The Project Gutenberg eBook of Mémoires du prince de Talleyrand, Volume 4 This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Mémoires du prince de Talleyrand, Volume 4 Annotator: Albert de Broglie Author: prince de Bénévent Charles Maurice de Talleyrand-Périgord Release date: April 11, 2010 [eBook #31952] Most recently updated: January 6, 2021 Language: French Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DU PRINCE DE TALLEYRAND, VOLUME 4 *** Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. MÉMOIRES DU PRINCE DE TALLEYRAND PUBLIÉS AVEC UNE PRÉFACE ET DES NOTES PAR LE DUC DE BROGLIE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE IV PARIS CALMANN LÉVY, ÉDITEUR RUE AUBER, 3, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE 1891 Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays y compris la Suède et la Norvège. DIXIÈME PARTIE (_Suite_) RÉVOLUTION DE 1830 (_Suite_) (1830-1832) MÉMOIRES DU PRINCE DE TALLEYRAND Illustration: LE PRINCE DE TALLEYRAND AMBASSADEUR DE FRANCE A LONDRES RÉVOLUTION DE 1830 (_Suite_) (1830-1832) En résumant les divers points de l'affaire belge au commencement du mois de janvier 1831, nous étions arrêtés à _La Haye_, par le roi des Pays-Bas, qui finissait par céder sur l'indépendance de la Belgique, mais qui y mettait des conditions inacceptables quant aux frontières, au partage de la dette; à _Bruxelles_, par le congrès qui menaçait toujours de voter la réunion de la Belgique à la France, c'est-à-dire la guerre européenne, ou d'appeler au trône le duc de Nemours pour s'assurer, par la protection de la France, l'annexion du grand-duché de Luxembourg, ce qui conduisait également à la guerre; à _Paris_, par la crainte que le choix du prince Léopold de Saxe-Cobourg ne parût une concession humiliante faite à l'Angleterre; enfin, à _Londres_, par les plénipotentiaires de Russie, qui, autorisés par leur souverain, à signer l'acte qui prononçait l'indépendance de la Belgique, avaient reçu défense expresse de consentir à un autre choix, comme souverain de ce pays, qu'à celui d'un prince de la maison de Nassau. Il fallait sortir de ce dédale par une marche nette et ferme. Je me décidai à proposer aux trois autres puissances dans la conférence de ne pas s'arrêter au refus de la Russie, quant au choix du souverain, car il n'était pas nécessaire que les reconnaissances arrivassent simultanément; et la Belgique serait un royaume, lorsque quatre des grandes puissances l'auraient reconnu pour tel. J'insistai également pour qu'on passât outre devant les résistances des Belges et des Hollandais, et j'écrivis ceci à Paris[1]: «... La question n'est plus dans telle et telle limite, dans une portion plus ou moins forte de la dette; elle n'est plus dans la maison de Nassau ou dans celle de Bavière,--elle est tout entière dans le système guerroyant ou dans le système pacifique. Le premier aura infailliblement ce qu'il veut, soit de la réunion de la Belgique à la France, soit du choix accepté de M. le duc de Nemours. Le second sera satisfait par le choix du prince de Naples que la conférence est disposée à adopter. Mais il faut que le gouvernement français, avec les formes de la décision, s'assure des dispositions de la Belgique. M. de Celles, s'il agit franchement dans cette vue, peut être utile à cette combinaison. Alors il faut que notre ministère se prépare à livrer au parti Mauguin et au parti Lamarque, bataille sur le terrain napolitain, car certainement il s'élèvera quelque opposition, soit à Bruxelles soit à Paris. Si pour nous embarrasser, les intrigants de Paris font proclamer M. le duc de Nemours, un refus formel du roi nous met à l'aise vis-à-vis des puissances. La réponse dilatoire dont parle la dépêche du 2, que je viens de recevoir, porterait, je le crains, un coup très fâcheux à la confiance des cabinets. La Russie, toujours prête à s'emparer de la politique de l'Angleterre, profiterait de cette circonstance pour pousser à l'extrême les hostilités de sociétés qui ont ici une très grande influence. Si donc le roi, comme c'est mon opinion, se croit assez fort pour conserver la paix, il faut un refus absolu de M. le duc de Nemours. Il y a, ce me semble, en France, une erreur généralement répandue: c'est celle de croire que nous pouvons conserver la paix avec l'Angleterre en faisant la guerre contre le continent; il est bien certain cependant qu'il faudrait des sacrifices incompatibles avec notre dignité, et qui probablement seraient insuffisants pour la désintéresser. M. de Flahaut, qui n'en était pas convaincu à son arrivée, a fini par en être persuadé[2]. Il s'agit donc de savoir si la France est en état de faire la guerre au continent: je pense que oui: mais est-elle en état de faire la guerre au continent et à l'Angleterre? Je ne le pense pas. Je suis effrayé, lorsque je lis nos journaux et nos discussions parlementaires, de la singulière ignorance, des préjugés et de l'aveugle présomption qui y règnent. On remarque ici que le ton de nos discussions s'altère; on nous blâme, on s'inquiète de notre effervescence, mais on ne nous redoute pas. [1] Le prince de Talleyrand à Madame Adélaïde (3 janvier 1831). [2] On se rappelle que le comte de Flahaut avait été envoyé à Londres par le général Sébastiani pour proposer à M. de Talleyrand un plan de partage de la Belgique. (Voir tome III, p. 410.) »Voilà ce qu'il est de mon devoir de ne pas dissimuler. Je pourrais beaucoup ajouter sur la difficulté d'une position qui fait qu'on est chargé des affaires d'un pays en ébullition, auprès de gens qui sont encore dans les vieilles routes. Mon dévouement me donne le courage de lutter ici contre la vieille jalousie anglaise, si prête à reparaître, sans espérer plaire à ma propre patrie... »M. le duc de Nemours refusé, si la Belgique persiste dans ce choix ou dans celui du duc de Leuchtenberg, on doit rappeller les commissaires anglais et français qui sont à Bruxelles et ne plus recevoir qu'ensemble les communications que les Belges voudraient faire. S'ils se remettent en guerre avec la Hollande, ou la Hollande avec eux, comme on ne veut pas avoir la guerre auprès de soi, il faut bloquer les ports du pays, quel qu'il soit, qui a attaqué. Et cela fait, on restera tranquille et on laissera le temps fournir quelque combinaison raisonnable...» Je crus que ces observations avaient produit quelque effet à Paris, en recevant la réponse suivante du général Sébastiani, en date du 5 janvier: «Mon prince, »Nous n'avons jamais balancé sur le parti que nous prendrions relativement à la Belgique. Nous refuserons sans balancer, et sa réunion à la France, et la couronne pour M. le duc de Nemours[3]. Nous avons pensé, il est vrai, que d'autres arrangements que son indépendance affermiraient mieux la paix de l'Europe; mais nous attendrons que cette conviction soit passée dans l'esprit des grandes puissances, et notamment dans celui de l'Angleterre. Quelque éloigné que puisse être ce moment, nous saurons l'attendre. [3] Sur les sentiments du roi et de la famille royale au sujet de l'élection du duc de Nemours, voir à l'Appendice, p. 481, une lettre de Madame Adélaïde à M. de Talleyrand. »Le roi des Français donnera à l'Europe l'exemple d'un grand désintéressement et d'une loyauté politique qui pourra servir de modèle. Il en a la ferme volonté, mon prince, et il me charge de vous le dire. Ainsi, vous pouvez prendre des engagements positifs à cet égard avec les puissances, sans craindre que rien puisse ébranler sa résolution. La paix, mon prince, sera votre ouvrage, et après une telle déclaration, rien ne me paraît devoir en compromettre la conservation. Notre langage avec les Belges a toujours été net et positif. J'espère encore qu'ils ne feront pas de folies. »La confiance du roi dans votre haute sagesse et dans votre dévouement pour son service est telle, qu'il se repose sur vous du parti à prendre dans ce qui intéresse la dignité de sa couronne et l'intérêt de notre patrie.» Assuré par les déclarations contenues dans cette lettre, que je pouvais compter sur l'appui du roi, je m'inquiétais moins, en quoi j'avais tort, on va le voir, des entraînements auxquels pourraient se laisser aller le général Sébastiani et les autres ministres, et fort peu, je l'avoue, des dispositions des Belges que l'un des commissaires de la conférence à Bruxelles, M. Bresson, ne me dépeignait pas cependant sous des couleurs bien favorables. Je ne m'attendais donc pas à la surprise qu'on nous préparait de ce côté. Une nouvelle candidature au trône de Belgique avait tout à coup surgi à Bruxelles, celle du prince Othon de Bavière âgé de quatorze ans. Le général Sébastiani, informé de ce fait par M. Bresson, lui avait écrit sur-le-champ que le gouvernement français verrait sans répugnance le choix du prince Othon, s'il était bien convenu qu'il épouserait une fille du roi des Français[4].M. Bresson avait communiqué aux membres principaux du congrès la lettre du général Sébastiani, qui ne tarda pas à être publiée, imprimée, affichée même dans les rues de Bruxelles. [4] Voir à ce sujet une lettre de Madame Adélaïde à M. de Talleyrand. (Appendice, p. 482.) Une pareille communication empruntait un caractère de grande importance, quand elle était faite par un agent représenté comme ayant à la fois les pouvoirs de la conférence et ceux du gouvernement français[5]. [5] En outre de cette publication, M. le comte d'Arschot avait lu à la tribune du congrès, le 8 janvier, deux lettres de MM. Gendebien et Rogier, dans lesquelles les envoyés belges à Paris disaient que M. Sébastiani leur avait formellement promis de reconnaître le prince Othon qui épouserait la princesse Marie d'Orléans (voir les _Débats_ du 11 janvier). Cette candidature du prince Othon n'eut pas de suite. Le parti qui le soutenait ne tarda pas à lui substituer le duc de Leuchtenberg. Dès que j'avais eu connaissance qu'il était question du prince Othon, j'avais écrit le 6 janvier à Paris qu'il n'aurait l'assentiment de personne[6]. «... Ce prince, disais-je, ne peut monter sur le trône qu'entouré de conseillers, qui, par leur nombre et leurs relations, n'inspirent aucune confiance aux cabinets de l'Europe[7]. Nous n'avons pas encore la nouvelle de la détermination qui aura été prise; mais au départ du dernier courrier, il était annoncé comme probable que le choix tomberait sur lui[8] et comme il n'a que quatorze ans, c'est M. de Mérode qui devait être placé auprès de lui, faisant les fonctions de régent. Ce grand parti a été pris avec une légèreté qui paraît extraordinaire à tout le monde; car, premièrement, on ne sait pas si le roi de Bavière y consentirait; secondement, un royaume nouveau, placé entre les mains d'un enfant, ne paraît pas bien raisonnable; troisièmement, une royauté nouvelle qui commence par une régence est susceptible d'être entourée d'intrigues, et quatrièmement, M. de Mérode a en France des relations qui, probablement à tort, inquiéteraient quelques puissances.» [6] _Le prince de Talleyrand au comte Sébastiani._--Cette lettre est datée du 7 janvier dans le texte des archives.--Nous continuerons comme précédemment à indiquer les variantes des deux textes. On remarquera que M. de Talleyrand n'a généralement inséré ici que des fragments de sa correspondance avec M. Sébastiani. Il n'entrait pas dans notre plan de rétablir en note le texte intégral des dépêches, et nous nous en sommes tenus aux variantes existant dans les passages cités. Des points de suspension indiqueront les coupures. [7] Variante:... _et à Bruxelles on s'occupe de faire un roi qui vraisemblablement n'aura l'assentiment de personne s'il ne doit_ monter sur le trône qu'entouré de conseillers, qui par _leurs noms_... etc. [8] Variante:... _sur le jeune prince Othon de Bavière qui déjà était destiné au trône de la Grèce_. Trois jours après, le 9 janvier, lorsque les détails de ce qui s'était passé à Bruxelles furent connus de la conférence, je renouvelai dans mes dépêches à Paris l'expression du blâme que causait à Londres la manière dont cette affaire avait été conduite. Je ne m'en tins pas là et j'écrivis à Madame Adélaïde, soeur du roi, ce que je voulais qu'elle communiquât à Sa Majesté. «Londres, le 9 janvier 1831. »Je n'ai pas importuné ces jours-ci Mademoiselle de toutes mes tribulations. Je dois le dire, j'ai été d'autant plus peiné, que j'ai dû voir un dommage notable dans la marche des affaires; les défiances sont augmentées, et il faut beaucoup d'efforts et toute la confiance que l'on veut bien avoir ici en moi, pour que la position de l'ambassadeur de France ne soit pas changée. Mes propres susceptibilités sont bien peu de chose; mais je suis vivement atteint par ce qui peut nuire au service du roi. Mademoiselle va en avoir la preuve. C'est par le corps diplomatique que j'ai connu la lettre _affichée_ à Bruxelles. Je suis resté fort embarrassé devant un fait aussi positif, et qui ôte à mes paroles le crédit dont elles ont tant besoin. Dans une semblable position, tout autre eût sans doute quitté son poste, et les membres de la conférence, qui craignaient mon départ, m'ont plusieurs fois déclaré que mon départ serait un signal de rupture. Je suis donc resté, et par le désir de n'entraver par aucune considération personnelle la marche des affaires, et parce que, ambassadeur de Mademoiselle, j'aurais cru lui faire quelque peine en quittant ainsi la place où elle m'avait désiré. Mais je ne saurais y rester utilement, si l'on ne trouve pas de moyen de rendre à mes paroles toute leur force et de donner une sorte de satisfaction aux puissances réunies ici. Il paraît, d'après les journaux, car les dépêches de Paris n'en parlent pas, que M. Bresson a, sans autorisation, fait placarder la lettre du général Sébastiani. Je demande donc que le zèle imprudent de M. Bresson soit blâmé; qu'il soit renvoyé à son poste de Londres, et que je sois autorisé à déclarer que l'intention du cabinet français n'est pas de s'isoler, dans la question belge, de la marche adoptée par les grandes puissances[9]. Je voudrais bien aussi qu'on lût plus attentivement mes dépêches pour que l'on ne confondît pas de simples propositions avec des déterminations absolues. Cela éviterait de m'écrire que le protocole, _qui n'a pas existé, est entaché de partialité_. Il faut que l'affaire belge reste uniquement confiée à la conférence, sans quoi nous serons toujours accusés de jouer un jeu double. Le roi y gagnera de ne plus être importuné par les intrigues des Belges qui se remuent beaucoup trop à Paris...» [9] Voir à l'Appendice, p. 483, une lettre de M. Bresson à M. de Talleyrand. Les membres de la conférence, rassurés par les déclarations très nettes que je dus leur faire au sujet du prince Othon de Bavière, signèrent sur ma proposition le protocole numéro 9 dans lequel, laissant de côté cette question, comme si elle n'existait pas pour nous, nous invitâmes de la manière la plus ferme, d'une part, le roi des Pays-Bas, à lever le blocus du port d'Anvers qui était une des grandes causes d'irritation pour les Belges; et, de l'autre, les Belges à faire cesser les hostilités qu'ils entretenaient aux environs de Maëstricht. J'insistai à Paris, pour qu'on laissât faire à lord Ponsonby à Bruxelles toutes les tentatives en faveur des princes de Nassau, dans la conviction où j'étais que, ces tentatives n'aboutissant à rien, le gouvernement anglais prendrait plus fortement parti pour le prince de Saxe-Cobourg, qui restait toujours pour moi le candidat préférable. Le comité diplomatique du congrès de Bruxelles avait chargé plusieurs de ses membres de se rendre à Paris et à Londres pour s'entendre avec nous sur le prince qui nous conviendrait le mieux, et c'était sur cette députation que je comptais pour faire prévaloir un choix raisonnable; je ne me trompai pas dans mes prévisions. L'homme le plus intelligent de cette députation, M. Van de Weyer, entra dès lors en relation avec le prince de Cobourg et servit habilement ses intérêts à Bruxelles, en dépit de tous les incidents qui traversèrent la candidature du prince. Je cherchai à apaiser les inquiétudes qu'on me témoignait chaque jour de Paris, en écrivant à Mademoiselle le 12 janvier[10]: «Je n'ai pas écrit ces jours-ci à Mademoiselle parce que je voulais répondre en connaissance de cause. Mademoiselle a la bonté de me demander un conseil; il m'est impossible de répondre catégoriquement sur un état de choses qui non seulement est fort compliqué, mais qui se modifie d'heure en heure. La lenteur des Anglais, la mobilité des Belges, l'obstination des Hollandais, l'obligation de négocier avec des personnes qui n'arrivent que péniblement à des concessions opposées à leurs goûts et souvent à leurs intérêts, rendent tout difficile. Souvent, il faut reprendre le lendemain ce qui a été décidé la veille; il faut détruire avec de nouveaux raisonnements l'effet d'une lettre de lord Ponsonby qui ne voit pas toujours de même que M. Bresson. La présence et l'influence du prince d'Orange, le soutien que lui prête madame de Lieven, amie particulière de lord Grey: voilà des obstacles sans cesse renaissants, et qui décourageraient un zèle et une affection moins sincères et moins vifs que ceux que j'ai dans le coeur. Je ne vois pas qu'il y ait dans ce moment-ci un conseil positif à donner. La marche du roi a été admirable dans tout ceci: je demande encore quelques jours d'une conduite aussi mesurée; je suppose que dans ce court délai, le gouvernement anglais sera de nouveau détrompé sur les chances du prince d'Orange en Belgique; et c'est alors que nous pourrons soutenir avec avantage et autorité, soit le prince de Bavière, soit le prince de Naples, mais surtout ce dernier...» [10] Cette lettre est une réponse à la lettre de Madame Adélaïde du 3 janvier qui est insérée à l'Appendice, p. 481. Le 13 janvier, de nouveau, je lui mandais: «... Je conçois bien que les lenteurs de la conférence de Londres déplaisent à Mademoiselle; j'ose dire que je n'en suis pas moins contrarié, quoique je ne sois pas obsédé, comme l'est le roi, de toutes les importunités et de tout le mouvement des faiseurs politiques, toujours si pressés chez nous et qui gênent tant nos ministres. Le cabinet anglais n'est jamais pressé de rien parce qu'il n'a point à satisfaire à des impatiences aussi importunes. A Paris, on ne songe qu'à pousser le gouvernement, et ici on ne songe qu'à retenir. Ce qui entrave aussi beaucoup notre marche, et nous fait employer un temps considérable en explications de toute nature, ce sont les communications faites et publiées par les Belges[11]. Il faut interpréter toutes les conversations plus ou moins exactes qu'ils livrent au public, et réparer le moins mal possible les fautes que ces débutants en politique font chaque jour. Le ministère anglais désire que la question belge soit terminée avant le 3 février. Le roi aura vu dans le protocole numéro 9 que, malgré les obstacles, nous arrivons à quelque résultat, et que tout le monde y arrive ensemble. Il n'y a point de conférence aujourd'hui, ce qui fait que je vais à Brighton faire ma cour au roi et prendre l'air...» [11] Allusion à plusieurs faits qui s'étaient passés à Bruxelles. Voir page 8. Voir également, page 25, l'incident Sébastiani-Rogier. A mon retour de Brighton, j'eus un long entretien avec lord Grey; j'en rendis compte le 17 janvier à Paris[12]: «... J'ai vu ce matin lord Grey pendant très longtemps; j'ai pu m'expliquer avec lui d'une manière très nette; j'y étais autorisé, et par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14 de ce mois[13] et par des renseignements que je me suis procurés ici, qui m'ont prouvé que les affaires de M. le prince d'Orange n'étaient pas en aussi bon état que le gouvernement anglais aime à se le persuader. J'ai dit à lord Grey que les lenteurs avaient changé la disposition des esprits; que le parti du prince d'Orange était moins fort qu'on ne le pensait; que les catholiques n'en voulaient point et n'en voudraient jamais; que ceux qui désiraient la réunion à la France étaient contre lui; que suivre la direction dans laquelle on était aujourd'hui, c'était s'exposer à tous les malheurs d'une guerre civile; qu'une guerre civile en Belgique touchait de trop près la France, pour ne pas finir par compliquer toutes les questions; qu'il fallait enfin en venir au choix d'un souverain; et que ce souverain ne pouvait être qu'un catholique, et choisi parmi les princes Jean de Saxe, Othon de Bavière ou Ferdinand de Naples[14]. [12] _Le prince de Talleyrand au général Sébastiani._ (Dépêche déjà publiée.) [13] Voir cette lettre à l'Appendice, p. 484. [14] Charles-Ferdinand prince de Capoue. Il est généralement connu dans ces _Mémoires_ sous le nom de prince Charles. »Lord Grey m'a alors répondu qu'ils avaient tenu à voir le prince d'Orange pour suivre ses chances jusqu'à leur terme, afin qu'une fois perdu, la Russie n'eût plus à nous l'opposer et se décidât à marcher avec nous; que, quant au prince de Bavière, il ne savait pas pourquoi nous ne préférions pas le prince Charles, frère du roi.--Parce que, lui ai-je dit, il s'est prononcé violemment contre la dernière révolution de France, et que nous ne voulons pas avoir près de nous un prince disposé à prendre part à tout ce que la politique anti-française pourrait concevoir.--Mais le prince Othon de Bavière est trop jeune, reprit lord Grey; il faudrait commencer une dynastie par une régence et quels seraient les régents? Quelques-uns de ces hommes turbulents dont nous avons tant à nous plaindre.--Pourquoi donc ne pas choisir le prince de Naples, ai-je dit, il n'a pas cet inconvénient, puisqu'il a dix-huit ans?--Il n'en a que dix-sept[15], m'a-t-il répondu, et d'ailleurs il vous appartient de trop près pour ne pas nous embarrasser devant le parlement.--J'ai fait remarquer à lord Grey que ce n'était point un inconvénient réel; qu'une pareille objection aurait pu être faite lorsqu'il était question du prince Léopold de Saxe-Cobourg et qu'elle ne m'avait point arrêté[16]; que, du reste, notre intention était de nous entendre avec l'Angleterre; mais qu'il nous fallait sortir de l'état dangereux dans lequel la Belgique plaçait l'Europe, et la France en particulier; que bien certainement le choix fait par eux et par nous serait adopté, et qu'il fallait, pour y arriver, se faire des concessions réciproques. Les motifs que vous mettez en avant pour repousser les princes de Naples et de Bavière, lui ai-je dit en terminant, ne me paraissent pas suffisants, et si l'Europe est embrasée pour de tels motifs, ce n'est pas à nous qu'on adressera des reproches. [15] Le prince Charles de Naples était né le 10 octobre 1811. [16] C'était en effet ce qu'on reprochait on France au prince de Cobourg qui passait pour très anglais. Voir à l'Appendice, p. 481, une lettre de Madame Adélaïde au prince de Talleyrand. »Il m'est resté de cette longue conversation que, les chances du prince d'Orange évanouies, le choix s'établirait entre les trois maisons que j'ai désignées plus haut. Mes efforts porteront sur le prince de Naples; mais, pour conserver ma position vis-à-vis des membres de la conférence, je dois laisser épuiser la combinaison du prince d'Orange...» A côté, je devrais dire au-dessus de cette question, on le voit très compliquée, du choix du futur souverain de la Belgique, il y en avait une autre qui était plus immédiatement menaçante: c'était celle de la reprise des hostilités entre les Hollandais et les Belges, à laquelle se liait inévitablement une guerre générale et européenne. Le roi de Hollande, qui, comme nous l'avons dit, souhaitait par-dessus tout cette dernière, dans la pensée qu'elle amènerait la restauration de son gouvernement en Belgique, travaillait avec obstination à l'amener. En bloquant l'Escaut et le port d'Anvers, il suspendait tout le commerce de la Belgique, et causait ainsi une irritation extrême parmi les Belges, qui, par mesure de représailles, bloquaient la ville de Maëstricht, occupée par une faible garnison hollandaise. Ces deux faits étaient en opposition directe avec l'armistice conclu sous les auspices de la conférence. Aussi avions-nous, par un de nos protocoles, signifié au roi de Hollande d'avoir à lever le blocus de l'Escaut, au plus tard le 20 janvier, et aux Belges de cesser les hostilités autour de Maëstricht[17]. [17] Protocole du 9 janvier 1831. On n'avait encore obéi ni d'un côté ni de l'autre. Le roi de Hollande faisait marcher des troupes sur Maëstricht, et la Prusse était assez disposée à l'aider dans cette entreprise. Les partis bonapartiste et républicain à Bruxelles, qui avaient profité de l'irritation qu'y causait le blocus de l'Escaut pour provoquer les hostilités du côté de Maëstricht, n'attendaient que le moment où la lutte serait engagée pour demander le secours de là France, avec l'espérance qu'ils nourrissaient, tout comme le roi de Hollande, mais dans un autre but, qu'une guerre générale conduirait au renversement du gouvernement français et à la réunion de la Belgique à la France, devenue république. Il était urgent de pourvoir à ces dangers. La conférence renouvela au roi de Hollande l'injonction formelle de lever le blocus de l'Escaut, et menaça les Belges, s'ils ne cessaient leurs tentatives sur Maëstricht, de faire bloquer leurs ports par une escadre anglo-française. Il avait été proposé par quelques membres de la conférence d'employer l'armée prussienne pour empêcher la marche des Belges sur Maëstricht; je m'y étais péremptoirement opposé, et c'est ainsi que j'avais fait prévaloir la menace du blocus des ports belges. Je trouvais dans ce moyen l'avantage qu'il avait été déjà proposé par moi, à l'égard des ports hollandais, lorsqu'il s'était agi de forcer le roi Guillaume à la levée du blocus d'Anvers, et que d'ailleurs mon intention était encore de le faire valoir, si le 20 janvier notre protocole du 9 n'avait pas reçu son exécution. Mais toutes ces mesures n'étaient que des palliatifs provisoires qui ne nous tiraient pas de dangers permanents. J'en avais médité une pendant plusieurs jours, que je regardais comme décisive, en ce qu'elle mettrait fin aux espérances du parti révolutionnaire en Belgique et en France, aussi bien qu'aux tentatives réactionnaires du roi Guillaume; c'était une déclaration par les puissances de la neutralité de la Belgique. Je la soumis à la conférence dans sa séance du 20 janvier, où j'eus la satisfaction de la faire adopter et consigner dans le protocole de ce jour[18]. Le compte rendu de cette séance que j'adressai à Paris, le 21 janvier fera connaître l'importance du résultat que j'avais obtenu[19]. [18] Le protocole du 20 janvier comprenait deux séries de décisions. Il fixait les limites de la Belgique et de la Hollande sur le pied du _statu quo_ 1790; il proclamait ensuite en ces termes la neutralité du nouvel État: »... Les plénipotentiaires... sont unanimement d'avis que les cinq puissances devaient à leur intérêt bien compris, à leur union, à la tranquillité de l'Europe, et à l'accomplissement des vues consignées dans leur protocole du 20 décembre, une manifestation solennelle, une preuve éclatante de la ferme détermination où elles sont, de ne rechercher dans les arrangements relatifs à la Belgique comme dans toutes les circonstances qui pourront se présenter encore, aucune augmentation de territoire, aucune influence exclusive, aucun avantage isolé, et de donner à ce pays lui-même ainsi qu'à tous les États qui l'environnent les meilleures garanties de repos et de sécurité. C'est par suite de ces maximes, c'est dans ces attentions salutaires que les plénipotentiaires ont résolu d'ajouter aux articles précédents ceux qui se trouvent ci-dessous: »ARTICLE V.--La Belgique, dans les limites telles qu'elles seront arrêtées et tracées conformément aux bases posées dans les articles 1,2 et 4 du présent protocole, formera un État perpétuellement neutre. Les cinq puissances lui garantissent cette neutralité perpétuelle ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire dans les limites mentionnées ci-dessus. »ARTICLE VI.--Par une juste réciprocité, la Belgique sera tenue d'observer cette même neutralité envers tous les autres États, et de ne porter aucune atteinte à leur tranquillité intérieure ou extérieure.» [19] Voir à ce sujet une lettre de Madame Adélaïde à M. de Talleyrand (Appendice, p. 489.) LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[20]. [20] Dépêche officielle déjà publiée. «Monsieur le comte, »J'ai l'honneur de vous transmettre le protocole de notre conférence d'hier. Vous y verrez que, m'attachant à l'idée que je vous avais exprimée dans ma dépêche du 10 de ce mois, numéro 70, nous sommes parvenus à faire reconnaître en principe par les plénipotentiaires la neutralité de la Belgique. J'ai été fort secondé par lord Palmerston, dans lequel je trouve toujours de la droiture et des dispositions pacifiques très réelles. »Je n'ai pas besoin de vous dire que la lutte a été longue et difficile; l'importance de cette résolution était bien sentie par tous les membres de la conférence, ce qui fait que notre séance a duré huit heures et demie. »La neutralité reconnue de la Belgique place ce pays dans la même position que la Suisse, et renverse, par conséquent, le système politique adopté en 1815 par les puissances, et qui avait été élevé en haine de la France. Les treize forteresses de la Belgique, à l'aide desquelles on menaçait sans cesse notre frontière du Nord, tombent, pour ainsi dire, à la suite de cette résolution, et nous sommes désormais dégagés d'entraves importunes. Les conditions humiliantes proposées en 1815 décidèrent alors ma sortie des affaires, et j'avoue qu'il m'est doux aujourd'hui d'avoir pu contribuer à rétablir la position de la France de ce côté. »Vous jugerez comme moi, monsieur le comte, l'avantage immense que cette résolution produira pour le maintien de la paix. Les Belges, se trouvant isolés et libres de choisir une forme de gouvernement en harmonie avec leurs souvenirs et leurs habitudes, cesseront d'inquiéter l'Europe; ils deviendront sans doute plus faciles à diriger, lorsqu'ils sauront que leurs folies ne peuvent plus retomber que sur eux-mêmes. Quant à la France, j'ai lieu d'espérer qu'elle y verra une satisfaction éclatante pour le passé et un gage de sécurité pour l'avenir. »Les difficultés que j'ai éprouvées dans la discussion ont surtout porté sur la dernière partie du protocole dans laquelle j'ai fait insérer que d'autres pays seraient libres de s'associer à la neutralité reconnue de la Belgique. J'ai pensé que cela fournirait plus tard la meilleure solution possible à l'épineuse question du duché de Luxembourg. Le ministre de Prusse, prévoyant le même résultat, a résisté longtemps; mais je l'ai enfin emporté et le paragraphe a été rédigé, quoiqu'un peu plus vaguement, comme je le désirais[21]. [21] Le même jour, 21 janvier, lord Palmerston écrivait à lord Granville: «Mon cher Granville, »Le protocole que je vous envoie est le résultat de deux longues journées de travail... Talleyrand voulait que le Luxembourg fût compris dans la neutralité, mais à cela on objecta que ce duché appartient à un souverain qui est indépendant et à une confédération dont il est membre; que la conférence n'a pas le droit de traiter de guerre et de paix pour le Luxembourg, ce droit n'appartenant qu'au souverain du pays et à la confédération... »... Talleyrand s'est débattu comme un lion, a prétendu qu'il ne consentirait pas à la neutralité de la Belgique, si le Luxembourg n'entrait pas dans cette neutralité, et a fini par dire qu'il voulait en échange Philippeville et Marienbourg... Enfin, nous avons fini par le faire entrer en arrangement par le moyen qui rend les jurés unanimes, par la faim. Entre neuf et dix heures il s'est rendu à nos propositions, très content au fond du coeur, j'en suis sûr, de voir la neutralité de la Belgique établie...» (_Correspondance intime de lord Palmerston_ traduite en français par Aug. Craven, I, 9.) »Du reste, la question du duché de Luxembourg, ressortant de la Confédération germanique, ne doit pas être traitée ici où il n'y aurait que des difficultés de la part des personnes intéressées, sans pouvoirs pour les résoudre. »Il a été convenu avec lord Palmerston que nous n'enverrions pas avant quelques jours le protocole à Bruxelles; nous pensons qu'il est plus convenable de terminer d'abord quelques-uns des points qui y sont indiqués...» Cette grande victoire, car aujourd'hui encore, je la considère comme telle, venait à point pour me permettre de calmer les inquiétudes qu'on m'exprimait incessamment de Paris et de Bruxelles et qui sont à peu près résumées dans les lettres suivantes du général Sébastiani et de M. Bresson. LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, 16 janvier 1831. »Mon prince, »Je vous prie de lire la séance d'hier avec une sérieuse attention (la séance de la Chambre des députés de France du 15 janvier). La pétition d'un Belge a fourni au général Lamarque l'occasion de prononcer un discours dans lequel il a examiné la politique extérieure du gouvernement depuis la révolution de Juillet. Les affaires de la Belgique étaient évidemment le sujet qu'il se proposait de traiter. Ses attaques ont été violentes, et il avait pour but de nous entraîner à la guerre. J'ai refusé de relever le gant, et la Chambre entière a approuvé ma réserve. Mais le parti doctrinaire, qui se proposait d'aborder ces questions, s'est dit offensé, et M. Guizot a occupé longtemps la tribune. M. Mauguin lui a répondu avec véhémence, avec passion, et, il faut le reconnaître, a fait vibrer ces cordes nationales si retentissantes dans le pays. M. Dupin n'a pas été heureux dans sa réponse, et le général La Fayette n'a pas montré son habileté accoutumée dans toutes les questions de parti. L'effet de cette séance sur la nation sera de nature à imposer au gouvernement une marche encore plus circonspecte, s'il est possible. Nous devons éviter, non seulement de blesser les intérêts et la dignité de la France, mais nous devons encore ménager son orgueil, et, il faut le dire, ses voeux. »La tentative que fait dans ce moment le ministère anglais en Belgique, il ne faut pas se le dissimuler, compromet la paix de l'Europe. Le prince d'Orange a un parti, mais faible, timide, vaincu, moins encore par les armes que par les haines nationales. Nous avons longtemps servi la cause de ce prince; nous avons cherché à la faire triompher dans sa personne ou dans celle de ses enfants; nos efforts ont été impuissants. Le désir sincère de la paix, qui est la base de notre politique, a dirigé et dirigera encore notre conduite à l'égard de la Belgique. »Le prince d'Orange va renouveler ses entreprises avec l'appui de l'influence anglaise[22]. Nous demeurerons étrangers à ce mouvement; mais nous prévoyons avec douleur que nous ne saurions l'être aux conséquences qu'il peut traîner à sa suite. Si le voeu libre des Belges appelle le prince d'Orange à la couronne, nous respecterons ce choix, parce que l'indépendance de la Belgique sera toujours l'objet de notre respect. Mais, vous avez vu, mon prince, quel a été le succès de la proposition faite au congrès par M. Maclagan[23]. [22] M. de Talleyrand avait envoyé à Paris la preuve de l'intervention anglaise en Belgique en faveur du prince d'Orange. (Appendice, p. 486). [23] M. Maclagan était alors député d'Ostende. A la séance du 12 janvier, il présenta une motion en faveur du prince d'Orange, ce qui provoqua un violent tumulte. Voici en quels termes le compte rendu officiel relate cet incident: _M. Maclagan_ ne veut pas des combinaisons présentées (le duc de Leuchtenberg et le prince Othon). Les puissances se réservent de nous faire la loi; nous ne sommes pas indépendants. Le prince d'Orange nous rapporterait le Limbourg, le Luxembourg, la rive gauche de l'Escaut, et les puissances... (Au mot de prince d'Orange, des cris à l'ordre! à bas, se font entendre de toutes parts. La plus grande effervescence règne dans l'assemblée...) _M. le président._--Je rappelle à M. Maclagan, qu'il a sans doute oublié que le congrès a exclu à jamais toute la famille d'Orange. (Bravo, bravo!) (On entend dans le tumulte la voix de M. A. de Rodenbach qui crie:--Il est Anglais, M. Maclagan, il est Anglais! il n'est pas Belge, à l'ordre!) _M. le président._--Je connais mon devoir, je rappelle M. Maclagan à l'ordre... _M. Maclagan_ prétend qu'il faudrait que le congrès revînt sur sa décision de l'exclusion pour donner liberté entière à ses commissaires. (Les cris recommencent de nouveau et M. Maclagan quitte définitivement la tribune.) »Le ministère anglais s'est-il bien représenté toute la différence qui existe entre la situation de la Belgique avant l'exclusion des Nassau, et sa situation actuelle? Tout était possible et permis alors; mais aujourd'hui un armistice a été conclu et mis sous la garantie des grandes puissances, postérieurement à l'exclusion des Nassau; la séparation de la Hollande et de la Belgique a été prononcée, et l'indépendance de la Belgique reconnue. Comment le prince d'Orange pourrait-il, par exemple, recourir aux forces hollandaises sans blesser le principe de l'armistice, de la séparation et de l'indépendance? Le prince d'Orange voudra-t-il entreprendre la conquête de la Belgique, avec ses partisans belges? Mais alors il se trouve aux prises avec les forces du gouvernement provisoire, du congrès, et commence une guerre civile que la France ne peut pas voir d'un oeil indifférent à ses portes. Qui saurait d'ailleurs prévoir tout ce qui pourrait naître de cette guerre civile? Avouez-le, mon prince, cette tentative a trop le caractère d'une imprudence, pour que je puisse y reconnaître les pensées prévoyantes et sages d'un gouvernement tel que celui de l'Angleterre. Toutefois la prudence de lord Grey et de lord Palmerston me rassure. Trompés par de faux renseignements, par les espérances actives, inquiètes du prince d'Orange, ce qui vient de se passer dans le congrès les aura éclairés, et ils auront révoqué, je n'en doute pas, les instructions qu'ils ont données à lord Ponsonby. »Notre attitude sera calme, notre conduite loyale, mais notre anxiété se conçoit aisément. L'attitude de la conférence, la vôtre, mon prince, dans d'aussi graves circonstances, sont bien difficiles. Je conçois que vous soyez fatigué de tout ceci, quoiqu'on n'ait jamais montré un plus noble caractère, une plus haute capacité que vous l'avez fait. Qu'on ne perde jamais de vue, à Londres, que le canon de la Belgique retentit en France, et que dans le monde on ne peut pas être sage tout seul...» De son côte, M. Bresson m'écrivait le 17 janvier de Bruxelles: «Mon prince, »Je dois vous prévenir que lord Ponsonby écrit ce soir à lord Palmerston: _qu'il a reçu de bonne source l'information qu'un avis de mettre en état de siège et d'approvisionner les citadelles de Namur, Liège, Huy, a été envoyé du_ DÉPARTEMENT DE LA GUERRE DE FRANCE _au gouvernement belge_. J'ignore si ce fait a quelque fondement, et, s'il est exact, comment lord Ponsonby est parvenu à le connaître. Mais, comme il serait possible que des explications vous fussent demandées, j'ai cru prudent de vous avertir à l'avance. »J'ai lu avec un plaisir indicible, dans les journaux, la lettre de M. Sébastiani à M. F. Rogier[24]. Il ne fallait pas moins qu'une pareille leçon au congrès et au gouvernement belge[25]. [24] Firmin Rogier, diplomate belge, né en 1791, fut d'abord professeur de l'Université de France. Après 1815, il entra dans le journalisme, et combattit le gouvernement du roi Guillaume. En 1830, il fut nommé secrétaire de légation à Paris et fit pendant quelque temps fonction de chargé d'affaires. Il devint plus tard ministre plénipotentiaire et ne se retira qu'en 1864. [25] Un incident peu correct avait à ce moment jeté quelque aigreur entre le cabinet français et le gouvernement belge. M. de Celles avait lu à la tribune des lettres de M. Firmin Rogier et de M. Bresson, relatives à la candidature du duc de Leuchtenberg. Le comte Sébastiani avait été à juste titre mécontent que le gouvernement belge livrât à la publicité des documents essentiellement secrets, et que des paroles qu'il avait prononcées dans une conversation familière avec M. Rogier eussent été rapportées officiellement. Il s'en plaignit vivement à M. Rogier et lui écrivit la lettre suivante: «Paris, 14 janvier. »Monsieur, »Vous m'avez dit, il y a quelques jours, que les journaux avaient rendu compte d'une manière infidèle des lettres que vous aviez écrites au gouvernement provisoire; mais ils vous attribuent aujourd'hui une nouvelle dépêche où il m'est impossible de reconnaître ce qui a été dit dans nos derniers entretiens. »Comme ministre, je n'ai jamais eu à entretenir le roi d'aucun arrangement relatif à sa famille. Le roi n'a donc pu m'accorder ni refuser ce qui ne lui a point été demandé. J'ajouterai que soit comme homme, soit comme interprète des pensées royales, je ne me serais jamais expliqué avec une telle légèreté sur la famille d'un prince dont le roi estime la mémoire, et sous les ordres duquel je m'honore d'avoir longtemps combattu pour la gloire et l'indépendance de la France. »Je me plais à croire, monsieur, que la lettre dont il s'agit n'est pas votre ouvrage: s'il en était autrement, je me verrais obligé de n'avoir plus de relations avec vous que par écrit. »J'ai l'honneur, etc. »HORACE SÉBASTIANI.» »Le parti français mécontent, M. de Stassart[26] en tète, se propose, pour se venger de nous, de tâcher de prendre le congrès par surprise et de faire inopinément élire M. le duc de Leuchtenberg, sous prétexte que les Belges n'ont plus que ce moyen de faire acte d'indépendance. J'espère qu'ils échoueront; j'y mettrai, du moins, tous mes efforts. [26] M. de Stassart, gouverneur de la province de Namur, était alors vice-président du congrès. »Le parti du prince d'Orange se met de son côté en mesure. La crise approche et je suis loin d'être sans inquiétude. Il m'est bien important de connaître votre pensée sur le prince d'Orange et le prince Léopold. Nous avons affaire à forte partie et fort soutenue de Paris. Le bruit a couru pendant trois jours que les généraux Exelmans[27], Fabvier[28] et Lallemand[29] étaient incognito à Bruxelles. On les dit maintenant partis pour Namur et Liège. C'est de ce côté qu'éclatera un mouvement français, si le mouvement orangiste a lieu à Gand et ici. [27] Le général comte Exelmans (1775-1852), l'un des plus brillants généraux de cavalerie de Napoléon. Il était alors pair de France. Il devint en 1849 grand chancelier de la Légion d'honneur, maréchal de France et sénateur. [28] Le général baron Fabvier, né en 1782, entré à l'armée en 1804, fut sous l'empire chargé de diverses missions en Turquie, puis en Perse. En 1814 il dut signer la capitulation de Paris. Mis en disponibilité sous la Restauration, il passa en Grèce en 1823, et prit du service dans la guerre de l'indépendance. En 1830, il devint maréchal de camp, commandant de place à Paris, puis lieutenant général (1839) et pair de France (1845). En 1848, il fut élu député et nommé ambassadeur à Constantinople, puis à Copenhague. Il mourut en 1855. [29] Le général Charles Lallemand, né en 1774, s'engagea en 1793, et était général de brigade en 1815. Condamné à mort par contumace à la deuxième Restauration, il passa en Amérique, revint en France en 1830, devint membre de la Chambre des pairs et mourut en 1839. »Nous aurons bien de la peine à arriver ici à une solution satisfaisante. C'est moins la bonne volonté que les lumières qui manquent au congrès, mais il est ingouvernable...» Tout cela était fort compliqué et il fallait, pour sortir de ce dédale d'intrigues, s'attacher à une ligne de conduite ferme, sans se laisser détourner du but par des incidents journaliers. Il n'y en avait pas d'autre pour nous, dans mon opinion, que de rester solidement unis à l'Angleterre; notre union contenait les trois autres puissances et assurait la paix. J'étais d'ailleurs parfaitement convaincu que la répulsion contre la maison de Nassau était trop forte en Belgique pour que le prince d'Orange pût y être rétabli. Ainsi, je ne voyais aucun risque à laisser l'Angleterre poursuivre cette chance; je savais que le cabinet avait besoin qu'elle fût reconnue épuisée et impraticable pour se présenter devant le parlement, qu'un certain sentiment de pudeur l'obligeait à donner ce témoignage de condescendance à la Hollande, dont l'Angleterre gardait les colonies qui avaient servi d'équivalent aux provinces belges[30], et j'étais sûr enfin que le ministère anglais me tiendrait compte, plus tard, de la bonne foi que nous montrions en ne nous opposant pas ouvertement à l'élection du prince d'Orange. Fort de toutes ces considérations, je résolus de ne pas me préoccuper autant du choix du souverain pour la Belgique que du soin d'élargir et d'affermir la séparation de ce pays de la Hollande. [30] Par convention en date du 13 août 1814, l'Angleterre s'engageait à restituer au roi des Pays-Bas les colonies dont elle s'était emparée au cours de la guerre, à l'exception de la colonie du Cap et de diverses possessions sur la côte de Guyane et sur la côte de Malabar. Le protocole du 20 janvier avait établi les premières bases de cette séparation en prononçant en même temps, la neutralité perpétuelle de la Belgique. C'était ce qu'il fallait développer et faire accepter par le roi de Hollande. Ce souverain venait déjà de se soumettre de fort mauvaise grâce, il est vrai, au protocole par lequel nous lui avions imposé la levée du blocus de l'Escaut: c'était une cause permanente d'irritation pour les Belges qui se trouvait ainsi écartée. Je croyais avoir choisi la meilleure voie et je la suivais activement quand M. de Flahaut apparut de nouveau à Londres, porteur d'une lettre du général Sébastiani et chargé de reproduire le fameux projet de partage de la Belgique, que j'avais cru enseveli dans l'oubli. M. de Flahaut s'était croisé en route avec le courrier qui portait à Paris la déclaration de neutralité; il ne la connaissait pas, par conséquent. Une lettre du général Sébastiani du 21 janvier, était le thème au moyen duquel on voulait me faire partager les terreurs que causait à Paris la possibilité de l'élection du duc de Leuchtenberg; c'était sur ce thème que M. de Flahaut, devait s'étendre. Voici la lettre: «Mon prince, »Vous aurez appris presque aussitôt que nous la situation de la Belgique. C'est le 28 que le congrès élira un souverain, et tout fait craindre que son choix ne se déclare en faveur de M. le duc de Leuchtenberg. M. Bresson a reçu l'ordre de déclarer officiellement que son élection ne serait point reconnue par la France[31]. Il doit renouveler le refus de consentir à l'élection de M. le duc de Nemours et à la réunion de la Belgique à la France. Ce que demandent les Belges, ce que désirent les Français est cependant cette réunion, et bientôt, peut-être, nous serons hors d'état de l'empêcher. Nous continuerons nos efforts pour la prévenir; mais nous n'osons plus croire à leur efficacité. Notre force est usée dans cette lutte ingrate. Le voeu de la France s'exprime aujourd'hui par la bouche des hommes dont vous appréciez le plus la prudence et dont vous honorez le plus le caractère. Notre situation est telle que le roi et le conseil n'ont pas cru qu'elle pût vous être fidèlement représentée par des dépêches, et le gouvernement du roi s'est décidé à vous envoyer M. le comte de Flahaut, qui pourra vous faire connaître toute la vérité et la mettre sous les yeux de Sa Majesté britannique. C'est là sa mission; c'est à vous d'en tirer le parti le plus utile au service du roi et de la France. Il est inutile de vous écrire une longue lettre. M. de Flahaut vous dira tout ce qu'il vous importe de savoir. Le temps presse; sachons mettre à profit les jours, les heures, et conservons cette paix qui, seule, peut sauver l'ordre social en Europe. »_P.-S._--Nous avons été tellement pris de court par le terme fatal du 28 que nous n'avons pu vous consulter avant de prendre le parti d'envoyer à Londres.» [31] Voir la lettre de M. Bresson au prince de Talleyrand. (Appendice p. 487.) Ce fut après avoir pris lecture de cette lettre que M. de Flahaut essaya de me démontrer qu'il n'y avait pas d'autre voie de salut pour la France et l'Europe que le partage de la Belgique. Je me prononçai de la manière la plus forte contre cette idée à mes yeux aussi impolitique qu'impraticable, et je répondis ensuite à M. Sébastiani[32]: [32] Dépêche officielle déjà publiée. «Monsieur le comte, »M. le comte de Flahaut est arrivé avant-hier soir ici et m'a remis la lettre dont vous l'aviez chargée pour moi. Je vous remercie de l'avoir choisi pour me l'apporter. »La levée du blocus d'Anvers et l'irritation du roi de Hollande prouvent que la conférence avait été, comme cela était son but, assez rigoureuse envers les deux parties pour obtenir le résultat qu'elle voulait. »La conversation de M. de Flahaut m'a fourni des informations précieuses sur les idées et les intentions du gouvernement du roi, au sujet des affaires que je suis chargé de suivre ici et sur la disposition des esprits en France. Je regrette toutefois qu'il ait quitté Paris avant que ma dépêche du 21 vous soit parvenue. La nouvelle qu'elle contenait de la résolution adoptée par la conférence, doit nécessairement influer sur les vues du roi et de son conseil, ainsi que sur la conduite que l'on devra tenir avec la Belgique. Je continue à me féliciter de la déclaration de neutralité qui, jusqu'à présent, a été accueillie avec une grande approbation par les hommes d'État de ce pays qui en ont eu connaissance. Tous, à quelque parti qu'ils appartiennent, la considèrent comme un acte de grande politique, honorable pour la civilisation moderne et fait pour assurer le maintien de la paix par la facilité qu'il offre de concilier, sinon toutes les prétentions, du moins, tous les intérêts essentiels. Je dois ajouter qu'en y accédant, ils pensent sans aucune exception que cet acte est tout entier à l'avantage de la France. »Je conçois qu'au point où l'état des choses est parvenu en Belgique, et que dans les embarras vers lesquels il semble entraîner la France et l'Europe, les esprits se soient jetés dans les combinaisons les plus opposées. La neutralité reconnue rend impossible aujourd'hui la plupart de ces combinaisons et m'a permis de reprendre avec avantage la question du prince de Naples, à laquelle d'abord on avait mis ici tant d'opposition. Je crois même qu'on arriverait à un succès complet _sur ce point_, en rendant la ville d'Anvers, port franc, ou plutôt en en faisant une ville anséatique, et il ne m'est pas démontré _encore_ qu'on ne puisse arriver à ce résultat, sans qu'Anvers cesse d'appartenir, comme port libre, à la Belgique. C'est, depuis le jour où le protocole a été signé, la ligne dans laquelle je suis entré et dans laquelle je persisterai à marcher, si vous ne me donnez pas des ordres contraires. »Cette combinaison a l'avantage de montrer à quel point serait inutile toute concession faite à l'Angleterre sur le continent. Je dirai même que c'est pour éloigner toute idée à cet égard que je me suis attaché au système que je poursuis actuellement. Je n'aurais jamais voulu que le nom du roi et le vôtre se trouvassent liés à une clause, qui, à mon sens, aurait placé notre gouvernement sur la ligne de ceux qui ne pensent pas aux jugements de l'avenir. »L'histoire est là pour témoigner des difficultés que traîna à sa suite l'occupation de Calais par les Anglais, et elle est là aussi pour rappeler la faveur qui entoura les Guise lorsqu'ils eurent délivré la France de cette honte. Ses leçons ne doivent point être perdues pour nous; les mêmes fautes pourraient produire les mêmes résultats et ternir l'éclat de cette fleur d'indépendance qui est attachée à tous les actes du gouvernement du roi. Je suis sûr que son haut esprit ne lui permettrait pas de s'arrêter longtemps à une pareille idée qui, sans avoir un effet direct sur notre propre pays, n'écarterait pas les reproches que l'on ferait à l'emploi de notre politique continentale. »Personne ne serait tenté de nier que la réunion de la Belgique à la France offrirait des avantages à cette dernière, quoiqu'un agrandissement sur les bords du Rhin satisferait mieux mes idées sur la politique française; je conviens que cette réunion populariserait pendant quelque temps le gouvernement qui l'aurait obtenue, malgré les inconvénients qu'y trouverait l'industrie française; mais croyez aussi, monsieur le comte, que cette popularité serait bien passagère, s'il fallait l'acheter au prix qu'on propose. Il n'y a point de réputation qui ne fût ébranlée par un acte de cette espèce; il n'y a personne qui ne reproche à la paix de Teschen d'avoir introduit les Russes en Europe; quel jugement sévère ne porterait-on pas sur ceux qui introduiraient l'Angleterre sur le continent? Il ne faut jamais se mettre en contact avec ceux qu'on ne peut atteindre chez eux. »Je suis convaincu, monsieur le comte, que si vous étiez plénipotentiaire ici, vous ne mettriez jamais votre nom à un acte que les guerres les plus longues et les plus malheureuses ne pourraient pas même justifier[33]...» [33] Voir à l'Appendice, p. 488, la lettre que M. de Talleyrand écrivait dans le même sens à Madame Adélaïde. Je ne sais pas si cette dépêche convainquit ceux auxquels elle était adressée; mais elle eut du moins pour effet que je n'entendis plus parler du malencontreux projet de partager la Belgique. Pour être juste envers tous, il faut dire qu'il n'y avait rien de très singulier à ce que l'atmosphère de Paris, à cette époque, troublât les meilleurs esprits; j'en trouve la preuve dans quelques passages de la lettre suivante, que le duc de Dalberg m'écrivait sous la date du 22 janvier: LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Mon cher prince, »Rien ici ne se relève ni ne se consolide. Les affaires de la Belgique compromettent tout le monde, à commencer par votre chef, si chef il y a. Les affaires de Laffitte le déconsidèrent tellement comme président du conseil, qu'elles nuisent beaucoup à ce qui est au-dessus. M. Thiers est montré au doigt pour ses turpitudes. »Je causais hier avec Pasquier et Sémonville. Nous étions à nous demander comment tout cela pourrait se soutenir? Sémonville disait: Je revois le temps du Directoire. Il n'y a que Soult qui fait sa besogne et qui organise quatre cent mille hommes aux dépens des finances. Lorsqu'ils seront sur pied, peut-on les entretenir sans guerre? Si on fait la guerre, peut-on reprendre le système de pillage et de réquisition? Ce sont des questions insolubles. Le désordre et l'anarchie sont derrière la toile, parce que l'autorité n'est nulle part. On a si étrangement échauffé les esprits, qu'on n'entend plus parler que des injures que la France a reçues en 1814 et en 1815 et qu'il faut venger en reprenant la ligne du Rhin. On est stationnaire, comme l'est un Chinois, lorsqu'on soutient que ce sont autant de folies qui finiront par bouleverser le pays. »Votre conférence de Londres est singulièrement commentée par le congrès de Bruxelles; il serait temps que cela finisse! Comment ne trouve-t-on pas un chef militaire qui marche sur Bruxelles et finisse l'existence de ce congrès? »La Pologne occupe beaucoup les esprits, mais elle n'épuise pas les bourses. Le comité polonais n'a pu réunir jusqu'ici que soixante mille francs, dont vingt mille de M. de La Fayette. »Ce pauvre M. de Mortemart[34] joue le rôle de M. de Caulaincourt avec moins de sagacité et de talent[35]. [34] Casimir-Louis-Victurnien de Rochechouart, duc de Mortemart, né en 1787, émigra en 1791, revint en France sous le Consulat, et devint officier d'ordonnance de l'empereur. A la Restauration il fut nommé pair de France (1814) et maréchal de camp, puis ambassadeur en Russie. Le 29 juillet 1830, Charles X le chargea de former un cabinet, mais ses efforts échouèrent et il se rallia à Louis-Philippe. Il fut chargé d'une mission extraordinaire à Pétersbourg et accrédité définitivement à ce poste en 1831. Il devint sénateur en 1852 et mourut en 1876. [35] M. de Caulaincourt avait été ambassadeur sous l'empire où il avait la mission délicate de ramener l'opinion des Russes au régime de la France d'alors. (_Note de M. de Bacourt._) »Quelle est votre idée, mon prince, sur le chef à donner à la Grèce? Le prince Paul de Wurtemberg[36] tourmente tout le monde par son impatience à y être appelé. On ne l'écoute guère ici; la minorité du prince de Bavière paraît favorable à Capo d'Istria qu'on devrait laisser en place. [36] Paul prince de Wurtemberg, né en 1785, marié en 1805 à la princesse Catherine, fille du duc de Saxe-Altenbourg, mort le 16 avril 1852. Il était le frère du roi de Wurtemberg. »Les nominations de M. de Bouillé à Calrsruhe et de M. Alleye à Francfort ont fort déplu. On regarde ce dernier appelé à désunir, autant qu'il le pourra, la Confédération. Il produira, je crois, l'effet opposé. On n'explique pas le goût du roi à faire de tels choix...» Il fallait une certaine persévérance pour ne pas se laisser décourager, soit par ces échos de Paris, soit par les extravagances des Belges et par les résistances obstinées du roi des Pays-Bas. Je ne me sentis pas ébranlé néanmoins, et je poursuivis avec fermeté la ligne que je m'étais tracée, sans me soucier des velléités imprudentes de Paris, pas plus que du duc de Leuchtenberg qu'on voulait faire nommer à Bruxelles, sûr qu'il ne serait pas reconnu par les puissances, et je pressai la conférence de consolider l'oeuvre de la séparation de la Belgique de la Hollande. Dans notre séance du 27 janvier, nous abordâmes les questions financières et commerciales qui se rapportaient à cette séparation, et nous les résolûmes dans une mesure d'équité qui devait, plus tard, concilier les véritables intérêts des deux parties. En envoyant le protocole de cette séance à Paris, j'écrivis le 29 janvier[37]: LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI. [37] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »Je vous envoie le protocole de notre conférence du 27; il traite de plusieurs questions financières et commerciales relatives à la séparation de la Hollande et de la Belgique. Ce travail a été rédigé par M. le baron de Wessenberg et par M. le comte de Matusiewicz, qui ont cru devoir attacher les mesures qu'ils ont proposé de prendre pour la séparation aux mêmes principes qui avaient dirigé l'union. Ces deux plénipotentiaires, et surtout M. de Wessenberg, possédaient sur cette matière des connaissances qui nous manquaient à tous, et à moi en particulier. Du reste, en l'adressant à nos commissaires à Bruxelles, nous y avons joint des instructions par lesquelles nous les autorisons à juger le moment le plus opportun pour en faire la remise au gouvernement belge. Comme il serait possible que ce protocole soulevât des difficultés nouvelles à Bruxelles, je vous engage à en retarder la publication jusqu'à ce que vous connaissiez ce qu'auront fait nos commissaires à Bruxelles, après avoir sondé l'opinion des gens avec lesquels ils sont le plus en rapport[38]. [38] Ce protocole du 27 janvier ne renfermait pas des _décisions_ mais de simples _propositions_ de la conférence, qui n'avaient aucune force exécutoire. Il proposait un projet pour le partage des dettes entre les deux pays, et donnait le droit à la Belgique de participer au commerce colonial hollandais.--Il ne faut pas perdre de vue cette circonstance sur laquelle M. de Talleyrand reviendra plus tard. »Il y aura probablement beaucoup de controverses sur plusieurs questions traitées dans ce protocole, mais nous avons cru qu'il satisfaisait à une grande partie des besoins des deux pays. Le roi de Hollande est suffisamment bien traité pour que les rapports entre lui et la Belgique n'occasionnent pas des difficultés continuelles qui finiraient par être insurmontables. De l'autre côté, les Belges, grands industriels et grands producteurs, auront des débouchés qui ne les mettront pas dans la nécessité de faire toujours la contrebande avec la France. L'opinion des gens les plus versés en ces matières, en Angleterre, est que, si on s'arrêtait à d'autres bases plus défavorables à la Hollande, il serait impossible à ce pays d'exister à cause des charges énormes dont il serait accablé. C'est à vous d'en juger dans votre sagesse; vous trouverez sans doute que cela touche à des questions de haute politique...» Je prévoyais bien que ces mesures, pas plus que la déclaration de la neutralité de la Belgique, n'étaient de nature à satisfaire, pour le moment, ni aux impatiences de Paris, ni aux exigences de Bruxelles et de La Haye; mais l'essentiel était de maintenir la bonne harmonie entre nous et l'Angleterre, et d'imposer par là aux autres cabinets les résolutions raisonnables, et autant que possible équitables que nous aurions arrêtées entre nous deux. Le reste n'était, pour moi, que secondaire. Je cherchais les véritables intérêts de la France là où je croyais les trouver réellement, et non dans des rêves qui ne pouvaient conduire qu'à sa ruine. En effet, une guerre générale, fût-ce même seulement contre les trois puissances du Nord, devait nous être fatale, car elle aurait pris tout de suite un caractère révolutionnaire qui aurait détaché de nous l'Angleterre. Il fallait donc l'éviter par-dessus tout dans d'aussi fâcheuses conditions; mais il fallait l'empêcher par des moyens qui, non seulement ne fussent pas déshonorants pour la France, mais qui même tournassent à son avantage. Ce que j'avais fait jusqu'à présent entrait parfaitement dans ce but. Ainsi, au lieu du royaume des Pays-Bas, composé de sept millions d'habitants, avec une ligne formidable de forteresses tournées contre nous, nous avions déjà obtenu la séparation en deux de ce royaume et, sur notre frontière, une Belgique neutre réduite à quatre millions d'habitants. Cette neutralité, sur laquelle on essaya d'abord de plaisanter comme d'une impossibilité, est cependant plus solide et sera, j'espère, plus durable qu'on ne le suppose, tant que la France ne tentera pas des guerres générales et révolutionnaires contre l'Europe entière, ce qu'une saine politique ne doit pas admettre dans ses calculs. Si la France a une guerre contre l'Angleterre, nous aurions un intérêt égal à celui de l'Allemagne, à ce qu'on respectât la neutralité de la Belgique; et si, au contraire, c'est contre l'Allemagne que la France fait la guerre, sans que l'Angleterre y participe, celle-ci défendra la neutralité de la Belgique. Dans tous les cas donc, cette neutralité est garantie à condition, bien entendu, que nous, les premiers, nous la respecterons en tout temps. La neutralité de la Belgique assurée est, de Dunkerque à Luxembourg, une défense égale à celle que nous trouvons de Bâle à Chambéry par la neutralité de la Suisse. Cette neutralité, consentie à Londres par la conférence des grandes puissances, j'avoue que le choix du souverain qui régnerait en Belgique avait perdu beaucoup de son importance pour moi, parce que j'étais sûr d'avance que le premier intérêt de ce souverain, quel qu'il fût, serait de ménager la France et de vivre dans de bons rapports avec elle. Ce qu'il fallait surtout, c'est que la séparation de la Belgique de la Hollande fût faite sur des bases assez équitables pour que les deux pays pussent exister l'un et l'autre, et qu'après un certain temps donné à l'apaisement des passions, ils pussent reprendre entre eux des rapports convenables. C'est vers ce but qu'ont toujours tendu mes efforts pendant ma mission à Londres et, en cela, je ne crois pas m'être trompé. Après cette digression qui ne me semble pas inutile, rentrons dans le courant des faits qui devaient retarder bien longtemps encore l'accomplissement de mes vues et, pour commencer, citons une lettre de M. Bresson, du 30 janvier, de Bruxelles: «Mon prince, »Les choses empirent ici de moment en moment; les passions sont arrivées à leur dernier degré d'exaspération. Je prévoyais bien que, d'un instant à l'autre, nous avions à craindre quelque combinaison funeste, quand j'appuyais celle du prince de Bavière, neutre et inoffensive de sa nature. Je vous le disais alors: tous les dangers nous environnent; nous les avons maintenant en face. Malheureusement la désapprobation est venue trop vite; l'incertitude a succédé à un plan fait; le champ s'est rouvert aux malveillants et aux intrigants, et leur temps n'a pas été perdu. »Le prince de Naples présenté à temps, ou toute autre combinaison neutre, il y a six semaines, quand je demandais que tout fût subordonné au choix du chef de l'État, aurait eu les meilleures chances. Mais il eût fallu le concours, l'assistance de l'Angleterre. Ce concours, cette assistance, nous ne les avons pas eus, _même contre le duc de Leuchtenberg_; on lui a laissé gagner du terrain; on n'a pas arrêté cette pensée _qu'il serait agréable aux puissances, précisément parce qu'il était hostile à la France_: et aujourd'hui on fait des voeux et des démarches en sa faveur. Il en est résulté ce qui devait être, que les amis de la France, de leur propre mouvement, malgré nos déclarations antérieures, lui opposent le seul candidat qui puisse le vaincre, M. le duc de Nemours. Ainsi nous voilà placés entre un choix hostile à la France et un choix hostile aux puissances; cruelle alternative qui ne peut se résoudre, de part ou d'autre, que par d'affreux malheurs. »L'on s'est abusé, dès le principe, sur les chances du prince d'Orange, et l'on a persévéré, parce que l'on ne voyait que des gens d'une même couleur. Sans doute, et je l'ai pensé, et je vous l'ai écrit, le prince d'Orange, rappelé par l'opinion, tranchait toutes les difficultés. Mais, mon prince, ce n'était plus de l'antipathie, c'était devenu de la fureur. J'ai entendu les propos les plus atroces; des misérables s'offraient publiquement pour lui porter le premier coup, s'il revenait. Le prince d'Orange était impossible sans la guerre civile. Ce peuple ne se rend ni à la raison, ni à l'intérêt; il obéit à la passion. Les jours du prince, au milieu de ces énergumènes, n'eussent point été en sûreté. C'est cependant à l'espoir de le ramener que l'on a sacrifié tous les termes moyens que nous avons offerts; aujourd'hui, l'on n'a plus que l'abîme devant soi. Qu'arrive-t-il? L'on veut rejeter sur autrui les fautes que l'on a soi-même commises. L'on y met de l'irritation et l'on s'oublie dans ses paroles. Mais qu'on prenne garde d'être rappelé à la modération! »Les circonstances étaient si graves, mon prince, que j'ai cru devoir aller à Paris les exposer moi-même au roi et au ministre. Mon voyage n'a duré que soixante-six heures. Pendant mon absence, le protocole du 20 janvier (celui de la neutralité) est arrivé à lord Ponsonby et a été communiqué par lui. Vous le croirez à peine. Il renferme une grande pensée; il devait exciter la reconnaissance et l'admiration; eh bien, il provoque la colère! Jugez de ces hommes par ce seul fait. Le journal ci-joint vous donnera les détails. Demain ou après, la protestation sera discutée au congrès[39]...» [39] Le congrès avait été fort irrité de l'intention manifestée par la conférence de régler elle-même les questions intéressant la Belgique. Cette phrase notamment du protocole du 20 janvier: «La Hollande et la Belgique possédant des enclaves sur leurs territoires respectifs, il sera effectué par les soins des cinq cours tels échanges et arrangements entre les deux pays qui leur assureront l'avantage réciproque d'une entière contiguïté de possession...» etc., avait éveillé les susceptibilités de l'assemblée. Enfin la question du Luxembourg avait irrité le patriotisme des députés. Aussi, à la séance du 29 janvier, la lecture du protocole souleva de violentes protestations. «La souveraineté nationale, disait un député, M. Nothomb, est transférée de Bruxelles au Foreign Office.--Le 30, une protestation fut votée par 163 voix contre 9. J'ai cité cette lettre, autant pour indiquer quel était l'état des choses à Bruxelles, que pour faire voir le danger que présentent souvent les rapports d'un agent trop passionné. M. Bresson était certainement un homme capable et intelligent; mais il voulait justifier la faute qu'il avait commise en appuyant la candidature du prince de Bavière, sans l'autorisation de la conférence dont il était le commissaire; et il lui fallait accuser avec emportement son collègue lord Ponsonby et dépeindre en traits de feu, et avec une évidente exagération, la disposition des esprits à Bruxelles. Il avait fait une course à Paris, où on avait cru à toutes ses paroles; et le contre-coup m'en vint ensuite à Londres. Heureusement que je ne me laissais ni affliger ni détourner de mes plans par les ardeurs intempestives des autres. Mon idée restait bien arrêtée, au sujet du choix du souverain de la Belgique. Mon candidat était et est resté constamment le prince Léopold de Saxe-Cobourg; et je ne m'agitais pas du bruit qu'on faisait partout sur cette question. J'avais l'espoir: 1º que le roi Louis-Philippe refuserait le trône pour son fils, M. le duc de Nemours; 2º que les puissances repousseraient le duc de Leuchtenberg; 3º que jamais les Belges ne pourraient s'entendre pour rappeler le prince d'Orange. Aussi, sans me préoccuper de ce point, je voulais poursuivre, comme je l'ai dit, ce qui, à mes yeux, était la vraie question, la séparation complète et sans retour possible entre la Belgique et la Hollande. Mais, si j'étais tranquille de ce côté, les soucis ne me manquaient pas d'autre part; et tout le mois de février se passa dans de perpétuelles inquiétudes sur la marche des événements intérieurs en France, et sur les hésitations du gouvernement français. Ceci demande quelques explications. J'ai dit que la conférence, par son protocole du 27 janvier, avait arrêté un partage des dettes entre la Hollande et la Belgique, et quelques autres arrangements commerciaux. Ce protocole était essentiellement provisoire; et sauf la question des limites que nous avions fixées d'après la situation des deux pays en 1790, la seule qui pouvait être admise, le reste de ce protocole était discutable, et pouvait être modifié selon les explications qui seraient fournies par les deux parties. J'avais écrit dans ce sens à Paris, mais là on prenait avec ardeur parti exclusivement pour les Belges; on avait donc blâmé les arrangements proposés dans le protocole, comme trop défavorables à la Belgique; et j'avais été, moi-même, blâmé pour avoir apposé ma signature au protocole. Quelques jours après la signature de ce protocole, plusieurs membres de la conférence, alarmés des nouvelles venues de Bruxelles, et qui représentaient comme incessantes les intrigues de la France en faveur de l'élection du duc de Nemours, proposèrent, le 1er février, de rédiger un protocole dans lequel les cinq puissances prendraient l'engagement formel, en imitation de ce qui avait été fait dans le temps pour le choix du souverain de la Grèce, qu'en aucun cas le souverain de la Belgique ne pourrait être choisi parmi les princes des familles qui régnaient dans les cinq cours représentées à la conférence de Londres. Je me refusai formellement à signer ce protocole qui semblait manifester de la méfiance envers la France, à laquelle, seule en ce moment, il paraissait devoir s'appliquer. Ces explications données pour l'éclaircissement de ce qui va suivre, je me bornerai maintenant à insérer chronologiquement les extraits de mes dépêches et de lettres écrites et reçues pendant le mois de février. La marche des faits y sera clairement suivie. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[40] [40] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 1er février 1831. »Monsieur le comte, »Je sors de notre conférence qui s'est prolongée aujourd'hui jusqu'à huit heures et demie du soir; l'heure de la marée presse le courrier que je vous expédie, et il me reste bien peu de temps pour vous écrire. Cependant, comme en prenant lecture du protocole que j'ai l'honneur de vous envoyer, vous verrez que j'ai refusé d'y apposer ma signature, je vous dois une explication de ce refus. »Lorsque le plénipotentiaire anglais a ouvert l'opinion qui a prévalu dans la conférence et qui se trouve consignée dans le protocole, je m'y suis opposé en déclarant que je ne pouvais voir dans cette résolution qu'une démarche directe contre la France; qu'elle ne me semblait pas favorable au maintien de la bonne harmonie entre les puissances, et que, d'ailleurs, les termes mêmes des protocoles numéros 11 et 12, sur lesquels on s'appuyait, développaient d'une manière suffisante les vues des cinq puissances; en effet, voici les termes de ces protocoles: «_Protocole nº 11._--Les plénipotentiaires ont été unanimement d'avis que les cinq puissances devaient à leurs intérêts bien compris, à leur union, à la tranquillité de l'Europe et à l'accomplissement des vues consignées dans le protocole du 20 décembre, une manifestation solennelle, une preuve éclatante de la ferme détermination où elles sont, de ne chercher dans les arrangements relatifs à la Belgique, comme dans toutes les circonstances qui pourront se présenter encore, aucune augmentation de territoire, aucune influence exclusive, aucun avantage isolé.» »_Protocole nº 42._--Le souverain de la Belgique doit nécessairement satisfaire, par sa position personnelle, à la sûreté des États voisins.» »J'ai cru, monsieur le comte, qu'après des stipulations aussi formelles, il devenait inutile de donner de nouvelles explications; c'est pourquoi j'ai demandé à en référer au gouvernement du roi, et à provoquer des instructions que vous ne tarderez pas, je pense, à me transmettre. »L'article du protocole relatif à la Grèce auquel lord Palmerston a fait allusion, est ainsi conçu et se trouve sous la date du 22 mars 1829: «En aucun cas, le chef ne pourra être choisi parmi les princes des familles qui règnent dans les cours signataires...» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 3 février 1831. »Mon prince, «Son Altesse Royale Monseigneur le duc de Nemours a été nommé et proclamé roi des Belges, à quatre heures vingt-cinq minutes précises de cet après-midi. »Il y avait cent quatre vingt-onze votants, au premier tour de scrutin: M. le duc de Nemours a obtenu quatre-vingt-neuf voix; M. le duc de Leuchtenberg, soixante-sept; et M. l'archiduc Charles d'Autriche, trente-cinq. Cent une voix étaient nécessaires. »Au second tour, il y avait cent quatre-vingt-douze votants. La majorité absolue nécessaire était de quatre-vingt-dix-sept suffrages: M. le duc de Nemours l'a précisément obtenue; M. le duc de Leuchtenberg a eu soixante-quatorze voix, et l'archiduc vingt et une. »Le président du congrès a proclamé le duc de Nemours roi des Belges, à la condition d'accepter la constitution décrétée par le congrès. »Le plus grand enthousiasme et la plus grande tranquillité règnent dans la ville...» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[41]. [41] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 4 février 1831. »Monsieur le comte, »J'ai reçu hier au soir votre lettre du 31 janvier et, ce matin, celle du 1er février auxquelles je m'empresse de répondre. »Vous verrez d'abord, par l'annexe ci-jointe au protocole numéro 12 que je n'ai pu vous envoyer plus tôt, parce qu'elle n'a pu être expédiée qu'hier au soir de la chancellerie, que quelques-unes des objections que vous soulevez dans vos dépêches avaient été résolues par les principes renfermés dans cette annexe. Ainsi, vous remarquerez que, pour ne pas trop nous éloigner du système qui a été adopté, le second paragraphe relatif aux affaires financières et commerciales porte pour titre: _Arrangements proposés_, ce qui laisse aux parties le temps et les moyens de fournir de nouvelles explications. Ce titre indique positivement que nous n'avons pas voulu trancher de notre propre autorité toutes les questions qui sont énumérées dans le protocole; et cela est tellement évident que, dans les instructions données à nos commissaires à Bruxelles, nous leur avons recommandé de sonder les personnes influentes avec lesquelles ils sont en rapport sur l'effet probable de ce protocole; et nous laissions en même temps à leur prudence de fixer le moment opportun pour en faire usage. Je vous ai écrit dans ce sens, par ma lettre du 29 janvier. »L'opinion que vous avez sur le peu d'importance, pour la Belgique, du commerce qui lui serait accordé avec les colonies hollandaises est en opposition avec celle de tous les négociants distingués de la cité de Londres. Ils pensent tous, et les plus habiles ont été consultés, que c'est à ce commerce que la Belgique a dû, pendant ces quinze dernières années, les développements de son industrie; les pétitions des deux Flandres confirment cette opinion. Les embarras que vous prévoyez de la part de la Hollande, dans l'exécution de cette condition, seraient, je crois, aisément levés lors du traité définitif: on imposerait alors des garanties auxquelles il serait impossible à la Hollande d'échapper. »Nous n'avons pu trancher, comme vous paraissez le supposer, la question du grand-duché de Luxembourg; elle a été renvoyée à ceux qui ont le droit et le pouvoir de la traiter. Les observations à ce sujet, contenues dans ma dépêche numéro 74, n'ont pu vous échapper. »Quant à la fixation du territoire et des frontières de la Belgique, il me semble qu'il était impossible de les arrêter autrement que nous l'avons fait. Nous voulions reconnaître l'indépendance de la Belgique; pour arriver à ce but, il fallait que l'on sût ce que c'était que la Belgique, et par conséquent déterminer les frontières du pays que nous appelions à l'indépendance. Aurions-nous pu, sans injustice, en fixer d'autres que celles qui existaient en 1790, lorsque la Hollande et la Belgique formaient deux États séparés? La conférence a d'ailleurs formellement déclaré, dans son protocole du 20 janvier, que les deux parties régleraient sous sa médiation les enclaves ou les cessions qui faciliteraient les arrangements définitifs. Cela rentre, comme vous le voyez, dans les bornes que vous attribuez à la conférence. »Vous m'annoncez, monsieur le comte, que le gouvernement du roi n'a point adhéré au protocole du 27 janvier. Je ne comprends pas, je l'avoue, dans quel but il aurait adhéré ou pas adhéré à un acte provisoire qui ne renferme que des stipulations éventuelles, ainsi que le démontre l'annexe que je vous envoie aujourd'hui. »En répondant à la partie de votre lettre du 1er février, relative au souverain futur de la Belgique, je ne dois pas vous dissimuler l'inquiétude que m'inspire la résolution à laquelle vous semblez vous être arrêté, dans le cas où le congrès désignerait M. le duc de Nemours. Je ne pense pas qu'il serait prudent d'apporter du retard à exprimer votre refus: une réponse dilatoire, en pareil cas, exciterait au plus haut point le mécontentement de l'Angleterre; elle y verrait la confirmation des intrigues qu'elle reproche à tort au gouvernement français; et la Russie ne manquerait certainement pas de profiter de cette circonstance et de vous accuser d'entretenir des arrière-pensées. Voilà mon opinion, monsieur le comte, telle que je me la suis formée d'après mes rapports avec le cabinet anglais. »Quant à M. le prince de Naples, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de suspendre votre décision pour rendre ses chances plus favorables. C'est à vous de juger quelle action il vous est utile d'exercer a Bruxelles pour ce choix. Vous avez pu voir, par ma correspondance, que j'ai préparé ici les dispositions des ministres anglais et des membres de la conférence pour lui, et je ne crains pas de trop m'avancer en vous déclarant que lorsqu'il s'agira de traiter cette question, nous n'éprouverons plus d'opposition de la part du gouvernement anglais, qui est sûr d'avoir l'assentiment de l'Autriche et de la Prusse; le temps nécessaire pour des instructions retardera celui de la Russie. On changerait ces heureuses dispositions par de l'irrésolution dans les démarches, et on compromettrait sans aucun doute le maintien de la paix avec l'Angleterre, qui aujourd'hui nous est encore assuré et qui doit être notre unique but...» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 5 février 1831[42]. »Une réflexion dont le roi me charge de vous faire part, mon cher prince, et dont je suis persuadée que vous sentirez toute la justesse, relativement au dernier protocole que vous avez, avec tant de raison, refusé de signer, c'est que les puissances mêmes ne peuvent l'assimiler à celui qui avait été conclu pour la Grèce, en ce que la circonstance est tout à fait différente. Pour la Grèce, c'étaient les trois puissances qui choisissaient, qui nommaient le souverain; ici c'est le congrès belge et la Belgique, dont les cinq puissances ont reconnu l'indépendance, qui doit choisir librement son souverain. [42] Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer qu'en suivant l'ordre chronologique dans lequel les lettres sont écrites, M. de Talleyrand ne pouvait pas placer les réponses exactement à la suite des lettres mêmes et qu'il fallait dans ce temps-là, de deux à trois jours, selon l'état de la mer, pour qu'une lettre parvînt de Londres à Bruxelles ou à Paris et _vice versa_. (_Note de M. de Bacourt._) »Voilà Nemours élu, malgré le refus soutenu du roi et de son gouvernement; le courrier, persistant et réitérant ce refus et le portant de nouveau à M. Bresson, est parti hier pour Bruxelles, quatre heures avant que la nouvelle de l'élection de Nemours, par dépêche télégraphique, nous soit parvenue. Nous sommes par conséquent, franc et loyal, mon cher prince; nous avons le bon droit de notre côté; vous en ferez bon et habile usage, et j'ai la ferme confiance que nous en sortirons bien et avec honneur et gloire; nous ne voulons, ne souhaitons, et cela sincèrement, que le véritable bien de tous et sans intérêt personnel. La vérité triomphera de la ruse et de l'intrigue; et vous aurez la gloire et la satisfaction d'y contribuer puissamment par votre talent et tous vos moyens. Il me tarde, plus que je ne puis vous le dire, d'avoir de vos nouvelles; mais il faut parler maintenant des grosses dents à Londres, mon cher prince. On nous joue, on nous laisse dans un état qui n'est ni la paix ni la guerre, et la Belgique prête à tomber dans une anarchie affreuse. Cela n'est plus supportable; il faut qu'on s'entende et qu'on marche franchement à un arrangement, à une combinaison qui leur convienne et qui leur donne sécurité; et de cette manière, tout ira bien. Mais pour eux, pour nous, et pour tout, cela presse plus que je ne puis vous le dire. L'expérience (si sur certaines personnes elle sert à quelque chose) doit bien leur prouver qu'il n'y a déjà eu que trop de temps perdu par un vilain et sot espoir du prince d'Orange, auquel on doit bien voir maintenant qu'il n'y a pas moyen de penser et qu'il faut absolument rejeter...» J'ai la certitude que Madame Adélaïde, en écrivant cette lettre, et le roi qui la dictait étaient parfaitement sincères dans leurs déclarations; mais que devais-je penser en recevant le même jour et de la même date cette lettre de Bruxelles? M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 5 février 1831. »Mon prince, »Forcés de changer notre position et de nous engager dans une lutte que nous aurions voulu éviter, nous n'avions plus qu'un parti à prendre: il fallait vaincre et nous avons vaincu. Mais aujourd'hui, nous avons à penser aux suites de ce succès non encore affermi. »Une pensée m'est venue, qui, si elle est accueillie par vous, peut porter quelque fruit. Le prince d'Orange peut, en quelque sorte, se considérer comme dépossédé par nous. Si nous lui trouvons quelques dédommagements dont la paix et l'équilibre de l'Europe s'arrangent, en même temps que lui; s'il les reçoit de notre influence, de notre intervention amicale, nous aurons à la fois fait un acte de bienveillance et de politique; nous faciliterons la solution de toutes les questions compliquées qui vont sortir de l'élection de M. le duc de Nemours et nous adoucirons plus d'une irritation qu'elle va produire. »Le prince d'Orange est beau-frère de l'empereur de Russie[43]; il est agréable à l'Angleterre; il est doux de caractère; ses manières ont du charme; son esprit du chevaleresque; ses légèretés, ses inconséquences qui, dans ce pays de rigidité catholique, lui ont porté des coups funestes, ailleurs, peuvent être vues d'un oeil plus indulgent. La Pologne demande un roi; elle semble résolue à une longue et sanglante résistance. Si l'empereur de Russie peut, avant le combat, être amené à composition, il cédera en faveur du prince d'Orange plus facilement que pour tout autre; et si, sur notre initiative et par notre insistance, un pareil dénouement est donné à la révolution polonaise, nous aurons à la fois servi la cause d'une nation généreuse, ramené vers nous des esprits hostiles ou alarmés, recomposé le système européen détruit par le partage de la Pologne, et affermi le trône de M. le duc de Nemours. Avec vous, mon prince, il serait oiseux d'entrer dans tous les développements de cette idée. Je me borne à vous la soumettre. Toutefois, je vous expédie cette lettre par estafette; ce peut être un calmant bon à appliquer dans les premiers moments. [43] On se rappelle que le prince d'Orange avait épousé la grande-duchesse Anne, soeur de l'empereur Nicolas. »Je me suis déjà employé et je continuerai de m'employer pour que les chefs de l'insurrection de Gand ne soient pas mis à mort[44]. Le règne de notre jeune et aimable prince commencerait bien par un acte de clémence; il faut le lui tenir en réserve. [44] Le 2 février un mouvement orangiste avait éclaté à Bruges et à Gand. Le lieutenant-colonel Grégoire souleva son régiment cantonné à Bruges. A sa tête, il pénétra dans Gand et força le gouverneur à proclamer le prince d'Orange. Mais il fut aussitôt attaqué dans la ville, battu et arrêté. Le mouvement n'eut pas de suite. »Je ne pourrais vous peindre avec trop de force l'effet que produirait sur ce pays un refus, ou une acceptation seulement conditionnelle de Sa Majesté. Ce serait instantanément le bouleversement de toutes choses, la guerre civile, la cocarde orange, la cocarde française, le désordre, le meurtre et l'anarchie dans toutes leurs fureurs. Nous ne pouvons plus regarder en arrière, mon prince. Un mouvement rétrograde serait mille fois plus dangereux qu'une attitude ferme et décisive. »La protestation de notre gouvernement contre le protocole du 27 janvier me destitue en quelque sorte de mes fonctions de commissaire de la conférence. Je l'avais communiquée à M. Van de Weyer; parce que je savais qu'elle nous donnerait les voix dissidentes du Limbourg et du Luxembourg; il l'a montrée; et puis il se l'est laissé arracher, et elle a été lue à la tribune et imprimée. »Il y a un point très délicat qui, si le roi accepte pour M. le duc de Nemours, entraîne une autre protestation contre le protocole du 20 janvier; car dans nos quatre-vingt-dix-sept voix, il y en a vingt du Luxembourg; et si nous reconnaissons Luxembourg comme hollandais, nous invalidons l'élection. Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense. Mais le prince d'Orange, _seulement proposé_ par nous pour la Pologne, peut arranger bien des choses...» J'ignore si la belle conception politique exposée dans cette lettre sortait uniquement du cerveau de M. Bresson, mais l'aplomb avec lequel il la faisait valoir doit me faire supposer qu'il se sentait appuyé quelque part. Quoi qu'il en fût, je ne me donnai pas même la peine de répondre à de pareilles absurdités. Mais continuons les extraits de dépêches: LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[45]. [45] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 6 février 1831. »Monsieur le comte, »Le conseil des ministres anglais est assemblé en ce moment pour délibérer sur une dépêche qui vient d'être reçue de Lord Ponsonby et par laquelle il annonce que M. Bresson a fait répandre dans Bruxelles une espèce de déclaration du gouvernement français. Cette déclaration dont je n'ai pas connaissance renferme, dit-on, l'assurance positive de ne point reconnaître les derniers protocoles de la conférence de Londres[46]. Elle a produit ici le plus fâcheux effet, et c'est facile à concevoir. En chargeant leurs plénipotentiaires à Londres de pourvoir aux embarras qu'avait amenés le soulèvement de la Belgique, les cinq puissances ont eu en vue d'empêcher des complications qui devaient troubler la paix de l'Europe. C'était par suite de traités entre toutes les puissances qu'en 1814, la Belgique avait été réunie à la Hollande; du moment où cette union était rendue impossible par la révolution belge, ces mêmes puissances ont eu l'obligation de rechercher quelles seraient les combinaisons les plus favorables au maintien de la bonne harmonie entre elles et qui offraient le plus de garanties pour les intérêts de chacun. Tel a été le principe dirigeant de la conférence de Londres. Une déclaration, telle que celle que l'on annonce avoir été faite à Bruxelles au nom du gouvernement français, attaquerait nécessairement ce principe et prouverait que la France n'est plus d'accord avec les autres puissances. Nous nous trouverions ainsi séparés, par le fait, de la politique du reste de l'Europe. [46] Il est nécessaire de faire ressortir ici la situation singulièrement délicate de M. Bresson à Bruxelles. Dépendant à la fois de la conférence et du général Sébastiani, il lui était souvent bien difficile d'obéir également aux ordres de Londres et de Paris. Ainsi le cabinet français avait tout d'abord refusé de reconnaître les protocoles des 20 et 27 janvier et celui du 7 février: le premier, fixant les limites de la Hollande et de la Belgique; le deuxième, réglant certaines questions commerciales et financières résultant de la séparation; le troisième, confirmant la résolution déjà annoncée du roi Louis-Philippe de refuser la couronne offerte au duc de Nemours. M. de Talleyrand avait signé ces protocoles et les avait envoyés à M. Bresson pour être communiqués au gouvernement belge. Or, presque le même jour, le général Sébastiani, qui avait fait prévaloir à Paris une ligne de conduite opposée à celle de M. de Talleyrand, écrivait à M. Bresson: «Paris, 1er février. »Monsieur, »Si comme je l'espère, vous n'avez pas encore communiqué au gouvernement belge le protocole du 27 janvier, vous vous opposerez à cette communication parce que le gouvernement du roi n'a pas adhéré à ses dispositions. Dans la question des dettes comme dans celle de la fixation de l'étendue et des limites des territoires belges et hollandais, nous avons toujours entendu que le concours et le consentement libre des deux États étaient nécessaires. La conférence de Londres est une médiation, et l'intention du gouvernement du roi est qu'elle n'en perde jamais le caractère. »Recevez, etc. »HORACE SÉBASTIANI.» M. Bresson communiqua cette lettre à M. Van de Weyer, président du comité diplomatique, qui la lut au congrès, le 3 février. C'est à cet incident, qui dut à juste titre étonner M. de Talleyrand, qu'il fait allusion dans sa lettre du 6 février. »On s'étonne avec raison, ce me semble, que le cabinet français qui voulait manifester sa désapprobation des derniers protocoles de la conférence, ne se soit pas adressé uniquement à cette conférence et non aux Belges, auxquels le dernier protocole même ne devait pas être communiqué. Une telle démarche, je ne dois pas vous le dissimuler, monsieur le comte, a excité ici les plaintes les plus amères et a rendu ma position extrêmement difficile. Vous ne devez pas perdre de temps à arrêter les conséquences funestes que cela pourrait avoir, si vous ne voulez pas laisser se développer les mauvaises dispositions de quelques puissances à notre égard. Ma dernière dépêche vous aura démontré qu'il n'avait jamais pu être question d'adhésion ou de non adhésion, de votre part, à un protocole renfermant seulement des propositions. Il sera donc aisé de revenir sur une démarche inutile et, au moins, imprudente. »J'ai appris ce matin par un courrier de M. Bresson le résultat des délibérations du congrès de Bruxelles; je suis convaincu que sans aucun retard le roi refusera la couronne qui est offerte à M. le duc de Nemours. Vous devez bien vous persuader que toutes les mesures qui tendraient à consulter les puissances seront regardées comme dilatoires, et qu'un refus net, spontané, pourra seul retenir l'Angleterre dont l'alliance est sur le point de nous échapper. Vos dépêches m'ont autorisé à déclarer que ce refus aurait lieu; je l'ai fait, et je persiste à croire que les assurances que j'ai données seront appuyées par le roi et par vous. »L'Angleterre repoussera M. le duc de Leuchtenberg et acceptera sans aucun doute le choix du prince de Naples, mais je le répète, c'est au prix d'un refus prompt et décisif de votre part d'accorder M. le duc de Nemours aux Belges. »Vous le voyez, monsieur le comte, c'est une question de paix ou de guerre immédiate. Je vous avoue que je trouve que la Belgique n'est pas assez importante pour lui faire maintenant le sacrifice de la paix. »Je vous prie de m'écrire le plus promptement possible une lettre que je puisse montrer aux membres de la conférence et dans laquelle vous m'ordonnerez de déclarer que l'intention du gouvernement du roi n'est en aucune façon de s'isoler des autres puissances.» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI.[47] [47] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 7 février 1831. »Monsieur le comte, »Le conseil de cabinet dont j'ai eu l'honneur de vous parler hier a duré plus de trois heures, et on s'y est exclusivement occupé de la question de l'élection de M. le duc de Nemours. Tous les ministres sont tombés d'accord, en cas de reconnaissance de cette élection par la France, sur la nécessité d'une guerre immédiate. Si je suis bien informé, on aurait même résolu d'apporter la plus grande énergie dans cette guerre. »Telles étaient les résolutions adoptées par le cabinet anglais, monsieur le comte, lorsque j'ai reçu hier à sept heures du soir votre dépêche du 4. Averti comme je l'étais des décisions du conseil, je n'ai pas perdu de temps pour communiquer à lord Grey et à lord Palmerston les assurances que renfermait votre dépêche; elles ont été accueillies avec la plus vive satisfaction par ces ministres, ainsi que par les membres du corps diplomatique à qui j'en ai donné connaissance. J'ai cherché à voir beaucoup de monde dans le courant de la soirée, afin de détruire l'effet du conseil du matin. On a généralement reconnu la loyauté qui dirigeait le gouvernement français, et on la regarde comme la garantie principale du maintien de la paix. »Il est de mon devoir cependant de vous faire connaître l'effet qu'avaient produit ici l'élection de M. le duc de Nemours, et surtout la déclaration qui aurait été faite au nom de la France, à Bruxelles, sur son refus de connaître nos derniers protocoles. Ces deux faits ont été considérés, non seulement dans la Cité et parmi les négociants, mais encore dans les classes élevées de la société comme une cause imminente de guerre. Tous les ambassadeurs des grandes puissances ont déclaré que la décision du cabinet anglais sur ce point servirait de règle de conduite à leurs gouvernements. Ce langage a totalement changé aujourd'hui, et les bruits de guerre ont cédé la place aux protestations de paix et d'amitié. »J'ai pu juger en cette circonstance, monsieur le comte, de l'importance que notre gouvernement a reprise en Europe; c'est de lui, évidemment, qu'on attend désormais la paix ou la guerre, car on compte pour peu la Belgique; on y fait trop de folies pour inspirer un grand intérêt. Vous voudrez garder la position avantageuse dans laquelle nous sommes, et pour y parvenir, je ne crains pas de vous répéter que c'est en fondant notre politique sur une union intime avec l'Angleterre. Cette union nous garantit contre toutes les dispositions hostiles que pourraient entretenir contre nous d'autres puissances; elle nous donne le temps et les moyens d'affermir notre gouvernement, tandis qu'en nous en séparant, nous amenons inévitablement une guerre générale dont il est aisé de saisir tous les dangers. En supposant même les plus grands succès sur le continent, pourront-ils compenser la ruine de notre commerce, de notre industrie? Empêcheront-ils les factions de soulever l'intérieur de la France? Les puissants armements que l'Angleterre serait en état de faire, et dont je vous ai rendu compte, peuvent vous donner une idée des résultats qu'aurait pour nous une guerre maritime. »Je suis convaincu, et je vous le déclare sous ma propre responsabilité, que nous pouvons obtenir l'union dont je viens de vous parler en adoptant une conduite tout à la fois ferme et prudente, telle qu'elle convient au roi et à la France. Mais il faut songer que le cabinet anglais n'est jamais dirigé que par ses intérêts, et que c'est en les ménageant habilement sans y mettre cependant une condescendance qui blesse les nôtres, qu'on peut espérer de sa part un rapprochement intime. »J'ai remarqué, et avec grand plaisir, le passage de votre dernière dépêche dans lequel vous exprimez l'intention de ne point isoler notre politique de celle des autres puissances de l'Europe. Je crois que cette résolution aura pour nous les plus heureux résultats. Il faut bien se pénétrer de l'idée qu'il n'y a point de sainte alliance quand la France est dans la conférence. Cela répond à beaucoup de phrases de tribune. »Je vous envoie le protocole de notre conférence de ce jour, que le roi, à ce que j'espère, lira avec plaisir[48]. [48] Ce protocole déclarait que les puissances ne reconnaîtraient en aucun cas le duc de Leuchtenberg comme roi des Belges. (_Note de M. de Bacourt._) LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[49]. [49] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 8 février 1831. »Monsieur le comte, »J'ai eu l'honneur de recevoir hier soir quelques instants après le départ de M. le comte de Flahaut, votre dépêche du 5 de ce mois. Je puis juger par son contenu, que vos inquiétudes se sont renouvelées au sujet de la Belgique. Je n'en suis point surpris. La position dans laquelle s'est placé le gouvernement, doit nécessairement lui créer chaque jour de nouveaux embarras. Il est un moyen facile, à ce que je crois, d'en sortir, mais il faut qu'il soit employé avec une résolution prompte et ferme. »Le refus de la couronne de Belgique pour M. le duc de Nemours fait à Paris, et l'assurance donnée à Londres que M. le duc de Leuchtenberg ne serait pas reconnu par les puissances, mettent le gouvernement du roi en état de déclarer que, comme il est d'accord avec la conférence sur la nécessité de régler les affaires de la Belgique d'une manière propre à concilier les intérêts de toutes les puissances, il abandonne désormais à la conférence le soin d'y pourvoir. »En faisant une telle déclaration, vous vous débarrassez d'une question qu'il est hors de votre pouvoir de terminer sans le concours des autres puissances. Si vous le tentiez, vous les indisposeriez contre vous et vous soulèveriez de nouvelles difficultés. Il est impossible, dans mon opinion, qu'aucune puissance puisse se charger seule de diriger la Belgique, tandis que les pouvoirs réunis dans les mains de la conférence lui donnent l'espoir d'y parvenir. Cette conférence laissera divaguer, sans s'en embarrasser, sur les limites du droit d'intervention ou de non intervention; et elle croira avoir rempli religieusement ses devoirs si elle conserve la Belgique indépendante, la Belgique n'inquiétant pas ses voisins, et avec tout cela la paix en Europe. »Il me semble, monsieur le comte, que le roi ne doit trouver aucun inconvénient grave à la démarche que je conseille aujourd'hui; elle s'accorde tout à la fois avec sa dignité et avec ses intérêts. »Du reste, je dois vous dire que si cette démarche n'avait pas lieu, ma présence ici cesserait d'être utile au service du roi et aux affaires de la France. J'ai dû supporter les circonstances, désagréables pour moi, de la publication faite par M. Bresson à Bruxelles, parce que j'étais sûr que si je me retirais de la conférence, les quatre autres plénipotentiaires l'auraient quittée immédiatement; et je n'aurais pas voulu être cause d'un événement qui aurait eu les suites les plus fâcheuses. Mais vous devez comprendre qu'à l'avenir il me serait impossible de jouer ici un autre rôle que celui qui convient à l'ambassadeur du roi!... LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[50]. [50] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 9 février 1831. »Monsieur le comte, »J'ai l'honneur de vous adresser copie du protocole de notre conférence d'hier. Nous avons dû, comme vous le verrez en en prenant lecture, réclamer l'exécution de l'armistice qui continue à être violé par les troupes belges aux environs de Maëstricht. L'ouverture de l'Escaut par le roi de Hollande ne laisse au gouvernement provisoire aucune justification pour la violation évidente d'un engagement pris envers les puissances. Les termes de cet engagement sont positifs. «La faculté sera accordée de part et d'autre de communiquer librement par terre et par mer, avec les territoires, places et points que les troupes respectives occupent hors des limites qui séparaient la Belgique des Provinces-Unies des Pays-Bas, avant le traité de Paris du 30 mai 1814.» «Lorsqu'il s'est agi de transmettre aux commissaires à Bruxelles les instructions dont vous trouverez également une copie jointe, on a encore considéré M. Bresson comme commissaire de la conférence; c'est un peu par égard pour moi, qu'on a fermé les yeux sur ce qui s'était passé à Bruxelles, mais cette situation ne peut pas durer. Je vous engage à renvoyer M. Bresson ici, où je lui ferai reprendre en bien peu de temps la position dans laquelle il était. »Nos conférences vont se ralentir un peu; il sera convenable de les suspendre pour donner aux esprits le temps de se calmer. Quand les Belges ne trouveront, soit à Paris soit à Londres, que de la froideur, il est probable que le langage de la raison se fera entendre, et c'est alors que des agents adroits pourront leur mettre dans l'esprit le choix du prince Charles de Naples que vous désirez, et auquel l'Angleterre ne s'oppose pas. Je crois que ce moment de relâche est utile pour arriver à la paix qui est et continuera d'être ici mon unique but...» «Londres, le 10 février 1831[51]. [51] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »Vous m'avez chargé de témoigner au gouvernement anglais les inquiétudes que pouvaient donner les démarches que continuait à faire à Bruxelles lord Ponsonby dans l'intérêt du prince d'Orange. J'ai eu à ce sujet un entretien avec lord Palmerston à qui j'ai dit le motif que nous avions pour que des efforts, dont le résultat ne pouvait être qu'une guerre civile, ne fussent pas continués. Lord Palmerston m'a très bien compris et m'a dit que des ordres allaient être expédiés à lord Ponsonby pour qu'il eût à cesser de se mêler, à l'avenir, de ce qui concernait les affaires du prince d'Orange... »J'ai reçu[52] ce matin votre dépêche du 8, par laquelle vous m'annoncez que Sa Majesté, dans le but de prévenir, à Bruxelles, de fâcheuses scènes de trouble et de désordre, s'est déterminée à différer la communication officielle de son refus à la députation belge[53], venue à Paris pour offrir à M. le duc de Nemours la couronne de Belgique. Comme cette détermination est en tout point contraire aux déclarations que M. de Flahaut et moi avons faites aux ministres anglais pour obtenir l'exclusion du duc de Leuchtenberg, je me suis décidé à ne point parler de votre dépêche de ce matin à lord Palmerston. Quelles que puissent être les raisons qui ont motivé la résolution du roi, tout retard dans le refus ne sera ici qu'une occasion de soupçon; et je crois que nous devons par-dessus tout les éviter. Depuis l'arrivée des journaux de Paris, j'ai reçu ce matin trois lettres de membres du cabinet anglais, les mieux disposés pour nous, qui me témoignent le désir qu'un refus net et ferme du gouvernement français fournisse une nouvelle preuve de sa loyauté et mette fin à toutes les incertitudes...» [52] Seconde dépêche officielle du 10 février déjà publiée. [53] Cette députation était composée de dix membres: MM. Surlet de Chokier, Félix de Mérode, d'Arschot, Gendebien, Lehon, de Brouckère, Marlet, l'abbé Bouqueau, Barthélémy et de Rodes. Les députés arrivèrent à Paris le 6 février. Ce n'est que le 17 qu'ils furent reçus officiellement, et que leur roi leur notifia son refus. (Voir les _Débats_ du 19 février.) LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[54]. [54] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 12 février 1831. »Monsieur le comte, »Je dois vous remercier de votre dépêche du 9; elle renferme des assurances de la part du roi et de la vôtre qui contribueront puissamment à ramener les esprits que les dernières circonstances avaient éloignés de nous. »Il est un point cependant de votre lettre qui ne satisfera pas complètement ici et sur lequel j'ai besoin d'avoir une explication précise. Vous me dites, au sujet de la démarche au moins imprudente de M. Bresson, à Bruxelles: «qu'il serait possible que le bruit du protocole du 27 janvier se fût répandu à Bruxelles; qu'il y eût produit un très mauvais effet et que M. Bresson, pour calmer les esprits ombrageux et très irritables, eût été amené à publier la non adhésion du gouvernement français aux stipulations de ce protocole.» »Je comprends et je parviendrai peut-être à faire comprendre ici quelles sont les raisons qui ont déterminé la démarche de M. Bresson, mais il est absolument nécessaire que vous me déclariez dans une lettre ostensible, qu'elle n'a eu lieu que pour surmonter des embarras du moment qu'on est effectivement parvenu à éviter par ce moyen, et que vous n'avez jamais cessé d'être en tous points d'accord avec la conférence. C'est une déclaration dans ce sens qui seule pourra rassurer le cabinet anglais et les membres de la conférence; elle sera d'ailleurs en harmonie avec tout ce que M. de Flahaut et moi avons dit, et, sans appuyer sur l'intérêt personnel que j'y ai, je dois vous dire qu'elle est attendue ici par vos amis comme une garantie de leurs paroles...» «Londres, le 13 février 1831[55]. [55] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »Hier soir, après le départ du courrier que je vous ai expédié, j'ai reçu de lord Palmerston communication d'une lettre écrite par lord Ponsonby, dans laquelle il annonce que M. Bresson a refusé de présenter au comité diplomatique du congrès le protocole numéro 15 de notre conférence du 7 février[56]. »Cette nouvelle démonstration de M. Bresson me place ici dans les plus grands embarras. J'ai pu essayer de justifier jusqu'à un certain point la publication faite à Bruxelles de votre lettre en la faisant considérer comme une mesure d'urgence; mais il ne peut en être de même pour le refus de présenter le protocole du 7 février. [56] Ce protocole contenait, de la part de M. de Talleyrand, une nouvelle affirmation, faite au nom de son gouvernement, que le roi n'accepterait pas la couronne offerte au duc de Nemours. Il ajoutait, au sujet de la candidature du duc de Leuchtenberg que ce prince ne serait reconnu par aucune des cinq cours. M. Bresson, en agissant comme il le faisait, se bornait à obéir aux ordres qu'il avait reçus de Paris. (Voir à ce sujet p. 53 et note.) »M. Bresson est parti de Londres, chargé des pouvoirs de la conférence; c'est en cette qualité que pendant deux mois il a correspondu avec nous et, tout à coup, sans prévenir cette même conférence, il cesse sa correspondance avec elle et agit en opposition directe à ses ordres. Une pareille conduite doit paraître inexplicable aux esprits les moins prévenus. Aussi chacun ici répète qu'il est évident que M. Bresson n'a pu, de son propre mouvement, protester d'abord contre le protocole du 27 janvier, et refuser ensuite de présenter celui du 7 février. On attribue sa conduite à des ordres reçus du gouvernement français, et comme ces ordres seraient en opposition directe avec les communications que vous m'avez chargé de faire ici, cela répand sur la politique de notre cabinet une défiance qu'un gouvernement nouveau doit, par-dessus tout, chercher à éviter. »L'ignorance dans laquelle vous m'avez laissé sur les motifs qui ont dirigé M. Bresson dans ces derniers temps, a rendu ma position extrêmement difficile ici, car je parais ignorer les intentions du gouvernement du roi, ou bien être d'accord, soit avec Paris, soit avec Bruxelles, pour induire la conférence en erreur. »Ce que je viens de vous dire, monsieur le comte, ne naît pas d'une susceptibilité personnelle, mais j'y ai trouvé pour le gouvernement français des inconvénients réels qu'il était de mon devoir de vous faire connaître et que vous saurez sans doute apprécier. »J'ai besoin, je le répète, d'une explication franche et nette de tout ce qui s'est passé entre Paris et Bruxelles: ce n'est qu'avec cette explication que je pourrai reprendre près du cabinet anglais et de la conférence une position utile au service du roi. Il faut de plus montrer qu'on ne confond pas ce qui a été fixé, comme le protocole du 20 janvier, avec ce qui n'a été que proposé, comme le protocole du 27. »Celui du 20 est basé sur l'ancienne division de la Hollande et de la Belgique, et, la carte à la main, elle ne peut pas être contestée. Celui du 27 peut être sujet à discussion, mais on a bien été obligé de proposer des bases, puisque, après avoir demandé que les commissaires belges qui ont été envoyés ici eussent des pouvoirs, quand on les leur a demandés, ils ont déclaré qu'ils n'en avaient pas. L'affaire devenait interminable sans cela. »Vous ne pouvez pas trop tôt faire revenir ici M. Bresson, car sa présence prolongée à Bruxelles ne fait qu'augmenter les inquiétudes de tous les cabinets...» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 11 février 1831. »Mon prince, »J'ai reçu avant hier et aujourd'hui, avec les documents qui les accompagnaient, les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sous les dates des 7 et 9 du courant. »Vous êtes si indulgent, mon prince, que vous ne laissez arriver jusqu'à moi l'expression de votre mécontentement que sous une forme énigmatique. Je ne puis qu'être touché de ménagements si remplis de bienveillance, et si je pouvais me croire coupable, mes regrets s'en seraient accrus mille fois. Mais, je l'avoue, je n'ai pu un moment supposer que vous ne connaissiez pas à Londres, par le département, en même temps que moi à Bruxelles, la détermination adoptée par le ministre de ne pas adhérer au protocole du 27 janvier, et dans l'empressement que j'ai mis à vous expédier la nouvelle de l'élection de M. le duc de Nemours, j'ai oublié de vous adresser ce qui était, non pas un placard affiché dans les rues, mais un document imprimé du congrès[57]. Quant aux communications et publications usitées en pareil cas, il serait trop sévère d'en rendre ici un agent diplomatique responsable. Le gouvernement belge n'a, à cet égard, gardé aucune mesure. [57] C'est-à-dire que la lettre du général Sébastiani à M. Bresson du 1er février n'avait pas été placardée dans les rues, comme l'avait cru M. de Talleyrand d'après les bruits qui couraient à Londres, mais seulement lue au congrès et naturellement imprimée dans le compte rendu de la séance. »Pour tout ce qui se rapporte au choix du chef de l'État, je croirais imprudent de confier des détails au papier. Je vous les donnerai tous verbalement, lorsque j'aurai le bonheur de vous revoir; et peut-être alors, quand vous connaîtrez surtout ceux de mon voyage à Paris, serez-vous plus porté à me plaindre qu'à me blâmer. »Combien je regrette que le protocole du 7 courant (celui qui repoussait le duc de Leuchtenberg) n'ait pas été arrêté il y a un mois! la crise qui se prépare et qui, je le crois, sera terrible, aurait probablement été évitée. »Ce protocole, mon prince, est arrivé avant-hier. Lord Ponsonby l'a communiqué, sans même me consulter. M. Van de Weyer le lui a renvoyé hier, sous prétexte que le congrès ayant élu M. le duc de Nemours, ne pouvait recevoir de réponse à cette élection que par la députation en ce moment à Paris. Vous trouverez dans le journal ci-joint les débats auxquels cet incident a donné lieu dans le congrès. L'on m'assure, en ce moment, que lord Ponsonby veut aujourd'hui adresser directement la communication au président même de l'assemblée. Si j'eusse été consulté par lui, je l'aurais certainement prié de suspendre de quelques jours cette communication. Dans l'état d'extrême agitation du pays, elle arrivait trop dépouillée des ménagements désirables. Le roi seul peut adoucir l'effet du refus et calmer les susceptibilités qu'il va éveiller. »Mais, mon prince, je n'ai pas eu le choix. Voici une phrase du billet d'envoi de lord Ponsonby: «L'on m'a donné à entendre que la conférence n'avait pas jugé convenable de vous engager à coopérer avec moi à la communication de ce protocole; elle attend l'explication ou le désaveu de la lettre du 1er février, c'est-à-dire celle du comte Sébastiani que vous avez communiquée au congrès.» »De ce moment, j'ai dû me considérer comme suspendu, jusqu'à nouvel éclaircissement, de mes fonctions de commissaire de la conférence; et c'est cet éclaircissement, mon prince, que je viens aujourd'hui vous prier de me donner. Hier, les instructions, sous la date du 8 février, sont bien arrivées adressées collectivement à lord Ponsonby et à moi. Mais je l'ai prié de les mettre seul à exécution jusqu'à ce que j'eusse référé à la conférence ce paragraphe de sa lettre qui indique une distinction faite par elle entre lui et moi, et une sorte d'interruption de sa confiance. Ayez la bonté de me dire si elle me considère encore comme revêtu du même caractère et des mêmes pouvoirs que lord Ponsonby. »Votre lettre du 9, mon prince, me rend à l'espérance. Retourner près de vous, c'est tout ce que j'ambitionne depuis que je vous ai quitté. Ici, pour avoir tour à tour, fidèlement, rempli les instructions de la conférence et du gouvernement du roi, l'on me désigne ouvertement à l'animadversion des hommes de parti; une troupe de misérables m'a publiquement insulté il y a trois semaines; ma vie est tous les jours menacée par des lettres anonymes, dans les cafés et les tabagies. Le chagrin est au fond de mon coeur; ma santé est délabrée. J'ai passé par de cruelles épreuves et je n'en recueillerai probablement que des reproches. Il est si commode de sacrifier un pauvre diable[58]!» [58] A la suite de ces incidents M. Bresson dut quitter Bruxelles. (Voir à l'Appendice, p. 490, la lettre qu'il écrivit à cette occasion à M. de Talleyrand.) Le _pauvre diable_ n'eut pas autant à se plaindre qu'il le redoutait. On ne voulut pas le renvoyer près de moi, de peur qu'il ne me donnât des éclaircissements trop précis sur ce qui s'était passé entre lui et Paris; mais, à quelques semaines de là, on lui donna le poste de ministre plénipotentiaire à Hanovre, et peu de mois après, à Berlin. J'en fus bien aise, comme je l'étais aussi d'avoir été l'auteur de sa fortune en l'envoyant de Londres à Bruxelles. J'étais d'ailleurs informé qu'à Paris la vérité finirait par se faire jour; ainsi le duc de Dalberg m'écrivait: LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 12 février 1831. »Mon prince, »Votre lettre du 8 m'indique deux vérités dont depuis longtemps mon esprit est pénétré: l'une que les cinq puissances seules, d'accord entre elles, doivent dicter la loi aux Belges, livrés par leurs turbulentes passions à l'influence de nos jacobins de Paris;--l'autre, que d'ici partent de misérables intrigues, parce que ceux qui nous régissent sont désunis et incapables. »Vous avez bien fait d'avaler la couleuvre qui s'est élevée contre la conférence de Londres et ses actes. On vous en saura gré, parce que la France ne veut de la guerre, ni pour la réunion de la Belgique, ni bien moins pour l'élection du duc de Nemours. «Si la combinaison du prince de Naples peut réussir, tant mieux; mais j'en doute. Les députés belges ne la goûtent pas. Ce qui m'est resté des paroles que j'ai entendues des plus capables d'entre eux, c'est: 1º que les trois quarts du pays ne se soucient pas de la réunion avec la France; 2º qu'à l'exception de ceux qui se sont compromis dans la révolution, tous désirent la séparation complète de la Hollande, en admettant la souveraineté de la maison de Nassau, pour reprendre les liens de commerce et d'industrie établis entre les deux pays. »Le prince de Naples ne les flatte pas, parce qu'ils disent qu'il n'écarte aucun des embarras qui naissent pour eux des douanes qui les resserrent et les asphyxient...» Deux jours plus tard, le duc de Dalberg m'écrivait encore à la suite des scandaleux événements qui avaient eu lieu à Paris, le pillage et l'incendie de l'archevêché[59]... Sa lettre est caractéristique. [59] Une émeute avait éclaté à Paris le 14 février à l'occasion de l'anniversaire de la mort du duc de Berry. Un service avait eu lieu à Saint-Germain-l'Auxerrois. Le peuple dévasta cette église et l'archevêché. LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, 14 février 1831. »Mon prince, »Notre situation se gâte de plus en plus. Les scènes d'hier, que l'autorité pouvait prévoir et qu'elle devait prévenir, ont été graves. L'église de Saint-Étienne-du-Mont et de Saint-Germain-l'Auxerrois ont été pillées. L'archevêché est entièrement ravagé. Le séminaire de Saint-Sulpice a été également attaqué. L'autorité est méconnue partout. Les sottes intrigues à l'égard de la Belgique ont déconsidéré le roi et son ministère à un point que je ne puis vous l'exprimer. On risque de se faire des affaires en voulant les expliquer et les excuser par le désir d'un père qui veut obtenir des avantages pour le pays et pour sa famille. L'esprit public, qui a plus de sagacité que de calme, est profondément irrité et n'a pas été dupe un moment de tout cela. Le parti de la guerre veut, dans son délire, l'attirer à tout prix. Comme il a vu que la Belgique ne la donnait pas, il a mis l'Italie en mouvement, et le _Fayettisme_ a poussé sa pointe sur Modène et Bologne où tout était prêt et où se trouve le foyer des associations italiennes[60]. Mon avis est que les Autrichiens agiront et qu'il ne faut pas arriver bêtement avec le principe de _non intervention_, et que nous devons ramener le règlement des affaires italiennes à une nouvelle conférence. [60] La révolution éclata à Modène le 3 février. Le duc fut contraint de s'enfuir, et un gouvernement provisoire s'établit avec un dictateur et trois consuls. Le 4 février, l'insurrection triompha également à Bologne. Le prolégat pontifical dut se retirer, et un gouvernement provisoire fut installé. »Avant tout, il ne faut pas que les cinq puissances se brouillent et que la guerre éclate entre elles. Je ne suis pas bien persuadé qu'on puisse sauver l'ordre des choses en Europe; mais, s'il y a encore un salut, c'est bien décidément celui qui peut résulter d'une entente réfléchie entre les grands cabinets. »Si M. Sébastiani avait voulu me croire, il ne serait pas à présent la risée du corps diplomatique ni des Chambres; il aurait opposé du caractère aux intrigues du Palais-Royal. Il a agi dans l'affaire belge comme dans l'affaire de Grèce. Par une telle direction, on ne sait où on va. Les Belges, ici, ne paraissent pas disposés à accueillir le prince de Naples. Ils disent qu'ils ne veulent pas d'un prince qui ne peut leur apporter que du macaroni et des capucins. Les intrigues de M. de Celles les poussent, à ce que je crois, à attendre autre chose du _temps_. Qu'on hâte donc à Londres les décisions et qu'on se mette en mesure pour qu'elles soient plus que des paroles. M. Sébastiani disait à une personne dont je le tiens: «--Mais ces conférences de Londres sont des conversations, et rien de plus.»--Je suis sûr qu'il l'a dit et cependant je suis sûr aussi qu'il ne le croit pas. Mais comme dit très bien Rigny[61]: _Il met ses pieds dans tous les souliers._ Il voit tous les matins, et Châtelain[62], et Bertin de Vaux[63]. Tout cela fait pitié. En attendant, le pays s'en va. Laffitte m'a avoué qu'il ne trouverait pas à emprunter dix millions à longue échéance pour le Trésor. Et puis, on parle de faire la guerre! La paix, mon cher prince, ou tout va au diable! [61] Henry Gauthier, comte de Rigny, né en 1782, entra dans la marine en 1798. Il était capitaine de vaisseau en 1816, contre-amiral en 1825 et vice-amiral après la bataille de Navarin, où il commandait la flotte française. Le 13 mars 1831, il fut nommé ministre de la marine. En 1834, il passa aux affaires étrangères. Il quitta ce poste l'année suivante, mais garda le titre de ministre d'État jusqu'à sa mort (1835). [62] Propriétaire du _Courrier français_, journal de l'opinion la plus violente dans l'opposition révolutionnaire. (_Note de M. de Bacourt._) René Théophile Châtelain, né en 1790, avait servi dans les armées de l'empire. Il quitta le service en 1830 et entra dans le journalisme, collabora longtemps au _Courrier français_ et au _National_, et mourut en 1838. [63] Propriétaire du _Journal des Débats_, qui soutenait le gouvernement. (_Note de M. de Bacourt._) Louis-François Bertin de Vaux, né en 1766, débuta dès 1793 dans le journalisme en combattant les partis révolutionnaires dans le _Journal français_, l'_Éclair_ et le _Courrier universel_. Après le 18 brumaire, il fonda le _Journal des Débats_, qui tout d'abord s'occupa presque exclusivement de littérature et d'art. Impliqué dans une conspiration royaliste, Bertin passa huit mois au Temple, et fut ensuite déporté à l'île d'Elbe. De retour à Paris au bout de peu de temps, il reprit la direction de son journal, mais le gouvernement ne tarda pas à s'approprier cet organe de publicité. Il lui imposa un nouveau directeur, Fievée, et changea son nom en celui de _Journal de l'Empire_. Malgré cela, le _Journal de l'Empire_ fut saisi en 1811 et la propriété en fut confisquée au profit de l'État. M. Bertin ne la recouvra qu'en 1814. En 1815, il suivit le roi à Gand où il rédigea le _Moniteur_ de Gand. Sous la Restauration, M. Bertin se rangea dans l'opposition modérée. En 1830, il adopta avec empressement la monarchie nouvelle. Le _Journal des Débats_ était à cette époque le premier organe du parti monarchique, et il le demeura pendant toute la durée du gouvernement de juillet. Bertin mourut en 1841. »Pozzo me disait hier: «J'ai bien prévenu Sébastiani que l'Angleterre ne comprendrait rien à l'intrigue de Bruxelles, et que Flahaut pèserait une once dans le poids d'une négociation. M. de Talleyrand, je lui rends cette justice, a été le seul qui ait vu les choses comme il fallait les voir...» Il paraît que M. Sébastiani n'avait pas été convaincu par les arguments de M. Pozzo, ou s'était irrité d'avoir été pris dans ses propres intrigues. Il m'écrivit pour se plaindre de la manière dont procédait la conférence et pour me prescrire de ne plus accepter désormais aucun protocole qu'_ad referendum_. Voici la dépêche par laquelle je lui répondis: LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[64]. [64] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 15 février 1831. »Monsieur le comte, »J'ai reçu ce matin votre dépêche du 12, et je ne puis mettre trop d'empressement à répondre à son contenu. »Il m'est facile de juger d'après votre lettre que la direction suivie par la conférence n'a point eu l'approbation du gouvernement du roi, et que, dans ce cas, j'aurais eu le tort d'adopter cette même manière de voir. Il devient nécessaire que je vous donne quelques explications à ce sujet. »Lorsque je quittai Paris au mois de septembre dernier, on me donna, un quart d'heure avant mon départ, quelques instructions générales sur des questions qui n'ont point eu leur application depuis que je suis ici: on me promit de m'envoyer promptement des instructions détaillées; depuis cette époque, je les ai sollicitées en vain, et j'ai dû me guider sur la seule recommandation que renferment presque toutes les dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, c'est-à-dire, de maintenir la paix en conservant intacte la dignité de la France. C'est de ce point que je suis parti, monsieur le comte, dans tous mes rapports avec la conférence, et je crois être parvenu, non sans quelque difficulté, à remplir le but que se proposait le roi. Vous ne partagez pas cette opinion, et vous désirez que je n'agisse désormais que d'après des instructions spéciales. Je me soumettrai à vos ordres, mais je croirais manquer à mon devoir, si je ne vous laissais pas entrevoir les inconvénients graves qu'entraînera à sa suite cette manière de traiter les affaires. »Elle ôtera à la conférence une partie de l'autorité qu'elle avait prise sur l'opinion, en plaçant chacun de ses membres dans une dépendance qui arrêtera toute négociation, et je puis vous en donner un exemple: le protocole de la neutralité de la Belgique a été signé après une conférence qui a duré dix heures et demie, et deux jours après, le plénipotentiaire prussien ne l'aurait probablement pas signé. »Ceci me conduit à vous dire que, dans la question des limites, il n'y a pas eu plus d'intervention qu'il n'y en a eu dans la reconnaissance de la Belgique[65] dont la fixation des limites était la conséquence. [65] Variante: _de l'indépendance_ de la Belgique. »Les limites sont un fait, et ce fait est ancien, la conférence n'a fait autre chose que le déclarer: la géographie est là pour dire ce qu'était la Belgique et ce qu'était la Hollande, avant leur réunion. On n'a rien changé au territoire des deux pays, et on n'a pas même décidé la question des enclaves. Ce ne pourrait être qu'avec la pensée de donner ou de retrancher à l'une des deux parties quelque chose de son ancien territoire, ont dit tous les membres de la conférence, qu'on pourrait attaquer la base qui a été adoptée, et c'est ce changement-là qui serait une véritable intervention. Il est donc évident que dans le protocole du 20 janvier, la conférence ne s'est point écartée, et n'a pas voulu s'écarter du principe de la non intervention[66]. Je suis bien aise de vous faire remarquer, encore une fois, que la conférence, sur ces deux points qui paraissent avoir principalement fixé votre attention, ne s'est point écartée du principe de la non intervention. [66] Variante: _Quant à la question des dettes, on a fait seulement des propositions d'après lesquelles on demande à être conduit dans une route juste et équitable._ Le gouvernement anglais, qui depuis M. Canning est fort susceptible sur ce principe, établit la même doctrine, et n'aurait pas consenti plus que nous à s'en écarter. Lord Palmerston la soutient aujourd'hui, dans les mêmes termes que j'emploie avec vous, au parlement d'Angleterre. Du reste, je dois vous dire que, si dans ma propre opinion la guerre devenait trop imminente en refusant ma signature à un des protocoles proposés par les membres de la conférence et qui ne toucherait pas aux intérêts _réels_[67] de la France, je croirais retrouver dans mes anciennes instructions générales le devoir de le signer. Je répondrai demain à ce que vous m'écrivez relativement à lord Ponsonby et à M. de Krüdener.[68]» [67] Supprimé dans le texte des archives. [68] Le général Sébastiani avait annoncé à M. de Talleyrand que M. de Krüdener, envoyé par le prince de Lieven, avait ouvertement proposé à Bruxelles le prince d'Orange et que lord Ponsonby l'appuyait énergiquement.--M. de Krüdener était un ancien diplomate russe. Il se trouvait à Bruxelles sans mission officielle, et était l'agent actif du prince d'Orange dont la Russie défendait les intérêts. Il avait proposé de le faire excepter de l'exclusion prononcée contre sa famille. M. de Krüdener fut expulsé par ordre du congrès. (Voir JUSTE, _Congrès de Bruxelles_, I, 275) «Londres, le 16 février 1831[69]. [69] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »J'ai, en exécution des ordres du gouvernement, parlé à lord Palmerston du rappel de lord Ponsonby; je crois qu'il aurait été aisé de l'obtenir avant la publication de votre lettre faite par M. Bresson et le refus de ce dernier d'exécuter les ordres de la conférence; mais aujourd'hui ce serait mettre lord Ponsonby et M. Bresson sur la même ligne vis-à-vis de la conférence et le cabinet anglais n'est pas disposé à y consentir. »Je vous ai déjà écrit que lord Palmerston avait transmis des ordres à lord Ponsonby pour continuer à observer les dispositions des esprits, sans se mêler en aucune manière des intérêts de M. le prince d'Orange. Lord Palmerston ne m'a, du reste, jamais dissimulé que la combinaison qui placerait ce prince sur le trône belge avait toujours paru à son gouvernement la plus propre à terminer promptement les affaires de Belgique, dont l'Angleterre, autant que nous, désire voir le terme; mais il ne croit plus à son succès. »J'ai aussi parlé au prince de Lieven, hier et ce matin, au sujet des menées qu'on attribue à M. de Krüdener à Bruxelles. Il m'a répondu que M. de Krüdener était à Londres, par congé, qu'il avait eu envie de connaître par lui-même l'état de choses en Belgique; qu'il l'avait chargé de lui en rendre compte; il m'a assuré positivement qu'il ne lui avait donné aucun ordre relatif aux affaires de M. le prince d'Orange, et qu'il devait se borner à instruire sa cour de ce qu'il aurait observé sur les chances que le prince pouvait avoir dans le pays. La partie active de l'intrigue favorable au prince d'Orange est conduite par des habitants des deux Flandres, dont plusieurs se trouvent en ce moment à Londres, agissant dans cet intérêt. M. de Krüdener serait bien peu propre à remplir une mission toute d'intrigue, car vous savez qu'il est presque complètement sourd. Vous vous rappellerez que, par le protocole numéro 15, que je vous prie de vous faire remettre sous les yeux, le gouvernement provisoire a été invité à faire arrêter les troupes qui se rapprochaient de Maëstricht et à les replacer, comme il en était convenu, dans les limites de l'armistice[70]. Comme la réponse se fait beaucoup attendre et que les Hollandais sont inquiets de la situation des approvisionnements de Maëstricht, si demain elle n'était pas arrivée, nous serions, pour être justes, obligés de laisser le roi de Hollande rétablir ses communications avec cette ville. Il avait précédemment arrêté la marche de ses troupes au reçu du protocole. Nous nous réunissons demain pour cet objet. [70] Le protocole numéro 15 ne contient aucune stipulation de ce genre. (Voir page 64). M. de Talleyrand n'a-t-il pas plutôt en vue le protocole numéro 9 du 9 janvier (voir page 17) ou celui (nº 16) du 8 février? (Voir page 60). »Je vous envoie le numéro du _Times_ de ce jour; vous y trouverez le premier discours de lord Palmerston depuis qu'il est ministre des affaires étrangères; il faut le lire attentivement parce qu'il a été remarqué par l'aplomb qu'il a mis dans sa réponse aux différentes questions qui lui avaient été faites[71]. Vous trouverez aussi dans ce même journal un article qui renferme l'opinion de toute l'Angleterre sur la mesure dans laquelle doivent se tenir les membres du parlement qui questionnent les ministres et les ministres qui leur répondent. Cet article me paraît utile à faire connaître...» [71] Séance de la Chambre des communes du 15 février. Lord Palmerston répond à une interpellation sur les affaires de Belgique et notamment sur la concentration de troupes françaises dans le département du Nord. Ma mémoire ne me rappelle pas que M. Sébastiani m'ait jamais répondu à ces deux dernières dépêches. Je continue à citer les miennes qui suivirent. «Londres, le 17 février 1831[72]. [72] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »Je puis vous faire connaître les dispositions du cabinet anglais et des membres de la conférence sur le choix du prince de Naples comme souverain de la Belgique. »Les ministres anglais, malgré leur prédilection pour M. le prince d'Orange, qu'ils ne m'ont jamais cachée, ne mettront cependant aucune opposition au choix du prince de Naples; mais nous ne devons pas non plus compter sur leur concours pour le faciliter. »Le plénipotentiaire autrichien m'a exprimé son désir de voir réussir cette combinaison; il a même ajouté, sur la demande que je lui ai faite s'il y avait un agent autrichien à Bruxelles, qu'il n'y en avait pas, et que s'il y en avait eu un, il n'aurait sûrement fait aucune difficulté de seconder les intérêts du prince de Naples. »Le ministre de Prusse n'a aucune instruction sur ce point; mais j'ai reçu de lui l'assurance que son souverain ne verrait qu'avec plaisir tout ce qui tendrait au rétablissement de l'ordre en Belgique et à mettre fin à des embarras dont il redoutait les conséquences pour les pays voisins. »Quant au prince de Lieven, quoique nous soyons dans les meilleurs rapports ensemble, il n'a pas dû me communiquer son opinion sur un choix qui n'entre pas dans les vues de sa cour. Mais le prince Esterhazy m'a dit que si nous nous accordions tous sur le prince de Naples, il était convaincu qu'on amènerait la Russie à le reconnaître plus tard, et je pense comme lui. »Vous pouvez juger d'après cela, monsieur le comte, de l'état des esprits sur cette question. C'est au gouvernement du roi qu'il appartient maintenant d'arrêter positivement le parti qu'il veut prendre et d'employer tous ses efforts à Bruxelles pour le faire réussir. S'il n'y trouve pas l'appui de toutes les puissances, il n'y rencontrera pas du moins de l'opposition de leur part, je m'en crois sûr. »Je dois vous dire que, dans toutes les conversations que j'ai eues ici, à ce sujet, on ne m'a exprimé que des intentions pacifiques. Les ministres anglais et tous les plénipotentiaires ont protesté du vif désir de leurs gouvernements de maintenir la paix, et qu'une agression quelconque de la France pourrait seule fournir des causes fondées de guerre. »Je sors d'une conférence dans laquelle a été rédigé le protocole que je vous ai annoncé hier. On se perdrait dans une foule d'embarras si on ne tenait pas aux choses précédemment convenues entre la conférence, la Belgique et la Hollande. Ce protocole n'est adressé qu'à lord Ponsonby, parce que M. Bresson a refusé de présenter le dernier et que la conférence ne le regarde plus comme son agent en Belgique. D'après la disposition des esprits, je vous engage même, si votre intention était de le renvoyer ici, de retarder son retour... «Londres, le 19 février 1831. »Monsieur le comte[73], [73] Cette lettre ne se trouve pas dans le recueil de M. Pallain. »J'ai l'honneur de vous transmettre le protocole numéro 18 de notre conférence d'hier. Vous y trouverez l'adhésion du roi de Hollande aux protocoles du 20 et du 27 janvier. Cette adhésion est pleine et entière, mais elle n'a été obtenue qu'avec peine, et les résolutions dont il était menacé par la conférence l'ont décidé à céder. »Un schooner anglais débarqué à Poole a apporté la nouvelle qu'au moment où il a quitté Lisbonne, on se battait dans les rues; le mouvement était très prononcé; les prisons avaient été forcées. Dom Miguel s'était mis à la tête des troupes[74]...» [74] Le 7 février, le gouvernement de dom Miguel avait donné l'ordre d'activer le jugement des prisonniers politiques. Un décret du 9 février établissait à cet effet des commissions militaires munies de pouvoirs exorbitants. Cette conduite provoqua une émeute et un mouvement en faveur de dona Maria. La répression fut rigoureuse et sanglante. Deux Français furent arrêtés et déportés en Afrique. LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 21 février 1831. »Mon cher prince, »Si on vous demande où la France sera entraînée d'ici à six mois, dites hardiment que vous ne pouvez pas le calculer. Le roi marche avec la minorité, comme l'a fait Bonaparte, comme l'ont fait Louis XVIII et Charles X, et il me paraît à moi que M. Laffitte est un M. de Polignac avec les jacobins, comme M. de Polignac était l'aveugle instrument des émigrés. »Tous les partis provoquent la dissolution de la session actuelle, et elle ne peut plus ne pas avoir lieu. On disait hier que la querelle entre le ministre Montalivet[75] et le préfet de la Seine (M. Odilon Barrot[76]) finirait par la retraite du premier. M. d'Argout devait le remplacer, et Rigny était désigné pour la marine. Avec les hommes qui nous gouvernent, on peut s'amuser à répéter mille combinaisons de ce genre sans tomber juste. Il n'y a que les faits qui parlent. Tous les esprits sont noirs d'appréhensions diverses. Si nous avons le bonheur de conserver la paix, peut-être nous tirerons-nous encore de cette crise intérieure et verrons-nous reparaître un peu de calme; mais cela est dans les grandes incertitudes... [75] Le comte Bachasson de Montalivet, né en 1801, entra en 1823, par hérédité, à la Chambre des pairs. En 1830, il devint ministre de l'intérieur (2 novembre), puis ministre de l'instruction publique et des cultes (13 mars 1831), et de nouveau ministre de l'intérieur après la mort de Casimir Périer (1832). Il se retira le 10 octobre 1832, devint intendant général de la liste civile, et reprit deux fois encore le portefeuille de l'intérieur, en 1836 et 1837. Il rentra dans la vie privée en 1848. En 1879, il fut nommé sénateur inamovible et mourut l'année suivante. [76] Odilon Barrot, né en 1791, fils du conventionnel de ce nom, avait été, sous la Restauration, avocat à la Cour de cassation. En 1830, il était secrétaire de la commission municipale, et fut comme tel l'un des commissaires chargés d'escorter Charles X. Il devint ensuite député et préfet de la Seine; à la suite de l'émeute du 14 février contre laquelle il ne sut ou ne voulut rien faire; il fut publiquement pris à partie par M. de Montalivet, alors ministre de l'intérieur, et révoqué peu de jours après. Il conserva son siège à la Chambre jusqu'en 1852. En février 1848, il avait été chargé par le roi de former un cabinet avec M. Thiers, mais ne put y réussir. Au mois de décembre, il entra dans le premier cabinet du prince président. Il se retira de la vie publique en 1852. En 1872, il devint vice-président du Conseil d'État et mourut l'année suivante. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[77]. [77] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 23 février 1831. »Monsieur le comte, Les événements qui se sont passés à Paris pendant la semaine dernière ont causé dans Londres une inquiétude difficile à décrire. L'absence totale des nouvelles de France pendant les journées des 19, 20 et 21, a servi parfaitement les joueurs à la baisse, qui ont répandu les bruits les plus alarmants, et qui ont atteint leur but en produisant une dépréciation assez considérable dans les fonds publics. Depuis la révolution du mois de juillet, il n'y avait pas eu une semblable agitation à la Bourse, et parmi toutes les classes de la société; les idées de guerre se sont accréditées de façon à faire hausser les polices d'assurance à un prix très élevé. Je crois avoir tenu le langage le plus convenable en cette circonstance, mais l'ignorance dans laquelle j'étais de ce qui se passait à Paris a rendu ma position très difficile. Ma maison ne désemplissait pas de personnes qui venaient chercher des nouvelles. »J'ai reçu hier votre dépêche du 19 et je regrette de ne l'avoir pas eue plus tôt. D'après les ordres qu'elle renferme, je n'aurais probablement admis qu'_ad referendum_ le protocole que j'ai l'honneur de vous envoyer aujourd'hui et dont j'avais arrêté la minute le 19. Si, conformément à votre lettre du 19 que je n'ai reçue que le 22, j'avais refusé de le signer, je me serais mis en opposition avec ce que vous m'avez écrit plusieurs fois, c'est que vous vouliez marcher avec la conférence. Du reste, en le lisant, vous remarquerez sûrement que la conférence n'a voulu faire que l'exposé des motifs qui l'ont guidée depuis qu'elle est assemblée; l'esprit de justice et la modération qui ont dirigé toutes ses délibérations y sont rappelés de manière à montrer qu'elle n'a point dépassé les bornes qui lui étaient imposées, tout à la fois par les droits des nations, et par le respect des traités. Ce protocole ne renferme exactement rien qui ne soit dans les protocoles précédents[78]. [78] Le protocole du 19 février n'est qu'une longue déclaration de principes par laquelle la conférence expose les motifs qui l'ont déterminée à intervenir en Belgique. Elle déclare que les traités ne perdent pas leur puissance quels que soient les changements qui surviennent dans l'organisation intérieure des peuples; qu'en particulier l'esprit du traité de 1814 survivait à la dislocation du royaume des Pays-Bas, et qu'il appartenait aux puissances d'aviser à rétablir l'équilibre de l'Europe; que la tranquillité et la sécurité de la communauté européenne limitent les droits de chaque État; que les puissances ont le droit et le devoir de prévenir toute source de conflit qui pourrait dégénérer en guerre générale. En conséquence de ces principes, la conférence décide: 1º Que les arrangements arrêtés par le protocole du 20 janvier étaient fondamentaux et irrévocables; 2º Que l'indépendance de la Belgique ne serait reconnue qu'aux conditions dudit protocole; 3º Que le principe de la neutralité de la Belgique était obligatoire pour les cinq puissances; 4º Que les cinq puissances se reconnaissaient le plein droit de déclarer que le souverain de la Belgique doit répondre par sa situation personnelle au principe d'existence de la Belgique, satisfaire à la sûreté des autres États, accepter le protocole du 20 janvier, et être à même d'en assurer aux Belges la libre jouissance. »Je ne pense pas qu'il y ait lieu pour la conférence de se rassembler d'ici à quelque temps; mais quel que soit à l'avenir le but de ses réunions ou le résultat de ses résolutions, je n'apposerai plus ma signature sur aucun acte essentiel, avant d'en avoir reçu l'autorisation du roi, ainsi que vous me le recommandez par votre dépêche du 19. »J'avais fait part à la conférence et aux ministres anglais en particulier, de votre désir de voir rappeler de Bruxelles lord Ponsonby, en même temps que M. Bresson, qui maintenant ne se trouvent plus placés sur la même ligne. Il m'a été répondu qu'on ne pouvait pas établir de parité dans la position de ces deux agents; que lord Ponsonby, commissaire de la conférence, n'avait pas cessé d'exécuter les ordres qu'il avait reçus, tandis que M. Bresson, commissaire aussi de la conférence, a refusé de présenter les protocoles qu'il était chargé de communiquer. J'ai déjà essayé plusieurs fois de montrer combien la présence de lord Ponsonby était inutile à Bruxelles et même y avait été nuisible; mais ses relations de famille et sa position ici rendent le succès de mes démarches très difficile[79]; d'autant plus que lord Palmerston, tenant à la main une dépêche de lord Granville[80], m'a dit: «Le gouvernement français commence à rendre justice à lord Ponsonby et ne croit plus qu'aucune de ses démarches soit faite en opposition à ce que peut désirer la France.» Du reste, ici personne n'a aucune confiance dans les chances du prince d'Orange...» [79] Lord Ponsonby était en effet le beau-frère de lord Grey. [80] Thomas Leveson Gower, comte Granville, né en 1773, entra à la Chambre des communes à vingt-deux ans, fut lord de la trésorerie en 1800, puis chancelier de l'échiquier en 1802, et ambassadeur à Pétersbourg en 1804. En 1815, il entra à la Chambre des lords et fut nommé ministre à La Haye, alla ensuite à Paris, quitta ce poste en 1828, mais y fut de nouveau envoyé de 1831 à 1834 et de 1835 à 1841. Il mourut en 1846. LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 23 février 1831. »... Mademoiselle ne trouvera dans le protocole que j'envoie aujourd'hui à Paris aucune résolution nouvelle; il ne contient que le résumé de ce qui a été fait jusqu'ici, et que l'énoncé des principes fondamentaux et conservateurs d'après lesquels nous avons agi. Je me flatte que le roi sera satisfait de l'esprit qui nous a dirigés. J'ose assurer que ce n'est qu'en restant étroitement unis aux principes qui ont guidé les membres de la conférence que nous pourrons, non seulement terminer l'affaire belge, mais encore empêcher la vieille Europe de crouler de toutes parts et d'engloutir les trônes, les rois, les institutions et les libertés. »Je ne parlerai pas à Mademoiselle des tristes pensées qui m'ont préoccupé depuis quelques jours. Je ne veux me livrer à aucun découragement et, de quelque couleur qu'on peigne au dehors l'état de la France, je me repose sur la haute sagesse du roi pour faire triompher la sainte cause de la liberté, pure de toutes les taches dont on cherche à la souiller. »Je crois que le roi, restant, comme il le voulait, d'après ce que l'on m'a écrit, avec les quatre puissances, va être à l'aise avec toutes les affaires belges dont il faut se mêler le moins possible; s'il y a de l'odieux, il faut le renvoyer à la conférence. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[81]. [81] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 24 février 1831. »Monsieur le comte, »Je dois vous parler de l'effet qu'à produit le discours du roi en réponse à la députation belge. Il a eu beaucoup de succès à Londres, et ce matin à la grande réunion qui a eu lieu à la cour pour le jour de naissance de la reine, plusieurs personnes m'en ont parlé, et toutes avec éloge. On était encore fort occupé à cette réunion des nouvelles de Paris qui avaient donné une inquiétude extraordinaire. Je n'exagère pas en vous disant que si je m'étais séparé des quatre puissances en refusant de signer le protocole du 19, on aurait cru à la guerre et les fonds seraient tombés le même jour de trois à quatre pour cent, ce qui aurait eu une forte action sur ceux de Paris. »Vous aurez remarqué que dans le protocole du 19, on ne cite que le traité de 1814 qui a été aussi heureux que les circonstances pouvaient le permettre pour notre pays, car les ennemis, au bout de six semaines, avaient quitté le territoire français: l'ancienne France était agrandie, ses limites rectifiées à son avantage, et par la possession d'une grande partie de la Savoie, Lyon, préservé, n'était pas, comme aujourd'hui, si près d'être une frontière; le musée Napoléon était intact; les archives françaises restaient enrichies de celles de Venise et de Rome. On n'a pas parlé du traité de 1815, auquel je n'ai rien à réclamer, puisque j'ai donné ma démission pour ne pas le signer; mais je dois convenir cependant qu'il a été suivi de quinze ans de paix. »Vous m'avez écrit dans vos lettres du 9 et du 17 de ce mois qu'il fallait marcher avec les puissances; cela est nécessaire plus que jamais; je ne sais ce qui sortira de la grande crise européenne actuelle, mais il faut rester le plus longtemps possible avec les quatre puissances. Cette union est féconde en ressources et ne doit pas être difficile à soutenir devant les Chambres...» Je n'étais pas tout à fait exact quand j'écrivais que tout le monde avait approuvé le discours que le roi Louis-Philippe avait adressé à la députation belge, en refusant la couronne qu'elle venait lui offrir pour M. le duc de Nemours. Je retrouve un billet que le premier ministre lord Grey, m'adressait à l'occasion de ce discours, et qui laisse percer une méfiance que les faits seuls ont pu détruire plus tard. LORD GREY TO PRINCE TALLEYRAND[82] «Downing-Street, February 19, 1831. »_Dear prince Talleyrand,_ »_Accept my best thanks for sending me the answer of your king to the Belgians deputies. I think it will probably be criticized as indicating under the expression of regret too much desire for the crown which is refused; but looking at the substance, I am quite satisfied with it._ »_I will only add my sincere and earnest wish that nothing may arise to disappoint our endeavours to procure peace._ »_I am, dear..._ »GREY.» [82] LORD GREY AU PRINCE DE TALLEYRAND «Downing-Street, 19 février 1831. »Cher prince Talleyrand, »Agréez mes meilleurs remerciements pour m'avoir envoyé la réponse de votre roi aux députés belges. Je pense qu'elle sera probablement critiquée, comme indiquant, sous des expressions de regret, trop de désir pour la couronne qu'on refuse; mais en s'attachant à la substance même de cette réponse, j'en suis complètement satisfait. »J'ajouterai seulement mon souhait sincère et ardent pour que rien ne survienne qui puisse tromper nos efforts à maintenir la paix. »Je suis... »GREY.» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[83]. [83] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 25 février 1831. »Monsieur le comte, »Le jour de naissance de Sa Majesté la reine a été célébré hier dans Londres avec beaucoup d'enthousiasme de la part des différentes classes de la nation. Des fêtes, de brillantes illuminations, les cris de joie du peuple, témoignaient l'attachement qu'on porte au souverain et démentaient les injurieuses publications de quelques pamphlétaires. »Les séances du Parlement prennent chaque jour plus d'intérêt; le ministère a éprouvé quelques échecs dans la discussion du budget. L'hésitation qu'il a montrée dans quelques-unes de ses démarches enhardit l'opposition et décourage ses partisans. C'est dans quelques jours que sera présenté le bill sur la réforme parlementaire; il devrait servir à fortifier le ministère, mais, comme probablement il ne satisfera pas toutes les exigences du parti de la réforme, il deviendra un texte avantageux d'opposition pour ceux qui veulent une réforme complète comme pour ceux qui n'en veulent pas du tout. Dans leurs votes, il est bien possible que ces deux partis se réunissent et la position du cabinet anglais aurait à en souffrir. »L'état du continent occupe tous les esprits; les troubles de Paris, les attaques contre le clergé, la révolution d'Italie[84], l'inquiétude qui règne en Allemagne, ont été de graves sujets de réflexion. Il ont eu une grande influence sur les transactions commerciales et les ont presque suspendues en ce moment[85]. [84] Les insurrections de Modène, de Parme et de la Romagne. [85] Variante: _Les polices d'assurance augmentent chaque jour._ »Tous les hommes qui prennent part aux affaires publiques pensent que c'est par le maintien de l'alliance des grandes puissances, qu'on pourra parvenir à arrêter les rapides progrès que fait partout le désordre. Je citerai l'opinion de sir James Mackintosh[86] qui ne peut pas être suspect dans cette question. Cet homme distingué dont la carrière a été toute d'opposition aux divers gouvernements du continent, pense que c'est par l'union solide des cinq grandes puissances que peut se rétablir la tranquillité de l'Europe. C'est par elle seule, dit-il, qu'on doit espérer de dominer les dangers du despotisme, de l'anarchie et plus tard des gouvernements militaires qu'une guerre de principes attirerait sur le monde...» [86] Sir James Mackintosh, né en 1765, orateur et publiciste anglais. Il entra à la Chambre des communes en 1802 et fut nommé assesseur à Bombay. De retour en Angleterre, il rentra au parlement, et devint l'un des orateurs les plus influents du parti whig. En 1830, il fit partie du cabinet whig comme commissaire pour l'Inde. Il mourut en 1832. Sir James Mackintosh était un jurisconsulte éminent. Son nom brilla égale ment dans les lettres et la philosophie. «Londres, le 25 février 1831[87] [87] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »J'ai été appelé ce matin au Foreign Office, ainsi que les autres membres de la conférence. C'était pour y prendre connaissance d'une dépêche de lord Ponsonby qui annonce que le siège de Maëstricht continue et que les communications de cette place avec le Brabant septentrional et Aix-la-Chapelle sont complètement interrompues. »Après la lecture de cette dépêche on a ouvert l'avis de dresser un protocole dans lequel on déclarerait l'intention d'employer immédiatement contre les Belges, et conformément au protocole numéro 10 du 18 janvier, des moyens de rigueur pour réprimer ce nouvel acte de rupture de l'armistice. D'après les ordres que j'avais reçus de vous, j'ai dit que je voulais en référer à ma cour avant de rien signer sur un objet aussi grave. Il a été alors décidé que lord Palmerston expédierait un courrier à lord Granville et que ce dernier serait chargé de vous faire connaître les intentions des plénipotentiaires, en vous demandant quel concours vous voudriez offrir pour faire exécuter les stipulations d'un acte consenti par le gouvernement belge lui-même. Lord Granville devra vous rappeler que vous avez approuvé la cessation des hostilités entre les Hollandais et les Belges et les conditions qui en étaient la garantie, et qu'aujourd'hui le but de la conférence était de maintenir la stricte exécution d'une convention adoptée par toutes les parties. »La communication qui vous sera faite à ce sujet se fera, j'en suis sûr, avec toute la déférence que vous pouvez désirer, car on tient beaucoup, pour la tranquillité de l'Europe, si près d'être troublée, à agir sur toutes choses d'accord avec vous...» «Londres, le 27 février 1831[88]. [88] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »Vous m'aviez chargé d'avoir une explication avec M. le prince de Lieven sur le voyage de M. de Krüdener à Bruxelles et sur les démarches qu'il aurait faites dans cette ville en faveur de M. le prince d'Orange. J'ai eu cette explication, ainsi que j'ai déjà eu l'honneur de vous le mander; et le résultat a été que le prince de Lieven a rappelé M. de Krüdener qui est en ce moment à Londres. Je puis ajouter, à ce sujet, qu'on a totalement abandonné ici toutes les tentatives et même toutes les espérances relatives à M. le prince d'Orange. »On répand le bruit que la mission de M. le duc de Mortemart à Pétersbourg a été sans succès[89]; c'est par des lettres de Francfort que cette nouvelle est parvenue ici. J'aime à croire qu'on ne doit pas y donner plus de confiance qu'à celle qui vous sera peut-être revenue, qu'en Russie on disait que les plénipotentiaires russes à Londres n'avaient admis les derniers protocoles qu'_ad referendum_. Il vous aura été facile de démentir ce bruit qui est tout à fait sans fondement: la signature du prince de Lieven et du comte Matusiewicz sur tous les protocoles a été simple et complète et, je crois, fort utile pour nous. [89] On se rappelle que le duc de Mortemart avait été envoyé en ambassade extraordinaire à Londres, avec mission de négocier un rapprochement entre les deux gouvernements. »La nomination de M. le baron Surlet de Chokier à la régence de la Belgique a été connue ici hier matin[90]. Si, comme on l'annonce, le roi a accrédité M. le général Belliard[91] à Bruxelles, il me semble que rien ne peut plus s'opposer au retour de M. Bresson à Londres, après quelques semaines de séjour à Paris. Je me chargerai de lui refaire sa position et je pense que sa présence en Angleterre pourra être utile à sa carrière... [90] Après le vote de la constitution belge et le refus de la couronne par le duc de Nemours, le congrès décréta qu'une régence serait établie pour gouverner le pays jusqu'à ce que la nation se soit mise d'accord avec les cinq puissances sur le choix d'un souverain (23 février). Le lendemain, M. Surlet de Chokier fut élu régent par le congrès par 108 voix contre 43 à M. de Mérode et 5 à M. Gerlache. [91] Le général comte Belliard, né en 1769, s'engagea en 1792, prit part à toutes les campagnes de la Révolution et de l'Empire. Général depuis 1796, il devint en mars 1814 colonel général de la cavalerie de la garde. Louis XVIII le nomma pair de France et major général. Il reprit du service sous les Cent-jours et vécut à l'écart sous la deuxième Restauration. En 1831, il fut nommé ministre plénipotentiaire à Bruxelles. Il mourut peu après, le 28 janvier 1832. »Je regrette que vous n'ayez pas reçu le protocole numéro 19 assez tôt, pour vous servir de plusieurs des faits et arguments qu'il renferme et qui auraient montré à quel point les attaques auxquelles vous avez eu à répondre dans la séance du... étaient peu fondées[92]...» [92] C'est la séance du 23 février. Le général Sébastiani avait fait à la Chambre une communication sur la politique étrangère et exposé les motifs pour lesquels le roi avait refusé la couronne pour le duc de Nemours. Le général Lamarque et M. Mauguin s'étaient élevés avec véhémence contre la conduite du cabinet en cette circonstance. «Je ne puis que m'affliger, avait conclu le premier, du refus du trône de la Belgique; je ne puis surtout que gémir de la marche incertaine, des hésitations, des contradictions qui, mises au grand jour, nous ont fait voir notre diplomatie dans une nudité dont elle ne doit pas s'enorgueillir.» LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 27 février 1831. »Mon cher prince, »La position des choses empire de jour en jour. Nul payement ne peut être obtenu. La France n'a jamais, depuis le Directoire, vu un tel état de choses. L'autorité n'est exercée nulle part; l'intrigue est partout. »Vous avez bien raison en disant que la conférence de Londres est le seul pouvoir en Europe qui ait quelque force, et qu'il faut la maintenir à tout prix. Mais comment peut-elle influer sur notre position intérieure? Le ministère, par sa complète incapacité et par son goût de s'appuyer sur l'extrême gauche, s'est placé avec la Chambre de manière que je ne vois plus la possibilité de replâtrer un accord entre les pouvoirs. Et comment le gouvernement évitera-t-il des bouleversements, s'il reste trois mois sans l'appui des Chambres? »Les derniers événements[93] s'éclaircissent suffisamment pour prouver qu'il y avait essai de conspiration carliste qui a été exploité par le parti républicain bonapartiste. L'action est dans ce dernier, et il l'emportera si le roi ne pense et n'agit pour ramener la confiance et le respect vers lui. Ce qui se passe en Belgique donne de la force à ce parti, et si demain La Fayette voulait être président d'une régence de la France, il y serait appelé et renvoyé vingt-quatre heures après. [93] L'émeute des 14 et 15 février à Paris. »Votre correspondance avec le roi et avec le ministère doit vous faire connaître ce que l'on veut. Quant à moi et à mes amis, nous nous demandons d'où partira le coup de tonnerre qui renversera le misérable édifice que nous avons devant nous. Une royauté qui ne sait se faire obéir; une Chambre des pairs qui est sans base, même dans la loi; une Chambre des députés qu'on insulte et qu'on veut renvoyer; une garde nationale qui se dégoûte et qu'on empêche de frapper au besoin; une troupe de ligne qui ne sait à qui elle a à obéir. Voilà ce qui se voit. Trouvez et indiquez des remèdes à une telle anarchie. »Quant aux affaires du dehors, on ne voit que de sourdes menées pour soulever les peuples, et nul accord, nulle force pour l'empêcher, ou pour rétablir l'ordre. Après le traité de Westphalie on avait constitué une armée d'exécution pour faire respecter les décisions prises. Il faudra bien en venir là; mais avant tout, il faudrait être convenu sur quelle base on veut consentir que les peuples s'établissent. »Il me paraît démontré que nous retournerons au régime militaire après de longues agitations anarchiques. Ma famille a quitté Gênes, le 18 de ce mois; tout, à cette époque, était encore tranquille; mais, quoique ici on ait connu la formation d'une colonne d'insurgés formée à Lyon pour envahir la Savoie[94], on n'a agi pour l'arrêter que lorsqu'elle s'était mise en mouvement. Puis on s'étonne que l'Europe cherche de la sécurité en s'armant et combattant la révolution!... [94] A la suite de désordres qui avaient éclaté en Savoie, les réfugiés sardes qui étaient en grand nombre sur la frontière française, voulurent tenter un coup de main et rentrer en armes dans leur patrie. Cinq à six cents d'entre eux entraînant un certain nombre de gardes nationaux de Lyon, tentèrent de mettre ce projet à exécution. Ils furent dispersés le 25 février par un escadron de cavalerie, et l'incident n'eut pas de suite. »Votre prétendu chef Sébastiani met, comme disent Rigny et Rayneval[95], ses pieds dans tous les souliers. Le rédacteur Châtelain déjeune tous les matins avec lui, aussi bien que Bertin de Vaux. Le premier fait aujourd'hui une bonne attaque contre vous[96]. [95] François-Maximilien Gérard, comte de Rayneval, né en 1778, successivement secrétaire d'ambassade à Stockholm, à Pétersbourg, à Lisbonne, puis de nouveau à Pétersbourg, secrétaire de la légation française au congrès de Châtillon, consul général à Londres (1814), chef de la chancellerie au ministère (1810), sous-secrétaire d'État (1821). Il fut ensuite ministre à Berlin, à Berne, puis ambassadeur à Vienne (1829). Rappelé en 1830, il vivait à Paris dans la retraite, lorsque Casimir Périer, sur la recommandation de M. de Talleyrand, l'envoya à Madrid. Il y mourut en 1836. [96] Voir le _Courrier français_ du 28 février. Nous allons citer quelques extraits de cet article pour montrer quel était l'état d'opinion de l'opposition républicaine contre laquelle le cabinet français et M. de Talleyrand avaient à lutter: «Une lettre de Londres du 24, que nous avions hier sous les yeux, parlait d'un protocole qui venait d'être signé et qui bouleversait tous les principes qui avaient paru jusqu'ici diriger notre politique... On concevrait à peine qu'une réunion diplomatique dont les actes sont destinés à être connus de l'Europe entière, osât proclamer que les traités de 1815 ont été faits de nation à nation, au moment même où les nations parquées, morcelées, partagées et traitées comme un vil bétail, se soulèvent dans la moitié de l'Europe, pour sortir d'une situation antipathique à leurs intérêts et à leur nature. Mais M. de Talleyrand est là, et sa présence rend probable tout ce qui sera tenté pour le maintien des traités auxquels il a pris part... Il est certain, que la politique de l'Europe, que la politique de la France se fait à Londres d'une manière contraire à nos intérêts, puisque c'est M. de Talleyrand qui y préside... S'il a été signé à Londres quelque chose de semblable à ce qu'annonce le _Temps_, le ministère n'a plus rien à faire qu'à rappeler son ambassadeur, et à user de la liberté qu'on veut bien nous laisser au prix d'une guerre générale. Nous aurons d'abord l'avantage de ne plus être représentés par M. de Talleyrand et ensuite celui de recouvrer notre indépendance... La diplomatie paraît trop disposée à oublier ce qu'est la France, ce qu'elle a fait, ce qu'elle peut faire encore, ce qu'elle peut donner d'impulsion à l'Europe quand elle le voudra. Il n'y a qu'un mot à dire pour qu'elle s'en souvienne. Si l'on veut des bouleversements, soit! il suffit de donner le signal, et, avant un an, on verra qui sera debout.» »Le fait est qu'on ne fait pas ce qu'on veut... Si on fait la guerre, comme le dit le bon vieux Jourdan[97], ce sera à l'aide d'une convention. Que le roi y regarde! »Agréez mes félicitations de ne pas vivre au milieu du délire qui m'étourdit...» [97] Le maréchal Jourdan, alors âgé de soixante-neuf ans, avait dans les premiers jours de la monarchie de Juillet, passé un instant aux affaires étrangères. Il se retira dès le 11 août, fut nommé gouverneur des Invalides et mourut le 23 novembre 1833. Un état de choses tel que celui décrit ici par le duc de Dalberg ne pouvait se prolonger, et le roi qui, je crois, n'avait pas été fâché de laisser s'user les hommes et les principes dont M. Laffitte était le représentant, se trouva dans l'obligation d'aviser aux moyens de sortir de cette espèce d'anarchie. Il fallait congédier le ministère, ou, au moins, quelques-uns de ses membres et choisir dans le parti conservateur de la Chambre des députés un homme énergique qui, fort heureusement, s'y trouvait à souhait: c'était M. Casimir Périer[98]. Quelques difficultés s'élevèrent entre lui et le maréchal Soult, au sujet de la présidence du conseil; elles devaient être aisément surmontées. Mais il n'en fut pas de même quant aux conditions que M. Périer mettait à son entrée aux affaires et qui ne plaisaient pas au roi. Celui-ci dut céder à la fin devant un danger qui menaçait de tout emporter, et le 13 mars on parvint à constituer un ministère qui prit le nom de son chef, M. Périer[99]. Le roi obtint de conserver le général Sébastiani au ministère des affaires étrangères[100]. [98] Casimir Périer, né à Grenoble en 1777, avait d'abord été officier du génie. Après avoir quitté le service, il fonda avec son frère une grande maison de banque, dont l'importance devint rapidement considérable. En 1817, il entra à la Chambre des députés, et siégea dans l'opposition jusqu'en 1830. Après les journées de Juillet, il devint président de la Chambre et ministre sans portefeuille dans le cabinet du 11 août. Chef du cabinet du 13 mars, il ne garda le pouvoir qu'un an, et mourut du choléra le 16 mai 1832. [99] Le cabinet du 13 mars fut ainsi composé: MM. Casimir Périer, président du conseil et ministre de l'intérieur; Barthe, garde des sceaux; le général Sébastiani, ministre des affaires étrangères; le baron Louis, ministre des finances; le maréchal Soult, ministre de la guerre; l'amiral de Rigny, ministre de la marine; le comte de Montalivet, ministre de l'instruction publique et des cultes; le comte d'Argout, ministre du commerce et des travaux publics.--Il n'est pas sans intérêt de constater quel fut l'effet produit en Angleterre par l'avènement du nouveau cabinet. Voici ce qu'écrivait lord Palmerston à lord Granville: [_Particulière_] _Foreign Office_, 15 mars 1831. Mon cher Granville, Nous sommes ravis de la nomination de Casimir Périer; cet événement est, nous l'espérons, de nature à procurer la paix à la France et à l'Europe. Veuillez cultiver, je vous prie, le nouveau ministre et faites-lui comprendre que le gouvernement anglais a grande confiance en lui et considère sa nomination comme un gage de paix... (_Correspondance intime de lord Palmerston._) [100] Voir à l'Appendice, p. 491, la lettre par laquelle le général Sébastiani annonçait au prince de Talleyrand la formation du nouveau ministère. Pendant que ces arrangements se faisaient à Paris, la conférence de Londres eut un peu de relâche par suite de l'occupation que donnaient au cabinet anglais les premières discussions du bill de réforme. Ce bill avait été présenté à la séance de la Chambre des communes du 1er mars par lord John Russell[101], qui était, en général, écouté avec bienveillance par la Chambre. Il serait inutile à mon but d'entrer ici dans les détails de cette grande mesure qui est appelée à exercer une influence grave sur l'avenir de l'Angleterre. Elle devint le sujet de discussions prolongées dans les deux chambres du Parlement: je me bornerai à en mentionner les résultats à mesure qu'ils se représenteront. [101] Lord John Russell, troisième fils du duc de Bedford, né en 1792, entra à vingt et un ans à la Chambre des communes, et siégea dans le parti whig. En 1830, il fut nommé trésorier général militaire et, bien qu'il n'eût pas de siège dans le cabinet, fut chargé avec trois membres du ministère de préparer le projet de loi de réforme électorale, au sujet de laquelle il avait récemment, comme simple député, présenté une motion. Le bill fut présenté aux Communes le 1er mars 1831, voté en première lecture à la majorité d'une voix, puis repoussé à la deuxième lecture. Après la dissolution du parlement et l'élection d'une nouvelle assemblée, il fut adopté par 345 voix contre 236 (21 septembre). Porté le 22 septembre à la Chambre des pairs, il fut rejeté. Présenté de nouveau en décembre avec de légères modifications, la Chambre renvoya la discussion à trois mois. Enfin, le 4 juin 1832, il fut adopté par les pairs. C'est en grande partie à lord Russell que fut dû ce résultat. En 1835, celui-ci devint ministre de l'intérieur, et en 1839 ministre des colonies. En 1846, il fut nommé premier lord de la trésorerie et resta à la tête des affaires jusqu'en 1852. En décembre de la même année, il passa aux affaires étrangères, puis fut successivement ministre sans portefeuille, président du conseil, et ministre des colonies (1855). Il quitta le pouvoir la même année, demeura le chef du parti whig dans le parlement, signa en 1860 le traité de commerce avec la France, et fut créé pair en 1861. Il succéda à lord Palmerston comme chef du cabinet (1865-1868) et mourut en 1878. J'avais de mon côté à continuer dans ma correspondance une discussion d'un autre genre, à l'occasion des affaires belges qu'à Paris on s'obstinait à ne pas vouloir envisager au même point de vue que moi. Ainsi, on insistait toujours pour que lord Ponsonby fût rappelé de Bruxelles en même temps que M. Bresson, et pour que la conférence se montrât plus favorable aux intérêts de la Belgique, à laquelle on prétendait donner un appui exclusif. On ne manquait pas d'accuser la conférence de partialité pour le roi de Hollande, tandis que celui-ci, avec plus de vérité peut-être, faisait retentir l'Europe de ses plaintes contre nous, parce que appelés par lui, disait-il, pour lui porter secours, nous avions sanctionné une révolution qui lui enlevait plus de la moitié de ses États. Le ministère Laffitte, ou plus exactement, le général Sébastiani, aurait bien voulu, je pense, séparer la politique de la France de celle des quatre puissances dans la question belge, tant il était dupe, volontaire ou involontaire, des intrigants bonapartistes et républicains qui tour à tour le flattaient d'obtenir la réunion de la Belgique et de la France ou l'effrayaient d'une guerre révolutionnaire. Mais la nécessité des choses le ramenait toujours vers les puissances, et les incidents qui suivirent alors en Italie et en Espagne l'obligèrent à réclamer le concours, au moins de l'Angleterre. Les révolutionnaires italiens encouragés par leurs amis de Paris, avaient fait une levée de boucliers dans les États du pape[102]; deux membres de la famille Bonaparte s'y étaient rendus, et le gouvernement français, moins effrayé de la lutte qui s'y était engagée que de l'intervention autrichienne qui ne pouvait guère manquer d'en être la conséquence, m'invita à me concerter avec l'Angleterre pour empêcher par une entente commune des puissances si cela était possible, l'action particulière de l'Autriche. On désirait aussi à Paris que les affaires d'Espagne fussent traitées en commun entre la France et l'Angleterre. [102] Bologne s'était insurgée le 2 février 1831 contre le gouvernement pontifical. La Romagne entière et l'Ombrie suivirent son exemple. Les deux fils de Louis Bonaparte, le prince Charles et le prince Louis, prirent part au mouvement. Le premier mourut de maladie à Forli; le second, qui fut plus tard l'empereur Napoléon III, faillit également périr à Ancône. J'écrivis en réponse à ces ouvertures, le 5 mars 1831, au général Sébastiani[103]: «Monsieur le comte, »J'ai reçu aujourd'hui 5 les deux dépêches que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 1er de ce mois[104]. (L'une concernait l'affaire du grand-duché de Luxembourg et l'autre les affaires d'Italie.) [103] Dépêche officielle déjà publiée. [104] Variante: _ainsi que les pièces qui y étaient jointes_. »Je me suis pénétré des instructions qu'elles renferment et je m'y conformerai en tout point. Je me vois à regret obligé de retarder les communications que ces dépêches me mettront dans le cas de faire au ministère anglais. La discussion de la réforme parlementaire qui se prolonge à la Chambre des communes absorbe tellement les ministres, la nuit et le jour, qu'il est impossible de les entretenir d'autres affaires sérieuses en ce moment[105]. [105] Variante: _On pense que les débats finiront dans la séance du 7. Je verrai aussitôt après lord Palmerston._ »Un incident assez remarquable a eu lieu hier soir à la Chambre: M. Wynn, le ministre de la guerre, a déclaré qu'après avoir mûrement réfléchi sur le bill proposé de la réforme, il ne pouvait lui donner son approbation et qu'il se retirait du ministère[106]... [106] M. Wynn fut remplacé par sir Henry Parnell qui, dans la session suivante se retira pour le même motif. »J'ai vu MM. de Bülow et de Wessenberg, relativement à l'affaire du Luxembourg[107]. Ils m'ont dit l'un et l'autre qu'ils étaient embarrassés pour écrire _à Francfort_[108] lorsqu'ils savaient que les engagements pris envers eux n'étaient pas tenus, et qu'à la date du 28 février la place de Maëstricht continuait à être bloquée par les troupes belges, malgré les assurances données par le gouvernement de la Belgique et les ordres qu'avait reçus le général Mellinet[109]. L'inexécution des ordres donnés par le gouvernement rend toute espèce de négociations difficile. Je les ai assurés que le régent avait ordonné, sous menace de destitution, au général Mellinet de reprendre les positions fixées par l'armistice, et ils m'ont répondu qu'aussitôt qu'ils auraient connaissance de la retraite des troupes belges, ils ne manqueraient pas d'écrire à Francfort pour retarder tous les mouvements proposés par la Diète germanique[110]...» [107] Variante: ... _dont vous me parlez dans votre lettre du 22_. [108] Supprimé dans le texte des archives. [109] François-Aimé Mellinet né en 1769, fils du conventionnel de ce nom, était colonel en 1793. Il devint sous-inspecteur aux revues en 1800 et, sous les Cent-jours, fut chef d'état-major de la jeune garde. Il vécut dans la retraite jusqu'en 1830, passa alors en Belgique à la tête d'un corps de volontaires, commanda l'artillerie de Bruxelles dans les journées de septembre, et fut mis à la tête des troupes qui bloquaient Maëstricht. Le régent lui ayant retiré son commandement, il se fixa à Bruxelles, où il devint le chef du parti républicain. En 1848, il provoqua un mouvement révolutionnaire, fut arrêté, condamné à la détention et mourut peu après (1852). [110] La Diète venait d'être saisie par le roi Guillaume, qui en sa qualité de grand-duc de Luxembourg faisait partie de la Confédération germanique, d'une demande de secours. Dans la séance du 18 mars, elle allait décréter la formation d'un corps de vingt-quatre mille hommes, pour rétablir dans le grand-duché l'autorité du roi des Pays-Bas. En même temps elle donnait des ordres pour approvisionner et mettre en état les forteresses de la Confédération. «Londres, le 8 mars 1831[111]. [111] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »J'ai lu avec une grande attention, dans la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 1er de ce mois, les informations que vous me donnez sur l'état de l'Italie. Je partage complètement vos vues sur les rapports de la France avec le Piémont. Quant au plan que vous avez adopté à l'égard des États du pape, je crois qu'il serait très utile et possible à réaliser. J'en ai entretenu le prince Esterhazy et le baron de Wessenberg, les deux plénipotentiaires autrichiens; ils ne m'ont pas paru trop éloignés de ce projet, et quoiqu'ils n'aient aucunes instructions de leur cour sur ce point, j'ai pu juger qu'ils étaient disposés à adopter vos idées et qu'ils écriraient à Vienne dans ce sens. »J'ai eu ce matin avec lord Palmerston une longue conversation dans laquelle j'ai pu lui parler de tout ce que renfermait votre lettre du 1er. L'impression qui m'est restée de cette conservation est qu'il sera possible de s'entendre sur les points principaux et que les difficultés qui ont été élevées par vous sur plusieurs de nos protocoles sont de nature à pouvoir être expliquées. »Lord Palmerston, au sujet des affaires d'Italie, m'a dit qu'il agirait volontiers, d'accord avec notre cabinet et celui de Vienne, dans le but d'amener le gouvernement pontifical à des concessions qui placeraient une partie de l'administration du pays dans des mains séculières. Il a fort loué notre conduite envers le Piémont et m'a exprimé une grande satisfaction des ordres donnés aux autorités françaises de la frontière pour le désarmement des réfugiés piémontais. »Les plaintes que vous portez contre l'Espagne nous ont conduits à l'idée qu'il serait sans doute facile de faire retirer les troupes espagnoles de la frontière des Pyrénées, si, de votre côté, vous obligiez les réfugiés espagnols à se rendre dans le nord de la France. Je suis fondé à croire que vous pouvez traiter avec avantage cette question avec l'ambassadeur d'Espagne à Paris. Du reste, tout ce que vous demanderez dans le sens que je viens de vous exprimer sera soutenu par le ministère anglais. »Immédiatement après ma conversation avec lord Palmerston, la conférence s'est réunie pour entendre la lecture de la dépêche ostensible que j'ai reçue de vous; j'ai trouvé là aussi une impression assez favorable, et je crois que nous finirons par nous entendre. Nous avons dû remettre notre prochaine séance à vendredi, à cause des débats parlementaires qui ne laissent pas un instant de liberté à lord Palmerston. C'est vendredi que nous entrerons dans la discussion des différents points traités dans votre lettre. Si l'on propose la rédaction d'un protocole, je n'en accepterai aucun qu'_ad referendum_, et j'attendrai les ordres du roi avant de rien signer...» En même temps que j'écrivais ces dépêches, je mandais à Madame Adélaïde: «Mademoiselle doit trouver que nous sommes arrivés au point désirable vis-à-vis de toutes les puissances, car elles comprennent aujourd'hui que, pour leur propre repos, il est nécessaire que celui du roi ne soit plus troublé. Bien loin, par conséquent, de désirer ce qui pourrait ébranler son gouvernement, elles en sont à s'inquiéter de tout ce qui, dans les mouvements de Paris, des départements et de la Chambre, indique des dispositions au désordre. Aucune des puissances ne songe plus à troubler la paix; toutes en désirent la conservation, et si elle n'est pas préservée, ce sera l'esprit inquiet et envahissant qui se montre en France, qui seul en sera la cause. »Cet esprit imprévoyant est toujours prêt sacrifier les besoins réels du pays à des rêves de gloire et d'agrandissement. On oublie, ou l'on ne sait pas en France que de mettre tout en question chez les autres, c'est finir par mettre tout en question chez soi. Le trône du roi Louis-Philippe est vieux aujourd'hui comme celui de Saint Louis;--avec la guerre, il naît d'hier. Cette guerre, vous m'avez ordonné de faire tout pour l'éviter; vous avez désiré que je rendisse la disposition des différentes cours amicale pour la nôtre; j'y suis parvenu complètement, et j'espère que Mademoiselle, que j'ai toujours eue en vue dans tout ce que je faisais, est satisfaite. »Je ne puis m'empêcher de remarquer que je n'ai point encore de réponse au protocole du 19 qui renferme tous les principes que l'on aime à voir sur un nouveau trône. Le corps diplomatique de Londres et Rothschild ont, depuis plus de quarante-huit heures, connaissance de l'arrivée de cette pièce à Paris. Nos journaux en parlent, ils en altèrent l'esprit, ils en changent les expressions; sa publication exacte devient de plus en plus nécessaire. Il est utile au service du roi que le pays sache à quel point, dans cette pièce, notre cour est placée en première ligne, et que, quand je parle d'un traité, c'est de celui de 1814. La France, par ce traité, restait grande et forte; c'est donc faussement qu'on cite celui de 1815 comme point de départ; je me suis retiré devant la tache qu'en 1815 on a imprimée au pays, et je crois avoir une aussi large part d'orgueil national que qui que ce soit...» J'écrivais également à la princesse de Vaudémont, mon amie, et qui était traitée avec confiance par Madame Adélaïde: «Il est possible que je voye les choses de trop haut, puisqu'on le dit à Paris; mais il n'y a moyen de s'établir bien qu'en se tenant dans la région élevée. Il n'y a point d'appui à trouver avec des gens étourdis et turbulents comme les Belges. La Belgique nous viendra peut-être, mais plus tard; aujourd'hui c'est un intérêt secondaire. La force des choses la mène à la France; mais il faut faire la France, et la France ne peut se faire bien et sûrement qu'en se mêlant avec les grandes puissances qui aujourd'hui _la réclament;_ car voilà où j'ai mené les choses à Londres. Ne quittons pas cette position: je me suis donné beaucoup de peine pour la prendre, parce que je voulais bien servir le roi que j'aime et _Mademoiselle_. Laissons les petits intérêts et ne pensons qu'aux grands. Il vaut mieux être d'accord avec les grandes puissances, être sur le même pied qu'elles, être ami de l'ordre établi avec elles, que d'être ami de MM. Van de Weyer et Cie. »Convenez que notre protocole que votre Belgique vous a envoyé est raisonnable. Les difficultés que l'on fait chez nous sont bien petites. On dit qu'il y a partialité pour la Hollande. Cela est parfaitement faux, car on n'a rien voulu décider sur la question des dettes. _On propose des bases_ susceptibles d'être changées quand les partis seront en présence. On nous reproche d'être Hollandais; la Hollande nous reproche d'être Belges. Le roi de Hollande nous dit des sottises tous les matins; il est parfaitement mécontent. On est bien près d'être juste quand tout le monde se plaint. En France, on n'écoute qu'un côté, c'est celui de M. de Celles, et en vérité celui-là n'est pas respectable.» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[112]. [112] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 13 mars 1831. »Monsieur le comte, »La conférence que nous devions avoir hier a été encore ajournée, et c'est seulement demain que nous nous réunirons au Foreign Office. Je vous ferai connaître ensuite le résultat de la communication de votre lettre ostensible aux membres de la conférence, ainsi que les résolutions qui seront proposées. Je prendrai _ad referendum_ ce qui sera adopté par les autres membres, et le gouvernement du roi ayant fait des réserves aux protocoles des 20 et 27 janvier, je ne dois point signer sans ordres une pièce de laquelle il résulterait qu'il y a du dissentiment entre mon gouvernement et la conférence. »Je me suis rendu hier chez lord Palmerston pour l'entretenir des divers objets traités dans vos dernières dépêches. Je lui ai d'abord parlé des événements de Varsovie et des conséquences dangereuses qu'ils pouvaient avoir pour le repos de l'Europe, si l'empereur Nicolas n'adoptait pas envers les Polonais des principes de modération et de générosité. Lord Palmerston est entré entièrement dans nos idées à ce sujet: l'ambassadeur d'Angleterre à Pétersbourg sera chargé de demander au cabinet russe le maintien des stipulations de 1814, en vertu desquelles le royaume de Pologne a été joint à l'empire de Russie; il insistera surtout pour que la Pologne ne cesse pas de former un État distinct, et qu'elle ne puisse être réunie comme province russe. Lord Palmerston apprécie comme nous l'importance qu'il y a pour l'Europe à faire écouter la voix de la raison à Pétersbourg et je dois être assuré par son langage que les instructions envoyées à l'ambassadeur d'Angleterre en Russie, seront d'accord avec celles que vous avez données à M. le duc de Mortemart. »J'ai fait part ensuite à lord Palmerston des observations contenues dans votre lettre du 7, relative aux affaires de la Grèce. Il m'a répondu que le prince de Lieven venait précisément de lui communiquer une dépêche de sa cour, qui explique l'espèce d'embarras qu'éprouve la Russie dans la question de l'agrandissement des frontières de la Grèce. Comme il y aura, sur le prêt fait aux Grecs, une portion employée à indemniser le gouvernement turc pour le territoire qu'il perdra par l'effet de la nouvelle délimitation, la Russie à qui cet argent reviendra en définitive, puisqu'il servira à acquitter la contribution imposée par le traité d'Andrinople, a trouvé plus délicat de ne pas paraître en première ligne lorsqu'il s'est agi de réclamer une augmentation de territoire en faveur des Grecs. Voilà, m'a dit lord Palmerston, la raison qui a décidé le cabinet de Pétersbourg à laisser faire les premières démarches par l'Angleterre et la France réunies; mais il est disposé à y joindre les siennes pour appuyer la demande en faveur de la Grèce quand le moment en sera jugé opportun. Le prince de Lieven m'a fait demander un entretien pour une communication; j'ai lieu de croire que ce sera la même qu'il a faite à lord Palmerston et dont je viens de vous rendre compte. »Quant à la situation du Portugal et aux questions qui s'y rattachent et qui faisaient l'objet de votre dépêche du 4 de ce mois, lord Palmerston, auquel j'en ai parlé, m'a développé les raisons qui s'opposent à ce que l'Angleterre agisse en commun avec la France pour obtenir le redressement des griefs que ces deux puissances ont à faire valoir contre le gouvernement portugais. L'Angleterre a des traités particuliers avec le Portugal qui lui donnent des avantages dont nous ne jouissons pas, et qui l'obligent à agir seule dans les affaires et les rapports qu'elle a avec ce pays. Ainsi, pour vous citer un exemple, lorsqu'il s'élève une difficulté au sujet d'une affaire qui intéresse essentiellement un Anglais, le gouvernement anglais a le droit, s'il le trouve convenable, de la faire juger par un magistrat portugais désigné par lui seul. Du reste, je puis vous dire que la reconnaissance de dom Miguel est plus éloignée que jamais, et que, quels que soient les projets futurs de l'Angleterre sur le Portugal, elle ne fera rien sans nous prévenir... »La question de la réforme a fait des progrès ces jours derniers; les pétitions en sa faveur arrivent de toutes parts et le ministère se croit assuré de la majorité dans le parlement...» Ainsi que je le disais précédemment, un nouveau ministère s'était formé le 13 mars à Paris, à la tête duquel était M. Périer, dans l'intervalle des négociations dont je viens de rendre compte. Le duc de Dalberg m'écrivait au sujet de ce ministère: LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 15 mars 1831. »Une nouvelle administration se présente, mon cher prince; elle remplace la plus sotte, la plus incapable, la plus méprisable que la France a vu être chargée de ses intérêts. La banqueroute arrivait à pas de géant. L'indignation était telle que probablement la Chambre eût hésité de confier à MM. Laffitte et Thiers les quatre douzièmes provisoires. Il serait bon que les journaux anglais la missent au néant. La camaraderie révolutionnaire ici est si forte que nos journaux n'ont pas le courage de la juger comme elle le mérite. M. Laffitte en attendant, _s'est laissé forcer la main_ pour placer cinquante à soixante de ses parents et de ses habitués, et pour mettre, à l'époque de sa liquidation, neuf de ses commis dans les premières places de l'administration. »Le nouveau ministère se soutiendra-t-il au milieu du désordre des idées et de ce déchaînement d'insubordination qui dissout toute organisation? Il faut, pour qu'il se soutienne, deux choses:--qu'on ne transige pas avec les émeutes dans les rues; on y est décidé; soixante-dix mille hommes sont autour de Paris; trois régiments de cavalerie sont entrés dans la ville; espérons que les faits répondront aux intentions. Il faut après que la nouvelle Chambre (et il en faut une) donne la majorité au ministère. J'ai l'idée que les élections ramèneront en force les hommes du centre gauche, la victoire alors peut être assurée. Le midi enverra plus de carlistes; les visites domiciliaires ont irrité tous les partis. Voilà ce qu'on y a gagné. »Quant au dehors, le maintien du général Sébastiani est une faute. Il n'est que l'instrument de la faiblesse et de l'intrigue qui prédominaient au Palais-Royal. Le général Sébastiani ne veut pas la guerre et il n'a pas su assurer la paix. Voilà la grande faute. »Casimir Périer veut conserver la paix, mais les choses me paraissent bien gâtées. A force de motiver des armements disproportionnés, en répandant que l'Europe veut nous attaquer, on a tellement monté les têtes qu'on ne sait plus les calmer. Les discours des gens qui entourent le roi, tels que les Vatout[113], les Rumigny[114], les Trévise, font pitié. On croirait qu'on n'a qu'à avaler l'Europe, et qu'elle est déjà à la barrière Saint-Denis...» [113] Jean Vatout, né en 1792, était entré sous l'empire dans l'administration préfectorale. En 1822 il fut attaché à la maison du duc d'Orléans; en 1831 il fut élu député, et siégea à la Chambre jusqu'en 1848. Il fut, sous le gouvernement de Juillet, nommé président du conseil des bâtiments civils. Il entra à l'Académie en 1848, mais mourut la même année. [114] Marie-Théodore de Gueulluy comte de Rumigny, né en 1789, entra en 1805 à l'armée et était colonel en 1814. Sous la Restauration, il devint l'aide de camp du duc d'Orléans. Il fut nommé général de brigade en 1830, et chargé de la pacification de la Vendée et de la Bretagne. Il prit part à l'expédition d'Anvers et fut élu député en 1831. Il accompagna Louis-Philippe en exil en 1848, et fut mis à la retraite par le gouvernement provisoire. Il mourut en 1860. Le 19 mars, j'écrivis au général Sébastiani[115]: [115] Dépêche officielle déjà publiée. «Monsieur le comte, »J'ai reçu la nuit dernière la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser sous la date du 16 de ce mois. La proclamation du régent de Belgique au sujet du grand-duché de Luxembourg a produit ici la plus fâcheuse impression[116], et les explications pleines de sagesse que renferme votre lettre à cet égard me font vivement regretter que la proclamation n'ait pas paru quinze jours plus tôt. Les instructions que vous avez données au général Belliard m'auraient bien utilement servi pour calmer l'irritation que les nouvelles folies du gouvernement belge[117] ont excitée ici. J'aurais pu peut-être arrêter l'envoi de quelques vaisseaux anglais dans l'Escaut, qui est annoncé aujourd'hui, et mettre le plénipotentiaire prussien en état de donner des assurances plus positives à la Diète de Francfort. [116] Le 5 mars, le gouverneur général envoyé dans le Luxembourg par le roi des Pays-Bas, le duc Bernard de Saxe-Weimar, publia une proclamation du roi qui promettait une amnistie pour tous les habitants du grand-duché qui feraient acte de soumission. En réponse à cet acte le régent de Belgique, M. Surlet do Chokier, lança à son tour une proclamation où il adjurait les Luxembourgeois de rester unis à la Belgique et de repousser les avances du roi. Il concluait ainsi: «Au nom de la Belgique, acceptez l'assurance que vos frères ne vous abandonneront jamais.» Ce défi porté aux décisions de la conférence causa une vive émotion en Europe et irrita singulièrement les plénipotentiaires de Londres. [117] Variante... _des Belges_. »Quoi qu'il en soit, monsieur le comte, je ne négligerai pas de tirer tout le parti possible de votre dépêche du 16; la ferme résolution de marcher avec les puissances, exprimée à Bruxelles et à Londres, amènera, je l'espère, d'heureux résultats que des retards trop prolongés ont rendu plus difficiles à obtenir...» J'avais eu soin d'ailleurs, la veille, d'adresser à M. Casimir Périer la lettre suivante que je relis encore aujourd'hui avec plaisir, comme un exposé vrai des idées politiques qui ont dirigé ma conduite pendant ma mission à Londres. LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 28 mars 1831. »Monsieur, »Après quinze jours d'agitations, d'embarras, de tristes prévisions sur le sort de notre belle France, l'horizon s'éclaircit et toutes les espérances se raniment et se rattachent à votre nom, monsieur: c'est avec une joie réelle que je l'ai trouvé dans le _Moniteur_. Il satisfait tous les bons esprits de l'Angleterre; il convient aux hommes éclairés du continent que les grands intérêts de l'Europe ont réunis ici, et je puis ajouter aux nombreux amis de la France qui s'y trouvent: je suis presque chargé de vous en exprimer leur satisfaction. »Je dois maintenant au président du conseil de lui rendre compte de l'esprit qui a dirigé la conduite de l'ambassadeur de France à Londres. »Son but principal a été de conserver la paix qui, dans son opinion, peut seule affermir notre nouvelle dynastie, maintenir la France dans le rang qu'elle doit occuper et sauver toute cette vieille Europe d'une décomposition bien menaçante. Cette paix, je ne me résoudrais à la sacrifier qu'à l'indépendance de notre patrie; et jamais à aucune époque, elle n'a été moins attaquée. C'est ce qui m'a porté, en opposition avec nos jeunes exaltations françaises, à considérer la question belge comme moins importante qu'on n'a voulu le croire en France. J'ai regretté que le mouvement des esprits chez nous cherchât à s'appuyer sur une poignée de gens en pleine anarchie, et qu'on essayât par trop de complaisances à résoudre une question dont le temps et la force des choses nous rendront certainement les maîtres à une époque plus opportune, mais qui, jusque-là, ne nous donnerait que des embarras. Pour conserver la paix et le bon ordre, il faut un pouvoir quelque part et le malheur du moment c'est de n'en offrir presque aucun. Je n'en aperçois plus qu'un seul: il n'existe à mes yeux que dans l'accord des cinq puissances qui, tel qu'il est, n'a rien de commun avec la Sainte-Alliance. La non intervention, appliquée à l'intérieur des États qui changent ou modifient leur gouvernement, détruit la base sur laquelle s'appuyait la Sainte Alliance, et c'est là la non intervention dépouillée de ce qu'elle a de chimérique. Éclairées par l'expérience, les puissances réunies ici sauront faire les concessions nécessaires, tout en offrant à la société les garanties et les barrières dont il est impossible qu'elle puisse se passer; c'est là, dans ma manière de voir, le vrai point d'appui de notre nouveau gouvernement. Il a fallu faire désirer à l'Europe notre établissement et notre conservation, comme la chose dont elle avait elle-même le plus grand besoin: j'y suis parvenu. Bientôt, nous exercerons une influence première, mais il faut, avant, rassurer le dehors sur les projets de guerre que l'on nous suppose, et nous montrer plus maîtres du dedans que nous ne l'avons été depuis trois mois. »Le principe de la non intervention, fort commode en lui-même et fort approprié à telle circonstance, n'est plus qu'une absurdité quand on le regarde comme absolu, quand on veut l'étendre sur les points les plus éloignés les uns des autres. Ce principe est un moyen pour l'esprit, c'est à lui à l'écarter ou à l'appliquer. Voilà comme le comprenait M. Canning, et puisque c'est une affaire d'esprit, vous saurez mieux que personne manier ce nouvel instrument qui est plus souvent un expédient pour ne pas faire qu'il n'est une raison pour agir. »Je désire vivement que vous trouviez ma politique analogue à celle que vous voudrez adopter. Du reste, je suis trop vieux pour n'avoir pas appris le doute, et pour n'être pas tout disposé à m'éclairer de toutes les réflexions que vous voudrez bien me faire arriver, et à suivre la marche qui vous paraîtra utile. »J'ai l'honneur de vous renouveler... J'ai lieu de croire que cette lettre produisit quelque impression sur M. Casimir Périer qui, d'ailleurs, était bien déterminé à suivre une politique plus sensée que celle du cabinet précédent. C'était à cette détermination qu'étaient dues les modifications dans le langage de M. Sébastiani qui se manifestaient déjà dans sa dépêche du 16 mars. Aussi, pour le maintenir dans ces nouvelles dispositions, je me hâtai de lui écrire sous la date du 20 mars[118]: «Monsieur le comte, »J'ai entretenu ce matin lord Palmerston, le prince Esterhazy et le baron de Bülow, de votre dépêche du 16[119]; ils ont été tous trois fort satisfaits de ce que je leur en ai dit, et m'ont témoigné le désir de voir enfin la France se dégager des embarras que lui suscitent les affaires de la Belgique. Ce pays, m'ont-ils dit chacun séparément, ne cherche qu'à entraîner la France; il est poussé par des intrigants dont le but est bien loin d'être favorable à la tranquillité de la France et qui voudraient la compromettre avec l'Europe. «La Belgique a prouvé, m'a dit M. de Bülow, que la conférence l'avait bien jugée, quand elle s'était servie dans le protocole numéro 7 du mot d'indépendance _future_.» [118] Dépêche officielle déjà publiée. [119] Voir page 111. »Je vous ai dit là l'opinion fixe des quatre puissances avec lesquelles il nous importe de marcher et qui sont bien disposées à marcher avec nous. Les trois membres de notre conférence que j'ai vus ce matin m'ont encore répété, chacun en particulier, les assurances les plus positives que leurs gouvernements désiraient que l'ordre de choses actuel s'affermît en France, que la paix fût maintenue en Europe, et que la France y tînt la place que naturellement elle doit y occuper; tous en sentent le besoin et c'est là, m'ont-ils dit, ce qui motivera toujours leurs opinions. Du reste, les plénipotentiaires de Prusse et d'Autriche m'ont promis d'écrire à Francfort, et j'ai l'espoir que leurs avis arrêteront les entreprises que nous redoutons de la part de la Confédération germanique... »M. le prince d'Orange s'est embarqué ce matin à Londres pour la Hollande, après avoir joui de tous les genres de plaisirs de cette capitale; il exprimait assez hautement ses regrets de la quitter; sa manière de vivre ici lui a donné peu de considération...» La promesse que m'avaient faite les ministres d'Autriche et de Prusse d'écrire à Francfort, n'était pas superflue. La proclamation du régent du Belgique, dans laquelle il annonçait hautement l'intention de réclamer pour son pays la possession du grand-duché de Luxembourg, avait excité au plus haut point le mécontentement de la Diète germanique; elle allait probablement prendre des mesures de rigueur, mais, grâce aux communications que j'avais pu faire à MM. Esterhazy et de Bülow, ils arrêtèrent les résolutions hostiles qu'on préparait à Francfort, en insistant surtout sur la confiance que devait inspirer le nouveau ministère français. On m'avait chargé, de Paris, de proposer au gouvernement anglais d'envoyer un agent anglais en Italie pour y aider l'action que notre diplomatie exerçait afin d'apaiser les troubles qui venaient de se manifester, particulièrement dans les États du pape, et d'empêcher, si cela était possible, l'intervention des Autrichiens. Je dus écrire quelques mots à ce sujet à lord Palmerston qui était retenu à la Chambre des communes par la discussion du bill de réforme. La Chambre adopta ce bill dans la nuit du 22 au 23 mars, à la majorité d'_une_ voix[120], et lord Palmerston à cette occasion me répondit le billet suivant: «Mon cher prince, »Je vous remercie de vos félicitations. Notre devise est: _Un me suffit._ [120] Ce n'est pas le bill de réforme lui-même qui fut ainsi voté dans la nuit du 22 mars, mais seulement le passage à la deuxième lecture. Le principe du bill était donc admis, mais le projet du ministère devait échouer à la deuxième lecture. »Sir Brook Taylor, un diplomate excellent, se trouve maintenant à Florence, ayant passé l'hiver à Rome pour sa santé; il est précisément l'homme qu'il nous faut et je lui expédierai les instructions nécessaires sans délai, afin qu'il retourne à Rome pour coopérer avec vous et l'Autriche[121]. [121] On se rappelle que le cabinet français avait invité l'Angleterre à agir de concert avec lui en Italie pour prévenir une intervention de l'Autriche. (Voir pages 100 et 103.) »Il paraît, d'après les dernières nouvelles de Florence, que Bologne n'est pas Varsovie, que la révolution s'y flétrit devant le vent qui souffle du Milanais, et que Bianchetti[122] et un autre dont j'oublie le nom venaient d'arriver en Toscane, voulant s'embarquer à Livourne pour se réfugier en France ou en Angleterre. Nous n'aurons pas grande difficulté à faire un raccommodement entre le pape et ces révoltés. Tout à vous. »PALMERSTON.» [122] Le comte César Bianchetti, ancien chambellan de l'empereur Napoléon, qui était l'un des chefs de l'insurrection de la Romagne. C'est ainsi que toutes les questions qui agitaient alors l'Europe venaient, en définitive, aboutir à Londres et me mettaient dans l'obligation d'étudier ces questions, pour être en état de les discuter avec le cabinet anglais et de marcher d'accord avec lui. Cette affaire d'Italie était un nouvel et grave embarras pour le gouvernement français, mais avant de la traiter, je dois continuer à citer des dépêches indiquant la marche des autres questions. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[123]. [123] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 25 mars 1831. »Monsieur le comte, Je n'ai pas négligé de parler à diverses reprises à lord Palmerston des affaires de Pologne, ainsi que vous me l'avez recommandé dans plusieurs de vos dépêches. D'après le langage de ce ministre, je suis fondé à croire que le cabinet anglais attache de l'intérêt à la cause polonaise et que des instructions ont été adressées par lui à lord Heytesbury[124], son ambassadeur à Pétersbourg, pour y faire entendre la voix de la modération. Il me paraît qu'il serait utile de charger M. le duc de Mortemart d'entrer en communication avec lord Heytesbury sur ce point, et je dois croire que celui-ci a des ordres qui ne contrarieront en aucune manière les instructions que vous avez données au duc de Mortemart. Des démarches officieuses faites simultanément par ces deux ambassadeurs ne manqueraient certainement pas de produire quelque effet. Le motif de ces démarches doit être de réclamer près du cabinet russe le maintien des traités de 1814 qui assurent à la Pologne une existence indépendante sous le sceptre de l'empereur de Russie. Comme le manifeste de ce souverain laisse supposer qu'en cas de non soumission des Polonais, il les réduirait par la force, pour les réunir ensuite à l'empire, une telle mesure anéantirait un article important du traité de 1814, dont les puissances ont le droit de demander l'exécution. Il me semble que ce point de départ donnera de la force à tout ce qui peut être dit en faveur des Polonais. [124] William A'Court, baron Heytesbury né en 1779, entra à la Chambre des communes en 1817, fut en 1820 nommé ambassadeur à Madrid, puis à Lisbonne (1824). De retour à Londres il fut créé pair d'Angleterre (1828), et peu après, accrédité à Pétersbourg. Il y resta jusqu'en 1833. Après dix ans de retraite il fut nommé vice-roi d'Irlande (1844) mais ne resta que deux ans en fonctions. J'ai vu ce matin le nouvel envoyé belge ici, M. le comte d'Arschot[125]; dans le cours de notre conversation, nous sommes peu entrés dans le fond des affaires qui l'amenaient à Londres, parce que la proclamation du régent a engagé tous les ministres qui sont à Londres à témoigner de la froideur au député belge. J'ai pu cependant me servir utilement d'une phrase de votre lettre du 16, qui dit que la France n'est disposée à accorder son appui à la Belgique qu'autant qu'elle ne se jettera pas sans provocation dans des voies propres à troubler la paix de l'Europe. Cette phrase, riche en développements, dans lesquels je lui ai montré beaucoup d'intérêt, m'a conduit à finir l'entretien par l'idée que j'ai voulu lui laisser de la manière dont la conférence comprenait la position de son pays. «La Belgique d'aujourd'hui, lui ai-je dit, est la Belgique de 1790, plus l'évêché de Liège[126]; son indépendance est au moment d'être reconnue, et la neutralité lui est garantie par toutes les puissances; tous ces avantages lui sont assurés à la seule condition de ne pas troubler le repos des autres nations.» [125] Le comte d'Arschot-Schoonhoven, né en 1771, membre de la commission chargée de reviser la loi fondamentale (1815) membre de la première Chambre des états généraux de 1825 à 1830, grand maréchal du palais et sénateur sous le règne de Léopold Ier. Il mourut en 1846. [126] Liège était autrefois le siège d'un évêché souverain. L'évêque était prince de l'Empire. En 1801, la principauté avait été réunie à la France par la paix de Lunéville. En 1815, elle avait été cédée au roi des Pays-Bas. En 1831, elle échut à la Belgique. »J'attends le moment où vous m'informerez du résultat des dépêches écrites de Londres aux membres de la Diète germanique, pour les arrêter dans les résolutions hostiles que la proclamation du régent les avait disposés à prendre; vos démarches directes auront sûrement produit l'effet que vous en attendiez...» «Londres, le 28 mars 1831[127]. [127] Dépêche officielle déjà publiée. »Monsieur le comte, »... J'ai dû voir de nouveau séparément tous les membres de la conférence pour pressentir leur opinion sur le choix du futur souverain de la Belgique, et je me suis utilement servi des réflexions contenues dans votre lettre du 24. Ils m'ont tous répété ce que je vous mandais hier à ce sujet; c'est-à-dire qu'on ne peut s'arrêter au choix du souverain de la Belgique, avant d'avoir déterminé les limites du pays sur lequel ce souverain doit régner. On s'exposerait, en agissant autrement, à placer ce prince dans le même embarras qu'éprouve aujourd'hui le régent; il serait obligé, en acceptant la souveraineté, de jurer une constitution dans laquelle se trouve un article qui énonce le maintien de l'intégrité d'un territoire qu'il a plu aux Belges d'étendre à leur gré. Il est facile de prévoir qu'un tel engagement jetterait dans de nouvelles difficultés. Les plénipotentiaires sont donc unanimes dans l'opinion qu'il est absolument nécessaire, avant tout, d'adopter purement et simplement le protocole qui fixe les limites du territoire de la Belgique. Ils reconnaissent, en même temps, que, plus tard, on devra entrer en arrangement sur les enclaves qui conviendront le mieux à la Belgique et à la Hollande. C'est alors que la question du duché de Bouillon sera aisément résolue[128]. [128] Le duché de Bouillon faisait alors partie du grand-duché de Luxembourg. En 1831, il fut attribué à la Belgique. »Le prince de Naples offre, pour le gouvernement du roi, des avantages et des inconvénients que vous êtes mieux que moi en position de juger. Quant au prince de Saxe-Cobourg, je n'ai vu paraître de la part des membres de la conférence devant lesquels j'ai prononcé son nom, aucune opposition contre sa personne. Le cabinet anglais, qui, comme je l'ai souvent écrit, pensait toujours que le prince d'Orange aurait été le choix le plus convenable, a cependant aujourd'hui abandonné cette idée; il se ralliera sans chaleur à la combinaison du prince de Saxe-Cobourg. »Je n'ai point pu parler nominativement du choix à faire à l'ambassadeur de Russie, parce que ses instructions ne lui permettent pas de porter son intérêt sur un autre prince que le prince d'Orange. Cela, du reste, n'arrête rien dans les affaires de la Belgique. Ce qu'il nous fallait, c'est que la Russie ne fût point opposée à l'indépendance, et cela a été obtenu. La reconnaissance du souverain viendra plus tard. »La démolition des forteresses que vous réclameriez, dans le cas où le prince de Saxe-Cobourg serait élu, m'a toujours paru une chose que l'on obtiendrait facilement parce que, à mon sens, elle a perdu son intérêt depuis la déclaration de neutralité. Je sais qu'en France on n'a pas attaché à cette déclaration toute l'importance qu'elle mérite; je persiste à croire néanmoins que la neutralité était le meilleur moyen de finir la question des forteresses, qui, à mon départ de Paris, paraissait aux meilleurs esprits une question dans laquelle tous les amours-propres étaient engagés, beaucoup de millions perdus et qui devenait insoluble. Du reste, nous ne sommes point appelés à la traiter en ce moment et je devrai, sans doute, revenir sur ce point[129]. [129] Voir pages 357, 363 et notes. »Mon opinion personnelle sur le choix du prince, réduit, comme vous le faites dans votre dépêche, entre le prince de Naples et le prince de Saxe-Cobourg, est qu'il faut s'arrêter à celui des deux que vous aurez le plus de chances de faire élire. Au point où en étaient les choses il y a quatre mois, le prince de Saxe-Cobourg paraissait plus facile qu'aucun autre. Depuis ce temps-là, vos directions ayant été différentes, je ne m'en suis plus occupé... «Londres, le 5 avril 1831. »Monsieur le comte[130], [130] Dépêche officielle déjà publiée. »Dans les dernières lettres que j'ai eu l'honneur de vous écrire, j'ai dû souvent vous presser de répondre à la note qui vous a été adressée par MM. les plénipotentiaires des quatre cours, parce que le temps que l'on met à donner son assentiment ou des explications fournit à des interprétations quelquefois malveillantes et rend tout plus difficile. On cherche à mettre d'accord le silence de notre cabinet avec votre adhésion aux limites de la Hollande et de la Belgique, telle que j'ai dû la comprendre et en parler d'après votre dépêche du 30 mars, et telle qu'elle se trouve dans les lettres reçues ici des ambassadeurs qui sont en France. »Si cependant la question des forteresses vous laissait quelques doutes, pourquoi ne pas les exprimer dans la réponse que vous avez à faire aux plénipotentiaires des quatre puissances? La disposition des cabinets est de s'entendre. Il y a quelque inquiétude, mais je ne vois nulle part aucune irritation; je dois même dire que les explications données par notre cabinet, relativement à Bologne, ont plutôt rassuré qu'alarmé, et que tout le monde espère qu'elles produiront à Vienne l'effet que vous en attendez. »Je vois qu'ici on se refroidit chaque jour sur le choix du prince d'Orange comme souverain de la Belgique; on n'y prend plus d'intérêt réel, et il ne sera fait par aucun gouvernement (j'en excepte la Russie) des démarches en sa faveur. »Il vous est sans doute revenu que la cause des Belges perd tous les jours en Angleterre des partisans; on les trouve bien peu préparés à recevoir l'indépendance. Dans un pays où le bon sens domine, comme en Angleterre, les délibérations du congrès de Bruxelles n'ont pas beaucoup de faveur. »Le discours de M. le président du conseil (M. Casimir Périer) a fait ici une grande sensation et tout le monde répétait hier cette phrase: «Les promesses de politique intérieure sont dans la constitution; s'agit-il des affaires du dehors, il n'y a de promesses que les traités[131].» »Recevez... [131] Discours prononcé à la Chambre des députés, le 30 mars 1831. J'écrivais le même jour à Madame Adélaïde d'Orléans: «Londres, le 5 avril 1831. »J'ose supplier Mademoiselle d'avoir pitié de son vieux serviteur et d'exiger qu'on lui envoye, sans plus de délai, soit M. Bresson, soit quelqu'un pour le remplacer. Depuis le départ de M. Bresson pour Bruxelles, il y a cinq mois, je n'ai eu aucun premier secrétaire de légation et je n'ai eu auprès de moi que M. de Bacourt dont, à la vérité, j'ai été parfaitement content, mais qui, depuis dix jours, est gravement malade à la suite d'un travail forcé. La totalité du travail, conférences, rendez-vous, détails d'ambassade, roule sur moi maintenant et, malgré ma bonne volonté et le travail trop assidu auquel je me livre, je ne puis faire aller les choses comme je le voudrais. »Je ne voudrais pas fatiguer Mademoiselle d'une longue argumentation politique, mais j'oserai lui dire que nous sommes arrivés au point où il nous faut la paix assurée dans peu de temps, sans quoi nous serons entraînés par le mauvais esprit d'un petit nombre d'intrigants audacieux à une guerre dont les chances me font trembler pour les objets de mon plus tendre dévouement. La paix nous sera acquise par une déclaration bien faite de la France aux Belges. On y reconnaîtrait les anciennes limites de la Belgique, sauf à convenir de quelques échanges et de la démolition des forteresses. Il est essentiel que cette déclaration soit faite officiellement et à Bruxelles et à la conférence, et cela est d'autant plus nécessaire que toutes les informations reçues par le ministère anglais portent qu'on est tout près de céder, à Bruxelles, aux décisions de la conférence, lorsqu'on y saura que la France est d'accord avec les puissances en ce qui regarde la Belgique. »Je retarde par tout moyen une explosion du côté de la Confédération germanique, mais les jours sont comptés, et les retards qui viendraient de Paris pourraient être d'un grand danger. Je supplie Mademoiselle de porter toute son attention sur l'importance dont il est que les affaires de la Belgique se terminent. Je le lui demande avec une conviction prise dans une occupation continuelle et dans un dévouement complet...» L'entrée de M. Casimir Périer au pouvoir avait eu promptement une bonne influence sur la direction des affaires intérieures de France et, heureusement, ne tarda pas à en exercer une également favorable sur nos affaires extérieures et notamment sur ce qui concernait la question belge. Le gouvernement français se décida enfin à accepter le protocole de la conférence du 20 janvier qui fixait les limites entre la Hollande et la Belgique. Le général Sébastiani m'annonça cette acceptation par une dépêche du 4 avril. On va voir ce qui l'avait motivée. Les dépêches et lettres qui suivent suffiront pour mettre au fait des divers incidents qui vinrent s'y mêler. Je commence par les lettres de M. Casimir Périer. M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 2 avril 1831. »Mon cher prince, »Vous m'excuserez d'employer la main d'un de mes fils, mais mon écriture est un chiffre dont aucun cabinet n'a la clef. »Je regrette vivement que d'innombrables occupations m'aient empêché de vous remercier plus tôt de tout ce que vous me dites d'aimable. Je n'ai nullement désiré ce qui m'arrive: dans les circonstances où nous sommes, le pouvoir n'a rien qui captive; mais puisque j'y suis appelé, je suis heureux de voir que je trouve confiance et appui dans le parti de l'expérience et des lumières. Je voudrais que votre bienveillance ne vous trompât pas et, qu'en effet, mon nom pût faire quelques amis de plus à mon pays. »Si cela peut arriver quelque part, c'est en Angleterre. A mon avis, les deux pays doivent s'unir de plus en plus; ils ont au fond même cause. C'est ce que les préjugés ne voient point, mais l'expérience le prouvera. »Je dirai maintenant à l'ambassadeur de France que nous tenons à la paix, mais que nous sommes portés à croire qu'on y doit tenir autant que nous. Ainsi, avec la ferme volonté d'être sages, nous ne transigerons sur aucun de nos droits. La France, en maintenant la paix, rend à l'Europe un assez grand service pour que l'Europe lui en tienne compte. Je crois aussi que, par notre sagesse, nous sommes plus utiles aux nations qu'en faisant du prosélytisme à main armée. »J'ai dit, au reste, toute ma politique à la tribune. Je n'en ai pas deux. Je vous dirai toujours là-dessus toute ma pensée, et s'il survenait le moindre changement dans mes vues, je vous écrirais aussitôt. »Je sais que vous vous occupez en ce moment du trône de Belgique. On désire que, par un seul et même acte, les frontières du nouvel État soit définitivement fixées. Il est fort à souhaiter que des difficultés étrangères au fond de l'affaire n'en retardent pas la conclusion. En général, il importe aujourd'hui que la politique se décide à temps. Les tergiversations ont été jusqu'ici, je le sais, bien malgré vous, ce qui a le plus nui au succès de nos affaires. Il ne faut pas qu'elles se renouvellent, car elles pourraient amener des difficultés véritables. »Votre intime et profonde connaissance des hommes et des choses, mon prince, vous suggérera les moyens de faire prévaloir nos idées. Veuillez m'écrire souvent; j'ai besoin de bien savoir. Je compte en tout sur votre habile et franche coopération. »Je vous ai envoyé mon fils; je vous demande pour lui vos bontés. Je désire qu'il se forme au monde et aux affaires. Il ne pouvait être mieux nulle part qu'auprès de vous. »Agréez...» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 4 avril 1831. »Je n'ai pas dû, mon prince, céder sur-le-champ au désir que j'éprouvais d'établir avec vous des communications directes dont je me promets les plus heureux résultats pour le bien du pays. Au moment où le roi m'a appelé à former son conseil et à prendre une part importante à la direction du gouvernement, les affaires intérieures ont réclamé mes premiers soins. Leur situation était connue; elle avait été depuis longtemps le sujet de mes réflexions; j'ai pu agir sans délai et sans hésitation et d'après des vues et des plans arrêtés à l'avance. »Nos relations avec l'étranger, non moins hérissées de difficultés, échappaient davantage, et par leur complication et par le secret qui doit les envelopper, aux investigations des hommes qui ne participaient pas à la direction des affaires. »Ces relations ont dû être pour moi, dès mon entrée au conseil, l'objet d'une étude sérieuse. Cette étude, qui ne rentre pas dans les spécialités du ministère qui m'est réservé, ne saurait être complète encore; j'ai besoin surtout de m'éclairer de lumières nouvelles. »La dépêche, délibérée au conseil, qui vous parviendra en même temps que cette lettre, m'est une occasion de réclamer de vous, celles qui vous permettent de me communiquer une expérience qui n'a point de rivale en Europe, et votre position comme représentant de la France dans ces conférences diplomatiques qui peuvent influer d'une manière si grave sur ses destinées. »J'ai approuvé la note diplomatique dont il s'agit; je l'ai crue appropriée à la situation générale de l'Europe, à l'état des négociations et aux événements récents qui sont venus compliquer la question de la paix ou de la guerre. Mais mon adhésion est l'effet de ma confiance dans l'opinion de mes collègues qui, presque tous, ont fait partie du dernier cabinet, plus encore que d'une conviction fondée sur l'appréciation personnelle des faits diplomatiques antécédents et de la marche de négociations auxquelles j'étais resté étranger. »J'attends de vous, mon prince, que vous vouliez bien me communiquer confidentiellement, par l'un des prochains courriers, s'il est possible, votre opinion sur la convenance de la note qui vous est adressée. J'y ai adhéré surtout parce qu'il m'a été assuré qu'elle était parfaitement en harmonie avec l'esprit qui a dirigé les négociations relatives au sort de la Belgique, et qu'elle les seconderait dans le sens de l'impulsion que vous avez jugé utile de leur donner. Il me serait agréable d'acquérir par vous, mon prince, la certitude que la note est propre à nous faire avancer vers le but que le gouvernement s'est proposé. Si, au contraire, elle vous paraissait insuffisante ou incomplète, sous quelque rapport que ce soit, il m'importerait d'être fixé à cet égard, afin que les futures résolutions du cabinet pussent concourir d'une manière plus efficace à la solution heureuse d'une question qui est une difficulté grave dans les rapports de la France avec les grandes puissances, en même temps qu'elle ne cesse de fournir un aliment aux inquiétudes et à l'agitation qui travaillent dans l'intérieur. »Agréez...» M. Bresson, qui était venu passer quelques jours à Londres, à la fin du mois de mars, avant de quitter définitivement son poste, m'écrivait de son côté. M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 5 avril 1831. »Mon prince, »J'ai mis la plus vive sollicitude à bien remplir vos instructions et vous saurez ce soir que la conférence aura satisfaction complète, à quelques formes près sur lesquelles je pense qu'il est bon de se montrer facile, par ménagement pour les amours-propres qui se trouvent compromis. Mon principal argument a été qu'aussi longtemps que les Belges se croiraient un point d'appui hors de la conférence, ils seraient moins disposés à se soumettre aux nécessités et à ouvrir les yeux à la raison. J'ai été stimulé par le désir de racheter mes torts involontaires et de témoigner de ma reconnaissance pour votre indulgente bonté et pour celle de MM. les membres de la conférence que j'ai eu l'honneur de voir à mon dernier séjour à Londres. Veuillez, mon prince, leur faire connaître les sentiments qui m'ont dirigé. »Le ministère entre franchement dans la voie qu'il s'est tracée et l'impulsion donnée par M. Périer est forte. Je ne doute pas que la dissolution de la Chambre ne lui renvoie une majorité, dans nos départements de l'Est même, qui sont sujets à caution. Quant à vous, personnellement, mon prince, tous ceux dont l'opinion peut vous être quelque chose vous regardent comme l'espoir et le gage de la paix à Londres; et la paix est non seulement le voeu presque général, elle est une nécessité. Les concessions faites au parti turbulent _n'engagent pas et ne conduisent pas_ aussi loin que ce parti pense: vous comprendrez, mon prince, que je fais allusion à _ce dont_ M. Périer m'a promis de vous parler dans sa lettre particulière. »Les nouvelles de Belgique ne sont pas bonnes. Le parti de la réunion pure et simple s'est grossi des difficultés du moment et de ce qu'on appelle le morcellement du pays, qui rend, dit-on, l'existence d'indépendance impossible. Le prince de Saxe-Cobourg gagne; mais on écrit que son mariage avec une princesse française serait une condition _sine qua non_. Au reste, l'effet produit en France par son élection décidera de cette union...» Je ne retrouve pas la lettre par laquelle le général Sébastiani m'invitait à tenir pour non avenues les prescriptions qu'il m'avait imposées au sujet du protocole de la conférence du 20 janvier qui fixait les limites de la Belgique. La dépêche qu'on va lire fera deviner le sens de sa lettre. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[132]. [132] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 6 avril 1831. »Monsieur le comte, »J'ai reçu ce matin votre dépêche du 4 avril. Je ne doute pas qu'elle ne satisfasse, à beaucoup d'égards, la conférence à laquelle je dois la communiquer lundi ou mardi prochain. Vous serez peut-être étonné que je remette cette communication jusqu'à cette époque; mais cela est indispensable parce que plusieurs des membres de la conférence sont absents de Londres. »La grande difficulté _qui reste_[133] sera celle qui surviendra des échanges que vous réclamez, à raison de la position de Maëstricht. Je ferai tous mes efforts, et me servirai de tous vos arguments pour obtenir ce que vous me prescrivez à cet égard dans votre dépêche du 4. Le succès aurait été plus facile il y a deux mois. Les Belges n'avaient pas encore autant excité qu'ils l'ont fait depuis, la défiance que je retrouve partout aujourd'hui. En général j'observe, et je crois qu'il est bon de remarquer que le temps est contre nous; il ne simplifie rien et il apporte des difficultés de plus. [133] Supprimé dans le texte des archives. »Dans une de vos dépêches précédentes, vous me parliez des résolutions qui devaient être prises au sujet des places fortes; mon opinion à cet égard est que vous obtiendrez les démolitions que vous devez désirer, mais je croirais que cette question doit être remise après le choix du roi; l'amour-propre[134] pourrait aujourd'hui s'en offenser. Ce sera avec le roi, comme une exigence de la part de la conférence, que cette question sera le plus avantageusement traitée. [134] Variante: _belge_. »Lord Grey sera prévenu de la communication que vous me chargez de faire à la conférence avant tous les autres ministres, parce que je suis engagé à passer la journée de vendredi dans la maison de campagne où il se trouve, et j'aurai une occasion de l'entretenir de l'objet _de la réunion_[135] de la conférence que je vais demander. Pour les affaires qui sont en discussion, j'aime mieux parler qu'écrire. [135] Supprimé dans le texte des archives. »J'ai vu ce matin M. le baron de Bulow et M. le prince Esterhazy. Ils écriront demain à Francfort, comme vous le désirez. M. le prince Esterhazy écrira à M. de Münch[136] lui-même pour l'engager à maintenir la Diète dans un système de lenteur et de conciliation au sujet du grand-duché de Luxembourg. J'ai beaucoup insisté pour que leur action fût prompte et décisive, parce que je sens combien sont importantes les considérations que renferme votre dépêche à cet égard... [136] Édouard-Joachim, comte de Münch-Bellinghausen, diplomate autrichien, était d'abord entré dans la carrière administrative et avait été maire de Prague. En 1823, il fut nommé plénipotentiaire à la Diète germanique. On sait que l'Autriche avait la présidence de la Diète, ce qui donnait à son plénipotentiaire une situation considérable. M. de Münch devint ministre d'État en 1841. Il se retira en 1848. »Je vous remercie d'avoir rétabli les faits que n'a pas voulu se rappeler M. le général Lamarque lorsqu'il m'a attaqué à la Chambre[137]. Je n'ai pas lu ce que vous avez répondu à cet égard parce que je n'ai pas encore reçu les journaux français du 5, qui sont les seuls qui rendent compte de cette séance; mais je suis sûr que j'y retrouverai les preuves de notre ancienne amitié. Il est singulier qu'on veuille me regarder comme ayant été membre de la Sainte-Alliance, tandis que c'est à Aix-la-Chapelle[138], deux ans après mon ministère, que M. de Richelieu a adhéré à ce nouveau pacte. [137] Le général Lamarque dans la séance du 4 avril avait violemment attaqué la politique extérieure du cabinet. M. de Talleyrand était pris à partie et accusé de défendre l'oeuvre du congrès de Vienne. [138] C'est le congrès d'Aix-la-Chapelle (septembre-octobre 1818) qui mit fin à l'occupation étrangère de la France, moyennant une indemnité pécuniaire de la part de celle-ci. En outre, un traité formel fit entrer la France dans la Sainte-Alliance dont elle avait été écartée en 1815. »Si c'est pour dire que la conférence rappelle la Sainte-Alliance par ses actes, il y a là, en vérité, une trop forte erreur. Il ne faut, pour s'en convaincre, que comparer ce qui a été fait à Naples et en Espagne[139] avec ce qui vient d'être fait en Belgique, dont la conférence, au bout de deux mois, a proclamé l'indépendance...» [139] Intervention de l'Autriche à Naples en 1821; le général Frimont rétablit le pouvoir absolu du roi Ferdinand IV; guerre d'Espagne (1823): la France vient au secours de Ferdinand VII et l'aide à triompher des constitutionnels. Le général Sébastiani, qui avait montré assez de mauvaise grâce à m'accorder le secrétaire d'ambassade que je demandais pour suppléer M. de Bacourt tombé gravement malade, dut céder devant l'impérieuse insistance de M. Casimir Périer. M. Sébastiani voulait m'imposer une de ses créatures, tandis que je lui avais demandé de m'envoyer M. Tellier, rédacteur, congédié par lui des bureaux du ministère des affaires étrangères, et qui m'était recommandé par M. Bourjot, son ancien chef. M. Tellier arriva enfin à Londres et m'apporta une lettre de M. Casimir Périer. Il était en même temps chargé par lui de me dire que le gouvernement du roi était fermement déterminé à maîtriser les Belges, comme il venait de dompter les émeutes à Paris; qu'il était temps de montrer _du coeur_ et _de la résolution_, mais que, pour faciliter l'action du gouvernement et le populariser, pour enlever des prétextes à ses détracteurs, il lui était nécessaire d'obtenir l'évacuation des parties des États pontificaux que les troupes autrichiennes occupaient. M. Périer désirait vivement que des stipulations fussent arrêtées promptement sur ce point. Il m'écrivait lui-même: M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 8 avril 1831. »Mon prince, »Je vous confirme la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire dernièrement, et par laquelle je vous annonçais la dépêche relative aux affaires de Belgique, que vous avez dû recevoir du ministre des affaires étrangères. Je vous priais de m'indiquer quelles étaient les modifications que vous croiriez convenable de nous proposer quant au système de conduite que nous voulions adopter à l'égard de la Belgique, et qui nous a paru conforme au protocole que vous avez signé à Londres. Nous sommes décidés à parler haut à cette poignée d'individus qui, depuis trop longtemps, ont dominé notre politique extérieure, comme les faiseurs d'émeutes ont dominé notre politique intérieure. Nous pensons que, d'accord avec vous, il nous sera facile d'atteindre ce but. »Nos affaires vont très bien ici; nous sommes sûrs de l'intérieur et nous avons la certitude de maintenir la paix, si l'Autriche nous donne satisfaction pour l'occupation des États romains. Il doit y avoir moyen d'arranger les choses d'une manière honorable pour les deux pays. L'Angleterre, si elle est sincère, et si elle veut nous appuyer, peut seconder efficacement cet arrangement désirable. »Toutes les nouvelles que nous recevons de Vienne et de Russie sont des plus rassurantes. La dernière dépêche de M. le duc de Mortemart est des plus satisfaisantes, bien qu'elle soit partie avant qu'on ait connaissance en Russie de la composition du nouveau ministère. »La Chambre sera prorogée sous peu de jours[140], et nous avons l'espoir d'obtenir toutes nos lois à une grande majorité. La séance d'aujourd'hui a été excellente; la loi sur le crédit extraordinaire de cent millions n'a eu contre elle que trente-deux boules noires. [140] La Chambre fut prorogée au 15 juin par ordonnance du 20 avril. »Vous êtes placé si haut, mon prince, à l'extérieur et à l'intérieur, que j'attache le plus grand prix à connaître votre opinion sur la marche que nous voulons suivre; je vous serai donc très reconnaissant de me transmettre vos idées et vos vues à cet égard. »Vous aurez dû être satisfait du dernier discours du général Sébastiani à la Chambre; il vous a rendu la justice qui vous était due; il en était temps, et il l'a fait de la meilleure grâce du monde. »C'est M. Tellier qui est porteur de ma lettre. J'ai enfin décidé M. le général Sébastiani à le faire partir de préférence à M. Bresson, sachant que cela vous était agréable...» Cette lettre de M. Périer et les rapports qui me venaient de Paris, constataient que nous étions enfin sortis de la fâcheuse ornière où les affaires avaient été si longtemps arrêtées par le fait de quelques intrigants. Je pouvais compter sur le concours efficace de M. Périer et c'était très important pour le succès de ma mission en Angleterre. M. Périer n'avait pas ce qu'on est convenu d'appeler de l'esprit, mais, en revanche, il possédait à un haut degré le sens droit et ferme des gens qui ont fait eux-mêmes leur fortune; il cherchait son but, le découvrait et y marchait résolument. Il eut même cette rare bonne fortune que ses défauts devinrent des qualités dans la position difficile où il se trouvait. Il était entier, quelque peu obstiné et parfois emporté; mais tout cela prit l'apparence d'une volonté ferme et indomptable et produisit les meilleurs effets à une époque où les faiblesses des uns, les intrigues et les violences des autres, avaient besoin de rencontrer une puissante barrière. Je n'eus pour ma part qu'à me louer de mes relations avec lui, et je reconnais avec plaisir que sa présence aux affaires contribua beaucoup à faciliter la solution de celles qui m'étaient confiées. Je rendis compte à M. Sébastiani de la séance de la conférence dans laquelle j'avais communiqué sa dépêche du 4 avril. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[141]. [141] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 13 avril 1831. »Monsieur le comte, »Les membres de la conférence sont rentrés en ville avant-hier et se sont réunis hier. J'ai dû leur donner communication de la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 4 de ce mois. Cette communication a produit une impression favorable; on a vu avec plaisir le gouvernement du roi unir intimement ses intentions avec celles de la conférence; j'ai remarqué aussi que la situation générale de la France, les progrès de l'esprit public et les succès nombreux du gouvernement de Sa Majesté étaient justement et convenablement appréciés par chacun des membres. Il m'a été demandé de laisser prendre copie de cette dépêche, mais je m'y suis refusé parce que le nom de M. d'Appony[142] s'y trouvait, et que nous devons éviter tout ce qui pourrait mécontenter l'Autriche... [142] Antoine-Rudolphe, comte d'Appony, était alors ambassadeur d'Autriche à Paris. Né en 1782, il avait été précédemment accrédité à Florence, à Rome et à Londres. Il demeura plus de vingt ans à Paris qu'il ne quitta qu'en 1849. Il mourut en 1852. Le comte d'Appony était l'un des plus intimes confidents du prince de Metternich. »La prochaine séance aura lieu jeudi ou vendredi; les affaires du parlement ne permettent pas une réunion plus rapprochée. La conférence vous répondra promptement et, dans mon opinion, de manière à vous satisfaire. »Je crois, monsieur le comte, ne devoir pas encore occuper la conférence du contenu de votre dépêche du 8; mais j'en ai déjà entretenu séparément chacun de ses membres, et les dispositions dans lesquelles je les ai trouvés me donnent lieu de croire et d'assurer que la plus grande partie de nos demandes, et les plus importantes, seront admises. »J'ai prié l'ambassadeur d'Autriche, ainsi que le ministre de Prusse, de remarquer combien il était à désirer que leurs cabinets apportassent moins de délais dans l'examen des questions qui leur sont déférées, et dont l'intérêt général fait souhaiter la solution. Au reste, les dépêches que M. le prince Esterhazy m'a communiquées, et qui répondent aux demandes que je l'ai prié de faire parvenir à la cour de Vienne, ne permettent pas de douter que M. le prince de Metternich ne soit entièrement disposé à seconder les désirs et les espérances que le gouvernement du roi lui a fait connaître. Ces dépêches parlent aussi, de la manière la plus favorable, de la sécurité que la sagesse du gouvernement français est faite pour inspirer aux autres États de l'Europe. Quant aux dispositions de l'Angleterre à notre égard, elles ne cessent pas d'être bonnes, et ce cabinet nous secondera dans tout ce que M. de Sainte-Aulaire[143] est chargé de demander à _Rome_[144]. [143] Louis Clair de Beaupoil, comte de Sainte-Aulaire, né en 1778, avait été chambellan de l'empereur et préfet de la Meuse (1813). Sous la première Restauration, il fut préfet de la Haute-Garonne. Il entra à la Chambre en 1815, fut écarté en 1816 par la limite d'âge, fixée à quarante ans, mais fut réélu en 1818, et siégea dans l'opposition modérée. Il échoua aux élections en 1823, mais rentra au Parlement en 1827 et devint vice-président de la Chambre, puis pair de France en 1829. En 1830, il entra dans la diplomatie, fut accrédité à Rome (1831), puis à Vienne (1833) et à Londres (1841). Il se retira en 1847 et vécut dans la retraite jusqu'à sa mort (1854). M. de Sainte-Aulaire était membre de l'Académie française. Sa fille avait épousé le duc Decazes, en 1818. [144] Supprimé dans le texte des archives. »Le bill sur la réforme reparaîtra lundi; on s'attend à une discussion vive, parce que le ministère doit proposer des modifications qui ne diminueront pas les opposants, mais qui, au contraire, feront perdre des votes aux partisans de la réforme.» Nos affaires marchaient mieux du côté de Paris, du moins, pour ce qui concernait celles que j'avais à traiter. Les complications de tout genre ne manquaient pas cependant, tant à l'intérieur qu'au dehors; on ne sortait de l'une que pour tomber dans une autre. On ne pouvait pas espérer que la seule présence de M. Périer à la tête du cabinet apaiserait toutes les discordes et rétablirait le bon ordre. Aussi le duc de Dalberg m'écrivait-il: «Paris, le 12 avril 1831. »On vous dira, mon cher prince, que les choses se fortifient ici; je n'en crois pas un mot; la dissolution de la société va son train. M. Périer vient de faire une faute incalculable par son décret qui rétablit la statue de Bonaparte sur la colonne de la place Vendôme[145]. Le parti bonapartiste, dirigé par les républicains et les anarchistes, va prendre une nouvelle force. Il exigera la rentrée de toute la famille Bonaparte, et elle servira de prétexte à des intrigues dont le gouvernement ne sera pas le maître. Le nonce m'a dit qu'en Italie on ne voulait plus conserver cette famille. Si on ne s'était pas arrêté ici sur la _non intervention_ dans les affaires de l'Italie, le prince de Metternich était prêt à se servir du duc de Reichstadt pour augmenter les divisions en France. Prenez cela pour positif. [145] Voir le rapport de Casimir Périer précédant l'ordonnance du roi ordonnant le rétablissement de la statue de Napoléon (_Journal des Débats_, du 12 avril). »Les affaires de Pologne donnent une nouvelle face à la situation générale. La coalition du dehors est pour le moment moins à craindre que les embarras du Trésor, qui sont croissants. L'emprunt du 19 doit se faire à tout prix ou les payements seront suspendus[146]. Et que faire alors de nos quatre cent cinquante mille hommes?» [146] Emprunt de cent vingt millions en cinq pour cent qui fut réalisé le 19 avril. On avait d'abord voulu le réaliser par souscription publique, mais on ne reçut ainsi que vingt millions. Une société se forma alors, composée de toutes les notabilités financières de Paris, qui accepta l'emprunt au taux de quatre-vingt-quatre francs, et sauva ainsi la situation. Sous l'humeur un peu exagérée de M. de Dalberg, il y avait un fond de vérité; il n'en fallait pas moins aller droit son chemin et pourvoir autant qu'on le pouvait aux difficultés incessantes que chaque jour apportait. On va en voir surgir de nouvelles dont les dépêches suivantes rendaient compte. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[147]. [147] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 16 avril 1831. »Monsieur le comte, »J'ai reçu votre dépêche du 12[148], qui a pour objet de faire sentir les graves motifs d'inquiétude que donnerait à la France l'entrée des troupes de la Confédération germanique dans le grand-duché de Luxembourg. Vous y exprimez aussi, monsieur le comte, la crainte que la Diète ne soit entraînée à la guerre par l'influence de son président, et vous faites observer avec raison que le mouvement des troupes fédérales ne doit pas être réglé isolément à Francfort, en ajoutant que les représentants des cinq puissances réunis à Londres sont appelés à juger le moment où cette grande mesure pourra être devenue indispensable. [148] Variante: ... _la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 12 de ce mois. Cette dépêche avait pour but_... »Je crois pouvoir répondre d'une manière satisfaisante à ces différentes observations. »Le gouvernement du roi ayant désiré, dès l'origine du différend entre la Belgique et la Confédération germanique, que la Diète ne prît aucune résolution précipitée et adoptât, au contraire, pour système, une lenteur sagement calculée, j'ai agi dans ce sens auprès des membres de la conférence dont les souverains sont liés à la Confédération germanique; et je ne peux pas renoncer à croire que leurs conseils n'aient eu, jusqu'à présent, une forte influence sur les délibérations de Francfort, car, si un corps fédéral a été désigné, il y a longtemps, vous aurez sans doute remarqué avec quelle lenteur on s'est occupé de son organisation définitive. »La Diète aurait persévéré probablement dans ce système de temporisation, si, dans ces derniers temps, la proclamation du régent de Belgique, relative au grand-duché de Luxembourg, les discussions et les actes du congrès, n'étaient pas venus donner au corps germanique des motifs de mécontentement assez graves pour déterminer la Diète à songer à l'emploi des moyens de rigueur, afin de se mettre à l'abri de tout reproche. »Cependant, monsieur le comte, d'après les ordres que vous m'avez transmis, j'ai eu une conférence avec M. le prince Esterhazy et M. le baron de Bülow que je trouve toujours disposés à se prêter aux vues de conciliation, et je les ai engagés à employer leurs bons offices auprès du président de la Diète, afin de faire suspendre toutes les résolutions hostiles que l'on avait été disposé à adopter à Francfort. »Les communications journalières que j'ai avec ces deux membres de la conférence me laissent peu de doute sur les dispositions actuelles de la Diète, et tout me porte à croire qu'elles ne sont pas de nature à nous inquiéter. Ses mesures militaires n'annoncent point l'intention d'agir immédiatement; ce ne sont encore que des _préparatifs_; et vous aurez remarqué, sans doute, à quelle distance elle va chercher ses soldats; ce sont les contingents du Holstein, d'Oldenbourg, des villes anséatiques et du Mecklembourg, qu'elle appelle à marcher au delà du Rhin, tandis qu'elle avait sous la main d'autres contingents qu'elle aurait pu faire agir bien plus rapidement. Elle ne l'a pas voulu et elle a évité aussi de faire un appel aux Prussiens, prévoyant que leur intervention aurait entraîné des inconvénients. »Il me paraît donc démontré que les intentions de la Diète et ses mesures militaires n'ont aucun caractère qui puisse faire craindre une prochaine agression. Quant au président de cette assemblée, que des informations particulières vous dépeignent comme partisan d'une guerre contre la Belgique, je ne pense pas que son influence puisse l'emporter sur la volonté de son gouvernement, et nous savons parfaitement, soit par les démarches auxquelles s'est prêté le prince Esterhazy, soit par les communications directes et indirectes de sa cour, que l'Autriche n'a nulle envie d'allumer la guerre sur aucun point de l'Europe. »La Diète, au surplus, n'est pas maîtresse de prononcer seule dans une affaire aussi grave: la conférence conserve toujours la faculté de lui adresser des avis; et je puis certifier, monsieur le comte, qu'il ne partira de Francfort aucun ordre d'attaque avant que la conférence y ait fait connaître qu'il n'existe plus de moyen d'accommodement. »Les succès répétés et brillants des Polonais ont produit ici, comme en France, la plus vive sensation[149]. Si les mouvements qui ont éclaté en Lithuanie, sur des points rapprochés de la Courlande, ont pour résultat de donner aux Russes un plus grand nombre d'adversaires, il faudra reconnaître que l'insurrection de Varsovie aura eu des conséquences bien plus graves que celles qu'on avait d'abord calculées[150]. [149] Les Polonais avaient été vainqueurs à Grochow (19 février). Après la bataille indécise de Praga (25 février), ils eurent de nouveau l'avantage à Waver, à Dembe-Wilkie (30 et 31 mars) et à Inganie (10 avril). Varsovie était dégagée et les Russes rejetés au delà du Bug. En même temps, la Lithuanie s'insurgeait, et une armée polonaise allait soulever la Volhynie. [150] Variante: _qu'on avait pu d'abord entrevoir_. »Les amis de l'ordre et de la paix ne peuvent qu'applaudir, monsieur le comte, au langage que vous avez tenu dans les dernières séances de la Chambre des députés; c'est ainsi, comme vous le dites à la fin de votre dépêche, _que nous imposerons aux brouillons qui agitent la Belgique_. »Les discussions parlementaires ici offrent peu d'incidents remarquables depuis deux jours; mais, elles prendront un grand intérêt lundi ou mardi...» «Londres, le 19 avril 1831. »Monsieur le comte[151]. [151] Cette lettre ne se trouve pas dans le recueil de M. Pallain. »J'ai reçu de lord Palmerston une communication de laquelle il résulte que quelques sujets de Sa Majesté Britannique ayant souffert en Portugal[152] des insultes et des avanies que le gouvernement portugais a plutôt favorisées qu'arrêtées, le gouvernement anglais avait envoyé deux bâtiments de guerre avec ordre de demander des réparations et des indemnités. Dans le cas où elles ne seraient pas obtenues, le commandant de ces forces a été autorisé à déclarer qu'il se ferait justice, lui-même, et qu'il agirait avec rigueur sur les bâtiments portugais qu'il rencontrerait en mer...» [152] Depuis plusieurs mois, l'Angleterre avait à se plaindre des offenses du Portugal. Dès l'automne de 1830, un vaisseau anglais avait été capturé par des navires portugais. A Lisbonne, les résidents anglais étaient en butte à toutes sortes de vexations. En avril 1831, le cabinet anglais envoya une escadre dans le Tage. Le gouvernement portugais capitula (2 mai).--La France suivit cet exemple et demanda satisfaction pour les traitements indignes qu'avaient subis à Lisbonne deux négociants français. Sur le refus du Portugal, les navires de ce pays qui se trouvaient dans les ports français furent saisis. En outre, une escadre sous les ordres de l'amiral Roussin se disposait à partir pour l'entrée du Tage (9 juillet). «Londres, le 20 avril 1831. »Monsieur le comte[153], [153] Dépêche officielle déjà publiée. »J'ai reçu la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 16 de ce mois relativement aux traitements hostiles que des Français ont éprouvés en Portugal. Une communication que m'a donnée lord Palmerston, et dont je vous ai entretenu par ma lettre d'hier, vous prouvera que les Anglais n'hésitent point à agir eux-mêmes et seuls dans la question qu'ils ont avec le Portugal; ils demandent une réparation qu'ils détermineront; et s'ils ne l'obtenaient pas, la prise des navires portugais trouvés en mer serait la suite du refus qui serait fait par les agents de dom Miguel; mais on ne doute pas que la lâcheté qui accompagne toujours la cruauté, ne le fasse céder immédiatement et qu'il ne fasse toutes les réparations convenables. »Je vous fais connaître la marche que suit le gouvernement anglais parce que vous trouverez peut-être qu'une conduite analogue est celle qui convient davantage. Lord Palmerston est persuadé que des menaces suffiront. »J'ai donné beaucoup d'attention, monsieur le comte, aux informations que vous m'avez fait l'honneur de me transmettre, relativement aux habitants de Samos[154], mais depuis quelque temps, sans perdre de vue les questions de la Grèce, il a été moins possible de s'en occuper, soit à cause des affaires de la Belgique, soit par une conséquence naturelle des travaux parlementaires des ministres anglais. J'espère que nous aurons bientôt une conférence à ce sujet. [154] L'île de Samos avait été laissée à la Turquie, ainsi que Candie, mais la conférence s'occupait d'imposer à la Porte des conditions propres à sauvegarder la liberté des habitants de ces îles. »Le ministère vient de perdre la majorité sur un amendement du général Gascoyne, dans la question de la réforme[155]; il est assemblé en ce moment pour aviser aux moyens de sortir de l'embarras que cet échec lui donne; vous lirez avec plaisir les débats qui ont duré jusqu'à cinq heures du matin. Je ne saurai que trop tard pour l'heure de la poste, la résolution du conseil d'aujourd'hui; demain, j'aurai l'honneur de vous l'écrire...» [155] C'est le 19 avril que le bill reparut aux Communes. On y discuta l'amendement du général Gascoyne, qui tendait à conserver à l'Angleterre et au pays de Galles le même nombre de représentants, c'est-à-dire à maintenir tous les _bourgs pourris_. Le ministère s'opposa à cet amendement qui fut néanmoins voté par 299 voix contre 291. «Londres, le 22 avril 1831. »Monsieur le comte[156], [156] Dépêche officielle déjà publiée. »Je vous annonçais, par la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire hier, que le ministère avait éprouvé un échec et que le conseil était alors assemblé pour aviser aux moyens de sortir d'embarras. Sa position était devenue encore plus difficile dans le cours de la journée d'hier, parce qu'un membre de la Chambre de pairs, lord Wharncliffe[157] avait annoncé qu'il ferait la proposition d'une adresse au roi afin de supplier Sa Majesté de ne pas consentir à la dissolution du Parlement que ses ministres pourraient lui proposer. [157] James Stuart, lord Wharncliffe, né en 1776, entra d'abord à l'armée, mais quitta le service en 1801 et fut élu aux Communes où il siégea dans le parti tory. En 1826, il succéda à son père à la Chambre des lords. Il fut en 1831 l'un des adversaires du bill de réforme. En 1834, il devint lord du sceau privé dans le cabinet de M. Peel. En 1841, il revint aux affaires comme président du conseil. Il mourut en 1845. »Cet état de choses--le doute dans lequel on était sur les intentions du roi--les influences que des personnes de sa famille, dont les opinions sont fort opposées, pouvaient exercer sur Sa Majesté,--la gravité de la réforme en elle-même--tout avait contribué à répandre depuis vingt-quatre heures une grande incertitude dans les esprits. »Hier matin, cependant, le ministère avait obtenu du roi la promesse positive que le Parlement serait dissous, sous la condition[158] que le bill relatif au douaire de la reine, serait voté avant la dissolution, ce qui aurait entraîné un délai d'un ou deux jours; mais l'annonce de la proposition de lord Wharncliffe ayant fait sentir au cabinet qu'on allait avoir à lutter contre de nouveaux embarras que tout délai ne ferait qu'accroître, Sa Majesté s'est déterminée à prononcer immédiatement la prorogation qui, d'après l'usage, est suivie dans les vingt-quatre heures de la dissolution. Le roi s'est rendu aujourd'hui à cet effet au Parlement. [158] Variante: ... _et Sa Majesté désirait seulement que_ le bill relatif au douaire de la reine _fût voté avant la dissolution_, ce qui aurait entraîné, etc... »Vous savez, monsieur le comte, qu'il doit s'écouler maintenant un délai de quarante jours, avant qu'une nouvelle chambre puisse être réunie; chaque parti va mettre ce délai à profit, pour s'assurer des suffrages; et les plus grands efforts vont avoir lieu pour faire triompher l'une ou l'autre opinion. Tous les membres du Parlement se disposent déjà à quitter Londres pour se rendre sur les divers points où ils ont à préparer leur élection. »Il est arrivé hier à Londres quatre députés belges, M. le comte de Mérode, M. Villain XIV[159], l'abbé de Foere[160] et M. de Brouckère[161]. Ces députés viennent, à ce que l'on présume, proposer la couronne au prince Léopold de Saxe-Cobourg. Dans ma première dépêche j'aurai l'honneur de vous faire connaître l'objet positif de leur mission; la forme qu'ils auront adoptée pour la remplir et la réponse qui y sera faite _par le prince_. Il est probable que cette réponse sera conçue dans des termes évasifs et que Son Altesse Royale évitera d'exprimer une acceptation ou un refus positif avant que la Belgique ait adhéré au protocole du 20 janvier. _Telle est du moins l'opinion de ceux qui vivent dans l'intimité du prince_[162]... [159] Charles-Hippolyte Villain XIV, diplomate belge, né en 1796. Il avait siégé dans les états de la Flandre occidentale, et, en 1830, fut élu au congrès. Sous le règne du roi Léopold, il fut ministre à Florence (1840), à Turin et à Naples (1855). [160] Léon de Foere, né en 1787, était vicaire à Bruges. Dès 1815, il se mêla à la politique et fonda une revue «pour réveiller l'esprit national», qui lui valut de nombreuses poursuites. En 1830, il fut élu député de Bruges. Au congrès, il fut un des chefs du parti anti-français. Constamment réélu jusqu'en 1848, il se retira alors de la vie publique et mourut en 1851. [161] Henry de Brouckère, né en 1801, était procureur du roi en 1830. Il se rallia avec empressement à la révolution et fut élu député. En 1840, il devint gouverneur civil d'Anvers. Il fut nommé ministre d'État en 1847 et président du conseil en 1852. Il se retira en 1855. Il rentra à la Chambre en 1857, mais ne revint plus aux affaires. Il était le chef du parti libéral. [162] Supprimé dans le texte des archives. »Je vous envoie le discours prononcé ce matin par le roi au Parlement...» «Londres, le 25 avril 1831. »Monsieur le comte[163], [163] Dépêche officielle déjà publiée. »J'ai reçu ce matin[164] la dépêche que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 22 de ce mois. [164] Variante: _par M. Casimir Périer_. »J'ai éprouvé une véritable satisfaction, en voyant que le gouvernement du roi avait donné son adhésion aux protocoles numéros 21 et 22[165], et qu'il ne faisait que quelques légères observations que je présenterai à la conférence en les appuyant des arguments contenus dans votre dépêche. [165] Le protocole numéro 21 (17 avril) constatait l'adhésion officielle de la France au protocole du 20 janvier, et réglait quelques points de détail relatifs aux arrangements territoriaux à intervenir entre la Belgique et la Hollande. Le protocole numéro 22, signé le même jour, décidait que le commissaire de la conférence à Bruxelles recevrait l'ordre de communiquer au gouvernement belge le protocole du 27 janvier, qui fixait la base de séparation des deux États et qu'il lui demanderait son adhésion formelle à cet acte, en exigeant de la part de la Belgique l'abandon de toute prétention sur le Luxembourg. En cas de refus, le commissaire avait l'ordre de quitter immédiatement Bruxelles, et les puissances avertissaient le gouvernement de Belgique qu'elles se réservaient de forcer par les armes les troupes belges à évacuer le territoire hollandais. »J'aurais fait immédiatement cette communication si lord Palmerston n'était à Cambridge pour y préparer sa réélection; il ne doit être de retour qu'au milieu de la semaine prochaine mais, dans cet intervalle, j'aurai soin de voir séparément les autres membres de la conférence. »La demande que fait le gouvernement du roi, d'établir un concert entre les cinq puissances afin de régler le nombre de troupes qui pourront être employées dans le Luxembourg et pour fixer l'époque à laquelle elles devront agir, me paraît juste et conforme aux conseils de la prudence; je pense que la conférence sera naturellement disposée à l'admettre[166]. [166] Variante: ... _est si juste et si conforme_ aux conseils de la prudence _que la conférence sera sans doute_ naturellement disposée à l'admettre. »Quant à l'évacuation de Venloo et de la citadelle d'Anvers, il ne paraît pas qu'il puisse s'élever de difficultés à ce sujet, quand les Belges auront pleinement adhéré au protocole du 20 janvier. »A l'égard des échanges à opérer entre la Hollande et la Belgique, vous avez su, monsieur le comte, que, par le protocole numéro 21, la conférence avait déclaré qu'elle regardait cette question comme précoce, et qu'elle pensait qu'il fallait l'ajourner jusqu'au moment où elle aurait été éclaircie par les travaux des commissaires démarcateurs. Il me sera extrêmement difficile de changer ici la manière de voir[167] sur ce point; il me sera sans doute objecté, que le roi de Hollande ayant déjà adheré au protocole des limites, ce serait s'exposer de sa part à beaucoup de difficultés s'y l'on cherchait aujourd'hui à y apporter des modifications[168]. Cependant je ferai tous mes efforts pour amener les plénipotentiaires à entrer dans les idées que vous m'exprimez. [167] Variante: ... de changer la manière de voir _des plénipotentiaires_ sur ce point, _qui m'objecteront_. [168] Variante: _à modifier cet acte_ »Le délai que vous voudriez faire accorder aux Belges pour se prononcer définitivement me paraîtrait, je l'avoue, par trop prolongé, s'il allait jusqu'au 1er juin. Je penserais qu'il serait peut-être plus avantageux pour le gouvernement de Sa Majesté, comme pour le gouvernement anglais, de se présenter devant les Chambres qui, dans chaque pays, se rassemblent à la même époque, après avoir terminé toutes les affaires principales de la Belgique. »Le prince Léopold a déclaré aux députés de ce pays qui sont venus lui offrir la couronne, qu'il l'accepterait le jour où la Belgique aurait adhéré au protocole des limites fixées par les cinq puissances, dont il ne voulait pas se séparer. Une partie de ces députés a déjà quitté Londres; ils ne se sont présentés, ni chez moi, ni chez aucun membre de la conférence. »L'Angleterre est livrée en ce moment à une agitation très grande et qu'elle n'avait pas éprouvée depuis la révolution de 1688. La question de la réforme parlementaire occupe tous les esprits, éveille tous les intérêts et place, pour ainsi dire, la nation dans deux camps opposés. Personne ne reste neutre, et chaque individu qui appartient à un parti, s'y abandonne sans réserve, en y livrant aussi sa fortune. Des souscriptions sont ouvertes de part et d'autre; elles s'élèvent déjà à des sommes immenses, et un seul engagement monte à cent mille livres sterling... »L'Irlande ajoute à son état habituel l'agitation que lui communique l'Angleterre, et de graves désordres en agitent en ce moment la partie méridionale. Il me semble que cet état de choses offre à la France le moyen de trouver dans la tranquillité tous les avantages que l'Angleterre perd par l'agitation. »Sir Frédéric Lamb est nommé ambassadeur à la cour de Vienne[169].--Le duc de Broglie vient d'arriver ici...» [169] Sir Frédéric Lamb était le frère de lord Melbourne. «Londres, le 26 avril 1831. »Monsieur le comte[170], [170] Dépêche officielle déjà publiée. »J'ai eu l'honneur de vous mander hier qu'une partie des députés belges avait quitté Londres. Cette information n'est pas exacte. Au moment où ces députés allaient partir, le prince Léopold les a fait inviter à dîner; ils se sont rendus chez lui. Lord Grey s'y trouvait aussi. On a beaucoup agité les affaires de la Belgique; la discussion qui avait eu lieu a été reprise, et le prince Léopold, en persistant dans la réponse que je vous ai fait connaître hier, a donné à son opinion de nouveaux motifs et de nouveaux développements. »Il a été décidé que l'abbé de Foere partirait seul ce soir et que les autres députés resteraient ici à attendre le résultat des efforts qu'il va faire à Bruxelles... Le langage qu'on a tenu à ces députés se réduit à ceci : «Adhérez d'abord au protocole du 20 janvier, faites élire votre souverain; ces deux choses terminées, vous négocierez des échanges et vous pouvez être assurés que vous trouverez des dispositions bienveillantes dans la conférence lorsqu'elle sera appelée à régler les points sur lesquels vous ne pourriez pas vous entendre.» »Lord Grey augure bien de la conversation que le prince Léopold et lui ont eue avec les députés, quoiqu'il ne se dissimule pas que les choses soient encore loin d'être terminées. »Lord Palmerston n'est pas encore de retour; ainsi, le jour de notre conférence n'est pas encore fixé. Je persiste dans les opinions que je vous exprimais dans ma lettre d'hier, et je crois qu'en général vous serez content des réponses qui vous seront faites... »On fait grand bruit ici d'une note du général Guilleminot au Reis-Effendi, qui renferme, dit-on, trois déclarations. La première a pour objet de montrer à la Porte ottomane que les principes du gouvernement français étant diamétralement opposés à ceux que professent la Russie et l'Autriche, une guerre avec ces deux puissances est inévitable. La seconde déclaration annonce que l'Angleterre, ou demeurera neutre, ou se déclarera l'alliée de la France. La troisième a pour but de montrer à la Porte qu'elle doit songer à son indépendance et aux mauvaises chances que lui ferait courir une alliance avec les puissances opposées à la France[171]. [171] Voir au sujet de cet incident une dépêche de l'ambassadeur anglais à Constantinople. (Appendice p. 491.) »J'ai dû répondre, quand on m'a parlé de cette note, que je n'avais aucune connaissance de ce que l'on me disait avoir été fait à Constantinople, et que la loyauté de mon souverain et de son gouvernement ne permettait pas d'y croire...» Les démarches du général Guilleminot à Constantinople, dont il est question dans cette dépêche, m'avaient en effet valu des plaintes extrêmement vives de la part du cabinet anglais. En l'absence de lord Palmerston qui était occupé de son élection à Cambridge, le premier ministre lord Grey m'avait témoigné une grande irritation de la conduite de notre ambassadeur. Dans l'ignorance où j'étais des faits, je ne puis lui exprimer que de l'incrédulité. Le lendemain, en m'envoyant les rapports de l'ambassadeur d'Angleterre à Constantinople, qui étaient aussi précis que possible, il m'écrivait: LORD GREY AU PRINCE DE TALLEYRAND[172]. _«Downing-street, april 26, 1831._ _»My dear prince,_ _»I send herewith copies of the information which has reachen this government respecting the procedings of the French minister at Constantinople._ prononcé le 26 juin 1831._] «Messieurs, »Je suis profondément sensible au voeu dont le congrès belge vous a constitué les interprètes. »Cette marque de confiance m'est d'autant plus flatteuse qu'elle n'avait pas été recherchée par moi. »Les destinées humaines n'offrent pas de tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à maintenir l'indépendance d'une nation et à consolider ses libertés. »Une mission d'une aussi haute importance peut seule me décider à sortir d'une position indépendante et à me séparer d'un pays auquel j'ai été attaché par les liens et les souvenirs les plus sacrés, et qui m'a donné tant de témoignages de bienveillance et de sympathie. »J'accepte donc, messieurs, l'offre que vous me faites, bien entendu que ce sera au congrès des représentants de la nation à adopter les mesures qui, seules, peuvent constituer le nouvel État et, par là, lui assurer la reconnaissance des États européens. »Ce n'est qu'ainsi que le congrès me donnera la faculté de me dévouer tout entier à la Belgique, et de consacrer à son bien-être et à sa prospérité les relations que j'ai formées dans les pays dont l'amitié lui est essentielle et de lui assurer, autant qu'il dépendra de mon concours, une existence indépendante et heureuse. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU PRINCE LÉOPOLD[254]. [254] Cette lettre se trouve dans le recueil de M. Pallain. «Hanover Square, Londres, 27 juin 1831, une heure du matin. »Monseigneur, »Je viens de lire à l'instant la réponse que Votre Altesse Royale a adressée dans la soirée aux députés belges. Je vais l'expédier à Paris. Mon gouvernement sera sans doute charmé de la conclusion d'une affaire aussi difficile et aussi compliquée; mais je regrette vivement que notre ministère ne trouve pas dans votre discours ce qu'il faut pour diminuer les préventions françaises. J'avais supplié Votre Altesse Royale de ne pas se montrer attachée uniquement à l'Angleterre, dans la réponse qu'elle devait faire aux Belges, et je vois avec beaucoup de peine, dans votre intérêt même, monseigneur, que vous avez omis au dernier moment la phrase conciliante, utile et prudente que vous aviez permis à l'ambassadeur de France de vous remettre par écrit, que je vous ai rappelée hier au soir et que vous m'aviez promis d'y insérer. Quand il s'agit de faciliter le présent et d'assurer l'avenir, il faut éviter avec soin de blesser les vanités et les préjugés. »Je suis...» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI[255]. [255] Dépêche officielle déjà publiée. «Londres, le 27 juin 1831. »Monsieur le comte, »J'avais remis au prince Léopold deux ou trois phrases qui devaient être placées dans sa réponse aux députés belges et qui, je crois, auraient produit un bon effet. Il m'avait promis de les y insérer, et cependant, je ne les y ai pas trouvées. »J'en ai été fort mécontent, et j'ai écrit immédiatement au prince Léopold la lettre dont j'ai eu l'honneur de vous envoyer hier une copie. Ce matin, j'ai reçu une réponse que je joins ici parce qu'elle contient des explications dont on pourra tirer parti dans un temps ou dans un autre. »La question belge me paraît aujourd'hui posée aussi bien qu'elle peut l'être, et je pense que le gouvernement du roi sera à portée de repousser les attaques qui pourraient être faites à ce sujet. Quand des écrivains de parti viendront maintenant comparer la conférence de Londres à la Sainte-Alliance, ils seront de mauvaise foi, car la paix de l'Europe et l'indépendance de la Belgique ont été les résultats de cette conférence, et il n'y a rien de commun entre ces résultats et ceux qu'a obtenus la Sainte-Alliance. »Les députés belges sont partis cette nuit. M. le baron de Wessenberg qui, ainsi que je vous l'ai mandé hier, va se rendre à La Haye, quittera Londres ce soir. J'ai l'honneur de vous envoyer copie du protocole numéro 26[256] dont il sera porteur et des instructions qui lui sont remises. Elles sont confidentielles et doivent être secrètes. J'ai cru devoir écrire au chargé d'affaires de France à La Haye, pour qu'il contribuât, en tout ce qui pourrait dépendre de lui, au succès de la mission de M. de Wessenberg, et pour qu'il agît de concert avec lui, afin que la France ne parût pas étrangère aux démarches qui vont avoir lieu. Vous jugerez sans doute à propos de lui donner des instructions à ce sujet. [256] C'est le protocole du 26 juin qui renfermait les 18 articles que la conférence proposait comme préliminaires de paix à la Hollande et à la Belgique. »Les motifs du voyage de l'empereur dom Pedro, à Londres, ne sont pas encore connus; il est logé en hôtel garni et prend le titre de duc de Bragance. »Je crois devoir encore inviter le gouvernement du roi à tenir extrêmement secrets les arrangements auxquels on s'est arrêté pour les affaires de la Belgique. Il ne faut pas que les ennemis de la paix puissent agir auprès de la population belge et des membres du congrès, pour empêcher l'adoption des articles que les députés portent à Bruxelles[257]...» [257] C'est avec cette lettre que se termine le premier volume de M. Pallain sur l'ambassade de Talleyrand à Londres, le seul qui soit encore publié. Notre travail de comparaison des deux textes doit donc forcément prendre fin. RÉPONSE DU PRINCE LÉOPOLD AU PRINCE DE TALLEYRAND[258]. [258] Cette lettre se trouve dans l'ouvrage de M. Pallain. Voir à l'Appendice, p. 492, la lettre que M. de Talleyrand écrivait à Madame Adélaïde en lui transmettant cette réponse. «Marlborough House, 27 juin 1831. »Mon cher prince, »Ce que j'ai dit par rapport à l'Angleterre est simplement la relation d'un fait historique _passé_. J'avais bien désiré dire quelque chose de plus positif sur la France; mais j'ai mis les mots que vos collègues disaient venir de vous, dans le projet de la conférence. »Mais, sentant la nécessité de faire quelque chose de plus _après mon discours, j'ai invité toute la députation à s'exprimer en mon nom, officiellement et fortement,_ sur une chose dans le congrès qui m'était d'une grande importance: »Que je savais que quelques journaux signalaient le présent arrangement comme hostile à la France: que rien ne pouvait _être plus faux_; que des relations très intimes avec la famille régnante actuellement en France avaient existé depuis de longues années; qu'il n'y avait que peu de pays que je connaissais mieux que la France, y ayant beaucoup habité depuis ma jeunesse, et que, loin d'être hostile contre elle, je la considérais une alliée aussi importante qu'utile pour la Belgique. »Ceci ne peut manquer d'être connu amplement quand ils seront arrivés _et d'être imprimé de suite_. Je pense que vous devriez communiquer ce que je viens vous dire à votre gouvernement, auquel je suis sincèrement reconnaissant pour toutes les marques de confiance et de bienveillance dont il m'a honoré. »Je dois ajouter que les députés m'ont prié de donner quelques mots d'explication au régent, qu'il était indispensable de dire au congrès que son adoption des articles me suffirait à moi, pour l'empêcher de croire que mon acceptation véritable serait soumise à l'adoption de la Hollande. »Agréez... »LÉOPOLD.» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU GÉNÉRAL SÉBASTIANI. «Londres, le 29 juin 1831. »Monsieur le comte, »Les plénipotentiaires hollandais se sont rendus hier soir chez lord Grey et lui ont exprimé des plaintes fort vives contre la conférence, mais ils ne lui ont pas remis de protestation par écrit, comme le bruit s'en était répandu. Aujourd'hui, au surplus, les difficultés ne peuvent plus venir de leur part; elles se développeront à La Haye; c'est par cette raison que nous devons être satisfaits que les articles joints au protocole numéro 26 y arrivent avec la signature des plénipotentiaires des cinq puissances; cette circonstance fera sentir au roi des Pays-Bas qu'il ne pourra être appuyé ouvertement, dans sa résistance, par aucun cabinet ayant de l'influence en Europe. »Si le gouvernement de Sa Majesté se détermine à reconnaître le prince Léopold comme roi de la Belgique, immédiatement après l'adoption des articles par le congrès de Bruxelles, je crois que cette reconnaissance sera utile à l'établissement de ce pays, et je crois aussi qu'il serait avantageux pour la France de pouvoir ranger les affaires de Belgique, sauf quelques questions de détail, au nombre des affaires terminées...» Les affaires de Belgique étaient moins _terminées_ que je le disais dans cette dépêche, et on ne le verra que trop par ce qui suit, mais j'aurais désiré que le gouvernement français s'en préoccupât moins et employât son habileté à détourner l'attention publique de ce côté. C'est à quoi tendait l'insinuation que je glissais dans ma dépêche, qui, je dois en convenir, vint fort mal à propos, car, au moment même où nous croyions toucher au terme de cette pénible négociation, de nouvelles et plus graves complications surgirent tout à coup et purent nous faire penser qu'elle allait nous échapper. J'ai donné précédemment de trop longs extraits, peut-être, de mes dépêches, mais je l'ai fait dans le double but, de bien éclairer les divers points qui se rattachaient aux affaires que j'avais à traiter, et aussi d'enseigner aux jeunes négociateurs entre les mains desquels ces souvenirs peuvent tomber un jour, que la patience doit être un des premiers principes de l'art de négocier. Je serai plus sobre désormais dans les citations de mes dépêches; les lettres que je recevais offriront sans doute plus d'intérêt et appuieront mieux mes récits. J'avais expédié mes dernières dépêches à Paris par un des secrétaires de l'ambassade, M. Casimir Périer fils, qui, aussitôt après son arrivée, m'écrivit: M. CASIMIR PÉRIER FILS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 5 juillet 1831. »Mon prince, »Porteur de bonnes nouvelles, et jaloux, suivant le désir de Votre Altesse, d'être le premier à les annoncer, j'ai fait bonne diligence et rien n'était encore su avant mon arrivée. M. le ministre des affaires étrangères et mon père, que j'ai vu peu d'instants après lui, m'ont accueilli avec une satisfaction marquée et m'ont paru heureux de voir, au moment des élections, la question de Belgique, sinon terminée, du moins beaucoup simplifiée. Quoi qu'en puissent dire les journaux du _mouvement_, l'opinion de la majorité s'est déclarée ici en faveur des résultats de cette longue et fatigante négociation. Les gens raisonnables, et il y en a encore, malgré ce qui se voit tous les jours, savent rendre hautement hommage à ce que la France doit à son ambassadeur. »Quant aux affaires de l'intérieur, j'ai trouvé le ministère moins inquiet sur le résultat des événements de ce mois que je ne devais m'y attendre. On prend des mesures pour prévenir des scènes fâcheuses; des fêtes seront sans doute destinées à occuper le peuple en célébrant les anniversaires d'une révolution que quelques gens voudraient lui faire recommencer. Il n'y a rien encore de bien arrêté sur ces projets. »D'un autre côté, à la veille des élections, les partis sont en présence, sans qu'aucun d'eux ose se promettre la victoire. A Paris, mon père a beaucoup de chances dans le premier arrondissement; mais il est à craindre que les autres collèges se montrent moins modérés. »Au reste, le ministère, quel que soit le résultat de la lutte électorale, paraît décidé à se présenter devant les Chambres. Il sait que les hommes réunis en assemblée ne sont souvent plus les mêmes qu'ils se montraient isolément, et il sent trop bien à quel point la partie est sérieuse, pour ne pas voir s'évanouir, avant de se retirer, toutes les chances de succès...» LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 5 juillet 1831. »Mon prince, »Vous avez obtenu un succès dont je vous félicite et vous remercie au nom du roi qui en sent toute l'importance. Si, comme je l'espère, vous pouvez y ajouter celui de la démolition des places élevées contre nous depuis 1815, la France entière applaudira à un arrangement qui lui assure une paix longue et honorable. Le prince Léopold doit sentir que ce n'est qu'à ce prix qu'il peut compter sur l'amitié d'un voisin puissant et qui désire sincèrement s'unir avec lui par des liens indissolubles. Il faut calmer l'irritation d'un pays qui ne pourrait supporter plus longtemps les affronts de la Sainte Alliance, votre ennemie personnelle, et qui préluda par votre éloignement des affaires au système d'abaissement de notre patrie qu'elle a suivi depuis cette funeste époque. Le nouveau roi belge sera populaire en France, le jour où on y apprendra qu'il ne partage pas les passions haineuses de nos ennemis et que nous lui inspirons une confiance méritée. Il faut d'ailleurs qu'on nous aide à vaincre les ennemis de l'ordre social en Europe, et ce triomphe ne peut être obtenu que le jour où les défiances injustes auront fait place à des sentiments qui nous sont dus. C'est au nom de votre gloire, mon prince, que je vous recommande cette affaire, la plus délicate et la plus importante de toutes. Notre repos intérieur en dépend. »Le roi est enchanté de son voyage, qui a produit un excellent effet. Nous espérons que nos élections seront très bonnes; nous aurons toutefois beaucoup de nouveaux députés peu accoutumés aux affaires. On parle d'un mouvement pour le 14 juillet qui probablement n'aura pas lieu ou qu'il sera facile de réprimer. La présence de la Chambre et les précautions que prend le gouvernement, nous rassurent sur les journées des 27, 28 et 29. »Il paraît que le général russe veut tenter le passage de la Vistule près de la frontière prussienne. Le général polonais a trop disséminé ses forces. L'insurrection lithuanienne prend un caractère sérieux; la Volhynie, la Podolie exigent la présence de forces assez considérables, et l'Ukraine elle-même montre peu d'affection pour la Russie. Votre lettre m'a fait un plaisir que vous concevrez facilement...» Cette lettre du général Sébastiani offre cela de curieux qu'à travers l'encens dont il essayait assez maladroitement de m'enivrer, on retrouve les idées que les factions bonapartiste et républicaine travaillaient alors à faire prévaloir en France pour enflammer l'opinion publique, en réveillant d'anciennes passions au lieu de chercher à les apaiser. La question des forteresses belges qu'il recommandait si spécialement à mes soins avait été déjà réglée par un protocole secret de la conférence, du mois d'avril précédent[259], protocole auquel je n'avais bien entendu, pris aucune part, si ce n'est de le provoquer. Les plénipotentiaires des quatre cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, avaient reconnu qu'à la suite de la déclaration d'indépendance et de neutralité de la Belgique, un certain nombre de forteresses belges devraient être démolies. Cela devait nous suffire pour le moment; l'exécution du fait admis ne pouvait manquer de s'effectuer plus tard. Mais à Paris, on insistait pour qu'elle fût immédiate, afin de la publier pompeusement devant les Chambres et de s'en faire un moyen de popularité. Il fallait bien trouver une façon de satisfaire à cette exigence et j'obtins de la conférence que le roi pourrait dans son discours faire mention de la décision prise à l'égard de la démolition des forteresses. [259] Protocole du 17 avril: Les plénipotentiaires des quatre cours ont été unanimement d'avis que la nouvelle situation de la Belgique, sa neutralité reconnue par la France, doit changer son système de défense militaire; que les forteresses sont trop nombreuses pour être efficacement défendues; que l'inviolabilité du territoire belge offre une sécurité qui n'existait pas auparavant, et qu'enfin une partie de ces forteresses, élevées sous des circonstances différentes, pourront être démolies. En conséquence, les plénipotentiaires ont décidé qu'une négociation aurait lieu entre la Belgique et les quatre grandes puissances pour déterminer le nombre et le choix des forteresses qui doivent être démolies. ESTERHAZY, WESSENBERG, PALMERSTON, BÜLOW, LIEVEN, MATUSIEWICZ. Ensuite de ce protocole une convention fut signée le 16 décembre 1831 entre les représentants des quatre cours et la Belgique, qui ordonnait la démolition des forteresses de Menin, Ath, Mons, Philippeville et Marienbourg. Les autres forteresses devaient être entretenues en bon état par la Belgique. En général, et c'était là ma plus grande difficulté, à Paris on ne jugeait les affaires qu'à un point de vue exclusivement français, sans faire aux autres la part qui leur était due. S'agissait-il des affaires de la Belgique, on ne pensait qu'aux Belges, sans songer qu'il y avait un roi des Pays-Bas, des intérêts duquel les autres cabinets étaient obligés de tenir compte. On oubliait, ou on feignait d'oublier qu'il y avait un parlement anglais devant lequel le cabinet anglais devait répondre des mesures qu'il adoptait, et on ne s'occupait que de ce qu'on aurait à répondre à la Chambre des députés de France[260]. Dans la situation compliquée de l'Europe, une pareille disposition me créait constamment des embarras infinis; mon devoir était d'en sortir le mieux possible: ce n'était pas aisé. Dans la circonstance dont il s'agit ici, je pressai le prince Léopold de donner au gouvernement français des assurances qui pussent le tranquilliser, et je tirai de lui la lettre suivante: «Marlborough-House, 11 juillet 1831. »Mon cher prince, »Je ne perds pas de temps pour répondre aux observations que vous m'avez communiquées relativement à la destination future des places fortes construites en conséquence des traités de 1815. Mon opinion est que les relations entre la France et la Belgique doivent être basées _sur la confiance et l'amitié_. »Ne voyant aucune raison pourquoi la nation belge n'approuverait point les vues conciliatrices des cinq puissances, vous pouvez compter sur ma coopération sincère pour l'adoption de toute mesure qui aura pour objet l'adoption de ces bases. »Agréez... »LÉOPOLD.» [260] «... Le gouvernement français nous répète sans cesse qu'il faut faire ou ne pas faire de certaines choses, afin de satisfaire l'opinion publique en France, mais il devrait se rappeler qu'il existe un sentiment public en Angleterre aussi bien qu'en France; et que, quoi que ce sentiment ne soit pas aussi facilement excité par les petites choses que l'esprit public en France, il y a cependant des points (et la Belgique en est un) sur lesquels ce sentiment est extrêmement susceptible et où une fois réveillé, il ne serait pas facile à apaiser.» (_Lord Palmerston à lord Granville, 11 août 1831.--Correspondance intime de lord Palmerston._)] e prince Léopold m'écrivait cette lettre aussi prudente et réservée que lui-même, il était déjà roi des Belges. Il avait été élu la veille par le congrès de Bruxelles[261], qui avait préalablement adopté les dix-huit articles préliminaires proposés par la conférence à la majorité de cinquante-six voix; cent vingt-six voix contre soixante-dix. C'était une grande victoire remportée sur ce point; on ne me laissa pas beaucoup de temps pour en jouir: la lettre suivante, fort remarquable, de M. Casimir Périer, appelait déjà mon attention sur un autre point, où il n'y avait malheureusement pas moyen d'espérer un succès. [261] Voir à l'Appendice, p. 493, une lettre de lord Palmerston à M. de Talleyrand, à ce sujet. LE PRÉSIDENT DU CONSEIL AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 7 juillet 1831. »Mon prince, »Je profite, pour m'entretenir quelques moments avec vous du départ de mon fils qui vous porte une dépêche importante sur les affaires de Pologne, délibérée d'un commun accord en conseil des ministres. »Peut être trouverez-vous, mon prince, notre démarche un peu vive; mais la situation des Polonais, notre correspondance de Saint-Pétersbourg, la disposition des esprits en France, toujours de plus en plus sympathique pour la cause polonaise, et enfin l'attitude prise vis-à-vis de la France par notre article du _Messager_, ainsi que l'approche de la session, ne permettaient pas de ne pas donner suite, dans tous les cas, aux premières démarches que nous avons faites près le gouvernement russe, et le conseil a cru d'une bonne politique de faire une tentative près le cabinet de Londres, quel qu'en doive être le résultat. Nous attachons d'ailleurs un grand prix à recevoir une réponse prompte; et nous ne pouvons que nous en remettre, à cet égard, à vos soins et à votre sagesse[262]. [262] Une démarche toute platonique en faveur des Polonais avait déjà été faite par la France auprès du czar dans le courant de juin. Elle n'avait pas eu de résultat. C'est alors que sous la pression de plus en plus violente de l'opinion publique, le cabinet français proposa à l'Angleterre et à la Prusse d'unir leurs efforts aux siens pour faire adopter une médiation commune. La dépêche dont parle ici M. Casimir Périer développait sur ce point le plan du gouvernement du roi. A Berlin comme à Londres on refusa d'intervenir. Une dépêche télégraphique de M. de Sainte-Aulaire, arrivée à l'instant, nous annonce que d'un accord commun et par un engagement pris en présence de tous les ambassadeurs, les troupes autrichiennes auront évacué entièrement les États romains avant le 15 juillet[263]. [263] On se rappelle qu'à la suite des insurrections survenues dans les États de l'Église, les Autrichiens étaient entrés dans Bologne (21 mars). Le cabinet des Tuileries demanda l'évacuation. L'Autriche répondit en exigeant que les puissances garantissent le pouvoir temporel du pape. De son côté, la France déclara ne vouloir souscrire un pareil engagement que si le pape accordait les réformes libérales demandées par les insurgés. L'Autriche finit par céder et retira ses troupes le 15 juillet. Restent les affaires de Belgique. Les nouvelles qui nous en parviennent aujourd'hui sont meilleures: on nous annonce pour demain ou après-demain une solution favorable, à une majorité de cent vingt voix sur cent quatre-vingts. Je l'espère, je le désire plus encore, mais je n'y croirai positivement qu'après l'événement. Si, toutefois, les choses se dénouent ainsi, il serait urgent que le prince Léopold prît la résolution de se rendre de suite en Belgique. L'esprit révolutionnaire anime les hommes du mouvement; et ceux de l'ordre et de la résistance manquent d'un chef et d'un point d'appui. »Le général Sébastiani vous entretient des places fortes; il nous tarde, mon prince, d'être fixés à cet égard. »Notre mouvement électoral touche à sa fin; mon fils vous porte la liste des députés nommés jusqu'à six heures du soir aujourd'hui. La première impression du public est favorable aux résultats connus; ce ne sera point encore la convention que nous promettait M. Odilon Barrot; j'espère que ce ne sera pas non plus l'assemblée législative. Les hommes modérés paraissent jusqu'à présent faire le plus grand nombre; nous espérons que les élections à connaître conserveront la même physionomie. Si ces hommes joignent à l'esprit de modération politique un patriotisme courageux, nous pourrons peut-être résister; mais la cause de tous les maux que l'on peut craindre tient surtout à l'audace de nos adversaires, fortifiée par l'attitude faible, et, l'on pourrait dire, peureuse de nos partisans. Tout dépendra, au surplus, du premier moment. Je crains bien d'ailleurs que le pays ne sente pas assez la gravité de la maladie dont il est atteint, et qu'il ne tienne les yeux fermés à la lumière, jusqu'à ce qu'il se réveille au bruit d'une catastrophe. Sans doute, elle est encore éloignée, mais je la regarderais comme inévitable, si, dès le début de la session qui va s'ouvrir, le gouvernement n'était soutenu par la Chambre dans l'attitude vigoureuse et ferme qu'il doit prendre. »Vous voyez, mon prince, avec quelle franchise je m'exprime sur la situation, à mon avis, de nos affaires. N'allez pas croire cependant que je désespère de nos efforts; je suis loin de cette pensée; et je dirai même que le remède serait encore assez facile peut-être, si la question intérieure n'était pas dominée, sans cesse, par la question étrangère et réciproquement; mais cette réaction de deux questions si vives, l'une sur l'autre, et l'appui que la question étrangère trouve dans le parti militaire, ainsi que dans la disposition un peu fanfaronne de notre nation, rendent évidemment la gravité de notre position très difficile à surmonter. On s'imagine que nous avons encore à notre disposition les armées de l'empereur et les finances de la restauration, et que nous pouvons payer tout à la fois la solde et la rente; en faisant une guerre partielle, les armées ne nous manqueraient pas, sans doute, mais on ne songe pas qu'il est impossible que le premier coup de canon n'entraîne une guerre générale. Espérons que le bon sens du pays, aidé du souvenir des maux passés, prévaudra pour le sauver de l'esprit de vertige qui ne s'est emparé que de trop des têtes. »Agréez...» Je comprenais fort bien l'intérêt que le gouvernement du roi témoignait pour la cause polonaise que M. Périer me recommandait si fortement dans cette lettre. Je n'avais pas besoin d'être stimulé dans ce sens. Les efforts que j'avais faits près de l'empereur Napoléon en 1807 et au congrès de Vienne en 1815 en faveur de la Pologne, j'étais tout prêt à les faire encore près du gouvernement anglais, mais je rencontrai là froideur et résistance. Les tories étaient nettement opposés à la Pologne et lord Grey, retenu par madame de Lieven, cherchait des prétextes pour éviter toute intervention de l'Angleterre dans une cause que l'on regardait comme perdue. Les motifs d'humanité n'ont guère qu'un poids relatif dans la politique anglaise; et personne n'aurait osé soutenir alors publiquement qu'il fallait entreprendre la guerre contre la Russie pour sauver la Pologne. A mon grand regret, je ne parvins pas à arracher une démarche un peu efficace pour cette belle cause de la part du cabinet anglais. Après en avoir informé M. Périer et le gouvernement, j'écrivis à Madame Adélaïde d'Orléans une lettre qui peint assez bien la situation du moment. LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 20 juillet 1831. »Mademoiselle aura sûrement reçu du prince Léopold lui-même une lettre écrite sur le sol français qu'il a voulu traverser pour avoir une occasion de plus de témoigner au roi son respect et son attachement. Ses dernières paroles, la veille au soir du jour où il est parti pour Bruxelles, ont exprimé son désir d'appartenir au roi par les liens les plus plus directs[264]. J'ai laissé sans réponse aucune ce qu'il me disait, mais je dois l'écrire à Mademoiselle. [264] M. de Talleyrand insistait sur ce point dans une lettre à madame de Vaudémont. (Voir à l'Appendice, p. 493.) Dom Pédro avait la plus grande envie d'aller à Paris; il trouve dans le nom de sa femme quelques motifs qui l'en empêchent et il ne veut pas être un embarras[265]. Je lui donne à dîner demain; sa pente actuelle est toute française. [265] L'empereur dom Pedro avait épousé en secondes noces (1829) la princesse Amélie-Augusta-Eugénie de Beauharnais, fille du prince Eugène. On est ici encore bien froid sur la cause polonaise. Les Russes abondent depuis l'arrivée de la grande-duchesse Hélène[266] et de madame de Nesselrode; ils font une course de vingt-quatre heures à Sidmouth où la grande-duchesse prend les bains, et ils reviennent à Londres parler contre la Pologne. Le prince Paul de Wurtemberg a été voir sa fille, et actuellement il est ici où il cherche à prouver que personne n'est plus propre que lui à être roi de Grèce. Je ne crois pas qu'aucun membre du corps diplomatique soit de son avis. [266] Frédérique-Charlotte-Marie (Hélène-Pawlowna) née en 1807, fille du prince Paul de Wurtemberg, mariée en 1824 à Michel Pawlowitch, frère de l'empereur Nicolas. J'attends avec impatience le discours du roi; je crois que les places fortes de la Belgique y figureront d'une manière qui sera agréable à Mademoiselle. Le roi de Hollande se montre très difficile; j'ai été très fâché que pendant que M. de Wessenberg a été à La Haye, il ne s'y soit trouvé aucun ministre français. M. de Wessenberg l'a beaucoup regretté. Un Français avait des motifs différents à faire valoir pour amener l'acceptation. Nous éprouverons par la Hollande encore bien des difficultés. Des pertes réelles et une humeur naturelle rendent les bons conseils lents à se faire jour...» Les nouvelles de La Haye étaient, en effet, assez gênantes pour la conférence. M. de Wessenberg n'avait pu parvenir à surmonter la mauvaise humeur du roi, qui, après toutes les concessions qu'il avait faites précédemment, ne voulait plus en ajouter de nouvelles, et qui avait nettement refusé de consentir à celles que renfermaient les dix-huit articles préliminaires envoyés au congrès belge et adoptés par celui-ci. Il fallait donc chercher quelque biais pour sortir de l'impasse où nous nous trouvions arrêtés; il n'y en avait pas d'autre que de proposer un traité définitif, quoique les préliminaires ne fussent pas acceptés: cela était fort peu correct, mais les circonstances étaient assez extraordinaires pour obliger à sortir des voies ordinaires. Seulement, il était difficile d'espérer que l'Autriche, la Russie, la Prusse voudraient nous suivre sur ce terrain, qui, il faut le reconnaître, n'était pas précisément celui du droit; et il est probable que nous ne serions pas parvenus à maintenir la bonne harmonie sur ce point dans la conférence, si le roi Guillaume n'était venu lui-même à notre secours, en commettant, comme on le verra bientôt, une faute qui devait achever de gâter sa position. Il y avait du moins un fait résultant de ce refus du roi de Hollande: c'est que la conférence n'avait pas sacrifié les intérêts de la Belgique, ainsi que le prétendaient et les journaux français et l'opposition dans notre Chambre des députés. En attendant, voici la réponse que Madame Adélaïde me fit à la lettre que j'ai citée plus haut: MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 30 juillet 1831. »Il y a un an qu'à pareil jour, mon cher prince, nous étions dans une grande et juste agitation; et certes, nous ne pouvons que nous féliciter de la généreuse et courageuse résolution prise alors par mon frère, et du résultat qu'a sa loyale et noble conduite. Il vient d'en recevoir une douce récompense dans ce moment par la manifestation la plus franche et la plus vraie de l'amour que toute notre population ressent pour lui, pendant les trois jours de fête qui viennent de se passer. »Je n'ai jamais rien vu de pareil à l'enthousiasme raisonné, à l'affection, à la confiance qui lui ont été témoignés, qui étaient sur toutes les physionomies; c'est un véritable triomphe! Il est bien remarquable et bien consolant pour l'avenir, qu'au bout d'un an, malgré des souffrances réelles et les travaux faits pour induire cette bonne et brave population dans l'erreur, on retrouve chez elle encore plus d'enthousiasme et de volonté pour maintenir celui en qui elle a confiance et qu'elle a choisi. Cela prouve bien pour son bon sens et son bon jugement qui méritent vraiment toute confiance aussi. Je suis bien heureuse de ces trois jours qui ont été excellents. Je suis bien sûre que vous partagerez de tout votre coeur ma satisfaction; aussi est-ce avec bien de l'empressement que je viens m'en entretenir avec vous et vous remercier en même temps de vos deux bonnes lettres des 20 et 25 juillet, ce qu'à mon grand regret je n'ai pu faire jusqu'à ce jour. Je suis enchantée que vous soyez assez content du discours de notre bien-aimé roi; à la Chambre, il a produit un excellent effet, et celui de l'annonce de la destruction des places fortes de la Belgique n'est pas moins bon et était bien nécessaire pour notre pays. »Je suis fâchée de la manière fausse dont les Belges ont pris cela dans le premier moment; c'est une fausse susceptibilité, dont à la réflexion ils reviendront sûrement, car c'est une vérité que c'est autant dans leur intérêt que dans le nôtre, et ils le sentiront. J'avoue que cela ne m'inquiète pas et je suis persuadée qu'ils seront bientôt d'accord et avec nous, sur cela. »Le prince Léopold m'a écrit une bonne et excellente lettre de Calais, en réponse à celle où je lui reprochais de n'avoir rien dit pour la France dans son premier discours à la députation belge. Cette fois-ci, il a dit un mot à la France; mais comment, en répondant au beau et juste discours de M. Surlet de Chokier, n'a-t-il pas parlé de notre roi dont le régent de la Belgique lui faisait un si bel et juste éloge? C'est une grande maladresse dont, je vous avoue, j'ai été étonnée, et j'en dirai certainement un petit mot au prince Léopold, en répondant à une petite lettre très aimable qu'il vient encore de m'écrire. Je connais depuis longtemps son désir d'appartenir à notre roi par les liens les plus directs; mais vous comprendrez que je ne puis rien dire à cet égard. »Dom Pedro est arrivé ici le 26, au moment où nous allions nous mettre à table; nous avions un grand dîner ce jour-là qui a été un peu retardé pour lui, et de la musique le soir, à laquelle il a aussi assisté, ainsi qu'aux trois jours de fête suivants: cela a été un beau et bon spectacle à lui donner; il a dû être très satisfait de la réception que lui a faite notre roi. J'aurais voulu qu'il nous laissât ici sa femme et la petite reine sa fille, et s'il entendait bien son véritable intérêt, après avoir fait sa visite en Angleterre, il reviendrait avec elle ici; mais je crains qu'il n'ait pas d'idée bien arrêtée. »Vous me demandez ce que je pense de la Chambre. La manifestation qu'elle a faite au roi, lors de son discours, me donne l'espoir qu'elle sera bonne. Je suis dans l'impatience d'avoir des nouvelles de ces si intéressants et braves Polonais; c'est sur cela que l'opinion est surtout bien vive dans ce moment, et je suis désolée de voir l'Angleterre si froide à leur égard. »Adieu, mon cher prince...» J'ai voulu donner dans toute son étendue cette lettre qui témoigne si bien des illusions de plus d'un genre, qu'une personne même aussi sensée que Madame Adélaïde pouvait partager. Mais laissons là les illusions: les faits ne vinrent que trop promptement nous rappeler à la réalité. Le roi des Pays-Bas, irrité de voir l'indépendance de la Belgique se consolider par l'élection et l'acceptation du prince Léopold, blessé de n'être appuyé par aucune puissance dans ses résistances, et se flattant sans doute de l'espoir d'amener une guerre générale en Europe, prit tout à coup la résolution désespérée de faire attaquer la Belgique par l'armée que commandait son fils le prince d'Orange. Le 4 août, il faisait annoncer à la conférence la rupture de l'armistice, et le 5, ses troupes entraient sur le territoire belge. D'un autre côté, le roi Léopold, à peine entré en possession de la couronne, se trouvait aux prises avec d'inextricables difficultés. Il avait été convenu avant son départ de Londres, qu'aussitôt installé à Bruxelles, il enverrait deux commissaires belges, chargés des pouvoirs nécessaires pour négocier, sous la médiation de la conférence, un traité définitif de séparation entre la Hollande et la Belgique, d'après les bases des dix-huit articles. Le cabinet qu'il avait formé se refusait nettement à l'envoi des commissaires et prétendait que les Belges pouvaient traiter avec les Hollandais, sans se rencontrer. Le roi Léopold avait immédiatement fait connaître cette difficulté à la conférence, en lui rendant compte des hostilités des Hollandais et du secours qu'il avait réclamé de la France. Il fallait pourvoir avant tout aux effets de ces nouvelles et fâcheuses complications. Et, chose assez singulière dans un pareil moment, j'étais depuis douze jours sans aucune communication de mon gouvernement. Il n'y avait cependant pas de temps à perdre pour prendre une résolution. La conférence dressa un protocole, dans lequel, en blâmant sévèrement la rupture de l'armistice de la part des Hollandais, elle approuvait l'emploi pour un temps limité d'une armée française, dont l'entrée en Belgique avait été sollicitée par le roi Léopold, et décidait qu'une escadre anglaise irait défendre les côtes belges et repousser de ce côté les attaques des Hollandais[267]. Ce protocole était essentiel pour empêcher qu'une conflagration générale ne résultât de l'intervention armée de la France en Belgique. [267] Protocole, numéro 31 (6 août 1831). La conférence décidait en outre que les troupes françaises devaient se borner à refouler les Hollandais hors du territoire belge sans entrer en Hollande. De plus, elles ne devaient investir ni Maëstricht, ni Venloo pour ne pas s'approcher de la frontière allemande. Enfin le gouvernement français devait s'engager à rappeler ses troupes aussitôt après la cessation des hostilités. Ce protocole n'avait pas été aisé à obtenir de la conférence car l'entrée des troupes françaises en Belgique causait une indicible émotion au cabinet anglais. Lord Palmerston allait jusqu'à accuser la France de s'entendre secrètement avec la Hollande. «Voilà, écrivait-il le 5 août à lord Granville, une jolie escapade du roi des Pays-Bas. Je ne puis deviner ce qui l'a mordu; nous soupçonnons un peu la France... Talleyrand, si vous vous le rappelez, m'a proposé il y a quelque temps d'exciter les Hollandais à rompre l'armistice afin de soulever un cri de réprobation contre eux, de couvrir la Belgique de troupes et ensuite de tout arranger selon notre bon plaisir. Serait-ce la réalisation du premier acte du complot?» (_Correspondance intime de lord Palmerston._) Je ne puis mieux faire connaître les péripéties de cette grave affaire qu'en donnant la correspondance qu'elle amena entre Madame Adélaïde et moi. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 7 août 1831. »Je suis bien sûre, mon cher prince, que vous n'aurez pas été moins surpris que nous de l'inconcevable levée de boucliers du roi de Hollande, qui, certes, justifie bien entièrement et fait bien sentir l'immense avantage que nous donne la sage, noble et belle conduite de notre bien-aimé roi et de son gouvernement envers la Belgique; et combien il est heureux que vous ayez conduit et terminé, avec autant de zèle, de prudence et d'habileté, cette si importante et difficile négociation qui, par l'accord fait entre les cinq puissances, nous autorise à voler au secours de ce malheureux pays, son roi le réclamant, contre l'infâme agression qui lui est faite par le roi de Hollande, sans s'inquiéter des traités convenus et qui viennent d'être conclus entre les cinq puissances, ni sans même les consulter sur cette coupable et inconcevable démarche, que je ne puis m'expliquer qu'en le considérant comme fou. »Il me paraît impossible qu'à la demande de secours et d'assistance que le roi des Belges a demandée à l'Angleterre, elle n'envoie pas sur-le-champ son escadre dans l'Escaut, comme notre roi a envoyé ses deux fils et son armée en Belgique[268]; mais vous jugez avec quelle impatience nous attendons de le savoir par vous! Je suis bien convaincue que pour terminer par une paix stable cette lutte inconcevable et si inattendue, le meilleur moyen, c'est que l'Angleterre s'unisse franchement à nous, ce que je vous avoue que j'ai la confiance qu'elle fera. Il me paraît de toute impossibilité que la Prusse, malgré ses liens de parenté et son affection pour la maison de Nassau, l'appuie dans cette tentative, entreprise contre les traités qu'elle vient elle-même de signer et contre tout droit des gens[269]. Le mal est que, dans l'origine, les puissances ne lui ont pas parlé le langage franc et ferme qui l'eût persuadé; mais, au contraire, il a vu le désir de le ramener, de le maintenir en Belgique, et c'est ce qui lui donne la confiance de faire cette inconcevable entreprise; il se flatte d'entraîner ainsi une guerre générale. [268] Le duc d'Orléans et le duc de Nemours. Le premier commandait une brigade de cavalerie, et le second, un régiment de lanciers. L'armée était sous le commandement du maréchal Gérard. [269] Madame Adélaïde se trompe ici. Le roi des Pays-Bas n'avait encore signé aucun traité avec personne; le tort qu'il avait, était d'avoir rompu un armistice qu'il avait conclu huit mois auparavant sous la médiation des cinq puissances. (_Note de M. de Bacourt._)] notre roi désire particulièrement savoir de vous, et qu'il me charge de vous demander directement et en confiance, c'est ce que vous croyez qu'il y a à faire pour terminer ceci par un arrangement définitif qui ne laisse plus dans cette incertitude de la paix ou de la guerre, et qui nous permette de faire revenir nos troupes de Belgique, le plus tôt possible, ce que mon frère désire, sans que cela compromette nos intérêts et ceux du roi des Belges, et l'indépendance de ce pays. Vous aurez été content de l'admirable lettre que notre cher roi a écrite au roi des Belges... De grâce, écrivez-moi le plus tôt possible...» «Paris, le 9 août 1831. »J'étais loin de m'attendre, mon cher prince, quand je vous ai écrit avant-hier, à l'inconcevable conduite du roi Léopold envers notre roi, la France et notre armée! Comment, pour toute réponse à l'admirable lettre que notre roi lui écrit le 4, en réponse à la sienne du 3, dans laquelle il demande secours, nous ne voyons que le pauvre prétexte, pour ne pas dire plus, d'un article de la constitution belge, que le moindre raisonnement ne peut pas soutenir, mis en avant et appuyé par les inconvenants et sots articles de quelques gazettes belges! et, à l'heure qu'il est, pas encore une ligne de lui à notre roi! cela me passe[270]. En attendant, j'espère qu'en ce moment, notre armée entre en Belgique, en évitant les places fortes, mais en marchant droit contre les Hollandais qui dévastent et désolent ce malheureux pays. L'ordre de notre roi est de voler à son secours et d'en chasser les Hollandais. Je suis fière, je vous l'avoue, de la grandeur, de la générosité de notre roi et de sa conduite. Je suis certaine que vous le serez aussi et que vous la ferez bien valoir, que vous en tirerez bon parti pour nous amener une paix honorable et stable et avantageuse pour l'humanité et l'Europe. [270] Il y avait en Belgique un parti qui supportait impatiemment l'idée de devoir son salut à la France et qui voulait garder pour soi l'honneur de repousser les Hollandais. M. de Muelnaere, ministre des affaires étrangères, qui partageait ces idées, déclara que la constitution interdisait à toute armée étrangère d'occuper le territoire belge si ce n'est en vertu d'une loi, et il supplia le roi Léopold de ne pas permettre que l'armée française passât la frontière. Le roi céda et écrivit en ce sens à Paris. Mais après la dispersion de l'armée de la Meuse, il se ravisa et pria le maréchal Gérard de hâter sa marche. Je suis indignée du discours de lord Aberdeen à la Chambre des pairs, ce que, me connaissant bien, vous comprendrez et sentirez mieux qu'un autre. Mais je suis enchantée de la réponse que lui a faite lord Grey; notre roi en est très touché; vous ferez bien de le lui dire[271]. Il paraît, d'après les gazettes anglaises, que l'escadre a l'ordre d'entrer dans l'Escaut, et que le gouvernement anglais et la conférence jugent le coup de tête du roi de Hollande, comme il mérite de l'être, ce qui me fait un extrême plaisir; mais je ne serai bien satisfaite que quand je saurai tout cela par vous, et que vous m'aurez donné votre manière de voir, votre opinion sur tout cela; aussi, est-ce avec une indicible impatience que j'attends vos premières lettres. Je suis bien fâchée que le pauvre roi Léopold n'ait pas franchement suivi son premier mouvement, et qu'il n'ait pas eu un bon conseil auprès de lui pour lui faire sentir la maladresse et la faute qu'il faisait en se laissant aller au second, où je crois qu'il a été entraîné par de mauvaises insinuations. [271] Chambre des pairs, séance du 6 août: _Lord Aberdeen_ s'élève avec violence contre l'intervention française à Lisbonne et l'inaction de l'Angleterre. Il somme le cabinet de protéger l'indépendance de dom Miguel] «Le gouvernement, dit-il, n'a pas à s'inquiéter du caractère du roi de Portugal, mais bien à voir quel est de fait le souverain de ce pays. Notre position vis-à-vis de dom Miguel est la même que vis-à-vis du roi des Français après qu'il eût saisi l'héritage de son jeune neveu, en faveur duquel Charles X avait abdiqué. Je dis plus: si au lieu du duc d'Orléans actuel, on eût choisi ce monstre d'Égalité, notre politique ne devrait-elle pas toujours être la même?... _Lord Grey._--Je ne parlerai pas des expressions du noble comte lorsqu'il a dit que le roi des Français a _saisi_ l'héritage de son neveu... _Lord Aberdeen._--Je n'ai pas dit _saisi_ mais _occupé_. _Lord Grey._--Cela ne mérite pas de réponse. J'aime bien mieux féliciter lord Aberdeen lui-même et ses anciens collègues de la promptitude qu'ils ont mise à reconnaître le souverain actuel de la France. La conduite de la France dans les affaires de Portugal a été pleine de franchise et de loyauté...»] Je crains que le retard de l'arrivée de nos troupes en Belgique n'ait exposé son armée, car on dit que, malgré le sage conseil de notre roi, il veut s'exposer à une bataille dont les conséquences seraient bien funestes pour lui, s'il la perdait, ce qui est assez probable, d'après ce que l'on dit de l'état de son armée. »Adieu, mon cher prince...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 10 août 1831. »Je reçois la lettre de Mademoiselle du 7, et je m'empresse d'y répondre. »Mademoiselle me fait une question à laquelle le protocole porté par Neukomm répond en grande partie, car il indique la route à suivre pour arriver à un arrangement définitif. Ce protocole a été longuement et vivement discuté; les plénipotentiaires russes surtout ont été très difficiles à amener au système que nous avons adopté; nous y avons passé huit heures un jour et six le lendemain; je crois avoir obtenu tout le possible dans un moment où les esprits de tous les partis étaient fort agités. Si le roi de Hollande cède, nous n'aurons plus que des stipulations de détail, qui éprouveront, je l'espère, de moins grandes difficultés que celles qu'il a fallu surmonter dans cette épineuse affaire. Nos troupes pourront alors se retirer; et peut-être, finir elles-mêmes, en rentrant en France, la question des forteresses. Mon opinion est que cela déplaira, mais ne donnera que de l'humeur. Je ne parle que des forteresses élevées par la Sainte-Alliance contre nous. La marche de nos troupes a fort effrayé les esprits; mais c'était surtout la marche en avant qui inquiétait tout le monde; ce qu'elles feraient du côté de Maëstricht peut amener des complications graves; mais ce qu'elles feront en se retirant sera supporté, parce qu'on sera surtout bien aise qu'elles se retirent. On se paye par là des frais de la guerre; et il doit être plus commode au roi des Belges qu'une opération de cette nature, qui tôt ou tard doit se faire, soit faite par nous, dont il est obligé de demander les armées, tant les moyens militaires qu'il a à sa disposition sont faibles. Il me semble aussi que la destruction des forteresses par la main même des armées françaises plairait à tous les Français et satisferait les exigences les plus susceptibles...» «Londres, le 11 août 1831. »J'ai fait ce matin à lord Grey la commission de Mademoiselle. Il en a été extrêmement touché, et m'a dit avec émotion: «Vous ne pouvez pas trop dire au roi combien je suis sensible à ce qu'il a la bonté de me faire dire.» Après quelques moments de silence, lord Grey m'a demandé si je connaissais les dépêches que lord Palmerston venait de recevoir de Hollande. Je lui ai dit que d'abord j'avais dû venir chez lui et que j'allais, en le quittant, chez lord Palmerston qui avait indiqué une conférence pour deux heures. «Vous allez, m'a-t-il dit, y lire une lettre de La Haye qui annonce que les ordres ont été donnés pour que les troupes hollandaises rentrent immédiatement en Hollande. Vous connaissez tous les embarras que nous avons ici; vous avez dû voir toute l'agitation produite par l'entrée de vos troupes en Belgique. Je vous conjure d'engager le roi à les rappeler en France, au moment où il aura connaissance officielle des ordres donnés par le roi de Hollande. Nous avons besoin de cette preuve de modération de votre part. Cela est essentiel pour nous et pour vous. Dites-le de ma part au roi. Deux gouvernements qui veulent être franchement d'accord se doivent des égards de circonstance; et je vous répète que nos embarras seraient extrêmes ici, si vous ne retiriez pas vos troupes.» »Je suis monté chez lord Palmerston, qui m'a lu la lettre de M. Verstolk[272]; elle est explicite sur le rappel des troupes hollandaises. Il me semblerait bien grave de refuser à l'Angleterre ce qu'elle demande aujourd'hui, car les dernières vingt-quatre heures ont changé la question. La retraite des troupes hollandaises, d'une part, et la demande du roi Léopold qu'il a fait connaître ici sont deux incidents considérables. Il est certain que le ministère anglais ne saurait affronter le récri général qui s'élèverait contre lui si, les Hollandais se retirant, nous restions en Belgique. Les tories ne sont pas les seuls qui blâment la conduite du cabinet anglais dans la question hollandaise; et le _leading article_ du _Times_ d'aujourd'hui (journal ministériel) en est un symptôme très remarqué. Mais, comme il ne faut pas cependant que notre mouvement militaire reste sans résultat pour la France, il faudrait, ce me semble, obtenir ou arracher de la Belgique et de son roi le consentement pur et simple, mais officiel, de la démolition des forteresses. Le maréchal Gérard[273] pourrait aisément faire ce traité en s'en allant. Le roi Léopold, avant de quitter Londres, m'avait écrit à ce sujet une lettre que j'ai envoyée à cette époque au gouvernement. Ce prince, arrivé à Bruxelles, n'a plus tenu le même langage; mais aujourd'hui, il faut que son langage soit positif. [272] Jean Gilbert Verstolk van Soelen, homme d'État hollandais, né en 1777, était juge à Rotterdam en 1801, puis directeur de la Gueldre. Sous la domination française, il fut nommé préfet de la Frise. En 1815 il devint administrateur du grand-duché de Luxembourg, puis ministre à Pétersbourg. En 1825 il entra au ministère des affaires étrangères et y demeura jusqu'en 1840. Il mourut en 1845. [273] Maurice-Étienne comte Gérard né en 1773, engagé volontaire en 1791, général de division en 1812; il se signala particulièrement en 1814 et en 1815. Il quitta le service sous la Restauration et fut élu député. En 1830, il devint maréchal de France et ministre de la guerre, et fut mis en 1831 à la tête de l'armée du Nord. Il fut en 1835 nommé grand chancelier de la Légion d'honneur et il mourut en 1855. Quand une fois nous n'aurons plus à traiter la question des forteresses qu'avec les quatre puissances, les choses seront fort avancées, parce qu'elles sont fortement engagées dans le protocole du 17 avril. »L'Angleterre devrait bien trouver, dans tout ce qui vient de se passer en Belgique, des motifs pour croire qu'il n'y a pas de Belgique possible, et que c'est par des idées de partage que l'Europe trouverait la garantie positive d'une paix générale. Mais l'Angleterre est bien éloignée de cette idée. On avait partout aussi d'autres idées; les ambitions avaient pris d'autres routes. Où en est-on à cet égard en France? »Voilà une lettre bien longue; les vieux serviteurs ne sont jamais courts, mais ils sont tendrement et sincèrement attachés...» Quels autres conseils pouvais-je donner au gouvernement français, dans des circonstances qui révélaient de pareilles complications? C'était le roi Léopold qui ne voulait plus aujourd'hui ce qu'il voulait hier, et les fanfaronnades des Belges qui aboutissaient à une fuite honteuse devant les Hollandais[274]. On pouvait bien certes être tenté de croire qu'il n'y avait point de Belgique, et point de roi des Belges. Mais cela était fort peu commode quand on n'avait voulu le partage d'aucun côté. En Angleterre, on craignait d'augmenter la puissance française; en France, on voulait M. le duc de Nemours; les Russes et les Prussiens voulaient le prince d'Orange; l'Autriche aurait assez aimé que le désordre se prolongeât afin de tenir la France gênée de ce côté. Tout cela avait conduit où l'on était. Mon affaire était que cela y conduisît sans guerre, et il n'y en avait point encore. Cela nous avait, en tout cas, donné le temps de faire une armée. L'essentiel était que M. Périer restât au pouvoir, parce que l'opinion du dehors était tout entière à lui; les gens tranquilles et le commerce en France lui appartenaient; il ne fallait donc pas se laisser faire la loi par une poignée de factieux. J'y étais bien résolu, ainsi qu'à tirer tout le parti possible de cette crise un peu vive, pour en finir avec cette fastidieuse affaire. Comme toujours, on ne m'y aidait guère du côté de la France où se manifestaient de nouvelles exigences, à mesure que j'obtenais des concessions à Londres. Les lettres suivantes le constateront suffisamment. [274] Les Belges avaient été battus le 8 août à Hasselt et le 12 à Louvain. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 13 août 1831. »Mon cher prince, »Vous avez fait beaucoup jusqu'à présent, et à merveille. Le roi le mandait avant-hier dans une lettre au maréchal Gérard, et qu'il attendait que vous feriez encore plus, et que votre habileté parviendrait à obtenir ce qui est nécessaire pour obtenir une paix stable; et maintenant la seule démolition des places fortes en Belgique ne serait pas regardée comme une satisfaction suffisante, ni une sécurité assez grande d'après la tentative que vient de faire le roi de Hollande, qui, à la vérité, sans la décision prompte de notre roi et l'arrivée de notre armée en Belgique, aurait eu succès, du moins momentanément; cela est bien prouvé, le roi Léopold aurait été détrôné. Nous voulons le soutenir autant que cela dépendra de nous; mais pour que cela soit possible au roi, à son gouvernement, il faut que vous parveniez à obtenir une réparation, un dédommagement qui satisfasse l'amour-propre national et l'opinion générale à cet égard, de notre propre pays. C'est avec une parfaite conviction, et en toute amitié et confiance que je vous le dis: _c'est de la plus grande importance_ pour notre cher roi, son gouvernement, et votre propre existence comme son ambassadeur. »Nous savons ce matin par dépêche télégraphique que mes neveux Chartres et Nemours sont entrés hier à Bruxelles, à deux heures après midi, aux acclamations et à la joie de toute la population qui les attendait avec une impatience extrême, et qui était dans un tel état de terreur de l'arrivée des Hollandais, que, la veille, M. d'Arschot n'avait trouvé d'autre moyen de les calmer qu'en faisant préparer un dîner pour mes neveux à l'hôtel d'Arenberg, en disant qu'ils allaient arriver. Ici, la discussion de l'adresse dans la Chambre des députés se continue; l'on espère qu'il y aura une bonne majorité; il est certain que ces derniers événements ont été d'une grande utilité pour le gouvernement et lui ont donné beaucoup de force; mais il ne faut pas se dissimuler que tous ces avantages seraient perdus et nous feraient même tomber plus bas que nous ne l'étions avant, si, à la suite, il n'y avait pas un acte, un dédommagement qui satisfasse notre nation. Cela ne peut être en meilleures mains que dans les vôtres, mon cher prince; je sens que la tâche est difficile, mais vous la surmonterez, j'en suis sûre, surtout ayant force et bon droit de votre côté.» LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 14 août 1831. »Mon prince, »Ma dépêche officielle d'aujourd'hui vous fait connaître notre situation. Les débats de la Chambre des députés vous montreront nos embarras. La Belgique est une question délicate qui exige des ménagements de tous les genres et de tous les instants. Notre politique n'est ni changée ni modifiée; nous voulons conserver la paix sans exigences déraisonnables qui pourraient blesser les puissances; mais il faut ménager la susceptibilité d'un pays qui se croit offensé par des places qui ont été construites contre nous. C'est toujours le traité que vous avez repoussé en 1815 qui est notre grande difficulté. »Nous ne voulons pas le déchirer, mais les puissances doivent prouver à la France que le système de haine qui nous l'imposa n'est plus le sentiment qui les dirige. Vous pouvez seul leur faire entendre utilement cette vérité. Votre haute position en Europe et à Londres, la confiance que vous inspirez achèveront une union sincère entre les États dont le concert et l'accord peuvent préserver l'ordre social des dangers qui le menacent. Aussitôt que le territoire belge sera évacué par l'armée hollandaise, vingt mille hommes de l'armée française rentreront en France. Le maréchal Gérard ne conservera que trente mille hommes qui rétrograderont jusqu'à Nivelles, et en deçà. Cette diminution de nos forces est une garantie que nous nous empressons de donner à nos alliés de la loyauté de nos intentions. Vous voyez que vos observations ont exercé une grande influence sur nos résolutions. Nous désirons donner au cabinet anglais toutes les preuves d'intérêt; mais notre position est plus embarrassante encore que la sienne. Votre présence à Londres nous rassure sur la conservation d'une paix qui est l'objet de tous nos voeux et que vous avez désirée, comme nous, digne et honorable. La Chambre commence à se rapprocher du ministère, et si nos affaires étrangères deviennent plus faciles, une grande majorité nous est assurée. Ce n'est pas le cabinet français que nous désirons conserver, mais la paix.» C'étaient là de belles paroles, mais il était plus aisé de les écrire que de satisfaire aux prétentions qu'elles dissimulaient. J'avais obtenu de la conférence la sanction de l'entrée des troupes françaises en Belgique, pour secourir le roi Léopold contre l'invasion hollandaise; on reconnaissait que cette décision de la conférence avait donné une grande force au gouvernement français devant les Chambres. Maintenant, celui-ci demandait la démolition des forteresses qui avait été accordée en principe dès le mois d'avril par les puissances représentées dans la conférence de Londres, et il aurait voulu que l'occupation française en Belgique se prolongeât jusqu'à l'entière démolition des forteresses exécutée sur l'ordre des puissances. Évidemment c'était impossible à obtenir, du moment surtout où les troupes hollandaises s'étaient retirées dans leurs limites, sur l'ordre de la conférence. La sécurité des Belges et de leur nouveau roi étant assurée par cette mesure, la prolongation du séjour des troupes françaises en Belgique ne pouvait plus qu'exciter la méfiance de toutes les puissances et provoquer dans le parlement anglais des attaques sans réponse contre le ministère qui aurait succombé[275]. Les tories qui lui auraient succédé, engagés par leurs attaques mêmes contre l'occupation de la Belgique par l'armée française, auraient été intraitables sur ce point, et la guerre devenait inévitable. Il fallait donc aider le cabinet anglais à se soutenir et ne pas mettre en avant des exigences mal fondées du côté de la France où une partie du gouvernement cédait à de malfaisantes influences. On pourra en juger par ce que m'écrivait à cet égard le duc de Dalberg. [275] L'attitude que le cabinet anglais entendait conserver sur la question de la retraite des troupes françaises et de la démolition des forteresses ressort clairement de la lettre suivante de lord Palmerston à lord Granville: [_Particulière_] «Foreign Office, 17 août 1831. »Mon cher Granville, »Je viens de causer avec Talleyrand, qui m'a donné à lire une lettre particulière que Sébastiani lui a écrite le 14. Dans cette lettre, Sébastiani annonçait le retour en France de vingt mille Français, et le repliement du reste sur Nivelles, mais il y avait un vilain passage relativement aux forteresses insinuant qu'il fallait en venir à un arrangement avant que les Français évacuassent entièrement la Belgique. »Talleyrand m'a demandé ce que je pensais de cette lettre. J'ai dit que son gouvernement se trompait s'il croyait que nous puissions jamais mêler la question des forteresses avec celle de l'évacuation de la Belgique; que le gouvernement français s'était engagé à évacuer la Belgique, et que nous devions nous attendre à le voir remplir son engagement; que quant aux forteresses, nous ne pouvions même prendre en considération la question de leur démolition avant que les troupes françaises soient hors de la Belgique. Nous avons la ferme intention de démanteler plusieurs de ces forteresses belges, mais nous ne souffrirons jamais que la France nous fasse la loi à cet égard à la pointe de la baïonnette.» (_Correspondance intime de lord Palmerston._) LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 13 août 1831. »Mon cher prince, »Je n'ai que le temps de vous dire que la Providence veille sur la France plus que ceux qui la gouvernent. On s'occupe à faire l'éducation de deux cents nouveaux députés appelés plus convenablement à régir les affaires d'une commune qu'à décider celles d'un empire. Je crois qu'il y a depuis deux jours amélioration dans les esprits. L'invasion hollandaise donne un immense avantage, abat le caquet des révolutionnaires belges et français, fournit l'occasion au gouvernement de montrer un peu de vigueur, et prouve que l'Angleterre ne se sépare pas des intérêts créés par la révolution de Juillet. Je conseille de hâter un arrangement final entre la Hollande et les Belges, et de tenir une balance juste et équitable pour _la première_. Il vous faut le consentement du roi de Hollande, ou vous n'avez rien fini. »Le bavardage qui éclate de la tribune française devient insipide. D'un autre côté, il est plus que temps que la _camaraderie_ du Palais-Royal avec l'ordure de la révolution cesse. On se demande en Europe comment l'autorité peut se retremper ainsi. MM. d'Appony et Pozzo se plaignent du langage que tiennent hors de France, en Italie et en Allemagne, les agents français. Vous pouvez être sûr que, dès qu'en Italie il y a un autre mouvement insurrectionnel, les Autrichiens tomberont dessus. A mon avis, ils feront bien. »Cet excellent Casimir Périer que nous avons tenu par les cheveux pour qu'il ne nous échappe pas, ne parle que de sa retraite. Les plus plates intrigues s'ourdissent maintenant pour composer un ministère qui doit lui succéder. Les chefs en sont Odilon Barrot, Salverte, Clauzel[276] auquel on a donné bêtement le bâton de maréchal pour augmenter son influence. Tout cela s'écarte de toute raison; et vous pouvez vous croire heureux d'être éloigné de tant de folies...» [276] Bertrand Clauzel, né en 1772, capitaine à la légion des Pyrénées en 1792, devint général de brigade en 1799, et fit toutes les campagnes de l'empire notamment en Espagne. Condamné à mort par contumace en 1815 pour sa conduite pendant les Cent-jours, il s'enfuit en Amérique, revint en France après l'amnistie (1820) et fut élu député en 1827. En 1830, il reçut le commandement de l'armée d'Algérie, fut rappelé en 1831 et nommé maréchal de France (30 juillet). Nommé gouverneur général en 1835, il revint en France l'année suivante à la suite de l'échec de l'expédition de Constantine. Il mourut en 1842. Le duc de Dalberg indiquait dans cette lettre l'idée à laquelle j'avais résolu de m'attacher, aussitôt que nous serions sortis de la crise actuelle des affaires belges: c'était de poursuivre sans relâche la conclusion d'un traité définitif qui réglerait ces affaires; seulement, j'étais bien décidé, si le roi de Hollande persistait dans son système d'opposition à un arrangement final, à me contenter d'un traité solennel entre les cinq grandes puissances et la Belgique, convaincu que j'étais qu'un pareil traité mettrait les Belges à l'abri d'une nouvelle invasion hollandaise et assurerait le maintien de la paix. Mais il fallait, avant d'en arriver là, apaiser les effervescences de Paris, et satisfaire aux exigences de la situation vraiment embarrassante du cabinet anglais; dans ce but, j'écrivis à Madame Adélaïde: LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 17 août 1831. »Je ne songe qu'à une seule chose, c'est au service du roi, c'est au bien réel de la France que tant de passions compromettent étrangement. Les hasards aussi, il faut en convenir, trompent sans cesse nos calculs et nos efforts; et la complication actuelle me paraît sans contredit la plus fâcheuse de cette longue et pénible négociation. En effet, l'entrée de nos troupes en Belgique était forcée, et leur sortie présente des difficultés qui, à ce qu'il paraît, sont de nature à compromettre l'existence du ministère sage, ferme, pacifique et éclairé dont le roi s'est entouré. Il faut à notre esprit français excité par les démonstrations militaires, soit des victoires, soit des conquêtes. La retraite des Hollandais rend les victoires impossibles; et l'intérêt, bien ou mal entendu des puissances, s'oppose aux conquêtes. Pendant que ce dilemme occupe les conseils du roi, il se passe ici des choses qui ont aussi leur importance. »Le jour où nos troupes ont passé la frontière, ce jour-là même, a commencé une réaction dans l'esprit anglais, dont le _Times_, qu'il est bon que vous lisiez, offre des symptômes frappants[277]. [277] «... Vous aurez vu le langage violent du _Times_ contre la France: nous ne pouvons l'empêcher. Le _Times_ éclate de temps en temps et va son train, mais le ton qu'il a adopté dernièrement ne peut pas avoir fait grand mal, car cela a dû servir à convaincre les Français que le langage du gouvernement anglais dans la question belge aurait pu être plus vif encore sans aller au delà du sentiment général.» (Lord Palmerston à lord Granville, 26 août. _Correspondance intime de lord Palmerston._) »Cette réaction s'est visiblement étendue; elle menace essentiellement le cabinet actuel; elle devient nationale; elle place _la réforme_ même sur le second plan. Les vieilles jalousies se réveillent, les susceptibilités se montrent partout, car il y a une fibre anglaise qui, depuis deux cents ans, appartient si complètement à la question de la Hollande et des Pays-Bas qu'on ne saurait la faire vibrer impunément. Lord Grey et le cabinet tout entier ne se dissimulent pas et ne me cachent pas qu'il y va non seulement de leur existence mais de la conservation de la paix. S'ils consentaient à la présence prolongée de nos troupes en Belgique, les tories, qui comprennent que la guerre seule peut éloigner la réforme, pousseraient à la guerre de tous leurs efforts, et trouveraient dans l'amour-propre national un écho qui leur a manqué jusqu'à présent dans le pays. Si le ministère de lord Grey quittait, il serait remplacé par des hommes qui seront hostiles à tout ce qui s'est fait pour maintenir la paix. Pour que lord Grey reste, il faut qu'il puisse dire que nos troupes rentrent en France, ou qu'il se décide à faire contre nous ce que voudra son pays. »Dans cette situation, quel est le moyen de tout concilier? Il ne se présente pas à mon esprit; je vois des inconvénients partout. Cependant, le parti qui me paraîtrait en avoir le moins serait celui-ci: c'est sur la demande du roi Léopold que les troupes du roi sont entrées en Belgique; c'est à son secours que nous nous sommes portés avec un empressement et avec des dépenses qu'il doit reconnaître. Il n'est pas moins certain que nous lui avons rendu des services signalés ainsi qu'à tout son pays qui devenait la proie de la guerre en peu d'heures. Une marque de reconnaissance nous est due, quelques dédommagements nous sont acquis. Les demander à la conférence, ce serait faire une démarche illusoire; les Anglais nous diraient: nous n'en demandons pas, et les autres membres de la conférence s'inquiéteraient. Il me semble que c'est au roi Léopold lui-même qu'il faut s'adresser. Une convention directe de souverain indépendant à souverain indépendant me paraîtrait propre à nous faire sortir de l'embarras dans lequel nous sommes. Si donc le maréchal Gérard et le général Belliard allaient droit au prince Léopold avec la force et la promptitude que l'on met à une convention militaire, et s'ils lui disaient: «La retraite de nos troupes dépend de telle chose; prenez l'avis de votre conseil; faites jurer le secret, nous le garderons avec Paris et signez dans deux heures», ce qui serait fait là serait fait; et il faudrait bien que, sans guerre, les puissances s'en accommodassent, car le traité aurait été fait entre princes reconnus et qui ont le droit de faire, en observant les formes fixées dans leur propre pays, tout ce qui leur convient. Le prince Léopold n'a pas consulté le congrès pour appeler les forces de la France à son secours; il n'aurait pas plus besoin de l'appeler pour les faire retirer. C'est l'urgence qui doit régler toute cette question. »Personne ici n'a été sensible à la retraite de vingt mille hommes de nos troupes, parce que trente mille suffisent pour conquérir toute la Belgique quand en Belgique, il n'y a que des Belges. »Je n'ai pas parlé, dans ma dépêche d'aujourd'hui, de l'idée que renferme cette lettre-ci parce que, avec le roi, il est de mon devoir de tout hasarder, et qu'avec un cabinet il faut rester dans les bornes de la prudence. Le roi verra si ce que j'ai aujourd'hui dans l'esprit vaut quelque chose. Je passe ma vie à chercher des expédients; si cela ne vaut rien, il vaudra peut-être mieux rester dans la ligne que demande lord Grey qui, encore ce matin, s'est engagé à la démolition des places fortes, lorsque le moment en sera venu. Il veut que cela soit fait, mais il ne veut pas que cela le soit par nous. »J'ai remis au chargé d'affaires de dom Pedro la lettre du roi; il doit l'envoyer aujourd'hui. Dom Pedro est parti hier avec toute sa famille; il est peu content de son dernier séjour en Angleterre...» »Londres, le 19 août 1831. »J'avais, à la fin de ma dernière lettre, parlé à Mademoiselle de l'idée que l'on pouvait avoir de traiter avec le prince Léopold, mais ce que je proposais devait être parfaitement _secret_. Du moment que l'on veut faire quelque chose de patent, on échouera et l'on déplaira à toutes les puissances. Au point où en sont les choses, on ne peut plus, sans danger, s'occuper que de rendre officielle la lettre qui m'a été écrite par le prince Léopold au moment de son départ; la copie en est à Paris; soyez sûre que les places seront abattues: lord Granville en répétera l'assurance au roi; moi, personnellement, je n'en doute pas. Je crois, en vérité, qu'il n'y aurait aujourd'hui qu'un moyen de l'empêcher, ce serait de vouloir le faire soi-même. Cela deviendrait une question d'amour-propre et, entre grandes nations, on ne peut calculer ce que ce genre de blessure peut amener. »Le roi aura une bonne nouvelle à apprendre à dom Pedro: le comte de Villaflor est débarqué à Saint-Michel[278] avec quinze cents hommes et il est le maître de l'île, dans laquelle il y avait beaucoup d'artillerie et deux mille hommes de troupes réglées. Ainsi, voilà cinq mille hommes, y compris ce qui était à Terceira, qui sont à la disposition de la jeune reine dont la vie aventureuse exigeait qu'elle fût plus jolie. [278] L'île de Saint-Michel est la plus importante de l'archipel des Açores. Le comte de Villaflor s'en empara le 1er août, au nom de la régence de Terceira. Le comte de Villaflor, général en chef des troupes de dom Pedro, était né en 1790. Engagé à dix-huit ans, il était général de brigade en 1826, au début de la guerre civile. Il prit parti pour dom Pedro. En 1829 il se rendit à Terceira, d'où il partit en 1831 à la tête de l'expédition qui détermina la chute de dom Miguel et l'avènement de dona Maria. En 1836, il devint premier ministre pendant quelques mois. Durant toute la durée des troubles qui agitèrent si longtemps le Portugal, il demeura constamment le défenseur de la reine dona Maria et de la charte libérale. Il mourut en 1860. Le comte de Villaflor avait été créé duc de Terceira en 1833. »Le ministère anglais vient d'avoir un échec parlementaire; il faut espérer qu'il s'en relèvera, nous en avons besoin[279]...» [279] A la séance de la Chambre des communes du 19 août, le marquis de Chandos avait présenté un amendement qui tendait à accorder le droit de suffrage à tous les cultivateurs qui possédaient à bail, depuis un an, une terre de la valeur de cinquante livres sterling. Cet amendement, bien que combattu par le ministère, avait passé à la majorité de deux cent quarante-deux voix contre cent quarante-huit. Après de longues discussions dans la conférence, pendant lesquelles je soutins avec vigueur que la prolongation du séjour des troupes françaises était nécessaire à la sécurité de la Belgique, nous convînmes cependant d'imposer au roi de Hollande un nouvel armistice de six semaines, durant lequel un traité définitif serait conclu entre la Hollande et la Belgique sous la garantie des cinq puissances. Le protocole numéro 34, qui contenait ces stipulations, déclarait en même temps que, moyennant de pareilles garanties, la présence des troupes françaises en Belgique cessait d'être indispensable et qu'elles devraient se retirer sans cependant fixer un terme précis à leur retraite. Les ministres anglais avaient insisté pour obtenir cette déclaration comme vitale pour l'existence du cabinet. On va voir qu'à Paris on se considérait également comme perdu si les troupes françaises devaient se retirer de Belgique avant qu'on ait obtenu soit la démolition immédiate des forteresses, soit de nouvelles garanties de leur démolition future. Le roi Louis-Philippe lui-même, ordinairement plus calme et plus habile que son entourage, se laissa aller à des soupçons et à des inquiétudes qui se peignent très bien dans les lettres de lui que je vais donner, et qui, à mon sens, font plus d'honneur à son patriotisme et à sa loyauté qu'à sa prévoyance politique. Il m'expédia en toute hâte le général Baudrand, aide de camp de son fils, que je vis arriver à Londres porteur des lettres suivantes: LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce samedi 27 août 1831. »J'éprouve, mon cher prince, le besoin de m'ouvrir confidentiellement à vous sur le protocole que vous venez de signer. Si de pareils actes peuvent, comme je le conçois très bien, servir au maintien du cabinet anglais, je ne peux pas vous cacher qu'ils sont de nature à perdre mon gouvernement et à tout remettre en question parmi nous. L'honneur de la France qui m'est confié et qui est le mien, sa sûreté dont je suis le garant et qui fait la mienne, tout se réunit pour m'interdire de me regarder comme étant lié par ce protocole, si d'autres mesures ne viennent le modifier et le rendre acceptable à mes ministres. J'ai voulu vous en prévenir moi-même et vous demander de faire tous vos efforts pour les faire adopter. Ce sera un bien grand service que vous me rendrez, et je trouve que la rédaction du second paragraphe vous en laisse la latitude. »Je vous avoue, mon cher prince, qu'il y a quelque chose d'étrange à mes yeux dans la marche de la conférence. J'ai envoyé une armée en Belgique pour défendre son ouvrage; sans la présence de cette armée, la Belgique était conquise et Léopold était détrôné. J'ai promis de rappeler mes troupes dès qu'il n'y aurait plus de danger de voir les Belges et leur nouveau souverain à la merci des Hollandais, et la chose a été entendue ainsi; mais que peut-il et que doit-il même arriver si je me décidais à rappeler toute l'armée en France par suite de votre dernier protocole? Nous nous retrouverions dans la même position où il a fallu une décision instantanée et un miracle de rapidité dans l'exécution pour sauver la Belgique et le trône de Léopold. Nous ne devons pas nous exposer de nouveau à d'aussi grands dangers. La Hollande tient aujourd'hui plus de cent mille hommes aux portes de la Belgique, et les Belges n'ont rien, absolument rien à leur opposer. Ainsi, si, dédaignant de nouveau la foi de l'armistice, la Hollande envahissait une seconde fois le territoire belge, ou si seulement la suspension d'armes expirait sans qu'il y ait eu de traité de conclu, il est clair que le renversement du trône belge serait encore plus facile et plus certain qu'il ne l'était cette fois-ci; et on peut donc se demander si la conférence veut réellement laisser détruire ce qu'elle avait presque conduit à terme avec tant de soins et d'efforts, ou si elle veut que Léopold, livré à lui-même et dénué de moyens, tombe détrôné, sans défense, et que la Belgique, en proie à l'anarchie, désolée, ruinée par le double fléau de la guerre et des inondations, ne voie plus de salut pour elle qu'en retournant aux Nassau? »En vérité, mon cher prince, je dois vous le dire avec toute la franchise de l'amitié qui m'attache à vous, je ne comprends pas comment cette situation de la Belgique, comment celle de mon gouvernement et la mienne vous ont échappé à tel point que vous n'ayez fait nulle difficulté de signer ce singulier protocole. Il faut, de toute nécessité, que vous trouviez le moyen de nous tirer de cette crise qui menace, au plus haut degré, la paix de l'Europe. Mon ministère vous en indique un, qu'il me paraît facile de faire adopter; car, le repousser serait justifier des soupçons dont, je vous l'ai dit, je ne me défends pas sans peine[280]. [280] L'expédient proposé par le cabinet était que les troupes françaises ne sortissent de Belgique qu'après avoir obtenu du gouvernement belge l'engagement formel de procéder à la démolition des forteresses. C'est dans ce but que M. de Talleyrand obtint du gouvernement anglais qu'il ne presserait pas outre mesure la retraite des troupes françaises, et qu'en même temps le cabinet des Tuileries envoya à Bruxelles M. de Latour-Maubourg, chargé de négocier sur la question des forteresses un arrangement secret avec le roi Léopold. »Enfin, mon cher prince, soyez convaincu et sachez convaincre vos collègues de la conférence que tout ce qui m'était humainement possible de faire, je l'ai fait; qu'après avoir donné à mes alliés des garanties aussi fortes de la pureté de mes intentions, j'en dois à mon pays de plus efficaces que celles qui résultent de votre dernier protocole, et cela sous peine de me voir dans l'impuissance de contenir la fureur et l'impétuosité de la nation. C'est la connaissance parfaite que j'ai, mon cher prince, de cet état de choses qui m'a fait désirer et presser aussi vivement la démolition des places; car ce sont elles qui, considérées d'un côté et de l'autre comme des objets de tentation qu'il ne faut pas laisser à portée ou en vue des joueurs, sont aujourd'hui la cause de tous les embarras, la source de toutes les alarmes. Pesez bien tout ce que je vous dis là, et vous verrez que mon empressement à voir terminer cette affaire est la preuve la plus positive de la loyauté de mes intentions envers la Belgique et de la droiture de la politique de mon gouvernement envers l'Angleterre et les autres puissances. Croyez aussi que c'est la même droiture et la même loyauté qui nous portent à ne pas vouloir retirer toutes nos troupes de la Belgique avant qu'il ait été pris des mesures efficaces pour assurer la conservation de Léopold sur son trône. Vous connaissez ce prince; l'amitié que je lui porte ne doit pas m'empêcher de dire que son caractère est un sûr garant qu'il ne nous aurait pas demandé de garder nos troupes, s'il n'avait pas eu la conviction qu'il ne pouvait pas s'en passer. »Une autre considération bien forte, c'est que le roi de Hollande a eu bien de la peine à rassembler, à entretenir et à solder ses cent dix mille hommes, mais qu'il ne peut pas payer longtemps cette force _factice_; et que, par conséquent, il est évident qu'il ne la conserve sur pied que pour envahir la Belgique, où les distances sont si courtes qu'il est toujours probable que celui qui entre le premier devance partout son adversaire. Loin de diminuer cette armée disproportionnée, le roi de Hollande continue à l'augmenter et fait recruter à tout prix dans toute l'Allemagne. Or, je le demande, quelle confiance peut-on mettre dans un armistice avec lui, quand le licenciement de cette armée n'y serait pas stipulé? »Mais je m'aperçois, mon cher prince, que ma lettre est déjà plus longue que je ne l'aurais voulu. Ne l'attribuez qu'à mon désir de vous parler à coeur ouvert, et j'aime à croire que vous ne verrez dans ma franchise qu'une preuve de plus de mon amitié et de tous mes sentiments pour vous. »Votre affectionné, »LOUIS-PHILIPPE.» Le roi ajoutait dans une autre petite lettre de la même date du 27 août, à quatre heures: «Après vous avoir écrit cette longue lettre, mon cher prince, je me suis décidé à vous l'envoyer par le lieutenant général Baudrand, aide de camp de mon fils aîné, qui est revenu hier de la Belgique avec lui. Il connaît parfaitement l'état de ce pays et la position pénible, même précaire, du roi Léopold qui n'a ni troupes ni administration, en sorte que ce serait le vouer à l'anéantissement que de lui refuser la force morale et réelle que la présence de notre corps de troupes peut seule lui assurer après la secousse terrible qu'il vient d'éprouver. »J'ai une grande confiance dans le général Baudrand, et je sais que les rapports qu'il a eus avec l'armée anglaise en 1816 l'ont fait connaître avantageusement en Angleterre, où il pourra, si vous le croyez utile, présenter un tableau vrai de l'état des choses tant en France qu'en Belgique...» Le général Baudrand m'apportait aussi des lettres de Mademoiselle et du général Sébastiani, écrites dans le même sens que celle du roi. Je ne donnerai que la lettre du général Sébastiani, plus alarmé peut-être encore que le roi. LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 27 août 1831. »Mon prince, »Le trente-quatrième protocole nous place dans une situation dont il est impossible de calculer les résultats. Le plus probable et le plus imminent est, sans doute, la dissolution du ministère. Il est impossible que nous résistions à l'évacuation immédiate de la Belgique, sans autre garantie que celle d'une suspension d'armes de six semaines, lorsque la Hollande conserve et augmente son armée de cent mille hommes et vient de montrer si peu d'égards pour les engagements qu'elle prend envers les puissances. »Il ne suffit pas que nous soyons convaincus que la suspension d'armes proposée nous conduirait, sans nouveaux dangers pour le roi Léopold, à une paix prochaine et durable; il faut encore que la nation et les chambres partagent cette conviction, et nous ne saurions l'espérer. La Belgique est dans l'anarchie; son armée est dissoute; le roi Léopold ne peut réorganiser ni son armée ni l'administration publique, s'il n'est pas protégé par une force quelconque. L'affaire des places nous donne des soupçons que trop de circonstances font naître. »L'indulgente et obligeante désapprobation dont le roi de Hollande est l'objet ne nous rassure pas. Tous les ministres des puissances à La Haye, y compris M. Bagot[281], ambassadeur d'Angleterre, se rendirent chez madame la princesse d'Orange pour la féliciter sur les victoires du prince, aussitôt que la nouvelle de la bataille de Louvain parvint dans cette résidence. Nous vous envoyons le général Baudrand pour vous faire connaître l'état actuel de nos affaires; vous nous le renverrez le plus tôt que vous le pourrez; il est à votre disposition. Arrangez-nous cette affaire si vous voulez prévenir la formation d'un ministère belliqueux. Nous attendons tout de votre habileté et de votre amour pour la paix. Nous sommes dans une véritable crise...» [281] Sir Charles Bagot, né en 1781, membre du conseil privé, ministre plénipotentiaire à La Haye, plus tard gouverneur général du Canada. Il mourut en 1843. En même temps que le général Baudrand m'apportait ces cris d'alarme, on avait expédié M. de Latour-Maubourg à Bruxelles pour y faire signer par le roi Léopold et son gouvernement une convention dans laquelle ils s'engageraient à la démolition de certaines forteresses. J'avais été prévenu assez à temps, mais pas par mon gouvernement, pour pouvoir avertir M. de Latour-Maubourg des difficultés qu'il rencontrerait et des pièges qu'on lui tendrait. Aussi m'écrivit-il de Bruxelles le 28 août: M. DE LATOUR-MAUBOURG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 28 août 1831. »Mon prince, »La lettre que vous avez bien voulu m'adresser ici m'est arrivée récemment. L'objet spécial pour lequel je suis venu en Belgique n'est point encore terminé; ici, sont des gens craintifs, méfiants, empressés d'obtenir plus que de donner, et préoccupés du soin d'assurer leur responsabilité contre les attaques futures de la tribune. On m'assurait, à mon départ de Paris, qu'il s'agissait d'une chose simple; à mon arrivée, j'ai pu me convaincre qu'elle était très compliquée. Je pressentais l'écueil que m'ont signalé vos paroles transmises par Paris; je l'ai évité avec soin, heureux d'avoir vos directions, et je crois y avoir réussi... Le ministre d'Angleterre, M. Adair[282], est mécontent des alarmes que montre le ministère belge, à l'occasion du dernier protocole numéro 34. Si les six semaines de l'armistice s'écoulent sans qu'on ait pu terminer la négociation, nous resterons désarmés, disent les ministres, et sans garantie contre les attaques de notre ennemi. La France ne pourra plus, comme elle l'a fait à présent, nous secourir de l'aveu de toutes les puissances et sans compromettre la paix générale. Nous leur disons que dans ce cas, un nouvel armistice protecteur comme les autres les mettra à l'abri des tentatives de la Hollande. Nous ne réussissons pas à les convaincre. Ils assurent que le roi Guillaume continue à recruter; que le Rhin est couvert de bateaux conduisant en Hollande des hommes sans uniforme, mais complètement équipés et provenant, selon eux, de régiments licenciés par la Prusse. Il est certain que, jusqu'au moment où la conférence aura réussi à amener la réduction de l'armée hollandaise, nous aurons de la peine à leur inspirer de la sécurité...» [282] Sir Robert Adair, diplomate anglais, né en 1763, entra tout jeune au parlement où il siégea dans les rangs des whigs, fut chargé d'une mission spéciale à Vienne en 1806, puis à Constantinople. De 1831 à 1851, il fut accrédité à Bruxelles. A son retour, il fut nommé membre du conseil privé. Il mourut en 1855. Je m'étais mis en mesure, même avant de recevoir les lettres du roi et du général Sébastiani du 27 août, de satisfaire autant du moins qu'il était possible de le faire, aux demandes que contenaient ces lettres; et sur mes très vives instances, la conférence consentit à fermer les yeux sur la prolongation du séjour des troupes françaises en Belgique, sans toutefois exprimer le consentement par écrit: c'était tout ce qu'il nous fallait. Après avoir obtenu de la conférence cette nouvelle concession, j'attendis quelques jours pour laisser au général Baudrand le temps de juger l'état des esprits à Londres et je répondis par lui, au roi Louis-Philippe, la lettre suivante: LE PRINCE DE TALLEYRAND AU ROI LOUIS-PHILIPPE. «Londres, le 2 septembre 1831. »SIRE, »Votre Majesté m'écrit elle-même; c'est me traiter avec une bonté dont je sens tout le prix, et qui augmenterait encore mon attachement à sa personne et mon zèle pour son service, s'il en était besoin. L'un et l'autre m'ont dirigé vers la conservation honorable de la paix que le roi m'avait donnée pour mot d'ordre quand j'ai quitté la France. Les nombreux événements qui se sont succédé depuis sur tous les points du globe n'ont pas rendu cette paix moins nécessaire, mais ils ont contribué à la rendre plus difficile. Les dernières circonstances surtout, en mettant les intérêts de la France et de l'Angleterre en présence, nous ont fait arriver au point le plus délicat de la question. J'ose espérer qu'elle se résoudra pacifiquement et que, cette compétition éludée, nous arriverons enfin à un état définitif qui assurerait pour quelque temps la tranquillité de l'Europe. Cet état définitif ne sera cependant que relatif, car il ne faut pas nous dissimuler que nous ne faisons que du provisoire; mais, pour peu que ce provisoire se prolonge assez pour permettre à la France de reprendre tranquillement son niveau, la solution effective tournera nécessairement à son profit. C'est là l'esprit dans lequel j'ai conduit ici tout ce dont j'ai été chargé. J'ai cru, je l'avoue, avoir beaucoup avancé nos affaires par le trente-quatrième protocole qui a excité à Paris un mécontentement dont j'ai peine à me rendre compte. Il ne contient rien de plus qu'un armistice, et j'ai pensé que moins nous disions, mieux nous faisions; y stipuler officiellement quelque chose sur le séjour de nos troupes en Belgique, m'a paru impossible. »M. le général Baudrand que j'ai mené chez tous les membres du cabinet, et que j'ai ensuite engagé à y aller seul, vous fera connaître sûrement sa manière de voir à cet égard: et je m'en rapporte parfaitement à ce que son bon esprit lui aura fait observer. On ne pressera pas ostensiblement la rentrée de nos troupes. On fermera, autant que possible, les yeux sur le plus ou moins de lenteur de leur retraite; mais le cabinet anglais est dans l'impossibilité de rien accorder par écrit sur leur séjour prolongé; et toutes les démarches du roi Léopold, ainsi que toutes les miennes, resteront sans effet devant la question d'_être_ ou de _ne pas être_ que le parlement place chaque jour devant les ministres. »Je dois supplier le roi de me permettre une réflexion que je crois bien essentielle à son service. C'est que le plus grand danger, dans les moments de crise, vient du zèle des personnes nouvelles dans les affaires. Ce zèle-là empêche de distinguer les choses importantes de celles qui ne sont que d'un intérêt secondaire; je vois avec peine que Votre Majesté n'ait pas de ministre à La Haye. Ici, je ne suis occupé qu'à écarter et qu'à aplanir les difficultés. Si j'avais voulu attacher de l'importance aux récits officieux, aux inquiétudes bienveillantes des petits nouvellistes, nous aurions dû nous croire menacés par toute l'Europe, et toujours à la veille d'une guerre générale, dont heureusement il n'a été question que dans les journaux. Si Votre Majesté veut bien lire, avec l'attention qu'Elle porte à tout, la dépêche de ce jour que j'adresse au département, Elle y verra l'état réel des choses et des esprits. Je la supplie d'avoir confiance dans ce qu'elle renferme. J'ai toujours cru que la question des places fortes ne pourrait pas se traiter patemment par d'autres que par les quatre puissances dont les représentants sont réunis ici et que la mission trop évidente de M. de Latour-Maubourg se trouverait entravée par la susceptibilité qu'elle créerait chez les ministres de Russie, de Prusse et d'Autriche. Je crains que ma prévision ne soit juste, mais cela ne me fait pas douter un moment que les puissances ne tiennent les engagements qu'elles ont pris par le protocole du mois d'avril, et qu'elles ont renouvelés plusieurs fois avec moi depuis cette époque. »Je remercie le roi de m'avoir envoyé le général Baudrand. Je désirais qu'un homme de sa confiance particulière vît l'Angleterre dans ce moment-ci...» J'écrivis également à M. Casimir Périer. LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 3 septembre 1831. »Il y a longtemps, monsieur, que je n'ai eu l'honneur de vous écrire, mais je vous savais si occupé de toutes nos grandes questions politiques que je n'ai pas voulu vous donner une lettre de plus à lire, et j'ai laissé M. votre fils, vous mander tout ce qui se passe ici; je suis sûr qu'il le fait bien et je m'en rapporte à ce qu'il vous écrit; je le mets en mesure de bien juger, je suis parfaitement content du travail dont je le charge. J'arrête son zèle, parce que dans notre carrière, le zèle n'est que nuisible. La réserve que je prescris n'est pas trop populaire, mais je la crois utile. »Nous sommes arrivés à un moment si important et si délicat que je ne saurais assez appeler votre attention sur la direction que j'ai à recevoir de Paris. Il est évident que si l'on est calme, si on laisse le temps agir, nous arriverons d'ici à six semaines, et en vérité, cela n'est pas long, à la signature d'un traité définitif qui nous assurera la paix que nous avons voulu avoir, sans avoir froissé les vanités anglaise et française qui sont aussi susceptibles l'une que l'autre. Si l'on n'était pas en France aussi ignorant des intérêts du dehors qu'on l'est, on serait bien persuadé que nous avons obtenu depuis un an une position que jamais on n'a pu espérer d'avoir dans la première année d'une révolution. Mais ne brusquons rien: nous serons refusés si nous demandons officiellement des choses que l'on est décidé à nous accorder. Les places fortes seront abattues, c'est sûr; une convention qui le dirait aujourd'hui nuirait au gouvernement anglais, assez pour menacer son existence. Ce que je demande, c'est que nous n'effarouchions pas trop par trop de mouvement. Votre présence au ministère est de tous les arguments, celui qui me sert le plus pour calmer les inquiétudes que les brouillons donnent et renouvellent sous toutes les formes depuis un an. Il est positif que tant que vous serez au ministère, personne ne croira que l'Europe puisse être troublée. Laissez-moi vous répéter que vous êtes essentiel, non seulement pour les destinées de la France, mais pour la conservation de l'ordre en Europe; vous rendez les gouvernements plus forts; c'est là ce qui m'est dit de tous côtés. »Adieu, monsieur, je vous renouvelle l'assurance...» Après avoir apaisé ainsi, au moins pour quelque temps les perpétuelles agitations qui se mêlaient toujours à Paris, dans la direction des affaires extérieures, je ne songeai plus qu'à la négociation d'un traité définitif entre la Hollande et la Belgique, sous la médiation des cinq puissances. Les circonstances étaient plus favorables pour cette oeuvre. Les grands cabinets avaient été mécontents de l'échauffourée hollandaise en Belgique, qui, un moment, avait menacé d'amener la guerre générale: ils seraient donc mieux disposés à imposer une solution au roi de Hollande; la Belgique, un peu honteuse de sa défaite et de la nécessité dans laquelle elle s'était trouvée de recourir à la protection de la France, devait, de son côté, être portée à en finir et à sortir de son pénible état d'incertitude. Aussi s'était-on décidé, à Bruxelles, à nommer un envoyé, chargé de pleins pouvoirs, pour conclure le traité définitif: c'était M. Van de Weyer qui arriva à Londres dans les premiers jours du mois de septembre. Ce mois était un peu trop rempli pour mon âge et mes forces, car, pendant qu'il fallait suivre notre fatigante négociation, le couronnement du roi d'Angleterre eut lieu le 8 septembre. La cérémonie, du reste fort belle, fut très fatigante. Il fallait être à Westminster à huit heures et demie du matin et y rester jusqu'à quatre heures et demie du soir, puis, dans la soirée, assister à un grand dîner au Foreign Office. Vers la fin du même mois, le bill de _Reform_ devait être porté devant la Chambre des pairs, circonstance qui ne rendait pas les ministres anglais très maniables à traiter. Sous ce dernier rapport, un incident frivole en apparence, mais, pour moi sérieux dans ses résultats, était venu, depuis quelque temps, compliquer mes relations avec lord Palmerston et les rendre parfois assez difficiles. Je me vois obligé d'en faire mention, quelque ridicule qu'il puisse paraître, parce qu'il a eu réellement des conséquences très incommodes pour moi. Il existe en Angleterre une collection de caricatures politiques dont l'origine remonte, m'a-t-on dit, au ministère de lord Chatham. Un dessinateur habile de cette époque fit des caricatures sur les principaux personnages du temps à l'occasion des divers événements politiques qui se produisaient. Ces caricatures étaient signées _H. B._, ce qui a fait donner ce nom à cette collection. Une caricature qui en faisait partie, avait été publiée dans le courant de l'année 1831. Elle était intitulée: _The lame leading the blind_ (le boiteux dirigeant l'aveugle), et représentait la parfaite ressemblance de lord Palmerston et la mienne. Il n'y avait rien là qui sortît des bornes ordinaires du libelle et de la caricature, mais il paraît que lord Palmerston en fut profondément blessé, et je ne tardai pas à m'apercevoir qu'il était disposé, volontairement ou involontairement, à me le témoigner. Depuis lors, jusqu'à ce que je quittasse l'Angleterre en 1834, j'ai retrouvé bien des fois les traces de ce ressentiment. Je n'y pouvais rien changer; il n'y avait pas d'autre ressource que de n'y pas faire attention, si je ne voulais pas compromettre le succès des affaires que j'avais à traiter avec lui; c'est le parti que je pris et auquel je me tins scrupuleusement, mais je dois dire que cela était parfois assez incommode. Cette disposition de lord Palmerston, heureusement n'entrava pas mes efforts pour arriver à la conclusion du traité que je considérais comme le seul moyen d'assurer solidement le maintien de la paix. Le cabinet dont il faisait partie n'avait pas moins d'intérêt que nous à mettre fin à l'affaire belge. Les lettres qu'on va lire montreront que, pour le moment, c'était de Paris principalement que venaient les difficultés qui menaçaient de compromettre mon oeuvre. LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce samedi 3 septembre 1831. »J'ai travaillé, mon cher prince, à une carte que vous envoie le général Sébastiani, et quoiqu'il vous donne sûrement toutes les explications nécessaires, je suis bien aise de vous faire part des avantages que présente, selon moi, la démarcation que nous proposons. »Un des points auxquels je tiens le plus, c'est que nos propositions puissent non seulement obtenir l'assentiment cordial du gouvernement anglais, mais qu'elles lui facilitent de repousser les attaques intérieures auxquelles il est en butte, parce que nul ne désire plus que moi que lord Grey et ses collègues restent au ministère. J'ai cru qu'il fallait que la démarcation nouvelle conciliât les intérêts anglais avec les exigences naturelles et équitables de la Belgique. Ainsi, j'ai reconnu, que d'un côté, la Belgique avait le droit de demander que les écluses de ses cours d'eau et que les digues qui la protègent contre les inondations ne fussent pas au pouvoir des Hollandais, parce qu'il ne peut pas y avoir sûreté ou indépendance pour elle, tant qu'il dépend de son voisin d'inonder ses campagnes, de la ruiner pour des années et de mettre Bruges et Gand dans la mer. J'ai reconnu d'autre part que la Hollande avait droit de conserver de ce côté une frontière bien défendue, et j'ai cru qu'un des meilleurs moyens de satisfaire l'Angleterre et de mettre la responsabilité des ministres anglais à l'abri de toute attaque fondée, était que la Hollande continuât à posséder tout le cours du Hondt ou Escaut principal, et qu'elle eût même sur la rive gauche une barrière suffisante pour en garantir la possession. »Je crois, mon cher prince, qu'en examinant notre carte, vous trouverez ces divers avantages réunis par la nouvelle démarcation, car, s'il est vrai que, pour que la Belgique soit indépendante, il faille que la Hollande renonce au droit ou au pouvoir, que lui donnait la démarcation de 1790, de l'inonder quand cela lui convenait, il faut d'abord qu'elle abandonne: 1º l'écluse qui est littéralement l'écluse de Bruges et la clef de toutes les eaux de la West-Flandre; 2º le sas de Gand (et sas veut dire écluse), qui est de même l'écluse de Gand et de même aussi la clef des eaux de l'Ost-Flandre, et par conséquent, que la frontière belge soit portée en avant de ces écluses, c'est-à-dire, à la limite du premier canal qui se trouve en avant des digues, à travers lesquelles on pourrait toujours faire des coupures comme on vient de le pratiquer d'une manière si déplorable, si ces digues n'appartenaient pas à la Belgique. »Je crois donc qu'on ne peut pas garantir la sûreté et l'indépendance de la Belgique, si on ne porte pas sa frontière à la ligne proposée; et je crois aussi, qu'en l'y arrêtant, la Hollande n'abandonne que des moyens d'attaque sur la Belgique, et qu'elle conserve tous les moyens de défense qu'elle peut désirer pour elle-même. Elle perd le sas de Gand, Philippine, Ardenbourg et l'Écluse et un territoire de douze à treize lieues carrées; mais elle conserve le cours de l'Escaut intact, tel qu'elle le possède aujourd'hui. Elle conserve toute l'île de Cadsand où se trouve la forteresse de Breskens qui garde l'embouchure de l'Escaut du côté du sud, comme Flessingue du côté du nord; elle conserve Terneuse et les places fortes de l'Ysendyke, Axel et Hulst, qui suffisaient pour lui constituer une barrière derrière la ligne des canaux de séparation, qui en forment déjà une excellente par eux-mêmes. »Je crois donc qu'en adoptant cette démarcation, sauf les légères modifications que les localités, mieux reconnues sur les lieux, pourraient indiquer, on établirait une neutralité parfaite entre les deux États depuis Anvers jusqu'à la mer; puisque tous les deux étant à l'abri de leurs agressions réciproques, toute collision entre eux deviendrait impossible. »Mais je ne puis assez vous répéter, mon cher prince, que c'est la situation actuelle des deux États qui m'inquiète plus que leur avenir. Je ne conçois pas comment, dans le dernier protocole, les puissances, qui, toutes, veulent et ont besoin de la paix, ne se sont pas occupées de la réduction de l'armée hollandaise. Une armée hollandaise de plus de cent mille combattants me paraît une monstruosité, dans l'ordre politique de l'Europe, dont l'existence ne peut être prolongée sans les plus grands dangers. Déjà, c'est à elle seule que doit être attribuée la nécessité où nous avons été placés d'entrer en Belgique; et c'est elle seule qui en retarde l'évacuation totale. Une fois cette armée réduite au taux raisonnable que comportent la sûreté et les ressources financières de la Hollande, il n'y aura plus de difficultés sur rien, parce qu'il y aura sécurité pour tous, et c'est la mesure la plus efficace pour parvenir à ce désarmement général que je désire vivement pour tant de raisons, et surtout parce que je le regarde comme le meilleur moyen d'assurer la paix de l'Europe. Dites bien à lord Grey et à lord Palmerston que la réduction de cette armée est aussi le meilleur moyen de rassurer en France et en Belgique, et que c'est cela qui calmerait toutes les exigences et toutes les craintes, aussi bien que _toutes les espérances de guerre_ pour ceux qui ont le travers de la désirer. Malheureusement, mon cher prince, je dois vous dire que tous les rapports que nous recevons, indiquent une marche contraire, et qu'il paraît que le roi de Hollande continue à recruter pour son armée tous les vagabonds qu'il peut ramasser en Europe, en telle sorte que le dernier état de sa force effective présente un total de cent quatorze mille hommes. »De tels faits, mon cher prince, sont plus frappants, selon moi, que tous les raisonnements que je pourrais présenter pour démontrer que ce n'est pas dans des vues de paix et de défense que le roi de Hollande s'est chargé d'un pareil fardeau, et qu'il n"y a pas un moment à perdre pour le contraindre à en exonérer ses États et ses voisins. Je suis convaincu que l'intérêt de l'Angleterre est bien d'accord avec le nôtre à cet égard, et que c'est même également celui de toutes les autres puissances. »Je vous remets une note explicative relativement à la carte de délimitation que le général Sébastiani vous envoie. »Je veux encore vous dire que j'ai engagé dom Pedro à faire une course à Londres, pour assister au couronnement du roi d'Angleterre, croyant, d'après ce que vous avez mandé, faire en cela une chose qui serait agréable au roi et à son gouvernement. Je ne sais pas encore ce qu'il fera. »Je vous renouvelle, de tout mon coeur, mon cher prince, l'assurance de toute mon amitié, et de tous mes sentiments pour vous. »Votre affectionné, »LOUIS-PHILIPPE.» LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 7 septembre 1831. »Mon prince, »Je reçois dans cet instant vos dépêches du 5, sous les numéros 215 et 216. Il paraît que la conférence et le cabinet de Londres ne se doutent pas de la situation de la France. Veuille le ciel que le fruit de tant de soins ne soit pas perdu! Le ministère whig pourrait bien avoir immolé à ses convenances le repos du monde. Je vais communiquer vos lettres au roi; le conseil se réunit demain. Dans quelques moments j'aurai un entretien avec M. Périer. Je suis bien fâché que votre voix ait été impuissante pour ramener aux conseils de la raison. Aurions-nous été seuls modérés et de bonne foi? Dieu seul pourrait nous dire où nous conduiront les affaires de la Belgique. »Tout à vous...» «Paris, le 10 septembre 1831. »Mon prince. »Parmi les raisons qui nous portent à différer jusqu'au 30 de ce mois l'évacuation complète de la Belgique, il en est une qui ne pouvait trouver place dans ma dépêche officielle, mais que je ne veux pourtant pas vous laisser ignorer. Nous touchons au moment où les débats législatifs doivent s'ouvrir sur la question de la pairie. Nécessairement, ces débats mettront de nouveau les passions en jeu. Nous avons pensé que ce serait leur donner un aliment ou un prétexte de plus, si nous faisions coïncider avec cette discussion la rentrée en France de notre armée tout entière; et c'est ce que nous avons voulu éviter. Vous pourrez, mon prince, faire confidentiellement usage de cette considération près de vos collègues, dans le cas où vous le jugeriez nécessaire pour empêcher qu'il n'y eût réclamation de leur part contre l'époque assignée par nous à l'évacuation. »Je quitte à l'instant la Chambre. Quelques membres de l'opposition ont ramené sur le tapis les affaires de Belgique, la question de la Pologne, et celle de la conduite de la Prusse, à l'égard des Polonais. Nous avons évité de nous laisser entraîner sur ce terrain, et nous avons jugé d'autant plus inutile de répondre à nos adversaires, que la grande majorité de la Chambre se montrait fatiguée de les voir éternellement reproduire des opinions et des assertions, dont nous avions déjà fait bonne et complète justice...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 15 septembre 1831. »Vous êtes étonnée qu'ici on n'entre pas plus dans les convenances du ministère français. On vous trompe quand on vous dit cela. Le ministère français est aimé et soutenu ici par les gens qui comptent, dans quelque parti qu'ils soient. Cela est positif. Mais on trouve que nous avons trop d'activité et que nous sommes trop faiseurs; et un gouvernement nouveau qui est faiseur inquiète tout le monde. Nous avons besoin de nous vieillir, et l'action produit l'effet contraire. Quand on est conquérant, l'action continuelle s'explique; mais quand on arrive par le choix populaire, c'est la tranquillité que l'on demande au souverain. Les passions ne peuvent être étouffées par lui qu'au moyen de la paix. Il faut ne parler que de paix, la mettre dans tous les discours, dans tous les actes. C'est là, ce qui établit, et cela uniquement. On ne peut trop repousser toutes les fantaisies militaires des personnes qui entourent notre famille royale. Ces gens-là ne veulent et ne savent que cela; ce n'est pas notre intérêt de jamais les écouter. Il faut être bien pour eux, mais ne leur donner aucun crédit. Établissons-nous. Le roi et sa famille ont de quoi être aimés par la France; on a besoin d'eux. S'il y a paix, c'est par eux que le bien-être vient; s'il y a guerre, c'est par les hommes d'armée qui veulent plaire aux vanités du pays, et ces vanités-là ne durent qu'un temps. Le roi fonde, et la paix est son seul moyen. »Adieu...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 17 septembre 1831. »... Au Palais-Royal, on devrait se rappeler que _tout, absolument tout_ ce qui a été entrepris par Paris, l'a été sans succès. On a même été obligé de revenir sur ce qu'on avait demandé; et ici, cela n'est jamais arrivé pour aucune chose que j'ai faite. Tout cela tient à une envie de faire qu'il faut bien passer aux personnes nouvelles dans les affaires. Pour les forteresses, ils sont bien obligés de revenir ici où tout était fait, comme je l'ai écrit depuis trois mois, sans que les choses fussent autrement qu'elles ne sont. L'action quand elle ne sert pas, nuit. Le désarmement du roi de Hollande aura lieu; mais il faut faire le traité, et il sera fait dans le mois d'octobre. Ne croyez pas à une rupture d'armistice; je déclare positivement que du côté de la Hollande, elle n'aura pas lieu. Les puissances ne le veulent pas et le roi est averti à ce sujet. Tenez cela pour sûr. Nous ferons le traité et il faut le faire tel, que le roi de Hollande puisse le signer; sans sa signature à lui, l'affaire de la Belgique reste en l'air. C'est là le principe; et quand cinq puissances prennent le pouvoir, il faut qu'elles restent dans les principes. La Hollande sera ce qu'elle était en 1790, ayant de plus une partie du Luxembourg. On pourrait faire mieux en faisant du nouveau, mais on entrerait dans une mer d'intrigues et de prétentions. Ce que je vous écris là, c'est uniquement pour vos conversations[283]. »Adieu...» [283] Conversations avec Madame Adélaïde qui les rendait au roi. (_Note du prince de Talleyrand._) LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Neuilly, ce 15 septembre 1831. »Il y a déjà quelques jours, mon cher prince, qu'en remettant des dépêches à lire, le général Sébastiani me remit très exactement une lettre de vous, mais elle se glissa dans la pile de papiers à lire et à signer dont mon bureau n'est que trop souvent encombré et, malgré mon impatience de la lire et de connaître votre opinion à laquelle j'attache toujours un grand prix, ce n'est qu'hier que j'ai pu la retrouver, et je ne perds pas un instant à vous en remercier. La scène a déjà changé d'aspect. Vous nous voyez arrivés au point le plus délicat de cette grande affaire de la Belgique, par la nécessité de tout compromettre dans un sens ou dans l'autre, soit en laissant nos troupes dans la Belgique par une avant-garde; soit en les retirant totalement, et, jamais, comme vous le dites avec raison, il n'y eut rien de plus délicat. Peut-être même m'est-il permis de dire qu'il a fallu plus de loyauté et de résolution pour décider que nos troupes évacueraient la Belgique le 30 septembre, qu'il n'en avait fallu, le 4 août, pour les y faire entrer à l'instant même; et, ce qui est encore plus singulier et non moins vrai, c'est que ce sont les mêmes motifs et le même objet qui ont déterminé ces deux mesures que la présomptueuse superficialité de notre époque essaiera peut-être de représenter comme contradictoires. La première mesure a obtenu l'assentiment général et le succès l'a confirmée; et si la seconde n'obtient pas d'abord autant d'approbation, cependant, j'ai la confiance que ses résultats, dans l'une ou l'autre hypothèse de la reprise ou de la non reprise des hostilités par les Hollandais, lui assureront en définitive cette unanimité d'assentiment qui lui aura peut-être manqué dans le début. ... et pour être approuvés, De semblables desseins veulent être achevés. »C'est donc pour vous demander moi-même, mon cher prince, toute l'assistance que vous êtes si capable de me donner pour parvenir à cet heureux achèvement, que je vous écris encore. »Il me semble qu'il y a trois points principaux à négocier et à régler par le traité définitif entre la Hollande et la Belgique; car je ne parle pas de celui des dettes, dont la base, mal posée, selon moi, au mois de janvier, me paraît avoir été convenablement et équitablement rectifiée par les dix-huit articles[284]. [284] Sur la question du partage de la dette entre la Hollande et la Belgique, la conférence avait eu à choisir entre deux systèmes: ou bien «laisser subsister la communauté des charges, confondre les dettes, et rendre chacun des États solidaire», ou bien partager la dette eu égard à son origine, affranchir la Belgique de ce qu'elle n'avait pas contracté et répartir entre les deux pays, dans une juste proportion, les charges créées e n commun depuis 1815. Le protocole du 27 janvier avait adopté le premier système, se fondant sur un protocole du 21 juillet 1814 qui établissait la communauté des charges. Le traité des dix-huit articles adopta le second que le congrès belge avait toujours soutenu. Un protocole du 6 octobre suivant régla le partage de la dette conformément à ce principe.] »Ces trois points sont: »1º L'attribution du pays de Luxembourg à la Belgique, moyennant un prix équitable, et la conservation de la forteresse de Luxembourg et de sa banlieue à la Confédération germanique. »2º La conservation de Maëstricht à la Hollande, en compensant ailleurs à la Belgique les droits de l'évêque de Liège, et en arrangeant une contiguïté de territoire entre Maëstricht et la Hollande, qui n'existait point en 1790. »3º Une garantie contre les inondations de la Flandre belge, en attribuant à la Belgique la possession des écluses de ses eaux et des digues qui la protègent contre la mer, sans laquelle son indépendance serait une chimère, puisque la possession des écluses et des digues en est la clef et le boulevard. »Je ne vois plus à craindre de difficulté sérieuse sur le premier point, et je crois qu'il n'y en aura aucune de la part du roi des Belges sur le second, si le troisième lui est accordé, mais il nous témoigne une grande répugnance à dire qu'il concédera le second jusqu'à ce qu'il ait acquis la certitude qu'on lui concédera le troisième. Je dois avouer que je le trouve raisonnable, car je pense, comme lui, qu'il ne peut pas se soutenir en Belgique, s'il ne l'obtient pas. »La possession de la forteresse de Maëstricht, est sans doute une grande gêne et même un grand danger pour la Belgique, mais des traités peuvent la protéger efficacement de ce côté, et pourvu que la frontière soit bien établie et que le transit de la forteresse soit bien assuré aux bateaux belges qui descendent et remontent la Meuse, je crois que la chose serait bien arrangée; tandis que du côté de la Flandre il ne peut y avoir de sûreté et d'indépendance pour la Belgique, qu'en portant sa frontière aux eaux mortes, et en lui attribuant ainsi la possession des écluses et des digues qui peuvent seules préserver son territoire _actuel_ du danger des inondations. La carte aux lignes rouges et jaunes a eu pour but de déterminer ce qui était rigoureusement nécessaire pour atteindre ce but, et pour démontrer que cette cession n'enlèverait à la Hollande que des moyens d'attaque et ne porterait aucun préjudice réel à ses moyens de défense. Elle ne lui coûterait que quatre petites villes, à la vérité fortifiées, quelques villages, moins de six mille habitants, et douze lieues et demie carrées d'un pays toujours désolé par la fièvre, ce que les souvenirs de Walcheren doivent bien établir en Angleterre[285]. [285] Expédition tentée en 1809 contre Anvers. Les troupes anglaises furent entièrement décimées par les fièvres dans l'île de Walcheren, située à l'embouchure de l'Escaut; leurs débris assaillis par Bernadotte durent se rembarquer. »Je sais, mon cher prince, que la première objection à cette combinaison, c'est que, en 1790, la Hollande possédait ce territoire; mais il est juste aussi de considérer qu'à cette époque la Flandre belge faisait partie de cette grande monarchie autrichienne, dont la politique était toujours unie à celle de la Hollande, et, dans l'appui de laquelle la Hollande trouvait cette protection précieuse dont elle ne pouvait se passer; et il ne faut pas oublier que de son côté, l'Autriche sacrifiait le commerce et la richesse de la Belgique à ceux de la Hollande en consentant à la fermeture de l'Escaut, et en laissant ruiner Anvers, Gand et Bruges, au profit d'Amsterdam et de Rotterdam. »Un tel état de choses n'existant plus, et ne pouvant plus exister, les rapports réciproques qui en résultaient ne peuvent pas exister davantage; et la Belgique, devenue indépendante et neutre, ne peut plus exister sous les mêmes conditions et restrictions que quand elle était une ou plusieurs provinces autrichiennes. »J'ai voulu vous communiquer ces réflexions, mon cher prince, telles qu'elles se présentent à moi, pour vous convaincre que ce n'est pas en haine de la Hollande, sentiment qui est bien loin de moi; car je désire sa conservation autant que personne, ni de même, en prédilection pour la Belgique, que nous insistons pour cette cession des douze lieues carrées de la Flandre zélandaise à la Belgique; mais que c'est uniquement pour établir la séparation des deux États sur la seule base praticable, qui est la séparation des intérêts et l'indépendance réciproque, et en faisant cesser ainsi toutes les causes de collision entre eux. Je ne comprends pas de bon traité définitif, qui n'aurait pas cette base, et c'est ce qui nous porte à ne pas vouloir en admettre d'autre que celui où elle serait adoptée. Mais mon papier, qui finit, m'avertit de finir aussi en vous renouvelant de tout mon coeur, l'assurance de l'amitié que vous me connaissez pour vous. »_P.-S._--Veuillez aussi, mon cher prince, ne pas laisser perdre de vue que, même sous le point de vue commercial, la cession des douze lieues carrées ne porterait plus un préjudice matériel à la Hollande, depuis qu'elle a nécessairement perdu la fermeture de l'Escaut, et que l'ouverture de ce grand débouché rend à la ville d'Anvers le commerce qu'elle avait perdu. N'oubliez pas non plus l'état de désolation et de ruine où la Flandre belge a été précipitée pour plusieurs années et qu'il est pourtant juste qu'on trouve des compensations, tant pour ces inondations que rien ne justifiait[286] que pour les dépenses et les autres maux occasionnés et produits par l'invasion de l'armée hollandaise en Belgique que rien ne justifiait davantage. Il ne me paraît ni équitable en soi-même, ni conforme à la dignité des puissances, qu'il n'y ait aucune expiation pour la violation de l'armistice à _trois jours_ de notification au lieu d'_un mois_, et au mépris de la garantie de la conférence. Sans doute, il ne faut rien exiger de la Hollande qui puisse compromettre son existence future, mais il faut aussi ne pas compromettre celle de la Belgique, et je suis persuadé, non seulement que cet équilibre peut se concilier avec l'arrangement que nous proposons et que je vous recommande de soutenir, mais que c'est à peu près le seul moyen de l'établir.» [286] Les Hollandais avaient, dès l'ouverture des hostilités, rompu plusieurs digues aux environs d'Anvers pour arrêter les mouvements de l'armée belge. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, lundi, 19 septembre 1831. »Je vous avais tellement accablé de mes lettres et de mon écriture, depuis quelque temps, mon cher prince, que j'ai voulu vous en laisser reposer, sachant surtout combien vous étiez occupé et tout ce que vous aviez à écrire. Mais aujourd'hui, je suis sûre de vous faire plaisir, en vous donnant de nos nouvelles et en vous disant ce qui se passe ici et qui vous arrive certainement d'une manière fort exagérée. Malheureusement depuis samedi soir les émeutes ont recommencé[287]. Les agitateurs de tous les partis ont espéré trouver une chance favorable dans la triste nouvelle de la défaite des Polonais et de la prise de Varsovie, d'après la sympathie très grande qui existe pour eux ici. Ils ont donc lancé leur meute, car ce n'est véritablement que cela, et malgré tous leurs efforts, la population n'y prend aucune part. Il y a beaucoup de curieux, de badauds et des petits groupes d'agitateurs qui excitent à l'anarchie, au désordre: les carlistes, les bonapartistes, les soi-disant républicains sont parfaitement d'accord sur ce point; leur langage est le même et leur seul but est de renverser Louis-Philippe, c'est ce qui est certain. Heureusement ils ne trouvent pas d'écho; la population, le pays, ne veut pas de cela. Au milieu de la foule, vous ne voyez tout au plus qu'une centaine d'hommes, d'enfants, de misérables qui crient:--_Vive la Pologne! à bas les ministres!_ [287] Insurrection des 16-19 septembre. »Hier soir, il y en a eu beaucoup d'arrêtés, et entre autres deux chefs des _Amis du peuple_ qui avaient déjà figuré dans les autres émeutes. Tout est fort tranquille en ce moment, dans ce quartier-ci; la foule et les agitateurs se sont portés vers la Chambre des députés où on s'attend qu'il y aura émeute dans l'espoir d'effrayer la Chambre; et moi, j'ai celui que cela produira l'effet contraire sur la majorité et que, joint aux explications, aux discours que comptent y faire le président du conseil et le ministre des affaires étrangères, cela fera sentir à la saine partie de la Chambre la nécessité de se rallier et de soutenir fortement et franchement le gouvernement du roi et le ministère, pour réprimer tous ces partis et leur espoir qui est le renversement de tout. Dans ces derniers troubles, le carlisme y est pour beaucoup. Il est évident que ce sont des gens payés et que l'émeute se compose d'étrangers, de réfugiés et de tous les repris de justice.» «Mardi, 10 septembre 1831. »Je reprends ma lettre que je n'ai pu finir hier. Ce que je prévoyais s'est heureusement vérifié hier à la séance de la Chambre qui a été excellente. Le discours du général Sébastiani a été parfait; il a répondu victorieusement à l'attaque et aux absurdes accusations de M. Mauguin qu'il a complètement battu. Le général a eu le plus grand succès, ainsi que le président du conseil et M. Barthe[288]. Le ministère a eu la victoire, et la Chambre a manifesté d'excellentes dispositions dans cette séance. Il y a eu des groupes et de l'agitation toute la journée, cette émeute est revenue le soir du côté du Palais-Royal, il y a eu des cris d'à bas les ministres... La garde nationale et la troupe de ligne les ont dissipés et la nuit a été très tranquille. La garde nationale est dans la meilleure disposition, furieuse contre les agitateurs; et voulant agir et en finir, ils ne demandent qu'à tomber dessus; ils sont pour cela et en tout dans la plus parfaite harmonie avec la ligne. Les journaux hostiles rendent compte ce matin, de ce qui s'est passé hier au soir, de la manière la plus mensongère: ils disent entre eux que les soldats étaient ivres: ils n'avaient pas eu une goutte de vin et on ne leur avait donné que de l'eau et du vinaigre, mais tout cela est toujours pour tâcher d'exciter la population, mais cela manquera. [288] Félix Barthe, né en 1795, avocat à Paris sous la Restauration, procureur général près la cour de Paris en 1830, député, puis ministre de l'instruction publique (déc. 1830), garde des sceaux (1831), pair de France et premier président de la Cour des comptes (1834), de nouveau ministre de la justice dans le cabinet Molé (1837-1839). En 1852 il fut nommé sénateur et mourut en 1863. »Aujourd'hui il n'y a rien eu jusqu'à présent, mais il se forme encore de nouveaux petits groupes; ils enragent de voir que la Chambre leur échappe, et je crois bien qu'ils feront encore quelques tentatives de désordre. Ils voyent qu'ils perdent la partie, ils font tous leurs efforts, mais les mesures sont bien prises et cela sera réprimé. La bonne disposition de la Chambre est une grande chose. Le maréchal Soult doit parler aujourd'hui, et j'espère que demain ou après-demain, au plus tard, nous serons hors de ces odieux cris; je suis persuadée que s'il y a quelque chose encore, cela sera au moins fort peu de chose. »Chartres (le duc d'Orléans) est de retour de son petit voyage à l'armée et en Belgique, depuis hier matin. Le roi des Belges a été parfait pour lui: son armée s'organise et cela est bien nécessaire, car il est dans une position bien difficile. »Je veux encore vous dire, mon cher prince, que le roi n'est pas moins pressé que vous de voir le traité définitif conclu entre la Hollande et la Belgique, car c'est le gage de la paix. Il me dit qu'il n'a d'inquiétude que sur la partie de la Flandre Zélandaise, sans laquelle la Belgique ne peut pas exister. Il me disait tout à l'heure de vous faire apercevoir ce que sera l'établissement d'une ligne de douanes hollandaises entre Bruges et l'Écluse, et surtout entre Gand et le Sas de Gand qui, depuis plus de trente ans, sont en libre communication, mais il ajoutait: «Dites à mon ambassadeur que je compte sur lui pour obtenir de la conférence, ce à quoi aucun autre ne pourrait peut-être pas parvenir, c'est de bien reconnaître que Léopold en Belgique est le gage de la paix et que par conséquent, la cession par le roi de Hollande des douze lieues carrées doit être le _sine qua non_ du traité, car la raison dit, et Léopold en est bien convaincu, qu'il ne pourra pas se soutenir sans cela.» »Ainsi, mon cher prince, vous qui êtes si persuasif, déployez votre éloquence, et si vous réussissez, vous aurez rendu au roi, à la France et à l'Europe le plus grand service qui ait peut-être jamais été rendu. »Le roi des Belges a les mêmes craintes pour Maëstricht et la rive droite de la Meuse. On lui dit qu'il faut qu'il s'y résigne mais s'il n'obtient pas l'autre partie, il est bien probable qu'il succombera et ne pourra pas tenir. Si cela arrivait, il faut frémir, car, alors ne serait-ce pas inévitablement la guerre? J'ai bien besoin de savoir ce que vous en pensez. »Adieu...» Me faut-il encore répéter, après la lecture de pareilles lettres, ce qu'était ma position dans la conférence, dont les membres étaient aussi bien informés que moi de ce qui se passait à Paris? Représentant d'un gouvernement chaque jour menacé d'être renversé, je devais néanmoins me montrer exigeant pour obtenir des concessions et arracher de nouveaux territoires du roi des Pays-Bas, déjà dépouillé de la plus grande partie de ses États. Et on s'étonnait à Paris, quand je n'y parvenais pas immédiatement; on accusait les gouvernements représentés à Londres d'être méfiants envers la France, et moi d'être leur dupe. Mais poursuivons. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 23 septembre 1831. »Je ne vous ai pas écrit ces jours-ci parce que la ville de Londres et tous les journaux étaient remplis des choses les plus effrayantes arrivées à Paris. Aujourd'hui, il paraît, par les lettres, que l'on est un peu plus calme et j'écris. J'envoie par le courrier d'aujourd'hui un protocole signé le 19[289], et qui, dans mon opinion, replace le gouvernement français dans la position que les derniers jours de faiblesse lui ont ôtée. La route ouverte par ce protocole est la route du salut. Je désire que le roi en sente toute la valeur, et je crois qu'il le fera. C'est un protocole de principes qui nous met d'accord avec ce que nous avons fait, et qui établit que c'est l'ordre et la paix qui nous ont conduit. De plus, nous sommes d'accord avec tous les traités existants. Les Belges ont leurs droits, mais ils ne peuvent pas attaquer ceux des autres. [289] Protocole numéro 41, signé le 15 septembre et non le 19. Il prend acte de la déclaration du prince de Talleyrand qui annonce que le gouvernement français retire de la Belgique le dernier corps de troupes, lequel n'y avait été laissé que sur la demande expresse du souverain de ce pays, et que la retraite de ce corps commencera le 25 septembre pour être entièrement effectuée le 30. En réponse à cette déclaration, les plénipotentiaires des quatre cours «ont témoigné au plénipotentiaire de France, la satisfaction avec laquelle ils la reçoivent. Cette nouvelle manifestation des principes élevés que la France fait présider à sa politique et de son amour pour la paix avait été attendue par ses alliés avec une confiance entière, et les plénipotentiaires prient le prince de Talleyrand d'être persuadé que leurs cours sauront apprécier à sa juste valeur la détermination prise par le gouvernement français.» »Depuis les événements de Juillet, rien n'avait causé à Londres une pareille inquiétude à celle qui, dans toutes les classes, a existé pendant trois jours, et cela n'est pas encore tout à fait fini. Adieu, je suis fatigué. Dites bien à Mademoiselle que c'est par une marche de principes que l'on prend une situation forte et honorable. Sans cela, on est entouré d'intrigants de tous genres. Je crois que le protocole d'aujourd'hui met le roi à son aise sur toutes les affaires de la Belgique. Il peut toujours dire: «Ce n'est pas moi, c'est la conférence.» Il vaudrait encore mieux ne rien dire du tout. Ne perdez pas de temps pour voir Mademoiselle.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 24 septembre 1831. »Vous avez, monsieur, remporté un triomphe dont l'Europe entière vous sait gré[290]. Comme Français, je vous remercie au nom de notre patrie commune: elle vous devra de reparaître brillante et honorée. Nous faisons ici ce que nous croyons devoir conduire à ce désarmement dont vous avez parlé si à propos. Il sera, si nous l'obtenons, principalement dû à cette laborieuse semaine que vous avez si heureusement terminée. [290] Le ministère avait eu à subir dans les séances des 19, 20, 21 et 22 septembre une série d'interpellations de plusieurs députés de l'opposition. La question extérieure fit particulièrement les frais du débat, car les événements de Varsovie avaient surexcité les esprits. La politique intérieure fut également vivement attaquée. Après de longs discours de MM. Mauguin, Lamarque et Thiers, et les répliques de MM. Casimir Périer et Sébastiani, la Chambre vota le 22 septembre par 221 voix contre 136 un ordre du jour par lequel «elle se déclarait satisfaite des explications données par les ministres et se reposait en leur sollicitude pour la dignité extérieure de la France.» »Je laisse à M. votre fils, à vous parler de nos angoisses passées et de notre satisfaction actuelle. Tous les bons esprits de l'Angleterre, et là ils sont nombreux, ont partagé notre sollicitude. »Adieu, monsieur, je n'ai à souhaiter pour vous et pour la France que la santé...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 24 septembre 1831. »Mademoiselle a raison: je crois tout à fait à l'amitié de Sébastiani; il vient de m'en donner une preuve nouvelle en me faisant connaître par le télégraphe l'heureuse issue de la séance du 22, si importante pour nos affaires et dont j'attendais le résultat avec une agitation qui m'a donné la fièvre hier. Ce n'est pas la première fois, j'ose le dire, que je l'ai eue dans de semblables circonstances. A mon âge, les nerfs s'ébranlent aisément, mais j'espère n'avoir plus cette triste preuve de dévouement à donner aux intérêts du roi. Ces intérêts ont été noblement et habilement défendus dans la Chambre des députés; le retentissement ici en est heureux et je l'ai fait valoir autant que possible. »Dans le traité qui nous occupe, je vois chacun animé d'un bon esprit; tout le monde a envie de faire de la bonne besogne. Nous avons communiqué à chacune des parties la proposition de l'autre; ils nous présenteront, lundi 26, leurs observations, et c'est dans la discussion qui suivra que je ferai valoir les arguments que le roi a eu la bonté de me fournir. On est disposé à être juste et équitable pour tout le monde et à en finir. »Les arrivages de Lisbonne nous ont appris hier de nouvelles cruautés de dom Miguel; elles faciliteront les efforts de M. de Palmella[291], que j'ai revu hier avec grand plaisir et qui part dans peu de jours pour Paris. [291] Le marquis de Palmella était alors l'ambassadeur de dom Pedro à Londres. Il fut peu après mis à la tête de la régence de Terceira, puis devint ministre des affaires étrangères et président du conseil. M. de Palmella avait autrefois connu M. de Talleyrand à Vienne où il représentait le Portugal au congrès. »Le ministère anglais n'est occupé que de _la réforme_; les pétitions arrivent de tous côtés: le 3 octobre est le jour où commencera le grand débat...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 27 septembre 1831. »L'affaire des forteresses donne de l'embarras et j'en suis très fâché; mais le fait est qu'elle a été gâtée par l'envoi de M. de Latour-Maubourg à Bruxelles. Depuis un an, je m'attache à montrer que nous ne sommes occupés que d'avoir une action commune avec les autres puissances et particulièrement avec l'Angleterre. Tout ce que j'avais obtenu de confiance à cet égard a été détruit par cette affaire à part que l'on a fait faire par M. de Latour-Maubourg à Bruxelles. Vous vous rappelerez qu'à cette époque je vous ai mandé tout cela. Aujourd'hui, il faut se tirer de la position où cela nous a mis, et tâcher de ne pas perdre la confiance que l'on avait en nous. C'est difficile, et cette fin de question m'est parfaitement désagréable.--Nous sommes dans le brouillard depuis huit jours; cela n'arrange pas ma tête qui est déjà fort en malaise par cette affaire des forteresses, qui aurait été toute seule si l'on n'était pas venu s'en mêler de Paris. J'ai voulu avant tout montrer que j'étais sans intrigue: c'était là ma force. A Paris, on n'a pas voulu de cette manière si simple et on a fait une petite intrigue de côté qui, aujourd'hui, a engagé les autres à prendre des précautions contre nous. Tout cela m'ennuie à la mort. »Adieu...» La lettre suivante d'un ami du général Sébastiani, d'un des conseillers très écoutés au Palais-Royal, et qui désirait plus encore me remplacer à Londres que de garder son poste de ministre à Berlin où il ne résida que trois mois, est un assez curieux témoignage de l'influence qu'exerce le changement de résidence sur certains esprits. LE COMTE DE FLAHAUT AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Berlin, le 25 septembre 1831. »J'ai reçu hier le protocole numéro 41 que vous avez eu la bonté de m'envoyer; sans cette bonté, je ne saurais pas un mot de ce qui se fait, car le ministère ne donne aucune information à son ministre à Berlin. Je trouve que les termes (du protocole) en sont excellents et réparent la position ridicule, embarrassante où nous avait placé le discours du maréchal Soult[292]. Il eût fallu, pour agir conformément à ses paroles, manquer aux engagements les plus clairs et les plus solennels. [292] Le maréchal Soult avait déclaré que l'armée française resterait en Belgique jusqu'à ce que l'indépendance de ce pays ait été solennellement proclamée et reconnue. »Je compte quitter Berlin ce soir pour profiter du congé que le roi m'a donné. Voilà trois semaines que je ne suis pas du tout bien et j'ai besoin aussi d'aller à Paris pour mes affaires. Vous y verrai-je? Il me semble que vous surtout avez le droit de vous reposer, si, le 10, votre tâche est finie. Vous avez bien raison de dire qu'il n'y a de salut pour nous que dans la paix. La guerre nous livre soit aux étrangers, soit à nos brouillons. Les Polonais servent ces derniers de tout leur coeur et je commence à me détacher d'eux. Ils s'aliéneront, par cette conduite, leurs meilleurs amis. Ils nous font aujourd'hui un crime de nos bons sentiments pour eux. En attendant, leurs armées se flattent d'obtenir de meilleurs termes par la résistance, et je crois qu'ils ne font qu'un peu plus gâter leurs affaires, car, petit à petit, les soldats quittent leurs régiments et retournent chez eux. Il eût mieux valu profiter des bonnes dispositions de Paskiewicz[293]; mais si le courage est l'attribut de cette belliqueuse nation, on ne peut pas dire qu'elle se distingue par la raison. [293] Ivan Foderowitch Paskiewicz, feld-maréchal russe né en 1777, fit les campagnes de 1805, 1806, 1812 et 1813. En 1826, il reçut le commandement de l'armée du Caucase. En 1831, il remplaça le maréchal Diebitsch à la tête de l'armée de Pologne, et reçut après la paix le grade de feld-maréchal et le titre de prince de Varsovie. Il fut en même temps nommé vice-roi de Pologne. En 1849, il commanda les troupes russes envoyées en Hongrie. Enfin, en 1854, mis à la tête de l'armée du Danube, il fut grièvement blessé devant Silistrie. Il mourut en 1856. »On dit que Romarino est entré en Gallicie avec dix mille hommes et que l'armée de Modlin fait mine de vouloir se jeter en Prusse[294]. Vous connaissez... [294] Après la paix de Varsovie, les débris de l'armée polonaise sous la conduite des généraux Romarino et Rybinski se retirèrent sur Modlin. Après une résistance désespérée ils se dispersèrent et se réfugièrent en Prusse et en Autriche. Le général Romarino passa en Gallicie le 16 septembre. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 30 septembre 1831. »Lisez le _Times_ d'aujourd'hui 30. Il faut le lire dans l'original, parce que les journaux français le défigureront, avec ou sans mauvaise intention. Lord Londonderry[295] m'a attaqué sur l'influence que j'exerçais sur la conférence et sur le ministère anglais; et tout cela avec des épithètes d'adresse et de finesse qui étaient plutôt malveillantes. Le duc de Wellington s'est levé et a vivement repoussé les attaques faites contre moi; il a surtout insisté sur ce que je défendais avec fermeté les intérêts de la France, sans que jamais personne ait pu attaquer la loyauté et la franchise de mon caractère. (Cela vous apprendra que cet homme qui vous aime est très franc et très loyal). Lord Rolland a parlé après le duc de Wellington; il a parlé dans le même sens et avec beaucoup de force. Ainsi, tous les partis ce sont réunis d'une manière très flatteuse pour moi[296]. [295] Charles-William Stewart, marquis de Londonderry, le frère de lord Castlereagh: on l'a déjà connu au congrès de Vienne sous le nom de lord Stewart. Voici le passage de son discours qui a trait à M. de Talleyrand.--Chambre des pairs; séance du 29 septembre: _Le marquis de Londonderry._--«La France cherche tous les moyens de diminuer l'influence de l'Angleterre et de la forcer à plier sous son ascendant. L'astucieux diplomate qui la représente ici n'est pas plus tôt battu à un poste qu'il se replie sur l'autre... Je me suis servi d'une forte expression en parlant du personnage qui dirige maintenant chez nous les négociations de la France. Je ne crois pas qu'on puisse trouver dans le monde entier un caractère semblable à celui de ce personnage. Il a été successivement ministre de Napoléon, de Louis XVIII et de Charles X. Quand on voit les ministres de l'Angleterre courir l'un après l'autre consulter un tel personnage, on éprouve un dégoût qui est tout naturel. Si vos seigneuries veulent savoir sur quelle base est fondée mon opinion sur le prince de Talleyrand, je les invite à lire le mémoire qu'il a adressé au premier consul le 15 brumaire an XI». [296] Voici l'extrait du _Times_ avec la traduction dont il est question dans ce passage: HOUSE OF LORDS _Thursday, september 29th 1831._ After lord Londonderry's attack on M. de Talleyrand, Lord Goderich said in the course of his speech: Another part of his noble friend's speech to which he desired to advert, was that which related to prince de Talleyrand, whom his noble friend had supposed to have great influence upon the councils of this country, and whom, proceeding on that supposition and upon certain parts of that illustrious person's past life, this noble friend has thought he was justified in pursuing with the most acrimonious animadversion although an ambassador from a friendly power. (_Loud cries of «hear»_) His noble friend, to do him justice, had not dipped his arrows so deeply in gall on this as on a former occasion; but still he must say that he had, even on this occasion, indulged in language the most imprudent and the most indiscreet that any public man could be betray'd into, with regard to an ambassador of a friendly power. (_Cheers._) He would not willingly have touched upon this part of his noble friend's speech because he thought the sooner it was forgotten, the better; but then, if he were silent, with regard to it, it might be supposed that the government were of opinion that those animadversions were not misplaced; and of that, were the case, the plain inference was, that prince de Talleyrand ought not to be allowed to remain here. If the government entertained the same opinion as his noble friend of prince de Talleyrand, it would be their duty to represent to His Majesty the king of the French that they could not transact business with such a person. He felt it necessary, therefore, to speak as he had spoken respecting these aspersions of the character of an individual whose station ought to have shielded him from such an assault. (_Cheers._) He knew that his noble friend would say that, because he protested against this indiscreet, imprudent and unjustifiable language, the government was truckling to France. Let him, however remind his noble friend, that prince de Talleyrand had been the Minister of the last two kings of France; that prince de Talleyrand had also had a large and important share in the deliberations of the congress of Vienna; the result of which deliberations the noble marquis thought so wise and so good. (_Cheers._) Surely, the noble marquis might have thought of these facts; but if he had, he would never have inter'd upon the unjust as well as the invidious occupation of ransacking every portion of prince de Talleyrand's life and bringing-up in judgment against him as present deeds and acts of this day, transactions which had taken place when the circumstances of France were so different, and when no man could act as his reason or his inclination dictated; but as the strong and uncontrolable tide of affairs compelled him to fashion his course. THE DUKE OF WELLINGTON.--Before he stated what his view of the subject was (l'emploi d'officiers français dans l'armée belge) he must be allow'd to say a few words respecting an illustrious individual (prince de Talleyrand) who had been so strongly animadverted upon by his noble friend near him. True it was that that illustrious individual had enjoy'd in a very high degree the confidence of his noble friend's deceased relative; and true it also was, that none of the great measures which had been resolved upon at vienna and at Paris had been concerted or carried on without the intervention of that illustrious person. He had no hesitation in saying that both at that time, in every one of the great transactions that took place then, and in every transaction in which he had been engaged with prince de Talleyrand since, the latest of which had occured during the short period in which he (the duke of Wellington) had been in His Majesty's councils after the late revolution in France,--he had no hesitation in declaring that in all those transactions, from the first to the last of them, no man could have conducted himself with more firmness and ability with regard to his own country, or with more uprightness and honor in all his communications with the ministers of other countries, than prince de Talleyrand. (_Cheers._) They had heard a good deal of prince de Talleyrand from many quarters; but he felt himself bound to declare it to be his sincere and conscientious belief that no man's public and private character, had ever been so much beleid as both the public and the private character of that illustrious individual had been. (_Much cheering._) He had thought it necessary in common justice, to say this much of an individual respecting whose conduct and character he had had no small means of forming a judgment. LORD HOLLAND--There was one part of the noble Duke's speech which had given him the greatest pleasure and which reflected the highest credit upon the noble Duke. He need hardly say that he alluded to the temper, the manliness and generosity with which the noble Duke had animadverted upon what had fallen from the noble marquis with regard to prince de Talleyrand. On public as well as on private grounds, he thanked the noble Duke for that part of his speech. There could be little difference of opinion as to the injustice and the want of generosity, of speaking in harsh and insulting terms respecting the ambassador of a friendly power, resident amongst us. On the other hand he felt that there could be no good taste in dwelling upon the virtue and the merit of a man's own acquaintance in an assembly like that of their Lordships; yet he trusted that he might be allowed to observe that forty years acquaintance with the noble individual who had been alluded to, enabled him to bear his testimony to the fact, that although those forty years had been passed during a time peculiarly fraught with calumnies of every description, there had been no man's private character more shamefully traduced, and no man's public character more mistaken and misrepresented, than the private and public character of prince de Talleyrand. CHAMBRE DES LORDS _Séance du jeudi 29 septembre 1831._ Après l'attaque de lord Londonderry contre M. de Talleyrand, Lord Goderich dit dans la suite de son discours: Il y a un autre point du discours de mon noble ami auquel je désire m'arrêter: c'est celui qui concerne le prince de Talleyrand qu'il suppose exercer une grande influence sur les ministres de ce pays; se fondant sur cette supposition et sur certains faits de la vie passée de cet illustre personnage, mon noble ami a pensé qu'il pouvait l'accabler des plus âpres censures quoiqu'il soit ambassadeur d'une puissance amie. (_Cris, écoutez._) Pour être juste, je dois reconnaître que mon noble ami n'a pas aujourd'hui trempé ses flèches aussi profondément dans le fiel qu'il l'avait fait à une autre occasion; cependant je dois dire que dans cette occasion-ci même, il s'est permis le langage le plus imprudent et le plus inconvenant auquel un homme public puisse se laisser aller à l'égard de l'ambassadeur d'une puissance amie. (_Applaudissements._) Je me serais volontiers abstenu de toucher à cette partie du discours de mon noble ami, parce que je pense qu'il vaut mieux qu'elle soit oubliée le plus tôt possible; mais alors si je gardais le silence sur ces attaques, on pourrait supposer que le gouvernement croit quelles ne sont pas mal fondées; et, si cela était le cas, la conséquence naturelle serait qu'on ne devrait pas supporter ici le prince de Talleyrand. Car si le gouvernement avait de lui la même opinion que mon noble ami, son devoir serait de représenter au roi des Français qu'il ne peut pas traiter les affaires avec une telle personne. J'ai donc jugé qu'il était nécessaire de parler comme je l'ai fait, au sujet d'attaques contre le caractère d'un individu dont la position aurait dû le mettre à l'abri. (_Applaudissements._) Je sais que mon noble ami dira que le gouvernement est soumis à la France, parce que je proteste contre son inconvenant, imprudent et injustifiable langage. Mais je lui rappellerai que le prince de Talleyrand a été le ministre des deux derniers rois de France et qu'il a eu aussi une grande et importante part dans les délibérations du congrès de Vienne, dont le résultat est considéré comme si bon et si sage par le noble marquis. (_Applaudissements._) Le noble marquis aurait certainement pu penser à ces faits; mais s'il y avait songé, il ne se serait pas livré à des recherches aussi injustes que haineuses sur toutes les époques de la vie du prince de Talleyrand, et il n'aurait pas été prendre pour base de son jugement, sur les faits actuels et les actes d'aujourd'hui, des faits qui avaient eu lieu lorsque les circonstances étaient si différentes en France, et lorsqu'aucun homme ne pouvait agir comme sa raison ou son inclination l'y aurait porté; mais comme le puissant et irrésistible courant des affaires le forçait a régler sa conduite. LE DUC DE WELLINGTON.--Avant que j'expose ma manière de voir sur le sujet en question (l'emploi d'officiers français dans l'armée belge), il doit m'être permis de dire quelques mots au sujet d'un illustre individu qui a été si fortement attaqué par mon noble ami qui siège près de moi. Il est vrai que cet illustre individu a joui à un très haut degré de la confiance du parent décédé, lord Castlereagh, de mon noble ami; et il est également vrai qu'aucune des grandes mesures qui ont été adoptées à vienne et à Paris, n'a été concertée ou exécutée sans l'intervention de cet illustre personnage. Je n'ai aucune hésitation à déclarer que, soit à cette époque, dans les grandes négociations qui ont eu lieu, soit dans celles que j'ai traitées depuis lors avec le prince de Talleyrand, et dont les dernières se sont passées durant la courte période pendant laquelle j'étais dans les conseils de Sa Majesté, après la dernière révolution de France,--je n'ai aucune hésitation, dis-je, à déclarer que dans toutes ces négociations, de la première à la dernière, aucun homme ne pouvait se conduire avec plus de fermeté et d'habileté dans l'intérêt de son propre pays, ou avec plus de droiture et d'honneur dans toutes ses communications avec les ministres des autres pays, que le prince de Talleyrand. (_Applaudissements._) Vous avez entendu dire beaucoup de choses sur le prince de Talleyrand, et de bien des côtés différents; mais je me sens obligé de déclarer que ma conviction sincère et consciencieuse est que jamais le caractère public et privé d'un homme n'a été autant travesti que l'a été le caractère privé et public de cet illustre individu. (_Grands applaudissements._) J'ai pensé qu'il était nécessaire, équitablement, de dire tout ceci d'une personne sur la conduite et le caractère de laquelle j'ai eu de nombreux moyens de former mon jugement. LORD HOLLAND.--Il y a une partie du discours du noble duc qui m'a causé le plus grand plaisir et qui lui fait le plus grand honneur. J'ai à peine besoin de dire que je veux parler de l'esprit, de la fermeté et de la générosité avec lesquels le noble duc avait repoussé ce qui a été dit du prince de Talleyrand, par le noble marquis. Dans l'intérêt public aussi bien que comme homme privé, je remercie le noble duc pour cette partie de son discours. Il ne peut y avoir une opinion différente sur l'injustice et le manque de générosité qu'il y a à parler dans des termes âpres et insultants de l'ambassadeur d'une puissance amie résidant parmi nous. D'un autre côté, je sens qu'il ne serait pas de bon goût de m'étendre sur les qualités et les mérites d'un homme de ma connaissance, dans une assemblée comme celle de vos seigneuries; cependant j'espère qu'il me sera permis de dire que quarante années de relation avec le noble individu auquel il a été fait allusion, m'ont mis en état de rendre témoignage à ce fait, que, quoique ces quarante années se soient écoulées à une époque particulièrement fertile en calomnies de toute espèce, il n'a pas existé d'homme dont le caractère privé ait été plus honteusement diffamé et le caractère public plus méconnu et plus faussement représenté que le caractère privé et public du prince de Talleyrand. Si on se rend compte de la droiture et de la véracité bien connues du duc de Wellington et de l'amitié qui a existé pendant quarante ans entre lord Holland et le prince de Talleyrand, l'esprit le plus prévenu devra apprécier ce que cette séance de la Chambre des pairs d'Angleterre a de particulièrement honorable pour M. de Talleyrand. Il ne faut pas perdre de vue que le duc de Wellington était le chef de l'opposition dont faisait partie l'attaquant, le marquis de Londonderry, et que les lords Goderich et Holland étaient membres du ministère. (_Note de M. de Bacourt._) »A Paris pour lequel je me tue, personne n'imagine d'en faire autant. On se croit quitte de tout quand vous m'avez écrit quelques paroles douces et je suis porté à croire que l'on a raison.--Le sort du bill de _réforme_ est encore incertain: mais ce qu'il y a de sûr, c'est que, le bill adopté ou rejeté, les ministres resteront.--A présent, nous avons des conférences de cinq à six heures chaque jour; nous voulons finir et nous finirons.--Le roi de Hollande n'attaquera pas, quoi qu'en disent tous les journaux et tous les messieurs de Celles et Cie. Si même il était nécessaire de prolonger de quelques jours l'armistice, je crois qu'il s'y prêterait.--Qu'on nous laisse faire et l'on finira suffisamment bien. »Adieu...» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 1er octobre 1831. »J'ai reçu, mon prince, les deux lettres que vous avez bien voulu m'adresser; vous savez tout le plaisir que j'éprouve à avoir directement de vos nouvelles. »J'ai été extrêmement sensible à ce que vous voulez bien me dire d'obligeant à l'occasion des événements de la semaine dernière. Je n'ai fait dans cette circonstance, avec quelque danger peut-être, que ce que réclamaient la gravité des désordres et la nécessité de déjouer de coupables projets, armés du prétexte d'un événement extérieur. »Parvenus cette fois encore à rétablir l'ordre, à surmonter un mal qui a eu ses retentissements dans de tristes débats parlementaires, nous ne négligerons aucun effort de notre dévouement pour arracher la France aux périls dont ce mal la menace et avec elle la civilisation de l'Europe. Ainsi que de votre côté, mon prince, vous vous appliquez si noblement à le faire, aussi longtemps qu'il me sera donné de pouvoir rester à la tête des affaires, j'emploierai toutes les forces qui sont en moi à l'oeuvre si difficile de rasseoir l'ordre social si ébranlé par les attaques des partis, et, en général, si peu courageusement défendu par les hommes de bien. »Nous avons reçu, mon prince, votre dernière dépêche à laquelle était joint le quarante-quatrième protocole. La conférence, mue par le sentiment de la nécessité de terminer les affaires belges, s'est décidée à prendre l'initiative. Elle a résolu de dresser un projet de traité définitif entre les deux pays[297]. Nous ne pouvons méconnaître l'opportunité de cette mesure. [297] En exécution du traité préliminaire des dix-huit articles, la conférence avait proposé le 24 septembre un projet de traité définitif qu'elle adressa aux plénipotentiaires hollandais et belges. Ceux-ci répondirent le 26 par deux contre-projets entièrement dissemblables. La conférence jugea que les deux parties ne pourraient jamais s'entendre si on les laissait à elles-mêmes; elle dressa un protocole (nº 44 du 26 sept.) dans lequel elle décidait de fixer de sa propre autorité les articles du projet de traité. C'est en suite de ce protocole que fut arrêté le traité des vingt-quatre articles. »Nous sommes également pressés, sans doute, de voir enfin cette question résolue, et d'ôter ainsi aux passions les prétextes qu'elles y cherchent; mais par-dessus tout, nous tenons, mon prince, à ce que les bases établies par le général Sébastiani, dans ses diverses dépêches, puissent être consacrées dans le projet de traité, et si, pour obtenir plus complètement, plus sûrement ce résultat, le délai du 10 octobre était trop rapproché, nous devrions alors désirer que ce terme pût recevoir une prorogation de quinze jours. »Il importe essentiellement dans la position où nous sommes placés, que la solution des affaires belges satisfasse aux vues comme aux nécessités du gouvernement. Cette solution renferme jusqu'à un certain point la question de notre maintien possible au pouvoir. »Pour cela, mon prince, une séparation entre les deux pays qui enlève à l'un et à l'autre tout motif ou prétexte de collision, la possibilité pour chacun d'eux de jouir en paix de l'indépendance qui lui est nécessaire et des avantages attachés à leur position respective, des conditions, en un mot, dont la France puisse exiger efficacement l'adoption, sont des nécessités dont votre haute sagesse est certainement bien pénétrée. »Des propositions ont été entendues par le gouvernement sur la pensée de placer un prince de la maison de Nassau sur le trône de la Grèce. Sans préjuger le sort de ces propositions, on pourrait les envisager comme une cause possible de plus de facilité dans les arrangements, en ce qui concerne la Hollande. Le gouvernement ne serait pas éloigné de les écouter dans cette vue. »Agréez...» M. Casimir Périer fait allusion, dans le dernier paragraphe de sa lettre, à l'idée qui avait été mise en avant par la Russie de dédommager le roi des Pays-Bas, en donnant le trône de Grèce au fils cadet de ce souverain, le prince Frédéric, qui était son fils de prédilection, mais le roi lui-même repoussa cette proposition qui n'eut pas d'autre suite. LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 3 octobre 1831. »Votre lettre en date du 29 passé, mon cher prince, m'a fait un véritable bien. Vous aviez observé un si long silence que je ne savais m'en expliquer le motif. Malgré la multiplicité de vos occupations, j'espérais toujours que vous trouveriez un moment pour me parler de votre santé et de votre bien-être. Vous ne pouvez douter que personne ne forme des voeux plus sincères pour votre bonheur que je ne le fais. »Je félicite l'Europe et la France en particulier si, par un _arbitrage équitable_, la question batave finit. Aussi longtemps que la question de la guerre est pendante, il ne faut pas croire qu'il soit possible de ramener la confiance. Personne ne se fait illusion sur les conséquences de la guerre. Elle doit amener des bouleversements sur plusieurs points, et la France aurait tort de se flatter qu'ils seraient à son avantage. Toutes mes relations en Italie et en Allemagne me confirment que si les peuples ont applaudi à la révolution de Juillet, tous voient et jugent les conséquences des fautes qui se commettent ici. »Un ami, dans une haute position en Allemagne, m'écrit: »Votre France et votre Paris commencent réellement à nous dégoûter. Prenez-y garde! un beau jour, vous pourriez facilement dans une guerre générale avec nous avoir le sort de la Belgique dans la dernière bagarre avec la Hollande. Il n'est pas écrit dans le ciel que, partout et toujours la victoire sera fidèle aux armées françaises. Rappelez-vous les dernières années de Louis XIV et de Napoléon. Cette soi-disant sympathie des peuples se perd de plus en plus. On est fatigué de vos émeutes, de vos intrigues, de vos inconséquences, et du bavardage insultant de vos factions.» »Des voyageurs reviennent de Cologne. Ils confirment cette même observation. A Cologne, les Prussiens tiennent un parc d'artillerie de deux cents pièces attelées. Le comte Nostitz[298] qui y commande une partie de l'armée, a dit à une personne que je ne puis nommer:--Nous défendrons contre la France notre traité. Qu'elle fasse ce qu'elle voudra chez elle, mais qu'elle cesse de troubler la situation de ses voisins. Notre armée désire la guerre, nous pouvons entrer en campagne avec deux cent mille hommes. Notre organisation et notre nombre nous assurent des succès. Le prince de Metternich s'est engagé avec nous. Les Autrichiens et les contingents allemands présenteront le même nombre sur le Rhin, et ils en auront autant avec les Piémontais en Italie. Si le roi de France ne veut être que le roi du jacobinisme qu'il cherche un autre théâtre que l'Europe. Nous nous défendrons. [298] Le comte de Nostitz-Rieneck, général de cavalerie, né en 1777. Il fit les campagnes de 1806, 1813,1814 et 1815. Après la paix, il commanda la cavalerie de la garde. En 1830, le prince Guillaume, frère du roi, ayant été envoyé dans les provinces rhénanes comme gouverneur civil et militaire, le comte de Nostitz l'accompagna en qualité de chef d'état-major. Il quitta l'armée en 1848 et fut en 1850 nommé ministre à Hanovre. Il se retira en 1859 et mourut en 1866. »A Munich, le roi s'est livré entièrement au prince de Wrède. Soixante mille Bavarois sont à la disposition du cabinet de Vienne. Pfeffel[299] n'a pas reçu depuis six mois un mot de réponse à toutes les balivernes qu'on lui débite ici au ministère des affaires étrangères. Il y a à Munich un M. Mortier[300] qui est haut et cassant, qui déplaît au roi et à tout le monde et auquel on tourne le dos. On y regrette Rumigny[301] qui était commère, mais qui ne tracassait pas. [299] Chrétien Hubert, baron Pfeffel de Kriegelstein, fils de l'historien et du diplomate de ce nom qui avait servi autrefois dans les bureaux de M. de Vergennes. Né en 1765, il entra dans la diplomatie au service de la Bavière, et mourut en 1835 à Paris comme ministre plénipotentiaire de ce pays. [300] Le baron Hector Mortier, neveu du maréchal duc de Trévise, né en 1797, était premier secrétaire à Berlin sous la Restauration. Après la révolution de Juillet, il fut nommé ministre plénipotentiaire à Munich, puis à Lisbonne (1833), à la Haye (1835), à Berne (1839) et à Parme (1844). Il avait été créé pair de France en 1845. En 1851, il devint premier chambellan du prince Jérôme Napoléon et mourut en 1864. [301] M. de Rumigny était le frère du général de ce nom, aide de camp du roi. »Louis de Rohan est de retour à Vienne. Il dit qu'on y est furieux contre tout ce qui est Français, et qu'on est prêt à la plus vigoureuse défense. Un de mes amis en Suisse, chef d'un des cantons, m'écrit en date du 20 septembre: «Les troubles qui nous agitent ont tous une origine qui part de vos clubs. Mauguin, qui a fait cet été un voyage en Suisse, a excité les esprits. Plusieurs de nos chefs qui sont allés à Paris, se vantent d'être encouragés par La Fayette, Lamarque, et poussent nos démagogues. Tout cela est odieux et vous préparera de grands malheurs. L'Europe ne peut pas vivre ainsi.» »Quant à la Pologne, mon cher prince, vous devez avoir de meilleures informations que je ne puis vous en offrir. Voici, au reste, ce que j'en pense et ce que je sais. La révolution de la Pologne était toute dans l'armée; la guerre, toute sur la Vistule. Les cabinets connaissent les noms de vingt-sept individus partis de Paris pour opérer le mouvement à Varsovie. Les premiers succès étaient dus à une brillante armée polonaise, fournie de tout, prête à entrer en campagne, et qui tenait vingt à trente millions en caisse. Des noms respectables furent entraînés; on croyait à des secours d'ici. Ils étaient promis!!! Le maréchal Diebitsch a attaqué avec des forces incomplètes. L'hiver a été l'allié des Polonais. Quand les Russes ont eu leur armée réunie et que la Vistule était passée, la victoire a fait ce qu'elle fait pour l'ordinaire: elle s'est décidée pour les gros bataillons. Les Polonais ont été malmenés; Varsovie s'est rendue; l'armée polonaise, que l'empereur Nicolas ne veut plus laisser subsister, s'est retirée; elle a négocié, mais en attendant les réponses de Saint-Pétersbourg, elle s'est presque dissoute. Il n'y a plus dix mille hommes sous les armes. En un seul jour six cents officiers ont fait leur soumission. La défection est générale. Cette révolution avait commencé par des assassinats et des crimes; elle a fini de même. »Voici, je crois, le système que le cabinet russe va suivre. 11 n'admettra l'intervention d'aucun autre cabinet. Il laissera subsister _limite_ et _nom_ du royaume de Pologne; mais il ne consentira plus ni à l'existence d'une diète, ni à celle d'une armée polonaise. Et, à mon avis, il a raison. Dans le moment présent, il n'y a d'habileté qu'en organisant une autorité forte et en la maintenant. Le Palais-Royal a tellement ébranlé tous les liens de la société politique, qu'il est temps d'y regarder de près. Je conseille à notre ministère de se pénétrer de cette vérité. C'est dans ce même besoin que j'applaudis à toutes les dispositions favorables aux Hollandais. De plus, permettez que je vous soumette une observation fondée sur des faits historiques. La Hollande, forte et puissante, comme État qui a une marine, importe beaucoup plus à la France que la Belgique bavarde et turbulente comme elle l'est et le sera encore longtemps. Il y a quelques jours que j'ai fait cette observation à M. Casimir Périer. Cette sollicitude pour la révolution belge me paraît absurde. Tout ce qui sera rendu à la Hollande sera bien donné. Voilà, au moins, mon avis. »J'en étais là, mon cher prince, lorsqu'on m'a apporté les journaux anglais qui rendent compte des folies de lord Londonderry. Il est ce qu'il a toujours été, mais je vous fais mon compliment du résultat de ce débat parlementaire, aussi honorable que possible pour votre position et dont je me réjouis pour vous. »Tâchez, mon cher prince, que l'affaire batave finisse. Si le roi de Hollande insiste sur du territoire au lieu d'argent, il faut le lui donner. Le Luxembourg a deux cent quarante mille habitants. La forteresse reste avec un rayon; cela peut compter pour quarante mille habitants. Eh bien! les deux cent mille restant peuvent être donnés autour de Venloo et de Maëstricht. Quelle importance y a-t-il que les Belges aient quelques villages de plus ou de moins? L'essentiel est qu'on conserve la paix. Il y a eu avant-hier une assez vive discussion à ce sujet entre M. Sébastiani, Werther[302] (ministre de Prusse) et Pozzo. Une personne présente m'en a fait le récit. Le premier se soulevait contre le résultat de _l'arbitrage_. Il prétendait qu'il ne pouvait pas le défendre à la tribune; il disait même que plutôt que d'y adhérer, la France retirerait ses pouvoirs et verrait sans regret la fin de la conférence; M. de Werther le combattit; Pozzo dit peu; mais en sortant du salon, il dit à Werther: «Pourquoi vous disputiez-vous avec lui? vous savez bien que ce n'est pas avec lui qu'on fait les affaires.» [302] Ministre de Prusse à Paris. Son fils fut plus tard ambassadeur de Prusse à Paris. Il était encore accrédité en 1870, au moment de la guerre. »Je pense donc, mon prince, que M. Périer ne vous laissera pas dans l'embarras. Il faut finir, comme vous l'observez très bien. Plus tard on reconnaîtra l'immense service que vous avez rendu à la France. »Je ne vous parle pas de nos Chambres. Celle des députés est stupide, et le ministère et le roi ont abandonné celle des des pairs. C'est une des plus grosses inconséquences dans le nombre de celles qui se commettent tous les jours. »Agréez...» Je n'acceptai pas comme complètement exact _tout_ ce que contenait cette lettre de M. de Dalberg; mais je dois reconnaître qu'il y avait beaucoup de vrai. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 3 octobre 1831. »Je trouve qu'à Paris on prend très mal les affaires de la Belgique dans le moment actuel. On veut faire une Belgique en prenant dans un endroit ou dans un autre; c'est bien aisé: tout le monde sait faire cela; mais, ce n'est pas la question. Il s'agit de remettre la Hollande et la Belgique dans la situation respective où elles étaient l'une vis-à-vis de l'autre en 1790. Avant cette époque, la Hollande n'inondait pas la Belgique; il y avait un traité de 1785 qui empêchait ce genre de désordre[303]. On peut le renouveler et la proximité de la France aura bien plus d'influence sur la Hollande que n'en avait l'Autriche qui était si éloignée. En vérité, toutes les difficultés que l'on fait à Paris et qui sortent du cerveau et des machinations de M. de Celles sont bien faibles; elles peuvent toutes être résolues par un enfant. Il est cependant singulier que l'on soit la dupe d'un mauvais sujet comme M. de Celles, qui ne peut pas retourner en Belgique, et qui craint que les affaires ne s'arrangent. C'est une affaire de laquelle dépend la paix ou la guerre, cette affaire belge; elle pourrait se finir bien; et j'appelle _bien_, à l'avantage des Belges, sans mettre le roi de Hollande dans la position de refuser son adhésion. Pourquoi prendre à quelqu'un? Est-ce là un traité juste? Ici on ne consentira pas à ce que l'on veut en France. C'est vraiment chercher des embarras. Ma raison ne me laisse voir que des malheurs si on reste dans les idées folles dans lesquelles les faiseurs nous jettent. [303] Article VI du traité du 8 novembre 1785 entre les Pays-Bas et l'empereur. »Adieu, je voudrais bien n'avoir que de l'humeur; mais j'ai plus que cela, j'ai du chagrin...» «Londres, le 4 octobre 1831. »La première discussion du bill de _réforme_ a eu lieu hier à la Chambre des lords; elle continue aujourd'hui, et peut-être ne finira-t-on que demain. On est toujours dans la même incertitude; cependant, on croit que quelques évêques se sont rapprochés du ministère dans la soirée d'hier. Il y avait dans la Chambre et autour de la Chambre un monde prodigieux. Je vais maintenant à une conférence. Nous sommes près de finir, si à Paris on ne veut pas faire une Belgique chimérique; mais on peut, si on le veut, avoir une vraie Belgique. On fera des stipulations, pour empêcher les inondations; on aura aux écluses des commissaires belges et des commissaires hollandais; ainsi, il n'y aura plus de danger de ce côté. La Belgique aura deux routes de communication de plus pour déboucher ses produits et ses marchandises en Allemagne. Elle aura une augmentation de population de cinquante mille âmes, et la France verra détruire les forteresses que M. de Latour-Maubourg a désignées et pour lesquelles nous avons ici le général Goblet[304]. Il me semble que cela est assez pour être content. Enfin, finissons et cherchons dans la paix une force nouvelle. C'est là où le gouvernement trouvera des appuis et des forces de tout genre....» [304] Albert-Joseph Goblet comte d'Alviella, général belge né en 1790, sortit en 1811 de l'École polytechnique et servit jusqu'en 1815 dans les armées françaises. A cette date, il passa au service du roi des Pays-Bas. En 1830 il se rallia au gouvernement provisoire belge qui le nomma général de brigade et ministre de la guerre. En 1831, il fut envoyé à Londres comme commissaire près la conférence. En 1832 il devint ministre des affaires étrangères. En 1836 il fut élu député, et l'année suivante envoyé à Lisbonne comme ministre plénipotentiaire. De retour en Belgique (1843) il rentra aux affaires étrangères. Il se retira en 1845. Il fut à plusieurs reprises élu député, et siégea toujours dans le parti libéral. Il mourut en 1873. LE ROI LÉOPOLD AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 4 octobre 1831. »Mon cher prince, »J'avais chargé le baron de Stockmar[305] d'une lettre pour vous; comme il a été malade, il se peut bien qu'il n'ait pu encore vous la remettre. [305] Christian-Frédéric baron de Stockmar, né à Cobourg en 1787, était médecin dans cette ville. Il y fut connu du prince Léopold qui en 1815 l'attacha à sa personne et l'emmena à Londres. Il demeura auprès de lui durant tout son séjour en Angleterre, fut choisi comme médecin par la famille royale et vécut particulièrement dans l'intimité du duc de Kent, père de la reine Victoria. Sa situation devint bientôt importante. Il fut le conseiller et le confident influent et très écouté de la reine Victoria. Aussi ses souvenirs et notes historiques qu'il a laissés sont-ils une source d'informations très précieuses pour l'histoire de cette époque. M. Saint-René-Taillandier en a tiré matière pour une série d'articles qui ont paru dans la _Revue des Deux Mondes_ de 1876 à 1878. Après être resté de longues années à Londres, M. de Stockmar se retira à Cobourg où il mourut en 1863. »Nous nous trouvons ici dans l'attente du courrier de La Haye. Le temps pressant, j'ai dû faire mes arrangements militaires comme si la guerre était certaine, mais que faire? Je ne puis pas attendre le dernier moment. Poussez la conférence à quelque mesure _énergique_; il est évident que le roi de Hollande voudrait embrouiller les affaires pour y gagner. Cependant, il est bien désirable pour tout le monde que cette guerre ne se fasse point. Vous pouvez compter sur mes sentiments, vous les connaissez; je puis me flatter d'avoir contribué au maintien de la paix, et je ne cesserai de le faire. Mon objet a toujours été de maintenir la bonne harmonie entre la France et l'Angleterre; j'y ai réussi jusqu'à présent; soutenez-moi de votre côté. J'y trouve le _véritable salut_ de l'Europe entière. Il faut cependant que, dans la crise actuelle, la conférence montre de _l'énergie_; sans cela, la confusion dans les affaires _va être grande_. »Offrez mes hommages à madame de Dino; conservez-moi un peu de bienveillance, et agréez l'expression de mes sentiments distingués. »LÉOPOLD.» LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 4 octobre 1831. »Mon cher prince, »M. de Mortemart est arrivé (de Pétersbourg). On répand qu'il a été très bien traité par l'empereur Nicolas à son départ. N'en croyez rien: l'empereur a été poli, voilà tout. Croyez encore que Pozzo n'a plus la confiance de son maître. L'empereur voulait le rappeler. Nesselrode l'a soutenu en priant l'empereur de consentir qu'il se retirât également de son poste de ministre des affaires étrangères. L'empereur, alors, a suspendu sa décision. »Si on ne met ici la plus grande prudence dans les relations avec la coalition, nous aurons la guerre au printemps. C'est mon opinion qu'on finisse l'affaire batave, ou _La Haye_ reste une boîte de Pandore. »A Berlin, le roi seul se refuse à faire la guerre; Flahaut y a fait une pauvre figure. »Ici, l'affaire de la pairie tourne vers l'adoption du projet de M. Teste[306], invention de Sémonville. On l'espérait hier. Je crois qu'on n'est sûr de rien.» [306] M. Teste avait proposé un amendement aux termes duquel la pairie se transmettait au fils aîné du pair à condition qu'il serait déclaré _digne_ par un collège électoral. Cet amendement fut repoussé. Jean-Baptiste Teste, né en 1780, avait été avocat à Paris, puis à Nîmes et commissaire général de police à Lyon sous les Cent-jours. Proscrit à la deuxième Restauration il se réfugia à Liège où il demeura jusqu'en 1830. Il revint alors à Paris, fut élu député en 1831, devint vice-président de la Chambre, puis garde des sceaux en 1839, ministre des travaux publics en 1840, pair de France et premier président de la Cour de cassation en 1843. Impliqué en 1847 dans le procès intenté au général Cubières, il fut traduit devant la Cour des pairs, et condamné à trois ans de prison. Il mourut en 1850. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 7 octobre 1831. »J'ai été plus longtemps que je ne voulais, mon cher prince, sans vous écrire; mais nous avons été dans un tel culbutis pour nous installer aux Tuileries, et j'y suis si en l'air encore et si mal établie, que, pour moi, et jusqu'à ce que je puisse aller dans le logement du capitaine des gardes que l'on arrange, autant que cela est possible, je suis, à la lettre, en campement. Mais, toute affaire cessante, j'ai besoin de vous exprimer combien je jouis du triomphe que vous venez d'avoir dans le parlement d'Angleterre, et de m'en féliciter de tout mon coeur avec vous. Maintenant, ce qu'il nous faut à la suite de cela, c'est un bon traité pour la Belgique, qui donne sécurité et assurance que le roi de Hollande n'aura plus autant de facilité pour inonder ce malheureux pays, ou y rentrer si la fantaisie lui en revenait, qu'il désarme, et que vous puissiez vous reposer un peu de toutes vos fatigues, que je vois avec peine, d'après ce que vous me mandez de votre santé qui nous est bien nécessaire. J'espère cependant que vous ne vous ressentez plus de cet accès de fièvre dont vous me parliez dans votre dernière lettre. Il me tarde bien d'en avoir l'assurance par vous-même. Nous attendons aussi avec impatience le résultat de la seconde lecture du bill de réforme. »Notre installation dans ces tristes et détestables Tuileries produit, à ce qu'on assure, un excellent effet. Nous avons bien besoin de cette consolation, car cela a été un bien grand sacrifice pour notre cher roi, de quitter son beau et charmant Palais-Royal, notre berceau, et que nous aimons tant, pour venir dans ce triste palais, le plus incommode du monde, où il est impossible de s'arranger d'une manière commode et agréable, sans y faire de grands changements et de grands travaux. Mais, patience! il ne faut avoir en vue que le but et y marcher sans s'arrêter à ce qui plaît ou ne plaît pas, et faire tous les sacrifices pour l'atteindre. C'est ce que fait notre bien-aimé roi, de la meilleure grâce du monde et d'une manière admirable et touchante; et j'ai toujours la confiance qu'il en sera amplement récompensé, ce dont j'ai un grand besoin, quand je vois que sa vie, depuis qu'il est roi, n'a été qu'une succession de sacrifices et de privations. Heureusement, au milieu de tout cela, sa santé se soutient très bonne; il me charge de mille et mille choses pour vous ainsi que la reine, qui trouve, avec trop de raison, une immense différence du logement qu'elle quitte au Palais-Royal, à celui qu'elle trouve ici: c'est celle du bien au mal. Chartres et Nemours sont partis dimanche dans la nuit pour Maubeuge; nous avons de très bonnes nouvelles de leur arrivée....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 8 octobre 1831. »Le bill de la réforme a été rejeté à la Chambre des lords; la majorité contre a été de quarante et une voix; c'est beaucoup plus qu'on ne croyait. Ce nombre empêchera probablement de faire des pairs. Tous les esprits sont en suspens et chacun se demande quel parti prendront le roi et le ministère. Il y a un conseil de cabinet en permanence depuis ce matin. On ignore quel en sera le résultat....» «Londres, le 12 octobre 1831. »... Je reçois chaque jour des apologies sur ce que l'on a fait si étourdiment à Bruxelles, en affichant une lettre de Sébastiani qui disait qu'on ne reconnaît pas les décisions de la conférence. Cela a fait ici un si mauvais effet, que l'on est obligé d'abandonner cette démarche et de l'attribuer à des causes locales qui exigeaient que pour empêcher des folies, on fît une pareille communication. Tout cela ne fait pas respecter la marche du gouvernement; on se presse trop en toute chose. L'Angleterre n'estime pas cela. L'empereur Napoléon, qui était un homme de _mouvement_, me savait toujours gré de ce que je retardais l'exécution, ce qui lui donnait le temps d'abandonner des résolutions prises trop vite.--Je resterai jusqu'au bout dans ma manière de voir; je veux faire tout pour la paix: c'est là ma mission; et tout ce qu'il sera indispensable de faire pour cela, je le ferai, sans regarder qui je blesse ou ne blesse pas....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA DUCHESSE DE BAUFFREMONT. «Londres, le 13 octobre 1831. »... Il y a eu hier soir quelque train à Londres. On a cassé les vitres du duc de Wellington, celles de lord Bristol[307] et du marquis de Londonderry. Aujourd'hui tout est tranquille. Dans les campagnes il y a eu aussi quelques désordres, mais ils n'ont pas été nombreux. Je crois que l'assurance que l'on a que le ministère restera, va faire finir tous ces troubles-là. Mais ce n'est pas moins un moment difficile et dont la vue est pénible pour ceux surtout qui savent ce que c'est que les mouvements politiques dont le peuple s'empare. [307] Frédéric-William Hervey marquis de Bristol, né en 1769, membre de la Chambre des communes de 1796 à 1803. A cette date, il succéda à son père à la Chambre des lords. Il fut ministre des affaires étrangères de 1801 à 1803. Lord Bristol était l'un des membres les plus ardents du parti tory et l'adversaire du bill de réforme. Il mourut en 1859. »J'ai des conférences ici tous les jours et je crois que nos affaires de Belgique seront finies de la part de la conférence dans huit jours. Mais après, il faudra les adhésions des rois de Hollande et de Belgique et les ratifications des grands cabinets de l'Europe....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 22 octobre 1831. »J'espère qu'enfin nous touchons au terme et que l'affaire si difficile de la Belgique va être terminée. Le jour où j'en aurai la certitude sera le plus beau jour de ma vie, car j'aurai servi à faire quelque chose qui, sous tous les rapports, doit convenir au roi et à Mademoiselle. Il me semble que tout va devenir plus facile en France; on ôte aux malveillants un grand moyen d'attaque, et le bienfait de la paix doit réunir tous les intérêts autour du trône. Je suis bien heureux, je vous vois grande et tranquille. »Il faut à présent jeter les esprits actifs vers les améliorations intérieures dont, par la paix, ils peuvent s'occuper sans crainte. La décentralisation de l'administration doit, à ce qu'il me semble, être la première occupation du roi. Il faut donner à tout le monde quelque chose à faire. »On est bien fort pour montrer, comme le roi d'Angleterre l'a fait dans son discours[308], à quel point la conférence a été utile et à quel point le travail de cette conférence est loin de tout ce qui est sorti de la Sainte-Alliance. J'écrirais des volumes sur tout cela et Mademoiselle le sait bien mieux que moi. [308] Discours prononcé le 20 octobre pour proroger le parlement. »Je la prie....» Ainsi que cette lettre le dit, la conférence avait avancé dans l'oeuvre de médiation qu'elle poursuivait si péniblement depuis près d'un an, entre la Hollande et la Belgique. Elle avait dû nécessairement revenir sur quelques-unes de ses résolutions précédentes, dont les événements avaient modifié les bases. Elle en expliqua ses motifs dans ses protocoles du 15 octobre; je me bornerai à en citer ici quelques extraits: «Ne pouvant abandonner à de plus longues incertitudes des questions dont la solution immédiate est devenue un besoin pour l'Europe; forcés de les résoudre, sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale; éclairés, du reste, sur tous les points en discussion, par les informations que M. le plénipotentiaire belge, et MM. les plénipotentiaires des Pays-Bas leur ont données, les soussignés n'ont fait qu'obéir à un devoir dont leurs cours ont à s'acquitter envers elles-mêmes, comme envers les autres États, et que tous les essais de conciliation directe envers la Hollande et la Belgique ont encore laissé inaccompli; ils n'ont fait que respecter la loi suprême d'un intérêt européen du premier ordre; ils n'ont fait que céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un arrangement définitif que l'Europe, amie de la paix et en droit d'en exiger la prolongation, a cherché en vain, depuis un an, dans les propositions faites par les parties, ou agréées tour à tour par l'une d'elles et rejetées par l'autre.... »... Les cinq cours se réservant la tâche et prenant l'engagement d'obtenir l'adhésion de la Hollande (et de la Belgique) aux articles dont il s'agit, quand même elle commencerait par les rejeter; garantissant de plus leur exécution et convaincues que ces articles fondés sur des principes d'équité incontestables offrent à la Belgique (et à la Hollande) tous les avantages qu'elle est en droit de réclamer, ne peuvent que déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer, par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte qui, devenue aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs, et menacerait l'Europe d'une guerre générale que le premier devoir des cinq puissances est de prévenir. Mais, plus cette détermination est propre à rassurer la Belgique (et la Hollande) sur son avenir et sur les circonstances qui y causent maintenant de vives alarmes, plus elle autorisera les cinq cours à user également de tous les moyens en leur pouvoir, pour amener l'assentiment de la Belgique (de la Hollande) aux articles ci-dessus mentionnés, dans le cas où, contre toute attente, elle se refuserait....» A la suite des protocoles du 15 octobre, la conférence avait rédigé les bases de la séparation, entre la Hollande et la Belgique, en vingt-quatre articles qu'elle avait adressés à La Haye et à Bruxelles en réclamant l'adhésion des deux gouvernements à ces articles. Cette mesure de la conférence était irrévocable et mettait ainsi à l'abri d'un renouvellement des hostilités entre les deux parties, puisque c'était désormais l'Europe qui avait tranché leur différend. La correspondance qui suit fera voir que la question était jugée dans ce sens à Paris, ainsi qu'elle le fut partout. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Londres, le 19 octobre 1831. »C'est avec bien de l'empressement, et de bien bon coeur, mon cher prince, que je viens me féliciter avec vous de votre immense et beau succès en terminant d'une manière aussi heureuse, cette longue et si compliquée affaire de la Belgique. Notre cher roi me charge aussi de vous bien dire combien il en est heureux, et satisfait _de son ambassadeur_. Je suis sûre que c'est le meilleur remerciement que je puisse vous faire de sa part. Je regarde que cela nous assure la paix; et cela est tout, car, avec elle, la confiance renaîtra et avec cela la prospérité de notre chère et belle France. Cette bonne et grande nouvelle fait un effet prodigieux et cause une joie générale. J'espère que maintenant vous pourrez vous reposer et soigner votre santé, en jouissant de vos succès et des grands résultats qu'ils auront. Je ne doute pas un instant de l'acceptation du roi des Belges; certes, ils doivent être contents. »Quant au roi de Hollande, il faudra bien qu'il se contente de ce que la conférence a fait pour lui. Je vous avoue que ce côté ne me tourmente pas. »Ce qui est une bien bonne chose aussi, c'est que le ministère anglais reste, et que tout se calme et se tranquillise par la juste confiance qu'il inspire[309]. [309] On avait craint que le cabinet anglais ne se retirât devant le vote de la Chambre des lords qui avait repoussé le bill de réforme. »Dieu veuille que notre grande question de la pairie se termine bien! nous sommes dans la même incertitude à cet égard, que vous l'étiez en Angleterre sur le bill de réforme. Du reste, mon cher prince, je suis toujours remplie de confiance, et il me semble que nous marchons bien....» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 3 novembre 1831. »Je n'ai pas besoin de vous dire, mon prince, combien j'ai ressenti de satisfaction en recevant les dernières lettres que vous m'ayez fait l'honneur de m'écrire. Le retour de mon fils, porteur de la première de ces lettres, ne devait me rien laisser à désirer, puisque je recevais à la fois de vos nouvelles et la certitude que l'oeuvre si importante et si difficile confiée à votre haute sagesse était enfin accomplie. »Cette oeuvre, mon prince, vous l'avez menée à fin à notre plus grande satisfaction possible; elle est et demeurera, malgré les attaques des passions et des vils intérêts qu'elle déjoue, un nouvel et immense service rendu au pays. L'effet s'en est promptement fait sentir, bien que les partis aient cherché, comme ils cherchent encore, à inspirer des craintes sur l'accueil réservé à cette grande détermination par les parties qu'elle intéresse directement. »La paix maintenue, la paix reposant désormais sur de solides bases, est un événement qui ne peut avoir pour la France que des résultats favorables, sous le double rapport de sa politique au dehors et de son état intérieur; et cet événement, qui justifie si bien votre opinion sur l'utilité de la conférence, nous le devons, la France le doit, mon prince, à vos nobles efforts; et ce n'est pas ce qui me cause le moins de satisfaction. La postérité vous rendra cette justice entière que, dans les temps d'agitations sociales, les hommes chargés des intérêts publics ne doivent point attendre des contemporains. »Ainsi, mon prince, je vous le dis avec plaisir, notre situation est sans nul doute améliorée par le maintien de la paix en Europe; mais nous ne devons pas nous dissimuler qu'il nous reste beaucoup à faire encore; que le problème n'est pas encore résolu, et qu'il faut trouver le point d'appui. »Parmi les difficultés intérieures qui nous restent à surmonter, celle de la pairie n'est pas la moins ardue. Diverses considérations non sans gravité, et qui ne sauraient échapper à vos lumières, nous faisaient désirer de pouvoir éviter, jusqu'après l'adoption de la loi, de faire une adjonction à la Chambre des pairs, mais nous avons reconnu que cela n'était pas possible et qu'une promotion immédiate était indispensable.... »Nous avons reçu hier la nouvelle de l'acceptation des vingt-quatre articles par la Chambre des représentants de la Belgique; tout annonce que le Sénat suivra immédiatement cet exemple[310]. La Hollande, nous devons le croire, acceptera. Ainsi vont se trouver aplanies les difficultés périlleuses du dehors; ainsi se trouvera accompli ce grand devoir qui, dans l'état actuel des peuples de l'Europe, était imposé aux hommes placés à leur tête: celui de prévenir entre eux toute collision. Heureux effet, mon prince, de cette confiance que vous avez su inspirer dans les vues franches et loyales du gouvernement du roi. [310] Le traité des vingt-quatre articles fut adopté le 1er novembre par la Chambre des députés à la majorité de 59 voix contre 38, et le 3 novembre par le Sénat par 35 voix contre 8. »La fatigue que vous avez éprouvée, mon prince, pouvait me faire craindre pour votre santé. Vos dernières nouvelles, en se taisant à cet égard, me font espérer que vous ne vous en ressentez plus. Je ne puis, toutefois, me défendre de vous engager à ménager beaucoup une santé si précieuse à l'État et qui m'est particulièrement bien chère....» LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, 4 novembre 1831. »Mon cher prince, »... Le ministère continue à négocier avec la Chambre des pairs pour la faire consentir à se suicider. M. Périer est venu deux fois chez moi pour traiter cette question. Je n'ai pu admettre que le roi et le ministère n'aient, par leur faute, compromis cette question; mais j'ai pris l'engagement d'aider à écarter une trop grande dissidence entre les deux Chambres. Pour faire passer la loi, il faudra nommer trente ou quarante pairs, et, à ma connaissance, dix ou douze nominations ont été refusées. Cependant, je crois qu'on arrivera à une transaction. »M. Sébastiani nous a donné encore un nouvel échantillon de sa manière de diriger les affaires de son ministère. Personne ne conserve un doute que le _duplicata_ adressé au général Guilleminot n'ait point eu de _primata_[311]....» [311] On se rappelle les motifs qui avaient provoqué le rappel du général Guilleminot ambassadeur à Constantinople (voir page 153). De retour à Paris le général prit la parole à la Chambre des pairs (séance du 2 novembre) et pour se justifier, déclara que n'ayant jamais reçu aucune instruction du gouvernement français, il ne pouvait être accusé d'y avoir contrevenu; qu'à la vérité il avait reçu avec son ordre de rappel le duplicata d'une dépêche qui lui aurait été envoyée précédemment, mais que cette dépêche, il ne l'avait jamais reçue. Le général Sébastiani protesta qu'il avait envoyé cette dépêche, et la question ne fut pas élucidée. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 10 novembre 1831. »... Le roi de Hollande fera traîner son acceptation jusqu'au retour du courrier qu'il a envoyé à Pétersbourg, pour s'assurer de l'opinion du cabinet, qu'il croit différer de celle des plénipotentiaires russes à Londres. La réponse viendra dans les premiers jours de décembre, et celle qu'il fera faire à la conférence par ses plénipotentiaires suivra. Ainsi, nous avons naturellement vingt jours à attendre. Cela donne le temps aux journaux de dire et d'écrire toutes sortes de conjectures, toutes plus insensées les unes que les autres....» «Londres, le 15 novembre 1831. »Nos articles sont signés. Les Belges vont crier, mais ils ont tort; tout est fait équitablement et, je crois, favorise les Belges, ce que je voulais, surtout du côté de la frontière qui touche la France. La Belgique paye beaucoup moins de la dette publique, qu'elle ne le faisait avant la séparation; ainsi, elle n'a rien à dire. Sa population est augmentée et le commerce intérieur, par les facilités qu'on lui donne, va beaucoup gagner; deux routes de commerce entre la Belgique et l'Allemagne, la jouissance de tous les canaux intérieurs, la jonction de l'Escaut au Rhin, et l'application de tout ce qui a été fait à Mayence pour la navigation des fleuves à la Belgique qui en jouira immédiatement. »Je suis horriblement fatigué; hier notre conférence jusqu'à cinq heures du matin, et avant-hier jusqu'à quatre. Je crois avoir obtenu tout ce qui était possible d'obtenir. Il faut que la France appuie par tous ses moyens à Bruxelles nos articles qui sont excellents....» Voici comment la conférence avait procédé pour arriver au résultat que j'indique dans ma lettre à madame de Vaudémont: Les Chambres belges après des débats très animés, avaient accepté les vingt-quatre articles que nous avions adressés le 15 octobre aux gouvernements hollandais et belge; mais le ministère belge avait pris l'engagement de ne donner son adhésion définitive: 1º Qu'après avoir obtenu ou tenté d'obtenir quelques modifications aux articles; 2º Qu'après avoir acquis la certitude que le roi, élu par les Belges, serait immédiatement reconnu. Le plénipotentiaire belge à Londres nous avait remis le 12 novembre une note pour faire valoir ces restrictions[312]. La conférence lui répondit le même jour que les vingt-quatre articles ne pouvaient subir de modification et qu'il n'était plus au pouvoir des cinq puissances d'en consentir une seule; par une seconde note du 14 novembre, la conférence prévint le plénipotentiaire belge que rien ne s'opposait à ce que les vingt-quatre articles reçussent la sanction d'un traité entre les cinq puissances et la Belgique, ce qui satisfaisait à la demande de reconnaître le roi élu par les Belges. [312] Par sa note du 12 novembre, M. Van de Weyer demandait, sur le premier chef: 1º La revision des calculs qui avaient servi à la conférence de base pour le partage de la dette entre la Hollande et la Belgique; 2º Une rectification de frontières en faveur de la Belgique, sur les points où la ligne frontière séparait des usines métallurgiques du minerai nécessaire à leur exploitation; 3º Le libre accès et la libre navigation de la Moselle pour les habitants du Luxembourg. Cependant, la conférence informa le 13 novembre les plénipotentiaires hollandais de l'acceptation de la Belgique et leur offrit l'initiative de la signature du traité. Leur réponse ayant été négative, le 15 novembre le traité fut signé entre les plénipotentiaires des cinq cours et celui de la Belgique[313]. [313] Voir ce traité dans l'Annuaire de Lesur ou le Recueil des traités de Martens. Ce traité reproduisait d'abord les vingt-quatre articles auxquels on ajouta les trois suivants: ARTICLE XXV.--Les cours d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, garantissent à Sa Majesté le roi des Belges l'exécution de tous les articles qui précèdent. ARTICLE XXVI.--A la suite des stipulations du présent traité, il y aura paix et amitié entre Leurs Majestés l'empereur d'Autriche, le roi des Français, le roi du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le roi de Prusse et l'empereur de Russie d'une part, et Sa Majesté le roi des Belges de l'autre part, leurs héritiers et successeurs, leurs États et sujets respectifs à perpétuité. ARTICLE XXVII.--Le présent traité sera ratifié et les ratifications en seront échangées à Londres dans le terme de deux mois, ou plus tôt, si faire se peut. Après la signature de ce traité, on aurait pu croire que la question du sort de la Belgique, qui depuis près d'un an tenait l'Europe en suspens, était définitivement réglée, sinon en ce qui concernait le Hollande, du moins en ce qui touchait la Belgique et les cinq puissances, mais on va voir que la chose n'était pas aussi simple, et que j'étais loin encore du terme de mes travaux. Comme précédemment, je laisserai parler la correspondance qui éclairera mieux que je ne pourrais le faire moi-même, sur les nouvelles difficultés qui survinrent. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 16 novembre 1831. »... Nous avons signé hier le traité avec la Belgique: voilà le prince Léopold reconnu ainsi que son pays. C'est une grande affaire de faite. La signature des cinq puissances à ce traité entraîne nécessairement l'adhésion du roi de Hollande. Il n'y a entêtement qui tienne, il faudra qu'il cède. Je crois qu'aux Tuileries on verra avec plaisir le courrier que j'envoie pour porter ce traité. C'est le premier que fait le roi, et il est utile à la France dont il couvre la frontière et à la Belgique qu'il rend indépendante. »Je suis loin de penser à retourner à Paris; je ne l'ai dit à personne; c'est un des contes que fait madame de Flahaut, qui pense toujours à venir en Angleterre où elle ne peut pas venir parce qu'elle y est détestée, et parce que son mari n'est pas un assez gros personnage pour l'ambassade de Londres; car, sous d'autres rapports, il conviendrait. Il est aimable, connaît assez de monde et parle bien anglais; mais ici ce n'est pas tout. »Je vais à Brighton respirer et faire ma cour au roi. Je viens de travailler outre mesure et j'ai besoin de repos. Dites-moi quel est le prétendu homme d'État qui a fait l'histoire de la Restauration? Cela n'est vrai que chronologiquement, c'est plein de faussetés et d'ignorance[314]....» [314] Voir page 350. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 18 novembre 1831. »Le traité est arrivé hier soir, mon cher prince, je ne puis vous exprimer le plaisir que m'a fait la vue de la guirlande des cachets des représentants des cinq puissances, posés sur nos très chères couleurs. C'est une immense affaire que vous venez de terminer, j'ai besoin de m'en féliciter avec vous et de vous en faire mon compliment, du meilleur de mon coeur. Car, certes, il a fallu tout votre zèle, tout votre talent, votre habileté pour arriver à cet heureux résultat si important pour le bonheur de notre chère patrie et en vérité pour celui de toute l'Europe. »Ce qu'il faut maintenant, pour que cette grande affaire soit réellement terminée, c'est d'obliger le roi de Hollande à se prononcer et à exécuter le traité. Il est bien essentiel pour _tous_ que cela se fasse promptement, mais particulièrement pour le roi des Belges, car, si cette incertitude se prolongeait, elle le remettrait envers ses sujets, dans une position bien fâcheuse et qui serait tout à fait contraire à la dignité et aux engagements des cinq puissances qui viennent de signer ce traité. Je suis convaincue que vous voyez de même à cet égard et que tous vos efforts vont tendre à l'exécution prompte et parfaite du traité, ce qui est de la plus grande importance, du moins cela me paraît ainsi, comme de le faire signer au roi de Hollande. »Rien de nouveau encore sur notre loi de la pairie qui est aussi une bien grande affaire. Je suis dans la même ignorance et la même attente à cet égard que la dernière fois que je vous ai écrit. Madame de Vaudémont m'a fait part de votre dernière lettre et j'ai donné connaissance de ce que vous y mandiez, à qui de droit....» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce samedi 19 novembre 1831. »Mon cher prince, »Le traité de Londres du 15 novembre 1831 sera une grande époque dans l'histoire. Plus ses conséquences se développeront, plus la France appréciera le grand service que vous venez de lui rendre, et je suis pressé de vous témoigner combien je m'associe à cette appréciation et à tous les sentiments que ce grand succès doit inspirer pour vous. C'est une belle réponse à toutes les attaques par lesquelles on a vainement essayé de fausser la marche de mon gouvernement et la vôtre pendant le cours de ces longues et laborieuses négociations. C'est pour moi la plus douce récompense de la constance et de la ténacité avec lesquelles je vous ai soutenu ainsi que le général Sébastiani dans toutes les phases de cette longue lutte. La voilà enfin terminée d'une manière aussi solide qu'honorable, car je regarde le traité que vous venez de signer comme la fin des coupables espérances de ceux qui se croyaient certains de tout bouleverser par la guerre et qui ne la proclamaient inévitable qu'afin de se donner plus de moyens de l'allumer. Il est remarquable que c'était à la fois le langage des absolutistes et celui des propagandistes dans tous les pays, et ne vous dissimulez pas que pour achever de paralyser leurs efforts, il faut encore obtenir que le roi de Hollande signe et exécute le traité dans le plus court délai. »Vous nous donnez l'assurance qu'il va s'y décider et j'en accepte l'augure avec d'autant plus de plaisir que je crois que ce n'est pas seulement notre intérêt particulier et même l'intérêt général de l'Europe qui doivent le faire désirer, mais que c'est éminemment le sien propre et celui de la Hollande qui lui prescrivent de renoncer au système de procrastination pour lequel il paraît pencher, et duquel je pense qu'on ne peut attendre que des malheurs pour lui-même et pour ses voisins. Il me semble que l'heureux accord qui s'est établi entre tous les plénipotentiaires de la conférence et que vous avez si efficacement contribué à maintenir, devrait suffire pour lui faire sentir que c'est le meilleur parti qu'il puisse prendre aujourd'hui. «Vous connaissez, mon cher prince, tous les sentiments....» LE COMTE DE FLAHAUT AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 19 novembre 1831. «Vous voilà donc au but: ce n'est pas sans peine. Ce sera un bien grand résultat que d'être parvenu à maintenir la paix au milieu de toutes ces révolutions et ces déchirements. Qui aurait pu croire que le royaume des Pays-Bas, cette oeuvre de la Sainte-Alliance, hostile à la France, pût être anéantie sans une guerre générale? Il fallait toute votre habileté. Vous avez été bien servi par le ministère actuel; mais auparavant, vous n'avez pas été sans difficultés partant d'ici. Mais vous voilà au port; car je ne crois pas à une véritable opposition, ni de la Hollande, ni de la Belgique. On a envoyé hier le maréchal Gérard à Bruxelles, pour bien dire qu'il n'y avait aucun appui à attendre d'ici pour une résistance aux conditions stipulées. On avait songé à m'y envoyer; mais Gérard vaut infiniment mieux et aura une voix bien plus puissante. »La loi sur la pairie a été votée par les députés à une majorité de trois cent quarante-six voix; il n'y a guère moyen de résister à une manifestation aussi prononcée. Cependant, on ne sait pas encore ce que feront les pairs. Des folies, je présume....» LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 21 novembre 1831. »Votre petite lettre du 15 ne m'est parvenue qu'hier au soir. Je vous remercie du fond de mon coeur. Chaque fois que vous m'écrivez vous m'allumez un flambeau au milieu des ténèbres, et je vois que vous poursuivez avec vigueur la carrière que la conférence a entreprise. La séparation de la Belgique d'avec la Hollande brise une forte machine de guerre placée sur notre frontière et sur les points les plus vulnérables. _Cela vous est dû_: et il n'y a que la crasse ignorance de nos députés et de nos journalistes, leur mauvaise foi, leur inspiration passionnée qui empêchent qu'on le dise et qu'on le reconnaisse. »Le roi de Hollande a droit de ressentir vivement les façons peu courtoises de ses alliés. Comme la Prusse et la Russie consentent à sacrifier leurs relations de famille et que ces deux cabinets paraissent agir avec sincérité pour maintenir l'état de paix en Europe, je crois que le roi de Hollande accédera aux conventions déjà arrêtées; et si même, son consentement n'arrive pas dans les premiers jours de décembre, il ne peut tarder beaucoup au delà. Vous lui avez laissé, au reste, deux mois de temps, et je suppose que vous l'avez fait pour qu'il ait le temps de recevoir des réponses du nord. Il accédera donc, mais il restera, comme ses ancêtres Guillaume II et III, l'ennemi le plus irréconciliable de la France, et il formera autour de lui un foyer d'intrigues pour renverser ce qui existe ici. Il y a pour cela de puissants éléments, et l'alliance faite dans ce sens entre le carlisme et le bonapartisme, peut seconder et nourrir ses efforts. »Pour le moment, l'attitude des cabinets de l'Europe est calme. Ils réfléchissent sur leur position, et regardent autour d'eux. Mais le ressentiment et la défiance germent dans leurs entrailles, et comment pourrait-il en être autrement? Nos tribunes, les intrigues révolutionnaires qui partent d'ici sans que le gouvernement puisse ou veuille l'empêcher, le langage insensé et insultant de nos journaux, sont autant d'excitations pour eux, à resserrer fortement les traités de Chaumont, signés contre la _Révolution française_. Je crois être sûr que les trois grandes cours se sont entendues de nouveau à ce sujet. Le langage de leurs légations en Allemagne, et en Italie, mielleux avec nos agents, est très excitant avec les petits États. On représente la France comme exigeant la plus sévère surveillance et on cherche à assurer et à fortifier les liens d'une étroite alliance, en cas qu'ici le parti révolutionnaire et du mouvement reprendrait le dessus. Il est impossible qu'il en soit autrement. Jusqu'à ce que l'Europe ait la conviction que la révolution de Juillet se consolide, il n'y aura pour la France _accueil nulle part_. »Cependant, si dans deux ans ce qui a été établi est fortifié, croyez qu'à l'heure qu'il est, ici et à Pétersbourg, on pense déjà à un mariage, et que Pozzo, qui a vu manquer celui du duc de Berry, travaille celui qui peut être en projet. C'est même dans cet avenir que la demande du roi de Bavière pour son fils a été déclinée à Pétersbourg. Je ne doute pas que, si on pénètre ce projet à Londres et à Vienne, ces cours ne cherchent à le contrecarrer, comme cette dernière fait ce qu'elle peut à Naples pour en éloigner une princesse d'Orléans. Tout cela, mon cher prince, me prouve que la confiance a quelque peine à s'établir, et qu'il faut éviter tout ce qui peut l'altérer. »Vous me demandez, qui est _l'homme d'État_ qui publie la médiocre histoire de la Restauration? C'est un nommé Capefigue[315] journaliste et auteur de quelques autres ouvrages. Lié avec Mignet, il a eu, sous M. Molé, accès aux archives; il va chez Molé et Pasquier qui ont lu et corrigé sa publication. Il a cherché pendant plusieurs années à réunir un tas d'anecdotes en causant avec les uns et les autres; et il a conçu son plan pour se faire de l'argent. Après la publication des deux premiers volumes, j'ai fait sa connaissance, par M. Buchon[316]; j'ai voulu lui faire corriger quelques faits avancés par lui, mais mes efforts ont été inutiles. Il écrit pour son libraire; il veut faire dix volumes; et, pour les remplir, il accapare tout ce qui lui vient sous la main. M. Decazes s'est maintenant emparé de lui, et il lui fournit des matériaux pour écrire ce qui regarde son ministère. M. Capefigue avait, il y a quelque temps, une note qu'il disait lui être venue de Londres et de gens qui vous sont attachés. Elle renfermait l'idée d'une alliance entre la France, l'Angleterre et l'Autriche, qui se négociait. Il en a fait des articles pour quelques journaux, on en a causé; mais les initiés ont tout de suite dit que c'était une mystification; que M. de Metternich, peut-être, en laissait percer la possibilité, mais que, dans le fond, il s'en tiendrait à l'alliance continentale avec les deux cours de Berlin et de Pétersbourg. [315] Baptiste-Honoré-Raymond Capefigue, né à Marseille en 1801, journaliste et publiciste. Il collabora sous la Restauration à un grand nombre de journaux, principalement au _Messager des Chambres_ qui défendait le ministère Martignac. Il se fit également connaître par un grand nombre d'ouvrages historiques que, dans les premiers temps, il signait habituellement du pseudonyme: _un homme d'État_. Il mourut en 1872. [316] Jean-Alexandre Buchon, journaliste et publiciste. Sous la Restauration il écrivit dans le _Censeur européen_ et le _Constitutionnel_. Il s'occupa également d'histoire et publia les _Chroniques nationales françaises_, en 47 volumes. »A l'heure qu'il est, il ne faut pas vouloir jeter la division parmi les puissances. Le monde se fond, se dissout, sous les coups de l'anarchie mentale qui a envahi la société humaine. Il faut constamment parler de réformer les abus, y toucher un peu, mais recréer de l'autorité. »Les événements de Bristol[317] et ceux dont Londres peut être menacé, révèlent la plaie profonde qui ronge sourdement le sein de l'Angleterre. Lord Grey et son compère M. Brougham ont saisi la réforme sur une trop vaste échelle. C'est M. Necker avec son _doublement du tiers_. Quand les masses sont soulevées, sont poussées par des brouillons, par des La Fayette, qui peut les arrêter? C'est sous ce point de vue que le succès de la révolution belge produit un mauvais effet et il s'agit de le neutraliser. L'empereur Nicolas, en attendant, s'en est chargé en Pologne. Il faut ramener du repos dans les esprits, ou tout ira au diable. [317] Une émeute sanglante avait éclaté le 29 octobre à Bristol, à l'occasion de l'arrivée dans cette ville de sir Ch. Wetherell, député aux Communes, qui s'était montré particulièrement ardent contre le bill de réforme. Pendant deux jours, la ville avait été dominée par les émeutiers qui incendièrent la plupart des monuments publics. »En Allemagne, on commence à être fou. Les tribunes de Munich et de Carlsruhe sont en délire. On se demande, à Berlin et à Vienne, comment y parer? Je conseille d'établir, par la diète de Francfort, que les débats ne seront pas publics et que les droits de la _confédération générale_ ne sont pas sujets à être discutés. Cela servira d'arrêt. »Notre Chambre des pairs a enfin reçu aujourd'hui son coup de grâce[318]. M. Casimir Périer et le roi en font un cadavre. Le premier médite de dissoudre la Chambre des députés après que le budget de 1832 sera voté. Je ne le conseille pas. On en aurait probablement une plus mauvaise. Il faut laisser celle-ci épuiser ses sottises. »Le prince Paul de Wurtemberg me prie de vous rappeler ses voeux et son ambition de courir les chances de ce malheureux Capo d'Istria. Je crois que le choix de sa personne comme roi de Grèce ne serait pas mauvais....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 2 décembre 1831. »... Je ne sais rien de cette affaire de Lyon que par les journaux[319]; elle inquiète ici. Le souvenir de Bristol et la crainte de Manchester[320] ne laissent pas le pays sans quelque souci. On désire ardemment que cela finisse et que l'on trouve quelque arrangement qui, sans être trop une concession, satisfasse les gens qui n'ont pas de quoi vivre avec la journée qui leur est payée dans les grandes fabriques. C'est un problème qui est difficile à résoudre. Mon opinion n'est pas que la population soit trop nombreuse pour la totalité du territoire, mais elle n'est pas bien distribuée et c'est de cette distribution dont le gouvernement devrait s'occuper. Et, pour le faire, au lieu de donner des secours en masse dans tel endroit, dans une grande ville, il faut ordonner un travail dans un département où il y a beaucoup de défrichements à faire, beaucoup de marais à dessécher. Ce travail-là, on le payerait à des hommes d'un autre département qui y viendraient, car on vient toujours où il y a un travail et un salaire. Ainsi en Auvergne, en Limousin, en Nivernais, en Berry, on n'a pas les bras suffisants; il faut faire des efforts là pour y appeler du monde. Cela soulagerait des provinces où il y a trop, et cela enrichirait les provinces qui manquent. En Berry, par exemple, nous avons besoin de trois cent mille âmes; en Nivernais, on manque aussi. Des avantages accordés à ceux qui iraient en appelleraient beaucoup: c'est là de la bonne administration....» [318] Allusion à l'ordonnance du 20 novembre qui créait trente-six nouveaux pairs. Cette ordonnance avait pour but de modifier la majorité de la Chambre haute et la rendre favorable au projet de loi voté par la Chambre des députés qui décidait l'abolition de l'hérédité de la pairie.--Le 27 décembre suivant, en effet, la Chambre des pairs se prononçait contre l'hérédité à la majorité de trente-trois voix. [319] Une insurrection avait éclaté à Lyon le 21 novembre, provoquée par une baisse de prix sur les soies. Le mouvement n'avait rien de politique. Après deux jours de combat les troupes durent évacuer la ville. Il fallut attendre une armée de trente-deux mille hommes commandée par le maréchal Soult et le duc d'Orléans pour y rentrer. [320] On craignait à Manchester une répétition des scènes de Bristol. M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 4 décembre 1831. »Mon prince, »Il y a longtemps que j'éprouve le besoin de vous adresser de nouveau l'expression de la gratitude que nous devons à vos soins dans le cours difficile des négociations au milieu desquelles vous avez assuré au représentant de la France le rang et l'influence qui lui appartiennent. »Le gouvernement n'attendait pas moins de cette haute expérience dont les inspirations ont si heureusement préparé le traité qui vient de fonder les relations des grandes puissances sur le pied d'une égalité politique et d'une communauté d'intérêts désormais incontestable pour tout le monde. »Je me félicite, mon prince, d'avoir à vous remercier à la fois comme président du conseil du roi, comme député, comme Français, de la part notable que vous avez prise à cette importante transaction qui commence, en quelque sorte, l'ère nouvelle d'un autre droit public dont l'unique objet sera d'assurer le repos des peuples et le développement paisible des bienfaits de la civilisation. »Mais l'Europe, mon prince, entrée ainsi dans cette voie, ne peut plus permettre à personne, vous le sentez comme moi, d'y semer des obstacles. Je ne doute donc pas que vous n'ayez insisté, et que vous n'insistiez encore avec persévérance, pour écarter les vaines difficultés que le roi de Hollande semble essayer d'opposer encore aux déterminations des puissances. Il est temps d'en finir. Le roi le veut aussi sincèrement que ses alliés qui se sont engagés, comme lui, à assurer l'exécution des vingt-quatre articles, et j'ose réclamer de votre part les soins les plus actifs pour ajouter cette dernière garantie à l'oeuvre de pacification dont l'affermissement doit d'autant plus vous tenir à coeur que vous y avez eu le plus de part. C'est l'accompagnement indispensable du désarmement général qui est dans la volonté et dans l'intérêt de tous et dont un incident isolé ne doit pas contrarier plus longtemps l'exécution. »Je ne puis, mon prince, vous parler des intérêts de l'État sans y trouver, avec empressement, l'occasion de m'applaudir des relations plus étroites qu'ils ont établies entre nous deux et que la présence de mon fils près de vous me rend si précieuse. Je suis heureux de penser qu'il contribue, par son assiduité et son zèle, à vous rappeler sans cesse les sentiments de son père, et je fais des voeux ardents pour que son avenir témoigne à tous, un jour, sous quels auspices il est entré au service du roi et du pays....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 10 décembre 1831. »Monsieur, »Dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 4 de ce mois, votre amitié vous fait dire des choses dont je sens tout le prix. Vous oubliez que ce que j'ai eu à faire a été bien moins difficile, du moment où l'administration de notre pays a été dirigée par une volonté forte et avec cet esprit de franchise auquel j'entends chaque jour donner les plus grands éloges et qui est devenu un gage de sécurité pour l'Europe. »L'obstination du roi de Hollande nous empêche de dire aujourd'hui que les affaires de Belgique sont terminées, mais le fait est que plus tôt ou plus tard, c'est-à-dire dans plus ou moins de semaines, il faudra qu'il cède. La marche méthodique que nous suivons nous a réussi avec la Belgique; en ne précipitant rien, nous réussirons de même avec la Hollande. L'accord qui existe et qu'il faut soigneusement entretenir entre les grandes puissances finira par écarter les difficultés qui existent encore. Les réponses de Pétersbourg doivent, à ce que dit le prince de Lieven, arriver sous peu de jours et dissiperont les illusions que le roi Guillaume se fait encore. Attendons, s'il est nécessaire. Ne pas se presser dans les démarches que l'on a à faire a un grand avantage: c'est que, quand on ne se presse pas, cela prouve qu'on est bien. »Permettez-moi de vous engager à laisser l'assemblée faire des économies tant que cela lui plaît; cela ne vaut pas la peine de rompre des lances tous les matins; le bon sens fera changer bientôt tout ce que l'amour de la popularité aura fait faire cette année. Comme la liste civile est fixée pour tout le règne, c'est elle seule qui mérite vos efforts. »Je suis fort aise que vous me laissiez encore quelque temps M. votre fils. Dans le courant de sa carrière, il trouvera bien peu de circonstances où il y ait tant à apprendre. Non seulement les affaires politiques qu'il suit avec moi, mais les discussions parlementaires de cette année, lui serviront toute sa vie. Je ne saurais donner trop d'éloges à son caractère, à son assiduité, au désir qu'il a d'être utile et aux développements que fait son esprit chaque jour. »Je vous renouvelle, monsieur.... »_P.-S._--Ne vous découragez pas! C'est là tout ce que l'Europe vous demande.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 15 décembre 1831. Une réponse de Hollande est arrivée; elle a quarante pages in-folio et je suis obligé de la lire. Je vous assure que j'aimerais mieux lire quarante pages de votre mauvaise écriture.--En résultat, le roi de Hollande accepte les limites, se soumet à la répartition de la dette et demande qu'il soit fait, entre lui et la Belgique, un traité qu'il veut négocier, pour établir la navigation sur les rivières et les droits sur les canaux[321].... Cela veut dire qu'il adopte ce qui est bon pour lui, c'est-à-dire les limites, et qu'il se refuse à ce qui convient à la Belgique, c'est-à-dire à la libre navigation des fleuves et des canaux. [321] Ce mémoire daté du 14 décembre, proteste contre la communauté de la surveillance du pilotage, du balisage et de la police de l'Escaut; il revendique le cours de ce fleuve sur le territoire hollandais comme une propriété hollandaise; il s'élève également contre la participation des Belges à la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin. Tout cela s'arrangera, mais avec peine. Le roi Léopold nous embarrasse un peu en déclinant son engagement sur les forteresses, engagement qu'il a pris avec M. de Latour-Maubourg et dans une lettre qu'il a écrite au roi Louis-Philippe[322]. Il faudra bien aussi que cela s'arrange sans trop se fâcher. Le principe de la démolition est établi et reconnu, l'injure faite à la France est réparée et quarante-cinq millions que coûtent aux alliés les forteresses sont perdus. Voilà le vrai résultat de ce traité qui serait meilleur sans la _négociation à part_ que l'on a voulu faire à Bruxelles et qui a mis ici tout le monde en méfiance....» [322] Le gouvernement belge avait signé le 8 septembre l'engagement suivant: «Sa Majesté le roi des Belges a autorisé le soussigné, ministre des affaires étrangères à communiquer au gouvernement français, par la voie de M. le marquis de Latour-Maubourg, qu'elle consent et s'occupe, conformément au principe posé dans le protocole du 17 avril 1831, à prendre de concert avec les quatre puissances aux frais desquelles les forteresses ont été en partie construites, des mesures pour la prompte démolition des forteresses de Charleroi, Mons, Tournai, Ath et Menin, érigées depuis 1815 dans le royaume des Pays-Bas.» Or, au cours de la négociation engagée à Londres sur cette question des forteresses, le général Goblet, plénipotentiaire belge, voyant la répugnance de la conférence à admettre le démantèlement de Tournai et de Charleroi, laissa substituer à ces places celles infiniment moins importantes de Philippeville et de Marienbourg. Le cabinet français protesta vivement, se fondant sur l'engagement formel pris le 8 septembre par le gouvernement belge. A quoi le roi Léopold répliqua que cette convention n'était pas un engagement ferme, mais de simples préliminaires qui n'engageaient à rien. La France dut accepter le fait accompli. La convention du 14 décembre entre la Belgique d'une part et les quatre cours de l'autre consacra cette substitution.--Les pages qui vont suivre développeront la suite de ces négociations. Voir également sur cette grave question des forteresses: _Une Mission à Londres en 1831_ par le général Goblet. «Londres, le 17 décembre 1831. »... Je vais aller entendre la lecture de la note de quarante pages, envoyée au Foreign Office avant-hier. Quand on a raison, on n'écrit pas quarante pages.--A Paris, on sera mécontent du traité sur les forteresses; mais cette affaire se traite sans moi dans des conférences des quatre puissances et du plénipotentiaire belge. La France recommande, mais ne répond pas et n'entraîne pas. C'est, du reste, lord Grey qui est effrayé de la motion de lord Aberdeen[323], soutenue par le duc de Wellington, ce qui rend plus difficile à défendre la question des forteresses. Depuis que l'on a transporté à Bruxelles la négociation des forteresses, on a ici de la méfiance. Cette affaire, _traitée à part_, a déplu depuis qu'elle est devenue publique. J'avais recommandé le secret, on ne l'a pas gardé....» [323] Lord Aberdeen avait eu dès ce moment la pensée de proposer à la Chambre des pairs une motion contre le traité des 24 articles et la convention du 14 décembre; mais une indisposition du duc de Wellington qui lui avait promis son appui le détermina à renvoyer sa motion après les vacances de Noël (séance du 16 décembre); elle eut lieu le 26 janvier. Lord Grey défendit victorieusement la politique du cabinet, et la Chambre lui donna raison par 132 voix contre 95. Pour l'intelligence de cette lettre et de celles qui vont suivre, il est indispensable de revenir encore une fois sur cette affaire de la démolition des forteresses belges. C'est à l'époque où je suis parvenu qu'elle me causa les plus graves difficultés, puisqu'elle retarda quelque temps l'envoi des ratifications françaises au traité du 15 novembre. Dussé-je répéter des explications déjà données, je reprendrai la question à son origine; elle était assez importante pour me valoir l'indulgence de ceux qui seront condamnés à lire ceci. J'ai déjà dit qu'à mon instigation et par un protocole que je n'avais point signé, les plénipotentiaires des quatre cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie avaient admis le principe de la démolition d'un certain nombre de places fortes belges. Je crois devoir donner ici ce protocole même qui porte la date du 17 avril 1831: «Les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie s'étant réunis, ont porté leur attention sur les forteresses construites aux frais des quatre cours, depuis l'année 1815, dans le royaume des Pays-Bas, et sur les déterminations qu'il conviendrait de prendre à l'égard de ces forteresses, lorsque la séparation de la Belgique d'avec la Hollande serait définitivement effectuée. »Après avoir mûrement examiné cette question, les plénipotentiaires de quatre cours ont été unanimement d'opinion que la situation nouvelle où la Belgique serait placée et sa neutralité reconnue et garantie par la France devraient changer le système de défense militaire adopté pour le royaume des Pays-Bas; que les forteresses dont il s'agit seraient trop nombreuses pour qu'il ne fût pas difficile aux Belges de fournir à leur entretien et à leur défense; que d'ailleurs l'inviolabilité, unanimement admise, du territoire belge offrait une sûreté qui n'existait pas auparavant; qu'enfin une partie des forteresses construites dans des circonstances différentes pourrait désormais être rasée. »Les plénipotentiaires ont éventuellement arrêté, en conséquence, qu'à l'époque où il existerait en Belgique un gouvernement reconnu par les puissances qui prennent part aux conférences de Londres, il serait entamé entre les quatre cours et ce gouvernement une négociation à l'effet de déterminer celles desdites forteresses qui devraient être démolies.» Ce protocole est aussi net et catégorique que possible; j'en avais eu connaissance au moment de sa signature. Il existait donc un engagement décisif sur ce point de la part des quatre puissances. A l'époque du départ du prince Léopold pour Bruxelles, on se souviendra que j'avais cherché à obtenir de lui une déclaration écrite qui confirmât de sa part la résolution adoptée par les quatre puissances. Le prince ne me fit, j'en conviens, qu'une réponse assez vague, mais des termes de laquelle, cependant, il était possible de faire découler un engagement. Le gouvernement français ne s'était contenté ni de cette lettre, ni du protocole du 17 avril, qui, à la vérité, n'avait point été publié. Il voulait, à l'ouverture des Chambres françaises, pouvoir proclamer un fait qui était de nature à produire un certain effet sur la nouvelle Chambre qu'on réunissait et, en général, sur les esprits en France. Les plénipotentiaires des quatre cours consentirent encore, sur ma demande, à ce qu'on donnât la publicité au protocole du 17 avril, qui me fut, en conséquence, notifié officiellement par eux le 14 juillet. Ils en adressèrent également une notification au gouvernement belge, le 29 du même mois; mais avant cette dernière notification, le roi Louis-Philippe, en ouvrant les Chambres le 23 juillet, avait annoncé la démolition des forteresses. De là, grande rumeur à Bruxelles et embarras du roi Léopold qui, en présence du récri des Belges, témoigna d'abord quelque hésitation à remplir la condition qui lui avait été imposée par les quatre cours. On s'alarma, à mon sens, inutilement à Paris, et on envoya sur-le-champ M. de Latour-Maubourg à Bruxelles pour arracher un consentement du gouvernement belge, qui se trouvait en même temps fort compromis par la malencontreuse expédition des Hollandais contre lui. Le roi des Belges, pressé par les circonstances, finit par donner, le 8 septembre, une déclaration qui énonçait que, _conformément au principe posé dans le protocole du 17 avril_, il s'occupait à prendre, de concert avec les quatre puissances, des mesures pour la démolition d'un certain nombre de forteresses désignées. M. de Latour-Maubourg emporta cette déclaration à Paris, et le général Goblet arriva à Londres muni des pouvoirs du gouvernement belge, pour y suivre, avec les plénipotentiaires des quatre cours, la négociation indiquée dans le protocole du 17 avril. La publicité donnée à ce protocole par le discours du roi Louis-Philippe avait provoqué aussi des débats dans le parlement anglais sur cette question. Lord Grey, à la Chambre des pairs, et lord Palmerston, à la Chambre des communes, avaient dû déposer le protocole du 17 avril, en faisant bien remarquer qu'il ne s'agissait que d'une négociation entre les quatre cours et la Belgique, dont la France était exclue. Ils imposèrent ainsi le silence aux clameurs de l'opposition. Mais leurs inquiétudes s'éveillèrent lorsqu'ils apprirent qu'une négociation à part se suivait à Bruxelles entre M. de Latour-Maubourg et le gouvernement belge, pendant que les troupes françaises occupaient encore la Belgique; c'était un démenti donné à leurs assertions devant le Parlement. Lord Granville exprima ces inquiétudes à M. Sébastiani, qui, pour les apaiser, demanda que les quatre puissances fissent un nouveau protocole, confirmatif de celui du 17 avril, par lequel on lierait plus explicitement le gouvernement belge à l'obligation de démolir un certain nombre de forteresses et qui remplacerait la convention faite à Bruxelles. On y consentit, mais on oublia seulement, dans le protocole dressé à cette occasion, le 29 août 1831, de faire mentionner les forteresses à démolir, comme on l'avait fait dans la convention de Bruxelles entre M. de Latour-Maubourg et le gouvernement belge. Non seulement, on me tint en dehors de toutes ces transactions, mais le gouvernement français lui-même en garda le secret envers moi. Je n'en ressentis pas moins les effets de la méfiance que ces manières de procéder ne pouvaient manquer d'inspirer aux plénipotentiaires des quatre cours; j'eus beaucoup de peine à la détruire pour ce qui me concernait personnellement. Cette méfiance exploitée par le général Goblet, plénipotentiaire belge à Londres, fit apporter des modifications dans la désignation des forteresses à démolir. Ainsi, dans la déclaration donnée par le roi des Belges à M. de Latour-Maubourg, c'étaient les forteresses de Charleroy, Mons, Tournai, Ath et Menin, qui devaient être démolies; tandis que, dans une convention signée le 14 décembre entre les plénipotentiaires des quatre cours et le général Goblet, c'étaient les forteresses de Menin, Ath, Mons, Philippeville et Marienbourg qui étaient désignées comme devant être démolies. C'est cette dernière convention qui donna lieu à la correspondance qui va suivre, et que nous croyons maintenant avoir élucidée[324]. [324] Il ne sera peut-être pas inutile de compléter cet exposé en résumant les diverses phases de la négociation des forteresses depuis la convention du 14 décembre jusqu'au règlement définitif de la question. C'est qu'en effet cette convention, loin de clore la discussion, la ranima. Les lettres qui vont suivre nous mettent au fait des péripéties du débat, mais on en suivrait difficilement le fil si l'on n'en connaissait par avance les lignes principales. Le cabinet français fut mécontent de la convention du 14 décembre, et cela pour deux raisons: la première est qu'il eût voulu voir substituer Charleroi et Tournai à Philippeville et à Marienbourg; la deuxième et la plus importante c'est que, d'après le texte de l'article 1er, les puissances semblaient s'adjuger «une sorte de patronage présent et à venir sur les forteresses à démolir», d'autant plus que la France avait été exclue de cette convention. On a vu, en effet, qu'elle avait été signée uniquement entre les quatre puissances d'une part et la Belgique de l'autre. M. de Talleyrand reçut l'ordre d'obtenir des puissances qu'elles modifiassent la convention sur ces deux points et le cabinet des Tuileries ajouta qu'il ferait attendre la ratification du traité du 15 novembre jusqu'à ce que satisfaction ait été donnée à la France. M. de Talleyrand différait sur cette question d'opinion avec le ministère. Il craignait de voir pour un détail qu'il assurait être secondaire compromettre toute son oeuvre. Aussi voulut-il user d'un moyen dilatoire en proposant d'ajourner la discussion sur Philippeville et Marienbourg (voir p. 388), mais ce biais fut peu goûté à Paris où l'on réclamait une solution prompte et franche. Ce n'est que le 23 janvier, et après bien des atermoiements, que M. de Talleyrand obtint des puissances la déclaration reproduite page 407 qui mit fin à la discussion. Toutefois le cabinet français n'obtint pas gain de cause sur la question de Philippeville et Marienbourg. LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 16 décembre 1831. »Mon cher prince, »Les dépêches que le général Sébastiani vient de me communiquer, me font voir que la négociation relative à la démolition des forteresses prend une tournure qui me cause beaucoup d'inquiétude, et qui m'est personnellement doublement pénible, par suite de l'engagement solennel que j'ai pris à cet égard envers les Chambres et la nation sur la foi qui m'était donnée. C'est ce qui me détermine à vous en écrire moi-même, outre tout ce que le général Sébastiani vous mande officiellement, pour que vous soyez dépositaire de mes sentiments personnels et que vous puissiez même, au besoin, les faire connaître à ceux auprès desquels j'aime à croire qu'ils auraient quelque poids. »Je dois donc commencer par vous dire, mon cher prince, que je n'aurais pas signé les arrangements relatifs à la Belgique; que surtout je n'aurais pas accepté sa neutralité perpétuelle, si je ne m'étais pas fié à l'engagement de la démolition des places érigées pour nous menacer, et si j'avais pu croire qu'on voulût laisser subsister, sur un territoire neutre, des arsenaux d'hostilités. Et qu'on y pense bien, mon cher prince, en point de droit, cette conservation des places nous donne celui de ne pas les respecter, et après les promesses qui nous avaient été données, elle serait à mes yeux un objet de guerre légitime. Je n'ai pas besoin de vous dire que par là je prétende m'engager à la faire dans ce cas, mais seulement que le droit en serait incontestable, et que la question de la faire ou de ne pas la faire deviendrait optionnelle. Je ne crois pas qu'il convienne à l'Angleterre, ni à aucune des puissances de la conférence, de placer la France dans une position où elle croie avoir ce droit, surtout après la bonne foi et la loyauté que nous avons mises l'été dernier à évacuer ces places après les avoir occupées. »Actuellement on me demandera pourquoi je ne désire pas que Philippeville et Marienbourg soient rasées comme les autres places, et je répondrai à cette question, avec la même sincérité, que ces deux places n'ont pas été construites comme les autres avec les deniers des puissances, mais que la France les a cédées, et que c'est précisément parce qu'elles ont été françaises, que l'orgueil national considérera leur démolition comme une insulte[325]. Il ne faut pas se dissimuler, mon cher prince, que la cession de ces deux places est une plaie toujours saignante pour nos vanités nationales, que la voix du pays serait disposée à me reprocher ainsi qu'à mon gouvernement de n'en avoir pas exigé la restitution péremptoirement et à tous risques, et je crois pouvoir avancer qu'il n'y a de moyens de la calmer que de conserver Philippeville et Marienbourg et de détruire les autres places. [325] Les deux places fortes de Philippeville et Marienbourg avaient été réunies à la France par le traité des Pyrénées (1659). Le traité de 1815 les lui avait enlevées. »Mais, si au lieu de cet arrangement sur lequel je croyais pouvoir compter, la France voit détruire Philippeville et Marienbourg, tandis qu'on conserve Ypres, Tournai et Charleroy, je crois qu'il en résultera une sensation dont les conséquences sont effrayantes; et, en fait, il est certain qu'Ypres d'une part, et de l'autre Charleroy et Namur, liées par le point central de Tournai, présentent à la France une ligne d'opérations qui réduit la neutralité belge à une illusion. La conservation de ces places est, d'ailleurs, un mauvais calcul tant pour la France que pour les puissances, dans l'état actuel des choses; car, il faut bien le dire, sans vouloir, à Dieu ne plaise! élever des soupçons contre personne, une perfidie ou une surprise peuvent toujours, tant que ces places subsistent, les faire tomber au pouvoir de l'une ou de l'autre partie, et, par conséquent, leur existence est tout à la fois une cause d'inquiétude et d'attraction dont il est désirable, de part et d'autre, de se débarrasser. »Il est d'ailleurs fort désirable, dans l'intérêt de la Belgique, et même dans celui de l'Europe, qu'elle ne soit pas écrasée de dépenses, qu'elle aurait de la peine et que même elle ne pourrait probablement pas supporter. Tel serait, cependant, l'entretien des places qu'on voudrait conserver, et surtout celui des garnisons, sans lesquelles il m'est, plus qu'à un autre, permis de dire qu'elles seraient à notre merci, ce dont je ne me soucie nullement. La France ne pourrait jamais consentir à ce que ces places fussent considérées comme un dépôt des puissances entre les mains du roi des Belges, et qu'à défaut de troupes belges, on s'avisât de vouloir en confier la garde à des étrangers, car ce serait non seulement créer une cause légitime de guerre, mais placer la France dans la nécessité de la faire pour s'y opposer. Mais l'exclusion du roi des Belges de la Confédération germanique est suffisante pour écarter toute crainte à cet égard, et seulement on doit dire que, plus il est évident que la Belgique est, par elle-même, hors d'état d'entretenir ces places à ses frais et d'y mettre des garnisons suffisantes, plus il est nécessaire, dans tous les intérêts, qu'elles soient démolies. »Je sais, mon cher prince, que votre opinion et celle de mes ministres sont d'accord avec celle que je viens de vous manifester, mais j'étais bien aise que vous connussiez mes sentiments personnels, car j'aime toujours à vous les confier et à saisir toutes les occasions de vous témoigner combien j'apprécie tout ce que vous avez fait dans la mission épineuse où vous venez d'obtenir un succès aussi brillant pour vous qu'important pour la France et pour moi. J'espère que vous allez achever de le consolider, en faisant prendre à la négociation sur les forteresses une meilleure direction que celle qu'on paraît disposé à lui donner. MM. Périer et Sébastiani vous seconderont de leur mieux, comme ils l'ont fait constamment; et vos efforts réunis préserveront la France et l'Europe des dangers que cette fausse direction pourrait faire naître; car, ne vous y trompez pas, ceci est grave; et nous avons affaire à des opinions très irritables. »Recevez, mon cher prince, l'assurance de tous les sentiments que vous me connaissez depuis longtemps pour vous, et qui sont bien sincères....» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 19 décembre 1831 »Je vous remercie beaucoup, mon cher prince, de votre lettre du 15 décembre, et je suis charmée que vous ayez été content de la mienne; mais je ne puis vous dire combien j'ai été surprise et affligée de la manière dont la conférence essaie de finir l'affaire des forteresses et de la conduite du roi Léopold, dans cette circonstance, qui est en opposition avec les engagements qu'il a pris. Tout cela est mal et vilain, surtout quand du côté de notre cher roi et de son gouvernement, il n'y a que loyauté et franchise. Il est _impossible_ de se laisser jouer ainsi. Je suis bien fâchée que vous n'ayez pas assisté aux conférences où cette détestable décision a été prise, car je suis bien sûre que vous l'auriez empêchée. Maintenant c'est à vous d'en faire revenir. Je sens que c'est une tâche difficile, mais ce sont celles-là qui vous conviennent, et il me semble que vous avez de bonnes et belles armes à employer pour cela, en faisant valoir toute la franchise, la loyauté de notre cher roi dans toute cette affaire; et encore, au mois d'août, en retirant nos troupes de ces forteresses de la Belgique, se confiant en l'honneur de ceux qui faisaient alors de belles promesses, qu'il faut, mon cher prince, que vous fassiez exécuter. Cela est bien grave et de la plus grande importance pour notre bien-aimé roi et la France, et c'est une grande et belle tâche que vous avez à remplir; et je vous avoue que je crois que quand la conférence sera bien convaincue que le roi _ne veut pas_ accéder à cet arrangement, elle fera celui qui peut convenir à la dignité de la France. »C'est parce que le roi voyait cette tendance, qu'il se décida à envoyer M. de Maubourg à Bruxelles, traiter directement cette affaire avec le roi Léopold, et obtenir de lui un _engagement_, ce que vous ne pouviez faire de Londres et que, vous conviendrez, il est bien bon d'avoir maintenant. »Je suis indignée de toute cette affaire, mais cependant, mon cher prince, j'ai toute confiance en notre bon droit, en votre zèle et en votre talent, pour seconder les efforts de notre cher roi, ce qui me donne la conviction intime qu'il sortira de cette vilaine affaire avec avantage. Il me tarde d'avoir de vos nouvelles et que vous me disiez ce que vous en pensez; mais, pour cette fois, il faut tout finir et faire expliquer ce roi de Hollande et tenir ce que l'on a promis.» LE PRINCE DE TALLEYRAND AU ROI LOUIS-PHILIPPE. «Londres, le 22 décembre 1831. »SIRE, »Votre Majesté attache une grande importance à la démolition des places fortes en Belgique, qui ont été élevées pour rappeler nos défaites, et elle sent que c'est à Elle à effacer ces témoignages insultants de nos malheurs. Mais, Sire, ce serait voir d'une manière trop sombre ce qui vient de se passer que de l'attribuer à un retour vers la Sainte-Alliance. »Les gages de sagesse et de modération que votre gouvernement donne chaque jour à l'Europe ont détruit à jamais cette ligue formée contre la liberté des peuples. »Je suis désolé de ce qu'il arrive de ce côté-ci, où vous avez la bonté de me supposer quelque influence, de l'inquiétude ou même des peines pour Votre Majesté. Je voudrais n'avoir à lui annoncer que des résultats sur lesquels ses yeux se reposassent avec plaisir. »Les intrigues belges, où se laisse apercevoir toute la faiblesse d'un gouvernement nouveau et incertain, ont amené la convention dont nous avons à nous plaindre. Les graves circonstances où se trouve le ministère anglais, et la crainte exagérée que lui inspirent les attaques amères de lord Aberdeen ont également servi l'intrigue belge. Le mal est venu de Bruxelles, le remède ne peut venir que du même point. Ce que je dis là n'a pas pour objet de m'épargner aucune démarche, car j'en fais vis-à-vis de tous les hommes importants, non seulement auprès des membres de la conférence, mais aussi auprès de tout ce qui est influent dans le cabinet anglais. Le soir, quand je me rends compte de ma journée, ma conviction augmente, et je reste persuadé qu'une action utile ne peut venir que de la Belgique. Aussi, cela ne peut être que de l'influence de Votre Majesté sur le roi Léopold que pourront venir les changements que vous désirez. »Cette question est pleine de difficultés, parce que la manière d'arriver à une solution qui nous convienne serait que le gouvernement belge ne ratifiât pas, et ce moyen-là, qui peut-être est le seul véritable, a le danger de compromettre le sort du traité du 15 novembre qui forme, entre nous et les puissances, des liens qu'il serait très malheureux de voir s'affaiblir dans l'état actuel de l'Europe. »Les observations si fortes et si sages que fait Votre Majesté m'ont fourni de nouveaux moyens de discussion avec lord Grey et lord Palmerston, et avec des formes plutôt tristes qu'animées, je crois n'avoir rien oublié de ce qui pouvait les bien convaincre de votre juste mécontentement. Lord Grey qui professe une sincère admiration pour Votre Majesté, a éprouvé une vive douleur de la manière dont cette affaire des forteresses était saisie en France. Lord Palmerston regrette aussi que la négociation donne des résultats qui déplaisent au gouvernement de Votre Majesté. C'est à tel point que je crois qu'ils disent sincèrement, quand ils assurent qu'ils ne comprennent ni l'un ni l'autre que le gouvernement du roi en soit aussi blessé que je leur ai dit qu'il devait l'être. »Je suis vraiment désolé, Sire, des contrariétés que Votre Majesté éprouve, mais j'ai besoin de croire que ce n'est ma faute en aucune manière. Tout aurait été évité, si les Belges avaient agi ici avec moins de mystère, pour ne pas dire, avec moins d'intrigue, et peut-être aussi si l'engagement de Bruxelles avait été tenu plus secret. »Je suis....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 27 décembre 1831. »A la manière dont a été conduite par les Belges l'affaire des forteresses, je crois qu'aujourd'hui il est impossible d'arriver à faire ce que désire le roi. Mademoiselle doit être bien sûre que j'y ai employé tous mes efforts. Mais, à présent, regardons bien l'affaire en elle-même, et nous trouverons que son importance n'est pas bien grande. On abat des forteresses, celles qui sont près de nous, Ath et Mons: ainsi, voilà une réparation faite à la France. Il faut prendre cela du bon côté et se souvenir, pour une autre occasion, qu'il ne faut pas abandonner à eux-mêmes les gouvernements nouveaux et faibles. »Dans la crise qui est toujours menaçante et qui le sera longtemps encore en Europe, il est du premier intérêt que les gouvernements, qui ont une analogie quelconque, marchent ensemble. L'affaire de la Pologne réunit, par leur intérêt, trois gouvernements; deux seuls ont un intérêt divers; il faut que ceux-là restent unis, et fassent même pour cela des sacrifices, si cela est nécessaire. Je confie mon opinion à Mademoiselle pour qu'elle veuille bien en faire usage avec qui de droit....» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce 26 décembre 1831. »Mon cher prince, »Votre lettre du 22 me paraît exiger quelques explications de ma part, et je suis d'autant plus empressé de vous les donner, moi-même, que le général Sébastiani est bien malade[326], ce qui m'afflige profondément, qu'il est tout à fait hors d'état de vous écrire et de s'occuper d'aucune affaire, et que je tiens infiniment à vous développer ma manière de voir sur cette grande et importante affaire de la Belgique. [326] Le général Sébastiani venait d'avoir une attaque d'apoplexie. Voir à ce sujet une lettre de l'amiral de Rigny à M. de Talleyrand (Appendice p. 494). »On nous fait quelques reproches, parmi lesquels un surtout vous paraît fondé; car, quoique vous m'ayez ménagé avec votre obligeance ordinaire pour moi, en ne m'en parlant pas dans votre lettre, vous en avez souvent parlé dans vos dépêches: c'est celui de la mission à Bruxelles de M. de Latour-Maubourg. Si cette mission avait un caractère de méfiance, ce ne pouvait être, dans ma manière de voir, qu'envers le roi Léopold ou le gouvernement belge, mais nullement envers vous, mon cher prince, ni même envers les quatre puissances. Relativement à vous, ni moi ni mes ministres, nous n'avions ni ne pouvions avoir ni soupçons, ni méfiance d'aucun genre. Le protocole du 17 avril était en quelque sorte votre ouvrage, et c'était évidemment à vous que la France devait de l'avoir obtenu. Il y a plus: vous aviez eu l'heureuse idée de demander au roi Léopold une lettre qui contînt un engagement sur la démolition des forteresses, c'est-à-dire à peu près la même chose que ce qui était l'objet de la mission de M. de Latour-Maubourg; et la lettre qu'il vous a adressée était moins un engagement qu'un avertissement qu'il ne s'engageait à rien. Il était donc assez naturel, surtout après le petit service que nous lui avions rendu dans l'intervalle, que nous cherchassions à obtenir de lui à Bruxelles l'engagement qu'il ne vous avait pas donné à Londres. »Ce n'était pas plus un acte de méfiance envers les puissances que ne l'avait été votre demande au roi Léopold. C'était uniquement le désir d'obtenir de lui un engagement semblable à celui que les puissances nous avaient donné par le protocole du 17 avril, afin que les deux parties, qui devaient faire entre elles et sans nous un traité sur des objets qui ne nous étaient étrangers que sous le point de vue pécuniaire, fussent liées à nous par un engagement semblable. Certes, mon cher prince, nous avons quelque droit d'exiger des puissances de ne pas être accusés de méfiance envers elles, quand on considère en outre ce qu'a été la conduite de la France, dans tout le cours de l'affaire de la Belgique et surtout la manière dont les places belges ont été évacuées, après qu'il n'avait tenu qu'à nous de les faire sauter en l'air dix fois pour une. Si mes contemporains ne me rendent pas toute la justice que je crois mériter à cet égard, au moins, j'ai la confiance que je l'obtiendrai de la postérité. »Je vois aussi par une de vos dépêches, qu'on nous reproche d'avoir gâté l'affaire en ayant donné trop de publicité au protocole du 17 avril. »Ici, mon cher prince, je vous rappelerai qu'avant que mon conseil eût décidé qu'il en serait parlé dans le discours du trône, le général Sébastiani vous a consulté, et que vous avez cru, comme nous, que cela pouvait se faire, et je puis vous assurer que si nous avons cru que cette communication serait utile pour satisfaire notre orgueil national, nous avons cru aussi qu'il était bon de montrer que les puissances ne cherchaient pas à le blesser, ni à léser en rien les intérêts de la France, mais nous avons cru surtout que rien n'était plus propre que cette communication pour réconcilier l'opinion publique au choix du prince Léopold, qui, comme vous savez, avait eu peu de succès en France, où, en général, on ne voyait en lui, qu'un lieutenant de l'Angleterre ou de la Sainte-Alliance. Nous avons voulu montrer à la France et à la Belgique où cela n'aurait pas mieux réussi, que le système de 1815 était abandonné par les puissances, que la dissolution du royaume des Pays-Bas qui suffisait pour le rendre impossible, en était un gage, aussi bien que la démolition des forteresses de 1815 et l'exclusion du roi des Belges de la Confédération germanique; et je n'ai aucun doute, mon cher prince, que tout cela n'ait été éminemment utile, tant pour maintenir la paix, que pour soutenir mon gouvernement dans l'intérieur et raffermir celui du roi Léopold en Belgique. »Ce n'est donc pas la valeur intrinsèque de ces actes qui a fait prendre à la négociation sur les forteresses, la tournure que nous déplorons à présent; mais c'est l'action simultanée et peut-être réunie de l'opposition des tories et des intrigues belges. Vous avez très bien fait de le faire sentir aux ministres anglais; car, c'est ce qui doit leur démontrer qu'il n'est pas plus conforme à leurs intérêts qu'aux nôtres, que le traité de M. Van de Weyer ou de M. Goblet, soit maintenu dans les termes où il a été signé. Le roi Léopold et son gouvernement devraient le sentir bien mieux encore; car, que deviendront-ils, si, par suite de cette malheureuse anicroche, ils amènent l'annulation du traité que la conférence des cinq puissances a signé le 15 novembre? Vous le dites avec raison, mon cher prince, et c'est d'autant plus à craindre, que c'est certainement ce que veut le roi de Hollande et peut-être ce que l'empereur de Russie veut aussi. C'est là ce que je crois que vous pouvez faire valoir avec beaucoup d'effet auprès du gouvernement anglais; et nul n'est plus capable que vous, de donner à ces craintes, qui ne sont que trop fondées, tout le développement dont elles sont susceptibles. »Je ne crains pas d'avancer, mon cher prince, qu'il n'est pas plus dans la pensée du gouvernement anglais que dans celle du gouvernement français de vouloir allumer la guerre, et qu'au contraire l'un et l'autre éprouvent également le besoin de la paix et le désir de la conserver; mais la paix est dans la solution à l'amiable de la question belge, et cette solution ne peut s'opérer que par l'union intime de la France et de l'Angleterre; mais pour que cette réunion se maintienne, il faut s'entendre à l'avance, avant de conclure avec d'autres des arrangements qui pourraient la troubler. Or, c'est là ce qui résulte de la cachotterie qu'on nous a faite à Londres et à Bruxelles, des arrangements qu'on faisait sur les places. On ne voulait pas que nous intervinssions dans cette négociation, parce que nous n'avions pas concouru à celle qui avait précédé; et c'était simple, mais, si on nous avait communiqué ce qu'on voulait conclure, on ne se serait pas mis, et on ne nous aurait pas mis dans la position embarrassante dont il faut tous vos efforts et tous vos moyens pour nous tirer aujourd'hui. Mais, si le gouvernement anglais se pénètre bien, d'une part, que nous n'avons _aucune arrière-pensée_ dans ce que nous lui demandons, et que, de l'autre, nous ne lui demandons que de ne pas perpétuer ou renouveler un système impossible, qui est celui d'après lequel on avait constitué le royaume des Pays-Bas, il ne verra plus que le danger qui nous menace du côté de la Hollande et de la Russie, il fera modifier le traité des places de manière que le roi Léopold ne soit pas placé à l'avenir dans des rapports différents avec quatre des cinq puissances, de ceux qui sont établis avec toutes les cinq. Ceci doit être pour la France, un _sine qua non_, et le reste est secondaire. »Quoique cette lettre soit déjà beaucoup trop longue, je veux encore vous faire observer quelle serait la position du roi Léopold, s'il ratifiait un traité avec quatre puissances collectives, avant que la quatrième eût, non seulement ratifié ce traité particulier, mais, même le traité général des cinq puissances, qui établit l'indépendance de son État, et l'en reconnaît roi? Je crois donc que, par la force des choses, la ratification du traité avec les quatre puissances ne saurait avoir lieu tant que la Russie n'a pas adhéré à celui du 15 novembre, d'autant plus que tant que la Russie n'y a pas adhéré, aucune des cinq puissances ne peut plus être appelée à le ratifier, et la France, moins qu'aucune, tant que le traité des places n'aura pas été modifié. Mais s'il l'était, ce qui me paraît devoir être possible, puisqu'en fait il n'y a aucune divergence réelle d'intérêts entre les cinq puissances sur les forteresses, alors, l'action réunie de la France et de l'Angleterre forcerait le roi de Hollande à ratifier et la Russie ne s'y refuserait plus. Sans cet accord croyez-le, mon cher prince, non seulement le roi de Hollande ne ratifiera pas, mais le roi Léopold aura peut-être beaucoup de peine à se maintenir en Belgique où, selon moi, il ne peut se soutenir que par l'appui et l'accord sincère de la France et de l'Angleterre. Cet appui et cet accord, mon gouvernement n'a cessé de le donner et désire vivement le continuer; mais il faut qu'on nous le rende possible et qu'on n'exige pas de nous ce qu'on n'accepterait pas soi-même. »Ceci est mille fois trop long, mais puisqu'il est écrit, qu'il parte. Je l'envoie tout ouvert à M. Périer, pour qu'il le lise avant de vous l'adresser, et je vous renouvelle, de tout mon coeur, l'assurance de tous les sentiments que vous me connaissez pour vous. »LOUIS-PHILIPPE. »_P.-S._--Savez-vous bien que ce Marienbourg qu'on classe dans les forteresses est une malheureuse bicoque qui a cinq bastions en _terre_, et dont la superficie est la même que celle du _parterre_ des Tuileries?» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 27 décembre 1831. »Mon prince, »J'ai l'honneur de vous annoncer que le général Sébastiani étant assez gravement malade, le roi m'a chargé, par intérim, du portefeuille des affaires étrangères. Sans la triste circonstance qui a rendu nécessaire cette décision, je me féliciterais avec empressement de me voir ainsi appelé à entretenir avec vous des communications officielles et suivies. Veuillez m'excuser, d'ailleurs, si j'abrège cette lettre et n'entre pas ici dans quelques détails sur notre situation. Je vous annoncerai pourtant que la Chambre des pairs a, dans la séance de ce jour, adopté l'article 1er de la loi sur la pairie, à une majorité de cent trois voix contre soixante-sept. J'aurai l'honneur de vous écrire plus longuement demain....» LE DUC DE DALBERG AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 28 décembre 1831. »Mon cher prince, »Je ne veux pas qu'une nouvelle année commence sans que mes voeux pour votre bonheur se confondent avec tous ceux qui vous seront offerts; croyez-les bien sincères. »La Chambre des pairs vient, comme on pouvait s'y attendre, de se suicider. C'est un monument de lâcheté qui peut compter parmi ceux du sénat de Napoléon. Une manifestation pénible a été observée à ce sujet. Tous les pairs disaient que c'était au roi seul qu'il fallait reprocher d'avoir amené de telles circonstances. Si, un jour, une nouvelle crise éclate, celui qui la dominera trouvera, avec le principe de l'hérédité, grand accueil au Luxembourg. C'est l'observation que m'a faite M. de Bassano qui a voulu être mon voisin. »Je ne me suis pas trompé sur les réponses venues de Pétersbourg pour les affaires belges. De nouveaux indices, venus de là et de Berlin, font désirer que d'autres protocoles satisfassent le roi de Hollande. »Le rapport de la navigation intérieure est inadmissible, même pour les Hollandais; elle resterait une source inépuisable de tracasseries; comment Wessenberg, qui connaît ces détails, ne l'a-t-il pas vu? »_Votre chef_ Sébastiani doit son accident aux manières bouffonnes avec lesquelles il s'est présenté à la tribune du Luxembourg. Il s'était gonflé comme un crapaud pour faire effet: le sang lui a porté à la tête. Le public et le corps diplomatique désirent que M. Périer le remplace. On avait pensé à joindre Mounier[327] à d'Argout; le premier se refuse à faire partie du ministère. [327] Claude, baron Mounier, né en 1784, auditeur au Conseil d'État en 1806, puis intendant de Saxe-Weimar et de Silésie, intendant des bâtiments de la couronne, conseiller d'État (1815) et pair de France en 1817. Il refusa le ministère en 1820, mais fut nommé directeur général de l'administration départementale. Sous la monarchie de Juillet il continua de siéger à la Chambre des pairs jusqu'à sa mort (1843). »La confiance en l'avenir se perd de plus en plus. Le langage des agents russes y contribue beaucoup. On observe qu'évidemment le général Pozzo n'a plus le secret de son gouvernement. Les Autrichiens disent aussi que, tôt ou tard, il faudra faire revenir la Belgique à la Hollande. »Le public se demande comment sont gérées les affaires de la France au dehors, pendant qu'il n'y a de ministre ni à Pétersbourg, ni à Berlin, ni à Copenhague, ni à Madrid, ni à Constantinople. Les plaintes se multiplient dans les bureaux sur ce défaut complet de protection dans ces différents pays. Il est bon que vous sachiez tout cela....» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Berlin, le 29 décembre 1831. »Mon prince, »J'ai reçu hier la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 20 du courant. Je n'ai pu voir MM. de Bernstorff et Ancillon, mais je me suis arrangé pour que cette lettre fût en leur possession assez longtemps pour qu'ils la communiquassent au roi, s'ils le jugeaient convenable. J'ai fait plus: ce sont des paroles si hautes et si sages que, partout où elles arriveront, elles ne peuvent produire que le bien, et l'empereur de Russie, lui-même, en recevra un extrait, moins le premier paragraphe. J'espère, mon prince, que vous daignerez m'approuver. Malheureusement, le temps possible n'y est plus pour que la démarche du roi de Prusse, s'il s'y détermine, amène, avant le 15 janvier, un changement si désirable dans les résolutions de l'empereur de Russie[328]. [328] Il s'agissait d'une démarche directe du roi de Prusse près de l'empereur de Russie pour le déterminer à ratifier le traité du 15 novembre. (_Note de M. de Bacourt._) »Le cabinet prussien, dont les intentions sont bien franches et bien loyales, n'a rien négligé pour faire apercevoir à Saint-Pétersbourg tous les dangers d'un désaccord sur l'acte important du 15 novembre, entre les cinq puissances dont les ministres l'ont signé. Nous n'avons plus qu'une faible espérance que ces représentations aient produit leur effet. Le roi de Prusse ne retire pas sa promesse de ratifier, mais MM. de Bernstorff et Ancillon pensent que la non ratification de l'une des cinq puissances annule le traité. Leur argument est que la solidarité a été la base de toutes les transactions de la conférence et que l'appel du roi des Pays-Bas a été adressé aux cinq puissances, ainsi que le voulait le protocole d'Aix-la-Chapelle. Je crois important, néanmoins, que la ratification de la Prusse soit donnée telle quelle, et j'espère qu'elle vous sera envoyée au terme péremptoire du traité. Si des incidents imprévus devaient détruire cet acte qui terminait tout, peut-être faudrait-il recourir aux deux moyens proposés par M. Ancillon. Je pense seulement que le second, c'est-à-dire _la déclaration unanime des cinq puissances, que la Hollande et la Belgique ne_ POURRONT _reprendre les hostilités_, serait le vrai point de départ à prendre: le premier ou son équivalent, c'est-à-dire _des offres de médiation de la conférence pour un traité entre la Hollande et la Belgique, sur les bases des vingt-quatre articles_, pourrait alors être essayé. »Quand M. Ancillon me fit l'honneur de me communiquer, en octobre, ces vingt-quatre articles, je mis aussitôt le doigt sur celui qui accorde aux Belges la navigation intérieure, et je lui prédis que toutes les difficultés y prendraient leur source. Il a eu pour effet de rapprocher le roi des Pays-Bas et ses sujets qui, avant cette clause, ne voyaient et ne sentaient pas de même dans la question belge...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 30 décembre 1831. »Je m'occupe sans relâche de l'affaire des forteresses dont je crois qu'aujourd'hui l'on exagère l'importance. Cette affaire a pris une fausse direction à Bruxelles; les soupçons, les méfiances, qui gâtent tout, ont porté chacun à prendre trop de sûretés. De là les reproches et les protocoles secrets. Du reste, il faut en sortir de notre mieux, et je crois que le roi aura été frappé des observations et des explications qui lui auront été données par lord Granville; mais il faut arriver à quelque chose de plus. J'aurai l'honneur d'écrire au roi dès que j'en saurai davantage...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 30 décembre 1831. »Je suis vraiment fâché de l'accident de Sébastiani; il avait quelquefois des inconvénients, mais il avait aussi des avantages. Il avait de l'habileté, du savoir vivre, et je suis sûr qu'il était amical; tout cela est quelque chose; c'est une perte pour le roi qu'il servait bien. Voilà l'affaire des pairs finie, et finie sans secousse ministérielle. A présent, il faut finir celle de la Belgique et nous y arriverons, quoi que l'on en dise. Je pourrai bien y mourir comme Sébastiani, mais c'est là mon champ de bataille. Plaise à Dieu que ce soit le champ d'honneur!--Vos Belges sont faibles et faux, de plus ils se font battre dans le pays de Luxembourg[329]; tout cela n'est pas bien honorable.--J'espère toujours les ratifications de Berlin avant le 15 janvier; et si nous avons celles de Berlin, nous n'attendrons pas longtemps celles de Vienne. Pétersbourg montrera sa puissance, comme à Paris on montre son élégance, en arrivant tard...» [329] Une insurrection orangiste avait éclaté le 20 décembre dans le Luxembourg sous la conduite du baron de Torcano. Les insurgés, d'abord vainqueurs, avaient proclamé le rétablissement du roi Guillaume. Les gardes civiques et les troupes belges eurent bientôt raison de ce mouvement. LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 2 janvier 1832. »J'ai reçu, monsieur, la dépêche du département en date du 30 du mois dernier, et je crois qu'outre la réponse officielle contenue dans ma dépêche d'aujourd'hui, il est du devoir de l'amitié si sincère que je vous ai vouée, d'appeler l'attention sur le manque d'exactitude dans les faits et les raisonnements de ce qui m'a été écrit de Paris. Le zèle s'y montre d'ailleurs un peu trop, et il me semble aussi qu'il ne faut pas que la plume d'un chef de division devienne jamais l'interprète de sa propre pensée. Dans le genre d'affaires que nous avons à suivre, il est important de ne pas bâtir de système, car un système dans les affaires politiques est bientôt appuyé sur des suppositions et alors on peut s'égarer. Il faut, au contraire, ne chercher dans les actes que ce qui s'y trouve véritablement. Si l'on se faisait dans les bureaux des affaires étrangères une étude de suivre les démarches des puissances, en leur supposant toujours des projets de Sainte Alliance, on créerait un fantôme qui finirait par tout dénaturer et tout embrouiller. Votre excellent esprit saura donner une meilleure direction aux travaux auxquels vous présidez. »Je vois avec le plus vif regret que l'affaire des forteresses, qui, si les journaux s'en emparent, peut donner quelque ennui au gouvernement, mais qui, au fond, n'est que très secondaire, ait retardé les progrès que faisait une affaire d'une bien autre importance, c'est celle du désarmement à laquelle vous aviez donné une si heureuse impulsion. Vous trouverez là, une réponse péremptoire à ceux qui ne voient partout que Sainte Alliance. Y a-t-il apparence d'une ligue semblable quand tous les cabinets, même celui de Russie, expriment le désir de diminuer leurs armées, afin de soulager les peuples? Craignons, monsieur, permettez-moi de le dire, qu'en attachant trop d'importance à l'affaire des forteresses, nous n'ayons l'air de flatter ou de ménager un peu trop le parti exagéré que les puissances regardaient comme vaincu depuis votre entrée au ministère. Le pavillon de la Sainte-Alliance s'est abaissé devant celui de la France dans le protocole du 17 avril; nous pourrions désirer, mais nous ferions mal de demander quelque chose de plus. Le principe de la destruction commence; la destruction commencée, nous devons, à tout prendre, être satisfaits. »De grâce, monsieur, reprenez bien vite le désarmement, qui ajoutera une gloire si pure à tous vos succès, et qui allégera si heureusement le budget de la France. Nous avons dû augmenter nos charges quand nous nous sommes crus menacés, mais, je ne pense pas que nous devions les prolonger pour des combinaisons assez indifférentes au résultat définitif, car ce qui reste de places en Belgique, ou tombera en ruine, ou deviendra notre propriété dans un temps quelconque. Tout ce qui est réellement utile à l'établissement de la France se consolidera, si nous conservons notre position actuelle avec l'Angleterre. C'est à la détruire que tendent les efforts des puissances: j'espère et je crois qu'elles échoueront....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 2 janvier 1832. »Je voudrais savoir au juste comment est Sébastiani. On me mande d'un côté qu'il est très malade, et d'autres disent que, avec quelques jours de repos, il se remettra, et pourra rentrer dans les affaires. Dites-moi ce qu'il y a de vrai, c'est toujours vous que je crois. Quand j'aime, je crois; j'ai eu tort quelquefois, mais c'est égal, ma nature est ainsi. L'affaire des forteresses qui agite tant les têtes de Paris, et surtout celles de nos chefs, n'est au fond qu'une affaire de second ordre. Ayons les ratifications de la Prusse et de l'Autriche, et soyons unis à l'Angleterre: voilà ce qui est véritablement notre affaire essentielle. Le reste est de la pointillerie qui arrivera tôt ou tard mais qui arrivera nécessairement. Il fallait obtenir le principe des forteresses; nous l'avons: ainsi le roi doit être content. J'ai fait tout au monde pour obtenir les ratifications au traité du 15 novembre: je les espère. Je ne me soucie beaucoup que de celles de Vienne et de Berlin: celles-là arrivées, les autres céderont; même votre bien-aimé roi de Hollande. Je travaille trop, j'écris tous les jours, je finirai par avoir, comme Sébastiani, quelque mauvaise aventure.» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 1er janvier 1832. »Mon prince »Je profite du départ d'un courrier de MM. de Rothschild pour vous envoyer le discours du roi en réponse aux ambassadeurs. Ce discours est plus pacifique que nos rapports diplomatiques. Cependant nous pensons toujours que vous parviendrez à faire changer les dispositions du cabinet anglais, relativement aux places belges. Je crois que nous finirons par obtenir, sans condition, les ratifications de la Prusse et de l'Autriche. »J'attends en ce moment l'ambassadeur d'Angleterre qui doit me faire connaître la communication de son cabinet aux cours de Berlin et de Vienne, relativement aux retards apportés par la Russie à la ratification du traité du 15 novembre. Si cette communication est ferme et réclame impérieusement l'exécution des promesses faites, je ne doute nullement, qu'elle ne détermine la Prusse et surtout l'Autriche dont le système politique paraît se rapprocher davantage, sur cette question, du système anglais. »Des dépêches que je reçois aujourd'hui de M. Bresson, m'annoncent que la Prusse, au milieu de toutes ses hésitations, n'a pas osé, cependant, s'engager définitivement à suivre la marche que la Russie paraît adopter. Je pense donc que, si nous tenons ferme, ainsi que nous en avons le droit, nous parviendrons à vaincre cet obstacle. »Restera le traité des forteresses qu'il faudra nécessairement modifier et je désire vivement pour notre tranquillité comme pour celle de l'Europe, que vous parveniez, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire dans ma lettre confidentielle, à obtenir ces modifications que nous jugeons indispensables. Je dois ajouter que l'attitude que nous avons prise ici vis-à-vis des ambassadeurs, en témoignant notre mécontentement avec mesure, mais avec énergie, nous paraît avoir fait une grande impression. »Nous ne voulons pas abuser de notre situation, mais avec la franchise et la loyauté que nous avons mises dans toutes nos relations, nous avons droit de nous attendre à les voir respecter. »Recevez, mon prince....» M. DE FLAHAUT AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 2 janvier 1832. »Je crois pouvoir vous annoncer le rétablissement de Sébastiani. Aujourd'hui, il est tellement mieux que j'espère pour lui une convalescence plus rapide que je n'osais d'abord m'en flatter. Sa maladie est arrivée dans un moment inopportun, mais je ne crois pas que cela amène de changement dans le ministère. Il sera en état de reprendre les affaires avant que son successeur intérimaire d'Argout, ait eu le temps de se mettre au fait. »On est inquiet ici du bruit qui se répand que les ratifications ne vous arriveront pas le 15. Ce serait bien malheureux, et donnerait beaucoup de force au parti de la guerre; et si une fois elle commence, au lieu de quelques millions de florins et d'une navigation de quelques canaux, il s'agira de la destruction de la France ou du renversement de tous les trônes de l'Europe; car, même les gens sages d'ici s'armeront d'un bâton surmonté d'un bonnet rouge. Après tous les efforts qu'on a faits pour la conservation de la paix, si les gouvernements étrangers se jouent de nous et désavouent leurs ambassadeurs, il n'y aura plus qu'à tirer l'épée.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 5 janvier 1832. »J'envoie aujourd'hui une énorme liasse de papiers qui probablement ennuieront encore plus à lire qu'ils ne m'ont ennuyé à écrire. J'ai trouvé un biais pour cette question des forteresses qui occupe beaucoup trop le roi[330]. J'ai obtenu là tout ce qu'il était possible d'obtenir dans des circonstances que, par les arrangements faits à Bruxelles, on avait rendues très difficiles. On doit être maintenant sans crainte du fantôme qu'on appelle Sainte-Alliance et qui jamais n'existera tant que nous serons bien avec l'Angleterre. C'est là le véritable appui de notre nouvelle dynastie. Tout ira sans guerre en Europe tant que nous serons unis à l'Angleterre. La France n'avait jamais eu ce système politique, il était réservé au roi de montrer sa valeur. Je finirai brillamment ma carrière en attachant mon nom à ce grand rapprochement....» [330] M. de Talleyrand, voyant l'hostilité que rencontrait à Paris la convention du 14 décembre, et devant le refus des puissances de substituer Tournai et Charleroi à Philippeville et Marienbourg avait proposé la rédaction suivante: «Les plénipotentiaires des quatre cours ont commencé par arrêter la démolition de Mons, Ath et Menin, se réservant de déterminer plus tard le sort des autres places.» Le cabinet français n'admit pas cette solution, car elle laissait toujours supposer que la France reconnaissait aux puissances le droit ultérieur de disposer souverainement des forteresses belges. NOTE REMISE PAR M. LE BARON PASQUIER, PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES PAIRS, A MADAME LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. [_Pour être communiquée par elle à M. le prince de Talleyrand_] «Paris, mercredi 4 janvier 1832. »Il est important que M. de Talleyrand sache ceci: »J'arrive de chez le président du conseil, et j'ai eu avec lui une longue conversation sur les affaires extérieures du moment. Sa position, relativement à ces affaires, est réellement fort difficile, et comme tout le monde, au dedans comme au dehors, a intérêt à le conserver, il est bon qu'on le sache pour agir en conséquence. Je l'ai trouvé plein de confiance en M. de Talleyrand et sentant bien que lui seul peut conduire jusqu'au port la barque de ces négociations dans lesquelles il a montré tant d'habileté. Cette habileté n'a jamais été plus nécessaire qu'en ce moment. Il y a deux points en litige: les ratifications et le traité signé entre les quatre puissances sur les places fortes de Belgique. En eux-mêmes, ces points ne sont peut-être pas aussi graves qu'on le suppose, mais qu'importe, si l'effet est le même? Ainsi, les ratifications arriveront un peu plus tôt, un peu plus tard, je n'en doute pas. L'affaire des places fortes touche plus aux amours-propres qu'aux intérêts réels, mais c'est à cause de cela précisément, qu'elle acquiert une véritable importance. S'il fallait avouer le traité tel qu'il est, je ne crois pas que le ministère actuel ni aucun ministère pût tenir a cet aveu. On y verrait trop clairement une humiliation, et il n'y aurait pas de bonne explication qui pût effacer ou seulement couvrir cet aperçu. Si donc l'Angleterre veut que l'ordre actuel se consolide en France, et il me semble qu'elle y a un véritable intérêt, il faut que son cabinet se prête à quelque arrangement sur ce point. Je ne doute pas que l'affaire dans l'un et l'autre pays, n'ait à lutter contre la même nature de difficultés; ainsi le ministère anglais veut ménager son opposition tory, comme celui de France veut ménager son opposition libérale et républicaine, mais la partie n'est pas égale et la position ici est bien autrement menaçante. »M. de Talleyrand a déjà rendu d'immenses services, mais, suivant moi, il n'en peut pas rendre à l'avenir un plus grand que celui qui en est attendu aujourd'hui, car celui-là consolidera tous les autres. Il consisterait à amener un nouvel arrangement et surtout une nouvelle forme d'arrangement sur les places fortes. A mon sens, quel que soit cet arrangement, il est indispensable qu'il soit consenti et _signé_ par les cinq puissances; autrement on le tiendra toujours ici pour un affront et il y aura explosion. Dans la réalité, quand la France demande la démolition de quelques places fortes, on pourrait très bien, si on le voulait, voir dans cette demande une preuve de sa bonne foi, car il est évident qu'à une première rupture, ces places tomberont entre ses mains, et il vaudrait mieux, pour elle, les avoir fortifiées que rasées. »Qu'on y pense donc à deux fois, avant de faire d'une question si oiseuse en elle-même une cause de rupture. Que cette question s'arrange au contraire; et on ne voit pas ce qui pourrait ensuite s'opposer à une union fort intime entre la France et l'Angleterre, union dont les deux États ne tarderont pas à sentir les avantages. »M. de Talleyrand a déjà tant fait pour avancer cette oeuvre! il faut espérer qu'il l'accomplira. Autrement on ne peut s'empêcher d'entrevoir de grands embarras, pour ne pas dire plus.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 7 janvier 1832. »J'ai reçu votre lettre du 5 et la lettre de M. Pasquier qui y était jointe.--La mission de M. de Maubourg, qu'on me jette à la tête ici dans toutes mes conférences me gêne beaucoup. Le refrain est: «Vous vous servez de nous, quand cela vous convient, et vous faites vos affaires à part, quand vous jugez que cela vous est utile.» La confiance ne s'établit pas comme cela. J'envoie à Paris M. Tellier expliquer ce qu'on n'a pas l'air de comprendre. J'ai tant écrit, dicté, conféré que je suis à bout de force.--Les forteresses, le principe de démolition adopté, sont une très petite affaire, si l'on veut la bien comprendre; le fait est que personne n'y met d'importance. L'amour-propre seul, et assez bêtement, est engagé. S'il n'y a pas guerre, elles tomberont, parce que personne ne les réparera; s'il y a guerre, nous les prendrons, voilà le vrai. Faites mes amitiés à celui qui vous a donné la note.» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Berlin, le 7 janvier 1832. »Mon prince, »La Prusse n'échangera les ratifications qu'elle envoie demain à Londres, que si les autres puissances sans exception ratifient.» »Le cabinet prussien est très embarrassé. Il aurait certainement désiré que l'empereur de Russie ratifiât purement et simplement. Aujourd'hui il ne veut se compromettre ni envers lui, ni envers nous, et il se croit à couvert par son interprétation de la nature des actes de la conférence. Dès le premier moment, il n'a pas approuvé le traité du 15 novembre. Il ratifiait toutefois, par amour de la paix, trait distinctif de sa politique et des inclinations du roi. Il n'aurait fait que deux réserves: la première, _des droits de la Confédération sur le Luxembourg_; la seconde, _que la Prusse ne participerait jamais à des mesures coercitives actives contre le roi des Pays-Bas_.--Le refus de Pétersbourg est survenu, accompagné de sollicitations pressantes à la Prusse et à l'Autriche de suivre cet exemple. Peut-être n'était-on pas éloigné de céder, mais j'ai sur-le-champ déclaré qu'il n'y aurait en pareil cas d'autre alternative pour notre gouvernement que de prendre sous sa garantie la Belgique, telle que les vingt-quatre articles l'avaient constituée, et d'annoncer hautement que la Hollande, pas plus que toute autre puissance, n'y toucherait. Alors l'on a fait de plus mûres réflexions, et, après bien des hésitations, l'on a pris le parti équivoque dont je rends compte à Paris, et que je vous communique, en résumé, par ma dépêche télégraphique. »L'empereur de Russie ne réussira pas à entraîner le cabinet prussien dans des résolutions violentes ou dans des mesures hostiles. L'on comprend ici tous les avantages que l'on retire du _statu quo_, et l'on veut les conserver. Je suis convaincu que M. de Bülow aura pour instructions de se prêter à tous les termes moyens, à toutes les combinaisons qui empêcheront la rupture des négociations ou la scission d'une ou plusieurs puissances. M. Ancillon m'a en propres termes déclaré, _que le roi de Prusse se considérait comme le gardien de la paix en Europe; que son système politique reposait tout entier sur l'impartialité et la défensive, et qu'il respecterait toujours les droits de ceux qui respecteraient les siens_. »Vous avez les ratifications: elles sont signées du roi, mais l'échange en sera suspendu aussi longtemps que toutes les autres puissances n'apporteront pas les leurs. Ce n'est pas ce que vous désirez, mon prince, mais c'est beaucoup cependant. L'empereur de Russie reste isolé dans son refus et il attendait plus de condescendance....» LORD PALMERSTON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Stanhope Street, 3 janvier 1832. »Mon cher prince, »Le rapport qu'Esterhazy et Wessenberg viennent de me faire de la communication qu'ils ont reçue de leur cour est beaucoup moins mauvais que celui que votre gouvernement croit avoir reçu du comte Appony. Il paraît que la cour de Vienne admet que la conférence se trouvait dans la nécessité de faire un arbitrage entre la Hollande et la Belgique; que cette même cour approuve l'acte d'arbitrage soutenu dans les vingt-quatre articles; qu'elle considère ces articles, acceptés qu'ils sont par la Belgique, comme constituant une convention solennelle entre le gouvernement belge et les cinq puissances; et que, puisque le traité n'est effectivement que les articles, la cour de Vienne est résolue de ratifier le traité; que, cependant, elle veut ajourner la ratification pour le moment, dans l'espoir d'amener la cour de Russie. »Vous voyez que tout ceci n'a pas l'air d'une déclaration officielle, faite par l'Autriche, au nom de la Russie et de la Prusse. »Je suis bien fâché que votre cour pense à refuser sa ratification au traité du 15 novembre, parce que la convention du 14 décembre lui déplaît. Mais comment pourrait-elle trouver des raisons valables pour lier ensemble deux transactions entièrement différentes et séparées? Comment pourrait-elle refuser sa ratification sans vous désavouer et sans vous rappeler? Et quel serait le triomphe que cela donnerait à tous ceux qui ont toujours tâché de nous inspirer des soupçons de la France! Cette manière de traiter si à la légère les transactions solennelles entre les gouvernements est-elle bien propre à donner de la confiance à ceux qui auront affaire, à l'avenir, avec la France? Mais je suis sûr qu'il est inutile que je vous suggère toutes les considérations graves qui n'auront pas manqué de se présenter déjà à votre esprit par rapport à ce sujet désagréable....» On peut juger, par cette lettre de lord Palmerston, la nature des résistances que je rencontrais à Londres pour satisfaire aux exigences du gouvernement français à l'égard de la convention du 14 décembre relative à la démolition de certaines forteresses. J'étais parvenu cependant à obtenir quelques concessions, sous la forme d'un protocole interprétatif de la convention. Je l'envoyai à Paris par le premier secrétaire de mon ambassade, M. Tellier, que je chargeai en même temps d'explications développées. La suite des lettres mettra au fait des résultats de cette nouvelle tentative de négociation. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 10 janvier 1832. »J'espère que toutes les explications que j'ai données, et toutes celles que porte M. Tellier, amèneront notre cabinet à une détermination qui nous conservera en bons rapports avec l'Angleterre, car c'est ce à quoi je travaille depuis dix-huit mois, et ce qui fera notre salut.--Mon opinion est qu'il y aura retard, mais pas refus dans les ratifications. Une fois arrivées et échangées, il faudra laisser aller les choses un peu toutes seules. Il n'y aura plus qu'un roi de Grèce à faire. En avez-vous un dans la tête? On dit qu'il faut pour la Grèce, dans la situation où elle est, un roi qui ait des qualités et des défauts. Cela a fait, à ce que j'entends dire, penser un peu au prince Paul de Wurtemberg. Il a de tout cela; quelque peu de qualités, instruction, esprit, tout cela pas mal, et des défauts en abondance....» «Londres, le 12 janvier 1832. »J'ai reçu, il y a une heure, votre lettre du 10; j'ai lu avec beaucoup d'attention les informations qu'elle contient. Voici où en sont les affaires. Le 31, positivement, nous aurons les ratifications de l'Autriche et de la Prusse; celles de la Russie, viendront plus tard; on ne les attendra pas pour faire l'échange. »Ce point obtenu, la Hollande entrera en quelques explications, et nous ferons tout ce qui sera possible; le fait est que nous voulons tout arranger et finir. Les difficultés ne peuvent pas venir de la Belgique; elles ne peuvent venir que de la France, qui, par de doubles intrigues, embarrasse toujours ses affaires. Il est de fait, que, sans la mission de M. de Latour-Maubourg à Bruxelles, et sans les conférences de Sébastiani avec lord Granville, qui ont amené le protocole du 29 août dont, à Paris, on ne m'a pas même donné connaissance, les choses ne seraient pas arrivées à une suite de difficultés dont il est très difficile de sortir. »Le protocole dont je parle n'est point mon oeuvre: c'est celui des quatre puissances, qui l'ont fait passer par lord Granville, qui l'a remis à Sébastiani. Je n'ai connu son existence que par une lettre de Belliard qu'il m'a écrite à la fin de décembre. Est-ce là faire et conduire des affaires? On embrouille tout, et puis l'on revient à moi. Tout cela commence à m'ennuyer. Cependant, j'irai jusqu'au bout. Je veux bien finir l'affaire dont je me suis chargé. On la gâtera après, si l'on veut....» Pendant que j'écrivais lettres et dépêches dans ce sens de Londres, voici celles qu'on m'adressait de Paris. M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 9 janvier 1832. »Prince, »Ma dépêche officielle, qui vous parviendra en même temps que cette lettre, vous fait connaître quelles sont les diverses solutions que peut recevoir la difficulté grave qu'ont fait naître le traité du 14 décembre et l'insuffisance des modifications qui y sont apportées par la note diplomatique que vous avez reçue des ambassadeurs des quatre puissances. Comme une dépêche ne comporte pas l'explication détaillée des motifs qui s'opposent à ce que le gouvernement du roi consente à l'échange des ratifications qui emporteraient son adhésion aux principes consacrés par le traité du 14 décembre, si, préalablement, il n'était modifié, j'ai prié mon frère Camille[331] de se rendre auprès de vous. Les entretiens que j'ai eus avec lui l'ont mis au fait de la question; il vous confirmera ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur les effets fâcheux de la faute grave qu'ont faites les puissances, en laissant l'opinion si longtemps incertaine sur leurs dispositions à échanger les ratifications, et sur la nécessité de donner aux actes qui termineront cette délicate négociation telle forme qui puisse les rendre irréprochables aux yeux d'un peuple, jaloux, à si juste titre, de ce qui peut toucher à l'honneur national. [331] Camille Périer, ancien auditeur au conseil d'État et ancien préfet sous l'Empire et la Restauration. Était député depuis 1828. Créé pair en 1837. »Dans une conférence que j'ai eue ce matin avec lord Granville, j'ai réitéré l'assurance des dispositions du gouvernement du roi, de resserrer les liens qui unissent les deux peuples et de persévérer dans le système politique qui a concilié leurs intérêts depuis la révolution de Juillet; mais j'ai expliqué les motifs qui ne nous permettraient pas d'accepter le traité du 14 décembre. Mes communications se sont étendues confidentiellement jusqu'aux moyens de résoudre les difficultés nouvelles qu'il a fait naître. Ces moyens n'ont été, de sa part, le sujet d'aucune objection, ce qui me donne l'espoir que vous trouverez dans le concours du cabinet britannique, un appui efficace pour faire agréer l'un d'entre eux....» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 11 janvier 1832. »Prince, »J'ai reçu avec un vif intérêt les dépêches que vous m'avez adressées par M. Tellier. Vous aurez vu, par celle que j'ai chargé mon frère de vous porter et que vous devez posséder au moment où j'écris, que nous nous étions en quelque sorte rencontrés sur la manière de sortir des embarras que cause au cabinet de Londres et au nôtre le traité du 14 décembre relatif aux forteresses. Je désire bien vivement que vous puissiez terminer cette importante affaire. »Vous verrez, prince, par ma dépêche officielle de ce jour que nous vous laissons une latitude de plus que par celles qui vous ont été portées par mon frère; puisque en définitive, si vous ne pouviez pas terminer, ainsi que nous vous l'avons indiqué par le protocole que je vous ai fait passer, nous nous contenterions de l'expédient qui nous est présenté dans votre dépêche numéro 291. Mais il est indispensable, prince, que la déclaration soit claire et explicite dans tout son contenu, comme le protocole que nous vous avons adressé[332]. Il faut que le royaume de Belgique et son roi soient entièrement affranchis de tout engagement antérieur ou postérieur aux actes des cinq puissances qui ont reconnu l'indépendance et la neutralité de la Belgique: c'est là ce que le pays demande à tort ou à raison: c'est ce qu'il veut, et amis ou ennemis, tout le monde nous abandonnerait si nous cédions sur ce point. Quant au fond de la question, nous n'y ajoutons pas plus d'importance qu'elle ne mérite; peu nous importe que, sauf Philippeville et Marienbourg, qui ne font point partie des places comprises dans les catégories du protocole du 17 avril, telle ou telle forteresse soit démolie; mais une fois que les quatre puissances auront déterminé les places qui doivent l'être, qu'elles n'aient aucun droit de suite sur ces forteresses, à moins que ce ne soit en commun pour les cinq puissances signataires du traité du 15 novembre. [332] Le cabinet des Tuileries désirait obtenir des puissances une déclaration explicite qu'elles n'entendaient, garder sur les forteresses belges aucune espèce de suzeraineté. M. de Talleyrand obtint gain de cause sur ce point (Voir page 407). »J'attendrai, avec bien de l'impatience pour notre pays et pour notre cabinet, la réussite de cette affaire; mais, lors même que les trois puissances viendraient à ne pas donner de suite leur ratification, il suffit que la France et l'Angleterre soient d'accord, par l'échange de leurs ratifications respectives, pour que l'effet moral de cette détermination prévienne toute idée sérieuse de collision qui pourrait amener la guerre, car, il serait évident pour tout le monde que, la France et l'Angleterre, une fois d'accord, il ne fût pas difficile, pour ne pas dire impossible, aux autres gouvernements de ne pas accéder aux déterminations de ces deux grandes puissances. »Je ne vous répéterai pas, prince, ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous dire, que notre politique, à l'égard de l'Angleterre, est entièrement conforme à la vôtre. Je charge M. Tellier, avec qui je suis entré dans quelques détails, de vous le réitérer expressément, et de vous dire combien il est urgent pour l'Europe et pour nous, que nous puissions entrer franchement dans le système de désarmement que nous avons annoncé si positivement sur la foi des promesses de tous les ambassadeurs, lesquels nous avaient assuré de la manière la plus formelle que les ratifications de leurs cabinets au traité du 15 novembre, ne seraient qu'une affaire de forme. Je veux bien croire encore qu'il n'y a aucune mauvaise intention de la part des différentes puissances et surtout de celle de l'Autriche et de la Prusse, mais elles ont commis une faute bien grande, si elles veulent sincèrement la paix, ainsi qu'elles nous en ont donné si souvent l'assurance, en ne ratifiant pas aux époques convenues, et en ébranlant ainsi la puissance et la force morale de notre cabinet, dans son système de paix et de désarmement. Si la difficulté relative aux forteresses disparaît entre nous et l'Angleterre, et que nos ratifications soient échangées, nous parerons encore une fois à ce danger. La chute de nos fonds publics, l'inquiétude générale qui règne dans les esprits, vous en révéleront l'imminence, mieux encore que je ne pourrais le faire. »Notre sort, prince, est dans vos mains. Je me confie sans réserve à votre haute sagesse et à votre patriotisme, pour amener à terme une négociation dont peuvent dépendre la paix de notre pays et la civilisation du monde. Je remets à M. Tellier la lettre de lord Palmerston qui n'a été lue que de Sa Majesté et de moi. «Agréez....» CASIMIR PÉRIER. »_P.-S._--Je recommande à vos bontés mon frère s'il se trouve encore auprès de vous.» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. »Paris, ce 11 janvier 1832. »Je reçois dans le moment, mon cher prince, votre lettre du 8 apportée par M. Tellier, et j'avais reçu celle du 5, il y a deux jours. Quoique j'eusse eu un grand plaisir à vous voir, à vous entendre, et aussi à me faire entendre de vous, cependant, je préfère infiniment que vous ne soyez pas venu, car, outre la fatigue et l'incommodité d'une course pareille par le temps qu'il fait, j'aurais regardé comme un véritable malheur que vous ne fussiez pas à Londres, lorsque les dépêches que M. Périer vous a adressées par son frère y seront parvenues. »Je pense qu'elles auront calmé vos inquiétudes, et que les propositions qu'elles contiennent vous auront paru de nature à trancher toutes les difficultés et à faire sortir _les cinq puissances_ de la fausse position où le déplorable traité du 14 décembre les a placées les unes envers les autres. Je le désire vivement, et j'espère que le gouvernement anglais y aura vu une nouvelle preuve du prix que mon gouvernement met, ainsi que moi, à entretenir cordialement entre nous cette union qui est le meilleur garant de la paix de l'Europe et de la stabilité de l'ordre social. Arrangeons ce traité de manière à ce que les anciens engagements du roi des Pays-Bas ne soient pas contractés par le roi des Belges et à ce que, à l'avenir, sa position, ses rapports et ses engagements soient identiquement les mêmes avec toutes les cinq puissances; à ce qu'aucune de ces puissances ne conserve sur ses places et sur son territoire une suzeraineté particulière, et rien ne pourra plus troubler ni notre union avec l'Angleterre ni, par conséquent, la paix générale. Vous pouvez affirmer, mon cher prince, comme je sais au reste que M. Périer vous le mande, avec plus de détails, que c'est là tout ce que veut la France, mais que c'est ce qu'elle veut, et qu'il est vraiment extraordinaire qu'on puisse voir dans une demande aussi juste, aussi simple et aussi modérée, autre chose que ce qu'elle est et qu'on veuille y chercher des prétextes pour élever des soupçons et pour nous accuser d'arrière-pensées que notre propre proposition dément d'une manière aussi formelle et que, j'ose dire, toute ma conduite et celle de mon gouvernement aurait dû suffire pour repousser. Au reste, il est vraiment singulier que ce soit ceux qui nous ont fait un mystère de ce traité, tandis qu'on faisait de sa signature un _sine qua non_ de celle de celui du 15 novembre qui nous était commun, qui croient avoir le droit de nous soupçonner, et _qu'un défaut de sincérité_, qui tout au moins, n'est pas de notre côté, pût porter atteinte à la confiance que nous demandons, et dont il me semble que l'Angleterre a eu tant de preuves de notre part. »Il y a plus: c'est parce que nous avions la pleine conviction que les vues du gouvernement actuel, relativement à la Belgique, étaient entièrement conformes aux nôtres, que nous nous sommes endormis dans une sécurité aussi complète sur la négociation des places. C'est précisément parce que nous n'avions aucune inquiétude de son côté, que nous n'avons pas cherché à obtenir d'autre engagement de sa part que celui du protocole du 17 avril; mais c'est aussi parce que, d'après ce qui s'était passé, nous ne pouvions pas avoir la même confiance dans le gouvernement belge, que nous avons voulu avoir un gage spécial de sa part, que nous lui avons envoyé M. de Latour-Maubourg, mission à laquelle nous avons exprès donné la plus grande publicité, que nous avons communiquée dans tous ses détails à lord Granville et à sir Robert Adair qui ont eu une connaissance préalable de ce que nous demandions, avec lesquels on est convenu des formes et des termes de l'engagement demandé au roi des Belges, engagement qui a été contracté avec leur pleine connaissance et même avec leur approbation, sans laquelle le roi Léopold ne l'aurait pas signé. »J'avoue, mon cher prince, que je ne conçois pas encore, malgré toutes les explications qui nous ont été données sur les soupçons que cette mission avait excités, comment elle a pu en faire naître aucun. Mais laissons là le passé et occupons-nous exclusivement du présent et de l'avenir. »Nous sommes persuadés que c'est la crainte des attaques des tories, secondée par des intrigues belges, qui ont déterminé la forme et les termes du traité du 14 décembre. Nous croyons que le gouvernement anglais actuel a renoncé à tout système de Sainte-Alliance, et qu'il n'est pas plus favorable à celui de faire de la Belgique _une tête de pont_ contre la France, auquel a été substitué le système bien plus sage, et que nous avons adopté, de la neutralité permanente et de l'indépendance de ce nouvel État. »L'exécution franche, pleine et entière de ce système d'indépendance et de neutralité belge est pareillement tout ce que nous réclamons, tout ce que nous voulons. Nous n'avons aucune arrière-pensée ni sur Philippeville et Marienbourg, ni sur quoi que ce soit. Nous n'attachons pas la moindre importance à ces deux places qui n'ont d'autre valeur pour la France que celle des souvenirs qui s'y rattachent, souvenirs qu'on aurait dû ménager davantage au lieu d'en faire un sujet d'irritation. Mon gouvernement n'a jamais eu d'autre intention que de la calmer, et c'est uniquement dans cette vue qu'il en a parlé. C'était pour pouvoir dire qu'il l'avait fait, mais que quand il avait trouvé que cette réclamation pouvait entraver le grand objet de la paix générale, il s'en était désisté; et, en effet, vous savez qu'il n'en a pas été question depuis, ni à Londres, ni à Bruxelles, au moins _par nous_, car je crois que beaucoup d'autres s'en sont occupés en sens contraire, et le traité du 14 décembre en est une preuve suffisante. »Nous étions tellement soigneux d'éviter tout ce qui pourrait réveiller les souvenirs de Philippeville et de Marienbourg que, quand l'armée française est entrée en Belgique, il était défendu au maréchal Gérard de faire occuper ces deux places. »Je vous prie, mon cher prince, de vouloir bien dire de ma part à lord Palmerston, en lui faisant mes compliments, que telle est ma politique personnelle autant que celle de mon gouvernement, et vous pourrez ajouter, si cependant vous pouvez le faire sans que cela le pique, ce que je vous prie particulièrement d'éviter, que ce n'est que par votre dépêche que j'ai eu connaissance des assertions du _National_ que je ne lis pas plus que les autres journaux, et qui est l'ennemi le plus acharné de ma personne et de mon gouvernement. Je désire, s'il veut continuer à s'en faire rendre compte, que ce soit toujours pour prendre le _contre pied_ de tout ce qui sera extrait du _National_, de _la Tribune et Cie_. »Je vous renouvelle toujours bien sincèrement, mon cher prince, l'assurance de mon ancienne amitié pour vous. »LOUIS-PHILIPPE.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 14 janvier 1832. »Voilà la ratification de Prusse arrivée; un courrier de Berlin l'a apportée ce matin: ainsi voilà la question belge fortifiée d'une puissante adhésion. La ratification d'Autriche sera ici la semaine prochaine, à ce que l'on croit, mais sûrement avant la fin du mois. C'est une grande chose de faite: il faut croire que cette épineuse affaire de Belgique sera terminée sans guerre. Il faut que la paix joue son rôle qui est d'amortir les passions. Les hommes du mouvement perdront par la paix, la plus grande partie de leurs moyens de troubles....» «Londres, le 17 janvier 1832. »... Je tâche de faire donner sur la démolition des forteresses les explications que l'on m'a demandées de Paris. Je crois que j'en obtiendrai de satisfaisantes, mais c'est très difficile. Vous savez ce que c'est qu'une affaire mal entamée et qu'on a voulu conduire dans deux endroits. J'ai eu ici plus de peine pour réparer que pour faire. Ce mot de _faiseur_, que l'on employait autrefois, me revient bien souvent à l'esprit; mais il faut s'en arranger, parce que c'est une nature d'esprit que l'on ne peut pas changer, et ce pauvre Sébastiani était né comme cela, ce qui ne l'empêche pas d'avoir une assez bonne dose d'esprit.--Est-il vrai que l'on prépare de fortes attaques contre le budget? J'espère et je compte que tout le monde doit souhaiter que le ministère en sorte avec avantage, car nous avons tous besoin de tout ce que M. Périer a de force de caractère et de capacité pour ramener l'ordre. Le roi a essentiellement besoin de lui. C'est l'opinion de tout le monde ici. M. Périer hors du ministère, toutes les puissances croiraient à un nouvel ordre de choses. Le Parlement rentre aujourd'hui, mais il n'y aura rien d'important que la semaine prochaine....» «Londres, le 19 janvier 1832. »Je crois que tous les cabinets se rapprochent un peu de nous et que les ratifications nous arriveront. Si quelques-unes traînent un peu, cela ne change rien à la résolution. Ce sont plutôt des égards pour le roi de Hollande que toute autre chose qui ont occasionné les retards. J'arriverai, je crois, à ce que désire notre gouvernement sur les forteresses; nous aurons des explications que les plus susceptibles ne pourront pas blâmer....» «Londres, le 23 janvier 1832. »M. Camille Périer retourne ce soir à Paris. Il y porte des pièces qui, à ce que je crois, satisferont. C'est le résultat d'efforts continus pendant quinze jours. J'ai, ce que je n'aime guère, employé la ténacité la plus importune, mais j'ai réussi; il n'y avait aucun moyen d'obtenir davantage. Je vous assure que je travaille trop, mais j'en viendrai à mon honneur....» Pour faire comprendre ce que M. Camille Périer emportait à Paris, je dois placer ici un extrait de la convention du 14 décembre 1831, entre les quatre puissances et la Belgique, relativement aux forteresses. Je me bornerai à citer le texte de l'article 1er de cette convention, qui est le plus important: «ARTICLE PREMIER.--En conséquence des changements que l'indépendance et la neutralité de la Belgique ont apportés dans la situation militaire de ce pays, ainsi que dans les moyens dont il pourra disposer pour sa défense, les hautes parties contractantes conviennent de faire démolir parmi les places fortes élevées, réparées ou étendues dans la Belgique depuis 1815, en tout ou en partie, aux frais des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, celles dont l'entretien ne constituerait désormais qu'une charge inutile. »D'après ce principe, tous les ouvrages de fortification des places de Menin, Ath, Mons, Philippeville et Marienbourg seront démolis dans les délais fixés par les articles ci-dessous.» Les articles suivants règlent le mode de démolition. Le gouvernement français ayant voulu voir dans la rédaction de cet article que les quatre puissances proclamaient une sorte de patronage particulier, présent et à venir, sur les forteresses à démolir, patronage dont la France avait été exclue, je dus insister pour obtenir des plénipotentiaires de ces puissances une déclaration catégorique qui mît fin à toute incertitude à cet égard. Après des efforts infinis, je parvins à leur faire adopter la déclaration suivante qui porte la date du 23 janvier 1832: «Les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, en procédant à l'échange des ratifications de la convention du 14 décembre dernier, déclarent à cette occasion: »1º Que les stipulations de la convention du 14 décembre dernier, motivées par le changement survenu dans la situation politique de la Belgique, ne peuvent et ne doivent être entendues que sous la réserve de la souveraineté pleine et entière de Sa Majesté le roi des Belges sur les forteresses indiquées dans ladite convention, ainsi que sous celle de la neutralité et de l'indépendance de la Belgique, indépendance et neutralité qui, garanties aux mêmes titres et aux mêmes droits par les cinq puissances, établissent sous ce rapport un lien identique entre elles et la Belgique; »2º Que les sommes dont il est question dans l'article V ne sont mentionnées que pour décompte, l'intention des cours étant que, si le décompte offrait un résidu, ce résidu serve à soulager la Belgique dans les dépenses qu'elle aura à faire pour la démolition des forteresses indiquées dans l'article premier; »3º Qu'enfin, la réserve faite par les quatre cours à l'article VI, n'ayant rapport qu'aux articles II et III, ne s'applique par conséquent qu'aux places à démolir. »Par cette déclaration sur les trois points qui précèdent, les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie placent hors de doute que toutes les clauses de la convention du 14 décembre sont en parfaite harmonie avec le caractère de puissance indépendante et neutre, qui a été reconnu à la Belgique par les cinq cours.» C'est cette déclaration que M. Camille Périer emporta à Paris et qu'on trouva enfin suffisamment explicite. M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 23 janvier 1832. »Prince, j'ai vu avec une vive satisfaction par votre dépêche officielle et surtout par votre lettre particulière, que vous comptiez obtenir les modifications que nous avions demandées, relatives à la convention du 14 décembre, si contraire à nos droits et, j'ose dire à notre dignité. »M. Van de Weyer doit avoir reçu maintenant les instructions les plus positives de son gouvernement qui lui ordonne de s'entendre avec vous pour vous faire modifier les articles qui nous avaient justement blessés. »Nous espérons donc, prince, que vous serez en mesure de lever les obstacles qui s'opposaient à l'échange des ratifications du traité du 15 novembre, et que nous vous avions signalés par le modèle de protocole que nous avions fait passé, en vous exprimant, de la manière la plus formelle, l'impossibilité où nous serions de ratifier si nous n'obtenions pas une entière satisfaction sur tous ces points. »Maintenant, prince, que vous connaissez toutes nos difficultés, si elles sont résolues, ainsi que vous m'en donnez l'espérance, d'une manière conforme à nos voeux et à nos instructions, nous ne voyons aucun inconvénient à ce que vous échangiez les ratifications pour le 31 de ce mois. Ce sera un immense service que vous aurez rendu et ce sera une obligation de plus que vous aura l'Europe. »Si l'Angleterre et nous ratifions seuls avant les puissances, il faut, je crois, nous réserver le moyen de ne pas refermer toute voie de conciliation entre la Hollande et la Belgique, en ce qui concerne la navigation; il faut surtout que l'Angleterre ne puisse pas nous opposer un jour, notre signature au traité du 15 novembre, comme un _sine qua non_ qui mettrait un obstacle invincible à ces modifications qui sont le seul prétexte raisonnable d'opposition que puisse faire le roi Guillaume dans la position où il se trouve placé. »J'approuve, prince, ce que vous me dites, de ne pas faire une chose trop importante de ces ratifications, vis-à-vis des autres cabinets; mais cette démarche leur donnera à penser, et tout en ne voulant point nous séparer d'eux, il est bon cependant qu'ils voient que nous pouvons marcher sans eux: il ne leur échappera pas, comme vous le dites fort bien, qu'un semblable accord entre nous et l'Angleterre, est, au fait, un traité offensif et défensif....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 27 janvier 1832. »Le ministère anglais s'est très bien tiré de l'attaque de lord Aberdeen[333]. Lord Grey qui lui a répondu, a placé dans son discours des choses très bien pour la France. Le duc de Wellington a soutenu lord Aberdeen, mais il a respecté toutes les convenances qui avaient été toutes violées par lord Aberdeen. Allez, n'écoutez pas les petits politiques de la société; le fait est que c'est de notre union avec l'Angleterre que sortira notre établissement et pas d'ailleurs; toute ma politique se borne à cela. [333] Lord Aberdeen avait interpellé le cabinet sur les affaires de Belgique et s'était élevé violemment contre l'intervention française (Voir les _Débats_ du 30 janvier). »J'attends avec impatience des nouvelles de tout ce que j'ai envoyé par M. Camille Périer. Je crois que l'on fera ce que je demande; il faut que je reçoive les ratifications avant le 31....» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 29 janvier 1832. »C'est avec bien de l'empressement, mon cher prince, que je viens vous remercier de votre lettre du 23, et vous témoigner tout le plaisir qu'elle m'a fait en m'annonçant que la plus forte difficulté de cette longue et pénible négociation de la Belgique est surmontée. Je m'en félicite avec vous de bien bon coeur, et il est assurément bien juste de vous en adresser les compliments. Certes, c'est une belle et grande chose que cette question belge se soit terminée de cette manière, surtout ayant été, il faut malheureusement en convenir, si mal secondé par eux, car cette dernière difficulté est leur ouvrage, et je comprends parfaitement ce qu'elle a été pour vous. Il faut se consoler de ce qui froisse un peu la petite vanité, la gloriole nationale, si vous voulez, en se répétant ce que vous m'écrivez: «_Il n'y avait rien de plus à obtenir._» Et, certes, Philippeville et Marienbourg ne valent pas la guerre. L'essentiel est obtenu, voilà le vrai, grâce à votre zèle et à votre habileté. »J'espère et je désire bien, comme vous me le mandez, que le mois prochain soit le terme définitif de vos travaux. Je sais, mon cher prince que vous avez grand besoin de pouvoir vous soigner et vous reposer un peu, et c'est encore admirable que votre santé ait aussi bien supporté tant de fatigues morales et physiques. Je souhaite du fond de mon coeur, que vous n'ayez plus qu'à jouir de vos succès et des heureux résultats qu'ils auront pour notre chère France et pour notre bien-aimé roi qui aurait aussi grand besoin de repos. »Sébastiani est infiniment mieux, et même tout à fait bien. La difficulté maintenant est d'obtenir de lui qu'il se soigne assez longtemps et qu'il ne reprenne pas trop tôt les affaires, ce que je crois bien important pour consolider son rétablissement....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 31 janvier 1832. »J'ai échangé ce soir les ratifications de la France avec la Belgique, et, ce qui est excellent, c'est que l'Angleterre a échangé tout comme moi, ses ratifications avec les Belges: ainsi voilà une affaire bien finie. L'Angleterre et la France réunies en même temps, c'est plus que je n'osais l'espérer. A présent, il faut patienter: le reste viendra; n'exigeons rien; ne triomphons pas trop, n'embarrassons pas l'Angleterre de ce qu'elle a fait, et que tous les tories, petits et grands lui reprocheront demain. Ne lui laissons pas voir que d'être liée avec nous, lui fait faire plus de mouvement qu'elle ne veut. C'est une affaire de prudence et de conduite. Il faut ménager le ministère anglais; il a ici de grands embarras. Mon opinion est que les ratifications de Prusse et d'Autriche ne se feront pas attendre longtemps[334]; celles de Russie viendront plus tard, mais viendront. Cela fait, on attendra la Hollande, et ce qu'elle dira ne fera rien à personne. L'Espagne a mis une fois, quatre-vingts ans à faire une reconnaissance toute pareille, et cela n'a pas dérangé l'Europe qui avait fait ses affaires de son côté.--Je ne sais rien de la France au dedans; je ne lui trouve pas trop bonne mine, mais je sais qu'au dehors, nous sommes, par ce que nous venons de faire, placés comme le roi devait le désirer, sans trop l'espérer. [334] Sur les sentiments du cabinet de Berlin à cet égard, voir à l'Appendice page 495 une lettre de M. Bresson à M. de Talleyrand. »Cela doit bien étonner et bien fâcher les petits messieurs à non intervention, qui criaient et croyaient à la guerre.--Nous avons pris une forme excellente, c'est de laisser le protocole ouvert, et c'est sur la proposition de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche. On doit être content aux Tuileries de la rédaction de ce protocole...» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 4 février 1832. »Mon cher prince, »J'ai beaucoup entendu parler dans ma jeunesse, des talents du comte d'Avaux et de la longueur et de la difficulté des négociations du traité de Westphalie. C'était l'enfance de la diplomatie; et je crois que les quinze mois de la conférence de Londres, les cinquante-cinq protocoles toujours signés d'accord par les plénipotentiaires des cinq grandes puissances présentent un spectacle bien plus imposant de talents et de difficultés vaincues que tout ce qui l'avait précédé. Il sera beau pour vous, pour mes ministres et j'ose dire aussi pour moi, qu'en sortant de la révolution de Juillet, cette grande crise ait été conduite de manière à nous faire arriver au résultat que nous obtenons enfin, sans que la paix intérieure de la France, ait été troublée, et sans que l'Europe soit devenue la proie de l'embrasement dont elle était menacée. »Vous voyez, mon cher prince, que je partage votre opinion, que les ratifications de la France et de l'Angleterre échangées en même temps assurent l'échange des trois autres, car c'est presque devenu un lieu commun que de dire que, quand la France et l'Angleterre sont d'accord, il n'y a plus à craindre la guerre en Europe. J'ai toujours cru que nos deux puissances pouvaient s'entendre et se mettre d'accord, sans que ni l'une ni l'autre eussent rien à perdre de leur honneur national et de leurs intérêts politiques, mais j'ai cru aussi que pour que nos deux nations approuvassent cet accord, il fallait rendre évident que leurs gouvernements n'en avaient rien sacrifié; et voilà, mon cher prince, ce qui fait que j'ai souvent insisté avec tant de force sur quelques points de la négociation que mon gouvernement avait grande raison de vouloir rectifier. A présent, le succès a couronné ses efforts et les vôtres, et c'est là sans doute la meilleure réponse à toutes les invectives dont nous sommes tous les objets. »Je désire vivement, mon cher prince, que les ratifications des autres puissances ne se fassent pas attendre longtemps. C'est leur intérêt comme le nôtre, car c'est l'échange complet qui convaincra tous les incrédules qu'ils doivent renoncer à leurs espérances de guerre et de bouleversement. C'est là ce qui les convaincra de la stabilité de l'ordre de choses actuel et de l'impuissance de leurs efforts pour le renverser. »C'est toujours de tout mon coeur, mon cher prince, que je vous renouvelle l'assurance de toute mon amitié pour vous....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 6 février 1832. »Je supplie Mademoiselle de me donner de ses nouvelles. La nuit du 2 février a dû être une nuit d'angoisses, et quoique le danger[335] n'ait été connu que lorsque déjà il n'existait plus, vous avez dû avoir des heures bien pénibles. Il est bien dur, quand on ne songe, comme vous le faites tous, qu'à faire du bien, de rencontrer à chaque pas des difficultés, des intrigues de tout genre. Je m'inquiète sans savoir rien; personne ne m'écrit. Je vous conjure, Mademoiselle, de ne pas me laisser, sur ce qui est d'un tel intérêt pour vous, dans une ignorance complète...» [335] M. de Talleyrand fait ici allusion au complot dit de la rue des Prouvaires. Deux à trois mille hommes avaient été embauchés par l'agent légitimiste Poncelet pour tenter un coup de main sur la famille royale. La police arrêta les chefs du complot dans la nuit du 1er au 2 février dans une maison de la rue des Prouvaires, et le mouvement fut étouffé. MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, lundi 7 février 1832. »Mon cher prince, »C'est vraiment bien aimable et bien bon à vous de m'avoir écrit, tout de suite, à deux heures du matin, au moment où les ratifications entre la Belgique, l'Angleterre et la France venaient d'être faites. Je ne puis assez vous dire combien j'en suis vivement touchée, et c'est de tout mon coeur que je vous en remercie. Cette bonne et importante nouvelle est arrivée bien à propos pour dédommager un peu notre bien-aimé roi de tout ce qu'il a à souffrir des infâmes complots des carlistes et des républicains qui, pour le moment, sont parfaitement d'accord dans leurs intrigues et leur bien coupable but. Vous savez par les journaux l'absurde mais exécrable conspiration qui vient d'être arrêtée, grâce à Dieu, au commencement de son exécution. La police, en cette occasion, a été parfaitement bien faite, car tout cela a été fait sans que cela causât la moindre agitation dans Paris. Cela s'est passé pendant notre grand bal du 2, qui n'en a pas moins duré jusqu'à cinq heures du matin. On disait tout bas dans le bal qu'on s'attendait à quelque tentative d'émeute pour la nuit, mais on était loin de croire que ce fût une chose aussi grave. Ce n'est qu'à trois heures, au moment où nous nous retirions du bal, la reine et moi, que nous avons appris les arrestations que l'on venait de faire de cette bande armée. Ils ne peuvent plus faire d'émeute dans la rue; la population n'en veut pas; ils en viennent aux conspirations, aux horreurs, comme la machine infernale du temps de Napoléon. Il y a cent dix personnes arrêtées, toutes prises les armes à la main. Ainsi, pour cette fois, il ne peut y avoir de doute sur leurs bonnes intentions. J'espère que cela mènera à un bon résultat, et je suis persuadée que cela sera avantageux pour le gouvernement. Le roi est d'un calme, d'un sang-froid admirable. Je vous avoue que je le trouve sans cesse beaucoup trop confiant; c'est un sujet de discussion entre nous...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS. «Londres, le 13 février 1832. »... L'empereur de Russie envoie le comte Orloff[336] à La Haye, pour déclarer au roi que, s'il ne se décide pas à adhérer aux articles de la conférence, il ne peut en aucune manière, ni dans aucun cas, compter sur son appui. Cela retardera l'envoi des ratifications russes probablement de huit ou dix jours, mais il est positif qu'on est décidé à les envoyer...» [336] Alexis Foedorowitch, comte puis prince Orloff, né en 1786, servit dans l'armée russe durant les guerres de l'empire. Il devint général en 1828. En 1829, il signa le traité d'Andrinople avec la Porte, et fut en 1830 nommé ambassadeur à Constantinople. En 1832, il fut chargé d'une mission importante à La Haye et à Londres; de retour en Russie, il reçut le commandement de l'armée envoyée en Turquie contre Ibrahim-pacha, et signa le traité d'Unkiar-Skelessi (1833). Il fut ensuite nommé conseiller d'État, directeur de la police secrète, prit part aux conférences de Berlin et d'Olmütz (1853) et représenta la Russie au congrès de Paris (1856). Il reçut peu après le titre de prince, fut nommé président du conseil de l'empire et du conseil des ministres. Il mourut en 1861. «Londres, le 14 février 1832. »... Je n'ai appris l'envoi de troupes en Italie que comme un fait; comme projet, je ne le savais pas[337]. Mais je suppose que l'on s'est entendu à cet égard avec le gouvernement autrichien; car, sans cela, il y aurait des complications qui donneraient plus d'embarras qu'il n'y aurait d'avantages. Du reste, je ne sais rien, et je raisonne sur tout cela un peu en aveugle, ce qui fait que je n'en parlerais pas à une autre personne qu'à vous. C'est bien assez d'avoir à se mêler de ce qu'on est chargé de faire; il serait fou de se mêler de ce qui regarde les autres, surtout quand on le sait mal. [337] Il s'agit de l'expédition d'Ancône. Cette ville fut occupée le 22 février 1832. On se rappelle qu'en juillet 1831, M. Périer avait obtenu le retrait des troupes autrichiennes du territoire pontifical. Mais peu de mois après, de nouveaux soulèvements éclatèrent dans les États de l'Église. Le pape fit appel aux Autrichiens qui accoururent aussitôt (janvier 1832) M. Périer vit dans ce fait une atteinte à la dignité de la France, et voulut que celle-ci partageai avec l'Autriche l'honneur de défendre le Saint-Siège. De là l'expédition d'Ancône. La colère de l'Autriche fut très vive mais impuissante, et les autres cabinets furent également émus. M. Pozzo reçut l'ordre de quitter Paris si l'ambassadeur d'Autriche demandait ses passeports. A Londres, l'opposition tory fit entendre de violentes récriminations. Toutefois, tout se borna en paroles.--M. de Talleyrand blâma cette expédition, malgré une lettre de Madame Adélaïde qui lui exposait les idées du roi et du cabinet à ce sujet. Voir à l'Appendice, page 496. »Je vous ai écrit hier l'arrivée à La Haye du comte Orloff. Cette mission retardera probablement de dix ou douze jours les ratifications, mais elle les assure...» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 13 février 1832. »Prince, »J'ai tardé plus que je l'aurais voulu à répondre aux deux lettres particulières que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, car les premières discussions du budget ont été pour moi pénibles et laborieuses. Nous avons jusqu'ici gagné toutes les questions importantes. Nous avons surtout à combattre la Chambre sur des retranchements et des économies qui pourraient devenir embarrassantes pour le gouvernement. Au reste, nous sommes toujours décidés à lutter jusqu'au bout, à ne pas faire de questions ministérielles de celles qui ne seront que purement financières, et nous continuerons à faire tous nos efforts pour consolider au dedans ce système politique, à l'affermissement duquel vous avez, prince, si puissamment contribué au dehors. »J'ai reçu hier, avec les ratifications belges que vous m'avez envoyées, votre dépêche du ... J'y ai vu avec la plus grande satisfaction, ce que vous me dites du discours de lord Palmerston, que je me suis fait représenter ce matin. Le gouvernement du roi s'applaudit vivement de cette conformité de vues et de sentiments, dont les deux pays peuvent attendre de si heureux résultats. Cette manifestation franche et sincère peut répondre à bien des choses et nous être véritablement utile. Nous y trouvons une confirmation de notre système de politique étrangère justifié par un aussi heureux succès dans son but le plus important. »Ma première dépêche officielle, prince, vous donnera des détails étendus sur les affaires d'Italie; mais pour répondre à votre désir, je m'empresse de vous informer aujourd'hui que nous avons lieu d'espérer que Sa Sainteté cédera aux pressantes instances que nous lui avons fait faire et sera déterminée par elles à ne pas laisser subsister définitivement le refus de nous permettre d'occuper Ancône, refus dont M. de Sainte-Aulaire fils nous avait apporté la nouvelle[338]. [338] Le général Cubières avait été envoyé à Rome pour aviser le pape de l'occupation d'Ancône par les troupes françaises. Le pape fut d'abord vivement irrité de ce coup de force, et fit entendre de vives protestations à M. de Sainte-Aulaire. Ce n'est que le 16 avril qu'une convention intervint entre le cabinet des Tuileries et la cour de Rome, aux termes de laquelle le pape autorisait l'occupation française. »Nos troupes ont reçu provisoirement l'ordre _d'entrer_ à Ancône, le seul cas excepté où les Autrichiens les y auraient devancés. Dans cette supposition, elles se porteraient sur _Civita Vecchia_ qu'elles occuperaient. »Nous ne varierons pas du but que nous nous proposons: montrer à l'Autriche que nous ne pouvons consentir à l'occupation de la Romagne qu'autant qu'elle sera de courte durée; montrer au Saint-Siège que nous voulons obtenir de lui les concessions qu'il a solennellement promises aux puissances[339]. [339] L'occupation autrichienne n'avait pris fin en juillet 1831 que sur la promesse du pape faite à la France, médiatrice, et à l'Autriche d'une amnistie et de réformes libérales. »Du reste, sans nous départir en rien de cette volonté bien constante, nous ne comptons pas nous éloigner de notre système politique que nous avons voulu rendre modéré et juste en même temps que ferme et digne de la France, et nous éviterons aussi longtemps que nous le pourrons, une collision contre laquelle ont toujours été dirigés nos efforts...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 17 février 1832. »... En Angleterre, jusqu'à présent, on ne fait autre chose que regarder la question portugaise; je suis étonné du peu d'intérêt que l'on y porte dans un sens ou dans l'autre. Quand le dénouement approchera, peut-être que cela changera. La réforme et la Belgique se sont emparé de toute la sollicitude du pays. Je commence à croire que j'ai quelque succès à Paris, car je vois qu'on me libellise dans les journaux et dans les pamphlets. Il faut se soumettre à cela quand on veut servir son pays et que l'on cherche les moyens d'arrêter le flot populaire. Au surplus, cela passera comme le reste...» «Le 24 février 1832. »Il n'y aura pas de congrès quant à présent, personne n'y pense. Le comte Orloff tient en suspens: il ne s'est ouvert _tout à fait_ à personne à Berlin. Pozzo, s'il en parle, fait des contes; il n'en sait pas plus que M. de Liéven qui ne sait rien. Le comte Orloff a dû arriver le 20 à La Haye, il y restera cinq ou six jours, au plus huit, et de là, il vient ici. Si Lamb[340] et Esterhazy ont emporté l'envoi des ratifications de l'Autriche, comme ils ont dû le faire; si Metternich a le bon esprit de ne pas vouloir placer l'Autriche à la remorque de la Russie, alors nous n'aurons plus d'embarras d'aucun genre: il faudra bien que la morgue russe cède...» [340] Ambassadeur d'Angleterre à Vienne. «Le 25 février 1832. »On m'écrit que Maubreuil va reparaître sur la scène pour faire quelque plaidoyer rempli d'injures contre moi, en ma qualité de président du gouvernement provisoire en 1814[341]. Ce sera une ou deux matinées de scandale, et cela finira par une fin de non recevoir. Du reste, cela ne m'ennuie et ne me trouble guère. C'est dans les singularités du temps d'être attaqué par un homme que l'on n'a jamais vu et qui, en 1814, avait mis la décoration de la Légion d'honneur à la queue de son cheval, et que cet homme-là ait pour lui des libéraux de la fabrique actuelle.» [341] Maubreuil, qui depuis plusieurs années était entièrement oublié, essaya de rappeler l'attention sur lui en intentant un procès à M. de Talleyrand. Il le perdit le 1er mars devant la cour de Paris.--L'affaire, au reste, ne fit aucun bruit. «Le 27 février 1832. »... Je ne sais rien du comte Orloff que des on-dit, mais je sais que quelque demande qu'il fasse, je ne soumettrai jamais la France à changer une virgule à un traité que j'ai signé. Il faut que les autres puissances ratifient; cela fait, je deviens coulant, je consens à ce que, de gré à gré, il soit fait des modifications entre la Belgique et la Hollande; je les facilite, je les encourage autant que je peux. Je vais plus loin, car je suis prêt à garantir, si l'Angleterre consent à le faire avec nous, le traité qui sera fait par la Hollande et la Belgique. Voilà toute ma marche: elle sera invariable. Je suis dans l'opinion que je parviendrai à ce que je veux faire, et cela ne sera pas bien long...» «Le 28 février 1832. »... Nous avions obtenu du pape toutes les concessions que les libéraux pouvaient raisonnablement demander. Cela obtenu, les libéraux se révoltent encore; nous n'avons plus à nous en mêler. C'est une question de police que le pape fait faire comme cela lui convient le mieux. Mais nous avions fait ce que nous devions aux principes que nous professons en engageant le pape et en obtenant de lui d'entrer dans la route où les idées de l'époque dans laquelle il vit le forcent de se tenir. A présent cela ne nous regarde plus. C'est avec ce langage qu'on donnerait confiance à l'Europe et que l'on serait sûr de n'être inquiété par personne. Et puis, on fait connaître son système de gouvernement, ce qui est commode pour tout le monde. Voilà comme je raisonne au milieu de mes brouillards. »Savez-vous que l'expédition de dom Pedro, avec mon idée de neutralité, réussira très probablement si l'on s'en rapporte à tout ce qui vient de Lisbonne, qui est plus sûr que ce qui vient de Pozzo[342]. Tenons-nous unis à l'Angleterre et nous sommes maîtres de nous établir dans notre intérieur sans être dérangés par le dehors, ce dont Metternich enrage. L'Espagne dont on veut effrayer le monde n'a pas un écu et manque de souliers; c'est bien là l'armée de moines déchaussés, comme il y en a par douzaines dans ce qu'on appelle la péninsule. [342] Dom Pedro venait de partir pour son expédition de Portugal. Parti de Belle-Isle le 13 février, il aborda à Terceira le 3 mars. Il parut le 8 juillet devant Porto. »Ici, les partis s'aigrissent: chaque parti croit qu'il aura l'avantage lors de la discussion à la Chambre des pairs. Je crois que le ministère aura la majorité à la seconde lecture, mais, dans le comité où l'on ne vote plus par procuration, la question n'est pas aussi sûre[343]. Lord Grey a répondu dans le Parlement d'une manière qui doit convenir au gouvernement français, en versant beaucoup de dédain sur lord Aberdeen, qui a été d'une âcreté et d'un goût détestable dans son langage sur la France. Tenons-nous bien où nous sommes; disons-le, montrons-le et nous nous retirons de toutes nos difficultés.» [343] On sait que, d'après la procédure parlementaire anglaise, tout bill public doit être discuté successivement par la Chambre des communes et par la Chambre _réunie en comité_. Ce mot «comité» ne signifie nullement dans le cas présent une commission élue par l'assemblée à l'effet de discuter le bill: le _comité_ comprend toute la Chambre. Lorsque la réunion du comité a été prononcée, le speaker quitte le fauteuil, et à partir de ce moment, par une fiction que l'usage a consacrée, la séance de la Chambre est suspendue et celle du comité commence. Je ne m'arrêterai un moment sur ce qui concerne les affaires d'Italie et l'occupation d'Ancône dans les lettres qui précèdent et dans celles qui vont suivre, que pour constater que j'étais en dissentiment sur ces points avec le gouvernement français. Je croyais qu'il s'était engagé là précipitamment dans de nouvelles difficultés, avant d'avoir résolu celles qui tenaient depuis dix-huit mois la paix en suspens, et je ne trouvais pas cela une saine politique. Je n'ignorais pas qu'à Paris, l'opposition jetait les hauts cris à propos de l'entrée des troupes autrichiennes dans les légations, mais je pensais qu'avec un peu plus de fermeté, on aurait pu résister à ces cris et attendre le moment, où le traité du 15 novembre 1831 ratifié par toutes les puissances, le cabinet français aurait été mieux placé pour exiger la retraite des troupes autrichiennes des États pontificaux, en menaçant d'y transporter une expédition française pour obtenir leur libération. J'ai la certitude qu'il aurait obtenu l'assentiment du gouvernement anglais à une manière d'agir fondée sur les traités et sur le principe de non intervention, cette fois sagement appliqué. Quoi qu'on en ait dit, il y aurait eu plus de dignité et de véritable vigueur dans cette politique que dans la furtive prise d'Ancône, d'où il devait nous être plus difficile encore de sortir qu'il ne l'avait été d'y entrer. Chacun pourra apprécier mon opinion que je tenais à bien exprimer ici, et qui se trouvera d'ailleurs dans ma correspondance à travers ce qui se rapportait à l'affaire belge. Celle-ci qui était ma véritable préoccupation, continuait à passer par des péripéties qui auraient pu lasser le plus patient. Ainsi, M. Bresson m'écrivait de Berlin, le 23 février, qu'il venait d'expédier un courrier à Paris, pour y annoncer que l'empereur Nicolas était décidé à désavouer ses plénipotentiaires à Londres, qu'il ne ratifierait pas le traité du 15 novembre, et qu'il l'avait signifié au gouvernement prussien; puis, quelques jours plus tard, je recevais de lui la lettre suivante qui disait tout le contraire: M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Berlin, le 1er mars 1832. »Mon prince, »Je n'ai qu'un moment avant le départ du courrier pour vous annoncer qu'un courrier russe, qui a passé ici ce matin à quatre heures, porte au comte Orloff l'ordre de déclarer au roi des Pays-Bas: «que l'empereur a vu avec une extrême affliction le projet de traité communiqué à la conférence par les plénipotentiaires hollandais[344]; qu'il considère que le roi, en se refusant à admettre comme convenue la séparation politique de la Belgique, remet en question toutes les négociations suivies par les puissances depuis dix-huit mois; qu'agir ainsi, c'est vouloir la guerre et non la paix, et que, si le roi n'abandonne pas cette proposition _inadmissible_, l'empereur _pourra bien_ se considérer comme affranchi des engagements qui le lient et modifier sur plusieurs points les instructions du comte Orloff, particulièrement dans cette disposition essentielle de ne reconnaître le roi Léopold qu'après qu'il l'aurait été par le roi des Pays-Bas lui-même.» [344] Projet de traité communiqué confidentiellement à la conférence par les plénipotentiaires des Pays-Bas en date du 30 janvier 1832.--Martens, t. XXIII, p. 349. »Le chargé d'affaires de Russie à La Haye fera cette communication si le comte Orloff a déjà quitté cette ville pour se rendre à Londres....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 1er mars 1832. »Il n'y a point de nouvelles. La malle de Hollande est en retard de cinq jours. Je ne sais quel jour arrivera le comte Orloff, mais on l'attend chez les Lieven qui donnent des bals pour prouver que sa venue à Londres leur fait plaisir. Le fait est qu'ils en sont très peinés. Je persiste dans l'opinion que tout s'arrangera et, à peu de jours près, dans le temps que je vous ai indiqué. »Le roi de Bavière accepte pour son fils Othon la couronne de Grèce[345]; c'est un choix dans lequel le _désintéressement_ des puissances se montre, ce qui était nécessaire à faire, et d'ailleurs, le seul prince de l'Europe qui se soit montré favorable aux Grecs est le roi de Bavière. Je n'ai point indiqué ce choix, mais je m'y suis prêté, faute de mieux. Le prince Paul de Wurtemberg n'était pour personne un choix qui inspirât de la confiance; le prince Frédéric des Pays-Bas ne voulait pas; le prince de Saxe[346] et le margrave Guillaume de Bade[347] avaient refusé. Bolivar[348] était mort. Qui pouvait-on prendre?» [345] La couronne de Grèce avait été offerte par la conférence au prince Othon dans le courant de janvier. Son père accepta en son nom, et le 7 mai suivant, une convention définitive fut signée en ce sens à Londres entre la Bavière d'une part, la France, la Russie et l'Angleterre de l'autre. [346] Le prince Jean de Saxe, né en 1801, marié en 1822 à Amélie, fille du roi Maximilien de Bavière. Il monta sur le trône en 1854 et mourut en 1873. Il avait été patronné pour le trône de Grèce par la France. [347] Guillaume-Louis-Auguste, margrave de Bade né en 1792, marié à Élisabeth princesse de Wurtemberg. Il mourut en 1859. [348] Simon Bolivar, le fameux libérateur de l'Amérique du sud (1783-1830). Il avait été en 1819 nommé dictateur de la Colombie et du Venezuela. Il s'était démis de ses fonctions peu de mois avant sa mort. «Le 6 mars 1832. »Cette prise d'Ancône, me met dans un embarras extrême. Pourquoi donc y entrer par force? Est-ce que l'on n'était pas convenu avec l'Autriche de ce que l'on ferait? Il faut, pour sortir de là, que le pape fasse ce qu'il avait promis, que l'on désavoue l'officier qui commandait l'escadre, et que l'on fasse dire par l'Angleterre, à Vienne, que nous sommes prêts à nous retirer au moment où le pape aura tenu l'engagement qu'il a pris avec les plénipotentiaires d'Autriche, d'Angleterre et de France. Et tout cela doit être fait dans un moment. Le temps ne répare point les étourderies; il faut réparer avant qu'on ait pu s'aigrir et se porter à des mesures qui pourraient devenir embarrassantes. Si j'étais M. Périer, voilà ce que je ferais, et si j'étais auprès de lui, voilà ce que je lui conseillerais. Mais, comme j'ai le bonheur de ne pas m'être mêlé de cette affaire et de ne pas avoir eu mon opinion à donner, je ne veux pas que vous prononciez mon nom sur cela. Si l'on vous demande ce que dit M. de Talleyrand, vous répondrez: «Cela ne le regarde pas; il a assez d'affaires avec le comte Orloff, et je ne crois pas que ce qui se passe en Italie les rende plus faciles.» »Nos amis en Angleterre sont désolés; ils vont être attaqués au Parlement et ne sauront que répondre aujourd'hui sur cette diable d'expédition. Le ministère sera pressé fortement par les arguments âcres de lord Aberdeen. Les Autrichiens seront mal; cette affaire d'Ancône va leur servir de prétexte....» «Le 7 mars 1832. »... On attend le comte Orloff par le bateau à vapeur du 9. Si vous voyez le roi, dites-lui que l'Angleterre a besoin que l'officier qui, à ce que l'on me mande, est entré à Ancône hors de ses instructions, soit désavoué. En tout, quand on a une affaire importante, il ne faut pas la compliquer par des intérêts qui lui nuisent, quoiqu'ils lui soient étrangers....» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 7 mars 1832. 8 heures du soir. »Mon prince, en sortant de la séance de la Chambre, je me hâte de vous envoyer le discours que je viens de prononcer dans la discussion générale sur le budget des affaires étrangères. Vous apprendrez avec plaisir, mon prince, que cet exposé de la politique du gouvernement a obtenu un plein succès. »J'ai reçu ce matin de Vienne, tant au sujet des ratifications que des affaires d'Italie, des nouvelles satisfaisantes. Cependant, comme on m'écrivait encore sous la première impression, je ne puis savoir quel parti on essayera peut-être de tirer de notre entrée un peu irrégulière à Ancône et surtout de ce que le consentement du Saint-Siège n'avait pas été donné d'une manière assez explicite. »Je ne vous écris pas longuement aujourd'hui, mon prince parce que je pense que vous serez bien aise de recevoir des premiers des nouvelles de la séance de ce jour....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 13 mars 1832. »Le roi des Pays-Bas se sert aujourd'hui de l'affaire d'Ancône et de l'espoir que la _Réforme_ ne passera pas, pour retarder le départ du comte Orloff; cela m'est insupportable. »M. Ouvrard[349] se mêle aussi avec M. de La Rochejacquelein[350] de toutes les affaires du roi de Hollande et tous les moyens d'intrigue qu'il fournit au roi sont accueillis. Je ne me découragerai pas, mais cette affaire-là me tuera. Cette nouvelle difficulté, qui arrête encore le comte Orloff à La Haye, m'est très désagréable. A présent, on doit convenir que si nous n'avions pas eu la ratification de l'Angleterre, et si nous n'étions pas liés avec elle, nous serions aujourd'hui dénués de toute force. En restant comme nous sommes, accolés à l'Angleterre, nous nous en tirerons; c'est là la base solide de notre dynastie. J'y attache le plus grand prix. Le bill de la _Réforme_ passera tel qu'il est, à la seconde lecture; il peut y avoir quelque amendement lorsqu'il sera porté au comité; sur cela, on n'est pas d'accord. Mon opinion n'est pas que les changements altèrent les principes du bill....» [349] Julien Ouvrard (1770-1847), fameux financier dont la fortune date de la Révolution et de l'empire. Après 1830 il fut mêlé à toutes les intrigues politiques du temps et se mit au service du roi de Hollande, de dom Miguel et de don Carlos. [350] Henry, marquis de La Rochejacquelein, neveu du célèbre général vendéen, né en 1805, pair de France sous la Restauration, député en 1842, et sénateur sous l'empire. «Le 15 mars 1832. »A la contrariété près, il ne faut voir dans le retard du comte Orloff qu'une douzaine de jours de plus de délai, car les ratifications arriveront, j'en suis sûr, et sans l'affaire d'Ancône, elles seraient déjà ici. Mais on a tant dit à La Haye que cela changerait les résolutions du cabinet de Pétersbourg et qu'il fallait attendre, avant de venir à Londres, l'effet que cela aurait produit et qui ferait peut-être changer les instructions qu'avait le comte Orloff, qu'il a consenti à rester. Mais nous serons si raides ici qu'il faudra bien qu'il arrive. Je donne à tout cela quinze jours. Sans la prise flibustière d'Ancône, tout aurait été fini le 10, comme je l'avais dit. S'il n'y a pas de nouvel incident, tout le sera le 30.--Voilà mon opinion fixe.--Je ne me soucie pas que vous parliez du mauvais effet d'Ancône, parce que cela ferait tort au ministère, et qu'il faut l'aider par tout moyen....» M. CASIMIR PÉRIER AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 14 mars 1832. »Prince, »Cette lettre vous sera remise par mon fils qui va rejoindre son poste. Il vous annoncera que le général Sébastiani, dont la santé est meilleure, a repris ce matin son portefeuille. Je crois lui laisser les affaires étrangères dans un moment où la France a pris une attitude convenable sous tous les rapports vis-à-vis des puissances, et où nous avons plus que jamais l'espérance d'arriver à la paix, au désarmement, à ce résultat qui a été le but de tous nos voeux et de tous nos efforts. Nous comptons toujours pour y parvenir, prince, sur votre bonne et puissante coopération. Je vous avouerai que l'ardent désir de réussir à assurer cette paix, si nécessaire au pays, peut seul me faire résister à la pénible tâche dont je me trouve chargé. La session qui va finir a été bien fatigante pour moi. Nous avons trouvé dans la Chambre un esprit et une tendance qui sont la conséquence naturelle et prévue par nous d'un déplacement tel que celui qui est résulté de la dernière loi électorale. Nous avons, en grande partie, affaire à des hommes dont la tête ne pense point, dont les mains ne sont propres qu'à détruire, nullement à édifier. C'est avec cela qu'on peut faire facilement des révolutions sans les consolider. Nous avons donc trouvé sur notre route parlementaire bien des obstacles. Nous avons été, en dernier lieu, contrariés par des économies embarrassantes pour nous, sans profit aucun pour la France. Je dois le dire, cependant, la vérité, que nous n'avons pas hésité à faire entendre souvent tout haut, n'a pas été totalement perdue. On commence à revenir dans le pays à des idées d'ordre et de gouvernement. Sans qu'on nous accuse de nous avancer trop, nous pouvons affirmer qu'à aucune époque, notre position intérieure n'a été plus solide et plus forte contre les attaques qu'elle ne l'est aujourd'hui. »Je ne m'étendrai pas, prince, sur nos rapports avec les puissances; mes deux derniers discours vous auront tout dit sur notre système de politique intérieure. Avec l'échange des ratifications que nous attendons impatiemment, nous n'avons plus rien à coeur que de voir promptement terminer les affaires d'Italie. Je pense qu'on y arrivera avec l'aide des représentations des puissances auprès de la cour de Rome. »J'ai eu ce matin à ce sujet une réunion des ministres des cinq cours. Deux partis y ont été discutés: le premier, de continuer l'occupation simultanée des troupes autrichiennes et françaises, en sollicitant la prompte solution des différends du Saint-Siège avec les légations;--le second, de faire remplacer les troupes actuellement occupantes par des Suisses venant du royaume de Naples. Cependant, comme cette dernière mesure entraînerait de longs délais, nous désirons bien que les affaires soient terminées avant le temps nécessaire pour sa mise à exécution. Tout ceci n'a été cependant qu'une simple conversation entre les ministres des cinq cours et moi....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 17 mars 1832. »Aujourd'hui, malgré tous les moyens dilatoires employés par le roi des Pays-Bas, je dois croire que les ratifications du comte Orloff arriveront ici en même temps que lui, et qu'il sera ici au plus tard dans quinze jours. Les ministres hollandais ont reçu leur courrier et un mémoire, mais je crois qu'ils auront de la difficulté à nous faire une communication parce que le roi trouve qu'il n'est pas de sa dignité de nous faire une communication nouvelle avant que nous lui ayons fait une réponse à la note jointe au projet de traité qu'il nous a fait remettre il y a un mois. Mais comme je suis décidé, ainsi que l'Angleterre, à ne rien écouter avant que les ratifications soient arrivées[351], ils sont fort embarrassés de trouver un moyen pour entrer en matière avec nous. C'est cette résolution-là qui forcera les ratifications d'arriver.--Mais il faut qu'à Paris on finisse les affaires d'Ancône, qui servent de prétexte à tout ce que l'on aime à dire contre le gouvernement français à La Haye. Les malveillants attribuent toujours le système de délai de la Hollande à l'espoir que le ministère anglais ou le ministère français sera forcé de quitter les affaires....» [351] Lord Palmerston et M. de Talleyrand marchaient absolument ensemble sur ce point. (Voir à l'Appendice trois lettres qui en font foi, pages 496, 497 et 498). «Le 22 mars 1832. »L'effet produit par cette affaire d'Ancône augmente chaque jour. Tout le monde est effrayé et on a dans la bouche: «Voilà les formes révolutionnaires qui reviennent.»--Le dernier courrier envoyé par le comte Orloff a été motivé par les affaires d'Italie. Le pape a envoyé partout la proclamation du capitaine Gallois[352]; elle anime tout le monde, amis et ennemis. Si nous étions dans cette situation au moment où se décidera l'affaire de la réforme, je ne sais pas ce qui arriverait. Je vous avoue qu'il me paraîtrait bien dur, après dix-huit mois de difficultés vaincues d'échouer au port, par une fantaisie d'expédition dénuée de sens commun. Qu'est-ce que deux ou trois mille hommes, à Ancône quand les Autrichiens en ont soixante-mille dans le Milanais? C'est vraiment de la démence....» [352] Le capitaine de vaisseau Gallois commandait l'escadre envoyée à Ancône. Il devint contre-amiral en 1835. LE PRINCE DE TALLEYRAND A M. CASIMIR PÉRIER. «Londres, le 22 mars 1832. »La confiance, je dirai l'amitié que vous me témoignez, monsieur me font un devoir d'attirer votre attention sur l'extrême importance des circonstances actuelles; l'entreprise d'Ancône les a fort compliquées; il en est résulté un grand effarement chez nos amis, et une vive satisfaction chez les ennemis de notre gouvernement, qui y cherchent des arguments pour attaquer jusqu'à la loyauté de notre cabinet, ce qui n'avait pas été fait depuis que vous êtes à la tête du ministère. Votre grande droiture a donné à notre ministère une force qu'il ne faut pas perdre; vous en auriez moins pour combattre les folies intérieures, si vous cessiez d'être regardé par l'Europe comme le conservateur du bon droit et du bon ordre. »Terminons donc, je vous en supplie, l'affaire d'Ancône, et faites-en porter la peine à quelques subalternes qui se sont trop souvenus des temps révolutionnaires. L'opinion de tous les partis se prononce ici sur cette question d'une façon embarrassante; le cabinet anglais ne sait comment l'expliquer, ni comment la justifier. Vous verrez, par ma dépêche de ce jour, en termes adoucis, de quelle manière le roi d'Angleterre m'en a parlé ce matin. Si cette fâcheuse affaire n'était pas terminée avant la question de la réforme, et si la réforme tournait mal pour le ministère de lord Grey, je ne sais vraiment où nous en serions. En vérité, trois mille hommes à Ancône sont trop peu de chose pour que la France puisse y trouver une satisfaction d'amour-propre; et cependant, notre séjour sur ce point menace d'embraser tout le midi et augmente les difficultés et prolonge les délais dans les affaires du nord. »Vous verrez, monsieur, dans cette lettre que j'écris à regret, combien je suis préoccupé des intérêts de notre gouvernement, et de votre gloire en particulier. »Agréez....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 27 mars 1832. »Le comte Orloff arrive décidément demain à Londres. Il n'a rien obtenu à La Haye; le roi s'est refusé à tout. Nous aurons d'ici à peu de jours les ratifications de Prusse et d'Autriche, c'est sûr. La déclaration que le comte Orloff a donnée en partant s'exprime très fortement sur ce que l'empereur Nicolas a voulu être utile au roi. Il y dit que le roi s'étant refusé à ses conseils, il ne pouvait compter sur aucun appui de sa part.--Les choses marchent comme je l'ai voulu: nous triompherons, mais il ne faut pas que les Belges aillent faire des folies. Quel est le ministre qu'on veut envoyer de chez nous à Bruxelles? On ne saurait trop choisir un homme prudent. La séance d'hier sur la réforme a été bonne pour le ministère; le bill passera à la seconde lecture qui aura lieu jeudi le 5 avril; viendra ensuite le comité où se feront quelques propositions d'amendements....» «Le 28 mars 1832. »Le comte Orloff est arrivé cette nuit, comme je vous l'annonçais hier. Il est venu chez moi ce matin. J'ai laissé, à cette première visite toute la réserve d'une visite de politesse. Il m'a parlé de son voyage en Hollande; il m'a dit du bien de M. de Mareuil (je l'ai cité dans ma dépêche) et tenait, à ce qu'il m'a paru, à dire qu'il avait catégoriquement demandé par _oui_ ou par _non_ au roi, s'il adoptait les vingt-quatre articles. Le roi lui ayant dit que _non_, il a remis une déclaration dont M. de Fagel a la copie, et il est parti pour Londres. C'est là tout ce que l'on sait aujourd'hui[353]....» [353] Voici cette déclaration qui est assez décisive: «Après avoir épuisé tous les moyens du persuasion et toutes les voies de conciliation pour aider Sa Majesté le roi des Pays-Bas à établir par un arrangement à l'amiable et conforme tout à la fois à la dignité de sa couronne et aux intérêts de ses sujets qui lui sont restés fidèles, la séparation des deux grandes divisions du royaume des Pays-Bas, l'empereur ne se reconnaît plus dorénavant la possibilité de lui prêter aucun appui ni secours. »Quelque périlleuse que soit la situation où le roi vient de se placer et quelles que puissent être les conséquences de son isolement, Sa Majesté Impériale faisant taire quoique avec un regret inexprimable, les affections de son coeur, croira devoir laisser la Hollande supporter seule la responsabilité des événements qui peuvent résulter de cet état de choses. »Fidèle à ses principes, elle ne s'associera pas à l'emploi de moyens coercitifs qui auraient pour but de contraindre le roi des Pays-Bas par la force des armes à souscrire aux vingt-quatre articles. Mais, considérant qu'ils renferment les seules bases sur lesquelles puisse s'effectuer la séparation de la Belgique et de la Hollande ... Sa Majesté Impériale reconnaît comme juste et nécessaire que la Belgique reste dans la jouissance actuelle des avantages qui résultent pour elle desdits articles et notamment de celui qui stipule sa neutralité déjà reconnue en principe par le roi des Pays-Bas lui-même. Par une conséquence naturelle de ce principe, Sa Majesté Impériale ne saurait s'opposer aux mesures répressives que prendrait la conférence pour garantir et défendre cette neutralité, si elle était violée par une reprise des hostilités de la part de la Hollande....» «Le 30 mars 1832. »On avait promis d'envoyer des troupes françaises en Italie, si les Autrichiens entraient dans les États du pape.--Voilà ce qu'on vous a dit; eh bien, cela n'a pas le sens commun. A qui a-t-on promis? Est-ce au pape?--Il n'a rien demandé à la France.--Est-ce à l'Autriche?--C'est ridicule à penser.--C'est donc à M. Mauguin ou à M. Lamarque: voilà un bel engagement! Peut-on comparer la position de l'Autriche, vis-à-vis de Rome, à la position de la France? Quand il y a des mouvements populaires dans les légations, l'Autriche, qui est voisine, est menacée; la France l'est-elle?--Je vous le répète: lord Holland, sir Francis Burdett[354], lord Grey, trouvent que cette expédition ne peut pas se défendre, et ils le disent tous très amicalement, mais c'est leur opinion. Une affaire pour laquelle il faut toujours donner des explications est très certainement une très mauvaise affaire. Je la défends de mon mieux, mais parce qu'il est de mon devoir de défendre ce que fait le gouvernement; mais il ne sortira de là que des embarras, parce que cela change la position anti-propagandiste que nous avons voulu prendre. Et en vérité, dans un temps où il y a une Vendée en mouvement, un Midi qui s'y met dans beaucoup d'endroits, c'est une folie de faire intervenir les questions et les démêlés avec Rome, qui agit dans la Vendée et dans plusieurs villes du Midi. Finissons l'affaire d'Ancône, et tout ira bien pour le reste. Je m'en charge. Ce matin encore, le comte Orloff, me disait: «C'est une chose que nous ne pouvons pas comprendre d'une manière plausible, que cette expédition; du reste cela ne me regarde pas. Je vous parle de cela parce que n'étant qu'un voyageur bénévole, je puis parler de tout....» [354] Sir Francis Burdett (1770-1844). Il entra à la Chambre des communes en 1796 où il devint un des principaux leaders du parti whig. Il représentait le bourg de Westminster en 1831, et soutint énergiquement le bill de réforme. «Le 4 avril 1832. »La Russie se fait bien attendre. L'ordre d'échanger les ratifications n'est pas encore arrivé; probablement on l'aura demain; mais cela plaît aux Russes, qui veulent croire qu'on les attend; ce qui n'est pas tout à fait vrai, quoique au fond cela convînt assez. Cela se borne là, car on peut compter la chose comme faite....» Dans l'intervalle de nos négociations, le choléra qui était depuis plusieurs mois à Londres, éclata à Paris et le président du conseil, M. Casimir Périer, en avait été atteint[355], ce qui donna lieu à la lettre suivante du général Sébastiani: LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 12 avril 1832. »Mon prince, »Je puis vous parler aujourd'hui, en toute certitude et toute confiance de l'état de M. le président du conseil. Non seulement il est hors de danger, mais on ne met plus en doute qu'il ne puisse assez prochainement reprendre ses travaux. J'étais, quant à moi, très décidé à quitter les affaires, si sa santé eût exigé qu'il rentrât dans la vie privée. Fort heureusement pour la France et pour l'Europe, nous le conserverons à la tête du ministère, et tous les intérêts de premier ordre qui se rattachent d'une manière si étroite au système que nous avons adopté trouveront ainsi, dans la continuation assurée de ce système, les garanties dont ils ont besoin. [355] Le choléra s'était répandu en Europe vers la fin de 1831. En janvier 1832, il était à Londres. Le 29 mars, il fut signalée Paris, où il prit immédiatement une intensité redoutable. Le 3 avril, M. Casimir Périer en fut atteint à la suite d'une visite qu'il avait faite à l'Hôtel-Dieu avec le duc d'Orléans. Il lutta six semaines contre le fléau et finit par succomber le 16 mai. »Au reste, mon prince, comme vous le pouvez croire, les adversaires du gouvernement n'ont pas manqué d'exploiter les incertitudes auxquelles devait d'abord donner lieu le malaise grave de M. le président du conseil, pour chercher à préparer les esprits à de nouvelles combinaisons ministérielles. Mais leur impuissance à cet égard était chose trop notoire pour qu'ils pussent faire impression, et bientôt, avertis eux-mêmes de leur peu d'influence par le caractère soutenu de l'anxiété publique, ils ont jugé devoir changer leurs batteries et exprimer le voeu que M. Périer restât aux affaires, pour le voir succomber plus tard, ont-ils dit, sous les efforts de son propre système. »Tout cela, mon prince, n'est que ridicule, et n'a rien d'alarmant. Le ministère continuera à marcher d'un pas ferme dans les mêmes voies, et si la convalescence de M. le président du conseil lui commande d'user, pendant quelque temps encore, de grands ménagements, les circonstances n'exigent plus heureusement de lui qu'il se prodigue en efforts et en travaux comme il a dû le faire depuis plus d'une année. La session touche à sa fin. Demain ou après-demain, la Chambre des députés sera close de fait: ils ont hâte de terminer et de retourner dans leurs foyers. Vous aurez pu en juger par la rapidité avec laquelle ils ont voté les derniers projets de loi. »Le gouvernement du roi va donc se trouver moins entravé, plus libre dans sa marche: il n'aura plus à perdre, en discussions si souvent oiseuses, quelquefois même si inopportunes, un temps que les intérêts positifs du pays réclament presque tout entier. La cause de la paix ne pourra qu'y gagner et il ne dépendra pas de nous, mon prince, que toutes les puissances ne mettent à profit cet intervalle pour resserrer et fortifier des liens dont la durée leur importe à toutes au même titre. »Recevez....» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 16 avril 1832. »Les ratifications autrichienne et prussienne sont ici; le pouvoir de les échanger y est aussi, mais on exprime de Berlin un grand désir que l'on attende, si on le peut, la réponse au courrier russe. Tout cela a pour objet de placer la responsabilité sur MM. de Bülow et de Wessenberg, qu'on n'aime pas à Berlin et à Vienne, parce qu'ils ont signé le traité du 15 novembre. Je les presse, mais toutefois en les ménageant, parce que le fait est qu'à l'époque de la signature du traité ils ont été fort bien, très courageux et très décidés, croyant qu'ils faisaient ce qui était utile à leurs gouvernements. Tout sera décidé demain au soir. Attendra-t-on trois ou quatre jours de plus, ou finira-t-on demain? Je n'ai pas encore d'opinion sur cela....» «Le 16 au soir. »Je vous ai écrit ce matin, à moitié endormi. La séance de la Chambre des lords n'a fini qu'à sept heures du matin, et j'ai voulu, avant de me coucher, faire annoncer le succès du ministère anglais par le télégraphe. Voilà une affaire bien finie, la majorité a été de neuf voix. Ainsi j'avais exactement annoncé au gouvernement quel serait le résultat de cette grande et importante affaire. Le comité pour régler les détails du bill de réforme, ne se réunira qu'après Pâques, car tout le monde est fatigué et veut aller à la campagne. Rien de nouveau de la Russie. On attend parce qu'on ne peut faire autrement, mais tout le monde est dans une forte impatience. Je tiendrai bon jusqu'à la fin. Je ne veux penser à mon âge que quand les ratifications seront venues; mais alors, j'y penserai un peu et je le dirai sérieusement. Je me suis plu à finir ma carrière par une grande chose et par une grande marque de dévouement: la grande chose, c'est la paix et notre union avec l'Angleterre: le dévouement, c'est d'avoir donné deux années de temps, de fatigue de tête, de changement de vie, à l'établissement au dehors de notre dynastie à qui il faut à tout prix donner des bases solides; et c'est en Angleterre qu'elle les trouvera; et je vous assure bien que ce n'est pas à Ancône, dont les embarras se feront sentir, quoi que l'on en dise. On a trop cru faire quelque chose d'agréable à l'opposition; tout cela a été mal compris: il ne faut pas chercher à lui plaire, parce qu'on ne lui plaira jamais. Il faut la contenir, et on le peut. Je raisonne là tout à mon aise, parce que je ne suis et ne voudrais être pour rien dans le pouvoir....» «Le 17 avril au soir 1832. »La réponse au courrier du 14 mars envoyé par le comte Orloff lorsqu'il était à La Haye, est arrivée à l'ambassade russe, et, comme elle n'est pas définitive, demain nous passerons outre et nous engagerons les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse à faire leur échange de ratifications avec le plénipotentiaire belge. Ainsi, demain 18, à quatre heures, cela sera fini; il ne restera plus que la Russie qui viendra certainement à la fin du mois. Attendre plus longtemps aurait été une marque de déférence pour la Russie qui aurait été trop forte. Des égards, je les comprends; mais de la déférence qui aurait l'air d'une reconnaissance de supériorité, nous ne pouvons, nous ne voulons l'admettre. Ainsi demain, tout tranquillement, nous laisserons la Russie de côté, et nous aurons les deux autres ratifications échangées. Il ne faut être raide que quand il le faut; mais, quand il le faut, il faut être inébranlable....» «Le 23 avril 1832. »Je ne comprends rien à ce qu'on m'écrit de notre ministère des affaires étrangères de Paris sur les ratifications de Prusse et d'Autriche. Le fait est que les ministres autrichien et prussien n'étaient autorisés à faire leur échange qu'avec le consentement des Russes, et ce consentement ils ne l'ont pas eu,--ou bien en même temps que les Russes, c'est-à-dire plus tard qu'ils ne l'ont fait, puisque les ratifications russes ne sont pas encore arrivées. Je me figure que c'est pour m'ôter le petit mérite de cette affaire que l'on se donne la peine de dire que M. de Bülow avait reçu l'ordre positif d'échanger sur-le-champ. Au reste, cela me fait peu de chose; ici on sait bien ce qui en est....» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 20 avril 1832. »Je vous remercie beaucoup, mon cher prince, d'avoir chargé madame de Vaudémont de me communiquer la lettre que vous lui écriviez le 17, ce qu'elle a fait hier avec un aimable empressement pour moi, et à six heures le roi a reçu, par dépêche télégraphique, la confirmation de l'importante et si bonne nouvelle de l'échange des ratifications de l'Autriche et de la Prusse, faite le 18, comme vous l'annonciez la veille[356]. J'ai besoin de vous en exprimer tout de suite ma satisfaction et de vous en faire tous mes compliments, car c'est bien à vos peines, à votre habileté et à votre fermeté, surtout dans cette dernière circonstance, que nous devons cet heureux résultat qui nous assure l'immense et incalculable avantage de la paix, à laquelle je croyais depuis longtemps. Mais le retard prolongé des ratifications de l'Autriche et de la Prusse donnait une arme puissante à tous nos ennemis pour en faire douter, et semer l'inquiétude à cet égard, ce qui était un grand mal. Grâce à vous, c'est enfin fini; et sans attendre la ratification de la Russie, ce qui est une grande et belle victoire pour vous, et je suis bien convaincue que personne autre que vous n'aurait pu la remporter. [356] La ratification de l'Autriche contenait une réserve au sujet _des droits de la Confédération germanique quant aux articles qui concernent l'échange d'une partie du Limbourg contre une partie du Luxembourg_. En outre, par une déclaration insérée au protocole, le plénipotentiaire autrichien prévoyait la _nécessité_ d'une négociation ultérieure entre la Hollande et la Belgique pour la conclusion d'un traité comprenant les vingt-quatre articles avec les modifications que les cinq puissances auront jugé admissibles. La ratification prussienne était pure et simple dans ses termes. Toutefois, M. de Bülow adhéra verbalement à la réserve de l'Autriche et, en outre, fit insérer au protocole une déclaration témoignant des _vives sympathies_ de son gouvernement pour celui de la Haye, et de son désir de voir ajouter ultérieurement au traité des articles additionnels qui pourraient améliorer la situation de la Hollande. »Cette bonne nouvelle est arrivée bien à propos pour dédommager et consoler un peu notre bon roi de toutes ses peines et de ses soucis. Ce malheureux choléra nous attaque ici d'une manière bien vive et bien cruelle et nous plonge dans la tristesse; c'est une affreuse calamité. M. Périer l'a eu bien fortement; il est en convalescence, mais il paraît que les convalescences de cette maladie sont bien longues. M. d'Argout aussi a été attaqué bien vivement. Vous jugez dans quelle anxiété cela met le roi...» »Le samedi, 21 avril. »Je reprends cette lettre que je n'ai pu finir hier.--Toutes les difficultés étrangères tendent à s'aplanir, car la roi a reçu hier soir la nouvelle que le pape consent à ce que nos troupes restent à Ancône le temps que les troupes autrichiennes resteront dans ses États; et le matin il avait reçu celle du rappel du cardinal Albani[357]. Je suis contente de vous donner ces bonnes nouvelles qui, j'espère, vous réconcilieront un peu avec notre expédition d'Ancône, et que, si vous ne croyez pas qu'elle ait fait du bien (manière de voir que quelques personnes de votre connaissance et _de la mienne_ ont), vous conviendrez au moins qu'elle n'a pas fait de mal, et c'est beaucoup. [357] Joseph Albani, de l'illustre famille romaine de ce nom, était commissaire apostolique dans la Romagne, où il s'était signalé par des rigueurs excessives. Son rappel fut le signal d'une détente et d'un apaisement dans le pays. Le cardinal mourut en 1834. »Le _Courrier anglais_ a fait un bon article, que je lisais ce matin, sur le droit de Louis-Philippe au trône, au sujet de la détestable phrase[358] de sir Robert Peel, dans la discussion de lundi sur les captures brésiliennes. Mais je voudrais qu'on eût bien établi que dom Miguel avait accepté la régence et que, par conséquent, il n'avait qu'en dépôt la couronne de dona Maria, qu'il s'est appropriée; tandis que Louis-Philippe n'avait pris aucun engagement, qu'il ne voulait absolument pas de la royauté et qu'il ne s'est déterminé à l'accepter que quand il a eu la conviction qu'il n'y avait que ce moyen de sauver notre chère France de l'anarchie et des plus grands malheurs. Ce n'est qu'alors qu'il s'est rendu _au voeu unanime_; car il l'était à cette époque, dont vous avez été témoin comme moi...» [358] A la séance de la Chambre des communes du 16 avril, il s'éleva une discussion à propos des réclamations de sujets anglais contre la capture de bâtiments de commerce anglais faite par le gouvernement brésilien au moment où il était en guerre avec la République Argentine. Le Brésil avait promis une indemnité qui n'avait jamais été payée. Sir R. Peel prit la parole et transporta immédiatement la question sur le terrain politique: il protesta contre l'appui donné par l'Angleterre à dom Pedro. Il compara dom Miguel à Louis-Philippe. «En quoi, dit-il, ses droits sont-ils moins bons que ceux de Louis-Philippe à la couronne de France. Certes, ce n'est pas sous le rapport de la légitimité...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 24 avril 1832. »... La lettre que j'ai reçue de Mademoiselle est toute pleine d'Ancône. Je suis charmé que cette affaire prenne une tournure régulière; c'est la forme révolutionnaire qu'avait eue cette entreprise qui avait blessé tous nos amis. Les Autrichiens étaient appelés; nous ne l'étions pas; voilà l'énorme différence. »Quand l'empereur Napoléon est entré en Espagne, détestable entreprise d'où date le décroissement de sa puissance, il s'était fait appeler par le roi d'Espagne et il avait mis du soin à ce que cela fut observé. Nous sortons d'une révolution, et en pareille position, quand on veut s'établir, il faut montrer à tous les gouvernements, naturellement inquiets, que l'on n'est pas révolutionnaire. C'est à cela que je me suis attaché ici, et voilà pourquoi j'ai réussi...» LE COMTE DE FLAHAUT AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 24 avril 1832. »... Nos affaires intérieures et extérieures iraient bien sans la fâcheuse complication produite par la maladie de M. Périer, celle de d'Argout, et l'état de Sébastiani, quoique ce dernier se soit fort remis depuis quelque temps. M. Périer n'a plus de choléra, mais une guérison de la façon de Broussais[359] équivaut à une maladie mortelle. En attendant, les intrigues ministérielles vont leur train, et il existe toujours des faux frères.» [359] Le docteur Broussais, professeur à la faculté de Paris (1772-1838), le chef de l'école physiologique qui, après avoir été fort en vogue, était tombée dans un discrédit complet. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 1er mai 1832[360]. [360] M. de Talleyrand écrivait le soir de ce même jour une autre lettre à madame de Vaudémont qu'on lira également avec intérêt.--Voir à l'Appendice, p. 498. »Comment voulez-vous que je parle de ratifications russes avant qu'on les sache à Paris? Ce n'est que par Paris que je les sais et ce n'est que d'hier au soir qu'elles sont arrivées ici, tandis qu'à Paris, vous les connaissez depuis trois jours. »Lord Palmerston ne revient de la campagne que jeudi 3; d'ici là, nous ne saurons rien que mal. Le 3, nous aurons une conférence, et j'écrirai ce jour-là au département et à vous.» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 29 avril 1832. »Voilà la ratification de la Russie arrivée, c'est un beau triomphe, mon cher prince, et qui nous assure la première chose de toutes: la paix.--Notre roi avait besoin de cette grande et bonne nouvelle pour le consoler et le dédommager des nouveaux embarras que lui cause la maladie de M. Périer, qui l'afflige beaucoup. Malheureusement sa convalescence n'est réellement pas établie, et il est dans un état qui laisse la plus grande incertitude sur le résultat qu'il aura. Mais, qu'il se prolonge ou non, le roi tient à suivre le même système de gouvernement, qui, je sais, est le vôtre aussi. C'est pour cela que, même sans en rien dire à notre cher roi, à qui je ne veux pas, surtout dans ce moment, donner un nouveau tourment de plus, je viens vous consulter sur une nouvelle difficulté que l'état de santé de notre pauvre général Sébastiani, dont je ne suis pas tout à fait contente, me fait craindre. »S'il était dans le cas de ne pouvoir rentrer aux affaires étrangères, quel serait votre avis sur le choix bien important de la personne qui pourrait le remplacer? Je vous le demande en toute confiance, et vous pouvez me répondre de même, étant bien certain que cela restera _entre vous et moi_. Mais je tiens beaucoup à savoir votre avis sur cet objet que je regarde comme bien essentiel et sur lequel vous avez tant de lumières, avant que la chance arrive. Je remettrai cette petite lettre-ci à madame de Vaudémont, pour vous la faire passer d'une manière sûre, mais elle ignore entièrement son objet; et vous jugez combien je mets de prix à ce que cela soit tout à fait secret de vous à moi, et que personne ne puisse se douter de la demande que je vous fais, d'autant que ce n'est qu'une prévoyance pour l'avenir, et qu'une indiscrétion risquerait de troubler et de gâter le présent....» Cette lettre de Madame Adélaïde, quoi qu'elle contînt sur l'ignorance du roi, avait été probablement dictée par lui, pour me sonder sur les vues personnelles que je pouvais avoir dans la question qui en faisait le sujet. D'autres personnes m'avaient écrit de Paris, pour savoir si je ne voudrais pas entrer au ministère, soit à la place de M. Périer, soit à celle du général Sébastiani, si ces deux ministres se retiraient. On m'adressa même plusieurs envoyés, chargés de me faire des ouvertures de divers côtés, sur le même sujet. C'est ce qui me détermina à écrire la lettre suivante au baron Louis qui avait été employé comme intermédiaire près de moi, en le priant de faire de ma lettre l'usage qu'il jugerait utile. LE PRINCE DE TALLEYRAND AU BARON LOUIS. «Londres, le 3 mai 1832. »Il y avait bien longtemps que je n'avais vu de votre écriture, mon cher Louis. Votre lettre m'a fait plaisir; elle est de confiance, et me replace par là, dans la situation où j'ai toujours voulu être avec vous. »Voici mon opinion: il faut se dévouer pour ce qu'on sait faire et ne jamais entreprendre ce que l'on n'est pas sûr de faire mieux que les autres. C'est pour cela que je vous désirais aux finances; et personne ne pouvait y être mieux que vous: c'est pour cela aussi que je suis venu à Londres, croyant que j'étais plus propre qu'aucun autre à maintenir la paix. Nous avons eu raison tous deux, car nos finances vont bien, et la paix est assurée. J'en reste là pour ma vie politique. Il y a cinquante ans que je sers la France, car c'est toujours elle qu'on a dû servir. Vous avez pensé et agi de même. A toutes les époques il y a eu du bien à faire ou du mal à empêcher; voilà pourquoi, quand on aime son pays, on peut, et dans mon opinion, on doit le servir sous tous les gouvernements qu'il adopte. »A présent, je dois vous dire que je resterai ici jusqu'à ce que je me sois bien assuré que le but de mon voyage a été atteint, ou qu'il est au moment de l'être. Je demanderai ensuite un congé de quatre mois pour aller aux eaux, et pour mes propres affaires dont, depuis deux ans je ne sais rien, car, depuis que je suis à Londres, je ne pense pas une minute à autre chose qu'à ce qui conduit au résultat dont on avait tant de besoin, car sans la paix, personne ne peut dire où nous aurions été entraînés. »Ainsi, ne pensez pas à moi pour aucune place ministérielle; je refuserais, c'est positif. Vous me parlez d'un ministre des affaires étrangères; il n'y en a que deux que l'on puisse prendre: M. de Rigny ou M. de Sainte-Aulaire. Tout autre, dans les circonstances actuelles, serait un mauvais choix, et rejetterait le dehors dans son système de méfiance dont M. Périer et moi, l'avons tiré. M. de Bassano, serait un choix _funeste_, et d'anciens serviteurs de l'empereur, tels que vous et moi, doivent en être pénétrés plus que personne: car enfin, il a perdu son maître. On le tient avec raison pour incapable et hostile. Adieu. Écrivez moi le parti que l'on est disposé à prendre. »Mille amitiés.... TALLEYRAND.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 5 mai 1832. »A trois heures du matin, les ratifications avec la Russie ont été échangées; et cela a été une très longue et très difficile affaire, parce que la ratification n'a pas été pure et simple[361]. Il a fallu la fortifier, et je crois que nous y sommes parvenus. Je n'ai été occupé que de cela pendant trente-six heures. Aujourd'hui les choses sont bien arrangées. Le comte Orloff est parti cette nuit.--J'écris officiellement et particulièrement pour demander un congé de quatre mois, avec liberté d'en faire usage à l'époque que je croirai la plus convenable. J'ai essentiellement besoin de repos; depuis vingt mois, je ne vis que pour arriver où je suis parvenu hier. Il faut que je pense à mes jambes, à mes yeux, et que j'aille regarder mes affaires. Je demande M. Durant de Mareuil pour me remplacer ici, sans que cela fasse tort à son avancement, le désignant comme seul qui soit propre à une chose difficile....» [361] La ratification russe portait une réserve importante. L'empereur Nicolas ne ratifiait que «sauf les modifications et amendements à apporter dans un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique aux articles 9, 12 et 13». Or les articles en question relatifs à la navigation des eaux intermédiaires et au partage de la dette étaient précisément ceux que le cabinet de la Haye refusait de reconnaître. «Londres, le 8 mai 1832. »La première schédule du bill de réforme est celle qui désigne un certain nombre de bourgs qui perdront leur privilège; la seconde schédule est celle qui désigne un certain nombre de grandes villes qui acquerront le privilège électoral. »Lord Lyndhurst[362] a proposé que la seconde schédule fût discutée la première. Cette motion, attaquée par le chancelier lord Holland et lord Grey et défendue par lord Harrowby et quelques autres de ce côté, a été adoptée par cent cinquante et une voix contre cent seize, c'est-à-dire à une majorité de trente-cinq voix contre le ministère. [362] John Singleton Copley, baron de Lyndhurst, né en 1772, avait d'abord été député aux Communes. Il fut lord chancelier dans le cabinet Wellington. Il se démit en 1830 au moment de la chute du cabinet tory, fut de nouveau revêtu de cette charge en 1834 et en 1841. Il mourut en 1863. »Lord Ellenborough[363] a fait, en forme de proposition, des objections au bill dans le sens plus que libéral; c'était dans la vue de dépopulariser le ministère. Il a agi comme notre _Gazette de France_ avec son vote universel. Dans la peur d'être libéral, tous ces gens-là, de tous les pays, se font radicaux. N'est-il pas singulier que lord Ellenborough prenne ses formes politiques chez M. Genoude[364]? Quel singulier temps! Lord Grey et le chancelier sont partis ce matin pour Windsor avec la demande de faire soixante pairs ou l'offre de leur démission. Ils ne reviendront que dans la nuit. Voilà où en sont les choses...» [363] Édouard Law, comte d'Ellenborough, succéda en 1818 à son père à la Chambre des lords, où il siégea dans le parti tory. Il fut, en 1834 et 1841, président du bureau des affaires de l'Inde, gouverneur général de l'Inde en 1841, premier lord de l'amirauté en 1846, et président du bureau de contrôle de l'Inde en 1858. [364] Antoine-Eugène Genoude, né en 1792, fut d'abord professeur de l'Université. Il se fit plus tard un nom comme publiciste et journaliste ultra-royaliste sous la Restauration. Après 1830, il continua la lutte en faveur de la légitimité dans la _Gazette de France_ dont il était le propriétaire et le principal rédacteur. Il fut élu député en 1846 et mourut en 1849. M. Genoude était entré dans les ordres en 1834. Au moment de la discussion de la loi électorale, la _Gazette de France_ avait demandé le suffrage universel dans le seul but de faire de l'opposition au cabinet qui réclamait le cens de deux cents francs. «Londres, le 9 mai 1832, dix heures du matin. »Le roi a accepté la démission des ministres. Il n'a encore appelé personne pour former un nouveau gouvernement[365]. »Il faut, chez nous, montrer une grande tranquillité, suivre la même marche, garder les mêmes ministres; attendre le retour de la santé de M. Périer et se féliciter de ce qu'on a fait un arrangement en Italie et de ce que toutes les ratifications sont échangées...» [Footnote 365: Le roi avait refusé le 8 mai de créer les soixante pairs que réclamaient lord Grey et lord Brougham. Il préféra accepter la démission des ministres. Le duc de Wellington fut chargé de composer un nouveau cabinet, mais ses négociations échouèrent, en même temps qu'une vive opposition contre tout changement de ministère se manifestait dans l'opinion publique. Finalement, après une crise qui dura dix jours, lord Grey retira sa démission, et le cabinet fut reconstitué.] «Le 10 mai 1832. »... Ici, rien n'est encore décidé; on est dans les pourparlers et probablement la journée se passera comme cela. De grâce, faites que chez nous on ne montre que de la curiosité sur le changement du ministère anglais. Il faut être tranquille et c'est l'avantage de la tranquillité que de paraître, aux yeux des autres, sans inquiétude parce qu'on est inébranlable. «L'affaire de madame la duchesse de Berry prouve que c'est bien peu de chose que le parti carliste[366]. Il n'y a de parti dangereux que celui de la république, et celui-là a raison de croire que tous les mouvements, de quelque côté qu'ils viennent, lui sont bons. Notre gouvernement, au contraire, doit désirer la stabilité partout; c'est la manière de se bien établir. J'aurais bien des choses à dire sur cela, mais c'est trop pour une lettre...» [366] Madame la duchesse de Berry avait débarqué le 29 avril sur la côte de Provence; le lendemain, se produisit à Marseille une tentative d'insurrection qui fut immédiatement réprimée. La duchesse, voyant sa cause compromise dans le Midi, traversa secrètement la France, gagna la Vendée et arriva vers le 15 mai au château de Dampierre, en Saintonge. Là elle prépara le soulèvement qui allait éclater dans l'ouest dans la nuit du 3 au 4 juin. «Le 12 mai 1832. »Rien n'est fait complètement. Ce qu'il y a de sûr, c'est que le duc de Wellington et lord Lyndhurst sont nommés et ont accepté. »Si dans une pareille circonstance on cherche chez nous de la force dans les révolutionnaires, on rendra tout difficile et aucune difficulté ne peut être levée avec des hommes pris dans le mouvement. L'Europe s'arrangera de nous tranquilles et s'en arrangera parfaitement. De nous, propagandistes, elle ne s'en arrangera jamais. Il faut sortir de cette idée-là; il n'y a rien à faire si on verse de ce côté...» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce 12 mai 1832. »En effet, mon cher prince, et je jouis de vous le dire, vous avez bien heureusement atteint le but principal de la grande mission que je vous avais confiée. Aussi ce succès, qui a paru tant de fois s'éloigner de nous, est une réponse accablante à toutes les diatribes de nos journalistes, dont il a démenti les absurdes prédictions. Il ne fallait rien moins que votre persévérance, votre habileté et votre dévouement pour résoudre ainsi une des questions les plus difficiles et les plus épineuses que la diplomatie européenne ait jamais eu à trancher, et il est bien juste, à présent, que vous vous donniez un peu de relâche par le congé que vous me demandez. Je vous l'accorde avec d'autant plus de plaisir que cela me procurera celui de vous revoir, de causer avec vous et de vous parler de mon ancienne et constante amitié pour vous. »Mes ministres concourent entièrement dans le désir que vous me témoignez que M. de Mareuil soit chargé de l'intérim pendant votre absence qui ne sera que momentanée et, dont, comme vous me le demandez, vous jugerez la convenance quant à l'époque. M. de Mareuil ira vous rejoindre quand nous aurons pu le remplacer convenablement à La Haye, poste dont vous sentez sûrement l'importance, et d'où nous ne recevons que de mauvaises nouvelles ou de mauvais symptômes. »L'espoir d'allumer la guerre se conserve dans ce cabinet, et ils croient que tant que le roi de Hollande pourra prolonger son refus, il restera des chances de collision entre les puissances. Aussi, je crois que les chances de guerre ne seront tout à fait détruites que quand le roi de Hollande aura signé son traité avec le roi des Belges, et surtout quand la citadelle d'Anvers sera évacuée et le traité du 15 novembre complètement exécuté, ce que nous pourrons bien encore avoir quelque peine à obtenir; d'autant plus que la dissolution du ministère de lord Grey va probablement ranimer l'espérance du roi de Hollande, qui devrait pourtant savoir que l'Angleterre ne changera pas son système de politique extérieure et que l'accord des cinq puissances ne sera point troublé. »Cependant, mon cher prince, il me semble que vous ne devez pas songer à quitter Londres jusqu'à ce que les choses aient repris leur assiette, et c'est un nouveau sacrifice que je n'hésite pas à vous demander. Dès que le ministère sera réorganisé, la conférence aura à s'occuper de la réponse du roi de Hollande qui sera encore un refus si j'en juge par ce qu'il vient de répondre au sujet de M. de Thorn[367]. Je suis persuadé que cette arrestation et ces réponses altières ont pour cause l'espoir d'entraîner les Belges dans des hostilités et de parvenir ainsi à engager une guerre. J'espère que nous déconcerterons ces funestes projets; mais jusqu'à ce qu'ils soient déjoués, nous aurons grand besoin de vous à Londres et, je le répète, l'affaire ne sera finie que quand le roi de Hollande aura signé un traité avec le roi des Belges et évacué la citadelle d'Anvers. Tâchons que cela ait lieu le plus tôt possible. »En attendant, mon cher prince, je vous renouvelle...» [367] M. de Thorn, sénateur et gouverneur pour le roi des Belges de la province de Luxembourg, avait été arrêté par ordre du gouvernement hollandais le 17 avril 1832. Le roi Guillaume par une note du 7 mai, mettait comme conditions de sa libération, l'élargissement des individus arrêtés en Belgique depuis la révolution et le désistement de toutes poursuites contre les contumaces. M. de Thorn ne fut mis en liberté que le 23 novembre suivant. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 16 mai 1832. »Le ministère Grey reste; les détails de l'arrangement se font à l'heure où je vous écris. La crise se simplifie. Certainement, nous venons de passer les trois jours les plus singuliers que l'histoire d'aucun pays puisse fournir. Chacun reprend sa place ce soir. Je désire fort que tout ce qui s'est passé soit bien compris à Paris, et bien compris, cela ne fait pas tort au caractère du duc de Wellington, comme homme.--J'ai reçu mon congé et Durant partira pour Londres quand je lui écrirai; il est officiellement nommé. Lord Granville retourne à Paris. Je ne profiterai de mon congé que quand les choses seront bien établies ici, et auront repris la marche accoutumée. »Le dîner du roi hier a été singulier; nous n'avions ni ministres, ni grands officiers.--Les démissions subsistaient encore jusqu'à dix heures du soir...» LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, 16 mai 1832. »Mon prince, »J'ai à vous annoncer une triste nouvelle. M. Périer a terminé ce matin son honorable et laborieuse carrière. »Vous partagerez avec moi, mon prince, avec tous ceux qui avaient apprécié le dévouement éclairé de ce généreux citoyen, la douleur profonde que nous cause sa perte prématurée--perte qui nous est d'autant plus sensible aujourd'hui, qu'une crise dont on espérait une heureuse issue, nous a fait conserver jusqu'aux derniers jours, l'espoir de le voir rendu aux affaires et au pays. »Dans ces premiers moments, donnés tous aux regrets d'une si noble existence si tristement tranchée, rien n'a pu encore être arrêté, dont il soit important, mon prince, que vous soyez informé. »Lorsque les rangs de ceux auxquels on aimait à rattacher son estime et ses affections, s'éclaircissent, c'est un besoin que de se rapprocher encore de ceux qui vous restent. Que la douloureuse nouvelle qui fait le sujet de ma lettre me soit une occasion de vous renouveler, mon prince, les expressions de mon attachement et de ma confiance dans le vôtre.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Le 23 mai 1832. »La séance d'hier à la Chambre des pairs s'est passée comme je l'avais prévu. Beaucoup de pairs de l'opposition se sont retirés, beaucoup n'ont pas voté, ce qui a donné au ministère une majorité de cinquante-cinq voix, dans la question assez importante qui a été décidée[368]. Les autres articles auront le même sort, très probablement, et la question sera terminée à ce que je crois, mercredi 30. [368] La Chambre avait voté l'article du bill qui conférait la franchise électorale à l'un des faubourgs de Londres; cette clause avait été combattue avec acharnement par l'opposition tory, ainsi que toutes celles qui augmentaient le nombre des représentants des grands centres de population. »La mort de M. Périer a fait ici une peine qui s'exprime de toutes les manières et dans toutes les classes. On a remarqué avec étonnement que M. le duc d'Orléans n'ait pas porté un des cordons du dais. Ici, cela a été dans plusieurs occasions, pour des hommes importants, le prince de Galles, le duc d'York[369]. Chaque pays, il est vrai, a ses habitudes, mais nous n'avons pas d'habitudes, et nos précédents sont en Angleterre. Du reste, c'est une chose peu importante et c'était plutôt une observation de la société, dont une partie aime à blâmer.--Mandez-moi quand Sébastiani va aux eaux. Je voudrais, et cela me paraît naturel, arriver avant son départ.» [369] Frédéric duc d'York et d'Albany, deuxième fils du roi George III, né en 1763, marié à la princesse Frédérique, fille du prince royal de Prusse. Il mourut en 1827. «Londres, le 24 mai 1832. »Les tories sont en petit nombre à la Chambre des pairs; le bill passe fort tranquillement: la discussion d'hier n'a pas été aussi aigre que celle des jours précédents. Cela n'atténue pas la haine qui est fort vive dans les partis, mais cela en ajourne l'action. Le roi a fait dire qu'il voulait que le bill fût adopté, et il le sera. Ceux qui sont opposés s'absentent. »M. de Rémusat[370] est arrivé ici avec sa femme: il m'apporte des lettres de Paris... Rien de nouveau sur la Hollande; les ministres hollandais ici n'ont point de réponse à la dernière communication qu'ils ont été chargés par la conférence de transmettre à La Haye.--Je n'ai ni affection ni le contraire pour les Belges; je les ai incontestablement plus servis que personne, mais je ne veux pas qu'ils fassent des folies qui nous conduiraient peut-être à une guerre générale, et ils ont assez peu de tête pour ne pas comprendre cela...» [370] François-Marie-Charles comte de Rémusat, né en 1797, neveu de Casimir Périer, était alors député de Muret. Il devint sous-secrétaire d'État à l'intérieur en 1836, et ministre de l'intérieur en 1840. Il vécut dans la retraite sous l'empire. En 1871, il fut nommé ministre des affaires étrangères et mourut en 1875. «Le 25 mai 1832. »Depuis la mort de M. Périer, le ton des dépêches de notre département des affaires étrangères ne me convient pas; il y a un changement sensible. Je ne m'en apercevrai pas, mais cela m'engage à ne pas retarder mon départ. Je redoute le voyage de Compiègne[371]. Il va rendre les Belges plus difficiles et rien ne peut s'arranger qu'avec quelques facilités de leur part. On se croit bien habile quand on sait faire quelques difficultés! Belle science! Tout le monde sait faire cela. Mais ne résister que jusqu'où il faut, savoir s'arrêter, c'est ce que très peu de gens savent. Le roi de Hollande ne demande qu'à faire naître des motifs de délai, et le moyen n'est pas de le forcer, d'abord parce que cela n'est pas aisé, mais de plus, parce que cela n'est ni juste, ni profitable. Je persisterai dans ce sens-là tant que je serai chargé des affaires de France. Pendant mon absence, j'espère qu'on fera de même, mais je n'en suis pas sûr. Du reste, Durant, si on le laisse faire, est plus propre que personne à suivre ma ligne. [371] Le roi Louis-Philippe se rendait à Compiègne pour y rencontrer le roi des Belges, et convenir des préliminaires du mariage de celui-ci avec la princesse Louise d'Orléans. (_Note de M. de Bacourt._) »Nous sommes dans un singulier temps et singulier partout. Que de choses j'ai eu sous les yeux, depuis quinze jours! il y a pour parler un an.--Les Anglais envoient une flotte pour regarder le Tage: je suppose qu'on fera de même chez nous. Quand il y a des menaces de troubles quelque part, il faut protéger les hommes de son pays qui peuvent être exposés...» «Londres, le 27 mai 1832. »Dans huit jours la troisième lecture du bill de réforme sera faite et le bill aura passé précisément comme il aura été proposé. Ainsi l'humeur des tories les privera de quelques améliorations qui auraient eu lieu dans la discussion.--Chaque jour j'ai une conversation avec madame de Rémusat, qui, au nom de tous les amis de M. Périer, me presse d'accepter la présidence du conseil à Paris. Je suis très flatté de leur opinion, mais je suis décidé à ne rien accepter. Je réponds cela doucement et tranquillement, comme l'on fait quand on est invariable...» «Le 28 mai. »Nous avons eu ce matin une grande réunion à la cour pour fêter le jour de naissance du roi: la cour était fort brillante; les deux partis s'y trouvaient, et avec les formes de la meilleure compagnie. Je ne sais rien de Hollande, le roi veut inquiéter les Belges et espère par ce moyen que quelques hostilités ou du moins quelques pas faits sur son territoire, motiveront de sa part, sans qu'on puisse le lui reprocher quelque mouvement hostile...» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Saint-Cloud, ce dimanche soir, 27 mai 1832. »Mon prince, »Je n'avais pas besoin de tout ce que vous me dites sur la réserve et la discrétion que vous comptez mettre à vous absenter du poste important où vous avez rendu de si grands services à la France et à moi, pour être bien sûr que vous ne vous en éloignerez que quand votre absence ne présentera plus de chances fâcheuses. Je désire vivement que ce moment ne soit pas trop retardé, mais j'avoue que je ne crois pas qu'il soit arrivé. Le général Sébastiani vous aura informé de l'entrevue qui va avoir lieu à Compiègne entre le roi Léopold et moi. Vous en connaissez les causes et vous pouvez en pressentir les objets. Une fois les ratifications des grandes puissances échangées, nous avons cru que l'entrevue ne devait pas être retardée davantage, et que cela était même important pour accélérer celle du roi de Hollande. Je ne mène aucune de mes filles à Compiègne et vous concevez que, plus cette entrevue peut influer sur la destinée de ma fille aînée, plus j'ai dû éviter de les y conduire. J'y vais donc seulement avec la reine, ma soeur et mon second fils. »J'avais écrit bien longuement au roi Léopold, et malheureusement sans succès, pour le presser d'accéder à la proposition de la conférence en déclarant qu'il était prêt à entrer en négociation avec le roi de Hollande; il a fait, ou du moins ses ministres lui ont fait faire tout le contraire; il prend sur lui bien maladroitement les chances de refus que le roi de Hollande paraissait décidé à lui épargner[372]. J'espère cependant que cela n'est pas irrévocable et qu'avec l'aide du général Sébastiani qui vient à Compiègne, nous parviendrons à le retirer de la fausse route où il s'est engagé. Mais il n'en est que plus pressant, mon cher prince, que la conférence agisse envers le roi de Hollande, de manière à faire cesser sa résistance dans le plus court délai. Il faut surtout lui faire évacuer la citadelle d'Anvers, car c'est là le noeud de l'affaire. C'est à l'Angleterre à frapper le coup décisif et c'est, dans tous les sens, ce qui nous convient le mieux à nous mêmes et ce qui me paraît le plus conforme à l'intérêt général de l'Europe. [372] La conférence avait signé le 4 mai un protocole par lequel elle invitait la Belgique et la Hollande à entamer immédiatement des négociations pour signer un traité définitif. Le roi Léopold répondit à cette invitation par une note en date du 11 mai, qui déclarait qu'il ne se prêterait à des négociations qu'autant que le traité du 15 novembre aurait eu un commencement d'exécution. Il exigeait l'évacuation du territoire belge, notamment celle d'Anvers, et la libre navigation de la Meuse. Par suite d'une indiscrétion, cette note ayant été publiée dans les journaux avant sa remise officielle à la conférence, le cabinet belge en signa une autre que le général Goblet porta à Londres au commencement de juin. Elle reproduisait en termes catégoriques la première note du 11 mai. Quant au gouvernement hollandais, il répondit également par une note en date du 7 mai à la conférence. Par cette note, il déclarait «qu'il voyait avec un regret infini les plénipotentiaires des cinq cours regarder le traité du 15 novembre comme la base invariable de la séparation, de l'indépendance, et de l'état de possession de la Belgique, tandis que de son côté il devait persister à considérer ce traité comme essentiellement opposé au protocole du 27 janvier 1831». »Tout absorbé, comme de raison, dans l'énorme affaire du bill de réforme, le gouvernement anglais ne peut guère s'occuper avant qu'il soit passé, des intérêts continentaux; mais, une fois cette affaire terminée, il n'y a pas un moment à perdre pour adresser au roi de Hollande le langage catégorique qui peut seul le déterminer à en finir. Croyez bien qu'il est pénétré autant que nous que la paix de l'Europe ne sera entièrement assurée que quand le général Chassé sera sorti de la citadelle d'Anvers et qu'il aura traité avec Léopold. C'est donc sur ce point que vous devez diriger toutes vos batteries diplomatiques; et ce n'est qu'après avoir obtenu ce dernier succès, sans doute le plus difficile de tous, que vous aurez terminé la grande tâche que vous avez entreprise avec tant de dévouement et que vous avez conduite avec tant de talent et d'habileté. »Je n'en dirai pas davantage, mon cher prince, et je me bornerai à vous renouveler de tout mon coeur l'assurance de ma sincère amitié pour vous. »LOUIS-PHILIPPE. »_P.-S._--J'ai signé, comme vous le désiriez, des lettres de créance pour M. de Mareuil, qui se rendra auprès de vous aussitôt que le marquis de Dalmatie[373] sera arrivé à La Haye.» [373] Napoléon-Hector Soult, marquis, puis duc de Dalmatie, fils du maréchal. Né en 1801, il servit dans l'armée, devint capitaine d'artillerie, mais donna sa démission en 1830 et entra dans la diplomatie. Il fut successivement accrédité à Stockholm (1831), à la Haye (1832), à Turin et à Berlin. En 1813 il fut élu député. Il mourut en 1857. LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, le 28 mai 1832. »Mon prince, »Je pars dans quelques heures pour Compiègne, où je compte arriver dans la soirée. Nous y recevrons demain le roi Léopold, et nous traiterons avec lui de l'affaire qui l'y amène. Cette rencontre, dont vous aurez sans doute apprécié la valeur, me sera une occasion précieuse d'agir plus directement et sans intermédiaires sur les dispositions du chef du gouvernement belge et de le convaincre que le salut de son pays, auquel notre souverain consent à unir par un lien nouveau les destinées du nôtre, est attaché à sa confiance comme à son adhésion les plus entières aux projets de notre cabinet et à ceux de nos alliés. Ce sera continuer à Compiègne l'oeuvre que vous avez si habilement conduite à Londres et vous serez exactement informé de tous les résultats qui pourront vous intéresser. »Après les affaires de l'État, il faut encore, mon prince, que je vous dise quelques mots des nôtres. Mon médecin m'a ordonné les eaux de Bourbonne et mon projet est de m'y rendre vers le 2 juillet prochain. Parmi les motifs qui ont déterminé mes arrangements et qui m'ont décidé à retarder jusqu'à cette époque un voyage que je crois nécessaire à ma santé, vous voudrez bien compter, mon prince, mon désir de vous attendre à Paris et de m'y rencontrer avec vous. Après une absence, que les événements ont faite si longue en si peu de temps, vous devez vous douter de tout le prix que j'attache à quelques heures d'entretien avec vous, et aussi de la joie que j'aurai à vous renouveler de vive voix les expressions d'un attachement dont je vous prie, d'agréer ici...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 2 juin 1832. »Je me donne de la peine pour que Durant trouve notre affaire avec les Hollandais en disposition de rapprochement, et je crois que véritablement, l'intérêt hollandais forcera le roi de traiter. Tous les appuis sur lesquels il comptait lui manquent. Je resterai jusqu'après l'arrivée de Durant que j'établirai. On est ici fort en gracieusetés pour moi; on me fait donner ma parole d'honneur de revenir. Je promets, mais je dépends de l'état de la France: c'est là ce qui me décidera. J'ai fait ce qu'un autre ne pouvait pas faire, c'est d'avoir conservé les cinq puissances ensemble; elles y sont; ainsi, si je le veux, ma mission est remplie, et on la croyait plus que difficile. Le roi fera, j'espère, quelque acte qui prouve bien à toute l'Europe qu'il reste dans le système de M. Périer pour le dedans, et dans le mien pour le dehors...» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Saint-Cloud, le 2 juin 1832. »J'ai été si en l'air, depuis huit jours, mon cher prince, que, malgré le désir que j'en avais, il m'a été impossible de vous écrire. De retour depuis hier au soir de notre course à Compiègne, je viens avec empressement vous donner des nouvelles de ce petit voyage qui a été très satisfaisant sous tous les rapports. Notre cher roi a été accueilli sur toute sa route, comme il le mérite, avec les témoignages de la plus vive affection; et sa présence, ses discours, comme toujours ont produit à Compiègne le meilleur effet, ce qui me fait sincèrement regretter qu'il ne puisse voyager davantage; car, rien ne peut remplacer le bien que font ses paroles.--Nous sommes parfaitement contents du roi Léopold; il est impossible d'être mieux sur tous les points, qu'il ne l'est maintenant; il a été parfait et excellent. Aussi la grande affaire du mariage vient de se décider et je tiens à être la première à vous l'annoncer; seulement, l'époque où il se fera n'est pas encore décidée, mais ce sera, au plus tard, dans le mois d'août. Ce mariage, si convenable, sous les rapports politiques, est aussi, tant par le caractère du roi Léopold, son amitié pour nous et la proximité des deux pays, celui qui, d'après les goûts de notre chère Louise, peut lui offrir le plus de chances de bonheur. Mais la pauvre bonne petite est bien affectée de la perspective de se séparer de son père, de sa mère et de nous tous; cela ne peut être autrement. Ce qu'il faut, à présent, pour assurer la sécurité et le bonheur de cette union, c'est que vous obteniez l'évacuation d'Anvers par les Hollandais; cela est de la plus grande importance, non seulement pour la Belgique, qui est toujours inquiète tant qu'ils sont là, mais, pour nous aussi, car en France comme en Belgique, la généralité ne croira véritablement à la paix que lorsque le roi de Hollande sera mis à la raison et soumis au traité du 15 novembre. Il vous reste encore cette grande et bonne oeuvre à faire conclure, et il est bien essentiel pour le repos général que cela soit prompt. »Nous avons heureusement de très bonnes nouvelles des chouans et de la Vendée; grâce aux mesures prises par le gouvernement, et à la bonne disposition des masses et de toutes les gardes nationales de ces pays, le projet du soulèvement général y est entièrement déjoué et démontré impossible. Il y a certainement des malheurs partiels à déplorer; et ceux qui excitent ainsi à fomenter une guerre civile sont bien criminels; mais, en résultat, je ne doute pas que cela ne soit un mal pour un bien. Ce qui paraît incroyable, mais malheureusement ce qui est, c'est que l'on ignore encore d'une manière positive où est madame la duchesse de Berry, si elle est en France ou en Espagne[374]. Cette incertitude est très fâcheuse, non pas pour ce qu'elle peut faire, mais pour l'inquiétude et l'agitation où cela laisse. [374] On sait que la duchesse de Berry se trouvait alors en Vendée. »Nous avons de très bonnes nouvelles de Chartres. Il fait très bien dans son voyage, et je crois qu'il est très utile dans ce moment dans le Midi. Il ne reviendra qu'à la fin de ce mois ou au commencement de l'autre. Et vous, mon cher prince, quels sont vos projets? Il me tarde de recevoir une lettre de vous, et que vous me mandiez aussi ce que vous pensez sur ce qui se passe en Angleterre. J'en reste là aujourd'hui, désirant que cette lettre puisse partir le plus tôt possible. Recevez, de nouveau, mon cher prince...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 7 juin 1832. »L'estafette est arrivée et je n'ai point de lettres de vous aujourd'hui, où toute la ville est remplie de nouvelles déplorables de Paris. Je suis horriblement inquiet[375]...» [375] Il y eut à Paris, à la suite de l'enterrement du général Lamarque, une émeute terrible qui éclata le 5 juin et qui se prolongea jusqu'au milieu de la journée du 6; ces deux journées sont connues historiquement sous le nom de _journées de juin_. (_Note de M. de Bacourt._) LE ROI LÉOPOLD AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Bruxelles, le 5 juin 1832. »Mon très cher prince, »J'ai reçu votre aimable lettre par M. de Bacourt peu de temps avant mon départ pour Compiègne, et je voulais attendre mon retour pour causer avec vous. Vous connaissez les liens d'amitié qui m'unissent depuis longtemps à la famille royale; vous pouvez donc facilement vous faire une idée de mon bonheur de passer plusieurs jours avec elle. Le roi, la reine et Madame Adélaïde vous sont également et sincèrement attachés, et nous avons beaucoup causé de vous. »Le mariage avec la princesse Louise a donc été finalement arrêté, à la satisfaction de tous les partis. Cet événement paraît faire du plaisir en France, et les masses, qu'on ne peut guère influencer, m'ont donné de grandes marques de bienveillance. Les affaires de la Vendée inspiraient quelque inquiétude; cependant, je pense que cela pourrait donner de la force au gouvernement. Veuillez, dans votre sagesse, donner quelques conseils pour qu'on agisse avec vigueur; l'extrême indulgence que le roi avait accordée jusqu'à présent à ce parti lui en donne doublement le droit. »Malgré une absence d'une semaine, et la distance considérable à laquelle je me trouvais, il n'y a pas eu le plus petit scandale en Belgique: je pense que j'ai droit de _faire sonner cela bien haut_. Mais il est temps qu'on finisse; l'armée et les chauds patriotes désirent vivement la guerre, et le cas pourrait arriver où il me serait impossible de les retenir. »L'Angleterre est déterminée à en finir; rien de plus facile. Qu'on stationne une flottille dans la Manche, et qu'on fasse connaître aux Hollandais qu'après un certain jour ils perdront l'arriéré de la dette, et que l'on déduira journellement une partie du capital de la dette; je crois que ces deux mesures exerceraient une grande influence sans offrir de danger. La dernière réponse de la Hollande rend l'exécution du traité urgente. »Pour moi, on peut être sûr que je ferai ce qui me sera possible pour le maintien de la paix, et j'ai sur ce point fidèlement exécuté ma tâche; mais qu'on se mette _bien en tête_, qu'on ne me renversera plus sans que je me défende à outrance et sans que j'en fasse tomber bien d'autres. J'ai pris là-dessus mes résolutions avec le plus grand sang-froid. »Pour la tranquillité de la France, il est de la plus haute importance que la question belge soit entièrement terminée. Louis-Philippe m'a dit lui-même, et avec raison, que la confiance ne renaîtra en France que quand on aura vu cette conclusion. »Les témoignages que vous donnez à M. Van de Weyer, m'ont fait beaucoup de plaisir; il les mérite et il a été bien injustement traité ici. »Veuillez me rappeler au souvenir de Madame de Dino, si toutefois elle ne m'a pas entièrement oublié, et soyez persuadé des sentiments d'estime et d'une sincère amitié que je vous porterai toujours. »LÉOPOLD.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 8 juin 1832. »Je commence ma lettre avant d'avoir des nouvelles de Paris. Je ne sais rien depuis le 6, neuf heures du matin; jugez de mon tourment. J'espère que cela finira à l'avantage du pouvoir, et que le pouvoir saura en profiter pour rétablir par des moyens forts et constitutionnels l'ordre si gravement troublé. C'est dans l'ordre constitutionnellement établi qu'il faut chercher la popularité; c'est là où elle est bonne. Les caresses à la canaille l'enhardissent et ne produisent pas d'autre effet. »On dit que le roi s'est montré avec beaucoup de tranquillité et de fermeté le 5 au soir et toute la nuit du 6 qu'il a passée à cheval: on l'approuve beaucoup ici...» LE ROI LOUIS-PHILIPPE AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Paris, ce vendredi 7 juin 1832. »Mon cher prince, »Je sais que le général Sébastiani vous a instruit en détail des événements dont Paris vient d'être le théâtre.--Vous partagerez ma douleur que le sang français ait coulé; mais vous partagerez aussi la juste satisfaction que j'éprouve de pouvoir me glorifier de n'avoir pas plus provoqué cette lutte que de n'avoir rien omis de ce qui pouvait la terminer heureusement et honorablement pour la France et pour moi. Ceux qui avaient tant répété au dedans et au dehors que le trône de Juillet tomberait, devant l'union des carlistes et des républicains, comme les murailles de Jéricho devant les trompettes de Gédéon, doivent maintenant reconnaître qu'une nationalité franche et complète, un respect religieux pour la foi jurée et pour les institutions, les lois et les libertés de son pays, sont de meilleurs boulevards pour le trône que le pouvoir absolu, avec sa tourbe de courtisans et tous ses satellites. »Mais après avoir remporté cette grande victoire, il faut la consolider en profitant de la force qu'elle nous donne pour faire cesser au dehors toutes les incertitudes et toutes les tergiversations qui pourraient encore compromettre notre sûreté extérieure et troubler la paix générale. »Je vous ai félicité bien sincèrement, mon cher prince, du grand succès que vous avez obtenu en faisant ratifier le traité du 15 novembre par les cinq grandes puissances réunies; mais il est autant de leur dignité que d'une nécessité absolue pour la France et pour l'Angleterre que l'_exécution du traité_ ratifié suive immédiatement l'_échange déjà effectué des cinq ratifications_. Je vous avoue que le soixante-troisième protocole me paraît, sur ce point, d'une pâleur et d'une faiblesse qui m'ont étonné[376]. Mais, quoi qu'il en soit, à présent que cette marque d'égard a été encore donnée au roi de Hollande, la manière dont elle a été accueillie par lui est une raison de plus pour adopter un autre langage et lui fixer un terme précis pour remettre la citadelle d'Anvers au roi des Belges. Je crois que le gouvernement anglais est disposé, comme nous, à faire cette déclaration catégorique au roi de Hollande, et qu'il n'ignore pas plus que nous que ce n'est qu'en contraignant Sa Majesté néerlandaise à évacuer cette citadelle qu'on l'amènera à reconnaître l'indépendance de la Belgique et à signer le traité avec le roi Léopold. [376] Ce protocole avait été dressé le 31 mai en réponse à une note adressée à la conférence par les plénipotentiaires hollandais, qui contenait de nouvelles propositions. La conférence déclarait dans ce protocole «que les propositions de cette note ne différaient en rien de celles qui, adressées il y avait plus de deux mois au comte Orloff à la Haye, avaient motivé de sa part la déclaration du 27 mars dernier»; Qu'en conséquence, il n'y avait pas lieu pour la conférence de tenir compte de ladite note «et qu'il lui restait à s'occuper des résolutions que la gravité des circonstances réclamait de sa part.» »Je suis persuadé que les trois puissances, la Prusse, l'Autriche et même la Russie, s'attendent à ce que la France et l'Angleterre se réunissent pour faire cette déclaration au roi de Hollande et qu'elles ne chercheront pas à y mettre obstacle, parce qu'elles n'ignorent pas plus que nous que cette déclaration est le seul moyen de faire cesser la résistance du roi de Hollande, et de lui arracher la triste espérance qu'il conserve toujours de devenir le perturbateur de la paix de l'Europe. Je crois d'ailleurs qu'il est facile défaire comprendre à ceux qui désirent que nous n'attaquions pas le roi de Hollande, que le seul moyen de l'empêcher est de ne lui laisser aucun doute qu'il sera attaqué, s'il n'évacue pas la citadelle d'Anvers au jour fixé par nous. De notre côté, vous pouvez bien assurer le gouvernement anglais et la conférence que nous désirons vivement être dispensés d'envoyer nos troupes assiéger cette citadelle, mais que nous sommes décidés à le faire s'il ne nous reste pas d'autre moyen de le contraindre à effectuer cette évacuation au jour nommé, et je le croirais très bien fixé au 1er de juillet prochain. »Si, comme je n'en doute guère, le gouvernement anglais s'accorde avec le mien pour adopter cette marche, alors je crois qu'il serait convenable que vous lissiez, de concert avec lord Palmerston, une déclaration aux plénipotentiaires hollandais, que vous ne recevrez plus aucune communication de leur part, jusqu'à ce que leur souverain ait donné un gage de sa disposition à accéder aux vues des cinq puissances en évacuant la citadelle d'Anvers, et que, si cette évacuation n'est pas effectuée le 1er juillet, les ports de la Hollande seront bloqués par nos escadres combinées. »Je crois savoir que ce mode conviendra à l'Angleterre, et quant à nous, nous le préférons infiniment à celui beaucoup plus dispendieux de faire rentrer nos troupes en Belgique, ce qui d'ailleurs nous exposerait à des complications que nous cherchons de toutes manières à éviter, mais dont nous sommes pourtant décidés à courir la chance, si on persistait dans le système de la tergiversation que nous ne devons ni ne pouvons tolérer plus longtemps. »Vous voyez, mon cher prince, que selon l'expression vulgaire, j'ai voulu vous _vider mon sac_ parce que je sais bien que vous n'en ferez qu'un bon usage, et que j'aime toujours à m'ouvrir à vous, en toute confiance, selon la vieille habitude que je désire conserver toujours avec vous. J'en étais d'autant plus pressé que la circonstance est grave après la crise dont nous venons de triompher, et qu'il est bien désirable que vous profitiez du peu de temps que vous serez encore à Londres pour donner à cette affaire la direction que vous avez plus de moyens que tout autre de lui imprimer. »Je n'ai plus le temps de vous parler de mon entrevue à Compiègne avec le roi Léopold. Je vous dirai seulement que nous y avons arrêté son mariage avec ma fille aînée, et que, d'ailleurs, je l'ai trouvé dans de si bonnes dispositions que j'ai facilement obtenu de lui tout ce que je vous avais annoncé que je lui demanderais. Il m'a promis en outre, de renvoyer M. Van de Weyer à Londres immédiatement. »Bonsoir, mon cher prince, vous connaissez toute mon amitié pour vous.» »LOUIS-PHILIPPE.» MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Tuileries, vendredi 8 juin 1832. »Je m'empresse, mon cher prince, aussitôt que j'en ai l'instant, de venir vous donner de nos nouvelles, étant bien sûre que vous en désirez vivement, après les événements aussi importants que ceux qui viennent de se passer. Il y a eu une soirée, une nuit et une journée bien pénibles et bien douloureuses par le sang qui a été versé. Cela était préparé de longue main par les deux factions qui n'en font qu'une maintenant, les carlistes et les républicains, et sans nul doute, cette conspiration se lie avec celle du Midi et de la Vendée. Notre cher bien-aimé roi, comme toujours, a décidé et enlevé la victoire par sa présence ici, sa détermination, son courage et son énergie. Aussitôt qu'il sut à Saint-Cloud, le mardi soir, ce qui se passait à Paris, il commanda ses chevaux et nous montâmes en voiture avec lui, la reine, Nemours, le maréchal Gérard et moi, et sur toute la route, toutes les personnes qui s'y trouvaient, toutes les charrettes, toutes les voitures publiques retentissaient de cris de: «Vive le roi!» de même en arrivant à Paris. Et rien ne peut vous donner une idée de l'enthousiasme de la troupe et de la garde nationale qui se trouvaient sur la place du Carrousel. Lorsqu'il alla les passer en revue, en les quittant, il leur dit: _A demain, mes chers camarades, je compte sur vous_. Ce mot fut répété avec transport: _Oui, oui, à demain, demain!_ Et en effet ils ont tous été admirables, et notre cher roi a été les animer de nouveau, en se montrant dans tout Paris et allant bien contre l'avis du maréchal Lobau qui voulait l'en empêcher, dans les lieux où les balles sifflaient encore; grâce au ciel, elles l'ont respecté. Le maréchal Gérard, qui était avec lui m'a dit qu'il n'avait jamais vu un enthousiasme comparable à celui de toute la population qui se portait en foule sur ses pas, et qui criait: _Vive le roi, à bas les carlistes, à bas les républicains!_ Ils disaient aussi : _Mettez Paris en état de siège_; et beaucoup se rapprochaient le plus possible du roi, en lui disant: _Surtout pas de grâce aux carlistes!_ Jamais notre cher roi n'a reçu plus de témoignages d'affection, de dévouement, que dans ce moment. Sur-le-champ, toutes les gardes nationales de la banlieue sont arrivées, et elles ont fait des merveilles; ils se sont battus comme des lions. Hier, toutes celles du département de Seine-et-Oise sont arrivées et celle du Havre, en apprenant les événements, voulait marcher. Ah! notre cher Louis-Philippe est bien fort et bien identifié avec notre bonne et chère nation. Ceci est une bonne réponse pour tous ceux qui doutaient qu'il pût se maintenir et qu'il eût la force de lutter contre les factions. J'espère que maintenant les puissances de l'Europe seront rassurées à cet égard et persuadées que Louis-Philippe sait être fort et énergique quand cela est nécessaire au salut de son pays. »Cette coupable et indigne conspiration a fait verser le sang; nous en gémissons; mais les résultats sont immenses. Je crois que c'est un bon moment pour obtenir de la conférence, d'en finir avec le roi de Hollande et de le mettre à la raison, de faire exécuter le traité signé par les cinq puissances. En vérité, l'on ne peut plus donner ni un motif ni une excuse pour prolonger davantage cet état d'incertitude si nuisible et si contraire aux intérêts de la France et de la Belgique. Votre zèle et votre habileté doivent emporter celte décision et j'espère que vous nous apporterez cette bonne nouvelle, mon cher prince. »Notre cher roi veut vous écrire et compte le faire, aussitôt qu'il en trouvera l'instant, parce qu'il est bien pressé de l'évacuation de la citadelle d'Anvers; et qu'à cet égard, la conférence ne tarde plus à prendre les moyens de le faire faire au roi de Hollande, par force, si l'on ne peut l'obtenir de bonne volonté. »Nous avons de très bonnes nouvelles de Chartres; il est très content de son voyage. Nous savons par dépêche télégraphique qu'il est arrivé à Marseille le 7 juin à trois heures, au milieu d'un concours immense de peuple, et des acclamations les plus vives. Toutes nos santés sont bonnes; je désire que vous puissiez m'en dire autant de la vôtre. Voilà donc le bill de réforme passé. »Recevez, mon cher prince...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT. «Londres, le 10 juin 1832. »A présent, tout le monde est convaincu ici que c'est le peuple à Paris, qui a attaqué; aussi, tout le monde approuve la conduite du gouvernement. Il faut qu'il tire de cette circonstance, assez de force pour que jamais pareille crise ne puisse arriver. Le roi doit se souvenir que dans toutes les crises où le pouvoir a eu le dessus, les élections ont été bonnes; et que dans toutes celles où il a eu le dessous, les élections ont été mauvaises.--Il faut de plus renvoyer tous les réfugiés sans exception; ils ne sont bons à rien à Paris. Il faut les diviser dans les départements, par petites portions; les réfugiés du Midi dans les villes du Nord, et les réfugiés du Nord dans celles du Midi. La Loire fait la démarcation. Espagnols et Portugais, en Normandie et en Picardie; Piémontais en Flandre; Polonais à Alger; ils s'y battront ou coloniseront...» «Le 11 juin 1832. »Si l'on a distribué de l'argent et beaucoup d'argent aux émeutiers de Paris, il me paraît impossible que l'on ne découvre pas d'où cet argent-là est sorti. La discrétion n'est pas commune chez des gens qui reçoivent cinq, dix, vingt francs.--Je suis, relativement à la Hollande, disposé à presser une décision, mais je ne pense pas qu'il faille rien précipiter. Avant tout, dans notre position, plus que jamais, il ne faut pas nous séparer d'action d'avec les quatre puissances. C'est là la force du roi et de sa dynastie. Il ne faut pas perdre un moment cette idée de vue. Je suppose et je crois que l'Angleterre irait aujourd'hui avec nous; mais bientôt tous les cabinets feraient des efforts pour la séparer. Est-on sûr qu'elle résiste? qu'elle résiste longtemps? S'il y avait un changement de ministère ici, qu'arriverait-il? Il ne faut pas croire qu'ici il n'y ait pas un parti puissant contre nous. Tout cela donne à penser. Une décision prompte peut nous mener bien loin. Nous faisons encore une démarche; celle-là faite, tous les moyens de conciliation sont épuisés[377]; et alors il faudra se faire dire par les puissances qui n'agissent pas, que nous sommes libres et que nous pouvons agir. Voilà, ma manière de voir. Croyez bien qu'au dehors, les troubles, même les troubles les mieux réprimés, font croire qu'il peut y avoir d'autres troubles plus tard, dans un autre moment, et cela ne donne pas une confiance entière. Ainsi, ne nous séparons pas des quatre puissances, ou, que ce soit de leur avis...» [377] La conférence avait, en effet, renoué des négociations avec le roi des Pays-Bas par le protocole nº 65 du 11 juin. Il renfermait les concessions que la conférence croyait pouvoir accorder aux Pays-Bas. Le 30 juin, les plénipotentiaires hollandais répondirent, mais leur réponse ne terminait pas encore le différend. Toutes ces pièces se trouvent dans le vingt-troisième volume de la collection de Martens, pages 415 et suivantes. «Le 12 juin 1832. »J'attends Durant, je lui remettrai dans les mains une position que je crois être excellente: l'union des cinq grandes puissances établie, et cette union formée sur le maintien des principes et de la propriété. Cela seul peut arrêter les efforts que l'esprit du temps fait pour détruire la civilisation actuelle et arriver à une civilisation chimérique. Dites-moi quand le roi m'attend. Je ne quitterai que quand je ne serai plus essentiel ici; cela est sûr, mais je voudrais savoir quand on m'attend. Comme je ne veux être rien en France, j'aime autant n'arriver que quand les choses seront complètement rentrées dans l'ordre, et quand toutes les places et situations seront fixées. Je ne suis bon qu'ici; il faut faire ce à quoi on est appelé; aussi j'y reviendrai quoi qu'on en dise. Je partirai d'ici au plus tard le 21, et je serai le 24 à Paris...» «Londres, 15 juin 1832. »J'attends donc Durant dimanche 17. Je lui donnerai pour les présentations le 18 et 19. Cela fait, et quelques directions données, je m'acheminerai doucement vers Paris. J'arrange les choses de manière qu'après avoir épuisé tous les égards, l'Angleterre et nous soyons les maîtres d'agir comme cela nous conviendra et sans qu'il en résulte de froid, avec les autres puissances. J'ai pris sur moi le délai, jusqu'au 30 juin, parce que je regarde, comme affaire principale, l'union des trois puissances, et que je suis sûr qu'après avoir consenti à ce retard qu'elles désiraient, elles trouveront toute simple une action maritime combinée de la France et de l'Angleterre. Le cabinet français voulait aller plus vite, mais je crois qu'il cédait un peu à la précipitation belge, qui pousse notre ministère par M. Lehon. Le général Goblet qui est à Londres, et M. Van de Weyer qui est à Bruxelles, pensent de même. Ainsi je persiste, et, en vérité, quinze jours de retard ne sont pas grand chose, quand on est sûr d'avoir par cette complaisance, l'assentiment des grandes puissances qui sont engagées vis-à-vis de nous. Et puis, c'est fait, et je suis sûr que c'est bien fait. Je vous écris dans un intervalle de la conférence de ce matin où nous allons décider du sort de M. Thorn[378]. Nous engageons la Confédération germanique à ordonner qu'il soit mis en liberté, et de passer outre malgré les obstacles qu'y met le roi de Hollande. Il ne restera à Durant que de suivre ma ligne: union avec l'Angleterre, accord entre les cinq puissances, armement de concert avec l'Angleterre, pour forcer le roi de Hollande à rendre à la Belgique son territoire, et surtout pour le forcer à évacuer Anvers. Il me semble que c'est avoir mis et laissé les affaires de France de ce côté, en bonne position.» [378] M. Thorn, sujet belge, avait été arrêté par les autorités hollandaises dans la place de Luxembourg, dont le territoire était au roi des Hollandais mais qui était une forteresse de la Confédération. (_Note de M. de Bacourt._) Je partis en effet, de Londres le 20 juin, et quelques heures avant mon départ, je reçus le billet suivant de lord Palmerston: LORD PALMERSTON AU PRINCE DE TALLEYRAND. «Foreign Office, 19 juin 1832. »Mon cher prince, »Je viens de recevoir les trois notes[379] que j'ai signées et que j'expédierai tout de suite. [379] Note adressée en triple exemplaire aux plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie de la part des plénipotentiaires français et anglais, en date du 19 juin. Cette note déclarait que les plénipotentiaires français et anglais ne s'étaient prêtés à une nouvelle négociation avec le roi des Pays-Bas que dans le seul but de ne pas rompre l'unité d'action des cinq puissances; que le résultat de cette nouvelle négociation était de suspendre l'exécution du traité du 15 novembre: qu'il était regrettable que les plénipotentiaires des trois puissances n'aient pu, faute d'instructions, assigner un terme à cette suspension; que toutefois les soussignés croyaient devoir prévenir les plénipotentiaires des trois cours, qu'ils ne pouvaient considérer cette suspension comme illimitée, et que si au 31 août, le roi des Belges réclamait l'exécution du traité du 15 novembre, leurs gouvernements ne pourraient pas lui refuser satisfaction. »Adieu encore une fois, donnez de bons conseils où vous allez, soignez bien votre santé, remettez-vous vite des longues fatigues de nos conférences, et revenez ici bientôt, mais surtout revenez. »Tout à vous. «PALMERSTON.» J'arrivai à Paris le 22 juin. FIN DE LA DIXIÈME PARTIE APPENDICE Nous avons consacré, comme nous l'avions déjà fait dans le volume précédent, un appendice à un certain nombre de lettres particulières ou confidentielles qui nous ont paru offrir un intérêt particulier.--Toutes ces lettres, extraites des papiers de M. de Talleyrand, ont été copiées sur les originaux autographes qui existent dans les papiers du prince. MADAME ADÉLAÏDE AU PRINCE DE TALLEYRAND[380]. [380] Voir pages 6, 12 et 16. «Paris, le 3 janvier 1831. »Cette malheureuse affaire de la Belgique tourmente notre cher roi, plus que je ne puis vous le dire, mon cher prince, et le met dans un embarras dont il ne voit pas comment il peut sortir. Vous connaissez toute notre amitié, tout notre attachement pour le prince de Cobourg, et certainement il serait celui qui conviendrait le mieux au roi, sous tous les rapports; mais malheureusement, on ne voit ici en lui qu'un agent anglais, et, il faut le dire, il est d'une impopularité extrême; s'il arrivait au trône de Belgique en épousant une de nos petites, on regarderait cela comme une vente faite de ce pays à l'Angleterre, et le roi ne peut ni ne veut s'exposer à cette chance, qui pourrait lui faire perdre toute sa popularité ici, et qui probablement par la même raison ne conviendrait pas non plus à la Belgique. Ce qu'elle veut c'est Nemours ou d'être réunie à la France: ce dernier parti amènerait infailliblement la guerre: il faut donc aussi l'éviter. Nemours, les puissances n'en voudraient sûrement pas non plus, et d'ailleurs, même quand elles y consentiraient, il présente des difficultés si grandes, que le roi est loin de le désirer. Il faudrait nommer une régence: comment et par qui la composer? Qui envoyer avec cet enfant? Cet avenir pour lui effraye son père et le roi, qui n'y voit qu'embarras, obstacles et difficultés sans avantages certains. De plus, la fâcheuse question du Luxembourg vient encore aggraver les difficultés; les Belges ne veulent point reconnaître la décision de la Diète à cet égard, cela les anime de plus en plus, et leur fait désirer d'amener la guerre, et ajoutez par-dessus tout cela la mauvaise foi du roi de Hollande qui ne cesse de tromper, et qui de son côté fait tout ce qu'il peut pour amener une guerre, et qui, par son indigne conduite envers eux, exaspère tout ce malheureux pays. Le prince Charles de Naples, personne n'en veut. Le roi ne sait véritablement où donner de la tête dans cette malheureuse affaire qui le désole, parce qu'il lui est impossible de voir quel parti il y a à prendre... »... De grâce, écrivez-moi en toute confiance votre avis, et ce que vous pensez qu'il y a de mieux à faire; mais pensez bien à l'irritation qui existe ici, et très grande, sur cette question belge, et le désir bien prononcé de notre nation de la voir redevenir française, car il n'y a que le roi qui y mette de la délicatesse, et il faut toute la confiance, et l'amour qu'on a pour lui, pour faire patienter à cet égard. Mais si dans les arrangements, on croyait y voir un accord fait à l'avantage d'une puissance étrangère, ce serait du plus grand danger pour le roi lui-même, et notre paix intérieure. Ayez bien cela dans la pensée, parce que cela est.» MADAME ADÉLAÏDE AU PRINCE DE TALLEYRAND[381]. [381] Voir page 8. «Paris, le 5 janvier 1831. »Le parti ardent ici voudrait nous embarbouiller dans les affaires de la Belgique et entraîner la France dans la guerre, en faisant demander la réunion par la Belgique, et arborer la cocarde tricolore française: il se flatte que cet entraînement serait irrésistible, mais il se flatte en vain. Mon frère a déclaré qu'il ne céderait pas à cet entraînement et qu'on verrait si c'est le roi ou les étudiants de Paris qui doivent décider la question de la paix ou de la guerre... »Il était bien tourmenté avant-hier, ne voyant plus quelle combinaison pouvait convenir aux Belges, et vous demandait vos conseils pour en trouver une; mais une dépêche de M. Bresson lui ayant appris que les Belges étaient disposés à appeler le prince Othon de Bavière, il a immédiatement fait taire toute autre considération et s'est emparé de cette ouverture, non pas de manière à ce qu'on puisse dire qu'il voulait imposer ce prince ou tout autre à la Belgique, mais pour exprimer qu'il n'y avait aucune opposition, qu'il croyait instant d'en finir, et que, par conséquent, il verrait ce choix avec plaisir...» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND[382]. [382] Voir page 11. [_Particulière_] «Bruxelles, le 13 janvier 1831. »Mon prince, »J'ai reçu avant-hier soir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 9 courant et les documents qui l'accompagnaient. J'ai pris si à coeur le chagrin de vous avoir déplu que j'attache le plus grand intérêt à vous faire comprendre les circonstances qui ont amené la combinaison subite qui, je le sens bien aujourd'hui, ne pouvait convenir à la conférence. Les partis républicain et français avaient dressé toutes leurs batteries; nous étions serrés de près; nous craignions ou un mouvement populaire ou une proclamation de la réunion à la France du côté de Liège et de Verviers. L'on pensait qu'à la moindre complication, le congrès se prononcerait pour M. le duc de Nemours. Ces dangers étaient imminents, et ceux que redoutait le plus notre gouvernement. Il fallut faire une diversion, et offrir un but quelconque aux gens sages et modérés. On mit en avant le choix d'un prince de Bavière, et comme on m'avait écrit de Paris que tout valait mieux que M. le duc de Nemours ou la réunion, et que je crus que nous n'avions pas quarante-huit heures devant nous, je ne vis aucune objection à cette idée et je laissai faire. Mais, mon prince, je désire que la conférence comprenne bien que ce qui a été fait à cet égard l'a été en opposition aux manoeuvres infatigables du parti qui veut la guerre, sans autre vue et sans arrière-pensée. Lord Ponsonby qui a connu toutes mes démarches peut l'affirmer, et l'affirmera, j'en suis sûr. »Au reste, mon prince, aussitôt après avoir reçu votre lettre, j'ai fait tous mes efforts pour éclairer les membres qui adoptaient, cette combinaison sur les inconvénients si frappants que vous m'indiquiez, et ils l'ont abandonnée. Nous aurons maintenant le temps de nous reconnaître. Le congrès vient, il est vrai, de décider dans sa séance d'aujourd'hui qu'il ne serait pas envoyé de commissaires spéciaux, ni à Londres, ni à Paris, pour faciliter le choix du chef de l'État; mais la négociation reste confiée aux agents que vous avez près de vous, et nous n'avons plus à craindre de ces déterminations soudaines et précipitées dont nous avons été menacés il y a dix jours...» LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND[383]. [383] Voir page 14. [_Cabinet_] «Paris, le 14 janvier 1831. »Mon prince, »... La nouvelle direction que lui (M. Bresson) ont imprimée vos dépêches a été un objet de surprise pour le roi, et celle que lord Ponsonby a reçue de son gouvernement nous inquiète sérieusement sur l'issue de la question belge[384]. Les conseils qu'il donne encouragent les partisans fort peu nombreux du prince d'Orange et irritent les partis catholique, républicain et constitutionnel. L'état révolutionnaire se prolonge, et il portera des fruits amers. Le renouvellement des hostilités ne pourra plus être prévenu, et il serait difficile de prévoir jusqu'où il peut conduire. Est-ce le prince de Cobourg, que l'on cache, que l'on prépare et que l'on espère? [384] Sur le dissentiment qui existait alors entre M. de Talleyrand et le cabinet français, et dont M. Bresson supportait les conséquences, voir page 54. Lord Ponsonby recevait de son côté des instructions en faveur du prince d'Orange. »Cette combinaison est devenue impossible. Nous avons été franchement pour celle des princes de la maison de Nassau, aussi longtemps que nous avons pensé qu'elle avait quelques chances de succès. Nous avons accueilli avec autant de sincérité et d'empressement celle du prince de Cobourg, mais le temps nous a révélé la vérité: il faut aux Belges un prince catholique. Qu'on le prenne dans les maisons de Saxe, de Naples ou de Bavière, peu nous importe, pourvu qu'il fasse cesser l'anarchie et qu'il commence immédiatement un gouvernement régulier. La ministère anglais respecte l'opinion publique, et il a raison; mais il doit sentir qu'il faut que nous la respections aussi; et la France a montré assez de générosité, de loyauté et de désintéressement pour qu'elle exerce quelque influence sur le choix d'un souverain qui doit régner à ses portes. Si les affaires de Belgique touchent la politique de l'Angleterre et des autres puissances, elles intéressent à la fois notre politique et notre propre sûreté. La conférence de Londres a trop présumé de son influence en Belgique; sa marche lente et mesurée a peut-être un peu trop rappelé la vieille politique et les pénibles négociations du traité de Westphalie... »Je suis sûr, mon prince, que vous commencez vous-même à vous fatiguer de ce rôle complaisant qu'on voudrait imposer à la France, et que vous ne voulez accepter que celui qui convient à un roi puissant et à une grande nation. L'Europe ne comprendra bien notre politique que lorsqu'elle saura que ce n'est pas la crainte de la guerre qui nous arrête, mais bien la crainte de voir bouleverser l'ordre social en Europe, de déchaîner toutes les tempêtes et de mettre partout aux prises les peuples et les gouvernements. Cette crainte seule est digne de nous, parce qu'elle est morale, parce qu'elle est politique et prévoyante. On oublie trop aussi que notre action sur les voeux du pays a ses bornes, et qu'il serait imprudent pour nous et funeste pour l'Europe de les dépasser...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE[385]. [385] Voir page 22. «Londres, le 16 janvier 1831. »J'envoie à Mademoiselle une pièce qui l'intéressera et dont, hors le roi et elle, personne ne doit avoir connaissance. Faite au nom du prince d'Orange, c'est lord Grey qui en est le véritable auteur. Il y met un tel prix et un intérêt tel, que nous n'avons pas pu nous opposer à ce que cette nouvelle tentative fût essayée. Si elle réussit, les choses s'arrangeront d'après les premiers souhaits du roi; si elle manque son effet, nous aurons le champ plus libre pour tout ce que nous croirons bon et utile de proposer et d'obtenir...» Pièce incluse dans la lettre précédente. LETTRE DU PRINCE D'ORANGE A ...[386] [386] Cette lettre a été écrite par le prince d'Orange aux personnes qu'il croit dévouées à sa cause en Belgique. (_Note du prince de Talleyrand._) «Les derniers événements de la Belgique ont attiré sur moi, sur ma famille et sur la nation, des malheurs que je ne cesserai de déplorer. »Cependant, au milieu de ces calamités, je n'ai jamais renoncé au consolant espoir qu'un temps viendrait où la pureté de mes intentions serait reconnue et où je pourrais personnellement coopérer à l'heureuse entreprise de calmer les divisions et de faire renaître la paix et la prospérité d'un pays auquel m'unissent les liens à jamais sacrés du devoir et de la plus tendre affection. »Le choix d'un souverain pour la Belgique, depuis sa séparation d'avec la Hollande, a été accompagné de difficultés qu'il est inutile de décrire. Puis-je croire sans présomption que ma présence offre aujourd'hui la meilleure et la plus satisfaisante solution de ces difficultés? »Nul doute... que les cinq puissances, dont la confiance est si nécessaire à acquérir, ne voient dans un tel arrangement le plus sur, le plus prompt, le plus facile moyen de raffermir la tranquillité intérieure et d'assurer la paix générale de l'Europe. »Nul doute que des communications récentes et détaillées, venues des villes principales et de plusieurs provinces de la Belgique, n'offrent la preuve frappante de la confiance que m'accorde encore une grande partie de la nation... »Le passé, en autant qui me concerne, sera voué à l'oubli; je n'admettrai aucune distinction personnelle motivée par des actes politiques, et mes constants efforts tiendront à unir au service de l'État, sans exclusion et sans égard à leur conduite passée, les hommes que leurs talents et leur expérience rendent les plus capables de bien remplir des devoirs publics. »Je vouerai les soins les plus assidus à assurer à l'Église catholique et à ses ministres la protection attentive du gouvernement et à les entourer du respect de la nation... »Un de mes plus vifs désirs, comme un de mes premiers devoirs, sera de joindre mes efforts à ceux de la législature afin de compléter les arrangements qui, fondés sur la base de l'indépendance nationale, donneront de la sécurité à nos relations au dehors et viendront à la fois améliorer et étendre nos moyens de prospérité intérieure... »Je viens ainsi, avec toute la franchise et la sincérité que réclamait notre commune position, de me placer devant la nation belge. C'est sur les lumières qui la guident dans l'appréciation des besoins du pays, c'est sur son attachement à sa liberté que repose mon principal espoir. Il ne reste plus qu'à rassurer que, dans ma démarche d'aujourd'hui, j'ai bien moins consulté mon propre intérêt que mon vif et invariable désir de voir des mesures réparatrices, des mesures de paix et de conciliation mettre à jamais un terme à tous les maux dont la Belgique est encore affligée.» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND[387]. [387] Voir page 28. [_Particulière_] «Bruxelles, le 20 janvier 1831 à une heure du matin. »Mon prince, »Les partisans de M. le duc de Leuchtenberg avaient tout disposé pour frapper leur grand coup dans ces quarante-huit heures. M. le duc de Bassano et M. Mejan[388] sont les moteurs principaux de ce projet déplorable. Il m'a fallu, pour parer à ces dangers imminents, assumer une grande responsabilité que je ne puis justifier que par mon vif désir de prévenir de grands malheurs. [388] Étienne, comte Mejan, né en 1766, avocat puis journaliste sous la Révolution. Au 18 brumaire, il devint secrétaire général de la préfecture de la Seine. Il suivit ensuite le prince Eugène en Italie, devint secrétaire de ses commandements, puis conseiller d'État, et en 1816 fut choisi par le prince pour être gouverneur de ses enfants. Il mourut en 1846. »J'ai déclaré que si M. le duc de Leuchtenberg était élu, je romprais à l'instant même toute communication avec le gouvernement belge et que je quitterais Bruxelles dans les vingt-quatre heures. Cette déclaration nous a bien servis. »Il me paraît impossible qu'on vous ait laissé ignorer nos instructions sur le prince de Naples et le prince Othon de Bavière; je ne les spécifierai donc pas ici. »Il n'y avait pas force égale pour opposer le prince de Naples au prince de Leuchtenberg, mais force suffisante pour créer une diversion. Nous nous y sommes attachés en jetant au travers de ces intrigues la proposition d'un terme moyen. Les conclusions du rapport de la section centrale, qui tendaient à ce qu'on procédât dès aujourd'hui au choix du souverain, n'ont pas obtenu la priorité...» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE[389]. [389] Voir page 31. «Le 24 janvier 1831. »L'arrivée de M. de Flahaut, qui a pu répondre à toutes mes questions et me dire de bonnes paroles sur le Palais-Royal et sur Paris, m'a fait grand plaisir. 11 a trouvé nos affaires de Belgique plus avancées qu'il ne le supposait, et il a déjà pu s'assurer que cette neutralité si péniblement obtenue apparaissait à tous les bons esprits, au milieu de toutes les discussions actuelles, comme la seule solution du grand problème. Je suis convaincu que l'esprit prompt et délicat de Mademoiselle en aura apprécié tous les avantages. Je crois, en effet, que cette mesure était la seule qui pût nous laisser avec la paix et la seule par laquelle nous désintéressons l'Angleterre sans établir sa suprématie. Lui abandonner une situation matérielle en Belgique, ce serait lui donner au nord un nouveau Gibraltar et nous nous trouverions un jour quelconque vis-à-vis d'elle clans une position analogue à celle de la péninsule. Un semblable expédient sacrifierait d'une manière trop dangereuse l'avenir au présent et nous coûterait un prix qu'on pourrait tout au plus accorder à dix batailles perdues. La réunion du reste de la Belgique serait un faible équivalent pour ce premier pas sur le continent. Si la France avait besoin do s'étendre, c'est vers la ligne du Rhin qu'elle devrait porter ses regards; c'est là que ses vrais intérêts l'appellent, c'est là qu'il y a de la vraie puissance et d'utiles frontières à acquérir; mais aujourd'hui la paix vaut de beaucoup mieux que tout cela: la Belgique nous apporterait plus d'embarras que d'avantages, et les avantages, la neutralité nous les assure presque tous...» MADAME ADÉLAÏDE AU PRINCE DE TALLEYRAND[390]. [390] Voir page 19. «Paris, 28 janvier 1831. »Mon cher prince, »... Certes, M. de Flahaut ne s'attendait pas, à son départ d'ici, de ce qu'il a trouvé fait en arrivant auprès de vous: c'est un brave succès[391]; il n'a pas fallu moins que votre zèle et votre talent pour y arriver et nous sommes bien touchés et bien convaincus du motif qui vous en fait doublement jouir. Certainement, comme vous le dites, toutes les personnes qui pensent, qui réfléchissent, sentent les avantages, pour nous de cette neutralité, qui sont très grands, et vous verrez que la discussion d'hier, à la Chambre des députés, a été très bonne et tout à fait à l'avantage du gouvernement[392] que la Chambre soutient surtout par la crainte d'un ministère de l'extrême gauche et pour l'en éloigner; car il ne faut pas se dissimuler que le voeu d'une grande masse, en France, pour ne pas dire de la généralité, est la réunion de la Belgique et que la traînasserie, la lenteur que l'Angleterre a mise à faire décider le congrès belge au choix d'un souverain nous met, et vis-à-vis de la France et vis-à-vis de la Belgique, dans un très grand embarras, et cela, de la part de l'Angleterre, par l'arrière-pensée de pouvoir ramener le prince d'Orange. La question inadmissible du duc de Leuchtenberg est arrivée: nous ne pouvions ne pas la rejeter. L'Angleterre le sent et l'avoue, mais en même temps, lord Ponsonby dit qu'il n'a pas d'instructions à cet égard. Voilà donc la question compliquée de nouveau d'une manière bien pénible et tourmentante, et cela à qui la faute? Pas à nous, certes, qui avons été bien franchement, bien loyalement et bien droitement...» [391] Le protocole du 20 janvier qui assurait la neutralité de la Belgique et qui avait été fort bien accueilli aux Tuileries. [392] Séance du 27 janvier. M. Mauguin avait interpellé le général Sébastiani sur l'attitude du gouvernement au sujet de la question polonaise. «Samedi matin, 29 janvier. »_P.-S._--Nous apprenons qu'il ne reste plus à Bruxelles d'alternative possible qu'entre Nemours et Leuchtenberg. Croirait-on qu'ainsi placé, lord Ponsonby donne une préférence décidée à Leuchtenberg? En vérité, cela passe toute croyance. C'est pourtant certain. Ce qui l'est moins, mais ce qu'on dit, et ce que le langage de lord Ponsonby ne rend que trop probable, c'est que M. Van de Weyer a apporté de Londres l'assurance que l'Angleterre reconnaîtrait Leuchtenberg s'il était élu[393]. [393] M. Van de Weyer se trompait, car huit jours plus tard, le 7 février, la conférence de Londres signait un protocole qui excluait le duc de Leuchtenberg. M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND[394] [394] Voir page 69. «Bruxelles, le 8 mars 1831. »Mon prince, »Ne pouvant obtenir de la conférence une décision à mon égard, je me détermine à aller au-devant. J'ai l'honneur de vous adresser ma démission des fonctions de son commissaire en Belgique. Je la lui transmets en même temps par lord Ponsonby. »Vous trouverez ci-jointe la lettre que j'écris à la conférence et que je vous prie de lui soumettre, et copies de mes lettres à lord Ponsonby et à M. Van de Weyer. »Je compte partir vendredi ou samedi pour Paris. J'y ferai un court séjour; mon plus vif désir est de me retrouver bientôt près de vous[395].» [395] M. Bresson ne revint pas à Londres. Après un court séjour en France, il fut envoyé à Berlin où au bout de quelques mois, il fut définitivement accrédité. LE GÉNÉRAL SÉBASTIANI AU PRINCE DE TALLEYRAND[396]. [396] Voir page 98. «Paris, le 20 mars 1831. »Mon prince, »Je n'ai rien à vous apprendre sur la formation du ministère. Vous connaissez comme moi les membres qui le composent: le parti de la paix y est fort jusqu'à l'unanimité. Je pense que vous feriez bien d'écrire un mot à M. Casimir Périer, qui sera charmé de recevoir une lettre de vous. Il donne de l'unité à l'action du gouvernement et se montre décidé à combattre les anarchistes avec vigueur... »... M. Laffitte a quitté les affaires avec peine et montre un peu d'irritation. L'état de sa fortune est la principale cause de sa défaite politique; la bourse poussait des clameurs qui avaient des échos dans les Chambres. »La grande affaire aujourd'hui est celle des élections, je crois qu'elles nous donneront une Chambre modérée et qui sera un véritable appui pour l'ordre et le gouvernement. »Je crois que nous éviterons la guerre. Si les Autrichiens n'entrent pas dans les États du Saint-Siège, la paix est assurée; je me suis dévoué à sa conservation.» TRADUCTION D'UNE DÉPÊCHE DE SIR R. GORDON[397] A LORD PALMERSTON[398]. [397] Sir R. Gordon, frère de lord Aberdeen, était ambassadeur de la Grande-Bretagne près de la Porte. [398] Voir page 153.--On se rappelle que le général Guilleminot, ambassadeur de France à Constantinople, fut rappelé à la suite des incidents qui font l'objet de cette dépêche. [_Confidentielle_] «Constantinople, 31 mars 1831. »Milord, »Depuis ma dernière dépêche confidentielle du 25, le reis-effendi m'a assuré que l'ambassadeur de France a présenté une note à la Porte qui, quoique plus réservée que ses communications verbales contient les trois points importants qui suivent: »1º Les principes du gouvernement français sont si diamétralement opposés à ceux professés par la Russie et l'Autriche, qu'une guerre entre la France et ces deux puissances est inévitable; »2º Dans cette guerre, l'Angleterre restera neutre, ou se déclarera l'alliée de la France; »3º L'ambassadeur de France prie instamment la Porte, de la part de son gouvernement, de prendre les mesures nécessaires pour assurer son indépendance, avertissant le gouvernement ottoman que si, au contraire, il épousait la cause opposée aux principes et aux vues de la nation française, la Porte chercherait en vain plus tard, à être exemptée des pertes qu'elle aurait à subir comme une conséquence nécessaire de la guerre. »J'ai l'honneur... »_Signé_: R. GORDON.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A MADAME ADÉLAÏDE D'ORLÉANS[399]. [399] Voir page 230. «27 juin 1831. »Après avoir ennuyé Mademoiselle des copies de ma correspondance nocturne par le courrier d'aujourd'hui, je dois encore lui communiquer la réponse du prince Léopold que je reçois à l'instant, quoiqu'elle ne satisfasse pas toutes mes exigences françaises, et que les conversations ne remplacent que faiblement ce qui aurait été bien plus utile à dire officiellement. Cependant il faut se tenir pour satisfait parce que le contraire serait maintenant sans but. Toujours est-il bon que ma lettre d'hier ait provoqué l'explication écrite du prince qui tient un peu de l'excuse. Il cherche à se justifier sur ce que d'autres membres de la conférence ont pu lui dire: il eût été plus simple et plus droit de s'arrêter à la phrase écrite de ma main, que je lui avais laissée. »A présent, espérons que les Belges si portés à l'indiscrétion n'oublieront pas les assurances de dévouement que le prince leur a faites pour la France... »Mademoiselle se souviendra que les premières nouvelles de tout ce que j'ai écrit ces jours-ci doivent venir de Bruxelles. »Wessenberg va rendre plus facile le roi des Pays-Bas. C'est une terrible tâche que nous lui donnons là.» LORD PALMERSTON AU PRINCE DE TALLEYRAND[400]. [400] Voir page 244. «Samedi, 9 juillet 1831. »Mon cher prince, »Nous avons des lettres de Bruxelles du 6, au soir. Tout allait bien, et on comptait sur une majorité très considérable. On croyait que de cent soixante-quatorze, qui voteraient, il y aurait cent vingt-cinq pour; mais ce qui prouve incontestablement que les propositions seraient acceptées, c'est que Van de Weyer s'était inscrit pour parler en leur faveur; et notre petit ami, comme les dieux de Caton, aime à se trouver du côté des vainqueurs, et il n'aurait pas changé de côté, s'il n'avait pas eu un fort pressentiment que la victoire allait se ranger avec les propositions et le prince. »Le discours de Lebeau a converti plusieurs, entre autres Rodenbach[401] et Coppens[402] et on disait à Bruxelles que ce discours avait fait parler un bègue et avait fait voir clair à un aveugle. On croyait cependant que la décision ne se ferait qu'aujourd'hui.» [401] Alexandre Rodenbach, né en 1786, homme politique et littérateur belge. Sous le gouvernement du roi Guillaume, il s'était fait un nom comme journaliste libéral. Aussi fut-il élu député en 1830. Il demeura à la chambre jusqu'en 1866 et mourut en 1869. M. Rodenbach était aveugle depuis l'âge de onze ans. [402] Député au congrès et l'un des membres les plus bouillants de l'assemblée. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT[403]. [403] Voir page 248. «15 juillet 1831. »Le roi de Hollande n'a pas encore répondu; mais le pouvoir de Wessenberg n'a pas été plus loin que d'obtenir quelques jours de délai. Sa réponse ne sera donnée que jeudi au soir et alors Wessenberg partira le vendredi (qui est aujourd'hui). Mon opinion est que malgré quelques explications qui ont été données, la réponse du roi sera mauvaise. Quel parti tirera-t-il de son humeur? Je n'en sais rien, car les choses sont à tel point qu'il n'y a plus moyen de céder. On peut adoucir par des explications, mais il n'est pas possible d'aller plus loin. Le prince Léopold n'en part pas moins demain 16; il croit plaire chez vous, et c'est son projet en allant par Calais. Il désire passionnément épouser une de nos princesses; ce matin, il me le répétait encore. On est bien fou en France quand on veut faire du prince Léopold un prince anglais; il est parfaitement le contraire. Cette dernière difficulté du roi de Hollande nous est fort désagréable, et je crois qu'elle est fort inutile pour lui, il faut attendre les premières lettres, elles nous apprendront au plus juste sa disposition...» L'AMIRAL DE RIGNY AU PRINCE DE TALLEYRAND[404]. [404] Voir page 372. «Paris, le 28 décembre 1831. »Mon prince, »Vous aurez vu, comment hier nous sommes sortis de la question de la pairie. Il y a dans l'autre Chambre une sorte de frémissement révolutionnaire qui indique assez ce qui fût arrivé du retour du rejet de la loi: tel est le pays. »Sébastiani a eu une fausse attaque d'apoplexie; il va mieux, mais on pense qu'il sera quelque temps hors d'état de s'occuper d'affaires. Son inquiétude, à cet égard, est manifeste. Pozzo s'en réjouit sans contrainte, et promet de plus grandes facilités pour les affaires. Demain, il doit réunir le corps diplomatique au sujet des plans belges, et il me promettait hier soir, qu'il parlerait de manière à substituer la démolition de Tournai à celle de Philippeville et Marienbourg. Si cet arrangement vous paraissait sortable, veuillez m'en faire dire un mot par madame de Dino; j'agirai ici en conséquence: cela m'est plus facile maintenant. »Veuillez... »DE RIGNY.» M. BRESSON AU PRINCE DE TALLEYRAND[405]. [405] Voir page 412. «Berlin, le 26 janvier 1832. »Mon prince, »... J'ai su que votre lettre du 20 décembre avait été mise sous les yeux de Sa Majesté le roi de Prusse. Il a écrit à l'empereur pour le presser de se rattacher aux vues de ses alliés, _dans des termes plutôt trop vifs que trop doux_, m'a dit M. de Bernstorff. Ainsi, mon prince, l'effet que vous désiriez a été produit. »En apprenant l'ajournement de l'échange des ratifications au 31 janvier, l'on a beaucoup regretté ici qu'on ne l'eût pas fixé au 1er mars. Hier, j'ai fait de nouvelles instances pour obtenir la ratification pure et simple au traité du 15 novembre; elles ont été infructueuses. M. le ministre d'Angleterre, chargé par son gouvernement d'une démarche analogue, n'a pas été plus heureux. La Prusse se maintient dans la position qu'elle a prise depuis le refus de l'empereur de Russie, et l'ajournement n'a rien changé à sa manière de voir. Il y a seulement une modification qui me paraît assez importante aux instructions de M. de Bülow. On le charge d'indiquer à la conférence si, le 31 janvier, une ou plusieurs puissances jugent à propos d'échanger leurs ratifications avec le plénipotentiaire belge, de laisser pour les autres le protocole ouvert jusqu'à un terme défini, le 15 mars par exemple, toujours avec la réserve de la part de la Prusse que le traité à cette époque même, ne serait valable qu'autant que toutes les puissances successivement auraient ratifié en toute forme. C'est un autre mode d'ajournement qui a ses inconvénients et ses avantages. M. Ancillon pense que cet intervalle de temps serait employé avec profit soit à ramener la Russie aux décisions prises par la conférence, soit à vaincre ou à satisfaire le roi des Pays-Bas. On minuterait un traité définitif entre la Hollande et la Belgique, et on le proposerait aux deux parties; ou bien encore, on ajouterait aux vingt-quatre articles quelques dispositions additionnelles et explicatives qui pourraient décider l'acceptation du cabinet de La Haye, ou déterminer la Russie à se considérer comme libre de tout engagement et de tout ménagement envers elle. Telles sont les idées du cabinet de Berlin. J'ai cru, mon prince, qu'il vous serait intéressant de les connaître.» MADAME ADÉLAÏDE AU PRINCE DE TALLEYRAND[406]. [406] Voir page 417. «Tuileries, 4 mars 1832. »... Nous voilà donc à Ancône, et en toute loyauté et franchise, car le pape et les Autrichiens savaient que s'ils rentraient une seconde fois dans les États du pape nous irions à Ancône; cela avait été annoncé depuis longtemps. Je crois bien, de vous à moi, qu'ils se flattaient que nous ne l'oserions pas, comme le roi de Hollande se flattait que nous n'entrerions pas en Belgique: ainsi, par cette même raison, je vous avoue, mon cher prince, que je suis bien aise que nous ayons tenu parole en cela comme en tout le reste. Tous les ambassadeurs ont été instruits, au même moment que l'ordre en a été donné, du départ de notre expédition, et comme nous ne voulons certainement pas de révolution en Italie, mais, au contraire, engager à prendre tous les moyens qui peuvent l'éviter, ce qui sera expliqué bien clairement et qui l'est certainement déjà, je ne puis me tourmenter du résultat de cette expédition qui prouve aux puissances que nous tenons ce que nous avançons, ce qui à mes yeux est un très grand avantage. LORD PALMERSTON AU PRINCE DE TALLEYRAND[407]. [407] Voir page 432. «Stanhope-street, le 15 mars 1832. »Mon cher prince, »Notre cabinet a pris en considération, hier au soir, la question de savoir quelle serait la meilleure marche à suivre sur la proposition qu'on nous annonce de la part de la Hollande, et l'opinion de notre gouvernement est que je ne puis rien dire ni faire en conférence, excepté de demander aux plénipotentiaires des trois cours: ratifiez-vous, ou ne ratifiez-vous pas? Il nous paraît que tant que les cinq cours ne sont pas sur la même ligne par rapport à la question tout importante de la ratification, il est impossible pour la conférence de répondre à la communication hollandaise, ou de faire à la Hollande une communication quelconque. »Si nous sommions le roi de Hollande de nous donner réponse catégorique quant à l'acceptation des vingt-quatre articles dans un délai fixe, cela voudrait naturellement dire que, le terme échu, nous procéderions à l'exécution du traité, bon gré malgré la Hollande. Mais les trois cours seraient-elles prêtes à concourir avec nous, pour concerter des moyens coercitifs? Non, du moins à ce qu'il paraît. Donc la même demande ne signifierait pas la même chose pour toutes les cours. De notre part la question impliquerait: mesures coercitives; de la part des trois cours: abandon, mais inaction. Il nous paraît donc que nous ferions bien de nous tenir sur le terrain que nous occupons maintenant, et de ne pas nous laisser entraîner en aucune discussion ni en aucune action commune comme conférence, avant de savoir avec certitude si nous sommes deux ou cinq. »Si vous pouvez vous rendre au bureau aujourd'hui entre trois et quatre heures, vous pourrez me dire alors quel est votre avis sur cet affaire. »Tout à vous.» LE PRINCE DE TALLEYRAND A LORD PALMERSTON[408]. [408] Voir page 432. [_Particulière_] «Le 17 mars 1832. »Dear lord Palmerston, »Je crois comme vous qu'après tant d'attente nous sommes rigoureusement obligés d'avoir une conférence pour demander aux plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse la détermination qu'ils auront prise relativement à l'échange des ratifications. Tous les égards ont été observés, tous les délais naturels ont été grandement accordés. Il me semble que les choses sont à leur terme, et que ce serait abuser de notre influence en Belgique que de retarder encore le moment de la délivrer de l'inquiétude qui l'agite. »Aujourd'hui, prolonger de nouveau les délais serait un excès de condescendance qui pourrait même être qualifié autrement. »Demain après le lever je me rendrai chez vous prêt à faire tout ce qui vous conviendra et à conserver intacte la dignité que nos deux pays réunis doivent avoir.» LORD PALMERSTON AU PRINCE DE TALLEYRAND[409]. [409] Voir page 432. «Stanhope-street, le 5 avril 1832. »Mon cher prince, »Je vous prie de vous rendre au bureau à trois heures. Bülow n'a pas encore son autorisation, et je crois qu'il faudra que nous fassions en conférence la demande dont nous avons parlé. Je voudrais vous proposer que nous disions aux plénipotentiaires des trois cours: deux mois se sont passés depuis le 31 janvier, le protocole de ratification reste encore ouvert; la saison est devenue meilleure, les routes se sont desséchées. Avez-vous tous, reçu vos ratifications, et êtes-vous prêts à les échanger? Et vous qui ne l'êtes pas, ayez la bonté de constater sur le protocole les raisons qui vous en empêchent. J'inviterai le comte Orloff afin que nous puissions lui parler. LE PRINCE DE TALLEYRAND A LA PRINCESSE DE VAUDÉMONT[410]. [410] Voir page 446. «1er mai au soir 1832. »Les ratifications sont arrivées, elles sont conditionnelles; mais j'arrangerai cela, et je les rendrai simples par les déclarations que j'obtiendrai des Russes: du reste ne parlez pas de cela à personne du tout, parce que les ordres que je pourrais recevoir de quelque nature et de quelque personne qu'elles fussent, me gêneraient et je veux avoir fini vendredi. Mais pour cela il faut qu'on ne m'écrive pas; ainsi parfait et complet silence. L'espoir de vous voir le mois prochain me donne tous les moyens de ma jeunesse et de mon expérience pour les affaires dont je suis chargé et à la fin desquelles je veux arriver bien. Adieu je me tue peut-être, mais le réussirai. Je voudrais que tous les employés du gouvernement en fissent autant pour assurer la paix. »Adieu chère amie.» FIN DE L'APPENDICE ET DU TOME QUATRIÈME TABLE DU TOME QUATRIÈME DIXIÈME PARTIE (_Suite_). RÉVOLUTION DE 1830 (_suite_) APPENDICE PARIS.--IMPRIMERIE CHAIX, RUE BERGÈRE, 20,--14876-10-91. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK MÉMOIRES DU PRINCE DE TALLEYRAND, VOLUME 4 *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. 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