The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 1586, 19 Juillet 1873

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Title: L'Illustration, No. 1586, 19 Juillet 1873

Author: Various

Release date: August 3, 2014 [eBook #46490]

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1586, 19 JUILLET 1873 ***







L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL
31e Année.--VOL. LXII--N° 1586


DIRECTION, RÉDACTION, ADMINISTRATION
22, RUE DE VERNEUIL, PARIS.
31e Année.VOL. LXII. N° 1586
SAMEDI 19 JUILLET 1873
SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
60, RUE DE RICHELIEU, PARIS.
Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.
Abonnements Paris et départements: 3 mois, 9 fr.; 6 mois, 18 fr.; un an, 36 fr.;
Étranger, le port en sus.
SOMMAIRE

Texte: Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.--Nos gravures: le shah à Paris.--La Cage d'or, nouvelle, par M. G. de Cherville (suite).--La planète Mars, d'après les dernières observations astronomiques.--Revue littéraire: livres nouveaux.--Salon de 1873: La Neige, tableau de M. Daubigny; Melantho, statue de M. H. Allouard.
Gravures: Le shah de Perse à Paris: visite au tombeau de Napoléon Ier.--Le dîner de gala donné en l'honneur du shah au palais de Versailles: aspect de la galerie des Glaces au moment de l'entrée des convives.--La fête de



Versailles; retour du shah de Perse à Paris, après l'illumination du bassin de Neptune.--La grande revue du bois de Boulogne, le shah de Perse et le Président de la République arrivant sur la pelouse de Longchamps.--La fête de nuit du 13 juillet: aspect général, vue prise au-dessus du Trocadéro.--Défilé de la retraite aux flambeaux sur les rampes du Trocadéro.--La représentation de gala à l'Opéra: la loge d'honneur.--Le shah de Perse au palais Bourbon (4 gravures).--Salon de 1873: La Neige, tableau de M. Daubigny;--Melantho, par M. Allouard.--Rébus.


LE SHAH DE PERSE A PARIS.--Visite au tombeau de Napoléon Ier.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE.

L'Assemblée nationale nous a donné à deux reprises, pendant le cours de cette semaine, le spectacle de ces scènes tumultueuses qui se reproduisent trop souvent dans son sein. La première fois, la tempête a éclaté à propos d'observations présentées au sujet du procès-verbal; la seconde à propos d'une allocution adressée à l'Assemblée par son président, M. Buffet, à la suite de la revue, passée la veille, des troupes de la garnison de Paris, et dans laquelle il avait, au gré de la gauche, commis une injustice en n'associant pas le nom de M. Thiers à ceux des réorganisateurs de l'armée dont il avait fait l'éloge. Ces deux incidents ont à eux seuls rempli deux séances entières pendant lesquelles les récriminations, les apostrophes, les injures même se sont échangées d'un côté à l'autre de la salle des séances avec une violence qui faisait ressembler la réunion à un club bien plus qu'à une assemblée politique; ils ont fourni à M. Gambetta l'occasion d'expliquer ce qu'il entendait par ces «nouvelles couches sociales» dont il annonçait naguère l'avènement. Le discours de M. Gambetta, conçu avec une grande habileté, a été développé par lui avec une éloquence que faisait ressortir une intention de modération évidente; malheureusement l'orateur de la gauche, malgré son art à modifier l'expression de sa pensée suivant les circonstances et le milieu où il se trouve, nous a appris depuis longtemps qu'il y a loin des actes aux paroles; sa sagesse apparente d'aujourd'hui ne réussira pas à faire oublier son attitude d'hier.

Une troisième tempête a été soulevée le lendemain, à propos de la prorogation de l'Assemblée et de la nomination de la commission de permanence, par le dépôt fait par le ministre de la justice d'un projet de loi donnant le pouvoir à cette commission d'exercer, pendant les vacances, le droit qui est attribué à l'Assemblée elle-même, par l'article 2 de la toi du 20 mai 1819. La droite a fort approuvé ce projet que la gauche au contraire a qualifié de «monstruosité». La bataille ne peut manquer de recommencer lorsque viendra en discussion l'article unique du projet, dont voici, en attendant, l'exposé des motifs:

Aux termes de la loi du 20 mai 1819 (article 2) et du décret du 11 août 1818, les délits d'offense envers l'Assemblée nationale, par voie de publication, ne peuvent être poursuivis qu'après une autorisation préalable donnée par l'Assemblée elle-même.

Les dispositions sont toujours en vigueur et vous en avez fait application, notamment le 17 février 1872, en autorisant des poursuites contre plusieurs journaux. Nous venons vous proposer de les compléter par une disposition additionnelle.

Quand l'Assemblée s'ajourne à un terme assez éloigné, on ne saurait évidemment songer à la rappeler pour lui demander une autorisation de poursuites; attendre son retour serait, dans bien des cas, compromettre la poursuite et assurer aux auteurs des délits une impunité regrettable.

D'un autre côté la commission de permanence, réduite actuellement à une simple mission de surveillance, n'a qu'un droit, celui de convoquer l'Assemblée lorsque la gravité exceptionnelle des circonstances semble l'exiger. Il ne lui appartient pas de se substituer à l'Assemblée et d'autoriser des poursuites.

C'est cette situation qu'a pour but de changer le projet de loi que nous présentons.

Il importe plus que jamais de protéger efficacement la représentation nationale contre les attaques dont elle peut être l'objet, et de faire respecter sans faiblesse les droits et l'autorité de l'Assemblée.

Après ces séances agitées, l'Assemblée est revenue au calme en abordant la discussion d'une loi qui restera comme une des œuvres les plus utiles et les plus patriotiques qu'elle laissera après elle. La réorganisation de l'armée est une de ces questions devant lesquelles on est heureux de voir les divisions des partis disparaître pour faire place à la seule préoccupation du bien du pays et au désir patriotique de travailler à sa régénération.

On sait que nos désastres dans la dernière guerre ont surtout tenu à deux causes: la mauvaise organisation des services administratifs de nos armées et la lenteur de leur formation; l'armée allemande, au contraire, très-rapidement mobilisable, a dû principalement ses succès à la rapidité avec laquelle elle a pu se jeter, avec des corps complètement organisés dès les premiers jours de la campagne, sur des divisions qui, de notre côté, étaient à peine en voie de formation.

Cette supériorité de l'Allemagne tient, outre autres causes, à la différence fondamentale que présente son organisation militaire avec la nôtre; chez elle, l'armée est divisée en parties correspondant aux divisions territoriales et possédant chacune son administration, son matériel et tous ses services réunis à l'endroit même où elle se trouve en temps de paix; chez nous, au contraire, les régiments sont répartis arbitrairement sur toute la surface du territoire; ils sont alimentés en matériel par des magasins centraux en petit nombre et en hommes par des dépôts où doivent se rendre les réserves rappelées en temps de guerre et qui sont quelquefois situés à de très-grandes distances des points où l'armée doit opérer. Au moment de la guerre, par exemple, on a vu des hommes rappelés sous les drapeaux, et qui se trouvaient en Alsace ou aux environs, être obligés de passer d'abord par le dépôt de leur régiment, situé dans une ville du Midi, pour retourner ensuite à la frontière d'où ils étaient partis; on conçoit sans peine le désordre et les lenteurs qu'amènent de pareilles allées et venues lorsqu'elles se produisent en tous sens d'un bout du territoire à l'autre.

Sans copier servilement l'organisation prussienne, dont certaines parties ne s'adapteraient pas à notre régime politique, la commission a adopté un système qui s'en rapproche et qui, tout en conservant le principe de centralisation qui fait la base de nos institutions, assurera néanmoins la rapidité du passage de nos armées du pied de paix au pied de guerre. Désormais, le territoire de la France sera divisé en un certain nombre de régions à chacune desquelles correspondra un corps d'armée qui y tiendra garnison et qui, en cas de guerre, puisera dans la région même le complément d'hommes qui lui sera nécessaire pour compléter son effectif. En temps ordinaire, l'armée continuera, comme à présent, à se recruter sur toute l'étendue du territoire, mais au moment de la guerre, elle se recrutera sur place, de telle sorte que, tout en conservant une armée homogène, on acquerra, au point de vue de la mobilisation, l'avantage d'une rapidité à peu près aussi grande que celle des corps d'armée allemands. De plus, chaque région possédera des magasins généraux d'approvisionnement contenant tous les objets nécessaires à l'armement et à l'équipement complets du corps d'armée, et sera placée, sous le commandement d'un général assumant sur lui seul la responsabilité de l'armement, de l'entretien et de l'approvisionnement.

Tel est, résumé en quelques mots, le système nouveau qui, de l'aveu de tous les hommes spéciaux, présentera sur l'ancienne organisation des avantages incalculables. L'Assemblée s'y est ralliée à la presque unanimité, et malgré les critiques de détail présentées par quelques membres, son adoption à une très-grande majorité n'est, pas douteuse.

ALLEMAGNE.

On fait beaucoup de bruit depuis quelque temps de la retraite de M. de Bismark qui serait, assure-t-on, sur le point de résigner ses fonctions de ministre des affaires étrangères de Prusse pour ne garder que celles de chancelier de l'empire. On nomme même les deux personnages qui se disputeraient sa succession: MM. de Balan et de Bulow. Nous avons déjà eu occasion de signaler, il y a quelques semaines, les tiraillements qui se sont produits au sein du gouvernement allemand et qui avaient déjà eu pour conséquence d'ébranler la situation et l'influence de M. de Bismark. La nouvelle que nous enregistrons ici n'a donc rien d'invraisemblable; cependant, la Gazette de l'Allemagne du Nord, dont les attaches officieuses sont bien connues, déclare, qu'elle est tout à fait inexacte; mais l'insistance et l'acrimonie que met ce journal à la démentir sont de nature à faire penser, tout au contraire, qu'elle pourrait bien n'être pas absolument sans fondement.

Le ministère de la guerre de Prusse vient de faire commencer une série d'exercices d'artillerie qui sont certainement les plus grandioses que jamais une armée ait été appelée à faire en temps de paix: il ne s'agit de rien moins que d'entreprendre le siège en règle et le bombardement effectif d'une citadelle, que l'on fera finalement sauter avec des engins explosifs dont l'application en grand n'avait pas encore été faite jusqu'à présent. La forteresse ainsi vouée à la destruction est celle de Graudens, sur la Vistule; les opérations du siège et du bombardement dureront six semaines; le feu sera ouvert chaque jour pendant quatre heures et les habitants des environs devront se retirer à une distance de 10 kilomètres; on n'évalue pas à moins de deux millions de francs le montant des indemnités qu'entraînera à lui seul ce déplacement quotidien de la population.

ESPAGNE.

La situation en Espagne est de plus en plus grave. Après avoir pris Berga, les carlistes se sont avancés sur Puycerda, dont Saballs se serait emparé, s'il faut en croire les dernières dépêches, qui paraissent dignes de foi; ils ont reçu, tout récemment, un convoi de 12,000 fusils et une quantité considérable de munitions, et l'on sait que ce sont les armes bien plus que les combattants qui leur avaient manqué jusqu'à présent. D'autre part l'anarchie est effroyable: à Alcoy, ville de 30.000 âmes, dans la province de Valence, les internationalistes ont massacré le maire et le percepteur, traîné leurs corps dans les rues et incendié une importante filature de coton. A Carthagène, le général Contreras s'est mis à la tête des insurgés qui, maîtres de toute la ville, ne tarderont pas, on le craint, à s'emparer de l'arsenal et des navires de guerre mouillés dans le port. A Malaga, la Commune règne dans toute son horreur, et les journaux espagnols font un 'tableau effroyable des excès de tous genres auxquels s'y livre la populace. Pendant ce temps, le chef du gouvernement de Madrid, M. Piry Margall, s'occupe de constituer un ministère radical et s'en tient, pour le reste, à des déclarations pompeuses auxquelles on a appris depuis longtemps à ne plus croire. Les députés de la droite du Congrès ont dû présenter contre lui une motion de censure dont le résultat n'est pas encore connu à l'heure où nous écrivons.

GRANDE-BRETAGNE.

Le public anglais est vivement ému par les nouvelles qui viennent d'arriver de la côte de Guinée. La ville d'Elmina, un des principaux centres du commerce de cette contrée avec l'Europe, a été bombardée et réduite en cendres par le commandant militaire de la colonie, qui a été obligé de recourir à ce moyen extrême pour sortir de la situation critique où l'avait mis l'attaque de la tribu hostile des Ashantees. La ville d'Elmina, qui ne comptait pas moins de 10,000 habitants, avait été fondée par les Hollandais qui l'avaient cédée à l'Angleterre avec son territoire, il y a un an à peine; en échange de cette cession, l'Angleterre consentait à ne pas s'opposer aux conquêtes que les Hollandais pourraient vouloir faire dans l'île de Sumatra. On sait comment les Hollandais usèrent de la faculté qu'ils venaient d'acquérir et par quel insuccès se termina l'expédition qu'ils s'empressèrent d'organiser contre le sultan d'Atchin; l'Angleterre n'a guère été plus heureuse: elle avait à peine pris possession de sa nouvelle colonie, qu'elle se voyait attaquée par une peuplade indigène, celle des Ashantees qui, au nombre de 50,000, venaient cerner la garnison de la citadelle dominant la ville d'Elmina. Or, les habitants de cette dernière étaient pour la plupart sympathiques à la cause des Ashantees et tout disposés à favoriser leur entreprise; le commandant anglais n'eût d'autres ressources que de menacer d'un bombardement si l'ennemi ne se retirait pas, et de mettre la menace à exécution, cette sommation étant restée sans effet.

La nouvelle de cet événement a produit, de l'autre côté du détroit, une impression d'autant plus fâcheuse que le traité avec la Hollande avait été l'objet de nombreuses critiques lors de sa conclusion.



COURRIER DE PARIS

Faites donc des serments d'Annibal! J'avais promis de ne plus dire un mot du shah. Les paroles à peine jurées, le vent qui souffle du sud les a emportées. Me voilà parjure sans le faire exprès. Et puis, que vous dire? Je supposais que Paris, toujours si prompt à prendre la posture d'un blasé, en était arrivé à la satiété sous ce rapport. Je croyais que le roi des rois et tous les bonnets d'astrakan qui l'environnent étaient une mise en scène qu'on demanderait vite à rajeunir, suivant l'usage. Il n'en a rien été. En ce moment, à l'heure même où je parle, l'auguste Persan est plus à la mode qu'à son début.

Samedi soir, a eu lieu ce qu'on est convenu d'appeler la représentation de gala. Quand j'aurai noté que la salle de l'Opéra était bourrée du haut en bas du beau monde qu'on signale d'ordinaire dans les chroniques, je ne vous aurai rien appris d'imprévu ni de neuf. Haute politique, diplomatie, monde des arts, monde des lettres, finance, c'est toujours la même chanson. Mon Dieu! que de fois ils se sont déjà lorgnés! Mais, ce soir là, ils venaient pour se faire voir par ce voyageur, qui, disons-le, animé d'une indifférence superbe, n'usait le verre de ses lunettes qu'à regarder sur le théâtre. La Haute-Gomme n'en revenait pas. (Nota.--Il y a aussi, parmi nos élégants, ce qui se nomme la Haute-Gomme, jeunesse dorée et thermidorienne du jour.) Mais, je le répète, Nassr-ed-Din ne paraissait se préoccuper que médiocrement de tous ces costumes occidentaux, habits bourgeois malgré eux-mêmes, tous très-cossus pour nous, tous très-mesquins, si l'on entreprend de les comparer à la magnificence sans pareille de sa tunique. Très-sincère dans son attention, le shah n'avait d'yeux et de jumelles que pour les danseuses.

Dès le lever du rideau, la danse l'a visiblement captivé, on pourrait dire ensorcelé. Ni les deux présidents au milieu desquels on l'avait assis, ni cette salle redondante d'élégants dont il ne savait pas apprécier le mérite, n'ont eu le pouvoir de l'arracher à ce spectacle d'almées plus belles peut-être que celles de son Orient. Il était en extase devant les ronds de jambe. Tant de jetés-battus lui montaient à la tête. Mlle Fiocre surtout paraissait exercer sur lui un ascendant souverain, tout à fait semblable au charme magique de la fascination. Au reste, ceux qui ont organisé le programme de la fête avaient probablement compté sur ce résultat, puisqu'on avait multiplié le ballet.

Quant à notre grand monde, il faisait ce qu'avait fait la foule tout le long des boulevards. Dans ce voyageur affolé de chorégraphie, il n'envisageait que des grappes de diamants.--Que de diamants! Que de perles! Que de saphirs! Que de topazes! On n'entendait rien autre chose d'un bout à l'autre de la salle. À l'inverse du shah, nos belles dames n'ont pas donné un seul coup de lorgnette à ce qui se passait sur la scène. La joaillerie d'Ispahan absorbait tout ce qu'il y avait en elle d'énergie vitale. Voyez donc! jusqu'à son sabre qui est attaché autour du corps par un ceinturon de pierreries!

Sans me mêler de faire ici le pédant, je demande pourtant à ouvrir une parenthèse afin d'expliquer que chez les musulmans les diamants, les perles et les pierreries ne sont pas ce qu'un vain peuple pense, c'est-à-dire un futile ornement. Tout cela a un caractère sacré, de par le Koran. Si vous vous mettez à lire le livre saint, vous y verrez qu'à tout verset les attributs d'Allah confinent à cette haute bijouterie, et que c'est pour cette raison qu'il y a une si grande profusion de brillants sur la personne des chefs d'empire.

Ainsi, les espèces de plumes en diamant que Nassr-ed-Din porte en guise de boutons sur sa tunique ne sont qu'une image effacée de la Plume divine.--Tenez, voici ce que dit à ce sujet Al-gazel, un des commentateurs du Koran, déjà cité:

«Il faut croire à la Plume divine, créée par le doigt d'Allah. La matière de cette plume est de perles. Un cavalier courant à toute bride parcourrait à peine sa longueur en 500 ans. Cette plume a la vertu d'écrire d'elle-même, et sans le secours d'une main étrangère, le Passé, le Présent et l'Avenir. L'encre qui est dans cette plume est une lumière subtile. Séraphaël, ange de première classe, est le seul qui puisse lire les caractères tracés par cette plume merveilleuse. Elle a cent becs qui ne cesseront de marquer jusqu'au jour du jugement tout ce qui doit arriver dans le monde.»

La petite plaque d'opale que le shah porte au doigt figure la tablette sacrée. Vous allez voir ce que c'est que cet attribut-là:

«Cette tablette est suspendue au milieu du septième ciel et est gardée soigneusement par un escadron de cinquante mille anges, de peur que les démons ne veuillent changer ce qui est écrit dessus. Sa longueur est égale à l'espace qui est entre le ciel et la terre, et sa largeur est comme de l'Orient à l'Occident. Cette tablette ou plutôt cette planche merveilleuse est d'une seule perle d'une blancheur éblouissante.»

Nassr-ed-Din n'a plus que quelques jours à passer à Paris. Le départ du shah est fixé pour le 21 juillet. Celles des Parisiennes qui n'ont pu encore réussir à voir de près ce prince tant entouré de pierreries sont à deux doigts du désespoir. Chacune d'elles ressemble volontiers à cette petite reine de Saba qui ne voulait pas mourir avant d'avoir contemplé Salomon «dans toute sa gloire». On ne saurait imaginer combien elles dépensent de génie pour savoir où le visiteur portera ses pas cette semaine. «Verrai-je l'aigrette? Ne la verrai-je pas?» On les rencontre partout où se montre un Persan, au Jardin des Plantes, à la Bibliothèque, au parc de Monceau. «Monsieur le Persan, l'aigrette est-elle sortie aujourd'hui? Où peut-on la voir?» L'Iranien sourit, hoche la tête et répond: «Nous nous préparons à aller à Vienne.» Voilà tout ce que les plus jolies et les plus captieuses parviennent à en tirer.

Des fêtes, des promenades, des surprises, le shah en a eu assez. Il a vidé la coupe jusqu'à la dernière goutte. Il part, et c'est pour le mieux. Il faut, du reste, y mettre quelque diligence, car l'Exposition de Vienne tire à sa fin ou à peu près. Eh bien, savez-vous ce qui va se produire quand le voyageur sera arrivé dans la capitale de l'Autriche? C'est qu'il y retrouvera la capitale de la France, sous une autre forme. Les journaux de là-bas, des lettres de fraîche date, les échos qui nous parviennent racontent que le compartiment français est celui devant lequel on stationne le plus.

--Ils ont beau être vaincus, ils sont encore les premiers ici, aurait dit la princesse de Metternich assez haut pour être entendue.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'à cette exposition allemande, nul ne nous conteste la place d'honneur. Un correspondant nous écrit à ce sujet:

«L'Amérique et l'Angleterre viennent après nous; l'Autriche et la Prusse n'occupent que le quatrième et le cinquième rang. Ah! si vous voyiez le nez que font les Prussiens!»

En tout, d'ailleurs, l'exhibition viennoise est inférieure à notre Exposition de 1867, il ne s'y trouve, au surplus, que peu de monde. Peut-être cela tient-il aux bruits de choléra, absolument faux, qu'on a fait courir; mais la population flottante et les visiteurs n'y excèdent pas 200,000 personnes. Diderot disait d'un millionnaire de son temps: «Tout ce que vous voudrez, mais il ne sait pas faire mousser les Grâces.» Le baron Schwartz, l'organisateur, n'a pas su donner assez d'importance aux détails de la mise en scène.

Rentrons à Paris. Un cordial ne serait pas un objet de luxe pour ceux qui ont la témérité d'aller voir le drame que fait jouer en ce moment M. Émile Zola, au théâtre de la Renaissance. Thérèse Raquin dépasse en hardiesses réalistes tout ce qu'on a vu jusqu'à ce jour. On voit là-dedans d'abominables petits bourgeois consommer toutes sortes de crimes entre deux parties de domino. La bêtise obtuse y domine; l'horrible y est décrit avec des raffinements inouïs. A tout instant, le spectateur, serré à la gorge par d'âcres émotions, se lève de sa place en criant qu'il manque d'air. Il y a surtout une scène où le portrait d'un mari, noyé récemment par sa femme, donne la chair de poule à tout l'orchestre. Le pire de la chose, c'est qu'il y ait du talent dans ce drame de M. Émile Zola, et même à une bonne dose; mais où allons-nous, bon Dieu, si cette manière de quintessencier l'horreur entre dans la poétique de l'avenir?

Je sais bien que nous avons déjà un peu passé par là. De 1830 à 1835, dans les temps romantiques, après la chute de Charles X, arrivèrent les novateurs. On remarquait parmi eux messieurs les lycanthropes. A la tête des lycanthropes brillait Petrus Borel, le bras droit de Théophile Gautier. Petrus Borel a écrit Champavert, et ce Champavert aura précédé Thérèse Raquin de quarante-deux ans. En ce temps-là, non plus, on ne ménageait pas la vérité à la société. Voyez donc, lisez et écoutez une des interpellations du citoyen Champavert:

Car la société n'est qu'un marais fétide

Dont le fond sans nul doute est seul pur et limpide,

Mais où ce qui se voit de plus sale, de plus

Vénéneux et puant vient rougir par dessus!

Et c'est une pitié! c'est un vrai fouillis d'herbes

Jaunes, de roseaux secs épanouis en gerbes,

Troncs pourris, champignons fendus et verdissants,

Arbustes épineux, croisés dans tous les sens,

Fange verte, écumeuse et grouillante d'insectes,

De crapauds et de vers, qui, de ride infectés,

La sillonnent, le tout, parsemé d'animaux

Noyés et dont le ventre apparaît noir et gros.

Ce réalisme s'étalait déjà (il y a quarante-deux ans!), mais en vers et seulement dans les livres. Voilà qu'il fait irruption sur le théâtre.--Attendez-vous à en voir de belles! Thérèse Raquin aura pour sûr une lignée.

Très-certainement l'horreur est partout ici-bas; seulement l'affaire de l'artiste est de la rendre agréable à la vue. C'est ce qu'on excelle à faire dans cet Orient d'où nous est venu le shah de Perse.--Voyez, par exemple, avec quelle délicatesse les conteurs du pays du soleil nous rapportent leurs histoires!--Et justement, en voilà une dont le fonds est tout autre que beau,--mais que d'art dans la forme qu'on y met!

C'est tout un roman ou toute une comédie, au choix.

Un joaillier d'Ispahan avait une fille qu'il aimait. Il l'appelait Petite Framboise, ce qui est un joli nom. Petite Framboise était fort laide, bossue, borgne, bancale, trois fois marquée au B, comme on dit chez nous, il fallait être l'auteur de ses jours pour la supporter.--Cependant le joaillier, voulant l'établir, imagina de lui donner pour mari un aveugle.

--Du moins, pensait-il, celui-là, ne la voyant point, ne pourra la mépriser.

Effectivement l'aveugle fit très-bon ménage avec sa femme.

Une année environ après la lune de miel, on annonça en ville l'arrivée d'un savant; c'était un personnage très-fort en chirurgie et célèbre de Stamboul à la Mecque comme oculiste. L'étranger avait rendu la vue à un très-grand nombre d'aveugles de l'un et de l'autre sexe. Comme on pressait le beau-père de mener son gendre au praticien:

--Je m'en garderai bien, répondit-il.

--Pourquoi?

--S'il rendait la vue à mon gendre, mon gendre me rendrait bientôt ma fille.

Philibert Audebrand.




LE DINER DE GALA DONNÉ EN L'HONNEUR DU SHAH AU PALAIS DE
VERSAILLES.--Aspect de la galerie des Glaces au moment de l'entrée des convives.


LA FÊTE DE VERSAILLES.--Retour du shah de Perse à Paris,
après l'illumination du bassin de Neptune.



NOS GRAVURES

Le shah à Paris

Nous avons, dans notre dernier numéro, raconté l'arrivée du shah de Perse à Paris, et nous l'avons conduit jusqu'à l'hôtel de la présidence du Corps législatif, où des appartements lui avaient été préparés au rez-de-chaussée, qu'il occupe. Les personnages divers de sa suite sont logés au premier étage. Quant à ses parents, ils habitent l'hôtel du ministère des affaires étrangères.

Le lendemain de son arrivée, après une nuit de repos, le shah a fait connaissance avec la ville. Il est sorti l'après-midi, dans une voiture à quatre chevaux, attelée à la Daumont. Il était très-simplement mis. Il portait, avec, le bonnet persan, sans l'aigrette, une redingote noire et des lunettes d'or. Mais de diamants, pas l'ombre. Trois piqueurs allaient devant; trois calèches suivaient.

Il a ainsi parcouru les boulevards, excitant partout sur son passage la curiosité de la foule. Puis il s'est rendu au Jardin d'acclimatation, où il a été reçu par M. Geoffroy Saint-Hilaire et le personnel de l'administration. Il a fait à pied tout le tour du jardin, adressant maintes questions aussitôt traduites ainsi que leurs réponses par son interprète, et s'arrêtant avec un vif intérêt devant les animaux de haute vénerie. Rien d'étonnant à cela. On sait que le shah est, lui aussi, un fort chasseur devant l'Éternel. Ses chasses en Perse sont légendaires. L'aquarium l'a de même longtemps retenu, si bien qu'il n'est rentré qu'assez tard à l'hôtel du Corps législatif. Tel est l'emploi de la première journée qu'il a passée dans la capitale de la France. Quelques chroniqueurs le font bien encore, à la nuit close et en compagnie de son frère, de son grand-vizir et de son aide de camp, courir les rues en manteau couleur de murailles; mais je soupçonne qu'ils n'ont voulu, en risquant le fait, qu'amener un rapprochement qui leur permit de faire montre de leur érudition. Dès lors, cela allait de soi: Paris, Bagdad; Nassr-ed-Din, Haroun-al-Raschid et Giafar, son vizir, de plus son confident et son grand ami, ce qui ne l'a pas empêché un peu plus tard de lui faire couper la tête. Laissons-là les contes de la sultane et rentrons dans la réalité, tout au moins dans la vraisemblance. En prévision des fatigues du lendemain, j'entends de la fête de Versailles, je suis porté à croire que le shah a préféré se coucher comme un simple mortel, et j'ajoute qu'il a bien fait.

Quand je dis comme un simple mortel, ce n'est pas tout à fait exact. Aucun des actes de la vie intime d'un roi, et surtout d'un roi de Perse, ne peut s'accomplir aussi simplement que cela. Il suffira, pour s'édifier à ce sujet, de jeter un coup d'œil sur la huitième page des dessins que renferme ce numéro. Il y a dans cette page quatre croquis, dont l'un représenté précisément le shah dans sa chambre à coucher. Chambre magnifiquement décorée, comme on peut penser. Mais la chose importante, c'est le lit. Il est élevé sur une estrade de deux marches recouvertes de velours grenat, et présente la forme de deux cornes d'abondance se réunissant par la base. Deux candélabres énormes sont placés à la tête et au pied, et un dais, composé de tentures de velours grenat également, et brodées d'or, le couronne. Un petit escabeau placé sur la seconde marche de l'estrade permet au shah d'enjamber le lit. C'est là qu'il repose, mais non pas comme vous et moi, fermant les yeux et autant que possible ne faisant qu'un somme, après avoir soufflé sa bougie. Le sommeil du shah est intermittent. De temps à autre son grand-vizir, ou quelque autre dignitaire descend du premier étage pour lui communiquer une nouvelle; ou bien encore il se réveille pour manger une orange que s'empresse de lui présenter quelqu'un des familiers qui passent la nuit dans sa chambre. Deux d'entre eux doivent constamment l'éventer avec la main lorsqu'il repose, et grimpent sur le lit pour accomplir leur mission qu'ils n'interrompent que pendant que le shah reçoit une communication ou suce une orange. Il en mange ainsi cinq ou six chaque nuit. Il y en a toujours dans sa chambre une pleine corbeille posée sur une table d'ébène incrustée d'or, où se trouvent également une assiette de macarons, un verre d'eau, ses lunettes et quelques journaux que son médecin, le docteur Tholozan, lui lit tous les matins en venant prendre de ses nouvelles. Après quoi le shah procède à sa toilette, ou plutôt on procède à la toilette du shah. L'opération a lieu dans un boudoir entièrement tendu de satin bleu broché, et meublé d'une toilette avec deux cuvettes à l'anglaise, d'un grand divan et d'un fauteuil, canne et bois noir, très-léger, profond, avec dossier plein. Notre dessin représente le shah qu'est en train de raser son barbier, accompagné de deux aides. Il est vêtu d'une espèce de stambouline, tunique à petits plis, de couleur grise et bordée de fourrures. Il y a aussi le bain. Celui dont use le shah est l'ancien bain du duc de Morny, en marbre blanc, avec tapis de cordes. La baignoire, établie au milieu de la pièce, dont la seconde moitié est surélevée, a la forme d'une tourelle, ou plutôt d'une grande margelle de puits, que traversent deux cordes destinées à servir de points d'appui. Au-dessus il y a aussi un petit trapèze dont l'usage ne demande pas d'explications. Le shah prend son bain à une température très-élevée. Il y entre, tête nue, habillé de mousseline blanche, causant avec une douzaine de ses familiers qui sont là pour le distraire, mais qui, n'était le respect, riraient souvent jaune, j'imagine, vu la température élevée du lieu. Cependant l'appétit est venu et l'heure du déjeuner approche. Nassr-ed-Din est servi dans son salon particulier et mange seul. Les mets sont préparés à la française par un chef français; toutefois ce sont des cuisiniers persans qui préparent les mets spéciaux, riz en pilaco, en bouillie et au gras, petits poissons au safran, etc. Le shah mange les mets français avec une fourchette, et les mets nationaux avec ses doigts, les doigts de la main droite, que pour cette raison il plonge à chaque instant dans un aiguière placée à côté de lui et qu'il présente ensuite à un domestique chargé de la lui essuyer. Il aime beaucoup les fruits: les oranges, les pêches, surtout les cerises, et cela se comprend. Ce qui se comprend moins, c'est sa façon de manger ces dernières: trempées dans le sel. Le café et le thé sont servis par le cafedgi, sorte d'échanson ayant rang à la cour. Ce fonctionnaire porte une robe en cachemire à fond violet, à palmes rouge et or. Deux domestiques sont attachés à sa personne. Quant à lui, il ne sert que le roi. Mais, assez regardé par dessus le mur de la vie privée du shah! Otons l'échelle.

C'est en voiture que Nassr-ed-Din s'est rendu à Versailles, le mardi, surlendemain de son arrivée. Il a successivement rendu visite au président de l'Assemblée et au président de la République, avec lequel, toujours en voiture, il s'est ensuite promené dans le parc, pendant que jouaient les grandes eaux. A sept heures a eu lieu le dîner de gala, dîner d'hommes. Notre deuxième dessin représente l'aspect de la galerie des Glaces au moment de l'entrée des convives, au nombre de cent cinquante, tous appartenant au monde officiel. La salle des Glaces ne contenait pas moins de quinze lustres garnis de deux mille cinq cents bougies, dont l'effet était éblouissant.

Cette splendide galerie mesure 73 mètres de longueur, sur 10 de largeur et 13 de hauteur. Elle est éclairée par dix-sept croisées en arcades, ayant vue sur le jardin, et auxquelles répondent, en face, dix-sept arcades peintes remplies de glaces, d'où lui est venu son nom. Les fenêtres et les arcades sont séparées, de chaque côté, par vingt-quatre pilastres à bases et à chapiteaux dorés. Le plafond est merveilleux. Il est divisé en vingt-cinq compartiments, dont les peintures, la plupart composées par Le Brun, rappellent les événements historiques du règne de Louis XIV. Au-dessous des tableaux sont des inscriptions attribuées à Boileau et à Racine. C'est dans cette galerie que l'ambassadeur de Perse fut reçu par Louis XIV, il y aura bientôt deux cents ans, et c'est à cause de ce souvenir historique qu'elle avait été choisie pour y recevoir le shah.

La fête de nuit a eu lieu sur le bassin de Neptune, entouré d'un double cercle de feux. La pelouse, les arbres, les fontaines, l'allée qui mène au château, l'horizon, tout resplendissait. En face du bassin, adossée au mur du boulevard de la Reine, s'élevait la tribune d'honneur, pour le shah et les invités officiels, dominant la tribune réservée aux personnes munies de cartes; Quant à la foule des curieux, elle se pressait, compacte, dans les allées latérales du bassin et les allées avoisinantes. Vers dix heures, grand mouvement dans cette foule. L'orchestre attaque l'hymne persan, auquel répondent dans les profondeurs du parc des fanfares de cors. C'est le shah qui arrive. Aussitôt des gerbes de feu partent de tous les coins du bassin, des fusées tracent leurs sillons d'or dans le ciel, où montent et éclatent en même temps des bombes multicolores. Puis, une sorte d'écusson lumineux se détache de la fumée, portant les armes de la Perse, le lion entouré des rayons du soleil. Finalement, bouquet monstre et feux de Bengale. C'est le signal du départ. Le shah est revenu à Paris, comme on le voit dans notre troisième dessin, en voiture, avec une escorte de cuirassiers portant des torches et galopant aux portières.

Mercredi, réception au palais Bourbon du corps diplomatique, le nonce en tête, et visite à l'Hôtel des Invalides, où le gouverneur, M. le général de Martimprey, a reçu le roi sur le perron de la chapelle.

Nassr-ed-Din ne pouvait manquer de visiter le tombeau de l'empereur Napoléon qui est, avec Pierre le Grand et Charles XII, un de ses grands héros: «A la bonne heure, se plaît-il à dire, voilà des hommes!» Il les envie et, d'un peu loin il est vrai, il s'est efforcé de marcher sur leurs traces. C'est un batailleur aussi, comme c'est un chasseur. S'il a forcé des cerfs, il a aussi forcé des villes. Héral, entre autres, d'où son surnom: le Victorieux. On comprendra donc facilement son émotion lorsqu'il descendit dans la crypte, et lorsqu'il visita le reliquaire, surtout lorsqu'il tint dans ses mains l'épée d'Austerlitz et le petit chapeau d'Eylau. C'est le sujet de notre premier dessin. La visite s'est terminée par une promenade à travers les salles et les cours du musée d'artillerie.

Le lendemain, jeudi, le shah assistait à la grande revue de Longchamps, passée en son honneur, et à trois heures précises, il arrivait à la porte de Madrid, où il se rencontrait avec le maréchal de Mac-Mahon, que suivait le plus brillant cortège. Le shah est réputé pour son exactitude, «cette politesse des rois». Une fois pourtant il y manqua, mais il n'en faut accuser que l'étiquette persane, très-sévère sur plus d'un point. Elle défend, par exemple, de rappeler au souverain qu'on l'attend, ou de le réveiller si par hasard il s'endort. Or, un soir, lors de sa visite à Saint-Pétersbourg, il devait rencontrer Alexandre II au grand bal de l'assemblée de la noblesse. L'empereur ne faillit pas attendre, il attendit réellement pendant plus de vingt minutes. Le shah s'était endormi avant le bal et personne n'avait osé le réveiller. Heureusement il n'avait pas eu à céder aux sollicitations du sommeil avant de quitter le palais Bourbon, si bien qu'à trois heures il descendait de voiture à la porte de Madrid, comme je l'ai dit, et sautait sur son cheval barbe Ek-Bolh, couvert d'un harnachement aussi étincelant de pierreries que l'uniforme de son cavalier. Le shah avait, en effet, revêtu son costume d'apparat. La poitrine, le col ruisselaient de diamants. Une ceinture de rubis, d'émeraudes et d'autres pierres le serrait à la taille. A cette ceinture qui, d'après la trésorerie de la cour de Perse, vaut à elle seule un million, était suspendu un cimeterre, dont le fourreau est un chef-d'œuvre de joaillerie. On le croirait fait d'un seul diamant tant les pierres qui le composent sont de la plus parfaite sertissure. C'est ainsi que le shah, comme le montre notre quatrième dessin, est arrivé sur le terrain de Bagatelle, et qu'il a parcouru assez rapidement deux des lignes de bataille; puis il est allé prendre place à l'ancienne tribune impériale, entre le président de l'Assemblée et le vice-président du Conseil. Les députés occupaient la tribune de droite; le Conseil municipal celle de gauche. Quant au maréchal de Mac-Mahon, c'est sur la pelouse, en face de la tribune, qu'il s'était placé. Alors le défilé a eu lieu au milieu des applaudissements de la foule énorme que ce spectacle imposant avait attiré au bois de Boulogne. Notons que l'infanterie de marine et les cuirassiers ont eu un succès exceptionnel. A six heures et demie, le défilé était terminé, et le shah remontait en voiture pour rentrer au palais Bourbon.

Vendredi, visite au Diorama, et le soir représentation au cirque des Champs-Elysées, que l'on avait transformé ce soir-là en une vaste corbeille de fleurs, émaillée de toilettes charmantes. Rien de particulier à noter sinon que le shah s'est beaucoup amusé des intermèdes plaisants des clowns, et qu'il a paru suivre avec une certaine anxiété les exercices vertigineux des gymnasiarques. En sortant du cirque à dix heures, il s'est rendu au Louvre, à la galerie des Antiques, dans laquelle il est entré par la porte située sous le pavillon d'Apollon. La promenade s'est faite à la lueur des torches. Le shah s'est longuement arrêté devant certaines statues: la Melpomène, le Rhin, la Vénus de Milo, près de laquelle un fauteuil lui avait été préparé. Il ne s'est retiré qu'à près de minuit. Le lendemain, samedi, c'est l'école des Mines, la Bibliothèque nationale et l'église de Notre-Dame que le shah a visitées. Le soir, il s'est rendu à l'Opéra. Notre septième dessin donnera au lecteur une idée de la magnificence qui a été déployée par la direction à cette représentation de gala. Il représente la loge d'honneur, composée des cinq premières loges de face que l'on avait, pour la circonstance, converties en une seule et dans laquelle prirent place, avec le shah et ses dignitaires, le maréchal de Mac-Mahon et les hauts fonctionnaires de la République. Un buste colossal de Nassr-ed-Din, entouré de fleurs, avait été dressé au fond d'une arcade dans le salon réservé précédant la loge. Voici le programme de la représentation: Ouverture de la Muette de Portici, le troisième acte de la Juive, le deuxième de Coppelia, marche nationale persane, et fragment du premier acte de la Source.

Le shah a surtout goûté le ballet de la Tour enchantée, dans la Juive, et a exprimé plusieurs fois le plaisir que lui causaient les pirouettes et les jetés-battus des premiers sujets. À onze heures, la fête était terminée et tout y avait marché à la satisfaction générale. Celle du lendemain eut une fin moins heureuse, à cause du vent qui soufflait avec violence dès le matin. Elle devait consister, comme on sait, en une illumination des principaux monuments de Paris, auxquels la bourrasque n'a pas permis de rester un instant éclairés; en un feu d'artifice tiré sur la Seine et en une retraite monstre aux flambeaux. Le centre de la fête était le Trocadéro, sur l'esplanade duquel, au sommet du grand escalier, on avait construit un immense pavillon couvert, avec grand salon, salle de repos, buffet, etc., le tout orné de tentures de soie, de glaces et de fleurs. De chaque côté de ce pavillon s'élevaient des tribunes destinées au corps diplomatique, aux députés et aux principaux fonctionnaires. Le reste de l'esplanade était garni de gradins et de chaises pour le public. Le shah est arrivé à la tribune réservée à neuf heures et demie, avec une suite des plus nombreuses. Aussitôt des feux de Bengale rouges, verts et blancs, ont éclairé de leurs lueurs éclatantes les flots de population qui se pressaient le long des pelouses. Puis des soleils ont été allumés sur la Seine et des bombes aux mille couleurs ont éclaté dans l'air. Au même instant on entendait les premières notes de la retraite qui se formait en colonne sur le quai de Billy, et se disposait à monter par une des allées de côté sur la place du Trocadéro. Des pelotons de fantassins, armés de torches ou de lances surmontées de lanternes, séparaient les tambours et les musiques, et si le vent n'avait pas éteint un grand nombre de ces torches, le tableau eut été d'un très-grand effet. La foule était immense dans le Champ-de-Mars; elle était moins grande sur le Trocadéro, la pluie et le vent ayant chassé beaucoup de curieux et surtout de curieuses en toilette. Mais tout le monde se foulait aux Champs-Elysées et sur la place de la Concorde, dont l'éclatante illumination a duré jusqu'à minuit. Le shah est rentré à onze heures et demie par l'avenue d'Antin. Au moment où il arrivait au palais de la rue de l'Université, la façade du Corps législatif s'est soudainement éclairée de feux de Bengale verts et rouges, qui ont été les derniers de la journée.

L. C.


LA GRANDE REVUE DU BOIS DE BOULOGNE.--Le shah de Perse et
le Président de la République arrivant sur la pelouse de Longchamps.


LA FÊTE DE NUIT DU 13 JUILLET.--Aspect général. Vue prise
au-dessus du Trocadéro.


LA FÊTE DE NUIT DU 13 JUILLET.--Défilé de la retraite aux
flambeaux sur les rampes du Trocadéro.



LA CAGE D'OR

NOUVELLE

(Suite)


IX

Malheureusement Alexandra se trouvait elle-même dans une situation morale qui, pendant quelque temps, ne lui permit guère de lutter contre l'accablement de son mari et d'user de l'ascendant qu'elle avait sur lui pour l'arracher à la dégradation dans laquelle il allait tomber.

C'était une nature d'élite chez laquelle, malgré les ardeurs du sang, la vertu était une conséquence de tempérament aussi bien que celle d'une éducation forte et rigide. Son union avec un homme à obrosk lui avait inspiré un vif chagrin; mais, esclave du devoir, elle avait néanmoins obéi à la volonté de son père; ce devoir, en changeant de condition, il était toujours resté sa loi. Si le temps n'avait point atténué ses répugnances, jamais du moins depuis qu'elle était mariée, une seule de ses pensées ne s'était-elle égarée en dehors du cercle bien circonscrit de son foyer domestique et n'avait altéré la pure sérénité de son âme; celui qui avait reçu sa foi était l'unique objet de ses affections, elle ne croyait pas possible qu'il en fut autrement.

Cependant, elle s'abusait étrangement sur la valeur du sentiment qu'elle éprouvait pour lui. Il tenait bien plus de la compassion que de l'amour. Elle avait cédé à son attendrissement pour la misérable condition de l'homme qui lui témoignait une passion si forte et si résignée; mais celui-ci n'avait point réussi à lui en communiquer la flamme. Elle l'appelait son frère et, sans qu'elle s'en doutât elle-même, son cœur, sinon ses lèvres, n'eussent jamais su lui donner un autre nom. Dévouée à celui dont elle portait le nom, pour lui elle eût tout sacrifié, même sa vie; mais ces sacrifices eussent été uniquement dictés par l'exaltation qu'elle apportait dans son culte pour ses devoirs d'épouse et, pas du tout par son affection pour Nicolas Makovlof; si cette affection avait dans ses dehors quelque chose de la tendresse de l'amour, il n'en avait pas la puissance; il engourdissait son cœur bien plus qu'il ne le vivifiait, elle l'occupait sans le remplir, y laissant un vide béant d'autant plus redoutable qu'Alexandra en soupçonnait moins la présence.

Ainsi que nous l'avons raconté, la jeune femme était restée vivement impressionnée par la scène qui s'était passée chez elle, dans la nuit qui avait suivi le départ de son mari pour Kalouga.

L'audace avec laquelle le proscrit avait cherché à abuser de la confiance avec laquelle elle l'avait accueilli lorsqu'elle ne voyait en lui qu'une femme, avait excité en elle une irritation très-vive, mais qui ne tarda guère à céder. Le jeune homme avait reconnu ses torts; elle l'avait vu se décider courageusement au danger d'une arrestation plutôt que de mériter plus longtemps ses reproches; c'était plus qu'il n'en fallait pour expier la faute de l'avoir trouvée belle, pour qu'elle lui pardonnât d'avoir cédé à un mouvement passionné dont la spontanéité la faisait sourire, dont l'apparente sincérité la laissait rêveuse. D'ailleurs, la générosité avec laquelle, lui, qui appartenait évidemment à la caste des oppresseurs, il s'était voué à l'affranchissement des opprimés, lui faisait un devoir de ne pas être en reste de magnanimité, en lui refusant son indulgence. Elle s'était donc abandonnée sans méfiance à l'admiration, à la reconnaissance dont son âme était pleine, et pendant le reste de la nuit l'image du gentilhomme séduisant, malgré les désavantages du costume féminin sous lequel il lui avait apparu, avait passé et repassé dans son cerveau sans qu'elle songeât à l'en écarter.

Le lendemain elle y pensait encore. Elle ne manqua pas de s'enquérir de l'événement auquel elle devait la visite de la nuit. Elle apprit qu'on avait découvert une de ces conspirations militaires qui étaient alors assez communes en Russie, et que quelques officiers des trois régiments qui tenaient alors garnison à Moskow avaient été enlevés et jetés dans les cachots de la forteresse.

Quelle que soit l'étiquette du despotisme, ses agissements sont partout les mêmes; un profond mystère planait sur les actes de l'autorité à Moskow, comme jadis à Venise sur les décrets du ténébreux Conseil des Dix. Le Laissez passer la justice du tsar! imposait une terreur à laquelle personne n'échappait. Ceux qu'Alexandra interrogeait ne purent pas ou ne voulurent pas lui donner de renseignements sur les noms et les qualités des prévenus.

Pour la troisième fois depuis le matin elle pressait de questions un marchand que les nécessités de son commerce avaient amené dans son magasin, lorsqu'on levant les yeux du côté de la rue elle aperçut, collé au vitrage derrière lequel elle était assise, le jeune homme de la veille qui fixait sur elle ce regard ardent qu'elle n'avait point oublié. Son émotion fut si brusque et si aiguë qu'elle jeta un cri, qu'elle fit un geste d'effroi. L'interlocuteur d'Alexandra se retourna à son tour, mais le proscrit s'était déjà éloigné. La jeune femme s'efforça de sourire afin de justifier sa frayeur aux yeux du visiteur; mais elle resta tremblante, consternée de l'imprudence de ce malheureux qui, en plein jour, et sans autre déguisement cette fois qu'un costume bourgeois, osait se hasarder sur la Tverskaïa.

Après le départ du marchand, elle se leva et se dirigea vers la porte; elle était aux prises avec une violente tentation de regarder au dehors, de s'assurer que cette étourderie n'avait point eu de conséquences fâcheuses pour son hôte, et une vague appréhension la retenait.

A dater de cet instant, le calme qui avait jusqu'alors caractérisé l'existence d'Alexandra avait été décidément compromis; les soucis que lui donnait l'issue de l'importante démarche tentée en ce moment même par Nicolas Makovlof se trouvèrent relégués au second plan, et sa pensée fut tout entière au drame qui se passait autour d'elle.

Comme la plupart des femmes, dans des circonstances identiques à celles-là, elle ne se déniait pas que le péril, pour être d'un autre genre, n'était pas moins grand pour elle que pour l'acteur principal; elle n'avait point pressenti les dangers auxquels l'exposait cette constance dans ses préoccupations. N'était-elle pas légitimée par la reconnaissance, par la sympathie qui s'attache aux victimes de l'oppression, et à laquelle le jeune gentilhomme avait des droits plus incontestables qu'aucun autre? Ainsi fortifiée par la pureté, par l'excellence de ses intentions, la sage Alexandra était absolument sans alarmes.

Quelques jours après elle eut à sortir. Au moment où elle passait devant le Kremlin elle entendit derrière elle un pas qui semblait se régler sur le sien. Son cœur commença de battre avec précipitation, sa respiration devint oppressée; elle ne s'était pas retournée, elle n'avait pas aperçu celui qui la suivait et elle l'avait reconnu. Cet acharnement à se rapprocher d'elle ne l'effraya pas, ce n'était point à elle qu'elle songeait; mais ce nouveau témoignage de l'insouciance avec laquelle le proscrit semblait décidé à continuer d'exposer sa liberté et peut-être sa vie, excita en elle un mouvement qui ressemblait de bien près à de la colère.

L'occasion de lui faire entendre la voix de la raison, de le décider à quitter sinon la Russie, du moins Moskow, était trop favorable pour qu'elle la laissât échapper. Comprenant qu'il ne fallait pas songer à lui adresser en plein air la mercuriale que lut inspirait sa charité, elle hâta sa marche et se dirigea vers Saint-Isaac en choisissant les rues les plus détournées. Au moment où elle pénétrait dans la nef, celui qui l'avait suivie, passant rapidement devant elle pour gagner l'ombre d'un pilier, elle fût certaine de ne pas s'être trompée. Il avait fait à sa sûreté la concession de s'envelopper d'une de ces pelisses de cuir que portent les Mougiks et dont le collet relevé lui cachait le bas du visage. Elle fut alors certaine que celui qui l'avait suivie était bien le jeune homme au sort duquel elle s'intéressait si vivement.

La piété d'Alexandra, comme celle de la plupart des femmes moscovites de sa condition, était fort minutieuse, pour ne pas dire très-étroite dans ses pratiques. C'était bien assez d'avoir été conduite dans le temple par les préoccupations les plus terrestres, c'eût été un bien autre péché si elle n'avait pas apporté à Dieu le tribut de sa première pensée. Elle se rappela fort à propos qu'elle s'était promis de brûler un cierge à l'autel de la Paganaïa, pour attirer ses bénédictions sur le voyage de Nicolas; au lieu d'un, elle en mit deux sur les crédences de fer qui entourent la sainte image; mais ce n'était pas en l'honneur de l'émancipation du pauvre serf, que le second de ces luminaires avait mission de se consumer. Ce soin religieux accompli, elle s'agenouilla dans un angle obscur de la chapelle et commença ses prières.

Si sincère que fut la ferveur avec laquelle Alexandra récitait ses oraisons, le chuchotement des voix de deux hommes qui venait de s'arrêter derrière elle parvint à l'en distraire. Aux premiers mots qu'ils prononcèrent, les lèvres de la jeune femme suspendirent leurs mouvements précipités; elle pâlit, elle écouta avidement.

--Et tu es sûr que c'est bien lui, Dmitri? disait l'un de ces hommes.

--Comme je suis sur que c'est la mère du Sauveur que nous avons là devant les yeux. Il a endossé une touloupe, par-dessus les vêtements bourgeois qu'il portait hier; mais maintenant que je l'ai dévisagé, l'archange Michel lui prêterait son uniforme que je le reconnaîtrais encore.

--Bien, je sais que tu es un fin limier, Dmitri. Et il n'est pas sorti de la Basilique?

--Non: le voyez-vous, là-bas, à genoux devant saint Joseph, auquel il demande sans doute la grâce de devenir plus malin que nous.

--Mais il me semble qu'il regarde bien souvent de notre côté, reprit le premier.

--Affaire de conscience malade. Dans son gîte de neige, le lièvre a, comme cela, l'œil au guet.

--Allons, tout marche à souhait, bien que nous ne soyons qu'à la moitié de notre besogne. Saint Isaac est lieu d'asile, il n'y a pas à songer à arrêter ici ce lieutenant; je vais passer auprès de lui pour me pénétrer à mon tour de son signalement; mes hommes m'attendent au dehors, je garderai un des porches, toi l'autre et de la sorte, il est impossible qu'il nous échappe.

Alexandra était en proie à une anxiété poignante; les deux hommes s'éloignèrent dans deux directions différentes. Elle vit celui qui avait parlé le premier se diriger vers la chapelle de Saint-Joseph, s'agenouiller à côté du personnage que son compagnon lui avait indiqué, et y rester plongé dans une méditation des plus édifiantes. L'impatience faisait bouillonner le sang d'Alexandra, ces quelques minutes lui furent longues comme des siècles; enfin l'homme, termina ses prières par de nombreux signes de croix et quitta la place. Alexandra se leva à son tour et se dirigea d'un pas rapide vers l'objet des ténébreuses embûches qu'elle venait de surprendre.


X

Le jeune homme songeait probablement beaucoup plus à suivre tous les mouvements de la jeune marchande qu'aux dangers qui, en ce moment même, s'accumulaient sur sa tête, car il ne l'eut pas plutôt vue prendre cette direction, qu'il s'avança à sa rencontre; mais Alexandra ne lui laissa pas le temps de parler.

--Vous avez tenté Dieu, monsieur, s'écria-t-elle, et Dieu vous abandonne! Ah! pourquoi n'avez-vous pas quitté Moskow avant-hier, ainsi que vous me l'aviez promis?

--Je ne le regrette pas, madame, puisque je vous ai revue, puisque votre démarche me prouve que vous vous intéressez encore à celui qui vous avait offensé.

--Trêve à ces vains propos, reprit Alexandra avec un redoublement de vivacité: vous avez été suivi, épié, toutes les issues de la basilique sont gardées, vous êtes perdu!

La physionomie du proscrit ne traduisit aucune émotion, il continua de sourire en contemplant avec amour celle qui lui annonçait cette terrible nouvelle.

--Qu'importe, répondit-il, qu'importe si j'ai la certitude que votre pensée daignera me suivre dans mon douloureux exil.

Le visage d'Alexandra prit une expression sévère.

--Monsieur, dit-elle gravement, après ce qui s'était passé l'autre, jour, j'espérais que vous renonceriez à me faire entendre des paroles qui m'offensent. Oui, je penserai toujours avec une respectueuse gratitude à ceux qui souffriront pour avoir rêvé l'affranchissement de mes frères, et leur nom reviendra dans mes prières de chaque soir; c'est tout ce que vous pouvez, c'est tout ce que vous devez attendre d'une honnête femme.

Ces paroles avaient été prononcées avec un tel accent de sincérité et de fermeté que le jeune gentilhomme resta visiblement déconcerté.

--Du reste, je vous le répète, poursuivit Alexandra en s'animant de plus en plus, il faut que vous ayez perdu la raison pour songer à de pareils enfantillages dans les circonstances où nous sommes. Les hommes de la police sont aux portes qui vous guettent, vous n'avez pas une minute à perdre si vous voulez leur échapper.

--Leur échapper? à quoi bon? s'écria le proscrit avec emportement. Puisque je n'ai plus l'espoir de parvenir à toucher votre cœur, j'appelle de tous mes vœux le moment qui me réunira à mes pauvres compagnons. Les hommes de la police, sont là, dites-vous; je ne les attendrai pas, et je vais....

Il allait s'élancer: Alexandra l'arrêta.

--Oh! dit-elle, avec l'accent du reproche, vous voulez donc me laisser le remords d'avoir été pour quelque chose dans votre malheur? Eh bien! ce sera une femme qui vous donnera l'exemple, de l'énergie, et qui vous montrera que tant qu'il reste une chance de salut, il faut lutter, il faut combattre.

--Et comment? répondit le proscrit avec abattement.

En ce moment un pope, à la barbe blanche, à l'aspect le plus vénérable, traversait la nef de son pas grave, solennel, un peu théâtral et se dirigeait de leur côté. Alexandra courut à lui;

--Père! lui dit-elle, d'une voix vibrante quoique contenue, il y a là un homme dont la vie est menacée; les soldats de la police attendent qu'il sorte pour s'emparer de lui; au nom de Jésus et de la Vierge, aidez-moi à le sauver.

Le pope recula avec, autant d'effroi que s'il s'était agi de commettre un sacrilège; il jeta sur celui pour lequel on venait de l'invoquer un regard sombre et méfiant.

--Si la justice du tsar, notre père, l'a condamné, dit-il sentencieusement, il est coupable, et Dieu maudit la main qui essaye d'arracher la tête d'un coupable au bourreau.

Malgré sa piété, Alexandra ne conservait probablement aucune illusion sur une des faiblesses caractéristiques du clergé russe. Elle ne perdit pas son temps en vaines paroles; tirant sa bourse, elle en fit sonner le contenu.

Aux fauves éclats de l'or passant à travers le frêle tissu, les yeux du pope s'allumèrent, il étendit avidement la main vers la récompense proposée.

--Que faut-il faire? demanda-t-il d'une voix devenue humble.

--Donnez vos habits à ce jeune homme: sous ce costume respecté, il trompera peut-être les oiseaux de proie, acharnés à sa perte.

--Qu'il me suive! je ferai ce que vous désirez; la charité n'est-il pas le premier devoir du prêtre, répondit le pope avec un accent qu'un jésuite n'eût pas désavoué, mais sans détacher ses yeux de la bourse fascinatrice et en essayant une seconde fois de s'en emparer.

--Un instant, père, reprit la prudente Alexandra en éloignant l'objet de cette ardente convoitise; jure par la sainte Paganaïa que tu vois là-bas, que tu sauveras ce malheureux?

--Je jure de lui fournir des vêtements de pope; je jure de le conduire jusqu'au seuil de l'enceinte sacrée. Pour le reste, femme, adressez-vous à Dieu; notre salut dans ce monde comme dans l'autre est dans ses mains toutes puissantes.

--C'est la vérité, mon père, murmura sourdement Alexandra, et pendant que vous accomplirez votre promesse, j'invoquerai celui qui préserva David des embûches des Ammonites.

En disant ces mots, elle lui tendit la bourse pleine d'or que le pope se hâta d'engouffrer dans la large poche de sa robe.

--Madame, lui dit à son tour le proscrit d'une voix émue, j'aurais pu, tout à l'heure, immoler un sentiment qui m'est bien cher à votre volonté; maintenant j'ai un devoir, celui de ne jamais vous oublier.

--Je ne vous demande ni reconnaissance ni souvenir, monsieur, lui répondit la jeune femme; mon mari et moi nous avions contracté une dette envers vous, nous l'acquittons en honnêtes commerçants que nous sommes, et c'est tout. Ce dont vous devriez vous souvenir en ce moment, monsieur, c'est que chaque seconde qui s'écoule ajoute aux difficultés de votre évasion. Partez donc et partez vite.

Alexandra avait mis une froideur calculée dans ces paroles; mais le calme qu'elle affectait était loin de s'étendre à son âme. Ses yeux suivirent le pope et son compagnon qui s'éloignaient; ils avaient disparu dans le fouillis des piliers qu'elle regardait encore. Alors, elle revint à l'image de la Vierge, où elle s'agenouilla de nouveau et où cette fois sa prière fut assez ardente pour absorber toutes les facultés de son cœur et de son cerveau.

Quand il lui sembla que le proscrit avait eu le temps de quitter Saint-Isaac, elle songea à sortir à son tour. Ce fut avec une angoisse poignante qu'elle poussa la porte qui conduisait à l'extérieur. Le portail était désert, elle n'aperçut aucune des figures sinistres qu'elle s'attendait à y rencontrer. Tranquillisée, elle reprit le chemin de sa maison; mais au moment où elle débouchait sur la Tverskaïa, son attention fut attirée par un grand mouvement d'hommes, de femmes et d'enfants se précipitant dans la direction d'un groupe que l'on voyait à quelque distance. Une appréhension terrible traversa son esprit, elle s'avança à son tour: cet objet de la curiosité de la foule, c'était un homme vêtu d'habits ecclésiastiques que des soldats entraînaient.

Le coup fut d'autant plus violent qu'il était plus inattendu. La tranquillité des rues qu'elle avait traversées avait confirmé Alexandra dans cette conviction que son protégé n'avait plus rien à craindre. Incapable de soutenir ce douloureux spectacle, elle, s'enfuit éperdue, tellement troublée qu'elle ne retrouvait plus son chemin.

Une exclamation poussée par un vieillard que, dans sa marche rapide, elle avait heurté en passant, lui fit relever la tête; elle se trouvait en face du pope, dont elle avait si largement payé le concours; le prêtre causait familièrement avec le soldat de la police qu'elle avait entendu appeler Dmitri; à cette preuve irrécusable de sa trahison, elle ne fut plus la maîtresse de contenir son indignation:

--Fils de Judas, lui cria-t-elle, deux fois déjà tu as reçu le prix du sang, mais la troisième récompense de ton infamie, c'est l'enfer qui te la réserve!

--Moins de bruit, femme, répondit le pope avec un dédaigneux sourire et en caressant sa barbe blanche, les passants pourraient l'entendre, et si tu gardes un reste de pudeur, tu aurais à rougir de la violence de ton amour pour ce jeune homme. J'avais juré de lui donner un déguisement et de le conduire hors des portes, j'ai tenu mon serment. Mais, avant de t'engager ma foi, je l'avais donnée à notre père, le tsar, que Dieu conserve; je lui ai livré son ennemi, sa bénédiction est sur moi.

Alexandra n'en écouta pas davantage. Confondue de l'impudence de cet homme, atterrée par une supposition contre laquelle son orgueil ne se révoltait pas moins que sa vertu, elle rentra chez elle, en proie à une fièvre si violente, qu'elle dut se mettre au lit en y arrivant.

Le repos de la nuit eut raison de l'accablement physique qui avait été la conséquence des cruelles secousses de la veille; mais aux multiples émotions qui l'avaient agitée succéda bientôt un malaise moral dont elle ne devait pus se débarrasser aussi aisément.

Les deux locataires de la cage d'or furent à ce moment aussi malheureux l'un que l'autre.


XI

«Celui qui cherche le danger périra par le danger,» a dit l'Évangile. Pour la femme, ce n'est point assez de ne le point chercher, ce n'est qu'en le fuyant qu'elle se sauvegarde.

Malheureusement, Alexandra n'était nullement convaincue de cette vérité. La malicieuse insinuation du pope, n'avait point ébranlé la confiance de la jeune femme dans la solidité de ses principes et de son attachement à ses devoirs; la facilité avec laquelle elle avait passé d'un simple intérêt pour un malheureux à un sentiment un peu plus impérieux, mais surtout beaucoup plus actif, ne lui avait point ouvert les yeux; la sympathique douleur que le lugubre dénouement de son aventure excitait dans son âme devait nécessairement la pousser plus avant sur la pente où elle avait glissé sans s'en apercevoir.

Cette douleur, elle s'y abandonnait sans appréhension comme sans réserve.

G. de Cherville.

(La suite prochainement.)



LA PLANÈTE MARS
D'APRÈS LES DERNIÈRES OBSERVATIONS
ASTRONOMIQUES

La planète Mars est celle qui vient après la Terre dans l'ordre des distances au Soleil. Notre orbite est tracée à 37 millions de lieues de l'astre du jour, et celle de Mars à 56 millions. Lorsque les deux planètes se trouvent toutes deux du même côté du soleil, la distance qui les sépare n'est donc que de 19 millions de lieues, et elle peut même descendre à 14 parce que ni Mars ni la Terre ne suivant des circonférences parfaites, leur distance au Soleil augmente, ou diminue selon les époques. Or, Mars vient précisément de se trouver dans une de ces situations favorables pour l'observation, et quoique sa distance ne se soit pas abaissée à son minimum, cependant la période qui vient de s'écouler a permis de faire des études intéressantes.

Tout le monde a remarqué depuis plusieurs mois cette belle étoile rouge, qui brille tous les soirs dans notre ciel et se couche actuellement vers minuit. Son éclat commence à diminuer; mais elle a été très-brillante. C'est le 27 avril qu'elle est passée juste derrière la Terre et que sa lumière était la plus vive. Dès les premières observations, j'ai constaté qu'elle nous présentait son pôle nord très-incliné vers nous et marquée par une tache blanche peu étendue, formant un point brillant à la partie inférieure du disque (image renversée dans la lunette astronomique). Les taches ocreuses, qui représentent les continents, et les taches gris-verdâtre, qui représentent les mers, se dessinaient sous une forme plus ou moins accentuée, selon la transparence de l'air et selon les heures du soir.

Après la Lune, c'est Mars qui est le mieux connu de tous les astres. Aucune planète ne peut lui être comparée sous ce rapport.

La géographie de Mars, ou pour parler plus exactement l'aréographie, a déjà pu être étudiée et dessinée. Ce qui frappe le plus au premier abord dans l'examen de l'ensemble de la planète, c'est que ses pôles sont marqués comme ceux de la Terre par deux zones blanches, par deux calottes de neige. Le pôle nord comme le pôle sud sont même parfois si brillants, qu'ils paraissent dépasser le bord de la planète, par suite de cet effet d'irradiation qui nous montre un cercle blanc plus grand qu'un cercle noir de mêmes dimensions. Ces glaces varient d'étendue: elles s'amoncellent et s'étendent autour de chaque pôle, pendant son hiver, tandis qu'elles fondent et se retirent pendant l'été. Dans leur ensemble, elles s'étendent plus loin que les nôtres et parfois descendent jusqu'au 45e degré de latitude, c'est-à-dire jusqu'aux contrées qui correspondent à l'emplacement de la France sur la terre.

Ce premier aspect de la planète lui donne une analogie avec la nôtre, comme division de ses climats en zones glaciales, tempérées et torrides. L'examen de sa topographie montre au contraire une dissemblance assez caractéristique entre la configuration de ce globe et celle du nôtre.

En effet, sur la Terre, il y a plus de mers que de terres. Les trois quarts du globe sont couverts d'eau. Il n'en est point de même de la surface de Mars. Il y a autant de terres que de mers, et au lieu d'être des îles émergées du sein de l'élément liquide, les continents semblent plutôt réduire les océans à de simples mers intérieures, à de véritables Méditerranées. Il n'y a point là d'Atlantique ni de Pacifique, et le tour dit monde peut presque s'y faire à pied sec. Les mers sont des Méditerranées découpées en golfes variés, prolongés çà et là en un grand nombre de bras s'élançant comme notre mer Rouge à travers la terre ferme: tel est le premier caractère de l'aréographie.

La seconde, qui suffirait aussi pour faire reconnaître Mars d'assez loin, c'est que, les mers sont étendues dans l'hémisphère sud, entre l'équateur et le pôle d'une part, d'autre part, en moins grande quantité, dans hémisphère nord; et que ces mers australes et septentrionales sont reliées entre elles par un filet d'eau. Il y a même sur la surface entière de Mars trois filets d'eau allant du sud au nord; mais comme ils sont fort éloignés l'un de l'autre, on ne peut guère en voir qu'un à la fois d'un même côté du globe martial. Ces mers et cette passe qui les réunit forment un caractère très-distinctif de la planète, et il est rare qu'on ne l'aperçoive pas en mettant l'œil au télescope. Il est très-visible sur notre figure, et si la planète eut été ronde à cette époque, au lieu d'être entrée dans une phase qui lui ronge à sa droite un croissant d'un dixième de sa largeur totale, on verrait même un autre filet d'eau vers ce bord oriental du disque.

Les continents de Mars sont teints d'une nuance rouge ocreuse, et ses mers se présentent à nous sous l'aspect de taches d'un gris vert, accentué encore par un effet de contraste dû à la couleur des continents. La couleur de l'eau martiale paraît donc être la même que celle de l'eau terrestre. Quant aux terres, pourquoi sont-elles rouges? On avait d'abord supposé que cette teinte pourrait être due à l'atmosphère de ce monde guerrier. Mais il n'en est rien. La coloration de Mars n'est pas due à son atmosphère, car, quoique ce voile s'étende sur toute la planète, ses mers ni ses neiges polaires ne subissent pas l'influence de cette coloration, et Arago, en prouvant que les bords de la planète sont moins colorés que le centre du disque, a montré que cette coloration n'est pas due à l'atmosphère, car dans ce cas, les rayons réfléchis par les bords de la planète pour venir à nous ayant plus d'air à traverser que ceux qui nous viennent du centre, seraient au contraire plus colorés que ceux-ci.

Cette couleur caractéristique de Mars, visible à l'œil nu, et qui sans doute est cause de la personnification guerrière dont les anciens ont gratifié cette planète, serait-elle due à la couleur de l'herbe et des végétaux, qui doivent couvrir ses campagnes? Aurait-on là-bas des prairies rouges, des forêts rouges, des champs rouges? Nos bois aux douces ombres silencieuses y seraient-ils remplacés par des arbres au feuillage rubicond, et nos coquelicots écarlates seraient-ils l'emblème de la botanique martiale? Probablement. Les terrains de Mars doivent être recouverts d'une végétation quelconque, et comme ce n'est pas l'intérieur des terrains, mais leur surface, que nous voyons, il faut que le revêtement de cette surface, que la végétation, quelle qu'elle soit, aie pour couleur dominante la couleur rouge, puisque toutes les terres de Mars offrent ce curieux aspect.

Nous parlons des végétaux de Mars, nous parlons des neiges de ses pôles, nous parlons de ses mers, de son atmosphère et de ses nuages, comme si nous les avions vus. Sommes-nous autorisés à créer toutes ces analogies? En réalité, nous ne voyons que des taches rouges, vertes et blanches, sur le petit disque de cette planète: le rouge est-il bien de la terre ferme, le vert est-il bien de l'eau, le blanc est-il bien de la neige?

Oui; maintenant nous pouvons l'affirmer. Les merveilleux procédés de l'analyse spectrale ont été appliqués à l'étude des planètes; et ils ont montré qu'il y a de la vapeur d'eau dans l'atmosphère de Mars comme dans la nôtre. Les taches vertes de ce globe sont bien des mers, des étendues d'eau analogues aux eaux terrestres. Les nuages sont bien des vésicules d'eau comme celles de nos brouillards; les neiges sont de l'eau solidifiée par le froid. Il y a plus: cette eau révélée par le spectroscope étant de même composition chimique que la nôtre, nous savons encore qu'il y a là aussi de l'oxygène et de l'hydrogène.

Ces documents importants nous permettent de nous former une idée de la météorologie martiale, et de voir en elle une reproduction très-ressemblante de celle de la planète que nous habitons. Sur Mars comme sur la Terre, en effet, le soleil est l'agent suprême du mouvement et de la vie, et son action y détermine des résultats analogues à ceux qui existent ici. La chaleur vaporise l'eau des mers et s'élève dans les hauteurs de l'atmosphère. Cette vapeur d'eau revêt une forme visible par le même procédé qui donne naissance à nos nuages, c'est-à-dire par des différences de température et de saturation. Les vents prennent naissance par ces mêmes différences de température. On peut suivre les nuages emportés par les courants aériens sur les mers et les continents, et maintes observations ont pour ainsi dire déjà photographié ces variations météoriques. Si l'on ne voit pas encore précisément la pluie tomber sur les campagnes de Mars, on la devine du moins, puisque les nuages se dissolvent et se renouvellent. Si l'on ne voit pas non plus la neige tomber, ou la devine aussi, puisque comme chez nous le solstice d'hiver y est entouré de frimas. Ainsi il y a là; comme ici, une circulation atmosphérique, et la goutte d'eau que le soleil dérobe à la mer y retourne après être tombée du nuage qui la recelait. Il y a plus. Quoique nous devions nous tenir solidement en garde contre toute tendance à créer des mondes imaginaires à l'image du nôtre, cependant celui-là nous présente comme dans un miroir une telle similitude organique, qu'il est difficile de ne pas aller encore un peu plus loin dans notre description.

En effet, l'existence des continents et des mers nous montre que cette planète a été comme la nôtre le siège de mouvements géologiques intérieurs, qui ont donné naissance à des soulèvements de terrains et à des dépressions. Il y a eu des tremblements et des éruptions modifiant la croûte primitivement unie du globe. Par conséquent, il y a des montagnes et des vallées, des plateaux et des bassins, des ravins escarpés et des falaises. Comment les eaux pluviales retournent-elles à la mer? Par les sources, les ruisseaux, les rivières et les fleuves. Ainsi il est difficile de ne pas voir sur Mars des scènes analogues à celles qui constituent nos paysages terrestres:--ruisseaux gazouillant, courant dans leur lit de cailloux dorés par le soleil;--rivières traversant les plaines en tombant en cataractes au fond des vallées;--fleuves descendant lentement à la mer sur leur lit de sable fin. Les rivages maritimes reçoivent là comme ici le tribut des canaux aquatiques, et la mer y est tantôt calme comme un miroir, tantôt agitée par la tempête; seulement elle n'y est jamais animée du mouvement périodique du flux et du reflux puisqu'il n'y a point de lune pour le produire. Du moins les marées causées par l'attraction du soleil n'y sont pas aussi sensibles que celles qui sont déterminées chez nous par l'attraction combinée des deux astres.

Ainsi donc voilà dans l'espace, à quelques millions de lieues d'ici, une terre presque semblable à la nôtre, où tous les éléments de la vie sont réunis aussi bien qu'autour de nous: eau, air, chaleur, lumière, vents, nuages, pluie, ruisseaux, vallons, montagnes. Pour compléter la ressemblance, nous remarquons encore que les saisons vont à peu près la même intensité que sur la terre, l'axe de rotation du globe étant incliné de 27 degrés (l'inclinaison est de 23 degrés pour la terre). La durée du jour y est de 40 minutes supérieure à la nôtre. Devant cet ensemble, est-il possible un seul instant de s'arrêter à la constatation de ces éléments, de ces mouvements, sans songer aux effets qu'ils ont dû et qu'ils doivent produire? Les conditions physico-chimiques, qui ont donné naissance aux premiers végétaux apparus à la surface de notre globe, étant réalisées là-bas comme ici, comment auraient-elles pu se trouver en présence sans agir d'une manière ou d'une autre? Sous quel prétexte scientifique pourrions-nous imaginer un empêchement arbitraire à la réalisation de ces résultats? il faudrait en effet une interdiction incompréhensible, un veto suprême, quelque chose comme un miracle permanent d'anéantissement, pour empêcher les rayons du soleil, l'air, l'eau et la terre (ces quatre éléments devinés par les anciens), d'entrer à chaque instant dans l'évolution organique: tandis que la moindre gouttelette d'eau se peuple ici de myriades d'animalcules, tandis que l'Océan est le séjour de milliers d'espèces végétales et animales, quels efforts ne faudrait-il pas à la raison pour imaginer qu'au milieu de pareilles conditions vitales, le monde dont nous nous occupons puisse rester éternellement à l'état d'un vaste et inutile désert?

Telle est la physiologie générale de cette planète voisine, dont la surface est quatre fois plus petite que celle de la terre, mais qui est également partagée entre les continents et les mers. L'atmosphère qui l'environne, les eaux qui l'arrosent et la fertilisent, les rayons de soleil qui réchauffent et l'illuminent, les vents qui la parcourent d'un pôle à l'autre, les saisons qui la transforment, sont autant d'éléments pour lui construire un ordre de vie analogue à celui dont notre planète est gratifiée. La faiblesse de la pesanteur à sa surface (les corps y pèsent presque trois fois moins qu'ici: 1 kilogr. = 382 grammes) a dû modifier particulièrement cet ordre de vie en l'appropriant à sa condition spéciale. Ainsi le globe de Mars ne doit plus se présenter à nous désormais comme un bloc de pierre tournant dans l'espace dans la fronde de l'attraction solaire, comme une masse inerte, stérile et inanimée; mais nous devons voir en lui un monde vivant, peuplé d'êtres sans nombre, voltigeant dans son atmosphère, ornée de paysages où le bruit du vent se fait entendre, où l'eau reflète la lumière du ciel, nouveau-monde que nul Colomb n'atteindra, mais sur lequel cependant toute une race humaine habite actuellement, travaille, pense, et médite, comme nous sans doute, sur les grands et mystérieux problèmes de la nature.

Camille Flammarion.




LA REPRÉSENTATION DE GALA A L'OPÉRA.--La loge d'honneur.



LE SHAH DE PERSE AU PALAIS BOURBON


LA TOILETTE.


LE BAIN.                                                 LE REPAS.


LA CHAMBRE A COUCHER



REVUE LITTÉRAIRE

LIVRES NOUVEAUX.

Les publications nouvelles ont été fort nombreuses depuis quelque temps, et nous aurions fort à faire si nous devions les analyser toutes aujourd'hui. C'est à peine si nous pourrons accorder à quelques livres parus récemment une courte mention lorsque beaucoup d'entre eux mériteraient un article spécial. Mais la somme de nos dettes littéraires commence à grossir un peu trop, et j'ai hâte de liquider un tel compte, fût-ce avec trop de rapidité.

Les romans nouveaux sont assez nombreux, et il en est d'excellents, M. Victor Cherbuliez a réuni en volume le récit qu'il a publié dans la Revue des deux mondes sous le titre de Méta Holdenis. Cette peinture de mœurs étranges est une chose achevée, et l'auteur du Comte Kostia n'a jamais été mieux inspiré peut-être. D'autres conteurs, moins à la mode que lui, ont cependant frappé aussi droit. Tel est M. Alphonse de Launay, qui publiait dans l'Illustration une courte nouvelle militaire intitulée Un Soldat. M. de Launay est un écrivain loyal et sympathique, dont le nom, applaudi à la Comédie-Française, sera de nouveau entendu au théâtre; mais entre temps il publie un roman de mœurs parisiennes, d'un tour très-charmant et très-simple, Mademoiselle Freluchette, qu'il fait suivre de récits poignants auxquels il donne ce titre: Racontars militaires. Hier encore, M. de Launay était capitaine de cuirassiers. Il connaît le soldat, l'aime et le fait aimer, et son livre est un des plus agréables que j'aie rencontrés depuis longtemps.

M. Ch. Diguet, dans sa Vierge aux cheveux d'or, ne se contente pas des mœurs parisiennes, il nous initie aux mœurs bruxelloises. Sa vierge aux cheveux d'or est un modèle, ou du moins la muse d'un peintre, et quoique depuis longtemps blasé sur ces études d'ateliers, le public, qui a lu Manette Salomon, lit encore avec plaisir le livre de M. Diguet, qui n'est pas à son premier succès. Signalons encore la réédition du premier volume de M. Louis Dépret, Rosine Passmore, ce joli récit qui fit la fortune littéraire de son auteur. A treize ans de distance, M. Dépret le réédite et Rosine paraît aussi charmante que jadis; treize ans, c'est déjà quelque chose. C'est un quart de postérité pour un livre.

C'est surtout lorsque l'on a à signaler l'apparition d'un livre tel que l'Abbé Tigrane, de M. Ferdinand Fabre, qu'on peut regretter de ne point disposer d'un assez long espace. Celui-ci est un maître livre. M. Fabre, l'auteur des Courbeson, cet excellent élève de Balzac, comme l'appelait Sainte-Beuve, a fait là œuvre de penseur et de peintre. Ce caractère ambitieux de Tigrane est une des créations les plus vigoureuses du roman contemporain. Il faut suivre les luttes ardentes de ce prêtre qui ne rêve rien moins que la tiare, la chaire de saint Pierre, le trône de Jules II. M. Fabre a décrit ces tempêtes morales d'une main ferme et d'un style puissant. Il n'y a pas une seule femme dans ce livre où ne figurent que des prêtres, et l'abbé Tigrane, rude et sombre comme un Zurbaran, entraîne et plaît comme le livre le plus aimable.

Savez-vous qu'à vrai dire, il y a bien du talent aujourd'hui de par le monde littéraire? On serait presque tenté de dire qu'il y en a trop. Où est le génie, en effet? En attendant qu'il vienne, prenons les littérateurs comme ils sont, et quand ils ressemblent à M. Lucien Biart ou à M. Alphonse Daudet, saluons-les. On eût été célèbre au temps jadis, à l'heure où une nouvelle suffisait à classer un homme; on eût été à la mode pour un seul des récits de M. Biart, qui en réunit six sous ce litre: les Clientes du docteur Bernagius. Ce sont des récits d'un style châtié et d'une originalité charmante; la plupart se déroulent dans ce Mexique où M. Biart a vécu durant dix-huit ou vingt ans, et ces capiteuses fleurs exotiques sont fort agréables à respirer. Mais on ne lit plus les nouvelles! s'écriera-t-on. La nouvelle, cette essence de roman, on la dédaigne. Eh bien! non, on lira le Colonel Ramon et le Barrego, de M. L. Biart, et les Clientes du docteur Bernagius donneront ensuite le désir de connaître le roman de mœurs modernes que le même auteur publiait, il y a un mois, sous le titre de Laborde et Cie. Le lecteur aura raison et n'aura point perdu son temps.

Je n'ai décidément qu'une série de louanges à faire. Voici M. Alphonse Daudet qui m'envoie un volume de vers et de fantaisies, les Amoureuses, et un Volume de récits en proses, les Contes du Lundi. L'un et l'autre sont exquis, puis-je dire le contraire! On n'a pas plus de talent que M. A. Daudet dans ce genre de miniature, qu'il appelle les Contes du Lundi. C'est parfait, je ne sais point d'autre mot. Cela tient de la peinture de Messonier ou de Detaille. Il y a là des coins de paysage et des scènes militaires achevées. Quant aux Amoureuses, ces vers furent le grand succès de la jeunesse de l'auteur:

Si vous voulez savoir comment

Nous nous aimâmes pour des prunes.

Tout cela est célèbre. On l'a entendu répéter et chanter. La Double conversion est aussi agréable à relire que les Prunes elles-mêmes. Et ce joli bouquet printanier n'a rien perdu de sa fraîcheur.

D'autres vers? En voici: M. Albert Mérat a voyagé en Italie et il en rapporte un volume de beaux vers, les Villes de marbre. C'est Venise, c'est Naples, c'est Rome, c'est Florence. On ne se lassera jamais de les visiter, de les aimer et de les chanter. M. Mérat les décrit et les fait voir en les faisant aimer. Ses vers ont la précision et la couleur des peintures de ces primitifs qu'il aime, et qu'il s'arrête devant Pulcinella ou Fra Angelico, il trouve la note juste et l'accent vrai.

M. Ernest d'Hervilly fuit les villes italiennes et va vers le Nord avec Teph Affayard. Ce petit poème, auquel il donne trop modestement le sous-titre de Faits divers, est tout un drame et des plus poignants. C'est l'histoire des voyages et de la mort d'un matelot du vieux Dunkerque. La noyade du pauvre Teph dans une nuit de tourmente est une peinture tout à fait saisissante et lugubre. M. d'Hervilly termine sa pièce par un mot évidemment cherché, fort peu académique, mais qui arrive au dénouement comme un glas ou comme le dernier adieu d'un frère d'armes à un autre:

Teph, muet, fendit l'eau comme le plomb des sondes

Et ne reparut pas.--De larges bulles d'air

Couvrirent seulement les flots couleur de fer...

C'est ainsi, dans la nuit du 10 juillet, qu'un lougre

De Dunkerque eut un homme à la mer.--Pauvre bougre!

M. Camille Delthil est moins réaliste dans ses Poèmes parisiens. Et pourtant il ne recule pas devant le mot propre. Il dit tout et le dit vigoureusement. Son indignation est sincère et profonde dans son poème de Cora. Je vous recommande cette peinture irritée de la vie des courtisanes. C'est une actualité par le temps de suicides bêtes qui court.

M. Jules Rengade est à la fois poète et médecin. Poète, il signe Aristide Roger un recueil de vers Les Rayons d'avril. Savant, il publie les Promenades d'un naturaliste aux environs de Paris. Il nous instruit ici comme il nous charmait là! M. Rengade est un esprit tout à fait distingué et sympathique. Je voudrais bien annoncer, puisque j'ai parlé d'un docteur, les derniers écrits du docteur Déclat sur le Charbon et les Maladies de la peau. On trouvera, dans son dernier livre, un dramatique chapitre du siège de Paris: la mort du pauvre acteur Seveste, blessé à Buzenval, et, en racontant l'agonie du malheureux comédien, M. Déclat nous donne--texte en main--la preuve que le blessé pouvait être sauvé. On est navré en lisant ces pages qui font honneur à la science et au courage de l'homme qui les publie.

Je recule devant la quantité d'ouvrages qu'il me faut encore signaler. Comment juger en quelques mots et même en quelques lignes les études constitutionnelles, économiques et administratives que M. J. J. Clamageran, l'ancien adjoint à la mairie de Paris, appelle La France républicaine? Le nom de l'auteur et la gravité des questions traitées dans ce livre, où M. Clamageran aborde les divers problèmes de l'instruction publique, du service militaire, de la monarchie constitutionnelle et de la République, suffisent à recommander cet ouvrage à l'attention.

J'en dirai autant des Lettres républicaines de M. Georges Coulon, où l'auteur suppose deux correspondants échangeant entre eux leurs idées sur la politique actuelle. L'un est conservateur acharné, l'autre un républicain convaincu et fort ami de l'ordre autant que de la démocratie. Est-il besoin d'indiquer de quel côté penche la sympathie de M. Coulon, ancien préfet de la Défense nationale? Son livre, l'esprit de son livre, écrit sous la forme vive du pamphlet de bon ton, peut se résumer de cette manière: «Si la République ne peut exister qu'à la condition d'être conservatrice, la République conservatrice ne peut durer qu'à la condition d'être démocratique.» L'auteur conclut ainsi nettement: La démocratie exclut désormais toute forme de gouvernement autre que la monarchie césarienne ou la République. Il importe donc d'organiser la République pour éviter le pire des États, le césarisme, et les écrits pareils à celui de M. Coulon sont fort utiles pour résoudre le problème.

Un des exploits du césarisme de 1804, ce fut l'exécution du duc d'Enghien dans les fossés de Vincennes. Bonapartistes et légitimistes, temporairement alliés, paraissent oublier cette légère anecdote. Mais M. Gourdon de Genouillac prend soin de les en faire souvenir. Il publie sous forme de roman, ou plutôt d'histoire dialoguée, le Crime de 1804, et rien n'est plus lugubre qu'un tel récit, où le duc d'Enghien joue bravement le rôle de la victime égorgée. Livre à méditer par le temps d'alliances qui court; le sang innocent, même après soixante-neuf ans, crie encore vengeance.

La gloire efface tout, tout excepté le crime!

avait dit Lamartine en parlant de l'assassinat dont M. Gourdon de Genouillac se fait aujourd'hui l'historien.

Et à propos de Lamartine, nous aurons avant peu à parler des deux volumes de Correspondance qu'on vient de publier. Ce nous sera une occasion d'étudier encore de plus près cette belle physionomie de poète. Mais avant d'arriver à lui, citons, pour être plus libres, les nouveautés que nous nous contenterons d'annoncer, ne les pouvant critiquer toutes. M. Maxime Du Camp a donné le tome quatrième de son livre superbe et définitif sur Paris (c'est la mendicité, les hôpitaux, le Paris misérable qu'il étudie cette fois).

Timothée Trimm a publié une curieuse et piquante Vie de Paul de Kock, qui sert de préface à l'édition inépuisable du conteur, chez Georges Barba. Alphonse Lemerre continue son édition de Rabelais, son Molière, son Beaumarchais--des chefs-d'œuvre--et il a réédité magnifiquement l'Ensorcelée, de Barbey d'Aurevilly. Jouaust donne une édition superbe de La Bruyère, avec préface de Louis Lacour, et un Gil Blas de Lesage, dont M. F. Sarcey a écrit allègrement l'avant-propos. Un livre fort agréable à lire et à emporter à Vienne, qu'il peint lestement et gaiement, ce sont les Voyages d'un fantaisiste, de M. A. Millaud. C'est pimpant et parisien. M. Charpentier réimprime le Marcomir d'Alfred Assolant, un des meilleurs livres de l'auteur des Scènes de la vie aux États-Unis.

Je termine enfin cette longue énumération. M. J. Autran a publié un nouveau volume de vers, les Sonnets capricieux. Un ami de l'auteur, qui n'a de complaisance pour personne, M. V. de Laprade, a jugé ces sonnets en un mot: ce sont des abeilles attiques exilées au pays gaulois. Le jugement est charmant et nous sommes, pour notre part, de l'avis de M. de Laprade.

Jules Claretie.



SALON DE 1873


La Neige, tableau de M. Daubigny.

Il n'y a pas à décrire cette toile d'une composition si simple, en même temps que d'un aspect si saisissant; M. Daubigny est un maître pour qui la nature n'a plus de secrets: clairières, ombrages touffus, ruisseaux murmurants, prairies verdoyantes, il a tout étudié, tout compris, tout traduit. Aujourd'hui il abandonne la recherche du détail, il cesse de poursuivre l'exactitude du fait matériel, et se borne à rendre une impression d'ensemble, un effet général; il est permis de se demander si tel est bien le but de la peinture, et particulièrement du paysage; mais cette restriction une fois posée, si l'on consent à ne pas se préoccuper de ce qu'il y a de systématique et de voulu dans une telle manière, on ne peut se refuser à reconnaître le mérite de l'exécution et à admirer le talent du peintre. M. Daubigny est un virtuose qui imagine des variations savantes sur un thème donné; sûr de ses moyens, il sait où il va et ne craint pas de s'égarer; il est bien certain d'arriver au résultat qu'il veut produire.

Voyez plutôt cette vaste campagne, couverte de neige, avec son ciel d'hiver, sur laquelle se détache un bouquet d'arbres dénudés, et qu'anime seulement une nuée de noirs corbeaux; est-il un sujet moins compliqué et où l'on sente moins l'arrangement?

Et pourtant, quelle intensité d'effet! Comme l'œil erre, sans savoir où se fixer, sur ces lointains blanchâtres, qui se confondent avec le gris sombre des nuages! Ce n'est pas tel ou tel champ de tel ou tel pays, c'est l'hiver dans tout ce qu'il a de froid et de triste, c'est décembre, à l'aspect morne et désolé, rendu avec une rare vigueur et une extraordinaire puissance d'expression.

Mélantho, statue de M. H. Allouard.

C'est Neptune qui la porte, Neptune lui-même, le roi de l'Océan, qui s'est transformé en dauphin pour suivre à travers son empire la nymphe dont il est épris, et qu'il enlèvera bientôt dans les profondeurs d'une caverne connue de lui seul; mais ni le dauphin, ni les petits amours qui se jouent autour de lui ne constituent le vrai sujet; il est tout entier dans cette gracieuse figure de femme, à la pose si heureuse, au corps élancé, aux proportions élégantes, qui se laisse doucement entraîner, inconsciente du péril qui la menace, et révélant au Dieu des mers les secrets de son indolente beauté. M. Allouard est un de nos plus jeunes sculpteurs; il n'expose que depuis plusieurs années, et déjà il a su se conquérir une place des plus honorables.

C'est un devoir et un plaisir en même temps de rendre justice à un artiste qui dédaigne les succès faciles et n'oublie jamais que la statuaire est l'art élevé par excellence; sa Mélantho, œuvre sérieusement étudiée et riche de qualités charmantes, est avant tout une œuvre de style.



SALON DE 1873.--La neige, tableau de M. Daubigny.


SALON DE 1873.--Mélantho, par M. Allouard.



RÉBUS

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Qu'étaient les pommes d'or au jardin des Hespérides; des oranges, et rien de plus.