The Project Gutenberg eBook of Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome second This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Les historiettes de Tallemant des Réaux, tome second Author: Tallemant des Réaux Editor: marquis de H. de Chateaugiron L.-J.-N. Monmerqué Jules-Antoine Taschereau Release date: December 21, 2011 [eBook #38361] Language: French Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HISTORIETTES DE TALLEMANT DES RÉAUX, TOME SECOND *** Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. MÉMOIRES DE TALLEMANT DES RÉAUX. PARIS, IMPRIMERIE DE DECOURCHANT, Rue d'Erfurth, no 1, près de l'Abbaye. LES HISTORIETTES DE TALLEMANT DES RÉAUX. MÉMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE DU XVIIe SIÈCLE, PUBLIÉS SUR LE MANUSCRIT INÉDIT ET AUTOGRAPHE; AVEC DES ÉCLAIRCISSEMENTS ET DES NOTES, PAR MESSIEURS MONMERQUE, Membre de l'Institut, DE CHATEAUGIRON ET TASCHEREAU. TOME SECOND. PARIS, ALPHONSE LEVAVASSEUR, LIBRAIRE, PLACE VENDÔME, 16. 1834 MÉMOIRES DE TALLEMANT. LE MARÉCHAL DE MARILLAC[1]. Le maréchal de Marillac étoit fils d'un avocat. En ce temps-là véritablement les avocats étoient plus considérés qu'à cette heure, à cause que la paulette[2] n'étoit pas encore établie, et qu'on prenoit de leur corps les présidents et les gardes-des-sceaux. On disoit que Marillac étoit gentilhomme, mais c'étoit un gentilhomme _dubiæ nobilitatis_. Cet homme, dans le dessein de se pousser à la cour, prit l'épée. Il étoit grand et bien fait, robuste et adroit à toutes sortes d'exercices. Il se mêle parmi les grands seigneurs; et comme il avoit de l'esprit et du sens, il s'avisa de demander en mariage une fille de la Reine-mère, qui étoit Médicis, mais d'une branche si éloignée, que la Reine ne la reconnoissoit en aucune façon pour sa parente. Ce nom de Médicis ne fut pas inutile à Marillac. Il le fit valoir comme il avoit prétendu. C'étoit lui qui étoit toujours dépêché pour les affaires de la Reine-mère; et, comme il s'acquittoit bien de toutes ses commissions, insensiblement il se rendit considérable. M. de Luçon[3] crut que cet homme ne lui seroit pas inutile; les voilà unis. Dans les guerres d'Italie, Marillac demande de l'emploi; il en a, et, hors de payer de sa personne, il faisoit tout admirablement bien. On croit qu'il eût pu devenir grand capitaine, car il y en a eu qui ont fait bien du bruit sans aller aux coups. Il est vrai qu'en France cela est plus difficile qu'en Espagne et qu'en Italie. On disoit qu'à Rouen, ayant pris querelle à la paume avec un nommé Caboche, et ayant été séparés, il le rencontra après, et le tua avant que l'autre ait eu le loisir de mettre l'épée à la main. C'étoit devant qu'il eût de l'emploi. Il prétendit être maréchal de France et le fut, et son frère aîné, qui étoit de robe, garde-des-sceaux. Depuis, ils cabalèrent pour débusquer le cardinal, et Vaultier craignoit qu'ils eussent toute l'autorité chez la Reine. Le cardinal, qui dans son _Journal_ appelle toujours ce maréchal _Marillac l'Epée_, le fit arrêter, et le fit condamner fort légèrement. Ce fut à Ruel, dans la propre maison du cardinal, que le maréchal de Marillac étoit gardé. Comme ce maréchal n'étoit pas un sot, il déclina, et ne voulut pas reconnoître des commissaires. Enfin on l'enjôla, et ses propres parents y servirent innocemment. On lui fit accroire qu'il ne pouvoit courir risque de la vie; mais que s'il ne reconnoissoit ses juges, il seroit prisonnier pour le reste de ses jours. Il les reconnut, et eut le cou coupé. Il faut dire, à la louange d'un M. Frotté, son secrétaire, que le cardinal fit tout ce qu'il put au monde pour le gagner, mais il n'en put venir à bout. M. de Châteauneuf présidoit au jugement. Il n'étoit pas trop bien avec le cardinal; il s'y remit bien par ce bel arrêt. Il ne laissa lire qu'une fois les avis, au lieu de trois fois, et puis dit: _Il y a arrêt_. Chastellet vouloit revenir. On assure que le cardinal dit, comme si cela l'eût lavé en quelque sorte: «Je ne croyois pas qu'il y eût de quoi faire mourir M. de Marillac; mais Dieu donne des connoissances aux juges qu'il ne donne pas aux autres hommes. Il faut croire qu'il étoit coupable, puisque ces messieurs l'ont condamné[4].» On ne lui fit son procès que sur des ordres de tirer tant et tant de certains villages du Verdunois, pour les exempter des gens de guerre, et lui, disoit qu'il avoit employé cet argent à bâtir la citadelle de Verdun; mais il n'en avoit point d'ordre. Châteauneuf en a été bien payé. Depuis, Bretagne, conseiller à Dijon, fut pour cela premier président de Metz[5]. [1] Louis de Marillac, né en Auvergne en juillet 1572, décapité à Paris, le 10 mai 1632. La _Gazette_ du 17 mai 1632 dit que l'empressement pour assister à son exécution fut si considérable, que _telle fenêtre fut louée huit pistoles_. [2] On appeloit ainsi le droit que payoient tous les ans au Roi la plupart des officiers de justice et de finance, pour pouvoir disposer librement de leurs charges. [3] Richelieu, qui n'étoit encore, à cette époque, qu'évêque de Luçon. [4] Ce propos a été attribué également au cardinal de Richelieu par l'abbé de Marolles, dans son _Abrégé de l'Histoire de France_. Bayle dit à cette occasion, article _Louis_ XIII: «Si j'avois ouï dire cela à ce cardinal, je croirois qu'il tint ce discours.» [5] On le trouva brûlé; car un jour, étant demeuré seul, il étoit tombé dans le feu, et, comme il étoit foible, il ne s'en put tirer. (T.) MADAME DU FARGIS. Madame du Fargis étoit fille d'un M. de La Rochepot, qui étoit venu de ce M. de Silly qui avoit épousé l'héritière de La Roche-Guyon. Elle avoit une soeur aînée qui fut mariée au général des galères, aujourd'hui le Père de Gondy[6]. Pour elle, son père s'étant remarié avec la marquise de Boissy, mère du marquis de Boissy, père du duc de Rouanez[7], elle fit bien des galanteries avec ce jeune homme qui étoit dans le même logis qu'elle. Cela fit bien du bruit, et on fut contraint de la mettre chez madame de Saint-Paul (de la maison de Caumont), où elle ne fut pas plus sage. En ce temps-là, il lui vint une fantaisie d'être aimée du comte de Cramail; et elle disoit à ceux qui la vouloient cajoler: «Attendez à une autre fois; à cette heure je n'ai que le comte de Cramail en tête.» M. de Créquy ne laissa pas que de lui en conter. Il eut un rendez-vous d'elle à Amiens, lorsque la cour y étoit. Il y alla déguisé. M. de Chaudebonne étoit avec lui. Cramail eut aussi un rendez-vous de même; et cela fit un si grand éclat que madame de Saint-Paul ne la voulut plus souffrir, et le général des galères fut contraint de la retirer. On croira peut-être que c'étoit une fort belle personne? non: elle étoit marquée de petite vérole; mais elle étoit fort agréable, vive, pleine d'esprit, et la plus galante personne du monde. Elle s'ennuya bientôt chez sa soeur qui étoit une dévote, et, comme ils étoient à Montmirail en Champagne, un beau jour elle s'en alla au Charme: c'est un prieuré de dames, dépendant de Fontevrault. Elle dit qu'elle vouloit être religieuse. Elle n'y fut pas long-temps qu'elle demanda à aller aux Carmélites du faubourg Saint-Jacques, parce que les Carmélites sont à Paris. Le cardinal a mis dans son _Journal_ que ce fut par désespoir du grand scandale arrivé à Amiens qu'elle s'étoit jetée dans les Carmélites[8]. Ce fut là qu'elle fit connoissance avec le cardinal Bérulle, qui étoit directeur des Carmélites. Toutes les religieuses lui en dirent des merveilles; car comme elle avoit l'esprit fort adroit, et que ces filles, à tout prendre, qui sont les plus habiles et les plus éclairées de toutes les religieuses, peuvent mieux voir les dons qu'a une personne, elle passa là dedans pour tout ce qu'elle voulut: on la croyoit une sainte. Madame de Rambouillet y fut attrapée comme les autres. Elle dit qu'un jour que la Reine-mère y étoit allée, quand la Reine sortit, tous les seigneurs de la cour se présentèrent à la porte. Madame de Rambouillet eut peur que la vue du comte de Cramail, qui y étoit, ne détournât cette fille du bon chemin, et elle dit: «Ah! mon Dieu, qu'il fait froid!» et en disant cela elle baissa le voile de mademoiselle de La Rochepot. Il y avoit trois ans qu'elle étoit Carmélite, quand son père vint à mourir. Elle étoit seule héritière avec la générale des galères; cela lui fit quitter le couvent. Elle n'avoit point fait les voeux, disant toujours qu'elle ne se trouvoit pas assez en bon état. Elle sort sous prétexte de n'avoir pas assez de santé pour observer la règle. M. Du Fargis d'Angennes, cousin-germain du marquis de Rambouillet, homme de coeur, d'esprit et de savoir, mais d'une légèreté étrange, l'épouse. Il va en ambassade en Espagne. Elle l'y suit. M. de Rambouillet y alla un peu après ambassadeur extraordinaire. Au retour, le cardinal de Bérulle et les Marillac en parlent au cardinal qui, sur sa bonne réputation, la fait dame d'atour de la Reine. Madame d'Aiguillon lui servit extrêmement à gagner des procès qu'elle avoit. Elle recommence ses galanteries avec le comte de Cramail; elle se mêle de toutes sortes d'intrigues. Il y a dans le _Journal_, que le président Le Bailleul la trouva une fois sur un lit qui étoit contre terre, n'ayant qu'un drap sur elle, et Béringhen, aujourd'hui M. le Premier[9], enfermé avec elle[10]. Il étoit de la cabale de Vaultier et elle aussi. Son plus grand crime fut que le cardinal crut qu'elle l'avoit mal servi auprès de la Reine en son amourette; et quand il la chassa, il publia des lettres, qui sont imprimées, d'elle au comte de Cramail. Il y a plus d'intrigue que d'amour dans ces lettres, mais il y en a pourtant honnêtement, comme: _Aimez qui vous adore_, et elles étoient datées, au moins l'une, du jour de la Pentecôte. Madame de Rambouillet a vu les originaux. Le cardinal fit faire par Chastellet, le maître des requêtes, une prose rimée latine contre elle et le garde-des-sceaux Marillac. Il y avoit en un endroit: Fargia, dic mihi, sodes, Quantas commisisti sordes Inter Primas atque Laudes; Quando senex, vultu gravi, Caudà mulcebat suavi. Car il y avoit toujours une ombre de dévotion. J'ai ouï dire une plaisante vision de ce garde-des-sceaux Marillac. Pour mortifier des religieuses, il leur fit faire des contre-feux de cheminée où il y avoit de gros K entrelacés, afin que le feu les ayant rougis, cela leur donnât des pensées lubriques, et qu'elles eussent plus de mérite à y résister. Le marchand qui les fit faire l'a dit à un de mes amis. Enfin, quand madame couper le cou en effigie. M. Du Fargis étoit à Monsieur, et le suivit. Madame de Rambouillet dit que madame Du Fargis devoit être la mère du coadjuteur. [6] Philippe-Emmanuel de Gondy, général des galères, puis prêtre de l'Oratoire, né à Limoges en 1581, mort à Joigny le 29 juin 1662. [7] Le duc de Rouanez suivit la Reine-mère. Son fils est celui qui s'est retiré et a marié sa soeur à La Feuillade. (T.) [8] «Mademoiselle Du Tillet dit qu'elle ne s'étonna pas quand on ôta La Fargis de chez la Reine, mais bien quand on lui avoit permis, vu la vie qu'elle avoit toujours faite; qu'elle s'étoit jetée dans les Carmélites par désespoir du scandale qui étoit arrivé à Amiens, lorsqu'elle étoit avec Madame, où Créquy devoit entrer par la fenêtre et le comte de Cramail, qui l'étoient venus trouver déguisés.» _Journal de M. le cardinal duc de Richelieu_, première partie; Amsterdam, Wolfgank, 1664, in-12, p. 49-50. [9] Premier écuyer de la petite écurie sous Louis XIV. [10] _Journal de Richelieu_, première partie, p. 48. LE MARÉCHAL D'EFFIAT[11]. Voici un maréchal de France _dubiæ nobilitatis_[12]: il s'appeloit Coiffier en son nom. On a dit, pour le déprimer encore davantage, que la Coiffier, traiteuse, étoit sa parente. C'étoit un fort bel homme et fort adroit. Quand le duc de Savoie, le bossu, vint à Paris, Henri IV fit faire une grande course de bague. Il garda d'Effiat pour la fin: il mit dix dedans tout de suite. Il ne donna qu'une atteinte à la onzième; mais pour réparer cela, il jeta sa lance en avant, la reprit, et finit en mettant dedans. Tout le monde l'admira. Beaulieu-Ruzé[13], un secrétaire d'Etat, qui portoit l'épée, le fit son héritier, à condition qu'il prendroit son nom et ses armes. D'Effiat étoit adroit courtisan; il plut au cardinal de Richelieu. Il fut envoyé pour le mariage de la reine d'Angleterre[14]. On le blâma d'avoir mis pavillon bas, sur le commandement que lui en firent des vaisseaux anglais. Cela n'empêcha pas qu'il ne parvînt à être grand-maître de l'artillerie et surintendant des finances[15], où il apprit à voler à ceux qui l'ont suivi. Ce n'étoit pas un sot; mais il avoit été si mal élevé, qu'il écrivoit ainsi octobre, _auquetaubraj_. Il eut l'ambition, quoiqu'il ne sût nullement la guerre, de vouloir commander une armée en Allemagne. Il y mourut. On disoit qu'il prétendoit être connétable. Le cardinal l'eût perdu. [11] Antoine Coiffier, marquis d'Effiat, né en 1581, mort le 27 juillet 1632. [12] Il étoit pourtant gentilhomme. Son aïeul[12a] ou son bisaïeul, général des finances, fut fait noble pour avoir demandé une pique à la bataille de Cérisolles, et y avoir bien fait. J'ai trouvé dans l'_Histoire_ de Mézeray, ces mots, parlant de Gilbert Coiffier d'Effiat, à cause de la faveur de Henri III qui lui avoit donné charge d'agir en Auvergne: «Il avoit pris rang parmi les gentilshommes, quoiqu'il ne fût pas de race noble.» (T.) [12a] C'est son aïeul, Gilbert II. [13] Son grand-oncle maternel. [14] Henriette de France, fille d'Henri IV, avec Charles Ier en 1624. [15] En 1626. LE PÈRE JOSEPH[16], LES RELIGIEUSES DE LOUDUN. Le Père Joseph, Capucin, se nommoit Leclerc en son nom, et étoit frère de M. Du Tremblay, qu'il fit gouverneur de la Bastille. Le cardinal fit connoissance avec lui en Poitou, comme il y fut envoyé par ses supérieurs[17]. Jamais il n'y eut un homme plus intrigant ni d'un esprit plus de feu. Il a toujours eu de grands desseins en tête. Un temps il ne faisoit que prêcher la guerre sainte. M. de Mantoue, M. de Brèves, madame de Rohan et lui, prenoient fort souvent tout l'Etat du Turc[18]. Depuis, il prit la maison d'Autriche pour but, et il travailla fort avec M. de Charnacé à faire entrer le roi de Suède en Allemagne. Il se vantoit d'être né pour abattre la maison d'Autriche. Effectivement ce n'étoit pas un sot; il soulageoit fort le cardinal, et le cardinal ne faisoit pas un pas sans lui. Au commencement il alloit à cheval. Le Père Ange Soubini avoit un jour un cheval entier, et lui une jument. Ce cheval grimpe la jument, et les capuchons des deux moines faisoient la plus plaisante figure du monde[19]. Pour éviter ce scandale, on lui donna un carrosse. Depuis, il eut litière et toute chose; et il alloit être cardinal s'il ne fût pas mort. En une petite ville de quelque province de France, un homme de la cour alla voir un Capucin. Les principaux le vinrent entretenir. Ils lui demandèrent des nouvelles du Roi, puis du cardinal de Richelieu. «Et après, dit le gardien, ne nous apprendrez-vous rien de notre bon Père Joseph?--Il se porte fort bien, il est exempt de toutes sortes d'austérités.--Le pauvre homme! disoit le gardien.--Il a du crédit; les plus grands de la cour le visitent avec soin.--Le pauvre homme!--Il a une bonne litière quand on voyage.--Le pauvre homme!--Un mulet pour son lit.--Le pauvre homme!--Lorsqu'il y a quelque chose de bon à la table de M. le cardinal, il lui en envoie.--Le pauvre homme!» Ainsi à chaque article le bon gardien disoit: «Le pauvre homme!» comme si ce pauvre homme eût été bien à plaindre. C'est de ce conte-là que Molière a pris ce qu'il a mis dans son _Tartufe_, où le mari, coiffé du bigot, répète plusieurs fois _le pauvre homme_[20]! On a cru que la diablerie de Loudun ne fût point arrivée sans lui, car Grandier, curé, et les Capucins de Loudun, disputoient à qui auroit la direction des religieuses qui furent ou qui firent les possédées. Il y avoit de l'amour sur le jeu, et il y eut un Capucin tué. Les Capucins, se voyant appuyés du Père Joseph, poussèrent Grandier; et comme ces religieuses étoient pauvres, ils leur persuadèrent que bientôt elles deviendroient toutes d'or. On les instruisit donc à faire les endiablées. Pour du latin, elles n'en savoient guère, et on disoit que les diables de Loudun n'avoient étudié que jusqu'en troisième. Le Couldray Montpensier y avoit deux filles qu'il retira chez lui, les fit bien traiter et bien fouetter, le diable s'en alla tout aussitôt. Il pouvoit y en avoir qui ne savoient pas le secret, et qui, par mélancolie, ou parce qu'on le leur disoit, croyoient être possédées. On leur apprit, au moins à la plupart, quelques mots de latin et bien des ordures. Madame d'Aiguillon y fut, et madame de Rambouillet, depuis madame de Montausier. Elles virent faire des tours de sauteurs, qu'elles firent faire après à leurs laquais. La ville, et surtout les hôteliers, s'y enrichirent. On y couroit de toutes parts. Duneau, médecin huguenot, et principal du collége de Saumur, y fut appelé. Il s'en moqua. C'est lui qui disoit qu'un médecin étoit _animal incombustibile propter religionem_. Quillet y fut aussi appelé, et des religieuses de Chinon ayant voulu imiter celles de Loudun, il en fit une satire en vers latins, pour laquelle Bautru lui conseilla de s'éloigner[21], et le donna au maréchal d'Estrées, avec lequel il fut à Rome en son ambassade extraordinaire. Le ministre de Loudun, comme on le défioit de mettre ses doigts dans la bouche des religieuses de même que les prêtres y mettoient ceux dont ils tiennent l'hostie, répondit «qu'il n'avoit nulle familiarité avec le diable, et qu'il ne se vouloit point jouer à lui.» Un diable s'étoit vanté d'enlever le ministre dans sa chaire sur la tour de Loudun. Il n'en fit rien cependant. Cette badinerie, ou plutôt ce désir de vengeance des Capucins, fut cause que Grandier fut brûlé tout vif, car Laubardemont[22], qui étoit bon courtisan, le sacrifia au crédit du Père Joseph. Ce Grandier avoit été galant, et s'étoit fait quelques ennemis dans la ville qui lui nuisirent. Le diable dit une fois: «M. de Laubardemont est cocu.» Et Laubardemont, à son ordinaire, mit le soir: _Ce que j'atteste être vrai_, et signa. Enfin insensiblement cela se dissipa à mesure que le monde se désabusoit. [16] François Leclerc Du Tremblay, né à Paris le 4 novembre 1577, mort à Paris le 18 décembre 1638. On a l'_Histoire de la vie du R. P. Joseph_ LECLERC DU TREMBLAY, _capucin, instituteur des filles du Calvaire_, 1702, 2 volumes in-12. Ce panégyrique est de l'abbé Richard, auquel on attribue un ouvrage satirique anonyme contre le même P. Joseph, ouvrage auquel l'abbé fit une _Réponse_; mais, assure-t-on, seulement dans le but de se mieux cacher. [17] Comme abbé des Roches, abbaye voisine de celle de Fontevrault. [18] On lit en effet dans les ouvrages publiés sur le P. Joseph, qu'il avoit composé un poème latin, intitulé: _La Turciade_, pour animer les princes chrétiens contre les Musulmans. [19] Le Père Joseph dit: «_Voilà un Impudent animal_.» Depuis on appela ce cheval _l'Impudent_. (T.) [20] D'Olivet a raconté, et Bret a imprimé d'après lui, une anecdote qui assigneroit une toute autre origine à l'exclamation d'un si vrai comique du pauvre Orgon: «Louis XIV, disoit d'Olivet, marchoit vers la Lorraine vers la fin de l'été de 1662. Accoutumé dans ses premières campagnes à ne faire qu'un repas le jour, il alloit se mettre à table la veille de Saint-Laurent, lorsqu'il conseilla à M. de Rhodez (_Péréfixe_), qui avoit été son précepteur, d'aller en faire autant. Le prélat, avant de se retirer, lui fit observer, peut-être avec trop d'affectation, qu'il n'avoit qu'une collation légère à faire un jour de vigile et de jeûne. Cette réponse ayant excité de la part de quelqu'un un rire qui, quoique retenu, n'avoit point échappé à Louis XIV, il voulut en savoir le motif. Le rieur répondit à Sa Majesté qu'elle pouvoit se tranquilliser sur le compte de M. de Rhodez, et lui fit un détail exact de son dîner dont il avoit été témoin. A chaque metz exquis et recherché que le conteur faisoit passer sur la table de M. de Rhodez, Louis XIV s'écrioit: _Le pauvre homme!_ et chaque fois il assaisonnoit ce mot d'un ton de voix différent qui le rendoit extrêmement plaisant. Molière, en qualité de valet-de-chambre, avoit fait ce voyage: il fut témoin de cette scène, et comme il travailloit alors à son _Imposteur_, il en fit l'heureux usage que nous voyons.» Il est fort probable, à lire le récit de Tallemant, bien antérieur à celui de d'Olivet, que si Louis XIV a joué la scène qu'on lui fait jouer, ce n'étoit de sa part qu'un souvenir du conte sans doute bien connu du P. Joseph; et que c'est aussi le gardien et son exclamation de bonne foi que Molière eut en vue dans son Orgon, et non pas Louis XIV dont l'exclamation n'étoit qu'épigrammatique. [21] Les biographes assignent une autre cause à la nécessité où Quillet se trouva de s'éloigner dans cette circonstance: «Dans l'une des séances ridicules où l'on faisoit parler les diables, Satan menaça par la bouche de l'une de ces religieuses d'enlever jusqu'à la voûte de l'église celui qui douteroit de leur possession. Quillet eut l'imprudence de défier le diable, qui, ne s'attendant pas à une semblable provocation, en fut pour sa courte honte. C'étoit défier le cardinal. Quillet le sentit assez tôt pour en prévoir et en prévenir les suites. En effet, peu de jours après Laubardemont lança contre lui un décret de prise de corps.» (_Histoire de Touraine_, par Chalmel, t. 4, Biographie, p. 404.) [22] Maître des requêtes. (T.)--Laubardemont se trouvoit à Loudun pour veiller à la démolition du château-fort de cette ville, quand commença la comédie de la possession. Il en rendit compte su Roi et au cardinal, et fut nommé par eux pour informer contre Grandier. La manière dont il s'acquitta de cette mission a donné à son nom une affreuse célébrité. M. DE NOYERS et L'ÉVÊQUE DE MENDE. M. de Noyers[23] s'appeloit Sublet. Il étoit parent de messieurs de La Motte-Houdancourt; le second de ces messieurs-là étoit évêque de Mende, et fort bien auprès du cardinal de Richelieu. Ce fut lui qui lui donna M. de Noyers. Je dirai ce que j'ai appris de ce M. de Mende. C'étoit un homme actif et fier, et qui vouloit qu'on lui tînt ce qu'on lui avoit promis. Une fois M. Bouthillier, qui étoit jaloux de lui, lui refusa l'entrée dans la chambre du cardinal, disant, comme il étoit vrai, qu'il avoit ordre de ne laisser entrer personne, et qu'il s'en alloit dire à Son Eminence que M. de Mende étoit là. La porte étoit entr'ouverte, M. de Mende la pousse; M. Bouthillier tombe; l'évêque passe brusquement à la ruelle; le cardinal étoit au lit: «Monsieur, lui dit-il, je trouve fort étrange que M. Bouthillier me vienne fermer la porte au nez: je suis bien assuré que vous ne lui avez pas ordonné de me traiter ainsi.» Le cardinal ne dit rien. M. de Mende s'en va chez lui en Picardie, et ne voulut pas s'en tourmenter davantage. «S'ils me laissent ici, disoit-il, ils me feront plaisir; j'étudierai; j'ai du bien plus qu'il ne m'en faut.» Le cardinal ne s'en put passer. Il le renvoya quérir. Ce fut lui qui disposa tout pour le siége de La Rochelle; et, en mourant, car il mourut durant le siége, il ordonna qu'on l'enterrât dans la ville lorsqu'elle seroit prise. Ce fut lui qui fit résoudre Barradas à donner sa démission de la charge de premier écuyer de la petite écurie pour cent mille écus. Le Roi avoit impatience de l'avoir pour Saint-Simon. Le cardinal vouloit différer à payer cette somme, et faire que cela n'allât à rien avec le temps. L'évêque lui dit: «Monsieur, c'est sur ma parole que M. de Barradas a traité; je vendrai plutôt mes bénéfices que de ne tenir pas ce que j'ai promis.» Le cardinal ne put résister, et Barradas fut payé. M. de Noyers avoit une vraie âme de valet. Montreuil, secrétaire des commandemens de madame d'Orléans, l'étoit de feue Madame, qui, étant grosse, étoit regardée comme la Reine, et faisoit un parti dans la cour. Madame témoignoit assez de bonne volonté à Montreuil qui avoit été précepteur de M. de Guise d'aujourd'hui. Un jour de Noyers, qui étoit allié de Montreuil, se promenoit avec lui: «Ne craignez-vous point, lui dit Montreuil en riant, que cela ne vous nuise de vous voir promener avec moi?» De Noyers le quitte aussitôt, et depuis ne lui parla point que Madame ne fût morte. Il est vrai que quand il fut en faveur, il se ressouvint un peu de lui. Ce petit homme vouloit tout faire et étoit jaloux de tout le monde. Il a nui en tout ce qu'il a pu à Desmarets, qui s'entend à tout, et qui a beaucoup d'inclination pour l'architecture, de peur que cet homme ne lui ôtât quelque chose; car il s'est assez tourmenté de faire sa charge de surintendant des bâtimens, et il avoit bonne envie d'achever le Louvre, et de faire dorer la galerie tout du long, comme il y en a un bout: ce fut lui qui le fit faire. Sa cagoterie parut en ce qu'il brûla quelques nudités de grand prix qui étoient à Fontainebleau. En récompense, il entretenoit assez bien les maisons du Roi. Il étoit concierge de Fontainebleau[24]. Une fois que le cardinal vouloit faire venir un notaire: «Il n'est pas besoin, monseigneur, lui dit-il; je suis secrétaire du Roi, je ferai bien ce qu'il faut.» Le cardinal rompit un jour par hasard une petite canne fort jolie qu'il aimoit assez. Le petit bon homme la prend, la rajuste et la rapporte à Son Eminence. On disoit qu'il ne voloit pas, mais il laissoit voler sous lui. Il avoit fait les voeux de Jésuite depuis son veuvage, mais il étoit exempt de porter l'habit et de vivre autrement qu'un séculier. Il fit tout le pis qu'il put à l'Université. Il a laissé un pauvre benêt de fils[25]. Ce fut lui qui découvrit au feu Roi que le cardinal avoit cinq cent mille écus chez Mauroy. Sa disgrâce est dans les Mémoires de la Régence. Ce fut lui qui fut cause de la mort de Saint-Prueil, et Saint-Prueil[26] le dit bien: «C'est un cagot; il ne me pardonnera jamais.» Saint-Preuil avoit donné sur les oreilles à un petit d'Aubray qu'il avoit mis à Arras pour les finances. Le maréchal de Brézé, pour faire enrager de Noyers, mettoit toujours des ordures dans les lettres qu'il lui écrivoit, comme: «Allez vous faire f.... avec vos f..... ordres.» Le moyen, disoit le petit homme, que les affaires du Roi prospèrent après ces abominations-là! Il avoit le département de la guerre. Ce n'est pas que Saint-Prueil ne fût un homme violent et un tyran, mais galant homme du reste, et qui dépensoit tout. Il y a dans son procès imprimé une lettre du feu Roi, qui est une ridicule lettre. La voici: «Brave et généreux Saint-Prueil, vivez de concussion, plumez la poule sans crier; faites comme font tels et tels; faites ce que font beaucoup d'autres dans leurs gouvernements; tout est bien fait pour vous; vous avez tout pouvoir dans votre empire; tranchez, coupez; tout vous est permis!» [23] François Sublet de Noyers, né en 1578, mort à Dangu, le 20 octobre 1645. [24] Ce fut lui qui fonda l'Imprimerie royale, d'abord établie dans les galeries du Louvre. [25] Le fils de M. de Noyers, appelé La Boissière, ne manque nullement d'esprit; c'est une espèce de visionnaire et d'avaricieux qui mène une vie retirée, et qui ne s'occupe guère à rien. On a retiré sur lui la terre de Dangu que son père avoit achetée sans prendre bien garde à sa sûreté. Il l'a perdue; il vit encore en l'an 1672. (T.) [26] François de Jussac, seigneur de Saint-Prueil, maréchal-de-camp, gouverneur d'Arras, décapité pour satisfaire la haine du cardinal de Richelieu. M. DE BULLION[27]. M. de Bullion étoit conseiller au parlement. Son père étoit maître des requêtes[28]. Il rapporta je ne sais quelle affaire pour la comtesse de Sault, mère de M. de Créqui; elle l'avoit eu du premier lit; puis le comte de Sault, fils du second lit, l'ayant faite héritière, M. de Créqui eut ce bien-là: c'est pays de droit écrit que le Dauphiné. La comtesse de Sault eut de l'affection pour ce petit M. de Bullion, à cause, dit-on, que le proverbe de _petit chien belle queue_ étoit fort véritable en lui[29]. Elle le poussa, lui donna du bien, et lui fit avoir de l'emploi. Il fut président aux enquêtes. On dit qu'un jour elle disoit à la Reine-mère: «Ah! madame! si vous connoissiez M. de Bullion comme moi!--_Diou_ m'en garde, madame la comtesse,» dit la Reine; car elle n'a jamais su prononcer le françois, et elle disoit: _Fa cho_ pour dire: Il fait chaud. Celle-ci[30] le prononce comme si elle étoit née à Paris. Cette madame de Sault fit avoir à Bullion l'intendance de l'armée de M. le connétable de Lesdiguières contre les Génois, et il n'y fit pas mal ses affaires. Le connétable et lui s'entendoient fort bien. Le cardinal de Richelieu le fit après surintendant des finances[31] avec M. Bouthillier, père de M. de Chavigny; mais Bullion faisoit quasi tout. C'étoit un habile homme, et qui avoit plus d'ordre que tous ceux qui sont venus depuis. Il disoit: «Fermez-moi deux bouches, la maison de Son Eminence et l'artillerie, après je répondrai bien du reste.» Cependant on m'a assuré que quand les premiers louis d'or furent faits, il dit à ses bons amis: «Prenez-en tant que vous en pourrez porter dans vos poches.» Bautru fut celui qui en porta le plus. Il en mit trois mille six cents. Le bon homme Senecterre en étoit. Je doute de cela[32]. Le cardinal lui fit avoir le cordon bleu en disant au Roi: «Sire, ce seroit une plaisante chose que cette figure avec le cordon.» Cornuel faisoit presque tout sous lui, mais de sorte qu'il sembloit qu'il ne fît rien sans en parler au surintendant, car le bon homme se divertissoit. Il alloit souvent chez La Brosse, son médecin, qu'il avoit établi au Jardin des Plantes du faubourg Saint-Victor[33]. Là, il avoit des mignonnes et crapuloit tout à son aise. Il se faisoit donner des lavements pour manger après tout de nouveau. Il avoit des raffinements pour le vin tout extraordinaires. Il ne vouloit pas qu'on bût immédiatement après avoir mangé du lapin, parce, disoit-il, que cette viande avoit je ne sais quoi qui empêchoit de le bien goûter. Je vous laisse à penser s'il en avoit du meilleur: tous les gens d'affaires se tuoient à lui en chercher. Il avoit des cerneaux tout le long de l'année, et toujours de la poudre de champignons dans sa poche. Il n'avoit que peu de gens à crapuler avec lui; Senecterre en étoit toujours, et, quand ils sortoient de Paris, le bon homme de Montbazon, exprès pour avoir des gardes; car, comme gouverneur de Paris, il avoit toujours quelqu'un. Ce n'étoit pas comme à cette heure qu'on en a donné cinquante au maréchal de L'Hôpital. Madelenet[34] s'avisa, quoique Bullion n'aimât pas les vers, de lui faire une ode latine. Il y avoit une comparaison au commencement qui me fit bien rire. Il le comparoit à un petit baril bien plein, et il disoit qu'un baril bien plein ne porte point envie à l'abondance de la mer, et que Bullion, se contentant de ce qu'il avoit, ne portoit point envie aux trésors des rois. Voyez la grande modération de cet homme! il se contentoit de huit millions, et d'être président au mortier. Il est vrai que sa charge étoit une charge nouvelle, et il ne la faisoit point. Une autre chose fut encore assez plaisante. Il acheta une chapelle à Saint-Eustache. Le peintre qui la peignit et la dora vint un jour lui parler. «Allez, mon ami, allez (car il commençoit toujours ainsi): que voulez-vous?--Monsieur, c'est pour votre chapelle.--Eh bien, mon ami, ma chapelle?--Monsieur, c'est qu'on a accoutumé de les dédier à quelque saint.--Eh bien, mon ami, à quel saint?--Monsieur, à saint Paul, à saint André, à saint François, à saint Antoine?--Eh bien, mon ami, auquel tu voudras.--Monsieur, c'est à vous à dire.--Eh bien, mets-y saint Antoine, mon ami.» Sur cela on disoit qu'il avoit eu raison, et que c'étoit aussi bien déjà la chapelle du petit cochon. Il craignoit terriblement les bonnes odeurs. M. le chancelier avoit toujours des gants d'Espagne au conseil. Cela incommodoit fort Bullion. Il s'en plaignit comme si l'autre l'eût fait exprès. Le cardinal dit au chancelier: «Puisque j'ôte mes gants de senteur pour l'amour de M. de Bullion, vous pouvez bien ôter les vôtres.» Il traitoit le chancelier d'écolier, et le chancelier, qui vouloit être payé, ne disoit mot, et avaloit cela doux comme de l'eau. Il appeloit sa femme _la grosse amie_. C'est une bonne femme, mais un peu hypocondriaque. On dit qu'elle donne aux pauvres. Je trouverois assez à propos de faire une comparaison de Bullion avec les surintendants d'aujourd'hui. Ceux-ci, à leur table, à leurs bonnes fortunes, à leurs maisons, dépenseront plus par exemple en six ans que Bullion n'a laissé. La table de Fouquet coûte deux cent mille livres; je veux dire la dépense du maître-d'hôtel est de cinq cents livres par jour. A Vaux, il y a six cents personnes nourries: jugez du reste. Bullion, une fois qu'il a eu un million, a pu épargner, car il ne tenoit point table, et n'avoit qu'un équipage fort médiocre. Bien loin de bâtir, il jetoit à bas le bâtiment des terres qu'il achetoit au loin, pour avoir moins d'entretien. A Paris, il n'a point fait de palais. On m'a assuré que son inventaire montoit à sept cent mille livres de rente. On disoit en 1622 qu'il avoit déjà soixante mille écus de pension; il ne fut fait surintendant que dix ans après. Richer, notaire, comme on fit l'inventaire, dit à madame de Bullion: «Voyez, madame, si vous avez encore quelque chose à dire. Est-ce-là tout? Il ne faut rien cacher.» Cette bonne grosse dame crut qu'il la soupçonnoit, et changea de couleur. «Si vous ne savez rien de plus, ajouta-t-il, j'ai à vous dire, moi, que je sais où feu M. votre mari avoit déposé cent vingt mille écus d'or en espèces; c'est chez moi. Il n'en avoit tiré aucune reconnoissance, et je vois bien qu'il n'y en a point de registre.» Il les restitua, et on lui donna dix mille écus pour cela et pour le reste. Le cardinal de Richelieu souhaita que Bonelles, fils aîné de Bullion, épousât mademoiselle de Toussy, qui étoit un peu proche parente de Son Eminence. Bonelles n'en avoit point d'envie. Il étoit amoureux de mademoiselle de Montbazon; mais le père le lui fit faire en dépit de lui. Il a été malheureux en enfants, ce bon homme, il n'y en a pas un qui ait réussi. L'abbé de Saint-Faron, qui avoit soixante mille livres de rente, sans ce qu'il attendoit de sa mère, a assez fait le niais avec la vieille Martel; et après, en une maladie, la peur du diable le saisit tellement, qu'il se mit dans l'Oratoire. La Taulade le fils, un gentilhomme béarnois, un peu maquereau, s'étant attaché à lui, a fait aussi le dévot par nécessité, et l'a suivi à Saint-Magloire. Il arriva une fois au Père de La Taulade une plaisante chose. C'est un fort gros homme. Un jour le fond de sa chaise s'enfonça; le voilà les pieds à terre; les porteurs, par malice ou autrement, ne faisoient pas semblant d'entendre. Il alla dans les crottes tout le long du Pont-Neuf, comme s'il eût été sous un dais. Nous parlerons ailleurs de Bonelles, de sa femme et du reste. J'ai ouï dire que quand M. de Bullion maria sa fille avec feu M. le président de Bellièvre, alors maître des requêtes[35], il y avoit cent mille écus dans le contrat; mais comme le notaire vint à lire cent mille écus, Bullion dit: «Ajoutez d'or, monsieur le notaire.» C'étoit alors, je pense, cinquante mille écus au moins plus qu'il n'avoit promis. Le bon homme mourut de crapule en moins de rien[36]. On m'a dit, mais je ne voudrois pas l'assurer, qu'il mourut de déplaisir pour avoir reçu un coup de pied du cardinal de Richelieu. Le feu Roi vouloit avoir cent mille livres pour quelque chose; le cardinal lui dit que M. de Bullion étoit chargé de dépenses pressées, et que cela seroit difficile pour le présent. Bullion parla comme le cardinal vouloit. A quelque temps de là, Coquet, confident de Bullion, avertit le Roi qu'on avoit des fonds. Il fallut donner cet argent au Roi. Le cardinal crut que Bullion avoit voulu faire sa cour à ses dépens, car le feu Roi avoit dit quelque chose sur cela au cardinal qui ne lui avoit pas plu. Il lui reprocha son alliance, le malmena et le frappa. Ce n'est pas la première fois que cela lui est arrivé. Dans la colère, il donna un soufflet à Cavoye pour avoir changé un ordre. Cela est de conséquence en fait de garde; Cavoye avoit tort. A quelques jours de là, il lui en demanda pardon[37]. [27] Claude de Bullion, seigneur de Bonelles, surintendant des finances, ministre d'État, garde des sceaux des ordres du Roi, mort le 22 décembre 1640. [28] Sa mère étoit une Lamoignon. [29] On montra à Pompeo Frangipani, M. de Montmorency, M. de Bassompierre et ce petit bout d'homme; et on lui dit: «Devinez lequel des trois a fait fortune par les femmes? Il se mit à rire, et dit: «Serait-ce ce petit vilain?--Oui; les autres, tout beaux qu'ils sont, y ont dépensé cinq cent mille écus chacun.» (T.) [30] Marie-Thérèse, femme de Louis XIV. [31] En 1632. [32] On m'a dit depuis que cela étoit vrai, et qu'il le fit pour gagner Senecterre. (T.)--On lit dans les _Pièces intéressantes et peu connues_, publiées par La Place: «Le surintendant ayant donné à dîner au premier maréchal de Grammont, au maréchal de Villeroy, au marquis de Souvré, et au comte d'Hautefeuille, fit servir au dessert trois bassins remplis de louis, dont il les engagea à prendre ce qu'ils en voudroient. Ils ne se firent pas trop prier, et s'en retournèrent les poches si pleines, qu'ils avoient peine à marcher; ce qui faisoit beaucoup rire Bullion. Le Roi, qui faisoit les frais de cette plaisanterie, ne devoit pas la trouver tout-à-fait si bonne.» [33] La Brosse disoit que le vin qui croissoit sur cette petite butte, qui est dans l'enclos de ce jardin, étoit assez bon, mais que si on le gardoit plus de deux ans, il sentoit la gadoue. C'est qu'autrefois on la jetoit en cet endroit-là, et que cette butte en a été composée, sinon en tout, au moins en partie. (T.)--C'est sur cette butte qu'a été tracé le labyrinthe entouré d'arbres verts que nous y voyons aujourd'hui. [34] Gabriel Madelenet, poète latin du XVIIe siècle, mourut en 1661. Le comte de Brienne a recueilli ses vers, et les a publiés en 1662. [35] Pompone de Bellièvre, né en 1606, mort en 1657. [36] Cornuel ne mourut pas si commodément. Il eut le loisir d'avoir bien peur du diable, et comme il se tourmentoit comme un procureur qui se meurt, Bullion lui disoit: «Ne vous inquiétez point, tout est au Roi, et le Roi vous l'a donné.» (T.) [37] Louis XIV se repentit de s'être ainsi livré au premier mouvement de sa violence, car on le vit jeter sa canne par la fenêtre, de peur d'en frapper Lauzun. MADAME D'AIGUILLON[38]. J'ai déjà dit qui elle étoit et comment elle fut mariée, à Combalet, qui étoit mal bâti et couperosé, et qui n'avoit rien que la jeunesse. Elle conçut une telle aversion pour lui, qu'elle ne le pouvoit souffrir et étoit dans une mélancolie effroyable. Quand il fut tué aux guerres des Huguenots, de peur que, par quelque raison d'Etat, on ne la sacrifiât encore, elle fit voeu un peu brusquement de ne se marier jamais et de se faire Carmélite. Ce fut aux Carmélites mêmes qu'elle fit ce voeu; elle s'habilla aussi modestement qu'une dévote de cinquante ans. Elle n'avoit pas un cheveu abattu. Elle portoit une robe d'étamine, et ne levoit jamais les yeux. Avec ce harnois-là elle étoit dame d'atour de la Reine-mère et ne bougeoit de la cour. C'étoit alors la grande fleur de sa beauté. Cette manière de faire dura assez long-temps. Enfin, son oncle devenant plus puissant, elle commença à mettre des languettes, après elle fit une boucle ou mit un petit ruban noir à ses cheveux; elle prit des habits de soie, et peu à peu elle alla si avant que c'est elle qui est cause que les veuves portent toutes sortes de couleurs, hors du vert. Le cardinal de Richelieu ayant été déclaré premier ministre, le comte de Béthune fut le premier qui se présenta pour épouser madame de Combalet. Le comte de Sault, aujourd'hui M. de Lesdiguières (ce devoit être un des plus riches gentilshommes de France), fut le second qui se fit refuser. Il est vrai que le cardinal ne la pressa pas trop pour celui-ci, non plus que pour l'autre[39]. Madame de Combalet renouveloit tous les ans son voeu de Carmélite; elle l'a renouvelé jusqu'à sept fois. Le cardinal fit consulter s'il étoit obligatoire; on lui répondit que non. Cependant, pour se décharger entièrement, elle fonda une place de Carmélite qui doit être reçue pour rien. Je crois pourtant qu'elle se fût résolue à épouser M. le comte de Soissons, s'il l'eût voulu, et comme j'ai déjà remarqué, il l'eût épousée si elle eût été veuve d'un homme plus qualifié. On fit courir le bruit en ce temps-là que le mariage n'avoit point été consommé avec Combalet. Cependant il passoit pour l'homme le mieux fourni de la cour, et qui étoit le plus grand abatteur de bois. J'ai ouï dire même que dans l'action, transporté de joie ou autrement, il avoit appelé un valet de chambre qui avoit été témoin de ce qui s'étoit passé. J'ai ouï dire encore que son mari n'avoit pas trop bien vécu avec elle, et qu'il disoit qu'elle avoit quelque chose sous le linge qui dégoûtoit fort. Je donne cela pour tel qu'on me l'a donné. Dulot[40], ce fou de poète royal et archiépiscopal, dont nous parlerons ailleurs, fit l'anagramme que voici sur cette prétendue virginité: Marie de Vignerot, Vierge de ton mari. Madame de Rambouillet m'a pourtant assuré que jamais elle n'avoit reconnu que madame d'Aiguillon voulût passer pour fille. Cependant elle a pris des armes à lozange, il est vrai qu'il y a une cordelière; ainsi elle est fille et femme tout ensemble, car il n'y a point d'armes de son mari. On a fort médit de son oncle et d'elle. Il aimoit les femmes et craignoit le scandale. Sa nièce étoit belle, et on ne pouvoit trouver étrange qu'il vécût familièrement avec elle. Effectivement elle en usoit peu modestement; car, à cause qu'il aimoit les bouquets, elle en avoit toujours et l'alloit voir la gorge découverte[41]. Un soir qu'il sortoit assez tard de chez madame de Chevreuse: «Ne laissons pas, dit-il, d'aller chez ma nièce; car que diroit-elle si je n'y allois?» La Reine-mère envoya des gens pour l'enlever comme elle devoit aller à Saint-Cloud, afin de mettre le cardinal à la raison, quand elle auroit ce qu'il aimoit tant; mais Besançon découvrit toute l'entreprise. Ce qui a le plus fait de bruit, ce fut l'aventure de madame de Chaulnes. Voici comment une personne qui y étoit l'a contée. Sur le chemin de Saint-Denis, six officiers du régiment de la marine, qui étoient à cheval, voulurent casser deux bouteilles d'encre sur le visage de madame de Chaulnes; mais elle mit la main devant, et tout tomba sur l'appui de la portière où elle étoit. C'étoient des bouteilles de verre. Le verre coupe, et l'encre entre dedans les coupures et cela ne s'en va jamais. Madame de Chaulnes n'en osa faire aucune plainte. On croit qu'ils n'avoient ordre que de lui faire peur. Madame d'Aiguillon, soit par jalousie d'amour ou d'autorité, ne vouloit point que personne fût si bien qu'elle avec son oncle. Le cardinal ne faisoit pas trop grand cas de madame de Chaulnes; elle n'étoit plus dans une grande jeunesse; sa beauté déclinoit, et le reste n'étoit pas grand'chose. Il témoigna assez ce qu'il en pensoit un jour qu'il étoit à Chaulnes, durant le siége d'Arras: il trouva que madame de Chaulnes s'étoit fait peindre dans un vestibule avec tous ses gens autour d'elle qui lui apportoient ce qu'ils avoient acheté; car, voyant cela, il ne put s'empêcher de dire avec un souris méprisant: «C'est bien cette fois madame notre hôtesse.» Elle avoit pourtant quelque pouvoir sur son esprit, ou bien elle demandoit si hardiment qu'il ne pouvoit la refuser. En effet, quoiqu'il n'eût point d'envie, à ce qu'on dit, de lui donner une abbaye de vingt-cinq mille livres de rente aux portes d'Amiens, il la lui donna pourtant. Par vanité elle vouloit que tout le monde crût que le cardinal l'aimoit; et il y a eu bien des gens qui, sachant que madame de Chaulnes avoit une fois conté qu'un jour qu'elle étoit seule, je ne sais quel monstre à quatre pieds lui étoit apparu dans sa chambre et avoit disparu aussitôt; il y a eu bien des gens, dis-je, qui ont dit que c'étoit une invention pour se faire de fête; mais je le sais de trop bon lieu pour en douter. D'autres ont dit qu'une dame de Picardie, dont on n'a pu me dire le nom, étoit ennemie de madame de Chaulnes et lui avoit fait faire cette insulte. Comme le cardinal avoit été plus d'une fois à Chaulnes, Bautru dit un jour que M. le cardinal s'y plaisoit, mais le feu Roi, qui avoit tourné tout son esprit du côté de la malignité et qui harpignoit toujours le cardinal, dit que Bautru avoit dit que M. le cardinal se délassoit chez madame de Chaulnes. Bautru fit son apologie au cardinal, qui lui dit en propres termes: «Vous mériteriez des coups de bâton, si vous aviez dit cela.» Le maréchal de Brézé, enragé de ce que madame d'Aiguillon ne l'a pas voulu aimer (car quoique ce fût la nièce de sa femme, il en a été amoureux à outrance), et peut-être aussi de dépit de ce que son fils n'étoit pas principal héritier[42], en a fait tous les contes qui ont couru. Il disoit toutes les circonstances de la naissance et de l'éducation de chacun des Richelieu, et qu'ils étoient tous trois à madame d'Aiguillon; et même qu'elle en avoit eu un quatrième. «Oh! dit la Reine, il ne faut jamais croire que la moitié de ce que dit M. le maréchal de Brézé[43].» Ainsi elle n'en auroit eu que deux. Il se trouve que madame d'Aulroy, autrefois madame Du Pont-de-Courlay, générale des galères[44], présenta, durant le procès de madame d'Aiguillon et du duc de Richelieu, une requête qu'on supprima bien vite, par laquelle elle exposa au prévôt de Paris qu'on lui avoit supposé ces trois Richelieu au lieu de ses enfants. D'ailleurs madame d'Aiguillon, quand il a été question de la majorité de son neveu le duc de Richelieu, a dit que le baptistaire n'est qu'une feuille volante; qu'il n'y en a eu ni du premier ni du second, qui sont baptisés tous deux en même jour et en même lieu. L'aîné avoit cinq ans. Quelle apparence, s'il n'y avoit du mystère, que le cardinal de Richelieu n'eût pas fait charger le registre! Dans le procès qu'elle eut contre feu M. le Prince pour la succession du cardinal, on la traita de gourgandine. Gautier dit délicatement, parlant du crédit qu'elle avoit auprès de son oncle: «Ce Samson n'avoit plus de force quand il étoit entre les bras de cette Dalila.» Elle, en revanche, fit reprocher à M. le Prince, par Hilaire, son avocat, qu'il s'étoit mis à genoux devant le cardinal de Richelieu pour avoir mademoiselle de Brézé pour M. d'Enghien. Il se leva et dit que cela étoit faux, mais il n'y a rien de plus vrai. Il offrit même au cardinal mademoiselle de Bourbon pour son neveu de Brézé; et le cardinal dit en cette occasion une des plus raisonnables choses qu'il ait dites de sa vie: «Une demoiselle peut bien épouser un prince, mais une princesse ne doit point épouser un gentilhomme.» Feu M. le Prince fit tant de fautes dans les emplois de guerre qu'il eut, qu'il fut réduit à offrir ses enfants; encore le cardinal les alloit-il malmener, s'ils ne se fussent bien réduits. Il vouloit que M. d'Enghien, pour avoir négligé de voir M. le cardinal de Lyon, à Lyon, au retour de Perpignan, retournât le chercher à Marseille; mais il n'y alla pas, on trouva le moyen de l'en exempter. Feu M. le Prince fit à madame d'Aiguillon un méchant tour pour la duché d'Aiguillon. Par une pendarderie du lieutenant civil Moreau, cette duché fut adjugée à quatre cent mille livres, et les créanciers en offroient huit cent mille. Or, durant le procès, se voyant assistés d'un prince du sang, ils offrirent encore quatre cent cinquante mille livres, et il fallut que madame d'Aiguillon, qui n'eût plus été duchesse sans cela (car, quand elle eût acheté un autre duché, on n'eût pas reçu aisément une femme, et il falloit attendre pour cela la majorité), les payât dans la journée. M. le Prince, après la mort de son père, du maréchal et du duc de Brézé, s'empara de tout le bien de ceux-ci, et en jouissoit par force, quoique sa femme n'eût rien à prétendre à tout cela par le testament du cardinal. Madame d'Aiguillon ne voulut jamais s'accommoder, de peur qu'on ne dît que ç'avoit été aux dépens de ses neveux. Elle s'est maintenue, et a traité, dans le commencement de la Régence, plusieurs fois la cour à Ruel. Le règne de son oncle l'a rendue fort impérieuse; elle ne sauroit quitter sa première fierté. Elle a de l'esprit, du sens et de la fermeté; mais elle est brusque et têtue. Nous parlerons après de son avarice. On a fait bien des médisances d'elle et de madame Du Vigean. Elles s'écrivoient des lettres les plus amoureuses du monde. Madame Du Vigean se jeta à corps perdu dans les bras de madame d'Aiguillon. C'eût été une tigresse si elle l'eût rejetée. Elle a été son intendante, sa secrétaire, sa garde-malade, et a quitté son ménage pour se donner entièrement à elle. Il y a eu des chansons terribles contre madame Du Vigean, jusqu'à dire de son mari: Dans l'abondance de ses cornes On ne sauroit trouver de bornes. Cependant on ne m'a su nommer un seul galant de cette femme. A la vérité, on avoit un grand mépris pour le mari; et le duc de Lorraine voyant que cet homme avoit levé un régiment: «Hélas! se dit-il, il faut que je sois bien haï en France, puisque, jusqu'au petit Vigean, tout y prend les armes contre moi.» Feu madame la Princesse avoit recherché l'amitié de madame d'Aiguillon pour avoir la protection du cardinal, car elle craignoit que son mari ne la confinât à Bourges. Elle appeloit le cardinal de La Valette mon époux, et lui l'appeloit mon épouse. Mademoiselle de Rambouillet, depuis madame de Montausier, étoit admirablement bien avec elle, et y est encore, mais non pas avec tant de chaleur. Nous en parlerons ailleurs. Il est temps de parler de son avarice et de sa dévotion. Elle ne daigna pas écouter ceux qui lui conseilloient de donner cinq cent mille livres à feu M. le Prince pour avoir sa protection. Il lui en coûta plus d'un million d'or à elle et à ses neveux. Elle a eu trois cents procès, et pas un en demandant. Sans parler de toutes les grivelées qu'elle a faites, je dirai simplement ses vilainies. Voyant Cornuel à l'extrémité, elle envoya emprunter six chevaux blancs qu'il avoit; et quand il fut mort, et qu'on les lui revint demander, elle dit que les morts n'avoient que faire de chevaux. Le frère aîné de M. de Noailles disoit que, pour épargner son carrosse, toutes les fois qu'elle alloit à Ruel, elle prenoit un beau carrosse que le bon homme M. de Noailles avoit eu à Rome en son ambassade, et le renvoyoit toujours tout crotté. On a dit qu'elle avoit emprunté des jupes, et qu'au bord crotté on avoit reconnu qu'elle les avoit portées. Si cela lui fût arrivé un de ces jours qu'elle a rencontré le _corpus Domini_, cela eût été plaisant, car, quelque part qu'elle le trouve, elle le suit dans les crottes jusqu'au premier lieu où il se doit arrêter. Cela se fait en Espagne, et le Roi même le suit. Un Espagnol disoit cela à un François: «Je crois bien, dit l'autre, en France il est parmi ses anciens amis, il n'a que faire qu'on l'accompagne; mais parmi des marranes[45], il en a besoin.» Elle donne aux églises, et ne paie pas ses dettes. Dans sa vision de cagoterie, elle dit à toute chose: «En vérité, cela fait dévotion,» et le dira quelquefois d'une chose qui n'y aura aucun rapport. C'est simplement pour dire: «Cela me touche.» Elle a passé quelquefois des nuits entières, le ventre à terre, dans l'église de Saint-Sulpice. Les deux mariages de ses neveux l'ont si brouillée avec la cour, que je le mettrai dans les Mémoires de la Régence. [38] Marie-Madeleine de Vignerot, mariée en 1620 à Antoine Du Roure de Combalet. Le cardinal, son oncle, acheta pour elle en 1638 le duché d'Aiguillon. Elle mourut en 1675, et son Oraison funèbre fut prononcée par Fléchier. [39] On a fait autrefois un vaudeville où je ne vois pas grand fondement, car je ne crois pas qu'on ait jamais parlé de la marier avec M. de Mantoue, auparavant M. de Nevers: On dit que monsieur de Mantoue S'apprête à danser un ballet, Où madame de Combalet Ne verra rien qu'elle n'avoue Que les vieux savent les bons tours. Messieurs, voilà _le mot qui court_. On appeloit ainsi ces vaudevilles. A l'_Historiette_ de Senecterre j'ai parlé de M. le comte, et le _Journal_ du cardinal en parle aussi. (T.) [40] On trouvera plus loin l'_Historiette_ de ce poète ridicule sur lequel les Biographies ne donnent aucun détail, et qui n'étoit connu jusqu'ici que pour avoir servi à Sarrazin de sujet pour un poème assez ingénieux. [41] Guy-Patin dit: «Le cardinal, deux ans avant que de mourir, avoit encore trois maîtresses qu'il entretenoit, dont la première étoit sa nièce...; la seconde étoit la Picarde, savoir, la femme de M. le maréchal de Chaulnes...; la troisième étoit une certaine belle fille Parisienne, nommée Marion de Lorme.... Tant y a que ces messieurs _les bonnets rouges_ sont de bonnes bêtes: _Verò cardinales isti sunt carnales_.» (Lettres choisies de feu M. Guy-Patin; Rotterdam, 1725, tom. 1, p. 5; lettre du 3 novembre 1649.) [42] Cela est faux; au moins feu M. de La Gallissonnière, qui étoit présent, comme parent et tuteur, à l'ouverture du testament, dit que le maréchal de Brézé ne s'emporta pas, et ne dit rien de ce qu'on lui a fait dire. (T.) [43] Pour les deux filles, il n'en disoit rien. (T.) [44] Ce Pont-de-Courlay étoit un bossu bien ridicule, une bête. Elle s'appelle Guémadeux d'une bonne maison de Bretagne: cette femme est un peu folle. (T.) [45] Expression injurieuse. «Dans le temps que nous autres François étions ennemis des Espagnols, nous les traitions de _marranes_, comme ils nous traitoient de _gavaches_.» (_Glossaire des anciens termes, qui se trouvent dans les OEuvres de Clément Marot_, édit. de Lenglet-Dufresnoy; la Haye, 1731, in-12, t. 6, p. 316.) Cette injure renferme le reproche d'être de la race des Arabes et des Mahométans. (_Dict. de Trévoux._) LE CARDINAL DE LYON[46]. Alphonse-Louis Du Plessis étoit l'aîné du cardinal de Richelieu. Il fut destiné à être chevalier de Malte; en ce dessein on lui voulut apprendre à nager, mais il ne put jamais en venir à bout. Ses parents lui en faisoient des reproches et lui disoient qu'il ne vouloit être bon à rien. Enfin, las de leurs crieries, un jour que par hasard il n'y avoit personne avec lui qui sût nager, il se jeta dans l'eau si follement que, sans un pêcheur qui y accourut avec sa nacelle, il étoit noyé. Il le falloit donc faire d'église. Il fut, comme j'ai dit, nommé évêque de Luçon, et abandonna cet évêché à son frère pour se faire Chartreux. Cet homme avoit naturellement quelque pente à la folie; la solitude l'achevoit. Pour cela les Chartreux de la grande Chartreuse, où il étoit, le firent leur procureur dans une contestation avec un gentilhomme fort brutal. Il eut des coups de bâton. Il porta cet outrage patiemment, et ne voulut jamais s'en venger quand il se vit cardinal. On dit qu'un astrologue lui prédit, avant qu'il fût procureur, qu'il seroit en grand danger d'une grande blessure faite à la tête avec du fer. Mais, étant devenu procureur, comme il entroit à Avignon, une chaîne du pont-levis lui tomba sur la tête, et il en pensa mourir. Le cardinal de Richelieu le fit sortir de la Chartreuse, et le fit archevêque d'Aix, puis archevêque de Lyon, cardinal, et grand-aumônier de France, et lui donna de grands bénéfices[47]. A Aix, aussi bien qu'à Lyon, il a fait la fonction d'un bon évêque. Le cardinal l'envoya à Rome pour autoriser d'autant plus la poursuite de la dissolution du mariage de M. d'Orléans. Là il acquit la réputation d'un homme fort charitable. A Lyon, durant la peste, il alla partout comme s'il n'eût pas eu sujet d'aimer la vie. On ne lui peut reprocher qu'une action qui fut, ce me semble, bien inhumaine, mais il faut croire que ce jour-là il avoit quelqu'un de ses accès de folie. Etant à Marseille, où il avoit l'abbaye de Saint-Victor, il alla voir les galères. Or le cardinal de Richelieu y avoit fait mettre le baron de Roman, qui avoit voulu lever quelques troupes pour la Reine-mère, traitement bien indigne d'un gentilhomme. Mais comme on avoit eu pitié de ce cavalier, il étoit à son ordinaire, hors qu'il portoit un petit fer à la jambe. Le cardinal de Lyon le fait prendre, le fait raser, et le fait attacher à la rame. Ce pauvre gentilhomme se coucha sur le banc et s'y laissa mourir de regret. On dit que, entre autres visions, il croyoit quelquefois être Dieu le Père. Un jour qu'il couchoit dans une maison, où on lui donna un lit dans la broderie duquel il y avoit quelques têtes d'anges ou chérubins: «Vraiment, dirent ses gens, c'est bien à cette fois que notre maître croira être Dieu le Père.» Il étoit familier et aimoit la conversation des dames. Berthod le châtré[48], de la musique du Roi, m'a juré qu'il l'avoit vu auprès de Lyon en un lieu où il y avoit bonne compagnie. On badinoit, on se déguisoit. Il se déguisa un jour en berger comme les autres, et fit déguiser toutes les dames en bergères. Il a été amoureux plusieurs fois, mais cela ne passa pas de petits présens. Il ne laissoit pas d'avoir de l'esprit, mais il paroissoit presque toujours hébété. Un homme de qualité du diocèse de Lyon avoit un fils fort contrefait, et le vouloit faire d'église. Le cardinal de Lyon ne voulut jamais le tonsurer, disant qu'on se moquoit d'offrir à Dieu le rebut du monde. L'abbé de Caderousse, du Comtat, l'étant venu voir, lui dit en entrant: «Monseigneur, je suis l'abbé d'un tel lieu...--Que voulez-vous que j'y fasse? répondit-il en l'interrompant.--Qui suis venu pour faire la révérence...--Faites-la donc,» ajouta-t-il. Le cardinal de Richelieu, qui le connoissoit bien, ne voulut pas qu'il le fût trouver à Narbonne; aussi l'autre ne le voulut point aller trouver à Lyon, quand on y coupa le cou à M. le Grand. Le cardinal Mazarin, qui ne fit pas pour la charité ce qu'il devoit dans le procès que le cardinal de Lyon eut contre Deslandes-Payen, relativement à un prieuré qu'à ce qu'on dit le cardinal de Richelieu lui avoit ôté par violence, envoya offrir au cardinal de Lyon l'abbaye de Mauzac, dont il étoit titulaire, pour le dédommager de ce prieuré; mais il ne la voulut point prendre. Cette ingratitude le fâcha, car le cardinal Mazarin souffrit que Lyonne, dont la femme est parente de Deslandes-Payen, sollicitât contre lui, et c'étoit, ce semble, se déclarer, Lyonne étant ce qu'il étoit auprès de lui. Mais les mariages de ses petits-neveux de Richelieu le fâchèrent bien davantage. Celui qui a écrit sa Vie en latin[49] le veut faire passer pour un grand homme, et dit que l'emprisonnement du cardinal de Retz, à cause du mauvais exemple, l'affligea sensiblement. Il mourut environ vers ce temps-là. [46] Alphonse-Louis Du Plessis de Richelieu, aîné du cardinal, et décédé le 23 mars 1653. Le _Conservateur_ de mai 1755 contient quelques lettres de lui à son frère, et la Bibliothèque du Roi possède un Recueil in-folio de ses lettres à Louis XIII et à des personnages de sa cour. On cite son épitaphe: _Pauper natus sum, pauperiem vovi, Pauper morior, inter pauperes sepeliri volo._ [47] On a remarqué que le cardinal de Richelieu et son successeur le cardinal Mazarin ont eu tous deux chacun un frère moine, fou et archevêque d'Aix. (T) [48] Celui que madame de Longueville appeloit l'_Incommodé_. Tallemant en parle à l'occasion de Bertault, frère de madame de Motteville. [49] L'abbé de Pure; Paris, 1653, in-12. LOPÈS. Lopès, et quelques autres comme lui, vinrent en France pour traiter quelque chose pour les Moresques dont il étoit. On les adressa à M. le marquis de Rambouillet, comme à un homme qui entendoit l'espagnol. Ce Lopès avoit de l'esprit, et étoit homme de bon conseil. Il donna ici avis à des marchands de draps d'en envoyer à Constantinople; ils y gagnèrent cent pour cent, et, pour son droit d'avis, ils lui donnèrent une part, à quoi il ne s'attendoit pas. Après, il acheta un gros diamant brut, le fit tailler, et y gagna honnêtement. Cela le mit en réputation. De toutes parts on lui envoyoit des diamants bruts. Il avoit chez lui un homme à qui il donnoit huit mille livres par an, et le nourrissoit lui sixième. Cet homme tailloit les diamants avec une diligence admirable, et avoit l'adresse de les fendre d'un coup de marteau quand il étoit nécessaire. Ensuite toutes les belles pierreries lui passèrent par les mains. En ce temps-là, par envie ou autrement, on l'accusa d'être espion, et de payer les pensions d'Espagne. Un maître des requêtes, nommé Ledoux, croyoit avoir une conviction entière par le livre de Lopès, où il y avoit: «_Gadamasilles por il senor de Bassompierre_. Tant de milliers de maravédis,» et autres articles semblables. Lopès pria M. de Rambouillet de voir ce bon maître des requêtes. Le maître des requêtes lui dit: «Monsieur, y a-t-il rien de plus clair? _Gadamasilles_, etc.» M. de Rambouillet se mit à rire: «Hé, monsieur, lui dit-il, ce sont des tapisseries de cuir doré qu'il a fait venir d'Espagne pour M. de Bassompierre.» Celui-ci fait venir un Dictionnaire espagnol: Lopès fut absous, et le maître des requêtes interdit, parce que Lopès prouva que, sous prétexte de les acheter, il lui avoit pris pour quatre mille livres de bagues. Le cardinal de Richelieu, pour se divertir, un jour que Lopès revenoit de Ruel avec toutes ses pierreries, que le cardinal avoit voulu voir exprès, le fit attaquer par de feints voleurs, qui pourtant ne lui firent que la peur. Il y alloit de tout son bien; aussi la peur fut-elle si grande, qu'il fallut changer de chemise au pont de Neuilly, tant sa chemise étoit gâtée. Le chancelier, dans le carrosse duquel il étoit, dit qu'il se présenta assez hardiment aux voleurs. Le cardinal eut du déplaisir de lui avoir fait ce tour-là, car il avoit joué à faire mourir ce pauvre homme; et pour raccommoder cela, il le fit manger à sa table. Ce n'étoit pas un petit honneur. Un jour il y fit mettre M. Tubeuf, qui en fut si surpris, à ce que dit Boisrobert, que, tout hors de lui, il mettoit les morceaux dans ses yeux, au lieu de les mettre dans sa bouche. Une fois que l'abbé de Cerisy et Lopès faisoient des compliments à qui passeroit le premier, Chastellet, le maître des requêtes, dit: «Le vieux Testament va devant le nouveau;» car on le vouloit faire passer pour Juif, lui qui étoit Mahométan. On a dit de ce fat Montmaur, le Grec, qu'il avoit dit à Montmor,[50] le riche, pour le faire passer devant: «_Primùm Hebræo, deindè Græeco_.» Mais je ne le crois pas, il n'auroit osé; quelqu'un a dit cela pour lui. Lopès vendoit un crucifix bien cher: «Hé, lui dit-on, vous avez livré l'original à si bon marché.» Le feu cardinal l'employa à faire faire des vaisseaux en Hollande, et au retour il le fit conseiller d'Etat ordinaire. En Hollande, il acheta mille curiosités des Indes, et ici il fit chez lui comme un inventaire; on crioit avec un sergent. C'étoit un abrégé de la foire Saint-Germain. Il y avoit toujours bien de beau monde. Il avoit six chevaux de carrosse. Jamais carrosse ne fut tant au-devant des ambassadeurs que celui-là. Je me crevois de rire, car mon père étoit son voisin, de le voir manger du pourceau quasi tous les jours. On ne l'en croyoit pas meilleur chrétien pour cela. La Reine lui devoit vingt mille écus pour des perles; et comme il pressoit d'Esmery[51] pour être payé, l'autre lui donna en paiement une taxe d'_aisé_ de soixante mille livres. Il se disoit des Abencerrages de Grenade. Il mourut après la conférence de 1649. [50] Ces deux noms sont ainsi écrits d'une manière différente dans le manuscrit. [51] Le surintendant. LE MARÉCHAL DE BRÉZÉ[52], SON FILS ET MADEMOISELLE DE BUSSY. Le maréchal de Brézé étoit de la maison de Maillé; mais celle de Brézé étoit entrée dedans celle-là, et ils en devoient porter le nom. Il épousa la soeur du cardinal de Richelieu, alors évêque de Luçon. Cette femme étoit folle, et est morte liée, ou du moins enfermée. Elle croyoit avoir le cul de verre, et ne vouloit point s'asseoir. Elle s'appeloit Nicole; et le Père Cotton, en faisant son Oraison funèbre, disoit: «La grande Nicole Du Plessis,» comme on disoit _la grande Anne_[53]. Quand elle fut mariée, elle ne voulut point retourner à la province. Que fit son mari? un beau jour, il fit ôter tous les meubles, jusqu'aux rideaux du lit de madame, et la laissa là. Elle fut enfin toute glorieuse d'aller en Anjou. M. de Brézé fut capitaine des gardes-du-corps, puis maréchal de France, et gouverneur de l'Anjou et de Saumur. Le cardinal dégagea tout son bien, ou, pour mieux dire, l'acheta; mais il l'en laissoit jouir. L'amour lui a fait faire d'étranges choses, outre qu'il n'étoit pas trop sage naturellement, non plus que sa femme. Étant capitaine des gardes de la Reine-mère, Marie de Médicis, il alla à des bains dans les Pyrénées, où il trouva un prêtre de Catalogne qui avoit avec lui deux petits garçons que les galères d'Espagne avoient pris sur les côtes d'Afrique. Ce prêtre les lui donna. L'un fut son laquais, et se nomma La Ramée. L'autre, qu'on appelle tantôt Le Catalan, tantôt Dervois, ne fut point habillé de livrée. Il servit d'abord à lui porter son fusil à la chasse. Après, il le mit en apprentissage chez un tailleur à Angers, où il devint amoureux d'une belle fille qui travailloit au linge dans une boutique vis-à-vis. Les tailleurs, dans ce pays-là, ont des boutiques, et y travaillent. Elle avoit déjà eu quelques aventures, et on disoit qu'elle avoit suivi un homme jusqu'en Lorraine, où elle fut un peu de temps au service de quelques dames de la duchesse. Mais elle fut obligée d'en revenir bientôt. Dervois l'épousa, et ensuite il retourna au service de M. de Brézé, alors maréchal de France et gouverneur d'Anjou et de Saumur. Avril, homme de bonne famille d'Angers, voisin du maréchal à la campagne, et bien dans son esprit, obtint de lui de loger le mari et la femme dans le château de Milly; et comme elle étoit propre et jolie, qu'elle avoit du sens, elle régla cette maison, et se mit si bien dans l'esprit du maréchal, qu'elle lui faisoit traiter la maréchale comme il lui plaisoit. Une des choses qui servit principalement à achever _la grande Nicole_, ce fut que le maréchal lui ôta ses pendants, et les mit en sa présence aux oreilles de la Dervois, à qui l'on prêtoit le dessein de se faire épouser par le maréchal, après la mort de la maréchale et de son mari. Ce mari devint un peu dévot, et disoit à sa femme parfois qu'il falloit changer de vie. Il y a apparence que le maréchal s'en défit à cause de cela, car il fut tué à l'affût, le maréchal étant de la partie. Depuis, il croyoit voir un lièvre blanc, et souvent lui et ses gens crioient: «Ne le voyez-vous pas? il court par la chambre.» Avril, dont j'ai parlé ci-dessus, et son fils, sénéchal de Saumur, qui m'a conté ce que je viens d'écrire, n'ont jamais rien vu. Il y en a qui ont cru que le cardinal de Richelieu lui avoit fait mettre cette vision dans l'esprit pour le tenir à la province. La Dervois pourtant ne vint point à bout de son dessein. Peut-être craignit-elle le cardinal de Richelieu, qui apparemment n'eût pas trouvé bon qu'on eût ainsi contaminé sa noblesse. La Dervois faisoit tout chez le maréchal et dans la province. Elle se levoit dès quatre heures, étoit servante et maîtresse tout à la fois, faisoit ses affaires et celles du maréchal en même temps, et étoit plus habile que tout son conseil. Il lui est arrivé souvent de déchirer ce qu'on avoit dressé, et de dicter les actes elle-même. Elle envoyoit des gens de guerre où elle vouloit; elle en envoya même à Angers, à cause qu'elle étoit mal satisfaite d'un des officiers du Présidial. Pour complaire au maréchal, qui étoit le plus grand tyran du monde pour la chasse, jusque là que les personnes de qualité n'osoient avoir un chien, ni une arquebuse pour tirer seulement dans leur parc (car il fit une fois rompre la porte d'un, parce qu'il y avoit ouï tirer, tuer les chiens et casser les arquebuses), la Dervois fit attacher un prêtre au pied d'un arbre tout un jour, avec un lièvre, qu'il avoit tué, autour du cou. Il avoit mis sur la porte de Milly, car il étoit honnêtement hargneux: _Nulli nisi vocati_. Sur cela on fit un conte. On dit que quelques avocats étant allés pour lui parler, il les gronda fort, et leur demanda qui les avoit faits si hardis que de venir sans être mandés, et s'ils n'avoient pas lu ce qui étoit sur la porte: «Oui, monseigneur, dit l'un d'eux, il y a _nulli nisi vocati_, rien que des _avocats_.» Il se mit à rire, et les écouta. Un jeune homme de Saumur y étoit allé une fois pour jouer à la longue paume avec le marquis de Brézé. On lui donna avis qu'il se retirât. C'est qu'outre cela le maréchal étoit jaloux de la Dervois comme d'une belle créature; en ce temps-là elle étoit passée. Pensez que sans le cardinal de Richelieu, il n'eût pas été autrement en état de faire ce qu'il faisoit; cependant il ne se tourmentoit pas trop de lui, et ne lui a jamais guère fait la cour. Je me souviens d'un couplet qu'il disoit, sur l'air de _Daye dandaye_: Buvons à l'illustre Brézé, Qui s'est si bien désabusé De cette chimère importune De la fortune. Cependant le cardinal lui faisoit du bien, de peur qu'on ne crût que quelqu'un se pouvoit passer de lui. Il lui arriva une assez plaisante chose à son entrée à Barcelonne, quand il y fut envoyé vice-roi. Il s'étoit fait tout le plus beau qu'il avoit pu. Quelques Catalans disoient: «_Es muy bizarro esté marechal_.» Un bon gentilhomme de sa suite, étonné de ce mot _bizarro_ (galant), disoit à un autre: «Qui diable a déjà dit l'humeur de M. le maréchal à ces gens-ci?» Il écrivoit bien, et étoit galant et civil quand l'humeur lui en prenoit. Il a écrit à Ménage un million de fois; et comme il aimoit à lire, Ménage lui envoyoit des livres qu'il prenoit fort bien, sans songer à lui faire le moindre présent. Ce n'étoit pas pourtant par avarice, mais il lui demandoit souvent son mémoire, ce que l'autre n'avoit garde de lui envoyer. Il disoit de sa fille, comme si c'eût été la fille d'un autre: «Ils vont faire cette petite fille princesse[54],» et ne s'en émouvoit pas plus que cela. M. le Prince alloit voir la Dervois avant que de voir le maréchal. Ce fut elle qui le fit résoudre à vendre le gouvernement d'Anjou à M. le Prince. Retournons à ses amours. Il y avoit à Saumur chez la sénéchale une belle fille qui étoit sa nièce. Elle s'appeloit Honorée de Bussy, fille d'une veuve bien demoiselle[55]. Le maréchal s'en éprit. Il la mena avec cette tante voir le sacre d'Angers, et lui avoit fait faire une espèce d'échafaud où il y avoit des degrés. Elle étoit seule tout au haut, et il avoit fait mettre à ses pieds les plus belles filles de la ville. C'étoit proprement _la gloire de Niquée_[56]. Il y avoit des gardes pour faire avancer le monde à mesure qu'on avoit contemplé cette nouvelle infante. Madame d'Aiguillon prenoit le soin d'envoyer tous les habits qu'il falloit pour cette fille, qui se vante que le maréchal la voulut épouser secrètement, et lui assurer vingt mille livres de rente, mais qu'elle avoit trop de coeur pour souffrir, du clandestin. Elle eût pourtant fort bien fait, comme vous verrez par la suite; mais je doute qu'en l'âge où elle étoit, elle ait pu avoir tant de courage. Mademoiselle Dervois rompit le cou à cette amourette. Le marquis de Boissy, père du duc de Rouannez d'aujourd'hui, en conta aussi à Honorée. Il y eut quelques billets que la Dervois escamota, et les fit voir au maréchal. La sénéchale avoit toujours espéré que sa nièce se marieroit pour sa beauté. La fille m'a conté elle-même que sa tante lui fit faire une robe neuve, à elle qui n'avoit jamais eu que de la vieillerie, pour donner dans la vue à je ne sais quel prince allemand qui étoit à Saumur. Cette tante proposa à madame Bigot, qui n'avoit garde de le faire, de marier Honorée avec M. Servien, relégué à Angers. Servien, qui déjà avoit failli de se brouiller avec le maréchal en je ne sais quelle galanterie, n'avoit pas seulement voulu voir cette fille, de peur d'irriter le dragon. Depuis, Honorée se trouva à Poitiers, quand Chemerault, aujourd'hui madame de La Bazinière, y vint après avoir été chassée de chez la Reine. Il y avoit encore une mademoiselle de La Vacherie, et une autre belle fille. Chemerault avoit un grand avantage, car elle avoit le bel air. Mais M. de Châteauneuf (il étoit alors éloigné de la cour) se déclara pour La Vacherie, et Villemontée, intendant de la province, pour Honorée[57]. Toute la ville se partagea, et toute la noblesse qui y passe l'hiver. On se demandoit: «Qui vive?» Villemontée s'amusoit fort avec cette fille, et y faisoit assez de dépense. Cela fit crier les Poitevins et les receveurs généraux. On disoit que c'étoit elle qui faisoit l'intendance. Il fallut qu'il s'en séparât au bout de deux ans. Il dit qu'elle n'est point intéressée, et que si elle eût voulu, elle eût gagné cinquante mille écus avec lui. La pauvre fille n'en a rien tiré que du mauvais bruit. Son plus grand malheur, à ce qu'elle dit, c'est la mort de Villandry, qui fut tué par Miossens, comme ils servoient tous deux le chevalier de Rivière et Vassé, qui ne se firent point de mal. Ils étoient amis, et se battirent pour autrui. Villandry l'alloit épouser, et déjà les bans se publioient en Poitou. Si cela est, il a quasi aussi bien fait de se faire tuer, car la demoiselle étoit un peu bien décriée. Elle étoit à Paris en ce temps-là. Jamais on n'a vu un tel abord de gens. Sa mère est encore en vie. Ç'a toujours été une évaporée, et, présentement, en Poitou, c'est elle qui met tout en train, quoiqu'elle soit fort âgée. Valliconte vouloit l'épouser; il étoit parent de M. Cornuel. Il s'est ruiné depuis, mais alors il avoit du bien. Elle s'alla éprendre de La Moussaye, et elle avoit quelque espérance qu'il l'épouseroit. Lorsqu'il mourut, elle reçut les compliments, comme si c'eût été son accordé qui fût mort. Depuis la mort de La Moussaye, elle quitta sa mère, et se retira avec la femme de La Mothe Le Vayer qui est sa tante; mais elle n'étoit plus belle. Elle a soin aujourd'hui du ménage de son oncle, car sa tante est morte. Elle s'est remise un peu en réputation. On a cru que sa mère avoit tout le tort, et qu'il étoit aisé à une fille de faire des imprudences quand elle n'est pas bien conduite. Il y peut avoir un an et demi qu'elle se blessa fort à la tête. Elle en fut en danger. Il y avoit plus de six mois qu'elle étoit guérie, quand elle se creva de cochon de lait, à dîner chez une de ses amies. Ce cochon lui fit du mal. Après elle fut voir Maulevrier qui étoit mort d'un mal dans la tête. Son cochon la travailloit; elle oublie que c'étoit cela, et se va mettre dans l'esprit que c'étoit sa plaie. Elle envoie quérir médecins et chirurgiens, et, pour la satisfaire, il lui fallut mettre un emplâtre. Je l'ai vue se confesser, parce qu'il étoit mort un cocher subitement dans son voisinage. Elle a l'esprit agréable, mais est d'un caractère inégal et soupçonneux, et se fâche de rien. Elle dit très-bien les choses, sait vivre et est bonne amie; mais elle se pique un peu de bonne maison, et veut se mêler de prendre le dessus sur les femmes de la ville qui ne sont pas les principales. J'oubliois que la Dervois, pour faire voir aux dames d'Anjou jusqu'où alloit son pouvoir, rompit une partie que le maréchal avoit faite avec des dames de qualité, sans lui en dire autre raison, sinon qu'elle ne vouloit pas, et il n'osa souffler. Après cela il prit fantaisie au maréchal d'en conter à cette madame Bigot, et elle, qui ne vouloit pas perdre Servien, ni avoir affaire à cet extravagant, évitoit toujours de se trouver avec lui. Un jour qu'à son goût elle avoit trop témoigné de le fuir, il s'en alla un peu fâché. Servien le sait; le voilà en alarme; et, sous prétexte de je ne sais quelle partie de jeu, il envoya Lyonne chercher le maréchal par toute la ville. Il faisoit un chaud enragé; Lyonne trotta partout, et ne trouva le maréchal qu'après avoir sué tout son soûl, car il étoit au parloir de je ne sais quelles religieuses. Il ne voulut pas venir. Il s'apaisa pourtant après, et disoit à cette madame Bigot: «Votre mari n'a qu'à continuer dans son emploi, je ferai noyer quiconque voudra prendre sa place.» A Paris, où elle étoit retournée, quand le duc de Brézé fut tué, elle alla voir le maréchal qui lui fit le meilleur accueil du monde, et la fit mettre sur son lit, parce que madame la Princesse tenoit le fauteuil. Il obligea même M. de Césy à recommencer une histoire du sérail qu'il avoit presque à moitié dite. Il y en avoit trop là pour ne pas mettre martel en tête à mademoiselle Dervois. Elle fit toutes les médisances imaginables. Cependant le bon homme, soit qu'il commençât à secouer le joug, ou qu'il l'eût apaisée, alloit faire société avec la dame et quelques autres femmes ses voisines, lorsque la goutte le prit et qu'il se fit porter en Anjou, où il mourut. Je n'ai que faire de dire que ce n'étoit ni un bon soldat, ni un bon capitaine: l'histoire le dira assez. [52] Urbain de Maillé, marquis de Brézé, né vers 1597, mort en février 1650 au château de Milly, près de Saumur. [53] Une chanson de ce temps-là: Avec la fille à la grande A, A, A, A, A, Anne. (T.) [54] Claire-Clémence de Maillé-Brézé épousa le grand Condé le 11 février 1641. Elle est morte à Châteauroux le 16 avril 1694. Elle y avoit été reléguée à la suite d'une aventure avec un Rabutin, cousin du comte Bussy Rabutin. (_Voyez_ la Lettre de madame de Sévigné du 23 janvier 1671.) [55] Molière lui lisoit toutes ses pièces, et quand l'_Avare_ sembla être tombé: «Cela me surprend, dit-il, car une demoiselle de très-bon goût et qui ne se trompe guère, m'avoit répondu du succès.» En effet, la pièce revint et plut. (T.) [56] L'un des enchantements du roman d'Amadis de Gaule. [57] Ceci se passoit en 1638. La Porte parle dans ses Mémoires à cette époque de tous les exilés qui sont ici nommés. (_Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. 59, p. 391 et suiv.) LE DUC DE BRÉZÉ[58]. Le duc de Brézé fut élevé par les soins du cardinal de Richelieu. Il n'avoit pas un grand esprit; il étoit timide et embarrassé. Il ne laissoit pas pourtant d'être glorieux, et il se tenoit découvert tout le matin afin qu'on ne se couvrît pas. Le cardinal de Richelieu, en le voyant, haussoit les épaules, et disoit à madame d'Aiguillon: «Ma nièce, quel successeur!» Il étoit brave cependant et libéral; il donnoit beaucoup à sa soeur. Benserade avoit trois mille livres de pension de lui. Avant que d'aller à Orbitello, où il fut tué en sa charge d'amiral, il voulut voir de quoi on paieroit ses créanciers s'il mouroit, et s'étant satisfait sur cela, il partit content. On trouva après sa mort qu'il donnoit près de cinquante mille livres tous les ans. Son précepteur, l'abbé d'Aubignac[59], en a eu pour récompense quatre mille livres de pension viagère. M. le Prince les lui a disputées, et le pauvre abbé n'en jouit que depuis que ce héros est hors de France; il s'est accommodé avec les économes. Le malheur du duc de Brézé fut d'avoir trouvé Du Dognon[60], qui l'empauma de telle sorte qu'on pouvoit dire qu'il ne faisoit que ce que l'autre vouloit. A la mort du duc, Du Dognon, qui étoit vice-amiral, quitta tout et s'alla saisir de Brouage et de La Rochelle. Les Mémoires de la Régence diront le reste. Ç'a été un grand tyran. Il fit faire un balustre dans le choeur de l'église de Brouage, où il entendoit seul la messe. Pas une femme n'y eût osé entrer. On fermoit les portes de la ville quand il dînoit. Il avoit cent gardes montés comme des saint George, et rançonnoit fermiers et marchands. Grande maison, grand équipage, tout cela bien réglé, et point de désordre, pourvu qu'on fît tout ce qu'il vouloit. [58] Armand de Maillé Brézé, duc de Fronsac, amiral de France, né en 1619, tué au siége d'Orbitello, le 14 juin 1646. [59] Auteur de _la Pratique du théâtre_. [60] Second fils de Saint-Germain Beaupré. (T.) LE MARÉCHAL DE LA MEILLERAYE[61], ET LES SOEURS DE LA MARÉCHALE. Le maréchal de La Meilleraye est cousin-germain du cardinal de Richelieu; car la mère du cardinal, le grand-prieur et le père du maréchal étoient tous trois enfans d'un avocat au parlement de Paris, nommé La Porte, qui se disoit d'une bonne maison du Poitou, appelée La Porte-Vezins; et voici, dit-on, comme cela arriva[62]. Une madame de Vezins avoit La Porte pour avocat; il se disoit son parent; elle en rioit: «Il ne l'est pas, disoit-elle; mais il me fait service, il lui faut donner cette petite satisfaction.» Cet homme avoit tous les titres de cette maison entre les mains, et en fit comme il voulut. C'est peut-être sur ces titres-là que Me Charles Dumoulin lui a donné la qualité de _nobilissimus_, et c'est sur ces mêmes titres-là que le grand-prieur avoit été reçu chevalier de Malte[63]. Il y avoit une madame de Chausseraye en Poitou, fille de ce petit de Vezins qui fut trouvé à Genève (c'étoit un héritier qu'on avoit fait enlever; La Noue, Bras-de-Fer, son parent, le reconnut à Genève; cet enfant étoit chez un cordonnier); cette dame, dis-je, soutenoit que le maréchal de La Meilleraye venoit d'un notaire d'Ervaux, qui est une abbaye en Poitou, et un gentilhomme de mes alliés m'a dit avoir vu une cession d'un abbé d'Ervaux, où il y a: «J'ai quitté à mon compère Jean de La Porte, notaire, la rente du blé qu'il me devoit, mais non celle des chapons.» Et le fils de ce notaire fut avocat à Paris. Le maréchal de La Meilleraye étoit huguenot, et a étudié au collége de Saumur; mais il changea bientôt de religion. Il fut d'abord écuyer du cardinal, lorsqu'il étoit évêque de Luçon; car le cardinal de Richelieu, en quelque fortune qu'il ait été, a toujours eu un équipage raisonnable. Après il fut enseigne des gardes de la feue Reine-mère, et après la _drôlerie_ du Pont-de-Cé, il fut capitaine de ses gardes. La maréchal de La Meilleraye conte que le feu Roi ne le pouvoit souffrir, et que le cardinal de Richelieu lui ayant dit cela, il s'en alla dans l'antichambre, et, de rage, il mangea toute une chandelle. Le cardinal le vit faire, sans rien dire, et ne pouvoit s'empêcher d'en rire. La Meilleraye s'en va, vend tout ce qu'il avoit; sa terre de La Meilleraye étoit alors de deux mille livres de rente. Il vient trouver le cardinal, et lui déclare qu'il s'en alloit trouver le roi de Suède. Le cardinal lui dit: «Puisque vous avez ce courage-là, attendez; je tenterai tout pour vous.» Il fit rompre le contrat de vente et le poussa. En ce temps-là, le cardinal mit aussi mademoiselle de La Meilleraye auprès de la Reine-mère. C'est elle qui est encore aujourd'hui abbesse de Chelles. Cette abbaye jusqu'alors n'avoit été tenue que par des princesses. Le cardinal fit M. de La Meilleraye chevalier de l'Ordre, et après[64] lui fit épouser la fille du maréchal d'Effiat, qu'on désaccorda exprès d'avec un gentilhomme d'Auvergne, nommé M. de Beauvais. Ils avoient été épousés; mais, à cause de la jeunesse de la fille, M. d'Effiat emmena le comte de Beauvais en Angleterre. Elle soutint que le mariage avoit été consommé, car Beauvais étoit bien fait, elle étoit belle, et traita toujours La Meilleraye du haut et bas. C'étoit une extravagante. Elle mourut jeune[65], après avoir eu un fils, qui est aujourd'hui grand-maître de l'artillerie. M. de La Meilleraye eut cette charge. Après la mort de son beau-père, par son second mariage avec mademoiselle de Brissac, il eut la lieutenance de roi de Bretagne et le Port-Louis. Il est gouverneur de Nantes, où il a vécu encore plus tyranniquement qu'ailleurs. C'est un grand assiégeur de villes, mais il n'entend rien à la guerre de campagne. A la campagne de Charlemont, où tout alla si mal, pour être parti avant qu'il y eût du fourrage et que les chemins fussent beaux, Rumigny le trouva qui crioit dans sa chambre comme un désespéré: «N'ai-je point un ami au monde qui me donne un coup de pistolet dans la tête?» Rumigny fit fermer la porte de crainte qu'on ne vît le général en cet état, et lui remontra que le cardinal entendroit ses raisons, qu'il avoit voulu qu'on mît trop tôt en campagne, que le pays étoit gras et que le canon ne pouvoit marcher. Le maréchal envoya à la cour, et les ennemis n'ayant point encore mis en campagne, il ne reçut point d'échec. Si on l'eût attaqué, il étoit perdu, car il avoit été obligé de séparer ses troupes. Il est brave, mais fanfaron, violent à un point étrange. Je pense que la meilleure action qu'il ait faite de sa vie fut au blocus de La Rochelle qu'on fit avant le dernier siége. Il envoya, par bravoure, un trompette dans la ville pour savoir s'il n'y avoit personne qui voulût faire le coup de pistolet. Ce trompette, au plus avancé corps-de-garde, trouva un gentilhomme nommé La Constancière qui accepta le pari. Il se rend à l'assignation. M. de La Meilleraye, mieux monté que lui, après avoir tiré ses deux pistolets sans le blesser, lui gagne facilement la croupe; mais La Constancière, qui avoit encore un pistolet à tirer, le tire par-dessus l'épaule, et fut si heureux que de donner dans la tête du cheval de son ennemi, et ainsi eut l'avantage. M. de La Meilleraye, bien loin de haïr ce gentilhomme, lui fit donner une compagnie dans son régiment, et lui a toujours témoigné de l'affection. A l'armée, il leva la canne sur le colonel Gassion, depuis maréchal de France; mais il avoit trouvé chaussure à son pied, car l'autre mit le pistolet à la main; et pour cela il n'en fut point mal avec le cardinal de Richelieu. Hors la tranchée, qu'il entendoit assez bien, il n'entendoit rien à la guerre. Entre autres occasions, il y parut bien à Aire. Les ennemis furent si fous que de passer, sur six ponts qu'ils avoient faits, une petite rivière, en plein jour, en présence de notre armée. Rantzau, depuis maréchal de France, qui se trouva en cet endroit-là, dit à Rumigny qui commandoit le régiment de cavalerie du maréchal: «Ils ont perdu le sens, il les faut laisser passer à demi, et puis les charger; envoyons avertir le maréchal.» On y envoie, il vient et ne voulut jamais donner. Il n'y avoit pas un goujat qui ne criât qu'il falloit donner. Cela fut cause de la perte d'Aire qu'il venoit de prendre, car les ennemis se mirent dans nos lignes. Depuis il reconnut sa faute et envoya Rumigny prendre les devants auprès du cardinal. Rumigny lui fit entendre que la place étoit bien munie, que M. le grand-maître pouvoit ravager le pays ennemi, et attaquer une autre place dès qu'on l'auroit fortifié des troupes revenues de Sedan. Le cardinal le remit au lendemain, et lui fit quelques propositions qu'il n'avoit garde de ne pas approuver. «Voilà pour vous montrer, disoit-il, monsieur de Rumigny, que le cardinal de Richelieu, quoiqu'il n'aille pas à la guerre, ne laisse pas d'être grand capitaine.» Sa femme (mademoiselle de Brissac) est jolie et chante bien. Le cardinal de Richelieu s'en éprit; il avoit toujours affaire à l'Arsenal: c'étoit sa _bonne cousine_. Voilà le grand-maître dans une mélancolie épouvantable. Il avoit un peu de goutte; il feint d'en avoir bien davantage. Il ne savoit où il en étoit. Le cardinal étoit dangereux; il n'y avoit point de quartier avec lui. La maréchale pouvoit, si elle eût voulu, faire enrager son mari impunément. Elle qui ne manque pas d'esprit, s'aperçut de cela; et un beau jour, par une résolution assez rare en l'âge où elle étoit alors, elle va trouver le grand-maître, et lui dit que l'air de Paris ne lui étoit pas bon, et qu'elle seroit bien aise s'il l'approuvoit d'aller chez sa mère en Bretagne. «Ah! madame, lui dit le grand-maître, vous me donnez la vie; je n'oublierai jamais la grâce que vous me faites.» Le cardinal, par bonheur, n'y songea plus; mais sans doute il s'alloit enflammer d'une étrange sorte. Tournons la médaille. En même temps madame de La Meilleraye se va mettre dans la tête que MM. de Cossé viennent de l'empereur Cocceius Nerva, qui n'eut point d'enfants. Buchanan avoit bien plus de raison d'appeler Timoléon de Cossé le sang de Cossus, un dictateur romain; cela est permis à un poète. Sa folie alla jusqu'au point de faire passer ses soeurs devant elle, disant qu'elle a dégénéré en épousant un autre qu'un prince; et dans le cabinet de l'Arsenal, où tous les grands-maîtres de l'artillerie sont peints, elle a fait mettre le titre de prince à M. de Brissac, son grand-père. Depuis, je ne sais si elle l'a fait effacer, car elle est revenue de cette grotesque. MM. de Brissac, ses frères, ne furent guère plus sages. Cerizay[66] fit une chanson contre eux sans se nommer; la voici. Ce fut pour complaire à M. de La Rochefoucauld. Petit Brissac, chacun baise les mains A vos aïeux, les empereurs Romains; On voit assez comme la chose va; Et n'est auteur, Qui ne soit serviteur De Cocceius Nerva. Votre cadet, le prince de Cossé, Tranche le mot et franchit le fossé. De cette histoire on sait tout le détail, Et comme on va De Cocceius Nerva Jusqu'à Rocher-Portail[67]. J'ai ouï dire que la maison de Cossé, quoique illustre, n'est pas trop ancienne. Le premier maréchal de Brissac fit sa fortune par les femmes. Madame d'Estampes l'aimoit, et François Ier venant chez elle, il se cacha sous le lit. Le Roi ne l'ignoroit pas, et comme il mangeoit du cotignac, il en jeta une boîte sous le lit, en disant: «Tiens, Brissac, il faut que tout le monde vive[68].» Madame d'Estampes lui fit donner de l'emploi. Pour en revenir à madame de La Meilleraye, elle faisoit mettre ses soeurs comme des princesses romaines, au-dessus d'elle, en des fauteuils, et elle se plaçoit après sur une chaise à l'ordinaire; et à Nantes, car c'est son empire, elle faisoit asseoir toutes les principales femmes de la ville autour d'elle, sur de petits tabourets hauts de demi-pied, et s'il y avoit quelqu'une qui eût la taille gâtée, elle la faisoit tourner de tous côtés, faisant semblant d'admirer sa taille. A une d'elles qui étoit un peu pelée sur le front, elle se tuoit de dire qu'elle avoit la plus grande quantité de cheveux du monde. Une fois elle se coiffe ridiculement pour leur faire accroire que c'étoit la mode; mais il n'y en eut guère d'assez simples pour donner dans le panneau. On n'osoit danser sans le lui faire savoir, et quand elle avoit promis de s'y trouver, elle attendoit que tout le monde fût assemblé, et puis elle mandoit qu'elle n'y pouvoit aller; et alors il falloit renvoyer les violons, car c'eût été un crime capital que d'avoir fait une assemblée quand Madame avoit témoigné qu'elle n'en pouvoit être. Comme on se moule aisément sur un mauvais patron, le gouverneur du château de Nantes, nommé Chalusset, vouloit faire aussi le petit tyranneau au bal quand le grand-maître n'y étoit pas. Il fit une assemblée au château, et, pour se parer, il avoit mis un hausse-col, et ne faisoit danser que ceux de la cabale de la gouvernante, sa femme. Il y avoit une autre cabale à Nantes, qu'on appeloit vulgairement _le fretin_, dans laquelle pourtant étoient les plus jolies de la ville. Cette pauvre cabale ne faisoit que regarder les autres. Enfin un gentilhomme nommé Bois-Yvon[69], qui avoit ses inclinations dans le _fretin_, prit sa dame par la main, et, de concert avec elle, comme M. le gouverneur alloit prendre une dame pour danser, ils l'arrêtèrent, et, se mettant à genoux, lui chantèrent tous deux ce couplet: Qu'il plaise à votre hausse-cou, Monsieur, d'avoir pitié de nous, Landrirette, Le _fretin_ vous crie merci, Landriri. Le couplet achevé, ils se mettent à danser, laissant Chalusset tout étourdi de cette aventure. Ainsi le _fretin_ entra en danse et eut sa revanche tout le reste de la soirée. Or, puisque nous avons trouvé Chalusset en notre chemin, nous dirons ce que nous en savons. Ce bon gentilhomme avoit autrefois enlevé une fille. Il coucha avec elle, mais il ne lui put rien faire. Le lendemain, cette pauvre fille pria ceux qui avoient assisté Chalusset de la renvoyer à ses parents, ce qu'ils firent. Depuis elle fut mariée à un autre. En ce temps-là, pour dire un _Jean qui ne peut_, on disoit un Chalusset. Il a pourtant trouvé une femme, et a des enfants. Cette femme a l'honneur de vérifier le proverbe qui dit: «Grosse tête et peu de sens.» Boissat, _l'esprit_, la trouva une fois en visite; cette grosse tête l'étonna; il fit ce quatrain: Dieu, qui gouvernes tout par de secrets ressorts, En faveur d'une dame accorde ma requête. Donne-lui le corps de sa tête Ou bien la tête de son corps. Elle s'est mis en fantaisie qu'il n'y a rien de si beau que de bien écrire; que sans cela on n'est qu'une bête. Elle a persuadé cela à trois femmes aussi sages qu'elle. Elles s'exercent toutes quatre à bien écrire; et on les a trouvées plusieurs fois aux quatre coins d'une chambre avec chacune une table, s'écrivant des douceurs les unes aux autres. Revenons à la maréchale. Elle disoit qu'elle rendoit grâces à Dieu de deux choses: l'une, d'être née princesse; et l'autre, d'être femme de M. le maréchal de La Meilleraye: «Car, disoit-elle, si je ne l'avois épousé, je ne pourrois pas m'empêcher de l'aimer d'amour.» Elle ment comme tous les diables: c'est un petit homme mal fait et jaloux, et je sais bien qu'un jour, à Bourbon, une de ses femmes-de-chambre lui ayant essayé en riant le bandeau d'une veuve qui étoit là, et lui ayant dit: «Madame, que cela vous siéroit bien!» elle se mit à rire, et lui dit: «Que tu es folle!» Sans la peur du diable, elle l'auroit fait mille fois cocu. Elle croit qu'il n'y a point de pardon pour l'adultère. Elle est coquette, badine et follette naturellement, mais cela la retient; peut-être l'humeur violente de cet homme lui fait-elle peur aussi. On dit qu'elle seroit fort plaisante en amourette. Nous parlerons encore bien des fois d'elle et de son mari dans les _Mémoires de la Régence_. Je dirai seulement, pour faire voir son humeur fière, qu'un jour (en 1648) qu'elle se trouva chez la Reine au Palais-Royal, où madame de Longueville et mademoiselle de Guise vinrent, on parla d'aller à la comédie. Or, il y avoit toujours assez de presse, parce qu'il n'en coûte rien. La maréchale pria madame de Longueville de la laisser passer devant, parce qu'après elle on n'avoit plus de considération pour personne. Madame de Longueville la fait passer. La maréchale entre la première, et se place bien à son aise sur un banc qu'on avoit gardé pour madame de Longueville, qui fut contrainte de donner la moitié de sa place à mademoiselle de Guise, et fut si incommodée, que la plupart du temps elle aima mieux se tenir debout. La maréchale, au lieu de se lever, disoit: «Je veux avoir place, moi.» On vit bien que c'étoit pour cela qu'elle avoit demandé à passer devant. Pour le maréchal de La Meilleraye, il n'y a pas grand plaisir d'avoir affaire à lui. Il a tyrannisé et tyrannise encore tous ceux sur qui il a quelque pouvoir. Il a fait battre des gens, il en a fait jeter par les fenêtres. Il a fait interdire les officiers qui n'ont pas jugé à sa fantaisie; il a fait affront à ceux dont les femmes n'étoient pas allées assez tôt voir la sienne. Enfin, c'est un diable d'homme. Mais il n'est pas si méchant à ceux qui sont mal endurants. Il est fanfaron, comme je l'ai déjà dit, et pourtant il ne le veut pas paroître. A Gravelines, il avoit la goutte, et alloit sur un fort petit bidet à la tranchée; le jour qu'on l'ouvrit, il y alla sans nécessité, et se tint quelque temps à découvert sur un rideau. On lui tira vingt volées de canon, et un boulet fut si près, que son cheval en fut effrayé. Les officiers le prièrent de se retirer: «Quoi! vous avez peur? leur dit-il.--Nous avons peur pour vous, monsieur, lui répondirent-ils.--Pour moi, oh! ce n'est point à un général d'armée, et encore moins à un maréchal de France, d'avoir peur.» Au siége de Perpignan, il envoya à don Florès d'Avila, gouverneur de la place, des noix confites pour lui réconforter le coeur, à cause de la faim qu'il enduroit. L'autre lui envoya deux capes à l'espagnole, fourrées d'hermine, pour lui signifier qu'il se morfondoit devant cette place. Voici ce que j'ai appris des deux soeurs de la maréchale. L'aînée, toute princesse romaine qu'elle étoit, et prétendant le tabouret chez la Reine, devint amoureuse d'un gros homme qui n'étoit plus jeune, et qui étoit de fort basse naissance, et, de plus, réfugié, de peur de ses créanciers. C'étoit un nommé Sabattier, à qui le cardinal de Richelieu, le croyant fort riche, fit épouser l'aînée de La Roche-Posay, qui étoit un peu sa parente. Mais elle mourut bientôt. Sans cela, le cardinal eût soutenu cet homme, qui, faute de conduite et d'appui, donna du nez en terre et fit banqueroute. Il avoit connoissance avec le maréchal de La Meilleraye. Cela fut cause qu'il se retira en Bretagne chez M. le duc de Brissac, et il se mit aux bonnes grâces du duc et de la duchesse. Ce fut là que mademoiselle de Brissac, qui jusqu'alors s'étoit piquée d'une grande pruderie, trouva cet homme à son goût, et l'aima si éperdument, qu'on a dit qu'elle lui tiroit ses bottes. Elle l'épousa en cachette[70]. Le bruit en courut quelque temps, mais il s'apaisa jusqu'à la mort de Sabattier, qu'elle prit le deuil. Le maréchal de La Meilleraye dit qu'il ne le souffriroit pas. Elle lui répondit que si on recherchoit de qui il venoit, on ne trouveroit pas que sa soeur eût épousé un homme de meilleure maison que M. Sabattier. Depuis, un parent du maréchal de La Meilleraye, La Porte Vezins, gentilhomme de huit mille livres de rentes, l'a épousée. Il faut qu'il ait bien su qu'il y avoit quelque _si_, puisqu'on lui donnoit une fille de cette qualité, ou il se prend bien pour un autre. Elle n'en est pas moins fière. A Angers, plusieurs dames de qualité ayant des fauteuils au bal, elle s'assit sur le dos du sien pour être plus haut que les autres, et le lendemain elle y fit apporter un tapis et un carreau, comme auroit pu faire la Reine. La troisième soeur a épousé M. de Biron. Celle-ci est bien faite; elle s'est divertie avant que d'être mariée. Un jour Rumigny, comme le capitaine des gardes du maréchal, nommé Piaillère, se plaignoit à lui de l'humeur de son maître: «Eh! lui dit-il, que ne quittez-vous un homme fougueux et ingrat?--Mon Dieu, dit Piaillère, je n'y demeure que pour tâcher de mettre sa femme à mal, car pour sa belle-soeur elle est dépêchée.» On a dit même que ce M. le capitaine des gardes n'étoit pas le seul. Cet homme, comme on lui demandoit ce que c'étoit que le grand-maître d'aujourd'hui: «C'est, dit-il, bourse fermée et bouche ouverte.» Il a toujours la bouche ouverte, et est de fort mauvaise grâce. [61] Charles de La Porte, duc de La Meilleraye, mort le 8 février 1664, âgé de soixante-deux ans. Son fils unique épousa Hortense Mancini, nièce du cardinal Mazarin. [62] On lit des détails fort curieux sur l'avocat La Porte, grand-père maternel du cardinal de Richelieu, et père du grand-prieur, dans les Mémoires de Montglas. (Collection des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. 49, p. 21.) [63] Ce grand-prieur de La Porte étoit un homme de bien et un homme d'honneur. Quand le grand-prieur de Vendôme fut mort, le cardinal de Richelieu le voulut faire grand-prieur, encore qu'il y eût un commandeur plus ancien que lui, et il avoit assez de pouvoir pour cela; mais il ne le voulut jamais, et dit que c'étoit une injustice. Il laissa passer l'autre devant, mais il n'attendit guère, car cet homme mourut bientôt après. J'ai vu ce grand-prieur fort aimé à La Rochelle, dont il étoit gouverneur avec le pays d'Aulnis, Brouage et les îles. Depuis sa mort la religion de Malte a démembré le grand Prieuré à cause qu'il n'étoit plus que pour des princes et des gens de la faveur. (T.) [64] On lui avoit refusé madame de Courcelles d'aujourd'hui, autrefois mademoiselle de Villeroy, du temps qu'il étoit capitaine des gardes de la Reine-mère, et qu'on l'appeloit Petit Meilleraye. (T.) [65] Elle mourut d'une fausse couche. (T.) [66] On lit _Cerisay_ dans le manuscrit, mais ne seroit-ce pas plutôt Habert de Cerisy, de l'Académie française, qui mourut en 1655? [67] Ce riche partisan dont Tallemant a donné l'_Historiette_ tom. I, qui maria sa fille au duc de Cossé. [68] On a raconté la même chose de Henri IV et du duc de Bellegarde, à l'occasion de Gabrielle d'Estrées. [69] Bois-Yvon, comme on lui parla de Dieu, dit: «Dieu est si grand seigneur et moi si petit compagnon! Nous n'avons jamais eu de communication ensemble.» Ce Bois-Yvon étoit un homme persuadé de la mortalité de l'âme, et quand on lui voulut parler de se confesser, il s'en moqua, et dit qu'il lui restoit trente sous qu'on donneroit à des porteurs, qui, dans leur chaise, le porteroient à la voirie. Il mourut ainsi, et on n'en put obtenir autre chose. Étant malade, je ne sais quel jeune moine lui parloit de Dieu: «Frère jeune, lui dit-il, ne me parlez point tant de Dieu, vous m'en dégoûtez.» Desbarreaux lui amena un confesseur: «Il n'est pas de ma croyance,» dit-il; il lui dit aussi: «Faire ce que vous dites n'est pas de la vie que j'ai faite, et ce que vous faites n'est pas de la vie que vous menez.» (T.) [70] Il y a un couplet du chevalier de Rivière. (T.) LOUIS XIII[71]. Louis XIII fut marié encore enfant[72]. Le Roi commença par son cocher Saint-Amour à témoigner de l'affection à quelqu'un. Ensuite il eut de la bonne volonté pour Haran, valet de chiens. Il voulut envoyer quelqu'un qui lui pût bien rapporter comment la princesse d'Espagne étoit faite. Il se servit pour cela du père de son cocher, comme si c'eût été pour aller voir des chevaux. Le grand-prieur de Vendôme, le commandeur de Souvré et Montpouillan-la-Force[73], garçon d'esprit et de coeur, mais laid et rousseau, furent éloignés l'un après l'autre par la Reine-mère. Enfin M. de Luynes vint; nous en avons parlé ailleurs, et de Desplan aussi. Nogent-Bautru, capitaine de la porte, n'a jamais été favori, à proprement parler; mais il étoit bien dans l'esprit du Roi avant que le cardinal de Richelieu fût son ministre. Il y a beaucoup gagné[74]. Nous parlerons des autres à mesure qu'ils viendront. Le feu Roi ne manquoit pas d'esprit; mais, comme j'ai remarqué ailleurs[75], son esprit tournoit du côté de la médisance; il avoit de la difficulté à parler[76], et, étant timide, cela faisoit qu'il agissoit encore moins par lui-même. Il étoit bien fait, dansoit assez bien en ballet, mais il ne faisoit jamais que des personnages ridicules. Il étoit bien à cheval, eût enduré la fatigue en un besoin, et mettoit bien une armée en bataille. Le cardinal de Richelieu, qui craignoit qu'on ne l'appelât Louis le Bègue, fut ravi de ce que l'occasion s'étoit présentée de le surnommer Louis-le-Juste. Cela arriva lorsque madame de Guemadeux, femme du gouverneur de Fougères, se jeta à ses pieds, pleura et lamenta, et qu'il n'en fut point ému, encore qu'elle fût fort belle. Depuis, Le Pont-de-Courlay épousa la fille de cette femme. C'est la mère du duc de Richelieu, aujourd'hui madame Daubroy. Guemadeux eut la tête coupée; il se révolta le plus sottement du monde. A La Rochelle, ce nom lui fut confirmé à cause du traitement qu'on fit aux Rochellois. En riant, quelques-uns ont ajouté _arquebusier_, et disoient: _Louis, le juste arquebusier_. Un jour, mais long-temps après, Nogent, en jouant de la paume ou au gros volant avec le Roi, cria: «A vous, Sire.» Le Roi manqua: «Ah! vraiment, dit Nogent, voilà un beau Louis le Juste.» Il ne s'en fâcha point. Il étoit un peu cruel, comme sont la plupart des sournois et des gens qui n'ont guère de coeur, car le bon sire n'était pas vaillant, quoiqu'il voulût passer pour tel. Au siége de Montauban, il vit sans pitié plusieurs huguenots, de ceux que Beaufort avoit voulu jeter dans la ville, la plupart avec de grandes blessures, dans les fossés du château où il étoit logé. Ces fossés étoient secs; on les mit là comme dans un lieu sûr, et on ne daigna jamais leur faire donner de l'eau. Les mouches mangeoient ces pauvres gens. Il s'est diverti long-temps à contrefaire les grimaces des mourants. Le comte de La Rocheguyon (c'étoit un homme qui disoit les choses plaisamment) étant à l'extrémité, le Roi lui envoya un gentilhomme pour savoir comment il se portoit: «Dites au Roi, dit le comte, que dans peu il en aura le divertissement. Vous n'avez guère à attendre, je commencerai bientôt mes grimaces. Je lui ai aidé bien des fois à contrefaire les autres, j'aurai mon tour à cette heure.» Quand M. le Grand (Cinq-Mars) fut condamné, il dit: «Je voudrois bien voir la grimace qu'il fait à cette heure sur cet échafaud.» Quelquefois il a raisonné passablement dans un conseil, et même il sembloit qu'il avoit l'avantage sur le cardinal. Peut-être l'autre avoit-il l'adresse de lui donner cette petite satisfaction. La fainéantise l'a perdu. Pisieux gouverna un temps, puis La Vieuville, surintendant des finances, fut comme une espèce de ministre, avant la grande puissance du cardinal de Richelieu, et pensa faire enrager tout le monde. Il vouloit faire danser des courantes aux dames qui lui alloient parler. Quand on lui demandoit de l'argent, il se mettoit à faire des bras comme s'il eut nagé, et disoit: «Je nage, je nage, il n'y a plus de fonds.» Scapin lui alla une fois demander je ne sais quoi. Voilà La Vieuville, dès que cet homme paroît, qui se met à faire le zani[77]. Scapin le regarde, et puis lui dit: «Monsou, vous avez fait mon métier; faites à cette houre le vôtre.» Le Roi, après lui avoir fait manger du foin confit pour le traiter de cheval, le lendemain lui donne la surintendance des finances... Lequel, à votre avis, méritoit le mieux de manger de l'herbe? Enfin, M. le maréchal d'Ornane s'étant mis dans la Bastille volontairement pour se justifier des choses dont il disoit qu'on l'accusoit, le bruit courut que c'étoit La Vieuville qui en étoit cause. Les gens de Monsieur irritèrent leur maître, qui gronda tant qu'il fit donner congé à La Vieuville: ce fut à Saint-Germain, et ce jour-là comme il partoit, on lui fit faire un charivari épouvantable par tous les marmitons, pour lui jouer, disoit-on, un branle de sortie. Louis XIII, rebuté des débauches de Moulinier et de Justine, deux des musiciens de la chapelle, qui ne le servoient pas trop bien, leur fit retrancher la moitié de leurs appointements. Marais, le bouffon du Roi, leur donna une invention pour les faire rétablir. Ils allèrent avec lui au petit coucher danser une mascarade demi-habillés. Qui avoit un pourpoint n'avoit point de haut-de-chausses. «Que veut dire cela? dit le Roi.--C'est, Sire, répondirent-ils, que gens qui n'ont que la moitié de leurs appointements ne s'habillent aussi qu'à moitié...» Le Roi en rit et les reprit en grâce. Au voyage de Lyon, en une petite ville nommée Tournus, entre Châlons et Mâcon, un gardien des Cordeliers voulut faire accroire à la Reine-mère que le Roi en passant y avoit fait parler une muette en la touchant, comme si elle eût eu les écrouelles. On lui montra la fille. Ce bon Père disoit l'avoir vu, et après lui, toute la ville le disoit aussi. Le Père Souffran fit faire une procession et chanter. La Reine prend ce bon religieux, et, ayant joint le Roi, elle lui dit qu'il devoit bien prier Dieu de la grâce qu'il lui avoit faite d'opérer par lui un si grand miracle. Le Roi dit qu'il ne savoit ce qu'on lui vouloit dire, et le Cordelier disoit: «Voyez la modestie de ce bon prince!» Enfin le Roi déclara que c'étoit une fourberie et vouloit envoyer des gens de guerre pour punir ces imposteurs. Dès-lors il aimoit déjà madame d'Hautefort, qui n'étoit encore que fille de la Reine. Les autres lui disoient: «Ma compagne, tu ne peux rien; le Roi est saint.» Ses amours étoient d'étranges amours. Il n'avoit rien d'un amoureux que la jalousie. Il entretenoit madame d'Hautefort de chevaux, de chiens, d'oiseaux et d'autres choses semblables. Il la fit dame d'atours en survivance; elle eut quelques dons. Mais il étoit jaloux d'Esgvilly-Vassé[78]; et il fallut qu'on lui fît accroire qu'il étoit parent de la belle. Le Roi le voulut savoir de d'Hozier. D'Hozier avoit le mot, et dit tout ce qu'on voulut. Madame de La Flotte, veuve d'un des MM. Du Bellay, chargé d'affaires et d'enfants, s'offrit, quoique ce fût un emploi au-dessous d'elle, d'être gouvernante des filles de la Reine-mère, et elle l'obtint par importunité. Elle donna la fille de sa fille, dès l'âge de douze ans, à la Reine-mère: c'est madame d'Hautefort. Elle étoit belle. Le Roi en devint amoureux et la Reine jalouse, ce dont le Roi ne se soucioit pas autrement. Cette fille, songeant à se marier, ou voulant donner quelque inquiétude au Roi, souffrit quelques cajoleries. Huit jours il étoit bien avec elle; huit autres jours il la haïssoit quasi. Quand la Reine-mère fut arrêtée à Compiègne, on fit madame de La Flotte dame d'atours en la place de madame Du Fargis, et sa petite-fille est reçue en survivance. En je ne sais quel voyage, le Roi alla à un bal dans une petite ville; une fille, nommée Catin Gau, à la fin du bal, monta sur un siége pour prendre, non un bout de bougie, mais un bout de chandelle de suif dans un chandelier de bois. Le Roi dit qu'elle fit cela de si bonne grâce, qu'il en devint amoureux. En partant, il lui fit donner dix mille écus pour sa vertu. Le Roi s'éprit après de La Fayette. La Reine et Hautefort se liguèrent contre elle, et depuis cela furent bien ensemble. Le Roi retourna à Hautefort. Le cardinal la fit chasser; cela ne la désunit point d'avec la Reine. Un jour, madame d'Hautefort tenoit un billet. Il le voulut voir; elle ne le voulut pas. Enfin, il fit effort pour l'avoir; elle qui le connoissoit bien, se le mit dans le sein et lui dit: «Si vous le voulez, vous le prendrez donc là?» Savez-vous bien ce qu'il fit: il prit les pincettes de la cheminée, de peur de toucher à la gorge de cette belle fille. Le feu Roi commençoit à cajoler une fille en lui disant: «Point de mauvaises pensées.» Pour une femme mariée, il n'avoit garde. Une fois il avoit fait un air qui lui plaisoit fort, il envoya quérir Boisrobert pour lui faire faire des paroles. Boisrobert en fit sur l'amour que le Roi avoit pour Hautefort. Le Roi lui dit: «Ils vont bien, mais il faudroit ôter le mot de _désirs_, car je ne désire rien.» Le cardinal lui dit: «Le Bois, vous êtes en faveur, le Roi vous a envoyé quérir.» Boisrobert lui conte la chose. Or, devinez ce qu'il fait faire; ayant la liste des mousquetaires, il y avoit des noms béarnois, du pays de Tréville[79], qui étoient des noms à tuer chien; Boisrobert en fit une chanson; le Roi la trouva admirable. M. d'Esgvilly étoit un fort galant homme. Il fit long-temps l'amour à la Reine avec des révérences; et c'est assez dire à une Reine. On l'appeloit le beau d'Esgvilly. Le cardinal l'éloigna parce que c'étoit un garçon qui ne craignoit rien. Il avoit nargué le grand-maître en cajolant madame de Chalais, sous sa moustache. C'étoit un homme froid. Il avoit une galère, et, après avoir fait des merveilles au combat qui se donna auprès de Gênes, à la naissance de M. le dauphin, où il fit des protestations contre Le Pont de Courlay qui ne vouloit pas donner, il reçut un coup de mousquet dans le visage qui le défiguroit tout. Il ne voulut plus vivre, et ne souffrit pas qu'on le pansât. La Reine, à ce que dit le _Journal_ du cardinal, s'étoit blessée pour avoir mis un emplâtre, avant que d'être grosse de Louis XIV[80]. Le Roi couchoit fort rarement avec elle. On appeloit cela mettre le chevet, car la Reine n'en mettoit point pour l'ordinaire. Il dit, quand on lui vint annoncer que la Reine étoit grosse: «Il faut donc que ce soit d'un tel temps.» Pour une pauvre fois, il prenoit quelque rafraîchissement et on le saignoit souvent. Cela ne servoit pas à sa santé. J'oubliois que son premier médecin, Hérouard, à fait plusieurs volumes qui commencent depuis l'heure de la naissance du Roi jusqu'au siége de La Rochelle, où vous ne voyez rien sinon à quelle heure il se réveilla, déjeûna, cracha, pissa, etc.[81]. Au commencement, le roi étoit assez gai, et se divertissoit assez avec M. de Bassompierre. Il a dit quelquefois de plaisantes choses[82]. Le fils de Sébastien Zamet, qui mourut maréchal de camp à Montauban (c'étoit beaucoup en ce temps-là), avoit avec lui La Vergue, depuis gouverneur du duc de Brézé, qui étoit curieux d'architecture et s'y entendoit un peu. Or, ce Zamet étoit un homme fort grave et qui faisoit des révérences bien compassées. Le Roi disoit qu'il lui sembloit, quand Zamet faisoit ses révérences, que La Vergue étoit derrière pour les mesurer avec sa toise. Ce fut lui qui fit la chanson: Semez graine de coquette Et vous aurez des cocus. Il aima Barradas violemment. On l'accusoit de faire cent ordures avec lui. Il étoit bien fait. Les Italiens disoient: _La bugera ha passato i monti, passera ancora il concilio_. J'ai ouï dire à Barradas, qui est un assez pauvre homme, que le cardinal de Richelieu et la feue Reine-mère avoient bien brouillé l'esprit au feu Roi. Ils faisoient venir des gens supposés qui apportoient des lettres contre les plus grands de la cour. La Reine-mère écrivoit au Roi: «Votre femme fait galanterie avec M. de Montmorency, avec Buckingham, avec celui-ci, avec celui-là.» Les confesseurs, ganés, ne lui disoient que ce qu'on leur faisoit dire. Ce Barradas n'étoit qu'un brutal; il donna bientôt prise sur lui. Le Roi ne vouloit pas qu'il se mariât, et lui, amoureux de la belle Cressias, fille de la Reine, voulut l'épouser à toute force[83]. Le cardinal se servit de l'indignation du Roi pour s'en défaire[84]. Le voilà relégué chez lui. Saint-Simon prend sa place[85]. Il étoit page de la chambre aussi bien que Barradas; mais c'étoit, et c'est encore, un homme qui n'a rien de recommandable, et qui est mal fait. Celui-ci dura plus long-temps que l'autre, et alla à deux ou trois ans près de M. le Grand. Il y a fait fortune, et est duc et pair reçu au parlement. Le cardinal se servit encore de quelque dégoût du Roi; car il ne vouloit pas que ces petits favoris le tracassassent trop. Depuis, M. de Chavigny, que Barradas n'avoit point salué, en je ne sais quel lieu, à cause que l'autre lui avoit fait une incivilité en une rencontre, entreprend de le faire reléguer. On lui envoie un ordre d'aller en une province éloignée. Le Roi dit: «Je le connois, il n'obéira pas.» L'exempt, qui fut chez Barradas, voyant qu'il vouloit aller faire sa réponse lui-même au Roi, aima mieux la recevoir par écrit, et le cardinal dit que l'exempt avoit fait sagement; mais il gronda M. de Chavigny et lui dit: «Vous l'avez voulu, monsieur de Chavigny, vous l'avez voulu, achevez donc.» Cela n'eut pas de suite, et durant le siége de Corbie, où Barradas eut permission de voir le Roi, il proposa à M. le comte d'arrêter le cardinal. Il demandoit pour cela cinq cents chevaux, et, suivi de ses amis et de ses parens, avec un cordon bleu et un bâton de capitaine des gardes, il faisoit état d'attendre le cardinal à un défilé; qu'il y avoit apparence que le cardinal, surpris de voir un homme que le Roi aimoit encore, et n'ayant pas le don de ne se pas étonner, perdroit la tramontane, et qu'on le mèneroit où l'on voudroit; que pour le Roi, il étoit en colère de l'insulte des Espagnols et du manque de toutes choses, et on étoit assuré qu'il haïssoit déjà le cardinal. «J'en parlerai à Monsieur, dit M. le comte.--Monsieur, reprit Barradas, je ne veux point avoir affaire à Monsieur.» Cela se sut. Barradas eut ordre de se retirer à Avignon, et y obéit. Le soin qu'on avoit eu d'amuser le Roi à la chasse[86] servit fort à le rendre sauvage. Mais cela ne l'occupa pas si fort qu'il n'eût tout le loisir de s'ennuyer. Il prenoit quelquefois quelqu'un, et lui disoit: «Mettons-nous à cette fenêtre, puis ennuyons-nous, ennuyons-nous;» et il se mettoit à rêver. On ne sauroit quasi compter tous les beaux métiers qu'il apprit, outre tous ceux qui concernent la chasse; car il savoit faire des canons de cuir, des lacets, des filets, des arquebuses, de la monnoie, et M. d'Angoulême lui disoit plaisamment: «Sire, vous portez votre abolition avec vous.» Il étoit bon confiturier, bon jardinier; il fit venir des pois verts, qu'il envoya vendre au marché. On dit que Montauron[87] les acheta bien cher, car c'étoient les premiers venus. Montauron acheta aussi, pour faire sa cour, tout le vin de Ruel du cardinal de Richelieu, qui étoit ravi de dire: «J'ai vendu mon vin cent livres le muid.» Le Roi se mit à apprendre à larder. On voyoit venir l'écuyer Georges avec de belles lardoires et de grandes longes de veau. Et une fois, je ne sais qui vint dire que _Sa Majesté lardoit_. Voyez comme cela s'accorde bien, _majesté_ et _larder_! J'ai peur d'oublier quelqu'un de ses métiers. Il rasoit bien; et un jour il coupa la barbe à tous ses officiers, et ne leur laissa qu'un petit toupet au menton[88]. On en fit une chanson: Hélas! ma pauvre barbe, Qu'est-ce qui t'a faite ainsi? C'est le grand roi Louis Treizième de ce nom Qui toute a ébarbé sa maison. Ça, monsieur de La Force, Que je vous la fasse aussi: Hélas, Sire, nenni; Ne me la faites pas, Plus ne me connoîtroient vos soldats. Laissons la barbe en pointe Au cousin de Richelieu, Car, par la vertudieu, Qui seroit assez osé Pour prétendre la lui raser? Il composoit en musique, et ne s'y connoissoit pas mal. Il mit un air au rondeau sur la mort du cardinal: Il est passé, il a plié bagage, etc. Miron, maître des comptes, l'avoit fait. Il peignoit un peu. Enfin, comme dit son épitaphe: Il eut cent vertus de valet, Et pas une vertu de maître. Son dernier métier fut de faire des châssis avec M. de Noyers. On lui a trouvé pourtant une vertu de roi, si la dissimulation en est une. La veille qu'on arrêta MM. de Vendôme, il leur fit mille caresses; et le lendemain, comme il disoit à M. de Liancourt: «Eussiez-vous jamais cru cela?--Non, Sire, dit M. de Liancourt, car vous avez trop bien joué votre personnage.» Il témoigna que cette réponse ne lui avoit pas été trop agréable; cependant il sembloit qu'il vouloit qu'on le louât d'avoir si bien dissimulé. Il fit une fois une chose que son frère n'eût pas faite. Plessis-Bezançon lui alloit rendre de certains comptes; et comme c'est un homme assez appliqué à ce qu'il fait, il étale ses registres sur la table du cabinet du Roi, après avoir mis, sans y penser, son chapeau sur sa tête. Le Roi ne lui dit rien. Quand il eut fait, il cherche son chapeau partout; le Roi lui dit: «Il y a long-temps qu'il est sur votre tête.» M. d'Orléans envoya offrir un carreau à un homme qui, sans y penser, s'étoit assis dans une salle comme Son Altesse Royale s'y promenoit. Le Roi ne vouloit pas que ses premiers valets-de-chambre fussent gentilshommes; car il disoit qu'il vouloit pouvoir les battre, et il ne croyoit pas pouvoir battre un gentilhomme sans se faire tort. A ce compte, il ne prenoit pas Béringhen pour un gentilhomme. J'ai déjà dit qu'il étoit naturellement médisant. Il disoit: «Je pense que tels et tels sont bien aises de mon édit des duels.» Il se railloit de ceux qui ne se battoient pas au même temps qu'il faisoit une déclaration contre ceux qui se battoient. Il avoit quelque chose de hobereau, car il croyoit qu'il y alloit de son honneur qu'un sergent entrât chez lui, et il en vouloit faire battre un qui étoit venu remplir sa charge dans la cour de Fontainebleau, pour dette sans capture. Mais un conseiller d'Etat qui se trouva là lui dit: «Mais, Sire, il faudroit savoir au nom et en l'autorité de qui il fait cela.» On apporte les pièces: «Eh, Sire, lui dit-on, c'est de par le Roi, et ces gens-là sont des ministres de votre justice.» Philippe II, roi d'Espagne, ordonna que les sergents entreroient dans toutes les maisons des grands, et depuis cela on leur porte respect partout. On l'a reconnu avare en toutes choses. Mézerai lui présenta un volume de son _Histoire de France_. Le Roi trouva le visage de l'abbé Suger à sa fantaisie; il en fit le crayon sans rien dire. Bien loin de rien donner à l'auteur, il raya après la mort du cardinal toutes les pensions des gens de lettres, en disant: «Nous n'avons plus affaire de cela.» Depuis la mort du cardinal, M. de Schomberg lui dit que Corneille vouloit lui dédier la tragédie de _Polyeucte_. Cela lui fit peur, parce que Montauron avoit donné deux cents pistoles à Corneille pour _Cinna_[89]. «Il n'est pas nécessaire, dit-il.--Ah! Sire, reprit M. de Schomberg, ce n'est point par intérêt.--Bien donc, dit-il, il me fera plaisir.» Ce fut à la Reine qu'on la dédia, car le Roi mourut entre deux[90]. Une fois à Saint-Germain, il voulut voir l'état de sa maison pour la bouche. Il retrancha un potage au lait à la générale Coquet, qui en mangeoit un tous les matins. Il est vrai qu'elle étoit assez truie sans cela. Il trouva sur le compte des biscuits que l'on avoit donnés à M. de La Vrillière. Dans ce même moment M. de La Vrillière entra. Il lui dit brusquement: «A ce que je vois, La Vrillière, vous aimez fort les biscuits.» En revanche, il parut bien libéral, quand, en lisant: Un pot de gelée pour un tel, qui étoit malade, il dit: «Je voudrois qu'il m'en eût coûté six, et qu'il ne fût pas mort.» Il retrancha trois paires de mules de sa garde-robe; et M. le marquis de Rambouillet, qui en étoit grand-maître, lui ayant demandé ce qu'il vouloit qu'on fît de vingt pistoles qui étoient restées de ce qu'on avoit donné pour acheter des chevaux pour le chariot du lit, il lui dit: «Donnez-les à un tel, mousquetaire, à qui je les dois. Il faut commencer par payer ses dettes.» Il rabattit aux fauconniers du cabinet les bouts carrés qu'ils achetoient pour peu de chose des écuyers de cuisine, et les leur fit donner pour leurs oiseaux, sans récompenser les écuyers de cuisine. Il n'étoit pas humain. En Picardie, il vit des avoines toutes fauchées, quoiqu'elles fussent encore toutes vertes, et plusieurs paysans assemblés autour de ce dégât, mais qui, au lieu de se plaindre de ses chevau-légers qui venoient de faire ce bel exploit, se prosternoient devant lui et le bénissoient. «Je suis bien fâché, leur dit-il, du dommage qu'on vous a fait là.--Cela n'est rien, Sire, lui dirent-ils, tout est à vous; pourvu que vous vous portiez bien, c'est assez.--Voilà un bon peuple,» dit-il à ceux qui l'accompagnoient. Mais il ne leur fit rien donner, ni ne songea à les faire soulager des tailles. Je pense qu'une des plus grandes humanités qu'il ait eues en sa vie, ce fut en Lorraine. Le paysan chez qui il dînoit, dans un village où ils étoient bien à leur aise avant cette dernière guerre, fut tellement charmé d'un potage de perdrix aux choux, qu'il le suivit jusque sur la table du Roi. Le Roi dit: «Voilà un beau potage.--C'est bien l'avis de vôtre hôte, Sire, dit le maître-d'hôtel, il n'a pas ôté les yeux de dessus.--Vraiment, dit le Roi, je veux qu'il le mange.» Il le fit recouvrir, et ordonna qu'on le lui servît. Le cardinal ayant chassé Hautefort, et La Fayette s'étant faite religieuse, le Roi dit qu'il vouloir aller au bois de Vincennes, et, en passant, fut cinq heures aux Filles de Sainte-Marie, où étoit La Fayette. En sortant, Nogent lui dit: «Sire, vous venez de voir la pauvre prisonnière?--Je suis plus prisonnier qu'elle,» répondit le Roi. Le cardinal eut du soupçon de cette longue conversation, et y envoya M. de Noyers, à qui M. de Tresmes n'osa refuser la porte; cela rompit les chiens. L'Eminentissime voyant bien qu'il falloit quelque amusement au Roi, jeta les yeux, comme j'ai déjà dit, sur Cinq-Mars, qui déjà étoit assez agréable au Roi. Il avoit ce dessein de longue main, car le marquis de La Force fut trois ans sans se pouvoir défaire de sa charge de grand-maître de la garde-robe (je pense qu'on lui avoit donné celle-ci au lieu de celle de capitaine des gardes-du-corps). Le cardinal ne vouloit pas qu'autre que Cinq-Mars l'eût. En effet, M. d'Aumont, frère aîné de Villequier, aujourd'hui maréchal d'Aumont, ne put y être reçu, quoiqu'il eût de bonnes paroles du Roi. Au commencement, M. de Cinq-Mars faisoit faire débauche au Roi. On dansoit, on buvoit des santés. Mais comme c'étoit un jeune homme fougueux et qui aimoit ses plaisirs, il s'ennuya bientôt d'une vie qu'il n'avoit prise qu'à contre-coeur. D'ailleurs La Chesnaye, premier valet-de-chambre, qui étoit son espion, le mit mal avec le cardinal, car il lui disoit cent bagatelles du Roi que l'autre ne lui disoit point, et que le cardinal vouloit qu'on lui dît. Cinq-Mars, devenu grand-écuyer[91] et comte de Dampmartin, fit chasser La Chesnaye, mais aussi la guerre fut déclarée par ce moyen entre le cardinal et lui. Nous avons dit comme le Roi l'aimoit éperduement. Fontrailles racontoit qu'étant entré une fois à Saint-Germain fort brusquement dans la chambre de M. le Grand, il le surprit comme il se faisoit frotter depuis les pieds jusqu'à la tête d'huile de jasmin, et, se mettant au lit, il lui dit d'une voix peu assurée: «Cela est plus propre.» Un moment après on heurte, c'est le Roi. Il y a apparence, comme le dit le fils de feu L'Huillier, à qui on contoit cela, qu'il s'huiloit pour le combat. On m'a dit aussi qu'en je ne sais quel voyage le Roi se mit au lit dès sept heures. Il étoit fort négligé; à peine avoit-il une coiffe à son bonnet. Deux grands chiens sautent aussitôt sur le lit, le gâtent tout, et se mettent à baiser Sa Majesté. Il envoya déshabiller M. le Grand, qui revint paré comme une épousée: «Couche-toi, couche-toi,» lui dit-il d'impatience. Il se contenta de chasser les chiens sans faire refaire le lit, et ce mignon n'étoit pas encore dedans, qu'il lui baisoit déjà les mains. Dans cette grande ardeur, comme il ne trouvoit pas que M. le Grand y correspondît trop, car il avoit le coeur ailleurs, il lui disoit: «Mais, mon cher ami, qu'as-tu? que veux-tu? tu es tout triste. De Niert[92], demande-lui ce qui le fâche; dis-moi, as-tu jamais vu une telle faveur?» Il le faisoit épier pour savoir s'il alloit en cachette quelque part. M. le Grand avoit été amoureux de Marion de Lorme plus qu'il ne l'étoit alors. Une fois, comme il alloit la trouver en Brie, il fut pris pour un voleur par des gens qui effectivement couroient après des voleurs. Ils l'attachèrent à un arbre, et, sans quelqu'un qui le reconnut, ils l'eussent mené en prison. Madame d'Effiat eut peur qu'il n'épousât cette fille, et eut des défenses du Parlement. Il a fait enrager sa mère quelque temps, car elle étoit avare, et lui, par dépit, changeoit d'habit quatre fois le jour, et l'alloit voir autant de fois. Elle étoit pourtant revenue de cette aversion depuis qu'il étoit en faveur. Elle pouvoit bien l'aimer, car il n'y avoit que lui qui valût quelque chose. Il avoit du coeur. Il s'étoit battu, et fort bien, contre Du Dognon, aujourd'hui le maréchal Foucault. Il avoit de l'esprit, et étoit fort bien fait de sa personne. Son aîné est mort fou; cet aîné faisoit des semelles de souliers des plus belles tapisseries de Chilly, et l'abbé est fort peu de chose, quoiqu'il ait assez d'esprit. La plus grande amour de M. le Grand en ce temps-là, c'étoit Chemerault, aujourd'hui madame de La Bazinière. Elle étoit alors en religion à Paris. Elle avoit été chassée à cause de lui[93], et enfin on l'envoya en Poitou. Un soir à Saint-Germain il rencontra Rumigny, et lui dit: «Suivez-moi, il faut que je sorte pour aller parler à Chemerault. Il y a un endroit des fossés par où je prétends passer: on m'y attend avec deux chevaux.» Ils sortent; mais le palefrenier s'étoit endormi à terre, et on lui avoit pris ses deux chevaux. Voici M. le Grand au désespoir. Ils vont dans le bourg pour tâcher d'avoir d'autres chevaux, et ils aperçoivent un homme qui les suivoit de loin. C'étoit un chevau-léger de la garde, le plus grand espion qu'eût le Roi pour M. le Grand. M. le Grand l'ayant reconnu, l'appelle et lui parle. Cet homme leur vouloit faire accroire qu'ils s'alloient battre. Il lui protesta que non. Enfin cet homme se retira. Rumigny conseilla à M. le Grand de s'en retourner, de peur d'irriter le Roi, de se coucher, et, à deux heures de là, d'envoyer prier quelques officiers de la garde-robe de le venir entretenir, parce qu'il ne pouvoit dormir; qu'ainsi il ôteroit pour un temps la créance à ses espions, car on ne manqueroit pas le lendemain de dire au Roi qu'il étoit sorti. M. le Grand crut ce conseil. Le lendemain, le Roi lui dit: «Ah! vous avez été à Paris?» Lui, produit ses témoins. L'espion fut confondu, et il eut le loisir de faire trois voyages nocturnes à Paris. Pour dire le vrai, la vie que le Roi lui faisoit faire étoit une triste vie. Le Roi vraisemblablement fuyoit le monde et surtout Paris, parce qu'il avoit honte de la calamité du peuple. On ne crioit presque point _vive le Roi_ quand il passoit; mais il n'étoit pas capable de mettre ordre à rien. Il ne s'étoit réservé que le soin de pourvoir aux compagnies du régiment des gardes et des vieux corps, et étoit jaloux de cela plus que de toute autre chose. On a remarqué que le Roi aimoit tout ce que M. le Grand haïssoit, et que M. le Grand haïssoit tout ce que le Roi aimoit. Ils ne s'accordèrent qu'en une chose, c'est à haïr le cardinal. J'ai déjà dit ailleurs toute cette histoire[94]. N.[95] dit à Esprit, au retour de Savoie à Lyon, que M. le cardinal ne vivroit pas long-temps, à cause qu'il avoit fait fermer son charbon. Par propreté, il fit cette extravagance-là. Le voilà à Ruel, où la Reine l'alla voir. Il n'osoit aller à Saint-Germain, et le Roi n'osoit aller à Ruel. Il entreprit de gagner Guitaud, car, outre Tréville, Guitaud, Tilladet, Des Essarts, Castelnau, et La Salle, capitaines aux gardes, étoient des gens qu'il n'avoit pu gagner; ceux-là s'attachoient au Roi. Il fit donc prier Guitaud de le venir voir, le reçut le plus civilement du monde, ordonna qu'on le menât dîner, et qu'on lui fît bonne chère. Après dîner, il le fit venir seul, et lui demande s'il ne vouloit pas être de ses amis. «Monseigneur, j'ai toujours été attaché au Roi.--Eh! dit le cardinal en levant le bras par trois fois par mépris, monsieur de Guitaud, vous vous moquez; allez, allez, monsieur de Guitaud.» L'affaire de Tréville le troubla fort: cela aida à le faire mourir. Après la mort du cardinal de Richelieu, le Roi témoignoit de la joie de recevoir les paquets lui-même. Il disoit qu'il n'auroit jamais de favori à garder. Il affectionnoit, ce sembloit, M. de Noyers plus que pas un autre; et quand on parloit de travailler, si M. de Noyers n'y étoit pas: «Non, non, disoit-il, attendons le petit bon homme.» L'autre venoit avec sa bougie _en catimini_. Il étoit bon pour servir sous un autre. Il étoit, disoient les gens, Jésuite galloche[96], car il l'étoit sans porter l'habit et sans demeurer avec eux. Ce fut lui pourtant qui fit chasser le Père Sirmond[97], mais c'étoit pour en mettre un autre qui fût plus Jésuite, s'il faut ainsi dire, car ce bon Père est un peu trop franc, et il ne fait que de petits livres; eux veulent qu'on fasse de gros volumes. Le petit bon homme, se fiant à l'affection du Roi, se trouva attrapé, car le cardinal Mazarin et Chavigny donnoient à ceux qui approchoient le Roi; et quoiqu'il fût toujours à Saint-Germain et eux presque toujours à Paris, ils le débusquèrent pourtant. Il mourut peu après à Dangu, une maison à lui auprès de Pontoise. On grattoit déjà à sa porte comme à celle du cardinal[98]. Le feu Roi mourut bientôt après[99]. Il avoit toujours craint le diable, car il n'aimoit point Dieu, mais il avoit grande peur de l'enfer. Il fit baptiser M. le Dauphin; le cardinal Mazarin le tint pour le pape. Il lui prit une vision, il y a vingt ans, de mettre son royaume sous la protection de la Vierge, et, dans la déclaration qu'il en fit, il y avoit: «Afin que tous nos bons sujets aillent en paradis, car tel est notre plaisir.» C'est ainsi que finissoit cette belle pièce[100]. Dans sa dernière maladie, il étoit étrangement superstitieux. Un jour qu'on lui parloit de je ne sais quel béat qui avoit un don tout particulier pour découvrir les corps saints, et qui, en marchant, disoit: «Fouillez là, il y a un corps saint,» sans y manquer une seule fois, Nogent[101] dit, à sa manière de mauvais bouffon, comme dit le _Journal_ du cardinal: «Si je le tenois, je le mènerois avec moi en Bourgogne, il me trouveroit bien des truffes.» Le Roi se mit en colère, et lui cria: «Maraud, sortez d'ici.» Il mourut assez constamment, et disoit en regardant le clocher de Saint-Denis, qu'on voit du château neuf de Saint-Germain, où il étoit malade: «Voilà où je serai bientôt[102].» Il dit à M. le Prince: «Mon cousin, j'ai songé que mon cousin, votre fils, étoit aux mains avec les ennemis, et qu'il avoit l'avantage.» C'est la bataille de Rocroy. Il envoya quérir le Parlement, pour leur faire promettre qu'ils observeroient la déclaration qu'il avoit faite. C'étoit sur celle du cardinal de Richelieu, dont il n'avoit fait que changer quelque chose. Par cette déclaration, la Reine avoit un conseil nécessaire, et n'avoit que sa voix, non plus qu'un autre. Il leur dit qu'elle gâteroit tout, s'ils la faisoient régente comme la feue Reine-mère. Elle se jeta à ses genoux. Il la fit bientôt relever; il la connoissoit bien, et la méprisoit. On disoit quand M. le Prince mourut, et qu'il eut aussi témoigné de la fermeté, qu'il n'y avoit plus d'honneur à bien mourir, puisque ces deux hommes-là étoient si bien morts. On alla à l'enterrement du Roi comme aux noces, et au-devant de la Reine comme à un carrousel. On avoit pitié d'elle, et on ne savoit pas ce que c'étoit. [71] Fils de Henri IV et de Marie de Médicis, né à Fontainebleau le 27 septembre 1601, mort le 14 mai 1643. [72] En 1615. [73] Il mourut depuis aux guerres des Huguenots. (T.) [74] Le comte de Nogent, capitaine des archers de la porte, frère de Bautru, dans l'_Historiette_ duquel Tallemant aura occasion de reparler de Nogent. Ménage confirme à son sujet ce qu'avance ici Tallemant; car il dit «qu'il arriva à Paris n'ayant que huit cent livres de rente, et qu'il en avoit cent quatre-vingt mille lorsqu'il mourut. Le premier jour qu'il parut à la cour, il porta le Roi sur ses épaules pour le passer par un endroit où il y avoit de l'eau. C'étoit aux Tuileries.» (_Ménagiana_, édit. de 1762, t. I, p. 41.) [75] Précédemment dans l'_Historiette_ du cardinal de Richelieu. [76] M. d'Estambon est fort bègue. Le Roi, la première fois qu'il le vit, lui demanda quelque chose en bégayant. Comme vous pouvez penser, l'autre lui répondit de même. Cela surprit le Roi, comme si cet homme eût voulu se moquer de lui. Voyez quelle apparence il y avoit à cela, et si on n'eût assuré le roi que ce gentilhomme étoit bègue, il l'eût peut-être fait maltraiter. (T.) [77] Espèce de bouffon en vogue en Italie. [78] La famille d'Ecquevilly, descendue du président Hennequin. Tallemant est entré plus bas dans quelques détails sur d'Ecquevilly. [79] Tréville, ou Troisville, commandoit les mousquetaires. [80] Voici le passage: «Madame Bellier a dit au sieur cardinal en grandissime secret, comme la Reine avoit été grosse dernièrement, qu'elle s'étoit blessée; que la cause de cet accident étoit un emplâtre qu'on lui avoit donné pensant faire bien. Depuis Patrocle m'en a dit autant et le médecin ensuite.» (_Journal du cardinal de Richelieu_, 1648, petit in-12, première partie, p. 53; Mai, 1632.) [81] _La Ludovicotrophie_, ou _Journal de toutes les actions et de la santé de Louis, dauphin de France, qui fut ensuite le roi Louis XIII_, par Jean Hérouard, seigneur de Vaugrineuse, son premier médecin, est indiquée dans le Père Lelong, comme existant dans la Bibliothèque du Roi, au nombre des manuscrits du Fonds Colbert. (_Bibliothèque historique de la France_, t. 2, no 21448.) [82] Marais disoit au Roi: «Il y a deux choses à votre métier dont je ne me pourrois accommoder.--Hé! quoi?--De manger tout seul et de ch... en compagnie.» (T.) [83] Ménage assigne une autre cause à la disgrâce de Barradas. «La faveur de Barradas auprès de Louis XIII ne dura pas plus de six mois, et c'est de là que _la fortune de Barradas_ passe en proverbe pour une fortune de peu de durée. Le sujet de la disgrâce de ce favori est fort plaisant. Il étoit un jour à la chasse avec le Roi, lorsque le chapeau de ce prince étant tombé, il alla justement sous le ventre du cheval de Barradas. Dans ce moment-là ce cheval étant venu à passer gâta tout le chapeau du Roi, qui se mit dans une aussi grande colère que s'il l'avoit fait faire exprès. Cet accident, qui en auroit fait rire un autre, fut pris en très-mauvaise part par le Roi, qui commença dès ce temps-là à ne plus aimer Barradas. (_Ménagiana_, t. I, p. 98.) [84] A la poursuite des financiers, la Reine-mère étoit implacable pour Beaumarchais, à cause du maréchal de Vitry, son gendre. On s'avisa pour le sauver d'offrir mademoiselle de La Vieuville, fille de l'autre gendre, à Barradas avec huit cent mille livres. Le Roi en fut fort aise: «Mais, dit-il, il faut faire le compte rond: il faut un million.» Barradas le dit à quelque babillard: le cardinal de Richelieu, qui ne vouloit point que La Vieuville eût de l'appui, et qui voulut peut-être satisfaire la Reine-mère, dit au Roi: «Sire, voilà qui est bien, mais il m'a offert (cela étoit faux) un million de sa charge de trésorier de l'Épargne qui en vaut encore autant.» Cela cabra Vitry et La Vieuville. L'affaire fut rompue. Outre cela, Beaumarchais fut pendu en effigie dans la cour du palais. Il laissa encore des biens prodigieux. Il avoit l'île de l'Éguillon, près de La Rochelle, et six vaisseaux qu'il envoyoit aux Indes. Il faisoit accroire que sa richesse venoit de là. (T.). [85] Le Roi prit amitié pour Saint-Simon, à cause, disoit-il, que ce garçon lui rapportoit toujours des nouvelles certaines de la chasse; qu'il ne tourmentoit point trop ses chevaux, et que, quand il prenoit un cor, il ne bavoit point dedans: voilà d'où vient sa fortune. (T.) [86] Une fois qu'il dansoit je ne sais quel ballet de _la Chasse aux Merles_, qu'il aimoit tendrement, et qu'il avoit nommée _la Merlaison_, un M. de Bourdonné, qui connoissoit M. Godeau, depuis évêque de Grasse, à cause qu'il est voisin de Dreux, d'où est ce prélat, lui écrivit: «Monsieur, sachant que vous faites joliment des vers, je vous prie de faire les vers du ballet du Roi dont j'ai l'honneur d'être, et d'y mettre souvent le mot de _Merlaison_, parce que Sa Majesté l'aime.» M. Godeau est encore à faire ces vers. (T.) [87] Montauron étoit parent de Tallemant; on lira plus loin son _Historiette_. [88] Depuis ceux qui ne sont pas trop âgés l'ôtent, et on n'a que les moustaches. (T.) [89] D'autres ont dit _mille_ pistoles (_Journal de Verdun_, juin, 1707, p. 410). Le chiffre donné par Tallemant est plus vraisemblable. La pistole valoit alors onze livres, ce qui équivaut à vingt-quatre francs d'aujourd'hui. [90] _Polyeucte_, représenté en 1640, ne fut publié qu'en 1643. [91] On avoit obligé M. de Bellegarde à prendre quelque petite récompense de cette charge, et pour cela il eut permission de revenir à la cour. (T.) [92] Premier valet-de-chambre. (T.)--Il étoit premier valet de garde-robe. [93] De chez la Reine, comme on l'a vu précédemment dans l'_Historiette_ du maréchal de Brézé. [94] Voyez l'_Historiette_ du cardinal de Richelieu pour la conspiration de Cinq-Mars et le récit de sa mort. [95] Ce nom est illisible dans le manuscrit; l'initiale paroît être un J, mais encore elle est douteuse. [96] On appelle les filles de la Reine de dehors _galloches_, car on laisse les _galloches_ à la porte. (T.) [97] Jacques Sirmond, Jésuite, né à Riom le 12 octobre 1559, mort à Paris le 7 octobre 1651. [98] On grattoit à la porte du Roi, et par flatterie à celle des puissants d'alors, pour se les faire ouvrir. Dans _le Baron de la Crasse_, comédie de R. Poisson, ce personnage raconte qu'étant allé au Louvre, et ayant frappé à la porte du Roi, l'huissier lui dit: Apprenez, monsieur de Pézenas, Qu'on gratte à cette porte, et qu'on n'y heurte pas. Les courtisans se servoient du peigne pour cet usage. Molière dit dans son _Remercîment au Roi_ de 1663: Grattez du peigne à la porte De la chambre du Roi. [99] Comme les prisonniers de la Bastille ne sortoient point, on disoit qu'il n'y avoit que la Reine qui fût sortie de prison. (T.) [100] _Déclaration du Roi par laquelle il prend la sainte Vierge pour protectrice spéciale de son royaume, le 10 février 1638_; Paris, 1638, in-8º. La citation de Tallemant n'est pas textuelle; mais quant à la bizarrerie de la chute à laquelle le protocole donne lieu, elle est exacte: «Nous admonestons le sieur archevêque de Paris, et néanmoins lui enjoignons, etc., afin que sous une si puissante patrone, notre royaume soit à couvert de toutes les entreprises de ses ennemis; qu'il jouisse longuement d'une bonne paix, que Dieu y soit servi et révéré si saintement, que nous et nos sujets puissions arriver heureusement à la dernière fin pour laquelle nous sommes créés: _car tel est notre bon plaisir_.» [101] Un jour que Nogent entra dans la chambre du Roi, il lui dit «Ah! que je suis aise de vous voir, Nogent; je croyois que vous fussiez exilé.» (T.) [102] On lit les plus grands détails sur la mort du Roi dans le _Mémoire fidèle des choses qui se sont passées à la mort de Louis XIII_, par Dubois, l'un de ses valets-de-chambre. (_Curiosités historiques_; Amsterdam, 1759, tom. 2, p. 44.) Cette pièce devroit faire partie de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France. M. D'ORLÉANS (GASTON)[103]. M. d'Orléans étoit fort joli en son enfance, et on lui faisoit dire, il y a sept ou huit ans, en voyant le Roi et M. d'Anjou: «Ne vous étonnez de rien; j'étois aussi joli que cela.» Il fit pourtant une chose fort ridicule à Fontainebleau, où il fit jeter dans le canal un gentilhomme qui, à son avis, ne lui avoit pas assez porté de respect. Il y eut du bruit pour cela; il ne vouloit point demander pardon à ce gentilhomme, quoiqu'on lui rapportât l'exemple de Charles IX qui, étant roi, et ayant su qu'un homme, auquel, dans l'ardeur de la chasse, il avoit donné un coup de houssine (l'autre s'étant mis mal à propos dans son chemin), étoit gentilhomme, dit: «Je ne suis que cela,» et lui en fit satisfaction. L'autre pourtant ne voulut jamais paroître à la cour. La Reine-mère vouloit qu'il eût le fouet, et cela l'y fit résoudre. M. d'Orléans s'est plaint plusieurs fois qu'on ne lui avoit donné pour gouverneur qu'un Turc et qu'un Corse: M. de Brèves, qui avoit été si long-temps à Constantinople qu'il en étoit devenu tout mahométan, et le maréchal d'Ornane, fils d'Alphonse de Corse. Ce maréchal avoit un plaisant scrupule: il n'osoit toucher à aucune femme qui eut nom Marie, tant il avoit de dévotion pour la Vierge; amoureux de madame de Gravelle, il la fit peindre avec des rayons qui lui sortoient des yeux, et il y avoit au bas: Et de ses yeux sortoient de grands rayons. Gaston a un peu fait le fou en sa jeunesse, et la nuit il a brûlé plus d'un auvent de savetier. Il a toujours été assez bon, et il ne manque point d'esprit. Un jour, comme il y avoit beaucoup de courtisans avec lui à son lever, une montre d'or sonnante qu'il aimoit fort fut volée. Quelqu'un dit: «Il faut fermer les portes et fouiller tout le monde.» Monsieur dit humainement: «Au contraire, messieurs, sortez tous, de peur que la montre vienne à sonner et à découvrir celui qui s'en est accommodé;» et il les fit tous sortir. Il a beaucoup de mémoire; il sait tous les simples par coeur. A propos de cela, Brunier, son premier médecin, un jour que dans le Jardin des Simples il lui contoit je ne sais quoi qu'il avoit fait, qui n'étoit pas trop raisonnable, lui dit naïvement: «Monsieur, les aliziers font les alizes, et les _sottisiers_ font les sottises.» Bezançon, qui le quitta depuis, lui chanta une fois en une débauche un impromptu sur une chanson qui couroit à la louange du cabaret, dont la reprise étoit: Mais parce qu'au tac du couteau On a tout ce que l'on demande. Gaston qui savez mieux que nous Tous les secrets de la taverne, De celui-ci souvenez-vous, Ou bien je crains qu'on ne vous berne. Ma foi ne faites pas le veau: Frappez si fort qu'on vous entende, Puisqu'au seul tac tac du couteau On a tout ce que l'on demande. Il voyoit les personnes de qualité, et ne faisoit point comme on veut que M. d'Anjou fasse. La plus belle chose qu'il ait faite en sa vie, c'est d'avoir gardé la foi à sa seconde femme[104], et n'avoir jamais voulu l'abandonner. C'est une pauvre idiote, et qui pourtant a de l'esprit. Quand on les remaria à Meudon, après la mort du cardinal, elle pleuroit, parce qu'elle croyoit avoir été en péché mortel jusque là. Elle est belle, mais elle a les dents gâtées et tient la tête entre les épaules. Il est vrai qu'elle se redresse en dansant et danse bien. C'est tout le contraire de sa devancière qui étoit fière comme un dragon. Le Roi se réjouit fort quand il vit qu'elle n'avoit fait qu'une fille, et cria: «Tout est _fendu_.» En une débauche où chacun contoit quelque chose pour se moquer du cardinal de Richelieu, M. de Chavigny en fit aussi un conte. M. d'Orléans lui dit en souriant: _Et tu quoque, fili_, car on disoit qu'il étoit fils du cardinal, qui étant jeune avoit couché avec madame Bouthillier (elle est Bragelonne). C'est cette femme qui a fait la fortune de la maison. Elle fit mettre son mari chez la Reine-mère, et ensuite il devint surintendant des finances. Elle fit aussi donner la coadjutorerie de Tours à son beau-frère. Parlons un peu des amours de Monsieur. Étant veuf, il étoit bien jeune encore, il disoit: «Je ne suis guère propre à la galanterie qui règne encore de faire le malade, d'être pâle et de s'évanouir.» En effet, il a toujours été vermeil. Je pense qu'il a eu des amourettes en Flandre, mais je n'ai rien trouvé de mémorable. A son retour, il devint amoureux d'une belle personne du quartier Saint-Paul, nommée madame de Ribaudon: elle étoit Bragelonne. On en fit des vaudevilles: La Ribaudon, quand Monsieur la regarde, Père, frère, mari, tout le monde est en garde, Tout doux, etc..... AUTRE. Monsieur dit à la Ribaudon: Si tu le veux nous le ferons, Tutaine, tuton, Tutaine, tutu, Ton mari cocu; Ton ton Monsieur Ribaudon Tutaine tuton tutaine. La belle lui a répondu: Vous êtes un gentil luturlu, Tutaine tuton tutaine Tu tu, Pour faire cocu Ton ton Monsieur Ribaudon, Tutaine tuton tutaine. En ce temps-là, il jouoit et mangeoit fort souvent avec les dames du voisinage de cette belle. Il faisoit cas de madame de Ribaudon, mais on ne dit point qu'il en ait reçu aucune faveur. Depuis, elle mourut pour ne s'être pas assez conservée. Elle étoit délicate, et vouloit faire tout ce que font les plus robustes. Après madame de Ribaudon, Monsieur aima une fille de Tours, appelée Louison Roger. Elle appartenoit aux principaux de la ville. M. de Montbazon, qui avoit du bien auprès de Tours, et y étoit souvent, avant cela, lui avoit donné une petite plaque d'argent; Monsieur lui en donna une grande. Cette fille étoit plaisante, et avoit l'esprit vif. Un jour, comme ils causoient, elle se mit à crier: «Ah! mon Dieu, la grande plaque de Monsieur a pensé engloutir la petite plaque de M. de Montbazon.» Elle fut deux ans à ne vouloir pas souffrir que Monsieur lui parlât qu'en présence de deux prudes. Une fois il fit semblant de se vouloir tuer. Les parents, lâches et intéressés, fermoient les yeux à tout. Il en jouit à la fin. Elle devint si sotte, qu'elle ne faisoit pas asseoir les dames de la ville. Il y eut bien des réjouissances durant cette amourette, mais la jalousie s'y mit bientôt, car L'Epinay, gentilhomme de Normandie, qui étoit alors comme le favori de Monsieur[105], fut disgracié, et Louison aussi. Ce L'Epinay, à ce qu'on dit, avoit servi si fidèlement son maître auprès de cette fille, qu'on a cru qu'il y avoit passé le premier. Il vécut avec si peu de discrétion, que le bruit en vint aux oreilles du Roi. Il ne manqua pas d'en railler Monsieur, qui jusque là ne s'étoit douté de rien, quoiqu'il soit honnêtement soupçonneux. La première fois qu'il vit la belle, il lui fit tout confesser, et L'Epinay, sachant cela, fut si imprudent, qu'au lieu de lui écrire qu'il s'étonnoit qu'elle dît le contraire de ce qu'elle savoit, lui écrivit par le comte de Brion une lettre par laquelle il la prioit de lui envoyer de ses cheveux. Louison ne la voulut pas recevoir, et en avertit Monsieur. Il fit fouiller Brion, et ne lui trouva point la lettre; mais quand on fut chercher à son logis, elle fut trouvée dans la paillasse de son lit. La Rivière disoit que M. d'Orléans avoit trouvé dans les chausses de M. de Brion une lettre de Louison à L'Epinay. Il délibéra de le faire poignarder, et en parla au feu Roi, qui en fut d'avis, car, outre qu'il étoit naturellement un peu cruel, il croyoit que cet exemple retiendroit ceux qui s'émancipoient d'en conter à mademoiselle d'Hautefort. Mais le cardinal de Richelieu, qui fut de ce conseil, empêcha la chose. Le cardinal n'aimoit pas que la cour s'accoutumât à faire assassiner les gens. Monsieur fit pourtant mettre des gardes autour du logis de Louison, la nuit, avec ordre de tuer L'Epinay s'il y venoit. J'ai su d'un de mes amis, qui le tenoit de l'abbé de La Rivière, que M. L'Epinay s'en allant à Paris, après que Monsieur l'eut chassé, rencontra M. de Brion à Etampes, à qui, comme à son ami, il donna une lettre pour Louison, où il y avoit que sa disgrâce n'étoit un malheur pour lui qu'à cause qu'elle l'éloignoit de ce qu'il aimoit, et qu'il n'avoit pour toute consolation que le plaisir de baiser le bracelet de cheveux qu'elle lui avoit donné. Monsieur est averti que M. de Brion avoit vu L'Epinay en chemin. Il attend que Brion fût couché, puis il va dans sa chambre, et se saisit de son haut-de-chausses, où étoit la lettre. Voilà ce qui l'acheva de persuader que Louison lui avoit fait infidélité. L'Epinay chassé s'en alla en Hollande, où il eut facilement accès chez la reine de Bohème. Comme il y entra avec la réputation d'un homme à bonne fortune, il y fut tout autrement regardé qu'un autre, et, dans l'ambition de n'en vouloir qu'à des princesses ou à des maîtresses de princes, on dit qu'il cajola d'abord la mère, et après la princesse Louise, car les Louises étoient fatales à ce garçon. On dit que cette fille devint grosse, et qu'elle alla pour accoucher à Leyde, où l'on n'en faisoit pas autrement la petite bouche. La princesse Elisabeth[106], son aînée, qui est une vertueuse fille, et une fille qui a mille belles connoissances, et qui est bien mieux faite qu'elle, ne pouvoit souffrir que la Reine, sa mère, vît de bon oeil un homme qui avoit fait un si grand affront à leur maison. Elle excita ses frères contre lui; mais l'électeur se contenta de lui jeter son chapeau à terre un jour qu'étant à la promenade à pied, il s'étoit couvert par ordre de la Reine, à cause qu'il pleuvoit un peu. Mais le plus jeune de tous, nommé Philippe (il fut tué depuis à la bataille de Rhétel), ressentit plus vivement cette injure, et un soir, proche du lieu où l'on se promène à La Haye, il attaque L'Epinay, qui étoit accompagné de deux hommes, et lui n'en avoit pas davantage. Ils se battirent quelque temps: il survint des gens qui les séparèrent. Tout le monde conseilla à L'Epinay de se retirer, mais il n'en voulut jamais rien faire. Enfin, un jour qu'il avoit dîné chez M. de La Tuilerie, ambassadeur de France, il sortit avec Des Loges (fils de M. Des Loges). Si l'on eût cru que le prince Philippe eût osé le faire assassiner en plein jour, on n'eût pas manqué de le faire accompagner, et il s'en fallut peu que M. de La Vieuville (le duc aujourd'hui), qui avoit dîné chez l'ambassadeur, ne prît le même chemin. Il fut donc attaqué par huit ou dix Anglois, en présence du prince Philippe. Des Loges ne mit point l'épée à la main; L'Epinay seul se défendit le mieux qu'il put; mais il fut percé de tant de coups, que les épées se rencontroient dans son corps. Il voulut tâcher à se sauver, mais il tomba; toutefois il fit encore quelque résistance à genoux, et enfin il rendit l'esprit. Pour ce qui est de la princesse Louise, elle a changé de religion, et est abbesse de Maubuisson, où elle mène une vie exemplaire. Madame de Longueville écrivoit de La Haye, où elle la vit en allant à Munster: «J'ai vu la princesse Louise, et je ne crois pas que personne envie à L'Epinay la couronne de son martyre.» Pour la reine de Bohème, on croit seulement qu'elle étoit bien aise que sa fille se divertît. L'Epinay étoit bien à la cour du prince d'Orange, qui n'étoit pas fâché qu'il fût souvent avec son fils. L'Epinay avoit l'esprit adroit, et assurément il y auroit fait fortune. Cependant la pauvre Louison, voyant que Monsieur ne vouloit pas reconnoître le fils dont elle étoit accouchée, se mit en religion à Tours, aux Filles de la Visitation, donna à ses amies tout ce qu'elle avoit pu avoir de chez elle et de Monsieur, et ne laissa que vingt mille livres à son fils, du revenu desquelles on l'entretiendroit jusqu'à ce qu'il fût reconnu, ou qu'il fût en état de s'aller faire tuer à la guerre, si on ne le vouloit pas reconnoître. Ce petit garçon mit une fois l'épée à la main; quelqu'un lui dit: «Rengaînez, petit vilain; voilà le vrai moyen de n'être jamais reconnu.» Monsieur n'est nullement brave[107]. Elle vit bien. Etant supérieure du couvent, on lui vint dire: «Madame, on a fait quatre cents toises de muraille.--Je n'entends point cela, répondit-elle; combien sont-ce d'aunes?» Il n'y a que quatre ans que Monsieur, passant à Tours, eut envie de la voir. Madame l'en empêcha. Elle envoya du fruit à Madame. Mademoiselle a pris amitié pour ce petit garçon, qui est fort joli, et elle l'a auprès d'elle. Monsieur n'a garde de le reconnoître, car, outre qu'il croit que L'Epinay en est le père, il lui faudroit donner du bien. M. d'Orléans a toujours l'esprit un peu page. Un jour qu'il vit un des siens qui dormoit la bouche ouverte, il lui alla faire un pet dedans. Ce page, demi-endormi, cria: «B....., je te ch.. dans la gueule.» Monsieur avoit passé outre. Il demande à un valet-de-chambre, nommé Du Fresne: «Qu'est-ce qu'il dit?--Il dit, monseigneur, dit gravement le valet-de-chambre, qu'il ch.. dans la gueule à Votre Altesse Royale.» Ce même homme, qui fait comme cela des tours de page, a une sotte gloire, comme de ne vouloir pas qu'on se couvre jamais dans son carrosse, non pas même en voyage. Le feu Roi s'en moquoit hautement. Il est si inquiet, qu'il faut le boutonner en courant. Il a toujours son chapeau comme un _gloriot_, siffle toujours, et a toujours la main dans ses chausses. Nous dirons le reste dans les _Mémoires de la Régence_. [103] Gaston, Jean-Baptiste de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, né le 25 avril 1608, mort le 2 février 1660. [104] Marguerite de Lorraine. [105] Lui qui s'est toujours laissé gouverner, se plaignit que le cardinal de Richelieu gouvernât le Roi son frère. (T.) [106] C'est avec cette princesse que Descartes correspondoit. [107] Le vieux Lambert, gouverneur de Metz, qui avoit servi long-temps sans recevoir une égratignure, disoit en riant: «Un tel (j'en ai oublié le nom), monsieur d'Orléans et moi, quoique nous ayons bien été aux coups, n'avons pourtant jamais été blessés.» (T.) SAUVAGE. Sauvage étoit à M. d'Orléans. C'étoit un goinfre fort agréable. Il contrefaisoit admirablement bien les chansons du Pont-Neuf. Monsieur s'étant retiré en Lorraine, il le voulut aller trouver, et, pour avoir des bottes à bon marché, il en commanda à dix ou douze cordonniers différents, à qui il donna diverses heures. A chacun, il dit qu'il y avoit une botte trop étroite, et leur donna alors une même heure pour la rapporter. Quand ils vinrent, ils ne trouvèrent plus personne. De Bruxelles, Sauvage envoyoit des Gazettes pleines de chimères pour contrecarrer celles de Renaudot[108], qui commençoient à avoir cours. On aimoit bien mieux la Gazette de Sauvage que l'autre. Outre cela, tous les jours, pour se divertir, il faisoit quelque imposture. Ce fut lui qui fit graver la figure d'un poisson qu'il appeloit _la carpe adriatique_, dans le corps duquel on avoit trouvé, à ce que disoit l'écrit, je ne sais combien de mousquets, des hallebardes, des croix, etc. Cela courut par toute la France. La dernière imposture qu'il ait faite, ç'a été un arrêt du Parlement de Grenoble, par lequel un enfant étoit déclaré légitime, quoique la mère confessât l'avoir conçu durant l'absence de son mari, et cela par la force de l'imagination, en songeant qu'il habitoit avec elle. Les noms y étoient, et aussi ceux des médecins et de la sage-femme. Assez de bonnes gens le crurent. C'étoit le vrai style de Grenoble. Le procureur général de Paris écrivit à celui de Grenoble touchant cet arrêt, et ce Parlement-là en donna un contre l'auteur, dont celui-ci se moqua. Dans les écoles de médecine, on agita la question à savoir si la force de l'imagination pouvoit suffire pour faire concevoir. Il faisoit aussi quelquefois des Gazettes de raillerie, comme une où il disoit: «Ce Dieu de la Charente qui apparut à Balzac est arrivé ici, aussi peu Dieu que jamais.» Bien des fois il a pris les devants, et il se mettoit à chanter sous l'orme, dans les villages, quand Monsieur passoit. [108] Médecin, fondateur de la _Gazette de France_, établie en 1631, et continuée par lui jusqu'à sa mort, en 1653. Barbier, dans le _Dictionnaire des Anonymes_, dit que le généalogiste d'Hozier, ami de Renaudot, étoit de moitié avec lui dans l'idée et dans l'exécution de ce journal. M. DE MONTMORENCY[109]. Le dernier duc de Montmorency demeura maître de son bien à dix-neuf ans. Mais M. de Portes, son oncle, qui étoit un homme d'esprit, prit le soin de sa conduite, et fit aller long-temps toute sa maison. Quoiqu'il eût les yeux de travers, M. de Montmorency étoit pourtant de fort bonne mine. Il avoit le geste le plus agréable du monde: aussi parloit-il plus des bras que de la langue. On dit, à propos de cela, que M. de Montmorency étant entré en une compagnie où étoit feu M. de Candale[110], tout le monde lui fit fête, quoiqu'il n'eût fait proprement que remuer les bras: «Jésus, dit M. de Candale, que cet homme est heureux d'avoir des bras!» Madame de Rambouillet dit qu'une fois il voulut conter quelque chose qu'il savoit fort bien; mais il s'embrouilla tellement, que le cardinal de La Valette, par pitié, fut contraint de prendre la parole et d'achever le conte. Il commençoit souvent des compliments et demeuroit à mi-chemin. On avoit quelquefois bien de la peine à s'empêcher de rire. Il ne disoit pas de sottises, mais il avoit l'esprit court. En récompense, il étoit brave, riche, galant, libéral, dansoit bien, étoit bien à cheval et avoit toujours des gens d'esprit à ses gages, qui faisoient des vers pour lui[111], qui l'entretenoient fréquemment, et lui disoient quel jugement il falloit faire des choses qui couroient en ce temps-là. Il donnoit beaucoup aux pauvres. Il étoit aimé de tout le monde, mais adoré de son quartier. Il étoit fort libéral. Il entendit qu'un gentilhomme disoit: «Si je trouvois vingt mille écus à emprunter seulement pour deux ans, ma fortune seroit faite.» Il les lui prêta. Au terme le gentilhomme lui rapporta l'argent. «Allez, lui dit-il, c'est assez que vous m'ayez tenu parole; je vous les donne de bon coeur.» On dit qu'il envoya une fois à la marquise de Sablé, durant sa grande passion, une donation de quarante mille livres de rente en fonds de terre, mais qu'elle ne la voulut pas recevoir. Il aima d'abord la Choisy, fille de bon lieu, mais très-galante. Elle fut mariée depuis, et fit mettre sur son tombeau, comme l'on voit à Saint-Paul, qu'elle avoit été fort estimée des grands, et qu'elle avoit eu l'amitié de plusieurs. Après, il fut amoureux de la Reine; les Anglois l'interrompirent. C'étoit en même temps que M. de Bellegarde. Il recommença après. Il en avoit un portrait, et une fois il fit mettre un homme à genoux pour le lui montrer. Bassompierre et lui eurent querelle. Bassompierre dansoit mal, et il s'en moqua à un bal. «Il est vrai, lui dit Bassompierre, que vous avez plus d'esprit que moi aux pieds, mais j'en ai aussi ailleurs plus que vous.--Si je n'ai pas aussi bon bec, j'ai bien aussi bonne épée, répondit Montmorency.--Oui dà, répliqua Bassompierre, vous avez celle du grand[112] Anne de Montmorency.» On les accorda avant qu'ils se séparassent. Il eut encore une querelle avec le duc de Retz[113], petit-fils d'Albert de Gondi et fils du marquis de Belle-Ile. M. de Montmorency avoit été accordé, et même marié, mais sans coucher ensemble, avec l'héritière de Beaupréau; mais la Reine-mère fit rompre le mariage pour lui donner une de ses parentes de la maison des Ursins[114] qu'elle fit venir exprès[115]. Depuis, M. de Retz épousa mademoiselle de Beaupréau, et M. de Montmorency, au lieu de duc de Retz, l'appela _duc de mon reste_. On les accorda sur l'heure. Sa femme, qui n'étoit pas une fort agréable personne, devint bientôt jalouse de lui. Cependant, pourvu qu'il lui fît confidence de ses galanteries, elle ne lui donnoit point de peine, mais elle ne vouloit pas qu'il lui mentît. M. de Montmorency avoit une telle vogue, qu'il n'y avoit pas une femme de celles qui avoient un peu la galanterie en tête, qui ne voulût, à toute force, en être cajolée, et il en est venu des provinces exprès pour tâcher à lui donner dans la vue. C'est pour cela que la marquise de Sablé, toute délicate qu'elle étoit en gens, en faisoit un très-grand cas, et c'est avec lui qu'elle a le plus fait de galanteries. Pour la guerre, c'étoit un fort ignorant homme; il le fit voir quand il se fit prendre. On en trouva une centurie dans Nostradamus qui est étonnante. Il y a: Neuve[116] obturée[117] au grand Montmorency, Hors lieux prouvés[118] délivre à clere peine[119]. Mené à Toulouse au commencement, il déclina disant que c'étoit au Parlement des pairs à le juger; mais il s'en désista en disant: «A quoi servira de chicaner ma vie? Je serai aussi bien condamné à Paris qu'ici.» Il envoya sa moustache, sa cadenette (on n'en portoit qu'une au côté gauche en ce-temps-là) à sa femme avec une lettre. Cette pauvre femme se retira à Moulins dans un couvent[120] où elle pleura tant, que de voûtée qu'elle étoit devenue d'une grande fluxion, elle devint droite comme auparavant, sa fluxion s'étant écoulée par les yeux. Mairet, en lui dédiant une tragédie, lui donna la qualité de _Très-inconsolable princesse_. Elle a fait faire un tombeau magnifique à son mari[121], et elle a pris cette année l'habit de religieuse. [109] Henri II, duc de Montmorency né à Chantilly, le 30 avril 1595, décapité à Toulouse le 30 octobre 1632. L'_Histoire de Henri, dernier duc de Montmorency, pair et maréchal de France_, a été publiée par Simon Ducros; Paris, 1663, in-4º. [110] M. le duc de Candale étoit fils aîné du duc d'Épernon, et l'un des hommes les plus recherchés de son temps. [111] Théophile, Mairet. (T.) [112] Il jouoit sur _âne_. (T.) [113] Il vit encore, et a marié sa fille au frère aîné du cardinal de Retz. (T.) [114] Marie Félice des Ursins, née en 1600. [115] Un Ursin épousa la soeur du grand-père de la Reine-mère. (T.) [116] _Neuve_, Castelnadaury. (T.) [117] _Obturée_, fermée. On ne lui voulut pas ouvrir les portes. (T.) [118] _Prouvés_, publics. On ne le fit pas mourir en place publique. (T.) [119] _Clere peine_, manière de prononcer du Parlement de Toulouse.(T.) NOSTRADAMUS, centurie 9, quatrain 18. [120] Dans le couvent de la Visitation dont elle mourut supérieure le 5 juin 1666. [121] Ce monument funéraire existe encore. M. DE BAUTRU[122]. M. de Bautru est d'une bonne famille d'Angers. Il a été conseiller au grand conseil. En ce temps-là, il épousa la fille d'un maître des comptes, nommé Le Bigot, sieur de Gastines. Cette femme ne se mettoit point dans le monde; elle ne sortoit guère. «Oh! la bonne ménagère!» disoit-on. On la donnoit pour exemple aux autres. Enfin il se trouva qu'elle ne sortoit point parce qu'elle avoit son galant chez elle. C'étoit le valet-de-chambre de son mari. Bautru fit mourir ce galant à force de lui faire dégoutter de la cire d'Espagne sur la partie peccante[123]; d'où vient que Saint-Germain, croyant que c'étoit Bautru qui avoit fait les vers[124] sur la retraite de Monsieur, avoit mis dans la réponse: Quand il cacheta près du c. Son valet qui le fit cocu. Il chassa sa femme, et ne voulut point reconnoître le fils dont elle accoucha. Il l'a reconnu depuis, mais long-temps après. Cette femme jusque là vécut de carottes à Montreuil-Belay en Anjou, pour épargner quelque chose à son enfant. Jusqu'à cette heure elle demeure chez lui en Anjou, où il va quelquefois; mais elle ne vient point à Paris. Il a le malheur d'avoir un sot fils. A propos de cela, M. de Guise, comme ils dînoient ensemble, lui ayant dit: «Qu'y a-t-il entre un cocu et un autre?--Une table,» répondit-il, car ils n'étoient pas de même côté. Comme les trois frères de Luynes commençoient à s'établir, on dit à Bautru: «Mais il faut leur porter respect.--Pour moi, dit-il, s'ils me traitent civilement, je dirai: M. de Brante, M. de Luynes, M. de Cadenet; autrement je dirai Bran de Luynes et Cadenet,» en changeant le _t_ en _d_, ce qui ne se remarque pas quasi en prononçant. Bautru, s'étant défait de sa charge, se mit à suivre la cour. Le maréchal d'Ancre l'aimoit; et s'il n'eût point été tué, il lui alloit faire une affaire qui lui eût valu dix mille écus de rente. J'ai déjà dit ailleurs qu'il étoit à la _drôlerie_ du Pont-de-Cé. Quelqu'un qui estimoit fort un M. de Jainchère, qui avoit quelque emploi en cette _guerrette_, lui dit: «Qu'est-ce qui est plus hardi que Jainchère?--Les faubourgs d'Angers, répondit-il, car ils ont toujours été hors la ville, et lui n'en est pas sorti.» Il dit à la Reine-mère que l'évêque d'Angers étoit saint, et qu'il guérissoit la v...... L'évêque le sut, et s'en plaignit: «Eh! comment l'aurois-je dit? dit Bautru, il en est encore malade.» Jouant au piquet à Angers contre un nommé Goussaut, qui étoit si sot, que pour dire _sot_ on disoit _Goussaut_, Bautru vint à faire une faute, et, en s'écriant, dit: «Que je suis Goussaut!--Vous êtes un sot, lui dit l'autre.--Vous avez raison, répondit-il; c'est ce que je voulois dire.» Il disoit à mademoiselle d'Auchy, fille d'honneur de la Reine-mère: «Vous n'êtes pas trop mal fine, avec votre sévérité. Vous avez si bien fait, que vous pourrez, quand vous voudrez, vous divertir deux ans sans qu'on vous soupçonne.» M. d'Effiat le prit en amitié, et c'est de là, bien plutôt que du cardinal de Richelieu, que vient sa richesse. Bautru étoit bon courtisan, ou bon bouffon, si vous voulez; de moeurs, et de religion fort libertin, et tel, que M. d'Orléans lui écrivoit toujours: _Au petit b......_ Il étoit petit, mais bien fait. Le marquis de Borbonne, un seigneur qui n'avoit point de réputation pour la bravoure, lui donna des coups de bâton; je n'ai pu savoir pourquoi. Il en fit un vaudeville, où il y avoit: Borbonne Ne bat personne, Cependant il me bâtonne. La première fois qu'il alla au Louvre après cela, chacun ne savoit que lui dire. «Eh quoi, leur dit-il, croit-on que je sois devenu sauvage, pour avoir passé par les bois?» Il n'a jamais pu s'empêcher de médire; et comme les chiens ne mordent guère sans avoir des coups de bâton, le pauvre Bautru ne manqua pas d'en avoir, car il n'eut pas la discrétion d'épargner M. d'Épernon. S'il n'a dit que ce que j'en ai ouï dire, je trouve le mot assez méchant pour mériter quelque correction, mais non pas si rude. Il y avoit un vieil Espagnol à la cour qu'on appeloit Gilles de Metz (un de ces Espagnols qui furent chassés avec Antonio Pérez); Bautru disoit: «N'est-ce pas une chose étrange que Gilles de Metz passe pour si vieux? M. d'Epernon est son père, car on sait bien qu'il à fait Gilles de Metz[125].» Les Simons (c'étoient les donneurs d'étrivières de chez M. d'Epernon) l'étrillèrent comme il faut. Quelque temps après, un de ces satellites, en passant auprès de lui, se mit à le contrefaire comme il crioit quand on le battoit. Bautru ne s'en déferra point, et dit: «Vraiment, voilà un bon écho, il répond long-temps après.» Bautru alla voir la Reine, et il avoit un bâton. «Avez-vous la goutte? lui dit-elle.--Non, madame.--C'est, dit le prince de Guémenée, qu'il porte le bâton comme saint Laurent porte son gril: c'est la marque de son martyre[126].» Il eut aussi de grands démêlés avec M. de Montbason, pour en avoir fait cent railleries, comme: que c'étoit un homme bien fait, qu'il n'y avoit pas au monde de plus beau _corps-nu_ (il équivoquoit sur _cornu_). D'ailleurs le bon homme avoit su que _l'Onosandre_[127] étoit une pièce contre lui. La Reine-mère accommoda cela, et on dit que M. de Montbason, entre autres choses, l'ayant menacé de coups de pied, il faisoit remarquer à la Reine-mère: «Madame, voyez quel pied! que fût devenu le pauvre Bautru?» M. de Montbason étoit fort grand et puissant. Mais Bautru ne fut pas traité si doucement de la belle-mère que du gendre. Il avoit, dit-on, fait galanterie avec la comtesse de Vertus, et il en avoit fait des médisances épouvantables. Elle s'en voulut venger, et pour cela elle s'adressa au marquis de Sourdis, qui lui promit, comme il le fit, de lui donner des coups de bâton sur le quai de l'Ecole; et elle étoit à la Samaritaine pour en avoir le plaisir. Le marquis le traita plus humainement que les Simons, mais il eut pourtant quelques coups. A la province, je ne sais quel juge de bicoque l'importunoit trop souvent. Un jour que cet homme vint le demander, il dit à son valet: «Dis-lui que je suis au lit.--Monsieur, il dit qu'il attendra que vous soyez levé.--Dis-lui que je me trouve mal.--Il dit qu'il vous enseignera quelque recette.--Dis-lui que je suis à l'extrémité.--Il dit qu'il vous veut dire adieu.--Dis-lui que je suis mort.--Il dit qu'il veut vous donner de l'eau bénite.» Enfin il le fallut faire entrer. Il disoit du Père Pradines, cordelier, son confesseur, qu'il étoit aussi noble que le grand-duc, et qu'il venoit de quatre têtes couronnées de Cordeliers de père en fils. On avoit donné à ce Père un brevet de confesseur des Enfants de France jusqu'à l'âge de sept ans, et on ne se confesse qu'à cet âge-là. Le cardinal de Richelieu en faisoit cas, et disoit qu'il aimoit mieux la conscience d'un Bautru que de deux cardinaux de Bérulle. Il l'envoya en Espagne, en qualité d'envoyé seulement; et le comte-duc lui montrant son _gallinero_, il lui dit que le Roi, son maître, lui envoyoit _dellos gallos_. L'autre se plaignit qu'on lui envoyoit des bouffons. Ce fut par le conseil de Bautru que le cardinal ne fit point imprimer cette harangue qu'il prononça au Parlement, et qui avoit fait tant de bruit. Pour l'en détourner, il lui dit ce passage d'Horace, _de Arte poeticâ_: _Segniùs irritant animos demissa per aures Quàm quæ sunt oculis subjecta fidelibus......_ Depuis, cette pièce a été imprimée durant la Fronde, et a fait voir que Bautru avoit eu bon nez. Ce fut lui aussi qui mit bien le comte de Charost avec le cardinal. Ce ministre étoit allé se promener à l'abbaye de Royaumont. Bautru l'y fut trouver: «Avec qui êtes-vous venu? lui dit le cardinal.--Avec Charost.--Eh! de quoi vous êtes-vous avisé d'amener ce fastidieux personnage?--Ah! monseigneur, si vous saviez combien il a de zèle et de tendresse pour Votre Eminence, vous n'en parleriez pas ainsi. On n'a jamais tant aimé une maîtresse qu'il vous aime.» Depuis cela, le cardinal eut de l'estime pour Charost. Comme il passoit un enterrement où on portoit un crucifix, il ôta son chapeau: «Ah! lui dit-on, voilà qui est de bon exemple.--Nous nous saluons, répondit-il, mais nous ne nous parlons pas.» Il disoit d'un certain Minime qu'on vouloit faire passer pour béat, que le seul miracle qu'il avoit fait, c'étoit que, ne mangeant que du poisson, il sentoit l'épaule de mouton en diable. Il disoit que Rome étoit une chimère apostolique; et à une promotion de cardinaux que fit le pape Urbain, où il n'y avoit guère de gens de qualité (je pense qu'ils étoient dix en tout), Bautru, en lisant leurs noms, disoit: «N'en voilà que neuf.--Eh! vous oubliez _Fachinetti_, dit quelqu'un.--Excusez, répondit-il, je pensois que ce fût le titre.» Une fois qu'il y avoit ici des députés du Mirebalais qui vouloient parler au cardinal de Richelieu, Bautru, qui cherchoit à le divertir, demanda à celui qui portoit la parole: «Monsieur, sans vous interrompre, combien valoient les ânes en votre pays quand vous partîtes?» Ce député lui répondit: «Ceux de votre taille et de votre poil valoient dix écus.» Bautru demeura déferré des quatre pieds. Il rencontra mieux sur ses chevaux. Il vouloit renvoyer quelqu'un en carrosse, qui, par cérémonie, lui disoit que ses chevaux auroient trop de peine. «Si Dieu, répondit-il, eût fait mes chevaux pour se reposer, il les auroit faits chanoines de la Sainte-Chapelle.» Quelquefois il racontoit assez froidement, et cela arrive à tous ceux qui font métier de dire de bons mots. La première fois que Boisrobert fit un acte de ces pièces de Cinq-Auteurs que le cardinal de Richelieu faisoit faire, Bautru dit: «Boisrobert est un bon homme, mais il a pourtant fait un méchant acte.» Il montra un crucifix à Lopès à la messe, et lui dit: «Voilà de vos oeuvres.--Eh! répondit Lopès, c'est bon à ces messieurs à s'en plaindre; mais pour vous, de quoi vous avisez-vous?» Il fait et a fait autrefois des vers, mais il y a plus d'esprit que de génie, et l'élocution n'est nullement châtiée. Plusieurs fois il a donné à dîner à Saumaise, à Desmarets, à Quillet, et à d'autres gens de lettres. La meilleure chose qu'il ait faite c'est un impromptu pour réponse à un que lui avoit envoyé M. Le Clerc, intendant des finances, qui étoit de Montreuil-Bellay. Or l'on dit en proverbe: _Les clercs de Montreuil-Bellay qui boivent mieux qu'ils ne savent écrire_. Voici ce que c'est: Une autre fois prenez plus de délai; Votre impromptu n'a pas le mot pour rire. Vous êtes clerc, et de Montreuil-Bellay, Qui buvez mieux que ne savez écrire. Il disoit du feu roi d'Angleterre, Charles Ier: «C'est un veau qu'on mène de marché en marché; enfin on le mènera à la boucherie.» Quand nos plénipotentiaires à Munster eurent pris la qualité de comtes: «Ah! dit-il, je me doutois bien que cette assemblée-là nous feroit des comtes borgnes;» à cause de M. Servien qui n'avoit qu'un oeil. On joue fort chez lui. Il disoit d'un grand joueur nommé Miton, que c'étoit dommage qu'il ne s'appelât pas Marc; qu'on diroit Mar-Miton. Ménage, dans ses _Origines_, sur le mot de _bougre_, a mis ainsi: _Bougre, je suis de l'avis_, etc. «Ah! lui dit Bautru, vous en êtes donc aussi, et vous l'imprimez! tenez, il y a bien moulé: _Bougre je suis_[128].» Cela me fait souvenir que Rumigny, l'hiver passé, trouva le pauvre Bautru, qui est tout perdu de goutte, dans sa chaise, auprès d'un si grand feu qu'il se brûloit et avoit beau crier, ses gens, après avoir mis force cotrets, s'en étoient en allés, et ne l'entendoient point en aucune sorte. Le petit b..... étoit là puni d'un supplice condigne[129]. Bautru dit que les porteurs de Saint-Pavin sont des porte-diable. C'est qu'on dit des porte-Dieu, pour dire les prêtres qui portent l'hostie. Il disoit que Nogent, son frère, étoit le Plutarque des laquais: les laquais admiroient ses sentences. On a remarqué que toute la race des Bautru est naturellement bouffonne. Nogent, son frère, en a fait profession[130]. Cherelles, La Rouillerie et le prieur de Matras[131], trois frères Bautru, cousins-germains de celui dont nous venons de parler, ont été tous trois fort plaisants en leur espèce. Le premier étoit d'épée; il avoit de l'esprit et faisoit des vers. C'étoit un vaillant homme. Il disoit qu'il perdoit toujours quand il jouoit, et gagnoit toujours quand il f...... La Rouillerie étoit à l'artillerie et commandoit un vaisseau. Il fit tout ce qu'on pouvoit faire aux îles de Sainte-Marguerite. Il prenoit du tabac sur un affût de canon tout à découvert. Il ne s'accommodoit point bien de l'archevêque de Bordeaux, et lui disoit: «Sur ma foi, je ne vous veux plus suivre qu'à la procession.» Pour le prieur de Matras, une fois qu'il suoit la v..... dans un grenier, un de ses amis le cherchant, cria: «_Adam_ (c'étoit son nom), _Adam, ubi es?_--_Domine_, répondit-il, _mulier quam mihi dedisti fefellit me_.» Il étoit un ivrogne fieffé, et quelquefois un assez méchant plaisant. Un jour que son valet, sous son manteau, portoit un grand broc de vin, il le suivoit en pleurant. Quelqu'un lui dit: «Qu'avez-vous?--C'est le meilleur de mes amis qu'on porte en terre.» C'est que le broc étoit de grès. Un jour Bautru répondit assez plaisamment à Cuprif, l'archidiacre d'Angers, qui lui vouloit faire des réprimandes dans le chapitre, car il étoit chanoine: «Il est vrai, lui dit-il, que vous êtes d'une famille où il y a de beaux exemples à imiter, car vous avez un confesseur à La Haye, une vierge dans la Cité, et un crochet en Grève.» Un Cuprif s'étoit fait ministre en Hollande, une fille avoit été débauchée, et un capitaine, pour avoir volé sur les grands chemins, avoit été roué à Paris. [122] Guillaume de Bautru, comte de Servant, conseiller d'État, membre de l'Académie françoise, chancelier de Gaston, duc d'Orléans, né à Paris en 1588, mort le 7 mai 1665. [123] Tallemant nous fait connoître le traitement cruel que Bautru fit subir à son valet. Toutefois Ménage, qui étoit lié avec Bautru, tout en se taisant sur la nature de la peine infligée, dit que le valet n'en mourut pas. Non content de cette cruauté, le mari offensé «fit prendre son valet, et le fit condamner à être pendu par son premier jugement. Le valet en appela, et fut condamné aux galères seulement, parce qu'il exposa que M. de Bautru s'étoit fait justice lui-même, et l'avoit cruellement maltraité. Sa femme voulut toujours être appelée madame de Nogent, nonobstant son mariage, disant qu'elle ne vouloit pas être appelée madame _Bautrou_ par la reine Marie de Médicis, qui avoit alors de la peine à bien prononcer le françois.» (_Ménagiana_, édition de 1762, t. I, p. 103-4.) [124] C'étoit Chastelet. (T.) [125] C'est-à-dire que le duc d'Épernon, gouverneur de Metz, avoit quitté cette ville sans dire mot, craignant les suites des vexations qu'il avoit fait souffrir au peuple. Le proverbe _faire Gille_ est interprété dans ce sens dans le Dictionnaire étymologique de Ménage, édition de 1750. [126] Le manuscrit offre ici cette variante qui, à la vérité, a été raturée: «Bautru un jour se promenoit avec un bâton; quelqu'un demanda à Saint-Pavin: «D'où vient qu'il porte un bâton?--C'est, répondit-il, la marque de son martyre.» [127] _L'Onosandre_, ou _la Croyance du grossier_, satire en vers, par Bautru. Cette pièce parut d'abord isolément, sans date, en sept pages in-8º. Elle fut reproduite dans le second volume du _Cabinet satirique_. La première édition offre cette singularité que le duc de Montbason y est désigné par ses initiales. Nous citerons ce passage de cette pièce rare: Hé! quelle anrageson De voir dans un conseil un asne sans raison? M. D. M. Qui croid que le grand Cayre est un homme, et les Plines Des païs éloignez comme les Filippines; Que l'Évangile fut écrit dedans le ciel, Voire d'un des tuyaux de l'aile Saint-Michel; Qui tient que Mahomet, et les Turcs et les Gotz, Confraires de Calvin, étoient grands Huguenots; Que Christofle portant le grand Sauveur du monde, En plaine mer n'estoit jusques au cul dans l'onde, etc. [128] Il est probable que la plaisanterie rapportée par Tallemant fut effectivement faite à Ménage; car ce commencement d'article qu'on lit dans la première édition de son livre: _Les Origines de la langue françoise_, Paris, 1650, in-4º, a été changé par l'auteur dans les éditions suivantes, où on lit: «Nos anciens François, au lieu de _Bulgarie_ et _Bulgare_, disoient _Bougrie_ et _Bougre_.» [129] Vieux style de quelques-uns de nos anciens poètes. (T.) [130] Il paroît toutefois qu'il n'aimoit pas à avouer ces sortes de fonctions: «Un jour, dit Ménage, au dîner du Roi, l'Angely dit à M. le comte de Nogent: _Couvrons-nous, cela est sans conséquence pour nous_. M. le comte de Nogent en eut un tel chagrin, que cela ne contribua pas peu à le faire mourir.» (_Ménagiana_, édition de 1762, t. I, p. 345.) L'Angely sembloit du reste en vouloir aux deux frères comme à des rivaux. «Un jour qu'il étoit dans une compagnie où il y avoit déjà quelque temps qu'il faisoit le fou, M. de Bautru vint à entrer. Sitôt que l'Angely l'eut aperçu, il lui dit: _Vous venez bien à propos, Monsieur, pour me seconder, je me lassois d'être seul_. On ne peut croire le dépit que cela fit à M. de Bautru.» (_Ménagiana_, tome 2, pag. 29.) [131] Charles Bautru, docteur en théologie, chanoine d'Angers, connu sous le nom de _prieur de Matras_. MAUGARS[132]. Maugars étoit un joueur de viole le plus excellent, mais le plus fou qui ait jamais été. Il étoit au cardinal de Richelieu. Boisrobert, pour divertir l'Eminentissime, lui faisoit toujours quelque malice. Un jour il lui fit donner avis que le prieuré de _Cranestroit_ vaquoit dans l'évêché de Vannes. Maugars le demande; le cardinal, pour rire, lui en fait expédier les provisions. Cela lui donna une haine mortelle contre Boisrobert. Un jour qu'il alloit dans sa chambre pour jouer devant un homme du métier, nommé M. Imbert, et pour un gentilhomme appelé Saint-Val, le chevalier de Puygarrault et Boisrobert le suivirent tout doucement. Dès qu'il les vit: «A une autre fois, dit-il, monsieur Imbert, voilà des visages qui me déplaisent.» Et en disant cela, il met sa viole contre la muraille. Puygarrault, qui avoit un pistolet de poche qu'il avoit apporté tout exprès, prend un petit morceau de papier, le mouille et l'applique sur le ventre de la viole. «Hé, dit-il, je m'en vais voir si je tire si mal qu'on dit.» Maugars se met au-devant: «Quoi! à l'instrument qui divertit le plus grand homme du monde!» Puygarrault laisse la viole et vise au ménétrier. Maugars se sauve derrière un lit; Puygarrault retourne à la viole. Maugars sort. Dès qu'il paroissoit, le chevalier le miroit. Enfin, il fut contraint de jouer. Saint-Val lui conseilla d'appeler Puygarrault en duel: «Oui dà, dit-il, je me battrois; je me sens du coeur, je ne me soucierois pas de mourir. Mais si quelqu'un de ces doigts étoient coupés, ce pauvre homme (il entendoit le cardinal) ne pourroit plus vivre. Il se faut conserver pour lui.» Cependant Saint-Val le harangua tant, en lui promettant d'avoir l'adresse d'ôter le plomb des pistolets du chevalier, et que c'étoit là le moyen d'acquérir de la réputation à bon marché, qu'il s'y résolut. Puygarrault lui lâcha sur le visage ses deux pistolets qui étoient chargés de la plus fine. Le cardinal de Richelieu le donna à Bautru, pour le mener avec lui en Espagne. Bautru s'en repentit dès Linas[133]. Le Roi voulut l'entendre par une jalousie: ce fou dit qu'il ne joueroit pas s'il ne voyoit le Roi, et que le roi de France, qui étoit le plus grand roi du monde, ne l'avoit point traité ainsi. Bautru conseilla au roi d'Espagne de faire habiller quelqu'un en roi, et d'en avoir le plaisir. On fait donc venir un faquin avec des hallebardiers, et on lui avoit ordonné de ne dire autre chose que _muy bien_[134]. Maugars se tuoit de jouer, et le roi de comédie disoit à tout bout de champ: _Muy bien_, avec une gravité admirable. Boissy, un gentilhomme que Bautru avoit laissé en Espagne, étant de retour, Boisrobert et lui s'avisèrent de faire une méchanceté au pauvre Maugars. Ce gentilhomme dit à M. le cardinal: «Il y a un présent pour Maugars, c'est un gros diamant (il eût bien valu deux mille écus s'il eût été bon.)--Il faut le lui donner, dit le cardinal.--Monseigneur, répondit Boissy, j'en dois avoir ma part.--Non, vous ne l'aurez point, dit Son Eminence.--Hé! monseigneur, dit alors Maugars, ne souffrez pas qu'on m'ôte le prix de mes veilles.--Mais, reprit l'autre, j'ai donné six pistoles à celui qui me le mit entre les mains de la part du Roi.» Il fut ordonné que Maugars rendroit les six pistoles; il en donna trois: il n'avoit que cela sur lui. Lopès, espérant faire quelque bonne affaire, donna les autres. Boissy, le soir, lui donna le diamant. Le lendemain, dès la pointe du jour, voilà Maugars chez un orfèvre qui lui en voulut donner quatre livres dix sous. Ce n'étoit qu'un diamant d'Alençon. Quand il revint, tous les marmitons de la cuisine le reçurent avec un charivari, en lui chantant: Et tant de diamants, Et tant de diamants[135]. Le procès ayant été fait à Saint-Germain[136], on conseilla à M. le cardinal de donner deux petits prieurés qu'avoit cet homme à quelques-uns des principaux de sa musique. On donna à choisir à Maugars; il prit celui qui valoit le moins; il valoit cinquante livres de rente de moins que l'autre. On lui en demanda la raison: «C'est, dit-il, que ce prieuré s'appelle Saint-Julien, et on ne manqueroit jamais de m'appeler Saint-Julien le ménétrier.» Quand il eut ce bénéfice, il demanda à prêcher devant le domestique. Le cardinal le lui permit. Il prêcha une heure durant contre les médecins et les poètes, à cause de Pitois, médecin du cardinal, et de Boisrobert. Il haïssoit encore plus l'abbé de Beaumont, aujourd'hui M. de Rodez, alors maître-de-chambre du cardinal, et disoit: «M. de Beaumont ne m'aime pas, parce qu'il sait bien que je ne le puis aimer, depuis qu'il me fessa si rudement lorsqu'il étoit cuistre au collége.» Il avoit été en Angleterre, où un nommé Sinette, fils d'un hôtelier de Lyon, et qui étoit de la musique du Roi aussi bien que lui, le fit battre. Maugars, qui étoit vindicatif, trouva moyen de couler dans le couvert du Roi un billet en ces termes: «Je donne avis à Votre Majesté qu'un nommé Sinette a attenté à sa personne sacrée; c'est un secret révélé en confession, je n'en puis pas dire davantage.» Le pauvre Sinette fut près de deux ans pour cela dans la Tour de Londres, et ne l'eût point su si Maugars ne s'en fût vanté. Cela fit dire au commandeur de Jars que Maugars étoit un fou scélérat. Etant dans ce pays-là, il traduisit en françois je ne sais quel traité anglois de Bâcon[137]. Un jour il tenoit une lettre dans la chambre du cardinal, afin qu'il lui demandât ce que c'étoit. «Que tenez-vous là, monsieur Maugars?--Monseigneur, dit-il en la serrant, ce n'est rien.--Montrez, montrez.--Monseigneur, ma modestie ne sauroit souffrir que je vous fasse entendre les louanges excessives que donnent à une malheureuse traduction que j'ai faite mon cousin Ogier le Danois et mon cousin de Richelieu.--Ah, monsieur Maugars, dit le cardinal, je ne pensois pas avoir l'honneur de vous appartenir.--Monseigneur, c'est un avocat au parlement, homme illustre, et qui ne déshonore point ce nom-là.--Lisez donc.» Il se met à lire des louanges par-dessus les maisons. Le cardinal se douta que cela n'y étoit point, puis il le voyoit hésiter. Il fit signe à Boisrobert; Boisrobert lui ôte la lettre, et la porte au cardinal. Il n'y avoit rien, sinon: «J'ai reçu la traduction de votre cousin Maugars, je la lirai quand j'en aurai le loisir.--Ah, ah, monsieur Maugars, dit le cardinal, vous jouez de ces tours-là.--Monseigneur, s'il ne l'a dit, il le devoit dire.» Cette fichue traduction l'avoit pourtant fait secrétaire-interprète de la langue angloise. Un jour M. le cardinal lui ayant ordonné de jouer avec les voix en un lieu où étoit le Roi, le Roi envoya dire que la viole emportoit les voix. «Maugré bieu de l'ignorant! dit Maugars, je ne jouerai jamais devant lui.» De Niert[138], qui le sut, en fit bien rire le Roi. Le cardinal n'en rit et n'y prit nullement plaisir. L'abbé de Beaumont s'en prévalut pour faire chasser Maugars. Le cardinal, en le payant, lui dit: «Dites de moi tout ce que vous voudrez, je ne m'en soucie point; mais si vous parlez du Roi, je vous ferai mourir sous le cotret.» Je l'ai vu depuis à Rome. A la naissance de M. le Dauphin, il joua devant le pape (Urbain VIII), et disoit que Sa Sainteté s'étonnoit qu'un homme comme lui puisse être mal avec quelqu'un. Il vint dire sottement, en présence de la maréchale d'Estrées (ambassadrice à Rome), qu'il avoit vu, à Notre-Dame du Puy, en Auvergne, la plus belle relique du monde, le sacré saint prépuce de notre Seigneur. Feu mademoiselle de Thémines, sa fille, qui y étoit, dit: «Qu'est-ce que le saint prépuce, madame?--Taisez-vous, ma fille, répondit la mère, vous êtes une sotte.» Maugars ne voulut jamais jouer, à la prière du maréchal d'Estrées, devant un seigneur Horatio, qui jouoit fort bien de la harpe, et qui étoit à M. de Savoie[139]. Cela fâcha le maréchal; et il lui alloit faire donner des coups de bâton, si Quillet ne lui eût représenté que le cardinal ne trouveroit peut-être pas trop bon qu'on traitât ainsi une personne qui avoit été à lui. Le maréchal, à cette remontrance, devint aussi froid qu'un marbre. Maugars revint en France, et mourut quelques années après. A l'article de la mort, il envoya demander pardon à Boisrobert. [132] Maugars, prieur de Saint-Pierre de Nac, interprète du Roi en langue angloise, et célèbre joueur de viole. On a de lui un _Discours sur la musique d'Italie et des opéra_, qui a été imprimé dans le _Recueil des divers Traités d'histoire, de morale et d'éloquence_; Paris, 1672, petit in-12. La _Vie_ de Malherbe par Racan, déjà citée dans cet ouvrage, fait partie de ce Recueil. Maugars parle dans son _Discours_ de son talent et de son admirable viole, qui ne sortoit de chez lui, quand il étoit à Rome, que pour aller chez des _Éminences_. [133] Village à sept lieues de Paris, sur la route d'Orléans. [134] Très-bien. [135] Il y avoit un refrain de chanson qui disoit quelque chose d'approchant. On se servit de l'air. (T.) [136] Matthieu de Morgues, sieur de Saint-Germain, aumônier de Marie de Médicis, mort aux Incurables en 1670. Il a publié beaucoup de pièces pour la défense de la Reine-mère. [137] Maugars a traduit de Bâcon les deux ouvrages suivants: _Le Progrès et Avancement aux sciences divines et humaines_; Paris, 1624, in-12; _Considérations politiques pour entreprendre la guerre contre l'Espagne_; Paris, 1634, in-4º. [138] Célèbre chanteur, valet-de-chambre de Louis XIII et de Louis XIV. La Fontaine lui adressa en 1677 l'Épître qui commence par ces vers: Niert, qui, pour charmer le plus juste des rois, Inventa le bel art de conduire la voix, etc. [139] Maugars parle en ces termes de ce seigneur Horatio, dans le _Discours sur la musique d'Italie_ cité au commencement de cet article: «Celui qui tient le premier lieu pour la harpe, est ce renommé Horatio, qui s'étant rencontré dans un temps favorable à l'harmonie, et ayant trouvé le cardinal de Montalte sensible à ses accords, s'est tiré hors du pair, bien plus par cinq ou six mille écus de rente que cet esprit harmonique lui a libéralement donnés, que par son bien jouer et sa suffisance. Je ne veux pas pourtant affoiblir la louange qu'il a méritée, puisque nous ne pouvons pas toujours être ce que nous avons été, et que l'âge nous assoupit peu à peu les sens, et nous dérobe insensiblement ces gentillesses et ces mignardises, et particulièrement cette agilité des doigts que nous ne possédons que pendant notre jeunesse; ce qui a donné lieu aux anciens de peindre toujours Apollon jeune et vigoureux. (Page 163 du Recueil déjà cité.) L'ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX[140]. Madame de Sourdis, sa mère, lui dit, à l'article de la mort, qu'il étoit fils du chancelier de Chiverny; qu'elle lui avoit fait donner l'évêché de Maillezais et plusieurs autres bénéfices, et qu'elle le prioit de se contenter d'un diamant, sans rien demander du bien de feu son mari[141]. Il lui répliqua: «Ma mère, je n'avois jamais voulu croire que vous ne valiez rien; mais je vois bien qu'il est vrai.» Il ne laissa pas d'avoir ses cinquante mille écus de légitime comme les autres, car il gagna son procès. C'étoit un homme qui avoit beaucoup d'esprit, qui avoit l'air agréable, qui disoit bien les choses, qui étoit brave, mais qui n'entendoit point trop la guerre; adroit, et qui gagnoit le coeur des gens quand il l'avoit entrepris. Il eut l'intendance de la maison du cardinal, où il mit après le marquis de Sourdis à sa place. Pour s'accommoder à l'humeur avare du cardinal, il retrancha quelques pintes de vin, trois ris de veau; et au lieu de chandelles des six, il en faisoit donner des douze aux gentilshommes. Il ordonna six pièces de bois (que bûches, que fagots, que cotrets) pour la garde-robe, où il s'en brûloit plus d'une voie par jour. On les mettoit toutes six à la fois, puis il falloit en aller quérir d'autres. Il vouloit débusquer M. de Noyers; à toute heure il faisoit des tours au tiers et au quart, et il sembloit qu'il vouloit tout faire à lui seul. Loynes, trésorier de la marine, fut envoyé avec lui à Brouage pour faire quelques marchés de fortifications. Par prudence, cet homme, qui le connoissoit bien, lui faisoit tout signer. Au retour, l'archevêque de Bordeaux (car il eut l'archevêché du cardinal de Sourdis, son frère), pour faire le bon valet, ne manqua pas de dire que Loynes s'étoit entendu avec les entrepreneurs. Loynes, pour sa justification, apporte tous les marchés signés de l'archevêque. Ce fut en ce temps-là que le maréchal de Vitry, qui étoit gouverneur de Provence, dans un démêlé, donna brutalement un coup de canne à l'archevêque de Bordeaux, et pour cela fut mis à la Bastille, où il demeura long-temps. Cet archevêque se pouvoit vanter d'être le prélat du monde qui avoit été le plus battu, car M. d'Epernon l'avoit déjà frappé à Bordeaux. Il faut voir la _Vie_ de ce duc, où cela est tout du long[142]. Depuis, quand M. le Grand étoit déjà suspect au cardinal de Richelieu, l'Eminentissime s'aperçut que l'archevêque regardoit ce jeune homme comme un soleil levant. Voici comme il s'en douta. Un jour qu'il avoit dit à l'archevêque: «Allons à la comédie,» l'archevêque avoit donné un tour de pilier[143], et avoit dit à quelqu'un qu'il se trouvoit mal. Le cardinal, le lendemain, envoie savoir comment il se portoit. L'autre répondit qu'il avoit travaillé toute la nuit chez Picard avec Loynes. Le jour même, le cardinal sut que cela étoit faux. Il crut que l'archevêque avoit été ailleurs: «Ah! c'est un brouillon, dit-il; allez, monsieur de Loynes, allez lui dire que je veux qu'il parte pour l'armée navale dans trois jours.» L'archevêque voulut s'excuser, mais il fallut partir. Loynes m'a dit que M. de Bullion, qui haïssoit l'archevêque, disoit à quelqu'un, pensant que Loynes ne l'entendoit pas: «Il faut chasser ce b.....-là. Un tel dira ceci, un tel cela; moi je dirai telle chose.» Car c'est ainsi qu'on en usoit chez le cardinal. On ne manqua pas dès qu'il fut absent; et pour le faire enrager, on lui donnoit pour compagnon tantôt le comte d'Harcourt, tantôt le marquis de Brézé. Ennuyé de traverses, il crut se faire rechercher s'il demandoit son congé. Voici comme il s'y prit: il envoya un nommé Courtin, et lui donna un mémoire de bien des choses qu'il falloit demander à Son Eminence. Parmi toutes ces choses, il y avoit: «Vous proposerez à son Eminence de me permettre de me retirer.» Depuis, l'archevêque changea d'avis, et un jour Courtin l'étant allé retrouver, et lui ayant dit que cette proposition avoit été reçue, il en eut du déplaisir, et quelque temps après il dit à ce Courtin, qu'il avoit jusque là fait passer pour son ami intime, qu'il seroit bien aise de voir ce mémoire. Courtin lui dit qu'il étoit tout barré, et qu'à mesure qu'un article avoit été exécuté, il y avoit fait une barre, et qu'il ne savoit même s'il l'avoit gardé. Comme il l'alloit chercher, on lui dit que l'archevêque vouloit ravoir ce papier, pour pouvoir nier après d'avoir demandé son congé. Courtin fait semblant de l'avoir perdu: «Mais, lui dit l'archevêque, de quoi vous êtes-vous avisé de demander mon congé?--Ah! répondit l'autre, je vous y attrape, vous êtes un perfide; voilà votre mémoire, mais vous ne l'aurez pas.» En disant cela il le quitta, et ne l'a jamais voulu voir depuis. Voilà l'archevêque bien embarrassé. Il ne savoit où il en étoit. Enfin il résolut de venir trouver le cardinal, et étoit déjà à Lyon quand le cardinal lui envoya Bézançon pour l'empêcher d'avancer. Bézançon, au retour, lui en dit le diable, et que l'archevêque croyoit être le seul habile homme qu'il y eût en France. Le cardinal le relégua à Carpentras, et en allant à Perpignan, il le confina dans une bicoque de la montagne. Il n'en revint qu'après la mort du cardinal, mais il ne lui survécut guère. Il fut assez long-temps malade, et de chagrin qu'il avoit de mourir, il fit fouetter un grand page le jour de Pentecôte. Ce page étoit de garde, et, voyant l'archevêque endormi, s'en étoit allé à vêpres. Voyez si c'étoit là un crime qu'un archevêque devoit punir? Il se réconcilia avec son frère, le marquis de Sourdis, avec lequel il étoit brouillé, lui donna tout ce qu'il pouvoit lui donner, et ne récompensa pas un domestique. Il avoit appris un peu de théologie dans son exil. [140] Henri d'Escoubleau de Sourdis, mort à Auteuil le 18 juin 1645. [141] Le cardinal de Sourdis étoit l'aîné de tous. Il fut d'église à cause qu'il étoit menacé d'épilepsie. Il le portoit haut, mais il régloit fort bien son diocèse, et étoit homme de bien. L'archevêque de Bordeaux fut son coadjuteur. (T.) [142] _Vie du duc d'Épernon_, par Girard, son secrétaire; Paris, 1655, in-folio. On trouvera aussi un long récit de cette querelle et des réparations auxquelles le duc fut condamné dans la _Biographie universelle_, article SOURDIS, t. 43, p. 193. [143] _Donner un tour de pilier._ Cette expression paroît empruntée des termes de manége, où on change de volte quand on approche des piliers. Il semble que l'on doit entendre que l'archevêque prit un détour pour ne pas se rendre à l'invitation du cardinal. MADEMOISELLE DE GOURNAY[144]. Mademoiselle de Gournay étoit une vieille fille de Picardie et bien demoiselle. Je ne sais où elle avoit été chercher Montagne, mais elle se vantoit d'être sa fille d'alliance. Elle savoit et elle faisoit des vers, mais méchants. Malherbe s'étant moqué de quelques-uns de ses ouvrages, elle, pour se venger, alla regratter la traduction qu'il avoit faite d'un livre de Tite-Live qu'on trouva en ce temps-là, où il avoit traduit: «_Fecêre ver sacrum_, par _ils firent l'exécution du printemps sacré_. Elle avoit fait imprimer un livre intitulé: _l'Ombre, ou les Présents de la damoiselle de Gournay_[145]. Dans ce livre il y avoit un chapitre des diminutifs, comme _chauderon_, _chauderonnet_, _chauderonnellet_. Boisrobert lui demanda un jour la raison du titre de ce livre. Elle ne la lui sut dire. «Il faut chercher, répondit-elle, dans mon cabinet d'Allemagne.» Mais, après avoir bien fouillé dans tous les tiroirs, elle ne la trouva point. M. le comte de Moret, le chevalier de Bueil et Yvrande lui ont fait autrefois bien des malices. Une fois, pour se moquer de quelques-uns où elle avoit mis _Tit_ pour _Titus_, ils lui envoyèrent ceux-ci: Tit[146], fils de Vesp.[147], roi du Rom. héritage, Des peuples inchrétiens qui cassèrent Carthage, Prodiguoit rarement son amoureux empoix; Mais il aimoit si fort les filles de science, Que la Gournay eût eu son auguste semence, Il l'eût même Titée au plus fort de ses mois. On dit que c'est Desmarets qui les fit. Ils en firent encore pour elle. Il y avoit en un endroit le mot de _foutaison_: «Jamin, dit-elle en ronflant selon sa coutume, merdieu! ce mot-là n'est pas en usage, je le passerois pourtant: il est vrai qu'il est un peu vilain.» Ces pestes lui supposèrent une lettre du roi Jacques d'Angleterre, par laquelle il lui demandoit sa Vie et son portrait. Elle fut six semaines à faire sa Vie. Après, elle se fit barbouiller, et envoya tout cela en Angleterre, où l'on ne savoit ce que cela vouloit dire. On lui a voulu faire accroire qu'elle disoit que fornication n'étoit point péché; et un jour qu'on lui demanda si la pédérastie n'étoit pas un crime: «A Dieu ne plaise! répondit-elle, que je condamne ce que Socrate a pratiqué.» A son sens, la pédérastie est louable. Mais cela est assez gaillard pour une pucelle. Saint-Amant l'a furieusement maltraitée; car c'est d'elle et de Maillet qu'il veut parler dans _le Poète crotté_. Boisrobert la mena au cardinal de Richelieu, qui lui fit un compliment tout de vieux mots qu'il avoit pris dans son _Ombre_. Elle vit bien que le cardinal vouloit rire. «Vous riez de la pauvre vieille, lui dit-elle. Mais riez, grand génie, riez; il faut que tout le monde contribue à votre divertissement.» Le cardinal, surpris de la présence d'esprit de cette vieille fille, lui en demanda pardon, et dit à Boisrobert: «Il faut faire quelque chose pour mademoiselle de Gournay. Je lui donne deux cents écus de pension.--Mais elle a des domestiques, dit Boisrobert.--Et quels? reprit le cardinal,--Mademoiselle Jamin, répliqua Boisrobert, bâtarde d'Amadis Jamin, page de Ronsard.--Je lui donne cinquante livres par an, dit le cardinal.--Il y a encore madame Piaillon, ajouta Boisrobert; c'est sa chatte.--Je lui donne vingt livres de pension, répondit l'Eminentissime, à condition qu'elle aura des nippes.--Mais monseigneur, elle a chatonné,» dit Boisrobert. Le cardinal ajoute encore une pistole pour les chatons. Elle aimoit Boisrobert et l'appeloit toujours _bon abbé_, et elle le craignoit aussi à cause des contes qu'il faisoit. Il disoit qu'elle avoit un râtelier de dents de loup marin. Elle l'ôtoit en mangeant, mais elle le remettoit pour parler plus facilement, et cela assez adroitement; à table, quand les autres parloient, elle ôtoit son râtelier et se dépêchoit de doubler les morceaux, et après elle remettoit son râtelier pour dire sa râtelée. C'étoit une personne bien née; elle avoit vu le beau monde. Elle avoit quelque générosité et quelque force d'âme. Pour peu qu'on l'eût obligée, elle ne l'oublioit jamais. En mourant, elle laissa par testament son Ronsard à L'Etoile, comme si elle l'eût jugé seul digne de le lire, et à Gombauld une carte de la vieille Grèce de Sophian, qui vaut bien cinq sous. [144] Marie Le Jars de Gournay, née vers la fin de 1566, morte le 13 juillet 1645. [145] La première édit. (Paris, 1626, in-8º) a pour titre: _l'Ombre de la demoiselle de Gournay_; la seconde, plus ample: _Les Avis et les Présents de la demoiselle de Gournay_. (Paris, 1635 ou 1641, in-4.) [146] Tite. (T.) [147] Vespasien. (T.) RACAN ET AUTRES RÊVEURS[148]. Racan est de la maison de Bueil. Son père étoit chevalier de l'ordre et maréchal de camp. Il portoit le nom de Racan, à cause que son père acheta un moulin, qui est un fief, le propre jour que ce fils lui naquit, et il voulut que ce petit garçon en portât le nom. J'ai dit, dans l'_Historiette_ de Malherbe, comme Racan commandoit les gendarmes de M. le maréchal d'Effiat. Cela le faisoit subsister, car son père ne lui laissa que du bien fort embrouillé. Il a été quelquefois bien à l'étroit. Boisrobert le trouva une fois à Tours; la cour y étoit alors. Il étoit après à faire une chanson pour je ne sais quel petit commis qui lui avoit promis de lui prêter deux cents livres. Boisrobert les lui prêta. Il a logé long-temps dans un cabaret borgne, d'où M. Conrart le voulant faire déloger: «Je suis bien, je suis bien, lui dit-il; je dîne pour tant, et le soir on me trempe pour rien un potage.» Il avoit toujours quelque chose de madame de Bellegarde, dont à la fin il hérita de vingt mille livres de rente en fonds de terre, de quarante qu'elle avoit. Elle étoit de la maison de Bueil. Racan étoit marié quand cette succession lui vint. J'ai dit aussi comme il s'attacha à Malherbe. Il profita si bien sous un si bon maître, qu'il lui donna de la jalousie. En effet, on a accusé Malherbe d'en avoir eu un peu pour cette belle stance de la _Consolation_ à M. de Bellegarde sur la mort de M. de Termes, son frère. La voici: Il voit ce que l'Olympe a de plus merveilleux; Il y voit à ces pieds ces flambeaux orgueilleux Qui tournent à leur gré la fortune et sa roue, Et voit comme fourmis marcher nos légions Dans ce petit amas de poussière et de boue, Dont notre vanité fait tant de régions[149]. Et on dit que, par malice, il n'avertit pas Racan que dans une autre stance il faisoit _Amour_, divinité et passion tout ensemble. Racan faisoit des vers, étant page. Cette pièce, qui commence: Vieux corps tout épuisé de sang et de moelle, etc.[150], est de ce temps-là. Il dit que les comédies de Hardy qu'il voyoit représenter à l'Hôtel de Bourgogne, où il entroit sans payer, l'excitoient fort. Il dit aussi qu'il avoit de qui tenir, car son père et sa mère faisoient tous deux des vers; il est vrai qu'ils n'étoient guère bons, mais ceux du père valoient encore moins. Il en avoit un gros volume. Il n'a jamais su le latin; et cette imitation de l'ode d'Horace, _Beatus ille_, etc., est faite sur la traduction en prose que lui en fit le chevalier de Bueil, son parent, qui s'étoit chargé de la mettre en vers françois. Jamais la force du génie ne parut si clairement en un auteur qu'en celui-ci; car, hors ses vers, il semble qu'il n'ait pas le sens commun. Il a la mine d'un fermier; il bégaie, et n'a jamais pu prononcer son nom, car, par malheur, l'_r_ et le _c_ sont les deux lettres qu'il prononce le plus mal. Plusieurs fois il a été contraint d'écrire son nom pour le faire entendre. Bon homme du reste et sans finesse, étant fait comme je vous le viens de dire. Le chevalier de Bueil et Yvrande, sachant qu'il devoit aller sur les trois heures remercier mademoiselle Gournay, qui lui avoit donné son livre[151], s'avisèrent de lui faire une malice, et à la pauvre pucelle aussi. Le chevalier y va à une heure. Il heurte; Jamyn va dire à mademoiselle qu'un gentilhomme la demandoit. Elle faisoit des vers; et en se levant, elle dit: «Cette pensée étoit belle, mais elle pourra revenir, et ce cavalier peut-être ne reviendroit pas.» Il dit qu'il étoit Racan; elle, qui ne le connoissoit que de réputation, le crut. Elle lui fit mille civilités à sa mode, et le remercia surtout de ce qu'étant jeune et bien fait, il ne dédaignoit pas de venir visiter la pauvre vieille[152]. Le chevalier, qui avoit de l'esprit, lui fit bien des contes. Elle étoit ravie de le voir d'aussi belle humeur, et disoit à Jamyn, voyant que sa chatte miauloit: «Faites taire ma mie Piaillon, pour écouter M. de Racan.» Dès que celui-là fut parti, Yvrande arrive, qui, trouvant la porte entr'ouverte, dit en se glissant: «J'entre bien librement, mademoiselle, mais l'illustre mademoiselle de Gournay ne doit pas être traitée comme le commun.--Ce compliment me plaît, s'écria la pucelle. Jamyn, mes tablettes, que je le marque.--Je viens vous remercier, mademoiselle, de l'honneur que vous m'avez fait de me donner votre livre.--Moi, monsieur, reprit-elle, je ne vous l'ai pas donné, mais je devrois l'avoir fait. Jamyn, une _Ombre_ pour ce gentilhomme.--J'en ai une, mademoiselle; et pour vous prouver cela, il y a telle et telle chose en tel chapitre.» Après, il lui dit qu'en revanche il lui apportoit des vers de sa façon; elle les prend et les lit. «Voilà qui est gentil, Jamyn, disoit-elle; Jamyn en peut être, monsieur, elle est fille naturelle d'Amadis Jamyn[153], page de Ronsard. Cela est gentil; ici vous _Malherbisez_, ici vous _Colombisez_; cela est gentil. Mais ne saurai-je point votre nom?--Mademoiselle, je m'appelle Racan.--Monsieur, vous vous moquez de moi.--Moi, mademoiselle, me moquer de cette héroïne, de la fille d'alliance du grand Montagne, de cette illustre fille de qui Lipse a dit: _Videamus quid sit paritura ista virgo_[154].--Bien, bien, dit-elle, celui qui vient de sortir a donc voulu se moquer de moi, ou peut-être vous-même, vous en voulez-vous moquer; mais n'importe, la jeunesse peut rire de la vieillesse. Je suis toujours bien aise d'avoir reçu deux gentilshommes si bien faits et si spirituels.» Et là-dessus ils se séparèrent. Un moment après, voilà le vrai Racan qui entre tout essoufflé. Il étoit un peu asthmatique, et la demoiselle étoit logée au troisième étage. «Mademoiselle, lui dit-il sans cérémonie, excusez si je prends un siége.» Il fit tout cela de fort mauvaise grâce et en bégayant. «Oh! la ridicule figure, Jamyn! dit mademoiselle de Gournay.--Mademoiselle, dans un quart-d'heure je vous dirai pourquoi je suis venu ici, quand j'aurai repris mon haleine. Où diable vous êtes-vous venue loger si haut? Ah! disoit-il en soufflant, qu'il y a haut! Mademoiselle, je vous rends grâces de votre présent, de votre _Omble_[155] que vous m'avez donnée, je vous en suis bien obligé.» La pucelle cependant regardoit cet homme avec un air dédaigneux. «Jamyn, dit-elle, désabusez ce pauvre gentilhomme; je n'en ai donné qu'à tel et qu'à tel; qu'à M. de Malherbe, qu'à M. de Racan.--Eh! mademoiselle, c'est moi.--Voyez, Jamyn, le joli personnage! au moins les deux autres étoient-ils plaisants. Mais celui-ci est un méchant bouffon.--Mademoiselle, je suis le vrai Racan.--Je ne sais pas qui vous êtes, répondit-elle, mais vous êtes le plus sot des trois.--Mordieu! je n'entends pas qu'on me raille.» La voilà en fureur. Racan, ne sachant que faire, aperçoit un recueil de vers. «Mademoiselle, lui dit-il, prenez ce livre, et je vous dirai tous mes vers par coeur.» Cela ne l'apaise point; elle crie _au voleur_! Des gens montent, Racan se pend à la corde de la montée, et se laisse couler en bas. Le jour même elle apprit toute l'histoire; la voilà au désespoir; elle emprunte un carrosse, et le lendemain de bonne heure elle va le trouver. Il étoit encore au lit; il dormoit; elle tire le rideau; il l'aperçoit, et se sauve dans un cabinet. Pour l'en faire sortir, il fallut capituler. Depuis, ils furent les meilleurs amis du monde, car elle lui demanda cent fois pardon. Bois-Robert joue cela admirablement; on appelle cette pièce _les Trois Racans_. Il les a joués devant Racan même, qui en rioit jusqu'aux larmes, et disoit: _Il dit vlai, il dit vlai_. On en fait plusieurs autres contes. C'est un des plus grands rêveurs qu'on ait jamais vus. Une fois, en rêvant, il mangea tant de pois, qu'il n'en pouvoit plus: «Regardez, dit-il, ces _totins_ de _latais_, ils ne m'avertissent pas, ils m'ont laissé _trever_.» Un jour quelqu'un lui traduisit quelques épigrammes de l'Anthologie; il les trouva plates, et il disoit, pour dire des épigrammes plates, _des épigrammes à la grecque_. En ce temps-là il dîna chez un grand seigneur, où il y avoit devant lui un potage qui ne sentoit que l'eau. Se tournant vers un de ses amis qui les avoit vues avec lui: «Voilà, dit-il, un potage à la grecque.» Il alloit voir un jour un de ses amis à la campagne, seul, et sur un grand cheval. Il fallut descendre pour quelque nécessité. Il ne put trouver de montoir; insensiblement il alla à pied jusqu'à la porte de celui qu'il alloit voir; et y ayant trouvé un montoir, il remonta sur sa bête, et s'en revint sur ses pas sans sortir de sa rêverie. Il lui est arrivé plusieurs fois de se heurter par la rue. Un jour que Malherbe, Yvrande et lui avoient couché en une même chambre, il se leva le premier, et prit les chausses d'Yvrande pour son caleçon. Quand Yvrande voulut s'habiller, il ne trouva point ses chausses. On les chercha partout. Enfin il regarda Racan, et il lui sembla plus gros qu'à l'ordinaire par le bas. «Sur ma foi, lui dit-il, ou votre cul est plus gros qu'hier, ou vous avez mis mes chausses sous les vôtres.» En effet, il y regarda, et les trouva. Une après-dînée, il fut extrêmement mouillé. Il arrive chez M. de Bellegarde, et entre dans la chambre de madame de Bellegarde, pensant entrer dans la sienne; il ne vit point madame de Bellegarde et madame Des Loges, qui étoient chacune au coin du feu. Elles ne dirent rien, pour voir ce que ce maître rêveur feroit. Il se fait débotter, et dit à son laquais: «Va nettoyer mes bottes; je ferai sécher ici mes bas.» Il s'approche du feu, et met ses bas à bottes bien proprement sur la tête de madame de Bellegarde et de madame Des Loges, qu'il prenoit pour des chenets; après, il se met à se chauffer. Elles se mordoient les lèvres de peur de rire; enfin elles éclatèrent. Un jour qu'il vouloit mener un prieur de ses amis à la chasse aux perdreaux, le prieur lui dit: «Il faut que je dise vêpres, et je n'ai personne pour m'aider.--Je vous aiderai, dit Racan.» En disant cela, Racan oublie qu'il avoit son fusil sur l'épaule, et, sans le quitter, il dit _Magnificat_ tout du long. Il a plusieurs fois donné l'aumône à de ses amis, les prenant pour des gueux. On dit qu'il boita tout un jour parce qu'il fut toujours à se promener avec un gentilhomme boiteux. Un matin étant à jeun, il demanda un doigt de vin chez un de ses amis. L'autre lui dit: «Tenez, il y a là-dessus un verre d'hypocras et un verre de médecine que je vais prendre. Ne vous trompez pas.» Racan ne manque pas de prendre la médecine, et cet homme ayant eu soin de la faire faire la moins désagréable qu'il avoit pu, Racan crut que c'étoit de médiocre hypocras, ou de l'hypocras éventé. Il va à la messe, où peu de temps après il sentit bien du désordre dans son ventre, et il eut bien de la peine à se sauver dans un logis de connoissance. Le malade qui avoit pris l'autre verre ne sentoit que de la chaleur, et n'avoit aucune envie d'aller. Il envoie chez Racan, qui lui manda que pour ce jour il seroit purgé sans payer l'apothicaire. Racan, tout rêveur, qu'il étoit, faisoit des contes de la rêverie de feu M. de Guise. A Tours, M. de Guise lui dit: «Allons à la chasse.» Il y fut, et toujours auprès de lui; et le lendemain M. de Guise lui dit: «Vous avez bien fait de n'y point venir, nos chiens n'ont rien fait qui vaille.» Racan voyant cela, se crotta une autre fois tout exprès, et fit semblant d'avoir été à la chasse avec lui: «Ah! vous avez bien fait, lui dit-il, nous avons eu aujourd'hui bien du plaisir.» Racan dit qu'ayant promis une pistole à une maquerelle pour une demoiselle qu'elle lui devoit faire voir, au lieu de cela elle lui fit voir une guenippe, et qui n'avoit rien de demoiselle. Racan ne lui donna qu'une pièce de quatorze sous et demi, le quart d'une pièce de cinquante-huit sous; elles n'étoient pas communes alors. «Qu'est-ce là? dit-elle.--C'est, lui dit-il, une pistole déguisée en pièce de quatorze sous, comme vous m'avez donné une demoiselle déguisée en femme-de-chambre.» Quand il faisoit l'amour à celle qu'il a épousée, et qu'il n'eut qu'à cause que madame de Bellegarde, hors d'âge d'avoir des enfants, lui assura du bien, il voulut l'aller voir à la campagne, avec un habit de taffetas céladon[156]. Son valet Nicolas, qui étoit plus grand maître que lui, lui dit: «Et s'il pleut, où sera l'habit céladon? Prenez votre habit de bure, et au pied d'un arbre vous changerez d'habit proche du château.--Bien, dit-il, Nicolas; je ferai ce que tu voudras, mon enfant.» Comme il relevoit ses chausses, c'étoit en un petit bois proche de la maison de sa maîtresse, elle et deux autres filles parurent. «Ah! dit-il, Nicolas, je te l'avois bien dit.--Mordieu, répond le valet, dépêchez-vous seulement.» Cette maîtresse vouloit s'en aller; mais les autres, par malice, la firent avancer. «Mademoiselle, lui dit ce bel amoureux, c'est Nicolas qui l'a voulu: parle pour moi, Nicolas, je ne sais que lui dire.» Un de ses voisins lui donna une fois un fort beau bois de cerf. Racan dit à son valet, qui étoit à cheval avec lui, de le prendre. Il étoit tard, Racan le pressoit; ce garçon lui dit: «Monsieur, j'ai mis tantôt de toutes les façons ce que vous m'avez donné; je vois bien que vous ne savez pas combien il y a de peines à porter des cornes, car vous ne me tourmenteriez pas tant que vous faites.» A l'Académie, quand ce fut à son tour à haranguer, il y vint avec un chiffon de papier tout déchiré dans ses mains: «Messieurs, leur dit-il, je vous apportois ma harangue, mais une grande levrette l'a toute mâchonnée. La voilà: tirez-en ce que vous pourrez, car je ne la sais point par coeur, et je n'en ai point de copie.» Il est le seul qui ait voulu avoir ses lettres d'académicien, et quand son fils aîné fut assez grand, il le mena à l'Académie pour lui faire saluer tous les académiciens. Depuis son mariage et la mort de madame de Bellegarde, il commanda une fois un escadron de gentilshommes de l'arrière-ban. Il conte que jamais il ne put les obliger à faire garde, ni autre chose semblable, jour ni nuit, et enfin il fallut demander un régiment d'infanterie pour les enfermer. Un jour, en marchant, il y eut je ne sais quelle alarme; il les trouva tous au retour (car cependant il étoit allé parler au général), l'épée et le pistolet à la main, aussi bien les derniers que les premiers, quoiqu'il fallût percer neuf escadrons avant que de venir à eux. Il y en eut un qui donna un grand coup de pistolet dans l'épaule à celui qui étoit devant lui. Le bonhomme Racan fut vingt ans sans faire de vers après la mort de Malherbe. Enfin il s'y remit à la campagne, où il fit des versions de psaumes, naïves, disoit-il, mais, en effet, les plus plates du monde. Depuis, il fit ses Paraphrases de psaumes qu'il a imprimées, où il y a de belles choses, mais cela ne vaut pas ce qu'il a fait autrefois. Racan étant tuteur du petit comte de Marans, de la maison de Bueil, le mari de la mère l'appela en duel. Racan dit: «Je suis fort vieux, et j'ai la courte haleine.--Il se battra à cheval, lui dit-on.--J'ai des ulcères aux jambes, répondit-il, quand je mets des bottes; puis, j'ai vingt mille livres de rente à perdre. Je ferai porter une épée; s'il m'attaque, je me défendrai. Nous avons un procès, nous n'avons pas une querelle.» Les maréchaux de France gourmandèrent fort ce galant homme. Le grand chagrin de ce pauvre homme, c'étoit que son fils aîné n'est qu'un sot, et qu'il a perdu celui dont il espéroit avoir du contentement. Ce petit garçon étoit page de la Reine, et étoit fort bien avec M. d'Anjou[157]. Il disoit un jour à son père: «Je voudrois bien qu'on payât à Monsieur six cents écus de ses menus plaisirs qu'on lui doit, j'en aurois une bonne part.» Cet enfant s'étoit adonné à porter la robe de Mademoiselle. Au commencement ses pages en grondèrent; elle leur dit que toutes les fois qu'un page de la Reine lui voudroit faire cet honneur, elle lui en seroit obligée. Il continua donc; eux, enragés de cela, le firent appeler en duel par le plus petit d'entre eux. Ils eurent tous deux le fouet en diable et demi, car ils se vouloient aller battre. Ce petit garçon fut délégué par ses camarades pour demander à la Reine qu'on leur donnât deux petites oies[158] au lieu d'une, car l'argentier leur en retranchoit une de deux qu'ils devoient avoir. «Oui, dit la Reine; mais, étant fils de M. de Racan, vous ne l'aurez point que vous ne me la demandiez en vers.» Tout le monde veut que ses enfants soient poètes, et il ne sauroit faire qu'on les appelle autrement que Racan tout court. Le père fit pour son fils ce madrigal, mais il ne le fit pas de toute sa force: MADRIGAL. Reine, si les destins, mes voeux et mon bonheur Vous donnent les premiers des ans de ma jeunesse, Vous dois-je pas offrir cette première fleur Que ma muse a cueillie aux rives du Permesse? Si mon père, en naissant, m'avoit pu faire don De son esprit poétique, ainsi que de son nom, Qui l'a rendu vainqueur du temps et de l'envie, Je pourrois dans mes vers donner l'éternité A Votre Majesté Qui me donne la vie. Etant à Paris pour un procès, il s'ennuyoit quelquefois et ne perdoit pas un jour d'Académie; même il lui prit une telle amitié pour elle, qu'il disoit qu'il n'avoit d'amis que messieurs de l'Académie. Il prit pour son procureur le beau-frère de M. Chapelain, parce qu'il lui sembloit que cet homme étoit beau-frère de l'Académie. Un jour, sortant de l'Académie où sa femme l'étoit venu prendre, pensant parler à Patru, il parla à Chapelain et lui offrit de le remener comme il l'avoit amené. Chapelain le remercie; il descend. Et quand ils furent loin, sa femme lui dit: «Où est donc M. Patru?--Ah! dit-il; vous verrez que j'ai cru parler à lui et j'ai parlé à un autre.» Il retourna, mais Patru n'y étoit plus. Ce bon homme est devenu avare. Au dernier voyage qu'il a fait ici, il n'a point été voir Patru, lui qui le voyoit tous les jours auparavant, parce que les écritures que Patru a pu faire pour lui pourroient monter à quelque chose. Il ne connoît guère bien Patru; il n'auroit garde de prendre de son argent. [148] Honorat de Bueil, marquis de Racan, né en 1589, mort en février 1670. [149] _OEuvres de Racan_, Paris, Coustelier, 1724, t. 2, p. 198. [150] Stance contre un vieillard jaloux. (_Ibid._, t. 2, p. 182.) [151] Elle ne l'appeloit jamais autrement que _le singe de Malherbe_. Elle en donna même un exemplaire à Malherbe, quoiqu'elle le haït à mort. (T.) [152] Mademoiselle de Gournay étoit née en 1666. Elle publia en 1626 le volume qui a pour titre: _L'Ombre de la demoiselle de Gournay_. Ce livre venoit de paroître, ainsi elle devoit avoir environ soixante ans. (_Voyez_ plus bas l'article de mademoiselle de Gournay.) [153] Amadis Jamyn, poète françois du seizième siècle, fut en effet reçu par Ronsard dans sa propre maison, et traité par lui comme s'il eût été son fils. Les ouvrages d'Amadis Jamyn sont rares et recherchés. Né vers 1540, il est mort vers 1585. [154] Le Jeune Heinsius a dit d'elle: «_Ausa virgo concurrere viris, scandit supra viros._» (T.) [155] Tallemant nous a prévenus plus haut que Racan ne pouvoit prononcer les lettres _r_ et _c_. [156] Couleur de vert-clair très-tendre; elle avoit emprunté son nom au héros du roman, de l'_Astrée_, qui étoit loin d'avoir perdu alors tous ses adorateurs. [157] Premier titre du duc d'Orléans, frère de Louis XIV. Il le porta jusqu'à la mort de Gaston, époque à laquelle le Roi lui conféra le titre de duc d'Orléans. [158] Petite oie, se disoit figurément des rubans et garnitures qui rendoient un habillement complet; elle consistoit dans les rubans pour garnir l'habit, le chapeau, le noeud d'épée, les bas, les gants. (_Dict. de Trévoux._) M. DE BRANCAS[159]. M. de Brancas, fils du duc de Villars, est aussi un grand rêveur. A l'hôtel de Rambouillet, un jour qu'il y avoit dîné, son laquais le vint demander; il revint: «C'est, dit-il, qu'il m'apportoit mon manteau.--Votre manteau! lui dit-on; hé! étiez-vous ici sans manteau?--Non, dit-il, mais j'avois pris hier celui de Moret pour le mien.» Or celui de Moret étoit de velours et l'autre de camelot. En priant Dieu il lui dit: «Seigneur, je suis à vous autant que qui que ce soit, je suis votre serviteur très-humble plus qu'à personne.» Il lui fait des compliments en rêvant. Une fois qu'il se retiroit à cheval, des voleurs l'arrêtèrent par la bride. Il leur disoit: «Laquais, de quoi vous avisez-vous? Laissez donc aller ce cheval,» et ne s'en aperçut que quand il eut le pistolet à là gorge. A Rouen il étoit chez M. d'Héquetot, fils de M. de Beuvron; son carrosse se rompit. Héquetot lui dit: «Prenez le mien, vous enverrez quérir le vôtre, quand il sera raccommodé.--Bien, dit-il,» et s'en va de ce pas se mettre dans celui dont on avoit ôté les chevaux, tire les rideaux et dit: «Au logis.» Il y fut une bonne heure. Enfin il se réveille et se met à crier: «Hé! cocher, quel tour me fais-tu faire? n'arriverons-nous d'aujourd'hui?» A sa voix, son cocher vint à lui: «Hé! monsieur, j'ai mis les chevaux à l'autre carrosse, je vous attends il y a long-temps.» On dit qu'il se mit au lit une fois à quatre heures, parce qu'il trouva sa toilette mise. Au sortir des Tuileries, un soir il se jeta dans le premier carrosse; le cocher touche, il le mène dans une maison. Il monte jusque dans la chambre sans se reconnoître. Les laquais du maître du carrosse l'avoient pris pour leur maître qui lui ressembloit assez de taille. Ils le laissent là et courent aux Tuileries; mais par hasard ils rencontrèrent ses gens et leur dirent où il étoit. Une fois à l'armée on donna une fausse alarme exprès, et on lui fit prendre une vache sellée pour son cheval. On l'a fait aller un jour en compagnie avec son bonnet de nuit. On lui veut faire accroire que le jour de ses noces il alla dire en passant aux baigneurs qu'ils lui tinssent un lit prêt, qu'il coucheroit chez eux. «Vous! lui dirent-ils, vous n'y songez pas!--Si, j'y viendrai assurément.--Je pense que vous rêvez, reprirent ces gens-là, vous vous êtes marié ce matin.--Hé! ma foi, dit-il, je n'y songeois pas.» Sa femme étoit veuve du comte d'Isigny, parent de feu madame la princesse (_de Condé_) Marguerite de Montmorency. [159] La clef des _Caractères_ de La Bruyère nous indique que c'est lui qui est peint sous le nom du distrait Ménalque, chapit. 11. En effet, plusieurs des _Rêveries_ rapportées ici par Tallemant ont servi au portrait tracé par La Bruyère. LA FONTAINE[160]. Un garçon de belles-lettres et qui fait des vers, nommé La Fontaine, est encore un grand rêveur. Son père, qui est maître des eaux et forêts de Château-Thierry en Champagne, étant à Paris pour un procès, lui dit: «Tiens, va vite faire telle chose, cela presse.» La Fontaine sort, et n'est pas plus tôt hors du logis qu'il oublie ce que son père lui avoit dit. Il rencontre de ses camarades qui lui ayant demandé s'il n'avoit point d'affaires, «Non,» leur dit-il, et alla à la comédie avec eux. Une autre fois, venant de Paris, il attacha à l'arçon de sa selle un gros sac de papiers importans. Le sac étoit mal attaché et tomba. L'ordinaire[161] passe, ramasse le sac, et ayant trouvé La Fontaine, il lui demande s'il n'avoit rien perdu. Ce garçon regarde de tous les côtés: «Non, ce dit-il; je n'ai rien perdu.--Voilà un sac que j'ai trouvé, lui dit l'autre.--Ah! c'est mon sac! s'écrie La Fontaine; il y va de tout mon bien.» Il le porta entre ses bras jusqu'au gîte. Ce garçon alla une fois, durant une forte gelée, à une grande lieue de Château-Thierry, la nuit, en bottes blanches, et une lanterne sourde à la main. Une autre fois il se saisit d'une petite chienne, qui étoit chez la lieutenante générale de Château-Thierry, parce que cette chienne étoit de trop bonne garde, et le mari étant absent, il se cache sous une table de la chambre, qui étoit couverte d'un tapis à housse. Cette femme avoit retenu à coucher une de ses amies. Quand il vit que cette amie ronfloit, il s'approche du lit, prend la main à la lieutenante qui ne dormoit pas. Par bonheur, elle ne cria point, et il lui dit son nom en même temps. Elle prit cela pour une si grande marque d'amour, que, je crois, quoiqu'il ait dit qu'il n'en eut que la petite oie, qu'elle lui accorda toute chose. Il sortit avant que l'amie fût éveillée; et comme dans ces petites villes on est toujours les uns chez les autres, on ne trouva point étrange de le voir sortir de bonne heure d'une maison qui étoit comme une maison publique. Depuis, son père l'a marié, et lui l'a fait par complaisance. Sa femme dit qu'il rêve tellement, qu'il est quelquefois trois semaines sans croire être marié. C'est une coquette qui s'est assez mal gouvernée depuis quelque temps. Il ne s'en tourmente point. On lui dit: «Mais un tel cajole votre femme.--Ma foi, répond-il, qu'il fasse ce qu'il pourra; je ne m'en soucie point. Il s'en lassera comme j'ai fait.» Cette indifférence a fait enrager cette femme; elle sèche de chagrin: lui est amoureux où il peut. Une abbesse s'étant retirée dans la ville, il la logea, et sa femme un jour les surprit. Il ne fit que rengaîner, lui faire la révérence et s'en aller. [160] Quand Tallemant écrivit cet article, La Fontaine n'avoit encore publié que sa traduction de l'_Eunuque_ de Térence. Il étoit fort peu connu. Tallemant, plus tard, lui rendit justice: on lui doit la conservation de plusieurs opuscules du fabuliste, et particulièrement d'un petit ballet, intitulé: _Les Rieurs du Beau Richard_. (_Voyez_ les _OEuvres de La Fontaine_, édition de M. Walckenaer; Paris, gr. in-8º, t. 4, pag. 127.) [161] On appeloit alors ainsi les courriers qui alloient porter les lettres d'une ville à une autre. BOIS-ROBERT[162]. Bois-Robert se nomme Metel. Il est fils d'un procureur[163] de Rouen qui étoit Huguenot. Il l'a été lui-même aussi. Il se mit au barreau à Rouen. Un jour étant prêt à plaider, une maquerelle le vint avertir qu'une fille l'accusoit de lui avoir fait deux enfants. Il ne laissa pas de plaider, et après il va pour se défendre. Mais ayant eu avis que le juge d'une petite justice par-devant lequel il avoit été assigné, le vouloit faire arrêter, il se sauve, vient à Paris, et s'attache au cardinal Du Perron[164], puis au cardinal de Richelieu qui ne le goûtoit point, et plusieurs fois il gronda ses gens de ne le pas défaire de cet homme. «Hé! monsieur, lui dit Bois-Robert, qui a toujours été lâche, vous laissez bien manger aux chiens les miettes qui tombent de votre table. Ne vaux-je pas bien un chien?» Pour subsister à la cour, Bois-Robert s'avisa d'une subtile invention; il demanda à tous les grands seigneurs de quoi faire une bibliothèque[165]. Il menoit avec lui un libraire qui recevoit ce qu'on donnoit, et il le lui vendoit moyennant tant de paraguante. Il a confessé depuis qu'il avoit escroqué cinq ou six mille francs comme cela. On n'a osé mettre le conte ouvertement dans _Francion_[166], mais on l'a mis comme si c'eût été un musicien qui eût demandé pour faire un cabinet de toutes sortes d'instruments de musique. Il devint chanoine de Saint-Ouen de Rouen. Il fut assez imprudent pour faire quelque raillerie du Chapitre, mais le Chapitre lui en fit faire une espèce d'amende honorable en présence de tous les chanoines. Mademoiselle de Toucy, aujourd'hui madame la maréchale de La Mothe[167], tomba malade dans l'abbaye de Saint-Amand de Rouen, dont sa soeur étoit abbesse. Bois-Robert promit à la malade que l'on ne sonneroit point les cloches de l'église cathédrale le jour de la Vierge; il ne put l'obtenir du Chapitre[168]. Le lendemain il envoya sur cela des vers à mademoiselle de Toucy, où il lui disoit que mademoiselle de Beuvron, qui est aujourd'hui madame d'Arpajon, sa rivale en beauté, avoit par son crédit, comme fille du gouverneur du vieux Palais, empêché que le Chapitre fît cette galanterie, dans l'espoir que ses appas en diminueroient. Les chanoines furent assez sots pour se mettre en colère contre Bois-Robert. Il fut interdit; il en appela comme d'abus; enfin on fit entendre au Chapitre qu'il se tournoit en ridicule, et l'interdiction fut levée. Il raconte que de ce temps-là on s'avisa de jouer dans un quartier de Rouen une tragédie de _la Mort d'Abel_. Une femme vint prier que son fils en fût, et qu'elle fourniroit ce qu'on voudroit. Tous les personnages étoient donnés, cependant les offres étoient grandes; on s'avisa de lui donner le personnage du _sang d'Abel_. On le mit dans un porte-manteau de satin rouge cramoisi, on le rouloit de derrière le théâtre, et il crioit: _Vengeance, vengeance_. Il conte encore qu'ayant fait un voyage à Rome, et ayant salué jusqu'à se prosterner un certain cardinal Scaglia, qui ne lui rendit point son salut, il crut qu'il y alloit de l'honneur de la nation, surtout ayant deux estafiers après lui. La première fois donc qu'il rencontra le cardinal, il enfonça son chapeau et le regarda effrontément entre les deux yeux sans le saluer. Le cardinal en colère fait courir après lui: il se sauve dans une église. Le cardinal s'excusoit sur sa mauvaise vue pour la première fois, et disoit qu'à la deuxième _quel coglion l'havea vituperato_. Il fallut capituler, et il en fut quitte pour saluer à l'avenir le cardinal fort humblement. Il y avoit alors un gentilhomme breton à Rome, à qui il prit une telle haine pour les prêtres, et surtout pour les cardinaux, que quand il prenoit un cocher, c'étoit à condition de n'arrêter point devant eux; tous le lui promettoient, cependant ils lui manquoient tous de parole; mais lui se mettoit à pisser quand ils arrêtoient. Les cardinaux ne faisoient qu'en rire, et chacun le montroit au doigt. Non content de cela, il fit venir le curé de son village, par belles promesses, et quand il fut à Rome, il l'intimida tant qu'il l'obligea à se faire doyen de ses estafiers, avec une soutanelle qui ne lui alloit qu'au genou. On s'en plaignit à l'ambassadeur de France qui envoya quérir ce maître fou. «Monsieur, lui répondit notre homme, c'est que j'ai cru que je ne pouvois mieux humilier les prêtres qu'en faisant un prêtre estafier, et puisqu'ils le prennent là, je le ferai le dernier de tous les miens. Il m'a coûté deux cents écus à le faire venir, je n'ai garde d'avoir employé cet argent pour rien.» Enfin on fut contraint de faire évader ce prêtre. Un jour que Bois-Robert étoit avec le cardinal, alors évêque de Luçon, on apporta des chapeaux de castor. L'évêque en choisit un: «Me sied-il bien, Bois-Robert?--Oui, mais il vous siérait encore mieux s'il étoit de la couleur du nez de votre aumônier.» C'étoit M. Mulot, alors présent, qui depuis ne le pardonna jamais à Bois-Robert. Une fois ce pauvre M. Mulot, qui aimoit le bon vin, en attendant l'heure d'un déjeûner, alla à la messe à l'Oratoire. Par malheur c'étoit M. de Bérulle, depuis cardinal, qui la disoit, et qui, avant que de consacrer, s'amusa à faire je ne sais combien de méditations. Mulot enrageoit, car il voyoit bien que tout seroit mangé. Enfin, après que tout fut dit, il s'en va tout furieux trouver M. de Bérulle: «Vraiment, lui dit-il, vous êtes un plaisant homme de vous endormir comme cela sur le calice: allez, vous n'en valez pas mieux pour cela.» Une fois que le conseil étoit au pavillon de Charenton[169], il pria M. d'Effiat, alors premier écuyer de la grande écurie, de l'y mener pour quelque affaire. Mulot fut d'abord expédié, car on lui refusa ce qu'il demandoit. Chagrin du mauvais succès, il presse peu civilement d'Effiat de s'en retourner. «Je n'ai pas fait encore.--Ah! me voulez-vous laisser à pied?--Non, mais ayez patience.» Il grondoit. «Ah! _mons de Mulot, mons de Mulot_, dit d'Effiat avec son accent d'Auvergnat.--Ah! _mons Fiat, mons Fiat_, répond Mulot, quiconque alongera mon nom, je lui raccourcirai le sien;» et, tout en colère, il s'en alla à pied. Un jour qu'il avoit bien la goutte, Boileau rencontra son laquais: «Comment se porte ton maître? lui dit-il.--Monsieur, il souffre comme un damné.--Il jure donc bien?--Monsieur, répliqua naïvement le laquais, il n'a de consolation que celle-là dans son mal.» Bois-Robert alla en Angleterre avec M. et madame de Chevreuse au mariage de _Madame_[170] pour y attraper quelque chose. Il y tomba malade, et fit une élégie où il appeloit l'Angleterre un _climat barbare_. Etourdiment il la montra à madame de Chevreuse, qui, aussi sage que lui, alla dire au comte de Carlisle et au comte d'Holland qu'il avoit fait une élégie, et la lui envoya demander pour la leur montrer. Il répondit qu'il ne l'avoit point, et que quand il l'auroit, elle savoit bien qu'il ne devoit point l'avoir. «Ah! leur dit-elle, vous ne savez pas pourquoi il ne la veut pas donner, c'est qu'il y appelle l'Angleterre un _climat barbare_.» Le comte de Carlisle ne se tourmenta pas autrement de cela; mais le comte d'Holland, qui prétendoit en galanterie, en querella Bois-Robert, la première fois qu'il le vit, et même en présence de madame de Chevreuse. Bois-Robert s'excusa, et dit qu'il tenoit pour _barbares_ tous les lieux où il étoit malade, et qu'il en auroit dit autant du paradis terrestre en pareille occasion, «et depuis que je me porte bien, et que le Roi m'a fait la grâce de m'envoyer trois cents jacobus, je trouve le climat fort radouci.» Le comte de Carlisle oyant cette réponse, dit: «Cela n'est pas mal trouvé;» mais l'autre enrageoit. Au retour, ils accompagnèrent madame de Chevreuse, et Bois-Robert, à quelques milles de Londres, en montant un coteau qui est sur le bord de la Tamise, comme tout le monde étoit descendu à cause que le chemin est fort rude: «Mon Dieu! madame, dit-il, le beau pays!--C'est pourtant un _climat barbare_,» dit le comte d'Holland, qui avoit toujours cela sur le coeur. Bois-Robert avoit acheté quatre haquenées. Il fit demander par madame de Chevreuse permission au duc de Buckingham, grand amiral, de les faire passer en France. Buckingham, dans le passeport, ne put s'empêcher, après ces mots: _quatre chevaux_, d'ajouter: _pour le tirer d'autant plus promptement de ce climat barbare_. Je vous laisse à penser combien il eût mal passé son temps, sans la considération du mariage. Comme Bois-Robert faisoit un jour reproche de cela à madame de Chevreuse: «Vraiment, lui dit-elle, ce n'est pas la plus grande méchanceté que je vous aie faite; je vous ai fait contrefaire le comte d'Holland une fois que le roi d'Angleterre et lui étoient cachés derrière une tapisserie.» Or ce comte d'Holland disoit: _fou tistiquer_ pour _il faut distinguer_. Bois-Robert, bien établi chez le cardinal de Richelieu, se mit à servir tous ceux qu'il pouvoit, car il est officieux. Il avoit présenté au cardinal le panégyrique de Gombauld. Le cardinal le prit, le fit mettre auprès de son lit, et dit: «Je m'éveillerai cette nuit, et je me le ferai lire.» Ce n'étoit point le compte de Bois-Robert, et encore moins de Gombauld, qu'un garçon apothicaire, qui couchoit dans la chambre de Son Eminence, lût cette pièce. Bois-Robert se glisse tout doucement et la prend; le cardinal s'éveille, ne trouve point le panégyrique; il envoie voir si Bois-Robert étoit couché; on lui dit que non; Bois-Robert descend, lui avoue tout, et ajoute qu'exprès il ne s'étoit point couché: il lut les vers, qui plurent extrêmement au cardinal. En ce temps-là, je ne sais quel provincial dédia un livre à Bois-Robert, où il lui donnoit la qualité de _favori de campagne du cardinal de Richelieu_. M. d'Orléans (_Gaston_) appeloit Du Boulay, un de ses officiers, _b..... de campagne_, et feu Renaudot, le gazetier, donnoit le titre de _femme de campagne du duc de Lorraine_ à madame de Cantecroix. Bois-Robert témoigna en l'affaire de Mairet que je vais conter, non-seulement de la bonté, mais de la générosité: Mairet[171] lui avoit rendu de mauvais offices auprès de feu M. de Montmorency[172], et avoit bafoué ses pièces de théâtre; cependant, se voyant réduit à la nécessité, ou de mourir de faim, ou d'avoir recours à Bois-Robert, il va trouver M. Chapelain et M. Conrart, leur dit que M. le cardinal avoit répondu à madame d'Aiguillon et à M. le grand-maître, que Bois-Robert et lui feroient cela, et qu'ils n'en parlassent plus; qu'il reconnoissoit sa faute, et que s'ils vouloient parler pour lui à M. de Bois-Robert, il pouvoit les assurer qu'à l'avenir on auroit tout sujet d'être satisfait de son procédé; ils parlèrent à Bois-Robert, qui leur dit: «Je veux qu'il vous en ait l'obligation.» En effet, il dit au cardinal: «Monseigneur, quand ce ne seroit qu'à cause de la _Silvie_, toutes les dames vous béniront d'avoir fait du bien au pauvre Mairet.» Le cardinal lui donna deux cents écus de pension. Bois-Robert les porta à M. Conrart. Mairet l'en vint remercier, et se mit à genoux devant lui. Quand on fit l'Académie, Bois-Robert y mit bien des passe-volants[173]. On les appeloit _les enfans de la pitié de Boisrobert_. Par ce moyen, il leur fit donner pension. Il s'appelle, en je ne sais quelle épître imprimée, car son volume d'épîtres est ce qu'il a fait de meilleur, _Solliciteur des Muses affligées_. Il envoyoit souvent la pension à ces pauvres diables d'auteurs, et à loisir il se remboursoit. Il s'est brouillé bien des fois avec le cardinal pour avoir parlé trop hardiment pour le tiers et pour le quart; mais souvent il disoit au cardinal tout ce qu'il vouloit, quoique le cardinal ne le voulût pas. Il savoit son faible, et voyoit bien que Son Éminence aimoit à rire. M. le maréchal de Vitry, ayant été mis dans la Bastille, envoya prier Bois-Robert à dîner, lui fit grand'chère, et lui fit promettre de dire telle et telle chose au cardinal. Bois-Robert le soir entre dans la chambre de Son Éminence: «Ah! voilà _le Bois_, voilà _le Bois_,» dit le cardinal. (Il l'appeloit ainsi à cause que M. de Châteauneuf, pour obliger Bois-Robert à le servir auprès de certaines filles de sa connoissance, lui avoit scellé le don d'un certain droit sur le bois qui vient de Normandie, quoique cette affaire eût été rebutée cent fois.) «Eh bien! _le Bois_, quelles nouvelles?» car il le divertissoit à lui conter ce qu'il avoit appris. «Monseigneur, je vous dirai premièrement que j'ai fait aujourd'hui la plus grande chère du monde; vous ne devineriez pas où: à la Bastille, dans la chambre de M. de Vitry.--Oui! dit le cardinal.--Monseigneur, vous ne sauriez croire qu'il est devenu savant. Il m'a voulu prouver par des passages des Pères, que frapper un évêque n'étoit pas un crime.--Ah! _le Bois_, reprit le cardinal, vous êtes donc le censeur du Roi; le Roi a blâmé son action et veut qu'il en soit puni.» (Notez que M. de Bordeaux étoit alors mieux avec le cardinal qu'il n'a jamais été.) «Ah! vraiment, vous faites le petit ministre, je vous trouve bien insolent.--Vous avez raison, monseigneur, punissez-moi, ordonnez tout ce qu'il vous plaira contre moi, si je parle plus d'affaires d'État.» Et après, pour le tirer de ce discours: «Monseigneur, vous m'aviez donné une telle commission: cela a réussi comme vous souhaitiez.» Il lui en rendoit compte exactement. «Mais, monseigneur, on m'a chargé encore de vous dire...--Mais est-ce affaires d'État?--Non, ce n'est point affaires d'État; que le maréchal de Vitry donnera tant à sa fille en mariage, et que vous lui fassiez l'honneur de lui donner qui vous voudrez pour mari.--Tout beau, _le Bois_, dit le cardinal.--Monseigneur, disoit Bois-Robert pour rompre les chiens, vous m'avez fait l'honneur de me donner une telle commission, j'ai fait ceci et cela.» Il lui en disoit toutes les circonstances. «Attendez, monseigneur, j'ai encore eu charge de vous dire que M. de Vitry a un grand garçon bien fait, bien nourri, qu'il vous offre; ordonnez de lui comme vous voudrez.--Ah! _le Bois_.--Monseigneur, ma troisième commission étoit...» Il lui parloit de je ne sais quel ordre qu'il lui avoit donné. «Ce vilain, disoit le cardinal, me dira tout, sans que je m'en puisse fâcher.» Citois[174], médecin du cardinal, et Bois-Robert se servoient l'un l'autre; une fois à Rueil, Bois-Robert étoit mal avec le cardinal, pour quelque chose dont il l'avoit trop pressé. L'Eminentissime, las de l'entretien de quelqu'un qui l'avoit fort ennuyé, demanda à Citois: «Qui est là dedans?--Il n'y a, dit Citois, que le pauvre Bois-Robert; je l'ai trouvé tantôt dans le parc, qui alloit se jeter dans l'eau, si je ne l'en eusse empêché.--Faites-le venir,» dit le cardinal. Bois-Robert vient, et lui fait des contes. Ils furent meilleurs amis que jamais. Une fois il fit prendre au cardinal un page en dépit de lui. Le cardinal y étoit plus délicat que le Roi, et ne vouloit que des fils de comte et de marquis. Un président de Dijon y vouloit mettre son fils. Il en fait parler par Bois-Robert, et le cardinal le rebute. Bois-Robert ne laisse pas d'écrire qu'on envoyât ce garçon le plus brave qu'on pourroit. Il vient. Bois-Robert dit au cardinal: «Monseigneur, le page que vous m'avez promis de prendre est arrivé.--Moi!--Oui, monseigneur.--Je n'y ai pas songé.--Hé! monseigneur, parlez bas; il est là; s'il vous entendoit, vous le désespéreriez.--Moi! je vous l'ai promis?--Oui, monseigneur; ne vous souvient-il pas que ce fut un tel jour qu'un tel vint vous faire la révérence.» Enfin il fut contraint, par l'effronterie de Bois-Robert, de le prendre. En revanche, s'il a servi bien des gens, il a bien nui aussi à quelques-uns. Desmarets se plaint fort de lui, car il dit qu'en lisant au cardinal les remarques de Costar sur les odes de Godeau et de Chapelain, en un endroit où l'auteur comparoit avec les stances de ces messieurs dix ou douze vers d'une pièce au cardinal, qu'il louoit fort, Son Eminence ayant demandé de qui elle étoit, il dit de Marbeuf[175]; et elle étoit de Desmarets. Il craignoit Desmarets, que Bautru introduisoit chez le cardinal, et qui, ayant un esprit universel et plein d'instruction, étoit assez bien ce qu'il lui falloit. Mais il n'étoit pas propre pour faire rire, et Bois-Robert eût toujours eu son véritable emploi tout entier. Il fit bien pis une autre fois, car, par une malice de vieux courtisan, il s'avisa de dire au cardinal que ses gardes ne se contentoient pas d'entrer à la comédie sans payer, mais qu'ils y menoient encore des gens. «Oui! dit le cardinal, qui vouloit se faire aimer de ses gardes; on se plaint donc de mes gardes?» Bois-Robert se retire, et en passant par la salle des gardes, il leur dit que Desmarets avoit dit telle et telle chose contre eux. Depuis cela, les gardes poussoient le valet de Desmarets aux ballets et aux comédies mêmes qu'il avoit faites, et lui disoient que c'étoit à cause qu'il étoit à M. Desmarets. Desmarets s'en plaignit à Manse, lieutenant des gardes, qui leur en demanda la raison. On sut que c'étoit une calomnie de Bois-Robert. Pour divertir le cardinal et contenter en même temps l'envie qu'il avoit contre _le Cid_, il le fit jouer devant lui en ridicule par les laquais et les marmitons. Entre autres choses, en cet endroit où don Diègue dit à son fils: Rodrigue, as-tu du coeur? Rodrigue répondoit: Je n'ai que du carreau. On ne sauroit faire un conte plus plaisamment qu'il le fait; il n'y a pas un meilleur comédien au monde. Il est bien fait de sa personne. Il dit qu'une fois, par plaisir, le cardinal en particulier leur ordonna à lui et à Mondory[176] de pousser une passion, et que le cardinal trouva qu'il avoit mieux fait que le plus célèbre comédien qui ait peut-être été depuis Roscius. Il fut pourtant disgracié une fois pour long-temps, et il ne profita guère de son rétablissement. Voici comme j'en ouïs conter l'histoire: à une répétition, dans la petite salle, de la grande comédie que le cardinal fit jouer, Bois-Robert, à qui il avoit donné charge de ne convier que des comédiens, des comédiennes et des auteurs pour en juger, fit entrer la petite Saint-Amour, Frérolot, une mignonne, qui avoit été un temps de la troupe de Mondory. Comme on alloit commencer, voilà M. D'Orléans qui entre. On n'avoit osé lui refuser la porte; le cardinal enrageoit. Cette petite gourgandine ne se put tenir; elle lève sa coiffe, et fait tant que M. d'Orléans la voit. Quelques jours après, on joue la grande comédie. Bois-Robert et le chevalier Desroches avoient ordre de convier les dames; plusieurs femmes non conviées, et entre elles bien des _je ne sais qui_, entrèrent sous le nom de madame la marquise _celle-ci_, et madame la comtesse _celle-là_. Deux gentilshommes qui les recevoient à la porte, voyant que leur nom étoit sur le mémoire, et qu'elles étoient bien accompagnées, les livroient à deux autres qui les menoient au président Vigné et à M. de Chartres (Valençay, depuis archevêque de Reims, que Bois-Robert appeloit _le Maréchal-de-camp comique_), et ils avoient le soin de les placer[177]. Le Roi, qui étoit ravi de pincer le cardinal, ayant eu vent de cela, lui dit, en présence de M. d'Orléans: «Il y avoit bien du gibier l'autre jour à votre comédie.--Hé! Comment n'y en auroit-il point eu, dit M. d'Orléans, puisque, dans la petite salle où j'eus tant de peine à entrer moi-même, la petite Saint-Amour, qui est une des plus grandes gourgandines de Paris, y étoit.» Voilà le cardinal interdit; il enrageoit, et ne dit rien, sinon: «Voilà comme je suis-bien servi!» Au sortir de là: «Cavoye, dit-il à son capitaine des gardes, la petite Saint-Amour étoit l'autre jour à la répétition.--Monseigneur, elle n'est point entrée par la porte que je gardois.» Palevoisin, gentilhomme de Touraine, parent de l'évêque de Nantes, Beauveau, ennemi de Bois-Robert, dit sur l'heure au cardinal: «Monseigneur, elle est entrée par la porte où j'étois; mais c'est M. de Bois-Robert qui l'a fait entrer.» Bois-Robert, qui ne savoit rien de cela, trouva M. le chancelier qui dit: «M. le cardinal est fort en colère contre vous, ne vous présentez pas devant lui.» Au même temps le cardinal le fait appeler. Il n'y avoit que madame d'Aiguillon qui ne l'aimoit pas, et M. de Chavigny qui l'aimoit assez. Le cardinal lui dit d'un air renfrogné: «Bois-Robert (point _le Bois_), de quoi vous êtes-vous avisé de faire entrer une petite garce à la répétition l'autre jour?--Monseigneur, je ne la connois que pour comédienne, je ne l'ai jamais vue que sur le théâtre, où Votre Éminence l'avoit fait monter.» (Cependant il avoue que le matin elle l'avoit été prier de la faire entrer.) «Je ne sais pas d'ailleurs ce qu'elle est: fait-on information de vie et de moeurs pour être comédienne? je les tiens toutes garces, et ne crois pas qu'il y en ait jamais eu d'autres.--S'il n'y a que cela, dit le cardinal à sa nièce, je ne vois pas qu'il y ait de crime.» Bois-Robert pleura, fit toutes les protestations imaginables; mais le cardinal, à qui ce que le Roi avoit dit tenoit furieusement au coeur, lui dit: «Vous avez scandalisé le Roi, retirez-vous.» Voilà Bois-Robert au lit; toute la cour et tous les parents du cardinal le visitèrent. Le maréchal de Gramont y alla plusieurs fois, et à la dernière il lui dit: «Si vous pouviez vous taire, je vous dirois un secret; mais n'en parlez point: dimanche vous serez rétabli. M. le cardinal doit voir le Roi samedi, il vous justifiera.» Le dimanche venu, voilà l'abbé de Beaumont qui le vient trouver. Bois-Robert dit, dès qu'il le vit: «Me voilà rétabli.» Il ne fit pourtant semblant de rien. L'abbé s'approche en sanglotant, fait la grimace tout du long, car il ne l'aimoit pas: lui, Grave et Palevoisin étoient jaloux de Bois-Robert, peut-être aussi les avoit-il joués, et enfin il lui dit que le Roi n'avoit pas voulu écouter Son Éminence, et lui avoit dit: «Bois-Robert déshonore votre maison.» Bois-Robert eut donc ordre de se retirer à son abbaye (elle s'appelle Châtillon) ou à Rouen, où il étoit chanoine; il aima mieux aller à Rouen. Or ce désordre venoit de plus loin. M. le Grand, voulant perdre La Chesnaye, qui, comme je l'ai déjà dit, étoit l'espion du cardinal, s'adressa à Bois-Robert, et seul à seul, à Saint-Germain, lui dit qu'il avoit toujours fait cas de lui, et que M. le maréchal d'Effiat l'avoit toujours aimé; que jusqu'ici M. de Bois-Robert n'avoit volé que pour alouettes et pour moineaux, et qu'il le vouloit faire voler pour perdrix et pour faisans; qu'il lui falloit faire attraper quelque grosse pièce; qu'il étoit temps qu'il pensât à sa fortune, et qu'il le prioit de le servir. «La Chesnaye, ajouta-t-il, me trahit; il a eu une longue conférence avec M. le cardinal, dans le jardin, au sortir de laquelle Son Eminence m'a traité comme un écolier. Vous pouvez aisément me dire qui a introduit La Chesnaye auprès du cardinal, et qui sont ses amis dans la maison, je les veux tous perdre.» Ensuite il s'emporta un peu, et dit que le cardinal le maltraitoit, mais que par la mordieu..... et il s'arrêta sans rien dire davantage. Bois-Robert, voyant cela, eût bien voulu n'avoir point eu de conférence avec M. le Grand, et après lui avoir promis de savoir qui étoient les amis de La Chesnaye, s'en va chez madame de Lansac, gouvernante de M. le Dauphin, et lui demande conseil. Madame de Lansac est d'avis d'en avertir le cardinal; Bois-Robert dit qu'il ne le veut point, que ce n'est qu'une boutade de jeune homme, qu'il ne sauroit se résoudre à lui nuire. Depuis, M. le Grand cherchoit Bois-Robert partout, et Bois-Robert l'évitoit. Il se met dans l'esprit que Bois-Robert lui avoit fait un méchant tour. Il parle mal de lui au Roi, et se sert de tout ce qu'on avoit dit contre Bois-Robert. C'est à cause de cela que le Roi disoit que Bois-Robert déshonoroit la maison de son maître. Voilà principalement sur quoi le Roi se fondoit. Bois-Robert ayant découvert au cardinal que Saint-Georges, gouverneur du Pont-de-l'Arche, prenoit tant sur chaque bateau qui remontoit, et qu'on appeloit ces bateaux des _cardinaux_, Saint-Georges fut chassé, et pour se venger, il dit que Bois-Robert avoit vitupéré son fils, qui étoit page du cardinal. Palevoisin avoit fait pis, car il avoit dit la même chose devant quatorze personnes dans l'antichambre. Bois-Robert le sut, il prend le maréchal de Gramont. «Monsieur, lui dit-il, faisons venir le page.--Il est couché, dit-on.--Faisons-le lever.» Le page, qui ne savoit pas que son père eût fait cette calomnie, dit qu'il feroit démentir ou mourir tous ceux qui l'avoient dit; le maréchal de Gramont fit tant, que Bois-Robert se contenta que Palevoisin dît en pleine garde-robe que tous ceux qui disoient qu'il avoit dit telle et telle chose de M. de Bois-Robert, en avoient menti. Voilà d'où venoit la haine de Palevoisin contre lui. Bois-Robert étant à Rouen, le maréchal de Guiche, y allant comme lieutenant de roi de Normandie, demanda au cardinal s'il ne trouveroit point mauvais qu'il le vît. «Vous me ferez plaisir,» dit le cardinal. Bois-Robert traita magnifiquement le maréchal, et perdit après-dîner six-vingts pistoles contre lui, car il ne peut se tenir de jouer, et joue comme un enfant. Le cardinal fit ensuite le voyage de Perpignan, et comme il étoit malade à Narbonne, Citois lui dit: «Je ne sais plus que vous donner, si ce n'est trois dragmes de Bois-Robert après le repas.--Il n'est pas encore temps, monsieur Citois,» dit le cardinal. Après la mort de M. le Grand, tout le monde parla pour Bois-Robert. Le cardinal Mazarin lui écrivit: «Vous pouvez aller à Paris, si vous y avez des affaires.» Bois-Robert y vient, et en attendant Son Eminence il perd vingt-deux mille écus qu'il avoit en argent comptant. Le cardinal arrivé, le cardinal Mazarin écrit à Bois-Robert: «Venez me demander un tel jour, et fussé-je dans la chambre de Son Eminence, venez me trouver.» Bois-Robert y va. Le cardinal l'embrasse en sanglotant, car il aimoit ceux dont il croyoit être aimé[178]. Bois-Robert, qui voyoit pleurer son maître, ne put cette fois, contre sa coutume, trouver une larme. Il s'avise de faire le saisi, et le cardinal Mazarin, qui le vouloit servir, dit: «Voyez ce pauvre homme, il étouffe; il en est si saisi qu'il ne sauroit pleurer; quelquefois on est suffoqué pour moins que cela; un chirurgien, vite.» On saigne Bois-Robert, qui se portoit le mieux du monde; on lui a tiré trois grandes palettes de sang. Tous ses envieux le vinrent embrasser, mais le cardinal mourut dix-neuf jours après. Bois-Robert dit que c'est le seul bien que le cardinal Mazarin lui ait fait que de lui faire tirer ces trois palettes de sang. Après la mort du cardinal de Richelieu, Bois-Robert dit à madame d'Aiguillon qu'il n'auroit pas moins de zèle pour elle qu'il n'en avoit eu pour son oncle. Elle le remercia, et lui promit qu'il ne seroit pas long-temps sans recevoir des marques de l'affection qu'elle avoit pour lui, puisque son neveu avoit des abbayes dont dépendoient de bons prieurés. Bois-Robert eut plusieurs avis, mais les prieurés qu'il demandoit avoient toujours été donnés la veille. Il se douta qu'il y avoit de la fourberie, et, pour en être éclairci, il la fut trouver un jour avec une lettre par laquelle on lui donnoit avis que le prieuré de _Kermassonnet_ étoit vacant, et qu'il y étoit à la collation de l'abbé de Marmoustier. «Hé! mon pauvre monsieur de Bois-Robert, s'écria-t-elle, que je suis malheureuse! si vous fussiez venu deux heures plus tôt, vous l'auriez eu.--Je n'en serois pas mieux, madame, car vous pouvez disposer de ce prieuré-là comme de la lune.--Et pourquoi?--C'est qu'il n'y en a jamais eu de ce nom-là; je vous rends grâces de votre bonne volonté, me voilà convaincu plus que jamais de votre sincérité et de votre bonne foi.» Bois-Robert, quelques années après, eut un grand démêlé avec M. de La Vrillière, secrétaire d'Etat. Il avoit ôté de dessus l'état des pensions un frère de Bois-Robert nommé d'Ouville[179], qui y étoit comme ingénieur. Bois-Robert le fit prier par tout le monde de l'y remettre; ses amis lui dirent: «Nous l'avons un peu ébranlé, voyez-le.» Bois-Robert y va: La Vrillière le reçoit par un _mortdieu_. «Mortdieu! monsieur, vous vous passeriez bien de me faire accabler par tout le monde pour votre frère, pour un homme de nul mérite[180].» Bois-Robert, en contant cela, disoit: «Je le savois bien, il n'avoit que faire de me le dire, je n'allois pas là pour l'apprendre.» Ce qui fâchoit le plus Bois-Robert, c'est que cet homme lui avoit fait la cour autrefois: «Ah! monsieur, lui dit-il, je ne croyois pas que les ministres d'Etat jurassent comme vous faites. _Mortdieu_, il siéroit bien autant à un charretier qu'à vous. Allez, monsieur, mon frère sera mis sur l'état malgré vous et vos dents.» De ce pas il alla trouver le cardinal Mazarin, à qui il fit sa déclaration de ne prétendre rien de lui que cela, mais qu'il y alloit de son honneur. Le cardinal le lui promit. Cependant, dans son ressentiment, Bois-Robert fit une satire plaisante contre La Vrillière qu'il appelle Tirsis. Il y a en un endroit: Le Saint-Esprit, honteux d'être sur ses épaules, Pour trois sots comme lui s'envoleroit des Gaules. Il l'a dite à tout le monde; les uns en retinrent un endroit, les autres un autre; M. de La Vrillière le sut; M. de Chavigny avertit l'abbé que M. de La Vrillière devoit aller au Palais-Royal faire ses plaintes. Bois-Robert prend les devants avec le maréchal de Gramont; ils vont au cardinal qui ne se pouvoit tenir de rire: «Monseigneur, lui dit Bois-Robert, ce n'est point contre M. de La Vrillière que j'ai fait ces vers; j'ai lu _les Caractères_ de Théophraste, et à son imitation j'ai fait le caractère d'un ministre ridicule.--Vous voyez l'injustice, disoit le maréchal; le pauvre Bois-Robert, l'aller accuser de cela!» On lui fait réciter les vers tout du long; La Vrillière vient. «Monseigneur, il m'a vitupéré, il m'a jeté une bouteille d'encre sur le visage.--Monsieur de La Vrillière, ce n'est pas vous, disoit le cardinal, ce sont des _Caractères de_ Théophraste.» Cependant il ne remettoit point le sieur d'Ouville sur l'état; le cardinal enfin l'y fit remettre, car Bois-Robert l'attendoit tous les jours dans sa garde-robe. «Monseigneur, lui disoit-il, M. de La Vrillière dit qu'il ne le fera pas, quand la Reine le lui commanderoit; il faut donc qu'il monte sur le trône après cela.» Durant ce désordre, feu M. d'Emery, par malice, fit dîner Bois-Robert chez lui vis-à-vis de La Vrillière, et guignoit, pour voir la grimace de son gendre. Penon, commis de La Vrillière, étoit lent à la délivrance du brevet. Bois-Robert lui montre quatre pistoles: aussitôt le brevet vint. Dès qu'il l'eut, Bois-Robert empoche ses quatre pistoles. «Ah! monsieur, dit-il à Penon, je pense que je suis ivre; à vous de l'argent! je vous demande pardon, je ne songeois pas à ce que je faisois.»--«Enfin, dit Bois-Robert au cardinal, à qui il en faisoit le conte, mon impudence fut plus forte que la sienne.» D'Ouville fut payé durant trois ans de ses appointemens. Après cela La Vrillière voulut l'ôter de dessus l'état. Bois-Robert eut l'insolence de lui mander qu'il feroit imprimer la satire. L'autre n'osa. «Ce n'est qu'un coquin, disoit Bois-Robert, il devoit me faire assommer de coups de bâton.» Il est vrai qu'un de mes étonnements, c'est que l'archevêque de Bordeaux[181] ait été battu deux fois, et Bois-Robert pas une. Une fois que Bois-Robert alla au Petit-Luxembourg voir M. de Richelieu, madame Sauvay, femme de l'intendant de madame d'Aiguillon, lui dit, dès qu'elle le vit: «Ah! vraiment, monsieur de Bois-Robert, j'ai des réprimandes à vous faire.» Bois-Robert, pour se moquer d'elle, se mit incontinent à genoux. «Vous passez partout, lui dit-elle, pour un impie, pour un athée.--Ah! madame, il ne faut pas croire tout ce qu'on dit: on m'a bien dit, à moi, que vous étiez la plus grande garce du monde.--Ah! monsieur, dit-elle en l'interrompant, que dites-vous là!--Madame, ajouta-t-il, je vous proteste que je n'en ai rien cru.» Toute la maison fut ravie de voir cette insolente mortifiée. Une fois mademoiselle Melson, fille d'esprit, le déferra. Il lui contoit qu'il avoit peur qu'un de ses laquais ne fût pendu. «Voire, lui dit-elle, les laquais de Bois-Robert ne sont pas faits pour la potence; ils n'ont que le feu à craindre[182].» Pour montrer combien il se cachoit peu de ses petites complexions, il disoit que Ninon lui écrivoit parlant du bon traitement que lui faisoient Les Madelonnettes où les dévots la firent mettre: «Je pense qu'à votre imitation je commencerai à aimer mon sexe.» Il appeloit Ninon _sa divine_. Une fois il vint la voir tout hors de lui. «_Ma divine_, lui dit-il, je vais me mettre au noviciat des Jésuites; je ne sais plus que ce moyen-là de faire taire la calomnie. J'y veux demeurer trois semaines, au bout desquelles je sortirai sans qu'on le sache, et on m'y croira encore. Tout ce qui me fâche, c'est que ces b...... là me donneront de la viande lardée de lard rance, et pour tous petits pieds quelques lapins de grenier. Je ne m'y saurois résoudre.» Il revint le lendemain. «J'y ai pensé, c'est assez de trois jours, cela fera le même effet.» Le voilà encore le lendemain. «_Ma divine_, j'ai trouvé plus à propos d'aller aux Jésuites, je les ai assemblés, je leur ai fait mon apologie, nous sommes le mieux du monde ensemble; je leur plais fort, et en sortant un petit frère m'a tiré par ma robe et m'a dit: «Monsieur, venez-nous voir quelquefois, il n'y a personne qui réjouisse tant les Pères que vous.» A une représentation d'une de ses pièces de théâtre, les comédiens dirent un méchant mot qui n'y étoit pas: «Ah! s'écria-t-il de la loge où il étoit, les marauds me feront chasser de l'Académie.» Bois-Robert, toujours bon courtisan, s'avisa de faire des vers contre les Frondeurs; il n'y eut jamais un homme plus lâche. Le coadjuteur[183] le sut, et la première fois qu'il vint dîner chez lui: «Monsieur de Bois-Robert, lui dit-il, vous me les direz bien.» Bois-Robert crache, il se mouche, et sans faire semblant de rien, il s'approche de la fenêtre, et ayant regardé en bas, il dit au coadjuteur: «Ma foi, monsieur, je n'en ferai rien, votre fenêtre est trop haute.» L'abbé de La Victoire dit que la prêtrise en la personne de Bois-Robert est comme la farine aux bouffons, que cela sert à le faire trouver plus plaisant. Bois-Robert, en ce temps-là, s'abandonna de telle sorte à faire des contes comme celui des trois Racans[184], qu'on disoit, comme des marionnettes: Je vous _donnerai_ Bois-Robert. De quelques-uns de ces contes-là, il voulut faire une comédie qu'il appeloit _le Père avaricieux_. En quelques endroits, c'étoit le feu président de Bercy et son fils, qui a été autrefois débauché, et qui maintenant est plus avare que son père. Il feignoit qu'une femme, qui avoit une belle-fille, sous prétexte de plaider, attrapoit la jeunesse; là entroit la rencontre du président de Bercy chez un notaire, avec son fils qui cherchoit de l'argent à gros intérêts. Le père lui cria: «Ah! débauché, c'est-toi?--Ah! vieux usurier, c'est vous,» dit le fils. Il y avoit mis aussi la conversation de Ninon et de madame Paget à un sermon, où cette dame, qui ne la connoissoit pas, se plaignit à elle que Bois-Robert vouloir quitter son quartier pour aller au faubourg Saint-Germain, pour une je ne sais qui de Ninon, et Ninon lui répondit: «Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit, madame, on en pourroit dire autant de vous et de moi[185].» Bois-Robert, étourdi à son ordinaire, alla dire en plusieurs lieux que c'étoit le président de Bercy dont il avoit voulu parler. Bercy, qui est un brutal, alla prendre cela de travers, au lieu d'en rire. Madame Paget fit aussi la sotte à son exemple. Bois-Robert disoit: «Je ferai signifier à cet homme que j'ai un neveu qui tue les gens[186], car, pour l'autre, il est renégat, et sera grand-visir un de ces matins.» Le Roi vouloit que la pièce se jouât, et Bois-Robert le vouloit prier de le lui commander en présence du président. Cependant il n'osa la faire jouer. Je pense que M. de Matignon, beau-frère de Bercy, l'en pria; on lui fit sentir que ce dernier ne le trouveroit nullement bon. Le Roi voulut savoir pourquoi la pièce ne se jouoit point; Bois-Robert dit que le président de Bercy, qui avoit livré tant de combats contre la Fronde, s'en trouveroit offensé, et ainsi il lui fit faire sa cour en son absence. Bercy en remercia Bois-Robert[187]. Ses neveux, dont nous venons de parler, n'étoient pas fils de d'Ouville. Il avoit donné ce dernier au comte Du Dognon, gouverneur de Brouage. Cet homme faisoit et écrivoit en beaux caractères une comédie en treize jours. Bois-Robert la raccommodoit un peu, et en tiroit ce qu'il pouvoit des comédiens, et on disoit qu'il ne donnoit pas tout à son frère. D'Ouville savoit la géographie le plus exactement du monde, et avoit une mémoire prodigieuse. Il s'étoit marié autrefois en Espagne. Bois-Robert fit rompre le mariage. Tous ces beaux messieurs faisoient dire à Bois-Robert, dans une Epître à M. le chancelier, qui a été depuis imprimée[188]: Melchisédech étoit un heureux homme, Car il n'avoit ni frères ni neveux. Il y a trois ans qu'il mena d'Ouville au Mans pour y vivre avec un de ses frères qui est chanoine, car le maréchal Foucault, autrefois comte Du Dognon, au lieu de le récompenser de sept ans de service, lui avoit pris un cadran de trois cents livres, et à la foire Saint-Germain il lui emprunta, pour acheter des bagatelles à sa fille, les derniers deux écus blancs qu'il avoit. Ce pauvre d'Ouville est mort depuis deux ans. Il a fait je ne sais combien de volumes de contes, intitulés: _les Contes de d'Ouville_[189]. Il arrivoit toujours des aventures à Bois-Robert pour ses comédies. Dans l'une, il avoit mis une comtesse _d'Ortie_, croyant qu'il n'y avoit personne de ce nom-là. Cependant un beau matin il voit entrer chez lui un brave qui lui dit avec un accent gascon: «Monsieur, je me nomme d'Ortie.» Cela étonna Bois-Robert: «Vous avez mis une comtesse d'Ortie dans votre pièce.--Monsieur, dit l'abbé, je ne l'ai pas fait pour vous offenser.--Tant s'en faut, dit l'autre, que je vous en veuille mal, qu'au contraire je vous en suis obligé; vous m'avez fait faire ma cour toutes les fois qu'on a joué votre pièce; le Roi m'a fait appeler, et il connoît bien plus mon visage qu'il faisoit.» C'étoit un lieutenant aux gardes; il est à cette heure capitaine. Bois-Robert a dit depuis: «Si j'eusse cru cela, j'eusse mis la marquise _de la Ronce_.» On lui dit: «Il y a une marquise de la Ronce, c'eût été bien pis.» Sa _Cassandre_ est la meilleure pièce de théâtre qu'il ait faite. Bois-Robert, malade d'une vieille maladie dont il ne guérira jamais, malade de la lâcheté de la cour, a fait cent bassesses au cardinal, et puis en a médit. Il va toujours chez la Reine; or la Reine a un huissier nommé La Volière, qui est le plus capricieux animal qui soit au monde. Il lui prit une aversion pour le pauvre abbé. Un jour qu'il lui avoit refusé la porte: «J'y entrerai en dépit de vous,» lui dit-il. En effet, il vint de grands seigneurs à qui Bois-Robert dit: «Prenez-moi par la main.» Il entre, puis en sortant: «Nargue, dit-il, monsieur de La Volière.» Bois-Robert fit une malice à M. de Courtin, qui avoit épousé une nièce de Picard, trésorier des parties casuelles, fils de ce cordonnier Picard à qui les gens du maréchal d'Ancre firent insulte, ce qui commença à mettre le peuple en fureur. Bois-Robert dînoit chez Picard fort souvent. Courtin le pria, s'il connoissoit Loret[190], celui qui fait la _Gazette_ en vers imprimée, de lui dire que s'il vouloit mettre les louanges de M. Picard, il lui donneroit ce qu'il voudroit. Bois-Robert dit: «Donnez-moi vingt écus.--Voilà cinquante livres, dit Courtin; s'il fait bien j'y ajouterai une pistole.» Loret met Picard tout de son long. La cour en rit fort. Picard irrité, lui qui a une nièce mariée au marquis de La Luzerne, fait menacer Bois-Robert de coups de bâton. Bois-Robert en faisoit partout le conte; mais il oublioit les coups de bâton. Il faut souvent revenir aux pièces de théâtre, parce qu'il en a fait beaucoup. Scarron, le frère de Corneille et lui avoient imité tous trois de l'espagnol une pièce qu'on appelle _l'Écolier de Salamanque_. Celle de Corneille n'étoit pas si avancée; mais les deux autres étoient achevées. Les comédiens vouloient jouer celle de Scarron la première. Madame de Brancas, à qui Bois-Robert le dit, pria le prince d'Harcourt de leur en parler: les comédiens lui ont bien de l'obligation, car il les fait jouer souvent en ville. Le prince menaça les comédiens de coups de bâton, s'ils faisoient cet affront à l'abbé, qui, contant cette aventure, disoit: «Ma foi, le prince d'Harcourt a pris cela héroï-comiquement[191].» Une fois le prince de Conti, comme on jouoit une pièce de Bois-Robert, lui dit de la loge où il étoit: «Monsieur de Bois-Robert, la méchante pièce!» Bois-Robert, qui étoit sur le théâtre, se mit à crier bien plus fort: «Monseigneur, vous me confondez de me louer comme cela en ma présence.» En ce temps-là, les dévots de la cour rendirent de mauvais offices à Bois-Robert, et le firent exiler comme un homme qui mangeoit de la viande le carême, qui n'avoit point de religion, qui juroit horriblement quand il jouoit; et cela est vrai. Au retour, il ne put s'empêcher de dire que madame Mancini, qui avoit fait sa paix, ne l'avoit fait revenir que pour être payée de quarante pistoles qu'il lui devoit du jeu. On l'obligea depuis à dire la messe quelquefois. Madame Cornuel, à la messe de minuit, comme ce vint à dire _Dominus vobiscum_, voyant que c'étoit Bois-Robert, dit à quelqu'un: «Voilà toute ma dévotion évanouie.» Le lendemain, comme on la vouloit mener au sermon: «Je n'y veux pas aller, dit-elle; après avoir trouvé Bois-Robert disant la messe, je trouverai sans doute Trivelin en chaire. Je crois même, ajouta-t-elle, que sa chasuble étoit faite d'une jupe de Ninon.» Ayant su cela, il fit un sonnet contre madame Cornuel, où il jouoit sur le mot de _Cornuel_. Elle se repentit d'avoir parlé. On les raccommoda. En un an il eut huit querelles, et fit huit réconciliations: il n'a point de fiel. M. Chapelain disoit: «Autrefois je tremblois pour lui, mais à cette heure, après l'avoir vu sortir de tant de mauvais pas, je n'ai plus peur de rien.» Comme on parloit un jour de généalogies fabuleuses, il dit: «Pour moi, j'ai envie de me faire descendre de Metellus, puisque je m'appelle Metel.--Ce ne sera donc pas, lui dit-on, de _Metellus Pius_ que vous descendrez.» Il fit une satire contre d'Olonne-Sablé, Bois-Dauphin[192], et Saint-Évremont, que l'on appeloit _les Coteaux_. Cela vient de ce qu'un jour M. Du Mans (Larvadin), qui tient table, se plaignit fort de la délicatesse de ces trois messieurs, et dit qu'en France il n'y avoit pas quatre coteaux dont ils approuvassent le vin. Le nom de _Coteaux_ leur demeura, et même on nomme ainsi ceux qui sont trop délicats, et qui se piquent de raffiner en bonne chère. Il y avoit de plaisantes choses dans cette pièce, entre autres, que pour les beautés, ils consentoient qu'elles fussent journalières, mais point les cuisiniers. Il en mordoit deux assez fort, c'est-à-dire Sablé et Saint-Évremont, comme des gens qui ne trouvoient rien de bon, et qui de leur vie n'avoient donné un verre d'eau à personne. Avec le temps, ils le cajolèrent, et lui firent jeter sa pièce dans le feu. J'oubliois de dire que la principale maxime des _Coteaux_, c'est de ne manger jamais de cochon de lait[193]. Voici encore quelques-uns de ses démêlés. Costar, dans _la Suite de la Défense de Voiture_, alla mettre étourdiment, en parlant de la lettre du _Valentin_[194], de laquelle Girac a dit qu'elle sentoit le méchant comédien, qu'il y avoit des comédiens de ruelle, témoin cet abbé que nous estimons, etc., qu'on appelle _l'abbé Mondory_. Bois-Robert alla relever cela à son ordinaire, c'est-à-dire follement, car cela étoit su de fort peu de gens, et il l'a fait savoir à tout le monde, écrivant une grande lettre contre Costar, qui n'avoit pas eu dessein de l'offenser. Voici le conte: Un jour Bois-Robert entendoit la messe aux Minimes de la Place-Royale avec l'abbé de La Victoire. Il y avoit des jeunes gens de la cour qui causoient; un religieux leur en alla faire réprimande, mais il prit fort mal son temps; Bois-Robert lui en dit son avis. Avec ce religieux il y avoit un jeune ecclésiastique qui demanda à l'abbé de La Victoire qui étoit cet honnête homme-là qui avoit parlé si sagement au bon Père: «C'est _l'abbé Mondory_, dit l'abbé de La Victoire; il prêche tantôt au _Petit-Bourbon_.» (Il y a une chapelle à Bourbon, et aussi des comédiens italiens[195].) Bois-Robert s'appeloit lui-même le _Trivelin de robe longue_. Bois-Robert avoit fait ce conte à Costar, en passant au Mans: Costar lui a répondu fort doucement et l'a apaisé. Bois-Robert faisoit un conte de M. de Beuvron et de son frère Croisy. Il disoit qu'un jour, à la campagne, il vint une pluie qui dura cinq heures. C'étoit au mois d'avril. Ils se promenèrent durant tout ce temps dans une salle, sans dire autre chose l'un à l'autre: «Mon frère, que de foin! mon frère, que d'avoine!» Quoique les enfants de Beuvron aient plus d'esprit que leur père, on ne laisse pas quelquefois de leur dire: «Mon frère, que de foin! mon frère, que d'avoine!» Et ils en enragent un peu. Il n'est pas à se repentir d'avoir vendu une maison qu'il avoit fait bâtir à la porte de Richelieu, à Villarceaux, à condition d'y avoir son logement sa vie durant. Ce n'est pas le seul fou marché qu'il ait fait. Avec le bien qu'il a, car il en a assez pour toujours aller en carrosse, quoiqu'il en ait bien perdu, il s'amuse à faire encore des comédies, et pourvu qu'elles plaisent aux comédiens et aux libraires, il ne se soucie point du reste. Il s'est amusé à cajoler une _librairesse_ pour tirer cent livres de quatre Nouvelles espagnoles qu'il a mises en mauvais françois. Le comte d'Estrées, le deuxième fils du maréchal, voyant que Bois-Robert parloit de ces Nouvelles comme de quelque belle chose, s'avisa plaisamment de lui écrire une grande lettre où il l'avertit, sans se nommer, de tout ce qu'on y trouve à redire. Bois-Robert crut que c'étoit Saint-Évremont, auteur de la comédie de _l'Académie_, et répondit d'une façon fort aigre. Saint-Évremont riposte qu'il ne vouloit point de brouillerie avec lui: «Non pas à cause, lui dit-il, que vous faites d'assez méchantes pièces de théâtre et d'assez méchantes nouvelles, mais à cause de cette inconsidération perpétuelle dont Dieu vous a doué, et qui fait dire à l'abbé de La Victoire qu'il vous faut juger sur le pied de huit ans. Depuis Bois-Robert découvrit la vérité, et on les raccommoda, le comte et lui. «Il a bien fait, dit Bois-Robert, sans cela je l'eusse honni.» Dernièrement il disoit en riant, du Palais, à un jeune conseiller: «Je suis ravi quand je vois la France si bien conseillée.» Le jeune homme ne se déferra point, et dit du même ton: «Je suis ravi quand je vois l'Eglise si bien servie.» En 1659, quand le Roi alla à Lyon, Bois-Robert prêta généreusement trois cents pistoles au marquis de Richelieu, qui n'avoit pas un teston pour faire le voyage. Contre son attente, il en fut ensuite payé. Le grand-maître, sachant qu'il avoit donné cet argent, se moqua de lui. «Je fais, lui répondit Bois-Robert, ce que vous devriez faire; pour moi, je me souviendrai toujours qu'il est le neveu du cardinal de Richelieu.» Il fit imprimer, au printemps de 1659, deux volumes d'Epîtres[196]. Ily mit celle qu'il fit contre M. Servien, disant: «Pourquoi est-il mort le premier?» Il le dit à M. le Chancelier: «Allez, allez, monsieur, vous y prendrez plaisir, elle vous divertira.» Un certain.........[197], qu'il traite de faussaire, alla dire à M. Servien que Bois-Robert, à la table du garde-des-sceaux Molé, avoit dit le diable de lui. Il s'en justifia, et M. de Lyonne fit sa paix. On voit tout cela dans ses Epîtres, et comme Servien l'amusa de belles promesses. Depuis leur raccommodement, il avoit prié M. Servien d'une affaire. M. Servien lui montra son _Agenda_ quelques jours après. «Tenez, lui dit-il, je m'en souviens bien, vous êtes le premier sur mon _Agenda_.--Oui, répondit l'abbé, mais j'ai bien peur d'en sortir le dernier.» En 1661, dans le temps de la mort du cardinal Mazarin, un homme de Nancy s'adressa, au Palais, aux diseurs de nouvelles, et leur dit: «Je vous prie, messieurs, dites-moi si ce qu'on nous a mandé à Nancy est véritable, que Bois-Robert s'étoit fait turc, et que le grand-seigneur lui avoit donné de grands revenus avec de beaux petits garçons pour se réjouir, et que, de là, il avoit écrit aux libertins de la cour: «Vous autres, messieurs, vous vous amusez à renier Dieu cent fois le jour; je suis plus fin que vous: je ne l'ai renié qu'une, et je m'en trouve fort bien.» Bois-Robert a acheté une maison aux champs, et la Providence a voulu que ce fût une maison qui s'appelle Villeloison. Il dit, lui, que c'est pour la substituer à ses neveux, qui sont de vrais oisons; mais, sur ma foi, elle ne convient pas mal à leur oncle. Il mourut un an ou deux après cette belle acquisition. Il avoit vendu son abbaye de Châtillon à Lenet, de chez M. le Prince. Il avoit fricassé presque tout, hors cette acquisition dont on vient de parler, et un billet de douze mille livres sur un homme d'affaires. Il jouoit un jour chez Paget, maître-des-requêtes; il perdoit, et dans l'emportement pour se faire tenir jeu, il dit: «Ne craignez pas que je vous fasse banqueroute, voilà un billet de quatre mille écus qui ne doit rien à personne.» Paget le prit, et au lieu, il lui donna un placet que l'autre serra. En se couchant, Bois-Robert reconnoît sa bévue, il envoie chez l'homme d'affaires donner les avis qu'il étoit expédient de donner, et, en pantalon de ratine, il va faire un bruit de diable chez Paget, qui lui rendit son billet, mais ne le voulut voir depuis. Madame de Châtillon, sa voisine, fut la première qui le porta à faire une fin bien chrétienne. Il disoit aux assistans: «Oubliez Bois-Robert vivant, et ne considérez que Bois-Robert mourant.» Comme son confesseur lui disoit que Dieu avoit pardonné à de plus grands coupables que lui: «Oui, mon père, il y en a de plus grands. L'abbé de Villarceaux, mon hôte (il lui en vouloit, parce qu'il avoit perdu son argent contre lui), est sans doute plus grand pécheur que moi, cependant je ne désespère pas que Dieu ne lui fasse miséricorde.» Madame de Thoré lui disoit: «Monsieur l'abbé, la contrition est une vertu..., etc., etc. Eh! madame, je vous la souhaite de tout mon coeur.» Il fut avare jusqu'à la fin, et vouloit que son neveu s'habillât d'un habit qu'il laissoit, au lieu de le donner à un pauvre valet-de-chambre qu'il avoit. Il disoit: «Je me contenterois d'être aussi bien avec Notre-Seigneur, que j'ai été avec le cardinal de Richelieu.» Comme il tenoit le crucifix, et qu'il demandoit pardon à Dieu: «Ah! se dit-il, au diable soit ce vilain potage que j'ai mangé chez d'Olonne; il y avoit de l'ognon, c'est ce qui m'a fait mal.» Et puis il reprenoit: «Le cardinal de Richelieu m'a gâté; il ne valoit rien, c'est lui qui m'a perverti.» [162] François Metel de Bois-Robert, né à Caen vers 1592, mort le 30 mars 1662. [163] Dans une épître il fait son père avocat. (T.) [164] Il fut aussi à la Reine-mère, et comme elle étoit à Blois, il eut ordre de traduire le _Pastor Fido_. L'intention de la Reine étoit de faire semblant de s'amuser à faire jouer des comédies, pour empêcher M. de Luynes d'avoir du soupçon d'elle. Mais Bois-Robert ayant demandé six mois, on lui dit: «Vous n'êtes pas notre fait.» A propos de la Reine-mère, Verderonne dit un jour à Bois-Robert: «J'ai été page de la Reine-mère.--Hé quoi! lui dit Bois-Robert, se peut-il que vous ayez été page de la Reine-mère, et que je ne vous aie point connu?» Comme vous verrez, on l'a accusé d'aimer les pages. (T.) [165] Bois-Robert disoit qu'ayant demandé les _Pères_ à M. de Candale, il lui répondit: «Je vous donne le mien de bon coeur.» (T.) [166] _La vraie Histoire comique de Francion, composée par Nicolas de Moulinet, sieur du Parc, gentilhomme lorrain._ Ce roman de Sorel a eu beaucoup d'éditions; la naïveté du style le fait encore rechercher. [167] Louise de Prie, demoiselle de Toucy, épousa, le 21 novembre 1650, le maréchal de La Mothe Houdancourt, qu'elle perdit en 1657. Elle a été depuis gouvernante du Dauphin, fils de Louis XIV. [168] Il avoit cependant adressé une _Requête à MM. du Chapitre de Rouen en faveur de mademoiselle de Toucy, étourdie par le voisinage des cloches de leur église_, qui se trouve dans un des volumes de ses _Épitres en vers_ (Paris, 1659, in-8º, p. 59); mais le Chapitre demeura insensible à ses vers, ou du moins à sa requête. [169] Ce pavillon, construit en briques et en pierres de taille, dans le style de la Place-royale, est placé à l'entrée de Charenton du côté de Paris. On croit qu'il a été bâti pour Gabrielle d'Estrées. [170] Henriette-Marie de France épousa en 1625 le prince de Galles, depuis Charles Ier. [171] Jean Mairet, auteur de la _Sophonisbe_, première tragédie conforme à la règle des trois unités qui ait paru sur le Théâtre-François. Jouée en 1629, elle fait encore partie du Répertoire du Théâtre François. [172] Mairet, attaché au duc de Montmorency, comme l'un de ses gentilshommes, recevoit à ce titre quinze cents livres de pension qu'il perdit à la catastrophe du duc. [173] On appeloit _passe-volants_ de faux soldats non enrôlés qu'un capitaine faisoit passer aux revues pour montrer que sa compagnie étoit complète. (_Dict. de Trévoux._) [174] François Citois mourut en 1652. On a de lui divers ouvrages de médecine. [175] Il y a des vers d'un homme de ce nom là au cardinal, mais qui ne sont guère bons. (T.)--Il existe un _Recueil des vers de M. de Marbeuf, chevalier, sieur de Sahurs_; David du Petit-Val, 1628, in-8º. On n'y trouve pas les vers au cardinal; mais le volume a été publié peu d'années après l'arrivée de l'évêque de Luçon au ministère. [176] Mondory étoit le premier comédien du Théâtre du Marais. S'il en faut croire Tristan dans la Préface de sa tragédie de _Penthée_, «Jamais homme ne parut avec plus d'honneur sur la scène; il s'y fait voir tout plein de la grandeur des passions qu'il représente, et comme il est préoccupé lui-même, il imprime fortement dans les esprits tous les sentiments qu'il exprime.» L'abbé de Marville lui rend le même témoignage. Mondory fut frappé de paralysie en 1637 en jouant le rôle d'Hérode dans la _Marianne_ de Tristan; et il fut obligé de renoncer au théâtre. Bois-Robert jouoit si bien qu'on l'appeloit _l'abbé Mondory_. [177] Le cardinal employoit des prêtres et des évêques à placer à la comédie. Depuis le cardinal donna des billets. (T.)--_Voir_ ci-après, dans l'_Historiette_ de Léonor d'Estampes Valençay, une note à ce sujet. [178] Ce fut par cette raison qu'il fit la fortune du comte de Charost (Béthune); car dans le commencement il ne le pouvoit souffrir, et disoit: «Que ferai-je de ce grand Béthune?» Il ne servoit qu'à marcher sur ses crachats. (T.)--_Voir_ précédemment, pag. 109, ce qui amena ce retour. [179] Antoine Metel, sieur d'Ouville. [180] La Vrillière est fort brutal. (T.) [181] Le cardinal de Sourdis reçut des coups de canne du duc d'Épernon et du maréchal de Vitry. (_Voyez_ plus haut son _Historiette_.) [182] Le portier de Bautru donna une fois des coups de pied au cul du laquais de Bois-Robert. Voilà l'abbé dans une fureur épouvantable. «Il a raison, disoient les gens, cela est bien plus offensant pour lui que pour un autre. Aux laquais de Bois-Robert le c.. tient lieu de visage: c'est la partie noble de ces messieurs-là.» [183] Depuis cardinal de Retz. [184] _Voyez_ p. 129 et suiv. Du reste, l'histoire peut être arrangée, mais ce n'est pas un _conte_. «J'ai vu jouer cette scène ici par Bois-Robert en présence du marquis de Racan, et quand on lui demandoit si cela étoit vrai. «_Oui-dà_, disoit-il, _il en est quelque chose_.» (_Ménagiana_, t. 2, p. 54.) [185] On retrouve la même anecdote avec quelques différences dans l'article de _Ninon_. [186] Il adressa une _Épître_, dont Tallemant cite du reste deux vers un peu plus loin, au chancelier, _pour lui demander une abolition pour ses neveux qui ont tué un homme_. Voici les arguments singulièrement modestes par lesquels il prouve leur innocence: ...J'aurois lieu de les désavouer, Quand par leur coeur on me les vient louer. Je me sens bien, et je ne puis m'en taire, Je suis poltron, et je connois mon frère, Et l'on me berne avec un ton moqueur, Quand on me dit: Vos neveux ont du coeur. [187] Molière a emprunté à Bois-Robert la scène de l'_Avare_ et de son fils (deuxième scène du deuxième acte). La pièce de Bois-Robert, que les frères Parfait, dans leur _Dictionnaire des théâtres_, supposent avoir été représentée en 1654, fut imprimée en 1655, sous le titre de _la Belle Plaideuse_. On ignoroit jusqu'à présent que le président de Bercy et son fils fussent les originaux que Molière se trouvoit avoir transportés par son emprunt sur la scène, et livrés à la risée publique. [188] _Épîtres en vers et autres OEuvres poétiques de M. de Bois-Robert-Metel_; Paris, 1659, in-8º, p. 7. [189] Ses Contes sont en prose, et assez médiocres; ils ont été publiés en 2 vol. in-12, en 1669, et réimprimés en 1732. [190] Jean Loret (né au commencement du XVIIº siècle, mort dans les premiers mois de 1665) publioit toutes les semaines des feuilles en vers, dont la réunion forme _la Muse historique, ou Recueil de Lettres en vers, contenant les nouvelles du temps écrites à madame la duchesse de Longueville_, depuis le 4 mai 1650 jusqu'au 28 mars 1665, 3 tomes in-folio. [191] Ménage dit (_Ménagiana_, tom. 2, pag. 174): «Scarron donne quelque part en ses ouvrages un coup de dent à M. Bois-Robert. Je ne sais point ce qui les avoit mis mal ensemble.» Tallemant le fait ici connoître. [192] Guy de Laval, dit _le marquis de Laval_, second fils du marquis de Sablé, seigneur de Bois-Dauphin. [193] Le récit de Tallemant est conforme à celui de Saint-Évremont. M. de Saint-Surin, dans son Commentaire sur Despréaux, cite les divers personnages auxquels cette anecdote a été attribuée. Voici les vers de Despréaux (troisième satire): Surtout certain hableur, à la gueule affamée, Qui vint à ce festin conduit par la fumée, Et qui s'est dit profès dans l'_ordre des côteaux_, A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux. [194] _Voyez_ la Lettre quatre-vingt-quinzième de Voiture. Cette lettre, écrite de Gênes le 7 octobre 1638, est adressée à la marquise de Rambouillet. Le Valentin est un château situé auprès de Turin. La lettre de Voiture n'a rien de remarquable, et l'on partageroit volontiers l'avis de Girac. [195] Le _Petit-Bourbon_ étoit anciennement l'hôtel du connétable. Il étoit situé près du Louvre, et couvroit une partie des terrains sur lesquels on a élevé la colonnade du Louvre. Ce bel hôtel, confisqué en 1523 sur le connétable, fut démoli pour la plus grande partie en 1527. On conserva seulement la chapelle et la galerie. Cette dernière, qui étoit très-vaste, servit aux spectacles de la cour sous Henri IV, Louis XIII et la minorité de Louis XIV. Les États de 1614 se réunirent dans cette galerie. (_Recherches sur Paris_, par Jaillot, _quartier du Louvre_, pag. 12.) [196] Il n'a paru en 1659 qu'un volume des _Épîtres en vers et autres OEuvres poétiques de M. de Bois-Robert Metel_; Paris, in-8º. Le premier avoit paru en 1647, in-4º. [197] Ce nom est en blanc dans le manuscrit de Tallemant, et le coupable n'est pas nommé non plus dans l'Épître adressée à cette occasion par Bois-Robert _à M. le comte de Saint-Aignan, premier gentilhomme de la chambre_. (Vol. de 1659, p. 153.) FEU M. LE PRINCE, HENRI DE BOURBON[198]. Feu M. le Prince a eu une jeunesse assez obscure et assez malheureuse. Nous avons parlé ailleurs de sa fuite en Flandre, de son retour et de sa prison[199]. Ses exploits, qui sont petits[200], se voient dans les _Mémoires_ de M. de Rohan et ailleurs. En une débauche, il passa tout nu à cheval par les rues de Sens, en plein midi, avec je ne sais combien d'autres tout nus aussi. On a une lettre de M. de Rohan où ce seigneur lui reproche sa sodomie en ces termes: «Au moins n'ai-je rien fait qui me fasse appréhender le feu du ciel.» De tout temps M. le Prince a été accusé de ce vice. Il a bien fait la débauche avec les écoliers de Bourges: il leur faisoit manger leur argent. Il a quelquefois pris des promesses d'eux. Il les trichoit au jeu, et, ayant gagné le dîner à la boule à l'un d'eux, il lui dit: «J'enverrai demain de quoi, ne vous en mettez pas en peine. Il envoya le lendemain un pâté et deux bouteilles de vin, et mena vingt-cinq gentilshommes, comme gouverneur du pays. Quand il alloit au cabaret, au pis aller, il ne payoit que sa part, et, s'il pouvoit, il laissoit payer les autres pour lui. Un jour, en une petite ville, quand il voulut compter avec l'hôte, cet homme lui dit que les échevins de la ville avoient payé sa dépense: il lui demanda combien il avoit eu: «Monseigneur, répondit l'hôte, on a un peu payé la qualité: j'ai eu cinquante écus de plus que je n'aurois eu d'un autre.» On dit qu'il le contraignit à lui donner ces cinquante écus. Une autre fois, comme il étoit prêt de signer un bail à ferme d'une de ses terres, il dit aux fermiers qu'ils lui confessassent combien ils donnoient à Perrault, son secrétaire, et, les ayant obligés d'avouer qu'ils lui donnoient cent écus, il se les fit bailler, leur disant que, puisque ce n'étoit que pour le faire signer, qu'il alloit signer, et qu'ils n'auroient plus affaire de son secrétaire. Cependant ce secrétaire a fait une grande fortune avec lui, car il faut qu'un habile homme fasse ses affaires et celles de son maître à la fois. Il lui prêtoit de l'argent pour entrer en une affaire, s'en faisoit payer l'intérêt, puis, comme il étoit homme de bon compte, il lui disoit: «Tenez, il y a tant de profit pour vous.» Quand on lui donnoit de l'argent pour quelque affaire, il le mettoit dans un coffre, et le rendoit si l'affaire ne se faisoit pas[201]. Les habitants de je ne sais quelle paroisse le prièrent un jour de trouver bon qu'ils s'avouassent de lui pour être exemptés des gens de guerre: «Mais, leur dit-il, que me donnerez-vous?--Monseigneur, nous vous ferons un présent.--Mais je veux quelque chose de certain.» Il ne leur promit point qu'auparavant ils ne fussent tombés d'accord de la somme et du terme, et il les avertit, comme ils s'en alloient, qu'ils lui envoyassent sans faute cette somme, car il la leur demanderoit plutôt la veille que le lendemain. Un jour qu'il avoit haussé bien des fermes, le marquis de Rostaing, autre avaricieux, disoit: «Voilà un homme qui nous apprend bien à vivre.» Il avoit l'âme d'un intendant de grande maison: jamais homme n'a tenu ses papiers en meilleur ordre. Il couroit à cheval sur une haquenée par Paris, avec un seul valet de pied, pour solliciter un procès. Il alloit chez feu La Martellière, les jours de son conseil: en ces temps-là les avocats n'étoient pas si lâches qu'à cette heure. Il alloit voir Vitray deux fois la semaine, comme un homme de bon sens. S'il eût été propre, il n'auroit point été trop mal. Il eut de belles terres de la confiscation de M. de Montmorency; mais son plus grand bien venoit des affaires qu'il avoit faites. M. le Prince dépensoit pourtant beaucoup; mais sa dépense ne paroissoit pas. Il avoit des équipages complets en plusieurs maisons; il donnoit à ses gens le moins qu'il pouvoit; mais il payoit tous les premiers de l'an, et à Pâques il leur donnoit de quoi aller à confesse. Jamais il n'y a eu une maison mieux réglée: ce n'eût pas été un mauvais roi. Véritablement il n'eût pas été si redouté qu'Henri IV. On perdit furieusement à sa mort, car il n'eût pas souffert les barricades, ni le blocus de Paris. Parlons à cette heure de sa politique. On a cru qu'il s'étoit engagé, à Rome, à tourmenter les Huguenots; d'autres disoient que, de peur qu'on ne crût qu'il vouloit se brouiller avec eux comme son grand-père et son père, il témoignoit plus de haine pour eux qu'il n'en avoit. Il écrivit je ne sais quoi contre les Jansénistes, et fit étudier ses deux fils aux Jésuites. Il savoit si peu qui étoient les beaux esprits, qu'un jour ayant trouvé madame de Longueville, sa fille, à table (M. Chapelain dînoit avec elle), elle se leva, parce qu'il lui vouloit dire quelque chose; après il lui demanda: «Qui est ce petit noireau?--C'est M. Chapelain, dit-elle.--Qui est-il?--C'est lui qui fait la Pucelle.--Ah! dit-il, c'est donc un statuaire?» Au retour d'Italie, de peur de donner de l'ombrage à M. de Luynes, il s'alla confiner à Bourges. Ce fut là qu'il connut Perrault qui y étoit écolier, et qui devint enfin son maître, car il juroit plus haut que lui. Sous le cardinal de Richelieu, il n'a pas soufflé. Il disoit un jour à son fils: «C'est bon pour vous, qui êtes vaillant.» Il ne croyoit pas que son fils, s'exposant comme il faisoit, lui dût survivre, et quand il sut l'affaire de Fribourg: «Ah! dit-il, il n'y en à plus que pour une campagne.» Quand il sut que M. d'Enghien n'avoit point été voir M. le cardinal de Lyon, il envoya quérir Dalier, homme d'affaires, son grand factotum en fait de finances, après Perrault, et lui dit en une colère horrible: «Vous avez fait donner dix mille écus à mon fils à Lyon, vous êtes cause de sa perte: s'il n'eût point eu tant d'argent, il fût allé voir le cardinal de Lyon, oncle de sa femme; il n'eût pas passé sans lui rendre visite.» Dalier dit qu'il n'avoit fait compter à M. d'Enghien que cent pistoles par-delà la somme ordonnée par M. le Prince. Or, le cardinal de Richelieu prit cela au point d'honneur; c'étoit par fierté que M. d'Enghien n'avoit point été voir le cardinal de Lyon, sous prétexte que les princes du sang ne vouloient céder qu'au seul cardinal de Richelieu, et non aux autres. Ils lui cédoient, disoient-ils, comme premier ministre, comme les princes autrefois cédoient à l'abbé Suger. Mais il étoit régent. Le cardinal, qui vouloit plaire à Rome, disoit que c'étoit à la pourpre éminentissime qu'il falloit rendre cet honneur. Il rapportoit l'exemple des souverains d'Italie. Le cardinal de Richelieu, effectivement, vouloit qu'ils cédassent au cardinal Mazarin. Au retour de Perpignan, par dépit, le père et le fils s'en allèrent en Bourgogne, et ils y étoient quand le cardinal mourut. On a cru que le cardinal avoit alors dessein de les perdre quand il mourut; mais c'étoit seulement qu'il les vouloit désunir pour être maître du duc d'Enghien, et l'obliger d'avoir recours à lui. Le Roi avoit laissé ici feu M. le Prince pour commander durant le voyage de Perpignan. Au _Te Deum_ il se mit à la tête du parlement, comme le Roi. Le parlement vouloit se retirer, le premier président Molé leur remontra que cela déplairoit au Roi, mais il signifia à M. le Prince que c'étoit entreprendre sur le parlement, et qu'on s'en plaindroit au Roi; en effet, M. le Prince eut une réprimande. Il fit une fois un vilain tour à M. d'Enghien à Fribourg. M. d'Enghien avoit grivelé sur les gens de guerre trente mille écus qu'il envoya en or à Paris. M. le Prince en fut averti. Il va avec un commissaire, lui-même, car Perrault n'y voulut jamais aller, faire ouvrir la malle où étoit cet or, et en paya ce que son fils devoit à M. de Longueville et à d'autres, et quand il revint, il lui donna des quittances au lieu de ses louis d'or, en lui disant: «Il faut toujours commencer par payer ses dettes.» [198] Mort le 26 décembre 1646. Père du grand Condé. [199] _Voyez_ l'article de la princesse de Condé, sa femme. [200] Il disoit: «Il est vrai, je suis poltron; mais ce b..... de Vendôme l'est encore plus que moi.» (T.) [201] Perrault acheta par la suite une charge de président à la chambre des comptes, et par son testament il fonda un service annuel pour le repos de l'âme de Henri de Bourbon, prince de Condé. Ce service fut célébré pour la première fois le 10 décembre 1683 dans l'église des Jésuites de la rue Saint-Antoine. Ce fut Bourdaloue qui prononça l'oraison funèbre. (_Lettre de Madame de Sévigné à Bussy Rabutin_, du 16 décembre 1683.) L'ARCHEVÊQUE DE REIMS (ÉLÉONOR D'ÉTAMPES DE VALENÇAY)[202]. Éléonor d'Étampes avoit fort bien étudié, et avoit la mémoire heureuse. Il a écrit quelque chose[203]. Il avoit l'esprit agréable, étoit bien fait de sa personne: mais il n'y a jamais eu un homme si né à la bonne chère et à l'escroquerie; bon courtisan, c'est-à-dire lâche et flatteur. Il eut l'abbaye de Bourgueil en Anjou dès son enfance; après il fut évêque de Chartres, et enfin archevêque de Reims, quand on fit le procès à M. de Guise. Il faut commencer par Bourgueil. On m'a assuré, en ce pays-là, que, par une jalousie d'amourette, il avoit fait tuer à coups de marteau, dans une cave, un des moines, avant que la réforme y eût été introduite. Pour des escroqueries, il y en a comme ailleurs, et à tel point que les habitants n'osoient faire paroître leur bien. L'abbaye de Bourgueil doit au Roi, toutes les fois qu'il va en personne à la guerre, un roussin de service, évalué quatre-vingts livres. Quand le feu Roi fut au siége de La Rochelle, M. de Chartres fit sonner cela bien haut aux habitants, et fit si bien valoir le _committimus_, qu'il en tira plus de quatre mille livres. Pour paver les avenues de Bourgueil, il obtint de la cour une ordonnance de douze mille livres. Il fut averti que madame Bouthillier, qui en ce temps-là faisoit bâtir Chavigny, près de Chinon, le devoit venir voir. Il fait porter quelques charretées de pavés par où elle avoit à passer. En causant avec elle, il lui dit qu'il se trouvoit trop chargé de Reims et de Bourgueil; qu'il avoit peur de n'y pas faire son salut; qu'il falloit qu'il se déchargeât de Bourgueil sur quelqu'un, et insensiblement il vint à parler de M. de Tours, frère de M. Bouthillier, le surintendant. Ensuite ils en parlèrent si bien, que la dame, croyant l'affaire faite, prit l'ordonnance de douze mille livres et la lui fit payer. Mais quand ce fut au faire et au prendre, il apporta une plainte des habitants de Bourgueil, qui le supplioient de ne les point abandonner, et sur cela, il s'excusa, et dit que le coeur lui saignoit. Les habitants de Bourgueil en recevoient grande protection; mais, d'un autre côté, il les pinçoit quand il pouvoit. Pour le lieu, il l'a embelli en toutes choses; car il a presque partout fait de la dépense à ses bénéfices. Bourgueil, sans doute, est une fort agréable demeure, et ce qu'il y a fait est fort beau. En revanche il a quasi coupé et vendu toute la forêt. Son intendant, Fontelaye (_intendant_, c'est pour parler honorablement), étoit un ecclésiastique qui avoit soin de ses affaires à Bourgueil, mais qui étoit fort aimé dans le pays. Il recevoit à ses dépens les compagnies quand son maître n'y étoit pas. Fontelaye donc, qui sentoit aussi un peu l'escroc, car tel le maître, tel le valet, lui proposa de couper une route dans la forêt pour voir passer du château les bateaux sur la Loire: il vouloit l'attraper, car la levée, qui est bordée d'arbres, empêche qu'on ne voie même les voiles. «Il se trouvera des gens, ajouta-t-il, qui prendront le bois pour la façon.» M. de Chartres le lui permit, et l'autre, qui avoit remarqué que c'étoit l'endroit où il y avoit les plus beaux arbres, les vendit fort bien, et ne fit point aplanir la route. L'infirmier de Bourgueil, un des anciens religieux qui n'avoit point voulu prendre la réforme, voulut aussi l'attraper. Il lui propose de couper le bois du labyrinthe du parc qui étoit sur le retour, et cela aux mêmes conditions, afin d'y en pouvoir replanter un autre comme on a fait. Mais on n'attrape pas deux fois un renard. Quand le moine eut fait tous les frais, et qu'il n'y avoit plus qu'à faire charroyer le bois, le bon prélat lui dit: «Ah! mon Dieu! mon pauvre monsieur l'infirmier, je veux passer l'hiver ici, et je n'ai pas de bois coupé. Je prendrai du vôtre, vous n'aurez qu'à marquer ce que j'en aurai pris.» Il le lui brûla tout, et l'autre n'en eut jamais rien. Quand on lui apportoit quelque chose, on avoit aussitôt audience, autrement on attendoit six heures. Une fois il vouloit que Bourneau, premier président des élus à Saumur, qui avoit été son domestique, s'obligeât pour lui, et qu'il lui en feroit son billet. «Je l'aimerois autant de son suisse,» dit l'autre en se retirant. Il l'entendit, et sortant de son cabinet: «Il vaut pourtant mieux de moi! il vaut pourtant mieux de moi, Bourneau! lui dit-il.--Ah! monsieur, dit cet homme, pensez-vous que je ne susse pas bien que vous pouviez m'entendre? Si fait, vraiment, et je ne l'ai dit que pour vous faire rire; mais, en conscience, je n'ai point d'argent.» M. de Reims (il vaut mieux l'appeler toujours ainsi) dépensoit furieusement; car, outre qu'il a toujours tenu une table fort délicate et fort bien servie, il a toujours eu grand train. Il étoit soigneux de faire apprendre tous les exercices à ses pages, et d'en avoir toujours de beaux. Quelques-uns en médirent: cela fut cause qu'il en prit de moins beaux ensuite. A Chartres, un marchand lui ayant apporté des parties assez grosses[204], il lui demanda en causant s'il avoit quelque fils qui fût grandet. «Monseigneur, dit le marchand, j'en ai un de treize ans.--Allez, je vous promets un canonicat pour lui. Nous verrons vos parties une autre fois.» Le marchand lui fit mille remercîments et se retira. Attraper un marchand, ce n'est pas une grande merveille. Voici bien un autre exploit: Lopès[205] ayant acheté une grande maison dans la rue des Petits-Champs, il pria M. le cardinal de Richelieu de lui faire avoir composition des lods et ventes des chanoines de Saint-Honoré. M. de Chartres y étoit qui lui dit: «Je les connois tous, je ferai votre affaire; donnez-moi ce que vous voulez qu'il vous en coûte.» Lopès lui rend grâces, et lui porta six mille livres. Il fut long-temps sans rendre réponse, et disoit à Lopès qu'on ne gouvernoit pas comme cela tout un chapitre. Enfin, Lopès menace de le dire au cardinal: «Oh bien! lui répondit-il, je ne me mêlerai jamais de vos affaires. Envoyez quérir votre argent.» Il y avoit une promesse de quatre mille huit cents livres et douze cents livres en deniers. Lopès n'a jamais rien pu tirer de la promesse. Durant qu'il étoit évêque de Chartres, il devint amoureux d'une abbesse du diocèse qui aimoit mieux un certain jeune capucin que lui. Il fut averti que son rival en recevoit des lettres, et qu'il les portoit toujours sur lui. Un jour donc que ce drôle de moine l'étoit allé voir, il fit semblant d'avoir quelque chose de secret à lui dire, et l'obligea de faire retirer son bini[206]. Il lui dit donc ce qu'il avoit appris. Le Père le nie. Il le menace de le livrer à quatre valets-de-chambre ou palefreniers qu'il lui fit voir. Le moine eut peur et donna ses lettres; mais il ne les eut pas plus tôt lâchées, que le repentir le saisit. Il reproche à ce beau prélat qu'il a abusé de son autorité; que ce qu'il en faisoit n'étoit que par jalousie, etc. Il en dit tant que ce saint père en Dieu l'abandonna à ses valets, qui lui donnèrent les étrivières en forme de discipline. Mais on ne peut pas affronter toujours les autres; on est quelquefois affronté à son tour. M. de Chartres avoit gagné une tapisserie de prix au maréchal d'Estrées; et, étant obligé de partir, il donna ordre à son homme d'affaires de la demander. Cet homme y fut. Le maréchal dit: «Oui, oui-dà; mais ma femme couche dans cette chambre-là; bientôt elle changera de meuble; alors je livrerai la tapisserie, car je ne veux pas qu'elle le sache.» Une autre fois il lui dit: «Monsieur un tel est logé céans. Cette tapisserie, par malheur, n'a pu être détendue; car il a fallu en hâte lui laisser cet appartement. Je vous prie, donnez-vous un peu de patience.» Toutes les fois que cet homme y alloit, le maréchal trouvoit de nouvelles échappatoires. Enfin, las d'y aller, cet homme d'affaires écrivit à son maître: «Je crois que nous n'aurons point la tapisserie. Mais nous y gagnerons avec le temps, car j'ai appris un millier d'échappatoires que je ne savois pas encore, et dont vous ne vous seriez jamais avisé.» Le cardinal de Richelieu lui fit une fois un plaisant tour: _Il signor Julio Mazarini_, qui n'étoit rien alors, lui avoit fait présent de deux pièces de tabis de Gênes violoit, le plus beau du monde. Il en donna une en secret à M. de Chartres, et lui dit: «Ne manquez pas de me venir voir un jour habillé de cet habit; je serai aussi habillé de même.» M. de Chartres le remercie de ce double honneur, et emporte la pièce de tabis sous son manteau. Le soir, le cardinal demande ces deux pièces d'étoffe: on n'avoit garde d'en trouver plus d'une. Il fait un bruit étrange, accuse ses valets-de-chambre de friponnerie, et dit qu'il vouloit absolument qu'on la trouvât. Deux jours après, voilà M. de Chartres qui vient avec son beau tabis. Tous les valets-de-chambre reconnoissent l'étoffe; et puis la bonne réputation du prélat ne servoit pas beaucoup à détruire cette vérité. Ils grondent, l'accusent tous d'avoir joué à les perdre, et lui font un bruit de diable. Le cardinal se crevoit de rire de le voir en cette peine, et quand il s'en fut bien diverti, il découvrit tout le mystère. Cela montre assez quel cas en faisoit le cardinal. J'ai déjà dit qu'il étoit le maréchal de-camp-comique. Il plaçoit à la comédie. Il fit pis une fois (à la représentation de _Mirame_), car il y parut le bâton à la main, en habit court, comme auroit fait un maître-d'hôtel, à la tête de ceux qui portoient la collation à la Reine. L'abbé de Villeloin dit à quelqu'un que c'étoit ce qu'il avoit vu de plus beau à la comédie. Le prélat le sut, et se repentit de l'avoir fait[207]. Mais il falloit un homme comme cela au cardinal pour trahir le clergé, aux assemblées duquel il a présidé plus d'une fois. A une ouverture d'une de ces assemblées, il dit: «_Desideravi magno desiderio manducare vobiscum hoc pascha._» Or, il mangeoit bien de toutes façons. On disoit qu'il mangeoit quatre fois son dîner avant que de le manger: dès le soir en l'ordonnant, la nuit y rêvant, le matin y changeant quelque chose, et puis allant faire un tour à la cuisine avant qu'on servît. Après sa mort on trouva dans ses papiers une tactique de plats. Une fois qu'on lui avoit fait bien des présents de volaille et de gibier, il fit arranger tout cela en rond, comme on feroit pour le peindre, et puis se mit au milieu. Je voudrois qu'on eût fait son portrait en cet état. Un jour qu'il avoit dîné chez le Coadjuteur de Paris, il fit venir tous ses officiers, et leur dit: «J'ai dîné aujourd'hui chez M. le Coadjuteur de Paris; il y avoit ceci et cela, tel et tel défaut. Je vous le dis afin que vous preniez garde de n'y pas tomber, car s'il vous arrivoit de me traiter comme cela, autant vous vaudroit être mort.» A dîner, sur la fin, il faisoit venir maître Nicolas, son célèbre cuisinier, et lui disoit: «Maître Nicolas, que souperons-nous?» Et à souper: «Maître Nicolas, que dînerons-nous?» Un jour qu'il traitoit des évêques, la veuve de son rôtisseur, mort depuis peu, vint avec quatre ou cinq petits enfants pour lui demander de l'argent. Il les aperçut, il va vite au-devant, et fit tant qu'elle promit d'attendre jusqu'au lendemain. Les conviés, qui le connoissoient, avoient vu toute l'affaire; car cette femme, avec sa mesgnie[208], étoit entrée dans le lieu où l'on étoit à table. «Voyez, ce dit-il, quand il fut de retour, si cette femme ne prend pas bien son temps, elle vient pour faire confirmer ses enfants.» Il ne sortoit jamais que la nuit, de peur de ses créanciers. M. Arnauld disoit à M. de Grasse (Godeau), que M. de Reims avoit sacré: «Vous avez été sacré de la patte du loup.» Ne trouvant point de caution pour donner à M. de La Bistrade, conseiller au Grand Conseil, duquel il louoit une maison: «Monsieur, dit-il, ma bibliothèque suffira.» Elle étoit belle. Quand le bail fut près d'expirer, il emprunte tous les chariots de ses amis, et une belle nuit il fait enlever meubles et livres: le conseiller crie. On lui dit: «Ne vous fâchez pas; voilà la clef de la bibliothèque: vous n'avez demandé que cela.» Il y va, et n'y trouve plus rien. Il avoit pour marchand de poisson, en Anjou, un nommé L'Anguille. Cet homme, un jour que madame de Pisieux étoit à Bourgueil, alla pour demander de l'argent à l'archevêque: «Ma soeur, dit-il à la dame, voilà le plus honnête homme qu'on puisse trouver. Je vous prie, baisez-le pour l'amour de moi.» Elle le caressa tant qu'il n'osa demander un sou. Comme on lui disoit: «A faire comme cela, vous ne trouverez plus d'argent.--J'en trouverai bien, disoit-il, mais je ne trouverai pas de caution; c'est une maudite invention que ces cautions.» Le propre syndic de ses créanciers ne se pouvoit défendre de lui. C'étoit Ballin, bourgeois de Paris. Car pour les satisfaire, il avoit fallu, selon l'ordonnance, leur abandonner la moitié du revenu. Or, ce pauvre homme, par mauvais ordre, n'avoit pas rendu compte, et ne savoit comment s'y prendre. Quand M. de Reims vouloit avoir de l'argent de lui, il le faisoit assigner pour rendre compte, et l'autre, pour n'en pas venir là, lui donnoit quelque somme, tirant parole que ce seroit la dernière. Mais au bout de six mois l'archevêque recommençoit. Quand Fontelaye mourut, il fit tout saisir, disant qu'il ne lui avoit pas rendu compte; et enfin tout lui demeura. Son maître-d'hôtel mort, il se saisit de six mille livres qu'avoit cet homme. Les parents les lui voulurent redemander; il leur fit accroire qu'ils avoient voulu assassiner son valet-de-chambre, et les fit mettre en prison. Il disoit un jour: «Je veux acquitter mes dettes, j'ai quatre-vingt-quatre mille livres de rente, je dois six à sept cent mille livres. Il me faut quarante mille livres pour ma dépense, autant pour mes créanciers.» Voyez combien il eût fallu qu'il eût vécu pour cela, ne payant que quarante mille livres par an. Voici comment il trouva moyen d'avoir le trésor du chambrier de l'abbaye de Bourgueil. M. de Reims, averti que ce religieux, qui avoit d'autres bénéfices, avoit épargné de son revenu jusqu'à seize mille livres qu'il avoit cachées dans les fondements de sa maison, il lui demande de l'argent à emprunter. «Je n'en ai point, monseigneur,» dit le moine, et en présence de témoins dignes de foi en fait des serments horribles. L'archevêque en fait prendre acte, et, après, lui donne une commission delà la Loire, et ordre aux bateliers de ne pas le repasser qu'on ne le leur mandât. Cependant il fait jeter à bas la maisonnette de ce pauvre moine, et prend tout l'argent. Le religieux s'en plaint, dit qu'il y avoit seize mille livres chez lui. Il le fait passer pour un méchant homme et lui confronte les témoins. Il eut avis que le sacristain de Bourgueil avoit douze mille livres enfouies sous sa cellule. Il lui parle de déloger; l'autre dit qu'il étoit assez bien logé. Il fait tomber le discours sur l'épargne de cet homme, et lui dit: «Je pense que vous avez bien amassé au moins trois mille livres.--Moi, dit l'autre, je n'ai pas trois mille deniers.» A quelques jours de là il donne une commission à ce moine. Pendant cela, il jette la chaumière à bas, et trouve l'argent. Il en arriva comme de l'autre, hors que celui-ci eut cinq cents livres pour tout potage. Après avoir fait tant de friponneries à Bourgueil, il eut l'insolence, y étant une fois malade au point qu'il fallut se confesser, de ne dire que des bagatelles au Père de La Vallée, prieur des Réformés, qu'il envoya quérir. Mais l'autre, qui savoit sa vie, eut le plaisir de la lui conter du long, en lui disant: «Vous qui avez fait ceci, et encore ceci, vous avez l'audace de m'entretenir de balivernes!» Depuis cela, l'archevêque fit cas de ces religieux, quoiqu'il se repentît d'y avoir mis la réforme. Le cardinal de Richelieu lui faisoit toucher certaine somme du clergé pour l'empêcher de voler; et comme Son Eminence lui reprochoit un jour: «Mais on vous donne tant pour cela,» il lui fit le compte du maître-d'hôtel du maréchal de Brion, à qui son maître vouloit donner tant, et qu'il ne volât point. «Monsieur, lui répondit cet homme, je ne puis à ce prix-là: j'y perdrois.» Il étoit d'humeur à faire des malices, et il trouvoit bon qu'on lui en fît aussi; mais il avoit toujours un air sérieux. Un jour il alla chez le vicomte de Léry, qu'il appeloit _le petit homme_; c'est auprès de Reims. Ce gentilhomme vint au-devant de lui, et lui dit: «Hé! monseigneur, que vous venez mal à propos! la _petite femme_ est en mal d'enfant.» Il appelle ainsi sa femme qui accouche au moins tous les ans une fois. «Eh bien! dit l'archevêque, il faut lire la Vie de sainte Marguerite.» En effet, il se mit à marmoter à l'entrée de la chambre. Quand il eut tout dit, cette femme sort en se crevant de rire. Il a fait des tours de son métier en Champagne aussi bien qu'en Beauce et qu'en Anjou. Il vouloit retirer des prés de M. de Joyeuse. Pour cela il lui donna le moulin d'un village. Mais aussitôt il en fit faire un autre d'une certaine tour qui y étoit, en un endroit plus commode aux habitants. Joyeuse se plaint. «Bien, dit-il, nous en ferons faire un colombier.» Il en fit pourtant un moulin, et on se moqua bien de Joyeuse de s'être laissé ainsi attraper, lui qui croyoit être l'homme le plus fin du monde. M. de Laon ne lui parla guère plus doucement que le prieur de Bourgueil. Il voulut être député depuis la mort du cardinal de Richelieu. M. de Laon l'en empêcha, et, non content de cela, il lui dit: «J'en rends grâces à Dieu, vous auriez pillé la province.--Hé! monsieur, après avoir donné la farine de votre vie au monde et au diable, donnez-en au moins le son à Dieu.» N'ayant pas un sou, il envoya quérir un chanoine mal famé, nommé Bertemet, et le pressa tant que l'autre lui prêta douze mille livres, à condition qu'il le feroit grand-vicaire. Quelque temps après, comme Bertemet le sommoit de sa promesse, il suppose une lettre non signée, contenant plusieurs friponneries du chanoine. Il se la fait rendre, étant à table, en présence de cet homme qui y étoit aussi. Il la lit, et d'une mine refrognée la mit sous son cul. Après dîner, il la donne à lire à Bertemet, lui disant qu'il ne croyoit rien de tout cela, mais qu'il s'en falloit justifier; et comme cet homme sortit de la salle, les pages et les laquais, qui avoient le mot, lui firent un pied de nez, et en bas il courut fortune d'être berné. L'année qu'il mourut, à la dernière assemblée du clergé dont il a été, plusieurs prélats firent partie d'aller souper à Saint-Cloud chez la Du Ryer, à tant par tête. Chacun lui donna son argent, et il se chargea du festin. Il dit à la Du Ryer: «Je vous donnerai l'argent à Paris, je n'en ai point sur moi.» Il avoit trente-cinq pistoles que les autres lui avoient données. La pauvre Du Ryer n'en eut jamais rien. M. de Reims aimoit furieusement à être loué de quelque façon que ce fût. N'avoit-il pas raison, et n'étoit-ce pas un homme bien louable? Il avoit bien du plaisir à appeler _mon fils_ M. d'Aumale, son coadjuteur (depuis M. de Nemours, qui est mort mari de mademoiselle de Longueville). Le président du présidial de Reims, en dînant chez l'archevêque, se coupa comme il vouloit couper du veau. «Vous avez coupé dans le vif, monsieur le président», dit M. de Reims.» Il disoit du petit Camus (Camus Patte-Blanche), intendant de Champagne, qui se mettoit des tranches de veau sur le visage pour avoir le teint beau, que cela n'étoit pas permis, et que c'étoit soie sur soie[209]. Un peu avant que de mourir, il escroqua à la marquise de Maulny, sa nièce, une tapisserie assez belle. Elle croyoit qu'il lui donneroit quelque chose de meilleur. «Le vieux b...., disoit-elle, il n'a pu me laisser ma pauvre tapisserie.» A la maladie dont il mourut à Paris[210], madame de Puisieux, sa soeur, fit tout vendre jusqu'à ses chevaux, en qualité de créancière, et aussi de peur que d'autres ne le fissent. Trois jours avant sa mort, comme il vit qu'on lui apportoit un bouillon dans une écuelle de faïence, il demanda un plat. On lui apporta un plat de faïence. «Quoi! dit-il, toujours faïence!» Il se douta bien que sa soeur avoit pris sa vaisselle d'argent. «Apportez-moi, dit-il, un bassin.» On lui en apporte un de faïence. Il y met dedans toute sa tripaille de trique-billes. «Tenez, ma soeur, dit-il à madame de Puisieux, il ne me reste plus que cela; faites-en votre profit si vous pouvez.» On disoit qu'il étoit mort en tenant un chapelet de marrons pour tout chapelet, et que comme son confesseur lui représentoit qu'il faudroit rendre compte à Dieu, il l'écouta long-temps, et puis il lui dit tout bas à l'oreille: «Le diable emporte celui de nous deux qui croit rien de tout ce que vous venez de dire.» Comme on devoit encore les frais du service que l'assemblée du clergé lui fit faire, M. de Grasse (Godeau) disoit: «Pourquoi s'étonner de cela? Tout ce qui se fait pour M. de Reims n'a pas accoutumé d'être payé.» [202] Évêque de Chartres en 1620, archevêque de Reims en 1641, mort le 8 avril 1651, âgé de soixante-trois ans. [203] Le plus remarquable de ses écrits est un poème latin en l'honneur de la sainte Vierge; Paris, 1605, in-8º. [204] _Des parties assez grosses_, un mémoire assez élevé. [205] Il avoit l'esprit vif; l'archevêque de Bordeaux dînant avec lui, lui disoit: «Avec votre bonne chère et votre prestance (il étoit gros et gras), je vous nommerois volontiers mon _papelard_.--Et moi, dit-il, je vous appellerois mon _papegay_ (_mon perroquet_).» (T.) [206] _Bini_, terme de cloître, qui se dit d'un moine que le supérieur donne à celui qui veut sortir pour l'accompagner. (_Dictionnaire de Trévoux._) [207] On lit le compte suivant de cette représentation et du rôle officieux qu'y joua le prélat, dans les _Mémoires de Marolles_: «M. de Valençay, alors évêque de Chartres, et qui fut bientôt après archevêque de Reims, aidant à faire les honneurs de la maison, parut en habit court sur la fin de l'action, et descendit de dessus le théâtre pour présenter la collation à la Reine, ayant à sa suite plusieurs officiers qui portoient vingt bassins de vermeil doré, chargés de citrons doux et de confitures........ Je ne sais s'il m'échappa de dire quelque chose de l'emploi de M. de Chartres, mais, quelque temps après, lorsqu'au même lieu l'on dansa le ballet de _la Prospérité des armes de la France_........., comme ce prélat, qui étoit capable de tout ce qu'il vouloit, se donnoit la peine, avec M. d'Auxerre, de faire les honneurs de la salle, m'eut dit que cette journée-là il ne présenteroit pas la collation, je lui répondis qu'il feroit toujours bien toutes choses, et me fit civilités.» (_Mémoires de Marolles_; Paris, 1656, in-folio, p. 126.) [208] Sa famille. [209] Dans quelques ordonnances de nos rois il est défendu de porter soie sur soie. (T.) [210] En 1651, vers Pâques. (T.) LE CARDINAL DE VALENÇAY. C'étoit le frère de l'archevêque de Reims. A l'âge de treize ans, croyant que le maréchal de La Châtre l'eût mal conseillé au jeu contre le feu comte de Saint-Aignan, il prit un bâton pour le battre. On le voulut fouetter, il se sauva, et s'enfuit à Malte. Il y devint chevalier de Malte[211]. Il servit en France, et parvint à être l'un des douze capitaines des chevau-légers entretenus. C'étoit un original, comme vous le verrez par la suite; d'ailleurs, il étoit aussi fier que brave. En ce temps-là, il alla voir un matin M. le comte d'Alais, qui depuis a été M. d'Angoulême. Ce comte, faisant le prince, ne lui fit donner qu'un siége pliant, et lui en s'habillant, étoit assis dans un fauteuil. «Je romprois ce siége, dit le chevalier, je suis trop gros[212];» et prend une chaise à bras. On lui présenta ensuite la chemise pour la donner au comte. «J'en ai pris une blanche ce matin, dit-il en la rejetant, je n'en ai que faire.» Il alla un jour appeler Bouteville en duel, pour le marquis de Pons, oncle de M. de Montmorency; il y avoit jalousie entre eux à qui seroit le mieux auprès de ce duc. Cavoye, depuis capitaine des gardes du cardinal de Richelieu, servoit Bouteville. Cavoye blessa le chevalier de deux petits coups, car il étoit fort adroit, et lui disoit: «Monsieur le chevalier, en avez-vous assez?» Le chevalier lui répondit: «Un peu de patience, ne voltigez point tant,» et lui donna un si grand coup, qu'il en pensa mourir. M. de Montmorency arriva là-dessus, qui dit au chevalier qu'il lui apprendroit bien à faire des appels à ceux de sa maison. «Hé! de quelle maison êtes-vous, fichu race de Ganelon? reprit-il; pardieu! je me soucie bien de vous et de votre maison!» Feu M. d'Angoulême, le père, y survint qui apaisa tout, et depuis, le chevalier fut fort bien avec M. de Montmorency même. Nous l'appellerons désormais le bailli de Valençay, car il fut bailli d'assez bonne heure. Le marquis d'Etiaux étoit son cadet; c'est ce brave qui fut tué depuis à Maestricht, après avoir repoussé le Pappenheim. Ce marquis d'Etiaux avoit tué un Huguenot, appelé le marquis de Courtomer, en duel; ils servoient tous deux les Hollandois. Le page de Courtomer, ayant quitté la livrée, fit appeler d'Etiaux, qui se battit contre lui. Un cadet de Courtomer en vouloit faire autant, quand le bailli, pour faire cesser tout cela, s'avisa d'envoyer appeler un vieux seigneur, député de ceux de la religion. L'autre, bien surpris, s'en plaint. Les maréchaux de France demandent au bailli quelle mouche l'avoit piqué: «Je voyois, répondit-il, que tant de Huguenots appeloient mon frère en duel, que j'ai cru que c'étoit une querelle de religion.» Sur cela, le Roi défendit à ceux de Courtomer de faire aucun appel au marquis, et à lui d'en recevoir aucun. On ordonna seulement pour les satisfaire, à cause qu'il y avoit eu un homme de tué de ce côté, que quand ceux de Valençay les rencontreroient, qu'ils leur cédassent, par exemple, la meilleure chambre en une hôtellerie, qu'ils leur donnassent la main[213], et autres choses semblables. A La Rochelle, il rendit de grands services. Il fit dire au cardinal qu'il se faisoit fort d'empêcher l'armée angloise de passer. On croit que quelque homme plus entendu au fait de la marine que lui avoit donné cet avis. Le cardinal le fait venir. Il lui dit hardiment: «Je ne vous dirai point mon secret, après que vous m'avez pris pour dupe au secours de l'île de Rhé; ce fut moi qui vous donnai l'invention des chaloupes, et vous en donnâtes le commandement à Schomberg et à Marillac. Mais promettez-moi que vous vous servirez de moi, et je vous le dirai.» On fit ce qu'il demandoit: aussitôt il congédie tous les grands vaisseaux; par ce moyen, il s'ôtoit de dessus les bras les Manty, les Rasilly et tous les autres qui ne lui eussent pas obéi volontiers. Il ne prit que vingt petits vaisseaux, des galiotes, des brûlots, des barques et des chaloupes armées; sa raison, la voici: aux deux côtés du fort de Coureille et du fort Louis qui étoient à la tête du canal opposés l'un à l'autre, il y a des basses. «J'irai affronter, disoit-il, l'armée angloise; elle foudroiera mes petits vaisseaux; mais elle ne tuera pas tout; on coupera nos câbles; nous nous laisserons aller, le flot nous portera sur les basses où le canon des forts ruinera toutes leurs ramberges[214]; j'ai des galiotes et autres petits vaisseaux de rames pour détourner les brûlots.». Son neveu, alors chevalier de Valençay (c'est aujourd'hui le bailli de Valençay, ou le grand prieur de Champagne), revenant d'esclavage, arriva au camp comme le bailli faisoit cette proposition. M. de Montmorency en rioit et lui disoit: «Votre oncle rêve.--Il ne rêve point, dit le chevalier, et assurément voici ses raisons.» Il les devina. Voilà donc le bailli sur _la Renommée_, le plus grand vaisseau des vingt, quoiqu'il ne fût que de trois cents tonneaux. Il y faisoit grande chère. Tous les braves s'y rendoient dès la moindre alarme. Il y mangea vingt mille écus en deux mois. Les Anglois comprirent bien son dessein et n'attaquèrent jamais. Le Roi voulut aller sur son vaisseau; on l'en avertit, et que Sa Majesté y vouloit faire collation; le bailli, qui n'étoit pas sot, dit: «Si je fais une belle collation, on se moquera de moi de dépenser ainsi mon argent; si vilaine, ce sera encore pis.» Le Roi y va, et puis demande la collation. «Apportez,» dit le bailli. On apporte un bassin de biscuits moisis, et un de merluches, avec un méchant potage aux pois. Le Roi se mit à rire: «Sire, lui dit-il, quand on nous paiera mieux, nous vous ferons meilleure chère.» La ville prise, on le fit maréchal-de-camp; en ce temps-là, c'étoit quasi autant que maréchal de France à cette heure. On lui dit qu'il pouvoit présenter au Roi cinquante chevaliers de Malte qui avoient servi en cette rencontre, et qu'il portât la parole pour eux. Or, il faut savoir que le Roi, qui étoit médisant lui-même, avoit baptisé le bailli, _le médisant éternel_. Il s'avance et dit: «Sire, Votre Majesté m'ayant donné le titre de _médisant éternel_, je n'ai garde de rien faire qui me le fasse perdre. Si je parlois de ces messieurs, il faudroit que j'en dise du bien, c'est pourquoi Votre Majesté me permettra de n'en rien dire.» Le Roi sourit et dit: «Nous croyions l'embarrasser, mais il s'en est bien tiré.» Le voilà en état de faire quelque grande fortune. Mais outre qu'à Lyon, durant la maladie du Roi, il donna les plus violents conseils contre le cardinal de Richelieu, il le piqua encore vilainement. Un jour que l'Eminence le railloit en présence du Roi sur sa nièce, la comtesse d'Alais, fille de la maréchale de La Châtre, sa soeur, il lui répondit: «Pardieu, il ne faut pas croire tout ce qu'on dit, ou bien il faudroit croire que vous couchez avec votre nièce.» Le Roi fut ravi de cela, et le cardinal en pensa enrager. Ensuite la feue Reine-mère s'étant brouillée avec le cardinal, il prit son parti, et fut capitaine de ses gardes. Mais quand il vit que Fabroni et sa femme, avec le Père Chanteloupe, avoient empaumé la Reine, il se retira et fut fort mal payé de ses pensions et de ses appointements. Je crois qu'il se retira à Malte; au moins y étoit-il quand le pape Urbain le fit venir pour s'en servir contre le duc de Parme. Voici comment cela arriva. Son neveu, le commandeur de Valençay, étoit ambassadeur de Malte auprès du Pape, les bonnes grâces duquel il sutsi bien gagner, que le Saint-Père lui disoit des choses qu'il nedisoit pas à ses propres neveux. Le Pape voyant la guerre de Parme prête à éclater, lui dit un jour: «Donnez-moi un capitaine.--Saint-Père, répondit-il, je ne puis vous donner que mon oncle, le bailli de Valençay, qui est à Malte.--Quoi, celui, reprit le Pape, qui commandoit les vaisseaux à La Rochelle?--Celui-là même.--Faites-le venir.» Le commandeur le mande; il vient, mais il ne savoit pourquoi on le faisoit venir. Le commandeur, sans lui rien dire, le loge, lui donne un bel appartement bien meublé, un carrosse, trois estafiers, et de l'argent pour jouer. Le Pape fournissoit à tout cela. Le bailli, étonné de ces régales, disoit: «J'ai un fou de neveu qui n'est qu'un gueux aussi bien que moi, et il ne me laisse manquer de rien. Hé, lui disoit-il, où prends-tu tout cela?--Ne vous en tourmentez pas, répondoit le neveu, réjouissez-vous seulement.» Au bout de six mois, on le renvoya à Malte, et à trois mois de là, la guerre étant déclarée, on le fit revenir. Il fut en tout deux ans à Rome chez son neveu. Le marquis Mathei prit cependant Castre[215]: ce fut par trahison. Le traître a eu le cou coupé depuis. Il faut dire un mot de la valeur des Romains. Un cavalier, s'étant approché trop près, avoit été d'un coup de fauconneau. Ils disoient: _Sto pazzo s'è fatto amazzare a la francese_. Après cela, le duc de Parme, ayant passé avec ses dragons et de l'infanterie, à cheval jusques à Aquapendente, la frayeur fut si grande à Rome qu'on y faisoit des barricades. Alors le Pape déclara qu'il alloit faire venir le bailli de Valençay pour s'en servir, et le fit _maestro di campo generale_, c'est-à-dire maréchal de camp, sous le cardinal Antoine qui avoit la qualité de général, sans congédier pourtant Mathei et quelques autres qui commandoient séparément. Il n'y avoit encore que des milices; on levoit quelques troupes. Il fait tant qu'il donne le courage au cardinal Antoine d'aller jusques à Ronciglione, et de là à Orviette, qui se vouloit rendre sans être attaqué, quoique le cardinal Spada fût dedans, et que la place, qui est sur un roc, soit presque imprenable. Là il donna quatre cents chevaux de troupes réglées au commandeur son neveu, et l'envoya devant à Montefiascone. Tout le reste suit. Comme ils y sont tous arrivés, un gros de cavalerie des leurs, qui avoit pris le plus long, vint à paroître; voilà l'alarme bien forte. Le cardinal étoit très-fâché de s'être tant avancé. Le commandeur prend dix cavaliers, et va pour reconnoître ce gros. Le cardinal et les Romains croyoient qu'il étoit fou. Il trouva que c'étoit de leurs gens. Il revint; tout le monde le félicitoit comme d'un grand exploit. On s'avance vers Aquapendente; on surprend les ennemis au fourrage; on y fait quatre prisonniers; vous eussiez dit qu'on avoit tout défait. Les cardinaux allèrent dire _il bon prò_[216] au Pape de ce que _s'era visto il nemico in facia_, et le cardinal Antoine en étoit si ravi, qu'il embrassoit le bailli à tout bout de champ, et lui disoit: _Mi avete fatto veder il nemico_. Insensiblement on fit des troupes, et le bailli avoit un régiment de deux mille François, plus beau que le régiment des gardes. Il prit une bicoque auprès d'Aquapendente. Le duc de Parme déloge; voilà le bailli sur le pinacle. Cependant voyez quelle étoit la légèreté du personnage: ayant eu avis qu'on lui permettoit de retourner à la cour de France, il quitte l'armée, et part pour aller prendre congé du Pape. Son neveu étoit à Pérouse, avec l'artillerie, dont il étoit général. Le cardinal Antoine le va trouver et lui dit que cela feroit mourir le Pape. Le commandeur va vite à Foligno, où il met ordre qu'on ne donne des chevaux de poste à personne. Le bailli arrive; son neveu essuie toutes ses fougues, et le fait résoudre à attendre encore quinze jours. Au bout de quatorze, il fut fait cardinal, et servit si bien contre les Vénitiens, qu'il entra dans leur pays, y fit du dégât, et les obligea à quitter le Boulonois. Le reste se verra dans les Mémoires de la Régence. [211] Achille d'Estampes Valençay, né en 1589, fut reçu chevalier de minorité dans l'ordre de Malte dès l'âge de huit ans. Nommé cardinal en 1643, il mourut à Rome le 16 juillet 1646. [212] C'étoit un grand et bel homme, et hors qu'il avoit le ventre un peu gros, il avoit fort bonne mine. (T.) [213] _Donner la main_, c'est céder la droite. [214] _Ramberge_, grand vaisseau que l'on ne connoissoit que dans la marine angloise. [215] Castro. [216] Les cardinaux allèrent féliciter le pape. LE MARQUIS DE RAMBOUILLET[217]. Feu M. le marquis de Rambouillet[218] étoit de la maison d'Angennes, maison ancienne, mais où je ne vois pas qu'il y ait eu de grandes dignités; car, hors le cardinal de Rambouillet[219], je ne trouve que le père de M. de Rambouillet qui ait eu quelque grand emploi[220]. Il fut vice-roi de Pologne, en attendant que Henri III y allât; et, quand le Roi y arriva, il lui dit: «Sire, j'ai une somme considérable à vous remettre entre les mains.» C'étoient cent mille écus et davantage. «Vous vous moquez, monsieur de Rambouillet, dit le Roi, c'est votre épargne.--Sire, il faut que vous la preniez, vous en aurez bon besoin.» A la bataille de Jarnac[221], il avoit fait merveilles avec ses gendarmes. Henri III, alors duc d'Anjou, écrivit à Charles IX qu'on devoit le gain de la bataille à M. de Rambouillet, et on garde dans la maison une lettre du Roi par laquelle il en remercie M. de Rambouillet. Cependant Henri III ne fit point faire fortune à un homme qu'il estimoit tant. On dit qu'il reconnoissoit qu'il avoit tort, et que s'il n'eût point été tué, il lui eût fait beaucoup de bien. On voit dans les _Amours du grand Alcandre_ comme feu M. le marquis de Rambouillet, alors vidame du Mans, fut blessé chez M. Zamet[222]. Voici comment la chose arriva. M. de Chevreuse, qu'on appeloit en ce temps-là le prince de Joinville, étoit amoureux de madame la marquise de Verneuil. Lorsque Henri IV obtint du Pape et de la reine Marguerite le consentement nécessaire pour la dissolution de son mariage, la marquise, enragée de voir échapper sa proie, s'en prit à M. de Bellegarde; et, quoiqu'il eût été un de ses adorateurs, elle le soupçonna d'avoir donné ce conseil au Roi. Pour s'en venger, elle sut si bien se prévaloir de la passion que M. le prince de Joinville avoit pour elle, qu'elle lui persuada d'entreprendre sur la vie de M. de Bellegarde. En effet, un soir que le Roi soupoit chez M. Zamet, M. de Bellegarde fut blessé par M. de Chevreuse à la porte de cette maison. Mais ses gens poursuivirent l'agresseur si vertement qu'ils l'eussent tué sans le secours du vidame du Mans qui se trouva là par hasard, et y fut si fort blessé par-derrière qu'il en pensa mourir. Le Roi, indigné de cette action, vouloit faire couper le cou à M. de Chevreuse, et ne vouloit point qu'on pansât le vidame; mais madame Zamet, qui parloit au Roi fort librement, et qui étoit des bonnes amies de madame de Rambouillet, mère du blessé, lui dit qu'il ne falloit pas aller si vite; que le moins qu'on pouvoit faire, c'étoit de savoir comment la chose s'étoit passée; que cependant elle mettroit le blessé dans son propre lit, et en auroit tout le soin imaginable[223]. Elle le fit comme elle l'avoit dit. Le vidame guérit, mais avec bien de la peine, car on ne pouvoit avoir le pus d'entre les côtes, et il seroit mort sans un valet-de-chambre chirurgien qu'il avoit, qui eut assez d'amitié pour lui pour sucer le pus. Le Roi, qui sut que le vidame ne s'étoit point trouvé à l'action de M. de Chevreuse, mais que voyant plusieurs personnes contre un seul, il s'étoit mis du parti le plus foible, ne fut plus en colère contre lui. Madame de Guise et mademoiselle de Guise, depuis princesse de Conti, firent la paix de M. de Chevreuse, quoiqu'elles fussent toutes deux fort mal satisfaites de son procédé, car il avoit donné lieu de soupçonner que c'étoit peut-être bien autant pour l'amour d'elles que de la marquise qu'il avoit si maltraité Bellegarde[224]. M. de Rambouillet étoit bien avec le maréchal d'Ancre; et comme c'étoit un homme fort concerté et fort secret, et qui avoit peur de _méprendre_, comme on dit au Palais, on disoit de lui que quand on lui demandoit quelle heure il étoit, il tiroit sa montre et faisoit voir le cadran. Le cardinal de Richelieu l'envoya ambassadeur extraordinaire en Espagne pour la Valteline. Il pensa faire enrager le comte-duc (d'Olivarès), qui, parce que le cardinal se faisoit donner de l'_éminence_, vouloit aussi avoir quelque chose par-dessus les ambassadeurs, et ne vouloit pas donner de l'_excellence_ à M. de Rambouillet. Alors l'_excellence_ n'étoit pas apparemment bien établie pour les ambassadeurs, car M. du Fargis y étant déjà ambassadeur ordinaire, en auroit eu. M. de Rambouillet disoit qu'étant ambassadeur extraordinaire, nourri aux dépens du roi d'Espagne, il n'avoit point hâte de conclure, et qu'il attendroit tout à son aise la bonne humeur du comte-duc. Enfin, au bout de quinze jours, ils convinrent de se traiter de _vos_[225]. Il mettoit le comte-duc en colère, et lui faisoit dire tout ce qu'il avoit sur le coeur; car pour lui il ne parloit pas plus haut quand il étoit en colère que quand il n'y étoit pas; ceux qui le connoissoient le remarquoient seulement à un tremblement de mains qui lui prenoit. Il avoit déjà la vue si mauvaise, qu'il lui falloit un écuyer pour le mener; mais il feignoit toujours quelque fluxion sur les genoux. Cette incommodité venoit en partie de sa blessure. Les Espagnols disoient, voyant qu'il n'étoit pas trop bien pourvu de pistoles: «_Este señor ambaxador es tan corto de bozza come de vista._» Le cardinal de Richelieu, quoiqu'il lui eût une grande obligation, comme je l'ai marqué, car ce fut M. de Rambouillet qui négocia avec Le Cogneux et Puy-Laurens à _la journée des dupes_, ne voulut point se servir de lui, parce qu'on disoit qu'il y voyoit encore trop clair, quoiqu'il eût une si mauvaise vue. Il fut chevalier de l'ordre et grand-maître de la garde-robe. Il s'amusoit à servir, au lieu de laisser faire au premier valet de garde-robe, et se tenir au beau de sa charge. Le feu Roi, qui n'avoit pas pour lui toute la considération nécessaire, lui donnoit quelquefois ses mains au lieu de ses pieds, et on m'a dit qu'une fois il lui avoit tendu le derrière au lieu de la tête; peut-être cela servit-il à le faire retirer, et puis il avoit besoin d'argent. Il vendit sa charge au feu comte de Nançay-la-Châtre, qui, après, fut colonel des Suisses. Ce comte n'en usa pas trop bien, car il ne paya pas au terme préfixe à cause du rehaussement des monnoies, et il fallut traiter avec lui et se contenter de la moitié du profit. Ce n'est pas le plus grand malheur qui lui soit arrivé. Briais, le partisan, lui devoit une assez grande somme pour des rentes sur les aides, acquises par le père de madame de Rambouillet; il y avoit trente mille livres; on ne pouvoit en avoir raison. Enfin, cet homme eut quelques remords de conscience: il vient trouver M. de Rambouillet, fait le compte avec lui, et lui promet de l'argent pour le lendemain. Au sortir de là, il va à Vanvres, et est assassiné par un garçon à qui il avoit fait quelque déplaisir. Toute la dette fut perdue. M. de Rambouillet n'étoit point un homme capable d'aucun ordre. Jamais il n'a eu de bienfaits de la cour, et il a toujours dépensé beaucoup. Il vouloit faire ses écritures lui-même et abondoit furieusement en son sens. Des choses qui ne lui eussent coûté que deux mille écus, par son opiniâtreté lui en ont coûté trente. Il disoit qu'il s'en rapporteroit à qui on voudroit; et quand c'étoit au fait et au prendre, il trouvoit toujours quelque échappatoire. Madame d'Aiguillon, du vivant du cardinal de Richelieu, voulut se mêler d'accommoder ses procès; il n'y a point de doute qu'il eût eu une telle composition qu'il eût voulu, ayant toute la faveur de son côté: cela ne servit de rien; il n'y avoit que Dieu qui lui pût ôter de la tête ce qu'il s'y étoit mis une fois. Il avoit terriblement d'esprit, mais un peu frondeur, et qui étoit persuadé que l'Etat n'iroit jamais bien s'il ne gouvernoit. C'étoit un des plus grands disputeurs qui aient jamais été: à cet égard, il avoit bien trouvé chaussure à son pied en son gendre Montausier. Il étoit né pour la cour, mais son incommodité lui a nui. Il n'a jamais voulu avouer qu'il ne voyoit goutte; il croyoit que cela le rendroit méprisable: cependant cette foiblesse le rendoit ridicule, car il affectoit de s'apercevoir des choses, et souvent il se trompoit. Une fois entre autres, il avoit ouï dire que M. de Montausier avoit un habit de la plus belle écarlate du monde: la première fois qu'il alla à l'hôtel de Rambouillet, M. de Rambouillet, sans demander quel habit il avoit, lui va dire: «Ah! monsieur, la belle écarlate!....» et par malheur, ce jour-là M. de Montausier étoit vêtu de noir. D'un autre côté, c'étoit un soulagement pour sa famille; car s'il eût avoué qu'il étoit aveugle, il n'eût peut-être point fait de visites, et il eût fallu lui tenir compagnie au lieu qu'il alloit partout et est mort sans avoir long-temps été malade. On écrivit à M. et à madame de Montausier que le marquis étoit en grand danger; ils répondirent que s'il mouroit, madame de Rambouillet n'auroit qu'à disposer de tout, et qu'ils ne prétendoient rien tandis qu'elle vivroit, tellement qu'il n'y a point eu de scellés. Cette mort a touché madame de Rambouillet; elle me dit qu'elle avoit trouvé mademoiselle Paulet, qui lui étoit d'une grande consolation dans ses peines, et elle me le dit en pleurant, elle qui ne pleure quasi jamais. Il étoit temps qu'il mourût: tout étoit en pitoyable état. Depuis, les choses se sont rétablies peu à peu, et M. de Montausier, son gendre, est logé avec madame de Rambouillet. M. de Rambouillet étoit bien fait et de belle taille, mais le visage un peu chafouin. [217] J'ai ouï conter une chose de son grand-père qui est assez plaisante. C'étoit un homme grave. Un jour il dit à sa femme: «Madame, prenez-moi par la barbe.» On portoit la barbe longuette en ce temps-là, et les cheveux courts. Elle l'y prend: «Tirez, lui dit-il.--Je vous ferois mal.--Non, non, tirez de toute votre force.» Elle fut contrainte de faire ce qu'il vouloit. «Vous ne m'avez point fait de mal,» lui dit-il. Après, il lui tire quelques-uns de ses cheveux; elle crie: «Vous voyez, madame, lui dit-il d'un ton sérieux, que je suis plus fort que vous. Je vous en prie, ne nous battons pas.» Du temps des paraboles, cette _barbonnerie_ auroit été admirable. (T.) [218] Le marquis de Rambouillet mourut à Paris le 26 février 1652, âgé de soixante-quinze ans. [219] Charles d'Angennes, cardinal de Rambouillet, fils de Jacques, né le 31 octobre 1530, cardinal en 1570, mort à Corneto le 21 mars 1587. [220] Tallemant n'avoit pas passé une revue bien exacte de cette famille, car il y auroit trouvé Claude d'Angennes, frère du cardinal, et après lui évêque de Mans, né en 1538, mort en 1601; plus anciennement, Jacques d'Angennes, capitaine des gardes-du-corps sous les règnes de François Ier, de Henri II, de François II et de Charles IX, lieutenant-général et gouverneur de Metz, mort en 1562; et en remontant plus loin encore, Renaut d'Angennes, gouverneur du Dauphin, fils de Charles VI, et chambellan de ce roi, tué à la bataille de Verneuil en 1424. [221] Gagnée par Henri III sur les Huguenots, le 13 mars 1569. [222] Voyez _les Amours du grand Alcandre_, à la suite du _Journal de Henri III_; Cologne, P. Marteau, 1663, p. 255. M. de Rambouillet y est désigné par le nom de Lucile. Nous ne croyons pas que l'on puisse trouver ailleurs que dans Tallemant une meilleure explication du passage. [223] Elle lui dit encore: «Sire, chacun est maître chez soi; vous l'êtes chez vous; moi, je serai la maîtresse céans, s'il vous plaît.» (T.) [224] Il y avoit eu aussi de l'amourette avec la mère. (T.) [225] C'est apparemment d'employer le pluriel, en parlant en latin. Ou bien est-ce pour, _Vos Excellences_? Mme LA MARQUISE DE RAMBOUILLET[226]. Madame de Rambouillet est fille, comme j'ai déjà dit, de feu M. le marquis de Pisani, et d'une Savelli, veuve d'un Ursin. Sa mère étoit une habile femme; elle eut soin de l'entretenir dans la langue italienne, afin qu'elle sût également cette langue et la françoise. On fit toujours cas de cette dame-là à la cour; et Henri IV l'envoya avec madame de Guise, surintendante de la maison de la Reine, recevoir la Reine-mère à Marseille. Elle maria sa fille devant douze ans[227] avec M. le vidame du Mans. Madame de Rambouillet dit qu'elle regarda d'abord son mari, qui avoit alors une fois autant d'âge qu'elle, comme un homme fait, et qu'elle se regarda comme un enfant, et que cela lui est toujours demeuré dans l'esprit, et l'a portée à le respecter davantage. Hors les procès, jamais il n'y a eu un homme plus complaisant pour sa femme. Elle m'a avoué qu'il a toujours été amoureux d'elle, et ne croyoit pas qu'on pût avoir plus d'esprit qu'elle en avoit. A la vérité, il n'avoit pas grand'peine à être complaisant, car elle n'a jamais rien voulu que de raisonnable. Cependant elle jure que si on l'eût laissée jusqu'à vingt ans, et qu'on ne l'eût point obligée après de se marier, elle fût demeurée fille. Je la croirois bien capable de cette résolution, quand je considère que dès vingt ans elle ne voulut plus aller aux assemblées du Louvre: chose assez étrange pour une belle et jeune personne, et qui est de qualité[228]. Elle disoit qu'elle n'y trouvoit rien de plaisant que de voir comme on se pressoit pour y entrer, et que quelquefois il lui est arrivé de se mettre en une chambre pour se divertir du méchant ordre qu'il y a pour ces choses-là en France. Ce n'est pas qu'elle n'aimât le divertissement, mais c'étoit en particulier. Elle a toujours aimé les belles choses, et elle alloit apprendre le latin, seulement pour lire Virgile, quand une maladie l'en empêcha. Depuis, elle n'y a pas songé, et s'est contentée de l'espagnol. C'est une personne habile en toutes choses. Elle fut elle-même l'architecte de l'hôtel de Rambouillet, qui étoit la maison de son père[229]. Mal satisfaite de tous les dessins qu'on lui faisoit (c'étoit du temps du maréchal d'Ancre, car alors on ne savoit que faire une salle à un côté, une chambre à l'autre, et un escalier au milieu: d'ailleurs, la place étoit irrégulière et d'une assez petite étendue), un soir, après y avoir bien rêvé, elle se mit à crier: «Vite, du papier; j'ai trouvé le moyen de faire ce que je voulois.» Sur l'heure elle en fit le dessin, car naturellement elle sait dessiner; et, dès qu'elle a vu une maison, elle en tire le plan fort aisément. De là vient qu'elle faisoit tant la guerre à Voiture de ce qu'il ne retenoit jamais rien des beaux bâtimens qu'il voyoit, et c'est ce qui a donné lieu à cette ingénieuse badinerie qu'il lui écrivit sur le Valentin[230]. On suivit le dessin de madame de Rambouillet de point en point. C'est d'elle qu'on a appris à mettre les escaliers à côté pour avoir une grande suite de chambres, à exhausser les planchers et à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres; et cela est si vrai que la Reine-mère, quand elle fit bâtir le Luxembourg, ordonna aux architectes d'aller voir l'hôtel de Rambouillet, et ce soin ne leur fut pas inutile. C'est la première qui s'est avisée de faire peindre une chambre d'autre couleur que de rouge ou de tanné[231]; et c'est ce qui a donné à sa grand'chambre le nom de la _chambre bleue_[232]. J'ai dit ailleurs que madame la Princesse et le cardinal de La Valette étoient fort de ses amis. L'hôtel de Rambouillet étoit, pour ainsi dire, le théâtre de tous les divertissemens, et c'étoit le rendez-vous de ce qu'il y avoit de plus galant à la cour, et de plus poli parmi les beaux-esprits du siècle. Or, quoique le cardinal de Richelieu eût au cardinal de La Valette la plus grande obligation qu'on puisse avoir, il vouloit pourtant savoir toutes ses pensées aussi bien que d'un autre; et, un jour, comme M. de Rambouillet étoit en Espagne, il envoya chez madame de Rambouillet le père Joseph, qui, sans faire semblant de rien, la mit sur le discours de cette ambassade, et après lui dit que monsieur son mari étant employé à une négociation importante, M. le cardinal de Richelieu pouvoit prendre son temps pour faire quelque chose de considérable pour lui, mais qu'il falloit qu'elle y contribuât de son côté, et qu'elle donnât à Son Éminence une petite satisfaction qu'il désiroit d'elle; qu'un premier ministre ne pouvoit prendre trop de précautions; en un mot, que M. le cardinal souhaitoit de savoir par son moyen les intrigues de madame la Princesse et de M. le cardinal de La Valette. «Mon Père, lui dit-elle, je ne crois point que madame la Princesse et M. le cardinal de la Valette aient aucunes intrigues; mais, quand ils en auroient, je ne serois pas trop propre à faire le métier d'espion.» Il s'adressoit mal; il n'y a pas au monde de personne moins intéressée. Elle dit qu'elle ne conçoit pas de plus grand plaisir au monde que d'envoyer de l'argent aux gens, sans qu'ils puissent savoir d'où il vient. Elle passe bien plus avant que ceux qui disent que donner est un plaisir de roi, car elle dit que c'est un plaisir de Dieu. En me contant cette petite histoire du père Joseph, elle me disoit, car il n'y a pas au monde un esprit plus droit, «qu'elle souffriroit encore moins qu'on eût des gens d'église pour galans, que d'autres.--C'est une des choses, ajoutoit-elle, pourquoi je suis bien aise de n'être point demeurée à Rome; car, quoique je fusse bien assurée de ne point faire de mal, je n'étois pas pourtant assurée qu'on n'en dît point de moi, et apparemment, si on en eût dit, la médisance m'auroit mise avec quelque cardinal.» Jamais il n'y a eu une meilleure amie. M. d'Andilly, qui faisoit le professeur en amitié, lui dit un jour qu'il la vouloit instruire amplement en cette belle science; il lui faisoit des leçons prolixes; elle, pour trancher tout d'un coup, lui dit: «Bien loin de ne pas faire toutes choses au monde pour mes amis, si je savois qu'il y eût un fort honnête homme aux Indes, sans le connoître autrement je tâcherois de faire pour lui tout ce qui seroit à son avantagé.--Quoi! s'écria M. d'Andilly, vous en savez jusque là! Je n'ai plus rien à vous montrer.» Madame de Rambouillet est encore présentement d'humeur à se divertir de tout. Un de ses plus grands plaisirs étoit de surprendre les gens. Une fois elle fit une galanterie à M. de Lisieux[233] à laquelle il ne s'attendoit pas. Il l'alla voir à Rambouillet. Il y a au pied du château une fort grande prairie, au milieu de laquelle, par une bizarrerie de la nature, se trouve comme un cercle de grosses roches, entre lesquelles s'élèvent de grands arbres qui font un ombrage très-agréable. C'est le lieu où Rabelais se divertissoit, à ce qu'on disoit dans le pays; car le cardinal du Bellay, à qui il étoit, et messieurs de Rambouillet, comme proches parens, alloient fort souvent passer le temps à cette maison; et encore aujourd'hui on appelle une certaine roche creuse et enfumée, _la Marmite de Rabelais_. La marquise proposa donc à M. de Lisieux d'aller se promener dans la prairie. Quand il fut assez près de ces roches pour entrevoir à travers les feuilles des arbres, il aperçut en divers endroits je ne sais quoi de brillant. Étant plus proche, il lui sembla qu'il discernoit des femmes, et qu'elles étoient vêtues en nymphes. La marquise, au commencement, ne faisoit pas semblant de rien voir de ce qu'il voyoit. Enfin, étant parvenus jusqu'aux roches, ils trouvèrent mademoiselle de Rambouillet et toutes les demoiselles de la maison, vêtues effectivement en nymphes, qui, assises sur ces roches, faisoient le plus agréable spectacle du monde. Le bonhomme en fut si charmé, que depuis il ne voyoit jamais la marquise sans lui parler des roches de Rambouillet. Si elle eût été en état de faire de grandes dépenses, elle eût bien fait de plus chères galanteries. Je lui ai entendu dire que le plus grand plaisir qu'elle eût pu avoir, eût été de faire bâtir une belle maison au bout du parc de Rambouillet, si secrètement que personne de ses amis n'en sût rien (et avec un peu de soin la chose n'étoit pas impossible, parce que le lieu est assez écarté, et que ce parc est un des plus grands de France, et même éloigné d'une portée de mousquet du château, qui n'est qu'un bâtiment à l'antique); qu'elle eût voulu ensuite mener à Rambouillet ses meilleurs amis, et le lendemain, en se promenant dans le parc, leur proposer d'aller voir une belle maison qu'un de ses voisins avoit fait faire depuis quelque temps; «et, après bien des détours, je les aurois menés, dit-elle, dans ma nouvelle maison que je leur aurois fait voir sans qu'il parût un seul de mes gens, mais seulement des personnes qu'ils n'eussent jamais vues: et enfin je les aurois priés de demeurer quelques jours en ce beau lieu, dont le maître étoit assez mon ami pour le trouver bon. Je vous laisse à penser, ajoutoit-elle, quel auroit été leur étonnement lorsqu'ils auroient su que tout ce secret n'auroit été que pour les surprendre agréablement.» Elle attrapa plaisamment le comte de Guiche, aujourd'hui le maréchal de Gramont. Il étoit encore jeune quand il commença à aller à l'hôtel de Rambouillet. Un soir, comme il prenoit congé de madame la marquise, M. de Chaudebonne[234], le plus intime des amis de madame de Rambouillet, qui étoit fort familier avec lui, lui dit: «Comte, ne t'en va point, soupe céans.--Jésus! Vous moquez-vous? s'écria la marquise; le voulez-vous faire mourir de faim?--Elle se moque elle-même, reprit Chaudebonne, demeure, je t'en prie.» Enfin il demeura. Mademoiselle Paulet, car tout cela étoit concerté, arriva en ce moment avec mademoiselle de Rambouillet; on sert, et la table n'étoit couverte que de choses que le comte n'aimoit pas. En causant, on lui avoit fait dire, à diverses fois, toutes ses aversions. Il y avoit entre autres choses un grand potage au lait et un gros coq d'Inde. Mademoiselle Paulet y joua admirablement son personnage. «Monsieur le comte, disoit-elle, il n'y eut jamais un si bon potage au lait; vous en plaît-il sur votre assiette?--Mon Dieu! le bon coq d'Inde! il est aussi tendre qu'une gelinotte.--Vous ne mangez point du blanc que je vous ai servi; il vous faut donner du rissolé, de ces petits endroits de dessus le dos.» Elle se tuoit de lui en donner, et lui de la remercier. Il étoit déferré; il ne savoit que penser d'un si pauvre souper. Il émioit[235] du pain entre ses doigts. Enfin, après que tout le monde s'en fut bien diverti, madame de Rambouillet dit au maître-d'hôtel: «Apportez-nous donc quelqu'autre chose, M. le comte ne trouve rien là à son goût.» Alors on servit un souper magnifique, mais ce ne fut pas sans rire. On lui fit encore une malice à Rambouillet. Un soir qu'il avoit mangé force champignons, on gagna son valet-de-chambre qui donna tous les pourpoints des habits que son maître avoit apportés. On les étrécit promptement. Le matin, Chaudebonne le va voir comme il s'habilloit; mais quand il voulut mettre son pourpoint, il le trouva trop étroit de quatre grands doigts. «Ce pourpoint-là est bien étroit, dit-il à son valet-de-chambre; donnez-moi celui de l'habit que je mis hier.» Il ne le trouve pas plus large que l'autre. «Essayons-les tous,» dit-il. Mais tous lui étoient également étroits. «Qu'est ceci? ajouta-t-il, suis-je enflé? seroit-ce d'avoir trop mangé de champignons?--Cela pourroit bien être? dit Chaudebonne, vous en mangeâtes hier au soir à crever.» Tous ceux qui le virent lui en dirent autant, et voyez ce que c'est que l'imagination. Il avoit, comme vous pouvez penser, le teint aussi bon que la veille; cependant il y découvroit, ce lui sembloit, je ne sais quoi de livide. Sur ces entrefaites la messe sonne, c'étoit un dimanche: il fut contraint d'y aller en robe de chambre. La messe dite, il commença à s'inquiéter de cette prétendue enflure, et il disoit en riant du bout des dents: «Ce seroit pourtant une belle fin que de mourir à vingt-et-un ans pour avoir mangé des champignons!» Comme on vit que cela alloit trop avant, Chaudebonne dit qu'en attendant qu'on pût avoir du contre-poison, il étoit d'avis qu'on fît une recette dont il se souvenoit. Il se mit aussitôt à l'écrire et la donna au comte. Il y avoit: _Recipe de bons ciseaux et décous ton pourpoint_. Or, quelque temps après, comme si c'eût été pour venger le comte, mademoiselle de Rambouillet et M. de Chaudebonne mangèrent effectivement de mauvais champignons, et on ne sait ce qui en fût arrivé, si madame de Rambouillet n'eût trouvé de la thériaque dans un cabinet où l'on cherchoit à tout hasard. Madame de Rambouillet a eu six enfans: madame de Montausier, qui est l'aînée de tous; madame d'Hyères est la seconde; M. de Pisani étoit après. Il y avoit un garçon bien fait qui mourut de la peste à huit ans. Sa gouvernante alla voir un pestiféré, et au sortir de là fut assez sotte pour baiser cet enfant, et elle et lui en moururent. Madame de Rambouillet, madame de Montausier et mademoiselle Paulet l'assistèrent jusqu'au dernier soupir[236]. Ensuite madame de Saint-Etienne, puis madame de Pisani. Toutes sont religieuses, hors la première et la dernière des filles, qui est mademoiselle de Rambouillet[237]. M. de Pisani vint beau, blanc et droit au monde, mais il eut l'épine du dos démise en nourrice, sans qu'on le sût, et en devint si contrefait qu'on ne lui pouvoit faire de cuirasse. Cela lui gâta jusqu'aux traits du visage, et il demeura fort petit, ce qui sembloit d'autant plus étrange que son père, sa mère et ses soeurs sont tous grands. On disoit _les sapins de Rambouillet_ autrefois, parce qu'ils étoient je ne sais combien de frères de grande taille et point gros. En revanche, M. de Pisani avoit beaucoup d'esprit et beaucoup de coeur. De peur qu'on ne le fît d'église, il ne voulut jamais étudier, ni même lire en françois, et il ne commença à y prendre quelque goût que quand on imprima la traduction de ces huit oraisons de Cicéron, dont il y en a trois de M. d'Ablancourt et une de M. Patru. Il les aimoit et les lisoit à toute heure. Il raisonnoit, comme s'il eût eu toute la logique du monde dans la tête. Il avoit l'esprit adroit, et chez les dames il étoit quelquefois mieux reçu que les mieux bâtis. Un peu débauché et pour les femmes et pour le jeu. Un jour, pour avoir de l'argent, il fit accroire à son père et à sa mère, qui en vingt-huit ans n'avoient couché qu'une nuit à Rambouillet[238], qu'il y avoit du bois mort dans le parc et qu'il le faudroit ôter; et en ayant eu la permission, il fit couper six cents cordes du plus beau et du meilleur. Il disoit à M. le Prince en disputant, car ils se disputoient souvent: «Faites-moi prince du sang au lieu de vous, et ayez toutes les raisons du monde: je gagnerai toujours contre vous.» Il voulut le suivre en toutes ses campagnes, quoique ce fût une terrible figure à cheval que le marquis de Pisani. On disoit que c'étoit le chameau de bagage de M. le Prince. Il y fut tué enfin: ce fut à la bataille de Nortlingue[239]. Il étoit à l'aile du maréchal de Gramont, qui fut rompue. Le chevalier de Gramont lui cria: «Viens par ici, Pisani, c'est le plus sûr.» Il ne voulut pas apparemment se sauver en si mauvaise compagnie, car le chevalier étoit fort décrié pour la bravoure; il alla par ailleurs, et rencontra des cravates[240] qui le massacrèrent. Il faut que je conte une chose de lui qui est plaisante. Madame de Rambouillet, qui a l'esprit délicat, disoit qu'il n'y avoit rien plus ridicule qu'un homme au lit, et qu'un bonnet de nuit est une fort sotte coiffure. Madame de Montausier avoit un peu plus d'aversion qu'elle pour les bonnets de nuit, mais mademoiselle d'Arquenay, aujourd'hui abbesse de Saint-Etienne de Reims, étoit la plus déchaînée contre ces pauvres bonnets. Son frère un jour l'envoya prier de venir jusque dans sa chambre. Elle n'y fut pas plus tôt, qu'il ferme sa porte au verrou; incontinent cinq ou six hommes sortent d'un cabinet avec des bonnets de nuit, qui à la vérité avoient des coiffes bien blanches, car des bonnets de nuit sans coiffes eussent été capables de la faire mourir de frayeur. Elle s'écrie, et veut s'enfuir: «Jésus! ma soeur, lui dit-il, pensez-vous que je vous aie voulu donner la peine de venir ici pour rien? non, non, vous ferez collation, s'il vous plaît.» Quoiqu'elle pût faire ou dire, il fallut se mettre à table et manger de la collation que ces gens à bonnets de nuit leur servirent. Depuis cela, le marquis de Montausier, instruit de cette petite aversion, jusqu'à la grande blessure qu'il reçut au combat de Montansais, en 1652, coucha toujours avec sa femme sans bonnet de nuit, quoiqu'elle le priât d'en prendre[241]. C'est ce qui a fait dire que les véritables précieuses ont peur des bonnets de nuit. Voiture et lui, comme nous dirons ailleurs[242], avoient une grande amitié l'un pour l'autre. Une fois M. de Pisani, durant une grande gelée, dit à quelqu'un: «Tenez, je n'ai qu'une chemise.--Hé! comment pouvez-vous faire? dit l'autre.--Comment je fais? reprit-il; je tremble toujours de froid.» Il y avoit un gros gueux à une porte de l'hôtel de Rambouillet. Un jour, comme il lui demandoit, madame la marquise dit: «Il faut donner à ce pauvre homme.--Je m'en garderai bien, dit-il, je veux qu'il me prête de l'argent. J'ai ouï dire qu'il avoit plus de mille écus.» Revenons au plaisir qu'avoit madame de Rambouillet à surprendre les gens. Elle fit faire un grand cabinet avec trois grandes croisées, à trois faces différentes, qui répondoient sur le jardin des Quinze-Vingts, sur le jardin de l'hôtel de Chevreuse, et sur le jardin de l'hôtel de Rambouillet. Elle le fit bâtir, peindre et meubler, sans que personne de cette grande foule de gens qui alloient chez elle s'en fût aperçu. Elle faisoit passer les ouvriers par-dessus la muraille pour aller travailler de l'autre côté, car le cabinet est en saillie sur le jardin des Quinze-Vingts. Le seul M. Arnauld eut la curiosité de monter sur une échelle qu'il trouva appuyée à la muraille du jardin; mais quelqu'un l'appela qu'il n'étoit encore qu'au second échelon: depuis il n'y pensa plus. Un soir donc qu'il y avoit grande compagnie à l'hôtel de Rambouillet, tout d'un coup on entend du bruit derrière la tapisserie, une porte s'ouvre, et mademoiselle de Rambouillet, aujourd'hui madame de Montausier, vêtue superbement, paroît dans un grand cabinet tout-à-fait magnifique, et merveilleusement bien éclairé. Je vous laisse à penser si le monde fut surpris. Ils savoient que derrière cette tapisserie il n'y avoit que le jardin des Quinze-Vingts[243], et sans avoir eu le moindre soupçon, ils voyoient un cabinet si beau, si bien peint et presqu'aussi grand qu'une chambre, qui sembloit apporté là par enchantement. M. Chapelain, quelques jours après, y fit attacher secrètement un rouleau de vélin, où étoit cette ode où Zyrphée, reine d'Argennes, dit qu'elle a fait cette loge pour mettre Arthénice à couvert de l'injure des ans; car, comme nous dirons bientôt, madame de Rambouillet avoit bien des incommodités. Auroit-on cru, après cela, qu'il se fût trouvé un chevalier, et encore un chevalier qui descend d'un des neuf preux[244], qui sans respecter la reine d'Argennes, ni la grande Arthénice, ôtât ce cabinet, que depuis on appela _la loge de Zyrphée_, une de ses plus grandes beautés? car M. de Chevreuse s'avisa de bâtir je ne sais quelle garde-robe dont la croisée qui donnoit sur son jardin fut bouchée. On lui en fit des reproches. «Il est vrai, dit-il, que M. de Rambouillet est mon bon ami et mon bon voisin, et que même je lui dois la vie; mais où vouloit-il que je misse mes habits?» Notez qu'il avoit quarante chambres de reste. Depuis la mort de M. de Rambouillet, madame de Montausier a fait de l'appartement de monsieur son père un appartement magnifique et commode tout ensemble. Quand il fut achevé, elle voulut le dédier, et pour cela elle y donna à souper à madame sa mère. Elle, sa soeur de Rambouillet et madame de Saint-Étienne, qui étoit alors ici religieuse, la servirent à table, sans que pas un homme, pas même M. de Montausier, eût le crédit d'y entrer. Madame de Rambouillet fit aussi quelque chose à son appartement qui n'est pas moins beau, ni moins bien pratiqué, et je me souviens qu'on disoit à la mère et à la fille, voyant tant d'alcôves et d'oratoires, qu'elles prenoient tous les ans quelque chose sur l'hôtel de Chevreuse pour venger l'injure qu'on avoit faite à Zyrphée. Un jour madame de Rambouillet, entrant dans ce cabinet, aperçut assez loin un grand jet d'eau qu'elle n'avoit point accoutumé de voir. Ce jet d'eau étoit dans le parterre du logement de Mademoiselle. On avoit dessein d'y faire un bassin, depuis on n'y pensa plus. On découvre ce parterre aisément de cette loge. Elle considéra qu'il n'y avoit pas si loin qu'on ne pût conduire cette eau facilement dans le jardin de l'hôtel de Rambouillet. Elle parle à madame d'Aiguillon pour en avoir la décharge, car la fontaine de l'hôtel de Rambouillet n'a qu'un filet d'eau. Madame d'Aiguillon fut quelque temps sans lui en rendre réponse, et madame de Rambouillet lui envoya ce madrigal pour l'en faire ressouvenir, car elle en a fait quelquefois de bien jolis: MADRIGAL. Orante, dont les soins obligent tout le monde, Gardez que le cristal dont se forme cette onde, Qui dans le grand parterre a son trône établi, A la fin ne se perde au fleuve de l'oubli. Mais il se trouva que cette eau n'avoit été conduite là qu'afin de la conduire après au Palais-Cardinal, c'est-à-dire que, comme il la falloit faire passer par là auprès, il fut de la bienséance d'en donner un peu à Mademoiselle; mais la décharge étoit pour remplir le grand rond d'eau du Palais-Cardinal. Il est temps de parler des incommodités de madame de Rambouillet. Elle en a une dont il faut dire l'histoire, si on peut parler ainsi. Cela a fait croire à ceux qui ne voient les choses que de loin, qu'il y avoit de la vision. Madame de Rambouillet pouvoit avoir trente-cinq ans ou environ, quand elle s'aperçut que le feu lui échauffoit étrangement le sang, et lui causoit des faiblesses. Elle qui aimoit fort à se chauffer ne s'en abstint pas pour cela absolument; au contraire, dès que le froid fut revenu, elle voulut voir si son incommodité continueroit; elle trouva que c'étoit encore pis. Elle essaya encore l'hiver suivant, mais elle ne pouvoit plus s'approcher du feu. Quelques années après, le soleil lui causa la même incommodité: elle ne se vouloit pourtant point rendre, car personne n'a jamais tant aimé à se promener et à considérer les beaux endroits du paysage de Paris. Cependant il fallut y renoncer, au moins pendant le soleil, car une fois qu'elle voulut aller à Saint-Cloud, elle n'étoit pas encore à l'entrée du Cours qu'elle s'évanouit, et on lui voyoit visiblement bouillir le sang dans les veines, car elle a la peau fort délicate. Avec l'âge son incommodité s'augmenta; je lui ai vu un érysipèle pour une poêle de feu qu'on avoit oubliée par mégarde sous son lit. La voilà donc réduite à demeurer presque toujours chez elle, et à ne se chauffer jamais. La nécessité lui fit emprunter des Espagnols l'invention des _alcôves_, qui sont aujourd'hui si fort en vogue à Paris. La compagnie se va chauffer dans l'antichambre. Quand il gèle, elle se tient sur son lit, les jambes dans un sac de peau d'ours, et elle dit plaisamment, à cause de la grande quantité de coiffes qu'elle met l'hiver, qu'elle devient sourde à la Saint-Martin, et qu'elle recouvre l'ouïe à Pâques. Pendant les grands et longs froids de l'hiver passé, elle se hasarda de faire un peu de feu dans une petite cheminée qu'on a pratiquée dans sa petite chambre à alcôve. On mettoit un grand écran du côté du lit qui, étant plus éloigné qu'autrefois, n'en recevoit qu'une chaleur fort tempérée. Cependant cela ne dura pas long-temps, car elle en reçut à la fin de l'incommodité; et cet été qu'il a fait un furieux chaud, elle en a pensé mourir, quoique sa maison fût fort fraîche. Au dernier voyage qu'elle fit à Rambouillet, avant les barricades, elle y fit des prières pour son usage particulier, qui sont fort bien écrites. Ce fut à M. Conrart qu'elle les donna pour les faire copier par Jarry, cet homme qui imite l'impression, et qui a le plus beau caractère du monde[245]. Il les fit copier sur du vélin, et après les avoir fait relier le plus galamment qu'il put, il en fit un présent à celle qui en étoit _l'auteur_, s'il est permis d'user du masculin quand on parle d'une dame. Ce Jarry disoit naïvement: «Monsieur, laissez-moi quelques-unes de ces prières-là, car dans les Heures qu'on me fait copier quelquefois il y en a de si sottes que j'ai honte de les transcrire.» Dans ce voyage de Rambouillet, elle fit dans le parc une belle chose; mais elle se garda de le dire à ceux qui la furent voir. J'y fus attrapé comme les autres. Chavaroche, intendant de la maison, autrefois gouverneur du marquis de Pisani, eut charge de me faire tout voir. Il me fit faire mille tours; enfin il me mena en un endroit où j'entendis un grand bruit, comme d'une grande chute d'eau. Moi qui avois toujours ouï dire qu'il n'y avoit que des eaux basses à Rambouillet, imaginez-vous à quel point je fus surpris, quand je vis une cascade, un jet et une nappe d'eau dans le bassin où la cascade tomboit, un autre bassin ensuite avec un gros bouillon d'eau, et au bout de tout cela un grand carré, où il y a un jet d'eau d'une hauteur et d'une grosseur extraordinaires, avec une nappe d'eau encore qui conduit toute cette eau dans la prairie où elle se perd. Ajoutez que tout ce que je viens de vous représenter est ombragé des plus beaux arbres du monde. Toute cette eau venoit d'un grand étang qui est dans le parc en un endroit plus élevé que le reste. Elle l'avoit fait conduire par un tuyau hors de terre, si à propos, que la cascade sortoit d'entre les branches d'un chêne, et on avoit si bien entrelacé les arbres qui étoient derrière celui-là, qu'il étoit impossible de découvrir ce tuyau. La marquise, pour surprendre M. de Montausier, qui y devoit aller, fit travailler avec toute la diligence imaginable. La veille de son arrivée, on fut obligé, la nuit étant survenue, de mettre plusieurs lanternes sur les arbres et d'éclairer les ouvriers avec des flambeaux; mais sans compter pour rien le plaisir que lui donna le bel effet que faisoient toutes ces lumières entre les feuilles des arbres et dans l'eau des bassins et du grand carré, elle eut une joie étrange de l'étonnement où se trouva le lendemain le marquis, quand on lui montra tant de belles choses. Madame de Rambouillet a toujours un peu trop affecté de deviner certaines choses. Elle m'en a conté plusieurs qu'elle avoit devinées ou prédites. Le feu Roi étant à l'extrémité, on disoit: «Le Roi mourra aujourd'hui;» puis: «Il mourra demain.--Non, dit-elle, il ne mourra que le jour de l'Ascension, comme j'ai dit il y a un mois.» Le matin de ce jour-là on dit qu'il se portoit mieux: elle soutint qu'il mourroit dans le jour; en effet, il mourut le soir[246]. Elle ne pouvoit souffrir le Roi. Il lui déplaisoit étrangement: tout ce qu'il faisoit lui sembloit contre la bienséance. Mademoiselle de Rambouillet disoit: «J'ai peur que l'aversion que ma mère a pour le Roi ne la fasse damner.» Elle devina, en regardant par la fenêtre à la campagne, qu'un homme qui venoit à cheval étoit un apothicaire. Elle le lui envoya demander, et cela se trouva vrai. Une fois mademoiselle de Bourbon[247] et mademoiselle de Rambouillet se divertissoient à deviner le nom des passans. Elles appelèrent un paysan: «Compère, ne vous appelez-vous pas Jean? Oui, mesdemoiselles, je m'appelle _Jean f....._ à votre service.» Madame de Rambouillet est un peu trop complimenteuse pour certaines gens qui n'en valent pas trop la peine; mais c'est un défaut que peu de personnes ont aujourd'hui, car il n'y a plus guère de civilité. Elle est un peu trop délicate, et le mot de _teigneux_ dans une satire, ou dans une épigramme, lui donne, dit-elle, une vilaine idée. On n'oseroit devant elle prononcer le mot de _cul_. Cela va dans l'excès, surtout quand on est en liberté. Son mari et elle vivoient un peu trop en cérémonie. Hors qu'elle branle un peu la tête, et cela lui vient d'avoir trop mangé d'ambre autrefois, elle ne choque point encore, quoiqu'elle ait près de soixante-dix ans[248]. Elle a le teint beau, et les sottes gens ont dit que c'étoit pour cela qu'elle ne vouloit point voir le feu, comme s'il n'y avoit point d'écrans au monde. Elle dit que ce qu'elle souhaiteroit le plus pour sa personne, ce seroit de se pouvoir chauffer tout son saoul. Elle alla à la campagne l'automne passé, qu'il ne faisoit ni froid ni chaud; mais cela lui arrive rarement, et ce n'étoit qu'à une demi-lieue de Paris. Une maladie lui rendit les lèvres d'une vilaine couleur; depuis elle y a toujours mis du rouge. J'aimerois mieux qu'elle n'y mît rien. Au reste, elle a l'esprit aussi net, et la mémoire aussi présente que si elle n'avoit que trente ans. C'est d'elle que je tiens la plus grande et la meilleure partie de ce que j'ai écrit et de ce que j'écrirai dans ce livre. Elle lit toute une journée sans la moindre incommodité, et c'est ce qui la divertit le plus. Je la trouve un peu trop persuadée, pour ne rien dire de pis, que la maison des Savelli est la meilleure maison du monde. [226] Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, étoit fille de Jean de Vivonne, marquis de Pisani, et de Julie Savelli, dame romaine. Elle mourut le 27 décembre 1665, âgée de soixante-dix-huit ans. [227] Elle a eu dix mille écus de rente de sa maison. (T.).--Le mariage eut lieu le 26 janvier 1600. [228] A l'entrée qu'on devoit faire à la Reine-mère quand Henri IV la fit couronner, madame de Rambouillet étoit une des belles qui devoient être de la cérémonie. (T.) [229] C'étoit l'hôtel Pisani. M. de Rambouillet vendit, en 1606, l'ancien hôtel de sa famille, à Pierre Forget Du Fresne, moyennant trente-quatre mille cinq cents livres tournois; et, en 1624, le cardinal de Richelieu l'acheta au prix de trente mille écus pour le détruire; et il construisit à sa place le Palais-Cardinal, devenu le _Palais-Royal_. (_Sauval_, _Antiquités de Paris_, t. 2, p. 200.) [230] Ce passage nous donne la clef de la lettre de Voiture sur le château, du Valentin, situé près de Turin. (_Voyez_ la lettre quatre-vingt-quinzième de Voiture.) [231] Couleur du tan, qui tire sur celle de la châtaigne. [232] «La chambre bleue, si célèbre dans les _OEuvres de Voiture_, étoit parée....... d'un ameublement de velours bleu, rehaussé d'or et d'argent....: c'étoit le lieu où Arthénice recevoit ses visites. Les fenêtres sans appui, qui règnent de haut en bas, depuis son plafond jusqu'à son parterre, la rendent très-gaie, et laissent jouir sans obstacle de l'air, de la vue et du plaisir du jardin.» (Sauval, _Antiquités de Paris_, t. 2, pag. 201.) [233] Philippe de Cospéan, évêque de Lisieux, mourut en 1646. Tallemant lui a consacré un article qu'on verra plus bas. [234] Il est souvent parlé de M. de Chaudebonne dans les lettres de Voiture. Tallemant lui a consacré plus loin un petit article. [235] _Émier_, pour _émietter_, a vieilli. (_Voyez_ les _Dictionnaires_ de _Nicod_, de _Trévoux_, et même celui de l'_Académie_.) [236] Voyez la lettre de condoléance que Voiture écrivit dans cette occasion à mademoiselle de Rambouillet, qui fut depuis madame de Montausier. (_Lettres de Voiture_, lettre 13.) Cet enfant mourut en 1631. [237] Angélique Clarice d'Angennes, demoiselle de Rambouillet, première femme du comte de Grignan. Tallemant en a parlé plus bas dans l'article consacré aux filles de la marquise de Rambouillet. [238] Tallemant semble être en contradiction avec lui-même, quand il dit dans l'article de Philippe de Cospéan, évêque de Lisieux, que M. et madame de Rambouillet passèrent un carême entier à Rambouillet; mais il faut entendre le passage ci-dessus dans ce sens qu'il y avoit alors vingt-huit ans qu'ils n'avoient séjourné dans cette belle terre. [239] Gagnée par le duc d'Enghien, le 3 août 1645. [240] Ou Croates. [241] M. de Montausier avoit épousé mademoiselle de Rambouillet, en 1645. [242] _Voyez_ l'article sur Voiture. [243] C'est plutôt un clos par-delà le jardin. Elle a si bien fait qu'on lui a permis de planter une allée de sycomores sous ses fenêtres, et de semer du foin dessous. Elle se vante d'être la seule dans Paris qui voie de la fenêtre de son cabinet faucher un pré. (T.) [244] Godefroy de Bouillon. (T.) [245] Les ouvrages de cet habile calligraphe sont portés, dans les ventes, à des prix fort élevés. On en voit des exemples curieux dans le _Manuel du libraire_ de Brunet, au mot _Jarry_. [246] Elle dit aussi à madame la Princesse qu'elle accoucheroit le jour de Notre-Dame. (T.) [247] Depuis duchesse de Longueville. [248] Elle a vécu soixante-dix-huit ans, et n'avoit rien de dégoûtant. (T.)--La marquise de Rambouillet mourut le 27 décembre 1665; ainsi Tallemant a écrit en 1657 cette partie de ses Mémoires. MADAME DE MONTAUSIER[249]. Madame de Montausier s'appelle Julie-Lucine d'Angennes. Lucine est le nom d'une sainte de la maison des Savelles. Sa mère et sa grand'mère l'ont porté toutes deux; et, pour l'ordinaire, dans cette maison, on ajoutoit toujours ce nom à celui qu'on donnoit aux filles en les baptisant. Après Hélène, il n'y a guère eu de personnes dont la beauté ait été plus généralement chantée. Cependant ce n'a jamais été une beauté. A la vérité, elle a toujours la taille fort avantageuse. On dit qu'en sa jeunesse elle n'étoit point trop maigre, et qu'elle avoit le teint beau. Je veux croire, cela étant ainsi, que dansant admirablement, comme elle faisoit, qu'avec l'esprit et la grâce qu'elle a toujours eus, c'étoit une fort aimable personne. Ses portraits feront foi de ce que je viens de dire[250]. Elle a eu des amans de plusieurs sortes. Les principaux sont Voiture et M. de Montausier d'aujourd'hui; mais Voiture étoit plutôt un amant de galanterie, et pour badiner, qu'autrement; aussi le faisoit-elle bien soutenir[251]; mais, pour M. de Montausier, c'étoit un _mourant_ d'une constance qui a duré plus de treize ans. Les lettres de Voiture, ses vers, ceux de M. Arnauld, parlent sans cesse de l'esprit merveilleux de mademoiselle de Rambouillet. Mademoiselle de Bourbon[252], qui étoit de beaucoup plus jeune, et qui étoit encore enfant, la tourmentoit tous les jours pour lui faire des contes. Mademoiselle de Rambouillet, ayant épuisé toutes les nouvelles qu'elle avoit pu trouver, s'avisa d'en composer une. Elle fit cette petite histoire de _Zélide et Alcidalis_ dont il est fait mention plus d'une fois dans les lettres de Voiture. On dit qu'une nuit qu'elle ne pouvoit dormir, elle l'inventa, et que Voiture se chargea de la mettre par écrit. Il en a fait la plus grande partie; je n'ai pu encore la voir, parce qu'on l'a portée par mégarde à Angoulême. Cela ne sauroit être bien écrit, car Voiture n'étoit pas capable d'un autre style que du style de badinerie ou de galanterie badine. On m'a assuré qu'il n'y a rien de mieux inventé: si cela est, et que cette histoire me tombe entre les mains, je tâcherai de la réformer ou de la refaire tout de nouveau[253]. Vous trouvez à tout bout de champ dans Voiture des exclamations sur les lettres qu'il reçoit de mademoiselle de Rambouillet, et que même elle écrivoit fort bien en vieux style. On a perdu tout cela, et je n'ai rien pu recouvrer que quelques lettres d'elle à madame la Princesse, écrites avant le siége de La Rochelle, qui est un temps où l'on ne s'étoit pas encore autrement avisé de bien écrire. Il y a pourtant des choses dites avec beaucoup de délicatesse. Ces lettres (ce qui est notable) furent trouvées chez M. le cardinal de La Valette, après sa mort[254]. J'ai déjà dit l'amitié qui étoit entre madame d'Aiguillon et elle; or, quand madame d'Aiguillon eut le don des coches, elle lui en donna pour cinq ou six mille livres de rente; l'autre ne les vouloit point prendre. «Je n'ai besoin de rien, disoit-elle; si j'étois en nécessité, cela seroit bon.» Madame d'Aiguillon répondoit: «Ce n'est point un don que je vous fais; c'est simplement vous faire part d'une gratification du Roi.» Enfin mademoiselle de Rambouillet fut condamnée. Depuis, il y a eu quasi une pareille dispute entre madame de Rambouillet et M. de Montausier. Il avoit fait je ne sais quelle affaire avec le Roi sur les deniers de son gouvernement; car tous gouverneurs, mais lui moins que les autres, sont tous partisans. Il vouloit que madame de Rambouillet en eût le bénéfice pour se rembourser des rentes sur les aides de Xaintes dont elle n'est point payée. Elle ne le voulut pas, et la petite de Montausier lui disoit: «Ma grand'maman, vous dites que mon papa est opiniâtre, mais je trouve que vous l'êtes bien plus que lui.» Montausier et sa femme en usent fort bien avec la marquise et avec leur soeur mademoiselle de Rambouillet. On avoit parlé autrefois de marier[255] madame de Montausier à feu M. de Montausier, aîné de celui-ci. Ce fut madame Aubry qui en parla, mais après elle s'avisa de le garder pour elle. En arrivant à la cour, la première connoissance qu'il fit fut celle de cette dame. Un jour qu'elle lui parloit de madame et de mademoiselle de Rambouillet: «Hé, madame, lui dit-il, menez-m'y!--_Menez-m'y!_ répondit-elle, allez, Xaintongeois, apprenez à parler, et puis je vous y mènerai.» En effet, elle ne l'y voulut mener de trois mois. La guerre appela bientôt après le marquis en Italie. Il se jeta dans Casal, et eut bonne part aux exploits qui s'y firent. Il arrêta toute l'armée du duc de Savoie devant Ponsdès, terre qui n'étoit point en état d'être défendue. Étant amoureux d'une dame en Piémont, et la ville où elle étoit ayant été assiégée, il se déguisa en capucin pour y entrer, y entra, et la défendit. Un jour en contant cela à sa mère, et comme cette femme l'avoit reçu, il s'emporta tellement que, sans songer à qui il parloit, il lui dit: «Je la trouvai seule un jour, et je la ......» Il trancha le mot; mais revenant à soi et voyant qu'il parloit à sa mère, il se lève, fuit, tire la porte et s'en va du logis. Sa mère l'aimoit passionnément. M. de Rohan parle de lui comme d'un homme qui avoit beaucoup de génie pour la guerre. Son frère est un homme à se jeter dans un feu, mais il n'a point de génie pour la guerre. Au retour, madame Aubry, pour avoir un prétexte, fit courir le bruit qu'elle le vouloit marier avec sa fille, aujourd'hui madame de Nermoutier[256], qui, étant encore trop jeune, leur servit de couverture près de quatre ans. Or, cette madame Aubry étoit fort agréable, avoit le teint beau, la taille jolie, et étoit fort propre, mais elle ne pouvoit pas passer pour belle; en récompense elle ne manquoit point d'esprit et chantoit si bien, qu'elle ne cédoit qu'à mademoiselle Paulet. Au reste, inquiète, soupçonneuse et toute propre à faire enrager un galant comme le marquis, qui étoit naturellement coquet[257], elle lui donnoit tant de peine que c'est sur cela que madame de Rambouillet, comme on voit dans les lettres de Voiture, nomme son tourment _l'enfer d'Anastarax_, car elle eut une bizarrerie qui pensa faire perdre patience à son pauvre galant. Un jour quelle n'étoit pas comme les autres à l'hôtel de Rambouillet, on fit en badinant certains vers qu'on lui envoya[258], où il y avoit en un endroit: Chacun n'a pas le nez si beau, Voyez celui de Bineau[259]. Elle alla prendre cela de travers, dit que tout le monde ne pouvoit pas être beau, et défendit au marquis, sur peine de la vie, de mettre le pied à l'hôtel de Rambouillet. Il n'y alloit effectivement qu'en cachette. Ce fut durant cette querelle que _le nain de Julie_ (on appeloit alors ainsi M. Godeau) lui ôta son épée, comme il n'y songeoit pas, et, la lui portant à la gorge, lui cria qu'il falloit abandonner le parti de madame Aubry. Enfin elle en fit tant, que le cavalier la planta là. Le déplaisir qu'elle en eut fut si grand, qu'après avoir fait une confession générale, elle se mit au lit et mourut. Par hasard madame de Rambouillet regardant un jour dans la main du marquis, dit: «Mon Dieu, je ne sais d'où cela me vient, mais le coeur me dit que vous tuerez une femme.» Le marquis fit bien un plus étrange pronostic en s'en allant à la Valteline; car il dit à mademoiselle de Rambouillet qu'il seroit tué cette campagne-là, et que son frère, plus heureux que lui, l'épouseroit. En effet, il reçut un coup de pierre à la tête dont il mourut. On le vouloit trépaner: «Je ne le souffrirai pas, dit-il, il y a assez de fous au monde sans moi.» Ce cavalier étoit né pour la cour; il étoit bien fait et avoit l'esprit accort. Il a été, dit-on, le premier qui ait pris la perruque. Il n'avoit pas assez de cheveux; il se les fit couper, et prit pour valet-de-chambre un perruquier. Il étoit si ambitieux, qu'il avouoit en riant qu'il n'y avoit personne au monde qu'il ne laissât pendre volontiers, s'il ne tenoit qu'à cela qu'il eût un royaume[260]. A cause de cette ambition, madame de Rambouillet l'appela _el Rey de Georgia_, sur la nouvelle qui vint qu'un particulier s'étoit fait roi de ce pays-là. J'ai appris que, comme ami intime du cardinal de La Valette, il s'étoit rendu fort familier à l'hôtel de Condé, et que mademoiselle de La Coste lui avoit fort servi à se mettre bien dans l'esprit de mademoiselle de Bourbon. Il fut sa première inclination. M. le comte (de Soissons), qui la vouloit épouser en ce temps-là, en eut de la jalousie. On éloigna La Coste, qui devenoit trop confidente de Mademoiselle; on ne voulut plus qu'elle allât si souvent à l'hôtel de Condé. M. de Salles, son cadet, devenu l'aîné, quoiqu'il y eût quatre ans qu'il aimoit mademoiselle de Rambouillet, dont il étoit devenu amoureux dès qu'il la vit, ne se déclara pourtant point qu'il ne fût maréchal-de-camp et gouverneur d'Alsace. Il y a apparence que son aîné n'ignoroit pas sa passion, et que c'est ce qui lui fit dire que ce frère plus heureux que lui épouseroit un jour mademoiselle de Rambouillet. Je ne doute point que celle-ci même ne s'en aperçût, car dès le temps du roi de Suède, il avoit commencé à travailler à _la Guirlande de Julie_, dont nous parlerons ensuite. M. de Montausier porta sa passion partout avec lui. Il faisoit des vers, il en parloit, tout cela ne servoit de rien. Mademoiselle de Rambouillet disoit qu'elle ne vouloit point se marier. Lui, plus épris, ou plus opiniâtre que jamais, persévéra toujours. Trois ou quatre ans avant que de l'épouser, il lui envoya _la Guirlande de Julie_. C'est une des plus illustres galanteries qui aient jamais été faites. Toutes les fleurs en étoient enluminées sur du vélin, et les vers écrits aussi sur du vélin, ensuite de chaque fleur, et le tout de cette belle écriture de Jarry dont j'ai parlé[261]. Le frontispice du livre est une guirlande au milieu de laquelle est le titre: _La Guirlande de Julie, pour mademoiselle de Rambouillet, Julie-Lucine d'Angennes_. et à la feuille suivante, il y a un Zéphir qui épand des fleurs. Le livre est tout couvert des chiffres de mademoiselle de Rambouillet. Il est relié de maroquin du Levant des deux côtés, au lieu qu'aux autres livres il y a du papier marbré seulement. Il y a une fausse couverture de frangipane[262]. Mademoiselle de Rambouillet reçut ce présent, et même remercia tous ceux qui avoient fait des vers pour elle. Il n'y eut pas jusqu'à M. le marquis de Rambouillet qui n'en fît. On y voit un madrigal de sa façon[263]. Le seul Voiture, qui n'aimoit pas la foule, ou qui peut-être ne vouloit point être comparé, ne fit pas un pauvre madrigal; il est vrai que les chiens de M. de Montausier et les siens n'ont jamais trop chassé ensemble. Mais cela ne vient pas de là seulement, car à la mort du marquis de Pisani, son grand ami, il ne fit rien non plus, quoique tant de gens eussent fait des vers. Notre marquis, voyant que sa religion étoit un obstacle à son dessein, en change. Il dit qu'on se peut sauver dans l'une et dans l'autre; mais il le fit d'une façon qui sentoit bien l'intérêt[264]. Il traite des gouvernements de M. de Brassac[265], mari de sa tante, pour deux cent mille livres. Il eut bien du bonheur en cette affaire, car M. de Brassac étant tombé malade, madame d'Aiguillon, qui vouloit servir Montausier, pour le faire épouser à son amie, fit en sorte auprès du cardinal Mazarin, sur l'esprit duquel elle avoit alors du pouvoir, qu'on ne scella point les provisions de Montausier, et que Brassac étant mort de cette maladie, on supprima ces provisions, et on en expédia de nouvelles comme d'un gouvernement vacant par mort. Ainsi les héritiers de Brassac perdirent cent mille francs; car pour les autres, madame de Brassac, qui avoit la moitié à tout, les lui donnoit, en cas qu'il ne mourût point le premier sans enfants. Enfin il eut tout le bien de sa tante quelque temps après. Madame d'Aiguillon espéroit que madame de Montausier pourroit devenir dame d'honneur; le prétexte étoit que madame de Brassac l'avoit été, et je pense qu'on ne manqua pas de le lui dire pour la persuader à se marier. Je remarque bien que c'est ce qu'elle souhaiteroit le plus au monde, et il n'y a guère de femme qui y fût plus propre. Le marquis, se voyant gouverneur de Xaintonge et d'Angoumois[266], fit parler à mademoiselle de Rambouillet par mademoiselle Paulet, par madame de Sablé, et par madame d'Aiguillon même. Elle l'estimoit, mais elle avoit aversion pour le mariage. Madame d'Aiguillon, en lui représentant la passion du cavalier, lui disoit: «Ma fille, ma fille, il n'y a rien de tel devant Dieu, cela donne dévotion.» On en fit dire un mot par la Reine; le cardinal même vint en parler à mademoiselle de Rambouillet. En ce temps-là il n'étoit pas si établi qu'il est à cette heure, et il mitonnoit madame d'Aiguillon pour faire épouser le duc de Richelieu à une de ses nièces. Madame de Rambouillet se plaignoit alors de la dureté de sa fille; ce fut ce qui fit l'affaire, car, de peur de fâcher sa mère, elle s'y résolut, et changea du soir au matin. La veille elle étoit aussi éloignée du mariage que jamais. «Je l'aurois fait, disoit-elle, pour l'amour de lui, sans tous ses gouvernements, si j'avois eu à le faire.» Je pense pourtant qu'elle considéra aussi que d'une vieille fille elle devenoit une nouvelle mariée, et telle jeune femme qui ne lui eût pas cédé, et ne l'eût pas crue, la regarda aussitôt comme une personne de qui elle pourroit apprendre à bien vivre; et puis, comme j'ai déjà remarqué, cela la remettoit tout de nouveau dans le monde, et elle aime fort les divertissements. Dès qu'elle eut pris sa résolution, elle fit les choses de fort bonne grâce. Il est vrai qu'elle se fût bien passée de proposer de remettre après la campagne. Montausier devoit commander en Allemagne un corps séparé de six mille hommes; mais M. de Turenne l'empêcha. Pisani partit devant les noces pour suivre M. le Prince. Il dit en partant: «Montausier est si heureux, que je ne manquerai pas de me faire tuer, puisqu'il va épouser ma soeur.» Il n'y manqua pas en effet. Ce fut à Ruel que les noces se firent; et par une rencontre plaisante, celui qu'on appeloit autrefois _le nain de la princesse Julie_[267], fut celui-là même qui les épousa. Le marié avoit une telle enragerie, si j'ose ainsi dire, que, s'allant coucher, il jeta sa robe de chambre dès l'entrée de la chambre. Le chevalier de Rivière disoit en riant que le marié, à la vérité, avoit consommé le mariage, mais que le reste de la nuit s'étoit passé en beaux sentiments. Il est plus jeune qu'elle; elle avoit trente-huit ans. Les vingt-quatre violons, ayant su que mademoiselle de Rambouillet se marioit, vinrent d'eux-mêmes lui donner une sérénade, et lui dirent qu'elle avoit fait tant d'honneur à la danse, qu'ils seroient bien ingrats s'ils ne lui en témoignoient quelque reconnoissance. Elle eut une querelle pour cette noce avec la marquise de Sablé, qui se plaignit qu'elle ne l'avoit pas conviée. L'autre juroit qu'elle lui avoit dit que ce seroit une incivilité de lui donner la peine de faire six lieues, à elle qui étoit quasi toujours sur son lit et qui n'étoit pas autrement _portative_, car ce fut ce terme qui la choqua le plus. La marquise irritée, quoiqu'on l'eût reconviée après, n'en voulut point ouïr parler, et pour montrer qu'elle étoit aussi _portative_ qu'une autre, elle monte en carrosse, en dessein d'aller voltiger, et se faire voir autour de Ruel. Pour cela une demoiselle à elle, appelée La Morinière, à qui elle avoit fait apprendre à connoître les vents, regarde bien la girouette, et après l'avoir assurée qu'il n'y avoit point d'orage à craindre, on part; mais elle ne fut pas plus tôt au-delà du pont de Nully[268] que voilà tout le ciel brillant d'éclairs. La frayeur la prend; elle fait toucher à Paris, et le tonnerre étant assez fort, quoiqu'elle eût une grosse bourse de reliques, elle se cache dans les carrières de Chaillot, avec protestation de ne songer plus à se venger. A quelques jours de là la paix se fit. Elle eut une bien plus grande querelle avec La Moussaye. Voici apparemment d'où cela vint. M. d'Enghien, étant à Furnes, en belle humeur, dit à table qu'il croyoit qu'il faudroit un brin d'estoc pour sauter d'un bout à l'autre du... de madame de Montausier. La Moussaye ne dit rien, mais il rit de cette plaisante vision incomparablement plus que les autres. Madame de Montausier, au retour de cette campagne, déclara à La Moussaye qu'elle ne seroit plus son amie, et qu'il lui avoit fait un fort vilain tour. «Moi, dit-il, madame, je serois le plus lâche des hommes, car sans vous j'aurois été chassé d'auprès M. d'Enghien; vous fîtes que madame d'Aiguillon fit parler M. le cardinal à M. le Prince.--Eh bien! lui répondit-elle, vous êtes donc le plus lâche des hommes.» M. d'Enghien voulut savoir d'elle ce que c'étoit, elle n'en voulut rien dire. On voit dans la lettre que Voiture écrit pour elle en Catalogne qu'elle étoit encore en colère. La Moussaye est mort depuis sans avoir fait sa paix. On a cru que c'étoit cette raillerie qui en fut la cause, puisqu'elle ne l'avoit pas voulu dire. Depuis son mariage, madame de Montausier est devenue un peu cabaleuse. Elle veut avoir cour; elle a des secrets avec tout le monde; elle est de tout, et ne fait pas toute la distinction nécessaire. Je tiens que mademoiselle de Rambouillet valoit mieux que madame de Montausier. Elle est pourtant bonne et civile, mais il s'en faut bien que ce soit sa mère, car sa mère n'a pas les vices de la cour comme elle. Elle dit une plaisante chose à quelqu'un qui lui demandoit pourquoi elle ne laissoit pas M. de Montausier solliciter ses pensions. «Hé! dit-elle, s'il alloit battre M. d'Emery[269], ce seroit bien le moyen d'être payé.» En effet, M. de Montausier est un homme tout d'une pièce; madame de Rambouillet dit qu'il est fou à force d'être sage. Jamais il n'y en eut un qui eût plus de besoin de sacrifier aux Grâces. Il crie, il est rude, il rompt en visière, et s'il gronde quelqu'un, il lui remet devant les yeux toutes ses iniquités passées. Jamais homme n'a tant servi à me guérir de l'humeur de disputer. Il vouloit qu'on fît deux citadelles à Paris, une au haut et une au bas de la rivière, et dit qu'un roi, pourvu qu'il en use bien, ne sauroit être trop absolu, comme si ce _pourvu_ étoit une chose infaillible. A moins qu'il ne soit persuadé qu'il y va de la vie des gens, il ne leur gardera pas le secret. Sa femme lui sert furieusement dans la province. Sans elle la noblesse ne le visiteroit guère: il se lève là à onze heures comme ici, et s'enferme quelquefois pour lire, n'aime point la chasse, et n'a rien de populaire. Elle est tout au rebours de lui. Il fait trop le métier de bel esprit pour un homme de qualité, ou du moins il le fait trop sérieusement. Il va au _Samedi_ fort souvent[270]. Il a fait des traductions; regardez le bel auteur qu'il a choisi: il a mis Perse en vers français. Il ne parle quasi que de livres, et voit plus régulièrement M. Chapelain et M. Conrart que personne. Il s'entête, et d'assez méchant goût; il aime mieux Claudian que Virgile. Il lui faut du poivre et de l'épice. Cependant, comme nous dirons ailleurs, il goûte un poème qui n'a ni sel ni sauge: c'est _la Pucelle_, par cela seulement qu'elle est de Chapelain. Il a une belle bibliothèque à Angoulême. En récompense c'est un bon serviteur du Roi. Il le fit bien voir en 1652. Pour peu qu'il eût voulu donner de soupçons au cardinal quand M. le Prince étoit en Xaintonge, le cardinal l'eût fait tout ce qu'il eût voulu être. Mais il ne voulut point escroquer le bâton de maréchal de France, aussi ne l'a-t-il pu avoir quand il l'a demandé. On disoit qu'il avoit dit: «Je ne pense point au brevet[271]; ma femme a bonnes jambes, elle se tiendra bien debout.» D'ailleurs il n'a qu'une fille[272]. Je me souviens que madame de Montausier, qui n'étoit pas jeunette, fut fort malade en accouchant. On envoya Chavaroche, qui étoit un peu amoureux d'elle il y avoit long-temps, quérir la ceinture Sainte-Marguerite à l'abbaye Saint-Germain. C'étoit en été à la pointe du jour. De chagrin qu'il avoit, on dit qu'il gronda les moines qu'il trouva encore au lit. «Il vous fait beau voir, disoit-il entre ses dents, d'être encore au lit, et madame de Montausier est en danger.» Elle eut deux fils tout de suite. L'aîné mourut à trois ans d'une chute, et l'autre pour n'avoir jamais voulu prendre une autre nourrice que la sienne qui perdit son lait. Celui-ci eût été le digne fils de son père, car il falloit qu'il fût bien têtu. Madame de Montausier mena une fois sa soeur de Rambouillet[273] en Angoumois. M. de La Rochefoucauld leur donna une chasse magnifique; à tous les relais, il y avoit collation et musique. A Xaintes, elles faisoient le cours à cheval dans la prairie, le long de la Charente, et il s'y trouvoit assez grand nombre de carrosses, car toutes les dames des environs s'y rendoient. Elles allèrent voir l'armée navale, et au retour elles reçurent le maréchal de Gramont avec le canon, et le firent complimenter par le présidial en corps. Pour lui, il leur disoit plaisamment: «Venez jusqu'à Bayonne et m'avertissez, afin que je fasse tenir des baleines toutes prêtes.» Cette réception fit une querelle. Le maréchal d'Albret passa aussi par Angoulême; on ne lui fit point de fanfares. Il y fut quatre jours, et après cela il s'avisa de se fâcher de ce qu'on ne l'avoit pas traité comme le maréchal de Gramont. On répondit que ce n'étoit pas comme maréchal de France, mais comme un ancien ami qu'on l'avoit traité ainsi. «Ah! ne suis-je pas aussi votre ami.» Le président de Guénégaud se plaignit aussi de ce qu'étant président aux enquêtes du parlement de Paris, le présidial n'étoit pas allé chez lui en corps. Je crois que cela ne se doit point. Mademoiselle de Rambouillet, entendant cela, dit brusquement: «Hé! de quoi s'avise ce président de Guénégaud de nous venir aussi chicaner?» Ils se plaignirent encore de cela; enfin la cour en eut vent, car, à cause de certaines gens de guerre qu'il falloit faire vivre sur le pays, le maréchal prétendoit avoir sujet de n'être pas content de M. de Montausier. Enfin cela s'apaisa. Il y eut bien des gentilshommes mal satisfaits de mademoiselle de Rambouillet. Une fois elle dit tout haut à quelqu'un qui venoit de la cour: «Je vous assure qu'on a grand besoin de quelques rafraîchissements, car sans cela on mourroit bientôt ici.» Il y eut un gentilhomme qui dit hautement qu'il n'iroit point voir M. de Montausier tandis que mademoiselle de Rambouillet y seroit, et qu'elle s'évanouissoit quand elle entendoit un méchant mot[274]. Un autre, en parlant à elle, hésita long-temps sur le mot d'avoine, _avoine_, _avene_, _aveine_. «_Avoine, avoine_, dit-il, de par tous les diables! on ne sait comment parler céans.» Mademoiselle de Rambouillet trouva cette boutade si plaisante qu'elle l'en aima toujours depuis. Madame de Montausier, dès qu'elle voyoit arriver un gentilhomme, s'informoit de son nom et de tout le reste, et à table, ou en causant, le nommoit par son nom, lui demandoit des nouvelles de sa famille; cela les charmoit. Sans elle Montausier n'auroit pas un gentilhomme à lui. Il rompt en visière, si l'on fait quelque malpropreté à table. Une fois, faute de siéges, car il y avoit bien des gens dans la chambre, un gentilhomme, nommé Langallerie[275], s'assit sur la table sur laquelle Montausier avoit le coude appuyé. Cela ne plut pas à M. le gouverneur, mais il eut tort de le chatouiller, comme il fit, car après il lui dit sérieusement: «Vous avez le cul un peu près de mon nez, et vous perdez le respect.» L'autre parla assez hardiment; Montausier s'emporte, appelle ses gardes. «Prenez-le-moi.» Langallerie, au lieu de dire simplement _Je cède à la force_, met l'épée à la main. Il falloit périr en cette rencontre-là, et non pas se laisser mener en prison comme il fit. Il y fut quinze jours. Montausier est un peu amoureux de Pelloquin; mais madame de Montausier la fait bien soutenir, la traite bien, mais lui rabat fort son caquet quand il le faut. C'étoit une fille à elle qu'on a mariée avec un gentilhomme de M. de Montausier, à qui on à donné la lieutenance de roi de la ville et citadelle de Xaintes. Il s'appelle La Grange. Parlons un peu de leur fille. Cette enfant, car elle n'a encore que onze ans, a dit de jolies chose, dès qu'elle a été sevrée. On amena un renard chez son papa; ce renard étoit à M. de Grasse. Dès qu'elle l'aperçut elle mit ses mains à son collier; on lui demanda pourquoi: «C'est de peur, dit-elle, que le renard ne me le vole: ils sont si fins dans les Fables d'Ésope.» Quelques mois après on lui disoit: «Tenez, voilà le maître du renard; que vous en semble?--Il me semble, dit-elle, encore plus fin que son renard.» Elle pouvoit avoir six ans quand M. de Grasse lui demanda combien il y avoit que sa grande poupée avoit été sevrée: «Et vous, combien y a-t-il? lui dit-elle, car vous n'êtes guère plus grand[276].» A cause de la petite vérole de sa tante de Rambouillet, on la mit dans une maison là auprès. Une dame l'y fut voir: «Et vos poupées, mademoiselle, lui dit-elle, les avez-vous laissées dans le mauvais air?--Pour les grandes, répondit-elle, madame, je ne les ai pas ôtées, mais pour les petites, je les ai amenées avec moi.» A propos de poupées, elle avoit peut-être sept ans quand la petite Des Réaux[277] la fut voir. Cette autre est plus jeune de deux ans. Mademoiselle de Montausier la vouloit traiter d'enfant, et lui disoit en lui montrant ses poupées: «Mettons dormir celle-là.--J'entends bien, disoit l'autre, ce que vous voulez dire.--Non, tout de bon, reprenoit-elle, elles dorment effectivement.--Voire! je sais bien que les poupées ne dorment point, répliquoit l'autre.--Je vous assure que si qu'elles dorment, croyez-moi; il n'y a rien de plus vrai.--Elles dorment donc, puisque vous le voulez,» dit la petite Des Réaux avec un air dépité; et en sortant elle dit: «Je n'y veux plus retourner, elle me prend pour une enfant.» On lui demandoit laquelle étoit la plus belle, de madame de Longueville, ou de madame de Châtillon qu'elle appeloit _sa belle-mère_. «Pour la vraie beauté, dit-elle, ma belle-mère est la plus belle.» Elle disoit à un gentilhomme de son papa: «Je ne veux pas seulement que vous me baisiez en imagination.» Elle faisoit souvent un même conte. Madame de Montausier disoit: «Fi! fi! où avez-vous appris cela?--Attendez, dit cette enfant, ne seroit-ce point de ma grand'maman de Montausier?» Cela se trouva vrai. Elle disoit qu'elle vouloit faire une comédie: «Mais, ma grand'maman, ajoutoit-elle, il faudra que Corneille y jette un peu les yeux, avant que nous la jouiions.» Un page de son père, qui étoit fort sujet à boire, s'étant enivré, le lendemain elle lui voulut faire des réprimandes. «Voyez-vous, lui disoit-elle, pour toutes ces choses-là, je suis tout comme mon papa, vous n'y trouverez point de différence.» On lui dit: «Prenez ce bouillon pour l'amour de moi.--Je le prendrai, dit-elle, pour l'amour de moi, et non pour l'amour de vous.» Un jour elle prit un petit siége et se mit auprès du lit de madame de Rambouillet. «Or çà, ma grand'maman, dit-elle, parlons d'affaires d'Etat, à cette heure que j'ai cinq ans.» Il est vrai qu'en ce temps-là on ne parloit que de _fronderie_. M. de Nemours, alors archevêque de Reims, lui disoit qu'il la vouloit épouser. «Monsieur, lui dit-elle, gardez votre archevêché: il vaut mieux que moi.» Elle n'avoit que cinq ans quand on lui voulut faire tenir un enfant. Le curé de Saint-Germain la refusa, disant: «Elle n'a pas sept ans.--Interrogez-la,» lui dit-on. Il l'interrogea devant cent personnes; elle répondit fort assurément, il la reçut et lui donna bien des louanges. Un jour qu'elle étoit couchée avec madame de Rambouillet, M. de Montausier la voulut tâter. «Arrêtez-vous, lui dit-elle, mon papa, les hommes ne mettent point la main dans le lit de ma grand'maman.» C'étoit la consolation de cette grand'maman, quand elle demeura toute seule à Paris. A la mort de M. de Rambouillet, elle étoit fort touchée de la voir triste: «Consolez-vous, lui disoit-elle, ma grand'maman, Dieu le veut; ne voulez-vous pas ce que Dieu veut?» D'elle-même elle s'avisa de faire dire des messes pour lui. «Oh! dit sa gouvernante, si votre grand-papa, qui vous aimoit tant, savoit cela!--Eh! ne le sait-il pas, dit-elle, lui qui est devant Dieu?» Elle n'avoit guère que neuf ans, qu'ayant lu la Fête des fleurs dans _Cyrus_, elle s'avisa d'elle-même d'en faire une représentation avec les filles du logis, et lorsque madame de Rambouillet ne songeoit à rien moins qu'à cela, cette enfant, avec ses compagnes, toutes en guirlandes, pour la divertir, lui vint jeter à ses pieds une grande mont-joie[278] de fleurs. C'est dommage qu'elle ait les yeux de travers, car elle a la raison bien droite; pour le reste, elle est grande et bien faite. Elle s'est gâtée depuis pour l'esprit et pour le corps. Au printemps de 1658, madame de Montausier se blessa. Elle eût bien fait de n'en rien dire, car c'étoit une espèce de miracle: elle avoit, au compte de sa mère, cinquante-quatre ans. La mère dit qu'elle est accouchée de madame de Montausier à seize ans; or madame de Rambouillet naquit durant les Etats de Blois (1588). Cela est aisé à calculer; cependant Julie eut la foiblesse de dire qu'elle s'étoit blessée, afin de ne pas passer pour si âgée. On en rit un peu. Madame Pilou[279] ne trouvoit nullement bon qu'elle eût dit cela. On a ouï dire céans[280] à madame de Montausier: «Quand j'étois en couches ce printemps.» [249] Julie-Lucie d'Angennes épousa, comme nous l'avons dit 1645, M. de Montausier. [250] Il doit exister des portraits peints de madame de Montausier, mais on n'en connoît point qui aient été gravés de son temps. Il n'en est indiqué aucun dans la _Liste de portraits_ qui termine le quatrième vol. de la _Bibliothèque historique de la France_, et MM. de Bure n'en possèdent point dans leur belle collection. Cette femme illustre a été seulement gravée dans ces derniers temps par Bonvoisin, d'après Mignard, pour le _Choix d'Oraisons funèbres_, donné en 1820, par Dussault. Mais ce portrait ne présente pas le caractère remarquable qui sembleroit devoir appartenir à une femme aussi spirituelle; tout porte à croire qu'il n'a rien d'authentique. [251] Sans doute pour: _lui faisoit-elle bien supporter des rebuts_. [252] Anne-Geneviève de Bourbon étoit née le 27 août 1619; ainsi mademoiselle de Rambouillet, née en 1607, avoit douze ans de plus que cette princesse, qui, devenue duchesse de Longueville, a joué un si grand rôle dans la guerre de la Fronde. [253] L'Histoire de Zélide et d'Alcidalis n'a pas été achevée par Voiture. Ce qui en existe est imprimé dans les dernières _OEuvres_ de l'auteur. Ce poète, écrivant à mademoiselle de Rambouillet, depuis marquise de Montausier, ne laisse point de doute sur le véritable auteur de cette nouvelle. Il dit en parlant de M. de Chaudebonne: «Je lui conterai une histoire plus agréable que celle d'Héliodore, et faite par une personne plus belle que Chariclée. Vous jugez bien, mademoiselle, que c'est celle de _Zélide et d'Alcidalis_ que je lui ai promise, car il n'y en a point d'autre au monde de qui cela se puisse dire. Quelque stupide que je sois devenu, ne craignez point qu'en la contant, je lui fasse rien perdre de sa beauté, car dans tous mes maux je me suis encore conservé ma mémoire tout entière, et je crois qu'elle me servira fidèlement quand ce sera pour vous, _puisque vous y avez autant de part que personne_, et que je suis, etc.» (_Voyez_ la lettre huitième de Voiture.) L'édition de ses oeuvres, _à la Sphère_, 1697, contient la _suite de l'Histoire de Zélide et d'Alcidalis_, mais cette suite n'est pas de Voiture. [254] Le cardinal de La Valette passoit pour avoir été l'amant de la princesse de Condé. [255] Comme on disoit un jour qu'il falloit la marier à un homme qui ne pût l'emmener hors de Paris, quelqu'un ajouta qu'il falloit alors la marier avec M. l'archevêque; mais il se trompoit, car les prélats ont une telle aversion pour la résidence, que celui-ci aimoit mieux être à Saint-Aubin d'Angers qu'à Paris. (T.) [256] Pour Noirmoutier. [257] Cette madame Aubry traitoit son mari terriblement de haut en bas. Il étoit trois mois à la prier pour coucher une nuit avec elle. (T.) [258] Ils sont perdus. (T.) [259] Un gentilhomme du cardinal de la Valette. (T.) [260] Voiture lui écrivoit: «Il me déplaît de penser qu'avec toute cette tendresse que vous me témoignez, il y a quelque occasion pour laquelle vous voudriez que je fusse pendu...... Je désire... avec tant de passion que vous ayez tout ce que vous méritez, que s'il ne tenoit qu'à cela que vous eussiez un royaume, sans mentir je crois que j'y consentirois aussi bien que vous.» (Lettre quarante-sixième de Voiture.) [261] _Voyez_ précédemment, p. 230. [262] Ce volume a été l'objet d'une notice de M. de Gaignières, imprimée en tête de l'édition de _la Guirlande de Julie_; Paris, imprimerie de Monsieur, 1784, in-8º; reproduite par les soins de M. Charles Nodier; Paris, Delangle, 1826, in-16. Ce beau manuscrit, vendu sept cent quarante-vingts livres, à la vente Gaignat, et adjugé à la vente de La Valière moyennant quatorze mille cinq cent dix livres à madame de Châtillon, est maintenant entre les mains de madame la duchesse d'Uzès, sa fille. [263] Les auteurs des madrigaux qui composent _la Guirlande_ sont nommés dans l'édition de 1784, et cependant on n'y trouve pas le nom du marquis de Rambouillet, père de Julie d'Angennes; aussi nous croyons que Tallemant se trompe en lui attribuant une de ces petites pièces. Mais notre auteur ne nous dit pas que l'un des madrigaux faits sur le lys est de Tallemant Des Réaux lui-même. Cette circonstance nous engage à citer ici cette jolie pièce: Devant vous je perds la victoire Que ma blancheur me fit donner, Et ne prétends plus d'autre gloire Que celle de vous couronner. Le Ciel, par un honneur insigne, Fit choix de moi seul autrefois, Comme de la fleur la plus digne Pour faire un présent à nos rois. Mais si j'obtenois ma requête, Mon sort seroit plus glorieux D'être monté sur votre tête Que d'être descendu des cieux. [264] On est surpris que M. Dussault, qui donne à la fois pour motifs de la conversion du duc de Montausier, les doutes que ce dernier avoit conçus sur les erreurs du calvinisme, et l'amour qu'il portoit à mademoiselle de Rambouillet, ait ajouté que _cette abjuration, pour son importance, peut être mise au-dessus de celle même de Turenne_. L'histoire doit être dépouillée de ces pieuses exagérations, dont on est convenu d'embellir l'oraison funèbre destinée à la chaire chrétienne. (Voyez la _Notice_ sur Charles de Saint-Maure, duc de Montausier, dans le _Choix des Oraisons funèbres_; Paris, Janet, 1820, tom. 2, pag. 404.) [265] Xaintonge et Angoumois. (T.) [266] Pour le gouvernement d'Alsace, ou plutôt la commission pour y commander, le cardinal dit: «Plusieurs me l'ont demandée, mais je ne désoblige point en obligeant: elle demeurera à M. de Montausier.» Depuis le cardinal, l'Alsace étoit devenue, par la paix, un fort bon gouvernement; on la lui ôta et ne lui en laissa que la lieutenance de roi, car Schelestadt et Colmar, dont il étoit gouverneur particulier, ont été rendus par le Traité de Munster. (T.) [267] M. de Grasse, Godeau. (T.) [268] On dit aujourd'hui _Neuilly_. [269] Michel Particelli, sieur d'Emery, surintendant des finances, mort en 1650. [270] Une assemblée chez mademoiselle Scudéry (T.) [271] _Brevet._ Le brevet de duc. Il fut fait duc et pair de France par lettres du mois d'août 1664, enregistrées au Parlement en décembre 1665. [272] Marie-Julie de Sainte-Maure, seule héritière du duc de Montausier, épousa le duc d'Uzès, au mois d'août 1664. [273] Angélique-Claire d'Angennes, qui a depuis été la première femme du comte de Grignan. [274] Madame de Grignan (première femme) dut bien souffrir lorsqu'elle assista, le 18 novembre 1659, à la première représentation des _Précieuses ridicules_, car il étoit difficile, d'après les diverses anecdotes rapportées par Tallemant, qu'elle ne s'y reconnût pas. Ménage a rendu compte de l'impression que cette pièce produisit sur lui, et il nous apprend qu'il y assistoit avec mademoiselle de Rambouillet, mariée alors à M. de Grignan, depuis un an environ. (_Voyez_ le _Menagiana_, édit. de 1762, t. I, page 251.) Le passage du _Menagiana_ est cité par tous les commentateurs de Molière; mais on n'a pas pris garde que mademoiselle de Rambouillet et madame de Grignan, dont il y est parlé, ne font qu'une seule personne. Deux filles de madame de Rambouillet se marièrent, toutes les autres entrèrent en religion. [275] C'étoit vraisemblablement le père de Philippe de Gentils, marquis de Langallerie, né en 1656, à la Motte-Charente, en Saintonge, sur lequel on a des Mémoires. [276] Aussi appeloit-on Godeau, _le Nain de Julie_, comme on l'a vu plus haut. [277] Nièce ou cousine de l'auteur de ces _Mémoires_. [278] «_Mont-joie_ signifioit autrefois, enseigne des chemins... Les _Mont-joies_ n'étoient souvent que des monceaux de pierres ou d'herbes qui enseignoient les passants.» (_Dictionnaire de Trévoux._) [279] Madame Pilou étoit une femme d'un caractère très-original à laquelle Tallemant a consacré plus loin un long article. [280] C'est-à-dire chez Tallemant, auteur de ces _Mémoires_. MADAME D'YÈRES[281], MADAME DE SAINT-ÉTIENNE ET MADEMOISELLE DE RAMBOUILLET. L'abbaye d'Yères, à quatre lieues de Paris, ayant vaqué, madame de Rambouillet la demanda pour sa seconde fille. Le cardinal de Richelieu en avoit déjà disposé en faveur d'une parente de M. Des Noyers; cependant on s'y obstina à cause de la proximité de Paris; et, par la faveur de madame d'Aiguillon, on en vint à bout. S'ils eussent su le peu de satisfaction qu'ils en devoient avoir, ils n'y eussent pas pris tant de peine. Dès que l'abbesse fut installée, elle déclara qu'elle ne vouloit point pour directeur celui que sa famille lui avoit destiné; elle en prit un autre. Elle traita mal deux de ses soeurs qu'on mit avec elle, ne fit rien de ce qu'il falloit faire pour mettre son abbaye en réputation; en un mot, elle n'a reçu en vingt-quatre ans que quatre religieuses; et il y avoit trois ans qu'elle étoit, avec des novices, en chambre garnie à Paris; et il n'y avoit plus en tout que six religieuses quand on obtint un bref du pape, car l'abbaye va directement au saint Siége, par lequel il nommoit pour directeur un prêtre de grande réputation, nommé M. de Blancpignon, qui l'est déjà des Carmélites et de deux ou trois autres ordres de filles dans Paris. Il va à Yères; elle s'y trouve, déclare qu'il est son ennemi; cependant elle ne le connoissoit pas, et elle obtient un nouveau bref du pape qui nomme M. l'archevêque de Sens. Elle l'avoit demandé, à cause que l'hôtel d'Yères[282] touche l'hôtel de Sens, et que l'archevêque avoit voulu en avoir quelques chambres pour sa commodité. Durant l'intervalle de ces deux brefs, M. de Blancpignon avoit dit qu'à moins de faire venir d'anciennes religieuses à Yères, on n'y sauroit remettre l'ordre; on en fit venir de Montmartre. L'abbesse d'Yères les pensa faire mourir de faim; madame de Montmartre fut contrainte de leur envoyer de quoi vivre. Ce second bref arrivé, on instruit le pape de la surprise qu'on lui avoit faite, et que ce qu'elle avoit exposé contre M. de Blancpignon étoit faux. Le pape le nomme derechef, et transfère l'abbesse aux filles de la Miséricorde. La supérieure de la maison la flatta pour faire faire madame sa nièce coadjutrice; cependant un beau jour elles se brouillèrent et se séparèrent. Voilà madame d'Yères logée chez un loueur de carrosses. Elle plaide et fait imprimer un factum, ou plutôt un libelle diffamatoire contre sa famille, et dit là-dedans que tout ce qu'elle souffre ne vient que de ce qu'elle n'a pas voulu faire sa soeur de Pisani coadjutrice, et elle envoie cela dans tous les couvens. Il n'y a rien de plus faux; on ne l'en a jamais pressée, et madame de Pisani la seroit de Saint-Étienne, si elle avoit voulu; mais c'est une bonne fille sans ambition, qui veut vivre dans une maison plus austère; et puis aujourd'hui (1663) madame de Montausier est trop bien à la cour pour manquer une bonne place pour sa soeur, si elle s'en mettoit bien en peine. Le Parlement ordonna que madame d'Yères seroit mise dans quelque maison religieuse, et on l'obligea à aller loger dans une maison où il y a une espèce de communauté de filles, dans la rue Saint-Antoine. Elle dit qu'on lui avoit démis deux côtes, en la pressant de sortir de chez elle; puis elles étoient rompues; enfin elle n'en ose plus parler. Le premier président a empêché que cela ne fût plaidé; il en a fait un procès par écrit[283]. Madame de Saint-Etienne, Louise-Isabelle d'Angennes, étoit religieuse à Yères avec madame de Pisani, sa soeur; mais il fallut les en tirer toutes deux, parce que madame d'Yères est une fort déraisonnable personne. M. de Montausier les alla quérir. Elles ont été, à plusieurs reprises, à l'hôtel de Rambouillet, à cause des troubles qui les empêchoient de demeurer à La Villette, où on les avoit mises en attendant. Voici comment madame de Saint-Etienne eut cette abbaye. La pénultième abbesse de Saint-Etienne, croyant que Dieu en seroit mieux servi, remit l'élection dans cette maison, et, avec le consentement du Roi, obtint en cour de Rome tout ce qui étoit nécessaire pour ce nouvel établissement, avec cette exception toutefois que celle qui a été la dernière abbesse lui succéderoit. Cette dernière a vécu fort long-temps, et plus de dix ans avant sa mort, ses religieuses commencèrent à faire des brigues. Cela mit un tel désordre dans le couvent que cette pauvre abbesse, ayant quelque crédit auprès de madame La Palatine[284], qui avoit été quelque temps sa pensionnaire, la supplia très-humblement de faire en sorte que le roi nommât une coadjutrice, et qu'on remît les choses en leur premier état. Madame la Palatine en parle à madame la marquise de Rambouillet, qui obtient le brevet pour madame de Rambouillet, la religieuse. Aussitôt les cabaleuses de Saint-Etienne font les enragées jusqu'à enfermer leur abbesse, la traiter de radoteuse, et lui envoyer des poupées, comme si elle eût été en enfance. Elles se pourvoient contre la nomination du Roi. Enfin, après bien de la peine, tant par le support de l'archevêque, que par le crédit de la famille, l'affaire fut jugée au conseil d'en haut à l'avantage de madame de Rambouillet, et le sacre du Roi s'étant fait incontinent après, la Reine elle-même, car il ne falloit pas moins que cela, la mit en possession. Les rebelles furent assez insolentes pour déclarer à la Reine qu'elles ne reconnoîtroient jamais une coadjutrice; elles firent des protestations contre tout ce qui s'étoit fait, et les plus envenimées se retirèrent chez leurs parents. Celles qui étoient demeurées ne se plaignoient que d'une chose, c'est que leur coadjutrice ne faisoit rien qui leur donnât lieu de mordre sur elle; et peu après elles commencèrent à se radoucir. L'année suivante, M. et madame de Montausier et mademoiselle de Rambouillet y firent un voyage. La douceur et l'adresse de ces deux soeurs remirent quasi toutes les religieuses dans le devoir, mais l'_humanité_ de M. de Montausier acheva de les réduire[285]. C'est ainsi qu'elles en parloient, et cela fit assez rire madame la marquise de Rambouillet. Il pensa bientôt après se repentir de son humanité, car ces bonnes filles l'assassinèrent de leurs lettres. Peu de temps après l'abbesse mourut, et la coadjutrice fut universellement reconnue de toutes les religieuses, excepté de la fille de M. Bodeau, dont nous parlerons ensuite[286]; mais elle revint après. En retournant de Reims, madame de Montausier et sa compagnie passèrent à Liancourt. On alla dire à madame de Liancourt que c'étoit madame la marquise de Rambouillet; elle en eut la plus grande joie du monde, car elle ne souhaite rien tant que de lui faire voir toutes les merveilles qu'elle a faites en ce beau lieu[287], mais quand elle vit que madame de Rambouillet n'y étoit pas, elle en eut un dépit étrange, et leur dit qu'elle avoit quelque envie de les renvoyer sans leur montrer sa maison. Madame de Saint-Etienne a plus d'air de madame de Montausier que pas une de ses soeurs. Elle est gaie, caressante, bonne et spirituelle, mais non pas tant que madame de Montausier ni que mademoiselle de Rambouillet. Elle s'est gouvernée de sorte que toutes les religieuses et la ville même de Reims l'aiment extrêmement. Comme elle partoit pour venir ici cette année pour un procès, elle alla à Saint-Remi de Reims voir la sainte Ampoule; il y avoit une presse étrange. «Jésus! dit-elle, quelle foule! Ne l'avez-vous jamais vue?--Ce n'est pas pour la sainte Ampoule, dirent-ils, que nous venons, c'est pour voir madame de Saint-Etienne.» Mademoiselle de Rambouillet ne voulut pas être religieuse. On la tira d'Yères, quand sa soeur fut mariée: elle s'appelle Angélique-Clarisse d'Angennes. Mademoiselle Paulet lui donna son nom, et je pense qu'elle lui donna aussi ses cheveux, car il n'y a qu'elle de rousse dans la famille. En se coiffant de faux cheveux, cela peut passer; mais la petite vérole l'a bien gâtée, en sorte qu'elle n'est nullement belle et n'a que la taille, mais avec une grande maigreur. Elle a de l'esprit, et dit quelquefois de fort plaisantes choses; mais elle est maligne, et n'a garde d'être civile comme sa soeur. On dit pourtant qu'elle est bonne amie. Nous parlerons d'elle dans l'historiette de Voiture et dans celle des Précieuses[288]. [281] Claire-Diane d'Angennes de Rambouillet, abbesse d'Yères, mourut le 19 mars 1669. Sa soeur Catherine-Charlotte d'Angennes, qu'on appeloit _madame de Pisani_, lui succéda. (_Gallia christiana_, tome 7, page 612.) [282] C'étoit une maison acquise en 1182, par Eve, troisième abbesse d'Yères; suivant d'anciens titres, elle étoit située près de la porte de Paris. La rue _des Nonaindières_ en a pris son nom, de l'hôtel que les _nonains d'Yères_ y possédoient. [283] Claire-Diane d'Angennes de Rambouillet, abbesse d'Yères, mourut le 19 mars 1699; sa soeur Catherine Charlotte d'Angennes, qu'on appelle _madame de Pisieux_, lui succéda. (_Gallia christiana_, t. 7, p. 612.) [284] Anne de Gonsague, princesse Palatine. [285] Effectivement il a grande humanité pour ses valets; ils le fait bien traiter s'ils sont malades et les récompense. On est fort propre et fort réglé chez lui. (T.) [286] _Voyez_ l'article de mademoiselle Paulet, t. I, p. 196. [287] Jeanne de Schomberg, duchesse de La Rocheguyon, morte le 14 juin 1674, a fait de Liancourt un des plus beaux lieux de France. On a de cette dame un petit livre qu'on ne peut assez estimer. Il est intitulé: _Réglement donné par une dame de haute qualité à M***, sa petite-fille_. Cet ouvrage, publié en 1698 par l'abbé Boileau, et réimprimé en 1779, fut composé par elle pour la duchesse de La Rochefoucauld, sa petite-fille. Elle s'y montre profonde moraliste. [288] Mademoiselle de Rambouillet épousa, le 27 avril 1658, François Adhémar de Monteil, comte de Grignan, dont elle a été la première femme. Elle est morte le 22 décembre 1664. CROISILLES ET SES SOEURS. Croisilles[289] étoit de Béziers. A son arrivée à Paris, il fit connoissance avec un autre Croisilles, aussi Languedocien, qui se disoit son parent. Cet homme étoit gouverneur du comte de Guiche, aujourd'hui maréchal de Gramont, et du comte de Louvigny, son frère, qui étoient alors à l'Académie. Il eut aussi entrée à l'hôtel de Rambouillet, chez madame de Combalet[290] et chez madame la Princesse, par le moyen de mademoiselle Paulet, qui, du côté de son père, étoit sa parente. Croisilles étoit d'assez agréable conversation, d'une lecture et d'une mémoire prodigieuse. Il produisoit aussi; mais pour vouloir trop raffiner, et, ce qui est de pis, pour n'avoir pas trop de jugement, tout ce qu'il faisoit n'étoit point intelligible, ou pour mieux dire c'étoit du franc galimatias. Dans ses épîtres héroïques, il dit que les fleurs sont des _superficies doublées_. C'est de lui que Voiture se moque quand il dit: _Il faudra mettre cela au chapitre des menteries claires_; et encore: _C'étoit un de ces beaux jours dont Apollon faisoit parade_. Le cardinal de Richelieu mit au-devant de ce livre: _Quiconque voudra trouver du françois en cet ouvrage, ait recours au privilége_. M. le comte de Guiche et feu madame de Longueville, à la prière de madame de Rambouillet, lui firent donner un prieuré de cinq à six cents écus de rente, qui dépendoit d'une des abbayes de M. le comte (de Soissons). Quelque temps après, un nommé M. Poitevin, qui avoit été précepteur de ce prince, et sur la tête duquel on avoit mis tous ses bénéfices, vint à mourir. On proposa Croisilles pour mettre en la place de cet homme, et parce qu'en ce temps-là il écrivoit, ou avoit dessein d'écrire contre les athées, on remontra à M. le comte qu'il tireroit quelque avantage du livre que Croisilles mettroit au jour. Il le fait donc son _Custodi nos_ avec mille écus de rente, outre son prieuré, et bouche à cour. La nouvelle de cet établissement ne fut pas plus tôt arrivée à Béziers que l'aînée des deux soeurs qu'il avoit, qui étoit demeurée veuve d'assez bonne heure, lui écrivit qu'elle se disposoit à le venir trouver. Lui, qui ne vouloit point en être chargé, lui conseilla de se retirer en une religion, et lui promit de l'assister, quand elle y seroit; que c'étoit une retraite convenable à l'état où elle se trouvoit. Cette femme ne laissa pas de venir. Croisilles ne la veut point voir, de sorte que ne sachant que devenir, elle s'avisa, le bureau d'adresses venant d'être établi, de se faire écrire sur le registre, en qualité de femme veuve de bon âge qui cherchoit mari. Cela lui réussit par bonheur, et pour trois sous elle fut mariée à un vieillard qui avoit quelque chose. Depuis, ce bon homme étant mort, elle en attrapa encore un autre qui la crut une personne de condition, parce qu'elle avoit une suivante; mais cette suivante, c'étoit sa fille. Après elle fit venir ici sa cadette, dont Croisilles ne se tourmenta pas plus que de l'aînée. Cette fille avoit eu quelques aventures dans la province. Un jour qu'elle alloit à la campagne à cheval avec un de ses amis (cela est ordinaire en Languedoc, où l'on est plus libre qu'ici), elle passa par des landes qui durent environ deux lieues, de sorte qu'on n'y pouvoit être secouru, en façon quelconque. Par malheur elle fut rencontrée par quelques chevau-légers d'une compagnie qui avoit eu son quartier d'hiver auprès de Béziers. Ceux-ci la voulurent traiter de g...., et d'autant plutôt qu'ils la trouvèrent assez libre, et qu'elle chanta, quand ils l'en prièrent. Ils la voulurent emmener de force, et elle étoit bien empêchée, quand elle aperçut un gentilhomme qui venoit à eux. Ce cavalier avoit la mine d'une personne de qualité. Elle court au-devant de lui, demande sa protection; mais elle s'étoit mal adressée, car c'étoit un officier de la même compagnie qui, l'ayant vue de loin, avoit envoyé ces gens devant pour l'arrêter, et lui s'étoit caché tout exprès pour quelque temps. Ce gentilhomme la pressoit plus que les autres, quand elle lui dit qu'il prît bien garde à ce qu'il feroit, qu'elle appartenoit à des personnes de condition, qu'elle étoit parente de madame de La Braigne: or cette dame étoit respectée en ce pays-là, et cet officier la connoissoit fort. «Je me soumets, lui dit-elle, à tout ce qu'il vous plaira, si elle ne m'avoue pour sa parente; faites-en l'expérience et menez-moi à sa maison.» Il eut peur de s'attirer une méchante affaire, et l'y mena; mais cette fille n'eut pas plus tôt le pied dans la cour qu'elle se moqua de lui, lui confessa qu'elle n'étoit point parente de madame de La Braigne, et lui dit qu'il ne se savoit guère bien servir de l'occasion. Revenons à Croisilles. Il ne fut pas long-temps chez M. le comte, soit par sa faute, ou par la faute d'autrui, sans être mal avec plusieurs des officiers de son maître, qui lui rendoient tous les jours de mauvais offices auprès de lui. M. le comte, s'étant retiré à Sédan, crut qu'il ne seroit pas à propos de laisser le titulaire de tous ses bénéfices au pouvoir du cardinal de Richelieu; il le manda donc. Croisilles fut tout aussitôt dire cette nouvelle à madame de Rambouillet, et ajouta: «J'ai mandé mes neveux, je suis obligé de les attendre pour les placer.» Mais il ne disoit point: «Je m'en irai quand cela sera fait.» Madame de Rambouillet, lui représenta les obligations qu'il avoit à M. le comte, et lui conseilla de l'aller trouver le plus tôt qu'il lui seroit possible; mais il étoit arrêté à Paris par d'étranges liens. Ce fou, soit qu'il crût qu'il étoit à propos que les prêtres fussent mariés, comme ils l'étoient autrefois, et qu'il pensât que c'étoit un trop grand péché que de coucher avec une femme que l'on n'a pas épousée, soit qu'étant amoureux, il ne vît pas d'autre moyen de contenter sa passion, ce fou s'étoit marié clandestinement. Il avoit eu par quelque rencontre la connoissance de la veuve d'un procureur au parlement, nommé Poque, qui avoit une fille de quatorze ans ou environ, et du bien honnêtement. Il fit accroire à cette femme, parce qu'il étoit toujours en habit long, qu'il étoit conseiller d'état, qui avoit de grands appointemens, et que si on ôtoit les sceaux à M. Séguier, il y avoit pour le moins aussi bonne part qu'un autre. Il ne l'alloit voir qu'en carrosse, car il en avoit tantôt de l'hôtel de Soissons, tantôt de l'hôtel de Rambouillet, et tantôt du comte de Guiche. Cette innocente, persuadée que Croisilles disoit vrai, reçoit un si bon parti à bras ouverts. Il la pria que tout se fît secrètement, «parce que, disoit-il, j'ai un neveu qui attend ma succession, et je ne veux pas qu'il me trouble en cette affaire.» On passe le contrat, où il ne mena que son valet, nommé Elie Pilot, qu'il fit passer pour un honnête homme de ses amis. Durant la lecture du contrat, il avoit mis son mouchoir sur sa tête, feignant d'avoir chaud, et en tenoit les glands dans sa bouche. Il s'imaginoit par ce moyen qu'on ne remarqueroit pas les traits de son visage. On jeta les bans, sous le nom d'Elie _Pilot_, car il se nomma toujours du nom de son valet, et signa de même; mais son valet, comme témoin, signa _Jean-Baptiste Croisilles_. Il eut permission de se marier à Linas, entre Paris et Étampes. Il part à midi, y va coucher, et de peur d'être reconnu dans une hôtellerie, il fit si bien avec de l'argent qu'il gagna le jardinier d'un M. Du Puy, de Paris, qui a une maison dans ce bourg, et y coucha. Il se maria le lendemain matin, et revint coucher à Paris. Il mena sa femme dans le logis de sa belle-mère, et leur fit trouver bon qu'il s'en revînt chez lui; mais il laissa son valet avec elle. Il n'y coucha jamais; il y alloit souvent, et demeuroit seul avec sa femme. Pilot y couchoit toutes les nuits. Cela dura près d'un an, sans que personne en sût rien; mais au bout de ce temps-là, la belle-mère découvrit la fourbe, et alla s'en plaindre à madame d'Aiguillon, qui d'abord n'en voulut rien croire. Pour s'en éclaircir, un jour que Croisilles, avec beaucoup d'autres gens, étoit chez elle, elle envoya quérir cette femme, la fit cacher, et lui fit demander si Croisilles étoit dans la compagnie. Cette femme le montra. Madame d'Aiguillon ne voulut pas pourtant faire éclater cette affaire; elle envoya chercher M. Vincent[291], qui fut d'avis d'aller à Linas, y alla en effet, et amena le prêtre qui avoit marié Croisilles, et deux marguilliers qui l'avoient assisté. Il plante ces trois hommes en sentinelle à un coin de rue, d'où l'on voyoit au visage tous ceux qui sortoient de l'hôtel de Soissons. Ces gens reconnurent Croisilles entre cent autres; il étoit rousseau, et facile à reconnoître. Cependant M. le comte l'avoit tant pressé qu'il avoit été contraint de partir. Il ne fut pas plus tôt à Sédan, que ce prince lui reprocha son crime, et le fit garder dans une maison de la ville. Cela venoit de ce qu'un joueur de luth flamand, nommé Van-Brac, qui avoit été autrefois au grand-prieur de Vendôme, et qui étoit alors à M. le comte, lui avoit découvert le mariage de Croisilles, et s'étoit joint à la belle-mère pour lui faire faire son procès. C'étoit un petit fourbe qui espéroit qu'on le trouveroit assez honnête homme pour le mettre en la place de M. de Croisilles. Notre prêtre marié écrit à mademoiselle Paulet, sa parente, qui n'a jamais cru qu'il fût coupable que quand elle l'a vu condamner et qu'on le tenoit en prison. Elle en parle au comte de Guiche, et celui-ci à M. le cardinal, qui, étant outré contre M. le comte de ce qu'il avoit méprisé madame de Combalet, étoit ravi de le décrier, et de faire voir qu'il faisoit des injustices. On envoie demander Croisilles de la part du Roi, et peu de temps après on le vit à Paris en liberté. On consulte son affaire; on lui conseille de se retirer s'il se sent tant soit peu coupable, sinon, de se justifier. Il ne voulut croire que sa tête. Il intente un procès contre la mère de sa femme et contre Van-Brac. Le procès étant en état, il fallut le mettre en prison. On le juge: il est condamné à tenir prison perpétuelle dans un monastère. On l'eût condamné à être pendu, sans les pressantes sollicitations que mademoiselle Paulet fit faire. Croisilles en appela à Lyon devant le primat des Gaules. Cependant, comme il étoit prisonnier à l'officialité, le comte de Guiche, le marquis de Montausier, le marquis de Pisani, et Arnauld (_Corbeville_) résolurent de l'enlever, en faveur de mademoiselle Paulet; mais, comme ils étoient sur le point de faire le coup, il vint une inspiration au comte de Guiche d'en parler auparavant à M. le cardinal. «Vous avez bien fait de m'en parler, répondit Son Eminence, car après cela je ne vous eusse jamais voulu voir; j'entends que l'on fasse justice.» Je vous laisse à penser si le comte fut camus d'entendre cela. Il a dit cent fois depuis que quand il songeoit combien il avoit couru de fortune pour si peu de chose, il étoit encore tout éperdu. Le cardinal voyoit bien que M. le comte de Soissons ne manqueroit pas de se prévaloir d'une semblable violence. Je ne sais si les parties de Croisilles eurent le vent du dessein qu'on avoit fait; mais, à leur requête, il fut transféré à là Conciergerie. Croisilles avoit dit que Pilot étoit le mari, et que lui n'avoit été que témoin; la femme et Pilot avoient dit aussi la même chose, tellement que mademoiselle Paulet, de peur que cette jeune femme par infirmité, et ce valet par intérêt, ne se laissassent aller à dire le contraire, les fit enlever de chez la mère un beau matin, et les fit mettre au jardin de M. Bodeau[292], à Saint-Victor. Là, pour achever la comédie, ils devinrent mari et femme, soit qu'ils le crussent à force de le dire, soit que l'oisiveté et la solitude leur en eussent fait venir l'envie. Enfin, on la trouva grosse. Leurs parties ayant découvert où ils étoient, les firent arrêter. Pilot fut mis au Châtelet, et la femme à la Conciergerie. Ils furent long-temps sans se dédire; mais, ennuyés d'une si triste demeure, ils confessèrent la vérité au bout de quatre ans, de sorte que la sentence fut confirmée à Lyon. Cet homme, tant il étoit sage, se mit à écrire dans la Conciergerie contre ses propres protecteurs, et fit une apologie qui est la meilleure chose qu'il ait faite[293]. Là, il dit que madame d'Aiguillon l'avoit trahi pour faire avoir ses bénéfices à M. le cardinal de Richelieu, et il n'épargne pas même mademoiselle Paulet, qui, durant huit ans, non-seulement a sollicité pour lui d'une aussi grande ardeur que si c'eût été pour elle (jusque là que tous les ennuis qu'elle a eus ont peut-être abrégé sa vie), mais a dépensé dix mille livres à l'assister. Depuis, on fit parler à la belle-mère; car Van-Brac cessa de poursuivre après la mort de M. le Comte, voyant qu'il n'y avoit plus de bénéfices à tenir. Cette femme dit que pourvu qu'on la remboursât de ses frais et qu'on lui rendît sa fille, elle étoit toute prête à se désister; mais le clergé poursuivoit à Rome. Enfin, vers la fin de 1649, car les vieilles affaires s'en vont toujours en fumée, Croisilles sortit à sa caution juratoire, et il fut ordonné qu'il en seroit plus amplement informé. Je crois qu'on a trouvé à propos d'assoupir l'affaire. Croisilles mourut un an après de maladie[294]. Mademoiselle Paulet n'étoit plus à Paris quand il sortit de prison. Madame de Rambouillet dit qu'elle a trouvé dans l'examen des esprits, que les gens du tempérament de Croisilles, étant prêtres, étoient sujets à se marier. Il avoit une plaisante vision: il croyoit qu'il mourroit si on le chatouilloit; or, un jour M. Chapelain, qui gesticule comme un possédé, en lui contant quelque chose avec chaleur, gesticuloit de toute sa force. Croisilles crut qu'il le vouloit chatouiller: «Mais, Monsieur, lui dit-il en se retirant, que voulez-vous faire?» Chapelain, qui ne savoit rien de sa vision, répondoit: «Ce que je veux faire... je vous veux faire comprendre....» Et il recommençoit de plus belle. L'autre répétoit: «Mais, monsieur, vous n'y songez pas...--Je n'y songe pas? j'y songe fort bien; mais c'est vous qui n'y songez pas, car...» Et là-dessus, il gesticuloit tout de nouveau. «Mais je vois bien votre dessein, arrêtez-vous enfin.» Madame de Rambouillet, après en avoir bien ri, appela M. Chapelain, et lui dit l'affaire. Voiture avoit fait ce Pont-breton: J'ai vu Belesbat Doux comme une fille, Puis j'ai vu Croisilles Dans son célibat, Comme un crocodille Qui vient du sabbat. [289] Jean-Baptiste Croisilles. (_Voyez_ son article dans la _Biographie universelle_.) [290] Nièce du cardinal de Richelieu. [291] Depuis canonisé sous le nom de saint Vincent de Paul. [292] _Voyez_ sur ce Bodeau l'article de mademoiselle Paulet, tome I, p. 196. [293] Elle a été imprimée en 1642, in-4º. [294] L'abbé de Marolles étoit fort attaché à Croisilles, qu'il avoit rencontré en 1637, à l'hôtel de Soissons. Il le défend dans ses _Mémoires_ de la grave accusation portée contre lui. Croisilles mourut en 1651, dans un état voisin de la misère. (_Mémoires de Marolles_; Paris, 1656, in-folio, pages 109 et 189.) VOITURE[295]. Voiture étoit fils d'un marchand de vin suivant la cour. Il faisoit son possible pour cacher sa naissance à ceux qui n'en étoient pas instruits. Un jour se trouvant dans une grosse compagnie où il faisoit le récit d'une aventure plaisante, une dame (madame Des Loges), contre laquelle il avoit parlé sans la connoître, cherchant à le piquer, lui dit: «Monsieur, vous nous avez déjà dit cela d'autres fois; tirez-nous du nouveau.» Son père étoit un grand joueur de piquet. On dit encore aujourd'hui qu'on a _le carré de Voiture_, quand on a soixante-six de point marqué par quatre jetons en carré, parce que ce bonhomme croyoit gagner quand il avoit ce carré. Voiture fut bien un autre joueur que son père, comme nous verrons ensuite. Dès le collége, il commença à faire du bruit; ce fut là qu'il fit amitié avec M. d'Avaux, et cette amitié produisit ensuite l'amour de madame Saintot[296]. Voici comme cela arriva. M. d'Avaux, un soir, la rencontra masquée, à la Foire, où elle jouoit; elle avoit tout l'éclat imaginable, l'esprit présent, et aimant à le faire paroître. Cela charma si fort M. d'Avaux qu'il en écrivit une lettre à Voiture. Nonobstant le mari[297], qui étoit d'humeur jalouse, M. d'Avaux eut entrée chez elle. Voiture l'accompagna jusqu'à la porte, mais il n'avoit pas permission de passer outre. Durant qu'il attendoit dans le carrosse, pour ne pas tenir le mulet, il s'accosta d'une voisine de qui il eut une fille qu'on appelle La Touche. Elle a été chez la marquise de Sablé, et puis chez madame Le Page. Enfin, Voiture fut reçu chez madame Saintot, et peu de temps après le mari mourut. Voiture avoit déjà de la réputation, et avoit fait imprimer en une nuit, au-devant de l'Arioste, cette lettre qui a tant couru[298], quand M. de Chaudebonne le rencontra en une maison, et lui dit: «Monsieur, vous êtes un trop galant homme pour demeurer dans la bourgeoisie; il faut que je vous en tire.» Il en parla à madame de Rambouillet, et le mena chez elle quelque temps après. C'est ce que veut dire Voiture dans une lettre où il y a: «Depuis que M. de Chaudebonne m'a réengendré avec madame et mademoiselle de Rambouillet.» Comme il avoit beaucoup d'esprit, et qu'il étoit assez né pour la cour, il fut bientôt toute la joie de la société de ces illustres personnes. Ses lettres et ses poésies le témoignent assez. La galanterie de madame Saintot ne laissoit pas que d'aller son cours; la conversation de Voiture lui rendit l'esprit plus poli; on voit dans une lettre de Voiture qu'elle disoit: _pitoable_ et _gausser_, et qu'elle croyoit que _triste_ étoit un méchant mot. Enfin, elle parvint à faire de belles lettres. On en a vu des volumes entiers, écrits à la main, courir les rues. A son retour de Flandre, Voiture renoua sa galanterie. Il y avoit eu assez de scandale pour que les frères[299] de madame Saintot lui fissent une insulte, car une fois ils ne vouloient seulement que le jeter par les fenêtres. Cela éloigna Voiture pour quelque temps. Durant son absence, madame Saintot se laissa cajoler par un gentilhomme, de Bretagne, nommé La Hunaudaye, pour le faire revenir. En effet, il revint[300]. Elle cependant s'étoit flattée de l'espérance d'être madame de La Hunaudaye, car on dit en Bretagne que M. de La Hunaudaye est un peu moins grand seigneur que le roi. Cela faisoit qu'elle vouloit bien l'épouser. Quoiqu'il n'y eût rien au monde de si opposé à Voiture que cet homme-là, elle l'eût voulu pour mari, et Voiture pour galant. La Hunaudaye, de son côté, étoit aussi jaloux de Voiture. Comme elle étoit dans cet embarras, elle alla à confesse, pour prier Dieu après de lui inspirer ce qu'elle avoit à faire. Il lui prit une folie dans les Carmes déchaussés, où elle étoit allée, dans laquelle elle dit merveilles, et découvrit bien des mystères. On croit que ce fut un mal de mère[301] causé par le déplaisir de n'avoir pu attraper La Hunaudaye. Après, elle fut quelque temps dans son logis, sans qu'on la laissât voir à personne. Cette folie fut suivie de celle de vouloir que Voiture l'épousât. Lui, de son côté, fit toutes les choses imaginables pour la guérir de cette fantaisie; il la rebuta; il refusa de recevoir de ses lettres; il fut des années sans la voir: tout cela n'y faisoit rien. Cette folie fut cause que la pauvre femme, outre qu'elle n'étoit déjà pas trop bonne ménagère, ne prit pas autrement garde à ses affaires, tellement que quand il fallut rendre compte à ses deux gendres, elle se trouva bien en reste. Eux, voyant cela, en usèrent assez bien, et firent ce qu'ils purent pour lui persuader de leur donner seulement l'assurance de ne point aliéner le fonds, et qu'elle ne se tourmentât point de rendre compte. Elle n'y voulut pas entendre. Enfin, ayant découvert qu'elle faisoit le plus d'argent qu'elle pouvoit pour s'en aller, ils la firent interdire. Elle ne laisse pas de partir, et s'en va chez madame de Fenestreaux[302], son amie, entre les Sables-d'Olonne et Nantes. Là il lui vint en pensée que cette dame, qui donne un peu dans le bel esprit, pourroit bien aussi être amoureuse de Voiture, parce qu'elle louoit trop ses vers. Elle la quitte sans dire _gare_, et s'en va en charrette jusqu'à Nantes, d'où elle remonte la rivière de Loire jusqu'à Orléans. De là, sans s'arrêter à Paris, elle va en Flandre, à Bruxelles. Elle se met chez une faiseuse de collets pour apprendre à en faire, afin de se mettre en condition chez madame de Guise, parce que leurs aventures étoient presque semblables. Madame de Guise ne la voulut pas prendre: la voilà donc de retour à Paris. Dès qu'elle voyoit deux personnes ensemble, elle s'en approchoit et leur disoit: «N'est-il pas vrai que c'est un ingrat?» car elle croyoit qu'on ne parloit que de Voiture et d'elle. En ce temps-là Voiture, que la reine de Pologne connoissoit de longue main, eut, à sa prière, charge de la servir, tandis qu'elle seroit en France. Madame Saintot craignit que son déloyal n'allât jusqu'à Hambourg, ou plus loin. Elle se met à le suivre; à Saint-Denis les hôtelleries étoient si pleines, et elle en si pitoyable équipage, qu'on la prit pour une gourgandine, et elle fut contrainte de coucher dans son carrosse de louage avec sa suivante. Cela ne la rebuta point; elle fut jusqu'à Péronne, et elle n'alla pas plus loin, parce que Voiture ne passa pas outre. Dans tout ce voyage elle ne put obtenir de ce cruel un quart-d'heure d'audience. Une de ses amies, qui tâchoit de la guérir, la fut voir une fois dans une chambre au troisième étage, en un fort sale lit, elle qui avoit été la plus propre femme de Paris. Cette pauvre folle lui dit: «Je vis hier une femme qui est presque aussi malheureuse que moi; c'est une femme de quelque âge qui s'est remariée à un jeune homme qui la maltraite.--Voilà une chose bien étrange! lui dit cette amie; cette femme est punie de la folie qu'elle a faite.--C'est pour cela, reprit l'amante éplorée, que son mari l'en devroit mieux aimer, car ceux pour qui nous faisons des folies ne nous en sauroient avoir trop d'obligation.» Et elle se mit à soutenir cette extravagante opinion, tout le temps de la visite. Nous dirons le reste à la fin de cette historiette, car nous avons dit la suite de cette amourette par avance. Voiture en conta aussi à madame Des Loges, à la marquise de Sablé et à d'autres. Madame Des Loges l'aimoit: ce fut elle qui commença ces rimes en _ture_ qu'on a depuis appelées _le portrait du pitoyable Voiture_, car il étoit toujours enrhumé; il se plaignoit sans cesse, et il plaignoit tout le monde. M. de Rambouillet y ajouta quelque chose, et en 1633 ou 1634, quelqu'un y joignit des rimes offensantes[303], dont Voiture se plaint dans une lettre à Costar[304]. Pour moi, j'aurois quelque opinion que c'est feu Malleville qui les a ajoutées, car, outre que cela est assez de son air, la première personne qui m'en a parlé est une femme[305] avec laquelle il étoit fort bien. Elle me les dit par coeur, car elle apprenoit tout ce qu'il faisoit: or, il y a dans cette pièce que Voiture Est un Alexandre en peinture, Et un Démosthène en sculpture. Cette femme, qui faisoit le bel esprit, disoit: «C'est un _démistaine_ en peinture.» Voiture étoit petit, mais bien fait; il s'habilloit bien. Il avoit la mine naïve, pour ne pas dire niaise, et vous eussiez dit qu'il se moquoit des gens en leur parlant. Je ne l'ai pas trouvé trop civil, et il m'a semblé prendre son avantage en toute chose. C'étoit le plus coquet des humains. Ses passions dominantes étoient l'amour et le jeu, mais le jeu plus que l'amour. Il jouoit avec tant d'ardeur qu'il falloit qu'il changeât de chemise toutes les fois qu'il sortoit du jeu. Quand il n'étoit pas avec ses gens, il ne parloit presque point. D'Ablancourt ayant demandé à madame Saintot, du temps qu'elle n'extravaguoit pas, ce qu'elle trouvoit de si charmant à cet homme qui ne disoit rien: «Ah! répondit-elle, qu'il est agréable parmi les femmes, quand il veut!» Même avec ceux à qui il vouloit plaire, il avoit de grandes inégalités, et souvent il lui prenoit des rêveries comme ailleurs. Quand il étoit chagrin, il ne laissoit pas d'aller voir le monde, mais il étoit fort mal divertissant, et même on pouvoit dire qu'il étoit à charge. Il étoit quelquefois si familier qu'on l'a vu quitter ses galoches en présence de madame la Princesse, pour se chauffer les pieds. C'étoit déjà assez de familiarité que d'avoir des galoches; mais, ma foi, c'est le vrai moyen de se faire estimer des grands seigneurs que de les traiter ainsi. Nous verrons ensuite qu'il leur parloit assez librement. Madame de Rambouillet dit qu'il n'étoit point intéressé, et que ses négligences lui avoient fait perdre une infinité d'amis; que pour elle, elle s'en étoit admirablement bien divertie; que quand elle l'avoit trouvé en humeur de causer, elle l'avoit laissé causer; qu'aussi, quand il avoit été en humeur de rêver, elle avoit fait tout ce qu'elle avoit eu à faire, comme s'il n'y eût point été. Il avoit soin de divertir la société de l'hôtel de Rambouillet. Il avoit toujours vu des choses que les autres n'avoient point vues; aussi, dès qu'il y arrivoit, tout le monde s'assembloit pour l'écouter. Il affectoit de composer sur-le-champ. Cela lui est peut-être arrivé bien des fois, mais bien des fois aussi il a apporté les choses toutes faites de chez lui. Néanmoins c'étoit un fort bel esprit, et on lui a l'obligation d'avoir montré aux autres à dire les choses galamment. C'est le père de l'ingénieuse badinerie; mais il n'y faut chercher que cela, car son sérieux ne vaut pas grand'chose, et ses lettres, hors les endroits qui sont si naturels, sont pour l'ordinaire mal écrites. On a eu grand tort de n'en pas ôter au moins les grosses ordures. Il sembloit qu'il craignît cela, car il disoit à madame de Rambouillet, six mois avant que de mourir: «Vous verrez qu'il y aura quelque jour d'assez sottes gens pour aller chercher çà et là ce que j'ai fait, et après le faire imprimer; cela me fait venir quelque envie de le corriger.» Il faut avouer aussi qu'il est le premier qui ait amené le libertinage[306] dans la poésie; avant lui personne n'avoit fait des stances inégales, soit de vers, soit de mesure. Corneille est aussi celui qui a gâté le théâtre par ses dernières pièces, car il a introduit la déclamation. Voiture avoit une plaisante erreur: il croyoit qu'ayant réussi en galanterie, il feroit de même en toute autre chose, et qu'à un homme de bon sens, quand il étoit nécessaire, toutes les connoissances venoient sans étudier. Aussi il n'étudioit quasi jamais. Il étoit fort divertissant, quand il n'étoit pas tout-à-fait amoureux, et qu'il ne faisoit que dire des galanteries; mais quand il étoit bien épris, c'étoit un stupide. Il étoit si sujet à en conter, que j'ai ouï dire à mademoiselle de Chalais[307] que, comme elle étoit auprès de mademoiselle de Kerneva, et qu'il la venoit voir, il en vouloit conter à mademoiselle de Kerneva qui n'avoit que douze ans. Elle l'en empêcha, mais elle l'en laissa dire tout son soûl à la cadette qui n'en avoit que sept. Après elle lui dit: «Il y a encore une fille là-bas, dites-lui un mot en passant.» On sait quelles obligations il avoit au cardinal de La Valette et qu'il étoit son confident: cependant, comme le cardinal vouloit souvent faire l'enjoué, quoiqu'il n'y réussît pas, Voiture lui disoit tout bonnement ce qu'il lui en sembloit, et quelquefois devant des témoins. Le maréchal d'Albret, qu'on appeloit alors Miossens, a été long-temps qu'il ne savoit ce qu'il disoit: c'étoit un véritable galimatias; on n'entendoit pas ce qu'il vouloit dire, encore qu'il eût de l'esprit. Il ne s'en est guère corrigé. Un jour qu'il y avoit un grand rond[308] à l'hôtel de Rambouillet, Miossens parla un quart-d'heure de son style ordinaire: Voiture lui va rompre en visière. «Je me donne au diable, lui dit-il, si j'ai entendu un mot de tout ce que vous venez de dire. Parlerez-vous toujours comme cela?» Miossens ne s'en fâcha pas, et lui dit seulement: «Hé, monsieur, monsieur de Voiture, épargnez un peu vos amis.--Ma foi, reprit Voiture, il y a si long-temps que je vous épargne, que je commence à m'en ennuyer.» Il en usoit à peu près de même avec feu M. de Schomberg, qui, quoiqu'il eût bien de l'esprit et qu'il écrivît bien, avoit pourtant une conversation assez pesante. Il l'en railloit toutes les fois que cela venoit à propos, et l'autre n'en faisoit que rire. On voit dans les vers à la Reine, _Je pensois_, etc., qu'il ne l'épargnoit pas elle-même, car il lui dit tout franc qu'elle avoit été amoureuse de Buckingam. On voit aussi comme il parle à M. le Prince dans cette réponse pour madame de Montausier. Dans les parties qu'on faisoit à l'hôtel de Rambouillet et à l'hôtel de Condé, Voiture divertissoit toujours les gens tantôt par des vaudevilles, tantôt par quelque folie qui lui venoit dans l'esprit. Une fois, en revenant de Saint-Cloud, ils versèrent. Il y avoit huit personnes dans le carrosse. Comme c'étoit lui qui étoit du côté que le carrosse avoit versé et que personne ne se plaignoit, il se mit à crier qu'il avoit la jambe rompue; mademoiselle Paulet, qui étoit de la partie, lui dit: «Vous vous trompez, c'est le bras, car il se peut bien rompre un bras en tombant comme vous êtes tombé, mais non pas une jambe.--Mademoiselle, répondit-il froidement, chacun sent son mal; je sais bien que c'est la jambe.» Elle vouloit lui prouver que non, quand, voyant qu'on envoyoit quérir un chirurgien, car ce n'étoit pas loin du village, il se mit à rire de toute sa force, et leur dit qu'il ne s'étoit rompu ni bras ni jambe. Ayant trouvé deux meneurs d'ours dans la rue Saint-Thomas[309] avec leurs bêtes emmuselées, il les fait entrer tout doucement dans une chambre où madame de Rambouillet lisoit le dos tourné aux paravents. Ces animaux grimpent sur ces paravents; elle entend du bruit, se retourne et voit deux museaux d'ours sur sa tête: n'étoit-ce pas pour guérir de la fièvre, si elle l'avoit eue? Il fit bien pis au comte de Guiche par le conseil de madame de Rambouillet, car, sous ombre que le comte lui avoit dit un jour que le bruit couroit qu'il étoit marié et lui demanda s'il étoit vrai, il alla une fois le réveiller à deux heures après minuit, disant que c'étoit pour une affaire pressée: «Eh bien! qu'y a-t-il? dit le comte en se frottant les yeux.--Monsieur, répond très-sérieusement Voiture, vous me fîtes l'honneur de me demander, il y a quelque temps, si j'étois marié, je vous viens dire que je le suis.--Ah! peste! s'écrie le comte, quelle méchanceté de m'empêcher ainsi de dormir.--Monsieur, reprit Voiture, je ne pouvois pas, à moins que d'être un ingrat, être plus long-temps marié sans vous le venir dire, après la bonté que vous aviez eue de vous informer de mes petites affaires.» Madame de Rambouillet l'attrapa bien lui-même. Il avoit fait un sonnet dont il étoit assez content; il le donna à madame de Rambouillet, qui le fit imprimer avec toutes les précautions de chiffres et d'autres choses, et puis le fit coudre adroitement dans un recueil de vers imprimés il y avoit assez long-temps. Voiture trouve ce livre que l'on avoit laissé exprès ouvert à cet endroit-là; il lut plusieurs fois ce sonnet; il dit le sien tout bas, pour voir s'il n'y avoit pas quelque différence; enfin cela le brouilla tellement qu'il crut avoir lu ce sonnet autrefois, et qu'au lieu de le produire, il n'avoit fait que s'en ressouvenir; on le désabusa enfin quand on en eut assez ri. Le marquis de Pisani[310] et lui étoient toujours ensemble, ils s'aimoient fort; ils avoient les mêmes inclinations; et quand ils vouloient dire: Nous ne faisons point cela, nous autres; ils disoient: _Cela n'est point de notre corps_. Ils faisoient tous les jours quelques malices à quelqu'un; c'étoit un tintamare perpétuel à l'hôtel de Rambouillet: ils s'avisoient souvent de quelques bagatelles pour faire rire. Une après-dînée, Voiture, attaqué d'une colique à laquelle il étoit sujet, monte dans la chambre de la vieille demoiselle de madame la marquise[311]. Il fut long-temps dans cette chambre que sa colique ne se passoit point: cette demoiselle, pour le renvoyer chez lui (c'étoit vis-à-vis), lui donne une robe de chambre fourrée qu'elle avoit. Il passoit par le bout de la salle, qui est fort grande, quand par hasard madame de Rambouillet y vint. Elle ne pouvoit deviner de loin ce que c'étoit: un homme avec une robe de femme, environné de toutes les femelles de la maison, tout farci de serviettes, pâle, mais qui rioit pourtant de l'étonnement de la marquise. Mademoiselle de Rambouillet y arriva aussi qui croyoit que Voiture avoit fait toute cette mascarade pour faire rire, se mit à lui crier: «Hé! Voiture, de quoi vous avisez-vous? et cela n'est nullement plaisant, cela ne fait point rire, vraiment vous me faites pitié.» Pour revenir au marquis de Pisani et à Voiture, on m'a dit, mais je ne voudrois pas l'assurer, qu'un jour, comme ils s'amusoient au Cours, avec M. Arnauld, à deviner à la mine la profession des gens, il passa un carrosse où il y avoit un Turc vêtu de taffetas noir avec des bas verts. Voiture dit que c'étoit un conseiller de la cour des aides, et qu'il gageroit. On gage contre lui, mais à condition qu'il l'iroit demander à cet homme. Voiture descend, l'aborde; et, pour excuse, lui dit que c'étoit par gageure[312]. «Gagez toujours, lui dit l'autre froidement, que vous êtes un sot, et vous ne perdrez jamais.» Comme M. d'Avaux étoit à Munster, en je ne sais quelle occasion, la marquise de Sablé fut obligée de lui écrire; elle dit à Costar: «Faites-moi un peu une lettre.» Il lui en fit une; elle la trouva si guindée, qu'elle en fit une autre et l'envoya. M. d'Avaux écrivit ici qu'il avoit reçu de la marquise la plus belle lettre du monde; Costar donne dans le panneau, croit que c'est la sienne qu'on loue, et est assez coquin pour en montrer une copie. Voiture étoit présent; il en parle à la marquise, qui lui dit la vérité; il tire copie de la lettre, et en fait l'affront à Costar, quoique ce ne fût qu'en riant. Voici encore une plaisante vision de Voiture. Il y avoit un homme dans la rue Saint-Honoré, vers les Quinze-Vingts[313], pour le privé duquel Voiture avoit une telle amitié qu'il se détournoit de quatre rues pour y aller, quoiqu'il ne connût presque point cet homme, et cela familièrement sans le demander. Cet homme s'en ennuya, et y fit mettre un cadenas, puis un loquet qu'on n'ouvroit qu'avec une clef. Voiture trouvoit toujours moyen d'y entrer; enfin, ils en eurent querelle, et Voiture alla ailleurs. A propos de querelle, la plus grande que mademoiselle Paulet ait jamais eue contre personne a été contre Voiture. Comme il étoit en Espagne, mademoiselle Paulet, en dessein de le divertir, lui envoyoit sans grand discernement tout ce qu'elle pouvoit recueillir. Ces gros paquets lui coûtoient bon: cela commença à l'ennuyer, et peut-être le témoigna-t-il; d'ailleurs, il ne prenoit pas plaisir à voir que M. Godeau, et que M. de Chandeville[314], grand garçon bien fou et neveu de Malherbe, c'est-à-dire versificateur, se fussent si bien mis dans l'esprit de mademoiselle Paulet, et peut-être de mademoiselle de Rambouillet, en son absence. Il lui fit une insolence, le propre jour qu'il revint de Flandre. Il lui avoit écrit qu'il arriveroit un tel jour, et qu'il seroit ravi de la voir, le jour même, en l'hôtel de Rambouillet. En la remerciant le soir, il ne put s'empêcher de lui parler de Chandeville, l'appeloit _cet Adonis_, et y mêla peut-être quelque mot de Vénus. La _lionne_ se mit en fureur; ils furent deux ans sans se voir; enfin, il y retourna, mais elle ne lui a jamais pardonné[315]. On dit encore, mais je ne sais si ceci arriva devant ou après, qu'une fois qu'il étoit chez elle, il lui prit un tel chagrin de ce qu'il étoit venu des gens qui ne lui plaisoient pas, qu'il se mit en un coin, et ne parla plus; et quand il voulut s'en aller, en lui disant adieu, il lui mit la main sous le menton comme pour la caresser, ainsi qu'on fait des petites filles. Il y eut une grande querelle pour cela. Madame de Rambouillet dit que Voiture ayant vécu fort familièrement, mais non licencieusement avec mademoiselle Paulet, lui dit quelque chose au retour de Flandre qu'elle prit de travers, et cela lui arrivoit fort souvent. Depuis, étant aigrie, elle interprétoit tout en mal, et les choses qu'elle eût trouvées bonnes autrefois, elle les trouvoit mauvaises. Il n'y a jamais eu d'amour entre eux, mais seulement une amitié tendre mêlée de quelque galanterie. La bonne fille avoit bien de l'esprit et bien du coeur; mais, pour du jugement, elle n'en avoit pas de reste[316]. Mais il est temps de parler des combats de Voiture, car les amours et les armes s'accordent assez bien; et, à l'imitation de l'Arioste, je chanterai _l'arme e l'amori_ de Voiture. Il y a tel brave qui ne s'est pas battu tant de fois que lui, car il s'est battu jusqu'à quatre fois de jour et de nuit, à la lune et aux flambeaux. La première fois, ce fut au collége contre le président Des Hameaux[317]; la seconde, contre La Coste, pour le jeu; et il y eut une rencontre assez plaisante, car Arnaud, qui ne prenoit pas autrement Voiture pour un gladiateur, lui alla conter à lui-même, comme une fable, qu'on lui avoit dit qu'il s'étoit battu contre La Coste; qu'il avoit mis sa perruque sur un arbre, peut-être avoit-il été malade, et ensuite tout le succès qui ne fut pas fort sanglant, et il se trouva que tout cela étoit vrai[318]. Le troisième combat fut à Bruxelles contre un Espagnol au clair de la lune[319]; et le quatrième et dernier fut dans le jardin de l'hôtel de Rambouillet, aux flambeaux, contre Chavaroche, intendant de la maison. Leur querelle venoit de l'aversion qu'ils avoient l'un pour l'autre du temps qu'il y avoit trois soeurs à l'hôtel de Rambouillet qui étoient honnêtement coquettes. Chavaroche avoit déjà été amoureux, comme je l'ai marqué ailleurs, de madame de Montausier, quand elle étoit fille. Cela ne servit pas à les remettre bien ensemble; mais ce qui les brouilla tout-à-fait, ce fut que Voiture, qui n'avoit garde de laisser une fille sans la cajoler, surtout étant jeune et de qualité, s'étoit mis à en conter à mademoiselle de Rambouillet, dès qu'elle étoit sortie de religion. Chavaroche, ou en tenoit un peu aussi, ou étoit bien aise de nuire à Voiture. La demoiselle ne les faisoit pas soupirer comme sa soeur, et il y a grande apparence qu'elle avoit de la bonne volonté pour Voiture. Je les trouvois presque toujours jouant au volant, et je jouois avec eux, ou causant tout bas, auquel cas je les laissois fort à leur aise. Il a peut-être servi à rendre cette fille moins raisonnable qu'elle n'eût été; Voiture en devint insupportable. Madame de Sainte-Etienne dit que sur la fin on étoit fort las de lui, et que, sans la longue habitude qu'il avoit dans la maison et la considération de madame de Rambouillet, pour qui il avoit plus de complaisance, on eût tâché à l'éloigner. Montausier n'avoit jamais eu d'inclination pour lui, parce qu'il étoit persuadé qu'il lui avoit plutôt nui qu'autrement auprès de madame de Montausier dans sa recherche, et il lui est arrivé plusieurs fois de dire, quand Voiture faisoit quelque chose pour rire: «Mais cela est-il plaisant? Mais trouve-t-on cela divertissant[320]?» Voiture poussa Chavaroche sur je ne sais quoi, et l'autre qui savoit que Voiture prendroit avantage de la retenue qu'il témoigneroit, et la voudroit faire passer pour une poltronnerie, mit l'épée à la main contre lui, et le blessa à la cuisse, dont il cria comme s'il eût été blessé à mort, à ce qu'on dit à l'hôtel de Rambouillet. On y courut fort à propos, car on raconte qu'un des laquais de Voiture alloit percer Chavaroche par-derrière. Voiture ne vouloit pas avouer que l'autre l'avoit blessé; il disoit qu'il l'avoit été par un laquais qui les avoit séparés. Cela se vérifia pourtant après. Chapelain et Conrart furent contre lui; mais ils n'avoient garde de faire autrement, car Voiture se moquoit d'eux et de Costar aussi, quoique ce Costar croie tout le contraire. Il ne faut que lire leurs lettres pour s'en convaincre[321]. M. et madame de Montausier se déclarèrent pour Chavaroche, et ce qui étonna le plus Voiture, c'est que Arnauld fut plutôt pour Chavaroche que pour lui. Madame de Rambouillet eut un étrange chagrin de cette aventure. Cela étoit ridicule en soi à des gens de cinquante ans, qui disoient ou devoient dire tous deux leur bréviaire, car ils avoient des bénéfices, ou des pensions sur des bénéfices, et puis elle avoit peur qu'on ne dît des sottises de sa fille: elle est pourtant bien revenue de cela, la demoiselle. M. de Grasse (_Godeau_) brusquement s'en alla faire une méchante pièce de ce combat, où il faisoit battre un pourceau contre un brochet. On appeloit Chavaroche _le pourceau_, parce qu'il alloit si souvent à Yères[322], qu'on le nomma _le pourceau de l'abbaye_[323]; et à cause que la lettre de la carpe à M. le Prince[324] commence par _mon compère le brochet_, M. le Prince appela long-temps Voiture, _mon compère le brochet_[325]. Mademoiselle Paulet, aussi brusque que le prélat, alla lire cette pièce à madame de Rambouillet, comme une chose bien récréative. J'y étois; elle en avoit un ennui mortel, mais elle n'en témoigna rien. Depuis, M. de Montausier a fait ôter, par le moyen de Pélisson, l'endroit de la _pompe funèbre_ qui parle de ce combat. Depuis ce temps, Voiture n'alla plus si souvent à l'hôtel de Rambouillet. Voiture ne survécut guère à cet exploit; le jeu lui avoit fait venir la goutte, peut-être les dames y avoient-elles contribué. Il mourut au bout de quatre ou cinq jours de maladie, pour s'être purgé ayant la goutte. A propos de jeu, une fois qu'il avoit fait voeu de ne plus jouer, il alla chez le coadjuteur pour se faire dispenser de son voeu; il y trouva Laigues[326] qui lui dit «Moquez-vous de cela, jouons.» Effectivement il le fit jouer et lui gagna trois cents pistoles, sans le laisser parler au coadjuteur. Le vin ne lui peut pas avoir donné la goutte, car il ne buvoit que de l'eau. Voici un vaudeville que Blot[327], gentilhomme de M. d'Orléans, fit en une débauche: Quoi! Voiture, tu dégénère! Sors d'ici, maugrebieu de toi. Tu ne vaudras jamais ton père, Tu ne vends du vin, ni n'en boi. Nous rions de ta politesse, Car tout homme qui ne boit ni ne..... Et qui n'a argent ni noblesse, Mérite qu'on le berne partout. Quelqu'un fit encore ceci: Je cherchois Montrésor, J'ai trouvé Voiture; Je cherchois de l'or, Je n'ai trouvé qu'ordure. Il entra une fois dans un lieu où M. d'Orléans faisoit la débauche. Blot, en badinant, lui jeta quelque chose à la tête; cela fit du bruit, et l'on courut après lui en riant; un valet de pied étourdiment, comme il s'enfuyoit, lui voulut passer l'épée à travers le corps: il avoit vraisemblablement cru que Voiture avoit voulu attenter à la personne de Son Altesse Royale. Dès que Voiture fut tombé malade, madame Saintot, la fidèle madame Saintot y courut. Il ne la voulut point voir, à ce qu'on dit. Elle y alla pourtant tous les jours. Elle assure qu'elle le vit et qu'elle fit même avec lui le compte de quelque argent qu'il avoit à elle. On l'alla consoler, et elle disoit: «Voilà le dernier coup que la fortune avoit à tirer contre moi.» Il y alla une autre femme avec laquelle il avoit vécu fort scandaleusement. C'étoit la fille de Renaudot, le gazettier, qu'il avoit mise mal avec son mari. Il avoit fait une promenade avec elle, il n'y avoit que fort peu de jours. Elle n'étoit pas belle, mais il la vouloit faire passer pour un esprit admirable. Pour celle-là on assure qu'il ne la voulut point voir. Mademoiselle Paulet disoit qu'il étoit mort comme le grand-seigneur entre les bras de ses sultanes. J'ai déjà dit qu'elle fit dire des messes pour lui, mais qu'elle ne lui pardonna point. Je l'ai vue en colère de ce que mademoiselle de Rambouillet disoit trop de bien de Voiture: «Je croyois, disoit-elle, qu'il falloit prier Dieu pour son âme, mais je vois bien qu'il n'y a plus qu'à le canoniser.» Sarrasin fit _la Pompe funèbre_, qui, quoique languissante en bien des endroits, est pourtant la meilleure chose qu'il ait faite. Il a volé à Voiture même, dans la lettre à M. de Coligny, toute l'invention de ces amours différents[328]. On voit assez la malignité de l'auteur, qui ne peut cacher sa jalousie, car il remarque des fautes de Voiture, comme quand il dit en un des chapitres: _Comme Vetturius enseignoit aux nouveaux mariés ce qui s'étoit passé entre eux_. Il est vrai qu'il n'y a point d'art dans cette épître à M. de Coligny, car il raconte à ce seigneur ce qu'il sait mieux que lui, sans prendre aucun biais pour cela. Sarrasin le fait passer pour un farfadet. Madame de Rambouillet ne se pouvoit résoudre à lire cette pièce; madame Saintot l'en pria. Elle croyoit, cette pauvre folle, que cela étoit à son avantage et à l'avantage de Voiture. Le comte de Thorigny, fils de cet habile homme M. de Matignon, disoit, après avoir lu _la Pompe funèbre de Voiture_ tout du long: «Je vous assure que cela est fort joli, Voiture ne fit jamais mieux que de faire cette pièce avant de mourir.» Mais ce qui est le plus étonnant de tout, c'est que Martin[329], neveu de Voiture, après avoir fait une grande préface qu'on lui corrigea, et où on lui fait faire une espèce d'apologie pour son oncle, à cause de Sarrasin, fut si innocent que de proposer de mettre _la Pompe funèbre_ au bout des _OEuvres de Voiture_. Martin n'en tira rien du libraire, mais les soeurs de Voiture en voulurent avoir deux cents livres. On doutoit que cela pût réussir, à cause de tant d'endroits qu'on n'entend pas, comme moi qui y travaille depuis sa mort, et je ne puis avoir l'éclaircissement de bien des choses. Martin a sottement effacé des noms, en y mettant des étoiles, au lieu de les garder pour les remettre plus tard; cependant il s'en est vendu une quantité étrange. Quelque jour, si cela se peut faire sans offenser trop de gens, je les ferai imprimer avec des notes, et je mettrai au bout les autres pièces que j'ai pu trouver de la société de l'hôtel de Rambouillet[330]. M. Servien s'est plaint secrètement de ce qu'on avoit laissé deux fois son nom dans les lettres à M. d'Avaux, parce que, étant nommé une fois, cela sert à faire deviner le reste, puisqu'on se doute que c'est de lui qu'on veut parler. Je m'étonne que M. Chapelain et M. Conrart, qui ont tant étoilé ce pauvre livre, n'aient pris garde à cela, eux qui ôtèrent le nom de M. de Vaugelas en un endroit où il étoit loué très-finement, car Voiture dit que pour passer pour savoyard il tâche à parler le plus qu'il peut comme M. de Vaugelas. La reine d'Angleterre a conté à madame de Montausier que voulant envoyer un Voiture à madame de Savoie, elle voulut faire ôter une certaine lettre à M. de Chavigny, où il dit qu'il aimeroit mieux entretenir trois heures madame de Savoie que de faire cela, car quoiqu'il y ait une étoile, le sens y va tout droit, mais elle eut avis que Madame l'avoit déjà vue[331]. M. de Blairancourt disoit à madame de Rambouillet qu'on ne parloit que de ce livre; il l'avoit lu, et il trouvoit que Voiture avoit de l'esprit. «Mais, monsieur, lui répondit madame de Rambouillet, pensiez-vous que c'étoit pour sa noblesse, ou pour sa belle taille, qu'on le recevoit partout comme vous avez vu?» Durant le blocus de Paris[332], Sarrasin écrivit en vers à M. Arnauld, qu'il ne nommoit point, et qu'il appeloit seulement maréchal, à cause qu'il étoit maréchal-de-camp; cela courut, et comme on imprimoit tout en ce temps-là, cela fut imprimé avec ce titre: «_L'ombre de Voiture au maréchal de Gramont._» Madame Saintot s'alla mettre dans la tête que Voiture n'étoit point mort (c'est signe qu'elle ne l'a point vu mourir), et sa raison étoit qu'il n'y avoit que Voiture qui pût avoir fait cette pièce. L'été devant sa mort, il fit une promenade à Saint-Cloud avec feu madame de Lesdiguières et quelques autres. La nuit les prit dans le bois de Boulogne. Ils n'avoient point de flambeaux. Voilà les dames à faire des contes d'esprits. En cet instant Voiture s'avance du carrosse pour regarder si l'écuyer, qui étoit à cheval, suivoit, car la nuit n'étoit pas encore fermée: «Ah! vraiment, dit-il, si vous en voulez voir des esprits, n'en voilà que huit.» On regarde; en effet, il paroissoit huit figures noires qui alloient en pointe. Plus on se hâtoit, plus ces fantômes se hâtoient aussi. L'écuyer ne voulut jamais en approcher. Cela les suivit jusque dans Paris. Madame de Lesdiguières conta le fait au coadjuteur, depuis cardinal de Retz. «Dans huit jours, lui dit-il, j'en saurai la vérité.» Il découvrit que c'étoient des Augustins déchaussés qui revenoient de se baigner à Saint-Cloud, et qui, de peur que la porte de la ville ne fût fermée, n'avoient point voulu laisser éloigner ce carrosse, et l'avoient toujours suivi[333]. Voiture a une bâtarde religieuse; c'est d'elle qu'on a eu son portrait. Pour l'avoir dans sa chambre, elle le fit habiller en saint Louis, parce que ses grands cheveux plats ressemblent assez à ceux de ce roi, et qu'on lui fait la mine un peu niaise, comme Voiture se la fait dans la lettre à _l'inconnue_[334]. Un soir que M. Arnauld avoit mené le petit Bossuet de Dijon, aujourd'hui l'abbé Bossuet, qui a de la réputation pour la chaire, pour donner à madame la marquise de Rambouillet le divertissement de le voir prêcher, car il a _préchotté_ dès l'âge de douze ans; Voiture dit: «Je n'ai jamais vu prêcher de si bonne heure ni si tard[335].» [295] Vincent Voiture, né à Amiens en 1598, mort à Paris en 1648. [296] Elle s'appeloit Vion. (T.) [297] Il étoit trésorier de France. (T.) [298] C'est la quatrième lettre adressée _à madame de Saintot, en lui envoyant le_ ROLAND FURIEUX _d'Arioste, traduit en françois_. (_OEuvres de Voiture_; Paris, Courbé, 1660, p. 12.) [299] Guillonnet d'Alibray et Dinville. (T.) [300] Il alloit changer de linge chez L'Huillier, voisin de la Saintot, et cela afin qu'on le sût, car il étoit vain en amourettes. (T.) [301] Suffocation hystérique. (_Dict. de Trévoux._) [302] C'est la fille de Barbier qui vint à Paris avec des sabots et y fit fortune. Elle et la soeur qu'elle avoit furent nourries à la Montauron. Cette soeur avoit une vision que pour être belle il falloit être pâle. Pour cela elle mangea tant de citrons qu'elle en mourut. Celle-ci avoit tous les dimanches une coiffe et un masque de la bonne ouvrière, à cause qu'elle étoit jolie masquée. Elle étoit brune, mais agréable. On donnoit huit cents livres de pension à La Prime pour la coiffer. Elle et sa soeur alloient partout de leur chef, car la mère ne voulut jamais quitter son chaperon, et le père ne vouloit pas qu'une bourgeoise allât avec les _infantes_, ses filles. Fenestreaux, conseiller au Parlement, l'épousa; il l'appeloit _la reine Gillette_. Cette dame a fait la coquette tout son soûl, puis la dévote, et après le bel esprit. Une fois elle quitta son mari, s'en alla à Fenestreaux, y fit quelque temps la solitaire, et revint comme si de rien n'eût été. Barbier mourut pitoyablement, et Fenestreaux vendit sa charge, mais il a encore du bien. (T.) [303] Voiture rioit en contant que son père lui avoit dit: «Vous disiez qu'on vous aimoit tant à l'hôtel de Rambouillet, voyez ce qu'on y a fait contre vous.» Mais c'étoit avant qu'on eût rien ajouté de fâcheux. (T.) [304] Dans la seconde partie de la _Défense de Voiture_. (T.) [305] Mademoiselle Véron. (T.) [306] Ce mot est pris ici dans le sens de la négligence des règles établies; ce qui suit le fait bien entendre. [307] C'étoit le nom de la demoiselle de compagnie de madame de Sablé. (_Voyez_ l'article _Sablé_.) [308] Cercle. [309] La rue Saint-Thomas du Louvre, où l'hôtel de Rambouillet étoit situé. [310] Fils du marquis de Rambouillet. [311] Il mangeoit tous les jours à l'hôtel de Rambouillet, quoiqu'il ait eu telle année dix-huit mille livres à manger. Il a eu une bonne pension en qualité de premier commis des finances, pendant que M. d'Avaux a eu le titre de surintendant. Il avoit trois petites charges: il étoit chez Monsieur introducteur des ambassadeurs, gentilhomme ordinaire et maître-d'hôtel de Madame, et Monsieur le Prince l'a souvent fait servir un quartier de maître-d'hôtel chez le Roi. Son jeu lui coûtoit. (T.) [312] Voiture n'a jamais été à l'Académie que pour s'y faire condamner sur une gageure. (T.) [313] L'hospice des Quinze-Vingts étoit situé rue Saint-Nicaise. Après la suppression de la maison du Roi, sous le ministère de M. de Saint-Germain, ce bel établissement fut transféré à l'Hôtel des Mousquetaires, rue de Charenton. [314] Eléazar de Sarcilly, sieur de Chandeville, né en 1611, et mort en 1633. (_Origines de la ville de Caen_, par Huet; Rouen, 1706, pag. 397.) On a conservé de lui quelques vers; ils se trouvent dans le _Recueil de diverses poésies_; Paris, Chamhoudry, 1651, Etienne Loyson, 1661, ou Pierre Trabouillet, 1670. [315] Ceci vient de mademoiselle de Scudery, à qui mademoiselle Paulet l'a dit. (T.) [316] _Voyez_ précédemment, t. I, p. 196, l'article que Tallemant a spécialement consacré à mademoiselle Paulet. [317] Il en est fait mention dans la _Pompe funèbre de Voiture_ en ces termes «_Comme Vetturius cribloit de nuit dans l'université d'Orléans, et comme un matois Normand lui coupa les doigts._» (_OEuvres de Sarasin_; Paris, 1685, t. 2, p. 22.) [318] Voiture demanda à faire sa prière, et il la fit. (T.)--On lit au chapitre premier de la table de la grande Chronique du noble Vetturius: _Du grand et horrible combat de Vetturius contre Brun de La Coste, et comme Vetturius fit sa prière au dieu Mars qui ne lui servit de rien_. (_Pompe funèbre de Voiture_, audit lieu, p. 18.) [319] _Comme Vetturius se battoit nuit et jour; et de l'Édit des duels qui n'étoit pas fait pour lui._ (_Ibid._ ch. 4.) [320] Montausier nous semble n'avoir pas eu tort de juger avec sévérité les plaisanteries de Voiture; elles sont généralement marquées au coin de l'afféterie. Il a cependant dans ses ouvrages, et surtout dans ses poésies, des passages pleins de finesse et de grâce. Il n'a peut-être rien fait de mieux que les stances adressées à Anne d'Autriche, qui cependant n'ont pas été comprises dans ses OEuvres. Elles ont été imprimées pour la première fois dans leur entier dans une lettre d'un des trois éditeurs de ces _Mémoires_ (M. Monmerqué), insérée dans la livraison d'octobre 1833 de _la France littéraire_. [321] _Voyez_ l'article sur Costar, qui fait bien connoître ce pitoyable homme. [322] Dont mademoiselle de Rambouillet étoit abbesse. [323] Ceci donne l'explication d'un passage d'une lettre que Voiture écrivit à Chavaroche pour le prier d'assister sa soeur dans un procès: «En récompense, lui dit-il, je vous promets que de ma vie je ne vous appellerai _pourceau_, et que je vous donnerai la première chapelle qui sera à ma nomination.» (_Lettre 147e_ de Voiture, p. 311 de l'édition de 1660.) [324] _Lettre 143e_ de Voiture, _ibid._, p. 303. [325] On dit qu'un prince a dit, je crois que c'étoit M. le duc d'Enghien: «Si Voiture étoit de notre condition, il n'y auroit pas moyen de le souffrir.» (T.) [326] Geoffroy, marquis de Laigues, capitaine des gardes de Gaston, duc d'Orléans. Il entra très-avant dans le parti de la Fronde, comme on le voit dans les _Mémoires du cardinal de Retz_. Il mourut en 1674. [327] Blot, baron de Chauvigny, spirituel chansonnier de la Fronde, mourut en 1655. Madame de Sévigné écrivoit à sa fille le 6 mai 1671: «Ségrais nous montra un Recueil qu'il a fait des chansons de Blot; elles ont le diable au corps, mais je n'ai jamais vu tant d'esprit.» [328] Voyez _l'Épître à M. de Coligny_, pag. 101 de la deuxième partie des _OEuvres de Voiture_, édition de 1660. C'est une de ses plus jolies pièces; nous en citerons quelques vers tirés du passage indiqué par Tallemant: Au bruit du célèbre hyménée, Pour être à la grande journée, Là se rendent à grand concours Tout ce que le monde a d'Amours. De tous les endroits de la terre, D'Irlande, d'Écosse, d'Angleterre, Du pays des Italiens, De celui des Siciliens....... Même il en vint d'Ethiopie, Noirs comme petits ramoneurs, Et ces noirs-là sont les meilleurs. Il en arriva trois volées Des Marches les plus reculées Du cap Vert. Ceux-là sont petis, Gaillards, éveillés et gentis; Ils ont par tout même ramage, Et cent couleurs en leur plumage, Comme on en voit aux perroquets Et sont ceux qui font les coquets. Jadis n'en étoit remembrance, Cent ans a qu'il en vint en France... On les voyoit comme moineaux Ou comme troupe d'étourneaux, Ombrager toute la campagne Et couvrir toute la Champagne, etc. Sarrasin, dans _la Pompe funèbre de Voiture_, s'exprime ainsi: Enfin suivoit une volée Grande et confusément mêlée D'Amours de toutes les façons: C'étoit tous ces oiseaux garçons[328a] Dont Voiture a donné la liste. Après on voyoit sur leur piste Les Amours d'obligation, Les Amours d'inclination, Quantité d'Amours idolâtres, Une troupe d'Amours folâtres, Force Cupidons insensés, Des Cupidons intéressés; De petits Amours à fleurettes, D'autres petites Amourettes, Mêmement de vieilles Amours, Qui ne laissent pas d'avoir cours En dépit des Amours nouvelles..... [328a] _Garçon_ est pris ici en mauvaise part, dans le sens de _vaurien_, _débauché_. Ainsi on lit dans le _Lai de l'Ombre_, pièce du XIIIe siècle: Je ne veuil pas resambler ceus Qui sont _garçon_ par tout détruire. Et bref tant d'Amours qu'à vrai dire On ne pourroit pas les décrire. Comme l'on voit les étourneaux Tournoyant aux rives des eaux, Lorsque la première froidure Commence à ternir la verdure; Leur nombre qui surprend les yeux Noircit l'air et couvre les cieux, Tels ou plus épais, ce me semble, Se pressant cheminoient ensemble Tous les Amours de l'univers. [329] Étienne Martin de Pinchesne, contrôleur de la maison du Roi, neveu de Voiture, a été l'éditeur de ses _OEuvres_. On a de lui deux volumes de poésies qui seroient tout-à-fait oubliées si Boileau n'avoit pas mis Pinchesne au rang des poètes ridicules. [330] Le travail de Tallemant sur Voiture est malheureusement perdu. Il auroit été d'une grande utilité pour connoître une foule d'allusions qui n'ont pu être saisies que par ses contemporains. M. Durozoir, dans un article sur Voiture, inséré dans la _Biographie universelle_, annonce qu'il a retrouvé une partie de ces allusions. Il rendroit un véritable service aux lettres s'il faisoit connoître ses recherches. Tallemant lui fourniroit de curieux documents. [331] C'est dans la lettre 138e, pag. 296 de l'édition de Voiture déjà citée. Voici le passage dont le sens n'a pu être compris jusqu'à présent: «Je consentirois d'entretenir quatre heures tous les soirs M***, pour avoir l'honneur de vous voir une demi-heure tous les jours.» Il semble que Chrétienne de France, duchesse de Savoie, aura eu quelque peine à se reconnoître dans cette lettre. [332] En 1649. [333] Le coadjuteur étoit de cette promenade, ainsi que le maréchal de Turenne. Le cardinal raconte cette bizarre anecdote dans ses _Mémoires_ d'une manière plus plaisante que ne l'est le récit de Tallemant. (_Mémoires du cardinal de Retz_, tom. 44, p. 133 de la deuxième série des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_.) [334] _Voyez_ la lettre 78e de Voiture, écrite _à une maîtresse inconnue_ (p. 188 de l'édition de 1660). Il s'y peint de la manière suivante: «Ma taille est deux ou trois doigts au-dessous de la médiocre. J'ai la teste assez belle, avec beaucoup de cheveux gris; les yeux doux, mais un peu égarés, et le visage assez niais.» [335] Bossuet avoit seize ans, lorsqu'en 1643 il improvisa un sermon à l'hôtel de Rambouillet. (_Histoire de Bossuet_, par le cardinal de Bausset; Versailles, 1814, t. I, p. 22.) M. ARNAULD[336], ET TOUTE SA FAMILLE. La famille des Arnauld est une bonne famille; ils se disoient gentilshommes, et viennent d'Auvergne[337]. Balzac l'a appelée: _la famille éloquente_. Nous en parlerons après avoir parlé de M. Arnauld en particulier. Il étoit fils d'un intendant des finances, mais il n'en étoit guère plus riche pour cela, car alors les intendants n'étoient pas si grands voleurs qu'ils l'ont été depuis. Il eut après la mort de son oncle, qu'on appeloit Arnauld du Port, le régiment des carabins, que cet oncle avoit levé; il se trouva quasi de toutes les expéditions qui se sont faites avant la guerre déclarée, et il se vit par la faveur du Père Joseph, ami de M. de Feuquières, qui avoit épousé sa soeur, gouverneur de Philipsbourg, en un si jeune âge, qu'il ne pouvoit manquer de faire une grande fortune, s'il eût su se conserver dans un si bon poste; mais il se laissa surprendre une nuit. Le cardinal de Richelieu dit: «Ah! voilà des soldats du Père Joseph.» Au lieu d'Arnauld Corbeville[338], qu'on l'appeloit, on l'appela Arnauld Philipsbourg. Cela fit crier si étrangement que quelqu'un a dit depuis, quand on vit la secte des jansénistes s'établir, que tandis qu'on parleroit de théologie et de guerre on se souviendroit de messieurs Arnauld. Cela est rapporté par M. d'Andilly (_Arnauld_) dans un volume de lettres qu'il a fait imprimer. Voyez la cervelle de l'homme! en s'en plaignant, il l'a appris à bien des gens qui ne l'avoient jamais ouï dire[339]. Arnauld, dans ce temps-là, fut mis dans la Bastille. Sa famille fit imprimer une petite apologie, car à mal exploiter bien écrire, où ils chargeoient M. de La Force de n'avoir pas voulu, par envie, envoyer les choses nécessaires dans la place; mais ils ne persuadèrent personne. On remarqua qu'à la vignette de cette feuille imprimée, il y avoit des oisons bridés, et on disoit plaisamment que la Providence avoit permis cela pour avertir le monde qu'il n'y avoit que des oisons bridés qui pussent croire ce qu'ils disoient. Il y a eu toujours quelque chose qui s'est opposé à l'élévation de cette famille, témoin Thionville, où leur ressource, M. de Feuquières, fut défait. Le cardinal de Richelieu lui avoit donné une armée à commander pour le faire maréchal de France; on l'avoit cru capable de tout, car il commandoit fort bien sous un autre. Pour revenir à Arnauld, ce pouvoit être faute d'expérience; mais je ne saurois croire que ce fût faute de coeur, car j'ai ouï dire au cardinal de Retz, alors abbé, lui qui n'aimoit point tout ce qui pouvoit être ami du Père Joseph, ni de pas un des suppôts du cardinal de Richelieu, qu'il avoit secouru Arnauld sur le Pont-Neuf, l'ayant trouvé seul, l'épée à la main, contre six soldats. Il est vrai qu'il eut le malheur d'être accusé de n'avoir pas bien secouru à Nordlingen, et d'avoir rapporté qu'on ne pouvoit passer par un marais, et cela fut cause que l'aile gauche, où étoit le maréchal de Gramont, fut toute défaite. A Lérida, il fut blessé à la tête et pris en une sortie, s'étant résolu de payer de sa personne, et la même campagne, il prit Ager, en Catalogne. Je ne crois pas pourtant qu'il eût beaucoup de génie pour la guerre, car, étant dans tous les plaisirs de M. le Prince, il eût acquis la réputation de Marsin, s'il l'eût méritée. Il a rendu à M. le Prince un grand service durant sa prison, car ce fut lui qui eut l'adresse de négocier avec la Palatine[340], et c'est ce qui fut cause de la délivrance de M. le Prince. Cependant depuis il laissa périr misérablement Arnauld dans le château de Dijon. Les lettres de Voiture et ses vers parlent fort souvent d'Arnauld; c'étoit au moins le Racan de Voiture, en poésie burlesque. Pour de la prose, il n'y a qu'une pièce de lui qu'on appelle _la Mijorade_. On n'a rien imprimé de tout cela; je le donnerai quelque jour[341]. A la fin de 1646, il fit une relation, qui est imprimée, de la campagne de cette année-là: elle est bien écrite. Je n'ai jamais vu qu'une lettre en prose de lui qu'on imprima dans la première édition de Voiture, croyant qu'elle fût de sa façon, c'est à madame de Rambouillet, en lui envoyant _Polexandre_[342]; elle est prise tout de travers, et n'a que de faux brillants. Arnauld a eu ses amours aussi bien que Voiture. Après Desbarreaux, ce fut le galant de Marion de l'Orme. On conte que, comme il étoit rêveur, et qu'il lui arrivoit souvent de dire les choses sans savoir pourquoi, et même sans les vouloir dire, un jour, quoiqu'il n'eût aucun soupçon d'elle, il lui dit: «Qui est-ce qui est sorti de céans à deux heures après minuit?» Il ne savoit pourquoi il disoit cela. Marion se troubla à cette question: elle crut avoir été trahie, et il se trouva que Cinq-Mars, depuis M. le Grand, qui commençoit alors à faire galanterie avec elle, en étoit sorti effectivement à deux-heures. On a fait des chansons de lui et de madame de Grimaut, avant cela. Sa dernière galanterie fut la présidente de La Barre, mais il n'en avoit pas eu les gants. Elle avoit été entretenue par Gallard, frère de madame de Novion: Novion aussi en tâta. Un jour elle entra avec lui chez Perrot de La Malemaison, conseiller au parlement, mais veuf, et en faisant semblant de l'attendre, ils se firent allumer du feu dans une chambre, où ils firent leur petite affaire. Les valets s'en aperçurent, et la première fois que La Malemaison les rencontra. «Hé! leur dit-il, si vous m'eussiez averti, je vous eusse fait mettre des draps blancs.» On dit que Gallard lui donnoit quatre mille écus. On n'avoit que faire de crier au voleur, car, ma foi, c'étoit bien payé. Elle avoit plutôt l'air d'une grosse servante de cuisine que d'une femme de condition. Son mari, qui étoit amoureux de la présidente Perrot, et qui avoit l'honneur de n'être pas le plus sage homme du royaume, mais qui avoit de l'esprit, lui disoit: «Si on vous fait l'amour, c'est pour me faire enrager, car il n'y a grain de beauté en vous.» En ce temps-là elle fit une grande sottise. Elle est un peu parente de madame d'Aiguillon, du côté de son père, M. de La Galissonnière. Au Cours, elle affecta par deux fois de se jeter tout-à-fait hors du carrosse comme madame d'Aiguillon passoit, et de crier: «Madame, votre très-humble servante.» La fière duchesse, qui faisoit la reine Gillette[343], ne fit pas semblant, ni à la première ni à la deuxième fois, de s'en apercevoir. La Barre vit cela, et il juroit comme un enragé. Enfin, son mari la chassa; elle se vantoit d'avoir été battue maintes fois. Elle demeuroit chez son père. Le mari mourut cinq ou six ans après, et, par son testament, il la fit tutrice par honneur, et en cela il fit sagement; mais il lui donna un conseil nécessaire, le président Perrot et Bataille, avocat, sans lesquels elle ne pouvoit disposer de rien. Cela a été confirmé par arrêt. Arnauld, qui ne savoit plus de quel bois faire flèches, et dont M. le Prince n'avoit pas eu grand soin, l'épousa la nuit même du jour que M. le Prince avoit été arrêté. Il ne le sut qu'après avoir été épousé. La voilà, nonobstant la prison de M. le Prince, qui se fait appeler madame d'Arnauld, et qui prend des pages. Elle étoit à Paris quand son mari mourut; elle dit cent sottises; entre autres, comme on disoit: «Il n'a jamais eu le teint bon.--Hélas! dit-elle, il a vécu jaune, et il est mort jaune.» Elle se consola bientôt. Au bout de trois mois, non contente de traiter souvent madame de Châtillon et autres, elle alloit en des maisons où il y avoit des violons et la comédie; avec son bandeau de veuve, elle avoit des gants garnis de rubans de couleur et des bracelets de même. Elle jouoit des chandeliers rouges garnis d'argent, et disoit: «C'est pour ma toilette.» Quelle toilette de veuve à bandeau! Elle étoit ravie de faire la _camarade_ avec les grandes dames; on se moquoit d'elle. Elle prit bientôt un galant: ce fut un des Puygarrault de Poitou, nommé Clairambault, dont nous parlerons assez dans les _Mémoires de la Régence_. Il l'a ruinée. Pour une fois elle lui donna quatre mille louis d'or. Il avoue qu'il en a tiré quarante mille écus. Reprenons à cette heure toute la famille en général; Antoine Arnauld, Isaac Arnauld, intendant des finances, Arnauld du Fort, et Arnauld le Péteux, étoient frères; ils avoient trois ou quatre soeurs. Nous parlerons de tous l'un après l'autre. [336] Tallemant a partout écrit _Arnaut_, mais tous les membres de cette famille signoient _Arnauld_; nous suivrons cette orthographe. [337] D'autres disent qu'elle vient de Provence. [338] _Corbeville_ étoit le surnom du père de l'intendant. Arnauld d'Andilly donne sur le père quelques détails dans ses _Mémoires_; mais il passe le fils entièrement sous silence, et on verra par ce qui suit qu'il n'auroit pas parlé de son cousin de Corbeville, sans entrer dans une continuelle apologie sur plusieurs faits graves. (Voyez _les Mémoires d'Arnauld d'Andilly_, t. 33, p. 320 de la deuxième série des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_.) [339] _Voyez_ la lettre d'Arnauld d'Andilly à M. de Montrave, premier président du Parlement de Toulouse, dans le Recueil de ses _Lettres_; Paris, Étienne-Loyson, 1676, in-12, pag. 407. Il y prend la défense de plusieurs membres de sa famille attaqués par le président Gramont, dans une Histoire de France qu'il a écrite en latin. [340] Anne Gonzague, princesse palatine. [341] Arnauld de Corbeville est l'auteur du madrigal de la Tulipe, dans la _Guirlande de Julie_. [342] Roman de La Calprenède. [343] Expression proverbiale qui se dit d'une femme hautaine, qui ne daigne point parler à ceux qu'elle regarde comme étant au-dessous d'elle. (Voyez _le Dictionnaire de Trévoux_.) ARNAULD (ANTOINE)[344]. Antoine Arnauld, avocat, étoit un homme qui passa pour éloquent en un temps que l'on ne se connoissoit guère en éloquence. Ce fut lui qui plaida contre les Jésuites, qui n'en aiment pas mieux ces messieurs de Port-Royal. Or, une fois, du temps que le parlement étoit à Tours, un courtisan le fit de moitié de la confiscation d'un Génois huguenot, nommé Madelaine, père du conseiller au parlement. Il fallut plaider pour cela. Arnauld fit un dénombrement de tous les mauvais offices que les Génois avoient rendus à la France, et s'étendit fort sur André Doria. Madelaine, qui étoit homme de bon sens, voyant cela, se lève en pieds, et se met à dire à la cour en son baragouin: «_Messiours, c'ha da far la repoublique de Gênes et André Doria avec mon argent?_ Et avec cette belle éloquence, il rendit muet cet éloquentissime Antoine Arnauld. C'étoit un homme à lieux communs; il avoit je ne sais combien de volumes de papier blanc, où il faisoit coller par son libraire les passages des auteurs tout imprimés qu'il coupoit lui-même et les réduisoit sous certains titres. A cela il ne faut que deux exemplaires de chaque auteur, ou, pour mieux dire, trois, si on veut avoir l'auteur tout entier à part; mais aussi on n'a que faire d'écrire et de copier. Il y eut un jeune avocat huguenot, nommé de Pleix, qui ne manquoit pas d'esprit, mais pour du jugement, il n'en avoit pas plus qu'il lui en falloit. Ce jeune homme eut à plaider contre Antoine Arnauld, qui étoit pour MM. de Montmorency. Arnauld étala toutes les batailles que ceux de Montmorency avoient données, et dit que le connétable Anne s'étoit trouvé en je ne sais combien de batailles rangées. De Pleix fit un factum, où il se moquoit de l'autre, et dit qu'il prouvoit une péremption d'instance par une bataille rangée. La république de Gênes y entroit peut-être aussi. Cela fit assez rire le monde, car il y avoit bien de la médisance. Arnauld s'en plaignit, et il fut ordonné que l'autre viendroit lui en faire satisfaction à huis-clos. De Pleix, quand ils furent là, dit: «Messieurs, j'ai fait une sottise, il faut que je la boive; faites ouvrir, cela sera plus exemplaire pour la jeunesse, à huis-ouverts qu'à huis-clos»; et, en pleine audience, il pria Arnauld de lui pardonner. Mais il fit ensuite un méchant tour à la famille, car il se mit à rechercher dans les registres de la chambre des comptes, et fit voir qu'on avoit enregistré des brevets de pension pour services rendus par des enfans de la famille qui étoient à la bavette, et fut cause qu'on leur raya pour plus de douze ou quinze mille livres de pension. Cela s'étoit fait par la faute de M. de Sully. [344] Sa femme étoit fille de M. Marion, avocat-général au Parlement de Paris. (T.) ARNAULD (ISAAC). Par la faveur de M. de Sully, d'avocat il devint intendant des finances. Il étoit huguenot et père d'Arnauld, maréchal de camp, et de madame de Feuquières. Il a passé à Charenton[345] pour un fort homme de bien et fort craignant Dieu, et qui entendoit admirablement bien les finances. [345] C'est-à-dire parmi les réformés. ARNAULD DU FORT. On appelle cet Arnauld, Arnauld du Fort, parce que ce fut lui qui s'avisa, après avoir changé de religion, de proposer de faire le fort Louis, pour incommoder ceux de La Rochelle, et il en fut capitaine. Il avoit voulu persuader à ses frères de le pousser dans la guerre, afin qu'il pût devenir maréchal de France, et, pour les y obliger, il leur disoit qu'en Italie, pour faire un cardinal, on en usoit ainsi dans les familles. Au mariage du Roi, il s'avisa de se mettre du carrousel[346]; on s'en moquoit un peu; il faisoit le beau, et on disoit que dans une chambre pleine de miroirs il étudioit la bonne grâce. Une fois qu'un moine, faisant la prière, disoit à ses soldats qu'il ne leur servoit de rien d'être vaillant, que Dieu seul donnoit les victoires, il le renvoya bien vite, en lui disant: «Vous gâtez mes gens, il leur faut dire que Dieu est toujours du côté de ceux qui frappent le plus fort.» Le marquis de La Force répliqua aussi à un moine qui disoit: «Recommandez-vous bien à Notre-Dame,» qu'il falloit dire: à Notre-Dame _de frappe fort_. Ce M. le maréchal de France _en herbe_ ne fut jamais, comme j'ai dit, que mestre de camp des Carabins. Il fit faire, car il avoit de la vanité en toute chose, à son beau-frère L'Hoste, la plus ridicule dépense du monde à Montfermeil, auprès de Paris; car, sur le penchant d'une montagne, il lui conseilla de faire un canal, sans considérer qu'il y avoit assez d'eau dans cette maison, et que le terrain ne le permettoit pas: il a coûté vingt-cinq mille écus, et n'a jamais tenu l'eau. Il se piquoit aussi d'écrire, et d'écrire bien sur-le-champ. Il en voulut faire une épreuve en écrivant une lettre en une compagnie où étoit Gombauld; mais Gombauld, qui avoit le nez bon, connut aisément qu'il n'y avoit rien là qui n'eût été apporté du logis. [346] Au carrousel de la Place-Royale, qui eut lieu en 1612, à l'occasion du mariage de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. ARNAULD LE PÉTEUX[347]. Arnauld le péteux étoit demeuré garçon et étoit huguenot; il avoit été contrôleur des restes[348] par la faveur de M. de Sully; mais c'étoit un pauvre garçon qui fit bien mal ses affaires. Il ne ressembloit à ses frères ni en esprit ni en vanité. On le surnomma _le péteux_, à cause que de jeunesse, il s'étoit accoutumé à péter partout. Madame Des Loges lui dit une fois: «Vois-tu, mon pauvre garçon, tous les Arnauld ont du vent; la différence qu'il y a, c'est que les autres l'ont à la tête, et toi tu l'as au cul.» Il logeoit avec sa soeur L'Hoste et son neveu de Montfermeil, un grand mélancolique qui n'est pas plus sage qu'un autre. Il falloit que ce pauvre bon homme attendît que ce neveu se réveillât lui-même pour se lever les dimanches, car Montfermeil est aussi huguenot, et quelquefois ils arrivoient à mi-presche: ce fou ne veut pas qu'on l'éveille. Il vivoit avec tant de cérémonie avec cet oncle qui étoit un _boute-tout-cuire_[349], que cet homme n'osoit manger une langue de carpe, sans la lui présenter. Un jour ils furent si long-temps à faire des compliments sur cela, qu'un valet la prit, et dit que c'étoit de peur qu'ils ne se battissent. Montfermeil maria sa seconde soeur avec un gentilhomme normand, mal en ses affaires, nommé Hequetot, qui devroit plutôt être picard, car il épousa une laide et vieille fille sans toucher le mariage. Ne pouvant en rien tirer, il alla durant les troubles (1649) se mettre dans Montfermeil, vendit ce qu'il put, et n'en sortit point qu'on ne l'eût satisfait en quelque sorte. Le premier gendre est bien meilleur homme, car, quoiqu'il n'ait touché guère davantage, il ne demande rien. Il est fort riche, mais un peu fou, et quelquefois jusques à être lié. Il dit d'une maison qu'il a sur un coteau, au bord de la Seine[350]: «Chose étrange! plus on monte à ma maison, plus on a belle vue!» Cette mademoiselle L'Hoste, la mère, se mit une chose dans la tête qui fait bien voir la vanité de la famille. Un peu après le malheur de Philipsbourg, un de nos ministres, nommé Daillé, dit, à propos de son texte, que quand les hommes abandonnoient la cause de Dieu, il permettoit qu'ils tombassent dans l'ignominie. Elle s'en plaignit, et dit qu'on avoit parlé contre M. Arnauld de Corbeville qui avoit changé de religion. Une Arnauld, mariée à un gentilhomme nommé M. de Canzillon, disoit qu'il n'y avoit de feu bien sain que celui de cotrets; ils firent, son mari et elle, si beau feu qu'ils n'avoient pour subsister que ce que leurs parents leur donnoient. [347] Louis Arnauld, secrétaire du Roi, contrôleur-général des restes, _étoit_, dit Arnauld d'Andilly, le seul de tant de frères _qui n'avoit pas l'esprit fort élevé_. (_Mémoires d'Arnauld d'Andilly_, dans la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, tome 33, pag. 324.) Le neveu se donne bien de garde de donner à son oncle le beau surnom qui distinguoit ce dernier des autres Arnauld. [348] _Restes_, _reliqua rationum_, débits des comptables. (_Dictionnaire de Trévoux._) [349] Terme populaire qui se dit d'un dissipateur qui mange tout. (_Dict. de Trévoux._) [350] Meudon, vers Saint-Germain. (T.) ARNAULD (JEANNE). Il y eut une Arnauld qui demeura fille; on l'appeloit mademoiselle Jeanne Arnauld. Elle étoit huguenote. C'étoit un original; elle avoit fait un lit de réseau, qui lui sembloit admirable. Elle pria une personne qui avoit habitude chez le cardinal de Richelieu de faire qu'on parlât de ce lit à Son Eminence, et que, pour cela, elle se contenteroit d'une maison pour se loger; puis, quelque temps après, elle la pria de n'en point parler, «parce que, disoit-elle, quand je songe qu'un prêtre coucheroit dans un lit qu'une pucelle huguenote a fait de ses propres doigts, j'en ai horreur, et ne saurois m'y résoudre.» Au commencement de la régence, quand on eut une terreur panique à Charenton, elle disoit qu'elle avoit «tiré son petit couteau pour mourir avec sa fleur virginale.» Il n'y eût pas eu, je pense, grande presse à la lui ôter; elle n'avoit que soixante ans, mais en revanche elle étoit toujours habillée comme en sa jeunesse; toujours de la dentelle du temps de Henri IV. Elle avoit de la raison en une chose, c'est qu'elle conseilloit aux filles de se marier, et qu'il n'y avoit rien de si ridicule qu'une vieille fille. Il lui prit une vision de se faire faire un tombeau à Charenton[351]; mais elle avoit honte d'en avoir et que mademoiselle Anne de Rohan n'en eût pas. Elle alla donc parler à madame de Rohan la jeune dans sa place à Charenton, et lui dit: «Madame, il y a long-temps que j'ai quelque chose à vous dire. Cela est honteux que M. le maréchal de Gassion ait un tombeau, et que mademoiselle votre tante n'en ait point, elle qui étoit, sans comparaison, de meilleure maison que lui: faites-lui en faire un.» Madame de Rohan, au lieu de rire de cela, comme eût fait sa mère, lui répondit d'un ton aigre: «Mademoiselle, de quoi vous mêlez-vous? Ma tante a voulu être enterrée dans le cimetière, et, s'il falloit que je fisse faire des tombeaux à tous mes parents, vraiment je n'aurois pas besogne faite.» La pucelle s'en plaignit à tout le monde: «Voyez, quelle fierté! disoit-elle; je veux bien qu'elle sache que je suis aussi bien demoiselle qu'elle est dame!» A propos de tombeau, elle avoit fait faire une bière de menuiserie la mieux jointe qu'il y eût au monde, car, disoit-elle sérieusement, je ne veux point sentir le vent coulis. Elle fait elle-même un drap mortuaire de satin blanc brodé pour ses funérailles, en intention de le donner à l'église pour servir à toutes les filles, et elle gardoit, depuis je ne sais combien de temps, trois douzaines de petits cierges ou chandelles dorées pour ses funérailles. Regardez quelle vision pour une huguenote. Il lui fallut promettre qu'on les porteroit à son enterrement; mais ce fut dans un carrosse, et on ne les en tira pas, comme vous pouvez penser. [351] En 1649. (T.) ARNAULD D'ANDILLY. M. d'Andilly[352], fils d'Antoine Arnauld, s'étant rendu habile dans les finances, fut premier commis de M. de Schomberg; mais, comme il a de la vanité à revendre, il affectoit devant le monde de faire paroître qu'il avoit tout le pouvoir imaginable sur l'esprit du surintendant. M. de Schomberg n'y prenoit pas plaisir, et dit: «Mon Dieu! cet homme parle beaucoup!» Au retour du voyage de Lyon, il revint avec un nommé Barat, qui étoit à M. de Pisieux; cet homme, plus fin que lui, lui tira les vers du nez; l'autre, grand parleur comme il étoit, dit plus de choses qu'il n'en devoit dire. Barat en tira avantage; et M. de Schomberg ayant été disgracié quelque temps après, on dit que d'Andilly en étoit cause; mais M. de Schomberg ne l'a jamais cru, car il le tint au nombre de ses meilleurs amis, et M. et madame de Liancourt prirent conseil de lui en leurs affaires. Ce M. de Schomberg avoit les mains nettes, et d'Andilly aussi. Quoiqu'on lui dit que s'il vouloit prendre le soin de parler au roi, il dissiperoit toutes les cabales qu'on faisoit contre lui, il ne s'en soucia point, et dit: «Je ferai mon devoir, et il en arrivera ce qu'il pourra.» Il avoit succédé au président Jeannin, qui dit, quand on le fit surintendant: «De quoi se sont-ils avisés de m'aller charger de leurs finances? le moindre marchand fera cela.» C'étoit encore un homme de bien quand il vit à Tours que la partie étoit faite pour mettre M. de Schomberg en sa place, il dit au roi: «Sire, je suis vieux, je vous prie de me donner M. de Schomberg pour successeur.» Ce M. d'Andilly s'est mêlé de vers et de prose, mais il n'a guère de génie; il sait et il a de l'esprit. Il a été dévot toute sa vie. Il épousa une grande femme brune qui n'étoit pas mal faite; on vouloit faire passer madame Arnauld d'Andilly pour une sainte. Elle étoit fille d'un fort honnête homme d'auprès de Caen, nommé M. de La Boderie[353]. Il fut secrétaire de M. de Pisani en une ambassade de Rome, puis résident je ne sais où, et enfin ambassadeur en Angleterre. C'est ce qui fit la connaissance de M. d'Andilly et de M. et de madame de Rambouillet. M. d'Andilly perdit sa femme qu'il étoit encore vigoureux; d'ailleurs c'est le plus ardent et le plus brusque des humains: je vous laisse à penser s'il n'étoit pas incommodé n'ayant plus de femme à éveiller. Il lui arriva en ce temps-là une assez plaisante chose. La nuit, il entend souffler; il se réveille, et met la main sur des cheveux; le voilà qui croit aussitôt que le diable le vient tenter, comme si le diable n'avoit que cela à faire. Il dit: «Si tu es de Dieu, parle; si tu es du diable, va-t-en.» Or, ce diable étoit un laquais qui, s'étant endormi le soir, s'étoit couché au pied du lit de son maître, et, ayant senti du froid, s'étoit venu mettre sous la couverture. Je ne sais si c'est pour se consoler de son veuvage, mais il alloit voir des femmes et les baisoit et embrassoit charitablement un gros quart-d'heure. Je ne saurois comment appeler cela; mais, si c'est _dévotion_, c'est une dévotion qui aime fort les belles personnes, car je n'ai point ouï dire qu'il baisât comme cela que celles qui sont jolies. Il querella une fois la présidente Perrot de ce qu'elle s'étoit retirée après quelques baisers, et jura qu'il ne la traiteroit plus ainsi si elle ne prenoit cela comme elle devoit. Il est si brusque, comme j'ai dit, qu'en parlant à un parloir de carmélites, il se fourra un _fichon_ de la grille dans le front. En parlant, il donne des coups de poing aux gens. Madame de Rambouillet, qui savoit que M. de Grasse devoit dîner avec lui, écrivit en riant à ce petit prélat, «qu'il se gardât bien de se mettre à côté de M. d'Andilly s'il ne vouloit être écrasé.» [352] Robert Arnauld d'Andilly, né à Paris en 1589, mort à Port-Royal-des-Champs, le 27 septembre 1674. [353] Antoine Lefèvre de La Boderie, habile négociateur, mourut en 1615. Ses _Ambassades en Angleterre_ ont été publiées en 1750, en 5 volumes in-12, par les soins de l'abbé de Pomponne, son petit-fils. ARNAULD (HENRI), ÉVÊQUE D'ANGERS. M. d'Angers[354], son frère, autrefois M. l'abbé de Saint-Nicolas, est un homme aussi froid que M. d'Andilly est bouillant. Il n'y a rien de plus composé: il a de l'esprit et du sens, et est fort propre aux négociations[355]. Dans un procès qu'il eut contre son chapitre pour obliger quelques-uns des chanoines à quitter les cures qu'ils tenoient, parce qu'ils ne pouvoient résider, il ne voulut pas venir à Paris pour solliciter, afin de faire voir à ses parties que rien ne dispensoit de la résidence. Je ne trouve pas trop bien pourtant qu'il tienne table à Angers, et je me trompe, ou cet homme a plus d'ambition que toute la maison d'Autriche ensemble. Son nom l'oblige à aller bride en main, et ne se point faire soupçonner de jansénisme. Il ne s'y conduit pas mal, et n'a point donné prise sur lui. On n'en parle ni en bien ni en mal. [354] Né à Paris le 30 octobre 1597, mort à Angers le 8 juin 1692. [355] Ses négociations ont été publiées en 1748, en 5 volumes in-12, par les soins de l'abbé de Pomponne, son petit-neveu. ARNAULD (ANTOINE), LE DOCTEUR[356]. On l'appeloit _le petit oncle_, parce qu'il étoit plus jeune que son neveu Le Maistre, l'avocat. Celui-ci, sans doute, est le plus habile de ses frères, au moins en fait de littérature. Voici l'origine de cette secte, qu'on appelle les Jansénistes, et qui fait aujourd'hui tant de bruit. La marquise de Sablé dit un jour à la princesse de Guémené: «Qu'aller au bal, avoir la gorge découverte, et communier souvent, ne s'accordoient guère bien ensemble;» et la princesse lui ayant répondu que son directeur, le père Nouet[357], Jésuite, le trouvoit bon, la marquise le pria de lui faire mettre cela par écrit, après lui avoir promis de ne le montrer à personne. L'autre lui apporta cet écrit; mais la marquise le montra à Arnauld, qui fit sur cela le livre de _la fréquente Communion_. On accuse messieurs Arnauld de n'avoir pas été fâchés d'avoir une occasion de faire parler d'eux. Les Jésuites les haïssoient déjà à cause du plaidoyer d'Antoine Arnauld, et, sur la matière de la grâce, ils les accusèrent d'être huguenots, et disoient: «_Paulus genuit Augustinum, Augustinus Calvinum, Calvinus Jansenium, Jansenius Sancyranum[358], Sancyranus Arnaldum et fratres ejus._» D'ailleurs, les Jésuites, à qui il importe de faire un parti, ont poussé à la roue tant qu'ils ont pu, et se sont prévalus de tout ce qui est arrivé, comme de faire croire à la reine que la Fronde étoit venue du jansénisme[359]. [356] Né à Paris le 9 février 1612, mort à Bruxelles le 8 août 1694. [357] Jacques Nouet, Jésuite, mort vers 1680, a composé un grand nombre d'ouvrages ascétiques qui sont encore estimés. [358] L'abbé de Saint-Cyran, qui a véritablement importé le jansénisme en France. [359] Ce mot de Tallemant est le plus vrai qu'on paisse dire sur ce sujet. Les questions de jansénisme n'ont eu d'importance que celle qui leur a été donnée par les Jésuites. C'est surtout par ce moyen qu'ils acquirent une si grande autorité à la cour de Louis XIV. Sans eux ces disputes seroient restées dans les écoles, d'où elles n'auroient jamais dû sortir. LE MAISTRE (ANTOINE). Un maître des comptes, nommé Le Maistre (Isaac), qui étoit originaire des Pays-Bas et fils d'un marchand linger de la rue Aubry-Boucher, épousa une soeur de M. d'Andilly. Ce bonhomme, sur la fin de ses jours, se fit de la religion. Toute la famille des Arnauld, catholique, se mit à le persécuter à tel point qu'ils lui imposèrent assez de choses pour le faire mettre à la Bastille. On a dit que c'étoit un extravagant et qui maltraitoit sa femme. Son fils même ne l'épargna pas, et ce pauvre homme mourut dans la persécution. Sa veuve fut gouvernante de mademoiselle de Longueville. Au sortir de là, elle se retira à Port-Royal, abbaye auprès de Chevreuse, dont une de ses soeurs étoit et est encore abbesse. Le Maistre, l'avocat, son fils, s'y retira après, et eut au commencement permission d'y faire accommoder une chambre dans la basse-cour. Il travailloit de ses mains, béchoit la terre, portoit la hotte en habit de bure, gros chapeau et gros souliers, et faisoit aussi les affaires de la maison. Après, les religieuses, à cause du lieu malsain, ayant été transférées en partie au faubourg Saint-Michel, M. d'Andilly s'y retira, mais avec son équipage ordinaire, et il y fit un fruitier et quelque petit logement séparé des religieuses. Il a toujours été jardinier, et, par une curiosité ridicule, il avoit à Andilly jusqu'à trois cents sortes de poires dont on ne mangeoit point[360]. D'autres se joignirent à eux, M. Arnauld, M. de Singlin, M. Rebours et autres; ils firent faire aussi dans Port-Royal du faubourg un logement pour eux dans la basse-cour. Ils ne donnent rien à l'extérieur. Leur autel est fort simple, et on dit que c'est un autel fort dévot. De grands seigneurs se sont depuis faits des leurs, et ce sera bientôt un grand parti. Pour revenir à M. Le Maistre, il auroit eu la réputation d'Hortensius s'il n'eût point fait imprimer. Le chancelier voulut que ses trois présentations fussent données au public. Dans le monde, c'étoit un monsieur d'une morale assez gaillarde; on croit que quand il a fait retraite, ç'a été de dépit de ne pouvoir être avocat-général: il espéroit cela de M. le chancelier. D'autres ont pensé qu'il avoit dessein de se mettre à prêcher, mais que la dévotion l'a attrapé en chemin; il avoit formé son éloquence dans les Pères. Il retira tous ses plaidoyers des mains de M. le chancelier. Comme il eut porté des oeufs au marché à Linas, il alla avec le meneur aux plaids, et, voyant que cet homme ne disoit pas bien le fait, il se mit à parler. Tout le monde fut surpris de voir cela; mais après on sut qui c'étoit. Durant la Fronde, qu'on imprimoit tout, ses plaidoyers furent imprimés. Depuis, à l'âge de cinquante ans, il les revit, et les donna au public plus corrects[361]. [360] On ne sait comment Tallemant a pu trouver ridicule qu'Arnauld d'Andilly, retiré à Port-Royal-des-Champs, ait fait de la culture des arbres fruitiers l'objet d'une innocente distraction. La postérité, plus juste que les contemporains envers cet honnête homme, n'oubliera pas qu'on lui doit les notions les plus utiles sur la culture des arbres fruitiers. Modeste par système, il a donné, en 1652, sous le nom de Le Gendre, curé d'Hénonville, un livre intitulé: _La Manière de bien cultiver les arbres fruitiers_. Il a perfectionné les espaliers; il a inventé les contre-espaliers, et sa plus douce récompense a été l'honneur qu'Anne d'Autriche lui faisoit d'accepter, chaque année, quelques-uns de ses plus beaux fruits. (Voyez _l'Histoire de la vie privée des François_, par Le Grand d'Aussy, Paris, 1782, t. I, p. 169 et suiv.) [361] C'est l'édition de 1654, in-4º. LA MARQUISE DE SABLÉ[362]. La marquise de Sablé est fille du maréchal de Souvré[363], gouverneur du feu Roi; mais elle ne lui ressemble pas, car elle a bien de l'esprit. J'ai déjà dit qu'elle avoit été fort galante. M. de Montmorency, dont par vanité elle vouloit être servie, la méprisoit et la faisoit enrager; elle dissimuloit tout cela par ambition. Voici ce que j'en ai appris après coup: elle étoit fort jeune quand il la vint voir la première fois; c'étoit dans une salle basse, dont une des fenêtres étoit ouverte. Au lieu d'entrer par la porte, il entra en voltigeant par la fenêtre; cette disposition[364] et un certain air agréable qu'il avoit la charmèrent d'abord, et elle se sentit prise. Il y eut plusieurs absences durant le cours de cette galanterie. Une fois qu'il revenoit du Languedoc, elle étoit à Sablé, et elle envoya un gentilhomme au-devant de lui à une demi-journée pour lui témoigner l'impatience qu'elle avoit de le revoir: il lui avoit promis de passer chez elle, quoique ce fût un grand détour. Ce gentilhomme le trouva, et vint rapporter à la marquise qu'il brûloit de la revoir. «Mais encore, lui dit-elle, que faisoit-il?--Madame, le lieu où il a dîné n'a pas de trop bons cabarets; il a été contraint d'envoyer à des chasseurs du voisinage chercher deux perdrix; il les a fait accommoder en sa présence, les a vu rôtir, et les a mangées de grand appétit.» Cela ne parut pas à la marquise une grande marque d'impatience; elle en fut piquée; et, quand il arriva, elle ne le voulut pas voir. Or, elle fit une fois ce conte-là à madame de Saint-Loup, dans le temps que M. de Candale commençoit à s'éprendre de madame d'Olonne: il alloit souper chez elle assez souvent tête à tête. Le premier soir qu'il y fut ensuite, par hasard il avoit faim, il mangea beaucoup; il voulut après payer son écot; elle bouda et lui conta l'histoire de la marquise. Il ne se tourmenta point trop de l'apaiser, et la laissa là. Elle devint fort jalouse de M. de Montmorency, et elle lui reprocha fort d'avoir dansé à un bal, au Louvre, plusieurs fois avec les plus belles de la cour. «Hé! que vouliez-vous que je fisse?--Que vous ne dansassiez qu'avec les laides, monsieur,» lui dit-elle, aveuglée de sa colère. Mais ce fut bien pis, lorsqu'il se mit à faire le galant de la Reine. Elle ne le lui put pardonner, et elle a avoué qu'elle n'avoit point été fâchée de sa mort. Sa dernière galanterie fut avec Armentières, petit-fils de la vicomtesse d'Auchy, garçon qui avoit l'esprit vif, et qui disoit plaisamment les choses. (Il alloit presque tous les soirs déguisé en femme chez elle.) Elle en eut une fille qui est à Port-Royal; mais cette fille vint durant la vie du mari, après la mort duquel elle la montra, sans en avoir rien dit auparavant. Voici la raison qu'elle en rendoit: «Je ne voulois pas, disoit-elle, après le grand mépris que je témoignois avoir pour mon mari, qu'on me pût dire que je couchois encore avec lui.» Ce mari étoit un fort pauvre homme. Cette pauvre enfant, lasse d'être dans un grenier, s'est mise en religion. Armentières fut tué en duel par Lavardin, mais on disoit qu'il l'avoit tué à terre. C'est qu'il avoit tenu mademoiselle de Lavardin quatre ans le bec en l'eau, disant qu'il l'épouseroit, et n'avoit pas été fâché qu'on crût qu'il étoit bien avec elle. C'étoit une belle personne: elle épousa depuis M. de Tessé. Lavardin, son frère, avoit résolu de tuer Armentières. Depuis cette perte, la marquise ne fit plus l'amour; elle trouva qu'il étoit temps de faire la dévote; mais quelle dévote, bon Dieu! Il n'y a point eu d'intrigue à la cour dont elle ne se soit mêlée, et elle n'avoit garde de manquer à être janséniste, quand ce ne seroit que cette secte a grand besoin de cabale pour se maintenir, et c'est à quoi la marquise se délecte sur toutes choses depuis qu'elle est au monde. Cela se voit par le Journal du cardinal de Richelieu; elle a toujours été de quelque affaire, et l'amour ne l'occupoit point tellement, que les négociations ne consumassent une partie de son temps. Ajoutez que depuis qu'elle est dévote, c'est la plus grande friande qui soit au monde; elle prétend qu'il n'y a personne qui ait le goût si fin qu'elle, et ne fait nul cas des gens qui ne goûtent point les bonnes choses. Elle invente toujours quelque nouvelle friandise. On l'a vue pester contre le livre intitulé _le Cuisinier français_, qu'a fait le cuisinier[365] de M. d'Uxelles. «Il ne fait rien qui vaille, disoit-elle; il le faudroit punir d'abuser ainsi le monde.» Je vous laisse à penser si une personne comme je vous la viens de représenter peut avoir bien gouverné sa maison. Tout est tombé en une telle décadence, que ses enfans n'ont rien eu; il n'y a que l'abbé qui soit à son aise, parce qu'on a trouvé moyen de lui faire avoir le doyenné de Tours et l'évêché de Léon. Nous parlerons ailleurs du chevalier, depuis M. de Laval[366]. Elle a l'honneur d'être une des plus grandes visionnaires du monde. Sur le chapitre de la mort, quand quelqu'un dit qu'il ne craint point de mourir: «Eh! bien! s'écrie-t-elle, quel mal vous peut-on donc souhaiter, si vous n'appréhendez pas le plus grand de tous les maux? Je crains la mort plus que les autres, parce que personne n'a jamais si bien conçu ce que c'est que le néant.» Cependant elle est dévote, comme j'ai déjà remarqué, et fort persuadée, à ce qu'elle dit, de l'autre vie. Dans cette appréhension, elle soutient que tous les maux sont contagieux, et dit que le rhume se gagne. Souvent j'ai vu mademoiselle de Chalais[367] reléguée dans sa chambre parce qu'elle _nazilloit_, disoit la marquise, et qu'elle seroit bientôt enrhumée. Plusieurs personnes l'ont pensé faire mourir de frayeur, en disant, sans y songer, que leur soeur, leur frère, leur tante, avoient quelque rougeole ou quelque fièvre continue. Comme Mademoiselle (_de Montpensier_) avoit la petite-vérole, feu M. de Nemours, qui fut tué par M. de Beaufort en 1649, alla voir la marquise. Dès qu'elle le vit, elle lui demanda s'il n'avoit pas été assez imprudent pour passer chez Mademoiselle. «Oui, dit-il.--Je m'en vais gager, ajouta-t-elle, que vous avez monté en haut.--Je voulois parler à quelqu'un, répondit-il, mais une de ses femmes est venue au-devant de moi.» Il disoit tout cela par malice. Voilà la marquise qui fait un grand cri et le chasse. Madame de Longueville vint un peu après qui trouva la chambre toute pleine de fumée, car on y avoit brûlé de tout ce qui peut chasser le mauvais air. Après lui en avoir fait des excuses, elle disoit à tout bout de champ: «Pour cela, madame, ce M. de Nemours est le plus étrange homme du monde; mais qui a jamais vu rien de pareil?» Quand il la faut saigner, elle fait d'abord conduire le chirurgien dans le lieu de la maison le plus éloigné de celui où elle couche. Là, on lui donne un bonnet et une robe-de-chambre, et s'il a un garçon, on fait quitter à ce garçon son pourpoint, et tout cela, de peur qu'ils ne lui apportent le mauvais air. Une fois qu'elle étoit chez la maréchale de Guébriant, au faubourg Saint-Germain, elle disoit: «Ah! que je suis empêchée! par où m'en retournerai-je? J'ai vu sur le Pont-Neuf un petit garçon qui a eu depuis peu la petite-vérole, il demande l'aumône; en le chassant, mes gens pourroient gagner ce mal, et il y a quelque chose au Pont-Rouge[368] qui craque.» Enfin, quoiqu'elle logeât au faubourg Saint-Honoré, elle va passer par-dessus le pont Notre-Dame[369]. Dans un temps qu'on parloit un peu de peste à Paris, elle crut avoir besoin de faire une consultation. Elle fit venir trois médecins auxquels on donna à chacun une robe-de-chambre, au lieu de leur manteau; puis on les fit asseoir près de la porte d'une grande salle, au bout de laquelle étoit la marquise sur un lit; et mademoiselle de Chalais alloit leur faire la relation du mal de madame, et rapportoit à madame leur sentiment, sans que jamais elle leur permît d'approcher d'un pas[370]. Une fois elle voulut faire faire son horoscope; elle dit six ans moins qu'elle n'avoit. Mademoiselle de Chalais lui dit: «Madame, on ne sauroit faire ce que vous voulez, si vous ne dites votre âge au juste.--Il se moque, il se moque, ce monsieur l'astrologue, répondit-elle; s'il n'est pas content de cela, donnez-lui encore six mois.» La veuve d'un homme d'affaires qu'elle avoit s'étant remariée à un nommé d'Arsy, qui est une espèce d'escroc et de troqueur de chevaux, elle en fut fâchée; enfin pourtant il fallut voir cet homme. Un peu avant qu'il vînt, il prit en vision à la marquise que, ne connoissant point cet homme, elle avoit tort de le laisser entrer, et qu'il seroit bon que M. de Laval y fût. M. de Laval vint; d'Arsy fait sa visite; mais il vint aussi une vision à M. de Laval, qui étoit gai et qui badinoit sans cesse. Il se met dans un coin, prend du crayon, et peint madame de Sablé sur son lit (on ne la voyoit guère autrement), d'Arsy auprès d'elle, et M. de Laval, avec tous les gens de la marquise avec des mousquets, qui miroient cet homme. Avant que de loger dans une maison, elle fait enquêtes s'il n'y est mort personne, et on dit qu'elle ne voulut pas en louer une, parce qu'un maçon s'étoit tué en la bâtissant. Elle se fait celer fort souvent sans nécessité, et quelquefois ses éclipses durent si long-temps que l'abbé de La Victoire, las d'aller tant de fois inutilement à sa porte, s'avisa de dire un jour en parlant d'elle: «Feu madame la marquise de Sablé,» et ajouta qu'il falloit faire tendre sa porte de deuil. Cela fut rapporté a la marquise, car il l'avoit dit en plus d'un lieu: ce discours lui donna de l'horreur. Elle eut peur d'être morte, et en fut long-temps brouillée avec lui. Elle est toujours sur son lit, faite comme quatre oeufs, et le lit est propre comme la dame. Durant le blocus de Paris (en 1649), elle se sauva à Maisons, car le président de Maisons étoit alors son bon ami. Là, tout de même qu'à Paris, toujours vautrée sur un lit, elle ne s'en levoit que pour jouer au volant, afin de faire un peu d'exercice. Il fit les plus beaux froids du monde, mais jamais on ne put la faire sortir autrement qu'en chaise; encore ne se promenoit-elle qu'au soleil et à l'abri, quoiqu'elle eût une chaise qui fermoit comme une boîte. Qu'on ne croie pas que ce soit quelque santé délicate comme celle de madame de Rambouillet; c'est une grosse dondon qui n'a que le mal qu'elle s'imagine avoir. Depuis, le président de Maisons et elle furent aussi mal qu'ils étoient bien alors; il disoit qu'elle se défioit de lui, parce qu'elle lui demandoit qu'il fît une déclaration comme il lui avoit promis que l'adjudication de Sablé, qu'il s'étoit fait faire, étoit au profit de la marquise; et quand il en fallut venir là, il lui fit de belles parties[371], tant pour les sergents qu'il avoit fallu envoyer sur les lieux (car Bois-Dauphin, son fils, et la noblesse qu'il avoit cabalée s'opposèrent, mais en vain, à la prise de possession), que pour d'autres frais. D'un article il y avoit cent mille francs pour les consignations; cependant il est certain que Betaut, receveur des consignations, étoit comme l'intendant de Maisons, et d'ailleurs un président au mortier ne consigne point. Cela s'accommoda à la fin, mais ils ne furent plus amis depuis. M. Servien a acheté cette terre[372]. Enfin la marquise ne put demeurer plus long-temps si loin de Port-Royal; elle alla donc loger tout contre. Depuis qu'elle y est, elle a plus d'intrigues que jamais, elle se mêle de tout; avec cela bien des livres de jansénistes; elle ne sauroit souffrir ni relations, ni histoires, il ne lui faut que des _dissertations_: il faut toujours raisonner. La comtesse de Maure alla se loger auprès d'elle; elles sont porte à porte, ne se voient presque point, et s'écrivent six fois le jour. Il ne faut point s'étonner de cela, car elles ont logé autrefois en même maison à la Place-Royale, et elles s'écrivoient de grandes légendes d'un appartement à l'autre. En 1663, le jour que la comtesse de Maure mourut, la marquise de Sablé, sa voisine et sa bonne amie, mais non pas au point de l'assister à la mort, car il n'y a personne au monde à qui elle pût rendre ce devoir, envoya Chalais pour en savoir des nouvelles: «Mais, lui dit-elle, gardez-vous bien de me dire qu'elle est passée.» Chalais y va comme elle expiroit. Au retour: «Eh bien! Chalais, est-elle aussi mal qu'on peut être? Ne mange-t-elle plus? (La marquise est fort friande.)--Non, répondit Chalais:--Ne parle-t-elle plus?--Encore moins.--N'entend-elle plus?--Point du tout.--Elle est donc morte?--Madame, répondit Chalais, au moins, c'est vous qui l'avez dit, ce n'est pas moi.» A cause que le sommeil est l'image de la mort, elle ne vouloit pas dormir profondément; elle se faisoit veiller par un médecin et des filles, tour à tour. Ces gens faisoient de temps en temps quelque petit bruit, et tenoient une bougie allumée en un lieu où elle la pût voir en ouvrant les yeux. Pour cela elle avoit toujours ses rideaux levés. Menjot, médecin, son ami, l'a défaite de cela; mais ce n'est que depuis la Saint-Jean 1665. Comme la marquise de Sablé et la comtesse de Maure logeoient ensemble à la Place-Royale, elles étoient quelquefois trois mois sans se voir, et elles se visitoient par écrit, comme nous venons de le dire. Le moindre rhume rompoit tout commerce. La comtesse avoit la migraine et quelque fluxion il y avoit quinze jours, et la marquise croyoit être enrhumée. L'abbé de La Victoire se mit en tête de faire une malice à la marquise: «Il est fâcheux, lui dit-il, que vous ne puissiez sortir de votre chambre, car votre amie auroit grand besoin de vous; son mari et elle se brouillent fort, vous les remettriez bien ensemble; sans vous ils courent fortune d'en venir à une séparation.--Jésus! que dites-vous? s'écria-t-elle; mais comment faire? Le moyen de passer mon antichambre, ce grand escalier, cette halle de salle?--Il y faut penser,» reprit-il. Et après avoir fait semblant de rêver quelque temps: «N'ai-je pas vu là haut, ajouta-t-il, un pavillon sur le lit de votre cuisinière? Mettez-vous dessous, on le soutiendra avec un bâton, vous ne prendrez point l'air.» Elle le crut: on apporte le pavillon, la voilà dessous. Trois de ses gens portoient le bas du pavillon. La comtesse est bien surprise de voir entrer cette machine dans sa chambre. «M'amour, lui dit la marquise, vous voyez quelle marque d'amitié je vous donne.--Hé! qui vous amène?--Il faut bien secourir ses amis au besoin! Qu'est-ce que veut dire cet homme? Rêve-t-il?--Quel homme? Est-ce _le bon_[373] que vous voulez dire?--Ne le nommez plus ainsi, m'amour; il ne l'est plus.» Elles furent une heure avant que de s'éclaircir. Voilà la marquise enragée contre l'abbé; elle ne le vouloit plus voir; enfin, il lui fit dire que si elle ne lui pardonnoit, il feroit venir tous les enfans rouges et blancs chanter un _de profundis_ dans sa cour. Elle eut peur d'en mourir, et ils firent la paix. [362] Madeleine de Souvré, femme de Philippe-Emmanuel de Laval, marquis de Sablé, seigneur de Boisdauphin, fils du maréchal de Boisdauphin; née vers 1608, elle mourut en 1678. [363] Gilles de Souvré, né vers 1562, mort en 1646. [364] Ce mot est pris dans le sens d'agilité. Ainsi madame de Sévigné disoit, en parlant du duc de Saint-Aignan: «Il a toujours servi le Roi à genoux avec cette _disposition_ que les gens de quatre-vingts ans n'ont jamais.» (_Lettre_ de madame de Sévigné au comte de Bussy, du 27 juin 1687.) [365] Si le nom de ce cuisinier venoit à être connu, ce seroit un article singulier à ajouter au Dictionnaire des anonymes de feu M. Barbier. [366] Tallemant lui a consacré un article. [367] C'est une fille d'esprit qui est à elle, mais qui ne la sert plus; au contraire, mademoiselle de Chalais a une servante à elle. (T.)--Voiture a adressé plusieurs de ses lettres à mademoiselle de Chalais. [368] Pont de bois peint en rouge, qui alloit de la galerie du Louvre à la rue de Beaune. Construit en 1632, il fut emporté par les glaces en 1684, et pour en tenir lieu, on construisit le Pont-Royal, en face de la rue du Bac. [369] Dans cette visite, elle dit de mademoiselle de Guébriant (elle est morte fille de la Reine): «Cette fille a de beaux endroits, a de l'esprit, mais quelquefois cet esprit fait des chutes si effroyables, qu'il est en danger de se rompre le cou.» (T.) [370] La crainte exagérée que la marquise de Sablé avoit des maladies contagieuses est bien peinte dans une lettre que lui écrit Voiture pour lui annoncer que le fils de madame de Rambouillet est mort de la peste: «Sachez donc, lui dit-il, que moi qui vous écris, ne vous écris point, et que j'ai envoyé cette lettre à vingt lieues d'ici, pour être copiée par un homme que je n'ai jamais vu.» (_Lettre_ quatorzième de Voiture.) [371] _Parties_: mémoires. [372] C'est ce qui fait que le titre de _marquise de Sablé_ a été porté par Augustine Le Roux, veuve en premières noces de Jacques Hurault, marquis de Vibray, et en secondes, d'Abel Servien, marquis de Sablé, surintendant des finances. Amie du duc de La Rochefoucauld et de l'abbé Esprit, elle a contribué à la composition des Maximes qui ont paru sous le nom de ce duc, et même il y en a un certain nombre qui, dans quelques éditions, lui sont spécialement attribuées. (_Voyez_ la Note sur la lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 5 février 1690, t. 9 de l'édition in-8º, donnée par M. Monmerqué, p. 343.) [373] L'abbé de La Victoire désignoit ainsi le comte de Maure. (_Voyez_ plus bas l'article du comte de Maure. L'article de ce spirituel abbé suit immédiatement celui-ci.) L'ABBÉ DE LA VICTOIRE. Cet abbé de La Victoire s'appelle Coupeanville[374], et est d'une bonne famille de robe de Rouen. On n'a guère vu d'homme qui dise les choses plus plaisamment. Il fut présenté à la reine par Voiture, et il se fourra après de la société de M. le Prince. La Reine en passant alla une fois à La Victoire; c'est auprès de Senlis: il lui présenta la collation. «Vraiment, monsieur l'abbé, lui dit-elle, vous avez bien fait accommoder cette abbaye?--Madame, répondit-il, s'il plaisoit à Votre Majesté de m'en donner encore deux ou trois vieilles, je vous promets que je les ferois fort bien raccommoder.» Dans ces Historiettes et dans les Mémoires de la régence, on trouvera par-ci par-là assez de ses bons mots[375]. Il servit une fois à M. de Chavigny un Térence fort bien relié entre deux plats, car M. de Chavigny aimoit fort cet auteur. Son défaut est d'être avare, lui qui a trente mille livres de rente et nulle charge, car depuis la régence il a eu encore une abbaye. Il en rit le premier, et se sauve en goguenardant. Il disoit à M. de Vence[376]: «Voyez-vous, je vous aime tant, que, si j'étois capable de faire de la dépense pour quelqu'un, ce seroit pour vous. Vous viendrez pourtant à La Victoire, car je regarde que votre train est proportionné à mon humeur, puisque vous vendez vos chevaux.» (En ce temps-là ce prélat les avoit vendus à cause de la cherté de la nourriture; c'étoit durant les troubles.) «Vous viendrez en chaise.--Mais, lui dit l'autre, les porteurs, qui seront au moins quatre, qu'en ferez-vous?--Je les attraperai bien, je vous enverrai quérir en carrosse à une lieue de La Victoire.» Il contoit que son cuisinier lui avoit demandé congé, disant qu'il oublioit avec lui le peu qu'il savoit: «Hé! mon ami, lui dit-il, il n'y a rien plus aisé que de l'exercer; va-t'en faire assaut avec les autres, va défier le célèbre Riolle, le cuisinier de M. Martin.» Une fois que Bois-Robert l'étoit allé voir à son abbaye, dont il dit lui-même en riant que ce n'est point bon logis à pied et à cheval, et qu'il n'y veut que des piétons, M. de Guénégaud, le secrétaire d'état, envoya dire qu'il alloit venir. «Combien sont-ils?--Il y a un carrosse à quatre chevaux.--Ha! c'est bien du train.» Il faisoit le difficile. «Hé! vous moquez-vous? lui dit Bois-Robert; ils vous ont donné tant de repas.» Au même temps, ils voient entrer deux carrosses à six chevaux, et six chevaux de selle. Il devint pâle comme son collet. [374] Il s'appeloit Claude Duval de Coupanville. Il fut nommé à l'abbaye de La Victoire en 1639, et mourut au mois de décembre 1676. Cette abbaye avoit été fondée par Philippe-Auguste, en action de grâces de la bataille de Bouvines, gagnée le 27 juillet 1214. (_Gallia christiana_, t. 10, p. 1503 et 1507.) [375] Plusieurs bons mots de l'abbé de La Victoire sont rapportés par madame de Sévigné dans ses lettres. _Voyez_ particulièrement la lettre du 27 février 1671. Nous saisissons cette occasion de rectifier une erreur dans laquelle nous sommes tombés dans notre édition des lettres de madame de Sévigné. Nous avons confondu cet aimable et spirituel abbé avec l'abbé Lenet, qui n'obtint l'abbaye de La Victoire qu'en 1677. _Monmerqué._ [376] Antoine Godeau, né vers 1605, à Dreux, évêque de Grasse en 1636, puis de Vence, mort à Vence le 21 avril 1672. Il fut de l'Académie françoise. LE COMTE ET LA COMTESSE DE MAURE. Le comte de Maure est cadet du marquis de Mortemart de la maison de Rochechouart. Il est un peu fier de sa naissance. Il porta les armes en sa jeunesse; depuis il se fit comme une espèce de dévot. Il a épousé mademoiselle d'Attichy, fille d'une soeur du maréchal de Marillac, et d'un commis d'Adjacetti, nommé Doni, qui se disoit gentilhomme aussi bien que son maître; mais on en doutoit un peu plus que de l'autre. Doni avoit mieux fait ses affaires que son maître, et avoit acheté la terre d'Attichy, vers Compiègne. Mademoiselle d'Attichy avoit un frère qui fut tué au commencement de la guerre qui dure encore[377], et elle devint héritière. Adjacetti épousa mademoiselle d'Atri, de la maison d'Aquaviva, au royaume de Naples. La Reine-mère, en considération des services rendus à la France par ceux de cette maison, qui s'étoient ruinés en suivant son parti, amena cette fille avec elle. Elle voulut bien épouser ce partisan, qui, à cause de cela, acheta le comté de Château-Vilain, et elle disoit assez plaisamment: «Il aura le _vilain_, et moi j'aurai le _château_.» Adjacetti mourut trop tôt, et laissa ses affaires fort embrouillées. M. de Vitry voulut avoir Château-Vilain qui étoit à sa bienséance; cela fit cette grande querelle entre le comte de Château-Vilain, fils d'Adjacetti, et lui, qui alla si loin, que le comte[378] demanda au roi par une requête le combat en champ clos contre M. de Vitry. Revenons à la comtesse de Maure. Après la mort du maréchal de Marillac, madame d'Aiguillon, qui avoit été amie intime de la comtesse, quand elles étoient toutes deux chez la Reine-mère, envoya savoir de ses nouvelles, et lui fit dire qu'elle n'avoit osé l'aller voir, n'étant pas assurée comment elle seroit reçue. La comtesse, alors mademoiselle d'Attichy[379], lui manda qu'elle la remercioit de son souvenir, mais qu'elle la prioit de ne trouver pas mauvais qu'elle ne vît point la nièce du meurtrier de son oncle. Elle passoit, quand elle étoit fille, pour la plus déréglée personne du monde en fait de repas et de visites; mais ce n'étoit rien au prix de ce que c'est à cette heure, car elle a trouvé un homme qui lui dame bien le pion. Il fait tout le contraire des autres; il voyage aux flambeaux; il part régulièrement à la Saint-Martin pour aller à la campagne, et en revient au mois d'avril. Il s'amusoit à faire faire une galerie à une terre dont le parc étoit tout ouvert, et où il n'y avoit pas deux toits de murailles entières. Sa femme est toute faite comme lui. On demandoit à l'abbé de La Victoire: «Pourquoi ne reviennent-ils point des champs?--Hé! n'en voyez-vous pas la raison? répondit-il, tandis qu'il fera vilain, ils n'ont garde de n'être pas à la campagne.» Une fois il les rencontra tous deux dans la forêt de Compiègne, qui alloient à Attichy, et à quatre grandes lieues en-deçà, il trouva leurs officiers. Les autres envoient leurs gens devant, eux sont bien aises d'attendre le souper jusqu'à l'aurore. On dîne chez eux quand on goûte ailleurs. Lorsque mademoiselle d'Atry, fille du comte de Château-Vilain, sa parente, et mademoiselle de Vandy, logoient ensemble chez la comtesse de Maure, on y faisoit pour le moins trois dîners, car jamais le comte et elles trois n'ont pu parvenir à être prêts ensemble. A six heures, on commençoit à penser à mettre les chevaux; ils y étoient bien deux heures avant qu'on sortît, et souvent il leur est arrivé de commencer les visites à huit heures du soir. Ils incommodent tout le monde qu'ils vont voir; les uns se vont mettre à table, les autres y sont déjà; quelques-uns se couchent quand on leur vient dire que M. le comte ou madame la comtesse de Maure les demandent. Tambonneau, conseiller au parlement, trouva, en revenant d'une assemblée, la comtesse de Maure chez lui qui le venoit solliciter. On se lève chez eux si tard que toute leur peine est de trouver encore des messes. Mais voici la plus grande folie de toutes, c'est qu'avec soixante mille livres de rente, et pas un enfant, ils n'ont jamais un quart d'écu. Le comte se faisoit toujours de sottes affaires, et faisoit enrager ses juges et ses arbitres, car ce qu'il conçoit n'entre jamais dans la cervelle d'un autre; il a de l'esprit pourtant, et elle aussi en a beaucoup; mais quelquefois elle est naïve, et donne dans le panneau tout comme un autre. L'abbé de La Victoire, qui l'appelle _la folle_, et le mari _le bon_, lui fit accroire une fois qu'on avoit fait M. Conrart, qui est huguenot, marguillier de Saint-Merry. «Regardez, disoit-elle, sa grande réputation, sa grande probité, ont fait passer par-dessus sa religion!» Elle a toujours ou croit avoir quelque grande incommodité, et a sans cesse quelque lavement dans le corps. Une de ses parentes[380] lui laissa du bien en mourant, et ce qu'il y avoit de plus considérable étoit un bon nombre d'écus d'or, que cette femme, je ne sais par quelle fantaisie, avoit mis dans une seringue. Madame de Rambouillet disoit: «Voilà du bien qui vient à la comtesse de Maure dans la forme la plus agréable qu'il lui pouvoit venir.» La comtesse de Maure et madame Cornuel allèrent faire un voyage ensemble. Elles couchèrent chez un gentilhomme qui avoit la fièvre. La nuit que tout le monde dormoit bien paisiblement, la comtesse vint heurter à la chambre de madame Cornuel. «Qu'y a-t-il?--Hé! levez-vous vite.--Qu'est-ce?--Allons-nous-en tout-à-l'heure.--Hé! pourquoi?--C'est que je viens d'apprendre que la maîtresse de céans s'est couchée avec son mari qui a la fièvre; elle la gagnera, et nous la donnera après. Je ne saurois souffrir ces sottes femmes-là; allons-nous-en.» Il fallut pourtant attendre au lendemain. Madame Cornuel dit qu'elles furent quinze jours entiers ensemble en litière, et qu'elle étoit si lasse d'avoir toujours une même personne devant les yeux, qu'elle eut deux ou trois fois envie de l'étrangler[381]. L'exagération est un peu forte. Je pense que le désordre de ses affaires, autant que le bien public, engagea le comte de Maure dans le parti de Paris. Durant le blocus, il fut le seul, tant il sait bien la guerre, qui, avec le Coadjuteur, fut d'avis de donner bataille le jour que M. le Prince prit Charenton. Sur cela on fit les triolets que voici: Je suis d'avis de batailler, Dit le brave comte de Maure; Il n'est plus saison de railler, Je suis d'avis de batailler. Il les faut en pièces tailler, Et les traiter de Turc à More. Je suis d'avis de batailler, Dit le brave comte de Maure. Buffle à manches de velours noir, Porte le grand comte de Maure; Sur ce guerrier qu'il fait beau voir Buffle à manches de velours noir! Condé, rentre dans ton devoir, Si tu ne veux qu'il te dévore. Buffle, etc. _Bachaumont._ M. le Prince répondit ainsi: C'est un tigre affamé de sang Que ce brave comte de Maure: Quand il combat au premier rang, C'est un tigre affamé de sang. Mais il n'y combat pas souvent, C'est pourquoi Condé vit encore. C'est, etc. A la seconde conférence, après les demandes des généraux et des autres chefs de Paris, on fit cet autre triolet à l'honneur du comte de Maure: Le Maure consent à la paix Et la va signer tout à l'heure, Pourvu qu'il ait de bons brevets, Le Maure consent à la paix. Qu'on supprime les triolets, Et que son buffle lui demeure. Le Maure, etc. _Bautru._ Depuis, il devint, comme on le verra ailleurs, un des plus zélés partisans de M. le Prince. [377] Ceci a été écrit avant la paix des Pyrénées, en 1659. [378] J'ai vu le comte de Château-Vilain à Rome, en habit d'ecclésiastique. (T.) [379] Le comte de Maure ne l'épousa que quand elle fut devenue héritière. Il avoit, lui, douze mille écus de rente, en fonds de terre de partage. (T.) [380] Une madame de Montigny Bérieux, Italienne. (T.) [381] Madame de Sévigné a dit quelque chose sur les litières qui peut lui avoir été suggéré par le mot de madame Cornuel: «Vous êtes heureuse d'avoir votre cher mari en sûreté, qui n'a d'autre fatigue que de voir toujours votre chien de visage dans une litière vis-à-vis de lui: le pauvre homme!.... Hélas! il me souvient qu'une fois, en revenant de Bretagne, vous étiez vis-à-vis de moi; quel plaisir ne sentois-je point de voir toujours cet aimable visage! Il est vrai que c'étoit dans un carrosse; il faut donc qu'il y ait quelque malédiction sur la litière.» (_Lettre de madame de Sévigné à sa fille_, du 20 mai 1672.) M. DE LIZIEUX[382]. Philippe de Cospéan étoit d'une honnête famille de Mons, en Hainaut; il avoit du savoir. Il vint à Paris, où il enseigna la philosophie, et se mit à prêcher. Un jour feu madame la marquise de Rambouillet, voulant passer le carême à Rambouillet, pria quelqu'un de lui chercher un prédicateur: celui qu'elle avoit chargé de ce soin s'adressa à M. Cospeau (on l'appeloit ainsi, au lieu de Cospéan[383]), qui lui dit: «Si elle se veut contenter de trois sermons par semaine, je suis son homme.» Il y fut; et M. et madame de Rambouillet en prirent une telle amitié pour lui, qu'ils lui donnèrent la jouissance, sa vie durant, d'une terre de quinze cents livres de rente, dont il a joui effectivement toute sa vie. M. Du Fargis, leur neveu, fit son cours de philosophie sous lui, mais M. de Lizieux ne fut jamais son précepteur, ni de feu M. le marquis de Rambouillet, comme a dit l'auteur de la Vie de M. d'Espernon[384]. L'estime qu'en faisoient M. et madame de Rambouillet le fit connoître. Feu M. d'Espernon le goûta, et lui fit donner l'évêché d'Aire. Le cardinal de Richelieu avoit fait amitié avec lui, et en fit cas toute sa vie. Comme il le connoissoit pour un homme franc et sans malice, il ne trouva point mauvais qu'il sollicitât pour M. de Vendôme, avec lequel, comme gouverneur de Bretagne, il avoit fait amitié, étant, comme il fut ensuite, évêque de Nantes, car Son Eminence étoit persuadée qu'en pareil cas il en auroit autant fait pour lui. Le cardinal souffrit de même qu'il s'attachât à la reine. Cet attachement lui servit au commencement de la régence, car il étoit comme une espèce de ministre; mais le cardinal Mazarin prévalut, et le fit éloigner; quand il fit arrêter M. de Beaufort, M. de Cospéan logeoit à l'hôtel de Vendôme. Quand on lui donna Lisieux, au lieu de Nantes, quelqu'un lui dit: «Mais vous aurez bien plus grande charge d'âmes.--Voire, répondit-il, les Normands n'ont point d'âmes.» C'étoit un homme fort reconnoissant. Madame de Rambouillet raconte qu'il disoit les choses fort agréablement et fort à propos. Ayant sacré l'évêque de Riez, ce prélat l'en alla remercier: «Hélas! monsieur, lui dit-il, c'est à moi à vous rendre grâces: avant que vous fussiez évêque, j'étois le plus laid des évêques de France.» Une fois, en prêchant, il fit une digression fort longue: «Je sais bien, dit-il après, que cette digression n'est pas autrement selon les règles de Démosthène, de Cicéron, ni de Quintilien; mais Dieu garde de mal Quintilien, Cicéron et Démosthène! Je ne laisserai pas de poursuivre.» [382] Philippe de Cospéan ou Cospeau, né à Mons en 1568; évêque d'Aire en 1607, de Nantes en 1621, et de Lisieux en 1682, et mort le 8 mai 1646. [383] Dans la Biographie universelle, on lui donne ces deux noms, de _Cospéan_, ou _Cospeau_. [384] Guillaume Girard, grand archidiacre d'Angoulême, mort en 1663. Sa Vie du duc d'Espernon a été imprimée in-folio en 1655. Elle a eu d'autres éditions. LE MARÉCHAL DE GRAMONT[385]. Il est fils du comte de Gramont[386], gouverneur du Béarn, et qui eut un brevet de duc au commencement de la régence. C'étoit un méchant mari, au moins pour sa première femme[387], car, sur quelque soupçon, il la mit dans une chambre où le plancher en un endroit s'enfonçoit, et on tomboit dans un trou profond. Elle y tomba et se rompit une cuisse, ce dont elle mourut. Comme le maréchal étoit fort jeune, il fut comme accordé avec mademoiselle de Rambouillet, aujourd'hui madame de Montausier; mais M. de Gramont, son père, voulut lui donner si peu, que M. et madame de Rambouillet ne s'y purent résoudre. Son commencement fut à Montausier; il y acquit quelque réputation; cependant il n'a jamais pu passer pour brave, quoiqu'en quelques endroits il ait payé de sa personne; au contraire, la bataille d'Honnecourt, qu'il perdit, le décria si fort que plusieurs vaudevilles, qu'on appeloit _les Lampons_[388], ayant été faits contre lui, on l'appela quelque temps _le maréchal Lampon_. On l'y traita de sodomite. Monseigneur, prenez courage, Il vous reste encore un page. Lampons, etc. On appela même de certains grands éperons, des éperons _à la Guiche_: alors il ne s'appeloit que le maréchal de Guiche. On le fit général d'armée pour le faire maréchal de France. Tout son plus grand exploit fut de prendre La Bassée, qui n'étoit rien en ce temps-là. Tout le monde fut surpris de lui voir sitôt donner le bâton; mais il avoit épousé une parente du cardinal. Voici comme la chose se passa: le cardinal de Richelieu, voulant attraper Puy-Laurens, dit au comte de Guiche: «Je vous avois promis mademoiselle Pont-Château la cadette, je suis bien fâché de ne vous la pouvoir donner, et je vous prie de prendre en sa place mademoiselle Du Plessis-Chivray.» Le comte de Guiche, qui a toujours été bon courtisan, lui dit «que c'étoit Son Eminence qu'il épousoit, et non ses parentes, et qu'il prendroit celle qu'on lui donneroit.» Le cardinal l'avoit déjà fait mestre-de-camp du régiment des gardes, après la mort de Rambure. Le maréchal de Gramont n'a été souple que pour les premiers ministres; il a été assez fier pour tout le reste. Il alla à la vérité comme les autres voir Puy-Laurens, qui eut, au retour de Monsieur, six semaines du plus beau temps du monde. Cet homme faisoit le petit Dieu, et quand le comte de Guiche entra chez lui, le maréchal d'Estrées en sortoit qui ne s'étoit point couvert, quoique l'autre se fût toujours tenu couvert et assis. Il ôta à peine son chapeau de dessus sa tête et le coude de dessus sa chaise, pour le comte de Guiche. Il avoit le dos tourné au feu; le comte, voyant cela, prend un fauteuil, qu'il met au dos du sien, et ayant le nez au feu, et les pieds sur les chenets, il se mit à lui dire: «Monsieur, vous vous levez bien tard,» et autres bagatelles semblables, et puis s'en alla quand il le trouva à propos. Puy-Laurens étoit de la Marche, bien gentilhomme; il s'appeloit de L'Age, d'où vient qu'on fait dire au cardinal de Richelieu une sotte pointe: «Si je vis, j'aurai _de l'âge_.» Puy-Laurens étoit un grand homme, mais de mauvaise grâce; cependant, durant cette grande faveur, il paroissoit le mieux fait du monde à toutes les dames de la cour et de la ville. Pour revenir au maréchal: M. le Grand l'ayant appelé en riant _ma Guiche_, l'autre l'appela Cinq-Mars. «Ah! le Roi m'appelle bien _monsieur_, dit M. le Grand.--Et moi aussi,» répondit le maréchal. Avec le cardinal de Richelieu même il gardoit toujours quelque ombre de liberté. Il s'est maintenu long-temps avec le cardinal Mazarin et M. le Prince tout ensemble. M. le Prince l'appeloit _le grand prince de Bidache_, et Toulongeon _le piètre prince de Bidache_[389]: c'est une belle terre de Béarn. Ce Toulongeon étoit des petits-maîtres; c'est le plus grand _lésineur_ de France, il n'a jamais un habit qui soit tout neuf. Il ne manque pas d'esprit. Enfin le maréchal fut contraint de se retirer durant la _Fronderie_, ne pouvant se résoudre à être contre M. le Prince. Les gendarmes de Bordeaux pensèrent l'enlever, comme il alloit en Béarn; il s'en plaignit hautement, et disoit: «Cela ne se feroit pas chez les Cannibales: je ne suis point armé contre eux, je vais planter mes choux tout doucement.» On le trouvoit à dire à la cour; il joue, son train est toujours propre et en bon état; lui est bien fait, mais il a la vue courte; il est adroit, et d'une conversation fort agréable. Il dit en se couvrant: «Madame, vous l'ordonnez donc,» quoique la dame n'y eût point songé. Il a dit d'assez plaisantes choses. Ayant trouvé en Champagne un garde d'Aiguebère, gouverneur du Mont-Olimpe: «Qui êtes-vous? lui dit-il.--Je suis garde de M. d'Aiguebère.--Vous êtes donc un garde-fou?» Et tout le jour, en rêvant, car il est aussi rêveur qu'un autre, il ne fit que dire: «Garde d'Aiguebère, garde-fou; garde-fou, garde d'Aiguebère.» Il sera un an quelquefois à redire, quand il rêve, un bout de chanson, ou quelque autre chose qui lui sera demeurée dans l'esprit. Des comtes d'Allemagne, qui s'appellent les comtes d'Olac, d'Hohenlohe en allemand, le vinrent saluer; ils étoient plusieurs frères, et comme en ce pays-là les cadets ont la même qualité que l'aîné, il en vint je ne sais combien l'un après l'autre; cela l'ennuya: «Serviteur, dit-il, à messieurs les comtes d'Olac, fussent-ils un cent.» Un vicomte du Bac, de Champagne, qui fait l'homme d'importance, vouloit quelque chose du maréchal, et ne le quitta point de tout le jour; même il soupa avec lui. Après souper il ne s'en alloit point; le maréchal dit à un valet-de-chambre: «Fermez la porte, donnez des mules à monsieur le vicomte, je vois bien qu'il me fera l'honneur de coucher avec moi.--Ah! monsieur, dit l'autre, je me retire.--Non mordieu! reprit le maréchal, monsieur le vicomte, vous me ferez l'honneur de prendre la moitié de mon lit.» Le vicomte se sauva. Toute la province se moqua fort de ce monsieur le vicomte. Un jour qu'on disoit des menteries, il dit qu'à une de ses terres il avoit un moulin à rasoirs, où ses vassaux se faisoient faire la barbe à la roue, en deux coups, en mettant la joue contre. Il n'est pas autrement libéral; mais il refuse en goguenardant. Les vingt-quatre violons allèrent une fois lui donner ses étrennes. Après qu'ils eurent bien joué, il met la tête à la fenêtre: «Combien êtes-vous, messieurs?--Nous sommes vingt, monsieur.--Je vous remercie tous vingt bien humblement,» et referme la fenêtre. Il avoit un fripon d'écuyer, nommé Du Tertre, qui un jour le vint prier de le protéger dans un enlèvement qu'il vouloit faire. «Hé bien! la fille t'aime-t-elle fort? est-ce de son consentement?--Nenny, monsieur, je ne la connois pas autrement, mais elle a du bien.--Ah! si cela est, reprend le maréchal, je te conseille d'enlever mademoiselle de Longueville, elle en a encore davantage;» et sur l'heure il le chassa. Ce galant homme étoit filou, et enfin a été roué. Il étoit gouverneur de Gergeau[390]; cela lui rapportoit quatre mille livres. Le curé au prône dit: «Vous prierez Dieu pour l'âme de M. Du Tertre, notre gouverneur, qui est mort de ses blessures.» Rangouze lui apporta un jour une belle lettre; il la reçut, et puis dit à un valet-de-chambre: «Menez monsieur à un tel, qu'il lui donne ce que j'ai habitude de donner aux gens de mérite.» On l'y conduit. Cet homme se met à rire, et dit à Rangouze qu'il n'avoit qu'à s'en retourner, et que rien et ce que M. le maréchal donnoit aux gens de mérite, c'étoit une même chose[391]. Quand il perd, il va, de furie, donner de la tête dans un panneau de vitres et s'en fait comme une fraise. Une fois il dit à d'Andonville, homme de service: «Mon Dieu, monsieur, votre nom de cloche me porte malheur.» Il lui est arrivé quelquefois de jeter le reste de son argent par la chambre, quand il perd. Ses pages et ses laquais se ruent dessus; il s'en repent aussitôt, et leur crie: «Pages, quartier!» Voici plusieurs chansons faites sur le maréchal de Gramont: Le maréchal de Guiche, Général des François, A voulu faire niche A Melo Bek Buquoy: Il s'arma de son casque, Et combattit en basque, Turlu tu tu tu tu, En leur tournant le cu. Monsieur de la Feuillade[392] N'oubliant ses bons mots, Voyant cette cacade, Dit: Où vont tous ces sots? Cette race ennemie, Ne vient point d'Italie, Turlu tu tu tu tu Pour lui tourner le cu. AUTRE. Le prince de Bidache[393] Criant aux Allemands, Rendez-moi mon b..... Voilà six régiments. Roquelaure et Saint-Mégrin (_bis_) Ont tenu jusqu'à la fin Pour le maréchal de Guiche, Qui fuyoit comme une biche, Lampon, Lampon, Camarade Lampon. AUTRE AIR. Messieurs de Saint-Quentin, ouvrez-moi votre porte: Melo me suit, ou le diable m'emporte. Qui va là? holà! Je suis Lampon, qui vient faire retraite, Je suis Lampon, Abaissez votre pont. Quand il fut dans Saint-Quentin, On lui présenta du vin; Monseigneur, prenez courage, Il vous reste encore un page. Lampon, etc. Je ne puis, mes bons amis, Car nos gens sont déconfits: L'ennemi, près de Vauchelle, M'a fait battre la semelle. Lampon, etc. [385] Antoine, troisième du nom, duc de Gramont, maréchal de France, né en 1604, mort à Bayonne le 12 juillet 1678. [386] Antoine de Gramont, deuxième du nom, comte de Gramont, de Guiche et de Louvigni, souverain de Bidache. [387] Louise de Roquelaure, fille du maréchal de ce nom. Il l'avoit épousée en 1601. Il se remaria en 1618, avec Claude de Montmorency Bouteville. [388] Parce que la reprise étoit _Lampons, Lampons, camarades Lampons_. (T.) [389] Le maréchal de Gramont et le comte de Toulongeon étoient frères, et on a vu plus haut, dans la note de la page 340, que cette famille mettoit au nombre de ses titres celui de _souverain de Bidache_. [390] Gergeau, petite ville sur la Loire, à quatre lieues à l'est d'Orléans. On n'y voit plus de traces de château. [391] _Voyez_ plus bas l'article Rangouze, dans la suite de ces Mémoires. [392] Il est mort. Il disoit à son laquais, que pour récompense, il lui vouloit faire donner un brevet de maréchal de camp. (T.) [393] Principauté de Béarn. (T.) MADAME DE SAINT-CHAUMONT[394]. Feu madame de Montpezat, ayant reçu de grands avantages de son mari, et étant demeurée veuve sans enfants, fit la fille aînée de feu M. de Gramont, soeur du maréchal, son héritière, mais à condition qu'elle épouseroit un des neveux de M. de. Montpezat; or, ces neveux de M. de Montpezat étoient douze ou treize en nombre: M. de Tavanes, le comte de Castres, MM. de Saint-Chaumont et autres. Cette fille venant en âge d'être mariée, on fit signifier à tous ces neveux, l'un après l'autre, la volonté de la testatrice, et on prit acte du refus. Tous la refusèrent, hors MM. de Saint-Chaumont. Ce n'est pas qu'elle ne fût bien faite, et d'humeur fort douce, comme elle l'est encore. Jamais rien n'a tant surpris les gens, car on croyoit qu'ils s'entretueroient à qui l'auroit, et tous ont épousé depuis des personnes qui ne la valent pas à beaucoup près. L'aîné Saint-Chaumont meurt en accordailles. Le cadet lui succède. C'est un homme fort bizarre, et ne la traite pas trop bien; qui d'abord il lui donna de terribles présens de noces;.... depuis il a eu vingt fois des jalousies épouvantables et sans fondement. C'est une espèce de fou qui s'incommode. Sans elle, qui y met le plus d'ordre qu'elle peut, il seroit déjà ruiné. Depuis peu (_1658, en septembre_), comme elle étoit ici, où il l'avoit laissée pour leurs affaires, il lui prit un accès de jalousie si furieux, qu'on écrivit à la dame que tout étoit à craindre pour elle, si elle retournoit au pays. Il lui avoit écrit les plus cruelles lettres du monde, et les moindres choses dont il la menaçoit, étoit de l'enfermer dans une tour. Après il vint ici, et l'on apaisa un peu sa fureur. On lui avoit prédit qu'il seroit cocu, cela faisoit une partie de ses fougues. [394] Suzanne-Charlotte de Gramont, femme de Henri Mitte de Miolans, marquis de Saint-Chaumont; elle mourut le 31 juillet 1688. LOUVIGNY, CHALAIS ET SA FEMME. Le comte de Louvigny[395] étoit frère de père et de mère du maréchal de Gramont. C'étoit un original. Il fut des galants de madame de Rohan, et faisoit jouer mademoiselle de Rohan, sa fille, qui n'étoit alors qu'un enfant, à un grand Malchus[396] qu'il avoit. «C'est, disoit-il, pour lui faire connoître le vif.» C'étoit une gueuserie en habits qui n'eut jamais de pareille. On disoit qu'il eût mieux fait d'aller sans chausses et de montrer tout ce qu'il portoit. Il n'avoit qu'une chemise et qu'une fraise; on les reblanchissoit tous les jours. Une fois que Monsieur, à qui il étoit, l'envoya quérir, il lui manda que sa chemise et sa fraise n'étoient pas encore blanches. Une fois, qu'il se crottoit, on lui dit: «Vous gâterez tous vos bas.--Vous m'excuserez, dit-il, ils ne sont pas à moi.» Passe pour cela; mais il a fait deux actions épouvantables dans sa vie. En se battant contre Hocquincourt, aujourd'hui maréchal de France, il lui dit: «Otons nos éperons,» et comme l'autre se fut baissé, il lui donna un grand coup d'épée qui passoit d'outre en outre. Hocquincourt en fut malade six mois; et comme on croyoit qu'il en mourroit, et qu'on lui parloit de pardonner, il dit qu'il lui vouloit bien pardonner s'il en mouroit, mais non pas autrement. L'autre action fut une perfidie inouie. Chalais vivoit avec lui comme avec son frère, et lui avoit rendu tous les services imaginables; cependant ce fut Louvigny qui déposa contre lui à Nantes, et qui lui fit couper le cou. On accusoit Chalais d'avoir voulu débaucher Monsieur, et lui faire entreprendre une guerre contre le Roi[397]. Chalais avoit épousé une Castille, soeur de M. Jeannin de Castille, trésorier de l'Epargne, et veuve d'un comte de Chancy. C'est celle pour qui M. le comte (_de Soissons_) fit battre Copet[398]. Chalais tua Pongibaut, frère du feu comte du Lude, à cause d'elle; car, comme Pongibaut revenoit de la campagne en grosses bottes, Chalais lui fit mettre l'épée à la main sur le Pont-Neuf, et le tua. Bois-Robert, qui aime les beaux garçons, fit une élégie sur sa mort. Depuis d'Egvilly cajola madame de Chalais; et le grand-maître de La Meilleraye, comme nous avons dit ailleurs, fit de même. C'étoit une belle personne; présentement qu'elle ne songe plus à l'amour, on dit que c'est une bonne femme, mais qui a de plaisantes visions. Elle s'aime tellement qu'elle s'évanouit si elle vient seulement à souhaiter quelque chose qu'elle ne puisse avoir. On n'oseroit lui dire qu'une personne de sa connoissance est partie; elle songeroit aussitôt qu'elle ne pourroit la voir s'il lui en prenoit envie. Quand elle trouve quelque viande à son goût, ses gens sont faits à lui en garder toujours un peu, de peur que, sur ressouvenance, il ne lui vienne envie d'en manger. Si on la convie à dîner, ils ne le lui disent que le lendemain, quand elle se lève, car cela l'inquièteroit toute la nuit; ainsi ils répondent pour elle, et puis ils lui signifient qu'elle dîne en ville, et qu'il faut se dépêcher. Une fois elle avoit prêté un livre; ses gens le furent redemander le soir, disant: «Si madame a envie de lire dans ce livre, et qu'elle ne le trouve pas, elle sera malade.» Apparemment ses gens sont un peu fous aussi bien qu'elle, ou ils la dupent, et lui en font bien accroire. Si elle est dans une chapelle à entendre la messe, un laquais garde la porte, car si on la fermoit elle s'évanouiroit. Elle craint étrangement l'obscurité; on n'oseroit lui dire qu'il fait brouée, ni qu'il ne fait pas clair de lune. Cependant cette femme, qui craint tant l'obscurité, a un cent de rideaux à ses fenêtres. Elle conte ses foiblesses elle-même, et dit qu'allant en Bourgogne, elle partit trop tard de la dînée, et que, de peur de demeurer la nuit par les chemins, elle fut au galop en croupe par la plus forte pluie du monde jusqu'au gîte. Elle ne fait point de visites et en reçoit beaucoup. On l'accuse d'avoir trouvé, pour subsister jusqu'ici, une fort plaisante invention, c'est de faire semblant, deux ou trois fois l'année, de quêter pour quelque pauvre personne de qualité, mais qui ne vouloit pas être nommée; on lui donnoit beaucoup, et elle employoit ses quêtes à fournir à sa dépense. Brion, aujourd'hui duc d'Anville, cadet de Ventadour, avoit été amoureux de madame de Chalais, et d'abord parla d'épouser. Madame Pilou, qui vit qu'une fois il avoit manqué de parole, et qui savoit qu'il avoit été capucin, dit à madame de Castille et à madame de Chalais que c'étoit un trompeur; elles ne la voulurent pas croire. Cela dura un an et demi, et jusqu'à ce que Monsieur se retira en Lorraine. Une fois il disoit à madame de Chalais: «Voilà tout préparé, nous nous marierons demain; il faut, pour attraper madame Pilou, qu'on ne le lui dise pas: vous l'enverrez quérir sur les dix heures; je me tiendrai au lit; on tirera les rideaux; vous lui direz: «Hé! ma bonne amie, que tu avois raison! ce perfide s'en est en allé.» Elle se mettra à pester contre vous, et dira: «Je vous l'avois toujours bien dit; et alors je me montrerai.» Cependant le lendemain il se trouva mal; il s'évanouit une autre fois, et cette femme s'y amusoit toujours jusque-là, qu'encore après lui avoir juré qu'il l'épouseroit le lendemain, il jeta aussi un grand soupir, et dit: «Je mourrai Capucin.» Il y a trois ou quatre ans qu'il étoit accordé avec mademoiselle d'Elbeuf, et qu'il fit encore le malade. Pour Menneville, fille de la Reine, nous en parlerons dans les _Mémoires de la Régence_. [395] Roger de Gramont, comte de Louvigny. Il fut tué en duel, en Flandre; le 18 mars 1629. [396] _Malchus._ On appeloit ainsi un coutelas; (_Dictionnaire de Nicot et de Trévoux._) [397] On voit, en effet, dans le _Procès de Henri de Talleyrand, comte de Chalais_ (Londres, 1781, in-12), que Louvigny déposa sur ouï dire que Chalais avoit manifesté l'intention de tuer le Roi. Il ne porta pas loin cette iniquité, car il fut tué en duel trois ans après. [398] Voici comment cela se passa. M. le comte étoit amoureux d'elle, dans le temps qu'il commandoit à Paris, le Roi étant en Italie, et Monsieur en Lorraine ou en Flandre. Un nommé le baron de Copet, sur le lac de Genève, fils de Bellageon, qui avoit été secrétaire du connétable de Lesdiguières, la trouva aux Tuileries avec Riquemont, écuyer de M. le comte. Copet avoit bu, il lui fit des insolences, Riquemont l'avertit qui elle étoit: Je la connois bien, j'ai des terres en Bourgogne auprès des siennes. M. le comte sut la chose par Riquemont, et fit donner des coups de bâton à Copet par Beauregard, son capitaine des gardes, lui qui pouvoit le punir bien autrement, commandant comme il faisoit. A quelque temps de là Riquemont passa près de la maison de Copet, en Dauphiné, dont M. le comte étoit gouverneur. Copet le fait appeler; Riquemont vient au retour. Son second alla avertir Copet; celui-ci se cachoit de sa femme, mais elle lui dit: ne vous cachez point de moi, je lierai la partie plutôt que de la rompre. Le second de Copet désarma celui de Riquemont. Copet ainsi eut l'avantage. LE PRÉSIDENT JEANNIN[399]. Il étoit fils d'un tanneur[400] d'Autun en Bourgogne. Ce tanneur avoit quelque chose, et il l'envoya étudier à Paris. Jeannin fut fort débauché à Paris. Retourné en Bourgogne, il se marie avec la fille d'un médecin de Sémur, qui avoit du bien honnêtement. M. de Guise tué, M. de Mayenne, gouverneur de Bourgogne, prend les armes. Jeannin se donna à lui, et le servit très-utilement en ses affaires[401]. Henri IV, maître de Paris, va à Laon; Jeannin y étoit: on vint à parlementer, on ne put s'accorder. Le Roi lui cria que s'il entroit dans Laon il le feroit prendre. Jeannin, de dessus le rempart, lui répondit: «Vous n'y entrerez pas que je ne sois mort, et après je ne me soucie guère de ce que vous ferez.» M. de Mayenne ayant fait la paix, Jeannin se retira en Bourgogne, pour y vivre, dans une maison qu'il avoit acquise, en un lieu fort rude; sa raison étoit que ses amis l'iroient volontiers chercher là, et qu'il n'avoit que faire des autres gens. Henri IV l'envoya quérir, et lui manda que s'il avoit bien servi un petit prince, il serviroit bien un grand roi. Il fut envoyé en Espagne pour le traité de paix; et, au retour, le Roi lui donna une charge de président au mortier, à Dijon; voilà pourquoi on l'a toujours appelé depuis _le président Jeannin_. Il vendit cette charge, et en maria sa fille à Castille, receveur du clergé, à qui la princesse de Conti avoit fait quitter la marchandise: il tenoit _les Trois Visages_ dans la rue Saint-Denis. Il falloit que ce fût un galant homme; on dit qu'il mena un coche tout plein de ses voisins aux Pays-Bas à ses dépens, et qu'il fit si bien en achat de marchandises qu'il eut dix mille livres de bon de son voyage. Il faisoit tout chez la princesse de Conti. Jeannin donna à sa fille environ dix mille écus; le plus gros mariage de Paris, en ce temps-là, étoit de soixante mille livres. La folie des Castille depuis cela a été grande, avec leur vision de venir d'un bâtard de Castille; et ils ne sauroient nommer leur bisaïeul, ni dire qui il étoit. Le président fut ensuite envoyé en Flandre[402], et après la mort de Henri IV il fut fait surintendant des finances pour la première fois. Barbin le fut après. M. de Luynes y remit le président, à qui succéda M. de Schomberg, et le bon homme se retira en Bourgogne, où il s'amusa à bâtir[403]. Il avoit un fils qui n'étoit qu'un fripon. Ce fils et un nommé La Fayolle se tuèrent tous deux en duel pour une nommée La Mauzelay, dont ils étoient amoureux. Le président, voyant cela, manda sa fille, qui étoit en Suisse avec son mari, qui y étoit ambassadeur, et il lui donna tout son bien, à condition que l'aîné de ses enfans s'appelleroit Jeannin. Ce bien n'étoit pas trop grand. Ce bon homme a bâti et rebâti je ne sais combien de fois ses maisons; cependant elles ne sont pas mal entendues pour le temps. Il y a un gros volume de ses négociations[404]; c'étoit un grand personnage. Il fit faire son tombeau dans la même église où est celui de son père, avec son inscription de tanneur; ils sont l'un tout contre l'autre. Il a bâti Chaillot; il a témoigné de la légèreté en ses bâtimens, car il a fait faire et défaire bien des fois une même chose. Il renvoya à la Reine-mère une assez grande somme qu'elle lui avoit envoyée, et lui manda «que durant la minorité de son fils elle ne pouvoit disposer de rien.» [399] Pierre Jeannin, né à Autun en 1540, mort à Paris le 31 octobre 1622. [400] Ce tanneur étoit échevin de la ville. [401] Le président Jeannin, du temps qu'il étoit à M. de Mayenne, traita ce prince à Autun dans la maison paternelle, lui présenta son père, avec son tablier de corroyeur, en lui disant: «Monsieur, voilà le maître de la maison; c'est lui qui vous traite.» M. de Mayenne le reçut à bras ouverts, et le fit mettre au haut bout. (T.) [402] Il fut chargé de missions très-importantes en Hollande de 1607 à 1609, et ce fut principalement à ses soins que les Provinces-Unies durent le traité de juin 1609. [403] Jeannin a bâti le château de Montjeu, qui, du temps de Bussy Rabutin, appartenoit encore à la famille du président, comme on le voit dans les lettres du comte de Bussy. [404] Les Négociations du président Jeannin ont été réimprimées avec de grandes améliorations et additions, dans la seconde série de la Collection des _Mémoires relatifs à l'histoire de France_, deuxième série, t. II et suiv. LE BARON DE VILLENEUVE. C'étoit un gentilhomme de Toulouse, parent du grand-maître de Malthe, de Paule. Il suivit le brave Givry à la guerre, et devant Laon, où Givry fut tué, il reçut un si grand coup de pistolet au visage, qu'il en perdit un oeil, et ne voyoit guère clair de l'autre. Cela l'obligea à s'appliquer à l'étude. Il se faisoit lire: il avoit un homme pour le françois, un pour l'espagnol, et un autre pour l'italien, car il n'avoit jamais appris le latin. Il se rendit avec le temps si savant dans ces trois langues, qu'il y avoit peu de gens qui les sussent mieux que lui, et qui eussent lu plus de choses. Le comte de Cramail[405] étoit de ses bons amis. Il fut le premier ami de madame de Rambouillet, et elle dit qu'il lui a donné plusieurs fois de fort bons avis. Étant à Paris pour un grand procès, il en prenoit tant de soin que ce fut par la voie de Toulouse qu'il apprit que son procès étoit perdu, et que sa partie avoit pris possession de la terre dont il s'agissoit. Il étoit fort libéral, mais enfin il alla prendre la libéralité de travers, et bien d'autres choses aussi. Il se mit dans la tête, que faire labourer ses terres, c'étoit un soin indigne d'un honnête homme. Ses terres en friche portoient des brandes[406], et il en faisoit faire des balais, et les envoyoit vendre à la ville. A ce petit jeu-là il se trouva bientôt endetté. Quand il se vit tourmenté de ses créanciers, il négocia avec eux pour en avoir composition; ce que n'ayant pu obtenir, il se mit à les chicaner; et comme il avoit l'esprit vif, et qu'il parloit facilement, il se rendit si habile, qu'il faisoit tout ce qu'il vouloit de ses juges, et je pense qu'enfin il fallut que ses créanciers s'accommodassent. Il a vécu plus de quatre-vingt-sept ou huit ans dans sa gueuserie; quand on prit le deuil de Henri IV, il porta son habit une fois plus que les autres, et disoit: «Je vous assure, je n'ai pas le courage de quitter le deuil, quand je songe au grand prince que nous avons perdu.» C'étoit un homme fort vain. Avant ce coup qui le défigura, il croyoit que les dames mouroient d'amour pour lui, et il s'imagina que Dieu lui avoit envoyé cette mortification, afin qu'il n'eût plus tant d'avantages sur les autres hommes. Un Italien, à l'hôtel de Rambouillet, ne pouvant trouver son nom, dit: «_Quel baron' perforato_ (cicatrisée).» Il savoit un million de choses, et jamais ne tarissoit; il disoit fort agréablement ce qu'il disoit. [405] Adrien de Montluc, comte de Cramail, auteur de la _Comédie des Proverbes_, et d'un livre insipide intitulé: _Les Jeux de l'Inconnu_. [406] _Brande_, petit arbuste qui croît dans les terres incultes. (_Dict. de Trévoux._) M. DE CHAUDEBONNE ET M. D'AIGUEBONNE, SON FRÈRE. Chaudebonne étoit de la maison du Puis-Saint-Martin en Dauphiné. C'étoit le meilleur des amis de madame de Rambouillet. J'en ai déjà parlé plusieurs fois. Elle dit que c'étoit un homme admirable, et que personne n'a jamais vu plus clair que lui. Il étoit naturellement coquet. Il versa une fois dans un précipice; on avoit peur qu'il ne se fût rompu le cou; mais comme on fut à lui: «Cherchez, dit-il froidement à ses gens, cherchez auparavant ma calotte.» Cela me fait souvenir de madame de Bonneuil, dont il est parlé dans l'_historiette_ de M. d'Aumont, qui, tout en versant dans une rue, ne laissa pas d'achever à sa soeur un conte qu'elle lui avoit commencé. Ce fut Chaudebonne qui mit Voiture dans le grand monde et qui l'introduisit chez Monsieur, à qui il étoit. Au retour de Flandre, Chaudebonne se jeta dans la dévotion; on voit par des lettres de Voiture, qu'il commençoit dès les Pays-Bas à prendre ce chemin-là. Son frère aîné, M. d'Aiguebonne, a eu d'assez beaux emplois; il a commandé dans la citadelle de Turin, et a été ambassadeur en Savoie; c'étoit une espèce de philosophe. Un de ses fils avoit inclination à être d'église, et un autre à être chevalier de Malte. «Bien, disoit-il, je fonderai une commanderie pour l'un et une abbaye pour l'autre; je n'attends pas que M. le cardinal Mazarin m'en donne une. L'aîné de notre maison a du bien, qu'importe que mes enfans laissent de leur race; et puis il y a tant de confusion à cette heure. J'ai marié ma fille à un gentilhomme qui a trouvé moyen d'acheter le marquisat de Varambon, ses enfans passeront pour être de cette maison-là.» NEUFGERMAIN[407]. Neufgermain est un pauvre hère de poète fort vieux, mais fort droit, encore bel homme, qui depuis long-temps porte une longue _barbasse_. Il a toujours l'épée au côté, et il aime fort à faire des armes. Il assassinoit autrefois tout le monde de ses maudits vers, quand M. le marquis de Rambouillet, car cet homme ne bougeoit de chez lui, lui conseilla, pour voir si cela seroit plaisant, de faire des vers qui rimassent sur chaque syllabe du nom de ceux pour qui il les feroit. Il y en a un exemple dans Voiture; c'est cette pièce rimée en _da_ et en _vaux_, à la louange de M. d'Avaux[408]. Il en fit, et cela a souvent fait rire les gens. Ce misérable fut si fou que de se marier, par une licence poétique, à l'imitation du poète Daurat[409]. Il me souvient qu'on me contoit dans la maison où servoit cette fille qu'il épousa, qu'en se regardant dans le miroir, elle disoit: «Faut-il qu'un vieillard manie ces tétons-là?» Cette femme a la plus méchante tête du monde; sans elle il auroit ramassé quelque chose, car ceux pour qui il faisoit des vers, et ceux à qui il présentoit son livre imprimé, dont il avoit retenu tous les exemplaires, lui donnoient honnêtement; mais cette enragée bat tous les jours quelqu'un et ruine le pauvre poète de procès criminels. Il n'est pas à se repentir de s'être mis dans la nasse; il tâche de la faire aller en Canada, et selon que cela va bien ou mal, il est gai ou mélancolique. Avant que de se marier il lui arriva une aventure admirable. Il avoit je ne sais quelle habitude _vituperosa_ avec une nymphe de la rue des Gravilliers. Certain filou ne le trouva pas bon; ils se querellèrent dans la rue; le filou, qui étoit jeune et vigoureux, prit notre poète par l'endroit où il y avoit plus belle prise, je veux dire par la barbe, et lui pluma tout le menton. Neufgermain, pour venger ce sacrilége, met l'épée à la main, blesse le filou, et l'eût tué, s'il ne se fût sauvé: le peuple qui fut spectateur de ce fameux combat, charmé de la bravoure d'un homme à grande barbe, ne pouvoit assez l'admirer; et quand il fut parti, un vénérable savetier s'avisa de ramasser cette vénérable barbe, et la mit dans une belle feuille de papier blanc qu'il tenoit par les deux bouts; car il portoit trop de respect à cette belle relique, pour la plier dans ce papier; elle y étoit tout de son long. En cet équipage il s'achemine à l'hôtel de Rambouillet, car Neufgermain s'étoit vanté d'y avoir bien des amis. On dînoit quand cet homme y arriva, et un laquais vint dire à M. de Rambouillet qu'un savetier de la rue des Gravilliers demandoit à parler à lui. «Un savetier de la rue des Gravilliers? répond le marquis tout étonné; il faut voir ce que c'est, faites-le monter.» Le savetier entre, son papier à la main, et en faisant un nombre infini de salamalecs, s'approcha de la table et dit qu'il apportoit la barbe de M. Neufgermain. Neufgermain entre dans la salle à cet instant, et fut bien surpris de voir que sa barbe avoit fait plus grande diligence que lui. Il y a deux ou trois ans que madame de Rambouillet lui ayant fait donner deux cents livres, par le moyen de M. Ménage, qui est bien avec M. Servien, surintendant des finances, elle s'avisa de faire une petite malice à Ménage. «Vous êtes obligé, dit-elle au poète barbu, d'aller remercier M. Ménage, mais je vous donne un avis; c'est l'homme du monde après vous qui aime le mieux à faire des armes; il ne l'avoue pas à cause qu'il est d'église, si ce n'est à des gens discrets, et il a toujours des fleurets cachés derrière ses livres; priez-le de faire assaut contre vous.» Neufgermain prend cela au pied de la lettre, va chez Ménage et lui fait le compliment. Ménage se met à rire. «Ne riez point, monsieur, ajouta le poète, vous pouvez vous fier à moi.» Et en disant cela il regardoit sur les tablettes s'il n'y avoit point de fleurets. Ménage, pour s'en débarrasser, fut contraint de lui dire qu'il avoit été saigné la veille, et qu'il falloit remettre la partie à une autre fois. [407] Louis de Neufgermain. Son portrait in-4º et en pied a été gravé par Brebiette. [408] Voici la première strophe de cette pièce: L'autre jour Jupiter manda Par Mercure et par ses prévôts, Tous les dieux, et leur commanda Qu'on fît honneur au grand d'Avaux. (_OEuvres de Voiture_, deuxième partie, p. 93, édition de 1660.) [409] Charles IX ayant demandé à Daurat de quoi il s'étoit avisé de se marier si vieux avec une jeune fille: «Sire, lui répondit-il, c'est une _licence poétique_.» (T.) MAITRE CLAUDE ET AUTRES OFFICIERS DE L'HÔTEL DE RAMBOUILLET. Neufgermain étoit le fou externe de l'hôtel de Rambouillet; mais il y en a eu de domestiques en assez bon nombre, car pour des gens aussi sages que M. et madame de Rambouillet, on n'en trouvera guère qui aient eu plus de fous à leur service. Je parlerai de quelques-uns dont on fait d'assez plaisants contes. Maître Claude étoit de son état ferreur d'aiguillettes; sa femme fut nourrice de mademoiselle de Rambouillet, depuis madame de Grignan[410]. Cela fut cause qu'avec le temps il parvint à être argentier de la maison. Cet homme est des plus naïfs. Madame de Rambouillet s'en divertissoit quelquefois, et quand elle savoit qu'il avoit été en quelque lieu, elle lui faisoit raconter ce qu'il avoit vu. Quoique ce soit le meilleur homme du monde, il ne laisse pas d'aimer à voir les exécutions, et il disoit à sa mode «qu'il n'y avoit plus de plaisir à voir rouer, parce que ces coquins de bourreaux étrangloient aussitôt le patient, et que si on faisoit bien on les roueroit eux-mêmes.» Une fois il fut à la Grève pour voir le feu de la Saint-Jean, et ne se trouvant pas bien placé à sa fantaisie, tout d'un coup il prend sa course, et se va planter sur le sommet de Montmartre; après que tout fut fait, il retourne à l'hôtel. Madame de Rambouillet, qui sut qu'il avoit été voir le feu, le fit venir. «Eh bien! maître Claude, le feu étoit-il beau?--Ardez, madame, lui dit-il; j'étois allé à cette Grève, mais je ne voyois pas bien, et il me vint dans l'esprit que je verrois bien mieux de Montmartre. J'ai pris mes jambes à mon cou, et j'ai été jusque là; il y avoit belle place: j'ai vu le feu tout à mon aise. Croyez-moi, madame, que vous feriez bien de l'aller voir de là-haut; on n'y perd pas une fusée.» Il mena une fois un cheval de louage par la bride depuis le Roule jusques à Rouen, sans avoir l'esprit d'en venir quérir un autre, puisque celui-là le laissoit à pied de si bonne heure. Un jour qu'il avoit été voir le trésor de Saint-Denis, madame de Rambouillet voulut qu'il lui rendît compte de son voyage. «J'ai vu, lui dit-il, entre autres choses _le bras de notre voisin_.» La marquise fut long-temps à rêver à ce que ce pouvoit être; enfin elle lui demanda ce qu'il vouloit dire. «Hé! madame, le bras de ce saint qui est au bout de notre rue: le bras de saint Thomas[411].» Durant le second siége de Thionville, on mangea un jour quelque ragoût à l'hôtel de Rambouillet. Chacun souhaitoit que le marquis de Pisani, qui étoit à ce siége avec M. le duc d'Enghien, en pût manger. «Ma foi! dit maître Claude, qui avoit toujours des expédiens admirables, vous n'avez qu'à m'en faire mettre dans un plat, et je vous promets que je le lui porterai jusqu'au bout du monde. Il ne sera pas trop chaud; mais on le fera réchauffer quand je serai arrivé.» Une fois, parlant d'un homme, il disoit: «_De sa nation_ cet homme-là est orfèvre,» voulant dire _de sa profession_. Madame de Rambouillet l'envoyoit souvent faire des messages, parce qu'il divertissoit tout ensemble celle qui l'envoyoit et ceux à qui il étoit envoyé. Un jour elle lui donna un livre à reporter à M. Chapelain. «Je n'avois pas cru, lui dit M. Chapelain, que madame la marquise me voulût faire cette injure que de me renvoyer ce livre; dites-lui que je le lui reporterai au premier jour.» Quelque temps après maître Claude, qui avoit remarqué que M. Chapelain avoit vu madame de Rambouillet, dit à sa maîtresse: «Madame, M. Chapelain vous a-t-il rapporté ce livre, comme il avoit dit?--Non, répondit-elle.--Ha! le galant! s'écria-t-il; ah! le drôle! je me doutois bien que ce n'étoient que des compliments.» M. de Grasse[412] étant enrhumé, madame de Rambouillet envoya maître Claude pour savoir de ses nouvelles. «Je vous assure, lui dit M. de Grasse pour rire, mon pauvre maître Claude, mon ami, j'ai été plus mal qu'on ne croit; j'ai pensé perdre l'esprit.--Comment, monsieur, lui dit le bon argentier, vous avez pensé perdre l'esprit?--Oui, mon cher.--Hélas! monsieur, c'eût été grand dommage; et à présent vous remettez-vous?--Oui, et j'espère que cela ne sera rien, s'il plaît à Dieu; mais ne le dites à personne, je vous prie.» Maître Claude va retrouver sa maîtresse, et lui dit «que M. de Grasse se portoit assez bien pour le présent; mais, madame, ajouta-t-il, je ne sais plus à qui on se fiera en ce monde; cet homme avoit passé pour si sage.--Que voulez-vous dire? dit la marquise en l'interrompant?--C'est, répondit-il en s'approchant de son oreille, que ce n'étoit pas qu'il fût enrhumé, mais c'étoit qu'il étoit fou.» Un jour, comme madame de Rambouillet étoit à Rambouillet, on rendit le pain bénit, et on en présenta à tous ceux de la maison; mais maître Claude, qui croyoit qu'on ne lui en avoit pas présenté assez tôt, dit à celui qui le lui portoit: «_Porte-le au diable, je n'en ai que faire._» La marquise, qui cherchoit à se divertir, et qui aussi ne vouloit pas qu'on fît d'insolences, le fit venir, et lui remontra qu'il devoit profiter de l'occasion qui s'étoit présentée pour faire voir son humilité, et non pas scandaliser tout le monde comme il l'avoit fait; «car, ajouta-t-elle, vous avez dit: _Portez-le au diable_; ne savez-vous pas qu'il ne le sauroit recevoir, et que tout ce qui est béni fait fuir les démons?» Elle lui dit encore bien des choses; enfin, après avoir bien écouté: «Il est vrai, dit-il, que j'ai tort; mais, madame, après tout, où est-ce que l'on tiendra son rang, si on ne le tient dans l'église?» Au commencement qu'il connut M. Conrart, il ouït dire à l'hôtel de Rambouillet qu'il avoit la goutte. Le soir même il va trouver Monsieur et Madame: «J'ai appris, leur dit-il, que ce pauvre M. Conrart a les gouttes; c'est dommage. Je sais, ma foi, par Dieu[413]! une recette infaillible pour le guérir; il y a plus de trente rois qui la voudroient savoir; je la lui dirai pour l'amour de lui.--Eh bien! maître Claude, dit madame de Rambouillet, allez-vous-en demain savoir de ses nouvelles de ma part; et puis de votre part à vous, lui direz votre recette.--Ah! madame, reprit-il, ce sera de votre part.--Non, dit-elle, de la vôtre; il faut qu'il vous en ait l'obligation.» Il y va, et après avoir fait les compliments de son maître et de sa maîtresse, il lui dit: «Monsieur, je vous dis à cette heure de ma part que je vous veux guérir de vos gouttes; mon remède est infaillible; ma foi, par Dieu! il n'y en a point de tel.--Hé! dites-le-moi donc, maître Claude, dit M. Conrart.--Pour l'amour de vous, je vous le dirai; je ne l'enseignerois pour rien à un autre; non, ma foi, par Dieu!» Il haranguoit toujours, et ne disoit point la recette; enfin, lui dit-il: «Ayez une douzaine de cochets, et les élevez au coin de votre feu; quand ils seront en état d'être chaponnés, prenez le plus gras, chaponnez-le vous-même, et en lui tirant ce que vous savez du corps, dites: _Je te donne mes gouttes, puissent-elles ne me jamais revenir_. Puis recousez bien la plaie, vous verrez insensiblement ce pauvre chapon devenir entrepris de ses jambes, elles lui enfleront, et vous vous sentirez allégé à mesure.» Il est à cette heure concierge à Rambouillet, parce qu'il est devenu vieux. Madame de Rambouillet lui manda, il y a trois ou quatre ans, qu'il fît tout préparer, et qu'il auroit bientôt compagnie. Il crut que toute la cour iroit; et quand il ne vit que M. et madame de Montausier et mademoiselle de Rambouillet: «Quoi! leur dit-il, il n'y a que vous, et j'avois pris tant de peine! une autre fois je ne croirai pas si de léger[414].» Il racontoit un jour la comédie d'Euridice, que le cardinal avoit fait jouer en musique, et il disoit à une femme-de-chambre: «Vous voyez l'enfer, et là vous voyez venir Plutarque.--Plutarque? reprit cette fille; ne seroit-ce pas Pluton?--Pluton ou Plutarque, dit maître Claude, qu'importe!» [410] Ces derniers mots sont écrits à la marge du manuscrit; cela prouve que cette partie de l'ouvrage a été écrite par Tallemant avant le mariage de mademoiselle de Rambouillet, qui eut lieu au mois d'avril 1645. [411] L'hôtel de Rambouillet est dans la rue Saint-Thomas du Louvre. (T.) [412] Godeau. [413] C'étoit son juron. (T.) [414] Expression italienne: _di leggiero_. SILESIE. Un écuyer de M. de Rambouillet, ou plutôt un _quinola_[415], car c'étoit un homme qui le menoit, nommé Silesie, étoit une espèce de fou sérieux qui ne trouvoit aucune difficulté à l'Apocalypse, et forgeoit les plus belles étymologies du monde. Entre autres, il disoit que _fauteuil_ vient de ce qu'étant assis les uns auprès des autres, _l'oeil faut_, et ne peut plus voir de côté, à cause de celui qui est assis auprès de vous. Il logeoit proche de l'hôtel de Rambouillet avec sa femme et ses enfants. Un matin, tous ceux qui habitoient dans la même maison vinrent se plaindre à M. de Rambouillet, disant qu'il n'y avoit pas moyen de dormir avec cet homme. C'étoit en été, les puces l'incommodoient, il en prenoit à tâtons; et comme si ses ongles n'eussent pas suffi pour les punir dignement, il s'en alloit par l'escalier, et avec un gros marteau il frappoit sur les marches, croyant frapper sur les puces qu'il y avoit mises. Sur ce même degré, pour être puni où il avoit fait l'offense, il prit la peine de se rompre le cou quelques jours après. [415] Ce terme, qui n'est plus connu qu'au jeu du reversis, étoit alors synonyme _d'écuyer_, celui qui conduit, soit un homme, soit une femme. (_Dict. de Trévoux._) ALDIMARI. Il y a eu un secrétaire, nommé Aldimari, qui n'étoit pas plus sage qu'un autre; il faisoit les plus ridicules vers du monde, et a été si sot que de les faire imprimer. Il disoit sur la mort du grand prieur de La Porte, que les anges, pour le recevoir, quand il fit son entrée en paradis, avoient pris des manches de velours blanc à gros bouillons. DUBOIS. Il ne faut pas oublier un nommé Dubois, à qui M. de Rambouillet avoit fait apprendre le métier de brodeur. Il se fit Capucin, puis portier de comédiens, et enfin revint à son premier métier. Au bout de dix ans, il s'avisa un matin d'aller voir la marquise, et lui dit: «Madame, je suis ravi quand je vous vois, comme l'illustre Bassa[416] quand il voyoit son empereur; je ne savois comment faire pour avoir cet honneur; hier je passois devant votre logis, j'y vis bien des carrosses dans la cour; cela me donna courage; enfin me voilà, et pour refaire connoissance, je vous apporte une manche de la casaque du Roi.» Je ne saurois finir le chapitre des domestiques de l'hôtel de Rambouillet, sans dire que personne ne fut plus aimé de ses gens, ni des gens de ses amis, que madame de Rambouillet. Il y a deux ans environ que M. Patru m'en rapporta un exemple illustre. Il soupoit à l'hôtel de Nemours avec l'abbé de Saint-Spire, qui est à M. de Nemours, alors M. de Rheims. Cet abbé va souvent à l'hôtel de Rambouillet; ils parlèrent fort de la marquise. Un sommelier, nommé Audry, qui étoit là, voyant que M. Patru étoit aussi des amis de madame de Rambouillet, se vient jeter à ses pieds, en lui disant: «Monsieur, que je vous adore! j'ai été douze ans à M. de Montausier; puisque vous êtes des amis de la grande marquise, personne devant le soir ne vous donnera à boire que moi.» [416] Roman de mademoiselle de Scudéry. (T.) VAUGELAS. Je n'ai pas grand'chose à ajouter à ce que dit l'histoire de l'académie. M. de Vaugelas fut un jour chez M. de La Vieuville, surintendant des finances pour la première fois, afin de tâcher d'être payé de sa pension. La Vieuville lui dit, de si loin qu'il l'aperçut: «Allez chez un tel.» Il y va, cet homme n'avoit jamais entendu parler de lui; il retourne, La Vieuville lui dit: «Allez chez Bardin.» Bardin n'en savoit pas plus que l'autre. Pour la troisième fois, La Vieuville lui dit: «Allez chez le trésorier de l'Epargne qui est en exercice, il y a arrêt pour cela.--Monsieur, répond Vaugelas, il ne faut point d'arrêt pour cela, c'est une pension.--Allez seulement,» dit La Vieuville. Il se trouva qu'il le prenoit pour l'agent du roi de Bohême, à qui, en ce temps-là, on fit toucher trente-cinq mille livres. Toute sa vie le pauvre M. de Vaugelas, qui étoit crédule, a toujours donné des avis assez saugrenus. Une fois on lui persuada qu'il y auroit un grand profit à nourrir des anguilles dans un étang; il en vouloit demander le don au Roi. Il venoit tous les jours débiter à l'hôtel de Rambouillet des nouvelles où il n'y avoit aucune apparence, et il croyoit quasi tout ce qu'il entendoit dire. Madame de Carignan, qui le connoissoit, le voulut avoir pour gouverneur de ses enfants, dont l'aîné, qui est mort à cette heure, étoit sourd et muet, et l'autre bègue, de telle sorte qu'il n'a pas la voix articulée; pour le troisième, aujourd'hui M. le comte de Soissons, il parloit, mais sa mère ne vouloit pas qu'il parlât, mais bien les autres. Alors il portoit la soutane. Elle les faisoit mener en visite; ils étoient tous deux comme des idoles. «Quelle destinée, disoit madame de Rambouillet, pour un homme qui parle si bien et qui peut si bien apprendre à bien parler, d'être gouverneur de sourds et de muets!» Un Catalan entreprit de faire parler le sourd-muet; dans son opération il ne vouloit point de témoins. On croit qu'en lui mettant les doigts, soit aux côtes, soit au gosier deçà et delà, et les genoux sur l'estomac, il lui faisoit prononcer certaines lettres et les assembler pour demander les choses les plus nécessaires; l'enfant sortoit tout en eau d'entre ses mains. Madame de Carignan fut si sotte que de chasser cet homme; elle disoit qu'il étoit espion du roi d'Espagne auprès d'elle. Peut-être eût-il appris à parler à celui qui bégaie tant[417]. Elle disoit que l'aîné parloit comme elle; or elle parloit comme quatre; mais elle mentoit _per la gola_. Elle vouloit qu'on donnât mademoiselle d'Alais, aujourd'hui madame de Joyeuse, au prince Eugène sans le déclarer héritier. C'est elle qui a fait mourir ce pauvre M. de Vaugelas à force de le tourmenter et de l'obliger à se tenir debout et découvert. [417] Il écrit en italien, et il a fort bien réglé sa maison. Il est amoureux, et sa maîtresse l'entendoit au mouvement des lèvres. (T.) GODEAU, ÉVÊQUE DE VENCE. M. Godeau[418], qu'on a appelé long-temps M. de Grasse, et qu'on appelle aujourd'hui M. de Vence, est d'une bonne famille de Dreux. Il a eu trente mille écus de partage. Il a toujours été fort éveillé, et sa belle humeur et son esprit ont servi à le faire passer partout; car pour sa personne c'est une des plus _contemptibles_ qu'on puisse trouver; il est extraordinairement petit et extraordinairement laid. Quand il étoit en philosophie, tous les Allemands de sa pension ne pouvoient vivre sans lui; il chantoit, il rimoit, il buvoit, et avoit toujours le mot pour rire. Il étoit fort enclin à l'amour, et comme il étoit naturellement volage, il a aimé en plusieurs lieux. Il fut pourtant assez constant pour mademoiselle de Saint-Yon; c'étoit une fille de bon lieu et bien faite, mais pauvre. Elle vouloit l'engager, elle se laissoit embrasser; mais quelquefois elle étoit contrainte de sortir, à cause des saillies et des fureurs amoureuses qui prenoient à notre petit amant. M. Conrart, son parent, et quelques-uns de ses amis, l'avoient comme retiré de cette amourette, quand les frères de la demoiselle firent une partie de promenade où on les mit tous deux à la portière, et il se renflamma plus que devant. Conrart dit qu'une fois, comme il étoit chez cette fille avec son parent, tout d'un coup, pour faire la jeunette, elle va dire: «Ah! que je suis affligée! maman m'a avertie que j'ai vingt et un ans, il faudra que je jeûne désormais.» Notez qu'elle avoit bien fait des péchés, si on offense Dieu en ne jeûnant pas dès qu'on a vingt et un ans. Enfin Godeau se guérit de son amour. En ce temps-là il eut entrée à l'hôtel de Rambouillet: j'ai dit ailleurs par qui il y fut introduit[419]. On voit par les lettres de Voiture le cas qu'en faisoient madame et mademoiselle de Rambouillet et toute leur société, et comme Voiture en eut de la jalousie. Peu à peu il se mit à travailler aux choses spirituelles, et il falloit qu'il y fût bien né, car je trouve qu'il a fait tout autre chose pour le Créateur que pour les créatures. Le _Benedicite_ le mit en grande réputation auprès du cardinal de La Valette, et ensuite auprès du cardinal de Richelieu, pour qui il fit après cette ode que Costar a censurée. Ses ouvrages plaisoient si fort à Son Eminence, qu'on disoit chez lui, pour dire: Voilà qui est admirable: «Quand Godeau l'auroit fait, il ne seroit pas mieux.» L'évêché de Grasse, en Provence, ayant vaqué, il le demanda. Le cardinal ne vouloit point trop qu'il le prît; c'étoit trop peu de chose: il ne vaut que quatre mille livres; il y joignit Vence de six mille livres dès qu'il le put, avec une pension de deux mille livres sur Cahors. M. Godeau négligea de faire faire l'union quand il le pouvoit, c'est-à-dire du vivant du cardinal, car c'est un des hommes du monde le plus diverti et qui pense le moins aux choses. Depuis, la communauté de Vence s'y est opposée, et les Jésuites lui ont fait tout le pis qu'ils ont pu, enragés de ce que l'assemblée du clergé l'avoit nommé pour faire l'éloge du _Petrus Aurelius_. C'est un livre de l'abbé de Saint-Cyran. Cela alla jusqu'à faire un libelle contre lui, où sa mine et sa petitesse étoient ce qu'on lui reprochoit le plus. Il fut assez sage pour ne point répondre. Enfin, il fallut traiter de Grasse[420] et garder Vence. C'est un homme sans façon, bon ami, mais un peu trop brusque quelquefois. Il avoit fait beaucoup de vers d'amour. Un jour il les demanda à Conrart, à qui il les avoit tous donnés, et les brûla. Il s'en est pourtant sauvé quelques-uns de galanterie à l'hôtel de Rambouillet, et entre les mains de M. de Montausier; mais ils ne valent pas ses vers chrétiens, j'entends ceux qu'il a faits il y a quelques années, car depuis quelque temps tout ce qu'il fait est fort médiocre: vous diriez qu'il a toujours été condamné à faire un ouvrage en tant de temps. Pour un jour il fit trois cents vers en stances de dix; le moyen que cela soit bien. Il a du génie, mais il n'a ni assez de savoir ni assez de force. Pour subsister à Paris il a travaillé à des traductions, à des vies, à une histoire ecclésiastique; tout cela sent l'homme qui ne pense pas à la gloire, ou qui n'y pense pas de la bonne sorte. Les bulles des deux évêchés, son peu d'économie et autres choses, l'on réduit à cela. Il a fait des prières pour toutes sortes de conditions; il y en a une dont le titre est: _Prière pour un procureur et en un besoin pour un avocat_. Il a fait imprimer aussi des instructions aux curés de son diocèse. On trouve que M. de Vence se gâte en prose comme en poésie; tout ce qu'il fait est fait à la hâte, et je trouve qu'il commence à se relâcher sur la morale. Volontiers il prendroit un meilleur évêché quand il faudroit pour cela faire l'éloge du cardinal: en voici une preuve. Ayant fait l'oraison funèbre du feu premier président de Bellièvre, par une bassesse ridicule il l'envoya à M. de Grignon, avant de la prononcer. Cet imbécile de Grignon, aujourd'hui M. de Bellièvre, y corrigea un endroit. Il y avoit: _La science, dit Plutarque_. «Cela ne sonne pas bien, disoit cet âne de fils, il faudroit mettre: _La science, au dire de Plutarque_.--Vous avez raison, dit le petit Boileau[421], qui étoit présent, et il seroit bon de le corriger: M. de Vence vous en auroit obligation.--Vous m'en avisez,» reprit-il; et sur l'heure il envoie quérir une plume, et le corrige. Boileau, qui ne pouvoit quasi se tenir de rire, courut vite le conter à M. de Vence. [418] Antoine Godeau, évêque de Vence, membre de l'Académie françoise, né vers l'an 1605, mourut en 1672. [419] Par madame de Clermont d'Entragues, et par mademoiselle Paulet. (_Voyez_ l'article de cette dernière.) [420] Il paroît que Godeau proposa l'évêché de Grasse à Gombauld, qui étoit protestant. (_Voyez_ l'article _Gombauld_.) [421] Gilles Boileau. GOMBAULD[422]. Gombauld est de Saint-Just, auprès de Brouage, d'honnête naissance, mais cadet d'un quatrième mariage. Le père vivoit de ses rentes, et il en vivoit si bien qu'il les mangeoit. Il ne faisoit que chasser et faire bonne chère, et enfin il s'acheva de ruiner en procès. D'ailleurs, ce garçon fut maltraité par ses cohéritiers, et faute d'avoir de quoi poursuivre, il n'en eut jamais aucune raison. Son père, quoique de la religion, eut la faiblesse, se voyant chargé d'enfants, de consentir que celui-ci fût instruit dans la religion catholique, à Bordeaux, afin de le faire d'église. Il m'a dit, car il est huguenot à brûler, que naturellement il avoit de l'aversion pour la religion catholique, et que dès seize ans il cessa de lui-même d'aller à la messe et revint à nous, sans pourtant faire d'abjuration ni de reconnoissance, car il ne prétendoit pas nous avoir quittés, et choisissoit plutôt une religion qu'il n'en changeoit. Il vint à Paris qu'il étoit encore fort jeune; il fit d'abord connoissance avec le marquis d'Uxelles[423], le rousseau. Cet homme avoit assez d'habitudes, et ne pouvoit bien faire les lettres dont il avoit besoin; et dans les desseins de mariage ou de galanterie qu'il pouvoit avoir, il se servoit de Gombauld pour cela, et lui entretenoit un cheval et un laquais. Gombauld fit assez de vers pour Henri IV, qu'il n'a jamais montrés. Il dit que le Roi lui donnoit pension. La Reine-mère étant régente, elle le regarda fort, à ce qu'il dit, au sacre du feu Roi[424], où il étoit allé avec son rousseau. Mademoiselle Catherine, femme-de-chambre de la Reine, eut ordre de savoir de M. d'Uxelles qui il étoit. Catherine prit un autre rousseau pour M. d'Uxelles, et alla dire à la Reine: «Il dit qu'il ne le connoît point.--Cela ne se peut, répondit la Reine, vous avez pris un rousseau pour l'autre.» Enfin, elle en parla elle-même à M. d'Uxelles, et voulut voir des ouvrages de notre homme. A quelque temps de là, Uxelles avertit Gombauld qu'on alloit faire l'état de la maison du Roi, et que c'étoit la Reine elle-même qui le faisoit. «Si cela est, dit Gombauld, je ne m'en veux point inquiéter, il en arrivera ce qu'il plaira à Dieu.» Il y fut mis pour douze cents écus. Uxelles le lui vint dire, et ajouta ces mots: «Vous aviez bien raison de ne vous pas tourmenter, la Reine a assez de soin de vous; je voudrois être aussi bien avec elle.» La Reine le cherchoit partout des yeux. La princesse de Conti lui dit qu'il étoit vrai que la Reine avoit de l'affection pour lui. Il nie d'en avoir jamais été amoureux; mais bien d'une autre personne de grande qualité qu'il appelle aussi _Filis_ dans ses poésies: l'une est la grande et l'autre la petite. Il accuse mademoiselle Catherine du peu d'avancement qu'il a eu, car il est persuadé que la Reine en tenoit, et que Catherine lui avoit avoué que la Reine ne l'avoit jamais vu sans émotion, parce qu'il ressembloit à un homme qu'elle avoit aimé à Florence. Catherine étoit une brutale; cependant elle gouvernoit les amours de la Reine. Elle disoit tout de travers; par exemple, à un ballet où l'on n'entroit que par billets, Uxelles dit à Gombauld: «J'en ai deux, j'en destine un à un tel, en cas que vous en puissiez avoir d'ailleurs, sinon ce sera pour vous.» Gombauld va à mademoiselle Catherine, et lui dit en parlant de cela: «Ce n'est pas, mademoiselle, que j'espère voir le ballet; ce n'est pas que je demande autrement un billet.» Elle crut qu'il n'en demandoit point (bien d'autres, peut-être l'auroient cru). Il falloit parler françois, et lui dire qu'elle prît la peine de dire à la Reine qu'il n'avoit point de billet, et la Reine lui en eût envoyé un tout aussitôt. En une rencontre de voyage, il dit qu'il ne pouvoit suivre sans argent. La Reine lui dit: «Allez chez le trésorier lui dire de ma part que j'entends que vous soyez payé.» Le trésorier dit: «Monsieur, tout le monde dit de même. Je demanderai ce soir à la Reine ce qu'elle veut que je fasse; venez demain matin.» Il y alla: «Elle en a marqué deux, dit le trésorier, vous en êtes l'un.» Il fut payé. Il dit que cela dura dix-huit mois, et que s'il eût eu des amis, on ne lui eût rien refusé; mais que, depuis, la religion lui nuisit. Il fit l'_Endymion_[425] durant qu'il étoit au fort de sa faveur. Ce livre fit un furieux bruit. On disoit que la _Lune_ étoit la Reine-mère, et effectivement, dans les tailles-douces, c'est la Reine-mère, avec un croissant sur la tête. On disoit que cette Iris, qui apparoît à Endymion au bout d'un bois, c'étoit mademoiselle Catherine. La Reine témoigna de le vouloir entendre lire, car il avoit beaucoup de réputation, et effectivement c'est un beau songe. Pour Gombauld, il y entend cent mystères que les autres ne comprennent pas, car il dit que c'est une image de la vie de la cour, et que qui le lira avec cet esprit y trouvera beaucoup plus de satisfaction[426]. Il en avoit tant fait de lectures avant que de le faire imprimer, que M. de Candale, quand ce livre fut mis au jour, dit que la deuxième édition ne valoit pas la première, car il lit bien et fait valoir ce qu'il lit. Dès que Gombauld crut que la Reine lui vouloit faire cet honneur, il alla trouver madame de Rambouillet, qui a toujours été de ses amis, et la pria de lui vouloir bien dire son avis sur la manière dont il s'y devoit prendre: «Madame, lui dit-il, prenez que vous soyez la Reine, et j'entrerai avec mon livre.» En disant cela, il va dans l'antichambre; madame de Rambouillet se mordoit les lèvres de peur de rire. Il rentre un peu après avec les grimaces les plus plaisantes du monde, et à tout bout de champ il lui demandoit: «Cela sera-t-il bien ainsi?--Oui, monsieur, fort bien.--Madame, trouvez-vous ce ton-là comme il faut? N'est-il point trop haut? est-il assez respectueux?» et lui demandoit comme cela sur toutes choses. Elle dit qu'elle n'a jamais mieux passé son temps en sa vie; mais que, pour avoir un plaisir parfait, il eût fallu que quelqu'un les eût vus, et qu'elle l'eût su. Cependant je ne sais pas par quelle aventure tout ce soin lui fut inutile, car Gombauld dit qu'il n'a jamais lu _Endymion_ à la Reine-mère. Je ne sais si madame de La Moussaye, soeur du feu comte de La Suze, et mère de La Moussaye, le petit-maître, étoit cette petite Filis; mais on croit qu'il a eu de grandes privautés avec elle, car il a toujours affecté d'en vouloir à des dames de qualité, et me faisoit excuse une fois de ce que dans ses poésies il y avoit des vers pour une paysanne. «Mais, disoit-il, c'étoit la fille d'un riche fermier de Xaintonge, et elle avoit plus de dix mille écus en mariage.» Cette pension de douze cents écus dont il a été parlé ci-dessus ne lui fut pas toujours continuée; dès le temps de la Reine-mère même on lui en retrancha quelque chose, nonobstant la ressemblance avec cet amant florentin. Après l'éloignement de la Reine il lui dédia _l'Amaranthe_[427], et la lui envoya. «Ah! dit-elle, je savois bien que celui-là ne m'oublieroit pas.» Madame de Rambouillet lui fit un soir une malice à propos de cette pièce: elle lui manda qu'elle l'iroit prendre pour le mener souper en ville. Elle le mena chez madame de Clermont, et après souper on le conduisit dans une salle où des petits enfants jouoient l'_Amaranthe_. Il pensa mourir, car il n'y a pas d'homme si délicat sur ces sortes de choses, et il vérifia le proverbe qui dit: _Il enrage comme un poète dont on récite mal les vers_. Il est grand et droit et a assez de cheveux; quoique vieux, il a encore bonne mine; il est vrai qu'étant un peu ridé, il a tort de ne porter qu'un filet de barbe, cela est cause que dans la comédie de _l'Académie_ il y a: Gombauld, pour un châtré, ne manque point de feu. Il eut huit cents écus du feu Roi, après l'éloignement de la Reine; mais, quand la guerre fut déclarée, on ne paya plus de pensions poétiques. Il étoit dans une nécessité extrême, et n'en témoignoit rien. Par courage, même, il étoit habillé à son ordinaire, car de tous les auteurs c'est quasi le mieux vêtu, quand M. Chapelain lui fit avouer qu'il ne savoit plus de quel bois faire flèches, et par le moyen de Bois-Robert lui fit rétablir la moitié de sa pension, c'est-à-dire quatre cents écus. Le chancelier, pour qui il avoit fait quelque chose, lui en donna deux cents sur le sceau. Il voulut absolument que cette pension de quatre cents écus fût sur l'état du Roi, quoiqu'il eût été bien mieux payé du cardinal; pour celle sur le sceau, il la tenoit pour deniers royaux; il disoit pour ses raisons qu'il ne recevoit que de son prince. Comme Bois-Robert travailloit à cette affaire, il montra des vers de sa façon à Gombauld, qui, toujours tout d'une pièce, critiqua tout ce qui ne lui sembloit pas bon, sans avoir égard au temps. Bois-Robert, instruit de l'humeur du personnage, prit cela comme il le falloit, et dans un endroit où Gombauld disoit: «Je n'y suis pas accoutumé (c'est une de ses façons de parler),--Hé! mon cher monsieur, lui dit Bois-Robert, en se mettant quasi à genoux, je vous prie, accoutumez-vous-y pour l'amour de moi.» Ce fut en ce temps-là que Gombauld fit le panégyrique du cardinal de Richelieu et l'ode au chancelier, qui n'étoit alors que garde-des-sceaux. Dans ce panégyrique il y a de beaux vers; mais le corps n'en est pas bon. Pour l'ode, elle est fort obscure. On la censura un peu à l'Académie quand il la montra. Lui qui met toujours les choses au pis, dit tout franc que c'étoit envie, et que M. le cardinal leur fît dire que cela n'étoit pas bien de témoigner ainsi de l'aigreur, et qu'il falloit reprendre avec un esprit de douceur et de charité. On dit qu'il prit cela de travers, et quand on lui dit sur ce vers aux Muses: Allez sur les bords de Céphise, qu'il n'avoit rien à commander aux neuf doctes soeurs, ce ne fut que pour rire et le faire donner dans le panneau. Il croit toujours qu'il a mille ennemis qu'il n'a point. Il m'a dit que, de rage de ce que l'_Endymion_ réussissoit, un homme l'avoit jeté dans le feu. Son caractère est l'obscurité, et cependant il croit être l'homme du monde le plus clair. Il fut si têtu qu'il ne voulut jamais ôter du commencement de ses poésies ce sonnet que l'on n'entend pas, et qui n'a pas servi au débit de son livre; il l'entendoit lui, «et puis, disoit-il, je l'ai fait pour être à la tête.» Il y avoit je ne sais quoi, comme une espèce d'avant-propos, qu'il vouloit que M. d'Enghien prît pour une épître dédicatoire, quoiqu'il ne le nommât point, et que cela ne lui fût point adressé. Ses vers pour l'ordinaire ne vont point au coeur; ils ne sont point naturels; puis il y a un grand nombre de sonnets, et pour bien rimer il tire souvent les choses par les cheveux. Ses vers de ballets et ses épigrammes valent mieux; mais ce qu'il a fait de meilleur en vers et en prose, ce sont ses ouvrages chrétiens. Il n'y a ni sel ni sauge à ses lettres imprimées qu'il croit être autant de chefs-d'oeuvre. Je crois que c'eût été un grand personnage s'il eût été évêque; aussi M. de Vence lui voulut-il un jour transporter son évêché, «et je suis assuré, lui dit-il, que je n'y perdrai pas[428].» Ce qui l'a le plus rebuté ç'a été de voir que ses _Danaïdes_[429] eussent si mal réussi; elles eussent été plus propres à Athènes qu'à Paris. Le libraire le pensa faire enrager, en lui disant: «Pour vos _Danaïdes_, elles passeront avec vos autres ouvrages.» Madame Cornuel disoit en sortant: «Je veux demander la moitié de mon argent; je n'ai entendu tout au plus que la moitié de la pièce.» C'est tout ce qu'il pourra faire que de vivre; son petit volume d'_Épigrammes_ réussit mieux. Il n'a jamais voulu imprimer _les Danaïdes_; le cardinal les voulut oüir. Bois-Robert avoit étourdiment donné rendez-vous à Cerisay[430], qui avoit fait la moitié d'une tragi-comédie qu'il n'acheva point, et à Gombauld tout ensemble, et quand ce vint à lui, le cardinal étoit las d'entendre lire. C'est le plus cérémonieux et le plus mystérieux des hommes. Il a découvert, dit-il, le secret de faire des sonnets facilement, et s'il l'eût su plus tôt, il en eût autant fait que Pétrarque. Il n'a garde de le dire ce secret, car je crois qu'il n'en a point; quand il lui est arrivé d'en faire un en commençant par la fin, il dit que c'est ainsi qu'il faut faire; quand, au contraire, il n'a fait la fin qu'après tout le reste, il soutient qu'il ne faut jamais commencer par la conclusion. Il sait aussi un secret pour jeter son homme à bas à la lutte; il en sait un autre pour lui faire sauter le poignard des mains, mais il ne vous le dira pas. Il a cru que M. Arnauld, le mestre-de-camp, lui a toujours voulu un peu de mal depuis qu'aux champs il lui donna une botte en faisant des armes. Il s'est battu, dit-il, quatre fois en duel; il disoit même qu'il s'étoit battu deux fois en une heure, et, parlant de cela avec plaisir, il s'en vantoit. S'étant trouvé à la campagne en lieu où l'on couroit la bague, il gagna le prix sans l'avoir jamais courue. Il se piquoit de bien danser[431] et de bien faire des armes; et souvent il lui est arrivé de _pantalonner_, et de se mettre en garde devant ses plus familiers. Une fois même il se battit dans la rue: c'étoit contre un homme qui l'avoit querellé sur un logement qu'ils prétendoient tous deux; il lui dit: «Passez à telle heure devant ma porte, je sortirai avec une épée.» Il fit lâcher le pied à l'autre, et il disoit en racontant cela: «Quoi! cet homme qui choisit les pavés, qui marche si proprement! Il poussoit l'autre dans la boue et ne se soucioit pas de se crotter.» Ils furent séparés. Il dit qu'il auroit inventé la musique de lui-même, si elle n'avoit été inventée. En effet, il a appris à jouer de la mandore[432], et en jouoit admirablement bien, à ce qu'on m'a dit; mais comme cet instrument n'est plus guère en usage, il l'a laissé là; auparavant même il falloit bien des cérémonies pour le faire jouer. Madame de Rambouillet l'appeloit _le beau Ténébreux_. J'ai dit qu'il étoit cérémonieux. Madame de Rambouillet se repentit de l'avoir mené[433] en une promenade à Lisy, à Monceaux et ailleurs; car il falloit livrer bataille toutes les fois qu'on se mettoit à table ou qu'on montoit en carrosse. En effet, il est très-incommode sur ce chapitre-là, et croit avoir dit une belle chose quand il a répondu à ceux qui lui disent qu'il est trop cérémonieux: «Ce n'est pas que je le sois trop, mais c'est qu'on ne l'est pas assez à présent.» A table, il seroit plutôt tout un jour à frotter sa cuillère que de toucher le premier au potage. Je sais toutes ses façons, car je l'ai mené et le mène encore quand je puis à Charenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fond, parce que, disoit-il, les gueux le prendroient pour le maître du carrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémonie, c'est qu'il ne se fait jamais attendre; mais il est si peu comme les autres gens, et il vous embarrasse tellement par la peur de vous embarrasser, qu'il faut avoir de la charité de reste pour s'en charger. Il est propre jusqu'à marcher proprement; il veut choisir les pavés et aller seul. Madame de Rambouillet dit qu'il n'y a rien de plus plaisant que de voir son embarras quand quelque dame le salue par la ville. Il veut la reconnoître; il veut faire la révérence de bonne grâce, et en même temps il veut prendre garde à ses pieds; tout cela ensemble lui fait faire une posture assez plaisante. On lui a fait deux méchans tours en sa vie, l'un le prenant pour un autre, et l'autre pour rire. Le premier ce fut quand on le prit pour ce fripon de Combault, père du baron d'Auteuil. Le commissaire, un petit coquin, lui dit qu'il falloit aller parler à M. le lieutenant civil. C'étoit du temps qu'on avoit tué le duc de Fronsac devant Montpellier, et que les Huguenots couroient quelque péril à Paris. Il étoit au lit; il se lève, on le mène; le créancier étoit là auprès qui reconnut la bévue. Notre homme, maltraité par le commissaire qui lui avoit fait mille insolences, lève la main pour lui donner un soufflet, mais un sergent la lui retint. Le créancier lui demanda pardon le ventre à terre. La seconde fois voici ce que ce fut. Lui et Boutard étoient tous deux amoureux d'une mademoiselle de Gouy, fille d'esprit. Un jour Gombauld avoit un bas de soie vert de mer: on s'en étonna; et entre autres, Boutard, qui le vouloit décrier, plaisanta fort sur ce bas de soie: «Hé! dit-il, savez-vous bien que c'est la couleur de la mer, des cieux, de l'arc-en-ciel, etc.?» En ce temps-là, Videl, secrétaire du connétable de Lesdiguières (celui qui en a écrit la vie), faisoit un méchant roman nommé _Mélante_, et demandoit à tout le monde quelque aventure pour y fourrer. Boutard lui dit qu'il y falloit mettre un Traité des couleurs, et qu'il lui fourniroit de belles pensées sur le vert de mer. Il fait après que mademoiselle de Gouy les demande au long par écrit à Gombauld. Boutard en prend copie, et les donne à Videl, qui les imprime mot pour mot. Boutard, voyant cela, fait un placard, qu'il fait imprimer et afficher au coin de la rue où logeoit Gombauld. Voici ce qu'il contenoit: _Quiconque aura trouvé un sac à conceptions où il y a des pensées sur le vert de mer, le porte à Jean Gombauld, Xaintongeois, logé rue des Etuves, à l'enseigne du Barillet, à la troisième chambre, il aura un écu pour son vin_. Racan s'en alla bonnement voir Gombauld: «Je viens vous consoler, lui dit-il.--Moi? il ne m'est, grâce à Dieu, rien arrivé,» répond gravement Gombauld, et comme un homme surpris de ce compliment. «Hé! quoi! reprit l'autre, n'avez-vous pas perdu votre sac à conceptions?» Voilà comme Gombauld sut qu'on l'avoit joué. Boutard, qui est une peste, ne s'en tint pas là, car il entreprit de prouver que Gombauld, qui se piquoit de n'aimer qu'en bon lieu, cajoloit une petite cale[434] crasseuse; que fait-il? Il gagne cette cale et la fait aller dans la chambre de Gombauld comme il étoit dans un petit cabinet; Boutard y fait entrer cette fille, et puis les y enferme tous deux; après il fait venir un homme qui étoit à mademoiselle de Gouy, et, ouvrant le cabinet, lui fait voir Gombauld et la cale; à la vérité il ne les y laissa pas long-temps. Notre homme s'en fâcha tout de bon, mais enfin il fallut bien s'apaiser. A sa mode il cajole tout ce qu'il rencontre. Je lui ai vu dire des douceurs à notre femme de charge, qui n'étoit ni jeune ni avenante. La femme de Courbé[435] alla chez lui un jour; il n'y a pas d'araignée au monde qui ne soit plus jolie qu'elle; il lui en conta, et après il disoit: «Je vous assure, elle écoute bien.» Il cajole à mon goût d'une façon qui n'est nullement naturelle, ou, si elle l'est, ce n'est qu'à lui seul; cependant il croit raffiner, et a toujours la cour à la bouche, mais la belle cour, et pour celle-ci il dit de la plupart des femmes qu'il voit: «Elles auroient besoin de deux ans de cour.» Une de ses plus grandes foiblesses, c'est de craindre qu'on ne le traite de gueux. Il n'a jamais voulu que ses amis l'assistassent, et une fois depuis la régence, car le feu Roi, après la mort du cardinal de Richelieu, raya de sa main toutes les pensions, on fut contraint de le quêter, et après on lui fit accroire qu'on avoit trouvé moyen de toucher cela de l'argent du Roi. Ce n'est pas que je trouve étrange qu'il ne veuille pas recevoir indifféremment de ses amis; mais je voudrois qu'il choisît entre tous, et qu'il regardât s'il y en a quelqu'un à qui il veuille avoir une si grande obligation: mais il n'en veut pas prendre le soin, et s'attache un peu trop à la Providence. Il a vendu quelques ouvrages. J'ai aidé autant que je l'ai pu à faire quelque chose pour lui; mais M. d'Agaury[436] y a plus servi que personne, jusqu'à cette heure, ou peu s'en faut, par le moyen de quelques affaires, il lui faisoit avoir quelque chose de sa pension. Un peu avant le blocus de Paris, Chapelain et Esprit, voyant que madame de Longueville goûtoit fort ses ouvrages, firent en sorte que, du consentement de M. de Longueville, elle offrit de lui donner six cents livres de pension, autant que je puis m'en souvenir. Le bonhomme, qui en avoit besoin, n'en vouloit pas, lui pourtant qui n'avoit que les deux cents écus du sceau: ce n'étoient pas bienfaits du Roi; on eut une peine enragée. Il appeloit cela une servitude. Il disoit que jusque là il avoit pu se vanter qu'il avoit été libre, qu'il étoit l'homme libre du Roi, et que c'étoit, s'il l'osoit dire, en cette qualité-là qu'il en recevoit pension. On découvrit que ce qui le fâcha le plus, c'étoit de n'avoir que six cents livres où M. Chapelain avoit deux mille francs, et qu'il eût été plus satisfait qu'on eût mis quatre cents écus, et qu'on ne lui en eût donné que deux cents. Il fit des vers à la femme et au mari, et il a eu bien mal au coeur d'avoir fait, ce lui semble, des lâchetés ou des bassesses sur rien. Conrart le traita comme un enfant; car c'est un homme hargneux; depuis, Gombauld ne l'a aimé en façon quelconque[437], et d'autant plus qu'il n'a jamais touché un sou de cette belle pension, et que, durant le blocus, madame de Longueville ne s'informa pas seulement si le bonhomme avoit du pain. Le chancelier, cette fois, fit l'honnête homme, car de Saint-Germain il eut soin de lui faire payer sa pension. Gombauld l'en remercia en vers, et c'est une des meilleures choses qu'il ait faites. Pour moi, je le sers de tout mon coeur, car je sais que toutes les grimaces qu'il fait ne viennent que d'un bon principe, qu'il a du coeur et de l'honneur, et ne feroit pas une lâcheté pour sa vie. C'est un homme à sécher auprès d'un sac d'argent qu'on lui auroit mis sous son chevet, s'il croyoit qu'on le prend pour un gueux. Il se plaint sans cesse, et quelquefois de bagatelles, car il a une grande santé. Il m'a conté vingt fois comme une adversité terrible, que la pluie l'avoit pris en revenant de chez M. Conrart. M. de Châteauneuf ayant eu les sceaux, sa pension sur le sceau fut rétablie à la prière de mesdames de Chaulnes-Villeroy, Rhodes, Bois-Dauphin et Leuville[438]. Il fut fort empêché comment les louer toutes les quatre: «On dira, disoit-il, que c'est un _quatorze de dames_[439].» Ce fut Conrart qui l'avertit que le trésorier du sceau avoit de l'argent à lui donner de la part de M. de Châteauneuf: il y fut. Conrart lui demanda: «Hé bien?--Ce trésorier brutal, répondit-il, m'a voulu faire accroire que je ne savois pas écrire. Il m'a dit...--Mais avez-vous touché?--Il n'y a que moi qu'on traite ainsi!...--Mais avez-vous touché?» On eut bien de la peine à lui faire dire oui. Cet homme lui avoit dit qu'il n'y avoit pas de sens à sa quittance; elle n'étoit pas à sa mode. «J'ai honte, disoit-il, d'avoir reçu seul; d'autres qui le méritent mieux n'ont rien eu: il me semble que je leur escroque.» Il est un peu infatué du Parnasse, et répondant en qualité de directeur de l'Académie à la harangue de l'abbé Tallemant qu'on recevoit, il lui dit: «Qu'il pouvoit désormais regarder les autres hommes, comme les yeux du ciel regardent la terre.» Pellisson, qui a fait peindre quasi tous ses amis, vouloit avoir son portrait; jamais on n'en put venir à bout. Madame de Rambouillet l'en pressa en vain. Il dit: «Que Du Moustier[440] en avoit fait un autrefois, qui étoit l'ombre infernale de Gombauld. Cependant Du Moustier disoit en le montrant: «Voilà le divin Gombauld;» et on disoit que Du Moustier étoit _Pisandre_ dans l'_Endymion_. Il disoit que ce seroit la décrépitude de Gombauld, et il a dit à madame de Rambouillet qu'il n'avoit pas dormi depuis qu'elle l'en avoit pressé, et que, si elle continuoit, il se priveroit plutôt du plaisir de la voir, qui étoit la seule consolation qu'il eût au monde. Par bonheur pour lui, Pellisson est entré chez le procureur général (1657)[441], et il a trouvé moyen par son crédit de lui faire payer sa pension. On espère de la lui faire payer tous les ans. Pour le chancelier, il y a cinq ans qu'il lui fait dire qu'il aura soin de lui, mais qu'on a diverti les fonds du sceau. Cependant il en trouve bien pour Mézeray, parce qu'il a peur que cet homme ne parle pas bien de lui dans son histoire. En 1658, après la maladie du Roi, il fit un sonnet qu'il ne voulut jamais donner, quoiqu'il fût beau, à quelque chose près, disant qu'il ne vouloit pas que la première chose que le Roi verroit de lui ne fût pas achevée, comme si le Roi s'y connoissoit, ou ceux qui l'approchent. Pellisson, qui le fait subsister par le moyen du surintendant Fouquet, à qui il est, ne put l'obtenir: on eut beau l'en presser. Cependant il en a fait imprimer cent qui valent moins. Je ne l'ai jamais vu si poète, pour ne rien dire de plus, qu'en cette rencontre. Il pesta contre tout le monde et contre Pellisson même, ou peu s'en fallut. J'y découvris de l'envie: «On paie si mal des vers immortels! disoit-il; un sonnet immortel que je fis pour M. Servien, que m'a-t-il valu?» et, pour toute raison, quand je le pressois de donner de temps en temps à Pellisson quelque chose qui ne fût pas imprimé, pour entretenir le surintendant en belle humeur pour lui, il me répondoit que ce même esprit qui lui faisoit faire ces sonnets immortels l'empêchoit de faire ce que je lui conseillois. Il veut qu'on le reprenne, puis il enrage, et dit qu'il y a des gens qui élèvent témérairement des nuages de difficultés. Une Italienne, nommée Foscarini, qui sert madame de Rambouillet, voyant un jour les grimaces de cet homme, dit, quand il fut parti: «_Signora, è matto quel uomo_?--Comment _matto_! c'est un des plus sages, hommes du monde.--_Pensava che fosse matto_,» répondit-elle. J'ai déjà dit que c'étoit un huguenot à brûler. Il a écrit plusieurs petites pièces de controverse, et il croit, s'il osoit les imprimer, que cela persuaderoit tout le monde. Un jour il dit, à propos d'ouvrages chrétiens, à un de mes beaux-frères, qu'il avoit fait une fois des prières assez belles pour croire qu'elles lui avoient été inspirées, et qu'en effet il n'avoit jamais rien fait qui en approchât. «Une nuit, disoit-il, que je n'avois point dormi, j'entendis sur le point du jour un grand bruit dans ma cheminée; c'étoit l'été, il n'y avoit point de feu; je me lève, j'y trouve une fort grosse et une fort belle plume de pigeon: je la taillai et j'en écrivis ces prières.» Il vouloit qu'on crût que le Saint-Esprit y avoit part. Après, il s'avisa que c'étoit une extravagance, et pria ce garçon de n'en rien dire. Il ajouta que ce qu'il avoit écrit un jour sur _Notre Père_[442] avec cette même plume, tomba dans le feu, comme si ses mains eussent été de beurre, et que ces papiers se consumèrent tous en un instant. A propos de religion, il est si emporté sur cela qu'il trouve que madame de Rambouillet a tort d'être si bonne catholique. Un jour qu'il étoit avec elle, il s'enfuit en voyant arriver de jeunes femmes qu'il connoissoit fort, en disant «qu'il faisoit peur à la jeunesse.» D'autres fois il leur contera fleurettes. Logé avec les Beaubrun, peintres, qui ont deux femmes assez raisonnables, ils lui voulurent donner à souper. Il ne voulut point y aller que le repas ne fût commencé, et leur fit bonne chère. Il délogea de chez un chirurgien, auprès des Beaubrun, à cause de sa servante. C'est une fille fière comme une princesse, et qui a quelque chose de démonté, ou je suis le plus trompé du monde. Elle n'est pas trop mal faite. Je ne sais ce qu'il y a, mais le bonhomme a dit à madame de Rambouillet qu'il connoissoit une pauvre fille pour qui trois hommes étoient morts d'amour: il y a apparence que c'est celle-là. Elle cause fort, et c'est quelque divertissement pour lui. Or, cette fille a la tête près du bonnet; elle dit quelque chose de travers au chirurgien; le bonhomme entendit du bruit, descendit; il trouva que son hôte avoit donné quelque horion à cette fille; cela le mit en colère, il le frappa. Le chirurgien fut assez sage pour ne pas riposter. C'est pour cela qu'il délogea. Bien des gens tâchèrent de le désabuser de cette fille qui le pilloit, mais on n'en put venir à bout; elle étoit maîtresse absolue, et excluoit qui il lui plaisoit. Une fois elle chassa La Mothe Le Vayer, le prenant pour un ministre. Elle surprit une lettre de Conrart, où il la déchiroit; elle la garda, et dit qu'il étoit bien obligé à sa goutte, car sans cela elle lui feroit donner le fouet par la main du bourreau. On ne savoit même si ce bon homme ne l'avoit point épousée. Enfin, il mourut après avoir été long-temps incommodé d'une chute qu'il fit dans sa chambre. Il a confessé en mourant qu'il avoit quatre-vingt-seize ans. On lui avoit fait donner quelque subvention de bel esprit par M. Colbert[443]. Madame Marie se garda bien de faire venir des prêtres, car il lui eût coûté à le faire enterrer, et elle étoit légataire universelle. Dans notre religion il ne coûte quasi rien à mourir; ce fut la raison pourquoi le lieutenant criminel Tardieu laissa mourir sa belle-mère huguenote[444]. Ménage demanda un jour à cette fille si décidément elle étoit mariée avec M. de Gombauld. «Moi, répondit-elle, monsieur! Hé! que voudriez-vous que je fisse de cet homme-là? J'ai plus de bien que lui.» Elle avoit raison, car elle lui avoit pris tout ce qu'il avoit. Pellisson étant entré chez M. Fouquet, eut soin de lui faire payer quatre cents écus tous les ans, et lui fit donner cent louis d'or pour avoir dédié _les Danaïdes_ au surintendant: mais, depuis la détention de M. Fouquet, il tomba dans une grande pauvreté. Il fit pour le carrousel du Roi quelque chose; on se servit de cela auprès du comte de Saint-Aignan, qui lui envoya cinquante pistoles de son argent, en attendant qu'il pût faire quelque chose pour lui. Cela lui vint fort à propos, car il s'étoit laissé tomber dans sa chambre de sa hauteur, et s'étoit tout froissé il y a cinq ou six ans; de sorte que, depuis cette chute, il est toujours au lit, et l'on ne croit pas qu'il en relève. On tâchoit à lui faire avoir une subsistance en quêtant ses amis; mais personne ne se pouvoit résoudre à remettre l'argent entre les mains de madame Marie, sa servante, que, depuis quelque temps, il appelle lui-même madame Marie. Elle le vole, lui a fait faire une déclaration que ses meubles ont été achetés de l'argent de cette fille, ce qui est faux, et a tiré de lui quelques promesses. Elle est maîtresse absolue; on dit qu'elle prête sur gage. Sur ce qu'elle avoit dit qu'elle feroit donner le fouet à M. Conrart, pour maintes choses qu'il avoit dites contre elle, quelqu'un lui dit: «Il faudra donc qu'on le mette sur la charrette, car il ne sauroit marcher, il est trop goutteux.» Enfin, M. de Montausier, qui vouloit donner cent écus par an, voyant que la contribution ne pouvoit avoir lieu, s'avisa d'en parler à M. Colbert, à qui Ménage en parla aussi ensuite à la prière du bonhomme, et M. Colbert lui envoya une ordonnance de quatre cents écus dont il fut payé. Les derniers ouvrages de Gombauld, qui ne sont pas les meilleurs, sont entre les mains de M. Conrart[445]. [422] Jean Ogier de Gombauld, de l'Académie françoise, mourut nonagénaire, en 1666. [423] Jacques Du Blé, marquis d'Uxelles, gouverneur de Châlons, mourut en 1629. C'est le père du maréchal de ce nom. [424] Du roi Louis XIII. [425] _Endymion_; Paris, 1624, in-8º. [426] En ce temps-là un garçon de Blois, nommé Duvivier, avoit fait une comédie en vers où il y avoit tous les idiômes de France; le gascon, qui étoit, comme vous pouvez penser, un capitan, disoit qu'il étoit aimé de toutes les belles; et parlant des déesses, il dit de la lune: Mais elle loge un peu bien haut, Et puis je la laisse à Gombauld. (T.) [427] _Amaranthe_, _pastorale_ en cinq actes et en vers, avec des choeurs et un prologue, dédié à la Reine mère du Roi; Paris, 1631, in-8º. (_Voy._ la _Bibliothèque du Théâtre-François_ du duc de La Vallière, t. 2, p. 300.) [428] Ce passage est bien extraordinaire. Godeau, évêque de Vence, ne pouvant conserver l'évêché de Grasse avec celui de Vence, essaya de traiter du premier, et il y parvint; mais comment a-t-il pu penser à le proposer à Gombauld, qui, comme le dit Tallemant, étoit _huguenot à brûler_? Il suffit de parcourir les _Traités et Lettres_ de Gombauld, _touchant la religion_, pour avoir la démonstration qu'il n'admettoit que la religion de Luther et de Calvin. Ces Traités sont contenus dans un petit volume assez rare, dont Conrart a été l'éditeur. Il porte au frontispice la sphère, comme quelques Elzévirs, et il a été imprimé à Amsterdam, 1669, petit in-12. [429] _Les Danaïdes, tragédie_, par M. de Gombauld; Paris, Courbé, 1658, in-8º. Cette pièce est dédiée au surintendant Fouquet. [430] On lit Serisay au manuscrit. Ne seroit-ce pas Habert, abbé de Cerisy, que Tallemant auroit voulu désigner? [431] Il a bien dansé, à ce qu'il dit; pour moi je ne lui trouve rien de naturel, et mademoiselle de Rambouillet dit que, quoiqu'il chante de sa vieille cour, les gens n'étoient point faits comme lui, et qu'il a toujours été unique en son espèce; j'entends aux habits près. (T.) [432] C'étoit une espèce de petit luth à quatre cordes. (_Dictionnaire de Trévoux._) [433] Chez M. de Montlouet d'Angennes. On verra sa manière de conversation par ce que M. de Montlouet m'a dit: «Gombauld disoit que c'étoit le pays du diable, à cause que la rivière s'appelle Ourque, _Orcus_; Cussy là auprès, c'est le Cocyte, parce qu'il y a une terre qui se nomme Averne.» (T.) [434] On appeloit _cale_, une fille de basse condition, à cause de la cale qui lui servoit de coiffure. Richelet cite cet exemple tiré de Sarrasin: _Voiture a aimé depuis la couronne jusqu'à la cale_. (_Dictionnaire de Richelet._ Genève, 1680.) [435] Augustin Courbé, le libraire-éditeur de Gombauld. [436] Ce nom est incertain dans le manuscrit. [437] Il dit que Conrart et Chapelain sont des cabaleurs. (T.) [438] Benserade y eut beaucoup de part. (_Voyez_ l'article sur _Benserade_.) [439] Expression du jeu de piquet. [440] Célèbre peintre de portraits auquel Tallemant a consacré un article dans ses Mémoires. [441] Le surintendant Fouquet étoit en même temps procureur-général au Parlement de Paris. [442] Sur le _Pater_, l'Oraison dominicale. [443] On lit dans l'état des gratifications faites par Louis XIV aux savants et hommes de lettres pour l'année 1664: Au sieur Gombauld, bien versé dans la poésie, et pour l'obliger de continuer son application aux Belles-Lettres. . . . . . 1200 fr. La mention est portée dans l'état de l'année 1665. Cette pièce a été publiée par les bibliophiles françois dans leur volume de 1826. M. Bérard en est l'éditeur. Gombauld mourut en 1666. [444] Ce trait d'avarice du lieutenant criminel Tardieu a été oublié par Despréaux, qui, dans sa dixième satire, a si bien peint le couple ridicule. [445] Conrart a publié les _Traités et Lettres de feu M. de Gombauld, touchant la religion_. (_Voy._ plus haut la note 428 de la p. 385). Conrart est l'auteur de l'avertissement qui précède ces Traités. (_Voyez_ la Notice sur Conrart à la tête de ses _Mémoires_, dans la deuxième série de la _Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France_, tome 48, page 25.) CHAPELAIN[446]. Chapelain est fils d'un notaire de Paris: il fut précepteur-gouverneur de MM. de La Trousse, fils du grand-prévôt. Boutard dit qu'il portoit une épée pour faire le gouverneur, et même depuis, quoiqu'il ne fût plus chez ces Messieurs, il ne laissoit pas de la porter. Ses parens, ne sachant comment la lui faire quitter, prièrent Boutard de lui en parler; mais au lieu de cela il s'avisa d'une bonne invention. Il fit que quelqu'un, qui feignoit d'avoir été appelé en duel, prit Chapelain pour son second, qui, dès ce moment-là, pendit son épée au croc. Il fut introduit à l'hôtel de Rambouillet[447], vers le siége de La Rochelle. Madame de Rambouillet m'a dit qu'il avoit un habit comme on en portoit il y avoit dix ans; il étoit de satin colombin, doublé de panne verte, et passementé de petits passemens colombin et vert à oeil de perdrix. Il avoit toujours les plus ridicules bottes du monde et les plus ridicules bas à bottes. Il y avoit du réseau au lieu de dentelle. Depuis, il ne laissa pas d'être aussi mal bâti en habit noir: je pense qu'il n'a jamais rien eu de neuf. Le marquis, de Pisani, en je ne sais quels vers qu'on a perdus, disoit: J'avois des bas de Vaugelas Et des bottes de Chapelain. Quelque vieille que soit sa perruque et son chapeau, il en a pourtant encore une plus vieille pour la chambre, et un chapeau encore plus vieux. Je lui ai vu du crêpe à la mort de sa mère, qui, à force d'être porté, étoit devenu feuille-morte. On lui a vu un justaucorps de taffetas noir moucheté; je pense que c'étoit d'un vieux cotillon de sa soeur avec qui il demeure. On meurt de froid dans sa chambre: il ne fait quasi point de feu. Feu Luillier[448] disoit de lui qu'il étoit vêtu comme un maquereau, et La Mothe Le Vayer comme un opérateur, laid de visage, petit avec cela, et crachottant toujours. Je ne comprends pas comment ce diseur de vérités, cet homme qui rompt en visière, M. de Montausier, en un mot, n'a jamais eu le courage de lui reprocher sa mesquinerie. Souvent je lui ai vu à l'hôtel de Rambouillet des mouchoirs si noirs que cela faisoit mal au coeur. Je n'ai jamais tant ri sous cape que de le voir cajoler Pelloquin, une belle fille qui étoit à madame de Montausier, et qui avoit bien la mine de se moquer de lui, car il avoit un manteau si usé qu'on en voyoit la corde de cent pas; par malheur encore c'étoit à une fenêtre où le soleil donnoit, et elle voyoit la corde grosse comme les doigts. Chapelain a toujours eu la poésie en tête, quoiqu'il n'y soit point né; il n'est guère plus né à la prose, et il y a de la dureté et de la prolixité à tout ce qu'il fait. Cependant, à force de retâter, il a fait deux ou trois pièces fort raisonnables: le _Récit de la Lionne_[449], la plus grande partie de _Zirphée_, et la principale, l'ode au cardinal de Richelieu, que je devois mettre la première. MM. Arnauld (car il cajoloit jusques au docteur qui étoit alors au collége); et quelques autres de ses amis, lui firent faire tant de changements à cette pièce, qu'elle parvint à l'état où on la voit, et sans difficulté c'est une des plus belles de notre langue[450]. J'y trouve pourtant trop de raison, trop de sagesse, si j'ose ainsi dire: cela ne sent pas assez la fureur poétique, et peut-être elle est trop longue. Il avoit déjà fait quelque chose de _la Pucelle_ en ce temps-là. M. d'Andilly, voyant l'approbation qu'avoit eue cette ode, se voulut servir de l'occasion de faire quelque chose pour lui. Un soir il lui demanda les deux livres de _la Pucelle_ qui étoient faits. Lui crut que ce n'étoit que pour les lire à loisir, et les lui donna. Ce n'étoit pas seulement pour cela, car il avoit fait entendre par le moyen de sa soeur, mademoiselle Le Maistre, à madame de Longueville, et ensuite à son mari, de quelle importance il lui étoit pour l'honneur de sa maison que ce poème s'achevât. Or, cette mademoiselle Le Maistre étoit fort bien dans l'esprit de l'un et de l'autre, et jusque là que madame de Longueville étant obligée d'aller à Lyon, où M. le comte[451] fut aussi malade que le feu Roi, elle confia sa fille, qui étoit le seul enfant qu'elle eût[452], à mademoiselle Le Maistre, retirée dès ce temps-là à Port-Royal, avec sa soeur, où depuis elle prit l'habit et est morte religieuse. Au retour de Lyon, madame de Longueville court vite voir sa fille; mademoiselle Le Maistre la lui pensa rendre. «Non, dit-elle, je n'ai personne encore pour en avoir soin; faites-moi la grâce de venir avec moi pour quelque temps.» Elle y fut un an. Pour revenir à M. Chapelain, M. de Longueville vit les deux livres, en fut charmé, et dit à M. d'Andilly qu'il mouroit d'envie d'arrêter M. Chapelain. On lui en parle; il dit qu'il étoit engagé à la cour pour secrétaire de l'ambassade de M. de Noailles à Rome[453]: mais, quelque temps après, ce M. de Noailles lui ayant fait une brutalité, il le planta là, dont l'autre pensa enrager, et remua ciel et terre pour le ravoir; mais Bois-Robert le servit auprès du cardinal de Richelieu, qui croyoit lui être obligé à cause de son ode. M. de Longueville apprend cela, et fait que M. Le Maistre, l'avocat, lui mène M. Chapelain, et après avoir causé quelque temps ensemble, M. de Longueville entre dans son cabinet avec M. Le Maistre, tire d'une cassette un parchemin, demande le nom de baptême de M. Chapelain, et en remplit le vide. M. Le Maistre, en s'en retournant, dit à Chapelain dans le carrosse: «Voilà un parchemin où il y a quelque instruction pour votre dessein touchant le comte de Dunois.» M. Chapelain le prend, et, arrivé chez lui, trouve que c'étoit un brevet de deux mille francs de pension sur tous les biens de M. de Longueville, sans obliger M. Chapelain à quoi que ce soit. Dans la maison il y avoit eu bien du _bisbiglio_; le secrétaire disoit: «J'ai expédié un brevet de telle façon, mais le nom est en blanc: pour qui est-ce?» Bois-Robert voulut en ce temps-là faire donner à Chapelain six cents livres de pension sur le sceau. Chapelain, qui se voyoit trois mille livres de pension, en comptant celle de mille livres du cardinal, mais qui n'étoit pas à vie, le pria, à ce qu'il dit, mais j'en doute, car il étroit furieusement avare, de la faire donner à Colletet; ce qu'il fit. Chapelain, par le moyen de ces messieurs Arnauld, se rendit bientôt familier à l'hôtel de Rambouillet, où ils l'avoient mené. Il fit _la Couronne impériale_, qui fut une des premières fleurs de _la Guirlande de Julie_; ensuite il fit le _Récit de la Lionne_, qui n'est qu'une fiction; il l'envoya à mademoiselle Paulet par un laquais de M. Godeau. On crut bien que M. Chapelain avoit envoyé ces stances; mais on crut que M. Godeau les avoit faites à cause de la grande amitié qui étoit entre mademoiselle Paulet et lui. Il étoit alors à Dreux: on lui en écrit de toutes parts, il s'en défend. Mademoiselle Paulet fut ensuite à Mézières, où elle le rencontra. Elle le prend au collet, en lui disant: «Petit homme, vous avouerez tout-à-l'heure que c'est vous qui avez fait les vers de la Lionne;» mais cela ne servit de rien. Assez long-temps après, comme M. Chapelain étoit avec mademoiselle de Rambouillet, ils viennent à parler de cela, et elle, lui pensant dire la chose du monde la plus éloignée de la vraisemblance: «C'est M. Godeau ou vous qui avez fait cette pièce.--Eh! oui, lui répondit-il, c'est moi qui l'ai faite; je ne l'ai jamais nié.» Elle pensa tomber de son haut. «Je vous tromperai, lui dit-il encore, prenez-y garde.» En effet, il n'y manqua pas, car, quelque temps après, il fit _l'Aigle de l'empire à la princesse Julie_. Cette pièce fut envoyée à mademoiselle de la Brosse, une des filles de madame la Princesse. Elle étoit écrite de la main de M. Chapelain, mais en caractères qui imitoient l'impression. M. Godeau dit brusquement que cela ne valoit pas grand chose. Il disoit plus vrai qu'il ne pensoit. On les montre à M. Chapelain, qui, pour mieux jouer son jeu, dit en prenant le papier: «Cela est donc imprimé?» On lui demande laquelle il aimeroit mieux avoir faite de cette pièce ou de _la Couronne impériale_, qui est à peu près sur le même sujet: il ne veut point décider; mais M. le marquis de Rambouillet décide, et dit: «Qu'il aimeroit mieux avoir fait cette ode.» M. Godeau, sur cela, change d'avis. Ils craignirent au commencement qu'il n'y eût de la raillerie touchant cet amour en l'air du roi de Suède[454], car sur ce que mademoiselle de Rambouillet avoit témoigné une grande estime pour le roi de Suède, on lui avoit fait la guerre qu'elle en étoit amoureuse, et Voiture lui avoit envoyé une lettre au nom de ce roi[455], avec son portrait, par quelques gens habillés en suédois. A propos de cela, la comtesse de Châteauroux, dont nous parlerons ailleurs, un jour, à l'hôtel de Condé, comme mademoiselle de Rambouillet avoit un noeud de diamants que le roi d'Espagne avoit donné à M. de Rambouillet, préoccupée de cette amourette, entendit le roi de Suède, au lieu du roi d'Espagne, et le dit partout. Ce fut ce qui fit venir la pensée à Voiture d'envoyer ce portrait et cette lettre. Depuis, sur la mort de ce grand prince, M. d'Andilly et M. Godeau firent des galanteries à mademoiselle de Rambouillet. Enfin, comme on ne savoit où on en étoit, et qu'on ne pouvoit deviner qui avoit fait cette pièce, ils firent réflexion sur ce que Chapelain s'étoit vanté de les tromper encore, et lui envoyèrent Chavaroche[456] lui demander s'il n'avoit point fait _l'Aigle de l'empire_, aussi bien que _le Récit de la Lionne_. Il l'avoua sur l'heure aussi ingénuement que l'autre fois. Après, madame de Rambouillet s'en vengea. M. de Saint-Nicolas, aujourd'hui M. d'Angers[457], avoit envoyé à M. Chapelain un livre de taille-douce qu'on appelle _I Scherzi del Carracio_; ce sont les frontispices des palais de Gênes. M. Chapelain les prête à madame de Rambouillet. Au même temps, M. de Brienne, sans savoir qu'elle l'eût déjà, lui envoie un autre exemplaire, mais assez mal en ordre, et déchiré en quelques endroits. M. Conrart la vint voir comme elle avoit ces deux livres: «Je vous prie, lui dit-elle, puisqu'ils sont reliés de même, rendez de ma part celui de M. de Brienne à M. Chapelain, pour savoir ce qu'il dira.» M. Conrart le lui porte. Chapelain, en levant les épaules, dit: «Je vous avoue que cela m'étonne: où trouvera-t-on des gens soigneux, si madame de Rambouillet cesse de l'être? Un livre de cette importance, me le renvoyer comme cela!» Conrart, après lui avoir laissé faire tout son _service_, se mit à rire et lui confessa la malice. Une fois Chapelain, m'envoyant un livre espagnol, m'écrivit que j'en eusse bien du soin, et que je savois sa délicatesse sur le chapitre des livres. J'ôte le papier dont ce livre étoit enveloppé, et je trouve que la moitié de la couverture étoit mangée: «Véritablement, dis-je, voilà une délicatesse dont je n'avois jamais ouï parler.» Quand M. de Longueville fut nommé pour aller à Munster, M. de Lyonne fit nommer M. Chapelain pour secrétaire des plénipotentiaires; c'étoit la quatrième personne, et Lyonne devoit avoir cet emploi-là quand le cardinal de Mazarin fut nommé par le cardinal de Richelieu pour y aller. Cela a valu douze mille écus à Boulanger, secrétaire de M. de Longueville. Chapelain alla trouver M. de Longueville, et lui représenta que ce n'étoit pas là le moyen d'achever _la Pucelle_. «Vous ferez bien l'un et l'autre, lui répondit-il.--Mais, monsieur, si je réussis, comme je tâcherai de réussir, êtes-vous assuré que la cour ne m'oblige pas à d'autres choses qui ne s'accordent nullement avec votre poème?--Bien dit, monsieur de Longueville; faites donc que Boulanger ait votre place.» Lyonne fit l'affaire. Depuis, le même Lyonne dit tant de bien de lui au cardinal Mazarin, après lui avoir fait faire une ode de six cents vers à sa louange, qu'il le voulut voir, et lui dit, comme il prenoit congé: «M. de Lyonne vous dira ce que j'ai fait pour vous; c'est si peu de chose que j'en ai honte.» C'étoit cinq cents écus de pension sur ses bénéfices. Il eût coûté trois mille livres pour les lettres de _componenda_[458] à Rome, afin de faire mettre cette pension sur quelque bénéfice. Cela n'étoit pas trop sûr avec le Mazarin. Il aima mieux attendre quelque nouveau bénéfice et faire assigner sa pension dessus; Corbie revint au cardinal à cause que le cardinal Pamphilio se maria; le brevet fut fait au nom du Roi, et la pension assise sur l'abbaye de Corbie sans qu'il en coûtât un sou à Chapelain. M. le cardinal paya la première année de ses deniers; pour les quatre années des troubles, il manda à M. Chapelain qu'il poursuivît les fermiers. Ils montrèrent qu'ils n'étoient que comptables; la guerre avoit mis les bénéfices en non-valeur. Le cardinal rétabli, Chapelain va trouver Colbert[459], pour le prier de savoir du cardinal si son intention étoit qu'il touchât sa pension, et que, si ce ne l'étoit pas, il n'en parleroit jamais. Depuis cela le frère de Colbert lui apporta tous les ans sa pension. Bois-Robert dit qu'en un paiement qu'il fit à M. Chapelain, celui-ci lui renvoya un sou qu'il y avoit de trop. C'étoit pour quelque accommodement de frais de bénéfices. Bois-Robert dit «qu'en ce traité M. Chapelain oublia les obligations qu'il lui avoit.» M. le Prince savoit par coeur toute l'ode que Chapelain fit pour lui; il la portoit dans sa pochette avant qu'elle fût imprimée. Il avoit auparavant entendu lire tous les chants de _la Pucelle_; il avoit dit: «Qu'il falloit faire des vers comme M. Chapelain, ou comme le chevalier de Rivière[460],» qui n'en faisoit qu'en badinant; cependant il n'en a jamais fait le moindre plaisir à M. Chapelain. L'ode du prince de Conti, qu'il fit, dit-il, non par aucun intérêt, mais parce qu'il étoit pleinement persuadé du mérite de ce prince (voyez s'il ne mentoit pas bien, ou s'il ne se connoît pas bien en gens), ne lui produisit rien non plus. Ce n'est pas que le pauvre petit _Principion_ ne lui ait donné des bénéfices; mais pas un n'a réussi. Depuis le blocus (de Paris) tout cela est demeuré là. M. Chapelain est un des plus grands cabaleurs du royaume; il a toujours une douzaine de cours à faire. Il court après un petit bénéfice de cent francs; il en a quelques-uns. Il falloit qu'outre ses pensions il eût de l'argent, car on voit, dans les Lettres de Balzac, qu'il lui a mandé qu'il avoit perdu huit cents écus sur les pistoles rognées, et je sais, pour en avoir vu le contrat, que madame de Rambouillet lui doit plus de seize cents livres de rentes présentement. Voyez quelle richesse a un homme comme lui! Cependant, quelque maladie qu'il ait eue, bien loin d'avoir un carrosse, il n'a jamais eu assez de force sur lui pour faire la dépense d'une chaise, et on dit qu'il n'a rien donné aux enfants de sa soeur quand on les a mariés. Assidu au samedi chez mademoiselle de Scudéry, il néglige tous ceux qui ne cabalent point ou qu'il ne craint pas. Madame de Rambouillet ne le voit guère souvent, non plus que M. Conrart, si M. de Montausier n'est à Paris. Ils rendent ce pauvre marquis tout _parnassien_; en récompense, mademoiselle de Rambouillet ne les aime guère, et madame sa mère les prend bien pour ce qu'ils sont. Une fois Chapelain racontoit qu'une femme du faubourg Saint-Denis, saisie de fureur, avoit coupé la tête à son fils, et, après, l'étoit allée porter à ses voisines, comme si elle eût fait quelque bel exploit; et non content d'avoir dit une charretée de paroles inutiles, il se mit à prendre tous les exemples de l'antiquité, et fut long-temps sur celui de Médée; après, comme il voulut faire la réduction: «Mais celle-ci tue son enfant.....--Et si, ajouta mademoiselle de Rambouillet, on ne lui avoit pas ravi Jason.» Cela fut dit si brusquement qu'il en demeura comme déferré. Jamais homme n'a tant _hâblé_ que celui-là. D'Ablancour ne le peut souffrir; il dit «qu'il bave comme une vieille p.....» Voiture, qui le connoissoit bien, l'appelle dans une lettre _l'excuseur de toutes les fautes_: c'est qu'il cabale en toutes choses, et dit toujours: «Cela n'est pas méprisable.» Il est temps de venir à _la Pucelle_. Je ne m'amuserai point à critiquer ce livre; je trouve qu'on lui fait honneur, et La Mesnardière[461] en cela a rendu le plus grand service à M. Chapelain qu'il lui pouvoit rendre. Pour moi, je suis épouvanté d'un si grand _parturient montes_: après cela prenez les Italiens pour maîtres; allez vous instruire chez ces messieurs. Patru a raison lorsqu'il dit que M. Chapelain n'est sage qu'à l'italienne, c'est-à-dire que la morgue et le flegme font toute sa sagesse. Il sait assez bien notre langue, je veux dire il opine bien sur notre langue; mais il a bien de la superficie à tout le reste: cependant M. de Longueville, dont il avoit tiré quarante-six mille livres, a augmenté sa pension de mille francs. _Sint Mæcenates, non deerunt, Flave, Marones._ D'abord la curiosité fit bien vendre le livre. La grande réputation de l'auteur y fit courir bien du monde; mais ce ne fut qu'un feu de paille, et je ne sais s'il n'espéroit encore quelque augmentation de pension, s'il pensoit à l'achever[462], car il a appelé de son siècle à la postérité; mais je me trompe fort si la postérité a fort les oreilles rompues de cet ouvrage. Après le succès de sa première ode, il crut qu'il n'avoit que faire du conseil de personne: il est retourné à sa dureté naturelle, et pour l'économie, hélas! peut-on avoir rêvé trente ans pour ne faire que rimer une histoire? Car tout l'art de cet homme c'est de suivre le gazetier. Comme le livre étoit cher, on le vendoit quinze livres en petit papier et vingt-cinq en grand (car les auteurs aiment fort le grand volume depuis quelque temps). Il s'avisa d'une belle invention; il associa deux personnes pour ne leur donner qu'un exemplaire au lieu de deux, comme à madame d'Avaugour[463] et à mademoiselle de Vertus[464], sa belle-soeur, qui, quoiqu'elles fussent alors à Paris ensemble, sont pourtant pour l'ordinaire fort éloignées l'une de l'autre, car la première demeure en Bretagne et l'autre ici; comme à M. Patru et à moi, qui sommes logés à une lieue l'un de l'autre; à M. Pellisson et à un de ses amis[465], qui est secrétaire de Bordeaux, ambassadeur en Angleterre. Il en a donné même à quelques-uns à condition de le laisser lire à tel et à tel; mais à ceux qu'il craignoit, à des _pestes_, il leur en a donné un tout entier, comme à Scarron, à Boileau[466], Furetière et autres. Voici encore une sordide avarice et ensemble une vanité ridicule. Il a dit qu'il lui coûtoit quatre mille livres pour les figures, qui, par parenthèse, ne valent rien; cependant il est constant qu'outre cent exemplaires que Courbé lui a fournis, dont il y en a plusieurs qui, à cause du grand papier et de la reliure, reviennent à dix écus et davantage, et cinquante qu'il lui a fallu donner encore et qu'il n'a point payés, il est constant que le libraire lui a donné deux mille livres, et depuis mille livres, quand, pour empêcher la vente de l'édition de Hollande[467], il en a fallu faire ici une en petit, parce que dans le traité il y a deux mille livres pour la première édition et mille livres pour la seconde. Les observations du sieur Du Rivage fâchèrent fort la cabale, et M. de Montausier, en parlant à La Ménardière, qui s'est déguisé sous ce nom-là, dit, après avoir bien parlé contre cet écrit: «Que celui qui l'avoit fait mériteroit des coups de bâton;» et il vouloit qu'on bernât Linière[468] au bout du Cours. C'est un petit fou qui a de l'esprit, et qui, je ne sais par quelle chaleur de foie, a fait des épîtres et des épigrammes contre M. Chapelain, devant et après l'impression de _la Pucelle_. Il y a une épigramme fort jolie qu'on lui a raccommodée; la voici: La France attend de Chapelain, Ce rare et fameux écrivain, Une merveilleuse _Pucelle_. La cabale en dit force bien; Depuis vingt ans on parle d'elle: Dans six mois on n'en dira rien. C'est pour faire voir que beaucoup de gens en étoient désabusés avant qu'on l'imprimât, car il en avoit lu des livres[469] çà et là, en mille lieux. On dit que messieurs de Port-Royal ont été les seuls à qui il a communiqué son ouvrage; mais ou il ne les a pas crus, ou ils ne s'y connoissent guère. Il l'a montré aussi à Ménage, car il le craint comme le feu, et ne manque pas une fois d'aller à son académie, non plus que de visiter bien soigneusement le petit Boileau. Pour revenir à La Ménardière, c'est une espèce de fou qui n'est pas ignorant; mais c'est un des plus méchants auteurs que j'aie vus de ma vie. Il s'avisa dans son livre de vers de mettre en lettres italiques certains mots par-ci par-là; personne ne put deviner pourquoi, car, par exemple, dans un vers il y aura le mot d'_amour_ en ce caractère. Je lui en demandai la raison: «C'est un mauvais conseil, me dit-il, que quelques-uns de mes amis m'ont donné de marquer ainsi ce que je croyois de plus fort dans mes vers.» Saint-Amant, à qui je dis cela, me dit: «Je pensois qu'il eût voulu marquer le plus foible.» Il se plaignoit de M. Chapelain, qui ne lui avoit pas donné son livre, et, qui ne lui avoit pas rendu, disoit-il, ses visites. Il se trouva qu'il n'étoit pas bien fondé; cependant ces sottes plaintes et autres choses firent connoître qu'il étoit le sieur Du Rivage. C'est une vanité enragée; il fit mettre dans la _Gazette_ qu'il avoit traité de la charge de lecteur du Roi. Or, il y eut un procès sur cet écrit de Du Rivage. M. le chancelier, qui n'aime pas Chapelain, parce que Chapelain n'a jamais rien fait à sa louange, comme on parla au conseil de ce livre, dit: «C'est un livre qui rend _la Pucelle_ ridicule.» Cependant, à l'Académie, il fit excuse à Chapelain d'avoir signé le privilége, et dit que ç'avoit été par surprise. Enfin, le procès des deux libraires s'accommoda. M. Chapelain se pique de savoir mieux la langue italienne que les Italiens même. Il perdit pourtant une gageure contre Ménage, au jugement de l'Académie de la Crusca, à qui ils écrivirent tous deux en italien, et qui les fit tous deux de leur corps. Depuis peu il arriva encore une chose plaisante sur l'italien. Raincys avoit fait un madrigal dont voici la fin, car il n'y a que cela de bon: Si vous ne voulez voir que j'aime, Voyez pour le moins que je meurs. Ce monsieur étoit le plus satisfait du monde de son madrigal, et tout le _samedi_[470] en avoit bien battu des mains. Ménage, qui en est un peu, s'avisa pour rire de faire un madrigal italien en style pastoral qui disoit à peu près la même chose; il le donna et dit qu'il l'avoit trouvé dans les _rime_ du Tasse. Après que Raincys eut bien fait des serments qu'il n'avoit volé cette pensée à personne, Ménage lui avoua la malice; mais, pour s'en divertir d'autant plus, il envoya le françois et l'italien à M. Chapelain, afin d'en avoir son jugement. M. Chapelain, qui est toujours pour les vivants, étoit bien empêché. Il honore la mémoire du Tasse, et M. Des Raincys est en vie, et il est du _samedi_; il trouve un échappatoire; il dit que le style pastoral étant de beaucoup au-dessous du style galant, le madrigal de monsieur Des Raincys l'emportoit, mais qu'à proportion celui du Tasse étoit aussi beau. Et voilà cet homme qui est un lynx en langue italienne! Depuis Ménage trouva dans le Guarini: Se non mirate che v'adoro, Mirate almen' che io moro! [446] Jean Chapelain, membre de l'Académie françoise, né le 4 décembre 1595, mourut le 22 février 1674. L'un des _trois_ éditeurs (M. Monmerqué) possède une Vie manuscrite de Chapelain, suivie de ses testament et codiciles, par lesquels il substitue sa bibliothèque à ses neveux. On trouve à la suite de ces pièces le Catalogue des livres et des manuscrits qui la composoient. Cette Vie de Chapelain offre des détails étendus sur l'auteur de _la Pucelle_; mais elle est écrite dans la forme du panégyrique. Des notes jointes à ce manuscrit font connoître que la substitution a produit son effet jusqu'en 1747; l'époque de la division ultérieure de cette bibliothèque n'est pas connue. C'est vraisemblablement dans ce dépôt que Camusat aura puisé les matériaux des _Mélanges de littérature tirés des lettres manuscrites de M. Chapelain_, qu'il a donnés en 1726, en un volume in-12. [447] En 1627 ou 1628. [448] Père de Chapelle. [449] Cette pièce est indiquée dans la liste des poésies de Chapelain placée à la suite du Catalogue manuscrit des livres de sa bibliothèque, sous ce titre: _Récit de la belle Lionne au ballet des Dieux_, commençant par ce vers: Mortels de qui l'esprit s'étonne, etc. et a été imprimée, sous le nom de Montfuron, dans les _Poésies choisies_ (Paris, Charles de Sercy, 1660, cinquième partie, pag. 337), sous ce titre: _Récit de mad. P._ (mademoiselle Paulet) _au ballet des Dieux, représentant l'astre du Lion_. [450] Cette ode a été imprimée dans le _Recueil des plus belles pièces des poètes françois_. Amsterdam, 1692, t. 4, p. 61. Elle est composée de trente strophes de dix vers, dont il est difficile d'achever la lecture, d'autant que, comme Tallemant l'a judicieusement fait observer, il n'y a rien du désordre et de l'emportement qui sont les principaux caractères du poète lyrique. [451] Le comte de Soissons, père de Louise de Bourbon, duchesse de Longueville, première femme du duc. [452] Elle avoit perdu deux fils, l'un à deux ans, l'autre en naissant. Marie d'Orléans, demoiselle de Longueville, épousa en 1657 Henri de Savoie, duc de Nemours; elle devint veuve en 1659. Le frère de son mari avoit été tué en duel par le duc de Beaufort. La duchesse de Nemours a laissé des Mémoires sur la Fronde. Ils font partie du tome 34 de la deuxième série de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France. [453] C'est un abus que ce terme de secrétaire d'ambassade pour le secrétaire de l'ambassadeur. Il n'y a proprement qu'à Venise où il y ait des secrétaires d'ambassade, car la république nomme un noble Vénitien pour conférer avec un ambassadeur. Chaque nation en a un. (T.) [454] Gustave-Adolphe. [455] _Voyez_ la septième lettre de Voiture. [456] C'étoit l'intendant de l'hôtel de Rambouillet. (_Voyez_ plus haut l'article _Voiture_.) [457] Henri Arnauld. (_Voyez_ l'article _Arnauld_.) [458] La _Componenda_ est un bureau dépendant du cardinal dataire, auquel on adresse toutes les suppliques qui sont soumises à quelque rétribution pécuniaire. (_Dict. de Trévoux._) [459] Alors intendant du cardinal Mazarin. [460] Le chevalier de Rivière est l'auteur d'une multitude de vaudevilles et de couplets satiriques sur les personnages et sur les événements du règne de Louis XIV. Il eut le premier l'idée de réunir ces sortes de poésies dans des Recueils, demeurés manuscrits, qui sont encore recherchés aujourd'hui. [461] La Mesnardière, poète françois au-dessous du médiocre, a publié une critique du poème de Chapelain sous ce titre: _Lettres du S. Du Rivage, contenant quelques observations sur le poème de la Pucelle_; Paris, 1656, in-4º, de 65 pages. [462] Chapelain a terminé son poème; on rencontre assez souvent des copies manuscrites des douze derniers livres. Il en existe une à la Bibliothèque du Roi. [463] Françoise de Balzac-Clermont d'Entragues, seconde femme de Louis de Bretagne, marquis d'Avaugour, comte de Vertus. [464] Catherine-Françoise, demoiselle de Vertus, morte à l'âge de soixante-quinze ans, en 1692. Ce fut elle qui se chargea de la pénible mission d'annoncer à madame de Longueville la mort de son fils, tué au passage du Rhin. (_Voyez_ la lettre de madame de Sévigné du 20 juin 1672.) [465] La Bastide. (T.) [466] Il s'agit ici de Gilles Boileau, frère aîné de Despréaux. Ce dernier n'étoit pas encore connu en 1656, époque de la publication de _la Pucelle_ de Chapelain; il venoit seulement d'être reçu avocat. (Voyez la _Notice biographique sur Boileau Despréaux_, par M. de Saint-Surin; Paris, Blaise, 1821, p. 47.) [467] C'est l'édition sortie des presses des Elzeviers, et la seule qui soit aujourd'hui recherchée par les amateurs de livres rares. Elle porte la date de 1656 comme l'édition originale. [468] François Payot de Linière, auteur satirique, mort en 1704. [469] Il n'en a jamais lu que les quatre premiers. (T.) [470] Le _samedi_, c'est-à-dire la coterie littéraire qui se réunissoit tous les samedis chez mademoiselle de Scudéry. CONRART[471]. Conrart est fils d'un homme qui étoit d'une honnête famille de Valenciennes, et qui avoit du bien; il s'étoit assez bien allié à Paris. Cet homme ne vouloit point que son fils étudiât, et est cause que Conrart ne sait point le latin. C'étoit un bourgeois austère qui ne permettoit pas à son fils de porter des jarretières ni des roses de souliers, et qui lui faisoit couper les cheveux au-dessus de l'oreille; il avoit des jarretières et des roses qu'il mettoit, et c'étoit au coin de la rue. Une fois qu'il s'ajustoit ainsi, il rencontra son père tête pour tête; il y eut bien du bruit au logis: son père mort, il voulut récompenser le temps perdu. Son cousin Godeau lui donnoit quelque envie de s'appliquer aux belles-lettres; mais il n'osa jamais entreprendre le latin; il apprit de l'italien et quelque peu d'espagnol. Se sentant foible de reins pour faire parler de lui, il se mit à prêter de l'argent aux beaux esprits, et à être leur commissionnaire même; il se chargeoit de toutes les affaires des gens de réputation de la province: cela a été à tel point que pour faire parler de lui en Suède, il prêta six mille livres au comte Tott[472], qui étoit ici sans un sou; ce fut en 1662. Je ne sais s'il en a été payé. Ménage connoissoit ce cavalier et avoit emprunté ces deux mille écus d'un auditeur des comptes, son beau-frère; mais quand chez le notaire celui-ci vit que c'étoit pour ce Suédois, il remporta son argent, et dit que Ménage étoit fou. Conrart le sut et il prêta la somme. La fantaisie d'être bel esprit et la passion des livres prirent à la fois à Conrart. Il en a fait un assez grand amas, et je pense que c'est la seule bibliothèque au monde où il n'y ait pas un livre grec ni même un livre latin. L'effort qu'il faisoit, la peine qu'il se donnoit, et la contention d'esprit avec laquelle il travailloit, lui envoyant tous les esprits à la tête, il lui vint une grande quantité de bourgeons pour cela, car c'étoit une vilaine chose; il se rafraîchit tellement, que ses nerfs débilités (outre qu'il est de race de goutteux) furent bien plus susceptibles de la goutte qu'ils n'eussent été. Il en fut affligé de bonne heure, et de bien d'autres maux, sans en être moins enluminé; en sorte que c'est un des hommes du monde qui souffre le plus. Son ambition a fait une partie de son mal; car il a cabalé la réputation de toute sa force, et il a voulu faire par imitation, ou plutôt par singerie, tout ce que les autres faisoient par génie[473]. A-t-on fait des rondeaux et des énigmes? il en a fait; a-t-on fait des paraphrases? en voilà aussitôt de sa façon; du burlesque, des madrigaux, des satires même, quoiqu'il n'y ait chose au monde à laquelle il faille tant être né. Son caractère c'est d'écrire des lettres couramment; pour cela il s'en acquittera bien, encore y a-t-il quelque chose de forcé: mais s'il faut quelque chose de soutenu ou de galant, il n'y a personne au logis. On le verra s'il imprime, car il garde copie de tout ce qu'il fait; il ne sait rien et n'a que la routine[474]. Il voulut faire un discours sur l'histoire à l'Académie de la vicomtesse d'Auchy[475]. D'Ablancour fut comme la sage-femme de cette production, ou, pour mieux dire, ce fut lui qui le fit. Plusieurs académiciens, qui l'eussent admiré s'ils l'eussent su, y trouvoient des choses à redire, à cause qu'ils croyoient que c'étoit de Conrart. Mézerai disoit à Patru: «Que ne vous l'a-t-on donné à faire!--Voire, répondit Patru, n'est-ce pas à votre secrétaire à faire cela?» Il est fort propre au métier de secrétaire _in ogni modo_, et, si sa santé le lui avoit permis, il auroit recueilli fort exactement tout ce qu'il eût fallu pour l'Académie. C'est lui qui le premier y a introduit le désordre et la corruption, car, à cause que Bezons[476] avoit épousé une de ses parentes, il cabala avec M. Chapelain pour le faire recevoir; ensuite Salomon[477], collègue de l'autre à la charge d'avocat général du Grand-Conseil, y fut admis, et depuis rien n'a été comme il faut. La politique de ces messieurs étoit de mettre des gens de qualité dans leur compagnie. M. Chapelain, qui avoit fait les statuts, si statuts se peuvent appeler, a si bien réglé toutes choses qu'en dépit des gens, quelque sages qu'ils eussent été, il étoit impossible qu'on n'y eût bientôt du désordre. Depuis, mais trop tard, comme nous dirons ailleurs, on fit un bien meilleur réglement. Pour revenir à l'humeur de notre homme, il est cabaleur et tyran tout ensemble; mais cabaleur à entretenir commerce avec des doctes de Hollande et d'Allemagne, lui qui ne sait point de latin; cabaleur encore à se charger d'un million d'affaires, car, comme je veux croire qu'il y a de la bonté et de l'humeur obligeante, je sais fort bien aussi qu'il y a de la vanité et de la cabale. Chapelain et lui imposent encore à quelques gens, mais cela se découd fort; et si celui-ci imprimoit comme l'autre, tout cela s'en iroit à vau l'eau. L'un après l'autre ils ont été les correspondants de Balzac. Pour Balzac, c'est un correcteur général d'imprimerie. Il a affecté de faire imprimer et de revoir les épreuves des _Entretiens de Costar et de Voiture_, où il y a quasi autant de latin que de françois, et il ne trouvoit pas trop bon qu'on lui dît qu'il se devoit décharger de cette impression; une fois même il voulut revoir des épreuves toutes latines, à l'aide d'un écolier de seconde qui étoit son neveu, friand de louanges, d'épîtres dédicatoires, etc. Quant à l'humeur tyrannique, après sa femme personne n'en sait plus de nouvelles que moi. Il a toujours affecté d'avoir des jeunes gens sous sa férule: moi, qui ne suis pas trop endurant, il me prit en amitié et je l'aimai aussi tendrement; mais, dès que Patru et moi, que je connus quasi en même temps, eûmes trouvé que nous étions bien le fait l'un de l'autre, il en entra en jalousie, et disoit que je faisois de plus longues visites aux autres qu'à lui. C'est un franc pédagogue, et qui fait une lippe, quand il gronde, la plus terrible qu'on ne sauroit voir. En une chose Chapelain a eu raison, peut-être l'a-t-il fait par tempérament; il a toujours vécu en cérémonie avec lui, car à le voir de près on sera toujours en querelle. D'Ablancour en a eu maintes avec lui, et entre autres une pour ne lui avoir pas écrit _conseiller secrétaire du roi_, mais seulement _secrétaire du roi_. Je ne prétends pas mettre ici un million de petites particularités qui ne seroient bonnes à rien, et puis ce qui s'est passé sous le sceau de l'amitié ne se doit point révéler. Dans sa famille il a eu aussi bien des démêlés. Son deuxième frère étoit un sot homme; mais si Conrart n'eût point tant fait l'aîné à la manière du vieux Testament, il n'auroit pas fait la moitié tant d'extravagances qu'il en a faites. Celui-ci le mit au désespoir. Le jeune frère de sa femme, nommé Muisson, qu'on appelle M. de Barré, étant devenu amoureux d'une belle fille qui étoit de meilleure famille que lui, et qui, par la suite, a eu du bien honnêtement, Conrart fit le diable pour empêcher le mariage; et après lui, son autre beau-frère et sa femme même, qui craignoient qu'un vieux garçon riche, aîné de tous, ne prît cette belle en affection, firent assez de choses contre elle qui ne sont pas trop bonnes à dire. Ce vieux garçon mort, par le testament il avoit fort avantagé ses deux frères au préjudice de quatre soeurs qu'il avoit: il y eut du bruit. La famille fit l'honneur à Conrart de s'en rapporter à lui. Il demande à Patru comment à son égard il en doit user, lui qui, à cause de sa femme, y avoit le même droit que les autres. «Hé! lui dit Patru, vous ne serez pas juge et partie; vous ne devez rien prendre pour vous, et c'est à eux à en user après comme ils le trouveront à propos.» Ne vous déplaise, il se donna autant qu'aux autres, et les deux frères, qui croyoient en être quittes à meilleur marché, furent bien surpris de voir qu'outre cela Conrart s'étoit mis au rang des autres. Ils en passèrent pourtant par là et rengainèrent une tenture de tapisserie et autres choses qu'ils lui avoient destinées. Depuis cela, il prit à ce M. de Barré une estime pour Patru la plus grande du monde, et il a voulu être son ami et le mien ensuite. Or, Conrart trouvoit la belle-soeur de Barré fort jolie; ailleurs elle n'eût pas laissé de l'être, mais dans cette famille disgraciée c'étoit un vrai soleil. Il la vouloit traiter du haut en bas. Il vouloit qu'elle fût sous sa férule, en être le patron, et la mener partout où il lui plairoit. Cette femme, qui étoit plus fine que lui, le laissa dire, et en a fait après à sa mode, mais doucement toutefois, car elle a affaire à une des plus sottes familles du monde. Un jour qu'elle étoit allée par complaisance promener avec lui et Sapho[478], et autres beaux esprits du Samedi, elle dit par hasard: «J'ai été _norrie_.--Il ne faut pas dire cela, lui dit-il, d'un ton magistral, il faut dire _nourrie_.» Cela effaroucha un peu, et comme elle n'avoit déjà aucune inclination à faire le bel esprit, elle ne voulut pas se promener davantage avec toutes ses héroïnes. Quoique cela ne plût guère à Conrart, il ne laissa pas de continuer à tâcher de se rendre maître de cet esprit. Une fois il lui prit fantaisie d'avoir le portrait de sa belle-soeur, car il affecte d'avoir le portrait de ses amies. Un beau matin il envoie sa femme, qui vint dire à madame de Barré «que M. _Conrarte_ (elle prononce ainsi à la mode de Valenciennes, d'où elle est) n'avoit pu dormir de toute la nuit, tant il avoit d'impatience d'avoir son portrait.» Il fallut donc vite lui en faire faire un par le peintre qu'il nomma, par le plus cher, et il la laissa fort bien payer. Il exerce encore quelque sorte de tyrannie sur elle, car il faut qu'elle aille le voir régulièrement, et elle veut bien avoir cette complaisance pour son mari; mais en son âme elle se moque terriblement de M. le secrétaire de l'Académie. Regardez un peu quelle figure de galant! j'ai vu qu'il se faisoit les ongles en pointe, et au même temps il s'arrachoit les poils du nez devant tout le monde: il y prétend pourtant; il est vrai qu'au prix de Chapelain, il pourroit passer pour tel, au moins pour son ajustement, car il est toujours assez propre. Rien, que je crois, ne l'a tant fait enrager que de voir comme je l'ai planté là, et que Patru et moi soyons les bons amis de sa belle-soeur. Voici comment cela arriva: nous n'en étions plus que sur la grimace, quand il lui prit une vision de loger dans une maison au Pré-aux-Clercs que Luillier avoit fait accommoder à ma fantaisie, et dont j'avois planté le jardin à ma mode, une maison que j'aimois tendrement; son prétexte étoit qu'on m'avoit ouï dire que la maison étoit à vendre; je le croyois, mais cela n'étoit pas; sur cela il m'envoie son beau-frère de Barré, qui y alloit à la bonne foi: pour sa femme, elle m'a juré depuis que, comme elle étoit persuadée que cela manqueroit, elle les avoit laissé faire. M. de Barré vient me demander si je pensois à acheter cette maison, et si elle étoit à vendre; je dis que je l'avois ouï dire et que je ne songeois pas à l'acheter. «Puisque cela est, me dit-il, un de vos amis, mais qui ne veut point être nommé, y pourra penser.--Monsieur, lui dis-je, j'aime mieux que ce soit un de vos amis qu'un autre; j'y aurois pourtant du regret.» Je ne fis semblant de rien, mais je découvris bientôt que Conrart avoit engagé Barré à acheter cette maison en commun. Sur cela, comme je ne cherchois qu'une occasion de rompre avec lui, je pris celle-là; et après m'être plaint doucement de la finesse qu'il m'avoit faite, et de ce qu'au lieu de détourner les marchands il se présentoit lui-même, je ne le vis plus depuis. N'ayant pu avoir cette maison qui lui eût pu servir de maison des champs et de maison de ville, il en acheta une à Athis dont mademoiselle de Scudéry parle tant dans la _Clélie_; là il se fait mainte belle chose. Un jour, il ne l'avoit pas encore tout-à-fait meublée, il trouva dans la salle une belle tenture de cuir doré toute tendue; on a su depuis que c'étoit le frère aîné de sa femme qui, pour ne lui avoir point d'obligation de la nourriture d'un de ses fils qui avoit été chez lui assez long-temps, avoit fait cette galanterie, qui est trop fine pour un marchand du Pays-Bas. Mais il le lui faut pardonner; ce n'est pas un homme à avoir deux fois en sa vie de telles pensées: c'est un grand avare, du reste, et un grand espion de sa pauvre belle-soeur. Il a fallu que toutes les connoissances de Conrart aient été à sa maison, ou il a bien fait la lippe. Lui qui a affecté autrefois de traiter madame de Sablé, puis madame de Montausier et mademoiselle de Rambouillet, quoique cette dernière se moque de lui, n'a garde de ne les avoir pas traitées à _Carisatis_[479]. Sapho y passe une partie des vacations, et mademoiselle Conrart, avec sa figure de pain d'épice, a aussi un nom dans le roman; cependant les clairvoyants sont persuadés qu'il n'aime point Pellisson, qu'il en est jaloux, et qu'il ne trouve nullement bon que Herminius[480] soit le confident de Sapho et l'Apollon du Samedi. Pour Chapelain, il n'est pas persuadé de Pellisson; mais il le sera à cette heure que l'autre est bien avec le surintendant Fouquet. Le bruit court que Conrart l'incommode, mais il n'a point d'enfants; sans doute la cabale lui a coûté, car il n'a pu refuser de l'argent à bien des gens, et il donnoit souvent à manger; il se trouvera mal d'avoir ouvert sa porte à tant de monde. Montereul, surnommé le fou[481], de qui il croyoit faire un grand personnage, lui a chanté pouille, et la cabale qui s'est formée chez l'abbé de Villeloin[482] contre Chapelain et lui, qu'ils appellent les tyrans des belles-lettres[483], lui a déjà donné quelque coup de griffe: voilà ce que c'est que de voir tant de gens, et surtout tant de jeunesse. [471] Conrart (Valentin), né à Valenciennes, secrétaire de l'Académie françoise, mort à Paris le 23 septembre 1675. [472] Le comte Tott, grand-écuyer du roi de Suède, et ambassadeur en France, passa plusieurs années à Paris, et y fut lié avec tous les beaux esprits. [473] Malleville disoit «qu'il lui sembloit que Conrart allât criant, par les rues: «A ma belle amitié! qui en veut, qui en veut de ma belle amitié?» A propos de cela, il demanda des devises à plusieurs de ses amis sur l'amitié et les fit enluminer sur du vélin. Madame de Rambouillet en donna une dont le corps étoit une vestale dans le temple de Vesta, qui attisoit le feu sacré, et le mot étoit _fovebo_. Elle le fit en françois, et M. de Rambouillet le tourna en latin. (T.) [474] Tallemant, dans cet article, montre de la rancune contre Conrart, avec lequel il étoit brouillé, après avoir été son ami. Conrart n'est pas un écrivain remarquable; mais c'étoit un homme patient, auquel les lettres doivent de la reconnoissance. Il a conservé une foule de pièces qui auroient péri s'il ne les eût pas recueillies. Une partie de ses manuscrits est conservée à la Bibliothèque de l'Arsenal. C'est là que l'un des éditeurs a retrouvé les Mémoires de Conrart, insérés dans le tome 48 de la deuxième série des Mémoires relatifs à l'histoire de France. [475] _Voyez_ plus haut l'historiette de madame d'Auchy, la maîtresse de Malherbe. [476] Claude Basin de Bezons, avocat-général au Grand-Conseil, depuis conseiller d'Etat, succéda au chancelier Séguier, quand ce dernier, à la mort du cardinal de Richelieu, devint protecteur de l'Académie françoise. Les titres de M. de Bezons sont d'une nature peu imposante. La traduction d'un Traité fait à Prague, entre l'Empereur et le duc de Saxe, et deux Discours prononcés à l'ouverture des Etats de Languedoc, composent tout son bagage littéraire. [477] François-Henri Salomon, avocat-général au Grand conseil, succéda au poète Bourbon. Sa nomination fut loin d'être honorable pour l'Académie, car cet auteur de la paraphrase non imprimée d'un Psaume fut préféré au grand Corneille. On objectoit à ce dernier que, faisant en province son séjour habituel, il ne pourroit assister que rarement aux assemblées de l'Académie. (_Histoire de l'Académie françoise_, par Pellisson; Paris, 1730, in-12, t. I, p. 210.) [478] On appeloit ainsi mademoiselle de Scudéry. [479] Nom de lieu dans le roman. (T.) [480] Les personnes qui composoient la société de mademoiselle de Scudéry se donnoient des noms de roman. _Herminius_ étoit celui sous lequel Pellisson étoit désigné. (_Voyez_ une note sur la lettre de madame de Sévigné à M. de Pomponne, du 1er août 1667, édition de Blaise; Paris, 1818, t. I, p. 118.) [481] Celui de Mme Burin, et qui est aujourd'hui à M. de Valence. (T.)--C'est Matthieu de Montereul, frère de l'académicien, auteur de quelques jolis madrigaux, celui duquel madame de Sévigné disoit qu'il _étoit douze fois plus étourdi qu'un hanneton_. (Lettre à Ménage, nº 25 de l'édition de 1818.) [482] Michel de Marolles, abbé de Villeloin, infatigable auteur de mauvaises traductions; mais dont les _Mémoires_, devenus rares, sont fort curieux; Paris, Antoine de Sommaville, 1656, in-folio. [483] Furetière, Boileau; Linières a fait l'épigramme, on la lui a raccommodée. (T.) LA REINE DE POLOGNE[484], SES SOEURS, SAINT-AMANT. La reine de Pologne est fille de M. de Nevers, qui, sur la fin de ses jours, fut duc de Mantoue, et de mademoiselle de Clèves. Etant demeurée sans mère, son père la mit chez madame de Longueville, soeur de sa femme, et mère de M. de Longueville. On l'appela madame la princesse Marie, comme fille de souverain, quand son père parvint à la duché de Mantoue. Elle étoit belle. Monsieur, alors veuf, en devint amoureux. La maison de Guise, qui avoit du pouvoir auprès de la Reine-mère, s'opposa à ce mariage, et la chose alla si avant que madame de Longueville et la princesse Marie en furent quinze jours prisonnières au bois de Vincennes. M. de Mantoue mort, Monsieur ayant quitté la cour, et madame de Longueville n'étant plus au monde, la princesse Marie étoit tantôt à Nevers, tantôt à Paris: ses affaires n'étoient pas trop en bon état. Elle cabala avec M. le Grand[485] pour débusquer le cardinal en résolution de l'épouser si elle le voyoit premier ministre. La nuit il la vint voir plusieurs fois. Il ne se pouvoit pas, dans le dessein qu'ils avoient, qu'ils ne vécussent avec quelque familiarité; mais on n'en a jamais rien dit de fâcheux. Elle fut avertie que M. le Grand étoit arrêté avant que personne le sût à Paris: la voilà bien embarrassée, car M. le Grand avoit une terrible quantité de ses lettres. Elle envoie prier mademoiselle de Rambouillet de la venir voir, car elles étoient très-amies; elle lui conte sa déconvenue, et la supplie de parler pour elle à madame d'Aiguillon. Dès le soir même elle se rendit à l'hôtel de Rambouillet, pour aller au Palais-Royal, où madame d'Aiguillon s'étoit retirée sur quelques ouïs qu'on la pourroit bien enlever au faubourg. Madame de Rambouillet dit qu'elle n'a jamais rien vu de si désolé. Madame d'Aiguillon la reçut le mieux du monde, et lui fit rendre ensuite toutes ses lettres. On dit, à propos de cela, que quand Des-Yveteaux, intendant de l'armée du Roussillon, alla pour ouvrir les cassettes de M. le Grand, un valet-de-chambre l'avertit qu'il y trouveroit ce qu'il ne cherchoit pas: c'étoient des lettres de sa femme. On a remarqué que jamais personne n'a eu tant de hausses qui baissent[486] dans sa vie que la princesse Marie; en voici une belle preuve. Le feu roi de Pologne avoit déjà pensé à elle la première fois qu'il se maria; mais ses intérêts le firent pencher vers la maison d'Autriche. Se voyant veuf, il y pensa tout de nouveau, et quoique l'Empereur lui eût fait envoyer jusqu'à seize portraits de princesses de la maison d'Autriche, il ne put être ébranlé. Il fait donc demander la princesse Marie en mariage: on la lui accorde; et la reine, qui avoit assez d'amitié pour elle, la maria comme fille de France. On prit ses droits, et on lui donna pour cela quatre cent mille écus[487]. L'ambassade des Polonois fut magnifique, et leur habit extraordinaire servit bien à faire admirer leur pompe. La princesse fut mariée dans la chapelle du Palais-Royal; de là, avec sa couronne sur la tête, elle voulut aller dire adieu à madame de Rambouillet, qui m'a dit qu'elle n'avoit jamais rien vu de si opposé que le jour où elle la vit si déconfortée, et celui-ci, où elle la vit si pompeuse, et qui avoit le dessus sur la Reine même[488]. Parlons un peu des Polonois. On les logea dans l'hôtel de Vendôme; là, une infinité de personnes les alloient voir manger. Ils mangeoient le plus salement du monde, et se traitoient de grosse viande à leur mode; car ils avoient demandé qu'au lieu de les nourrir on leur donnât leur argent à dépenser. Les maîtres donnoient à leurs valets de ce qu'ils mangeoient, et derrière eux leurs gens dînent et soupent en même temps. Mais ce qu'il y avoit de plus barbare, c'est qu'ils fermoient la porte et ne laissoient sortir personne qu'ils n'eussent trouvé leur compte de leur vaisselle d'argent, qui étoit assez médiocre. On dit qu'une fois ayant trouvé quelque chose à dire, ils mirent presque tous, au moins tous les domestiques, le cimeterre à la main, et firent grande peur aux assistants, qui ne furent pas sans inquiétude tandis qu'on chercha cette pièce de vaisselle. Par la ville, leurs valets étoient assez insolents, et prenoient souvent du fruit aux revendeuses sans le payer. On fit pour eux quelques assemblées au Palais-Royal, où madame de Montbazon et mademoiselle de Toussy, depuis la maréchale de La Mothe, approchant le plus de leur taille, leur plurent plus que tout le reste: quelques-uns se firent habiller à la françoise, et prirent des perruques. M. de Bassompierre les traita à Chaillot, et il y fut bu _egregiè_. Quand la Reine alla dire adieu à M. d'Orléans, lui, sa femme et sa fille ne la traitèrent pas comme ils le devoient; il ne la reconduisit pas jusqu'à son carrosse. Qui reconduira-t-il, s'il ne reconduit pas une reine? Il en devoit faire plus que pour une autre, quand ce n'eût été qu'à cause qu'il l'avoit aimée. Madame et Mademoiselle étoient jalouses de l'honneur qu'on lui faisoit. Monsieur lui ayant dit quelque chose du temps passé, elle lui répondit: «Cela n'étoit pas résolu dans le ciel, et j'étois née pour être reine.» Elle eut le déplaisir, avant que de quitter Paris, d'apprendre qu'on avoit fait quelque médisance d'elle et de M. le Grand, et même de Langeron, qui, comme bailli de Nevers, avoit de tout temps de l'attachement à sa maison. On soupçonna le résident en France du roi de Pologne, qui étoit un ecclésiastique de Rome nommé Roncaille, de lui avoir rendu quelques mauvais offices à la cour de son maître. J'ai de la peine à le croire, car elle a été assez bien depuis pour le faire révoquer s'il lui eût déplu. Quoi qu'il en soit, elle ne fut pas d'abord fort bien reçue en Pologne; puis, le Roi étant malade, elle n'eut pas lieu de le gagner, n'ayant pas encore couché avec lui. Elle ne fut pas long-temps après à se mettre bien dans son esprit, et en peu de temps elle fit congédier la dame d'honneur que le Roi lui avoit donnée, parce qu'il en étoit un peu épris. La maréchale de Guebriant, et l'évêque d'Orange, qui l'avoient accompagnée, comme ambassadeur du Roi, en revinrent fort mal satisfaits. L'évêque n'eut que quelques pièces de vaisselle d'argent de peu de valeur, et madame de Guebriant, que deux tapis de soie relevés d'or. La reine de Pologne en a envoyé depuis de pareils à madame de Montausier et à madame de Choisy, sa bonne amie et sa correspondante; elle lui fait de temps en temps quelque régal. Quelques filles qu'elle fut obligée de renvoyer n'eurent que cent écus chacune; elle avoit pourtant reçu assez de présents pour leur donner davantage: mais on l'accuse d'être un peu avare. En ce pays-là les reines ont beaucoup de profits, car quiconque obtient une charge, ne l'obtient guère que par l'entremise de la Reine, et après, lui fait quelque présent d'importance; puis il y a une province destinée pour leur entretien. On dit qu'elle retrancha dans sa maison pour sept mille écus de poivre par an. Quand cette dame d'honneur fut dehors, le Roi, quoique vieux et ventru, ne laissa pas d'en cajoler d'autres. La Reine avoit mené avec elle, entre autres filles, une petite de Mailly, fille du comte de Mailly et de la duchesse de Croy, dont il étoit mari de conscience. On l'appeloit en riant _la petite duchesse de Croy_. Elle étoit parente au cinquième degré de la reine de Pologne du côté de M. de Mailly. Madame de Schomberg, autrefois mademoiselle d'Hautefort, sa parente, l'habilla et la mit en équipage, car la duchesse de Croy étoit fort pauvre; elle avoit quatorze à quinze ans, et étoit assez jolie et adroite; pour l'esprit, vous allez voir ce que c'étoit. Le Roi s'avisa de lui vouloir dire quelques douceurs: «Sire, lui dit-elle, il y a là quelque chose de plus obscur pour moi que le polonois.--Vous entendez bien pourtant, lui dit-il, ce que vous dit un tel (c'est un gentilhomme polonois avec qui on l'a mariée depuis)?--Je crois bien, Sire, répondit-elle, c'est un particulier; mais il faut être reine pour entendre le langage des rois. Si Votre Majesté me le permet, je demanderai à la Reine ce que cela veut dire.--Ah! petite fille, répliqua le Roi, je vois bien qu'il ne vous en faut pas dire davantage.» La petite fripone, qui étoit bien avec celles à qui la Reine témoignoit le plus d'affection, dit cela à l'une d'elles. La Reine, quelques jours après, en parla à la petite de Mailly, et ajouta: «Il en a depuis cajolé une autre.» C'étoit peut-être pour l'empêcher d'y penser. «Je n'ai rien à souhaiter, madame, lui répondit-elle, sinon que les autres ne l'écoutent pas plus que moi.» En ce temps-là, M. d'Arpajon qui mouroit d'envie d'être maréchal de France, et qui avoit tant pesté quand Gassion le fut, s'offrit à aller porter le collier de l'Ordre au roi de Pologne. Le voyage lui a coûté cher; mais il espéroit que ce prince demanderoit après qu'on donnât le bâton à ce monsieur l'ambassadeur extraordinaire; mais il n'étoit pas encore à Dantzick que le Roi mourut: il fit pourtant le voyage. On se plaignit ici de ce que la reine de Pologne n'avoit point donné avis de la mort de son mari, et qu'on fut long-temps sans recevoir de ses nouvelles; mais elle étoit malade. On la fit régente durant l'interrègne; ce fut un grand bonheur pour elle que la mort du fils de son mari, car elle fut demeurée une pauvre reine douairière: voilà encore des hausses qui baissent. Le prince Casimir, ce fou qui s'étoit fait jésuite, et que nous avons vu ici au bois de Vincennes, après qu'on l'eut pris il y a vingt ans, comme il alloit servir les Espagnols, fut enfin élu roi, et eut dispense du pape pour épouser sa belle-soeur, sous prétexte que le mariage n'avoit point été consommé avec le feu Roi, qui avoit été, disoit-on, toujours malade. Durant l'interrègne, qui dura assez long-temps, Bois-Robert étant chez Rossignol, où il y avoit un homme qu'il ne connoissoit point: je pense que c'est Bartet[489], on vint à parler des États de Pologne, cet homme dit: «C'est le prince Casimir qui sera roi.--Voir! dit Bois-Robert; iroient-ils faire roi un niais qui s'est fait moine?» Rossignol l'avertit que c'étoit le résident de ce prince; Boisrobert continue: «Il est vrai que c'est un bon prince et bien pieux; ce n'est pas peu pour un roi.» La Reine devint grosse. Saint-Amant[490], qui l'avoit suivie, fit de méchants vers sur sa grossesse. En arrivant en Pologne, elle lui donna de bons appointements, et la qualité de conseiller d'état de la Reine: elle l'envoya ensuite à Stockholm pour assister de sa part au couronnement de la reine de Suède. J'ai ouï dire qu'il y réussit assez mal. Il a du génie, mais point de jugement; il ne sait rien et n'a jamais étudié: au reste, fier à un point étrange, qui se loue jusqu'à faire mal au coeur. «Fermez, disoit-il une fois; qu'on ne laisse entrer personne; point de valets (c'étoit à table), j'ai assez de peine à réciter pour les maîtres.» Une fois il dînoit chez Chapelain. Je suis tout édifié d'avoir trouvé que Chapelain ait au moins une fois en sa vie donné à manger à quelqu'un. Esprit, de l'Académie, y étoit, qui dit: «Que voilà qui est joli!--Nargue de votre _joli_!» reprit Saint-Amant. Il pensa s'en aller, tant il étoit en colère. Il dit insolemment un jour qu'il avoit cinquante ans de liberté sur la tête, et cela à table du coadjuteur, qui l'a vu je ne sais combien d'années domestique du duc de Retz le bonhomme. Depuis, il s'attacha à M. de Metz, et enfin, ne sachant plus que faire, il s'en alla en Pologne. Il en est revenu depuis quatre ans ou environ; il avoit prétendu pour son _Moïse_ une abbaye et même un évêché, lui qui n'entendroit pas son bréviaire; et ce fut pour punir l'ingratitude du siècle qu'il ne le fit point imprimer[491]. Depuis, il l'a donné, mais rien au monde n'a si mal réussi. Au lieu de _Moïse sauvé_, Furetière l'appeloit _Moïse noyé_. En une épître à M. d'Orléans, sur la prise de Gravelines, il s'appelle _le gros Virgile_; il eût mieux fait de dire le gros ivrogne. En sa jeunesse il faisoit beaucoup mieux; mais il n'a jamais eu un grain de cervelle, et n'a jamais rien fait d'achevé. Il travaille toujours pour la reine de Pologne, et elle a soin de lui. La Reine se portoit si bien dans sa grossesse et se trouvoit si heureuse en toute chose, qu'elle pria madame de Choisy de faire prier Dieu pour elle de peur que ce grand bonheur ne fût suivi de quelque calamité. Elle maria mademoiselle de Langeron, sa dame d'atours, au castellan de Plotsko, si je ne me trompe, qui a quatre-vingt mille livres de rente en fonds de terre. On lui promit le premier palatinat vacant. La Reine donna en ce temps-là à sa soeur tout ce qu'elle avoit à prétendre sur le duché de Mantoue et de Montferrat; mais voici encore des hausses qui baissent; elle n'eut que deux filles, et pas une ne vécut. La guerre des Cosaques et celle des Suédois l'ont mise tantôt bas, tantôt haut: tout cela vient de ce que le feu Roi, qui vouloit se rendre plus absolu, avoit fomenté sous main cette révolte des Cosaques, afin d'avoir un prétexte d'être armé. Celui-ci se laisse gouverner par les Jésuites, et sottement alla refuser à Radzivil, palatin perpétuel du grand-duché de Lithuanie, une charge qui lui appartenoit, et qu'il lui fallut donner en dépit qu'on en eût. Il exila le vice-chancelier, à ce qu'on dit, pour une amourette. On a écrit qu'il étoit amoureux de sa femme; cela a mis le feu partout, car ces deux hommes ont excité cette guerre de Suède. Je laisse cela aux historiens pour venir à madame d'Avenet. Madame l'abbesse d'Avenet, madame d'Avenet, soeur de la reine de Pologne, étoit morte avant que sa soeur fût reine. On dit qu'elle étoit la plus belle des trois, et que pour ses belles mains elle eut permission de porter des gants. M. de Guise, alors archevêque de Reims, lui en conta aussi bien qu'à la princesse Anne sa soeur. Quelquefois elle sortoit par la porte des bois, déguisée en paysane, et portoit du beurre au marché d'Avenet; le bon archevêque, déguisé en paysan, l'attendoit dans les bois. Je ne sais pas ce qu'ils y faisoient avant que d'aller ensemble au marché. Une fois qu'on trouva à propos de la faire retirer avec ses religieuses dans une ville à cause des ennemis, elle se retira à Châlons, où elle fit galanterie avec le comte de Nanteuil. Cela fit un scandale; on la mena dans l'abbaye d'une de ses tantes, et de là à Paris, où elle mourut. La princesse palatine Anne fut quelque temps à Avenet, et ce fut là que M. de Guise[492] en devint amoureux. Il y a bien fait des folies quelquefois il avoit jusqu'à soixante bouts de plume sur son chapeau, tout archevêque qu'il étoit. Un jour, comme on lui eut apporté une houppe pour se friser, il la trouva belle: «Faisons-en,» dit-il à la princesse Anne et à sa soeur; «faisons-en,» répondirent-elles. On envoie à Reims, on n'y trouve point de soie plate: «Envoyons à Paris.» On crève un cheval, et on apporte pour cent écus de soie; mais quand elle arriva cette fantaisie leur étoit passée. Par je ne sais quelle vision ils ont couché, la princesse Anne et lui dans le parloir, la grille entre deux. Ce fut à l'hôtel de Nevers qu'il l'épousa[493]. Comme elle l'alloit trouver elle fut arrêtée par le comte de Tavannes. Elle a dit, parlant à une femme de ses amies: «Il est mon mari, comme votre mari est le vôtre.» Quand il fut de retour au commencement de la régence, elle lui parla aux Tuileries, et, ne voyant pas qu'il y eût lieu d'espérer qu'il la reconnût pour sa femme, elle donna ordre de parler à M. d'Elbeuf, pour faire le mariage du prince d'Harcourt et d'elle; et elle avoit les articles qu'il ne falloit plus que signer, quand, en un tourne-main, elle change et épouse le palatin: c'étoit le quatrième fils de Frédéric V. Ce garçon ne savoit où donner de la tête. Elle lui fit changer de religion aussitôt après. La Reine s'en fâcha: on avoit assez de princes dépossédés sur les bras. Ils s'éloignèrent pour quelque temps: le mariage de la Reine de Pologne raccommoda tout. Ç'a été un des garçons du monde le mieux faits; mais, depuis son mariage, il est tout voûté et tout farouche; il n'y a qu'un certain Anglois dont il s'accommode: hors cela il est toujours tout seul. Il eut une espèce de folie et pensa demeurer hors du sens: c'étoit en Champagne. Durant cette maladie elle ne partit pas du pied de son lit: c'est un pauvre homme. Dans les Mémoires de la régence il sera parlé amplement d'elle. [484] Louise-Marie de Gonzague, fille de Charles de Gonzague, duc de Nevers et de Mantoue, et de Catherine de Lorraine, naquit vers 1612; elle épousa en 1645 Uladislas IV, roi de Pologne, et en 1649, après la mort d'Uladislas, Jean Casimir, son frère, aussi roi de Pologne. Elle mourut à Varsovie le 10 mai 1667. [485] Cinq-Mars. [486] Tant de hauts et de bas. [487] Un extravagant Italien, nommé Promontorio, qui se mêloit de deviner et aussi de vendre des chiens de Bologne et bien d'autres choses, lui vendit un fort beau chien cinquante pistoles à payer quand elle seroit reine. Il n'y avoit alors nulle apparence. Elle l'eût acheté à cette condition cinquante mille écus. Au bout d'un an et demi elle fut reine, et lui paya volontiers ses cinquante pistoles. Voilà un grand hasard. (T.) [488] Anne d'Autriche, avec une politesse toute françoise, céda le pas à la reine de Pologne pendant toute cette journée. (_Mémoires de Motteville_, t. 37, p. 159 de la deuxième série de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France.) [489] Bartet, depuis secrétaire du cabinet. (T.).--C'est à lui que le duc de Candale fit cette singulière insulte de lui faire couper tout un côté de ses cheveux. (_Voyez_ les Mémoires de mademoiselle de Montpensier dans la deuxième série de la Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. 41, p. 488; et la note sur la lettre de madame de Sévigné, du 19 juillet 1655; Paris, Blaise, 1818, t. I, p. 37.) [490] Il est de Rouen; apparemment cette seigneurie de Saint-Amant vient de ce qu'il est né dans le voisinage de Saint-Amant de Rouen. C'est peu de chose que sa naissance; il étoit huguenot. (T.) Il s'appeloit Marc-Antoine de Gerard, et il prenoit la qualité d'écuyer, sieur de Saint-Amant, écuyer du roi et gentilhomme de la chambre de la reine de Pologne. _Voy._ le privilége de _Moïse sauvé_; Paris, Antoine de Sommaville, 1660, in-12. [491] On remarque en effet que le privilége accordé pour ce mauvais poème est du 20 octobre 1653, et que l'ouvrage n'a été imprimé qu'en 1660. [492] Les deux soeurs et lui firent une fois mourir, sans y penser, une pauvre fille innocemment à Avenet. Il prit une vision à la princesse Anne d'aller trouver cette fille à son lit avec un cierge, et l'exhorter à la mort. Cela la saisit, et comme on disoit en riant: La voilà qui va passer, elle passa effectivement. (T.) [493] Elle dit un jour à un homme d'église, chanoine de Reims, qui les avoit mariés dans la chapelle de l'Hôtel de Nevers: «N'est-il pas vrai que M. de Guise est mon mari?--Ma foi! madame, lui dit ce bon homme, vous fûtes aussi aise que s'il y eût eu mariage.» (T.) LA DUCHESSE DE CROY. Mademoiselle d'Urfé, fille du frère aîné de M. d'Urfé, qui a fait l'_Astrée_, n'ayant guère de bien, fut donnée à la Reine-mère: elle étoit fort jolie et fort spirituelle. A cette comédie où jouèrent les fils naturels de Henri IV, elle fit merveille; c'étoit alors toute la fleur de chez la Reine-mère: aussi fut-elle fort galantisée; on en médisoit même un peu. Le duc de Croy, grand seigneur de Flandres, riche, mais un riche mal aisé, et qui étoit grand d'Espagne, vint à la cour. Il n'avoit pu trouver à se marier, à cause qu'outre l'embarras des affaires, il étoit vérolé et puant à un point étrange: avec cela une vraie ballourde. M. de Bassompierre, qui l'avoit connu en Lorraine, lui proposa d'épouser mademoiselle d'Urfé: il l'épouse, et l'emmène à Bruxelles. Balzac a pris cette histoire de travers, et a dit dans ses _Entretiens_, «qu'un prince étranger avoit demandé en mariage une fille de la Reine, et que cela avoit fort nui aux autres, qui, en se flattant, attendoient une même fortune.» A Bruxelles, ils furent ensemble environ six ans; elle en avoit vingt quand elle fut mariée. Au bout de ce temps-là, le duc fut tué d'un coup d'arquebuse, à travers les fenêtres d'une salle basse où il se promenoit. On accusa le marquis Spinola de cet assassinat, parce qu'il étoit amoureux de la duchesse, et qu'après cela il la vit fort familièrement. Elle croyoit l'épouser, quand le roi d'Espagne l'envoya en Italie, où il mourut peu de temps après. Or, pour ses conventions matrimoniales et pour son douaire, elle eut assez d'affaires, dont un de ses parents nommé le chevalier de Mailly prit le soin. Pour l'en récompenser, elle l'épousa, car il n'avoit point fait les voeux, et, quoique pauvre, étoit d'une fort bonne maison de Picardie. Ce mariage ne fut déclaré qu'après la mort de la duchesse; elle ne vouloit pas perdre son rang: ils demeuroient cependant ensemble à Saint-Victor. Ils ont eu une fille, qui est celle dont nous venons de parler: celui qui l'a épousée est de la maison de Schomberg et est premier maître-d'hôtel du roi de Pologne. Je pense que madame de Schomberg a aussi contribué à ce mariage. M. le chancelier tint un jour un enfant avec la duchesse de Croy: c'étoit une fille. Le curé demanda quel nom elle lui vouloit donner. «Je ne sais, dit-elle, car mon nom est un vrai nom d'idiote; je m'appelle Geneviève.» Le curé lui en fit une grande réprimande: «Que c'étoit une des plus grandes saintes du paradis, et celle de toutes à qui la France avoit le plus d'obligations.» Ensuite M. le chancelier, ayant pris des lunettes pour signer, lui en fit des excuses, et dit que cela étoit bien vilain en présence d'une belle dame comme elle. «Ne vous embarrassez pas de cela, répondit la duchesse, on m'a accusée d'aimer un galant qui en avoit aussi bien que vous.» (C'étoit Spinola). TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME. Pages. Le maréchal de Marillac. 1 Madame Du Fargis. 4 Le maréchal d'Effiat. 9 Le Père Joseph, les religieuses de Loudun. 10 M. de Noyers et l'évêque de Mende. 15 M. de Bullion. 18 Madame d'Aiguillon. 25 Le cardinal de Lyon. 34 Lopès. 38 Le maréchal de Brézé, son fils et mademoiselle de Bussy. 41 Le duc de Brézé. 50 Le Maréchal de La Meilleraye; et les soeurs de la maréchale. 51 Louis XIII. 64 M. d'Orléans (Gaston). 88 Sauvage. 97 M. de Montmorency. 99 M. de Bautru. 103 Maugars. 114 L'archevêque de Bordeaux. 120 Mademoiselle de Gournay. 124 Racan et autres rêveurs. 127 M. de Brancas. 139 La Fontaine. 141 Bois-Robert. 144 Feu M. le prince, Henri de Bourbon. 180 L'archevêque de Reims, Éléonor d'Étampes de Valençay. 185 Le cardinal de Valençay. 199 Le marquis de Rambouillet. 207 Madame la marquise de Rambouillet. 214 Madame de Montausier. 234 Madame d'Yères, madame de Saint-Étienne et mademoiselle de Rambouillet. 256 Croisilles et ses soeurs. 262 Voiture. 271 M. Arnauld, et toute sa famille. 298 Arnauld (Antoine). 304 Arnauld (Isaac). 306 Arnauld du Fort. _Ibid._ Arnauld le Péteux. 308 Arnauld (Jeanne). 310 Arnauld d'Andilly. 312 Arnauld (Henri), évêque d'Angers. 315 Arnauld (Antoine), le docteur. 316 Le Maistre (Antoine). 317 La marquise de Sablé. 320 L'abbé de la Victoire. 330 Le comte et la comtesse de Maure. 332 M. de Lizieux. 338 Le maréchal de Gramont. 340 Madame de Saint-Chaumont. 348 Louvigny, Chalais et sa femme. 349 Le président Jeannin. 354 Le baron de Villeneuve. 357 M. de Chaudebonne et M. d'Aiguebonne son frère. 359 Neuf-Germain. 360 Maître Claude et autres officiers de l'hôtel de Rambouillet. 363 Silésie. 369 Aldimari. 370 Dubois. _Ibid._ Vaugelas. 371 Godeau, évêque de Vence. 373 Gombauld. 377 Chapelain. 399 Conrart. 416 La reine de Pologne, ses soeurs, Saint-Amant. 426 La duchesse de Croy. 428 FIN DU TOME SECOND. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LES HISTORIETTES DE TALLEMANT DES RÉAUX, TOME SECOND *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. Project Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away—you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. START: FULL LICENSE THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg™ mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase “Project Gutenberg”), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg™ License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg™ electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg™ electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg™ electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg™ electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. “Project Gutenberg” is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg™ electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg™ electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg™ electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (“the Foundation” or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg™ electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is unprotected by copyright law in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg™ mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg™ works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg™ name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg™ License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg™ work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country other than the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg™ License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg™ work (any work on which the phrase “Project Gutenberg” appears, or with which the phrase “Project Gutenberg” is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. 1.E.2. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase “Project Gutenberg” associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg™ trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg™ electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg™ License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg™ License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg™. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg™ License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg™ work in a format other than “Plain Vanilla ASCII” or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg™ website (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original “Plain Vanilla ASCII” or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg™ License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg™ works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg™ electronic works provided that: • You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg™ works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg™ trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, “Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation.” • You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg™ License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg™ works. • You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. • You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg™ works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg™ electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of the Project Gutenberg™ trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread works not protected by U.S. copyright law in creating the Project Gutenberg™ collection. Despite these efforts, Project Gutenberg™ electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain “Defects,” such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the “Right of Replacement or Refund” described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg™ trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg™ electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you ‘AS-IS’, WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg™ electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg™ electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg™ work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg™ work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg™ Project Gutenberg™ is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit www.gutenberg.org/donate. While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate. Section 5. General Information About Project Gutenberg™ electronic works Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg™ concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg™ eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg™ eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our website which has the main PG search facility: www.gutenberg.org. This website includes information about Project Gutenberg™, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.