The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843

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Title: L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843

Author: Various

Release date: June 16, 2012 [eBook #40011]

Language: French

Credits: Produced by Rénald Lévesque

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L'Illustration, No. 0044, 30 Décembre 1843

                N° 44. Vol. II.--SAMEDI 30 DECEMBRE 1843.
                Bureaux, rue de Seine, 33.

        Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un an, 30 fr.
        Prix de chaque Nº. 75 c.--La collection mensuelle br., 2 fr. 75.

        Ab. pour les Dép.--3 mois, 9 fr.--6 mois, 17 fr.--Un an, 32 fr.
        pour l'étranger     --    10        --    20       --    40

SOMMAIRE.

Ouverture de la Session de 1843. Cortège royal; Arrivée du Roi dans la cour du Palais-Bourbon; Discours d'ouverture,--Oraison funèbre de 1843, Neuf Gravures, par Bertal.--Le Jour de l'An en Europe. Un Lever de la reine d'Angleterre; la Bénédiction de la Newa; la Polonaise à la cour de Russie; Baisers du Jour de l'An, par Grandville.--Le Jour de l'An en Chine. Une Carte chinoise.--L'Origine des Étrennes.--Les Petits Bonheurs du Jour de l'An. Le Palais de la Nouvelle Année, par Grandville.--Les Petites Misères du Jour de l'An. Vingt Gravures, par Cham.--Éphémérides du Jour de l'An.--Modes de 1844, par Grandville.--Rébus.


Ouverture de la Session de 1843.

CÉRÉMONIES DES ASSEMBLÉES NATIONALES EN FRANCE.

La session de 1843 vient de s'ouvrir. Le roi, entouré des princes ses fils, s'est rendu des Tuileries au Palais Bourbon, et a été reçu dans cette enceinte avec le cérémonial habituel, que les artistes qui nous secondent se sont chargés de rendre à nos abonnés. Pour l'Illustration, dans cette semaine où l'attention et la pensée de chacun ont été absorbées par l'ouverture des Chambres et par l'approche du premier jour du nouvel an, elle commettrait une sorte d'anachronisme en entretenant ses lecteurs d'autre chose que de ces deux solennités.

Maintenant tous les discours de la couronne diffèrent peu entre eux. Nous aurons, à l'occasion de la discussion de l'adresse, à parler de celui qui a été prononcé mercredi dernier. Mais si les harangues sont depuis longtemps à peu près les mêmes, le programme de ces cérémonies a subi de telles révolutions depuis qu'il y a des assemblées en France, que nous avons cru qu'il ne serait pas sans intérêt de tracer un tableau rapide des séances d'ouverture de ces assemblées successives. C'est le côté pittoresque de notre vieille histoire parlementaire.

Sous les deux premières races de nos rois, il y eut des assemblées assez fréquentes. On y appela d'abord des seigneurs francs et des évêques gaulois. L'histoire ne nous montre pas que ces réunions, ces placita, ces conciles eussent une influence légale sur les rois; elle ne nous fait pas savoir davantage les usages qui y étaient suivis. Une des plus célèbres de ces assemblées est celle que provoqua Pepin le bref pour partager son royaume entre ses fils. Eginard, dans ses Annales, dit que les Français ayant formé une assemblée générale composée des optimates (c'est-à-dire des ducs et des comtes français), des évêques et des prêtres, Charles et Carloman furent créés rois par le consentement de tous; mais ce qu'il ne nous dit pas, c'est le cérémonial de cette solennité. Sous Charlemagne particulièrement, et sous ses descendants, les assemblées se multiplièrent. Ce prince avait du goût pour ces solennités: il aimait à représenter; il savait se montrer au milieu des peuples comme au milieu des soldats; il connaissait son ascendant, et se sentait né pour dominer partout. Il ne négligea donc aucune occasion de réunir la foule autour de lui. Il ordonna que les assemblées se tinssent régulièrement deux fois par an: une fois au printemps, une autre fois en automne, et il exigea que chacun s'y rendit exactement. Montesquieu est porté à penser que sous Charlemagne elles n'étaient encore composées que des optimates, et des évêques. L'abbé de Mably, d'après un capitulaire qui ordonne aux comtes d'amener chacun douze scabins, croit que le tiers-état y assistait aussi, et il ne doute pas que ces scabins ne fussent des députés choisis par les hommes libres de toutes les provinces. Cette conjecture manque de vraisemblance; elle est peu conforme, aux mœurs, aux événements, aux préjugés du huitième siècle; mais les détails manquent pour servir à prononcer positivement entre l'assertion de Mably et celle de Montesquieu, et pour donner une idée de la véritable physionomie de ces assemblées.


Ouverture des Chambres.--Cortège du roi.

C'est sous Louis le Gros que les assemblées, composées des évêques, des abbés et des hauts barons, commencèrent à prendre le nom de Parlement, parliementum, lieu où l'on parle. Saint Louis commença à donner quelque considération aux bourgeois nouvellement affranchis, et quelques députés des villes parurent dans un Parlement que ce prince assembla en 1241. Philippe le Bel, dont l'esprit était novateur, fit de plus grands changements: il forma les États-Généraux. Une lutte curieuse en amena la convocation. Le pape Boniface VIII, jaloux d'être reconnu maître du temporel, comme il l'était du spirituel, avait envoyé à Paris Jacques des Normands, archidiacre de Narbonne, sommer le roi de reconnaître qu'il tenait du pape la souveraineté de la France. Il avait même écrit à de roi ces paroles mémorables: «Sachez que vous nous êtes soumis dans le temporel comme dans le spirituel, et que nous tenons pour hérétiques tous ceux qui pensent différemment.» Le roi lui avait répondu: «Que votre très-grande fatuité sache que, pour le temporel, nous ne sommes soumis à personne, et que nous tenons pour des faquins et pour des fous ceux qui pensent autrement.» Et il avait fait conduire hors du royaume l'archidiacre Jacques des Normands. Le pape convoqua un concile à Rome; le roi convoqua à Paris son clergé, sa noblesse et les députés des villes de son royaume. Il prit le parti ferme et résolu de faire condamner le pape par la nation même.

Ces trois ordres s'assemblèrent dans la cathédrale de Paris. Le roi y présida, siégeant sur son trône. Son frère, le comte d'Evreux, était auprès de lui; son cousin, le comte d'Artois; les ducs de Bourgogne, de Bretagne, de Lorraine; les comtes de Hainaut, de Hollande, de Luxembourg, de Saint-Pol, de Dreux, de la Manche, de Bologne, de Nevers, y assistèrent avec quelques évêques dont ou ignore les noms. Les députés des villes y occupaient un des côtés de l'église.

Le discours d'ouverture fut prononcé, pour le roi, par le garde des sceaux ou chancelier Pierre Flotte. Il se plaignit, dans un discours véhément, des vexations du pape, qui prétendait que «le roi devait tenir sa couronne à foi et hommage de la majesté papale.» Ce discours fit jeter par l'assemblée des cris d'indignation contre Boni face VIII. On protesta tumultueusement qu'on ne reconnaissait que le roi pour seigneur du temporel.--Le comte d'Artois porta la parole pour la noblesse, et assura le roi que tous les gentilshommes sacrifieraient leur vie et leur fortune pour la liberté du royaume; qu'aucun d'eux ne reconnaissait que le roi pour seigneur du temporel.--Le clergé n'était pas de cet avis. Il essaya d'excuser le pape. Il demanda la permission d'aller au concile convoqué à Rome. Le roi et les barons lui refusèrent cette permission, et le pressèrent de s'expliquer, il répondit enfin que plusieurs évêques et abbés, possédant des duchés, des comtés et des baronnies, ne pouvaient se dispenser de servir le roi, et qu'ils le serviraient tous, même ceux qu'aucun titre semblable n'y obligeait.--Les députés des villes, gardant moins de ménagements, prièrent Philippe, par une requête que nous avons encore en langage du temps, de garder la souveraine franchise de son royaume, dans lequel il ne devait reconnaître, pour le temporel, aucun autre souverain que Dieu. «C'est grande abomination, disaient-ils, d'ouïr que ce Boniface entende nullement cette parole d'espiritualité; Ce que tu lieras en terre sera lié au ciel; comme si cela signifiait que Dieu emprisonne dans le ciel ceux que le pape met en prison sur la terre.»

C'était la première fois que les députés du peuple se trouvaient admis dans une telle assemblée, avec ceux de la noblesse et du clergé. On suivit l'ancienne forme. Les assemblées jusqu'alors avaient été composées de deux ordres; on ne fit qu'en ajouter un troisième. Chaque ordre parla par l'organe d'un seul de ses membres. Chaque ordre eut sa volonté particulière. Le moins nombreux eut autant de poids que l'ordre qui l'était davantage. On ne prit aucune précaution pour connaître la volonté générale. Dans cette circonstance il était impossible qu'elle ne s'accordât pas avec celle du roi, et que tous les Français, hors les ecclésiastiques, ne fussent pas d'accord pour soutenir l'indépendance du royaume. Ainsi, en cette occasion, la forme importait peu; mais une fois adoptée, ou la suivit toujours.

L'année suivante, le 15 juin 1303, la querelle avec Rome n'ayant fait que s'envenimer, et Boniface ayant excommunié Philippe le Bel, et par la même bulle déclare qu'il donnait le royaume de France à Albert d'Autriche, qui ne jugea pas prudent de venir prendre possession de ce présent, Philippe réunit de nouveau les États-Généraux. L'assemblée, cette fois, se tint au Louvre. Les trois ordres s'y rendirent; mais le ton de la discussion et la nature des allégations contre la moralité du pape devinrent tels que le clergé se retira, déclarant ne pouvoir prendre part à une assemblée où l'on délibérait contre le souverain pontife. Nous devons dire que la grave question agitée fut traitée en invectives et en facéties ordurières, et que la liberté naturelle, le droit politique et le droit des nations, furent les seules considérations que l'on ne fit pas valoir pour la résoudre.

Après avoir eu affaire au pape, dont il secoua le joug temporel, après avoir eu affaire aux juifs, qu'il chassa du royaume et dont il pilla les biens, Philippe le Bel voulut se défaire des templiers, et convoqua à Tours, en 1309, des États-Généraux sur lesquels les détails manquent complètement, mais où fut résolue l'extinction de cet ordre, consommée peu après par d'affreux supplices.

Le même monarque ayant compromis le crédit public et les finances de l'État par l'altération des monnaies, fut amené de nouveau à assembler les États-Généraux pour réparer le désordre causé et obtenir, du consentement du peuple, un argent dont il avait besoin et qui lui coûtait trop à arracher par la force des armes. Ce fut à Paris, dans la grand'salle du Palais, qu'ils se tinrent en octobre 1314. Le roi y présida, monté sur une espèce de théâtre avec les députés des nobles et du clergé; ceux des villes étaient au pied de ce théâtre. Le célèbre et malheureux Enguerrand de Mariguy leur représenta les besoins de l'État; on lit plusieurs règlements pour avoir de bonne monnaie, on accorda des impôts; mais le roi mourut le mois suivant, et rien de ce qui avait été arrêté ne fut exécuté; car, sous aucune des trois races, nulle assemblée ne prit la moindre précaution pour faire observer ce qu'elle avait résolu.

Philippe V, dit le Long, convoqua des États-Généraux à Paris, en 1317, par lesquels il fit prononcer l'exclusion des femmes du trône de France.

Philippe VI, dit de Valois, les réunit à son tour en 1328, à Paris, pour faire déclarer que les enfants des filles des rois de France n'étaient pas aptes à porter la couronne.

Les États-Généraux tenus à Paris par le roi Jean, le 16 février 1350, n'amenèrent qu'une confusion et des divisions qui déterminèrent les provinces à tenir uniquement dans les quatre années suivantes des assemblées d'États particuliers.

Le 2 décembre 1355, le même prince fit l'ouverture, dans la grand'salle du Palais, des États-Généraux de la Langue d'Oil. Pierre La Foret, archevêque de Rouen et chancelier de France, demanda, au nom du roi, des secours qui pussent le mettre en état de se défendre contre Edouard III d'Angleterre. Jean de Craon, archevêque de Reims, porta la parole pour le clergé; Gauthier de Brienne pour la noblesse, et Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris pour le tiers-état. Ils demandèrent la permission de délibérer entre eux pour trouver les moyens les plus prompts d'obtenir l'argent dont ils avaient besoin. Le lendemain ils commencèrent leurs délibérations, et ils firent ce règlement qu'on peut regarder comme le premier par lequel ou ait jamais tenté de donner une constitution aux Etats. Ils décidèrent que rien de ce qu'on proposerait n'aurait de validité que quand les trois ordres l'accepteraient, et que la voix de deux ordres n'entraînerait et n'obligerait pas celle du troisième. Ils votèrent des impôts, notamment sur le sel, et ne les accordèrent que pour un an.

Mais ces impôts furent refusés par plusieurs provinces; et quand, au 1er mars 1356, de nouveaux Etats se réunirent, comme on en était convenu, à Paris, plusieurs députations manquèrent, et celles qui étaient venues eurent la conscience que leurs votes ne trancheraient point les difficultés, et ne seraient pas regardés comme lois par les provinces et les villes non représentées.

Jean ayant été fait prisonnier et emmené à Londres, après la bataille de Poitiers, son fils (depuis Charles V), comme lieutenant-général du royaume, se rendit à Paris, et y réunit les États-Généraux de la Langue-d'Oil, le 15 octobre 1356, dans la grand'salle du Palais.

Disons, pour abréger, que, pendant la captivité du roi Jean, les États furent encore convoqués à Toulouse en 1356; à Paris, le 5 février de la même année (l'année ne commençait qu'à Pâques), en décembre et en février 1357; à Compiègne, en mai 1358; à Paris, en juin 1359; enfin, à Amiens, par le roi Jean lui-même après son retour d'Angleterre, en 1363. Le cérémonial de ces assemblées n'est pas bien connu. Nous devons dire, toutefois, qu'elles étaient toutes précédées par une messe adressée au Saint-Esprit.

Charles V, qui mérita le surnom de Sage, parvenu au trône, ne se hâta point d'assembler des États-Généraux. Ce ne fut qu'après plusieurs années d'un règne heureux et lorsqu'une bonne administration avait déjà réparé en partie les pertes de l'État, qu'il en convoqua de nouveaux à Paris en 1369. Ce fut un triomphe pour lui: ses succès avaient disposé tous les cœurs à le servir et à suivre ses volontés. Malgré tout, ce roi ne convoqua pas de nouveau les États-Généraux pendant son règne.

Celui de Charles VI vit les Etats réunis à Paris en 1380, en 1382. Deux assemblées, qui eurent lieu à Paris, furent également décorées de ce titre. Elles furent présidées, l'une par Jean sans peur, en 1412; l'autre par Henri V, roi d'Angleterre, qui, ayant épousé la fille du roi de France, se prétendait successeur de ce monarque.

En 1439, Charles VII convoqua les Etats-Généraux à Orléans.

Le 6 avril 1467, avant Pâques, Louis XI tint dans la grande salle de l'hôtel archiépiscopal de la ville de Tours, la séance d'ouverture des États-Généraux réunis par lui. Nous empruntons au greffier de cette assemblée quelques-uns des détails de la cérémonie qui en marqua le premier jour:

«Et premièrement s'ensuit l'ordre et la manière de l'assiette du roi et des gens desdits trois États, qui était telle: c'est à savoir que en ladite salle y avait trois parquets clos de bois, d'environ la hauteur d'un homme chacun, à huisserie; c'est à savoir le premier pour le roi, lequel était au haut bout de ladite salle et comprenait toute la largeur d'icelle, auquel parquet convenait monter trois marches de degré... Audit premier parquet était assis le roi en une haute chaire en laquelle fallait monter trois hauts degrés; laquelle chaire était couverte d'un velaux bleu, semé de fleurs de lys, enlevées d'or; et y avait ciel et dossier de même. Et était le roi vêtu d'une longue robe de damas blanc, brochée de lin or de Chypre bien dru, boutonnée devant de boutons d'or, et fourrée de martres subelines; un petit chapeau noir sur sa tête et une plume d'or de Chypre. Et aux deux côtés du roi y avait deux chaises à dos, loin de la sienne, chacune de sept à huit pieds, l'une à dextre et l'autre à senestre; toutes deux couvertes de riche drap d'or sur velaux cramoisi. Esquelles chaises étaient, c'est à savoir en celle de main dextre, le cardinal de Sainte-Susanne, évêque d'Angers, paré d'une grande écharpe cardinale; et en celle de main senestre, le roi de Jérusalem et de Sicile, duc d'Anjou, vêtu d'une robe de velaux cendré, fourrée de martres. Et était gardé l'huis dudit parquet répondant en la salle par les sires de blot et du Bellay; et l'autre huis répondant en l'hôtel d'un des chanoines de l'église, qui avait été fait pour la venue du roi, était cardé par le capitaine et archers de la garde dudit seigneur et Guerin le Groin...

«Le roi assis en sadite chaise, et lesdits roi de Sicile et cardinal, ensemble mesdits seigneurs du sang, messieurs les pairs ecclésiastiques, prélats, nobles, gens des bonnes villes et autres des susdits, assis en leurs chaises et sièges, chacun par ordre, comme dit est, se leva M. le chancelier (Juvenal des Ursus) de son siége, et alla devers le roi notredit seigneur, et s'agenouilla à son côté dextre. Et quand icelui seigneur lui eut dit aucune parole, s'en revint seoir en son dit lieu et siége. Et lit une très-belle proposition, en remontrant aux gens desdits États illée présents plusieurs choses, et, entre les autres, les grands, nobles et louable faits des rois de France ses prédécesseurs, les dons de grâce, les victoires qu'ils ont eues, les loyautés que les trois États de ce royaume ont eues envers eux et les Services qu'il leur ont faits, au moyen desquels les ennemis et adversaires de cedit royaume ont été par plusieurs fois reboutés et expulsés; la grande volonté que le roi, des son jeune âge, a toujours eue et a encore d'augmenter et de croître le royaume et la couronne; les divisions qui ont été en ce royaume; depuis trois ans en ça; le grand danger qui serait si la duché de Normandie était séparée de la couronne, et plusieurs autres points longs à réciter, tendant et concluant que les gens desdits États lui donnassent sur ce leur bon avis et conseil.»

Voilà un programme complet, dont nous n'avons retranché que la liste des assistants et la désignation de leur place; voilà un compte-rendu de discours d'ouverture, à la suite duquel le greffier met également ce qui, après les délibérations des jours suivants, y fut répondu par les États. Les adresses, on le voit, ne sont pas d'invention moderne. Mais ce qui n'existait pas du temps de Louis XI, c'était le cortége royal, car on voit que ce prudent monarque avait fait percer un mur pour arriver par une porte secrète.--Philippe de Comines dit que le roi convoqua ces États, «ce que jamais n'avait fait ni ne fit depuis.» Il ajoute qu'il n'y appela que gens nommés et qu'il «pensait bien qui ne contrediraient point à son vouloir; il y avait plusieurs gens de justice, tant du Parlement que d'ailleurs.» Une telle assemblée n'était qu'une convocation de notables; cependant Comines, l'homme le plus éclairé de son temps, l'appelle assemblée des trois-États, parce qu'il y avait des ecclésiastiques, des nobles et des roturiers; c'est une preuve qu'alors encore personne n'avait aucune idée de ce qui constitue une assemblée nationale; que l'on cherchait plutôt à consulter des gens choisis dans les trois États, qu'à consulter la nation et qu'à connaître la volonté générale. Il s'agissait de fixer la portée du droit d'apanage, et de savoir si la Normandie serait détachée du royaume de France pour en constituer un particulier au frère du roi. Les États furent pris pour juges entre Louis XI et Charles, son frère, et se prononcèrent, bien entendu, pour le premier, qui les avait convoqués et composés. Il s'agissait aussi, dit un auteur contemporain, de soulager le pauvre peuple; mais les Etats de 1467 ne paraissent pas avoir trouvé la recette, du moins ils ne l'ont pas laissée.

Après la mort de Louis XI, sa fille, la dame de Beaujeu, et le duc d'Orléans, se disputant la régence pendant la minorité de Charles VIII, tombèrent d'accord de s'en remettre aux États-Généraux pour trancher leur différend. Jusque-là on n'avait convoqué que les députés des villes murées; la dame de Beaujeu, au nom du jeune roi, appela les députés des bailliages et des sénéchaussées, et admit pour la première fois, dans ces assemblées, les députés des campagnes. Sous ce rapport, ces Etats sont les premiers qui eurent le caractère d'États-Généraux. Cependant, d'un autre côté, ils furent si peu nombreux que l'on doit croire qu'en plus d'un lieu on ne répondit pas à l'appel; car précédemment, lorsque les Anglais possédaient la Guienne et la Normandie, lorsque la Bourgogne et la Provence ne faisaient point partie du royaume, les députés de la seule Langue-d'Oil se rendirent à Paris, au nombre de huit cents, dont quatre cents du tiers-état; et, en cette dernière occasion, les provinces étant réunies, les deux langues étant convoquées, les députés des campagnes étant mandés, les trois ordres réunis n'en fournirent que trois cents. Les États s'ouvrirent à Tours en janvier 1483. Un des députés qui nous a laissé un journal de cette assemblée, Jean Masselin, dit que le 7 de ce mois, sur l'invitation des princes, ils se réunirent tous aux Moutils, qui était la résidence royale, plus connue sous le nom de Plessis-les-Tours. «Rangés par nations et par compagnies, nous vîmes le roi passer devant chacun de nous; et nous lui faisions la révérence, pendant que le sire de Beaujeu, qui l'accompagnait, lui disait: «Voici messieurs de Paris; voici messieurs de Picardie; voici messieurs de Normandie;» et ainsi des autres... Le 14, le roi, voulant assister au premier acte de l'assemblée, vint à la ville, où il fit son entrée avec une pompe grande et solennelle.» La description de la disposition de la salle diffère peu de la précédente. «Le greffier appela les députés par ordre, et en ces termes: «Messieurs, dit-il, les délégués de l'Ile-de-France, de la prévôté et de la ville de Paris, qui est la ville capitale du royaume.--Deuxiémement: Messieurs du duché de Bourgogne, qui est la première pairie de la couronne et le doyenne des pairs.--Troisièmement: Messieurs du duché de Normandie;» et il ajoutait chaque fois un titre à la louange des provinces qui étaient nommées. Lorsque tous furent assis et que le héraut eut crié Silence!le chancelier, tourné vers le roi, obtint la permission de parler, et bientôt commença.»--Deux jours après cette séance, les députés s'assemblèrent; ils se nommèrent un président, Jean de Villiers de Groslaye, évêque de Lombez, premier abbé de Saint-Denis, député de Paris.

«L'événement nous prouva que nous nous étions trompés dans ce choix, dit Masselin, et ce fut d'autant plus fâcheux, que cette nomination était la première.» Ils élurent aussi deux secrétaires, Jacques de Croismare et Jean de Rains. Mais, se trouvant trop nombreux pour travailler ensemble, ils se divisèrent en six bureaux ou sections, et n'eurent d'assemblées générales que pour arrêter en commun ce qui avait été ainsi préparé isolement. C'est déjà, on le voit, la façon de procéder de nos assemblées actuelles. Puis, Masselin ajoute que dans les réunions générales «une infinité d'avis étaient exprimés de part et d'autre, et avec tant de variété, qu'il y en eut autant que de députés, soit pour se contredire tour à tour, soit pour montrer de l'esprit. «De nos jours on en montre peu, mais on se contredit encore beaucoup. Enfin, les cahiers arrêtés par les députés ayant été lus dans une assemblée générale, ceux-ci mirent un genou en terre, et attendirent dans cette altitude la réponse du roi. C'étaient les usages de l'ancienne féodalité, que l'on retrouve plus tard encore.

Louis XII, qui fut, comme Titus, un excellent roi après avoir été un assez, mauvais prince, avait, étant duc d'Orléans, demandé les États-Généraux pour déposséder la dame de Beaujeu. Parvenu au trône, il les assembla pour leur demander de l'argent, ce qui montre que ce motif n'est pas moderne; mais il ne les assembla qu'une fois, ce qui prouve une discrétion bien peu commune. Ils se réunirent à Tours, le 10 mai 1506. «Ledit jour advenant, fut icelui seigneur assis en son siége royal, et lui assistaient lesdits princes et seigneurs de son sang et autres prélats et grands personnages. Autour de lui étaient plusieurs, grands barons et nobles hommes; de tous côtés, grande multitude de peuple. Et au-devant de lui furent lesdits ambassadeurs des villes, lesquels, après qu'il fut commandé faire silence, et qu'ils se furent mis nue tête et à genoux, l'un d'entre eux, envoyé de par la cité capitale de Paris (maître Thomas Bricot, docteur), au nom de tous les autres, raconta très-élégamment et commémora plusieurs grands biens et louables choses que ledit seigneur avait faites au profit et à la gloire d'icelui royaume, pour lesquelles il avait acquis le nom de Père du Peuple... Et davantage avait fait les deux choses qui plus sont agréables au peuple, c'est à savoir grandement diminué les tailles et les subsides, et refréné les insolences des gendarmes.»

Charles IX ouvrit, le 13 décembre 1560, à Orléans les États-Généraux qui y avaient été convoqués par François II, peu avant sa mort. La mère du roi, lequel n'avait pas dix ans, prit place dans l'assemblée, quoiqu'elle n'eût pas le titre de régente. Elle se mit à la gauche du roi son fils, sur un siège aussi élevé que le sien. A côté d'elle, un degré plus bas, se plaça Marguerite de Valois, sœur du roi et depuis femme d'Henri IV; à droite et à gauche, mais toujours sur des degrés inférieurs, prirent place Monsieur, frère du roi, depuis Henri III, la duchesse de Ferrare, fille de Louis XII, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, père de Henri IV. Aux pieds du roi, sur les degrés, était assis M. de Guise, ayant en sa main le bâton de grand-maître, A droite en avant, le connétable Anne Montmorency était assis sur une escabelle, l'épée nue au poing, et de l'autre côté, à gauche, le chancelier Michel de l'Hospital. Un peu en arrière étaient à genoux deux huissiers du roi avec leurs masses. «Du côté dextre du roi, derrière les cardinaux, y avait un petit appentis hors la salle, où étaient les dames, ambassadeur et grands seigneurs étrangers. En tel ordre que dessus, M. le chancelier, après avoir été par plusieurs fois parler au roi et la dernière ayant fait signe que chacun fit silence et qu'un huissier du roi eût crié que le roi voulait que chacun se couvrit et s'assit, car ils étaient tous à genoux et nues têtes, commença son exorde par l'union et amitié des princes; parla de cette assemblée des États, pourquoi on les faisait, et s'ils étaient nécessaires; dit les occasions de sédition en un royaume; traita la manière de mettre ordre et règlement à la religion, et conclut des moyens qu'il fallait tenir pour l'entretien de la maison du roi, avec exemples, histoires et autorités tant des saintes que profanes écritures.» Michel de l'Hospital dit en cette occasion des vérités à tout le monde; il dit à la royauté comme Platon: «Il n'y a ni roi ni prince qui ne descende d'un esclave, et beaucoup d'esclaves ont eu des rois pour aïeux.» Il dit à la noblesse, en un langage assez étrange à tenir devant les princesses: «L'État est comme notre corps, où il y a des membres plus honnêtes les uns que les autres, et les moins honnêtes sont les plus nécessaires. Ainsi les hommes qui ne sont point nobles sont plus utiles que les nobles.» Enfin il dit au tiers-état que ces assemblées auxquelles il prenait part n'étaient autre chose qu'une audience que le roi accordait à sa nation.

Les mêmes États furent continués en 1561 à Saint-Germain-en-Laye, en la grande salle sur l'entrée et portail du château. Le Cérémonial françois nous apprend que «le duc de Guise, comme grand-chambellan, n'ayant siège, ains était bas assis sur le marche-pied du roi, avec le bâton de grand-maître entre ses jambes; et qu'aucuns trouvèrent dès Orléans malséant, de voir bâton accoutumé d'être porté haut en signe de commandement sur la maison du roi, être mis entrelacé sous ses cuisses; disant, si le lieu des États n'était le lieu où le bâton pût être signe de commandement, que mieux donc eût été de ne l'y voir du tout. M y eut quelque différend en la séance, parce que les princes du sang ne voulurent permettre que les cardinaux fussent assis au-dessus d'eux, excepté le cardinal de Bourbon, qui se mit au-dessus du prince de Condé, son frère, avec déclaration par lui faite que c'était en qualité de prince aîné et non de cardinal.»

En 1576, Henri III convoqua à Blois des États-Généraux contre la réunion desquels protestèrent Henri de Navarre, depuis Henri IV, et le prince de Condé, parce que les protestants ne devaient point y être admis. La cour était alors un théâtre de débauches et de scandales. Henri III, pour se faire bien venir des députés fit quelques réformes dans sa maison et ses finances; car presque toutes les assemblées des États-Généraux ont été précédées de réformes apparentes ou réelles. Dès que les députés furent arrivés, le roi ordonna des jeûnes et des prières pendant trois jours; il fit une procession solennelle le 20 novembre, où se trouvèrent les trois ordres. Le roi, entouré de ses mignons, fléchissait les genoux aux autels. Le jeudi 6 décembre, ils entendirent la messe et implorèrent les lumières du Saint-Esprit. On fit ensuite l'ouverture des États, et l'on sait quel esprit les inspira. L'assemblée se tint au château de Blois; un héraut appela successivement, par une des fenêtres donnant sur la cour, les députés de chaque province; un autre les reçut à la porte du château, et deux autres les conduisirent dans la salle. A l'arrivée du roi, toute l'assemblée se leva et le reçut tête nue; les députés du tiers-état mirent un genou en terre et y restèrent jusqu'à ce que le roi et les reines ayant pris place, le roi ordonna de s'asseoir. Ce prince prononça le discours d'ouverture.

En 1588, le même monarque convoqua de nouveau, dans la même ville, les États que le double assassinat des Guises devait rendre si fameux à jamais. Malgré la pensée bien arrêtée de ces meurtres. Ces États commencèrent, comme les précédents, par une procession solennelle, suivie de trois jours de jeûne. Le roi communia en grande cérémonie, ainsi que les princes et les seigneurs de sa cour; ces pieuses démonstrations avaient pour but de dissimuler et de sanctifier les projets qui allaient être mis à exécution. Les députés des trois ordres, dupes ou complices de cette comédie, communièrent dans l'église des Jacobins de Blois, des mains du cardinal de Bourbon. Ils étaient au nombre de cinq cent cinq. La première séance se tint le 16 octobre; le roi la présida, entre sa mère et sa femme. Deux cents gentilshommes armés de haches à bec de corbin se rangèrent derrière eux; l'introduction des députés eut lieu dans le cérémonial observé en 1576. «Les députés étant entrés, et la porte fermée, le duc de Guise assis en sa chaire, habillé d'un habit de satin blanc, la cape retroussée à la Bijarre, perçant de ses yeux toute l'épaisseur de l'assemblée pour reconnaître et distinguer ses serviteurs, et, d'un seul élancement de sa vue, les fortifier en l'espérance de l'avancement de ses desseins, de sa fortune et de sa grandeur, et leur dire sans parler: Je vous vois, se leva; et, après avoir fait une grande révérence, suivi des deux cents gentilshommes et capitaines des gardes, alla quérir le roi, lequel entra, plein de majesté, portant son grand ordre au col. Comme l'assemblée s'aperçut qu'il descendait l'escalier qui le conduisait droit sur le grand marche-pied, tous les députés se levèrent la tête nue. Le roi prit place; les princes demeurèrent debout jusqu'à ce qu'il leur commandât, et à ceux, de son conseil, de s'asseoir.» Ou voit que les députés du tiers-état, qui étaient d'abord tenus de mettre les deux genoux en terre, et auxquels ou avait fait ensuite grâce pour un des deux, obtinrent cette fois la faveur tout entière, et purent ouïr debout, avec les deux autres ordres, la harangue royale. Qui ne serait fier, en vérité, de voir les libertés nationales prendre ainsi successivement un aussi notable développement?

A peine la main d'un fanatique eut-elle enlevé Henri IV à la France, que les troubles renaquirent de toutes parts. Les fautes de la cour dissipèrent les trésors qu'il avait amassés; elles jetèrent la confusion partout où sa prudence avait rétabli le bon ordre; et, quand on ne sut plus quel parti prendre, on convoqua encore les États-Généraux. Louis XIII déclaré majeur par la loi, n'était qu'un enfant condamné par la nature à le demeurer toujours. Le prince de Condé, qui avait pris les armes contre la cour, fit un traité avec elle, et il spécifia, par le premier article, qu'on tiendrait les États-Généraux dans la ville de Sens. Ils furent convoqués par des lettres écrites au nom du roi, et de l'avis de la reine régente, adressées «à toutes les provinces, sénéchaussées, bailliages, pays et jugeries du royaume.» Elles ordonnaient aux magistrats de chacun de ces lieux «d'assembler, dans la principale, ville de leur ressort et juridiction, les trois États d'icelui, pour conférer ensemble sur les plaintes et doléances, et remontrances, qu'ils auraient à proposer dans l'assemblée générale, et pour élire ensuite un d'entr'eux, de chacun ordre, qu'ils enverraient dans ladite ville de Sens au 10 du mois de septembre 1614.» Marie de Médicis transféra ces États à Paris. Des hérauts d'armes le publièrent dans tous les carrefours; la cérémonie religieuse fut fixé au dimanche 26 octobre, et l'ouverture au lendemain; le programme publié et affiché porte en titre: «ORDRE: que le roi veut être gardé et observé en la procession générale que Sa Majesté entend faire dimanche prochain XXVI de ce mois d'octobre, en laquelle elle sera en personne, assistée de la reine sa mère; M. le duc d'Anjou, son frère; Madame, sa sœur; des princes de son sang, et autres princes et seigneurs qui l'accompagneront et partiront de l'église des Augustins pour aller à Notre-Dame, où sera porté le saint-sacrement de l'Eucharistie, la messe célébrée par l'évêque de Paris, et le sermon dit par le cardinal de Sourdis» Ce programme fut observé. Le roi dîna à huit heures du matin, et tout le monde fut exact. Chaque député parut en son rang, à la procession, avec un cierge blanc, qui lui avait été remis de la part du roi. Tous les députés du tiers-état portaient une robe et un bonnet carré noirs. Le costume du roi était composé d'un pourpoint de toile d'or façonné, d'un haut-de-chausses et d'un manteau de velours incarnat, le tout parsemé de diamants. Quant à Marie de Médicis, que suivait l'autre veuve de Henri IV, Marguerite de Valois, les chroniqueurs nous font une brillante description de sa toilette, et l'un d'eux ajoute: «Elle marcha démasquée; il ne lui était jamais arrivé de marcher à pied par la ville de Paris.»--De nombreuses discussions de préséance entravèrent continuellement la marche du cortége: l'Université prétendit vainement passer avant le clergé. La cérémonie ne fut terminée qu'à quatre heures.

Le lendemain 27, le roi fit l'ouverture des États dans la salle dite de Bourbon. Les députés n'étaient qu'au nombre de quatre cent cinquante-quatre. Ils furent placés comme aux précédents États. Louis XIII prononça un discours en quelques phrases, et annonça que le chancelier instruirait l'assemblée des motifs qu'il avait eus pour la convoquer. L'exposé du chancelier terminé, l'archevêque de Lyon, comme orateur du clergé, traversa la salle, alla s'appuyer sur un accoudoir préparé exprès, et remercia le roi pour son ordre. Le baron du Pont de Saint-Pierre, orateur de la noblesse, prit ensuite cette même place, et dit au roi, comme un courtisan persan l'avait dit à Cambyse, que «les rois peuvent faire tout ce qu'ils désirent, sans craindre de faire jamais une injustice.» Il ajouta: «Cette noblesse, autrefois si relevée, est maintenant abaissée par quelques-uns de l'ordre inférieur, sous prétexte de quelques charges. Qu'ils apprennent, dit-il en regardant les députés du tiers, que, bien que nous soyons tous sujets d'un même roi, nous ne sommes pas tous également traités. Ils verront tantôt la différence qu'il y a d'eux à nous; ils la verront, et s'en souviendront s'il leur plaît.» Ce ton ne respirait ni le calme, ni l'humilité, ni la modération que le clergé avait sans doute voulu inspirer à chacun des membres de l'assemblée, en leur imposant trois jours de jeûne avant l'ouverture des États.--Robert de Miron, député de Paris et prévôt des marchands, vint lui succéder, et prononça, à genoux, une espèce d'homélie, où il demandait à Dieu d'inspirer à leurs âmes des désirs éloignés de toutes passions. Ces divers discours remplirent toute la séance d'ouverture. Le 1er novembre, les députés communièrent tous; le 4, ils prêtèrent serment sur les saints Evangiles; mais, malheureusement, ces prières et ces saintes pratiques eurent peu d'influence sur les passions, car deux députés du Périgord prirent querelle sur l'antériorité de leurs maisons, et mirent l'épée à la main en pleine assemblée. On les sépara; et, pour parler la langue d'aujourd'hui, ils furent rappelés à l'ordre. Mais le clergé, la noblesse et le tiers-état, sans toutefois tirer l'épée, n'imitèrent que trop par leurs discordes les deux députés périgourdins, et les États, qui ne produisirent aucun résultat sérieux, furent clos par le roi en personne le 23 février 1615.

De 1615 à 1789, aucune assemblée nationale ne fut réunie. Louis XIV écrivit en 1649 une lettre circulaire pour convoquer les États; mais ils ne furent pas tenus, et un mémoire de Dubois sur les dangers pour la royauté d'un tel moyen détourna le régent, au commencement du siècle suivant, de la pensée qu'il eut un moment d'y recourir. Le 29 décembre 1786 Louis XVI convoqua pour le 22 février 1787 une assemblée de notables choisis par lui dans les trois ordres pour leur communiquer, dit l'ordonnance, les vues qu'il se proposait. Ce n'était point une assemblée nationale, mais dans la séance d'ouverture ou en observa le cérémonial. Le garde des sceaux, après le discours de ce monarque, prit, à genoux, les ordres du roi, et dans le procès-verbal on croit devoir justifier par la note suivante une dérogation aux précédents usages qu'on s'était permise: «Les huissiers, massiers, le roi d'armes et les hérauts d'armes auraient dû être à genoux pendant toute la séance, mais Sa Majesté a trouvé bon qu'ils se levassent quand elle a eu fini de parler.» Cette réunion ressembla, encore aux assemblées nationales qui avaient précédé par les différends qui s'y élevèrent également sur des questions de préséance. L'orage qui se formait à l'horizon ne parvint à distraire de ces puériles questions d'étiquette ni la royauté, ni les sujets appelés par elle.

La réunion des États-Généraux étant devenue inévitable, ils furent convoqués par Louis XVI et réunis à Versailles. Le 2 mai, tous les députés furent présentés au roi par ordre, et non par bailliages, ce qui indisposa le tiers-état contre la maître des cérémonies, M. de Brézé. Le 4 on se réunit dans; l'église Notre-Dame de Versailles; et, après y avoir fait une prière, la cour et tous les députés se rendirent processionnellement à l'église Saint-Louis pour entendre la messe du Saint-Esprit. Tant que défila le tiers, vêtu uniformément d'un habit et d'un petit manteau de soie noire, les acclamations se tirent entendre. La noblesse, en costume brillant, n'en recueillit aucune; on cria seulement: Vive le duc d'Orléans! Le clergé ne trouva pas le peuple moins silencieux; et, quand la cour défila, le roi seul fut salué par des vivat! La différence des costumes et la simplicité comme la sévérité du sien, en regard du brillant et chevaleresque accoutrement de la noblesse, furent, avec la non-confusion des ordres et la préséance accordée aux uns sur un autre, les seuls griefs que le cérémonial observé put fournir à la susceptibilité ordinairement moins ménagée du tiers-état,--Le lendemain 5, la première séance eut lieu dans la salle dite des Menus. Le clergé fut assis à la droite du roi, la noblesse à gauche, et le tiers en face. A une heure, les hérauts d'armes annoncèrent l'arrivée du prince; tous les députés se levèrent. Le programme n'offre rien de saillant; on avait senti qu'il était indispensable de le simplifier, et des applaudissements que l'assemblée s'était permis la veille au sermon prononcé par M. de La Fare, à la messe du St-Esprit, dans un lieu consacré et en présence du roi, avaient paru à M. de Brézé une preuve doublement éclatante d'une révolution complète qui ne devait pas respecter l'étiquette elle-même, puisqu'elle semblait commencer par elle.

L'assemblée législative se réunit le 4 octobre 1791. Aucune autre cérémonie ne marqua son ouverture, qu'une prestation individuelle de serment à la constitution, faite avec une solennité un peu théâtrale; puis, quand elle se fut complètement constituée, elle envoya à Louis XVI une députation pour lui en donner avis. Le roi annonça alors qu'il se rendrait le 7 dans le sein de l'assemblée. Celle-ci délibéra immédiatement sur la manière dont il serait reçu. Il fut arrêté qu'une députation de douze membres recevrait et reconduirait le roi; que le roi étant arrivé au bureau, chacun des membres pourrait s'asseoir et se couvrir, et que deux fauteuils absolument pareils seraient préparés sur l'estrade pour le roi et le président de l'assemblée. Mais le lendemain ce décret fut rapporté comme un peu trop sans façon, et un fauteuil doré fut accordé au roi, ce qu'ensuite on a reproché à l'assemblée législative comme une impardonnable faiblesse. Le 7, jour où le roi se rendit à la séance, on l'avait ouverte avant son arrivée, et l'on avait entamé la discussion relative aux prêtres non assermentés. Elle fut interrompe par l'arrivée du roi, le prononcé de son discours, et reprise tranquillement après son départ.

Le 21 septembre 1792, la Convention se constitua sous la présidence de Pétion, sans cérémonial, sans aucune solennité.

Le 27 octobre 1795 (5 brumaire an IV) le Corps Législatif se réunit pour la première fois à neuf heures du soir sous la présidence de son doyen d'âge. Pour toute cérémonie, chaque député eut, à l'appel de son nom à déclarer s'il était marié ou veuf, et quel était son âge. Ceux qui n'étaient plus garçons et qui comptaient quarante ans, virent mettre leurs noms dans une urne, d'où on tira le nombre voulu pour former le Conseil des Anciens; les autres formèrent le Conseil des Cinq-Cents.

Le 29 décembre, le premier consul fit déterminer par un sénatus-consulte organique un cérémonial qui n'est autre à peu près que celui qu'on observe aujourd'hui.


Arrivée du roi au Palais Bourbon.

Le 4 juin 1814, Louis XVIII se rendit au Corps Législatif. La distinction entre les pairs et les députés fut que deux des pairs ecclésiastiques et six des pairs laïques furent placés sur des banquettes au-dessous et de chaque côté du trône. Le reste de la Chambre des pairs et la Chambre des Député tout entière prirent place en face du trône circulairement. L'assemblée, à l'arrivée du roi, était debout et découvert. Le roi s'assit et se couvrit, et invita d'un signe l'assemblée à suivre le premier de ces exemples.

Le 7 juin 1815, Napoléon vint précéder, avant de partir pour l'armée, à l'ouverture des Chambres. Nulle distinction ne fut établie entre les pairs et les députés, et le grand-maître des cérémonies, sur l'ordre de l'empereur, invita dans les mêmes termes les uns et les autres à s'asseoir.

En octobre de la même année, Louis XVIII, rentré pour la seconde fois, ouvrit les chambres de nouveau à son tour. Cette fois, bon nombre des anciens usages furent rétablis, et ils continuèrent à être observés pendant toute la Restauration. La veille du jour fixé pour l'ouverture, le 6 octobre, une messe du Saint-Esprit fut célébrée à Notre-Dame, à laquelle assistèrent les deux Chambres. Le lendemain, 7, un cortége nombreux et brillant suivit le roi au palais Bourbon. M. le chancelier eut un siège à bras et sans dossier; le grand-chambellan eut un carreau place au pied du trône. En face étaient les pairs, et derrière eux les députés. Le roi ordonna aux pairs de s'asseoir, et M. le chancelier on donna, dit le Moniteur, au nom de Sa Majesté, la permission aux députés.--Un membre, de la Chambre des Députés, appelé à prêter le serment, demanda à prendre la parole. M. le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres, s'approcha aussitôt du roi, prit ses ordres et dit: «L'usage immémorial du la monarchie ne permet pas, dans de semblables circonstances, de prendre la parole en présence du roi sans la permission de Sa Majesté: Sa Majesté ordonne que l'appel nominal soit continué.»--Lorsque les infirmités de Louis XVIII lui eurent, en quelque sorte, rendu la locomotion impossible, la séance d'ouverture des Chambres ne se tint plus au Palais-Bourbon, mais dans une grande salle du Louvre, coté de l'horloge. Le roi, placé dans un fauteuil, était ainsi poussé tout le long de la grande galerie du Musée et de la galerie d'Apollon, et arrivait sur roulettes jusque sur l'estrade destinée à porter son fauteuil.


Ouverture des Chambres.--Discours du roi.

Du reste, si le cortége les formalités de réception se trouvaient ainsi supprimés, les autres lois de l'étiquette n'en étaient pas moins rigoureusement observées.

Sous le règne de Charles X, elle demeura la même, et les députés continuèrent à porter un habit bien, boutonné, droit, à collet et parements brodés en argent, tandis que les pairs étincelaient dans un costume et sous un chapeau à la Henri IV que l'on admire encore dans les jours gras.

La révolution de 1830 a supprimé la messe du Saint-Esprit, et a valu aux députés les mêmes égards qu'aux pairs.

Les uns comme les autres sont aujourd'hui invités par le roi lui-même à écouter son discours assis.

Si nous avions pu prévoir, en le commençant, que notre récit dût être aussi long, certes nous aurions eu, envers nos lecteurs de toute taille et de tout âge, cette même et royale attention.



Oraison funèbre de 1843

C'en est fait, mes chers enfants, elle est morte!--Qui donc?--Morte et enterrée!--Le nom de la défunte, que nous la pleurions?--Elle s'est appelée quelque temps l'année 1843; depuis hier, on ne la nomme plus, que l'année dernière; elle a vécu douze mois, c'est-à-dire trois cent soixante-cinq jours, ni plus ni moins; vous trouverez que c'est mourir bien jeune; hélas! je suis de votre avis; mais que voulez-vous y faire? Les années ne vivent pas davantage, leur compte est réglé sans rémission et arrête à ce total, par l'impitoyable agent comptable vulgairement connu sous le nom d'Almanach. Quelquefois, par-ci, par-là, il accorde à certaines années vingt-quatre heures de gratification, ce qui leur procure l'agrément d'une existence de trois cent soixante six jours; mais voilà tout ce qu'il peut faire; aussi les années ne réclament-elles pas, bien convaincues par expérience qu'il n'y a pas moyen d'éviter la chose; elles sont plus philosophes et plus résignées que nous autres, pauvres humains, qui nous débattons comme de beaux diables, et nous crions à la mort, pareils au bûcheron de La Fontaine: «Encore un jour! une heure!» On n'a pas d'exemple d'une année qui en ait crié autant: toutes ont trépassé, l'une après l'autre, sans mot dire.--L'année 1843 a fait comme ses devancières; elle a rendu le dernier soupir avec une résignation exemplaire.

Ce qui peut fortifier la philosophie de l'année mourante et lui faire prendre si bravement son parti, c'est qu'elle est sûre d'avoir un héritier direct, c'est-à-dire une héritière; les années sont toutes du sexe féminin; l'une engendre l'autre; et ainsi de mère en fille, jusqu'à la fin des siècles; par exemple, l'année 1844 vient d'arriver au monde immédiatement après le trépas de l'année 1843. Vous remarquerez, s'il vous plaît, ce phénomène unique un son espèce, à savoir qu'en fait d'années, l'enfant naît le lendemain de la mort de la mère. Et pour surcroît d'originalité, toutes les années sont baptisées et enterrées le même jour, sans exception, d'une part au 1er janvier, de l'autre au 31 décembre.

SAINT SYLVESTRE.

A toute mort, à toute pompe funèbre il faut un fossoyeur qui jette la pelletée de terre; saint Sylvestre est chargé de cet office, d'année en année, depuis un temps que j'appellerais, immémorial, si je ne trouvais pas qu'on a par trop abusé du mot. Saint Sylvestre a été choisi pour clore la paupière à l'année, parmi tous les saints; et Dieu sait cependant si la légende est longue! D'où vient cette préférence donnée à saint Sylvestre? Aurait-il fait valoir un goût naturel et particulier pour les enterrements? La place s'est-elle donnée au concours? a-t-elle été obtenue par la protection de quelques députés ou hauts fonctionnaire du martyrologe? C'est un point qui n'a pas été éclairci; j'aime à croire cependant que saint Sylvestre doit ses fonctions de fossoyeur-général de toutes les années passées, présentes et futures, à son mérite et non point à la faveur: il me répugne de prendre saint Sylvestre pour un intrigant!

Quoi qu'il en soit, saint Sylvestre justifie complètement la confiance que l'Almanach a mise en lui; il se tient toute l'année, pendant douze grands mois, en vedette sur la frontière qui sépare le 31 décembre du 1er janvier, prêt à rendre les derniers devoirs à l'année qui expire et à dire à l'année qui commence: «Alerte, ma fille, c'est à ton tour!»

Avez-vous vu quelquefois un gros chat tapi dans la verdure? Il passe là des heures entières sans mouvement, dans une complète immobilité, la patte tendue, le corps allongé, l'œil fixe, dans l'attitude d'un braconnier qui attend sa proie. Que veut monseigneur Raminagrobis? Il guette une souris ou un oiseau au passage, et ne quittera pas la place sans l'avoir happé. De même saint Sylvestre épie l'année et attend patiemment l'heure de lui mettre la main dessus; or, connue à une aimée passée succède invariablement une année présente, saint Sylvestre est toujours en sentinelle et sur le qui-vive: saint Sylvestre reste éternellement à cheval sur le 31 décembre!

SATURNE

Saint Sylvestre a pour compère le Temps, que les anciens appelaient Saturne, respectable vétéran qui avait la singulière prétention d'être le père de Jupiter. Le Temps et saint Sylvestre s'entendent à merveille. Dès que l'année sent sa fin venir, Saturne et le saint entrent dans la chambre de l'agonisante et se placent à son chevet, de compagnie, bien décidés à souffler dessus la pauvrette et à éteindre les dernières lueurs de vie qui lui restent, sauf à en allumer une autre.

Cette scène d'extrême-onction et de résurrection est représentée ici-même, par un ingénieux crayon, mieux qui je ne pourrais le faire du bond de ma plume. Je te renvoie donc au dessin de Bertal, cher lecteur, avec la modestie et l'abnégation qui me caractérisent.

Dans ce tableau mémorable, le Temps attire d'abord l'attention et occupe la plus grosse place. A tout seigneur tout honneur. Ou peut, au premier coup d'œil, trouver que son costume n'est pas taillé sur le patron de la dernière mode, mais il faut convenir du moins qu'il est irréprochable sous le point de vue classique. Hésiode, Homer, Virgile, Ovide, n'y trouveraient pas le plus petit mot à redire, et les Staubs du vieil Olympe lu donneraient à coup sur leur approbation. Rien n'y manque, ni les ailes, ni la faux.. Vous remarquerez d'ailleurs que Saturne pactise du côté de la barbe avec les merveilleux du jour. C'est un lion par la moustache. Le Café de Paris n'a pas son égal.--Son visage ne rappelle pas le velouté de la pèche ni la fraîcheur de la rose, je le confesse; c'est que le Temps n'est pas né d'hier; il existait déjà que rien n'était encore; le Temps est le vieux des vieux, et vraiment il y aurait de l'injustice à lui demander des airs d'adolescent.--Que ses jambes sont grêles!--Eh! mes amis, il n'en marche pas moins vite, vous ne le savez que trop, ô vous qu'il emporte sans cesse et sans repos, d'heure en heure, de minute en minute, de seconde en seconde, plaisir, jeunesse, gloire, amour, génie, beauté.


Le temps plaisante quelquefois; aussi vient-il de convertir un éteignoir son ami saint Sylvestre, et de cet éteignoir il coiffe l'année 1843, qui jetait encore, dans son bougeoir, une flamme mourante. Saint Sylvestre, malgré sa métamorphose, est parfaitement reconnaissable à son visage incrusté sur l'éteignoir en question: front chauve, yeux creux, nez épaté, bouche fendue jusqu'aux oreilles, c'est toujours ainsi que je m'étais figuré saint Sylvestre; l'auréole qui couronne l'extrémité de l'éteignoir ne permet pas d'ailleurs de s'y tromper.

Au même moment où le Tempséteint l'année 1843, il allume du bout de la faux l'année 1844, bougie toute neuve qui s'élance fièrement de son chandelier, mèche au vent, en attendant qu'elle brûle à petit feu, comme tant d'autres, et se fonde. Superbe allégorie qui fait voir que le temps reconstruit d'une main ce qu'il détruit de l'autre!

ORAISON FUNÈBRE.

Puisque, hélas! il est surabondamment constaté par tout ce qui précède, que l'année 1843 n'est plus, jetons quelques fleurs sur sa tombe!

La meilleure manière de savoir à quoi s'en tenir sur le compte des morts, c'est de rappeler leurs faits et gestes: Bossuet n'en faisait pas d'autre, et Massillon non plus. Je n'ai pas la prétention d'atteindre à la hauteur de ces grandes éloquences, mais je ferai de mon mieux; et comme, après tout, c'est là mon début dans l'oraison funèbre, je compte sur l'indulgence de mes auditeurs, sans vouloir cependant, comme maître renard, vivre aux dépens de celui qui m'écoute.

Par où commencerai-je? quel fait mémorable aura ma préférence? quelle action digne de souvenir attirera d'abord mon attention? à quoi et à qui dédierai-je l'exorde de mon oraison? O Mnémosyne! ô muse! toi, qui gardes la mémoire des grands événements du passé et qui les transmets à Clio, ta sœur, pour qu'elle les inscrive sur son airain éternel, viens à mon secours; Mnémosyne, aide-moi à rappeler les plus importants chapitres de la vie de très-haute et très-défunte dame l'Année 1843!... Mais déjà la divinité m'anime et m'inspire; les morts ressuscitent, et je vois se dérouler derrière moi les faits merveilleux qui donnent à l'année qui n'est plus une place à part dans l'immensité des siècles.

REGALIA.

Je croirais manquer à la hiérarchie et aux égards que méritent les entrepôts de tabacs, les fumeurs, les divans et les tabagies, si je ne donnais point les honneurs du pas à la grande affaire des cigares à cinq sous, immense question, question palpitante d'actualité, question brûlante, qui a empoisonné les derniers moments de l'année 1843. On nous accordera, en effet, que dans ce siècle de tabac et de blagues, le cigare mérite de passer le premier: qu'y a-t-il aujourd'hui de plus important que le cigare? N'abandonne-t-on pas femme, enfant, père et mère, le monde entier, pour avoir le plaisir d'aller fumer un cigare en plein air?

Le regalia, cigare du grand monde, a cru pouvoir profiter de cet immense succès pour se faire valoir; l'orgueil l'a gagné; il a prétendu se vendre autant qu'il s'estimait lui-même, et de vingt centimes se hausser à vingt-cinq; vous avez encore présents à la mémoire les détails de cette entreprise téméraire; les consommateurs jetèrent feu et flamme; une lutte s'engagea entre eux et le regalia, parmi des tourbillons de fumée; lutte terrible qui finit par la complète déconfiture; du regalia; il avait fait le renchéri, on le quitta pour le punir de son avarice; à vingt centimes il prospérait; tout le monde lui tendait la main, tout le monde le humait avec tendresse; à vingt-cinq centimes, il est tombé l'abandon et se dessèche, attendant, mais en vain, qu'une bouche complaisante s'intéresse à lui par hasard. Il y a là une profonde moralité; je la recommande aux maisons d'éducation, et si j'étais Ésope, La Fontaine ou M. de Florian, je la rimerais en apologue.

Voyez cependant quelle pauvre figure fait le cigare dans son bocal! Nul ne vient à lui, nul ne bat le briquet en son honneur. Si le cigare veut avoir du débit, il faudra bientôt qu'il se fume lui-même. Ce n'est pas tout: ses ennemis se réjouissent de sa disgrâce, et l'insulte par leur gaieté; et quel est le grand ennemi du cigare, si ce n'est la pipe? Or, la pipe est dans le délire, elle ne se contient plus; elle lance en signe de victoire, des tourbillons de fumée; quels feux de joie! On dédaignait la pipe; la pipe était abandonnée aux portiers, aux sergents en retraite et aux cochers de fiacre; la pipe maintenant trône sur les ruines du cigare; elle envahit la Chaussée-d'Autin, et se promènera bientôt au boulevard Italien, dans les mains du dandy.

Le jour de la déchéance du cigare, le gouvernement des pipes a donné un grand bal national; nous en offrons un fac similé: toutes les pipes y étaient, sans distinction de rang, d'âge ni de sexe, depuis la pipe de lettre jusqu'à la pipe d'écume de mer incrustée d'or et de diamants, pipes culottées et déculottées. La fête a fini par une ronde furieuse que les pipes ont dansée autour d'un malheureux paquet de cigares, délaissé de la nature entière.

Mais c'est assez nous occuper des hautes questions de politique intérieure; passons à la politique étrangère.

IRLANDE.

La situation de l'Irlande, en 1843, a continuée d'être ce que vous savez; l'Angleterre a joui d'une parfaite santé; du 1er janvier à la Saint-Sylvestre, elle s'est tous les jours assise à une table amplement fournie, arrosant son teint vermeil de porter, de chypre et de bordeaux; nourrissant son ventre énorme et ses grosses joues succulents reliefs, sauf, après boire, à rouler sous la table. Quant à l'Irlande, sa collation est claire; en deux mots, vous en connaissez le menu: l'Irlande dîne peu: son principal repas consiste depuis longtemps à se ronger les ongles; il en a été de même en 1843: la carte n'a pas changé pour elle. En revanche, si cette malheureuse Irlande est affamée, l'Angleterre s'engraisse à vue d'œil à ses dépens: L'Irlande met la poularde à la broche, et l'Angleterre la dévore. Dans ce pauvre diable de valet au ventre creux, à la mine piteuse, qui se tient debout, une assiette et une serviette sous le bras, jetant un regard suppliant sur un bifteck saignant, que son gros butor de maître engloutit à son nez, ne reconnaissez-vous pas l'Irlande? Et cet ogre sans pitié, qui sue l'abondance par tous les pores, n'est-ce pas l'Angleterre? Quand donc cette dévorante Angleterre donnera-t-elle à cette famélique Irlande un petit morceau de son bifteck?

LITTÉRATURE.

Après la politique, il est bon de faire une excursion dans la république des lettres, comme on disait du temps de la monarchie; cela repose. La politique est un verre de vitriol qui brûle les entrailles; la littérature une tasse de lait pur qui les rafraîchit; je parle surtout de la littérature mère de Han d'Islande et de Lucrèce Borgia; c'est, comme chacun sait, tout sucre et tout miel.

La plus grande succès de la littérature de 1843, le succès colossal, le succès pyramidal, le succès monstre, c'est M. Eugène Sue qui la obtenu; à lui la palme! Ses Mystères ont conquis la France et l'Europe: ce n'est plus un mystère; l'univers y passera! L'Asie et l'Amérique viennent de s'abonner au cabinet de lecture, et l'Afrique tout entière en a écrit deux mots à M. Charles Gosselin.

Nous voudrions de grand cœur donner ici le texte même de l'ouvrage, à ceux de nos charmants abonnés qui ne le connaissent point encore; malheureusement, ou n'a pas jusqu'ici découvert le moyen du faire tenir dix volumes in-8 dans un alinéa; cela viendra plus tard; en attendant, offrons aux impatients le portrait des principaux personnages qui figurent dans le roman de M. Eugène Sue. Le visage étant le miroir de l'âme, en voyant les héros, c'est comme si on lisait le livre; nous garantissons la ressemblance, jusqu'à la fin de la semaine prochaine. Le premier portrait, placé à gauche, vous représente le Maître d'école; un devine aisément à sa mine peu avenante, et ses doigts crochus, au manche de poignard qui s'allonge sur sa poitrine, que le drôle est un scélérat fieffé.--A côté de lui, voici la Goualeuse, ou plutôt Fleur de Marie, comme l'indiquent son attitude naïve et repentante, et ce bouquet de coquelicots et de bluets qui fleurit dans un pot, derrière elle.

Cette femme d'un embonpoint mélancolique rappelle, à s'y méprendre, la tendre et délicate marquise d'Harville.

Rodolphe, la providence, le grand justicier des Mystères, se fait facilement reconnaître par sa pose, qui annonce un homme droit, et par son cordon en sautoir, qui atteste le prince.

Au couteau qu'il tient à la main, on est d'abord tenté de prendre le Chourineur pour un vaurien; mais son nez indique qu'il y a du bon dans cet homme, et que ce n'est qu'un Chourineur égaré, non perdu, qui finira par se retrouver.

Murph a bien le muffle de l'honnête homme par excellence. Quant au petit tableau qui lui fait pendant, il est purement et simplement allégorique, et figure le duel du Crime et de l'Innocence: le Crime est le grand maigre, cela va sans dire; l'Innocence pousse à l'embonpoint.

Heureuse année 1843, qui a produit un si rare chef-d'œuvre!

OUBLIETTES.


Tout le monde n'a pas eu le bonheur de M. Eugène Sue; en conséquence, vous êtes prié, d'assister aux convoi et enterrement de ses confrères; l'année 1843 les a précipités la plupart au plus profond de ses oubliettes: là, les Demoiselles de Cyr, pauvres filles qui ont fait beaucoup de scandale pour tâcher de vivre, et n'en sont que plus mortes; ici, Mademoiselle La Vallière, Mademoiselle Lafaille, Charles VI, drames et opéras plus ou moins dignes d'oubli;--la comète va retrouver mademoiselle Lenormand, qui n'avait pas deviné celui-là;--des mains envieuses voudraient faire partager leur sort à Lucrèce, mais M. Ponsard et un charitable critique interviennent, et arrêtent la chaste Romaine sur le bord de la fosse; M. Léon Gozlan a beau défendre Eve comme sa propre fille, il est prouvé que cette Eve-là n'est pas la première femme du monde; M. Léon Gozlan en est réduit à la mettre dans un bocal pour la confire.--La foule éplorée des poètes et des dramaturges pleure et se lamente; l'un pleure son recueil d'élégies, l'autre sa comédie, celui-ci son drame, celui-là son vaudeville, cet autre ses feuilletons tombés feuille à feuille, et ensevelis le soir même de leur naissance.--Les Burgraves ne sont pas loin;--mais respect à cette douleur de mère, à ce deuil profond qui environne une tombe récente!

Tous ces gens-là, pour se consoler, pêchent à la ligne dans le puits sans fond où les sujets nouveaux nagent pêle-mêle; un professeur de l'Université prend à l'hameçon la question des jésuites qui semblait bien et dûment enterrée.

Que d'autres choses sont tombées dans les oubliettes de 1843, et dont nuire dessinateur ne parle pas; innocence, fidélité, honneur, amitié, amour, et les saintes promesses, et l'espérance, et les serments!

ESPAGNE

1843 s'est fort occupé des affaires d'Espagne; il y avait de quoi: le jeu de casse-tête exige moins d'efforts de patience et moins d'attention. La situation politique de l'Espagne, est parfaitement exposée par l'image que nous en donnons; c'est un buisson d'épines, un gribouillage sans; pareil, une épingle à chercher dans une meule de foin; l'esprit de M. tel, la vertu de madame une telle; tout ce qu'on peut y imaginer de plus embrouillé, de plus entortillé, de plus sombre: un peloton de fil, un discours politique, une bouteille à l'encre, la discussion d'un amendement, un drame de M. Bouchardy!

Cherche bien et tâche, cher lecteur, de retrouver dans ce gâchis, Narvaez, Espartero, la reine-mère, Olozaga, l'innocente Isabelle, l'Espagne elle-même; et que Dieu te donne le moyen de te dépêtrer dans ces pronunciamientos!

O'CONNELL.


On a beaucoup parlé, EN 1843, d'O'Connell et de ses victorieuses harangues; on en causera probablement beaucoup moins en 1844; aussi, verra-t-on ici avec plaisir la représentation d'un de ces formidables meetings qui ont tant de fois fait trembler les Saxons. Le meeting ci-contre a été pris sur le fait et copié d'après nature, par un de mes amis intimes qui a entrepris tout exprès le voyage de la verte Érin. On sait que tout meeting se compose de beaucoup de pots de porter, d'ale et de genièvre, et de pas mal de cruches pour les déguster; les pauvres Irlandais arrivent par volées et à travers les monts; le libérateur, monté sur un tonneau, leur tend les bras et les nourrit, en attendant le pain et la liberté, de discours accommodés au repeal. C'est toujours quelque chose.

VICTORIA.

L'événement particulièrement célèbre, l'événement par excellence, qui classe 1843 parmi les années mémorables!--Eh bien! vous ne devinez pas?--Non, vraiment.--c'est le voyage de la reine d'Angleterre en France; l'Illustration a donné, dans le temps, une histoire complète de cette pérégrination royale au château d'Eu; elle n'a donc plus rien à en dire; l'Illustration ne rabâche pas; mais ce qu'elle n'avait pas fait voir, c'est le moment où la jeune Victoria sentit le besoin de visiter la Normandie. L'Illustration se félicite de pouvoir aujourd'hui remplir cette lacune.

La reine, on en conviendra, a tout à fait l'air d'une personne qui désire aller quelque part; elle dévore la France de son binocle; le monsieur qui la suit, et qu'elle tient en laisse, se nomme le mari de la reine; cette laisse est l'emblème du devoir conjugal. Le mari de la reine étant spécialement choisi pour s'occuper des enfants, on trouvera tout simple qu'il les porte; ces petits, pleins d'attentions délicates pour le porteur, lui paient sa course en lui tirant les moustaches.


LES ILES MARQUISES.

Les îles Marquises ont également occupé l'attention publique. Pouvait-il en être autrement? Un pays vierge, cela est si rare! Beaucoup d'autres ont abordé ce sujet avant nous, et particulièrement M. l'amiral Dupetit-Thouars, qui y est entré avec plusieurs frégates. Nous n'en avons pas autant à notre service; mais du moins pouvons-nous faire ce que M. Dupetit-Thouars n'a pas fait; chacun son art. M. Dupetit-Thouars est marin; nous sommes peintres de portraits; M. Dupetit-Thouars s'embosse dans la question des îles Marquises, nous la peignons d'après nature. Ceci représente la reine des îles Marquises arborant le drapeau de la civilisation. La civilisation l'offre avec politesse; la reine sauvage le reçoit avec une mine dont je me défierais: elle a vraiment l'air de dire à la civilisation: «Tu m'embêtes!»

Ici finissent les admirables annales de l'année 1843. Heureux qui a vécu dans cette illustre année! Heureux qui a pu mourir avec elle! il ne se fera jamais rien d'aussi grand!



Le jour de l'an en Europe.

Tous les peuples un peu civilisés de notre globe ont cru devoir, à une certaine époque de leur histoire, et pour des causes faciles à comprendre, mesurer le temps, c'est-à-dire inventer ce qu'on appelle en français des années, des mois, des jours, des heures, des minutes et des secondes. Mais ce besoin commun, les divers membres de la grande famille humaine ne l'ont pas satisfait de la même manière. Il y a eu, depuis le commencement du monde jusqu'au 31 décembre 1843, un nombre beaucoup trop considérable de calendriers, d'ères, de cycles, etc., qui font le bonheur des savants et le désespoir des ignorants. L'Europe moderne a,--la Russie et la Grèce exceptées, toujours fidèles au vieux style,--adopté pour son usage particulier un calendrier appelé grégorien, du nom du pape Grégoire XIII, son inventeur. Cet estimable successeur de saint Pierre, corrigeant une grave erreur du calendrier romain, retrancha, comme chacun sait, à l'année 1582, dix jours qu'elle avait de trop, et il décida qu'à l'avenir on supprimerait trois bissextiles en l'espace de quatre cents ans. Aujourd'hui, grâce à cette réforme, l'année européenne se compose de 365 jours, et tous les quatre ans elle est bissextile, c'est-à-dire qu'elle a 366 jours.

Non-seulement l'année n'a pas toujours été aussi longue ou aussi courte qu'elle l'est actuellement, mais en outre elle a commencé à des époques différentes. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple:

En France, du temps de Charlemagne, Noël était le premier jour de l'an. A dater de la fin du onzième siècle jusqu'en 1563, Pâques ou plutôt le samedi-saint, l'emporta sur Noël. Le 25 mars (le jour de la Conception) triompha à son tour de ses deux rivaux. Enfin un édit de Charles IX, daté du 4 août 1563, décréta que dorénavant l'année commencerait en France le 1er janvier.

Une semblable confusion exista durant plusieurs siècles dans les autres contrées de l'Europe. Peu à peu, cependant, l'ordre se rétablit, et l'unité remplaçant le chaos, le 1er janvier, vainqueur de ses trois adversaires, fut proclamé sans opposition le souverain absolu de l'année. Il règne seul maintenant sur ses 364 sujets, si bien façonnés au joug, qu'ils n'essaient plus du s'y soustraire. Noël, Pâques et la Conception, ou le 25 mars, se contentant des honneurs qu'on leur rend encore, ont cessé de réclamer le glorieux privilège du briller sur tous les almanach en général, et sur celui de l'Illustration en particulier, à la tête de l'année nouvelle.

Toutefois, bien qu'elles reconnaissent son autorité plusieurs grandes nations de l'Europe persistent à refuser au 1er janvier les hommages dont certains autres peuples se plaisent à l'accabler. Qu'a-t-il donc fat pour mériter un pareil honneur? Le 25 mars, Noël et Pâques n'étaient-ils pas plus dignes du commencer l'année? Le 25 mars, la vierge Marie avait conçu le fils de Dieu; le jour de Noël, Jésus-Christ avait reçu la vie dans une étable du Jérusalem; le jour de Pâques, il était ressuscité. Aussi en Angleterre, en Espagne, en Italie, en Allemagne, ce n'est point le 1er janvier que l'on fête, c'est la Noël, c'est le jour de la naissance du Christ. Christmas, Pascwa, Natale, Weinhnachten, en 1844, l'Illustration racontera et représentera les curieuses cérémonies publiques et privées que ramène chaque année votre glorieux anniversaire!

L'Allemagne seule a, depuis quelque temps, sans négliger la Weinhnachten, fait quelques avances au Neu yahr; tandis que l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie assistent dans un morne recueillement au renouvellement de l'année, l'Allemagne, s'est décidée à se divertir le 1er janvier; elle célèbre même le 31 décembre presque avec autant du pompe que de joie. Pourquoi tout ce bruit? quelle heureuse nouvelle nous annoncent ces cloches, ces pétards, ces fusées? C'est la mort d'une année que l'on célèbre. Il paraît qu'elle inspire peu de regrets. Mais nous sommes dans une ville universitaire. La nuit est sombre; onze heures viennent du sonner. Où vont ces jeunes étudiants avec leurs torches et leurs fusils? Suivons-les. Ils s'arrêtent devant une maison de belle apparence; c'est celle du prorector. Des acclamations retentissent:» «L'année va finir; que celle qui lui succédera soit heureuse pour notre prorector!» Cependant cette foule si agitée et si bruyante reste immobile et garde un silence religieux. Une fenêtre de la maison du prorector s'est ouverte, et ce digne personnage apparaît aux regards charmés des étudiants Il tient un verre à la main, et quand il a suffisamment remercié ses élèves de leur visite et de leurs souhaits il vide son verre en leur souhaitant à tous une bonne année, et il le jette à terre, car ce serait commettre une profanation que de boire une autre fois dans un verre qui a servi à un si noble usage. A peine le sacrifice est-il accompli, que de nouveaux vivat retentissent; le prorector ferme sa fenêtre, et les étudiants vont rendre les mêmes hommages aux plus populaires de leurs professeurs.


Un Grand Lever de la reine d'Angleterre.


La Bénédiction de la Newa à Saint-Pétersbourg.

A l'intérieur des maisons, chaque famille se divertit à sa manière: les uns boivent, les autres mangent; ceux-ci dansent, valsent ou chantent; ceux-là jouent des charades; partout on s'amuse. Cependant minuit approche; l'aiguille de la pendule se dirige avec la même vitesse; dans le palais et dans la chaumière, vers l'heure fatale. Nobles, bourgeois et paysans, muets et immobiles, tiennent leurs regards fixés sur l'horloge ou sur la montre qui leur marque la marche rapide du temps.... Au même instant un seul cri s'échappe de plusieurs millions de bouches: Prosst neu jahr(vienne le nouvel an). Heureux celui qui, dans sa famille, a prononcé le premier ces paroles sacramentelles... que tout le monde répétera le lendemain matin en s'abordant.

Des que le dernier écho de prosst neu jahr a cessé de su faire entendre, «un domestique apporte du vin ou du punch, nous apprend le respectable M. Howitt, dans sa Domestic and rural life in Germany, avec les souhaits que les parents et les amis se sont faits pour le nouvel an. En général, ces souhaits sont écrits en vers sur une belle feuille de papier surchargée d'ornements dorés. Tous les assistants, choquant leurs verres, se souhaitent mutuellement une bonne année; puis le maître de la maison ouvre et lit les souhaits écrits; la plupart ne sont pas signés, et causent des explosions d'hilarité; car les auteurs de ces épîtres anonymes reprochent souvent leurs ridicules à leurs parents et à leurs amis, en leur donnant le conseil de s'en corriger.

«Quand le dernier souhait a été lu, ou joue, dans la plupart des familles, à un jeu très-ancien, qu'on appelle le jeu de farine, de l'eau et des clefs: trois assiettes sont rangées sur une table ronde placée au milieu d'une chambre: dans la première, on met de la farine; dans la seconde, de l'eau; dans la troisième, un trousseau de clefs; alors tous les célibataires des deux sexes vont tour à tour, les yeux recouverts d'un épais bandeau, prendre sur la table une de ces trois assiettes que les assistants changent sans cesse de place, heureux celui dont la main se pose sur le trousseau de clef! il épousera la personne qu'il aime; celui ou celle qui blanchit ses doigts dans la farine se mariera avec une veuve ou avec un veuf; mais malheur à l'infortuné qu'un sort jaloux conduit tout droit sur l'assiette pleine d'eau! il est sûr de mourir célibataire. Cette espèce de loterie terminée, les danses et les jeux recommencent.


La polonaise à la cour de Russie.

Du salon de la petite bourgeoisie de l'Allemagne, passons sans transition à la cour du plus puissant souverain de l'Europe, de l'empereur de Russie; car nous y assisterons à une cérémonie caractéristique dont un témoin oculaire nous a rapporté un charmant dessin. Deux fois chaque année, le 1er-15 janvier et le jour de la fête de l'impératrice, l'empereur de Russie ouvre son palais à ceux de ses sujets qui ont obtenu d'avance des billets d'admission. Des soldats, des marchands, des laboureurs, s'y montrent dans leur costume national aux côtés des courtisans. Les invités qui portent le frac sont tenus d'avoir un petit manteau de soie noire appelé vénitien.


Les baisers du jour de l'an, dessin de Grandville.

«Les salles du palais, a dit un voyageur moderne, remplies de monde, sont un océan de têtes à cheveux gras, toutes dominées par la noble tête de l'empereur, de qui la taille, la voix et la volonté planent sur son peuple. Ce prince paraît digne et capable de subjuguer les esprits comme il surpasse les corps; une sorte de prestige me semble attaché à sa personne; au palais de Saint-Pétersbourg comme à la parade, comme à la guerre, comme dans tout l'empire, comme toujours on voit en lui l'homme qui règne.

«Les personnes de la cour, le corps diplomatique, les étrangers invités et les gens du peuple admis à la fête, sont introduits pêle-mêle dans les grand appartements; vous attendez là pendant assez longtemps, pressé par la foule, l'apparition de l'empereur et de la famille impériale. Dès que le maître, ce soleil du palais, commence à poindre, l'espace s'ouvre devant lui; suivi du son noble cortège, il traverse librement et sans même être effleuré par la foule, des salles où l'instant d'auparavant on n'aurait pas cru pouvoir laisser pénétrer une seule personne de plus. Aussitôt que Sa Majesté a disparu, le flot des paysans se referme derrière elle; c'est l'effet du sillage après le passage d'un vaisseau.

«La noble figure de Nicolas, dont la tête domine toutes les têtes, imprime le respect à cette mer agitée; c'est le Neptune de Virgile; on ne saurait être plus empereur qu'il ne l'est. Il danse pendant deux ou trois heures de suite des polonaises avec des dames de sa famille et de sa cour. Cette danse était autrefois une marche cadencée et cérémonieuse; aujourd'hui c'est tout bonnement une promenade au son des instruments. L'empereur et son cortège serpentent d'une manière surprenante au milieu de la foule, qui, sans prévoir la direction qu'il va prendre, se sépare cependant toujours à temps pour ne pas gêner la marche du souverain.»

Singulier contraste! le souverain le plus absolu de l'Europe, le czar de toutes les Russies, reçoit le peuple dans son palais le 1er jour de l'année; et le souverain le moins puissant, politiquement parlant, la reine d'Angleterre, n'admet que la plus haute et la plus fière aristocratie de ses trois royaumes à lui présenter ses respectueux hommages le jour du Noël. Nos deux dessins, placés en regard l'un de l'autre, feront faire encore un autre rapprochement non moins bizarre. A Saint-Pétersbourg, l'empereur présente l'impératrice comme son égale, ils marchent sur le même rang, en se tenant par la main; à Londres, la reine a seule le droit de s'asseoir; son mari est obligé de se tenir debout comme spectateur derrière son trône.

Le 1er janvier, a lieu, à Saint-Pétersbourg, une cérémonie dont nous dormons aussi la représentation fidèle: nous voulons parler de la bénédiction des eaux de la Newa. Une chapelle en bois est construite tout exprès chaque année près du palais impérial, sur le bord du fleuve; en face, de l'autre côté, s'élèvent les remparts du granit de la forteresse, dominés par l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul. A l'heure fixée, l'empereur, suivi du son état major, se rend à cheval a cette chapelle; puis, mettant pied à terre, il monte à la place qu'il doit occuper, près des étendards de la garde. Aussitôt arrivent en procession l'archimandrite et le clergé métropolitain; on bénit en même temps les eaux de la Newa, les armes et les drapeaux de la garnison du Saint-Pétersbourg, qui assiste tout entière à cette cérémonie. Au moment de la bénédiction, des saints sont échangés entre la forteresse et l'artillerie de la garde, rangée sur les glaces.

Pourquoi bénit-on la Newa? Est-ce pour qu'à la fonte des glaces prochaines, elle ne cause pas trop de dégâts dans cette ville artificielle, que ses débordements menacent sans cesse d'une ruine complète? Nous l'ignorons. Ce qui est positif, c'est que la débâcle passée, le fleuve libre, des coups de canon annoncent cet heureux événement à tous les habitants de la ville. «Aussitôt, raconte M. Kold, quelle que soit l'heure du jour, ou de la nuit, le commandant de la forteresse, en grand uniforme, et accompagné par tout son état-major, se rend au; palais dans une gondole richement décorée, porteur d'un magnifique verre de cristal rempli de l'eau de la Newa, qu'il va offrir au czar au nom du printemps et du dieu du fleuve: admis en la présence de son souverain, il lui annonce que l'hiver vient de finir, et que la Newa est rendue à la navigation; désignant ensuite de la main la gondole amarrée au quai,--le premier cygne flottant sur les eaux,--il présente à l'empereur le verre de cristal rempli d'eau de la Newa, et Sa Majesté lu vide immédiatement à la santé et à la prospérité de sa capitale. C'est le verre d'eau le plus cher qui se boive sur toute la surface du globe; car, selon un ancien usage, l'empereur le rend plein d'or à celui qui le lui a offert plein d'eau. Autrefois, ou le remplissait jusqu'aux bords du pièces de ce précieux métal; mais chaque année les verres augmentaient de volume; l'empereur, voyant qu'il avait toujours une plus grande quantité d'eau à avaler et une plus forte somme à payer, déclara qu'à l'avenir il ne donnerait que 200 ducats,--prix impérial, après tout, pour un verre d'eau.

Que pourrai-je vous apprendre, ô mes très-chers lecteurs et lectrices, des us, coutumes et cérémonies du premier jour de l'an en France. Ne les connaissez-vous pas tous et toutes aussi bien que moi?... Lundi encore vous jouerez un rôle plus ou moins agréable dans leur dix-huit cent quarante-quatrième représentation depuis l'ère chrétienne; mais mon confrère le Courrier de Paris s'est chargé de vous raconter un peu plus loin les petits bonheurs et les petites misères du jour de l'an. Je m'arrête donc... Permettez-moi, toutefois, de vous donner un conseil utile: méfiez-vous des baisers du Jour de l'An, en particulier, comme de tous les baisers en général. Ce langage universel que les muets parlent et que les sourds entendent, personne,--hélas!--ne peut se vanter d'en comprendre le véritable sens.--Il dit toujours plus ou moins qu'il ne semble dire.--Ne le jugez pas surtout d'après l'apparence.--Essaye de distinguer ici ses nombreuses espèces ou variétés, ce serait vouloir faire l'histoire du cœur humain depuis lu naissance du premier homme jusqu'à la Saint-Sylvestre de l'année qui va mourir. Quelle touchante, mais quelle triste, quelle lamentable, quelle longue histoire! Nous n'entreprendrons pas une pareille tâche; à peine même si nous tenterons de vous révéler pourquoi les douze baisers de Judas que notre grand artiste, Grandville, a dessinés tout exprès pour l'Illustration, sont indignes de votre confiance.

Commençons par la droite. Ce baiser qu'une jeune fille et son frère laissent prendre ou donnent à leur grand-père sur leur front, ce sont, en réalité, Polichinelle ou la poupée qui le reçoivent.--Pourquoi cette femme embrasse-t-elle son mari avec tant d'effusion? Pourquoi serre-t-elle sa tête contre sa poitrine? Mais ne voyez-vous pas ses regards avides qui cherchent dans l'espace le cachemire ou les bijoux que son trop joyeux époux lui apporte?--Et ce grand barbu, qui approche ses lèvres des joues paternelle, est-ce par affection? non, certes; c'est un à-compte qu'il paye à ses créanciers.--Si ce neveu consent à becqueter, non-seulement sa vieille tante, mais son perroquet, un jour à venir, soyez en sûr, il héritera d'une fortune considérable.--Croyez-vous que ces trois baisers superposés soient plus sincères? Pour moi, j'en doute: cette chatte et ce chien se battront demain comme hier; ce jeune collégien donne à sa maman un œuf pour avoir un bœuf; ces deux amies continueront à se détester et à médire l'une de l'autre. Mais que vois-je? Jean-Jean, mon ami, vous avez attendu longtemps cette occasion désirée? Si vous le pouviez, petit scélérat, vous seriez capable d'en abuser; nous avons les yeux sur vous, et vous vous modérerez. Au-dessous de ces deux vieux amis qui songent au temps passé et aux baisers d'autrefois, et qui regrettent

Leurs bras si dodus.

Leurs jambes bien faites

Et leurs jours perdus...

deux jeunes femmes--sexe perfide--accordent une légère faveur à deux hommes vieux et laids, mais qui sont riches... Heureusement, mes chers lecteurs et vous mes chères lectrices, il y a encore sur cette terre des âmes pures, des cœurs tendres et des baisers sincères: c'est ce que je vous souhaite, quant à moi, pour l'année 1844.



Le Jour de l'An en Chine.

Hors de l'Europe, nous ne ferons qu'une excursion, mais elle sera assez curieuse pour tenir lieu de plusieurs autres. Nous irons tout simplement en Chine. N'ayant pas eu le bonheur de visiter en personne le Céleste Empire, nous nous voyons forcé d'emprunter les renseignements suivants à Davis (1) et à Dobel (2).

Note 1: La Chine, par Davis traduit de l'anglais par Pichard. Paris, Paulin, 2 vol in-8, 7 fr.

Note 2: Sept années en Chine, nouvelles observations sur cet empire, par Pierre Dobel; traduit du russe par le prince Emmanuel Galitzin. Amyot. I vol. in-8, 7 fr. 50 c.

«C'est sur la lune que s'évalue l'année chinoise, dit Dobel; aussi en résulte-t-il que, bien que cette année soit de douze mois, le compte des jours ne donne jamais ce résultat exact; ce qui oblige les Chinois à combler le déficit en ajoutant à la fin de l'année un certain nombre de fêtes, et en comptant un treizième mois dans les années qui suivent chaque période de dix-neuf ans.

«A peine approche-t-on de la fin du l'année, que tous, pauvres comme riches, abandonnent leurs affaires pour ne plus songer qu'à fréquenter les temples, les spectacles et à faire bonne chère. Il est censé que toutes les affaires pendantes doivent être réglées de concert, et à la satisfaction des parties, la veille du nouvel an. A cette époque, le pouvoir des mandarins rôle suspendu durant quelques jours, ce qui produit parfois des désordres, à cause de la faculté qu'ont alors les particuliers de régler leurs comptes et leurs affaires conformément à d'anciennes coutumes.

«Il n'y a peut-être pas de peuple au monde qui ait moins de fêtes que les Chinois, nous apprend à son tour M. Davis; la principale et presque la seule époque de réjouissance universelle est le nouvel an. C'est alors, on peut le dire, que tout l'empire est hors de lui ou peu s'en faut. A l'approche de la nouvelle lune, lorsque le soleil atteint le quinzième degré du Verseau (le commencement de l'année civile des Chinois), toutes les administrations sont fermées dix jours à l'avance, et les mandarins serrent leurs sceaux jusqu'au vingtième jour de la première lune. Le soir du dernier jour de l'année qui s'achève, tout le monde veille jusqu'à minuit. A cette heure commence un interminable vacarme de pétards, de fusées et de feux de joie; la consommation des pièces d'artifices est si prodigieuse, que l'air devient charge de nitre. Depuis minuit jusqu'à l'aurore, chaque habitant exécute les rites sacrés ou prépare sa maison pour la solennité du premier jour du nouvel an. Dès le matin, une foule immense assiège les temples.

«Soun Nin, ajoute M. Dobel, est le nom des solennités du Jour de l'An: on les fête aux quatre coins de la ville, dans quatre temples. A l'approche du jour de fête de chacun de ces temples, on construit dans leur voisinage de grands théâtres en bambous, sur lesquels sont ensuite représentées des pièces en l'honneur de la divinité du temple.--Chaque maison se fournit alors de lanternes neuves; on colle du papier rouge à sa porte ou à celui de ses angles où sont placés les pénates; l'ameublement est renouvelé, et la famille se pare de ses plus beaux habits.

«Cette dernière coutume est obligatoire; car un Chinois se croirait voué à la pauvreté pour toute l'année, s'il n'avait été bien vêtu le Jour de l'An; aussi emploie-t-il tous les moyens en son pouvoir pour observer cette coutume, au point de dérober parfois les habits qu'il ne serait pas en état du s'acheter.

«Les fêtes du nouvel an doivent durer dix jours d'après la loi, mais souvent on les prolonge du double.

«La première, journée se nomme Kay-Yat (le jour des oiseaux). Cette fête est destinée à rappeler que les volatiles sont une des nourritures de l'homme; on s'abstient de viande durant ce jour, et les rigoristes observent même un jeûne sévère.

«La deuxième journée se nomme Kou-Yat (le jour des chiens). Lus Chinois vénèrent tellement les chiens, qu'ils ont des ouvriers spécialement chargés de leur fabriquer des cercueils; ils croient qu'un de leurs sages fut préservé de la mort par un de ces animaux, qui dévora son assassin; et pourtant, par une singulière inconséquence, les Chinois mangent la chair de cet animal.

«Le troisième jour est Chen-Yat, ou le jour des porcs. Il en est de cette solennité comme du la précédente; les Chinois vénèrent la mémoire d'un de ces animaux qui sauva, suivant eux, un manuscrit précieux de l'incendie; aussi s'abstient-on de la chair du porc durant ce jour.

«Le quatrième jour s'appelle Yaong-Yat (le jour des brebis). Ce jour est consacré à Pun-Kyon-Yengi, berger qui vécut pauvre, ne se nourrissant que de légumes et n'ayant pour vêtement que l'écorce des arbres, mais qui enseigna tout le parti que l'on pouvait tirer de la toison des brebis, «Le cinquième jour se nomme New-Yat (le jour des vaches). Un de ces animaux allaita un jeune enfant dont les parents avaient péri, et qui, étant devenu mandarin par la suite, lui éleva un temple. Telle fut la cause première de l'institution de cette fête; aussi beaucoup de Chinois s'abstiennent-ils tout à fait de la chair de bœuf; d'autres y renoncent à l'âge de 40 ans, sans quoi ils croiraient leur salut compromis.

«La sixième journée est le Ma-Yat, ou le jour des chevaux. Cette fête a été instituée afin d'inspirer au peuple de la considération pour cet utile quadrupède.

«C'est à l'homme qu'est consacré le septième jour; il Se nomme Yen-Yat. Pon-Tso, qui apprit aux Chinois à se nourrir de riz, de blé et de viande, est la divinité de ce jour.

«C'est encore à Pon-Tso qu'est dédié le huitième jour, nommé Ko-Yat le jour des grains. Pon-Tso enseigna le premier que l'on pouvait utiliser les grains et s'en nourrir.

«Pon-Tso est aussi la divinité du neuvième jour, et quiconque veut obtenir du bonheur doit s'empresser de lui porter des offrandes le jour du Mo-Yat jour du lin

Empruntons un dernier renseignement à M. Davis. «Comme les Européens, les Chinois se font des visites et des présents le premier jour de l'an, et ils s'envoient de grandes cartes de félicitation ornées d'une gravure sur bois représentant les trois principales félicités dont les hommes puissent, selon eux, jouir sur la terre, savoir: un héritier, un emploi public (ou de l'avancement) et une longue vie. Ces trois souhaits sont indiqués par les figures d'un enfant, d'un mandarin et d'un vieillard accompagné d'une cigogne, emblème de la longévité. Grâce à la complaisance, de M. Fournier, éditeur de la Chine ouverte (3), l'Illustration peut offrir à ses abonnés un fac-similé de l'une de ces cartes, imprimées en général en Chine, comme dans la Chine ouverte, sur papier rouge. Les caractères chinois placés en tête signifient: «Que votre bonheur soit florissant;» ceux, qui sont imprimés sur le côté se traduisent ainsi: «Moi Ma-Tso-Lang (nom honorifique de Soaqua), je vous salue humblement.»

Note 3: Cinquante livraisons à 30 centimes; par Old Nick et A Borget. 5 livraisons ont paru.


De l'Origine des Étrennes.

«Les Humains, dit M. Charles Dezobry dans son bel ouvrage: Rome au siècle d'Auguste, font un jour de fête du renouvellement de l'année. Ils croient que des présages certains sont attachés au commencement de chaque chose et aux kalendes, ou premier jour du mois de janvier, qu'ils regardent comme l'auspice de l'année; ils cherchent à multiplier les bons présages ce jour-là: ils se visitent les uns les autres, il s'accueillent mutuellement par les vœux les plus prospères et les paroles les plus agréables, évitant avec soin toutes celles qui seraient profanes.

«Ils accompagnent ces souhaits de présents réciproques que l'on nomme etrena, étrennes, autre signe de bon présage, ce nom signifiant un bonheur qui doit se répéter trois fois, comme si l'on disait trena en supprimant l's, ainsi que faisaient les anciens. L'usage des étrennes remonte au temps du roi Tatius. Tout le momie en donne et en reçoit, à quelque classe que l'on appartienne, dans quelque condition que l'on se trouve. Ces présents sont en général de peu de valeur, mais le choix n'en est pas tout à fait arbitraire. Afin qu'ils portent vraiment le caractère d'heureux présages, on choisit des dattes, des figues sèches et du miel blanc renfermé dans son rayon, pour que les dieux veuillent attacher aux événements futurs les heureux succès dont leur saveur est le symbole, et que rien n'altère la douceur des auspices sous lesquels l'année a commencé son cours.

«On joint encore à ces dons de petites pièces de monnaies de bronze appelées stips, afin que les présages soient complets pour tous les vœux que l'on peut former, cette dernière offrande servant symboliquement à flatter la passion des richesses.

«Comme personne ne peut se dispenser de donner des étrennes, les clients en portent aussi à leurs patrons, mais uniquement pour se conformer à l'usage: leur présent se compose simplement d'un as de cuivre et d'une datte recouverte d'une très-légère feuille d'or.

«Les riches ne se bornent point à ces étrennes sacramentelles; ils y joignent de beaux présents de tout ce que produit la terre ou la mer.

Le jour des kalendes de janvier, tous les Romains allaient offrir des étrennes à Auguste.--L'Imperator les recevait comme à une salutation; il était assis dans l'atrium de sa maison: on défilait devant lui, et chaque citoyen, tenant son offrande à la main, la déposait en passant aux pieds de ce dieu terrestre. Ces étrennes étaient de la monnaie d'argent; car la générosité des citoyens se trouvait stimulée par l'intérêt personnel, attendu que le prince rendait à tous une somme égale et même supérieure à la valeur de leurs présents.

Si nous en croyons certains écrivains, M. Dezobry ne nous aurait pas donné la véritable explication de l'origine des étrennes, ou plutôt de l'étymologie de ce mot.

Selon l'Anacharsis romain que nous venons de citer, strena est un bonheur qui doit se répéter trois fois. Or, M. Spon et le père Tournemine, auteurs de deux petits traités spéciaux sur l'origine des étrennes, ne sont pas du tout de cet avis. Dans leur opinion, lorsque Tatius, un des Sabins, partagea avec Romulus le gouvernement de Rome, il reçut un présent qu'il regarda comme de l'augure le plus heureux; c'étaient quelques branches de verveine coupées dans un bois consacré à la déesse Strenna, c'est-à-dire à la déesse de la force. «Aussi, dit Spon, ce mot strena, qui signifie étrenne, se trouve quelques fois écrit strenna chez les anciens, pour témoigner que c'était proprement aux personnes de valeur et de mérite qu'était destiné ce présent. Tournemine, d'accord avec son collègue sur l'étymologie du mot, nous donne cependant une explication différente. «Le peuple, simple et superstitieux, croyait que ces branches et cette verveine donnaient de la force et conservaient la santé. On sait que les druides gaulois pratiquaient la même cérémonie, qu'ils allaient, au commencement de l'année, prendre dans des bois sacrés le gui, qu'ils distribuaient au peuple comme un présent des dieux, dont la vertu était admirable.--D'où pouvait venir une semblable persuasion? N'y reconnaissez-vous pas un souvenir confus de l'arbre de vie planté dans le paradis terrestre, souvenir dont les prêtres païens, habiles charlatans, se servirent, pour mettre en vogue leurs bois sacrés, auxquels ils attribuaient la même vertu? Le nom de la déesse Strenna confirme nos soupçons sur l'origine de cette superstition; il a bien du rapport au mot Hébreu éloïm, qui peut signifier le dieu fort, le dieu de la force. C'est de ce mot que Moïse s'est servi dans les premiers chapitres de la Genèse, ou il parle de l'arbre de vie que Dieu avait mis dans le paradis terrestre.»

Nous avons mis sous les yeux de nos lecteurs les pièces du procès; qu'ils jugent s'ils l'osent. Quant à nous, nous leur demandons la permission de ne pas nous prononcer encore sur cette grave question, car nous venons de lire vingt pages d'un gros in-folio intitulé Novus thesaurus antiquitatem romanorum congestus ab Alberto Henrico de Sallengre.--Ces vingt pages sont entièrement remplies par un traité de Strena en douze chapitres, d'un sieur Hieronymi Rossii Ticinensis, civis nobilis et patricii romani atque in palatina academia regii éloquentiae professoris--Or, cette délicieuse monographie nous a révélé deux ou trois étymologies que nous réservons à nos abonnés pour leurs étreintes de l'année prochaine.

«Tibère, avec, son humeur triste et sauvage, dit encore M. Dezobry, s'accommodait peu des réceptions populaires, et surtout des échanges d'étrennes avec les citoyens. Il s'y prêta néanmoins dans les premières années de son avènement à l'empire, et il avait même coutume de rendre quatre fois la valeur de ce qu'on lui offrait; mais, fatigué d'être dérangé pendant tous le mois par ceux qui n'avaient pu le voir le jour des kalendes, il prit d'abord le parti de ne plus rien rendre passé ce jour; puis il finit par s'absenter de Rome à l'époque des kalendes, pour éviter de recevoir des étrennes. Il blâmait Auguste de s'être soumis à cet usage, qui causait beaucoup de fatigue et surtout de dépense; il ne faisait, cependant pas comme son prédécesseur, qui, avec les étrennes qu'il recevait, achetait de belles statues des dieux, qu'il dédiait dans divers quartiers de la ville.»

Caligula imita Auguste, et Claude suivit l'exemple de Tibère. A partir du règne de Claude, le peuple romain cessa donc de présenter des étrennes à ses empereurs; mais la coutume d'offrir des présents le premier jour de l'année n'en subsista pas moins; seulement ce furent désormais les supérieurs qui en donnèrent au lieu d'en recevoir.

«Voilà donc, s'écrie Spon, tout le fondement que nous avons de notre coutume; et ce fondement étant aussi léger que de la paille et du chaume, nous ne saurions être solidement fondés à conserver une superstition païenne à laquelle nous ne pouvons trouver aucun appui par l'autorité de l'Écriture Sainte ou des saints pères.» Les saints pères, en effet, protestèrent en vain contre cet usage qui avait passé du paganisme dans le christianisme; plusieurs conciles essayèrent même inutilement de le détruire.

Cependant quand les peuples chrétiens cessèrent, par la suite, de pratiquer les cérémonies païennes, c'est-à-dire d'offrir de la verveine et de certaines branches d'arbre, de chanter et de danser dans les rues, l'Église leur permit de s'embrasser et de se donner des cadeaux le premier jour de l'an. A dater de cette heureuse époque, l'espèce humaine a fait, sans scrupule et sans remords au renouvellement de chaque année, une effrayante consommation de baisers, de bonbons et de présents de toutes sortes et de toutes qualités.



Les Petits Bonheurs du Jour de l'An.

L'année finit. L'année renaît; tandis que la pauvre décrépite disparaît, comme dirait le Constitutionnel, dans l'abîme du passé la jeune année se montre souriante et parée; elle n'a pas vingt-quatre heures qu'elle est déjà grande demoiselle; il n'est pas besoin de songer à lui nommer un tuteur; un régent ne lui est pas nécessaire, et, dès sa première heure, elle est en pleine majorité; personne n'est obligé de l'appeler l'innocente Isabelle.

Au point du jour, le règne de la nouvelle année commence; son royaume est immense; il est si grand, si grand, et s'étend si loin, si loin, qu'il faudrait je ne sais combien de mètres de ruban rose pour en faire le tour: c'est, à proprement parler, l'empire universel que de très-grands conquérants ont tenté sans pouvoir y parvenir. La nouvelle année n'a pas besoin de faire autant de bruit que ces terribles fiers à bras pour établir sa domination: cela lui vient de soi-même.

Les nouveaux règnes et les avènements sont tout sucre et tout miel; le souverain est toujours charmant, le peuple (le bonhomme!) toujours content; on se passe et l'on se repasse des douceurs et des promesses; il n'est pas jusqu'au féroce Néron, il n'est pas jusqu'au méchant Christiern, qui n'aient eu plusieurs quarts d'heure d'amabilité au début de leur souveraineté.--Je ne suis pas fâché de vous glisser ce petit trait d'érudition en passant.

Mais la nouvelle année se distingue, entre toutes les reines et tous les rois frais éclos, par une grâce, une munificence, une affabilité qui n'ont pas d'égides. D'abord, elle n'est pas fière du tout; elle a des caresses, et des baisers, et des poignées de main pour tout le momie, du plus petit au plus grand; et puis, voyez là! contemplez en face cette excellente et très-aimable, majesté. Son sourcil, tant s'en faut, n'est point capable de faire trembler le monde comme celui de feu Jupiter; elle ne marche pas escortée de gardes farouches, et ne déguise pas sa personne sous un tas de crachats, de rubans et de croix. Oh! qu'elle est meilleure fille et bien plus philosophe que cela!

La bonne reine s'habille à la légère, taille souple et fin corsage; à gauche, du côté du cœur, elle porte un cornet de bonbons: c'est son cordon de la Légion-d'Honneur; Marquis, son grand-chancelier, l'en a décoré de sa propre main. Les deux bras étendus sur son peuple, elle laisse tomber une pluie de soieries et de douceurs. Cela fait venir l'eau à la bouche! Sa robe ample et flottante est brodée de boîtes pleines de chatteries. Le premier ministre de la nouvelle année, son président du conseil a toujours été un confiseur.

Au fronton de son palais, elle a fait inscrire ces mots pleins de sagesse: Aux petits bonheurs; et sur son caisson elle porte, cette devise inscrite: Sinite parvulos venire ad me; laissez venir à moi les petits garçons et les petites filles.

Vous voyez que les petits ne se font pas prier, ils accourent en foule: à la bonne heure! voilà une nation agréable; jamais reine, jamais roi, jamais empereur eût-il de plus charmants sujets; tresses blondes, petites tailles mignonnes, fin sourire, voilà pour le féminin; le sexe masculin est rond, dodu, de belle humeur; je vous recommande particulièrement ce jeune homme en robe, chaussé de brodequins écossais et coiffé d'un chapeau à la Henri IV, un panache flottant. Certainement, ce monsieur doit être un des citoyens les plus distingués du royaume de la nouvelle année.

Comme la joie éclate de tous côtés! Ce que c'est que de nourrir son peuple de dragées! Soyez, sur, ô roi, que le moyen est bon pour obtenir des enthousiasmes difficiles à décrire, et prenez exemple, croyez-moi, sur le tableau touchant que vous offre cette reine assiégée par l'amour de ses sujets, qu'elle bourre de pastilles et de confitures. Les uns joignent les mains pour l'adorer, les autres grimpent, dans leur joie, jusque sur les marches du trône; celui-ci, ne pouvant se contenir, bat du tambour; celui-là croque un bonbon! et là-haut,--ô spectacle digne de mémoire!--un citoyen de six mois reconnaissant qu'il était trop en bas âge pour marcher, s'est fait porter des bras de la nourrice aux pieds de sa souveraine, pour tâcher d'attraper un sucre d'orge. Il n'y a de pareils exemples de patriotisme qu'à Rome ou à Sparte!

La nouvelle année les reçoit pêle-mêle dans son palais royal. Ce palais, d'une architecture remarquable, n'a certes pas son pareil. Vous connaissez, le château de Joux, en Franche-Comté; celui-ci s'appelle le château de Joujoux, ce qui ferait soupçonner que les deux châteaux ne sont pas éloignes d'être proches parents. Mais il n'en est rien: Joux est armé de forts et de bastions; Joujoux n'est pas le moins du monde partisan des fortifications. «Au petit bonheur,» dit-il, sans s'inquiéter davantage.

On songe à jouer, en effet, dans le palais de la nouvelle année, et non point à se battre; on songe à être heureux, et heureux comme des enfants, ce qui est le nec plus ultra du bonheur.--Allons, mes chers petits, quel petit bonheur choisirez-vous?--Moi, je veux cette poupée, dit la petite fille à la voix flûtée.--Et moi ce polichinelle, répond mon gros citoyen coiffé à la Henri IV.--Moi, ce soldat; moi, ce paillasse; moi, ce caniche; moi, ce tambour; moi, ce sabre; moi, tout! s'écrie le plus gourmand.--Celui-là ira loin et conquerra le monde quand il aura treize ans, s'il ne meurt pas à l'hôpital.

La nouvelle année ne s'épouvante pas de ces ambitions en bourrelets: on les contente avec si peu! et les petits bonheurs sont si faciles! Ce jeu de quilles va faire cent heureux; ces sabres de bois et ces pistolets de paille en feront deux cents; que de petits bonheurs il y a dans ces ménages de fer-blanc, dans ce poupard, dans ces moutons de carton, dans ces cerceaux! Les petits bonheurs que donneront ces soldats de plomb ne sauraient se décrire, et cette lanterne magique lâchera l'écluse des petits bonheurs!

Ils sortiront de ce beau petit palais de fées, le cœur joyeux, la joue rose, l'œil étincelant, chacun emportant son petit bonheur dans sa poche ou sous son bras! il puis, quelle joie au logis! comme on aimera sa poupée; comme on l'embrassera, comme on la dorlotera! comme on lui fera de jolies petites robes et de charmants petits bonnets! De quel cœur on sonnera de cette trompette et l'on battra de ce tambour! Quel roulement! Ah! Polichinelle, mon ami, que nous allons rire de la double bosse et de ton nez! Quelles bonnes petites dinettes nous ferons avec ce ménage! Et ce sabre, quelles estafilades! Et cette armée de bois, quelles batailles d'Austerlitz! Et cette lanterne magique, quelle Académie Royale de Musique! Et ce ballon, quelles courses et quels rires éclatants sur la pelouse!

Allez, mes enfants, soyez heureux! jouissez des biens que la nouvelle année vous envoie; roulez-vous sur ses présents, faites claquer son fout, et caracolez sur ses chevaux. Vous êtes dans la bonne veine; jamais vous n'aurez tant de bonheur.

Du jour, mes petits amis; toi, mon garçon, quand la barbe te sera venue; toi, ma fille, quand tu auras les vingt ans, vous courrez, après d'autres polichinelles et d'autres poupées; toi, tu voudras avoir un véritable ménage; toi, commander des soldats en chair et en os; il vous faudra peut-être des chevaux pur sang et de brillants équipages; et au lieu de vos dinettes un souper fin au Café de Paris! et au lieu de votre lanterne magique, une loge d'avant-scène à l'Opéra! et au lieu de vos jeux sur le gazon, des tapis de Sallandrouze! et au lieu de ce bon rire épanoui, des places et des croix! en un mot, ô mes enfants! vous courrez après ce qu'on appelle les grands bonheurs. Mais, hélas! vous deviendrez jaunes de vermeils que vous êtes, de joyeux vous serez maussades, et la crampe d'estomac, les maux de foie, l'hypochondrie remplaceront votre humeur folâtre.--Vous reconnaîtrez, alors que les plus grands bonheurs sont en effet les petits.


Palais de la Nouvelle Année.



Les Petites misères du Jour de l'An

Accourez tous, messieurs et mesdames, le spectacle va commencer; prenez vos places! prenez vos billets! Hop! hop! hop!

Il y en a à cinq, il y en a à trois, il y en a à deux, il y en a à un son, selon le goût et la fortune des personnes; ce spectacle intéressant est fait pour toutes les bourses et pour toutes les conditions; académiciens et cuisinières, fiacres et ambassadeurs, pairs de France et marchands de peaux de lapin, tous les sexes, tous les âges, toutes les tailles, le nain et l'Hercule du Nord, le borgne et le citoyen propriétaire de deux prunelles irréprochables, le bossu et le bel homme, ont parfaitement le droit d'entrer. Nous ne sommes pas fiers; nous ouvrons la porte à tout le monde, pourvu qu'il ait de la monnaie dans sa poche, qu'on soit blanc de. Nogent-sur-Marne, ou nègre de Californie, on s'en soucie comme des drames de M. un tel ou des romans de mademoiselle une telle! L'Illustration ne connaît pas ces distances-là, comme dit la Fanchon de feu M. Bouilly.

Vivat! Hosanna! alléluia! ovohé! la foule nous entend; Dieu! quelle queue! et vraiment, un public parfaitement couvert! La mise décente est de rigueur. Il nous en vient de toutes les latitudes, de tous les coins de l'univers, et de mille autres lieux.

Voici d'abord d'aimables militaires, d'agréables chasseurs d'Afrique (où ces braves ne se fourrent-ils pas?)--deux Arabes de la tribu d'Ouleïd-Chott-Mocktar;--un capitaine russe des bords du Volga;--un Indien du Yisapour;--Cette tête ronde à la Titus représente l'Amérique,--et ce terrible visage coiffé de son caftan, cet homme à l'œil noir, au nez busqué, à la barbe féroce, n'est, ni plus ni moins qu'un cousin du kalifah Ben-Sha-Djazzar-Ria-Engad-Sidi-Embarek, qui a été dernièrement envoyé ad patres par le général Tempoure. Il est impossible d'avoir un public plus varié et mieux choisi; le beau sexe y brille par son absence.

C'est le Temps, cet éternel Saturne, ce vieux dur à cuire, qui est le metteur en scène, le directeur-général du spectacle que nous avons l'honneur de vous offrir. Vous remarquerez qu'il ne ressemble à aucun directeur connu, ni à M. Jouslin-Delasalle, ni à M. Crosnier, ni à M. Delestre-Poirson; il est beaucoup plus joli, bien qu'il ne se soit pas rasé ce matin.

Au moment on vous le voyez, le Temps fait disparaître de sa lanterne magique le tableau des faits et gestes de l'année 1843, et par dessous laisse voir un pan de l'histoire de l'année 1844 qui commence: c'est ce dernier tableau (1844) que l'Illustration compte dérouler peu à peu, de semaine en semaine, pour vos menus plaisirs, et avec l'aide du Temps, vous donnant une grande représentation hebdomadaire de tout ce qui se passera dans l'univers d'ici à 1845.--En attendant, et pour aller au plus pressé, l'Illustration en personne, envieuse de vous faire sourire, va représenter devant vous une pièce à tiroirs, un drame-vaudeville comico-tragique, tiré du grand drame des petites misères du jour de l'an. Vous avouerez qu'il est difficile de trouver nu sujet plus véritablement de circonstance.

PREMIER ACTE

Une nuée de tambours se précipitent à travers la ville, au pas de charge, exécutant sur la peau d'âne une symphonie à triple bacchanal, à quadruple carillon, qui n'a vraiment de douceur que pour les sourds complètement privés du plaisir de l'entendre; les citoyens pourvus des trésors de l'ouïe ont te tympan parfaitement déchiré et se bouchent les oreilles, pantomime qui n'a rien d'héroïque. C'est au bruit de ce concerto assommant qu'on enterre le 31 décembre et que le 1er janvier vient au monde, le but du tintamarre en question est d'avertir Paris et la banlieue que le jour est venu de complimenter MM. les colonels, MM. les généraux, MM. les maréchaux, et de leur donner roulement d'étrennes.

Le tambour-major se livre alors à toutes les grâces d'une délirante pantomime, à toutes les beautés d'attitudes triomphantes qui caractérisent ce magnifique guerrier, doué d'une si belle canne.

La canne du tambour-major est un meuble agréable, j'en conviens; mais si elle a ses douceurs, elle a bien ses désagréments: demandez, plutôt à ce particulier qui s'est mis en course ce matin pour aller souhaiter la bonne année à sa tante; demandez-lui ce qu'il en pense. Demandez-le à cet estimable industriel qui vient d'ouvrir sa boutique pour affriander le jour de l'an. Il est clair que si l'amabilité du tambour-major et ses superbes moustaches donnent dans l'œil, sa canne y donne aussi.

Éveillé par le ra et le fla des tambours de la légion, le lieutenant a revêtu les insignes de son grade; il se dispose à rejoindre ses chers camarades, et à faire sa visite au château pour y déposer sa fidélité, en forme de carte de visite; le guerrier est parfaitement chaussé, culotté, coiffé et ficelé; il a le nez rouge, ce qui est d'uniforme; cependant on s'aperçoit, à son col de chemise s'élançant vers l'oreille, qu'il aurait autant aimé finir son somme que de déposer son hommage.

Au jour de l'an, tout n'est pas rose dans le militaire... et dans le civil donc! Ici la toile se baisse... et se relève sur le second acte.

DEUXIÈME ACTE.

Le théâtre représente la chambre à coucher d'un gentleman parisien; le coup d'œil en est magnifique. Les décors sont de MM. Sechan, Dieterle, Cambon et Cicéri.--Le gentilhomme, est étendu dans son lit, sauf votre respect, et coiffé du casque à mèche classique que le foulard a détrôné, le révolutionnaire! Mais notre héros tient aux saines doctrines: il a fait récemment le voyage de Belgrave-Square. Hier, il s'était endormi, c'était le soir de la Saint-Sylvestre, le teint frais et les joues rondes, humant les rêves les plus parfumés. L'infortuné se réveille le 1er janvier dans l'état ou vous le voyez: il n'est certes pas beau; le jour de l'an en est cause, le jour de l'an qui vient d'enfoncer sa porte sous la forme de sa couturière, de sa femme de ménage, de son tambour, du bedeau de sa paroisse, du clerc de son huissier, du porteur de son journal, du garçon de son tailleur et de tous les moustiques dévorants que le 1er janvier fait naître.

Il en fera une maladie, c'est sûr! mais sa bourse est encore plus malade que lui. Dans l'intention de ménager la santé, de cette pauvre bourse, qui n'a pas les reins forts, il regarde par sa fenêtre, guettant l'heure où le portier, homme illustre, est occupé à balayer sa cour; paré, dressé, ciré, cravaté, orné de pied en cap et prêt à courir la visite; l'ingénieux Parisien saisit adroitement l'occasion et s'esquive au moment où la loge est vide. Quel fin diplomate! Il s'épargne, par ce tour adroit, la douleur de tirer de sa poche 3 francs 50 centimes d'étrennes au portier. C'est autant, de gagné, pour la caisse d'épargne.

Mais il lui en cuira! Si la vengeance était exilée de la terre, elle se réfugierait dans le cœur du concierge qui n'a pas reçu d'étrennes; vous en avez sous les yeux une preuve mémorable. En rentrant le soir, l'homme à la caisse d'épargne a beau frapper et sonner à tour de bras, le portier n'ouvre pas; il a ses 3 franc 50 centimes sur le cœur, un plutôt il ne les a pas! et le malheureux locataire est obligé de passer la nuit sur la borne, oreiller rembourré de pierres de taille. Du fond de son antre, l'affreux concierge murmure ces mots atroces: «Enfoncé, vilain ladre!»

Il avait cependant grand besoin de consommer sa nuit dans son lit bien chaud, car il vient de passer une journée remplie de tribulations; pour lui, le jour de l'an n'a été que pluies et bosses, comme l'acte situant vous l'apprendra.

TROISIÈME ACTE.

A peine était-il sorti, à la suite de ce malin tour que vous savez; à peine avait-il le pied dans la rue, qu'il fut accosté par le fils puîné d'un de ses amis intimes. Ce détestable moutard, vulgairement appelé To-tor, se précipita à sa rencontre: «Bonjour, papa Chose, s'écria-t-il avec cette grâce qui caractérise l'enfance; ohé! z'veux mes étrennes, z'veux un polichinelle!» En vain cherche-t-il à se soustraire à cet impôt indirect; le terrible To-tor n'en démord pas, et, le saisissant par la basque de habit (son habit neuf!!), il le tire affreusement du coté de la boutique de joujoux. Lui de s'enfuir; To-tor de tirer de plus belle, d'une part l'habit, de l'autre le seigneur Polichinelle; si bien que l'habit reste et que To-tor s'évanouit. La bonne, une ancienne d'Abd-el-Kader, contemple ce spectacle déchirant avec l'immobilité qui caractérise la nation hottentote.

Dans sa chute, le déplorable To-tor s'est enfoncé une côte, et s'est considérablement endommagé l'occiput; tout porte à croire que la famille des Gougibus est menacée de s'éteindre, avant la fin de la semaine, avec ce dernier de ses descendants.

Et, en effet, M. et madame Gougibus ne sont plus capables de se transmettre davantage: ils sont hors d'âge, comme le témoigne, le portrait que nous vous donnons de ces deux illustres conjoints; portrait authentique, pris au moment où cette excellente mère et ce père excellent revenaient au logis chargés de pantins et de polichinelles pour leur To-tor. Notre héros, qui les a reconnus, les suit de loin d'un œil hagard, d'un œil de sergent de ville; il sent que le cas est grave.

Au lieu donc d'entrer chez les Gougibus, il fait un détour, et se dit: «Eh bien! allons souhaiter la bonne année à ce cher Babylas.» Il entre en effet chez Babylas, qui n'est pas très-bien portant, et le reçoit assis sur une chaise que je ne qualifierai pas. Babylas est marié et père de nombreux enfants: il ne sait pas trop comment cela lui est venu; mais n'importe! il s'en rapporte à madame Babylas. Ces enfants sont nés excessivement caressants: c'est là leur moindre défaut. A peine ont-ils aperçu l'ami de leur père, qu'ils se précipitent dans ses bras pour lui souhaiter la bonne année: c'est une véritable scène d'abordage et de mât de cocagne; jamais le jour de l'an ne manifesta une tendresse plus étouffante; l'un grimpe sur le dos du malheureux, l'autre le prend par le cou; celui-ci se suspend à ses reins, celui-là à sa barbe; et quels baisers! Le célèbre Hercule du Nord n'avait pas plus d'agrément quand il déjeunait avec un fer rouge et quatre poids de cinquante livres sur l'estomac.--Le père Babylas jouit avec attendrissement de ce spectacle domestique: ça le soulage.

Après une rencontre si brûlante, ou éprouve naturellement le besoin de prendre moindre chose pour se rafraîchir, un verre d'eau sucrée, un échaudé, un petit verre de rhum. Ainsi fait notre homme. C'est lui-même en personne qui vient de s'asseoir dans ce café, sur ce fauteuil, autour de cette table ronde. «Au moins là, pense-t-il, le jour de l'an ne viendra pas me prendre ma bourse ou m'étrangler!» L'homme propose, mais le garçon dispose. Au moment ou la victime de cette Iliade digne de mémoire a pris son chapeau et sa canne pour se retirer tranquillement, le garçon arrive armé du cornet d'amandes grillées qu'il présente, sous prétexte de bonne année, au bourgeois effaré; il a pris, pour réussir, son air le plus penché, son geste le plus élégant, son plus anacréontique sourire. Mais qui a su échapper à un portier ne donnera pas dans le cornet d'un garçon. «Merci, dit l'autre, je ne peux pas souffrir les pralines; ça m'incommode.» Et il part sans délier sa bourse, emportant après ses talons cette apostrophe du garçon: «Vieille bête, va!»--Ici il y a un entr'acte: l'orchestre et le souffleur déclarent qu'il leur serait agréable de se reposer; vous pouvez en faire autant ô mes très vénérés spectateurs, et aller vous promener.... Pan! pan! pan! à vos places.

QUATRIÈME ACTE.

Contemplez ce mortel coiffé d'une énorme boîte de satin, étendant les bras, écartant les jambes, et cherchant sa route à talons, comme un simple quatre-vingt: c'est la continuation de notre martyrologe.--Il traversait la rue des Enfant-Rouges, songeant encore avec effroi au cornet de pralines, et cependant reprenant peu à peu ses esprits et commençant à mettre la main dans ses poches, comme un bon bourgeois qui rêve à ses quartiers de rentes, et se promet de vivre dans sa maison, le dos au feu, le ventre à table. Tout à coup,--ô fortune infidèle!--une fenêtre s'ouvre, et du haut d'un cinquième étage au-dessus de l'entresol, une énorme boîte s'échappe et va le coiffer comme vous le voyez, là: bonnet imperméable, très-peu commode!

C'est tout simplement une fille qui s'étant mise au balcon avec une boîte à ménage que son parrain venait de lui apporter, a laissé choir l'objet, qui n'a rien de plus pressé que de tomber en plein sur le crâne de notre illustre ami, et de s'y plonger jusqu'aux oreilles. O jour de l'an, voilà de tes chapeaux!

Il fit cette réflexion profonde, que c'était là une dragée difficile à digérer; après quoi, s'étant recoiffé et remis de son mieux sur ses jambes, il reprit sa route et gagna la rue Saint-Honoré sans trop d'accident. Un proche parent du grand-duc Hiltchinkenkoff passait précisément par là au galop, traîné dans une voiture attelée de deux quadrupèdes et de quatre valets; monseigneur s'en allait présenter ses souhaits de bonne année à n'importe quel potentat de l'Europe alors du passage à Paris. «Diable! rumina notre ami en voyant ce magnifique équipage, voilà un noble étranger qui n'est pas trop mal mené; excusez! que ça d'omnibus! et il s'apprêtait à ôter respectueusement son chapeau, comme fait tout piéton qui sent où le bât le blesse. Le proche parent du grand-duc, ému de cette politesse, sans seulement mettre le nez à la portière, envoya, par le ministère de ses roues et de ses deux alezans, une énorme gratification de boue et de crotte au visage de l'estimable particulier; son pantalon en fut zébré et son visage moucheté. Remarquez bien que si le jour de l'an n'avait pas lui, notre homme ne serait pas venu dans la rue Saint-Honoré, il n'aurait pas rencontre le proche parent du grand-duc allant porter au potentat susnommé son bonjour et son bon an, et nous n'aurions pas sous les yeux le tableau humiliant d'un citoyen français crotté comme ne le fut jamais Colletet, qui cependant, au dire de Boileau, le fut jusqu'à l'échine!

Le décrotteur a été inventé pour cette situation; sans l'homme crotté, certainement le décrotteur n'existerait pas; il est donc logique que le crotté, dans sa détresse, se réfugie chez le décrotteur, lui demande aide et protection avec un coup de brosse. La victime du proche parent du grand-duc n'en fait pas d'autre; il entre dans la boutique du l'artiste et se hisse sur la banquette dans l'attitude peu gracieuse d'un mortel qui n'a pas à se louer du destin.

L'artiste fait son office en conscience frotte, brosse, émonde, prodigue le cirage, et remet le malheureux dans un état moins affligeant. Le crotté est décrotté. Il entrevoit un horizon plus serein. Mais où le jour de l'an ne va-t-il pas se nicher? il s'était, là-haut, glissé dans un cornet de pralines; il se présente ici sous la forme d'une tirelire: l'artiste décrotteur l'a déposée, cette tirelire maudite, aux pieds de son client, comme pour placer la récompense à côté du bienfait; et comme tout décrotteur a de la littérature pour avoir ciré les bottes de M. Ligier, de M. Bocage ou de M. Victor Hugo, le nôtre, à l'appui de sa pétition pour étrennes, entonne et détonne une harangue en vers, et de vrais alexandrins!--Le décrotté, hors de lui, se soulève sur ses deux poings, et attend le moment du prendre la fuite, en brûlant la politesse à la tirelire; le grossier!

Le malheur instruit les hommes. «Puisqu'on est éclaboussé quand ou va à pied comme un ignoble barbet, dit-il, en prenant un cabriolet, j'éclabousserai les autres!» Sublime réflexion! assaisonnée d'une légère dose de fiel; car le cœur humain n'est pas bon quand il s'y met. Il s'élance donc, d'un air de prince héréditaire, dans un cabriolet régie. Arrive le tambour-major et ce qui s'ensuit, donnant l'aubade au colonel; le cheval se dresse, le cabriolet roule, et notre homme va mesurer le pavé; là, il prononce ces mots d'une moralité profonde: «A pied, du moins, on ne risque pas de tomber de voiture!» Tandis que le chirurgien du coin est occupé de le panser, reprenons haleine.

CINQUIÈME ACTE.

Le cocher, à la rigueur, aurait bien pu relever le pauvre diable après sa chute; dans un autre temps, il se serait fait un vrai plaisir de commettre cette bonne action et de prodiguer les consolations à l'affligé: le cocher est naturellement sensible dans tout le courant de l'année; mais, au jour de l'an, il est plus dur que le cuir de ses chevaux. Vous vous étalez de vos quatre membres, dans ce bienheureux jour, le cocher vous laisse faire, et, s'inclinant, la casquette à la main, vous souhaite une bonne année. Quel affreux calembour! Enfin, le voilà encore debout: il s'en trouve quitte pour la peur. Redevenu piéton, le pauvre hère chemine, un mitron se trouve à sa rencontre; le mitron porte un souper fin à un lion et à une biche de l'Opéra qui se préparent à célébrer le premier de l'an à la façon de Lucullus, il est nuit, nuit profonde comme dans les mélodrames du M. Anicet Bourgeois; le mitron heurte l'homme, l'homme heurte le mitron, se renvoyant l'un l'autre comme une balle bondissant sur une raquette, et le souper tombe à plat ventre; un chien qui passait par là, et cherchait un dîner en ville, profite de l'occasion pour se mettre à table sans serviette.

ÉPILOGUE


Il est quatre heures du matin... Notre héros malencontreux s'est décidé à se lever de la borne qui lui sert de lit de plume depuis minuit, et à frapper un dernier coup de marteau: ce coup est si désespéré et si lamentable, qu'enfin le portier n'y résiste plus, et tire le cordon; le malheureux entre tout joyeux; mais, ô ruse de portier diabolique! ô trame infernale! les 3 francs 50 cent. ne sont pas suffisamment expiés par toutes ces couleuvres que le récalcitrant locataire avale depuis ce matin: il faut que ce concierge sans âme, sous-prétexte de zèle, lui plonge, à bout portant, un bougeoir allumé dans la poitrine; le jabot prend feu; appelez, les pompiers!


Ou éteint l'incendie, et l'incendie monte l'escalier quatre à quatre. Dieu soit loué! le voici à sa porte; il tire sa clef, l'insinue dans la serrure. O Jupiter! il va enfin se dorloter sur sa couche!--Mais pourquoi cette mine atroce et désespérée? Pourquoi ce furieux chapeau jeté sur l'oreille: La serrure a refusé passage, et vainement la clef a tenté de se faire jour à travers un épais bataillon de cartes de visites que des mains forcenées ont entassées dans le trou. Jour de l'an! jour de l'an! finiras-tu?


Sa seule ressource est d'entrer chez lui par bris de serrure et par une sorte d'attaque nocturne. Il y est enfin, et déjà il a ôté son habit et mis ses pantoufles; mais, ô rage! un élève de Courvoisier a profité de l'occasion du jour de l'an pour lui faire sa visite par la fenêtre, et dévaliser mon homme. Après avoir examiné sa commode et sa cheminée, il dresse inventaire d'une montre, d'un tire-botte, d'un paletot, d'un bâton de cire à cacheter, d'une pendule, d'un morceau de savon à barbe, d'une édition des œuvres de M. Casimir Bonjour, et de cinq paires de chaussettes dont le bandit a fait sa proie. Il se couche néanmoins après s'être arraché une poignée de cheveux; et sa nuit est pleine de portes, de portiers, de décrotteurs, de princes allemands, de petits garçons, de tambours et de polichinelles..... et murmure ces mots dans un affreux cauchemar: «Jour de l'an!... étrennes!... visites!... ah! ah! oh! eh! ouf!»

Ici la toile se baisse pour ne plus se relever. Excusez les fautes de l'auteur.



Éphémérides.

Parmi les personnages célèbres à des titres divers, et dont l'histoire
doit garder les noms, le 1er janvier a vu mourir;
En 379, Saint Basile, évêque de Césarée;
En 1380, Charles le Mauvais, roi de Navarre;
En 1515, Louis XII, roi de France;
En 1560, le poète français Joachim du Bellay;
En 1715, le poète anglais Wycherley;
En 1763, l'abbé Dangeau, grammairien si passionné qu'il rompit avec
toutes ses maîtresses qui ne mettaient pas l'orthographe; et qu'un jour,
entendant parler d'une révolution prochaine, il s'écria. «Arrive ce qui
pourra, j'ai dans mon portefeuille 2,000 verbes français bien
conjugués;»
En 1800, le naturaliste Daubenton;
En 1817, le chimiste Klaproth.

Le 1er janvier s'est toujours montré favorable à la liberté.--Le 1er janvier 1308, éclata la révolution qui assura l'indépendance de la Suisse.--Le 1er janvier 1804, Saint-Domingue se déclara indépendante et reprit son nom de Haïti.--Le 1er janvier 1815, le Chili proclama son indépendance.--Le 1er janvier 1820, l'infortuné Riégo proclama, à Cadix, la constitution des Cortès, et deux ans plus tard la Colombie promulgua sa constitution.

Parmi les autres événements historiques, scientifiques ou littéraire, qui eurent lieu le 1er janvier, nous mentionnerons la prise d'Harfleur sur les Anglais (1450); le voyage de Charles-Quint en France (1510); la levée du siège de Metz (1554); la création du ministère de police (1796); l'entrée en fonctions du Corps-Législatif et du tribunat (1800); la reddition de Dantzick (1814); la première représentation Phèdre (1677); la découverte de Céres par Piazzi (1801), etc., etc.

Que se passera-t-il le 1er janvier 1844? Nous n'osons pas le prédire; mais... qui vivra verra.



Modes de 1844, par Grandville.--Rébus.

Comment s'habillera l'année 1844? C'est là une grave question, une question qu'il serait bon de soumettre à un conclave de couturières et de marchandes de modes; ces demoiselles (j'aime à le croire) sont compétentes en cette matière, et peuvent seules annoncer l'avenir réservé au cotillon; car elles sont naturellement les Lenormand et les Cassandre de la mode. Pourquoi, en effet, ne la prédiraient-elles pas, puisqu'elles l'inventent? Nous dirons la même chose de MM. les tailleurs, qui ont inventé, entre autres découvertes commodes, les habits qui se déchirent comme de l'amadou, et les pantalons qu'on ne peut pas mettre: mode excessivement agréable pour les personnes qui ont besoin d'allumer un cigare, et pour celles qui tiennent à ne pas être trop vêtues. Quoi qu'il en soit, nous devons à l'indiscrétion d'un tailleur de la place de la bourse, et d'une marchande de modes de la rue Vivienne, le bonheur de pouvoir vous offrir ce fac similé du costume masculin et féminin qui aura cours en 1844, et sera ce qu'on appelle bien porté.


Costume de femme: bonnet à la vieille; paletot: manchettes de fourrures; robe à volant, en lambrequin; cigare il trois sous.

Costume d'homme: paletot-sac, canne et parapluie; lunettes; ou continuera à porter beaucoup de barbe, mais très-peu de cheveux.

Costume d'enfant: Scotto-Jean-Jacques.

Ces modes ne sont pas neuves; mais on ne peut pas dire non plus qu'elles soient consolantes; mais que voulez-vous? le monde se fait vieux, et l'humanité n'est pas gaie: il est logique qu'elle prenne un habit uniforme.

Maintenant, chers lecteurs, en attendant que vous passiez chez, votre tailleur ou chez votre couturière pour vous faire habiller à la 1844, permettez-moi de vous offrir vos étrennes, au nom de ma très-chère mère l'Illustration: j'ai cherché ce qui pourrait vous convenir le mieux, car j'ai le désir sincère de vous plaire. Ma première idée était de vous envoyer à chacun, dans une papillote, un contrat de 50,000 livres de rentes, 5 pour 100; mais il m'a semblé plus délicat de vous offrir le présent rébus. Le rébus fait votre bonheur, je le sais: veuillez donc accepter celui-ci avec mes salutations bien cordiales.



EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS.
Moïse sauvé des eaux.