The Project Gutenberg eBook of Le Tour du Monde; Kachmir

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Title: Le Tour du Monde; Kachmir

Author: Various

Editor: Édouard Charton

Release date: July 29, 2009 [eBook #29536]

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Christine P. Travers and the
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LE TOUR DU MONDE

PARIS
IMPRIMERIE FERNAND SCHMIDT
20, rue du Dragon, 20

NOUVELLE SÉRIE—11e ANNÉE 2e SEMESTRE

LE TOUR DU MONDE
JOURNAL
DES VOYAGES ET DES VOYAGEURS

Le Tour du Monde
a été fondé par Édouard Charton
en 1860

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND
1905

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. xiii) TABLE DES MATIÈRES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

I. De Paris à Srinagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srinagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade. 1

II. La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et batelières. — De Baramoula à Srinagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srinagar. 13

III. Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas. 25

IV. Le pèlerinage d'Amarnath. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles. 37

V. Le pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srinagar. 49

SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

I. Voyage dans la brousse. — En file indienne. — Motéso. — La route dans un ruisseau. — Denguéra. — Kodioso. — Villes et villages abandonnés. — Où est donc Bettié? — Arrivée à Dioubasso. 61

II. Dans le territoire de Mopé. — Coutumes du pays. — La mort d'un prince héritier. — L'épreuve du poison. — De Mopé à Bettié. — Bénie, roi de Bettié, et sa capitale. — Retour à Petit-Alépé. 73

III. Rapports et résultats de la mission. — Valeur économique de la côte d'Ivoire. — Richesse de la flore. — Supériorité de la faune. 85

IV. La fièvre jaune à Grand-Bassam. — Deuils nombreux. — Retour en France. 90

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

I. L'île d'Elbe et le «canal» de Piombino. — Deux mots d'histoire. — Débarquement à Porto-Ferraio. — Une ville d'opéra. — La «teste di Napoleone» et le Palais impérial. — La bannière de l'ancien roi de l'île d'Elbe. — Offre à Napoléon III, après Sedan. — La bibliothèque de l'Empereur. — Souvenir de Victor Hugo. Le premier mot du poète. — Un enterrement aux flambeaux. Cagoules noires et cagoules blanches. Dans la paix des limbes. — Les différentes routes de l'île. 97

II. Le golfe de Procchio et la montagne de Jupiter. — Soir tempétueux et morne tristesse. — L'ascension du Monte Giove. — Un village dans les nuées. — L'Ermitage de la Madone et la «Sedia di Napoleone». — Le vieux gardien de l'infini. «Bastia, Signor!». Vision sublime. — La côte orientale de l'île. Capoliveri et Porto-Longone. — La gorge de Monserrat. — Rio 1 Marina et le monde du fer. 109

III. Napoléon, roi de l'île d'Elbe. — Installation aux Mulini. — L'Empereur à la gorge de Monserrat. — San Martino Saint-Cloud. La salle des Pyramides et le plafond aux deux colombes. Le lit de Bertrand. La salle de bain et le miroir de la Vérité. — L'Empereur transporte ses pénates sur le Monte Giove. — Elbe perdue pour la France. — L'ancien Musée de San Martino. Essai de reconstitution par le propriétaire actuel. Le lit de Madame Mère. — Où il faut chercher à Elbe les vraies reliques impériales. «Apollon gardant ses troupeaux.» Éventail et bijoux de la princesse Pauline. Les clefs de Porto-Ferraio. Autographes. La robe de la signorina Squarci. — L'église de l'archiconfrérie du Très-Saint-Sacrement. La «Pieta» de l'Empereur. Les broderies de soie des Mulini. — Le vieil aveugle de Porto-Ferraio. 121

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

I. — Alexandrette et la montée de Beïlan. — Antioche et l'Oronte; excursions à Daphné et à Soueidieh. — La route d'Alep par le Kasr-el-Benat et Dana. — Premier aperçu d'Alep. 133

II. — Ma caravane. — Village d'Yazides. — Nisib. — Première rencontre avec l'Euphrate. — Biredjik. — Souvenirs des Hétéens. — Excursion à Resapha. — Comment atteindre Ras-el-Aïn? Comment le quitter? — Enfin à Orfa! 145

III. — Séjour à Orfa. — Samosate. — Vallée accidentée de l'Euphrate. — Roum-Kaleh et Aïntab. — Court repos à Alep. — Saint-Syméon et l'Alma-Dagh. — Huit jours trappiste! — Conclusion pessimiste. 157

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

À qui les Nouvelles-Hébrides: France, Angleterre ou Australie? Le condominium anglo-français de 1887. — L'œuvre de M. Higginson. — Situation actuelle des îles. — L'influence anglo-australienne. — Les ressources des Nouvelles-Hébrides. — Leur avenir. 169

(p. xiv) LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

I. — Moscou. — Une déception. — Le Kreml, acropole sacrée. — Les églises, les palais: deux époques. 182

II. — Moscou, la ville et les faubourgs. — La bourgeoisie moscovite. — Changement de paysage; Nijni-Novgorod: le Kreml et la ville. 193

III. — La foire de Nijni: marchandises et marchands. — L'œuvre du commerce. — Sur la Volga. — À bord du Sviatoslav. — Une visite à Kazan. — La «sainte mère Volga». 205

IV. — De Samara à Tomsk. — La vie du train. — Les passagers et l'équipage: les soirées. — Dans le steppe: l'effort des hommes. — Les émigrants. 217

V. — Tomsk. — La mêlée des races. — Anciens et nouveaux fonctionnaires. — L'Université de Tomsk. — Le rôle de l'État dans l'œuvre de colonisation. 229

VI. — Heures de retour. — Dans l'Oural. — La Grande-Russie. — Conclusion. 241

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

La petite ville de Lugano; ses charmes; son lac. — Un peu d'histoire et de géographie. — La cathédrale de Saint-Laurent. — L'église Sainte-Marie-des-Anges. — Lugano, la ville des fresques. — L'œuvre du Luini. — Procédés employés pour le transfert des fresques. 253

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

I. — Woo-Sung. — Au débarcadère. — La Concession française. — La Cité chinoise. — Retour à notre concession. — La police municipale et la prison. — La cangue et le bambou. — Les exécutions. — Le corps de volontaires. — Émeutes. — Les conseils municipaux. 265

II. — L'établissement des jésuites de Zi-ka-oueï. — Pharmacie chinoise. — Le camp de Kou-ka-za. — La fumerie d'opium. — Le charnier des enfants trouvés. — Le fournisseur des ombres. — La concession internationale. — Jardin chinois. — Le Bund. — La pagode de Long-hoa. — Fou-tchéou-road. — Statistique. 277

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

Le problème de la civilisation des nègres. — L'Institut Hampton, en Virginie. — La vie de Booker T. Washington. — L'école professionnelle de Tuskegee, en Alabama. — Conciliateurs et agitateurs. — Le vote des nègres et la casuistique de la Constitution. 289

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

I. — Arrivée à Astrabad. — Ancienne importance de la ville. — Le pays des Turkomans: à travers le steppe et les Collines Noires. — Le Khorassan. — Mechhed: sa mosquée; son commerce. — Le désert de Lout. — Sur la route de Kirman. 301

II. — La province de Kirman. — Géographie: la flore, la faune; l'administration, l'armée. — Histoire: invasions et dévastations. — La ville de Kirman, capitale de la province. — Une saison sur le plateau de Sardou. 313

III. — En Baloutchistan. — Le Makran: la côte du golfe Arabique. — Histoire et géographie du Makran. — Le Sarhad. 325

IV. — Délimitation à la frontière perso-baloutche. — De Kirman à la ville-frontière de Kouak. — La Commission de délimitation. — Question de préséance. — L'œuvre de la Commission. — De Kouak à Kélat. 337

V. — Le Seistan: son histoire. — Le delta du Helmand. — Comparaison du Seistan et de l'Égypte. — Excursions dans le Helmand. — Retour par Yezd à Kirman. 349

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte DE MIRAMON-FARGUES

De Saïgon à Pnôm-penh et à Compong-Chuang. — À la rame sur le Grand-Lac. — Les charrettes cambodgiennes. — Siem-Réap. — Le temple d'Angkor. — Angkor-Tom — Décadence de la civilisation khmer. — Rencontre du second roi du Cambodge. — Oudong-la-Superbe, capitale du père de Norodom. — Le palais de Norodom à Pnôm-penh. — Pourquoi la France ne devrait pas abandonner au Siam le territoire d'Angkor. 361

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

I. — De Budapest à Petrozeny. — Un mot d'histoire. — La vallée du Jiul. — Les Boyards et les Tziganes. — Le marché de Targu Jiul. — Le monastère de Tismana. 373

II. — Le monastère d'Horezu. — Excursion à Bistritza. — Romnicu et le défilé de la Tour-Rouge. — De Curtea de Arges à Campolung. — Défilé de Dimboviciora. 385

III. — Bucarest, aspect de la ville. — Les mines de sel de Slanic. — Les sources de pétrole de Doftana. — Sinaïa, promenade dans la forêt. — Busteni et le domaine de la Couronne. 397

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

I. — Une ville hollandaise. — Middelburg. — Les nuages. — Les boerin. — La maison. — L'éclusier. — Le marché. — Le village hollandais. — Zoutelande. — Les bons aubergistes. — Une soirée locale. — Les sabots des petits enfants. — La kermesse. — La piété du Hollandais. 410

II. — Rencontre sur la route. — Le beau cavalier. — Un déjeuner décevant. — Le père Kick. 421

III. — La terre hollandaise. — L'eau. — Les moulins. — La culture. — Les polders. — Les digues. — Origine de la Hollande. — Une nuit à Veere. — Wemeldingen. — Les cinq jeunes filles. — Flirt muet. — Le pochard. — La vie sur l'eau. 423

IV. — Le pêcheur hollandais. — Volendam. — La lessive. — Les marmots. — Les canards. — La pêche au hareng. — Le fils du pêcheur. — Une île singulière: Marken. — Au milieu des eaux. — Les maisons. — Les mœurs. — Les jeunes filles. — Perspective. — La tourbe et les tourbières. — Produit national. — Les (p. xv) tourbières hautes et basses. — Houille locale. 433

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Légende d'Osiris. — Histoire d'Abydos à travers les dynasties, à l'époque chrétienne. — Ses monuments et leur spoliation. — Ses habitants actuels et leurs mœurs. 445

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

I. — De Tachkent à Prjevalsk. — La ville de Tachkent. — En tarentass. — Tchimkent. — Aoulié-Ata. — Tokmak. — Les gorges de Bouam. — Le lac Issik-Koul. — Prjevalsk. — Un chef kirghize. 457

II. — La vallée de Tomghent. — Un aoul kirghize. — La traversée du col de Tomghent. — Chevaux alpinistes. — Une vallée déserte. — Le Kizil-tao. — Le Saridjass. — Troupeaux de chevaux. — La vallée de Kachkateur. — En vue du Khan-Tengri. 469

III. — Sur le col de Tuz. — Rencontre d'antilopes. — La vallée d'Inghiltchik. — Le «tchiou mouz». — Un chef kirghize. — Les gorges d'Attiaïlo. — L'aoul d'Oustchiar. — Arrêtés par les rochers. 481

IV. — Vers l'aiguille d'Oustchiar. — L'aoul de Kaënde. — En vue du Khan-Tengri. — Le glacier de Kaënde. — Bloqués par la neige. — Nous songeons au retour. — Dans la vallée de l'Irtach. — Chez le kaltchè. — Cuisine de Kirghize. — Fin des travaux topographiques. — Un enterrement kirghize. 493

V. — L'heure du retour. — La vallée d'Irtach. — Nous retrouvons la douane. — Arrivée à Prjevalsk. — La dispersion. 505

VI. — Les Khirghizes. — L'origine de la race. — Kazaks et Khirghizes. — Le classement des Bourouts. — Le costume khirghize. — La yourte. — Mœurs et coutumes khirghizes. — Mariages khirghizes. — Conclusion. 507

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

Première escale: Trangisvaag. — Thorshavn, capitale de l'Archipel; le port, la ville. — Un peu d'histoire. — La vie végétative des Feroïens. — La pêche aux dauphins. — La pêche aux baleines. — Excursions diverses à travers l'Archipel. 517

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Accès difficile de Pondichéry par mer. — Ville blanche et ville indienne. — Le palais du Gouvernement. — Les hôtels de nos colonies. — Enclaves anglaises. — La population; les enfants. — Architecture et religion. — Commerce. — L'avenir de Pondichéry. — Le marché. — Les écoles. — La fièvre de la politique. 529

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

I. — Géographie et histoire de l'Ikongo. — Les Tanala. — Organisation sociale. Tribu, clan, famille. — Les lois. 541

II. — Religion et superstitions. — Culte des morts. — Devins et sorciers. — Le Sikidy. — La science. — Astrologie. — L'écriture. — L'art. — Le vêtement et la parure. — L'habitation. — La danse. — La musique. — La poésie. 553

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Le chemin de fer Sfax-Gafsa. — Maharess. — Lella Mazouna. — La forêt de gommiers. — La source des Trois Palmiers. — Le Bou Hedma. — Un groupe mégalithique. — Renseignements indigènes. — L'oued Hadedj et ses sources chaudes. — La plaine des Ouled bou Saad et Sidi haoua el oued. — Bir Saad. — Manoubia. — Khrangat Touninn. — Sakket. — Sened. — Ogla Zagoufta. — La plaine et le village de Mech. — Sidi Abd el-Aziz. 565

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

I. — L'aspect de la Castille. — Les troupeaux en transhumance. — La Mesta. — Le Tage et ses poètes. — La Cuesta del Carmel. — Le Cristo de la Luz. — La machine hydraulique de Jualino Turriano. — Le Zocodover. — Vieux palais et anciennes synagogues. — Les Juifs de Tolède. — Un souvenir de l'inondation du Tage. 577

II. — Le Taller del Moro et le Salon de la Casa de Mesa. — Les pupilles de l'évêque Siliceo. — Santo Tomé et l'œuvre du Greco. — La mosquée de Tolède et la reine Constance. — Juan Guaz, premier architecte de la Cathédrale. — Ses transformations et adjonctions. — Souvenirs de las Navas. — Le tombeau du cardinal de Mendoza. Isabelle la Catholique est son exécutrice testamentaire. — Ximénès. — Le rite mozarabe. — Alvaro de Luda. — Le porte-bannière d'Isabelle à la bataille de Toro. 589

III. — Entrée d'Isabelle et de Ferdinand, d'après les chroniques. — San Juan de los Reyes. — L'hôpital de Santa Cruz. — Les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. — Les portraits fameux de l'Université. — L'ange et la peste. — Sainte-Léocadie. — El Cristo de la Vega. — Le soleil couchant sur les pinacles de San Juan de los Reyes. 601

IV. — Les «cigarrales». — Le pont San Martino et son architecte. — Dévouement conjugal. — L'inscription de l'Hôtel de Ville. — Cordoue, l'Athènes de l'Occident. — Sa mosquée. — Ses fils les plus illustres. — Gonzalve de Cordoue. — Les comptes du Gran Capitan. — Juan de Mena. — Doña Maria de Parèdes. — L'industrie des cuirs repoussés et dorés. 613

(p. 001) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—1re LIV. No 1.—7 Janvier 1905.

EN «RICKSHAW» SUR LA ROUTE DU MONT ABOU—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL.

I. — De Paris à Srînagar. — Un guide pratique. — De Bombay à Lahore. — Premiers préparatifs. — En tonga de Rawal-Pindi à Srînagar. — Les Kachmiris et les maîtres du Kachmir. — Retour à la vie nomade.

Passez-vous l'été au Kachmir? La question n'est pas aussi saugrenue qu'elle peut sembler aux sédentaires Français que nous sommes. Je sais des gens qui le font et ne s'en portent que mieux. La «season» y est admirable. On trouve de tout dans cette heureuse contrée, une vallée comme en Touraine, des sources et des ruisseaux comme en Bretagne, des arbres et des gazons comme en Angleterre, des montagnes comme en Suisse, des ruines comme en Italie, et, comme en nul de ces pays, la liberté!—je veux dire le droit d'aller et de venir au gré de votre humeur, roi en votre bateau et seigneur en votre tente, amarrant ou démarrant à votre guise, plantant ou levant le camp à votre fantaisie, sans que jamais aucune clôture, aucun écriteau, ni aucun garde champêtre vienne vous arrêter. Ajoutez enfin l'étonnant bon marché de la vie; et, au total, cela est infiniment plus intéressant, plus hygiénique et, après tout, pas beaucoup plus coûteux qu'une saison dans telle ville d'eaux à la mode.

L'ÉLÉPHANT DU TOURISTE À DJAÏPOUR.

À quiconque voudrait tenter l'aventure, ces notes sont dédiées. Elles n'ont d'autres prétentions que de donner les quelques renseignements dont on pourrait avoir besoin. Si, ça et là, aux informations se mêlent quelques impressions, on pardonnera celles-ci en faveur de celles-là.

Pour commencer, Srînagar n'est qu'à vingt jours et à moins de 2 000 francs de Paris. Comptons: de Marseille, les paquebots des Messageries maritimes vous conduiront en quinze jours et pour 1 375 francs jusqu'à Bombay. De Bombay, le train express,—en dehors duquel il n'est point dans l'Inde de salut,—vous (p. 002) mènera en soixante-quatre heures vingt-cinq minutes jusqu'à Rawal-Pindi, et vous paierez en première classe 93 roupies 9 annas, soit, au taux actuel de la roupie, environ 160 francs. En courant ensuite la poste, vous atteindrez Srînagar en deux jours. Une place dans le courrier se paye 45 roupies, une voiture spéciale revient à 130.

Si le touriste n'a pas passé l'hiver précédent dans l'Inde, il fera bien d'arriver à Bombay dès les premiers jours de mars. Plus tard il risquerait de trouver la chaleur déjà accablante. En remontant vers le nord, il aura encore le temps de visiter Ahmedabad et ses mosquées; le mont Abou et ses sanctuaires djaïns, bijoux de marbre ciselé; la ville rose de Djaïpour d'où un éléphant le conduira à Amber, la vieille capitale désertée; Agra et sa fameuse merveille du Tadj-Mahal, assurément le plus beau monument qu'en aucun lieu du monde l'amour ait jamais élevé à la mort; Mathourâ, patrie du dieu Krichna, et ses quais bordés de temples où les singes disputent aux tortues du fleuve les offrandes des pèlerins; l'impériale Delhi, dont la campagne, jonchée à perte de vue de ruines imposantes, a le même air de grandeur et de désolation que celle de Rome; Amritsar, la ville sainte des Sikhs, qui mire dans un étang les coupoles d'or de son temple trop vanté.... Enfin le voici à Lahore.

Là, que de choses encore à voir: le beau musée, les rues pittoresques de la ville indigène, le fort d'Akbar, la mosquée d'Aureng-Zeb; celle de Vazir-Khân, toute revêtue de précieux carreaux de faïence; les jardins mogols de Shalimar, et, au delà du grand pont de bateaux de la Ravi, ceux de Shah-Dehra où Jehan-Guir, de son vivant grand libertin, opère après sa mort des miracles; puis les innombrables tombeaux qui font de Lahore et de sa banlieue comme une vaste nécropole et peuvent, pendant des mois, donner un but nouveau à chaque promenade du soir. On nous en voudrait de ne pas mentionner celui de la pauvre Anarkali, dont le nom signifie «Bouton de grenade» et qui fut, dit-on, enterrée vive, en la fleur non épanouie de sa jeunesse, pour avoir une fois rendu son sourire à ce même Jehan-Guir, du temps qu'il n'était encore que le prince héritier Sélim. Et pourtant, j'eus une surprise plus émue en visitant la maison où vécut le général Allard,—un de ces officiers de la grande armée qui firent, à charge de revanche, la fortune de Randjit Singh,—et où il donna l'hospitalité à Jacquemond; sous un kiosque du jardin, une simple dalle de marbre porte ces mots en français: Marie Allard, six mois.

PETIT SANCTUAIRE LATÉRAL DANS L'UN DES TEMPLES DJAÏNS DU MONT ABOU.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Entre temps, le touriste fera ses préparatifs de nomade civilisé. Il commencera par se procurer une tente légère, mais pourtant double, du modèle dit: «Cottage suisse» ou «tente de Kaboul». Puis il réunira un mobilier de camp comprenant un lit démontable, des chaises et des tables pliantes; de la batterie de cuisine, plus volontiers un jeu de casseroles en aluminium rentrant les unes dans les autres; un four de campagne, de la vaisselle émaillée, des chandeliers ou des lampes de jardin; enfin le très petit nombre d'objets qui sont vraiment indispensables. Il peut d'ailleurs remettre jusqu'à son arrivée au Kachmir une partie de ces acquisitions et louer le reste à l'une des agences de Srînagar.

Surtout qu'il ne manque pas d'engager, dès Lahore, deux de ces précieux domestiques indiens, si habiles à assurer le confort de leur maître au milieu de toutes les tribulations des déplacements quotidiens. L'un lui servira de khitmatgar (valet de chambre); l'autre sera le khansama (cuisinier). Leur salaire mensuel est de 12 à 16 roupies, plus une indemnité de 8 roupies quand on les emmène loin de chez eux, à charge de se nourrir eux-mêmes. Ces musulmans du Pendjâb sont en général des gens de confiance et parfaitement sobres, ce que ne sont pas toujours les domestiques qui guettent dans les ports de mer l'arrivée des globe-trotters. Assurez-vous seulement qu'ils soient bien de même secte, pour éviter de fâcheux conflits. Les miens s'étaient fort bien entendus durant la campagne, mais tout finit par des grincements de (p. 003) dents! Pendant les derniers temps de mon séjour à Srînagar, j'avais dû accepter et rendre quelques invitations, et c'est assez la coutume des domestiques que de s'inviter en même temps que les maîtres; or, un beau soir que les miens se trouvaient à dîner chez des Lahoris comme eux, le khansama qui était sunnite et très dévot, apprit avec horreur que le khitmatgar appartenait à la secte des Chyites, et c'est ainsi qu'après avoir fraternisé six mois, ils découvrirent qu'ils étaient ennemis jurés, pour la raison qu'il y a plus de mille ans le calife Omar extermina la famille d'Ali, gendre du Prophète.

PONT DE CORDES SUR LE DJHILAM, PRÈS DE GARHI.—DESSIN DE MASSIAS, D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Que le touriste s'en fie au khitmatgar pour trouver, chaque jour, à la même place, sous sa main, à table, près de son lit ou dans les poches de la tente, tous les objets dont il a coutume de se servir. À toute heure, le cri de «Koï hai!» qui équivaut au «Holà, quelqu'un!» de nos pères, trouvera celui-ci prêt à répondre, empressé et ingénieux, et portant sur l'épaule la serviette qui est comme l'insigne de sa charge. Veillez seulement à ce qu'il en change souvent! C'est avec elle qu'il essuie l'assiette qu'il vous apporte; avec elle qu'il époussette, à l'occasion, vos vêtements et vos chaussures; avec elle qu'au matin, en faisant votre lit, quand vous avez campé trop près d'un village, il chasse à petits coups bienveillants les puces, à demi asphyxiées par la poudre de pyrèthre dont il eut soin la veille de saupoudrer vos draps; c'est avec elle encore qu'il fouaille les coolies qui tardent à dresser les tentes et à disposer le camp; car il s'improvise chef de caravane, et les bons Kachmiris que houspillait le mien,—un freluquet qu'ils auraient écrasé d'une chiquenaude,—ne manquaient jamais de lui donner respectueusement du «Sirdar!»... ni plus ni moins que le titre que portait lord Kitchener de Khartoum quand il commandait l'armée anglo-égyptienne! Il se piquait d'ailleurs d'être de bonne famille, mais des malheurs domestiques avaient contrarié son éducation; aussi ne prétendait-il pas au titre de poète comme le khitmatgar d'un de mes amis, qui charmait ses loisirs à composer des vers persans. Du moins il était fidèle; à la différence d'autres qui ont, tous les quinze jours, à enterrer la même belle-mère, il ne m'a jamais demandé qu'une demi-journée de congé. C'était à Lahore, pour se marier! Et comme, généreusement, je lui offrais la journée tout entière, il protesta qu'il tenait à être de retour à temps pour me servir mon déjeuner.

Quant au khansama, sans doute, il volera un peu son maître; c'est le métier qui veut ça. En revanche, on peut être assuré de trouver partout, même en pleine djangle, et par quelque temps qu'il fasse, le repas prêt à l'heure et cuit à point. Par la pluie ou le vent, au coin d'un bois, sur un feu qui flambe entre deux pierres, dans des circonstances où le meilleur maître-queux européen ne songerait qu'à rendre son tablier, ces cuisiniers indiens réalisent couramment et d'impeccable façon le menu classique: potage, entrée, légumes, rôti, entremets. Lorsque le mien vint, le premier jour de son entrée en charge, me demander dans son jargon anglo-indien comment je désirais le rôti: Half-paka, three quarters paka ya bahout paka, «mi-cuit, aux trois quarts cuit ou très cuit», je connus que je possédais un virtuose doué du sentiment des nuances. Je dois dire qu'il les réalisait imperturbablement, et à la broche; car je lui avais, une fois pour toutes, inculqué l'idée que mes principes s'opposaient à ce que les rôtis se fissent à la casserole; et je le vois encore, à telle étape, sous l'ondée, abritant d'une main avec un parapluie, et tournant mélancoliquement de (p. 004) l'autre devant la braise le poulet du soir. En pareilles matières, n'invoquez jamais votre goût ni votre estomac; ils n'en ont cure. Parlez vaguement de rites ou simplement de coutume (dastour) que vous tenez à observer: vous serez sûr d'être obéi, et ils vous en estimeront davantage d'avoir ce qu'ils ne manqueront pas de prendre pour des pratiques religieuses, dans le genre des leurs. Quelques plats à la mode de France vinrent ainsi, au nom du french dastour, remplacer fort avantageusement les éternelles «côtelettes de poulet» (sic) et les fades légumes à l'anglaise. Grâce moitié à de laborieuses explications, moitié à des démonstrations pratiques, ces recettes furent assimilées par le cuisinier avec une telle maestria que, quand je le congédiai au bout de la saison, il ne parlait de rien moins, fort de sa science accrue, que de se faire engager chez un lieutenant-gouverneur.

Au Kachmir, le touriste renforcera encore sa maison de deux ou trois autres domestiques à 8 ou 10 roupies par mois. Il lui faudra d'abord un bhichti (porteur d'eau) qui cumulera sans doute les fonctions de masalchi (laveur de vaisselle). Les familles un peu nombreuses traînent même à leur suite un dhobi (blanchisseur) particulier attaché à leur service. Enfin il y aura encore le «balayeur»,—celui que Jacquemond appelait le grand-maître de la garde-robe,—homme de si basse caste, qu'il soigne les chiens et mange pêle-mêle les restes de votre table; inutile d'ajouter qu'il est au ban de la société. Et quand, arrivant fatigué à l'étape, vous aurez vu le cuisinier réclamer au bhichti de l'eau qu'il fera chauffer sur du bois ramassé par le balayeur pour vous préparer selon les rites une simple tasse de thé, que vous apportera le khitmatgar, vous admirerez,—si du moins vous n'êtes pas à bout de patience,—cette élégante division du travail.

Lahore, en avril, est encore plein de roses. Mais si le voyageur veut s'assurer que la chaleur de l'Inde n'est pas «un mythe solaire», comme le proclament souvent les touristes d'hiver, qu'il s'attarde seulement jusqu'en mai et attende le premier «orage de poussière», après 117° ou 120° Fahrenheit (48° centigrade) à l'ombre; tout comme jadis les compagnons d'Alexandre, il déclarera que l'expérience est suffisante et insistera pour se retirer sans demander son reste. Le départ pour les montagnes ne lui semblera que plus doux. Il sera déjà temps pour lui de s'approvisionner de glace pour faire sans encombre les neuf heures d'express qui le séparent de Rawal-Pindi. Il passera sans s'arrêter devant l'amorce des routes que suivirent Bernier et Jacquemond par le Pir-Pantsal ou Pantch. Le Kachmir a maintenant sa voie carrossable, passant par Mari (orth. anglaise: Murree). On parle même d'y pousser un chemin de fer électrique; mais alors ce sera l'invasion des hordes de l'agence Cook et la fin du «paradis des Indes». Hâtez-vous pendant qu'il en est temps encore!

LES «KARÉVAS» OU PLATEAUX ALLUVIAUX FORMÉS PAR LES ÉROSIONS DU DJHILAM. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L'express de Calcutta arrive à deux heures du matin à Rawal-Pindi, un des grands «cantonnements» ou stations militaires du Pendjâb. Il sera bon d'avoir d'avance écrit à l'indispensable Dhanjibhoy, l'entrepreneur de transports, dont les voitures roulent sur toutes les routes de l'Inde du Nord, pour retenir une tonga. C'est un petit chariot à deux roues, fort bas et médiocrement suspendu, recouvert d'une épaisse bâche blanche, qui est la chaise de poste du pays; il y a place pour trois personnes, plus le cocher, et les menus bagages. Les malles et caisses viennent d'ordinaire en ekkas, voitures indigènes fort ingénieusement construites, qu'on peut louer de Rawal-Pindi à Srînagar pour 35 ou 40 francs, et qui, attelées au même poney indigène, accomplissent le voyage en quatre ou cinq jours. On les fait d'ordinaire accompagner, pour plus de sûreté, par l'un des domestiques.

Sitôt les bagages chargés à la gare, on part, sous les étoiles du ciel immuablement pur, à travers les rues de Rawal-Pindi, au risque d'écraser les dormeurs rangés sur des tcharpaïs (lits indigènes) devant leur porte. (p. 005) Les premiers milles sont rapidement franchis le long de la route plate; mais bientôt la silhouette des montagnes sur lesquelles meurt l'étoile du matin, apparaît dans des blancheurs d'aurore. Avec délices on respire la fraîcheur retrouvée. On monte et les relais se font plus courts. La route longe le lit d'un torrent bordé de lauriers roses, puis devient de plus en plus montante et pittoresque. Les pentes se couvrent de sapins; des églantiers s'y accrochent, les revêtant jusqu'à la cime de leurs touffes blanches et parfumées. Les ravins sont pleins de fougères et de fraisiers en fleurs. La route monte de plus belle. Aux derniers relais le saïce (palefrenier), qui d'ordinaire se tient à l'arrière sur le marchepied, passe à l'avant de la tonga, et, assis sur le brancard de gauche, aide le cocher à fouetter ses deux chevaux. On fait ainsi plus de 60 kilomètres en six heures, en même temps qu'on monte à 2000 mètres de hauteur.

«EKKAS» ET «TONGAS» SUR LA ROUTE DU KACHMIR: VUE PRISE AU RELAIS DE RAMPOUR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Mari, la station d'été à la mode du Pendjâb, éparpille sur plusieurs crêtes ses églises, ses hôtels, ses magasins européens, ses cottages entourés de verdure et ses jolies promenades remplies d'amazones et de cavaliers. Au sud, la vue s'étend sur l'immense plaine couleur de khaki, au nord sur les hautes cimes neigeuses qui semblent barrer la route de Kachmir. On se sent renaître dans cet air pur et frais, descendu de l'Himalaya, l'éternel «séjour des neiges», alors que, la veille encore, on étouffait sous le vent artificiel des pankas.

Cependant, après avoir tant monté, il faut redescendre,—bien entendu sans frein,—à mi-côte des pentes boisées, le long de précipices dont ne vous séparent que quelques quartiers de roc échelonnés au bord de la route. À chaque relais, pas un cheval qui ne plonge et se cabre au moment de démarrer; puis ils trottent de façon tout à fait paisible comme si, après avoir protesté pour la forme, ils se résignaient à leur sort. Un seul cheval suffit dans la descente. Tous d'ailleurs, au fort de la saison, sont maigres et écorchés à faire pitié. Pourtant au deuxième relais après Mari, on nous amena par hasard un cheval en bon état, gras, le poil luisant, la peau intacte. Il ne fallut pas moins de quatre saïces pour l'atteler, après quoi il ne répondit aux coups de fouet que par des ruades folles. Comme le cocher insistait, il usa de son grand moyen; reculant soudain, il alla violemment jeter la voiture contre les pierres qui bordaient la route du côté de la vallée. À vingt pas plus loin, rien n'aurait empêché la dégringolade, et on nous aurait ramassés avec armes et bagages à 500 mètres (p. 006) plus bas. Les gens du village et les conducteurs d'une caravane au repos regardaient, avec intérêt, se préparer l'accident. Nous avons immédiatement réclamé un autre cheval: c'est tout ce que demandait le premier; et tandis qu'on amenait un de ses compagnons, moins ingénieux ou plus bonasse, le vicieux animal, aussitôt dételé, remontait tout seul reprendre à l'écurie sa place accoutumée et son repas interrompu.

Cependant, à force de descendre, la route atteint enfin le creux de la vallée du Djhilam ou Vitastâ. Elle suit jusqu'au pont de Kohala le bord de la blanchâtre et puissante rivière, grossie d'eau de neige. Changée en furieux torrent, elle écume et gronde, affolée de remous et de rapides dans son lit de rochers, elle si calme au Kachmir! Des bois flottés, membres épars des beaux cèdres déodars des montagnes, y tournoient, entraînés aux plaines du Pendjâb. Les ruines de l'ancien pont suspendu, remplacé par un pont de pierre, racontent les fantasques sursauts des inondations. De l'autre côté de ce pont, nous sommes dans les États du mahârâdja de Djammou et Kachmir; à preuve que, de ce côté du Djhilam, on donne une roupie de péage aux fonctionnaires anglais et, de l'autre côté, une roupie ½ aux gens du mahârâdja pour le droit de route et le droit de pâturage des bêtes de somme. Quant aux droits de douane, ils ne sont pas faits pour les sahebs ou «seigneurs», entendez les Européens.

La route continue, désormais, le long de la rive gauche du Djhilam, pour ne plus la quitter: bonne route quand elle est en état, et dont un de nos chemins vicinaux de France peut donner une idée assez juste. Elle court en corniche, un peu au-dessus du fleuve écumant et furieux, dans l'étroite vallée où le soleil oublié se fait de nouveau sentir. À chaque pas, il lui faut traverser d'innombrables nallas ou vallées latérales. Ce sont, en général, de délicieux ravins où, du haut des montagnes, l'eau dévale en cascades, quelquefois même en puissants torrents, et qui, tous, vaudraient une visite. Chacun d'eux a son pont, d'ordinaire emporté à chaque brusque fonte des neiges et reconstruit avec une inlassable patience par les ingénieurs de l'État. De temps à autre, on rencontre un de ces glissements de terrain qui, au début de la saison, rendent fréquemment la route infranchissable. On déblaye juste la place de la voiture, le reste des éboulis est jeté au Djhilam. Presque au milieu de mai, nous avons trouvé de nombreux coolies encore occupés à réparer la route; mais il suffit qu'il en reste un soupçon pour que la tonga continue à passer à toute volée. Un cahot vous jette dans la crevasse béante, un autre vous en retire; le cocher vous prévient d'un mot bref: «Khabardar! Prenez garde»! Et tout est dit.

LE VIEUX FORT SIKH ET LES GORGES DU DJHILAM À OURI.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Nous avons, le premier jour, fait ainsi 90 kilomètres avec bien des khabardars à la clef. Ce sont naturellement les passages les plus périlleux que choisit le cocher pour lâcher les rênes et souffler dans sa trompette. Les accidents sont, d'ailleurs, extrêmement rares, et on finit par goûter ces galopades éperdues sur des ponts sans parapets et ces brusques tournants pris à toute volée. Toutefois, les gens nerveux feront bien de s'absorber, aux tournants surtout, dans la contemplation de la paroi droite de la route, pour ne point voir le Djhilam, où le moindre écart les précipiterait, et où les grands sapins, emportés comme des fétus de paille, leur prédisent assez leur sort. Cette paroi a d'ailleurs son intérêt; faite, le plus souvent, de cailloux roulés de nuances diverses, grès et porphyres, veinés et polis comme nos galets de l'Océan, elle a été sûrement tranchée dans un ancien lit du fleuve. Parfois même des tunnels sont percés au travers, et l'on ne passe pas sans quelque appréhension sous ces blocs suspendus, à peine cimentés dans leur gangue de terre.

SHÊR-GARHI OU LA «MAISON DU LION», PALAIS DU MAHÂRÂDJA À SRÎNAGAR.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

Tous les 20 kilomètres, ou à peu près, si le désir vous prend de vous arrêter, un bangalow (hind. bângla) est prêt à vous recevoir. Quelques-uns, notamment à Domel, Garhi et Ouri, sont suffisamment approvisionnés. (p. 008) Vous n'y risquez pas de voir se répéter l'anecdote classique du bangalow de l'Inde, dont le dernier poulet,—suprême ressource,—vient toujours de s'enfuir dans la djangle à votre arrivée «par respect pour Votre Honneur!» Ici, le khansama vous sert immanquablement le déjeuner ou le dîner à l'anglaise, et fournit en plus, aux amateurs, du «Kachmir Barsac» ou du «Kachmir Médoc» fabriqué à Srînagar. Quant aux chambres, elles sont assez propres, mais sommairement meublées.

L'ENTRÉE DU TCHINAR-BÂGH, OU BOIS-DES-PLATANES, AU-DESSUS DE SRÎNAGAR; AU PREMIER PLAN UNE «DOUNGA», AU FOND LE SOMMET DU TAKHT-I-SOULEIMAN.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

La vallée, un peu fermée d'abord après Kohala, s'élargit bientôt au confluent de la Kichen-ganga, près de Domel. En même temps, on cesse brusquement de courir du sud au nord pour tourner au sud-est. Une des curiosités de l'étape de Garhi est son pont de cordes. Imaginez des deux côtés de la rivière, large d'environ 80 mètres, deux solides montants renforcés par une poutre transversale et maintenus par d'énormes tas de gros galets. D'une rive à l'autre, deux cordes, faites de lanières de cuir légèrement tordues, les relient deux à deux; ce sont les rampes. Aux poutres transversales se suspend une autre corde de cuir; c'est le chemin. Les trois cordes sont maintenues en position par des fourches de bois en forme de V, placées à environ 3 mètres les unes des autres. Sur cet appareil instable, les Kachmiris se promènent portant d'énormes faix d'herbe ou un pot au lait placés en équilibre sur leur tête; il est vrai que ceux qui possèdent des chaussures les passent à leur ceinture avant d'y monter, ce qui leur permet de se servir de leurs pieds à la façon des singes. D'ailleurs, il y a un passeur qui, pour deux annas, charge sur son dos les gens sujets au vertige ou effrayés par les rapides qui roulent à grand fracas sous ce chemin de clown. Ce passeur est une manière d'Hercule qui porte un homme comme une plume; il a soin, préalablement, de s'attacher sur le dos son client au moyen d'une large écharpe dont il se noue solidement les bouts sur la poitrine, gardant ainsi toute sa liberté de mouvements. Un autre pont semblable, mais moins long, se voit encore près d'Ouri, au-dessous du vieux fort Sikh, dont les murailles de briques et de pisé semblent placées là comme un décor dans le paysage.

RUINES DU TEMPLE DE BRANKOUTRI. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mais comment décrire tous les pittoresques tableaux qui, tour à tour, s'encadrent entre les montants de la capote de la voiture et auxquels on ne donne qu'un regard en passant? Et de même il nous faut renoncer à énumérer les mille et un incidents de la route: rencontres d'ekkas, de chars à bœufs ou de longues théories de chameaux qui vont, remuant les lèvres comme s'ils marmottaient des patenôtres. Puis ce sont les villages, avec leurs huttes basses à toit plat formant véranda; les bazars, où ont encore cours de vieilles monnaies à légendes grecques; les sanctuaires, que marquent des drapeaux triangulaires de couleurs diverses,—sans parler de l'émotion de rigueur à chacun des relais! Vus encore sous un buisson, près de leurs chevreaux et de leur jeune chien aboyant à la tonga qui passe, deux jolis petits pâtres kachmiris, Daphnis et Chloé à leur âge d'innocence; et Chloé appuyait tendrement sa toque de drap rouge contre le turban sale de Daphnis....

Et ainsi, de ce paradis, la route même est délicieuse. D'ailleurs, à partir de Rampour, tout annonce l'approche du Kachmir. Les pentes sont couvertes de sapins et de cèdres déodars, le chemin bordé de peupliers et de platanes. Déjà, à Brankoutri, on passe devant un premier temple en ruines. Celui de Baniyar, mieux conservé, debout au milieu de sa cour quadrangulaire, donne une idée très nette de ce qu'étaient les vieux édifices d'autrefois. Voici bientôt que paraissent les iris, cette fleur symbolique de la contrée. Soudain, la rivière assagie se fait unie comme un miroir, et le long couloir, où nous trottons depuis deux jours, débouche brusquement dans «l'heureuse vallée» par l'étroite porte de Baramoula, qui est en même temps la seule issue pour tout le drainage de ses eaux.

De Mari à Baramoula, on compte 200 kilomètres, soit, si l'on marche, neuf étapes, et, si l'on court (p. 009) la poste, une trentaine de relais. La route, commencée en 1880, était terminée en 1890 jusqu'à l'entrée de la vallée; mais la section de Baramoula à Srînagar n'a été livrée qu'en 1897. Dès 1896, les ponts étaient finis, et le rouleau à vapeur, image de notre civilisation niveleuse, achevait d'écraser dans le ballast plus d'une pierre empruntée aux vieilles ruines hindoues. La route traverse, en effet, la plaine alluviale où l'on ne trouverait pas un caillou; la montagne est loin; les entrepreneurs avaient trouvé plus court de prendre comme carrière les vieilles capitales du pays. Cette année-là, les premières voitures commencèrent à rouler à travers le Kachmir, regardées avec plus de curiosité par les paysans que chez nous les automobiles. Maintenant, tous les véhicules suivent couramment jusqu'à Srînagar, laissant à mi-chemin le vieux bourg et les temples ruinés de Patan. Si vous êtes impatients d'arriver, poussez de suite jusqu'à la capitale; mais du moins, en y entrant, arrêtez-vous sur le pont par lequel la route franchit la rivière, pour vous donner le temps de souffler un peu.

TYPES DE PANDIS OU BRAHMANES KACHMIRIS.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Aussi bien l'Amira-Kadal, le premier en amont des sept ponts de Srînagar et le seul construit à l'européenne, est devenu le rendez-vous habituel des nouvellistes de la cité. C'est là qu'ils discutent des affaires publiques et font courir toutes les semaines le bruit que les Afghans sont entrés à Lahore et que les Russes ont franchi les Pâmirs. Nous y serons bien pour regarder et causer un instant. Un marché se tient des deux côtés, et les gens passent et repassent, pour la plupart de grands gaillards au teint à peine basané, vêtus d'une robe de laine qui se souvient plus ou moins d'avoir jadis été blanche, et enturbannés de calicot. Ce sont, d'ailleurs, de braves gens, à la façon dont l'entendait le globe-trotter qui, dans une gare du Pendjâb, outré de l'insolence d'un coolie, allait s'enquérant de sa race avant de se risquer à sévir. Les Kachmiris sont de la bonne espèce; on peut les battre impunément, ils ne font que tendre le dos. Ce n'est pas comme les Afghans de la frontière qui auraient tôt fait de riposter à la bourrade par un coup de coutelas mortel. Les voyant si forts et si débonnaires, les Anglais en ont tout de suite conclu qu'ils étaient couards. Les préféreraient-ils enclins au meurtre et au brigandage? Il est vrai que pour les Afghans, dont la bravoure ne fait pas question, les Anglais se tirent d'affaire en prétendant qu'ils sont «traîtres». Ce parti pris dans le choix des qualificatifs les plus malsonnants prouve seulement, ce que l'on sait déjà, que les Anglais ne sont guère contents que d'eux-mêmes. Quelques Kachmiris, piqués de ce reproche de lâcheté, soutiennent que la robe, qui est leur costume national, leur fut imposée par les conquérants musulmans, en vue d'efféminer leur caractère. L'histoire est spécieuse et paraîtrait même convaincante, si ceux qui l'ont imaginée pouvaient se passer de leur kangri. Le kangri est la chaufferette indigène, bol de terre garni d'osier et rempli de charbons et de cendres, qui, dès qu'il fait un peu frais, ne quitte pas le Kachmiri plus que son ombre; il passe ses jours accroupi sur elle, il couche avec elle la nuit, et c'est à elle qu'il doit les fréquents incendies de ses demeures et les cicatrices de brûlures dont il est le plus souvent couturé. Or le kangri ne va pas sans les plis de la large robe à longues (p. 010) manches sous lesquels, frileusement, on l'enfouit; et comme le Dr M. A. Stein assure qu'il en était déjà question dans les vieilles chroniques, il faut renoncer à la légende d'un Kachmir, jadis peuplé de héros, tous braves parce que portant culottes.

Mais vous commencez à discerner entre les passants des nuances de types et de costumes. Laissons de côté quelques Sikhs, Pendjâbis et autres immigrés de l'Inde; les Kachmiris eux-mêmes n'ont pas tous même religion ni même caste. En gros ils se partagent entre hindous et musulmans. Ces derniers sont de beaucoup les plus nombreux: des cent vingt mille habitants de la capitale, plus des trois quarts professent l'islamisme, et, dans les campagnes, la proportion est plus forte encore. Il semble que cette conversion de la masse de la population, qui date seulement du XIVe siècle, se soit produite sans violence et nullement à la suite d'une invasion de conquérants. Les cultivateurs et les gens de peu, qui n'avaient qu'à gagner au change, embrassèrent tous la religion étrangère; les brahmanes, qui avaient tout à y perdre, s'attachèrent désespérément au culte que leur avaient légué leurs aïeux, seule justification des privilèges attachés à leur caste. Les musulmans les stigmatisent naturellement de l'épithète de bout-parast (adorateurs d'idoles); mais eux-mêmes sont-ils bien sûrs d'être des «vrais croyants» orthodoxes? En fait, ils ont gardé toutes les superstitions hindoues sous un léger vernis d'islam, et les docteurs de la Mecque les flétrissent à leur tour du nom de pir-parast (adorateurs de saints). Si les brahmanes sont la minorité, ils restent de beaucoup la classe la plus intelligente et la plus cultivée, encore que tous ne justifient pas par de suffisantes études le titre de pandit (lettré), qu'ils se donnent uniformément. Déjà, vous les distinguez aisément de leurs compatriotes musulmans à la marque sectaire qu'ils portent au front, au tour particulier de leur turban et à l'écharpe jetée sur leurs épaules.

Maintenant que vous avez fait une première connaissance avec les Kachmiris, êtes-vous curieux de savoir qui les gouverne? Regardez en aval, puis en amont. Là, tout près, sur la rive gauche, cet entassement d'horribles bâtisses est le Shêr-Garhi, comme on appelle le palais du mahârâdja; là-bas en amont, sur la rive droite, vous distinguez entre les peupliers et les platanes la place de l'élégante villa du résident anglais. Du résident ou du mahârâdja, lequel est le vrai roi de Kachmir? Les petits enfants même le savent et les vieillards ne s'y trompent pas. Un brahmane centenaire, nous disant tous les sarkars (gouvernements) qu'il avait vu passer dans sa vie, énumérait les Afghans Douranis, les Sikhs de Randjit-Singh, les Râdjpoutes Dogras de Goulâb-Singh... et les Anglais de la reine. Il est presque dommage, pour la beauté du fait, qu'il n'ait pas aussi vu les Russes.

LE QUAI DE LA RÉSIDENCE; AU FOND, LE SOMMET DU TAKHT-I-SOULEIMAN.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DEHLI.

C'est le Kachmir des Sikhs qu'a visité Jacquemond en 1831 et dont la vice-royauté lui fut, dit-on, offerte. Ne craignez pas que votre modestie soit mise à pareille épreuve: cet heureux temps n'est plus! Sur sa route, à l'aller et au retour, notre compatriote avait eu l'occasion de rencontrer un Râdjpoute du clan des Dogras que la faveur de Randjit-Singh avait fait râdja de Djammou. Déjà Goulâb-Singh—c'était le nom de ce condottiere—convoitait le Kachmir. Tant que vit le vieux «lion» ou, comme l'appelle encore Jacquemond, le vieux «renard» du Pendjâb, nous le voyons rôder alentour sans y pénétrer; l'un après l'autre, il conquiert les pays limitrophes, le Kichtwar, le Ladâkh, le Skardo. Randjit-Singh mort, il sait habilement ménager sa fortune entre les Sikhs et les Anglais. Enfin par un traité en date du 16 mars 1846, le Gouvernement britannique «transfère et cède, au mahârâdja Goulâb-Singh et aux héritiers mâles de son corps, toute la contrée accidentée ou montagneuse située à l'est de l'Indus et à l'ouest de la Ravi...» En échange, le nouveau mahârâdja payait la somme de 75 lakhs de roupies (p. 011) (un lakh vaut 100 000) et s'engageait à offrir un tribut annuel de chevaux, de chèvres et de châles. On dit que ceux-ci sont encore livrés et que la défunte reine-impératrice en faisait des cadeaux de noces qui n'avaient rien de ruineux. Ce traité était pour Goulâb-Singh un coup de maître. On assure qu'en quelques années, il retrouva, dans le revenu de la Vallée, la somme qu'il avait payée pour l'acquérir. Jamais on n'ôtera de la tête des Kachmiris l'idée que, pour obtenir tant d'avantages, il devait avoir fait croire aux Anglais que tout le pays à lui cédé n'était que montagnes et collines stériles, et la rédaction même du traité le donne assez à penser. En fait, leur but était de séparer Goulâb-Singh de la cause des Sikhs et de s'en faire un allié contre eux; trois ans plus tard, quand, en 1849, ils eurent définitivement annexé le Pendjâb, ils se trouvèrent avoir constitué sur leur flanc un royaume presque indépendant et, qui plus est, confinant aux territoires chinois et russes. C'est l'erreur de cette politique à courte vue qu'ils s'occupent aujourd'hui de réparer au nom des intérêts impériaux de la défense de l'Inde; et voilà sous quel prétexte ils reprennent pour rien ce qu'ils n'ont d'ailleurs pas vendu bien cher.

LA PORTE DU KACHMIR ET LA SORTIE DU DJHILAM À BARAMOULA.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Mais assez causé politique. Occupons-nous de vous assurer le vivre et le couvert. Vous les trouverez pour quelques jours à l'hôtel que le progrès ou le malheur des temps vient de faire établir à Srînagar et dont l'inauguration de la route carrossable avait d'ailleurs rendu l'ouverture nécessaire. Mais on ne vient pas au Kachmir pour vivre à l'hôtel,—autant alors aller en Suisse,—et du reste vous ne connaîtrez rien du pays ni de son charme qu'à condition d'avoir une installation indépendante et ambulante et de mener (ou de vous imaginer mener) dans ce magnifique décor de «Haute-Asie» la vie errante de nos hypothétiques ancêtres aryens. C'est là encore une fois, conscient ou non, tout le secret de l'attrait subtil et prenant de la saison kachmirie. C'est l'évasion hors des ridicules et perpétuelles entraves de notre société, où tout est devenu matière à contravention, depuis l'acte de prendre du bois à la forêt jusqu'à celui de puiser de l'eau à l'océan; c'est la réalisation de ce qui reste, depuis l'Eden, la vocation et le rêve de l'homme, la royauté au sein d'une nature amie; c'est enfin la satisfaction de ce puissant et obscur instinct de vagabondage qui fait qu'au fond de tout civilisé un nomade sommeille. La marque, et peut-être aussi la rançon de ce retour (oh! combien mitigé, d'aucuns diraient perfectionné) aux mœurs de l'humanité primitive, c'est l'importance énorme et (p. 012) insoupçonnée dans le cadre artificiel de nos villes, que prend soudain le double problème de l'abri et du ravitaillement.

Quelques renseignements seront peut-être encore ici les bienvenus. Vous pourrez vous procurer à Srînagar, dans les boutiques des inévitables Parsis, toutes les conserves européennes; mais vous ferez mieux pendant votre séjour de vous approvisionner, comme fait d'ailleurs le reste de la flottante colonie étrangère, aux marchés voisins du pont de l'Amira-Kadal. Bien entendu vous n'y trouverez de bœuf «ni pour amour ni pour argent», au grand scandale des Anglais, qui se dédommagent en consommant force boîtes de corned beef. L'interdiction est maintenue en vigueur par la dynastie hindoue régnante et le meurtre d'une vache, jadis puni de mort, coûterait encore à un indigène une quinzaine d'années de prison, et, à un Européen, l'expulsion du royaume. En dehors de cette viande prohibée, parce que trop sacrée, et de celle de porc que votre cuisinier musulman se résignera malaisément à préparer, parce que trop impure, votre table pourra être abondamment servie: mouton excellent, succulentes volailles, légumes, œufs et beurre frais, rien ne manque au «bazar». Ne vous étonnez pas si votre cuisinier rapporte du marché les victuailles enveloppées dans de l'écorce de bouleau: c'est l'ancien papier du pays, comme en témoignent les vieux manuscrits, et l'on continue à s'en servir pour maint usage domestique. Voulez-vous enfin un aperçu des prix, qui, d'ailleurs, ont tendance à monter en raison de l'affluence des touristes? Un quartier de mouton, 30 sous de notre monnaie; un poulet, de 6 à 10; une livre de beurre ou une douzaine d'œufs, 4; et le reste à l'avenant. Encore rencontre-t-on des gens qui se plaignent de la cherté des vivres et vantent le bon temps où, pour la roupie, on avait le mouton tout entier.

Voilà pour la table. Quant à l'abri, si vous n'avez déjà pris vos précautions à Lahore, vous aurez tôt fait d'acheter ou de louer dans une des agences de Srînagar les tentes et le mobilier de camp nécessaires. Vous ferez dresser votre maison de toile,—bien plus confortable que vous ne pouvez croire, si vous n'en avez jamais essayé,—sur la rive et dans les environs de la Résidence, sous les ombrages de l'un des bâghs, que se sont appropriés les Européens. Il y a le Mounchi-Bâgh, qui est un verger au bord du Djhilam, réservé aux gens mariés et aux dames seules; il y a le Tchinar-Bâgh qui est un magnifique bois de platanes sur le déversoir du lac, à l'usage des célibataires hommes; et ainsi l'ivraie est séparée du bon grain. Surtout, vous vous assurerez la disposition d'une de ces barques indigènes que l'on appelle des doungas: elle vous servira de logis en même temps que de véhicule, au cours de vos premiers déplacements. Ni la roulotte du bohémien, ni même «la maison du berger», dont parle le poète, ne vous mènerait bien loin au Kachmir; pendant ces derniers jours du printemps, où les eaux sont encore hautes, le bateau vous conduira, au contraire, éveillé ou dormant, par la rivière et les lacs, à tous les coins les plus intéressants de la vallée. Pour vous qui descendez de voiture, moulu de cahots, ahuri de trompette et suffoqué de poussière, vous verrez que vous ne perdrez pas au change en troquant votre tonga contre une dounga.

(À suivre.) Mme F. Michel.

NOS TENTES À LAHORE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 013) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—2e LIV. No 2.—14 Janvier 1905.

«DOUNGA» OU BATEAU DE PASSAGERS AU KACHMIR.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

L'ÉTÉ AU KACHMIR[1]
Par Mme F. MICHEL

II. — La «Vallée heureuse» en dounga. — Bateliers et Batelières. — De Baramoula à Srînagar. — La capitale du Kachmir. — Un peu d'économie politique. — En amont de Srînagar.

VICHNOU PORTÉ PAR GAROUDA, IDOLE VÉNÉRÉE PRÈS DU TEMPLE DE VIDJABROER (HAUTEUR 1m40).

La dounga est un bateau plat, pointu aux deux extrémités, long d'une dizaine de mètres et recouvert d'un toit en nattes de roseaux. D'autres nattes, se roulant à volonté comme des stores, forment la fermeture des côtés, la porte et les séparations intérieures. À l'avant, se trouve une petite véranda; puis vient une chambre (la mienne avait exactement 4 mètres de long sur 1m80 de large), et enfin une pièce plus petite qui sert de cabinet de toilette; à l'arrière, la famille du batelier grouille, pagaye et dort dans un espace invraisemblablement restreint. Bateau et équipage se louent au mois pour une vingtaine de roupies le tout; et l'on y est très «confortable» (bien que le lit de camp, si bas qu'il soit, dépasse le plat-bord du bateau), à la condition de se réserver l'entière propriété de son vaisseau et de le meubler à sa fantaisie. Les domestiques suivent dans un autre, où l'on cuisine; qu'en cours de route l'heure du repas sonne, la cuisine flottante accoste, et vous êtes servi sans qu'il soit besoin de vous arrêter. Un petit bateau léger, qu'on appelle shikara et qui sert à la chasse aux oiseaux d'eau et aux courses rapides, complète la flottille; avec cela, vous pouvez circuler partout sur la rivière et sur les lacs du Kachmir. La mode de ces habitations flottantes, que les Anglais appellent house-boats, a bien passé de la Tamise au Djhilam; on en peut louer de fort bien agencées pour la saison. Mais, outre que cela revient beaucoup plus cher, ce sont de lourdes et encombrantes machines qui, dès que les eaux baissent, risquent à chaque instant de s'échouer; puis la dounga est plus couleur locale; et enfin dans aucun cas l'on n'échappe aux handjis!

Les handjis sont les bateliers du Kachmir; caste peut-être méprisable, à coup sûr méprisée, ils tiennent pourtant une grande place dans la vie du pays. Jusqu'à ces dernières années, tous les transports se faisaient (p. 014) par eau. Il y a beau temps que les Kachmiris ont découvert que leur rivière est un chemin qui marche; aussi, la Vihat, comme ils l'appellent, est-elle couverte de barques, depuis les gros chalands de charge, jusqu'aux légères doungas de passagers. Les handjis de cette dernière catégorie sont les plus mal famés de tous. On dit le plus grand mal de la vertu de leurs femmes; il est vrai que l'on vante aussi leur beauté.

Espérons que le reproche n'est pas plus mérité que la louange. Du moins, si les malheureuses créatures ont eu, dans leur prime jeunesse, un moment de fraîcheur, la dure vie qu'elles mènent les a vite flétries. Elles pagayent, pontent, ou tirent la cordelle sans relâche; puis il leur faut décortiquer le riz ou concasser le maïs dans de lourds mortiers de bois, à l'aide d'un grand pilon; enfin, elles ont, en plus, le souci d'élever toute une nichée d'enfants qui, d'ailleurs, sont charmants. Leur seul délassement est de se quereller d'un bateau à l'autre. Ces querelles de handjis sont passées en proverbe au Kachmir. Leur répertoire d'injures, au dire de ceux qui les comprennent, laisse bien loin derrière lui celui des cochers parisiens. Le plus souvent, les femmes seules s'en mêlent et s'invectivent avec fureur, tandis que les hommes écoutent en fumant et marquent les points sans cesser de rire. Parfois, le soir tombe, et l'inspiration n'est pas encore épuisée; alors, chacune des mégères renverse, à l'avant de sa barque, une marmite ou un panier. C'est un geste symbolique; la querelle est enfermée là-dessous pour la nuit; au matin, on retourne l'ustensile, et la voici qui repart de plus belle.

Dès Baramoula, j'ai fait connaissance avec la naïve astuce de ces handjis tant calomniés. Il s'agissait, au milieu de la flottille amarrée au bord, de nous choisir des barques. De tous côtés, c'était à mon adresse des appels et des supplications, mêlés de larmes et de prosternements, de gens se jetant sur mes pieds pour en essuyer du front la poussière, toute la comédie dont ils sont coutumiers en pareil cas. Et toujours un cri dominait: «Kiline, Hazour, kiline!» C'est leur façon de prononcer le mot anglais «clean», la propreté étant naturellement la qualité requise par les arrivants européens. Mon choix fait, les autres bateliers cessèrent aussitôt leurs pathétiques prières; leur tour viendrait une autre fois. Je n'ai, d'ailleurs, pas eu à me plaindre des miens, sauf qu'ils avaient, comme tous leurs congénères, la détestable habitude de jacasser jour et nuit, en dépit de tous mes «tchoup!», ce qui est la manière de leur crier «silence!» en langue hindoustanie. Il y eut bien quelques querelles entre les femmes des deux bateaux; mais elles n'osaient trop m'en rebattre les oreilles, et il était plaisant de voir par instants, quand elles ne se croyaient pas observées, l'air de rage concentrée avec lequel elles se crachaient silencieusement, à l'adresse l'une de l'autre, tout leur réciproque mépris.

ENFANTS DE BATELIERS JOUANT À CACHE-CACHE DANS LE CREUX D'UN VIEUX PLATANE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mais, une fois embarqué, quel délice de se réveiller dans sa dounga qui, insensiblement, glisse sur le beau fleuve transparent et calme. Si une bonne heure de paresse a son prix, c'est à voir de son lit, par la natte à peine soulevée, défiler les vertes rives dans la fraîcheur du matin. À la vérité, le paysage immédiat n'a rien que de déjà vu, et peut-être sa popularité, parmi les Anglo-Indiens, vient-elle de ce qu'il leur rappelle les prés de la Tamise. Nous avons, le premier jour, remonté de Baramoula jusqu'à Sopour par un de ces temps tièdes et voilés, comme en ont nos étés du nord; les fonds se perdaient dans une brume blanche, et, plus près, les ombrages, les grasses prairies peuplées de troupeaux, les beaux champs bien cultivés, les larges perspectives à peine ondulées et fermées de lignes d'arbres, tout était aussi bien une des belles vallées de chez nous. Vers midi, les rideaux de gaze qui voilaient l'horizon se déchirèrent, et, dans la nue diaphane, apparurent, uniques à voir, les cimes neigeuses qui encerclent la vallée, vaste émeraude sertie d'argent; et alors cela valut le voyage.

Sans plus de peine, vous pouvez visiter, au cours de cette indolente navigation, les curieuses et célèbres ruines du Kachmir. Toutes les vieilles capitales et presque toutes les fondations religieuses des rois, dont les Chroniques nous entretiennent, jalonnent la rivière, qui est la grande artère du pays. Les seuls noms des villages que l'on rencontre, Pampour, Lattapour, Avantipour, forcent d'ailleurs les plus profanes à connaître (p. 015) les noms de Padma, de Lalitâditya, d'Avantivarman. Le bourg de Sopour devrait lui-même son nom à Souyya, l'ingénieur de ce dernier prince qui, dit-on, rectifia et cura le cours de la Vitastâ. Si l'on en croit la Râdjataranginî, il se serait borné à vider les coffres du roi dans la rivière! Aussitôt, tous les citoyens s'empressèrent d'aller en fouiller le lit pour retrouver les dinnars d'or, tant et si bien qu'elle s'en trouva désobstruée.

BATELIÈRES DU KACHMIR DÉCORTIQUANT DU RIZ, PRÈS D'UNE RANGÉE DE PEUPLIERS. PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

Le procédé est simple, sinon à la portée de tous les esprits et de toutes les bourses. Ce fut une autre affaire, au temps du farouche Mihirakoula, pour remuer un seul rocher; il faut dire qu'un génie s'y était embusqué, qui se riait de tous les efforts. Toutefois, un rêve avertit le roi qu'il n'y fallait que la main d'une honnête femme. Les dames de la cour et de la ville passèrent l'une après l'autre, par ordre de préséance, et le roc ne bougeait toujours pas; ce fut seulement quand vint le tour de l'épouse d'un pauvre potier qu'il consentit à se mettre en branle. De fureur, Mihirakoula fit mettre à mort, non seulement les femmes coupables, mais encore leurs maris et leurs frères, pour les punir de les avoir si mal gardées; et il en périt ainsi trois crores, c'est-à-dire trente millions! Ce n'est pas la seule histoire qu'il y aurait à conter; le peu que je viens d'en dire n'est que pour vous exciter à en lire davantage dans la traduction anglaise,—à moins, bien entendu, que vous ne préfériez l'édition sanscrite,—du Dr M. A. Stein.

Un pont à la mode kachmirie, qui en vaut bien une autre, de petits sanctuaires hindous, une mosquée, un bazar de village, quelque huit cents maisons à toit anguleux comme chez nous, et non plus en terrasse comme dans l'Inde, voilà Baramoula, et voilà encore, en plus petit, Sopour. Les ponts surtout amusent l'œil par la nouveauté de leur silhouette. Ils sont entièrement en bois. Leurs piles sont formées de rangs de solives superposées alternativement en long et en large. De loin, on dirait assez bien un tas de planches que l'on veut faire sécher. À la base, en amont, une sorte d'éperon, construit de solides madriers et rempli de grosses pierres, rompt l'effort du courant; par en haut, les piles vont s'élargissant et les pièces de bois parallèles au fil de l'eau se font de plus en plus longues, jusqu'à ce qu'enfin elles se trouvent assez rapprochées pour qu'on puisse aisément jeter, de l'une à l'autre, les traverses du tablier. Ces ponts à jour, outre la simplicité et le bon marché de leur construction, ont encore l'avantage de résister aux crues, qui passent à travers leurs interstices sans les entraîner. Jadis, ils étaient bordés de maisons et de boutiques à la façon du Pont-au-Change de nos ancêtres ou du Ponte Vecchio de Florence; mais partout ces superstructures ont brûlé et n'ont pas été rebâties.

Derrière Sopour, s'ouvre le Voular, le plus grand lac du Kachmir. N'étaient quelques belles nappes d'eau libre, on dirait plutôt une immense prairie d'herbes aquatiques, où se posent des oiseaux au plumage éclatant. Partout flottent en cette saison de vieilles noix, ou mieux des châtaignes d'eau (singhara), hérissées de quatre longues épines, qui sont un des produits du lac et la suprême ressource des Kachmiris en temps (p. 016) de famine. Dans des barques plates, chargées à couler bas, les riverains recueillent, pour leur bétail, les herbages de ce pré de nénuphars et de lotus. Ils chantent en arrachant avec leurs mains les larges feuilles humides à tiges visqueuses et le vent emporte très loin ces mélancoliques mélopées hindoues, qui recommencent sans fin.

Les bateliers ont très grand'peur du Voular; c'est qu'il est fréquemment visité par des orages brusquement descendus des montagnes, et auxquels leurs bateaux plats et trop chargés du haut ne sauraient résister. Ils n'ont d'autre ressource que de gagner au plus vite le bord avant que les vagues n'embarquent. Goulâb-Singh, dit-on, faillit y périr. Aussi, au lieu de traverser le lac pour gagner l'embouchure de la grande rivière, les handjis se hâtent-ils de rejoindre, le long de la rive méridionale, l'entrée du canal de Norou. C'est ce que firent les nôtres, et non sans raison: au soir, le vent tomba soudain sur nous, soulevant les nattes et menaçant de jeter à l'eau mobilier et habitants. Nous trouvons, par bonheur, l'abri d'une levée de terre, et toute l'équipe de handjis, hurlant d'effroi, s'empresse d'augmenter les amarres et d'assujettir le toit du bateau. Après quoi, il n'y eut qu'à s'endormir paisiblement, défendu de la pluie et des rafales par cet excellent abri de roseaux tressés.

Ces orages s'en vont aussi vite qu'ils sont venus. Au matin, nous repartons sur l'eau calme et miroitante. L'occasion est belle, au début de la saison, pour gagner, par les étangs intérieurs, le voisinage des ruines de Patan. Les doungas glissent sur les nénuphars en fleurs ou se coulent à travers les grands roseaux peuplés de sarcelles; la transparence de l'eau est telle qu'on peut compter les brins de mousse qui tapissent le fond. Un petit canal conduit jusqu'à de grands platanes isolés dans la plaine près du village, ignoré des cartes, de Palhallan. Aucune place de campement ne paye moins de mine; mais on y est comme sur la plate-forme d'un magique panorama, d'où la vue s'étend de l'Haramouk au Toutakouti et du Kadjnâg au Brahma-Sakoul, sur l'immense cirque de montagnes neigeuses.

CAMPEMENT PRÈS DE PALHALLAN: TENTES ET DOUNGAS.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À quelques kilomètres plus loin, les vieux temples de Patan, fortement éprouvés en 1885 par le dernier tremblement de terre, achèvent de crouler. Palhallan, magnifiquement ombragé de mûriers, de noyers, de platanes séculaires et de peupliers où s'accroche la vigne, a aussi sa curiosité: c'est sa héronnière. Des centaines de hérons vont et viennent, faisant la navette entre les lacs voisins et les grands arbres où ils ont logé leur nichée. Il est comique de les voir se poser avec un geste maladroit de leurs longues pattes. D'autres se font les plumes ou méditent, le cou rentré dans les épaules, au bout d'un rameau desséché; car les cimes dépouillées semblent souffrir de cet excès d'habitants. On est en droit de s'étonner que l'art kachmiri n'ait pas tiré du héron le même parti que les Chinois et les Japonais de leurs cigognes, d'autant que c'est un oiseau royal, dont la chasse est interdite. Jadis, les gens de qualité portaient, fixée par un joyau à leur turban, une aigrette de plumes de héron, et le fermage de la cueillette comptait dans les revenus de l'État. Dans ces dernières années encore, le fermier avait à payer 268 roupies et à fournir 2 999 plumes, pas une de plus, pas une de moins. Mais la mode s'en va, et les aigrettes ne reparaissent qu'à l'occasion des mariages, dans le costume de mascarade dont on affuble le fiancé.

La maison flottante se remet en marche à travers les étangs transparents et fleuris pour regagner le canal de Norou, qui s'embranche à Shadipour sur le bras principal de la Vitastâ; juste en face, se jette le Sindh, formant ainsi un vrai carrefour de rivières. Ce confluent est aux yeux des brahmanes un lieu aussi sacré que le point de jonction du Gange et de la Djamna; sur un îlot circulaire, un petit platane, pareil à l'arbre éternel dont les pèlerins vénèrent encore le tronc dans les souterrains (p. 017) du fort d'Allahabâd, est censé ne connaître ni déclin ni croissance. Détail qui a son prix, on pèche à cette place vénérée d'excellents poissons appelés mahsirs. De là, en descendant la grande rivière, on aurait vite fait d'atteindre le pont de Soumbal, et, par un étroit déversoir, les eaux vertes et profondes du petit lac Manusbal, où une réduction de temple kachmiri achève de s'enliser dans la vase. Si, au contraire, on la remonte, bientôt se dessine, dans le lointain, le fort sikh de Hari-Parvat, qui est la citadelle de Srînagar. Par derrière, se profile, plus haut encore, servant d'écran au soleil levant, une colline couronnée d'un sanctuaire brahmanique, ce qui n'empêche pas les musulmans de l'appeler Takht-i-Souleiman, c'est-à-dire «Trône de Salomon».

TROISIÈME PONT DE SRÎNAGAR ET MOSQUÉE DE SHAH HAMADAN; AU FOND, LE FORT DE HARI-PARVAT.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Srînagar est coupé en deux par la rivière qu'elle borde pendant plus de 5 kilomètres. Sept ponts relient les deux rives. J'ai, pour ma part, eu l'impression d'arriver dans une ville demi-ruinée. Il semblerait que les maisons, dont beaucoup sont étayées, ont été laissées en état d'équilibre instable par le dernier tremblement de terre, en attendant que le prochain achève de les jeter à bas. Elles n'en sont que plus pittoresques, avec leurs petites loggias à l'étage supérieur, leurs volets ajourés, sur lesquels, l'hiver, on colle du papier pour remplacer les vitres absentes, et surtout leurs toits de terre couverts de touffes d'iris et d'herbes folles, ondoyant au moindre souffle. Tour à tour défilent des mosquées, avec leur triple toit également fleuri, et les temples hindous, dont les dômes oblongs sont revêtus de plaques de fer blanc, hélas! empruntées à des bidons de pétrole. Des quais et de grands escaliers, bâtis de vieilles pierres sculptées, bordent la rivière. Des femmes y descendent emplir leurs cruches de terre rouge ou de bronze; leurs petites sandales de bois, retenues par un simple champignon passé entre l'orteil et le premier doigt, claquent sur les marches glissantes, et c'est miracle qu'elles ne se rompent pas le cou; leurs longues robes de laine ont parfois des teintes délicieusement passées: vieux vert, bleu pâli, grenat foncé. Les shikaras sillonnent en tous sens la rivière, aussi nombreux que les fiacres dans une rue de Paris.

Sur la gauche, on a laissé le Mahârâdj-gandj, qui est le bazar neuf,—d'autant plus neuf à présent qu'on vient encore de le rebâtir après un nouvel incendie. C'est le repaire de tous les gros marchands de ces bibelots d'argent, de cuivre ciselé et émaillé, de «papier mâché», de bois sculpté et de broderies, qui sont les grandes productions artistiques du pays. N'espérez pas leur échapper. Ils vous poursuivront sur eau comme sur terre; avec une inlassable patience, ils mettront le siège devant votre tente ou votre bateau, s'insinueront peu à peu, eux et leurs marchandises, dans la place, et ne vous tiendront quittes qu'ils ne remportent, inscrite sur leurs livres, votre commande, livrable fin saison. Entre temps, les courtiers des banquiers indigènes vous proposent fort poliment d'escompter vos chèques, tout comme la Banque anglaise, et même, ce que celle-ci ne saurait faire, de vous délivrer des lettres de change (en kachmiri, houndi) pour les plus lointaines villes de l'Asie centrale, (p. 018) où ils ont leurs correspondants attitrés. Et enfin, c'est toute la horde des fournisseurs venant faire leurs offres de services, tailleurs pour hommes et pour dames (à dix roupies le complet; spécialité de paletots pour fox-terriers), bottiers pour la ville et pour la montagne, marchands de fourrures, fabricants d'articles de voyage et de campement, prêts à vous équiper de pied en cap pour vos expéditions futures, vous, vos gens, et, si besoin est, vos chiens.

Pour tout ce petit monde grouillant d'artisans et de commerçants, la mort de l'industrie des châles fut, il y a quelque trente ans, un coup terrible. On sait que la mode commençait, dès 1870, à en passer; mais comme ce commerce était entre les mains de nos courtiers et que la guerre franco-allemande vint arrêter brusquement leurs achats, les bons Kachmiris établirent tout naturellement une relation entre nos désastres et leur ruine. La nouvelle de Sedan fut accueillie chez ce peuple démonstratif par des lamentations publiques, qui, pour être intéressées, n'en étaient pas moins sincères; et peut-être est-il le seul qui ait compati à nos malheurs. Une partie des tisseurs de châles ont retrouvé depuis un gagne-pain dans deux manufactures de tapis, dont l'une est dirigée par un Français, M. Dauvergne.

Cette crise économique n'est, d'ailleurs, qu'un incident dans l'histoire récente de la malheureuse capitale de l'heureuse Vallée. On s'explique assez son air de délabrement quand on songe à tous les maux qui l'ont éprouvée au cours de ces dernières années: famines, choléra, inondations et incendies périodiques, rien ne lui a été épargné; par-dessus tout, elle a eu à souffrir de l'hostilité déclarée de la nouvelle administration anglaise, qui, bienfait pour le reste du pays, fut pour elle un malheur. Cette agglomération de cent vingt mille habitants—pour les trois quarts, artisans ou commerçants musulmans, et, pour le reste, brahmanes,—pèse d'un poids anormal dans une vallée fermée de 35 lieues de long sur 10 de large, et qui compte, au plus, huit cent mille âmes. Jusqu'il y a quinze ans à peine, la tradition avait été d'exploiter la province au profit de la capitale; le mot d'ordre des fonctionnaires prêtés—ou imposés—au mahârâdja par le Gouvernement anglais fut, au contraire, de renverser les rôles et de sacrifier la ville à la campagne. On ne saurait donner un meilleur résumé des deux chapitres que M. W. Lawrence,—le fonctionnaire qui a fait le plus pour attacher son nom à cette transformation,—a consacrés, dans son intéressant ouvrage (The Valley of Kashmir, Oxford, 1895), à nous faire sentir la différence entre l'ancien régime et le nouveau. C'était, proprement, tout mettre sens dessus dessous et vouloir faire marcher le Kachmir sur la tête. Il fallait avoir affaire à une population aussi douce et malléable pour qu'un si radical et si brusque changement pût être opéré en si peu de temps; partout ailleurs, il eût provoqué des troubles, sinon une révolution; mais s'il se fit sans révolte, il ne se fit pas sans souffrances, au moins pour les citadins.

LE TEMPLE INONDÉ DE PANDRETHAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Peut-être était-ce aussi leur tour, car il faut avouer que, jusqu'alors, la vie du paysan kachmiri avait été des plus dures. C'était déjà un principe des vieux rois hindous que l'on ne devait laisser aux cultivateurs, gens de basse caste, que tout juste la quantité de grains nécessaire pour faire les semailles et attendre la récolte suivante, sans mourir tout à fait de faim. Leur conversion en masse au mahométisme ne semble pas avoir amélioré leur sort. Rois ou gouverneurs musulmans continuèrent de les dépouiller à l'envi, et les Sikhs firent de même. Jacquemond définit le gouverneur de son temps «le Sikh stupide qui est, pour le présent, en possession de piller ce malheureux pays», à charge, sans doute, de rendre gorge dans le trésor de Randjit-Singh à l'expiration de sa charge. Quant à Goulâb-Singh, l'homme qui vendait couramment ses audiences pour une roupie, il n'entendait pas raillerie en matière de revenu. Du temps de Ranbîr-Singh, il y avait bien eu quelques tentatives de réformes, mais elles avaient échoué, grâce à l'opposition systématique des fonctionnaires qui, comme il était naturel sous une dynastie hindoue, étaient des brahmanes ou «pandits». Or tous les pandits, depuis le patwari de village jusqu'au vazir-vazarat ou gouverneur de province, en passant par les tahsildars ou chefs de district, s'entendaient entre eux pour exploiter le plus possible le cultivateur musulman. La plus grande partie du revenu se payait en nature, et l'État, après avoir pris, sans façons, aux campagnards, les trois quarts de leur récolte, la vendait à bas prix aux gens de la ville. En ce temps-là, nous assure-t-on, une roupie par mois suffisait à faire vivre son homme. On comprend, dans (p. 020) ces conditions, l'essor des industries citadines, grâce au bon marché de la main-d'œuvre; mais ce n'était pas gai tous les jours pour les villageois qui voyaient la meilleure part de leur riz mangée par les frelons de la ruche.

FEMME MUSULMANE DU KACHMIR.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

PANDIT NARAYAN, ASSIS SUR LE SEUIL DU TEMPLE DE NARASTHÂN. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Enfin, M. W. Lawrence vint (c'est lui qui parle), chargé du settlement, c'est-à-dire de la révision du cadastre et de la répartition de l'impôt foncier; il prit sous sa protection le paysan et déclara, du même coup, la guerre à ceux qu'il appelle ses trois ennemis, à savoir, dit-il: 1o les pandits des classes officielles; 2o les chefs de village; 3o la cité de Srînagar. Depuis, il est de fait que le cultivateur, le zémindar, prospère; les autres clans prétendent même qu'il prospère insolemment. Il a obtenu du Settlement officer les conditions les plus douces qu'il ait jamais connues; et ce n'est pas sa faute si, à force de ruses, il n'en a pas obtenu de plus douces encore. Si quelques erreurs inévitables ont été commises, et si des abus séculaires n'ont pas été réformés d'un coup de baguette,—et que, par exemple, les exactions des petits fonctionnaires indigènes soient loin d'avoir été supprimées,—il n'y a pas de doute que l'immense majorité des protégés de M. Lawrence ne soit justement enchantée d'un régime qui, pour la première fois, leur permet de garder leur riz et de payer tout ou partie de leurs contributions en espèces. Que dire de ses trois ennemis? Avec l'un d'eux au moins, la corporation des maires ou lambardârs, il a dû transiger et leur a alloué, pour les apaiser, une indemnité de 5 pour 100 sur le revenu de leur village. Mais pour les brahmanes, et, avec eux, le reste des habitants de Srînagar, il s'est montré inexorable, et il faut avouer qu'ils ont été en grand danger de mourir de faim. Ils subsistent cependant, quoique, à la vérité, d'une vie fort misérable. Les pandits finiront toujours par s'en tirer; ils ont bien su s'arranger pour survivre aux persécutions des gouverneurs afghans. Comme, au temps de la domination mongole, ils ont appris le persan, voici qu'à présent les jeunes gens se mettent à l'anglais, passent des examens, reprennent les places. Assurément, la transition actuelle se fait cruellement sentir dans les familles; ils n'en rentreront pas moins en maîtres dans cette administration dont M. Lawrence avait voulu les chasser à jamais, et cela par la force des choses, pour la bonne raison, qu'étant la partie éclairée et intelligente de la population, ils redeviendront, bon gré mal gré, la classe dirigeante. Les plus à plaindre sont assurément les pauvres artisans de Srînagar. Heureusement pour eux, on n'a pas poussé jusqu'au bout les théories du Settlement officer, qui voulait que la totalité du revenu fût perçue en argent et que l'État cessât d'être le grand fournisseur de riz des gens de la capitale. C'est ce qu'on fit en 1891, et il en résulta l'année suivante une telle famine qu'on n'osa pas recommencer. En 1893, on décida d'amener encore à Srînagar 300 000 kharvar ou «charges d'âne» (177 livres anglaises) de riz du Roi; au moment de notre passage, en 1896, on en apportait encore la moitié, et c'est ce qui empêchait la ville d'être affamée. Un nouvel essai, tenté il y a trois ans, n'a pas été plus heureux, et cette année même (1904), on a dû, pour combattre l'excessive cherté, percevoir en nature le tiers du revenu de deux districts sur quatre.

Que la médaille ait ainsi son revers, la faute en est moins à M. Lawrence, qu'au régime qu'il était chargé d'inaugurer. Ce qu'il est venu faire au Kachmir, c'est appliquer simplement à la Vallée le système qui prévaut dans toute l'Inde anglaise. On sait que l'impôt foncier y constitue le plus clair du revenu. Ce n'est pas la (p. 021) politique de l'Angleterre, et pour cause, d'encourager l'industrie dans ses colonies. On l'a vérifié dernièrement encore, quand Manchester s'est ému de la concurrence des filatures de coton anglo-indiennes. L'Inde est, en somme, régie comme une grande exploitation agricole, à charge pour elle d'acheter à la métropole la plus grande partie des produits manufacturés dont elle a besoin. Ce n'est peut-être pas très impérial, mais c'est très pratique. Reste à savoir si la situation particulière du Kachmir n'appelait pas quelque modification à ce système. Après tout, l'avenir agricole de ce pays est aussi restreint que sa partie cultivable. Peut-être eût-il été plus sage et plus habile de ne pas tout subordonner à l'unique préoccupation d'obtenir une rentrée facile de l'impôt foncier. L'adresse de mains des Kachmiris, leur habileté, depuis longtemps célèbre, dans les arts décoratifs, pouvait être une source bien plus précieuse de revenus. Ce n'était pas si maladroit, de la part des anciens rois ou gouverneurs, de sacrifier une partie du revenu de la terre à la subsistance des artisans de la capitale et à la prospérité de leurs métiers. Le seul droit sur l'exportation des châles rapportait à l'État plus de 600 000 roupies; il y avait là des compensations. Ce que les châles ne donnaient plus, d'autres industries pouvaient le rendre. Dirons-nous celles que les administrateurs anglais se vantent d'avoir préconisées? C'est la fabrication de la bière et des confitures, lesquelles ne peuvent même pas s'exporter, faute de moyens de transport; l'énoncé seul en est suffisamment ridicule, et il serait cruel d'insister. Quand le sultan Zaïn-oul-ab-Din introduisit dans la Vallée la fabrication du papier, du «papier mâché» et des châles, il se montrait plus avisé. Il est à craindre qu'en raison de l'enchérissement de la vie et de la production de camelote à l'usage des touristes, les arts, qui firent la gloire du Kachmir, n'aillent bientôt rejoindre les industries jadis si renommées de l'Hindoustan dans la remise aux vieilles lunes.

PONT ET BOURG DE VIDJABROER.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

De tout ceci, nous voudrions tirer deux petites conclusions pratiques. La première est qu'il est sage de se procurer à Srînagar, en même temps que la passe nécessaire à tout «Européen, Américain ou Australien», un parvana, sorte de lettre de réquisition, dont on pourrait user, à l'occasion, soit pour se procurer des coolies sur les routes trop fréquentées, soit surtout pour assurer le ravitaillement de ses gens dans les villages écartés, où vous avez toutes les peines du monde à obtenir des paysans qu'ils vous vendent un peu de leur riz. L'autre conseil, que nous donnerions volontiers, serait de ne pas prendre un shikari comme chef de (p. 022) caravane, à moins qu'on ne soit venu au Kachmir spécialement pour chasser. Si à ces lointaines et fatigantes expéditions vous préférez la visite de la Vallée, faites-vous plutôt suivre d'un pandit. Au prix réduit où sont en ce moment l'instruction et les bonnes manières, vous trouverez aisément, pour le salaire d'un domestique indien, un brahmane bien élevé, parlant l'anglais, et capable de vous servir non seulement d'interprète, mais encore de secrétaire en kachmiri, voire même en sanscrit et en persan. Il vous rendra les mêmes services comme intermédiaire auprès des tahsildars et lambardârs rencontrés en route; et l'on devine que sa familiarité avec le pays lui permettra de satisfaire à chaque pas votre curiosité, et rendra bien plus intéressant le voyage; car passer sans comprendre, c'est passer sans voir.

Les attractions de Srînagar et ses distractions mondaines épuisées,—nous y reviendrons à l'approche de l'automne,—il est, dès la mi-juin, temps de repartir; car voici la chaleur qui arrive, et avec elle les moustiques et parfois quelques cas de malaria. On a assez souvent comparé le climat de la Basse-Vallée, en été, à celui de la Lombardie.

Par les méandres qui, vus du haut du Takht-i-Souleiman, dessinent dans la Vallée comme une palme (le motif décoratif des anciens châles), on atteint d'abord Pandrethan, qui passe pour être l'ancienne capitale détrônée par Srînagar. Elle s'étendait sur les premières pentes des collines, à l'abri des inondations de la Vitastâ. Ses ruines ne sont plus qu'un chaos de pierres. Seul, un petit temple est encore debout au milieu de sa cour quadrangulaire qu'a envahie l'eau de son nâga: c'est le nom que les Kachmiris donnent aux fontaines et aux serpents mythiques à tête humaine, qui sont censés en être les divinités protectrices. Sur le petit étang, ainsi formé, flotte un bachot. En voulant m'y embarquer, je me rencontre nez à nez avec mon premier serpent. Mais celui-ci n'avait rien de mythique, ni non plus celui que l'on trouva, quelques jours plus tard, roulé sous la natte de ma tente; après quoi je n'en vis plus, ni ne souhaitai d'en voir davantage.

La bête tuée à coups de bâton par les handjis, je demande au pandit, lequel réprouve cet assassinat, s'il la croit venimeuse; au lieu de se baisser pour examiner sa forme et sa couleur, le voilà qui se dresse sur ses babouches, le nez en l'air, dans la direction du nord-ouest.... C'était pourtant bien la réponse à ma question que l'honnête homme cherchait ainsi dans les nuages. Étant donné que Çiva réside sur l'Haramouk, qu'il porte comme colliers et bracelets des serpents, et qu'en sa qualité de divinité tutélaire de la Vallée, il a promis que la morsure de ces derniers ne serait jamais mortelle en aucun lieu d'où l'on découvre la cime neigeuse de sa demeure, le problème se résumait donc à vérifier si, de cette place, on apercevait la pointe de l'Haramouk. «Tant que vous la verrez, ajouta le pandit, vous pourrez être tranquille, mais après il faudra se méfier....» Je préfère me méfier avant.

ZIARAT DE CHEIK NASR-OUD-DIN, À VIDJABROER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Plus en amont, Pampour montre une base de temple hindou, une mosquée, un pont et des champs où le safran fleurira à l'automne. La récolte de cette suprême délicatesse des gourmets kachmiris est un monopole d'État, et la poudre dorée des étamines se paye au poids de l'argent. On fabrique aussi à Pampour d'excellents biscuits, qui sont d'une grande ressource en campagne et valent, à mon avis, le meilleur pain.

Je dois, faute de place, brûler les étapes et me borner à énumérer les buts d'excursion les plus intéressants. De Pampour, sur la rive droite, on visite les sources sulfureuses de Vian et les ruines des temples de Ladou. De Kakapour, sur la rive gauche, deux heures de marche vous conduisent au petit temple, bien conservé, de Panyech, bijou de l'art kachmiri, sculpté dans l'assemblage de dix blocs de pierre. Quant aux temples de Narasthân, il faut une bonne journée de marche pour les découvrir au pied des hautes montagnes neigeuses (p. 023) de Brariangan. En revanche, les doubles ruines d'Avantipour bordent la rivière, à moitié enfouies dans les alluvions.

LE TEMPLE DE PANYECH. À GAUCHE, UN BRAHMANE; À DROITE, UN MUSULMAN. PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Plus haut se présente le confluent de la Vitastâ et de la Veshau, non moins sacré, aux yeux des Hindous du pays, que celui de la Vitastâ et du Sindh. Au-dessus, surplombe un karéva, sorte de plateau alluvial bizarrement découpé en bastion par les eaux; c'est au sommet que Kaçyapa aurait médité mille ans, avant de dessécher la Vallée. On pourrait, d'ailleurs, lui reprocher de n'avoir fait sa besogne qu'à moitié. Quand, dès le début de la saison des pluies, quelque gros orage vient déverser jusqu'au Kachmir ses trombes d'eau, au moment de la fonte des neiges, la Vallée, brusquement submergée, se trouve, faute d'une issue suffisamment large, en passe de redevenir un lac. Les inondations de juillet 1893 furent désastreuses, celles de juillet 1903 ne le furent pas moins, et l'on estime qu'un sixième des récoltes a été détruit d'un coup: sans doute les nâgas avaient faim, et le temps était venu pour eux de prélever leur dîme périodique.

Au pied du karéva de Tsakadar, dans un étang aujourd'hui desséché, se localiserait, de toute antiquité, une des plus curieuses légendes du Kachmir. En ce temps-là, un nâga habitait encore l'étang, et des arbres se miraient dans son eau limpide; un jeune brahmane, en voyage, vint un jour y chercher l'ombre et la fraîcheur. Comme il s'apprêtait à entamer ses provisions de route, il aperçut tout à coup devant lui une jeune fille si belle, qu'à voir sa «figure de lune», il en oublia de manger. Son trouble et sa confusion augmentèrent, quand il vit que la belle enfant se contentait, pour tout potage, de racines de lotus. Ému d'un tendre sentiment, il l'invita à partager son riz, lui apporta à boire dans une coupe de feuilles, puis, tout en l'éventant, la pria de lui conter son histoire et de lui expliquer comment, avec de si beaux yeux, elle faisait si maigre chère. Sans plus de cérémonie, la nâgî,—car c'en était une,—lui répondit que la plus belle fille du monde ne peut manger que ce qu'elle a; quant à la raison de sa pauvreté, qu'il en référât à son père; il le trouverait à la mêla du village voisin,—en Bretagne on eût dit: au pardon,—et le reconnaîtrait aisément, dans la foule, à son chignon tout ruisselant d'eau. C'est ce qui arriva: le nâga confie au jeune brahmane que les temps sont durs, et qu'il est réduit à la plus grande disette; car ces souterraines divinités ont besoin de grain tout comme les hommes, et les orages sont leur façon de moissonner les récoltes à leur profit. Or les champs du voisinage étaient gardés par un ascète si consciencieux, qu'aucun épi nouveau n'approchait jamais de sa bouche; et tant qu'il n'en mangeait pas, il était impossible aux nâgas d'y toucher. C'était pour lui et les siens le supplice de Tantale. L'amoureux brahmane n'a de cesse qu'il n'ait obligé le père d'une si jolie fille. Il s'avise du stratagème fort simple de mêler quelques grains de riz nouveau à la bouillie de l'ascète, quand celui-ci avait le dos tourné. À peine le vieillard en a-t-il porté une boulette à sa bouche, que, dans un tourbillon de grêle, le nâga emporte toute la moisson; reconnaissant, il donne sa fille en mariage au brahmane. Les deux époux vivaient heureux, mais leur bonheur fut de courte durée. Un jour que la nâgî était sur sa terrasse, elle aperçut un cheval détaché de l'écurie, et qui mangeait à même un tas de riz que l'on avait mis à sécher dans la cour. Elle appelle pour qu'on le chasse, puis, comme aucun serviteur ne répond, elle y court elle-même, accompagnée du son argentin de ses bracelets, et le cheval emporte sur sa croupe l'empreinte (p. 024) dorée de la belle main qui l'avait frappé. Ce fut l'origine de tout le mal. Cette vue exaspéra les passions du roi du pays. Il essaya d'abord, vainement, de séduire la jeune femme. Puis il prétendit l'obtenir de son mari, mais le pandit n'était pas du tout «Régence» et n'apprécia pas l'honneur que le roi voulait faire à sa maison. Enfin quand, de guerre lasse, celui-ci envoie ses soldats pour enlever la nâgî par la force, le brahmane appelle son beau-père à son secours. Le nâga sort tout en furie de son étang, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, brûle, pêle-mêle, le roi, la ville et tous ses habitants. Après quoi, dégoûté du monde, et non sans quelque remords de son accès de vivacité, il se retira dans la solitude, sur la route d'Amarnâth, où il est encore.

Non loin de là, sur la rive gauche, le gros bourg de Vidjabroer (le Bij-Bihara des cartes anglaises), possède un temple hindou moderne, bâti par Goulâb-Singh, et où se conservent de curieuses idoles, et une jolie ziarat musulmane à triple toit. À chaque pas, d'ailleurs, on y rencontre des vestiges d'antiquités, et son pittoresque bazar fourmille d'anciennes monnaies de cuivre. On campe de l'autre côté du pont, sous des platanes séculaires, non loin de la maison où le mahârâdja se repose un jour ou deux, quand il vient à Srînagar. Nous y avons eu la visite d'un vieux fakir musulman, qu'on ne manquerait pas, en pays civilisé, de coffrer comme vagabond. Les domestiques s'en sont emparés et lui ont servi un repas copieux: une effroyable quantité de riz, des tchapatis (sortes d'épaisses galettes qui tiennent lieu de pain) et du fromage frais, largement saupoudré de sucre, de quoi rassasier trois hommes; puis ils lui ont présenté un houka. Pendant que notre cuisinier, très dévot musulman, le couvait avec des yeux attendris de jeune mère pour son nouveau-né, l'affreux bonhomme fumait béatement, ne lâchant le tube que pour vociférer quelque anathème à l'adresse de l'humanité qui l'engraisse et le couvre, pendant qu'il lézarde au soleil, en grattant sa vermine à deux mains. Au physique, il n'a rien du fakir tel qu'on l'imagine et qu'il est ordinairement. Énorme, chauve, sous ses sourcils en broussailles ses petits yeux clignotants toisent insolemment ceux qui l'examinent; son nez camus et sa longue barbe frisée lui font une tête de vieux faune. Quand le mahârâdja passe à Vidjabroer, il ne manque jamais de le faire demander; mais le vieux fakir, dédaigneux des honneurs, se dérobe et reste introuvable. Aussi ne vous dirai-je pas son nom: j'ai oublié de le demander, l'ayant aussitôt baptisé Diogène.

Mais déjà la rivière s'étrécit entre ses rives bordées de chanvre; bientôt elle se fait moins profonde et le courant plus dur. C'est le moment pour les bateliers d'invoquer leur saint patron Dast Guir, tout en poussant la perche ou en tirant la cordelle. À un certain moment, ils sont obligés de marcher dans l'eau, les uns tirant, les autres poussant le bateau, qu'enfin ils amènent devant le terrain de campement, à Islamabâd; efforts d'autant plus méritoires, qu'arrivés là, il ne reste plus qu'à les congédier.

Tandis qu'on dresse les tentes, les chefs de famille apportent le cahier de certificats de l'équipage. Il en est de curieux; nous relevons notamment, au passage, celui d'un gentleman qui déclare quitter le bateau avec indignation «parce qu'il ne peut supporter plus longtemps la vue de la jolie sœur du batelier, faisant un travail de cheval.» Mais il ne suffit pas de les lire, nous dûmes aussi collaborer à cette bizarre collection d'autographes. Après quoi il fallait voir les salâms, les protestations et l'air de dévotion comique avec lequel ils portaient à leurs fronts les roupies données comme bakchich, et bien méritées, d'ailleurs, par deux mois de bons et loyaux services.

(À suivre.) Mme F. Michel.

TEMPLE HINDOU MODERNE À VIDJABROER.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 025) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—3e LIV. No 3.—21 Janvier 1905.

BRAHMANES EN VISITE AU NÂGA OU SOURCE SACRÉE DE VALTONGOU.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L'ÉTÉ AU KACHMIR[2]
Par Mme F. MICHEL.

III. — Sous la tente. — Les petites vallées du Sud-Est. — Histoires de voleurs et contes de fées. — Les Ruines de Martand. — De Brahmanes en Moullas.

GARGOUILLE ANCIENNE, DE STYLE HINDOU, DANS LE MUR D'UNE MOSQUÉE, À HOUTAMOUROU, PRÈS DE BHAVAN.

Islamabâd, ou, comme l'appellent les Hindous, Anantnâg, est à peu près situé au confluent des quatre rivières non navigables, Sandran, Bringh, Arpat et Lidar, branches de l'éventail dont le manche est la Vitastâ. La vallée de chacun de ces ruisseaux ou plutôt de ces torrents rivalise de pittoresque avec sa voisine. Que leur charme agreste ne date pas d'hier, c'est ce que prouvent les villas d'été qu'y avaient bâties les empereurs mogols, et dont les restes subsistent toujours. Jehan-Guir, surtout, s'y complaisait en compagnie de la belle Nour-Mahal, dont le souvenir, à la fois idyllique et tragique, flotte encore sous l'ombre des platanes plantés par elle. Et vraiment, quiconque a visité tous les recoins du pays comprend ce que Bernier nous dit de cet empereur: «qu'il en était devenu tellement amoureux qu'il ne le pouvait quitter et qu'il disait quelquefois qu'il aimerait mieux perdre tout son royaume que de perdre Cachemire.»

Islamabâd est le point de départ obligé pour toutes ces excursions qu'il faut bien faire sous la tente, puisque presque nulle part il n'y a de bungalows. C'est en même temps le point de chargement pour tous les produits des villages, qui descendent vers Srînagar. Le grand verger, qui sert de campement, est très animé, ainsi que la berge bordée d'une nombreuse flottille. Mais, la nuit, les aboiements des chiens, les (p. 026) hurlements des chacals et les braiements des petits ânes de charge empêchent tout sommeil. Aussi, je me contente d'une rapide visite aux sources sacrées et au bazar de la ville. Ou y trouve des étoffes brodées nommées gabas, de toutes teintes et de toutes tailles, depuis les plus petits tapis de table jusqu'aux rideaux et portières de plusieurs mètres. Très bon marché et très décoratives, ces broderies rappellent le dessin des anciens châles. On y fabrique aussi de jolis rouets de parade, peints et argentés, qui sont donnés en cadeau de noces aux fiancées kachmiries.

Nous plions bagage dès le surlendemain. Au matin, les tentes sont abattues et tout le fourniment gît pêle-mêle sur l'herbe. Le tub fraternise avec le garde-manger, la broche du khansama fait commerce d'amitié avec le sac à ombrelles, la literie voisine avec les casseroles: c'est un vrai déballage de bohémiens au bord d'un grand chemin. Aussi bien allons-nous vivre de la même vie nomade que, sages, ils ont su garder du temps de nos préhistoriques ancêtres. La grosse affaire est de répartir tout cela en paquets d'un poids sensiblement égal, d'environ 80 livres. Le bandobast se fait,—entendez que tout se débrouille,—comme par enchantement. La toile des tentes se roule autour des bâtons, le lit démontable s'emballe dans sa sangle, la literie se met à l'abri de la poussière ou de l'humidité dans des draps caoutchoutés. Vaisselle, batterie de cuisine, provisions de toutes sortes s'arriment dans le ventre rebondi ou allongé des kiltas, paniers d'osier recouverts de cuir, légers, solides, imperméables, qu'on fabrique tout exprès dans le pays. Les chaises de camp s'entassent sur les tables également pliantes. Au total, vingt charges: il nous faudra donc vingt hommes ou dix poneys pour transporter après nous dans la djangle tout l'essentiel de la civilisation. Le chiffre est modeste si l'on songe qu'au grand Mogol, en déplacement, il fallait trente mille porteurs!

TEMPLE RUINÉ, À KHOTAIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le curieux n'est pas qu'il en faille, mais qu'on en trouve. Non seulement le Kachmir est comme un grand parc mis à la disposition du visiteur et où il peut dresser sa tente à volonté, mais lui plaît-il d'aller plus loin, il n'a qu'à dire. Au matin, il trouve, assis près des tentes, des braves gens du plus proche village qui ont laissé pour son service leurs maisons et leurs champs. Avec leurs 80 livres sur le dos, ils iront où il lui plaira de les conduire. Les prix sont fixés: pour l'étape d'environ 20 kilomètres, 4 annas; pour la mi-étape, 2 annas, c'est-à-dire 40 ou 20 centimes de notre monnaie. Sur un bon conseil qui me fut donné, j'avais emporté à leur intention quantité de petites pièces d'argent de 2 et 4 annas. Je faisais ranger les coolies et veillais à ce que chacun reçût bien son compte. Grâce à ce système, je n'eus jamais de difficulté pour trouver des porteurs. C'était plaisir de voir le sourire que chacun d'eux, tour à tour, faisait à sa piécette, tandis que les derniers de la file touchaient du coin de l'œil et se grattaient la tête dans leur inquiétude qu'il n'en restât pas jusqu'à eux.

C'est à Atchibal, notre première étape, que je me donne pour la première fois cette comédie. Du pied de la colline, font éruption trois sources, qui sont aussitôt trois ruisseaux; pour en mieux jouir, les empereurs mogols avaient creusé des bassins et bâti des terrasses surmontées de pavillons de plaisance. Tout cela est à présent bien délabré. Pourtant, les trois cascades jouent encore, et c'est près d'elles qu'est installé notre campement, à l'ombre des platanes séculaires, entre quatre ruisseaux qui entretiennent une délicieuse fraîcheur.

C'est encore à Atchibal que j'apprends la première et dernière histoire de vol dont j'aie entendu parler au Kachmir. En ce bienheureux pays, la sécurité est parfaite, dans tous les cas plus grande qu'en France, où je ne me vois pas bien dormant en pleine campagne sous un simple abri de toile. Pourtant, fait inouï, on a tenté la nuit dernière de dérober une malle dans un camp établi de l'autre côte du village. Un pareil attentat contre la propriété des Sahebs réclamait une éclatante vengeance; deux inspecteurs de police sont aussitôt accourus d'Islamabâd. Nous apprenons ce matin qu'ils ont passé la nuit à bâtonner successivement tous les gens du hameau afin de leur faire avouer plus vite le crime qu'ils ne peuvent (p. 027) pourtant pas tous avoir commis. Ce sont là, paraît-il, les procédés ordinaires de la police; on ne saurait trop s'élever contre eux. Le lambardâr (maire du village) vient en pleurant me prier d'intervenir. J'y consens: allons demander un peu à ces policiers ce qu'ils croient que le résident penserait de ces moyens d'enquête.... Mais j'ai mal compris le discours du bonhomme; ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. Les villageois ne se plaignent pas le moins du monde d'avoir été battus. Qui serait assez bête pour avouer un vol autrement que sous le bâton? Mais voilà qu'on veut à présent leur extorquer un cautionnement de 100 roupies qu'ils sont sûrs de ne jamais revoir. C'est contre cela qu'ils protestent. Ils veulent bien être battus, mais ils ne veulent pas payer pour l'avoir été! Tant de philosophie de la part des intéressés a jeté une douche sur mon bel accès d'indignation et je laisse villageois et policiers s'arranger en famille.

NÂGA OU SOURCE SACRÉE DE KHOTAIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Après les sources d'Atchibal, ce qu'il faut voir dans le fond sud-est du Kachmir, ce sont celles de Koukar-Nâg et de Ver-Nâg. Des routes directes y conduisent d'Islamabâd. Mais il vaut mieux, à notre avis, prendre le chemin des écoliers et aller faire le grand tour par la vallée de Nauboug. Pour commencer, nous contournons, à l'est, les collines d'Atchibal et faisons un premier crochet pour rendre visite au nâga et aux ruines de Kothair. Les pierres des vieux temples sont toutes rongées par le temps, mais le bassin circulaire de la source est toujours merveilleux de limpidité; on dirait d'un morceau de ciel tombé dans un creux de colline.

Nous reprenons le sentier qui escalade à présent un petit rameau montagneux, fort exposé au soleil, entre deux vallées. Du haut du col, on voit, en avant, s'ouvrir les vallons tributaires de la Bringh. Les gens pressés pourraient, en poussant tout droit, gagner Koukar-Nâg par Sôp et ses mines de fer. Nous tournons au contraire, à gauche, pour installer le camp à l'ombre des peupliers de Karpour. Plus hauts encore que ceux de Srînagar, ils forment, au centre d'un petit cirque de montagnes, un bouquet d'arbres magnifiques. Quelques-uns tombent de vieillesse. L'un d'eux s'est abattu en travers du sentier: impossible de remuer une semblable masse. On a trouvé plus court de creuser un passage au milieu de l'énorme tronc.

Le lendemain, une autre passe nous mène dans la vallée de Nauboug. À celle-ci, on ne peut reprocher que d'être trop jolie. On dirait d'un parc bien entretenu. Une claire rivière serpente sur des galets polis entre des rizières d'un vert incomparable. Au-dessus, les champs de maïs s'étendent jusqu'aux vergers, qui ne finissent eux-mêmes qu'à la lisière des sapins. Mais, dans les creux exposés au nord, de grandes coulées de neige subsistent, et de ci, de là, s'ouvrent des échappées sur les hautes cimes, qui mêlent dans le bleu du ciel la blancheur de leurs glaces éternelles à celle des nuages d'été.

Le meilleur campement est à Laram, au-dessus du village, sous des noyers. Il y faisait si délicieusement frais qu'en plein mois de juillet je trouvais plaisir, chaque soir, à me chauffer. C'est un des meilleurs souvenirs de mon voyage que ces soirées passées devant le feu du campement, où parfois flambait tout un sapin; car le bois ne manque pas. Rien d'ailleurs ne nous fait défaut de ce qui est nécessaire au ravitaillement: lait, beurre, œufs, poulets, prennent spontanément le chemin du camp. Le miel est délectable. Enfin, ces bons Kachmiris ont eu l'ingénieuse prévenance de semer de véritables champs de petits pois et de faire (p. 028) grimper un peu partout des haricots autour des tiges de maïs. Seulement, on a quelque peine à leur faire comprendre qu'on désire les manger verts; leur idée est qu'on attende qu'ils soient paka (cuits), c'est-à-dire mûrs. Plus lard, dans la vallée du Lidar, à mesure que nous gagnions une altitude plus haute, nous devions en trouver, très tard dans la saison, qui n'étaient pas encore secs. Cette découverte fut une joie si pure que je décidai immédiatement d'en faire part à mes contemporains et de composer dès mon retour un Traité sur l'existence des légumes verts dans la djangle kachmirie; ainsi me vint la première idée d'écrire les notes que vous lisez.

En quittant Laram, comme je chemine au petit matin par le sentier humide, brusquement s'impose à moi, absurde et délicieuse, une impression de sol natal. Est-ce le pittoresque rétrécissement de la fraîche vallée et la vue de cette ferme paisible au milieu de ses vergers de pommiers remplis de gui? Est-ce le joyeux tic-tac que ce petit moulin mêle à l'allègre rumeur du ruisseau qu'il enjambe, ou le grisant parfum de miel qui monte de ce champ de blé noir en fleurs? Sans doute, c'est un peu tout cela qui fait que je me crois, comme par enchantement, transportée en Basse-Bretagne; et j'éprouve cette joie qui est peut-être la meilleure récompense du voyageur,—qui est aussi assurément la meilleure condamnation du voyage,—de goûter après tant d'inutiles courses la secrète douceur des paysages familiers.

À quelques milles plus loin, on atteint les bords de la Bringh: la rivière coule très encaissée dans un lit étroit et creusé dans le roc vif, ce qui donne à ses eaux une teinte particulière d'opale bleutée. Au-delà du pont qui la franchit, on rejoint la route qui mène du Kitchwar en Kachmir. Il est rare qu'on n'y rencontre pas quelques Kichtwaris en voyage avec leur passe-montagne, leur court justaucorps et leurs inexpressibles pyndjamas, dont le fond, sillonné de mille plis, est tout un poème. Sur le chemin tout droit et ensoleillé, les arbres des villages font des haltes d'ombre où le repos semble d'autant plus doux. Comme nous approchons de l'un d'eux, j'entends un chant bizarre. C'était une sorte de mélopée qui montait, montait toujours, de plus en plus déchirante, pour finir par des sanglots. Information prise, c'était le chant de deuil d'une mère dont le fils était mort trois jours avant. Assise devant sa maison, près de son rouet délaissé, elle exaltait, dans une improvisation dolente, la beauté et les qualités du disparu. Chaque matin, jusqu'à la prochaine quinzaine obscure, elle devait, dès l'aube, manifester à nouveau sa douleur, jusqu'au moment où une autre femme, parente ou voisine, venait en silence poser sa main sur la bouche de la vocératrice, et lui faisait ainsi comprendre qu'elle s'était assez lamentée pour ce jour-là.

VER-NÂG: LE BUNGALOW AU-DESSUS DE LA SOURCE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Nous plantons les tentes près de Vangam, dans un verger d'abricotiers, pour visiter, à une petite heure de là, sur la gauche, dans un de ces charmants vallons dont le pays abonde, la source intermittente de Soundbrâr. En juillet, ce n'est plus qu'une sorte d'entonnoir bordé de pierres brutes; mais en avril et mai, la source bouillonne et coule, dit-on, trois fois par jour. À cette époque, les pèlerins viennent en foule se baigner dans cette eau supposée sacrée. Rangés en silence tout autour, ils attendent sa venue, mais si, à son apparition, quelque sot crie: «La voilà!», l'onde, offensée, immédiatement se retire; du moins on me l'affirme avec un grand sérieux. Au temps de Bernier, «cette merveille du Cachemire» était déjà célèbre. Il la visita et en tenta une explication fondée, vu l'activité de la source au printemps, sur la fonte des neiges environnantes. Au lieu d'une cause physique, les Kachmiris assignent à cette intermittence une raison psychologique bien plus profonde. La déesse (car, naturellement, la source est fée) s'est dit: «En cet âge de fer, si je suis ici toute l'année, personne ne fera attention à moi. Je ne manifesterai (p. 029) donc ma présence que deux mois par an; on ne m'en rendra que plus d'hommages....» Et le calcul s'est trouvé juste.

TEMPLE RUSTIQUE DE VOUTANAR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

De Vangam, il n'y a qu'une courte étape jusqu'à Koukar-Nâg. Mais ici les mots me manquent pour décrire le charme de ce féerique séjour. Que vous dirai-je? Du pied d'une colline, couverte de pivoines arborescentes, jaillissent une dizaine de sources qui forment, limpide et fraîche, une petite rivière; aux bords, les mousses, les fougères, les myosotis, les reines des prés, se mêlent aux massifs de boules-de-neige et de rhododendrons. Au-dessus, des jasmins, des clématites, des rosiers grimpent aux arbres et retombent en berceaux.... Je sais bien qu'ailleurs il y a de toutes ces choses; mais nulle part, comme là, tout cela ne murmure, ne fleurit, ne parfume et n'enchante. Par instants sous la feuillée, ondule un éclair blanc à tête bleue, qui est un oiseau de paradis, au nom digne des lieux qu'il habite.... Du moins, ai-je cru y retrouver comme un vestige de l'antique Éden!

Par intervalles seulement nous arrivent les bruits du monde. Un vieillard déguenillé, traînant son cheval par le licou, s'est arrêté près des tentes des domestiques et a conté la nouvelle du jour. Le mahârâdja est arrivé ce matin dans la Vallée; pour ses débuts, il a fait bâtonner le tahsildar (le sous-préfet) de Ver-Nâg. La raison: il n'y avait pas une provision d'herbe suffisante pour ses chevaux. Justement, je rencontre en me promenant deux jeunes garçons paisiblement assis à l'ombre, à côté d'un grand faix d'herbe: ils me font penser aux porteurs de marée de Vatel.

Environ trois lieues nous séparent de la résidence du pauvre sous-préfet, qui, dit-on, aurait même laissé dans l'algarade une partie de sa barbe; et depuis il ne se montrait plus. Il suffit de traverser le petit massif qui sépare la vallée de la Bringh de celle de la Sandran. Par ce matin de juillet, nous passons près du petit temple rustique de Voutanâr. Du sentier, des chants nasillards s'entendaient entre les arbres; c'était le brahmane du lieu qui faisait sa poudjâ. Il était accroupi devant une noire statue de Vichnou à trois têtes, dont une de sanglier. Il l'avait déjà baignée, drapée dans un châle et couronnée de fleurs. Autour de lui gisait l'ordinaire attirail du culte: la conque, pour chasser les mauvais esprits, la clochette, pour réveiller l'attention du dieu, la lampe pour l'éclairer, le chasse-mouches pour l'éventer et les cymbales pour lui faire de la musique. Infatigablement, le vieux prêtre psalmodiait ses hymnes.... Qui donc disait que tous les dieux étaient morts?

Du haut du raidillon qui monte derrière Voutanâr, la vue est un vrai coup de théâtre. À nos pieds, au fond de la vallée étroite et semée de bouquets d'arbres qui marquent les villages, le lit rocailleux de la Sandran court encadré de rizières et bordé de tamaris en fleurs. Dans un groupe de peupliers hauts comme des mâts de navire, on aperçoit le large bassin octogonal de Ver-Nâg. Par derrière, se dresse la formidable muraille du Banihal et les croupes boisées des contreforts qui en descendent. Le mince ruban qui les coupe est la route de Djammou, réservée au mahârâdja. Nous nous heurtons à la barrière méridionale du Kachmir.

Au-dessus des arcades mogoles en alcôve, dont Jehan-Guir entoura la merveilleuse source de Ver-nâg, se dressent, sur trois côtés, des pavillons, ouverts à tous les vents, qui servent de bungalows. La belle Nour-Mahal y résida peut-être; en tous cas, c'est délice de s'y installer entre le bassin bleu et la colline verte. Un fouillis de clématites et de lianes, s'accrochant aux sapins, escalade la pente presque à pic. L'azur profond de l'eau est sillonné de poissons par myriades. Le gouffre, de plus de 100 mètres de tour, passe pour insondable; du moins, le pandit l'assure, ce qui ne l'empêche pas d'affirmer, non moins catégoriquement, qu'au fond (p. 030) demeure un vieil anachorète. Voici comment cela s'est su. En ce temps-là, les hommes n'habitaient le Kachmir que pendant les six mois de belle saison; dès l'automne, ils s'empressaient de déguerpir pour céder la place à des démons et des lutins qui, pendant tout l'hiver, régnaient en maîtres dans la vallée. Une fois, les hommes laissèrent derrière eux un vieillard qui n'avait plus la force de suivre leurs migrations périodiques et ne valait pas la peine de son transport. Lutins et démons se firent un souffre-douleurs de l'intrus; mais, en jouant à la balle avec lui, ils le laissèrent choir dans le bassin de Ver-Nâg. Cette maladresse devait leur coûter cher. Au fond de la source, le pauvre vieux trouva un compatissant ascète qui lui fit présent de deux choses: un grimoire pour exorciser les démons et un kangri (la chaufferette kachmirie) pour se défendre du froid. Armé de ces deux dons précieux, le vieillard passa un hiver des plus confortables, et, au printemps de l'année suivante, les hommes eurent la surprise de le retrouver encore vivant. Il leur apprit son secret, et c'est depuis qu'ils résident à demeure dans la vallée.

Par de petits vallons de plus en plus sauvages, nous pénétrons enfin dans le bassin fermé de Rozlou, que dominent les rocs et pics romantiques du sombre Soundrinâr. C'est un fief ou djâgir, jadis concédé par Randjit-Singh. Nous nous installons au village central de Kantchlou (le Kosroe des cartes!), résidence des hobereaux du canton, qui ont droit de basse justice. On nous indique une place de campement sous des noyers, dans ce qui m'a tout l'air d'un cimetière; mais en campagne, on n'y regarde pas de si près. Les tentes sont à peine dressées qu'arrivent les présents diplomatiques: des fruits, des légumes, du miel. Que peut-on bien désirer en échange? Pas grand'chose; un peu de ce produit de la civilisation qui a nom en français poudre de pyrèthre et, dans le jargon anglo-indien des domestiques, piçou-powder. On a beau être un seigneur féodal, on n'en est pas moins réveillé par ses puces.

Le village était plein d'allées et de venues. Informations prises, il s'agissait d'un mariage, et les maîtres de céans font obligeamment les honneurs du défilé. La mariée passa la première, portée dans une litière hermétiquement close; puis vinrent les musiciens, tambourinant avec rage ou soufflant, avec force contorsions, dans des espèces de hautbois. Leur cacophonie me fait excuser l'air ahuri du fiancé, un garçon de douze ans, vêtu d'oripeaux rouge et or et coiffé d'un turban argenté, surmonté de l'habituelle aigrette de plumes de héron. Juché sur un cheval, il reconduit ainsi en pompe la jeune épousée chez ses parents, en attendant qu'ils soient d'âge tous deux à se mettre vraiment en ménage.

AUTEL DU TEMPLE DE VOUTANAR ET ACCESSOIRES DU CULTE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Ici encore, que de légendes locales! Je m'amuse à les recueillir par l'intermédiaire du pandit. C'est d'abord les hautes cimes voisines, encore zébrées de neige, que l'on dit hantées de Yoginis, moitié fées et moitié sorcières; malheur à qui s'égare dans leur retraite enchantée: il y laisse au moins sa raison. On nous conte, entre autres, un tour de leur métier, dont on dirait que Rudyard Kipling s'est inspiré dans son «Livre de la djangle». Un beau jour,—il y avait deux ans en 1896,—un Goudjar, en faisant paître son troupeau dans une prairie alpestre, trouva, assis sur un rocher, un garçon de quinze ans, muet et nu. Il l'emmena à la ziarat de Valtongou où, depuis trois mois, on le nourrissait aux dépens de la charité des fidèles, quand un homme de Shahabâd, venu en pèlerinage, reconnut son fils qui était perdu depuis douze ans. Nul doute qu'il n'eût été dérobé et nourri depuis ce temps à l'état sauvage par les Yoginis de la montagne. C'est encore à Valtongou que réside, pendant les six mois d'été, un nâga qui est censé passer l'hiver dans l'Inde. Enfin, avant de quitter la vallée, nous visitons le célèbre et fatidique nâga de Rozlou où, parfois, l'on entend, la nuit, se battre à grand fracas des troncs d'arbres morts! Quelque calamité menace-t-elle le pays, il trace sur la boue desséchée de son lit des signes prophétiques: une épée annonce la guerre, un van prévoit la famine, mais pour la mahâmarî, la grande tueuse (le choléra), c'est en traits de sang qu'est prédite sa venue.

NOCE MUSULMANE, À ROZLOU: LES MUSICIENS ET LE FIANCÉ.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

De Kantchlou à l'entrée de la vallée du Lidar, il faut, pour retraverser le Kachmir dans sa largeur, compter trois bonnes étapes et franchir quatre rivières. Je passe la première, le Vithavatour, sur de grosses pierres; arrivée au bord de la seconde, la Sandran, je ne suis pas peu surprise de trouver son lit complètement à sec; comme je demande où est l'eau, un Kachmiri fait un geste vague: elle est en train de vaquer à l'irrigation des champs. Quant à la Bringh, elle est si bien chez elle, qu'il me faut me résigner à emprunter le dos d'un (p. 032) coolie pour la traverser. Je rencontre au gué une femme battue et pas contente, qui s'en allait se plaindre à la police d'Islamabâd, tenant précieusement dans sa main, comme pièces à conviction, les trois dents qu'une de ses voisines lui avait cassées. Tout ceci nous ramène de Lokabhavan, notre première halte, à la seconde, près des frais ombrages d'Atchibal, où nous retrouvons le gros de nos bagages.

SACRIFICE BRAHMANIQUE, À BHAVAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

D'Atchibal à Martand, la route court entre des rizières arrosées par l'Arpat. On traverse la rivière sur un pont rustique, fait de deux arbres jetés d'une rive à l'autre, puis recouverts de branchages et de terre; et bientôt on atteint le karéva. En juillet, la moisson de blé est déjà faite. De grosses meules de gerbes s'entassent près des villages; sur les aires, des bœufs foulent les épis pour en faire sortir le grain. Dans les champs sont encore sur pied le lin déjà mûr et la plante annuelle qui fournit le coton (gossypium herbaceum). Dans les maïs et le millet picorent de nombreux couples de tourterelles grises, si peu farouches qu'elles ne se dérangent pas quand nous passons.

INTÉRIEUR DU TEMPLE DE MARTAND: LE REPOS DES COOLIES EMPLOYÉS AU DÉBLAIEMENT.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Non loin du village de Martand se dresse ce qui fut, il y a bientôt mille ans, le plus beau temple—ce qui reste encore aujourd'hui les plus belles ruines du Kachmir. Le site en est magnifique. Le monument s'élève au pied de la colline, à la naissance d'un de ces grands plateaux, de formation alluviale, qui bordent comme d'une frange de falaises toute la ceinture des montagnes et semblent bien être les restes du lit d'un ancien lac. Ici le karéva, de forme triangulaire et relevé à son extrémité, s'avance au-dessus de la plaine comme une énorme proue. À gauche, se prolonge obliquement la chaîne dentelée et encore neigeuse du Pantsal; à droite, trois ou quatre arêtes de montagne se profilent, les unes derrière les autres, de plus en plus estompées dans l'éloignement; et, devant vous, c'est toute l'heureuse vallée, avec les teintes claires de ses rizières, les taches sombres de ses feuillages, les lacis d'argent de ses fleuves; et ainsi à perte de vue, depuis les premiers plans qui sont verts, jusqu'aux plus lointains qui sont bleus. Imaginez enfin tout cela baigné dans cette belle lumière du Kachmir, à la fois si limpide et si vaporeuse, dans l'air léger des hauteurs. Que ce soit le matin, quand le soleil, se levant derrière vous, soulève les brouillards de la vallée, ou bien le soir, quand il noie les fonds dans la brume d'or du couchant, il est peu de plus beaux spectacles; et il ne serait pas moins difficile de trouver un meilleur cadre à ce merveilleux tableau que les hautes arches trifoliées, bâties par Lalitâditya à la gloire de sa divinité favorite, le Soleil.

Plus de mille ans ont passé, et les imposantes murailles sont toujours debout, au milieu d'une cour rectangulaire, bordée d'une colonnade et flanquée de quatre portes, dont la plus monumentale est celle de l'ouest. Si, le jour, les débris du temple ont encore grand air, la nuit, au clair de lune, ils reprennent, comme font souvent les ruines, un reflet de leur ancienne splendeur.... Ce soir-là, très haut dans le ciel d'un bleu de saphir, le croissant était suspendu, les cornes en l'air; l'azur foncé du zénith se dégradait peu à peu en un gris qui lui-même se teintait doucement, pour finir à l'horizon par une large bande rose. Sous l'ombre croissante, par l'ampleur des écroulements et par la massive élégance de ses lignes, le vieux temple hindou revêtait une majesté comparable à celle des ruines romaines. Deux colonnes, isolées et reliées encore par leur architrave, ajoutaient à l'illusion. Ce n'est pas un des moindres attraits du Kachmir que d'y retrouver jusqu'à des sensations d'Italie.

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RUINES DE MARTAND: FAÇADE POSTÉRIEURE ET VUE LATÉRALE DU TEMPLE. D'APRÈS DES PHOTOGRAPHIES.

Au village de Martand, peu d'arbres, partant peu d'ombre. Nous songeons à établir notre campement sous un bouquet de sapins, près des ruines, mais l'eau potable manque, à moins de nous contenter de celle de la mare où vont puiser les ménagères, et qui sert d'abreuvoir aux troupeaux. Nous décidons d'aller planter nos tentes à Bhavan, à un mille environ de Martand. Nous y descendons par un chemin étrangement raviné, mais pour trouver bientôt l'un des plus beaux campements du Kachmir.

Bhavan possédait autrefois, comme Atchibal et Ver-nâg, un jardin de plaisance, ainsi qu'en témoignent les restes d'importants travaux. Au pied d'une colline presque nue, l'abondante source forme un premier bassin qui se déverse dans un second plus large, où, sous l'eau opaline, on voit encore des assises de pierre. De là, le nâga, ou même les deux nâgas, à ce que disent les brahmanes, coulaient par trois canaux de granit, celui du milieu faisant cascade. L'eau a aujourd'hui déserté les canaux ruinés, elle s'égare parmi les capillaires en une série de cascatelles et s'échappe par un tunnel qu'elle s'est creusé. C'est là, à la fraîcheur des eaux vives, sous les platanes séculaires formant une voûte haute comme celle d'une cathédrale et laissant passer une lumière tamisée d'un doux vert pâle, qu'est établi notre camp.

Ma première visite fut pour la source où d'innombrables poissons vivent des offrandes des fidèles. Les brahmanes de l'endroit en font autant. Bhavan est, en effet, un grand lieu de pèlerinage. À certaines périodes, les Hindous du Kachmir et même du Pendjâb s'y rendent en grand nombre, pour célébrer des sacrifices funèbres en l'honneur de leurs ancêtres morts. Voici, à ce propos, la légende qui me fut contée: Au commencement des temps, Aditi, femme de Kaçyapa, avait déjà mis au monde douze fils, appelés Adityas, du nom de leur mère, et qui sont douze dieux solaires présidant aux douze mois. Elle pensa qu'il n'y avait rien de bon à attendre d'une treizième grossesse, et elle jeta un dernier œuf dans le lac qui recouvrait alors le Kachmir. Toutefois, cet œuf dédaigné finit par éclore, et il en sortit un pauvre petit avorton de soleil qui reçut le nom de Martand, parce qu'il était né d'un œuf qu'on avait cru mort. Tout malingre qu'il fût, il alla bravement trouver son père et sa mère, et leur dit: «Vous avez donné un mois à chacun de mes frères, j'en veux un pour ma part.» Le cas aurait pu être embarrassant. Mais il faut savoir que les brahmanes se servent à la fois d'un calendrier lunaire et solaire. Or douze mois lunaires ne font que trois cent cinquante-quatre jours, tandis qu'une année solaire en compte trois cent soixante-cinq et quelques heures: il en résulte (p. 034) que tous les deux ans et demi le calendrier lunaire est en retard d'un mois sur le solaire. On compense cette différence en intercalant un mois lunaire complémentaire. C'est ce mois que Martand reçut en apanage: aussi bien n'a-t-il été inventé que pour cela; enfin, ce mois intercalaire est consacré au culte des pitris, des «pères», c'est-à-dire des ancêtres morts. On conçoit que les cérémonies seront infiniment plus méritoires si on les accomplit au lieu même qui fut le berceau du dieu de ce mois.

Il faut voir avec quel empressement, au retour de chaque saison sainte, les deux cents ou deux cent-cinquante brahmanes officiants ou pourohitas de Bhavan vont à la rencontre des pèlerins de l'Inde, munis, si l'on peut dire, de leur «livre des visiteurs». C'est une liste de tous ceux pour qui ils ont déjà officié. Quiconque peut avoir une vague parenté avec l'une des personnes inscrites leur appartient de droit. Ils s'en emparent sur le champ et le pèlerin ne se tirera pas de leurs mains sans y laisser quelques plumes. C'est, pendant tout un mois, une période d'abondance. On prétend que les poissons même du Nâg, trop gavés, refusent les grains de riz et de maïs grillé qu'on leur jette. Mais il ne s'agit pas seulement, pour pourohitas de faire bombance, il leur faut aussi songer à économiser pour l'avenir. Chacun d'eux compte bien mettre de côté quelques centaines de roupies. Étant donné que, sauf cas de disette, deux ou trois roupies par mois suffisent à nourrir un homme, et quatre ou cinq par an à le vêtir confortablement, cela leur permettra d'attendre sans trop d'impatience le prochain pèlerinage. Cette année-là, une pauvre petite veuve de quinze ans avait donné à elle seule, pour le salut de son mari, deux cents roupies: on se montrait le brahmane à qui était échue cette bonne aubaine. Un autre vint m'avertir qu'il était le pourohita en titre des Sahebs et m'invita d'office à m'inscrire sur son livre contre argent comptant. Car il n'est de pires mendiants au monde, et il est curieux d'observer combien les Hindous les méprisent tout en les employant. Pour un brahmane de bonne maison, le nom de pourohita serait une véritable injure.

PLACE DU CAMPEMENT SOUS LES PLATANES, À BHAVAN.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Mais, en somme, il faut bien que tout le monde vive, et ces pauvres gens ont aussi leurs qualités. Ainsi, mon soi-disant aumônier hindou me fut très précieux: il fit toutes mes commissions, se chargea de veiller au ravitaillement et à la réparation du mobilier du camp pendant mon séjour à Bhavan, et m'indiqua le meilleur four du village où faire cuire la pâtisserie. Enfin, ils éprouvent le besoin de mettre leur conscience en repos en rendant à la divinité une partie de ce qu'ils ont pris aux fidèles. Avec le mois intercalaire, leur saison venait de finir. Le 28 juillet 1896, ils se cotisèrent pour célébrer, en manière d'action de grâces, une sorte de sacrifice pique-nique. Sous un beau platane, au bord de la rivière, on avait établi un petit bûcher carré; et tout le jour on jeta dans les flammes des fleurs, des fruits, du beurre fondu ou ghî, du miel, du riz, du maïs, sans compter du sucre candi et autres douceurs du même genre. Au pied de l'arbre, les chanteurs de textes sacrés ne se taisaient point, et toujours revenait le «Svaha» monotone accompagnant le geste machinal de l'officiant. S'il faut tout dire, je contribuai aussi de mon obole au sacrifice; mais, en retour, je fus autorisée de la meilleure grâce du monde à en prendre des instantanés: l'un d'eux vient de passer sous les yeux du lecteur.

LA ZIARAT DE ZAÏN-OUD-DIN, À EICHMAKAM.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

À propos de pourohitas, j'ai été, à Bhavan, témoin d'une petite comédie assez amusante. J'ai dit que j'avais engagé les services d'un pandit de Srînagar. Un jour qu'il prenait le frais près des tentes, à l'ombre des beaux platanes, nonchalamment pelotonné au creux de son siège favori,—une vieille chaise de bord (p. 035) transformée en chaise de camp,—accourt un brahmane de l'endroit qui jette son turban à ses pieds. Il n'est pas de façon plus solennelle de faire appel à la charité de quelqu'un, ni de se mettre sous sa protection, corps et âme. Or c'est de l'âme que souffrait le pauvre homme. Voici son histoire telle que le pandit me la conta. Ce brahmane, un peu sot, avait une femme très jolie et un méchant voisin; celui-ci lui prit celle-là. Les personnes soucieuses de sauver l'honneur de la corporation prétendirent qu'il l'avait enivrée dans du lait, sur le chemin, un jour qu'elle se rendait chez son père; puis, la jetant dans un bateau, il l'avait emmenée jusqu'à Srînagar, où il la garda quelque temps. Un beau matin, la panditânî reparut au village, et son mari, bonnement, la reprit chez lui. Jusqu'ici l'aventure est banale. Le plaisant de l'affaire, c'est que le voisin étant musulman, la femme avait perdu sa caste en sa compagnie, et que le pauvre brahmane «tomba» à son tour de la sienne pour avoir accueilli au pigeonnier le retour de la voyageuse. Aucun de ses collègues ne voulait plus s'asseoir à sa table, ni rien accepter de sa main. Ses malheurs domestiques se compliquaient d'excommunication majeure. Il y avait bien de quoi faire rouler son turban dans la poussière. «Toi, disait-il, tu es un pandit de la ville; sage et savant, tu connais les textes sacrés; fixe ma pénitence et sois mon arbitre. Je ferai tout ce que tu auras décidé.» Ces flatteries allèrent, sans doute, au cœur du pandit, qui aussitôt mit sa plus belle robe pour aller conférer de l'autre côté du ruisseau avec les pourohitas réunis en assemblée plénière. Puis il passa tout le reste du jour à élaborer,—en sanscrit, s'il vous plaît,—son arrêt de justice, en y joignant tous les considérants appropriés. Il ne manqua pas, avec les explications nécessaires, de m'en donner la primeur, tant il semblait ravi de la sagesse de sa sentence. La femme était condamnée à observer le vœu de pruajâpati. C'est une sorte de neuvaine. Les trois premiers jours, on ne doit manger qu'une fois le soir, les trois suivants seulement le matin, et, les trois derniers, rien autre que ce que l'on reçoit en don. En somme, on n'en meurt pas; mais il paraît qu'il est écrit qu'il ne faut imposer aux femmes, aux enfants et aux vieillards que des pénitences légères. Pour le mari, le pandit fut sans pitié. Il était d'autant moins disposé à le ménager qu'il tenait pour certain que son cas ne pouvait être que celui d'un imbécile ou d'un méchant homme; en quoi il exagérait. Toujours est-il que le pauvre brahmane en avait pour trois jours à ne cesser de répéter sans manger ni dormir, le nom béni de «Râm! Râm!». Après quoi, purifié par l'énonciation continue des (p. 036) divines syllabes et l'absorption des cinq produits de la vache (lait, petit-lait, beurre fondu et deux autres sur lesquels il est préférable de ne pas insister), il ne lui restait plus qu'à s'endetter, pour offrir à tous ses collègues brahmaniques un grand banquet auquel on lui ferait l'honneur de prendre part. Il en advint comme l'oracle de la grande ville l'avait décidé dans sa sagesse; et c'est ainsi que le pandit de village dut faire pénitence pour les péchés de sa panditânî.

À cinq lieues au-dessus de Bhavan, faisant face à la grande vallée, Eichmakam (le séjour des délices) étage au flanc de la colline ses maisons dominées par les vieilles murailles de sa ziarat. On dirait un village d'Ombrie; la ziarat, avec sa loggia italienne, ajoute encore à la ressemblance, que sa flèche de pagode n'arrive pas à détruire. C'est le sanctuaire de Zaïn-oud-din, l'un des disciples du grand saint national du Kachmir, Nour-oud-din. Il est tenu en grande vénération, surtout par les bateliers, qui y conduisent leurs enfants quand le moment est venu de couper leur première mèche de cheveux. Ils amènent, en même temps, volailles et béliers, qu'ils tuent et mangent sur place. On assure que plus de deux cents personnes vivent ainsi des offrandes des fidèles. Le mode de répartition est des plus simples: chacun des moullas, à tour de rôle, encaisse la recette du jour.

La ziarat domine les noyers sous lesquels on campe. On prend pour y monter l'unique rue, mi-raidillon, mi-casse-cou, bordée d'échoppes capricieusement alignées. En haut de ce bazar de village, un escalier conduit à la porte où quelques vieux moullas s'agitent à votre arrivée, pendant que le frère portier, assis près du gong qu'il frappe pour sonner les heures, tend la main tout comme un sacristain italien. Deux des côtés de la cour rectangulaire sont occupés par la galerie (j'allais dire le cloître), les deux autres par des constructions et l'entrée du sanctuaire. C'est une toute petite grotte taillée en plein roc, à peine assez grande pour contenir cinq ou six personnes. Le moulla, dont c'était le jour de recette, était accroupi près d'une sorte de grande cage de bois noir cachée sous une housse de cotonnade peinte et malpropre. C'est le cénotaphe du Saint. Après sa disparition miraculeuse, on a retrouvé, à cette place, sa lance, sa guirlande et son pain.

Avant de les laisser quitter la ziarat, on exhibe aux visiteurs ces reliques et quelques autres; à la longue lance s'est joint un joli arc en fer forgé et articulé; la guirlande est faite d'une dizaine de galets de la grosseur d'un petit œuf, percés au milieu et enfilés à une cordelette; le fameux pain ressemble à un biscuit pétrifié; vient enfin une sandale de bois et jusqu'aux cornes de la chèvre du Saint. Il faut voir avec quelle dévotion prêtres et pèlerins les baisent et s'en frottent les yeux. Je fus encore plus surprise de là pieuse déférence avec laquelle notre brahmane vénère ces reliques d'un saint mahométan. Il gobe visiblement toutes les histoires qu'on lui conte et qu'à mesure il me traduit; aussi bien la plupart empruntent au terroir une saveur beaucoup plus hindoue que musulmane, et il est fâcheux que la place me manque pour les rapporter. Qu'il suffise de dire que ces suppôts de l'islam, dont quelques-uns ont des têtes dignes de Rembrandt, se donnent bénévolement le titre de rishis, emprunté aux plus anciennes traditions de l'Inde. En réalité, pandits ou musulmans du Kachmir sont de la même mouture et bons à remettre pêle-mêle dans le même sac. Quitter Bhavan pour Eichmakam, c'est tomber de brahmanes en moullas.

(À suivre.) Mme F. Michel.

NÂGA OU SOURCE SACRÉE DE BHAR, ENTRE BHAVAM ET EICHMAKAM. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traductions et de reproductions réservés.

(p. 037) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—4e LIV. No 4.—28 Janvier 1905.

MAISONS DE BOIS, À PALGÂM.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

L'ÉTÉ AU KACHMIR[3]
Par Mme F. MICHEL.

IV. — Le pèlerinage d'Amarnâth. — La vallée du Lidar. — Les pèlerins de l'Inde. — Vers les cimes. — La grotte sacrée. — En dholi. — Les Goudjars, pasteurs de buffles.

PALANQUIN ET PORTEURS.

Des quatre torrents de montagne, qui se réunissent près d'Anantnâg ou Islamabâd pour former la rivière maîtresse du Kachmir, le plus considérable est, sans contredit, celui du Lidar. C'est aussi celui dont la vallée est la plus pittoresque, et réunit le plus d'attractions. Quinze lieues durant, du haut des glaciers originels jusqu'aux plus prochaines rizières, d'abord il dévale en ruisseaux laiteux, sur les pentes nues des sommets, puis rugit de roc en roc, au creux de gorges magnifiquement boisées, pour s'étaler enfin, vif et clair, en maints lits semés de cailloux, à travers la plaine élargie. Si tant d'écume et de bruit venait à sembler monotone, le décor a des figurants variés à souhait. Des centaines de pèlerins, arrivant de tous les coins de l'Inde, remontent à chaque mois d'août le cours entier du torrent, jusque par delà ses sources, avec leur cortège obligé de brahmanes et de coolies kachmiris. Leur route est toute jalonnée de surprenants sanctuaires, les uns construits de main d'homme et les autres simples jeux de la nature, temples ruinés, sources sacrées, rochers divins ou lacs de mystère, et dont chacun a sa légende et sa particulière vertu. C'est ainsi que la vallée du Lidar s'accommode aux goûts de tout le monde; il y a place pour le pécheur à la ligne, pour l'amateur de ruines et de paysages, comme pour le curieux d'humanité. Aussi, n'est-il pas étonnant que le nombre des visiteurs aille croissant chaque année; quelques-uns même, délaissant les plaisirs «sportifs» de Goulmarg, la station d'été officielle, ou reculant devant le long voyage de Sonamarg, s'établissent, pour laisser passer les grandes chaleurs, aux alentours de Palgâm; comme eux, je préférai le paisible «village des bergers» à la «prairie d'or» et même à celle «des roses».

Déjà nous avons visité ensemble toute la partie basse de la vallée, depuis Bhavan, fertile en brahmanes, (p. 038) jusqu'à Eichmakam, riche en moullas. Après ce dernier village, la vallée s'étrangle subitement et désormais la route suit le bord du Lidar. La rivière, elle-même au lieu de former un inextricable réseau de ruisseaux—dans la traverse d'Eichmakam à Sallar, j'en ai compté une quarantaine,—ne coule plus que dans un seul lit, roulant dans ses rapides écumeux d'énormes troncs de déodars et de sapins.

Nous arrivons à Bhatkote sous une belle averse. En attendant que les tentes soient debout, je cherche un abri sous la véranda de la petite mosquée. C'est, comme dans tous les villages, un bâtiment fort misérable et délabré. Le Kachmiri musulman se soucie moins d'Allah que des saints locaux et fréquente les ziarats de préférence aux mosquées. Je ne trouve, comme siège, que le cercueil qui sert à porter en terre tous les morts des environs.

Pendant ce temps, une scène épique se passait sous les beaux noyers du campement. Bhatkote est habité par des maliks, des seigneurs du chemin, sans doute descendants de quelque petit râdja commandant autrefois dans la vallée. Tout musulmans qu'ils soient, il leur reste le privilège de conduire les pèlerins hindous à Amarnâth et d'encaisser le quart des offrandes. Un très vieux «chef», sinon le plus vieux du village, se trouve bientôt aux prises avec le pandit. Celui-ci demandait du riz que celui-là refusait énergiquement, jurant «par sa barbe et par le Coran» qu'il n'y en avait pas un grain dans le village. Le pandit qui, sur ce chapitre, n'entend pas la plaisanterie, menaçait le vieillard de son bâton. La menace n'était pas sérieuse; le bonhomme en fut pourtant si effrayé que, défaillant, il dut s'accroupir au pied d'un arbre pour ne pas tomber, tant il tremblait, cependant que le tchaukidar (garde-champêtre), pour calmer la colère plus feinte que réelle du pandit, lui prenait la barbe à la manière antique en l'appelant «baba-dji» (vénéré père).

Une heure plus tard, le vieux malik, ayant coiffé un beau turban et endossé une robe verte, vint me donner ses salâms et m'offrir tout ce dont nous aurions besoin: volailles, beurre, lait, œufs et légumes,—pour un bon prix, bien entendu. Après quoi, il m'informa qu'il était un très vieil homme et qu'on avait tenté de l'assassiner quand, à l'arrivée, il venait pour me saluer.... J'eus quelque peine à lui faire entendre raison. Comme à Bhatkote on dit définitivement adieu aux éternelles rizières, mes gens désiraient légitimement augmenter, avant d'entrer en montagne, leur provision pourtant déjà considérable de riz. En exhibant les «parvanas»,—les lettres de réquisition dont nous nous étions munis à Srînagar,—ils finirent par en obtenir un peu, mais au prix de 8 sêrs (un sêr est d'environ 800 gr.) à la roupie, ce qui semblait un vol au pandit qui à Bhavan en obtenait seize pour le même prix, et vingt-quatre à Islamabâd.

Après Bhatkote, la «scenery», comme disent les Anglais, devient de plus en plus sauvage; en certains endroits, la Vallée se transforme en une véritable gorge, ne laissant de place qu'au sentier et au torrent.

GANECH-BAL SUR LE LIDAR; LE VILLAGE HINDOU ET LA ROCHE MIRACULEUSE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Un peu plus haut, elle s'élargit de nouveau, et l'on arrive à Ganech-Bal. Le petit village de ce nom est partagé en deux par la rivière. Sur la rive gauche et sur les premières pentes, trois maisons, dans quelques champs de maïs (makhi) et de blé noir (troumba), forment le village musulman. De l'autre côté, au ras de l'eau, deux maisons pour les pourohitas et quelques baradéris ou pavillons de planches, pour les pèlerins: c'est le village hindou. L'endroit n'en est pas moins célèbre à cause de l'image du dieu auquel il doit son nom. N'allez pas croire qu'il s'agisse d'une statue, mais cherchez avec les yeux de la foi, au milieu des rapides de la rivière, une roche que l'eau courante a vaguement modelée en forme de tête d'éléphant: voilà Ganech!

Au moment du pèlerinage, quelques judicieuses applications de minium, laissant deux taches noires pour figurer les yeux, soulignent heureusement la ressemblance. C'est, en somme, une de ces images svayambhou (c'est-à-dire nées d'elles-mêmes, naturelles) qui sont si fréquentes et si vénérées au Kachmir. D'après les (p. 039) brahmanes, Bout-Shikan, l'iconoclaste, dans sa tournée de destruction, entendit parler de cette image et résolut de la détruire aussi. Il se mit donc en route. À la première halte, la nuit, Ganech lui apparut et lui parla: «Ne va pas plus loin; je te touche les genoux en signe. Et si cela ne te suffit pas, demain matin, regarde le Lidar: il roulera rouge.» Il en fut ainsi; mais l'incrédule dédaigna cet avertissement du ciel; aussi, avant même d'arriver à l'image, périt-il avec toute son escorte sous les aiguillons d'une nuée d'abeilles. Le dixième jour de la quinzaine claire de çrâvan (août), en leur chemin pour Amarnâth, les pèlerins s'y arrêtent. On fait un pont de planches de la rive à l'idole. Les fidèles lui offrent des gâteaux de farine et de miel, puis en donnent aux brahmanes du lieu, et enfin en mangent, s'il en reste.

LE MASSIF DU KOLAHOI ET LA BIFURCATION DE LA VALLÉE DU LIDAR AU-DESSUS DE PALGÂM. VUE PRISE DE GANECH-BAL. PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

À partir de Ganech-Bal, les emplacements de camp abondent jusqu'à Palgâm. Sur les anciennes berges de la rivière, situées à présent bien au-dessus du lit actuel, les tentes des Sahebs font de nombreuses taches blanches sous les pins bleus et les sapins d'argent,—le kairou et le soungal des Kachmiris, les pinus excelsa, et abies webiana des botanistes. Il va de soi qu'avec un pareil afflux d'Européens, les ressources des hameaux voisins sont vite épuisées. Il faut avoir au moins deux coolies faisant la navette, pour le ravitaillement et la poste entre Islamabâd ou Srînagar et le campement. Qui dira jamais les surprises que ménage le retour de ces commissionnaires improvisés!

Palgâm éparpille ses maisons de bois au pied de l'énorme massif neigeux du Kolahoi, à la bifurcation des deux principales branches du Lidar. C'est la branche de droite que remonte vers le nord-est la route d'Amarnâth. L'époque traditionnelle de la visite de la fameuse grotte est proche, et, le 17 août, nous faisons nos derniers préparatifs pour l'excursion.

Nous commençons par confier au lambardâr le gros de nos bagages, pour n'en garder que tout juste le nécessaire: les tentes et leur mobilier indispensable, la batterie de cuisine, des vivres pour quinze jours et des vêtements chauds. Tout compte fait, il reste encore quinze charges; il nous faut donc quinze porteurs. S'il est facile de trouver des coolies pour vous conduire d'une étape à l'autre, c'est une tout autre affaire quand il s'agit de les garder, une semaine ou deux, loin de leurs villages et de leurs champs. À l'appât d'un bon salaire et d'une indemnité quotidienne de nourriture (rasad), il convient d'ajouter une douce pression officielle pour achever de décider les plus hésitants. Toutes les autorités du village étaient convoquées, ce matin, à cet effet, et discutaient ferme, c'est-à-dire qu'elles criaient toutes ensemble. Enfin, le lambardâr d'Eichmakam, qui est en même temps le «jelladar» de toute la vallée, s'emploie à trouver les quinze coolies qu'il nous faut. Son obligeance n'est pas absolument désintéressée, et ce gros personnage sollicite, comme récompense, des bouteilles et des boîtes de conserves vides. Entre temps, il expédie son dâk ou courrier, un bout de papier plié très étroit, pincé dans la fente d'une baguette, que ses administrés se repassent de main en main, jusqu'à destination: le plus étonnant, c'est que ces lettres arrivent.

(p. 040) Comme la pleine lune approche, nous voyons toute la journée défiler nombre de ces religieux mendiants que l'on appelle sâdhous; s'il s'agissait de musulmans, on les appellerait des fakirs. Les uns sont plus ou moins vêtus de cotonnade orange, les autres affublés de robes semblables à des habits d'arlequin; quelques-uns, presque nus, ont le corps frotté de cendres. Tous sont porteurs d'un bol à aumônes, tantôt en cuivre, tantôt fait d'une noix de coco ou d'une courge. L'un d'eux avait planté le sien en guise de coiffure sur ses cheveux roux, décolorés par la cendre; c'était à peu près tout son vêtement. Outre les sâdhous qui, pour la plupart, viennent de l'Inde, des familles entières de brahmanes montent de Srînagar, hommes, femmes, et même quelques enfants, dont certains encore à la mamelle. Tout ce monde ne dépassera pas Palgâm avant deux jours. À ce moment, le surintendant de police donnera le signal, et un sâdhou, portant la bannière, se mettra en marche vers Amarnâth; tout le monde suivra.

En attendant, ils campent dans une sorte d'île formée par deux bras de la rivière. Nous sommes naturellement allés les voir. Ils ont des tentes de tout genre, la plupart de simples abris drôlement fabriqués avec trois bâtons coupés dans la djangle, et un morceau de mauvaise étoffe. La palme appartenait sans conteste à un ascète presque nu, dont le logis avait pour dôme un parapluie, et un châle comme mur de clôture. Un autre, très vieux, portant une longue barbe blanche en pointe, l'air martial, très causeur, nous présente ses trois disciples et nous conte qu'il vient de Patiala, l'un des États indigènes du Pendjâb; nous prenons rendez-vous, là-haut, à la grotte.

Tannin, 18 août.

VALLÉE D'AMARNÂTH: VUE PRISE DE LA GROTTE.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Nous voici à Tannin depuis deux heures; le temps de souffler et de dîner. L'étape est rude depuis Palgâm. Nous sommes partis ce matin à sept heures après un dernier «bandobast», l'achat de quelques paires de poulahor ou sandales faites d'herbes tressées, et de kangris, la chaufferette nationale des Kachmiris. Deux paires de chaussures et un kangri coûtent 3 annas (30 centimes).

Tout le monde était en mouvement dans le camp des pèlerins. Les uns démolissaient leurs abris pour se draper dans la pièce d'étoffe qui, la nuit, leur servait de maison. D'autres, très affairés, allumaient de petits feux. Les plus matineux allaient à la rivière éteindre le bois qui devait leur servir le soir.

Les ponts rustiques passés, nous avons suivi, au flanc de la montagne, un sentier abrupt, juste assez large pour une personne. Deux heures après, nous étions à Preslang, misérable village, le dernier de la route et où l'on ne peut rien trouver.

À mesure qu'on avance, la vallée devient de plus en plus belle et sauvage. Le torrent se précipite entre des rochers énormes, formant, en certains endroits, jusqu'à trois étages de cascades. Sur la rive gauche, les hautes montagnes neigeuses sont couvertes de sapins, tandis que la rive droite, exposée au sud, est nue. Elle rachète sa nudité par les fantastiques découpures de ses pics granitiques. Ici, une mince aiguille, pointant droit vers le ciel, semble un clocher, tandis qu'à côté, on croirait voir quelque château fort ruiné ou bien encore le porche d'un grand temple.

Nous sommes campés au confluent de deux torrents, une réduction de Palgâm en plus sauvage, dans une clairière bordée de pins et de bouleaux. Les tentes sont comme adossées à la montagne que nous gravirons demain, dès l'aube. En attendant, ce soir, la lune éclaire le grandiose paysage, baignant de lumière le haut des falaises et les pics qui, de tous côtés, émergent des masses sombres des forêts.

(p. 041)

PANDJTARNI ET LE CAMP DES PÈLERINS: AU FOND LA PASSE DU MAHAGOUXAS.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Zodji-Pâl, 19 août.

Au sortir du campement, nous avons commencé l'ascension de Pich-bal, la bien nommée «montagne de la Puce». C'est une falaise, haute d'au moins 500 mètres, et presque à pic. Le sentier monte tout droit dans les pierres, «par le chemin de l'eau»,—bien entendu quand elle descend pendant la fonte des neiges. C'est à peine si, de ci, de là, il esquisse quelques zigzags; ou bien des roches forment de hautes marches, sur lesquelles on se hisse comme on peut. Vus d'en haut, nos pauvres coolies faisaient pitié. Penchés vers la terre, sous le faix des kiltas et des tentes, qui ressemblaient assez à de grosses coquilles brunes ou blanches, ils se traînaient péniblement, pareils à des escargots malades. La ligne des arbres était déjà dépassée, et tout le monde se plaignait, plus ou moins, des nausées et des vertiges, premiers symptômes du mal des hauteurs.

Mais cette sorte de gigantesque seuil franchi, quelle joie pour la caravane de s'affaler pour souffler dans l'herbe fleurie! Nous avions, en effet, atteint le marg. La grande prairie alpestre ressemblait à un immense jardin rustique, où poussaient, pêle-mêle, pieds d'alouette, sainfoin, fumeterre, myosotis, campanules, prêles, et, ça et là, de grosses touffes de chardons jaunes, dont la tige atteint jusqu'à 3 mètres. Voilà une bien plate énumération; mais avec quels mots rendre le charme virginal et la fraîcheur de ces plantes des cimes, qui ne fleurissent que pour Dieu?

Le sentier court, à présent, à mi-côte, le long de la pente herbeuse, dans une sorte de large val. À gauche, au-dessus de nos têtes, surplombent de hautes falaises déchiquetées et convulsées, qui semblent vouloir nous écraser au passage. À droite, au-dessous de nous, la rivière s'engouffre sous des tunnels de neige ou s'en échappe en cascades, remplissant ces voûtes naturelles de poussière d'eau et de bruit. Çà et là, quelques bouleaux s'entêtent encore à pousser. Beaucoup sont couchés à terre par les avalanches, et leurs branches tordues et sans feuilles rampent comme des serpents d'argent. Ailleurs, tout un groupe échevèle ses branches nues, mort sans doute sous le couteau de l'écorceur. Par places, seulement, ils ont gardé leur beau feuillage vert sombre.

Soudain, sur la rive droite, une échappée s'ouvre sur de glorieux glaciers; nous campons juste en face, dans la prairie qui prête à nos tentes son moelleux tapis. Mais avec la nuit, la pluie et le froid tombent, et, (p. 042) pour nous chauffer, nous n'avons qu'un feu de bois de bouleau qui, lentement, noircit, et, par instants, fuse en étincelles, sans flamber.

Çecha-Nâg, 20 août.

Ce matin, il nous a fallu escalader encore un nouveau gradin montagneux, un peu moins haut, mais non moins rude. Nous nous élevons ainsi d'une marche par jour, comme des nains par un escalier de géants. D'arbres, il n'en est plus question, sauf quelques buissons rabougris de genévriers, qui se terrent dans le creux des roches.

Nous atteignons enfin le bord d'un lac. Il n'est autre, paraît-il, que le nâga qui, jadis, demeurait près de Bidj-Bihara, et qui s'est retiré, par dégoût du monde, dans ces solitudes glacées. Nâg ou lac, l'aspect en est sinistre et grandiose. Il remplit de son eau vitreuse une coupe ovale, bordée de pics rugueux; à la tête, un grand glacier ferme une large échancrure que domine, casquée de neige, la cime noire du Koh-i-Nour.

J'écris, emballée dans une fourrure, avec un kangri sous mes pieds; pourtant, le soleil n'est pas couché. Il me cuit la joue droite, la gauche gèle. J'avais lu quelque chose de semblable dans un récit de voyage au Tibet, et je ne pouvais y croire. C'est une première expérience, comme d'ailleurs celle du kangri, mais celle-ci plutôt agréable. Quand je lève les yeux, je ne vois autour de moi que de la roche et de la neige. C'est toute l'aridité des bords de la mer encore amplifiée. Les nuages remplissent la gorge étroite par laquelle nous comptons nous échapper demain du cirque de montagnes qui nous entoure; on les voit s'abaisser avec le soir le long de leurs flancs. Bientôt, ils seront sur nous. Quand les coolies se taisent, on n'entend plus que la rumeur des ruisseaux qui, de tous côtés, dévalent des glaciers sur les pentes, et le coup de sifflet aigu des marmottes, déchirant l'air de temps en temps. On a tout à fait l'impression d'un paysage éternel, tel qu'il restera jusqu'à la consommation des âges, alors que la terre ne sera plus qu'un astre mort; et c'est comme si nous touchions les extrémités déjà refroidies de la planète.

CASCADE SORTANT DE DESSOUS UN PONT DE NEIGE ENTRE TANNIN ET ZODJI-PÂL.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Kêl Nàr, 21 août.

En nous réveillant, ce matin, nous avons trouvé toutes les cimes d'alentour poudrées de neige fraîche. Une pluie glacée tombe sur nous. Voici pourtant les pèlerins qui arrivent à la file indienne. Ils sont pitoyables à voir ainsi, demi-nus et grelottants sous leurs minces vêtements de coton. Certes, le premier qui mit à la mode le pèlerinage d'Amarnâth avait le sens et le goût du pittoresque, mais surtout il ne manquait pas de courage. C'est bien une autre affaire pour ces pauvres gens que pour nous, qui sommes relativement «confortables». Au fond, ils y risquent leur vie, et, dans les mauvaises années, beaucoup périssent de froid. Il est vrai qu'ils ont, pour les soutenir, la foi et l'espoir de voir Çiva face à face, motif plus entraînant, sinon même plus excusable, que ma curiosité.

Profitant d'une éclaircie, nous nous décidons, à notre tour, à partir. Nous débutons par passer un torrent sur un pont de neige; c'est décidément plus solide qu'on ne croirait. Et voici d'autres ruisseaux qui nous barrent la route. Il serait étonnant de rencontrer tant d'eau à de telles hauteurs si les inépuisables réserves des glaciers ne se dressaient encore bien au-dessus de nous.

Des cris désespérés: c'est un coolie, étalé au beau milieu du torrent, qui beugle lamentablement en se raccrochant à une pierre. Ses camarades accourent à son aide et le ramènent au bord. Naturellement, sur les quinze, c'est celui qui portait le lait et le sucre qui est seul à prendre ce bain forcé. Par bonheur, la kilta ferme bien, et notre provision d'épicerie est sauve. Quant au lait qu'il portait à la main, c'est une offrande involontaire aux nâgas de la contrée.

LE KOH-I-NOUR ET LES GLACIERS AU-DESSUS DU LAC ÇECHA-NAG.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

L'incident clos, on se hisse encore, en prenant la montagne en flanc, pour gagner la passe du Mahâgounas, (p. 044) «du grand Serpent». Elle est couverte de neige, ce qui n'a rien de surprenant; nous sommes à 14 000 pieds d'altitude. Nous peinons dans les pierres éboulées: une moitié de montagne est tombée dans la passe; le pandit veut qu'un coup de foudre ait déterminé l'éboulement. Beaucoup de pierres sont arrangées par trois ou quatre, en sorte de petites maisons comme les enfants en construisent. Chaque pèlerin en bâtit une et y dépose un sou, que les maliks de Bhatkote ramassent ensuite. Nous montons toujours. Çà et là, quelques edelweiss se montrent. Rien ne saurait rendre l'aspect désolé de cette passe entre ses deux murailles de granit sous le ciel gris; le vent qui la balaie nous glace jusqu'aux os. Un cairn en marque le faîte; nous accomplissons en passant le rite d'ajouter notre pierre au monceau. Puis nous descendons le long de pentes glissantes et couvertes d'herbes dans une nouvelle vallée, semblable à celle que nous venons de quitter, mais orientée, celle-ci, vers le nord, et qui déverse ses eaux, non plus dans le Lidar, mais dans le Sind.

GROTTE D'AMARNÂTH.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

La pluie nous a rattrapés en chemin; la voilà bientôt qui se change en neige fondue, puis en neige véritable. Les coolies sont bien loin derrière. Nous nous arrêtons à la première place où l'on puisse songer à camper, près de Kêl-Nàr, la «gorge de l'Ibex». J'attends là deux mortelles heures, sous la neige, les tentes, qui n'arrivent toujours pas. Les voici enfin, on les monte à la diable. Rien à tirer de nos gens. Les domestiques hindous, qui n'avaient jamais vu tomber de neige, sont positivement atterrés. Les coolies, qui ont pourtant de bonnes couvertures de laine, pleurent, disant qu'ils vont tous mourir. Deux d'entre eux manquent à l'appel, et la nuit vient. Deux autres de leurs camarades consentent, moyennant un gros bakchich, à se mettre à leur recherche. Pour comble, pas de bois pour faire du feu; tout au plus peut-on, avec une lampe à alcool, me préparer une tasse de thé. J'ordonne une distribution générale de sucre, qui est considéré ici comme un «aliment chaud», je fais mettre les coolies sous la double toile et jusque dans les «bathrooms» des tentes, où, toute la nuit, ils grognent, grouillent, geignent, accroupis sur la terre détrempée de la prairie. Les pieds de mon lit de camp s'y enfoncent, pendant que les bâtons de la tente plient et craquent sous le poids de la neige qui charge la toile.

Pandjtarni, 22 août.

La neige a continué à tomber une partie de la nuit; mais ce matin, quel beau soleil étincelait sur les neiges nouvelles, et avec quel plaisir bêtes et gens s'y chauffaient! Cela a rendu courage à tout le monde, et il se trouve qu'après tout personne, pas même les poulets que nous traînons après nous, n'est mar-gaya, «allé mort».

ASTAN-MARG: LA PRAIRIE ET LES BOULEAUX.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

L'étape qui nous reste à fournir est, d'ailleurs, fort courte. On continue à descendre le long de la même vallée, toute fleurie d'immortelles et de gentianes, en traversant cinq fois le torrent qui serpente au fond. Les marmottes, assises au bord de leurs trous, nous regardent passer. En face de nous, derrière quelques montagnes nues, se dresse le pic d'Amarnâth, terme de notre excursion et but du pèlerinage. Déjà, ce rocher que nous longeons n'est autre que le «tambour de Çiva». Les pèlerins ont soin de le faire résonner au passage, en le frappant d'un galet. Presque aussitôt on arrive à Pandjtarni. Les «cinq rivières» coulent dans un immense lit, moitié rocaille, moitié prairie, descendant de deux beaux glaciers, curieusement striés. Nous ne sommes heureusement pas obligés, comme les pèlerins, de prendre un bain «frappé» dans chacune d'elles. Nous installons notre campement au bout de la prairie, près de l'endroit où les cinq rivières se réunissent pour former le Sangam (confluent). À cette place, la haute vallée s'étrécit de nouveau, et par la porte ouverte de ma tente, orientée au nord, je ne vois qu'un triangle de ciel pâle, qui est celui du Ladâkh ou petit (p. 045) Tibet. Sa frontière n'est qu'à un jour de marche, mais nous sommes trop tard dans la saison, et la gorge qui mène à Baltal est, pour le moment, infranchissable.

CAMPEMENT DE GOUDJARS À ASTAN-MARG.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Au soir, les pèlerins sont enfin arrivés. Les officiers de police, que le mahârâdja mobilise pour le soin temporel des pèlerins, les avaient retenus à notre campement d'avant-hier, de peur qu'ils ne fussent pris dans la passe par la neige. Ils sont on retard. À la nuit tombante, ils arrivent encore le long du sentier, que leur file indienne dessine à perte de vue. Je suis allée les voir à six heures. Ils remontaient la berge, tout grelottants de leurs cinq bains consécutifs et le front barbouillé de jaune et de rouge par les pourohitas qui, dès deux heures de l'après-midi, les guettaient, accroupis au bord de la dernière rivière. Quelques tentes étaient déjà debout. Les marchands qui suivent les pèlerins avaient ouvert boutique pour ceux qui ne peuvent allumer de feu, soit faute de bois, soit que leurs vœux le leur interdisent. Il y avait là des vendeurs de mithaï (confiseurs) et des espèces d'épiciers débitant du mauvais thé et des ingrédients bizarres, de petites graines d'amarante qui ne rompent pas le jeûne, des amandes, des noyaux d'abricots, du chanvre à fumer haché très fin, des tas de choses hétéroclites par petits lots ou dans des sacs minuscules. Nos coolies eux-mêmes se sont transformés en marchands de bois; aussitôt les tentes montées, ils étaient partis à l'aventure, et les voici qui reviennent, chargés de fagotins de genévrier.

C'est une cohue des plus amusantes et bariolées; des gens enfoncent des piquets de tente, d'autres récurent d'énormes pots de cuivre jaune où, tout à l'heure, cuira le riz; des sâdhous, et même des sadhounies de l'Inde, en coudoient d'autres du Ladâk et du Népal; et tous ces gens grouillent au pied de la montagne, qu'ils graviront demain matin.

Amarnâth, 23 août.

De bonne heure, ce matin, les pèlerins sont partis pour Amarnâth, par leur chemin spécial, laissant seulement quelques coolies pour garder le camp. Ce chemin a ses mérites particuliers. D'abord, il est très dur; il faut franchir une crête à plus de 5 000 mètres d'altitude et redégringoler de l'autre côté comme on peut. On fait, en outre, ses dévotions à une aiguille rocheuse, qui passe pour être une image de Bhairava. On lui offre des gâteaux de farine, du sucre et du ghî, rite d'autant plus méritoire que ces pauvres pèlerins grimpent là-haut absolument à jeun. Jadis, nombre de sâdhous escaladaient la roche et se précipitaient à terre, c'est-à-dire, d'après leurs idées, montaient au ciel. Ce saut périlleux dans l'autre monde est, à présent, interdit par la police; qu'on nie après cela les progrès de la civilisation!

Sur l'autre versant, on rencontre dans les rochers une fissure qui forme une sorte de porte naturelle: (p. 046) celui qui l'a franchie n'est plus condamné à renaître, car c'est là l'idée que les Hindous se font de leur «salut». Le pandit contait que ceux qui ont quelque chose de grave sur la conscience sont empêchés de passer: une force mystérieuse et invincible les arrête, et l'on assure que plus d'un se sent mal à l'aise en approchant de cette épreuve redoutée. Après quoi, il ne reste plus qu'à gagner la bienheureuse grotte.

Pour nous autres, profanes, nous nous bornons à prendre, pour y aller, le chemin que les pèlerins suivent pour revenir; c'est aussi celui qu'adoptent de préférence les fidèles qui se sentent trop faibles et les malades assez insensés pour venir chercher ici leur guérison. Il ne faut pas croire, d'ailleurs, qu'il soit des plus faciles: on est heureux de trouver place pour un pied à la fois, souvent sur du schiste émietté qui s'éboule.

LE BAIN DES PÈLERINS À AMARNÂTH.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le pis est qu'après avoir monté, il ne reste plus qu'à descendre par un sentier du même acabit, jusqu'à ce qu'on gagne enfin le lit du torrent d'Amarnâth, de son nom Amarâvati. On marche au creux de cette lugubre vallée de mort, tantôt sur des éboulis, tantôt sur des tunnels de neige. De chaque côté, vous oppressent des montagnes nues, dont la crête est aussi déchiquetée que celle des vagues un jour de tempête. De quelques-unes, avec leurs stries bizarrement soulevées, on dirait d'énormes lames figées dans leur effort vers le ciel. Dans l'une d'elles, à gauche, on aperçoit enfin une large baie ouverte à mi-côte, où montent et descendent des files ininterrompues de pèlerins; c'est la grotte du «Seigneur des immortels». Un jour dans l'an, le 15e jour de la quinzaine claire de çrâvan, le jour de la pleine lune d'août, les pèlerins remplissent ainsi la vallée de leur multitude bariolée, où domine la couleur orange des vêtements des sâdhous, et de la rumeur de leurs cris. Leur première action est de se baigner dans le ruisseau d'Amarâvati, qui forme, à gauche de la grotte, trois étages de cascades. Celui du bas semble réservé aux femmes. Puis, tous les hommes, vêtus seulement d'un pagne d'écorce de bouleau retenu autour des reins par une cordelette de même nature, les femmes, drapées d'une pièce d'étoffe immaculée, tous poussant le même cri: «Amarnâth-Svâmi-ki-Jay! Vive le seigneur roi des Dieux!» se précipitent vers la grotte. On y accède par une sorte de rampe, le long de la paroi de gauche. La grande arche béante, haute comme une voûte de cathédrale, est à moitié comblée à droite par les éboulements. Les pèlerins se plâtrent la figure, certains même tout le corps, avec la poudre de la pierre de gypse où elle est creusée. Il faut les voir à l'entrée de la caverne, les mains étendues, la tête renversée et la bouche ouverte, guettant éperdûment les infiltrations de la voûte pour tâcher d'en recueillir au vol quelques gouttes, car cette eau n'est rien moins que de l'amrita, de l'ambroisie. Enfin, se prosternant de tout leur long, ils pénètrent dans la grotte.

Le but principal du pèlerinage est la contemplation des sources glacées qui sont censées représenter Çiva et même sa famille. Imaginez, dans un retrait, où le soleil ne pénètre jamais, des sortes de petits dômes de glace. Le plus grand ne serait rien autre qu'une image naturelle du dieu. Certains prétendent que l'épaisseur de la glace croît et décroît avec la lune; personne, d'ailleurs, n'est là pour le voir. Dans l'âme des pèlerins, il n'y a pas l'ombre de scepticisme. Avec quelle dévotion ils se pressent vers le bloc de glace, y frottant avec frénésie leurs fronts, leurs bras, leurs torses nus; quand ils ont fini de se frotter d'un côté, ils recommencent de l'autre. Puis ils organisent, dans l'ombre froide de la grotte, une sorte de danse sacrée, rythmée par des battements de mains.

Inutile de dire que les pourohitas sont de la fête; ils ont décoré les blocs glacés d'oripeaux rouges, de petites lampes fumeuses, et y ont semé des fleurs. Deux d'entre eux sont, sans façon, accroupis sur Çiva; deux autres tiennent une corde de paille pour maintenir la foule qui se presse alentour. Tous ces prétendus fanatiques nous font d'ailleurs bon accueil. On semble me savoir gré d'avoir remplacé mes impures chaussures de cuir par des sandales de paille. On s'informe avec intérêt si je vais faire ou si j'ai déjà fait le (p. 047) darçan (la contemplation) du fameux glaçon. J'aurais d'ailleurs été désolée de contrister en quoi que ce soit le cœur de ces braves gens. Si toute croyance est respectable dès lors qu'elle est sincère, le mépris n'est pas de mise ici.

PÈLERINS D'AMARNÂTH: LE SÂDHOU DE PATIALA; PAR DERRIÈRE, DES BRAHMANES, ET À DROITE, DES MUSULMANS DU KACHMIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

À la vérité, les pourohitas marquent un empressement exagéré et bousculent les pauvres sâdhous pour faire une large place aux Sahebs qui, à défaut de conviction, apportent des roupies. Ils me donnent, en échange, quantité de sucre candi, des amandes, des fleurs, et m'attachent au poignet gauche un bracelet de laine rouge et de soie jaune. Une pauvre vieille femme me demande l'aumône et va immédiatement apporter la piécette d'argent à d'autres brahmanes, en train de sacrifier autour d'un petit feu. Ce soir, on partagera la recette: un quart sera pour les pourohitas de Bhavan, un quart pour ceux de Ganech-Bal, un autre pour les sâdhous qui ont porté l'étendard, et le dernier pour les maliks de Bhatkote. Nous avons entendu plus tard, en repassant par ce village, les doléances du vieux malik: les petits hobereaux n'avaient eu pour leur part que cent roupies. Chaque année, d'ailleurs, ils ne manquent pas de se déclarer lésés, pour la bonne raison que l'accès de la grotte—et par suite, tout contrôle sur les opérations financières qui s'y passent,—est interdit aux musulmans.

Cependant, le darçan fait, tout est fait; il ne reste plus qu'à s'en aller. Alors, c'est une déroute lamentable parmi ces pauvres gens déjà épuisés par huit jours de fatigues et de jeûnes, et que la volonté d'arriver au but ne soutient plus. Tant que le sentier descend la vallée d'Amarnâth, en vue de la caverne, cela va encore, et l'on entend quelques cris enthousiastes. Au bord du torrent, nous voyous deux femmes s'arrêter; par trois fois, elles puisent de l'eau dans le creux de leurs mains et se font boire réciproquement, et par trois fois, elles se donnent l'accolade. C'est un pacte d'amitié qu'elles sont en train de sceller entre elles. Un tel pacte, assure le pandit, prime tout intérêt mondain ou tout lien de famille; c'est à la vie et à la mort. Bientôt, les acclamations s'éteignent, les groupes s'espacent et s'éparpillent. Un des disciples de notre vieille connaissance, le sâdhou de Patiala, mourant, allait rester sur la place, faute de dix annas pour se faire porter. À la première montée, ce ne sont partout que des gens affalés sur les pentes, cramponnés aux touffes d'herbes, haletants, geignants, et ne voulant pas croire que l'ascension puisse jamais finir. De l'autre côté du contrefort, la descente sur les cinq rivières n'est pas plus brillante; beaucoup qui, tout à l'heure, grimpaient en rampant, à quatre pattes, se laissent à présent glisser sur le dos. En bas, un dernier bain, aussi sacré que froid, les attend en l'honneur des ancêtres, comme s'ils voulaient hâter le moment d'aller les rejoindre. La fatigue, il faut l'avouer, m'a terrassée comme eux et, comme eux, je me traîne, tant bien que mal, jusqu'au campement de Pandjtarni. Par derrière, les officiers de police s'occupent à presser les derniers retardataires; ce serait la mort (p. 048) certaine pour ceux qu'on abandonnerait sur le chemin dans ces solitudes désolées, où tout est de glace, jusqu'aux dieux; et pour un an entier, la vallée d'Amarnâth retombe dans son silence.

Le 24 août au matin, il n'y avait plus que nos tentes de dressées, à Pandjtarni, sur la prairie étincelante de gelée blanche. Je me ressens à ce point des fatigues de la veille que je suis obligée de différer mon départ d'un jour. Quand le surintendant de police, qui continue à fermer la marche du cortège vient, avant de partir à son tour, m'offrir ses services, je lui demande de m'envoyer un dholi avec double équipe de porteurs. Le dholi, pour ceux qui l'ignorent, est une espèce de palanquin de forme carrée, surmonté d'un dais d'étoffe. Bien suspendu entre deux longs bambous, l'appareil me sembla confortable; son seul défaut est d'être fort encombrant. Mais mes huit mulets non baptisés sont des kahars exercés et qui me portent par les chemins les plus difficiles avec une incroyable adresse.

On suit au retour le même chemin qu'à l'aller, sauf que d'ordinaire l'on coupe au plus court par une passe encore plus haute que celle du Mahâgounas (les cartes anglaises accusent 16 000 pieds) et non moins rocailleuse. Brusquement on arrive après avoir contourné une corniche vertigineuse, sur l'autre versant. Sous nos pieds se creuse un immense gouffre, entouré de crêtes bizarrement «ondées», et profond de plus de 1 000 mètres. On croirait, à première vue, qu'il est impossible de descendre des pentes aussi abruptes; on les descend cependant, non sans peine et sans risques. Au bas, près d'un ruisseau qui sort soudain de terre, les bouleaux retrouvés forment un nid de verdure qui a nom Astan Marg.

Toute une famille de pasteurs Goudjars est établie là avec ses buffles. La vieille mère, bonne femme à tête de sorcière, vient me faire ses salâms en m'offrant d'épaisses galettes de lait cuit et m'invite du geste à entrer dans la hutte. Ce n'est qu'un large auvent supporté par quelques troncs d'arbres, d'ailleurs simple séjour d'été; l'hiver, ils redescendent dans leurs villages. Je n'aperçois, en fait de mobilier, que ces sacs de peau de chèvre où l'on conserve le beurre fondu et les pots de terre ou de bronze où on le fait fondre. Dans un coin, une toute jeune femme était étendue sur un lit d'herbes sèches, ayant à côté d'elle son bébé, nouveau-né de la veille. Comme ses compagnes, elle est couverte de bijoux et je compte jusqu'à douze anneaux d'argent par oreille. Ainsi, la coquetterie ne perd jamais ses droits, et je reste sceptique sur la simplicité tant vantée des bergères. Connaissent-elles seulement leur bonheur? Volontiers, je partagerais pour le reste de l'été leur claire et fraîche retraite qu'un poète du cru ne manquerait pas de décrire, nichée au creux du géant Himalaya, comme un joyau sur le sein de la déesse Pârvati. Malheureusement, les nécessités du ravitaillement s'y opposent et il faut se rabattre sur des régions de 1 000 mètres plus basses et où déjà l'on respire un air plus lourd. Encore deux jours de pittoresque descente et mes porteurs me déposaient doucement à terre à Palgâm. De là, il ne me reste plus qu'à retraverser le Kachmir en diagonale, si je veux être arrivée à temps pour faire l'ascension de l'Haramouk.

(À suivre.) Mme F. Michel.

MOSQUÉE DE VILLAGE AU KACHMIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. 049) TOME XI, NOUVELLE SÉRIE.—5e LIV. No 5.—4 Février 1905.

BRODEURS KACHMIRIS SUR TOILE.—PHOTOGRAPHIE BOURNE ET SHEPHERD, À CALCUTTA.

L'ÉTÉ AU KACHMIR[4]
Par Mme F. MICHEL.

V. — Le Pèlerinage de l'Haramouk. — Alpinisme funèbre et hydrothérapie religieuse. — Les temples de Vangâth. — Frissons d'automne. — Les adieux à Srînagar.

MENDIANT MUSULMAN. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Le huitième jour de la quinzaine claire de Bhadrapâda qui, cette année (1896), tombait le 14 septembre, est le grand jour des morts des pandits kachmiris. Mais il ne s'agit pas seulement d'aller apporter des fleurs à un cimetière plus ou moins proche; il leur faut monter à plus de 4 000 mètres, par de rudes chemins, à travers des passes désolées, jusqu'à un lac, entouré de glaciers et de pentes pierreuses, au pied du géant Haramouk. Comme on jette plus volontiers dans le Gange les cendres des Hindous de l'Inde, celles des brahmanes et des Sikhs du Kachmir viennent toutes s'amasser là. Aussi bien le lac est-il donné, pour les besoins de la cause, comme une des sources du grand fleuve sacré.

Les profanes et les cartes l'appellent Gangâbal; les brahmanes disent simplement la Gangâ, ou la Moukouta-Gangâ, la «Gangâ du diadème». On sait que le grand fleuve coule du chignon de Çiva, et l'Haramouk, l'énorme massif de roches et de glaces qui domine cinq vallées et dresse vers le ciel sept grands pics inégaux, n'est autre que le neigeux diadème en même temps que la demeure du dieu. Les pandits affirment sans rire que les années de sécheresse, en faisant la pradakchinâ, c'est-à-dire le tour du lac à main droite, on aperçoit comme des cheveux d'où ruisselle (p. 050) la source! Si le huitième jour de la quinzaine claire de Bhadrapâda tombe après le commencement de la saison d'automne, le rite du «jet des cendres» dans la Gangâ est remis à l'année suivante. Cette année-là, il s'en est fallu de peu qu'il n'eût pas lieu; la saison d'automne commençait le neuvième jour de la quinzaine.

Dans toutes les maisons où il y a eu un mort, un des parents, aussi proche que possible, doit forcément faire l'ascension. Ce pèlerinage de Gangâbal a donc un caractère local tout particulier. Ici plus de pèlerins de l'Inde, autant dire point de Sâdhous; quelques Sikhs mis à part, on n'y voit que des brahmanes kachmiris; c'est un vrai pèlerinage de famille.

Et ce n'est pas une petite affaire pour les pandits. On sait quelle frayeur plaisante les Kachmiris ont des magnifiques montagnes au sein desquelles ils vivent et qu'il leur plaît de contempler de loin. Le «bandobast» est une aussi longue opération que s'il s'agissait d'un voyage au pôle; il faut s'assurer d'une tente, puis réunir des provisions, vêtements et couvertures à profusion; enfin, se munir de sucre, de poivre en grains et de fruits aigres, toutes choses qui ne rompent pas le jeûne, pour se réchauffer le cœur ou se rafraîchir en route; n'oublions pas un parfum noué dans le coin de l'écharpe pour respirer en guise de sels, si l'on est pris du mal des hauteurs. Il est surtout important d'avoir des kangris et nombre de ces sandales en corde d'herbe (poulahor), si précieuses pour marcher sur les pentes glissantes. Il s'agit, ensuite de trouver des coolies pour tout cela. Enfin—last but not least, comme disent les Anglais,—vient la question des cendres. On débouche, pour les prendre, au-dessus de la porte, dans le mur extérieur de la maison, la cachette où elles étaient enfermées depuis le jour de l'incinération. L'habitude est de placer les quelques débris d'ossements recueillis parmi la cendre du bûcher dans un vase de terre, purifié par les cinq produits de la vache, en compagnie de minuscules fragments des «cinq joyaux»: perle, saphir, corail, or, argent. Je me suis laissé dire qu'on ne prenait pas autant de cendres qu'il serait possible, par crainte d'en être encombré au jour du pèlerinage; car les morts ont toujours pesé aux vivants.

LE BRAHMA SÂR ET LE CAMP DES PÈLERINS AU PIED DE L'HARAMOUK.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Voilà enfin nos pandits en route, non sans que les porteurs de cendres aient d'abord célébré à la maison un premier çrâddh ou sacrifice funèbre. Ces derniers renouvellent, d'ailleurs, tous les jours du chemin, ces oblations de boulettes de farine, d'eau et de fruits aux mânes des ancêtres; à la Gangâ, tous doivent faire un çrâddh, et ceux qui ont apporté des cendres en font deux. Nous avons rejoint à Prang, au bord du Sind, la foule bariolée des pèlerins, déjeunant après leur offrande faite ou se reposant sous les arbres. Il y avait là de bien jolies panditanies; elles passent, d'ailleurs, pour plus belles que leurs compatriotes musulmanes, et sans doute avec raison; car, comme on sait, ce furent les hautes classes qui ne se laissèrent pas convertir au mahométisme. Gracieuses dans leurs robes de couleur vive à larges manches, la taille serrée par une écharpe blanche et la tête couverte d'un long voile blanc flottant sur les épaules, plusieurs avaient quelque chose de biblique. Quant aux pandits, la plupart quittent en voyage la robe blanche qui, avec l'écharpe dont ils se drapent, prend des allures de toge et leur donne vraiment bon air; ils la remplacent par un costume assez semblable à celui du Kichtwar, une sorte de justaucorps sur des culottes et des «pattis» enroulées autour des jambes. Presque tous portent aussi un ample pardessus, fourré de peau d'agneau du Ladâkh. Quelques adolescents ressemblaient, avec leurs calottes brodées et leurs pourpoints de couleur sur leurs haut-de-chausses collants, à des pages Moyen Âge. D'autres avaient eu la fâcheuse idée d'arborer d'invraisemblables redingotes, chefs-d'œuvre des tailleurs de la capitale; il y en avait de bleu-ciel, de beiges, de vertes, d'autres mêmes en velours noir, toutes ornées par devant de grandes poches extérieures comme celles des vestes de (p. 051) chasse. Ces jeunes élégants représentent le nouveau Kachmir, celui qui s'est mis à l'anglais pour vivre; ils nous saluent dans le baragouin qu'ils ont appris à l'école de Srînagar, en vue de briguer quelque petit emploi. En attendant, ils ne se dispensent pas encore d'aller à Gangâbal. À côté, des pourohitas, accourus à l'aubaine, s'acquittent de leur poudjâ. Plus loin, un groupe de Sikhs devisaient assez joyeusement. Près d'eux, à la fourche de bâtons plantés en terre, se balançaient des sachets de diverses couleurs, contenant les cendres de leurs morts; c'est leur façon de les porter à la Gangâ; les pandits les mettent d'ordinaire à leur cou. Quelques-uns en avaient jusqu'à trois et quatre: les diverses couleurs des sachets leur servent en ce cas à s'y reconnaître, car ils doivent prononcer le nom de l'ex-propriétaire des cendres en les jetant à l'eau. Au soir, des feux s'allumèrent de tous côtés, et le campement avait un air de fête qui s'accordait assez mal avec le but du pèlerinage.

LAC GANGÂBAL AU PIED DU MASSIF DE L'HARAMOUK.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Le lendemain, tout le monde s'engageait par un petit sentier pierreux dans la vallée de Chittragoul; le chemin de retour passe par celle de Vangâth. À Chittragoul demeurent des maliks qui, comme ceux de Bhatkote pour Amarnâth, sont chargés du soin temporel des pèlerins et perçoivent une redevance à cet effet. On campe en plein champ, au pied de la montagne: quelque 2 000 mètres à gravir d'une haleine. Un fort orage, survenu dans la soirée, avait mouillé tentes et gens. C'était, dès minuit, un curieux spectacle que de voir les groupes s'agiter, mi dans l'ombre, mi dans l'éclairage violent des feux, séchant leurs vêtements au moment du départ; puis leur procession s'engage à la file indienne dans le sentier, les uns portant une branche de bois résineux, d'autres une torche d'écorce de bouleau ou même une «hurricane lamp». De nuit, l'ascension semble-t-elle plus courte? je ne sais; de jour, elle paraît interminable. D'une traite, on passe par toutes les zones de la végétation. Tout d'abord, le sentier monte au creux d'un ravin boisé, entre deux murs de verdure, composés surtout de noyers, de marronniers, de noisetiers et de sycomores. Puis l'on s'engage sur des pentes clairsemées de sapins à demi déchaussés par les pluies et désespérément cramponnés de toutes leurs racines. Enfin, voici la ligne des bouleaux qui font bientôt place à l'herbe, et celle-ci à la roche nue.

On retrouve ici, comme du côté d'Amarnâth, ces sortes de seuils gigantesques menant aux hauts plateaux qui sont les margs, et que seuls quelques pics dominent encore. Mais d'abord ce ravin aux parois rocheuses et perpendiculaires, où l'herbe vient affleurer comme au bord des falaises de l'océan, c'est le Haph-Nâr, la «gorge des Revenants». Là auraient péri, il y a longtemps, des pèlerins qui avaient perdu leur chemin; et si grand était leur nombre, que l'on aurait ramassé au fond du sinistre précipice, hanté de leurs fantômes, plus d'un maund (80 livres) de cordons sacrés de brahmanes! Plus loin, on traverse une crête rocheuse par une étroite et bizarre coupure bien nommée le «Portail». C'est là que se tiennent les maliks pour percevoir de chaque passant leur redevance de quelques centimes. On s'engage ensuite à travers les (p. 052) croupes ondulées du Mahalesh, vaste prairie semée de roches, qui semblent les débris épars de quelques pics ruinés. En certains endroits, des torrents ont emprunté pour lits d'anciennes moraines, et sous les amas de pierres qui les couvrent, on les entend au passage bruire ou gronder sans les voir. Voici enfin Brahmasâr, un petit étang pour un grand nom: c'est la halte souhaitée, tout au pied de la haute pyramide noire de l'Haramouk, qui domine, d'ailleurs, toute la dernière partie de la route.

Que de légendes ici encore et de croyances populaires! Qui doutera que le sommet ne soit fait d'une immense pierre et que sa vue ne suffise à rendre les serpents inoffensifs, se souvenant sans doute qu'un de leurs pareils forme le vivant collier du dieu Çiva? Le pic est réputé inaccessible par les Kachmiris. Jadis, un Sâdhou s'était, douze ans durant, assigné comme tâche quotidienne de le gravir jusqu'au sommet pour voir Çiva. Chaque jour, il montait, montait le long des roches; la nuit le surprenait toujours en chemin et, à son réveil, il se retrouvait au lieu d'où il était parti le jour précédent. Son cas est devenu un commun proverbe au pays de Kachmir; si, par exemple, un enfant oublie au fur et à mesure ce qu'il apprend, il est «comme le religieux de l'Haramouk» retombant toujours à son point de départ. On dit pourtant,—que ne dit-on pas?—qu'un jour un de ces gardeurs de moutons, qui sont connus pour aller partout, s'étant mis à la recherche d'une brebis égarée, s'aventura très haut sur la montagne. Il aperçut dans un creux de roches un homme et une femme—de cette caste si méprisée qui se nourrit de charognes et où les Européens recrutent le dernier de leurs serviteurs,—occupés à traire une chienne pour en boire le lait. L'homme invita le berger à partager leur boisson, mais l'aveugle Mletcha refusa, plein d'horreur et de mépris, et passa outre. Pourtant l'homme eut le temps de lui frotter le front d'une goutte de lait. En redescendant, le berger rencontra le Sâdhou et lui conta son aventure. Aussitôt celui-ci bondit sur ses pieds, essuya d'un coup de langue la gouttelette sur le front de l'infidèle et disparut, ravi au ciel. Ceux que le musulman avait pris pour un couple d'infâmes Vatals, n'étaient autres que Çiva et son épouse Pârvatî.

LE NOUN-KÔL, AU PIED DE L'HARAMOUK ET LE BAIN DES PÈLERINS. D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE

Le dieu est-il vraiment de mauvaise humeur cette année; ou bien est-ce Pârvatî que dépitent tous ces hommages rendus à sa rivale, la Gangâ? Les coolies sont encore loin naturellement, et voici qu'éclate un gros orage de grêle; en un instant la terre est couverte d'une épaisse couche blanche; les coups de tonnerre sont si violents qu'ils semblent vouloir nous jeter les montagnes sur la tête; pour comble, le vent s'est levé, glacial, et balaye la passe. C'est une piteuse débandade parmi les pauvres brahmanes qui n'ont d'autre réconfort en perspective qu'un bain glacé à prendre dans le Nâga; car, point de bain, point de mérite. Aussi, ont-ils une frayeur extrême de ces orages qui vous font passer en un moment du climat de l'Inde à celui de la Laponie, et surtout de ce vent qui, plus tard dans la saison, est mortel aux caravanes surprises dans les hautes passes. On s'entasse, comme on peut, dans les tentes envahies avant que montées. Tant bien que mal la nuit s'achève, et, au matin, le soleil fait de nouveau soupirer après l'ombre sur les pentes dénudées; ce qui n'empêche d'ailleurs pas l'orage et le froid de recommencer de plus belle au soir.

L'étape du lendemain conduit enfin au but du voyage, aux bords du lac Gangâbal. Mais ce n'est point encore sans fatigue, surtout pour les pèlerins. Ils ont, comme à Amarnâth, leur chemin particulier, plus long et plus difficile, mais qui a, à leurs yeux, l'inestimable avantage de leur faire rencontrer trois Nagâs et de leur donner l'occasion de trois baignades de plus. En vérité, ils gagnent bien les indulgences qu'ils viennent chercher si haut et au prix de tant de peines; mais si tous ces bains froids successifs, pris à jeun, leur doivent être du plus grand secours dans leur prochaine naissance, j'ai bien peur qu'ils ne leur vaillent plus d'un gros rhume dans celle-ci. Un peu au-dessus de Brahmasâr, ils tournent à droite pour franchir une porte rocheuse. Des (p. 053) trois Nagâs auxquels elle conduit, deux seraient nés des larmes de la belle Pârvatî. C'était au temps des scènes de jalousie qu'elle faisait à Çiva à propos de sa rivale la Gangâ, toujours errante dans les noires tresses du dieu. Çiva avait pris le meilleur parti en pareil cas; il s'était éclipsé. Pârvatî, repentante et désolée, se mit bientôt à sa recherche. Chemin faisant, elle s'inquiétait si l'on n'avait pas vu passer son divin époux; ici on lui répondit négativement et une brûlante larme de douleur s'échappa de ses yeux; plus loin, la réponse fut affirmative et une fraîche larme de joie glissa sur sa joue; et voilà pourquoi, à présent encore, le Nagâ de la première larme est chaud, tandis que l'autre est froid. Quant au troisième, sa couleur sombre lui a simplement valu le nom de Kâl Sâr.

FEMMES MUSULMANES DU KACHMIR AVEC LEURS «HOUKAS» (PIPES) ET LEUR «KANGRI» (CHAUFFERETTE).—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Cependant, les coolies et les profanes continuent à monter jusqu'à la chaîne qui ferme le fond dernier de la vallée de Chittragoul, à quelque 4 000 mètres d'altitude. Impatiente de voir, je pousse droit pour gravir la croupe qui domine les lacs; de là, la vue est grandiose. Sous nos pieds, au bas même du pic, le Noun-Kôl arrondit ses bassins, mi-partie bleu, mi-partie vert, selon la profondeur des cuvettes; plus loin, vers la gauche, on aperçoit les glaciers suspendus au-dessus du Gangâbal; de l'un à l'autre, un ruisseau d'argent cascatelle. Déjà brahmanes et brahmines ont repris leur hydrothérapie sacrée. Le lac funéraire reflétait paisiblement le ciel changeant dans ses couleurs fuyantes. Durs rochers, eaux froides, neiges glacées, toutes choses étaient sous le soleil d'une sérénité morne. Quelques panditanies passaient, oubliant de se cacher le visage, et je vis qu'elles avaient les yeux rouges de pleurs. C'est, en effet, le lieu de la séparation définitive. C'est là que s'achèvent les destinées dernières de ceux qui furent,—là que s'achèveront celles de ceux qui sont les Hindous du Kachmir: dans une boule de terre prise au bord de l'eau et pétrie à la main, on enferme, avec les cinq joyaux, les débris qu'ont laissés les flammes; le lac indifférent se referme sur le tout. Voilà des siècles que cela dure, et toutes les générations du monde ne suffiront pas à le combler.

Nous laissons ces bonnes gens à leurs pensers et devoirs funèbres, et nous redescendons vers Vangâth, jusqu'aux tentes plantées plus bas, à la limite des bouleaux. En face, sur une pente herbeuse, un grand troupeau d'un millier de moutons fait son tour accoutumé. Comme poussés par une force invincible, ils vont, broutant à la hâte quelques touffes d'herbe happées au passage, ils vont sans trêve devant eux. Beaucoup forment sur une seule ligne de longues files où chacun semble oublier même de manger dans la préoccupation unique de suivre la queue qui marche devant lui. Notez que personne ne les incite à changer de place, sauf leur instinct migrateur. Quand ils sont allés assez loin dans un sens, les bergers se bornent à les relancer dans un autre. Et on comprend ce qu'on raconte des caravanes de «moutons de charge» qui traversent les hautes passes de l'Asie centrale, chacun d'eux portant quelques «briques» de thé comprimé. Leur gîte de nuit est en plein air, au creux d'un val. À côté, les chaupans habitent pêle-mêle avec leur (p. 054) famille dans une sorte de tente-abri, ouverte aux deux bouts; ils se contentent d'entasser des fagots de genévriers du côté du vent et de la pluie. En échange d'un maigre salaire, ils se chargent ainsi pendant tout l'été de faire paître les moutons d'un ou même de plusieurs villages. Les paysans n'ont pas une très haute opinion de leur honnêteté, et plus d'un propriétaire monte de temps à autre vérifier le compte de ses bêtes, sous prétexte de leur apporter, comme friandise, une petite provision de sel.

De ce point encore la vue s'étend sur un fouillis de montagnes, tourmentées comme des vagues et toutes crêtées de neiges nouvelles, d'un blanc écumeux. Le chemin du retour est, pour 4 à 5 milles, pareil aux prairies du Mahalesh, avec les mêmes torrents de pierres grises dans les creux. Puis on rencontre le bord abrupt des falaises rocheuses, et l'on arrive à la dernière descente, contre-partie de la première montée, une glissade vertigineuse par des sentiers de sable et de grès, qui font des coulées blanches à travers la noire sapinière. En bas, c'est la rivière, les temples, le Nagâ, et, à une petite lieue plus loin, par un sentier à travers les taillis, le village de Vangâth, l'étape du jour.

Les parents des pèlerins viennent en masse les y attendre, chargés de mille choses réconfortantes pour les braves qui sont montés jusqu'au Gangâbal. Ceux-ci en redescendent complètement rasés, conséquence obligée du dernier rite funéraire célébré là-haut. Les barbiers musulmans de Srînagar n'ont garde de manquer l'occasion; pour exercer leur art à de pareilles hauteurs, ils exigent des sommes énormes, jusqu'à huit annas (0 fr. 80)! Tous les brahmanes y passent, qu'ils aient ou non apporté les restes d'un mort; il n'est fait exception que pour ceux dont le père est encore vivant ou la femme grosse.

TEMPLES RUINÉS À VANGÂTH.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Les dix ou douze temples de Vangâth enfouissent sous la verdure leurs ruines pittoresques, près d'une source, merveilleuse de limpidité et encore à demi prisonnière dans son bassin de pierres taillées. Ces lieux si calmes furent, au temps d'Avantivarman, le théâtre d'une curieuse tragédie qu'il vaut la peine de lire dans la traduction du Dr Stein. Ce roi était un jour venu faire ses dévotions au grand temple, qu'il croyait avoir enrichi de ses présents. Aussi fut-il plutôt étonné de voir que les prêtres ne déposaient devant l'image du dieu, pour toute offrande, que des feuilles d'oupalâkh. (Il faut savoir que c'est une plante sauvage, sorte de scabieuse blanche, dont les Kachmiris mangent les feuilles bouillies; que ne mangent pas les Kachmiris!) Devant cette ingénieuse mise en scène, le roi ne peut s'empêcher de demander la raison de tant de lésinerie: c'est tout ce que les pourohitas attendaient pour parler. Ils content qu'un certain hobereau du voisinage se prévaut de sa faveur auprès du ministre pour leur enlever les revenus de leurs villages; ainsi s'explique la pauvreté de leur offrande et la maigre chère à laquelle est réduit le dieu. Le roi fait semblant de n'avoir rien entendu et sort, sous prétexte d'indisposition subite, laissant la cérémonie interrompue. Voilà tout le monde en l'air. L'affaire arrive aussitôt aux oreilles du ministre, qui ne songe qu'à garder sa place en se débarrassant au plus vite d'un favori aussi compromettant; et c'est pourquoi il lui fait, séance tenante, couper la tête et jeter le corps décapité dans l'eau claire du petit étang. Après quoi, paisible, il vient s'informer de la santé du roi, laquelle se trouve instantanément rétablie. «Non, jamais, s'extasie le bon chroniqueur, on n'a vu ni on ne reverra pareil ministre!» Il ne faudrait rien exagérer; les mœurs se sont incontestablement adoucies, mais on trouve toujours des ministres qui ont leur portefeuille chevillé au corps.

«MÊLA» OU FOIRE RELIGIEUSE À HAZARAT-BAL.—EN HAUT, PHOTOGRAPHIE DE L'AUTEUR; EN BAS, PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

(p. 056) Le voisinage des temples et la beauté de la vallée me retiennent quelques jours à Vangâth, et aussi je ne sais quelle paresse à m'éloigner pour jamais de ces montagnes, dont la nostalgie doit toujours hanter quiconque en a foulé l'herbe parfumée et respiré l'air pur et léger. Pourtant voici l'automne: il s'annonce à n'en pas douter par la teinte dorée des pentes et la neige qui poudre les sommets, par la fraîcheur piquante de l'air matinal et la clarté franche et froide des clairs de lune. Et voici que descendent avec le premier frisson d'automne tous les pasteurs, habitants d'été des hautes prairies; ils descendent avec leurs familles et leurs troupeaux. Tous les jours, à travers le petit hameau, c'est le bruyant et pittoresque défilé de leurs bandes émigrantes; et elles m'apparaissent aussi soumises aux fatalités des saisons que les troupes d'oiseaux migrateurs que je vois passer au-dessus de ma tête.

Ce sont les Goudjars qui ouvrent la marche, car leurs buffles ne supportent pas mieux le froid que le chaud. Aussi les huttes ouvertes, où ils gîtent là-haut, sous la blancheur spectrale des bouleaux, sont les premières désertées. Emportant dans des outres leurs provisions de beurre ou de ghî, ils vont, poussant devant eux leurs lourdes bêtes stupides, à la constitution si ridiculement délicate, et qui s'attardent à se vautrer dans toutes les eaux du chemin. Là-bas, du côté du midi, les attend quelque petite maison basse, à toit plat, terrée dans un champ de maïs, comme nous en avons tant vu, en montant au Kachmir, sur les collines qui dominent la route.

Voici à présent le chaupan ramenant aux paysans d'en bas les moutons confiés pour l'été à sa garde. Mais combien manqueront à l'appel et seront censés avoir été dévorés par les ours ou être tombés dans un précipice, qui auront été simplement vendus le plus cher possible au touriste de passage? C'est le secret du marg. Il y aura dans les villages des querelles et des cris assourdissants, à la mode kachmirie; puis, tout s'apaisera; le berger recevra son salaire en grains et son congé jusqu'au printemps de l'année prochaine; et aussitôt ses moutons lavés, peignés et tondus, le paysan les enfermera au rez-de-chaussée de sa maison pour lui servir de calorifère, cependant qu'avec leur laine il se tissera des couvertures bien chaudes au cours de ses longs loisirs d'hiver.

La rencontre la plus nouvelle pour nous a été, sur le chemin des temples, celle d'une halte de bakarban ou chevriers. Ceux-ci, de véritables nomades, ne sont au Kachmir que des hôtes de passage comme les touristes d'été; ils passent la saison froide sur les pentes méridionales de l'Himalaya. Ce sont de tout autres personnages que le chaupan mercenaire. Leurs chèvres sont leur propriété, ainsi que les nombreux chevaux de charge qui portent leurs bagages.

LA VILLA DE SHEIK-SAFAI-BÂGH AU SUD DU LAC DU SRÎNAGAR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

On cite tel bakarban,—un boiteux,—qui posséderait à lui seul plus de treize mille chèvres. Ce serait donc un Crésus pour le pays; car son troupeau représenterait une valeur d'au moins 50 000 roupies. Ces chèvres sont, en effet, très grandes, et leur peau est fort recherchée pour faire des outres. Celles qui servent à l'eau sont tannées des deux côtés; au contraire, pour celles à provisions, on laisse le poil à l'intérieur. N'allez pas vous imaginer que c'est avec ce poil que l'on fabriquait les fameux châles. La chèvre, dite du Kachmir, y est inconnue; elle ne se trouve que sur les hauts plateaux glacés du Tibet. Là seulement, la bonne mère nature fait pousser, sous la longue toison de la bête, une sorte de plastron de laine fine, tout comme le duvet pousse sous les plumes de l'eider. C'est de cette laine qu'on tissait les châles et qu'on fait encore les souples et chauds tissus de pashmina. On a bien essayé d'acclimater au Kachmir la chèvre à lainage, mais l'hiver, si dur qu'il soit, ne l'est pas assez pour la forcer à doubler d'un gilet de laine son long manteau de fourrure; à plus forte raison en est-il de même des chèvres des bakarban qui passent le temps froid du côté de l'Inde.

(p. 057)

NISHAT-BÂGH ET LE BORD ORIENTAL DU LAC DE SRÎNAGAR.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Pour en revenir à nos chevriers, ils étaient bien une vingtaine, hommes, femmes et enfants. Ils traînaient à leur suite une bonne grosse bufflesse, dont le lait, avec quelques galettes, composa leur déjeuner. Les hommes étaient drapés dans des couvertures à la mode kachmirie; les femmes étaient toutes vêtues d'une étoffe de coton bleu foncé, à petites raies rouges largement espacées. Leur costume se composait d'un pantalon étroit aux chevilles, mais par ailleurs très largement drapé,—certains emploient jusqu'à 20 mètres d'étoffe,—et d'une blouse serrée à la taille. Sous la petite calotte ronde dont elles sont coiffées, leurs cheveux tombent sur leurs épaules en quantité de petites tresses. Ainsi affublées, elles n'en restent pas moins sveltes et souples. L'une d'elles, parée comme une idole, était royalement belle; avec le gracieux ovale de son visage, son nez fin, sa bouche mignonne et ses longs yeux de flamme sous l'arc parfait de ses sourcils, elle était le vivant portrait de ces miniatures indo-persanes qui représentent les sultanes favorites des grands Mogols. Comme les autres, je la vis se charger, au départ, de son dernier-né. Au lieu de tenir leurs enfants sur la hanche ou sur l'épaule à la façon des femmes indiennes ou kachmiries, ces nomades portent les leurs sur le dos à la hauteur des reins, dans une sorte de berceau improvisé avec un pan d'étoffe. Elles se nouent solidement autour de la ceinture le bout d'une longue écharpe, puis ramènent l'autre extrémité par derrière sur leur épaule; dans la poche ainsi formée est glissé l'enfant, puis l'excédent d'étoffe est enroulé en manière de turban autour de la tête de la mère, qui pose encore par-dessus un vase de terre ou de bronze, et, alerte, les mains libres, se remet en marche. Par derrière, les enfants plus grands trottinent comme ils peuvent, faisant leur apprentissage de bohémiens et se familiarisant de bonne heure avec les routes de transhumance que plus tard ils enseigneront à leurs descendants; car l'homme, comme les animaux des bois, a ses pistes et ses foulées par lesquelles un même instinct le pousse toujours à repasser.

Enfin il faut nous résigner à redescendre comme les autres. Avec la vallée du Sind nous rattrapons la route muletière qui mène de Srînagar à Leh, et nous faisons encore d'intéressantes rencontres. Ce sont de bons bouddhistes du Ladâkh, qui regagnent leur pays avec des caravanes de yaks chargés de blé, de riz, de sel et de poteries communes; ou bien, au contraire, ce sont des musulmans de Yarkand en route pour les ports de l'Inde, d'où ils comptent s'embarquer à destination de la Mecque. L'accoutrement des uns et des autres est sensiblement le même: bonnet fourré, houppelande à longues manches et bottes de feutre; et ce sont toujours les mêmes petits yeux bridés qui clignotent dans leurs faces jaunes et plates de Mongols. Tout ce monde se hâte, en sens inverse, avant que la neige n'ait fermé les passes et que le Kachmir ne retombe dans sa léthargie d'hiver.

Hâtons-nous donc, nous aussi, de profiter des derniers beaux jours. Je m'installe avec quelques amis au Sheik-Safai-Bâgh, dans une maison de plaisance qui est la propriété du râdja Amar-Singh, l'un des frères du (p. 058) roi. Elle est—ou plutôt elle était—bâtie au milieu d'un grand parc d'amandiers, sur une terrasse assez élevée pour jouir de la vue du merveilleux lac de Srînagar: les citadins disent le Dal ou «lac» tout court, comme les Parisiens quand ils parlent de celui du Bois de Boulogne; mais il n'y a pas à comparer. Donc le «Dal» est plus féerique que jamais dans cette lumière d'automne. Les îlots et les fameux jardins flottants, véritables radeaux de verdure, continuent à se mirer dans l'eau transparente, qui reflète en plus clair les bois, les montagnes et le ciel. Et le cadre est digne du tableau; il n'est pas de plus bel amphithéâtre de collines que celui qui va de l'Hariparvat, couronné de son fort, au Takht-i-Souleiman, coiffé de son temple, tandis que, par derrière, monte le cône blanchi de l'Haramouk. Seules, la teinte de rouille des prochains versants, les feuilles d'or pâle des peupliers et la mince ligne de neige qui, déjà, court sur le haut des montagnes comme pour en mieux dessiner les arêtes, font pressentir l'approche de la mauvaise saison. La vallée, en veine de coquetterie, devient chaque jour plus belle, comme pour se faire davantage regretter de ceux qui vont lui dire adieu.

Le Bâgh de Dilavar-Khân, où résida Jacquemont, est beaucoup plus proche de la ville et jouit d'une vue infiniment moins belle; toutefois je n'ai pas manqué de m'y rendre en pèlerinage. Le bois de la véranda est bien vermoulu et les chambres bien délabrées; mais il y a peu d'années que vivait encore un vieux gardien qui avait connu «Chakaman-Sâheb» et se rappelait comment «c'était un grand maigre, qui jetait les roupies à poignées». Il est vrai que, sur les ordres de Randjit-Singh, sa provision lui en était renouvelée chaque matin; ce n'est pas avec les 1 200 francs que lui avait octroyés le Muséum qu'il aurait pu faire des folies. Plus d'une fois, dit-il dans ses lettres, il vint chercher à ce Sheik-Safai-Bâgh, où nous demeurons, un peu de repos et peut-être réjouir ses yeux d'un plus beau paysage. Il n'y a pas de doute que nous ayons retrouvé cette maison à peu près telle qu'elle était en 1831; mais elle ne devait pas tarder à disparaître sous la pioche des démolisseurs. Un an fait plus aujourd'hui que jadis un siècle pour la transformation du Kachmir. Non seulement le joli baradéri n'existe plus, mais le bois d'amandiers a été découpé en petits lots, comme un de nos parcs de banlieue, et s'est rempli de cottages «à louer pour la saison»; car le râdja Amar-Singh passe pour être fort entendu en affaires et n'a pas jugé ce genre de spéculation indigne de lui. L'endroit, comme l'avait déjà remarqué Bernier, «s'est trouvé admirable pour cela, parce qu'il est en très bel air, en vue du lac, des îles et de la ville, et qu'il est plein de sources et de ruisseaux».

LE CANAL DE MAR À SRÎNAGAR.—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Situé sur les molles pentes qui descendent à la rive méridionale, Sheik-Safai-Bâgh était un excellent centre d'excursions pour les fameux jardins de plaisance mogols disséminés alentour. On sait comment ces parcs rappellent curieusement par leur ordonnance celui de Versailles, dont ils sont à peu près contemporains. Sur la rive occidentale, Nasim-Bâgh, le «jardin des brises», n'a plus ni terrasses, ni fontaines, mais son bois de platanes est dans toute sa splendeur. Sur le bord opposé, Nishat-Bâgh, le «jardin de la joie», adosse au rapide versant sa blanche villa à l'italienne, doublée par son reflet dans les eaux. Enfin, au fond de la vaste nappe, longue de plus d'une lieue, une vallée naturelle encadre la résidence royale de Shahlimar: au bout de longs bassins semés de jets d'eau et bordés de nobles avenues, la retraite d'amour de Jehan-Guir et de Nour-Mahal dresse encore, au haut de ses quatre terrasses étagées, au milieu des cascades et des fontaines, les piliers de marbre de ses pavillons. Il faut lire dans Bernier, pour une fois enthousiaste, la description de ces splendeurs aujourd'hui ternies ou éclipsées. On ne peut errer parmi leurs débris sans un mélancolique retour en arrière sur les figures évanouies, qui jadis s'y épanouirent en pleine joie de vivre, «feuilles de l'autre été, femmes de l'autre temps». Et l'on doit convenir que ces empereurs et ces sultanes avaient le sens de la vie et de la nature; il n'est sûrement pas au monde de lieux mieux choisis que ces maisons et jardins de plaisance, au bord du grand lac transparent, pour goûter, comme en suspens entre deux ciels, la beauté des choses de la terre. Prenez garde seulement de ne vous abandonner à cette contemplation qu'à l'automne ou au printemps, quand la saison des moustiques est déjà passée ou n'est pas encore venue. Ce serait un bonheur (p. 059) trop parfait et, l'été, les anges déserteraient le Paradis pour le Kachmir, s'il n'y fallait compter avec cette diabolique engeance.

LA MOSQUÉE DE SHAH HAMADAN À SRÎNAGAR (RIVE DROITE).—PHOTOGRAPHIE JADU KISSEN, À DELHI.

Que de sites et de monuments, plus intéressants les uns que les autres, il nous resterait encore à visiter! Si l'ascension ne vous effrayait pas, ce serait d'abord le temple en haut du Takht-i-Souleiman, dont la plate-forme commande une si belle vue sur les gracieux méandres de la rivière; ou bien, au contraire, un bateau nous mènerait paresseusement à la mosquée d'Hazarat-Bal, qui est censée posséder un poil de la barbe du Prophète; de grandes foires religieuses, où des préoccupations profanes et mercantiles se mêlent aux exercices de dévotion dans une indescriptible cohue, s'y tiennent périodiquement en son honneur. Non seulement c'est un rendez-vous général pour les marchands et les mendiants autant que pour les personnes pieuses, mais les «dames à la mode» de Srînagar ne manquent pas d'y venir parader dans leurs plus magnifiques atours. Vous conduirai-je encore, moitié par eau, moitié par terre, aux édifices brahmaniques ou musulmans de la ville, au temple doré du palais royal ou à la mosquée de Chah-Hamadan, reconnaissable à ses toits plats superposés, et à la tombe de Zaïn-oul-ab-Din que surmonte une coupole? Battrons-nous ensemble les faubourgs de la rive droite jusqu'à la Jamma-Masjid, dont le grand hall est supporté par des troncs de déodars hauts comme des mâts, et relèverons-nous, dans les porches ou sur les murs des ziarats voisines, les vieilles colonnes et les sculptures empruntées à d'anciens sanctuaires hindous? Nous contenterons-nous, au contraire, de suivre les divers canaux qui s'entrecroisent, comme des rues d'eau, à travers la ville, et notamment celui de Mar, parfois si mal odorant, mais toujours si pittoresque avec les lourds ponts de pierre qui le coupent et les hautes maisons qui le bordent? N'espérez pas, à Srînagar plus qu'ailleurs, échapper à cette sorte de loi fatale qui veut que, dans les villes anciennes, les coins les plus amusants pour les yeux soient souvent les plus déplaisants pour le nez; on sait assez que l'hygiène et le pittoresque ne logent pas à la même enseigne. Mais, en somme, ces excursions sont celles de tout le monde et de tous les jours, et l'on trouve là-dessus tous les renseignements nécessaires dans les guides.

Une expérience peut-être plus rare et plus digne d'être rapportée est la visite que j'eus l'occasion de faire à la maison d'un grand seigneur kachmiri. Nous étions encore partis, ce matin-là, en expédition; car quel autre nom donner à ces promenades en deux ou trois bateaux, où l'on traîne après soi, à la mode anglo-indienne, mobilier de salle à manger et vaisselle, provisions et domestiques, batterie de cuisine et cuisinier? Il était convenu que nous nous arrêterions pour déjeuner dans le jardin de ce palais, un des rares qui subsistent à Srînagar, et auquel on accède du côté du Djhilam par un large escalier de pierre. Notre repas fini, le propriétaire, fort correctement vêtu à l'européenne entre ses babouches et son turban, nous fit aimablement les honneurs de sa vaste demeure. Une porte monumentale, bâtie à la taille des éléphants et surmontée de pavillons destinés à loger les hôtes, donne accès, du côté de la rue, à une première cour; deux grands corps de bâtiments parallèles, séparés par une autre cour, et dont le plus intérieur est le zénana réservé aux femmes, constituent la résidence; nous ne visitons que le premier. Dans les chambres, au luxe asiatique des tapis, des divans et des coussins brodés, se mêlent malheureusement des canapés et des meubles du plus (p. 060) mauvais goût anglais; mais c'est une haute salle au plafond soutenu par deux rangs de colonnes sculptées, qui nous présente le ramassis le plus hétéroclite: des filets et des raquettes de tennis traînent sur des tapis de Perse à faire rêver tous les collectionneurs; des bidons de pétrole s'amoncellent à côté de braseros de bronze finement ciselés, et tandis que nous feuilletons des manuscrits persans, ornés d'admirables miniatures, sur les murs, dans des cadres dorés, les quatre saisons et les cinq parties du monde, horribles chromolithographies, nous contemplent.

Est-ce la peine de confesser que je profite de toutes ces courses pour «boutiquer», comme disaient mes amies anglaises, chez les marchands du bazar? J'ai eu la naïveté, en mai dernier, de leur commander les bibelots que je tenais à emporter; je me convainc, à présent, que c'était parfaitement inutile. Dans les principales échoppes il est aisé de se procurer tout ce que l'on veut au moment même du départ. Le style des artistes kachmiris commence, d'ailleurs, à être fâcheusement gâté par les modèles qu'on leur impose. Les formes massives de salières anglaises tendent, par exemple, à supplanter les motifs indigènes du kangri, de la kilta ou du lotus, et des tasses à l'européenne remplacent les jolis bols de Lhassa. Presque tous les objets d'argent deviennent ainsi d'un goût détestable. Le travail sur cuivre est resté plus original; mais il faut savoir y mettre le prix. Je n'ai pas vu une seule pièce émaillée qui fût parfaitement réussie, et ils ne connaissent que l'émail bleu, en deux tons. Ce qui a le mieux résisté jusqu'à présent à la contagion européenne, c'est la sculpture sur bois et la broderie, très habilement exécutées et à très bas prix. Quelques objets usuels, cadres, boîtes, écritoires, etc., fabriqués en papier mâché ou garnis de turquoises tibétaines, achèvent de former un assortiment assez complet de la production jadis artistique du Kachmir.

Que les beaux jours sont courts, assurent les romances; elles n'ont que trop raison! Il faut bien me résigner, par un laid matin de novembre, à donner l'ordre du départ. Dans le brouillard gris, nos doungas démarrent et se mettent à descendre au fil de l'eau, nous ramenant à Baramoula, porte de sortie comme d'entrée de la Vallée. Lentement,—j'ai défendu que l'on pagaye,—nous glissons sous les sept ponts de Srînagar, qui, en cette saison où la rivière est basse, semblent avoir doublé de hauteur. Temples, mosquées, palais, un à un tous les aspects familiers des quais défilent et demeurent en arrière; et quand enfin l'Hari-Parvat s'estompa, puis disparut au tournant du fleuve,—l'avouerai-je?—quelque chose comme une larme de regret me mouilla les yeux.

Mais alors, dira-t-on, à quoi bon le voyage et pourquoi se donner tant de fatigues pour ne recueillir au bout qu'une tristesse de plus? À cela je répondrai que c'est un goût comme un autre et peut-être plus défendable que celui de l'opium ou de l'alcool. Du moins, sa principale vertu n'est pas d'abréger la vie par l'oubli et l'abrutissement final, mais, au contraire, de l'allonger, en augmentant la somme de vos expériences. De cette saison passée au Kachmir, il me reste une impression à la fois très présente, comme d'hier, et très lointaine, comme celles qui, si l'on en croit les Hindous, vous reviennent parfois du temps de vos existences passées: je n'en demande pas plus. Il est convenu que les voyages forment la jeunesse; pourquoi n'ajoute-t-on pas qu'il n'est pas de meilleure manière de faire provision de souvenirs pour ses vieux jours? Après tout, mieux vaut porter gravée dans sa mémoire que sur son tombeau la fameuse inscription: «Et moi aussi, je fus en Arcadie.»

  Mme F. Michel.

SPÉCIMENS DE L'ART DU KACHMIR.—D'APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Droits de traduction et de reproduction réservés.

(p. i) TABLE DES GRAVURES ET CARTES

L'ÉTÉ AU KACHMIR
Par Mme F. MICHEL

En «rickshaw» sur la route du mont Abou. (D'après une photographie.) 1

L'éléphant du touriste à Djaïpour. 1

Petit sanctuaire latéral dans l'un des temples djaïns du mont Abou. (D'après une photographie.) 2

Pont de cordes sur le Djhilam, près de Garhi. (Dessin de Massias, d'après une photographie.) 3

Les «Karévas» ou plateaux alluviaux formés par les érosions du Djhilam. (D'après une photographie.) 4

«Ekkas» et «Tongas» sur la route du Kachmir: vue prise au relais de Rampour. (D'après une photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 5

Le vieux fort Sikh et les gorges du Djhilam à Ouri. (D'après une photographie.) 6

Shèr-Garhi ou la «Maison du Lion», palais du Maharadja à Srinagar. (Photographie Bourne et Sheperd, à Calcutta.) 7

L'entrée du Tchinar-Bagh, ou Bois des Platanes, au-dessus de Srinagar; au premier plan une «dounga», au fond le sommet du Takht-i-Souleiman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 7

Ruines du temple de Brankoutri. (D'après une photographie.) 8

Types de Pandis ou Brahmanes Kachmirs. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 9

Le quai de la Résidence; au fond, le sommet du Takht-i-Souleiman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 10

La porte du Kachmir et la sortie du Djhilam à Baramoula. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 11

Nos tentes à Lahore. (D'après une photographie.) 12

«Dounga» ou bateau de passagers au Kachmir. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 13

Vichnou porté par Garouda, idole vénérée près du temple de Vidja-Broer (hauteur 1m 40.) 13

Enfants de bateliers jouant à cache-cache dans le creux d'un vieux platane. (D'après une photographie.) 14

Batelières du Kachmir décortiquant du riz, près d'une rangée de peupliers. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 15

Campement près de Palhallan: tentes et doungas. (D'après une photographie.) 16

Troisième pont de Srinagar et mosquée de Shah Hamadan; au fond, le fort de Hari-Paryat. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 17

Le temple inondé de Pandrethan. (D'après une photographie.) 18

Femme musulmane du Kachmir. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 19

Pandit Narayan assis sur le seuil du temple de Narasthan. (D'après une photographie.) 20

Pont et bourg de Vidjabroer. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 21

Ziarat de Cheik Nasr-oud-Din, à Vidjabroer. (D'après une photographie.) 22

Le temple de Panyech: à gauche, un brahmane; à droite, un musulman. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 23

Temple hindou moderne à Vidjabroer. (D'après une photographie.) 24

Brahmanes en visite au Naga ou source sacrée de Valtongou. (D'après une photographie.) 25

Gargouille ancienne, de style hindou, dans le mur d'une mosquée, à Houtamourou, près de Bhavan. 25

Temple ruiné, à Khotair. (D'après une photographie.) 26

Naga ou source sacrée de Kothair. (D'après une photographie.) 27

Ver-Nag: le bungalow au-dessus de la source. (D'après une photographie.) 28

Temple rustique de Voutanar. (D'après une photographie.) 29

Autel du temple de Voutanar et accessoires du culte. (D'après une photographie.) 30

Noce musulmane, à Rozlou: les musiciens et le fiancé. (D'après une photographie.) 31

Sacrifice bhramanique, à Bhavan. (D'après une photographie.) 31

Intérieur de temple de Martand: le repos des coolies employés au déblaiement. (D'après une photographie.) 32

Ruines de Martand: façade postérieure et vue latérale du temple. (D'après des photographies.) 33

Place du campement sous les platanes, à Bhavan. (D'après une photographie.) 34

La Ziarat de Zaïn-oud-Din, à Eichmakam. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 35

Naga ou source sacrée de Brar, entre Bhavan et Eichmakar. (D'après une photographie.) 36

Maisons de bois, à Palgam. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 37

Palanquin et porteurs. 37

Ganech-Bal sur le Lidar: le village hindou et la roche miraculeuse. (D'après une photographie.) 38

Le massif du Kolahoi et la bifurcation de la vallée du Lidar au-dessus de Palgam, vue prise de Ganeth-Bal. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 39

Vallée d'Amarnath: vue prise de la grotte. (D'après une photographie.) 40

Pondjtarni et le camp des pèlerins: au fond, la passe du Mahagounas. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 41

Cascade sortant de dessous un pont de neige entre Tannin et Zodji-Pal. (D'après une photographie.) 42

Le Koh-i-Nour et les glaciers au-dessus du lac Çecra-Nag. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 43

Grotte d'Amarnath. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 43

Astan-Marg: la prairie et les bouleaux. (D'après une photographie.) 44

Campement de Goudjars à Astan-Marg. (D'après une photographie.) 45

Le bain des pèlerins à Amarnath. (D'après une photographie.) 46

Pèlerins d'Amarnath: le Sadhou de Patiala; par derrière, des brahmanes, et à droite, des musulmans du Kachmir. (D'après une photographie.) 47

Mosquée de village au Kachmir. (D'après une photographie.) 48

Brodeurs Kachmiris sur toile. (Photographie Bourne et Shepherd, à Calcutta.) 49

Mendiant musulman. (D'après une photographie.) 49

Le Brahma Sar et le camp des pèlerins au pied de l'Haramouk. (D'après une photographie.) 50

Lac Gangabal au pied du massif de l'Haramouk. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 51

(p. ii) Le Noun-Kol, au pied de l'Haramouk, et le bain des pèlerins. (D'après une photographie.) 52

Femmes musulmanes du Kachmir avec leurs «houkas» (pipes) et leur «hangri» (chaufferette). (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 53

Temples ruinés à Vangath. (D'après une photographie.) 54

«Mêla» ou foire religieuse à Hazarat-Bal. (En haut, photographie par l'auteur; en bas, photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 55

La villa de Cheik Safai-Bagh, au sud du lac de Srinagar. (D'après une photographie.) 56

Nishat-Bagh et le bord oriental du lac de Srinagar. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 57

Le canal de Mar à Sridagar. (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 58

La mosquée de Shah Hamadan à Srinagar (rive droite). (Photographie Jadu Kissen, à Delhi.) 59

Spécimens de l'art du Kachmir. (D'après une photographie.) 60

SOUVENIRS DE LA COTE D'IVOIRE
Par le docteur LAMY
Médecin-major des troupes coloniales.

La barre de Grand-Bassam nécessite un grand déploiement de force pour la mise à l'eau d'une pirogue. (D'après une photographie.) 61

Le féminisme à Adokoï: un médecin concurrent de l'auteur. (D'après une photographie.) 61

«Travail et Maternité» ou «Comment vivent les femmes de Petit-Alépé». (D'après une photographie.) 62

À Motéso: soins maternels. (D'après une photographie.) 63

Installation de notre campement dans une clairière débroussaillée. (D'après une photographie.) 64

Environs de Grand-Alépé: des hangars dans une palmeraie, et une douzaine de grands mortiers destinés à la préparation de l'huile de palme. (D'après une photographie.) 65

Dans le sentier étroit, montant, il faut marcher en file indienne. (D'après une photographie.) 66

Nous utilisons le fût renversé d'un arbre pour traverser la Mé. (D'après une photographie.) 67

La popote dans un admirable champ de bananiers. (D'après une photographie.) 68

Indigènes coupant un acajou. (D'après une photographie.) 69

La côte d'Ivoire. — Le pays Attié. 70

Ce fut un sauve-qui-peut général quand je braquai sur les indigènes mon appareil photographique. (Dessin de J. Lavée, d'après une photographie.) 71

La rue principale de Grand-Alépé. (D'après une photographie.) 72

Les Trois Graces de Mopé (pays Attié). (D'après une photographie.) 73

Femme du pays Attié portant son enfant en groupe. (D'après une photographie.) 73

Une clairière près de Mopé. (D'après une photographie.) 74

La garnison de Mopé se porte à notre rencontre. (D'après une photographie.) 75

Femme de Mopé fabriquant son savon à base d'huile de palme et de cendres de peaux de bananes. (D'après une photographie.) 76

Danse exécutée aux funérailles du prince héritier de Mopé. (D'après une photographie.) 77

Toilette et embaumement du défunt. (D'après une photographie.) 78

Jeune femme et jeune fille de Mopé. (D'après une photographie.) 79

Route, dans la forêt tropicale, de Malamalasso à Daboissué. (D'après une photographie.) 80

Benié Coamé, roi de Bettié et autres lieux, entouré de ses femmes et de ses hauts dignitaires. (D'après une photographie.) 81

Chute du Mala-Mala, affluent du Comoé, à Malamalasso. (D'après une photographie.) 82

La vallée du Comoé à Malamalasso. (D'après une photographie.) 83

Tam-tam de guerre à Mopé. (D'après une photographie.) 84

Piroguiers de la côte d'Ivoire pagayant. (D'après une photographie.) 85

Allou, le boy du docteur Lamy. (D'après une photographie.) 85

La forêt tropicale à la côte d'Ivoire. (D'après une photographie.) 86

Le débitage des arbres. (D'après une photographie.) 87

Les lianes sur la rive du Comoé. (D'après une photographie.) 88

Les occupations les plus fréquentes au village: discussions et farniente Attié. (D'après une photographie.) 89

Un incendie à Grand-Bassam. (D'après une photographie.) 90

La danse indigène est caractérisée par des poses et des gestes qui rappellent une pantomime. (D'après une photographie.) 91

Une inondation à Grand-Bassam. (D'après une photographie.) 92

Un campement sanitaire à Abidjean. (D'après une photographie.) 93

Une rue de Jackville, sur le golfe de Guinée. (D'après une photographie.) 94

Grand-Bassam: cases détruites après une épidémie de fièvre jaune. (D'après une photographie.) 95

Grand-Bassam: le boulevard Treich-Laplène. (D'après une photographie.) 96

L'ÎLE D'ELBE
Par M. PAUL GRUYER

L'île d'Elbe se découpe sur l'horizon, abrupte, montagneuse et violâtre. 97

Une jeune fille elboise, au regard énergique, à la peau d'une blancheur de lait et aux beaux cheveux noirs. 97

Les rues de Porto-Ferraio sont toutes un escalier (page 100). 98

Porto-Ferraio: à l'entrée du port, une vieille tour génoise, trapue, bizarre de forme, se mire dans les flots. 99

Porto-Ferraio: la porte de terre, par laquelle sortait Napoléon pour se rendre à sa maison de campagne de San Martino. 100

Porto-Ferraio: la porte de mer, où aborda Napoléon. 101

La «teste» de Napoléon (page 100). 102

Porto-Ferraio s'échelonne avec ses toits plats et ses façades scintillantes de clarté (page 99). 103

Porto-Ferraio: les remparts découpent sur le ciel d'un bleu sombre leur profil anguleux (page 99). 103

La façade extérieure du «Palais» des Mulini où habitait Napoléon à Porto-Ferraio (page 101). 104

Le jardin impérial et la terrasse de la maison des Mulini (page 102). 105

La Via Napoleone, qui monte au «Palais» des Mulini. 106

La salle du conseil à Porto-Ferraio, avec le portrait de la dernière grande-duchesse de Toscane et celui de Napoléon, d'après le tableau de Gérard. 107

La grande salle des Mulini aujourd'hui abandonnée, avec ses volets clos et les peintures décoratives qu'y fit faire l'empereur (page 101). 107

Une paysanne elboise avec son vaste chapeau qui la protège du soleil. 108

Les mille mètres du Monte Capanna et de son voisin, le Monte Giove, dévalent dans les flots de toute leur hauteur. 109

Un enfant elbois. 109

Marciana Alta et ses ruelles étroites. 110

Marciana Marina avec ses maisons rangées autour du rivage et ses embarcations tirées sur la grève. 111

Les châtaigniers dans le brouillard, sur le faite du Monte Giove. 112

... Et voici au-dessus de moi Marciana Alta surgir des nuées (page 111). 113

La «Seda di Napoleone» sur le Monte Giove où l'empereur s'asseyait pour découvrir la Corse. 114

La blanche chapelle de Monserrat au centre d'un amphithéâtre de rochers est entourée de sveltes cyprès (page 117). 115

Voici Rio Montagne dont les maisons régulières et cubiques ont l'air de dominos empilés... (page 118). 115

(p. iii) J'aperçois Poggio, un autre village perdu aussi dans les nuées. 116

Une des trois chambres de l'ermitage. 117

L'ermitage du Marciana où l'empereur reçut la visite de la comtesse Walewska, le 3 Septembre 1814. 117

Le petit port de Porto-Longone dominé par la vieille citadelle espagnole (page 117). 118

La maison de Madame Mère à Marciana Alta. — «Bastia, signor!» — La chapelle de la Madone sur le Monte Giove. 119

Le coucher du soleil sur le Monte Giove. 120

Porto-Ferraio et son golfe vus des jardins de San Martino. 121

L'arrivée de Napoléon à l'île d'Elbe. (D'après une caricature du temps.) 121

Le drapeau de Napoléon roi de l'île d'Elbe: fond blanc, bande orangé-rouge et trois abeilles jadis dorées. 122

La salle de bains de San Martino a conservé sa baignoire de pierre. 123

La chambre de Napoléon à San Martino. 123

La cour de Napoléon à l'île d'Elbe. (D'après une caricature du temps.) 124

Une femme du village de Marciana Alta. 125

Le plafond de San Martino et les deux colombes symboliques représentant Napoléon et Marie-Louise. 126

San Martino rappelle par son aspect une de ces maisonnettes à la Jean-Jacques Rousseau, agrestes et paisibles (page 123). 126

Rideau du théâtre de Porto-Ferraio représentant Napoléon sous la figure d'Apollon gardant ses troupeaux chez Admète. 127

La salle égyptienne de San Martino est demeurée intacte avec ses peintures murales et son bassin à sec. 127

Broderies de soie du couvre-lit et du baldaquin du lit de Napoléon aux Mulini, dont on a fait le trône épiscopal de l'évêque d'Ajaccio. 128

La signorina Squarci dans la robe de satin blanc que son aïeule portait à la cour des Mulini. 129

Éventail de Pauline Borghèse, en ivoire sculpté, envoyé en souvenir d'elle à la signora Traditi, femme du maire de Porto-Ferraio. 130

Le lit de Madame Mère, qu'elle s'était fait envoyer de Paris à l'île d'Elbe. 130

Le vieil aveugle Soldani, fils d'un soldat de Waterloo, chauffait, à un petit brasero de terre jaune, ses mains osseuses. 131

L'entrée du goulet de Porto-Ferraio par où sortit la flottille impériale, le 26 février 1815. 132

D'ALEXANDRETTE AU COUDE DE L'EUPHRATE
Par M. VICTOR CHAPOT
membre de l'École française d'Athènes.

Dans une sorte de cirque se dressent les pans de muraille du Ksar-el-Benat (page 142). (D'après une photographie.) 133

Le canal de Séleucie est, par endroits, un tunnel (page 140). 133

Vers le coude de l'Euphrate: la pensée de relever les traces de vie antique a dicté l'itinéraire. 134

L'Antioche moderne: de l'ancienne Antioche il ne reste que l'enceinte, aux flancs du Silpios (page 137). 135

Les rues d'Antioche sont étroites et tortueuses; parfois, au milieu, se creuse en fossé. (D'après une photographie.) 136

Le tout-Antioche inonde les promenades. (D'après une photographie.) 137

Les crêtes des collines sont couronnées de chapelles ruinées (page 142). 138

Alep est une ville militaire. (D'après une photographie.) 139

La citadelle d'Alep se détache des quartiers qui l'avoisinent (page 143). (D'après une photographie.) 139

Les parois du canal de Séleucie s'élèvent jusqu'à 40 mètres. (D'après une photographie.) 140

Les tombeaux de Séleucie s'étageaient sur le Kasios. (D'après une photographie.) 141

À Alep une seule mosquée peut presque passer pour une œuvre d'art. (D'après une photographie.) 142

Tout alentour d'Alep la campagne est déserte. (D'après une photographie.) 143

Le Kasr-el-Benat, ancien couvent fortifié. 144

Balkis éveille, de loin et de haut, l'idée d'une taupinière (page 147). (D'après une photographie.) 145

Stèle Hittite. L'artiste n'a exécuté qu'un premier ravalement (page 148). 145

Église arménienne de Nisib; le plan en est masqué au dehors. (D'après une photographie.) 146

Tell-Erfat est peuplé d'Yazides; on le reconnaît à la forme des habitations. (D'après une photographie.) 147

La rive droite de l'Euphrate était couverte de stations romaines et byzantines. (D'après une photographie.) 148

Biredjik vu de la citadelle: la plaine s'allonge indéfiniment (page 148). (D'après une photographie.) 149

Sérésat: village mixte d'Yazides et de Bédouins (page 146). (D'après une photographie.) 150

Les Tcherkesses diffèrent des autres musulmans; sur leur personne, pas de haillons (page 152). (D'après une photographie.) 151

Ras-el-Aïn. Deux jours se passent, mélancoliques, en négociations (page 155). (D'après une photographie.) 152

J'ai laissé ma tente hors les murs devant Orfa. (D'après une photographie.) 153

Environs d'Orfa: les vignes, basses, courent sur le sol. (D'après une photographie.) 154

Vue générale d'Orfa. (D'après une photographie.) 155

Porte arabe à Rakka (page 152). (D'après une photographie.) 156

Passage de l'Euphrate: les chevaux apeurés sont portés dans le bac à force de bras (page 159). (D'après une photographie.) 157

Bédouin. (D'après une photographie.) 157

Citadelle d'Orfa: deux puissantes colonnes sont restées debout. (D'après une photographie.) 158

Orfa: mosquée Ibrahim-Djami; les promeneurs flânent dans la cour et devant la piscine (page 157). (D'après une photographie.) 159

Pont byzantin et arabe (page 159). (D'après une photographie.) 160

Mausolée d'Alif, orné d'une frise de têtes sculptées (page 160). (D'après une photographie.) 161

Mausolée de Théodoret, selon la légende, près de Cyrrhus. (D'après une photographie.) 162

Kara-Moughara: au sommet se voit une grotte taillée (page 165). (D'après une photographie.) 163

L'Euphrate en amont de Roum-Kaleh; sur la falaise campait un petit corps de légionnaires romains (page 160). (D'après une photographie.) 163

Trappe de Checkhlé: un grand édifice en pierres a remplacé les premières habitations (page 166). 164

Trappe de Checkhlé: la chapelle (page 166). (D'après une photographie.) 165

Père Maronite (page 168). (D'après une photographie.) 166

Acbès est situé au fond d'un grand cirque montagneux (page 166). (D'après une photographie.) 167

Trappe de Checkhlé: premières habitations des trappistes (page 166). (D'après une photographie.) 168

LA FRANCE AUX NOUVELLES-HÉBRIDES
Par M. RAYMOND BEL

Indigènes hébridais de l'île de Spiritu-Santo. (D'après une photographie.) 169

Le petit personnel d'un colon de Malli-Colo. (D'après une photographie.) 169

Le quai de Franceville ou Port-Vila, dans l'île Vaté. (D'après une photographie.) 170

Une case de l'île de Spiritu-Santo et ses habitants. (D'après une photographie.) 171

Le port de Franceville ou Port-Vila, dans l'île Vaté, présente une rade magnifique. (D'après une photographie.) 172

(p. iv) C'est à Port-Vila ou Franceville, dans l'île Vaté, que la France a un résident. (D'après une photographie.) 173

Dieux indigènes ou Tabous. (D'après une photographie.) 174

Les indigènes hébridais de l'île Mallicolo ont un costume et une physionomie moins sauvages que ceux de l'île Pentecôte. (D'après des photographies.) 175

Pirogues de l'île Vao. (D'après une photographie.) 176

Indigènes employés au service d'un bateau. (D'après une photographie.) 177

Un sous-bois dans l'île de Spiritu-Santo. (D'après une photographie.) 178

Un banquet de Français à Port-Vila (Franceville). (D'après une photographie.) 179

La colonie française de Port-Vila (Franceville). (D'après une photographie.) 179

La rivière de Luganville. (D'après une photographie.) 180

LA RUSSIE, RACE COLONISATRICE
Par M. ALBERT THOMAS

Les enfants russes, aux grosses joues pales, devant l'isba (page 182). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 181

La reine des cloches «Tsar Kolokol» (page 180). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 181

Les chariots de transport que l'on rencontre en longues files dans les rues de Moscou (page 183). 182

Les paysannes en pèlerinage arrivées enfin à Moscou, la cité sainte (page 182). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 183

Une chapelle où les passants entrent adorer les icônes (page 183). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 184

La porte du Sauveur que nul ne peut franchir sans se découvrir (page 185). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 185

Une porte du Kreml (page 185). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 186

Les moines du couvent de Saint-Serge, un des couvents qui entourent la cité sainte (page 185). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 187

Deux villes dans le Kreml: celle du xve siècle, celle d'Ivan, et la ville moderne, que symbolise ici le petit palais (page 190). 188

Le mur d'enceinte du Kreml, avec ses créneaux, ses tours aux toits aigus (page 183). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 189

Tout près de l'Assomption, les deux églises-sœurs se dressent: les Saints-Archanges et l'Annonciation (page 186). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 189

À l'extrémité de la place Rouge, Saint-Basile dresse le fouillis de ses clochers (page 184). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 190

Du haut de l'Ivan Véliki, la ville immense se découvre (page 190). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 191

Un des isvotchiks qui nous mènent grand train à travers les rues de Moscou (page 182). 192

Il fait bon errer parmi la foule pittoresque des marchés moscovites, entre les petits marchands, artisans ou paysans qui apportent là leurs produits (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 193

L'isvotchik a revêtu son long manteau bleu (page 194). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 193

Itinéraire de Moscou à Tomsk. 194

À côté d'une épicerie, une des petites boutiques où l'on vend le kvass, le cidre russe (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 195

Et des Tatars offraient des étoffes étalées sur leurs bras (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 196

Patients, résignés, les cochers attendent sous le soleil de midi (page 194). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 197

Une cour du quartier ouvrier, avec l'icône protectrice (page 196). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 198

Sur le flanc de la colline de Nijni, au pied de la route qui relie la vieille ville à la nouvelle, la citadelle au marché (page 204). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 199

Le marché étincelait dans son fouillis (page 195). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 200

Déjà la grande industrie pénètre: on rencontre à Moscou des ouvriers modernes (page 195). (D'après une photographie.) 201

Sur l'Oka, un large pont de bois barrait les eaux (page 204). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 202

Dans le quartier ouvrier, les familles s'entassent, à tous les étages, autour de grandes cours (page 196). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 203

Le char funèbre était blanc et doré (page 194). (D'après une photographie.) 204

À Nijni, toutes les races se rencontrent, Grands-Russiens, Tatars, Tcherkesses (page 208). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 205

Une femme tatare de Kazan dans l'enveloppement de son grand châle (page 214). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 205

Nous avons traversé le grand pont qui mène à la foire (page 205). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 206

Au dehors, la vie de chaque jour s'étalait, pêle-mêle, à l'orientale (page 207). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 207

Les galeries couvertes, devant les boutiques de Nijni (page 206). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 208

Dans les rues, les petits marchands étaient innombrables (page 207). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 209

Dans une rue, c'étaient des coffres de toutes dimensions, peints de couleurs vives (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 210

Près de l'asile, nous sommes allés au marché aux cloches (page 208). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 211

Plus loin, sous un abri, des balances gigantesques étaient pendues (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 211

Dans une autre rue, les charrons avaient accumulé leurs roues (page 206). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 212

Paysannes russes, de celles qu'on rencontre aux petits marchés des débarcadères ou des stations (page 215). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 213

Le Kreml de Kazan. C'est là que sont les églises et les administrations (page 214). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 214

Sur la berge, des tarantass étaient rangées (page 216). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 215

Partout sur la Volga d'immenses paquebots et des remorqueurs (page 213). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 216

À presque toutes les gares il se forme spontanément un petit marché (page 222). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 217

Dans la plaine (page 221). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 217

Un petit fumoir, vitré de tous côtés, termine le train (page 218). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 218

Les émigrants étaient là, pêle-mêle, parmi leurs misérables bagages (page 226). (D'après une photographie de M. J. Cahen.) 219

Les petits garçons du wagon-restaurant s'approvisionnent (page 218). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 220

Émigrants prenant leur maigre repas pendant l'arrêt de leur train (page 228). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine) 221

L'ameublement du wagon-restaurant était simple, avec un bel air d'aisance (page 218). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine) 222

Les gendarmes qui assurent la police des gares du Transsibérien. (Photographie de M. Thiébeaux.) 223

L'église, près de la gare de Tchéliabinsk, ne diffère des isbas neuves que par son clocheton (page 225). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 224

Un train de constructeurs était remisé là, avec son wagon-chapelle (page 225). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 225

Vue De Stretensk: la gare est sur la rive gauche, la ville sur la rive droite. (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 226

(p. v) Un point d'émigration (page 228). (Photographie de M. A. N. de Koulomzine.) 227

Enfants d'émigrants (page 228). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 228

Un petit marché dans une gare du Transsibérien. (Photographie de M. Legras.) 229

La cloche luisait, immobile, sous un petit toit isolé (page 230). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 229

Nous sommes passés près d'une église à clochetons verts (page 230). (Photographie de M. Thiébeaux.) 230

Tomsk a groupé dans la vallée ses maisons grises et ses toits verts (page 230). (Photographie de M. Brocherel.) 231

Après la débâcle de la Tome, près de Tomsk (page 230). (D'après une photographie de M. Legras.) 232

Le chef de police demande quelques explications sur les passeports (page 232). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 233

La cathédrale de la Trinité à Tomsk (page 238). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 234

Tomsk: en revenant de l'église (page 234). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 235

Tomsk n'était encore qu'un campement, sur la route de l'émigration (page 231). (D'après une photographie.) 236

Une rue de Tomsk, définie seulement par les maisons qui la bordent (page 231). (Photographie de M. Brocherel.) 237

Les cliniques de l'Université de Tomsk (page 238). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 238

Les longs bâtiments blancs où s'abrite l'Université (page 237). (Photographie extraite du «Guide du Transsibérien».) 239

La voiture de l'icône stationnait parfois (page 230). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 240

Flâneurs à la gare de Petropavlosk (page 242). (D'après une photographie de M. Legras.) 241

Dans les vallées de l'Oural, habitent encore des Bachkirs (page 245). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 241

Un taillis de bouleaux entourait une petite mare. (D'après une photographie.) 242

Les rivières roulaient une eau claire (page 244). (D'après une photographie.) 243

La ligne suit la vallée des rivières (page 243). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 244

Comme toute l'activité commerciale semble frêle en face des eaux puissantes de la Volga! (page 248.) (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 245

Bachkirs sculpteurs. (D'après une photographie de M. Paul Labbé.) 246

À la gare de Tchéliabinsk, toujours des émigrants (page 242). (D'après une photographie de M. J. Legras.) 247

Une bonne d'enfants, avec son costume traditionnel (page 251). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 248

Joie naïve de vivre, et mélancolie. — un petit marché du sud (page 250). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 249

Un russe dans son vêtement d'hiver (page 249). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 250

Dans tous les villages russes, une activité humble, pauvre de moyens. — Marchands de poteries (page 248). (D'après une photographie de M. G. Cahen.) 251

Là, au passage, un Kirghize sur son petit cheval (page 242). (D'après une photographie de M. Thiébeaux.) 252

LUGANO, LA VILLE DES FRESQUES
Par M. GERSPACH

Lugano: les quais offrent aux touristes une merveilleuse promenade. (Photographie Alinari.) 253

Porte de la cathédrale Saint-Laurent de Lugano (page 256). (Photographie Alinari.) 253

Le lac de Lugano dont les deux bras enserrent le promontoire de San Salvatore. (D'après une photographie.) 254

La ville de Lugano descend en amphithéâtre jusqu'aux rives de son lac. (Photographie Alinari.) 255

Lugano: faubourg de Castagnola. (D'après une photographie.) 256

La cathédrale de Saint-Laurent: sa façade est décorée de figures de prophètes et de médaillons d'apôtres (page 256). (Photographie Alinari.) 257

Saint-Roch: détail de la fresque de Luini à Sainte-Marie-des-Anges (Photographie Alinari.) 258

La passion: fresque de Luini à l'église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). (Photographie Alinari) 259

Saint Sébastien: détail de la grande fresque de Luini à Sainte-Marie-des-Anges. (Photographie Alinari.) 260

La madone, l'enfant Jésus et Saint Jean, par Luini, église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). (Photographie Alinari.) 261

La Scène: fresque de Luini à l'église Sainte-Marie-des-Anges (page 260). 262

Lugano: le quai et le faubourg Paradiso. (Photographie Alinari.) 263

lac de Lugano: viaduc du chemin de fer du Saint-Gothard. (D'après une photographie.) 264

SHANGHAÏ, LA MÉTROPOLE CHINOISE
Par M. ÉMILE DESCHAMPS

Les quais sont animés par la population grouillante des Chinois (page 266). (D'après une photographie.) 265

Acteurs du théâtre chinois. (D'après une photographie.) 265

Plan de Shanghaï. 266

Shanghaï est sillonnée de canaux qui, à marée basse, montrent une boue noire et mal odorante. (Photographie de Mlle Hélène de Harven.) 267

Panorama de Shanghaï. (D'après une photographie.) 268

Dans la ville chinoise, les «camelots» sont nombreux, qui débitent en plein vent des marchandises ou des légendes extraordinaires. (D'après une photographie.) 269

Le poste de l'Ouest, un des quatre postes où s'abrite la milice de la Concession française (page 272). (D'après une photographie.) 270

La population ordinaire qui grouille dans les rues de la ville chinoise de Shanghaï (page 268). 271

Les coolies conducteurs de brouettes attendent nonchalamment l'arrivée du client (page 266). (Photographies de Mlle H. de Harven.) 271

Une maison de thé dans la cité chinoise. (D'après une photographie.) 272

Les brouettes, qui transportent marchandises ou indigènes, ne peuvent circuler que dans les larges avenues des concessions (page 270). (D'après une photographie.) 273

La prison de Shanghaï se présente sous l'aspect d'une grande cage, à forts barreaux de fer. (D'après une photographie.) 274

Le parvis des temples dans la cité est toujours un lieu de réunion très fréquenté. (D'après une photographie.) 275

Les murs de la cité chinoise, du côté de la Concession française. (D'après une photographie.) 276

La navigation des sampans sur le Ouang-Pô. (D'après une photographie.) 277

Aiguille de la pagode de Long-Hoa. (D'après une photographie.) 277

Rickshaws et brouettes sillonnent les ponts du Yang King-Pang. (D'après une photographie.) 278

Dans Broadway, les boutiques alternent avec des magasins de belle apparence (page 282). 279

Les jeunes Chinois flânent au soleil dans leur Cité. (Photographies de Mlle H. de Harven.) 279

Sur les quais du Yang-King-Pang s'élèvent des bâtiments, banques ou clubs, qui n'ont rien de chinois. (D'après une photographie.) 280

Le quai de la Concession française présente, à toute heure du jour, la plus grande animation. (D'après une photographie.) 281

Hong-Hoa: pavillon qui surmonte l'entrée de la pagode. (D'après une photographie.) 282

«L'omnibus du pauvre» (wheel-barrow ou brouette) fait du deux à l'heure et coûte quelques centimes seulement. (D'après une photographie.) 283

Une station de brouettes sur le Yang-King-Pang. (D'après une photographie.) 284

Les barques s'entre-croisent et se choquent devant le quai chinois de Tou-Ka-Dou. (D'après une photographie.) 285

(p. vi) Chinoises de Shanghaï. (D'après une photographie.) 286

Village chinois aux environs de Shanghaï. (D'après une photographie.) 287

Le charnier des enfants trouvés (page 280). (D'après une photographie.) 288

L'ÉDUCATION DES NÈGRES AUX ÉTATS-UNIS
Par M. BARGY

L'école maternelle de Hampton accueille et occupe les négrillons des deux sexes. (D'après une photographie.) 289

Institut Hampton: cours de travail manuel. (D'après une photographie.) 289

Booker T. Washington, le leader de l'éducation des nègres aux États-Unis, fondateur de l'école de Tuskegee, en costume universitaire. (D'après une photographie.) 290

Institut Hampton: le cours de maçonnerie. (D'après une photographie.) 291

Institut Hampton: le cours de laiterie. (D'après une photographie.) 292

Institut Hampton: le cours d'électricité. (D'après une photographie.) 293

Institut Hampton: le cours de menuiserie. (D'après une photographie.) 294

Le salut au drapeau exécuté par les négrillons de l'Institut Hampton. (D'après une photographie.) 295

Institut Hampton: le cours de chimie. (D'après une photographie.) 296

Le basket ball dans les jardins de l'Institut Hampton. (D'après une photographie.) 297

Institut Hampton: le cours de cosmographie. (D'après une photographie.) 298

Institut Hampton: le cours de botanique. (D'après une photographie.) 299

Institut Hampton: le cours de mécanique. (D'après une photographie.) 300

À TRAVERS LA PERSE ORIENTALE
Par le Major PERCY MOLESWORTH SYKES
Consul général de S. M. Britannique au Khorassan.

Une foule curieuse nous attendait sur les places de Mechhed. (D'après une photographie.) 301

Un poney persan et sa charge ordinaire. (D'après une photographie.) 301

Le plateau de l'Iran. Carte pour suivre le voyage de l'auteur, d'Astrabad à Kirman. 302

Les femmes persanes s'enveloppent la tête et le corps d'amples étoffes. (D'après une photographie.) 303

Paysage du Khorassan: un sol rocailleux et ravagé, une rivière presque à sec; au fond, des constructions à l'aspect de fortins. (D'après une photographie.) 304

Le sanctuaire de Mechhed est parmi les plus riches et les plus visités de l'Asie. (D'après une photographie.) 305

La cour principale du sanctuaire de Mechhed. (D'après une photographie.) 306

Enfants nomades de la Perse orientale. (D'après une photographie.) 307

Jeunes filles kurdes des bords de la mer Caspienne. (D'après une photographie.) 308

Les préparatifs d'un campement dans le désert de Lout. (D'après une photographie.) 309

Le désert de Lout n'est surpassé, en aridité, par aucun autre de l'Asie. (D'après une photographie.) 310

Avant d'arriver à Kirman, nous avions à traverser la chaîne de Kouhpaia. (D'après une photographie.) 311

Rien n'égale la désolation du désert de Lout. (D'après une photographie.) 312

La communauté Zoroastrienne de Kirman vint, en chemin, nous souhaiter la bienvenue. (D'après une photographie.) 313

Un marchand de Kirman. (D'après une photographie.) 313

Le «dôme de Djabalia», ruine des environs de Kirman, ancien sanctuaire ou ancien tombeau. (D'après une photographie.) 314

À Kirman: le jardin qui est loué par le Consulat, se trouve à un mille au delà des remparts. (D'après une photographie.) 315

Une avenue dans la partie ouest de Kirman. (D'après une photographie.) 316

Les gardes indigènes du Consulat anglais de Kirman. (D'après une photographie.) 317

La plus ancienne mosquée de Kirman est celle dite Masdjid-i-Malik. (D'après une photographie.) 318

Membres des cheikhis, secte qui en compte 7 000 dans la province de Kirman. (D'après une photographie.) 319

La Masdjid Djami, construite en 1349, une des quatre-vingt-dix mosquées de Kirman. (D'après une photographie.) 320

Dans la partie ouest de Kirman se trouve le Bagh-i-Zirisf, terrain de plaisance occupé par des jardins. (D'après une photographie.) 321

Les environs de Kirman comptent quelques maisons de thé. (D'après une photographie.) 322

Une «tour de la mort», où les Zoroastriens exposent les cadavres. (D'après une photographie.) 323

Le fort dit Kala-i-Dukhtar ou fort de la Vierge, aux portes de Kirman. (D'après une photographie.) 324

Le «Farma Farma». (D'après une photographie.) 325

Indigènes du bourg d'Aptar, Baloutchistan. (D'après une photographie.) 325

Carte du Makran. 326

Baloutches de Pip, village de deux cents maisons groupées autour d'un fort. (D'après une photographie.) 327

Des forts abandonnés rappellent l'ancienne puissance du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 328

Chameliers brahmanes du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 329

La passe de Fanoch, faisant communiquer la vallée du même nom et la vallée de Lachar. (D'après une photographie.) 330

Musiciens ambulants du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 331

Une halte dans les montagnes du Makran. (D'après une photographie.) 332

Baloutches du district de Sarhad. (D'après une photographie.) 333

Un fortin sur les frontières du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 334

Dans les montagnes du Makran: À des collines d'argile succèdent de rugueuses chaînes calcaires. (D'après une photographie.) 335

Bureau du télégraphe sur la côte du Makran. (D'après une photographie.) 336

L'oasis de Djalsk, qui s'étend sur 10 kilomètres carrés, est remplie de palmiers-dattiers, et compte huit villages. (D'après une photographie.) 337

Femme Parsi du Baloutchistan. (D'après une photographie.) 337

Carte pour suivre les délimitations de la frontière perso-baloutche. 338

Nous campâmes à Fahradj, sur la route de Kouak, dans une palmeraie. (D'après une photographie.) 339

C'est à Kouak que les commissaires anglais et persans s'étaient donné rendez-vous. (D'après une photographie.) 340

Le sanctuaire de Mahoun, notre première étape sur la route de Kouak. (D'après une photographie.) 341

Cour intérieure du sanctuaire de Mahoun. (D'après une photographie.) 342

Le khan de Kélat et sa cour. (D'après une photographie.) 343

Jardins du sanctuaire de Mahoun. (D'après une photographie.) 344

Dans la vallée de Kalagan, près de l'oasis de Djalsk. (D'après une photographie.) 345

Oasis de Djalsk: Des édifices en briques abritent les tombes d'une race de chefs disparue. (D'après une photographie.) 346

Indigènes de l'oasis de Pandjgour, à l'est de Kouak. (D'après une photographie.) 347

Camp de la commission de délimitation sur la frontière perso-baloutche. (D'après une photographie.) 348

Campement de la commission des frontières perso-baloutches. (D'après une photographie.) 349

Parsi de Yezd. (D'après une photographie.) 349

Une séance d'arpentage dans le Seistan. (D'après une photographie.) 350

(p. vii) Les commissaires persans de la délimitation des frontières perso-baloutches. (D'après une photographie.) 351

Le delta du Helmand. 352

Sculptures sassanides de Persépolis. (D'après une photographie.) 352

Un gouverneur persan et son état-major. (D'après une photographie.) 353

La passe de Buzi. (D'après une photographie.) 354

Le Gypsies du sud-est persan. 355

Sur la lagune du Helmand. (D'après une photographie.) 356

Couple baloutche. (D'après une photographie.) 357

Vue de Yezd, par où nous passâmes pour rentrer à Kirman. (D'après une photographie.) 358

La colonne de Nadir s'élève comme un phare dans le désert. (D'après une photographie.) 359

Mosquée de Yezd. (D'après une photographie.) 360

AUX RUINES D'ANGKOR
Par M. le Vicomte De MIRAMON-FARGUES

Entre le sanctuaire et la seconde enceinte qui abrite sous ses voûtes un peuple de divinités de pierre.... (D'après une photographie.) 361

Emblème décoratif (art khmer). (D'après une photographie.) 361

Porte d'entrée de la cité royale d'Angkor-Tom, dans la forêt. (D'après une photographie.) 362

Ce grand village, c'est Siem-Réap, capitale de la province. (D'après une photographie) 363

Une chaussée de pierre s'avance au milieu des étangs. (D'après une photographie.) 364

Par des escaliers invraisemblablement raides, on gravit la montagne sacrée. (D'après une photographie.) 365

Colonnades et galeries couvertes de bas-reliefs. (D'après une photographie.) 366

La plus grande des deux enceintes mesure 2 kilomètres de tour; c'est un long cloître. (D'après une photographie.) 367

Trois dômes hérissent superbement la masse formidable du temple d'Angkor-Wat. (D'après une photographie.) 367

Bas-relief du temple d'Angkor. (D'après une photographie.) 368

La forêt a envahi le second étage d'un palais khmer. (D'après une photographie.) 369

Le gouverneur réquisitionne pour nous des charrettes à bœufs. (D'après une photographie.) 370

La jonque du deuxième roi, qui a, l'an dernier, succédé à Norodom. (D'après une photographie.) 371

Le palais du roi, à Oudong-la-Superbe. (D'après une photographie.) 371

Sculptures de l'art khmer. (D'après une photographie.) 372

EN ROUMANIE
Par M. Th. HEBBELYNCK

La petite ville de Petrozeny n'est guère originale; elle a, de plus, un aspect malpropre. (D'après une photographie.) 373

Paysan des environs de Petrozeny et son fils. (D'après une photographie.) 373

Carte de Roumanie pour suivre l'itinéraire de l'auteur. 374

Vendeuses au marché de Targu-Jiul. (D'après une photographie.) 375

La nouvelle route de Valachie traverse les Carpathes et aboutit à Targu-Jiul. (D'après une photographie.) 376

C'est aux environs d'Arad que pour la première fois nous voyons des buffles domestiques. (D'après une photographie.) 377

Montagnard roumain endimanché. (Cliché Anerlich.) 378

Derrière une haie de bois blanc s'élève l'habitation modeste. (D'après une photographie.) 379

Nous croisons des paysans roumains. (D'après une photographie.) 379

Costume national de gala, roumain. (Cliché Cavallar.) 380

Dans les vicissitudes de leur triste existence, les tziganes ont conservé leur type et leurs mœurs. (Photographie Anerlich.) 381

Un rencontre près de Padavag d'immenses troupeaux de bœufs. (D'après une photographie.) 382

Les femmes de Targu-Jiul ont des traits rudes et sévères, sous le linge blanc. (D'après une photographie.) 383

En Roumanie, on ne voyage qu'en victoria. (D'après une photographie.) 384

Dans la vallée de l'Olt, les «castrinza» des femmes sont décorées de paillettes multicolores. 385

Dans le village de Slanic. (D'après une photographie.) 385

Roumaine du défilé de la Tour-Rouge. (D'après une photographie.) 386

La petite ville d'Horezu est charmante et animée. (D'après une photographie.) 387

La perle de Curtea, c'est cette superbe église blanche, scintillante sous ses coupoles dorées. (D'après une photographie.) 388

Une ferme près du monastère de Bistritza. (D'après une photographie.) 389

Entrée de l'église de Curtea. (D'après une photographie.) 390

Les religieuses du monastère d'Horezu portent le même costume que les moines. (D'après une photographie.) 391

Devant l'entrée de l'église se dresse le baptistère de Curtea. (D'après une photographie.) 392

Au marché de Campolung. (D'après une photographie.) 393

L'excursion du défilé de Dimboviciora est le complément obligé d'un séjour à Campolung. (D'après une photographie.) 394

Dans le défilé de Dimboviciora. (D'après des photographies.) 395

Dans les jardins du monastère de Curtea. 396

Sinaïa: le château royal, Castel Pelés, sur la montagne du même nom. (D'après une photographie.) 397

Un enfant des Carpathes. (D'après une photographie.) 397

Une fabrique de ciment groupe autour d'elle le village de Campina. (D'après une photographie.) 398

Vue intérieure des mines de sel de Slanic. (D'après une photographie.) 399

Entre Campina et Sinaïa la route de voiture est des plus poétiques. (D'après une photographie.) 400

Un coin de Campina. (D'après une photographie.) 401

Les villas de Sinaïa. (D'après une photographie.) 402

Vues de Bucarest: le boulevard Coltei. — L'église du Spiritou Nou. — Les constructions nouvelles du boulevard Coltei. — L'église métropolitaine. — L'Université. — Le palais Stourdza. — Un vieux couvent. — (D'après des photographies.) 403

Le monastère de Sinaïa se dresse derrière les villas et les hôtels de la ville. (D'après une photographie.) 404

Une des deux cours intérieures du monastère de Sinaïa. (D'après une photographie.) 405

Une demeure princière de Sinaïa. (D'après une photographie.) 406

Busteni (les villas, l'église), but d'excursion pour les habitants de Sinaïa. (D'après une photographie.) 407

Slanic: un wagon de sel. (D'après une photographie.) 408

CROQUIS HOLLANDAIS
Par M. Lud. GEORGES HAMÖN
Photographies de l'auteur.

À la kermesse. 409

Ces anciens, pour la plupart, ont une maigreur de bon aloi. 409

Des «boerin» bien prises en leurs justins marchent en roulant, un joug sur les épaules. 410

Par intervalles une femme sort avec des seaux; elle lave sa demeure de haut en bas. 410

Emplettes familiales. 411

Les ménagères sont là, également calmes, lentes, avec leurs grosses jupes. 411

Jeune métayère de Middelburg. 412

Middelburg: le faubourg qui prend le chemin du marché conduit à un pont. 412

Une mère, songeuse, promenait son petit garçon. 413

Une famille hollandaise au marché de Middelburg. 414

Le marché de Middelburg: considérations sur la grosseur des betteraves. 415

Des groupes d'anciens en culottes courtes, chapeaux marmites. 416

(p. viii) Un septuagénaire appuyé sur son petit-fils me sourit bonassement. 417

Roux en le décor roux, l'éclusier fumait sa pipe. 417

Le village de Zoutelande. 418

Les grandes voitures en forme de nacelle, recouvertes de bâches blanches. 419

Aussi comme on l'aime, ce home. 420

Les filles de l'hôtelier de Wemeldingen. 421

Il se campe près de son cheval. 421

Je rencontre à l'orée du village un couple minuscule. 422

La campagne hollandaise. 423

Environs de Westkapelle: deux femmes reviennent du «molen». 423

Par tous les sentiers, des marmots se juchèrent. 424

Le père Kick symbolisait les générations des Néerlandais défunts. 425

Wemeldingen: un moulin colossal domine les digues. 426

L'une entonna une chanson. 427

Les moutons broutent avec ardeur le long des canaux. 428

Famille hollandaise en voyage. 429

Ah! les moulins; leur nombre déroute l'esprit. 429

Les chariots enfoncés dans les champs marécageux sont enlevés par de forts chevaux. 430

La digue de Westkapelle. 431

Les écluses ouvertes. 432

Les petits garçons rôdent par bandes, à grand bruit de sabots sonores.... 433

Jeune mère à Marken. 433

Volendam, sur les bords du Zuiderzee, est le rendez-vous des peintres de tous les pays. 434

Avec leurs figures rondes, épanouies de contentement, les petites filles de Volendam font plaisir à voir. 435

Aux jours de lessive, les linges multicolores flottent partout. 436

Les jeunes filles de Volendam sont coiffées du casque en dentelle, à forme de «salade» renversée. 437

Deux pêcheurs accroupis au soleil, à Volendam. 438

Une lessive consciencieuse. 439

Il y a des couples d'enfants ravissants, d'un type expressif. 440

Les femmes de Volendam sont moins claquemurées en leur logis. 441

Vêtu d'un pantalon démesuré, le pêcheur de Volendam a une allure personnelle. 442

Un commencement d'idylle à Marken. 443

Les petites filles sont charmantes. 444

ABYDOS
dans les temps anciens et dans les temps modernes
Par M. E. AMELINEAU

Le lac sacré d'Osiris, situé au sud-est de son temple, qui a été détruit. (D'après une photographie.) 445

Séti Ier présentant des offrandes de pain, légumes, etc. (D'après une photographie.) 445

Une rue d'Abydos. (D'après une photographie.) 446

Maison d'Abydos habitée par l'auteur, pendant les trois premières années. (D'après une photographie.) 447

Le prêtre-roi rendant hommage à Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris). (D'après une photographie.) 448

Thot présentant le signe de la vie aux narines du roi Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris). (D'après une photographie.) 449

Le dieu Thot purifiant le roi Séti Ier (chambre annexe de la deuxième salle d'Osiris, mur sud). (D'après une photographie.) 450

Vue intérieure du temple de Ramsès II. (D'après une photographie.) 451

Perspective de la seconde salle hypostyle du temple de Séti Ier. (D'après une photographie.) 451

Temple de Séti Ier, mur est, pris du mur nord. Salle due à Ramsès II. (D'après une photographie.) 452

Temple de Séti Ier, mur est, montrant des scènes diverses du culte. (D'après une photographie.) 453

Table des rois Séti Ier et Ramsès II, faisant des offrandes aux rois leurs prédécesseurs. (D'après une photographie.) 454

Vue générale du temple de Séti Ier, prise de l'entrée. (D'après une photographie.) 455

Procession des victimes amenées au sacrifice (temple de Ramsès II). (D'après une photographie.) 456

VOYAGE DU PRINCE SCIPION BORGHÈSE AUX MONTS CÉLESTES
Par M. JULES BROCHEREL

Le bazar de Tackhent s'étale dans un quartier vieux et fétide. (D'après une photographie.) 457

Un Kozaque de Djarghess. (D'après une photographie.) 457

Itinéraire de Tachkent à Prjevalsk. 458

Les marchands de pain de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 459

Un des trente-deux quartiers du bazar de Tachkent. (D'après une photographie.) 460

Un contrefort montagneux borde la rive droite du «tchou». (D'après une photographie.) 461

Le bazar de Prjevalsk, principale étape des caravaniers de Viernyi et de Kachgar. (D'après une photographie.) 462

Couple russe de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 463

Arrivée d'une caravane à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 464

Le chef des Kirghizes et sa petite famille. (D'après une photographie.) 465

Notre djighite, sorte de garde et de policier. (D'après une photographie.) 466

Le monument de Prjevalsky, à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 467

Des têtes humaines, grossièrement sculptées, monuments funéraires des Nestoriens... (D'après une photographie.) 467

Enfants kozaques sur des bœufs. (D'après une photographie.) 468

Un de nos campements dans la montagne. (D'après une photographie.) 469

Montée du col de Tomghent. (D'après une photographie.) 469

Dans la vallée de Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 470

Itinéraire du voyage aux Monts Célestes. 470

La carabine de Zurbriggen intriguait fort les indigènes. (D'après une photographie.) 471

Au sud du col s'élevait une blanche pyramide de glace. (D'après une photographie.) 472

La vallée de Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 473

Le col de Karaguer, vallée de Tomghent. (D'après une photographie.) 474

Sur le col de Tomghent. (D'après une photographie.) 475

J'étais enchanté des aptitudes alpinistes de nos coursiers. (D'après une photographie.) 475

Le plateau de Saridjass, peu tourmenté, est pourvu d'une herbe suffisante pour les chevaux. (D'après une photographie.) 476

Nous passons à gué le Kizil-Sou. (D'après des photographies.) 477

Panorama du massif du Khan-Tengri. (D'après une photographie.) 478

Entrée de la vallée de Kachkateur. (D'après une photographie.) 479

Nous baptisâmes Kachkateur-Tao, la pointe de 4 250 mètres que nous avions escaladée. (D'après une photographie.) 479

La vallée de Tomghent. (D'après une photographie.) 480

Des Kirghizes d'Oustchiar étaient venus à notre rencontre. (D'après une photographie.) 481

Kirghize joueur de flûte. (D'après une photographie.) 481

Le massif du Kizil-Tao. (D'après une photographie.) 482

Région des Monts Célestes. 482

Les Kirghizes mènent au village une vie peu occupée. (D'après une photographie.) 483

Notre petite troupe s'aventure audacieusement sur la pente glacée. (D'après une photographie.) 484

Vallée supérieure d'Inghiltchik. (D'après une photographie.) 485

(p. ix) Vallée de Kaende: l'eau d'un lac s'écoulait au milieu d'une prairie émaillée de fleurs. (D'après une photographie.) 486

Les femmes kirghizes d'Oustchiar se rangèrent, avec leurs enfants, sur notre passage. (D'après une photographie.) 487

Le chirtaï de Kaende. (D'après une photographie.) 488

Nous saluâmes la vallée de Kaende comme un coin de la terre des Alpes. (D'après une photographie.) 489

Femmes mariées de la vallée de Kaende, avec leur progéniture. (D'après une photographie.) 490

L'élément mâle de la colonie vint tout l'après-midi voisiner dans notre campement. (D'après une photographie.) 491

Un «aoul» kirghize. 492

Yeux bridés, pommettes saillantes, nez épaté, les femmes de Kaende sont de vilaines Kirghizes. (D'après une photographie.) 493

Enfant kirghize. (D'après une photographie.) 493

Kirghize dressant un aigle. (D'après une photographie.) 494

Itinéraire du voyage aux Monts Célestes. 494

Nous rencontrâmes sur la route d'Oustchiar un berger et son troupeau. (D'après une photographie.) 495

Je photographiai les Kirghizes de Kaende, qui s'étaient, pour nous recevoir, assemblés sur une éminence. (D'après une photographie.) 496

Le glacier de Kaende. (D'après une photographie.) 497

L'aiguille d'Oustchiar vue de Kaende. 498

Notre cabane au pied de l'aiguille d'Oustchiar. (D'après des photographies.) 498

Kirghizes de Kaende. (D'après une photographie.) 499

Le pic de Kaende s'élève à 6 000 mètres. (D'après une photographie.) 500

La fille du chirtaï (chef) de Kaende, fiancée au kaltchè de la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 501

Le kaltchè (chef) de la vallée d'Irtach, l'heureux fiancé de la fille du chirtaï de Kaende. (D'après une photographie.) 502

Le glacier de Kaende. 503

Cheval kirghize au repos sur les flancs du Kaende. (D'après des photographies.) 503

Retour des champs. (D'après une photographie.) 504

Femmes kirghizes de la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 505

Un chef de district dans la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 505

Le pic du Kara-tach, vu d'Irtach, prend vaguement l'aspect d'une pyramide. (D'après une photographie.) 506

Les caravaniers passent leur vie dans les Monts Célestes, emmenant leur famille avec leurs marchandises. (D'après une photographie.) 507

La vallée de Zououka, par où transitent les caravaniers de Viernyi à Kachgar. (D'après une photographie.) 508

Le massif du Djoukoutchiak; au pied, le dangereux col du même nom, fréquenté par les nomades qui se rendent à Prjevalsk. (D'après une photographie.) 509

Le chaos des pics dans le Kara-Tao. (D'après une photographie.) 510

Étalon kirghize de la vallée d'Irtach et son cavalier. (D'après une photographie.) 511

Véhicule kirghize employé dans la vallée d'Irtach. (D'après une photographie.) 511

Les roches plissées des environs de Slifkina, sur la route de Prjevalsk. (D'après une photographie.) 512

Campement kirghize, près de Slifkina. (D'après une photographie.) 513

Femme kirghize tannant une peau. (D'après une photographie.) 514

Les glaciers du Djoukoutchiak-Tao. (D'après une photographie.) 515

Tombeau kirghize. (D'après une photographie.) 516

L'ARCHIPEL DES FEROÉ
Par Mlle ANNA SEE

«L'espoir des Feroé» se rendant à l'école. (D'après une photographie.) 517

Les enfants transportent la tourbe dans des hottes en bois. (D'après une photographie.) 517

Thorshavn apparut, construite en amphithéâtre au fond d'un petit golfe. 518

Les fermiers de Kirkebœ en habits de fête. (D'après une photographie.) 519

Les poneys feroïens et leurs caisses à transporter la tourbe. (D'après une photographie.) 520

Les dénicheurs d'oiseaux se suspendent à des cordes armées d'un crampon. (D'après une photographie.) 521

Des îlots isolés, des falaises de basalte ruinées par le heurt des vagues. (D'après des photographies.) 522

On pousse vers la plage les cadavres des dauphins, qui ont environ 6 mètres. (D'après une photographie.) 523

Les femmes feroïennes préparent la laine.... (D'après une photographie.) 524

On sale les morues. (D'après une photographie.) 525

Feroïen en costume de travail. (D'après une photographie.) 526

Les femmes portent une robe en flanelle tissée avec la laine qu'elles ont cardée et filée. (D'après une photographie.) 527

Déjà mélancolique!... (D'après une photographie.) 528

PONDICHÉRY
chef-lieu de l'Inde française
Par M. G. VERSCHUUR

Groupe de Brahmanes électeurs français. (D'après une photographie.) 529

Musicien indien de Pondichéry. (D'après une photographie.) 529

Les enfants ont une bonne petite figure et un costume peu compliqué. (D'après une photographie.) 530

La visite du marché est toujours une distraction utile pour le voyageur. (D'après une photographie.) 531

Indienne en costume de fête. (D'après une photographie.) 532

Groupe de Brahmanes français. (D'après une photographie.) 533

La pagode de Villenour, à quelques kilomètres de Pondichéry. (D'après une photographie.) 534

Intérieur de la pagode de Villenour. (D'après une photographie.) 535

La Fontaine aux Bayadères. (D'après une photographie.) 536

Plusieurs rues de Pondichéry sont larges et bien bâties. (D'après une photographie.) 537

Étang de la pagode de Villenour. (D'après une photographie.) 538

Brahmanes français attendant la clientèle dans un bazar. (D'après une photographie.) 539

La statue de Dupleix à Pondichéry. (D'après une photographie.) 540

UNE PEUPLADE MALGACHE
LES TANALA DE L'IKONGO
Par M. le Lieutenant ARDANT DU PICQ

Les populations souhaitent la bienvenue à l'étranger. (D'après une photographie.) 541

Femme d'Ankarimbelo. (D'après une photographie.) 541

Carte du pays des Tanala. 542

Les femmes tanala sont sveltes, élancées. (D'après une photographie.) 543

Panorama de Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 544

Groupe de Tanala dans la campagne de Milakisihy. (D'après une photographie.) 545

Un partisan tanala tirant à la cible à Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 546

Enfants tanala. (D'après une photographie.) 547

Les hommes, tous armés de la hache. (D'après une photographie.) 548

Les cercueils sont faits d'un tronc d'arbre creusé, et recouverts d'un drap. (D'après une photographie.) 549

Le battage du riz. (D'après une photographie.) 550

(p. x) Une halte de partisans dans la forêt. (D'après une photographie.) 551

Femmes des environs de Fort-Carnot. (D'après une photographie.) 552

Les Tanala au repos perdent toute leur élégance naturelle. (D'après une photographie.) 553

Une jeune beauté tanala. (D'après une photographie.) 553

Le Tanala, maniant une sagaie, a le geste élégant et souple. (D'après une photographie.) 554

Le chant du «e manenina», à Iaborano. (D'après une photographie.) 555

La rue principale à Sahasinaka. (D'après une photographie.) 556

La danse est exécutée par des hommes, quelquefois par des femmes. (D'après une photographie.) 557

Un danseur botomaro. (D'après une photographie.) 558

La danse, chez les Tanala, est expressive au plus haut degré. (D'après des photographies.) 559

Tapant à coups redoublés sur un long bambou, les Tanala en tirent une musique étrange. (D'après une photographie.) 560

Femmes tanala tissant un lamba. (D'après une photographie.) 561

Le village et le fort de Sahasinaka s'élèvent sur les hauteurs qui bordent le Faraony. (D'après une photographie.) 562

Un détachement d'infanterie coloniale traverse le Rienana. (D'après une photographie.) 563

Profil et face de femmes tanala. (D'après une photographie.) 564

LA RÉGION DU BOU HEDMA
(sud tunisien)
Par M. Ch. MAUMENÉ

Les murailles de Sfax, véritable décor d'opéra.... (D'après une photographie.) 565

Salem, le domestique arabe de l'auteur. (D'après une photographie.) 565

Carte de la région du Bou Hedma (sud tunisien). 566

Les sources chaudes de l'oued Hadedj sont sulfureuses. (D'après une photographie.) 567

L'oued Hadedj, d'aspect si charmant, est un bourbier qui sue la fièvre. (D'après une photographie.) 568

Le cirque du Bou Hedma. (D'après une photographie.) 569

L'oued Hadedj sort d'une étroite crevasse de la montagne. (D'après une photographie.) 570

Manoubia est une petite paysanne d'une douzaine d'années. (D'après une photographie.) 571

Un puits dans le défilé de Touninn. (D'après une photographie.) 571

Le ksar de Sakket abrite les Ouled bou Saad Sédentaires, qui cultivent oliviers et figuiers. (D'après une photographie.) 572

De temps en temps la forêt de gommiers se révèle par un arbre. (D'après une photographie.) 573

Le village de Mech; dans l'arrière-plan, le Bou Hedma. (D'après une photographie.) 574

Le Khrangat Touninn (défile de Touninn), que traverse le chemin de Bir Saad à Sakket. (D'après une photographie.) 575

Le puits de Bordj Saad. (D'après une photographie.) 576

DE TOLÈDE À GRENADE
Par Mme JANE DIEULAFOY

Après avoir croisé des bœufs superbes.... (D'après une photographie.) 577

Femme castillane. (D'après une photographie.) 577

On chemine à travers l'inextricable réseau des ruelles silencieuses. (D après une photographie.) 578

La rue du Commerce, à Tolède. (D'après une photographie.) 579

Un représentant de la foule innombrable des mendiants de Tolède. (D'après une photographie.) 580

Dans des rues tortueuses s'ouvrent les entrées monumentales d'anciens palais, tel que celui de la Sainte Hermandad. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 581

Porte du vieux palais de Tolède. (D'après une photographie.) 582

Fière et isolée comme un arc de triomphe, s'élève la merveilleuse Puerta del Sol. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 583

Détail de sculpture mudejar dans le Transito. (D'après une photographie.) 584

Ancienne sinagogue connue sous le nom de Santa Maria la Blanca. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 585

Madrilène. (D'après une photographie.) 586

La porte de Visagra, construction massive remontant à l'époque de Charles Quint. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 587

Tympan mudejar. (D'après une photographie.) 588

Des familles d'ouvriers ont établi leurs demeures près de murailles solides. (D'après une photographie.) 589

Castillane et Sévillane. (D'après une photographie.) 589

Isabelle de Portugal, par le Titien (Musée du Prado). (Photographie Lacoste, à Madrid.) 590

Le palais de Pierre le Cruel. (D'après une photographie.) 591

Statue polychrome du prophète Élie, dans l'église de Santo Tomé (auteur inconnu). (D'après une photographie.) 592

Porte du palais de Pierre le Cruel. (D'après une photographie.) 593

Portrait d'homme, par le Greco. (Photographie Hauser y Menet, à Madrid.) 594

La cathédrale de Tolède. 595

Enterrement du comte d'Orgaz, par le Greco (église Santo Tomé). (D'après une photographie.) 596

Le couvent de Santo Tomé conserve une tour en forme de minaret. (D'après une photographie.) 597

Les évêques Mendoza et Ximénès. (D'après une photographie.) 598

Salon de la prieure, au couvent de San Juan de la Penitencia. (D'après une photographie.) 599

Prise de Melilla (cathédrale de Tolède). (D'après une photographie.) 600

C'est dans cette pauvre demeure que vécut Cervantès pendant son séjour à Tolède. (D'après une photographie.) 601

Saint François d'Assise, par Alonzo Cano, cathédrale de Tolède. 601

Porte des Lions. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 602

Le cloître de San Juan de los Reyes apparaît comme le morceau le plus précieux et le plus fleuri de l'architecture gothique espagnole. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 603

Ornements d'église, à Madrid. (D'après une photographie.) 604

Porte due au ciseau de Berruguete, dans le cloître de la cathédrale de Tolède. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 605

Une torea. (D'après une photographie.) 606

Vue intérieure de l'église de San Juan de Los Reyes. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 607

Une rue de Tolède. (D'après une photographie.) 608

Porte de l'hôpital de Santa Cruz. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 609

Sur les bords du Tage. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 610

Escalier de l'hôpital de Santa Cruz. (D'après une photographie.) 611

Détail du plafond de la cathédrale. (D'après une photographie) 612

Pont Saint-Martin à Tolède. (D'après une photographie.) 613

Guitariste castillane. (D'après une photographie.) 613

La «Casa consistorial», hôtel de ville. (D'après une photographie.) 614

Le «patio» des Templiers. (D'après une photographie.) 615

Jeune femme de Cordoue avec la mantille en chenille légère. (D'après une photographie.) 616

Un coin de la Mosquée de Cordoue. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 617

Chapelle de San Fernando, de style mudejar, élevée au (p. xi) centre de la Mosquée de Cordoue. (D'après une photographie.) 618

La mosquée qui fait la célébrité de Cordoue, avec ses dix-neuf galeries hypostyles, orientées vers la Mecque. (Photographie Lacoste, à Madrid.) 619

Détail de la chapelle de San Fernando. (D'après une photographie.) 620

Vue extérieure de la Mosquée de Cordoue, avec l'église catholique élevée en 1523, malgré les protestations des Cordouans. (D'après une photographie.) 621

Statue de Gonzalve de Cordoue. (D'après une photographie.) 622

Statue de doña Maria Manrique, femme de Gonzalve de Cordoue. (D'après une photographie.) 623

Détail d'une porte de la mosquée. (D'après une photographie.) 624

Note 1: Suite. Voyez page 1.[Back to Main Text]

Note 2: Suite. Voyez pages 1 et 13.[Back to Main Text]

Note 3: Suite. Voyez pages 1, 13 et 25.[Back to Main Text]

Note 4: Suite. Voyez pages 1, 13, 25 et 37.[Back to Main Text]