The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Mont Céleste

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Title: Le Tour du Monde; Mont Céleste

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release date: November 21, 2009 [eBook #30518]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE TOUR DU MONDE; MONT CÉLESTE ***




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LE TOUR DU MONDE

PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20

NOUVELLE SÉRIE — 11e ANNÉE 2e SEMESTRE

LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS

Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. xiii) TABLE DES MATIÈRES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1

II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13

III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25

IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37

V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49

SOUVENIRS DE LA CÔTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61

II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73

III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85

IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97

II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109

III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133

II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145

III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169

(p. xiv) LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182

II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193

III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205

IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217

V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229

VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265

II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325

IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337

V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUES

De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373

II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385

III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les (p. xv) tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541

II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577

II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589

III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601

IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613

(p. 457) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—39e LIV. No 39.—30 Septembre 1905.

LE BAZAR DE TACHKENT S'ÉTALE DANS UN QUARTIER VIEUX ET FÉTIDE (page 458).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL.

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize.

UN KOZAQUE DE DJARGHESS (page 468).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le 28 juin, après trente-quatre jours de voyage, j'arrivais à Tachkent, capitale du Turkestan russe. En m'embarquant à Gênes, je pensais pouvoir franchir cette distance en moins de trois semaines. Mais, en Orient, le temps ne fait pas monnaie, et on le dépense sans compter. Quand on part on ne sait jamais quand on arrive, et quand on arrive on ignore à quel moment on se remettra en route. Le chemin est jalonné de menus incidents et de petites mésaventures qui, tout en éprouvant la patience et le caractère, n'en demeurent pas moins des contre-temps toujours fâcheux pour un voyageur pressé. Hommes et choses semblent figés dans une fatidique immobilité, contre laquelle on ne peut rien.

Aussi, ce n'est pas sans un vif soulagement que j'aperçus sur le quai de la gare de Tachkent la haute stature de don Scipion Borghèse, et la face barbue du guide Zurbriggen, qui me souhaitèrent la bienvenue par de cordiales et chaleureuses poignées de main. Pensez donc! Ils m'attendaient depuis quinze jours.

Nous décidâmes de partir le surlendemain, car la saison était déjà avancée et nous risquions fort de compromettre la campagne d'alpinisme que nous allions entreprendre. Les deux journées qui nous restaient, nous les employâmes à visiter la ville, et à régler nos instruments à l'Observatoire météorologique.

Presque toutes les villes asiatiques ont des réserves d'imprévu pour le nouveau débarqué, et possèdent je ne sais quelle charmante originalité qui le captive de prime abord. Il n'en est point ainsi de Tachkent. Cette ville n'a jamais été, dans les temps passés, qu'un petit centre de commerce et un entrepôt de marchandises. Elle n'a, pour ainsi dire, pas subi l'influence de l'épopée timourienne, et n'a pas, par conséquent, reçu l'empreinte de l'art iranien, qui laissa de si belles traces dans la ville de Samarkand. Les ruines grandioses, que les archéologues recherchent avec avidité, y font complètement défaut.

Tachkent, comme étendue, est aussi grande que Paris, mais ne compte que 300 000 habitants. Sauf les quartiers indigènes, refoulés dans les faubourgs, la ville présente un aspect moderne, presque américain. On (p. 458) s'aperçoit immédiatement que c'est une cité toute jeune, créée sur un plan déterminé. Ses larges avenues qui s'entre-croisent et s'allongent pendant plusieurs verstes, sont régulièrement plantées d'une double rangée d'arbres, arrosés par des ruisseaux qui coulent abondamment des deux côtés de la chaussée.

Les maisons russes sont confortables, quoique très basses, composées d'un seul rez-de-chaussée, à cause des fréquents tremblements de terre. Invariablement, un porche en bois y donne accès, et une vaste cour ombragée les entoure de trois côtés.

Dans les rues, on trouve un peu partout des magasins de nouveautés, des clubs, des bibliothèques, des cafés, tout le confort de la vie moderne, avec ses défauts et sa corruption. Certes, si Tachkent ne peut être considérée comme une ville très attrayante, elle ne doit pas non plus être traitée de lieu d'exil, comme de complaisants voyageurs l'ont avancé. Le nombre des étrangers qui l'habitent va toujours en augmentant; il n'est pas rare que quelques-uns d'entre eux la quittent après fortune faite.

L'emplacement de la ville est bien choisi pour devenir un des plus grands centres commerciaux de l'Asie. Située au carrefour des routes de la Sibérie, de la Chine, de l'Afghanistan et de la Perse, reliée à l'Europe par une ligne de chemin de fer, environnée de cultures superbes qui ne font que s'étendre, son avenir est des plus assurés. Et si la ligne projetée qui doit passer par la Sémiretchié et aboutir, à Taïga, au Transsibérien s'effectue, son développement ne peut que s'accentuer encore, car elle échangera ses produits avec les pays du Nord, et deviendra un comptoir de premier ordre en Asie centrale.

Le bazar de Tachkent ne ressemble guère à ceux de Bokhara, de Téhéran ou de Tiflis. C'est un quartier à part, dont l'élément tatar a été modifié par les races qui se sont tour à tour succédé dans le Turkestan: quartier vieux et fétide, dont la lumière et l'eau semblent à jamais bannies.

Ce qui caractérise le bazar de Tachkent, plus que les ruelles obscures et fangeuses, recouvertes de loques invraisemblables et de nattes éraillées, plus que les échoppes encombrées de marchandises bizarres, et plus que la foule bigarrée qui s'y presse, ou y caracole, c'est la distribution des métiers en trente-deux groupes, et de chacun de ces groupes en trente-deux spécialités. Quelle complication pour le moindre achat qu'on y peut faire!

ITINÉRAIRE DE TACHKENT À PRJEVALSK.

Tachkent est une vraie pépinière de races, ayant chacune son quartier, son temple, sa langue, son costume et ses traditions, animées les unes à l'égard des autres de rancunes et de haines que les siècles n'ont pas étouffées. Au-dessus de ces races diverses, il existe un élément hybride, composite qui constitue le fond de la population de la ville, et forme, pour ainsi dire, un trait d'union entre les naturels et les exotiques: ce sont les Sartes. D'aucuns ont voulu croire que les Sartes étaient un produit du mélange d'Ouzbegs et de Tadjiks. C'est une erreur. Leur tige généalogique s'est greffée aux plus disparates tronçons turco-mongoliques. Ce qui est certain, c'est qu'ils forment une caste privilégiée. Le Sarte est plus instruit, plus souple et plus entreprenant que tout autre de ses coreligionnaires.

L'habitation des indigènes est plutôt misérable, et d'une solidité assez problématique. Les maisons, toujours très basses, divisées au plus en deux ou trois compartiments, sont construites quelquefois en travées de bois, mais le plus souvent elles se composent exclusivement de murs en pisé. Les toits ne sont que des treillis de branchages, consolidés par une épaisse couche de terre, où ne tardent pas à se former des plants de coquelicots et de capucines. Tant que dure la belle saison, tout va bien. Pendant les grandes chaleurs, une agréable fraîcheur règne à l'intérieur de ces demeures, et en hiver l'épaisseur de la couche d'argile est très efficace à conserver le peu de chaleur entretenue à grand'peine par la petite (p. 459) quantité de combustible dont on dispose. Mais, dans les fortes pluies, la terre se gonfle, craque, et la frêle charpente s'effondre tout à coup, surprenant quelquefois la famille au milieu de la nuit. Aussi a-t-on soin de maintenir la toiture en bon état, afin d'éviter autant que possible ces sortes d'accidents.

LES MARCHANDS DE PAIN DE PRJEVALSK (page 466).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le 30 juin, à cinq heures du matin, nous quittons Tachkent. Les tarentass, qu'on a loués la veille, nous attendent dans la cour de l'hôtel. Les bagages, plutôt encombrants, sont chargés, et nous prenons place à l'intérieur, où nous nous aménageons une petite couchette sur une brassée de paille.

Nous sommes dirigés sur Prjevalsk, près du lac Issik-Koul, au cœur même des Monts Célestes. La distance qui nous en sépare est d'environ 900 kilomètres, que nous comptons pouvoir franchir en une semaine. Naturellement nous voyagerons jour et nuit, autant que nous le permettront l'état de la route, la solidité de nos équipages et la qualité des chevaux que nous relayerons le long du chemin.

Au moment du départ, tout va bien: le yemtchik fait claquer son fouet, les grelots de la dounga tintent joyeusement, et l'air du matin chasse les derniers vestiges d'un sommeil opiniâtre.

La route, en sortant des faubourgs, débouche dans la rase campagne et remonte lentement un long plateau, d'une triste sauvagerie. La teinte brûlée du gazon, maculée ça et là de flaques saumâtres, s'étend à l'infini et s'estompe dans la ligne de l'horizon. Le terrain, sur lequel nous roulons à toute allure, s'enchevêtre peu à peu de bosses et de fondrières. Le tarentass se fait alors connaître pour ce qu'il vaut. Nous avons beau nous cramponner aux rebords de la capote et appuyer énergiquement les pieds sous le siège du cocher, impossible d'éviter les chocs et les heurts de la course folle. Deux mouvements contraires secouent avec rage nos véhicules: un mouvement d'avant en arrière et d'arrière en avant et un mouvement de gauche à droite et de droite à gauche, le tangage et le roulis! On saute, on danse, on rebondit, on se cogne contre les ferrures, on est projeté contre son voisin et on retombe d'une hauteur de plusieurs pieds sur les valises qui servent de sièges.

Le soleil, qui s'est levé, brûle déjà nos visages. Les chevaux, quand ils ne s'embourbent pas dans la terre molle, soulèvent des nuages de poussière, qui nous recouvrent entièrement, bien que nos équipages se tiennent à une discrète distance l'un de l'autre, afin d'amoindrir cet ennui. Le prince et moi, nous jetons (p. 460) quelquefois un coup d'œil en arrière, afin de constater si Zurbriggen et Abbas nous suivent. Nous n'apercevons ni chevaux ni voiture, mais une véritable nuée qui fonce sur nous à une vitesse effrénée. De temps à autre, nous rencontrons d'interminables théories de chariots, traînés par des chevaux ou par des buffles, attachés au véhicule qui les précède. Plus loin, ce sont de longues caravanes de chameaux qui s'écartent sur le bord de la route, avec de grotesques balancements de têtes et de lasses courbatures de corps, comme s'ils marchaient sur une surface mouvante. Ces convois, s'avançant d'un pas rythmé, mécanique, hommes, bêtes et choses de la même teinte, ressemblent à des processions de revenants condamnés par la fatalité à errer sans cesse sur la terre.

Vers midi, le chemin se déroule, en de brefs lacets, sur la pente d'une côte où court un filet d'eau encadré de verdure. Sur les bords du ruisseau quelques yourtes (maisonnettes) sont disséminées parmi les saules. Une modeste maison de poste nous invite à un sommaire déjeuner pendant qu'on relaye les chevaux. Dans les environs, quelques champs d'orge revêtent d'une blonde toison les mouvements du terrain. Des cavaliers s'y rendent, la faux sur l'épaule; d'autres en reviennent portant d'énormes faix d'herbes sur le devant de la selle. Des chiens hargneux jappent aux jambes de nos chevaux et ne cessent d'aboyer que lorsque nous sommes déjà loin, dans les steppes.

Toute l'après-midi s'écoule en plein désert. Les stantzias ne sont pas toutes situées au milieu d'un bouquet d'arbres. Quelques-unes d'entre elles doivent se contenter d'eau de pluie qu'on recueille dans des citernes, creusées dans le sol. Aussi, malgré la soif qui nous dévore, nous nous abstenons de boire quoi que ce soit.

Peu avant Tchimkent, nous devons traverser une série de petits fossés, dont l'eau, en se faufilant dans les ornières tracées par les roues, a converti la couche de poussière en une boue tenace et profonde d'où nos attelages ont mille peines à se dépêtrer. On cherche à éviter cette fondrière en prenant à côté, mais c'est quelquefois pire.

Nous traversons une rivière et nous pénétrons peu après dans la ville de Tchimkent. Il est dix heures du soir. Sauf quelques rares lumières, c'est l'obscurité la plus complète, et de toute la «cité verte» nous ne voyons que le bouge qui sert de maison de poste, et où nous devons attendre deux heures avant de pouvoir repartir.

UN DES TRENTE-DEUX QUARTIERS DU BAZAR DE TACHKENT (page 458).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Il y a là un général qui doit se rendre à Viernyi, et il va sans dire que les chevaux disponibles sont pour lui. C'est un contre-temps qui ne laisse pas de nous aigrir....

À minuit nous repartons, et nous regagnons bientôt le steppe. La route paraît bonne, et nous cherchons à nous assoupir. L'air est relativement frais, et surtout il n'y a pas de poussière.

Fatigués par un cahotement de vingt-quatre heures, les muscles détendus, nous finissons par sommeiller autant que nous le permettent le roulement de la voiture, le carillon de la dounga, et les cris, les sifflements dont le cocher se sert pour encourager ses chevaux.

Mais le soleil ne tarde pas à nous frapper en plein visage; en même temps nous éprouvons des secousses si violentes et si continues, que nos yeux s'ouvrent: impossible de dormir. Nous descendons un couloir (p. 461) d'érosion, où les galets détachés des terrains supérieurs se sont donné rendez-vous sur la route même. Quant à les entasser sur les bords, ou à les transporter ailleurs, personne n'y songe.

UN CONTREFORT MONTAGNEUX BORDE LA RIVE DROITE DU TCHOU (page 462).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

N'allez pas croire que le yemtchick ait modéré l'allure endiablée de ses chevaux: sauf là où la pente est trop raide, et où forcément il doit ralentir son train, c'est comme s'il roulait sur une pelouse.

À Vannovsk, petit poste de Kozaques, perdu dans le steppe, nous devons attendre de dix heures du matin jusqu'à trois heures de l'après-midi. Ici, ce n'est plus le général qui a de l'avance sur nous, mais le courrier. On ne connaît pas l'heure de son passage, mais on a été informé qu'il arrivera et repartira dans la journée. Cela suffît au smotrissiel pour nous refuser les chevaux pendant un temps indéterminé.

Fortement intrigués de cet état de choses insolite, nous demandons des explications sur le fonctionnement étrange de la poste. Le smotrissiel nous dit que notre podoroyné (feuille de route) n'est que de troisième classe, et que par conséquent il ne nous confère aucun privilège. Il ne nous donne droit d'avoir des chevaux que quand le courrier et les fonctionnaires auront été servis.

Heureusement, dans l'après-midi, nous apprenons que des moujiks du village nous loueraient volontiers des chevaux jusqu'à la prochaine station. Nous débattons les prix, et nous obtenons deux troïkas pour quatre roubles. Nous faisons de même pour les relais suivants, car la poste n'a pas l'air de se presser, et nous ne pouvons attendre son bon plaisir.

Vers le soir, nous atteignons le col de Tchak-pak, large dépression qui s'ouvre dans la chaîne du Karataou, se détachant des monts Alexandre, et s'avançant, comme une jetée cyclopéenne, dans l'espace plat et désert. Au delà, nous nous engageons dans une petite gorge boursouflée de rochers, et parsemée de broussailles blanchâtres. Comme la route est en pente raide, le cocher a attaché les roues du tarentass, afin que son poids n'entraînât pas les chevaux. Ayant mis pied à terre, pour nous dégourdir un peu, nous découvrons une source d'eau fraîche qui jaillit de la fêlure d'un rocher. C'est une aubaine inattendue, qui nous permet de nous rafraîchir le gosier, brûlé par la chaleur et la poussière.

À la tombée de la nuit, nous passons à Aoulié-Ata, village insignifiant, qui doit sa petite célébrité au tombeau d'un khan vénéré par les Kirghizes. Son nom lui vient de là: Saint-Père.

La région qui se prolonge au delà d'Aoulié-Ata, c'est le Tegherek-minn des nomades, le pays des «mille torrents» dont parle le pèlerin chinois Hiouen-Tsang, et où s'établit, selon la tradition, le premier royaume des Kara-Kitaïs, les Chinois noirs. C'est le bassin supérieur du Tchou, dont les nombreux affluents, descendant des monts Alexandre, arrosant la zone qui s'étend à leurs pieds, facilitent la culture. Graphiquement, ce faisceau de rivières a quelque analogie avec un pin-parasol, dont les racines disparaîtraient dans le steppe. En effet, le Tchou, après être devenu un fleuve respectable, finit on ne sait où, absorbé par les sables du désert.

Ce pays a été la voie historique des migrations, de la guerre, et du commerce entre la Chine du nord et l'Asie occidentale. Mais les villes que bâtissait un conquérant, un autre les renversait, et l'on n'y voit plus que des ruines. Il en est ainsi de Merke et de Pichpek, que nous rencontrons sur notre chemin, et où de nombreuses colonies russes cherchent à redonner l'ancienne fertilité à ce sol stérilisé par le dépeuplement.

La fatigante monotonie des plaines du steppe est ici fréquemment rompue par le cours des rivières, sur la berge desquelles des fouillis de joncs gigantesques émettent une odeur de fourrés de fauves. Les tigres y apparaissent quelquefois pour donner la chasse aux sangliers et aux antilopes qui y pullulent.

À Pichpek, nous laissons à gauche le grand track, qui continue sur Viernyi, en évitant, par un grand (p. 462) lacet, le contrefort qui se prolonge et borde la rive droite du Tchou. Ceux qui veulent esquiver ce fastidieux détour, prennent par Tokmak, où un sentier mène rapidement à la capitale de la Sémiretchié, en escaladant le col de Kastek.

Enfin, nous approchons des montagnes, qui, depuis plusieurs jours, se déroulaient sans fin sur notre droite, et qui, avec leur dentelle de neige, ne faisaient qu'augmenter notre impatience. Le paysage a changé d'aspect, et le regard peut se rafraîchir en se reposant sur la verdure des prairies. Mais pas la moindre trace d'un bois, d'une forêt quelconque. Allons-nous en être privés pendant toute la durée du voyage? Au moment où nous formulons cette question, nous voyons venir au-devant de nous une file de chariots chargés de troncs de sapins. C'est d'un heureux présage.

Vers le milieu de la troisième nuit, nos voitures s'arrêtent à la station de Tjillaryk, isolée complètement, et accotée à l'escarpement d'un promontoire, à l'entrée des gorges de Bouam.

Ici, un incident se produit. À la merci d'un vent furieux et glacé, nous frappons à la maison de poste, mais inutilement. On explore les environs; pas le moindre signe de vie. Tandis que quelques-uns de nous, découragés, vont s'enfouir dans le tarentass, Zurbriggen revient à la charge.

«J'enfoncerai la porte, dit-il, mais je veux savoir quelque chose.» Et il cogne dur sur le panneau. Enfin, on entend craquer le plancher, et la porte s'ouvre. Un tout jeune homme à moitié déshabillé se présente, une bougie à la main. Nous n'attendons pas qu'il nous invite à pénétrer dans son logis, bien que son accueil ne soit pas pour nous y convier. Un rapide coup d'œil, jeté à l'intérieur de la poste, suffit à nous faire rebrousser chemin!

Nous apprenons qu'il n'y a pas un seul cheval libre, et que, d'ailleurs, la route étant mauvaise, il est prudent d'attendre jusqu'au lendemain. De bonne heure, on pourra aller chercher les bêtes, qui ne sont pas rentrées du pâturage. Nous profitons de ce sursis pour faire un petit somme, blottis sous les couvertures. À la première lueur du jour on attelle les chevaux, et on repart.

Cette fois, les voitures ont changé leur train enragé, et c'est à petits pas que nous grimpons un raidillon, surplombant un affreux précipice. La route est tracée sur de nombreux mamelons qu'on remonte et redescend, tel un ruban qu'on laisserait choir sur une surface ondulée.

Les parois du défilé sont déchirées ça et là, montrant la nudité de leur structure. Ce sont d'énormes dépôts de calcaires rougeâtres, entremêlés de couches de schistes moirés. Dans la partie supérieure, il y a de curieuses formations de pouddingues, qu'on prendrait pour des coulées de lave, n'étaient leurs éraflures grenues provoquées par la corrosion des eaux.

En somme, c'est une gorge très intéressante pour le géologue, mais ennuyeuse pour le simple voyageur qui doit à chaque instant mettre pied à terre, et n'a pas même la compensation d'une échappée pittoresque. Après deux relais, pendant lesquels nous repassons sur la rive droite du Tchou, nous apercevons devant nous une nappe d'eau bleuâtre qui s'étend à perte de vue. Au delà, une muraille crénelée, s'estompant dans la brume, nous annonce l'approche de la haute montagne. C'est le lac Issik-Koul et la chaîne du Terskeï Ala-taou.

LE BAZAR DE PRJEVALSK, PRINCIPALE ÉTAPE DES CARAVANIERS DE VIERNYI ET DE KACHGAR (page 466).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le tableau est admirable de couleur et de ligne. Au premier plan, la déclivité fauve du talus de la (p. 464) montagne s'évase lentement vers le lac, où de minuscules falaises abritent des colonies de cygnes sauvages, de pélicans, de toute une tribu variée d'oiseaux aquatiques. La grève, d'un rouge doré, borde la chatoyante surface de l'eau, d'une polychromie sans cesse changeante. Tout au fond, au-dessus d'une couche ouatée de vapeurs violettes, le Terskeï Ala-taou dresse son rempart de roches, avec les arabesques lumineuses de ses reliefs et le fouillis cendré de ses ombres. Le tout est si ténu, si effacé et si dilué, que l'éloignement semble beaucoup plus grand qu'il ne l'est en réalité.

COUPLE RUSSE DE PRJEVALSK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Pendant les premières cent verstes, la campagne est absolument inculte et inhabitée. La route traverse de nombreux cônes de déjection, encombrés de débris de la montagne, et bosselés de petits tertres de terre, portant chacun une touffe de graminées. Notre passage met en émoi des milliers de lièvres, qui se sauvent de chaque côté du chemin, tandis que de grands vautours les guettent, perchés sur un tombeau kirghize, ou planant au-dessus de nos têtes.

Mais à mesure que nous avançons, le paysage s'anime de quelques troupeaux de bétail; nous voyons des aouls kirghizes, et des villages de Kozaques; deux de ces derniers sont même de petits bourgs très florissants, grâce à des torrents qui arrosent les environs.

Le long de la route défilent d'innombrables tombeaux kirghizes groupés en nécropoles, ou isolés dans le steppe. Les bords du lac Issik-Koul sont réputés comme sacrés par les nomades, et les gens aisés s'y font construire des monuments funéraires. Tous ces tombeaux sont en terre glaise battue, et affectent presque toujours la forme d'une pyramide tronquée s'élevant en menus gradins. Quelques-uns sont même très somptueux par rapport aux matériaux employés et à l'endroit désolé où ils se trouvent. Leur construction se compose de quatre murs en argile, supportant un dôme, sur le haut duquel sont fixés différents attributs, comme crânes d'animaux, verroteries et queues de cheval flottant au bout d'une perche. La façade est agrémentée d'ouvertures ogivales, ouvragées de motifs et inscriptions en relief, le tout façonné dans un style incertain et avec des symétries enfantines.

À l'extrémité orientale du lac, le Koungheï Ala-taou court tout près du lac, et le chemin est taillé quelquefois dans le roc. Les flancs de la montagne sont très tourmentés, et se hérissent de quelques sombres sapinières. À droite, dans un endroit désert et sauvage, le monastère de Troïtsky mire ses bâtisses dans les eaux du lac. Il paraît que ce couvent est une prison, un refuge, un lieu d'exil, et un cottage en même temps.

ARRIVÉE D'UNE CARAVANE À PRJEVALSK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À dix heures, le 6 juillet, nous passons par Preobrajensk, qui échelonne ses maisons sur le dos d'une falaise. Nous ne sommes plus qu'à 30 verstes de Prjevalsk. Le plateau qui sépare les deux villes, s'étage en plusieurs terrasses successives, entrecoupées par les eaux du Tioum et du Djargalan qui ont creusé des lits profonds dans cet instable terrain d'alluvions. Sauf au bord de l'eau, le sol est partout dépourvu de végétation.

Enfin nous atteignons le dernier repli, et nous entrevoyons l'ancienne Karakol, assise pittoresquement au milieu d'une verte frondaison et appuyée au pied d'un amphithéâtre de hautes montagnes neigeuses. De prime abord, elle ressemble à une bourgade des Alpes, avec ses clochers, ses vergers, ses bois et ses glaciers, s'étageant sur les hauteurs. Seulement, autour d'elle, le steppe la cerne, inculte et comme brûlé par le feu. Cette grande tache de vert tendre, percée de points blancs et dorés, réjouit nos yeux. Même de loin on sent la bienfaisante influence de cette végétation inopinée, et la vue seule de la neige nous rafraîchit le visage.

(p. 465) Aux abords de la ville, la route est flanquée de peupliers, au delà desquels s'étendent des champs de céréales et de pavots multicolores. Un cimetière s'allonge à la droite du chemin, avec ses tumulus et ses sarcophages en terre glaise.

LE CHEF DES KIRGHIZES DE PRJEVALSK ET SA PETITE FAMILLE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Il est deux heures de l'après-midi quand nous pénétrons dans la cour de la maison de poste de Prjevalsk. Nous quittons nos tarentass. Ce n'est pas trop tôt! Nous sommes tous meurtris, et comme désarticulés. Zurbriggen ne peut s'empêcher d'exprimer sa satisfaction. Il nous assure que jamais, dans ses voyages aux Indes, en Australie et dans l'Argentine, il n'a rencontré d'aussi malencontreux véhicules.

Le smotrissiel, très obligeamment, nous offre les deux pièces qu'on destine habituellement aux voyageurs. Les meubles n'existent pas, mais nous coucherons par terre. Ce sera toujours mieux que sur le tarentass. En attendant, une foule de gamins et de badauds ont envahi la cour, attirés par l'étrangeté de notre accoutrement. Peu après arrive un gendarme colossal, qui requiert nos papiers. Apprenant qui nous sommes, il s'en va incontinent en référer au gouverneur qui vient, accompagné d'un interprète, nous présenter ses compliments protocolaires.

Nous désirerions que ces messieurs nous donnassent, au moins, quelques utiles indications sur le massif du Khan Tengri et les vallées qui y aboutissent, mais ils ne peuvent rien nous apprendre que nous ne sachions déjà. Cependant, le Gouverneur nous promet un garde pour nous accompagner, et M. Kross, l'interprète-pharmacien de la ville, fera de son mieux pour nous aider dans nos recherches.

Le lendemain, il nous conduit chez un chef kirghize, duquel nous espérions avoir des renseignements et surtout un guide attitré des montagnes. C'était un vieux renard que ce chef, borgne, à la barbe de fleuve, et drapé dans une ample houppelande en soie de couleur. En entrant dans son logis—une masure en décrépitude,—nous aperçûmes une couvée de marmots, qui jouaient dans la cour avec les oies et les poules qui s'échappèrent en tout sens, par des issues invisibles. Le personnage nous reçoit dans une pièce qui, pour être le home d'un chef, n'en demeure pas moins un trou malpropre, où il y a pour tous meubles un tapis et deux ou trois coffres poussés dans les coins. Nous nous asseyons à la turque autour de lui et nous l'écoutons attentivement afin de déchiffrer quelque chose du charabia qu'il débite avec une volubilité débordante. Notre interprète officieux n'a pas l'air de se déranger trop souvent pour nous traduire en allemand le discours du chef. À force d'attention, nous pénétrons le raisonnement de notre hôte, qui n'est autre qu'une violente diatribe contre les nouveaux maîtres du pays, qui l'ont dépossédé de ses privilèges d'antan. Cette (p. 466) franchise est imprudente de sa part. Il ne se gêne pas pour souligner ses phrases, en nous tapant sur l'épaule, ou en nous pressant familièrement les genoux. Il nous prend la main, dont il écarte les doigts s'il veut énumérer quelque chose. Il nous promet tout ce que nous voulons avec des da, da, da pleins d'excuses. Avant de se séparer de nous, il nous offre le tchiaï, que sert une de ses nièces, une superbe jeune fille de seize ans, dans un négligé par trop indiscret. Il faut croire que ce rusé personnage n'était pas très versé dans les us et coutumes des Occidentaux: il cassait le sucre avec une brosse quelconque sur le plancher, et nous jetait négligemment les morceaux en prenant nos tasses pour cibles.

Dans la soirée nous allons visiter le «boulevard». C'est ainsi que les Russes d'Asie appellent les parcs qu'ils entretiennent avec de grands soins dans toute ville qui se respecte. L'église, le parc et le club, ce sont les trois éléments sine qua non de l'existence dans ces pays. Le parc de Prjevalsk est surtout intéressant pour nous avec son jardinet de plantes locales, et les quelques grosses pierres blanches qui surgissent dans le feuillage des buissons. De loin, ces pierres ne nous disent pas grand'chose; mais, en approchant, on distingue des formes régulières, quelque chose comme des têtes humaines, grossièrement sculptées. Ces pierres sont d'anciens monuments funéraires des Nestoriens, qui à une époque indéterminée ont dû habiter le pays. Il serait très intéressant pour l'histoire de ce peuple, de recueillir et d'analyser tous les documents que leur passage a jalonnés en Asie centrale. M. Gourdet, un ingénieur français établi à Viernyi, qui nous fit l'honneur d'un entretien, avait déjà retrouvé maintes épaves des doctrinaires de Nestorius, qui jadis étendaient leurs colonies jusque sur les confins de la Mongolie.

À Prjevalsk nous devions nous procurer des chevaux, acheter les grosses provisions de bouche, et recruter des indigènes pour la conduite des bêtes de somme.

NOTRE DJIGHITE, SORTE DE GARDE ET DE POLICIER (page 467).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les chevaux valent une trentaine de roubles environ; les juments à lait jusqu'à quarante et cinquante. Mais les maquignons auxquels nous nous adressâmes, nous en demandèrent tout de suite le double, nous traitant en étrangers. Nous les déroutâmes bientôt par un petit stratagème. Nous fîmes répandre le bruit que nous allions nous rendre ailleurs, et, pour donner plus de créance à ce bruit, nous apprêtâmes les voitures. Cela fit son effet. Depuis lors, pendant toute la journée, et plusieurs jours de suite, tous les chevaux de la ville et des environs défilèrent devant nos yeux, dans la cour de la maison. Nous n'avions qu'à choisir. Nous en prîmes douze: six pour la selle, et six pour le bât.

On ne peut imaginer les ennuis de toutes sortes que demande l'organisation d'une petite caravane dans un pays où l'on ne peut se faire comprendre que par l'intermédiaire de tierces personnes. Heureusement pour nous, Abbas se multipliait avec une abnégation et une honnêteté extraordinaires, et M. Kross nous pilotait dans les magasins de la ville.

Le bazar de Prjevalsk est très fréquenté par les Kirghizes et par les caravaniers qui font la navette entre Viernyi et Kachgar, en passant par les cols de Djououka et de Bedel. En dehors de ce peu de commerce, la ville est sans importance.

Les environs sont très fertiles, riches en pâturages, en céréales et en arbres à fruits; seulement, on ne cultive que pour la consommation locale. On n'exporte guère que de l'opium, de la laine et quelques fourrures. Avec le chemin de fer Transasiatique, le bassin de l'Issik-Koul acquerra un développement considérable, car le terrain, formé d'alluvions, est des plus productifs. L'eau est plus que suffisante, les vallées foisonnent de gibier, et les montagnes recèlent de vastes gisements miniers. En dehors de ces ressources, le pays est très sain, d'une captivante beauté, tout en ayant un climat tempéré.

LE MONUMENT DE PRJEVALSKY, À PRJEVALSK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Avant de quitter la ville, nous allâmes déposer une gerbe de fleurs sur la tombe du grand explorateur Prjevalsky, qu'un modeste monument rappelle à la postérité à l'endroit même où il succomba. Il se trouve tout près du lac, sur le haut d'une falaise, isolé au bord du steppe. L'emplacement ne pouvait être mieux (p. 467) choisi pour recevoir le corps de celui qui passa la moitié de sa vie à errer dans les solitudes de l'Asie centrale. Une pyramide en rocaille supporte un aigle aux ailes éployées, tenant dans ses serres une croix orthodoxe et une chaîne brisée, pour indiquer que la civilisation russe a supprimé l'aveugle fatalisme qui retenait les populations dans la barbarie. Vers la moitié du socle émerge le médaillon du célèbre savant, avec des inscriptions rappelant ses exploits. À côté du monument, la pierre tombale est entourée d'un parterre de fleurs, qu'un jardinier entretient constamment.

Le 11 juillet, à deux heures de l'après-midi, nous partons de Prjevalsk. Notre caravane se compose de sept hommes et de treize chevaux. Le chef kirghize nous avait bien promis un de ses administrés pour nous guider dans les montagnes de sa juridiction, mais nous l'attendîmes en vain. Nous apprîmes plus tard que ce bonhomme n'avait jamais été chef de tribu, mais qu'il était réputé par les nomades comme un puits de science, une espèce de Salomon, tranchant les questions les plus ardues. Aussi les Kirghizes viennent-ils le consulter souvent; et, pour cet effet, ils n'hésitent pas à faire des centaines de verstes.

 
 

DES TÊTES HUMAINES, GROSSIÈREMENT SCULPTÉES, MONUMENTS FUNÉRAIRES DES NESTORIENS... (page 466).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Notre personnel se compose d'Abbas, d'un djighite, d'un jeune colon russe, Piotra, et d'un nomade, chasseur de profession. Ces quatre individus de races si différentes, ont toutes les peines du monde à s'accorder. Le nommé Abbas est un irani authentique déraciné du Farsistan, dont l'accoutrement est une singulière réminiscence des milieux dans lesquels il a passé. Imaginez un homme plutôt malingre, d'une taille moyenne, à la figure quelconque, à la barbe crépue et à la chevelure d'ébène ruisselant en boucles sur le revers du veston. Car il porte un veston, un pantalon et des bottines jaunes à l'européenne, tandis que, en dessous et en dessus, il s'affuble de nippes persanes, plissées et serrées à la taille par une ceinture avec boucle de fantaisie. À son côté, pend l'inséparable yatagan, et sur son chef s'élève un magistral bonnet en toison d'agneau. De loin, il a plutôt un air rébarbatif et des allures d'égorgeur. Au fond, c'est un brave homme, honnête jusqu'au scrupule, et qui avec ses aptitudes multiples et le zèle considérable qu'il déploie, peut devenir, suivant les occurrences, un drogman, un cuisinier, un caravanier et autre chose encore.

Le djighite est une sorte de garde et de policier aux ordres du Gouvernement russe. Bien qu'il soit aussi kirghize que les nomades auxquels il a affaire, il se prétend supérieur à eux et les traite avec la dernière brutalité. Il va sans dire que quand il accomplit une tournée pour faire rentrer les tributs, une bonne part du produit entre dans sa poche, l'employé des finances n'ayant qu'une vague idée de la statistique de ses contribuables. Le nôtre était porteur d'une lettre autographe en langues russe et kirghize, munie du sceau du gouverneur, dans laquelle il était ordonné de nous recevoir en amis et de nous offrir tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Ce papier était pour nous comme un talisman qui nous rendait presque intangibles. Nous sachant des protégés de la Russie, les nomades se seraient bien gardés de nous molester en quoi que ce soit, car la moindre transgression au devoir d'hospitalité leur aurait peut-être coûté cher. Le djighite, pour faire connaître sa (p. 468) qualité, porte une plaque en tôle sur son tchiapann et est armé d'un sabre et d'un revolver. Notre djighite a l'air très malin, tout en étant un dévoué serviteur, bien qu'il ne soit pas payé par nous. Cependant on lui a promis un cadeau s'il fait bien son service.

Piotra et le «chasseur» sont des personnages de moindre importance. Le premier est fils d'un Kozaque, cantonné à Prjevalsk; il nous sert de sommelier. Le deuxième, un Kirghize de corps et d'âme, est le meilleur caravanier qu'on puisse rencontrer; il conduit bien ses chevaux et évite avec soin les accidents de la route, mais une fois arrivé à l'étape il devient de plomb, et il est impossible de le faire bouger.

En sortant de Prjevalsk nous prenons la route qui, passant par le col de Santach, contourne les deux chaînes de l'Ala-taou transilien et du Koungheï Ala-taou et aboutit à Viernyi. Elle se déroule au milieu d'une campagne fertile, mais peu cultivée, à l'escarpe des derniers contreforts du kirghize Ala-taou.

Après une dizaine de verstes, nous touchons Aksouïskijie, une misérable colonie de Kozaques. Toute la population se range sur le chemin; les hommes aux lourdes bottes et à la chemise écarlate tombant sur le pantalon, nous saluent respectueusement. Les femmes, aux formes rebondies, et couvertes de haillons aux couleurs éclatantes, se tiennent dans l'embrasure des portes, les poings sur les hanches.

Vers sept heures, nous nous arrêtons près d'un ruisseau, pour camper. Un peu plus bas, une vingtaine de masures se cachent derrière une haie de saules: c'est Djarghess, autre colonie de Kozaques.

Notre arrivée et notre installation n'ont pas manqué d'attirer des curieux; ce sont presque tous des Kozaques du village voisin, qui viennent familièrement s'accroupir autour du feu. Une bonne femme pousse même la gracieuseté jusqu'à nous offrir un vase de lait. Nous lui distribuons de gros morceaux de sucre, dont elle est très friande.

En attendant le dîner, nous flânons autour des tentes tout en admirant un inoubliable coucher de soleil. En aval, la petite rivière de Djargalan serpente au milieu d'une plaine bleuâtre, agrémentée de quelques arbres solitaires, dont les sombres silhouettes se détachent sur les lointains lumineux. Suivant les sinuosités du ruisseau, les yourtes ou tentes des nomades s'égrènent près de la berge dans une béate quiétude, avec des panaches de fumée s'envolant au-dessus de leur dôme en feutre. À notre gauche, à plus de deux cents verstes, les monts Alexandre, d'un lilas cendré, lèvent leurs têtes neigeuses. À droite l'Ala-taou s'avance insensiblement de notre côté, accentuant ses détails, et fonçant sa teinte à mesure qu'il s'approche de nous, gouaché ça et là par les derniers épanouissements du soleil. Le lac reste masqué par l'épaisse couche de vapeurs que la subite fraîcheur de la nuit a condensées.

Mais Piotra, le Russe, nous a préparé le dîner sur un tapis de feutre, devant la tente du prince. Nous nous asseyons gaiement par terre, appuyés sur un coude, autour d'une serviette où est placé le modeste et frugal repas. Dans le menu figure encore un poulet rôti. Seulement, il est d'une résistance inébranlable.

Enfin, à dix heures, nous nous glissons dans nos sacs, et nous cherchons à nous endormir. C'est la première nuit de campement. Notre corps a déjà subi maintes épreuves; notre épiderme s'est pour ainsi dire insensibilisé sur le tarentass, ce qui n'empêche pas que nous sentions encore quelques menus cailloux nous agacer insolemment les côtes. Mais la fatigue ne tarde pas à nous plonger dans les bras de Morphée.

(À suivre.) Jules Brocherel.

ENFANTS KOZAQUES SUR DES BŒUFS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 469) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—40e LIV. No 40.—7 Octobre 1905.

UN DE NOS CAMPEMENTS DANS LA MONTAGNE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES[1]
Par M. JULES BROCHEREL.

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan Tengri.

MONTÉE DU COL DE TOMGHENT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le 12 juillet nous sommes debout dès cinq heures. Mais il faut faire et prendre le thé, assembler les chevaux, trier les bagages et les charger; il est bien sept heures quand nous levons le camp pour quitter la pauvre bourgade kozaque d'Aksouïskijie.

Pendant qu'on démarre, nous croisons d'innombrables caravanes de Kirghizes, qui émigrent vers les monts Alexandre, à la recherche de nouveaux pâturages. Ces longues files d'hommes, de femmes et d'enfants, montés sur des chevaux, des chameaux ou des bœufs; ces milliers de brebis s'avançant comme une marée vivante; ces centaines de chevaux aux robes multicolores, de tous les âges et de toutes tailles; ces bandes de chameaux attachés les uns aux autres, disparaissant sous les objets les plus divers, et procédant d'un pas uniforme; enfin ce confus clapotement des sabots sur le gravier de la route, mêlé aux hennissements des poulains appelant leurs mères, aux bêlements des agneaux, aux cris déchirants des dromadaires, aux sifflements et aux appels des bergers,... tout cela forme un spectacle unique: c'est un défilé féerique, propre à frapper et à émouvoir les gens les plus blasés.

Peu après Djarghess, la route effleure un mamelon rocheux, et continue à gravir lentement la pente de gauche de la vallée de Djargalan. En aval, toute une ville de yourtes se réveille près de la rivière; de nombreux troupeaux, partent en tout sens, tandis qu'autour des tentes errent des personnages microscopiques. Nous suivons un sentier qui nous conduit à l'entrée de la vallée de Tomghent, dont les lianes sont presque entièrement recouverts par une épaisse sapinière. Le chemin longe la rive gauche du torrent, au milieu d'un chaotique amoncellement de pierres et d'un enchevêtrement de branches qui sont loin de faciliter la circulation. Pourtant, la route est assez fréquentée par les Kirghizes qui habitent de l'autre côté de la montagne, mais aucun ne s'est avisé de frayer un passage (p. 470) convenable au milieu de ce dangereux fouillis de ronces. Dans certains endroits, on est obligé de se coucher sur le cou du cheval pour éviter une branche qui empiète sur le chemin; ailleurs il faut se livrer à de vrais tours d'acrobate pour contourner un gros bloc roulé sur le sentier. Il en est ainsi depuis des siècles, et cela continuera encore longtemps.

DANS LA VALLÉE DE KIZIL-TAO (page 473).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Nous admirons l'habileté avec laquelle nos montures triomphent des mille et un obstacles de ce terrain tourmenté, le flair et l'adresse avec lesquels elles savent éviter les passages dangereux. Seulement, il faut se tenir sur le qui-vive, car le moindre faux mouvement de la bête nous lancerait vite dans le torrent qui gronde à côté.

Un pont primitif, fait avec des troncs d'arbres jetés transversalement sur deux poutres, nous mène sur l'autre rive. Ici, il faut gravir une série de raidillons jonchés de cailloux qui s'éboulent en avalanches sous les pieds des chevaux. Arrivés à un certain point, un écroulement de monolites semble nous barrer le chemin. Eh bien, non: nos chevaux passent par dessus les rocs avec une agilité de chèvre, ou posent adroitement leurs sabots dans les interstices des blocs, sans que leurs jarrets en reçoivent la moindre égratignure.

ITINÉRAIRE DU VOYAGE AUX MONTS CÉLESTES.

Mais la forêt devient clairsemée, la vallée se découvre et un superbe cirque de pâturages décline moelleusement vers la rivière. Nous longeons le gravier du torrent. Au delà nous rencontrons un aoul kirghize, composé de quelques yourtes égrenées le long d'un ruisseau. À notre approche toute la tribu sort des tentes et nous regarde anxieusement, presque affolée de notre brusque apparition. Le fusil que Zurbriggen porte en bandoulière n'est peut-être pas fait pour leur donner une opinion trop bienveillante sur nos intentions. Cependant un homme, qui a reconnu le djighite, se détache du groupe, et lui demande ce que nous voulons. Nous nous arrêtons en face d'eux, dans une dépression de la colline. Pendant que nous hissons nos tentes, quelques membres de la colonie nous apportent de la crème, du lait et des borsaks, biscuits faits avec de la farine d'orge frite dans de la graisse de (p. 471) mouton. En échange, nous donnons aux femmes des bagues et des peignes en aluminium, ce qui les met au comble du bonheur.

LA CARABINE DE ZURBRIGGEN INTRIGUAIT FORT LES INDIGÈNES (page 472).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Je remarque une jeune fille, rouge comme une pivoine, aux traits réguliers, coiffée d'un bonnet en poil de renard, sous lequel descend une multitude de petites nattes de cheveux couleur jais. Sous son tchiapann entre-bâillé on entrevoit une charpente rudement taillée. En s'en allant toute joyeuse du modeste cadeau reçu, elle ne trouve rien de mieux que d'administrer de formidables coups de poing à son petit frère, l'envoyant à maintes reprises rouler sur le gazon. C'est une façon à elle de le taquiner.

L'endroit où nous sommes s'appelle Bak-hali-koul. Nous n'avons jamais su pourquoi; les nomades n'en savent rien; pourtant, la vallée est toujours la même.

13 juillet.—Plus haut, la vallée se bifurque. Nous nous engageons dans le vallon de gauche, qui se dirige vers le Levant. Deux cavaliers nous ont aperçus d'en haut, et descendent à notre rencontre. Ils s'enquièrent auprès du djighite, lequel pour toute réponse exhibe le papier dont il est muni. Ne sachant le déchiffrer, ils appellent un jeune homme qui se trouve être l'unique lettré de la tribu. En apprenant qui nous sommes, on fait avertir le boloch ou chef, de notre arrivée.

Quand nous atteignons la première cabane, nous nous voyons cernés par une foule de personnages aux longues robes et coiffés invariablement d'un bonnet en peau d'agneau. Au premier rang se tiennent les anciens de la tribu, parmi lesquels le boloch, qui, s'avançant de notre côté, nous souhaite la bienvenue dans un incompréhensible charabia, tout en nous faisant une série de courbettes, les mains soigneusement croisées sur le ventre.

Un tapis est étendu sur l'herbe, où l'on nous invite à nous reposer un instant. Pendant que nous vidons les étriers, des hommes tiennent la bride de nos chevaux. Tout le monde prend place autour de nous, en cercles concentriques; on apporte une outre de koumiss, et des bols de faïence. Ces écuelles sont pour les naturels du pays un luxe exceptionnel, une vaisselle réservée exclusivement pour les grandes occasions. Aussi les renferme-t-on avec soin dans des étuis ad hoc, bien capitonnés, appelés tchiennegat.

Toute la caravane fait honneur au koumiss du boloch, sauf Zurbriggen et moi. Acquiesçant aux incitations réitérées du chef, j'essaie pourtant d'approcher le bol de mes lèvres; mais, à l'instant même, je sens une telle puanteur se dégager du liquide, que je dois détourner la tête pour ne pas avoir la nausée. On dit que le koumiss est une boisson capiteuse, très rafraîchissante et d'un goût agréable; peut-être, mais toujours (p. 472) est-il qu'on le prépare dans des vases en peau qui ont plusieurs centimètres de crasse, et en outre le lait contient un tas de malpropretés qui ne vous engagent pas à le boire.

Ce qui excita le plus la curiosité des nomades, ce furent nos chaussures cloutées et la carabine de Zurbriggen. On se la passait de main en main, pendant que d'autres examinaient nos brodequins, en palpant la semelle et en comptant un à un les clous qui en sortaient.

Comme il est un peu tard, nous croyons prudent de nous remettre immédiatement en route. Des cavaliers kirghizes s'offrent pour nous accompagner jusque sur le col de Tomghent.

Dans la montée nous rencontrons de nombreuses yourtes, autour desquelles des femmes sont occupées à tanner des peaux de mouton, et à tresser des bandes d'étoffe. Les peaux sont tendues au moyen de piquets enfoncés dans le sol, et recouvertes d'un mélange de lait caillé et de terre argileuse, qu'on renouvelle tous les deux jours; après quoi, on les racle avec un couteau.

Des troupeaux de brebis, de chèvres, de chameaux sont dispersés un peu partout sur les deux flancs de la vallée, jusqu'à la limite des neiges.

Le chemin devient très escarpé; il faut le chercher au milieu d'une vaste zone d'éboulis qui s'épaississent à mesure que nous montons. À midi nous nous trouvons tous réunis au bas du col. Un glacier, déblayé de neige, rayé en diagonale par une bande obscure, descend jusqu'à nous. En temps ordinaire, c'est-à-dire quand il y a beaucoup de neige, on monte en suivant cette ligne, qui n'est autre que de la fiente de moutons, déposée au fur et à mesure par les caravanes. Mais ce chemin nous est absolument interdit dans l'état où se trouve la glace. Les sabots des chevaux n'auraient aucune prise et les bêtes glisseraient inévitablement avec charges et cavaliers. Nous croyons préférable d'attaquer le glacier de front au lieu de le prendre de biais. La distance qui nous séparera du sommet sera moindre; puis les chevaux, en gravissant ainsi la pente, se trouveront avoir plus d'adhérence sur la surface gelée.

Pendant qu'on décharge les chevaux, Zurbriggen taille des marches avec son piolet, afin de faciliter l'ascension. Je lui emboîte le pas, tenant mon cheval par la bride. Après une cinquantaine de mètres, je m'aperçois que celui-ci, au lieu de mettre ses pieds dans les creux, préfère marcher à côté, où ses sabots peuvent entamer une légère croûte de neige durcie. Enchanté des aptitudes alpinistes de mon coursier, je le laisse faire, et continuant ainsi je parviens sans encombre au sommet du col.

AU SUD DU COL, S'ÉLEVAIT UNE BLANCHE PYRAMIDE DE GLACE (page 478).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Profitant de cette leçon, nous conduisîmes en très peu de temps toutes les bêtes sur le haut du glacier. Puis on transporta les bagages. Les Kirghizes, malgré leurs chaussures rudimentaires, se mirent à la besogne avec beaucoup de courage et de dévouement.

Quand tout fut terminé, et pendant que nous étions en train de nous restaurer un peu, survint une bourrasque de grêle qui eut vite fait de transpercer nos vêtements. Il fallait transiger avec l'estomac et déménager séance tenante de cette altitude de 3 545 mètres, d'autant plus qu'il soufflait un vent glacial, qui risquait d'être dangereux.

Nous dévalâmes lentement sur l'autre versant, et, après quelques rapides dégringolades, nous atteignîmes le thalweg de la vallée de Kizil-tao. Nous campâmes sur la berge, à l'herbe drue et haute, où les chevaux s'en donnèrent à belles dents.

Mais si le site était charmant, il manquait complètement de combustible. On avait beau interroger du regard tous les replis de la vallée: pas l'ombre d'un arbuste. En outre, elle paraissait inhabitée, manquait par conséquent de bois, de lait et de viande. Nous n'avions certainement pas compté là-dessus, et le djighite, qui devait être pourtant au courant des lieux, ne nous en avait soufflé mot. Il est vrai que nous ne risquions pas encore de mourir de faim, avec notre réserve de provisions; mais (p. 473) nous tenions à les ménager pour la haute montagne. Et comme nous nous trouvions encore assez près d'une tribu de Kirghizes, et pas très éloignés d'une forêt, nous décidâmes d'envoyer dès le lendemain maître Abbas et le djighite chez le boloch, pour acheter un troupeau de moutons et des charges de bois.

LA VALLÉE DE KIZIL-TAO.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

En attendant nous nous mîmes à la recherche d'herbes et de racines sèches, avec lesquelles nous parvînmes, non sans beaucoup de peine, à faire un peu de feu. Il nous fallut presque deux heures, avant de pouvoir déguster une tasse de thé, et le dîner, très long à préparer, n'avait pas précisément le meilleur parfum; mais ces bagatelles n'étaient rien en comparaison du bien-être que quelques aliments chauds causèrent à nos estomacs exténués.

14 juillet.—Pendant qu'Abbas et le djighite rebroussent chemin, en quête de moutons et de bois, nous faisons une reconnaissance dans la partie supérieure de la vallée. Un bel amphithéâtre de pics, coupés de glaciers, domine le fond du bassin, traversé par une quantité de ruisseaux arrosant les molles ondulations du gazon. Deux cols s'ouvrent au nord et au sud: le premier dit de Karaguer communique avec l'embranchement ouest de la vallée de Tomghent; l'autre, plus élevé et aussi moins fréquenté à cause des difficultés qu'il présente, est celui d'Otrouk, donnant sur l'autre vallon.

Le soir, arrivèrent nos deux hommes avec tout un troupeau de moutons et de chèvres et deux bœufs encombrés de troncs d'arbres. Le boloch les accompagnait, avec quelques membres de sa tribu. Nous retînmes deux jeunes gens pour la conduite des bêtes. Notre caravane comptait désormais, en personnes et animaux, soixante-trois têtes.

La vallée de Kizil-tao est ainsi appelée à cause de la profusion de dépôts d'oligistes plus ou moins rougeâtres qu'on y rencontre. Kizil, en kirghize, signifie rouge, et tao, pierre, c'est donc la «vallée aux pierres rouges». Les vallées, les monts et les cols du Thian-chan empruntent leur nom à la couleur ou à la forme de certains objets, dont la bizarrerie a frappé l'imagination des nomades. Deux vallons débouchent dans la vallée de Kizil-tao, pour la plupart du temps inhabitée: à droite celui d'Otrouk, et à gauche celui du Berkout, ce dernier communiquant avec le plateau de Saridjass.

Dans le contrefort qui la sépare de la vallée de Keou-eou-leou s'ouvre le col de Torpeu, haut de 3 066 mètres, duquel on embrasse une vaste étendue de montagnes. Ce passage, non mentionné sur les cartes russes, est très fréquenté par les nomades qui transitent par la vallée de Kizil-tao.

Celle-ci, jusque-là épanouie largement, se rétrécit tout à coup, et ce n'est plus qu'une étroite gorge où le torrent se fraye à grand'peine une issue. Le sentier court au ras de l'eau, dont tantôt il longe le courant et tantôt il coupe les détours. Nous devons alors traverser en choisissant les endroits où le lit s'étale, afin que le courant ne nous emporte pas. Mais il ne nous est pas toujours donné de trouver un point guéable, et force nous est alors de franchir le fleuve où nous pouvons. On est obligé de jeter un à un les moutons dans l'eau, et de les laisser se débrouiller tout seuls.

(p. 474) C'était vraiment pitié de voir ces pauvres bêtes, jetées brutalement à l'eau, dont elles avaient une instinctive répulsion, ballottées par le courant, lancées contre les rochers, englouties momentanément dans un creux, puis finalement, après une lutte héroïque contre l'inexorable élément, atterrir tremblantes sur le gravier de la rive. Aussi, quand elles le pouvaient, préféraient-elles s'évader sur les escarpements de la montagne, ce qui obligeait le berger à une gymnastique dont il se serait dispensé volontiers.

Peu à peu nous atteignons la vallée du Saridjass qui n'est autre qu'une tranchée effroyable, tranchée de roches bouleversées, au milieu desquelles serpente un fleuve énorme aux eaux fangeuses. Mais ce qui nous inquiète, c'est de savoir par où cette masse d'eau va s'échapper, la montagne s'élevant d'un seul bloc et bornant partout le regard. Existerait-il une mystérieuse issue par quelques antres souterrains? Pour le moment, il ne nous est pas possible d'élucider ce problème. Les topographes russes n'étaient pas plus avancés, puisque sur la carte que nous avions ils ne savaient par où faire sortir cette rivière, la laissant se perdre au sein du Keou-eou-leou.

Le chemin escalade les parois de la tranchée, souvent déchirées par des éboulements, puis redescend à même le niveau du fleuve, pour franchir aussitôt un autre précipice. Dans les anfractuosités sont tapis quelques rares arbrisseaux, et sur les arêtes des sapins rabougris profilent leurs branches ajourées.

Un peu plus loin, un gros bloc semble placé à dessein au milieu du fleuve. À son sommet s'élève un petit «cairn», amas de pierres maintenant une petite perche au bout de laquelle est fixé un crâne de cheval. Ce singulier monument rappelle, paraît-il, le souvenir d'un fait dramatique survenu en cet endroit. Ce crâne est celui du coursier d'un chef kirghize, d'un torgoi, qui périt en voulant traverser la rivière, au temps de la conquête russe.

17 juillet.—De loin, la vallée du Saridjass apparaît comme une immense plaine limitée par une bordure de pics neigeux. Mais, en l'abordant, on est surpris de l'étrangeté de sa configuration qui est loin d'être celle qu'on s'était imaginée. Si ce n'est l'étendue démesurée, il n'y a là aucun simulacre de plaine. C'est une succession de mamelons, de promontoires et de collines, une série de couloirs, de vallons et de conques, le tout recouvert par un manteau de gazon éventré, ça et là, par des éraflures de terre jaunâtre, troué par des écueils de rochers aux reflets métalliques, et brisé par de profondes coupures, au fond desquelles bouillonnent les eaux bourbeuses des torrents.

LE COL DE KARAGUER, VALLÉE DE TOMGHENT (page 473).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Il est impossible, par un examen superficiel du terrain, de trouver l'explication ou la cause de cette perturbation. Des surprises de toutes sortes attendent le voyageur à chaque tournant du sentier, et dérouteraient la perspicacité du géologue le plus éclairé. Certes, l'époque glaciaire a dû être l'un des principaux agents de transformation, pour laisser des traces si manifestes d'un gigantesque travail.

À partir de notre camp, la vallée s'ouvre peu à peu avec des couloirs qui débouchent de chaque côté. Les phénomènes glaciaires commencent à devenir très visibles. Les éminences et les arêtes s'arrondissent et s'adoucissent de plus en plus, par suite du frottement de l'ancien glacier, tandis que la paroi de gauche de la vallée conserve encore pour longtemps son aspect tourmenté.

Notre caravane avance toujours du même pas, silencieusement, comme un convoi funèbre. C'est que la chaleur est devenue insupportable; le paysage est toujours de la même teinte et de la même monotonie. On traverse un ruisseau, on remonte sur la berge, on longe une terrasse, on pénètre dans un couloir pour redescendre dans un torrent, et ainsi de suite sans discontinuer.

SUR LE COL DE TOMGHENT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

De temps à autre, le cri aigu d'une marmotte nous donne un moment d'émotion. On galope de ce côté, Zurbriggen met pied à terre, épaule son fusil et attend patiemment que le rongeur sorte de son terrier. Puis (p. 476) un coup part, et la pauvre victime de la civilisation vient augmenter le trophée accroché à la selle du guide.

J'ÉTAIS ENCHANTÉ DES APTITUDES ALPINISTES DE NOS COURSIERS (page 472).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Ne sachant que faire, j'observe notre troupeau de moutons qu'un garçonnet kirghize chasse devant lui. Comme on devient parfois terre-à-terre, en un tel voyage! Une des plus grandes consolations, c'est trop souvent de penser qu'on aura quelque chose à se mettre sous la dent. Ce n'est pas la perspective d'un mets délicat qui nous tente. L'art culinaire n'a rien à voir ici. À force de caracoler, de suer et de respirer à pleins poumons l'air vivifiant de la montagne, on aiguise un appétit formidable, et, à l'heure du repas, on est bien aise de faire bonne chère et d'absorber les plats que maître Abbas nous prépare. Pourvu qu'on mange, et le plus possible, cela suffît. On devient d'une voracité pantagruélique.

Les pauvres petits agneaux, avec l'étrange sac de graisse qui se dandine sur leur postérieur, tondus à grands coups de ciseaux, n'avaient guère le temps de mordre les brins d'herbe, l'inexorable berger ne leur laissait pas un moment de répit. Il fallait que leurs jambes fissent un triple travail, pour suivre l'allure des chevaux. Quand, par malheur, ils rencontraient un ruisseau, c'était un bêlement à vous fendre le cœur, car ils n'avaient que fort peu de goût pour l'eau, bien qu'ils nageassent à merveille. Mais souvent l'eau était profonde et le courant très prononcé, et alors c'était un naufrage général, une émouvante noyade, où les pauvres petits animaux étaient entraînés bien loin à la dérive. Aussi, le soir, quand elles arrivaient à l'étape et qu'on ne s'occupait plus d'elles, ces pauvres bêtes, au lieu d'aller chercher le peu de nourriture dont elles avaient besoin, s'accroupissaient, exténuées, sur le sol.

Les deux bœufs, par exemple, étaient d'un grotesque achevé avec leur anneau en bois passé au museau, leur carcasse anguleuse, et surtout leur charge de troncs d'arbres attachés à l'une de leurs extrémités sur une sorte de bât rudimentaire, et traînant de l'autre par terre, en décrivant sur le sable de menus zigzags à chaque pas qu'ils faisaient. Quand ils devaient traverser un terrain en pente, c'était un mauvais quart d'heure pour eux. Pensez donc! le tronc qui se trouvait en amont les poussait en aval, tandis que l'autre, suspendu dans le vide, les y entraînait. Au passage d'une rivière, ils ne trouvaient quelquefois rien de mieux que de s'arrêter tout à coup au beau milieu de l'eau, narguant l'impatience des conducteurs qui ne savaient comment s'y prendre pour les faire sortir de leur stupide immobilité.

Le soir, faute de trouver un endroit propice, nous campâmes tout près d'un marécage. L'eau de celui-ci, qu'on nous servit pendant le dîner, nous octroya certaines coliques, qui nous tinrent éveillés pendant toute la nuit.

LE PLATEAU DE SARIDJASS, PEU TOURMENTÉ, EST POURVU D'UNE HERBE SUFFISANTE POUR LES CHEVAUX (page 477).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Peu après notre départ du camp, nous laissons à gauche le vallon du Berkout, dont le col donne dans la vallée de Kizil-tao. Le contrefort qui la sépare du Saridjass semble une gigantesque moraine, entièrement recouverte de pâturages crevés par quelques îlots de roches, qui rompent un peu la maussade uniformité de cet interminable dos d'âne.

À un certain moment, nous remarquons un groupe d'ovispoli de l'autre côté du fleuve, paissant tranquillement dans une combe. Ces animaux sont de la taille d'un veau, mais d'une carrure plus accentuée, avec un manteau aux poils touffus et blonds, et portent sur le crâne une paire d'énormes cornes en spirales. Les Kirghizes les appellent: koudja. Ce mouton sauvage se tient de préférence sur les hauts plateaux du Pamir et du Tian-Chan. Il est inutile de le chercher sur les pentes abruptes des montagnes, où il ne peut circuler, vu que ses cornes, qui sortent latéralement de la tête, se heurteraient contre les rochers. En automne, les mâles se livrent des batailles acharnées. Le plus souvent, à force de se choquer le crâne, un des combattants tombe assommé sur le terrain, et son cadavre ne reste pas longtemps avant d'être écartelé (p. 477) et dépecé par les oiseaux de proie et les fauves des environs. Les cornes seules demeurent sur place, recueillies quelquefois par les nomades qui les étalent sur des rochers dont les formes étranges attirent leur attention.

 
 

NOUS PASSONS À GUÉ LE KIZIL-SOU.—D'APRÈS DES PHOTOGRAPHIES.

Le plateau du Saridjass est surtout peuplé de milliers de chevaux, partagés en plusieurs troupeaux, et disséminés un peu partout dans la haute vallée. C'est un endroit très favorable à l'élevage hippique. Le terrain est peu tourmenté, et si l'herbe n'est pas très fournie, elle est suffisante cependant pour nourrir quelques centaines de milliers de bêtes.

Pour surveiller autant de chevaux, il y a relativement peu de gardiens. À vrai dire, leur tâche se résume à bien peu de chose: elle consiste à ne pas perdre de vue les bêtes pendant le jour et à les rassembler le soir autour de leurs tentes. Mais, s'ils n'ont rien à faire, ces pauvres diables de bergers ne jouissent pas d'une vie très enviable. Ils logent, soit sous un rocher, soit sous un feutre jeté en forme de tente, rarement dans une yourte. Leur nourriture n'est autre que le koumiss. Ils n'ont pas autre chose. Tous ces chevaux appartiennent à des Kozaques de la Sémiretchié et de la Dzoungarie. Deux fois par an, ils viennent faire un choix et conduisent des troupes de chevaux aux foires de Kouldja, d'Ak-sou ou de Kachgar, où ils les vendent de 30 à 60 francs la tête.

Le sol sur lequel nous marchons est sillonné d'une multitude d'ornières tracées parallèlement, comme si le terrain avait été labouré par une charrue. Ce sont les chevaux qui ont cannelé ainsi le gazon, parce que, comme les chameaux, ils aiment à marcher côte à côte; de cette manière, ils creusent autant de sentiers réguliers qu'il y a d'espace disponible.

Le torrent a tout à coup disparu de notre vue et il semble que la toison végétale ne doive pas discontinuer d'un côté à l'autre de la vallée. Le fleuve est dissimulé dans un fossé profond, coupé à pic. Un peu plus haut, il réapparaît, et partage ses eaux en de nombreux canaux.

Mais le plateau, ou ce qui de loin nous parut comme tel, a pris fin, et nous nous trouvons bientôt dans la région de la haute montagne. L'air même est devenu très vif et nous annonce le voisinage des glaciers. En effet, sur notre droite, le flanc gauche de la vallée se dresse brusquement et se brise en plusieurs conques, où (p. 478) des glaciers montrent leur tête crevassée au-dessus de leurs moraines frontales. Vers le soir, nous sommes au débouché de la vallée de Kachkateur, qui s'ouvre à droite du Saridjass, et mène par deux cols dans les vallées de Kokdjart et de Kapkak, dans le bassin de l'Ili.

19 juillet.—Le Khan Tengri, le «prince des cieux», comme le désignent les Mongols dans leur langue imagée, est le pic géant de toute la chaîne des monts Célestes. Cette dénomination pompeuse n'a rien de déplacé, si l'on considère sa position exceptionnelle et surtout son élévation considérable, qui, selon quelques voyageurs, dépasse 7 200 mètres d'altitude.

Presque tous les peuples barbares vivant en contact continuel avec la nature sauvage sont enclins à glorifier des choses inanimées, à donner un sens, une signification à des objets dont la singularité dépasse les bornes de leur compréhension. Pour ne parler ici que de l'Asie centrale, on peut dire que le nom des villes, des fleuves, des lacs et des montagnes se rapporte le plus souvent à une impression que l'habitant de ces contrées a reçue au moment où il en a aperçu le site. Nous avons déjà eu l'occasion de relever ce fait dont l'exactitude ne saurait être mise en doute. Il serait désirable que les explorateurs eussent le tact de respecter ces règles de nomenclature géographique d'un cachet beaucoup plus original, en évitant de la remplacer par les noms de savants, qui n'ont quelquefois aucun rapport avec les localités ou les objets qu'il s'agit de désigner.

La situation du Khan Tengri n'a jamais été exactement établie. Les géographes l'ont casé un peu partout, sauf à sa vraie place. Les rares voyageurs qui l'approchèrent ne sont même pas tous d'accord; cela provient sans doute de ce qu'on n'a fait que l'entrevoir d'une certaine distance, et presque toujours du fond d'une des vallées qui rayonnent autour de sa base.

Tandis qu'il est visible des plaines du Tekès, à plus de 200 verstes au nord, et même de la route de Kachgar à Koutcha, il demeure partout ailleurs masqué par les contreforts qui constituent sa vaste assise. Sur quelques-unes des cartes que nous avions sous les yeux, le Khan Tengri semblait s'élever isolément au nord de la petite ville de Baï, sur le chemin d'Ak-sou.

Suivant l'enquête que nous avions faite à Prjevalsk et selon les indications de la carte russe dont nous étions nantis, le 18 juillet nous devions être tout près du pic, nous trouvant à une vingtaine de verstes du point terminus de la vallée du Saridjass, où il était placé. Nous brûlions de le voir et de l'étudier, même d'une certaine distance, impatients de présenter nos hommages à cette mystérieuse souveraineté, qui, depuis des mois, hantait notre esprit.

Nous décidâmes donc d'escalader un pic quelconque de la vallée de Kachkateur, mais dont l'élévation fût assez considérable pour jouir d'une vaste étendue de montagnes. À dix heures, nous arrivons sur le col de Kachkateur, passage très fréquenté par les nomades qui s'adonnent à l'élevage des chevaux sur le plateau du Saridjass. De ce col, en suivant la vallée de Kokdjart, on arrive aux villages de Tald-boulak, de Dgilkarkara et de Kheghen.

Au sud du col, s'élevait une blanche pyramide de glace, dont les angles se hérissaient de rochers. C'est par là que nous dirigeâmes nos pas, et au bout de deux heures nous atteignîmes sans difficulté aucune le sommet, formé par une calotte de neige surplombant en une gigantesque corniche la vallée de Kapkak.

PANORAMA DU MASSIF DU KHAN TENGRI.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

En ôtant nos lunettes à neige pour mieux voir, nous éprouvâmes un douloureux éblouissement qui nous (p. 479) contraignit à fermer instinctivement les yeux. Jamais, jusqu'alors, nous ne nous étions trouvés au milieu d'un pareil scintillement de neige, d'une fulguration de glaces aussi intense. Partout où le regard pouvait plonger ou s'arrêter, il ne distinguait qu'une succession chaotique de pics, d'arêtes, de dômes, d'aiguilles, un moutonnement infini de montagnes recouvertes de neiges, enchevêtrées les unes dans les autres et se dirigeant en tous sens.

 
 

ENTRÉE DE LA VALLÉE DE KACHKATEUR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

NOUS BAPTISÂMES KACHKATEUR-TAO, LA POINTE DE 4 250 MÈTRES QUE NOUS AVIONS ESCALADÉE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

On a souvent comparé l'aspect d'une vaste étendue de montagnes aux vagues de la mer, qui se seraient subitement solidifiées par un coup de baguette magique. Sur les Alpes cette comparaison est exacte, car le déploiement des contreforts imite parfaitement, à peu de chose près, la formation des ondes de la mer. Mais ici le bouleversement était tel, l'asymétrie si frappante, que cette similitude nous semblait trop modeste. C'était plutôt un océan agité par un cataclysme, aux prises avec une tempête effrénée. Les roches mêmes qui crénelaient les crêtes de leurs étranges silhouettes, présentaient des reflets de poteries, des éclats de verre de Venise, avec des effets d'ombres qui faisaient qu'à grand'peine on les discernait de la neige qui les saupoudrait.

Le Khan Tengri dominait de sa haute pyramide de granit cette armée de colosses qui semblaient former comme une garde d'honneur et interdire l'approche aux profanes. Il se trouvait à une quarantaine de verstes au sud de nous, formant le centre, d'où rayonnaient et divergeaient de tous côtés les contreforts et les vallées.

D'après notre carte, le Khan Tengri aurait dû être à l'est du col de Kachkateur, à moins d'une vingtaine de verstes de l'endroit où nous étions. Nous n'eûmes pas de difficulté à constater que cette carte était tout à fait erronée sur ce point, et que si nous voulions aboutir à quelque résultat, nous devions nous en méfier. Nous faisions fausse route, car par la vallée du Saridjass, jamais nous n'aurions abordé le colosse. Il fallait tourner bride et nous en approcher par un autre côté. Après quelques observations sur le massif, nous baptisâmes Kachkateur-tao, la pointe que nous venions d'escalader. Elle mesurait 4 250 mètres d'altitude.

Une heure après nous étions sur le col, où le pauvre Kirghize qui gardait nos chevaux, à la merci d'un vent glacial, battait la semelle depuis longtemps, prenant force chiques de nass, pour combattre la faim, ne se doutant pas qu'il avait les vivres sur le dos!

En descendant rejoindre le camp, nous trouvâmes une paire d'énormes cornes de cerf, à 3 000 mètres, gisant là, qui sait depuis combien de temps, rougies par les intempéries, et calcinées par le soleil.

20 juillet.—Au delà du Saridjass-tao s'étend la vallée d'Inghiltchik, qui, selon toute probabilité, doit prendre naissance au pied du Khan Tengri. Mais le contrefort qui les divise est très élevé et encombré dans sa majeure partie par des neiges éternelles. Pour des alpinistes, ces entraves étaient moins que rien, car, avec un guide comme Zurbriggen, les difficultés s'aplanissent et deviennent des jeux d'enfants. Mais nous n'étions pas seuls et il fallait aussi transporter tous les bagages de la caravane, car arrivés de l'autre (p. 480) côté, nous n'aurions rien trouvé ni pour nous abriter ni pour nous sustenter. Nos chevaux ne craignaient guère le vertige, et leurs aptitudes de grimpeurs nous faisaient espérer que même dans un passage un peu laborieux ils se comporteraient bien. Seulement, il fallait trouver ce passage, ce qui n'était pas très facile avec l'ignorance des lieux et l'impatience qui nous agitait, et qui écartait toute velléité d'un long tâtonnement. Cependant le djighite nous fit comprendre que, peut-être, en interrogeant les gardiens des chevaux, il trouverait notre affaire. De l'endroit où nous étions il ne fallait pas compter pouvoir franchir la montagne. On devait dévaler jusqu'à la rencontre d'un vallon dont le col n'était pas trop dur pour nos montures.

En attendant, nous nous réveillons avec 20 centimètres de neige sur nos tentes. Et ce n'est que très tard que nous pouvons partir.

Le passage à gué du Saridjass-sou n'était pas sans offrir quelques dangers; néanmoins nous arrivâmes sains et saufs sur l'autre rive, après avoir éprouvé dans maintes baignades des émotions assez vives.

Sur l'autre versant, nous ne fûmes pas peu déconcertés de trouver, au lieu de la plaine que nous attendions, un terrain ondoyant de collines, creusé de réservoirs d'eau bourbeuse et sillonné de ruisseaux qui disparaissaient dans les déchirures du sol. Le terrain était morainique par excellence, par conséquent très poreux, et surtout d'une uniformité sans pareille. Il n'était pas prudent de s'éloigner trop de la caravane, car on aurait eu vite fait de s'égarer. Aussi, nous ne nous perdions jamais de vue et marchions en file indienne très serrée.

Le soir, on campa en face de la vallée d'Adeurteur, dont le glacier s'appelle de Mouchktoff, en l'honneur d'un officier russe du même nom, qui, le premier, entrevit le plateau du Saridjass.

Le lendemain matin, même surprise que la veille. Pendant la nuit, la neige était tombée drue sur nos tentes. À la première heure, des hennissements déchirants et un piétinement accéléré de sabots nous firent sursauter dans nos sacs. C'était une avalanche effrénée de chevaux, descendant des coteaux supérieurs chassés par une tourmente de neige.

À midi, nous nous acheminons, toujours sur le même versant, qui augmente peu à peu sa déclivité et s'approche de plus en plus de la ligne des vraies montagnes. Nous longeons plusieurs mares d'eau peuplées par des colonies de canards sauvages. Piotra, notre jeune colon russe, se met en devoir d'attraper quelques-uns de ces volatiles; dépouillé de vêtements, il se dissimule entièrement dans l'eau, et saisit par les pattes les pauvres bêtes qui, ne se doutant pas de sa présence, passaient à la portée de sa main. Entre temps, le djighite s'est informé auprès des bergers, et découvre finalement un passage pour franchir la montagne. C'est le col de Tuz. En hâtant un peu le pas, nous arrivons le soir, à l'embouchure de la vallée du même nom.

(À suivre.) Jules Brocherel.

LA VALLÉE DE TOMGHENT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 481) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—41e LIV. No 41.—14 Octobre 1905.

DES KIRGHIZES D'OUSTCHIAR ÉTAIENT VENUS À NOTRE RENCONTRE (page 489).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES[2]
Par M. JULES BROCHEREL.

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers.

KIRGHIZE JOUEUR DE FLÛTE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le passage du col de Tuz est une étape importante dans l'excursion aux Monts Célestes; le vallon qui le précède ne s'aperçoit pas depuis le thalweg du Saridjass-sou; il reste masqué par une moraine s'avançant comme une sorte de digue entre les deux fleuves, qui, avant de se réunir, roulent longtemps presque parallèlement l'un à l'autre.

Le 22, en quittant notre camp, nous sommes assaillis par des nuées de moustiques qui s'abattent sur nous avec une voracité cruelle. Nous avons beau couper l'air de nos cravaches pour éloigner ces agaçants insectes, notre épiderme devient leur proie et nous en souffrons beaucoup.

Vers dix heures, nous rencontrons un groupe de trois arkars, espèce d'antilope du genre du chamois, qui paissaient tranquillement sur une pente gazonnée. Ils ne semblent guère surpris de notre présence, et au lieu de détaler à notre approche ils continuent à tondre les bouquets d'herbes, en s'arrêtant de temps à autre pour nous regarder. De la taille d'un petit chamois, ils sont très frêles, avec un pelage ras, d'un blond d'ocre, qui se confond facilement avec la teinte du terrain. Ils portent une paire de petites cornes droites, légèrement divergentes. C'est l'antilope argalis, commune dans la chaîne du Tien Chan.

Le vallon de Tuz se divise en trois combes. Nous prenons par celle de droite; les autres sont impraticables. Des traces de sentier nous conduisent rapidement aux premiers éboulis, au bas d'un énorme bastion de roches caverneuses. Il y a bien un semblant de chemin qui côtoie en rampant les escarpements bouleversés de la montagne, qu'on distingue de loin aux pierres remuées par les fréquentes traversées des caravanes, et qui se détache comme une longue bande claire sur la teinte ferrugineuse du sol. En réalité, c'est une parodie de sentier, car nous avançons avec beaucoup de peine, les cailloux qui jonchent le sol roulant avec une facilité extraordinaire.

(p. 482) Zurbriggen, qui nous a devancés, s'est placé en statue équestre sur le haut du bastion. Quand nous parvenons à lui, il secoue tristement sa barbe rousse, malmenant la pipe éteinte au coin de sa bouche. C'est un mauvais présage.

LE MASSIF DU KIZIL-TAO (page 486).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

«Par où passerons-nous?» nous dit-il en promenant son regard sur l'amphithéâtre de rochers et de glaces qui nous fait face à quelques centaines de mètres.

Nous appelons le djighite. Celui-ci nous indique une raie foncée qui traverse le glacier du milieu.

«Vot doroga!—Voilà le chemin—nous répond-il en russe. Djol djâman!—C'est très mauvais», ajoute-t-il dans son dialecte.

Près de nous, un petit lac recueille les eaux de trois glaciers, qui, bien que de petites dimensions, sont presque tous découverts, et d'une inclinaison assez alarmante. Mais «le chasseur», prenant par la bride deux chevaux, a déjà escaladé la moraine frontale. Nous le suivons sans savoir au juste ce que nous allons faire. Avec un courage un peu téméraire, nous hissons toutes les bêtes sur le sommet du pierrier, où elles ont bien de la peine à se tenir debout, tant la place est exiguë et le sol glissant, à cause du suintement du glacier.

RÉGION DES MONTS CÉLESTES.

Zurbriggen, tenant sa bête par les rênes, s'aventure audacieusement sur la pente glacée. D'abord il monte droit devant lui, puis un brusque renflement le contraint d'obliquer à droite, en prenant le glacier en écharpe.

Nous tentons d'en faire autant, en suivant les fissures où un petit relief permet de poser les pieds, et cherchons les endroits rugueux et granulés. Dépourvus de piolet, nous sommes forcés de nous servir des mains, afin de ne pas tomber. Mais quand il nous faut tourner à droite, pour traverser diagonalement le glacier, nous jugeons que le jeu est décidément trop dangereux. Les chevaux auraient toutes les chances de verser les charges, en même temps qu'ils dégringoleraient inévitablement jusqu'aux abrupts rochers d'en bas.

Le guide, parvenu miraculeusement en lieu sûr, nous crie de toutes ses forces de ne pas avancer, car il avait failli tomber, et son cheval en tremblait encore d'épouvante.

Tout à coup un cheval chargé roula comme une pierre contre la moraine, où stationnait le restant de la (p. 483) caravane. Abbas jeta un cri de douleur, se ramassant sur lui-même, sous les pieds du cheval. On le dégagea. Il avait une jambe blessée.

LES KIRGHIZES MÈNENT AU VILLAGE UNE VIE PEU OCCUPÉE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Continuer dans de pareilles conditions, c'était de la folie. Nous décidâmes donc de camper tout près du lac, afin de pouvoir chercher pendant le reste de la journée une route meilleure.

Abandonnant nos chevaux à leur sort, nous rejoignîmes le guide, et en quelques minutes nous parvînmes au sommet du col. Nous étions à 3 450 mètres d'altitude. À nos pieds s'étendait la vallée d'Inghiltchik sur une longueur de cent verstes, flanquée au sud par une paroi vertigineuse qui s'élevait à plus de 6 000 mètres.

Mais le temps pressait, et pour l'instant il convenait de découvrir un passage sûr, plutôt que de nous délecter du spectacle de la nature. À droite du col, au delà d'une arête de rocher, descendait un glacier avec une pente très douce et des moraines latérales peu escarpées. C'était par là que nous devions passer.

En arrivant au campement, nous trouvâmes deux malades, Abbas et Piotra. Celui-ci se roulait par terre en se tenant le ventre dans des contorsions atroces. L'autre se plaignait de souffrir de la jambe. On les frictionna avec un antiseptique, et on administra un purgatif au jeune Russe. La confiance aveugle que ces hommes simples avaient en notre toute-puissance, aidèrent à l'efficacité des remèdes. Nous eûmes plus tard occasion de nous servir de notre pharmacie auprès des Kirghizes. Bien qu'ils soient des hommes très endurcis, ce sont toujours des malades plus imaginaires que réels. Il suffit alors d'un rien pour les guérir incontinent. Ils professent à l'égard de la médecine des civilisés une confiance illimitée.

Le lendemain, au bout de trois heures, nous parvenons jusqu'au col de Tuz numéro deux. En réalité ce sont deux cols que fréquentent les nomades, selon que l'un des deux est plus ou moins praticable. Nous ne faisons donc que suivre l'exemple des Kirghizes.

Tandis que la caravane marchait vers la vallée d'Inghiltchik, je grimpai sur une petite éminence pour procéder à mes travaux. La vallée se développait en forme de croissant, à la périphérie duquel je me trouvais. De la sorte, mon regard pouvait plonger en amont et en aval dans presque toute la longueur de ce gigantesque sillon.

(p. 484) Au premier coup d'œil, on peut facilement distinguer dans ce massif, trois sections. La partie supérieure, longue de 50 verstes environ, est occupée entièrement par un glacier colossal, ayant la forme d'un tronc d'arbre dont les embranchements se perdent dans des gorges. La partie moyenne de la vallée, presque plate, est constituée par le thalweg même du fleuve, qui s'étend sur une largeur de 2 à 3 verstes. Après une vingtaine de verstes d'un amoncellement de pierres, et d'un fouillis de canaux, une écluse naturelle de rochers réunit tous les ruisseaux en un unique faisceau. C'est là que la vallée inférieure commence, revêtue de maigres pâturages.

Le versant qui tombe du faîte du Saridjass-tao, est recouvert jusqu'à mi-hauteur d'une forte couche de dépôts morainiques, marquant par une ligne nettement tracée le niveau de l'ancien glacier. Le terrain est brûlé par le soleil, et sa couleur jaunâtre ne fait que rehausser l'éblouissement des neiges supérieures.

Mais la paroi de roches qui fait vis-à-vis est tout ce qu'on peut imaginer de plus terrible, de plus convulsé, de plus disloqué dans la nature. Des aiguilles s'élancent avec une sveltesse étonnante, s'alignent en de multiples rangées au-dessus du contrefort qui est labouré par des fentes, et tourmenté en tout sens par une force diabolique.

Ce bloc incommensurable de granit et de gneiss est tailladé de gradins, fendu de fissures qui stupéfient parfois par leur tranchante netteté. Un talus de débris s'adosse à la base des rochers, dissimulant les anfractuosités. Des filets d'eau gazouillent en des fêlures ténébreuses, dont les parois tiennent en suspension d'énormes rochers, pris entre les bords de la crevasse.

Pour descendre le col de Tuz, il s'agit de faire un saut de 2 000 mètres. Ne croyez pas qu'un sentier facilite la besogne et qu'on n'ait qu'à se laisser glisser. Il faut s'ouvrir une route. Quand je parvins aux premiers gazons, mon cheval saignait de ses quatre pieds, et ne paraissait pas très enthousiasmé de ce divertissement.

Vers trois heures nous arrivons tous au bas du coteau, dont la bordure s'était écroulée par suite de l'érosion du torrent. Le paysage manque toujours de charme, bien qu'il s'égaye de quelques arbrisseaux blottis dans les anses de la berge. Des bouquets de crucifères, couleur safran, des chardons, des centaurées rouges et des anémones jaunes folâtrant en de longues traînées sur les buissons, se disputent une piètre existence dans le maigre terrain du talus. Quelquefois un ruisseau jaillit on ne sait comment de ce roc torréfié et arrose des parterres de graminées, formant de véritables oasis, dans le pierrier interrompu.

Sur une petite terrasse du rivage, quelque chose d'insolite attire notre attention. C'est un tombeau kirghize formé par des troncs d'arbres entrecroisés, au centre duquel s'élève une pyramide de cailloux.

NOTRE PETITE TROUPE S'AVENTURE AUDACIEUSEMENT SUR LA PENTE GLACÉE (page 482).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Peu de temps après, nous atteignons un aël abandonné de nomades. C'est là qu'ils viennent s'établir pendant la mauvaise saison, car il paraît qu'alors, le versant que nous venons d'arpenter dans sa hauteur, exposé comme il est aux rayons du soleil, se débarrasse vite de la neige, et se recouvre d'herbes. Autour d'un gros bloc de granit, on voit distinctement les cercles tracés par les keregas, c'est-à-dire les treillis de bois qui forment la carcasse de la yourte. Au milieu, les trois pierres calcinées de l'âtre, sont encore debout. L'herbe a poussé, drue et haute, là où le stationnement prolongé des animaux a engraissé le sol.

Mais, au lieu de nous installer dans cet emplacement, nous préférons nous cacher à l'abri d'un mamelon, afin de protéger notre camp de l'haleine par trop réfrigérante du glacier qui, tout près de nous, vomit par mille bouches des torrents d'eau bourbeuse. En face, la masse écrasante du Kizil-tao, voilée de nuages, nous menace incessamment de tonnantes avalanches, dont la chute nous amuse plutôt qu'elle ne nous effraie, car nous sommes (p. 485) hors de leur portée. En amont, une mignonne cascade apparaît parmi les broussailles.

VALLÉE SUPÉRIEURE D'INGHILTCHIK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les Kirghizes y réunissent habituellement leurs troupeaux de moutons, le site se trouvant clos naturellement.

24 juillet.—Nous allons faire une reconnaissance sur le glacier d'Inghiltchik, afin de chercher un endroit par où faire passer les chevaux. Si nous avons cette chance, nous nous transporterons le plus haut possible, de manière à pouvoir établir notre quartier général tout près de la base du Khan Tengri. Il doit être, certainement, au point terminus de cette gigantesque coulée de glace, que les nomades appellent le «tchiou mouz», le grand glacier.

La surface est très mouvementée: c'est tout un système de lacs et de torrents, de combes et de monticules, littéralement encombrés de pierres qui, suivant leur provenance et la plasticité du glacier, s'accumulent en stries longitudinales et transversales, de couleurs variées. Vu d'en haut, le glacier ressemble à la carapace d'un reptile.

Nous n'attendons pas longtemps pour nous apercevoir de l'impossibilité absolue d'y amener nos bêtes, à cause du manque de pâturages et de l'impraticabilité du terrain. Pour remonter le glacier d'Inghiltchik jusqu'à ses origines et y séjourner pendant quelques semaines, il eût fallu avoir sous la main une équipe de porteurs solides et chaussés ad hoc; ce qui n'était pas le cas des hommes dont nous disposions, ni de ceux que nous aurions pu trouver dans les vallées voisines. Ils sont d'abord mal habillés, et puis on ne peut leur faire porter quoi que ce soit sur les épaules. Nous nous résignâmes donc à chercher ailleurs le point d'attaque du Khan Tengri. Nous décidâmes de l'aborder depuis le col du Mouj-art, en passant sur le territoire chinois.

En levant le camp, nous ne fûmes pas peu surpris de voir le djighite nous amener un vieux Kirghize qui vint, sur-le-champ, se prosterner devant nous comme s'il implorait une grâce. Ce n'était rien moins que le chef, le chirtaï, de toute la vallée de Kaënde, venu exprès pour offrir ses bons offices. La veille, pendant que nous déambulions sur le glacier d'Inghiltchik, le djighite avait tout à coup disparu sans crier gare et, pour quérir son homme, il avait parcouru tout simplement 150 verstes et accompli le voyage en vingt-quatre heures.

Maître Abbas, abandonnant pour un moment ses casseroles, remplit gravement les fonctions de maître des cérémonies et d'interprète. D'une flegmatique imperturbabilité, il envisagea la chose avec son tact habituel, c'est-à-dire en traitant son hôte comme une vieille connaissance à lui. Il faut dire qu'il n'aimait guère les Kirghizes, il les considérait comme des quantités négligeables. En parlant (p. 486) d'eux et de leurs femmes, il avait coutume de dire que c'étaient des chiens.... capables de manger jusqu'à des charognes.

Ce chirtaï ne paraissait pas, à vrai dire, d'une très haute distinction. Sauf quelques paroles de convenance, qu'Abbas nous traduisait dans son français de Téhéran, il ne savait guère s'exprimer qu'à force de courbettes et de salamalecs, qu'il exécutait automatiquement à tout propos, en fermant les yeux et en pressant les mains sur la poitrine.

À peine étions-nous en route que deux nouveaux cavaliers vinrent à notre rencontre et se joignirent à nous. C'étaient deux sujets de notre autocrate en raccourci, mandés par lui pour venir en aide à notre caravane. Comme on le voit, si ce chef n'était pas très avenant, il connaissait au moins les règles élémentaires de l'hospitalité.

Ces hommes nous furent d'une grande utilité pour passer à gué le fleuve qui, en certains endroits, mesurait près de 200 mètres de largeur. Nous atterrîmes sur l'autre rive, à l'entrée du vallon d'Attiaïlo, le seul passage communiquant avec la vallée de Kaënde qui longe, au sud, celle d'Inghiltchik.

Le contrefort qui les sépare se présente, au point de vue géologique, comme le noyau central du groupe du Khan Tengri. C'est un système ayant des caractères propres, tant par son aspect extérieur que par la nature de ses roches. À son profil anguleux et à la disposition en éventail des couches granitiques, on reconnaît aisément l'origine plutonique de sa formation. Ce qui est surprenant dans la constitution de ce massif, c'est qu'à un moment donné il cesse inopinément, coupé en biais, du sud-ouest au nord-est, par l'entaille des gorges d'Attiaïlo. De loin, on ne s'attendrait pas à cette surprise, parce que la chaîne ne semble guère interrompue et paraît continuer sous la forme atténuée d'un contrefort servant d'appui gigantesque à la masse imposante du Kizil-tao. Mais, de près, comme nous le constatons en remontant le vallon d'Attiaïlo, on découvre que cet appendice montueux est d'une origine et d'une structure toutes différentes.

VALLÉE DE KAËNDE: L'EAU D'UN LAC S'ÉCOULAIT AU MILIEU D'UNE PRAIRIE ÉMAILLÉE DE FLEURS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Après deux ou trois verstes, le vallon se partage en deux: à gauche, une effroyable tranchée paraît contourner le bastion de granit, comme pour l'isoler. Nous prenons par celui de droite. Après quelques heures de rapide montée, la pluie nous surprend et nous oblige de nous arrêter au pied d'une paroi de rochers, coiffée de glaces. Il y a bien des pierres qui dégringolent de temps à autre et voltigent autour de notre camp, mais, habitués comme nous sommes à ces bagatelles, nous n'y faisons même plus attention.

C'est le chapeau rabattu, le col relevé et le plaid sur les épaules, que nous partons de notre bivouac de 3 000 mètres, sans savoir au juste où nous coucherons le soir. Lentement, fouettés par la pluie que le vent chasse contre nous, nous gravissons l'échelonnement des terrasses éventrées par les éboulements, contournant de temps à autre quelques moraines, dont les glaciers s'enfuient dans des gouffres enveloppés de brouillard, à notre gauche.

Au sommet du col, les nuages se déchirent un instant, et nous nous apercevons que nous frôlons un lac, dont l'eau s'écoule en serpentant au milieu d'une prairie émaillée de fleurs. Dans notre singulier état d'âme, voisin de l'indolence maussade, cette esquisse de paysage, aux lignes estompées et noyées dans un flottement de vapeurs, nous est comme un soulagement. La lourdeur apathique dans laquelle sommeillait notre esprit, disparaît tout à coup, et c'est presque avec enthousiasme que nous saluons ce lambeau de gazon ensoleillé, qui nous rappelle un petit coin des Alpes, un fragment de la patrie lointaine.

Mais cet attendrissement nostalgique n'est pas de longue durée. Après cette oasis alpestre, nous nous engageons, sans transition aucune, dans un affreux défilé, qui nous fait l'effet de quelque tunnel.

LES FEMMES KIRGHIZES D'OUSTCHIAR SE RANGÈRENT, AVEC LEURS ENFANTS, SUR NOTRE PASSAGE (page 489).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

(p. 488) Le temps s'obscurcit et la pluie recommence de plus belle. Le torrent s'est grossi démesurément. Il nous faut quand même le traverser et le longer à plusieurs reprises, avec la menace continuelle des pierres qui se détachent des pentes supérieures et dégringolent avec une rapidité extraordinaire. Pour éviter des accidents, nous sommes contraints à de périlleuses galopades sur le terrain trempé et glissant au plus haut degré.

Soudain, le djighite s'arrête tout court et nous fait signe d'en faire autant. Il nous dit alors, qu'un peu plus loin il y a un précipice très dangereux, et qu'il serait de la dernière imprudence de s'y aventurer. Nous nous regardons interloqués. Que faire? Pourquoi ne nous avait-il pas avertis plutôt? Devrons-nous camper en cet endroit? Nous nous trouvons sur une bande de gravois charriés par la rivière, dont l'eau tourbillonne à côté, entraînant, dans sa course, de gros blocs qui, en formant un barrage, auraient pu enlever notre camp et nous avec lui.

Mais à la seule pensée de retourner en arrière et de refaire la route de tout à l'heure, nous nous résignons à accepter notre triste sort. Ce soir-là, nous ne nous attardâmes pas à flâner, comme d'habitude, autour des tentes, pour faire la causette, et nous ne dînâmes pas non plus sur le tchiamkerr étendu à l'entrée de nos demeures. Après une courte inspection sur la solidité de celles-ci et une enquête sur leur imperméabilité, nous enfilâmes nos sacs-lits et nous attendîmes que le Dieu du sommeil mît un terme à notre surexcitation.

LE CHIRTAÏ DE KAËNDE (page 485).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Pendant la nuit, les cauchemars les plus insensés nous faisaient sursauter à chaque instant, avec la hantise s'attachant à notre esprit qu'à tout moment nous allions être anéantis. La pluie qui crépitait avec une intensité toujours croissante sur la toile, nous faisait penser au torrent, dont le volume d'eau avait dû augmenter encore et dans lequel on entendait s'entrechoquer sourdement les pierres que le courant désagrégeait des berges. Et les allées et venues des chevaux qui rôdaient autour du camp, frôlant les tentes, buttant contre les piquets et les cordes tendues, n'étaient pas sans nous donner de sérieuses appréhensions sur la solidité de notre logis.

Vers le matin cependant, les nuages se dissipèrent, et un splendide soleil sécha vite nos bagages trempés.

Le précipice, dont le djighite nous avait entretenus la veille, était une énorme crevasse s'ouvrant dans la montagne dans le sens de la pente. Nous dûmes le remonter et le contourner avec mille précautions, à cause de l'humidité du sol. Avant de quitter les gorges d'Attiaïlô, nous refaisons instinctivement le geste fameux du Dante. Arrivés en lieu sûr, nous contemplons la beauté farouche de ce gouffre, où le torrent se débat furieusement entre les parois exiguës qui l'emprisonnent, disparaissant de temps en temps dans des antres invisibles.

Le versant que nous venons de côtoyer présente à découvert sa rude charpente en gneiss micaschiste, ravagée ça et là par les effondrements des assises rocheuses, dont les débris se sont entassés les uns sur les autres, formant une mosaïque accidentée de pierres de toutes couleurs et de toutes tailles. Mais de l'autre côté, la nature plus solide de la roche a conservé aux escarpements leur structure primitive; ce sont des parois verticales, s'étageant en gradins, et déchiquetées au faîte par des blocs isolés, qui donnent l'illusion d'un formidable castel du Moyen Âge. La couleur ferrugineuse des roches, striées verticalement de bandes bleuâtres, brunies par l'écoulement des eaux, et une multitude de trous évasés produits par je ne sais quel agent, donnaient à cette assise de calcaire dolomitique une vétusté d'un pittoresque charmant.

Après quelques détours, nous descendons dans la vallée de Kaënde, où le chirtaï nous attendait avec deux hommes de sa tribu. Il nous apportait une outre pleine de koumiss, qu'il nous offrit très obligeamment. (p. 489) Puis, prenant la tête de la caravane, il nous guida à travers le dédale de canaux qui sillonnent les pierres du thalweg et nous amena, après force baignades, sur un tertre gazonné, à la lisière d'un bois de sapins.

NOUS SALUÂMES LA VALLÉE DE KAËNDE COMME UN COIN DE LA TERRE DES ALPES (page 480).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Là, le chef nous invite à pousser jusqu'à son aoul, qui se trouve à environ une demi-journée de marche, en amont. Mais pressés comme nous sommes d'atteindre le but de nos pérégrinations, nous déclinons ses avances, en lui laissant espérer que plus tard peut-être nous serions à même d'acquiescer à son désir.

Pour franchir le contrefort qui flanque au sud la vallée de Kaënde, il nous faut redescendre celle-ci pendant trois heures environ, après quoi nous serpentons à travers de beaux pâturages, jusqu'au col d'Oustchiar, que nous touchons vers deux heures de l'après-midi. Là encore, deux Kirghizes aux visages inconnus, nous attendent avec la provision traditionnelle de koumiss. Leur présence nous étonne profondément. Comment ces hommes savaient-ils notre venue, puisqu'ils habitent l'autre versant? Mystère! Escortés par ces deux cavaliers d'honneur, nous arrivâmes une heure après à leur aoul, établi près d'un torrent dans le creux de la courbe.

Tous les hommes présents s'en vinrent incontinent à notre rencontre, pendant que les enfants se sauvaient épouvantés et que les femmes nous guettaient anxieusement à travers les fissures des yourtes. C'était, pour tout ce monde, un événement incompréhensible, que notre visite dans leur pays.

Aussi le djighite et Abbas avaient-ils grand'peine à leur expliquer le but de notre voyage et à les convaincre qu'aucune idée hostile ne nous animait.

Pendant toute l'après-midi notre camp se trouva envahi par l'élément mâle de la colonie, qui fraternisait avec nous comme avec de vieux amis. Les Kirghizes ont ceci de particulier, qu'ils deviennent d'une effronterie extraordinaire une fois qu'ils vous savent inoffensifs. Le koumiss coula à flots, échangé par Abbas contre de copieuses libations de thé, préparé d'avance dans une grande marmite.

Dans la soirée, nous fîmes un petit tour au milieu des yourtes, au grand ahurissement des femmes, qui se cachaient à notre approche. Mais les maris qui nous accompagnaient les firent sortir et ranger sur notre passage; elles s'exécutèrent avec assez de bonne grâce. Si leur accoutrement était pittoresque, leurs personnes n'avaient rien de bien appétissant, et, il fallait quelque attention pour les distinguer des hommes, tellement leur charpente était disgracieuse et leurs traits durs et repoussants.

Invités par un Kirghize, nous pénétrâmes dans une yourte. Deux femmes se tenaient dissimulées derrière un rideau; sur notre demande, le mari le fit glisser sur la tringle. Une d'elles était occupée auprès d'un bébé de quelques mois, qu'elle emmaillottait avec des peaux d'agneaux. Elle lui tendit bientôt un biberon fait d'une corne de bœuf évidée, avec au bout une ventouse de parchemin en guise de suçon. L'autre femme était en train de broder pour son époux une calotte. Pour ce faire, elle avait tendu l'étoffe sur un cercle en bois, qu'elle tenait entre ses genoux, et passait à travers le tissu un fil de laine, au moyen d'une pointe d'os. Le dessin n'était guère symétrique, mais les couleurs, bien que trop vives, étaient savamment combinées, et le tout formait un ensemble harmonieux de teintes et de lignes.

Sur ces entrefaites, le bétail rentra. Ce fut un spectacle saisissant, que cette avalanche d'animaux, (p. 490) descendant des pentes de la montagne, refoulés par les pâtres jusque dans l'emplacement exigu où on les parque pendant la nuit. Un affolement général règne dans l'aoul, à l'arrivée des troupeaux. Toutes les femmes sortent des yourtes; chacune cherche à reconnaître son bétail, l'appelle et s'efforce de le réunir. À cet effet, on tend par terre une longue corde, où l'on attache les brebis, les chèvres, les vaches et les juments.

Les jeunes gens aident leurs mères à trier les bêtes. Mais les hommes se gardent bien de faire quoi que ce soit; ils se contentent d'observer et, le cas échéant, de gronder les femmes, si elles se trompent. De gros marmots joufflus, âgés de deux ou trois ans à peine, à la peau tannée par l'air, aux formes rebondies, laids «comme des Kirghizes», petits monstres de santé, se mêlent à la bagarre, se roulent, courent nus comme des bêtes, en voulant imiter leurs aînés.

29 juillet.—Avant de quitter l'aoul d'Oustchiar, comme un de nos chevaux boitait sérieusement, nous l'échangeâmes moyennant quelques roubles contre un autre appartenant aux nomades. À ce petit marché assista naturellement toute la tribu, et Dieu sait combien il aurait duré si nous n'avions pas ordonné à Abbas d'envoyer se promener tous ces faiseurs d'embarras.

À dix heures, nous atteignons le col d'Artchiar qui s'ouvre dans le petit contrefort qui sépare les vallons d'Oustchiar et d'Artchiar. Depuis le sommet on jouit d'une belle vue sur le pic d'Oustchiar, s'élevant au delà de l'aoul, revêtu d'une cuirasse de glace, et coiffé d'une toque de neige. De l'autre côté du col, quatre ou cinq rangées de montagnes se superposent et s'entre-croisent, nous cachant complètement l'issue de la conque qui décline à nos pieds. Cependant nous suivons l'encoignure de la combe qui nous mène en quelques heures dans un étranglement du vallon, où le torrent disparaît tout à coup dans un précipice, dont les parois se rapprochent pour nous barrer la route.

Mais une espèce de sentier escalade une coulée d'éboulis et côtoie une suite de promontoires et d'éperons qui s'élancent audacieusement dans le vide. Nous nous trouvons environnés par une affreuse tombée de roches disloquées et tourmentées en tout sens, s'écroulant vertigineusement à des profondeurs insondables. Il nous semble être enserrés dans un étau d'où nous chercherions vainement à nous dégager.

FEMMES MARIÉES DE LA VALLÉE DE KAËNDE AVEC LEUR PROGÉNITURE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Pourtant les chevaux avancent toujours du même pas alerte, se plient avec une souplesse féline contre les grumeaux qui empiètent sur le sentier, évitent les pierres roulantes, contournent les craquelures, traversent un avalement, enjambent un récif; et ainsi de suite pendant deux heures.

Cramponnés énergiquement au pommeau de la selle, nous nous laissons conduire, presque inconsciemment. Ce n'est pas le moment de mettre en relief notre virtuosité hippique, et de faire de la haute école. Le moindre faux pas du cheval nous enverrait vite dans le néant. De temps en temps nous nous assurons, du haut d'une éminence, que toute la caravane est au complet. Après le dernier mamelon, nous descendons par des fondrières creusées dans des bancs de terre glaise, au fond du vallon, à l'endroit où il se partage en deux embranchements.

La végétation a tout à fait changé son caractère alpestre, et devient d'une singulière étrangeté. Des (p. 491) herbes épineuses, coriaces, mouchetées de fleurs multicolores, parsèment le terrain d'un roux fauve; des halliers à l'odeur nauséabonde, des tamaris, des ails, des thyms, toute une légion de plantes inconnues simulent des gestes convulsifs d'agonie et ont des exhalations fétides qui vous prennent à la gorge. Puis un saule solitaire au beau milieu du torrent, tordu, mutilé par la violence des crues. Tout cet amoncellement de précipices et toute cette flore inaccoutumée vous frappent d'étonnement et vous font sentir que vous êtes dans une ambiance insolite, où tout est mystère, où le moindre objet vous saisit par sa bizarrerie.

L'ÉLÉMENT MÂLE DE LA COLONIE VINT TOUT L'APRÈS-MIDI VOISINER DANS NOTRE CAMPEMENT (page 489).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L'unique chemin qui se présente devant nous, c'est le lit du torrent, large de quelques mètres seulement, dont l'eau s'évertue à trouver un passage au milieu d'un amoncellement de blocs de toutes sortes et entre deux hautes murailles qui s'élèvent toutes droites vers le ciel. Avec sa teinte sombre de cachot maculée des taches sanglantes de lichens, cette saignée de la montagne est d'un aspect vraiment terrifiant. Mais, en songeant que depuis des siècles ces rochers menacent ainsi les voyageurs, nous franchissons sans crainte l'entrée de cet enfer et nous pénétrons dans la pénombre de la gorge.

Après quelques pas, le couloir formant un coude brusque, le torrent se jette violemment contre la paroi de rochers, nous coupant la route. Force nous est alors de faire un plongeon dans l'eau, et d'y patauger avec l'aléa d'une noyade. Ce jeu périlleux se renouvelle maintes fois, au grand mécontentement de Zurbriggen qui ne semble pas avoir des sympathies très prononcées pour ces manœuvres nautiques. Aussi met-il prudemment sa pipe inséparable dans la poche, pour avoir les mains plus libres et parer aux chutes.

Les gorges d'Artchiar se greffent directement sur la vallée de Koékab, vers laquelle nous nous dirigions. Nous nous arrêtâmes sur une langue de terre s'enfonçant entre les deux fleuves. Cette digue, formée par le hasard des alluvions, était une sorte de préau dans la claustrale sévérité de ces montagnes dénudées. Partout, les flancs de la vallée descendaient à pic dans le fossé du fleuve, délabrés, labourés et lavés par le branle-bas des averses.

Le soir, nous allumons de grands feux pour faire peur aux fauves, qui, au dire des Kirghizes, abondent dans les environs.

Notre intention étant de descendre sur le territoire chinois, afin d'aborder le Khan Tengri par la vallée du Mouj-art, nous comptions suivre le cours du Koékab-sou, pensant qu'il nous aurait conduits en amont d'Ak-sou. Mais nous faisions notre projet sans connaître le terrain sur lequel nous allions évoluer.

En touchant la vallée de Koékab nous constatons de suite l'impossibilité absolue de continuer notre chemin de ce côté. Une tranchée de près de mille mètres de profondeur, et dans l'étroit encaissement un courant impétueux qui tourbillonnait avec une véhémence effrénée, soulevant des nuages de vapeurs, voilà ce dont nous disposons pour tout chemin. Il ne fallait pas y songer.

En amont, la vallée paraît plus accessible, et un adoucissement de la côte nous invite à en tenter la montée. Cependant, après avoir suivi pendant quelque temps le talus de la montagne, après avoir passé à gué le fleuve, nous nous trouvons tout à coup dans la position désavantageuse d'avoir à combattre de front le (p. 492) courant. L'eau était profonde de 3 à 4 mètres. À peine les chevaux s'y plongent qu'ils sont entraînés comme des plumes. Et encore si, cet obstacle franchi, la route était libre! Autant que le regard peut fouiller, il ne voit que précipices sur précipices.

Nous sommes tout à fait consternés. Être venus de si loin pour butter contre des rochers, c'était bien la peine! Mais que faire? Nous ne pouvions guère admettre de poursuivre notre voyage à pied. Bon gré, mal gré, il nous fallait battre en retraite.

En attendant, comme nous ne nous sentons pas le courage de recommencer les baignades de tout à l'heure, nous campons où nous nous trouvons. Avec un peu de bonne volonté nous déblayons le terrain des pierres, tandis que les chevaux s'en vont brouter les ramilles des buissons de la berge.

Nous ne voulons pourtant pas quitter la vallée de Koékab avant d'être fixés sur sa physionomie. Le lendemain, nous escaladons la montagne à laquelle nous sommes adossés.

C'est une ascension pénible et longue à la fois, pendant laquelle nous rencontrons de nombreux troupeaux de bouquetins, aux cornes énormes, appelés par les savants ovis argalis.

À quatre heures, nous atteignons 3 850 mètres. Nous ne sommes pas encore arrivés sur le plus haut sommet du contrefort; mais, comme il est tard, il faut aussi que nous ménagions du temps pour la descente.

De notre belvédère nous n'apercevions, malheureusement, que les bosses des chaînons convergeant vers l'axe de la vallée de Koékab. À l'est et au sud, des pics de 5 000 à 6 000 mètres dressent leurs masses de granit recouvertes de glaciers et de neiges éternelles. À l'extrémité du Kok-Chaal-tao, s'ouvre une large baie, d'où nous entrevoyons une plaine vaporeuse, probablement le désert de Taclamakan.

Mais le soleil décline à l'horizon. À 2 000 mètres de profondeur, on voit distinctement nos hommes et nos bêtes fourmillant autour des tentes, dressées sur l'emplacement de l'avant-veille. Le chemin pour y arriver semble tout indiqué par une tombée d'éboulis, s'engouffrant dans un couloir. En quelques bonds nous y arrivons. Mais là commence la série de nos malheurs. Il nous faut franchir des sauts de rochers, nous laisser glisser sur des pierres suintantes, marcher à petits pas dans des gouttières, faire en somme des tours d'acrobates, recevoir même le corpulent Zurbriggen sur les épaules. Et quand nous croyons avoir terminé la série des mésaventures, nous nous trouvons tout juste au commencement des gorges d'Artchiar!

Voilà qui est vexant! Comme bien vous pensez, nous n'avions aucunement envie de nous accommoder pendant toute la nuit de ce cachot, avec la perspective d'une pneumonie. Prenant philosophiquement ce fâcheux contre-temps, nous décidons coûte que coûte d'atteindre au plus vite notre camp. Mais c'est à grand-peine. Pourtant, attachés tous les trois à la même corde, en sondant l'eau avec les pieds, en tâtant le vide avec le piolet ou les mains, à minuit nous parvenons au camp. Il est vrai que nous avions les chaussures bourrées de gravier, que nos sacs étaient remplis d'eau, et que nous-mêmes nous étions trempés jusqu'aux os. Un bon feu, une bonne soupe et un somme prolongé eurent vite raison des souffrances endurées pendant cette malencontreuse nuit.

(À suivre.) Jules Brocherel.

UN «AOUL» KIRGHIZE.

Droits de traduction et de reproductions réservés.

(p. 493) TOME IX, NOUVELLE SÉRIE.—42e LIV. No 42.—21 Octobre 1905.

YEUX BRIDÉS, POMMETTES SAILLANTES, NEZ ÉPATÉ, LES FEMMES DE KAËNDE SONT DE VILAINES KIRGHIZES (page 496).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES[3]
Par M. JULES BROCHEREL.

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize.

ENFANT KIRGHIZE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

1er août.—Journée de repos aux gorges d'Artchiar. On prend force bains d'eau et de soleil. On herborise dans les environs; des plantes rares enrichissent notre collection. Dans l'après-midi, une bande de loups traverse les coteaux. Nous leur envoyons quelques balles; ils se sauvent en hurlant.

Pendant la nuit s'est abattue une pluie torrentielle, et vingt-quatre heures durant c'est une cataracte du ciel, une avalanche de boue et de pierres qui nous tiennent confinés sous nos tentes. La montagne semble prise d'une attaque de nerfs. Le Koékab-sou, formant la gouttière des deux versants, recueille l'apport de milliers de torrents, qui se précipitent des hauteurs, entraînant tout sur leur passage. La montagne ressemble à une énorme éponge, vomissant de toutes parts des flots de liquide.

Les deux fleuves varient à tout moment la direction de leur courant, et viennent menacer le soubassement de notre logis.

Le 3 août, en sortant des tentes, nous retrouvons un ciel limpide comme une glace, et un soleil flamboyant. La montagne s'est tue, et de l'emportement de la veille il ne subsiste que de tardifs larmoiements qui ruissellent dans les rainures, et imprègnent l'air d'une agréable fraîcheur.

Nous pouvons donc, sans trop de dangers, affronter le défilé d'Artchiar, remonter au col, recommencer en somme le chemin que nous avions fait cinq jours auparavant.

Le soir, quand, après avoir rencontré en route un berger et son troupeau nous arrivons à Oustchiar, les (p. 494) nomades se montrent enchantés de nous revoir. Nous y trouvons un courrier mandé exprès par le gouverneur de Prjevalsk. Il nous présente une lettre par laquelle nous apprenons la guerre qui vient d'éclater en Chine. Ce fonctionnaire nous conseille fort d'éviter ce territoire volcanique, pour nous épargner des désagréments.

KIRGHIZE DRESSANT UN AIGLE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Dans la matinée du jour suivant, nous nous mêlons aux Kirghizes, visitant leurs tentes, nous intéressant à leurs travaux (l'un d'eux dressait un aigle), observant les femmes dans leurs occupations, et leur offrant des bijoux en aluminium. Très touchées, elles nous sourient gracieusement, et, si elles le pouvaient, elles entameraient bien une causette avec nous. Elles ne semblent plus effarouchées; au contraire.

À trois heures de l'après-midi, le prince, Zurbriggen et moi, accompagnés d'un cavalier kirghize, nous partons pour une excursion. C'est vers l'élégante aiguille d'Oustchiar que nous dirigeons nos pas. À la tombée de la nuit, nous bivouaquons à 3 850 mètres, à la base de la pyramide terminale.

Zurbriggen nous assure en partant que nous déjeunerons au camp. Seulement, il ne prévoit pas la cheminée de glaces, qui nous attend, et où, à la merci des avalanches de pierres, nous restons quatre heures pour gagner quelques centaines de mètres. Glace découverte, verglas sur les rochers, attaches s'enlevant au moindre effort, c'était plus qu'il ne fallait pour nous décourager.

Mais avec de la patience et de la prudence on arrive à bout de tout: nous atteignons l'arête sud; suivant son tranchant puis le dos d'un névé, à une heure de l'après-midi nous posons le pied sur l'extrême calotte de l'aiguille d'Oustchiar. On procède immédiatement à son baptême; après quoi, nous donnons satisfaction à nos estomacs.

ITINÉRAIRE DU VOYAGE AUX MONTS CÉLESTES.

C'est 4 500 mètres d'altitude que mesure ce clocheton de granit et de glace. Notre premier souci, c'est de regarder si nous apercevons le fameux Khan Tengri. Nous n'avons pas de peine à le discerner, car il se détache au fond de la vallée de Kaënde, posé sur un socle de glaciers qui divergent de tous les côtés. Les deux vallées de Kaënde et de Koékab s'allongent au couchant et au sud, se tournant le dos.

Mais cette surface mouvementée de roches est d'un aspect triste et d'une sauvagerie sans (p. 495) égale. Pas la moindre tache de vert ne trouble la teinte terreuse de cette région torréfiée par la chaleur du soleil. Si ce n'était la dentelle de neige qui frange les cônes hérissant la croupe des contreforts, on dirait un relief pétri dans de la terre glaise.

NOUS RENCONTRÂMES SUR LA ROUTE D'OUSTCHIAR UN BERGER ET SON TROUPEAU (page 493).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Au sud, deux pics, l'Ak-sou-tao et le Djannart-tao, postés en sentinelles à l'entrée de deux vallées, paraissent être placés pour veiller à l'approche d'un ennemi imaginaire. Entre eux deux s'ouvre la baie, par où s'échappent les eaux du Djannart-sou, que nous voyons serpenter au loin, comme un ruban d'argent, dans les plaines bleuâtres de la Kachgarie. Au-dessus, une raie indécise nous indique la position des collines de Bittama-tao, cernant au sud le plateau d'Outch Tourfan. Plus loin, c'est le Gobi fabuleux, qu'on devine plutôt qu'on ne le voit dans les lignes de l'horizon.

Nous sommes admirablement placés pour embrasser, d'un seul coup d'œil, la vasque immense qui recueille les eaux de centaines de glaciers, et est bordée tout autour par un cercle de montagnes hautes de 5 000 mètres. Nous constatons que l'artère principale de ce système hydrographique est le Saridjass-sou, qui, sauf aux débouchés des vallées, est enfoui dans un fossé étroit et profond, long de près de 300 verstes. C'est un spectacle curieux et imposant à la fois, que de voir ce fleuve majestueux, blanc comme du lait, circuler dans les méandres des montagnes, disparaître soudain au tournant d'un mamelon, pour se montrer plus loin comme s'il sortait des entrailles de la terre.

Au couchant, deux vallées nous font vis-à-vis: à gauche, celle de Djannart, avec les vallons du Kaïtché, de Bichirtik et d'Archiriak creusés dans la masse du Kook-chaal-tao. Au fond, l'échancrure d'Ichtik nous laisse apercevoir les moutonnements du plateau de Karagan, où prend naissance le Naryn, qui devient plus bas le Syr-Daria. À droite, la vallée d'Irtach, après un parcours d'une trentaine de verstes, tourne brusquement au nord, derrière les massifs de Terekty-tao et de Keou-eou-leou-tao.

Nous nous arrêtons encore un instant pour admirer les trois pics qui tiennent compagnie à l'Aiguille d'Oustchiar, étroitement groupés les uns près des autres. Celui du milieu, surtout, conquiert de suite notre attention. Son air rébarbatif n'est pas pour inviter à en tenter l'escalade. Nous le nommons: Kargan-tach, «l'aigle de pierre».

La descente au camp s'effectue d'une haleine. Et quand nous nous retrouvons sous nos tentes spacieuses, autour de la nappe chargée de confitures, et que nous savourons le thé au lait, il nous semble être (p. 496) dans un palais. Coucher sur le gazon après une nuit passée sur des pierres et une journée sur la glace, c'est tout ce qu'on peut rêver de plus confortable, dans ces contrées.

JE PHOTOGRAPHIAI LES KIRGHIZES DE KAËNDE QUI S'ÉTAIENT, POUR NOUS RECEVOIR, ASSEMBLÉS SUR UNE ÉMINENCE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

6 août.—La vue du Khan-Tengri nous donne un regain d'enthousiasme. Il nous semble même que son ascension n'est aucunement dangereuse. Il suffirait d'aller camper à sa base et d'attendre le moment propice pour en effectuer l'escalade. Seulement, il faut que le temps se mette au beau, sans quoi on ne pourrait y arriver.

Aujourd'hui on flâne tout comme les Kirghizes, et, pareils à des enfants, nous nous roulons sur le gazon. Après un surmenage physique et une longue tension de nerfs, on aime à s'allonger parmi les herbes, et à regarder courir les nuages pendant que les muscles se détendent et que le sang reprend son rythme habituel. C'est d'une hygiène bien entendue.

Le lendemain nous partons pour l'aoul de Kaënde. Les Kirghizes viennent nous accompagner jusque sur le col d'Oustchiar. Nous refaisons le chemin du 28 juillet; puis nous suivons le flanc gauche de la vallée, en douce déclivité et recouvert de pâturages, entremêlés de bois de sapins.

Au soleil couchant nous atteignons le campement des nomades. Ceux-ci, assemblés sur une éminence, nous accueillent avec des salams et des baïs qui n'en finissent plus. Le chirtaï nous fait dire que lui, sa famille et sa tribu sont très heureux de nous avoir pour hôtes. Il nous prie de rester pendant quelques jours, ce que nous acceptons de bon cœur.

L'aoul de Kaënde compte environ cent cinquante individus, partagés en une vingtaine de tentes.

Abbas nous ayant dit que le chirtaï avait sa fille fiancée, nous faisons tant et si bien, qu'on nous la laisse voir et portraiturer. Mais, avant de se présenter, elle se fait une toilette en règle, endossant ses plus beaux atours. Elle est toute jeune, et très grande pour son âge. Mais, bien qu'elle soit habillée en soie, chamarrée de bijoux aux doigts, aux poignets et aux oreilles; qu'elle porte des bottines richement travaillées et qu'elle se coiffe d'une toque en fourrure avec une aigrette de plumes blanches, elle reste toujours une vilaine Kirghize, avec des yeux bridés, des pommettes saillantes et un nez épaté. Il s'en faut de beaucoup que cette jeune personne excite notre admiration.

Elle est promise au kaltchè—ou chef—de la vallée d'Irtach, un des plus riches nomades de la contrée. Mais, avant de prendre possession de ce trésor, celui-ci devra soustraire pas mal d'unités du nombre de ses troupeaux. Le chirtaï, appuyé par ses deux fils célibataires, avait été d'une exigence extrême: le jour du mariage, l'époux devra lui amener 40 chameaux, 400 chevaux et 5 000 moutons, sans compter une foule d'autres petits cadeaux secondaires. Ce que c'est que d'être la fille d'un chef, et d'avoir treize ans!

9 août.—Après quelques heures de marche nous arrivons au glacier de Kaënde et nous prenons par la moraine de gauche pendant deux ou trois verstes. Le chaos de blocs s'épaississant de plus en plus, nous ne croyons pas devoir pousser plus loin et nous cherchons un emplacement pour notre camp. Nous le trouvons dans une ride de la côte de la montagne, entre deux torrents dévalant des glaciers supérieurs.

L'endroit est pourvu de tout le nécessaire pour un séjour prolongé. Les buissons de téo-goïrouks abondent, une source d'eau gazouille à côté, et les chevaux ont de quoi satisfaire leur appétit.

Le jour suivant, nous grimpons jusqu'à 4 000 mètres, au-dessus de notre camp, pour faire une (p. 497) reconnaissance et nous assurer si nous ne pourrions pas aller un peu plus haut avec les chevaux.

LE GLACIER DE KAËNDE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le glacier de Kaënde est encaissé très étroitement entre deux hautes parois de rochers, et s'avance, ou plutôt coule lentement, sans que sa surface accuse un obstacle trop violent. À droite et à gauche, il s'en racine au sein même de la montagne, par une multitude de glaciers secondaires qui se dessinent nettement à leur jonction par des épanchements blanchâtres, quasi-séparés par des chapelets de pierrailles.

Une double rangée de pics, sombres clochetons de pierre ou étincelantes pyramides de glace, se dressent de chaque côté, semblant lui faire une escorte d'honneur. Au fond, dominant tous les autres, se lève le Khan Tengri, qui apparaît comme un globe énorme de cristal, comme le dôme d'une mosquée colossale. Il n'a rien de rebutant et se présente plutôt comme un souverain oriental, qui, du haut de sa ventripotence accueille ses courtisans avec un sourire béat.

Comme nous apercevons des bandes de gazon qui revêtent les dépendances du glacier, et que celui-ci est plat et presque pas accidenté, nous croyons pouvoir y conduire nos chevaux et camper à quelques verstes plus haut.

Laissant une partie de notre bagage, de nos provisions, des chevaux et des moutons, à la garde du djighite, le lendemain nous nous acheminons sur le glacier de Kaënde. Pendant la journée, nous gagnons à peine 15 kilomètres. Mais avec combien de peines, d'ennuis et de cruauté à l'égard de nos pauvres bêtes! Celles-ci sont tout à fait éreintées. La plupart ont les pieds qui saignent et les jarrets écorchés. Un cheval, dans une chute, s'est même blessé à une cuisse, et le sang coule en abondance. Le soir, on les ramène à un pâturage qui se trouve en aval de notre camp, pour y rester jusqu'à notre retour.

Nous sommes à 3 296 mètres d'altitude. Nous campons sur le glacier même, ou plutôt sur la croûte de pierre qui le recouvre. Abbas se trouve un peu dépaysé, et il nous fait observer que de sa vie il n'a jamais vu de neige. Pensez donc! il vient des bords du Chatt el-arab! Et il a toujours ses babouches aux pieds!

12 août.—Nous essuyons une tempête de neige, qui nous emprisonne pendant toute la journée. Les chèvres et les moutons ne font que bêler du matin au soir, et pour apaiser leur faim enragée ils mâchent notre bois de chauffage!

Nous sommes noyés dans une masse de brouillards. Des confettis unicolores voltigent incessamment et nous ensevelissent sous leurs amoncellements. Si ce temps continue, nous allons être enfermés pendant quelques jours, et mis à la diète.

Le temps, après deux jours, s'est enfin remis (p. 498) au beau, et nous en profitons pour une excursion au fond du glacier. Trois Kirghizes, chaussés sommairement de pantoufles en peau de cheval, nous accompagnent comme porteurs. Ne sachant pas combien de temps nous resterons partis, nous forçons la dose de nos provisions de bouche, et nous emportons deux tentes.

Pour commencer, tout va bien. Nous marchons sur le gravier qui couvre le glacier, puis sur la glace même; la petite couche de neige ne nous gêne pas. Mais, à mesure que nous avançons, la neige devient de plus en plus épaisse et molle; et force nous est de nous attacher à la corde. Le glacier se fend en des crevasses transversales, se creuse en des avalements et se troue de moulins d'eau, où nous marchons avec beaucoup de circonspection. Malgré toute la maëstria de Zurbriggen, qui nous guide, il nous arriverait que, la neige cédant tout à coup sous le poids de notre corps, nous disparaîtrions dans des oubliettes, si la providentielle corde ne nous retenait pas.

Vers la partie supérieure, le glacier présente une petite cascade de séracs. La chute n'est guère comparable à celle de la Mer de Glace, mais les fêlures sont si serrées les unes contre les autres, et si longues, qu'elles ressemblent aux feuillets d'un livre entr'ouvert. Pour cheminer là-dessus, il faut être des équilibristes de premier ordre; et encore, c'est tellement fragile, que tout semble devoir s'effondrer au moindre choc des piolets.

 
 

L'AIGUILLE D'OUSTCHIAR VUE DE KAËNDE (page 494).

NOTRE CABANE AU PIED DE L'AIGUILLE D'OUSTCHIAR (page 494).—D'APRÈS DES PHOTOGRAPHIES.

Nous croyons donc qu'il vaut mieux l'éviter et prendre par la pente de neige qui descend à notre gauche, et sur laquelle dégringolent les avalanches d'un glacier supérieur. Là, nous sommes rassurés sur la solidité non équivoque du sol sur lequel nous marchons, mais la menace d'une volée de blocs de glaçons nous met des ailes aux pieds, et, profitant d'une accalmie, en quelques bonds nous atterrissons sur une moraine.

Bien qu'il soit assez raide et entremêlé de névés, l'endroit, à défaut de mieux, se prête à un bivouac. Nous creusons un trou dans les éboulis, pour nous y coucher pendant la nuit; mais, en enlevant les pierres, l'excavation se remplit d'eau, qui filtre à travers les détritus. Zurbriggen préfère se loger dans la fente d'un rocher.

Les Kirghizes, exténués de fatigue, refusent tout aliment; ils souffrent horriblement des yeux, car, n'ayant pas de lunettes, la réverbération de la neige les a affligés d'ophtalmie. Nous les soignons de notre mieux, et leur recommandons de se tenir bien chauffés sous leurs tentes.

La nuit n'est pas très gaie. Avec les remous d'eau sous nos imperméables et les cailloux qui en sortent, avec 16 degrés de froid et une couche de 20 centimètres de neige sur la toile de notre tente, vous pouvez vous figurer ce que peut être le sommeil!

Cependant, à 5 heures, Zurbriggen nous réveille,—manière de parler, car notre sommeil n'avait rien de très profond. Tant bien que mal, nous revêtons nos effets, raides comme du bois, et nous chaussons les brodequins, devenus de bronze. Tout était gelé, hommes et choses. Après nous être frottés des pieds à la tête pour nous dégourdir, nous nous encordons, Zurbriggen en tête, moi en queue, et le prince au milieu.

KIRGHIZES DE KAËNDE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

(p. 500) Nous nous dirigeons vers le col qui nous fait face, dans le but de voir si, de ce côté, l'ascension du pic de Kaënde, que nous croyons être le Khan Tengri, est possible.

Notre bivouac se trouve à 4 040 mètres; le pic doit bien mesurer plus de 6 000 mètres. Entre celui-ci et une aiguille à notre gauche, s'encaisse un glacier, se découpant en quelques crevasses.

Les premiers rayons du soleil frappent en plein la paroi de rochers qui se dresse à droite du glacier, couverte d'un capuchon de glace dont les bords penchent dans le vide avec une quantité de stalactites qui paraissent attendre notre passage pour s'abattre sur nous. Heureusement, ces dents de requins sont trop impatientes, et des tic tac nous avertissent qu'il faut nous méfier de ces croquemitaines.

Nous nous engageons dans la zone des crevasses et commençons à zigzaguer à droite et à gauche, en avant et en arrière, en avançant de deux ou trois mètres chaque quart d'heure. Mais à un certain moment, nous nous trouvons perchés sur le haut d'un monolithe de glace, avec un gouffre qui nous cerne de toutes parts. Il y a bien une pseudo-passerelle de neige qui franchit, tel un pont suspendu, une trouée béante, mais le guide, qui l'a sondée avec son piolet, n'ose pas la prendre. Cependant, comme nous n'avons pas d'autres moyens pour nous dégager de cette impasse, elle nous apparaît comme notre unique planche de salut. Tandis que le guide se traîne doucement à quatre pattes, nous tenons la corde solidement enroulée au manche du piolet, enfoncé dans la neige. Un à un, nous rampons le plus légèrement possible, en évitant de faire un choc quelconque ou d'élever la voix, car la moindre vibration de l'air pourrait amener un effondrement de neige.

Au delà, le glacier s'aplanit. En quelques minutes, nous atteignons la base du col, que nous gagnons en creusant force marches, dans la neige durcie.

Le col d'Ak-Moïnok—c'est ainsi que nous le baptisons—atteint 4 560 mètres, et s'ouvre à l'extrémité est du contrefort qui sépare les deux vallées d'Inghiltchik et de Kaënde. Il est inutile de dire que nous avons été les premiers à le franchir; nous serons peut-être aussi les derniers.

Cette petite excursion a été la plus fructueuse entreprise de l'expédition; grâce à elle, nous avons été à même de connaître la vraie topographie du Khan Tengri. Celui-ci n'était aucunement le pic que nous avions aperçu depuis Oustchiar et qui s'élevait au fond du glacier de Kaënde. Il se trouve plus au nord, à vingt verstes du col d'Ak-Moïnok.

LE PIC DE KAËNDE S'ÉLÈVE À 6 000 MÈTRES.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le glacier d'Inghiltchik se divise plus haut en deux grandes branches, partagées par un contrefort au sommet duquel se dégage la pyramide du Khan Tengri. Ce pic se trouve, par conséquent, isolé, et n'a aucune attache directe avec les nombreuses chaînes qui rayonnent autour de lui. Il est certain, cependant, que l'ossature granitique de ce système de montagnes doit nécessairement former un ensemble homogène, et que le massif, au centre duquel surgit le Khan Tengri, comprend les contreforts du Saridjass-taou, d'Inghiltchik-tao, de Kaënde-tao et de Mouj-art-tao, pour ne parler que des principaux, et dont nous avons constaté l'existence.

Nous profitâmes des avantages exceptionnels que nous offrait le col d'Ak-Moïnok, pour faire des observations avec les instruments que nous avions apportés.

La descente se fit rapide, et en une heure nous arrivâmes au bivouac. Nous jugeâmes qu'il était désormais inutile de tenter l'ascension du pic de Kaënde, celui que nous prétendions être le Khan Tengri. Si le temps n'avait pas été aussi inconstant, et si nos Kirghizes avaient pu faire la navette entre le bivouac et le camp, nous y serions restés pendant quelques jours encore. Nous aurions voulu savoir comment le Khan Tengri était fait de l'autre côté, et il nous aurait été possible de lier convenablement, à des points de repère antérieurement définis, la trame de notre trigonométrie.

(p. 501) Le lendemain, les chevaux sont amenés de très bonne heure à notre camp, du milieu du glacier de Kaënde. Mais à quel état piteux étaient réduites ces pauvres bêtes; elles se tenaient à peine debout! Ayant enfourché mon coursier, il se refuse à faire un pas. Il semble avoir des jambes de bois. Je dois recourir à l'amabilité d'un Kirghize, qui me cède sa monture.

LA FILLE DU CHIRTAÏ (CHEF) DE KAËNDE, FIANCÉE AU KALTCHÈ DE LA VALLÉE D'IRTACH (page 496).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Cahin-caha, clopin-clopant, nous arrivons à l'endroit où nous avons laissé le djighite. Il est en faction, mais par hasard. Nous pensons bien, comme du reste il nous l'a avoué plus tard, qu'il n'est pas resté une minute à la garde de nos bagages. Il a passé son temps à consoler les femmes délaissées de Kaënde. Cependant, sa présence dans le pays a suffi pour éviter l'envie de nous enlever notre matériel.

Pendant deux jours de suite, nous sommes cloués sous les tentes, la pluie ne cessant un instant de tomber. Il est inutile que nous cherchions à nous déraidir les membres. Le terrain est imprégné d'eau, et on enfonce jusqu'à la cheville, sans compter que si nous nous écartions de quelques mètres nous servirions vite de cible à la mitraille que la montagne nous lance sans cesse d'en haut.

Les chevaux, quand ils ne s'engouffrent pas dans des trous que leur poids ouvre tout à coup, glissent de leurs quatre pieds jusqu'à la rencontre d'un rocher. Aussi ont-ils pris le parti de se tenir tous assemblés autour de nos tentes.

Toutefois, à force d'attendre, les nuages se dissipent, et nous pouvons, sans trop de risques, nous dégager de ces lieux si inhospitaliers. En quelques heures nous atteignons le campement des nomades, qui, pendant notre absence, se sont transportés plus en bas dans la vallée.

Les Kirghizes sont des gens très serviables; ils guettent la moindre occasion de se rendre utiles. Je ne comprends pas pourquoi des voyageurs ont osé les calomnier. S'ils sont rustres, ce n'est pas leur faute; mais sous cette écorce rude on retrouve quelquefois des sentiments, qui, pour émaner de barbares, ne sont pas moins très appréciables.

Nous comptions retourner à Prjevalsk en évitant de repasser sur le chemin que nous avions pris en venant. Tout en hâtant les étapes nous pensions visiter la vallée d'Irtach, où nous songions être en mesure de clore notre levé topographique qui, de la sorte, aurait embrassé tout le bassin du Djannart-sou.

Nos chevaux étaient tous plus ou moins fourbus; nous devions en outre traverser de grands cours d'eau, où ces pauvres bêtes, anémiées par le surmenage, n'auraient peut-être pas eu la force de sauver nos bagages. Devinant notre perplexité, le chirtaï nous offrit très obligeamment trois chameaux pour le transport des colis, et des chevaux de selle pour tous les membres de la caravane. À l'aoul d'Irtach on les remplacerait par des animaux du kaltchè, son futur gendre, auquel il envoyait immédiatement une estafette pour le prévenir.

Tant d'amabilité ne pouvait nous laisser insensibles: nous promîmes de le récompenser en payant largement les hommes qui nous accompagneraient, et de le recommander auprès du Gouverneur de Prjevalsk, et on partit. En quittant l'aoul nous dûmes distribuer des shake-hands à tous les membres de la tribu, tandis que les femmes se pressaient sur notre passage, nous présentant leurs nourrissons et nous criant à tue-tête: Koch! koch! «Adieu! adieu!»

(p. 502) On ne pourrait imaginer une vallée aussi singulière que celle de Kaënde. Longue de 60 verstes environ, elle se développe en serpentant irrégulièrement, s'enflant d'un côté pour se rétrécir de l'autre, ici coupée à pic, là s'évasant en de molles ondulations. La partie la plus caractéristique, sous le point de vue géologique, est celle qui vient après le col d'Oustchiar. Il semble que la dépression de celui-ci soit la résultante d'un affaissement subit de la montagne, et que les matériaux qui devaient s'y entasser jadis aient été entraînés au thalweg de la vallée. En bordure du fleuve s'élèvent, en effet, de fantastiques falaises, tranchées verticalement par l'affouillement des eaux, et tailladées, sillonnées, rongées par les ruissellements des pluies. Ces empâtements sédimenteux, déposés en couches successives, montrent à nu leur composition, qui rappelle vaguement une construction de l'époque romaine.

Chemin faisant, nous frôlons une nécropole kirghize. Le sol est éventré de trous, bosselé de buttes funéraires en argile battue, ou d'entassements de pierres. Les Kirghizes vénèrent leurs trépassés. Quand ils passent près d'un cimetière, ils ne manquent jamais de visiter les tombes de la famille, et d'y faire leurs prières. Si besoin est, ils s'arrêtent pour restaurer la sépulture. C'est pourquoi on voit celles-ci presque toujours en bon état.

En atteignant la limite inférieure de la vallée, nous sommes arrêtés par le Saridjass-sou, dont les eaux roulent avec fracas, bouillonnant entre des berges escarpées. En face de nous débouche la vallée d'Irtach, mais nous ne savons comment nous y prendre pour y arriver, car le gué de ce courant impétueux est absolument impraticable. Il ne nous reste d'autre moyen que de le remonter jusqu'à ce que nous trouvions un endroit où nous pourrons le traverser.

Nous suivons un sentier qui longe la rive gauche du Saridjass-sou, et nous finissons après mille difficultés par passer la rivière à gué.

LE KALTCHÈ (CHEF) DE LA VALLÉE D'IRTACH, L'HEUREUX FIANCÉ DE LA FILLE DU CHIRTAÏ DE KAËNDE (page 496).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

La vallée de Keou-eou-leou, que nous remontons ensuite pendant toute la journée, est assez quelconque, et aucun incident ne rompt la monotonie du chemin.

Au fond de la vallée, les Kirghizes qui nous accompagnaient depuis Oustchiar nous quittent, pour suivre la route qui, passant par le col de Karakol, mène directement sur Prjevalsk où ils sont dirigés.

L'ascension du col de Keou-eou-leou, haut de 4 160 mètres, est très lente; les chameaux, éprouvés par la raréfaction de l'air, s'arrêtent à chaque instant, afin de reprendre haleine.

C'est par une chaleur insupportable, que le jour suivant nous dévalons la grande ornière d'Irtach. Le terrain est jaune, les pentes des montagnes sont rouges, et le ciel est d'un bleu intense. Il nous semble voyager dans les ambas du centre africain. De temps à autre, des glaciers lointains se montrent discrètement dans l'entre-bâillement des gouffres qui fuient à droite et à gauche de la vallée. Soudain, celle-ci tourne brusquement au levant, flanquée au sud par une bizarre muraille de roches basaltiques, dont l'uniformité au faîte paraît trop étrange pour être naturelle.

Et nous descendons toujours, courbés sur nos montures, les yeux souffrants et le visage pelé par la réverbération du soleil. À la douzième heure de marche, comme nous ne rencontrons pas encore de nomades, nous nous arrêtons pour camper, malgré la résistance opiniâtre des Kirghizes qui veulent arriver le soir même chez le kaltchè.

Celui-ci, qui a été prévenu, vient nous rendre visite. Il sait déjà qui nous sommes, et ce que nous voulons de lui. Il nous donnera chameaux et chevaux à discrétion. Cependant, il se montre quelque peu froid et réservé, et ne semble pas très enthousiaste de notre présence, comme l'avait été le chirtaï.

Le prince et moi, nous profitons d'une journée de repos, pour rendre visite au chef. Il nous reçoit (p. 503) dans une yourte luxueuse, richement décorée pour l'occasion. Nous prenons place sur un tapis de fourrures et nous nous accroupissons à la mode kirghize. Autour des parois on a accroché des tapis authentiques de Kachgar, entremêlés de festons d'étoffes voyantes.

 
 

LE GLACIER DE KAËNDE.

CHEVAL KIRGHIZE AU REPOS SUR LES FLANCS DU KAËNDE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Tout de suite le kaltchè introduit ses femmes qui, après une révérence, se ratatinent en demi-cercle en face de nous. Au milieu on étend une toile, sur laquelle, apportés par des domestiques, s'amoncellent des plats de viandes fumantes, puis des vases de lait, du thé, du sucre et des borsaks. Tout cela est bien embarrassant pour nous, qui venons de faire notre déjeuner au camp.

Malgré nos dénégations, le kaltchè nous force à accepter une côte de mouton qu'il nous tend avec le bout de ses doigts. Il a eu soin de choisir des morceaux bien gras, ce qui fait qu'il nous est impossible de les avaler. Notre geste n'a pas été inaperçu par le chef, qui ordonne de préparer un autre mets. Mais, hélas! en le voyant préparer, il nous enlève toute envie de l'ingurgiter. Voici la recette: on râpe de la viande dans des bols de bouillon, on la pétrit avec les mains en ayant soin que la pâte jaillisse entre les doigts; puis on saupoudre d'herbes et de sel, et on sert.

Nous acceptons cependant, pour lui faire plaisir, quelques bols de thé et de lait. Avant de nous les offrir, un Kirghize chasse soigneusement avec une paille les corps étrangers qui flottent sur le liquide; après que nous les avons vidés, les bols sont léchés avec plaisir par les femmes, qui ne laissent pas perdre une goutte du liquide. Ces deux petits traits démontrent le sans-gêne vraiment naïf qui règne encore dans les mœurs kirghizes.

Nous allons ensuite faire une excursion dans les trois vallons qui prennent le nom collectif de Outch-koul, les trois lacs. En réalité, il n'en existe qu'un seul, dans la combe qui se montre la première, et qui, pour ce fait, est appelée Bach-koul. C'est un endroit très propice pour l'hivernage.

29 août.—Afin de coordonner et clore notre levé topographique, Zurbriggen et moi nous grimpons sur la pointe qui se dresse au sud de notre camp. C'est le point le plus élevé de l'Ichigart-tao, qui sépare les deux vallées d'Irtach et de Djannart.

Nous évitons les coulées d'éboulis, en suivant l'arête nord, hérissée de clochetons dolomitiques qui nous donnent pas mal de fil à retordre. Nous croyions le chemin facile et nous avions oublié de nous pourvoir d'une corde, ce qui nous oblige à des tours de force de gymnastique, où Zurbriggen fait des miracles d'équilibre. Et dire que, par l'autre versant, un cheval aurait pu arriver sur le sommet! Tandis que nous risquions inutilement notre peau, que nous suions sang et eau, que nous nous arrachions les ongles, nous aurions pu ailleurs avoir le même résultat en nous promenant les mains dans les poches!

Cependant, nos peines sont bien récompensées par le panorama splendide dont nous jouissons depuis le sommet du Karahoum, qui mesure 4 150 mètres d'altitude. C'est surtout vers le mystérieux plateau du Djannart que nous jetons notre dévolu, et nous y braquons nos appareils.

Nous ne croyons pas qu'on puisse rencontrer aussi facilement ailleurs des contrastes et des surprises (p. 504) aussi inexplicables que dans les monts Célestes. Nous eûmes déjà maintes fois l'occasion de signaler ce fait. La nature semble ici avoir obéi à des lois particulières, dont le dispositif est et demeure très complexe et difficile à étudier. Comment se sont-elles formées et par quelle suite de métamorphoses ont-elles passé, ces bizarres montagnes, pour se manifester en un si complet désaccord avec l'idée que nous nous sommes forgée d'un soulèvement terrestre?

En attendant que des voyageurs plus perspicaces tranchent cette obscure question, contentons-nous de relever l'anatomie de cette vaste cuve, dont l'ensemble constitue la vallée de Djannart. Longue d'environ 150 verstes, large de 100, elle se déploie comme une immense arène, presque plate au milieu, et s'évasant tout autour par une haute muraille de montagnes.

Au sud, se développent les crénelures neigeuses du Kook-chaal-tao, démasquant la frontière russo-chinoise. De nombreux glaciers s'alignent et se pressent les uns contre les autres, escaladent les roches, ou s'épanchent lentement dans les courbes comme des coulées de cristal. Dans ce contrefort, nous distinguons les vallées de Djannart, qui donne le nom à tout le bassin, du Kaïtchè et de Bichirtik; puis, au fond, celle d'Ichtik, qui aboutit au plateau de Karagan. Vient ensuite la vallée d'Akchirak, qui prend origine au col du même nom, point de départ du chaînon sur lequel nous nous trouvons.

De notre belvédère, nous revoyons avec plaisir des pics connus: la pointe d'Oustchiar, le Kaënde-tao, le Khan Tengri, le Kizil-tao, puis les groupes de Terekty et de Keou-eou-leou, d'où émerge un horn tout saupoudré de neige, qui nous rappelle involontairement le Cervin. Au couchant, jaillissent les dômes qui couronnent le glacier de Prétovsk, la source prétendue du Syr-Daria.

À notre départ du camp, nous assistons à un enterrement kirghize. Il y a quelques jours, les bergers d'Irtach ont découvert un cadavre dans le torrent. Le kaltchè, ne pouvant le reconnaître, a fait de suite colporter la nouvelle, qui est parvenue jusqu'à Prjevalsk, où se trouvaient les parents du défunt. Pendant ce temps, on a immergé le cadavre dans l'eau, en l'y maintenant par des pierres et des cordes. C'est un système frigorifique usité par les nomades.

À l'arrivée des parents, on a transporté le cadavre sur une civière improvisée, jusqu'à l'endroit destiné à l'inhumation. C'est ici qu'a lieu la cérémonie, à laquelle nous sommes présents. Elle est très sommaire. Le kaltchè demande aux parents s'ils reconnaissent bien le mort pour un des leurs; à leur réponse affirmative, il fait répéter à haute voix, par tous les assistants, que le tel des tels est trépassé par suite d'un accident. Puis on enveloppe le cadavre dans des feutres, on le ficelle avec des cordes, et on le descend dans la fosse, pendant que les parents font mine de larmoyer. On tourne ensuite autour du trou en y jetant à chaque pas une poignée de terre, jusqu'à ce qu'il soit comblé; après quoi on y amoncelle un tas de pierres. C'est une sépulture très expéditive et pas beaucoup compliquée; au surplus elle ne coûte pas grand'chose.

Le soir, en campant sur le haut de la vallée d'Irtach, nous apprenons pourquoi elle s'appelle ainsi. C'est à cause d'une pierre qui présente vaguement la forme d'une selle de cheval. Ce phénomène est connu à cent lieues à la ronde; tous les nomades qui ont occasion de passer par là, ne manquent pas d'aller la voir et d'y apporter un tribut de crânes d'animaux. La pierre est placée sur un gros bloc erratique, autour duquel s'amoncellent les cornes de toutes espèces de bêtes.

(À suivre.) Jules Brocherel.

RETOUR DES CHAMPS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 505) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—43e LIV. No 43.—28 Octobre 1905.

FEMMES KIRGHIZES DE LA VALLÉE D'IRTACH.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES[4]
Par M. JULES BROCHEREL.

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion.

UN CHEF DE DISTRICT DANS LA VALLÉE D'IRTACH.

La vallée d'Irtach, longue de près de 100 verstes, présente la forme d'un Z très ouvert; le trait supérieur s'appuie au Terskeï-ala-tao, qui ferme au sud le bassin du lac Issik-koul. À l'extrémité du trait, à la place du petit croc descendant, s'ouvre le col de Djoukoutchiak, très fréquenté par les nomades qui se rendent au marché de Prjevalsk. C'est le chemin que nous prenons pour notre retour.

En face du col, du côté sud, circule une belle rangée de prés entremêlés de glaciers, dont les torrents sillonnent un vaste plateau et se recueillent dans une multitude de petits lacs marécageux.

Ce col, haut de 3 850 mètres, est très périlleux pour les chevaux; aussi les deux versants sont-ils jalonnés de cadavres en putréfaction ou de squelettes décharnés par les vautours, qui s'envolent en avant, sur notre passage. Il faut d'abord s'ouvrir une route au milieu des pierres, puis on escalade une épaule de glace, au delà de laquelle on suit le dos des moraines jusqu'à la rencontre des premiers pâturages.

Peu à peu nous quittons la région de la haute montagne pour celle des forêts. Le versant nord du Terskeï-ala-tao est très boisé et habité par une telle profusion d'animaux, qu'on ne peut faire un pas sans que des quadrupèdes se faufilent sous les voûtes des buissons, ou que de ceux-ci s'échappent des nuées d'oiseaux.

Le vallon se joint à la vallée de Zououka, par laquelle transitent habituellement les caravaniers qui font le service des transports entre Viernyi et Kachgar. Ce service est entre les mains d'une tribu de Sartes qui en ont le monopole, et se le passent de père en fils. Tout en voyageant, ils trouvent encore le moyen de marauder chez les nomades en leur échangeant des pelleteries de prix pour des toiles de coton ou de la quincaillerie russe. Ces caravaniers passent leur vie à travers les (p. 506) monts Célestes, en toute saison. Leur famille les suit toujours; les femmes montent à califourchon sur des ballots de coton ou des cylindres de toile, et les enfants sont emprisonnés dans des cages en bois placées latéralement au bât du cheval.

En arrivant à la douane de Zououka, établie à l'embranchement de la vallée, nous assistons à la visite des marchandises. Elles sont étalées sur l'herbe dans un pittoresque pêle-mêle, avec les chiens et moutons qui passent dessus. Les douaniers enregistrent, sans se presser, les articles taxés, fouillent avec un cruel acharnement les moindres colis, jusqu'à faire déshabiller les femmes pour vérifier si elles n'ont rien de prohibé sous leurs dessous. Bien entendu ces fonctionnaires ont toujours raison; la résistance des femmes ou les invectives et les apostrophes des maris ne les émeuvent guère. Quelquefois, pour aplanir les difficultés et trancher les différends, les gabelous ont recours à quelques coups de trique.

Ces femmes sont habillées luxueusement, pour des voyageuses. Elles portent de gros bracelets en argent au cou, et aux oreilles leur pendent de longues chaînettes qui battent sur les épaules, et s'embrouillent à chaque instant aux boutons de la veste.

À partir de Zououka, la vallée s'ouvre largement; ses deux flancs déclinent à vue d'œil et deviennent deux longues collines, semblables à deux murailles en briques. En effet, d'énormes dépôts de roches sédimentaires, de couleur rouge, striées horizontalement de profonds sillons et tailladées de petits coups tranchants, vous donnent l'illusion frappante de deux immenses digues, élevées pour contenir un torrent imaginaire. Le sol sur lequel nous marchons est partout de la même teinte, ce qui fait qu'à la moindre pluie, la rivière prend l'aspect d'un courant de sang, sortant d'un abattoir cyclopéen.

À mesure que nous descendons et que la montagne s'écarte, nous entrevoyons vaguement, comme dans un rêve, une blanche dentelle qui barre tout au fond l'horizon, comme un brise-bise suspendu dans le ciel. C'est le Koungheï-ala-tao, s'élevant au delà du lac Issik-koul, dont la nappe d'eau, d'un bleu tendre, se dilue à droite et à gauche, à perte de vue, dans la buée d'or qui se dégage du sol.

Le bassin du lac Issik-koul, en quelque endroit qu'on se trouve, est vraiment enchanteur. Le paysage accuse des teintes si variées et si légères, et les lignes du tableau sont si indécises et si vastes, qu'en les admirant vous restez émerveillé et ébloui de cette grâce inattendue et de cette grandeur un peu factice, qui vous semble incommensurable.

Mais nous arrivons bientôt à Slifkina, un village de Kozaques qui est à l'avant-garde du règne de la civilisation, du côté des monts Célestes. C'est la dernière agglomération de Russes, dans la limite du sud et de l'ouest du lac Issik-koul. Au delà, le Terskeï-ala-tao tombe par endroits à pic dans les eaux du lac, et les rivages, quand ils se présentent plats, sont toujours inhabités, même par les nomades.

LE PIC DU KARA-TACH, VU D'IRTACH, PREND VAGUEMENT L'ASPECT D'UNE PYRAMIDE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

On ne saurait redire la joie que nous éprouvons en revoyant des êtres humains qui ne sont plus des Kirghizes, et des habitations autres que des yourtes. On se croit presque dans une grande ville.

Les chevelures d'étoupe et les costumes écarlates des Kozaques ne nous choquent plus; et la face joufflue et rubiconde des femmes russes paraît s'être idéalisée pendant notre absence. Nous arrivons jusqu'à les trouver belles.

Nous nous rattrapons de notre longue abstinence, en faisant bombance pendant tout le restant de la journée. Nous nous bourrons de pivo et de grosses pommes dorées. Le soir, nous faisons un dîner plantureux: des œufs, un poulet, des pommes de terre, du riz et du dessert.

LES CARAVANIERS PASSENT LEUR VIE DANS LES MONTS CÉLESTES, EMMENANT LEUR FAMILLE AVEC LEURS MARCHANDISES (page 506).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Slifkina ou Kizil-sou, comme l'appellent les Kirghizes, se trouve à trente verstes au couchant de (p. 507) Prjevalsk. Ce n'est plus sur les glaciers, au bord des précipices, ou entre des pierres, que nous caracolons, mais sur une belle route toute blanche, qui se déploie comme une écharpe à travers un tapis de verdure. Nous ne sommes plus désormais inquiétés par la traversée des fleuves: les rivières que nous rencontrons, nous les passons sur des ponts solides, où gaîment retentissent les sabots des chevaux.

Pourtant, malgré cette tranquillité et cette sûreté d'âme, après une vingtaine de verstes de ce paysage plat et uniforme, nous trouvons que le décor devient monotone, et que nous nous y fatiguons presque plus que sur les montagnes. Et puis une poussière!... et un soleil!

Peu après, nous étions à Prjevalsk. Au lieu de nous réinstaller à la maison de poste, pour ne pas en perdre l'habitude nous campons dans un verger.

Le surlendemain, 4 septembre, tout le monde rentre dans ses foyers; Zurbriggen et Abbas partent pour Tachkent, et le Prince et moi nous prenons la route des écoliers, du côté de la Sibérie.

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirgizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion.

La science n'a pas encore dit son dernier mot sur les tribus composites qui se disputent les piètres ressources de la portion de l'Asie centrale que nous venions de parcourir. Bien des voyageurs croient pourtant avoir tranché cette question ardue d'une façon définitive. Quand les recherches du savant peuvent s'appuyer sur l'histoire et que des documents positifs démontrent la connexité de certains événements, on peut toujours échafauder un raisonnement qui ne s'écarte pas trop de la vérité. Mais les peuples ne sont pas censés avoir tous une histoire, ne possèdent pas tous des preuves matérielles de leur ancienneté et des monuments qui rappellent leurs antécédents. Isolés par des montagnes ou des déserts, n'ayant jamais subi l'influence d'une civilisation ou l'ayant évitée, pour conserver leur liberté, ces peuples sont restés à l'état primitif. Vivants avec les animaux et comme des animaux, ils n'ont jamais éprouvé le besoin de secouer leur somnolence.

Les Kirghizes sont de ceux-là. Ils n'ont presque pas changé depuis deux mille ans. Et pendant cette longue série de siècles, ils n'ont rien fait qui puisse éclairer l'érudit sur l'arbre généalogique de leur race et les vicissitudes de leur existence.

On se perd encore en conjectures sur la provenance du mot Kirghize. En turc, il semble que ce serait quelque chose comme: coureurs de champs. Dans l'idiome des nomades ce mot signifie «quarante filles»: Karr-Keuz. À notre avis, il faut recourir au chinois pour en avoir l'étymologie exacte.

Depuis le Xe siècle de notre ère, les livres chinois mentionnent l'existence d'un peuple dans le Tien-Chan-Nan-Sou, la route méridionale des monts Célestes. Plus tard, vers la fin du XIIIe siècle, le célèbre missionnaire Hiouen Tsang, qui, le premier, traversa le continent asiatique, parle des Ki-zi-li-tzé, dont il avait pu, en passant, étudier les mœurs. Il nous dit avoir rencontré les Kirghizes dans les vallées de la (p. 508) Dzoungarie. Ces vallées n'auraient été que leur patrie d'adoption, car, d'après les légendes, ils avaient dû habiter auparavant l'Altaï oriental. Pourchassés continuellement par les Mongols au sud, et par les Tatars au nord, ils se virent forcés de se transporter dans le Tabargataï, et, de là, quelques siècles après, dans les monts Célestes. Le nom primitif de Ki-zi-li-tzé, se serait transformé, plus tard, en celui de Kirr-ki-tzé, quand le peuple embrassa la foi mahométane.

M. Ujfalvy de Mezö-Kovesd, pendant sa mission dans le Turkestan, a cru entrevoir des affinités de races entre les habitants du steppe et ceux de la montagne. Selon lui et plusieurs autres voyageurs, il n'existerait aucune différence entre les Kara-Kirghizes et les Kirghizes-Kazaks, les nomades de la plaine. Si ces deux peuples mènent le même genre de vie et s'habillent d'une façon presque identique, leur langue n'en est pas moins très différente. Et puis, ils sont animés les uns à l'égard des autres d'une haine si féroce, qu'il semble impossible de concevoir qu'ils soient du même sang.

Si l'on envisage la question au point de vue anthropologique, on peut constater aussi des dissemblances très prononcées entre les deux types. La constitution de leur corps, la tête, la nuance de leur teint, la couleur et la forme des cheveux, n'ont presque pas d'analogie. Il est donc imprudent de vouloir certifier que les Kazaks soient des Kirghizes. Il faudrait, pour élucider ce problème, des données probantes, recueillies pendant un long séjour dans les lieux mêmes.

Il n'y a pour nous, que les Kirghizes—ou Bourouts,—peuplade qui habite exclusivement dans les vallées du Tien Chan, du Pamir à la Dzoungarie, du lac Issik-koul à Ak-sou.

Il serait impossible de faire une évaluation, même approximative, de la quantité d'individus qui composent le peuple kirghize. On parle de 400 ou 500 000; mais ils sont certainement deux fois plus nombreux. Lorsqu'on demande à un chef de dire combien de têtes compte son aoul, il ne le saura pas; en revanche, il vous dira le chiffre exact de ses chevaux et de ses moutons.

On ne peut guère classer les Kirghizes dans un ordre quelconque. Leur pays n'est pas connu dans son entier, et par conséquent il serait puéril de dénommer des tribus qui n'ont pas encore été en contact avec les voyageurs. Les renseignements que les nomades vous donnent quelquefois, doivent toujours être contrôlés, avant d'être acceptés. Cependant, jusqu'ici, on partage le peuple kirghize en deux grandes branches: celle de gauche et celle de droite. La première catégorie s'appelle sol et comprend tout le bassin du Naryn, du haut Oxus et du Kook-chal-daria. Elle se divise en quatre tribus: Koutchi, Sorou, Moundouz et Kitaïs. Cette dernière dénomination s'applique spécialement aux habitants du territoire chinois.

LA VALLÉE DE ZOUOUKA, PAR OÙ TRANSITENT LES CARAVANIERS DE VIERNYI À KACHGAR (page 505).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

La branche de droite, appelée on, réside dans le bassin du lac Issik-koul et dans les vallées attenantes au massif du Khan-tengri. Elle est divisée en sept tribus: Bogon, Sary-Baghichtch, Son-Baghichtch, Soulton, Echérik, Sagaz et Bassindz.

Le Gouvernement russe les a classés autrement. Partant de ce principe que l'habitant d'un aoul, quand il parle de celui d'une autre vallée, dit simplement: celui ou ceux de tel village, il les appelle selon le lieu où ils campent habituellement. Ainsi les Tourghensky sont ceux qui hantent le vallon de Tourghent, et ainsi de suite. Il va sans dire que les Russes ne connaissent pas le nombre exact de leurs sujets kirghizes. La plupart de ceux-ci échappent encore actuellement à la dîme, pourtant modique, de un rouble et demi par yourte ou famille. Ce tribut, c'est l'unique lien qui les tienne attachés à la Russie, car tels ils étaient avant l'occupation du Turkestan, tels ils sont encore aujourd'hui, c'est-à-dire des gens libres et indépendants.

LE MASSIF DU DJOUKOUTCHIAK; AU PIED, LE DANGEREUX COL DU MÊME NOM FRÉQUENTÉ PAR LES NOMADES QUI SE RENDENT À PRJEVALSK (page 505).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

(p. 509) Le Kirghize est généralement bien bâti, et très fort. Il a le nez épaté, rarement aquilin, l'angle facial un peu fuyant, les zygomas très saillants, et les yeux noirs, petits et un peu obliques, qui rappellent ceux des Chinois. La barbe et la moustache sont très peu fournies. Les villosités sont presque toujours noires et lisses. Souvent on aperçoit parmi eux des types purement mongols. On en rencontre quelquefois des blonds, mais c'est l'exception. Les hommes sont relativement bien taillés et d'un aspect agréable.

En revanche, il est rare de trouver des femmes un peu avenantes. Les jeunes filles ont des traits réguliers et sont en général potelées, mais les lignes sont trop accusées. Elles ont seulement de très beaux yeux noirs et des dents superbes. Le costume qu'elles portent ne contribue certes pas à rehausser leur physique.

L'accoutrement du Kirghize est très élémentaire. Par-dessus une chemise en cotonnade imprimée, aux manches démesurément longues, et un large pantalon également en toile, serré à la ceinture par une coulisse, le Kirghize, homme ou femme, endosse toujours une veste en cretonne capitonnée de laine ou d'ouate qui s'agrafe sur la poitrine par des boutons en bois et se serre à la taille au moyen d'une écharpe enroulée et nouée sur le devant. Les manches en sont très courtes; elles n'arrivent même pas au coude, en sorte que la chemise tombe sur la main, et doit être à chaque instant rejetée par un mouvement vif du poignet. Il y a des siècles que les Kirghizes font ce geste.

Ce rudimentaire habillement constitue la toilette d'intérieur, ou, si l'on préfère, celle que l'on porte généralement dans le village, en été. Ajoutez à cela une espèce de botte arrivant jusqu'au genou, avec un talon haut de 10 centimètres au moins, et une calotte crasseuse cachant la nudité du crâne soigneusement rasé, et vous connaîtrez tout l'équipement du Kirghize.

Par les temps froids et en voyage, le Kirghize se protège cependant contre les intempéries par un ample tchiapann, sorte de grand pardessus matelassé, qui cache toute sa personne. Selon la température, il en porte un, deux ou trois, et même davantage, s'il le faut. Il coiffe alors son chef d'un chapeau rond en feutre blanc, avec les ailes bordées d'une large tresse noire, s'abaissant sur le devant et relevées par derrière. Ce couvre-chef est une réminiscence chinoise, et, comme il n'est pas toujours facile de se le procurer, on le remplace par un bonnet en feutre grossier doublé de peau d'agneau, avec le poil en dedans. Cette coiffure n'est pas disgracieuse du tout, et complète admirablement le costume. Elle a surtout l'avantage très (p. 510) précieux, sur les montagnes, qu'elle permet de protéger les oreilles; elle peut se porter la peau en dehors en cas de pluie.

Les femmes sont vêtues exactement comme les hommes: les détails seuls varient. Ainsi les bottes sont plus élégantes, bordées de soie, ornées de gaufrages en cuir de couleur, et, à la semelle et au talon, de pointes en cuivre. Les pantalons sont plus larges et plus longs; le tchiapann est d'une étoffe plus voyante et riche, souvent en soie de Bokhara ou de Kachgar.

Ce qui distingue surtout les femmes kirghizes, c'est la blanche cornette qui les coiffe, en leur donnant un air monacal. Imaginez un cylindre, haut de 30 centimètres, formé d'une bande de toile empesée, s'enroulant autour du crâne, et dont les deux bouts flottent sur le dos. Les cheveux sont soigneusement relevés et emprisonnés dans cette boîte, qui sert, en outre, de poche pour y déposer temporairement les menus objets dont la femme a besoin à chaque instant. Comme vous voyez, c'est très pratique. Les cheveux sont réunis en deux ou trois tresses, dont quelques-unes descendent sur le dos et portent attachée une chaînette ou boucle. À l'extrémité inférieure de celle-ci pend un trousseau de clefs et de plaques en cuivre, qui tombe sur les talons, de telle sorte qu'au moindre mouvement on entend un bruit de ferraille semblable à celui que produit un forçat en marchant.

Ce turban ou «életchik», est l'uniforme des femmes mariées. Les jeunes filles sont plus coquettes. Elles s'ornent la tête d'une toque de fourrure de renard, avec un petit panache de plumes d'aigle, en guise d'aigrette. Les cheveux sont partagés en plusieurs nattes, qui tombent de chaque côté des tempes et sur le dos, ces dernières retenues par une pièce d'étoffe agrémentée de verroteries et de coraux. La jeune fille en quête d'un mari est chamarrée de bijoux, et richement vêtue. Mais cette coquetterie, elle devra la payer bien cher plus tard, car elle deviendra l'esclave d'un homme souvent brutal, toujours autoritaire.

La yourte kirghize n'est pas aussi spacieuse que celle des Kazaks et que la kibitka des Turkomans. Elle est de proportions plus modestes et d'un aspect moins luxueux. Les Kirghizes sont contraints à de fréquents déplacements, à cause de la pauvreté des pâturages. D'un autre côté, la rigueur et la durée de la mauvaise saison les obligent à réduire les dimensions de leur home, afin de condenser le maximum de chaleur avec le minimum de combustible, celui-ci étant très rare.

LE CHAOS DES PICS DANS LE KARA-TAO.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

La tente kirghize se compose d'un treillis en bois flexible, fixé au sol par des piquets et entre-croisé au moyen de lanières en peaux. Cette charpente s'élève sur une hauteur de 2 à 3 mètres sur autant de largeur. Le plafond est soutenu par des tringles en bois, convergeant en rayons au milieu du dôme, où est pratiquée une ouverture circulaire, qui sert en même temps de cheminée et de fenêtre. Au-dessus de cette frêle carcasse, on adapte de grands feutres tenus adhérents par un système de cordes. Le tout se dresse et se démonte en quelques minutes. L'ensemble forme la charge de deux chameaux. L'intérieur est fort simple, même chez les riches. Les piles de feutres servant de matelas pendant la nuit, des coffres en bois, des outres, des harnais et d'autres objets de moindre importance, traînent un peu partout, accrochés aux parois, ou jonchant le sol. Au milieu de la yourte, posée sur trois pierres verticales ou sur un piédestal en fer, trône une énorme marmite—le kazan—qui constitue l'unique (p. 512) récipient que les nomades emploient pour popoter leur cuisine. Le matériel dont les Kirghizes disposent pour leurs différentes occupations journalières, n'est pas très compliqué. En dehors du kazan, ils possèdent une sorte d'aiguière en cuivre ciselé, et deux ou trois bols en bois; comme fourchette, ils se servent de leurs doigts. Pour les manipulations du lait, ils n'ont que des seaux en peau brute pour le traire et des outres pour le conserver.

ÉTALON KIRGHIZE DE LA VALLÉE D'IRTACH, ET SON CAVALIER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les Kirghizes ne connaissent pas l'emploi des allumettes: chacun d'eux est armé d'une petite sacoche en cuir contenant une pierre, un fragment de fer et de l'amadou. Cette pochette et un petit couteau à lame fixe ne les quittent jamais; il les tiennent en permanence attachés à leur ceinture. Le couteau s'emploie aux usages les plus divers: à abattre les animaux, à racler les peaux, à se raser la tête, à tailler le bois, etc.; c'est, en somme, l'unique instrument tranchant que connaissent les nomades.

VÉHICULE KIRGHIZE EMPLOYÉ DANS LA VALLÉE D'IRTACH.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Tous les travaux sont à la charge des femmes. Elles ont de quoi s'occuper pendant toute la journée. Le matin, une fois le bétail rendu aux pâturages, elles fabriquent le koumiss avec le lait de la veille; elles tannent des peaux, battent des feutres, tissent des tresses, confectionnent des vêtements, et, si le temps le permet, elles brodent des morceaux d'étoffe avec de la laine. Le soir à l'arrivée des troupeaux, aidées par les jeunes filles et les garçonnets, elles trient les animaux, et les attachent à de longues cordes fixées au sol. Malgré ce dur labeur, qui ne leur laisse pas un moment de répit, les femmes kirghizes ne semblent pas trop se plaindre de leur sort. Elles sont très gaies; elles jasent et chantent tout le temps.

Les hommes passent leurs journées à surveiller leurs femmes, tout en se racontant réciproquement des histoires, et tiennent des conciliabules sur les coups à faire. Leurs discours roulent presque toujours sur les chevaux. La langue kirghize, peu développée en général, abonde en expressions qui ont trait aux chevaux; ceux-ci reçoivent pour chaque année d'âge un nom particulier. Ils ne leur ont pas voué de culte comme l'Arabe, ils n'ont pas su élever et ennoblir leur nature, mais ils s'en servent constamment, et ne sauraient presque vivre sans leurs coursiers qui remplissent une partie de leur existence.

Si le monde antique plaçait le Tatar dans ces contrées inconnues et croyait reconnaître dans ces hommes sauvages la figure d'un centaure, demi-homme et demi-cheval, il faut convenir que le Kirghize répond aujourd'hui encore à l'idée du centaure. Il faut le voir à cheval: agile et droit, il ne semble faire qu'un avec la selle, et, bien que celle-ci soit plus que rudimentaire—elle est en bois,—il accomplit sans la moindre fatigue les plus longs voyages, et par des sentiers presque toujours dangereux.

LES ROCHES PLISSÉES DES ENVIRONS DE SLIFKINA, SUR LA ROUTE DE PRJEVALSK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

En revanche, le Kirghize déteste les courses à pied, et il évite, même quand il le peut, une centaine de pas. Il se fatigue vite. Ainsi, pour se rendre d'une yourte à l'autre, il tient en permanence une monture devant sa tente. Il est vrai qu'il est paresseux au plus haut degré, et que la plupart du temps il sommeille comme un rongeur. Il ne peut se tenir debout pendant plus de quelques minutes. On ne saurait imaginer deux Kirghizes causant dans la position verticale. Quand ils ont quelque chose à se dire, ils s'accroupissent sur leurs talons, et, se prenant mutuellement par la main, ils débitent leurs nouvelles. Dans cette posture gênante ils sont capables de demeurer une demi-journée.

Le Kirghize élève des chevaux non seulement pour les monter, mais aussi pour en tirer le koumiss. En général, tous les Orientaux raffolent de ce nectar, mais aucun n'en est aussi friand que le Kirghize. Il ne vit que de lui et que pour lui. Vouloir l'en priver, c'est comme lui ôter l'air qu'il respire. S'il n'en est pas repu, rien ne l'arrêtera: il lâchera votre caravane pour explorer les replis de la montagne, afin de découvrir un aoul où il puisse se rassasier.

CAMPEMENT KIRGHIZE, PRÈS DE SLIFKINA.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

(p. 513) L'outre du koumiss est à la disposition des passants. On ne la refuse jamais aux voyageurs. Aussi quand il se met en route, le Kirghize n'a-t-il aucune envie de prendre de quoi se sustenter pendant le voyage. Il compte toujours sur les aouls qui s'égrènent le long du chemin.

En dehors du koumiss, dont il fait usage à tout moment, le Kirghize ne prend qu'un repas par jour. Assemblées dans la yourte, dix, quinze, vingt personnes se renouvellent autour du kazan, contenant un mouton tout entier. Chacune d'elles sort son pitchiak de sa gaine, empoigne un os quelconque, et puis, allons-y! tant que ça dure on fait agir les mâchoires. Et l'on puise à tour de rôle dans le bouillon. Ensuite on trinque avec le koumiss, qu'on a eu soin d'agiter préalablement dans son outre pour lui donner de l'effervescence.

Aussi, après s'être repu de la sorte, le Kirghize perd sa résistance et se laisse volontiers entraîner par la somnolence inévitable d'une digestion laborieuse.

Les gens riches font usage de thé et de pain. Celui-ci est fabriqué sur place, avec de la farine d'orge, qu'on roule en boulettes et qu'on grille dans de la graisse de mouton.

Le combustible employé par les Kirghizes consiste presque uniquement en tiges et en racines de teo-goïrouk—queues de chameaux,—ainsi appelé à cause de la ressemblance des branches avec l'appendice de cet animal. C'est un buisson, du genre du rhododendron, qui s'enfonce profondément dans le sol et s'épanouit en un bouquet de ramilles épineuses, hautes d'un demi-mètre environ. Cette plante pousse jusqu'à 3 000 mètres d'altitude, toujours sur les versants tournés au nord.

C'est grâce à cet arbuste providentiel que les nomades peuvent séjourner dans les hautes vallées du Tien-Chan, qui, se trouvant près des glaciers, conservent longtemps leurs herbages verdoyants en dépit de la chaleur estivale.

Mais lorsque, à cent lieues à la ronde, il lui est impossible de rencontrer du bois, le Kirghize a recours à la fiente des animaux, pour entretenir son feu. Un brasero semblable ne produit pas, précisément, une atmosphère très respirable dans l'intérieur de la yourte, mais heureusement le Kirghize ne possède pas un odorat très subtil.

À temps perdu, le Kirghize se fait braconnier. Il dresse des aigles pour la chasse des renards et des bêtes à fourrure. Il assomme les loups à coups de matraque; pour les gros animaux, comme les ours et les ovis poli, il s'arme d'un fusil à silex, portant attaché à un tiers du fût un chevalet mobile, qui sert (p. 514) d'appui pour le tir. Cependant, ce Nemrod n'est pas très dangereux pour les animaux de toutes sortes qui pullulent dans les vallées des monts Célestes. Il ne chasse que pour ses besoins; rarement il fait commerce de pelleteries.

On a souvent dit que les Kirghizes étaient farouches et indomptables. Nous les trouvâmes, au contraire, très soumis et débonnaires. En cela ils diffèrent des Kazaks, qui sont pillards et traîtres. Les Kirghizes n'ont pas l'esprit belliqueux des Turkomans ou des Afghans; ils sont avant tout et surtout poltrons. Quand ils n'ont rien à risquer, ils ne ratent pas le coup. Le vol, chez eux, est un délit à l'ordre du jour. Aussi ont-ils la précaution de tenir sous l'œil leurs troupeaux, qui, pendant la nuit, sont assemblés près de l'aoul et gardés par des chiens.

Les Kirghizes sont d'une bonhomie et d'une naïveté vraiment extraordinaires. Cette simplicité de caractère provient peut-être du genre de vie qu'ils mènent et de l'isolement dans lequel ils passent leur existence. Ils sont fatalistes en toutes circonstances. Tout leur est présage, bon ou mauvais: la chute d'un fil sur une pierre blanche, la nuance de la flamme, la couleur ou la forme d'un nuage, la rencontre de tel animal, ou la vue de telle fleur, tout cela a une signification pour eux, et sur ces riens ils règlent souvent les actes de leur vie.

Pour conjurer les mauvais esprits ils recourent à toutes sortes d'expédients. Leur puérilité ne connaît pas de limite. Ainsi une pierre un peu bizarre, la présence d'un arbuste dans la fêlure d'une roche, la chute d'un aérolithe ou une source d'eau thermale, prennent pour eux les proportions d'un miracle, et ils ne s'approchent de ces objets qu'après des tours de bras et des génuflexions réitérées.

Ils se disent mahométans sunnites, mais en réalité ils ne le sont point. Ils ne font ni les ablutions, ni les prières prescrites par le Coran; ils n'ont ni mosquées ni mollahs, et ils ne connaissent aucunement les pèlerinages au tombeau du Prophète. Ils ont bien conservé de l'islamisme certaines pratiques et coutumes qui les assimilent à la religion de Mahomet, mais il ne faut voir dans cela que des simagrées que les Kirghizes étalent devant les étrangers. En fait, ils ne professent aucune croyance bien déterminée; ils relèvent plutôt un peu de toutes les sectes qui jadis foisonnaient dans l'Asie du nord. Cependant, s'il y a un précepte du Coran qu'ils suivent à la lettre, c'est bien celui qui conseille la pluralité des femmes. Autant que cela lui est possible, le Kirghize épousera une, deux, trois femmes, et même davantage.

Le contingent des femmes est en rapport avec la quantité des troupeaux que le Kirghize possède. C'est avec cette valeur marchande qu'il achète ses épouses.

FEMME KIRGHIZE TANNANT UNE PEAU (page 512).—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Accompagné de quelques parents et amis, il parcourt monts et vaux, fouille tous les aouls, sonde par-ci par-là, use de toutes sortes de subterfuges pour dénicher les kez, qui demeurent presque toujours invisibles. Une fois qu'il a fait son choix, il s'entend avec les parents sur la dot à payer, après marchandage de part et d'autre. Enfin, après s'être chamaillés pendant des semaines et des mois, on tombe d'accord, et la jeune fille est désormais passée à l'état d'objet quelconque. Après le contrat, pendant une année, défense lui est faite de parler à des hommes autres que ceux de sa famille; elle doit rester dans l'intérieur de la yourte, où les commères viennent la visiter, passer d'innombrables heures à bavarder avec elle, et l'aider à préparer son trousseau.

La cérémonie du mariage, présidée par le chef de la tribu, consiste en un échange d'accolades entre époux et parents; après quoi, tous les assistants communient dans une agape pantagruélique, où le koumiss coule à flots, où les borsaks et les quartiers de moutons jouent des rôles prépondérants. Le fiancé présente (p. 515) alors les troupeaux à son beau-père. Celui-ci vérifie l'état des bêtes, et les compte pour s'assurer qu'on ne l'a pas volé. Puis, en échange, il fait présent à son gendre de quelques chameaux et chevaux. Ce présent forme la dot de la jeune fille, elle lui appartient sa vie durant. Le mari en gère et en conserve la propriété aussi longtemps qu'il retiendra l'épouse sous le toit conjugal; s'il la répudie, il doit rendre son bien, à moins qu'elle ne soit fautive.

LES GLACIERS DU DJOUKOUTCHIAK-TAO.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les Kirghizes ne prennent pas plusieurs femmes à la fois, comme le font en général les musulmans. Ils n'en épousent qu'une seule; après quelque temps, quand elle commence à déplaire, ils en épousent une autre toute jeune, et ainsi de suite, autant que le leur permettent les richesses dont ils disposent. La nouvelle arrivée est toujours la favorite du mari. Les autres ne comptent plus. Tandis que la fraîche épousée se dorlotera dans la yourte, choyée et gardée jalousement par son maître, les autres travailleront dehors, et coucheront à l'écart.

Avant l'arrivée des Russes, les Kirghizes ne connaissaient guère l'usage des monnaies; ils échangeaient leurs marchandises contre des têtes de bétail. Encore maintenant, ils n'ont pas d'idées bien précises sur la mesure du temps, ils ne savent pas leur âge, ni l'année de l'ère musulmane. L'an se divise d'après les lunes, et les mois selon les quartiers de celle-ci. Pour compter le temps, ils disent: une journée, une demi-journée, un quart de journée. Cette méthode sert aussi à mesurer les distances; ainsi, ils diront que tel aoul se trouve à une demi-journée de marche, ou plus ou moins. Pour les petites mesures, ils emploient les bras, les pieds, ou la main.

Il est difficile de rencontrer parmi les nomades du Tien-Chan, des individus lettrés ou un peu distingués. Ceux qui savent lire ou écrire se comptent sur les doigts. La plupart se prélassent dans une inconsciente ignorance, et ils ne font rien pour se dégager de l'avilissement qui les abrutit depuis un temps immémorial. Cette abjecte barbarie les a toujours empêchés de se grouper en société policée, et de former une nation homogène. Chaque tribu vit dans son domaine, évitant le voisinage des autres. On campe dans des endroits déterminés, où chaque yourte réoccupe le même emplacement que l'année précédente. C'est une routine plutôt qu'une coutume, à laquelle, cependant, le Kirghize, comme dans tous les actes de sa vie, est lié corps et âme.

Les individus qui composent un aoul, vivant dans une communauté patriarcale, sont solidaires des droits que leur ont légués les ancêtres. Ainsi ils veillent à ce que les aouls avoisinants ne viennent pas empiéter sur leurs pâturages, ce qui créerait des droits pour plus tard. Il arrive, en effet, qu'une tribu très peuplée cherche à s'étendre sur le territoire d'une autre dont le nombre des membres est moindre. Souvent, elles se confondent ensemble.

Les Kirghizes sont restés comme ils étaient du temps où ils vinrent établir leurs pénates dans les vallées sauvages des monts Célestes. La vie des Kirghizes consiste à rééditer en tout point ce que firent et ce que furent leurs devanciers. Et ça n'est pas près de changer.

Le sentiment chez les Kirghizes est très borné. Ils ne s'attachent pas ou peu aux hommes et aux choses. S'ils sont capables d'aimer leurs femmes, ce n'est pas par tendresse ou par sympathie, mais parce (p. 516) qu'ils sont animés par l'instinct de la brute. Pour leurs enfants, ils nourrissent une affection bien superficielle. S'ils aiment leurs montagnes, c'est uniquement parce qu'ils y sont habitués, et qu'ailleurs il ne leur serait pas si facile de conserver leur liberté vagabonde. Ils n'ont aucune idée de patrie.

Les manifestations de leur intelligence n'ont pas des envolées d'une très grande envergure. Ils ne possèdent aucun sens artistique. Ils ornementent bien leurs feutres d'arabesques, les cuirs de gaufrages, les harnais de placages d'argent, mais ces velléités sont tellement primitives, qu'on ne peut en tenir compte. D'ailleurs, ces objets, quand ils ne sont pas copiés, proviennent des Sartes ou des Kachgariens.

Par contre les Kirghizes sont des troubadours inlassables. Presque tous, hommes et femmes, dans un moment de délassement, fredonnent un refrain, ou geignent une complainte. Ils l'accompagnent quelquefois avec une espèce de luth creusé d'une seule pièce dans un morceau de bois, sur lequel ils pincent des cordes en boyau. Un autre instrument de musique plus commun, est un fifre fait d'une branche d'arbre, fendue et creusée, qui produit un son rauque, cacophonique. Pour en jouer, on appuie son extrémité supérieure contre une dent, et on ouvre ou on ferme alternativement l'ouverture inférieure avec le doigt.

Le peuple kirghize est encore à l'état d'enfance. À côté de défauts ataviques propres à la race et enracinés dans des coutumes surannées, il présente des dispositions qui ne demandent qu'à être cultivées et exploitées. Mais tant que leurs montagnes resteront leur domaine exclusif et que des barrières de granit les sépareront du reste du monde, les Kirghizes continueront à demeurer tels qu'ils sont.

Il faut qu'une sève nouvelle et puissante vienne aviver leurs forces endormies, et qu'une race jeune et entreprenante les entraîne dans la sphère de la productivité consciente de l'humanité.

Mais ce n'est pas de sitôt que cela arrivera. Et les Kirghizes pourront encore longtemps jouir de la quiétude de leur vie solitaire, et narguer la servitude que toute civilisation entraîne avec elle.

Il ne faudrait maintenant pas se méprendre sur la portée d'un voyage au Tien-Chan. Sa raison d'être réside uniquement dans un but scientifique. Il n'y a rien à y découvrir, sinon des glaciers et des torrents. On n'y rencontre pas de cités tumultueuses ou de ruines historiques; on ne risque pas non plus d'être dévoré par des cannibales, et les explorateurs qui ambitionnent les aventures fantastiques n'y trouvent pas leur compte. Cependant, pour celui qui sait se contenter de la nature, brutale et vierge; pour celui qui affectionne les sveltes élégances des pics et les sinuosités immaculées des glaciers; pour celui qui s'extasie devant une fleur, qui s'intéresse à un fragment de roche, et qui se réjouit de la vue d'un humble insecte; pour cet homme-là, ces montagnes mornes et désertes, et ces vallées immenses qui semblent à jamais condamnées à la stérilité, s'animent, s'égayent et lui parlent de choses inconnues, excitent sa naturelle curiosité de tout savoir, et l'incitent à la conquête de nouveaux problèmes, à la découverte et à la solution de nouvelles hypothèses et questions.

Notre petit voyage aux monts Célestes, s'il n'a pas été très gai, ni très mouvementé, nous a toutefois mis dans les conditions de pouvoir déterminer exactement la physionomie d'un vaste soulèvement terrestre et surtout l'aspect d'une région jusque-là inexplorée.

Ces résultats, qui ne sont pas à dédaigner pour la science géographique, suffisent à récompenser nos exploits d'alpinistes.

 Jules Brocherel.

TOMBEAU KIRGHIZE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. i) TABLE DES GRAVURES ET CARTES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

En «rickshaw» sur la route du mont Abou. (D'après une photographie.) 1

L'éléphant du touriste à Djaïpour. 1

Petit sanctuaire latéral dans l'un des temples djaïns du mont Abou. (D'après une photographie.) 2

Pont de cordes sur le Djhilam, près de Garhi. (Dessin de Massias, d'après une photographie.) 3

Les «Karévas» ou plateaux alluviaux formés par les érosions du Djhilam. (D'après une photographie.) 4

«Ekkas» et «Tongas» sur la route du Kachmir: vue prise au relais de Rampour. (D'après une photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 5

Le vieux fort Sikh et les gorges du Djhilam à Ouri. (D'après une photographie.) 6

Shèr-Garhi ou la «Maison du Lion», palais du Maharadja à Srinagar. (Photographie Bourne et Sheperd, à Calcutta.) 7

L'entrée du Tchinar-Bagh, ou Bois des Platanes, au-dessus de Srinagar; au premier plan une «dounga», au fond le sommet du Takht-i-Souleiman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 7

Ruines du temple de Brankoutri. (D'après une photographie.) 8

Types de Pandis ou Brahmanes Kachmirs. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 9

Le quai de la Résidence; au fond, le sommet du Takht-i-Souleiman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 10

La porte du Kachmir et la sortie du Djhilam à Baramoula. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 11

Nos tentes à Lahore. (D'après une photographie.) 12

«Dounga» ou bateau de passagers au Kachmir. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 13

Vichnou porté par Garouda, idole vénérée près du temple de Vidja-Broer (hauteur 1m 40.) 13

Enfants de bateliers jouant à cache-cache dans le creux d'un vieux platane. (D'après une photographie.) 14

Batelières du Kachmir décortiquant du riz, près d'une rangée de peupliers. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 15

Campement près de Palhallan: tentes et doungas. (D'après une photographie.) 16

Troisième pont de Srinagar et mosquée de Shah Hamadan; au fond, le fort de Hari-Paryat. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 17

Le temple inondé de Pandrethan. (D'après une photographie.) 18

Femme musulmane du Kachmir. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 19

Pandit Narayan assis sur le seuil du temple de Narasthan. (D'après une photographie.) 20

Pont et bourg de Vidjabroer. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 21

Ziarat de Cheik Nasr-oud-Din, à Vidjabroer. (D'après une photographie.) 22

Le temple de Panyech: à gauche, un brahmane; à droite, un musulman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 23

Temple hindou moderne à Vidjabroer. (D'après une photographie.) 24

Brahmanes en visite au Naga ou source sacrée de Valtongou. (D'après une photographie.) 25

Gargouille ancienne, de style hindou, dans le mur d'une mosquée, à Houtamourou, près de Bhavan. 25

Temple ruiné, à Khotair. (D'après une photographie.) 26

Naga ou source sacrée de Kothair. (D'après une photographie.) 27

Ver-Nag: le bungalow au-dessus de la source. (D'après une photographie.) 28

Temple rustique de Voutanar. (D'après une photographie.) 29

Autel du temple de Voutanar et accessoires du culte. (D'après une photographie.) 30

Noce musulmane, à Rozlou: les musiciens et le fiancé. (D'après une photographie.) 31

Sacrifice bhramanique, à Bhavan. (D'après une photographie.) 31

Intérieur de temple de Martand: le repos des coolies employés au déblaiement. (D'après une photographie.) 32

Ruines de Martand: façade postérieure et vue latérale du temple. (D'après des photographies.) 33

Place du campement sous les platanes, à Bhavan. (D'après une photographie.) 34

La Ziarat de Zaïn-oud-Din, à Eichmakam. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 35

Naga ou source sacrée de Brar, entre Bhavan et Eichmakar. (D'après une photographie.) 36

Maisons de bois, à Palgam. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 37

Palanquin et porteurs. 37

Ganech-Bal sur le Lidar: le village hindou et la roche miraculeuse. (D'après une photographie.) 38

Le massif du Kolahoi et la bifurcation de la vallée du Lidar au-dessus de Palgam, vue prise de Ganeth-Bal. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 39

Vallée d'Amarnath: vue prise de la grotte. (D'après une photographie.) 40

Pondjtarni et le camp des pèlerins: au fond, la passe du Mahagounas. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 41

Cascade sortant de dessous un pont de neige entre Tannin et Zodji-Pal. (D'après une photographie.) 42

Le Koh-i-Nour et les glaciers au-dessus du lac Çecra-Nag. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 43

Grotte d'Amarnath. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 43

Astan-Marg: la prairie et les bouleaux. (D'après une photographie.) 44

Campement de Goudjars à Astan-Marg. (D'après une photographie.) 45

Le bain des pèlerins à Amarnath. (D'après une photographie.) 46

Pèlerins d'Amarnath: le Sadhou de Patiala; par derrière, des brahmanes, et à droite, des musulmans du Kachmir. (D'après une photographie.) 47

Mosquée de village au Kachmir. (D'après une photographie.) 48

Brodeurs Kachmiris sur toile. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 49

Mendiant musulman. (D'après une photographie.) 49

Le Brahma Sar et le camp des pèlerins au pied de l'Haramouk. (D'après une photographie.) 50

Lac Gangabal au pied du massif de l'Haramouk. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 51

(p. ii) Le Noun-Kol, au pied de l'Haramouk, et le bain des pèlerins. (D'après une photographie.) 52

Femmes musulmanes du Kachmir avec leurs «houkas» (pipes) et leur «hangri» (chaufferette). (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 53

Temples ruinés à Vangath. (D'après une photographie.) 54

«Mêla» ou foire religieuse à Hazarat-Bal. (En haut, photographie par l'auteur; en bas, photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 55

La villa de Cheik Safai-Bagh, au sud du lac de Srinagar. (D'après une photographie.) 56

Nishat-Bagh et le bord oriental du lac de Srinagar. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 57

Le canal de Mar à Sridagar. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 58

La mosquée de Shah Hamadan à Srinagar (rive droite). (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 59

Spécimens de l'art du Kachmir. (D'après une photographie.) 60

SOUVENIRS DE LA CÔTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

La barre de Grand-Bassam nécessite un grand déploiement de force pour la mise à l'eau d'une pirogue. (D'après une photographie.) 61

Le féminisme à Adokoï: un médecin concurrent de l'auteur. (D'après une photographie.) 61

«Travail et Maternité» ou «Comment vivent les femmes de Petit-Alépé». (D'après une photographie.) 62

À Motéso: soins maternels. (D'après une photographie.) 63

Installation de notre campement dans une clairière débroussaillée. (D'après une photographie.) 64

Environs de Grand-Alépé: des hangars dans une palmeraie, et une douzaine de grands mortiers destinés à la préparation de l'huile de palme. (D'après une photographie.) 65

Dans le sentier étroit, montant, il faut marcher en file indienne. (D'après une photographie.) 66

Nous utilisons le fût renversé d'un arbre pour traverser la Mé. (D'après une photographie.) 67

La popote dans un admirable champ de bananiers. (D'après une photographie.) 68

Indigènes coupant un acajou. (D'après une photographie.) 69

La côte d'Ivoire. — Le pays Attié. 70

Ce fut un sauve-qui-peut général quand je braquai sur les indigènes mon appareil photographique. (Dessin de J. Lavée, d'après une photographie.) 71

La rue principale de Grand-Alépé. (D'après une photographie.) 72

Les Trois Graces de Mopé (pays Attié). (D'après une photographie.) 73

Femme du pays Attié portant son enfant en groupe. (D'après une photographie.) 73

Une clairière près de Mopé. (D'après une photographie.) 74

La garnison de Mopé se porte à notre rencontre. (D'après une photographie.) 75

Femme de Mopé fabriquant son savon à base d'huile de palme et de cendres de peaux de bananes. (D'après une photographie.) 76

Danse exécutée aux funérailles du prince héritier de Mopé. (D'après une photographie.) 77

Toilette et embaumement du défunt. (D'après une photographie.) 78

Jeune femme et jeune fille de Mopé. (D'après une photographie.) 79

Route, dans la forêt tropicale, de Malamalasso à Daboissué. (D'après une photographie.) 80

Benié Coamé, roi de Bettié et autres lieux, entouré de ses femmes et de ses hauts dignitaires. (D'après une photographie.) 81

Chute du Mala-Mala, affluent du Comoé, à Malamalasso. (D'après une photographie.) 82

La vallée du Comoé à Malamalasso. (D'après une photographie.) 83

Tam-tam de guerre à Mopé. (D'après une photographie.) 84

Piroguiers de la côte d'Ivoire pagayant. (D'après une photographie.) 85

Allou, le boy du docteur Lamy. (D'après une photographie.) 85

La forêt tropicale à la côte d'Ivoire. (D'après une photographie.) 86

Le débitage des arbres. (D'après une photographie.) 87

Les lianes sur la rive du Comoé. (D'après une photographie.) 88

Les occupations les plus fréquentes au village: discussions et farniente Attié. (D'après une photographie.) 89

Un incendie à Grand-Bassam. (D'après une photographie.) 90

La danse indigène est caractérisée par des poses et des gestes qui rappellent une pantomime. (D'après une photographie.) 91

Une inondation à Grand-Bassam. (D'après une photographie.) 92

Un campement sanitaire à Abidjean. (D'après une photographie.) 93

Une rue de Jackville, sur le golfe de Guinée. (D'après une photographie.) 94

Grand-Bassam: cases détruites après une épidémie de fièvre jaune. (D'après une photographie.) 95

Grand-Bassam: le boulevard Treich-Laplène. (D'après une photographie.) 96

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

L'île d'Elbe se découpe sur l'horizon, abrupte, montagneuse et violâtre. 97

Une jeune fille elboise, au regard énergique, à la peau d'une blancheur de lait et aux beaux cheveux noirs. 97

Les rues de Porto-Ferraio sont toutes un escalier (page 100). 98

Porto-Ferraio: à l'entrée du port, une vieille tour génoise, trapue, bizarre de forme, se mire dans les flots. 99

Porto-Ferraio: la porte de terre, par laquelle sortait Napoléon pour se rendre à sa maison de campagne de San Martino. 100

Porto-Ferraio: la porte de mer, où aborda Napoléon. 101

La «teste» de Napoléon (page 100). 102

Porto-Ferraio s'échelonne avec ses toits plats et ses façades scintillantes de clarté (page 99). 103

Porto-Ferraio: les remparts découpent sur le ciel d'un bleu sombre leur profil anguleux (page 99). 103

La façade extérieure du «Palais» des Mulini où habitait Napoléon à Porto-Ferraio (page 101). 104

Le jardin impérial et la terrasse de la maison des Mulini (page 102). 105

La Via Napoleone, qui monte au «Palais» des Mulini. 106

La salle du conseil à Porto-Ferraio, avec le portrait de la dernière grande-duchesse de Toscane et celui de Napoléon, d'après le tableau de Gérard. 107

La grande salle des Mulini aujourd'hui abandonnée, avec ses volets clos et les peintures décoratives qu'y fit faire l'empereur (page 101). 107

Une paysanne elboise avec son vaste chapeau qui la protège du soleil. 108

Les mille mètres du Monte Capanna et de son voisin, le Monte Giove, dévalent dans les flots de toute leur hauteur. 109

Un enfant elbois. 109

Marciana Alta et ses ruelles étroites. 110

Marciana Marina avec ses maisons rangées autour du rivage et ses embarcations tirées sur la grève. 111

Les châtaigniers dans le brouillard, sur le faite du Monte Giove. 112

... Et voici au-dessus de moi Marciana Alta surgir des nuées (page 111). 113

La «Seda di Napoleone» sur le Monte Giove où l'empereur s'asseyait pour découvrir la Corse. 114

La blanche chapelle de Monserrat au centre d'un amphithéâtre de rochers est entourée de sveltes cyprès (page 117). 115

Voici Rio Montagne dont les maisons régulières et cubiques ont l'air de dominos empilés... (page 118). 115

(p. iii) J'aperçois Poggio, un autre village perdu aussi dans les nuées. 116

Une des trois chambres de l'ermitage. 117

L'ermitage du Marciana où l'empereur reçut la visite de la comtesse Walewska, le 3 Septembre 1814. 117

Le petit port de Porto-Longone dominé par la vieille citadelle espagnole (page 117). 118

La maison de Madame Mère à Marciana Alta. — «Bastia, signor!» — La chapelle de la Madone sur le Monte Giove. 119

Le coucher du soleil sur le Monte Giove. 120

Porto-Ferraio et son golfe vus des jardins de San Martino. 121

L'arrivée de Napoléon à l'île d'Elbe. (D'après une caricature du temps.) 121

Le drapeau de Napoléon roi de l'île d'Elbe: fond blanc, bande orangé-rouge et trois abeilles jadis dorées. 122

La salle de bains de San Martino a conservé sa baignoire de pierre. 123

La chambre de Napoléon à San Martino. 123

La cour de Napoléon à l'île d'Elbe. (D'après une caricature du temps.) 124

Une femme du village de Marciana Alta. 125

Le plafond de San Martino et les deux colombes symboliques représentant Napoléon et Marie-Louise. 126

San Martino rappelle par son aspect une de ces maisonnettes à la Jean-Jacques Rousseau, agrestes et paisibles (page 123). 126

Rideau du théâtre de Porto-Ferraio représentant Napoléon sous la figure d'Apollon gardant ses troupeaux chez Admète. 127

La salle égyptienne de San Martino est demeurée intacte avec ses peintures murales et son bassin à sec. 127

Broderies de soie du couvre-lit et du baldaquin du lit de Napoléon aux Mulini, dont on a fait le trône épiscopal de l'évêque d'Ajaccio. 128

La signorina Squarci dans la robe de satin blanc que son aïeule portait à la cour des Mulini. 129

Éventail de Pauline Borghèse, en ivoire sculpté, envoyé en souvenir d'elle à la signora Traditi, femme du maire de Porto-Ferraio. 130

Le lit de Madame Mère, qu'elle s'était fait envoyer de Paris à l'île d'Elbe. 130

Le vieil aveugle Soldani, fils d'un soldat de Waterloo, chauffait, à un petit brasero de terre jaune, ses mains osseuses. 131

L'entrée du goulet de Porto-Ferraio par où sortit la flottille impériale, le 26 février 1815. 132

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

Dans une sorte de cirque se dressent les pans de muraille du Ksar-el-Benat (page 142). (D'après une photographie.) 133

Le canal de Séleucie est, par endroits, un tunnel (page 140). 133

Vers le coude de l'Euphrate: la pensée de relever les traces de vie antique a dicté l'itinéraire. 134

L'Antioche moderne: de l'ancienne Antioche il ne reste que l'enceinte, aux flancs du Silpios (page 137). 135

Les rues d'Antioche sont étroites et tortueuses; parfois, au milieu, se creuse en fossé. (D'après une photographie.) 136

Le tout-Antioche inonde les promenades. (D'après une photographie.) 137

Les crêtes des collines sont couronnées de chapelles ruinées (page 142). 138

Alep est une ville militaire. (D'après une photographie.) 139

La citadelle d'Alep se détache des quartiers qui l'avoisinent (page 143). (D'après une photographie.) 139

Les parois du canal de Séleucie s'élèvent jusqu'à 40 mètres. (D'après une photographie.) 140

Les tombeaux de Séleucie s'étageaient sur le Kasios. (D'après une photographie.) 141

À Alep une seule mosquée peut presque passer pour une œuvre d'art. (D'après une photographie.) 142

Tout alentour d'Alep la campagne est déserte. (D'après une photographie.) 143

Le Kasr-el-Benat, ancien couvent fortifié. 144

Balkis éveille, de loin et de haut, l'idée d'une taupinière (page 147). (D'après une photographie.) 145

Stèle Hittite. L'artiste n'a exécuté qu'un premier ravalement (page 148). 145

Église arménienne de Nisib; le plan en est masqué au dehors. (D'après une photographie.) 146

Tell-Erfat est peuplé d'Yazides; on le reconnaît à la forme des habitations. (D'après une photographie.) 147

La rive droite de l'Euphrate était couverte de stations romaines et byzantines. (D'après une photographie.) 148

Biredjik vu de la citadelle: la plaine s'allonge indéfiniment (page 148). (D'après une photographie.) 149

Sérésat: village mixte d'Yazides et de Bédouins (page 146). (D'après une photographie.) 150

Les Tcherkesses diffèrent des autres musulmans; sur leur personne, pas de haillons (page 152). (D'après une photographie.) 151

Ras-el-Aïn. Deux jours se passent, mélancoliques, en négociations (page 155). (D'après une photographie.) 152

J'ai laissé ma tente hors les murs devant Orfa. (D'après une photographie.) 153

Environs d'Orfa: les vignes, basses, courent sur le sol. (D'après une photographie.) 154

Vue générale d'Orfa. (D'après une photographie.) 155

Porte arabe à Rakka (page 152). (D'après une photographie.) 156

Passage de l'Euphrate: les chevaux apeurés sont portés dans le bac à force de bras (page 159). (D'après une photographie.) 157

Bédouin. (D'après une photographie.) 157

Citadelle d'Orfa: deux puissantes colonnes sont restées debout. (D'après une photographie.) 158

Orfa: mosquée Ibrahim-Djami; les promeneurs flânent dans la cour et devant la piscine (page 157). (D'après une photographie.) 159

Pont byzantin et arabe (page 159). (D'après une photographie.) 160

Mausolée d'Alif, orné d'une frise de têtes sculptées (page 160). (D'après une photographie.) 161

Mausolée de Théodoret, selon la légende, près de Cyrrhus. (D'après une photographie.) 162

Kara-Moughara: au sommet se voit une grotte taillée (page 165). (D'après une photographie.) 163

L'Euphrate en amont de Roum-Kaleh; sur la falaise campait un petit corps de légionnaires romains (page 160). (D'après une photographie.) 163

Trappe de Checkhlé: un grand édifice en pierres a remplacé les premières habitations (page 166). 164

Trappe de Checkhlé: la chapelle (page 166). (D'après une photographie.) 165

Père Maronite (page 168). (D'après une photographie.) 166

Acbès est situé au fond d'un grand cirque montagneux (page 166). (D'après une photographie.) 167

Trappe de Checkhlé: premières habitations des trappistes (page 166). (D'après une photographie.) 168

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

Indigènes hébridais de l'île de Spiritu-Santo. (D'après une photographie.) 169

Le petit personnel d'un colon de Malli-Colo. (D'après une photographie.) 169

Le quai de Franceville ou Port-Vila, dans l'île Vaté. (D'après une photographie.) 170

Une case de l'île de Spiritu-Santo et ses habitants. (D'après une photographie.) 171

Le port de Franceville ou Port-Vila, dans l'île Vaté, présente une rade magnifique. (D'après une photographie.) 172

(p. iv) C'est à Port-Vila ou Franceville, dans l'île Vaté, que la France a un résident. (D'après une photographie.) 173

Dieux indigènes ou Tabous. (D'après une photographie.) 174

Les indigènes hébridais de l'île Mallicolo ont un costume et une physionomie moins sauvages que ceux de l'île Pentecôte. (D'après des photographies.) 175

Pirogues de l'île Vao. (D'après une photographie.) 176

Indigènes employés au service d'un bateau. (D'après une photographie.) 177

Un sous-bois dans l'île de Spiritu-Santo. (D'après une photographie.) 178

Un banquet de Français à Port-Vila (Franceville). (D'après une photographie.) 179

La colonie française de Port-Vila (Franceville). (D'après une photographie.) 179

La rivière de Luganville. (D'après une photographie.) 180

LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

Les enfants russes, aux grosses joues pales, devant l'isba (page 182). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 181

La reine des cloches «Tsar Kolokol» (page 180). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 181

Les chariots de transport que l'on rencontre en longues files dans les rues de Moscou (page 183). 182

Les paysannes en pèlerinage arrivées enfin à Moscou, la cité sainte (page 182). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 183

Une chapelle où les passants entrent adorer les icônes (page 183). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 184

La porte du Sauveur que nul ne peut franchir sans se découvrir (page 185). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 185

Une porte du Kreml (page 185). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 186

Les moines du couvent de Saint-Serge, un des couvents qui entourent la cité sainte (page 185). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 187

Deux villes dans le Kreml: celle du xve siècle, celle d'Ivan, et la ville moderne, que symbolise ici le petit palais (page 190). 188

Le mur d'enceinte du Kreml, avec ses créneaux, ses tours aux toits aigus (page 183). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 189

Tout près de l'Assomption, les deux églises-sœurs se dressent: les Saints-Archanges et l'Annonciation (page 186). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 189

À l'extrémité de la place Rouge, Saint-Basile dresse le fouillis de ses clochers (page 184). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 190

Du haut de l'Ivan Véliki, la ville immense se découvre (page 190). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 191

Un des isvotchiks qui nous mènent grand train à travers les rues de Moscou (page 182). 192

Il fait bon errer parmi la foule pittoresque des marchés moscovites, entre les petits marchands, artisans ou paysans qui apportent là leurs produits (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 193

L'isvotchik a revêtu son long manteau bleu (page 194). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 193

Itinéraire de Moscou à Tomsk. 194

À côté d'une épicerie, une des petites boutiques où l'on vend le kvass, le cidre russe (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 195

Et des Tatars offraient des étoffes étalées sur leurs bras (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 196

Patients, résignés, les cochers attendent sous le soleil de midi (page 194). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 197

Une cour du quartier ouvrier, avec l'icône protectrice (page 196). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 198

Sur le flanc de la colline de Nijni, au pied de la route qui relie la vieille ville à la nouvelle, la citadelle au marché (page 204). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 199

Le marché étincelait dans son fouillis (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 200

Déjà la grande industrie pénètre: on rencontre à Moscou des ouvriers modernes (page 195). (D'après une photographie.) 201

Sur l'Oka, un large pont de bois barrait les eaux (page 204). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 202

Dans le quartier ouvrier, les familles s'entassent, à tous les étages, autour de grandes cours (page 196). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 203

Le char funèbre était blanc et doré (page 194). (D'après une photographie.) 204

À Nijni, toutes les races se rencontrent, Grands-Russiens, Tatars, Tcherkesses (page 208). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 205

Une femme tatare de Kazan dans l'enveloppement de son grand châle (page 214). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 205

Nous avons traversé le grand pont qui mène à la foire (page 205). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 206

Au dehors, la vie de chaque jour s'étalait, pêle-mêle, à l'orientale (page 207). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 207

Les galeries couvertes, devant les boutiques de Nijni (page 206). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 208

Dans les rues, les petits marchands étaient innombrables (page 207). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 209

Dans une rue, c'étaient des coffres de toutes dimensions, peints de couleurs vives (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 210

Près de l'asile, nous sommes allés au marché aux cloches (page 208). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 211

Plus loin, sous un abri, des balances gigantesques étaient pendues (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 211

Dans une autre rue, les charrons avaient accumulé leurs roues (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 212

Paysannes russes, de celles qu'on rencontre aux petits marchés des débarcadères ou des stations (page 215). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 213

Le Kreml de Kazan. C'est là que sont les églises et les administrations (page 214). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 214

Sur la berge, des tarantass étaient rangées (page 216). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 215

Partout sur la Volga d'immenses paquebots et des remorqueurs (page 213). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 216

À presque toutes les gares il se forme spontanément un petit marché (page 222). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 217

Dans la plaine (page 221). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 217

Un petit fumoir, vitré de tous côtés, termine le train (page 218). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 218

Les émigrants étaient là, pêle-mêle, parmi leurs misérables bagages (page 226). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 219

Les petits garçons du wagon-restaurant s'approvisionnent (page 218). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 220

Émigrants prenant leur maigre repas pendant l'arrêt de leur train (page 228). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine) 221

L'ameublement du wagon-restaurant était simple, avec un bel air d'aisance (page 218). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine) 222

Les gendarmes qui assurent la police des gares du Transsibérien. (Photographie de M. Thiébeaux.) 223

L'église, près de la gare de Tchéliabinsk, ne diffère des isbas neuves que par son clocheton (page 225). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 224

Un train de constructeurs était remisé là, avec son wagon-chapelle (page 225). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 225

Vue De Stretensk: la gare est sur la rive gauche, la ville sur la rive droite. (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 226

(p. v) Un point d'émigration (page 228). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 227

Enfants d'émigrants (page 228). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 228

Un petit marché dans une gare du Transsibérien. (Photographie de M. Legras.) 229

La cloche luisait, immobile, sous un petit toit isolé (page 230). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 229

Nous sommes passés près d'une église à clochetons verts (page 230). (Photographie de M. Thiébeaux.) 230

Tomsk a groupé dans la vallée ses maisons grises et ses toits verts (page 230). (Photographie de M. Brocherel.) 231

Après la débâcle de la Tome, près de Tomsk (page 230). (D'après une photographie de M. Legras.) 232

Le chef de police demande quelques explications sur les passeports (page 232). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 233

La cathédrale de la Trinité à Tomsk (page 238). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 234

Tomsk: en revenant de l'église (page 234). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 235

Tomsk n'était encore qu'un campement, sur la route de l'émigration (page 231). (D'après une photographie.) 236

Une rue de Tomsk, définie seulement par les maisons qui la bordent (page 231). (Photographie de M. Brocherel.) 237

Les cliniques de l'Université de Tomsk (page 238). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 238

Les longs bâtiments blancs où s'abrite l'Université (page 237). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 239

La voiture de l'icône stationnait parfois (page 230). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 240

Flâneurs à la gare de Petropavlosk (page 242). (D'après une photographie de M. Legras.) 241

Dans les vallées de l'Oural, habitent encore des Bachkirs (page 245). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 241

Un taillis de bouleaux entourait une petite mare. (D'après une photographie.) 242

Les rivières roulaient une eau claire (page 244). (D'après une photographie.) 243

La ligne suit la vallée des rivières (page 243). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 244

Comme toute l'activité commerciale semble frêle en face des eaux puissantes de la Volga! (page 248.) (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 245

Bachkirs sculpteurs. (D'après une photographie de M. Paul Labbé.) 246

À la gare de Tchéliabinsk, toujours des émigrants (page 242). (D'après une photographie de M. J. Legras.) 247

Une bonne d'enfants, avec son costume traditionnel (page 251). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 248

Joie naïve de vivre, et mélancolie. — un petit marché du sud (page 250). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 249

Un russe dans son vêtement d'hiver (page 249). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 250

Dans tous les villages russes, une activité humble, pauvre de moyens. — Marchands de poteries (page 248). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 251

Là, au passage, un Kirghize sur son petit cheval (page 242). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 252

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

Lugano: les quais offrent aux touristes une merveilleuse promenade. (Photographie Alinari.) 253

Porte de la cathédrale Saint-Laurent de Lugano (page 256). (Photographie Alinari.) 253

Le lac de Lugano dont les deux bras enserrent le promontoire de San Salvatore. (D'après une photographie.) 254

La ville de Lugano descend en amphithéâtre jusqu'aux rives de son lac. (Photographie Alinari.) 255

Lugano: faubourg de Castagnola. (D'après une photographie.) 256

La cathédrale de Saint-Laurent: sa façade est décorée de figures de prophètes et de médaillons d'apôtres (page 256). (Photographie Alinari.) 257

Saint-Roch: détail de la fresque de Luini à Sainte-Marie-des-Anges (Photographie Alinari.) 258

La passion: fresque de Luini à l'église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). (Photographie Alinari) 259

Saint Sébastien: détail de la grande fresque de Luini à Sainte-Marie-des-Anges. (Photographie Alinari.) 260

La madone, l'enfant Jésus et Saint Jean, par Luini, église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). (Photographie Alinari.) 261

La Scène: fresque de Luini à l'église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). 262

Lugano: le quai et le faubourg Paradiso. (Photographie Alinari.) 263

lac de Lugano: viaduc du chemin de fer du Saint-Gothard. (D'après une photographie.) 264

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

Les quais sont animés par la population grouillante des Chinois (page 266). (D'après une photographie.) 265

Acteurs du théâtre chinois. (D'après une photographie.) 265

Plan de Shanghaï. 266

Shanghaï est sillonnée de canaux qui, à marée basse, montrent une boue noire et mal odorante. (Photographie de Mlle Hélène de Harven.) 267

Panorama de Shanghaï. (D'après une photographie.) 268

Dans la ville chinoise, les «camelots» sont nombreux, qui débitent en plein vent des marchandises ou des légendes extraordinaires. (D'après une photographie.) 269

Le poste de l'Ouest, un des quatre postes où s'abrite la milice de la Concession française (page 272). (D'après une photographie.) 270

La population ordinaire qui grouille dans les rues de la ville chinoise de Shanghaï (page 268). 271

Les coolies conducteurs de brouettes attendent nonchalamment l'arrivée du client (page 266). (Photographies de Mlle H. de Harven.) 271

Une maison de thé dans la cité chinoise. (D'après une photographie.) 272

Les brouettes, qui transportent marchandises ou indigènes, ne peuvent circuler que dans les larges avenues des concessions (page 270). (D'après une photographie.) 273

La prison de Shanghaï se présente sous l'aspect d'une grande cage, à forts barreaux de fer. (D'après une photographie.) 274

Le parvis des temples dans la cité est toujours un lieu de réunion très fréquenté. (D'après une photographie.) 275

Les murs de la cité chinoise, du côté de la Concession française. (D'après une photographie.) 276

La navigation des sampans sur le Ouang-Pô. (D'après une photographie.) 277

Aiguille de la pagode de Long-Hoa. (D'après une photographie.) 277

Rickshaws et brouettes sillonnent les ponts du Yang King-Pang. (D'après une photographie.) 278

Dans Broadway, les boutiques alternent avec des magasins de belle apparence (page 282). 279

Les jeunes Chinois flânent au soleil dans leur Cité. (Photographies de Mlle H. de Harven.) 279

Sur les quais du Yang-King-Pang s'élèvent des bâtiments, banques ou clubs, qui n'ont rien de chinois. (D'après une photographie.) 280

Le quai de la Concession française présente, à toute heure du jour, la plus grande animation. (D'après une photographie.) 281

Hong-Hoa: pavillon qui surmonte l'entrée de la pagode. (D'après une photographie.) 282

«L'omnibus du pauvre» (wheel-barrow ou brouette) fait du deux à l'heure et coûte quelques centimes seulement. (D'après une photographie.) 283

Une station de brouettes sur le Yang-King-Pang. (D'après une photographie.) 284

Les barques s'entre-croisent et se choquent devant le quai chinois de Tou-Ka-Dou. (D'après une photographie.) 285

(p. vi) Chinoises de Shanghaï. (D'après une photographie.) 286

Village chinois aux environs de Shanghaï. (D'après une photographie.) 287

Le charnier des enfants trouvés (page 280). (D'après une photographie.) 288

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

L'école maternelle de Hampton accueille et occupe les négrillons des deux sexes. (D'après une photographie.) 289

Institut Hampton: cours de travail manuel. (D'après une photographie.) 289

Booker T. Washington, le leader de l'éducation des nègres aux États-Unis, fondateur de l'école de Tuskegee, en costume universitaire. (D'après une photographie.) 290

Institut Hampton: le cours de maçonnerie. (D'après une photographie.) 291

Institut Hampton: le cours de laiterie. (D'après une photographie.) 292

Institut Hampton: le cours d'électricité. (D'après une photographie.) 293

Institut Hampton: le cours de menuiserie. (D'après une photographie.) 294

Le salut au drapeau exécuté par les négrillons de l'Institut Hampton. (D'après une photographie.) 295

Institut Hampton: le cours de chimie. (D'après une photographie.) 296

Le basket ball dans les jardins de l'Institut Hampton. (D'après une photographie.) 297

Institut Hampton: le cours de cosmographie. (D'après une photographie.) 298

Institut Hampton: le cours de botanique. (D'après une photographie.) 299

Institut Hampton: le cours de mécanique. (D'après une photographie.) 300

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

Une foule curieuse nous attendait sur les places de Mechhed. (D'après une photographie.) 301

Un poney persan et sa charge ordinaire. (D'après une photographie.) 301

Le plateau de l'Iran. Carte pour suivre le voyage de l'auteur, d'Astrabad à Kirman. 302

Les femmes persanes s'enveloppent la tête et le corps d'amples étoffes. (D'après une photographie.) 303

Paysage du Khorassan: un sol rocailleux et ravagé, une rivière presque à sec; au fond, des constructions à l'aspect de fortins. (D'après une photographie.) 304

Le sanctuaire de Mechhed est parmi les plus riches et les plus visités de l'Asie. (D'après une photographie.) 305

La cour principale du sanctuaire de Mechhed. (D'après une photographie.) 306

Enfants nomades de la Perse orientale. (D'après une photographie.) 307

Jeunes filles kurdes des bords de la mer Caspienne. (D'après une photographie.) 308

Les préparatifs d'un campement dans le désert de Lout. (D'après une photographie.) 309

Le désert de Lout n'est surpassé, en aridité, par aucun autre de l'Asie. (D'après une photographie.) 310

Avant d'arriver à Kirman, nous avions à traverser la chaîne de Kouhpaia. (D'après une photographie.) 311

Rien n'égale la désolation du désert de Lout. (D'après une photographie.) 312

La communauté Zoroastrienne de Kirman vint, en chemin, nous souhaiter la bienvenue. (D'après une photographie.) 313

Un marchand de Kirman. (D'après une photographie.) 313

Le «dôme de Djabalia», ruine des environs de Kirman, ancien sanctuaire ou ancien tombeau. (D'après une photographie.) 314

À Kirman: le jardin qui est loué par le Consulat, se trouve à un mille au delà des remparts. (D'après une photographie.) 315

Une avenue dans la partie ouest de Kirman. (D'après une photographie.) 316

Les gardes indigènes du Consulat anglais de Kirman. (D'après une photographie.) 317

La plus ancienne mosquée de Kirman est celle dite Masdjid-i-Malik. (D'après une photographie.) 318

Membres des cheikhis, secte qui en compte 7 000 dans la province de Kirman. (D'après une photographie.) 319

La Masdjid Djami, construite en 1349, une des quatre-vingt-dix mosquées de Kirman. (D'après une photographie.) 320

Dans la partie ouest de Kirman se trouve le Bagh-i-Zirisf, terrain de plaisance occupé par des jardins. (D'après une photographie.) 321

Les environs de Kirman comptent quelques maisons de thé. (D'après une photographie.) 322

Une «tour de la mort», où les Zoroastriens exposent les cadavres. (D'après une photographie.) 323

Le fort dit Kala-i-Dukhtar ou fort de la Vierge, aux portes de Kirman. (D'après une photographie.) 324

Le «Farma Farma». (D'après une photographie.) 325

Indigènes du bourg d'Aptar, Baloutchistan. (D'après une photographie.) 325

Carte du Makran. 326

Baloutches de Pip, village de deux cents maisons groupées autour d'un fort. (D'après une photographie.) 327

Des forts abandonnés rappellent l'ancienne puissance du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 328

Chameliers brahmanes du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 329

La passe de Fanoch, faisant communiquer la vallée du même nom et la vallée de Lachar. (D'après une photographie.) 330

Musiciens ambulants du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 331

Une halte dans les montagnes du Makran. (D'après une photographie.) 332

Baloutches du district de Sarhad. (D'après une photographie.) 333

Un fortin sur les frontières du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 334

Dans les montagnes du Makran: À des collines d'argile succèdent de rugueuses chaînes calcaires. (D'après une photographie.) 335

Bureau du télégraphe sur la côte du Makran. (D'après une photographie.) 336

L'oasis de Djalsk, qui s'étend sur 10 kilomètres carrés, est remplie de palmiers-dattiers, et compte huit villages. (D'après une photographie.) 337

Femme Parsi du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 337

Carte pour suivre les délimitations de la frontière perso-baloutche. 338

Nous campâmes à Fahradj, sur la route de Kouak, dans une palmeraie. (D'après une photographie.) 339

C'est à Kouak que les commissaires anglais et persans s'étaient donné rendez-vous. (D'après une photographie.) 340

Le sanctuaire de Mahoun, notre première étape sur la route de Kouak. (D'après une photographie.) 341

Cour intérieure du sanctuaire de Mahoun. (D'après une photographie.) 342

Le khan de Kélat et sa cour. (D'après une photographie.) 343

Jardins du sanctuaire de Mahoun. (D'après une photographie.) 344

Dans la vallée de Kalagan, près de l'oasis de Djalsk. (D'après une photographie.) 345

Oasis de Djalsk: Des édifices en briques abritent les tombes d'une race de chefs disparue. (D'après une photographie.) 346

Indigènes de l'oasis de Pandjgour, à l'est de Kouak. (D'après une photographie.) 347

Camp de la commission de délimitation sur la frontière perso-baloutche. (D'après une photographie.) 348

Campement de la commission des frontières perso-baloutches. (D'après une photographie.) 349

Parsi de Yezd. (D'après une photographie.) 349

Une séance d'arpentage dans le Seistan. (D'après une photographie.) 350

(p. vii) Les commissaires persans de la délimitation des frontières perso-baloutches. (D'après une photographie.) 351

Le delta du Helmand. 352

Sculptures sassanides de Persépolis. (D'après une photographie.) 352

Un gouverneur persan et son état-major. (D'après une photographie.) 353

La passe de Buzi. (D'après une photographie.) 354

Le Gypsies du sud-est persan. 355

Sur la lagune du Helmand. (D'après une photographie.) 356

Couple baloutche. (D'après une photographie.) 357

Vue de Yezd, par où nous passâmes pour rentrer à Kirman. (D'après une photographie.) 358

La colonne de Nadir s'élève comme un phare dans le désert. (D'après une photographie.) 359

Mosquée de Yezd. (D'après une photographie.) 360

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte De MIRAMON-FARGUES

Entre le sanctuaire et la seconde enceinte qui abrite sous ses voûtes un peuple de divinités de pierre.... (D'après une photographie.) 361

Emblème décoratif (art khmer). (D'après une photographie.) 361

Porte d'entrée de la cité royale d'Angkor-Tom, dans la forêt. (D'après une photographie.) 362

Ce grand village, c'est Siem-Réap, capitale de la province. (D'après une photographie) 363

Une chaussée de pierre s'avance au milieu des étangs. (D'après une photographie.) 364

Par des escaliers invraisemblablement raides, on gravit la montagne sacrée. (D'après une photographie.) 365

Colonnades et galeries couvertes de bas-reliefs. (D'après une photographie.) 366

La plus grande des deux enceintes mesure 2 kilomètres de tour; c'est un long cloître. (D'après une photographie.) 367

Trois dômes hérissent superbement la masse formidable du temple d'Angkor-Wat. (D'après une photographie.) 367

Bas-relief du temple d'Angkor. (D'après une photographie.) 368

La forêt a envahi le second étage d'un palais khmer. (D'après une photographie.) 369

Le gouverneur réquisitionne pour nous des charrettes à bœufs. (D'après une photographie.) 370

La jonque du deuxième roi, qui a, l'an dernier, succédé à Norodom. (D'après une photographie.) 371

Le palais du roi, à Oudong-la-Superbe. (D'après une photographie.) 371

Sculptures de l'art khmer. (D'après une photographie.) 372

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

La petite ville de Petrozeny n'est guère originale; elle a, de plus, un aspect malpropre. (D'après une photographie.) 373

Paysan des environs de Petrozeny et son fils. (D'après une photographie.) 373

Carte de Roumanie pour suivre l'itinéraire de l'auteur. 374

Vendeuses au marché de Targu-Jiul. (D'après une photographie.) 375

La nouvelle route de Valachie traverse les Carpathes et aboutit à Targu-Jiul. (D'après une photographie.) 376

C'est aux environs d'Arad que pour la première fois nous voyons des buffles domestiques. (D'après une photographie.) 377

Montagnard roumain endimanché. (Cliché Anerlich.) 378

Derrière une haie de bois blanc s'élève l'habitation modeste. (D'après une photographie.) 379

Nous croisons des paysans roumains. (D'après une photographie.) 379

Costume national de gala, roumain. (Cliché Cavallar.) 380

Dans les vicissitudes de leur triste existence, les tziganes ont conservé leur type et leurs mœurs. (Photographie Anerlich.) 381

Un rencontre près de Padavag d'immenses troupeaux de bœufs. (D'après une photographie.) 382

Les femmes de Targu-Jiul ont des traits rudes et sévères, sous le linge blanc. (D'après une photographie.) 383

En Roumanie, on ne voyage qu'en victoria. (D'après une photographie.) 384

Dans la vallée de l'Olt, les «castrinza» des femmes sont décorées de paillettes multicolores. 385

Dans le village de Slanic. (D'après une photographie.) 385

Roumaine du défilé de la Tour-Rouge. (D'après une photographie.) 386

La petite ville d'Horezu est charmante et animée. (D'après une photographie.) 387

La perle de Curtea, c'est cette superbe église blanche, scintillante sous ses coupoles dorées. (D'après une photographie.) 388

Une ferme près du monastère de Bistritza. (D'après une photographie.) 389

Entrée de l'église de Curtea. (D'après une photographie.) 390

Les religieuses du monastère d'Horezu portent le même costume que les moines. (D'après une photographie.) 391

Devant l'entrée de l'église se dresse le baptistère de Curtea. (D'après une photographie.) 392

Au marché de Campolung. (D'après une photographie.) 393

L'excursion du défilé de Dimboviciora est le complément obligé d'un séjour à Campolung. (D'après une photographie.) 394

Dans le défilé de Dimboviciora. (D'après des photographies.) 395

Dans les jardins du monastère de Curtea. 396

Sinaïa: le château royal, Castel Pelés, sur la montagne du même nom. (D'après une photographie.) 397

Un enfant des Carpathes. (D'après une photographie.) 397

Une fabrique de ciment groupe autour d'elle le village de Campina. (D'après une photographie.) 398

Vue intérieure des mines de sel de Slanic. (D'après une photographie.) 399

Entre Campina et Sinaïa la route de voiture est des plus poétiques. (D'après une photographie.) 400

Un coin de Campina. (D'après une photographie.) 401

Les villas de Sinaïa. (D'après une photographie.) 402

Vues de Bucarest: le boulevard Coltei. — L'église du Spiritou Nou. — Les constructions nouvelles du boulevard Coltei. — L'église métropolitaine. — L'Université. — Le palais Stourdza. — Un vieux couvent. — (D'après des photographies.) 403

Le monastère de Sinaïa se dresse derrière les villas et les hôtels de la ville. (D'après une photographie.) 404

Une des deux cours intérieures du monastère de Sinaïa. (D'après une photographie.) 405

Une demeure princière de Sinaïa. (D'après une photographie.) 406

Busteni (les villas, l'église), but d'excursion pour les habitants de Sinaïa. (D'après une photographie.) 407

Slanic: un wagon de sel. (D'après une photographie.) 408

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

À la kermesse. 409

Ces anciens, pour la plupart, ont une maigreur de bon aloi. 409

Des «boerin» bien prises en leurs justins marchent en roulant, un joug sur les épaules. 410

Par intervalles une femme sort avec des seaux; elle lave sa demeure de haut en bas. 410

Emplettes familiales. 411

Les ménagères sont là, également calmes, lentes, avec leurs grosses jupes. 411

Jeune métayère de Middelburg. 412

Middelburg: le faubourg qui prend le chemin du marché conduit à un pont. 412

Une mère, songeuse, promenait son petit garçon. 413

Une famille hollandaise au marché de Middelburg. 414

Le marché de Middelburg: considérations sur la grosseur des betteraves. 415

Des groupes d'anciens en culottes courtes, chapeaux marmites. 416

(p. viii) Un septuagénaire appuyé sur son petit-fils me sourit bonassement. 417

Roux en le décor roux, l'éclusier fumait sa pipe. 417

Le village de Zoutelande. 418

Les grandes voitures en forme de nacelle, recouvertes de bâches blanches. 419

Aussi comme on l'aime, ce home. 420

Les filles de l'hôtelier de Wemeldingen. 421

Il se campe près de son cheval. 421

Je rencontre à l'orée du village un couple minuscule. 422

La campagne hollandaise. 423

Environs de Westkapelle: deux femmes reviennent du «molen». 423

Par tous les sentiers, des marmots se juchèrent. 424

Le père Kick symbolisait les générations des Néerlandais défunts. 425

Wemeldingen: un moulin colossal domine les digues. 426

L'une entonna une chanson. 427

Les moutons broutent avec ardeur le long des canaux. 428

Famille hollandaise en voyage. 429

Ah! les moulins; leur nombre déroute l'esprit. 429

Les chariots enfoncés dans les champs marécageux sont enlevés par de forts chevaux. 430

La digue de Westkapelle. 431

Les écluses ouvertes. 432

Les petits garçons rôdent par bandes, à grand bruit de sabots sonores.... 433

Jeune mère à Marken. 433

Volendam, sur les bords du Zuiderzee, est le rendez-vous des peintres de tous les pays. 434

Avec leurs figures rondes, épanouies de contentement, les petites filles de Volendam font plaisir à voir. 435

Aux jours de lessive, les linges multicolores flottent partout. 436

Les jeunes filles de Volendam sont coiffées du casque en dentelle, à forme de «salade» renversée. 437

Deux pêcheurs accroupis au soleil, à Volendam. 438

Une lessive consciencieuse. 439

Il y a des couples d'enfants ravissants, d'un type expressif. 440

Les femmes de Volendam sont moins claquemurées en leur logis. 441

Vêtu d'un pantalon démesuré, le pêcheur de Volendam a une allure personnelle. 442

Un commencement d'idylle à Marken. 443

Les petites filles sont charmantes. 444

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Le lac sacré d'Osiris, situé au sud-est de son temple, qui a été détruit. (D'après une photographie.) 445

Séti Ier présentant des offrandes de pain, légumes, etc. (D'après une photographie.) 445

Une rue d'Abydos. (D'après une photographie.) 446

Maison d'Abydos habitée par l'auteur, pendant les trois premières années. (D'après une photographie.) 447

Le prêtre-roi rendant hommage à Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris). (D'après une photographie.) 448

Thot présentant le signe de la vie aux narines du roi Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris). (D'après une photographie.) 449

Le dieu Thot purifiant le roi Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris, mur sud). (D'après une photographie.) 450

Vue intérieure du temple de Ramsès II. (D'après une photographie.) 451

Perspective de la seconde salle hypostyle du temple de Séti Ier. (D'après une photographie.) 451

Temple de Séti Ier, mur est, pris du mur nord. Salle due à Ramsès II. (D'après une photographie.) 452

Temple de Séti Ier, mur est, montrant des scènes diverses du culte. (D'après une photographie.) 453

Table des rois Séti Ier et Ramsès II, faisant des offrandes aux rois leurs prédécesseurs. (D'après une photographie.) 454

Vue générale du temple de Séti Ier, prise de l'entrée. (D'après une photographie.) 455

Procession des victimes amenées au sacrifice (temple de Ramsès II). (D'après une photographie.) 456

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

Le bazar de Tackhent s'étale dans un quartier vieux et fétide. (D'après une photographie.) 457

Un Kozaque de Djarghess. (D'après une photographie.) 457

Itinéraire de Tachkent à Prjevalsk. 458

Les marchands de pain de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 459

Un des trente-deux quartiers du bazar de Tachkent. (D'après une photographie.) 460

Un contrefort montagneux borde la rive droite du «tchou». (D'après une photographie.) 461

Le bazar de Prjevalsk, principale étape des caravaniers de Viernyi et de Kachgar. (D'après une photographie.) 462

Couple russe de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 463

Arrivée d'une caravane à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 464

Le chef des Kirghizes et sa petite famille. (D'après une photographie.) 465

Notre djighite, sorte de garde et de policier. (D'après une photographie.) 466

Le monument de Prjevalsky, à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 467

Des têtes humaines, grossièrement sculptées, monuments funéraires des Nestoriens... (D'après une photographie.) 467

Enfants kozaques sur des bœufs. (D'après une photographie.) 468

Un de nos campements dans la montagne. (D'après une photographie.) 469

Montée du col de Tomghent. (D'après une photographie.) 469

Dans la vallée de Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 470

Itinéraire du voyage aux Monts Célestes. 470

La carabine de Zurbriggen intriguait fort les indigènes. (D'après une photographie.) 471

Au sud du col s'élevait une blanche pyramide de glace. (D'après une photographie.) 472

La vallée de Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 473

Le col de Karaguer, vallée de Tomghent. (D'après une photographie.) 474

Sur le col de Tomghent. (D'après une photographie.) 475

J'étais enchanté des aptitudes alpinistes de nos coursiers. (D'après une photographie.) 475

Le plateau de Saridjass, peu tourmenté, est pourvu d'une herbe suffisante pour les chevaux. (D'après une photographie.) 476

Nous passons à gué le Kizil-Sou. (D'après des photographies.) 477

Panorama du massif du Khan-Tengri. (D'après une photographie.) 478

Entrée de la vallée de Kachkateur. (D'après une photographie.) 479

Nous baptisâmes Kachkateur-Tao, la pointe de 4 250 mètres que nous avions escaladée. (D'après une photographie.) 479

La vallée de Tomghent. (D'après une photographie.) 480

Des Kirghizes d'Oustchiar étaient venus à notre rencontre. (D'après une photographie.) 481

Kirghize joueur de flûte. (D'après une photographie.) 481

Le massif du Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 482

Région des Monts Célestes. 482

Les Kirghizes mènent au village une vie peu occupée. (D'après une photographie.) 483

Notre petite troupe s'aventure audacieusement sur la pente glacée. (D'après une photographie.) 484

Vallée supérieure d'Inghiltchik. (D'après une photographie.) 485

(p. ix) Vallée de Kaende: l'eau d'un lac s'écoulait au milieu d'une prairie émaillée de fleurs. (D'après une photographie.) 486

Les femmes kirghizes d'Oustchiar se rangèrent, avec leurs enfants, sur notre passage. (D'après une photographie.) 487

Le chirtaï de Kaende. (D'après une photographie.) 488

Nous saluâmes la vallée de Kaende comme un coin de la terre des Alpes. (D'après une photographie.) 489

Femmes mariées de la vallée de Kaende, avec leur progéniture. (D'après une photographie.) 490

L'élément mâle de la colonie vint tout l'après-midi voisiner dans notre campement. (D'après une photographie.) 491

Un «aoul» kirghize. 492

Yeux bridés, pommettes saillantes, nez épaté, les femmes de Kaende sont de vilaines Kirghizes. (D'après une photographie.) 493

Enfant kirghize. (D'après une photographie.) 493

Kirghize dressant un aigle. (D'après une photographie.) 494

Itinéraire du voyage aux Monts Célestes. 494

Nous rencontrâmes sur la route d'Oustchiar un berger et son troupeau. (D'après une photographie.) 495

Je photographiai les Kirghizes de Kaende, qui s'étaient, pour nous recevoir, assemblés sur une éminence. (D'après une photographie.) 496

Le glacier de Kaende. (D'après une photographie.) 497

L'aiguille d'Oustchiar vue de Kaende. 498

Notre cabane au pied de l'aiguille d'Oustchiar. (D'après des photographies.) 498

Kirghizes de Kaende. (D'après une photographie.) 499

Le pic de Kaende s'élève à 6 000 mètres. (D'après une photographie.) 500

La fille du chirtaï (chef) de Kaende, fiancée au kaltchè de la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 501

Le kaltchè (chef) de la vallée d'Irtach, l'heureux fiancé de la fille du chirtaï de Kaende. (D'après une photographie.) 502

Le glacier de Kaende. 503

Cheval kirghize au repos sur les flancs du Kaende. (D'après des photographies.) 503

Retour des champs. (D'après une photographie.) 504

Femmes kirghizes de la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 505

Un chef de district dans la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 505

Le pic du Kara-tach, vu d'Irtach, prend vaguement l'aspect d'une pyramide. (D'après une photographie.) 506

Les caravaniers passent leur vie dans les Monts Célestes, emmenant leur famille avec leurs marchandises. (D'après une photographie.) 507

La vallée de Zououka, par où transitent les caravaniers de Viernyi à Kachgar. (D'après une photographie.) 508

Le massif du Djoukoutchiak; au pied, le dangereux col du même nom, fréquenté par les nomades qui se rendent à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 509

Le chaos des pics dans le Kara-Tao. (D'après une photographie.) 510

Étalon kirghize de la vallée d'Irtach et son cavalier. (D'après une photographie.) 511

Véhicule kirghize employé dans la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 511

Les roches plissées des environs de Slifkina, sur la route de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 512

Campement kirghize, près de Slifkina. (D'après une photographie.) 513

Femme kirghize tannant une peau. (D'après une photographie.) 514

Les glaciers du Djoukoutchiak-Tao. (D'après une photographie.) 515

Tombeau kirghize. (D'après une photographie.) 516

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

«L'espoir des Feroé» se rendant à l'école. (D'après une photographie.) 517

Les enfants transportent la tourbe dans des hottes en bois. (D'après une photographie.) 517

Thorshavn apparut, construite en amphithéâtre au fond d'un petit golfe. 518

Les fermiers de Kirkebœ en habits de fête. (D'après une photographie.) 519

Les poneys feroïens et leurs caisses à transporter la tourbe. (D'après une photographie.) 520

Les dénicheurs d'oiseaux se suspendent à des cordes armées d'un crampon. (D'après une photographie.) 521

Des îlots isolés, des falaises de basalte ruinées par le heurt des vagues. (D'après des photographies.) 522

On pousse vers la plage les cadavres des dauphins, qui ont environ 6 mètres. (D'après une photographie.) 523

Les femmes feroïennes préparent la laine.... (D'après une photographie.) 524

On sale les morues. (D'après une photographie.) 525

Feroïen en costume de travail. (D'après une photographie.) 526

Les femmes portent une robe en flanelle tissée avec la laine qu'elles ont cardée et filée. (D'après une photographie.) 527

Déjà mélancolique!... (D'après une photographie.) 528

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Groupe de Brahmanes électeurs français. (D'après une photographie.) 529

Musicien indien de Pondichéry. (D'après une photographie.) 529

Les enfants ont une bonne petite figure et un costume peu compliqué. (D'après une photographie.) 530

La visite du marché est toujours une distraction utile pour le voyageur. (D'après une photographie.) 531

Indienne en costume de fête. (D'après une photographie.) 532

Groupe de Brahmanes français. (D'après une photographie.) 533

La pagode de Villenour, à quelques kilomètres de Pondichéry. (D'après une photographie.) 534

Intérieur de la pagode de Villenour. (D'après une photographie.) 535

La Fontaine aux Bayadères. (D'après une photographie.) 536

Plusieurs rues de Pondichéry sont larges et bien bâties. (D'après une photographie.) 537

Étang de la pagode de Villenour. (D'après une photographie.) 538

Brahmanes français attendant la clientèle dans un bazar. (D'après une photographie.) 539

La statue de Dupleix à Pondichéry. (D'après une photographie.) 540

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

Les populations souhaitent la bienvenue à l'étranger. (D'après une photographie.) 541

Femme d'Ankarimbelo. (D'après une photographie.) 541

Carte du pays des Tanala. 542

Les femmes tanala sont sveltes, élancées. (D'après une photographie.) 543

Panorama de Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 544

Groupe de Tanala dans la campagne de Milakisihy. (D'après une photographie.) 545

Un partisan tanala tirant à la cible à Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 546

Enfants tanala. (D'après une photographie.) 547

Les hommes, tous armés de la hache. (D'après une photographie.) 548

Les cercueils sont faits d'un tronc d'arbre creusé, et recouverts d'un drap. (D'après une photographie.) 549

Le battage du riz. (D'après une photographie.) 550

(p. x) Une halte de partisans dans la forêt. (D'après une photographie.) 551

Femmes des environs de Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 552

Les Tanala au repos perdent toute leur élégance naturelle. (D'après une photographie.) 553

Une jeune beauté tanala. (D'après une photographie.) 553

Le Tanala, maniant une sagaie, a le geste élégant et souple. (D'après une photographie.) 554

Le chant du «e manenina», à Iaborano. (D'après une photographie.) 555

La rue principale à Sahasinaka. (D'après une photographie.) 556

La danse est exécutée par des hommes, quelquefois par des femmes. (D'après une photographie.) 557

Un danseur botomaro. (D'après une photographie.) 558

La danse, chez les Tanala, est expressive au plus haut degré. (D'après des photographies.) 559

Tapant à coups redoublés sur un long bambou, les Tanala en tirent une musique étrange. (D'après une photographie.) 560

Femmes tanala tissant un lamba. (D'après une photographie.) 561

Le village et le fort de Sahasinaka s'élèvent sur les hauteurs qui bordent le Faraony. (D'après une photographie.) 562

Un détachement d'infanterie coloniale traverse le Rienana. (D'après une photographie.) 563

Profil et face de femmes tanala. (D'après une photographie.) 564

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Les murailles de Sfax, véritable décor d'opéra.... (D'après une photographie.) 565

Salem, le domestique arabe de l'auteur. (D'après une photographie.) 565

Carte de la région du Bou Hedma (sud tunisien). 566

Les sources chaudes de l'oued Hadedj sont sulfureuses. (D'après une photographie.) 567

L'oued Hadedj, d'aspect si charmant, est un bourbier qui sue la fièvre. (D'après une photographie.) 568

Le cirque du Bou Hedma. (D'après une photographie.) 569

L'oued Hadedj sort d'une étroite crevasse de la montagne. (D'après une photographie.) 570

Manoubia est une petite paysanne d'une douzaine d'années. (D'après une photographie.) 571

Un puits dans le défilé de Touninn. (D'après une photographie.) 571

Le ksar de Sakket abrite les Ouled bou Saad Sédentaires, qui cultivent oliviers et figuiers. (D'après une photographie.) 572

De temps en temps la forêt de gommiers se révèle par un arbre. (D'après une photographie.) 573

Le village de Mech; dans l'arrière-plan, le Bou Hedma. (D'après une photographie.) 574

Le Khrangat Touninn (défile de Touninn), que traverse le chemin de Bir Saad à Sakket. (D'après une photographie.) 575

Le puits de Bordj Saad. (D'après une photographie.) 576

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

Après avoir croisé des bœufs superbes.... (D'après une photographie.) 577

Femme castillane. (D'après une photographie.) 577

On chemine à travers l'inextricable réseau des ruelles silencieuses. (D après une photographie.) 578

La rue du Commerce, à Tolède. (D'après une photographie.) 579

Un représentant de la foule innombrable des mendiants de Tolède. (D'après une photographie.) 580

Dans des rues tortueuses s'ouvrent les entrées monumentales d'anciens palais, tel que celui de la Sainte Hermandad. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 581

Porte du vieux palais de Tolède. (D'après une photographie.) 582

Fière et isolée comme un arc de triomphe, s'élève la merveilleuse Puerta del Sol. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 583

Détail de sculpture mudejar dans le Transito. (D'après une photographie.) 584

Ancienne sinagogue connue sous le nom de Santa Maria la Blanca. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 585

Madrilène. (D'après une photographie.) 586

La porte de Visagra, construction massive remontant à l'époque de Charles Quint. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 587

Tympan mudejar. (D'après une photographie.) 588

Des familles d'ouvriers ont établi leurs demeures près de murailles solides. (D'après une photographie.) 589

Castillane et Sévillane. (D'après une photographie.) 589

Isabelle de Portugal, par le Titien (Musée du Prado). (Photographie Lacoste, à Madrid.) 590

Le palais de Pierre le Cruel. (D'après une photographie.) 591

Statue polychrome du prophète Élie, dans l'église de Santo Tomé (auteur inconnu). (D'après une photographie.) 592

Porte du palais de Pierre le Cruel. (D'après une photographie.) 593

Portrait d'homme, par le Greco. (Photographie Hauser y Menet, à Madrid.) 594

La cathédrale de Tolède. 595

Enterrement du comte d'Orgaz, par le Greco (église Santo Tomé). (D'après une photographie.) 596

Le couvent de Santo Tomé conserve une tour en forme de minaret. (D'après une photographie.) 597

Les évêques Mendoza et Ximénès. (D'après une photographie.) 598

Salon de la prieure, au couvent de San Juan de la Penitencia. (D'après une photographie.) 599

Prise de Melilla (cathédrale de Tolède). (D'après une photographie.) 600

C'est dans cette pauvre demeure que vécut Cervantès pendant son séjour à Tolède. (D'après une photographie.) 601

Saint François d'Assise, par Alonzo Cano, cathédrale de Tolède. 601

Porte des Lions. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 602

Le cloître de San Juan de los Reyes apparaît comme le morceau le plus précieux et le plus fleuri de l'architecture gothique espagnole. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 603

Ornements d'église, à Madrid. (D'après une photographie.) 604

Porte due au ciseau de Berruguete, dans le cloître de la cathédrale de Tolède. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 605

Une torea. (D'après une photographie.) 606

Vue intérieure de l'église de San Juan de Los Reyes. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 607

Une rue de Tolède. (D'après une photographie.) 608

Porte de l'hôpital de Santa Cruz. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 609

Sur les bords du Tage. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 610

Escalier de l'hôpital de Santa Cruz. (D'après une photographie.) 611

Détail du plafond de la cathédrale. (D'après une photographie) 612

Pont Saint-Martin à Tolède. (D'après une photographie.) 613

Guitariste castillane. (D'après une photographie.) 613

La «Casa consistorial», hôtel de ville. (D'après une photographie.) 614

Le «patio» des Templiers. (D'après une photographie.) 615

Jeune femme de Cordoue avec la mantille en chenille légère. (D'après une photographie.) 616

Un coin de la Mosquée de Cordoue. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 617

Chapelle de San Fernando, de style mudejar, élevée au (p. xi) centre de la Mosquée de Cordoue. (D'après une photographie.) 618

La mosquée qui fait la célébrité de Cordoue, avec ses dix-neuf galeries hypostyles, orientées vers la Mecque. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 619

Détail de la chapelle de San Fernando. (D'après une photographie.) 620

Vue extérieure de la Mosquée de Cordoue, avec l'église catholique élevée en 1523, malgré les protestations des Cordouans. (D'après une photographie.) 621

Statue de Gonzalve de Cordoue. (D'après une photographie.) 622

Statue de doña Maria Manrique, femme de Gonzalve de Cordoue. (D'après une photographie.) 623

Détail d'une porte de la mosquée. (D'après une photographie.) 624

Note 1: Suite. Voyez page 457.[Retour au texte principal]

Note 2: Suite. Voyez pages 457 et 469.[Retour au texte principal]

Note 3: Suite. Voyez pages 457, 469 et 481.[Retour au texte principal]

Note 4: Suite. Voyez pages 457, 469, 481 et 493.[Retour au texte principal]