The Project Gutenberg eBook of A travers l'Exposition

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Title: A travers l'Exposition

Author: É. Lamarque

Illustrator: Adrien-Emmanuel Marie

Release date: November 16, 2016 [eBook #53536]

Language: French

Credits: Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK A TRAVERS L'EXPOSITION ***


Au lecteur

Table des chapitres

A TRAVERS
L’EXPOSITION


CORBEIL.—IMPRIMERIE CRÉTÉ.



A TRAVERS

L’EXPOSITION

PROMENADES DE DEUX ENFANTS

AU CHAMP-DE-MARS ET A L’ESPLANADE DES INVALIDES

PAR

E. LAMARQUE


ILLUSTRATIONS EN COULEURS D’APRÈS LES AQUARELLES

DE

ADRIEN MARIE

PARIS

LIBRAIRIE DE THÉODORE LEFÈVRE ET Cie

ÉMILE GUÉRIN, ÉDITEUR

2, RUE DES POITEVINS

5

A TRAVERS L’EXPOSITION


LA TOUR EIFFEL

L’Exposition!... avec quelle impatience Jacques et Madeleine l’attendaient! On disait qu’il y aurait des merveilles; aussi ils y pensaient le jour et en rêvaient la nuit. Les parties de ballon ou de cerceau dans les allées ombreuses du jardin, c’était bien amusant; mais l’Exposition!...

Enfin, la voilà ouverte! Les deux enfants ne laissent plus à maman une heure de repos. Les visites obligatoires, on les fera plus tard; les lettres à écrire, elles peuvent attendre; les travaux urgents, la bonne s’en chargera.

Et comme maman est, comme toutes les mamans, une maman gâteau, elle est facilement convaincue, et... en route pour l’Exposition!

De voitures, point; d’omnibus, moins encore. Reste le chemin de fer. Maman fait queue pendant un quart d’heure au guichet de la gare. Enfin, on lui donne ses billets. Elle entraîne Jacques et Madeleine à travers la salle d’attente, arrive sur le quai, cherche trois places, et ne les trouve qu’à grand’peine.

Bientôt la locomotive siffle; le train part. Il va vite, cependant il semble aux deux enfants qu’ils n’arriveront jamais. Dans le ciel bleu se dessine la tour Eiffel.

«Maman, demande Jacques, nous monterons tout en haut, n’est-ce pas?

6

—Oh! non, objecte Madeleine; nous aurions peut-être le vertige.»

M. Jacques hausse légèrement les épaules, ce qui est plus significatif que poli. «Nous verrons,» dit maman.

Le train s’arrête enfin au Champ-de-Mars. Il n’y a qu’à traverser une avenue pour être à l’une des portes de l’Exposition. Maman donne trois tickets... On entre...

Jacques et Madeleine examinent autour d’eux les pavillons, les pelouses, les boutiques. Tout est magnifique et ils ne savent sur quoi arrêter leurs regards. Ils sont éblouis; ils vont la bouche ouverte. Ils regrettent de n’avoir pas une douzaine d’yeux. Et, tout en cheminant, ils murmurent: «Oh, que c’est beau! oh, que c’est donc beau!»

Partout, une foule à n’en plus finir. Ils entendent parler des langages auxquels ils ne comprennent pas un mot.

Devant eux, la tour Eiffel se dresse, gigantesque, presque quatre fois haute comme le Panthéon et, cependant, gracieuse et svelte, avec ses innombrables tiges métalliques dont l’enchevêtrement a l’aspect d’une dentelle.

«Maman, demande Jacques, qu’est-ce que c’est que ces grandes chambres qui montent et descendent à l’intérieur de la tour?

—Ce sont les ascenseurs. Tu as déjà vu dans plusieurs maisons des appareils de même genre; ceux-ci sont beaucoup plus grands, voilà tout.»

Les deux enfants et leur mère pénètrent par une large porte dans l’un des piliers de la tour. Il a été décidé que l’on monterait par les escaliers et que l’on descendrait en ascenseur.

C’est Madeleine qui ouvre la marche.

«Allez doucement, dit maman; sinon, vous serez fatigués avant d’être arrivés au premier étage.»

Il fait très beau temps, et, grâce à la pureté de l’atmosphère, les enfants distinguent très nettement, au fur et à mesure qu’ils avancent, les monuments de Paris qui apparaissent les uns après les autres. Dans l’enceinte de l’Exposition, il y a partout des processions de promeneurs. Pour se garer du soleil, les dames ont ouvert leurs ombrelles, qui ressemblent, vues de haut, à un parterre de champignons multicolores.

Voici le premier étage. Il est formé d’une vaste galerie carrée, avec un grand trou au milieu. Madeleine, qui, le matin, a consulté un guide, déclare que la galerie est à 57 mètres au-dessus du sol, c’est-à-dire à quatre fois la hauteur d’une maison de cinq étages.

On se repose un moment, on jette un coup d’œil sur les boutiques et les 7restaurants qui occupent la galerie, puis on commence l’ascension de la deuxième plate-forme.

Maintenant l’escalier monte en tournant sans cesse en spirale comme l’escalier d’une maison. On voit tout Paris et une partie de ses environs.

Parvenu au deuxième étage, Jacques déclare qu’il est un peu fatigué.

«Déjà! dit Madeleine; nous ne sommes pourtant qu’à 115 mètres.»

Comme on le voit. Mlle Madeleine est très bien renseignée.

De nouveau on se repose, de nouveau on regarde les boutiques de la galerie; Jacques insinue que l’on est monté assez haut.

«Tiens, tiens, tiens, répond sa sœur, je croyais que tu voulais monter jusqu’au sommet?

—J’ai changé d’avis, voilà tout.

—C’est que tu as peut-être peur du vertige.

—Peur, moi!...»

Piqué au vif par cette remarque, Jacques abandonne le siège où il était assis, et, résolument s’écrie:

«En route pour le troisième étage!»

Maintenant il n’y a plus d’escaliers et il faut prendre place dans l’ascenseur. La machine grimpe, grimpe, et le panorama s’étend de plus en plus.

Voici la troisième plate-forme. La vue est féerique; pourtant, Jacques éprouve une désillusion: il s’était figuré que du haut de la tour on pouvait voir la mer, et on ne la voit pas. Madeleine et lui regardent avec étonnement les voitures, qui ne paraissent pas plus grandes que des cartons à chapeau, et les piétons qui ressemblent à des Lilliputiens. A quelques mètres au-dessus de la galerie est installé le phare électrique.

«Dis donc, Madeleine, observe Jacques, si la Tour s’effondrait?...

—Eh! nous ferions un petit plongeon de 300 mètres.

—Et probablement nous n’en réchapperions pas?

—Probablement.»

Il faut redescendre. On reprend place dans l’ascenseur et l’on arrive au pied de la tour sans accident. En souvenir de leur ascension, maman achète à Jacques une jolie reproduction de la tour, à Madeleine un bracelet au fermoir duquel pend une toute petite tour en argent.


8

LES JOUETS

«Que voulez-vous voir aujourd’hui, mes enfants?» demanda maman, lorsque pour la deuxième fois elle conduisit Jacques et Madeleine à l’Exposition.

Jacques répondit:

«Moi, je voudrais bien voir les jouets.»

Et Madeleine se rangea au désir de son frère.

Va donc pour les jouets!

Ils sont logés au Champ-de-Mars, dans un emplacement qui ressemble à un palais de fées. C’est un étalage de merveilles, un royaume enfantin où il n’y a pas d’heures de classe, mais seulement des heures de récréation. Sûrement si l’on priait messieurs et mesdemoiselles les bébés de désigner un bâtiment qui ne serait pas démoli à la fin de l’Exposition, c’est celui-là qu’ils choisiraient.

On ne sait, dans cette exposition, où porter de préférence ses regards. Des artistes et des savants se sont mis en frais d’imagination pour produire de petits chefs-d’œuvre. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses.

Voici Guignol, avec maître Polichinelle, qui, armé de son bâton, discute avec un avocat. C’est bien le Polichinelle classique, tel que les enfants l’ont vu aux Champs-Élysées, aux Tuileries ou au Luxembourg, le Polichinelle qui bat volontiers et joue des tours, mais qui cependant rit plus souvent qu’il ne se fâche et est bon diable au fond.

Devant le théâtre, des bébés Jumeau aux frais visages et aux pimpants costumes sont disposés sur une grande table. On les croirait vivants, on jurerait qu’ils vont marcher et parler. Du reste, ils sont articulés; leurs paupières sont ouvertes quand ils sont debout, fermées quand ils sont couchés. Presque tous savent dire papa et maman.

A côté, une petite fille (une poupée, bien entendu) est couchée dans un élégant berceau mi-clos de rideaux blancs. L’enfant est endormie et rêve. Une 9 jeune femme, vêtue de blanc, avec des ailes comme en ont les anges dans les tableaux, lui apparaît dans son sommeil, apportant un polichinelle, un mouton, une fillette et un tambour.

Ailleurs, c’est un toutou monté sur des roulettes, c’est un coq fièrement campé sur ses pattes, c’est un tonneau de porteur d’eau traîné par un âne aux longues oreilles.

Oh! la jolie collection de masques! Les uns rient, les autres font la grimace. Il y en a qui ont des nez longs comme la colonne Vendôme. Quelques-uns portent des lunettes. On croirait assister à une fête de carnaval.

Et ce mât de cocagne, qui ressemble à un grand parasol bleu et porte au sommet quantité d’objets qu’un automate va décrocher en grimpant!

«On dirait un bonhomme de chez Robert Houdin,» observe Madeleine.

L’automate est mû par un mécanisme invisible. Quand il est parvenu à l’extrémité du mât, il s’empare de l’objet que le hasard met à portée de son crochet, et redescend. Or, les personnes assemblées ont parié d’avance que le bonhomme reviendrait avec tel lot ou tel autre; c’est à celle qui a deviné juste qu’appartient le lot décroché.

Maman, qui recherche les occasions d’instruire ses enfants, leur apprend que les peuples de l’antiquité aimaient à fabriquer des automates. Elle ajoute que, dans les temps modernes, le plus célèbre constructeur d’objets de ce genre fut un ingénieur français, nommé Vaucanson.

Les enfants ont voulu essayer de gagner un des lots suspendus à l’extrémité du mât de cocagne et maman a donné à chacun d’eux un franc avec lequel ils ont tenté la chance. Mais la fortune ne leur a pas souri et ils n’ont rien gagné du tout. C’est pour eux un petit désappointement; il y avait là-haut certain jambon en sucre que Jacques se fût fait une fête d’emporter à la maison et qu’il regardait avec convoitise. Rien!... Comme c’est ennuyeux! Mais maman est là pour consoler Jacques et Madeleine; elle leur fait comprendre qu’il ne faut jamais compter sur la chance, et que ceux qui, dans la vie, mettent en elle leur confiance, se ménagent fatalement une foule de graves déceptions. Pour un heureux qui gagne un gros lot, il y en a des milliers qui ne gagnent rien du tout.

«C’est, dit-elle, sur le travail qu’il faut fonder ses espérances, non sur le hasard qui échappe à tous nos calculs.»


10

UNE COLLATION

Un autre jour, après avoir couru de-ci de-là dans l’enceinte du Champ-de-Mars, Jacques et Madeleine passèrent devant le Palais Indien. Ils y entrèrent. Dans une partie de l’édifice, un grand nombre de personnes étaient attablées et buvaient du thé, apporté sur des plateaux par des hommes à la figure et aux mains presque noires, vêtus de longues redingotes blanches serrées à la taille par une ceinture multicolore, de pantalons de toile, et d’une espèce de turban qui leur enserrait la tête.

«Alors, maman, ce sont des Indiens, ces hommes-là? demande Madeleine.

—Oui, mon enfant, mais on dit plutôt des Hindous.

—Eh bien, tu sais, quand je serai grande, je ne veux pas me marier avec un Hindou.»

S’asseoir et prendre une tasse de thé, Jacques et sa sœur n’y tiennent pas. Ils savent qu’il y a aux Invalides une pâtisserie et une vacherie anglaises; et c’est là qu’ils voudraient faire collation.

«Eh bien! dit maman, allons-y!»

La distance est assez longue du Champ-de-Mars aux Invalides; mais il est si amusant de la parcourir dans un des wagons du chemin de fer Decauville que l’on regrette qu’elle ne soit pas encore plus longue.

Quand Jacques a vu la locomotive, il s’est demandé si une aussi petite machine aura la force de remorquer un train long et bondé de monde. Mais oui, elle le remorque, et très vite même.

Maman explique que le chemin de fer Decauville a été souvent employé pendant les guerres dans des pays où l’on n’a pas encore construit de voies ferrées. Les armées emportent avec elles tout le matériel nécessaire; elles ont ainsi un moyen de transport rapide pour leurs déplacements et pour leurs approvisionnements en vivres et en munitions.

Sur tout le parcours du train, des affiches sont collées, le long de la voie, 11sur les murailles et sur les palissades; ces affiches sont imprimées dans toutes les langues de l’univers, même en volapük et en sténographie:

ATTENTION

PRENEZ GARDE AUX ARBRES

NE SORTEZ NI TÊTE NI JAMBES

«Les Invalides, tout le monde descend.»

Voici la pâtisserie. Madeleine et Jacques hésitent un moment avant de choisir les gâteaux qu’ils mangeront. Tout a l’air si bon qu’ils ne savent pour quoi se décider. Enfin Mlle Madeleine prend délicatement, du bout de ses petits doigts gantés, un éclair au chocolat, et M. Jacques s’empare d’un chou à la crème dans lequel il mord à belles dents.

Or, il est très difficile de manger, sans se salir, des éclairs et des choux à la crème, si l’on ne se sert pas d’une assiette et d’une cuiller; et les enfants ont négligé de demander l’une et l’autre. Aussi Madeleine fait-elle des taches à ses gants, tandis que Jacques se barbouille la figure de crème; il faut que maman répare le double accident avec son mouchoir.

On dit que l’appétit vient en mangeant,—non point peut-être en mangeant du bœuf bouilli, mais sans doute en mangeant de bonnes choses. C’est, en tout cas, ce qui arrive pour Jacques et sa sœur; monsieur ne se déclare satisfait qu’après le quatrième gâteau et mademoiselle qu’après le troisième.

Maintenant, les enfants meurent de soif, ce qui n’a rien d’extraordinaire. Maman les conduit à la vacherie, et commande une petite tasse de lait pour elle, deux grands verres pour Madeleine et pour son frère.

Jacques, qui est, je crois, un tantinet gourmand, s’assied à une table et se met à boire avec avidité. Madeleine, moins pressée, va regarder les vaches qui avancent leur bonne tête douce et placide, le petit veau qui a l’air de se demander ce que font là-bas Jacques et sa maman.

Pour une collation sérieuse, les deux enfants peuvent dire qu’ils ont eu une collation sérieuse. Il est même à craindre qu’ils ne fassent guère honneur au dîner. Enfin, pourvu qu’ils n’aient pas mal à l’estomac...


12

LA RUE DU CAIRE

La rue du Caire se trouve entre le Palais Indien et la Galerie des Machines. On pourrait s’y croire transporté en Égypte. Les maisons sont très curieuses, avec leurs terrasses dont les balustrades ressemblent à des dentelles, leurs auvents de toile bariolée, leur moucharabis, leurs habitants au visage basané et aux costumes exotiques. Jacques et Madeleine s’arrêtent devant les boutiques où l’on vend des produits africains, broderies, harnachements, parfumerie, bijouterie, nougats, confitures... Que sais-je encore?

Il y a des établissements où l’on prend du café préparé à la façon arabe, c’est-à-dire servi avec le marc, qui se dépose au fond de la tasse en une poudre excessivement fine; des musiciens égyptiens jouent, pour amuser les consommateurs, des airs de leur pays sur des instruments inconnus dans nos orchestres parisiens.

«Maman, dit Jacques, tu sais que tu nous as promis de nous faire monter sur les ânes du Caire?

—Oh! oui, maman, ajoute Madeleine; les ânes... allons voir les ânes!»

Un moment après, les deux enfants sont à dos d’Aliboron. Madeleine est tout à fait à son aise, mais Jacques a l’air d’éprouver beaucoup moins de plaisir qu’il ne s’en était promis. Il ne se sent pas du tout solide sur sa monture. Heureusement, l’ânier égyptien marche à côté de l’animal, tenant l’écuyer novice par la ceinture. Maman suit un peu en arrière.

Il n’y a pas eu d’accident. Même, après les premiers pas des ânes, Jacques a éprouvé moins d’appréhension; et avant la fin de la promenade, il se serait volontiers comparé à un second Alexandre domptant un second Bucéphale. S’il n’a pas fait cette comparaison, ce n’est point parce qu’il l’aurait crue un peu forcée; c’est uniquement parce qu’il ignore la célèbre aventure du conquérant macédonien.

«Maman, maman, regarde ce monsieur qui fait sa correspondance en 13plein air. Est-ce que c’est l’habitude, en Égypte, d’écrire ses lettres dans la rue?

—Non, mon enfant; ce monsieur est un écrivain public.»

Jacques s’approche du personnage; Madeleine le suit.

«Oh! maman, s’écrie Jacques, comme c’est drôle; ce monsieur écrit à l’envers!»

Maman explique que dans l’écriture arabe, qui est celle des Égyptiens, la ligne commence à droite et finit à gauche.

«De sorte, dit-elle, que pour les Arabes, c’est nous qui écrivons à l’envers.

—Mademoiselle, propose l’Égyptien à Madeleine, voulez-vous que je vous fasse un cent de cartes de visite?

—Merci, monsieur, je n’ai pas l’intention d’aller en Égypte. Mais vous seriez bien aimable d’écrire le nom de mon frère et le mien.»

L’écrivain défère volontiers au désir de la fillette et remet sa carte à chacun des deux enfants.

La promenade continue. Ah! voici un théâtre. Les deux enfants demandent à maman de les faire assister à une représentation.

Ce théâtre ne ressemble pas du tout à un théâtre parisien. L’orchestre comprend quatre musiciens, qui sont assis au fond de la scène et jouent toujours la même chose: un air monotone composé seulement de quelques notes.

Des Africains font des assauts de sabre; des sauvages noirs se livrent à toutes sortes de contorsions qui constituent, paraît-il, la chorégraphie de leur pays. De jeunes femmes, vêtues de costumes aux couleurs chatoyantes, dansent en imprimant à leur corps de gracieux mouvements; ce sont des almées. Elles s’accompagnent avec des castagnettes de métal.

«Mes enfants, dit maman, il se fait tard, et il va falloir songer au départ.

—Déjà!...» répondent Jacques et sa sœur.

Ce déjà prouve qu’ils ne se sont pas ennuyés et que le temps a passé vite pour eux. Avant de quitter la rue du Caire, ils assistent aux évolutions d’un singe savant qui, au son du tam-tam, fait l’exercice, danse et exécute des tours de gymnastique.

Que de choses ils vont avoir à raconter à leur papa, quand ils seront de retour à la maison!


14

LA GALERIE DES MACHINES

Un palais, bien plutôt qu’une galerie. C’est immense et c’est magnifique. Il y a là des machines de toutes sortes, qui résument les plus admirables productions de l’industrie humaine.

Avant de parcourir la galerie à pied, maman conduit Jacques et Madeleine à un ascenseur qui dessert l’une des deux grandes plates-formes roulantes. Ces plates-formes, mues par l’électricité, vont, sur des rails très élevés, d’un bout à l’autre du palais. Elles avancent lentement, de manière que l’on ait le temps de regarder toutes les machines au-dessus desquelles on voyage.

Quand les enfants ont ainsi joui d’un coup d’œil d’ensemble, ils examinent la galerie dans ses détails. Jacques regrette beaucoup de n’avoir pas encore étudié la mécanique; il se promet d’être bachelier ès sciences le plus tôt possible, et, quand il y aura une autre Exposition universelle, il pourra expliquer à sa sœur le fonctionnement de toutes les machines qu’ils verront. Pour cette fois, il faut se contenter de regarder sans comprendre.

Du reste, même sans savoir le «parce que» du «pourquoi», on ne saurait se promener dans la galerie sans être intéressé.

Voici, par exemple, une machine à coudre et à broder devant laquelle Jacques et Madeleine se sont arrêtés. Sans doute le frère et la sœur ignorent de quelle façon cet instrument est construit; personne ne leur a probablement dit qu’il a été inventé par un Français, nommé Thimonnier, perfectionné plus tard par l’Américain Elias Howe, et appliqué à une foule de besognes qu’il simplifie et abrège. Mais ils voient combien, grâce à lui, on coud, on pique et l’on brode vite. Une demoiselle fait fonctionner, sans aucune fatigue, l’appareil qui marque des mouchoirs en quelques secondes.

Un peu plus loin, il est vrai, Jacques se fâche au lieu d’admirer. Il marchait tranquillement, lorsque soudain, comme il passait devant un tuyau en forme 15d’ophicléide, son chapeau s’envole. Il est fort heureux que l’enfant ne porte pas perruque: les faux cheveux se seraient envolés comme le chapeau.

«Oh! la sotte machine! s’écrie-t-il. A quoi bon souffler ainsi sur les gens qui se promènent?

—Mon ami, répond maman, cette machine est un ventilateur, et son rôle est précisément de produire du vent.

—De produire du vent, je le veux bien, mais non pas de me décoiffer.

—L’accident n’est pas grave, avoue-le; et je t’engage à pardonner à l’appareil de l’avoir causé, en faveur des services qu’il rend. Songe que c’est au moyen des ventilateurs que l’on renouvelle l’air dans les endroits où il est vicié. De son souffle puissant l’instrument chasse et remplace l’atmosphère insalubre, et empêche ainsi les maladies et les épidémies.»

Après cette explication de sa maman, Jacques n’est plus du tout fâché contre le ventilateur.

«Mesdames et messieurs, dit un jeune homme assis derrière une petite table surmontée d’une caisse singulière, venez écouter un concert donné il y a dix mois, à New-York.»

Madeleine et son frère se regardent, tout étonnés. Comment est-il possible que, de Paris, on entende de la musique exécutée à New-York, dix mois auparavant? Sans doute ce jeune homme veut plaisanter.

Eh bien, non, il ne plaisante pas du tout. L’appareil qui est sur la table est un phonographe, c’est-à-dire un instrument qui recueille les sons et les reproduit quand on le désire.

«Le phonographe, dit maman, a été inventé par le célèbre Américain Edison. Plus tard, quand vous étudierez la physique, vous apprendrez que c’est à l’électricité et au magnétisme qu’il doit ses propriétés.»

Les enfants et leur mère s’approchent de la table et prennent à la main des fils terminés par une espèce de fourche dont ils appuient les deux extrémités contre leurs oreilles. Aussitôt ils entendent, avec une netteté absolue, un orchestre complet jouer une marche entraînante.

«Comme c’est drôle!» dit Madeleine.

Quant à Jacques, il est de plus en plus décidé à travailler dur pour être bientôt bachelier ès sciences.


16

LE VILLAGE ANNAMITE

Dans les allées de l’Esplanade des Invalides, de petits tilburys légers, propres, coquets, circulent, traînés par des Annamites. Ces chevaux humains ne connaissent pas le luxe des chaussettes et des bottines; ils se contentent de sandales, c’est-à-dire de semelles fixées au pied par des lanières. Ils portent un large pantalon qui ne leur descend pas jusqu’à la cheville, une ample blouse ornée sur le devant de dessins auxquels il est impossible de rien comprendre, et, sur la tête, un chapeau en forme de cloche conique, fixé par des attaches sous le menton.

Jacques veut, naturellement, faire une promenade dans un tilbury; il ne regrette qu’une chose, c’est qu’il n’y ait pas de guides pour conduire le cheval, pas de fouet pour accélérer sa marche. A son avis, ce qu’il y a de plus amusant quand on est en voiture, c’est de gouverner son attelage, de le faire tourner à gauche ou à droite au gré de sa fantaisie, de ralentir ou d’accélérer son allure.

Ah! si, pourtant, il y a encore quelque chose qui le taquine; c’est un problème qu’il se pose et dont il ne peut trouver la solution: ces tilburys s’appellent des pousse-pousse; pourquoi pas tire-tire, puisque le Chinois ne pousse pas, mais tire?

Maman, consultée, ne sait comment expliquer cette anomalie de langage; c’est que probablement il n’y a pas d’explication raisonnable.

Quoi qu’il en soit, Jacques et sa sœur montent dans un pousse-pousse et se font voiturer. C’est très amusant, mais ils trouvent que le Chinois ne va pas assez vite. Ils voudraient qu’il courût, quitte à écraser sur son passage quelques piétons. Tout à l’heure, quand ils seront piétons à leur tour, il est probable qu’ils reviendront à des sentiments plus charitables.

Lorsqu’ils se sont bien fait «carrioler», ils descendent devant le village annamite que, suivant le programme de la journée, ils doivent visiter. Avant 17de partir de la maison, maman leur a appris que l’Annam, pays des Annamites, est situé dans l’Indo-Chine, au sud-est de l’Asie, entre le Tonkin, le Cambodge et la Cochinchine française, et qu’il est placé sous notre protectorat depuis 1874.

Ce village annamite est loin de ressembler à un village français; les maisons sont rudimentaires et Madeleine déclare qu’on doit y être beaucoup moins agréablement que dans les maisons de Paris.

Elle a peut-être raison, Mlle Madeleine. En tout cas, Jacques est de son avis et maman ne paraît pas éloignée de le partager.

Voici des brodeuses qui travaillent, assises par terre devant leur métier à la manière des tailleurs. Jacques ne les trouve ni belles ni élégantes. Affaire de goût. Peut-être leurs compatriotes les trouvent-ils très jolies et fort bien habillées. Ah! voici, plus loin, un indigène qui incruste des meubles avec de la nacre. Comme les femmes, il est assis par terre. Décidément les chaises ne sont pas connues dans le royaume d’Annam.

«Maman, maman, s’écrie soudain Madeleine, regarde ces animaux en baudruche qui servent de lanternes!»

Ils sont de toutes sortes et de toutes couleurs, ces animaux: dragons verts, poissons roses, papillons, oiseaux, etc. Maman explique à Madeleine que ce ne sont pas des lanternes, mais des ex-voto que les fidèles annamites suspendent dans leurs temples.

Les Annamites ont un théâtre à l’Exposition, et la journée de Jacques et de Madeleine ne serait pas complète s’ils n’assistaient pas à une représentation. Maman les y conduit.

Ce théâtre a un défaut capital, pensent les deux enfants: c’est que les acteurs parlent un langage incompréhensible. On ne sait s’ils jouent une tragédie, un drame ou une comédie, s’ils s’expriment en vers ou en prose. Pourquoi n’ont-ils pas appris le français avant de venir à Paris? Au moins, de cette façon, on saurait ce qu’ils disent et l’on s’intéresserait davantage à la représentation. Du reste, ils portent des costumes grotesques, gesticulent comme des polichinelles dont on tirerait violemment les ficelles et crient comme si on les écorchait.

Non, décidément, les théâtres de Paris valent mieux.


18

UN COIN DE L’EXPOSITION DE LA RUSSIE

Aujourd’hui, c’est au Champ-de-Mars que Jacques et Madeleine ont passé l’après-midi. Ce qui les a le plus intéressés, c’est un coin de l’exposition de la Russie.

La Russie... Voilà un pays que Jacques voudrait bien voir. Il a entendu dire que les Russes aiment beaucoup les Français et les reçoivent de la façon la plus charmante. Il sait, de plus, que dans la bonne société tous les Russes parlent très bien notre langue, ce qui fait qu’il n’éprouverait aucune difficulté à se faire comprendre. Et enfin, il paraît que la vie est, à Saint-Pétersbourg et à Moscou, tout à fait différente de la vie de Paris. Aussi Jacques se promet-il d’aller en Russie quand il sera grand; il emportera beaucoup de papier blanc, des crayons, des plumes et de l’encre, et il écrira un gros livre sur ce qu’il aura vu et appris.

Dans une salle du palais attenant à celui des Arts-Libéraux, des fourrures de toutes sortes sont étalées; les unes, confectionnées, sont sur des piquets de bois; les autres, encore non façonnées, sont fixées contre les murailles.

En France, où les hivers ne sont généralement pas rigoureux, ces fourrures seraient beaucoup trop chaudes; mais en Russie, où il y a souvent quarante degrés de froid, on ne peut se dispenser de porter des pelisses faites avec les peaux les plus épaisses. Ce qui est dans nos pays un objet de luxe est là-bas un objet de première nécessité.

Maman explique que les meilleures fourrures sont celles d’animaux tués en hiver; le poil est alors plus fin et plus serré. Elle ajoute que les plus belles pelisses sont faites avec du chinchilla, de la loutre ou de la martre zibeline.

Il y a aussi des ours empaillés qui sont énormes et ont l’air fort rébarbatif. M. Jacques, que l’on fâcherait très sérieusement si on lui disait qu’il manque de bravoure, n’ose pas trop s’approcher des féroces animaux. Il a 19beau savoir qu’ils ne sont pas vivants, leur voisinage ne lui convient que très médiocrement. Madeleine, qui s’est aperçue des impressions de son frère, s’amuse à l’attirer près de l’un d’eux, tout noir, assis sur son train de derrière; mais l’enfant résiste énergiquement. Il n’aime pas les bêtes féroces, c’est encore une affaire de goût.

Les jouets l’intéressent bien davantage; et puis ils n’éveillent dans son esprit aucun sentiment de crainte. Voici, par exemple, une poupée revêtue du costume national russe, qui lui paraît tout à fait charmante. Voici encore un bonhomme assis dans un traîneau rouge auquel est attelé un très joli cheval blanc. Il est dommage, pense Jacques, qu’il n’y ait pas, en hiver, assez de neige au bois de Boulogne pour qu’on puisse aller s’y promener tous les jours en traîneau. Ce serait très amusant.

Un autre jouet représente deux ouvriers armés chacun d’un marteau avec lequel ils frappent sur une enclume. L’un de ces ouvriers est un homme, l’autre est un ours.

Ici, derrière un comptoir, un jeune Moscovite vend des cuillers, des sébiles, des tasses et des vases en bois.

Là-bas, on a exposé une collection de berceaux.

«Crois-tu, maman, que les bébés puissent dormir là-dedans? demande Madeleine.

—Pourquoi pas?

—Oh! ils doivent être couchés comme sur des pierres.»

Madeleine exagère. Les berceaux ne sont sûrement pas d’une élasticité exagérée; mais ils valent bien les hamacs, auxquels ils ressemblent d’ailleurs, et dont on se contente volontiers.

La plus curieuse de ces couchettes est fixée horizontalement, par des courroies, au dos d’une paysanne sibérienne.

«C’est sans doute très commode pour cette paysanne, tant qu’elle est debout, observe Madeleine; mais si elle voulait s’asseoir contre une muraille?...

—Si elle voulait s’asseoir?... dit Jacques; eh bien, elle mettrait le berceau par terre, voilà tout.»

Rien n’est plus juste.


20

HISTOIRE DE L’HABITATION

L’histoire de l’habitation... Un savant architecte français, doublé d’un grand artiste, Viollet-le-Duc, a raconté cette histoire dans un ouvrage plutôt écrit pour les papas et les mamans que pour les petits garçons et les petites filles. Sûrement Jacques ne comprendrait pas grand’chose aux descriptions qu’il contient, tandis qu’à l’Exposition, il n’a qu’à regarder les petits édifices construits par M. Ch. Garnier, pour se faire une idée exacte des progrès accomplis par l’architecture, depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours.

D’abord, cette architecture fut des plus simples; même ce n’était pas, à proprement parler, de l’architecture. Des morceaux de bois assemblés de manière à former une hutte, c’était tout ce qu’il fallait; quant aux meubles, ils étaient plus rudimentaires encore que les maisons. Jacques plaint les Étrusques, qui, mille ans avant l’ère chrétienne, logeaient dans de pauvres cabanes où le vent devait jouer aux quatre coins; les Pélasges étaient plus mal encore.

Presque tous les peuples anciens sont représentés à l’Exposition par un type de leurs habitations; les Phéniciens, les Hébreux, les Assyriens, les Égyptiens, les Grecs du temps du Périclès, les Romains du temps d’Auguste, les Aztèques d’avant Fernand Cortez.

Voici une maison gauloise; à la rudesse de ses formes, on reconnaît le caractère de nos ancêtres. Point d’ornements inutiles, point de luxe. Les Gaulois, grands guerriers et grands chasseurs, préféraient la gloire à la commodité, n’avaient pas besoin d’un lit douillet et se passaient volontiers d’une ample batterie de cuisine et d’une table bien servie.

Que penseraient les anciens si, ressuscitant tout à coup, ils étaient transportés dans une de nos demeures modernes? Il est probable que tout d’abord ils ne comprendraient pas l’usage d’un grand nombre des objets dont elles sont garnies, et qu’il faudrait le leur expliquer. Les ménages les plus pauvres 21 ont, en effet, aujourd’hui des meubles que ne connaissaient pas les peuples primitifs.

Et si, au lieu de remonter le cours des siècles, nous le descendons, il est à supposer que, dans quelques centaines d’années, les maisons et les ameublements auront réalisé des progrès tels que nous en serions étonnés, s’il était possible que nous les vissions. Il est, par exemple, deux inventions récentes dont tout le monde profitera certainement dans un avenir peu éloigné; ce sont l’éclairage électrique et le téléphone. Quand toutes les maisons—et cela viendra—auront leur téléphone et leurs lampes électriques, on parlera peut-être avec quelque pitié, sinon avec quelque mépris, du temps où l’on n’avait pour correspondre que la poste et le télégraphe, et pour s’éclairer que les bougies, les lampes et le gaz. Mais c’est là une conséquence naturelle des perfectionnements qu’amène sans cesse la civilisation en toutes choses: chaque âge l’emporte en commodités sur le précédent, et il en sera ainsi aussi longtemps que le monde existera.

Oh! le joli chalet russe, léger et gracieux, avec des colonnettes, des dômes, des tourelles et des balcons! Qui croirait que des constructions aussi sveltes et aussi élégantes puissent offrir un abri suffisant contre les neiges et le froid qui règnent, pendant l’hiver, dans l’empire des tzars?

Et cette petite cité lacustre!... Est-elle assez curieuse? Isolée au milieu de l’eau, elle contient tout ce qui est nécessaire aux besoins de l’homme. Et l’on y est assuré contre les voleurs, sinon contre les rhumatismes.

«Quand vous irez en Suisse, dit maman, vous verrez des restes de maisons lacustres. Elles étaient construites sur pilotis au-dessus des lacs, complètement isolées de la terre ferme où leurs habitants n’allaient qu’en bateau.»

Jacques et Madeleine ont encore le temps de visiter une tente de Peaux-Rouges. Cette tente est supportée par des troncs d’arbres. C’est primitif, mais solide; et messieurs les sauvages s’y trouvent parfaitement bien. Dans quelques siècles, quand la civilisation aura pénétré parmi eux, ils seront sans doute plus difficiles; mais actuellement ils se contentent de leur pauvre aménagement.

Avant de se retirer, Jacques achète un bateau à une femme peau-rouge; Madeleine fait l’acquisition d’une petite tente.


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L’EXPOSITION DE L’ALGÉRIE

«Boum-boum! boum-boum!»

Oh! le singulier bonhomme, qui débite des bonbons,—des boum-boum, comme il dit. Il a la figure et les mains aussi noires que le fond de la cheminée, des lèvres épaisses et des dents blanches. C’est un Algérien, vêtu du costume de son pays; les habitués de l’Exposition ne l’appellent que Boum-Boum.

Le brave Africain sera désormais plus connu en France que dans son pays. Il constitue une des curiosités de l’Exposition, et quiconque a visité l’Esplanade des Invalides est allé le voir. Les enfants l’aiment beaucoup, parce qu’il est très poli avec eux, les traite comme de grandes personnes et leur vend d’excellentes choses. En ce qui le concerne, Jacques voudrait être poète comme Corneille ou Racine pour célébrer dans de beaux vers Boum-Boum et ses bonbons.

Du reste, l’Algérie est très bien représentée à l’Esplanade des Invalides. Des enfants kabyles reçoivent avec la plus exquise politesse les personnes qui entrent dans le village algérien et leur baisent la main. Les habitants de notre belle colonie veulent sans doute partager le renom d’urbanité universellement dévolu aux Français.

Voici des masques bien curieux. Ils sont taillés dans des noix de coco et affectent les formes les plus originales. Les filaments qui entourent la noix constituent la barbe, la moustache et les cheveux.

«Maman, demande Jacques, est-ce que c’est de ce fruit que vient le coco que l’on vend dans les jardins de Paris pour deux sous le verre?

—Non, mon enfant. Le coco que tu bois aux Tuileries et au Luxembourg est fait avec du jus de réglisse, tandis que les cocos que tu vois ici sont les fruits d’un arbre qui croît dans les pays tropicaux et qu’on appelle cocotier. A l’intérieur du coco est une amande creuse, blanche, très bonne à manger, et qui donne une liqueur laiteuse très agréable. Le cocotier rend les plus 23 grands services aux peuples des pays chauds; il leur fournit du sucre, du lait, de la crème, du vin, du vinaigre, de l’huile, des cordages, de la toile, des vases et du bois de construction.»

Ce qui, parmi les curiosités algériennes, a le plus amusé Jacques et Madeleine, c’est peut-être la fantasia.

Une fantasia est une cavalcade furieuse, un jeu national, comme en Espagne une corrida de taureaux et en Angleterre une partie de cricket. Montés sur leurs chevaux rapides, qu’ils dirigent en écuyers consommés, les Arabes se lancent dans une course folle, armés de fusils qu’ils brandissent, lancent en l’air et rattrapent sans jamais les laisser tomber. Les bêtes hennissent; les cavaliers crient et font feu.

Malheureusement, l’espace est restreint aux Invalides, et les chevaux n’ont pas assez de place pour prendre et suivre leur élan. C’est en Algérie, principalement dans la province d’Oran, qu’il faudrait voir une fantasia. C’est un spectacle unique, dont la fantasia de l’Exposition ne peut donner qu’une idée bien réduite.

«Et, dis-moi, maman, demande Jacques, c’est grand, l’Algérie?

—Oui, mon enfant; l’Algérie a une superficie plus grande que celle de la France.

—Et tout ce pays-là nous appartient?

—Depuis 1830. C’est notre plus belle et notre plus riche colonie. Le climat y est excellent et le sol très fertile. Tu sais que les vignes françaises ont été partiellement détruites par le phylloxera?

—Oui.

—Eh bien, pour compenser les pertes qu’ont occasionnées ce malheur, on a planté en Algérie un très grand nombre de vignes qui produisent un très bon vin.

—Et les Arabes ne nous en veulent pas de leur avoir pris leur sol?

—Ils nous en ont d’abord voulu et quelques-uns nous en veulent encore. Mais la majorité commence à s’apercevoir qu’au lieu de leur faire du mal, les Français leur ont fait du bien, et que leur intérêt est d’accepter une domination qui, sans supprimer aucune de leurs libertés, leur procure des avantages considérables.


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LE VILLAGE JAPONAIS

Au moment d’entrer dans le village japonais, Jacques et Madeleine ne sont pas sans éprouver quelque appréhension.

«Au moins, maman, a dit Jacques, tu es bien sûre qu’on ne nous fera aucun mal?

—Et pourquoi vous ferait-on du mal?

—Dame, parce que les Japonais sont des sauvages.

—Non, mes enfants, les Japonais ne sont pas des sauvages, bien loin de là. Il est vrai que leur civilisation est différente de la nôtre, mais ils nous sont supérieurs en un grand nombre de matières; leur porcelaine, par exemple, est beaucoup plus belle que la nôtre, et nous ne savons pas fabriquer le papier aussi bien qu’eux. Les vases, garnis de plantes ou transformés en lampes qui font l’ornement de tant de nos salons, sont pour la plupart japonais; et les amateurs de livres apprécient surtout ceux qui sont imprimés sur du papier du Japon.

—Et ces gens-là ne sont pas méchants?

—Pas le moins du monde.»

Rassurés par les paroles de leur maman, les deux enfants pénètrent sans crainte dans le village, où ils sont accueillis par deux charmantes demoiselles occupées à confectionner des objets de bimbeloterie. Ces jeunes filles portent le costume de leur pays qui, pour ne pas ressembler aux costumes parisiens, n’en est pas moins très coquet.

Madeleine a remarqué que ces demoiselles ont un tout petit pied et elle en fait l’observation à sa mère.

«Mon enfant, la petitesse du pied des femmes est, au Japon et en Chine, un signe de distinction. Aussi, dans la bonne société de ces pays, condamne-t-on les jeunes filles à ne pas marcher et les oblige-t-on à porter un appareil qui empêche leurs pieds de grandir.

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—Mais, maman, cet appareil doit gêner beaucoup?

—Oui, même il fait mal et il serait désirable que l’usage en fût aboli; malheureusement, il en est des Asiatiques comme des Européens: ils aiment mieux suivre la mode, même quand elle est nuisible à leur santé, que rompre avec elle.»

Oh! les jolies maisons, bordées de balcons abrités par le prolongement de la toiture, surmontées de belvédères légers et gracieux! Sûrement on doit être très bien dans ces habitations, et l’on s’accommoderait volontiers en France de l’une d’elles, pendant l’été, à la campagne ou aux bains de mer. On y ajouterait quelques chaises et quelques fauteuils, un lit à sommier, une armoire à glace, les quelques bibelots dont l’habitude nous a fait une nécessité, et ce serait parfait.

Il paraît qu’au Japon les enfants vont à l’école tout comme à Paris. Voici une salle de classe, où élèves et professeur sont représentés par des mannequins. Peut-être l’installation n’est-elle pas des plus confortables; mais les jeunes Japonais n’en ont que plus de mérite à bien travailler. Ils sont assis et écrivent sur le parquet; c’est une affaire d’habitude. Du reste, si le matériel scolaire est au Japon des plus rudimentaires, on y connaît du moins les pupitres; la preuve, c’est que le maître d’école en a un devant lui.

Voici, non loin de la classe, une salle affectée à l’Exposition des jouets. C’est l’agréable à côté de l’utile, l’amusement à côté de l’étude.

Ils sont très simples, ces jouets; mais, pour manquer de complication, ils n’en valent pas moins. Jacques et Madeleine se sont arrêtés devant un monsieur qui fait voler en l’air un petit instrument composé d’une baguette de bois terminée à sa partie supérieure par un morceau de roseau fixé à angle droit. Il suffit de placer la baguette entre les deux mains et de lui imprimer un mouvement de rotation rapide en faisant glisser les deux mains l’une contre l’autre pour que l’instrument s’envole en tournant et plane longtemps dans l’air avant de retomber à terre.

Ce volant ne coûte que la modique somme de deux sous; ce n’est pas cher, aussi Jacques s’empresse-t-il d’en acheter un. Quant à Madeleine, elle a fait l’acquisition d’un kata-kata, dont elle s’amuse à dérouler les morceaux de bois peint.


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LE SÉNÉGAL.—LA NOUVELLE-CALÉDONIE

Les Sénégalais ont, eux aussi, leur village à l’Exposition,—un village qui, certes, vaut la peine d’être vu. D’abord ce village est, malgré ses apparences, presque français. Au milieu de ces hommes noircis par un soleil de feu, on est, sinon positivement avec des compatriotes, du moins avec des amis. Du reste, ils sont tout à fait gentils avec leurs visiteurs, les braves gens. A leur entrée, Jacques et Madeleine ont rencontré un petit bonhomme aux cheveux crépus, vêtu sommairement d’un morceau d’étoffe rouge jeté autour de son corps, qui leur a souri et tendu les bras. Jacques s’est approché gravement; il a mis les mains derrière son dos et a regardé l’enfant du haut de sa grandeur. Il a peut-être eu tort. Madeleine, moins fière et plus avenante, s’est baissée, et, tirant un gâteau de sa poche, l’a offert au bambin qui l’a pris avec joie et mangé à belles dents. Puis elle s’éloigne, toute contente d’avoir fait un heureux à si peu de frais. Jacques regrette maintenant d’avoir été si hautain avec le petit être.

«Le Sénégal est en Afrique, n’est-ce pas, maman? dit Madeleine.

—Oui, sur la côte occidentale.

—Et c’est une colonie française?

—Pas en totalité; nous ne possédons que le territoire qui s’étend depuis l’embouchure du fleuve qui a donné son nom au pays jusqu’à l’embouchure du Gabon. Le Sénégal ne nous a définitivement appartenu qu’en 1814; mais il est certain que les premiers Européens qui fréquentèrent la contrée furent des Français, et sans doute les hardis marins de Dieppe. Dès le commencement du quatorzième siècle, il y eut plusieurs comptoirs français sur la côte.»

Les Sénégalais ont avec eux des singes qui font aux passants toutes sortes de grimaces; ce n’est pas que ces animaux soient mal élevés, mais dans leur pays et dans leur société il est très bien porté de faire des grimaces. Il me 27 semble, du reste, qu’il y a, même à Paris, pas mal d’enfants qui en font aussi de temps en temps.

Ces singes ne viennent pas du Sénégal, mais du Congo. Le Congo, Madeleine ne sait pas au juste où ce pays se trouve; quant à Jacques, il ne se rappelle pas en avoir jamais entendu parler.

«Le Congo, mes enfants, est à l’ouest de l’Afrique équatoriale, explique maman. Il n’y a pas bien longtemps, il était encore désigné sur les cartes géographiques par les mots Régions inexplorées. Ce fut le célèbre voyageur anglais Livingstone qui le parcourut le premier; il y passa plusieurs années et y mourut en 1873, victime du climat. Après lui, l’Américain Stanley étudia la topographie du pays et dressa des cartes. Puis ce fut le tour d’un Français, M. Savorgnan de Brazza, qui poursuivit avec succès l’œuvre entreprise par ses deux prédécesseurs.

«Depuis 1884, le Congo est divisé en trois parties: un État libre, placé sous le protectorat du roi des Belges, qui en est le souverain nominal; le Congo français, que M. de Brazza administre au nom de notre gouvernement; et le Congo portugais.»

Après l’exposition du Sénégal, c’est celle de la Nouvelle-Calédonie que Jacques et Madeleine vont visiter. Les Néo-Calédoniens ont pour maisons des cases de deux à trois mètres de hauteur, n’ayant pour toute ouverture que la porte; elles sont rondes ou carrées et ont un toit recouvert de paille. Le mobilier ne consiste qu’en nattes, calebasses, tasses en coco et vases de terre cuite.

«C’est bien à la Nouvelle-Calédonie, n’est-ce pas, maman, que l’on envoie les méchants hommes qui ont commis des crimes? demande Madeleine.

—Oui, c’est là qu’est le bagne, depuis 1872.

—Et avant cette époque, où mettait-on les forçats?

—D’abord, on les logea sur des galères; puis on institua quatre bagnes: un à Toulon, un autre à Brest, un troisième à Rochefort et le quatrième à Lorient. Les condamnés y étaient employés à des travaux pénibles, sous la surveillance de gardes-chiourme. Ils étaient enchaînés deux à deux et traînaient un lourd boulet.»


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LE MINISTÈRE DE LA GUERRE

L’emplacement occupé par l’exposition du ministère de la guerre est assurément un des plus curieux de l’Exposition. C’est aussi un des plus fréquentés: les Français n’oublient pas leur vieille gloire militaire, et tout ce qui touche à l’armée les intéresse d’autant plus que sur cette gloire une ombre a passé, à laquelle ils pensent sans cesse pour l’effacer plus vite.

Jacques et Madeleine ont bien souvent entendu parler de la malheureuse guerre de 1870-71. Grand-papa, qui a été soldat à cette époque, leur en a raconté plusieurs épisodes; et, quoiqu’ils soient bien jeunes tous les deux, ils ont compris combien la France a souffert. Ils savent combien furent terribles les sièges de Paris, de Strasbourg et de Belfort, combien furent pénibles la campagne de la Loire, la campagne du Nord et celle de l’Est; ils savent enfin qu’il y a, dans l’Est, deux belles provinces que l’on nous a prises, et qui depuis attendent impatiemment le jour de la délivrance.

Car, pour avoir été conquises par les Allemands et pour être sous leur domination depuis près de vingt ans, ces deux provinces n’en sont pas moins restées françaises de cœur: on a beau faire, elles n’oublient pas la mère patrie et conservent religieusement son culte.

Aussi c’est avec une sorte de recueillement que les deux enfants pénètrent dans cette partie de l’Exposition, où tout parle à notre patriotisme, où le rire s’envole pour faire place aux plus graves méditations.

Cette forteresse n’aura jamais à se défendre contre l’ennemi; mais elle fait songer que là-bas, sur la frontière, d’autres forteresses sont prêtes à repousser l’envahisseur. Ces canons ne lanceront peut-être jamais de boulets ni d’obus; mais combien d’autres s’aligneront un jour pour vaincre l’étranger!

Le bâtiment principal est précédé d’un château fort du moyen âge, flanqué de tourelles, avec pont-levis, mâchicoulis et chemin de ronde. Tout autour 29 sont disposés des objets de campement, des ambulances de campagne, des modèles de trains sanitaires.

A côté de l’édifice se trouve un pavillon qui renferme divers objets d’aérostation militaire, notamment une reproduction du ballon dirigeable du parc de Meudon.

«Mais, maman, demande Jacques, à quoi peut bien servir un ballon en temps de guerre?

—D’abord à se rendre compte des positions et de la force des ennemis; puis c’est pour des assiégés investis le plus sûr moyen d’envoyer des nouvelles. Lors du siège de Paris, plusieurs ballons emportèrent des dépêches destinées à ceux des membres du gouvernement qui dirigeaient les opérations militaires en province.»

A l’intérieur de l’édifice principal, tout est souvenir ou espérance. Voici le sabre d’honneur du général Hoche, qui, en 1793, commandant en chef les armées de la Moselle et du Rhin, à l’âge de vingt-cinq ans, chassa les Allemands de l’Alsace; voici le sabre de Marceau, qui mourut à vingt-sept ans laissant un nom immortalisé par la victoire; voici encore le chapeau que Napoléon Ier portait le jour de la bataille de Waterloo et le sabre dont il se servit pendant la campagne d’Égypte. Voici enfin le képi du maréchal Bugeaud, duc d’Isly, qui battit Abd-el-Kader et prit une si grande part à la conquête de l’Algérie; ce képi est célèbre; les soldats du maréchal l’appelaient la casquette. Qui ne connaît le célèbre refrain:

As-tu vu la casquette, la casquette?
As-tu vu la casquette au père Bugeaud?

Des mannequins sont revêtus de tous les costumes de l’armée française. Officiers et soldats, fantassins, cavaliers, artilleurs, tous sont là avec leurs uniformes.

Jacques les examine avec attention.

«Maman, dit-il, lequel de ces uniformes porterai-je, quand je serai soldat?

—Je ne sais pas, mon enfant, cela dépendra.

—Eh bien, écoute, quel qu’il soit, je te jure d’en être digne.»

Jacques est bien jeune pour faire un serment; mais celui-ci, du moins, il le tiendra, j’en suis sûr.


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CONCLUSION

L’Exposition de 1889 est fermée, mais quiconque l’a visitée en conservera toujours le souvenir. Madeleine et Jacques ne l’oublieront certainement pas. Ils n’ont pas pu en apprécier toutes les merveilles, et ils se sont, en la parcourant, plus amusés qu’instruits; n’importe, ils ont compris que cette immense agglomération de richesses a valu un triomphe à la France, ils savent que de tous les pays de l’univers on est venu pour la voir et qu’il n’y a eu qu’une voix pour louer et pour admirer.

Notre patrie a voulu montrer au monde qu’elle était toujours travailleuse; elle a voulu faire bénéficier les étrangers du génie de nos artistes et de nos savants. Pour que l’Exposition fût digne d’elle, elle a dépensé sans compter. Le résultat a dépassé toutes les espérances; pendant six mois, le Champ-de-Mars et l’Esplanade des Invalides ont offert un spectacle unique dans l’histoire de la civilisation. Jamais, jusqu’alors, on n’avait vu tant de richesses accumulées, jamais on n’avait résumé aussi complètement dans une même enceinte tout ce qui intéresse l’humanité, tous les progrès que les arts et les sciences ont réalisés.

La plus noble gloire à laquelle une nature puisse prétendre en temps de paix, la France vient de la réaliser. Elle inscrira avec un légitime orgueil, la date de 1889 dans son livre d’or.

FIN.

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TABLE

  PAGES.
La tour Eiffel. 5
Les jouets. 8
Une collation. 10
La rue du Caire. 12
La Galerie des Machines. 14
Le village annamite. 16
Un coin de l’exposition de la Russie. 18
Histoire de l’habitation. 20
L’exposition de l’Algérie. 22
Le village japonais. 24
Le Sénégal.—La Nouvelle-Calédonie. 26
Le ministère de la guerre. 28
Conclusion. 30

FIN DE LA TABLE.

4753-89.—Corbeil. Imprimerie Crété.


Au lecteur

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La ponctuation n’a pas été modifiée hormis quelques corrections mineures.

L’orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. Ils sont soulignés par des tirets. Passer la souris sur le mot pour voir le texte original.