The Project Gutenberg eBook of Le miroir de mort

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Title: Le miroir de mort

Author: Georges Chastellain

Release date: November 11, 2013 [eBook #44162]

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE MIROIR DE MORT ***

Cy commence ung excellent et tres prouffitable livre pour toute creature humaine apellé le miroer de mort

Je fus indigne serviteur
Au temps de ma premiere jeunesse
De l'outrespasse de valeur
La joye de mon pouvre cueur
Ma parassouvie maistresse
Mais la mort par sa grand rudesse
Envyeuse de nostre bien
Print sen corps et laissa le myen

Comblé de mort et aggravé
Plus qu'on ne pourroit concepvoir
Souffrant tourment comme un dampné
Desirant de non estre né
Je fus ainsy qu'en desespoir
Le plus dolent qu'on pourroit voir
De tous ceulx que nature eust fait
Par la mort qui m'avoit deffait

Elle deffist premier ma dame
Ma chierté et l'onneur mondain
Et enversa et mist soubz lame
Bonté doulceur et bruit en fame
Du premier jusques au derrain
Dieu l'avoit faicte de sa main
Pour toutes vertus y adjoindre
Que faulce mort volut desjoindre

Peu par avant de son trespas
Et en son dernier parler
Les yeulx couchiez en contre bas
Voulut que moult dolent et las
La veisse pour desesperer
Car elle me fist appeler
Et me dist basset a voix casse
Mon amy regardez ma face

Veez que fait doulente mort
Et ne l'oubliez desormais
C'est celle que aymiez si fort
Et ce corps vostre vil et ort
Vous perdrés pour ung jamais
Ce sera puant entremetz
A la terre et a la vermine
Dure mort toute beaulté myne

Quant je vis ce doulent ymaige
Et trop piteuse remambrance
Ce taint et a paly visaige
Je n'euz ne vouloir ne couraige
Qui ne feust en desesperance
Tombey envers par doleance
J'eusse moy voulu estre rien
Pour mourir avec tant de bien

Celle qui congnoissoit mon cueur
Charga que on me portast hors
Tantost apres par grand douleur
Congnoissant son vray createur
Son esperit partit du corps
Et est mis au nombre des mors
La chose la plus assouvie
De tout ce que au jourd'uy a vie

De racompter mon infortune
Il est force que je m'en passe
C'estoit douleur non pas commune
Dieu en gard chescun et chescune
Combien qui soit la droicte passe
Ce n'est pas jeu de passe passe
Car on s'en va sans revenir
Dieu nous y laisse bien venir

Las y fault mourir une foys
Et ne scet on quant ne comment
Et fault porter le faix et poys
De ce dont on a prins le choys
Pour actendre son jugement
Qui sera de joye ou tourment
Dont l'ung et l'autre est perdurable
Joye mondaine est pou durable

Si fault ouyr ce floctant monde
Dont la douleur est advenue
Car le hault bien qui y habonde
Est aussy tost passé que l'onde
Qui est de hault tost abbaissie
Ceste chose m'estoit mussie
Et ne l'eusse sceu parcevoir
Mais ma dame m'en fut miroir

Pourquoy pour mirer les mondains
Congnoissant ma fragilité
Comme celluy qui scet le moins
Ay fait et escript de mes mains
Ainsy comme je l'ay trouvé
Ce traictié que j'ay compilé
Et nommé le miroer de mort
Chescun en doit avoir remort

Pour au miroer de mort mirer
Penser y fault en remirant
Et sy nous fault tous amirer
De ceulx que nous voyons mirer
Pour la mort qui nous va minant
Rien n'y vault don non mie nant
Il ne luy chault pour abreger
Non plus d'ung roy que d'ung bergier

Comme ou mirouer si est la glace
La ou on voit sa remembrance
On y choisist et corps et face
Mais de legier elle s'efface
Car elle n'a point de souffrance
Elle ne peut avoir grevance
Que de legier ne soit cassee
Nostre vie est plus toust passee

Mirons nous dont et remirons
Voyons ou est le premier né
Celluy de qui nous tous venons
Ou sont les vaillans champions
Ceulx quilz de puis luy ont esté
Ou est le troyen aduré
Qui faisoit les aultres mourir
Il ne fut né que pour pourrir

Ou sont les princes de la terre
Ou est alixandre d'alier
Celluy qui tant voulut conquerre
Ou est le bon roy d'angleterre
Artus et son couraige fier
Et lancelot bon chevalier
Qui fut garde de son honneur
Ilz sont mors com ung laboureur

Charlemaigne roy des françoys
Qui les espaigne reconquist
Rolant et ogier le danoys
Qu'ilz soustindrent le fais et poys
Avant ce qu'a la fin les mist
Ilz ont logis aussy petit
Et aussy bien par dedans terre
Que celluy qui va son pain querre

Et le grand renommé pompee
Qui aux romains fit tant de bien
Qui par fureur de son espee
En subjuga toute contree
Que vingt et deux roys furent sien
Apres son bien fait terrien
Il fut tué piteusement
Ainsy comme en ung moment

Celluy qui les arpes passa
Hanibal le duc de cartaige
Doloureusement devia
Par le venin qu'on luy donna
A boire dont ce fut dommaige
Sanson qui de force fist rage
Il est com ung foible passé
Car de pieça est trespassé

Ou sont les princes de jadis
Qui furent tant vaillans d'espee
La royne semiramis
La renommee thamaris
Certes toute la plus doubtee
Et la belle panthasilee
A eu dolente deppartie
Et dure mort a sa partie

Et la mere du treshault roy
Olimpias noble royne
Elle mourut par desarroy
La plus dolente que je voy
Fors l'empereris agappine
Que son filz pour veoir le signe
Et le lieu ou il fut porté
La fist ouvrir qui fut pité

La bonne royne heccuba
Femme du noble roy priam
Laquelle vit et regarda
Que mort tout le lien luy osta
Qu'elle n'eust riens de demourant
Elle choisit troye brullant
Avant le temps de son termine
Et puis elle devint vermine

Ou est de helene la beaulté
Sur toutes aultres non pareille
Ou est l'onneur et la chierté
De lucresse et sa chasteté
Dequoy ung chescun s'esmerveille
Eureux est celluy qui y veille
Et qui congnoist qui fault fuyr
Helas nous ne povons fuyr

Nous ne povons fuyr helas
Ne recouvrer le temps passé
Celluy est bien chetif et las
Qui ne craint le doloureux las
De l'esperit qui fut dampné
Et par orgueil fut enversé
Et tous les siens du ciel lassus
Nous devons bien penser lassus

Quant ceulx si noblement creez
Et en leur beaulté tant louable
Furent pour jamais condampnez
Et soubdainement transmuez
Quant d'anges ilz devindrent diables
Et par leur orgueil espoventables
En supplice eternellement
Et douleur sans amandement

Gardons nous doncques du peché
Qui est tant a dieu desplaisant
Se nous en sommes entaché
Faisons qu'il soit desambuché
Voyans dont nous venons naissant
Et que nous sommes en mourant
Et apres que nous serons mors
Ce nous sera humble remors

Prenons doncques humilité
Et laissons ce peché d'orgueil
Pensons a nostre humanité
Voyons bien nostre pouvreté
Et nostre cueur en aura dueil
Souspirons tous et pleurons d'ueil
Contemplant nostre pouvre vie
Saige est celluy qui pou s'y fie

Ayons fiance au createur
Qui pour nous la mort endura
En telle amertume et douleur
Que la pensant dedans son cueur
Habondance de sang sua
Le pouvre pecheur que fera
Quant son dieu tant doubta la mort
Il a mestier de son confort

Si fault avoir celle souffrance
Et tresamere passion
Et l'eure de sa doleance
En doloureuse remambrance
Affin qu'elle soit champion
Et piteuse compassion
Contre sathan et son malice
Il ne nous est rien plus propice

Quant nous cuidons estre bien hault
Bien subitement descheons
Il ne nous fault guere d'assault
Ung petit de froit ou de chault
Nous fait avoir les tranchoisons
Ou les musles a noz talons
Ou tout subitement mourir
Sans regarder n'avoir loisir

De ceulx que tu vis en jeunesse
En ton aage premierain
Se tu vis jusques en vieillesse
Tu trouveras que mort ne laisse
Ne vieil ne jeune ne mondain
Ung en santé mourra demain
Tu en vois souvent et assés
Plus de mors que de demourer

Regarde ou sont allés noz peres
Qui ont eu vie comme nous
Noz parens et aussy noz freres
Ils nous ont laissés ces miseres
Esquelles nous sommes trestous
Ce monde qui nous samble doulx
Nous est amer c'est verité
Et decepvant et toust passé

Car c'est ung passaige de mort
Doloureux et tantoust failly
Tu n'as donjons chasteaulx sy fort
Qui te puisse garder au fort
Que tu ne soies assailly
Tu auras bien de loing failly
Quant ton esperit s'en yra
Et ton corps cendre deviendra

C'est grand folye de parer
Ce qui sera viande aux vers
Ce que mestz paine d'amasser
Il te fauldra tantost laisser
Et prandre habillemens divers
Tu ne auras pour tes blefz vers
Que ta dolante sepulture
Et ta puante pourriture

O jouvence de belle dame
Et que dictes vous a ce point
Cuydés vous la mort sy infame
Qu'elle voulsist avoir ce blasme
De vous assaillir en ce point
Certes vous n'y avez ung point
Plus d'avantaige q'ung porchier
Et vous haye qui vouldra chier

Il fault laisser voz haulx actours
Et voz robbes a longue queue
Et vous fault alier les tours
Que vous aprandrés a ces cours
Au temps que vous faictes la reue
Vostre frescheur deviendra bleue
Vostre regard fera horreur
Mesmes a vostre serviteur

A noble arroy de chevalier
Qui est assez de t'assaillir
Tu es oultre mesure fier
Quant tu es dessus ton courcier
Chescun veult devant toy fremir
Toy qui fais les aultres cremir
Tu demourras abhominable
Ce monde n'est point perdurable

Vous vous estes vestus de court
Gentilz hommes du temps present
Pensés que vous le ferés court
Ne vous ne savez tour de court
Qui y sceust mectre empeschement
La beaulté de vostre jouvent
Ne vous aydera pas tousjours
Vous finerés doulent voz jours

Damps abbé ne sera laissé
Avec la dame de ses biens
S'il est estuvé ne baigné
Il sera en terre plongé
Et ne sera son corps que fiens
Nostre vie ne dure riens
Que pour avoir dueil en la fin
Dieu scet qui est bon pellerin

Le bourgoys qui boyt du meilleur
Et fait a tous chiere commune
Mort ne luy fera plus d'onneur
Com a ung pouvre laboureur
Ou ung aultre de la commune
Il ne luy chault ou elle plume
Ou grand ou petit ou moyen
Encontre elle n'y a moyen

Fors qui bien veult mourir bien vive
Selon dieu et sa conscience
Et ses commandemens avive
Congnoisse sa vie saintive
Et preigne tout en pacience
Il fera tant par sa science
Qu'apres sa mort il vivra
Envis meurt qui apris ne l'a

Mais ce n'est pas merveille grand
Se on craint chose sy amere
Celluy qui fist ramuant
Et qui luy fist de grace tant
Le ladre a la marie frere
Oncques de puis n'eut que misere
Et toute douleur a penser
Tremant ce qui devoit passer

L'orreur de la mort fut emprainte
Tellement au devant ses yeulx
Qui luy donna pensee mainte
Tant que tousjours il fut en crainte
Combien qu'il esperoit son mieulx
Et qu'il eust son entente aux cieulx
Que fera doncques le pecheur
Quant le juste en avoit si peur

Sy ne pren moyen et reffuge
A la tresoriere de grace
Quelle moyenne vers le juge
Qu'en ce tresangoissé deluge
Lors que la voix en sera casse
Et la vie dolante et lasse
Il peut estre lors secouru
Et sathan macté et vaincu

Lequel en horrible figure
Le demonstra en son regard
Qui est tresamere painture
Et douleur angoysseuse et dure
A l'ame qui craint le despart
Le corps travaille a l'autre part
Tramble tressault et sans vigueur
Par habondance de douleur

Qui est oultre povoir nature
Car elle habandonne lors
Il n'a ne membre ne faicture
Qu'il ne sente sa pourriture
Avant que l'esperit soit hors
Le cueur qui veult grever au corps
Haulce et soulieve sa poyctrine
Qui se veult joindre a son eschine

La face estaint et appallie
Et les yeulx lievent en la teste
La parolle luy est faillie
Car la langue au palays se lye
Le poux se tressault et halecte
La vie fuyt la mort est preste
Il a douleur a desmesure
En actendant sa sepulture

Les os desjoignent a tous lez
Il n'a nerf qu'a rompre ne tende
Est assailly de tous coustés
Et congnoist tous les fais passés
Dequoy il fault que compte rende
Et n'a le loisir qu'il s'amende
Car l'eure est briefve et douloureuse
Dont sa pouvre ame est cremeteuse

Lors le veult mectre en desespoir
L'adversaire de nostre foy
Qui se monstre hydeux et noir
Et mest s'entente de l'avoir
Disant pecheur tu es a moy
Te souviengne de ton desroy
Et du corps que tu as perdu
Car tu es a ta fin venu

Tu n'as ne dame ne mignon
A qui guere de toi chauldra
Joyau tant soit riche ne bon
Chasteau palais or ne donjon
Ce qu'a toy fut autruy aura
Et ton ame a moy sera
Perdurable tison d'enfer
En la presence lucifer

Il te fault laisser tes oiseaulx
Tes chiens tes brachetz tes levriers
La pompe de tes beaulx chevaulx
Quilz soubz toy faisoyent les faulz
La rote de tes escuyers
Le moindre de tes officiers
A qui tu laisses de tes biens
Ne te tenra ja que pour fiens

Bien est changee ta fierté
Et aussy ta gloyre mondaine
Le temps que tu as ja passé
Tu l'as perdu et degasté
Dont pour jamais seras en payne
Et chescun jour de la sepmaine
Rage de tourment et sans fin
Tu fus soubtil mais moy plus fin

Ne t'atens pas aux evangilles
Ne messe qu'on te saiche dire
Tu n'as parens ne filz ne filles
Ne tous ceulx qui ont de tes bibles
Qu'ilz se puissent tenir de rire
Ilz ne leur chault de ton martire
Ne se tu es dampnés pour eulx
Tu en es seul le maleureux

Car tu t'en revais aussy nu
Comme en ce monde tu vins
Il t'est par trop mesadvenu
Quant tu as si tresmal vescu
Que tu n'es plains de tes voisins
Et si n'auras que pour tes vins
Que ton tombeau et ton suaire
Et vermine pour toy deffaire

Pourquoy fus tu dont nez de mere
Pour si douloreusement mourir
En doleance si amere
Et insupportable misere
Qu'a tous jamais te fault souffrir
Tu dois bien trambler et fremir
Et ton ame doit bien mauldire
L'occasion de ton martire

Tu fus douloureuse portee
A la mere qui te porta
Et ta folie desordonnee
Et ton ame desesperee
Mise en command qui ne fauldra
En laquelle vivant mourra
Et par tes puans faulx delis
Tousjours aura de pis en pis

Plus que nul n'en sceroit penser
Ne que langue ne pourroit dire
On yroit dieu desavouer
Pere et mere maulgreyer
Et souvent sa vie mauldire
Et n'est phisicien ne myre
Pour alleger telle souffrance
Qui luy sceust donner secourance

Et puis luy dist je suis des princes
De l'infernalle mansion
Il te fault laisser tes provinces
Je t'en menray pouvres et minces
Au lieu de tribulacion
Ce pecheur qui sent l'esguillon
De la mort qui le serre et point
Il ne scet riens penser a point

Car il est en desesperance
Et en faulte de vraye foy
Alors le bon ange s'avance
Et sy le mect en souvenance
Disant crestien recongnoy
Ton saulveur qui morut pour toy
Qui est prest de toy pardonner
Se tu luy daigne demander

Son povoir est incomparable
Sa misericorde infinie
Fais luy honneur et honte au diable
Rens toy de ton peché coulpable
Et humblement mercy luy prie
Tu auras perdurable vie
Qui es sa pouvre creature
Pour la mort qui luy fut tant dure

Il t'a cherement rachapté
Pource il te veulx laisser
Tu luy as grandement cousté
Pour toy fut ouvert son cousté
Et si se fit crucifier
Et de clouz piez et mains percier
Estandu douloreusement
Et baptu trespiteusement

Sa tendre peau fut dessiree
Et son precieux sang espandu
Par le grand coup de l'escorgee
On veoit sa char destranchee
Sur le pavé dru et menu
Les os se monstroyent au nu
Et en divers lieux descouvers
Sy faisoyent vaines et nerfs

Le chief fut couronné d'espine
Poignant jusques a son cervel
Sa face glorieuse et digne
En qui est la beaulté divine
Fut ressamblant a ung mesel
Celluy par avant si tresbel
Fut en cest estat rancontré
De la vierge qui l'a porté

Que povoit lors dire sa mere
De sy grand amertume plaine
Celle si dit vray dieu mon pere
Fais que je souffre ce mistere
Affin que j'alege sa paine
Ha gabriel tu me dis plaine
De grace en me nommant marie
Las je me trouve bien marie

O ma tresamee portee
O createur de ton ancelle
O fruyt de celle desolee
Qui te transporta de judee
Lors qu'elle estoit jeune pucelle
Fais moy que plus je ne chancelle
Et que je puisse soustenir
Celle croix qui te fait faillir

O mon enfant escoute moy
Je dois a ta douleur partir
Mon dieu mon seigneur et mon roy
Fais tant par la mere de toy
Qu'avant ta mort puisse mourir
Car je ne te puis secourir
Et sy te voy tant desolé
Helas a quoy t'ay je porté

Qui suis ta mere tres indigne
Non souffisant de tel honneur
O helisabeth ma cousine
Tu me monstras l'onneur et signe
Qu'em moy estoit mon createur
Et je le voy en tel horreur
Qui le tresvent mieulx que une beste
Et luy font chose deshonneste

O croix engin de grand torment
Tu es chose bien inhumaine
Quant ton createur innoscent
Plus pur que n'est le firmament
Tu me laisses et tu l'en maine
O generacion humaine
Comme ton rachast couste chier
Lequel je ne veulx empeschier

Et quant elle le vit en croix
Ou il randit son esperit
Les ellemens a une voix
Firent si douloureux exploix
C'est le createur qui les fit
Pensez que la vierge souffrit
De sa passion grand partie
Quant vit son filz crucifié

Et angoysseusement percee
Avec le cousté de son filz
Celle vierge sanctifiee
Celle mere tant esplouree
Souffrit trop plus que je ne dis
Par le peché premier commis
Du pere de l'umain lignaige
Qui ne le scet il n'est pas saige

Metz au secret de ta memoyre
Et au clou de ton souvenir
Ceste pitable histoire
Et celle angoysse si notoire
Ou fut ton dieu jusques a mourir
Et le tresdouloreux souffrir
De sa tendre et piteuse mere
Ta paine n'est pas si amere

Laquelle tu as desservie
Et il en estoit innocens
Ce fut pour te saulver la vie
Toy qui n'as heure ne demye
Que tu ne peches en tes sens
Se tu n'as ses commandemens
De pres gardé a ton povoir
Crye mercy par ton devoir

Et en grande contriction
Recongnoys que tu es pecheur
Requiers luy que sa passion
Te soit escu et champion
Si vray qu'il est ton rachapteur
Ne te boute en folle erreur
Croy qu'il est pillier et masse
Dont sourt habondance de grace

Le monde ne scauroit comprandre
Que c'est de sa misericorde
Puis que ce vient a compte randre
Il te fault a mourir aprandre
Advise bien et sy recorde
Qu'il n'est pecheur qui ne s'accorde
Vers luy si luy requiert pardon
Exemple par le bon larron

Par la tressainte magdelaine
Par aultres tant que sans nombrer
Tu ne dois avoir poux n'alaine
Vertu de nerf povoir de vaine
Qu'il ne faille tout eslever
Envers le ciel et le aurer
Affin que jhesus te regarde
Et te baille sa saulve garde

Il te donra son paradis
Et sera le dyable vaincu
Tu feras paour aux ennemys
Qu'ilz se trouveront esbais
Car tu auras sur eulx vertu
Puis que tu seras dont esleu
Tu auras choys de son souhait
Et de ton desir le parfait

En la veue de ton saulveur
En quoy se delectent les sains
La presence du createur
Leur donne souffisance au cueur
Dont ilz en loent a jointes mains
Et si sont de joye si plains
Que les anges en leur salus
Chantent Te deum laudamus

Ilz ont gloire sans terminer
Et lyesse parassouvie
Ilz ne font si non dieu louer
Car ce qu'ilz vueullent demander
Ung chescun jour leur multiplie
Et voyent la vierge marie
Empres de son filz coronnee
Apres luy la plus honnoree

Souvent dient en leurs accors
Ave celorum regina
Benoit soit le ventre et le corps
Se dient tous en leurs recors
Ou la deité s'aumbra
O ave gracia plena
Royne de beatitude
Fort refroit ton beatitude

Il n'est ciel ne terre ne mer
Ne clercs tant lectrez en estudes
Quilz sceussent demy comparer
Ne qui souffisent pour nombrer
Le moins de ses beatitudes
Car elles sont en multitudes
Obscures a humanité
Comme chose de deité

Lesquelles te sont invisibles
Par la fragilité du corps
Il n'est pas histoires ne bibles
Qu'elle te soyent compatibles
Jusques l'esperit soit dehors
Prie dieu qu'a l'eure de lors
Il te donne sa gratitude
Et de sa gloire plenitude

L'eure est briefve de ton trespas
Il t'en fault faire ton prouffit
Le pecheur qui se voit au bas
Comblé de si douloureux las
Ouyt ce que l'ange luy dit
Ne peut sonner mot tant petit
Lors le dyable dit qui est sien
L'ange si dit qui n'y a rien

O miserable creature
Quant vient a ceste extremité
Et en ceste amere pointure
Ou est la force tant soit dure
Ne sens qui ne soit oublié
Nostre oeil devroit estre moillé
Et devrions trambler de frisons
Touteffois que nous y pensons

A grand paine se sauvera
Le plus juste qui soit parfait
Dont le pecheur et que fera
Las quant ce trouble jour viendra
Qu'on jugera tout au parfait
Mieulx luy vaulsist non estre fait
Qu'estre en telle dampnacion
Ou est justice sans pardon

A toy dont creature humaine
A toy est l'eure de trembler
A toy qui quiers joye mondaine
A toy qui le lairas en paine
A toy qui ne fais que passer
A toy qui en dois souspirer
A toy je dis que tu n'es riens
Toy et ta vie fors que fiens

Bien sera ta chancon muee
Bien tost ton corps deviendra cendre
Bien toust sera ta vie passee
Bien tost ton ame separee
Bien tost te fauldra compte randre
Bien tost mourras comme le moindre
Bien tost seras en pourriture
Bien tost t'abandonra nature

Combien que tu soies gentil
Combien que tu soyes humain
Combien que tu ne crains peril
Combien que tu ne doutes exil
Combien que tu soyes mondain
Combien qu'on ne crainde ta main
Combien d'onneur que l'en te face
Comment le vent tantost se passe

Doubte et cremeur tu dois avoir
Doubte de jhesus courroucier
Doubte de tant de bien vouloir
Dont tu ne puisses decepvoir
Doubte qu'i te fault trespasser
Doubte qu'i te fault tout laisser
Doubte le jour du jugement
Doubte que tu ne sces comment

En dieu soit ta ferme esperance
En ce faulx monde pou d'arrest
En vanité et en bobance
En pompe ne oultrecuidance
En orgueil qui a dieu desplait
En luxure qui tout deffait
En envie paresse et yre
En avarice n'en glotonnie

Fors seulle sactifacion
Force d'obeyr en constance
Force contre temptacion
Force de requerre pardon
Force et vertueuse actrempance
Force contre son ygnorance
Force quant on se trouve bas
Force de congnoistre son cas

Grande pitié t'en adviendra
Grand paine pourra mieulx souffrir
Grand pouvreté congnoistra
Grande soufferte portera
Grande douleur jusques au mourir
Grande pacience et desir
Grande crainte et cremeur de dieu
Grand doubte ou sera son lieu

Vivons en dieu et en biens faitz
Vivons errans le droit chemin
Vivons en doubtans nostre fais
Vivons pour regner a jamais
Vivons ainsy que un pellerin
Vivons pour partir au matin
Vivons pour tantoust deslogier
Vivons ou nous devons logier

Mirons nous au grand jugement
Mirons nous en la passion
Mirons enfer en dampnement
Mirons la mort et son tourment
Mirons nostre inclinacion
Mirons le monde et sa façon
Mirons nostre fragilité
Mirons nous pour estre saulvés

Prions dieu qu'i nous pardonne
Prions qu'i nous donne sa grace
Prions qu'i ne nous habandonne
Prions que sa gloire nous donne
Prions que nous voyons sa face
Prions que noz pechés efface
Prions qu'i nous vueille garder
Et noz deffaultes pardonner

Amen

Cy finist le mirouer de mort
A glace obscure & tenebreuse
La ou on voit chose doubteuse
Et matiere de desconfort

Note sur la transcription

La transcription reproduit l'ouvrage coté Res-Ye-171 à la Bibliothèque nationale de France, présumé imprimé à Lyon par Martin Husz, 1481-1482. L'orthographe est conforme à l'original. On a néanmoins, selon l'usage, résolu les signes d'abréviation conventionnels (de type cõme > comme), distingué i/j et u/v, et introduit accents, apostrophes et cédilles.

On a restitué l'ordre des strophes, en déplaçant deux passages présents dans le désordre dans l'original (indépendamment des sauts de page du texte imprimé, ce qui ne peut résulter d'une erreur lors de la reliure ou la numérisation, et laisse supposer une interversion de feuillets de la copie ayant servi à la composition):

On a également effectué les corrections suivantes: