. Être de mauvaise humeur.

Poser sa chique. Se taire, et, par extension, Mourir.

On dit aussi, pour imposer silence à quelqu'un: Pose ta chique et fais le mort.

Se chiquer. Echanger des coups de poing et des coups de pied.

C'est évidemment le même mot que chicot, qui a lui même 94 pour racine le vieux mot français chice.

Double cholette. Litre.

Se faire choper. Se faire arrêter.

Bon chopin. Vol heureux et considérable.

Mauvais chopin. Vol de peu d'importance, qui ne vaut pas qu'on risque la prison.

Chopiner théologalement, dit Rabelais.

On dit aussi Machin. Ulysse, au moins, se faisait appeler Personne dans l'antre de Polyphème!

Avoir l'air chose. Être embarrassé, confus, humilié.

Être tout chose. Être interdit, ému, attendri.

Faire chou blanc. Echouer dans une entreprise; manquer au rendez-vous d'amour; revenir de la chasse le carnier vide, etc.

L'expression est de Balzac.

Signifie aussi parler allemand.

On dit aussi Choucroutemann.

On dit aussi Chouettard et Chouettaud,—sans augmentation de prix.

On dit aussi Choufflite: mais ce mot n'est qu'une corruption du précédent.

V. Suriner.

L'étymologie voudrait que l'on dît Surineur; mais l'euphonie veut que l'on prononce Chourineur.

Viande de chrétien. Chair humaine.

Signifie aussi, et alors ce verbe est actif. Empêcher de réussir,—dans l'argot des coulisses.

Ils disent aussi cigue, par apocope, et Ciguë, par corruption.

Dab de la Cigogne. Le procureur général.

Les faubouriens amis de l'euphonie, disent volontiers cintième.

Les Espagnols disent cebada pour Orge.

Signifie aussi Répéter un bruit, une nouvelle; faire des cancans,—et alors il est verbe actif.

«Parquoy s'ensuit qu'en toute claireté
Son nom reluyt et sa vertu pullule,»

dit Clément Marot.

L'expression se trouve dans beaucoup d'écrivains des XVe et XVIe siècles.

Figure à claques. Visage moqueur 97 qui donne des démangeaisons à la main de celui qui le regarde.

La boite aux claqués. La Morgue.

Le jardin des claqués. Le cimetière des hospices.

Le peuple dit aussi, dans le même sens, Claque-soif,—par compassion, l'homme qui meurt de soif étant pour lui plus à plaindre que celui qui meurt de faim.

Claquer ses meubles. Vendre son mobilier.

Mauvaise clique. Pléonasme fréquemment employé,—clique ne pouvant jamais se prendre en bonne part.

Les bourgeois, eux, disent cloche: c'est un peu plus français, mais cela ne rend pas aussi exactement le bruit que font les ampoules lorsqu'on les crève.

On dit aussi Culot.

Coller au clou. Engager sa montre ou ses vêtements chez un commissionnaire au mont-de-piété.

Grand clou. Le Mont-de-piété de la rue des Blancs-Manteaux, dont tous les autres monts-de-piété ne sont que des succursales.

Coller au clou. Mettre un soldat à la salle de police.

On dit aussi River le clou.

Taper sur la cocarde. Se dit d'un vin trop généreux qui produit l'ivresse.

Avoir sa cocarde. Être en état d'ivresse.

On dit aussi Cochonnerie.

Coco déplumé. Tête sans cheveux.

Redresser le coco. Porter la tête haute.

Monter le coco. Exciter le désir, échauffer l'imagination.

Se passer par le coco. Avaler, boire, manger.

Joli coco. Se dit ironiquement de quelqu'un qui se trouve dans une position ennuyeuse, ou qui fait une farce désagréable.

Drôle de coco. Homme qui ne fait rien comme un autre.

Il a graissé la patte à coco. Se dit ironiquement d'un homme qui s'est mal tiré d'une affaire, qui a mal rempli une commission.

On pourrait croire ce mot de la même date que cocotte: il n'en est rien,—car voilà une vingtaine d'années que l'acteur Osmont l'a mis en circulation.

Le mot date de quelques années à peine. Nos pères disaient: Poulette.

Se dit aussi des Poules en papier avec lesquelles ils jouent.

On dit: Il ou Elle a un cœur d'artichaut, il y en a une feuille pour tout le monde.

Avoir le coffre bon. Se bien porter physiquement.

Se faire coffrer. Se faire arrêter.

La cogne. La gendarmerie.

Se dit aussi pour: Prendre les armes, descendre dans la rue et faire une émeute.

Faucher le colas. Couper le cou.

On dit aussi le colin.

Grand Colas. Nigaud, qui a laissé échapper une bonne fortune.

Être tangent à une colle. Être menacé d'un simulacre d'examen.

Collèges de Pantin. Prisons de Paris.

Les Anglais ont la même expression: City college, disent-ils à propos de Newgate.

Se coller. S'approprier quelque chose.

On dit plutôt: Collant.

Aller à comberge. Aller à confesse.

Par comblance. Par surcroît.

Ils disent aussi Combriot.

Ils disent aussi Cambrieu, plus conforme à l'étymologie qui est certainement cambré.

On prononce comifô.

L'homme comme il faut des bourgeoises est le monsieur bien des petites dames.

Ouvrir le compas. Marcher.

Allonger le compas. Précipiter sa marche.

Les Anglais ont une expression analogue: To cast up one's accounts (rendre ses comptes), disent-ils.

Grand condé. Préfet.

Petit condé. Maire.

Demi-condé. Adjoint.

Condé franc ou affranchi. Fonctionnaire qui se laisse corrompre.

Plus particulièrement: Faveur obtenue d'un geôlier ou d'un directeur.

Mot nouveau, profession nouvelle. 103

Signifie aussi: Savoir de quoi se compose le dîner auquel on est invité.

Connaître le numéro de quelqu'un. Savoir ce qu'il cache; connaître ses habitudes, son caractère, etc.

Signifie aussi: C'est usé! Je ne crois plus à ces choses-là!

Ce verbe ne viendrait-il pas de cognoscere, connaître, ou de cognobilis, facile à connaître.

Être en conscience, ou à la conscience. Travailler à la journée.

C'est aussi l'élève de seconde année à Saint-Cyr.

Débit de consolation. Liquoriste, cabaret.

On dit aussi mettre le contrôle.

Être en convalescence. Être sous la surveillance de la police.

On écrivait et on disait autrefois compaing, mot très expressif que je regrette beaucoup pour ma part, puisqu'il signifiait l'ami, le frère choisi, celui avec qui, aux heures de misère, on partageait son pain,—cum pane. C'est l'ancien nominatif de compagnon.

Avoir de la cope. Avoir un manuscrit à composer.

Lever son copeau. Parler, bavarder.

Faire de la copie. Écrire un article pour un journal ou pour une revue.

Caner sa copie. Ne pas écrire l'article promis.

Pisser de la copie. Écrire beaucoup trop, sur tous les sujets.

Pisseur de copie. Ecrivain qui a une facilité déplorable et qui en abuse pour inonder les journaux ou revues de Paris, des départements et de l'étranger, de sa prose ou de ses vers.

Le mot n'est pas aussi moderne qu'on serait tenté de le croire, 105 car il sort du Blason des fausses amours:

«Se ung coquardeau

Qui soit nouviau

Tombe en leurs mains,

C'est un oyseau

Pris au gluau

Ne plus ne moins.»

Coquer la camouffle. Présenter la chandelle.

Coquer la loffitude. Donner l'absolution.

Coquer le poivre. Empoisonner.

Coquer le taf. Faire peur.

Corbuche-lof. Ulcère factice.

Corneaude. Vache.

Corner une chose aux oreilles de quelqu'un. La lui répéter de façon à lui être désagréable.

Se mettre quelque chose dans le cornet. Manger.

N'avoir rien dans le cornet. Être à jeun. 106

On dit des objets perdus ou volés au théâtre qu'ils sont tombés dans les costières.

Être à la côte. N'avoir pas d'argent.

Frère de la côte. Compagnon de misère.

On dit aussi Côtelette de vache.

Les ouvriers anglais ont une expression du même genre: A welsh rabbit (un lapin du pays de Galles), disent-ils à propos d'une tartine de fromage fondu.

Aimer le cotillon. Être de complexion amoureuse.

Faire danser le cotillon. Battre sa femme.

Elever un enfant dans du coton. Le gâter de caresses.

Il y a eu ou il y aura du coton. On s'est battu ou l'on se battra.

Il y a du coton. On aura de la peine à se tirer d'affaire.

On dit aussi fumerons.

Faire coucou. Tromper un homme avec sa femme.

On dit aussi Faire cornette, quand c'est la femme qui est trompée.

Ils disent mieux Bogue.

Prendre sa permission sous son coude. Se passer de permission.

Gratter la couenne à quelqu'un. Le flatter, lui faire des compliments exagérés.

On dit aussi Coulage.

Veiller à la coule. Veiller sur les domestiques, avoir l'œil sur les garçons de café et autres, pour empêcher la dilapidation.

Signifie aussi: Savoir tirer son épingle du jeu; être dupeur plutôt que dupé; préférer le rôle de malin à celui de niais, celui de marteau à celui d'enclume.

Monter une couleur. Mentir.

Au XVIIe siècle on disait: Sous couleur de, pour Sous prétexte de. Or, tout prétexte étant un mensonge, il est naturel que tout mensonge soit devenu une couleur.

Chelinguer du couloir. Fetidum halitum emittere.

Donner un coup de canif dans le contrat. Tromper sa femme ou son mari.

Avoir un coup de chasselas. Être en état d'ivresse. 109

Donner un coup de fourchette. Manger.

Coup de pistolet dans l'eau. Affaire ratée.

C'est une façon comme une autre d'essuyer l'injure reçue. Même argot.

Recevoir le coup du lapin. Vieillir subitement du soir au lendemain; se réveiller avec des rides et les cheveux blancs.

Signifie aussi au figuré: Coup de grâce.

Le mot date de la maréchale Lefebvre.

On dit volontiers comme elle: Cela te la coupe!

Signifie aussi Tuer.

Connaître le courant. Savoir de quoi il s'agit.

Montrer le courant. Initier quelqu'un à quelque chose.

Courbe de maxne. Epaule de mouton.

On dit aussi Courir la gueuse et Courir le guilledou.

Coursier de fer. Locomotive.

J'ai vu écrit conce de castus dans le vieux dictionnaire d'Olivier Chéreau, avec cette définition conforme du reste à la précédente: «Celuy qui porte les salletés de l'hospital à la rivière.»

Cousse ne signifie rien, tandis que conce est une antiphrase ironique et signifie parfumé (de l'italien concio).

On dit de même Linge de conseiller pour linge volé et démarqué.

Faire couvrir le temple à un frère. Le faire sortir.

Signifie aussi Niaiserie, chose de peu d'importance.

Signifie aussi Se moquer.

Signifie aussi: Importuner, agacer,—probris lacessere. 113

D'aucuns disent encore comme du temps de Rabelais, Cabosser.

On dit: C'est lui tout craché. ou C'est son portrait tout craché.

On dit aussi Cracher du coton et Cracher des pièces de dix sous.

Tenir le crachoir. Parler.

Abuser du crachoir. Abuser de la facilité qu'on a à parler et de l'indulgence des gens devant qui l'on parle.

Ils disent aussi Tirer sa crampe.

Faire son crâne. Faire le fanfaron.

Avoir un crâne talent. Avoir beaucoup de talent.

Avoir crânement de talent. En avoir beaucoup.

Faire son crâneur. Parler ou 114 marcher avec aplomb, comme un homme qui ne craint rien.

Tomber dans la crasse. Déchoir de rang, de fortune; de millionnaire devenir gueux, et d'honnête homme coquin.

Faire son credo. Avouer franchement ses torts.

La crème des hommes. Le meilleur des hommes.

Ils disent aussi goitreux.

Bon creux. Belle voix, claire, sonore.

Fichu creux. Voix brisée, défaillante, qui «sent le sapin».

Les voyous anglais disent de même Ken, apocope de Kennel (trou, terrier).

Faire sa crevaison. Mourir.

Petit crevé. Synonyme de gandin.

Mot de création tout à fait récente.

Cribler à la chienlit ou au charron. Crier au voleur.

Cribler à la grive. Avertir un camarade, en train de travailler, de l'arrivée de la police ou d'importuns quelconques.

Ne serait-ce pas une contraction de carogne, mot dérivé du latin caro?

D'un autre côté, je trouve crie et criolle dans le dictionnaire d'Olivier Chéreau, et Bouchet lui donne la signification de Lard. Auquel entendre?

Être comme un crin. Être de mauvaise humeur.

«Fille se coiffe volontiers
D'amoureux à longue crinière.»

On dit aussi Crier comme une merlusine.

Signifie aussi Créancier.

Cromper sa sorbonne. Sauver sa tête de la guillotine.

Croqueneaux verneaux. Souliers vernis.

Être comme un croquet. Se fâcher sous le moindre prétexte.

Ils disent aussi Crosseur.

Douze plombes crossent: il est midi ou minuit.

Tomber dans la crotte. Se ruiner, se déshonorer,—se salir l'âme et la conscience.

Vivre dans la crotte. Mener une vie crapuleuse.

On n'est jamais sali que par la crotte. On ne reçoit d'injures que des gens grossiers.

Il dit aussi Cruchon.

Tanner le cuir. Battre.

Avoir le dessous des arpions doublé en cuir de brouette. Avoir le dessous des pieds aussi dur que du bois.

Connaître la cuisine d'un journal. Savoir comment il se fait, par qui il est rédigé et quels en sont les bailleurs de fonds réels.

Faire la cuisine d'un journal. Être chargé de sa composition, c'est-à-dire de la distribution des matières qui doivent entrer dedans, en surveiller la mise en page, la correction des épreuves, etc.

(V. Coqueur et Mouton.)

Signifie aussi Agent de police.

Avoir sa cuite ou une cuite. Être saoul.

Ils disent aussi Enfant de la fourchette, Mal choisi et Quarantier.

Faire la culbute. Faire banqueroute.

Attraper une culotte. Se trouver à la fin d'une partie, à la tête d'un grand nombre de dominos qu'on n'a pu placer.

On dit aussi Prendre une culotte.

On dit aussi Se culotter le nez.

Signifie aussi: Vieillir, devenir hors de service.

On dit mieux: Vieux Cupidon.

On l'appelle aussi Moucharde. 121

D

Les Anglais ont le même mot pour signaler un homme consommé dans le vice: A rum dabe disent-ils.

Envoyer à dache. Envoyer promener, envoyer au diable.

Les ouvriers emploient aussi cette expression.

Fantaisie, manie,—dans l'argot des grandes personnes, plus enfants que les enfants.

Daim huppé. Daim tout à fait riche.

Signifie aussi: imbécile, nigaud.

On dit aussi la Dalle du cou. 122

Danse soignée. Batterie acharnée.

On dit aussi: Faire danser l'anse du panier. Quand une cuisinière, revenue du marché, a vidé les provisions que contenait tout à l'heure son panier, elle prend celui-ci par l'anse et le secoue joyeusement pour faire sauter l'argent épargné par elle à son profit, et non à celui de sa maîtresse.

Danser du bec. Avoir une haleine douteuse.

Danser des arpions. Avoir des chaussettes sales.

On dit aussi, à propos d'une somme perdue, volée, ou donnée: La danser de tant.

Faire danser quelqu'un. Se faire offrir quelque chose par lui.

Faire danser ses écus. Dépenser joyeusement sa fortune.

Signifie aussi: Être battu.

Daron de la raille ou de la rousse. Préfet de police.

Daronne du Dardant. Vénus, mère de l'Amour.

Daronne du grand Aure, la Sainte Vierge, mère de Dieu.

Être volé au déballage. S'apercevoir avec une surprise mêlée de mauvaise humeur, que la femme qu'on s'était imaginée idéalement belle, d'après les exagérations de sa crinoline et les exubérances de son corsage, n'a aucun rapport, même éloigné, avec la Vénus de Milo.

Se débarbouiller. Se retirer tant bien que mal d'une affaire délicate, d'un péril quelconque.

Se dit aussi du temps lorsque de couvert il devient serein.

«Qu'est-ce qu'un débardeur? Un jeune front qu'incline

Sous un chapeau coquet l'allure masculine,

Un corset dans un pantalon.

Un masque de velours aux prunelles ardentes,

Sous des plis transparents des formes irritantes,

Un ange doublé d'un démon.»

J'ai entendu dire Dibène (pour malaise, dépérissement) sur les bords de la Meuse, où l'on parle le wallon, c'est-à-dire le vieux français.

Tomber dans la débine. Devenirpauvre.

En wallon, on dit: Dibiner, pour être mal à l'aise, en langueur.

Se débiner. S'injurier mutuellement.

En wallon, on dit Biner pour Fuir.

Se faire déborder. Se faire vomir.

Se débourrer. S'émanciper, se dégourdir.

Décamper sans tambour ni trompette. S'en aller discrètement ou honteusement, selon qu'on est bien élevé ou qu'on a été inconvenant.

On dit aussi Décampiller.

On demande pourquoi, ayant sous la main une étymologie si simple et si rationnelle (canis), M. Francisque Michel a été jusqu'en Picardie chercher une chenille.

Ce mot, des plus employés, est tout à fait moderne. Privat d'Anglemont en attribue l'invention à un pauvre cabotin du Cirque, qui, chargé de dire à Napoléon dans une pièce de Ferdinand Laloue: «Quel échec, mon empereur!» se troubla et ne sut dire autre chose, dans son émotion, que: «Quelle dèche, mon empereur!»

Être en dèche. Être en perte d'une somme quelconque.

On dit aussi N'être pas trop égratignée.

On dit aussi Dévisser son billard.

Être en déconfiture. Avoir déposé son bilan.

Pour les filles, Décrasser un homme, c'est le ruiner, et pour les voleurs, c'est le voler,—c'est-à-dire exactement la même chose.

Ils disent aussi Descendre.

Se faire décrocher. Employer des médicaments abortifs.

Acheter une chose au décrochez-moi ça. L'acheter d'occasion, au Temple ou chez les revendeurs.

On dit aussi Doubleur.

On dit aussi Défrusquiner.

Se défrusquer. Se déshabiller. 127

Avoir une belle dégaine. Se dit ironiquement des gens qui n'ont pas de tenue, ou des choses qui sont mal faites.

Signifie aussi: Mourir.

Se dégommer. S'entre-tuer.

Signifie aussi: Recherche couronnée de succès.

Signifie aussi: Trouver ce que l'on cherche.

Se dégourdir. Se débourrer, se débarrasser de ses allures gauches, de la timidité naturelle à la jeunesse.

Signifie aussi: S'amuser.

N'être pas trop déjeté. Être bien conservé.

C'est une expression elliptique très raffinée: Ah! de la bourrache! c'est-à-dire: «Tu me fais suer!»

C'est démandibuler qu'il faudrait dire; la première application de ce verbe a dû être élite à propos de la mâchoire, qui se désarticule facilement.

Se démantibuler. Se séparer, se briser,—au propre et au figuré.

On disait autrefois Démurger.

Signifie aussi: Être vieux, être sur le point de partir pour l'autre monde.

On dit aussi Déménager à la cloche de bois.

Tendre la demi-aune.—Mendier.

AU XVIIIe siècle, en appelait ça Demi-castor. Les mots changent, mais les vices restent.

Démoc-soc. Démocrate-socialiste.

Se démonétiser. Se discréditer, s'amoindrir, se ruiner moralement.

Les petites dames de ce pays cythéréen qui veulent donner à rêver aux hommes disent aussi: Seize ans, toutes ses dents et pas de corset.

Mal de dents. Mal d'amour.

N'avoir plus mal aux dents. Être mort.

Ne pas déparler. Bavarder fort et longtemps.

L'expression appartient à l'argot des ouvriers, loustics de leur nature.

On dit aussi Perdre sa salive, dans le sens de: Parler inutilement.

Se dépiauter. S'écorcher.

Signifie aussi Se déshabiller.

Ils disent aussi Déposer un kilo.

Signifie aussi Coffre-fort.

Avoir de quoi. Être assuré contre la soif, la faim et les autres fléaux qui sont le lot ordinaire des pauvres gens.

On dit aussi Avoir du de quoi.

L'expression date de la première Révolution et a pour père le conventionnel Peysard.

Le mot est de Balzac.

Cette expression, qui a plus d'un siècle, signifie aussi femme rusée, roublarde.

Ils disent aussi Palefroi,—dans les grandes circonstances.

Détacher un soufflet. Souffleter quelqu'un.

Détacher un coup de pied. Donner un coup de pied.

C'est un détail! signifie: Cela n'est rien!—même lorsque c'est quelque chose d'important, d'excessivement important, fortune perdue ou coups reçus.

On dit aussi Enrayer.

On dit aussi Grinchissage à la détourne.

Être en déveine. Perdre constamment au jeu.

Dévidage à l'estorgue. Accusation.

Dévider à l'estorgue. Mentir.

Dévider le jar. Parler argot.

On dit aussi Entraver le jar.

Signifie aussi: Regarder quelqu'un avec attention.

Un grand nombre de savantes personnes veulent que cette expression populaire vienne du château de Vauvert, sur l'emplacement duquel fut jadis bâti le couvent des Chartreux, lui-même depuis longtemps remplacé par le bal de la Grande chartreuse ou Bal Bullier: je le veux bien, n'ayant pas assez d'autorité pour vouloir le contraire, pour prétendre surtout être seul de mon avis contre tant de monde. Cependant je dois dire d'abord que je ne comprends guère comment les Parisiens du XIVee siècle pouvaient trouver si grande la distance qu'il y avait alors comme aujourd'hui entre la Seine et le carrefour de l'Observatoire; ensuite, j'ai entendu souvent, en province, des gens qui n'étaient jamais venus à Paris, employer cette expression, que l'on dit exclusivement parisienne.

Se dit aussi à propos d'un grand vacarme «où l'on n'entendrait pas Dieu tonner». Quand on n'entend pas Dieu tonner, c'est qu'en effet le «diable en a pris les armes».

On dit aussi Dimanche après la grand'messe.

Être le dindon de la farce. Être la victime choisie, payer pour les autres.

Envoyer quelqu'un dinguer. Le congédier brusquement, s'en débarrasser en le mettant à la porte.

Cela ne me dit pas. Je n'ai pas d'appétit, de goût pour cela.

... casta quam nemo rogavit

de Martial. Si les Muses avaient des amants plus platoniques, tout le monde y gagnerait,—et surtout la littérature française.

Faire dodo. Dormir.

Avoir le jeu complet. Avoir toutes ses dents.

Jouer des dominos. Manger. 135

Être donné. Être dénoncé.

On dit aussi Donner dix-huit.

Les faubouriens disent: Taper dans l'œil. C'est plus expressif,—parce que c'est plus brutal.

Molière a employé Donner dans la vue avec la même signification. J'ai trouvé dans le Tempérament, tragédie-parade de 1755: Il m'a donné dans l'œil, employé dans le même sens.

Ils disent aussi Donner une chicorée.

L'expression appartient à Hippolyte Babou.

On dit aussi donner son bout de ficelle.

J'ai entendu la phrase, et j'ai frémi pour celui à qui elle s'adressait: «Je te donnerai un coup de poing au nez, que tu n'en verras que la fumée!» disait un robuste Auvergnat à un ouvrier d'apparence médiocre.

Il y a plus d'un siècle déjà que ce barbarisme court les rues.

Signifie aussi Maîtresse.

Comme les mots déchoient! La donzelle du Moyen Age était la demoiselle de la maison,—dominicella, ou domina; la donzelle du XIXe siècle est une demoiselle de maison.

(V. Dauphin.)

On dit aussi Dos vert.

Henry Murger, dans sa Vie de Bohème, appelle ce 1er et ce 15 de chaque mois le Cap des Tempêtes, à cause des créanciers qui font rage à ce moment-là pour être payés.

Doubleur de sorgue. Voleur de nuit.

On dit quelquefois: A la douce, comme les marchands de cerises.

Se dit aussi de quiconque a une chevelure absalonienne.

Douilles savonnées. Cheveux blancs.

Recevoir une dragée. Être atteint d'une balle.

On dit aussi Gober la dragée.

Grand drapeau. Nappe.

Se dit aussi d'un Homme difficile à vivre.

Faire une drogue. Jouer cette partie de cartes.

On dit aussi Raide.

Ils disent aussi Durin.

On dit aussi, dans le même sens: Dur à digérer.

Ils disent aussi Dure.

Dure à briquenion. Pierre à briquet.

Ils disent aussi Dure à riffle.

Duraille sur mince. Diamant sur papier.

On dit aussi Dur à la desserre.

Coucher sur la dure. Coucher à la belle étoile.

Ils disent aussi Loupe.

Ils disent aussi, soit: De l'anis! soit: Des navets! soit: Des nèfles! soit: Du flan!

Qu'on ne croie pas l'expressionmoderne, car elle a des chevrons: «Si on la loue en toutes sortes de langues, elle n'aura que du vent en diverses façons,» dit La Serre, historiographe de France, dans un livre adressé à mademoiselle d'Arsy, fille d'honneur de la reine (1638).

140

141

E

Tourner en eau de boudin. Se dit d'une promesse qu'on ne tient pas, d'un héritage qui échappe, d'un projet qui avorte.

Ne serait-ce pas plutôt os de boudin? Car enfin à la rigueur, on peut trouver de l'eau dans un boudin, tandis qu'on n'y trouvera jamais d'os.

On disait et on écrivait autrefois Esquacher.

On dit aussi Écrabouiller, et Escrabouiller.

On disait autrefois Écarter la dragée.

Avoir avalé un échalas. Être d'une maigreur remarquable.

Se faire écharpiller. Se faire accabler de coups.

«Il n'i a borgne n'esclopé.»

dit le Roman du renard.

Se dit aussi pour Blessé.

Ils disent aussi Lâcher les écluses.

Signifie aussi A contre-cœur.

Hospitalité écossaise. Hospitalité gratuite, désintéressée, aimable.

Être à son écot. Payer ce qu'on consomme.

Être à l'écot de quelqu'un. Dîner à ses dépens.

Écrache-tarte. Faux passeport.

Le mot a été employé pour la première fois en littérature, par Gilbert.

Madame de Sévigné, qui était une écriveuse d'esprit, a employé le mot écriveux.

«Et doibt, por grace deservir,

Devant le compaignon servir,

Qui doibt mengier en s'escuelle.»

dit le Roman de la Rose. 144

Faire de l'ef. Briller; faire des embarras.

Effacer un morceau de fromage.

Se dit en général de l'ouvrage ou du rôle, et, en particulier, d'un mot, d'un geste, d'une intonation.

Avoir un effet. Avoir à dire un mot qui doit impressionner les spectateurs, les faire rire ou pleurer.

Couper un effet. Distraire les spectateurs en parlant avant son tour, détourner leur attention à son profit et au préjudice du camarade qui est en train de jouer.

Faire des effets de biceps. Battre quelqu'un, uniquement pour lui prouver qu'on est plus fort que lui.

Faire des effets de poche. Payer.

Se faire égayer. Se faire envoyer des trognons de pommes.

S'emballer, se dit dans le même sens d'un homme qui s'emporte.

Faire des emballes. Faire des embarras.

On dit aussi S'embarbouiller.

Faire ses embarras. Éclabousser ses rivales du haut de son coupé,—dans l'argot des petites dames.

S'emberlificoter. Se troubler dans ses réponses, s'embarrasser dans un discours, comme dans un piège.

L'expression se trouve dans 146 Rabelais sous cette forme. Hauteroche a dit Embrelicoquer, et Châteaubriand Emberloquer.

S'embêter. S'ennuyer.

S'embêter comme une croûte de pain derrière une malle. S'ennuyer extrêmement.

On disait autrefois, et on dit quelquefois encore aujourd'hui, Embobeliner.

Par extension, S'engluer.

Se faire embrocher. Se faire tuer.

Voilà un des mots de notre langue qui ont le plus perdu en grandissant et se sont le plus corrompus en vieillissant. L'auteur du Code orthographique,—fort bon livre d'ailleurs,—prétend qu'il ne faut pas dire embrouillamini, parce que ce mot n'est pas français, mais bien brouillamini,—qui n'est pas plus français, j'ai le regret de le déclarer à M. Hétrel et à l'Académie, son autorité. On a commencé par dire Bol d'Arménie, et le bol d'Arménie était un remède de cheval fort compliqué, fort embrouillé; de Bol d'Arménie on a fait Brouillamini, puis Embrouillamini: Molière a employé le premier dans son Bourgeois Gentilhomme, et Voltaire s'est servi du second dans sa Lettre à d'Argental.

Maintenant, Voltaire et Molière écartés, comment le peuple dit-il, lui,—puisque c'est le Dictionnaire du peuple que je fais ici? Le peuple prononce Embrouillamini. Cela me suffit.

Embrouillamini du diable. Confusion extrême, embarras dont on ne peut sortir.

Ils disent aussi S'embrouillarder.

Les bourgeois disent Emmieller.

On dit aussi S'empaletequer et S'emmitonner, dans le même sens.

Ils disent aussi Embarras,—parce qu'en effet il leur est assez difficile de les emporter.

Ils disent souvent aussi: Il est à empailler!

Quelques Gilles Ménage de Clairvaux veulent que ce mot, au pluriel, signifie aussi Draps de lit. Dont acte.

S'emplâtrer de quelqu'un. S'en embarrasser en s'en chargeant.

Signifie aussi Mourir.

On dit aussi Être légèrement ému.

Il dit aussi Encoffrer.

Le peuple, qui emploie ce verbe aujourd'hui, a dit autrefois Enceinturer.

Ils l'appelaient autrefois Pire.

Il a dit autrefois Encharbotté.

Enchifrené, vaudrait peut-être mieux, mais le peuple est autorisé à dire comme on disait au XVIIe siècle.

On dit aussi S'encornifistibuler.

Faire endêver quelqu'un. Le taquiner, l'importuner de coups d'épingle.

Caillières prétend que le mot est «du dernier bourgeois». C'est possible, mais en attendant Rabelais et Jean-Jacques Rousseau s'en sont servis.

Cette expression qui s'emploie plus fréquemment avec la négative, est de l'argot des bourgeois. Le peuple, lui, dit; S'endormir sur le fricot.

Rester sur le rôti. Agir prudemment, au contraire, en n'allant pas plus loin dans une affaire sur l'issue de laquelle on a des doutes.

Signifie aussi: Se laisser entraîner à jouer gros jeu.

Signifie aussi: Arrêter, emprisonner.

Ohé! l'enflé! est une injure à la mode.

Signifie aussi: Avoir perdu la partie, quand on joue.

Signifie aussi Surpasser.

Les faubouriens disent Enfrimousser.

Signifie aussi: Traiter quelqu'un comme il mérite de l'être.

Signifie aussi: Qui a l'air d'avoir le cou dans les épaules.

Il dit aussi Engoulifrer.

Engrailler l'ornie. Dévaliser un poulailler.

On dit aussi Engouler.

Se faire engueuler. Se faire attraper.

On dit aussi Enlever le ballon.

Enquiller une thune de camelote. Cacher entre ses cuisses une pièce d'étoffe.

Entauler à la planque. Entrer dans sa cachette.

Se dit aussi à propos des choses.

Ils disent aussi Entifler.

Entraver bigorne ou arguche. Comprendre et parler l'argot.

Signifie aussi: Embarrasser la police.

Entraver nibergue ou niente. N'y entendre rien.

L'expression est vieille comme l'immoralité qu'elle peint.

C'est bien envoyé! Se dit d'une repartie piquante ou d'une impertinence réussie.

Ils disent aussi Envoyer promener.

On dit aussi Epatement.

L'expression appartient à M. Roger Delorme. (Tintamarre du 28 janvier 1866).

Faire de l'épate. Faire des embarras, en conter, en imposer aux simples.

Épater quelqu'un. L'intimider.

Signifie aussi: Le remettre à sa place.

Le mot est de Théophile Gautier.

On dit aussi Avoir un factionnaire à relever.

Signifie aussi Chemise.

L'expression sort du Théâtre Italien de Ghérardi.

«Épouser est ici une altération d'éponter, qui faisait autrefois partie du langage populaire avec le sens de glisser, de se dérober.» C'est M. Francisque Michel qui dit cela, et il a raison.

Ce mot, du meilleur français et toujours employé, manque au Dictionnaire de Littré.

Être sur ses ergots. Tenir son quant-à-soi; avoir une certaine raideur d'attitude frisant de très près l'impertinence.

Monter sur ses ergots. Se fâcher.

Ils disent aussi Croc, par aphérèse.

Faire de l'esbrouffe. Faire plus de bruit que de besogne.

Signifie aussi Réprimander.

«De bons harnois, de bons chauçons velus.
D'escafilons, de sollers d'abbaïe.»

Les écoliers du temps jadis disaient Escaffer pour Donner un coup de pied «quelque part.»

Sentir l'escafignon. Puer des pieds.

A l'escanne! Fuyons! 157

Signifie aussi: Vagabond, homme qui se traîne sur les chemins, rampant pour obtenir du pain, et quelquefois montrant les cornes pour obtenir de l'argent.

C'était ici, pour MM. les étymologistes, une magnifique occasion d'exercer leur verve... singulière. Eh bien, non! tous ont gardé de Conrart le silence prudent. Me permettra-t-on, à défaut de la leur, de risquer ma petite étymologie? Je ne dirai pas: Escarpe, parce que le voleur qui tient absolument à voler, escalade la muraille qui sépare le délit du crime et la prison de l'échafaud; mais seulement parce qu'il emploie un instrument tranchant aigu,—scarp en allemand. Pourquoi pas? escarbot vient bien de scarabæus, en vertu d'une épenthèse fréquente dans notre langue.

A moins cependant qu'escarpe ne vienne du couteau d'escalpe (du scalp) des sauvages... (V. Les Natchez).

Escarpe-Zézigue. Suicide.

On disait autrefois Escaper.

Escarper un zigue à la capahut. Assassiner un camarade pour lui voler sa part de butin.

On dit aussi Escarpins en cuir de brouette.

On dit aussi Grand escogriffe 158 —pour avoir l'occasion de faire un pléonasme.

Prendre son escousse. Reculer de quelques pas en arrière pour sauter plus loin en avant.

Avoir des espérances. Avoir des grands-parents riches que l'on compte voir mourir bientôt,—façon bourgeoise de «tuer le mandarin!»

Signifie aussi: Tromper, enfoncer quelqu'un.

S'esquinter, v. pron. Se fatiguer à travailler, à marcher, à jouer, à—n'importe quoi de fatigant.

On dit aussi S'esquinter le tempérament.

On dit aussi Balayer les planches.

Se dit aussi, ironiquement, des Gandins qui embrassent des filles trop maquillées.

Ils disent aussi Griffard.

«Quant je voy Barbe en habit bien duisant,
Qiu l'estomac blanc et poli descœuvre.»

On dit aussi Stomaqué.

Centre à l'estorgue. Faux nom.

Chasse à l'estorgue. Œil louche,—storto.

Le vieux français avait esturbillon, tourbillon, et le latin exturbatio. L'homme que l'on tue au moment où il s'y attend le moins doit être en effet estourbillonné.

Signifie aussi Mourir.

Par extension: Mourir.

S'étaler. Se laisser tomber.

Passer par l'étamine. Souffrir du froid, de la faim et de la soif.

Le mot est de Gavarni.

Se dit aussi pour Mourir. 160

On dit aussi Éternuer dans le sac.

Etoile flamboyante. Le symbole de la divinité.

Avoir la sacoche à jeun. N'avoir pas le sou.

Les gens de lettres modernes ont employé cette expression à propos de M. Sainte-Beuve, et ils ont cru l'avoir inventée pour lui. «Vous ne poviez venir à heure plus opportune, nostre maistre est en ses bonnes,» dit Rabelais.

Être désargenté. N'avoir plus un sou pour boire.

C'est la même expression que Les eaux sont basses.

L'expression sort de la langue romane.

Signifie aussi, dans un sens ironique, Être parfait,—en vices.

On dit aussi Être dans les petits papiers de quelqu'un.

Il dit aussi Être dedans.

On dit aussi En être.

On dit aussi Être d'un bon tonneau.

L'expression est de l'argot des marins.

T'es trop petit! est une expression souveraine de mépris, dans la bouche des faubouriens.

Signifie aussi: Voler, surfaire un prix, surcharger une addition.

Signifie aussi: Homme mou, sans consistance, sans valeur.

L'expression est ignoble, mais elle a de nobles parrains. Rabelais n'a-t-il pas dit, au chapitre des Meurs et conditions de Panurge: «Il fit une tarte bourbonnoise, composée de force de ailz..., d'estroncs tous chaulx, et la destrempit en sanie de bosses chancreuses?»

On dit quelquefois aussi: Et ta sœur, est-elle heureuse? C'est le refrain d'une chanson très populaire,—malheureusement.

Etudiante pur sang. Fille destinée à embellir l'existence de plusieurs générations d'étudiants.

Se dit aussi pour Vêtements.

Faire un extra. Faire une petite noce, une petite débauche de table.

Signifie aussi, seulement: Ajouter un plat à un repas trop spartiate, un demi-setier à un déjeuner composé de pommes de terre frites, etc.

166

167

F

Poser un factionnaire, Alvum deponere.

Mot de l'argot des voleurs qui a passé dans l'argot des ouvriers. Mais, avant d'appartenir au cant, il appartenait à notre vieille langue: «Saciés bien que se je 168 en muir, faide vos en sera demandée», dit Aucassin au vicomte de Beaucaire, qui lui a enlevé Nicolette. Or faide ici signifie compte et ne peut venir que de fœdus, accord particulier, règlement, compte.

Les deux mots ont d'ailleurs la même étymologie, fatuus, insipide.

Il n'emploie ordinairement cette expression que pour se moquer, et à propos de n'importe quoi. On lui raconte que le roi d'Araucanie est monté sur son trône «Des fadeurs!» dit-il. On lui assure que la France va avoir la guerre avec l'Angleterre à propos de Madagascar: «Des fadeurs!» On lui apprend une mauvaise nouvelle: «Des fadeurs!» Une bonne: «Des fadeurs!» etc.

Fafiot garaté. Billet de banque autrefois signé Garat et aujourd'hui Soleil.

Fafiot mâle. Billet de mille francs.

Fafiot femelle. Billet de cinq cents francs.

Fafiot loff. Faux certificat ou faux passeport.

Fafiot sec. Bon certificat ou bon passeport.

Signifie aussi Ecrivain.

Fagot à perte de vue. Condamné aux travaux forcés à perpétuité.

Fagot affranchi. Forçat libéré.

A signifié autrefois Se moquer.

Débiter des fagots. Dire des fadaises, des sottises.

Prendre quelqu'un par son faible. Caresser sa marotte, flatter son vice dominant.

Faire dans ses bas. Se conduire en enfant, ou comme un vieillard en enfance; ne plus savoir ce qu'on fait.

Faire son absinthe. Jouer son absinthe contre quelqu'un, afin de la boire sans la payer.

On fait de même son dîner, son café, le billard, et le reste.

Faire dans l'épicerie. Être épicier.

Faire dans la banque. Travailler chez un banquier.

Faire le foulard. Voler des mouchoirs de poche.

Faire des poivrots ou des gavés. Voler des gens ivres.

Faire une maison entière. En assassiner tous les habitants sans exception et y voler tout ce qui s'y trouve.

Se faire à quelque chose. Y prendre goût.

Se faire à quelqu'un. Perdre de 170 la répugnance qu'on avait eue d'abord à le voir.

Elles disent de même: La faire à la dignité, ou à la bonhomie, ou à la méchanceté, etc.

L'expression sort d'une petite gargote de cabotins de la rue de Malte, derrière le boulevard du Temple, et n'a que quelques années. La maîtresse de cette gargote servait souvent à ses habitués des œufs à l'oseille, où il y avait souvent plus d'oseille que d'œufs. Un jour elle servit une omelette... sans œufs.—«Ah! cette fois, tu nous la fais trop à l'oseille,» s'écria un cabotin. Le mot circula dans l'établissement, puis dans le quartier; il est aujourd'hui dans la circulation générale.

Il dit aussi Refaire au même.

On dit aussi Se faire choper.

Se non è vero... Je ne demande 171 pas mieux d'en croire Génin, mais jusqu'ici il m'avait semblé que Charlemagne n'avait pas autant fait Charlemagne que le dit le spirituel et regrettable érudit, et qu'il y avait, vers les dernières pages de son histoire, une certaine défaite de Roncevaux qui en avait été le Waterloo. Et puis... Mais le chevalier de Cailly avait raison!

On dit aussi Faire cuire son écrevisse.

On dit aussi Faire danser sur la poêle à frire.

Ils disent aussi Epancher de l'eau, Pencher de l'eau et Lâcher de l'eau.

Le peuple, lui, dit Chier de l'or.

On dit aussi Faire des affaires de rien.

Se dit volontiers pour retenir quelqu'un: «Rester donc; nous ferons des crêpes

Signifie aussi: S'étendre paresseusement au lieu de travailler.

Signifie aussi: N'être pas destiné à mourir de vieillesse, par suite de maladie héréditaire ou de santé débile.

Aller faire du lard. Aller se coucher.

On dit aussi Faire l'âne pour avoir du son.

Faire le mauvais fourrier. Servir ou découper de façon à contenter tout le monde excepté soi-même.

On dit aussi Faire la rue ou Faire le trottoir.

On disait autrefois Ecarter,—ce qui est faire son écart. 174

Elles disent aussi Faire le grand tour.

Elles disent aussi Faire le petit tour.

C'est le mot de Condorcet parlant des derniers moments d'Alembert: «Sans moi, dit-il, il faisait le plongeon.»

S'emploie d'ordinaire comme formule de refus à une demande indiscrète ou exagérée: Ah! tu t'en ferais mourir! C'est le refrain d'une chanson récente qui a fait son tour de Paris comme le drapeau rouge, et qui est en train de faire son tour au monde comme le drapeau tricolore.

On dit aussi Perdre le goût du pain, pour Mourir.

On dit aussi S'en faire péter la sous-ventrière.

On dit aussi Faire sa poire, Faire sa merde, et Faire son étroite,—dans l'argot des voyous.

—Se dit aussi du Service militaire auquel on est astreint lorsqu'on est tombé à la conscription.

Faire suer un chêne. Tuer un homme.

La «Belle Heaulmière» de François Villon disait dans le même sens: J'en suis bien plus grasse!

C'est une plaisanterie de Gascon, maintenant parisiennée.

Got, Mounet-Sully, Paulin Ménier excellent dans cet art difficile.

On dit aussi Faire un trou.

Ils disent aussi S'avarier.

L'expression est de Nestor Roqueplan.

On l'appelle aussi le Bateau à charbon et l'Ami.

Un fameux paillard. Un paillard consommé.

Une fameuse bévue. Une bévue colossale.

Quelquefois aussi ce mot est employé dans le sens d'Excellent, en parlant des choses et des gens, et il n'est pas rare alors de l'entendre prononcer ainsi: P, h, a, pha, fameux! C'est le nec plus ultra de l'admiration populaire.

S'éclairer le fanal. Boire un verre de vin ou d'eau-de-vie.

On dit aussi Fanon, afin qu'aucune injure ne soit épargnée à l'homme par l'homme.

Grands fanandels. Association de malfaiteurs de la haute pègre, formée en 1816, «à la suite d'une paix qui mettait tant d'existences en question», d'après Honoré de Balzac.

Se dit aussi d'un enfant quelconque.

On dit aussi Fonfe.

A signifié aussi, à l'origine, souteneur de filles, comme le prouvent ces vers cités par Francisque Michel:

«Monsieur, faut vous déclarer

Que c'est une femme effrontée

Qui fit son homme assassiner

Par son faraud...»

Faire son faraud. Se donner des airs de gandin quand on est simple garçon tailleur, ou s'endimancher en bourgeois quand on est ouvrier.

Chose farce. Chose amusante.

Homme farce. Homme grotesque.

Être farce. Avoir le caractère joyeux; être ridicule.

Faire des farces. Faire des dupes; tromper des actionnaires par des dividendes fallacieux.

Avoir fait ses farces. Avoir eu beaucoup de maîtresses ou un grand nombre d'amants.

Sans fard. De bonne foi.

Avoir un coup de fard. Rougir subitement, sous le coup d'une émotion ou de l'ébriété.

Signifie aussi Rougir.

Signifie aussi: Chose sans importance, objet de peu de valeur.

On disait autrefois et on dit encore quelquefois Falibourde.

Ils disent aussi Faucheux.

Faucher le colas. Couper le cou.

Faucher dans le pont. Donner aveuglément dans un piège.

Faucher le grand pré. Être au bagne. 180

On dit aussi Cueillir le persil, Aller au persil, et Persiller.

Faire faux-bond à l'échéance. N'être pas en mesure de payer.

Avoir eu les faveurs d'une emme. Avoir été son amant.

Ils disent aussi Favori des Muses.

On dit aussi Favori de Bellone.

Le cap Fayot. Moment de la traversée où l'équipage, ayant épuisé les provisions fraîches, est bien forcé d'entamer les légumes secs. C'est ce qu'on appelle alors Naviguer sous le cap Fayot.

Le mot a été employé pour la première fois par Charles Bataille.

Signifie aussi Poltron, lâche, et c'est alors une suprême injure,—l'ignavus de Cicéron, Barbarisme nécessaire, car fainéant ne rendrait pas du tout la même idée, parce qu'il n'a pas la même énergie et ne contient pas autant de mépris.

On dit aussi Avoir la tête fêlée.

L'expression,—toujours employée péjorativement,—a des chevrons, puisqu'on la retrouve dans Clément Marot, qui, s'adressant à sa maîtresse, la petite lingère du Palais, dit:

«Incontinent, desloyalle femelle,

Que j'auray faict et escrit ton libelle,

Entre les mains le mettray d'une femme

Qui appelée est Renommée, ou Fame,

Et qui ne sert qu'à dire par le monde

Le bien ou mal de ceux où il abonde.»

On dit aussi Femme de l'autre côté (sous-entendu: de la Seine).

Les Belges disent Une entretenue.

Il y a longtemps que le peuple emploie cette expression, comme le prouve ce passage de la Macette de Mathurin Regnier:

«N'estant passe-volant, soldat ny capitaine,

Depuis les plus chétifs jusques aux plus fendants,

Qu'elle n'ait desconfits et mis dessus les dents.»

Faire son fendant. Se donner des allures de matamore.

On dit aussi Fendart.

On dit aussi, et plus élégamment, Casse-gueule.

Signifie aussi: Se dévouer.

Se fendre à s'écorcher. Pousser à l'excès la prodigalité.

Tu me fends l'arche! est une des exclamations que les étrangers sont exposés à entendre le plus fréquemment en allant aux Gobelins.

On dit aussi, mais moins, Bander l'ergot.

Le verbe est vieux. On trouve dans les Chansons de Gautier Garguille:

«Fessez, fessez, ce dist la mère,
La peau du cul revient toujours.»

Signifie aussi, par analogie au peu de durée de cette correction maternelle: Faire promptement une chose.

Fesser la messe. La dire promptement.

Du temps de Rabelais on disait Fouetter un verre.

«Dieu sçait comme on le veid et derrière et devant,
Le nez sur les carreaux et le fessier au vent,»

a dit le grand satirique.

Le mot est de l'argot des voleurs.

On dit aussi Carré de papier.

On dit aussi Esgourdes et Maquantes.

Faire fiasco. Échouer dans une entreprise amoureuse; avoir sa pièce sifflée; faire un mauvais article.

Se dit aussi pour Manquer de parole.

Signifie aussi: S'habiller correctement, «se tirer à quatre épingles».

«Cadet Rousselle a trois garçons,
L'un est voleur, l'autre est fripon,
Le troisième est un peu ficelle...»

Cheval ficelle. Cheval qui «emballe» volontiers son monde,—dans l'argot des maquignons.

Une remarque en passant: On écrit Ficher, mais on prononce Fiche, à l'infinitif.

Signifie aussi: Appliquer, envoyer, jeter.

Se ficher en débardeur. Se costumer en débardeur.

Se ficher du monde. N'avoir aucune retenue, aucune pudeur.

Je t'en fiche! Se dit comme pour défier quelqu'un de faire telle ou telle chose.

Le peuple dit: Foutre le camp.

Le peuple dit En foutre son billet.

Madame de Sévigné a donné des lettres de noblesse à cette expression trop bourgeoise, en parlant quelque part de «l'esprit fichu de mademoiselle Du Plessis!»

Fichu livre. Livre mal écrit.

Fichu raisonnement. Raisonnement faux. 185

Fichue connaissance. Triste amant ou désagréable maîtresse.

Être mal fichu, Être habillé sans soin, sans grâce.

On dit aussi Être fichu comme un paquet de sottises ou comme un paquet de linge sale

Signifie quelquefois: Être malfait, mal bâti, et même malade.

«Là véissiés un fier abateis;
Il n'a el monde païen ne sarasin,
S'il les veist, cui pitié n'en prisist,»

dit un poème du moyen âge.

Signifie aussi Habile, malin.

Certain étymologiste veut que ce mot signifie: «Exécuter avec fions.» C'est possible, mais j'ai entendu souvent prononcer Finioler: or, la première personne du verbe finire n'est-elle pas finio?—V. aussi Fionner.

Demi-figure. Moitié de tête de mouton achetée chez le tripier.

(V. Pleine lune et Visage.)

Avoir le fil. Savoir comment s'y prendre pour conduire une affaire.

Connaître le fil. Connaître le truc.

On dit aussi d'une personne médisante ou d'un beau parieur:

C'est une langue qui a le fil.

Saint-Simon a employé cette expression à propos des cheveux de la duchesse d'Harcourt, et, avant Saint-Simon, le poète Rutebeuf.

«Au deable soit tel filace,
Fet li vallés, comme la vostre!»

Se fourrer dans la filasse. Se mettre au lit.

«Enfin, comme en caquets ce vieux sexe fourmille,

De propos en propos et de fil en esguille,

Se laissant emporter au flus de ses discours,

Je pense qu'il falloit que le mal eust son cours,»

dit le vieux poète en sa Macette.

On dit aussi Fil-en-trois.

Filer une pelure. Voler un paletot. 187

«Comme son lict est feict: que ne vous couchez-vous,
Monsieur n'est-il pas temps? Et moi, de filer dous,»

dit Mathurin Régnier en sa satire XIe.

On dit de même Filer une intrigue, une reconnaissance, etc.

Signifie aussi: Faire de mauvaises affaires; mener une vie déréglée.

On dit aussi Faire la filature.

On dit de même: Il n'a pas le filet.

Fille d'amour. Femme qui exerce par goût et qui n'appartient pas à la maison où elle exerce.

Fille en carte. Femme qui, avec l'autorisation de la préfecture de police, exerce chez elle ou dans une maison.

Fille à parties. Variété de précédente.

Fille soumise. Fille en carte.

Fille insoumise. Femme qui exerce en fraude, sans s'assujettir aux règlements et aux obligations de police,—une contrebandière galante. 188

Avoir sa filoche à jeun. N'avoir pas un sou en poche.

On dit plutôt Finassier.

Troupier fini. Soldat parfait.

Coquin fini. Drôle fieffé. 189

Fioler le rogome. Boire de l'eau-de-vie.

Coup de fion. Soins de propreté, et même de coquetterie.

On dit aussi Fillotte.

Signifie aussi Ami.

Flac d'al. Sacoche à argent.

Ils disent aussi Flacul.

Comme Parisien, ayant emboîté le pas aux tapins de mon quartier, lorsque j'étais enfant, je pencherais volontiers pour la première hypothèse; comme étymologiste, j'inclinerais à croire que la seconde vaut mieux,—d'autant plus que les Anglais emploient le même mot dans le même sens. Flash (éclair), disent-ils; flash-flash (embarras, manières.)

Faire du fla-fla. Faire des embarras. 190

On dit aussi Flûtes.

«... Riches en draps de soye, alloient
Faisant flamber toute la voye.»

Toute flambante neuve. Pièce de monnaie nouvellement frappée.

Par extension: Joyeux compagnon, loustic.

Petite flambe. Couteau.

Se dit aussi à propos d'une affaire dont on ne peut plus rien espérer.

Mettre flamberge au vent. Dégaîner.

Se dit aussi pour Montrer «la figure de campagne», et pour Jeter au vent l'aniterge dont on vient de se servir.

Peindre sa flamme. Déclarer son amour.

Ce flan-là est de la même famille que les navets, les emblèmes, et autres zut consacrés par un long usage.

Cette expression a signifié quelquefois, au contraire: «C'est au nanan!» comme le prouve cet extrait d'une chanson publiée par le National de 1835:

«J'dout' qu'à grinchir on s'enrichisse;
J'aime mieux gouaper: c'est du flan.»

Grande flanche. Grand jeu.

S'emploie ordinairement avec l'adjectif comparatif mauvais. «C'est un mauvais flanche», pour: C'est une mauvaise affaire.

Les Anglais disent aussi dans le même sens Lanky fellow.

C'est de la flanelle! disent-elles en voyant entrer un ou plusieurs de ces platoniciens et en quittant aussitôt le salon.

Faire flanelle. Aller de prostibulum en prostibulum, comme un amateur d'atelier en atelier, pour lorgner les modèles.

On dit aussi Flanotter.

Se flanquer. Se jeter, s'envoyer.

On disait autrefois Flaquer pour Lancer, jeter avec force un liquide.

On dit aussi Aller à flaquada.

Se dit aussi pour Accoucher, mettre un enfant au monde.

Avoir la flême. Être plus en train de flâner que de travailler.

Jour de flême. Où l'on déserte l'atelier pour le cabaret.

Fleur du mal est une expression toute moderne; elle appartient à l'argot des gens de lettres depuis l'apparition du volume de poésies de Charles Baudelaire.

«Je sentis à son nez, à ses lèvres décloses,
Qu'il fleuroit bien plus fort mais non pas mieux que roses.»

Conter fleurettes. Faire la cour à une femme.

Conteur de fleurettes. Libertin.

C'est Flueurs (de fluere, couler) qu'on devrait dire, à ce qu'il me semble du moins,—contrairement à l'opinion de Littré.

Faiseur de flonflons. Vaudevilliste.

Recevoir sa flotte. Toucher sa pension.

«As noces vint bien atornée,

Et des autres i ot grand flote,

Et Renart lor chante une note.»

dit le Roman du Renard. 193

Être de la flotte. Être de la compagnie.

J'aurais volontiers été tenté de croire ce mot moderne et qu'il n'était qu'une onomatopée de l'œil et de l'oreille, si je n'avais pas lu dans François Villon:

«Item je donne à Jean Lelou.

Homme de bien et bon marchant,

Pour ce qu'il est linget et flou,

Un beau petit chiennet couchant.»

Flou, c'est flo, et flo, c'est faible.

Faire flou. Dessiner ou peindre sans arrêter suffisamment les contours, en laissant flotter autour des objets une sorte de brume agréable.

Se dit aussi à propos de la sculpture; car Puget ne craignait pas de faire flou.

On dit aussi Monsieur de Flouchipe.

Flouer grand flouant. Jouer gros jeu, risquer sa liberté ou sa vie.

Signifie aussi dans le sens figuré: Duperie.

«Dieux scet que ma vieillesse endure
De froit et reume jour et nuict,
De fleume, de toux et d'ordure.»

Fleume ou flume, c'est tout un.

Avoir des flumes. Être d'un tempérament pituiteux. On dit de même Avoir la poitrine grasse.

Avoir toujours la flûte au cul. Abuser des détersifs.

Le peuple n'emploie ordinairement ce verbe que dans cette phrase, qui est une formule de refus: C'est comme si tu flûtais!

Jouer des flûtes. Courir, se sauver.

Astiquer ses flûtes. Danser.

Avoir du foin au râtelier. Avoir de la fortune.

Mettre du foin dans ses bottes. Amasser de l'argent, faire des économies.

On dit aussi Avoir du foin dans ses bottes.

«Renart fait comme pute beste:

Quand il li fu desus la teste,

Drece la queüe et aler lesse

Tot contreval une grant lesse

De foire clere a cul overt,

Tout le vilain en a covert,»

dit le Roman du Renard.

Aller à la foëre d'empoigne. Voler.

On disait autrefois: Passer à l'île des Gripes.

Par extension, Mourir.

On dit aussi Avoir la foire.

Foireux comme un geai. Extrêmement poltron.

On dit aussi Foirard.

Être folichon. Commencer à se griser.

Signifie aussi: Dire des gaudrioles aux dames.

On dit aussi Folichonnerie.

On dit aussi Folichonnette.

Signifie aussi: Courir les bals et les cabarets.

«S'il plaist, s'il est beau, il suffit.

S'il est prodigue de ses biens,

Que pour le plaisir et déduit

Il fonce et qu'il n'espargne rien.»

trouve-t-on dans G. Coquillard, poète du XVe siècle.

Les bourgeois disent, eux: Foncer à l'appointement. 195

Signifie aussi: Vendre une chose et s'en partager l'argent entre plusieurs.

Les fonds sont bas. N'avoir presque plus d'argent; être dans la gêne.

On dit aussi Fonfière.

Dessiner ses formes. Se serrer dans son corset et à la taille, de façon à accuser davantage les reliefs naturels.

On dit aussi Fort de café, fort de moka et fort de chicorée.

C'est plus fort que de jouer au bouchon. C'est extrêmement étonnant.

L'expression ne date pas d'hier: «Vous m'avouerez que cela est fort, locution de la Cour,» dit de Caillières (1690).

Dans un sens ironique: Cela n'est pas fort! pour Cela n'est pas très spirituel, très gai, très aimable, ou très honnête.

En dire de fortes. Raconter des histoires invraisemblables; mentir.

En faire de fortes. Se rendre coupable d'actions délictueuses.

On connaît l'apostrophe de madame Pernelle à la soubrette de sa bru:

... Vous êtes, ma mie, une fille suivante
Un peu trop forte en gueule et fort impertinente.»

Les voyous anglais ont la même expression: Crummy. 196

On disait aussi La loge infernale.

Signifie aussi Faire faillite.

Travailler par foucades. Irrégulièrement.

On prétend qu'il faut dire fougade, et même fougasse. Je le crois aussi, mais le peuple dit foucade,—comme l'écrivait Agrippa d'Aubigné.

Signifie aussi: Marmiton, cuisinier.

Se dit aussi des gens qui «travaillent sur le tard», et surtout la nuit, comme les goldfinders.

Tu peux te fouiller. C'est-à-dire: Tout ce que tu diras et feras sera inutile.

Le mot est contemporain de François Villon.

Signifie aussi S'enfuir.

Signifie aussi: Malin, et même Lâche.

Il y a du foulage. Les travaux arrivent en foule.

On dit aussi absolument: Ne pas se fouler.

M. Littré dit à ce propos:

«Rochefort, dans ses Souvenirs d'un Vaudevilliste, à l'article Théaulon, attribue l'origine de cette expression à ce que cet auteur comique avait voulu faire éclore des poulets dans des fours, à la manière des anciens Egyptiens, et que son père, s'étant chargé de surveiller l'opération, n'avait réussi qu'à avoir des œufs durs. Cette origine n'est pas exacte, puisque l'expression, dans le sens ancien, est antérieure à Théaulon. Il est possible qu'elle ait été remise à la mode depuis quelques années et avec un sens nouveau, qui peut avoir été déterminé par le four de Théaulon; mais c'est ailleurs qu'il faut en chercher l'explication: les comédiens refusant de jouer et renvoyant les spectateurs (quand la recette ne couvrait pas les frais), c'est là le sens primitif, faisaient four, c'est-à-dire rendaient la salle aussi noire qu'un four.»

Connaître le fourbi. Être malin.

Connaître son fourbi. Être aguerri contre les malices des hommes et des choses.

Travailler à la fourchette. Se battre à l'arme blanche.

Belle fourchette ou Joli coup de fourchette. Beau mangeur, homme de grand appétit.

On n'emploie guère ce verbe que dans un sens péjoratif.

Signifie aussi: Remuer les tiroirs 198 d'une commode ou d'une armoire pour y chercher quelque chose.

Signifie aussi Voleur.

Fourmilion à gayets. Marché aux chevaux.

Le mot a deux cents ans de noblesse: Saint-Siméon parle quelque part de «l'étrange fournée» de ducs et pairs de 1663.

Superlativement, ils disent aussi Se fourrer le doigt dans l'œil jusqu'au coude. Les faubouriens qui tiennent à se rapprocher de la bonne compagnie par le langage disent, eux: Se mettre le doigt dans l'œil.

On dit aussi Fourrer son nez partout.

Dire des foutaises. Dire des niaiseries.

Signifie aussi: Disparaître,—en parlant des choses. «Le torchon blanc a foutu le camp!» s'écrie le concierge de la comtesse Dorand dans le roman cité plus haut.

On dit aussi Lui foutre un coup de pied dans les jambes,—mais seulement lorsqu'il s'agit d'un emprunt plus important. Une nuance!

A signifié, il y a soixante-dix ans, Fat, ridicule, intrigant.

On dit aussi Fautriot.

Foutue besogne. Triste besogne.

Foutue canaille. Canaille parfaite.

Foutu comme quatre sous. Habillé sans goût et même grotesquement.

Franc bourgeois. Escroc du grand monde.

Franc de maison. Recéleur d'objets volés—et même de voleurs.

Les Belges nous appellent Fransquillons.

On dit aussi fralin.

Frangin-Dab. Oncle.

Frangine-Dabuche. Tante.

On dit plutôt A la bonne franquette.

Faire des frasques. Faire des folies, des escapades.

Faire ses fredaines. Aimer «le cotillon».

Faux frère. Franc-maçon qui joue de la franc-maçonnerie comme d'un instrument.

Sœur de lit. Femme qui a succédé à une autre femme dans le cœur d'un homme, amant ou mari.

«Telle censure

Ne fut si sûre

Qu'elle espéroit;

De ma fressure

Dame Luxure

Jà s'emparoit.»

On dit aussi Fortin.

Ils disent aussi Être cuit.

Fricasser ses meubles. Les vendre.

Faire fric-frac. Voler avec effraction.

Signifie aussi Agent d'affaires véreuses.

Le bataillon des fricoteurs.

«S'est dit, pendant la retraite de Moscou, d'une agrégation de soldats de toutes armes qui, s'écartant de l'armée, se cantonnaient pour vivre de pillage et fricotaient au lieu de se battre.» (Littré.)

Signifie spécialement: Ragoût de pommes de terre.

S'emploie surtout avec la négative.

C'est pour la frime. C'est pour rire.

Le mot a quelques siècles de bouteille:

«Renart qui scet de toutes frumes
Luy esracha quatre des plumes!»

dit le Roman du Renard.

Tomber en frime. Se rencontrer nez à nez avec quelqu'un.

«Sans paffs', sans lime et plein de crotte

Aussi rupin qu'un plongeur,

Un jour un gouapeur en ribote

Tombe en frime avec un voleur.»

(National de 1835.)

C'est pour ma frimousse. C'est pour moi.

L'expression a des cheveux blancs:

«... De tartes et de talmouses,
On se barbouille les frimouses.»

a écrit l'auteur de la Henriade travestie.

Signifie aussi: Dépense, écot de chacun.

L'expression se trouve dans Saint-Amant, un goinfre fameux:

«Les dieux du liquide élément,

Conviés chez un de leur troupe,

Sur le point de friper la soupe,

Seront saisis d'étonnement.»

S'emploie aussi, au figuré, dans le sens de Dissiper.

Signifie aussi Goinfre.

On dit aussi Frapouille.

N'avoir rien à frire. N'avoir pas un sou pour manger ou boire.

L'expression est vieille, car elle se trouve en latin et en français dans Mathurin Cordier: Il n'a que frire; il n'a de quoy se frapper aux dez. Nullam habet rem familiarem. Est pauperio Codro.» (qui est le «pauvre comme Job» de Juvénal).

J'ai souvent entendu: Prends garde, Jean, on te frit des œufs.

Il fait frisquet. Il fait froid.

Le vieux français avait l'adjectif frisque.

Ce mot a été créé par Mercier.

Avoir froid aux yeux. Avoir peur.

N'avoir pas froid aux yeux. Être résolu à tout.

On dit aussi Froller sur la balle.

Coup de frotin. Partie de billard.

On dit aussi Frotter les reins et Frotter le dos.

Au XVIIe siècle, c'était une autre onomatopée, frifilis, mais qui ne valait pas celle-ci,—n'en déplaise à saint François de Sales.

Faire du froufrou. Faire de «l'épate».

Se dit aussi, par extension, d'un mauvais écrivain ou d'un artiste médiocre.

«Cette appellation,—dit Legoarant, vient de l'Ecole polytechnique, où un jeune homme de Tours qui travaillait peu fut interpellé par ses camarades pour savoir quelles étaient ses intentions s'il n'était pas classé. Il répondit: Je ferai comme mon père le commerce des fruits secs. Et en effet ce fut son lot.»

Les fruits secs de la vie. Les gens qui, malgré leurs efforts ambitieux, n'arrivent à rien,—qu'au cimetière.

Frusques boulinées. Habits en mauvais état.

L'expression n'est pas d'hier:

«J'étois parfois trop bête

D'aimer ce libertin,

Qui venait tête-à-tête

Manger mon saint frusquin,»

dit Vadé.

Les faubouriens parlent comme écrivait Jean Marot. 205

«Le masle n'a la fumelle en mépris,»

dit le père du valet de chambre de François Ier.

On dit aussi Fumer sans pipe et sans tabac.

Se dit aussi pour Gamin qui s'essaye à fumer.

Voltaire a employé cette expression.

Lâcher une fusée. Vomir.

Se coller quelque chose dans le fusil. Manger ou Boire.

Ecarter du fusil. Cracher une pluie de salive en parlant à quelqu'un.

206

207

G

Donner de la gabatine. Se moquer de quelqu'un, le faire aller, en s'en moquant.

Est-ce un souvenir de la gabelle, ou une conséquence du verbe se gaber?

Cependant, au lieu de Il gâche, on dit plus fréquemment: Il fait gâcheux ou il fait du gâchis.

Il y aura du gâchis. On fera des barricades, on se battra.

Flancher au gadin. Jouer au bouchon.

D'où l'on a fait Gadouard, pour Conducteur des voitures de boue.

Être en gaffe. Monter une faction; faire sentinelle ou faire le guet.

Gaffe à gail. Garde municipal à cheval; gendarme.

Gaffe de sorgue. Gardien de marché; patrouille grise.

On dit aussi Gaffeur.

Se dit aussi pour action, parole maladroite, à contretemps.

Coup de gaffe. Criaillerie.

On dit aussi Être en gaieté.

Quelques Bescherelle de Poissy veulent qu'on écrivegaye et d'autres gayet.

On dit aussi: Galapiau, Galapian, Galopiau, qui sont autant de formes du mot Galopin.

Être truffé de galbe. Être à la dernière mode, ridicule ou non,—dans l'argot des gandins.

Ils disent aussi Être pourri de chic.

On dit aussi Teigne.

Parler pour la galerie. Faire 209 des effets oratoires;—parler, non pour convaincre, mais pour être applaudi,—et encore, applaudi, non de ceux à qui l'on parle, mais de ceux à qui on ne devrait pas parler. Que de gens, de lettres ou d'autre chose, ont été et sont tous les jours victimes de leur préoccupation de la galerie?

S'emploie aussi au figuré.

On dit aussi Gaye.

A proprement parler le Galipot est un mastic composé de résine et de matières grasses.

Signifie aussi Aller çà et là.

Activement, ce verbe s'entend dans le sens de Poursuivre, Courir après quelqu'un.

Avoir du galoubetAvoir une belle voix.

Donner du galoubet. Chanter.

Ce mot ne viendrait-il pas, par hasard, du latin galea, casque, ou plutôt de galerum, chapeau?

Il est tout simple qu'on dise gambiller, la première forme de jambe ayant été gambe.

«Si souslevas ton train

Et ton peliçon ermin,

Ta cemisse de blan lin,

Tant que ta gambete vitz»

dit le roman d'Aucassin et Nicolette.

Gambilleur de tourtouse. Danseur de corde.

Ce mot, né à Paris et spécial aux Parisiens des faubourgs, a commencé à s'introduire dans notre langue sous la Restauration, et peut-être même un peu auparavant,—bien que Victor Hugo prétende l'avoir employé le premier dans Claude Gueux, c'est-à-dire en 1834.

Faire des gamineries. Écrire ou faire des choses indignes d'un homme qui se respecte un peu.

Faire chanter une gamme.—Châtier assez rudement pour faire crier.

On dit aussi Monter une gamme.

Dans l'argot des gens de lettres, ce mot est synonyme de Classique, d'Académicien.

«Montesquieu toujours rabâche,

Corneille est un vieux barbon;

Voltaire est une ganache

Et Racine un polisson!»

dit une épigramme du temps de la Restauration.

Père Ganache. Rôle de Cassandre,—dans l'argot des coulisses. On dit aussi Père Dindon.

Le mot n'a qu'une dizaine d'années. Je ne sais plus qui l'a créé. Peut-être est-il né tout seul, par allusion aux gants luxueux que ces messieurs donnent à ces demoiselles, ou au boulevard de Gand (des Italiens) sur lequel ils promènent leur oisiveté. On a dit gant-jaune précédemment.

Hisser un gandin à quelqu'un. Tromper.

Monter un gandin. Raccrocher une pratique, forcer un passant à entrer pour acheter.

Ganter 51/2. N'être pas généreux.

Ganter 81/2. Avoir la main large et pleine.

Se donner les gants de... Se vanter d'une chose qu'on n'a pas faite; s'attribuer l'honneur d'une invention, le mérite d'une fine repartie,—en un mot, et il est de Génin, «s'offrir à soi-même un pourboire» gagné par un autre.

Un mot charmant de notre vieux langage, que l'usage a défloré et couvert de boue. Il n'y a plus aujourd'hui que les paysans qui osent dire d'une jeune fille chaste: «C'est une belle garce.»

S'emploie fréquemment avec de, à propos des choses.

Brave garçon. Bon voleur.

Garçon de campagne. Voleur de grand chemin.

On dit aussi Accessoiriste.

Signifie aussi: Ne pas dépenser tout son argent.

On dit de même Avoir une garde à carreau.

On dit aussi Garder une dent, et, absolument, la garder.

Ils disent aussi Reçoit-tout.

Se rincer la gargoine. Boire.

On dit aussi Gargote.

On dit aussi Gargoterie. 213

On trouve «Gargoter la marmite» dans les Caquets de l'accouchée.

Signifie aussi Hanter les gargotes.

Se dit aussi de Fioritures de mauvais goût.

On dit aussi Trifouiller.

C'est l'apocope de Gargoine.

Naturellement c'est une garnison de grenadiers.

Beau gâs. Homme solide.

Mauvais gâs. Vaurien, homme suspect.

Basourdir des gaux. Tuer des poux.

On a écrit autrefois Goth; Goth a été pris souvent pour Allemand; les Allemands passent pour des gens qui «se peignent avec les quatre doigts et le pouce»: concluez.

Le type appartient à Balzac, qui en a fait un roman; mais le mot appartient à la langue du XVIe siècle, puisque Montaigne a employé Gaudisserie pour signifier Bouffonnerie, plaisanterie.

Ils disent aussi Gaviolé.

Serrer le gaviot à quelqu'un. L'étrangler, l'étouffer.

Autrefois on disait Gavion.

Allumer son gaz. Regarder avec attention.

On dit aussi Fuite de gaz.

Lâcher son gaz. Crepitare.

Avoir une fuite de gaz dans l'estomac. Fetidum halitum emittere.

Signifie aussi Répondre.

Branleuse de gendarme. Repasseuse.

Signifie aussi: Regimber, résister. 215

On disait le général Pavé, avant l'introduction en France du système d'empierrement des rues dû à l'ingénieur anglais MacAdam.

Avoir son genou dans le cou. Être chauve.

Que ça de genre! est son exclamation favorite à propos de choses ou de gens qui «l'épatent».

On dit aussi Parfait Gentleman, mais c'est un pléonasme, puisqu'un Gentleman qui ne serait pas parfait ne serait pas gentleman.

Gerber à vioc. Condamner aux travaux forcés à perpétuité.

Gerber à la passe ou à conir. Condamner à mort.

Signifie aussi Juge.

L'expression est d'Honoré de Balzac.

Avoir mal au gésier. Avoir une laryngite ou une bronchite.

Signifie aussi Grimacier, excentrique.

Je n'ai pas besoin de dire que l'étymologie de ce mot est geste, et que c'est par euphonie qu'on le prononce ainsi que je l'écris.

Avoir du g.-g. N'être pas un imbécile.

Avec ou sans g. d. g.? disent-ils souvent, à propos des moindres choses. Il est inutile d'ajouter que ce sans g. d. g. est l'abréviation de sans garantie du gouvernement.

Ce mot,—de l'argot des faubouriens, s'explique par la position que les soldats donnaient autrefois à leur cartouchière.

Je crois avoir été un des premiers, sinon le premier, à employer ce mot, fort en usage dans le peuple depuis une quinzaine d'années. J'en ai dit ailleurs (Les Cythères parisiennes): «La gigolette est une adolescente, une muliéricule. Elle tient le milieu entre la grisette et la gandine,—moitié ouvrière et moitié fille. Ignorante comme une carpe, elle n'est pas fâchée de pouvoir babiller tout à son aise avec le gigolo, tout aussi ignorant qu'elle, sans redouter ses sourires et ses leçons.»

On dit aussi Grande gigue.

On disait autrefois gigoteaux.

S'emplir le gilet. Boire ou manger.

Avoir le gilet doublé de flanelle. Avoir mangé une soupe plantureuse.

Gilet à la mode. Belle gorge de femme, où le lard abonde.

Faire Gilles. S'en aller,—s'enfuir.

On dit aussi Georget.

On dit aussi Coup de Gilquin.

Faire des giries. Faire semblant de pleurer quand on n'en a pas envie; refuser ce qu'on meurt d'envie d'accepter.

Faiseuse de giries. Fausse Agnès, fausse prude,—et vraie femme.

On dit aussi giroflée à plusieurs feuilles,—autre ravenelle qui pousse sur les visages.

On dit aussi Girofle.

Un glacis de lance. Un verre d'eau.

Se poser un glacis. Boire,—ce qui amène la transpiration sur le visage et le fait reluire en le colorant.

Les ouvriers anglais ont une expression du même genre: croaker, disent-ils.

Evidemment le Glaude d'ici est un Claude, comme Colas est un Nicolas, et Miché peut être un Michel.

Signifie aussi Débiner.

C'est une syncope de Sanglier probablement.

Le Glier t'enrôle en son pasclin! Le diable t'emporte en enfer (son pays).

Signifie aussi Enfer.

Faire des glissades. Changer souvent d'amants.

Lâcher son gluau. Cracher malproprement.

Balzac a employé aussi ce mot à propos des personnes,—et dans un sens péjoratif, naturellement.

Quelques lexicographes du ruisseau veulent que l'on écrive et prononce gniole.

S'emploie au figuré.

Signifie aussi, Buvotter, boire à petits coups.

Eprouver un sentiment subit de tendresse pour un compagnon,—dans l'argot des petites dames.

Par extension: Mourir.

On sait qu'on appelle goberges les ais du fond sanglé du lit.

Mauvais gobet. Méchant drôle.

Ce verbe est un souvenir de l'occupation de Paris par les Anglais, amateurs de good ale.

Connaître le godan. Savoir de quoi il s'agit; ne pas se laisser prendre à un mensonge.

Tomber dans le godan. Se laisser duper; tomber dans un piège.

On écrivait au XVIe siècle gaudelereau,—ce qu'explique l'étymologie gaudere.

On dit aussi Godichon.

Baiser en godinette. «Baiser sur la bouche en pinçant les joues de la personne,»—sans doute comme baisent les grisettes des romans de Paul de Kock.

A propos de ce mot encore, les étymologistes bien intentionnés sont partis à fond de train vers le passé et se sont égarés en route,—parce qu'ils tournaient le dos au poteau indicateur de la bonne voie. L'un veut que gogo vienne de gogue, expression du moyen âge qui signifie raillerie: l'autre trouve gogo dans François Villon et n'hésite pas un seul instant à lui donner le sens qu'il a aujourd'hui. Pourquoi, au lieu d'aller si loin si inutilement, ne se sont-ils pas baissés pour ramasser une expression qui traîne depuis longtemps dans la langue du peuple, et qui leur eût expliqué à merveille la crédulité des gens à qui l'on promet qu'ils auront tout à gogo?

Ce mot «du moyen âge» date de 1830-1835.

Avoir la vue gogotte. Avoir de mauvais yeux, n'y pas voir clair, ou ne pas voir de loin.

Être gogotte. Être un peu niais; faire l'enfant.

On dit aussi Goguenaux.

Être en goguette. Être de bonne humeur, grâce à des libations réitérées.

On dit aussi Goinfrerie.

Ce verbe appartient à Alexandre Pothey, graveur et chansonnier—sur bois.

Voilà encore un mot fort intéressant, à propos duquel la verve des étymologistes eût pu se donner carrière. On ne sait pas d'où il vient, et, dans le doute, on le fait descendre du verbe français se gausser, venu lui-même du verbe latin gaudere. On aurait pu le faire descendre de moins haut, me semble-t-il. Outre que Noël Du Fail a écrit gosseur et gosseuse, ce qui signifie bien quelque chose, jamais les Parisiens, inventeurs du mot, n'ont prononcé gausse. C'est une onomatopée purement et simplement,—le bruit d'une gousse ou d'une cosse.

Conter des gosses. Mentir.

Monter une gosse. Faire une farce.

Ils disent aussi Attrape-science et Môme.

On dit aussi Goussemard.

Signifie aussi Coureuse,—dans l'argot des bourgeois.

On dit aussi Galouser.

Goualeuse. Chanteuse.

On dit aussi Gouapeur. Cependant gouape a quelque chose de plus méprisant.

On dit aussi Gusse.

Envoyer à la gouille. Renvoyer quelqu'un qui importune,—dans l'argot des faubouriens.

A qui a-t-il emprunté ce carreau? A ses ennemis les Anglais, probablement. Il y a eu une Nell Gwynn, maîtresse de je ne sais plus quel Charles II. Il y a aussi la queen, qu'on respecte si fort de l'autre côté du détroit et si peu de ce côté-ci. Choisissez! 224

On disait autrefois Faire avaler le goujon.

Le mot est vieux, puisqu'on le trouve dans la langue romane.

On dit aussi Gouillafre, ou gouillaffe.

Trouilloter du goulot. Fetidum halitum habere.

Se dit aussi pour Puits.

Goupiner les poivriers. Dévaliser les ivrognes endormis sur la voie publique.

Dans la langue des honnêtes gens, le gour est un creux plein d'eau dans un rocher, au pied d'un arbre, etc.

Gourganes des prés. Celles qui constituent la nourriture des forçats.

Proprement, la gourgane est une petite fève de marais fort douce. 225

Jeter sa gourme. Vivre follement, en casse-cou, sans souci des périls, des maladies et de la mort.

Sentir du gousset. Puer.

«[Grec: Maschalê], axila, aisselle, sale odeur,»

dit M. Romain Cornut, expurgateur de Lancelot et continuateur de Port-Royal.

N'y voir goutte. N'y pas voir du tout.

On dit aussi N'y entendre goutte.

Marchand de goutte. Liquoriste.

Signifie aussi Égratigner.

On dit aussi Marie-Graillon.

C'est un souvenir des réclames faites il y a vingt ans par un industriel possesseur d'une variété de brassica oleracea fantastique, servant à la fois à la nourriture des hommes et des bestiaux, et donnant un ombrage agréable pendant l'été.

Porter la graine d'épinards. Avoir des épaulettes d'officier supérieur.

On dit aussi graisser le marteau,—mais plus spécialement en parlant des concierges.

Signifie aussi: Faire des compliments à quelqu'un, le combler d'aise en flattant sa vanité.

On dit aussi le Dictionnaire Benoiton.

On dit aussi la Grande tasse,—où tant de gens qui n'avaient pas soif ont bu leur dernier coup.

Petite fille. Demi-bouteille. 227

Casser le grand ressort. Perdre l'énergie, le courage nécessaires pour se tirer des périls d'une situation, des ennuis d'une affaire, pour rompre une liaison mauvaise, etc., etc.

S'en soucier comme du Grand Turc. Ne pas s'en soucier du tout.

Travailler pour le Grand Turc. Travailler sans profit.

Ce Grand Turc est un peu parent du roi de Prusse, auquel il est fait allusion si souvent.

Poser le grappin sur quelqu'un. L'arrêter.

Poser le grappin sur quelque chose. Le prendre.

Signifie aussi Cueillir.

Parler gras. Dire des choses destinées à effaroucher les oreilles.

Il y a gras. Il y a de l'argent à gagner.

Il n'y a pas gras. Il n'y a rien à faire là-dedans.

Les voleurs anglais, eux, disent moos, trouvant sans doute au plomb une ressemblance avec la mousse.

L'analogie, pour être assez exacte, n'est pas trop révérencieuse; en tout cas elle est consacrée par une comédie de Desforges, connue de tout le monde, le Sourd ou l'Auberge pleine: «Je ne voudrais pas payer madame Legras—double!» dit Dasnières en parlant de l'aubergiste, femme aux robustes appas.

Castigat ridendo mores, le théâtre! C'est pour cela que les plaisanteries obscènes nous viennent de lui. 228

Les tailleurs ont le même mot pour désigner la même chose,—car eux aussi ont la conscience large.

«Si la jeunesse est une fleur,
le souvenir en est l'odeur.»

Se donner une grattée. Se battre à coups de poing.

Se passer au grattoir. Se raser.

Le mot a une centaine d'années de bouteille.

Le mot a été créé par Robert-Houdin.

On dit d'un homme dont le visage porte des traces de virus variolique: Il a grêlé sur lui.

Le grêle d'en haut. Dieu. 229

Grêlesse. Patronne.

Faire entendre son grelot. Parler.

Manger la grenouille. Dissiper le prêt de la compagnie.

S'emploie aussi, dans l'argot du peuple, pour signifier: Dépenser l'argent d'une société, en dissiper la caisse.

Faire grève. Cesser de travailler et se réunir pour se concerter sur les moyens d'augmenter le salaire.

On dit aussi Se mettre en grève.

Ils disent aussi Gourpline.

On dit aussi Gribouillis.

Jeter une chose à la gribouillette. La lancer un peu au hasard,—dans l'argot du peuple.

Grielle. Froide.

On dit aussi Agriffer.

«Ce grigou, d'un air renfrogné
Lui dit: Malgré ton joli nez...»

a écrit l'abbé de Lattaignant.

Grimoire mouchique. Les sommiers judiciaires.

On dit aussi Grinchisseur.

On dit aussi Grincher.

Grinchir à la cire. Voler des couverts d'argent par un procédé que décrit Vidocq (p. 205).

Avoir en grippe. Ne pas pouvoir supporter quelqu'un ou quelque chose.

Prendre en grippe. Avoir de l'aversion pour quelqu'un ou quelque chose.

Grise. Chère, aimable.

En voir de grises. Peiner, pâtir.

En faire voir de grises. Jouer des tours désagréables à quelqu'un.

Corps de grive.—Corps de garde.

Harnais de grive. Uniforme.

L'expression (qui vient de grundire, grogner) ne date pas de l'empire, comme on serait tenté de le croire: elle se trouve dans le Dictionnaire de Richelet, édition de 1709.

On dit aussi grognon.

Signifie aussi: Remuer des tiroirs, ouvrir et fermer des portes,—et alors c'est un verbe actif.

Coucher gros. Dire quelque chose d'énorme.

Gagner gros. Avoir de grands bénéfices.

Il y a gros à parier. Il y a de nombreuses chances pour que...

Tout en gros. Seulement.

On dit aussi Gros père.

L'expression est d'H. de Balzac.

On dit aussi Rappel de Waterloo.

Ce mot fait image et mérite d'être conservé, malgré sa trivialité.

C'est un mot heureux que les gens de lettres ont trouvé là pour répondre à l'insolence des filles envers les honnêtes femmes.

Bécasses! disaient-elles. Grues! leur répond-on.

Mais ce mot, dans ce sens péjoratif, n'est pas né d'hier, il y a longtemps que le peuple l'emploie pour désigner un niais, un sot, un prétentieux.

Les gens de lettres écrivent grue-ger, par allusion aux mœurs des grues,—ces Ruine-maison!

Grugeur, s. m. Parasite, faux ami qui vous aide à vous ruiner, comme si on avait besoin d'être aidé dans cette agréable besogne. 233

C'est la trot des Anglais.

On dit aussi Guenippe et Guenuche.

Bonne guette. Chien qui aboie quand il faut, pour avertir son maître.

Être de guette. Aboyer aux voleurs, ou aux étrangers.

Signifie aussi Homme qui parle trop haut, ou qui gronde toujours à propos de rien.

Signifie aussi Bissac.

Bonne gueule. Visage sympathique.

Casser la gueule à quelqu'un. Lui donner des coups de poing en pleine figure.

Gueule en pantoufle. Visage emmitouflé.

Être porté sur sa gueule. Aimer les bons repas et les plantureuses ripailles.

Donner un bon coup de gueule. Manger avec appétit.

Bonne gueule. Bouche fraîche, saine, garnie de toutes ses dents.

Se sculpter une gueule de bois. Commencer à se griser.

Avoir une gueule d'empeigne. Avoir le palais assuré contre l'irritation que causerait à tout autre 234 l'absorption de certains liquides frelatés.

On dit aussi Avoir la gueule ferrée.

Chercher la gueulée. Piquer l'assiette.

Signifie aussi une grosse bouchée.

Signifie aussi Parler.

Fin gueuleton. Ripaille où tout est en abondance, le vin et la viande.

Courir les gueuses. Fréquenter le monde interlope de Breda-Street.

En 1808 on disait: Courir la gueuse.

Jouer des guibolles. Courir, s'enfuir.

Porter la guigne. Porter malheur.

Avoir du guignon. Jouer de malheur, ne réussir à rien de ce qu'on entreprend.

C'est guignonnant! C'est une fatalité!

On dit aussi—à tort—guignolant.

L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne, qui l'emploie à propos d'une «grande voiture à quatre roues chargée de marchandises».

Se dit aussi en parlant d'une vieille guitare.

Grand-guinal. Le Mont-de-Piété.

Siffler le guindal. Boire.

236

237

H

Habiller de taffetas à 40 sous. Mettre sur le dos de quelqu'un des sottises ou des méchancetés compromettantes pour sa réputation.

Les gueux de Londres appellent le cercueil a wooden coat (un habit de bois ou une redingote en sapin).

On dit aussi Happin et Hubin.

Habin ergamé. Chien enragé.

Être habit noir. Être par trop simple, par trop naïf,—comme les bourgeois le sont d'ordinaire aux yeux des voyous, qui ont une morale différente de la leur.

Ils disent aussi Haleine à la Domitien. 238

Signifie aussi, au figuré: Flairer, chercher à deviner ce qu'une personne pense.

Aller à la halle aux draps. Se coucher.

On disait autrefois, et plus justement, Hallebréda, qui était une corruption de Halbrené (dépenaillé).

Signifie aussi Souffler.

Avoir un hanneton dans le plafond. Être fou de quelqu'un ou de quelque chose.

Les voyous anglais ont une expression analogue: To have a bee in his bonnet (avoir une abeille dans son chapeau), disent-ils.

J'ai respecté l'orthographe dece verbe, que j'ai entendu souvent après l'avoir lu dans les Matinées du seigneur de Cholières. Mais, à vrai dire, on devrait l'écrire Haroder, puisqu'il vient de Haro. Et, à ce propos, qui se douterait que ce dernier mot, si connu, est composé de l'exclamation Ha! et du nom de Raoul, premier duc de Normandie?...

On dit aussi dans le même sens: N'avoir de courage qu'à la soupe.

J'ai suivi pour ce mot l'orthographe de Balzac, mais je crois que c'est à tort et qu'il doit s'écrire sans H, venant probablement de l'italien aria, air,—d'où arietta, ariette, air de peu d'importance. A moins cependant que Haria ne vienne d'Hariolus, sorcier.

On dit aussi l'Hôtel des Haricots.

Aug. Villemot prétend que cette expression est une corruption d'Hôtel Darricau. Il a peut-être raison.

On dit aussi, mais en moins mauvaise part, Haquenée.

Pincer de la harpe. Se mettre à la fenêtre.

Souvent ils se contentent de dire H!

C'est l'équivalent de Au petit bonheur.

Ils disent aussi Tirants.

Cette expression, très employée par le peuple et par le monde interlope, appartient à l'argot des voleurs, qui se sont divisés en deux grandes catégories, Haute et basse pègre.

Avoir des hauts et des bas. N'avoir 240 pas de position solide, de commerce à l'abri de la ruine.

Les Anglais ont la même expression: the ups and downs, disent-ils à propos de ces vicissitudes de l'existence.

L'expression appartient à J. Janin, qui l'a employée à propos des guenilles indécentes de Chodruc Duclos.

Voilà le hic. Voilà le difficile de l'affaire, son côté scabreux, ou périculoseux, ou seulement désagréable.

On disait autrefois, avant Guillotin, Hirondelle de potence.

Les voleurs anglais disent de même: gallows bird.

Faire des histoires. Se fâcher sans motif raisonnable; exagérer 241 un événement de peu d'importance.

Signifie aussi: Suisse; domestique en grande livrée.

C'est aussi le nom que les femmes du peuple donnent à leur mari.

Les Anglais, qui ont inventé les sociétés en commandite, devaient inventer le man of straw,—et l'homme de paille fut.

«Jean qui estoit homme de paille,

N'ayant que mettre sous la dent,

Prit une vieille et de l'argent:

Maintenant il vit et travaille.»

Dire des horreurs. Tenir des propos plus que grivois.

Dire des horreurs de quelqu'un. L'accuser de choses monstrueuses, invraisemblables,—par exemple d'avoir volé les tours Notre-Dame.

Faire des horreurs. Agir trop librement.

Ils disent aussi Être logé à l'enseigne des Haricots.

Pomper les huiles. Boire avec excès.

On dit aussi Huile de poignet.

La plaisanterie et l'expression sortent du roman de Cervantès.

Battre un huit. S'en aller gracieusement en pirouettant sur les talons.

Faire des huîtres. Cracher beaucoup et malproprement.

Le parti des huîtres. Nom qu'on a donné, sous Louis-Philippe aux députés du centre, gens satisfaits,—et attachés à leurs bancs.

Se dit aussi pour la Petite dame elle-même.

Ils disent de même Les plaines humides.

La première expression peut s'appliquer aussi justement à l'Egout collecteur, et la seconde aux prairies suffisamment irriguées.

Monsieur huppé. Personne de distinction. 244

On dit aussi Hussard de la veuve.

Serrer les liens ou les nœuds de l'hyménée. Se marier. 245

I

Ils disent aussi Icicaille.

Cette expression est de la même famille que scrupule, larme, soupçon et goutte.

Se forger des idées. Concevoir des soupçons sur la fidélité d'une femme.

On connaît l'effet désastreux de la pluie sur les étoffes—sur les étoffes de satin principalement.

On dit aussi Il est midi et demi.

A signifié autrefois Homme pris de vin.

Nous ne sommes pas loin de l'ebriacus de Plaute.

Les quarante immortels. Les quarante membres de l'Académie à tort dite Française.

J'ai employé cette expression il y a quatre ou cinq ans, quelques-uns de mes confrères l'ont employée aussi,—et maintenant elle est dans la circulation.

Faire une incongruité. Crepitare vel eructare.

Dire une incongruité. Dire une gaillardise un peu trop poivrée,—turpitudoverborum.

Avoir l'inconvénient de la bouche. Mériter cette épigramme de Tabourot à Punaisin:

«Tu t'esbahis pourquoy ton chien,

Les estrons de sa langue touche:

Se peut-il pas faire aussi bien

Qu'il lesche ta lèvre et ta bouche?»

Avoir l'inconvénient des pieds. Suer outrageusement des pieds.

On prononçait Incoïable.

Les infantes étant les filles puînées des rois d'Espagne et de Portugal, sont supposées belles, et l'on sait que tous les amants jouent volontiers de l'hyperbole à propos de leurs maîtresses: ils disent «mon infante» comme ils disent «ma reine». Une couronne leur coûte moins à donner avec les lèvres qu'une robe de soie avec les mains.

Cela m'est inférieur. Cela m'est égal.

Jouer comme un infirme. Jouer très mal.

Cet emploi commence à disparaître 248 des théâtres et des pièces comme trop invraisemblable et par conséquent ridicule. Les actrices aiment mieux jouer les travestis.

Ils disent aussi Inglichemann (Englishman).

Ce verbe, que n'oseraient pas employer les gens du bel air, est un des mieux formés et des plus expressifs que je connaisse: ingurgitare,—qui évoque naturellement le souvenir du fameux ingurgite vasto, cet abîme goulu où disparurent les Lyciens, les fidèles compagnons d'Enée.

On dit aussi S'ingurgiter quelque chose.

Avoir des inquiétudes dans le mollet. Avoir une crampe.

Le monde interlope. La Bohème galante.

Faire une invite à l'as. Solliciter quelqu'un de vous offrir quelque chose.

S'habiller en iroquois. D'une manière bizarre, extravagante.

Parler comme un iroquois. Fort mal.

C'est un verbe irrégulier. Ainsi: Ire-tu picté ce luisant? (As-tu bu aujourd'hui?)

Faire un effet d'ivoire. Rire de façon à montrer qu'on a la bouche bien meublée.

Les voyous anglais disent de même: o flash one's ivory.

J

S'arroser le jabot. Boire.

Faire son jabot. Manger.

On dit aussi Remplir son jabot.

L'expression est vieille:

«De ce vin champenois dont j'emplis mon jabot
On ne me voit jamais sabler que le goulot!»

dit le grand prêtre Impias de la tragédie-parade le Tempérament (1755).

Chouette jabot. Poitrine plantureuse.

L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne:

«Lise était sotte,

Maintenant elle jabotte;

Voyez comme l'esprit

Dans un jeune cœur s'introduit.»

Se dit aussi d'un Homme bavard ou indiscret.

«Notre Jacqueline le fouille,
Emporte la grenouille.
Laisse là mon nigaud,»

dit une vieille chanson.

C'est le John Bull anglais, le Frère Jonathan américain, etc.

On dit aussi Grand Jacquot.

Faire jambe de vin. Boire à tire-larigot.

Jambes en coton. Flageolantes comme le sont d'ordinaire celles des ivrognes, des poltrons et des convalescents.

Jambes en manches de veste. Jambes arquées, disgracieuses.

Scarron n'a pas été moins irrévérencieux:

«Aussi fut Pélias le bon
Fort incommodé d'un jambon.»

dit-il dans son Virgile travesti.

Dévider le jar. Parler argot.

Le peuple disait autrefois d'un homme très fin, très rusé: Il entend le jar. Et souvent il ajoutait: Il a mené les oies,—le jar étant le mâle de l'oie.

On dit aussi Gargouiller.

Jeu de la jarnaffe. Escroquerie dont Vidocq donne le procédé, pages 233-34 de son ouvrage.

Jaspiner bigorne. Entendre et parler l'argot. V. Bigorne.

En wallon, Jaspiner c'est gazouiller, faire un petit bruit doux et agréable comme les oiseaux.

Ainsi Je t'adore avec un jaune d'œuf signifie: «Je ne l'aime pas du tout», et fait une sorte de calembour, par allusion à l'emploi connu du jaune d'œuf.

Ils disent aussi Jauniau.

Au XVIIe siècle, on disait Rouget.

Les voleurs ont aussi leur javanais, qui consiste à donner des terminaisons en _ar_ et en _oc, en al ou en em, de façon à défigurer les mots, soit français, soit d'argot, en les agrandissant.

Quant aux bouchers, étaliers ou patrons, leur javanais consiste à remplacer toutes les premières lettres consonnes d'un mot, par un l et à reporter la première consonne à la fin du mot, auquel on coud une syllabe javanaise. Ainsi pour dire Papier, ils diront Lapiepem, ou Lapiepoc.

Pour les mots qui commencent par une voyelle, on les fait précéder et suivre par un l, sans oublier de coudre à la fin une syllabe javanaise quelconque. Par exemple avis se dit Laviloc ou mieux Lavilour. Quelquefois aussi ils varient pour mieux dérouter 254 les curieux; ils disent nabadutac pour tabac,—quand ils ne disent pas néfoin du tré pour tréfoin, en employant les syllabes explétives na et qui sont du pur javanais, comme av et va.

On disait autrefois Janin.

C'est le cas ou jamais de citer les vers de madame Deshoulières:

«Jean? Que dire sur Jean? C'est un terrible nom

Que jamais n'accompagne une épithète honnête:

Jean Des Vignes, Jean Lorgne... Où vais-je? Trouvez bon

Qu'en si beau chemin je m'arrête.»

L'expression est de Pierre Dupont.

«Car il défend les jeannetons,
Chose très nécessaire à Rome.»

L'expression est de Gustave Mathieu.

D'où le grippe-Jésus de l'argot encore plus ironique des voleurs, puisqu'ils appellent ainsi les gendarmes.

C'est le margaritas antè porcos des Anciens.

On dit aussi Jeter sa langue aux chats.

Quand un ouvrier dit de quelqu'un: Il est trop jeune! cela signifie: il est incapable de faire telle ou telle chose,—il est trop bête pour cela.

On dit aussi: Avoir son petit jeune homme.

S'emploie aussi à propos d'un vin trop nouveau et que sa verdeur rend désagréable au palais.

Monter un job. Monter un coup.

Monter le job. Tromper, jouer une farce.

C'est un mot de vieille souche, qu'on supposerait cependant né d'hier,—à voir le «silence prudent» que le Dictionnaire de l'Académie garde à son endroit.

Se faire jobarder. Faire rire à ses dépens.

Joberie, s. f. Niaiserie, simplicité de cœur et d'esprit.

L'expression appartient à H. de Balzac.

On dit aussi Pain jocko ou à la Jocko.

Connaître le joint. Savoir de quelle façon sortir d'embarras; connaître le point capital d'une affaire.

Faire du jojo. Faire l'enfant, la bête.

Voilà du joli! Nous voici dans une position critique.

Être sur les joncs. Être arrêté ou condamné pour un temps plus ou moins long—toujours trop long!—«à pourrir sur la paille humide des cachots».

On dit aussi Monsieur Jordonne, et, de même, Madame ou Mademoiselle Jordonne, quand il s'agit d'une femme qui se donne des «airs de princesse».

Faire son Joseph. Repousser les avances d'une femme, comme le fils de Jacob celles de la femme de Pharaon.

Faire sa Joséphine. Repousser avec indignation les propositions galantes d'un homme.

On dit aussi Jouailler.

On dit aussi Jouaillon.

Ce verbe s'emploie dans un autre sens, celui de faire, pour marquer l'étonnement. Comment cela se joue-t-il donc? Tout à l'heure j'avais de l'argent et maintenant je n'en ai plus!

On dit aussi Jouer comme une huître.

Nos aïeux disaient Tirer aux chevrotins.

Signifie aussi Compter de l'argent.

On dit aussi Jouer de la harpe.

Faire joujou. S'amuser,—au propre et au figuré.

On se rappelle les tempêtes soulevées par Clément Thomas, employant cette expression en pleine Assemblée nationale.

Les voleurs anglais ont aussi leur allusion à ce jour fatal, qu'ils appellent le Jour du torticolis (wry-neck day).

Visage de jubilation. Qui témoigne d'un très bon estomac.

Baiser de Judas. Baiser qui manque de sincérité.

Barbe de Judas. Barbe rouge.

Bran de Judas. Taches de rousseur.

Le point de Judas. Le nombre 13.

Les judas parisiens sont les cousins germains des espions belges et suisses.

Signifie aussi simplement: Tromper, trahir.

Ils disent aussi Petite Judée.

Cette expression fait partie de l'argot des voleurs et de celui des faubouriens.

Aller chez Jules. C'est ce que les Anglais appellent To pay a visit to mistress Jones.

Avoir du jus. Avoir du chic, de la tournure.

Être d'un bon jus. Être habillé d'une façon grotesque, ou avoir un visage qui prête à rire.

On dit aussi Centrier.

K

On dit aussi et mieux Kaiserlick.

Ils disent aussi Tortorer.

Signifie aussi mourir.

Avoir des kyrielles d'enfants. En avoir beaucoup.

262

263

L

Donner le la. Indiquer par son exemple, par sa conduite, ce que les autres doivent faire, dire, écrire.

Les marchands de lacets. Les gendarmes.

On dit aussi Saint Lâche.

Lâcher d'un cran. Abandonner subitement.

On dit aussi En lâcher un ou une,—selon le sexe de l'incongruité.

C'est plutôt une exclamation qu'un verbe: Ah! tu vas me lâcher le coude! dit-on à quelqu'un qui ennuie, pour s'en débarrasser.

Ils disent aussi Lâcher les écluses.

Beau lâcheur. Homme qui fait de cette désertion une habitude.

Lâcheur ici est synonyme de Lâche.

Labago. Là-bas.

On dit aussi Vilain laideron,—quand on veut se mettre un pléonasme sur la conscience.

L'expression est vieille,—comme l'imprudence des jeunes filles. Il y a même à ce propos, un passage charmant d'une lettre écrite par Voiture à une abbesse qui lui avait fait présent d'un chat: «Je ne le nourris (le chat) que de fromages et de biscuits; peut-être, madame, qu'il n'était pas si bien traité chez vous; car je pense que les dames de *** ne laissent pas aller le chat aux fromages et que l'austérité du couvent ne permet pas qu'on leur fasse si bonne chère.»

Lait à broder. Encre à écrire.

Lait de cartaudier. Encre d'imprimerie.

Piquer un Laïus. Prononcer un discours.

Les Saint-Cyriens, eux, disent Brouta (du nom d'un professeur de l'Ecole), broutasser et broutasseur.

Appeler Lambert. Se moquer de quelqu'un dans la rue.

Il emploie ce mot depuis très longtemps, trois siècles à peu près, si l'on en croit le Dictionnairehistorique de M. L.-J. Larcher, qui le fait venir de Lambin, philosophe français, «lent dans son travail et lourd dans son style».

Signifie aussi hésitant.

Être couché sous la lame. Être mort.

Ils disent aussi Canon.

On disait, il y a deux siècles: Mettre de l'huile dans la lampe pour emplir un verre de vin.

«Si j'te vois fair' l'œil en tir'lire

A ton perruquier du bon ton,

Calypso, j'suis fâché d'te l'dire,

Foi d'homme! j'te crève un lampion!»

266 dit une chanson qui court les rues.

Lampions fumeux. Yeux chassieux.

A qui qu'il appartienne, il fait image.

Bon lanceur. Éditeur intelligent, habile, qui vendrait même des rossignols,—par exemple Dentu, Lévy, Marpon, etc.

Le contraire de lanceur c'est Etouffeur,—un type curieux, quoiqu'il ne soit pas rare.

Danser les lanciers. Danser ce quadrille.

Il y a du bruit dans Landernau. Il y a un événement quelconque dans le monde des lettres ou des arts.

Le mot sort des poésies de Clément Marot.

Langue verte! Langue qui se forme, qui est en train de mûrir, parbleu!

Faire un petit lansque. Jouer une partie de lansquenet.

On dit aussi Lascailler.

Lansquiner des chasses. Pleurer.

On disait autrefois L'Enturlé.

Fameux lapin. Robuste compagnon, à qui rien ne fait peur, ni les coups de fusil quand il est soldat, ni la misère quand il est ouvrier.

On sait quel était le lapin d'Encolpe, dans le Satyricon de Pétrone.

Ils l'appellent aussi Liège.

Sauver son lard. Se sauver quand on est menacé.

Les ouvriers anglais ont la même expression: To save his bacon, disent-ils.

Se faire larder. Recevoir un coup d'épée.

«.... Ils sçavent bien

Que vostre père est homme large;

A souper l'auront, à la charge

Pour dix buveurs maistres passez.»

(Traduction du Colloque d'Erasme.)

Larguepé. Femme publique.

On dit aussi Larcottier.

Larton brut. Pain bis.

Larton savonné. Pain blanc.

Lartille à plafond. Pâté,—à cause de sa croûte.

C'est une allusion aux mœurs des matelots indiens, malais ou autres, qui naviguent sur des bâtiments européens, hollandais principalement, et qui, tirés de la classe des parias, ne passent pas pour de parfaits honnêtes gens.

«Je suis latine
Gaiment je dine
Sur le budget de mon étudiant!»

dit une chanson moderne.

Se ficher un coup de latte. Se battre en duel.

Se dit aussi du mauvais café.

Pourquoi laver au lieu de vendre? M. J. Duflot prétend que cela vient de l'habitude qu'avait Théaulon de remettre à son blanchisseur, afin qu'il battît monnaie avec, les nombreux billets auxquels il avait droit chaque jour. (L'Institution Porcher—la claque—ne fonctionnait pas encore.) «Un jour, dit M. Duflot, le vaudevilliste avait à sa table quelques amis, parmi lesquels Charles Nodier et quelques notabilités politiques, quand le blanchisseur entra pour prendre les billets.—«C'est mon blanchisseur, messieurs, dit-il. Bernier, ajouta-il, en se tournant vers lui, vous trouverez mon linge dans ma chambre à coucher; sur la cheminée, il y a un petit paquet que vous laverez aussi.» Le petit paquet que Bernier trouva contenait les billets de spectacle, et Bernier fut obligé de comprendre que laver voulait dire vendre. Depuis ce jour, il ne manquait jamais de dire, en entrant chez Théaulon: «C'est le blanchisseur de Monsieur: Monsieur a-t-il quelque chose à laver?»

J'en ai entendu un s'écrier: «Oui, quand il poussera des légumes entre les doigts de pied de Louis XIV!»

On dit aussi Champignons.

Parler en lem. Ajouter cette syllabe à tous les mots pour les rendre inintelligibles au vulgaire.

On dit aussi Parler en luch—et alors on remplace lem par luch.

Les Gilles Ménage de Poissy et de Sainte-Pélagie prétendent qu'il faut dire Lessiveur.

Faire sa lessive. Se débarrasser au profit des bouquinistes, des livres envoyés par les éditeurs ou par les auteurs,—dans l'argot des bibliopoles, qui n'en enlèvent pas assez souvent les ex-dono.

Faire la lessive du Gascon. Retourner sa chemise quand elle est sale d'un côté,—ce que font beaucoup de bohèmes.

On connaît ce mot d'un vaudevilliste propret à propos d'un autre vaudevilliste goret: «Faut-il que cet homme ait du linge 271 sale, pour pouvoir en mettre ainsi tous les jours!»

Signifie aussi voler.

Se faire lever de tant. Se laisser gagner ou «emprunter une somme de...»

Lever une femme au crachoir. La séduire à force d'esprit ou de bêtises parlées.

Lever un homme au souper. S'arranger de façon à se faire inviter à souper par lui.

Lichance soignée. Gueuleton.

On dit aussi Lichade.

Se dit aussi pour Goutte d'eau-de-vie; petit verre.

On dit aussi Lichard.

Ils disent aussi Ligotte.

Tomber dans la limonade. Se laisser choir dans l'eau.

Avoir du linge. Porter une chemise blanche.

Faire des effets de linge. Retrousser adroitement sa robe, de 273 façon à montrer trois ou quatre jupons éblouissants de blancheur et garnis de dentelles—de coton.

Lingriot. Petit couteau; canif; bistouri.

Du plat de sa sandale a souffleté l'histoire.

Être le lion du jour. Être le point de mire de tous les regards et de toutes les curiosités.

Ce mot nous vient d'Angleterre.

Faire sa lippe. Bouder.

Franche lippée. Repas copieux.

Avoir absorbé trop de liquide. Être ivre.

L'expression, fort juste, appartient à Hippolyte Babou.

Le lof est le côté d'un navire qui se trouve frappé par le vent, qui le fait crier. Le loffard, au bagne, est le forçat frappé par une condamnation à perpétuité, et qui gémit comme un enfant sur son sort.

Loge irrégulière. Assemblée de francs-maçons qui ne sont pas réguliers et avec lesquels on ne doit pas fraterniser.

Se dit aussi des Premières chaises du premier rang, aux concerts en plein vent comme ceux des Champs-Elysées.

Pour bien comprendre cette expression pittoresque si fréquemment employée, je veux citer la 276 réponse que me fit un jour un coiffeur:

«Combien gagnez-vous chez votre patron?—Trois francs par jour.—Alors vous êtes nourri?—Nourri et blanchi, oui... le long du mur

On dit aussi Saint Longin.

Longie. Nonchalante, paresseuse.

On dit aussi Sainte-Longie.

Signifie aussi: Postillon, crachat, expectoration abondante.

Jouer aux loques. Jouer avec des boutons comme avec des billes, à la bloquette, à la pigoche, etc.

La Lorcefé des largues. Saint-Lazare, qui est la prison, la maison de Force où l'on renferme les femmes.

Le mot appartient à Nestor Roqueplan.

Le mot a une vingtaine d'années (1840), et il appartient à Nestor Roqueplan, qui a par un hypallage audacieux, ainsi baptisé ces drôlesses du nom de leur quartier de prédilection,—le quartier Notre-Dame-de-Lorette.

Ils disent aussi Lorgne-bè.

Un mot provincial acclimaté maintenant à Paris.

Loucher de l'épaule. Être bossu. 277

Loucher de la bouche. Avoir le sourire faux.

On dit aussi Pièce de vingt francs.

C'est une phrase souvent employée, de l'argot du peuple, qui sait que les Louis—XV ou non—seront toujours les bien-aimés, mais qui ignore les âpres joies des grands dédaigneux, jaloux de plaire seulement à un petit nombre d'amis ou de lecteurs de choix.

Odi profanum vulgus, et arceo.

On l'a appelée aussi Louison.

On dit aussi Gros loulou.

Malgré le væ soli! de l'Ecriture et l'opinion de Diderot: «Il n'y a que le méchant qui vit seul,» les loups-hommes sont plus honorables que les hommes-moutons: la forêt vaut mieux que l'abattoir.

Faire un loup. Faire une dette,—et ne pas la payer.

On dit aussi Bête ou Loup qui peut marcher tout seul.

Ici encore M. Francisque Michel, chaussant trop vite ses lunettes 278 de savant, s'en est allé jusqu'en Hollande, et même plus loin, chercher une étymologie que la nourrice de Romulus lui eût volontiers fournie. «Loupeur, dit-il, vient du hollandais looper (coureur), loop (course), loopen (courir). L'allemand a laufer... le danois lœber...: enfin le suédois possède lopare... Tous ces mots doivent avoir pour racine l'anglo-saxon lleàpan (islandais llaupa), courir.»

L'ardeur philologique de l'estimable M. Francisque Michel l'a cette fois encore égaré, à ce que je crois. Il est bon de pousser de temps en temps sa pointe dans la Scandinavie, mais il vaut mieux rester au coin de son feu les pieds sur les landiers, et, ruminant ses souvenirs de toutes sortes, parmi lesquels les souvenirs de classe, se rappeler: soit les pois lupins dont se régalent les philosophes anciens, les premiers et les plus illustres flâneurs, la sagesse ne s'acquérant vraiment que dans le far niente et le far niente ne s'acquérant que dans la pauvreté;—soit les Lupanarii, où l'on ne fait rien de bon, du moins; soit les lupilli, qu'enployaient les comédiens en guise de monnaie, soit le houblon (humulus lupulus) qui grimpe et s'étend au soleil comme un lézard; soit enfin et surtout, le loup classique (lupus), qui passe son temps à rôder çà et là pour avoir sa nourriture.

On dit aussi Louveton et Louftot.

Ils disent aussi Petit Louvre,—pour ne pas scandaliser dans leurs tombes François Ier, Henri II et Charles IX.

Crever sa lucarne. Casser le verre de son lorgnon.

Faire la Lucrèce. Contrefaire la prude et l'honnête femme.

On dit aussi Luisard.

On dit aussi Luisarde.

Le mot et la mode sont anglais; seulement le lunch anglais a cet avantage sur le lunch parisien, qu'il est une réfection copieuse,—un troisième déjeuner ou un premier dîner,—destiné à ravitailler les estomacs épuisés par les luttes des hustings, quand il y a des élections.

Ce mot appartient à M. Pierre Véron.

Être dans ses lunes. Avoir un accès de mauvaise humeur, de misanthropie.

On dit aussi Pleine lune.

On dit aussi Pleine lune.

Porte-luque. Portefeuille.

Luque signifie aussi image, dessin.

Joyeux luron. Bon compagnon.

Lusquine. Cendre.

Chevaliers du lustre. Gens payés pour applaudir les pièces et les acteurs, qui se placent ordinairement au parterre au-dessous du lustre.

On dit aussi Romains.

M

On emploie ordinairement ce mot avec bono:

Macache-bono. Ce n'est pas bon, cela ne vaut rien.

Signifie aussi Zut!

On dit aussi Robert-Macaire.

Mauvais macchabée. Mort de dernière classe, ou individu trop gros et trop grand qu'on est forcé de tasser,—dans l'argot des employés des pompes funèbres.

Ne pas mâcher les mots à quelqu'un. Lui dire crûment ce qu'on a à lui dire.

On dit aussi Chose.

Grande machine. Grande toile ou statue de grande dimension.

Signifie aussi: Suranné, Classique,—dans l'argot des romantiques,—ainsi que cela résulte d'un passage des Jeune France de Théophile Gautier, qu'il faut citer pour l'édification des races futures: «L'on arrivait par la filière d'épithètes qui suivent: ci-devant, faux toupet, aile de pigeon, perruque, étrusque, mâchoire, ganache, au dernier degré de la décrépitude, à l'épithète la plus infamante, académicien et membre de l'Institut

Ils disent aussi Mâchoire.

Jouer à la Madame. Contrefaire les mines, les allures des grandes personnes.

Les voyous disent Madame Tirepousse.

Au XVIe siècle, on disait Madame du guichet et Portière du petit guichet.

Grosse mafflue. Grosse commère.

On dit aussi grasse maffrée et grosse mafflée.

Manger son magot. Dépenser l'argent amassé.

On dit aussi Maigre comme un coucou, et Maigre comme un hareng-sauret.

Sous le premier Empire c'était le Temple du goût, et, sous la Restauration, le Temple de Thalie.

Être malade. Être compromis.

On dit aussi Avoir le pouce démis pour son argent.

On disait autrefois Landreux.

Beau mâle. Homme robuste, plein de santé.

Vilain mâle. Homme d'une apparence maladive, ou de petite taille.

Signifie aussi Mari.

M. Francisque Michel donne Malvas, en prenant soin d'ajouter que ce mot est «provençal» et qu'il est populaire à Bordeaux. M. F. Michel a beaucoup plus vécu avec les livres qu'avec les hommes. D'ailleurs, les livres aussi me donnent raison, puisque je lis dans l'un d'eux que le peuple parisien disait jadis un Malfé (malefactus) à propos d'un malfaiteur, et donnait le même nom au Diable.

Pastiquer la maltouze, Faire la contrebande.

Manche à (sous-entendu: Manche), Se dit quand chacun des joueurs a gagné une partie et qu'il reste à faire la belle. 285

Faire la manche. Quêter, mendier.

Avoir des vers dans son manchon. Avoir çà et là des places chauves sur la tête.

N'être pas manchot. Être très adroit,—au propre et au figuré.

Il a été inventé par Jean-Jacques Rousseau ou par Diderot comme cas de conscience. Vous êtes assis tranquillement dans votre fauteuil, au coin de votre feu, à Paris, cherchant sans les trouver, les moyens de devenir aussi riche que M. de Rothschild et aussi heureux qu'un roi, parce que vous supposez avec raison que l'argent fait le bonheur, attendu que vous avez une maîtresse très belle, qui a chaque jour de nouveaux caprices ruineux, et que vous seriez très heureux de la voir heureuse en satisfaisant tous ses caprices à coups de billets de banque. Eh bien, il y a, à deux mille lieues de vous, un mandarin, un homme que vous ne connaissez pas, qui est plus riche que M. de Rothschild: sans bouger, sans même faire un geste, rien qu'avec la Volonté, vous pouvez tuer cet homme et devenir son héritier, sans qu'on sache jamais que vous êtes son meurtrier.

Voilà le cas de conscience que beaucoup de gens ont résolu en chargeant Volonté à mitraille, sans pour cela en être plus riches, mais non sans en être moins déshonorés. Je ne devais pas oublier de le signaler dans ce Dictionnaire, qui est aussi bien une histoire des idées modernes que des mots contemporains. D'ailleurs, il a passé dans la littérature et dans la conversation, puisqu'on dit Tuer le mandarin. A ce titre déjà, je lui devais une mention honorable.

Jouer des mandibules. Manger.

On dit aussi Jouer des badigoinces.

Jeter une mandole. Donner un soufflet.

Cette expression—de l'argot du peuple—est dans la circulation depuis longtemps. 286

On dit aussi Cartouche,—ces deux coquins faisant la paire.

Manger de la misère. Être besogneux, misérable.

Manger de la prison. Être prisonnier.

Manger de la guerre. Assister à une bataille.

Cette expression—de l'argot des faubouriens—est horrible, non parce qu'elle est triviale, mais parce qu'elle est vraie. Je l'ai entendue, cette phrase impure, sortir vingt fois de bouches honnêtes exaspérées par l'excès de la pauvreté. J'ai hésité d'abord à lui donner asile dans mon Dictionnaire, mais je n'hésite plus: il faut que tout ce qui se dit se sache.

Cette expression est de l'argot du peuple et de celui des bohèmes, qui en sont réduits beaucoup trop souvent, pour se nourrir, à se tailler des beefsteaks invraisemblables dans les flancs imaginaires de cette bête apocalyptique.

On connaît l'épigramme faite en 1814 contre Cambacérès, duc de Parme:

«Le duc de Parme déménage;

Plus d'hôtel, plus de courtisan!

Monseigneur mange du fromage,

Mais ce n'est plus du parmesan...»

Ils disent aussi Manger du drap.

On dit aussi Casser le morceau.

Par bonheur, ils jouent plus souvent de la langue, et, dans leurs «engueulements»,—qui rappellent beaucoup ceux des héros d'Homère,—s'il leur arrive de dire, en manière de début: «Je vais te manger le nez!» ils se contentent de se moucher.

On dit aussi Manger sur quelqu'un.

L'expression est vieille: elle se trouve dans Restif de la Bretonne.

Ce mot vient de manicæ, menottes. Les forçats, qui ne sont pas tenus de savoir le latin, donnent ce nom aux fers qu'ils traînent aux pieds; en outre, au lieu de l'employer au pluriel, comme l'exigerait l'étymologie, ils s'en servent au singulier: c'est ainsi que de la langue du bagne il est passé dans celle de l'atelier.

Frère de la manicle. Filou.

Connaître la manique. Connaîtreà fond une affaire.

Sentir la manique. Sentir le cuir ou toute odeur d'atelier.

C'est toujours la même manivelle. C'est toujours la même chanson.

On dit aussi Mézingaud et Mézière.

On dit aussi Minzingouin et Mannezinguin.

Voilà un mot bien moderne, et cependant les renseignements qui le concernent sont plus difficiles à obtenir que s'il s'agissait d'un mot plus ancien. J'ai bien envie de hasarder ma petite étymologie: Mannsingen, homme chez lequel on chante, le vin étant le tire-bouchon de la gaieté que contient le cerveau humain.

Signifie aussi Maîtresse,—dans l'argot des bourgeois.

Signifie aussi Endommagé et Malade.

Draperie qui entoure le rideau d'avant-scène,—dans l'argot des coulisses.

«On l'a nommée ainsi, dit M. J. Duflot, parce que du temps de la Comédie italienne les rideaux de théâtre ne tombaient pas comme des rideaux d'alcôve en glissant sur des tringles; or, comme Arlequin, au dénoûment de la pièce, était toujours le dernier comédien qui saluait le public de sa batte, le rideau, qui se fermait sur lui, semblait lui faire un manteau.»

On a écrit Maca au XVIe siècle.

Il est regrettable que Francisque Michel n'ait pas cru devoir éclairer de ses lumières philologiques les ténèbres opaques de ce mot, aussi intéressant que tant d'autres auxquels il a consacré des pages entières de commentaires. Pour un homme de son érudition, l'étymologie eût été facile à trouver sans doute, et les ignorants comme moi n'en seraient pas réduits à la conjecturer.

Il y a longtemps qu'on emploie cette expression; les documents littéraires dans lesquels on la rencontre sont nombreux et anciens déjà; mais quel auteur, prosateur ou poète, l'a employée le premier et pourquoi l'a-t-il employée? Est-ce une corruption du mæchus d'Horace («homme qui vit avec les courtisanes,» mœcha, fille)? Est-ce le μαχρος [grec: machros] grec, conservé en français avec sa prononciation originelle et son sens natif (grand, fort) par quelque helléniste en bonne humeur? Est-ce une contraction anagrammatisée ou une métathèse du vieux français marcou (matou, mâle)? Est-ce enfin purement et simplement une allusion aux habitudes qu'ont eues de tout temps les souteneurs de filles de se réunir par bandes dans des cabarets ad hoc, par exemple les tapis-francs de la Cité et d'ailleurs, comme les maquereaux par troupes, par bancs dans les mers du Nord? Je l'ignore,—et c'est précisément pour cela que je voudrais le savoir; aussi attendrai-je avec impatience et ouvrirai-je avec curiosité la prochaine édition des Etudes de philologie de Francisque Michel.

Au XVIIIe siècle, on disait Croc de billard, et tout simplement Croc,—par aphérèse.

On prononce Macrotage.

On prononce Macroter.

Maquereauter une affaire. Intriguer pour la faire réussir.

On prononce Macrotin.

Au XVIIIe siècle on disait Maqua.

C'est probablement une apocope du vieux mot Maquignonnage.

Blanc de céruse et rouge végétal,—je ne dis pas assez; et pendant que j'y suis, je vais en dire davantage afin d'apprendre à nos petits-neveux, friands de ces détails, comme nous de ceux qui concernent les courtisanes de l'Antiquité, quels sont les engins de maquillage des courtisanes modernes: Blanc de céruse ou blanc de baleine; rouge végétal ou rouge liquide; poudre d'iris et poudre de riz; cire vierge fondue et pommade de concombre; encre de Chine et crayon de nitrate,—sans compter les fausses nattes et les fausses dents. Le visage a des rides, il faut les boucher; l'âge et les veilles l'ont jauni, il faut le roser; la bouche est trop grande, il faut la rapetisser; les yeux sont trop petits, il faut les agrandir. O les miracles du maquillage!

Signifie aussi Tromper, tricher, user de supercherie.

Maquiller les brèmes. Jouer aux cartes,—dans le même argot.

Signifie aussi Tricher à l'écarté.

Maquiller son truc. Faire sa manœuvre;

Maquiller une cambriolle. Dévaliser une chambre;

Maquiller un suage. Se charger d'un assassinat. Même argot.

On dit aussi Aller à la maraude et Faire la maraude.

On dit aussi Hirondelle. 292

Avoir un article sur le marbre. Avoir un article composé, sur le point de passer,—dans l'argot des typographes et des journalistes.

Faire marcher quelqu'un au pas. Agir de rigueur envers lui.

On dit aussi: Mettre au pas.

N'aimer pas qu'on vous marche sur le pied. Être très chatouilleux, très susceptible.

Les calendes grecques du peuple, qui y renvoie volontiers quand il veut se moquer ou se débarrasser d'un importun.

Ce mardi-là et le Dimanche après la grand'messe font partie de la fameuse Semaine des quatre jeudis.

Est-ce que ce verbe ne viendrait point de la jacasserie continuelle de la pie, dite margot, qui joue le rôle de commère parmi les oiseaux? Mais alors il faudrait écrire margoter, ou tout au moins margoder.

On dit aussi Margoton.

Vivre avec des margots. Vivre avec des filles; passer le meilleur de son temps à filer le plus imparfait amour aux pieds d'Omphales d'occasion, sans avoir l'excuse du fils d'Alcmène,—qui du moins était un hercule.

Rincer la margoulette à quelqu'un. Lui payer à boire.

Il dit aussi Marguerites de cimetière.

«Nos bons amis nos ennemis» ont une expression de la même famille: Wife in water colours (femme à l'aquarelle, en détrempe), disent-ils à propos d'une concubine.

Avoir la Marianne dans l'œil.

Clignoter des yeux sous l'influence de l'ivresse.

Cette expression date de la première représentation d'un vaudeville 294 des Variétés, Thibaut et Justine, joué sous la direction de Brunet. La pièce gaie en commençant, avait, vers la fin, des longueurs. Le public s'impatiente, il est sur le point de siffler. L'auteur ne mariait Justine qu'à la dernière scène, encore bien éloignée. «Il faut marier Justine tout de suite», s'écria le régisseur, pour sauver la pièce. Et l'on cria des coulisses aux acteurs en scène: «Mariez Justine tout de suite!» Et l'on maria Justine, et la pièce fut sauvée,—et l'argot théâtral s'enrichit d'une expression.

J'ai entendu cette phrase: «Tant qu'il y aura des pantes, les mariolles boulotteront.»

Les partisans de cette dernière s'appelaient Clarinettes.

Pourquoi, à propos de ce mot tout moderne, Francisque Michel a-t-il éprouvé le besoin de recourir au Glossaire de Du Cange et de calomnier le respectable corps des marguilliers? Puisqu'il lui fallait absolument une étymologie, que ne l'a-t-il demandée plutôt à un Dictionnaire anglais! Mar (gâter) love (amour); les souteneurs, en effet, souillent le sentiment le plus divin en battant monnaie avec lui. Cette étymologie n'est peut-être pas très bonne, mais elle est au moins aussi vraisemblable que celle de Francisque Michel. Il y a aussi le vieux français marcou.

Se dit aussi pour Habileté.

On dit aussi Marmaillerie. 295

Marmite de cuivre. Femme qui gagne—et rapporte beaucoup.

Marmite de fer. Femme qui rapporte un peu moins.

Marmite de terre. Femme qui ne rapporte pas assez, car elle ne rapporte rien.

Cela ne vaut pas, comme délicatesse ironique, le goldfinder des Anglais.

On dit aussi Marmotter.

Croquer le marmot. Attendre en vain.

Le marmouset riffode. Le pot bout.

Marque de cé. Femme légitime d'un voleur.

Marque franche. Concubine.

Quart de marqué. Semaine.

On dit aussi Marquis de la bourse plate.

Être servi ou paumé marron. Être pris sur le fait encore nanti des objets soustraits,—dans l'argot des voleurs.

Je ne crois pas qu'il faille, à propos de cette expression, remonter à Régnier, à La Fontaine et à Molière, et citer la fable de Bertrand et Raton, comme l'a fait Francisque Michel avec une vraisemblance plus apparente que réelle. Au premier abord, on songe à ces marrons que le singe fait tirer du feu par le chat, mais en y réfléchissant, on ne tarde pas à comprendre qu'il faut chercher ailleurs l'origine de cette expression. Le verbe marronner, que Francisque Michel ne cite pas, quoiqu'il soit fréquemment et depuis longtemps employé par le peuple, ce verbe est-il antérieur ou postérieur à celui qui nous occupe en ce moment? Voilà ce qu'il aurait fallu rechercher et dire, car s'il est antérieur, comme tout le fait supposer, nul doute qu'il ait donné naissance à Être marron. En outre, voilà longtemps, me semble-t-il, qu'on appelle nègre marron un nègre fugitif,—qu'on reprend toujours. Que le lecteur daigne conclure. 297

Faire marronner quelqu'un. Le faire attendre en murmurant et plus que la politesse et la raison ne le permettent.

Signifie aussi Faire enrager, taquiner.

On dit aussi Pomme de canne.

Signifie aussi Gaspillage de choses ou d'argent.

En masse. En grand nombre, en grande quantité.

Ne serait-ce pas une corruption de mastoquet, homme mastoc, le marchand de vin étant ordinairement d'une forte corpulence?

Faire le matador. Faire des embarras.

Ils disent aussi Parfums.

Mathurins plats. Dominos.

Mâtine,, s. f. Gaillarde qui n'a pas peur des hommes.

Mâtin! Exclamation qui sert à marquer l'admiration la plus violente ou la douleur la plus vive.

On dit aussi Sacré mâtin.

On dit aussi fin matois, malgré le pléonasme.

On dit aussi Fine matoise.

Bon matou. Libertin.

Ils ont entendu des Arabes, s'essayant au français, dire: ma traque pour ma trique, et ils ont pris cela pour du sabir.

Quelquefois la même expression est employée dans un sens amical, comme, par exemple, pour convier quelqu'un au départ: Allons, en route, mauvaise troupe! lui dit-on.

Ils disent aussi Trompe-l'œil.

Se dit, par extension, de tout Homme laid au physique et au moral.

Se dit aussi de tout café, chaud ou froid, servi dans une chope de verre, au lieu de l'être dans une tasse.

Francisque Michel «trouve le germe de cette locution dans un passage des Vies des dames illustres de Brantôme», et ce germe, c'est mœquaniqueté... Le malheur est que jamais «locution ne fut plus moderne. Quant à son «germe», le premier mécanicien venu le trouverait en conduisant sa machine.

Il y a mèche. Il y a moyen.

Il n'y a pas mèche. Cela n'est pas possible.

On dit aussi elliptiquement: Mèche!

Découvrir la mèche. Tenir les fils d'une intrigue, connaître à temps un dessein fâcheux.

Chercher mèche. Chercher de l'ouvrage.

Être de mèche. Partager un butin avec celui qui l'a fait.

Signifie aussi Demi-heure. D'où, sans doute, l'expression des faubouriens: Et mèche.

C'est assurément le meschief de notre vieille langue.

Le mot sort de la _Vie de Bohême, d'Henry Murger.

Médaille d'or. Pièce de vingt francs.

On a dit aussi Médaille de commissionnaire et Contre-marque du Père-Lachaise.

C'est un mot de l'argot des voleurs, qui donnent ainsi un pendant au portrait de l'argot des faubouriens.

Médaillon de flac. Impasse, cul-de-sac.

Médecine flambante. Bon conseil, avis salutaire.

Facultés médianimiques. Celles que possèdent les médiums et qui leur permettent d'entrer en communication avec les Esprits,—à ce qu'ils disent.

L'expression a été forgée par Delaage.

Le mot est nouveau, si la chose est vieille. Argot des spirites.

Meg des megs. Dieu.

Meg de la rousse. Le préfet de police.

Les Bescherelles de la haute pègre prétendent qu'il faut écrire et prononcer mec et non meg.

Cette injure,—quoique le melon soit une chose exquise,—a trois mille ans de bouteille, et son parfum est le même aujourd'hui que du temps d'Homère: «Thersite se moquant des Grecs, dit Francisque Michel, les appelle πεπονες [grec: pepones].»

Il y a longtemps, en effet, que l'homme, «ce Dieu tombé», ne se souvient plus des cieux, puisqu'il y a longtemps que la moitié de l'humanité méprise et conspue l'autre moitié. 301

L'expression date du XVIIe siècle. Dans un ballet de la cour de Gaston, duc d'Orléans, on voit Jocrisse qui mène les poules pisser. Jocrisse est là le type du genre.

Se laisser mener par le bout du nez. Être d'une faiblesse extrême, faire la volonté des autres et non la sienne propre.

On ne le mène pas pisser! Une phrase de l'argot du peuple, qui l'emploie pour indiquer le caractère d'un homme qui ne fait que ce qu'il veut, et non ce que les autres veulent.

Elle se trouve dans Restif de La Bretonne.

«Mon docteur de menestre en sa mine altérée,
Avoit deux fois autant de mains que Briarée,»

dit Mathurin Régnier, en sa satire du Souper ridicule.

«L'ingrat époux lui fit tater
D'une menestre empoisonnée,»

dit Scarron, en sa satire contre Baron.

Encore un nom d'homme devenu un type applicable à beaucoup d'hommes.

On disait mainettes au temps jadis, comme le prouvent ces vers de Coquillart:

«Tousjours un tas de petits ris,

Un tas de petites sornettes.

Tant de petits charivaris,

Tant de petites façonnettes,

Petits gants, petites mainettes.

Petite bouche à barbeter...»

Les voleurs anglais ont la même expression; ils appellent 302 la langue prating cheat (la trompeuse qui bavarde, ou la bavarde qui ment).

Aller voir la mer. Remonter la scène jusqu'au dernier plan.

Ce n'est pas la mer à boire. Se dit, au contraire, de toute chose facile à faire, de toute entreprise qu'on peut aisément mener à bonne fin.

On dit aussi Merdeux.

Ah! merde alors! Exclamation qui n'échappe que dans les situations critiques, fatales, comme, par exemple, lorsqu'on perd au jeu, lorsqu'on casse sa pipe, etc.

L'expression se trouve dans Restif de la Bretonne.

Méruchée. Poêlée.

Méruchon. Poêlon.

Encore un mot d'importation anglaise, à ce qu'il paraît: The Mess, dit le Dictionnaire de Spiers; to mess, ajoute-t-il. C'est plutôt un mot que nous reprenons à nos voisins, qui pour le forger ont dû se servir, soit de notre Mense (mensa), qui a la même signification, soit de notre Messe (missa), où le prêtre sacrifie sous les espèces du pain et du vin.

Messière franc. Bourgeois.

Messière de la haute. Homme comme il faut.

Ne serait-ce pas le Messire du vieux temps?

S'applique aussi au Bilboquet,quand on le prend par la boule et qu'on veut faire entrer le manche dedans.

Avoir un métier d'enfer. Être d'une grande habileté.

«Voyez quel emblême!
Sa nièc' d'Angoulème
Nous met tous à même!»

dit une chanson de 1832.

On dit aussi: Être dans de beaux draps.

Signifie aussi Tromper, jouer un tour.

Se dit aussi pour: Donner un coup de pied au derrière de quelqu'un.

Signifie aussi Tromper.

On dit aussi Tomber en pâte.

On disait autrefois d'un homme, qu'il se mettait en rang d'ognons quand il se plaçait dans celui où il y avait des gens de plus grande condition que lui.

C'est l'alicui curam et angorem animi creare des Latins.

Au XVIe siècle on disait Bailler le moine.

L'expression est toute récente.

Les ouvriers anglais disent grinders (les broyeuses).

On dit aussi Meurt-la-faim et Crève-la-faim.

Ils disent aussi Mézigue, Mézère, et Ma fiole.

C'est mon mib! C'est mon triomphe!

Signifie aussi Défi. C'est ton mib, c'est-à-dire: Tu ne feras jamais cela.

Se dit aussi pour Pain entier.

«Et moins encor il fait du bien
Aux pauvres gens, tant il est chiche;
Si il a mangé de leur miche.»

(Les Touches du seigneur des Accords.)

«On appelle miché. . .
Quiconque va de nuit et se glisse en cachette
Chez des filles d'amour, Barbe, Rose ou Fanchette,»

dit un poème de Médard de Saint-Just (1764).

Miché de carton. Amant de passage, qui n'offre que des gants de filoselle.

Miché sérieux. Protecteur, ou amant généreux qui offre une boîte entière de gants.

Il est midi! C'est-à-dire je ne crois pas un mot de ce que vous dites; «Je ne coupe pas dans ce pont-là!»

Ils disent cela à propos des gens qui ne leur conviennent pas.

Faire la mijaurée. Faire des manières et des façons pour accepter une chose.

On dit aussi Minaudière.

Leurs mères, plus prosaïques et moins vaniteuses, disaient Milord pot-au-feu, comme en témoigne ce couplet de Désaugiers:

«Lorsque nous aimons,

Nous finançons

Afin de plaire.

D'où vient qu'en tout lieu

On dit: «Un milord pot-au-feu.»

Ils disent aussi Minon.

L'expression sort de la Physiologie du mariage d'H. de Balzac.

Théodore de Banville est le premier qui, en littérature, ait fait de ce nom propre un substantif courant. Il restera, il doit rester.

Jouer du mirliton. Parler, causer.

Cet adverbe appartient à H. de Balzac.

«Dis-lui qu'un miroir à putain,
Pour dompter le Pays Latin
Est un fort mauvais personnage.»

Dire des misères. Taquiner quelqu'un en lui contant des choses qui le contrarient, qui l'inquiètent.

Faire des misères. Agacer quelqu'un, lui jouer un tour plus ou moins désagréable.

Jouer la misloque. Jouer la comédie.

C'est l'équivalent de: Au diable au vert (ou Vauvert).

Se dit aussi d'un Jeu de cartes où l'on a gagné quand on a fait brelan avec le valet de trèfle escorté de deux autres valets.

Balzac a-t-il emprunté son rapin de ce nom aux peintres en bâtiment, ou ceux-ci à l'auteur de la Comédie humaine?

On dit aussi: Onguent miton-mitaine.

Le petit mitron. Le Dauphin, fils de Louis XVI,—du boulanger, comme l'appelaient les Parisiens en 1792.

C'est aussi le nom que portait, en 1830, la légion des Volontaires de la Charte.

Modèle d'ensemble. Qui pose pour l'Académie, pour tout le corps, au lieu de ne poser que pour la tête, ou pour n'importe quelle partie spéciale du corps. 310

On dit aussi Loup.

Les typographes anglais ont le même mot; ils en ont même deux pour un: monk and friar. Le monk, c'est notre moine, c'est-à-dire une feuille maculée ou imprimée trop noire Le friar, c'est un moine blanc, c'est-à-dire une feuille qui est imprimée trop pâle.

On ajoute un qualificatif pour renforcer l'ironie: Tu es un joli moineau!

C'est le pendant de: Tu es un joli coco!

Se dit aussi de toute personne qui se trompe dans un calcul et oublie quelques fractions importantes.

Tous les théâtres, notamment ceux de province, ont un certain nombre de décors de magasin, d'un emploi fréquent et commun: le molière, le rustique, le salon riche, la place publique, la forêt, la prison, le palais, et le gothique (intérieur). Avec cela on peut tout représenter, les tragédies de Racine et les vaudevilles de M. Clairville.

On pourrait croire cette expression moderne; on se tromperait, car voici ce que je lis dans l'Olive, poème de Du Bellay adressé à Ronsard, à propos des envieux:

«La Nature et les Dieux sont

Les architectes des hômes

Ces deux (ô Ronsard) nous ont

Bâtis des mêmes atômes.

Or cessent donques les mômes

De mordre les écriz miens...»

Ils disent aussi Mômeresse.

Ils disent aussi Momeuse et Madame Tire-môme.

On dit au féminin Momignarde.

Monante. Amie.

Monarques. Les rois d'un jeu de cartes.

Plus que ça de monnaie! Quelle chance!

Les voleurs anglais disent de même Bess ou Betty.

Faire le Monsieur. Trancher du maître; dépenser de l'argent; avoir une maîtresse.

On dit aussi Monsieur Chose.

Monsieur bien. Homme distingué,—qui ne regarde pas à l'argent.

Quelquefois on dit: Le vicomte Du Four est dans la salle.

On dit aussi: Monsieur Pointu.

«La maison de M. Vautour Est celle où vous voyez un âne.»

On connaît la chanson;

«Madam' Véto s'était promis

De faire égorger tout Paris;

Mais son coup a manqué,

Grâce à nos canonniers!

Dansons la carmagnole,

Vive le son

Du canon!»

Le mot appartient à H. de Balzac. 313

Le grand Mont. Le Mont-de-Piété de la rue des Blancs-Manteaux.

Le Petit Mont. Le commissionnaire au Mont-de-Piété.

L'expression date de 1848: elle a été appliquée à cette sorte de beignet, par les Associations de cuisiniers, et n'a pas plus duré qu'elles.

Se dit à propos des choses et des personnes. Une phrase a du montant quand elle est énergique. Une femme a du montant quand elle a du cynisme.

Faire monter quelqu'un. L'exaspérer, l'agacer.

On dit aussi Monter à l'échelle.

On dit aussi se monter le baluchon.

On dit aussi Monter des couleurs et monter le Job.

On dit aussi Monter sur ses grands chevaux.

Le peuple dit: S'en foutre comme de l'an 40.

Battre morace. Crier à l'assassin.

Se dit aussi de quelqu'un malpropre d'habits ou de discours.

On dit aussi, en employant la même ironie: N'être pas méchant. 315

On dit aussi Morfer, Morfier et Morfiller.

On dit aussi Limonade.

Flouant de la morgane. Escroquerie commise au moyen d'un paquet de sel et d'un mal de dents supposé.

Signifie aussi Nuire, comme le prouvent ces deux vers de la parodie du Vieux Vagabond de Béranger, par MM. Jules Choux et Charles Martin:

«Comme un coquillon qui morgane
Que n'aplatissiez-vous l'gonsier?...»

Signifie aussi Broc de marchand de vin,—qu'un long usage a noirci.

Moricaude. Négresse.

On dit aussi Morné, ou plutôt mort-né, qui est la véritable orthographe, parce que c'est la véritable étymologie du mot.

Mornifle tarte. Fausse monnaie.

Se jeter dans les bras de Morphée. Se coucher.

Être dans les bras de Morphée. Dormir.

On dit aussi, par respect humain, morbaque; mais la première 316 expression vaut mieux, parce qu'elle est plus franche. Elle se trouve avec son sens entomologique dans les Touches du seigneur des Accords, qui dit à Barbasson:

«Tu as ta barbe si rude,

Et les cheveux si épais,

Qu'il semble avoir deux forêts

Où loge une multitude

De morpions et de poux,

Au lieu de cerfs et de loups.»

Faire un mort. Jouer le whist à trois personnes, en découvrant le jeu de la quatrième—absente.

Prendre le mort. Changer les cartes qu'on vous a données, et qu'on trouve mauvaises, contre celles réservées au partner imaginaire.

Se dit aussi, comme injure, d'une Femme laide et d'une gourgandine.

Se dit aussi pour les Mucosités qui sortent du nez.

Faire des mots. Emailler la conversation de plaisanteries et de concetti.

La Croix de mon père ou de ma mère,Je ne mange pas de ce pain-là,J'ai l'habit d'un laquais, et vous en avez l'âme, etc., etc., sont des mots de valeur.

Avoir des mots avec quelqu'un. Se fâcher avec lui.

Signifie aussi Marchand de mottes.

Se dit aussi de tout individu qui a l'air d'espionner, de tout ouvrier qui rapporte, etc.

Se faire moucher. Se faire battre.

On dit aussi Se faire moucher le quinquet.

Signifie aussi Avoir des allures de bourgeois, et même de grand seigneur.

On dit dans le même sens: Ne pas se moucher du coude.

On dit aussi Effacer.

Ne pas se moucher sur sa manche. Être hardi, résolu, expérient, «malin».

Cette expression est la révélation d'un trait de mœurs certainement oublié, et peut-être même ignoré de ceux qui l'emploient: elle apprend qu'autrefois on mettait son mouchoir sur sa manche gauche pour se moucher de la main droite.

Il tombe des mouches d'hiver. Il neige. 318

Être mouchique à la section. Être mal noté chez le commissaire de police de son quartier.

Ils s'en servent aussi comme Aniterge.

On dit aussi Moudre un air.

Se dit aussi pour la main, qui distribue si généreusement les soufflets.

L'expression est horriblement triviale, j'aurais mauvaise grâce à le dissimuler, mais le peuple est excusé de l'employer par certaine note du 1er volume de la Régence, d'Alexandre Dumas.

Faire mousser. Préparer le succès d'un auteur ou d'une pièce par des éloges exagérés et souvent répétés.

On disait autrefois Baril à la moutarde, et Réservoir à moutarde.

On dit aussi Parfumeur.

Mettre son mouton au clou. Porter son matelas au Mont-de-Piété.

Le mot est de H. de Balzac.

Avoir des moyens. Être à son aise.

Signifie aussi: Aptitude, dispositions intellectuelles, capacités.

Avoir une puce à la muette. Avoir un remords; entendre—par hasard!—le cri de sa conscience.

Donner une muette. Faire un exercice. 321

Il trouve plus euphonique de prononcer Muffe.

M. Francisque Michel à qui les longs voyages ne font pas peur, s'en va jusqu'à Cologne chercher une étymologie probable à cette expression, et il en rapporte muf et mouf,—afin qu'on puisse choisir. Je choisis muffle, tout naturellement, autorisé que j'y suis par un trope connu de tous les philologues, la synecdoque, par lequel on transporte à l'individu tout entier le nom donné à une partie de l'individu.

On dit aussi Muffletonnerie.

Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'on prononce Muffeton.

Nous avons, en vieux langage, Musardie pour Sottise.

On dit aussi Muser.

Le mot a été créé par Albéric Second en 1858.

Ils disent aussi Pochet.

Couper la musette à quelqu'un. Le forcer à se taire.

Par extension, Résidu d'un verre, d'un vase quelconque.

N

On ait aussi Nabotin.

Nabote. Naine.

Je n'ai jamais entendu dire Nabotine.

Les voyous anglais ont la même expression: Fin.

C'est du nanan! C'est un elzévir, ou un manuscrit de Rabelais, ou une anecdote scandaleuse, ou n'importe quoi alléchant.

Faire des narrés. Faire des cancans.

Ils disent aussi Nocher.

Ils disent aussi Nazicot.

On dit plus élégamment: Ah! des nèfles!

Étouffer ou Éventrer une négresse. Boire une bouteille.

On dit aussi Éternuer sur une négresse.

On dit aussi Moricaud.

Quelques-uns écrivent nénais; mais ce mot n'est pas plus français que l'autre.

Se faire nettoyer. Perdre au jeu; se laisser voler, battre ou tuer.

On dit aussi Torcher un plat.

Faire son nez. Avoir l'air raide, ennuyé, mécontent.

C'est le Ne pouvoir sentir de l'argot des bourgeois.

Avoir du nez. Flairer les bonnes affaires, deviner les bonnes occasions.

Manquer de nez. N'être pas habile en affaires.

On dit aussi: Ce n'est pas pour ton fichu nez!

On trouve cette expression dans Mathurin Régnier (Satyre XIII):

«Ils croyent qu'on leur doit pour rien la courtoisie,
Mais c'est pour leur beau nez.»

dit la vieille courtisane à une plus jeune qu'elle veut mettre en garde contre les faiblesses de son cœur.

Signifie aussi Arriver quelque part juste à l'heure du dîner.

On dit aussi Avoir bon nez.

C'est le Nez en as de treuffle de Rabelais.

Avoir le nez de chien. Être gris,—parce qu'on ne boit pas impunément ce mélange.

On dit aussi Nez qui a coûté cher à mettre en couleur.

Nib de braise! Pas d'argent.

Se nicher. Se placer.

Bon nière. Bon vivant, bon enfant.

Mon nière bobèchon. Moi.

C'est une des formes du vieux mot français niau,—le nidasius de la basse latinité,—dont nous avons fait niais. Gniolle—qu'on devrait écrire niolle, mais que j'ai écrit comme on le prononce a la même racine.

On dit aussi Niniche.

Ils disent aussi Nix,—pour parodier le Nicht des Allemands.

Nisco braisicoto! Pas d'argent.

Faire la noce. S'amuser, dépenser son argent avec des camarades ou avec des drôlesses. 327

N'être pas à la noce. Être dans une position critique; s'ennuyer.

Ils disent aussi Nègre pour un gloria, et Négresse pour une demi-tasse.

Faire nonne. Simuler à huit ou neuf un petit rassemblement afin d'arrêter les badauds, et, les badauds arrêtés, de fouiller dans leurs poches.

Manger sur ses nonneurs. Dénoncer ses complices.

Cette expression, qui date de la guerre de sécession aux Etats-Unis est désormais dans la circulation générale.

Quelques grammairiens du bagne prétendent qu'il faut dire: Nourrir le poupon.

On dit aussi Nosigues.

L'expression est plus que centenaire, comme le prouvent ces deux vers de Vadé:

«L'sacré violon qu'avait joué faux
Voulut me d'mander des noyaux.»

O

Avoir l'œil quelque part. Y trouver à boire et à manger sans bourse délier.

Faire ou ouvrir un œil à quelqu'un. Lui faire crédit.

Crever un œil. Se voir refuser la continuation d'un crédit.

Fermer l'œil. Cesser de donner à crédit.

Quoique M. Charles Nisard s'en aille chercher jusqu'au 1er siècle de notre ère un mot grec «forgé par saint Paul» (chap. VII de l'Épître aux Éphésiens, et chap. III de l'Épître aux Colossiens), j'oserai croire que l'expression A l'œil—que ne rend pas du tout d'ailleurs l'οφθαλμοδουλεια [grec: ophthalmodouleia] de l'Apôtre des Gentils—est tout à fait moderne. Elle peut avoir des racines dans le passé, mais elle est née, sous sa forme actuelle, il n'y a pas quarante ans. Les consommateurs ont commencé par faire de l'œil aux dames de comptoir, qui ont fini par leur 330 faire l'œil: une galanterie vaut bien un dîner, madame Grégoire le savait.

On dit: Cette chose a de l'œil.

Crever l'œil à quelqu'un. Lui donner un coup de pied au derrière.

On dit aussi Ouvrir l'œil.

Faire les yeux en coulisse. Regarder amoureusement quelqu'un.

On dit aussi Officier de tango.

On remarquera que, contrairement à l'orthographe officielle, j'ai écrit ognon et non oignon. Pour deux raisons: la première, parce que le peuple prononce ainsi; la seconde, parce qu'il a raison, oignon venant du latin unio. J'ai même souvent entendu prononcer union.

On dit aussi Aux petites ognons! et même Aux petites oignes!

Cette expression et celle-ci: Aux petits oiseaux! sont les descendantes de cette autre: Aux pommes! qu'explique à merveille une historiette de Tallemant des Réaux.

Signifie aussi: Usurier, Escompteur.

L'expression tend à s'introduire dans la circulation générale: à ce titre, j'ai dû lui donner place ici. Pourquoi le peuple, qui a à sa disposition, à propos de la «plus belle moitié du genre humain», tant d'expressions brutales et cyniques, n'emploierait-il pas cette galante périphrase? Le peuple anglais dit bien depuis longtemps, à propos des demoiselles de petite vertu, les Oies de l'évêque de Winchester (The bishop of Winchester's geese).

Les Anglais disent de même: Queer bird.

On dit aussi Aux petits oiseaux!

Les ouvriers anglais disent: Jail bird (oiseau de prison).

Celle-ci appartient à T. Gautier, qui, heureusement pour lui et pour nous, a fait Émaux et Camées.

S'emploie aussi quelquefois dans un sens plus sinistre, celui de: Au cimetière, et, dans ce cas, mettre quelqu'un à l'ombre, c'est le tuer.

Omelette du sac. Autre plaisanterie de même farine qui consiste à mettre en désordre tous les objets rangés dans un havre-sac,—ce qui est une façon comme l'autre de casser les œufs et de les brouiller.

Avoir les ongles croches. Avoir des dispositions pour la tromperie—et même pour la filouterie.

Le peuple dit Orange de Limousin.

M. Prudhomme, dans un accès de galanterie, s'étant oublié jusqu'à comparer le buste d'une belle femme au classique «jardin des Hespérides», et les fruits du jardin des Hespérides étant des pommes d'or, c'est-à-dire des oranges, on devait forcément en arriver à prendre toute poitrine féminine pour un oranger.

On le dit aussi du réséda.

Mon orgue, moi.

Ton orgue, toi.

Son orgue, lui.

Leur orgue, eux.

On dit aussi Original sans copie. 334

Avoir l'os. Être riche.

C'est le ouais des paysans.

On a dit aussi Oui! les lanciers!

On le dit aussi d'un mauvais article ou d'un livre médiocre.

Il y a longtemps qu'ils parlent ainsi, frisant la gaillardise et défrisant l'orthographe. On trouve dans les Contes d'Eutrapel: «Et bien, dit-elle, soit! Ce qui est faict est faict, il n'y a point de remède, qui est outu est outu (quelques docteurs disent qu'elle adjoucta une F).»

Tomber dans l'ouvrage. Se laisser choir dans la fosse commune d'une maison.

337

P

On dit aussi Palot.

Cet adverbe oriental appartient à Théophile Dondey, plus inconnu sous le pseudonyme de Philotée O'Neddy.

Pasquelin du Rabouin. L'enfer, pays du diable.

Être page blanche en tout. Ne se mêler jamais des affaires des autres; être bon camarade et bon ouvrier.

Mauvaise paie. Débiteur de mauvaise foi.

Il faut prononcer paye, à la vieille mode. 338

Se faire crever la paillasse. Se faire tuer en duel,—ou à coups de pied dans le ventre.

On dit aussi Paillasse aux légumes.

Paillasse, s. f. Femme ou fille de mauvaise vie.

On dit aussi Paillasse de corps de garde, et Paillasse à soldats.

On dit aussi Pitre et Saltimbanque.

Signifie aussi souteneur de filles. Mais le premier sens est le plus usité, et depuis plus longtemps, comme en témoigne ce passage d'une chanson qui avait, sous la Restauration, la vogue qu'a aujourd'hui la chanson de l'Assommoir:

«Chaque soir sur le boulevard

Ma petit' femm' fait son trimar,

Mais si elle s'port' sus l'paillasson,

J'lui coup' la respiration:

Je suis poisson!»

L'expression est très ironique,et signifie toujours, dans la bouche de celui qui l'emploie, que ce rien est un obstacle sérieux.

Signifie aussi: Fleuret, Epée.

J'ai entendu aussi un voyou s'écrier, en voyant passer dans le faubourg Montmartre une de ces effrontées drôlesses qui ne savent comment dépenser l'or qu'elles ne gagnent pas: Ohé! la Dantzick.

Asinet. As tout seul.

Ils disent aussi Blanchinet.

Faire pallas. Faire beaucoup d'embarras à propos de peu de chose.

Le mot s'applique depuis aux chapeaux de paille quelconques.

On dit aussi Souricière.

Les ouvriers anglais ont la même expression: bread basket, disent-ils.

Remuer le panier aux crottes. Danser.

Se dit aussi d'un Rôle qui, quoique assez long, ne fait pas suffisamment valoir le talent d'un acteur ou la beauté d'une actrice.

Signifie aussi Perruque.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que c'est le même verbe que culotter, mais un peu plus décent,—pas beaucoup. 341

On dit aussi Pantalon garance.

Pante argoté. Imbécile parfait.

Pante arnau. Dupe qui s'aperçoit qu'on la trompe et qui renaude.

Pante désargoté. Homme difficile à tromper.

Quelques-uns des auteurs qui ont écrit sur la matière disent pantre. Francisque Michel, lui, dit pantre, et fidèle à ses habitudes, s'en va chercher un état civil à ce mot jusqu'au fond du moyen âge. Pourquoi pante ne viendrait-il pas de pantin (homme dont on fait ce qu'on veut), ou de Pantin (Paris)? Il est si naturel aux malfaiteurs des deux sexes de considérer les Parisiens comme leur proie! Si cette double étymologie ne suffisait pas, j'en ai une autre en réserve: Ponte. Le ponte est le joueur qui joue contre le banquier, et qui, à cause de cela, s'expose à payer souvent. Pourquoi pas? Dollar vient bien de thaler.

On dit aussi Pampeluche et Pantruche. «Pantin, dit Gérard de Nerval, c'est le Paris obscur. Pantruche, c'est le Paris canaille.»

Dans le goût de Pantin. Très bien, à la dernière mode.

Sert aussi de terme de comparaison péjorative.

Bête comme ma pantoufle. Très bête.

Raisonner comme une pantoufle. Très mal.

Quelques lexicographes de Clairvaux disent Panturne.

Bon-papa. Grand-père. 342

L'expression, qui a eu cours il y a une trentaine d'années, a été employée en littérature par le chansonnier Louis Festeau.

On dit aussi Papier de soie.

On dit aussi Alternante.

Il y a près de deux siècles que le mot est en circulation. On connaît le mot de madame Deshoulières à propos de mademoiselle d'Ussel, fille de Vauban: «Elle papillonne toujours, et rien ne la corrige.» Fourier n'a inventé ni le nom ni la chose.

On dit aussi Paquecin.

Avoir son paquet. Être complètement ivre.

Recevoir son paquet. Être congédié par un patron, ou abandonné par un médecin, ou extrême-onctionné par un prêtre.

Faire son paquet. Faire son testament.

Risquer le baquet. S'aventurer, oser dire ou faire quelque chose.

Faire des paquets. Médire et même calomnier.

«. . . . Li sainz Esperiz

De la seue ame s'entremete

Tant qu'en paradouse la mete,

Deux lieues outre Paradiz,

Où nus n'est povre ne maudis.»

On dit aussi En-tous-cas. Cette dernière expression, dit Vidocq,—et cela va scandaliser beaucoup de bourgeoises qui l'emploient de confiance, lui croyant une origine honnête,—cette dernière expression a été trouvée par un détenu de Bicêtre, le nommé Coco.

Détacher un paraphe. Donner un soufflet.

Les bouchers emploient la même expression lorsqu'ils viennent de faire un mouton.

On dit aussi Crème de cocu.

Plus spécialement l'endroit où se réunissent les avocats.

L'expression est d'Honoré de Balzac.

Drôle de paroissien. Homme singulier, original, qui ne vit pas comme tout le monde.

Le mot est de Charles Monselet.

Signifie aussi Témoin.

Parrain fargueur. Témoin à charge.

Parrain d'altéque. Témoin à décharge.

L'expression date de 1848, et elle appartient à Gavarni.

On dit aussi Être parti pour la gloire.

D'après Laveaux, cette expression remonterait aux bergers du Lignon, c'est-à-dire au XVIIe siècle. «On lit à chaque instant dans l'Astrée: Particulariser une dame, en faire sa particulière dame, pour lui adresser des hommages. Ces locutions ont sans doute été transmises par le Secrétaire des Amants à nos soldats, qui n'ont fait que les abréger.»

Partie carrée. Partie de plaisir à quatre, deux hommes et deux femmes.

Partie fine. Rendez-vous amoureux dans un cabinet particulier.

Être en partie fine. Être avec une dame n'importe où.

Monter une partie. Monter une pièce destinée à être jouée sur un théâtre de campagne.

Les Anglais ont une expression analogue: To read a curtain lecture (faire un cours de rideaux), disent-ils.

Quand on veut décider quelqu'un on dit: «Allons, partons du pied droit!» C'est un ressouvenir des superstitions païennes. Quand Encolpe et Ascylte se disposent à entrer dans la salle du banquet, un des nombreux esclaves de Trimalcion leur crie: Dextro pede! Dextro pede!

Donner une passade. Forcer quelqu'un à plonger en lui passant sur la tête.

Régler une passade. Indiquer le moment où les personnages doivent se ranger dans un nouvel ordre,—le numéro un se trouvant à la gauche du public.

Être gerbé à la passe. Être condamné à mort.

Maison de passe. Prostibulum d'un numéro moins gros que les autres. M. Béraud en parle à propos de la fille à parties: «Si elle se fait suivre, dit-il, par sa tournure élégante ou par un coup d'œil furtif, on la voit suivant son chemin, les yeux baissés, le maintien modeste; rien ne décèle sa vie déréglée. Elle s'arrête à la porte d'une maison ordinairement de belle apparence; là elle attend son monsieur, elle s'explique ouvertement avec lui, et, s'il entre dans ses vues, il est introduit dans un appartement élégant ou même riche, où l'on ne rencontre ordinairement que la dame de la maison».

Faire une passe. Amener un noble inconnu dans cette maison «de belle apparence».

On disait, il y a cinquante ans: Passer ou Aller au safran. Nous changeons de couleurs, mais nous ne changeons pas de mœurs.

On dit aussi Passer la main sur le ventre.

On dit aussi Défiler la parade.

Le mot est expressif: des souliers qui ont longtemps servi ont naturellement pâti, souffert,—passifs, passivus, passif.

On dit aussi Passifles.

Elle appartient à Cyrano de Bergerac, qui l'a mise dans la bouche de Mathieu Gareau, du Pédant joué.

Pastiquer la maltouze. Faire la contrebande.

Ce verbe ne s'emploie ordinairement que comme malédiction bénigne, à la troisième personne de l'indicatif:—«Que le bon Dieu vous patafiole!»

On dit aussi Gros Patapouf mais c'est un pléonasme inutile. 348

«Item à maistre Jehan Cotard

Auquel doy encore un patard...

A ceste heure je m'en advise.»

(Le Grand-Testament.)

On dit aussi Barbeau.

Faire du pâté, c'est distribuer ou remettre en casse ces lettres tombées.

Prendre sa pâtée. Déjeuner ou dîner.

Recevoir une pâtée. Être battu.

Les gens distingués disent Patito, comme à Florence.

Patoches, s. f. pl. Mains.

On dit aussi Patrouiller. Ce verbe est dans Rabelais.

Envoyer ad patres. Tuer.

Aller ad patres. Mourir.

Le coup de patte, au figuré, est plutôt un coup de langue.

Avoir de la patte. Faire des tours de force de dessin et de couleur.

Expression de l'argot des tailleurs.

Fournir des pattes. S'en aller, s'enfuir.

On dit aussi Se payer une paire de pattes, et Se tirer les pattes.

On dit aussi Prendre sa pâture.

«A cet ensemble on peut connoître

L'élégant et le petit-maître

Du Pont-aux-Choux, des Porcherons,

Où l'on roule ses paturons.»

Jouer des paturons. Se sauver.

Faire une paume. Faire un pas de clerc.

Paumer la sorbonne. Devenir fou, perdre la tête.

S'emploie au propre et au figuré.

Être paumé. Être arrêté.

Être paumé marron. Être pris en flagrant délit de tricherie, de vol ou de meurtre.

Réclame-pavé. Eloge ridicule à force d'hyperboles, qu'un ami,—ou un ennemi,—fait insérer à votre adresse dans un journal.

Avoir le gosier pavé. Manger très chaud ou boire les liqueurs les plus fortes sans sourciller.

On dit aussi Être pavillon.

Être pavois. Être gris, déraisonner à faire croire que l'on est gris.

S'endimancher, pour les faubouriens, a un double sens: il signifie d'abord mettre ses habits les plus propres; ensuite s'amuser, c'est-à-dire boire, comme ils en ont l'habitude à la fin de chaque semaine.

Se payer un homme. Avoir un caprice pour lui.

Se payer une bosse de plaisir. S'amuser beaucoup.

S'en aller dans le pays des marmottes. Mourir.

On dit aussi le Royaume des taupes.

On dit plutôt le Quartier latin.

C'est le jeu de mots latins: pellex et pellis.

On dit aussi Peau de chien.

Faire chanter ou ronfler la peau d'âne. Battre le rappel,—dans l'argot du peuple, à qui cette chanson cause toujours des frissons de plaisir.

Aller pêcher une friture dans le Styx. Mourir.

(Sermons de saint Bernard.)

Ils disent quelquefois aussi, facétieusement, Don Pédéro.

Ils disent aussi Puce d'hôpital. 352

A proprement parler, cela signifie, non qu'on n'a rien du tout à manger, mais bien qu'on n'a pas trop de quoi,—une nuance importante.

Caner la pégraine. Mourir de faim.

Ce mot est fils du précédent, comme le vice est fils de la misère—et surtout de la fainéantise (pigritia,—piger).

Pègre à marteau. Voleur de petits objets ou d'objets de peu de valeur.

Haute pègre. Voleurs de haute futaie, bien mis et reçus presque partout.

Basse pègre. Petits voleurs en blouse, qui n'exercent que sur une petite échelle et qui ne sont reçus nulle part—qu'aux Madelonnettes ou à la Roquette.

Signifie aussi: Être misérable, souffrir.

On dit aussi Coup de peigne.

Se foutre une peignée. Se battre.

C'est le verbe to pheese des Anglais.

On dit aussi Se repasser une peignée.

On écrit aussi Péquin.

Faire sa pelote. Amasser de l'argent.

Par extension, Amadouer par promesses quelqu'un dont on attend quelque chose.

On dit aussi Peloter avec quelqu'un.

On a dit autrefois Pendre aux oreilles. (V. le Tempérament, 1755.)

Mourir de la pépie. Avoir extrêmement soif.

On dit aussi Rifflard.

De l'enfant-pépin sort en effet l'homme-arbre.

Faire perdre à quelqu'un le goût du pain. Le tuer.

Autrefois on disait Perdre la tramontane, ce qui était exactement la même chose, tramontane étant une corruption de transmontane (transmontanus, ultramontain, au delà des monts, d'où nous vient la lumière).

On dit de même, en parlant d'une jeune fille vierge: Elle l'a encore. Je n'ai pas besoin d'ajouter que, dans l'un comme dans l'autre cas, il s'agit de Pucelage.

L'expression date d'Arnal et du Sergent Mathieu, sa pièce de début au théâtre du Vaudeville. Il s'était choisi, pour jouer son rôle, un bâton avec lequel il avait répété et auquel il paraissait tenir beaucoup. Malheureusement, le jour de la première représentation, au moment où il allait entrer en scène, impossible de retrouver le bâton magique! Arnal est furieux et surtout troublé; il entre en scène, il joue, mais sans verve,—et l'on siffle!

Perler sa conversation. N'employer, en parlant, que des expressions choisies—et prétentieuses.

Se dit aussi à propos d'une affaire qui ne paraît pas destinée à rapporter de gros bénéfices.

Étouffer un perroquet. Boire un verre d'absinthe.

L'expression a été employée pour la première fois en littérature par Charles Monselet.

On le dit quelquefois aussi de la Pie.

Faire une perruque. Vendre ces matériaux.

Le parti des perruques. L'École classique,—qu'on appelle aussi l'École du Bon Sens.

Du temps de Tabourot, on disait une perruquée en parlant d'une Coquette à la mode qui ajoutait de faux cheveux à ses cheveux naturels,—comme faisaient les coquettes du temps de Martial, comme font les femmes de notre temps. D'où vient cette épigramme du seigneur des Accords:

«Janneton ordinairement

Achepte ses cheveux, et jure

Qu'ils sont à elle entièrement:

Est-elle à vostre advis perjure?»

Vous devinez la réponse: Non, 356 elle n'est point «perjure» parce que ce que nous achetons est nôtre.

On dit aussi Aller au persil et Travailler dans le persil.

Francisque Michel, qui se donne tant de peine pour retrouver les parchemins de mots souvent modernes qu'il ne craint pas, malgré cela, de faire monter dans les carrosses du roi, reste muet à propos de celui-ci, pourtant digne de sa sollicitude. Il ne donne que Pesciller, prendre. En l'absence de tout renseignement officiel, me sera-t-il permis d'insinuer que le verbe Persiller pourrait bien venir de l'habitude qu'ont les filles d'exercer leur déplorable industrie dans les lieux déserts, dans les terrains vagues—où pousse le persil?

Se dit aussi du Jeune homme qui joue le rôle de Giton auprès des Encolpes de bas étage.

D'où: Faire tour-mort et demi-clef sur le pertuis aux légumes, pour: Etrangler quelqu'un.

Pessiguer une lourde. Ouvrir une porte.

Glorieux comme un pet. Extrêmement vaniteux.

Lâcher quelqu'un comme un pet. L'abandonner, le quitter précipitamment.

Faire le pet. Faire l'insolent; s'impatienter, gronder.

Il n'y a pas de pet. Il n'y a rien à faire là dedans; ou: Il n'y a pas de mal, de danger.

Se dit aussi pour Coup de pied appliqué au derrière.

«N'bats pas l'quart,
Crains l' pétard,
J'suis Bertrand l'pochard!»

dit une chanson populaire. 357

Employé pour la première fois en littérature par Bonnardot (Perruque et Noblesse, 1837).

Faire un pet à vingt ongles. Accoucher.

Signifie aussi: Manquer de parole; faire défaut au moment nécessaire.

Faire le pet plus haut que le cul, c'est ce que Henry Monnier, par un euphémisme très clair, appelle Sauter plus haut que les jambes.

Ils disent aussi Virer de bord.

Pour la rendre plus ironique, on dit: Bon petit camarade.

Ils disaient encore: l'Autre, le Petit Tondu et le Père la Violette.

Engraisser des petits cochons. Avoir plusieurs dames bloquées.

Se dit aussi à propos d'une Maîtresse.

C'est le short name des biches anglaises.

Petit père noir de quatre ans. Broc de quatre litres.

Être dans le pétrin jusqu'au cou. Être dans une misère extrême.

On dit aussi Petzouille.

Privat d'Anglemont (Paris-Anecdote) donne à ce mot la signification de Bourgeois, public. Il s'est trompé.

Se foutre du peuple. Insulter à l'opinion reçue, accréditée.

Un faubourien dit volontiers à un autre, lorsqu'il est molesté par lui ou lorsqu'il en reçoit une blague un peu trop forte: Est-ce que tu te fous du peuple?

Être peuple. Dire ou faire des choses de mauvais goût.

On dit aussi Piaillard.

Au féminin Pianoteuse.

La piaule a l'air rupin. L'appartement est bon à dévaliser.

Quelques-uns, puristes du ruisseau, disent Peausser.

Envoyer au piautre. Envoyer au diable.

Vieille expression se trouvant dans Rétif de la Bretonne.

Venir ou Tomber à pic. Arriver au moment le plus opportun.

Le slang anglais a le mot équivalent dans le même sens (peck).

Gagner son picotin. Travailler avec courage.

Déflotter la picoure. Voler le linge qui flotte sur les haies.

La picoure est fleurie. Le linge sèche sur les haies.

On dit aussi Picouse.

On dit aussi Picter et Pictancer.

Ils disent aussi Entière et Petit Monde.

On dit aussi Rôle de bœuf.

On dit aussi Pièce de résistance.

On dit aussi Double six.

L'expression a plus d'un siècle.

Faire des pieds de nez à quelqu'un. Se moquer de lui.

Avoir un pied de nez. Ne pas trouver ce qu'on cherche; recevoir de la confusion d'une chose ou d'une personne.

Et, à ce propos, qu'on me permette de rappeler le quiproquo dont les bibliophiles ont été victimes. On avait attribué à Jamet l'aîné, bibliographe, un livre en 6 vol. in-8o, intitulé: Les Pieds de mouche, ou les Nouvelles Noces de Rabelais (V. la France littéraire de 1769). Or, savez-vous, lecteur, ce que c'était que ces nouvelles noces de maître Alcofribas Nasier? C'étaient les notes—en argot de typographes, pieds de mouche—qui se trouvent dans l'édition de Rabelais de 1732, en 6 vol. pet. in-8o. Faute d'impression au premier abord, et plus tard ânerie dont eût ri François Rabelais à ventre déboutonné.

Avoir avalé le pied de Philoctète. Avoir une haleine digne du pied du fils de Pœan.

Ils disent aussi Manne.

Asphyxier le pierrot. Boire un canon de vin blanc.

Le pierrot n'est en usage que dans les faubourgs, où la propreté est une sainte que l'on ne fête pas souvent.

Les femmes légères emploient aussi ce mot,—mais dans un sens diamétralement opposé au précédent.

Aller au pieu. Aller se coucher.

Se coller dans le pieu. Se coucher.

Être en route pour le pieu. S'endormir.

L'analogie est heureuse: jamais les drôlesses n'ont été plus énergiquement caractérisées.

«On rit, on se piffe, on se gave!»
chante Vadé en ses Porcherons.

On dit aussi Piton.

Faire la pige. Se défier à jouer, à courir, etc.

Prendre sa pige. Prendre la longueur d'une page, d'une colonne.

Avoir son pigeon. Avoir fait un amant,—dans l'argot des petites dames.

Plumer un pigeon. Voler ou ruiner un homme assez candide pour croire à l'honnêteté des hommes et à celle des femmes.

On dit aussi Pigeonneau.

Le mot est vieux,—comme le vice. Sarrazin (Testament d'une fille d'amour mourante, 1768), dit à propos des amants de son héroïne, Rose Belvue:

«. . . . .De mes pigeonneaux

Conduisant l'inexpérience,

Je sus, dans le feu des désirs,

Gagner par mes supercheries

Montres, bijoux et pierreries,

Monuments de leurs repentirs.»

On dit aussi Faire la pige.

Se faire piger. Se faire arrêter, se faire battre.

Signifie aussi S'emparer de... Piger une chaise. Piger un emploi.

Piges-tu que c'est beau? C'est-à-dire: Vois-tu comme c'est beau?

On disait autrefois Epinocher.

Jouer à la pigoche. Faire sauter un sou en l'air. C'est l'enfant qui le fait sauter le plus loin qui a gagné.

Signifie aussi Battre.

Se dit également des cavaliers ou amazones novices, par suite d'exercices équestres trop prolongés.

S'emploie aussi pour signifier Médire de quelqu'un en son absence, et S'ennuyer à attendre.

Faire piler du poivre à quelqu'un. Le jeter plusieurs fois par terre, en le maniant avec aussi peu de précaution qu'un pilon.

Pilier de cabaret. Ivrogne.

Pilier d'estaminet. Culotteur de pipes.

Pilier de Cour d'assises. Qui a été souvent condamné.

Pilier de paclin. Commis voyageur.

Pilier du creux. Patron, maître du logis.

Détacher un coup de pinceau. Donner un soufflet. 365

Cela pince dur. Il fait très froid.

Pincer au demi-cercle. Arrêter quelqu'un, débiteur ou ennemi, que l'on guettait depuis longtemps.

Pincer le cancan. Le danser.

Pincer de la guitare. En jouer.

Pincer la chansonnette. Chanter.

On dit aussi pincer de la harpe.

On dit aussi Monsieur Pince-sans-rire.

Se dit surtout à propos de la Voix de certaines filles habituées à parler haut dans les soupers de garçons.

Signifie aussi Voleur.

Se mettre à la pioche. Travailler. 366

Temps de pioche. Les quinze jours qui précèdent les interrogations générales et pendant lesquels les élèves repassent soigneusement l'analyse, la géométrie et la mécanique.

Piocher son examen. Se préparer à le bien passer.

On dit aussi Aller à la pioche.

Se piocher. Se battre.

On dit plutôt Pioupiou.

«Ils dis'nt en la voyant picter:
Sa pipe enfin commence à s'culotter!»

dit une chanson qui court les rues.

Mystères de Paris d'Eugène Sue.

Chapeau-Pipelet. Chapeau de forme très évasée par le haut, comme en porte, dans le roman d'Eugène Sue, la victime de Cabrion.

Faire pipi. Meiere.

On dit aussi N'être pas piqué des hannetons.

Le mot sort du Théâtre italien de Ghérardi (les Deux Arlequins).

On dit aussi Pique-puces et Pique-prunes. Pourquoi ne dit-on pas plutôt Pique-Pouce?

Piquer l'étrangère. S'occuper d'une chose étrangère à la conversation.

Signifie aussi, par extension, Mourir.

On dit aussi, Piquer un chien.

D'où vient cette expression? S'il faut en croire M. J. Duflot, elle viendrait de l'argot des comédiens et sortirait de l'Aveugle de Montmorency, une pièce oubliée. Dans cette pièce, l'acteur qui jouait le rôle de l'aveugle, tenant à ne pas s'endormir, avait armé l'extrémité de son bâton d'une pointe de fer qui, par suite du mouvement d'appesantissement de sa main, en cas de sommeil, devait piquer son caniche placé entre ses jambes, et chaque fois que son chien grognait, c'est qu'il avait piqué son chien, c'est-à-dire qu'il s'était laissé aller au sommeil.

«Les femmes, plus mortes que vives,

De crainte de se voir captives,

Et de quelque chose de pis

De la main se battent le pis.»

dit Scarron dans son Virgile travesti.

On dit aussi Envoyer chier.

On connaît l'enfance de Gargantua, lequel «mangeoit sa fouace sans pain, crachoit au bassin, petoit de gresse, pissoit contre le soleil,» etc.

On dit aussi Faire chier des baïonnettes.

On dit aussi d'une femme qui met au monde un enfant qu'Elle pisse sa côtelette.

On dit parfois: Pisse-trois-gouttes dans quatre pots de chambre, pour désigner un homme qui produit moins de besogne qu'on ne doit raisonnablement en attendre de lui.

Le petit café situé vis-à-vis le théâtre du Palais-Royal n'est pas désigné autrement par les artistes.

Être à la pistole. Avoir une chambre à part.

On dit aussi Drôle de pistolet.

«Le beau sexe lave sa gueule
Et pitanche tout aussi sec
Que si c'étoit du Rometsec.»

On dit aussi Pictancer. 369

Par extension on donne ce nom à tout Farceur de société, à tout homme qui amuse les autres—sans être payé pour cela.

Quant ils veulent être plus clairs, ils disent: Pitre du commerce.

Pivois maquillé. Vin frelaté.

Pivois de Blanchimont. Vin blanc.

On dit aussi Pivois savonné.

Pivois citron. Vinaigre.

Avant 1830, c'était la place de Grève; sous Louis-Philippe, ç'a été la barrière Saint-Jacques; depuis une douzaine d'années, c'est devant la prison de la Roquette.

On dit aussi Placarde au quart d'œil.

A Bruxelles, en effet, une chambre seule est une place; deux chambres sont un quartier. (V. ce mot.)

Se crever le plafond. Se brûler la cervelle.

Être en plan. Rester comme otage chez un restaurateur, pendant qu'un ami est à la recherche de l'argent nécessaire à l'acquit de la note.

Laisser en plan. Abandonner, quitter brusquement quelqu'un, 370 l'oublier, après lui avoir promis de revenir.

Laisser tout en plan. Interrompre toutes ses occupations pour s'occuper d'autre chose.

Être au plan. Être en prison.

Tomber au plan. Se faire arrêter.

«Quoi tu voudrais que je grinchisse
Sans traquer de tomber au plan?»

dit une chanson publiée par le National de 1835.

Être au plan. Être consigné.

Tirer un plan. Imaginer quelque chose pour sortir d'embarras.

Il n'y a pas plan. Il n'y a pas moyen de faire telle chose.

Sans planche. Avec franchise, rondement.

Ils disent aussi Plate-forme et Atelier.

Signifie aussi Lettre, missive quelconque.

Être mis sur la planche au pain. Passer en Cour d'assises.

On dit aussi Flancher.

Balayer les planches. Jouer dans un lever de rideau; commencer le spectacle.

Brûler les planches. Cabotiner. Signifie aussi Débiter son rôle avec un entrain excessif.

Avoir fait les planches. Avoir été ouvrier avant d'avoir été patron.

Être en planque. Être prisonnier.

Signifie aussi Être en observation.

Signifie aussi Emprisonner.

C'est l'ancienne expression: Planter là quelqu'un pour reverdir, mais écourtée et plus elliptique.

Ils devraient varier leurs épigrammes. Je vais leur en indiquer une, que j'ai entendu sortir de la bouche d'un enfant que l'on interrogeait devant un Corot: «Ça, dit-il, c'est de la salade!»

»Se je vois u gaut ramé.

Jà me mengeront li lé,

Li lion et sengler

Dont il i a plenté.» (beaucoup.)

Avoir une fière platine. Parler longtemps; mentir avec assurance.

On dit aussi explétivement Plein comme un œuf et Plein comme un boudin.

On dit aussi Gros plein de soupe.

On dit aussi Demi-lune.

Pleurnicheuse. Femme qui tire son mouchoir à propos de rien. 372

S'emploie aussi adjectivement dans le même sens.

S'emploie surtout à la troisième personne de l'indicatif présent: Il pleut à verse.

Les Anglais ont à peu près la même expression: To rain cats and dogs (Pleuvoir des chiens et des chats), disent-ils. C'est l'équivalent de: Il tombe des hallebardes.

L'expression est juste, surtout prise ironiquement, le plomb (pour Cuvette en plomb) étant habitué, comme la gorge, à recevoir des liquides de toutes sortes, et la gorge, comme le plomb, s'habituant parfois à renvoyer de mauvaises odeurs.

Jeter dans le plomb. Avaler.

Mèche. Demi-heure.

Méchillon. Quart d'heure.

Plomber de la gargoine. Fetidum halitum emittere.

Avoir son plumet. Être gris.

On dit aussi Avoir son panache.

L'expression est vieille—comme 373 toutes les plaisanteries fécales.

«Et dit-on que de la plus fine
Son brun visage fut lavé?...»
(Cabinet satyrique.)

Malgré tout mon respect pour l'autorité de la parole de mes devanciers et mon admiration pour leur ingéniosité, à propos de ce mot encore, je suis forcé de les prendre à partie et de leur chercher une querelle—non d'Allemand, mais de Français. L'un, fidèle à son habitude de sortir de Paris pour trouver l'acte de naissance d'une expression toute parisienne, prend le coche et s'en va en Normandie tout le long de la Seine, où il pêche un poisson dans les entrailles duquel il trouve, non pas un anneau d'or, mais l'origine du mot pochard: des frais de voyage et d'érudition bien mal employés! L'autre, qui brûle davantage, veut qu'un pochard soit un homme «qui en a plein son sac ou sa poche». Si cette étymologie n'est pas la bonne, elle a au moins le mérite de n'être pas tirée par les cheveux. Mais, jusqu'à preuve du contraire, je croirai que l'ivrogne ayant l'habitude de se battre, de se pocher, on a dû donner tout naturellement le nom de pochards aux ivrognes.

On dit aussi Poche, au masculin, à propos d'un ivrogne.

On dit aussi Pochon.

Se pocher. Se battre, surtout à la suite d'une débauche de vin.

Le mot est d'H. de Balzac, à qui il répugnait sans doute de dire poétereau,—comme tout le monde.

Avoir de la poigne. Être très fort—et même un peu brutal.

Avoir un poil dans la main, ou tout simplement le poil. N'avoir pas envie de travailler.

Nos pères disaient d'un homme fainéant: «Il est né avec un poil dans la main, et on a oublié de le lui couper.»

Signifie aussi: Jouer un tour. Supplanter.

Autrefois on disait Faire la barbe.

Monter à poils. Monter un cheval sans selle.

Signifie aussi Créancier.

Avoir sa pointe. Être gris.

Avoir une petite pointe. Avoir bu un verre de trop.

Poisser des philippes. Dérober des pièces de cinq francs.

Vieux mot certainement dérivé de pochon, petit pot, dont on a fait peu à peu poichon, posson, puis poisson.

Être poivre. Être abominablement gris.

Se dit aussi de la barbe.

C'est poivré! C'est cher.

On dit de même: C'est salé.

C'est aussi le nom qu'on donne aux voleurs qui dévalisent les ivrognes.

«Va, poivrière de Saint-Côme,
Je me fiche de ton Jérôme.»

dit un poème de Vadé.

Avoir un polichinelle dans le tiroir. Être enceinte.

Avaler le polichinelle. Communier; recevoir l'extrême-onction.

Agacer un polichinelle sur le zinc. Boire un verre d'eau-de-vie sur le comptoir du cabaretier.

Le mot est de madame de Genlis.

Aujourd'hui on dit mieux Tournure.

Une politesse en vaut une autre. Un canon doit succéder à un autre canon.

Faire danser la polka à quelqu'un. Le battre.

L'expression, quoique injurieuse pour une nation héroïque, mérite d'être conservée, d'abord parce qu'elle est passée dans le sang de la langue parisienne, qui s'en guérira difficilement; ensuite parce qu'elle est, à ce qu'il me semble, une date, une indication historique et topographique. Ne sort-elle pas, en effet, de l'ancienne rue d'Errancis,—depuis rue du Rocher,—au haut de laquelle était le fameux cabaret-guinguette dit de la Petite-Pologne, et ce cabaret n'avait-il pas été fondé vers l'époque du démembrement de la Pologne?

Être pomaqué. Être arrêté.

L'expression a été employée pour la première fois en littérature par M. Fortuné Calmels.

Pomme de canne. Figure grotesque, physionomie bouffonne.

Bêtise pommée. Grande ou grosse bêtise.

C'est pommé! C'est réussi à souhait.

L'expression ne date pas d'aujourd'hui, puisque je trouve dans le Tempérament (1755):

«Admirez le pouvoir de ce Dieu fou pommé:
Je l'adore et je meurs si je ne suis aimé.»

On dit aussi Bath aux pommes! pour renchérir encore sur l'excellence d'une chose.

Cette expression est l'aïeule des petits ognons et autres petits oiseaux en circulation à Paris.

Pommiers en fleurs. Seins de jeune fille.

Pommier stérile. Poitrine maigre et plate.

C'est aux poètes poudrés du XVIIIe siècle que nous devons cette expression faubourienne. Ils ont comparé les seins à des pommes, rappelant à ce propos, en les interprétant à leur façon, le Jugement de Pâris sur le mont Ida et la séduction d'Adam par Eve dans le Paradis terrestre. Il était tout naturel que les pommes ainsi semées par eux produisissent un pommier. Œuf implique forcément l'idée de poule.

Dans l'argot des artistes, c'est le synonyme de Prétentieux.

Petite pompe. Retouche des pantalons et des gilets.

Grande pompe. Retouche des habits et des redingotes.

C'est le to guzzle anglais.

L'expression a des chevrons,car on la trouve dans la première édition du Grand Dictionnaire de Pierre Richelet.

Pompier d'honneur. Scie musicale, spécialement chantée le jour des élections du bureau de bienfaisance de l'Ecole, au commencement du mois de mai.

Pompière. Ouvrière qui a la même spécialité pour les petites pièces.

Dévisser le pompon à quelqu'un. 379 Lui casser la tête d'un coup de poing ou d'un coup de pied.

C'est la même expression que Dévisser le trognon.

A moi le pompon! A moi la gloire d'avoir fait ce que les autres n'ont pu faire.

Avoir le pompon de la fidélité. Être le modèle des maris ou des femmes.

Ce sont les marins qui ont imaginé le vent du ponant, poner signifiant vesser dans le vieux langage. «La vieille ponoit,» dit Rabelais.

L'expression, ainsi définie par Xavier Aubryet, est de l'argot des peintres et des gens de lettres.

Faire poncif. Travailler, peindre, écrire sans originalité.

On connaît cette anecdote: Une bonne femme était accroupie, gravement occupée à remplir le plus impérieux de tous les devoirs, car omnes cacant, etiam reges; passe le curé, elle le reconnaît, et, confuse, veut se relever pour lui faire sa révérence; mais le saint homme, l'en empêchant de la voix et de la main, lui dit en souriant: «Restez, ma mie, j'aime mieux voir la poule que l'œuf.»

Ils disent aussi Magnuce et Ponisse.

Faire le pont. Ne pas venir au bureau le samedi ou le lundi, lorsqu'il y a fête ou congé le vendredi ou le mardi.

Signifie aussi Table d'hôte.

S'insérer dans le portefeuille. Se coucher.

Ils disent aussi Porte-mince.

En faire porter. Tromper son mari. 381

On dit aussi Pousser à la peau.

On dit aussi Porter son paquet.

Le peuple—sans connaître le gulæ parens d'Horace—dit: Être porté sur sa gueule.

Dégrader le portrait. Frapper au visage.

A moi la pose! dit parfois un ouvrier, qui vient de recevoir un coup de pied, en lançant un coup de poing à son adversaire.

Signifie aussi Tirer avantage de qualités morales ou physiques qu'on a ou qu'on croit avoir.

Poser pour le torse. Passer pour un garçon bâti comme l'Antinoüs.

Poser pour la finesse. Se croire très fin, très malin.

Se poser. Faire parler de soi.

Se faire poser un gluau. Se faire mettre en prison.

«Ces postillons sont d'une maladresse!»

Ils disent aussi Cuiller à pot et Potiron roulant.

On dit aussi Pot-à-chien.

Plus spécialement Pharmacien militaire.

Être pot-au-feu. Être mesquin.

Devenir pot-au-feu. Se ranger 383 épouser un imbécile ou un myope incapable de voir les taches de libertinage que certaines femmes ont sur leur vie.

Au figuré, Faire sa petite pot-bouille. Arranger ses petites affaires dans l'intérêt de son propre bien-être.

On dit aussi Roué comme une potence.

On se souvient de la définition, par Gavarni, d'une danseuse maigre de partout, et ayant la réputation de ruiner ses amants: «Deux poteaux qui montrent la route de Clichy.»

On dit aussi Vieux potet,—même à un jeune homme.

Ne serait-ce pas une syncope d'empoté? ou une allusion à la vieille toupie qui sert de potet aux enfants?

Faire des potins. Cancaner.

Se faire du potin. Se faire du mauvais sang, s'impatienter à propos de médisance ou d'autre chose.

Prendre la poudre d'escampette. S'enfuir.

C'est ce qu'on appelait autrefois Faire escampativos.

On disait autrefois Huile blanche.

Poudre forte. Vin.

On disait autrefois Huile rouge.

Poudre fulminante. Eau-de-vie.

Poudre noire. Café noir liquide.

On dit aussi Poudrer à blanc.

Signifie aussi Banqueroute.

Quoique pouf ait l'air de venir de puff, comme la malhonnêteté vient du mensonge, ce sont des mots d'une signification bien différente, et on aurait tort de les confondre.

On dit aussi plus élégamment: Gadoûville.

Signifie aussi Econome—et même avare.

Il dit aussi Poule mouillée.

Les gueux de Londres appellent le hareng saur Yarmouth capon (chapon de Yarmouth).

Lever une poulette. «Jeter le mouchoir» à une femme, dans un bal ou ailleurs.

Gros poupard. Se dit d'un homme aux joues roses, sans barbe, ressemblant à un nourrisson de belle venue.

On dit aussi poupon. 385

On a dit autrefois poupin, comme en témoigne cette épigramme du seigneur des Accords:

«Estant popin et mignard,

Tu veus estre veu gaillard;

Mais un homme si popin

Sent proprement son badin.»

On dit aussi Cathau.

C'est la mammet des ouvriers anglais.

On dit aussi,—quand il y a lieu: Poupée à ressorts.

Armoire aux Pour-compte. C'est le carton aux ours chez les vaudevillistes.

Femme pour de vrai. Femme légitime.

Ami pour de vrai. Ami sûr.

On dit aussi Pour de bon.

Substantif bizarre,—mais substantif. J'ai entendu dire: «Donne-moi donc de ce qui se pousse.»

Les aïeux de celui-ci disaient, en parlant d'un des aïeux de celui-là: Chien courant du bourreau.

Par extension: Reproches, réprimande.

On dit mieux: Une belle poussée de bateaux!

On dit aussi: Pousser son glaire.

On dit aussi: Se pousser un courant d'air.

Une chanson populaire—moderne—consacre cette expression; je me reprocherais de ne pas la citer ici:

«Tiens! Paul s'est poussé du col!

Est-il fier, parc'qu'il promène

Sarah, dont la douce haleine

Fait tomber les mouch's au vol.»

Signifie aussi S'enfuir.

«Que de projets ma tête avorte tour à tour!
Poussons toujours ma pointe et celle de l'amour.»

dit une comédie-parade du XVIIIe siècle (le Rapatriage).

On dit aussi: Monter un bateau.

On dit aussi: Pousser une histoire.

On dit aussi simplement Poussier.

L'expression est encore employée de temps en temps.

C'est un provincialisme, maintenant naturalisé parisien.

On dit aussi le Grand pré.

Aller au pré. Être condamné aux travaux forcés.

On dit aussi: Aller faucher au pré.

On dit de même Secondes et Troisièmes, pour les voitures de 2e et de 3e classe.

On dit aussi: Prendre du souffleur.

On dit aussi: Prendre des gants.

Quitter le collier de misère. Avoir fini sa journée et sa besogne et s'en retourner chez soi.

Il n'y a pas de presse. Il n'est pas nécessaire de faire cela,—du moins pour le moment. Cela ne presse pas.

Princesse. Galeuse.

On dit aussi Princesse du trottoir.

Théophile Gautier a le premier 390 employé cette expression, qu'emploient depuis longtemps les médecins zagorites: το μπουρνο [grec: to mpourno].

Être propre: pour lui, est l'équivalent de: Être dans de beaux draps.

On dit aussi Milord protecteur.

Les actrices disent Bienfaiteur.

Filer le cable de proue. Alvum deponere.

Se dit aussi—dans le même argot—des sacrifices faits au dieu Crépitus. C'est une onomatopée.

Un chroniqueur parisien, M. Jules Maillot, plus inconnu sous le nom de Jules Richard, s'est rendu coupable d'une phrase de la même famille: «Il ne faut pas traiter sérieusement les choses qui ne le sont pas,» a-t-il dit très sérieusement dans le Figaro du 7 décembre 1865.

Le mot a des chevrons. Un jour, Sully, accourant pour prévenir Henri IV des manœuvres de l'ennemi, le trouve en train de secouer un beau prunier de damas blanc: «Pardieu! Sire! lui cria-t-il du plus loin qu'il l'aperçut, nous venons de voir passer des gens qui semblent avoir dessein de vous préparer 391 une collection de bien autres prunes que celles-ci, et un peu plus dures à digérer.»

On dit aussi Pruneau.

Gober la prune. Recevoir une blessure mortelle.

Avoir sa prune. Être saoul.

Poser un pruneau. Levare ventris onus.

Boucher ses pruneaux. Dormir.

On connaît la chanson:

«Le général Kléber,

A la barrièr' d'Enfer,

Rencontra un Prussien

Qui lui montra le sien.»

C'est à tort qu'un étymologiste va chercher à ce mot, jusque chez les Zingaris, une étymologie—toute moderne.

Les marchandes emploient la même expression pour dire qu'elles n'ont pas étrenné, qu'on ne leur a encore rien acheté de la journée.

Vient du verbe anglais to puff, bouffer, boursoufler, faire mousser.

Les Français vont assez bien dans cette voie; mais ils ne sont pas encore allés aussi loin que les Anglais, et surtout les Américains. parmi lesquels il faut citer M. Barnum, le prince de la blague (prince of humbug).

Encore une punaise dans le beurre! Encore une drôlesse qui du trottoir passe sur les planches d'un petit théâtre pour y faire des hommes plus respectables,—comme argent.

Cette expression sort du théâtre du Petit Lazari. On jouait une pièce à poudre (une pièce à poudre à Lazari!). la soubrette entre en scène, va droit à une armoire, l'ouvre et recule en s'écriant: «Madame la marquise! encore une punaise dans le beurre!» L'auteur de la pièce, qui n'avait pas écrit cette phrase, fut très étonné; mais le public, habitué aux choses abracadabrantes, ne fut pas étonné du tout. C'était une interpolation soufflée dans la coulisse par Pelletier, un acteur affectionné des titis.

Tabourot a donné ce nom a une de ses victimes.

Faire de la purée de marrons. Appliquer un vigoureux coup de poing en pleine figure.

L'expression est vieille, comme la légèreté du sexe féminin. Il n'est peut-être pas un seul poète français—un ancien—qui ne s'en soit servi.

Putain comme chausson. Extrêmement débauchée.

On dit aussi en parlant d'un Homme dont l'amitié est banale: C'est une putain.

Avoir la main putain. Donner des poignées de main à tout le monde, même à des inconnus.

Champfleury, à qui l'on doit quelques néologismes malheureux, a écrit putipharder.

394

395

Q

On dit aussi Quand les poules auront des dents.

Il y a aussi des cinquièmes, des sixièmeset même des dixièmes d'agent de change.

Se dit aussi de l'habit noir de ce fonctionnaire.

L'expression est récente. Elle sort du théâtre des Folies-Marigny, aux Champs-Elysées, où l'on a joué je ne sais quelle revue-féerie où paraissaient beaucoup de femmes chargées de représenter, celles-ci des légumes, et celles-là des poissons,—crustacés ou non. Vous avez compris?

Fichuou Foutu comme quatre sous. Mal habillé.

Vendre le quatre-vingt-dix. Révéler le secret.

Avoir quelqu'un quelque part. En être importuné,—en avoir plein le dos.

Se croire un quelqu'un. S'imaginer qu'on a de la valeur, de l'importance.

Faire son quelqu'un. Prendre des airs suffisants. Faire ses embarras.

Ils les appellent aussi Louloutes.

Faire sa queue. Tromper.

Faire une queue. Redevoir quelque chose sur une note, qui arrive ainsi à ne jamais être payée, parce que, de report en report, cette queue s'allonge, s'allonge, s'allonge, et finit par devenir elle-même une note formidable.

Signifie aussi Homme qui se fait le bouffon des autres, sans être payé par eux.

Un échantillon de ce systèmede coquesigruïtés, que l'on pourrait croire moderne et qui est plus que centenaire, sera peut-être plus clair que ma définition. Quelqu'un dit, à propos de quelque chose: «Je la trouve bonne.» Aussitôt un loustic ajoute d'enfant, puis un autre ticide, puis d'autres de Normandie,—t-ontaineton tonmarinéen trompettetitionau Sénateur de sanglierpar la pattehologieberneen Suisseessevous que je vois, etc., etc., etc. Lesquelles coquesigruïtés, prises isolément, donnent: Bonne d'enfant,—infanticide,—cidre de Normandie,—dit-on,—ton taine ton ton,—thon mariné,—nez en trompette,—pétition au Sénat,—hure de sanglier, etc.

Belle paire de quinquets. Yeux émerillonnés.

Allumer ses quinquets. Regarder avec attention.

Éteindre les quinquets. Crever les yeux.

Avoir quinte-et-quatorze. N'avoir pas su écarter la dame de cœur,—ou plutôt la dame de pique.

R

On dit aussi Père Rabat-joie.

On dit aussi Rabiautage.

On dit aussi Surcroît de punition.

Je ne sais pas d'où vient rabiau, mais rabiauter vient certainement de rebibere (boire de nouveau).

Se rabibocher. Se réconcilier.

On dit aussi Rembarrer.

C'est le tag-rag des Anglais.

On disait autrefois Raccourcir d'un pied, ce qui est une longueur de tête.

On dit aussi Rogner.

On dit aussi Rafler.

C'est Aurélien Scholl qui a employé le premier cette expression: je lui en laisse la responsabilité.

Signifie aussi Boutique.

Être sur le radeau de la Méduse. N'avoir pas d'argent.

Friser le radin. Le débarrasser de sa montre.

N'avoir pas un radis: Être tout à fait pauvre.

On dit aussi: Passer au grand radoub.

Ne faudrait-il pas dire plutôt affalé? Je crois que oui. Les marins, voulant peindre le même état d'ennui, d'embarras, de misère, disent au figuré Être affalé sur la côte,—ce qui est, en somme, être à la côte.

Cette expression est empruntée au vocabulaire des marins, qui appellent ainsi tout Bâtiment léger.

On dit aussi: Se rafraîchir d'un coup de sabre.

On dit aussi Ragonner.

S'emploie souvent en mauvaise part:

«J'aurois un beau teston pour juger d'une urine,
Et, me prenant au nez, loucher dans un bassin
Des ragousts qu'un malade offre à son médecin,»

dit Mathurin Régnier en sa satire la Poésie toujours pauvre.

Faire des ragoûts. Éveiller des soupçons.

Vieillard ragoûtant. Qui est propre,—et surtout sans infirmités.

Femme ragoûtante. Qui excite l'appétit des amoureux.

On dit aussi Rude.

Se dit à propos d'un Mot scabreux, d'une anecdote croustilleuse.

La trouver raide. Être étonné ou offensé de quelque chose.

On dit aussi Raide comme la Justice.

On dit aussi Raidir l'ergot, ou les ergots.

Parler en rama. Ajouter rama à toutes les phrases.

Se faire ramasser. Se faire arrêter.

Se ramicher. Se dit des amants qui se reprennent après s'être quittés.

Se dit aussi pour: Théâtre, scène, coulisses.

Princesse de la rampe. Actrice.

Se brûler à la rampe. Jouer pour soi,—s'approcher trop près du public, sans s'occuper des autres acteurs en scène. 404

Rampeau! Coup nul,—dans l'argot des enfants, lorsqu'ils jouent aux billes ou à la balle.

Les vieux joueurs de boule emploient la même expression à propos du second coup d'une partie en deux coups de boule.

L'expression date évidemment du fameux Ramponneau, le cabaretier de la Courtille.

On dit aussi et mieux Rappliquer.

On disait il y a cent ans: Faire la barbe.

Rasoir anglais. Le plus ennuyeux,—les rasoirs qui viennent de Londres ayant la réputation d'être les plus coupants du monde.

On dit aussi Raseur.

Passer sous le rasoir national. Être exécuté.

On dit aussi Raton.

Courir le rat. Voler la nuit 405 dans une auberge ou dans un hôtel garni.

Autrefois, Avoir des rats c'était «avoir l'esprit folâtre, bouffon, étourdi, escarbillard, farceur et polisson».

Rat de ponts. Celui qui, après son examen de sortie, est exclu par son rang des Ponts-et-Chaussées.

Rat de soupe. Celui qui arrive trop tard au réfectoire.

Le mot date de la Restauration, quoique quelques personnes—mal informées—lui aient donné, comme date, 1842, et comme père, Nestor Roqueplan.

On dit aussi Anisette de barbillon et Bourgogne de cheval.

Rater une femme. Ne pouvoir réussir à s'en faire aimer après l'avoir couchée en joue.

Serpillière de ratichon. Soutane de prêtre.

On dit aussi Rasé ou Rasi.

Se faire ratisser. Se laisser duper, ou voler, ou gagner au jeu. 406

On n'emploie guère ce verbe qu'à la première et à la troisième personne de l'indicatif présent.

Les ruisseaux de Paris avaient aussi, il y a une vingtaine d'années, leurs ravageurs, pauvres diables à l'affût de toutes les ferrailles que charriait la pluie.

Le mot date de 1848.

On dit aussi Mademoiselle Rébecca. (Rien de la Bible.)

Rebonneter pour l'af. Flatter ironiquement.

A signifié autrefois, dans le langage des honnêtes gens: Déniaiser quelqu'un; jouer un tour, faire une fourberie.

Le verbe est désormais consacré pour eux par la chanson de l'Assommoir (o lepida cantio!) où l'on dit:

«Faut pas blaguer, le treppe est batte;

Dans c'taudion i' s'trouv' des rupins.

Si queuq's gonziers train'nt la savate,

J'en ai r'bouisé qu'ont d's escarpins.»

«Mon rival, j'en suis convaincu,
Va recevoir la pelle au cul!»

dit une chanson du temps de l'Empire.

Signifie aussi: Vieux vaudeville, vieille plaisanterie, etc.

On dit aussi Faire la conduite.

Payer recta. Payer jusqu'au dernier sou.

C'est l'adverbe latin détourné de son sens.

Se faire récurer. Se faire traiter à l'hôpital du Midi.

Chevalier de la Redresse. Industriel qui carotte le vivre et le couvert à tout gobe-mouches disposé à écouter ses histoires.

Signifie aussi: Regagner au jeu après s'y être ruiné.

Refaite du mattois. Déjeuner.

Refaite de jorne. Dîner.

Refaite de sorgue. Souper.

Refaite de côni. Extrême-onction, ou, plus cyniquement, la nourriture que prend le condamné à mort avant son exécution.

Refouler au travail. Fêter la Saint-Lundi. 409

L'expression n'est pas de Jules Vallès,—comme on serait excusable de le croire, d'après l'intéressant ouvrage qui porte ce mot pour titre, attendu que voilà une quinzaine d'années qu'on appelle Camp des réfractaires un petit café borgne de la rue Vavin, hanté par des rapins littéraires et artistiques. De même, le garni situé à quelques pas de là est appelé par ses hôtes l'Hôtel des réfractaires, les chambres ressemblant, paraît-il, à des casemates.

A la régalade. Boire en renversant la tête en arrière et en élevant la bouteille de façon que les lèvres ne touchent pas celle-ci.

Être régence. Se donner des airs de roué.

Souper régence. Souper où les femmes légères sont spécialement admises.

C'est le pendant de Sage comme une image.

Faire du regout. Être arrêté.

On dit aussi Être à la relève.

On dit aussi Se relicher le morviau.

Signifie aussi Jour.

Signifie aussi: Faire les yeux doux.

Signifie aussi Regarder.

On dit aussi Remercier son boulanger.

Signifie aussi, par extension, Mourir.

Les Italiens disent rimorchiare, donner des regards pour allécher.

Signifie aussi: Crier après quelqu'un, gronder, murmurer.

Piquer un renard. Vomir.

Du temps de Rabelais et d'Agrippa d'Aubigné, on disait Ecorcher le renard.

Les Anglais ont une expression analogue: to shoot the cat (décharger le chat).

Signifie aussi: Danger, péril.

C'est le verbe arnauder de la langue romane.

Renauder signifie aussi Se plaindre.

Au figuré, Mourir,—rendre son âme au Grêle d'en haut. 412

Signifie aussi: Rendre le bien pour le mal; agir avec générosité envers des gens qui ont montré de la parcimonie.

Signifie aussi, par extension, Mourir.

Rengraciez! Taisez-vous! faites silence!

Signifie aussi, au figuré: Pressentir, deviner, avoir soupçon de...

Il faudrait n'avoir pas été enfant pour ne pas se rappeler le maternel:

«Renifle, Pierrot,
Y a du beurre au pot.»

Prendre un renseignement. S'arrêter au cabaret.

L'expression est âgée de plus d'un siècle. Elle signifie aussi Mourir.

On dit aussi Cafetiau.

Repasser une taloche. Donner un soufflet.

On dit aussi Aller à la répétition.

Signifie aussi: Revenir à la charge; retourner à une chose.

Repiquer sur le rôti. En demander une nouvelle tranche.

Envoyer la réplique. Prononcer ces derniers mots de façon à appeler l'attention de l'acteur qui doit reprendre le dialogue.

On dit aussi Repousser du corridor.

On l'appelle aussi Macaron.

Signifie aussi: Rester seul, être abandonné de ses compagnons.

On dit aussi C'est de la troisième ou de la quatrième resucée.

Aller à la retape. Raccrocher.

On dit aussi Faire la retape.

Chevalier de la Retourne. Joueur passionné—jusqu'à en être grec.

On dit aussi Rendre son tablier et Retourner son paletot.

Faire ou dire une chose comme en revenant de Pontoise. La dire ou la faire mal, gauchement, niaisement.

C'est une expression de l'argot du peuple parisien, qui appartient également à l'argot du peuple napolitain: Il revescio de la medaglia, disent les fils de Mazaniello.

On disait autrefois Rhume ecclésiastique.

Être en ribote. Être ivre.

Francisque Michel a raison: on devrait dire Rebouis, ce mot venant de l'opération par laquelle le cordonnier communique du lustre à une semelle en donnant le bouis. Le rebouis donne un second bouis, ou second lustre, aux chaussures avariées par l'usage.

Payer ric-à-ric. Par acompte.

Autrefois cela signifiait au contraire, Payer rigoureusement, jusqu'au dernier sou.

S'emploie ordinairement en mauvaise part et avec la négative.

Ce n'est pas riche! Ce n'est pas honnête, ce n'est pas bien.

C'est, me semble-t-il, le luculentus des Latins: hæreditas luculenta, riche succession, dit Plaute; luculentus scriptor, excellent écrivain, dit Cicéron.

Montrer son ivoire. Montrer ses dents.

Les ouvriers anglais ont la même expression: Flash his ivory.

On dit de même d'un Fanfaron qu'il est brave en peinture.

Les ouvriers anglais disent de même Red-lattice, parce que chez eux c'est le treillage extérieur du cabaret qui est peint en rouge.

On dit de même Mouchoir de Perse, chemise de Perse, etc.

Ainsi, ils disent: Il n'a rien l'air de... pour: Il a extrêmement l'air de... Il n'est rien paf, pour: Il est très gris. Ce n'est rien mauvais, pour: On ne saurait imaginer chose plus détestable, etc.

Une autre négation, sœur de celle-ci, et valant comme elle une affirmation, c'est n'être pas. Ainsi: Tu n'es pas blagueur! signifie: «Comme tu es menteur!»

En un rien de temps. En très peu de temps.

Rien de rien. Moins que rien.

Ce mot date de Picard et de sa Petite Ville, comédie dans laquelle il y a un personnage nommé Rifflard, qui ne marche qu'escorté d'un parapluie.

On dit aussi Riffauder.

Signifie aussi: Passer tout près; effleurer.

Coup de rigolade. Chanson.

Ici encore se pose l'éternelle question: Quel est le premier né de l'œuf ou de la poule? Est-ce mademoiselle Marguerite la Huguenote—plus généralement oubliée aujourd'hui sous le nom de Rigolboche—qui a donné naissance à ce substantif, ou est-ce ce substantif qu'on a décerné comme un brevet à cette aimable bastringueuse? J'inclinerais volontiers à admettre cette dernière hypothèse. La foule se laisse parfois imposer certains noms, mais elle a pour habitude d'en inventer. Quant aux Mémoires de mademoiselle Marguerite, où elle prétend que c'est elle qui a créé le mot en question, il me suffit que ce soient des Mémoires pour que je ne leur accorde pas la moindre créance.

Un vieux mot de notre vieille langue, que beaucoup de personnes, j'en suis sûr, s'imaginent né d'hier. Un hier qui a six cents ans! Les gens du monde croiraient parler argot en employant ce mot employé par Jean de Meung, par Rabelais, par l'auteur de la Farce de Maistre Pathelin et par d'autres écrivains qui font autorité.

Rigolo-pain-de-seigle ou pain-de-sucre. Extrêmement amusant.

On dit aussi d'une chose: C'est rigolo, pour signifier: c'est plaisant, c'est drôle.

Signifie aussi Gagner quelqu'un au jeu.

On dit aussi Se rincer le fusil.

Se faire rincer la dalle. Accepter à boire sans offrir la réciproque.

On dit aussi Rincer la dent, ou le bec, ou le fusil, ou le tube, ou la gargote, ou la corne.

Être en riole. Être en train de s'amuser, être gris.

Se mettre en riole. Se griser.

En wallon. Être en riolle ou riotte, c'est Se quereller.

Se dit aussi à propos de Toute chose médiocre ou mal faite.

Ce mot a été autrefois masculin, 419 et tantôt substantif et tantôt adjectif: Du ripopé, du café ripopé.

Avoir l'air riquiqui. Être ridiculement habillée, ou n'être pas habillée à la dernière mode.

Je ne suis pas bien sûr que ce mot ainsi employé ne soit pas une contrefaçon de Rococo.

Faire des risettes. Faire des avances aimables.

On dit aussi Pépin.

Se prend aussi en bonne part.

Pendule rococo. Pendule Louis XV ou faite sur le modèle de cette époque. 420

Tentures rococo. Etoffes en vieille perse à ramages.

Voix de Rogome. Voix éraillée par l'ivrognerie.

Fort romancier. Premier chanteur de romances d'un café-concert.

Forte romancière. Grosse femme qui chante avec efforts, et très mal, de petites choses sentimentales, très faciles à chanter.

On dit aussi Romamitchel, Romanitchel, Romonichel et Romunichel. Suivant le colonel Harriot, «Romnichal est le nom que portent les hommes de cette race en Angleterre, en Espagne et en Bohême, et Romne-chal, Romaniche, est celui par lequel on désigne les femmes».

On dit aussi Rotin.

Rond comme une futaille. Ivre mort.

On dit aussi Rond comme une pomme.

On dit aussi Rondin.

On dit aussi Se dérondiner.

Rondin jaune servi. Or volé, caché par son voleur.

On dit aussi Faire ronfler le bourrelet.

Il n'est rien rosse! Se dit pour: Est-il canaille!

Marchandise qui n'est pas de bonne défaite,—dans l'argot des boutiquiers.

Ils disent aussi «Le patient animal qui...,» etc.

Avoir rôti le balai. Se dit d'une fille qui a eu de nombreuses aventures galantes, par allusion aux chevauchées sabbatiques des sorcières.

Coller du rototo. Battre quelqu'un.

Si ce mot vient de quelque part, c'est du XVe siècle et de ribleux, qui signifiait Homme de mauvaise vie, vagabond, coureur d'aventures.

Signifie aussi: Pauvreté, gêne, misère.

Les Anglais ont la même expression: A hind-coach-wheel, disent-ils à propos d'une pièce de cinq shillings (une couronne).

Les Anglais disent A fore-coach-wheel pour une demi-couronne.

On dit Mousse.

Donner une roulance. Faire ce bruit, qui est tantôt une moquerie, tantôt une marque de sympathie.

Roulant vif. Chemin de fer.

Signifie aussi: Tromper, agir malignement.

Ne s'emploie guère qu'à la troisième personne de l'indicatif présent: cela roule. C'est l'équivalent de: Cela boulotte.

Se faire rouler. Avoir le dessous dans une affaire, dans une discussion.

On dit aussi Rouler sa bosse.

Grinchir une roulotte en salade. Voler sur une voiture.

Signifie aussi Avoir continuellement une roupie au nez.

On l'appelle aussi Bénévole.

On dit aussi Roussin.

Rousse à l'arnache. Agent de police de sûreté, qui reçoit unegratification proportionnée à l'utilité des renseignements qu'il donne ou à l'importance des captures qu'il fait faire.

Se dit aussi d'un Cheval qui fait en marchant de fréquents sacrifices au dieu Crépitus.

Signifie aussi Dévaliser.

Partir pour le royaume des taupes. Mourir.

On dit aussi Rio.

L'expression coule de source: ρεω [grec: reô].

«Or beuvez fort tant que rû peut courir,
Ne reffusez, chassant ceste douleur,
Sans empirer un povre secourir,»

dit François Villon à sa maîtresse.

On dit aussi Rue où l'on pave.

A en croire Léo Lespès, cette dernière expression serait due au duc d'Abrantès, fils de la duchesse d'Abrantès, et viveur célèbre.

L'expression appartient à M. Philoxène Boyer,—à qui on fera bien de ne pas la voler.

Existence ruolzée. Vie factice, composée de fêtes bruyantes, de soupers galants, d'amis d'emprunt et de femmes d'occasion, mais dont le bonheur est absent.

Jeunesse ruolzée. C'est notre Jeunesse dorée, et elle vaut moins, quoiqu'elle soit aussi corrompue.

Francisque Michel fait venir ce mot du bohémien anglais rup et de l'indoustan rupa, argent,—d'où roupie. Pendant qu'il y était, pourquoi n'a-t-il pas fait descendre ce mot d'un rocher (rupes) ou d'une falaise (rupina) quelconque?

On dit aussi Rupart.

«Le rupin même a l'trac de la famine.
Nous la bravons tous les jours, Dieu merci!»

dit la chanson trop connue de M. Dumoulin.

On dit aussi Rupiné.

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S

Sable jaune. Poivre.

Signifie aussi Mauvais violon.

Aller au sabot. S'embarquer.

Signifie aussi: Travailler sans soin, faire de la mauvaise besogne.

L'expression a des chevrons:

«De ton épé' tranchante

Perce mon tendre cœur,

Saboule ton amante,

Ou rends-lui son honneur,»

dit Vadé dans sa chanson des Gardes françaises.

Signifie aussi Mauvais ouvrier, bousilleur.

On dit aussi Sabrenauder.

Avoir le sac. Être riche, ou seulement avoir de l'argent.

Homme au sac. Homme qui vient d'hériter.

Avoir son sac. Être renvoyé d'un atelier.

Donner son sac. Remercier un patron.

N'avoir rien dans son sac. N'avoir pas de ressources d'esprit; être sans imagination, sans talent.

Avoir une mauvaise pierre dans son sac. Ne pas jouir d'une bonne santé, être atteint de mélancolie ou de maladie grave.

Cette expression devrait se chanter, comme cette autre, de la même famille:

«Ell' n'est pas mal
Pour foutr' dans l'canal.»

C'est le guzzler anglais.

Se dit aussi à propos d'une Femme enceinte.

On dit aussi Donner le sac.

Sacquer un bœuf. Renvoyer un ouvrier,—dans l'argot des tailleurs.

On dit aussi Sacré chien tout pur.

Avoir le sacré chien. Jouer d'inspiration et avec succès. Peindre avec emportement.

Offrir le sacrement. Se proposer comme mari, courtiser une fille pour le bon motif.

Il dit aussi Cristi!

Les bourgeois, eux, disent Sapristi!—ce qui les éloigne un peu de l'étymologie (sacrarium.)

Accommoder au safran. Tromper son mari en faveur d'un autre homme, ou sa femme en faveur d'une autre.

On dit aussi Vouer au jaune.

Vilain sagouin. Pléonasme que les femmes du peuple adressent volontiers à un nomme qui leur débite des gaudrioles et des plaisanteries grasses, dont elles ne se fâchent pas le moins du monde.

On dit aussi Faire ou Pratiquer une saignée.

Saigner à blanc. Abuser de la bonté des gens à qui on emprunte.

On dit aussi Faire une saignée blanche.

Se saigner à blanc. S'épuiser pour fournir aux dépenses d'un enfant ou d'une maîtresse.

Amen!

Les ouvriers anglais disent de même: to sham abram (jouer l'innocence patriarcale, feindre la pudeur révoltée).

Cette expression s'est employée jadis en parlant d'un Homme timide, mou, irrésolu, en amour comme en autre chose:

«Il estoit ferme de roignons. Non comme ces petits mignons Qui font la Saincte Nitouche,»

dit Mathurin Régnier.

Faire le Saint-Jean. Lever l'index et le médium pour avertir un complice.

Emporter son Saint-Jean. S'en aller d'une imprimerie en emportant composteur, pinces, etc.

Fêter la Saint-Lundi. Se griser—et même se soûler.

Faire une saison. Rester une vingtaine de jours à Vichy ou toute autre station thermale, et y prendre des bains minéraux.

A signifié autrefois, plus spécialement, Corde de pendu.

Sale intérêt. Intérêt sordide.

Sale monsieur. Individu d'une moralité équivoque ou d'un caractère insociable.

Sale pâtissier. Homme qui n'est ni sale ni pâtissier, mais dont, en revanche, la réputation aurait grand besoin d'une lessive.

On dit aussi Sale bête.

Morceau de salé. Acompte.

Se dit aussi, par une analogie facile à saisir, d'un Enfant venu avant le mariage.

Les ouvriers anglais disent: to work for the dead horse (travailler pour le cheval mort).

Saler une note. En exagérer les prix.

On dit aussi Répandre la salière dessus.

Faire des saletés. Faire des tours de coquin, d'escroc. 432

Montrer ses salières. Se dit d'une Femme maigre qui se décollète trop.

Ils disaient autrefois Crolle.

N'avoir plus de chaises dans sa salle à manger. N'avoir plus de dents.

Le mot est de création récente.

Dire des saloperies. Employer un langage ordurier.

Faire des saloperies. Se conduire en goujat.

Au féminin, Salopiaude.

On dit aussi Sauter.

Se sangsurer. Se ruiner pour élever un enfant ou pour entretenir une drôlesse.

Le mot est de Camille Desmoulins.

On dit aussi Sans-culottisme.

Taper dans le sap. Être mort et enterré,—dormir du dernier somme.

M. Louis Festeau, qui a chanté tout, a naturellement consacré quelques loisirs de sa muse au Sap:

«Avant d'être mis dans le sap,
Vous voulez, orné de lunettes,
Me décalquer de pied en cap.»

D'où la fameuse chanson à la mode:

«Rien n'est sa..a..cré pour un sapeur!»

Sentir le sapin. Être atteint d'une maladie mortelle.

Sapin de muron. Grenier à sel.

Sapin des cornants. La terre,—plancher des vaches.

Le vieux français avait Saquer, tirer l'épée.

Sardines blanches. Galons de gendarme, ou d'infirmier militaire.

On dit aussi Faux frère.

Signifie aussi Bâton.

Gare à la sauce! Prenez garde à ce qui va arriver de fâcheux.

Gober la sauce! Être puni pour les autres; recevoir la correction, la réprimande méritée par d'autres.

On dit aussi Être rincé et Être trempé.

On disait autrefois Faire la sauce à quelqu'un.

On dit aussi Faire un saute-mouton ou Jouer à saute-mouton.

D'où Faire sauter la coupe au jeu.

Sauter à la capahut. Assassiner un complice pour lui enlever son fade.

C'est un des plus heureux qu'on ait inventés jusqu'ici pour désigner ces femmes maigres qui s'abattent chaque jour, par nuées, sur les boulevards, dont elles sont la plaie.

Signifie aussi Faire banqueroute à la vertu,—en parlant d'une jeune fille qui se laisse séduire.

On dit aussi La sauter.

Se dit aussi de tout Homme sans consistance, sans parole, sur lequel on ne peut pas compter.

On dit aussi Sauvinette.

(V. Chausson.)

On dit aussi Saveter.

Foutre un savon. Gronder, objurguer quelqu'un. 436

On dit de même, à propos de toutes les consommations: Faire ou jouer la scène du cigare, du café, de la canette, etc.

Encore un mot allemand,—schlagen.

Ils disent aussi Faire schloff.

On dit aussi Schnaps.

Porter sa scie. Se promener avec sa femme au bras.

Le chef-d'œuvre du genre, c'est:

«Il était quatre jeunes gens du quartier,

Eh! eh! eh! eh!

Ils étaient tous les six malades,

Ade! ade! ade! ade!

On les mit tous sept dans un lit,

Hi! hi! hi! hi!

Ils demandèrent du bouillon,

On! on! on! on!

Qui n'était ni salé ni bon,

On! on! on! on!

C'est l'ordinair' de la maison,

On! on! on! on!

Ça commence à vous embêter,

Eh! eh! eh! eh!

Et bien je vais recommencer,

Eh! eh! eh! eh!»

Et l'on recommence en effet jusqu'àce que l'importun que l'on scie ainsi comprenne et s'en aille.

Faire ou Monter une scie. Imaginer une mystification contre quelqu'un.

On dit aussi Scier le dos.

On dit aussi, mais moins: Fruit sec.

On dit aussi Secouer les puces.

On dit aussi: La semaine des quatre jeudis, trois jours après jamais.

Signifie aussi: Le renverser, le jeter à terre d'un coup de poing ou d'un coup de pied.

Poser une sentinelle. Alvum deponere.

Ne pas pouvoir sentir quelqu'un. Avoir répugnance à le rencontrer, 438 à lui parler, le haïr enfin.

On dit aussi Avoir dans le nez.

Cela sent mauvais est une phrase de la même famille que Le torchon brûle.

Signifie aussi: Gens ou choses qui font suite à quelqu'un ou à quelque chose.

Toute la séquelle. Tous les membres de la famille, et surtout les enfants.

Homme sérieux. Qui ne refuse rien aux femmes qui ne refusent rien aux hommes—riches.

Souper sérieux. Où rien ne manque de ce qui doit en faire l'attrait: vins exquis, chère non-pareille, femmes charmantes, hommes d'esprit, etc.

Le peuple emploie aussi cet adjectif dans l'acception de Copieux: un beefsteak sérieux, un dessert sérieux, etc.

S'est dit aussi, à une certaine époque du règne de Louis-Philippe, des compagnies de voltigeurs de la garde nationale qui avaient des parements jaunes, des passe-poils jaunes, des torsades jaunes, tout jaune, au point qu'en les passant un jour en revue dans la cour des Tuileries, et les voyant se débander, le maréchal Lobau s'écria: «Fermez donc les grilles, mes serins vont s'envoler!»

Chanter comme une seringue. Chanter très mal.

On dit aussi Anguille.

On dit aussi Serpillière à ratichon.

Signifie aussi Avare.

Servir de belle. Dénoncer à faux.

Vidocq, lorsqu'il était chef de la police de sûreté, avait l'habitude de dire tranquillement au malfaiteur pris dans une souricière, ou ailleurs: «Monsieur, vous êtes servi!...»»

On dit aussi Sésigue et Sésingard.

Ami du sexe. Homme de complexion amoureuse.

Orpheline. Cigarette presque fumée. 440

«Lorsque je tiens une lampée
Pleine de vin, le long de la journée,
Je siffle autant que trois.»

Avoir tout sifflé. Être ruiné.

S'affûter le sifflet. Boire.

On dit aussi Se rincer le sifflet.

Couper le sifflet à quelqu'un. Le forcer à se taire, soit en lui coupant le cou, ce qui est un moyen extrême, soit en lui prouvant éloquemment qu'il a tort de parler, ce qui vaut mieux.

Aller chez Simon. Aller «où le roi va à pied»,—dans l'argot des bourgeoises.

Les Anglais ont la même expression: Flat, plat,—nigaud.

Quelques lexicographes de la rue affirment qu'on écrit et prononce sinvre.

Affranchir un sinve. Faire d'un 441 paresseux un voleur, ou d'un débauché un escarpe.

Avoir un coup de sirop de trop. Être ivre.

Signifie aussi Boire à petits coups.

Brûler des six. N'employer que ces chandelles-là.

Se dit depuis la prise de la smala d'Abd-el-Kader par le duc d'Aumale.

Le signe de détresse que font entre eux les membres de la Société du faux col consiste à passer le doigt sur le col de la chemise.

Cette société s'appelle aussi la Société du rachat des captifs.

On dit aussi: Nos sœurs du peuple, pour désigner certaines victimes cloîtrées, qui ne se plaignent pas de l'être. Au xvie siècle, on disait: Nos cousines. 442

Sœur se trouve, avec cette dernière acception, dans le Dictionnaire de Leroux.

On dit aussi Soiffeur.

Signifie aussi elliptiquement. Correction violente,—pile donnée avec soin.

Cette ellipse est à la mode depuis quelque temps dans les cafés des boulevards.

Dans les Joyeuses Commères de Windsor, Shakespeare fait dire par Falstaff à Ford: Money is a good soldier, Sir, and will on. (L'argent est un bon soldat; il pousse en avant.)

Cigare de solde. Mauvais cigare.

Dîner de solde. Exécrable dîner.

Solir sur le verbe. Acheter à crédit,—c'est-à-dire sur parole.

Solliceur à la pogne. Marchand, ambulant.

Solliceur de lacets. Gendarme.

Solliceur de loffitudes. Homme de lettres.

Sonde, s. f. Médecin,—dans le même argot.

Aller en sondeur. S'informer avant d'entreprendre une chose, écouter une conversation avant de s'y mêler.

Père sondeur. Bonhomme rusé, dont personne ne se méfie, et qui se joue de tout le monde.

D'où l'expression Déménager à la sonnette de bois.

Elles disent aussi Vieille sorcière.

Les Maurice La Châtre de Poissy prétendent qu'il faut écrire Sorgne.

Le rentrer. Le ramener à Paris.

On dit de même Sortie pour un déménagement extra-muros, et Rentrée pour le contraire.

On dit mieux Être sorti ou Être ailleurs, pour n'être pas à la conversation, ne pas savoir ce qu'on dit autour de soi.

Ce verbe ne s'emploie guère qu'à la troisième personne de l'indicatif présent: il me sort,—c'est-à-dire, je ne peux pas le voir sans en être blessé, offusqué.

Quelques-uns, pour être plus expressifs, disent: Il me sort par le cul.

Ils disent aussi Avoir l'air de sortir d'une boîte.

Le vieux français avait Soudrille (soldat, ou plutôt soudard).

Souffler la maîtresse de quelqu'un. La lui enlever,—et, dans ce cas-là, souffler, c'est jouer... un mauvais tour.

Les étudiants en médecine disent: Fumer sa pipe.

Dans l'argot du peuple, Souffler des pois, c'est Faire l'important.

Se dit aussi à propos de la fonction du plexus mésentérique.

Faire une souleur à quelqu'un. Lui faire peur.

On dit aussi Idée.

C'est une expression de la même famille que Pot-au-feu.

Le mot a été recueilli par Traviès.

Soupir de Bacchus. Éructation.

Tendre une souricière. Surveiller les abords d'un de ces mauvais lieux-là.

Avoir des sous. Être riche.

«Je m'accroupis en gémissant

Au coin d'une boutique.

Je mis bas un sous-lieutenant

D'une figure étique?»

dit une chanson du comte Barruel de Beauvert, publiée dans les Nouveaux Actes des Apôtres.

On disait aussi Un représentant.

Avant de s'entre-tuer, les hommes que divisent les opinions politiques s'entre-souillent d'épigrammes ordurières.

Les ouvriers anglais ont la même expression: Bread-basket (panier au pain), disent-ils.

Expression de l'argot des tailleurs.

Mot barbare qui a fait récemment son apparition dans les journaux.

Ce mot entrera sans peine dans la prochaine édition du Dictionnaire de l'Académie, plus hospitalier pour les mots anglais que pour les mots français. Même observation à propos de derby, turf, studbook, handicap, steeple-chase, match, etc.

C'est le verbe anglais To stop.

Demi-stroc. Demi-setier.

On dit aussi Stron.

J'ai vu écrit Lestuc sur feuillet de garde du Langage de l'argot réformé, avec mention du sens dans lequel stuc est employé.

Être stuqué. Être instruit.

Signifie aussi Chauffage.

On dit aussi Se sucer le trognon.

Faire sa sucrée. Se choquer des discours les plus innocents comme s'ils étaient égrillards, et des actions les plus simples comme si elles étaient indécentes.

L'expression est vieille,—comme l'hypocrisie. Perrot d'Ablancourt, dans sa traduction de Lucien, dit: «Et cette petite sucrée de Sapho...»

On dit aussi Confédéré, Esclavagiste, Sécessionniste et Séparatiste.

Signifie aussi Peur.

Faire suer sur le chêne. Tuer un homme.

Gober son suif. Recevoir les reproches auxquels on s'attendait.

Être tout en suif. Être fort gras.

Femme suiffée. Très jolie ou très bien mise.

Faire Suisse. Boire ou manger seul.

Mot créé par Nestor Roqueplan.

J'ai entendu demander par un ivrogne un verre de sulfate de cuivre et j'ai vu le garçon lui apporter un verre d'absinthe. Empoisonneurs et empoisonnés rient de leur poison. C'est parfait!

L'expression est juste surtout à propos des actrices, ces odalisques dont les tiroirs regorgent de mouchoirs.

On dit aussi Superlificoquentiel.

Surin muet. Canne plombée; casse-tête.

Avoir le symbole. Avoir un compte ouvert chez le cabaretier.

Se dit aussi pour Chapeau.

Agacer le système. Ennuyer.

Taper sur le système. Agacer les nerfs; exaspérer. 451

T

Être dans le tabac. Être dans une position critique.

Foutre du tabac à quelqu'un. Le battre—de façon à lui faire éternuer du sang.

Fourrer dans le tabac. Mettre dans l'embarras.

Manufacture de tabac. Caserne.

Ils disaient autrefois Volant.

Ouvrir sa tabatière. Faire un sacrifice muet, mais odore, au dieu Crépitus. D'où: Quelle prise!

On dit de même Livre-radis.

Faire lever le tablier. Engrosser une fille ou une femme.

Avoir le taf. Avoir peur.

Coller le taf. Faire peur.

On dit aussi Tafferie.

Il n'y a pas à douter que ce mot ne vienne d'une expression proverbiale ainsi rapportée par Oudin: «Les fesses luy font taf taf, ou le cul lui fait tif taf, c'est-à-dire: Il a grand peur, il tremble de peur.»

On dit aussi Taffetas.

Avoir le taffetas du vert. Être frileux, avoir peur du froid.

Le Royal-Taffeur. Régiment aux cadres élastiques, où l'on incorpore à leur insu tous les gens qui ont donné des preuves de couardise.

Talbin d'altèque. Billet de banque.

Talbin d'encarade. Billet d'entrée dans un théâtre.

Être talon rouge. Avoir la suprême impertinence.

Faire sa tambouille. Faire sa cuisine. 453

Roulement de tambour. Aboiement.

On dit aussi Se foutre des coups de tampon.

Ils l'appellent aussi: La tangente au point Q.

Au XVIIe siècle on disait: Faire péter le maroquin.

On dit aussi Tapette.

On dit aussi Casino.

On dit aussi Tantet.

Faire le tapin. Être exposé.

On dit aussi Faire le singe.

Couleurs tapageuses. Couleurs trop vives qui tirent l'œil et l'agacent.

Toilette tapageuse. Toilette d'un luxe de mauvais goût, dressée pour faire retourner les hommes et «crever de jalousie» les femmes.

La tapance du meg. La femme du patron.

Tapé dans le nœud. Excessivement beau, ou extrêmement remarquable. 454

Taper son patron de vingt francs. Lui demander une avance d'un louis.

Taper dans le tas. Prendre au hasard dans une collection de choses ou de femmes.

Taper sur les vivres. Se jeter avec avidité sur les plats d'une table; manger gloutonnement.

Taper sur le liquide. S'empresser de boire.

L'expression est plus vieille qu'on ne serait tenté de le croire, car on la trouve dans les Œuvres du comte de Caylus (Histoire de Guillaume Cocher).

Avoir une fière tapette. Être grand parleur,—ou plutôt grand bavard.

Le mot a au moins cent ans de bouteille.

Être sur le tapis. Être l'objet d'une causerie, le sujet d'une conversation.

Amuser le tapis. Distraire d'une préoccupation sérieuse par une causerie agréable.

Ils disent aussi Tapis franc, c'est-à dire Cabaret d'affranchis. 455

Tapis de grives. Cantine de caserne.

Tapis de malades. Cantine de prison.

Tapis de refaite. Table d'hôte.

Il dit aussi Lèche-tout.

Faire tapisserie. Regarder faire, ou écouter parler les autres.

Jardiner sur le tapis vert. Jouer dans un tripot.

Mettre sa cravate en tapon. La chiffonner, la mettre sans goût, comme si c'était un chiffon.

L'expression sort évidemment du vocabulaire des marins, qui appellent Tapon une pièce de liège avec laquelle on bouche l'âme des canons pour empêcher l'eau d'y entrer.

On dit aussi Chasseur. 456

Tartare, s. m. Fausse nouvelle, canard politique,—dans l'argot des journalistes et des boursiers.

Se dit depuis la dernière guerre de Crimée. Un peu avant que le résultat de la bataille de l'Alma fût connu, le bruit courut,—et ce furent évidemment des spéculateurs qui le firent courir qu'un cavalier tartare était arrivé à franc étrier au camp d'Omer-Pacha, annonçant la victoire des armées alliées contre les Russes. On le crut à Paris, et les fonds montèrent. Quelques jours après, la nouvelle apocryphe devenait officielle.

Il a pour excuse l'exemple de Rabelais (Pantagruel, liv. II, chap. XVI).

Signifie aussi Long discours, homélie ennuyeuse.

Débiter des tartines. Parler longtemps.

Tartiner une brochure. La rédiger.

On dit aussi Boîte aux cailloux.

C'est également le mot qu'ils répètent le plus souvent pour appeler leur père. On le retrouve jusque dans les épigrammes de Martial.

Faire sa tata. Se donner de l'importance; être une commère écoutée.

Se dit aussi d'un Homme qui s'amuse aux menus soins du ménage.

On dit aussi Tatillonneur.

L'expression a une centaine d'années de bouteille. 457

C'est la piaule, moins les enfants.

On dit aussi gaupe.

On dit aussi Tauper dessus.

Taupin carré. Taupin de 2e année.

Taupin cube. Taupin de 3e année.

On dit aussi Taupin vaut Taupine.

On dit aussi Gale.

Il y a aussi les teinturiers politiques, c'est-à-dire des gens supérieurs que les hommes d'Etat inférieurs s'attachent par tous les moyens pour profiter de leurs lumières et s'assimiler leurs talents.

Voltaire a employé ce mot, très clair, très significatif.

Cette expression, aussi cynique que sinistre, est du pur argot de voyou. Si je ne l'avais entendue de mes oreilles, je l'aurais crue inventée.

On dit aussi Être à genoux devant sa patience.

(V. Parrain.)

Ils disent aussi Convent,—mais surtout à propos de réunions d'un caractère particulier, plus solennel que les tenues.

Tenue d'obligation. Jour fixé pour les assemblées de la loge.

Tenue extraordinaire. Réunion pour une fête d'adoption, pour une réception d'urgence, etc.

Se flanquer du terreau dans le tube. Priser. 459

Le patois normand a Terrage pour Enterrement.

On dit aussi Terrien.

On dit aussi Tésigue, Tésigo et Tésingard.

Nib de douilles sur le tesson. Pas de cheveux sur la tête.

Ils disent Tettes.

«Jeannette à la grand'tetasse

Aux bains voulut une fois

Enarrher pour deux la place:

On luy fit payer pour trois.»

On dit aussi Calebasses.

L'expression se trouve aussi dans Tabourot.

Avoir une tête. Avoir de la physionomie, de l'originalité dans le visage.

Faire sa tête. Faire le dédaigneux; se donner des airs de grand seigneur ou de grande dame.

On dit aussi Tête de choucroute.

C'est une expression de l'argot des gens de lettres, qui l'ont empruntée aux saltimbanques.

Nous sommes loin du:
«Tétin, qui fait honte à la rose,
Tétin, plus beau que nulle chose,»
de Clément Marot.

Tetons de satin blanc tout neufs. Virgo pulchro pectore.

C'est un vers de Marot resté dans la circulation.

Ce sont autant les mamillæ que les papillæ.

«Demain, relâche au Théâtre rouge,» écrivait à Lebon Duhaut-Pas, un de ses émissaires.

On l'appelle aussi Ancien.

Passer la jambe à Thomas. Vider le goguenot.

La veuve Thomas. La chaise percée.

On dit aussi Thune de cinq balles.

L'expression a des cheveux blancs.

Pourquoi alors ne disent-ils pas aussi single ticket (billet simple) et return ticket (billet d'aller et de retour)?

Médire du tiers et du quart. Médire de son prochain.

A signifié au début Perruque.

On dit aussi Tignon.

S'ébattre dans la tigne. Chercher à voler dans la foule.

Signifie aussi Réunion, Cénacle.

Quelques Vaugelas de la Roquette veulent qu'on écrive Tine.

Grand timbré. Extravagant aimable, fou plaisant.

A l'origine, cette expression signifiait juste le contraire de ce qu'elle signifie aujourd'hui: un nomme timbré était un sage, un homme ayant bonne tête.

Est-ce parce que chaque cartouche revient à vingt centimes environ, ou parce qu'elle sert à marquer le gibier?

Chevalier de la tinette. Vidangeur.

«Os et labra tibi lingit, Manuella, catellus,
Nil mirum merdas si libet esse cani.
»

Il y aura du tirage dans cette affaire. On ne la mènera pas à bonne fin sans peine.

Tirants radoucis. Bas de soie.

Tirants de trimilet. Bas de fil.

Tirants de filsangue. Bas de filoselle.

On dit aussi Tire-moelle.

Si j'étymologisais un peu?

Larigot était jadis pris, tantôt pour le gosier, tantôt pour une petite flûte, Arigot; d'autant plus une flûte que souvent on employait ce mot au figuré dans un sens excessivement gaillard. (V. Saint-Amant). Donc, Boire à tire-larigot, c'était, c'est encore Boire de grands verres de vin hauts comme de petites flûtes.

On a étendu le sens de cette expression: on ne boit pas seulement à tire-larigot, on chante, on joue, on frappe à tire-larigot.

On dit aussi Poursuivre à boulets rouges.

Signifie aussi diminuer,—en parlant d'une besogne commencée.

On dit aussi Tirer la langue d'un pied.

On dit aussi Tirer le canon d'alarme.

Signifie aussi se battre.

On dit aussi Tirer la Ficelle ou la corde.

On disait autrefois Tirer ses grègues.

Signifie aussi Bijoux faux.

C'est toc. Ce n'est pas spirituel.

Femme toc. Qui n'est pas belle.

Le mot date de 1856-57.

On dit aussi Tocassonne.

On dit aussi Fatale toilette.

Signifie aussi Pudenda mulieris.

C'est l'Incidit in Scyllam, cupiens vitare Charybdim des lettrés.

C'est ainsi que les vieux grognards, par une sorte d'irrévérence amicale, appelaient Napoléon le Petit Tondu...

La Fontaine a employé cette expression dans un de ses Contes:

«Incontinent de la main du monarque
Il se sent tondre...»

Au fait, pourquoi rougirait-on de dire Tondre, puisque l'on ne rougit pas de dire Tonsure?

Être d'un bon tonneau. Être ridicule.

Se dit aussi pour Officier d'état-major.

«Il avait la semaine

Deux fois du linge blanc,

Et, comme un capitaine,

La toquante d'argent.»

Les voleurs disaient autrefois Toque, une onomatopée—tic-toc.

Le patois normand a Toquard pour Têtu.

Le mot est de H. de Balzac, qui l'a appliqué à une de ses héroïnes, la courtisane Esther.

Torpille d'occasion. Fille de trottoir.

Se rebomber le torse. Manger copieusement.

Se velouter le torse. Boire un canon de vin ou d'eau-de-vie.

Poser pour le torse. Marcher en rejetant la poitrine en avant pour montrer aux hommes, quand on est femme, combien on est avantagée, ou pour montrer aux femmes quand on est homme, quel gaillard solide on est.

Expression créée par N. Roqueplan.

Il n'y a pas à tortiller. Il faut se décider tout de suite.

On dit aussi Il n'y a pas à tortiller des fesses ou du cul.

Ils disent aussi Tourner de l'œil et Être tortillé.

Se dit aussi d'une Petite dame qui tortille de la crinoline en marchant, pour allumer les hommes qui la suivent.

Bonne touche. Tête grotesque.

Avoir une sacrée touche. Être habillé ridiculement ou pauvrement.

Article touché. Bien écrit.

Parole touchée. Impertinence bien dite.

On dit aussi Aller aux épinards.

C'est une expression provinciale.

Payer de toupet. Ne pas craindre de faire une chose.

Se foutre dans le toupet. S'imaginer, s'entêter à croire.

Les voyous anglais emploient la même expression (gig) à propos des mêmes créatures.

Avoir du vice dans la toupie. Être très malin, savoir se tirer d'affaire.

Beaumarchais l'a employé dans le Barbier de Séville.

On dit aussi Toupier.

Faire voir le tour. Tromper.

Connaître le tour. Être habile, malin, ne pas se laisser tromper.

Passer capitaine à son tour de bête. Être nommé à ce grade, non à cause des capacités militaires qu'on a montrées, mais seulement parce qu'on a vieilli sous l'uniforme.

Francisque Michel pousse une pointe jusqu'au XIVe siècle et en rapporte les papiers de famille de ce mot: turlereau, turelure, tureloure, dit-il. Voilà bien de la science étymologique dépensée mal à propos! Pourquoi? Tout simplement parce que le mot tourlourou est moderne.

Tournée. Molle.

Offrir une tournée. Payer à boire.

Payer une tournée. Battre.

Signifie aussi, par extension, Mourir.

Faire tourner quelqu'un en eau de boudin. Se moquer de lui, le berner par des promesses illusoires.

C'était autrefois une expression et une chose officielles, le funis strangulatorius qu'employait M. de Paris pour lancer les criminels dans l'éternité.

Une vieille et très française expression, presque latine (toties quoties), dont se moquent les gens qui s'imaginent bien parler.

Les enfants ont bien le droit d'employer un mot que Mme Deshoulières a consacré:

«Bonjour, le plus gras des toutous,

Si par hasard mon amitié vous tente,

Je vous l'offre tendre et constante:

C'est tout ce que je puis pour vous.»

Avoir le trac. Avoir peur.

Le trac, autrefois, c'étaient les équipages de guerre; traca, dit Du Cange. «Compagnons, j'entends le trac de nos ennemis,»—dit Gargantua.

Se dit aussi pour Addition à un rôle.

Les traditions—à la Comédie française,—sont des conventions auxquelles il ne saurait être dérogé sans blesser le goût... des vieux amateurs de l'orchestre.

Signifie aussi Émeute. Il y aura du train dans Paris. On fera des barricades et l'on se battra.

Originairement le mot signifiait Prostibulum, et, par une métonymie fréquente dans l'Histoire des mots, la cause est devenue l'effet. De même pour Bousin.

On dit aussi Gratte-papier et Rogneur de portions.

C'est le to shuffle along des Anglais.

On dit aussi Faire du chien.

On dit aussi Traîner ses guêtres.

Mais, eurêka! me voilà sans le vouloir sur la piste de maquereau. Qu'en pensent messieurs les étymologistes?...

Suivre son petit train-train. Ne pas interrompre ses habitudes.

On dit aussi tran-tran.

Avoir un trait pour un miché. Ne rien exiger de lui que son amour, se passer de gants.

Faire des traits à sa femme. La tromper en faveur d'une autre, la trahir.

Se mettre sur son tralala ou sur son grand tralala. S'habiller coquettement, superbement.

Beau travail. Tour extraordinaire ou nouveau.

On dit aussi travailler les côtes.

On dit aussi Travailler pour la gloire et Travailler gratis pro Deo.

On dit aussi A perte de vue.

Introduit pour la première fois en littérature par l'Evénement (1er octobre 1866).

On dit aussi Tréfoin.

Longuette de tref. Tabac en carotte.

On dit aussi Trifois,—d'où Trifoissière pour Tabatière.

Vise-au-trèfle. Apothicaire.

On dit aussi Trempée.

Faire la trempette. Déjeuner d'un morceau de pain trempé dans un verre de vin.

Se mettre sur son trente-et-un. Se vêtir de son plus bel habit ou de sa plus belle robe,—l'habit à manger du rôti et la robe à flaflas. 473

On dit aussi Se mettre sur son trente-six et sur son quarante-deux.

S'esbattre dans le treppe. Se mêler à la foule.

J'ai bien envie de faire descendre ce mot du grec τρεπω [grec: trepô] (tourner, s'agiter en désordre comme fait la foule).

Clapoter du triangle. Avoir l'haleine homicide.

L'expression est de l'année 1866, qui datera dans les fastes de la peur par l'invention des trichines que certains médecins allemands—ou iroquois—affirment être par milliers dans la viande de porc. Les jambons sont tombés en discrédit!

On dit aussi Tricoter les côtes.

Grand trimar. Grande route.

On dit aussi Grande tire.

On dit aussi Trime.

Trimballeur des refroidis. Cocher des pompes funèbres.

Quelques-uns disent aussi Timothéetrimmer.

«Si elle estoit dure et poupine,

Voulentiers je la regardasse;

Mais elle semble une tripasse

Pour quelque varlet de cuysine.»

«Quand Renaud de la guerre vint,
Tenant ses tripes dans ses mains,»

dit une vieille chanson populaire.

Coup de tripoli. Verre d'eau-de-vie.

Tripoter une femme. S'assurer, comme Tartufe, que l'étoffe de sa robe—de dessous—est moelleuse.

On disait autrefois Tricot; d'où la loi du Tricot, pour signifier l'Argument brutal, le syllogisme du poignet, non prévu par Aristote.

Belle trogne. Visage empourpré et embubeletté, comme le sont presque tous les visages d'ivrognes.

Le mot a des chevrons:

«Il faut être Jean Logne

Pour n'aimer pas le vin;

Pour moi, dès le matin

J'enlumine ma trogne

De ce jus divin!»

a chanté le goinfre Saint-Amand.

Dévisser le trognon. Tordre le coup à quelqu'un.

On dit aussi Monsieur ou Madame Trois-Étoiles.

Tomber dans le troisième dessous. Se dit d'une pièce sifflée, dont la chute est irrémédiable.

«Cette cave est au-dessous de toutes et est l'ennemie de toutes. C'est la haine sans exception. Elle a pour but l'effondrement de tout,—de tout, y compris les sapes supérieures, qu'elle exècre. Elle ne mine pas seulement, dans son fourmillement hideux, l'ordre social actuel: elle mine la philosophie, elle mine la science, elle mine le droit, elle mine la pensée humaine, elle mine la civilisation, elle mine le progrès. Elle est ténèbres et elle sent le chaos. Sa voûte est faite d'ignorance. Elle s'appelle tout simplement vol, prostitution, meurtre et assassinat. Détruisez la cave-ignorance, vous détruirez la taupe-crime.»

On dit aussi Un quinze-centimes.

Être sur son trône. Alvum deponere.

On dit aussi Trotteur.

Sacrée trotte. Course fort longue, que l'on ne peut faire qu'en beaucoup de temps.

Il y a longtemps que ce mot signifie petit domestique, car Scarron a dit:

«Ensuite il appelle un trottin,
Fait amener son guilledin
Orné d'une belle fontange.»

Grand trottoir. Répertoire classique.

Petit trottoir. Répertoire courant, drames et vaudevilles.

Grand trottoir se dit aussi de la Haute-Bicherie, et Petit trottoir du fretin des drôlesses.

Faire son trou. Réussir dans la vie; asseoir sa réputation, sa fortune, son bonheur.

Faire un trou. Boire un verre de cognac ou de madère au milieu d'un repas, afin de pouvoir le continuer avec plus d'appétit.

C'est la même expression que celle des ouvriers anglais: Potatoe trap.

Est-ce à cause de la clarinette de cinq pieds?

On dit aussi Trou du souffleur et Trou de bise.

Trouillotter du goulot. Avoir l'haleine homicide.

On dit aussi Troupe d'été, parce qu'à ce moment de l'année, les Parisiens riches étant en voyage ou à la campagne, il est inutile de se mettre en frais pour ceux qui restent à Paris.

On dit aussi Troupe d'hiver, parce que c'est ordinairement dans cette saison—la meilleure de l'année théâtrale et journalistique—que les directeurs de théâtres et de journaux renforcent leur troupe et donnent leurs pièces et leurs articles à succès.

On dit aussi Pétrousquin, mais ce dernier mot est moins étymologique que l'autre, qui est proprement le Morceau de bois cintré qui s'élève sur l'arçon de derrière d'une selle.

C'est trouvé. C'est ingénieux.

C'est la conséquence de cette autre expression Chercher des poux à quelqu'un.

Avoir du truc. Avoir un caractère ingénieux.

Connaître le truc. Connaître le secret d'une chose.

Le truc était, au commencement du XVIIIe siècle, un billard particulier, plus long que les autres, et pour y jouer proprement il fallait en connaître le secret.

Débiner le truc. Révéler le secret d'un tour.

Signifie aussi Entente des détails et de la mise en scène.

Le mot a été employé pour la première fois par Théophile Gautier.

Ils disent aussi Pelle.

Manier la truelle. Manger.

Signifie aussi Mendier.

Se rincer le tube. Boire.

Se coller quelque chose dans le tube. Manger.

Signifie aussi Voix.

Se flanquer du terreau dans le tube. Priser.

Lâcher une tubéreuse. Ventris flatum emittere.

On dit aussi Tuer les mouches à quinze pas, et, pour rajeunir un peu cette vieille formule, Faire mouche à tout coup.

On dit volontiers, en manière de proverbe: Il vaut mieux tuer le temps que d'être tué par lui.

Les Anglais ont la même expression, ainsi qu'il résulte de ce passage de Much Ado about nothing, où Shakespeare appelle la Conscience le Seigneur Ver (Don Worm).

On dit aussi Tuer un colimaçon.

Ils disent aussi Platine.

Les voyous anglais ont le même mot: Tile.

Aller au turbin. Aller travailler.

On dit aussi Turbinement et Turbinage.

Les Anglais, eux, ont le Tartare, l'homme qui excelle dans une spécialité quelconque, à la boxe ou au billard. He is quite a Tartar at billiards, disent-ils en leur argot à propos d'un rival de Berger. To catch a Tartar (prendre un Tartare), c'est, pour eux, s'attaquer à une personne de force ou de capacité supérieure.

Par extension, Arène quelconque.

Le turf littéraire. La littérature; les journaux.

Se jeter quelque chose dans le tuyau. Manger ou boire.

Le tuyau est bouché. Quand on est enrhumé.

Se dit aussi pour Oreille.

Ce sont les romantiques, Théophile Gautier en tête, qui l'ont ainsi baptisé.

Ramoner ses tuyaux. Se laver les pieds.

Sous le règne du tyran. Sous le règne de Louis-Philippe, disait-on, après 1848 et avant l'Empire. 483

U

Ainsi un gandin passe d'un air dégagé sur le boulevard, lorgnant les femmes qui font espalier à la porte des cafés. Trois urges! diront celles-ci en l'apercevant. Trois urges, c'est-à-dire; «Ce monsieur n'est pas généreux, il gante dans les numéros bas.» Si, au contraire, elles disent: Six urges! ou huit urges! ou dix urges! oh! alors, c'est un banquier mexicain qui passe là, elles le savent, il leur en a donné des preuves la veille ou l'avant-veille. L'échelle n'a que dix échelons: le premier urge s'emploie à propos des pignoufs; le dixième urge seulement à propos des grands seigneurs.

485

V

On dit souvent Prendre la vache et le veau, pour Épouser une femme enceinte des œuvres d'un autre,—uxorem gravidam nubere.

On dit aussi Va donc te laver! ou Va donc te chier!

On dit aussi Coup de vague.

Envoyer une femme au vague. Lui faire faire le trottoir.

On dit aussi Aller au vague.

Sonder les valades. Fouiller les poches dans la foule.

Le patois normand a le même mot pour signifier Blouse.

Faire valser quelqu'un. Le mettre brutalement à la porte.

Faire un vannage. Allécher par un petit profit l'homme qu'on se réserve de dépouiller.

Vanterne sans loches. Lanterne sourde.

On ait aussi Bottin.

On dit aussi Va t'asseoir sur ma veste et ne casse pas ma pipe.

Le mot a été créé par Jules Noriac.

Il ne faut pas croire l'expression nouvelle. Galli socordes et 487 stultos vituli nomine designare soliti sunt, dit Arnoult de Féron dans son Histoire de France. Et Régnier, dans sa satire à Mottin, dit de même:

«Ce malheur est venu de quelques jeunes veaux
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bordeaux.»

Roman vécu. Roman qui est l'histoire réelle de quelqu'un.

Être en vedette. Avoir son nom en tête d'une affiche comme acteur plus important que les autres.

Eclairer le velours. Déposer son enjeu sur le tapis.

Je n'ai pas besoin d'ajouter que ce velours est en cuir ou en drap, en n'importe quoi,—excepté en velours.

J'ai créé l'expression il y a quelques années: elle est aujourd'hui dans la circulation.

Se dit aussi de tout Rêveur, de tout poète, de tout abstracteur de quintessence.

Vendre la mèche. Dévoiler un secret, ébruiter une affaire.

Par extension, dans la vie réelle, on dit d'une Femme qui pleure hypocritement: Elle vend son piano.

Avoir une fière venette. Avoir une grande peur.

Docteur Venette. Poltron fieffé.

Moulin à vents. Podex.

On dit aussi Du vent! De la mousse!

Doubles venternes. Lunettes.

Se foutre une ventrée. Se donner une indigestion.

«.... Mon vice est d'être libre,
D'estimer peu de gens, suivre mon ver coquin,
Et mettre au même taux le noble et le faquin.»

a dit le vieux Mathurin.

Deux plombes crossent à la vergne. Deux heures sonnent à la ville.

«Il mourut l'an cinq cens et vingt
De la verolle qui lui vint.»

On dit aussi Grosse vérole, pour la distinguer de l'autre—la Petite vérole.

Casser le verre de sa montre. Tomber sur le derrière.

Il fait vert. Il fait froid.

Heure où la verte règne dans la nature. Cinq heures du soir.

Encore une chose que M. Louis Festeau n'a pas failli à chanter:

«La Vespasienne

Parisienne

A l'observateur arrêté

Offre asile et commodité

Avoir la vesse. Avoir peur.

On disait autrefois Vestale de marais.

M. Joachim Duflot fait dater cette expression de la pièce des Etoiles, jouée au Vaudeville, dans laquelle l'acteur Lagrange, en berger, faisait asseoir mademoiselle Cico sur sa veste pour préserver cette aimable nymphe de la rosée du soir, ce qui faisait rire le public et forçait le berger à reprendre sa veste. Mais il y a une autre origine: c'est la Promise, opéra-comique de Clapisson, dans lequel Meillet chantait au Ier acte, un air (l'air de la veste) peu goûté du public; d'où cette expression attribuée à Gil-Pérez le soir de la première représentation: Meillet a remporté sa veste.

Ramasser ou remporter une veste. Echouer dans une entreprise, petite ou grande.—Se faire siffler en chantant faux ou en jouant mal.—Ecrire un mauvais article ou un livre ridicule.

On dit aussi Remporter son armoire, depuis le 13 septembre 1865, jour de la première représentation à la salle Hertz des prétendus phénomènes spirites des frères Davenport.

L'expression date de 1848, et elle n'a pas survécu à la République qui l'avait vue naître. Les Vésuviennes ont défilé devant le Gouvernement Provisoire; mais elles n'auraient pas défilé devant l'Histoire si un chansonnier de l'époque, Albert Montémont, ne les eût chantées sur son petit turlututu gaillard:

«Je suis Vésuvienne,

A moi le pompon!

Que chacun me vienne

Friper le jupon?»

«Mais tant iert plains de vaine gloire

Tout iers fiers, cointes et veules,

Qu'il sembloit bien qu'en ses esteules

Eust trové tout le païs.»

C'est sans doute une antiphrase, 491 de volo, vouloir, avoir volonté: volo, volvis, volui.

Epouser la veuve. Être guillotiné.

Epouser la veuve Poignet. Se livrer à l'onanisme.

Vézouiller du bec. Avoir une haleine à la Paixhans.

Montrer sa viande. Se décolleter excessivement, comme font les demoiselles du demi-monde dans la rue et les dames du grand monde aux Italiens.

Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on emploie cette expression froissante pour l'orgueil humain. Tabourot, parlant du choix d'une maîtresse, disait il y a trois cents ans:

«Une claire brune face

Qui ne soit maigre ny grasse,

Et d'un gaillard embonpoint,

Ne put ny ne picque point:

Voilà la douce viande

Qu'en mes amours je demande.»

Avoir du vice. Être très malin,—c'est-à-dire sceptique en amour, en amitié, en politique et en morale.

On dit aussi: Avoir du vice dans la toupie.

C'est une façon de milord.

Largue en vidange. Femme en couches.

Faire ou Mener une vie de chien. Vivre dans le désordre et le vagabondage. Les Anglais ont la même expression, dans le même sens: to lead a dog's life. 492 On dit aussi Faire une vie de polichinelle.

Avoir son vieux. Être entretenue.

On dit aussi Vieux comme Mathieu-salé,—par corruption de Mathusalem, un patriarche.

Grand vinaigre! Le superlatif de la vitesse.

Historiquement, ce devrait être Vinaigre des quatre voleurs.

Vin de deux oreilles. Mauvais vin.

Le mot date de 1848 et de Théophile Gautier. 493

Rigoler à vingt-cinq francs par tête. S'amuser beaucoup.

S'emmerder à vingt-cinq francs par tête. S'ennuyer considérablement.

Jouer du vingt-deux, Donner des coups de poignard.

L'expression a un siècle de bouteille.

Sentir le violon. Être sans argent. Argot des voleurs.

Signifie aussi Cicatrice.

L'expression a des ancêtres:

«Je ne suis pas un casse-mottes,
Un visage de bois flotté:
Je suis un Dieu bien fagotté,»

a dit d'Assoucy.

On dit aussi tout simplement Visage, ainsi que le constatent ces vers de Voiture à une dame:

«. . . . Ce visage gracieux

Qui peut faire pâlir le nôtre,

Contre moi n'ayant point d'appas,

Vous m'en avez fait voir un autre

Duquel je ne me gardois pas.»

Carreaux de vitres. Lunettes.

On croit généralement que cette appellation ironique date de 1851, époque à laquelle les chasseurs de 494 Vincennes dégarnirent à coups de fusil une notable quantité de fenêtres parisiennes. On croit aussi qu'à cette occasion leur fut appliqué le couplet suivant, encadré dans une de leurs sonneries de clairon:

«Encore un carreau d' cassé!

V' là l' vitrier qui passe.

Encore un carreau d' cassé!

V' là l' vitrier passé!»

On se trompe généralement. L'expression date de 1840, époque de la formation des chasseurs de Vincennes au camp de Saint-Omer, et elle venait du sac de cuir verni que ces soldats portaient sur leur dos à la façon des vitriers leur sellette. Ce qui ajoutait encore à la ressemblance et justifiait le surnom, c'étaient le manteau roulé et le piquet de tente qui formaient la base du sac des chasseurs, comme le mastic et la règle plate la base de la sellette des vitriers.

«Qu'on ne voit que dans les romans
Et dans les nids de tourterelles.»

Ils disent aussi Grand drapeau.

Cette expression de l'argot du peuple, M. J. Duflot la fait venir de l'argot des comédiens. «Avant le règne du gaz, dit-il, avant même que l'huile à quinquet fût en usage, la rampe du théâtre était éclairée par une rangée de chandelles. Quand on répétait une pièce, les comédiens de ce temps-là n'osaient pas affirmer que c'était un chef-d'œuvre qu'ils allaient jouer; aussi créèrent-ils cette phrase qu'ils nous ont transmise: Il faudra voir cela à la chandelle

«Sitôt, par un doux badinage,

Il la jeta sur le gazon.

—Ne fais pas, dit-il, la sauvage,

Jouis de la belle saison.

495

Pour toi, le tendre amour m'engage

Et pour toi je porte ses fers;

Ne faut-il pas, dans le jeune âge.

Voir un peu la feuille à l'envers?»

chante le berger Colinet à la bergère Lisette, chapitre des Jolies Crieuses.

Faire voir trente-six chandelles. Appliquer un vigoureux coup de poing en plein visage.

C'est le Banging des ouvriers anglais.

Se dit depuis 1815.

Se connaître sur le voyage. Pendant la tournée départementale.

Type vieux—comme les rues. Mais le mot est moderne, quoiqu'on ait voulu le faire remonter jusqu'à Saint-Simon, qui traite de voyous les petits bourgeois de son temps.

J'ai créé le mot il y a quelques années: il est maintenant dans la circulation.

W

Il y aussi des wagons de première, réservés aux gandins riches.

Expression créée par Firmin Maillard. (>Hist. anecdot. de la Presse, p. 130), et qui est une allusion à la fécondité journalistique de feu Antonio Watripon. 498

499

X

Fort en X. Elève qui a des dispositions pour les mathématiques.

Tête à X. Tête organisée pour le calcul; cerveau à qui le Thêta X est familier.

Y

Dans la bouche d'un Anglais c'est un terme de mépris.

Jardin des youtres. Cimetière juif,—par antiphrase sans doute, car il y a plus de pierres que de verdure. 500

501

Z

On dit aussi Zéro en chiffre.

Bon zigue. Homme joyeux,—mauvais mari peut-être, mauvais fils ou mauvais père, mais bon ami de cabaret et de débauche.

C'est un zigue. Phrase consacrée par laquelle un ouvrier répond d'un autre ouvrier comme de lui-même.

Avoir du zinc. Avoir une brillante désinvolture.

Avoir du zinc. Avoir une voix sonore.

On dit aussi Être zingué.

On dit aussi Une Permission de dix heures.

Depuis 1865, on dit: Ah! zut alors si ta sœur est malade! C'est plus long, mais c'est plus canaille—et, à cause de cela, préférable.

503

PRÉFACETTE AU SUPPLÉMENT

En 1883, alors que parut la troisième édition, longtemps attendue, de cet ouvrage, nous expliquions ainsi les motifs qui avaient amené les éditeurs à ajouter à ce Dictionnaire un Supplément spécial:

«C'est en 1866 que parut la première édition du Dictionnaire de la Langue verte. A son apparition, l'ouvrage de Delvau fit quelque tapage et eut un grand succès de curiosité.

«M. Larcher qui sous ce titre: Excentricités du langage français, avait déjà fait paraître un recueil d'expressions argotiques, accusa Delvau de plagiat. Un procès faillit intervenir entre les deux auteurs. Le litige fut porté devant la Société des Gens de Lettres qui reconnut le bien-fondé de certaines réclamations de M. Larcher et obligea son rival à modifier la seconde édition de son Dictionnaire.

«Cette seconde édition parut en 1867 avec une préface différente de celle qui se trouvait dans la première; toutefois on n'y trouve aucune trace du dissentiment qui s'éleva entre les deux écrivains. C'est cette seconde édition, très rare aujourd'hui, et qu'il faut payer, quand on la rencontre dans les ventes, quarante et cinquante francs, que viennent de rééditer MM. Marpon et Flammarion.

«Avant d'entreprendre cette troisième édition, ils ont été amenés à se demander s'il fallait réimprimer tel quel le Dictionnaire ou s'il ne conviendrait pas de le refondre en ajoutant 504 les nouveaux termes dont s'est accru en ces dernières années le langage populaire et trivial. On sait les progrès faits par la langue verte et quelle place elle a prise aussi bien au salon qu'à l'atelier. Des centaines d'expressions inconnues en 1867 sont aujourd'hui couramment employées. Devait-on les intercaler dans l'œuvre de Delvau? Les éditeurs ne l'ont pas pensé et ils ont, avec raison, croyons-nous, préféré respecter le texte primitif.

«Toutefois, désireux de mettre l'ouvrage à la hauteur des révolutions du jour, comme dit M. Larcher, ils ont tenu à y ajouter un Supplément. Sachant que nous préparons depuis de longues années un travail sur le bas langage que nous nous proposons d'intituler Les Orphelins de la langue, ils ont bien voulu nous demander de nous charger de ce Supplément. Ne pouvant donner à notre travail qu'une importance secondaire, nous nous sommes attachés à choisir, parmi ces irréguliers du langage, ceux-là seulement qui ne figurent dans aucun dictionnaire d'argot.

«Les romans de l'école naturaliste nous ont fourni, ainsi que certains articles de journaux, de nombreux renseignements que nous avons utilisés en prenant toujours soin d'indiquer la source où nous les puisions.»

Nous n'avons que peu de chose à ajouter à cette Préfacette. Disons seulement que le Supplément à cette nouvelle édition a été modifié en grande partie. Certains mots qui se trouvaient dans l'édition de 1883 ayant passé de mode depuis cette époque ne figurent plus ici; d'autres au contraire y ont été ajoutés qui ont, depuis quatre ans, enrichi la Langue verte.

GUSTAVE FUSTIER.

505

SUPPLÉMENT

A

Aboulement: accouchement.

(Merlin, La langue verte du troupier.)

(V. Revers.)

(Evénement, août 1884.)

«De jeunes amincis, à court de distractions, avaient eu l'intention de visser sur un tuyau de gaz... l'annonce en lettres de feu du bal à l'Elysée...» (Echo de Paris, février 1885). «Tous les soirs (dans la baraque d'un lutteur) au milieu d'horizontales de grande marque, au milieu d'amincis en frac et cravate blanche, 507 il y a des luttes épiques.» (Univers illustré, juillet 1884.)

«C'est qu'on est un peu beau, mon vieux
Quand on s'astique.»

(Le Caïd, opéra-bouffon, act. I, sc. X.)

B

Les écoliers disent coupe-gueule.

«Si tu prends des airs de bégueule,
Gare à ta peau... J'te vas bomber.»

«C'est eun'boulotte, une chic artisse
Qui vous a d'la réponse, mon vieux!»

(L'entr'acte à Montparnasse.)

C

«Les calottes dont nous nous entretenons sont des pots de confitures.» (Gazette des Tribunaux, avril 1874.)

«Tu peux r'tourner à ton potage!
Ah! monsieur fait sa Calypso!
En v'la z'un muf!...»
(L'entr'acte à Montparnasse.)

«Les Cerisiers de Montmorency sont les petits chevaux pacifiques qu'on loue pour se promener dans les environs; autrefois, ils transportaient des cerises; de là leur nom.» (Rappel, 1874. V. Littré.)

On dit: le chafustard... (Illustration, septembre 1885.)

«Gambetta, vil objet de mon ressentiment,
Ministres ennemis de tout chambardement,
Sénateurs que je hais...»
(Événement, 1881.)

On dit familièrement en Bretagne chambarder pour: remuer, bousculer quelqu'un ou quelque chose. (V. Delvau: Chambarder.)

—Que désire monsieur?

«—Deux sous de choléra, s'il vous plaît!

«On peut entendre cette demande et cette réponse s'échanger chez certains marchands de fromage, soit aux alentours des halles, soit dans les grands quartiers populeux.

«Or, qu'est-ce que le choléra? Ce sont les rognures, les bribes, les miettes des divers fromages que les marchands recueillent à la fin de chaque journée à l'étalage et sur les tables de service.» (Figaro, oct. 1886.)

De copurchic est dérivé copurchisme qui désigne l'ensemble des gens asservis à la mode. «Les élégantes de copurchisme veulent, elles aussi, donner une fête au profit des inondés.» (Illustration, janvier 1887.)

«Tu ne verras pas, conduisant

Leur bois peint, tout frais reluisant,

Un groom en croupe,

Avec un coupe-file, au Bois,

Des gens qui faisaient autrefois

Filer la coupe!»

(Clairon, 1882.)

D

«Qui a composé cette chanson?

C'est un Cotric tourangeau

Par joie et satisfaction

D' la dandée de ce Morvandiau.»

(Chanson, 1884.)

«Tu donneras du chasse à la rousse, au moment
Où le patron fera son petit boniment.»
(De Caston: Le Voyou et le Gamin.)

E

F

«Mon mari, dit une marquise,

Hier s'est généreusement

Fendu d'une parure exquise.

—C'est fort aimable, assurément,

Dit une comtesse charmante;

Mon époux, malheureusement,

Est moins facile à la détente.»

(Marcellus: Le langage d'aujourd'hui.)

«Le lendemain matin, il questionne la Lie-de-Vin... puis il part. Dans l'après-midi il était fait.» (Gil Blas, juin, 1886.)

On désigne aussi de ce nom, depuis la révélation de scandales qu'on n'a point oubliés les individus qui se livrent au trafic des décorations. Pendant que les ferblantiers et les ferblantières continuent à accaparer l'attention publique...» (National, octobre 1887.)

Le Four à bachot existe encore aujourd'hui sous cette appellation plaisante et vraie.

G

«Les galup's qu'a des ducatons
Nous rincent la dent.»
(Richepin.)

Ils ont aussi reçu le nom d'hommes sauvages, car beaucoup d'entre eux n'ont d'autres moyens de se procurer de la marchandise que les déprédations qu'ils commettent dans les propriétés de la banlieue.

«Elles (les jolies femmes) essaiment comme des papillons. Plus de thés au coin du feu, plus de raoûts intimes où elles ne reçoivent que le gratin.» (Du Boisgobey: Le Billet rouge.)

De gratin, on a forgé le verbe gratiner, suivre la mode, être à la mode et l'adjectif gratinant, signifiant beau, joli, distingué. «La toquade pour l'instant, c'est la fête de Neuilly, c'est là qu'on gratine. Ce qui veut dire en français moins gommeux: c'est là que le caprice du chic amène tous les soirs hommes et femmes à la mode.» (Monde illustré, juillet 1882.) «Grand raoût chez la comtesse S..., un des plus gratinants de la saison. Tout le faubourg y est convié.» (Figaro, mars 1884.)

Sans doute parce que le plus souvent, épuisés par les orgies, énervés par la vie qu'ils mènent, grelotteux et grelotteuses n'ont plus qu'un sang appauvri, une santé délabrée qui les font trembler à la moindre intempérie. «On rencontre des grelotteux (c'est, je crois, le dernier terme en usage) avec l'habit noir et la cravate blanche chez Bidel...» (Moniteur universel, juillet 1884.) «La baraque à Marseille (un lutteur) continue à être chaque soir le rendez-vous du gratin de nos horizontales et de nos grelotteuses.» (Echo de Paris, juillet 1884.) «Aujourd'hui le clubman est remplacé par le grelotteux qui dîne au bouillon Duval.» (Gil Blas, octobre 1885.)

H

«Cette affaire de roulette harnachée a fait grand bruit il y a quelques années à Paris...» (Henri IV, 1881.)

Le mot horizontale a été bien accueilli et s'est aujourd'hui répandu un peu partout. Il date de 1883 et fut mis à cette époque en circulation par M. Aurélien Scholl. Voici comment, d'après l'auteur même de Denise, les horizontales virent le jour. «Depuis longtemps 545 le baron de Vaux (un rédacteur du Gil Blas) qualifiait du doux nom de tendresse les marchandes de sourire. Il disait «une tendresse» comme on dit un steamer, par abréviation.

«Désireux de trouver une formule nouvelle, je cherchais un vocable qui pût détrôner la tendresse. Le Voyage autour de ma chambre, de X. de Maistre consacre un chapitre entier à la position horizontale. J'ai pris le mot de X. de Maistre pour l'appliquer à celles qui sont de son avis. L'horizontale fit fortune. Le baron de Vaux lui servit de parrain... Je n'en ai pas moins le droit de revendiquer ce mot dans l'intérêt des glossateurs...» Cette explication n'a pas été trouvée suffisante par certains étymologistes et d'aucuns veulent que ce mot horizontale soit une réminiscence de ce passage des Reisebilder où Henri Heine parle de la femme qui enseigne à Rauschenwasser la philosophie horizontale. Un abonné de La République française fait remonter jusqu'à Casanova l'emploi de ce mot horizontale dans l'acception spéciale qu'il a ici. Je trouve, en effet, dans le numéro du 10 mars 1887 de ce journal la note suivante: «On a discuté ces jours derniers la paternité du mot horizontale qui désigne les vieilles et jeunes personnes d'accès facile. On ne s'est pas avisé, au milieu de tous ces débats, de rechercher si le mot tant revendiqué n'appartient pas de prime-abord à l'un de nos grands amoureux. Celui-ci est Casanova qui parle deux fois des horizontales. V. à ce sujet l'édition italienne de Périno, à Rome.» «Les grandes dames, les cocodettes et celles que, dans leur langage extraordinaire, les mondains appellent les horizontales de la grande marque...» (Illustration, juin, 1883.)

D'horizontale est dérivé horizontalisme, désignant les usages, les habitudes, les mœurs des horizontales et aussi l'ensemble de ce monde spécial. «Le vrai monde ma foi, tout ce qu'il y a de plus pschutt... et aussi tout le haut horizontalisme...» (Figaro, juillet, 1884.)

Le mot a été précédemment employé par V. Jacquemont.

I

On dit aussi Ignoramus. «Les ignoramus auxquels la plus grande partie des municipalités ont la faiblesse de confier l'enseignement de la jeunesse ouvrière...» (Anti-clérical, mai 1880.)

J

L

«De Chambord, le vingt-neuf septembre,

Les légitimards ont fêté

Par un petit banquet en chambre

L'anniversaire peu vanté.»

(L'Esclave Ivre, no 4.)

«Salle affreuse, où de la théorie
Nous avons tant beuglé le littéral,
Adieu...»
(Echo de Paris, avril 1884.)

M

«C'est tout d'même chouette pour [une pierreuse]
D'avoir un mec comme celui-là?
(De Gramont: La Femme à Polyte.)

Aujourd'hui le mot mec a pris une très grande extension. Il s'emploie pour désigner avec mépris un individu quelconque.

A aussi le sens de beaucoup.

N

O

P

«Contre l'habit léger et clair

La loutre a perdu la bataille:

Nous arborons le pet-en-l'air,

Et les femmes ne vont qu'en taille.»

Richepin.

A droite, un comptoir en étain

Qu'on astique chaque matin.

C'est là qu'on verse

Le rhum, les cognacs et les marcs

A qui veut mettre trois pétards

Dans le commerce.

(Gaulois, 1882.)

Ils vous ont des façons étranges,

Pires que des étaux de fer.

De vous écraser les phalanges,

En vous disant: «Bonjour, mon cher!»

(Frondeur, déc. 1879.)

«Il s'en va de la queue au crâne de la bête,

Tantôt penche à tribord, tantôt penche à bâbord.

S'il est vraiment pinçard, il entre dans le port.

Mais s'il est maladroit, hélas! pique sa tête.»

(Nos farces à Saumur.)

«Si votre patriotisme vous pousse à prendre un cheval gaulois gagnant, gardez-vous à carreau en prenant en même temps les goddems placés.» (Voltaire, juin 1882.)

«La Pompe! A ce grand mot votre intellect se tend

Et cherche à deviner... La Pompe, c'est l'étude,

La Pompe, c'est la longue et funeste habitude

De puiser chaque jour chez messieurs les auteurs

Le suc et l'élixir de leurs doctes labeurs.»

(Nos farces à Saumur.)

«Shérif-Bey vient de recevoir sa nomination d'élève de Saint-Cyr, à titre d'étranger. Les élèves de cette catégorie sont appelés à l'Ecole des Potirons.» (Paris, octobre 1885.)

Pouce! Exclamation que poussent les enfants dans leurs jeux en tenant le bras levé et les 572 doigts fermés, moins le pouce. Les gamins indiquent ainsi avec cette sorte de drapeau parlementaire qu'ils cessent momentanément de jouer et qu'on n'a aucune prise sur eux. Ils disent aussi trèfle, par corruption de trêve.

On dit aussi Joséphine.

Qu'est-ce que le pschutt? On ne le sait pas exactement, et c'est ce mystère qui en fait tout le mérite. Le pschutt, c'est le chic ou à peu près. Il y avait trop longtemps qu'on disait: «M. de un tel a du chic.» On a imaginé de dire: «M. de un tel a du pschutt.» (Gaulois, janvier 1883.)

Q

R

«Faut suriner les pantres

A coups d'couteaux dans le ventre

Et crever d'coups d'marteaux

La cervelle aux rateaux.»

(Chanson, 1884.)

«Je n'en sais rien; le fait est que les petits crevés sont devenus les ratissés.

«Le ratissé a son féminin: la ratissée. Et je m'imagine qu'aussi bien que le croupier, la ratissée ratisse le ratissé. Le nouveau nom doit venir de là.» (Illustration, octobre 1885.)

S

T

«Il (M. Bergerat) a accusé M. Porel, directeur du théâtre de l'Odéon, d'avoir voulu tripatouiller dans sa comédie. Notez le verbe, il est pittoresque.» (Illustration, janvier 1888.)

«C'est à vous, Caliban, à qui je veux parler.

Vous avez un défaut que je ne puis céler.

Vous créez chaque jour quelque néologisme

Qui n'est, le plus souvent, qu'un affreux barbarisme.

Ainsi tripatouillage est votre enfant nouveau;

Tripatouille est de mode. On ne sait ce qu'il vaut

Mais on s'en sert......

On dit: je tripatouille et nous tripatouillons.

Tripatouiller est donc le vocable à la mode.»

(Événement, janvier 1888.)

U

V

De cette façon, on écrème le marché dans une matinée et quand le cheval sur lequel on fonde des espérances arrive en bon état au poteau, on peut le rendre à une cote très inférieure et, de cette façon, gagner beaucoup en ne risquant guère. C'est ce qu'on appelle en argot du turf: jouer sur le velours.» (Charivari, avril 1884.)

W

«Il ne manque dans ma boutique

Que le tonnerre et les éclairs

Pour watriner toute la clique

Des exploiteurs de l'univers.»

(Gazette anecdotique, février 1887.)

«En avant! et watrinez les obstacles qui entravent votre mouvement. (Grève sociale, février 1886.)

De watriner on a fait watrinade qui, pour les révolutionnaires, est synonyme de vengeance, de représailles et qui, pour les honnêtes gens, signifie tout simplement crime, meurtre, assassinat. «Hier encore, un ouvrier jugeait à propos de tirer sur son patron. Le Cri du Peuple, naturellement, exalte le courage de l'assassin et qualifie de watrinade ce qui est un crime.» (Parti national, mars 1887.) 594

Z

ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES HÉRISSEY

NOTES:

[1] L'argot pur, l'idiome des révoltés, la langue des gens qui vivent volontairement on fatalement en marge de la société, a été baptisé d'autant de noms différents qu'il y a de nations différentes: cant en Angleterre (où, au XVIIe siècle, on l'appelait impertinemment «français des colporteurs», pedlars french), germania en Espagne, gergo en Italie, bargoens en Hollande, calaô en Portugal, rothwalsch ou rothwelsch (italien rouge) en Allemagne, et balaïbalan en Asie.

[2] Pourquoi les littérateurs français ne feraient-ils pas ce que n'ont pas craint de faire les littérateurs anglais, Ben Jonson, Fletcher, Beaumont et autres dramaturges du cycle shakespearien, qui parlaient si correctement «le grec de Saint-Gilles»? Grec de Saint-Gilles ou langue verte, c'est tout un, et pendant que j'y suis, pourquoi donc oublierais-je Richard Brome, John Webster, Thomas Moore et Bulwer qui ont bravement employé le slang: le premier dans A jovial Crew, or the merry Beggars, le second dans The White Devil, or Vittoria Corombona, le troisième dans Tom Crib's Memorial to congress, et le dernier dans son roman de Paul Clifford?

[3] «Le parler que i'ayme, c'est un parler simple et naïf, tel sur le papier qu'à la bouche; un parler succulent et nerveux, court et serré; non tant délicat et peigné, comme vehement et brusque; plustost difficile qu'ennuyeux; esloingné d'affectation; desréglé, descousu et hardy: chasque loppin y face son corps; non pedantesque, non fratesque, non plaideresque, mais plustost soldatesque comme Suetone appelle celuy de Iulius Cesar.» (Essais, liv. Ier, chap. XXV.

«J'apprends tout mon françois des gens du port,» disait Malherbe,—qui mentait un peu.

[4] Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue!»

dit Nicolas Boileau de la femme de Jérôme Boileau, son frère aîné, laquelle, au dire de Brossette, «avoit un talent particulier pour inventer des noms ridicules et des injures populaires».

[5] M. B. Jouvin, un lettré dans la bonne acception du mot, et dont la place est marquée depuis longtemps au Journal des Débats, M. B. Jouvin sait cela aussi bien et mieux que moi. Pourquoi donc,—il y a quelque temps,—a-t-il, en plein Figaro, donné si vertement sur les doigts à M. Peyrat, rédacteur en chef de l'Avenir national, pour avoir écrit admonestation au lieu d'admonition, et a-t-il pris occasion de cette prétendue «bévue» pour dire son fait au patois et à l'argot, l'un et l'autre fort dangereux suivant lui,—mais le premier «mille fois plus dangereux encore, parce que c'est un conquérant sournois»?

Je n'ai pas à défendre M. Peyrat, assez grand et assez fort pour se défendre tout seul, ni sa prétendue «bévue» qui se défend d'elle-même. L'Académie veut qu'on dise admonition: c'est pour cela qu'on doit dire: admonestation. Les deux mots sont français; seulement il y a cette différence entre eux que le premier est d'un français moderne et le second d'un français ancien. Les vieux écrivains, l'honneur de notre langue, écrivaient admonestation. De preuves, je fais trop de cas de l'érudition de M. Jouvin pour lui en fournir une seule.

La langue moderne,—celle que le rédacteur en chef du Figaro écrit si bien,—n'est pas faite d'autre chose que de patois étrangers ou autochthones. Parlons-nous grec ou latin, anglais ou suédois, allemand ou italien, celte ou thibétain? Sommes-nous une langue mère ou une langue fille? Hélas! le français contemporain est une langue fille, très fille même,—si fille que les austères grammairiens de Port-Royal se refuseraient aujourd'hui à la comprendre, et surtout, la comprissent-ils, à la parler. C'est une sorte de langue de Corinthe où sont venues se fondre et s'amalgamer une foule d'autres langues plus ou moins précieuses, du nord et du midi, d'oc et d'oil, d'Orient et d'Occident, or et cuivre, fer et argent,—avec beaucoup de scories à la surface.

Mais ce n'est pas dans une Note que l'on peut traiter comme il convient une question de cette importance; d'ailleurs, je reconnais volontiers que, pour m'acquitter de cette tâche, je n'ai pas les reins assez fermes, et qu'il me serait impossible de marcher «front à front» avec les philologues passés, présents,—et même futurs: je ne vais «que de loing après». Je n'ai prétendu ici que constater l'introduction légitime des patois et l'intrusion naturelle de l'argot dans le français moderne, qui n'a pas le droit de faire le dédaigneux, car, en se dépouillant de tous ses mots d'emprunt, il courrait grand risque de rester nu comme un petit saint Jean.

[6] Et comme si ce n'était pas encore assez, comme si la langue française actuelle n'était pas suffisamment éloignée de ses origines, il se produit à Paris, tous les dix ou quinze ans, des cacographes qui, sous prétexte d'en rendre l'étude plus accessible, veulent qu'on l'écrive comme on la prononce, c'est-à-dire en supprimant toutes les lettres aphones. Je renonce aux plaisanteries qu'il me serait facile de faire en objectant précisément la prononciation,—que modifient, dit Pascal, trois degrés d'élévation du pôle,—et les accents du pays; je me contente de demander comment on reconnaîtrait _nuptiæ si on l'écrivait _noss, _cor si _keur, _tempus si _tan, _maïus si _mê, _testa si _tett, _hostia si _osti, _mansio si _mèzon, etc. Refaire en 1865 ce que Marle a fait si inutilement en 1830, et Laurent Joubert si vainement en 1859, quelle misère! Et croire que cette orthographe nouvelle,—ou plutôt cette absence de toute orthographe,—rendrait plus facile l'étude de la langue française, quelle sottise!

[7] Si j'avais quelque plaisir à remuer le bric-à-brac littéraire, je pourrais multiplier à l'infini mes exemples académiques; mais comme, au contraire, il s'exhale de toutes ces expressions une odeur de rance, de moisi qui m'écœure l'esprit, je m'en tiens à ces quelques citations.

Une dernière cependant qui me revient en mémoire: ce sera le bouquet. Je n'aime pas beaucoup les réalistes, mais j'aime la vérité, et je dois dire que je préfère M. Champfleury écrivant: «Je porte perruque et j'ai cinquante-huit ans,» à Boileau écrivant:

«Mais aujourd'hui qu'enfin la vieillesse est venue

Sous mes faux cheveux blonds, déjà toute chenue,

A jeté sur ma tête, avec ses doigts pesants,

Onze lustres complets surchargés de trois ans.»

[8] Nous savons que bibliomanie est un mot de la façon de Guy Patin, par conséquent du XVIIe siècle, époque de cette passion frénétique des livres qui poussait des Hollandais et des Anglais à payer des prix fous des bouquins sans autre valeur que leur rareté. Nous savons que contemptible appartient à Malherbe, épigramme à Baïf, pudeur à Desportes, coq-à-l'âne à Marot, à Ronsard, à Balzac, au cardinal de Richelieu, débrutaliser à la marquise de Rambouillet, burlesque à Sarrazin, désenseigner à Montaigne, esprité à Saint-Simon, prosateur à Ménage, escobartin à Pascal, offenseur à Corneille, impardonnable à Segrais, bravoure à Mazarin, arrangé au père Bouhours, s'acclimater à Raynal, d'autres mots encore à d'autres écrivains; mais le reste?

[9] «Singulière manie de chercher à mille lieues les origines des choses et de faire couler des sources du Nil le ruisseau qui lave votre rue!»

(VICTOR HUGO, Préface du Dernier jour d'un condamné.)