The Project Gutenberg EBook of Poésies complètes, by Arthur Rimbaud This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Poésies complètes Author: Arthur Rimbaud Commentator: Paul Verlaine Release Date: July 3, 2009 [EBook #29302] [Last updated: August 2, 2014] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) [Notes sur cette version électronique: Le texte a été établi sur la base des épreuves de l'imprimerie de Ch. Herissey à Évreux, revues avec les corrections de la main de Paul Verlaine en 1895. Certains passages illisibles ou d'une reconstitution hypothétique ont été signalés entre crochets. On donne ici le texte après application des corrections; le texte original de la préface avec les corrections se trouve en annexe à la fin de la version HTML.] ARTHUR RIMBAUD POÉSIES COMPLÈTES AVEC PRÉFACE DE PAUL VERLAINE ET NOTES DE L'ÉDITEUR [Marque d'éditeur: L. V.] PARIS LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19 1895 Tous droits réservés DU MÊME AUTEUR MÊME ÉDITEUR Les Illuminations, Une Saison en Enfer. . . 3 50 TIRAGE DE LUXE: 25 exemplaires numérotés sur Hollande, 6 fr. PRÉFACE ARTHUR RIMBAUD SES POÉSIES COMPLÈTES À mon avis tout à fait intime, j'eusse préféré, en dépit de tant d'intérêt s'attachant intrinsèquement presque aussi bien que chronologiquement à beaucoup de pièces du présent recueil, que celui-ci fût allégé pour, surtout, des causes littéraires: trop de jeunesse décidément, d'inexpériences mal savoureuses, point d'assez heureuses naïvetés. J'eusse, si le maître, donné juste un dessus de panier, quitte à regretter que le reste dût disparaître, ou, alors, ajouté ce reste à la fin du livre, après la table des matières et sans table des matières quant à ce qui l'eût concerné, sous la rubrique «pièces attribuées à l'auteur», encore excluant de cette peut-être trop indulgente déjà hospitalité les tout à fait apocryphes sonnets publiés, sous le nom glorieux et désormais sacré, par de spirituels parodistes. Quoi qu'il en soit, voici, seulement expurgé des apocryphes en question et classé aussi soigneusement que possible par ordre de dates, mais, hélas! privé de trop de choses qui furent, aux déplorables fins de puériles et criminelles rancunes, sans même d'excuses suffisamment bêtes, confisquées, confisquées? volées! pour tout et mieux dire, dans les tiroirs fermés d'un absent, voici _le livre des poésies complètes d'Arthur Rimbaud_, avec ses additions inutiles à mon avis et ses déplorables mutilations irréparables à jamais, il faut le craindre. Justice est donc faite, et bonne et complète, car en outre du présent fragment de l'[illisible], il y a eu des reproductions par la Presse et la Librairie des choses en prose si inappréciables, peut-être même si supérieures aux vers, dont quelques-uns pourtant incomparables, que je sache! Ici, avant de procéder plus avant, dans ce très sérieux et très sincère et pénible et douloureux travail, il me sied et me plaît de remercier mes amis Dujardin et Kahn, Fénéon, et ce trop méconnu, trop modeste Anatole Baju, de leur intervention en un cas si beau, mais à l'époque périculeux, je vous l'assure, car je ne le sais que trop. Kahn et Dujardin disposaient néanmoins de revues jeunes et d'aspect presque imposant, un peu d'outre-Rhin et parfois, pour ainsi dire, pédantesques; depuis il y a eu encore du plomb dans l'aile de ces périodiques changés de direction--et Baju, naïf, eut aussi son influence, vraiment. Tous trois firent leur devoir en faveur de mes efforts pour Rimbaud, Baju avec le tort, peut-être inconscient, de publier, à l'appui de la bonne thèse, des gloses farceuses de gens de talent et surtout d'esprit qui auraient mieux fait certainement de travailler pour leur compte, qui en valait, je le leur dis en toute sincérité, La peine assurément! Mais un devoir sacré m'incombe, en dehors de toute diversion même quasiment nécessaire, vite. C'est de rectifier des faits d'abord--et ensuite d'élucider un peu la disposition, à mon sens, mal littéraire, mais conçue dans un but tellement respectable! du présent volume des _Poésies complètes d'Arthur Rimbaud._ On a tout dit, en une préface abominable que la Justice a châtiée, d'ailleurs par la saisie, sur la requête d'un galant homme de qui la signature avait été escroquée, M. Rodolphe Darzens, on a dit tout le mauvais sur Rimbaud, homme et poète. Ce mauvais-là, il faut malheureusement, mais carrément, l'amalgamer avec celui qu'a écrit, pensé sans nul doute, un homme de talent dans un journal d'irréprochable tenue. Je veux parler de M. Charles Maurras et en appeler de lui à lui mieux informé. Je lis, par exemple, ceci de lui, M. Charles Maurras: «Au dîner du Bon Bock», or il n'y avait pas alors, de _dîner du Bon Bock_ où nous allassions, Valade, Mérat, Silvestre, quelques autres Parnassiens [et] moi, ni par conséquent Rimbaud avec nous, mais bien un dîner mensuel des _Vilains Bonshommes_ [note illisible], fondé avant la guerre et qu'avaient honoré quelquefois Théodore de Banville et, de la part de Sainte-Beuve, le secrétaire de celui-ci, M. Jules Troubat. Au moment dont il est question, fin 1871, nos «assises» se tenaient au premier étage d'un marchand de vins établi au coin de la rue Bonaparte et de la place Saint-Sulpice, vis-à-vis d'un libraire d'occasion (rue Bonaparte) et (rue du Vieux-Colombier) d'un négociant [en] objets religieux. «Au dîner du Bon Bock, dit donc M. Maurras, ses reparties (à Rimbaud) causaient de grands scandales. Ernest d'Hervilly le rappelait en vain à la raison. CARJAT LE MIT À LA PORTE. Rimbaud attendit _patiemment_ à la porte et Carjat reçut à la sortie un «bon» (je retiens «bon») coup de canne à épée DANS LE VENTRE.» Je n'ai pas à invoquer le témoignage de d'Hervilly qui est un cher poète et un cher ami, parce qu'il n'a jamais été plus l'auteur d'une intervention absurdement inutile que l'objet d'une insulte ignoble publiée sans la plus simple pudeur, non plus que sans la moindre conscience du faux ou du vrai dans la préface de l'édition Genonceaux; ni celui de M. Carjat lui-même, par trop juge et partie, ni celui des encore assez nombreux survivants d'une scène assurément peu glorieuse pour Rimbaud, mais démesurément grossie et dénaturée jusqu'à la plus complète calomnie. Voici donc un récit succinct, mais vrai jusque dans le moindre détail, du «drame» en question: ce soir-là, aux _Vilains Bonshommes_, on avait lu beaucoup de vers après le dessert et le café. Beaucoup de vers, même à la fin d'un dîner (plutôt modeste), ce n'est pas toujours des moins fatigants, particulièrement quand ils sont un peu bien déclamatoires comme ceux dont _vraiment_ il s'agissait (et non du bon poète Jean Aicard). Ces vers étaient d'un monsieur qui faisait beaucoup de sonnets à l'époque et de qui le nom m'échappe. Et, sur le début suivant, après passablement d'autres choses d'autres gens: _On dirait des soldats d'Agrippa d'Aubigné Alignés au cordeau par Philibert Delorme..._ Rimbaud eut le tort incontestable de protester d'abord entre haut et bas contre la prolongation d'à la fin abusives récitations. Sur quoi M. Etienne Carjat, le photographe poète de qui le récitateur était l'ami littéraire et artistique, s'interposa trop vite et trop vivement à mon gré, traitant l'interrupteur de gamin. Rimbaud qui ne savait supporter la boisson, et que l'on avait contracté dans ces «agapes» pourtant modérées, la mauvaise habitude de gâter au point de vue du vin et des liqueurs,--Rimbaud qui se trouvait gris, prit mal la chose, se saisit d'une canne à épée à moi qui était derrière nous, voisins immédiats et, par-dessus la table large de près de deux mètres, dirigea vers M. Carjat qui se trouvait en face ou tout comme, la lame dégainée qui ne fit pas heureusement de très grands ravages, puisque le sympathique ex-directeur du _Boulevard_ ne reçut, si j'en crois ma mémoire qui est excellente dans ce cas, qu'une éraflure très légère à une main. Néanmoins l'alarme fut grande et la tentative très regrettable, vite et plus vite encore réprimée. J'arrachai la lame au furieux, la brisai sur mon genou et confiai, devant rentrer de très bonne heure chez moi, le [«gamin»] à moitié dégrisé maintenant, au peintre bien connu, Michel de l'Hay, alors déjà un solide gaillard en outre d'un tout jeune homme des plus remarquablement beaux qu'il soit donné de voir, qui eut tôt fait de reconduire à son domicile de la rue Campagne-Première, en le chapitrant d'importance, notre jeune intoxiqué de qui l'accès de colère ne tarda pas à se dissiper tout à fait, avec les fumées du vin et de l'alcool, dans le sommeil réparateur de la seizième année. Avant de «lâcher» tout à fait M. Charles Maurras, je lui demanderai de expliquer sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant. À propos de la question d'ailleurs subsidiaire de savoir si Rimbaud était beau ou laid, M. Maurras qui ne l'a jamais vu et qui le trouve laid, d'après des témoins «plus rassis» que votre serviteur, me blâmerait presque, ma parole d'honneur! d'avoir dit qu'il avait (Rimbaud) un visage parfaitement ovale d'ange en exil, une forte bouche rouge au pli amer et (_in cauda venenum!_) des «jambes sans rivales». Ça c'est, je veux bien le croire, idiot sans plus, autrement, quoi? Voici toujours _ma_ phrase sur les jambes en question, extraite des _Homme d'aujourd'hui_. Au surplus, lisez toute la petite biographie. Elle répond à tout d'_avance_, et coûte deux sous. «... Des projets pour la Russie, une anicroche à Vienne (Autriche), quelques mois en France, d'Arras et Douai à Marseille, et le Sénégal vers lequel bercé par un naufrage[;] puis la Hollande, 1879-80; vu décharger des voitures de moisson dans une ferme à sa mère, entre Attigny et Vouziers, et arpenter ces routes maigres de ses «JAMBES SANS RIVALES». Voyons, M. Maurras, est-ce bien de bonne foi votre confusion entre infatigabilité... et autre chose? --Ouf! j'en ai fini avec les petites (et grosses) infamies qui, de régions prétendues uniquement littéraires, s'insinueraient dans la vie privée pour s'y installer, et veuillez, lecteur, me permettre de m'étendre un peu, maintenant qu'on a brûlé quelque sucre, sur le pur plaisir intellectuel de vous parler du présent ouvrage qu'on peut ne pas aimer, ni même admirer, mais qui a droit à tout respect en tout consciencieux examen? On a laissé les pièces objectionables au point de vue bourgeois, car le point de vue chrétien et surtout catholique dont je m'honore d'être un des plus indignes peut-être mais à coup sûr le plus sincère tenant, me semble supérieur et doit être écarté--j'entends, notamment les _Premières Communions_, les _Pauvres à l'église_ (pour mon compte, j'eusse négligé cette pièce brutale ayant pourtant ceci: _... Les malades du foie Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers._ Quant aux _Premières Communions_ dont j'ai sévèrement parlé dans mes _Poètes maudits_ à cause de certains vers affreusement blasphémateurs, c'est si beau!... n'est-ce pas? à travers tant de coup[ables] choses... n'est ce pas? Pour le reste de ce que j'aime parfaitement, le _Bateau ivre_, les _Effarés_, les _Chercheuses de poux_ et, bien après, les _Assis_ aussi, parbleu! un peu fumiste, mais si beau de détails; _Sonnet de Voyelles_ qui a fait faire à M. Réné Ghill de ses mirobolantes théories, et l'ardent _Faune_ [illisible] est parfait de fauves,--en liberté! et encore une fois, je vous le présente, ce «numéro», comme autrefois dans ce petit journal de combat mort en pleine brèche _Lutèce_, de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes forces. On a cru devoir, évidemment dans un but de réhabilitation qui n'a rien à voir ni avec la vie honorable ni avec l'oeuvre très intéressante, [illisible] ouvrir le volume par une pièce intitulée _Étrennes des Orphelins_, laquelle assez longue pièce, dans le goût un peu Guiraud avec déjà des beautés tout autres. Ceci qui vaut du Desbordes-Valmore: _Les tout petits enfants ont le coeur si sensible!_ Cela: _La bise sous le seuil a fini par se taire..._ qui est d'un net et d'un vrai, quant à ce qui concerne un beau jour de premier janvier. Surtout une facture solide, même un peu trop, qui dit l'extrême jeunesse de l'auteur quand il s'en servit d'après la formule parnassienne exagérée. On a cru aussi devoir intercaler de gré ou de force un trop long poème: _Le Forgeron_, daté des _Tuileries vers le 10 août 1792_, où vraiment c'est trop démoc-soc [illisible], par trop démodé, même en 1870 où ce fut écrit; mais l'auteur, direz-vous, était si, si jeune! Mais, répondrais-je, était-ce une raison pour publier cette chose faite à coups de «mauvaises lectures» dans des manuels surannés ou de trop moisis historiens? Je ne m'empresse pas moins d'ajouter qu'il y a là encore de très beaux vers. Parbleu! avec cet être-là! Cette caricature de Louis XVI, d'abord: _Et prenant ce gros-là dans son regard farouche._ Cette autre encore; _Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle._ Ce cri bien dans le ton juste, trop rare ici: _On ne veut pas de nous dans les boulangeries_ Mais j'avoue préférer telles pièces purement jolies, mais alors très jolies, d'une joliesse sauvageonne ou sauvage tout à fait alors presque aussi belles que les _Effarés_ ou que les Assis. Il y a, dans ce ton, _Ce qui relient Nina_, vingt-neuf strophes, plus de cent vers, sur un [rh]ythme sautilleur avec des gentillesse à tout bout de champ: _Dix-sept ans! tu seras heureuse! Ô les grands prés, La grande campagne amoureuse! --Dis, viens plus près!... . . . . . . . . . . . . . . Puis comme une petite morte Le coeur pâmé Tu me dirais que je te porte L'oeil mi-fermé..._ Et, après la promenade au bois... et la résurrection de la _petite morte_, l'entrée dans le village où _çà sentirait le laitage_, une étable pleine d'un rhythme lent d'haleine, et de grands dos, un intérieur à la Téniers: _Les lunettes de la grand-mère Et son nez long Dans son missel..._ . . . . . . . . . . . . . . Aussi la _Comédie en trois baisers:_ . . . . . . . . . . . . . . _Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets. Aux vitres penchaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près._ _Sensation_, où le poète adolescent va loin, bien loin, «comme un bohémien» _Par la nature, heureux comme avec une femme..._ Roman: _On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans._ Ce qu'il y a d'amusant, c'est que Rimbaud, quand il écrivait ce vers, n'avait pas encore seize ans. Évidemment il se «vieillissait» pour mieux plaire à quelque belle... de, très probablement, son imagination. _Ma Bohème_, la plus gentille sans doute de ces gentilles choses: _Comme des lyres je tirai les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur_... Mes _Petites amoureuses_, les _Poètes de sept ans_, frères franchement douloureux des _Chercheuses de poux_: _Et la mère fermant le livre du devoir S'en allait satisfaite et très fière sans voir Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences L'âme de son enfant livrée aux répugnances._ . . . . . . . . . . . . . . Quant aux quelques morceaux en prose qui terminent le volume, je les eusse retenus pour les publier dans une nouvelle édition des oeuvres en prose. Ils sont d'ailleurs merveilleux, mais tout à fait dans la note des _Illuminations_ et de la _Saison en Enfer_. Je l'ai dit tout à l'heure et je sais que je ne suis pas le seul à le penser: Rimbaud en prose est peut-être supérieur à celui en vers... J'ai terminé, je crois avoir terminé ma tâche de préfacier. De la vie de l'homme j'ai parlé suffisamment. De son oeuvre je reparlerai peut-être encore. Mon dernier mot ne peut-être ici que ceci: Rimbaud fut un poète mort jeune (à dix-huit ans, puisque né à Charleville[--le 20] Octobre 1854--nous n'avons pas de vers de lui [postérieur] à 1872.) mais vierge de toute platitude ou décadence--comme il fut un homme mort jeune aussi [(à trente] sept ans [le] 10 Novembre 1891 à l'hôpital de la Conception de Marseille), mais dans son voeu bien formulé d'indépendance et de haut dédain de n'importe quelle adhésion à ce qu'il ne lui plaisait pas de faire ni d'être. Paul VERLAINE. POESIES COMPLÈTES DE CE LIVRE IL A ÉTÉ TIRÉ _25 exemplaires numérotés sur hollande._ ARTHUR RIMBAUD POÉSIES COMPLÈTES PARIS LÉON VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR 19, QUAI SAINT-MICHEL, 19 1895 Tous droits réservés. LES ÉTRENNES DES ORPHELlNS I La chambre est pleine d'ombre; on entend vaguement De deux enfants le triste et doux chuchotement. Leur front se penche, encor, alourdi par le rêve, Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève... --Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux; Leur aile s'engourdit sous le ton gris des cieux; Et la nouvelle année, à la suite brumeuse, Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse, Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant... II Or les petits enfants, sous le rideau flottant, Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure. Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure... Ils tressaillent souvent à la claire voix d'or Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor Son refrain métallique en son globe de verre... --Puis, la chambre est glacée... on voit traîner à terre, Épars autour des lits, des vêtements de deuil: L'âpre bise d'hiver qui se lamente au seuil, Souffle dans le logis son haleine morose! On sent, dans tout cela, qu'il manque quelque chose... --Il n'est donc point de mère à ces petits enfants, De mère au frais sourire, aux regards triomphants? Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée, D'exciter une flamme à la cendre arrachée, D'amonceler sur eux la laine et l'édredon Avant de les quitter en leur criant: pardon. Elle n'a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale?... --Le rêve maternel, c'est le tiède tapis, C'est le nid cotonneux où les enfants tapis, Comme de beaux oiseaux que balancent les branches, Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches. --Et là,--c'est comme un nid sans plumes, sans chaleur Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur; Un nid que doit avoir glacé la bise amère... III Votre coeur l'a compris:--ces enfants sont sans mère, Plus de mère au logis!--et le père est bien loin!... --Une vieille servante, alors, en a pris soin: Les petits sont tout seuls en la maison glacée; Orphelins de quatre ans, voilà qu'en leur pensée S'éveille, par degrés, un souvenir riant... C'est comme un chapelet qu'on égrène en priant: --Ah! quel beau matin, que ce matin des étrennes! Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes Dans quelque songe étrange où l'on voyait joujoux, Bonbons habillés d'or, étincelants bijoux, Tourbillonner, danser une danse sonore, Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore! On s'éveillait matin, on se levait joyeux, La lèvre affriandée, en se frottant les yeux... On allait, les cheveux emmêlés sur la tête, Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête Et les petits pieds nus effleurant le plancher, Aux portes des parents tout doucement toucher... On entrait!... Puis alors les souhaits... en chemise, Les baisers répétés, et la gaîté permise? IV Ah! c'était si charmant, ces mots dits tant de fois! --Mais comme il est changé, le logis d'autrefois: Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée, Toute la vieille chambre était illuminée; Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer, Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer... --L'armoire était sans clefs!... sans clefs, la grande armoire On regardait souvent sa porte brune et noire... Sans clefs!... c'était étrange!... On rêvait bien des fois Aux mystères dormant entre ses flancs de bois, Et l'on croyait ouïr, au fond de la serrure Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure --La chambre des parents est bien vide, aujourd'hui Aucun reflet vermeil sous la porte n'a lui; Il n'est point de parents, de foyer, de clefs prises: Partant point de baisers, point de douces surprises! Oh! que le jour de l'an sera triste pour eux! --Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus Silencieusement tombe une larme amère, ils murmurent: «Quand donc reviendra notre mère?» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V Maintenant, les petits sommeillent tristement: Vous diriez, à les voir, qu'ils pleurent en dormant, Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible! Les tout petits enfants ont le coeur si sensible! --Mais l'ange des berceaux vient essuyer leurs yeux, Et dans ce lourd sommeil mit un rêve joyeux, Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close, Souriante, semblait murmurer quelque chose... Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond, Doux geste du réveil, ils avancent le front, Et leur vague regard tout autour d'eux repose... Ils se croient endormis dans un paradis rose... Au foyer plein d'éclairs chante gaîment le feu... Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu; La nature s'éveille et de rayons s'enivre... La terre, demi-nue, heureuse de revivre, A des frissons de joie aux baisers du soleil... Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil: Des sombres vêtements ne jonchent plus la terre, La bise sous le seuil a fini par se taire. On dirait qu'une fée a passé dans cela!... --Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris... Là, Près du lit maternel, sous un beau rayon rose, Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose... Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs, De la nacre et du jais aux reflets scintillants: Des petits cadres noirs, des couronnes de verre, Ayant trois mots gravés en or: «À NOTRE MÈRE!» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 janvier 1870 VOYELLES A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes, A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombillent autour des puanteurs cruelles, Golfe d'ombre: E, candeur des vapeurs et des tentes, Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux; O, suprême Clairon plein de strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges: --O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux! ORAISON DU SOIR Je vis assis tel qu'un ange aux mains d'un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures. Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier Mille rêves en moi font de douces brûlures; Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier Qu'ensanglante l'or jaune et sombre des coulures. Puis quand j'ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille pour lâcher l'âcre besoin. Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns très haut et très loin, Avec l'assentiment des grands héliotropes. LES ASSIS Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs, Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs. Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux, Ou les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux des crapauds. Et les Sièges leur ont des bontés; culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins. L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains. Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour S'écoutent clapoter des barcarolles tristes Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour. Oh! ne les faites pas lever! C'est le naufrage. Ils surgissent, grondant comme des chats gifflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. Et vous les écoutez cognant leurs têtes chauves Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors. Puis ils ont une main invisible qui tue; Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. Assis, les poings crispés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever, Et de l'aurore au soir des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever. Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières Ils rêvent sur leurs bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisières Sur lesquelles de fiers bureaux seront bordés. Les fleurs d'encre, crachant des pollens en virgules, Les bercent le long des calices accroupis, Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules, --Et leur membre s'agace à des barbes d'épis! LES EFFARÉS Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond, À genoux, cinq petits,--misère!-- Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond... Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Et quand, pendant que minuit sonne, Façonné, pétillant et jaune, On sort le pain; Quand, sous les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons; Que ce trou chaud souffle la vie; Ils ont leur âme si ravie Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres petits pleins de givre! --Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, chantant des choses, Entre les trous, Mais bien bas,--comme une prière... Repliés vers cette lumière Du ciel rouvert, --Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, --Et que leur lange blanc tremblotte Au vent d'hiver... 20 septembre 1870. LES CHERCHEUSES DE POUX Quand le front de l'enfant plein de rouges tourmentes, Implore l'essaim blanc des rêves indistincts, Il vient près de son lit deux grandes soeurs charmantes Avec de frêles doigts aux ongles argentins. Elles assoient l'enfant devant une croisée Grande ouverte où l'air bleu baigne un fouillis de fleurs, Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs. Il écoute chanter leurs haleines craintives Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés Et qu'interrompt parfois un sifflement, salives Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers. Il entend leurs cils noirs battant sous les silences Parfumés; et leurs doigts électriques et doux Font crépiter parmi ses grises indolences Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux. Voilà que monte en lui le vin de la Paresse, Soupir d'harmonica qui pourrait délirer; L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses, Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer. BATEAU IVRE Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs; Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. J'étais insoucieux de tous les équipages, Porteur de blés flamands ou de cotons anglais. Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages, Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais. Dans les clapotements furieux des marées, Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants, Je courus! Et les Péninsules démarrées, N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants. La tempête a béni mes éveils maritimes. Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes, Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots. Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures L'eau verte pénétra ma coque de sapin Et des taches de vins bleus et des vomissures Me lava, dispersant gouvernail et grappin. Et dès lors je me suis baigné dans le poème De la mer, infusé d'astres et latescent, Dévorant les azurs verts où, flottaison blême Et ravie, un noyé pensif parfois descend, Où, teignant tout à coup les bleuités, délires Et rythmes lents sous les rutilements du jour, Plus fortes que l'alcool, plus vastes que vos lyres, Fermentent les rousseurs amères de l'amour. Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes, Et les ressacs, et les courants, je sais le soir, L'aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes, Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir. J'ai vu le soleil bas taché d'horreurs mystiques Illuminant de longs figements violets, Pareils à des acteurs de drames très antiques, Les flots roulant au loin leurs frissons de volets; J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies, Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur, La circulation des sèves inouïes Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs. J'ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries Hystériques, la houle à l'assaut des récifs, Sans songer que les pieds lumineux des Maries Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs; J'ai heurté, savez-vous? d'incroyables Florides, Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux D'hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides, Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux; J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan, Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces Et les lointains vers les gouffres cataractant! Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises! Échouages hideux au fond des golfes bruns Où les serpents géants dévorés des punaises Choient des arbres tordus avec de noirs parfums! J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants, Des écumes de fleurs ont béni mes dérades Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants. Parfois, martyr lassé des pôles et des zones, La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes Et je restais ainsi qu'une femme à genoux, Presqu'île ballottant sur mes bords les querelles Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds, Et je voguais lorsqu'à travers mes liens frêles Des noyés descendaient dormir à reculons. Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses, Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau, Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau, Libre, fumant, monté de brumes violettes, Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur Qui porte, confiture exquise aux bons poètes, Des lichens de soleil et des morves d'azur, Qui courais taché de lunules électriques, Plante folle, escorté des hippocampes noirs, Quand les Juillets faisaient croûler à coups de triques Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs, Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais, Fileur éternel des immobilités bleues, Je regrette l'Europe aux anciens parapets. J'ai vu des archipels sidéraux! Et des îles Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur: --Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles, Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur? Mais, vrai, j'ai trop pleuré! Les aubes sont navrantes, Toute lune est atroce et tout soleil amer. L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes. Oh! que ma quille éclate! Oh! que j'aille à la mer! Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé, Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche Un bateau frêle comme un papillon de mai. Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames, Enlever leur sillage aux porteurs de cotons, Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes, Ni nager sous les yeux horribles des pontons! LES PREMIÈRES COMMUNIONS I Vraiment, c'est bête, ces églises de villages Où quinze laids marmots, encrassant les piliers, Écoutent, grasseyant les divins babillages, Un noir grotesque dont fermentent les souliers. Mais le soleil éveille, à travers les feuillages, Les vieilles couleurs des vitraux ensoleillés, La pierre sent toujours la terre maternelle, Vous verrez des monceaux de ces cailloux terreux Dans la campagne en rut qui frémit, solennelle, Portant, près des blés lourds, dans les sentiers séreux, Ces arbrisseaux brûlés où bleuit la prunelle, Des noeuds de mûriers noirs ou de rosiers furieux. Tous les cent ans, on rend ces granges respectables Par un badigeon d'eau bleue et de lait caillé. Si des mysticités grotesques sont notables Près de la Notre-Dame ou du saint empaillé, Des mouches sentant bon l'auberge et les étables Se gorgent de cire au plancher ensoleillé. L'enfant se doit surtout à la maison, famille Des soins naïfs, des bons travaux abrutissants, Ils sortent, oubliant que la peau leur fourmille Où le Prêtre du Christ a mis ses doigts puissants. On paie au Prêtre un toit ombré d'une charmille Pour qu'il laisse au soleil tous ces fronts bruissants. Le premier habit noir, le plus beau jour de tartes Sous le Napoléon ou le Petit Tambour, Quelque enluminure où les Josephs et les Marthes Tirent la langue avec un excessif amour Et qui joindront aux jours de science deux cartes, Ces deux seuls souvenirs lui restent du grand jour. Les filles vont toujours à l'église, contentes De s'entendre appeler garces par les garçons Qui font du genre, après messe et vêpres chantantes, Eux, qui sont destinés au chic des garnisons, Ils narguent au café les maisons importantes, Blousés neuf et gueulant d'effroyables chansons. Cependant le curé choisit, pour les enfances, Des dessins; dans son clos, les vêpres dites, quand L'air s'emplit du lointain nasillement des danses, Il se sent, en dépit des célestes défenses, Les doigts de pied ravis et le mollet marquant... --La nuit vient, noir pirate au ciel noir débarquant. II Le prêtre a distingué, parmi les catéchistes Congrégés des faubourgs ou des riches quartiers, Cette petite fille inconnue, aux yeux tristes, Front jaune. Ses parents semblent de doux portiers. Au grand jour, la marquant parmi les catéchistes, Dieu fera, sur son front, neiger ses bénitiers. La veille du grand jour, l'enfant se fait malade Mieux qu'à l'église haute aux funèbres rumeurs. D'abord le frisson vient, le lit n'étant pas fade, Un frisson surhumain qui retourne: Je meurs... Et, comme un vol d'amour fait à ses soeurs stupides, Elle compte, abattue et les mains sur son coeur, Ses Anges, ses Jésus et ses Vierges nitides, Et, calmement, son âme a bu tout son vainqueur. Adonaï!... Dans les terminaisons latines Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils Et tachés du sang pur des célestes poitrines, De grands linges neigeux tombent sur les soleils. Pour ses virginités présentes et futures Elle mord aux fraîcheurs de ta Rémission; Mais plus que les lys d'eau, plus que les confitures Tes pardons sont glacés, ô Reine de Sion. III Puis la Vierge n'est plus que la Vierge du livre; Les mystiques élans se cassent quelquefois, Et vient la pauvreté des images que cuivre L'ennui, l'enluminure atroce et les vieux bois. Des curiosités vaguement impudiques Épouvantent le rêve aux chastes bleuités Qui sont surpris autour des célestes tuniques Du linge dont Jésus voile ses nudités. Elle veut, elle veut pourtant, l'âme en détresse, Le front dans l'oreiller creusé par les cris sourds, Prolonger les éclairs suprêmes de tendresse Et bave...--L'ombre emplit les maisons et les cours, Et l'enfant ne peut plus. Elle s'agite et cambre Les reins, et d'une main ouvre le rideau bleu Pour amener un peu la fraîcheur de la chambre Sous le drap, vers son ventre et sa poitrine en feu. IV À son réveil,--minuit,--la fenêtre était blanche Devant le soleil bleu des rideaux illunés; La vision la prit des langueurs du Dimanche, Elle avait rêvé rouge. Elle saigna du nez, Et se sentant bien chaste et pleine de faiblesse, Pour savourer en Dieu son amour revenant, Elle eut soif de la nuit où s'exalte et s'abaisse Le coeur, sous l'oeil des cieux doux, en les devinant; De la nuit, Vierge-Mère impalpable qui baigne Tous les jeunes émois de ses silences gris; Elle eut soif de la nuit forte où le coeur qui saigne Écoute sans témoin sa révolte sans cris. Et, faisant la victime et la petite épouse, Son étoile la vit, une chandelle aux doigts, Descendre dans la cour où séchait une blouse, Spectre blanc, et lever les spectres noirs des toits. V Elle passa sa nuit Sainte dans les latrines. Vers la chandelle, aux trous du toit, coulait l'air blanc Et quelque vigne folle aux noirceurs purpurines En deçà d'une cour voisine s'écroulant. La lucarne faisait un coeur de lueur vive Dans la cour où les cieux bas plaquaient d'ors vermeils Les vitres; les pavés puant l'eau de lessive Souffraient l'ombre des toits bordés de noirs sommeils. VI Qui dira ces langueurs et ces pitiés immondes Et ce qui lui viendra de haine, ô sales fous, Dont le travail divin déforme encor les mondes Quand la lèpre, à la fin, rongera ce corps doux, Et quand, ayant rentré tous ces noeuds d'hystéries Elle verra, sous les tristesses du bonheur, L'amant rêver au blanc million de Maries Au matin de la nuit d'amour, avec douleur! VII Sais-tu que je t'ai fait mourir? J'ai pris ta bouche, Ton coeur, tout ce qu'on a, tout ce que vous avez, Et moi je suis malade. Oh! je veux qu'on me couche Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés! J'étais bien jeune, et Christ a souillé mes haleines, Il me bonda jusqu'à la gorge de dégoûts; Tu baisais mes cheveux profonds comme des laines, Et je me laissais faire!... Oh! va... c'est bon pour vous, Hommes! qui songez peu que la plus amoureuse Est, dans sa conscience, aux ignobles terreurs La plus prostituée et la plus douloureuse Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs. Car ma communion première est bien passée! Tes baisers, je ne puis jamais les avoir bus. Et mon coeur et ma chair par ta chair embrassée Fourmillent du baiser putride de Jésus... VIII Alors l'âme pourrie et l'âme désolée Sentiront ruisseler tes malédictions. --Ils avaient couché sur ta haine inviolée Echappés, pour la mort, des justes passions. Christ, ô Christ, éternel voleur des énergies, Dieu qui, pour deux mille ans, vouas, à ta pâleur, Cloués au sol, de honte et de céphalalgies, Ou renversés, les fronts des Femmes de douleur. Juillet 1871. L'ORGIE PARISIENNE OU PARIS SE REPEUPLE Ô lâches, la voilà! dégorgez dans les gares! Le soleil expia de ses poumons ardents Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares Voilà la Cité belle assise à l'occident! Allez! on préviendra les reflux d'incendie, Voilà les quais! voilà les boulevards! voilà, Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie, Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila. Cachez les palais morts dans des niches de planches L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards. Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches, Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards! Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes, Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez! Mangez! voici la nuit de joie aux profonds spasmes Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés, Buvez. Quand La lumière arrive intense et folle Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants, Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole, Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs, Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes! Écoutez l'action des stupides hoquets Déchirants. Écoutez, sauter aux nuits ardentes Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais! Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables, Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs! Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables... Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs! Ouvrez votre narine aux superbes nausées! Trempez de poisons forts les cordes de vos cous! Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées Le Poète vous dit: ô lâches, soyez fous! Parce que vous fouillez le ventre de la Femme Vous craignez d'elle encore une convulsion Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme Sur sa poitrine, en une horrible pression. Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques, Qu'est-ce que ça peut faire à la pudeur Paris, Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques? Elle se secouera de vous, hargneux pourris! Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus, La rouge courtisane aux seins gros des batailles, Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus! Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, Paris! quand tu reçus tant de coups de couteau, Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires, Un peu de la bonté du fauve renouveau, Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte, La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes, Cité que le Passé sombre pourrait bénir: Corps remagnétisé pour les énormes peines, Tu rebois donc la vie effroyable! tu sens Sourdre le flux des vers livides en tes veines, Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants! Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés. Quoique ce soit affreux de te revoir couverte Ainsi; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité Ulcère plus puant à la Nature verte, Le Poète te dit «Splendide est ta Beauté!» L'orage t'a sacrée suprême poésie; L'immense remuement des forces te secourt; Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie! Amasse les strideurs au coeur du clairon lourd. Le Poète prendra le sanglot des Infâmes, La haine des Forçats, la clameur des maudits; Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes. Ses strophes bondiront, voilà! voilà! bandits! --Société, tout est rétabli:--les orgies Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars: Et les gaz en délire aux murailles rougies Flambent sinistrement vers les azurs blafards! Mai 1871. ACCROUPISSEMENTS Bien tard, quand il se sent l'estomac écoeuré, Le frère Milotus un oeil à la lucarne D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré, Lui darde une migraine et fait son regard darne, Déplace dans les draps son ventre de curé. Il se démène sous sa couverture grise Et descend ses genoux à son ventre tremblant, Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise, Car il lui faut, le poing à l'anse d'un pot blanc, À ses reins largement retrousser sa chemise! Or, il s'est accroupi frileux, les doigts de pied Repliés grelottant au clair soleil qui plaque Des jaunes de brioches aux vitres de papiers, Et le nez du bonhomme où s'allume la laque Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe Au ventre: il sent glisser ses cuisses dans le feu Et ses chausses roussir et s'éteindre sa pipe; Quelque chose comme un oiseau remue un peu À son ventre serein comme un morceau de tripe! Autour, dort un fouillis de meubles abrutis Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres, Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis Aux coins noirs: des buffets ont des gueules de chantres Qu'entr'ouvre un sommeil plein d'horribles appétits. L'écoeurante chaleur gorge la chambre étroite, Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons, Il écoute les poils pousser dans sa peau moite Et parfois en hoquets fort gravement bouffons S'échappe, secouant son escabeau qui boite... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et le soir aux rayons de lune qui lui font Aux contours du cul des bavures de lumière, Une ombre avec détails s'accroupit sur un fond De neige rose ainsi qu'une rose trémière... Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond. LES PAUVRES À L'ÉGLISE Parqués entre des bancs de chêne, aux coins d'église Qu'attiédit puamment leur souffle, tous leurs yeux Vers le coeur ruisselant d'orrie et la maîtrise Aux vingt gueules gueulant les cantiques pieux; Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire, Heureux, humiliés comme des chiens battus, Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire, Tendent leurs oremus risibles et têtus. Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses; Après les six jours noirs où Dieu les fait souffrir! Elles bercent, tordus dans d'étranges pelisses, Des espèces d'enfants qui pleurent à mourir; Leurs seins crasseux dehors, ces mangeuses de soupe, Une prière aux yeux et ne priant jamais, Regardent parader mauvaisement un groupe De gamines avec leurs chapeaux déformés. Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribote: C'est bon. Encore une heure; après, les maux sans nom --Cependant, alentour, geint, nazille, chuchote Une collection de vieilles à fanons; Ces effarés y sont et ces épileptiques Dont on se détournait hier aux carrefours; Et, fringalant du nez dans des missels antiques Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours. Et tous, bavant la foi mendiante et stupide, Récitent la complainte infinie à Jésus Qui rêve en haut, jauni par le vitrail livide, Loin des maigres mauvais et des méchants pansus, Loin des senteurs de viande et d'étoffes moisies, Farce prostrée et sombre aux gestes repoussants; --Et l'oraison fleurit d'expressions choisies, Et les mysticités prennent des tons pressants, Quand, des nefs où périt le soleil, plis de soie Banals, sourires verts, les Dames des quartiers Distingués,--ô Jésus!--les malades du foie Font baiser leurs longs doigts jaunes aux bénitiers. 1871 CE QUI RETIENT NINA LUI Ta poitrine sur ma poitrine, Hein? nous irions, Ayant de l'air plein la narine, Aux frais rayons Du bon matin bleu qui vous baigne Du vin de jour?... Quand tout le bois frissonnant saigne Muet d'amour De chaque branche, gouttes vertes, Des bourgeons clairs, On sent dans les choses ouvertes Frémir des chairs; Tu plongerais dans la luzerne Ton long peignoir, Divine avec ce bleu qui cerne Ton grand oeil noir, Amoureuse de la campagne, Semant partout, Comme une mousse de champagne, Ton rire fou! Riant à moi, brutal d'ivresse, Qui te prendrais Comme cela,--la belle tresse, Oh!--qui boirais Ton goût de framboise et de fraise, Ô chair de fleur! Riant au vent vif qui te baise Comme un voleur! Au rose églantier qui t'embête Aimablement... Riant surtout, ô folle tête, À ton amant!... Dix-sept ans! Tu seras heureuse! Oh! les grands prés, La grande campagne amoureuse! --Dis, viens plus près!... Ta poitrine sur ma poitrine, Mêlant nos voix, Lents, nous gagnerions la ravine, Puis les grands bois!... Puis, comme une petite morte, Le coeur pâmé, Tu me dirais que je te porte, L'oeil mi-fermé... Je te porterais, palpitante Dans le sentier... L'oiseau filerait son andante, Joli portier... Je te parlerais dans ta bouche: J'irais, pressant Ton corps, comme une enfant qu'on couche Ivre du sang Qui coule, bleu, sous ta peau blanche Aux tons rosés, Te parlant bas la langue franche... Tiens!... que tu sais... Nos grands bois sentiraient la sève, Et le soleil Sablerait d'or fin leur grand rêve Sombre et vermeil! Le soir?... Nous reprendrons la route Blanche qui court, Flânant, comme un troupeau qui broute, Tout à l'entour... Les bons vergers à l'herbe bleue Aux pommiers tors! Comme on les sent tout une lieue, Leurs parfums forts! Nous regagnerions le village Au ciel mi-noir; Et ça sentirait le laitage Dans l'air du soir: Ça sentirait l'étable pleine De fumiers chauds, Pleine d'un rythme lent d'haleine, Et de grands dos Blanchissant sous quelque lumière; Et, tout là-bas, Une vache fienterait fière, À chaque pas!... --Les lunettes de la grand'mère Et son nez long Dans son missel, le pot de bière Cerclé de plomb Moussant entre trois larges pipes Qui, crânement, Fument: dix, quinze, immenses lippes Qui, tout fumant, Happent le jambon aux fourchettes Tant, tant et plus; Le feu qui claire les couchettes, Et les bahuts: Les fesses luisantes et grasses D'un gros enfant Qui fourre, à genoux, dans des tasses, Son museau blanc Frolé par un mufle qui gronde D'un ton gentil, Et pourlèche la face ronde Du cher petit... Noire, rogue au bord de sa chaise, Affreux profil, Une vieille devant la braise Qui fait du fil; Que de choses nous verrions, chère, Dans ces taudis, Quand la flamme illumine, claire, Les carreaux gris!... --Et puis, fraîche et toute nichée Dans les lilas, La maison, la vitre cachée Qui rit là-bas... Tu viendras, tu viendras, je t'aime, Ce sera beau! Tu viendras, n'est-ce pas? et même... ELLE Mais le bureau? 15 août 1870. VÉNUS ANADYOMÈNE Comme d'un cercueil vert en fer-blanc, une tête De femme à cheveux bruns fortement pommadés D'une vieille baignoire émerge, lente et bête, Montrant des déficits assez mal ravaudés; Puis le col gras et gris, les larges omoplates Qui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort. --La graisse sous la peau paraît en feuilles plates; Et les rondeurs des reins semblent prendre l'essor... L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût Horrible étrangement,--on remarque surtout Des singularités qu'il faut voir à la loupe... Les reins portent deux mots gravés: _Clara Vénus_ --Et tout ce corps remue et tend sa large croupe Belle hideusement d'un ulcère à l'anus. 27 juillet 1870. «Français de soixante-dix, bonapartistes, républicains, souvenez-vous de vos pères en 92, etc...» PAUL DE CASSAGNAC _(Le Pays)_ Morts de quatre-vingt-douze et de quatre-vingt-treize Qui, pâles du baiser fort de la liberté, Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse Sur l'âme et sur le front de toute humanité; Hommes extasiés et grands dans la tourmente, Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons, Ô soldats que la Mort a semés, noble Amante, Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons; Vous dont le sang lavait toute grandeur salie, Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie, Ô Million de Christs aux yeux sombres et doux; Nous vous laissions dormir avec la République, Nous, courbés sous les rois comme sous une trique: --Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous! 3 septembre 1870. COMÉDIE EN TROIS BAISERS Elle était fort déshabillée, Et de grands arbres indiscrets Aux vitres penchaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près. Assise sur ma grande chaise, Mi-nue elle joignait les mains. Sur le plancher frissonnaient d'aise Ses petits pieds si fins, si fins. --Je regardai, couleur de cire Un petit rayon buissonnier Papillonner, comme un sourire, Sur son beau sein, mouche au rosier, --Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un long rire tris-mal Qui s'égrenait en claires trilles, Une risure de cristal... Les petits pieds sous la chemise Se sauvèrent: «Veux-tu finir!» --La première audace permise, Le rire feignait de punir! --Pauvrets palpitant sous ma lèvre, Je baisai doucement ses yeux: --Elle jeta sa tête mièvre En arrière: «Oh! c'est encor mieux!...» «Monsieur, j'ai deux mots à te dire...» --Je lui jetai le reste au sein Dans un baiser, qui la fit rire D'un bon rire qui voulait bien... --Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres penchaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près. SENSATION Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l'herbe menue: Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue! Je ne parlerai pas, je ne penserai rien; Mais l'amour infini me montera dans l'âme, Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien Par la Nature,--heureux comme avec une femme. Mars 1870. BAL DES PENDUS Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins. Messire Belzebuth tire par la cravate Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel, Et, leur claquant au front un revers de savate, Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël! Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles: Comme des orgues noirs, les poitrines à jour Que serraient autrefois les gentes damoiselles, Se heurtent longuement dans un hideux amour. Hurrah! les gais danseurs, qui n'avez plus de panse! On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs! Hop! qu'on ne sache plus si c'est bataille ou danse! Belzebuth enragé râcle ses violons! Ô durs talons, jamais on n'use sa sandale! Presque tous ont quitté la chemise de peau: Le reste est peu gênant et se voit sans scandale. Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau: Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées, Un morceau de chair tremble à leur maigre menton: On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées, Des preux, raides, heurtant armures de carton. Hurrah! la bise siffle au grand bal des squelettes! Le gibet noir mugit comme un orgue de fer! Les loups vont répondant des forêts violettes: À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer... Holà, secouez-moi ces capitans funèbres Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres: Ce n'est pas un monstier ici, les trépassés! Oh! voilà qu'au milieu de la danse macabre Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre: Et, se sentant encor la corde raide au cou, Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque Avec des cris pareils à des ricanements, Et, comme un baladin rentre dans la baraque, Rebondit dans le bal au chant des ossements. Au gibet noir, manchot aimable, Dansent, dansent les paladins, Les maigres paladins du diable, Les squelettes de Saladins. ROMAN I On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. --Un beau soir, foin des bocks et de la limonade, Ces cafés tapageurs aux lustres éclatants! --On va sous les tilleuls verts de la promenade, Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin! L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière; Le vent chargé de bruits,--la ville n'est pas loin,-- A des parfums de vigne et des parfums de bière... II --Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon D'azur sombre, encadré d'une petite branche, Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche... Nuit de juin! Dix-sept ans!--On se laisse griser. La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague; on se sent aux lèvres un baiser Qui palpite là, comme une petite bête... III Le coeur fou Robinsonne à travers les romans, --Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère, Passe une demoiselle aux petits airs charmants, Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père... Et, comme elle vous trouve immensément naïf, Tout en faisant trotter ses petites bottines, Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif... --Sur vos lèvres alors meurent les cavatines... IV Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au moi d'août. Vous êtes amoureux.--Vos sonnets la font rire. Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût. --Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire...! --Ce soir-là, ...--vous rentrez aux cafés éclatants, Vous demandez des bocks ou de la limonade... --On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade. 23 septembre 1870. RAGES DE CÉSARS L'Homme pâle, le long des pelouses fleuries, Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents: L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries --Et parfois son oeil terne a des regards ardents...! Car l'Empereur est saoûl de ses vingt ans d'orgie! Il s'était dit: «Je vais souffler la Liberté Bien délicatement, ainsi qu'une bougie!» La Liberté revit! Il se sent éreinté! Il est pris.--Oh! quel nom sur ses lèvres muettes Tressaille? Quel regret incapable le mord? On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort. Il repense peut-être au Compère en lunettes... --Et regarde filer de son cigare en feu, Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu LE MAL Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu; Tandis qu'une folie épouvantable, broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant; --Pauvres morts! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature! ô toi qui fis ces hommes saintement!...-- --Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or; Qui dans le bercement des hosannah s'endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir! OPHÉLIE I Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles, La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... --On entend dans les bois de lointains hallalis... Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir; Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir. Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses longs voiles bercés mollement par les eaux; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile. --Un chant mystérieux tombe des astres d'or. II Ô pâle Ophélia! belle comme la neige, Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté! --C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté! C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure, À ton esprit rêveur portait d'étranges bruits; Que ton coeur entendait la voix de la Nature Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits! C'est que la voix des mers, comme un immense râle, Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux; C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou s'assit, muet, à tes genoux! Ciel! Amour! Liberté! Quel rêve, ô pauvre Follet Tu te fondais à lui comme une neige au feu. Tes grandes visions étranglaient ta parole: --Un Infini terrible effara ton oeil bleu! III --Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis; Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys. LE CHÂTIMENT DE TARTUFE Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée, Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux, Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée, Un jour qu'il s'en allait, «Orémus»,--un Méchant Le prit rudement par son oreille benoite Et lui jeta des mots affreux, en arrachant Sa chaste robe noire autour de sa peau moite! Châtiment!... Ses habits étaient déboutonnés, Et le long chapelet des péchés pardonnés S'égrenant dans son coeur, Saint Tartufe était pâle!... Donc, il se confessait, priait, avec un râle! L'homme se contenta d'emporter ses rabats... --Peuh! Tartufe était nu du haut jusques en bas! À LA MUSIQUE _Place de la Gare, à Charleville._ Sur la place taillée en mesquines pelouses, Square où tout est correct, les arbres et les fleurs, Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses. Un orchestre guerrier, au milieu du jardin, Balance ses schakos dans la Valse des fifres: On voit, aux premiers rangs, parader le gandin, Les notaires montrent leurs breloques à chiffres: Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs; Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames, Auprès desquelles vont, officieux cornacs, Celles dont les volants ont des airs de réclames; Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme, Fort sérieusement discutent des traités, Puis prisent en argent, mieux que monsieur Prud'homme! Étalant sur un banc les rondeurs de ses reins, Un bourgeois bienheureux, à bedaine flamande, Savoure, s'abîmant en des rêves divins, La musique française et la pipe allemande! Au bord des gazons frais ricanent les voyous; Et, rendus amoureux par le chant des trombones, Très naïfs, et fumant des roses, des pioupious Caressent les bébés pour enjôler les bonnes... --Moi, je suis, débraillé comme un étudiant, Sous les marronniers verts les alertes fillettes: Elles le savent bien, et tournent en riant, Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes. Je ne dis pas un mot: je regarde toujours La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles; Je suis, sous leur corsage et les frêles atours, Le dos divin après la courbe des épaules... Je cherche la bottine... et je vais jusqu'aux bas; Je reconstruis le corps, brûlé de belles fièvres. Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas... --Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres... LE FORGERON _Palais des Tuileries, vers le 10 août 92._ Le bras sur un marteau gigantesque, effrayant D'ivresse et de grandeur, le front vaste, riant Comme un clairon d'airain, avec toute sa bouche, Et prenant ce gros-là dans son regard farouche, Le Forgeron parlait à Louis Seize, un jour Que le Peuple était là, se tordant tout autour, Et sur les lambris d'or traînant sa veste sale. Or le bon roi, debout sur son ventre, était pâle, Pâle comme un vaincu qu'on prend pour le gibet, Et, soumis comme un chien, jamais ne regimbait, Car ce maraud de forge aux énormes épaules Lui disait de vieux mots et des choses si drôles, Que cela l'empoignait au front, comme cela! «Or, tu sais bien, Monsieur, nous chantions tra la la Et nous piquions les boeufs vers les sillons des autres: Le Chanoine au soleil filait des patenôtres Sur des chapelets clairs grenés de pièces d'or. Le Seigneur, à cheval, passait, sonnant du cor Et l'un avec la hart, l'autre avec la cravache Nous fouillaient.--Hébétés comme des yeux de vache, Nos yeux ne pleuraient plus; nous allions, nous allions Et quand nous avions mis le pays en sillons, Quand nous avions laissée dans cette terre noire Un peu de notre chair... nous avions un pourboire: On nous faisait flamber nos taudis dans la nuit, Nos petits y faisaient un gâteau fort bien cuit. ... «Oh! je ne me plains pas. Je te dis mes bêtises, C'est entre nous. J'admets que tu me contredises, Or, n'est-ce pas joyeux de voir, au mois de juin Dans les granges entrer des voitures de foin Énormes? De sentir l'odeur de ce qui pousse, Des vergers quand il pleut un peu, de l'herbe rousse? De voir des blés, des blés, des épis pleins de grain, De penser que cela prépare bien du pain... Oh! plus fort, on irait, au fourneau qu'il s'allume, Chanter joyeusement en martelant l'enclume, Si l'on était certain de pouvoir prendre un peu, Étant homme, à la fin! de ce que donne Dieu! «Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire!... Mais je sais, maintenant! Moi je ne peux plus croire, Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau, Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre; Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre, De prendre mon garçon comme cela, chez moi! --Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, Tu me dirais: Je veux!...--Tu vois bien, c'est stupide. Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide, Tes officiers dorés, tes mille chenapans, Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons: Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles Et nous dirons: C'est bien; les pauvres à genoux! Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous! Et tu te soûleras, tu feras belle fête. --Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête! «Non. Ces saletés-là datent de nos papas! Oh! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière. Cette bête suait du sang à chaque pierre Et c'était dégoûtant, la Bastille debout Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre! --Citoyen! citoyen! c'était le passé sombre Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour. Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines. Et, comme des chevaux, en soufflant des narines Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là... Nous marchions au soleil, front haut; comme cela, Dans Paris! On venait devant nos vestes sales. Enfin! Nous nous sentions Hommes! Nous étions pâles Sire, nous étions soûls de terribles espoirs: Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs, Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne, Les piques à la main; nous n'eûmes pas de haine, --Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . «Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous! Le tas des ouvriers a monté dans la rue, Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue De sombres revenants, aux portes des richards. Moi, je cours avec eux assommer les mouchards: Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule, Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle, Et, si tu me riais au nez, je te tuerais! --Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes Pour se les renvoyer comme sur des raquettes Et, tout bas, les malins se disent; «Qu'ils sont sots!» Pour mitonner des lois, coller de petits pots Pleins de jolis décrets roses et de droguailles, S'amuser à couper proprement quelques tailles, Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux --Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux! Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes..., C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes! Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats Et de ces ventres-dieux. Ah! ce sont là les plats Que tu nous sers bourgeois, quand nous sommes féroces Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses!... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il le prend par le bras, arrache le velours Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule, La foule épouvantable avec des bruits de houle Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, Avec ses bâtons forts et ses piques de fer, Ses tambours, ses grands cris de halles et de bouges, Tas sombre de haillons saignants de bonnets rouges; L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout Au roi pâle, et suant qui chancelle debout, Malade à regarder cela! «C'est la crapule, Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule: --Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux! Je suis un forgeron: ma femme est avec eux, Folle! Elle croit trouver du pain aux Tuileries! --On ne veut pas de nous dans les boulangeries. J'ai trois petits. Je suis crapule.--Je connais Des vieilles qui s'en vont pleurant sous leurs bonnets Parce qu'on leur a pris leur garçon ou leur fille: C'est la crapule.--Un homme était à la Bastille, Un autre était forçat: et, tous deux, citoyens Honnêtes. Libérés, ils sont comme des chiens: On les insulte! Alors, ils ont là quelque chose Qui leur fait mal, allez! C'est terrible, et c'est cause Que, se sentant brisés, que, se sentant damnés, Ils sont là, maintenant, hurlant sous votre nez! Crapule.--Là dedans sont des filles, infâmes Parce que,--vous saviez que c'est faible, les femmes, Messeigneurs de la cour,--que ça veut toujours bien, Vous avez craché sur l'âme, comme rien! Vos belles, aujourd'hui, sont là. C'est la crapule. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . «Oh! tous les malheureux, tous ceux dont le dos brûle Sous le soleil féroce, et qui vont, et qui vont, Qui dans ce travail-là sentent crever leur front. Chapeau bas, mes bourgeois! Oh! ceux-là sont les Hommes! Nous sommes Ouvriers, Sire! Ouvriers! Nous sommes Pour les grands temps nouveaux où l'on voudra savoir, Où l'Homme forgera du matin jusqu'au soir, Chasseur des grands effets, chasseur des grandes causes Ou, lentement vainqueur, il domptera les choses Et montera sur Tout, comme sur un cheval! Oh! splendides lueurs des forges! Plus de mal, Plus!--Ce qu'on ne sait pas, c'est peut-être terrible: Nous saurons!--Nos marteaux en main; passons au crible Tout ce que nous savons: puis, Frères, en avant! Nous faisons quelquefois ce grand rêve émouvant De vivre simplement, ardemment, sans rien dire De mauvais, travaillant sous l'auguste sourire D'une femme qu'on aime avec un noble amour: Et l'on travaillerait fièrement tout le jour, Écoutant le devoir comme un clairon qui sonne: Et l'on se sentirait très heureux: et personne Oh! personne, surtout, ne vous ferait ployer! On aurait un fusil au-dessus du foyer... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Oh! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille! Que te disais-je donc? Je suis de la canaille! Il reste des mouchards et des accapareurs. Nous sommes libres, nous! Nous avons des terreurs Où nous nous sentons grands, oh! si grands! Tout à l'heure Je parlais de devoir calme, d'une demeure... Regarde donc le ciel!--C'est trop petit pour nous, Nous crèverions de chaud, nous serions à genoux! Regarde donc le ciel!--Je rentre dans la foule Dans la grande canaille effroyable qui roule, Sire, tes vieux canons sur les sales pavés; --Oh! quand nous serons morts, nous les aurons lavés. --Et si, devant nos cris, devant notre vengeance, Les pattes des vieux rois mordorés, sur la France Poussaient leurs régiments en habits de gala, Eh bien, n'est-ce pas, vous tous? Merde à ces chiens-là . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . --Il reprit son marteau sur l'épaule. La foule Près de cet homme-là se sentait l'âme soûle, Et, dans la grande cour, dans les appartements, Où Paris haletait avec des hurlements, Un frisson secoua l'immense populace. Alors, de sa main large et superbe de crasse Bien que le roi ventru suât, le Forgeron, Terrible, lui jeta le bonnet rouge au front! SOLEIL ET CHAIR Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie, Verse l'amour brûlant à la terre ravie, Et, quand on est couché sur la vallée, on sent Que la terre est nubile et déborde de sang; Que son immense sein, soulevé par une âme, Est d'amour comme dieu, de chair comme la femme, Et qu'il renferme, gros de sève et de rayons, Le grand fourmillement de tous les embryons! Et tout croît, et tout monte! Ô Vénus, ô Déesse! Je regrette les temps de l'antique jeunesse, Des satyres lascifs, des faunes animaux, Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux Et dans les nénufars baisaient la Nymphe blonde! Je regrette les temps où la sève du monde, L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts Dans les veines de Pan mettaient un univers! Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre; Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour; Où, debout sur la plaine, il entendait autour Répondre à son appel la Nature vivante; Où, les arbres muets, berçant l'oiseau qui chante, La terre berçant l'homme, et tout l'Océan bleu Et tous les animaux, aimaient, aimaient en Dieu! Je regrette les temps de la grande Cybèle Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle, Sur un grand char d'airain, les splendides cités; Son double sein versait dans les immensités Le pur ruissellement de la vie infinie. L'Homme suçait, heureux, sa mamelle bénie, Comme un petit enfant, jouant sur ses genoux. --Parce qu'il était fort, l'Homme était chaste et doux. Misère! Maintenant il dit: Je sais les choses, Et va, les yeux fermés et les oreilles closes; --Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme est Roi! L'Homme est Dieu! Mais l'Amour, voilà la grande Foi! Oh! si l'homme puisait encore à ta mamelle, Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle; S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, Montra son nombril rose où vint neiger l'écume, Et fit chanter, Déesse aux grands yeux noirs vainqueurs, Le rossignol aux bois et l'amour dans les coeurs! II Je crois en toi! Je crois en toi! Divine mère, Aphrodite marine!--Oh! la route est amère Depuis que l'autre Dieu nous attelle à sa croix; Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois! --Oui l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste, Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste, Parce qu'il a sali son fier buste de Dieu, Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu, Son corps olympien aux servitudes sales! Oui, même après la mort, dans les squelettes pâles Il veut vivre, insultant la première beauté! --Et l'Idole où tu mis tant de virginité, Où tu divinisas notre argile, la Femme, Afin que l'homme pût éclairer sa pauvre âme Et monter lentement, dans un immense amour, De la prison terrestre à la beauté du jour, La femme ne sait plus même être courtisane! --C'est une bonne farce! et le monde ricane Au nom doux et sacré de la grande Vénus! III Si les temps revenaient, les temps qui sont venus! --Car l'Homme a fini! l'Homme a joué tous les rôles! Au grand jour, fatigué de briser des idoles Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux, Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux! L'Idéal, la pensée invincible, éternelle, Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle, Montera, montera, brûlera sous son front! Et quand tu le verras sonder tout l'horizon, Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte, Tu viendras lui donner la Rédemption sainte! --Splendide, radieuse, au sein des grandes mers Tu surgiras, jetant sur le vaste Univers L'Amour infini dans un infini sourire! Le Monde vibrera comme une immense lyre Dans le frémissement d'un immense baiser: --Le Monde a soif d'amour: tu viendras l'apaiser. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . IV Ô splendeur de la chair! ô splendeur idéale! Ô renouveau d'amour, aurore triomphale Où, courbant à leurs pieds les Dieux et les Héros Kallipige la blanche et le petit Éros Effleureront, couverts de la neige des roses, Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses! Ô grande Ariadné, qui jettes tes sanglots Sur la rive, en voyant fuir là-bas sur les flots, Blanche sous le soleil, la voile de Thésée, Ô douce vierge enfant qu'une nuit a brisée, Tais-toi! Sur son char d'or brodé de noirs raisins, Lysios, promené dans les champs Phrygiens Par les tigres lascifs et les panthères rousses, Le long des fleuves bleus rougit les sombres mousses. Zeus, Taureau, sur son cou berce comme un enfant Le corps nu d'Europé, qui jette son bras blanc Au cou nerveux du Dieu frissonnant dans la vague, Il tourne lentement vers elle son oeil vague; Elle, laisse traîner sa pâle joue en fleur Au front de Zeus; ses yeux sont fermés; elle meurt Dans un divin baiser, et le flot qui murmure De son écume d'or fleurit sa chevelure. --Entre le laurier-rose et le lotus jaseur Glisse amoureusement le grand Cygne rêveur Embrassant la Léda des blancheurs de son aile; --Et tandis que Cypris passe, étrangement belle, Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins, Étale fièrement l'or de ses larges seins Et son ventre neigeux brodé de mousse noire, --Héraclès, le Dompteur, qui, comme d'une gloire Fort, ceint son vaste corps de la peau du lion, S'avance, front terrible et doux, à l'horizon! Par la lune d'été vaguement éclairée, Debout, nue, et rêvant dans sa pâleur dorée Que tache le flot lourd de ses longs cheveux bleus, Dans la clairière sombre où la mousse s'étoile, La Dryade regarde au ciel silencieux... --La blanche Séléné laisse flotter son voile, Craintive, sur les pieds du bel Endymion, Et lui jette un baiser dans un pâle rayon... --La Source pleure au loin dans une longue extase... C'est la Nymphe qui rêve, un coude sur son vase, Au beau jeune homme blanc que son onde a pressé. --Une brise d'amour dans la nuit a passé, Et, dans les bois sacrés, dans l'horreur des grands arbres, Majestueusement debout, les sombres Marbres, Les Dieux, au front desquels le Bouvreuil fait son nid, --Les Dieux écoutent l'Homme et le Monde infini! 7 mai 1870. LE DORMEUR DU VAL C'est un trou de verdure où chante une rivière Accrochant follement aux herbes des haillons D'argent; où le soleil, de la montagne fière, Luit: c'est un petit aval qui mousse de rayons. Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue, Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, Dort; il est étendu dans l'herbe, sous la nue, Pâle dans son lit vert où la lumière pleut. Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme Sourirait un enfant malade, il fait un somme: Nature, berce-le chaudement: il a froid. Les parfums ne font pas frissonner sa narine; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. 7 octobre 1870. AU CABARET-VERT _Cinq heures du soir._ Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi, --_Au Cabaret-Vert_: je demandai des tartines De beurre et du jambon qui fût à moitié froid. Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table Verte: je contemplai les sujets très naïfs De la tapisserie.--Et ce fut adorable, Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, --Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure!-- Rieuse, m'apporta des tartines de beurre, Du jambon tiède, dans un plat colorié, Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse D'ail,--et m'emplit la chope immense, avec sa mousse Que dorait un rayon de soleil arriéré. Octobre 1870. LA MALINE Dans la salle à manger brune, que parfumait Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise Je ramassais un plat de je ne sais quel met Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise. En mangeant, j'écoutais l'horloge,--heureux et coi. La cuisine s'ouvrit avec une bouffée --Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi, Fichu moitié défait, malinement coiffée. Et tout en promenant son petit doigt tremblant Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc, En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue, Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser; --Puis, comme ça,--bien sûr pour avoir un baiser,-- Tout bas: «Sens donc: j'ai pris une froid sur la joue...» Charleroi, octobre 1870. L'ÉCLATANTE VICTOIRE DE SARREBRUCK REMPORTÉE AUX CRIS DE VIVE L'EMPEREUR! (Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35 centimes.) Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada Flamboyant; très heureux,--car il voit tout en rose, Féroce comme Zeus et doux comme un papa; En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste Près des tambours dorés et des rouges canons, Se lèvent gentiment. Pitou remet sa veste, Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms À droite, Dumanet, appuyé sur la crosse De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse, Et: «Vive l'Empereur!!»--Son voisin reste coi... Un schako surgit, comme un soleil noir...--Au centre Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre Se dresse, et,--présentant ses derrières: «De quoi?...» Octobre 1870. RÊVÉ POUR L'HIVER _À Elle._ L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose Avec des coussins bleus. Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose Dans chaque coin moelleux. Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace, Grimacer les ombres des soirs, Ces monstruosités hargneuses, populace De démons noirs et de loups noirs. Puis tu te sentiras la joue égratignée... Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou... Et tu me diras: «Cherche!» en inclinant la tête; --Et nous prendons du temps à trouver cette bête! --Qui voyage beaucoup... En wagon, le 7 octobre 1870. LE BUFFET C'est un large buffet sculpté; le chêne sombre, Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens; Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants; Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries, De linges odorants et jaunes, de chiffons De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries, De fichus de grand'mère où sont peints des griffons; --C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits. --Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires, Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis Quand s'ouvrent lentement tes grands portes noires. Octobre 1870. MA BOHÈME (_Fantaisie_) Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; Mon paletot aussi devenait idéal; J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal; Oh! là là! que d'amours splendides j'ai rêvées! Mon unique culotte avait un large trou. --Petit Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse; --Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou. Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Comme des lyres, je tirais les élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur! Octobre 1870. ENTENDS COMME BRAME Entends, comme brame près des acacias en avril la rame viride du pois! Dans sa vapeur nette, Vers Phoebé! tu vois s'agiter la tête de saints d'autrefois... Loin des claires meules des caps, des beaux toits, ces chers Anciens veulent ce philtre sournois... Or ni feriale ni astrale! n'est la brume qu'exhale ce nocturne effet. Néanmoins ils restent, --Sicile, Allemagne, dans ce brouillard triste et blêmi, justement! CHANT DE GUERRE PARISIEN Le printemps est évident, car Du coeur des Propriétés vertes Le vol de Thiers et de Picard Tient ses splendeurs grandes ouvertes. Ô mai! Quels délirants cul-nus! Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières, Écoutez donc les bienvenus Semer les choses printanières! Ils ont schako, sabre et tamtam Non la vieille boîte à bougies Et des yoles qui n'ont jam... jam... Fendent le lac aux eaux rougies!... Plus que jamais nous bambochons Quand arrivent sur nos tanières[1] Crouler les jaunes cabochons Dans des aubes particulières. Thiers et Picard sont des Éros Des enleveurs d'héliotropes Au pétrole ils font des Corots. Voici hannetonner leurs tropes... Ils sont familiers du grand turc!... Et couché dans les glaïeuls, Favre, Fait son cillement aqueduc Et ses reniflements à poivre! La Grand-Ville a le pavé chaud Malgré vos douches de pétrole Et décidément il nous faut Nous secouer dans votre rôle... Et les ruraux qui se prélassent Dans de longs accroupissements Entendront des rameaux qui cassent Parmi les rouges froissements. [1] Quand viennent sur nos fourmilières (_var. de l'auteur_). MES PETITES AMOUREUSES Un hydrolat lacrymal lave Les cieux vert-chou: Sous l'arbre tendronnier qui bave Vos caoutchoucs. Blancs de lunes particulières Aux pialats ronds, Entrechoquez vos genouillères Mes laiderons! Nous nous aimions à cette époque, Bleu laideron: On mangeait des oeufs à la coque Et du mouron! Un soir tu me sacras poète, Blond laideron. Descends ici que je te fouette En mon giron; J'ai dégueulé ta bandoline Noir laideron; Tu couperais ma mandoline Au fil du front. Pouah! nos salives desséchées Roux laideron Infectent encor les tranchées De ton sein rond! Ô mes petites amoureuses Que je vous hais! Plaquez de fouffes douloureuses, Vos tétons laids! Piétinez mes vieilles terrines De sentiment; Hop donc soyez-moi ballerines Pour un moment!... Vos omoplates se déboîtent Ô mes amours! Une étoile à vos reins qui boîtent Tournez vos tours. Est-ce pourtant pour ces éclanches Que j'ai rimé! Je voudrais vous casser les hanches D'avoir aimé! Fade amas d'étoiles ratées Comblez les coins --Vous creverez en Dieu, bâtées D'ignobles soins! Sous les lunes particulières Aux pialats ronds Entrechoquez vos genouillières, Mes laiderons! LES POÈTES DE SEPT ANS _A M. P. Demeny._ Et la Mère, fermant le livre du devoir, S'en allait satisfaite et très fière sans voir, Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminence, L'âme de son enfant livrée aux répugnances. Tout le jour il suait d'obéissance; très Intelligent; pourtant des tics noirs, quelques traits, Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies. Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies, En passant il tirait la langue, les deux poings À l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. Une porte s'ouvrait sur le soir; à la lampe On le voyait, là-haut qui râlait sur la rampe, Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été Surtout, vaincu, stupide, il était entêté À se renfermer dans la fraîcheur des latrines: Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet Derrière la maison, en hiver s'illunait, Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne Et pour des visions écrasant son oeil darne, Il écoutait grouiller les galeux espaliers. Pitié! Ces enfants seuls étaient ses familiers Qui, chétifs, fronts nus, oeil déteignant sur la joue, Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue, Sous des habits puant la foire et tout vieillots, Conversaient avec la douceur des idiots! Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes, Sa mère s'effrayait; les tendresses profondes De l'enfant se jetaient sur cet étonnement. C'était bon. Elle avait le bleu regard,--qui ment! À sept ans, il faisait des romans sur la vie Du grand désert, où luit la Liberté ravie, Forêts, soleils, rives, savanes!--Il s'aidait De journaux illustrés où, rouge, il regardait Des Espagnoles rire et des Italiennes. Quand venait, l'oeil brun, folle, en robes d'indiennes, --Huit ans,--la fille des ouvriers d'à côté, La petite brutale, et qu'elle avait sauté, Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses, Car elle ne portait jamais de pantalons; --Et, par elle meurtri des poings et des talons Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. Il craignait les blafards dimanches de décembre, Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou, Il lisait une Bible à la tranche vert-chou; Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve. Il n'aimait pas Dieu; mais les hommes, qu'au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg Où les crieurs, en trois roulements de tambour Font autour des édits rire et gronder les foules. --Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or, Font leur remuement calme et prennent leur essor! Et comme il savourait surtout les sombres choses, Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, Haute et bleue, âcrement prise d'humidité, Il lisait son roman sans cesse médité, Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, Vertige, écroulements, déroutes et pitié! --Tandis que se faisait la rumeur du quartier, En bas,--seul, et couché sur des pièces de toile Écrue, et pressentant violemment le voile! 26 mai 1871. [Note (Project Gutenberg). On nous a fait savoir que le terme "le voile" dans la dernière ligne du poème «LES POÈTES DE SEPT ANS», doit être corrigée en "la voile". D'après nos recherches, le poème écrit en 1871 se terminait en effet sur les mots "la voile". La présente édition de 1895 a été corrigée de la main de Verlaine, sur des épreuves fournies par l'imprimerie Ch. Herissey à Évreux. Il nous est difficile de savoir pourquoi Verlaine a corrigé «la voile» en «le voile», ou s'agit-il d'un moment d'inattention? Ce qui est certain, notre édition marque bien «le voile».] LE COEUR VOLÉ Mon pauvre coeur bave à la poupe, Mon coeur est plein de caporal; Ils lui lancent des jets de soupe, Mon triste coeur bave à la poupe. Sous les quolibets de la troupe Qui pousse un rire général, Mon triste coeur brave à la poupe Mon coeur est plein de caporal! Ithyphalliques et pioupiesques, Leurs insultes l'ont dépravé. À la vesprée, ils font des fresques Ithyphalliques et pioupiesques, Ô flots abracadabrantesques Prenez mon coeur, qu'il soit sauvé! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs insultes l'ont dépravé! Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô coeur volé? Ce seront des refrains bachiques Quand ils auront tari leurs chiques. J'aurai des sursauts stomachiques Si mon coeur triste est ravalé: Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô coeur volé? TÊTE DE FAUNE Dans la feuillée, écrin vert taché d'or, Dans la feuillée incertaine et fleurie, D'énormes fleurs où l'âcre baiser dort Vif et devant l'exquise broderie, Le Faune affolé montre ses grands yeux Et mord la fleur rouge avec ses dents blanches Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux, Sa lèvre éclate en rires par les branches; Et quand il a fui, tel un écureuil, Son rire perle encore à chaque feuille Et l'on croit épeuré par un bouvreuil Le baiser d'or du bois qui se recueille. POISON PERDU Des nuits du blond et de la brune Pas un souvenir n'est resté; Pas une dentelle d'été, Pas une cravate commune. Et sur le balcon, où le thé Se prend aux heures de la lune, Il n'est resté de trace aucune, Aucun souvenir n'est resté, Au bord d'un rideau bleu piquée, Luit une épingle à tête d'or Comme un gros insecte qui dort, Pointe d'un fin poison trempée, Je te prends, sois-moi préparée Aux heures des désirs de mort. LES CORBEAUX Seigneur, quand froide est la prairie, Quand dans les hameaux abattus, Les longs angelus se sont tus Sur la nature défleurie, Faites s'abattre des grands cieux Les chers corbeaux délicieux. Armée étrange aux cris sévères, Les vents froids attaquent vos nids! Vous, le long des fleuves jaunis, Sur les routes aux vieux calvaires, Sur les fossés et sur les trous, Dispersez-vous, ralliez-vous! Par milliers, sur les champs de France, Où dorment les morts d'avant-hier, Tournoyez, n'est-ce pas, l'hiver, Pour que chaque passant repense! Sois donc le crieur du devoir, Ô notre funèbre oiseau noir! Mais, saints du ciel, en haut du chêne, Mât perdu dans le soir charmé, Laissez les fauvettes de mai Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne, Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir, La défaite sans avenir. 1872. PATIENCE _D'un été._ Aux branches claires des tilleurs Meurt un maladif hallali. Mais des chansons spirituelles Voltigent partout les groseilles. Que notre sang rie en nos veines, Voici s'enchevêtrer les vignes. Le ciel est joli comme un ange, Azur et Onde communient. Je sors! Si un rayon me blesse, Je succomberai sur la mousse. Qu'on patiente et qu'on s'ennuie, C'est si simple!... Fi de ces peines! Je veux que l'été dramatique Me lie à son char de fortune. Que par toi beaucoup, ô Nature, --Ah! moins nul et moins seul! je meure, Au lieu que les bergers, c'est drôle, Meurent à peu près par le monde. Je veux bien que les saisons m'usent. À toi, Nature! je me rends, Et ma faim et toute ma soif; Et s'il te plaît, nourris, abreuve. Rien de rien ne m'illusionne; C'est rire aux parents qu'au soleil; Mais moi je ne veux rire à rien, Et libre soit cette infortune. JEUNE MÉNAGE La chambre est ouverte au ciel bleu turquin; Pas de place: des coffrets et des huches! Dehors le mur est plein d'aristoloches Où vibrent les gencives des lutins. Que ce sont bien intrigues de génies Cette dépense et ces désordres vains! C'est la fée africaine qui fournit La mûre, et les résilles dans les coins. Plusieurs entrent, marraines mécontentes, En pans de lumière dans les buffets, Puis y restent! le ménage s'absente Peu sérieusement, et rien ne se fait. Le marié a le vent qui le floue Pendant son absence, ici, tout le temps. Même des esprits des eaux malfaisants Entrent vaguer aux sphères de l'alcôve. La nuit, l'amie oh, la lune de miel Cueillera leur sourire et remplira De mille bandeaux de cuivre le ciel. Puis ils auront affaire au malin rat. --S'il n'arrive pas un feu follet blême, Comme un coup de fusil, après des vêpres. --Ô spectres saints et blancs de Bethléem, Charmez plutôt le bleu de leur fenêtre! 27 juin 1872. MÉMOIRE I L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance; L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes; La soie, en foule et de lys pur des oriflammes Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense; L'ébat des anges;--non... le courant d'or en marche, Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle, Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle Pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. II Eh! l'humide carreau tend ses bouillons limpides! L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes. Les robes vertes et déteintes des fillettes Font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides. Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière Le souci d'eau--ta foi conjugale, ô l'Épouse!-- Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère. III Madame se tient trop debout dans la prairie Prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle Aux doigts; foulant l'ombelle; trop fière pour elle Des enfants lisant dans la verdure fleurie Leur livre de maroquin rouge! Hélas, Lui, comme Mille anges blancs qui se séparent sur la route, S'éloigne par delà la montagne! Elle, toute Froide, et noire, court! après le départ de l'homme! IV Regrets des bras épais et jeunes d'herbe pure! Or des lunes d'avril au coeur du saint lit! Joie Des chantiers riverains à l'abandon, en proie Aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures! Qu'elle pleure à présent sous les remparts: l'haleine Des peupliers d'en haut est pour la seule brise. Amis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise-- Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine. V Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre, Ô canot immobile! ô bras trop courts! ni l'une Ni l'autre fleur; ni la jaune qui m'importune, Là; ni la bleue, amis, à l'eau couleur de cendre. Ah! la poudre des saules qu'une aile secoue! Les roses des roseaux dès longtemps dévorées!... Mon canot toujours fixe; et sa chaîne tirée Au fond de cet oeil d'eau sans bords--à quelle boue? Est-elle almée?... aux premières heures bleues Se détruira-t-elle comme les fleurs feues... Devant la splendide étendue où l'on sente Souffler la ville énormément florissante! C'est trop beau! c'est trop beau! mais c'est nécessaire --Pour la Pêcheuse et la chanson du corsaire, Et aussi puisque les derniers masques crurent Encore aux fêtes de nuit sur la mer pure! Juillet 1872 FÊTES DE LA FAIM Ma faim, Anne, Anne, Fuis sur ton âne. Si j'ai du goût, ce n'est guères Que pour la terre et les pierres Dinn! dinn! dinn! dinn! Mangeons l'air, Le roc, les terres, le fer, Charbons. Mes faims, tournez. Paissez, faims, Le pré des sons! Attirez le gai venin Des liserons; Mangez les cailloux qu'un pauvre brise, Les vieilles pierres d'églises, Les galets, fils des déluges, Pains couchés aux vallées grises! Des faims, c'est les bouts d'air noir; L'azur sonneur; --C'est l'estomac qui me tire, C'est le malheur. Sur terre ont paru les feuilles: Je vais aux chairs de fruit blettes, Au sein du sillon je cueille La doucette et la violette. Ma faim, Anne, Anne! Fuis sur ton âne. Août 1872. PROSE I FLAIRY Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornementales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums affaissés. Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals, et des cris des steppes. Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrés et les ombres, et le sein des pauvres, et les légendes du ciel. Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques. II GUERRE Enfant, certains ciels ont affiné mon optique, tous les caractères nuancèrent ma physionomie. Les phénomènes s'émurent. À présent l'inflexion éternelle des moments de l'infini des mathématiques me chassent par ce monde où je subis tous les succès civils, respecté de l'enfance étrange et des affections énormes. Je songe à une guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue. C'est aussi simple qu'une phrase musicale. III GÉNIE Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été, lui qui a purifié les boissons et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase. Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité: machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre: ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous aime pour sa vie infinie... Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne: «Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré!» Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché: car c'est fait, lui étant, et étant aimé. Ô ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action. Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers! Son corps! Le dégagement rêvé le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle! sa vue, sa vue! tous les agenouillages anciens et les peines _relevés_ à sa suite. Son jour! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense. Son pas! les migrations plus énormes que les anciennes invasions. Ô Lui et nous! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues. Ô monde! et le chant clair des malheurs nouveaux! Il nous a connus tous et nous a tous tous aimé. Sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. IV JEUNESSE I DIMANCHE Les calculs de côté, l'inévitable descente du ciel, la visite des souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure, la tête et le monde de l'esprit. --Un cheval détale sur le turf suburbain, le long des cultures et des boisements, percé par la peste carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part dans le monde soupire après les abandons improbables. Les desperadves languissent après l'orage, l'ivresse et les blessures. De petits enfants étouffent des malédictions le long des rivières. Reprenons l'étude au bruit de l'oeuvre dévorante qui se rassemble et se monte dans les masses. II SONNET _Homme_ de constitution ordinaire, la chair n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger, ô journées enfantes! le corps un trésor à prodiguer; ô aimer, le péril ou la force de Psyché? La terre avait des versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la race nous poussaient aux crimes et aux deuils: ce monde votre fortune et votre péril. Mais à présent, le labeur comblé, toi, tes calculs, toi, tes impatiences, ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixées et point forcées, quoique d'un double événement d'invention et de succès une liaison, en l'humanité fraternelle est discrète par l'univers sans images;--la force et le droit réfléchissent la danse et la voix à présent seulement appréciées. III VINGT ANS Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique amèrement rassise... Adagio. Ah! l'égoïsme infini de l'adolescence, l'optimisme studieux: que le monde était plein de fleurs cet été! Les airs et les formes mourant... Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence! Un choeur de verres de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser. IV Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu? En tout cas, rien des apparences actuelles. V SOLDES À vendre ce que les Juifs n'ont pas vendus, ce que noblesse ni crime n'ont goûté, ce qu'ignorent l'amour maudit et la probité infernale des masses; ce que le temps ni la science n'ont pas à reconnaître: Les voix reconstituées; l'éveil fraternel de toutes les énergies chorales et orchestrales, et leurs applications instantanées, l'occasion, unique, de dégager nos sens! À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance! Les richesses jaillissant à chaque démarche! Solde de diamants sans contrôle! À vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction irrépréssible pour les amateurs supérieurs; la mort atroce pour les fidèles et les amants! À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et conforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l'avenir qu'ils font: À vendre les applications de calcul et sauts d'harmonie inouïs. Les trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate. Élan insensé et infini aux splendeurs et invisibles aux délices insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaîté effroyante pour la foule. À vendre les corps, les voix, l'immense opulence inquestionable, ce qu'on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde! Les voyageurs n'ont pas à rendre leur commission de sitôt! TABLE PRÉFACE Les étrennes des orphelins Voyelles Oraison du soir Les assis Les effarés Les chercheuses de poux Bateau ivre Premières communions L'orgie parisienne ou Paris se repeuple Accroupissements Les pauvres à l'église Ce qui retient Nina Vénus Anadyomène Morts de quatre-vingt-douze Comédie en trois baisers Sensation Bal des pendus Roman Rages de Césars Le mal Ophélie Le châtiment de Tartufe À la musique Le forgeron Soleil et chair Le dormeur du Val Au Cabaret Vert La Maline L'éclatante victoire de Sarrebruck Rêvé pour l'hiver Le buffet Ma bohème Entends comme Brame Chant de guerre parisien Mes petites amoureuses Les poètes de sept ans Le coeur volé Tête de faune Poison perdu Les corbeaux Patience Jeune ménage Mémoire ... Est-elle almée? Fêtes de la faim (variante) PROSE Fairy Guerre Génie Jeunesse I. Dimanche II. Sonnet III. Vingt ans IV. Tu en es encore Solde [Notes sur la transcription: On a effectué les corrections suivantes: ombragé => ombré (On paie au Prêtre un toit ombragé d'une charmille) retiré «petits» (De s'entendre appeler garces par les petits garçons) retiré «fortes» (Elle eut soif de la nuit forte où s'exalte et s'abaisse) Boète => Poète (Le Boète prendra le sanglot des Infâmes) gravements => gravement (Et parfois en hoquets fort gravements bouffons) ajouté «est Roi!» (--Et pourtant, plus de dieux! plus de dieux! l'Homme) dlamants => diamants (Solde de dlamants sans contrôle!)] End of the Project Gutenberg EBook of Poésies complètes, by Arthur Rimbaud *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES COMPLÈTES *** ***** This file should be named 29302-8.txt or 29302-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/2/9/3/0/29302/ Produced by Laurent Vogel, Robert Connal and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.