The Project Gutenberg eBook of Oeuvres poétiques Tome 1

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Title: Oeuvres poétiques Tome 1

Author: de Pisan Christine

Release date: March 27, 2006 [eBook #18061]

Language: French

Credits: Produced by Pierre Lacaze, Carlo Traverso and the Online
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OEUVRES POÉTIQUES DE
CHRISTINE DE PISAN

PUBLIÉES PAR

MAURICE ROY

TOME PREMIER

BALLADES, VIRELAIS, LAIS, RONDEAUX, JEUX A VENDRE ET COMPLAINTES AMOUREUSES

PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT ET Cie
RUE JACOB, 56
M DCCC LXXXVI


Reprinted with the permission of the Société des Anciens Textes Français


JOHNSON REPRINT CORPORATION
111 Fifth Avenue, New York, N.Y. 10003
JOHNSON REPRINT COMPANY LIMITED
Berkeley Square House, London. W. 1






INTRODUCTION

ne vie complète de Christine de Pisan ne pourra être utilement élaborée que le jour où les oeuvres de cette célèbre femme auront été entièrement publiées et seront enfin sorties de l'oubli dans lequel elles demeurent injustement depuis plus de quatre siècles. Nous tenterons de l'écrire si nous réussissons à mener à bonne fin la tâche que nous nous sommes imposée. A l'heure présente il semble plus prudent de donner seulement au lecteur un simple aperçu biographique, contenant quelques notions indispensables, et de lui indiquer rapidement les sources principales auxquelles il pourra puiser de plus amples informations:

Jean Boivin.—Vie de Christine de Pisan (Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, II (1736), p. 704-14).

Abbé Sallier.—Notice sur Christine de Pisan (Mémoires de l'Académie des Inscriptions, XVII (1751), p. 515-25).

Mlle de Kéralio.—Collection des meilleurs ouvrages composés par des dames. Paris, 1787, II.

Raimond Thomassy.—Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan. Paris, 1838.

Robineau.—Christine de Pisan, sa vie et ses oeuvres. Saint-Omer, 1882.

Friedrich Koch.—Leben und Werke der Christine de Pizan. Goslar, 1885.

Indépendamment des indications fournies par les ouvrages précités, de nombreuses et consciencieuses recherches, tant dans les archives de France que dans celles d'Italie, pourront seules donner des détails biographiques ignorés jusqu'ici.

Une étude approfondie de l'ensemble de l'oeuvre de Christine apportera en même temps un précieux contingent à l'histoire de sa vie, de son influence littéraire. Car dans ses travaux mêmes l'auteur s'est plu à parler de ses propres impressions, à soulever discrètement le voile de sa vie, à retracer ses joies et ses malheurs; mais de toutes ses compositions la Mutation de Fortune et la Vision ont été surtout les dépositaires de ses sentiments personnels.

Voici quant à présent les grands traits de la vie de notre poète:

Christine de Pisan naquit à Venise vers 1363. Son père, homme distingué, avait épousé la fille d'un conseiller de la République vénitienne, charge à laquelle l'appelèrent bientôt lui-même l'estime et la considération de ses compatriotes. Thomas de Pisan jouissait en même temps d'une grande réputation de philosophe et d'astrologue. La renommée de son savoir et de son mérite étant parvenue jusqu'à la cour de France, Charles V lui fit des offres avantageuses pour l'attirer et l'attacher à sa personne. Notre savant italien ayant obtenu, avec les bonnes grâces du souverain, une place dans le Conseil royal, se résolut bientôt à adopter une nouvelle patrie et fit venir auprès de lui toute sa famille. Sa femme et la jeune Christine, âgée seulement de cinq ans, magnifiquement parées de riches costumes vénitiens, arrivèrent au Louvre (1368) et furent présentées au roi qui leur fit le plus gracieux accueil.

Elevée au milieu de cette cour de France, alors aussi renommée par sa magnificence que par la distinction des personnes qui la fréquentaient, Christine de Pisan y développa par une instruction soignée, par une éducation empreinte du meilleur ton et des sentiments les plus recherchés, les précieuses dispositions dont la nature avait si heureusement doté son intelligence supérieure. A peine fut-elle parvenue à sa quinzième année (1378) que les charmes de son esprit et de sa personne la firent rechercher d'un grand nombre de gentilshommes, mais son père fixa son choix sur un jeune homme d'une bonne maison de Picardie, Etienne du Castel, dont les qualités et le mérite tenaient lieu des avantages de la fortune.

L'avenir qui semblait s'ouvrir plein de promesses heureuses pour ces jeunes époux, réservait cependant à Christine de dures épreuves; les premières années de son mariage furent le point de départ de ses infortunes et de ses malheurs. Le roi mourut le 16 septembre 1380. Thomas de Pisan, déchu de son crédit et éloigné de la Cour, ne survécut que quelques années à son maître et à son bienfaiteur. Étienne du Castel, par sa valeur personnelle et par l'influence que lui donnait sa charge de secrétaire du roi, continuait encore les traditions de la famille de son beau-père, lorsqu'il fut emporté lui-même par une maladie contagieuse à l'âge de 34 ans (1389). Christine qui n'avait que 25 ans reste veuve avec trois enfants. Plongée dans sa profonde douleur elle est encore attristée par de nombreux procès avec des débiteurs de mauvaise foi et par des pertes d'argent qui en furent la conséquence; c'est alors qu'elle demande au travail, à la poésie, à la littérature, la consolation et l'oubli de ses peines. Elle commence une vie nouvelle, entièrement consacrée à l'étude, mais plus heureuse en douces satisfactions. Son talent se révèlera d'abord dans des poésies légères, pleines de charme et de saveur, jusqu'au jour où l'essor de son génie l'élèvera à la hauteur des grandes compositions qui ont immortalisé son nom.


DESCRIPTION DES MANUSCRITS

Christine de Pisan, que sa situation précaire avait engagée à tirer parti de son instruction et de son remarquable talent, devait rechercher avec empressement toute occasion destinée à lui procurer quelques ressources. Aussi fit-elle exécuter un grand nombre de copies de ses oeuvres, afin de les offrir aux princes et aux riches seigneurs auxquels leur amour pour les lettres et la réputation de l'auteur faisaient un devoir d'apprécier ces gracieux hommages à leur juste valeur. Cette multiplicité de manuscrits rend aujourd'hui plus lourde et plus difficile la tâche que doit s'imposer tout éditeur consciencieux. En raison de cette considération nous avons cru préférable de préparer pour chaque tome une préface donnant la liste et l'appréciation des manuscrits renfermant les oeuvres que nous devons publier.

Notre riche Bibliothèque nationale possède plusieurs recueils contenant les poésies dont nous offrons le texte dans ce premier volume.

.—(Bibl. Nat. F. français 835, 606, 836 et 605). Ces quatre volumes forment le ms. qui doit servir de base à cette édition, l'exécution en fut préparée et surveillée par Christine elle-même qui le destinait au duc de Berry; il est ainsi décrit dans les Inventaires publiés par M. L. Delisle1.

Note 1: Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale, III, p. 193.

«Un livre compilé de plusieurs balades et ditiés, fait et composé par damoiselle Cristine de Pisan, escript de lettre de court, bien historié et enluminé, lequel Monseigneur a acheté de la dite damoiselle 200 escus.—Tous mes bons jours.—50 liv. (Evaluation faite à la requête des exécuteurs testamentaires du duc de Berry).—Inventaire de l'année 1413, Arch. nat. KK 258.Inventaire de l'année 1416, Bibl. Sainte-Geneviève, mss. L. 54 f.—Baillé à la Duchesse de Bourbonnais».

M. L. Delisle n'a pas rapporté cette mention au ms. de la Bibl. nat. qui porte actuellement le n° 835 du fonds français parce qu'une interversion de feuillets l'a empêché d'établir la concordance du premier vers du second feuillet, «Tous mes bons jours.»

Cette identification reconnue, nous devons en outre faire remarquer que le ms. de la bibliothèque du duc de Berry est aujourd'hui divisé en quatre fragments portant les numéros 835, 606, 836 et 605. Les oeuvres que renferment ces quatre tomes offrent une numérotation continue, ainsi qu'il suit:

Le ms. 835 contient les articles 1 à 13:

1 Cent Ballades.

2 Virelais.

3 Ballades «d'estrange façon».

4 Lais.

5 Rondeaux.

6 Jeux à vendre.

7 Ballades de divers propos.

8 Épitre au dieu d'Amours.

9 Complainte amoureuse.

10 Le Débat de deux Amants.

11 Le Dit des trois jugements amoureux.

12 Le Dit de Poissy.

13 Les Épitres sur le Roman de la Rose.

Le ms. 606 renferme l'art. 14:

14 L'Épitre d'Othéa.

Le ms. 836 comprend les art. 15 à 21:

15 Le Chemin de long estude.

16 Les Enseignements moraux.

17 Oraison Notre Dame.

18 Les quinze joies Notre Dame.

19 Le Dit de la «Pastoure».

20 Oraison Notre Seigneur.

21 Le duc des vrais amants.

Enfin le ms. 605 complète le vol. par les art. 22 à 25.

22 Épitre à la Reine Isabelle.

23 Épitre à Eustache Morel.

24 Proverbes moraux.

25 Le livre de Prudence.

Ces divers numéros d'articles, indiquant l'ordre dans lequel les différentes pièces ont été transcrites, permettent ainsi de reconstituer d'une façon certaine l'ensemble du ms. tel qu'il était à l'origine. D'ailleurs, si quelque doute subsistait encore après ce rapprochement pourtant bien caractéristique, il serait vite dissipé par un examen sommaire de l'écriture, de la disposition identique des quatre fragments, de l'enluminure des miniatures ou des lettres ornées, dues certainement à la même plume et au même pinceau.

M. Paulin Paris2 avait déjà reconnu l'ancienne composition du ms. pour les fractions portant les numéros 835, 836 et 605, mais il n'a pas reconstitué la totalité du volume. M. L. Delisle a également soupçonné cette corrélation sans l'expliquer et en l'étendant plus qu'il n'est légitime, car il semble faire rentrer dans la même famille des mss. tout à fait disparates3.

Note 2: Manuscrits françois de la Bibl. du Roi, V, 180, et VI, 399, 402.
Note 3: Inventaire des mss. français, I, p. 74.

Cette division existait d'ailleurs dès le commencement du XVIe siècle, ainsi qu'il est permis de le constater par trois mentions que la même main a tracées à cette époque sur le premier feuillet de garde collé aujourd'hui à la reliure des mss. 835, 606 et 605. La première note indique les oeuvres contenues dans le fragment 835, la seconde (ms. 606) est ainsi conçue: «En ce livre a cent une hystoire et XLVI feuilletz escriptz, et fut reveu par frere le IIe jour de avril Mil V c et dix», la troisième mention donne la même date. Il est donc probable qu'à l'origine le ms. se trouvait en cahiers simplement rattachés entre eux, mais non recouverts d'une reliure, et que pour le consulter plus facilement on le sépara bientôt en plusieurs parties qui furent reliées et inventoriées comme autant de livres différents. Le fragment 835 fut d'abord relié en velours rouge, aujourd'hui il l'est en maroquin rouge aux armes de France sur les plats, à la fleur de lis sur le dos; le ms. 836 était également recouvert de velours rouge, et aujourd'hui de veau racine au chiffre de Louis XVIII sur le dos. Quant à la reliure des autres fractions elle paraît avoir été identique, ainsi qu'il résulte des renseignements que l'on trouvera plus loin dans l'inventaire de la Bibliothèque des ducs de Bourbon.

Ces différents fragments réunis forment un superbe ms. composé des principales poésies de Christine, ne comprenant pas moins de 269 feuillets et illustré de 125 jolies miniatures.

Cette reconstitution nous permet en outre de fixer d'une façon précise l'époque de la confection du recueil. En effet, l'oeuvre la plus récente qui y soit insérée doit être sans aucun doute les Épitres sur le Roman de la Rose en tête desquelles se trouve la lettre d'envoi adressée à la reine Isabelle et datée de l'avant-veille de la Chandeleur 1407. C'est donc dans un intervalle de quatre ans, entre 1408 et 1413 (date du premier inventaire mentionnant le vol. de Christine) que notre ms. a été préparé et offert au duc de Berry. L'importance de l'ouvrage et la valeur des oeuvres qu'il renferme expliquent maintenant tout le prix que Jean de Berry devait y attacher et la générosité (200 écus) avec laquelle il sut reconnaître l'hommage de l'auteur. Il avait du reste accueilli avec beaucoup de grâce et de largesse le Livre du Chemin de longue étude le 20 mars 1403, le Livre de la Mutation de Fortune en mars 14044, les Faits et Bonnes moeurs de Charles V, le 1er janvier 1405, les Sept Psaumes, le 1er janvier 1410; il reçut encore plus tard, les Faits d'Armes et de Chevalerie, le 1er janvier 1413, et le Livre de la Paix le 1er janvier 1414; sa riche bibliothèque renfermait aussi un exemplaire distinct de l'Épitre d'Othéa et le livre de la Cité des Dames5; Christine lui avait donc offert successivement presque tous ses ouvrages.

Note 4: Ce ms. est aujourd'hui à la Bibl. royale de La Haye, n° 701.
Note 5: Fonds français, n° 607.

Le précieux ms., dont nous avons reconstitué l'ensemble, fut recueilli dans la succession du duc de Berry (inventaire de 1416), par sa fille Marie, épouse de Jean Ier duc de Bourbon; cette princesse, très versée dans l'étude des lettres, conserva de la superbe collection de son père 41 mss. qui lui furent attribués pour une somme de 2,500 liv.6; on estima 50 liv. l'exemplaire des oeuvres de Christine. Notre ms. prit désormais place dans la librairie que les ducs de Bourbon avaient installée dans leur château de Moulins, et pendant tout le XVe siècle resta entre les mains de ces princes qui se distinguèrent autant par la noblesse de leur race que par leur goût des livres et les encouragements qu'ils aimaient à donner aux savants leurs contemporains. En 1523 lorsque François Ier fit saisir les biens du connétable de Bourbon, on dressa l'inventaire de la librairie de Moulins. Un commissaire du roi, Pierre Antoine, en constata l'état le 19 septembre 1523 et se servit à cet effet d'anciens inventaires qui lui furent communiqués par Mathieu Espinete, chanoine de Moulins, commis à la garde des livres du duc de Bourbon. Parmi les nombreux mss. qui ornaient cette riche bibliothèque, nous trouvons sous la rubrique suivante (correspondant justement à la date des mentions inscrites sur les feuillets de garde des volumes et que nous avons signalées plus haut), une description détaillée et exacte des oeuvres comprises dans les divers fragments qui formaient à l'origine le ms. offert par Christine au duc de Berry.

Note 6: Voy. Delisle, le Cabinet des manuscrits, I, 167.

«Ce sont les livres qui ont été restituez et aportez de Paris l'an M. V c X. C'est assavoir:

—Ung volume ou a cent ballades, plusieurs laiz et virelay, l'espitre au dieu d'amours, le débat des deux amans, les troys jugemens, le dit de Poissy, les espitres sur le rommant de la Roze, en parchemin, à la main.

—Ung autre ou est le livre du chemin de long estude, les ditz de la Pastour, une belle oraison de Sainct Gregoires, et le livre du duc des vraiz amans, en parchemin, a la main.

—Ung autre volume contenant les troys livres de la cité des Dames, en parchemin, à la main (ms. indiqué à l'inventaire du duc de Berry, n° 293, auj. f. fr. 607.)

—Ung autre volume des espitres que Othea deesse de prudence envoya a Hector de Troye, en parchemin, a la main.

—Ung autre volume ou est ecrit le livre de Prudence, les proverbes moraulx, une espitre a la Royne de France, une autre a Eustace Morel, en parchemin, a la main.

Lesdits cinq livres sont touz couvers de veloux rouge et tenné, garnys de fermaus de leton, de boulhons et carrées».

(Inventaire des livres qui sont en la librairie du chasteau de Molins, 19 sept. 1523.—Bibl. Nat. coll. Dupuy; vol. 438.—Publié par M. Le Roux de Lincy, Paris, 1850, dans les Mélanges de la Société des bibliophiles français.—Réimprimé par M. Chazaud à la suite des Enseignements d'Anne de France. Moulins, 1878, in-4°, p. 255-6).

Ces mss. furent ensuite transportés au château de Fontainebleau où François Ier se glorifiait d'avoir formé une des collections les plus considérables de l'Europe. La Bibliothèque du Roi revint à Paris à la fin du règne de Charles IX; notre ms. y est conservé depuis cette époque, il figure en effet dans les inventaires de 1620 (Rigault) sous les cotes 593, 672, 673; de 1645 (Dupuy) comme portant les numéros 408, 409, 466, 862, et enfin dans le catalogue de 1682 sous les numéros 7088, 7089, 7216, 7217.


—Musée britannique, Harl. 4431.—Ornée de riches miniatures et d'une exécution très soignée, cette belle copie a été préparée pour être offerte à la reine Isabelle de Bavière, comme le témoigne la Dédicace de Christine de Pisan. Il est probable qu'à l'époque des malheurs qui affligèrent la France au XVe siècle ce ms. fut transporté en Angleterre. Une mention inscrite sur un feuillet de garde permet de constater qu'au XVIIe siècle il faisait partie de la collection du duc de Newcastle; cette indication est ainsi conçue «Henry Duke of Newcastle, his booke, 1676.» Le volume renferme 398 feuillets et est illustré de superbes miniatures7. Ce bel exemplaire est d'un grand prix en raison de son origine, de sa richesse et de la qualité de son texte, mais ce qui lui donne surtout une valeur exceptionnelle, c'est qu'il renferme un certain nombre de poésies qui n'existent pas dans les divers mss. des dépôts publics de notre pays; il nous fournit le texte de cinq nouvelles ballades et de quatre rondeaux, plus une complainte amoureuse inconnue jusqu'ici; il contient, en outre, un poème tout entier intitulé «Cent Balades d'Amant et de Dame», véritable peinture des impressions délicates et variées de deux amoureux dont les sentiments sont tracés avec beaucoup de grâce et d'expression. Cette oeuvre assez considérable a dû être composée uniquement pour la reine Isabelle de Bavière, ainsi que peuvent le laisser supposer quelques mots de la Dédicace et de la première ballade8. Ce recueil de ballades n'est mentionné dans aucune des publications qui comprennent l'énumération des compositions poétiques de Christine de Pisan et nous serons heureux d'en offrir la primeur dans l'un des volumes suivants. Nous donnons dès à présent la Dédicace à la reine Isabelle:

Note 7: Voy. Bibliographer's s Decameron, par Rev. T. F. Dibdin, London, 1817, p. 134.—Schaw. Dresses and Decorations of the Middle Age, London, 1843; et The Illuminator's Magazine, 1862, numéros 8 et 9.

Note 8: Voy. vers 50 à 60 de la Dédicace à la reine Isabelle et le passage suivant des «Cent Balades d'amant et de dame»:

Quoy que n'eusse corage ne pensée

Quant a present de dits amoureux faire,

Car autre part adès suis a pensée,

Par le command de personne, qui plaire

Doit bien a tous, ay empris a parfaire

D'un amoureux et sa dame ensement,

Pour obeïr a autrui et complaire,

Cent balades d'amoureux sentement.

Trés excellent, de grant haultesse

Couronnée, poissant princesse,

Trés noble roÿne de France,

4

Le corps enclin vers vous m'adresce

En saluant par grant humblece;

Pry Dieu qu'il vous tiengne en souffrance

Lonc temps vive, et après l'oultrance

8

De la mort vous doint la richece

De Paradis, qui point ne cesse,

Et au monde sanz decevrance

Paix, joye et toute recouvrance

12

De quanqu'il affiert a leece.

Haulte dame, en qui sont tous biens,

Et ma trés souvraine, je viens

Vers vous, comme vo creature,

16

Pour ce livre cy que je tiens

Vous presenter, ou il n'a riens,

En histoire n'en escripture,

Que n'aye en ma pensée pure

20

Pris ou stile que je detiens

Du seul sentement que retiens

Des dons de Dieu et de nature,

Quoy que mainte aultre creature

24

En ait plus en fait et maintiens.

Et sont ou volume compris

Plusieurs livres es quieulx j'ay pris

A parler en maintes manieres

28

Differens, et pour ce l'empris

Que on en devient plus appris

D'oÿr de diverses matieres,

Unes pesans, aultres legieres,

32

A qui se delitte ou pourpris

Des livres, qui maint ont en pris

Fait monter et prendre manieres

Belles; si doit on avoir chieres

36

Escriptures, non en despris.

Car, si que les sages tesmoignent

En leurs escrips, les gens qui songnent

De lire en livres voulentiers,

40

Ne peut qu'aucunement n'eslongnent

Ygnorence, que ceulx ressongnent

Qui de sens suivent les sentiers,

Si en valent mieulx ceulx le tiers,

44

Voire plus qui s'en embesongnent

Et qui la peine ne ressongnent

D'apprendre, il n'est si beaulx mestiers

Ne qui face gens si entiers,

48

Quoy que les folz, peut estre, en grongnent

Si l'ay fait, ma dame, ordener

Depuis que je sceus qu'assener

Le devoye a vous, si qu'ay sceu

52

Tout au mieulx et le parfiner

D'escripre et bien enluminer,

Dès que vo command en receu,

Selons qu'en mon cuer j'ay conceu

56

Qu'il faloit des choses finer

Pour bien richement l'affiner

A fin que fust apperceü

Que je mets pouoir, force et sceu,

60

Pour vo bon vueil enteriner.

Dont vous plaise, trés haulte et digne,

Le prendre en gré, tout soye indigne

Que mon euvre estre presentée

64

Vous doye, mais vostre benigne

Condicion qui ne decline

D'umilité, trés redoubtée

Dame, tout soiez hault montée,

68

Ne vous seuffre en fait ne en signe

Que ne soyez, comme roÿne

Doit estre, humaine et arrestée;

Et pour ce ne me suis doubtée

72

Que vous l'ayés a ce termine.

De mon labour et lonc travail

Du livre que mes en vo bail,

Qui contient grant euvre et penible,

76

Combien que peut estre g'y fail

En maint lieux parce que je vail

Trop pou en sens, bien est possible,

Ne vueillez pas, dame sensible,

80

Pour tant prendre garde au deffail,

Mais a ce que je me travail

Voulentiers de ce que possible

M'est a faire en chose loisible,

84

Qu'a haulte gent voulentiers bail.

Si suppli en conclusion,

Haulte dame d'atraction

D'empereurs de digne memoire,

88

Qu'en benigne devocion

Vous plaise mon entencion

Prendre en gré, qui loyale et voire

Est et sera, et si notoire

92

Ceste mienne posicion

Vous soit qu'a tousjours mencion

Soit de moy en vostre memoire,

Si que vostre grace m'avoire

96

Qu'ayés a moy affection.

Le ms. du Musée Britannique contient les mêmes formes de langue que nous rencontrons dans le ms. de la Bibl. Nat. Comme ce dernier il renferme 50 ballades «de divers propos», tandis que 29 seulement se trouvent dans les autres mss.; de plus il n'apporte pour ainsi dire pas de variantes au texte du ms. que nous avons reconstitué plus haut et paraît avoir été confectionné sur le même plan ou d'après les mêmes documents, mais à une époque un peu postérieure. Il contient en effet des oeuvres qui ne se trouvent pas dans le ms. du duc de Berry, à côté duquel nous le jugeons cependant digne à tous égards de prendre place.

Toutefois, malgré les avantages que peut offrir le ms. du Musée britannique, nous n'avons pas eu d'hésitation pour adopter dans cette édition le texte du ms. du duc de Berry et lui donner la préférence pour toutes les poésies qu'il renferme. Il est facile du reste d'invoquer en sa faveur les meilleures considérations, tirées non seulement de son origine bien établie, mais surtout de l'excellence de son texte. Enfin une dernière raison, et elle a bien son importance, il est de tous les mss. que nous ayons retrouvés, celui qui se rapproche le plus de la date de composition des différentes pièces dont il donne le texte9.

Note 9: La confection du ms. du Musée britannique ne peut en aucune façon être considérée comme antérieure à celle du ms. du duc de Berry. Ces recueils contiennent tous deux les Epîtres sur le Roman de la Rose renfermant une pièce datée de la fin de l'année 1407, or nous avons vu que notre ms., figurant à l'inventaire de 1413, a dû être composé entre cette dernière date et 1408, on pourrait tout au plus admettre que les deux mss. sont absolument contemporains, mais comme le ms. de Londres se trouve complété de diverses poésies nouvelles, il est logique d'en inférer qu'il est plus jeune de quelques années que son frère de la Bibl. Nat. (Voy. plus loin ce que nous disons au sujet des ballades de divers propos, Autres Balades § VII, p, XXXVI.)

Ce ne sera donc que pour mémoire, et afin d'établir une généalogie complète, que nous signalerons les mss. suivants, exécutés vers le milieu du XVe siècle et bien inférieurs sous tous les rapports aux deux mss. précédents:


.—Le ms. 604 du fonds français, sur vélin, très volumineux (314 feuillets), mais incomplet de plusieurs feuillets, contient la plus grande partie des oeuvres poétiques de Christine; cependant sa préparation est restée inachevée, la place des miniatures est en blanc et les lettres initiales, destinées à recevoir une ornementation ne sont même pas indiquées10. Il était coté dans l'ancien fonds (Inventaire de 1682) sous le n° 7087-2 et provenait de la collection De La Mare n° 413.

Note 10. C'est d'après ce ms. inférieur que M. Guichard a donné le texte des Cent Ballades dans le Journal des savants de Normandie (année 1844, p. 371 et s.). Cette publication est, en outre, parsemée de fautes ou de mauvaises lectures.

.—Le ms. 12779 (174 feuillets), à peu près de la même époque que le précédent, mais plutôt de la seconde moitié du XVe siècle, ne présente pas grand intérêt; défectueux de quelques feuillets, il renferme des miniatures très médiocres. Il a appartenu à La Curne de Sainte-Palaye qui en fit faire deux copies, l'une conservée aujourd'hui à la Bibliothèque de l'Arsenal sous le n° 3295 (provenant de la collection Mouchet, n° 6), et l'autre à la Bibl. Nat. Fonds Moreau, 1686 (Mouchet, n° 8).


.—Nous devons indiquer en même temps un autre ms. faisant partie de la même famille, et déposé par M. le comte de Toustain chez MM. Morgand et Fatout, libraires11. Il contient en deux volumes presque toutes les poésies de Christine, mais il est absolument identique pour le texte aux mss. 604 et 12779. Nous ferons également remarquer que ce ms. porte, comme ses deux contemporains de la Bibl. nat., la rubrique suivante inscrite sur la feuille de garde:

Note 11: Voir le Répertoire général de la librairie Morgand et Fatout, 1882, p. 190 (n° 1482).

«Cy commencent les rebriches de la table de ce présent volume, fait et compilé par Christine de Pisan, demoiselle, commencié l'an de grâce Mil c.c.c. iiij xx xix, Eschevé et escript en l'an Mil quatre cens et deux, la veille de la nativité Saint Jean-Baptiste.»

Cette mention, qui ne peut se rapporter qu'à la date de composition des premières poésies contenues dans ces trois mss., nous fournit une indication certaine pour établir la parenté rapprochée qui existe entre eux. Cette alliance se manifeste sous bien d'autres rapports. Nous en trouvons la preuve dans l'ordre identique suivi pour la transcription des différentes pièces, dans le nombre des ballades de divers propos qui est le même dans les trois mss., dans la forme orthographique des mots, dans la similitude des variantes, et enfin dans certaines lacunes et quelques vers faux qui se trouvent rectifiés dans les mss. A12.

Note 12: Voici quelques renvois qui prouvent en faveur de l'excellence du texte donné par la famille A:

Ainsi les vers suivants manquent dans la famille B: Cent Ballades, XI vers 22 à 25, XXIX v. 12 et 21, LXXII v. 22 à 25; Virelais, IX v. 10; Ier Lai, v. 73 et 74, 77, 208, 213, 241; IIe Lai, v. 55, 61, 74 à 76, 212; etc.

De plus, les vers indiqués ci-dessous se trouvent justes dans A tandis qu'ils sont faux dans B: Cent Ballades, III vers 5, XV v. 16, XX v. 7, XXIX v. 3, XXXVIII v. 13, XLIX v. 18; Virelais, XIII v. 5; Autres Ballades, VI v. 6, XII v. 6, etc.

Nous pourrions multiplier les exemples, mais ces indications nous semblent suffisantes pour édifier le lecteur.

Ces divers rapprochements nous ont permis de reconstituer dans le tableau suivant la généalogie probable des mss. contenant les oeuvres que nous publions dans ce premier volume:

                             ORIGINAL
                               /\
                  A¹         A²            «B»
                                         /      \
                                        B¹  B²  B³

Les quelques indications données plus haut sur la disposition des différentes oeuvres d'après les familles de manuscrits et sur le nombre variable des compositions, principalement des ballades de divers propos, ressortiront plus clairement encore des deux tableaux ci-joints, qui seront en même temps les meilleures pièces justificatives de la généalogie que nous venons d'établir.

Ordre suivant lequel sont disposées les diverses oeuvres contenues dans les manuscrits des familles A et B.

             A¹                   A²                      B¹ B² B³

I.    1.--CENT BALLADES.          1.--CENT BALLADES.      1.--CENT BALLADES.

II.   2.--16 VIRELAIS.            2.--16 VIRELAIS.        2.16 VIRELAIS

III.  3.--4 BALLADES              3.--4 BALLADES          3.--3 BALLADES
            D'ESTRANGE FAÇON.         D'ESTRANGE FAÇON.      D'ESTRANGE FAÇON.
                                                          La 4e se trouve
                                                          reportée au milieu
                                                          des autres Ballades,
                                                          sous le n° XXI.

IV.   4.--2 LAIS.                 4.--2 LAIS.             4.--29 BALLADES DE
                                                          DIVERS PROPOS
                                                          (29 ballades
                                                          seulement).

V.    5.--67 RONDEAUX.            5.--67 RONDEAUX.        5.--COMPLAINTE
                                                          AMOUREUSE.
      Les rondeaux 59, 62,         Le même ordre
      63 et 64 manquent            sauf pour les
      dans B.                      rondeaux XXVII
                                   et XXVIII qui portent
                                   ici les numéros
                                   XLVII et XLVIII.

VI.   6.--70 JEUX A VENDRE.       6.--70 JEUX A VENDRE.   6.--2 LAIS.

VII.  7.--50 AUTRES BALLADES ou   7.--50 BALLADES DE      7.--65 RONDEAUX
          BALLADES DE DIVERS          DIVERS PROPOS.      Les rondeaux 54 et
          PROPOS                                          69 manquent dans A.
      La ballade 44 de A2 manque    Même ordre et même
      et est                        nombre, mais la
      remplacée par une autre (45)  ballade 46 de A1
      qui ne                        manque et est
      se trouve pas dans A2.        remplacée par une
                                    nouvelle.

VIII. 8.--ÉPITRE AU DIEU          8.--UNE COMPLAINTE       8.--70 JEUX A
          D'AMOURS.                   AMOUREUSE.               VENDRE.

IX.   ..................          9.--ENCORE AUTRES       ..................
                                      BALLADES.

X.    9.--COMPLAINTE AMOUREUSE    10.--ÉPITRE AU DIEU     9.--LE DÉBAT DE DEUX
                                       D'AMOURS.              AMANTS.

XI.   ..................          11.--UNE AUTRE          ..................
                                       COMPLAINTE
                                       AMOUREUSE.

XII.  10.--LE DÉBAT DE DEUX       12.--LE DÉBAT DE DEUX    10.--ÉPITRE AU DIEU
           AMANTS.                     AMANTS.                  D'AMOURS.

XIII. ....................        ....................     11.--LE DIT DE LA
                                                                ROSE.
XIV.  11.--LE DIT DES             11.--LE DIT DES          12.--LE DIT DES
           TROIS JUGEMENTS             TROIS JUGEMENTS          TROIS JUGEMENTS
           AMOUREUX.                   AMOUREUX.                AMOUREUX.


XV.    12.--LE DIT DE POISSY.     14.--LE DIT DE POISSY.   13.--LE DIT DE
                                                                 POISSY.

XVI.   13.--LES ÉPITRES SUR       15.--L'ÉPITRE D'OTHEA.   14.--L'ÉPITRE
            LE ROMAN DE LA ROSE.                                D'OTHEA.

XVII.  14.--L'ÉPITRE D'OTHEA.     16.--LE DUC DES VRAIS    15.--LES ÉPITRES SUR
                                       AMANTS.                  LE ROMAN DE LA
                                                                ROSE.

XVIII. 15.--LE CHEMIN DE LONGUE   17.--LE CHEMIN DE        16.--LES
            ÉTUDE.                     LONGUE ÉTUDE.            ENSEIGNEMENTS
                                                                MORAUX.

XIX.   16.--LES ENSEIGNEMENS      18.--LE DIT DE LA        17.--ORAISON NOTRE
            MORAUX.                    PASTOURE.                DAME[13].

XX.    17.--ORAISON NOTRE DAME.   19.--LES ÉPITRES SUR     18.--LES QUINZE
                                       LE ROMAN DE LA ROSE.     JOYES NOTRE
                                                                DAME[13].

XXI.   18.--LES QUINZE JOYES      20.--ÉPITRE A EUSTACHE   19.--ORAISON NOTRE
            NOTRE DAME.                MOREL.                   SEIGNEUR[14].

XXII.  19.--LE DIT DE LA          21.--ORAISON NOTRE       20.--LE DIT DE LA
            PASTOURE.                  SEIGNEUR.                PASTOURE[15].
                                                                B¹ B³

XXIII. 20.--ORAISON NOTRE         22.--PROVERBES MORAUX.   21.--LE CHEMIN DE
            SEIGNEUR.                                           LONGUE
                                                                ÉTUDE[16].

XXIV.  ...............            ...................      22.--LA MUTATION DE
                                                                FORTUNE. B¹

XXV.   21.--LE DUC DES VRAIS      23.--LES ENSEIGNEMENTS   23.--ÉPITRE A LA
            AMANTS.                    MORAUX.                  REINE ISABELLE
                                                                (incomplet)
                                                                (feuillets                                                                                                       arrachés).

XXVI.  22.--ÉPITRE A LA REINE     24.--ORAISON NOTRE DAME.
            ISABELLE.

XXVII. 23.--ÉPITRE A EUSTACHE     25.--LES QUINZE JOYES
            MOREL.                     NOTRE DAME.

XXVIII.  24.--PROVERBES MORAUX.   26.--LE LIVRE DE PRUDENCE.

XXIX.    25.--LE LIVRE DE         27.--LA CITÉ DES DAMES.
              PRUDENCE.

XXX.                              28.--CENT BALLADES D'AMANT
                                       ET DE DAME.
Note 13: Ces deux pièces manquent dans le ms B¹ par suite de feuillets arrachés, mais sont indiquées dans les «rebriches» de la table de ce manuscrit.
Note 14: Le ms. B¹ ne renferme qu'un fragment de cette oraison; dans B² plusieurs feuillets ont été arrachés à la place qu'elle devait occuper; seul B³ dans la famille en donne le texte complet.
Note 15: Quelques feuillets ont été coupés dans B¹ à l'endroit qui devait contenir «le Dit de la Pastoure»; dans B² l'oeuvre n'est pas complète, tous les derniers feuillets du volume ayant été enlevés.
Note 16: Dans B¹ les 100 premiers vers du poème manquent, plusieurs feuillets ayant été coupés.

TABLEAU PRÉSENTANT LA CONCORDANCE
DES BALLADES DE DIVERS PROPOS
SELON LES FAMILLES DE MANUSCRITS A ET B


    (N)      REFRAINS DES BALLADES                                 (A) (B)

     I. --Car qui est bon doit estre appelle riche                  1   1
    II. --Si com tous vaillans doivent estre                        2   3
   III. --Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir              3   2
    IV. --Et honneur en toutes querelles                            4   4
     V. --Avisons nous qu'il nous convient morir                    5   5
    VI. --Ne les princes ne les daignent entendre                   6   6
   VII. --Car de Juno n'ay je nul reconfort                         7   7
  VIII. --Il veult trestout quanque je vueil                        8   »
    IX. --Amours le veult et la saison le doit                      9   8
     X. --Amours le veult et la saison le doit                     10   9
    XI. --Assez louer, ma redoubtée dame                           11  10
   XII. --Si qu'a tousjours en soit memoire                        12  11
  XIII. --Vous semble il que ce fausseté soit?                     13  12
   XIV. --Juno me het et meseür me nuit                            14  13
    XV. --Se Dieu et vous ne la prenez en cure                     15  14
   XVI. --Ce premier jour que l'an se renouvelle                    »  15
  XVII. --N'on n'en pourroit assez mesdire                         16  16
 XVIII. --Ce jour de l'an, ma redoubtée dame                       17  17
   XIX. --Ce jour de l'an vous soiez estrené                       18  18
    XX. --Ce plaisant jour premier de l'an nouvel                  19  19
   XXI. --Si le vueillez recepvoir pour estreine                   20   »
  XXII. --Si le vueilliez, noble duc, recevoir                     21  20
        --[17] Aime le; si feras que sage                           »  21
 XXIII. --Faittes voz faiz à voz ditz accorder                     22  22
  XXIV. --Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure              23  23
   XXV. --Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours             24   »
  XXVI. --Et certes le doulz m'aime bien                           25   »
 XXVII. --Et ce vous fait à tout le monde plaire                   26  24
XXVIII. --En ce jolis plaisant doulz moys de May                    »  25
  XXIX. --De hault honneur et de chevalerie                        27  26
   XXX. --Sera retrait de leur haulte vaillance                    28  27
  XXXI. --On vous doit bien de lorier couronner                    29  28
 XXXII. --A pou que mon cuer ne font?                              30   »
XXXIII. --D'entreprendre armes et peine                            31  29
XXXIV à LIII. Ces ballades existent seulement dans les          32 à 50 »
          mss. de la famille _A_ et suivant un ordre
          identique; remarquons en outre,                          50  29
          que l'écriture de _A¹_ se modifie d'une
          façon très sensible à partir de la ballade
          XL (fol. 41 v°)                                        ----  --



[N] Numéros des ballades dans la présente édition
[A] Numéros des ballades dans la famille A
[B] Numéros des ballades dans la famille B

Note 17: Cette ballade se trouve dans A sous la rubrique «Balades d'estrange façon».

L'ordre dans lequel nous donnons les poésies de Christine de Pisan est sensiblement le même que celui adopté dans tous les mss.; nous avons d'ailleurs suivi exactement la disposition du ms. du duc de Berry, il nous a été seulement indispensable d'intercaler les pièces nouvelles heureusement retrouvées dans le ms. du Musée britannique, et de faire un simple rapprochement nécessaire à la composition du cadre du volume18.

Note 18: C'est ainsi que nous avons dû réunir à la fin du volume les deux Complaintes amoureuses, bien que la première de ces complaintes soit placée dans le ms. du duc de Berry après l'Epitre au dieu d'amours.

Les petites poésies reproduites dans les pages qui suivent forment le début de la carrière poétique de Christine, encore tout émue de son veuvage prématuré. Elles ont établi sa réputation en lui attirant de puissants protecteurs tels que la reine Isabelle de Bavière; le duc de Berry; la duchesse de Bourbon; le duc d'Orléans; Philippe le Bon, duc de Bourgogne; Charles d'Albret, connétable de France, etc. Leur place en tête de cette édition était donc tout indiquée. Nous allons du reste passer en revue les différentes oeuvres contenues dans notre premier volume et esquisser rapidement l'impression que nous a produite leur lecture.

I.—CENT BALLADES

Les Cent Ballades doivent être considérées comme les premiers essais de Christine. Elles ne sont certainement pas postérieures aux rondeaux et autres petites pièces que l'auteur a composées dans sa jeunesse; d'ailleurs dans tous les mss. elles occupent le premier rang. Rassemblées à la prière d'un ami resté inconnu (voy. ballade C) les ballades qui forment ce recueil traitent de sujets fort différents et paraissent avoir été inspirées à des époques diverses ou tout au moins à des intervalles de temps assez notables. Car la date de la mort d'Etienne du Castel étant connue19, il a été possible de fixer d'une façon précise l'époque de la composition de deux ballades, en premier lieu la ballade IX, écrite cinq ans après la mort de l'époux regretté, c'est-à-dire en 1394, puis la ballade XX, par laquelle nous apprenons que le coeur de la veuve n'a éprouvé aucune impression de joie depuis près de dix ans, ce qui permet d'assigner à cette pièce la date de 1399. Nous pensons donc que c'est dans un intervalle d'au moins cinq ou six années qu'ont dû être composés la plupart de ces morceaux poétiques. Il était d'ailleurs d'usage à cette époque de réunir ainsi des pièces détachées, inspirées dans les circonstances les plus diverses et traduisant les impressions les plus opposées. On les rassemblait en nombre suffisant pour former un livre sous la rubrique «Cent Ballades». C'est ainsi que la cour d'amour de Louis d'Orléans nous a donné le livre des Cent Ballades20 et que notre poète lui-même, comme nous l'avons annoncé plus haut, a désigné sous un titre analogue ses Ballades «d'Amant et de Dame».

Note 19: Il y a lieu d'adopter, selon toute vraisemblance, l'année 1389 comme celle de la mort d'Etienne du Castel. Au commencement de son livre du Chemin de long estude, Christine nous apprend en effet que son deuil remonte à environ 13 ans, et comme un peu plus loin elle ajoute qu'elle a commencé à écrire ce poème au mois d'octobre 1402, la date de 1389 s'obtient logiquement de ce simple rapprochement.
Note 20: Le livre des Cent Ballades, publié par M. le marquis de Queux de Saint-Hilaire. Paris, 1868.

Dès les premiers vers Christine nous prévient qu'elle cède à de pressantes sollicitations et que ses poésies reflèteront la douleur qui s'est emparée d'elle depuis la mort de celui en qui consistait tout son bonheur; «Seulette», tel est l'écho de ses vers!

Les premières ballades sont en effet empreintes de la plus profonde tristesse, et l'auteur semble se complaire à retracer longuement ses regrets amers et son désespoir, mais à partir de la vingt-et-unième ballade la veuve éplorée, s'abandonnant à des inspirations plus séduisantes, élève ses pensées vers les régions de l'amour le plus pur, et peint avec une exquise sensibilité les sentiments si divers qui peuvent agiter les coeurs de ceux qui ont aimé ou qui aiment encore.

Christine révèle dans cette poésie toute la richesse de son talent et de son art des développements; elle déploie ses pensées en modulations infinies, et exprime sous les formes les plus variées les effets d'un même sentiment; vingt fois elle refait chaque pièce sans se répéter, et les ballades se succèdent, traduisant sans cesse la même idée, et cependant ce sont toujours des ballades nouvelles.

Ces impressions sont touchantes de vérité et de simplicité, mais nous ne pouvons y voir, comme l'a supposé M. Paulin Paris21, l'image des sentiments personnels de l'auteur. Car l'aimable poète a pris soin lui-même de nous prévenir contre toute pensée de ce genre. Ne fallait-il pas d'ailleurs expliquer l'étrange contraste que produisent ces chants d'amour succédant à des cris d'infortune et de douleur?

Note 21: Voy. Manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, V, p. 152 et 153.

La ballade L doit faire disparaître les moindres doutes, Christine y fait allusion à ses scrupules et s'excuse de traiter de sujets d'amours qui paraissent se rapporter à elle, craignant que ce ne soit un motif d'insinuations malveillantes22; elle ajoute que ces pensées n'ont nullement les tendances que l'on pourrait supposer; car, bien que de grands seigneurs aient montré pour elle de l'affection, son coeur ne ressent aucune impression d'amour ni de dépit, elle fait d'ailleurs appel, dans le refrain de sa ballade, au jugement de «tous sages ditteurs». Plus loin (ballade C) la même préoccupation se traduit encore dans ses deux vers:

Qu'on le tiengne a esbatement

Sans y gloser mauvaisement.

Note 22: Les différentes pièces des Cent Ballades doivent être considérées essentiellement comme des jeux d'esprit et de sentiment. Il est possible que certaines d'entre elles traduisent les impressions ressenties par quelques personnages de l'époque ou aient été composées à l'intention de seigneurs familiers de la cour de Charles VI, mais la révélation de l'auteur à la ballade C

Ne les ay faittes pour merites

Avoir ne aucun paiement

nous interdit de penser qu'il ait pu transformer son talent en officine de compliments et de complaintes favorables à des intrigues amoureuses.

Le soin que la célèbre femme met à défendre sa réputation pourrait, jusqu'à un certain point, paraître exagéré, si l'on ne tenait justement compte des récriminations violentes qu'avait dû susciter son ardente polémique contre l'oeuvre la plus estimée et la plus admirée de son époque, le Roman de la Rose.

Celle qui excellait à retracer dans ses vers la défense de l'honneur des femmes et la louange de leurs vertus23, devait bien être jalouse pour elle-même de semblables éloges. N'avait-elle pas d'ailleurs le droit de dissiper les moindres doutes qui auraient pu planer sur son veuvage irréprochable et d'étouffer à l'avance les calomnies de ses adversaires? C'est, comme nous le verrons par la suite, la préoccupation constante d'une vie pleine de candeur que tous les historiens se sont accordés à nous représenter comme le modèle de la douce et simple vertu.

Note 23: Voy. l'Epitre au dieu d'amours, le Dit de la Rose,... etc...

Les pensées d'amour ne forment pas exclusivement les sujets de toutes les ballades de Christine de Pisan. On trouve parsemées çà et là les idées les plus diverses, et l'auteur sait varier avec un art accompli l'expression et le tour de ses poésies: ici le sentiment des tristesses produites par la maladie (Ball. XLIII), là l'éloge finement ironique d'un personnage contemporain (Ball. LVIII), puis une dissertation sur les qualités des bons chevaliers (Ball. LXIV), plus loin une pièce satirique contre les maris jaloux (Ball. LXXVIII). Mentionnons encore, en raison de leur mérite et de leur originalité, la louange d'un grand chevalier (Ball. XCII), les angoisses causées par la maladie du roi Charles VI (Ball. XCV), enfin l'aspiration à la félicité éternelle (Ball. XCIX), comme placée en opposition avec les sentiments les plus délicats d'amour et de bonheur que l'on puisse éprouver sur cette terre.

II.—VIRELAIS

Les virelais, au nombre de 16, n'ont pas le même mérite que les ballades. Il importe cependant de signaler le premier qui traduit heureusement les efforts pénibles du poète pour dissimuler sa douleur, et le dixième qui nous offre une jolie pièce sur la Saint-Valentin.

Enfin, notons également le virelai XV parce qu'il fournit quelques indications sur le sentiment et l'objet de ces diverses compositions. Christine y constate de nouveau que ses poésies sont souvent l'expression de ses pensées d'amertume et de regrets, mais elle ajoute que, si on lui donne mission de traduire les impressions des autres, il lui faut improviser des sentiments opposés, et qu'alors, pour alléger un peu sa douleur, elle compose des pièces qui reflètent généralement la joie et le bonheur.

III.—BALLADES D'ÉTRANGES FAÇONS

Ces quatre ballades ont été préparées suivant le goût et la mode de l'époque. Elles n'ont d'autre mérite que celui de la difficulté vaincue.

IV.—LAIS

Les deux compositions que Christine nous donne sous forme de lais ne présentent aucun caractère particulier qui puisse nous permettre de leur assigner une date quelconque ou de supposer avec la moindre apparence de vraisemblance les motifs possibles de leur confection.

Nous n'y remarquons qu'un nouveau mode de poésie d'un genre encore inconnu à notre poète, et sur lequel il a voulu exercer la verve de son talent en se conformant d'une façon générale aux principes exposes par Eustache Deschamps dans son «Art de dictier et de fere chançons, balades, virelais et rondeaux24» et en montrant son habileté à assembler les rimes léonines.

Note 24: Voy. Poésies d'Eustache Deschamps, éd. Crapelet, p. 278. M. de Queux de Saint-Hilaire a reproduit dans son édition le passage relatif aux Lais, t. II, p. 357.

Malheureusement, les règles étroites auxquelles se trouve assujettie la diction de l'auteur ont pour inconvénient d'obscurcir fortement la pensée et de ne laisser entrevoir le plus souvent qu'un sens à peine intelligible. Car il serait assez difficile de déterminer exactement la raison d'être du premier lai dont le sujet réside tout entier dans une éloge vague de l'amour en général.

Le second lai a pour objet la louange intarissable d'un parfait gentilhomme; l'allure du poète est ici plus dégagée, plus précise, sa pensée devient plus claire, la strophe lyrique prend en même temps une forme plus nette, plus harmonieuse, et l'on y trouve des réminiscences de la littérature classique parmi lesquelles nous devons surtout signaler une longue exposition d'impossibilités évidemment inspirée des auteurs anciens. (Voy. Virgile, Egl. I.)

V.—RONDEAUX

Ces rondeaux sont au nombre de 69; le recueil débute, comme les Cent Ballades, par l'expression de la douleur et des regrets de Christine, qui fait remonter son deuil à sept années, ce qui nous a permis de donner au premier rondeau la date de 1396. Notre poète commença donc la composition de ses rondeaux deux ou trois ans seulement après avoir écrit ses premières ballades, et poursuivit la confection de ces jolis morceaux parallèlement à celle des Cent Ballades et de la plupart de ses petites poésies.

Jusqu'au rondeau VIII nous voyons Christine s'abandonner à sa douleur; mais plus loin, craignant sans doute de fatiguer le lecteur par la monotonie d'un sujet aussi triste, elle fait un effort sur elle-même, et, comme elle l'exprime si bien dans le rondeau XI, il lui faut désormais «de triste cuer chanter joyeusement».

A partir de ce moment se succèdent en effet les peintures des sentiments multiples auxquels peuvent donner lieu les différentes formes de l'amour. Inutile d'insister à nouveau sur le mobile de ces compositions légères, nous savons depuis longtemps que nous ne devons y voir que des jeux d'esprit et de sentiment. Mais on nous permettra toutefois de recommander le mérite de ces petites poésies si remarquables par leur douce monotonie et leur finesse d'expression, et où la grâce, s'alliant à une harmonie parfaite, révèle toutes les délicatesses de la femme sentimentale que devait être Christine.

VI.—JEUX A VENDRE

Ces gracieux petits morceaux servaient de distraction et d'amusement à la meilleure société des XIVe et XVe siècles. Une dame lançait à un gentilhomme ou un gentilhomme lançait à une dame le nom d'une fleur, d'un objet quelconque, et la personne interpellée devait à l'instant même et sans hésitation répondre par un compliment ou une épigramme rimés; c'était un véritable assaut d'esprit et d'à-propos tout à fait conforme au caractère vif et enjoué de l'époque. Aussi ne faut-il nullement s'étonner si ce genre de distraction, qui nous paraîtrait aujourd'hui un peu fastidieux, obtint rapidement un grand succès de vogue25, et si Christine elle-même crut devoir satisfaire à la mode en accroissant avec son abondance habituelle un répertoire d'ailleurs facile à étendre à l'infini. Elle ne composa pas moins de 70 jeux à vendre.

Note 25: Les mss. du XVe siècle en fournissent le témoignage. Voy. notamment un ms. contenant 180 couplets de ventes d'amour et appartenant à Monseigneur le duc d'Aumale, un autre ms. de la même époque conservé à la bibliothèque d'Epinal sous le n° 189, et un recueil de poésies françaises à Westminster Abbey, signalé par M. Paul Meyer dans le Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1875, p. 25.

Le succès de ces devises de société alla grandissant jusqu'à la fin du XVIe siècle, comme on peut en juger par les nombreuses éditions de ventes d'amour qui se succédèrent depuis la découverte de l'imprimerie26. Plus tard, la poésie populaire en conserva seule la tradition jusqu'à nos jours, et particulièrement en Lorraine, sous l'ancien nom de daiemants ou dây'mans27. Ajoutons que certains jeux enfantins, comme les Boîtes d'amourette et le Corbillon, rappellent encore aujourd'hui les récréations de nos pères.

Note 26: Voy. dans le Bulletin de la librairie Morgand et Fatout, n° 7866, l'intéressante notice de M. E. Picot.
Note 27: Voy. sur cet usage Mélusine, I, col. 570, et II, col. 327, et Les Chants populaires de la Provence, publiés par M. Damase Arbaud, I, p. 220.

VII.——AUTRES BALLADES

Les pièces suivantes, comprises sous la rubrique de «Balades de divers propos» sont dignes des meilleures poésies du recueil des Cent Ballades; leur nombre s'élève à 53. Toutefois les mss. de la famille B n'en contiennent que 29; seuls, comme nous l'avons déjà dit, les mss. et fournissent le complément. Il est utile de faire également remarquer que dans , à partir de la ballade XL (fol. 41 v°), l'écriture se modifie d'une façon très apparente et n'est plus évidemment tracée par la même main. L'orthographe et la forme des mots subissent en même temps une transformation contraire aux règles suivies jusqu'ici par le scribe du ms. Les nouvelles leçons de graphie affectent la forme qui leur est donnée dans les mss. B, copiés à une époque certainement postérieure. Ce qui paraîtrait démontrer que ces dernières pièces ont été composées plus tard et transcrites après coup sur des feuillets laissés en blanc. Le ms. Harley du Musée britannique, qui contient un plus grand nombre de ballades que tous les autres mss., renferme deux feuillets blancs préparés pour recevoir de nouvelles compositions. Du reste les différentes ballades rassemblées sous le présent titre ne constituent nullement un recueil composé d'avance et dans lequel on puisse reconnaître un certain ordre. La diversité des sujets traités, l'absence complète de tout lien, de toute transition, autorisent, au contraire, à penser que ces ballades ont été écrites à des époques assez éloignées les unes des autres, suivant un peu le cours des événements contemporains qui forment d'ailleurs le thème de quelques-unes d'entre elles et permettent ainsi de leur assigner une date certaine. L'ordre chronologique nous paraît avoir été généralement suivi, et c'est pour ce motif que le ms. Harley, le plus récent, à notre avis, qui ait été copié directement sur des originaux, renferme sous la rubrique «Encore aultres Balades» des compositions ne se trouvant dans aucun autre ms., et faisant allusion, comme la pièce IX, à des faits que l'on ne peut placer qu'entre 1410 et 1415.

Ainsi, même lorsqu'elle eut abordé ses grandes compositions, ses oeuvres de longue haleine, Christine ne dédaigna pas de rimer encore quelques ballades quand la circonstance s'en présentait et que ce cadre convenait à son inspiration.

Presque toutes ces ballades sont d'ailleurs d'un très grand mérite et permettent de constater le progrès réel accompli par le génie de notre poète. Les notes placées à la fin du volume feront connaître l'objet de ces différentes pièces et donneront quelques indications sur les faits ou sur les personnages historiques auxquels elles se rapportent.

VIII.—COMPLAINTES AMOUREUSES

Longues et languissantes tirades de poursuivants d'amour qui aspirent aux faveurs de leur dame; cette monotonie douce, quelquefois même expressive, est heureusement interrompue par des comparaisons empruntées à la Mythologie, comme l'amour de Pygmalion, l'aventure de Deuchalion et de Pyrrha, la punition de l'insensible Anaxarète.






CENT BALLADES

CI COMMENCENT CENT BALADES

Note Rubrique B¹: Ci c. cent bonnes b.

I

Aucunes gens me prient que je face

Aucuns beaulz diz, et que je leur envoye,

Et de dittier dient que j'ay la grace;

4

Mais, sauve soit leur paix, je ne sçaroye

Faire beaulz diz ne bons; mès toutevoye,

Puis que prié m'en ont de leur bonté,

Peine y mettray, combien qu'ignorant soie,

8

Pour acomplir leur bonne voulenté.

Mais je n'ay pas sentement ne espace

De faire diz de soulas ne de joye:

Car ma douleur, qui toutes autres passe,

12

Mon sentement joyeux du tout desvoye;

Mais du grant dueil qui me tient morne et coye

Puis bien parler assez et a plenté;

Si en diray: voulentiers plus feroye

16

Pour acomplir leur bonne voulenté.

Et qui vouldra savoir pour quoy efface

Dueil tout mon bien, de legier le diroye:

Ce fist la mort qui fery sanz menace

20

Cellui de qui trestout mon bien avoye;

Laquelle mort m'a mis et met en voye

De desespoir; ne puis je n'oz santé;

De ce feray mes dis, puis qu'on m'en proie,

24

Pour accomplir leur bonne voulenté.

Princes, prenez en gré se je failloie;

Car le ditter je n'ay mie henté,

Mais maint m'en ont prié, et je l'ottroye,

28

Pour accomplir leur bonne voulenté.

Note I:—A prie—2 Quelques b. d.—12 du manque—18 B voulentiers le—22 despoir—23 A que on.

II

Ou temps jadis, en la cité de Romme,

Orent Rommains maint noble et bel usage.

Un en y ot: tel fu que quant un homme

4

En fais d'armes s'en aloit en voyage,

S'il faisoit la aucun beau vasselage,

Après, quant ert a Romme retourné,

Cellui estoit, pour pris de son bernage,

8

Digne d'estre de lorier couronné.

De cel' honneur on prisoit moult la somme;

Car le plus preux l'avoit ou le plus sage.

Pour ce pluseurs, qu'yci pas je ne nomme,

12

S'efforçoient d'en avoir l'avantage;

Bien y paru, car de hardi visage

Domterent ceulz d'Auffrique en leur regné,

Dont maint furent, au retour de Cartage,

16

Digne d'estre de laurier couronné.

Ce faisoit on jadis; mais une pomme

Ne sont prisié en France, c'est domage,

Adès les bons, mais tous ceulz on renomme

20

Qui ont avoir ou trés grant heritage.

Mais par bonté, trop plus que par lignage,

Doit estre honneur et pris et loz donné

A ceulx qui sont, pour leur noble corage,

24

Digne d'estre de lorier couronné.

Princes, par Dieu c'est grant dueil et grant rage

Quant les biens fais ne sont guerredonné

A ceulx qui sont, au dit de tout lengage,

28

Digne d'estre de lorier couronné.

Note II:—5 B Et la f.—6 B Et puis s'en feust a—10 B et le p.—22 B loz et p.

III

Quant Lehander passoit la mer salée,

Non pas en nef, ne en batel a nage,

Mais tout a nou, par nuit, en recellée,

4

Entreprenoit le perilleux passage

Pour la belle Hero au cler visage,

Qui demouroit ou chastel d'Abidonne,

De l'autre part, assez près du rivage;

6

Voyez comment amours amans ordonne!

Ce braz de mer, que l'en clamoit Hellée,

Passoit souvent le ber de hault parage

Pour sa dame veoir, et que cellée

12

Fust celle amour ou son cuer fu en gage.

Mais Fortune qui a fait maint oultrage,

Et a mains bons assez de meschiefs donne,

Fist en la mer trop tempesteux orage.

16

Voiés comment amours amans ordonne!

En celle mer, qui fu parfonde et lée,

Fu Lehander peri, ce fu domage;

Dont la belle fu si fort adoulée

20

Qu'en mer sailli sanz querir avantage.

Ainsi pery furent d'un seul courage.

Mirez vous cy, sanz que je plus sermone,

Tous amoureux pris d'amoureuse rage.

24

Voyez comment amours amans ordonne!

Mais je me doubt que perdu soit l'usage

D'ainsi amer a trestoute personne;

Mais grant amour fait un fol du plus sage.

28

Voyez comment amours amans ordonne!

Note III:—6 de Bidonne—9 A, B Herlée—21 tout d'un; tuit d'un—27 Au fort a.

IV

Par envie, qui le monde desroye,

Est trayson couvertement nourrie

En mains faulz cuers, qui se mettent en voye

4

De mettre a fin leur fausse lecherie,

Et en leurs fais usent de tricherie,

Dont ilz prenent sur maint grant avantage,

7

En traïson, non pas par vacellage.

En grant pouoir fu la cité de Troye,

Un temps qui fu, sur toute seigneurie;

Et la regnoit de ce monde, a grant joye,

11

En haulte honneur, fleur de chevalerie;

Qui par Grigois fu puis arse et perie,

Et Troyens pris et menez en servage,

14

En traïson, non pas par vacellage.

Alixandre qui du monde ot la proye

Si fu trahy; aussi grant desverie

Reffist Mordret a Artus par tel voye,

18

Dont maint dient qu'il est en faerie.

Le preux Hector, ou ot bonté florie,

Ne l'occist pas Achillès par oultrage,

21

En traïson, non pas par vacellage.

Princes, je dis, nel tenez moquerie,

Que l'en se gard de tel forsennerie,

Voire qui puet, car on fait maint domage

25

En traïson, non pas par vacellage.

Note IV:—17 A Mortrett—19 B Le bon H. ou b. fu f.—22 B Pour ce je dy ce n'est pas m.

V

Hé! Dieux, quel dueil, quel rage, quel meschief,

Quel desconfort, quel dolente aventure,

Pour moy, helas, qui torment ay si grief,

Qu'oncques plus grant ne souffri creature!

L'eure maudi que ma vie tant dure,

Car d'autre riens nulle je n'ay envie

Fors de morir; de plus vivre n'ay cure,

8

Quant cil est mort qui me tenoit en vie.

O dure mort, or as tu trait a chief

Touz mes bons jours, ce m'est chose molt dure,

Quant m'as osté cil qui estoit le chief

12

De tous mes biens et de ma nourriture,

Dont si au bas m'as mis, je le te jure,

Que j'ay desir que du corps soit ravie

Ma doulante lasse ame trop obscure,

16

Quant cil est mort qui me tenoit en vie.

Et se mes las dolens jours fussent brief,

Au moins cessast la dolour que j'endure;

Mais non seront, ains toudis de rechief

20

Vivray en dueil sanz fin et sanz mesure,

En plains, en plours, en amere pointure.

De touz assaulz dolens seray servie.

D'ainsi mon temps user c'est bien droitture,

24

Quant cil est mort qui me tenoit en vie.

Princes, voiez la trés crueuse injure

Que mort me fait, dont fault que je devie;

Car choite suis en grant mesaventure,

28

Quant cil est mort qui me tenoit en vie.

Note V:—4 Que o.; B n'endura—10 B c. trop d.—15 A Ma doloreuse; B Ma doulante a. qui t. se treuve o.—19 B seroit—25 B v. comment t. grant i.—26 d. fait q.; B La m. me f.—27 cheoite.

VI

Dueil engoisseux, rage desmesurée,

Grief desespoir, plein de forsennement,

Langour sanz fin, vie maleürée

4

Pleine de plour, d'engoisse et de tourment,

Cuer doloreux qui vit obscurement,

Tenebreux corps sus le point de perir,

Ay, sanz cesser, continuellement;

8

Et si ne puis ne garir ne morir.

Fierté, durté de joye separée,

Triste penser, parfont gemissement,

Engoisse grant en las cuer enserrée,

12

Courroux amer porté couvertement,

Morne maintien sanz resjoïssement,

Espoir dolent qui tous biens fait tarir,

Si sont en moy, sanz partir nullement;

16

Et si ne puis ne garir ne morir.

Soussi, anuy qui tous jours a durée,

Aspre veillier, tressaillir en dorment,

Labour en vain, a chiere alangourée

20

En grief travail infortunéement,

Et tout le mal, qu'on puet entierement

Dire et penser sanz espoir de garir,

Me tourmentent desmesuréement;

24

Et si ne puis ne garir ne morir.

Princes, priez a Dieu que bien briefment

Me doint la mort, s'autrement secourir

Ne veult le mal ou languis durement;

28

Et si ne puis ne garir ne morir.

Note VI:—5 q. vid—19 alanguorée.

VII

Ha! Fortune trés doloureuse,

Que tu m'as mis du hault au bas!

Ta pointure trés venimeuse

4

A mis mon cuer en mains debas.

Ne me povoyes nuire en cas

Ou tu me fusses plus crueuse,

Que de moy oster le soulas,

8

Qui ma vie tenoit joyeuse.

Je fus jadis si eüreuse;

Ce me sembloit qu'il n'estoit pas

Ou monde plus beneüreuse;

12

Alors ne craignoie tes las,

Grever ne me pouoit plein pas

Ta trés fausse envie haïneuse,

Que de moy oster le soulas,

16

Qui ma vie tenoit joyeuse.

Horrible, inconstant, tenebreuse,

Trop m'as fait jus flatir a cas

Par ta grant malice envieuse

20

Par qui me viennent maulx a tas.

Que ne vengoyes tu, helas!

Autrement t'yre mal piteuse,

Que de moy oster le solas,

24

Qui ma vie tenoit joyeuse?

Trés doulz Princes, ne fu ce pas

Cruaulté male et despiteuse,

Que de moy oster le solas,

28

Qui ma vie tenoit joyeuse?

Note VII:—6 A cruese; B Dont tu me f. si c.—7 ce de—9 A Helas j. f. si e.—10 n'estois; B n'avoit—17 B Trés faulse h. et t.

VIII

Il a long temps que mon mal comença,

N'oncques despuis ne fina d'empirer

Mon las estat, qui puis ne s'avança,

4

Que Fortune me voult si atirer

Qu'il me convint de moy tout bien tirer;

Et du grief mal qu'il me fault recevoir

7

C'est bien raison que me doye doloir.

Le dueil que j'ay si me tient de pieça,

Mais tant est grant qu'il me fait desirer

Morir briefment, car trop mal me cassa

11

Quant ce m'avint qui me fait aïrer;

Ne je ne puis de nul costé virer,

Que je voye riens qui me puist valoir.

14

C'est bien raison que me doye doloir.

Ce fist meseur qui me desavança,

Et Fortune qui voult tout dessirer

Mon boneür; car depuis lors en ça

18

Nul bien ne pos par devers moy tirer,

Ne je ne scay penser ne remirer

Comment je vif; et de tel mal avoir

21

C'est bien raison que me doye doloir.

Note VIII:—6 Dont du g. m.—7 B q. m'en d. d.—12 Ne je le p.—15 Ce fu m.—18 B d. m. atirer.

IX

O dure Mort, tu m'as desheritée,

Et tout osté mon doulz mondain usage;

Tant m'as grevée et si au bas boutée,

4

Que mais prisier puis pou ton seignorage.

Plus ne me pues en riens porter domage,

Fors tant sanz plus de moy laissier trop vivre.

Car je desir de trestout mon corage

8

Que mes griefs maulx soyent par toy delivre.

Il a cinq ans que je t'ay regraittée

Souventes fois, a trés pleureux visage,

Depuis le jour que me fu joye ostée,

12

Et que je cheus de franchise en servage.

Quant tu m'ostas le bel et bon et sage,

Laquelle mort a tel tourment me livre

Que moult souvent souhait, pleine de rage,

16

Que mes griefs maulx soyent par toy delivre.

Se trés adonc tu m'eusses emportée,

Trop m'eusses fait certes grant avantage,

Car depuis lors j'ay esté si hurtée

20

De grans anuis, et tant reçu d'oultrage,

Et tous les jours reçoy au feur l'emplage,

Que riens ne vueil, ne n'ay desir de suivre,

Fors seulement toy paier tel truage

24

Que mes griefs maulx soyent par toy delivre.

Princes, oyés en pitié mon language,

Et toy Mort, pri, escry moy en ton livre,

Et fay que tost je voye tel message,

28

Que mes griefs maulx soyent par toy delivre.

Note IX:—3 au b. menée—15 B Que je souhaid s. p. de r.—20 B De g. meschiefs—22 B ne v. je n.

X

Se Fortune a ma mort jurée,

Et du tout tasche a moy destruire,

Ou soye si maleürée,

4

Qu'il faille qu'en dueil vive et muire,

Que me vault donc pestrir ne cuire,

Tirer, bracier, ne peine traire,

7

Puis que Fortune m'est contraire?

Pieça de joye m'a tirée,

Ne puis ne fina de moy nuire,

Encore est vers moy si yrée,

11

Qu'adès me fait de mal en pire,

Quanque bastis elle descire,

Et quel proffit pourroye attraire,

14

Puis que Fortune m'est contraire?

Son influance desraée

Cuidoye tous jours desconfire,

Par bien faire a longue endurée,

18

Cuidant veoir aucun temps luire

Pour moy qui meseür fait fuire.

Mais riens n'y vault, je n'y puis traire,

21

Puis que Fortune m'est contraire.

Note X:—2 Ou du tout—15 S. i. desirée.

XI

Seulete suy et seulete vueil estre,

Seulete m'a mon doulz ami laissiée,

Seulete suy, sanz compaignon ne maistre,

4

Seulete suy, dolente et courrouciée,

Seulete suy en languour mesaisiée,

Seulete suy plus que nulle esgarée,

7

Seulete suy sanz ami demourée.

Seulete suy a huis ou a fenestre,

Seulete suy en un anglet muciée,

Seulete suy pour moy de plours repaistre,

11

Seulete suy, dolente ou apaisiée,

Seulete suy, riens n'est qui tant me siée,

Seulete suy en ma chambre enserrée,

14

Seulete suy sanz ami demourée.

Seulete suy partout et en tout estre.

Seulete suy, ou je voise ou je siée,

Seulete suy plus qu'autre riens terrestre,

18

Seulete suy de chascun delaissiée,

Seulete suy durement abaissiée,

Seulete suy souvent toute esplourée,

21

Seulete suy sanz ami demourée.

Princes, or est ma doulour commenciée:

Seulete suy de tout dueil menaciée,

Seulete suy plus tainte que morée,

25

Seulete suy sanz ami demourée.

Note XI:—12 messiée—16 sié—19 abaissié—22 à 26 Omis dans B.

XII

Qui trop se fie es grans biens de Fortune,

En verité, il en est deceü;

Car inconstant elle est plus que la lune.

4

Maint des plus grans s'en sont aperceü,

De ceulz meismes qu'elle a hault acreü,

Trebusche tost, et ce voit on souvent

7

Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

Qui vit, il voit que c'est chose commune

Que nul, tant soit perfait ne esleü,

N'est espargné quant Fortune repugne

11

Contre son bien, c'est son droit et deü

De retoulir le bien qu'on a eü,

Vent chierement, ce scet fol et sçavent

14

Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

De sa guise qui n'est pas a touz une

Bien puis parler; car je l'ay bien sceü,

Las moy dolens! car la fausse et enfrune

18

M'a à ce cop trop durement neü,

Car tollu m'a ce dont Dieu pourveü

M'avoit, helas! bien vois apercevent

21

Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

Note: Rubrique placée entre la b. XI et la b. XII, B²: Balades de personnages.

Note XII:—3 B Car variable—b que elle—8 Qui vid—12 A que on—15 B ne s. mais que—20 voy appertement—21 B ne s. mais que.

XIII

C'est fort chose qu'une nef se conduise,

Es fortunes de mer, a tout par elle,

Sanz maronnier ou patron qui la duise,

4

Et le voile soit au vent qui ventelle;

Se sauvement a bon port tourne celle,

En verité c'est chose aventureuse;

7

Car trop griefment est la mer perilleuse.

Et non obstant que parfois soleil luise,

Et que si droit s'en voit que ne chancelle,

Si qu'il semble que nul vent ne lui nuise,

11

Ne nul decours, ne la lune nouvelle,

Si est elle pourtant en grant barelle

De soubdain vent ou d'encontre encombreuse;

14

Car trop griefment est la mer perilleuse.

Si est pitié, quant fault que mort destruise

Nul bon patron, ou meneur de nacelle;

Et est bien droit que le cuer dueille et cuise.

18

Qui a tresor, marchandise ou vaisselle,

Ou seul vaissel qui par la mer brandelle:

N'est pas asseur, mais en voie doubteuse;

21

Car trop griefment est la mer perilleuse.

Note XIII:—11 Ne n. secours.

XIV

Seulete m'a laissié en grant martyre,

En ce desert monde plein de tristece,

Mon doulz ami, qui en joye sanz yre

4

Tenoit mon cuer, et en toute leesce.

Or est il mort, dont si grief dueil m'oppresse,

Et tel tristour a mon las cuer s'amord

7

Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort.

Qu'en puis je mais, se je pleure et souspire

Mon ami mort, et quelle merveille est ce?

Car quant mon cuer parfondement remire

11

Comment souef j'ay vescu sans asprece

Trés mon enfance et premiere jeunece

Avecques lui, si grant doulour me mord

14

Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort.

Com turtre sui sanz per qui ne desire

Nulle verdour, ains vers le sec s'adrece,

Ou com brebis que lop tache a occire,

18

Qui s'esbaïst quant son pastour la laisse;

Ainsi suis je laissiée, en grant destrece,

De mon ami, dont j'ay si grant remord

21

Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort.

Note XIV:—5 B d. si grant deuil—6 en m. l. c.—12 B T. m'enfance et p. en j.—13 Avec—16 B mais sus le s.—17 B Et.

XV

Helas! helas! bien puis crier et braire,

Quant j'ay perdu ma mere et ma nourrice,

Qui doulcement me souloit faire taire.

4

Or n'y a mais ame qui me nourrice,

Ne qui ma faim de son doulz lait garisse.

Jamais de moy nul ne prendra la cure,

7

Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture.

Plaindre et plourer je doy bien mon affaire;

Car je me sens povre, foiblet et nyce,

Et non sachant pour aucun proffit faire;

11

Car jeune suis de sens et de malice.

Or convendra qu'en orphanté languisse,

Et que j'aye mainte male aventure,

14

Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture.

Le temps passé, a tous souloie plaire,

Et m'offroit on honneurs, dons et service,

Quant ma mere la doulce et debonnaire

18

Me nourrissoit; or fault que tout tarrisse,

Et qu'a meschief et a doleur perisse

Plein de malons et de pouvre enfonture,

21

Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture.

Note XV:—5 A de s. d. l. tarice—7 A P. que ay—16 B Et maint m'offroient et honneur et s.

XVI

Qui vivement veult bien considerer

Ce monde cy ou il n'a joye entiere,

Et les meschiefs qu'il fault y endurer,

4

Et comment mort vient qui tout met en biere,

Qui bien penser veult sus ceste matiere,

Il trouvera, s'il a quelque grevance,

Que sur toute reconfortant maniere,

8

C'est souvrain bien que prendre en pascience

Puis qu'ainsi est qu'on n'y puet demorer,

Pourquoy a l'en ceste vie si chiere?

Et une autre convient assavourer,

12

Qui aux pecheurs ne sera pas legiere.

Si vault trop mieulx confession plainiere

Faire en ce monde, et vraye penitence;

Et qui ara la penance trop fiere,

16

C'est souvrain bien que prendre en pascience.

Chascun vray cuer se doit enamourer

De la vraye celestiel lumiere,

Et du seul Dieu que l'en doit aourer.

20

C'est nostre fin et joye derreniere:

Qui sages est, autre solas ne quiere,

Tout autre bien si n'est fors que nuisance,

Et se le monde empesche ou trouble arriere,

24

C'est souvrain bien que prendre en pascience.

Note XVI:—3 q. y f. e.—9 P. que a.—13 B c. entiere—15 B Et q. a. penitence—20 derrenier.

XVII

Se de douloureux sentement

Sont tous mes dis, n'est pas merveille;

Car ne peut avoir pensement

4

Joyeux, cuer qui en dueil traveille.

Car, se je dors ou se je veille,

Si suis je en tristour a toute heure,

Si est fort que joye recueille

8

Cuer qui en tel tristour demeure.

N'oublier ne puis nullement

La trés grant douleur non pareille

Qui mon cuer livre a tel tourment,

12

Que souvent me met a l'oreille

Grief desespoir, qui me conseille

Que tost je m'occie et accueure;

Si est fort que joye recueille

16

Cuer qui en tel tristour demeure.

Si ne pourroye doulcement

Faire dis; car, vueille ou ne vueille,

M'estuet complaindre trop griefment

20

Le mal, dont fault que je me dueille;

Dont souvent tremble comme fueille,

Par la douleur qui me cueurt seure.

Si est fort que joye recueille

24

Cuer qui en tel tristour demeure.

Note XVII:—12 B m. en l'—17 Dont ne p.—21 Et s.

XVIII

Aucunes gens ne me finent de dire

Pour quoy je suis si malencolieuse,

Et plus chanter ne me voyent ne rire,

4

Mais plus simple qu'une religieuse,

Qui estre sueil si gaye et si joyeuse.

Mais a bon droit se je ne chante mais;

7

Car trop grief dueil est en mon cuer remais.

Et tant a fait Fortune, Dieu lui mire!

Qu'elle a changié en vie doloreuse

Mes jeux, mes ris, et ce m'a fait eslire

11

Dueil pour soulas, et vie trop greveuse.

Si ay raison d'estre morne et songeuse,

Ne n'ay espoir que j'aye mieulx jamais;

14

Car trop grief dueil est en mon cuer remais.

Merveilles n'est se ma leesce empire;

Car en moy n'a pensée gracieuse,

N'autre plaisir qui a joye me tire.

18

Pour ce me tient rude et maugracieuse

Le desplaisir de ma vie anuieuse,

Et se je suis triste, je n'en puis mais;

21

Car trop grief dueil est en mon cuer remais.

Note XVIII:—1 B A. g. si ne me font que d.—7 B C. t. grant d.—8 B Car—11 B et paine t. g.—12 m. et soigneuse—17 B N'aucun.

XIX

Long temps a que je perdi

Tout mon soulas et ma joye,

Par la mort que je maudi

4

Souvent; car mis m'a en voye

De jamais nul bien avoir;

Si m'en doy par droit blasmer;

N'oncques puis je n'oz vouloir

8

De faire ami, ne d'amer.8

Ne sçay qu'en deux ne fendi

Mon cuer, du dueil que j'avoye

Trop plus grant que je ne di,

12

Ne que dire ne sçaroye,

Encor mettre en nonchaloir

Ne puis mon corroux amer;

N'oncques puis je n'oz vouloir

16

De faire ami, ne d'amer.

Depuis lors je n'entendi

A mener soulas ne joye;

Si en est tout arudi

20

Le sentement que j'avoye.

Car je perdi tout l'espoir

Ou me souloie affermer.

N'oncques puis je n'oz vouloir

24

De faire ami, ne d'amer.

Note XIX:—13 B N'encor.

XX

Comment feroye mes dis

Beaulx, ne bons, ne gracieux,

Quant des ans a près de dix

4

Que mon cuer ne fu joyeux,

N'il n'a femme soubz les cieulx

Qui plus ait eu de meschief?

7

Encor n'en suis pas a chief.

J'os des biens assez jadis;

Mais en yver temps pluieux

Si pesent, si enlaidis,

11

N'est, ne si trés anuieux,

Comme adès en trestous lieux

M'est le temps; mais, par mon chief,

14

Encor n'en suis pas a chief.

Si ay bien droit se je dis

Mes plains malencolieux;

Car en tristour est tousdis

18

Mon dolent cuer, ce scet Dieux,

Ne jamais je n'aray mieulx,

Se ma pesance n'achief;

21

Encor n'en suis pas a chief.

Note XX:—7 B E. n'en suis je p. a c.—8 A Je os.

XXI

Tant me prie trés doulcement

Cellui qui moult bien le scet faire,

Tant a plaisant contenement,

4

Tant a beau corps et doulz viaire,

Tant est courtois et debonaire,

Tant de grans biens oy de lui dire

7

Qu'a peine le puis escondire.

Il me dit si courtoisement,

En grant doubtance de meffaire,

Comment il m'aime loyaument,

11

Et de dire ne se peut taire,

Que neant seroit du retraire;

Et puis si doulcement souspire

14

Qu'a peine le puis escondire.

Si suis en moult grant pensement

Que je feray de cest affaire;

Car son plaisant gouvernement,

18

Vueille ou non, Amours me fait plaire,

Et si ne le vueil mie attraire;

Mais mon cuer vers lui si fort tire

21

Qu'a peine le puis escondire.

Note XXI:—6 B T. oy de l. de g. b. d.—15 B Si s. en trop g.

XXII

Tant avez fait par vostre grant doulceur,

Trés doulz ami, que vous m'avez conquise.

Plus n'y convient complainte ne clamour,

4

Ja n'y ara par moy deffense mise.

Amours le veult par sa doulce maistrise,

Et moy aussi le vueil, car, se m'ait Dieux,

Au fort c'estoit folour quant je m'avise

8

De reffuser ami si gracieux.

Et j'ay espoir qu'il a tant de valour

En vous, que bien sera m'amour assise,

Quant de beaulté, de grace et tout honnour

12

Il y a tant que c'est drois qu'il souffise;

Si est bien drois que sur tous vous eslise;

Car vous estes digne d'avoir trop mieulx,

Et j'ay eu tort, quant tant m'avez requise,

16

De reffuser ami si gracieux.

Si vous retien et vous donne m'amour,

Mon fin cuer doulz, et vous pri que faintise

Ne soit en vous, ne nul autre faulx tour;

20

Car toute m'a entierement acquise

Vo doulz maintien, vo maniere rassise,

Et vos trés doulz amoureux et beaulz yeux.

Si aroye grant tort en toute guise

24

De reffuser ami si gracieux.

Mon doulz ami, que j'aim sur tous et prise,

J'oy tant de bien de vous dire en tous lieux

Que par raison devroye estre reprise

28

De reffuser ami si gracieux.

Note XXII:—9 Et j. espour—14 B C. v. e. bien d. d. m.—15 A Et je ay; B Si ay—19 B Ne treuve—21 Vou d. m. vou m.

XXIII

Bien doy louer Amours de ses biens fais,

Qui m'a donné ami si trés parfait,

Qu'en trestous lieux chascun loue ses fais

4

Et sa beaulté, sa grace et tout son fait,

Qu'il n'a en lui ne blasme ne meffait;

Dieu l'a parfait en valeur et en grace,

N'on ne pourroit mieulx vouloir par souhait;

8

Certes c'est cil qui tous les autres passe.

Et avec ce qu'il est sur tous parfais,

Et que son bien est en mains lieux retrait,

Pour moy servir porte tous pesans fais,

12

Et m'aime et craint plus que riens sanz retrait;

Ne paour n'ay d'y trouver ja faulz trait.

Car il est tel que trestous maulx efface

De son bon cuer, ou il n'a nul forfait.

16

Certes c'est cil qui tous les autres passe.

Si a mon cuer du tout a lui attrais

Qui est tout sien, c'est bien raison qu'il l'ait;

Car tout acquis l'a par ses trés doulx trais;

20

Et vrayement si en mon cuer portrait

Est son gent corps, qu'il n'en sera fors trait

Jamais nul jour, se ma vie ne passe;

Car sanz mentir dire puis tout a fait:

24

Certes c'est cil qui tous les autres passe.

Note XXIII:—5 B Il—7 Ne on.

XXIV

Ma doulce amour, ma plaisance cherie,

Mon doulz ami, quanque je puis amer,

Vostre doulceur m'a de tous maulz garie,

4

Et vrayement je vous puis bien clamer

Fontaine dont tout bien vient,

Et qui en paix et joye me soustient,

Et dont plaisirs me vienent a largece;

8

Car vous tout seul me tenez en leece.

Et la doulour qui en mon cuer norrie

S'est longuement, qui tant m'a fait d'amer,

Le bien de vous a de tous poins tarie;

12

Or ne me puis complaindre ne blasmer

De Fortune qui devient

Bonne pour moy, se en ce point se tient.

Mis m'en avez en la voye et adrece;

16

Car vous tout seul me tenez en leece.

Si lo Amours qui, par sa seigneurie,

A tel plaisir m'a voulu reclamer;

Car dire puis de vray sanz flaterie,

20

Qu'il n'a meilleur de la ne de ça mer

De vous, m'amour, ainsi le tient

Mon cuer pour vray, qui tout a vous se tient,

N'a aultre rien sa pensée ne drece;

24

Car vous tout seul me tenez en leece.

Note XXIV:—10 Est—20 B de ça ne de la m.; Q. n'i a m.—21 Sic dans tous les mss.; corr. ainsi en si?—22 B q. a v. t. se t.—23 B Si ne desir nulle plus grant richesce.

XXV

Dites moy, mon doulz ami,

S'il est voir ce que j'oy dire,

Que dedens la Saint Remi

4

Devez aler en l'Empire,

En Alemaigne, bien loings,

Demourer, si com j'entens,

Quatre moys ou trois du moins?

8

Helas! que j'aray mautemps!

Ne me puet jour ne demi

Sanz vous veoir riens souffire,

Et quant vous serez de mi

12

Loins, quel sera mon martire!

De mourir me fust besoings

Mieulx que le mal que j'atens;

Rungier me fauldra mes froins.

16

Helas! que j'aray mautemps! 16

Mon cuer partira par mi,

Au dire a Dieu j'en souspire

Souvent et de dueil fremi.

20

Car je fondray com la cire

Des soussis et des grans soings

Que pour vous aray par temps;

Se je vous pers de tous poins,

24

Helas! que j'aray mautemps!

Note XXV:—2 A ce q. j'oz d.

XXVI

Mon doulz ami, n'aiez malencolie

Se j'ay en moy si joyeuse maniere;

Et se je fais en tous lieux chiere lie,

4

Et de parler a maint suis coustumiere,

Ne croiez pas pour ce, que plus legiere

Soye envers vous, car c'est pour decepvoir

7

Les mesdisans qui tout veulent savoir.

Car se je suis gaye, cointe et jolie,

C'est tout pour vous que j'aim d'amour entiere.

Si ne prenez nul soing qui contralie

11

Vostre bon cuer, car pour nulle priere

Je n'ameray autre qui m'en requiere;

Mais on doit moult doubter, a dire voir,

14

Les mesdisans qui tout veulent savoir.

Sachiez de voir qu'amours si fort me lie

En vostre amour que n'ay chose tant chiere.

Mais ce seroit a moy trop grant folie

18

De ne faire, fors a vous, bonne chiere.

Ce n'est pas drois, ne chose qui affiere

Devant les gens, pour faire apercevoir

24

Les mesdisans qui tout veulent savoir.

Note XXVI:—3 Car se—8 B C. se je s. ne g. ne j.—12 Je n'aimeray.

XXVII

Ne cuidiez pas que je soye

Si fole, ne si legiere,

Sire, qu'accorder je doye

4

M'amour a toute priere;

Trop seroye vilotiere,

Ce que oncques mais ne fus;

7

J'en ay fait a maint reffus.

Ja pour ce ne vous anoye,

Ne me faittes pire chiere,

Car amer je ne saroye,

11

Ne je n'en suis coustumiere,

Pour homme qui m'en requiere;

Aprendre n'en vueil les us;

14

J'en ay fait a maint reffus.

Ne faire je n'en vouldroie

En fais, en dis, en maniere,

Chose que faire ne doye

18

Femme qui honneur a chiere.

Trop mieulx vouldroie estre en biere.

Pour ce, soyent beaulx ou drus,

21

J'en ay fait a maint reffus.

Note XXVII:—9 B Ne m'en f.—13 A li us—15 B Car f. je ne v.—16 e. d. (blanc) m.—17 B q. f. n'en d.—20 B P. ce et a b. et a d.

XXVIII

Mon doulz ami, vueilliez moy pardonner,

Se je ne puis, si tost com je vouldroye,

Parler a vous, car ainçois ordener

4

Me fault comment sera, ne par quel voye.

Car mesdisans me vont gaitant

Qui du meschief et du mal me font tant,

Que je ne puis joye ne bien avoir,

8

Pour le desir que j'ay de vous veoir.

Si pry a Dieu qu'il leur vueille donner

La mort briefment; car leur vie m'anoye,

Pour ce qu'en dueil me font mes jours finer

12

Sanz vous veoir, ou est toute ma joye:

Car ilz se vont entremettant

De moy gaitier nuit et jour, mais pourtant

Ne vous oubli, ce pouez vous savoir,

16

Pour le desir que j'ay de vous veoir.

Mais ne sçaront ja eulx si fort pener,

Que, maugré tous, bien briefment ne vous voie.

Car tant feray, se g'y puis assener,

20

Que vous verray, quoy qu'avenir m'en doye,

Et vous feray savoir quant.

Mon doulz ami, deportez vous atant.

Car g'y mettray peine, sachiez de voir,

24

Pour le desir que j'ay de vous veoir.

Note XXVIII:—9-16 Manquent dans A².—11 B Car en grief d. me f. m. j. mener—12 B S. veoir v.—21 Sic A B; corr. assavoir.

XXIX

Le gracieux souvenir,

Qui de vous me vient,

Me fait gaiement tenir.

4

Et il appertient,

Car tout adès me souvient

Comment vostre bonté passe

Tous autres, chascun le tient,

8

Par Dieu, c'est grant grace.

Joye doy bien maintenir,

Quant si bien m'avient,

Qu'amours mon cuer retenir,

12

Dont plus lié devient,

Vous a fait a qui avient

Bien et bel en toute place

Faire quanque honneur contient,

16

Par Dieu, c'est grant grace.

Ne mal ne me peut venir;

Car mon cuer maintient

Qu'a joye puis avenir,

20

Par vous qui retient

Pense, dit, fait et detient

Tout bien, et tout mal efface

La bonté qui vous soustient,

24

Par Dieu, c'est grant grace.

Note XXIX:—3 Me f. joyeusement t.—11 A Que mon cuer veult r.; B Qu'amours m'a fait r.—12 manque dans B.—19 A puet—21 manque dans B.

XXX

Faulx mesdisans aront ilz le pouoir

De moy faire mon ami eslongnier?

Nanil, par Dieu! combien que leur savoir

4

Mettent a moy grever sanz espargnier,

Mais ja pourtant ne feront recreant

Mon cuer d'amer; a cellui le creant

Qui l'a du tout, car n'ont pas la poissance

8

Qu'a vraye amour puissent faire grevance.

Grever peut bien mon corps ou mon avoir

Leur faulx agait, que ne puis engigner,

Ou mon honneur, et si puis recepvoir

12

Par eulx maint mal; si le doy ressoigner;

Mais se mon fait devoyent en riant

Partout compter en la ville criant,

Si n'ay je pas ne doubte n'esperance

16

Qu'a vraye amour puissent faire grevance.

Par leurs lengues ou il n'a mot de voir

(Je pri a Dieu que l'en leur puist roignier,)

Me destournent mon ami a veoir;

20

De ce les voy assez embesoignier,

Et ja par eulx vont maintes gens creant

Pis qu'il n'y a, et ainsi vont grevant

Maint vray amant; mais n'ay point de doubtance

24

Qu'a vraye amour puissent faire grevance.

Note XXX:—14 B c. par la v.—23 B car n'ay p. de d.

XXXI

Mon ami, ne plourez plus;

Car tant me faittes pitié

Que mon cuer se rent conclus

4

A vostre doulce amistié.

Reprenez autre maniere;

Pour Dieu, plus ne vous doulez,

Et me faittes bonne chiere:

8

Je vueil quanque vous voulez.

Ne plus ne soiez reclus,

Ne pensif, ne dehaitié;

Mais de joye aprenez l'us.

12

Car bien avez exploitié

Vers Amours qui n'est pas fiere

Encontre vous; or alez,

J'acorde vostre priere:

16

Je vueil quanque vous voulez.

Trop mieulx m'atachent qu'a glus,

Et d'amours font le traittié,

De voz larmes les grans flus

20

Qui m'occient a moitié,

Ne plus je n'y met enchiere;

Doulz ami, or m'acolez,

Je suis vostre amie chiere;

24

Je vueil quanque vous voulez.

Note XXXI:—19 le grant flus.

XXXII

Helas! m'amour, vous convient il partir

Et eslongnier de moy qui tant vous aim?

Ce poise moy, s'ainsi est, car sentir

4

Me convendra, de ce soyez certain,

Trop de griefté jusqu'au retour.

En dueil vivray, en peine et en tristour,

Et me mourray de dueil certainement,

8

Se demourez loing de moy longuement.

Car vostre est tout mon cuer, sanz repentir,

Ne n'a nul bien sanz vous, ne soir, ne main,

Ne il n'est rien qui le feist alentir

12

De vous amer, tant fust malade ou sain;

Et, comme en une forte tour,

Est enfermé en lui vo gent atour

Qui m'ocira, n'en doubtez nullement,

16

Se demourez loing de moy longuement.

Or me ditez, doulz ami, sanz mentir,

Quant revendrez. Pour le dieu souverain

Ne demourez! car ce feroit martir

20

Mon povre cuer, qui n'a autre reclaim;

Et ne m'oubliez par nul tour,

Loyal soyez, et loing et cy entour;

Car tant vous aim qu'il m'yra durement

24

Se demourez loing de moy longuement.

Note XXXII:—12 B De v. veoir.

XXXIII

En plourant a grosses goutes,

Trés triste et pleine de dueil,

Ma vraye amour dessus toutes,

4

Cil que j'aim, n'autre ne vueil,

Vous di a Dieu a grant peine.

Car trop grant doulour soustient

Mon cuer, qui grief dueil demaine,

8

Puis que partir vous convient.

Or sont mes joyes desrouptes;

Plus ne chant, si com je sueil;

Des tristes suivray les routes,

12

J'en ay ja passé le sueil,

Puis que je seray longtaine

De vous, et il apertient.

Je demeure de dueil pleine,

16

Puis que partir vous convient.

Je mourray, n'en faites doubtes,

Sans veoir vo doulz accueil.

Ha! Fortune, tu me boutes

20

En dur point, puis que my oeil,

Fors par pensée prochaine,

Ne verront cil qui retient

Mon cuer: c'est chose certaine,

24

Puis que partir vous convient.

Note XXXIII:—17 mouray—18 vou d. a.—22 q. te tient.

XXXIV

Or est venu le trés gracieux moys

De May le gay, ou tant a de doulçours,

Que ces vergiers, ces buissons et ces bois,

4

Sont tout chargiez de verdure et de flours,

Et toute riens se resjoye.

Parmi ces champs tout flourist et verdoye,

Ne il n'est riens qui n'entroublie esmay,

8

Pour la doulçour du jolis moys de May.

Ces oisillons vont chantant par degois,

Tout s'esjouïst partout de commun cours,

Fors moy, helas! qui sueffre trop d'anois,

12

Pour ce que loings je suis de mes amours;

Ne je ne pourroye avoir joye,

Et plus est gay le temps et plus m'anoye.

Mais mieulx cognois adès s'oncques amay,

16

Pour la doulçour du jolis moys de May.

Dont regreter en plourant maintes fois

Me fault cellui, dont je n'ay nul secours;

Et les griefs maulx d'amours plus fort cognois,

20

Les pointures, les assaulx et les tours,

En ce doulz temps, que je n'avoye

Oncques mais fait; car toute me desvoye

Le grant desir qu'adès trop plus ferme ay,

24

Pour la doulçour du jolis moys de May.

Note XXXIV:—3 B prés et b.—4 A Reverdissent partout de commun cours—5 Et t. r. si s'esjoye, corr. si se resjoye—13 B Et—17 A D. regraittant—18 Me fait.

XXXV

Je suis loings de mes amours,

Dont je pleure mainte lerme;

Mais en espoir prens secours

4

Que tost revendra le terme

Qu'il m'a mis de retourner.

Ja sont passées trois sepmaines,

Six en devoit sejourner,

8

Tant ont a durer mes peines.

Tant le desire tousjours

Qu'en suis malade et enferme.

Or venez doncques le cours,

12

Amis que j'aim d'amour ferme,

Et vous ferez destourner

Mes angoisses trés grevaines;

Car jusques au retourner

16

Tant ont a durer mes peines.

Pour mener mon dueil en plours,

Souvent a par moy m'enferme;

Mais ce garist mes doulours

20

Qu'a bon espoir je m'afferme

Que Dieu vous vueille amener,

Ou tost nouvelles certaines;

Jusques la me fault pener,

24

Tant ont a durer mes peines.

Note XXXV:—9 B a t.—14 B trop g.—20 B Qu'au doulz souvenir m'a.

XXXVI

Se vraye amour est en un cuer fichée

Sanz varier et sanz nulle faintise,

Certes c'est fort que de legier dechée;

4

Ainçois adès de plus en plus l'atise

Ardent desir et l'amour qui s'est mise

Dedens le cuer, qui si le fait lier

Qu'il n'en pourroit partir en nulle guise,

8

Et qui pourroit telle amour oublier?

Pour moy le sçay, qui suis toute sechée

Par trop amer; car, sans recreandise,

Ay si m'amour fermement atachée

12

A cil amer, ou je l'ay toute assise,

Qu'en ce monde nul autre avoir ne prise,

Ne je ne fais fors melencolier.

Quant loings en suis, riens n'est qui me souffise,

16

Et qui pourroit telle amour oublier?

Si ne pourroit jamais estre arrachée

Si faitte amour, car, pour droit que g'y vise,

Je n'ay pouoir qu'en moy de riens dechée,

20

Et si suis je d'autres assez requise;

Mais riens n'y vault: un seul m'a tout acquise;

Tant pourchaça, par soy humilier,

Que je me mis du tout a sa franchise,

Et qui pourroit telle amour oublier?

Note XXXVI:—8, 16, 24 B celle a.—17 B Ne ne—19 A q. r. de m. d.—21 un m'a t. a.—B un m'a du t. a.—22 B pour s. h.—24 tel a.

XXXVII

Pour vous, m'amour desirée,

Ay joye si adirée,

Sanz mentir,

4

Qu'adès vouldroye sentir

La mort, pour estre tirée

Du mal qui m'a empirée,

7

Et si ne m'en puis partir.

Ne, pour tost estre curée

La peine qu'ay endurée,

Consentir

11

Ne me puis ne assentir

A autre amour procurée;

J'en seroye perjurée,

14

Et si ne m'en puis partir.

C'est pour vostre demourée,

Ma doulce amour savourée,

Qui partir

18

Fera mon cuer com martir,

J'en suis taintte com morée,

Et toute descoulourée,

21

Et si ne m'en puis partir.

Note XXXVII:—8 B Ne p. e. t.

XXXVIII

Helas! doulz loyaulx amis,

En grant desir attendoie

Le terme que m'aviez mis

4

De retourner, mais ma joye

Tourne en dueil: tout est cassé

Le bon espoir que j'avoye,

7

Puis que le terme est passé.

Vous m'aviez dit et promis,

Et aussi je l'esperoie,

Que deux moys ou trois demis,

11

Demourriez en ceste voye,

Dont je me doubt que lassé

Vous soyez que plus vous voye,

14

Puis que le terme est passé.

Or est de tous poins desmis

Le soulas qu'avoir soloie,

En pensant que ja remis,

18

Du retour fussiez en voye

De venir; mais effacé

Est mon bien; car trop m'anoie,

21

Puis que le terme est passé.

Note XXXVIII:—9 B ainsi—13 B omet le second vous.

XXXIX

Qui a mal, souvent se plaint;

Car maladie le doit,

Et pour ce sont mi complaint

4

Doulereux, car chascun voit

Comment tourmentée suis

Pour amer, et ma doulour

Nullement celer ne puis;

8

Il en pert a ma coulour.

On cognoist bien qui se faint;

Car qui grant griefté reçoipt,

Le visage en a destaint.

12

Se le cuer est fort destroit,

Et pour ce mes griefs anuis

Amenrissent ma vigour,

Car repos n'ay jour ne nuys;

16

Il en pert a ma coulour.

Mais cil, par qui j'ay mal maint,

Ne scet, ne cognoist, ne voit

Comment mon cuer est attaint;

20

Helas! comment le sçaroit,

Car je ne le vis depuis

Demi an, mais son sejour

De la mort m'ovrira l'uis;

24

Il en pert a ma coulour.

Note XXXIX:—4 Douloureux—8 B Il appert a—14 B Amenuissent.

XL

Amours, amours, certes tu fis pechié

De moy lier en tes perilleux las,

Ou mon cuer est si durement fichié,

4

Que moult souvent me convient dire helas!

Et voirement dit l'en voir

Que tu ne scés nullui si chier avoir,

Qu'il n'ait, souvent avient, de ses amours

8

Pour un seul bien plus de cinq cens doulours.

Au commencier m'as le cuer aluchié,

Par moy donner assés de tes soulas;

Mais quant tu l'as fermement atachié,

12

Adonc de ses plaisirs despouillié l'as;

Car, sans lui faire assavoir,

Trestout le bien qu'il souloit recevoir

Lui as osté, et lui rens tous les jours

16

Pour un seul bien plus de cinq cens doulours.

Et se cellui, par qui en dur point chié,

Ne vient briefment, mal oncques m'affulas

De tes dangiers par qui du tout dechié

20

De joye avoir, et s'il est d'amer las

Trop me convendra douloir;

Car plus que riens le desir a veoir,

Et, s'il ne vient, j'aray pour mes labours

24

Pour un seul bien plus de cinq cens doulours.

Note XL:—6 si chierement a.—7 A pour ses labours—9 B Au premier m'as le c. si a.— alechié—10 B Pour m.—18 mar o. m.—19 donjers—23 B par m. l.

XLI

Helas! au moins se aucune nouvelle

Peusse ouïr, par quoy sçeusse comment

Le fait cellui qui mes maulx renovele,

4

Et qui tenu l'a ja si longuement

De moy loingtain, ce feist aucunement

Moy resjouïr, mais nul n'en fait raport,

7

Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort.

Ne sçay s'en nef, en barge, ou en nacelle,

Passa la mer ou s'il va autrement;

S'en Aragon, en Espaigne, en Castelle,

11

Ou autre part soit alé, ou briefment

Ne puist venir, ou si prochainement;

Car je ne sçay ou il est, n'a quel port,

14

Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort.

Ou peut estre qu'il aime autre plus belle

Que je ne suis, si ne lui chaut granment

De revenir; mais il n'est damoiselle

18

Ne nulle autre, ce sçay certainement,

Qui jamais jour l'aime plus loiaument;

Mais que me vault? quant je n'en ay confort,

21

Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort.

Note XLI:—1 B H. amours—2 B P. avoir—5 A ce fait a—10 en E. ou en C.— ou C.—18 B ne s. c.

XLII

Ovide dit qu'il est un messagier,

Qui en dormant les nouvelles aporte,

Les gens endort, et puis les fait songier

4

De joye ou dueil, songes de mainte sorte.

Morpheüs cil messager on appelle;

Au dieu qui dort est filz, ce dit la fable,

Qui en pluseurs formes se renouvelle,

8

Cil nonce aux gens mainte chose notable,

Et cellui dieu de someil alegier,

Soye mercy, veult le mal que je porte.

Car nouvelles m'envoye sanz dongier

12

De mon ami, autre ne me conforte.

Mais quant chose me dit qui ne m'est belle,

Mon cuer tremble plus que feuille d'arable;

Car en nul cas de riens le voir ne celle,

16

Cil nonce aux gens mainte chose notable.

Et ma doulour fait moult assouagier

Le dieu qui dort, certes je fusse morte

Se il ne fust; mais plorer de legier

20

Me fait souvent, car trop me desconforte

Quant il me dit qu'une autre damoiselle

Tient mon ami, et qu'il soit veritable

J'ay grant paour; car, de toute querelle,

24

Cil nonce aux gens mainte chose notable.

Note XLII:—5 Orpheüs—10 Sienne m.—B le dueil q. je p.

XLIII

Hé Dieux! que le temps m'anuie,

Un jour m'est une sepmaine;

Plus qu'en yver longue pluie,

4

M'est ceste saison grevaine.

Helas! car j'ay la quartaine,

Qui me rent toute estourdie

Souvent et de tristour pleine:

8

Ce me fait la maladie.

J'ay goust plus amer que suye,

Et coulour pasle et mausaine;

Pour la toux fault que m'appuye

12

Souvent, et me fault l'alaine.

Et quant l'excès me demaine,

Adonc ne suis tant hardie

Que je boive que tysaine:

16

Ce me fait la maladie.

Je n'ay garde que m'enfuye;

Car, quant je vois, c'est a peine

Non pas l'erre d'une luie,

20

Mais par une chambre plaine

Encor convient qu'on me maine,

Et souvent fault que je die:

«Soustenez moy, je suis vaine.»

24

Ce me fait la maladie.

Medecins, de mal suis plaine,

Garissez moy, je mendie

De santté qui m'est longtaine;

28

Ce me fait la maladie.

Note XLIII:—21 que on.

XLIV

Amours, il est fol qui te croit,

Ne qui a toy servir s'amuse;

Car qui mieulx te sert plus reçoit

4

De grans anuis, et sa vie use

A grant meschief qui s'i esluse;

Grant faissel lui fault soutenir,

7

Je m'en sçay bien a quoy tenir.

Ton bel accueil chascun deçoit,

Chascun attrait, nul ne reffuse,

Assez promet et moult accroit;

11

Mais au payer trestous cabuse,

Et pis y a, car on accuse

Qui ta vie veult maintenir,

14

Je m'en sçay bien a quoy tenir.

A la perfin chascun le voit,

Ton fait n'est fors que droitte ruse,

Et s'au commencier on savoit

18

Comment la fin en est confuse,

Tel s'en retrairoit qui y muse;

Mais on ne s'i scet contenir,

21

Je m'en sçay bien a quoy tenir.

Note XLIV:—14 et 21 Je me s.

XLV

Le messagier de Renommée,

Qui Pegasus est appellé,

Par qui grant parole est semée,

4

Car ce qu'il scet n'est pas cellé,

Cil vole plus tost qu'une aronde,

Et telles nouvelles raporte,

Souvent qu'il semble que tout fonde;

8

Et a la fois grant joye aporte.

Les nouvelles de mainte armée,

Ou s'un païs s'est rebellé,

Ou s'aucune chose est blasmée,

12

A tantost dit et revellé;

Mais souvent ment, car il abonde

En grant parole droitte et torte;

Par lui sont dolent maint au monde;

16

Et a la fois grant joye aporte.

Cellui m'a la guerre nommée,

Ou mon ami s'en est alé,

Et m'a dit qu'une aultre enamée

20

A, dont j'ay le cuer adoulé,

N'est ne premiere, ne seconde

Fois, qu'il ainsi me desconforte;

Dont plourer me fait a grant onde;

24

Et a la fois grant joye aporte.

Ainsi, en pensée parfonde

Songe m'euvre de deuil la porte,

Si qu'il m'est vis qu'en plours ja fonde;

28

Et a la fois grant joye apporte.

Note XLV:—2 appellez—5 Sil—6 B apporte—10 B p. est r.—14 p. et d. et t.—17 B la g. donné—19 B que a e.—20 adoulée—25 à 28 omis dans A¹ et B.

XLVI

Mesprendroye vers amours

De faire nouvel ami,

Quant j'ay, sens avoir secours,

4

Attendu an et demi

Cellui que je tant amoye?

Bien voy qu'il ne lui souvient

De moy, quant ne vient, n'envoye,

8

Ne nouvelles ne m'en vient.

Pour lui ay eu mains maulx jours,

Et se tel mal eust pour mi,

Plus tost venist que le cours;

12

Car oncques puis ne dormi

Bien, qu'il parti, ne n'oz joye;

Ne sçay quel cause le tient,

Mais n'en oz ne vent ne voye,

16

Ne nouvelles ne m'en vient.

Se ne vueil plus en telz plours

Vivre, j'ay assez gemi;

Estre y pourroye tousjours,

20

Qu'il n'en donroit un fremi.

Ce n'est pas drois que je doie

Lui amer, quant ne lui tient;

Ne ne chault que je le voie,

24

Ne nouvelles ne m'en vient.

Note XLVI:—1 B M. je v. a.—3 A Q. je s.—8 ne me v.—9 Par l.—15 B M. n. oy.

XLVII

Jamais a moi plus ne s'attende,

Cellui a qui plus ne m'attens,

Puis que vers moy ne vient ne mende.

4

Attendu l'ay deux ans par temps,

Plus ne m'en quier donner mau temps;

Folie m'en feroit douloir,

7

Puis qu'il m'a mis en nonchaloir,

Au vray corps Dieu le recomende,

Qui le gard de mauvais contens,

Et de tout peril le deffende,

11

Combien que plus je ne l'attens,

Et a m'en retraire je tens;

Et de ce fais je mon devoir,

14

Puis qu'il m'a mis en nonchaloir.

Mespris a vers moy, mais l'amende

N'affiert pas de deniers contens,

Mais du devoir qu'Amours comende

18

A ceulz qui sont entremettans

D'amours servir; mais mal contens

S'en tient mon cuer, a dire voir,

21

Puis qu'il m'a mis en nonchaloir.

Note XLVII:—1 J. p. a m.—11 je ne l'entens—12 jettens—B Et a moy r. j'entens.

XLVIII

Je ne te vueil plus servir,

Amours, a Dieu te comand.

Tu me veulz trop asservir,

4

Et paier mauvaisement;

Pour loier me rends tourment.

C'est fort chose a soustenir:

7

Je ne m'i vueil plus tenir.

Pour ta grace desservir

Je t'ay servi loiaument,

Mais je ne puis assovir

11

Mon service, car griefment,

Me tourmentes, dont briefment

Aime mieulx m'en revenir:

14

Je ne m'i vueil plus tenir.

Qui a toy se veult plevir,

Et donner entierement,

Puis descendre, puis gravir,

18

Selon ton commandement,

Lui convient peniblement;

Si m'en doit bien souvenir:

21

Je ne m'i vueil plus tenir.

Note XLVIII:—11 B trop g.—12 B bien b.

XLIX

N'en parlez plus, je ne vueil point amer;

Sire, pour Dieu vueilliez vous en retraire,

Ne me devez ne haïr ne blasmer,

4

Se je ne vueil a nul en tel cas plaire;

Helas! pour Dieu, vueilliez vous ent retraire.

Car plus ne vueil telle complainte oïr;

7

Vous me ferez d'environ vous foïr.

Par telz semblans me feriez diffamer;

A vous seroit grant pechié de ce faire.

Ja vont pluseurs partout dire et semer,

11

Que cy entour vous n'avez riens que faire,

Et si n'est nul qui autant y repaire;

Mais se vous voy de tel plait esjouïr,

14

Vous me ferez d'environ vous fouïr.

Il n'est chanteur, ne sereine de mer,

Qui cuers de gens scevent si bien soubtraire,

Ne beau parler, prier, ne reclamer,

18

Qui me feïst a telle amour attraire,

Si vous suppli que vous en vueilliez taire;

Car s'autrement ne puis de ce joïr,

21

Vous me ferez d'environ vous foïr.

Note XLIX:—6 B celle c. o.—9 B A. v. sera—18 B Q. me sceüst a t. a. traire— Q. me faist a tel a.

L

Aucunes gens porroient mesjugier

Pour ce sur moy que je fais ditz d'amours;

Et diroient que l'amoureux dongier,

4

Je sçay trop bien compter et tous les tours,

Et que ja si vivement

N'en parlasse, sanz l'essay proprement,

Mais, sauve soit la grace des diseurs,

8

Je m'en raport a tous sages ditteurs.

Car qui se veult de faire ditz chargier

Biaulz et plaisans, soient ou longs ou cours,

Le sentement qui est le plus legier,

12

Et qui mieulx plaist a tous de commun cours,

C'est d'amours, ne autrement

Ne seront fait ne bien ne doulcement,

Ou, se ce n'est, d'aucunes belles meurs,

16

Je m'en raport a tous sages ditteurs.

Qui pensé l'a, s'en vueille deschargier,

Qu'en verité ailleurs sont mes labours.

Pour m'excuser ne le dis ne purgier;

20

Car amé ont assez de moy meillours,

Mais d'amours je n'ay tourment

Joye ne dueil; mais pour esbatement

En parlent maint qui ont ailleurs leurs cuers,

24

Je m'en raport a tous sages ditteurs.

Note L:—6 Ne p.—13 B ou a.—14 B Ne seroit—18 B a. soit m. l.—20 B de moy a. m.

LI

Ce n'est pas drois que vous face priere

De moy amer; car mie n'apartient

Que nul amant dame d'amours requiere,

4

Car de l'amant ce communement vient.

Mais vraiement c'est grant duel s'il avient

Qu'on ait un tel pour ami retenu,

Qui loiaulté ne verité ne tient;

8

Ce poise moy quant ce m'est avenu.

Et non obstant qu'a moy pas il n'afiere

D'en plus parler, puis qu'a vous n'en souvient,

Si ne me puis je encor tenir si fiere

12

Que ne die le dueil qui me survient.

Car le mien cuer pour mal content se tient

De vous trouver de vraye amour si nu,

Dont je voy bien retraire m'en convient;

16

Ce poise moy quant ce m'est avenu.

Trop me deçut Amours par vostre chiere,

Qui demonstroit, mon cuer bien le retient,

Que m'amissiez de vraye amour entiere.

20

Et vrayement je croy que qui maintient

Tel trayson, pou de preu en retient;

Mais je voy bien qu'il vous est souvenu

Moult pou de moy, mais puis que vous n'en tient,

24

Ce poise moy quant ce m'est avenu.

Note LI:—4 B ce commencement v.—7 B Q. v. ne l. ne t.—17 B Amours si me d. p.—21 B en detient—23 B puis qu'a v.

LII

De tous les dieux dont Ovide parole

En ses dittiez qui amerent jadis

Tant, par amours qui tous les cuers afole,

4

Qu'ilz en vindrent ça jus de paradis,

Soient trestouz les faulz amans maudiz.

Je pri Pluto, Cerberus, Proserpine,

Que grant meschief ne leur soit pas tardis,

8

Et que jamais leur meschance ne fine.

Cupido pri le dieux d'amours qui vole,

Et Jupiter, Apollo, Palladis,

La grant Venus qui d'amours tient escole,

12

Que de leurs cours banis et entredis

Soient adès, et tous bien contredis,

Et qu'en leurs cuers mettent d'amours l'espine,

Et qu'ilz soient en tous lieux escondis,

16

Et que jamais leur meschance ne fine.

Et le dieu Mars qui pas ne porte escole,

Cil qui aïde en battaille aux hardis,

Vueille sur eulx descochier tel bricole,

20

Dont ilz gissent vaincus, maz, estourdis;

L'honneur d'armes soit en eulx reffroidis,

Et pri Juno la deesse benigne

Que povreté et mal leur doint tousdis,

24

Et que jamais leur meschance ne fine.

Et s'oultremer s'en vont en ce tendis,

Le dieu de mer si trouble la marine

Qu'ilz y soient tous peris et laidis,

28

Et que jamais leur meschance ne fine.

Note LII:—13 B S. tousjours— t. biens c.—14 Mais en l.—15 Pour tant s—21 Honneur d'a.—27 B p. ou l.

LIII

Sage seroit qui se saroit garder

Des faulx amans qui adès ont usage

De dire assez pour les femmes frauder;

4

Trop se plaignent de l'amoureuse rage

Qui plus les tient que l'oisellet la cage,

Et vont faignant qu'ilz en ont couleur fade;

Mais quant a moy tiens de certain corage,

8

Qui plus se plaint n'est pas le plus malade.

Qui les orroit jurer et bien bourder,

Faire semblant d'estre plus serf qu'un page,

Aler, venir, muser et regarder,

12

Et en parlant recouper leur langage

Pour decepvoir, a pou n'est il si sage

Eulx guermenter a la plaisant et sade!

Mais on peut bien jugier a leur visaige,

16

Qui plus se plaint n'est pas le plus malade.

De telz amans Dieux les vueille amender.

Il en est moult, je croy, dont c'est dommage,

Qui partout vont aux dames demander

20

Grace et mercy, ou envoyent message,

Qui ne le font fors pour querre avantage

En certains lieux; pour ce dit ma balade,

Qu'en ce cas cy, tant soit de hault parage,

24

Qui plus se plaint n'est pas le plus malade.

Note LIII:—3 A² B l. f. laider—7 A² B M. q. a m. je t. en mon c.—15 on p. b. veoir a—22 B En divers.

LIV

Vrays amoureux, jeunes, jolis et gais,

Qui desirez a monter en hault pris,

Ayez les cuers nobles, doulz et en paix,

4

Blasme et mesdit soit de vous en despris,

D'acquerre honneur soiez chaulx et espris,

Courtois, loiaulx, sages et gracieux,

Et beaulx parliers, larges, n'aiés envie,

Portez honneur aux vaillans et aux vieulx;

9

Ainsi sera grace en vous assouvie.

Ne vous chault ja s'estes ou beaulz ou lais,

Granz ou petiz, ja n'en serez repris,

Mais que renom tesmoigne voz bons fais,

13

Et que soiez en toute honneur apris.

Du fait d'autrui ne parlez en mespris,

Vostre maintien soit bel, et en tous lieux

Soit plaisamment dame de vous servie,

Esbatez vous a honnourables jeux;

18

Ainsi sera grace en vous assouvie.

Suivez les bons, ne vous vantez jamais,

Ne a mentir souvent n'aiés apris,

Et voulentiers d'armes portez le fais;

22

Qui ce mestier faire a entrepris

Nul ne blasmez, comment qu'il vous soit pris,

Dieu et les sains et les saintes des cieulx

Amez, servez trestoute vostre vie,

Et en tous cas vous en sera de mieulx,

27

Ainsi sera grace en vous assouvie.

Gentiz amans, or soiez doncques tieulx,

Et deshonneur sera de vous ravie.

Les fais des bons aiez devant les yeulx,

31

Ainsi sera grace en vous assouvie.

Note LIV:—4 Blasdit et m.—6 B L. s. c. et g.—21 B les fais.

LV

Qui bien aime n'oublie pas

Son bon ami pour estre loings

Car en voyage avient maint cas,

4

Dont li sejourners est besoings;

Mais aucuns on sieult moult amer

Qu'on oublie par long passage.

Car le voiage d'oultremer

8

A fait en amours maint dommage.

Pluseurs en Chipre ou a Damas,

Ou demeurent trois ans ou moins,

S'en vont, ou au corps saint Thomas

12

En Ynde, ou ilz ont mains besoings;

Mais Amours qui les fait armer

Leur rend souvent pou d'avantage,

Car le voiage d'oultremer

16

A fait en amours maint dommage.

Par telz sejours souvent sont las

Les cuers d'amer, et par telz poinz

Sont oubliez ceulz qui maint pas

20

Font par le monde en divers coings;

Aussi n'oseroie affermer

Qu'amis ne changent leur corage,

Car le voiage d'oultremer

24

A fait en amours maint dommage.

Note LV:—6 Que on.

LVI

Mon bel ami, je voy trop bien

De vray, quel que le semblant soit,

Que vostre cuer ne m'aime en rien.

4

Bien borgnes est qui ne le voit;

Vous le dites quoy qu'il en soit,

Mais c'est tout pour moy faire pestre,

7

Car l'oeuvre loe le maistre.

Il appert a vostre maintien

Comment vo cuer d'amer recroit;

Car tout un moys, si com je tien,

11

De moy veoir ne vous chauldroit.

Que m'amissiez qui le croiroit?

Certes, ce ne pourroit estre,

14

Car l'oeuvre loe le maistre.

Dont trop pour fole je me tien,

Et aussi chascun m'i tendroit,

De vous amer; car nesun bien

18

De ce venir ne me pourroit,

Puis qu'en riens ne vous en seroit,

Et j'aperçoy trop bien vostre estre;

21

Car l'oeuvre loe le maistre.

Note LVI:—4 A Pou aperçoit q. ne le v.—13 Sic dans tous les mss. corr. C. ce ne p. [pas] e.—On peut encore faire la correction en maintenant tel quel ce vers et en abrégeant les vers 6 et 20.—16 B Et c. a.

LVII

Se j'ay le cuer dolent je n'en puis mais,

Car mon ami s'en vait en Angleterre,

Ne je ne sçay quant le reverray mais

4

Le bel et bon qui mon cuer tient en serre;

Car entre luy et moy ara grant barre;

Mais jamais jour joye ne bien n'aray,

7

Jusques a tant que je le reverray.

Et quant je pense a ses gracieux fais

Doulz et plaisans, trop fort le cuer me serre;

Et comment pour morir, certes, jamais

11

Ne me courçast, et ou pourroye querre

Nul plus plaisant? or vueil je Dieu requerre

Qui le convoit; mais dolente seray,

14

Jusques a tant que je le reverray.

Or est mon cuer chargié de pesant fais,

Dont plains et plours me feront dure guerre;

Et en lui seul seront tous mes regrais;

18

Car je l'aim plus que riens qui soit sus terre.

Si convendra que le renvoye querre,

Ou a douleur et meschief languiray,

21

Jusques a tant que je le reverray.

Note LVII:—1 j'en n'en p. m.—2 va.—3 B q. je r.—11 Ne me courcist— et ou pourroy je q.—17 B Car—20 B Ou en d.

LVIII

Dant chevalier, vous amez moult beaulz ditz;

Mais je vous pri que mieulx amiez beaulz faiz.

Au commencier estes un pou tardis,

4

Mais encor vault trop mieulx tart que jamais,

Vous ne servez fors d'un droit entremais:

Parmi ces cours voz baladez baillier;

C'est le beau fait que vous ferez jamais.

8

Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier!

Vous estes bon chevalier et hardis,

Mais vous amez un petit trop la paix,

Si avez droit, car aux acouardiz

12

Est trop pesant des armes le grief fais.

Tel chevalier soit honnis et deffais

Qui pour honneur ressongne a travailler!

Mais le repos vous siet bien desormais.

16

Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier!

Et pis y a, par Dieu de paradis,

C'est villain fait se vous en pouez mais;

Car malparlier, jengleur, plein de mesdis,

20

Estes tenus et pis, mais je m'en tais,

Dont a la Court partout et au Palais

Vont maint disant qu'on le puist exillier;

De quoy sert il? De faire virelais.

24

Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier!

Le mesdire d'autrui laissiez en paix,

Dant chevalier, car pire en un millier

Il n'a de vous, si dient clers et lais:

28

Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier!

LIX

Par ces moustiers voy venir et aler

Maint amoureux gracieux et faitis,

Qui n'osent pas a leurs dames parler

4

Pour mesdisans qui trop sont ententis

D'eulx agaitier, dont les amans gentilz

S'en vont souvent qu'ilz n'en ont se mal non.

Et quant ilz sont de l'eglise partis,

8

Sont ilz aise? certes je croy que non.

Et se bien ont, je croy qu'au paraler

Moult chierement il leur soit departis

Car, qui se veult selon amours riuler,

12

Il n'a mie pour soy tous bons partis.

Amours les tient subgiez et moult craintis

Que de leur fait il soit aucun renom.

Ytelle gent, soient grans ou petiz,

16

Sont ilz aise? certes je croy que non.

Mais des mauvais on ne se doit mesler;

Car bien n'en ont, ne mal, mais alentis

Ilz sont d'amer et ne scevent celer;

20

Malicieux, decepvans et faintis

Sont, et mauvais et en leurs fais soubtilz;

Mais ne leur chault s'ilz sont amez ou non.

Se bien leur vient a si pou d'apetis,

24

Sont ilz aise? certes je croy que non.

Note LIX:—2 A Ces a.—3 a leur dame—4 B q. s. t. e.—7 B de l'e. sortis—9 que au—18 et a.—21 en l. f. faintifs.

LX

Du mal d'amours soiez vous tourmentez,

Vous qui parlez sus les vrais amoureux!

De les blasmer je dis que vous mentez,

4

D'eulx diffamer, ne mesdire sur eulx,

Car bonne gent sont et beneüreux

D'avoir empris si gracieuse vie;

7

Mais vous parlez comme gent pleins d'envie.

Car il n'est nul si villain, n'en doubtez,

S'il a gousté des doulz biens savoreux

Qu'Amours depart a ceulx qu'il a domtez,

11

Que tout gentil, poissant et vigoreux

Il n'en deviegne et de biens plantureux.

Tache de mal est d'eulx du tout ravie;

14

Mais vous parlez comme gent pleins d'envie.

De mieulx valoir qu'ilz ne font vous vantez,

Faulx mesdisans, villains, maleüreux,

Qui en tous lieux estes si deboutez,

18

Que chascun fait de vous le dongereux;

Faillis, lasches estes et paoureux,

Et en eulx est toute grace assouvie;

21

Mais vous parlez comme gent pleins d'envie.

Note LX:—12 B Il ne d.

LXI

Io fut une damoiselle

Que Jupiter ama moult fort.

Juno en ouÿ la nouvelle;

Se ne lui fu jeu ne deport:

5

Du ciel descent en une nue

Pour son mary surprendre ou fait;

Sur eulx est tout a coup venue

Si les y eust surpris de fait;

Mais il n'est nul si grant meschief

10

Qu'on ne traye bien a bon chief.

Car Jupiter d'une cautelle

Se couvri; car il fist un sort

Par quoy il tresmüa la belle

En une vache, mais au fort

15

S'en est Juno si près tenue,

Qui souspeçon a du meffait,

Qu'elle a la vache retenue

Malgré que Jupiter en ait.

Mais il n'est nul si grant meschief

20

Qu'on ne traye bien a bon chief.

La vache en garde bailla celle

A Argus, qui jamais ne dort;

Cent yeulz avoit et la pucelle

Toudis gaitoit, mais il fu mort

25

Par Mercures qui l'en desnue,

Car au vachier tant tint de plait

Qu'il l'endort, puis l'a detenue;

Et ce fu a Juno moult lait.

Mais il n'est nul si grant meschief

30

Qu'on ne traye bien a bon chief.

Pour ce je di qu'une cenelle

Ne vault la garde tant soit fort,

Ne a vallet ne a basselle;

Puis qu'ilz sont tous deux d'un acort,

35

L'amour d'eulz sera maintenue

Et verront, qui que dueil en ait,

L'un l'autre, et en est avenue

Mainte chose par tel agait;

Mais il n'est nul si grant meschief

40

Qu'on ne traye bien a bon chief.

Note LXI:—8 A Et—10 Que on—12 Se c. en faisant un s.—17 A Que elle—26 C. le v.—32 vers rayé dans A¹.—40 Q. ne tourne.

LXII

Ha! mon ami, que j'ay long temps amé!

Comment as tu le cuer si desloiaulx,

Que moy qui t'ay si doulcement clamé

4

Ami long temps, tu me fais tant de maulz?

Parjur, mauvais, plein de mençonge et faulz,

On te devroit par dessus tous clamer,

7

De moy laissier ainsi pour autre amer.

Je t'avoye dessus tous affermé

Pour mon ami sur tous especiaulx,

Et tous jours t'ay chery et reclamé

11

De tout mon cuer qui t'a esté loyaulz;

Mais plus mauvais n'a n'en France n'en Caulx,

Ne autre part, le cuer as trop amer

14

De moy laissier ainsi pour aultre amer.

Est donc ton cuer si pris et enflammé

De celle qui tant me fait de travaulx,

Que de s'amour soies si affamé

18

Que de moy fais contre elle petit taux?

Tu t'avances de ce faire a bas saulx,

Ce m'est avis, et te doit on blasmer

21

De moy laissier ainsi pour aultre amer.

Note LXII:—4 B qu'une faiz t. de m.—6 B On te doit bien—9 B P. m. a. trés chier e.—11 B q. t'ay e.—15 B si p. si e.—20 B ce me semble.

LXIII

Amours! Amours! ce m'as tu fait,

Qui m'as mis en si dur parti.

Se ne te feis je oncques meffait,

4

Et si ay tant de maulx parti

Largement m'en as departi;

Et qui te fait de son cuer don,

7

A il doncques tel guerredon?

Ton soulas est bien contrefait,

Il s'est de moy tost departi,

Contre le bien mal me reffait;

11

En grant doulour s'est converti,

Tu m'occis sanz dire «gar t'y!»

Va il ainsi qui te sert don,

14

A il doncques tel guerredon?

Et pour quoy, ne pour quel tort fait,

M'as tu un tel ami sorti,

Qui ma vie et mes jours deffait?

18

Car par lui suis en tel parti

Que tout mon sens est amorti.

Qui tu esprens de ton brandon,

21

A il doncques tel guerredon?

Note LXIII:—15 B Et p. q. et p. q. meffait—20 B Q. t. e. de tel b.—21 A guerdon.

LXIV

Sages et bons, gracieux et courtois,

Doivent estre par droit tous chevaliers;

Larges et frans, doulz, paisibles et cois,

4

Pour acquerir honneur grans voiagiers,

En fais d'armes entreprenans et fiers,

Droit soustenir et deffendre l'Eglise,

D'armes porter doit estre leur mestiers,

8

Qui maintenir veult l'ordre a droite guise.

Hanter les cours des princes et des roys,

Les fais des bons recorder voulentiers;

Estre doivent d'orphelins et de lois

12

Et des femmes deffendre coustumiers,

Acompagnier les nobles estrangiers,

Preux et hardiz et sanz recreandise,

Et voir disans, fermes, vrais et entiers,

16

Qui maintenir veult l'ordre a droite guise.

Et noblece dont il est si grant voix

Les doit tenir loiaulx et droituriers;

Pour le renom qu'il est des bons françois

20

Leur doit estre tous pesans fais legiers,

Ne orgueilleux, vanteurs ne losengiers

Ne soient pas, car chascun trop desprise

Si fais mahains, bourdeurs ne noveliers,

24

Qui maintenir veult l'ordre a droite guise.

Telz chevaliers doit on avoir moult chiers;

Dieu et les sains et le monde les prise.

Or suive donc toudis si fais sentiers,

28

Qui maintenir veult l'ordre a droite guise.

Note LXIV:—7 A omet D'—12 A Et de f.—23 A Si f. m. vanteurs ne n.—27 or s. doncques si f. s.

LXV

Dame sanz per, ou tous biens sont assis,

A qui m'amour j'ay trestoute donnée,

Corps gracieux de doulz maintien rassis,

4

Belle beaulté doulcement atournée,

Que j'aim et craim plus qu'autre chose née,

Apercevez que je n'ose

Parler a vous, ne conter mon martire;

Mais s'il m'esteut le dire a la parclose

9

Ne me vueilliez, doulce dame, escondire.

Car il a ja des ans bien près de six

Que j'ay en vous m'amour toute assenée,

N'oncques n'osay vous requerir mercis

13

Pour la paour que ne soiez tanée

De m'escouter, mais ne puis plus journée

La douleur qui est enclose

Dedens mon cuer endurer sanz le dire;

Mais se voyez que pour vous ne repose,

18

Ne me vueilliez, doulce dame, escondire.

Gentil cuer doulz, or soient adoulcis

Par vous mes maulz, et ma douleur sanée.

Car de plorer et plaindre je m'occis,

22

Ne je ne puis sanz mort passer l'année,

Se ma douleur n'est brief par vous finée.

Belle, plus fresche que rose,

Vo doulce amour demand que tant desire;

Et quant ne vueil ne requier autre chose,

27

Ne me vueilliez, doulce dame, escondire.

Note LXV:—10 B C. il y a d.—11 m'a. en v.—13 B q. ne feussiez t.—23 B n'e. tost p.—25 B La vostre a.—26 A Et se voyés que pour vous ne repose.

LXVI

Mon chevalier, mon gracieux servant,

Je sçay de vray que de bon cuer m'amez,

Et de long temps je vois apercevant

4

L'amoureux mal dont tant vous vous blamez.

Or ne faites plus mate chiere,

Ne vous doulez plus ne jour ne demi,

Car je vous vueil amer d'amour entiere,

8

Et vous retien pour mon loial ami.

Et la douleur qui tant vous va grevant

Pour moye amour, dont pour mort vous clamez,

Je gariray et vous verray souvent.

12

Ja ne sera mon corps si enfermez

Que je ne treuve bien maniere

De vous veoir; or soiez tout a mi,

Car estre vueil aussi vo dame chiere,

16

Et vous retien pour mon loial ami.

Si gardez bien, ne m'alez decevant,

Car les loyaulz amans sont clersemez;

Ce croy je bien, mais n'alez ensuivant

20

Les faulz mauvais qui tant sont diffamez.

Pour ce, se je ne vous suis fiere,

Et ay pitié dont tant avez gemi;

Par quoy ottroy m'amour a vo priere,

24

Et vous retien pour mon loial ami.

Note LXVI:—12 B si affermez—20 L. f. amans—21 B Pour tant—23 m'a. o.

LXVII

Chiere dame, certes je ne pourroie

Vous mercier assez souffisamment

Du noble don que vo doulz cuer envoie

4

A moy, qui suis vostre serf ligement,

De me donner l'amour entierement

De vous que j'aim et desir a servir;

7

Hé Dieux me doint pouoir du desservir!

Or avez vous remply de toute joye

Mon povre cuer, et osté le tourment

Que par long temps pour vous souffert avoye;

11

Or m'avez vous mercy trop grandement.

Pensé avez de mon avancement

De moy vouloir de tous biens assouvir;

14

Hé Dieux me doint pouoir du desservir!

Or seray gay trop plus que ne souloie,

Et bien est drois que vive liement;

Car tant me plaist que vostre amour soit moye

18

Que, se le monde estoit mien quittement,

Mieulz vouldroie le perdre entierement

Que vostre amour, ou me vueil asservir;

21

Hé Dieux me doint pouoir du desservir!

Note LXVII:—3 q. vostre c. octroye— q. vo d. c. octroye—5 B De moy d.—7 B Ha D.—7, 21 Et D.—8 à 14 omis dans A¹—14 B Ha D.—20 B or m'y v.—21 B Ha D.

LXVIII

Dame, oncques mais je ne vous vi

Que maintenant; mais, sanz mentir,

Mon cuer avez du tout ravi

4

A tousjours mais, sanz departir.

Si me fauldra mains maulz sentir,

Se m'escondissiez; ce vous pry.

7

Dame, pour Dieu, mercy vous cry.

Grandement m'arez assouvi,

S'il vous plaist a moy consentir

Vostre amour, et je vous plevi

11

Que tout vostre, sanz alentir,

Suis et seray, n'en quier partir.

A jointes mains je vous depry;

14

Dame, pour Dieu, mercy vous cry.

Durement m'ara asservi,

Vostre beaulté qui amatir

Fera mes ris, et assouvi

18

Sera mon bien; se assentir

Voulez ma mort, comme martir

Me mourray; si oyez mon cry:

21

Dame, pour Dieu, mercy vous cry.

Note LXVIII:—4 B s. repentir—6 se v. p.— et v. p.—14 doulce d. m.—18 B se consentir.

LXIX

Il vous est bien pris en sursault

Le mal d'amours qui si vous blece;

Ne voulez pas avoir deffault

4

Pour avoir de prier paresce.

Je ne suis pas d'amer maistresse,

Et nyce on me devroit clamer,

7

Sire, de si tost vous amer.

Car il m'est vis que dame fault

Contre honneur et contre noblece,

De tost donner ce que tant vault,

11

Qu'il n'est nulle plus grant richece

Aux desirans, ne tel leesce.

On vous lairoit pou affamer,

14

Sire, de si tost vous amer.

Et desservir avant vous fault

Les biens d'amours a grant destrece,

Et souffrir le froit et le chault,

18

Que vous en aiez tel largece;

Bien me tendriez a musarresse,

Vous meismes me devriez blasmer,

21

Sire, de si tost vous amer.

Note LXIX:—6 B Aussi me d. on blasmer—15 B Car—19 B B. m'en tendriez—8-21 A intervertit ces deux strophes.

LXX

Voulez vous donc que je muire,

Trés belle, pour vous amer?

Helas! ou pourray je fuire,

4

Se vo doulz cuer m'est amer?

Je ne me pourroye armer

Contre amours qui si m'assault

7

Que vigueur et cuer me fault.

Pour Dieu ne me vueilliez nuire,

Trés doulce estoille de mer

Par qui je me vueil conduire;

11

Vous seule vueil reclamer,

Vueillez moy ami clamer,

Ou je vous diray tout hault

14

Que vigour et cuer me fault.

A vo vouloir me vueil duire,

Et de tous poins confermer;

Autre ne me puet deduire.

18

Si m'i fault du tout fermer,

Sanz nul jour me deffermer

De vous, dont j'ay tel deffault

21

Que vigour et cuer me fault.

LXXI

Vostre beaulté, vo gracieux accueil,

A si mon cuer de vous enamoré,

Dame plaisant, et vo doulz riant oeil,

4

Que, se je n'ay vostre amour, je morré

Prochainement, et fremir

Fait tout mon cuer quant vo beaulté remir;

Tant suis forment de vostre amour espris,

8

Doulce dame, je me rens a vous pris.

Voiez comment pour vous de plours me mueil,

Par quoy vivre longuement ne porré

Pour l'amoureux mal dont si fort me dueil,

12

Que ja m'a près que mort et acouré.

Dame que je vueil cremir,

Aiez pitié de moy qui escremir

Ne puis vers vous, et com d'amer surpris,

16

Doulce dame, je me rens a vous pris.

Et trés plaisant cuer, gentil, sanz orgueil,

Doulz corsellet de moy trés aouré,

Je ne desir autre chose, ne vueil

20

Qu'un doulz baisier de vous assavoré;

Plus ne devroye gemir

Se du trés doulz viaire ou je me mir

Avoye ce; mais se j'ay riens mespris,

24

Doulce dame, je me rens a vous pris.

Note LXXI:—4 se je n'é—9 B V. comme p. v.—20 Que un—21 A cremir—22 me muyr.

LXXII

Ma dame, je ne sçay que dire

De vous et de vostre maniere;

Vous me voulez du tout destruire

4

De moy faire si mate chiere;

Debouter me voulez arriere

De vous, dont suis desconforté;

7

Ne sçay qu'on vous a raporté.

Riens ne fais qui vous puist souffire,

Ne chose que je vous requiere

Ne faites, dont j'ay trop grant yre.

11

Ne souliez estre coustumiere

D'envers moy estre si trés fiere,

Sanz que me soye mal porté;

14

Ne sçay qu'on vous a raporté.

Fondre me feriez com la cire,

Et mon corps moult tost metre en biere,

De moy de tous biens escondire,

18

Ou je ne sçay, ma dame chiere,

S'un autre en mes biens met enchiere

Qui vo cuer ait mal enorté;

21

Ne sçay qu'on vous a raporté.

Si ne vueilliez qu'a la mort tire

Sanz cause, pour un autre eslire

Qui mon bien en ait enporté;

25

Ne sçay qu'on vous a raporté.

Note LXXII:—2 B ne de v.—6 B De v. d. j'ay trop de durté—7 que on—13 B Se vo cuer est mal enorté—14 que on—15 ferés—20 B Qui de moy vous ait mal porté—21 et 25 A¹ que on—22 à 25 omis dans B.

LXXIII

Helas! ma dame, il me fault eslogner

De vo beaulté, dont le cuer trop me deult.

Si m'assauldront tous maulz sanz espargnier,

4

Car plus vous aim que Tristan belle Ysseult,

Belle, ou sont tuit mi ressort.

Or deffauldront mi gracieux deport;

Car vous estes mon reconfort sur tous,

8

Las! que feray, doulce dame, sanz vous?

Et tous les jours faudra en plours bagner

Mon pouvre cuer, qui trop de mal recueult;

Car autre bien ne convoite a gaigner

12

Fors vous, belle, ce demande et ce veult.

Si suis en grant desconfort;

Car je ne puis vivre sanz vous au fort,

N'estre de mort par nulle autre rescous,

16

Las! que feray, doulce dame, sanz vous?

Le departir je doy bien ressongner,

Par quoy perdray ce qu'esjoïr me seult:

C'est vo doulçour quant lui plaist a daigner

20

Moy conforter, et doulcement m'acueult;

Or n'en aray reconfort,

Dont grief doulour trop durement me mort;

Or suis je bien de tous biens au dessoubz,

24

Las! que feray, doulce dame, sanz vous?

Note LXXIII:—15 B N'e. ne puis p.— p. nul a. r.—22 B t. griefment.

LXXIV

Doulce dame, a Dieu vous command,

Aler m'en fault, dont il me poise,

Cent fois a vous me recommand,

4

Et vous suppli, doulce et courtoise,

Ne m'oubliez ou que je voise;

Et pour retour de ce voiage,

7

Je vous laisse mon cuer en gage.

—Amis, vostre departement

Petitement mon cuer renvoise,

Et se m'oubliez nullement,

11

Il ne sera nul qui racoise

Mon dolent plour. A basse noise

Vous di a Dieu, et pour partage,

14

Je vous laisse mon cuer en gage.

—Belle, sachiez certainement

Que, pour dame ne pour bourgoise,

Ne vous oublieray vraiement;

18

D'autre amour ne donne une boise,

Tost revendray comment qu'il voise,

Et de vous renvoier message,

21

Je vous laisse mon cuer en gage.

LXXV

Ne me vueilliez pas oublier

Pour tant si je vous suis lontains,

Belle, je vous vueil supplier

4

Qu'il vous souviengne que je n'aims

Fors vous, et pour tant, se je mains

Hors du païs si longuement,

7

Ne vous oubli je nullement.

Ce me feroit com fol lier,

Et com dervez, et piez et mains,

S'a aultre veoie alier

11

Vostre doulz cuer, mieulz vouldroie ains

Morir que part y eussent mains;

Mais pour peine, ne pour tourment,

14

Ne vous oubli je nullement.

Si me fault melancolier

Loings de vous, en plours et en plains;

Ne le courroux entroublier

18

Ne puis, dont li miens cuers est pleins;

Et si ne sçavez mes reclaims;

Mais sachiez qu'un tout seul moment

21

Ne vous oubli je nullement.

Note LXXV:—17 B Ne le c. apalier—18 B le m. c. e. tains—19 B Ne vous ne s.

LXXVI

Je pri a Dieu qu'il lui doint bonne nuit

A la trés belle, ou sont tous mes reclaims,

Et qu'il ne soit chose qui lui anuit,

4

Fors seulement que d'elle si loings mains.

Car de tel mal moult bien me plaist qu'atains

Soit son doulz cuer, si qu'adès lui souviegne

7

De son ami, desirant qu'il reviegne.

C'est la plus belle et la meilleur, je cuid,

Qui soit ou monde, et si suis tous certains

Que loiaulté du tout gouverne et duit

11

Son noble cuer, qui n'est fier ne haultains,

Ne de villain penser taché ne tains;

Si requier Dieu que nouvelles lui viegne

14

De son ami, desirant qu'il reviegne.

Ha! que fusse je ores ou doulx reduit,

Ou elle maint, la porté ou ampains!

A lui seroit et a moy grant deduit,

18

Si seroient un pou noz maulx estains;

Dieux! que sceust elle au moins comment je l'aims?

Si le sçara, mais qu'en l'amour se tiegne

21

De son ami, desirant qu'il reviegne.

Note LXXVI:—3 A qui vous a.—5 B C. de ce m.—13 Si requiert—15 B Et—18 moz—B mes m. e.—19 B Hé—20 A m. que.

LXXVII

Je ne suis pas vostre pareil,

Car vous estes la non pareille

Du monde, belle sanz orgueil,

4

A qui servir je m'appareille;

Mais sachiez qu'Amours me traveille

Pour vostre amour et me commande,

7

Dame, qu'a vous servir j'entende.

Si oiez le plaint de mon dueil

En pitié, de vo doulce oreille;

Et prenez garde que je vueil

11

Estre tout vostre, et ja ne vueille

Vostre doulz cuer que tant me dueille,

Ains lui plaise affin que j'amende,

14

Dame, qu'a vous servir j'entende.

Regardez moy de vo doulz oeil,

Dame, car je tremble comme fueille.

Present vous, ne passer le sueil

18

N'ose que vo courrouz n'acueille,

Vostre grant valour ne s'orgueille

Contre moy, ains tel bien me rende,

21

Dame, qu'a vous servir j'entende.

Note LXXVII:—3 B Du m. servir s. o.—7, 14, 21 B q. v. s. e.—11 B E. trestout v. et ne v.—12 B V. doulçour—14 s. entende—20 B C. vous.

LXXVIII

Que ferons nous de ce mary jaloux?

Je pry a Dieu qu'on le puist escorchier.

Tant se prent il de près garde de nous

4

Que ne pouons l'un de l'autre approchier.

A male hart on le puist atachier,

L'ort, vil, villain, de goute contrefait,

7

Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait!

Estranglé puist estre son corps des loups,

Qu'aussi ne sert il, mais que d'empeschier!

A quoy est bon ce vieillart plein de toux,

11

Fors a tencier, rechigner et crachier?

Dyable le puist amer ne tenir chier,

Je le hé trop, l'arné, vieil et deffait,

14

Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait!

Hé! qu'il dessert bien qu'on le face coux

Le baboïn qui ne fait que cerchier

Par sa maison! hé quel avoir! secoux

18

Un pou sa pel pour faire aler couchier,

Ou les degrez lui faire, sanz marchier,

Tost avaler au villain plein d'agait,

21

Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait!

Note LXXVIII:—8 s. c. de l.—13 B Je le hé t. l'ort. vil. vilain, d.—15 B Dieux—Vers 17, on pourrait lire aussi: hé que l'avoir!

LXXIX

Helas! ma dame, amours le m'a fait dire

Ce que j'ay dit com rude et mal apris;

Si ay parlé com dolent et plein d'yre.

4

Mais ne vueilliez, pour Dieu, tourner a pris

Ce que j'ay dit, doulce dame de pris;

Car je sçay bien qu'ay parlé rudement,

7

Si vous en cry mercy trés humblement.

Car a raison toudis pas ne se tire

Le cuer qui est de jalousie espris,

Car il n'est dueil, ne maladie pire;

11

Et on m'a dit, l'autryer le vous rescrips,

Que vous avez a autre amer empris;

Et ce me fist parler plus follement,

14

Si vous en cry mercy trés humblement.

Mais je vous pry qu'il vous vueille souffire

Moy a ami, combien que plus grant pris

Ont mains meilleurs et je soye le pire,

18

Puet bien estre, mais n'aiez en despris

Mon loial cuer de vostre amour surpris,

Je vous nommay fausse, certes je ment,

Si vous en cry mercy trés humblement.

Note LXXIX:—5 Mes paroles d.—11 l'autre yer—B le v. escrips—13 p. felement—16 a. espris—21 Je v.

LXXX

Ne pourray je donc jamais avenir

A vostre amour, ma dame debonnaire,

Pour bien amer et loyaulté tenir,

4

Ne pour prier ou pour service faire?

N'ay je pouoir de vo doulz cuer attraire,

Belle plaisant, mon gracieux cuer doulz,

7

Voulez vous donc que je muire pour vous?

Helas! pour Dieu, vueilliez moy retenir

Pour vostre ami! car il m'est neccessaire

Se vivre vueil, ne puis plus soustenir

11

Vostre escondit qui m'oste mon salaire;

Et plus vous serfs et plus m'estes contraire,

Dame d'onneur, me haïez vous sur tous,

14

Voulez vous donc que je muire pour vous?

Au moins s'un pou vous daignast souvenir

Du dueil amer qu'il me fault pour vous traire;

Pour quoy vous pleust, quant me voiez venir,

18

Vous dire ce dont je ne me puis taire,

Que me feissiez de vostre doulz viaire

Un doulz semblant, mais, quant ne suis rescoux,

21

Voulez vous donc que je muire pour vous?

Note LXXX:—4 B ne p. s.—12 m'etez—17 B Par quoy—19 Q. me faisiez—20 B m. se ne—15 à 20 :

Quant tout mon fait et tout mon maintenir

N'est autre part et ne veez le contraire,

Ne vous deust il quelque foiz souvenir

Du mal que j'ay pour vous que ne puis taire?

N'a il pitié quelconque en vostre affaire?

Me lairez vous finer en tel courroux?

LXXXI

Ce jour de l'an que l'en doit estrener,

Trés chiere dame, entierement vous donne

Mon cuer, mon corps, quanque je puis finer;

4

A vo vouloir de tous poins abandonne

Moy, et mes biens vous ottroy, belle et bonne;

Si vous envoy ce petit dyamant,

7

Prenez en gré le don de vostre amant.

Je vous doy bien tout quanque j'ay donner;

Car ou monde n'a nulle autre personne

Qui les me peüst tant guerredonner,

11

Com vous, belle, qui la fin et la bonne

Estes, qui tous mes biens drece et ordonne;

Si vueil estre tout vostre en vous amant,

14

Prenez en gré le don de vostre amant.

Or vueilliez donc vo doulz cuer assener

A moy aussi; ne soiez si felonne

Que me faciez jusqu'a la mort pener.

18

Ostez le mal qui en mon cuer s'entonne.

Si porteray des amans la couronne;

Mon cuer vous donne et le vostre demand,

21

Prenez en gré le don de vostre amant.

Note LXXXI:—10 Q. le.

LXXXII

Doulce dame, vueilliez moy pardonner

Se demouré ay un pou longuement;

Car je n'ay peü plus tost retourner,

4

Dont me desplaist; car trop d'empeschement

M'est survenu, mais croiez fermement

Que vostre suis, ou soie près ou loings,

7

Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins.

J'ay bien cuidé la ma vie finer,

Tant eus de mal pour le departement

De vous, trés belle, et, sanz joye mener,

11

J'ay la esté trés le commencement

Jusqu'a la fin; car resjouïssement

Je n'ay sanz vous, fors mal et tous besoings,

14

Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins.

Or suis venu, vueillez moy ordener

Vostre vouloir, car vo commandement

Vueil obeir, et je me doy pener

18

De vous servir; ne feray autrement

Tant quan vivray, sachiez certainement.

Car la sont tous mes pensers et mes soins,

21

Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins.

Note LXXXII:—1 B Chiere d.—6 B p. et l.—11 G'y ay e.—17 B car je m'en vueil p.— car je me d.—19 B T. com v.

LXXXIII

Trés faulz parjur, renoyé plein de vice,

Plus que Judas rempli de traïson,

De tout mon cuer t'ay amé comme nyce,

4

N'oncques vers toy ne pensay mesprison,

Et pour autre me laisses sanz raison.

Ne deusses pas ce moy faire a nul fueur;

Car tu me metz en trop dure friçon.

8

Ha desloial! comment as tu le cuer?

Dieux, que feist on de telle gent justice?

On en pent maint a trop moins d'achoison,

Se m'en vengier peüsse, je garisse

12

Des maulx que j'ay pour toy a grant foison.

Que fusses tu destroit en ma prison?

Ton grant orgueil m'atasse, et la grandeur

Dont tu me fais vivre a tel cuisançon.

16

Ha desloial! comment as tu le cuer?

De mes bienfais me rens tel benefice,

Ne plus ne moins com fist le faulz Jason

A Medée, qui lui fist tel service

20

Qu'il en conquist la dorée toyson,

Pour lui laissa sa terre et sa maison,

Dont lui rendi après petit d'onneur;

Encor me fais pis sanz comparoison.

24

Ha desloial! comment as tu le cuer?

Note LXXXIII:—7 Mais—9 de celle g.—18 B m. que f.

LXXXIV

Se vous me donnez congié

Par conseil de mesdisans,

Dame que servie j'é

4

Par l'espace de dix ans,

Au lit me mettrez gisans:

N'oncques ne m'amastes brief,

7

Se vous me faites tel grief.

N'ay desservi qu'estrangié

Soye, mon devoir faisans,

Et se je suis deslogié

11

Pour aultre moins souffisans,

Qui a vous soit plus plaisans,

Sur lui vendra le meschief,

14

Se vous me faittes tel grief.

Vo cuer est vers moy changié;

Car tousdis par moz cuisans

Je suis de vous laidengié,

18

Com je fusse un païsans;

Mais je croy que mes nuisans

Leur part aront du relief,

21

Se vous me faittes tel grief.

Note LXXXIV:—8 que e.—19 B M. bien c.

LXXXV

L'espoir que j'ay de reveoir ma dame

Prochainement, me fait joyeux chanter

A haulte voix ou vert bois soubz la rame,

4

Ou par deduit j'ay apris a hanter

Pour un petit les maulx que j'ay domter,

Pour ce qu'adès suis d'elle si longtains;

7

Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains.

Et je doy bien avoir desir par m'ame

D'elle veoir, car je m'ose vanter

Qu'il n'est ne roy, ne duc, ne prince, n'ame

11

Qui ne voulsist a elle honneur porter,

Pour les grans biens qu'on en ot raconter;

Si me desplait dont d'elle si loins mains;

14

Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains.

Et sa beaulté, qui le mien cuer enflamme,

Me fait souvent gemir et guermenter

Pour le desir, qui m'estraint et affame,

18

D'elle veoir, pour moy reconforter;

Je chanteray pour mon cuer deporter.

Adès suis loings d'elle ou sont mes reclains;

21

Mais, se Dieu plaist, j'en seray plus prochains.

Note LXXXV:—1 reveir—10 A Que il n'e. r.—12 B P. le grant bien—17 Tant me destraint d. fort et a.—18 et p. m. conforter—19 et m. c. d.

LXXXVI

Jadis par amours amoient

Et les dieux et les deesses,

Ce dit Ovide, et avoient

4

Pour amours maintes destresses;

Foy, loiaulté et promesses

Tenoient sanz decepvoir,

7

Se les fables dient voir.

Et du ciel jus descendoient,

Non obstant leurs grans hauteces,

Et a estre amez queroient

11

Les haulz dieux pleins de nobleces;

Pour amours leurs grans richeces

Mettoient en nonchaloir,

14

Se les fables dient voir.

Lors si trés contrains estoïent,

Nymphes et enchanterresses,

Et les dieux qui lors regnoient,

18

Satirielz et maistresses,

D'amours, qu'a trop grans largeces

Mettoient corps et avoir,

21

Se les fables dient voir.

Pour ce, princes et princepces

Doivent amer et savoir

D'amours toutes les adresces,

25

Se les fables dient voir.

Note LXXXVI:—16 Nyphes—19 B qui t. g. l.—24 tous l. a.—22 à 25 omis dans A².

LXXXVII

Puis qu'ainsi est que je ne vous puis plaire,

Ma belle amour, ma dame souveraine,

Pour nul travail que mete a vous complaire,

4

Je n'y fais riens fors que perdre ma peine;

Ainçois me lairiez mourir,

Que daignissiez le mal que j'ay garir.

Si ne vueil plus vous faire l'anuieux,

8

A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeux.

Ce poise moy, quant je ne puis attraire

Vostre doulz cuer, car je vous acertaine

Que se pleü vous eüst mon affaire,

12

Oncques plus fort Paris n'ama Heleine

Que feisse vous; mais pourrir

Y pourroie attendant que merir

Me deüssiez; et pour ce, pour le mieulx,

16

A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeulx.

Et non pourtant ne m'en vueil si retraire,

Que s'il est riens, de ce soiez certaine,

Que je puisse pour vous dire ne faire

20

A vostre gré, dame de doulçour pleine,

Je le feray, mais perir

Me laisseriez ainçois que secourir

Me voulsissiez; pour ce, ains que soie vieulx,

24

A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeulx.

Note LXXXVII:—3 traval—23 B Me daingnissiez.

LXXXVIII

Qu'en puis je mais, se je porte le noir,

Quant il convient qu'a tous mes plaisirs faille,

Puis qu'eslongner me fault le doulz manoir

4

Ou l'en ne veult plus que je viegne n'aille,

Dont mon cuer est entrez en grant bataille,

Qui de dueil est plus noirci qu'errement;

Mais quant fauldra que tout bien me deffaille,

8

Ce sera fort se je vif longuement!

Ha! ma dame, je me doy bien doloir,

Quant il convient que hors du païs saille

Ou vous estes, m'amour et mon vouloir;

12

Ne pouoir n'ay que d'aultre riens me chaille;

Tout autre amour je ne prise une maille;

De vous venoit tout mon avancement.

Mais puis qu'Amours si pesant fais me baille,

16

Ce sera fort se je vif longuement!

En grant languour vivray et main et soir.

Que maudit soit qui telz morseaux me taille

Par quoy vous pers, dont mieulz vouldroie avoir

20

La mort briefment que vous perdre sanz faille;

Car ou monde n'a dame qui vous vaille,

Ne de beaulté, ne de gouvernement.

De vous me part, las! je ne sçay ou j'aille,

24

Ce sera fort se je vif longuement!

Note LXXXVIII:—7 q. t. mon b. d.—12 B Je n'ay p.—13 B T. a. bien—17 B je v. m. et s.—23 ou je a.

LXXXIX

Maintes gens sont qui veulent par maistrise

Les biens d'amours avoir et acquerir;

C'est grant folour; car n'est drois qu'en tel guise

4

On doie amours contraindre et surquerir.

Car humblement on doit ce requerir

Qui est donné franchement sanz contrainte,

7

Ou autrement l'amour est fausse et fainte.

Et s'il avient qu'aucuns aient acquise

Icelle amour par grant soing de querir,

A eulx vuelent qu'elle soit si soubzmise,

11

Comme se droit leur faisoit conquerir;

Pour ce souvent font la doulçour perir

Qui doit estre par doulce grace attainte,

14

Ou autrement l'amour est fausse et fainte.

Si n'y doit nul user de seigneurise,

N'en fait, n'en dit, mais mieulz voloir morir,

Que maistrisier le doulz don que franchise

18

Fait ottroier et rigueur fait perir;

Bien servir doit, pour guerredon merir,

Le vray amant obeïr en grant crainte,

21

Ou autrement l'amour est fausse et fainte.

Note LXXXIX:—8 c'a.—11 l. f. acquérir—13 B p. droitte g.—15 B Si n'y d. nulz y ouvrer de main mise—17 B Que ce qui est octroyé par f.—18 B Vuellent par leur rigueur faire p.

XC

BALADE POUETIQUE

Se de Juno, la deesse poissant,

N'est Adonnis bien briefment secouru,

Le fier dieu Mars l'ira trop angoissant.

4

Es fors lians Vulcans est encoru;

Venus l'ama jadis, bien y paru,

Mais ne lui peut adès en riens aidier;

7

Il y morra briefment, au mien cuidier.

Et durement lui est Pallas nuisant,

Mais Mercures est pour lui acouru,

Qui fait son fait trouble apparoir luisant,

11

Devant le dieu Jupiter comparu

Est Adonnis, contre lui apparu

C'est Cerberus qui trop scet de plaidier;

14

Il y morra briefment, au mien cuidier.

Trestous les dieux lui sont mal advisant,

Fors Mercures par qui Argus moru,

Mais s'a Juno aloit abellissant

18

Il ne seroit de nul a mort feru;

Mès s'Appollo le fiert a trop grand ru,

Sauldra le sang, tout lui fera vuidier;

21

Il y morra briefment, au mien cuidier.

Note XC:—19 Se A.—B Et.

XCI

Aucunes gens mettent entente et cure

A espier ce que les autres font,

Et d'autruy fait moult parlent, et n'ont cure

4

De riens celer, et les bons contrefont;

Mais envie, qui si les frit et fond,

Les fait parler et de chascun mesdire,

7

N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire.

C'est grant meschief que la vie tant dure

A telle gent, et que Dieu ne confont

Si fais gloutons, par lesquelz grant injure

11

Reçoivent maint qui desservi ne l'ont,

Simples et bons semblent de premier bont,

Mains en y a qui sont de Judas pire,

14

N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire.

Leur faulz parler et leur male murmure

Empeschent gent, meismes l'air en corront,

Et qui plus ment volentiers plus en jure,

18

C'est le droit cours que gent mesdisant vont;

Merveilles est que la terre ne font

Dessoubz tel gent, car d'eux le monde empire,

21

N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire.

Note XCI:—5 fruit—7 Nul—16 Empesche—18 C'e. le maintien q. g. m. ont—B q. g. m. ont.

XCII

Avec les preux bien devez estre mis,

Bon chevalier vaillant, plein de proece,

Qui par valeur d'armes avez soubsmis

4

Maint grant païs et mainte forteresse.

Du preux Hector vous ensuivez l'adrece,

Et de Cesar qui fu sage et vaillant,

Alixandre qui s'ala travaillant

8

Tant qu'il conquist le monde entierement,

Et a Judas Machabée ensement,

Au bon David, Josüé, par tel guise,

Ainsi est il de vous certainement,

12

En qui Dieux a toute proece assise.

Charles le grant a qui Dieu fu amis,

Le bon Artus ou tant ot de noblece,

A Godefroy qui fut grans anemis

16

Aux mescreans, trop leur fist de destrece,

Vostre bonté d'eulx ensuivir s'adrece.

Par emploier trestout vostre vaillant

A conquerir a l'espée taillant

20

Pris et honneur, si semblez droittement

Le droit soleil qui luit ou firmament,

Que chascun veult desirer, aime et prise,

Ainsi est il de vous certainement,

24

En qui Dieux a toute proece assise.

Et tant vous a Dieu donné et promis

De ses hauls biens et a si grant largece,

Que se vivoit adès Semiramis,

28

Qui jadis fu roÿne et grant maistresse,

L'amour de vous tendroit a grant richece.

Car bien qui soit n'est en vous deffaillant;

N'en nesun cas nul ne vous voit faillant,

32

Par tout le monde en tient on parlement.

Les bons Rommains jadis si vaillamment

Se porterent qu'ilz ont louange acquise,

Ainsi est il de vous certainement,

36

En qui Dieux a toute proece assise.

Note XCII:—2 B B. c. p de trés grant p.—14 B ou trop ot—22 B Q. c. v. desire—31 B Ne en nul cas—34 q. o. vaillance a.

XCIII

Les roys, les princes et les sages,

Et les preux du temps ancïen,

Ilz avoient tout plein d'usages,

4

Dont l'en ne fait maintenant rien;

Ilz amoient sur toute rien

Honneur trop plus que convoitise.

Mais adès qui garde le sien,

8

Il a assez science acquise.

Proece, honneur, grans vacelages

Ot l'empereur Ottovien,

Sage fu, prudent et moult larges,

12

Pour ce de ses fais lui prist bien;

Mais qui tient en destroit lien

Son avoir, adès cil on prise,

Quel que soit le nyce maintien,

16

Il a assez science acquise.

Et pour ce font de grans oultrages

Les convoiteux de mal merrien

Aux pouvres gens, et mains domages;

20

Mais jamais ne diroient «tien»,

Mais trop bien «ce cy sera mien»;

Qui de traire a soy scet la guise,

Par flaterie ou par moyen,

24

Il a assez science acquise.

Note XCIII:—-2 B Et les gens—12 B de ses biens—23 P. f. et p. m.

XCIV

Qui que die le contraire,

On doit loiaulté tenir

En tout quanque l'en veult faire,

4

Qui veult a grant preu venir;

Et qui barat maintenir

Veult, a la fin mal lui prent,

7

Mais fol ne croit jusqu'il prent.

Loiaulté est neccessaire

A qui tent a avenir

A honneur et grant salaire;

11

N'il ne doit apartenir

Que cil doye bien fenir,

Qui a barater se prent,

14

Mais fol ne croit jusqu'il prent.

Et trop mieulx se vauldroit taire,

Que de dire et soustenir

Que de loiaulté retraire

18

Se convient, qui devenir

Veult riche, et fraude tenir;

Qui le fait au laz se prent,

21

Mais fol ne croit jusqu'il prent.

Note XCIV:—15 B Et t. se v. m. t.

XCV

Nous devons bien, sur tout aultre dommage,

Plaindre cellui du royaume de France,

Qui fut et est le regne et heritage

4

Des crestiens de plus haulte poissance;

Mais Dieux le fiert adès de poignant lance,

Par quoy de joye et de soulaz mendie;

Pour noz pechiez si porte la penance

8

Nostre bon Roy qui est en maladie.

C'est grant pitié; car prince de son aage

Ou monde n'yert de pareille vaillance,

Et de tous lieux princes de hault parage

12

Desiroient s'amour et s'aliance.

De tous amez estoit trés son enfance;

Encor n'est pas, Dieux mercis, reffroidie

Ycelle amour, combien qu'ait grant grevance

16

Nostre bon Roy qui est en maladie.

Si prions Dieu, de trés humble corage,

Que au bon Roy soit escu et deffence

Contre tous maulz, et de son grief malage

20

Lui doint santé; car j'ay ferme creance

Que, s'il avoit de son mal allegance,

Encor seroit, quoy qu'adès on en die,

Prince vaillant et de bonne ordenance

24

Nostre bon Roy qui est en maladie.

Note XCV: 3 et l'heritage—5 D. le fiers—20 B c. j'ay f. esperance—21 A¹ omet ce vers—22 B Qu'encor.

XCVI

Bien nobles est qui en soy a bonté,

Il n'est tresor qui a tel valeur monte,

Et en hault pris bien doit estre monté

4

Cil qui est bon; et aussi toute honte

Doit bien le mauvais avoir;

Pour tant, s'il a grant poissance ou avoir,

Ou que si bel soit que riens ne lui faille,

8

S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille.

Et quant les fais des bons sont raconté,

On s'esjouït partout ou l'en les conte;

Et que des bons mauvais soient donté

12

A chascun plaist, et par nombre on les conte

Les bons pour ramentevoir.

Chascun vouldroit, plus qu'il ne fait, valoir;

Car il n'est nul, tant sa richece vaille,

16

S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille.

Plus nobles est et plus est ahonté,

Soit prince ou roy, duc, chevalier ou conte,

Se en valeur les autres surmonté

20

N'a et en bien. Gentillece que monte/p>

Se mieulx ne se fait valoir

Qu'autres ne font? Il est bon assavoir

Qu'il n'est nulz homs, de quelque lieu qu'il saille,

24

S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille.

Note XCVI:—11 Et q. d. b. les m. sont d.—B Et se les b. les m. ont d.—15 B Car homs qui soit—21 B Qui—23 A tant sa richesse vaille.

XCVII

De commun cours chascun a trop plus chiers

De Fortune les biens, que de Nature;

Mais c'est a tort, car ilz sont si legiers

4

Qu'on n'en devroit a nul fuer avoir cure.

Boëce en fait mension

En son livre de Consolacion,

Qui repreuve de Fortune la gloire;

8

Si font pluseurs sages qui font a croire.

Et non obstant que ces dons soient chiers,

Et que chascun a les avoir met cure,

Si veons nous qu'honneurs et grans deniers

12

Tost deffaillent, et a maint petit dure

La grant exaltacion

De Fortune, qui a condicion

De tost changier, ce nous dit mainte hystoire;

16

Si font pluseurs sages qui font a croire.

Mais si certains de Nature et entiers

Sont les grans biens, que nulle creature

N'en est rempli, qui lui soit ja mestiers

20

D'avoir paour de Fortune la dure.

C'est sens et discrecion

Entendement, consideracion,

Aristote moult apreuve memoire;

24

Si font pluseurs sages qui font a croire.

Note XCVII:—9 q. tes d.—11 que h.

XCVIII

Tous hommes ont le desir de savoir

Et a bon droit il n'est si grant richece;

Mais puis que tous veulent science avoir,

4

Comment veult nul desprisier tel hautece,

Car ilz sont maint qui n'en ont pas largece.

Ne de leur fait n'est nulle mension,

7

Qui des sages font grant derrision.

Et pour ce dit le philosophe voir,

Que le plus grand anemi de sagece

C'est l'ignorant; mais maint pour nul avoir

11

Ne pourroient hebergier tel hostesse,

Dieux la donne par esleue promesse;

Mais pluseurs sont sanz nulle occasion,

14

Qui des sages font grant derrision.

Si doit on bien mettre force et devoir

A acquerir si trés noble richece;

Car qui bien l'a, trop est grant son pouoir.

18

Trés eureux sont ceulz dont elle est princece

De gouverner tous leurs fais com maistrece.

Entre eulz et ceulz sont en division

21

Qui des sages font grand derrision.

Note XCVIII:—1 B Trestous h. desirent assavoir—4 B Pour quoy—6 B Ne de l. sens—10 Est—12 B D. la d. pour—16 B si t. haulte noblesse—18 B Moult sont e. c.—20 Mais e.

XCIX

Si comme il est raison que chascun croie

En un seul Dieu, sanz faire aucune doubte,

Qui aux esleus son paradis ottroie

4

Et les pervers laidement en deboute,

Est il a tous neccessaire

De parvenir au souverain repaire

A la parfin, ou toute riens repose.

8

Dieux nous y maint trestous a la parclose!

Et non obstant qu'en peschié se desvoye

Tout cuer humain, et que le monde boute

En maint meffais, si doit on toutevoie

12

Soy retourner vers Dieu; car une goute

De larme fait a Dieu plaire

Le repentant, tant est trés debonnaire;

Si est rescript en la divine prose.

16

Dieux nous y maint trestous a la parclose!

Si devons, tous et toutes, querir voie

De parvenir avec la noble route

Des benois sains, ou vit et regne a joye

20

Le trés hault Dieu, en qui est bonté toute,

Qui nous donra tel salaire,

Se nous voulons repentir et bien faire,

Ou joye et paix et grant gloire est enclose.

24

Dieux nous y maint trestous a la parclose!

Note XCIX:—10 Tu—15 Si est escript—19 A De b. s.

C

Cent balades ay cy escriptes,

Trestoutes de mon sentement.

Si en sont mes promesses quites

4

A qui m'en pria chierement.

Nommée m'i suis proprement;

Qui le vouldra savoir ou non,

En la centiesme entierement

8

En escrit y ay mis mon nom.

Si pry ceulz qui les auront littes,

Et qui les liront ensement,

Et partout ou ilz seront dittes,

12

Qu'on le tiengne a esbatement,

Sanz y gloser mauvaisement;

Car je n'y pense se bien non,

Et au dernier ver proprement

16

En escrit y ay mis mon nom.

Ne les ay faittes pour merites

Avoir, ne aucun paiement;

Mais en mes pensées eslittes

20

Les ay, et bien petitement

Souffiroit mon entendement

Les faire dignes de renom,

Non pour tant desrenierement

24

En escrit y ay mis mon nom.

Note C:—7 A proprement—15 B derrenier—19 Fors qu'en—20 B mais b.—On trouve dans les mots «en escrit» l'anagramme de Crestine.

EXPLICIT CENT BALADES






VIRELAYS

CI COMMENCENT VIRELAYS

I

Je chante par couverture,

Mais mieulx plourassent mi oeil,

Ne nul ne scet le traveil

4

Que mon pouvre cuer endure.

Pour ce muce ma doulour

Qu'en nul je ne voy pitié,

Plus a l'en cause de plour

8

Mains treuve l'en d'amistié.

Pour ce plainte ne murmure

Ne fais de mon piteux dueil;

Ainçois ris quant plourer vueil,

Et sanz rime et sanz mesure

13

Je chante par couverture.

Petit porte de valour

De soy monstrer dehaitié,

Ne le tiennent qu'a folour

17

Ceulz qui ont le cuer haitié

Si n'ay de demonstrer cure

L'entencion de mon vueil,

Ains, tout ainsi com je sueil,

Pour celler ma peine obscure,

22

Je chante par couverture.

II

Amis, je ne sçay que dire

De vous, car vostre maniere

Monstre que d'amour legiere

4

M'amez, dont j'ay trop grant yre.

Je ne sçay se vous rusez,

Mais a vous ne puis parler,

Et toudis vous excusez

8

Qu'il vous fault ailleurs aler.

Bien voy que vo cuer ne tire

Qu'en sus de moy traire arriere;

Et pour vostre morne chiere,

Qui tousdis vers moy empire,

13

Amis, je ne sçay que dire.

De maint estes encusez,

Si ne le pouez celer,

Qu'en un lieu souvent mussez,

Ou l'en vous fait engeler

18

Pour attendre, et je souspire

Quant l'en me dit que j'enquiere

De vous, combien qu'il n'affiere.

Mais pour ce que oy tant mesdire,

22

Amis, je ne sçay que dire.

Note II:—5 B Ne s. se vous vous r.

III

Pour le grant bien qui en vous maint,

Bel et bon, ou mon cuer remaint,

Je vueil vivre joyeusement,

4

Car vous me donnez sentement

De trés grans plaisirs avoir maint.

Car quant j'oy dire que l'en tient

Que vostre gent corps se contient,

Si haultement, en toute honnour,

Que grace et loz vous apartient

Sur tous autres, bien le retient

11

Mon cuer qui ne pourroit grigneur

Joye avoir, et quant il attaint

A vostre amour qui l'a attaint,

C'est moult grant resjouïssement

Et pour ce vit trés liement

Mon cuer qui d'amer ne se faint

17

Pour le grant bien qui en vous maint.

Et quant je pense et me souvient

Du trés grant plaisir qui me vient

De vous, amis, de tous la flour,

J'ay tel joye, souvent avient,

Que ne sçay que mon cuer devient,

23

Tant suis prise de grant doulçour.

En ce penser giette un doulz plaint

Mon cuer, qui a vous se complaint,

Quant vous estes trop longuement

Sanz moy veoir; car seulement

L'amour de vous le mien cuer vaint,

29

Pour le grant bien qui en vous maint.

Note III:—6 j'oz—7 B se maintient—8 en tout h.—11 B pouoit g.

IV

Comme autre fois me suis plainte

Et complaintte,

De toy, desloial Fortune,

Qui commune

Es a tous, en guise mainte,

6

Et moult faintte.

Si n'es pas encore lasse

De moy nuire,

Ainçois ta fausse fallace

10

Me fait cuire

Le cuer, dont j'ay couleur tainte;

Car attainte

Suis de douleur et rancune,

Non pas une

Seule mais de mille ençainte

Et estrainte,

17

Comme autre fois me suis plainte.

Mais il n'est riens qui ne passe;

Pour ce cuire

Me convient en celle masse

21

Pour moy duire

En tes tours qui m'ont destraintte

Et contraintte,

Si que n'ay joye nesune

O enfrune!

Desloial! tu m'as enpaintte

En grant craintte,

28

Comme autre fois me suis plainte.

Note IV:—5 B a g. m.—15 de m. attainte.—18 B me p.—20 B en ceste m.—24 B Tant q.

V

Belle ou il n'a que redire,

De qui l'en ne peut mesdire,

Sanz mentir,

Or vous vueilliez consentir

A estre de mes maulz mire;

Car Amours m'a fait

7

Vous que j'aim sanz alentir.

Regardez ma voulenté,

Et comment entalenté

Suis par desir

D'obeir a vo bonté;

Car vous avez surmonté

13

A vo plaisir

Mon cuer qui ne puet desdire

Vo vueil, mais trop grief martire

Fault sentir,

A moy qui n'en vueil partir

Pour riens, car je ne desire

Fors vous, sanz y contredire,

Que j'aim sanz ja repentir,

21

Belle ou il n'a que redire.

A vous qui m'avez dompté

Je me suis tant guermenté

A long loisir,

Si doy bien estre renté

Des biens, dont avez plenté;

27

Doncques choisir

Vueillés moy si que souffire

Vous daigne sanz escondire,

Car partir

Ferez mon cuer com martir,

Si que le mal qui m'empire

Ostez, car trop me martire;

Et vous vueilliez convertir,

35

Belle ou il n'a que redire.

Note V:—2. B D. q. nulz ne p. m.—11 D'o. et talenté—B De servir vostre bonté—12 De servir car s.—13 A¹ A vou—14 M'avez sy ne puis d.—15 Vou v.—22 donbté—32 B Doncques le m.—34 Or.

VI

Mon gracieux reconfort,

Mon ressort,

Mon ami loial et vray,

De ma joye le droit port,

Et le port

Que toudis, tant com vivray,

7

Poursuivray.

En vous, dont je me navray,

Mon vivre ay

Mis, et jusques a la mort

Jamais autre ami n'avray;

Ce devray

13

Faire, et j'en ay doulz enort.

Car par vo gracieux port,

Que je port

En mon cuer, je recevray

Joye, plaisir et confort,

Ne de fort

Amer ne vous decevray;

Si avray

24

Mon gracieux reconfort.

Ne oncques ne dessevray

Ne seuvray

Mon cuer de loial acort,

Et toudis, si com savray,

M'esmouvray

27

A vivre en ce doulz recort.

Car tant me vient doulz raport,

Sanz nul tort,

De vous, que j'apercevray

Que vivre sanz desconfort

Doy au fort;

Et pour ce joye ensuivray,

Et suivray

35

Mon gracieux reconfort.

Note VI:—12 Ce me d.—17 J. et p. et c.—22 Ne ja ne—28 me v. bon r.

VII

La grant doulour que je porte

Est si aspre et si trés forte

Qu'il n'est riens qui conforter

Me peüst ne aporter

5

Joye, ains vouldroie estre morte,

Puis que je pers mes amours,

Mon ami, mon esperance

Qui s'en va, dedens briefs jours,

9

Hors du royaume de France

Demourer, lasse! il emporte

Mon cuer qui se desconforte;

Bien se doit desconforter,

Car jamais joye enorter

Ne me peut, dont se deporte

15

La grant doulour que je porte.

Si n'aray jamais secours

Du mal qui met a oultrance

Mon las cuer, qui noye en plours

19

Pour la dure departance

De cil qui euvre la porte

De ma mort et qui m'enorte

Desespoir, qui raporter

Me vient dueil et enporter

Ma joye, et dueil me raporte

25

La grant doulour que je porte.

Note VII:—12 omis dans A¹.—14 N. m. p. ne me deporter—16 Si n'a. plus de s.

VIII

Puis que vous estes parjure

Vers moy, dont c'est grand laidure

A vous qui m'aviez promis

Moy estre loyaulz amis;

5

Vostre loiaulté pou dure.

Je vous avoye donnée

M'amour toute entierement,

Cuidant l'avoir assennée

9

En vous bien et haultement.

Car vous aviez mis grant cure

A l'avoir, mais je vous jure

Et promez, puis qu'entremis

S'est vo cuer d'estre remis,

Que de vostre amour n'ay cure

15

Puis que vous estes parjure,

Tost est ceste amour finée

Dont me desplaist grandement,

Car ja ne fusse tanée

19

De vous amer loyaument.

Mais n'est pas drois que j'endure

Vostre grant fausseté pure;

Ce poise moy quant g'y mis

Mon cuer, s'il en est desmis

Point ne vous feray d'injure,

25

Puis que vous estes parjure.

Note VIII:—3 B A moy.

IX

Je suis de tout dueil assaillie

Et plus qu'oncques mais maubaillie,

Quant cellui se veult marier

Que j'amoye sanz varier,

5

Si suis de joye en dueil saillie.

Helas! il m'avoit promis

Que ja ne se marieroit,

Quant tout mon cuer en lui mis,

9

Et qu'a tousjours tout mien seroit;

Mal eschange m'en a baillie,

Car hors s'est mis de ma baillie;

Une autre veult apparier,

Et encontre moy guerrier;

Puis que s'amour or m'est faillie

15

Je suis de tout dueil assaillie.

Cellui devient mes anemis

Qui jadis vers moy se tiroit

Comme mes vrais loiaulx amis,

19

En moy regardant souspiroit.

Or est celle amour tressaillie

En autre, et vers moy deffaillie;

Car ne lui puis, pour tarier,

Sa voulenté contrarier,

Dont d'en morir j'en suis taillie,

25

Je suis de tout dueil assaillie.

Note IX:—6 et 8 Sic dans tous les mss. Corr. H. il m'a. [bien] p.—Q. t. m. c. en l. [ay] m.—10 B vers omis.—11 B Mais—14 B Car p. q. s. m. f.—24 B Si suis d'en m. bien t.

X

Trés doulz ami, or t'en souviegne

Que au jour d'ui je te retien

Pour mon ami, et aussi mien

4

Vueil je que tout ton cuer deviegne;

Car c'est la guise, et bien l'entens,

Entre les amans ordennée,

Que le premier jour du printemps

8

On retiengne ami pour l'année.

A celle fin que l'amour tiegne

Un chappellet vert fait trés bien;

On doit donner chascun le sien,

Tant que l'autre année reviegne

13

Trés doulx ami, or t'en souviegne.

Si t'ay choisi et bien attens;

Car m'amour te sera donnée;

Grant peine as souffert, mais par temps

17

Te sera bien guerredonnée.

Afin que la guise maintiengne

Le jour Saint Valentin, or tien

Mon chappellet, mais ça le tien,

Je t'ameray, quoy qu'il aviegne,

22

Trés doulx ami, or t'en souviegne.

Note X:—21 B Je t'aimeray.

XI

En ce printemps gracieux

D'estre gai suis envieux,

Tout a l'onnour

De ma dame, qui vigour

De ses doulz yeulz

Me donne, dont par lesquielx

7

Vifs en baudour.

Toute riens fait son atour

De mener joye a son tour,

Bois et préz tieulx

Sont, qu'ilz semblent de verdour

Estre vestus et de flour

13

Et qui mieulx mieulx.

Oysiaulx chantent en maint lieux;

Pour le temps delicieux

Et plein d'odour

Se mettent hors de tristour

Joennes et vieux;

Tous meinent et ris et jeux

Ou temps paschour,

21

En ce printemps gracieux.

Et moy n'ay je bien coulour

D'estre gay, quant la meilleur,

Ainsi m'aist Dieux,

Qui soit, je sers sanz erreur,

N'a autre je n'ay favour,

27

Car soubz les cieulx

N'a dame ou biens soient tieulx;

Si doy estre curieux

Pour sa valour

D'elle servir sanz sejour,

Car anieux

Ne pourrait estre homs mortieulx

De tel doulçour

35

En ce printemps gracieux.

Note XI:—19 B T. m. r. et gieux—20 B Ou t. pastour—22 B Et m. en ay je c.—24 Ami se m'a. D.—28 B ou b. sont t.—32 C. en mieulx.

XII

Se pris et los estoit a departir

Et a donner, selon mon jugement;

J'en sçay aucuns qui bien petitement

4

Y devraient a mon avis partir.

Et non obstant qu'ilz cuident bien avoir

Assez beauté, gentillece et proece,

Et que chascun cuide un prince valoir,

8

A leurs beaulx fais appert leur grant noblece.

Mais puis qu'on voit, qui qu'il soit, consentir

A villains fais et parler laidement,

Pas nobles n'est; ains deust on rudement

D'entre les bons si faitte gent sortir,

13

Se pris et los estoit a departir.

Ne en leurs dis il n'a nul mot de voir,

Grans vanteurs sont, n'il n'est si grant maistrece

Qu'ilz n'osent bien dire que leur vouloir

17

En ont tout fait, hé Dieux! quel gentillece!

Comme il siet mal a noble homme a mentir

Et mesdire de femme! et vrayement

Telle gent sont drois villains purement,

Et devrait on leur renom amortir,

22

Se pris et los estoit a departir.

Note XII:—9 Car—19 B N'a m.—20 B Telles gens.

XIII

Dieux! que j'ay esté deceüe

De cellui, dont je bien cuidoie

Qu'entierement s'amour fust moye!

4

A tart me suis aperceüe.

Or sçay je toute l'encloüre

Et comment il se gouvernoit;

Une autre amoit, j'en suis seüre,

8

Et si beau semblant me monstroit

Que j'ay ferme creance eüe,

Qu'il ne desirast autre joye

Fors moy; mais temps est que je voie

La traïson qu'il m'a teüe;

13

Dieux! que j'ay esté deceüe!

Mais d'une chose l'asseüre,

Puis que je voy qu'il me deçoit,

Que jamais sa regardeüre,

17

Ne le semblant qu'il me monstroit,

Ne les bourdes dont m'a peüe,

Ne feront tant que je le croie;

Car oncques mais, se Dieux me voie,

Ne fu tel traïson veüe.

22

Dieux! que j'ay esté deceüe!

Note XIII:—2 A que je b. c.—4 B A t. m'y s. a.—5 je omis dans B—21 B t. faulsseté v.

XIV

Trestout me vient a rebours,

Mal a point et au contraire,

En tous cas, en mon affaire:

4

Je pers en vain mes labours.

Ce n'est pas de maintenant

Qu'ainsi je suis demenée,

Car dix ans en un tenant

8

J'ay esté infortunée.

Mal me prent de commun cours

De tout quanque je vueil faire,

Et ce que me devroit plaire

Me deffuit, et à tous tours

13

Trestout me vient a rebours.

Pour riens me vais soustenant

Puis que Fortune encharnée

Est sus moi, qui demenant

17

Par mainte trés dure année

Me va, et Dieux est si sours

Qu'il ne daigne vers moy traire

Son oreille debonnaire;

Pour ce, plus tost que le cours,

22

Trestout me vient a rebours.

Note XIV:—12 Me destruit—B et a t. jours.

XV

De meschief, d'anui, de peine,

Je fais dis communement,

Car selon mon sentement

4

Sont, et de chose certaine;

Mais quant d'autrui voulenté

Faire dis me vueil chargier,

De cuer mal entalenté

8

Les me fault si loings cerchier,

Et de pensée foraine;

Pour ce y metz je longuement:

C'est un droit controuvement;

Car a toute heure suis pleine

13

De meschief, d'anui, de peine.

Et se le cuer dolent é

Il ne m'est mie legier

Joyeux ditz faire a plenté,

17

Mais pour un pou alegier

La doulour qui m'est prochaine

Je les fais communement

Joyeux, trestout ensement,

Comme se je fusse saine

22

De meschief, d'anui, de peine.

Note XV:—2 B Je f. d. legierement—15 Il n'est m. de l.

XVI

On doit croire ce que la loy commande;

Il est trop folz qui encontre s'opose;

Et s'elle fait a croire, je suppose

4

Que maint devront envers Dieu grant amende.

Il est bien voir que naturelement

Nous sommes tous enclins et entechiez

A tost pechier; mais plus orriblement

8

Cheent aucuns en trop plus grant pechiez

Qu'autres ne font, et se l'en me demande

Quelz gens ce sont, verité dire n'ose

Pour leur grandeur, mais Dieux scet toute chose,

Et s'il est voir qu'en enfer on descende,

13

On doit croire ce que la loy commande.

Merveilles n'est s'on voit communement

Au monde moult avenir de meschiefs;

Car trop de maulx sont fait couvertement

17

De maint meismes qui sont docteurs et chiefs

De doctriner le monde qu'il s'amende.

Mais Dieux scet bien quelle pensée enclose

Est en leurs cuers, combien qu'on les alose

Pour leur estas; mais, a quoy que l'en tende,

22

On doit croire ce que la loy commande.

Note XVI:—9 Que a.—17 q. s. des d. c.— q. s. d. c.—18 B D'endoctriner—19 B q. p. est e.—20 B En l. faulx c.






BALADES D'ESTRANGE FAÇON

Note Titre: B. de plusieurs façons

BALADE RETROGRADE

QUI SE DIT A DROIT ET A REBOURS

Doulçour, bonté, gentillece,

Noblece, beaulté, grant honnour,

Valeur, maintien et sagece,

4

Humblece en doulz plaisant atour,

Conforteresse en savour,

Dueil angoisseux secourable,

7

Acueil bel et agreable.

Flour plaisant, de grant haultece

Princece, ma prisiée amour,

Tour forte noble fortresse,

11

Largece en honneste sejour,

Deesse, estoille, cler jour,

Oeil, mirouer aimable,

14

Acueil bel et agreable.

Coulour fine, vraie adrece,

Tresce blonde, et bonne oudour,

Ardour, souesve simplece,

18

Parece sanz nulle foulour,

Lucrece de simple cremour,

Brueil de soulas delictable,

21

Acueil bel et agreable.

Maistresse loyal, ma tenrour,

Leesse plaisant, ma doulour,

Vueil dire a vous trés louable

25

Acueil bel et agreable.

Note Ballade retrograde:—1 Doulceur—4 A H. ou d.—5 A en savoir—8 Fleur—15 —Couleur—17 A. s. en s.—22 à 25 omis dans A.

BALADE A RIMES REPRISES

Flour de beaulté en valour souverain,

Raim de bonté, plante de toute grace,

Grace d'avoir sur tous le pris a plain,

4

Plain de savoir et qui tous maulz efface,

Face plaisant, corps digne de louenge,

Ange en semblant ou il n'a que redire,

D'yre vuidié, a vous des preux ou renge,

8

Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Et j'ay espoir qu'il soit en vostre main

Main jour et nuit en gracieux espace,

Passe le temps, car ja a bien haultain

12

Atain par vous, et amours qui m'enlasce

Lasce mon cuer qui du vostre est eschange,

Change vous fais de lui qui vous remire,

Mire plaisant, a vous qui joye arrange,

16

Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Si me contraint a l'amour dont vous aim

L'aim de voz yeulz ou grant doulçour s'amasse,

Masse d'onneur ou j'ay tout mon reclaim,

20

Claim des vaillans dont nul temps ne me lasse.

Lasse! comment or a prime m'i prenge?

Pren je en amer riens qui mon bien dessire,

Sire, en vo main qui des bons ne desrenge

24

Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Amis loyaulx, cil qui maint meschief venge,

Venge mon cuer du vostre en lieu eslire,

Lire a doulz son, afin que je le prenge,

28

Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Note B. à rimes reprises:—3 B le p. s. t.—13 B en est change—18 A¹ B² de vous y.—20 en nul t—25 à 28 omis dans A.

BALADE A RESPONSES

Mon doulz ami.—Ma chiere dame.

—S'acoute a moy.—Trés volentiers,

—M'aimes tu bien?—Ouïl, par m'ame.

4

—Si fais je toy.—C'est doulz mestiers.

—De quoy?—D'amer.—Voire, sanz tiers.

—Deux cuers en un.—Sanz decepvoir

7

—Voire aux loiaulz.—Tu as dit voir.

Dame sanz per.—Amis sanz blasme.

—Quant vous verray?—T'est il mestiers?

—Oïl; tost soit.—Je crain diffame.

11

—Qui le saroit?—Les nouveliers.

—Occions les!—Ilz sont trop fiers.

—Nuisent ilz doncques?—Ouïl voir.

14

—Voire aux loiaulz.—Tu as dit voir.

Las! que feray?—Sueffre la flamme.

—De qui?—D'amours.—Voire, et dongiers

—Elle m'art tout.—Et moy entame.

18

—Que ferons nous?—Soyons entiers.

—Sanz reconfort.—Nannil, mestiers

A aux amans.—Quoy?—Bon espoir.

21

—Voire aux loiaulz.—Tu as dit voir.

Dame ottroiez.—Ami, requiers

Que vous voie.—Quier les sentiers.

—Peine y mettray.—C'est le devoir.

25

—Voire aux loiaulx.—Tu as dit voir.

Note B. a responces:—15 Je sens le dart—Et moy la f.—19 N'a nul m.

BALADE A VERS A RESPONCES

Amours, escoute ma complainte?

—Or dis: qu'as tu? de quoy te plains?

—De toy par qui je suis destraintte.

—Tort as quant de ce te complains?

5

—Non ay voir, car ma joye estains.

—Joye en aras s'en toy ne tient?

—Trop crain le grant mal qui en vient.

—Pense au bien, non pas au dommage?

—Vueille ou non, d'un seul me souvient.

10

—Aime le; si feras que sage.

Veulz tu que j'aime? est ce contrainte?

—C'est drois quant ton cuer est attains.

—Sera ce cil qui m'a estraintte?

—Ouïl, car de tout bien est pleins.

15

—Je n'ay donc pas tort si je l'aims?

—Non, car chascun a bon le tient.

—Mais se mon honneur ne soustient?

—Si fera voir, c'est son usage.

—Or m'en di ce qu'il apartient?

20

—Aime le; si feras que sage.

Raison me met en trop grant crainte?

—Ne la croys, joye toult a mains.

—Tu m'as vers elle en guerre enpainte?

—Desconfis la, joing moy les mains.

25

—Honneur dit qu'en vauldroie mains?

—Il ment, chascun bon en devient.

—Fait et donc amer me convient?

—Ce te sera grant avantage.

—Que feray donc se cil revient?

30

—Aime le; si feras que sage.

Princes gentilz, Amours me tient?

—Il apertient bien a ton aage.

—Un bel ami mon cuer retient?

34

—Aime le; si feras que sage.

Note B. a vers a responces:—Rubrique omise dans A¹ et BC'est la 21e ballade des ballades de divers propos dans B—3 destainte—7 B Je c. trop le m. q. en v.—9 B Mon cuer vueille ou non un retient—11 B V. tu dont qu'a.—12 B Droit est—13 A qui m'a destraintte—14 B de tous biens—17 Et—19 Or me di qu'en faire a.—21 B R. me tient—25 B Raison dit—26 à 29 B:

Elle ment et qui le maintient?

—Helas! merveilleux cas m'avient.

—De quoy?—D'amer; est ce folage?

—Ouïl, quant d'amy me souvient.

—31 à 33 B:

Amours, ou yray? ou me tient?

—Ne fuy plus, mais fay moy hommage.

—Que feray je se cil revient?






LAYS

LAY DE CCLXV VERS LEONIMES

Amours, plaisant nourriture,

Trés sade et doulce pasture,

Pleine de bonne aventure,

Et vie trés beneureuse,

5

Du vray loial cuer l'ointture,

Qui entour lui fais ceinture

De joye, c'est ta droitture,

Doulce esperance amoureuse.

Et qui toute creature

10

Esjoïs de ta nature

Peine fais par aventure;

Mais elle est si doulcereuse

Qu'on te suit tout a esture,

N'il n'est ponce ne rasture

15

Qui effaçast ta pointure

Tant est au cuer savoureuse.

Tant plait ta vie a maintenir

A qui loial se veult tenir

En ton agreable dongier,

20

Pour le bien qu'on puet retenir

De toy servir, quant retenir

Daignes l'amant sanz estrangier.

De toy si li fais soustenir

Sa peine en gré, et s'astenir

25

Se veult de jamais ne changier,

Du bien lui fais grant point tenir

Qui a lui doit apartenir,

Mais qu'il s'y tiegne sanz bougier.

Et s'il est aucun qui soustiegne

30

Que de toi viengne

Plus mal que bien, vers moi viegne

Et retiegne;

Prouver lui vueil que nullement

N'en vient mal, mais qu'on s'y contiengne

35

Et maintiegne;

Si bien que par droit apartiegne

Que chascun tiengne

Que servi soiés loiaument.

Mais qui fault, mal lui en conviengne

40

Quoy qu'il aviengne

Ne, qui que loiaulté te tiengne,

Croy qu'il soustiegne

Joye et doulceur plus que tourment,

Mais drois est qu'a l'amant soviegne

45

Que gay se tiegne,

N'en lui fausseté ne retiengne,

Sanz plus detiengne

Une amour vraye seulement.

Tant y a compris

50

De bien en ton pris,

Qu'on ne pourroit extimer

Le bien que la pris

En ton doulz pourpris

A, par loyaument amer;

55

Ne par droit repris

Cuer de toy espris

Ne doit estre, ne blasmer

On ne puet le pris

De toy, car apris

60

Il a vie sanz amer.

Tu pues mander

Et comander,

Sanz amender,

De mal garder,

65

Dueil retarder,

Un cuer bourder,

D'amour bauder,

A toy soulder,

Poindre et larder,

70

Et posseder

Sanz nul frauder,

Faire tarder

De demander

Pour foy garder

75

De mal monder.

Peine esmonder,

Joye abonder,

Tout marchander,

Et dueil seder,

80

Bas affonder,

Et reffonder,

Bel regarder,

Voir recorder,

Sanz point bourder,

85

Pais accorder,

Non descorder,

Droit recorder

Pour amender,

En sens fonder

90

Et perfonder.

Et s'aucuns n'ont de ta vie

Nulle envie,

Ains la veulent mesprisier,

Gentillece est d'eulx ravie;

95

Car plevie

L'ont les bons pour eulx aisier,

Et plaisier

Fais les cuers, ou poursuivie

Est joye sanz delaissier.

100

Par toy est dame servie,

Assouvie

Sanz amenuisier

Son honneur n'estre asservie

Mais suivie

105

De baudour, qui rabassier

Et froissier

Fait doulour qui gent desvie;

Joye est qui la puet puisier.

Mais on fait maint mauvais raport,

110

Disant qu'au port

De toy a doulereux aport,

Et dont pluseurs se duellent,

Et que moult pou y a deport

Quoy qu'on s'i port

115

Gaiement, et qu'en gré le port

Cellui ou ceulx qui te veulent.

Et que mieulx vault qu'on se deport

De ton aport,

Que tel faissel on s'en emport,

120

Et qu'a ton molin meulent

Paille sanz grain ceulz qui ton port

Suivent, deport

N'ont de toy ne qui les raport

A bien, ains perir suellent.

125

Si est trop mau dit,

Car pour voir je tien

Que, sanz contredit,

Quant l'en devient tien

On se desrudist,

130

Qui ton doulz maintien

Poursuit, n'escondit,

Si com je maintien,

N'yert ja ne desdit.

L'amant, qui du tien

135

Enrichis, mesdit

Het; pour ce soustien

Que qui te laidist

Son meffait retien

Et fais un edit

140

Ou pour fol le tien;

De toy soit maudit

Et son preu detien.

Soit party,

Ressorty,

145

Perverty,

De ton doulz soulas

Hors sorty,

Converti

En party

150

Dur party

Qui mesdit de tes laz!

Dire halas!

Vain et las!

Comme las,

155

Lui fais sanz dire «gar t'y»,

S'ainsi l'as

Se follas

Ne meslas

N'affolas

160

Onc nul, cil soit amorty.

Si debat son chief

En vain, qui destruire

Cuide par nul chief

Ton fait, ne toy nuire,

165

Que l'en voit sur tous reluire

Et qui est tant fort

Que ou monde n'a tel effort.

Et c'est grant meschief

De tel gent, qui duire

170

Cuident de rechief

Le monde, et recuire

En nouvel sain, et reduire

Gent sanz le confort

De toy, mais tu vains au fort.

175

Amour sanz chalange,

Honneur et louange

T'apartient, et ment ge?

Quant fus par l'archange

En ce monde estrange

180

Envoyé en change

De la male arrange

Qui nous mist en fange,

Et par toy en range

Ou ciel sommes d'ange,

185

Ce fu noble eschange

Et un doulz meslange,

Dont se te revenge

Nul ne m'en laidenge,

Car ne me desrenge

190

De loial losenge.

Mon cuer s'i essange

Quant bien il te venge

Et du tout estrange

Haïneuse grange.

195

Dont blasmée

Ne clamée.

Diffamée

Ne nommée,

Mau renommée

200

Ne fusmée

Ne dois estre, mais amée

Et prisée plus qu'autre rien.

Car armée

Enarmée,

205

Affermée,

Confermée

T'es et formée

Bien fermée

Pour nous, c'est chose informée,

210

Ne le nyer n'y vauldroit rien.

Exprimée

Ne primée,

Point frimée

N'extimée

215

De hors limée

Trop semmée

Ne pues estre n'enflammée

En ce monde terrien.

Ains est dommage

220

Qu'en ton hommage

Et fol et sage

Par droit usage

N'est, car l'oultrage

Qui fait la rage

225

Ou monde ombrage

Par male et fausse convoitise.

Seroit en cage

Et hors usage;

Ne tel langage,

230

Comme on l'engage

Par le hautage

D'orgueil qui nage

En maint rivage,

N'iert ou monde, et ce qui l'atise

235

C'est le buvrage

Qu'envie charge

Qui n'assowage,

Ains deheberge

De son heberge

240

Toy qui sanz barge,

Comme en mer large,

Vas flotant par telle faintise.

Mais ou passage,

Ou le peage

245

Devons de gage,

En l'eritage

Du monde ombrage

Y a ymage

De fausse targe,

250

D'amour fainte et fausse cointise.

Si conclus qu'en ta closture,

Vraye non pas couverture,

On ne doit avoir roupture

A vie trés doulcereuse,

255

Et qui en fait sa pousture

Jusqu'il soit en sepulture

Il puet bien la pourtraiture

Porter de paix laüreuse.

Car avec lui par jointure

260

L'a a trés forte cousture

Cousue par aventure

Si que peine doulereuse

N'ara en la deffritture

Infernal qui, par droitture,

265

Punist humaine faitture

En l'orde valée ombreuse.

EXPLICIT LAY LEONIME.

Note: Rubrique A² Si s'ensuit une assemblée de plusieurs rimes auques toutes leonnines en façon de lay pour apprendre à rimer leonninement.— Lay de LXII vers leonimes—Le ms. B², dont quelques feuillets ont été arrachés, ne contient pas ce lai—5 Du v. c. l.—13 C'on—16 en c. s.—19 A² B¹ En ton trés doulz plaisant dangier—25 Sa v.—26 g. part t.—28 q. se t.—31 Sic dans tous les mss. Corr. [que] v. m. v.—32 Sic dans tous les mss. Corr. Et [le] r.—34 qu'on s'y tiengne.—35 Sic dans tous les mss. Corr. Et [s'y] m.—41 que omis dans A¹ et B—46 N'en plusieurs lieux n'aille ne viengne—48 U. a seule vraiement—50 De b. en toy p.—63 B¹ ajoute Ne nul frauder—65 Et bien garder—B¹ ajoute:

Et toy bourder

Senz essourder

—66 Un c. bauder—67 De feu bourder—70 à 72 :

Tout eschauder

Et lapider

Faire habonder

—73 et 74 omis dans B¹—76 Et e.—77 omis dans B¹—79 Et posseder—omis dans B¹—82 Bien r.—83 et 84 :

Et faiz garder

De trop tarder

—85 à 87 omis dans B¹—90 B Et refonder—94 de eulx r.—99 A Et suivie—100 et 101 A Joye et sanz point delaissier—N'abaissier—102 B¹ Sic, Corr. Sanz [jamais] a.—105 De joye qui abaissier—107 A Assouvie.—107 et 108 :

Ne jamais n'yert assouvie

Doulour qui la peut puisier.

—110 De ton fait en d. q. p.—111 douloureux—114 à 124 :

Cil qui aime s'il n'a le port

De toy et d'espoir qui le port,

Dont mains amans mieulx veulent

Que la mort briefment les emport

Que le mal qu'il fault que l'en port

Par toy, et qui n'ont pas raport

De douleur tous ceulx qui te veulent.

—116 Sic dans tous les mss. Corr. Cil— qui ce v.—118 De t. emport—119 ou on e.—130 et 131 omis dans A¹.—133 A Ne n'y. ja d.—137 Q. q. ce l.—153 et 154 intervertis dans B¹—157 S'affolaz—159 Ne soulaz—165 sur tout.—167 Qu'el m.—173 Veult s.—181 De la grant losange—185 à192 :

Dont ne me reppan ge

De toy louer quand je

Dy voir et appran ge

Quant tort me laidange,

Qui pour tel eschange

Dist que je te venge;

Quant je te revenge

Mon cuer s'i essange

—199 Mon r.—206 confermé—B¹ ajoute Enfourmée—208 manque dans B¹—210 vault r.—213 Ne fermée; Ne firmée—215 omis dans B¹—228 h. d'usage—233 En tout r.—237 A² ajoute De nul malage—239 B¹ ajoute Met et en servage—241 omis dans B¹—247 à 250 :

Du monde targe

De faulz ymage

Y a qui charge

D'avoir fausse et fainte cointise.

—256 Jusque il—262 A douloureuse.

LAY

Se je ne finoye de dire

Et d'escripre,

Je ne pourroie souffire,

Amis, pour louer assez,

5

En cent ans voire passez,

Vostre bonté, n'a descripre

Vo beaulté ou l'en se mire,

N'a redire

N'y a, si sont amassez

10

En vous tous biens entassez

Ou grace et honneur se tire.

N'il n'est royaume n'empire

Ou eslire

On peüst tel, n'oÿ lire

15

N'ay des vaillans trespassez

Tant de bien, vous effassez

Leur grant vaillance, beau sire;

Car le monde se remire

Et desire

20

Vous qui tous vices cassez

Ne du bien n'estes lassez

Nul temps, n'on n'en puet mesdire.

Et quant vous estes si parfait

Que chascun loe vostre fait

25

Et dit que vous n'avez pareil

Ne qu'oncques nul n'y vid meffait,

Mais cil qui les despris reffait,

Plein de sens et de bon conseil

Enluminant com le soleil

30

Qui toutes tenebres deffait,

Et ou prouece a son recueil,

La porte de joye et le sueil

Et cil qui les nobles reffait.

Ne vous doy je de cuer parfait

35

Amer et m'esjoïr de fait

D'avoir ami si a mon vueil,

Bon, noble et preux, qui het tort fait,

Ne qui n'a riens de contrefait,

Bel, jeune et doulz, plaisant a l'ueil,

40

Franc, courtois et de doulz accueil,

Si bon que ou monde n'a si fait

Humain, trés humble, sanz orgueil;

Si puis dire, nul n'en ait dueil,

Cil qui tout bien met a effait.

45

Et, se m'amour vous doy nommer

N'ami clamer

Et reclamer,

Sachiez que j'en fais mon devoir

Si bien qu'on ne m'en doit blasmer;

50

Car affermer

Et confermer

Amours a fait par estouvoir

Mon cuer en vous, si que mouvoir

Pour nul avoir

55

Cellui vouloir

Je ne pourroie. Ains a la mer

Osteroie trestout l'amer;

Doulçour avoir,

Et remouvoir

60

Li feroie et s'iaue toloir

Entierement, et reprimer

Son flo que l'en voit escumer,

Toute semer

Et enflammer

65

S'arene, et que fable fust voir,

Le monde de nouvel former,

Fondre, entamer

Et refformer

Pierres dures, et feu plouvoir,

70

Les estoilles toutes ardoir,

Que main fust soir,

Sans desmouvoir

Tout l'umain siecle consommer,

Paistre le monde, et affermer

75

Et apparoir

Que blanc fust noir

Feroie, ainçois que desmouvoir

Me peüsse de vous amer.

Car vous estes la joye

80

Qui me resjoye

Et avoye

A tout bien,

Ne sanz vous ne pourroie

Et ne vouldroie

85

Ne saroie

Valoir rien,

Et pour ce a vous emploie

Toute et ottroye

L'amour moye;

90

Car sçay bien

Que vous estes la voie

Qui me ravoie,

Ne m'esjoye

Aultre rien,

95

Et c'est ce qui m'apoye

Ou que je soye,

Mais que voie

Vo maintien.

Si n'en cuide estre deceüe,

100

Car je me suis apperceüe

Que vous m'amez de cuer entier;

Car par long temps m'avez sceüe

Et quant j'ay bien l'amour sceüe,

Qui n'est pas depuis avantier

105

Encommenciée, et que mestier

Vous estoit que fust receüe

Vostre amour ou pou exploitier

Postés long temps par nul sentier,

Lors fu vostre amour conceüe

110

En moy qui si bien m'a sceüe

Que mon cuer de joye est rentier.

Car par seulement la veüe

Avoir de vous je suis peüe

De quanque on pourroit souhaidier

115

D'autre bien, car j'ay esleüe

Ma joye en vous, chose est deüe

De vous amer, c'est doulz mestier

Ou l'on apprent a accointier

Tout honneur; si suis pourveüe

120

D'ami loial, au mien cuidier,

Qui de moy fait tout mal vuidier.

S'en lo Amour par qui eüe

Ay vostre amour et qui meüe

M'a a l'amer encommencier.

125

Et puis qu'Amours nous a joins

Ensemble et conjoins,

Soient noz soins,

Et près et loings,

Amis, de loiaument

130

Nous entr'amer et tous besoins

Et tous amers poins,

Se sommes poins

De durs poins,

Nous porterons doulcement

135

Et vivrons joyeusement

Et trés liement

Gaiement

Car nous serons enoins

De doulz espoir qui fermement

140

Et trés purement

Finement

Nous soustendra a ses poins.

Et d'ainsi nos jours user

Sanz mal user

145

Nulz ne pourra accuser

De nul meffait nostre vie,

Ne sur nous nul mal causer

Ne gloser,

Car sur nul n'arons envie

150

Ne vouloir d'autre encuser

Pour nous excuser.

Car de tous poins assouvie

Leesce en nostre penser

Sera, par quoy ert ravie,

155

Sanz nul offenser,

Tristece qui gent devie,

De nous, qui fausser

Ne voulons, ainçois plevie,

Sanz nul jour cesser,

160

Avons foy vraye assouvie.

Et pour tant se mesdisans

Pour nous grever

Vont disant leurs moz cuisans

Par controuver

165

Ne devons pas estre aver

Des tresors doulz, advisans,

Qu'Amours aux amans trouver,

Par esprouver,

Fait sur tous biens reluisans,

170

Et qui sauver

Pevent de tous maulz nuisans

Sanz emblasver.

Si n'en soions pas exans;

Pour quoy laver

175

Nous en devons, quant lever

En joye plus de dix ans

Nous puet li moins souffisans

Des biens, prouver

Le puis par tous poursuivans,

180

Sanz controuver.

Et s'en contrée longtaine

Vostre noblece vous meine

Et la prouece haultaine,

Qui vo noble cuer demeine,

185

Ce me sera moult grant peine;

Mais je prendrai reconfort

En ce que je suis certaine

Que de vraie amour certaine,

Plus qu'aultre chose mondaine,

190

Ne que Paris belle Heleine,

Comme dame souveraine,

M'amez de tout vostre effort.

Et combien que de dueil pleine

Seray nuit, jour et sepmaine,

195

Et tout le temps triste et vaine,

Sanz estre lie ne saine,

En pire point qu'en quartaine,

Ce me soustendra au fort

Que, se Dieux tost vous rameine,

200

Oncques si joyeuse estraine

N'ot dame, noble ou villaine,

Com j'aray, ne chastellaine,

Quant tendray en mon demaine

Vous que j'aim sur tous trés fort.

205

Si vous pri, ma vraye amour,

Ma doulçour,

Mon bien, ma paix, ma vigour,

Mon retour,

La riens que j'aime le mieulx,

210

Qu'en tous lieux

Gay, jolis, joieux tousjour,

Sanz mal tour,

Soyez et plein de baudour,

Pour m'amour; car se m'aist Dieux,

215

Pour vous sera mon atour

Par honnour

Gay, jolis, gent et joyeux.

Si me tendray sanz tristour

Ne doulour;

220

Car voz amoureux beaulz yeulz

Tous mes dieux

Gariront par leur vigour,

De vous venra la savour

Par quoy mes jours seront tieulx.

225

Amis de mes maux le mire,

Qui sanz yre

Me tenez et sanz deffrire,

De qui les grans biens tauxes

Ne pourroient ne pensez

230

Estre, car tout tire a tire

Vostre bon cuer les atire,

Ou remire

Ont tous ceulx qui oppressez

Sont et de dueil empressez

235

Cui martire;

Et le mal qui les empire

Et fait frire

Confortez par vo doulz rire

Qui le mien cuer enlascez.

240

Je vous pri ja ne cessez

D'estre en l'amoureux navire

Qui vers toute joye tire

Et n'empire,

Ne ja ne vous en lascez,

255

Et vous serez surhaulcez

Sur tous bons sanz contredire.

EXPLICIT LAY

[Note Lay:—Titre B¹ Autre lay—2 B Ne—5 omis dans A¹—15 A N'ay de v.—16 A T. de b. certes beau sire—17 A¹ vers rayé—26 qu' manque dans A²B Et qu'o. n. ne v.—33 B Et des nobles le plus parfait—37 B omet et—39 B omet et—42 B h. et s. o.—55 omis dans B—56 B Ne l'en p. A. de la m.—58 à 60 B:

Et doulçour luy feroye avoir

Et remouvoir

Son cours et son eaue toloir

—60 et 61 Sa nature par droit devoir—S'on veult bien chanter et rimer.—61 omis dans B—62 B Et s. f. qu'on v.—63 à 66 B:

Retendroye et poissons armer

Et enflammer

Toute et semer

L'arene et que fable fust voir

67 Souldre e.—67 à 73 B:

Tout le monde en un gant fermer,

Fondre, entamer

Et refformer

Pierres dures, et feu plouvoir,

Les estoilles faire former,

Toutes sciences concevoir,

Les mors ravoir

—70 t. frimer—71 à 76 :

Et extimer

Sans reprimer,

Toutes sciences concevoir

Et tout humain siecle affamer,

Le ciel fermer

Sans deffermer

—74 à 76 manquent dans B—79 B C. v. e. la voye—80 B Q. me ravoye—83 Et s.—84 B Ne ne v.—87 B en v. e.—91 B Q. v. e. la joye—92 B Q. me resjoye—99 B Si ne c.—116 B Ma gloire—126 A E. et joins—133 omis dans A²—134 N. p. trés d.—135 omis dans A—139 A De d. penser q. finement—141 omis dans A—194 B n. et j. et s.—207 viguour—212 omis dans B—225 de m. yeulz le m.—236 A q. l. fait firre—237 omis dans A—238 B p. voz d. r.—239 Et le—242 B v. t. j. vire—244 Ne jamais jour ne faussez.







RONDEAUX

I (1396)

Com turtre suis sanz per toute seulete

Et com brebis sanz pastour esgarée;

Car par la mort fus jadis separée

4

De mon doulz per, qu'a toute heure regrette.

Il a sept ans que le perdi, lassette,

Mieulx me vaulsist estre lors enterrée!

7

Com turtre suis sans per toute seulete.

Car depuis lors en dueil et en souffrete

Et en meschief trés grief suis demourée,

Ne n'ay espoir, tant com j'aré durée,

D'avoir soulas qui en joye me mette;

12

Com turtre suis sans per toute seulete.

Note I:—4 regraitte—10 B Ne je n'e.

II

Que me vault donc le complaindre

Ne moy plaindre

De la doulour que je port

Quant en riens ne puet remaindre?

Ains est graindre

6

Et sera jusqu'a la mort.

Tant me vient doulour attaindre,

Que restraindre

Ne puis mon grant desconfort;

10

Que me vault donc le complaindre?

Quant cil qu'amoye sanz faindre

Mort estraindre

A voulu, dont m'a fait tort;

Ce a fait ma joye estaindre,

Ne attaindre

Ne poz puis a nul deport;

17

Que me vault donc le complaindre?

Note II:—6 B Et ce s.—12 estaindre.

III

Je suis vesve, seulete et noir vestue,

A triste vis simplement affulée;

En grant courroux et maniere adoulée

4

Porte le dueil trés amer qui me tue.

Et bien est droit que soye rabatue,

Pleine de plour et petit enparlée;

7

Je suis vesve, seulete et noir vestue.

Puis qu'ay perdu cil par qui ramenteue

M'est la doulour, dont je suis affolée,

Tous mes bons jours et ma joye est alée,

En dur estat ma fortune embatue;

12

Je suis vesve, seulete et noir vestue.

Note III:—11 B En d. e. je me suis e.

IV

Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil

Et que jamais n'aray bien en ce monde,

Viegne la mort qui du mal me confonde,

4

Qui si me tient et pour qui morir vueil.

Et delaissier bien doy quanque amer sueil,

Si qu'en griefz plours mon doloreux cuer fonde,

7

Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil.

De tout maintien et contenance et d'ueil

Doy bien sembler femme, en qui dueil habonde;

Car tant est grant le mal qui me suronde

Que de la mort desir passer le sueil,

12

Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil.

Note IV:—3 B Je suis d'accort que le m. me c.—5 B Et d. d. b.—8 B de c. d.

V

Quelque chiere que je face

Et comment que souvent rie,

Si n'y a il plus marrie,

4

Je croy, de moy en la place.

A tort seroie en ma grace,

Car joye est en moy tarie,

7

Quelque chiere que je face.

Mais pas n'appert a ma face

La doulour qui me tarie,

Qui nulle heure n'est garie;

Mais grief dueil ma joye efface,

12

Quelque chiere que je face.

Note V:—4 B Je c. que m.—6 C. joy—8 pas omis dans B¹.

VI

En esperant de mieulx avoir,

Me fault le temps dissimuler,

Combien que voye reculer

4

Toutes choses a mon vouloir.

Pour tant s'il me fault vestir noir

Et simplement moy affuler,

7

En esperant de mieulx avoir,

Se Fortune me fait douloir,

Il le me convient endurer,

Et selon le temps moy riuler

Et en bon gré tout recevoir,

12

En esperant de mieulx avoir.

VII

Je ne sçay comment je dure;

Car mon dolent cuer font d'yre,

Et plaindre n'oze, ne dire

4

Ma doulereuse aventure, 4

Ma dolente vie obscure,

Riens, fors la mort, ne desire;

7

Je ne sçay comment je dure.

Et me fault par couverture

Chanter quant mon cuer souspire,

Et faire semblant de rire;

Mais Dieux scet ce que j'endure;

12

Je ne sçay comment je dure.

Note VII:—2 fent d'y—-4 douloureuse—5 B Ne ma lasse v. o.

VIII

Puis que vous vous en alez,

Je ne vous sçay plus que dire,

M'amour, mais en grief martire

4

Me tendrez, se vous voulez.

Ne sçay se vous en doulez;

Mais nul mal n'est du mien pire

7

Puis que vous vous en alez.

Baisiez moy et m'acolez,

Pour Dieu, vueilliez moy rescripre,

Et du mal soiez le mire,

Dont le mien cuer affolez

12

Puis que vous vous en alez.

Note VIII:—4 se omis dans B¹.

IX

Bel a mes yeulx, et bon a mon avis,

Trés assouvi de grace et de tout bien,

Digne d'onneur, plaisant sur toute rien,

4

Estes m'amour sur touz a mon devis.

Jeune, gentil, gent de corps et de vis,

Sage, humble et doulz, de gracieux maintien,

7

Bel a mes yeulx, et bon a mon avis.

Et quant veoir je vous puis vis a vis

J'ay tel plaisir, dont vous estes tout mien,

Qu'en ce monde plus ne vouldroie rien;

Car vous estes sur tous, je vous plevis,

12

Bel a mes yeulx, et bon a mon avis.

X

Puis qu'Amours le te consent,

Par qui as empris l'emprise,

Amis, dont tu m'as surprise,

4

Mon cuer aussi s'i assent.

Mon vouloir du tout descent

A toy amer sanz faintise,

7

Puis qu'Amours le te consent.

Si n'a il pas un en cent

Dont Amours m'eust ainsi prise;

Mais quant c'est par ta maistrise

Ne te doy estre nuisant,

12

Puis qu'Amours le te consent.

Note X:—5 B M. cuer encline et descent—10 M. q. c'est pour sa m.—11 e. musent.

XI

De triste cuer chanter joyeusement

Et rire en dueil c'est chose fort a faire,

De son penser monstrer tout le contraire,

4

N'yssir doulz ris de doulent sentement.

Ainsi me fault faire communement,

Et me convient, pour celer mon affaire,

7

De triste cuer chanter joyeusement.

Car en mon cuer porte couvertement

Le dueil qui soit qui plus me puet desplaire,

Et si me fault, pour les gens faire taire,

Rire en plorant et trés amerement

12

De triste cuer chanter joyeusement.

Note XI:—2 est c.—B c. forte a f.—2 et 3 intervertis dans A².

XII

Pour ce que je suis longtains

De vous, belle, que tant aims,

A nulle joye n'attains,

4

Ains est mon bien tout estains.

Ou païs aux tremontains

Mon cuer est de doulour tains,

7

Pour ce que je suis longtains.

Regretant voz biens haultains

Je mourray, j'en suis certains;

Car je seray desert ains

Que cy m'ait joye ratains,

12

Pour ce que je suis longtains.

Note XII:— Ou lieu ou t.—6 Je suis adès de dueil t.—11 B Qui cy n'ait.

XIII

C'est grant bien que de ces amours,

Qui miracles font si appertes

Que maintes dames font appertes

4

Qui ja aloient en decours.

Ilz garissent, de commun cours,

De plus grans maulz que fievres quartes,

7

C'est grant bien que de ses amours.

N'il n'est si vieulx, soit longs ou cours,

S'il en est bien ferus acertes,

Qu'il ne lui semble tout de certes

Qu'il prendrait bien le lievre au cours;

12

C'est grant bien que de ses amours.

Note XIII:—1 A ses a.—3 B Qui.

XIV

M'amour, mon bien, ma dame, ma princepse

Tresmontaine, qui a bon port m'adrece,

Dequanque j'ay, souveraine maistresse,

4

Estes dame et confort de ma leesce.

Je vous doy bien appeller ma deesse,

Mon doulz espoir, mon mur, ma forteresse,

7

M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse.

Car si belle ne fut oncques Lucrece,

Ne prisiée tant Penelope en Grece,

Semiramis vous passez en noblece,

Si vous doy bien dire, par grant humblece,

12

M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse.

Note XIV:—1, 7, 12 et ma p.—4 c. et l.—B de ma destresse—6 M. d. tresor—8 C. de beauté tant n'ot L.—B C. plus b. vous estes que L.—9 B Plus p. que P.—11 B p. g. leesce.

XV

Quant je ne fois a nul tort,

Pour quoy me doit on blasmer

De mon doulz ami amer?

4

Et a son vueil je m'acord.

S'en lui est tout mon deport,

N'autre n'y puet droit clamer,

7

Quant je ne fois a nul tort.

Je l'aim, qu'en est il au fort?

En fault il tel plait semer

Partout pour moy diffamer?

En ay je desservi mort

12

Quant je ne fois a nul tort?

Note XV:—4 B S'a son doulz vouloir m'accort—5 B devie—9 t. p. mener.

XVI

Doulce dame, que j'ay long temps servie,

Je vous suppli, alegiez ma doulour

Et mon complaint ne tenez a folour,

4

Si soit par vous ma grief peine assovie.

Voiez comment pour vous amer desvie,

Je pers vigour, sens, maniere et coulour,

7

Doulce dame, que j'ay long temps servie.

Ne n'aiez pas de moy grever envie,

Ou je mourray d'amoureuse chalour

Pour vo beauté et vo fresche coulour,

Et pour ce adès pour eslongner ma vie,

12

Doulce dame, que j'ay long temps servie.

Note XVI:—3 Et me c.—10 P. vou b.—B et pour vostre valour—11 B p. aloingnier.

XVII

Je suis joyeux, et je le doy bien estre,

D'avoir ouÿ si trés doulce nouvelle

Que ma dame son doulz ami m'appelle;

4

Or n'est de moy ou monde plus grant maistre.

Ne me pourroit chose venir senestre

Puis qu'elle dit que je suis amé d'elle,

7

Je suis joyeux, et je le doy bien estre.

Et quant je suis en paradis terrestre

Et hors d'enfer, pour la doulçour de celle

Que chascun tient des dames la plus belle,

Et je regard son maintien et son estre,

12

Je suis joyeux, et je le doy bien estre.

Note XVII:—4 B si g. m.—6 P. que elle— P. que je di q.

XVIII

Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris

Par voz regars pleins de laz amoureux,

A vous me rens, si me tiens eüreux

4

D'estre par vous si doulcement surpris.

On ne pourroit sommer le trés grant pris

De voz grans biens qui tant sont savoureux,

7

Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris.

Tant estes doulz, plaisant et bien apris,

Qu'ou monde n'a homme si doulereux

Que, s'un regart en avoit doulcereux,

Que tantost n'eust par vous confort repris,

12

Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris.

Note XVIII:—1 B R. vers y.—4 D'e. de v.—9 douloureux—9 B Ou m.—11 Q. p. v. n'e. t. c. r.

XIX

Tout en pensant a la beauté ma dame,

Qu'on ne pourroit prisier souffisament,

Ce rondellet ay fait presentement;

4

Car mon penser n'est ailleurs, par mon ame. 4

Se je l'ay fait ne s'en esmerveille ame,

Car survenu m'en est le sentement

7

Tout en pensant a la beauté ma dame.

De vraie amour, qui mon cuer tout enflamme,

Est tout venu le doulz enortement

Qui esjoïst mon cuer trop grandement,

Dont suis plus gay que oyselet sus la rame,

12

Tout en pensant a la beauté ma dame.

Note XIX:—9 E. tost v.

XX

Sage maintien, parement de beauté,

Assis en corps digne de grant louenge,

Cuer ferme et vray, qui nulle heure ne change,

4

En celle maint en qui j'ay feaulté.

Trés grant honneur, grant grace et leaulté

Si la conduit et nulle heure n'estrange,

7

Sage maintien, parement de beauté.

Cuer noble et hault sanz raim de cruauté,

Humilité qui nullui ne laidenge,

Et assez a la belle comme un ange,

Pour gouverner une grant royaulté,

12

Sage maintien, parement de beauté.

Note XX:—4 A Et c. m. a q.—5 B T. haulte h. g. g. et loyauté.

XXI

S'espoir n'estoit, qui me vient conforter,

Et souvenir qui mes maulx fait tarir,

Les maulx que j'ay ne pourroie porter,

4

Dont ne me veult ma dame secourir.

Car desconfort me vouldroit aporter

Present de mort, et me feroit perir,

7

S'espoir n'estoit, qui me vient conforter.

Mais souvenir si me vient raporter

Joye et soulas, et espoir de garir,

Et que pitié luy fera enorter

Ma garison, si me faudroit morir

12

S'espoir n'estoit, qui me vient conforter.

Note XXI:—2 B q. f. m. m. t.—3 B Le mal q. j'ay—6 B Presens.

XXII

De tous amans je suis le plus joyeux,

Puis qu'envers moy s'est ma dame acoisiée,

Qui contre mi si mal ere apaisiée

4

Que je n'osoie aler devant ses yeulx.

Puis qu'elle a fait la paix, or me va mieulx,

Et qu'il lui plaist que je l'aie baisiée

7

De tous amans je suis le plus joyeux.

Moult m'a esté son courroux anieux

Et a porter la doulour mesaisiée,

Mais or suis liez quant elle est amaisiée;

Puis qu'ainsi va, et louez en soit Dieux,

12

De tous amans je suis le plus joyeux.

Note XXII:—3 erre— mi ert si m. a.— yere—5 P. que elle—10 amaisié.

XXIII

Belle, ce que j'ay requis

Or le vueilliez ottroier,

Car par tant de fois proier

4

Bien le doy avoir conquis.

Je l'ay ja si long temps quis,

Et pour trés bien emploier,

7

Belle, ce que j'ay requis.

Se de moy avez enquis,

Ne me devez pas noyer

Mon guerdon, ne mon loier;

Car par raison j'ai acquis,

12

Belle, ce que j'ay requis.

Note XXIII:—2 V. le moy o.

XXIV

Jamais ne vestiray que noir,

Puis que l'en m'a donné congié,

Et que du tout m'a estrangié

4

Ma dame qui me fist son hoir. 4

Plus n'entreray en son manoir,

Et pour le trés grant dueil que j'ay

7

Jamais ne vestiray que noir. 7

Si ne quier plus cy remanoir,

Durement y suis laidengié,

Trop s'est le temps vers moy changié,

Et pour plus en ce dueil manoir

12

Jamais ne vestiray que noir. 12

Note XXIV:—3 B Et de tous poins m'a e.—6 B Et p. ce du g. d.

XXV

En plains, en plours me fault user mon temps,

Se de vous n'ay, dame, aucun reconfort

Mieulx me vauldroit briefment morir au fort

4

Que soustenir la douleur que j'attens.

Pour vous, Belle, je me morray par temps,

Et sachiez bien qu'en trop grant desconfort,

7

En plains, en plours me fault user mon temps.

Et se vo trés doulz cuer est consentens,

Que je muire, certes ce seroit fort

De reschaper contre si grant effort;

Car vraiement, se vivoie cent ans,

12

En plains, en plours me fault user mon temps.

Note XXV:—6 B q. trés g. d.—8 Et se vostre d.—B Puis que vo cuer si en est c.

XXVI

Visage doulz, plaisant, ou je me mire,

De grant beaulté le parfait exemplaire,

3

Moult suis joyeux et lié quant vous remire.

Ne il n'est riens qui me peüst souffire

Sans vous veoir, et bien me devez plaire,

6

Visage doulz, plaisant, ou je me mire.

Car ou monde l'en ne pourroit eslire

Nul si trés bel, et je ne me puis taire

De vous louer, si me fault souvent dire:

10

Visage doulz, plaisant, ou je me mire.

Note XXVI:—5 vers effacé dans A.

XXVII

A Dieu, ma dame, je m'en vois;

Cent fois a vous me recommande,

3

Je revendray dedens un mois.

Plus ne verray a ceste fois

Vo beaulté qui toudis amende;

6

A Dieu, ma dame, je m'en vois.

Et de voz biens cent mille fois

Vous remercy, Dieu le vous rende,

Ne m'obliés pas toutefois;

10

A Dieu, ma dame, je m'en vois.

XXVIII

A Dieu, mon ami, vous command,

A Dieu, cil dont tout mon bien vient,

3

Et pour Dieu retournez briefment.

En plorant trés amerement,

Puis que departir vous convient,

6

A Dieu, mon ami vous command.

Or ne m'obliez nullement,

Car toudis de vous me souvient;

Baisiez moy au departement,

10

A Dieu, mon ami, vous command.

Note XXVII et XXVIII:—Ces deux rondeaux sont placés à la suite du rondeau XLVI dans A².

XXIX

Il me semble qu'il a cent

2

Que mon ami de moy parti!

Il ara quinze jours par temps,

4

Il me semble qu'il a cent ans!

Ainsi m'a anuié le temps,

Car depuis lors qu'il departi

7

Il me semble qu'il a cent ans!

XXX

Il a au jour d'ui un mois

2

Que mon ami s'en ala.

Mon cuer remaint morne et cois,

4

Il a au jour d'ui un mois.

«A Dieu, me dit, je m'en vois»;

Ne puis a moy ne parla,

7

Il a au jour d'ui un mois.

XXXI

Se loiaulté me puet valoir

Et bien servir et fort amer,

3

Sanz faille j'aré mon vouloir.

Ne me fault plaindre ne doloir

Ne dire qu'aye dueil amer,

6

Se loiaulté me puet valoir.

Et s'on la met en nonchaloir

Il me vauldroit mieux estre en mer,

Mais nulz ne puet mon droit toloir

10

Se loiaulté me puet valoir.

XXXII

Trés doulz regart, amoureux, attraiant,

Plein de doulçour et de grant reconfort,

3

Mon cuer occis et navrez en treiant.

Mais ja pour ce ne t'ailles retrayant

De traire a moy de trestout ton effort,

6

Trés doulz regart, amoureux, attraiant.

Car en mon cuer ta doulceur pourtraiant

Va vraie amour, par quoy mon desconfort

En garis tout en mon cuer soubtraiant,

10

Trés doulz regart, amoureux, attraiant.

Note XXXII:—4 M. non pour tant ne t'a.— ne t'a. recreant—7 Et—8 B Va bonne a.

XXXIII

Le plus bel qui soit en France,

Le meilleur et le plus doulx,

3

Helas! que ne venez vous?

M'amour, ma loial fiance,

Mon dieu terrien sur tous,

6

Le plus bel qui soit en France.

S'il est en vostre poissance

Pour quoy n'approchiez de nous?

Si verré lors sanz doubtance

10

Le plus bel qui soit en France.

Note XXXIII:—8 B P. q. tost n'approuchons nous.

XXXIV

J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire

Pour vous, belle, mais ce sera pechié;

3

Car desservi n'ay que me doiez nuire.

Se vous voulez au fort me laissier cuire

En mon meschief sanz estre relachié,

6

J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire.

Car a vo vueil je me doy du tout duire,

Et de voz laz, ou je suis atachié,

Ne partiray se me voulez destruire,

10

J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire.

Note XXXIV:—7 B je me vueil du t. d.— C. a vou v.—9 Ne me p.

XXXV

De mieulx en mieulx vous vueil servir,

Ma dame, dont tout mon bien vient,

3

Pour vostre grace desservir.

Et pour moy du tout asservir

A vous, ainsi qu'il apertient,

6

De mieulx en mieulx vous vueil servir.

Mais ne me vueilliez desservir

De joye, se mon bien avient;

Car pour vo vouloir assouvir

10

De mieulx en mieulx vous vueil servir.

XXXVI

Helas! le trés mauvais songe

Que j'ay ceste nuit songé,

3

Fait que mon cuer toudis songe.

Oncques ne retint esponge

Mieulx chose, certes, que j'é,

6

Helas! le trés mauvais songe.

Mais ne me dit chose dont je

Doye esperer que congié;

Dieux doint que ce soit mençonge,

10

Helas! le trés mauvais songe.

Note XXXVI:—5 Nulle riens c.—8 Ne d. e. c.

XXXVII

Trés doulce dame, or suis je revenu

Prest d'obeïr, s'il vous plait commander,

3

Comme vo serf vous me pouez mander.

J'ay longuement esté de joye nu

Hors du paÿs, mais, pour tout amender,

6

Trés doulce dame, or suis je revenu.

Mais je ne sçay s'il vous est souvenu

De moy qui vueil vous servir sanz tarder,

Et en espoir de vo grace garder,

10

Trés doulce dame, or suis je revenu.

Note XXXVII:—9 B Et en e. de vostre amour g.

XXXVIII

Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier

Nulle merci vers vous, ma chiere dame,

3

De vous me pars, moult courroucié par m'ame.

D'y plus venir ne me quier avancier,

Car ce pourroit vous tourner a diffame

6

Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier.

Et si ne sçay comment pourray laissier

L'amour que j'ay a vous, qui si m'enflamme;

Mais du laissier ne me doit blasmer ame

10

Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier.

Note XXXVIII:—7 B Ne si ne s.

XXXIX

Doulce dame, je vous requier

Vostre amour que je vueil cherir;

3

Donnez la moy sanz rencherir,

Or m'ottroiez ce que je quier,

Et pour faire mes maulz tarir,

6

Doulce dame, je vous requier.

Et se vers vous tel grace acquier

Je penseray du remerir,

Et pour mes pesances garir,

10

Doulce dame, je vous requier.

XL

Se m'amour voulsisse ottroier

Ja pieça m'a esté requise,

3

Mais j'ay ailleurs m'entente mise

On vendroit trop tart au proier,

Et pour tant bien je vous avise

6

Se m'amour voulsisse ottroier

Car maint dient que par loier

La devroient avoir acquise,

Si fusse ailleurs pieça assise,

10

Se m'amour voulsisse ottroier.

Note XL:—5 B Sire et p. t. je v. a.—9 B Si l'aroye ja a. a.

XLI

De tel dueil m'avez rempli,

Dame, par vostre reffus

3

Qu'oncques plus dolent ne fus.

Mis m'avez en si dur pli

Qu'enroiddis suis comme uns fus,

6

De tel dueil m'avez rempli.

Que m'occiez vous suppli,

Car de mere mar nés fus,

Nul de moy n'est plus confus,

10

De tel dueil m'avez rempli.

Note XLI:—2 B D. pour v.—3 B Q. si d.—4 B Or suiz en si trés d. p.—7 B Tuez moy je v. s.—8 B de m. mal.—9 Ne de m.—B N'il n'e. de m.

XLII

Or est mon cuer rentré en double peine

Quant le mary ma dame est revenu,

3

Qui du païs s'est hors long temps tenu.

Helas! j'ay eu du tout en mon demaine

Joye et plaisir et soulaz maintenu,

6

Or est mon cuer rentré en double peine.

Il me touldra, Dieux lui doint male estraine,

Tout mon deduit, car souvent et menu

J'estoye d'elle au giste retenu,

10

Or est mon cuer rentré en double peine.

Note XLII:—1, 6, 10 entrez en d. p.—4 A a m. d.—5 B J. p. et s.—9 A J'e. au g. d'e. r.

XLIII

Hé lune! trop luis longuement,

Par toy pers les biens doulcereux

3

Qu'Amours donne aux vrais amoureux.

Ta clarté nuit trop durement

A mon cuer qui est desireux,

6

Hé lune! trop luis longuement.

Car tu fais le decevrement

De moy et du doulz savoureux;

Nous ne t'en savons gré touz deux,

10

Hé lune! trop luis longuement.

Note XLIII:—4 B Ta c. luist t. d.—8 B Et nous tiens tous deux langoureux.

XLIV

Amis, ne vous desconfortez,

Car je seray en vostre aye,

3

Et, fusse enclose en abbaye,

Ne seray du mal que portez

Conforter lente n'esbahie.

6

Amis, ne vous desconfortez.

Toudis environ moy hentez

Et ne doubtez nulle envaÿe,

Et se je suis pour vous haïe,

10

Amis, ne vous desconfortez.

Note XLIV:—8 B Ne ne d.—9 B par v. h.

XLV

Souffise vous bel accueil,

Sire, trop me requerez,

3

Tout perdrez se tout querez.

Plus donner je ne vous vueil

A present, mais esperez,

6

Souffise vous bel accueil.

Toudis plus que je ne sueil

Vous donne, et plus acquerez

Et tant plus me surquerez,

10

Souffise vous bel accueil.

Note XLV:—2 Trop de choses r.—4. B Car p. d. ne v. v.—4 je ne v. quier.—7 Mieulx vous fais q.—B Et t. p. q. ne s.—8 Mais tant p. y a.—9 Et t. p. me requerez—B Et de t. p. me querez.

XLVI

Se souvent vais au moustier,

C'est tout pour veoir la belle

3

Fresche com rose nouvelle.

D'en parler n'est nul mestier,

Pour quoy fait on tel nouvelle

6

Se souvent vais au moustier?

Il n'est voye ne sentier

Ou je voise que pour elle;

Folz est qui fol m'en appelle

10

Se souvent vais au moustier.

Note XLVI:—2 p. veir.

XLVII

Combien qu'adès ne vous voie,

Simple et coye

Ou est ma joye,

Que j'aim et serfs loiaument,

Ne pourroie nullement,

6

Vivre se je vous perdoie.

Car sanz vous je ne pourroie

Ne saroie

Ne vouldroie

Vivre un jour tant seulement,

11

Combien qu'adès ne vous voie.

Et si sachiez toutevoie

Que j'emploie,

Ou que je soye,

En vous tout mon pensement;

Car il n'est avancement

Qui me venist d'autre voie,

18

Combien qu'adès ne vous voie.

Note XLVII:—5 B Ne p. longuement—8 Manque dans A¹—9 Sic dans tous les mss., Corr. [Ne] ne v.

XLVIII

Comme surpris

Et entrepris

De vostre amour,

Je me rens pris

En vo pourpris,

6

Dame d'onnour.

Si ne mespris

Quant j'entrepris

Si haulte honnour

10

Comme surpris.

Mais en despris

Ne m'ait le pris

De vo valour;

Car j'ay apris

Les biens compris

En vo doulçour

17

Comme surpris.

Note XLVIII:—9 Si hault h.

XLIX

Vous en pourriez exillier

Un millier

Des amans par vo doulz oeil,

4

Plains d'esveil,

Qui ont fait maint fretillier

Et veillier.

Je m'en sens plus que ne sueil

8

Et m'en dueil.

Belle, qui bien traveillier

Et pillier

Savez cuers a vostre vueil,

En recueil

13

Vous en pourriez exillier.

Mais bien sçavez pou baillier

Et taillier

Moins de joye et plus de dueil

17

Sur le sueil,

Pour musars entortillier,

Conseillier,

Par vostre attraiant acueil

Sans orgueil

22

Vous en pourriez exillier.

Note XLIX:—4 Sanz orgueil—7 et 8 manquent dans A¹ et B—11 S. c. a vo doulz vueil—12 manque dans A¹ et B—14 B Et—17 En recueil—20 et 21 vers effacés dans A¹—21 B En requeil.

L

Pour attraire

Vostre amour,

Et moy traire

4

De doulour

Me vueil traire

Vers vous, flour,

Sanz retraire

8

Nuit ne jour.

Ne doy taire

Ma langour,

Mais retraire

Sanz rigour

13

Pour attraire.

Exemplaire

De valour,

Pour vous plaire

17

Tant labour,

Je vueil faire

Par honnour

Et pourtraire

Vo doulçour

22

Pour attraire.

Note L:—17 B Tout l.

LI

Amis, venez encore nuit,

2

Je vous ay aultre fois dit l'eure.

Pour en joye estre a no deduit,

4

Amis, venez encore nuit.

Car ce qui nous empesche et nuit

N'y est pas, pour ce, sanz demeure,

7

Amis, venez encore nuit.

Note LI:—3 B Et pour mener nostre d.

LII

Il me tarde que lundi viengne,

2

Car mon ami doy veoir lors.

A fin qu'entre mes bras le tiengne

4

Il me tarde que lundi viengne.

Si lui pri qu'il lui en souviengne;

Car pour veoir son gentil corps

7

Il me tarde que lundi viengne.

Note LII:—2 C. m. a. doit venir l.

LIII

Cest anelet que j'ay ou doy

2

Mon doulz ami le m'a donné.

Souvent nous assemble toudoy

4

Cest anelet que j'ay ou doy.

Je l'aime bien, faire le doy;

Car pour ma joye est ordené

7

Cest anelet que j'ay ou doy.

LIV

La cause de mon annuy

2

N'ose plaindre n'a nul dire.

Ne la diray demain n'uy

4

La cause de mon annuy.

Se je pleure a nul n'en nuy,

Et mourir me fera d'ire

7

La cause de mon annuy.

Note LIV:—Omis dans A.

LV

Dure chose est a soustenir

2

Quant cuer pleure et la bouche chante;

Et de faire dueil se tenir

4

Dure chose est a soustenir.

Faire le fault qui maintenir

Veult honneur qui mesdisans hante,

7

Dure chose est a soustenir.

LVI

Cil qui m'a mis en pensée novelle

Et qui requiert que je le vueille amer

Me plaist sur tous, non obstant qu'afermer

4

Ne lui vueille m'amour, ainçois lui celle.

Et si est il plus doulz qu'une pucelle,

Jeune, plaisant, bel, courtois, sanz amer

7

Cil qui m'a mis en pensée novelle.

Mais de paour qu'estre en peust nouvelle

Je n'ose en lui du tout m'amour fermer,

Le retenir, ne mon ami clamer,

Si est il bien digne d'avoir plus belle

12

Cil qui m'a mis en pensée novelle.

Note LVI:—3 que fermer—6 B J. p. doulz—9 m'a. du t.—10 B Ne r.—11 d'amer p. b.

LVII

Vostre doulçour mon cuer attrait,

Je ne vous vueil plus reffuser;

Doulz ami, que vault le muser

4

Quant par voz yeulx Amours me trait?

Si vous vueil amer sanz retrait

A tousjours mais, car sanz ruser

7

Vostre doulçour mon cuer attrait.

Or soiez tout mien, sanz faulx trait,

Ainsi pourrons noz jours user

En grant doulçour, sanz mal user;

Car par vostre plaisant attrait

12

Vostre doulçour mon cuer attrait.

Note LVII:—3 A le ruser—4 p. vous y.

LVIII

Se d'ami je suis servie,

Craintte, obeïe et amée,

Je ne doy estre blasmée

4

D'avoir entrepris tel vie.

Ne me suis pas asservie,

Ainçois suis dame clamée

7

Se d'ami je suis servie.

Car de tous biens assouvie

Seray par sa renommée;

Si n'en seray ja clamée

Fole, se n'est par envie,

12

Se d'ami je suis servie.

Note LVIII:—9 B Je suis p. sa r.

LIX

Chiere dame, plaise vous ottroier

2

Ce que vous ay humblement supplié.

Sanz que d'aultre vous en face proier,

4

Chiere dame, plaise vous ottroier.

Mon cuer, mon corps, quanque j'ay en loier,

Tout je vous offre, et pour moy faire lié,

7

Chiere dame, plaise vous ottroier.

Note LIX:—Omis dans B.

LX

Vous n'y pouez, la place est prise,

Sire, vous perdez vostre peine:

De moy prier c'est chose vaine,

4

Car un bel et bon m'a acquise.

Et c'est droit qu'un seul me souffise,

Plus n'en vueil, folz est qui s'en peine;

7

Vous n'y pouez, la place est prise.

Toute m'amour ay en lui mise

Et l'ameray d'amour certaine,

Mais ne m'en tenez a villaine;

Car je vous di qu'en nulle guise

12

Vous n'y pouez, la place est prise.

Note LX:—4 B C. un seul m'a du tout a.—5 et 6 B:

Toute m'amour ay ailleurs mise,

J'ayme un autre d'amour certaine

8 et 9 B:

C'est raison qu'un seul me souffise,

Plus n'en vueil, folz est qui s'en paine

9 Et l'aimeray.

LXI

S'il vous souffist, il me doit bien souffire;

Mais quant a moy mieulx voulsisse autrement;

Car je voy bien qu'il ne vous chault grandment

4

De moy veoir; or, de par dieu, beau sire,

Passer m'en fault, combien que j'en souspire;

Mais puis qu'amer voulez si faittement

7

S'il vous souffist, il me doit bien souffire.

Car n'est pas drois que dame plus desire

Que son ami n'aime plus loiaument,

Puis qu'ainsi va, je vous di plainement

Que j'en feray comme vous: a tout dire,

12

S'il vous souffist, il me doit bien souffire.

Note LXI:—8 Q. s. a. m'a.—B p. ardamment—11 B Q. je f.

LXII

Source de plour, riviere de tristece,

Flun de doulour, mer d'amertume pleine

M'avironnent et noyent en grant peine

4

Mon pauvre cuer qui trop sent de destresce.

Si m'affondent et plungent en asprece;

Car parmi moy cuerent plus fort que Saine

7

Source de plour, riviere de tristece.

Et leurs grans floz cheent a grant largece,

Si com le vent de Fortune les meine,

Tous dessus moy, dont si bas suis qu'a peine

Releveray, tant durement m'oppresse

12

Source de plour, riviere de tristece.

Note LXII:—Omis dans B.

LXIII

Bel et doulz et gracieux,

Jeune, courtois, sanz amer,

Qui avez mis en amer

4

Vostre cuer pour valoir mieulx.

Vray, loial soiez et tieulx

Qu'on vous puist partout clamer

7

Bel et doulz et gracieux.

Et, ainçois que soiez vieulx,

Faites vous tant renommer

Qu'on vous puist partout nommer

Bon, vaillant, et en tous lieux

12

Bel et doulz et gracieux.

Note LXIII:—Omis dans B.

LXIV

Pour quoi m'avez vous ce fait,

Trés bel, ou n'a que redire?

Et si sçavez mon martire

4

N'oncques ne vous fis meffait.

Et parti estes de fait,

Sanz moy daigner a Dieu dire;

7

Pour quoy m'avez vous ce fait?

Au dieu d'amours du tort fait

Me plaindray disant: Dieux Sire,

Ami m'avez fait eslire,

Dont me vient si dur effait,

12

Pour quoy m'avez vous ce fait?

Note LXIV:—Omis dans B

LXV

S'ainsi me dure

2

Ne puis durer.

Je muir d'ardure,

4

S'ainsi me dure.4

Doulour ay dure

A endurer

7

S'ainsi me dure.7

LXVI

Amoureux oeil,

2

Plaisant archier.

De toy me dueil,

4

Amoureux oeil.

Car ton accueil

Me vens trop chier,

7

Amoureux oeil.

LXVII

Ma dame

2

Secours,

Par m'ame,

4

Ma dame.

J'enflame

D'amours,

7

Ma dame.

LXVIII

Je vois

2

Jouer.

Au bois

4

Je vois.

Pour nois

Trouver

7

Je vois.

LXIX

Dieux

2

Est.

Quieux?

4

Dieux.

Tieulx

Plaist

7

Dieux.

Note LXIX:—omis dans A.

EXPLICIT RONDEAULX.






JEUX A VENDRE

1

Je vous vens la passerose.

—Belle, dire ne vous ose

Comment Amours vers vous me tire,

4

Si l'apercevez tout sanz dire.

2

Je vous vens la fueille tremblant.

—Maint faulx amans, par leur semblant,

Font grant mençonge sembler voire,

4

Si ne doit on mie tout croire.

3

Je vous vens la paternostre.

—Vous scavez bien que je suis vostre,

Ne oncques a autre ne fus,

Si ne faittes de moy reffus,

Belle que j'aim, mais sanz demour

6

Me vueilliez donner vostre amour.

Note 3:—5 B et s. d.

4

Je vous vens le papegay.

—Vous estes bel et bon et gay,

Sire, et en tous cas bien apris;

Mais oncques a amer n'appris,

Encore n'y sçaroie aprendre

6

N'a amer par amours me prendre.

Note 4:—4 Ne o.—5 B E. ne s.

5

Je vous vens la fleur de mellier.

—Sire joly chevalier,

Telle pour vous souvent souspire

4

Qui vous aime et ne l'ose dire.

6

Je vous vens l'esparvier apris.

—Bien vouldroie estre de tel pris,

Qu'aucune damoiselle ou dame

Me daignast amer, car, par m'ame,

A mon pouoir la serviroie

6

Tant que s'amour desserviroie.

Note 6:—6 B Si q.

7

Je vous vens le vert muguet.

—Mesdisans sont en agait,

Amis, pour nous agaitier;

Si querez autre sentier

Quant vers moy venir devrez

6

Et l'eure sonner orrez.

Note 7:—3 Doulx a. p.

8

Du dieu d'amours vous vens le dart

Qui m'a navré par le regart

De voz beaulx yeulx, dame jolie,

Qui a vous amer si me lie

Que j'en seray a mort livré

6

Se par vous ne suis delivré.

Note 8:—6 B Se p. v. n'en s. d.

9

Du pré d'Amours vous vens l'usage.

—Pas n'apert a vostre visage

Que vous soiez d'amours malade;

Car la maladie est moult sade

Dont le visage en riens n'empire,

6

Mais tel n'a nul mal qui souspire.

10

Je vous vens la fleur de lis.

—Vray amant doit estre jolis,

Sage, courtois et bien apris,

Amer honneur, armes et pris,

Loial, secret et sanz amer,

6

Qui tel l'a bien le doit amer.

Note 10:—5 S. l et s. a.—6 b. la d. a.

11

Je vous vens du rosier la fueille.

—Je pri au dieu d'amours qu'il vueille

Briefment m'ottroier tant de grace

4

Qu'acquerir puisse vostre grace.

Note 11:—3 de manque dans A¹.

12

Je vous vens la turterelle.

—Seulete et toute a par elle

Sanz per s'envole esgarée,

Ainsi suis je demourée,

Dont jamais je n'aray joye

6

Pour nulle chose que j'oye.

13

Je vous vens le cerf voulant.

—De bien amer ne soiez lent,

Amis, car vous avez amie

Qui talent d'autre amer n'a mie;

Si lui soiez vrais et entiers,

6

Car elle vous aime sanz tiers.

Note 13:—4 d'a. a. n'a envie.

14

Je vous vens le chappel de Saulx.

—S'Amours vous prent par ses assaulx,

Dame jolie et gracieuse,

Ne soiez nul jour envieuse

De voz loiaulx amours fausser,

Pour abaissier ne pour haulcer.

Se vous estes dame clamée

De vostre ami et bien amée,

Tenez vous y; j'ay ouï dire

10

Que qui plus change plus s'empire.

Note 14:—10 B omet s'.

15

Je vous vens la harpe et la lire.

—Vraie amour si m'a fait eslire

Vous seule pour dame et maistresse,

Belle, or me mettez en l'adrece

De joye avoir, et a mon dit

6

Vous accordez sanz contredit.

Note 15:—6 B V. a. s. escondit.

16

Je vous vens les gans de laine.

—Je seroie trop villaine

Se vostre amour reffusoie;

Car volentiers si j'osoie

Seroit en vous m'amour fermée

Par si que de vous fusse amée,

Car vous estes digne d'avoir

8

D'Heleine le corps et l'avoir.

Note 16:—8 B De H.

17

Je vous vens la fleur de parvanche.

—N'aiez pas le cuer en la manche,

Amans de bonne volenté,

Hardiement joye et santé

Requerez, mais loiaulz soiez

En quelque lieu que vous soiez,

Car se fausseté en vous maint

8

Des biens d'amours y perdrez maint.

Note 17:—8 y manque.

18

Je vous vens la rose amatie.

—Vous avez vostre foi mentie

Vers Amours, dont vous valez mains,

De telz tours sçavez faire mains,

Si se fait bon des gens retraire

6

Qui sont a loiaulté contraire.

Note 18:—5 de gent r.

19

Je vous vens le pont qui se haulce.

—Dieux! que vous semblez estre faulse,

Bien savoir conter et rabatre,

Et a maint l'eaue faire batre,

Et faire en vain cornars veillier

Et pour neant eulx traveillier,

Monstrer semblant de fort amer,

8

Sanz en sentir ne doulz n'amer.

20

Je vous vens le panier d'ozier.

—On ne doit amer ne proisier

Homme qui de femme mesdie,

Ne le croire de riens qu'il die;

Si estes de ce renommé

6

Dont vous en estes moins amé.

21

Je vous vens l'oisellet en cage.

—Se vous estes faulx c'est dommage,

Car vous estes et bel et doulz,

Si n'aiez telle tache en vous

Et digne serez d'estre amé,

6

Bel et bon et bien renommé.

Note 21:—6 B Bel et bien r.

22

Je vous vens le vers chapellet.

—Nul amant ne peut estre let,

Mais que ses taches soient bonnes,

De loiaulté suive les bonnes,

Si sera digne que l'en l'aime

6

Et que sa dame ami le claime.

23

Je vous vens la clere fontaine.

—Je voy bien que je pers ma peine,

Dame, de tant vous requerir;

Puis que riens n'y puis acquerir;

Qu'oncques vous vy l'eure maudi,

6

Je m'en vois et a Dieu vous di.

24

Je vous vens le chappel de soie.

—Cuidiez vous qu'a pourveoir soie

D'ami plaisant, jeune et joly,

Qui de bon cuer m'aime et je li?

Nanil voir; si pert bien sa peine

6

Qui de m'amour avoir se peine.

Note 24:—3 B D'a. gentil j. et j.

25

Je vous vens le cuer du lion.

—Vostre cuer et le mien lion

A tousjours, mais sanz deslier,

Et pour nostre amour alier

Par vray serment le promettons

6

Et corps et avoir y mettons.

26

Je vous vens la couldre qui ploie.

—En bien amer mon cuer emploie;

Je ne sçay se je suis amée,

Mais je ne doy estre blasmée

D'avoir mon cuer a cil donné

6

Qui sur tous est bien renommé.

27

Je vous vens l'anelet d'or fin.

—Je pri a Dieu que male fin

Puissent tous ces mesdisans faire,

Qui se meslent d'autrui affaire;

Souvent esveilient jalousie,

6

Qui met pluseurs en frenesie.

Note 27:—6 B Q. p. m.

28

D'un esparvier vous vens la longe.

—Quant un amant plein de mençonge

Est et souvent parjur trouvé,

D'Amours doit estre reprouvé;

Car amant ne doit a sa dame

6

Mentir ne pour loz ne pour blasme.

Note 28:—6 A² B M. ne p. mort ne p. b.

29

Je vous vens le coulomb ramage.

—On scet assez bien vostre usage,

Assez sçavez du bas vouler

En faingnant plaindre et flajoler,

Et en mains lieux querir santé,

6

Dient ceulz qui vous ont henté.

30

Je vous vens le songe amoureux,

Qui fait joyeux ou doulereux

Estre cellui qui l'a songié.

—Ma dame, le songe que j'é

Fait anuit, ferez estre voir,

6

Se je puis vostre amour avoir.

Note 30:—2 douloureux—5 faites e. v.

31

Je vous vens l'aloe qui vole.

—Vostre gracieuse parole,

Et vostre doulz et bel semblant,

Doulz ami, va mon cuer emblant.

Si ne vous puis plus escondire,

6

Car vostre suis sanz contredire.

Note 31:—2 gracieux.

32

Je vous vens l'espée de guerre.

—Que venez vous cy entour querre,

Sire, qui si bien savez faindre

Le loial amant et vous plaindre;

Par vous sont maintes barguignées,

Blanches, brunes, ou bien pignées;

Si alez hors de no dongier

8

Ailleurs voz roisins vendengier.

Note 32:—8 v. voisins v.

33

Je vous vens la fleur d'acolie.

—Je suis en grant melancolie,

Amis, que ne m'aiez changée;

Car vous m'avez trop estrangée,

Dittes m'en le voir, sanz ruser,

6

Sanz plus me faire en vain muser.

Note 33:—2 merencolie.

34

Je vous vens la branche d'olive.

—Ou monde n'a femme qui vive

Que je vueille servir fors vous.

Si me retenez donc sur tous,

Belle plaisant de moy cherie,

6

Ne soiez vers moy rencherie.

35

Je vous vens la fleur d'ortie.

—Je suis d'amours bien sortie;

Car j'ay ami loial et bon,

4

A qui cuer, corps et amour don.

Note 35:—2 b. partie.

36

Je vous vens le chapel de bievre.

—Jalousie vault pis que fievre;

Si ne croiez riens qu'on vous die

Qui vous traye a tel maladie,

Se voulez amours maintenir,

6

Gaiement et lié vous tenir.

Note 36:—6 B Lyement et gay v. t.

37

Je vous vens la rose de may.

—Oncques en ma vie n'amay

Autant dame ne damoiselle

Que je fais vous, gente pucelle,

Si me retenez a ami,

6

Car tout avez le cuer de mi.

Note 37:—4 B Comme f.

38

Je vous vens la fleur de seür.

—Je ne suis pas bien aseür

Que j'aye vostre amour ou non

Pour tant se d'ami ay le nom;

Car partout vostre belle chiere,

6

Ce me semble, envers nul n'est fiere.

Note 38:—6 n'e. chere.

39

Je vous vens la violete.

—De joye mon cuer volete,

Quant je voy vostre doulz vis

4

Sur tous bel a mon avis.

40

Je vous vens le blanc corbel.

—Vostre gracieux corps bel

Et vostre ris savoureux

4

Fait mon cuer estre amoureux.

41

Je vous vens l'aloue volant.

—De bien amer n'avez talent;

Mais vous savez bien decevoir,

4

Pluseurs ne l'ont pas assavoir.

42

Je vous vens le dyamant.

—Sachiez que j'ay bel amant,

N'il n'est homme soubz les cieulx

4

A mon gré plus gracieux.

Note 42:—3 Il n'e.—B N'il n'a h.—4 B A. m. g. qui vaille mieulx.

43

Je vous vens le tourret de nez.

—Gay et joli vous maintenez,

S'estre voulez renommé

4

Et des dames bien amé.

Note 43:—4 Et de d. b. a.—B Des d. et b. a.

44

Je vous vens la marjoleine.

—Je tiens la dame a vilaine,

Se amant mercy lui crie

Et humblement la deprie,

De repondre rudement

6

Et lui mettre a sus qu'il ment.

Note 44:—3 B Quant amy m. l. c.

45

Je vous vens la fueille de houx.

—J'ay bel ami plaisant et doulx;

Dieu veuille qu'aussi bon soit il

4

Come il est bel, jeune et gentil.

Note 45:—4 A b. gent et g.

46

Je vous vens la blonde tresce.

—Ma trés gracieuse maistresse,

Que j'aim et crain et servir vueil,

Trés belle, plaisant, sanz orgueil,

Comandez moy, je suis tout prest

6

A vous obeïr sanz arrest.

47

Je vous vens le souspir parfont,

Que mains faulz amans contrefont.

—Telz gens fierent sanz deffier,

Si ne s'i doit on pas fier,

Car tel a assez souspiré

6

Qui n'est malade n'empiré.

48

Je vous vens le blanc orillier.

—Assez ne me puis merveillier

Comment Amours peut endurer

Fausseté si long temps durer

Qu'a peine qui veult esprouver

6

Puet on nullui loial trouver.

49

Je vous vens la voulant aronde.

—Dame, la plus belle du monde,

Pour Dieu, aiez de moy pitié;

4

Car je muir pour vostre amitié.

50

Du blanc pain vous vens la mie.

—Pour Dieu, ne m'oubliez mie

Quant je seray loing de vous,

4

A Dieu vous di, mon cuer doulz.

51

Je vous vens la rose d'Artois.

—Amez honneur, soiez courtois,

Bien servez en toute saison,

4

Et des biens arez a foison.

52

Je vous vens la colombelle.

—Dame qui tant estes belle,

Ne vueilliez avoir en despris

Vostre ami pour vostre grant pris,

Mais prenez son service en gré,

6

Si le mettrez en hault degré.

Note 52:—6 B Si le mettez.

53

Je vous vens le blanc cueuvrechief.

—Vostre amour met a grant meschief

Mon las cuer, qui toudis souspire

4

Pour vous, n'il n'est mal du sien pire.

54

Je vous vens de soye le laz.

—Oncques vray amant ne fut las

De bien amer pour escondit,

On dit communement un dit:

Que qui bien puet souffrir il vaint;

6

Et ainsi l'ont esprouvé maint.

Note 54:—5 B Q. q. b. veult s.—6 B Car.

55

Je vous vens l'anelet d'argent.

—Vostre doulz gracieux corps gent,

Voz ris, voz yeulx, vo doulz chanter

Feroit les mors ressuciter;

Ne je ne suis pas souvenant

6

Qu'oncques veisse plus avenant.

Note 55:—2 doulz manque dans A² et B—3 v. r. v. gieux.

56

Je vous vens la fleur de glay.

—Chantons, dançons, menons bon glay,

En despit de mesdisans

4

Qui aux amans sont nuisans.

Note 56:—1 B Je v. v. la fueille de g.—4 B Q. s. a. a. n.

57

Je vous vens la perle fine.

—Se par vous ma doulour ne fine,

Ma dame trés affinée,

4

Vous fustes pour ma fin née;

Car Amours m'a si affiné

Que tost me verrez deffiné;

Mais mieulx vueil ma vie finer

8

Que d'ainsi languir ne finer.

Note 57:—2 Se p. v. mon mal ne f.

58

Je ne vens ne donne les yeulz

Beaulz et plaisans, doulz, gracieux,

De vo beau vis, qui m'ont attrait,

Doulce dame, par leur doulz trait,

Ainçois les retiens pour ma part;

6

Car par eulx tout mal de moy part.

Note 58:—4 B p. vo d. t.—5 B de ma p.

59

Chascun vous vent, mais je vous veuil donner

Mon cuer, mon corps, et vous abandoner

Tout quanque j'ay, si n'en faites reffus,

4

Trés belle a qui suis et seray et fus.

Note 59:—1 vous donne—2 v. abandonne—et manque dans B¹.

60

Je vous vens la fleur de peschier.

—Je ne vous vueil mie empeschier;

Parler voulez secretement?

4

Je m'en vois, a Dieu vous command.

61

Je vous vens du rosier la branche.

—Oncques neige ne fu plus blanche,

Ne rose en may plus coulourée

Qu'est la beauté fine esmerée

De celle en qui entierement

6

Me suis donné tout ligement.

62

Je vous vens d'Amours la prison.

—S'oncques vers vous fis mesprison,

Pour Dieu, prenez moy a mercy,

Ma dame, je vous cry mercy,

Et je suis tout prest d'amender

6

Ce qu'il vous plaira commander.

63

Je vous vens la rose vermeille.

—Amours me comande et conseille

Que je face de vous ma dame,

Dites moy, belle, par vostre ame,

Pourray je vostre amour avoir

6

Se je fais vers vous mon devoir?

Note 63:—5 et 6 intervertis dans B.

64

Je vous vens plein panier de flours.

—On ne doit marchander d'amours,

On doit servir a l'aventure;

S'ainsi faites par aventure,

Des biens d'Amours arez assez,

6

Se vous n'estes d'amer lassez.

65

Je vous vens la feuille de tremble.

—De paour tout le cuer me tremble,

Que pour moy ne soiez blasmée,

4

Ma belle dame trés amée;

Et, se vers vous je n'ose aler

Pour la doubtance du parler

De ceulz qui nous ont encusé,

8

Si m'en tenez pour excusé.

Note 65:—3 vous s. b.

66

Le Saphir vous vens d'Orient.

—Ce que je vous di en riant;

Que mon cuer a vous amer muse,

Ne le tenez pour tant a ruse;

Car je le vous di tout acertes,

6

Et vous aime plus que rien certes.

67

Flours vous vens de toutes couleurs.

—Je suis gary de mes douleurs,

Quant vous me faittes bonne chiere,

Ma gracieuse dame chiere;

Mais quant vers moy estes yrée

6

La mort est de moy desirée.

Note 67:—5 q. e. v. m. y.

68

Je vous vens le levrier courant.

—Pour vostre amour me vois morant;

Ce pouez vous veoir a l'ueil,

4

Et pitié n'en avez ne dueil.

69

Je vous vens la fleur mipartie.

—Sommes nous a la departie

De noz amours, beau doulz ami?

S'il est ainsi ce poise mi,

Car je ne l'ay pas desservi;

6

Doulent suis quant oncques vous vi.

Note 69:—6 Ce poise moy qu'oncques v. v.

70

Je vous vens l'escrinet tout plein.

—Mon nom y trouverez a plain

Et de cil qu'oncques plus amay,

Par qui j'ay souffert maint esmay,

Se vous y querez proprement;

6

Or regardez mon se je ment.

Note 70:—On trouve dans «escrinet» les anagrammes de «Crestine» et de «Estien». Rubrique B¹ Ci fenissent gieux a v.

EXPLICIT JEUX A VENDRE.








AUTRES BALADES

CY COMMENCENT PLUSIEURS BALADES
DE DIVERS PROPOS

I

Assez acquiert tresor et seigneurie,

Trés noble avoir et grant richece amasse,

Qui par bonté, qui nul temps n'est perie,

4

Acquiert honneur, bon renom, loz et grace.

Car ou monde n'est chose qui ne passe

Fors que bienfait, tout ne vault une miche

Autre tresor ne chose que l'en brace;

8

Car qui est bon doit estre appellé riche.

Et bonté faitte est haultement merie,

Car Dieu le rend, et qui le bien porchace

Acquiert honnour, soit en chevalerie

12

Ou aultre estat, qui des bons suit la trace.

Loz doit avoir sur tous en toute place

Qui es vertus du tout son cuer affiche;

Tel tresor a que fortune n'efface;

16

Car qui est bon doit estre appellé riche.

Ne l'en ne doit une pomme pourrie

Riche mauvais prisier, quoy qu'il embrace,

Ne lui louer; car c'est grant desverie

20

De loz donner a mauvais, quoy qu'il face;

Mais au vaillant, qui a tout honneur chace,

Apartient loz, s'il n'est aver ne chiche,

Des biens qu'il a soit large en deue place;

24

Car qui est bon doit estre appellé riche.

Princes vaillans et de gentil attrace,

Ne souffrez pas vaillantise estre en friche;

Poursuivez la, ne vous chaut d'or en masse;

28

Car qui est bon doit estre appellé riche.

Note I:—4 conqueste h.—6 F. qui b.—9 B Et b. est si h.—10 B Que D.—22 si n'e.—23 D. b. q. a dont grant tresor on masse—B ou g. t. amasse—27 a masse.

II

[Eloge de Charles d'Albret.]

Or est Brutus ressuscité,

De qui Bretaigne fu nommée,

Et qui de Romme la cité

Fu consule, et qui mainte armée

8

Fist en son temps, et tant fu sage,

Preux, vaillant et plein de bernage,

Qu'a tousjours renom en remaint,

Et tant fu après sa mort plaint;

Charitable le fist Dieux naistre

10

Si com tous vaillans doivent estre.

De cil Brutus est recité

Maint hault bien par grant renommée;

Les dames en adversité

Confortoit, ne par lui blasmée

15

Ne feust de fait ne de langage

Femme; ainçois qui feist oultrage

Aux dames, par lui fust estaint

Le meffait et le bien attaint;

Leur champion fut en tout estre,

20

Si com tous vaillans doivent estre.

Or l'ensieult par grant charité

Charles d'Alebret, qui amée

A la voie de verité,

Dont ja partout est voix semmée

25

De lui et de son vacelage,

Pour dames garder de dommage;

Se de tort nulle se complaint,

Veult estre, sanz avoir cuer faint,

Leur deffension et main destre,

30

Si com tous vaillans doivent estre.

Au bon Brutus de hault parage

Retrait Charles, car d'un lignage

Descendirent, ce scevent maint,

C'est des Troyens qui furent craint;

Pour ce ensuivant est son ancestre

36

Si com tous vaillans doivent estre.

Note II:—La 3e ballade dans B—2 Du quel—3 B Qui puis—8 B Qui—12 B M. beau fait—27 B Se de t. aucune se plaint—35 P. ce est suivant s. a.

III

(A Charles d'Albret.)

Bon chevalier, ou tous biens sont compris,

Noble, vaillant et de royal lignage,

Qui par valeur avez armes empris,

4

Dont vous portez la dame en verde targe

Pour demonstrer que de hardi visage

Vous vous voulez pour les dames tenir

Contre ceulz qui leur porteront dommage,

8

Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir!

Dieux et pitié vous ont tout ce apris

Et la valeur de vo noble courage,

Et certes moult en croistra vostre pris,

12

Et paradis arez a heritage.

Car aux dames pluseurs font maint oultrage,

C'est aumosne de leur droit maintenir;

Si le ferez comme vaillant et sage,

16

Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir!

Or ay espoir que ceulx qui ont mespris

Vers les dames de fait et de langage

Si se rendront comme las et despris;

20

D'or en avant n'aront pas l'avantage,

Confus seront par vostre vacellage.

A tel baron doit bien apartenir

Que des dames soit amé par usage,

24

Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir!

Mon redoubté seigneur, soubz vostre hommage,

Je vous suppli, me vueilliez retenir,

Car les vesves garderez de servage,

28

Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir!

Note III:—La 2e dans B—2 B de loyal l.—17 Or ay je e.—B Or e.—27 de dommage— de vesvage.

IV

A vous les chevaliers aux dames,

Humble recommendacion

De par moy la mendre des femmes,

4

Priant Dieu que l'affection,

Qu'avez en bonne entencion

De vouloir garder le droit d'elles,

Vous doint mettre a perfection

8

Et honneur en toutes querelles.

Car le sauvement de voz ames

Ferez, et sera mencion

A tousjours de voz belles armes;

12

De revenchier l'extorcion

Et d'estre la deffension

De femmes vesves et pucelles;

Si en arez salvacion

16

Et honneur en toutes querelles.

Or vient le temps que, les diffames

Et la grant murmuracion

Que maint dient d'elles, et blasmes,

20

Sanz avoir nulle occasion,

Yert par vous a destruction.

Si prieront les damoiselles

Que Dieux vous doint remission

24

Et honneur en toutes querelles.

Priez Dieu par devocion

Pour les bons, toutes jovencelles,

Qui ont noble condicion

28

Et honneur en toutes querelles.

Note IV:—11 B nobles a.—19 et les b.—26 B P. l. b. dames et ancelles.

V

Les biens mondains et tous leurs accessoires

Chascun voit bien qu'ilz sont vains et fallibles,

Si sommes folz quant pour les transitoires

4

Choses, laissons les joyes infallibles

Que Dieux donne aux innocens paisibles

Qui n'ont nul soing de tresor acquerir;

Mais pour prisier pou choses corruptibles

8

Avisons nous qu'il nous convient morir.

Qu'est il des grans, dont on lit es hystoires,

Qui porterent les fais griefz et penibles

Pour avoir loz, grans honneurs et vittoires?

12

Ne sont ilz mors et a noz yeulx visibles?

Ne veons nous, soient choses sensibles

Ou non, faillir toute riens? fault porrir;

Si n'ayons foy en choses impossibles,

16

Avisons nous qu'il nous convient morir.

Et pour les biens qui ne valent deux poires

Pour nous sauver, ains souvent sont nuisibles,

Ne perdons Dieu, disans choses non voires,

20

Pour accomplir pechiez laiz et orribles

Et pour deliz vains, laiz et non loisibles;

Car Dieu scet tout: on ne lui puet couvrir;

Pour eschiver ses vengences terribles

24

Avisons nous qu'il nous convient morir.

Princes et clers d'entendemens sensibles,

Ne vueillons pas par noz meffais perir,

A nous sauver soions tous entendibles,

28

Avisons nous qu'il nous convient morir.

Note V:—2 B q. s. fains et f.—10 A grans et p.—22 B C. D. t. s.—23 B Et p. fouïr—26 B pour n. m.

VI

Helas! ou donc trouveront reconfort

Pouvres vesves, de leurs biens despoillées,

Puis qu'en France qui sieult estre le port

4

De leur salut, et ou les exillées

Seulent fouïr et les desconseillées,

Mais or n'i ont plus amistié?

Les nobles gens n'en ont nulle pitié,

Aussi n'ont clers li greigneur ne li mendré,

9

Ne les princes ne les daignent entendre.

Des chevaliers n'ont elles nesun port,

Par les prelaz ne sont bien conseillées,

Ne les juges ne les gardent de tort,

13

Des officiers n'aroient deux maillées

De bon respons; des poissans traveillées

Sont en maint cas, n'a la moitié

Devers les grans n'aroient exploitié

Jamais nul jour, alleurs ont a entendre,

18

Ne les princes ne les daignent entendre.

Ou pourront mais fuïr, puis que ressort

N'ont en France, la ou leur sont baillées

Esperences vaines, conseil de mort,

22

Voies d'Enfer leur sont appareillées,

S'elles veulent croire voies broullées

Et faulz consaulx, ou apointié

N'est de leur fait, nul n'ont si acointié

Qui leur aide sanz a aucun mal tendre,

27

Ne les princes ne les daignent entendre.

Bons et vaillans, or soient esveilliées

Voz grans bontez, ou vesves sont taillées

30

D'avoir mains maulz de cuer haitié;

Secourez les et croiez mon dittié,

Car nul ne voy qui vers elles soit tendre,

33

Ne les princes ne les daignent entendre.

Note VI:—5 Veulent f.—6 B Or n'i o. mais a.—17 a. n'ont a—23 v. bourillées—27 B ne les veulent e.—32 B C. je ne v. nul q. leur ait cuer t.

VII

Se de Pallas me peüsse accointier

Joye et tout bien ne me fauldroit jamais;

Car par elle je seroie ou sentier

De reconfort, et de porter le fais

5

Que Fortune a pour moy trop chargier fais;

Mais foible suis pour soustenir

Si grant faissel, s'elle ne vient tenir

De l'autre part, par son poissant effort

Pour moy aidier, Dieu m'i doint avenir,

10

Car de Juno n'ay je nul reconfort.

Pallas, Juno, Venus vouldrent plaidier

Devant Paris jadis de leurs tors fais,

Dont chascune disoit qu'a son cuidier

Plus belle estoit, et plus estoit parfais

15

Ses grans pouoirs que de l'autre en tous fais;

Sus Paris s'en vouldrent tenir,

Qui lors jugia que l'en devoit tenir

A plus belle Venus et a plus fort,

Si dist: «Dame, vous vueil je detenir,

20

Car de Juno n'ay je nul reconfort.»

Pour la pomme d'or lui vint puis aidier

Vers Heleine Venus, mors et deffais

En fu après; si n'ay d'elle mestier,

Mais de joye seroit mon cuer reffais,

25

Se la vaillant Pallas, par qui meffais

Sont delaissié et retenir

Fait tous les biens, me daignoit retenir

Pour sa serve: plus ne devroie au fort

Ja desirer pour a grant bien venir,

30

Car de Juno n'ay je nul reconfort.

Ces trois poissans deesses maintenir

Font le monde, non obstant leur descort;

Mais de Pallas me doint Dieux sovenir,

34

Car de Juno n'ay je nul reconfort.

Note VII:—14 et e. p.—23 B En fu depuis—33 B M. D. me d. de P. s.

VIII

Dieux! on se plaint trop durement

De ces marys, trop oy mesdire

D'eux, et qu'ilz sont communement

4

Jaloux, rechignez et pleins d'yre.

Mais ce ne puis je mie dire,

Car j'ay mary tout a mon vueil,

Bel et bon, et, sanz moy desdire,

8

Il veult trestout quanque je vueil.

Il ne veult fors esbatement

Et me tance quant je souspire,

Et bien lui plaist, s'il ne me ment,

12

Qu'ami aye pour moy deduire,

S'aultre que lui je vueil eslire;

De riens que je face il n'a dueil,

Tout lui plaist, sanz moy contredire,

16

Il veult trestout quanque je vueil.

Si doy bien vivre liement;

Car tel mary me doit souffire

Qui en tout mon gouvernement

20

Nulle riens ne treuve a redire,

Et quant vers mon ami me tire

Et je lui monstre bel accueil,

Mon mary s'en rit, le doulz sire,

24

Il veult trestout quanque je vueil.

Dieu le me sauve, s'il n'empire,

Ce mary: il n'a nul pareil,

Car chanter, dancier vueil' ou rire,

28

Il veult trestout quanque je vueil.

Note VIII:—Omise dans B.

IX

Or sus, or sus, pensez de bien amer,

Vrais amoureux, et joye maintenir

Ce moys de may, et vuidiez tout amer

4

De voz doulz cuers, ne lui vueilliez tenir,

Soiez joyeux et liez sanz retenir

Nul fel penser, car resjouïr se doit

Tout vray amant par plaisant souvenir;

8

Amours le veult et la saison le doit.

Or y parra qui sçara reclamer

Amours a droit pour a grant bien venir,

Faire beaulz ditz, soy pour amours armer,

12

Et ces beaulz cops a jouste soustenir,

Et le bon vueil sa dame retenir,

Tost obeïr, s'elle lui commandoit.

C'est le devoir, qui bon veult devenir;

16

Amours le veult et la saison le doit.

Si vous vueilliez es doulz biens affermer

Qui a tous bons doivent apertenir,

Rire, jouer, chanter, nul ne blasmer,

20

Et tristece toute de vous banir,

Vestir de vert pour joye parfurnir,

A feste aler se dame le mandoit,

Vous tenir liez quoy qu'il doie avenir;

24

Amours le veult et la saison le doit.

Vrais fins amans, pour a joie avenir

Soiez jolis, car esperer on doit

En ce doulz temps a tout bien parvenir;

28

Amours le veult et la saison le doit.

Note IX:—14 B s'e. le c.

X

Trés humblement, dames et damoiselles,

Me recommand a vostre gentillece,

Et de par moy sachiez, bonnes et belles,

4

Qu'Amours a fait crier de sa richece

Ce jour de May joye, et a grant largece

Roses et flours qu'yvers chieres vendoit,

Et que voz cuers vous teniez sanz tristece,

8

Amours le veult et la saison le doit.

Et doulz Deduit anonce ces nouvelles,

Et qu'il n'y ait nulle si grant maistresse

Qui a l'amant reffuse ses querelles,

12

Voire en honneur et en toute noblece,

Sanz que renom ne loiaulté on blece,

Car tort aroit se plus en demandoit;

Mais qu'ottroiez bel accueil en simplece,

16

Amours le veult et la saison le doit.

Et si commande aux jeunetes pucelles

Chapiaulx de flours dessus la blonde trece,

Jouer, dancer en prez sus fontenelles

20

Simpletement, de maintien en humblece;

Rire, chanter, fuïr dueil et destrece;

Car jeune cuer, se leece perdoit,

Il seroit mort, si l'aiez sanz parece,

24

Amours le veult et la saison le doit.

Belles plaisans dames de grant hautece,

Je vi Deduit qui grant oudeur rendoit

Et haultement crioit: «Aiez leesce!

28

Amours le veult et la saison le doit.»

Note X:—2 B a v. grant noblesce—3 B Vueilliez savoir toutes b. et b.—4 B a grant largesce—5 B Ce j. de M. baudour j. et gayesse—12 B et t. gentillesse—22 B C. tout c. gay.

XI

Haulte, poissant, trés louée Princece,

Bonne et belle, vaillant de tous nommée,

Pleine de sens, d'onneur et de noblece,

4

Et en maint lieux redoubtée et amée,

Par le monde trés excellant clamée,

Et parfaitte toute de corps et d'ame,

On ne pourroit vostre grant renommée

8

Assez louer, ma redoubtée dame.

Acomparer a Pallas la deesse,

Et a Juno qui tant est reclamée,

Certes vous puis, pour vostre grant sagece;

12

Et pour la trés riche honneur affermée

Ou vous estes, ne jamais extimée

Vostre valeur ne pourroit estre de ame

N'escripture, fust en prose ou rimée,

16

Assez louer, ma redoubtée dame.

Semiramis ressemblez de largece

Qui fu si preux et tant est reclamée,

Et de purté la trés belle Lucrece,

20

La rommaine de grant constance armée,

De loyaulté Hester la non blasmée.

En touz estaz, plus que nulle autre femme,

On ne vous puet, tant estes bien formée,

24

Assez louer, ma redoubtée dame.

Trés excellent en grace confermée,

De vous partout cuert si trés noble fame

Qu'on ne vous puet, c'est bien chose informée,

28

Assez louer, ma redoubtée dame.

Note XI:—2 B trés renommée—4 B En pluseurs l.—5 B t. parfaicte c.—11 B par v. g. s.—18 Q. tant fu p.—B Q. tant fu p. dont grant voix est semée—27 A Q. ne pourroit vous, c'e. c. i.

XII

Priez, dames et damoiselles,

Pour les bons chevaliers vaillans

Qui, pour soustenir voz querelles,

4

Mettent leurs corps et leurs vaillans:

Que ja Dieu ne leur soit faillans,

Ains leur doint honneur et victoire

Encontre tous leur assaillans,

8

Si qu'a tousjours en soit memoire.

Qui l'escu vert aux dames belles

Portent sanz estre deffaillans,

Pour demonstrer que l'onneur d'elles

12

Veulent, aux espées taillans,

Garder contre leur mauvueillans.

Si devez prier Dieu de gloire

Que priz et loz soient cueillans,

16

Si qu'a tousjours en soit memoire.

Du bon Torsay bonnes nouvelles

Avons, com preux et traveillans

Les armes Obissecourt, celles

20

Facent joye a ses bienvueillans;

Castelbayart qui est veillans

A poursuivre armes, chose est voire,

A honneur en soit hors saillans,

24

Si qu'a tousjours en soit memoire.

Or priez Dieu a yeulx moillans,

Qu'on die d'eulx si bonne hystoire,

Que chascun en soit merveillans,

28

Si qu'a tousjours en soit memoire.

Note XII:—6 leur omis dans B—22 A p. et c. e. v.—28 Et q.

XIII

Gentilz amans, faittes ce jugement,

Et, je vous pry, jugiez selon le voir:

Une dame retient entierement

Un pour ami, cuidant en lui avoir

5

Loial amant qui face son devoir

D'elle servir, ainsi qu'il apertient;

Ce lui promet quant elle le retient,

Mais tost après le contraire aperçoit.

S'un aultre aime, qui d'elle près se tient,

10

Vous semble il que ce fausseté soit?

Quant le premier la voit negligemment,

Et si la puet assez souvent veoir,

Et par pluseurs foiz moult piteusement

Celle lui dist que moult a le cuer noir,

15

Dont elle voit lui en si pou chaloir;

Mais riens n'y vault, trop pou de compte en tient

Et fierement vers elle se maintient,

Dont s'un autre qui mieulx l'aime reçoipt

Quant elle voit qu'a cil si pou en tient,

20

Vous semble il que ce fausseté soit?

Et encor pis, car il dit plainement

Present elle, qu'il n'est pour nul avoir

Que il voulsist en femme nullement

Mettre son cuer pour peine en recepvoir,

25

Selon le dit peut le fait apparoir

Qu'il ne l'aime, ne ne lui en souvient,

Et un autre vers elle se contient

Si loiaument, quelque l'escondit soit,

Qu'elle voit bien qu'il l'aime, si s'i tient,

30

Vous semble il que ce fausseté soit?

Amans, jugiez, quant un tel cas avient,

Se avoir doit congié, se il revient,

L'amant premier qui la dame deçoipt,

Se par faulte de luy aultre y avient,

35

Vous semble il que ce fausseté soit?

Note XIII:—2 B Je v. supply, or en j. le v.—6 B si com il a.—7 B Ainsi—11 B Car—17 B Et rudement—18 B Et—23 B v. de f.—24 B Soy assoter p.—32 se il remaint.

XIV

Viegne Pallas, la deesse honnourable,

Moy conforter en ma dure destresce,

Ou mon anui et peine intollerable

4

Mettront a fin ma vie en grant asprece.

Car Fortune me cuert sure

Qui tout mon bien destruit, rompt et deveure,

Et pou d'espoir me destraint jour et nuit;

8

Juno me het et meseür me nuit.

Ne je ne truis nul confort secourable

A mon meschief, ainçois quant je me drece

Vers quelque part ou voye reparable

12

Deusse trouver, tout le rebours m'adrece,

Et en vain peine et labeure;

Car Fortune despece tout en l'eure

Quanque j'ay fait, ou me plaise ou m'anuit;

16

Juno me het et meseür me nuit.

Et pour ce pri la haulte venerable

Fille de Dieu, Pallas qui tous radrece

Les desvoiez, qu'elle soit apparable

20

En mes pensers, comme vraie maistrece

Me dottrine et me secueure;

Diane soit avec elle a toute heure,

Car de long temps me commence, yer n'anuit

24

Juno me het et meseür me nuit.

Princes, ains que mort m'acueure,

Priez Pallas que pour mon bien accueure;

Car en tous cas, ou que j'aye reduit,

28

Juno me het et meseür me nuit.

Note XIV:—4 M. ma v. a f.—B Mettra a f. ma v. en g. espresse—12 vers le r.—23 B Ces deux m'aiment, mais non obstant je cuit.

XV

Mon cher Seigneur, vueilliez avoir pitié

Du povre estat de vostre bonne amie,

Qui ne treuve nulle part amistié.

4

Pour Dieu mercy, si ne l'oubliez mie,

Et souvenir

Il vous vueille de son fait, ou venir

Lui convendra a pouvreté obscure,

8

Se Dieu et vous ne la prenez en cure.

Ne peut avoir, tant ait nul acointié,

Son las d'argent: charité endormie

Treuve en chascun, dont tout ne la moitié

12

N'en puet avoir, Fortune est s'anemie

Qui survenir

Lui fait maint mal, si ne puet soustenir

Son povre estat ou elle met grant cure

16

Se Dieu et vous ne la prenez en cure.

Si vous plaise que par vous esploistié

Soit de son fait, car ja plus que demie

Est cheoite au bas, dont a cuer dehaitié

20

Souventes fois et de soussi blesmie,

Dont si tenir

A memoire vueilliez et retenir

Son fait qu'a chief en soit ou trop endure

24

Se Dieu et vous ne la prenez en cure.

Tost avenir

Puisse par vous et son fait parfurnir,

Mon chier Seigneur, car trop a peine dure

28

Se Dieu et vous ne la prenez en cure.

Note XV:—9 B Ne p. a. pour peine n'amistié—10 B Ce qui est sien—11 B T. partout—15 B S. foible e.—22 V. a m.—23 ou t. demeure—26 B a s. f.

XVI

(A Charles d'Albret, connétable de France.)

Noble vaillant, chevalier de grant pris,

Mon cher seigneur, de France connestable,

En qui prouesse et tous biens sont compris,

4

De Dieu amé et au monde agreable,

Loyal en foy, baron trés honnorable,

Je pri a Dieu et a la Vierge belle

Qu'il vous octroit joye et bien permanable

8

Ce premier jour que l'an se renouvelle.

Par bon renom qui queurt en tout pourpris

De vous, seigneur, de constance inmuable

Le mien cuer est de grant desir espris

12

De faire a vous plaisir, se si solvable

Estoie que de vous feust acceptable,

Mon chier seigneur, comme de vostre ancelle,

Si l'ait a gré vo bon cuer charitable

16

Ce premier jour que l'an se renouvelle.

Humble seigneur, si n'aiez en despris

Mon bon vouloir, tout soit il pou valable

Et pardonner me vueilliez se mespris

20

D'escrire a vous, personne si notable,

Je ay, moy femme ignorant non savable,

Mais voulentiers je diroye nouvelle

Qui resjouïst vo bon cuer amiable

24

Ce premier jour que l'an se renouvelle.

Mon cher Seigneur puissant et redoutable,

Prenez en gré ma balade nouvelle,

Que Dieux vous doint tout soulaz delitable

28

Ce premier jour que l'an se renouvelle.

Note XVI:—Omise dans A.

XVII

Jadis Circes l'enchanteresse

Fist chevaliers devenir porcs;

Mais Ulixes par sa sagece

4

De ce meschief les gitta hors.

Mais je ne sçay se c'est droit sors

D'aucunes gens, dont j'ay grant yre,

Qui sont plus que pors vilz et ors,

8

N'on n'en pourroit assez mesdire.

Grans vanteurs sont et sanz proece,

Mais trés bien parez par dehors,

Orgueilleux pour leur gentillece,

12

Et tiennent bien aise leurs corps;

Mais en eulx a maint mal remors,

Et combien qu'on ne l'ose dire

A bien faire n'ont pas amors,

16

N'on n'en pourroit assez mesdire.

Il n'est nulle si grant maistrece,

Ne femme autre, soit droit ou tors,

Que leur fausse lengue ne blece

20

Leur bon renom; aise sont lors

Quant ilz en font mauvais rapors,

Qui s'i vouldra mirer s'y mire,

Mais mieulx que vifs vaulsissent mors,

24

N'on n'en pourroit assez mesdire.

Je ne mesdi de nullui, fors

D'aucuns qui sont de Judas pire

Et sont de tous mauvais accors,

28

N'on n'en pourroit assez mesdire.

Note XVII:—3 B p. sa prouesse—4 B se gecta h.—10 B M. b p. sont p. d.—17 B N'il—18 s. d. soit t.—27 B Qui s.

XVIII

(A la reine Isabelle de Bavière.)

Haulte, excellent Roÿne couronnée

De France, trés redoubtée princece,

Dame poissant et de bonne heure née,

4

A qui honneur et vaillance s'adrece,

Des princeces souveraine maistresse,

Je pri cil Dieu, qui ne fault a nulle ame,

Qu'il vous envoit de toute joye adrece,

8

Ce jour de l'an, ma redoubtée dame.

Boneur, bon temps, trés agreable année,

Vray reconfort de ce que plus vous blece,

Plaisir, soulas, vous doint ceste journée

12

Et les autres plus en plus vous eslece,

Toudis accroisse et garde vo haultece,

Vostre valeur et vo trés noble faame,

Et vous envoit joye qui ja ne cesse,

16

Ce jour de l'an, ma redoubtée dame.

Mais je suppli, haulte bien ordennée,

Ma excellent redoubtée, ou humblece

Fait son manoir, que mercy soit donnée

20

A moy se je mesprens par ma simplece

D'escripre a vous, ou tant a de noblece;

Digne n'en suis, si n'en aye nul blasme,

Car grant desir de vous servir m'i drece,

24

Ce jour de l'an, ma redoubtée dame.

Ma balade pregne en gré vo sagece,

Si suis vostre creature par m'ame

Qui volentiers vous donroie leece,

28

Ce jour de l'an, ma redoubtée dame.

Note XVIII:—8 ma trés souvraine d.—13 B T. g. et croisse vo h.—14 B et vostre n. f.—16, 24, 28 ma trés souvraine d.—18 B r. en h.—25 vo haultece.

XIX

(A Louis de France, duc d'Orléans.)

De tous honneurs et de toutes querelles,

De tout boneur et de bonne aventure,

De tous plaisirs, de toutes choses belles,

4

Et de cellui qui creé a nature,

De quanque ou ciel et en terre a mesure,

Et de tout ce plus propre a homme né,

Mon redoubté seigneur plein de droiture,

8

Ce jour de l'an vous soiez estrené.

Trés noble duc d'Orliens, de nouvelles

A vo souhaid et d'amour vraie et pure,

De ris, de jeux et de notes nouvelles

12

Resjouÿssanz, d'union sanz murmure

Et de tout ce de quoy tous bons ont cure,

De tout le bien qu'en corps bien ordenné

Il doit avoir, de pais qui tousjours dure

16

Ce jour de l'an vous soiez estrené.

De tous nobles, de dames, de pucelles

Et de chascun par communal jointure

Amé soiez, et de ceulz et de celles

20

Qu'oient parler, de bouche ou escripture,

De vous, prince de roiale faitture,

De leur salut loiaulz en tout regné

Et de leur loz sanz fausse couverture

24

Ce jour de l'an vous soiez estrené.

Prince excellent ou il n'a desmesure,

De ce livret qu'ay fait mal ordené,

De par moy, vo trés humble creature,

28

Ce jour de l'an vous soiez estrené.

Note XIX:—11 de totes n.—22 B De leurs saluz royaulx—23 B de leurs l.

XX

(A Marie de Berry, comtesse de Montpensier.)

Bon jour, bon an, bon mois, bonne novelle,

Ce premier jour de la present année

Vous envoit Dieux, ma chiere damoiselle

4

De Monpensier, si soiés estrenée

De toute joye.

A vo souhaid Dieux pri qu'il vous envoie

Tous voz plaisirs, tout gracieux revel,

Quanque vouldriez vous consente et ottroie

7

Ce plaisant jour premier de l'an nouvel.

Et ma trés chiere et redoubtée, et celle

Que je desir autant com dame née

Servir, louer, et que chascun appelle

13

De grant bonté et beaulté affinée,

En plaisant joye

Vo noble cuer Dieux permaine et convoie

Ou jolis temps dont vient le renouvel,

Et a present a tout bien vous avoie

18

Ce plaisant jour premier de l'an nouvel.

Noble, plaisant, trés gracieuse et belle,

Bonne, vaillant, sage, bien aournée,

Prenez en gré ma balade nouvelle

22

Que j'ay faitte pour vous ceste journée,

Car ou que soie

Vostre je suis et obeïr vouldroie,

Amer, cherir vo gracieux corps bel.

Si vous doint Dieux quanque pour moy voldroie

27

Ce plaisant jour premier de l'an nouvel.

Du petit don, pour Dieu, ne vous anoie,

Car bon vouloir mieulx que fermail n'anel

Vault moult souvent; voulentiers plus feroie

31

Ce plaisant jour premier de l'an nouvel.

Note XX:—10 second «et» omis dans B—19 B N. puissant—20 B plaisant s.—20 b attournée— b. ordonnée—26 B tout q. je v.

XXI

(Christine fait hommage à Charles d'Albret de son poème «Du Débat de

deux Amans.»)

Bon jour, bon an et quanqu'il puet souffire

De bien, d'onneur et de parfaitte joye,

Mon redoubté seigneur, d'Alebret sire,

Charles poissant, pri Dieu qu'il vous envoie

5

Ce jour de l'an qui maint bon cuer resjoie,

Et vous presente

Cestui livret, que j'ay fait par entente,

Ou est escript et la joye et la peine

Qu'ont ceulz qu'Amours met d'amer en la sente,

10

Si le vueilliez recepvoir pour estreine.

Et s'il vous plaist a l'ouïr ou le lire,

De deux Amans orrez qu'Amours maistroie

Si a entr'eulx debat; car l'un veult dire

Qu'Amours griefve trop plus qu'elle n'esjoie,

15

L'autre dit non et que plus bien envoie,

E a l'atente

De jugement, lequel a mieudre entente

Se soubzmettent et a sentence pleine;

Cest nouvel cas a journée presente,

20

Si le vueilliez recepvoir pour estreine.

Et non obstant qu'ayent voulu eslire

Mon seigneur d'Orliens que leur fait voie

Et juge en soit, ne vueilliez escondire

Leur bon desir, car chascun d'eulx vous proye

25

Trés humblement, s'il vous plaist toutevoie,

Et se guermente

Que vous dissiez vostre avis: se dolente

Vie est qu'amer ou trés joieuse et saine,

Et le livret le fait vous represente,

30

Si le vueilliez recepvoir pour estreine.

Mon redoubté seigneur, des meilleurs trente

Me reçoivent a vo bonté haultaine,

Cui mon service ottroy sanz estre lente,

34

Si le vueilliez recepvoir pour estreine.

Note XXI:—manque dans B.

XXII

(Christine recommande son fils aîné au duc d'Orléans.)

Trés noble, hault, poissant, plein de sagesse,

D'Orliens duc Loys trés redoubtable,

Mon redoubté seigneur, en grant humblece

Me recommand a vous, prince notable,

5

En desirant faire chose agreable

A vous, vaillant seigneur de haute emprise,

Et si vous viens donner d'amour esprise

La riens qui soit que doy plus chier avoir

Et soubzmettre du tout a vo franchise,

10

Si le vueilliez, noble duc, recevoir.

C'est un mien filz, lequel de sa jonnece

A bon vouloir d'estre en son temps valable

Et desir a selon sa petitece

De vous servir, s'il vous est acceptable;

15

Pour ce suppli, vaillant prince amiable,

Qu'il vous plaise le prendre a vo servise.

Don vous en fais, et tout a vo devise

Faire de lui vueilliez, car bon vouloir

De vous servir a de cuer en craintise;

20

Si le vueilliez, noble duc, recevoir.

Ja trois ans a que pour sa grant prouesse

L'en amena le conte trés louable

De Salsbery, qui moru a destrece

Ou mal païs d'Angleterre, ou muable

25

Y sont la gent; depuis lors, n'est pas fable,

Y a esté, si ay tel peine mise

Que je le ray non obstant qu'a sa guise

L'avoit Henry qui de la se dit hoir,

Or vous en fais je don de foy aprise,

30

Si le vueilliez, noble duc, recevoir.

Prince excellent que chascun loue et prise,

Du requerir je ne soye reprise

N'escondite, car de tel qu'ay savoir

Mon service vous ottroy sanz faintise,

35

Si le vueilliez, noble duc, recevoir.

Note XXII:—1 B n. et h.—6 omis dans B—7 v. vueil d.—12 B en s. cuer v.—21 A g. promesse.

XXIII

S'il est ainsi que de vous soye amée

Si loiaument comme je vous oy dire

Et que vo cuer d'amour trés affermée

4

M'aime si fort et ne veult ne desire

Fors moy sanz plus, je vous suppli, beau sire,

Sanz telz semblans ne telz ditz recorder

Pour m'asseurer qu'ailleurs vo cuer ne tire,

8

Faittes voz faiz a voz ditz accorder.

Car les amans si male renommée

Ont a present, non obstant qu'on souspire

Et que mainte dame soit d'eulx clamée

12

Dame et amour, que le meilleur ou pire

On ne cognoist, tant y a a redire

En leurs faulz cuers, s'ay je ouÿ recorder

Et pour ce a fin qu'il me doye souffire

16

Faittes voz faiz a voz ditz accorder.

Et se je vueil estre bien informée

Ains qu'a ami du tout vous vueille eslire

J'ay bien raison, n'en doy estre blasmée;

20

Car son renom dame trop fort empire

Qui a croire legierememt se tire,

Si demonstrez qu'en riens a moy frauder

Vous ne taschiez, et pour ne m'en desdire

24

Faittes voz faiz a voz ditz accorder.

Se vous m'amez n'en aiez ne dueil n'yre,

Bien le sçaray, sanz longuement tarder;

Pour esprouver le vray sanz contredire

28

Faittes voz faiz a voz ditz accorder.

Note XXIII:—6 B S. t. s. monstrer ne r.—7 B P. moy monstrer—15 B que me doyés s.—22 Si d. qu'a r.—25 B de ce n'ayez nulle yre—26 B B. le verray.

XXIV

Doulce dame que j'aim plus et desire

Qu'oncques n'amay nulle autre dame née

Partir me fault de vous, dont je souspire,

4

Ne bien n'aray jusqu'a la retournée,

Car a vous ay toute m'amour donnée;

Ne je ne pense a autre riens nulle heure;

Mais s'a present m'en vois, trés belle née,

8

Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure.

Et loings de vous vivray en grief martyre,

Ne ma doulour ne sera ja finée

Jusqu'au retour, car riens ne puet souffire

12

A mon vray cuer, n'avoir bonne journée

Se ne vous voy; soiez acertenée,

Belle plaisant pour qui mon penser pleure,

Ou que je voise, et y fusse une année,

16

Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure.

Si ne vueilliez nul autre ami eslire

Ne m'oublier, car soir ne matinée,

Ne heure du jour, vo beauté ou me mire

20

Et vo doulceur parfaitte et affinée

N'oblieray, si ne soit ja finée

L'amour de nous, quel que soit la demeure;

De vous me pars, belle et bien atournée,

24

Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure.

Je prens congié celle a qui j'ay donnée

Toute m'amour; de cuer plus noir que meure

Vous di a Dieu, ma joye enterinée,

28

Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure.

Note XXIV:—13 B s. en certenée—23 B b. aournée.

XXV

Or soiez liez, jolis et envoisiez,

Vrais fins amans, puis que May est venu,

Voz gentilz cuers gaiement esleesciez;

4

Ne soit de vous nul anuy retenu,

Ains soit soulas doulcement maintenu,

Quant vous voyez resjoïr toutes choses

Et qu'en saison sont adès et en cours

Chapiaulx jolis, violetes et roses,

9

Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours.

Voiez ces champs et ces arbres proisiez,

Et ces beaulz prez qui sont vert devenu,

Ces oisillons qui tant sont renvoisiez

13

Que par eulx est tout doulz glai soustenu;

Tout se revest; il n'y a arbre nu;

Voiez ces fleurs espanies et closes,

Dont bien devez avoir pour les odours

Chapiaulx jolis, violetes et roses,

18

Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours.

De doulz pensers voz gentilz cuers aisiez,

Chantez, dancez pour estre retenu

Avec deduit par qui sont acoisiez

22

Tous desplaisirs, et souvent et menu

Riez, jouez, soit bon temps detenu,

Amours le veult, pour ce nous a descloses;

Voiez, plaisans, si aiez tous les jours

Chapiaulx jolis, violetes et roses,

27

Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours.

Princes d'amours ou bontez sont encloses,

Ce moys de May portez les doulces flours,

Chapiaulx jolis, violetes et roses,

31

Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours.

Note XXV:—Manque dans B.

XXVI

Doulce chose est que mariage,

Je le puis bien par moy prouver,

Voire a qui mary bon et sage

4

A, comme Dieu m'a fait trouver.

Louez en soit il qui sauver

Le me vueille, car son grant bien

De fait je puis bien esprouver,

8

Et certes le doulz m'aime bien.

La premiere nuit du mariage

Très lors poz je bien esprouver

Son grant bien, car oncques oultrage

12

Ne me fist, dont me deust grever,

Mais, ains qu'il fust temps de lever,

Cent fois baisa, si com je tien,

Sanz villennie autre rouver,

16

Et certes le doulz m'aime bien.

Et disoit, par si doulz langage;

«Dieux m'a fait a vous arriver,

Doulce amie, et pour vostre usage

20

Je croy qu'il me fist eslever.»

Ainsi ne fina de resver

Toute nuit en si fait maintien

Sanz autrement soy desriver,

24

Et certes le doulz m'aime bien.

Princes, d'amours me fait desver

Quant il me dit qu'il est tout mien;

De doulçour me fera crever,

28

Et certes le doulz m'aime bien.

Note XXVI:—Manque dans B—9 —du mesnage—25 P. mais il me f. d.

XXVII

Des trés bonnes celle qui vault le mieux,

Assouvie sur toute damoiselle,

Non pareille, telle vous fourma Dieux,

Pleine de sens, de haulte honneur et belle,

5

Toutes passez

A mon avis, et croy que vous pensez

Toudis comment vous soiez exemplaire

De toute honneur qui tant en amassez,

9

Et ce vous fait a tout le monde plaire.

Redoubtée princece, ou biens sont tieulx

Que un chascun parfaitte vous appelle,

De qui servir mon cuer est envieux,

Plus qu'autre riens, certes vous estes celle

14

Qui enlascez

Mon cuer en vous, sanz ja estre lassez,

Mais se pou vail, ne vous vueille desplaire,

Car vous valez pour un royaume assez,

18

Et ce vous fait a tout le monde plaire.

Doulce, plaisant, corps gent et gracieux,

Flun de doulçour, blanche com noif novele,

Le doulz regart de voz amoureux yeulz

Livre a mon cuer l'amoureuse estincelle,

23

Dont embrasez

Il est d'amer et toudis a pensez

De vous servir, n'en demande salaire

Fors le regart que doulcement lancez,

27

Et ce vous fait a tout le monde plaire.

Trés belle, en qui tous maulz sont effacez,

Je ne desir fors vo doulz plaisir faire;

Car tous les biens sont en vous entassez,

31

Et ce vous fait a tout le monde plaire.

Note XXVII:—8 tout h.—19 B Toute p.—20 B com fleur n.—30 B en v. amassez.

XXVIII

Or soiez liez, joyeux et envoisiez;

Tous amoureuz, puis que May est venu.

De tous voz deulz ores vous aquoisiez;

Chantez, jouez trestuit, grant et menu,

5

Et querez voye

De joye avoir, et chascun se pourvoye

De reconfort et entroublie esmay;

Car Amours veult qu'un chascun se cointoye

9

En ce jolis plaisant doulz moys de May.

Voyez ces champs et ces arbres proisiez,

Et ces beaulx prez qui sont vers devenu,

Ces oisillons qui tant sont renvoisiez

Que par eulz est tout doulx glay maintenu,

14

Or menez joye,

Et vous dames aussi, Amours l'octroye,

Soyez liez; car s'oncques je n'amay

Si vueil je amer chose qui me resjoye

18

En ce jolis plaisant doulz moys de May.

Chapiaux de flours aux amans pourchaciez,

Dames d'onnour, et s'avez retenu

Aucun amy tant de bien lui faciez

Que du doulz May lui soit mieux avenu;

23

Mais toutevoye

N'octroyez rien dont blasmer on vous doye,

Se m'en croyez, mais oncques ne blasmay

Que l'en n'amast par gracieuse voye

27

En ce jolis plaisant doulz moys de May.

Dames, amans, chascun de vous s'avoye

De liement aler cueillir le may

Ce joli jour, et tout annuy renoye

31

En ce jolis plaisant doulz moys de May.

Note XXVIII:—Omise dans A—1 et 2, 10 à 13, cf. XXXII.

XXIX

(Au duc d'Orléans, sur le combat de sept Français contre sept Anglais.)

[19 mai 1402.]

Prince honnoré, duc d'Orliens, louable,

Bien vous devez en hault penser deduire

Et louer Dieu et sa grace amiable

4

Qui si vous veult en tout honneur conduire

Que le renom par le monde fait luire

De vostre court remplie de noblece

Qui resplendit comme chose florie

En noble loz, et adès est radrece

9

De hault honneur et de chevalerie.

Or ont acreu le loz li sept notable

Bon chevalier que vaillance a fait duire

Si qu'a grant loz et victoire honnorable

13

Ont desconfit les sept Anglois, qui nuire

Aux bons Francois cuident et les destruire;

Mais le seigneur du Chastel, ou proece

Fait son reduit et la bachelerie,

Bataille, ont mis Anglois hors l'adrece

18

De hault honneur et de chevalerie.

Et Kerhoïs le breton secourable

Qui mains grans biens fera ainçois qu'il muire,

Et Barbasan et Champaigne amiable,

22

Et Archambaut qui fait son renom bruire,

Le bon Glignet de Breban qui aduire

En armes veult son corps et sa jeunece;

Par ces sept bons est la gloire perie

De noz nuisans qui perdent la haultece

27

De hault honneur et de chevalerie.

Prince poissant, honnourez a leece

Les bons vaillans ou valeur n'est perie,

Car vous arez par eulx toute largece

31

De hault honneur et de chevalerie.

Note XXIX:—3 A sa g. louable—12 B Si q. g. peine—19 B Et Barbasan le vaillant combatable—21 à 23 B Champaigne aussi, Archambault secourable. Le bon Clignet, qui tout bien scet raduire, Keralouÿs, qui, sans cesser, reduire—29 B Tous b.

XXX

(Sur le combat des sept chevaliers français et des
sept chevaliers anglais.)
[19 mai 1402.]

Haultes dames, honnourez grandement

Et vous toutes damoiselles et femmes

Les sept vaillans qui ont fait tellement

4

Qu'a tousjours mais sera nom de leurs armes.

Nez quant les corps seront dessoubz les lames,

Remaindra loz de leur fait en memoire

En grant honneur au royaume de France;

Si qu'a tousjours, en mainte belle hystoire,

9

Sera retrait de leur haulte vaillance.

Et, comme on sieult faire ancienement

Aux bons vaillans chevalereux et fermes,

Couronnez lez de lorier liement,

13

Car c'est li drois de Vittoire et li termes.

Bien leur affiert le lorier et les palmes

De tout honneur, en signe de Vittoire,

Quant ont occis et mené a oultrance

L'orgueil anglois, dont, com chose notoire,

18

Sera retrait de leur haulte vaillance.

Et tant s'i sont porté tuit vaillamment

Que l'en doit bien leurs noms mettre en beaulx termes,

Au bon seigneur du Chastel grandement

22

Lui affiert loz, a Bataille non blasmes,

Bien fu aisié Barbasan en ses armes,

Champaigne aussi en doit avoir grant gloire

Et Archambault, Clignet de grant constance,

Keralouÿs, de ceulz, ce devons croire,

27

Sera retrait de leur haulte vaillance.

Princeces trés haultes, aiez memoire

Des bons vaillans qui, par longue souffrance,

Ont tant acquis qu'en maint lieux, chose est voire,

31

Sera retrait de leur haulte vaillance.

Note XXX:—2 A Et v. d. et t. f.—5 B leurs c.

XXXI

(Même sujet.)

Bien viegnez bons, bien viegniez renommez,

Bien viegniez vous chevaliers de grant pris,

Bien viegniez preux et de chascun clamez

4

Vaillans et fors et aux armes apris;

Estre appellez devez en tout pourpris

Chevalereux, trés vertueux et fermes,

Durs a travail pour grans cops ramener,

Fors et eslus, et pour voz belles armes

9

On vous doit bien de lorier couronner.

Vous, bon seigneur du Chastel, qui amez

Estes de ceulz qui ont tout bien empris;

Vous, Bataille, vaillant et affermez;

13

Et Barbasan, en qui n'a nul mespris;

Champaigne, aussi de grant vaillance espris;

Et Archambault; Clignet aux belles armes;

Keralouÿs; vous tous sept, pour donner

Exemple aux bons et grant joye a voz dames,

18

On vous doit bien de lorier couronner.

Or avez vous noz nuisans diffamez,

Louez soit Dieux qui de si grans perilz

Vous a gittez, tant vous a enamez

22

Que vous avez desconfiz, mors et pris

Les sept Anglois de grant orgueil surpris,

Dont loz avez et d'ommes et de femmes;

Et puis que Dieux a joye retourner

Victorieux vous fait ou corps les ames,

27

On vous doit bien de lorier couronner.

Jadis les bons on couronnoit de palmes

Et de lorier en signe de regner;

En hault honneur et, pour suivre ces termes,

31

On vous doit bien de lorier couronner.

Note XXXI:—3 B p. digne d'estre c.—4 B et des a. a.—24 B D. a. l.

XXXII

Quant je voy ces amoureux

Tant de si doulz semblans faire

L'un a l'autre, et savoureux

4

Et doulz regars entretraire,

Doulcement rire, et eulx traire

A part, et les tours qu'ilz font,

7

A pou que mon cuer ne font!

Car lors me souvient, pour eulx,

De cil, dont ne puis retraire

Mon cuer qui est desireux

11

Que ainsi le peusse attraire;

Mais le doulz et debonnaire

Est loings, dont en dueil parfont

14

A pou que mon cuer ne font!

Ainsi sera langoreux

Mon cuer en ce grief contraire,

Plein de pensers doloureux

18

Jusques par deça repaire

Cil qu'amours me fait tant plaire;

Mais du mal qui me confont

21

A pou que mon cuer ne font!

Princes, je ne me puis taire,

Quant je voy gent paire a paire

Qui de joye se reffont,

25

A pou que mon cuer ne font!

Note XXXII:—Manque dans B.

XXXIII

(Au Sénéchal de Hainaut. 1402.)

Seneschal vaillant et sage

De Hainault, plein de valour,

Chevalier ou vacellage

4

Et prouece fait demour,

Finerez vous jamais jour

Par mainte terre lontaine

7

D'entreprendre armes et peine?

Veult donc vo noble corage

Vo beau corps mettre a doulour

En peril de mort sauvage,

11

Pour tousdis porsuivre honnour?

Est vo vueil que sanz sejour

Ainsi vo vie se peine

14

D'entreprendre armes et peine?

Vous ne plaignez le domage

Dont il s'ensuivroit maint plour

Se Fortune et son oultrage

18

Vous jouoit de son faulx tour.

Dieux vous en gard, qui tousjour

A victoire vous amaine,

21

D'entreprendre armes et peine.

Mais je croy qu'en grant cremour

Mettez celle, qui s'amour

A du tout en vo demaine,

25

D'entreprendre armes et peine.

Note XXXIII:—19 B qui tout jour—22 M. croiez q.

XXXIV

Trés belle, je n'ose dire

La doulour et la pointure

Dont Amours mon cuer martire

4

Pour vostre gente figure;

Mais du grief mal que j'endure

Apercevoir

7

Vueillez le voir.

Car tant doubte l'escondire

Que la doulour que j'endure

Je n'ose dire n'escripre;

11

Mais, sanz en faire murmure,

De ma grief doulour obscure

Apercevoir

14

Vueillez le voir.

Et vous plaise estre le mire

De mon mal, car je vous jure

Que vostre, sans contredire,

18

Suis et seray, c'est droiture,

Et se vous aim d'amour pure

Apercevoir

21

Vueillez le voir.

Si ne soiez vers moy dure,

Ains de ma pesance sure

Apercevoir

25

Vueillez le voir.

Note XXXIV:—Cette ballade et toutes les suivantes manquent dans B22 à 26 omis dans A².

XXXV

Ha! le plus doulz qui jamais soit formé!

Le plus plaisant qu'oncques nulle acointast!

Le plus parfait pour estre bon clamé!

4

Le mieulz amé qu'oncques mais femme amast!

De mon vray cuer le savoreux repast!

Tout quanque j'aim, mon savoreux desir!

Mon seul amé, mon paradis en terre

Et de mes yeulz le trés parfait plaisir!

9

Vostre doulceur me meine dure guerre.

Vostre doulceur voirement entammé

A le mien cuer, qui jamais ne pensast

Estre en ce point, mais si l'a enflammé

13

Ardent desir qu'en vie ne durast

Se doulz penser ne le reconfortast;

Mais souvenir vient avec lui gésir,

Lors en pensant vous embrace et vous serre,

Mais quant ne puis le doulz baisier saisir

18

Vostre doulceur me meine dure guerre.

Mon doulz ami de tout mon cuer amé,

Il n'est penser qui de mon cuer gitast

Le doulz regard que voz yeulz enfermé

22

Ont dedens lui; riens n'est qui l'en ostast,

Ne le parler et le gracieux tast

Des doulces mains qui, sanz lait desplaisir,

Vueiilent partout encerchier et enquerre,

Mais quant ne puis de mes yeulz vous choisir

27

Vostre doulceur me meine dure guerre.

Trés bel et bon, qui mon cuer vient saisir,

Ne m'oubliez, ce vous vueil je requerre;

Car, quant veoir ne vous puis a loisir,

31

Vostre doulceur me meine dure guerre.

XXXVI

(A la reine Isabelle de Bavière.)

Redoubtée, excellent, trés sage et digne,

Noble, vaillant, de hault honneur porprise,

Renommée Roÿne trés benigne,

4

La souvraine des dames que l'en prise,

Je pri cil Dieu, qui sur tout a maistrise,

Qui a ce jour de l'an si bonne estraine

Il vous en voit qu'adès en vous esprise

8

Soit, sanz cesser, toute joye mondaine.

Ma redoubtée, ou tout le monde encline,

Pour ce que sçay que, comme bien aprise,

Livres amez, moy vostre serve indigne

12

Vous envoie cestui ou est comprise

Matière qu'ay en haulte place prise;

En gré l'aiez, trés noble et de sens pleine,

En qui tousjours, sanz ja estre desprise,

16

Soit, sanz cesser, toute joye mondaine.

Et s'il vous plaist, trés poissant, vraie et fine.

Que vostre grant haultece un petit lise

En mon dittié, et vo sens determine

20

De la cause qui est en termes mise.

Mieulx en vauldra en tout cas mon emprise,

Si en jugiez, princepce trés hautaine,

A qui Dieux doint grace qu'en toute guise

24

Soit, sanz cesser, toute joye mondaine.

Haulte, poissant et pleine de franchise,

Trés humblement a vo valeur certaine

Me recomand en qui trouvée et quise

28

Soit, sanz cesser, toute joye mondaine.

Note XXXVI:—4 souveraine—9 Ma trés souvraine—23 A q. d. D.

RONDEL

Mon chier seigneur, soiez de ma partie

Assaille m'ont a grant guerre desclose

Lez aliez du Romans de la Rose

4

Pour ce qu'a eulx je ne suis convertie.

Bataille m'ont si cruelle bastie

Que bien cuident m'avoir ja presqu'enclose,

7

Mon chier seigneur, soiez de ma partie.

Pour leur assaulz ne seray alentie

De mon propos, mais c'est commune chose

Que l'en cuert sus a qui droit deffendre ose;

Mais se je suis de sens pou avertie,

12

Mon chier seigneur, soiez de ma partie.

XXXVII

Jadis avoit en la cité d'Athenes

Fleur d'estude de clergie souvraine;

Mais, non obstant les sentences certaines

4

De leur grant sens, une erreur trop vilaine

Les decepvoit, car pluseurs divers dieux

Aouroient, dont aucuns pour leur mieulx

Y preschierent qu'ilz devoient savoir

Qu'il n'est qu'un Dieu, mais mal en prist a cieux;

9

On est souvent batu pour dire voir.

Aristote le trés sage, aux haultaines

Sciences prompt, d'ycelle cité, pleine

De tel erreur, fu fuitis; maintes peines

13

Il en souffri Socrates qui fontaine

De sens estoit; fu chaciez de cil lieux

Pluseurs autres occis des envieulx

Pour verité dire, et apercevoir

Peut bien chascun que partout soubz les cieulx

18

On est souvent batu pour dire voir.

Se ainsi va des sentences mondaines;

Pour ce le di que pluseurs ont ataine

Sur moy, pour tant que paroles trés vaines,

22

Deshonnestes et diffame incertaine,

Reprendre osay, en jeunes et en vieulx,

Et le Romant, plaisant aux curieux,

De la Rose, que l'en devroit ardoir!

Mais pour ce mot maint me sauldroit aux yeux

27

On est souvent batu pour dire voir.

Princes, certes, voir dire est anyeux

Aux mençongeurs qui veulent decevoir,

Pour ce au pere voit on mentir le fieulx:

31

On est souvent batu pour dire voir.

Note XXXVII:—8 que un—Vers 13 et 14, on pourrait ponctuer d'une autre façon: Mettre point et virgule après souffri, le supprimer après de sens estoit, et reporter le même signe à la fin du v. 14.—17 Ce puet c.—19 Et a.—22 Deshonneur—30 metir.

XXXVIII

(Sur la Cour du Duc Philippe de Bourgogne, 1403)

Gentillece qui les vaiilans cuers duit

De courtoisie fait sa messagiere

Qui ses rapors trés gracieux conduit

Et toute gent reçoit a lie chiere;

5

Si voit on bien resplendir sa lumiere

En une court de France solennée,

De prince hault tellement gouvernée

Que personne n'y a qui toute aduite

Ne soit d'honneur, dont, chose est certenée,

10

Selon seigneur voit on maignée duite.

Le trés hault duc filz de roy, qui est vuit

De tout orgueil et qui sagece a chiere,

Philippe bon des Bourguignons reduit

Et les Flamens touz a soubz sa baniere,

15

En est le chief, en qui prudence entiere

Maint, si qu'il n'a o lui personne née,

Qui en touz cas ne soit si ordonnée

Qu'on peut dire de sa trés plaisant suite,

Tant noblement est et bien dottrinée,

20

Selon seigneur voit on maignée duite.

Bel fait veoir celle court qui reluit

De nobles gens en fait et en maniere

Si beaulz, si gens, si courtois, que deduit

Est du veoir; et sanz maniere fiere,

25

Si gracieux que c'est joye plainiere;

Et aux armes nulz meilleurs de l'année

On ne verra en champ ne a journée,

Mais, s'ilz sont bons et hardis et sanz fuitte,

C'est bien raison par coustume affermée

30

Selon seigneur voit on maignée duite.

Prince excellent, se bien moriginée

Est vostre court par noblece conduitte,

Le proverbe dit, c'est chose infourmée:

34

Selon seigneur voit on maignée duite.

Note XXXVIII:—5 sa banniere—8 t. duite—9 de h.—27 n'en c.

XXXIX

Fleur des meilleurs, haulte honnourée dame

De tout mon cuer trés amée et cherie,

Bonne, saige, trés parfaitte et sans blasme,

4

Helas! vueillez que par vous soit garie

Ma dure paine,

Appercevoir vueillez que je me paine

De vous servir, ne je n'ay autre envie,

8

Car je vous ay retenue a ma vie.

Et de pieça me tient, car corps et ame,

Pensée, amour soubz vostre seigneurie

Trés mon enffance y mis ne depuis ame

12

Ne l'en osta, ne n'en sera garie,

Chose est certaine,

Ja ma douleur, fors par vous qui fontaine

Estes, dont puet ma joye estre assouvie,

16

Car je vous ay retenue a ma vie.

Belle plaisant que mon cuer tant reclame,

Par vo pitié vous plaise que ravie

Soit l'ardure du desir qui m'enflame.

20

N'est ce pas droit que me soit remerie

L'amour certaine

Dont je vous aim, trés doulce tresmontaine,

Puis que serés toujours de moy servie,

24

Car je vous ay retenue a ma vie.

Ma souveraine

Dame, amez moi, car je vous acertaine

De n'en partir ja se je ne devie,

28

Car je vous ay retenue a ma vie.

Note XXXIX:—14 Jamais nul jour f.—18 q. tarie.

XL

Ne doubtez point du contraire,

Car dit vous en ay le voir,

Belle, commant sans retraire

4

Vous aim et sans decevoir

Vueillez ley appercevoir,

Et m'amez, ostez m'arsure,

Car, sans reconfort avoir,

8

Je mourray se m'estes dure.

Voz beaux yeux viennent attraire

Sy mon cuer que desmouvoir

Ne l'en puis; d'autre part traire

12

Luy vient Amours qui ravoir

Le veult, et force et sçavoir

M'ostent, n'il n'y a mesure,

Dont par tel mal recepvoir

16

Je mourray se m'estes dure.

S'il vous plaise vers moy traire

Pitié qui face esmouvoir

Vo cuer, par quoy vous puist plaire

20

M'amer, car si mon devoir

Feray, sans m'en desmouvoir

De vous servir, je vous jure,

Mais bien vous faiz assavoir:

24

Je mourray se m'estes dure.

Ma dame, corps, ame, avoir

Est tout vostre, ayez en cure;

Puis que ne l'en puis ravoir,

28

Je mourray se m'estes dure.

Note XL:—22 le v. j.

XLI

Merveilles est et seroit fort a croire

Es estranges contrées qu'il peust estre,

Qu'en ce pays, qui de longue memoire

4

Est renommé en honnour sur tout estre,

Que verité, depuis le greigneur maistre

Jusqu'au petit, si a paine trouvée

Fust comme elle est, c'est bien chose senestre

8

Qu'en France soit si mençonge eslevée.

Mais de parler bel n'y voit on recroire

Les principaulx, et pour faire gens paistre

Grans promesses, dont l'atente n'est voire,

12

Ne leur coustent riens, mais qui s'en empestre

Se puet de vent comme pluvier repaistre;

Car long effait en yst, chose est prouvée,

Cest lait renom n'aquiert se noble en estre

16

Qu'en France soit si mençonge eslevée.

Et quant a moy, pour ce que si nottoire

Mençonge voy, il n'est chose terrestre

Qu'on me die, quiconques la m'avoire,

20

Ne promesce jurée de main destre,

Que, je croye se le voy ne voy n'estre;

Car pou y truys fors que fraude esprouvée,

Et c'est pitié, par le hault Dieu celestre,

24

Qu'en France soit si mençonge eslevée.

Ha! haulx princes, pour Dieu ne vous adresce

Vice si lait, c'est chose reprouvée;

Sy déboutés tout homme qui empetre

28

Qu'en France soit si mençonge eslevée.

Note XLI:—6 Jusques au p.—14 Par l. e. ou y.—15 C. l. r. qu'a sa n.—10 trés fort a c. d.—19 Que on.

XLII

(Sur la Mort du Duc de Bourgogne.) [27 avril 1404.]

Plourez, Françoys, tout d'un commun vouloir,

Grans et petis, plourez ceste grant perte;

Plourez, bon Roy, bien vous devez douloir,

Plourer devez vostre grevance apperte;

5

Plurez la mort de cil qui par desserte

Amer deviez et par droit de lignaige,

Vostre loyal noble oncle le trés saige

Des Bourgongnons prince et duc excellent;

Car je vous dy, qu'en mainte grant besongne,

Encor dirés trestuit a cuer dollent

11

Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.

Plourez, Berry, et plourez tuit sy hoir,

Car cause avez: mort la vous a ouverte;

Duc d'Orliens, moult vous en doit chaloir,

Car par son scens mainte faulte est couverte;

16

Duc des Bretons, plourez, car je suys certe

Qu'affaire arés de luy en vo jeune aage;

Plourez, Flamens, son noble seignourage;

Tout noble sanc, allez vous adoullant;

Plourez, ses gens, car joye vous eslongne,

Dont vous dirés souvent en vous doullant

22

Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.

Plourez, Roÿne, et ayez le cuer noir

Pour cil par qui feustes au trosne offerte;

Plourez, dames, sans en joye manoir;

France, plourez, d'un pillier es deserte,

27

Dont tu reçoys eschec a descouverte,

Gar toy du mat quant mort par son oultrage

Tel chevalier t'a toulu, c'est dommaige;

Plourez, puepple commun, sans estre lent,

Car moult perdez et chascun le tesmoingne,

Dont vous dirés souvent mate et relent:

33

«Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.»

Princes royaulx, priez par bon tallent

Pour le bon duc; car, sans moult grant parlongne,

En voz conssaulx de duc arés tallent,

37

Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.

Note XLII:—24 P. c. pour q.—34 p. pour b. t.

XLIII

Dames d'onneur, gardez voz renommées,

Pour Dieu mercis eschevez le contraire

De bon renom, que ne soyés blasmées;

4

Ne vueillez point acointances attraire

Telles, qu'on puist recorder ne retraire

Par voz maintiens qu'ayez legiers les cuers,

Ne qu'en nul cas vous daignissiez meffaire,

8

Et ne croyez flajolz de decepveurs.

Car pou vous vault cuidier bien estre amées

D'ommes pluseurs, de recepvoir salaire

De mauvais loz, par parolles semées

12

En divers lieux, qu'il eust en vostre affaire

Legiereté; sy vous est neccessaire

D'avoir recort toudis des deshonneurs,

La ou cheoir on puet par foulour faire,

16

Et ne croyez flajolz de decepveurs.

Or soyés dont de parfait scens armées

Contre ceulx, qui tant taschent a soubztraire

L'onneur de vous, et de qui diffamées

20

Estes souvent sans cause, et pour vous plaire

Font le courtoys; et je ne m'en puis taire,

Car j'en congnois et sçay de telz vanteurs

Qui vous flattent; vueillez vous ent retraire

24

Et ne croyez flajolz de decepveurs.

Chieres dames, ne vous vueille desplaire,

Se je vous lo a garder des flateurs

Qui ne taschent qu'a voz honneurs deffaire,

28

Et ne croyez flajolz de decepveurs.

Note XLIII:—5 que on—9 C. p. vauldroit c.—18 soultraire.

XLIV

Du mois de May je me tieng pour contente,

D'Amours aussi de qui me vient la joye,

Par ce que voy souvent com droite rente

4

Ung bel amy que j'ay qui me resjoye;

Ce tient mon cuer en leece ou que soye,

Car choisy l'ay de tous biens pour ma part.

C'est mon plaisir, n'aultre ne me resjoye,

8

Ne mon penser nulle heure ne s'en part.

O quel solas et quel joyeuse attente

Ce m'est quant suis en lieu seulette et coye

Ou je l'attens, combien qu'a l'eure sente

12

Moult grant frayeur de paour qu'on le voye!

Mais quant vers moy a achevé la voye

Lors de baisiers serrez donnons tel part

Que la doulceur oublier ne pourroye

16

Ne mon penser nulle heure ne s'en part.

Et se penser y ay, cuer et entente,

Merveilles n'est, c'est droiz qu'avoir lui doye,

Car le grant bien de lui m'i maine et tente

20

Et sa doulceur et ce que tout s'employe

A me servir, si sçay que s'amour moye

Est nuement n'ailleurs point n'en depart,

Pareillement il m'en est par tel voye

24

Ne mon penser nulle heure ne s'en part.

Mon doulx ami, qui es comble et monjoye

De tout honneur et bonté, il m'est tart

Qu'entre mes bras briefment je te festoye,

28

Ne mon penser nulle heure ne s'en part.

Note XLIV:—Omise dans A¹—12 que on.

XLV

Par ta valour et par ton maintien saige,

Par ta doulceur et trés plaisant maniere,

Et les grans biens et l'amoureux langaige

4

Qui en toy sont, tu as m'amour entiere

En tout, en tout acquise en tel maniere

Que sans cesser je ne pensse autre part.

Adès m'est vis que devant moy te voye,

Ne nulle heure le mien cuer ne s'en part.

9

Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye.

Sy as tant fait que mon cuer, qui sauvaige

D'amours estoit, et qui ne faisoit chiere

D'amer jamais, ore est ou doulx servage

13

Du dieu d'amours, si qu'estre ne puis fiere

N'a luy n'a toy, ains convient que plainiere-

Ment me soye donnée sans depart

A toy, amis, n'est rayson que je doye

Desobeïr au bien qu'il me depart.

18

Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye.

Et puis qu'Amours, par son hault seigneurage,

Veult que tous deux soions soubz sa baniere,

Or lui faisons de trés bon cuer hommage

22

Sans departir, amis, en tel maniere

Que soies mien, et plus ne seray fiere

A ton doulx vueil qui d'onneur ne se part.

Aimes moy bien, car tu as l'amour moye,

A toy me don, je te prens pour ma part.

27

Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye.

Fin cuer plaisant, or soions main et tart

Loyaulx amans, quant a moy je l'ottroye,

Plaisant desir le me conseille a part.

31

Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye.

Note XLV:—Omise dans A².

XLVI

Se je puis estre certaine

De ce dont je suis en doubte,

C'est que je n'aye pas plaine-

4

Ment t'amour et que ja route

Soit ta foy; amis, escoute:

Saiches que, par saint Nycaise,

7

Je m'en mettré a mon aise.

Ta maniere m'acertaine

Et monstre, se je voy goute,

Que d'amours foibleste et vaine

11

Tu m'aimes, dont je suis toute

Esbahie; mais s'acoute:

S'ainsi est, ne t'en desplaise,

14

Je m'en mettré a mon aise.

Car tousjours vivroye en paine

D'ainsi m'estre a toy trestoute

Donnée, et qu'a mon demaine

18

Ne t' eusse aussi, si redoubte

Le fillé ou je me boute,

Pour ce, tout soit ce a mesaise,

21

Je m'en mettré a mon aise.

J'ay ja plouré mainte goute

Pour toy pluseurs jours de route;

Mais, se ton cuer ne m'apaise,

25

Je m'en mettré a mon aise.

Note XLVI:—16 me e.—18 A¹ Ne te e.—22 Car j'ay p.

XLVII

Belle plaisant, sur toutes trés amée,

De tout mon cuer ma souvraine maistresce,

Appercevez que, plus que chose née,

4

Vous aims et crains et vous sers en humblesce,

Et pour ce, oster le mal qui tant me blesce

Vous plaise tost et ouÿr ma clamour,

7

Et me vueillez ottroyer vostre amour.

Et se par vous m'est tel joye donnée

Vous me mettrés en la voye et adresce

D'estre vaillant, et bien guerredonnée

11

Sera toute ma paine et ma destresce,

Or le faittes, ma souvraine princesce,

Sy n'y mettez plus dongier ne demour,

14

Et me vueillez ottroyer vostre amour.

Mon fin cuer doulx, ma dame redoubtée,

Retenez moy, car je vous fais promesce

Que vostre honneur sera par moy gardée

18

Entierement, et tousjours sans paresce

Vous serviray com ma doulce deesse;

Sy me prenez a mercy, doulce flour,

21

Et me vueillez ottroyer vostre amour.

Plaisant tresor, faittes moy tel largesce

De voz doulx biens que ma douleur en cesse,

Secourez tost le mal ou je demour,

25

Et me vueillez ottroyer vostre amour.

Note XLVII:—10 guerdonnée.

XLVIII

Amours, Amours, tu scés plus d'une voye

D'attrapper gens a ta mussée trappe;

Et qui fouÿr te cuide se forvoye,

4

Car il n'est riens que doulx regart n'atrappe:

C'est ton veneur, cuer n'est qui luy eschape.

Plaisant maintien, courtoysie et lengaige,

Sont tes levriers, compaignie est la sente

Ou tu chaces plus souvent qu'en boscaige;

9

Je le scay bien, il fault que je m'en sente.

Certes, tes tours mie n'appercevoye,

Ne comme tu scez soubz couverte chappe

Surprendre cuers; quant si bien me devoye

13

De toy garder a mon dit; mais l'aggrappe

Dont tu tires a toy si mon cuer happe

Que il convient que je te face hommaige,

Ou vueilie ou non, et qu'a toy me consente;

Car ton pouoir seigneurist fol et saige:

18

Je le sçay bien, il fault que je m'en sente.

J'apperçoy bien que je me decevoye

De te cuidier fouyr, car sy m'entrappe

Doulx Souvenir que mucié ne savoye;

22

Et, quant je cuit ganchir, je me reffrappe

Dedens tes las, et Plaisance me frappe

De l'autre part; tu te tiens ou passage

Pour traire a moy; Biauté y est presente.

Rendre me fault, ou soit scens ou follage;

27

Je le sçay bien, il fault que je m'en sente.

Ha! dieux d'amours, puis qu'en ton doulx servage

Prendre me veulx, faiz que ne m'en repente,

Car eschapper ne puis ton seigneuraige;

31

Je le sçay bien, il fault que je m'en sente.

Note XLVIII:—11 Ne comment—25 De t.—28 p. qu'a t.

XLIX

Trop hardement et grant presumpcion

Aucuns instruit a oser diffamer

Les plus souvrains, faignant entencion

Juste et loyal, disant qu'on puet blasmer

5

Tout viccieux, maudire et non amer;

Mais l'inutille

Parolle qui puet mettre en une ville

Noise et contens, traÿson et deffait,

Destruccion en contrée fertille;

10

Je dis que c'est pechié a qui le fait.

Pour ceulx le di, qui, par destraccion,

Osent blasmer princes, pour enflamer

Puepple contre eulx par grief commossion,

Et les osent, ours, lyons, loups nommer,

15

Et fiers tirans les fleurs qu'on sieult clamer

Lis trés nobille,

Pilliers de foy, sousteneurs d'euvangille;

Pour les flatter ne le dis; mais deffait

Dont puet venir esclande a plus de mille;

20

Je dis que c'est pechié a qui le fait.

Sy ne faites, bons François, mencion,

Que vous ayés tirans fiers plains d'amer;

Laissiez parler a autre nacion;

Car ne sçavés qu'est tirant, et semer

25

Souffrez a tort telz diz, ne mesamer

Voz souvrains qui le

Sueffrent de leur doulceur, c'est chose ville

De soustenir contre eulx si grant tort fait,

Et de ditter balades de tel stille,

30

Je dis que c'est pechié a qui le fait.

Princes poissans, criminelle ou civille

Vengeance pour telz diz en voz cuers n'ait;

Car qui glaive contre son puepple afille,

34

Je dis que c'est pechié a qui le fait.

Note XLIX:—4 que on— q. doit b.—8 premier et manque dans A²—9 Rebellion—12 Vont diffamant p.—18 m. meffait—26 A souverains.

L

Gentil homme, qui veult prouesce acquerre,

Escoute cy; entens qu'il te fault faire:

Armes suivir t'estuet en mainte terre;

4

Estre loyal contre ton adversaire; 4

De bataille ne fouïr, non sus traire;

Et doubter Dieu; parolle avoir tardive;

En fait d'assault trouver voye soultive;

8

Ne soit ton cuer de lascheté repris; 8

Des tours d'armes duis dois estre et apris;

Amer ton prince; et a ton chevetaine

Estre loyal; avoir ferme couraige;

Croire conseil; promesse avoir certaine;

13

S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. 13

Te gouverner par grant avis en guerre;

A voyagier souvent te doit moult plaire;

Princes et cours estranges tu dois querre,

17

Tout enquerir leur estat et affaire; 17

Des bons parler et a toy les attraire;

Contre raison ta parolle n'estrive;

Ne mesdire de personne qui vive;

21

Porter honneur aux vaillans ou a pris; 21

Henter les bons; n'avoir povre en despris;

Pour acquerir honneur ne plaindre paine;

Trop convoiteux n'estre, mès du tien large;

Et ta parolle soit vraye et non vaine;

26

S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. 26

Sans bon conseil de faire armes requerre

Ne dois autruy, et s'il n'est neccessaire

Pour ton honneur, ta bouche et tes dens serre,

30

Qu'il n'en ysse chose qui face a taire; 30

L'autruy bienfait dois voulentiers retraire;

Taire le tien; ne t'entendre en oysive;

Estre attrempé; n'avoir teste hastive;

34

Fouÿr tout vice et avoir en mespris; 34

Tost achever ce que tu as empris;

N'avoir orgueil ne parolle hautaine;

Ta contenance seure et non sauvaige.

Par bel maintien en tous lieux te demaine;

39

S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige. 39

Prince gentil, ceste voye est certaine

Pour acquerir de hault honneur la targe;

Homme noble, suis la, je t'acertaine:

43

S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige.

Note L:—10 et manque dans A¹—25 pas est ajouté en interligne après non.

LI

Trop sont divers et merveilleux les tours

De l'inconstant, double et faulsse Fortune;

Car ses maulx sont moult loncs, et ses biens cours;

4

Nous le voyons, et c'est chose commune,

Dont je ne voy pourveance fors qu'une

Contre elle; c'est que l'omme soit si saige

Qu'il n'ait des biens d'elle leece aucune,

8

Et ait ou mal fort et poissant couraige.

Veoir pouons que tout vient a rebours

Souvent aux bons par sa fellasse enfrune,

Et aux mauvais, sans desserte ou labours,

12

Rent bon guerdon, mais de deux voyes l'une:

Ou reconfort ou lenguir en rencune;

Prendre conseil convient si qu'homs se targe

De bon espoir, quoy qu'elle luy soit brune,

16

Et ait ou mal fort et poissant couraige.

Car puis que ses joyes ne font qu'un cours

Par le monde general en commune

Que nous veons plus souvent en decours

20

Sus les greigneurs meismes que n'est la lune,

Homme ne doit les prisier une prune,

Mais, s'ilz viennent, pensser qu'en petit d'aage

Perdre on les puet, seurté n'y ait aucune,

24

Et ait ou mal fort et poissant couraige.

Princes, soyés certains qu'oncques ne fu ne

Ja ne sera Fortune fors voulaige;

En soit chascun avisié et chascune,

28

Et ait ou mal fort et poissant couraige.

Note LI:—3 A et se b. c.—7 es b.—10 fallace—14 P. c. si c. q.—15 que elle—22 pense.

LII

Qui est celluy qui ne sent la pointure

Aucunement d'amours, qui point ne blesce,

Ou mois de May jolis, plain de verdure?

4

Sy ne croy pas, Prince de grant noblesce, 4

Hault et poissant, que vraye amour ne drece

Voz nobles faiz en toute bonne voye;

Et pour ce a vous ma balade s'adresce,

8

Ce jour de May gracieux plain de joye. 8

Car je vous voy plus qu'autre créature

Reampli de biens et haulte gentillesce;

Pour ce je tiens que vous en tout temps dure

12

Douls souvenir, qui departir ne laisse 12

Loyal amour de vous, et que maistresce

Avez plaisant et belle, en qui s'employe

Vo noble cuer, qu'elle tient sans tristesce,

16

Ce jour de May gracieux plain de joye. 16

Si affiert bien que mettés temps et cure

D'amours servir, qui de sa grant richesce

Guerredonner vous puet de nourriture

20

Doulce, plaisant, et qui fait en prouesce 20

Les bons monter, et que vo cuer s'eslesse

En ce doulx temps, qui aux amans envoye

Plaisant pensser et cuer tient en leesse

24

Ce jour de May gracieux plain de joye. 24

Prince amoureux, doulx, humain, sans hautece

De nul orgueil, par moy Amours vous proye

Que gay soyés pour vo doulce deesse,

28

Ce jour de May gracieux plain de joye. 28

Note LII:—15 que elle.

LIII

Je ne croy pas que ma malle fortune

Puisse souffrir qu'aucun bien me secuere;

Car de long temps, par rigle trop commune,

4

M'a couru sus, et quanque je labeure

N'est fors en vain; car tout despiece en l'eure

La desloyal qui tout mal me pourchace;

7

Quant bien me doit venir, meseur l'en chace.

N'il ne me vient a nulle heure pas une

Riens a droit point, pour chose que je queure,

La ou secours cuid trouver, mais nesune

11

Voye n'y a: il fault que je demeure

A tousjours mais ainsi, par quoy je pleure

Souvent, veant que, par diverse chace,

14

Quant bien me doit venir, meseur l'en chace.

Et puis qu'ainsi tel fortune respune

A tout boneur pour moy et tout deveure

Mes reconfors, avoir ne doy aucune

18

Esperance de jamais veoir l'eure

D'avoir reppos du mal qui m'acuere;

Car je congnois qu'a tout quanque rechace,

21

Quant bien me doit venir, meseur l'en chace.

Princes, ainsi a cuer plus noir que meure

Me fault lenguir; car tout vent me dechace;

Est ce bien droit meschief qui me cuert seure,

25

Quant bien me doit venir, meseur l'en chace?








ENCORE AULTRES BALADES

Note: Les cinq ballades et les quatre rondeaux qui suivent ne se trouvent que dans le ms. Harley 4431 du Musée Britannique folios 49 v° à 53.

I

Mon doulx amy du quel je tien

Le loyal cuer, et pour le tien

Le mien en eschange te donne.

Je te pry, ne te doubte en rien,

5

Car je te jur et promet bien

Que se ne truys aultre que bonne

Ta voulenté vers ma personne,

En ce qui peut honneur toucher,

Se ne passez de droit la bonne,

10

Je t'ameray et tiendray chier.

Et s'il te plaist qu'en ce lïen

Soit ton trés doulx cuer et le mien,

Et que ton vueil au mien s'ordonne,

Si qu'en nostre fait n'ait que bien,

15

Saches de vray et le retien,

Sanz qu'aultre foiz plus t'en sermonne,

Que l'amour qui en moy s'entonne,

Dont ta doulceur me vient preschier,

Durera, puis que m'y adonne.

20

Je t'ameray et tendray chier.

Par si que toudis ton maintien

Soit tel qu'ainsi que je le tien,

Non obstant qu'acueil t'abandonne,

M'onneur garderas par moyen

25

De loyauté se tu es sien;

Tout le surplus je te pardonne,

Car, quoy que desir t'araisonne

Par force d'amour me touchier,

Mais que trop ne te desordonne,

30

Je t'ameray et tendray chier.

Pour ce, amis, gaignes la couronne

Sur tous amans, ne t'approchier

D'aultre vueil; sanz t'estre felonne

35

Je t'ameray et tendray chier.

Note I:—16, 22 et 23 que a—28 te t. Corr. me.

II

Ton alée me met en tel tristece,

Mon doulx ami, que ne puis avoir joye.

Dieux! joye helas! et dont vendroit l'adrece,

4

Dont tant fust pou, se je ne te veoye,

M'en peust venir? Il n'y a tour ne voye;

Car esleu t'ay pour ma part de tous biens,

Tu es le tout et non mie partie;

Pour ce, de toy, que j'aim sur toute riens,

9

Certes trop m'est dure la departie.

La departie, lasse! c'est destresse

Trop dure a cuer que grant amour mestroye!

Quant est de moy bien scay que sanz leece

13

Demoureray, et, quel part que je soye,

N'aray plaisir ne chose qui m'esjoye.

Or je ne sçay quelz maulz seront les tiens

Ne quieulx regraiz aras de ta partie,

Mais quant a moy pour engriger les miens

18

Certes trop m'est dure la departie. 18

Et non pour tant le mal que si me blesse

Sera plus court, s'il te plaist toutevoye

Que ton retour soit brief, mais c'est simplece

22

Du dire a moy, je croy, ne que je doye

Penser qu'a toy en soit au fort se voye

Sauf ton honneur y a; tost t'en reviens,

Car te promet pour vray, sanz foy mentie,

Quoy qu'en faces, saches et le retiens,

27

Certes trop m'est dure la departie.

Amours me tient pour toy en ses lyens,

Mon doulx amy, ou soit sens ou sotie,

Que de tes yeulx et tes plaisans maintiens

31

Certes trop m'est dure la departie.

Note II:—23 que a.

III

A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault,

Combien qu'assez seuffre de dueil et peine

Pour ton depart qui me conduit et meine

4

De joye en dueil, ce m'est douleureux sault.

Puis qu'il convient qu'ainsi soit, riens n'y vault

M'en doulourer, Dieu pry qu'il te ramaine,

7

A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault.

Mais je sçay bien qu'en aray dur assault

D'Amours qui trop a son vueil me demaine,

Et qu'assez plus d'une foiz la sepmaine

Je pleureray, je ne sçay s'il t'en chault,

12

A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault.

IV

Helas! par temps seront passez six moys

Que je ne vy la riens que j'aime mieulx

Qui sur tous est bel et bon a mon choix,

Sage et courtois, mais loings est de mes yeulx

5

Dont me venoit

Joye et plaisir, c'est bien droit qu'il m'ennoit,

Car tout le bien qui est en souffisance

J'en avoie, ce puis je tesmoigner,

Et qui n'aroit regrait a tel plaisance

10

Et a si trés doulce amour eslongner?

Car avec ce qu'a trés bon le congnoiz,

Tant de plaisirs me faisoit en tous lieux

De son pouoir, que pas seule une foiz

Je n'y trouvay faulte, et, ce m'aist Dieux,

15

Tant s'en penoit

Que d'aultre riens, croy, ne lui souvenoit.

Il me servoit tout a mon ordonnance,

De riens qu'il peust ne me faloit songner.

Et qui n'aroit regrait a tel plaisance

20

Et a si trés doulce amour eslongner?

Dont a bon droit se j'en ay dueil et poiz

Et se le lonc demour m'est ennuyeux,

Car seulement d'oÿr sa doulce voix

Et me mirer en ses ris et gieux

25

Tant me donnoit

De leece, que mon cuer y prenoit

Deduit et paix, confort et soutenance,

Car le veoye mien sans espargner;

Et qui n'aroit regrait a tel plaisance

30

Et a si trés doulce amour eslongner?

Princes, jugiez s'a tort la souvenance

D'un tel ami me fait en plours baigner,

Et qui n'aroit regrait a tel plaisance

34

Et a si trés doulce amour eslongner?

Note IV:—24 Sic dans A², Corr. et ses gieux.

V

Quant chacun s'en revient de l'ost

Pour quoy demeures tu derriere?

Et si scez que m'amour entiere

4

T'ay baillée en garde et depost.

Si deusses retourner plus tost,

A fin que faisiens bonne chiere,

7

Quant chacun s'en revient de l'ost.

Puis qu' honneur point ne le te tolt

Qui te puet tenir si arriere?

Je m'en plaindray de la maniere

Au dieu d'amours, c'est mon prevost,

12

Quant chacun s'en revient de l'ost.

VI

Tu soies le trés bien venu,

M'amour, or m'embrace et me baise

Et comment t'es tu maintenu

4

Puis ton départ? Sain et bien aise

As tu esté tousjours? Ça vien,

Coste moy, te sié et me conte

Comment t'a esté, mal ou bien,

8

Car de ce vueil savoir le compte.

—Ma dame, a qui je suis tenu

Plus que aultre, a nul n'en desplaise,

Sachés que desir m'a tenu

12

Si court qu'onques n'oz tel mesaise,

Ne plaisir ne prenoie en rien

Loings de vous. Amours, qui cuers dompte,

Me disoit: «Loyauté me tien,

16

Car de ce vueil savoir le compte».

—Dont m'as tu ton serment tenu,

Bon gré t'en sçay, par saint Nicaise;

Et puis que sain es revenu

20

Joye arons assez; or t'apaise

Et me dis se scez de combien

Le mal qu'en as eu a plus monte

Que cil qu' a souffert le cuer mien,

24

Car de ce vueil savoir le compte.

—Plus mal que vous, si com retien,

Ay eu, mais dites sanz mesconte

Quans baisiers en aray je bien?

28

Car de ce vueil savoir le compte.

Note VI:—23 que a.

VII

Qui vous en a tant appris,

Noble duc des Bourbonnoiz,

Des gracieux esbanoiz

4

Qui sont en dicter compris?

S'a fait Amours qui empris

L'a, pour oster voz ennoiz?

7

Qui vous en a tant appris?

Car si bien vous estes pris

A dicter, se m'y congnoiz,

Que je dy et recongnoiz

Que vous en portez le pris;

12

Qui vous en a tant appris?

VIII

Le plus bel des fleurs de liz

Et cellui que mieulx on prise

A mon gré en toute guise

4

Est cil que sur tous j'esliz.

Car il est jeune et joliz,

Doulx, courtoiz, de haulte prise,

7

Le plus bel des fleurs de liz.

Et pour ce je m'embeliz

En s'amour, dont suis esprise;

Si ne doy estre reprise

Se ay choisy, pour tous deliz,

12

Le plus bel des fleurs de liz.

IX

Tout bon, tout bel, tout assouvi en grace,

Lequel bon loz tesmoigne tout parfaiz,

Duc de Bourbon, jeune, sage et qui passe,

Selon l'age, mains vaillans en tous fais,

5

Vous soiez le trés bien venu

Du hault voyage, ou estes avenu

A ce a quoy desir d'onneur vous chace.

La merci Dieu, si en doit souvenir

A tout homme qui vaillance pourchace.

10

De bien en mieulx vous puist il avenir!

Mais de voz fais louez en toute place

S'ilz sont vaillans et qu'en pouez vous mais?

Ce fait Amours, de qui vient toute grace,

Qui vous y duit et repaist de ses maits;

15

Pour ce ne pourriés estre nu

Des bons desirs et faiz qu'ont maintenu

Ceulx qui suivent des trés meilleurs la trace,

Qu'il prent et duit par plaisant souvenir;

De ce vous vient tout boneur a grant mace.

20

De bien en mieulx vous puist il avenir?

Dont ne croy pas que celle qui enlace

Vo gentil cuer en s'amour, quant le faiz

Du hault labour, qui nul temps ne vous lasse,

Ot raconter, que se souffrist jamais

25

De vous amer, quoy que tenu

Vous soyez loings, maiz souvent et menu

D'or en avant verrez sa doulce face,

Pour au plaisir honorable avenir

Que dame peut donner sanz que mefface.

30

De bien en mieulx vous puist il avenir!

Prince gentil, en qui bonté s'amasse,

En armes Dieux vous vueille maintenir

Aussi d'amours qui jamais ne defface.

34

De bien en mieulx vous puist il avenir!

Note IX:—Entre le rondeau précédent et la ballade IX il y a dans le ms. Harley deux folios blancs qui portent les numéros 51 et 52.—16 que o.







COMPLAINTES AMOUREUSES

I

Doulce dame, vueillez oïr la plainte

De ma clamour; car pensée destraintte

Par trop amer me muet a la complainte

4

De mon grief plour

Vous regehir, si ne croiez que faintte

Soit en nul cas; car friçon, dont j'ay mainte

Et maint grief dueil me rendent couleur tainte

8

Et en palour.

Chiere dame, dont me vient la dolour,

Par qui Amours trembler, en grant chalour,

Me fait souvent, dont j'ay vie et coulour

12

Par fois estaintte.

Mon piteux plaint ne tenez a folour,

Pour ce qu'en vous il a tant de valour;

Car je sçay bien, du dire n'ay couleur,

16

Mais c'est contrainte.

Dame sanz per, et sanz vous decevoir

Il m'est besoing de vous faire assavoir

De mon tourment amoureux tout le voir;

20

Car amours fine

Sy m'y contraint pour faire mon devoir.

Hé! dame, en qui il a plus de savoir

Qu'il ne pourroit en autre dame avoir,

24

La droitte mine,

Ou tout bien croist, se comble et se termine.

Helas! le mal qui occist et affine

Mon dolent cuer et ma vie decline,

28

Apercevoir

Vueilliez un pou, ou dedens brief termine

M'estuet morir; se par vous medecine

Je n'ay, par quoy mon malage deffine,

32

Je mourray voir.

Et mors fusse certes pieça de dueil;

Mais garison vo trés doulz riant oeil,

Par leur plaisant et gracieux accueil

36

Si doulcement

Me promettent, quant, en plaisant recueil,

Leur amoureux et trés doulz regart cueil,

Dont torner font souvent en aultre fueil

40

Mon marrement;

De nulle part n'ay confort autrement.

Dame, or vueilliez, s'il vous plaist, liement

Et bouche et cuer accorder plainement

44

A leur doulz vueil,

Et se d'accort ils sont entierement,

Vous m'arez mis et trait hors de tourment,

Et de vivre a tousjours joyeusement

48

Dessus le sueil.

Mais de mon mal je ne m'ose a nul plaindre;

Car mieulz morir je vouldroie ou estaindre

Que regehir, tant me sceust on contraindre,

52

La maladie

Que j'ay pour vous, ne comment j'aim sanz faindre,

Fors seulement a vous que je doy craindre,

Car mesdisans doy doubter et recraindre

56

Et leur boisdie;

Mais, fors a vous, n'avendra que le die;

Quant autrement sera, Dieu me maudie!

Mais, belle, a vous n'est droit que je desdie

60

Par moy reffraindre

Ce qu'Amours veult que souvent vous redie

Trés humblement a chiere acouardie,

Pour moy garir du mal dont je mendie,

64

Viegne a vous plaindre.

Helas! ma trés aourée deesse,

Et ma haulte souveraine princesse,

Ma seule amour, ma dame, ma leece,

68

Qui reclamer

Me fault souvent en ma poignant destrece,

Ne prenez pas garde a la grant haultece

De vous envers ma foible petitece,

72

Mais a l'amer

Que j'ay pour vous, qui me fait las clamer,

Et tant de plours et de larmes semer,

Et comment je vous vueil toudis amer

76

Comme maistrece,

Servir, doubter, obeïr et fermer

En vostre amour, et toudis confermer

A vo bon vueil, sanz ja m'en deffermer,

80

Pour nulle asprece.

Mais j'ay doubte qu'en vain tant me travail;

Car je sçay bien, dame, que trop pou vail

Pour si hault bien, et croy bien se g'y fail

84

Ce yert par despris,

Mais s'il vous plaist a daignier prendre en bail

Mon povre cuer que vous livre et vous bail,

Je sçay de vray que se je ne deffail

88

Ou mort ou pris,

Que je pourray par vous monter en pris,

En qui tous biens sont parfais et compris,

Et en qui puet a toute heure estre pris,

92

A droit detail,

Los et honneur; en quoy seray apris

Par vous, si bien que ne seray repris

D'avoir failli, se je puis, ne mespris,

96

Se si hault fail.

Ha! hay dolens! mais trop me desconforte

Esperance, qui en mon cuer est morte,

Soventes fois, dont trop grief doulour porte

100

Et trop grant rage,

Quant je repense a la trés haulte sorte

Dont vous estes, par quoy doubt que la porte

D'umble pitié pour mon bien sera torte

104

Chose et ombrage;

Mais Amours vient après qui m'assoage

Et me redit par si trés doulz langage

Que jadis ot Pymalion de l'ymage

108

De pierre forte

Vray reconfort de l'amoureux malage,

Par lui servir de trés loial corage,

Et vraye amour, ouquel trés doulz servage

112

Tout bien enorte.

Helas! dame, puisque Pymalion,

Aussi Pirra et Deücalion,

Ains que fondé fust le noble Ylion,

116

Amolierent

Pierres dures, n'ayez cuer de lyon

Et sanz pitié vers moy; ains alion

Noz deux vrays cuers et ne les deslion

120

De leurs jointures

Jamais nul jour pour nulles aventures;

En loiaument amer soient noz cures,

Et noz amours savoureuses et pures

124

Apalion,

Si bien que les desloiales pointures

De mesdisans, et leurs fausses murmures,

Ne nous soient ne nuisables ne sures,

128

Si nous celion.

Et vous vueille, ma dame, souvenir

Que de ce fait ainsi ne puist venir

Com retraire j'oÿ et maintenir

132

Que il avint

D'un vray amant qu'Amours si voult tenir

En ses durs las et tant lui maintenir,

Que hors du sens lui convint devenir,

136

Et a tant vint

A la parfin que morir lui convint

Par trop amer, mais pour riens qu'il avint

A sa dame nulle pitié n'en vint,

140

Ne retenir

Ne le daigna n'en vie soustenir,

Ainçois le voult la crueuse banir

D'environ soy pour lui du tout honnir,

144

Dont mort soustint.

Mais le dolent amant trés douloreux,

Gitant sangloux et plains mausavoureux,

Quant vint a mort par piteux moz aireux,

148

D'entente pure

Moult supplia aux dieux a yeulz plureux,

Que de celle qui le tint langoureux,

Par qui moroit dolent maleüreux,

152

De mort trop sure

Encor vengiez peust estre de l'injure

Qu'elle lui fait, et sentir tel pointure

Lui donnassent que fust com pierre dure,

156

Mal doulcereux,

Son corps cruel toudis comme estature,

Dont les dames en ycelle aventure

Se mirassent, qui n'ont pitié ne cure

160

Des amoureux.

Adonc fina le las a tel hachée;

Mais n'ot en vain sa priere affichée;

Car bien ont puis les dieux sa mort vengée,

164

Et quant en terre

On le portoit, la felonne approchée

De la biere s'est, lors fut accrochée,

Car tel pitié s'est en son cuer fichée

168

Et si la serre,

Que, tout ainsi com fouldre chiet grant erre,

Celle enroidi et devint une pierre

De marbre blanc; encor la puet on querre

172

La accrochée.

Ainsi les dieux qui aux amans fait guerre

Vengence en font; pour ce vous vueil requerre

Dame, pour Dieu, qu'en ce vostre cuer n'erre,

176

Dont mal en chée!

Ne me devez doncques bouter arriere

Combien qu'a moy si haulte honneur n'affiere,

Quant en penser n'ay en nulle maniere

180

Chose villaine,

Ne ne croiez, dame, que vous requiere

Ne que jamais en ma vie je quiere

Chose nulle dont vostre honneur acquiere,

184

Soiez certaine,

Blasme en nul cas ne nulle riens mondaine

Ou vostre honneur ne soit entiere et saine,

Ma doulce amour, ma dame souveraine,

188

Et la lumiere

De mon salut qui me conduit et meine

A joyeux port, trés noble tresmontaine,

Ne vueilliez pas vers moy estre hautaine

192

N'a ma priere.

Et s'il vous plaist, trés belle, a ottroier

Moy vostre amour, sanz la me desvoier

Et que j'aye si trés noble loier

196

Par vous servir,

Je vous promet a du tout emploier

Et cuer et corps, et moy tout avoier

A vous servir sanz jamais anoyer,

200

Pour desservir

Si hault honneur: je m'y vueil asservir,

Et loiaulté vous promettre et pleuvir;

Et quant ainsi m'y vueil du tout chevir,

204

M'en envoier

Honteux et maz par escondit ouïr

Ne me vueilliez, pour ma vie ravir,

Et pour mes jours faire tost assovir,

208

N'en plours baignier.

Or y pensés, pour Dieu, trés belle née,

Dame d'onnour en ce monde ordonnée,

Pour ma plaisant joyeuse destinée,

212

De qui je port

Emprainte ou cuer, toute heure de l'année,

La trés plaisant face escripte et signée,

Et vo beauté parfaicte et affinée,

216

Et le doulz port

De vo gent corps, lequel est le droit port,

Ou joye maint et plein de doulz aport,

En qui je prens mon savoureux deport;

220

Et deffinée

Soit ma dolour du tout et tel raport

Vo trés doulz oeil, a qui je me raport,

Me facent tost que tout mon mal enport

224

En brief journée.

Trés doulce flour, de qui fault que j'atende

Le doulz vouloir, a vous me recommande

Trés humblement et vo cuer pri qu'entende

228

M'umble requeste,

Et a garir mon mal amoureux tende

Humble pitié, qui envers moy s'estende,

Si que soulas qu'ay tout perdu me rende

232

Et joye et feste.

Adonc sera souvie ma requeste,

Et m'esperance amoureuse et honneste.

Si pry a Dieu qu'a ce vous face preste,

236

Et vous deffende

De tout anuy, et vous doint sanz arreste

Tous voz desirs et longue vie preste

A vo beau corps, et puis a l'ame apreste

240

Legiere amende.

EXPLICIT COMPLAINTE AMOUREUSE.

Note I:—5 B et ne c.—13 ne teniez—50 B et e.—53 B et c.—55 B Car m. je d. trop fort r.—61 B que vous die et r.—62 B T. h. non pas a l'estourdie—63 B P. m. q. a chiere pou hardie—64 B Vieng je—67 B Ma vraye a.—71 n'a ma trés f. p.—78 B et du tout c.—95 Omis dans A—91 B a t. honneur est p.—95 A mon pouoir n'en nulle faulte pris—101 A Q. je pense—117 B neis c. de l.—126 Des m.—157 ainsi (en interligne) c. e.—166 B Lors s'est du corps, adonc f. a.—167 B fu en s. c.—169 a. que f.—178 si h. amour—181 Et ne—191 B p. e. v. m. h.—193 a effacé dans A¹ ma t. b. o.—194 A m.—199 A v. amer—203 B a. me v.—227 a vo c.—231 Et q.


II28

Note 28: Cette complainte ne se trouve que dans le ms. Harley 4431 du Musée Britannique, fol. 48b

Ci commence une complainte amoureuse.

Vueillez oÿr en pitié ma complainte,

Belle plaisant pour qui j'ay douleur mainte

Et que j'aour plus que ne saint ne sainte,

4

Chose est certaine;

Et ne cuidez que ce soit chose fainte,

Trés doulce flour dont je porte l'emprainte

Dedens mon cuer pourtraicte, escripte et painte.

8

Car la grant peine

Du mal d'amours qui pour vous me demaine

Me grieve tant, de ce vous acertaine,

Que plus vivre ne puis jour ne sepmaine,

12

Dont par contrainte

Dire me fault a vous, ma souveraine,

Le trés grant faiz dont ma pensée est plaine,

Bonne, belle, tout le vous dis je a peine

16

Et en grant crainte. 16

Et se je crains, doulce dame, a le dire

Merveilles n'est, car qui vouldroit eslire

En tout le mond sans trouver a redire

20

Une parfaicte

Haulte dame pour estre d'un empire

Couronnée, si devroit il souffrir

De vous, souvraine, ou tout honneur se tire;

24

Maiz, trés doulcette

Jouvencelle, que mon cuer tant regraitte,

S'amours contraint mon cuer qu'en vous se mette

Pour vous servir sanz que ja s'en desmette,

28

N'en ayés yre,

Pour tant se ne vous vail, flour nouvelette,

Rose de may, belle, sade et simplette,

A qui serf suis, lige, obligié de debte

32

Ou je me mire.

Mais s'il avient que vo valour s'orgueille

Contre mon bien, pour ce que pas pareille

N'estes a moy et que ne m'appareille

36

A vo haultece,

Je suis perdus se fierté vous conseille

Que m'occiez, dangier qui tousjours veille

Me courra sus, si seroit bien merveille

40

Qu'en tel asprece

Vesquisse, helas! ma dame et ma maistresse,

Mon seul desir, mon espoir, ma deesse;

Pour Dieu mercy que ne muire a destresce,

44

Dame, ainçois vueille

Vostre doulceur tost me mettre en adresse

De reconfort quant voyez que ne cesse

De vous servir de fait et de promesse

48

Quoy que m'en deuille.

Hé! trés plaisant et amoureux viaire,

Doulx corselet, de beauté l'exemplaire,

Que vraye amour me fait amer et plaire

52

Sur toute chose,

Le mal que j'ay je ne vous puis plus taire,

Car vo secours m'est si trés neccessaire

Que, se ne l'ay, a la mort me fault traire,

56

Ne ne repose,

Si en ayez pitié, fresche com rose,

Voyez comment tout de plour je m'arrose,

Et toute foiz a peine dire l'ose

60

Ne vers vous traire,

Tant vous redoubt; pour ce ay tenue close

Ma pensée, mais or vous est desclose;

Car grant amour m'a fait a la parclose

64

Le vous retraire.

Helas! belle, trop seroie deceu

Se le maintien que j'ay en vous veü

Tant doulx, tant quoy, si humble et qui m'a meu

68

A vous amer,

Avoit en soy, sanz qu'il fust apperceu,

Fierté, dangier; certes ne seroit deu

Que si trés doulx ymage fust peü

72

De fiel amer,

Et m'est advis qu'on vous devroit blasmer

Se cruaulté qu'on doit tant diffamer

Estoit en vous qu'on doit doulce clamer,

76

Car a mon sceu

Nulle meilleur de vous n'oy renommer.

Ha! trés plaisant, ou je me vueil fermer,

Vostre doulx cuer a moy amy clamer

80

Soit esmeü.

Et m'est advis, belle, se je pouoye

Vous demonstrer comment, ou que je soye,

Entierement suis vostre et qu'il n'est joye

84

Qui d'aultre part

Me peust venir, certes je ne pourroye

Croire qu'en vous, doulce simplete et quoye,

N'est tant de bien, et c'est la ou m'apoye

88

Et main et tart;

Et de pitié que vo trés doulx regart,

Qui de mon cuer a nulle heure ne part

Ne dont n'ay bien fors quant je sent l'espart

92

Par quelque voye,

Ne confortast le mal dont j'ay grant part;

Mais je ne puis en secret n'en appart

Parler a vous, dont mon cueur de dueil part

96

Et en plours noye.

Et doncques las! dont vendroit reconfort

A mon las cuer qui meurt par amer fort,

Quant ne savez, m'amour, le desconfort

100

Ou pour vous suis

Ne comment vous aim de tout mon effort?

Si couvendra que je soie a dur port,

Se vraye amour a qui m'attens au fort

104

Tost n'euvre l'uys

D'umble pitié ou a secours je fuys;

Si vous dye comment durer ne puis

Pour vostre amour ou tout je me suis duys,

108

Soit droit ou tort.

Par quoy voyez comment et jours et nuis

De tous solas et de joye suis vuys.

Se tel secours bien brief vers vous ne truys

112

Vez me la mort!

Car mesdisans tant fort redoubte et crain

Que je n'ose parler ne soir ne main

N'a nulle heure, dont je suis de dueil plain,

116

A vous, trés belle, 116

Pour vostre honneur qui est entier et sain,

Ne ja pour moy, vo cuer en soit certain,

N'empirera, quel que soit mon reclain,

120

Ains mort cruele

Endureray, pour Dieu, ma demoiselle,

Ne doubtez point que vous face querelle

Fors en honneur, Dieux tesmoing en appelle,

124

Mais je me plain

De ce qu'Amours si haulte jouvencelle

M'a fait amer qu'ouÿr n'en puis nouvelle,

Se par pitié ne me vient, pour ce a elle

128

Seule m'en claim.

Mais puis qu'Amours a voulu consentir

Qu'en si hault lieu me meisse sanz mentir,

Je ne croi pas, quoy que soie martir,

132

Qu'au lonc aler

Ne resveille Pitié qui departir

Face le mal dont suis au cuer partir.

Si me couvient, quoy que j'aye a sentir,

136

Tout mon parler,

Mes faiz, mes diz, sanz riens lui en celer,

A vraye amour adrecier, qui voler

En vo doulx cuer vueille et vous reveler

140

Comment ne tir

Fors a tout bien; ainsi s'Amour mesler

S'en veult, plus n'ay besoing de m'adouler,

Or vueille tost vo doulx cuer appeler

144

Et convertir.

Si couvient dont qu'a Amours m'en attende,

Lui suppliant qu'a mon secours entende,

Et a Pitié qui sa doulce main tende

148

Pour redrecier

Mon povre cuer, car rien n'est qu'il attende

Fors que la mort qui son las corps estende

Dedens briefs jours; pour ce lui pry qu'il tende

152

A avancier

Ma garison, et se vueille adrecier

Par devers vous, ma dame, et ne laissier

Vo cuer en paix jusqu'a ce qu'eslaissier,

156

Si que j'amende,

Vueille le mien et de joye laissier.

Humble pitié a ce vueille plaissier

Vo bon vouloir pour mon mal abaissier,

160

Joye me rende,

Et entendis qu'Amours pour ma besongne

S'employera, belle, sanz faire alongne,

A celle fin qu'encor mieulx vous tesmongne

164

Que je dis voir,

Vueillez, m'amour, sans en avoir vergongne,

Me commander que pour vous m'embesongne

En quelque cas, ne point n'en ait ressongne

168

Vo bon vouloir,

Car je vous jur que se daignez avoir

Fiance en moy si que peusse savoir

Aucune riens qui vous pleust, tant valoir

172

Toute Bourgongne,

Se moye estoit, ne me pourroit d'avoir

Com se de vous peüsse recevoir

Aucun command, car a aultre chaloir

176

Mon cuer ne songne.

Plus ne vous sçay que dire, belle née:

Tout vostre suis, non pas pour une année

Tant seulement, mais tant que soit finée

180

Ma vie lasse.

Si vous plaise que paix me soit donnée

De la guerre d'amours qu'ont ordenée

Voz trés doulx yeulx et beauté affinée.

184

Dieu par sa grace

Vous doint joye et tout bien, et a moy face

Tant de bonté que puisse en quelque place

Faire chose dont je soye a vo grace.

188

Tel destinée

A vous et moy doint, qu'Amours, qui enlace

Maint gentilz cuers, les nostres deux si lasse

Que jamais jour ne vous en voye lasse

192

Ne hors menée.

EXPLICIT COMPLAINTE.

Note: 74 que on—75 que on—126 que o.—132 Que au—Les vers 149 et 151 se trouvent répétés dans le manuscrit, avec cette variante pour le vers 151 «Dedens briefs jours si luy pry qu'il attende»—155 jusque a—182 que ont.






NOTES

CENT BALLADES (p. 1 à 100.)

Nous avons déjà dit que ce recueil avait été publié par M. Guichard dans le Journal des Savants de Normandie (1844, p. 371.) Quelques-unes de ces mêmes ballades se trouvent également reproduites dans divers ouvrages que nous devons indiquer ici.

I

Christine consent à la prière de quelques amis à composer aucuns beaulz diz. Cette ballade a été publiée par Mlle de Kéralio mais d'une façon fort incorrecte (Collection des meilleurs ouvrages composés par des dames. Paris, 1787, in-8°, III, p. 52.)

III

L'auteur s'est évidemment inspiré des Épitres XVIII et XIX des Héroïdes d'Ovide. Ce poète lui était d'ailleurs très familier, comme nous aurons souvent l'occasion de le constater.

V à XX

Ces ballades sont consacrées à la douleur de la veuve et à l'inconstance de la Fortune. La XIIe a été publiée par M. Poujoulat (Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, I, p. 584) et par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 53) et la XIXe par la même (III, p. 54).

XXI

Publiée par M. Paulin Paris (Manuscrits françois, V, p. 152).

XXIII et XXVI

Données par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 55 et 56).

XXXI

Publiée par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 57) et par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p. 152).

XXXIV

Jolie pièce sur le mois de mai (publiée par Mlle de Kéralio. Op. cit., III, p. 58), sujet fort goûté de l'époque et qui a inspiré à Christine plusieurs ballades dans lesquelles elle trace, d'après la même facture, des sentiments divers.

XLII

L'idée exprimée dans le premier couplet de cette pièce est prise des Métamorphoses d'Ovide (Livre XI, XVIII, Céyx et Alcyone).

LII

Pièce également inspirée d'Ovide.

LIV

Préceptes adressés aux jeunes gens qui désirent remplir les qualités requises des honnêtes poursuivants d'amour. Les comparer aux commandements de la chevalerie donnés plus loin dans la ballade LXIV.

LVIII

Quel est ce personnage dont Christine trace avec esprit le portrait ironique? Quel est ce chevalier qui se piquait d'aimer les lettres et auquel on reprochait sa médisance et son peu d'ardeur au métier des armes?

M. Paulin Paris, qui a publié cette ballade (Manuscrits françois, V, p. 155) s'est demandé si elle ne visait pas Guillaume de Machaut. L'hypothèse ne nous paraît pas admissible, ce poète n'ayant pu être le contemporain de Christine, puisque l'époque de sa mort, bien que n'étant pas déterminée d'une façon certaine, ne peut cependant être reculée au-delà de 1380 et que notre ballade n'a certainement pas été composée avant 1394.

LXI

Io et Jupiter (Métamorphoses d'Ovide, I, VIII).

LXIV

Cf. avec une autre pièce de Christine sur le même sujet, Autres Balades, N° L, p. 264.

LXXVIII

Publiée par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p. 155).

XC

Adonis (Métamorphoses d'Ovide, X, VIII).

XCII

Éloge d'un chevalier que Christine compare aux neuf héros qui ont été choisis dès les premières années du XIVe siècle comme les types de la vaillance et ont donné lieu à la légende des neuf preux (Voy. Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1883, pp. 45-54).

XCIII

Au vers 10 de cette pièce il a été imprimé par erreur Ottonien pour Ottovien, c'est-à-dire Octavien, premier nom de l'empereur Auguste.

XCIV

Le refrain de cette ballade est un des proverbes les plus répandus de l'époque (voy. des exemples analogues dans Leroux de Lincy, Livre des Proverbes, I, p. 240).

XCV

Elle a été publiée par M. Leroux de Lincy (Chants hist. Paris, 1841, I, p. 276 à 278).

Cette pièce qui exprime si bien toute la part que Christine prenait à la douleur publique, a du être composée au commencement de l'année 1394 quelque temps après ce funeste divertissement de cour connu dans l'histoire sous le nom de «ballet des Ardents» et qui frappa si vivement l'imagination du roi.

XCVII

Christine s'élève encore une fois contre la fragilité des dons de la Fortune et invoque à l'appui l'autorité de Boëce qui a consacré au triomphe de cette thèse générale les deux premiers livres de son «de Consolatione philosophica». Elle oppose avec raison aux biens de la Fortune ceux qui sont le partage de la Nature et met en avant l'opinion d'Aristote qui fait de la mémoire l'une des plus précieuses qualités. Le grand philosophe dit en effet au début de sa Métaphysique:

«Le genre humain a pour se conduire l'Art et le Raisonnement.

«C'est de la mémoire que pour les hommes provient l'expérience. En effet, plusieurs souvenirs d'une même chose constituent une expérience. Or, l'expérience ressemble presque, en apparence, à la science et à l'art. C'est par l'expérience que la science et l'art font leurs progrès chez les hommes».

XCVIII

Pièce entièrement philosophique et à la louange de la Science qui est la source de tous les biens et de toutes les richesses; le début de la ballade est emprunté à Aristote qui a formulé en tête de sa Métaphysique la même pensée: «Tous les hommes ont naturellement le désir de savoir». Ce début a d'ailleurs été reproduit dans un grand nombre de compositions du moyen âge; Dante, l'a employé dans le Convivio, Richart de Fournival dans son Bestiaire ou Arrière Ban, etc. (Voy. Bulletin de la Société des Anciens Textes, 1879, p. 84).

C

Publiée par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 59) et par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p, 149).

VIRELAIS (p. 101 à 118).

IV

Cf. Cent Ballades, VII, X et XII.

X

Publié par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p. 156).

XII et XVI

Dans ces deux virelais Christine s'élève avec une grande franchise contre les défauts et les vices de son siècle; elle ne craint pas de s'adresser au plus nobles, aux plus puissants et ses réticences sont presque des désignations:

.. et se l'en me demande Quelz gens ce sont, verité dire n'ose Pour leur grandeur, mais Dieux scet toute chose.

BALLADES D'ÉTRANGES FAÇONS (p. 119 à 124).

Ballade rétrograde.

Publiée incomplètement et fort incorrectement par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 60), cette ballade consiste simplement dans un assemblage de mots qui permet de prendre chaque vers par la fin et de recomposer ainsi, sans en altérer le sens, une pièce également rimée.

Ballade à rimes reprises.

La rime de chaque vers sert de premier mot au vers suivant.

Ballade à réponses.

C'est un dialogue amoureux, chaque vers renferme une interrogation ou une exclamation suivie d'une réponse.

Ballade à vers à réponses.

Pièce également composée sous forme de dialogue, mais différent de la précédente en ce sens que les interrogations et les réponses alternent d'un vers à l'autre; c'est une adresse à l'Amour qui s'efforce de répondre aux reproches qu'on lui oppose et engage à la persévérance la personne qui l'implore. Christine a trouvé la situation de ce morceau dans son «Dit de la Pastoure» où elle le reproduit intégralement.

LAIS (p. 125 à 145).

Le premier lai, indiqué dans la rubrique comme composé de 165 vers léonins, contient cependant un nombre plus considérable de rimes léonines. La composition des deux lais de Christine ne nous paraît pas d'ailleurs avoir été établie sur un plan bien déterminé, c'est plutôt un recueil de rimes qu'une oeuvre d'ensemble; ajoutons qu'en tout cas l'oeuvre ne serait encore qu'ébauchée, car, ainsi que l'on pourra le remarquer, la concordance entre les paragraphes d'un même couplet n'est pas toujours parfaite et les textes donnés par les différents mss. ne nous ont pas permis de la rétablir partout.

RONDEAUX (p. 147 à 185).

Pour le rondeau I Cf. Cent Ballades, XIV, v. 15.

Les rondeaux III, XXII, XXIII, XXXIII, ont été donnés par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, pp. 63 et 64).

Le rondeau LVI par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p. 161).

JEUX A VENDRE (p. 187 à 205).

Les jeux 1 et 70 ont été publiés par M. Paulin Paris (Op. cit., V, p. 162).

Les jeux 10, 12, 18, 21, 23, 26, 35, 37, 42, 50 et 61, par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, pp. 66 à 68.)

AUTRES BALLADES (p. 207 à 269).

I

Cf. Cent Ballades, XCVI.

II et III

Ces deux pièces sont consacrées à l'éloge de Charles d'Albret que Christine fait descendre du fabuleux Brutus, qui, suivant la légende, avait donné son nom à la Grande-Bretagne. On sait que Charles d'Albret était fils de Arnaud-Amanieu, sire d'Albret, et de Marguerite de Bourbon, soeur de Jeanne de Bourbon, femme de Charles V. 11 fut nommé connétable de France en 1402, servit en Guyenne contre les Anglais (1406-1406), embrassa le parti des Armagnacs, fut destitué (1411) et rétabli dans sa charge en 1413. Il mourut à la bataille d'Azincourt où il commandait l'avant-garde le 25 octobre 1416. Ce prince aurait recueilli en héritage toutes les qualités de son ancêtre Brutus et paraîtrait aux yeux de Christine le modèle du chevalier le plus accompli (Voy. encore la ballade XVI), elle exalte surtout son courage à soutenir la réputation des dames et fait allusion (Dont vous portez la dame en verde targe) à une célèbre association dont il était l'un des plus fervents compagnons, l'ordre de chevalerie appelé l'Escu vert a la dame blanche et institué par le maréchal de Boucicaut à son retour d'Orient le 11 avril (jour de Pâques fleuries) 1399. Les treize chevaliers de cet ordre avaient juré de défendre l'honneur des dames envers et contre tous et devaient porter «chascun d'eulx liée autour du bras une targe d'or esmaillée de verd, a tout une dame blanche dedans» (Voy. les statuts de cette association dans le Livre des faicts du Mareschal de Boucicaut, Ire partie, chap. XXXIX). Ainsi que nous l'avons exposé dans la préface de ce volume la défense de l'honneur des femmes était un des thèmes favoris de Christine de Pisan, on y peut rattacher également la composition des ballades IV et XII qui suivent.

VI

Les veuves sont abandonnés de tout le monde, Christine fait ici allusion aux démêlés qu'elle eut à subir avec des débiteurs de mauvaise foi, circonstances dans lesquelles elle regrette amèrement de n'avoir trouvé aucun soutien, aucun bon conseil.

XI

Éloge d'une princesse, probablement la reine Isabelle de Bavière que Christine nomme généralement «ma redoubtée dame» (voy. plus loin Ballade XVIII).

XII

Cette pièce a été composée en l'honneur des chevaliers qui défendent la réputation des dames. Les personnages que cite Christine faisaient partie de la célèbre association l'Escu vert a la dame blanche dont nous avons parlé plus haut.

Jean de Torsay, seigneur de Lezay, de la Mothe Sainte Heraye et de la Roche Ruffin, chevalier, maître des Arbalestriers de France, chambellan du roi et du duc de Berry, sénéchal de Poitou, servit en Guyenne avec le connétable d'Albret, vint à Paris en 1404 avec cent hommes d'armes sous les ordres du duc de Berry, fut nommé maître des Arbalestriers de France le 8 janvier 1415. Destitué par la faction de Bourgogne en 1418, il s'attacha à la personne du Dauphin, devint capitaine de Saint-Maixent en 1425 et mourut peu après 1428. Il avait épousé Marie d'Argenton, veuve de Bertrand de Caselers et fille unique de Jean d'Argenton, seigneur d'Hériçon et de Gascognolles. (P. Anselme, VIII, p 69).

François d'Aubiscourt, chevalier, seigneur de Ville-Oiseau, était chambellan du duc de Bourbon. Il épousa le 27 avril 1401, Jeanne Flotte, fille d'Antoine Flotte, chevalier, seigneur de Revel, de Montcresson, etc. (P. Anselme, VI, p. 277). Il était le fils du brave chevalier, messire Eustache d'Aubiscourt, souvent cité dans Froissart et dont les amours furent célèbres (Kervyn de Lettenhove, Étude sur Froissart, II, p. 32).

Bernard de Castelbajac, fils de Arnaud-Raymond de Castelbajac et de Jeanne de Barbasan, chevalier, seigneur de Castelbajac, etc., sénéchal de Bigorre, fut institué héritier de son oncle maternel, Arnaud-Guilhem de Barbasan, par testament du 10 août 1410. Il était encore en 1426 sénéchal de Bigorre. (La Chenaye-Desbois et Badier, IV, p. 770).

XIII

Sur un cas d'amour. La même espèce est posée dans le Dit des Trois Jugements et forme le premier des trois cas d'amour soumis à l'appréciation du sénéchal de Hainaut.

XIV

Invocation à Pallas. Christine traduit ici la même pensée qui lui avait déjà inspiré la ballade VII.

XVII

Cette ballade a été composée contre les hommes insidieux et menteurs. L'auteur fait dès les premiers vers allusion à l'aventure d'Ulysse chez Circé. C'est encore une flétrissure des défauts et des vices du siècle dont on trouve si souvent le modèle dans les poésies d'Eustache Deschamps. (Voy. aussi plus loin la ballade XLI).

XVIII, XIX et XX

Ces ballades ont été adressées comme présents et souhaits de nouvelle année. Les envois de compliments et de voeux se faisaient toujours le 1er janvier. Nous en trouvons la preuve dans les inventaires de la librairie du duc de Berry où nous voyons Christine de Pisan elle-même offrir certains de ses ouvrages en étrennes, le 1er janvier.

La première de ces ballades est envoyée à la reine Isabelle de Bavière, la seconde à Louis de France, duc d'Orléans; quant à la troisième elle a été composée à l'intention de Marie de Berry, fille du duc Jean de Berry, l'un des plus puissants protecteurs de Christine. On sait que cette princesse avait épousé en 1400 Jean Ier duc de Bourbon auquel elle apporta en dot le duché d'Auvergne et le comté de Montpensier.

XXI

Christine offre en étrennes à Charles d'Albret une transcription de son poème du Débat de deux Amans. Cet exemplaire même doit être le ms. 11034 de la Bibliothèque royale de Bruxelles en tête duquel se trouve placée la présente ballade.

XXII

M. Paulin Paris en a donné le texte dans ses Manuscrits françois, V, p. 156.

Christine place son fils aîné sous la protection du duc d'Orléans. Cette ballade nous apprend aussi que le comte de Salisbury avait emmené à la cour d'Angleterre le fils de Christine. Bien que Richard II eût été détrôné (septembre 1399) et le comte de Salisbury décapité, Henri de Hereford, duc de Lancastre, usurpateur de la couronne, avait retenu auprès de lui l'enfant de la célèbre femme; mais la mère réclama bientôt son fils, qui dut revenir en France, après une absence de 3 ans, en 1400 ou 1401.

XXVI

Cette ballade sur les douceurs du mariage a été publiée par M. R, Thomassy, Essai sur les Écrits politiques de Christine de Pisan, p. 107.

XXVIII cf. XXV

XXIX, XXX et XXXI

Sur le combat de sept chevaliers français contre sept chevaliers anglais. (Voy. dans Jean Juvenal des Ursins le récit de cet engagement qui eut lieu à Montendre près de Bordeaux le 19 mai 1402. Ces trois ballades ont été publiées par M. Leroux de Lincy dans la Bibl. de l'École des Chartes, I, p. 379 et suiv., et la troisième seulement dans son Recueil de chants historiques, I, p. 280; la XXXe a été en outre donnée par Mlle de Kéralio, III, p. 61.)

La première ballade a été composée en l'honneur du duc d'Orléans qui avait présidé lui-même aux préparatifs de la victoire remportée par les sept chevaliers de sa maison, la seconde est à la louange des chevaliers et la troisième s'adresse aux dames qui ont été l'objet du combat.

Voici les noms des champions français que Christine de Pisan glorifie dans ces ballades:

1° Arnauld Guillem de Barbazan, gouverneur de Champagne, de Brie et de Laonnais, prit une part active et glorieuse aux guerres du XV siècle, Charles VII en fit son premier chambellan; il était le chef des chevaliers français dans le combat dont il est ici question. Il défendit toujours la cause royale et on l'avait surnommé le «chevalier sans reproche». Il fut tué à la bataille de Bulgnéville près de Nancy le 2 juillet 1431.(Paulin Paris, Manuscrits françois, II, p. 137).

2° Guillaume du Chastel, chambellan de Charles VI et du duc d'Orléans, se distingua dans plusieurs expéditions heureuses contre Jersey, Guernesey et Plymouth, mais fut vaincu et blessé à mort dans une attaque contre Darmouth (1404).

3° Guillaume Bataille, chevalier, sénéchal du comté d'Angoulême et chambellan du duc d'Orléans. Vivait encore en 1410. (Bibl. Nat. Pièces orig., 212).

4° Guillaume de la Champagne, chevalier, seigneur d'Apilly, chambellan du duc d'Orléans, puis de Charles VI; il faisait presque toujours partie de la suite du duc d'Orléans et accompagna ce prince dans le voyage qu'il fit en 1403 «es parties de Lombardie et d'Ytale»; nommé capitaine de la ville et chastel d'Avranche le 26 août 1404. (Bibl. Nat. Pièces orig., 662).

5° Archambault de Villars, écuyer, maître d'hôtel du duc d'Orléans (1402-1409), capitaine de Pontorson, envoyé en Allemagne le 28 juillet 1406 par le duc d'Orléans «pour aucunes besoignes qui grandement nous touchent», capitaine de Blois en 1408 et 1414. (Bibl. Nat. Pièces orig., 3002).

6° Pierre de Brebant, dit Clignet, seigneur de Landreville, lieutenant général en Champagne, chambellan du roi, nommé amiral de France en 1405, mort vers 1430.

7° Ivon de Karouis, chevalier breton.

Les sept chevaliers anglais étaient, le seigneur de Scales, Aymont Cloiet, Jean Fleury, Thomas Trayes, Robert de Scales, Jean Héron et Richard Witevale. (Leroux de Lincy. Recueil de chants histor., I, p. 280).

XXXIII

Cette ballade est adressée à Jean de Werchin, sénéchal de Hainaut, dont nous retrouverons le nom sous la plume de Christine qui le choisit souvent comme arbitre de questions controversées et fort délicates. (Voy. surtout le Dit des Trois Jugements); c'était d'ailleurs l'un des chevaliers les plus renommés et les plus entreprenants de son époque. La présente pièce fait l'éloge de son courage indomptable qui l'entraînait sans cesse à courir de nouveaux dangers, elle se rapporte sans doute au célèbre cartel du mois de juin 1402 par lequel le sénéchal de Hainaut s'engageait à se trouver à Coucy au mois d'août suivant et à attendre devant le château quiconque voudrait mesurer ses armes avec lui. (Voy. Monstrelet, I, chap. VIII).

XXXIV

Publiée par Mlle de Kéralio (Op. cit., III, p. 62).

XXXV

Reproduite dans le Dit de la Pastoure.

XXXVI

Christine fait hommage à la reine Isabelle de Bavière de l'une de ses oeuvres, peut-être le Débat de deux Amans.

XXXVII

Cette ballade, ainsi que le rondeau qui la précède (publié par Thomassy, Op. cit., p. 108), se rattache à la polémique de Christine contre le Roman de la Rose.

XLII

Cette ballade a été publiée par M. Thomassy (Op. cit., p. 131) et par M. Leroux de Lincy dans son Recueil de chants historiques, I, p. 289 à 292.

Le duc de Bourgogne, dont Christine pleure la mort, est Philippe le Hardi, quatrième fils de Jean, roi de France, et de Bonne de Luxembourg, né le 15 janvier 1342, marié à Marguerite, fille unique et héritière de Louis de Male, comte de Flandre. Il mourut le 27 avril 1404 au château de Hall en Hainaut; grand admirateur de Christine de Pisan, il fut l'un de ses plus généreux protecteurs. Celle-ci d'ailleurs ne tarissait pas en éloges sur sa personne et sur sa cour (voy. la ballade XXXVIII). Pour répondre à son désir elle avait commencé à écrire en cette même année 1404 le Livre des fais et bonnes moeurs du Roy Charles le Sage, et c'est avec un désespoir presque prophétique que se traduit dans la présente ballade l'expression de sa vive douleur, à laquelle elle associe celle du roi, de la reine, du duc de Berry, de Louis d'Orléans, du jeune duc de Bretagne (Jean VI) désormais privé des sages conseils et de la puissante sollicitude de son tuteur.

XLIX

Pièce composée à l'occasion de ballades sanglantes contre les princes, dont Christine redoutait les mauvais effets sur le peuple.

L

Cf. Cent Ballades, LXIV.

ENCORE AUTRES BALLADES (p. 271 à 279).

IX

Cette ballade et les deux rondeaux (VII et VIII), qui la précèdent, concernent le duc Jean Ier de Bourbon, né en mars 1382 et qui succéda en 1410 à son père Louis II. Il avait épousé, en 1400, Marie de Berry qui lui apporta en dot le duché d'Auvergne et le comté de Montpensier. Prince d'un courage éprouvé, comme le témoigne sa glorieuse campagne de 1413 contre des compagnies de brigands, il devait aussi posséder quelques qualités littéraires auxquelles Christine fait allusion dans le rondeau VII, mais il se distingua surtout par son humeur galante et aventureuse qui l'entraîna dans les «emprises» les plus extraordinaires. C'est ainsi que le 1er janvier 1415 il fit publier un cartel par lequel lui et seize chevaliers et écuyers s'engageaient à porter à la jambe, en l'honneur de leurs dames, un fer de prisonnier, d'or pour les chevaliers et d'argent pour les écuyers. Ces fers votifs devaient être conservés pendant deux années entières s'il ne se présentait avant cette époque un nombre égal de chevaliers et d'écuyers pour s'en rendre maîtres et les enlever après un combat à outrance. Mais le duc de Bourbon fut fait prisonnier l'année même à la bataille d'Azincourt et emmené à Londres où il mourut en captivité au mois de janvier 1434.

TABLE

Introduction

CENT BALADES

I.—Pour acomplir leur bonne voulenté.

II.—Digne d'estre de lorier couronné.

III.—Voyez comment amours amans ordonne!

IV.—En traïson, non pas par vacellage.

V.—Quant cil est mort qui me tenoit en vie.

VI.—Et si ne puis ne garir ne morir.

VII.—Qui ma vie tenoit joyeuse.

VIII.—C'est bien raison que me doye doloir.

IX.—Que mes griefs maulx soyent par toy delivré.

X.—Puis que Fortune m'est contraire.

XI.—Seulete suy sanz ami demourée.

XII.—Que ses joyes ne sont fors que droit vent.

XIII.—Car trop griefment est la mer perilleuse.

XIV.—Qu'a tousjours mais je pleureray sa mort.

XV.—Puis qu'ay perdu ma doulce nourriture.

XVI.—C'est souvrain bien que prendre en pacience.

XVII.—Cuer qui en tel tristour demeure.

XXIII.—Car trop grief dueil est en mon cuer remais.

XIX.—De faire ami, ne d'amer.

XX.—Encor n'en suis pas a chief.

XXI.—Qu'a peine le puis escondire.

XXII.—De reffuser ami si gracieux.

XXIII.—Certes c'est cil qui tous les autres passe.

XXIV.—Car vous tout seul me tenez en leece.

XXV.—Helas! que j'aray mautemps!

XXVI.—Les mesdisans qui tout veulent savoir.

XXVII.—J'en ay fait a maint reffus.

XXVIII.—Pour le desir que j'ay de vous veoir.

XXIX.—Par Dieu, c'est grant grace.

XXX.—Qu'a vraye amour puissent faire grevance.

XXXI.—Je vueil quanque vous voulez.

XXXII.—Se demeurez loing de moy longuement.

XXXIII.—Puis que partir vous convient.

XXXIV.—Pour la doulçour du jolis moys de May.

XXXV.—Tant ont a durer mes peines.

XXXVI.—Et qui pourroit telle amour oublier?

XXXVII.—Et si ne m'en puis partir.

XXXVIII.—Puis que le terme est passé.

XXXIX.—Il en pert a ma coulour.

XL.—Pour un seul bien plus de cinq cens doulours.

XLI.—Ne plus, ne mains ne que s'il estoit mort.

XLII.—Cil nonce aux gens mainte chose notable.

XLIII.—Ce me fait la maladie.

XLIV.—Je m'en sçay bien a quoy tenir.

XLV.—Et a la fois grant joye aporte.

XLVI.—Ne nouvelles ne m'en vient.

XLVII.—Puisqu'il m'a mis en nonchaloir.

XLVIII.—Je ne m'i vueil plus tenir.

XLIX.—Vous me ferez d'environ vous foïr.

L.—Je m'en raport a tous sages ditteurs.

LI.—Ce poise moy quant ce m'est avenu.

LII.—Et que jamais leur meschance ne fine.

LIII.—Qui plus se plaint n'est pas le plus malade.

LIV.—Ainsi sera grance en vous assouvie.

LV.—Car le voiage d'oultremer.

A fait en amours maint dommage.

LVI.—Car l'oeuvre loe le maistre.

LVII.—Jusques a tant que je le reverray.

LVIII.—Ha Dieux! Ha Dieux! quel vaillant chevalier!

LIX.—Sont ilz aise? certes je croy que non.

LX.—Mais vous parlez comme gent pleins d'envie.

LXI.—Mais il n'est nul si grant meschief.

Qu'on ne traye bien a bon chief.

LXII.—De moy laissier ainsi pour autre amer.

LXIII.—A il doncques tel guerredon?

LXIV.—Qui maintenir veult l'ordre a droite guise.

LXV.—Ne me vueilliez, doulce dame, escondire.

LXVI.—Et vous retien pour mon loial ami.

LXVII.—Hé Dieux me doint pouoir du desservir!

LXVIII.—Dame, pour Dieu, mercy vous cry.

LXIX.—Sire, de si tost vous amer.

LXX.—Que vigour et cuer me fault.

LXXI.—Doulce dame, je me rens a vous pris.

LXXII.—Ne sçay qu'on vous a raporté.

LXXIII.—Las! que feray, doulce dame, sanz vous?

LXXIV.—Je vous laisse mon cuer en gage.

LXXV.—Ne vous oubli je nullement.

LXXVI.—De son ami, desirant qu'il reviegne.

LXXVII.—Dame, qu'a vous servir j'entende.

LXXVIII.—Qui tant de maulz et tant d'anuis nous fait!

LXXIX.—Si vous en cry mercy trés humblement.

LXXX.—Voulez vous donc que je muire pour vous?

LXXXI.—Prenez en gré le don de vostre amant.

LXXXII.—Le dieu d'amours m'en soit loial tesmoins.

LXXXIII.—Ha desloial! comment as tu le cuer?

LXXXIV.—Se vous me faittes tel grief.

LXXXV.—Mais, se Dieux plaist, j'en seray plus prochains.

LXXXVI.—Se les fables dient voir.

LXXXVII.—A Dieu vous di, gracieuse aux beaulz yeux.

LXXXVIII.—Ce sera fort se je vif longuement!

LXXXIX.—Ou autrement l'amour est fausse et fainte.

XC.—BALADE POUETIQUE. Il y morra briefment, au mien cuidier.

XCI.—N'il n'est si bon qu'ilz n'y treuvent a dire.

XCII.—Ainsi est il de vous certainement,

En qui Dieux a toute proece assise.

XCIII.—Il a assez science acquise.

XCIV.—Mais fol ne croit jusqu'il prent.

XCV.—Nostre bon Roy qui est en maladie.

XCVI.—S'il n'a bonté, trestout ne vault pas maille.

XCVII.—Se font pluseurs sages qui font a croire.

XCVIII.—Qui des sages font grant derrision.

XCIX.—Dieux nous y maint trestous a la parclose!

C.—En escrit y ay mis mon nom.

VIRELAYS

I.—Je chante par couverture.

II.—Amis, je ne sçay que dire.

III.—Pour le grant bien qui en vous maint.

IV.—Comme autre fois me suis plainte.

V.—Belle ou il n'a que redire.

VI.—Mon gracieux reconfort.

VII.—La grant doulour que je porte.

VIII.—Puis que vous estes parjure.

IX.—Je suis de tout dueil assaillie.

X.—Trés doulz ami, or t'en souviegne.

XI.—En ce printemps gracieux.

XII.—Se pris et los estoit a departir.

XIII.—Dieux! que j'ay esté deceüe.

XIV.—Trestout me vient a rebours.

XV.—De meschief, d'anui, de peine.

XVI.—On doit croire ce que la loi commande.

BALADES D'ESTRANGE FAÇON

Balade retrograde.

Acueil bel et agreable.

Balade a rimes reprises.

Renge mon cuer qui fors vous ne desire.

Balade a responses.

Voire aux loiaulz.—Tu as dit voir.

Balade a vers a responses.

Aime le; si feras que sage.

LAYS

Lay de clxv vers leonimes.

Amours, plaisant nourriture.

Lay

Si je ne finoye de dire.

RONDEAUX

I.—Com turtre suis sanz per toute seulete.

II.—Que me vault donc le complaindre?

III.—Je suis vesve, seulete et noir vestue.

IV.—Puis qu'ainsi est qu'il me fault vivre en dueil.

V.—Quelque chiere que je face.

VI.—En esperant de mieulx avoir.

VII.—Je ne sçay comment je dure.

VIII.—Puis que vous vous en alez.

IX.—Bel a mes yeulx, et bon a mon avis.

X.—Puis qu'Amours le te consent.

XI.—De triste cuer chanter joyeusement.

XII.—Pour ce que je suis longtains.

XIII.—C'est grand bien que de ces amours.

XIV.—M'amour, mon bien, ma dame, ma princesse.

XV.—Quant je ne fois a nul tort.

XVI.—Doulce dame, que j'ay long temps servie.

XVII.—Je suis joyeux, et je le doy bien estre.

XVIII.—Rians vairs yeulx, qui mon cuer avez pris.

XIX.—Tout en pensant a la beauté, ma dame.

XX.—Sage maintien, parement de beauté.

XXI.—S'espoir n'estoit, qui me vient conforter.

XXII.—De tous amans je suis le plus joyeux.

XXIII.—Belle, ce que j'ay requis.

XXIV.—Jamais ne vestiray que noir.

XXV.—En plains, en plours me fault user mon temps.

XXVI.—Visage doulz, plaisant, ou je me mire.

XXVII.—A Dieu, ma dame, je m'en vois.

XXVIII.—A Dieu, mon ami, vous command.

XXIX.—Il me semble qu'il a cent ans.

XXX.—Il a au jour d'ui un mois.

XXXI.—Se loiaulté me puet valoir.

XXXII.—Trés doulz regart, amoureux, attraiant.

XXXIII.—Le plus bel qui soit en France.

XXXIV.—J'en suis d'acort s'il vous plaist que je muire.

XXXV.—De mieulx en mieulx vous vueil servir.

XXXVI.—Helas! le trés mauvais songe.

XXXVII.—Trés doulce dame, or suis je revenu.

XXXVIII.—Puis qu'ainsi est que ne puis pourchacier.

XXXIX.—Doulce dame, je vous requier.

XL.—Se m'amour voulsisse ottroier.

XLI.—De tel dueil m'avez rempli.

XLII.—Or est mon cuer rentré en double peine.

XLIII.—Hé lune! trop luis longuement.

XLIV.—Amis, ne vous desconfortez.

LXV.—Souffise vous bel accueil.

XLVI.—Se souvent vais au moustier.

XLVII.—Combien qu'adès ne vous voie.

XLVIII.—Comme surpris.

XLIX.—Vous en pourriez exillier.

L.—Pour attraire.

LI.—Amis, venez encore nuit.

LII.—Il me tarde que lundi viengne.

LIII.—Cest anelet que j'ay ou doy.

LIV.—La cause de mon annuy.

LV.—Dure chose est a soustenir.

LVI.—Cil qui m'a mis en pensée novelle.

LVII.—Vostre doulçour mon cuer attrait.

LVIII.—Se d'ami je suis servie.

LIX.—Chiere dame, plaise vous ottroier.

LX.—Vous n'y pouez, la place est prise.

LXI.—S'il vous souffist, il me doit bien souffire.

LXII.—Source de plour, riviere de tristece.

LXIII.—Bel et doulz et gracieux.

LXIV.—Pour quoy m'avez vous ce fait?

LXV.—S'ainsi me dure.

LXVI.—Amoureux oeil.

LXVII.—Ma dame.

LXVIII.—Je vois.

LXIX.—Dieux.

JEUX A VENDRE

1.—Je vous vens la passerose.

2.— —— la fueille tremblant.

3.— —— la paternostre.

4.— —— le papegay.

5.— —— la fleur de mellier.

6.— —— l'esparvier apris.

7.— —— le vert muguet.

8.—Du dieu d'amours vous vens le dart.

9.—Du pré d'Amours vous vens l'usage.

10.—Je vous vens la fleur de lis.

11.— —— du rosier la fueille.

12.— —— la turterelle.

13.— —— le cerf voulant.

14.— —— le chappel de saulx.

15.— —— la harpe et la lire.

16.— —— les gans de laine.

17.— —— la fleur de parvanche.

18.— —— la rose amatie.

19.— —— le pont qui se haulce.

20.— —— le panier d'ozier.

21.— —— l'oisellet en cage.

22.— —— le vers chapellet.

23.— —— la clere fontaine.

24.— —— le chappel de soie.

25.— —— le cuer du lion.

26.— —— la couldre qui ploie.

27.— —— l'anelet d'or fin.

28.—D'un esparvier vous vens la longe.

29.—Je vous vens le coulomb ramage.

30.— —— le songe amoureux.

31.— —— l'aloe qui vole.

32.— —— l'espée de guerre.

33.— —— la fleur d'acolie.

34.— —— la branche d'olive.

35.— —— la fleur d'ortie.

36.— —— le chapel de bievre.

37.— —— la rose de may.

38.— —— la fleur de seür.

39.— —— la violete.

40.— —— le blanc corbel.

41.— —— l'aloue volant.

42.— —— le dyamant.

43.— —— le tourret de nez.

44.— —— la marjoleine.

45.— —— la fueille de houx.

46.— —— la blonde tresce.

47.— —— le souspir parfont.

48.— —— le blanc orillier.

49.— —— la voulant aronde.

50.—Du blanc pain vous vens la mie.

51.—Je vous vens la rose d'Artois.

52.— —— la colombelle.

53.— —— le blanc cueuvrechief.

54.— —— de soye le laz.

55.— —— l'anelet d'argent.

56.— —— la fleur de glay.

57.— —— la perle fine.

58.—Je ne vens ne donne les yeulz.

59.—Chascun vous vens, mais je vous vueil donner.

60.—Je vous vens la fleur de peschier.

61.— —— du rosier la branche.

62.— —— d'Amours la prison.

63.— —— la rose vermeille.

64.— —— plein panier de flours.

65.— —— la feuille de tremble.

66.—Le saphir vous vens d'Orient.

67.—Flours vous vens de toutes couleurs.

68.—Je vous vens le levrier courant.

69.— —— la fleur mipartie.

70.— —— l'escrinet tout plein.

AUTRES BALADES

I.—Car qui est bon doit estre appellé riche.

Éloge de Charles d'Albret.

II.—Si com tous vaillans doivent estre.

A Charles d'Albret.

III.—Et Dieux vous doint leur bon droit soustenir.

IV.—Et honneur en toutes querelles.

V.—Avisons nous qu'il nous convient morir.

VI.—Ne les princes ne les daignent entendre.

VII.—Car de Juno n'ay je nul reconfort.

VIII.—Il veult trestout quanque je vueil.

IX.—Amours le veult et la saison le doit.

X.—Amours le veult et la saison le doit.

XI.—Assez louer, ma redoubtée dame.

XII.—Si qu'a tousjours en soit memoire.

XIII.—Vous semble il que ce fausseté soit?.

XIV.—Juno me het et meseür me nuit.

XV.—Se Dieu et vous ne la prenez en cure.

XVI.A Charles d'Albret, connétable de France.

Ce premier jour que l'an se renouvelle.

XVII.—N'on n'en pourroit assez mesdire.

XVIII.A la reine Isabelle de Bavière

Ce jour de l'an, ma redoubtée dame.

XIX.A Louis de France, duc d'Orléans

Ce jour de l'an vous soiez estrené.

XX.A Marie de Berry, comtesse de Montpensier.

Ce plaisant jour premier de l'an nouvel.

XXI.Christine fait hommage à Charles d'Albret de

son poème «Du Débat de deux Amans»

Si le vueilliez recepvoir pour estreine.

XXII.Christine recommande son fils aîné au duc

d'Orléans

Si le vueilliez, noble duc, recevoir.

XXIII.—Faittes voz faiz a voz ditz accorder.

XXIV.—Le corps s'en va, mais le cuer vous demeure.

XXV.—Chapiaulx jolis, violetes et roses,

Fleur de printemps, muguet et fleur d'amours.

XXVI.—Et certes le doulz m'aime bien.

XXVII.—Et ce vous fait tout le monde plaire.

XXVIII.—En ce jolis plaisant doulz moys de May.

XXIX.Au duc d'Orléans, sur le combat de sept Français

contre sept Anglais (19 mai 1402).

De hault honneur et de chevalerie.

XXX.Sur le combat des sept chevaliers français et

des sept chevaliers anglais (19 mai 1402).

Sera retrait de leur haulte vaillance.

XXXI.Même sujet

On vous doit bien de lorier couronner.

XXXII.—A pou que mon cuer ne font!

XXXIII.Au sénéchal de Hainaut, 1402.

D'entreprendre armes et peine.

XXXIV.—Apercevoir

Vueillez le voir.

XXXV.—Vostre doulceur me meine dure guerre.

XXXVI.A la reine Isabelle de Bavière.

Soit, sanz cesser, toute joye mondaine.

RONDEL.—Mon chier seigneur, soiez de ma partie.

XXXVII.—On est souvent batu pour dire voir.

XXXVIII.Sur la Cour du duc Philippe de Bourgogne, 1403.

Selon seigneur voit on maignée duite.

XXXIX.—Car je vous ay retenue a ma vie.

XL.—Je mourray se m'estes dure.

XLI.—Qu'en France soit si mençonge eslevée.

XLII.Sur la mort du duc de Bourgogne (27 avril 1404)

Affaire eussions du bon duc de Bourgongne.

XLIII.—Et ne croyez flajolz de decepveurs.

XLIV.—Ne mon penser nulle heure ne s'en part.

XLV.—Mon doulx amy, d'autre ne me vient joye.

XLVI.—Je m'en mettré a mon aise.

XLVII.—Et me vueillez ottroyer vostre amour.

XLVIII.—Je le sçay bien, il fault que je m'en sente.

XLIX.—Je dis que c'est pechié a qui le fait.

L.—S'ainsi le faiz, tu seras preux et saige.

LI.—Et ait ou mal fort et poissant couraige.

LII.—Ce jour de May gracieux plain de joye.

LIII.—Quant bien me doit venir, meseur l'en chace.

ENCORE AULTRES BALADES

I.—Je t'ameray et tiendray chier.

II.—Certes trop m'est dure la departie.

III.—A Dieu te dis, amis, puis qu'il le fault.

IV.—Et qui n'aroit regrait a tel plaisance

Et a si trés doulce amour eslongner?

V.—Quant chascun s'en revient de l'ost.

VI.—Car de ce vueil savoir le compte.

VII.—Qui vous en a tant appris?.

VIII.—Le plus bel des fleurs de liz.

IX.—De bien en mieulx vous puist il avenir.

COMPLAINTES AMOUREUSES

I

Doulce dame, vueillez oïr la plainte.

II

Vueillez oÿr en pitié ma complainte.