The Project Gutenberg eBook of Le chat de la mère Michel: Complainte

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Title: Le chat de la mère Michel: Complainte

Author: Anonymous

Emile de La Bédollière

Illustrator: Livingston Hopkins

Release date: August 18, 2010 [eBook #33463]

Language: French

Credits: Produced by Laurent Vogel, Rénald Lévesque and the Online
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CHAT DE LA MÈRE MICHEL: COMPLAINTE ***







LE CHAT

DE

LA MÈRE MICHEL




SOCIÉTÉ ANONYME D'IMPRIMERIE DE VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE

Jules BARDOUX, Directeur.




LE CHAT

DE

LA MÈRE MICHEL


COMPLAINTE



82 illustrations par HOPKINS




PARIS
LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE
15, RUE SOUFFLOT, 15

1886


LE CHAT DE LA MÈRE MICHEL

COMPLAINTE 1

Note 1: (retour) Cette complainte est une imitation de l'amusant et spirituel conte de M. E. de la Bédollière, intitulé Histoire de la mère Michel et de son chat, édité par la maison Hetzel. (1 vol. in-16, prix 2 fr.)


I

Le marquis de Grenouillère,

Partant pour servir le roi,

Par malheur mourut en guerre

Au combat de Fontenoy;

Et sa veuve inconsolable,

Pour son éternel repos,

Sous le toit du misérable

Répandait l'aumône à flots.


III

Alors sa noble maîtresse

Sagement prit le parti

De consoler sa détresse

Par l'achat d'un ouistiti.

Hélas! l'animal en cage

S'ennuyant, dans le jardin,

Sortit par un jour d'orage;

Mais il avait, le gredin,

Oublié son parapluie.

Il prit une pleurésie.






II

Cependant de son veuvage

Le silence lui fit peur;

D'un perroquet le ramage

Vint soulager sa douleur.

Il mangeait de la verdure,

Quand du persil s'y trouva,

Et, lamentable aventure!

Sur-le-champ l'oiseau creva.




IV

La dame longtemps pleura,

Puis sur sa tombe jura

De n'aimer plus rien sur terre;

Vainement pour lui complaire

Sa parenté lui portait

Écureuils, serins, levrettes,

En un mot toutes les bêtes

Que l'amitié découvrait;

Rien désormais n'agréait.

V

Mais un jour, après l'office,

En sortant de Saint-Germain,

Par hasard sur son chemin

Elle devint protectrice

D'un malheureux chat, captif

Au milieu d'un groupe oisif,

Qui, plein d'une gaîté folle,

Se riait de l'animal

Traînant une casserole

Pour appendice final.

VI

Tout autour la troupe danse

Et force cailloux lui lance.

VII

La marquise à cette vue

De pitié se sent émue,

Et promet un beau louis d'or

Pour l'avoir vivant encor;

Chacun se met en poursuite,

Et le chat est pris bien vite.

VIII

Pour mieux voir le compagnon

Dont s'est faite ainsi l'emplette

Il faut tirer son lorgnon:

Elle est charmante, la bête!

IX




Minet, insouciant du sort,

Se laisse mettre en carrosse,

Et sur un coussin s'endort

Tandis que trotte la rosse.







X


De la mère Michel se voit ici l'image

A côté du portrait de monsieur Lustucru.

L'une plie un fichu revenu du lavage,

L'autre porte les clefs des vins du meilleur cru.

Il s'en va vers la cave. Y ferait-il bombance?

Je n'en sais rien; son portrait est si noir

Que, s'il eut le nez rouge, on n'y peut plus rien voir.

Ce que je puis, du moins, dire avec assurance,

C'est que chez la marquise il fut maître d'hôtel,

Et que la mère Michel

Était femme de confiance.



XI

Lustucru, peu flatté de voir que l'on apporte

Un nouveau commensal, peste et se dit tout bas:

«Oh! que le diable les emporte!»

Mais la marquise n'entend pas.

Et voilà Lustucru qui doucement caresse

Le chat, pour plaire à sa maîtresse.

XII


Ce n'est pas là tout; on s'apprête

A faire audit chat sa toilette.

Monsieur Lustucru pompera,

La mère Michel brossera.

Minet, peu fait à l'hydrothérapie,

Croit qu'il y va perdre la vie.

XIII


Heureusement l'émotion

Qu'au chat causa l'ablution

Se dissipe, quand on lui donne

A dîner. La cuisine est bonne;

Le friand goûte à tout: poulet, carpe, canard:

Au bout de quelques jours il devient gras à lard.



XIV


Ce qui ne pouvait lui plaire

C'était ce que Lustucru

Préparait: mets cuit ou cru,

C'est tout au plus s'il le flaire.


XV


Moumouth, c'était son nom, pourtant vivait heureux,

Quand un message douloureux

Soudain apprit à sa maîtresse

Que sa noble soeur, la comtesse,

Vers l'autre monde s'en allait

Et près de son lit l'appelait:

Triste sort! D'un ami fidèle

Il va falloir se séparer,

Et la dame pour mieux pleurer

Tire son mouchoir de dentelle.





XVI


Il faut partir promptement;

«A votre sûr dévouement,

Mère Michel, je confie

L'être qui charme ma vie;

Vous recevrez cent louis d'or

Pour soigner mon cher trésor.»

Lustucru de jalousie

Se sent l'âme en frénésie.




XVII


Du chat il jure la mort

Pour se venger de son sort.


XVIII


De Madame la voiture

Est prête. Oh! cruels moments!

Comment peindre la torture

Des derniers embrassements?


XIX


Moumouth, près de la marquise,

Se cramponnait. Le signal

Du départ fait lâcher prise

Aux griffes de l'animal.


XX


Mais pour lui cette émotion

Se trouvait être trop forte;

Faible de constitution,

Il s'évanouit: on l'emporte,

Et puis, pour le fortifier,

On emplit une cuillère

D'un remède salutaire:

L'eau des Carmes de Boyer.



XXI

Pour charmer sa solitude

Mère Michel travaillait;

Près d'elle, exempt d'inquiétude,

Son chat Moumouth sommeillait.

Lustucru qui, dans sa tête,

S'est promis de tuer la bête,

D'un favorable moment

Veut profiter. Doucement

Il s'approche: «Par la goutte

Notre concierge est repris,

Dit-il; vous avez sans doute

Entendu d'ici ses cris?»


XXII


C'était bien vrai: par la patte

Le portier est enchaîné,

Et, devenu cul-de-jatte,

Il jure comme un damné.


XXIII

Auprès du pauvre invalide

Descend la mère Michel

Alors, le maître d'hôtel,

Qu'une aveugle fureur guide,

Saisit le chat au collet:

«A nous deux, mon camarade!

Ensemble allons, s'il vous plaît,

Faire un tour de promenade.»



XXIV


Puis dans un panier il plonge

Moumouth, qui, tout effaré,

Croit être le jouet d'un songe

De son esprit égaré.

XXV


Lustucru vers la rivière

S'enfuit avec son fardeau,

Dans l'intention meurtrière

De jeter la bête à l'eau.

XXVI


Dans un accès d'allégresse

Il esquisse un entrechat,

Tandis que le pauvre chat

Sent augmenter sa détresse.


XXVII


Enfin, voici qu'on arrive

Sur le pont: il faisait nuit,

Et, de l'une à l'autre rive,

On n'entendait aucun bruit.

La nuit protège le crime!

Soudain le panier fatal

S'ouvrant, au fond du canal

Laisse tomber la victime.




XXVIII


Mère Michel de retour,

Dans la maison, dans la cour,

Partout vainement appelle

Son chat: «Hélas! pense-t-elle,

Moumouth doit être perdu,

Puisqu'il n'a pas répondu!»

XXIX


Vite la voilà qui monte

En la chambre où Lustucru

Venait de cacher sa honte

Sous un drap de chanvre écru:

«J'ai, le quittant, dit-elle, à votre garde

Confié Moumouth, et partout je regarde

Sans le trouver. Peut-être est-il ici?

Prenez pitié de mon cruel souci!»


XXX


Du succès de son audace

Lustucru s'applaudit fort;

Mais dissimulant: «De grâce

Ne pleurez pas; c'est à tort.

Par mes soins tout notre monde

Va se mettre à le chercher,

Il n'est retraite profonde

Qui nous le puisse cacher.

XXXI


On n'a rien trouvé! «Sans doute,

C'est un grand malheur pour tous,

Dit Lustucru, mais il coûte

A vous encor plus qu'à nous.

Je crains bien qu'en sa colère

Madame de Grenouillère

Vous ôte la position

Que vous occupez près d'elle.»

Une anxiété cruelle,

A cette supposition,

S'est peinte sur la figure

De la pauvre créature,

Qui, perdant le sentiment,

Se laisse choir lourdement.

XXXIII


Les lignes, bien amorcées,

Sont adroitement lancées.

Et chacun se dit: Ça mord!

Bientôt, hors de la rivière,

Notre couple amène à bord...

Quoi donc?... Un chat de gouttière!

XXXII


Le jour venait de renaître.

La lueur de ses premiers feux

Sur le pont fait apparaître

Des pêcheurs: ils étaient deux.

Ils conviennent à l'avance

Qu'ensemble ils opéreront,

Soutenus par l'espérance

Du bon repas qu'ils feront.






XXXIV


Pensez si nos pauvres gens

Firent piteuse figure.

Retrouvant de leurs quinze ans

L'ardeur et la vive allure,

Ils poursuivent, furieux,

L'animal malencontreux,

Qui, plus qu'eux rapide et leste,

Part sans demander son reste.

XXXV


Il entre en une boutique:

C'était chez un boulanger!

Il y voudrait bien manger

Quelque aliment stomachique.

Un rat sort à quatre pas

Et lui fournit son repas.

XXXVIII

Tout à coup qu'aperçoit-il?

Un gros vilain chien de garde

Qui fixement le regarde

Et qui fronce le sourcil.

XXXVI


Un enfant se trouvant là:

«Eh! patron, dit-il, voilà

Un client d'une autre sorte!

Je vais le mettre à la porte.»

Et déjà le polisson,

S'armant d'une casserole,

Joint le geste à la parole.

«Garde-t'en bien, mon garçon;

Ce bon chat, par sa présence,

Des rats détruira l'engeance.»

XXXVII


Moumouth, car c'était lui-même,

Dès lors est fort respecté;

Mais le chat, comme nous, aime

Avant tout la liberté.

En voyant porte et croisée

Se fermer, hors de ces lieux

Il s'échappe sans adieux

Par une vitre brisée.

XLI

Et pendant ces tristes jours

Mère Michel que fait-elle?

Gardant sa douleur mortelle

Ses sanglots suivent leur cours.

XXXIX


Moumouth avait pris la fuite,

Mais bientôt à sa poursuite

Sont tous les chiens du canton.

Chacun, d'un différent ton,

Aboie après notre bête:

Elle en va perdre la tête...


XL


A Moumouth s'offrit un mur,

Fort à point, sur son passage;

Il s'en fait un abri sûr,

Tandis que la meute enrage.


XLII


Lustucru, qui d'un mensonge

S'enrichit chaque matin,

A, dit-il, du chat, en songe,

Connu le retour certain.

XLIII


Recouvrant de l'espérance,

Mère Michel recommence;

A fureter en tous lieux;

Elle y va perdre les yeux.

XLIV


Lustucru, le galant homme!

L'accompagne en ce moment

Au grenier; et voyez comme

Il cherche attentivement.

XLV


Mais un miaou! soudain s'est fait entendre

Et le maître d'hôtel reste tout éperdu

Quand de la pauvre femme il voit les bras s'étendre,

Et qu'elle crie: «Enfin, Moumouth m'est donc rendu!»

XLVI


Au comble de la colère

Lustucru pèse à nouveau

Les moyens de se défaire

De ce sorcier de chat échappé du tombeau.



XLVII


Alors lui vient en mémoire

Qu'il garde dans son armoire

Un paquet de mort aux rats:

«Qui sait si cette substance

N'agirait point sur les chats?

Faisons-en l'expérience.»



XLVIII


De Moumouth à chaque instant

L'appétit va s'aiguisant;

Même il arrache une pièce

Au jupon de sa maîtresse.

XLIX


Enfin! Monsieur est servi.

Voici qu'on ouvre la porte:

C'est le maître d'hôtel qui gravement apporte

Un mets dont l'animal est tout d'abord ravi.


L


Bien vite Moumouth le flaire

Puis, s'éloigne du ragoût.

D'où peut venir ce dégoût?

Ah! le mauvais caractère!

LI


Mère Michel cependant,

Voulant se bien rendre compte,

De ce bizarre accident,

S'en allait porter la dent

Au morceau: «C'est une honte,

Fait Lustucru; ce pâté

Pour une bête apprêté

Serait votre nourriture!

Respectez la dignité

De notre humaine nature.»

Cet argument l'éblouit,

Sans réplique elle obéit.

LII


Le plat, oublié sans doute,

Demeure en un sombre coin,

Mais, pressé par le besoin,

Voilà qu'un gros rat y goûte.

Aussitôt le malheureux

Va retrouver ses aïeux.

LIII


Le maître d'hôtel, en rage,

Ne perd pourtant pas courage.

C'est d'Alexandre le Grand

Qu'en ce jour il entreprend

De se faire un auxiliaire.

Madame de Grenouillère

Du héros mit en ces lieux

Le buste: car à ses yeux

Il représentait l'image

De l'époux qu'un mortel trait

Frappa, sans qu'aucun portrait

Eût reproduit son visage.

D'ailleurs Lustucru savait

Que ce monarque avait fait

Au pays des schahs la guerre.

Où trouver mieux son affaire?



LIV


Chaque nuit Moumouth s'endort

Au pied dudit personnage;

Tout à coup un balai sort

Du beau milieu d'un vitrage.

Il renverse le grand roi,

Et l'assassin se dit: «Le chat est mort, je crois».



LV


Mère Michel se sent prise

De terreur; mais en chemise

On voit le traître accourir

Pour aller la secourir.




LVI


D'émotion la malheureuse

S'affaissait, quand, doucement,

Un bon verre de chartreuse

Lui rend vie et mouvement.

LVII


Vous jugez de sa gaîté,

Voyant le roi culbuté

Sans que d'aucune blessure

Semble souffrir l'animal.

«Tout cela finira mal,

Pense Lustucru; je jure

Par mon bonnet de coton

Qu'il mourra sous mon bâton.»




LVIII


Pourtant, contre sa vengeance

Sachant le chat protégé,

Lustucru, découragé,

Reconnaît son impuissance,

Et court prendre son chapeau

Pour s'aller jeter à l'eau.

LIX


A peine dehors il frôle

Un fort vilain petit drôle

Qu'une vieille sermonnait

Et du geste menaçait.


LX


Justement la femme quitte

Le polisson, qui, bien vite,

Grimpe d'un air triomphant

Sur une borne. L'enfant,

En ce haut poste, examine

L'habitation voisine.





LXI


«Que fais-tu là, mon garçon?

Dit Lustucru.--Moi? Je pense,

En voyant cette maison,

Qu'on y doit en abondance

Avoir à boire, à manger;

Cela me fait enrager.

--Tu veux entrer là?--Sans doute.

--Alors, mon petit, écoute!»

Du maître d'hôtel l'espoir

Renaissait. Il croyait voir

Dans le gamin un compère,

Pour l'aider à se défaire

De son mortel ennemi.

«Quel est ton nom?--Faribole.

--C'est bon! Crois à ma parole,

Viens. Dans un mois et demi

Rentre la propriétaire

De l'hôtel La Grenouillère;

D'ici là je t'apprendrai

Le service et te rendrai

Fort savant dans la cuisine.

Viens, j'aime beaucoup ta mine!»


LXII


Par de légers accidents

L'apprentissage commence,

Et l'on voit s'orner de dents

Les assiettes de faïence.

LXIII


Par bonheur l'enfant plaisait

A Moumouth: il s'amusait

A lui faire des caresses.

Lustucru s'en réjouissait;

Pour lui cela compensait

Les plus grandes maladresses.

Or un jour il dévoila

Ses projets, et les voilà:






LXIV


«Je veux, dit-il, Faribole,

Exterminer ce chat hideux dont on raffole.

Il t'aime, il te suivra; il faut, dès ce matin,

L'attirer au fond du jardin,

Puis le mettre en un sac: tu le feras sans peine;

Et j'ai préparé deux bâtons

Avec lesquels nous frapperons

Jusqu'à ce que la mort survienne.»


LXV


A cet ordre inattendu,

L'enfant demeure éperdu;

Puis retrouvant son courage:

«Je ne puis d'un tel ouvrage

Me charger.--Fort bien! Alors,

Reprends tes haillons et sors.»


LXVI


Le jeune homme en sa détresse

Vainement pense toucher

Ce coeur plus dur qu'un rocher.

Se riant de sa faiblesse,

Le tyran ne dit mot, hors:

«Reprends tes haillons et sors!»


LXVII


Sous l'empire de la crainte

Faribole est abattu;

Il sent faiblir sa vertu,

Et, cédant à la contrainte,

Il consent à partager

Le crime. Dans le verger

Voyez la bête qu'on porte.

Bientôt elle sera morte!



LXVIII


En effet, ses assassins

S'armaient d'énormes gourdins,

Quand un bruit se fait entendre,

Et Lustucru croit comprendre

Que Madame est de retour.

Ordonnant à son complice

D'achever le sacrifice

Vite il vole dans la cour.



LXIX


Madame de Grenouillère

Baise avec effusion

La fidèle chambrière,

Gardienne de l'objet de son affection.




LXX


Pendant ce temps Faribole,

Assis au fond du jardin,

Martyrise la corolle

D'une fleur qu'il tient en main.

Quand vient son maître il assure

Avoir à notre chat donné la sépulture.

Mais, en réalité, par un arrêt plus doux,

Moumouth avait été vendu pour quinze sous.

LXXI


Aussitôt qu'à sa maîtresse

Elle a souhaité le bonjour,

La mère Michel s'empresse

De donner au chat son tour.

Mais en tous lieux on l'appelle.

Cette fois, c'est bien en vain;

La marquise, de chagrin,

Faillit mourir: «Ah! dit-elle,

Il faut aller promptement

Trouver la devineresse

Que mon inquiète tendresse

Consulta si fréquemment

Quand monsieur de Grenouillère

Loin de moi partit naguère.»

Alors, sans perdre un moment,

Mère Michel, fort soumise

Aux ordres de la marquise,

Obéit, et trois écus

Roulent dans les doigts crochus

De la vieille prophétesse

Qu'éblouit tant de largesse.


LXXII


Tenant ses cartes en main,

Elle y voit que le destin

Contre Moumouth se déchaîne,

Que vers la mort on l'entraîne;

Bref, qu'il vient d'être égorgé

Pour être en civet mangé.

LXXIII


Mais, miracle! on voit paraître

Le chat. Par une fenêtre

Il a sauté. Stupéfait,

L'oracle reste muet.

«Vous l'aviez volé, madame,

Ah! ma foi, pour vous tant pis!

Pensez-vous qu'en paradis

Vous l'emporterez? Non, dame!»

LXXIV


«J'avais besoin d'un chat noir,

Murmure pour toute excuse

La prophétesse confuse;

Longtemps j'ai nourri l'espoir

D'en posséder un; le vôtre

Me fut vendu comme un autre.»

LXXV

Moumouth est donc rapporté

A son heureuse maîtresse.

Pour le coup Lustucru, par trop désappointé,

Ne peut s'imaginer qu'encor il reparaisse,

Et bien peu s'en fallut, dit-on, qu'il ne criât:

«Il me faut cette fois donner ma langue au chat!»

LXXVI

O comble de perfidie!

Le traître vient accuser

Son complice, et déposer

Contre lui. Mais l'enfant nie

Toute mauvaise intention:

«Du chat j'ai sauvé la vie;

Cet homme en sa barbarie

L'eût occis sans rémission.»

LXXVII


Madame de Grenouillère

Ne peut croire à ce récit,

Et donne ordre, en sa colère,

De chasser l'enfant maudit.

Pour prouver son innocence

Se chargeant de la vengeance,

Lustucru met du talon

Le gamin hors du salon.

LXXVIII


Jamais le bonheur ne dure

Aux méchants: par aventure,

Dans un coin très écarté,

L'on retrouva le pâté

Fait pour le chat. Cette vue

Fut une révélation.

Savants, lunettes, cornue

Sont mis à contribution,

Et, d'accord, par l'analyse,

D'une manière précise

Prouvent qu'un affreux poison

S'y mélangeait à foison.

LXXIX


Alors se faisant justice,

Sans attendre la police,

Lustucru s'enfuit bien fort

Et court prendre un passeport

Pour aller en Australie

Finir sa coupable vie.

LXXX


Mais, trop juste punition,

Au bord d'une île sauvage

Le malheureux fit naufrage

Et, sans nulle compassion,

Un cruel anthropophage

S'en fit un maigre potage.

LXXXI


A ce triste événement

Madame de Grenouillère,

Hélas! ne survécut guère.

Pour prix de son dévouement,

Mère Michel d'un cottage

Hérita par testament:

On en voit ici l'image.

LXXXII


Près d'elle vécut heureux

Moumouth, et même l'histoire

Dit qu'il sut charmer les yeux

D'une belle chatte noire.

Répondant à son désir,

Elle lui donna sa patte;

Leur union vint réjouir

Mère Michel, qui se flatte

De vivre encor de longs ans

Avec ses petits enfants.




SOCIÉTÉ ANONYME D'IMPRIMERIE DE VILLEFRANCHE-DE-ROUERGUE.--JULES BARDOUX, DIRECTEUR.