The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0059, 13 Avril 1844 This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: L'Illustration, No. 0059, 13 Avril 1844 Author: Various Release date: June 1, 2014 [eBook #45855] Language: French Credits: Produced by Rénald Lévesque *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0059, 13 AVRIL 1844 *** Produced by Rénald Lévesque L'ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERSEL. Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr. Prix de chaque Nº, 75 c.--La collection mensuelle br., 3 fr. 75. Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr. pour l'Étranger. -- 10 -- 20 -- 40 fr. N° 59. Vol. III.--SAMEDI 13 AVRIL 1844. Bureaux, rue de Seine, 33. SOMMAIRE. Albert Thorwaldsen--1770-1844. _Portrait de Thorwaldsen. Bas-Reliefs du Jour et de la Nuit_.--Petits Poèmes du Nord. _L'Orage; la Mort_.--Algérie. Expédition de Biskarah. _Carte de Constantine à Biskarah; les ducs d'Aumale et de Montpensier chargeant les Arabes: Vue de Mehounech_.--Courrier de Paris. _Accident arrivé au ballon de M. Kirsch_.--La Frégate à vapeur le Princeton. Gravure.--Histoire de la Semaine.--Salon de 1844. (4e article.) _Abdication de Napoléon_, par M. Janet-Lange; _Vision de Saint Jean, par Bonnegrâce; Passage du Rummel par une Caravane d'Arabes, par M. T. Frère; Vue prise de Tripoli, par M. Marilhat; la rue Hourbarych, au Caire, par M. Chaenton_.--Le Dernier des Commis Voyageurs. Roman par M. *** Chap III. Le double Mystère.--Mont-de-Piété de Paris.--Arithmétique pittoresque. _Dix-neuf Gravures par Cham._--Bulletin bibliographique.--Modes de Longchamp. _Cinq Gravures._--Rébus. Albert Thorwaldsen. 1770-1844. [Illustration: A. Thorwaldsen sculpteur danois, décédé le 25 mars 1844.] En 1770, un pauvre sculpteur islandais, nommé Golskalk Thorwaldsen, vint avec sa jeune épouse, la fille d'un ecclésiastique, chercher fortune à Copenhague. Pendant la traversée, sa femme lui donna un fils qu'on appela Albert ou Bertel, et qui devait rendre un jour son nom immortel. Le premier jouet du jeune Thorwaldsen fut un ciseau. A peine eut-il la force de tenir cet instrument, qu'il aida son père à sculpter des têtes ou des statues de bois pour les navires danois. Les heureuses dispositions dont il se montrait doué frappèrent ses parents, qui, ne pouvant lui donner des maîtres particuliers, l'envoyèrent à l'école gratuite des arts de Copenhague. D'abord il ne se distingua pas de ses autres condisciples; mais bientôt son génie naturel se développa, et, en 1787, il remporta la médaille d'argent. A cette époque, il n'avait d'autre ambition que d'embrasser la profession de son père, et de sculpter des figures allégoriques ou des ornement pour les navires; mais la Providence lui réservait de plus hautes destinées. Le peintre d'histoire Abildgaard s'attacha à lui, et lui donna des leçons particulières dont il ne tarda pas à profiter. En 1789, il remporta un second prix, et deux années plus tard, sa composition de _Héliodore chassé du temple_ lui valut la médaille d'or et le patronage d'un ministre, le comte Reventlow; enfin, en 1793, il remporta le grand prix de Rome, c'est-à-dire il obtint une pension d'environ 1,200 fr., garantie pendant trois années de séjour dans la métropole du monde chrétien. [Illustration: Le Jour, bas-relief par Thorwaldsen.] [Illustration: La Nuit, bas-relief par Thorwaldsen.] Toutefois, avant de partir pour Rome, le jeune lauréat passa encore deux années dans sa patrie, occupé d'études sérieuses. Il ne s'embarqua que le 20 mai 1796, à bord d'une frégate danoise. Le voyage fut long et pénible: la frégate relâcha dans un grand nombre de ports, et n'arriva à la hauteur de Rome qu'au mois de mars de l'année suivante. Dès qu'il fut installé à Rome, Thorwaldsen se mit au travail; mais plus il faisait de progrès dans son art, plus il désespérait de s'élever jamais au degré de perfection qu'avaient atteint les grands maîtres dont il étudiait, les chefs-d'oeuvre. Comparait-il ses ouvrages à ceux qu'il admirait avec tant d'enthousiasme tout autour de lui, il reconnaissait si bien son infériorité, qu'il prenait un marteau et brisait de ses propres mains les productions trop faibles de sa jeunesse. Vainement ses amis lui prodiguaient des éloges et des encouragements mérités, il ne les écoutait pas, et, mécontent de lui-même, il jonchait le sol de son atelier de statues indignement mutilées. Trois années se passèrent ainsi. Le temps était venu où sa pension ne devait plus lui être payée. Pauvre, inconnu, trop modeste pour tirer parti de son talent, Albert Thorwaldsen s'était décidé à retourner dans sa patrie. A quoi tient parfois la destinée d'un grand homme? Il allait partir, en 1805, quand il fit la rencontre d'un riche Anglais qui savait aimer et protéger les arts. M. Hope, visitant un jour son atelier, fut frappé de la beauté d'une statue de Jason que le jeune sculpteur danois venait d'achever en terre; il lui en demanda immédiatement une semblable en marbre, et il la lui paya si généreusement, que Thorwaldsen, voyant son existence assurée pour longtemps, renonça à son projet, et se fixa définitivement il Rome. A dater de cette époque, sa fortune s'accrut chaque année avec sa réputation; il devint en peu de temps l'émule de Canova; les riches connaisseurs de l'Europe se disputèrent ses statues, et surtout ses bas-reliefs; tous les étrangers de distinction qui venaient à Rome s'empressaient d'aller visiter son atelier à la _Casa Buti_ sur la _Piazza Barberini_. Sa galerie particulière passait à juste titre pour l'une des collections privées les plus intéressantes qu'il y eût à Rome: outre un certain nombre de ses sculptures, il y avait réuni un choix remarquable de tableaux des artistes modernes en renom qui avaient habité Rome pendant son séjour. Sa bonté et sa modestie égalaient son mérite. On raconte de lui une foule d'actions généreuses et désintéressées. Le dernier roi de Prusse, pour ne citer qu'un exemple, lui avait fait demander une statue: «Sire, lui répondit Thorwaldsen, il y a en ce moment à Rome un de vos fidèles sujets qui serait plus capable de moi de s'acquitter, à votre satisfaction, de la tâche dont vous daignez m'honorer. Permettez-moi de le recommander à votre royale protection.» Ce rival que Thorwaldsen recommandait si noblement au roi de Prusse était Rodolphe Schadow, dont un voit aujourd'hui la tombe à l'église d'_Andréa delle Fratte_ à Rome. Il se trouvait alors dans une position gênée. Il fit pour son souverain un de ses plus charmants chefs-d'oeuvre, sa _Fileuse_. La plupart des tableaux dont se composait sa galerie particulière, Thorwaldsen les avait achetés ou commandés à de jeunes artistes qui, ainsi que lui, devaient acquérir plus tard de la fortune et de la gloire, mais qui alors végétaient, encore dans la misère et dans l'obscurité; il en devait d'autres à l'amitié d'anciens condisciples devenus déjà célèbres comme lui. On y remarquait des toiles ravissantes signées Overbeck, Cornélius, W. Schadow, Koch, Carstens, Welter, Meier, Kraft, Sanguinetti, etc... Aucun autre artiste aussi distingué n'eut un pareil nombre d'amis! Quel plus bel éloge pouvons-nous faire de son caractère? En 1819, la ville de Lucerne commanda à Thorwaldsen un monument qu'elle avait résolu d'élever à la mémoire des soldats suisses morts aux Tuileries le 10 août 1792.--Ce monument, dont il composa le modèle, fut exécuté depuis par un jeune artiste de Constance nommé Ahorn. Tous les étrangers qui visitent la Suisse vont l'admirer. Un lion de grandeur colossale (il a neuf mètres de long et six mètres de haut), percé d'une lance, expire en couvrant de son corps un bouclier fleurdelisé qu'il ne peut plus défendre, et qu'il soutient avec les griffes. Il est sculpté en bas-relief dans une grotte peu profonde creusée, elle, dans un pan de rocher absolument vertical, que couronnent des plantes grimpantes, et du haut duquel se précipite un filet d'eau au milieu d'un bassin disposé tout exprès pour le recevoir. Au-dessus du lion sont gravés les noms des soldats et des officiers morts le 10 août, et à quelques pas de la grotte s'élève une petite chapelle avec cette inscription: HELVETIORUM FIDEI AC VIRTUTI. INVICTIS PAX. Thorwaldsen s'était rendu à Lucerne, pour voir l'emplacement réservé à ce monument. Il saisit avec joie cette occasion d'aller revoir son pays natal. Pendant le court séjour qu'il fit à Copenhague, Frédéric VI, le roi régnant, s'occupait de faire reconstruire l'église Notre-Dame, _vor Frue Kirke_, presque entièrement détruite par le bombardement de 1807. Il commanda à son illustre sujet les statues du Sauveur, de saint, Jean-Baptiste et des douze apôtres.--Thorwaldsen revint bientôt à Rome, où il travailla sans relâche à la composition et à l'exécution de ces chefs-d'oeuvre. «J'ai visité, au palais Barberini, dit M. Valéry, l'atelier de Thorwaldsen, qui, à Rome, semble avoir succédé à Canova dans l'opinion européenne, et dont le talent pur, sévère, poétique, lui est en quelque point supérieur, particulièrement dans les bas-reliefs.--Ses treize statues colossales du Christ et des apôtres sont une noble composition; le Christ, surtout, figure originale, empreinte du génie simple et sublime de l'Évangile, a la majesté sans terreur du Jupiter Olympien. Ces statues, destinées à la cathédrale de Copenhague, montrent l'embarras qu'éprouve le protestantisme de la nudité de son culte, et la pompe nouvelle qu'il cherche aujourd'hui à lui donner. Thorwaldsen, malgré ses vingt années de séjour à Rome, est resté complètement homme du Nord, et son âpre aspect, qui n'ôte rien à sa politesse et à sa bienveillance, forme un vrai contraste avec ses ouvrages, imités, inspirés de l'art grec, et les physionomies italiennes qui peuplent son atelier.» Nous n'avons pas eu le bonheur de voir le grand sculpteur danois; mais quelques-uns de nos amis, plus heureux que nous, nous ont affirmé que l'aspect de Thorwaldsen n'avait rien d'âpre, comme dit M. Valéry.--Sa belle tête, plus noble encore que ses plus sublimes créations, rayonnait, de haut l'éclat du génie, et respirait en même temps une affectueuse bonté. Ses longs cheveux blancs, retombant en boucles soyeuses sur ses épaules, lui donnaient, dans les dernières années de sa vie, l'air d'un barde inspiré; ses yeux bleus, qui semblaient toujours éclairés par le feu de son âme tendre et exaltée, avaient une douceur d'expression incomparable. «Rien qu'à le voir, dit un critique anglais, on ne pouvait s'empêcher de l'aimer.» Thorwaldsen ne revint définitivement dans sa patrie qu'en 1858, après quarante-deux années d'absence. Il rentra en triomphateur dans cette ville à laquelle il rapportait ses plus beaux chefs-d'oeuvre, et qu'il ne devait jamais quitter. Le jour de son arrivée fut un jour de fête nationale; une foule immense se porta à sa rencontre et salua son retour des plus vives acclamations. Les poètes composèrent des vers en son honneur. Le roi Christian VIII, qui l'avait connu à Rome et qui s'était lié avec lui d'une étroite amitié, le nomma conseiller de conférence et directeur de l'Académie des beaux-arts de Copenhague. Le 25 mars dernier, Thorwaldsen se rendit, selon son habitude, au théâtre. Avant que le spectacle fût commencé, il tomba à la renverse sur son fauteuil. On l'emporta aussitôt dans sa maison; mais tous les secours furent inutiles. Quelques minutes après il rendit le dernier soupir, sans avoir essayé de proférer une parole, sans avoir poussé la plus légère plainte. Il achevait, sa soixante-quatorzième année. Le jour même de sa mort il avait travaillé à un buste de Luther et à une statue d'Hercule, qu'il devait terminer bientôt pour le palais de Christianburg.--Le samedi 30 mars, sa dépouille mortelle a été ensevelie dans l'église de Holm. Toute la population de Copenhague assistait aux funérailles de ce grand artiste, qui avait eu le bonheur rare de réunir les qualités du coeur à celles de l'esprit. Thorwaldsen laisse un nom qui ne périra jamais. Il nous serait difficile, on le conçoit, de porter dès aujourd'hui un jugement sur ses oeuvres, disséminées dans presque toutes les capitales de l'Europe; à peine même si nous pourrions en donner une liste complète. La postérité ratifiera, nous n'en doutons pas, la haute opinion que ses contemporains ont toujours eue de son talent. Il restera, si ce n'est le premier, du moins le second des sculpteurs de la première moitié du dix-neuvième siècle; car on l'a souvent comparé à Canova, et la majorité des connaisseurs a toujours persisté à placer Thorwaldsen au-dessus de son illustre rival.--On l'a dit avec raison, «dans les plus beaux chefs-d'oeuvre de Canova, un goût pur et exercé trouve des défauts à corriger; les plus faibles ouvrages de Thorwaldsen offrent des beautés qui enchantent.» Canova l'emporte peut-être dans les statues; mais dans les bas-reliefs, Thorwaldsen se montre inimitable. Le Danemark, l'Italie et l'Angleterre possèdent actuellement les principaux chefs-d'oeuvre de Thorwaldsen. La villa Sommariva du lac Como s'honore encore de montrer aux étrangers le _Triomphe, d'Alexandre_, commandé jadis par Napoléon pour le palais Quirinal; les bas-reliefs si connus du _Jour_ et de la _Nuit_, et dont l'_Illustration_ donne une reproduction exacte, sont devenus la propriété de lord Lucan; M. Hope a toujours conservé le _Jason_, et depuis il a acheté la _Psyché et le Génie et l'Art_; au duc de Bedford appartient le bas-relief de _Psyché; Hébè_ décore la galerie de lord Ashburton; _Ganimède_ est le principal ornement de celle de lord Egerton.--A Rome nous retrouvons, à la chapelle Clémentine, le tombeau de Pie VII; au Panthéon d'Agrippa, le _Cénotaphe du cardinal Consalvi_; dans le palais pontifical, les stucs d'un lambris représentant _Alexandre à Babylone.--Le palais de l'archevêque, à Ravenne, renferme, dans l'_appartemento nobile_, un _Saint Apollinaire_. Enfin, en 1830, le Campo Santo de Pise s'est encore embelli du _Tombeau_ de l'illustre chirurgien André Vacca, élevé par souscription.--Si Lucerne a son Lion, Varsovie a le _Monument de Poniatowski_; mais c'est à Copenhague qu'il faut aller pour admirer, au Musée, une collection complète de statues et de bas-reliefs, et à l'église Notre Dame, _le Christ et les treize apôtres_ dont nous avons déjà parlé; _Saint Jean prêchant dans le désert; les Quatre Prophètes; le Christ portant sa Croix_. Alors même que toutes ses autres compositions seraient détruites, ces divers chefs-d'oeuvre, réunis dans le même lieu, suffiraient pour assurer à Thorwaldsen l'immortalité dont il est digne. Petits Poèmes du Nord. (V. t. II, p. 43; t. III, p. 71.) LE PREMIER ORAGE. C'était aux premiers jours du monde, alors que la terre n'avait point encore lassé la miséricorde du Tout-Puissant, sa surface n'etait point encore déchirée par des convulsions vengeresses, les montagnes ne s'étaient point encore soulevées de son sein, et on n'y voyait pas, comme aujourd'hui, le chaos redevenu maître sur des espaces qui lui avaient été arrachés; mais le globe de la terre, récemment bombée des mains de Jéhovah, était jeune et beau: ses courbes s'arrondissaient égales, et une magnifique végétation, cette première végétation créée, s'épanouissait sur ses contours harmonieux. Alors il n'y avait que des plaines vastes et qui présentaient à l'homme un horizon toujours uniforme et sublime; Dieu était comme empreint dans cette oeuvre... Mais depuis ces temps son esprit s'en est bien retiré et la terre a bien souffert. Jusque-là le ciel environnait le globe dans un fluide d'azur, et des nuages ne s'étaient point échappés des eaux pour l'obscurcir de leurs vapeurs blanches; mais, si jeune encore, la terre avait péché par l'homme, et de jour en jour s'affaiblissaient les faveurs du ciel et arrivaient à leur place les misères, et ce vint le tour du premier orage. Alors naquirent les vents: on les entendait rouler dans les plaines, mugir dans les bois; les flots déchirés s'entr'ouvrirent et laissèrent emporter les vapeurs; les nuages montèrent, grandirent, se réunirent, et le soleil disparut pour la première fois sous ce bouclier de plomb où s'amortissaient ses rayons les plus subtils, bientôt des gouttes de pluie rares et larges se détachèrent des nuages, puis plus pressées, puis continuelles et se ruant en dardant sur la terre comme des lames d'eau que la tempête dirigeait à son gré avec fureur; l'orage était dans sa force, mais on n'avait point encore vu l'éclair et entendu le retentissement de la foudre. Au milieu de cette plaine sans autres bornes que le ciel, un homme court éperdu, la tête basse; ses cheveux glacés par l'eau reluisent et se hérissent parfois de douleur; mais on dirait qu'il n'ose gémir. Il marche, il court, mais où? Où trouver un abri contre la tempête? les forêts paraissent au loin bleuâtres, et il aurait atteint la mort avant elles. Une toison le couvre à peine et ne le garantit pas; infortune!... Mais qu'y a-t-il sur cette laine humide? une tache, une tache que toutes les eaux de l'orage ne pourraient point effacer, car c'est du sang... Voyez aussi sur son front ce signe mystérieux. C'est Caïn c'est le sang d'un frère, c'est le signe du fratricide... C'est Caïn! le voilà tel qu'il s'est fait par son crime, tel que Dieu l'a stigmatisé dans sa colère; car il a voulu que l'homme ne pût être le vengeur de l'homme, et qu'un sauf-conduit sacré garantit sur la terre le meurtrier du meurtre. Mais qui le sauvera de lui-même? qui essuiera ce sang toujours humide? qui écartera le cadavre d'Abel que son remords traîne incessamment devant lui? qui calmera ce coeur où rugissent des orages plus terribles que ceux qui bouleversent les éléments sur sa tête?... Personne et rien! Et cependant les orages du ciel fondent aussi sur lui: des nappes d'eau tombent lourdes comme du plomb glacé sur sa tête découverte, ses jambes s'enfoncent dans la terre humide. Cette vaine dépouille d'une brebis ne suffit plus pour le sauver de cette tempête inattendue: le vent s'y glisse, la soulève, et la pluie furieuse fouette sa poitrine tiède; et point d'abri! partout le ciel et la plaine.--O supplice! Caïn tombe accablé; il se couche à terre, il rugit de douleur, et sa lèvre violette ne peut laisser échapper le blasphème qui s'y balance. Tout à coup, au milieu du sifflement de la tempête, il entend une voix qui lui crie: «Lève-toi et marche.» Il se redresse alors, et, soulevant sa paupière, il dit d'une voix mourante: «Est-ce vous, Seigneur?» mais le vent mugit et ne répond pas.... «Mourir!» s'écrie-t-il, et il retombait anéanti... Mais en ce moment lui apparut la cime brumeuse d'un arbre qu'il n'avait point encore vu; un espoir le ranime: c'est là qu'il espère reposer sa tête; sa douleur même lui donne de nouvelles forces. Il s'avance vers cet arbre qui s'élevait comme une pyramide noire: c'était un cèdre dont l'aspect était singulier, ses branches semblaient déchirées et brûlées, et quelques-unes, d'une couleur rouge, portaient un feuillage desséché. Et comme Caïn s'avançait haletant vers cet arbre, l'arbre paraissait toujours s'éloigner. «Illusion horrible! s'écrie le malheureux, tu ne me tromperas plus, et je veux mourir ici.» A ces mots l'arbre parut marcher de lui-même avec rapidité, et Caïn, relevant la tête, le vit immense à ses côtés. Ses branches inférieures s'étendaient en un large cercle sur le sol, et dans cette enceinte l'humidité avait disparu; l'herbe y semblait flétrie, et un sable brûlé sillonnait par intervalles cet asile où ne voulait point pénétrer l'orage de Dieu. Caïn reconnut le prodige; il hésita et puis il s'écria: «Qu'importe! le Tout-Puissant est las peut-être de ma misère.» En achevant ces paroles, il se précipité dans le cercle qu'abritait le cèdre; mais là un malaise indéfinissable vint le saisir. Des vapeurs fétides l'étouffèrent, il ne put respirer; il étendit les bras et voulut sortir de cette atmosphère, mais il ne le put; il sentit ses pieds arrêtés. Dans cette agonie, il se mit à gémir, et il pleura des larmes de sang. A ses gémissements répondit un cri de joie qui sortit du feuillage. Ce bruit le fit tressaillir d'horreur et il y porta les yeux. Mais il ne put les en détourner, car des yeux de feu rencontrèrent les siens et les enchaînèrent sous un charme invincible Tout l'enfer était dans la flamme de ce regard. Caïn voulut s'y soustraire; vains efforts. Il fallait voir ces yeux, et il reconnut avec horreur qu'ils étincelaient sur la tête d'un énorme serpent; il vit les anneaux du monstre se dérouler et quitter l'arbre qu'ils enlaçaient, mais les regards ne le quittaient pas. Il entendit le corps frissonner en rampant sur le sable, le serpent s'approcher de lui, et il sentait ses pieds rattachés à la terre, qui te maîtrisaient comme une statue immobile. Cependant le reptile infernal le touchait: il siffle et monte autour de son corps. Caïn sentit glisser sur sa peau une peau visqueuse et froide; chaque instant lui révélait les progrès du monstre: ses ossements craquèrent sous les anneaux qui se doublaient sur sa poitrine, ils le pressaient et se replièrent deux fois autour de son cou; et, parvenu à dominer cette tête humaine, le serpent satanique éleva fièrement la sienne et poussa un funèbre sifflement. A ce signal, les cieux s'ouvrirent; leur sein flamboyait d'éclairs, la foudre limita et tout disparut. Ainsi mourut Caïn, ainsi fut lancé le premier tonnerre de Jéhovah. LA MORT. Une pluie froide ruisselai! aux vitres de ma fenêtre, mais j'étais auprès de mon feu, et, pendant que la nature attristée souffrait des caprices de l'hiver, moi je souriais à Marguerite; et tous deux, pressés autour d'une petite table et dans notre chambre chaude, nous faisions un délicieux dîner, plus d'une fois interrompu par des sourires, des libations, des baisers et des tendres propos. Mais voilà qu'un importun, sortant de je ne sais où, apparaît tout à coup au milieu de cette fête; il venait la troubler, et personne n'était mieux fait que lui pour cela, car c'était la mort. Oui, mes amis, la mort avec son crâne emmanché au bout de ses vertèbres, avec ses côtes d'ivoire et suit double ulna qui s'enfonce si agréablement dans les os tremblotants de ses pieds. Seulement, pour enjoliver la chose, elle avait jeté sur son squelette un manteau merveilleusement drapé et qui n'était pas sans transparence; elle se soutenait de ce qu'on appelle son bras, sur une longue faux rouillée. Le spectacle, mes amis, était nouveau et n'était point sans charme; il me fit rire; mais Marguerite, effrayée, pousse un cri et pâlit. Il est certain que la mort est la seule femme laide qui déplaise aux autres femmes. Elle me fit la révérence et me dit: «Me voici;» et son salut fit craquer tous ses ossements. «Bonjour, belle inconnue, lui dis-je, soyez, la malvenue. Vous auriez dû au moins secouer la lourde patte de lion qui sert de marteau à ma porte d'entrée. A tout prendre, vous eûtes raison, car j'aurais bien pu ne pas vous ouvrir. Vous avez bien fait, ma belle sorcière, de me surprendre ainsi; mais que faut-il pour votre service? --Tu es gai, me dit-elle; tant pis pour ton âme, car celui qui plaisante devant moi est maudit et rit de son dernier rire, il n'y aura pour lui, dans l'autre monde, que des pleurs et des grincements de dents. Mais tu peux bien te douter de ce qui m'amène ici: ce n'est pas la Marguerite que je viens chercher, quoiqu'elle soit jeune et que j'aime prendre les jeunes filles dans mes bras; mais c'est toi; tes jours sont mûrs, sois prêt à mourir. --Voilà qui se comprend, madame, et c'est la s'expliquer; mais je ne suis guère prêt, malgré votre invitation si pressante. Ainsi revenez tantôt.--Malheureux! me cria-t-elle, c'en est trop..» Et elle allait me frapper... mais je lui dis: «Un instant encore; avant ce grand voyage, laisse-moi boire le coup de l'étrier;» et je remplis mon verre d'un frais chambertin. «A votre santé, madame, à votre... Mais, parbleu, j'allais faire une grande sottise, impertinent que j'étais.» Alors je me levai. «Il ne sera point dit que j'aurai bu seul en si bonne compagnie; il faut, madame, que vous me rendiez raison. Il nous faut trinquer ensemble.» Dans un moment d'impatience, le pâle squelette frappa horriblement sa faux contre le parquet, qui fut brise, et la maison s'ébranla. Cependant j'avais rempli un autre verre, «Voilà bien du tapage, ajoutai-je, pour une politesse.--Eh bien! dit-elle, j'y consens, et je bois à tes tortures éternelles dans les flammes de l'enfer.» En même temps elle buvait mon chambertin tout d'un trait en buveur altéré. Ses deux mâchoires s'écartèrent, et j'entendis la liqueur qui descendait dans ses os avec un bruit semblable à celui du ruisseau qui tombe rapidement de cascade en cascade et se brise sur un lit de cailloux. Elle parut satisfaite de cette action étrange; et, comme si elle voulait sourire, elle me dit avec un épouvantable tremblement de crâne: «Es-tu content maintenant? --Oh! non, belle dame, pas encore; vous êtes si gracieuse dans vos fastes qu'il ne faut pas s'arrêter en si beau chemin; mais ne craignez pas quelque souhait comme le votre; je suis ici maître de maison et je prétends en avoir la galanterie. A vous donc, séduisante voyageuse; je bois à votre belle santé, sans oublier la peste, votre soeur.--A la bonne heure, dit-elle; à la santé de ma soeur la peste!» Elle choqua son verre contre le mien, et sa bouche énorme engloutit le vin avec un nouveau bruit. Ces deux libations si inaccoutumées avaient produit sur elle l'effet le plus étrange: il y avait plus de souplesse dans ces os sans cartilages. On eût dit que quelque chose d'animé circulait dans son crâne et autour de ses ossements desséchés, et il y avait comme une lumière obscure qui brillait par intervalles dans les cavités moins profondes de ses yeux. «J'ai encore la du champagne, ma jolie convive, lui dis-je.--Voyons ton champagne.» Et dès que je l'eus versé, elle le but sans m'attendre. Elle fit un grand bruit, qui était un rire sans doute, mais qui ressemblait à celui d'un mur qui s'écroule, et elle s'écria: «Oh! qu'il est bon ce vin de Champagne.--Vous trouvez, madame? mais vous deviez m'attendre, nous avons d'autres santés à porter.--Je suis prête, parle, parle, et remplis encore ce long verre.--Le voilà plein, mais moins de promptitude. Allons, voluptueuse camarade; à vos meilleurs amis; à la santé des médecins.» Elle avala tout d'un trait la liqueur pétillante, et jetant son verre, elle pressa ses doigts contre ses vertèbres, et poussant un hurlement de rire, «Ah! méchant, dit-elle, tu fais des égratignures, mais elles sont trop vieilles et moins bonnes que ton vin. Donne-moi, donne-moi la bouteille» Elle la prit et but le reste avec avidité et elle la jeta loin d'elle. C'en était déjà trop sans doute; un esprit brûlant animait ce squelette glacé, et, dans son ivresse, elle se mit à danser avec d'affreuses contorsions qu'elle accompagnait de ses chansons. SA CHANSON O la douce boisson que cette liqueur enflammée! Jamais, depuis le jour où la vie, ma soeur jumelle, est née avec moi, je n'avais connu de semblable jouissance. Ces gouttes ont humecte mes os et les ont fait tressaillir; elles s'y sont insinuées, il m'a semblé qu'une moelle chaude les remplissait et les traversait. C'en est fait, je ne veux plus emmener avec moi les buveurs, mais je me présenterai chez eux, je m'assiérai à leurs tables et leur dirai: Amis, versez. Que si l'on trouve que je remplis mal ma place, eh bien! qu'on me destitue et je me fais cabaretière, et j'aurai la plus belle enseigne et le meilleur vin. Alors les hommes et les jeunes filles n'auront plus peur de la mort, ils viendront chez moi danser devant ma porte, je me mêlerai à leurs rondes et à leurs éclats de rire. Je n'emploierai plus mon cheval blanc qu'à m'amener des tonneaux de vin et je ferai fondre ma faux; j'en ferai une coupe de fer où pétillera l'air. On ne mourra plus, car il n'y aura plus de mort; ou bien, si je suis remplacé, je dirai à mon successeur, quand il viendra: Mon ami, bois de ce vin et ris avec moi. Holà! holà!! mais qu'arrive-t-il donc? ma tête se trouble, et je vois des milliers d'étincelles et des hommes qui circulent et pétillent dans les airs. J'en suis couverte. Ah! ah! voilà que la terre tremble sous mes pas. Nous allons tous périr, et moi aussi. Ah! ah! cela est jovial. C'en est fait, la terre s'ouvre; je suis morte. Elle tomba à ces mots et elle était étendue à terre comme un homme ivre; mais il sortait de son crâne comme un râlement, et ses côtes d'ivoire semblaient se soulever comme s'il y avait en dessous un coeur avec ses battements; ses doigts amollis ne se contractaient plus autour de sa faux, qui était tombée avec un bruit retentissant à quelques pas d'elle. Je dis à Marguerite: «Profitons, mon amie, de ce moment et détruisons la faux de la mort» Et tous deux nous allions la prendre et la jeter dans les flammes, lorsque le plafond s'ouvrit, et deux couples d'anges aux figures pâles et recouverts de robes longues comme des linceuls, s'abaissèrent auprès de nous. Ils étaient silencieux, et leurs yeux étaient sans rayons et sans vie. Il y en eut deux qui prirent la faux de nos mains; les deux autres, relevant le squelette endormi de la mort, le soutinrent dans leurs bras, et tous quatre, chargé de ces dépouilles, s'envolèrent et disparurent. Cette apparition était douloureuse. Nous regardions, Marguerite et moi, avec tristesse, et nos yeux se disaient que la mort n'était que le ministre terrible des volontés du Seigneur. Algérie. EXPÉDITION DE BISKARAH. La prise de Constantine 13 octobre 1837, qui fui précédée et suivie à courte distance de l'occupation par les troupes françaises d'une grande partie du littoral Est de l'ancienne régence d'Alger, avait rendu à une indépendance presque complète les peuplades qui habitent ces portions de la province voisines du Saharah, et désignées par les Arabes sous les noms de Djerid, de Zab ou de Ziban. A côté des chefs qui avaient été investis de l'autorité sur ces peuplades par le dernier bey de Constantine, El-Hadj-Ahmed, se produisirent presque immédiatement, lors de sa chute, d'autres chefs revendiquant le pouvoir, soit en leur propre nom, s'ils se croyaient capables de l'exercer, soit au nom du gouvernement français, dont ils recherchaient déjà l'appui, soit enfin au nom d'Abd-el-Kader, dont les progrès récents dans la province de Titteri devaient encourager et faciliter les efforts des musulmans insoumis de la province de Constantine. C'est ainsi que parurent successivement dans la région du sud, Ferhat-ben-Saïd, El Berkani, Ben-Azouz et Ben-Amar, tous prenant le titre de khalifahs, ou lieutenants d'Abd-el-Kader, et aspirant à diriger, de ce côté, le mouvement à la fois publique et religieux dont l'émir essayait de se constituer le chef par toute l'Algérie. Dans la province de Constantine, comme dans celles d'Oran et de Titteri, la politique d'Abd-el-Kader consista surtout à reconnaître et à s'attacher, par des titres émanés de lui, les chefs qui avaient su se créer un pouvoir et des partisans, et qui lui paraissaient les plus propres à répondre, à ses vues personnelles d'ambition et d'envahissement. Grâce aux rivalités de familles provoquées par Ahmed-Bey, entretenues par Abd-el Kader, l'oasis du Ziban a été, depuis 1837. livre à la guerre civile et à l'anarchie. A cette époque, le gouvernement de cette contrée était partagé, ou, pour mieux dire, occupé tour à tour par deux familles représentées, l'une par Ferhat-ben-Saïd, l'autre par Bou-Aziz-ben-Ganah. Après l'occupation de Constantine, Ferhat, qui avait, à plusieurs reprises, sollicité la protection des gouverneurs français d'Alger, se trouva naturellement en possession du titre et des fonctions de cheik-el-Arab. Instruit plus tard que Ferhat avait été faire, devant Aïm-Madhi, acte d'obéissance entre les mains d'Abd-el-Kader, M. le maréchal Vallée le remplaça, au mois de janvier 1839, par son compétiteur Bou-Aziz-ben-Ganah. Le titre de cheik-el-Arab était, sous la domination turque, et est encore aujourd'hui le nom donné au chef du Saharah. Ce chef avait droit au cafetan en drap d'or et aux honneurs de la musique du beylik. Avant la prise d'Alger, il devait 20,000 boudjoux (le boudjou vaut 1 fr. 80 c.) pour droit d'investiture. L'autorité du cheik-el-Arab s'étendait, au nord, depuis les montagnes d'Aourès et de Belezmah, qui séparent le Saharah, vaste plaine sans plantation des terres cultivées, appelées _Toll,_ collines, mouvements de terrain, jusqu'au pays de Msilah; au sud, jusqu'au pays de Souf, à la limite du grand Désert; de l'est à l'ouest, depuis Tuggurt, qui marquait la limite du Haled-el-Djerid, pays des dattes de Tunis, jusqu'au territoire de la ville d'Agonath. Cet immense territoire, à lui seul presque aussi grand que la province tout entière, est habité par deux populations bien distincte: les Arabes nomades Nedjona, pasteurs nomades, qui passent l'hiver dans le Saharah, et viennent chaque année, au printemps, vendre des dattes et acheter des grains dans le Tell, et les habitants des petites villes groupées dans les oasis, qui ne quittent jamais le Saharah. Biskarah que les Arabe» prononcent Biskrah est la capitale de ces petites villes; elle compte de deux mille huit cents à trois mille habitants, qui, du temps d'Ahmed-Bey, obéissaient à un kaïd. Il y avait alors à Biskarah une garnison de cent hommes: le territoire sur lequel s'exerçait l'autorité du kaid portait le nom de Zab pays à oasis, où croissent les palmiers à dattes. On y trouve quarante villes rangées en cercle, à peu de distance l'une de l'autre, Biskarah occupant la partie la plus orientale de ce cercle. Le Zab de Tuggurt contient quatorze petites villes moins peuplées que celles du Zab de Biskarah. Le pays de Souf se divise en sept grandes tribus. Le cheik-el-Arab commandait onze tribus nomades, et en outre Biskarah et son Zab. Sidi Okbah, El Feoth, qui étaient seuls soumis à une administration régulière. Tuggurt et son Zab, les Ouled Soulah, le pays de Souf et El-Kangah, qu'il gouvernait comme il pouvait. Les anciens avaient donné une idée assez juste du Saharah, en le comparant à une peau de tigre. C'est, en effet, une région couverte de vastes espaces d'une couleur fauve, parsemée d'une foule de points noirs qui se groupent par larges taches, et zébrée de quelques raies grises. Les espaces fauves sont des sables; les points noirs, des villages; les taches, des oasis; les raies, des montagnes. Çà et là apparaissent aussi des plaques presque blanches; ce sont des lacs de sel. De longues et sinueuses lignes qui viennent y aboutir sont les cours d'eau, ou, pour parler plus exactement, les lignes de fond. Les sables sont tapissés d'une végétation naine, où règnent le pistachier et le lotus, et les villages noyés dans de grosses touffes d'arbres fruitiers. Tel est l'aspect général du Saharah. Au delà d'une certaine limite, les points et les taches cessent brusquement, et il ne reste plus dans le fond qu'une nuance fauve presque uniforme; c'est le Désert. Les villes du Saharah, formées par la réunion de quelques chaumières, sont, pour la plupart, d'un aspect misérable; elles n'ont de remarquable que les jardins dont elles sont entourées. Les habitants fabriquent des haiks espèce de tuniques, et autres étoffes de laine, des paniers et des nattes avec les feuille» de palmier. Les jardins sont tous très-bien arrosés, et n'existent qu'à cette condition; cultivés avec intelligence, ils produisent toutes sortes de fruits et de légumes. A l'extrémité occidentale du Zab de Biskarah, se trouve Doussen, où notre cheik-el-Arab Ben-Ganah a battu Ben-Azouz, lieutenant d'Abd-el-Kader, au mois de mars 1840. Sidi-Okbah est une ville ancienne et célèbre; elle renferme le tombeau de Sidi-Okbah, qui fut le premier conquérant de l'Afrique dans le premier siècle de l'hégire, sous le khalifah d'Osman. Depuis son installation, notre cheik-el-Arab a eu constamment à combattre l'influence des khalifahs d'Abd-el-Kader. Au mois de juin 1841, un nouveau succès, remporté par Ben-Ganah contre Ferhat-ben-Saïd, lui ouvrit l'entrée de Biskarah; mais il ne put s'y maintenir. Les habitants, qui s'étaient montré d'abord disposés à reconnaître la souveraineté de la France, s'étant vu imposer par Ben Ganah, et à son profit personnel, une contribution de 40,000 fr., se soulevèrent et le contraignirent d'abandonner leur ville et leur territoire. Vers le mois de novembre 1841, la mort de Ferhat-ben-Saïd, tué dans un engagement contre une partie d'Arabes hostiles, vint délivrer Ben-Ganah d'un rival dangereux. Cependant à Biskarah, et dans les tribus qui environnent cette ville, les khalifahs nommés successivement par Abd-el-Kader, Ben-Amar et Mohammed-Séghir, ont, jusqu'à ces derniers temps, soutenu la lutte entre les partisans de Ben-Ganah, sans qu'aucun succès décisif soit venu faire prévaloir d'une manière définitive les intérêts de l'un des compétiteurs, qui, tour à tour, occupent la ville et l'abandonnent selon les occurrences. Aussi notre cheik-el-Arab, réduit à ses propres forces, a-t-il sans cesse demandé l'appui d'un corps auxiliaire de troupes françaises, seul capable, selon lui, de maintenir et de consolider son autorité dans ces parages lointains. Un tel état de choses entraînait des conséquences désastreuses pour le pays, particulièrement pour la ville de Biskarah, et compromettait d'ailleurs notre domination générale. Laisser là si longtemps flotter à côté du nôtre le drapeau d'Abd-el-Kader, c'était, aux yeux des peuples, un signe de faiblesse et comme une menace permanente contre la sécurité de la province de Constantine. Les transactions commerciales, si nécessaires à un peuple qui ne produit que des objets de luxe, étaient interrompues sur la plupart des points; une barrière presque infranchissable séparait le Tell du Saharah, et des collisions continuelles ensanglantaient les tribus et les villes. La présence des Français à Biskarah pouvait seule mettre un terme à ces agitations, asseoir solidement l'autorité du cheik-el-Arab, en même temps que la domination française, organiser le Ziban, rétablir les relations de commerce entre le Saharah et le Tell, enfin régulariser la perception de l'impôt, ce gage réel de la soumission des populations indigènes. Tels ont été le motif et le but de l'expédition dirigée contre Biskarah. La division de Constantine vient de terminer avec succès la première partie de ses opérations; elle a parcouru toutes les oasis connues sous le nom de Ziban dans les premières plaines du désert, chassé le khalifah qui y gouvernait au nom d'Abd-el-Kader et dispersé ses soldats réguliers. Dès le 8 février, les troupes ont commencé à se mettre en mouvement. Un poste de ravitaillement fut établi à Bathnah, à 112 kilomètres sud de Constantine, à moitié chemin environ de Biskarah. Bathnah, où l'on trouve de l'eau, du bois et de l'herbe, est situé près des ruines immenses de Lambasa, au milieu des montagnes. C'est l'entrée d'une longue et large vallée inclinée du nord au sud, qui, séparant les djebel (monts) Aourès du djebel Mestaouah, conduit du Tell dans le Saharah. De grands approvisionnements y furent réunis, et un hôpital militaire installé pour recevoir les blessés et les malades. Le 23 février, la colonne expéditionnaire, commandée par M. le duc d'Aumale, et forte de 2, 100 baïonnettes, de 600 chevaux, de 4 pièces de montagne et de 2 de campagne, était réunie à Bathnah. Les tribus des environs, d'abord fort tranquille, avaient été agitées par les intrigues d'Ahmed-Bey, dans la unit du 19 au 20, des coups de fusil furent tirés sur les avant-postes. En même temps 5 à 600 cavaliers des Ouled Solthan et des Laglular-el-Halfamma occupaient le défilé du Kantana et empêchaient les chameaux, que le cheik-el-Arab avait requis dans le désert pour les transports, de rendre à Radmah. Le 21, quatre compagnies d'élite et 200 chevaux sortirent du camp. Cette petite troupe, guidée par le cheik-el-Arab, marcha toute la nuit; au jour, elle rencontra le rassemblement d'ennemis, le défit et lui tua 15 hommes; la route était libre. Le 25, tous les moyens de transport étant rassemblés, la colonne se mit en route pour Biskarah, avec un mois de vivres, en laissant à Bathnah un bataillon du 31e, 50 chevaux, 2 pièces de montagne et 10 fusils de rempart. L'infanterie était commandée par M. Vidal de Lauzun, du 2e de ligne; la cavalerie par M. le colonel Noël, du 3e de chasseurs d'Afrique; M. le général Lechêne dirigeait les services de l'artillerie. Arrivée le 20 à M'Zab-el-Msaï, la colonne, après avoir enlevé quelques milliers de têtes de bétail aux Laghdar, réfugiés dans une haute montagne réputée inaccessible, le djebel Metlili, parvint, le 29, à El-Kantara (le pont), le premier village du Désert. C'est une oasis de dattiers située au pied de rochers escarpés, à la sortie d'un défilé fort étroit que traversait une voie romaine, aujourd'hui impraticable. Un beau pont romain, très-bien conservé, donne son nom au village. Les habitants acquittèrent sans difficulté leurs contributions annuelles. Le 4 mars, la colonne entra sans coup férir à Biskarah, Mohammed-el-Séghir, marabout de Sidi-Okbah, le dernier khalifah d'Abd-el-Kader, qui occupait la Kasbah de Biskarah avec un bataillon de 500 hommes, avait quitté la ville depuis cinq jours avec ses troupes régulières et s'était réfugié dans l'Aourès, sans réussir à emmener la population. Le soir même, les députations de toutes les petites villes des Ziban et de toutes les tribus nomades, sans exception, étaient dans notre camp, demandant l'_aman_ (le pardon) et la protection de la France. Le corps expéditionnaire est resté dix jours dans les Ziban; les troupes étaient disséminées sur tout le pays. Quatre officiers versés dans la connaissance des moeurs et de la langue arabes, MM. le commandant Thomas, les capitaines de Neveu, Desvaux et Fornier, visitèrent tous les villages, interrogèrent partout les djemââ (assemblées des notables), et recueillirent des renseignements politiques et statistiques qui permirent à M. le duc d'Aumale de constituer l'autorité, et de frapper une première contribution en argent et en nature (dattes, grains, moutons et chevaux). Les contributions perçues représentent une valeur d'environ 150,000 fr. Les choses ont été réglées de manière à laisser au cheik-el-Arab un pouvoir que ses services semblent mériter, mais de manière aussi à permettre au commandant supérieur d'exercer sur ses actes une surveillance continuelle, et à donner aux populations les garanties qu'elles réclament. Ainsi, les droits de chaque fonctionnaire ont été fixés publiquement. L'impôt sera unique, proportionnel à la richesse, et déterminé, chaque année, par une lettre du commandant de la province à chaque tribu ou village; la perception en est confiée au cheik-el-Arab. L'exercice de la justice a été également réglé. Enfin, des ordres ont été donnés pour que les voyages des nomades dans le Tell se fissent à époque fixe, par des routes déterminées, et avec autant d'ordre que possible. Les gens turbulents seront amenés à Constantine comme otages. Une compagnie de tirailleurs indigènes de trois cents hommes occupera la Kasbah de Biskarah, sous les ordres d'un officier français, et en soutenant l'autorité du cheik-el-Arab, représentera la France dans cette contrée lointaine. Un goum de cinquante cavaliers d'élite, fourni par les tribus d'origine noble et exemptes d'impôt, complète l'organisation militaire du pays. [Illustration: Carte à vol d'oiseau de l'expédition de Biskarah.] [Illustration: Les ducs d'Aumale et de Montpensier chargeant les Arabes à l'attaque de Mehounech.] Cette mission toute pacifique ainsi remplie, il restait à atteindre le khalifah d'Abd-el-Kader, et à détruire ses forces déjà affaiblies par la désertion. En s'enfonçant dans la montagne, Mohammed-el-Séghir avait laissé une partie de ses richesses à Mehounech, à 32 kilomètres nord-est de Biskarah. Le groupe de montagnes connu sous le nom de djebel Aourès se termine, vers le sud, par des rochers escarpés à peu près inabordables. C'est au pied de cette chaîne qu'est située l'oasis de Mehounech. L'Oued-el-Abiadh (la rivière Blanche), sortant d'une gorge étroite et entièrement impraticable, arrose une petite vallée remplie de palmiers, de jardins bien cultivés et de maisons en pierre. Cette vallée est enfermée au nord par le djebel Ammar-Kaddou (le mont à la Joue-Rouge), qui dépend du groupe de l'Aourès, et qui n'est accessible que par un seul sentier très-difficile; sur ses flancs déboisés et à pic se trouvent trois petits forts solidement construits, et un village retranché, dont la position était réputée inexpugnable, et qui sert de dépôt, non-seulement aux habitants de l'oasis, mais à beaucoup de gens de l'Aourès et du Saharah. Occupé une première fois le 12 mars par un détachement sous les ordres du commandant Tramblay, du 3e de chasseurs, le village de Mehounech, dont les habitants étaient allés chercher le khalifah d'Abd-el-Kader pour les défendre, et où 2 à 3,000 Kabyles s'étaient réunis en armes, a été de nouveau attaqué et emporté le 13, ainsi que les forts qui le protégeaient, après une vive et longue résistance, et une lutte corps à corps. Les Kabyles ont fait pleuvoir sur les assaillants une grêle de balles et roulé sur eux des quartiers de rochers. Le duc de Montpensier, qui paraissait pour la première fois à l'armée, dirigea, pendant toute la journée, le feu de l'artillerie, et le soir, en chargeant avec plusieurs officiers à la tête de l'infanterie, il fut légèrement blessé; une balle lui déchira la paupière supérieure de l'oeil gauche. Le village et les forts furent détruits et incendiés le lendemain, ainsi que les immenses magasins qu'ils renfermaient. Le camp de Bathnah, quelques jours avant, avait été vigoureusement attaqué, à deux reprises, le 10 et le 12 mars. Cette double attaque fut heureusement repoussée, et les Arabes laisseront 31 cadavres sur le terrain. La colonne principale est revenue le 21 mars à Bathnah, d'où elle s'est remise en route pour continuer le cours de ses opérations. Les sciences géographique et archéologique ont eu leur part dans cette expédition. M. le capitaine d'état-major de Neveu, chargé des travaux géodésiques, a levé avec soin tout le pays parcouru, et M. le capitaine d'artillerie de Lamarre a recueilli des documents précieux sur les restes des établissements romains et surtout sur le Medrashen, signalé par Bruce comme le tombeau de Syphax et des autres rois de Numidie. Quelques détails, puisés à des sources officielles, donneront une idée exacte de l'importance commerciale du Désert. Les contributions que le Saharah payait annuellement au bey Ahmed ont été évaluées à 200,000 francs, sans compter les prélèvements faits pour le pacha et pour ses favoris, en dattes, étoffes de laine, couvertures, bernous, haïks, etc. [Illustration: Algérie.--Vue de Mehounech d'après un dessin original.] Les rapports de Constantine avec le Désert sont les plus anciens, les mieux établis, et ceux qui se maintiendront sans doute le plus longtemps. Biskarah, située à sept ou huit jours de marche de Constantine, y envoyait chaque année, au printemps, une caravane de 200 à 300 chameaux chargés de dattes, de tabac en feuilles, d'objets de teinture, de bernous, de henné, de plumes d'autruche, de gomme, de tapis; elle en tirait des armes, des grains et des tissus. L'ensemble de ce commerce s'élevait à 200,000 francs par an. Les habitants de Constantine n'envoyaient jamais de caravane à Biskarah; mais, lors du départ de la colonne chargée du recouvrement de l'impôt, les soldats emportaient quelques objets de l'industrie de Constantine, pour faire des échanges contre des produits du pays. Ces expéditions avaient lieu à l'époque de la récolte des dattes, et la colonne était de retour à la fin de l'hiver. Le même commerce d'échange des mêmes produits avait lieu entre Constantine el Tuggurt, qui est à douze journées de Biskarah, et par conséquent à dix-huit ou vingt de Constantine. Tuggurt payait tribut au bey de Constantine entre les mains un cheik-el-Arab. En 1819 et 1820, le bey se rendit en personne à Tuggurt, qu'il frappa d'une contribution de 500,000 boudjoux. Courrier de Paris Longchamp s'est passé sans éclat et sans bruit; on ne parle ni de modes nouvelles, ni d'attelages merveilleux, ni de rivalités audacieuses, ni de luttes à outrance entre le luxe, la vanité et la coquetterie; décidément le jour de Longchamp est un jour comme un autre pour les Champs-Elysées, avec un peu plus de foule, un peu plus de poussière et un peu plus de fiacres que de coutume; sans doute il y a encore d'honnêtes curieux qui se parent dès le matin, et descendent de leur faubourg, femme et enfants sous le bras, pour aller et venir de la place Louis XV à la barrière de l'Étoile jusqu'à extinction de chaleur naturelle; sans doute les étrangers et les provinciaux, s'il y a encore des provinciaux, sortent en toute hâte de leur hôtel garni et vont chercher Longchamp, sur le bruit de son ancienne réputation et de ses splendeurs passées; sans doute quelques commis marchands font des essais d'habits neufs, et quelques grisettes de mauvais goût s'enrubannent et s'étalent; mais Longchamp n'en a pas moins perdu son goût pour les tentatives singulières et les excentricités; il ne crée plus rien, il n'invente plus rien, il n'ose rien. Le Longchamp d'aujourd'hui se promène avec sa robe et son habit du mois dernier; il trotte sur ses chevaux ordinaires et roule dans son équipage de l'an passé; ne lui demandez ni une forme de chapeau inusitée, ni une coupe d'habit inconnue, ni la révélation d'une cravate, ni la découverte d'une étoffe superlative: il viendrait plutôt en robe de chambre et en pantoufles; Longchamp n'a plus d'imagination ni audace; il vit ses trois jours par un reste d'habitude et fait son temps; mais pendant ses trois journées, autrefois si fécondes en médisances, en petits scandales, en rencontres singulières, Longchamp ne fournit pas au chroniqueur d'aujourd'hui la plus mince épigramme, l'originalité la plus simple, le scandale le plus innocent.--Pendant le Longchamp de 1844, on a vu une des plus jolies danseuses de l'Opéra se promener, modestement dans une citadine, au cheval étique et à l'automédon râpé. Du temps du vieux Longchamp, la belle eût fait voler la poussière, sous le pied rapide de ses quatre alezans, laquais devant, laquais derrière, attirant tous les regards et éclipsant les plus élégantes, les plus titrées et les plus belles. Le Longchamp actuel est beaucoup plus honnête, plus retenu, plus modeste; mais n'est-il pas un peu ennuyeux? [Illustration: Accident arrivé au Ballon de M. Kirsch, dans le pré de Montréal.] --Les églises ont été visitées, pendant la semaine sainte, par une foule empressée et fidèle; est-ce conviction? est-ce curiosité? L'une et l'autre sans doute; il y a des âmes pieuses, Dieu merci, qui obéissent sincèrement au devoir du chrétien dans ces jours de recueillement et de prières; il y a aussi les âmes douteuses et les âmes légères qui se laissent aller au courant et vont où va le flot qui passe; les uns regardent d'un air préoccupé et distrait les images suspendues aux voûtes des temples et se promènent çà et là sur les dalles de marbre comme des ombres incertaines; les autres écoutent attentivement la voix du prêtre et du prédicateur, dans une attitude méditative et recueillie; je doute cependant que les plus indifférents et les plus sceptiques puissent se défendre d'une émotion intérieure et secrète en pénétrant sous les voûtes sonores des églises, par les jours éclatants qui illuminent Paris depuis plus d'une semaine; l'or et le marbre étincellent, l'encens fume, la prière retentit, l'orgue l'accompagne pieusement; le soleil, flamme divine, brille à travers les vitraux et inonde le temple de lumière; les petits enfants, les vieillards et les femmes passent tenant à la main le rameau de buis bénit; c'est un spectacle à la fois magnifique et pénétrant qui élève le coeur et lui montre un refuge, surtout si, en descendant les marches du temple, vous rencontrez un cercueil couronné de fleurs d'oranger et recouvert d'un linceul virginal, pareil à celui que je heurtai l'autre jour en sortant de Notre-Dame; c'était la jeune fille, l'unique trésor d'un illustre magistrat qui venait, pâle et immobile, s'offrir aux prières des morts; les visages étaient consternés, les pleurs roulaient en abondance: «Tant de jeunesse et de beauté! disait-on de toutes parts... âme innocente et pure, âme délivrée, retourne dans le sein de Dieu!» --Pâques oblige les théâtres à faire leur clôture; mais cet usage pieux a subi, comme tant d'autres, des changements considérables, et s'est modifié avec l'esprit du temps; autrefois, sous la vieille monarchie, les théâtres chômaient pendant la quinzaine de Pâques tout entière; la restauration imita l'ancien régime le plus qu'elle put, et ne demanda cependant aux spectacles mondains que huit jours d'abstinence; la révolution de Juillet est d'une philosophie moins scrupuleuse. Les trois théâtres royaux sont seuls obligés à une clôture de trois jours; les autres théâtres, qu'on appelle les petits théâtres, ont pleine licence jusqu'au vendredi saint inclusivement; et même dans les premières ardeurs publiques de Juillet 1830, le vendredi saint ne fut pas excepté. Le vaudeville fredonnait et la danse gambadait ce jour là comme d'habitude. Cette année, la pénitence a été observée par tous les spectacles indistinctement; voudrait-on revenir peu à peu à la huitaine religieuse et monarchique? Dans l'ancien régime, la rentrée du Théâtre-Français se célébrait avec solennité; un des acteurs en crédit adressait officiellement une allocution au parterre, avec tous les respects en usage; il y était question du passé et surtout de l'avenir. Si le passé avait péché, l'avenir promettait monts et merveilles. Lekain, Larive, Saint-Prix, Talma, ont pratiqué les derniers cette allocution des vacances de Pâques. Aujourd'hui, les choses s'arrangent plus bourgeoisement et avec moins de cérémonie, la Comédie-Française ne harangue plus le parterre; et la meilleure raison qu'on puisse donner, après celle des usages abolis, c'est qu'il n'y a véritablement plus de parterre; j'appelle parterre, en effet, cette réunion de juges éclairés et assidus qui siégeait non-seulement au parterre proprement dit, mais à l'orchestre, mais dans les loges: tribunal qui avait l'oeil incessamment ouvert sur les acteurs, et ne leur passait pas la plus légère peccadille; cour suprême et savante, qui s'était familiarisée, par une longue étude et une longue pratique, avec tous les secrets de l'art et de la poésie théâtrale; docteurs ès lettres dramatiques, qui possédaient la science de Racine, de Corneille, de Beaumarchais, de Regnard, de Lesage et de Molière, comme un bon conseiller de cour royale ou de cassation tient sa jurisprudence sur le bout du doigt. Or, à l'heure qu'il est, il n'y a plus de parterre, c'est-à-dire il n'y a plus de juges; ce sont pour ainsi dire des passants qui viennent au théâtre comme dans une hôtellerie, pour y loger la nuit, et en sortent le lendemain matin sans seulement se rappeler ce qu'ils y ont vu, pas même l'enseigne de l'hôtel, pas même le nom de l'hôtelier.--Toute habitude, toute intimité est abolie entre les acteurs et le public; le parterre de la veille n'est plus le parterre du lendemain; l'un n'impose plus à l'autre, et celui-ci n'a plus le respect de celui-là; aussi tout va à la diable; les acteurs, faute de surveillants rigides, s'abandonnent à toutes les mauvaises habitudes des écoliers émancipés; le public, à son tour, ne se donne plus la peine de comprendre quelque chose aux oeuvres qu'il considère, non plus comme un objet d'étude et de plaisir élevé, mais comme une façon de passer, tant bien que mal, une heure ou deux. Puisque le public et les comédiens s'en vont, dégénèrent de compagnie, et ne se connaissent plus, que voulez-vous, bon Dieu, que ces gens-là aient à se dire à Pâques, et sur quoi reposerait la harangue? Ils se taisent donc à Pâques comme à la Trinité. --Les journaux racontent la mésaventure d'un aéronaute appelé Kirsch; cet honnête monsieur avait placardé dans tout Paris des affiches monstres, selon l'usage antique et solennel; c'était, pour lundi dernier que la merveilleuse ascension était annoncée; le lieu était bien choisi. M. Kirsch avait planté sa tente au parc de Monceaux; le ciel par sa splendeur éclatante semblait vouloir se faire le compère de M. Kirsch et le tenter par l'appât d'un voyage dans l'air calme et transparent, mollement coloré de soleil et d'azur. Quant aux curieux, ils étaient en nombre: papas, mamans, petites filles, petits bons hommes, cuisinières, tambours-majors, commis de toute espèce, grisettes, gardes nationaux, sergents de ville et bonnes d'enfants, il y avait des places à dix sous, à vingt et à quarante; prenez vos billets! La foule avide et, empressée attend, la bouche béante et les yeux ouverts à deux battants, que l'intrépide M. Kirsch escalade les cieux et détrône Jupiter, ou tout au moins aille donner une poignée de main à Junon; mais M. Kirsch n'ira pas si loin. Le ballon en effet s'élève à quelques pieds de terre, rencontre un arbre, se heurte contre ses branches, s'y accroche, se déchire, s'entr'ouvre et crève; M. Kirsch ne soupera pas ce soir dans l'Olympe! La clameur qui s'élève aussitôt n'est pas difficile à deviner. La foule est inhumaine, elle ne pardonne pas la défaite, surtout quand elle y entre pour 50 centimes; on crie donc de toutes parts haro sur M. Kirsch! et dans un temps un peu plus cannibale, on eût vraisemblablement mis l'aéronaute en pièces. Casser les chaises, disperser en lambeaux les débris du ballon infortuné, en faire un auto-da-fé et danser autour de la flamme une ronde diabolique, tels sont les passe-temps des temps civilisés; M. Kirsch n'y a pas laissé sa peau, mais sa recette, que le public a réclamée et reprise sans pitié. Or, le public a fait tout juste ce que honnêtement et chrétiennement il ne devait pas faire. Dans quelle occasion a-t-on surtout besoin du garder la recette, si ce n'est quand on vient de crever son ballon? je vous le demande à vous tous, amoureux, rois, ministres, philosophes, poètes, coureurs de fortune et de renommée, qui lancez en l'air des ballons de toute espèce, ballons de gloire, ballons de génie, ballons de savoir, ballons de bonheur, ballons d'amour, combien s'arrêtent, comme le ballon de M. Kirsch, au premier buisson de chemin et jettent au vent vos rêves évanouis!... Et la foule arrive, qui vous rit au nez au lieu de vous consoler, et fouille dans vos poches pour y chercher et y voler votre dernier espoir: «Honni soit le maladroit aéronaute!» _Vae victis_, mon pauvre M. Kirsch; c'est la morale de ce bas monde. --Pendant que M. Kirsch crevait comme une outre, mademoiselle Plessis hasardait son ballon dans le _Misanthrope_. Il va sans dire que mademoiselle Plessis s'attaque à Célimène. Que faire, en effet, de cette beauté, de ces vingt ans, de ces yeux miroitants, de ce sourire, de toute cette jeunesse, si on ne l'emploie pas à troubler les coeurs et à faire pirouetter les petits marquis? Mademoiselle Plessis a donc fait la coquette; mademoiselle Plessis possède, il est vrai, une bonne partie des armes nécessaires à Célimène, les yeux, le sourire, la beauté et les vingt ans que nous avons dit; mais elle n'a pas l'arsenal tout entier, ou plutôt il lui manque encore cette fine habileté, cette souplesse perfide et cette grâce traîtresse de la Célimène de Molière; mademoiselle Plessis, en un mot, n'est pas suffisamment scélérate, et a un fond de bonne fille dont Célimène ne s'accommode guère. Mais les Célimène se forment si vite! Il ne s'agit que de commencer, et vous verrez que, le premier pas fait, mademoiselle Plessis ira loin. Son ballon, toutefois, n'a pas échoué à la recherche de Célimène, comme celui de là-haut; il a vogué, au contraire, assez gracieusement, à une élévation moyenne; en attendant qu'il aille aux nues, mademoiselle Plessis est bien capable de l'y pousser et de l'y suivre. La mésaventure de _Caligula_ n'a pas découragé M. Alexandre Dumas. L'infatigable fabricant est aux prises, à l'heure où je vous parle, avec une tragédie en cinq actes. On ne dit pas encore le titre; mais l'oeuvre sera terminée avant un mois, et représentée probablement après les vacances. M. Alexandre Dumas a bien des chutes à faire oublier. On affirme qu'il est lui-même frappé de ses récentes disgrâces, et sent la nécessité de faire pénitence et de se racheter. Nous le souhaitons de bon coeur; rien n'est plus affligeant que le spectacle d'un talent en ruines. Que M. Alexandre Dumas relève et rebâtisse l'édifice de sa réputation lézardée, nous ne demandons pas mieux, et au besoin nous apporterons la pierre et le ciment. --Carlotta Grisi est revenue de Londres triomphante et couronnée de guinées et de bank-notes.--M. Vatel vient d'envoyer à Lablache une tabatière de 3,000 fr., comme témoignage de reconnaissance pour les bons et loyaux services de l'illustre artiste; un empereur n'aurait pas mieux fait: M. Vatel n'est cependant que le directeur du théâtre italien; ce don magnifique annonce que la direction du théâtre italien a du bon tabac dans sa tabatière.--Liszt, à peine de retour d'Allemagne, prépare un concert échevelé; et le Cirque-Olympique, voyant les feuilles poindre et les arbres verdir, monte à cheval, quitte sa salle enfumée du boulevard du Temple, et va caracoler aux Champs-Elysées; le Cirque-Olympique est le meilleur des almanachs; dès qu'il plante sa tente à l'ombre des arbres, et remet _Murât et Napoléon_ en magasin, dites: le printemps est venu... il est venu en effet, et que Dieu en soit béni; respirons l'air embaumé, mes chères belles, et roulons-nous sur la verdure. La Frégate à vapeur le Princeton. [Illustration.] L'_Illustration_ a rendu compte, dans son numéro du 23 mars, de l'horrible catastrophe arrivée sur le Potomac, près de la ville de Washington, et qui a coûté la vie à plusieurs des hommes les plus éminents des États-Unis. Nous donnons aujourd'hui la reproduction d'un plan du Princeton, publié par _le Weekly Dispatch_, et qui indique la position du canon dont l'explosion a causé de si affreux ravages, celle des spectateurs et celle des victimes de ce terrible accident. Cet énorme canon en fer qu'on voit à bâbord, sur l'avant du navire, et qui tourne sur lui-même, constitue, au propre et au figuré, une révolution dans l'art de la guerre, une des inventions les plus meurtrières des temps modernes. On se souvient que, dans la dernière guerre entre les États-Unis et l'Angleterre, les Américains eurent sur la marine britannique un avantage marqué qui étonna l'Europe et dont ils sont encore fiers aujourd'hui. Ils le durent en très-grande partie à l'emploi du canon à pivot, qui, se ployant sur le pont extérieur de toutes sortes de bâtiments et pouvant se pointer avec facilité dans toutes les directions, permet de mettre à profit toute occasion de prendre en long les vaisseaux ennemis et de les désemparer de leur mâture. Cette tactique réussit au delà de toute espérance et assura la victoire à la flotte américaine. C'est ce procédé que le capitaine Stockton a perfectionné en l'adaptant à un nouveau plan; et il en faisait la première application à un bâtiment à vapeur, lors de l'expérience qui a eu de si funestes résultats. On voit, par la différence des proportions de ce canon avec celles des autres pièces qui forment l'armement du Princeton, quelle en est l'importance dans ce nouveau système d'artillerie maritime. La ligne brisée qu'on remarque sur la partie postérieure de la pièce indique la portion détachée par l'explosion et qui, en fracassant le bordage du bâtiment, a frappé tant de victimes. Le journal américain a fait un rapprochement assez singulier: «Presque toutes les inventions extraordinaires et destructives ont été, dit-il, fatales à leurs auteurs ou patrons dès les premières expériences qui en ont été faites. Ainsi Guillotin, qui a inventé l'instrument de supplice qui porte son nom, a fini ses jours par la guillotine. M. Huskinson, membre du ministère anglais, a été tué par accident, lors de l'inauguration du premier chemin de fer de la Grande-Bretagne. Le capitaine Robert, qui, le premier, a traversé l'Atlantique sur un bâtiment à vapeur, se trouvait à bord du steamer le _Président_ lorsque celui-ci fut, selon toute apparence, englouti par le même Océan. Enfin, il s'en est failli de bien peu que le capitaine Stockton ne pérît victime de son canon destructeur.» Histoire de la Semaine. La Chambre, comme les administrations, comme les établissements publics, comme les théâtres, comme la presse quotidienne, comme tout enfin, excepté l'_Illustration_, a pris des vacances. Nous n'avons donc cette semaine qu'un petit nombre d'actes législatifs à enregistrer; les journaux se sont même plus occupés du débat qui a terminé les travaux de la semaine dernière, et dont nous avons donné le résultat au moment même de notre tirage, que de ceux qui ont suivi la reprise des séances. En effet, si la proposition de M. Chapuys de Montlaville n'avait trait qu'à une des questions relatives à la constitution financière de la presse, elle fournissait l'occasion de les traiter toutes. Dans cette polémique il s'est émis peu d'idées nouvelles. Des journaux auxquels les annonces ne viennent point, parce que leur publicité est restreinte, ont demande que l'impôt sur le timbre fût remplacé par un impôt sur les annonces; bien qu'émise dans un intérêt particulier, cette idée devra, comme toutes celles qui se sont produites, être examinée avec soin par la commission que la Chambre va constituer. Comme il est bon qu'elle connaisse toutes les considérations qui, dans le principe, ont fait établir l'impôt du timbre dont on lui demande la suppression, nous croyons devoir mettre sous ses yeux le passage suivant du _Dictionnaire des gens du monde_ (par Slicotti, 1770, t. V, p. 505), où il fut demandé, pour la première fois que nous sachions, et à titre de remède à l'abus du papier blanc: «L'État peut tirer parti des journaux, des journalistes, qui se disputent aujourd'hui l'honneur d'enseigner la France enseignante. Une centaine de pages fondues et étendues dans plusieurs volumes produisent à tels journalistes un revenu de 12,000 livres par année, c'est-à-dire beaucoup plus que ce que trois années du meilleur et du plus fort travail en ce genre aient produit au célèbre Bayle. Or, ces écrivains, qui se disent si bons citoyens, consentiront sans doute avec plaisir à ne tirer de leur ouvrage que 9,000 livres de net (sans compter le tour du bâton), les trois autres mille livres avertissant au profit de l'État. Il est d'équité d'asseoir cette contribution de manière qu'elle soit proportionnée au débit de chaque journal. Or, quelle voie plus proportionnelle que l'établissement d'une formule ou papier timbré pour tous les journaux, formule qui embrasserait de droit les mémoires d'académies, les compositions qui concourent annuellement pour les prix fondés dans la plupart du ces sociétés; et, par extension, les premières éditions des pièces de théâtre, les romans et toutes les productions romanesques? Il résulterait de cet établissement un avantage certain pour les lecteurs et pour les acheteurs, par l'attention qu'auraient les écrivains diffus à ménager le papier. Si quelque caustique opposait à cette partie, de notre projet le mot de Gilles Ménage sur les journaux, nous lui répondrions par celui de Vespasien: _Atqui è lotio est_.» Lundi dernier la Chambre a délibéré en séance publique sur la prise en considération de la proposition de MM. Saint-Marc Girardin, de Sainte-Aulaire, d'Haussonville, de Gasparin, Ribonet et de Sahime, relative aux comblions d'admission et d'avancement à établir pour les fonctions publiques. Quoiqu'une pareille motion soit une critique évidente de certaines nominations et même de l'ensemble des nominations auxquelles le népotisme et la faveur entraînent la haute administration au détriment des services de l'État, la proposition comptait tant de pères, et de pères conservateurs, qu'il soit difficile de la traiter en enfant perdu. Après quelques développements présentés par M. Saint-Marc Girardin, qui n'a pas eu de peine à établir combien cet arbitraire déconsidère le pouvoir, M. le ministre des affaires étrangères est venu déclarer qu'il ne s'opposait point à la prise en considération d'une proposition sérieuse et sincère, qui n'était pas portée par un autre esprit et ne se proposait pas un autre but que le but et l'esprit qu'elle annonçait ouvertement. C'était la critique des propositions que le ministère avait précédemment combattues, quelquefois sans succès, et une grande partie de la chambre n'a pas paru comprendre que la proposition de M. de Saint-Priest, par exemple, relative à la réforme postale et que M. le ministre des finances a si énergiquement et si vainement repoussée, recélât une intention secrète et un but caché. Il a paru plus vraisemblable qu'on combattait pas cette proposition nouvelle, parce qu'on n'avait nulle chance de le faire avec succès, et que, pour lui comme pour celle de MM. Gustave de Beaumont, Leyd et Lacrosse, sur la corruption électorale, on préférait s'en remettre aux difficultés qui pourraient lui être suscitées plus lard. La proposition a donc été prise en considération à la presque unanimité des votants. La Chambre a eu ensuite à nommer des commissaires pour l'examen des projets de loi de chemin de fer dont nous avons précédemment mentionné la présentation. Un député, l'honorable M. Havin, dans le désir honnête que l'intérêt général prévalût dans la formation des commissions pour les intérêts de localité, et dans l'espoir naturel qu'un scrutin de rassemblée entière amènerait plus sûrement ce résultat que des scrutins fractionnés de bureaux, a demandé que la Chambre usât de la faculté que lui donne son règlement, et qu'elle n'avait jamais exercée jusque-là, de nommer les commissaires directement et par un scrutin de liste. Havin, dans sa probité, n'a pas prévu qu'un résultat tout avisé à son but sortirait du mode de procéder qu'il avait entamé. C'est cependant ce qui est arrivé. Des organes de la masse, dans toutes les nuances de l'opinion, s'accordent à ce que des coalitions d'intérêts particuliers sont parvenues, au préjudice de l'intérêt général, à faire triompher, au scrutin, leurs candidats. La France vient encore d'avoir à exiger en Syrie une réclamation nouvelle pour des traitements odieux commis envers des chrétiens, et pour une attaque armée dirigée contre l'habitation de notre agent consulaire à Latakié. Voici le résumé des faits rapportés par l'_Écho d'Orient_: Un prêtre grec ayant été excommunié par son évêque pour avoir béni un mariage sans autorisation, avait embrassé l'islamisme par vengeance. Cette action transporta de joie la populace musulmane, qui promena en triomphe le renégat dans les rues de Latakié. Cela se passait le dimanche 25 février, au moment où les Européens, qui s'étaient rendus à la chapelle, y assistaient à la célébration de la messe. La populace, passant près du monument, fit entendre des hurlements et assaillit à coups de pierres les fidèles qui s'y trouvaient. Ceux-ci, s'avançaient à la porte, dispersèrent une troupe d'enfants qui les injuriaient et continuaient à lancer des pierres, dont furent blessées quelques femmes. Ces enfants ne tardèrent pas à retourner devant l'église; mais cette fois ils étaient suivis d'une foule compacte au milieu de laquelle on remarquait des Albanais et des musulmans les plus fanatiques de la ville. A la vue de cet attroupement menaçant, les Européens fermèrent la porte du couvent, contre laquelle les furieux tirèrent des coups de pistolet et de fusil. Après avoir vainement tenté de la briser, ceux-ci pénétrèrent par escalade dans l'enceinte du jardin; Européens, hommes et femmes, épouvantés de l'audace et de la rage de la populace, s'étaient déjà réfugiés dans autre jardin contigu à celui du couvent, et appartenant à la maison consulaire de France, croyant ainsi, sous notre drapeau, se mettre à l'abri de l'insulte et de l'assassinat. Mais la maison du vice-consul ne fut pas respectée, et l'un des siens, qui se mit en devoir de la défendre, reçut une balle dans la poitrine. Le consul de France à Beyrouth a demandé la punition des coupables à notre ministre à Constantinople, M. de Bourqueney. Le divan n'a point opposé difficultés; seulement il voulait que, comme dans une circonstance récente, la réparation eût lieu à Beyrouth et non au lieu où l'insulte avait eté commise, bien que, lors de l'affaire de Jérusalem, il ait été dit à la tribune et dans les journaux, par certains organes du gouvernement, que procéder autrement eût été contraire à toutes les règles diplomatiques, comme cette affirmation avait entraîné peu de convictions, cette fois-ci on a préféré, dussent les précédents diplomatiques en souffrir, donner satisfaction à l'opinion publique et aussi, disons-le, à la logique. C'est à Latakié que M. de Bourqueney a voulu que fût donnée la satisfaction et c'est à Latakié que la réparation aura lieu.--Notre paquebot du Levant a apporté également la note officielle suivante remise pour le reiss-effendi, Rafaat-Pacha, entre les mains des premiers interprètes des ministres de France et d'Angleterre: «Sa Hautesse le sultan est dans l'irrévocable résolution de maintenir les relations amicales, et de resserrer les liens de parfaite sympathie qui l'unissent aux grandes puissances. La Sublime Porte s'engage à empêcher, par des moyens effectifs, qu'à l'avenir aucun chrétien abjurant l'islamisme ne soit mis à mort.» C'est la réponse aux pressantes et énergiques protestations que les ambassadeurs français et anglais ont fait entendre contre de récentes et atroces exécution. Ils tendront la main, nous n'en doutons pas, à ce que la peine de mort ne soit pas remplacée par une détention perpétuelle, substitution qui est, dit-on, dans la pensée de la Porte, pensée que les termes de sa note ne contrediraient pas. Des dépêches de Haïti sont parvenues au gouvernement; elles ont été apportées par le lieutenant de vaisseau Heine, aide de camp de l'amiral Dupetit-Thouars. On s'attend à voir la chambre des députés, comme vient de le faire la chambre des pairs, demander la production de ces documents, qui doivent être de nature à éclairer complètement une question que le ministère a cru pouvoir trancher, on sait comment, tout en se déclarant sans renseignements. Le peuple haïtien, chez lequel l'amour du travail n'égale pas une passion inquiète pour la liberté, après avoir installé son nouveau gouvernement, et avoir reçu, le 4 du mois de janvier dernier, le serment de son nouveau président, le général Hérard, est déjà en proie à des divisions sanglantes. Pour les uns, l'adhésion du gouvernement aux principes de la constitution n'est pas franche; pour les autres, la constitution est mauvaise, et le gouvernement en poursuit trop énergiquement l'exécution. Enfin, l'irritation des noirs contre les mulâtres est venue s'ajouter encore à ces causes de division, et une collision meurtrière a eu lieu à Lleveia, ville située à quelque distance de Saint-Marc, entre les autorités civiles et les autorités militaires. Un général et six fonctionnaires publics ont été tués. A Saint-Marc également, la ville a été, pendant les journées des 25, 26 et 27 février, mise au pillage par l'armée, qui était en pleine insurrection. Une grande partie des habitants, les mulâtres surtout, suivant en cela le conseil du président, s'étaient réfugiés au Port-au-Prince. En Espagne, où les bruits d'amnistie ne se sont pas confirmés, où le règne du régime exceptionnel n'a pas cessé, le gouvernement paraît attendre beaucoup de force et de sécurité de la formation d'un corps de gendarmerie à pied et à cheval divisé, comme chez nous, en légions, en compagnies et en brigades. Si les _mulerès_, qui ont montré comment ils entendaient la liberté, arrivaient à prouver qu'ils entendent mieux l'administration, ce serait du moins quelque chose. Mais nous craignons bien que tout leur savoir-faire se borne à créer des gendarmes, des marquis et des grands d'Espagne. Nous avons déjà dit que M. Munoz avait été l'objet de cette dernière faveur; depuis lors, le ministre des finances, M. Carasco; le ministre de la guerre, M. Mazaredo, dont on se rappelle la dépêche sur le bon effet d'_un peu de sang_ versé à propos; le président du conseil, M. Gonzalès Bravo, qui naguère a donné à la reine Christine, dans le _Guirigay_, qu'il rédigeait, des épithètes peu politiques; enfin, M. de Pena Florida, auteur de l'idée d'une gendarmerie, ont été nommés, le premier, comte; le second, lieutenant-général; les deux derniers, grande-croix de l'ordre de Charles III. Que l'Espagne soit donc enfin satisfaite!--Le Maroc aggrave chaque jour ses torts envers cette puissance. Une felouque sortie du port d'Algésiras, et que les trois hommes qui la montaient avaient dirigée vers la côte barbaresque pour y pécher, s'étant approchée du rivage très-inoffensivement, ainsi que doit porter à le penser le peu d'importance de ce petit bâtiment, essuya un coup de feu, tiré du cap de Negret, qui tua un des marins. C'est un nouveau grief à ajouter à tous ceux que le gouvernement de Madrid a déjà contre l'empereur. En Portugal, l'insurrection occupe toujours la place d'Almeida. La reine en fait pousser très mollement le siège, soit qu'elle ait peu de confiance dans ses troupes, soit qu'elle voie dans cet état de choses un prétexte pour prolonger la position exceptionnelle où le pays est placé. Un nouvel ajournement des cortès vient encore d'être prononcé. Presque aucun des journaux de Paris ne reçoit de feuilles étrangères. Les nouvelles du dehors sont transmises à la plupart d'entre eux, et de quelque couleur qu'ils soient, par un seul et même bureau de correspondance établi à Paris, qui alimente la presse ministérielle comme la presse de l'opposition. On comprend que quand le bureau de correspondance fait une nouvelle, aucun journal n'est à même de rompre le silence; comme aussi quand il commet une erreur, elle est aussitôt reproduite à des milliers d'exemplaires. On a vu, il y a quelques jours, les journaux annoncer la nomination du président des États-Unis de l'Amérique du Nord, et proclamer M. Van Buren. C'était évidemment une de ces mystifications que fait admettre le premier jour de ce mois. Mais il n'y a qu'un 1er avril dans l'année, et ces facéties, ces erreurs, ou des erreurs et des facéties semblables, se reproduisent souvent à des dates qui n'ont pas le même privilège. Peut-être cela ne demande-t-il pas moins l'attention des journaux que celle des lecteurs.--Du reste, une nouvelle moins controuvée nous est venue de New-York. Lors de la discussion de l'adresse, M. Guizot déclarait qu'il n'y avait pas à espérer que le tarif américain pût être révisé cette année. Cette conjecture a été démentie. La chambre des représentants vient d'être saisie d'un projet de tarif par lequel, pour nous occuper seulement de ce qui intéresse, le plus la France, les vins et les soieries seraient mieux traités qu'ils ne le sont aujourd'hui. Cette proposition, qui réunira une grande majorité à la chambre des représentants, rencontrera beaucoup plus d'opposition au sénat. Mais quand on voit M. Clay, auteur principal du tarif adopté en 1812, pousser activement aujoud'hi à sa modification, on peut espérer que le calcul qui porte ce candidat de la présidence à changer de rôle, indique une conversion semblable chez plusieurs autres hommes politiques. Le parlement d'Angleterre s'est ajourné au 15. Jusque là le ministère doit rassembler ses forces contre l'amendement de lord Ashley et la motion de lord Palmerston.--On a publié le tableau du revenu de la Grande-Bretagne pendant l'année financière commençant le 5 avril 1843 et finissant le 5 avril 1844. Ce total est de 1,250,924,425 francs. Il s'est manifesté une légère amélioration sur les douanes et sur l'accise, c'est-à-dire l'impôt de consommation; mais c'est l'_income tax_, cette ressources temps de guerre, qui a comblé le déficit. Elle a produit 133,922,165 francs; c'est un impôt de 3 centimes par franc seulement qui ne porte que sur les revenus de 3,750 francs et au-dessus. La somme des revenus dépassant ce minimum fort honnête est donc de 1 milliards et demi. C'est une richesse énorme, mais une richesse aux mains d'un trop petit nombre de personnes, et qui cause la détresse d'une masse de peuple considérable. O'Connell a repris son oeuvre en Irlande en modifiant son rôle comme nous l'avons indiqué. Dans une dernière séance de l'association qu'il a présidée, il a dit, en parlant avec chaleur de l'accueil qu'il a reçu en Angleterre: «Je croyais l'oligarchie toute-puissante, et j'ai trouvé un peuple parfaitement disposé pour l'Irlande et imbu des plus saines idées de justice; aussi prend-je, dès à présent, l'engagement de ne jamais prononcer une parole qui puisse blesser le peuple anglais. C'est un grand, c'est un beau peuple, et, si je ne suis pas mis en prison, j'irai visiter les districts les plus populeux de l'Angleterre, et vous rapporterai des nouvelles aussi bonnes que celles d'aujourd'hui.» Ce voyage projeté pourrait bien n'être pas exécuté, car il s'accrédite que la sentence, malgré l'appel, sera immédiatement exécutée. Un jury arbitral avait été constitué d'accord entre M. Grandin, député d'Elbeuf, et M. Charles Laffitte, deux fois élu par le Collège de Louviers, et qui deux fois a vu son élection annulée par la Chambre, pour prononcer sur les dires contradictoires de ces deux messieurs. Ce jury vient de rendre et de publier son opinion, de laquelle il nous paraît difficile en la pressant bien, d'extraire autre chose sinon que M. Grandin n'a pas tout à fait tort, et que M Laffitte n'a pas tout à fait raison. Nous voudrions pouvoir détourner les yeux d'un événement affreux dont le département de la Loire vient d'être le théâtre, et qui a jeté la désolation et le désespoir dans ces laborieuses contrées. A la suite d'une agitation d'ouvriers mineurs, dans laquelle l'autorité judiciaire avait reconnu tous les caractères d'une coalition, dix-sept d'entre eux avaient été mis état d'arrestation. Le vendredi 5, ces prisonniers partirent de Rive-de-Gier pour être dirigés sur la maison d'arrêt de Saint-Étienne. Nous ignorons par quel motif leur translation ne fut point opérée par la voie du chemin de fer, si rapide et si sûre, et pourquoi le préfet du département et le procureur général de Lyon préférèrent la voie de terre, malgré toutes ses lenteurs et tous ses dangers. Une escorte de 80 fantassins, commandés par un capitaine, de 25 chasseurs à cheval et de 11 gendarmes fut formée pour accompagner le convoi. Une compagnie d'infanterie l'accompagna à distance. A quatre kilomètres de Rive-de-Gier, au hameau de la Grand-Croix, un rassemblement lança des pierres contre l'escorte, et des enfants se précipitèrent à la tête des chevaux. Quelles furent alors les nécessités de situation de la troupe; nous l'ignorons; l'enquête nous le fera connaître, elle nous dira si l'extrémité bien cruelle à laquelle on a cru devoir recourir était absolument inévitable. En attendant, nous avons la douleur d'avoir à dire que cinq hommes du peuple sont restés sur le terrain, atteints de coups de feu à la gravité desquels un d'entre eux, qui se trouvait là en curieux, a déjà succombé. Le convoi a poursuivi sa route, et les prisonniers ont été écroués à leur destination. A Commentry, dans l'Allier, un éboulement considérable, produit par une violente explosion qui se manifesta dans les galeries des mines, laissa pénétrer le gaz dans une des galeries occupées et bientôt la flamme se répandit avec une rapidité prodigieuse. Cinq ouvriers furent ensevelis; et l'on n'a retiré que des cadavres. Par suite de l'explosion, le feu s'est communiqué au charbon, qui brûle sur une vaste étendue et projeté des flammes qui s'élevaient à une grande hauteur. On s'est rendu en foule de Montluçon et des environs pour contempler ce spectacle de désolation. L'ingénieur des mines est arrivé en toute hâte sur les lieux du sinistre, et n'a trouvé d'autre moyeu que de noyer la mine. Il faudra bien du temps et du travail pour réparer le dommage, qui est évalué à une somme considérable. On écrit de la Nouvelle-Orléans, le 2 mars, que l'on venait d'y recevoir la nouvelle que la veille au matin, entre deux et trois heures, deux steamers s'étaient rencontrés et entre-choqués sur le Old-River, au-dessous d'Atchafalaya, et que l'un d'eux, le _Buckeye_, a été englouti en moins de cinq minutes. Tous les passagers, au nombre de plus de 300, noirs et blancs, étaient couchés au moment du choc; 60 à 80 ont péri. La chambre des députés et l'armée ont rendus les derniers devoirs à M. le général de la Bourdonnaye. La chambre des pairs a perdu M. le marquis de Lusignan;--la chambre des lords, en Angleterre, lord Abinger, premier baron de l'échiquier, qui s'était fait une grandi réputation au barreau avant son élévation aux dignités, et alors qu'il portait le nom de Scarlett. Enfin le prince Démétrius Galuzin, général de cavalerie russe, gouverneur général de Moscou, auquel l'empereur avait permis depuis un an, pour le rétablissement de sa santé, de résider à Paris, vient d'y mourir. Salon de 1844. Quatrième article.--Voir t. III, p. 33, 71 et 84. Jusqu'ici, nous avons eu peu de critique à faire: nous avons été heureux dans nos premières promenades au Salon. Il y aurait conscience d'être sévère par plaisir, ce qui ressemblerait fort à de l'injustice. Nous continuons aujourd'hui notre compte rendu approbateur. Il y a des faits historiques dont la simple narration suffit pour émouvoir les âmes nobles et sensibles. _L'Abdication de Napoléon à Fontainebleau_ est au nombre de ces faits. Nos vieux militaires pleurent encore à ce souvenir, et quelle sera leur douleur en s'arrêtant s'arrêtant devant le tableau de M. Janet-Lange! Nous allons vous faire connaître le moment choisi par le peintre; et, ayant le dessin sous les yeux, vous jugerez vous-même s'il a bien rendu cette désolante scène; «Napoléon pend la plume, et se reconnaissant vaincu, moins par ses ennemis que par la grande défection qui l'entoure, il rédige lui-même la seconde formule de l'abdication qu'on attend: Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses enfants aux trônes de France et d'Italie, et qu'il n'est aucun sacrifice, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire aux intérêts de la France.» Telle est la teneur de l'acte d'abdication, reproduit dans le _Manuscrit_ de 1814. M. Janet-Lange n'est pas resté, selon nous, au-dessous de son sujet: et s'il avait mis plus de noblesse sur la figure de l'illustre personnage présent à l'abdication, son tableau serait à peu près irréprochable. Comme couleur, nous félicitons sincèrement M. Janet-Lange; il y a progrès sur ses oeuvres précédentes. Au-dessous de l'immense _Fédération_, de M. Couder, les groupes se forment chaque jour. Qu'y a-t-il donc à voir? Approchons: un tableau de M. Papety! Où est _le Rêve, de bonheur_ exposé par lui l'année dernière? Est-ce le même peintre à qui tout le monde accordait le beau nom de poète, qui nous présente aujourd'hui _la Tentation de saint Hilarion?_ M. Papety a-t-il agi sérieusement, ou bien a-t-il voulu tout simplement exposer, afin qu'on n'oublie pas qu'il sait peindre? Cette dernière conjecture est la bonne, nous le croyons. Lorsque M. Adolphe Brune peignit sa belle _Tentation de saint Antoine_, la sévérité de l'exécution fit aisément passer sur le cynisme du sujet. Ici, la même chose n'a pas lieu: la femme qui tente saint Hilarion n'est qu'une femme demi-nue; quant à saint Hilarion, il a peur, il est épouvanté, il est comme terrassé: ce n'est pas une sainte horreur pour le vice qu'il éprouve. Malgré tout le talent qu'il y a dans le tableau de M. Papety, allons plus loin; à cause de ce talent même, nous adjurons le peintre de se contenter de cette seule excursion dans un genre qui est à l'art ce que _la Pucelle_ de Voltaire est à la poésie. Nous l'attendons avec confiance à une oeuvre plus digne de lui; alors, nous lui prouverons bien que notre sévérité présente est dans son intérêt. M. Champmartin a pris depuis longtemps le titre de peintre religieux. Qui a vu un de ses tableaux les a vus tous par avance, ou à peu près. Les tons rosés et violets y dominent; les groupes sont resserrés, et à peine quelques figures se détachent-elles d'une manière précise. «Laissez venir à moi les petits enfants» a tous les défauts comme aussi tout le mérite qui ont fait la réputation de M. Champmartin. Ce tableau est à la fois trop brillant et trop dur d'aspect. Nous regardons, nous voudrions nous intéresser à la foule des enfants qui s'approchent du Seigneur, mais l'ensemble est si peu harmonieux, que l'oeil ne peut demeurer fixé sur rien. Deux ou trois têtes d'enfants sont charmantes, et celle du Christ n'a pas de vulgarité. Le Portrait de M. Gillibrand rappelle les beaux jours de M. Champmartin, lorsque Barthélémy écrivait dans Némésis: [Illustration: Abdication de Napoléon à Fontainebleau, le 14 avril 1814, par M. Janet-Lange.] Un pair! c'est un mortel coiffé de plumes blanches, Largement ondulé d'un pallium sans manches, Tel qu'au grand Muséum l'exposa Champmartin, etc. Le portrait de M. Gillibrand vaut donc celui de M. le duc de Fitz-James, auquel le poète faisait allusion. _La Vision de saint Jean_, par M. Bonnegrâce, est d'un véritable style biblique; la composition en est large et digne du sujet. M. Bonnegrâce a parfaitement traduit avec le pinceau ce verset de l'Apocalypse: «La ville était toute brillante de la clarté de Dieu, et la lumière qui l'éclairait était semblable à une pierre de jaspe transparente comme du cristal.» Un peu moins d'incertitude dans le dessin, un peu plus d'harmonie dans la couleur, rendraient cette tuile tout à fait remarquable. M. de Bonnegrâce arrivera, sans aucun doute, à une belle réputation. La figure du Christ n'a pas de vulgarité, disions-nous, en parlant de «_Laissez venir à moi tes petits enfants._» Le contraire est applicable au Christ peint par M. Millier, dans son _Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem_, tableau qui, pris en son entier, ne ressemble pas aux autres tableaux religieux. M. Muller a fait preuve d'originalité. La composition est remarquable, mais bizarre dans certaines parties. Un brouillard se répand sur tous les personnages, et les empêche d'être vus complètement; quelques groupes sont bien posés, notamment celui des gens qui soulèvent une porte. La foule, à gauche, manque de relief. Le paysage est habilement composé. Au total, _l'Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem_ est un des bons tableaux de M. Muller. [Illustration: La Vision de saint Jean, par V. Bonnegrâce.] Si l'on veut prendre une idée exacte des danses espagnoles en pleine campagne, on regardera avec attention _une Danse, souvenir d'Espagne_, par M. Charles Porion, qui expose pour la première fois, et à qui son début fait honneur. Figures et paysages méritent nos éloges; la couleur du tableau de M. Porion nous porte à croire qu'il sera coloriste en même temps que dessinateur.--Dans un tout autre genre, M. Alphonse Teytaud continue ses succès passés. Les Pèlerins d'Emmaüs, que messieurs de l'administration du Musée ont fort mal placés, ont, malgré ce désavantage, attiré nos regards. Ce paysage composé atteste, de la part du peintre, une imagination vive et puissante. Si nous étions plus sûrs de nous,--nos yeux pourraient bien nous avoir trompés, tant _les Pèlerins_ sont placés haut,--nous conseillerions à M. Teytaud de travailler encore sur les premiers plans, pour les rendre aussi beaux que les fonds.--Les paysages de MM. Balourier, Toudouze et Rouyer promettent pour l'avenir.--M. Joseph Thierry a exposé un fort beau paysage, où les campagnes effondrées par la pluie, le ciel éclatant d'un côté, sombre de l'autre, sont peints avec une entente remarquable. Par les détails, on reconnaît dans M. Joseph Thierry le décorateur; ils visent à l'effet. MM. Morel-Fatio et Louis Meyer se sont réunis pour peindre _une Scène de la visite de la reine Victoria au roi Louis-Philippe_. Le roi de France se rend dans un canot à bord du yacht anglais. Ce tableau est surtout remarquable par son exactitude historique, et nous permet cependant de donner à M. Morel-Fatio un conseil qui s'adresse à tous deux; ils doivent se garder des tons pâles dans les ciels, et des tons bleus dans les flots de l'Océan. Quatre tableaux de M. Morel-Fatio sont en progrès sur ceux de l'année dernière. _Les régates du Havre_ ont du succès et attirent les regards des visiteurs. _Jean Bart montant la Palme de dix-huit canons, et s'emparant d'un vaisseau hollandais de soixante canons, et la Prise à l'abordage du transport anglais, les Deux Jumeaux par l'heureuse Tonton_, sont des oeuvres de valeur travaillées avec conscience et habileté. Quant aux _Pécheurs normands_, ils ont inspiré à M. Morel-Fatio un petit tableau frais et gracieux. _Le Combat du brick français l'Abeille, commandé par M. Mackau_, etc., est, sans contredit, le plus beau tableau exposé par M. Meyer. L'effet de matin est poétiquement rendu, et l'on s'intéresse vivement à ce fait d'armes si glorieux de notre ministre actuel de la marine. _Le Sauvetage du brick le Phénix_ manque un peu de vigueur, tout en étant dramatiquement composé. C'est à la couleur qu'il faut s'en prendre. Deux autres petites toiles de M. Meyer sont agréables. Restons en mer, puisque nous y sommes: s'il vous arrive d'aller aux bains de Trouville, vous rencontrerez sans aucun doute M. Mozin naviguant dans sa barque; il cabote, il va de Trouville au Havre, du Havre à Honfleur. Ce sont ses parages, et rarement il s'aventure plus loin. Suivons-le. Le _Gué de Diouville_ plaît par le sujet même, gracieusement traité. La _Vue d'Honfleur_, à notre avis, est un des bons tableaux de l'Exposition: il serait parfait, si les maisons de la ville avaient un peu plus d'éloignement, ce qui rendrait la mer plus vaste; les accessoires sont peints de main de maître. Enfin, _Paris_ est un joli panorama, plein de lumière et de couleur. Chaque année, MM. Guillemin et Fortin se disputent, ou plutôt se partagent, comme dit Figaro, la palme du genre. Le premier a traduit sur la toile ces vers de M. William Ténint: Les Bleus sont là! la ferme est cernée, et des pas Résonnent sur le sol!... Le salut, c'est la Bible! Plus d'armes! à genoux! la lutte est impossible! Un chrétien se défend, mais ne se venge pas! etc. _Dieu et le Roi_ est une composition plus importante que toutes celles échappées jusqu'à présent au pinceau de M. Guillemin. Le type breton apparaît dans ce tableau, qui est un épisode des guerres de la Vendée. _Le vieux Matelot_ est une scène touchante que le peintre a rendue avec beaucoup d'expression. Toutefois, _la Consultation_ l'emporte sur les autres tableaux de M. Guillemin. De la vérité, de l'expression, de la distinction dans les figures, voilà ce que nous y avons remarqué, et ce qui a fait le succès de cette petite toile. Pour M. Fortin, il s'applique de préférence aux scènes d'intérieur, et la Bretagne est sa contrée privilégiée, _Une Proposition_ (paysans de Quimper) est peinte avec un naturel exquis; les accessoires sont ravissants, et si les têtes des personnages avaient plus de finesse, ce serait un délicieux tableau. Sous ce titre, _Douleur_, M. Fortin a rendu une scène poignante: un paysan breton veille près du lit de mort de sa femme. Comme exécution, tout le monde préférera _Douleur_ à une _Proposition._ Sans être taxé d'admiration outrée, on peut avancer que M. Marilhat a les honneurs de l'exposition, et que son envoi est jugé magnifique par tout le monde. Quelle étendue de pays s'offre à nos regards! Continuons nos recherches sans abandonner le célèbre paysagiste; suivons-le, en partant de l'Auvergne, jusque sur les bords du Nil et dans la Syrie. Un admirable panorama se déroulera devant nos yeux: _Une Vue prise en Auvergne_ et _les Souvenirs des environs de Thiers_, présentent deux effets différents qui rappellent, sous plusieurs rapports, les chefs-d'oeuvre de Ruysdael; dans le premier tableau, l'orage avec ses fureurs; dans le second, une paisible journée d'automne. _Le Souvenir des bords du Nil_ a toutes les merveilleuses beautés que l'on remarque ordinairement dans les paysages de M. Marilhat, la forme, la couleur, la lumière. Un _Village près de Rosette_ a moins de charme peut-être, soit que l'inspiration ait failli au peintre, soit que la nature ait ici plus de monotonie. Le paysage est d'un vert bien foncé sur le premier plan; une atmosphère brumeuse le couvre en entier; en revanche, les palmiers sont peints avec habileté, et l'aspect général du village ravit les yeux. _Les Arabes syriens en voyage_ sont un véritable chef-d'oeuvre dans le genre. Comme on s'intéresse à la petite caravane, et comme on voudrait s'attacher aux pas de ces indolents Arabes, commodément assis sur leurs chameaux, emmenant avec eux leurs familles et leurs meubles. _Une ville d'Égypte au crépuscule_ semble avoir été daguerréotypée, tant il y a de vérité et d'exactitude dans le mirage; et cependant, tout l'effet de ce paysage a de l'harmonie. N'est-ce pas bien là le silence suprême du crépuscule? L'horizon a de l'immensité dans cette petite toile, et l'esprit peut rêver à son aise devant cette magnifique représentation de la nature. Le _Café sur une route de Syrie_ se fait remarquer surtout par la lumière et par l'agrément des détails; ce tableau est d'un bel effet. Enfin, la _Vue Prise à Tripoli_ couronne l'oeuvre de M. Marilhat, pour qui le Salon de cette année est un triomphe, et dont nous n'avons pu parler, dans la sincérité de notre âme, qu'avec un point d'admiration au bout de chacune de nos phrases. Les sujets arabes sont devenus à la mode, et, depuis notre conquête d'Alger, la majeure partie de nos peintres a voulu visiter l'Afrique ou l'Orient. De là une foule de tableaux à mosquées, de razzias, de fontaines orientales. Qu’allons-nous devenir, s'il nous faut indiquer avec quelques détails les progrès de cette nouvelle invasion d'Arabes? Pour sa part, M. Théodore Frère a exposé deux tableaux africains: _Une Caravane d'Arabes traversant le Rummel à gué_ (environs de Constantine), et la _Rivière de Safsafh_ (environs de Philippeville). Donc, nous nous promenons dans nos possessions, grâce à M. Théodore Frère. Le premier tableau, que l'_Illustration_ reproduit, a un mouvement remarquable et une vérité de tons peu commune; le second plaît par la disposition des plans, bien que les lignes manquent un peu de largeur. [Illustration: Environs de Constantine.--Une Caravane d'Arabes traversant le Rummel à gué, par M. Théodore Frère.] [Illustration: Vue prise à Tripoli, en Syrie, par M. Marilhat.] [Illustration: La rue Hourbarych, au Caire, par M. Chacaton.] M. Théodore Frère possède un talent qui grandira certainement avec le temps, pourvu qu'il ne se laisse pas aller à l'exagération, pourvu que son amour de la nature vraie ne le jette pas dans la peinture sèche et aride. Cet écueil évité, nous osons le rassurer sur l'avenir. Son _Portrait d'homme_ en pied est-il ressemblant? Nous l'ignorons, mais nous savons qu'il est bien peint. M. Philippoteaux a rendu aussi une visite aux Arabes. Le _Combat de l'Oued-Ver_, livré le 27 avril 1840 par le duc d'Aumale à la tête des chasseurs d'Afrique, lui a donné occasion de peindre un bon tableau. _L'Avant-poste arabe_ a de la couleur; _le Rapt_ est ingénieux; _la Razzia_ n'est pas moins bien composée que _le Combat de l'Oued-Ver_, dans des proportions moindres. M. Philippoteaux a compris que les campagnes,--ciels et terrains,--de ses tableaux devaient être chaudes et colorées; c'est bien en Afrique que se passent les diverses scènes qu'il nous représente. Si vous vous arrêtez devant _le Retour de Sédanais après la bataille de Douzy_, vous comprendrez qu'il a lieu dans le Nord. Le dernier tableau, exécuté dans les données connues du talent de M. Philippoteaux, montre combien il a fait du progrès. Néanmoins nous préférons les toiles arabes de M. Chacaton, car ce jeune peintre a fait des progrès rapides. _Le Souvenir de la villa Borghèse, à Rome_, pêche par un éclat trop conventionnel, et heureusement pour le peintre, deux autres tableaux font vite oublier ce pastiche: ce sont la _Rue Hourbarych, au Caire_, et _Une Fontaine arabe_. Le premier, avantageusement placé dans le salon carré, est très-joli de composition, outre le mérite de reproduction qu'on y remarque. Au milieu se trouve un groupe de cavaliers posés d'une façon ravissante; ce tableau, sous le rapport de la couleur, est le meilleur que M. Chacaton ait exposé cette année. _Une Fontaine arabe_ fait briller son habileté ordinaire, mais la composition en est un peu confuse, et nous avons eu besoin de recourir au livret. «Une caravane, avant d'entrer dans le désert, vient faire boire ses chameaux et remplir ses outres.» L'explication donnée avec la plume par M. de Chacaton aide beaucoup à qui veut comprendre la scène rendue par son pinceau. Ce tableau plaît singulièrement par la disposition des groupes pris à part. Force nous est de renoncer à entretenir les lecteurs de l'_Illustration_ des marines envoyées par M. Gudin, non à cause de leur peu de valeur artistique, mais à cause de leur nombre. Le livret se charge d'expliquer tout au long les sujets choisis par M. Gudin; quatre pages et demie sont spécialement affectées à leur nomenclature raisonnée. Une page commente _le tableau de la Mort de saint Louis_: une demi-page commente _la Vue de la Chapelle de Saint-Louis_; une page relate la _Fondation de la colonie de Saint-Christophe et de la Martinique_; une page et demie fait savoir comment _Lasalle découvre la Louisiane_; reste une demi page pour _l'Incendie du quartier de Péra, à Constantinople_, et pour _l'Équipage du Saint-Pierre sauvé par un brick hollandais_: total, cinq pages et demie. Nous renvoyons le lecteur au livret, en lui recommandant de regarder avec attention _l'Incendie de Péra_, placé dans le salon carré. Pour exercer le droit de critique vis-à-vis de M. Gudin, il faut se résumer. Son talent, multiple et fécond, est arrivé à une hauteur peu commune, mais il ne grandit plus, et quelques toiles signées du nom de M. Gudin donnent prise à la sévérité. Le dernier des Commis Voyageurs. (Voir t. III, p. 70 et 86.) III. LE DOUBLE MYSTÈRE. Au bruit qui se faisait à la porte de l'appartement, Jenny et Marguerite venaient d'accourir; et cette scène, qui jusque-là s'était passée dans l'ombre, se trouva inopinément éclairée. Impossible de rendre le mouvement de surprise qui éclata à la fois chez les divers personnages qui y jouaient un rôle. Jenny ne put contenir un cri étouffé; Marguerite sentit la lampe qu'elle tenait vaciller dans sa main, elles deux hommes en présence poussèrent une exclamation simultanée: «Édouard! --Le père Potard!» Si chacun des acteurs ne se fût pas trouvé placé sous le coup de ses propres émotions, il eût été impossible de ne pas remarquer le trouble de la jeune fille et la pâleur soudaine qui se répandit sur son visage. La mort, en la touchant, ne l'eût pas marquée d'une empreinte, plus profonde. Heureusement l'effet de la surprise troubla le sang-froid ordinaire du père Potard, et Jenny put se remettre de cette secousse avant que des soupçons se fussent éveillés autour d'elle, ce qui lui restait d'altération dans les traits fut facilement imputé à la frayeur, et la jeune fille put se retirer dans sa chambre, le coeur plus tranquille, pendant que le troubadour et l'homme qu'il avait si rudement colleté échangeaient des explications sur leur singulière rencontre. «Parbleu! s'écria Potard, voilà une aventure. C'est donc vous, Édouard Beaupertuis! Ma foi, oui, c'est vous!» Le jeune homme avait eu le temps de composer son maintien, et il répondit d'une voix assez calme: «Moi-même, monsieur; et il me semble que vous auriez pu avoir plus d'égards pour les parements de mon habit, ajouta-t-il en lui montrant ses vêtements fort endommagés par la lutte. --J'en suis désolé, mon cher; mais dans ce moment-là je vous aurais mis en charpie. Savez-vous pour qui je vous prenais? --Non, ma foi! --Pour un voleur, pour un infâme voleur! --Monsieur!... --Ne vous fâchez pas! C'est un malentendu qui peut arriver au plus honnête homme. N'empêche que j'aurais eu tout à l'heure un plaisir infini à vous massacrer. J'étais monté en diable! --Je m'en suis aperçu, monsieur. --Que voulez-vous! la nuit, on tape où l'on peut. Vous êtes heureux de vous en tirer à aussi bon compte; j'avais soif de sang humain, j'aurais bu dans votre crâne. Le ciel ne l'a pas permis... Mais oublions cela, jeune Beaupertuis; venez dans la salle à manger pour vous remettre. Le combat, est fini; il ne reste plus qu'à panser les blessures. Marguerite, une fiole et deux verres.» Les paroles avaient été échangées avec rapidité, et c'est à peine si Édouard Beaupertuis avait pu placer quelques monosyllabes. Il avait compris que tous les droits étaient du côté de Potard, en sa qualité de maître du logis. Évidemment surpris par les incidents qui venaient de se passer, on voyait qu'il se tenait sur ses gardes et luttait contre un embarras intérieur. Il suivit machinalement le troubadour, s'assit avec lui à une table, et accepta un verre de bière. L'entretien eût langui si Potard n'avait eu soin de le relever. «A présent que vous vous êtes un peu remonté le moral, dit-il, expliquez-moi donc, jeune Beaupertuis, ce que vous faisiez tout à l'heure sur le palier de cet appartement. Je suis curieux de l'apprendre.» Édouard était préparé à cette question, et cependant il ne put se défendre d'un peu d'hésitation avant que d'y répondre. Il se décida enfin, et prenant un ton plus familier; «Mais il me semble, père Potard, répliqua-t-il, que vous deviez vous attendre à ma visite. --Tiens, c'est moi que vous veniez voir, Beaupertuis? --Et qui serait-ce? --Vous comptiez me trouver ici? --Sans doute, père Potard. --Voilà qui est étrange, poursuivit le troubadour en devenant plus soucieux; oui, jeune homme, ceci est étrange. A neuf heures du soir, sans vous tromper de porte. Diable! vous avez la main heureuse. --Vous m'y aviez engagé, père Potard; souvenez-vous donc de ce que vous me dîtes sur les Terreaux avant de nous séparer: place Saint-Nizier, maison du boulanger, au troisième; ne manquez pas de me venir voir. Eh bien! me voici! --Vous voici au sixième, jeune Beaupertuis, et dans ma maison où il n'y a point de boulanger. Je vous avais donné une fausse adresse, farceur. Le père Potard n'est visible qu'au dehors; chez lui, jamais.» Édouard comprit qu'il s'était enferré, et qu'il lui serait plus difficile de sortir de ce mauvais pas qu'il ne l'avait d'abord cru. Il balbutia quelques excuses; mais le troubadour l'interrompit et lui dit avec un air sérieux: «Jeune homme, pas de mauvaises défaites! On ne fait point aller le père Potard comme le dernier des conscrits. Voyons, de la franchise. On vous a suivi ce soir dans votre campagne du haut en bas de l'escalier, voici près de deux heures que j'ai l'oeil sur vous. Je vous ai vu dans l'allée, au premier, au second, et ainsi de suite, jusqu'au sixième étage; je vous ai aperçu dans la chambre en face: j'ai suivi tout votre manège, et ce n'est pas à moi que vous en donnerez à garder. Je suis indiscret peut-être, mais j'ai mes raisons pour cela. Expliquez-vous avec sincérité.» La situation de Beaupertuis devenait de plus en plus embarrassante; mais cet embarras même sembla lui rendre sa présence d'esprit. La vieille Marguerite venait d'entrer dans la pièce où se trouvaient les deux interlocuteurs; par un signe, le jeune homme fit comprendre au troubadour qu'il ne pouvait, devant un tiers, entrer dans de plus amples confidences; puis, quand la servante, après avoir achevé son service, se fut retirée, il se leva, ferma la porte avec une espèce de solennité, et, de retour à sa place, il ajouta gravement et à demi-voix: «Père Potard, je vous crois un honnête homme. --Je m'en flatte, Beaupertuis. --Eh bien! sous le sceau du secret, je vais vous confier un mystère de ma vie. Jurez-moi que ce que je vous dirai mourra dans votre oreille. --Je vous le jure, jeune homme. Muet comme une tombe, vous pouvez y compter. Allez, j'en ai gardé d'autres. --Sachez donc, père Potard, que je poursuis une aventure avec une grande dame de la ville, avec une comtesse de la place Bellecour, tout ce qu'il y a de plus empanaché. --Vous en êtes bien capable, répliqua le troubadour en souriant de ce début; bien capable, et elle aussi. Cela me rappelle une certaine marquise d'Arcis-sur-Aube, qui remonte pour moi à 1817 ...» Les souvenirs anacréontiques abondaient dans la vie du troubadour, et toutes les fois qu'on le mettait sur ce terrain, il sentait renaître ses passions d'autrefois, et s'imaginait devoir reverdir les myrtes de sa jeunesse. Édouard Beaupertuis ne pouvait choisir une diversion plus heureuse aux soupçons vagues dont il était l'objet. Aussi reprit-il toute son assurance. «Vous le savez, père Potard, ajouta-t-il, l'amour vit de mystère; et, pour cacher cette intrigue à tous les yeux, il a fallu s'entourer de grandes précautions. --A qui le dites-vous, jeune homme! C'est comme moi à Bar-sur-Seine, pour la femme d'un pharmacien. Dans une cave, mon cher, dans une cave! au milieu des drogues infectes de l'époux et sans le moindre luminaire! On a bien raison de dire que la passion est aveugle. Achevez votre récit; c'est plein d'intérêt. --Il a donc fallu choisir en ville un lieu de rendez-vous, père Potard, un quartier sûr, populeux, une maison à double entrée. C'est ici que le hasard m'a conduit, sous votre propre toit; c'est dans cette chambre où vous m'avez aperçu... --Je vous comprends! Épargnez-moi le reste! Vous êtes un heureux coquin, jeune Beaupertuis; mais pourquoi ne pas me dire cela tout de suite? --Père Potard, un galant homme ne fait de semblables aveux qu'à la dernière extrémité. --Vous avez raison, Beaupertuis: c'est comme moi à Châlons-sur-Marne; une aventure des plus burlesques avec l'épouse d'un notaire. Un jour il y a alerte, surprise; je m'évade et me donne de l'air; mais le pan de mon habit reste pris dans une porte. Que faire? Il s'agit de sacrifier un frac neuf ou une pauvre femme. Je n'hésite pas une seconde; j'immole le frac sur l'autel de ses charmes, et quitte la Champagne avec une basque de moins. Voilà ce qui s'appelle agir en chevalier français. Il paraît que nous sommes de la même école.» Le père Potard était de nouveau lancé, et il n'y avait plus d'effort à faire pour lui donner le change. De la femme du notaire il passa à la femme d'un passementier, raconta ses amours d'auberge es ses amours du grand monde, composa une suite d'aventures dont il était le héros, et où il jouait le rôle d'un Amadis et d'un Galaor; le tout entrecoupé de quelques refrains, comme ceux-ci, par exemple: Lisette seule a le droit de sourire Quand je lui dis: Je suis indépendant. Ou bien: Allons, ma belle, Paie à ton tour D'un peu d'amour Le troubadour. «Beaupertuis, ajouta-t-il, vous êtes jeune, prêtez l'oreille à votre ancien. Moi aussi j'ai été jeune, très-jeune; personne n'a été plus jeune que moi. La vie sans amour est une pipe sans feu. En voyage, il faut des femmes comme il faut des relais; autrement l'existence est un vrai désert de Saharah. Encore dans le désert trouve-t-on des caravanes de chameaux. Règle générale, le voyageur digne de ce nom se ménage un caprice, par arrondissement; c'est le moins qu'il puisse, faire pour le sentiment et sa dignité d'homme.» Potard eût parlé longtemps ainsi sans être interrompu dans ses excursions sur les domaines de la galanterie; Beaupertuis ne l'écoutait que machinalement et s'abandonnait à ses popres réflexions. Pour peu qu'on ait suivi ce récit avec quelque soin, on aura pu s'assurer de deux choses: la première, c'est qu'Édouard était un habitué de cette maison: la seconde, c'est qu'il ne s'attendait pas à y trouver le père Potard. De stratagème en stratagème, il était parvenu à donner à ce dernier une explication satisfaisante; mais il lui restait à éclaircir l'autre partie du mystère. A quel titre le troubadour se trouvait il là, entre ces deux femmes? Était-ce comme maître un comme commensal? Quels droits avait-il sur cette jeune fille? Ces idées se pressaient dans l'esprit d'Édouard, et un doute pénible venait s'y mêler. Sous l'empire de cette préoccupation, il essaya de renverser les rôles, et de mettre son ancien sur la sellette. «Père Potard, lui dit-il, vous êtes en fonds pour les vieux péchés; ce n'est pas d'aujourd'hui que votre réputation est faite; vous avez jonché la France de victimes, on sait cela. --Merci, Beaupertuis, vous rendez justice à vos maîtres; c'est d'un bon naturel. La jeunesse est si présomptueuse à présent! --Il me semble pourtant, troubadour, que de tous vos exploits, vous oubliez le plus beau. Sur les grandes routes, on peut ne pas se montrer toujours délicat; mais ici, corbleu! vous roulez, sur du choisi. Je vous en fais mon compliment, c'est la fleur des pois.» Ces paroles, prononcées avec une légèreté qui cachait mal un profond dépit, opérèrent un changement à vue dans la physionomie du voyageur. D'épanouie qu'elle était, elle devint tout à coup sombre et inquiète. «Pour l'amour de Dieu, jeune homme, ne parlons pas de ça. Plaisantez Potard pour tout ce qui dépasse le seuil de cette porte, c'est bien; il s'y prêtera, il fera chorus. Potard au dehors sera toujours Potard, Potard le noceur, le balochard, le joyeux compère, toujours prêt à chanter la mère Godichon en troubadour qu'il est. Oui, à mort, Beaupertuis, jusqu'à extinction de chaleur naturelle et d'_ut_ de poitrine! Mais ici, ajouta-t-il avec un accent plein d'amertume, ici rien, s'il vous plaît; rien sur cette maison, rien sur ce que vous avez pu y voir. Le hasard vous y a fait entrer; oubliez tout, je vous en conjure. --Une si jolie fille, ce sera difficile, père Potard. --Cessez ce langage, jeune homme, reprit le voyageur en prenant la main d'Édouard et la serrant avec vivacité; cessez ce langage, ou nous nous fâcherons. Vous avez un mystère dans votre vie; moi, j'en ai un aussi qu'un seul homme au monde devra un jour connaître, et cet homme, ce n'est pas vous. Écoutez, voulez-vous que nous restions en de bons termes? ajouta-t-il d'un ton suppliant. --Mais sans doute, père Potard, répondit le jeune homme, touché malgré lui. --Eh bien! jurez-moi de rayer cette soirée de votre mémoire, de ne m'en plus parler, de n'en parler à personne au monde. --Comme vous êtes solennel! --Le jurez-vous? --Mon Dieu, très-volontiers. --Merci, jeune Beaupertuis, vous êtes un galant homme; mais il me faut encore une promesse. --Laquelle? Vous êtes exigeant aujourd'hui. --C'est que vous ne chercherez plus à remettre le pied ici. Restons chacun sur nos terres, et point d'excursions, s'il vous plaît. Vos grandes dames en seraient trop jalouses.» Après avoir prononcé ces mois, Potard se leva pour faire comprendre à Édouard que la séance était terminée, il prit lui-même une lampe et accompagna le jeune homme jusqu'à la porte de la maison, où ils échangèrent un adieu en apparence cordial. Cependant, au moment de se séparer, l'un et l'autre trahirent leur pensée par quelques paroles qui moururent sur leurs lèvres. «Un mystère! Eh bien! je le saurai malgré toi, vieux satyre, se dit Beaupertuis. --Ce jeune homme en a trop vu! Il faudra changer de logement,» se dit le prudent Potard. Quand le troubadour fut remonté, il voulut s'assurer si Jenny était remise de ses frayeurs. La jeune fille n'avait pas quitté sa chambre, et Marguerite venait de s'y asseoir à ses côtés avec son rouet. Potard les trouva toutes les deux fort tranquilles; la physionomie de Jenny avait même quelque chose de plus gai et de plus épanoui que de coutume. «Eh bien! dit le voyageur en déposant sa lampe sur une chiffonnière, voilà une soirée fertile en événements. Il l'a tout de même échappé belle, ce jeune homme; un coup de pouce de plus et je l'étranglais. J'étais si monté! --Ce n'est donc pas un voleur? répondit Jenny en retenant avec peine un sourire. --Au contraire, c'est un très-galant homme, le fils d'un de nos fabricants de châles; premier crédit; fameux papier! --Le fils d'un fabricant! s'écria la jeune fille en relevant la tête. En êtes-vous bien sûr, bon ami? --C'est connue je le dis, ma petite. --D'un fabricant de châles! ajouta-t-elle, redevenue rêveuse et inquiète. --Châles, soieries et nouveautés, reprit Potard; de gros faiseurs qui ont maison à Londres et aux États-Unis, les Beaupertuis. --Les Beaupertuis, bon ami; et ce jeune homme est un Beaupertuis? --Édouard Beaupertuis, ma petite, un charmant enfant que, j'ai connu en voyage; pauvre chanteur, mais beaucoup de moyens. Mais qu'est-ce que tu as donc, Jenny? on dirait que tu vas passer. Comme te voilà pâle! --Ce n'est rien, bon ami; l'émotion de tout à l'heure, l'idée que tel homme, pouvait être, un voleur... --Un voleur de coeurs, ma mignonne; c'est son genre d'industrie. Il paraît que le gaillard s'en acquitte à merveille. --Vous plaisantez toujours, dit la jeune fille de plus en plus troublée; un voit que vous fréquentez les mauvais sujets, non ami. --Allons, voilà que tu me grondes. Eh bien! tu as raison, je ne devrais pas tenir de ces propos. Que veux-tu, petite? à cinquante ans on ne se refait pas. --C'est donc un coureur que votre Beaupertuis? reprit la jeune fille, qui semblait craindre l'effet de ses scrupules et désirait prolonger cette confidence. --Un coureur? pas précisément, Jenny; il paraît au contraire qu'il entretient une grande passion, une passion volcanique. --Vraiment!... --Oui; et c'est pour cela qu'il montait la garde dans l'escalier. Règle générale, une passion véritable est la compagne des factions infiniment prolongées.» A ces mots les deux femmes, par un mouvement spontané, se regardèrent et jetèrent ensuite les yeux sur Potard, comme si elles eussent craint un piège. Celui-ci continua de l'air le plus naturel du monde: «Au fait, l'objet en vaut la peine. --Mon Dieu, bon ami, dit Jenny avec la mort dans l'âme, comme vous nous faites soupirer après les choses. Au fond, qui se soucie de votre Beaupertuis? ajouta-t-elle avec un peu d'emportement. --Allons, petite, ne te fâche pas; j'ai voulu plaisanter. Les femmes sont si curieuses! Voici l'affaire en quelques mots: le Beaupertuis a une intrigue avec une grande dame. --Une grande dame! s'écria Jenny, frappée au coeur. --Une dame de Bellecour, poursuivit Potard. Il est entré avec moi dans les plus grands détails: une dame à panaches, un morceau de choix. Il faut dire qu'il est très-bien, ce jeune homme!» La jeune fille ne put pas en entendre davantage; elle était à bout des efforts qu'elle avait faits pour se vaincre. Son visage se décomposa, un frisson violent se déclara dans tous ses membres, ses dents se choquèrent avec une vivacité convulsée et elle tomba étendue sur le parquet, mourante et sans mouvement. Marguerite courut chercher de l'eau fraîche, et Potard, en donnant les premiers soins à la malade, dit à demi-voix: «Je m'en doutais: il y a quelque chose là-dessous. Pourvu que je suis arrivé à temps!» XXX (La suite à un prochain numéro.) Mont-de-Piété-de-Paris, L'administration du Mont-de-Piété de Paris vient de publier le compte rendu de ses opérations pour l'exercice 1842. Les résultats sont plus importants encore que ceux de l'année 1841, que nous avons fait connaître à nos lecteurs dans le numéro de _l'Illustration_ du 29 avril 1843. Toutes les opérations concernant les prêts sur nantissement sont accomplies soit directement, au chef-lieu, à la succursale ou dans les bureaux auxiliaires, soit par l'entremise des commissionnaires. En voici le tableau sommaire: [Tableau] MOYENNE DES OPÉRATIONS DIRECTES. Engagements. 25 fr. Renouvellements 50 Dégagements 17 MOYENNE DES OPÉRATIONS PAR COMMISSIONNAIRES. Dégagements 16 fr. Renouvellements 24 Dégagements 16 Les engagements effectués en 1842 présentent, sur ceux de l'année précédente, un accroissement de 73,557 articles et une augmentation en sommes de 1,863,557 fr. Cependant ces deux chiffres ne sont pas l'expression d'une progression suivie. En effet, l'année 1841, comparée à l'année 1840 offrait dans les dépôts un abaissement de 114,025 articles, et, dans les sommes prêtées, de 988,744 fr. Pour assigner un chiffre à une progression qui est réellement sensible, il faut grouper les quatre années de 1839 à 1842, et l'on trouve qu'un peut pour attribuer à chacune, en moyenne, sur 1938, un accroissement de 47,816 articles, représentant la somme de 1,568,473 fr. La somme totale des engagements en 1842 est la plus élevée qui se soit encore produite au Mont-de-Piété, elle a dépassé _vingt-cinq millions_. La moyenne des prêts effectifs, qui était, en 1840 de 15 fr. 21 c., en 1841, de 15 fr. 85 c., a été, en 1842, de 16 fr. 41 c., soit 50 c. de plus par article. La moyenne générale des dégagements a été de 16 fr. Si aux entrées du Mont-de-Piété, soit 1,120,394 articles pour 25,318,134 fr. Nous ajoutons les sorties, y compris les renouvellements, soit 1,368,296 articles pour 24,037,620 fr. Nous obtenons, comme mouvement du Mont-de-Piété, 2.788,690 articles pour 49,655,751 fr. Le Mont-de-Piété prête à partir de trois francs et au-dessus. Le tableau suivant indique le nombre et la quotité des prêts. PRÊTS CLASSÉS PAR SÉRIES. Articles Sommes de 3 à 5 fr. 611,700 2,152,852 fr. de 6 à 10 fr. 366,909 2,937,380 de 11 à 20 fr. 171,186 2,684,810 de 21 à 30 fr. 81,501 2,195,978 de 31 à 40 fr. 48,785 1,695,396 de 41 à 50 fr. 37,828 1,766,767 de 51 à 100 fr. 74,511 5,240,095 de 101 à 200 fr. 11,849 1,680,233 de 201 à 500 fr. 11,666 5,264,807 de 500 à 1,000 fr. 660 485,210 de 1,001 à 5.000 fr. 143 729,365 de 5,001 fr. et au-dessus. 26 185,213 ____________________________ total 1,520,394 25,318,134 En 1839, la proportion des engagements effectués directement par le public était sur la totalité de 9 pour cent seulement; elle s'est élevée, en 1840 à 12 pour 100; en 1841, à 17 pour cent; en 1842, à 18 pour 100. Cette augmentation est due à la création de deux bureaux auxiliaires. Cette amélioration apportée dans le service du Mont-de-Piété est très-avantageuse pour le public. Quelques explications le feront comprendre. Le Mont-de-Piété de Paris, créé en 1777, ne se composait d'abord que de l'établissement situé rue des Blancs-Manteaux. La plus grande partie des personnes qui se trouvaient dans la nécessité d'y recourir perdaient, à raison de leur éloignement, un temps d'autant plus précieux qu'elles étaient plus pauvres. On autorisa donc l'ouverture de vingt bureaux de commissionnaires qui devaient, moyennant des droits déterminés, servir d'intermédiaires entre les emprunteurs et le Mont-de-Piété. Cet état de choses dura jusqu'à la révolution. Fermé à cette époque, le Mont-de-Piété fut réorganisé par le décret du 21 messidor an XII et soumis, le 8 thermidor an XIII, à un règlement qui le régit encore aujourd'hui. Ni le décret, ni le règlement ne parlent des bureaux des commissionnaires, ils ne font mention que des succursales à créer. L'intention formelle de la loi était de mettre le public à même de s'adresser directement au Mont-de-Piété, afin de lui épargner les frais de commission. L'insuffisance des fonds nécessaires à l'établissement des succursales obligea cependant l'administration à recourir aux commissaires; mais cette mesure provisoire ne fut prise qu'en attendant que des circonstances plus favorables permissent de s'en passer. L'esprit de routine, une direction inintelligente, pour ne pas dire plus, la situation précaire du Mont-de-Piété, des influences étrangères à la bienfaisance, ont fait longtemps fermer les yeux sur les abus qui ressortent, pour l'ordre public et pour les emprunteurs, de l'institution des commissaires. Il a fallu près de quarante ans pour s'apercevoir, d'une part, que des industriels qui ne sont mus que par le désir de s'enrichir aux dépens des pauvres, n'offrent, en général, que peu de garantie, et à la société et aux emprunteurs; que leur extrême facilité à recevoir des nantissements favorise trop souvent le vol et la débauche et égare l'imprévoyance; et d'autre part, que les commissions perçues en vertu d'un droit fixe et relatif à chaque opération, quelle qu'en soit la durée, et aussi élevé pour un prêt d'un seul jour que pour un prêt d'une année, sont une charge fort onéreuse pour le publie. En admettant que tous les Commissionnaires soient d'une probité parfaite, qu'ils ne se permettent pas de prélever des droits qui ne sont pas dus, qu'ils ne spéculent pas sur la misère et les mauvaises passions, qu'ils apportent dans leurs opérations une surveillance consciencieuse et sévère, il n'en est pas moins évident que les emprunteurs auraient un grand avantage à ne pas elle obligés de se servir de leur intermédiaire, qui renchérit considérablement le prêt. L'administration du Mont-de-Piété l'a compris, un peu tard, il est vrai. En 1839 et 1840 elle a établi deux bureaux auxiliaires de prêt gratuits en ce sens qu'ils ne perçoivent pas de droits de commission, mais seulement le droit général de 9 pour cent par an. Depuis le 1er janvier 1843, le premier mois se paie en entier au taux de 3/4 pour 100. Après le premier mois, le droit se prélève par quinzaine aux taux de 3/8 pour 100. Les droit des commissionnaires sont ainsi fixés: 2 pour cent pour enregistrement, 2 pour cent pour renouvellement, 1 pour cent pour dégagement, I pour cent pour perception de boni. Les opérations directes économisent ces frais aux emprunteurs. Un exemple prouvera combien, sous ce rapport, les bureaux auxiliaires sont utiles. Soit un prêt de 9 fr. pour quinze jours; Le Mont-de-Piété prélève 5 c. Le commissionnaire pour engagement et dégagement 30 Total 35 c. Sur 35 centimes, le commissionnaire prend donc pour sa part 30 centimes. Supposons que ce prêt se renouvelle tous les quinze jours, le prêt aura coûté à l'emprunteur, au bout de l'année: Pour droits de Mont-de-Piété. 1 fr. 20 c. Pour droits de commissionnaire. 7 20 Ensemble. 8 fr. 40 c. Or, les 7 fr. 20 c. perçus par le commissionnaire représentent plus de vingt-cinq kilogrammes de pain. Bien que l'emprunteur éprouve un véritable préjudice à employer le commissionnaire, il ne peut cependant s'en passer, attendu que la perte de temps qui serait la conséquence de son recours direct au Mont-de-Piété, entraînerait pour lui un dommage encore plus grand en le privant, s'il est ouvrier, par exemple, du salaire de sa journée. Avant l'établissement des bureaux auxiliaires, la comparaison des opérations faites directement par les emprunteurs avec les opérations faites par l'entremise des commissionnaires, donne les résultats suivants: Engagements directs 9 pour 100 Par commissionnaires 91 Renouvellements directs 40 pour 100 Par commissionnaires 60 Dégagements directs 44 pour 100 Par commissionnaires 56 Les deux bureaux auxiliaires ont déjà changé cette proportion. En 1842, elle est, savoir: Engagements directs 18 pour 100. Par commissionnaires 82 Renouvellements directs 44 pour 100. Par commissionnaires 56 Dégagements directs 52 pour 100. Par commissionnaires 48 La somme totale perçue par les commissionnaires est, pour Cette dernière année, de 41,285 fr. 64 c. La création de bureaux auxiliaires en nombre suffisant fera disparaître complètement les inconvénients attachés aux bureaux des commissionnaires. Placés à la portée de tous, ils présenteront les mêmes facilités d'engagement et de dégagement aux emprunteurs, qui gagneront en outre les droits du commission. L'expérience des deux bureaux auxiliaires établis a engagé l'administration à demander l'ouverture d'un troisième. Cette mesure se généralisera promptement, nous l'espérons du moins, et pourra faire jouir de ses avantages tous les quartiers de Paris. C'est un service que le conseil d'administration du Mont-de-Piété est appelé à rendre à la population pauvre. Les ressources du Mont-de-Piété lui permettent d'y consentir les avances nécessaires. Nous disons les avances, parce que les deux bureaux, loin d'être à charge à l'administration, ont produit pour 1842 et les deux premiers mois de 1843 un excédent de recettes de plus de 23.000 francs. D ailleurs, jamais la situation financière du Mont-de-Piété n'a été meilleure. Le solde de compte des profits et pertes présente, en bénéfices à verser dans la caisse des hospices pour l'exercice de 1842, une somme de 334,152 fr. 11 c. En approchant cette somme de la moyenne que présentent les bénéfices d'exploitation pendant les cinq dernières années, de 1837 à 1841 compris, on trouve, sur cette moyenne, une augmentation de 677,109 fr. 17 c. Voici la récapitulation de ces cinq années: 1837, bénéfices: 176,766 fr. 63 c. 1838 198,712 52 1839 195,511 86 1840 331,215 58 1841 429,979 85 ___________________ Total 1,335,216 fr. 24 c. La somme des bénéfices de 1842 montant à 334,152 fr. 41 c. Et la moyenne des cinq années à 267,013 24 Il y a en faveur de 1842 un excédent de 67,109 fr. 17 c. Si aux bénéfices ci-dessus énoncés, soit 334,152 fr. 41 c. On ajoute la somme payée dans l'année aux hospices pour la liquidation des bonis de 1837, soit 85,128 fr. 74 c. On trouvera un chiffre total de 119,881 fr. 15 c. d'excédant de recette sur la dépense. Le Mont-de-Piété peut donc faire les avances qu'exige l'établissement des bureaux auxiliaires. La suppression des bureaux de commission sera tout à la fois un hommage rendu à la morale et un immense service rendu aux classes nécessiteuses. ARITHMÉTIQUE PITTORESQUE, PAR CHAM. [Illustration: Manière de retenir un Nombre.] [Illustration: Première Leçon.] [Illustration: Calcul de tête.] [Illustration: Unité.] [Illustration: Une moitié de vin (de 20).] [Illustration: Centaine.] [Illustration: Addition.] [Illustration: Soustraction.] [Illustration: Multiplication.] [Illustration: Division.] [Illustration: Règle d'Alliage.] [Illustration: Fractions.] [Illustration: Extraction de la Racine carrée.] [Illustration: La table de multiplication.] [Illustration: Règle de Trois.] [Illustration: Règle d'intérêt.] [Illustration: Des mesures et l'unité de grandeur.] [Illustration: Règle de Société.] [Illustration: Une Puissance carrée.] Bulletin bibliographique. _Du pouvoir de l'État sur l'Enseignement_, d'après l'ancien droit public français; par M. _Troplong_, conseiller à la Cour de cassation, membre de l'Institut.--Paris, 1844. _Charles Hingray_, 1 vol. in-8. 7 fr. 50. En retraçant dans ce mémoire, lu à l'Académie des Sciences morales et politiques, les principes de notre ancienne constitution sur le droit d'enseigner, M. Troplong n'entend rien préjuger sur la question toute moderne de la liberté d'enseignement. Il a seulement voulu traiter un point d'histoire qui a joué un grand rôle dans les écrits des casuistes et des jurisconsultes d'autrefois, et qui se lie à ses études favorites sur la marche et les progrès de notre droit public et privé. Cette déclaration faite, M. Troplong entre immédiatement en matière par un aperçu des principes et des faits dans le dernier état de l'ancien droit. Les bornes qui nous sont imposées nous interdisent malheureusement de le suivre pas à pas dans cette savante et lumineuse dissertation, depuis les lois romaines jusqu'à nos jours. Le résumé suivant, emprunté à son dernier chapitre, fera mieux comprendre d'ailleurs que notre analyse toute l'importance du beau travail dont l'Académie des Sciences morales et politiques avait écouté avec tant d'intérêt la longue lecture, et dont la publication a obtenu un si légitimé succès. «L'enseignement, dit M. Troplong, est, d'après les principes essentiels de l'ancien droit public, un droit de la couronne. Il est reconnu et proclame que l'un des principaux objets du gouvernement est de veiller à l'éducation de la jeunesse, et que c'est là un des points les plus importants à la conservation de la monarchie. De là le droit acquis à la puissance publique, de diriger l'éducation des collèges existant en dedans ou en dehors des universités, de la maîtriser dans des voies conformes aux principes du gouvernement. De là cette maxime si souvent consacrée par les édits et les arrêts, que nulle école, grande ou petite, ne peut s'établir en France que par le bon plaisir du roi. Si, dans un temps plus reculé, ce droit est demeuré suspendu et comme assoupi; si l'Église a été alors en possession de répandre les lumières et l'enseignement, il n'est résulte de là qu'un déplacement provisoire et passager du droit d'enseigner, que l'occupation accidentelle d'une fonction qui ne doit jamais vaquer; mais non pas une prescription de nature à dépouiller l'État d'une prérogative imprescriptible. «Bientôt, en effet, l'État reparaît et il revendique l'enseignement comme sa propriété, comme son droit. L'Église entend ce langage; elle se soumet; elle accepte la sécularisation des universités comme un fait social inévitable; elle continue à laisser dans ces écoles respectées la pépinière de ses jeunes disciples. En même temps, l'instruction publique prend, sous la main du pouvoir civil, une organisation plus uniforme et plus régulière. Les universités, relevant immédiatement du gouvernement central, reçoivent des édits et des arrêts une impulsion réformatrice plus immédiate, plus constante, plus efficace. Au milieu d'elles s'élève l'université de Paris, avec le titre de mère de toutes les autres, avec le droit d'intervenir dans tous les débats qui intéressent l'enseignement public, avec un patronage qui établit entre les universités du royaume une communauté d'intérêts, un esprit de corps, un principe d'unité et de hiérarchie. «Les universités sont privilégiées pour l'enseignement académique; elles conservent, sous le gouvernement de la puissance séculière, les fonctions exclusives et le monopole légal dont elles ont été investies pendant le règne de la puissance ecclésiastique. Car il est à remarquer que, dans les phases diverses que le droit d'enseigner a subies depuis l'empire romain jusqu'à la révolution de 1789, il est invariablement resté une fonction publique, une délégation du pouvoir dominant, et, par conséquent, un privilège attaché à certains corps, et, en dernier lieu, aux universités. L'État et l'Église n'ont pas en deux manières de le considérer dans l'ancien régime; et la liberté d'enseignement est une idée moderne dont notre ancienne société n'eut jamais conscience. «Cependant une compagnie célèbre par sa vocation pour l'enseignement, ayant apporte en France ses collèges, ses statuts, ses plans nouveaux, des tentatives sont faites par elle pour partager avec les universités établies les études académiques; et, sous prétexte d'une, agrégation impraticable, elle demande à être elle-même une université. Ce n'est pas la liberté, pour tous qu'elle réclamé; c'est une extension de privilège, une participation au monopole légal, une communication du pouvoir de l'État. Bientôt les évêques élèvent la même prétention pour les séminaires que leur ont donnés le concile de Trente et les ordonnances de nos rois. Cette tentative était périlleuse pour les universités; il y allait de leur existence. Tout aurait été université, excepte les universités mêmes; et le droit de la puissance publique, qu'elles résumaient et représentaient, si parfaitement et avec tant de fidélité, courait risque d'être surpris, fausse, renversé. Mais le gouvernement veillait; les magistrats étaient à leur poste, et la prorogative de la puissance publique resta dans son intégrité. «Ce conflit des séminaires et des universités est le dernier auquel nous fasse assister l'histoire de l'ancien droit public. La solution qui le termina est l'éclatante démonstration de ce principe, que depuis que l'État est arrive à une organisation fixe et régulière, l'enseignement a été, dans notre ancienne constitution, un droit régulier, et, ce qui est la même chose, une branche de la puissance publique, un élément du pouvoir social. «Je m'arrête ici, dit M. Troplong en terminant; oubliant les tentatives impuissantes de la révolution, je m'arrête, dis-je, sur le seuil de l'empire, qui recueillit les traditions des anciennes universités, pour construire sur leurs débris une université embrassant son unité vigoureuse toutes les parties du territoire et tous les degrés de l'enseignement. Il ne m'appartient pas de rechercher dans cette Académie si un droit nouveau doit sortir de la charte de 1830 et prendre la place de celui dont je viens de donner l'exposé, sans m'écarter de l'histoire et sans que le respect que nous devons avoir ici pour l'entière indépendance du présent nous empêche d'être juste pour le passé; je me bornerai à dire, à l'honneur de l'ancien système d'enseignement, que c'est dans cette université de Paris, fille aînée, mais fille toujours mineure de nos rois; que c'est aussi dans les autres universités du royaume, ses rivales en émulation pour les sciences et en dévouement à la couronne, que se sont préparés pour le service de l'État et pour la gloire des lettres tant de magistrats illustres, de prélats éminents, de savants et de génies incomparables, qui ont porté si haut l'éclat et la réputation du nom français.» _Voyages autour du Monde et Naufrages célèbres_. Voyages dans l'Amérique espagnole pendant les guerres de l'indépendance; par le capitaine G. Lafond (de Lurcy), membre de la Société de géographie. Tome 1er. Un beau volume in-8 sur jésus, avec gravures.--Paris, 1843. Chez _Pourrat frères_. Voici le commencement d'un fort bel ouvrage, en tête duquel M. de Lamartine, en réponse à la dédicace de l'auteur, a bien voulu mettre ce gracieux passe-port: «J'aime passionnément les voyages; c'est la philosophie qui marche. Les vôtres m'ont instruit et charmé. Vous savez voir, sentir et peindre; comment ne pas vous suivre à travers le monde?» Qui donc ne voudra, comme M. de Lamartine, être instruit et charmé par les récits de ce voyageur qui sait si bien voir, sentir et peindre? La fortune de l'ouvrage est donc assurée; et franchement, tout en faisant la part de ce qu'il faut mettre sur le compte d'une indulgente courtoisie de la part du grand écrivain, c'est un livre à la fois agréable et intéressant que celui du capitaine Lafond, dont nous avons sous les yeux le premier volume. Nous avions le projet d'en esquisser nous-mêmes une analyse générale; mais il nous semble que nous ne pouvons mieux faire que d'emprunter textuellement à son premier chapitre l'exposition de son sujet et de son plan; nous y trouverons l'avantage de donner en même temps ainsi un échantillon du style de l'auteur. «La grande révolution opérée par la découverte de Colomb, et la conquête du continent américain par une poignée d'aventuriers intrépides, livrés à eux-mêmes et dépourvus de presque tout appui de leur gouvernement, sont certainement les deux événements les plus extraordinaires de l'histoire; ils ont changé la face du monde, et, par une influence plus directe, ils ont élevé la puissance espagnole à son plus haut degré, et préparé en même temps sa décadence et sa ruine. «Jusqu'à la fin du quinzième siècle, l'Espagne, partagée en plusieurs États indépendants, voyait les grandes ressources qu'elle avait reçues de la nature épuisées par les divisions intestines et une lutte de sept cents ans contre l'islamisme. L'union des deux couronnes d'Aragon et de Castille, par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle, forma un faisceau de ses forces, et dès ce moment l'Espagne prit un essor imposant et glorieux, dont les annales des peuples offrent peu d'exemples; la découverte de l'Amérique donna à cet empire une étendue qui surpassa celle de Rome antique, et des richesses prodigieuses qui servirent de base à la grandeur et à l'éclat de cette monarchie, et contribuèrent à en faire la puissance prépondérante de l'Europe. Mais cette extension immodérée de pouvoir fut le signal de sa décadence. Elle avait prodigué, sous Charles-Quint, le sang de ses habitants dans des guerres longues et sanglantes; elle s'affaiblit sous Philippe II par l'expulsion violente d'un million de sujets industrieux et par l'émigration incessante d'une autre partie de la population vers l'Amérique. La soif de l'or lui lit abandonner l'agriculture et les arts industriels, qui le procurent lentement, pour l'exploitation des mines, bientôt ne produisant plus de quoi acheter les métaux d'Amérique, elle cessa d'en être enrichie. Alors se multiplièrent les fautes de l'administra lion coloniale. La métropole appesantit de plus en plus son joug sur ses colonies, et les força enfin de recourir aux armes pour s'en affranchir. «La conquête vit naître un système de propriété qui doit fixer notre attention La fameuse bulle du pape Alexandre VI, qui traça sur le globe la ligne de démarcation, et attribua exclusivement à Ferdinand et Isabelle, et à leurs descendants, toutes les régions découvertes et à découvrir à l'occident des Açores, fut le titre primordial sur lequel l'Espagne fonda ses droits. Elle l'expliqua avec l'esprit féodal de l'époque, qui touchait au moyen âge, et ses souverains se considérèrent comme ayant un droit absolu, non-seulement sur les terres dont leurs sujets faisaient la découverte, mais encore sur toutes les populations indigènes, qui furent parquées et distribuées comme un vil bétail. Ce fut l'origine des fiefs, ou _encomiendas_, qui furent cependant établis pour protéger les Indiens contre l'oppression des premiers conquérants, et ce système odieux, modifié, atténué, se perpétua pendant des siècles» malgré la volonté de la cour de Madrid, à laquelle l'intérêt des colons opposa longtemps des obstacles presque insurmontables. Ainsi les infortunes des Indiens commencèrent avec la complète; mais, quelque grandes qu'elles fussent, elles diminuèrent pourtant insensiblement jusqu'au montent où sonna l'heure de l'indépendance; nous examinerons le sort et les vicissitudes de cette race persécutée, avec tout l'intérêt que l'on doit au malheur. «On connaît les faux et inhabiles principes de cette administration qui privait les colons de toute liberté, même des fonctions municipales si chères aux Espagnols de l'Europe, et ce système odieux de prohibition et de monopole qui fermait rigoureusement aux étrangers l'entrée des colonies pour en assurer l'approvisionnement à la métropole. La domination du clergé s'étendait comme un vaste réseau sur toute la surface, de l'Amérique. Malgré les efforts du gouvernement pour mettre un frein à ses empiétements, il avait fini par faire passer dans ses mains la majeure partie de la propriété territoriale. «Les couvents dit l'historien Moore étaient en possession de la presque totalité des terres des Indiens, qui les abandonnaient avec la plus grande facilité par des legs testamentaires en l'honneur de quelques saints de prédilection; et quant aux domaines des villes, on peut assurer que les deux tiers au moins étaient tombés entre les mains des communautés religieuses.» Ces criants abus sont incontestables, ces reproches sont fondés, et cependant il n'est pas moins vrai que les colonies espagnoles d'Amérique offraient dans leur ensemble le spectacle le plus magnifique et le plus imposant par leur étendue et leur puissante organisation. On ne peut voir sans un sentiment d'admiration tant de peuples répandus sur ce vaste continent, soumis au même sceptre, aux mêmes lois, aux mêmes usages, et formant comme un grand et puissant empire obéissant à la même impulsion; la langue espagnole y était parlée sur un espace de plus de dix-neuf cents lieues, depuis les îles Chiloë jusqu'à l'extrémité de la Californie. «Les apologistes de l'Espagne prétendent que malgré les monopoles exclusifs que cette puissance s'était attribués, sa sollicitude pour ses colonies se manifestait par la paix profonde dont elles jouissaient, par la facilité de s'y créer de grandes et rapides fortunes. «L'Amérique espagnole, disaient-ils, prospérait sous les auspices de la mère patrie, exempte du froissement et des dévastations des guerres qui déchiraient les autres nations, développant à l'ombre d'une paix profonde, tous les genres de bonheur compatibles avec les lumières de ses habitants, et offrant l'image immense et paisible d'une grande et opulente famille.» Ce tableau est sans doute séduisant, et peut être vrai jusqu'à un certain point; mais il avait indubitablement ses ombres Les griefs des colons devaient être graves, et les abus dont ils se plaignaient réels, puisqu'ils ont saisi la première occasion favorable pour s'en affranchir par les armes. «Quant au clergé, ses richesses, son influence et sa puissance sont des faits incontestables; mais la conversion et la demi-civilisation de huit à dix millions d'Indiens ne fut-elle pas son ouvrage? et si sa domination fut réelle et exorbitante, elle fut du moins douce et modérée. N'est-ce pas lui qui apprit à ces peuples sauvages, qu'il allait chercher à travers mille périls au fond des forêts, ce christianisme qui enseigne l'abnégation de soi-même, l'oubli «des offenses, l'amour de son semblable et l'immortalité de l'âme? Ne lui a-t-il pas fait comprendre tout ce qu'il y a de sublime dans cette religion qui consacre l'égalité, versé un baume salutaire sur les plaies de l'humanité souffrante, et la soutient au bord de la tombe en lui montrant le ciel? Toutes les sectes ont plus ou moins de penchant au prosélytisme: elles ont leurs conquêtes, dont les héros sont les martyrs; mais si l'on compare les effets de l'introduction du christianisme en Amérique par le clergé catholique avec les travaux des missionnaires méthodistes protestants dans les îles de la mer du Sud, on est frappé de la différence des résultats. «Le fait le plus saillant qui résulté de ce rapprochement est celui-ci: M. de Humboldt, dont le nom fait autorité, a constaté que, depuis cent cinquante ans, la population indigène du Mexique et de la plupart des autres contrées de l'Amérique espagnole a pris de notables accroissements, et que sa condition morale et matérielle s'est sensiblement améliorée; d'un autre côté, il résulte du rapport unanime des voyageurs, que pendant vingt à vingt-cinq ans d'apostolat, les missionnaires anglais et américains sont parvenus à anéantir presque complètement la population de plusieurs Iles de la mer du Sud. Tous attribuent cette effrayante destruction au passage de la vie primitive de ces insulaires, vie pleine d'abondance et de gaieté, à une existence austère et monotone, qui n'a pu cependant arracher de leurs coeurs leurs vices natifs, et leur a, de plus, donné l'hypocrisie. Les méthodistes devaient porter leurs dogmes sévères et décolorés sous les glaces du pôle, et renoncer à les voir fructifier sous des climats ardents. Le clergé catholique a suivi en Amérique des principes diamétralement opposés: c'est par sa modération, son indulgence; c'est en s'identifiant aux faiblesses, aux goûts et aux passions de ses néophytes; c'est par des fêtes, des pompes religieuses animées, par des jeux analogues au climat et aux goûts des Indiens, qu'il a assuré son ascendant sur eux, autant que par son zèle à les protéger et à défendre leurs intérêts. Ce clergé d'ailleurs, malgré sa puissance, a été le premier à donner le signal de l'indépendance, sacrifiant ainsi ses richesses et son existence à l'amour de la patrie; tant il est vrai que ce mot magique de liberté! produit partout les mêmes résultats: chez les individus comme chez les nations, on le regarde comme le premier des biens. «Pendant huit années consécutives de séjour en Amérique, j'ai suivi les phases diverses de cette révolution, dans laquelle j'ai même joué un rôle, ayant commandé fort jeune des bâtiments des républiques du Guayaquil, du Pérou et du Chili. Devenu depuis armateur et négociant, j'ai été à portée de connaître les chefs des gouvernements et les généraux des années indépendantes, et à entretenir des rapports plus ou moins intimes avec eux. Je fus donc témoin des événements de cette époque, mêlée de grandeur et de crimes, de faits, de choses et d'hommes prodigieux; où cette terre qui, depuis trois siècles, n'avait point retenti du bruit des armes, a produit tout à coup des guerriers aux dévouements sublimes qui couraient combattre et mourir pour la patrie, et des hommes politiques dont les luttes passionnées pour le triomphe de la liberté n'étaient peut-être qu'une illusion, mais du moins une illusion noble et glorieuse, car ils mouraient aussi pour elle. «Si dans ce long drame on a vu parfois d'ignobles _cabecillos_ se jeter sur cette révolution comme sur une proie pour se la disputer et se l'arracher tour à tour, s'ils n'ont aspiré au pouvoir que pour assouvir leur cupidité, il n'est pas moins vrai que les chefs véritables et les masses furent pures, et montrèrent un héroïque dévouement à leur patrie. Bolivar, Sucré, Balcarse et tant d'autres, moururent pauvres après avoir sacrifié leur fortune à la cause de l'indépendance; O'Higgins, Rivaduvia, La Hera, Santa-Cruz, sont connus par leur noble désintéressement et San-Martin, après avoir disposé des mines du Pérou, n'emporta de Lima que l'étendard de Pizarre, qui lui fut décerné par la reconnaissance publique. J'exposerai les principaux traits de la vie de tous ces personnages, ainsi que des généraux Causerat, Valdés, Espartero, Camba, etc., qui défendirent glorieusement la cause malheureuse et désespérée de la mère patrie; je parlerai aussi de ces officiers français qui vinrent prêter à l'Amérique indépendante l'appui de leur courage et de leur expérience; les amiraux de notre marine, tels que Poussin, Rosamel, de Moges, La Susse, Casy, etc.; les officiers supérieur! Bruat, Turpin, Rosamel, Chamluprat et autres, sur lesquels repose en partie maintenant l'espoir de notre influence maritime trouveront aussi une place dans cet ouvrage, et de légitimes hommages au caractère qu'ils déployèrent aux yeux de ces peuples nouveaux qui avaient pris notre révolution pour modèle, et pour lesquels le nom seul de Français était un titre de recommandation. «L'histoire des événements de la guerre de _l'indépendance d'Amérique_ a été rédigée d'après les documents fournis par plusieurs généraux et chefs des deux armées: elle formera une série de chapitres d'un grand intérêt. J'ai été lié avec la plupart des officiers qui, expatriés de la France par les orages politiques vinrent demander à l'Amérique un asile au prix de leur sang; je raconterai les fortunes diverses des Brantzea, Delibe, Vix-Soyer, Raulet, Soulanges, Beauchef, Bouchard, et de tant d'autres. Je donnerai la relation de mon voyage au Choco, contrée presque inconnue, aux côtes ouest de la Colombie. Enfin, je consacrerai quelques pages au commerce, en donnant des notices précises qui pourront aider nos armateurs dans les opération qu'ils dirigeront vers les contrées dont les immenses ressources se développent chaque jour au sein de la paix; je tracerai rapidement aussi une description des rôles et des vents dominant; désirant ne rien oublier de ce qui pourra guider les navigateurs dans leurs explorations. Dans un chapitre spécial de chaque volume, je donnerai une notice sur les ports de l'Amérique Espagnole, sur les vents et courants qui règnent sur ces côtes, et des notes sur les marchandises d'importation et d'exportation des divers États de ce grand continent.» Cette citation, plus longue qu'elles ne le sont d'ordinaire dans l'Illustration, nous a semblé porter son excuse dans la manière simple et pleine de sens avec laquelle y sont exposées les causes de cette _indépendance de l'Amérique espagnole_, qui est un des grands événements de notre siècle, et dont l'histoire nous est contée par un témoin parfaitement _qualifié_ pour cela, comme on dirait de l'autre côté de la Manche. Ces premières pages du livre du capitaine Lafond renferment d'ailleurs un véritable prospectus de tout l'ouvrage, mais prospectus sans forfanterie et sans emphase, ce qui n'est point un vulgaire mérite. Quant à la division des matières entre les volumes, le premier s'occupe plus spécialement du Mexique et de la Californie, y compris la grande question du percement de l'isthme entre les deux Océans; le second nous entretient de la Colombie et du Pérou; un troisième sera consacré au Chili et aux Iles Marquises, nous y reviendrons. Modes de Longchamp De cette semaine seulement datent les nouveautés du printemps: le beau temps avait, il est vrai, favorisé la promenade de Longchamp: quelques toilettes s'y étaient montrées; mais que pouvait-on voir au milieu de ce pêle-mêle d'équipages, de fiacres, de milords perdus dans la poussière? Ce n'est vraiment que lorsque les Champs-Elysées sont restés en possession de leurs promeneurs ordinaires, et que les jolies Parisiennes se sont reconnues dans leur vrai monde, qu'enfin nous avons pu admirer toutes les fraîches créations de la semaine de Longchamp. Voici quelques-unes de ces jolies parures: [Illustration.] Cette dame est coiffée d'un chapeau de gros de Naples blanc, sur lequel sont des raies en agréments de paille, et une plume couchée; sa robe est en soie caméléon garnie d'effilés. Le petit garçon a une veste turque à manches demi-longues et un petit loquet grec. Ce costume est charmant pour un enfant de quatre à huit ans. Il est l'oeuvre de M. Cior fils, qui sait très-bien babiller les enfants selon leur âge. [Illustration.] Cette robe est encore de soie glacée. Les robes changeantes sont si coquettes! Celle-ci vous paraît bleue; elle vous plaît, vous la suivez des yeux. Sa couleur bleue disparaît au soleil: c'est une robe lilas, puis grise, rose, etc. L'autre, la robe ci-dessus, est faite à revers, elle est demi-décolletée, elle laisse voir un fichu à très-petit col et à devant couvert de broderies; son grand volant est bordé et surmonté d'un plissé de ruban en ruche; le chapeau de paille est garni de rubans cerise et blanc. Les chapeaux sont d'Alexandrine, les robes de mademoiselle Duguet. Le costume de la petite fille se compose, comme toujours, d'une robe courte et d'un pantalon: la robe est à corsage ouvert en pointe, le chapeau de paille garni de deux choux de rubans. [Illustration.] On fait de très-jolies capotes de paille à fond d'étoffe: elles sont ornées de rubans nuancés; on y ajoute souvent une grosse fleur comme à celle-ci. [Illustration.] Mais ce qui sied bien, ce qui est élégant, c'est ce chapeau de crêpe, recouvert en dentelles, dans lesquelles viennent se cacher à moitié de charmantes et fines fleurs. [Illustration.] Les promenades à la campagne rendront la vogue à la douairière; pour la ville, on préfère dans ce moment une ombrelle un peu plus grande que les _marquises_, mais dans la même forme. Elles se font en blanc doublé de rose ou en soie glacée, lilas rose; presque toutes sont bordées d'un effilé. Nous le répétons, pour robes, pour chapeaux, pour ombrelles, les nuances claires sont seules adoptées, par harmonie sans doute avec la verdure et le beau soleil du printemps. Les toilettes de ville se distinguent de jour en jour davantage des toilettes pour la campagne: on s'est lassé d'une trop longue et trop uniforme simplicité, Paris, la ville de la riche élégance, ne s'exposera pas plus longtemps à perdre le sceptre de la mode. Ces toilettes mesquines, ces pauvres chapeaux de paille garnis d'un triste velours noir, ces trop modestes robes de guingan et de jaconas sont proscrites aujourd'hui. Alexandrine, Beaudrant, Maurice Beauvais, sont chargés de combiner les effets des fleurs, des dentelles, des plumes et des rubans. Le temps de l'élégance est revenu. La soie nuancée, rayée, brochée, fait presque toutes nos robes; les plus légers barèges varient seuls ce grand luxe d'étoffes riches. Toutes ces toilines écossaises, ces nankins et ces frais coutils, qui font de gracieuses robes, soit lacées du corsage, soit très-montantes ou amazone, sont réservés pour toilette de campagne; c'est à peine si le matin on ose les porter à la ville. A la campagne, c'est tout différent, cette simplicité est charmante.--La dentelle craint les buissons et les ronces.--Pourquoi porterait-on des fleurs à côté de celles des parterres et des jardins? [Illustration.] Rébus EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS, L'homme entouré de peines a la philosophie pour soutien. [Illustration: Nouveau rébus.] End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0059, 13 Avril 1844, by Various *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0059, 13 AVRIL 1844 *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. 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