The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3276, 9 Décembre 1905

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Title: L'Illustration, No. 3276, 9 Décembre 1905

Author: Various

Release date: July 15, 2011 [eBook #36742]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3276, 9 DÉCEMBRE 1905 ***







L'Illustration, No. 3276, 9 Décembre 1905


(Agrandissement)

Supplément de ce numéro: L'ILLUSTRATION THÉÂTRALE contenant les Oberlé, par Edmond Haraucourt.


L'ARRIVÉE DES NOUVEAUX SOUVERAINS DE NORVEGE DANS LEUR CAPITALE
Le roi Haakon VII, portant le prince héritier, serre la main de M. Michelsen, premier ministre, venu le saluer à bord du Heimdal, en rade de Christiania, le 25 novembre.

--D'après une photographie.



COURRIER DE PARIS

Journal d'une étrangère

Rue de Sèze. La grande cohue. Quelque chose comme une émeute silencieuse,--autour d'une porte; la prise d'assaut d'on ne sait quoi par une foule très élégante qui, des deux rues voisines, afflue, se serre en interminables files au long des trottoirs, guette fiévreusement son tour d'entrer... C'est le grand spectacle de la semaine,--autrement sensationnel qu'une «première» aux théâtres du boulevard; un spectacle où ce n'est pas de l'émotion inventée et truquée, de la littérature qu'on nous sert, mais de la douleur «pour de bon», le dénouement du drame vécu dont un homme est mort. La vente Cronier! Tout Paris a voulu voir cela et, depuis cinq jours, la salle Georges Petit est une étuve. On s'écrase, on joue des coudes pour arriver jusqu'aux cimaises:

--Avez-vous vu le Gainsborough?

--Et cette Flore, ma chère! c'est le chef-d'oeuvre de Carpeaux.

--Moi, ce sont les tapisseries que je voudrais m'offrir. Ces cartons de Boucher! c'est le triomphe de Beauvais.

--Et le Watteau! Et les Fragonard!

--Il y a un Perronneau délicieux.

--Oui, mais Chardin!

--Et les La Tour, donc!...

L'amie qui me régale de cette promenade à «l'exposition Cronier» est fort emballée. Je lui demande: «Vous connaissez le Louvre?» Elle me répond: «Très mal; on n'a pas le temps.» Je lui demande encore: «Etes-vous allée voir, à Versailles, l'adorable galerie de peinture du dix-huitième que M. de Nolhac vient d'installer dans les appartements du Dauphin?» Elle ne sait ce que je veux dire, et, distraitement, fait: «Non. Mais regardez donc ça, comme c'est joli!»

Elle n'est allée ni au Louvre, ni à Versailles, ni en aucun des lieux où les délices de l'art d'autrefois s'offrent continuellement, librement et sans risque de bousculade, à la vue de tout le monde. Aux yeux de mon amie, le Louvre et Versailles, c'est des expositions Cronier qui ne ferment jamais, et où, par conséquent, on n'ira jamais, parce qu'il n'y aura jamais de raison pour qu'on se presse d'y aller. Cette exposition-ci, au contraire, c'est comme un petit Louvre «interdit au public» et dont les portes se seraient, par accident, entre-bâillées pour quelques jours à la curiosité de huit ou dix mille privilégiés. On s'y rue donc.

Et puis, il n'y a pas que la peinture. Il y a l'accident. Il y a l'attrait des circonstances dramatiques dans lesquelles ce rare spectacle nous est offert. La Rochefoucauld nous enseigne que, presque toujours, un peu de joie se mêle au spectacle de l'infortune des autres. J'imagine que nulle part cette abominable réflexion ne saurait se vérifier mieux qu'ici. Nulle émotion n'ennoblit la curiosité de cette foule. On voit des gens rire; on entend des mots d'esprit; on devine qu'au souvenir du désastre évoqué par cet étalage de chefs-d'oeuvre d'inavouées rancunes se soulagent et que, devant ces Chardin, ces Fragonard, ces Corot, ces La Tour à vendre, plus d'une jalousie mondaine, secrètement, se sent vengée. Les meilleurs plaignent le disparu, mais, tout de même, éprouvent une sensation agréable à la pensée qu'en cette tragique aventure ce fut un autre qu'eux qui «écopa»... Et ce sont là, évidemment, des sensations qu'une visite aux musées nationaux ne saurait donner.

*
* *

La semaine, au surplus, fut propice aux bavardages, aux confidences, aux potins mondains. Le soir même du jour où l'exposition Cronier fermait ses portes, la Comédie-Française rouvrait les siennes aux abonnés. Reprise des «mardis»... c'est une date, cela. La reprise des mardis de la Comédie-Française marque l'officielle réouverture de la saison mondaine à Paris. Octobre et novembre sont les mois des petites rentrées: rentrées d'écoles, de tribunaux, d'universités. Du château on ne revient que plus tard. Les sports d'automne, les grandes chasses, retiennent un peu plus longtemps, chaque année, loin de Paris, la clientèle de premières loges des, «mardis», et ce n'est guère qu'en décembre qu'elle consent à nous rejoindre, ou qu'elle est censée nous avoir rejoints.

C'est à la Comédie-Française qu'elle donne ses premiers rendez-vous. Se préoccupe-t-elle beaucoup des «nouveautés» que va lui servir M. Jules Claretie? J'en doute un peu. J'ai, l'hiver dernier, fréquenté quelques loges de la Comédie, aux jours d'abonnement; et il m'a semblé que, chez la plupart de ces auditeurs hebdomadaires, l'art dramatique n'excitait pas une passion très forte. L'abonné écoute Molière et Racine par habitude; Augier, Dumas, Pailleron par politesse; et, avec un peu plus de curiosité, Hervieu, Donnay, Capus, Brieux, dont il connaît les figures, et avec qui il a dîné. Il n'applaudit qu'avec réserve ce qui lui plaît et, s'il est mécontent, ne le dissimule point. La bonne humeur ne lui revient franchement qu'aux entr'actes. L'entr'acte est, pour l'abonné, le moment délicieux du spectacle; celui où, débarrassé du devoir d'écouter une pièce qui l'amuse peu et de paraître attentif aux gestes de comédiens qui lui indiffèrent, il s'évade vers les coulisses, amusé par la grâce qui lui sourit, par la beauté qu'il effleure: innocents plaisirs qu'on aime pour ce qu'ils ont d'un peu illicite et de clandestin! Dans la salle, les grillages dorés des baignoires se sont abaissés; les portes des loges s'entr'ouvrent; on se rend des visites; des conversations s'engagent où il est rarement question de la pièce qu'on est venu entendre; et cette trop courte récréation ne prend fin qu'à l'instant où les trois coups sont frappés...

*
* *

Un homme est toujours assuré d'avoir pour lui l'opinion publique et de mettre, comme on dit, les rieurs de son côté, quand il s'avise, en France, de résister à la tyrannie d'une loi mauvaise ou d'un règlement maladroit.

Beaucoup de gens sauront donc gré de son geste de rébellion au voyageur qui, l'autre jour, passant la frontière à Tourcoing pour rentrer à Paris, refusa de descendre de wagon pour faire visiter en douane ses bagages à main, fut condamné pour ce fait à cinq cents francs d'amende par le juge de paix, et a résolu, dit-on, de faire appel de ce jugement devant la Cour.

Le cas est d'autant plus intéressant que le rebelle qu'on va juger n'appartient point à ce qu'on appelle le parti du désordre. Ce n'est ni un révolutionnaire qui s'insurge par habitude contre les lois, ni un politicien d'opposition préoccupé de chercher noise au gouvernement, ni un étudiant qui s'amuse. C'est un grave et pacifique officier ministériel, un agent de change connu et dont les opinions conservatrices sont notoires.

Mais il est probable que M. R. G... a voyagé beaucoup en Europe, et qu'ayant comparé le régime des douanes françaises à celui des douanes de plusieurs autres grands pays, il a souffert de la comparaison. Sans doute l'État est fort excusable de se défendre contre les fraudes variées qui le menacent, puisque, aux yeux de beaucoup de citoyens, voler l'État ce n'est pas voler. Mais n'est-ce pas assez qu'il oblige le voyageur à tenir ses bagages ouverts «à toute réquisition de l'autorité»; et n'est-ce pas trop qu'il lui impose le devoir de se déranger pour venir lui-même au-devant de cette réquisition-là?

Il est vrai que c'est un métier bien délicat que celui de «gabelou», et qu'en France surtout cette sorte d'espionnage légal se heurte à des susceptibilités, à des malices, à des trucs qui y rendent l'application de la loi plus malaisée peut-être que partout ailleurs. Il y a tant d'hommes d'esprit, dans ce pays-ci!

On me contait dernièrement l'aventure d'un ancien ministre, M. Yves Guyot, qui, passant avec une valise à la main devant les employés de l'octroi, est arrêté par l'invariable question:

--Vous n'avez rien à déclarer?

--Rien du tout, fait M. Guyot.

--Ouvrez, dit le commis.

--Je refuse.

Le commis se fâche, invoque le droit de l'État, appelle à son secours un chef, devant qui, très poliment, l'ancien ministre s'explique: «J'aurais, dit-il, ouvert cette valise si vous m'en aviez requis du premier coup, et sans phrases. Cela, c'est votre droit. Mais vous m'avez demandé si j'avais quelque chose à déclarer; j'ai dit non; et vous ne m'avez pas cru. Cela, je ne l'admets pas. Vous avez le droit de fouiller mes bagages, mais non celui de mettre en doute publiquement ma probité.»

Qui avait raison?
Sonia.



L'ENTRÉE DES SOUVERAINS
NORVÉGIENS A CHRISTIANIA

Les nouveaux souverains de Norvège ont fait leur entrée solennelle dans leur capitale le 25 novembre.

Dès le matin, le navire de guerre le Heimdal, portant les membres du gouvernement, était allé à la rencontre du yacht royal le Danebrog, venant de Copenhague, escorté de vaisseaux des marines norvégienne, danoise, anglaise et allemande. Après le transbordement de Leurs Majestés et du jeune prince héritier sur le Heimdal, celui-ci se mit en route pour Christiania; il y arrivait à 1 h. 1/2, salué par des salves d'artillerie et les hurrahs de la foule. Au débarcadère, la municipalité reçut les souverains sous un pavillon drapé de rouge, et son chef leur adressa des souhaits de bienvenue auxquels le roi répondit quelques paroles d'une cordiale simplicité; puis ce fut à travers la ville, parmi les pavoisements, les guirlandes, les acclamations de la multitude, le défilé du cortège officiel se rendant au château, où devait avoir lieu, dans la salle du Trône, la réception du Storthing et du corps diplomatique. Malgré le voile de brume qui l'enveloppait, malgré la neige qui poudrait ses toits et couvrait d'un épais tapis blanc le sol de ses rues, Christiania était en liesse, et ce froid décor d'hiver formait un pittoresque contraste avec la chaleur de l'enthousiasme populaire.

Le lendemain dimanche, le roi et la reine se rendirent à l'église Saint-Sauveur, au seuil de laquelle les attendaient les pasteurs.

Le lundi 27, Haakon VII, toujours acclamé sur son passage, allait prêter serment de fidélité à la constitution devant le Storthing assemblé sous la présidence de M. Berner.

La gracieuse reine Maud et le petit prince Olaf eurent leur large part des ovations et des marques de sympathie multipliées pendant ces journées de bon accueil. Le roi s'en montra vivement touché. Aussi bien, le jour de l'arrivée, l'esprit familial qu'il apporte de la cour de Danemark s'était affirmé par un joli mouvement de fierté paternelle, lorsque, à bord du Heimdal, il avait pris dans ses bras, pour le présenter à M. Michelsen, premier ministre et chef du gouvernement provisoire, l'enfant royal, dont le frais visage, épanoui sous son bonnet de fourrure, semblait sourire inconsciemment à l'avenir de la nouvelle dynastie.



Une rue de magasins juifs après le passage des pillards. La même rue après le passage des incendiaires.

A ISMAÏL (BESSARABIE)

ÉVÉNEMENTS DE RUSSIE

La Russie est, en ce moment, presque isolée du reste du monde: ses postiers, ses télégraphistes, sont en grève; les chemins de fer fonctionnent de la façon la plus irrégulière, au bon plaisir des employés ou de ceux qui les mènent. C'est miracle que des courriers arrivent encore de temps à autre. Cependant, le zèle de nos correspondants ne se ralentit point; et nous continuons de recevoir de toutes les parties de l'empire troublé, d'intéressants documents.

Les trois premières photographies de cette page donnent une idée des excès auxquels se livrent les antisémites.

Deux sont prises à quelques heures d'intervalle dans la même rue d'Ismaïl, près de Kichinef, en Bessarabie. Les pillards avaient d'abord passé et emporté tout ce qui pouvait constituer un butin profitable.


A Saratof.--Vue intérieure de la synagogue pillée et incendiée.

Les incendiaires vinrent sur les talons des voleurs et mirent le feu.

La troisième photographie nous vient de Saratof, et montre ce qu'ont fait de la synagogue les bandes furieuses en rage de représailles contre ceux qu'ils considèrent comme les instigateurs du mouvement révolutionnaire.

Notre dernière photographie, enfin, n'est pas la moins curieuse. Elle donne une vue du premier Congrès général qu'aient tenu les délégués des paysans. Il a eu lieu à Moscou la semaine dernière. D'autres réunions de paysans des environs de Moscou avaient bien eu lieu cet été. Cette assemblée, du fait qu'elle réunissait des délégués de différentes provinces, a une importance et une portée considérables, et les résolutions qui y ont été prises--une tend à la «socialisation» de la terre, une autre déclare nuls les emprunts d'État contractés après le 23 novembre--montrent que le «moujik» s'organise, et sait ce qu'il veut.


A MOSCOU.--Le premier Congrès général des délégués du Corps des paysans.--Phot. Smirnof.



LES NOUVELLES BALLES

BALLES ALLEMANDE (1905).--BALLES FRANÇAISE (1898)

Depuis l'introduction, dans notre armée, de la balle D qui donnait au fusil 1886 (fusil Lebel) tous les avantages des fusils de très petit calibre adoptés en Italie, au Japon et dans d'autres pays, l'infanterie allemande, qui avait conservé sa cartouche 1888, se trouvait, par rapport à l'infanterie française, dans un état d'infériorité notable. Aussi les spécialistes allemands cherchaient-ils avec persistance un projectile qui rendît à leur fusil 1898 son ancien rang. C'est le résultat qu'ils viennent enfin d'atteindre.

La nouvelle balle allemande porte le nom de balle S, de l'initiale du mot Spitzgeschoss (projectile à pointe). Elle présente, en effet, au lieu de la forme en ogive émoussée de la balle 1888 (fig. b), une forme très allongée, presque conique, avec un méplat imperceptible (fig. c). Alors que dans les projectiles ordinaires de l'infanterie ou de l'artillerie la pointe constitue habituellement le tiers au plus de la hauteur, dans la balle S la pointe s'étend sur plus de la moitié de la longueur totale (1). C'est là une révolution complète dans la forme des projectiles; c'est même la faillite de l'ancienne balistique.

Fig. a.
Balle Lebel
(1886).
Fig. b.
Balle allemande
(1888).
Fig. c.
Balle S, nouvelle
balle allemande.

On enseignait jadis fort longuement (et l'on enseigne probablement encore), dans les cours de toutes les écoles militaires de tous les pays du monde, que la meilleure forme avant à donner aussi bien aux balles qu'aux obus était une ogive d'une hauteur égale au diamètre du projectile, ogive tronquée à l'avant par un méplat. Telle était, par exemple, la forme donnée à la balle 1886-1893 de notre fusil actuel, balle ogivale à méplat de 4 millimètres (fig. a). Telle était également, à peu de chose près, la forme de la balle 1888 allemande (fig. b), celle-ci ne différant de l'ancienne balle française que par l'arrondi de la partie antérieure. Au reste, à part cette légère modification, la balle allemande était identique à la nôtre comme calibre, longueur et poids, si bien que, le tracé intérieur des deux armes étant aussi le même, les deux fusils se trouvaient tout à fait équivalents au point de vue du tir.

Cet état de choses s'était modifié il y a quelques années, quand nous avions adopté la balle D. Celle-ci est une balle de cuivre bi-ogivale, c'est-à-dire très pointue à l'avant et de forme légèrement fuyante à l'arrière (2). Bien que notablement plus longue que notre ancienne balle 1886-1893, en plomb chemisé de maillechort, elle est sensiblement plus légère que cette dernière, en raison de la densité moins grande du métal qui la constitue. Toutefois, contrairement aux anciens principes de la balistique, qui voulaient des balles en métal très lourd, elle conserve mieux sa vitesse dans l'air et sa trajectoire est beaucoup plus tendue que celle de la balle qui l'a précédée.

On peut d'ailleurs juger des progrès réalisés depuis quarante ans, en ce qui concerne la tension des trajectoires, par la figure d. Celle-ci représente à la même échelle, et pour la distance de 1.000 mètres, les trajectoires des fusils 1866 (Chassepot) et 1874 (Gras), ainsi que la trajectoire commune au fusil 1886 (Lebel) et aux fusils allemands 1888 et 1898. Or les deux premières s'élèvent jusqu'à 17 ou 18 mètres, tandis que la dernière ne dépasse pas 10 mètres. Quant au progrès réalisé par la balle S elle-même, on l'appréciera sur la figure e, qui représente, pour la distance de 700 mètres, la trajectoire du fusil 1886 (Lebel) et des fusils allemands 1888 et 1898 comparativement avec celle du fusil 1898 tirant la nouvelle balle. La première s'élève en effet deux fois plus (3m,80) que la seconde (1m,85), ce qui lui donne une zone dangereuse beaucoup moins étendue.

(1) On a prétendu aussi que le culot de la balle S était arrondi au lieu d'être coupé d'équerre (voir la ligne pointillée de la fig. e), mais nous croyons que la balle ainsi établie était une simple balle d'expérience et non la balle définitivement adoptée en Allemagne, et brevetée depuis plusieurs mois par la Deutsche Waffen und Munitions fabriken.

(2) Par un sentiment de réserve que l'on comprendra facilement, et bien que le secret encore conservé sur la balle D soit, depuis longtemps, le secret de Polichinelle, nous nous abstenons de donner le dessin de ce projectile.


Fig. d.--Aplatissement progressif des trajectoires.


Fig. e.--Trajectoires du fusil 1898 allemand avec l'ancienne balle et avec la nouvelle.

Il ne sera peut-être pas inutile ici, puisque nous venons d'écrire ce mot, de définir ce qu'on appelle, en langage technique, la zone dangereuse: c'est la zone dans laquelle la balle se rapproche suffisamment du sol pour frapper un homme détaille ordinaire (lm,70) et où, par suite, elle devient dangereuse.

Nous allons éclaircir par un exemple ce que cette définition peut avoir d'obscur:

Considérons sur la figure f la trajectoire de 600 mètres de la balle D. On voit que cette trajectoire s'élève seulement à 1m,70 au-dessus du terrain horizontal.

     Fig. f.--Zones dangereuses  du fusil français avec la balle D.
                                 du fusil allemand avec la balle S.

Par conséquent, depuis l'endroit où la balle est lancée jusqu'à celui où elle vient toucher le sol, 600 mètres plus loin, elle peut atteindre un homme de lm,70. On dit alors que la zone dangereuse est de 600 mètres.

Avant l'adoption de cette balle, notre fusil actuel n'avait qu'une zone dangereuse de 500 mètres, c'est-à-dire que l'infanterie ne pouvait battre d'une façon continue le terrain situé en avant de son front que jusqu'à la distance de 500 mètres.

La balle S allemande a une zone dangereuse encore plus considérable qui, pour un homme debout, atteint environ 675 mètres, comme le montre la partie inférieure de la figure f. Pour un tireur à genou, cette zone dangereuse est encore de 500 mètres et, pour un tireur couché, elle s'élève au chiffre inattendu de 270 mètres. Cette balle est donc sensiblement supérieure à la nôtre, ce qui n'a rien d'extraordinaire, car elle est venue bien après et les Allemands ont pu ainsi profiter du résultat de nos recherches.

Ajoutons encore quelques détails: la balle S allemande possède une chemise en acier nickelé qui ressemble extérieurement à la chemise en maillechort de notre ancienne balle, mais qui est beaucoup plus résistante de façon à ne point s'arracher dans le canon. Elle est beaucoup plus légère (10 gr.) que l'ancienne balle allemande (14 gr 7) et, de plus, elle est lancée par une charge de poudre notablement plus forte que celle de la balle 1888. Pour ces deux raisons, elle sort de l'arme avec la vitesse initiale extrêmement considérable de 860 mètres par seconde, au lieu des 620 mètres que possédaient l'ancienne balle 1888 allemande et notre balle 1886 elle-même. La balle D, qui est seulement un peu moins lourde que la balle 1886, possède de son côté une vitesse peu inférieure à 700 mètres, grâce à l'emploi d'une charge de poudre plus forte. Elle a donc une vitesse plus réduite que la balle S; mais, en raison de son poids, elle triomphe plus facilement de la résistance de l'air et conserve un peu mieux sa vitesse, ce qui rétablit l'équilibre dans une certaine mesure.

Toutefois, contrairement à ce que l'on pourrait croire et à ce qu'enseignait jadis la balistique, la balle S ne souffre pas trop de sa légèreté et elle conserve sa supériorité sur l'ancienne balle allemande, non seulement à 2.000 mètres, mais jusqu'à la distance invraisemblable de 4.000 mètres.

Quant à la précision du tir, bien loin d'avoir été atteinte par l'allégement de la balle, comme nous le prêchaient jusqu'ici les balisticiens vieux jeu, elle a été augmentée dans la proportion de 5 à 7 environ.

C'est là un résultat qu'on avait déjà constaté en France avec la balle D, la justesse variant dans ce cas, comme la tension de la trajectoire.

D'autre part, la pénétration s'est fortement accrue. C'est ainsi que la balle S tirée dans le bois de pin à 400 mètres s'enfonce de 80 cent, au lieu de 45 à 800 35--25 à 1.800 10--5

A 350 mètres, elle traverse 7 millimètres de fer.

Dans le sable ou dans la terre, elle s'enfonce de 90 centimètres au maximum.

Enfin la balle S traverse nettement un mur d'une brique d'épaisseur (22 cent, environ), c'est-à-dire qu'elle traverse une brique en long. Les murs de clôture ordinaire ne se trouvent donc plus à l'épreuve de la balle, ce qui ne manquera pas de donner lieu à des surprises parfois désagréables. On sera atteint derrière un mur, comme derrière un gros arbre, du moins aux distances inférieures à 400 mètres.

Ajoutons que, la nouvelle cartouche allemande pesant de 4 à 5 grammes de moins que la cartouche en service jusqu'à ce jour, l'approvisionnement en munitions du fantassin allemand peut être augmenté d'un quart (150 cartouches au lieu de 120), ce qui constitue un nouvel et précieux avantage.

En résumé, l'armée allemande vient de faire avec la balle S un progrès technique des plus sérieux, progrès qui laisse derrière lui celui que nous avions accompli nous-mêmes. C'est là un fait qui mérite d'être apprécié à sa juste valeur, surtout après les éloges dithyrambiques jadis consacrés à la balle D.

Il y a deux ans seulement, nous avions, au point de vue technique, une supériorité notable sur l'armée allemande avec la balle D et le canon de 75 à tir rapide; cette supériorité était même assez accentuée pour faire quelque peu hésiter nos voisins de l'Est devant l'hypothèse d'une agression possible. Aujourd'hui, la balle allemande est meilleure que la nôtre; les Allemands achèvent de construire un matériel d'artillerie à tir rapide qui sera presque l'équivalent du nôtre et qui aura sur ce dernier une supériorité numérique de près de moitié (1); enfin ils disposent d'une artillerie lourde à tir rapide que nous n'avons pas encore. Il semble qu'il y ait là une situation de nature à préoccuper tous ceux qui ont la responsabilité de notre défense nationale.
L. S.


N.-B.--Les renseignements qui précèdent sont extraits du Manuel de tir de l'infanterie allemande (Schiessvorschrift fur die infanterie), document officiel approuvé par l'empereur Guillaume le 2 novembre 1905. Il paraît par suite difficile d'en contester la valeur.

Note 1: Voir dans L'Illustration du 30 septembre 1905, l'article sur le «Nouveau canon allemand».

On ne peut d'autre part se dispenser de signaler le fait que le ministre de la Guerre allemand, général von Einem, ait jugé bon de porter à la connaissance de toute l'armée des renseignements très étendus concernant la nouvelle balle. Il a voulu, sans aucun doute, par cette divulgation si en dehors des usages habituels de l'armée allemande, rassurer les esprits en montrant toute l'étendue du progrès qui vient d'être accompli.




Le port.                                    Vieille forteresse construite par les Génois.

Vue générale de Mitylène.

LA DÉMONSTRATION DE MITYLÈNE

Le gouvernement ottoman ayant refusé d'accepter le contrôle financier que les grandes puissances européennes, d'un commun accord, jugeaient nécessaire d'établir en Macédoine, les divers États intéressés ont décidé de recourir, pour l'y contraindre, à une démonstration navale collective. L'Allemagne, quoique déclarant hautement s'associer à cette manifestation, s'est excusée de ne pouvoir envoyer aucun de ses bateaux joindre l'escadre internationale; elle a prétexté qu'elle n'avait, dans la Méditerranée, nul navire de guerre. La force navale qui s'est réunie au Pirée, pour, de là, aller bloquer Mitylène, est donc composée, en principal, des navires français Charlemagne et Dard; de navires russes, anglais, italiens et autrichiens. Le vice-amiral Ripper, de la marine autrichienne, est investi du commandement de l'expédition.

Partie le 26 novembre du Pirée, l'escadre internationale a mouillé quelques heures plus tard devant Mitylène. Le 28, des détachements des équipages des diverses nationalités, au nombre de 400 hommes en tout, débarquaient sans rencontrer aucune autre résistance qu'une protestation diplomatique du gouverneur et occupaient la douane et le télégraphe.


Bombes découvertes dans l'hôtel allemand
«Kroecker»,sous le grand escalier.


Bombes découvertes au «cercle d'Orient», fréquenté par les représentants des puissances étrangères à Constantinople. (La petite pèse 8 kilogrammes; la grosse, 50 kilogrammes.)

On se souvient qu'en 1901 déjà, lors de l'incident franco-turc auquel avait donné lieu le règlement des créances Tubini-Lorando, c'est également sur Mitylène que s'était dirigée la flotte de l'amiral Caillard. C'est l'une des îles les plus riches de l'Archipel, l'ancienne Lesbos, la patrie de la poétesse Sapho. Elle fut fortifiée au moyen âge. Mais de ses remparts il ne demeure que des débris. Sa capitale, Mitylène ou Mételin, qu'occupent les marins de l'escadre, est pittoresquement bâtie en amphithéâtre, au-dessus d'un port peu sûr, à cause de son manque de profondeur. Mais l'île a deux autres ports, Kalloni et les Oliviers, véritables mers intérieures, qui sont d'admirables abris pour les navires.

Cette action contre Mitylène n'a d'ailleurs pas suffi et, ultérieurement, l'escadre a dû occuper une autre île, Lemnos.

LA DYNAMITE A CONSTANTINOPLE

L'attentat dirigé, le 21 juillet, contre le sultan Abdul-Hamid, a été, en quelque sorte, le signal d'une recrudescence de l'agitation arménienne, et la commission d'enquête constituée, aussitôt, sous la présidence de Nedjib Pacha Melhamé, pour instruire l'affaire et rechercher les coupables, s'est trouvée en présence d'une besogne aussi compliquée que difficile.


Garabet Vartanian           Ohannès Arfarian.
DEUX DES ARMÉNIENS CONDAMNÉS A MORT

Elle manquait de tout indice susceptible de la mettre sur la trace des coupables. On avait pourtant ramassé, sur le lieu de l'explosion, un morceau de fer provenant d'une voiture et portant, estampé, le numéro 1507. Ce fut suffisant pour permettre de retrouver la ville d'origine de la voiture qui avait apporté l'engin, puis le propriétaire du véhicule.

Ce fut enfin la clef de l'enquête. Mais à peine la commission avait-elle commencé ses travaux, peu de jours après l'attentat d'Yildiz Kiosk, qu'un Arménien récemment arrivé d'Amérique, Vartanian, tuait à coups de revolver, comme on se le rappelle, le banquier Apik Effendi Oundjian, qui avait refusé des subsides aux révolutionnaires. Vartanian fut arrêté. Son revolver était semblable à celui d'un de ses compatriotes, venant également d'Amérique et inculpé dans l'affaire de la bombe Arfarian. On eut la preuve qu'ils avaient été armés tous deux par le même Comité, la preuve du complot.

Le champ des investigations se précisa.

Des perquisitions faites à Constantinople firent découvrir de nombreuses bombes, surtout dans le quartier européen. L'une, saisie au cercle d'Orient, rendez-vous du monde diplomatique, et qui, hérissée de pointes, présentait l'aspect d'un énorme marron, pesait 50 kilogrammes. Dans une seule maison, l'hôtel allemand Kroecker, on recueillit douze engins.

Après Vartanian et Arfarian, d'autres Arméniens furent arrêtés. Tous ont été condamnés à mort. On mit également la main sur un Belge, Jauris, considéré comme complice de l'attentat contre le sultan. La légation de Belgique refusait de le laisser juger par les tribunaux turcs. Son procès vient pourtant de commencer. Mais on n'a pu se saisir de l'auteur principal de l'attentat, un Arménien russe connu sous le pseudonyme de Ripps.


LES BOUÉES LUMINEUSES DU PLATEAU DES MINQUIERS
1. Le bateau des Ponts et chaussées accostant la bouée pour la charger.--2. Commencement de l'opération de chargement. --3. L'opération terminée, l'homme rentre à bord.--4. L'Augustin-Fresnel, bateau spécial des Ponts et chaussées.--5. Les réservoirs de gaz d'huile à bord de l'Augustin-Fresnel --6. Une bouée à sec dans le parc des Minquiers.--7. En mer, la nuit.

--Voir l'article, page 399.




Le roi et la reine sont reçus par les pasteurs au seuil de l'église Saint-Sauveur,
le dimanche 26 novembre.


Le roi Haakon VII prête serment de fidélité à la constitution devant le Storthing assemblé,
le 27 novembre.

LES NOUVEAUX SOUVERAINS DE NORVÈGE A CHRISTIANIA.

Photographies Worm-Peterson.--Voir l'article, page 386.




VERTIGE MODERNE
Dessin de Georges Scott.



     Deux blue-jackets un peu gais. Les marins de l'escadre britannique d'Extrême-Orient se
dirigeant de la gare de Shimbashi vers le parc de Hibya.

LES FÊTES DE L'ALLIANCE ANGLO-JAPONAISE A TOKIO

Au mois d'octobre dernier, l'escadre anglaise de Hong-Kong venait mouiller dans les eaux du Japon; il s'agissait d'une démonstration pacifique, confirmative de l'alliance anglo-japonaise et concertée d'avance. Donc, suivant le programme convenu, les équipages débarquèrent à Yokohama, d'où des trains spéciaux les conduisirent par groupes successifs à Tokio. Leur visite fut l'occasion de réjouissances varices; ce n'étaient partout que pavoisements aux couleurs accouplées des deux nations, guirlandes de lampions, banderoles portant la formule de bienvenue: Welcome; on avait organise notamment, au parc de Hibya--à peu près l'équivalent de notre jardin des Tuileries --une sorte de grande kermesse: théâtres en plein vent, vastes tentes à l'abri desquelles les blue-jackets fraternisaient, le verre en main, avec leurs camarades japonais, la bière, peut-être aussi quelques autres breuvages, coulant à discrétion et gratis. En outre, pour ajouter un charme à la fête, la municipalité n'avait pas craint de réquisitionner extraordinairement tout un bataillon de geishas, personnes plutôt légères, n'ayant point coutume de se montrer en public.

C'est ainsi que l'on put voir des matelots, même des officiers, agitant de petits drapeaux de papier, «se balader» à travers les rues de la capitale nippone en aimable compagnie. Un certain nombre, ayant célébré l'alliance par de trop copieuses libations, «bourlinguaient» fortement et allèrent échouer à l'ambulance que la délicate et prévoyante sollicitude de leurs hôtes avait aménagée pour un cas qui, d'ailleurs, n'était pas pendable, quoi qu'en aient dit les rigoristes, témoins de cette mémorable bordée.


Anglais, Japonais... et Japonaises fraternisant dans les rues de Tokio




Les gagnants: M. et Mme François Gelper, M. Georges Messing.
LE SECOND MILLION DE LA LOTERIE DE LA PRESSE

Les heureux gagnants du deuxième million de la loterie de la Presse, M. Georges Messing, ouvrier fondeur en cuivre, Mme Gelper, sa soeur, blanchisseuse, et M. Gelper, son beau-frère, ouvrier peintre, habitaient, en un faubourg de Lille et dans la plus étroite des ruelles, la plus petite des maisons. C'étaient de pauvres gens, mais de vraiment braves gens, très travailleurs et très économes, dont le premier souci, à la nouvelle de leur fortune inespérée, fut d'en affecter une large partie à leurs parents moins favorisés du sort, si bien que ce second million, loin de ne profiter qu'à un seul, va faire le bonheur d'une famille nombreuse: il ne pouvait mieux tomber!


M. Georges Messing sur la scène de
son petit théâtre de marionnettes.


Le domicile qu'habitaient Gelper et Messing: allée de la Vieille-Aventure, à Lille. (Les nouveaux millionnaires ont aussitôt posé l'écriteau: A louer.)

M. Georges Messing, M. et Mme Gelper, sont d'ailleurs du plus aimable accueil, et c'est très gracieusement qu'ils ont reçu l'envoyé spécial de L'Illustration que les banquiers de Lille, MM. Pajot et Lefebvre (chez qui ils avaient acheté le billet gagnant), avaient bien voulu conduire auprès d'eux, le soir même de ce 1er décembre qui faisait de ces modestes ouvriers les célébrités du jour. Ils étaient alors en pleine joie: tous les voisins, tous les camarades d'atelier des gagnants s'étaient réunis pour fêter la bonne aubaine et buvaient à la santé des millionnaires; et, aux sons d'un orchestre local, c'était, dans un estaminet voisin, un bal qui, pour avoir été improvisé en quelques instants, n'en était que plus cordial et plus joyeux. Avec beaucoup de bonne grâce, M. Messing, s'arrachant aux poignées de main amies, nous conduisit visiter son théâtre de marionnettes, créé et construit par lui, où, chaque samedi et chaque dimanche, il donnait aux enfants du quartier des représentations très réputées parmi cette jeunesse.

C'est M. Georges Messing et sa soeur Mme Gelper qui avaient pris, en prélevant peu à peu, chacun dix francs, sur leurs maigres gains journaliers, ce billet n° 9606 de la 36e série, qui devait leur rapporter une si considérable fortune. Ils comptent vivre très tranquillement à Lille, dans leur même quartier; leur plus grand bonheur est de ne plus être assujettis aux aléas de métiers pénibles, et leur plus grand plaisir de faire le bien autour d'eux.




La maison de M. Thiers, place Saint-Georges, à Paris: aspect actuel.




La maison de M. Thiers pendant sa démolition sous la Commune.

Vue d'ensemble des ruines de la maison de M. Thiers, place Saint-Georges, pendant la Commune.

LA MAISON DE M. THIERS

Mlle Dosne, devenue héritière des biens de M. Thiers, il y a une vingtaine d'années, après la mort de sa soeur, veuve de l'illustre homme d'État, vient de faire don à l'Institut de France de l'hôtel qu'habitait à Paris, lorsqu'il eut quitté le pouvoir, l'ancien président de la République.

Cette maison, portant le numéro 27 de la place Saint-Georges, s'élève, entre cour et jardin, sur remplacement même de celle où résida longtemps l'auteur de l'Histoire du Consulat et de l'Empire avant l'époque de la Commune, et qui disparut, on sait dans quelles mémorables circonstances. A la date du 10 mai 1871, le comité de Salut public du gouvernement insurrectionnel, protestant contre les mesures de répression ordonnées de Versailles par le chef du pouvoir exécutif de la République française, prenait un arrêté ainsi conçu:

«Article premier: Les biens meubles des propriétés de Thiers seront saisis par les soins de l'administration des Domaines.--Art. 2: La maison de Thiers, située place Saint-Georges, sera rasée.--Art. 3: Les citoyens Fontaine, délégué aux Domaines, et J. Andrieu, délégué aux Services publics, sont charges de l'exécution immédiate du présent arrêté.»

Et l'acte de vandalisme s'accomplit, en effet, sans délai. Mais, dès le 27 mai, la Commune vaincue, l'Assemblée nationale, sur un rapport de M. Wallon, votait à l'unanimité la réédification, aux frais de la nation, de la maison démolie.



LA VENTE DE LA COLLECTION CRONIER

Les tableaux, objets d'art, meubles, tapisseries, que M. Cronier avait réunis dans son hôtel de la rue de Lisbonne, ont été dispersés cette semaine au vont des enchères, en deux vacations, dirigées par M. Lair-Dubreuil, commissaire-priseur.

Nous avons reproduit, le 11 novembre, quelques-unes des pièces marquantes de la collection: les prix qu'elles ont obtenus vont montrer que nos choix avaient été judicieux.

Le Billet doux, par Fragonard, que M. Cronier avait acheté 110.000 francs et dont on demandait 200.000 francs, est resté à deux marchands pour 420.000 francs; le Volant, par Chardin, a été acquis moyennant 140.000 francs par le baron Henri de Rothschild; le Lorgneur, acheté par M. Marne, est monté seulement à 6.500 francs, les experts n'ayant plus osé affirmer qu'il était de Watteau.

Du Portrait de la comtesse de Coventry, pastel de La Tour, on donne 72.000 francs. Le spirituel et souriant Portrait du graveur Schmidt, autre pastel du même maître, que le prince Demidof paya 4.150 francs en 1879, est adjugé à M. Veil-Picard pour 77.000 francs. La Liseuse, de Fragonard, qui fut vendue 301 francs en 1845, monte à 182.000 francs.

Le Printemps, de Diaz, est adjugé à 50.000 francs; le Troyon, Vache à la lisière d'un bois, à 40.100 francs; le Pâtre, de Corot, à 47.000 francs; la Mare, de Jules Dupré, à 60.100 francs. Avec l'école anglaise, on a eu quelques déceptions. Le Portrait présumé de sir John Campbell, de Gainsborough, est bien monté à 65.000 francs; le Portrait de miss Day, par Lawrence, à 43.000 francs; la Jeune Laitière, bien qu'on ne garantît plus qu'il fût bien de Romney, à 30.000 francs. Mais le Reynolds du catalogue, Esquisse du portrait de lady Stanhope, «attribué» au peintre, était payé seulement 10.000 francs. La gouache intitulée Méditation, vendue comme oeuvre de «l'école anglaise» et non plus de Gainsborough, était pourtant poussée jusqu'à 65.000 francs. Qu'eût-ce été d'un Gainsborough?

Quant aux deux tapisseries, le panneau de l'Histoire de Don Quichotte, exécuté aux Gobelins d'après les cartons de Coypel, a été payé 200.000 francs, et le panneau de Beauvais, d'après Boucher, Psyché montrant ses joyaux à ses soeurs, 300.000 francs.

En tout, les deux vacations ont produit 5.198.031 francs!


LA VENTE DE LA COLLECTION CRONIER A LA GALERIE GEORGES PETIT.
--A quatre cent mille!... Le Billet doux, de Fragonard!...--On demande à voir!... Le Billet doux, de Fragonard, a été adjugé 420.000 francs, auxquels il faut ajouter 42.000 francs de frais à la charge de l'acquéreur.



LIVRES NOUVEAUX

Romans.

Par son titre: Pom-Prune, le livre de M. Paul Guiraud (Albin Michel, 3 fr. 50) semble tout d'abord appartenir au domaine de la fantaisie. En réalité, ce livre est un roman de moeurs et de caractères, très sérieux, très étudié, et «Pom-Prune» n'est que le sobriquet du principal personnage. La puérilité même de ce surnom familier, datant de son enfance, contraste d'une façon singulièrement ironique avec la condition sociale du banquier Georges Prunier, les hautes fonctions publiques auxquelles il doit s'élever, la débâcle tragique où il est destiné à sombrer. Autour de lui, dans une grande ville du Midi, se succèdent, comédie ou drame, des scènes mouvementées de la vie de province, mettant en jeu passions politiques, luttes électorales, intrigues locales,--le tout peint d'une main experte et, vraisemblablement, d'après nature. Des personnages qui n'existèrent jamais autrement que dans l'imagination d'ingénieux escrocs et l'esprit crédule de peu sympathiques créanciers, mais auxquels, grâce à la procédure d'un procès fictif, la paperasserie de justice donne une apparence de vie, tels sont les Bonshommes en papier (Fasquelle, 3 fr. 50), autour desquels évolue le roman de M. Jules Perrin. En outre d'une intrigue assez dramatique, ce livre contient une curieuse étude des scribes de ministères et autres papyrocéphales. A signaler aussi le récit bien vivant d'une soirée de contrat dans certain fameux hôtel de... la rue de la Pompe où sont réunis, autour de la grande Irène, les principaux acteurs de la plus grande duperie du siècle.

Jusqu'ici, dans les romans, on nous a présenté des mécontents de l'ordre social sous un aspect plutôt maussade. Trop souvent, on leur a donné un visage hargneux et un geste brutal. En homme d'esprit, M. Charles Géniaux s'est avisé de rompre avec la convention. Son Homme de peine (Fasquelle, 3 fr. 50), Goulot, est un révolté joyeux! Parce qu'il est disgracié, affamé et même battu, Goulot ne se croit pas obligé de perdre sa bonne humeur native et c'est avec une gaieté cynique--peu communicative, d'ailleurs, et qui donne le frisson--qu'il promène son existence tourmentée à travers une Bretagne misérable et poignante.

Une jolie créature, au coeur ardent et droit, dont l'esprit cravache vaillamment les préjugés d'une société de hobereaux de province, telle est Mademoiselle Nouveau-Jeu (Juven, 3 fr. 50), l'héroïne du roman de M. Paul Junka. Il y a des pages charmantes dans ce livre, celles, surtout, consacrées aux trois pauvres «petites soeurs bleues», des enfants étonnées, confiantes, sans défense contre la vie, vouées au bleu jusqu'au mariage par une mère attendrissante et puérile.

Une amourette, qui se déroule avec un gracieux héroïsme parmi les phases d'un complot, telle est l'Idylle dans un drame (Mame, 3 fr.), que publie M. Ernest Daudet. Les amoureux, ce sont un garçonnet, fils d'un ex-colonel de la garde impériale, et une fillette dont les parents, anciens émigrés, ont les faveurs de Louis XVIII. Quant au complot, il est fomenté, naturellement, par ces demi-solde, toujours sympathiques, puisque persécutés, malheureux et frondeurs.

De l'aveu et par la volonté de l'auteur, M. Gabriel Faure, l'Amour sous les lauriers-roses--le joli titre!--est un roman qui n'est qu'un roman (Fasquelle, 3 fr. 50). Dans ce livre, aucune étude philosophique, psychologique, historique ou sociale. Mais, seulement, une intrigue fine, délicate, sensuelle, dont les rives du lac de Côme et les jardins de Bellagio constituent les voluptueux décors.

M. Paul Bertnay--l'auteur de Jusqu'aux étoiles--dont nos lecteurs ont pu récemment encore apprécier le fin talent, vient de publier en librairie la Buissonnière (Tallandier, 3 fr. 50), un autre roman dont L'Illustration eut la primeur, et dans lequel l'auteur a donné tant de charme vaillant à un personnage de jeune fille et tant de grâce spirituelle à un personnage de jeune femme.

Auteurs gais.

Vingt nouvelles très courtes, dont la première, Détails sur mon suicide, prête son titre au volume (Flammarion, 3 fr. 50), composent le récent apport de MM. Max et Alex Fischer à la collection des «auteurs gais». Il s'agit, bien entendu, d'un suicide pour rire, et le reste non plus n'engendre pas la mélancolie. La verve humoristique de ces fantaisistes jumeaux, déjà justement réputés en leur genre, a ceci de particulier qu'elle sait atteindre aux limites extrêmes de la bouffonnerie sans rien perdre de sa finesse ni de sa légèreté. Un style concis, rapide, incisif, de qualité vraiment littéraire, ajoute encore à l'attrait de ces petits contes pleins d'observation et de philosophie, sous leur forme paradoxale.

Histoire.

Le comte de Gobineau--dont le nom fut mêlé à de récentes polémiques--avait, aux deux pôles de sa brillante carrière de diplomate, de penseur et d'écrivain, consacré deux études aux destinées de la Grèce. Ce sont ces Deux Études sur la Grèce moderne (Plon, 3 fr. 50), l'une mettant en relief la haute figure de Capo d'Istria, l'autre plaidant la cause des Hellènes dans le remaniement de la carte d'Orient, qu'un éditeur avisé vient de réunir en un seul volume.

Le livre du comte de Gobineau prendra une bonne place parmi les ouvrages qui, cette année, ont traité du problème oriental et parmi lesquels nous citerons: la Question d'Orient dans l'histoire contemporaine, 1821-1905 (Dujarric. 4 fr.), l'ouvrage d'ensemble net et complet de M. Albéric Cahuet sur la matière.

La France et l'Italie sont maintenant les meilleures amies du monde. C'est bien entendu. Cependant, on n'a pas encore oublié au prix de quels efforts diplomatiques la froideur prolongée de jadis entre les deux nations s'est transformée en la vive sympathie d'aujourd'hui. C'est l'histoire des «années troubles», des années de froissements politiques, sous l'influence de Crispi et d'antagonisme économique, que, dans son remarquable ouvrage, la France et l'Italie, 1881-1899 (Plon, 2 vol., 15 fr), M. A. Billot nous présente. M. A. Billot était ambassadeur à Rome pendant les années troubles. C'est donc avec la plus autorisée des compétences que son livre est écrit.

Dans un livre fort agréable à lire, les Derniers Républicains (Victor Havard, 3 fr. 50), M. Guillaumin nous rappelle les gestes et analyse les convictions des généraux Pichegru, Simon, Delmas, Monnier et Humbert, qui--Pichegru excepté--furent, en quelque sorte, les demi-solde républicains du Consulat et de l'Empire.

Dans son nouvel ouvrage sur les origines du Paris moderne, Paris sous Napoléon: administration et grands travaux (Plon, 5 fr.), M. L. Lanzac de Laborie ne se contente pas de tracer un fidèle tableau des transformations de la capitale sous le premier Empire. Il s'attache également à nous donner la physionomie exacte des rues, quartiers, théâtres, cafés, lieux de public et lieux de plaisir où se mouvait la société d'alors.

Littérature.

En écrivant son Histoire de la littérature française, 900-1900 (Ollendorff, 2 vol., 15 fr), M. Léo Claretie n'a pas eu l'intention de nous donner un ouvrage scolaire ou didactique. Dans nos lycées, l'histoire de la littérature, de Malherbe à Hugo, doit --disent les programmes--être achevée en seize heures. Il en résulte que, d'après le plan uniforme sur lequel, jusqu'ici, les histoires littéraires ont été conçues, beaucoup d'écrivains de second ordre, mais dignes, néanmoins, de souvenir, ont été traditionnellement négligés. M. Léo Claretie s'est efforcé de réparer cette ingratitude et, dans son ouvrage--aimablement illustré de traits et d'anecdotes--il a voulu joindre aux noms très célèbres ceux «dont le seul démérite est de n'avoir pas figuré sur les programmes des classes, qui sont les dispensateurs de la gloire».

Qu'il s'agisse de littérature, de journalisme, de travaux divers, ou simplement de correspondance épistolaire, quiconque écrit--professionnel ou non--connaît la difficulté du qualificatif. Bien souvent, celui qui conviendrait pour la propriété, la précision, la nuance, ne se présente pas du premier coup; on le cherche, il se dérobe sous la plume et, parfois, on ne le trouve qu'au prix d'un effort mental prolongé. C'est à réduire cet effort au minimum que M. Pierre Schefer s'est ingénié en composant un Dictionnaire des qualificatifs classés par analogie (Delagrave, 2 fr.). Aide-mémoire précieux, indicateur suggestif, son petit livre est de ceux que leur utilité constante doit placer à portée de la main.

Questions d'actualité.

Si, dans notre pays, pour des raisons anciennes et récentes, l'empereur Guillaume n'est pas le plus populaire des souverains, il est du moins celui dont, à l'heure actuelle, on parle le plus souvent. Divers ouvrages, récemment éclos, nous ont initiés aux singularités authentiques ou imaginaires de la vie intime du monarque. M. John Grand-Carteret n'a pas eu l'intention d'ajouter un volume de plus à la liste de ces livres révélateurs. Lui (Par Laimm. 3 fr. 50), c'est Guillaume II devant l'objectif caricatural de toutes les nations; c'est un nouveau et très heureux numéro de la série humoristique que M. J. Grand-Carteret a entrepris de publier sur l'Allemagne et les Allemands. Dans une curieuse lettre au kaiser, l'auteur plaide la cause de la caricature que, seule, la maladresse des gouvernements rend séditieuse. Et peut-être, après tout, n'est-ce point là un paradoxe!

Dans un volume in-8° de près de six cents pages, le Président Émile Loubet et ses prédécesseurs, trente-cinq années de république (Jurai, 15 fr.), M. Henri Avenel a résumé non seulement l'histoire du septennat qui touche à son terme, mais encore celle des précédentes magistratures présidentielles. Nourri de faits et de documents, cet ouvrage forme un précis très complet de nos annales politiques depuis l'avènement de la troisième République jusqu'à l'heure actuelle. Des tables fort bien faites le rendent aisé à consulter et le texte en est abondamment illustré de portraits et de gravures fixant le souvenir des événements notoires.



DOCUMENTS et INFORMATIONS

Les effets d'une trombe.

Le 4 juillet dernier, une trombe a ravagé les environs de Cravant, près de Beaugency. M. Maillard vient de signaler quelques-uns des curieux effets de ce phénomène atmosphérique, qui s'est accompagné d'une dépression barométrique très forte au centre du tourbillon. Dans une cuisine, le carrelage s'est soulevé en dos d'âne. Ailleurs, dans un grenier, une balance-bascule de 50 kilos de poids a été jetée à un mètre de distance. Une petite pièce, dans le haut d'une habitation, a littéralement éclaté comme le fait une vessie pleine d'air sous la cloche pneumatique: ses cloisons se sont crevées et brisées, la pression à l'intérieur étant plus forte qu'au dehors. Ailleurs, en vertu du même principe, des vitres de chambres closes se sont brisées de dedans en dehors. On a remarqué un fait qui, à première vue, semble étonnant, mais qui, si l'on y réfléchit, est très naturel: c'est que les toitures les plus solides ont été les plus éprouvées. Les toitures formées d'ardoises ou de tuiles reposant sur des lattes n'ont pas souffert appréciablement: en effet, les ardoises ou tuiles, en se soulevant légèrement, aspirées par la dépression extérieure, ou plutôt soulevées par la pression intérieure, ont permis à la pression intérieure de se mettre en équilibre avec l'extérieure; les toitures neuves, solides, totalement appuyées et n'ayant pas de jeu, ont été enlevées tout d'une pièce, au contraire. C'est qu'elles manquaient de jeu, c'est qu'elles mettaient obstacle à l'établissement de l'équilibre: elles ont éclaté comme les murs ou les vitres cités plus haut, et ont été enlevées. Dans les champs on a observé aussi de singuliers effets. Un champ d'avoine a été totalement privé de son grain. Les tiges sont restées en place, amarrées par les racines; mais les grains, moins solidement attachés aux tiges, ont été enlevés, comme si un peigne y avait passé. Cet effet de happage est dû à un violent courant d'air ascendant.

Le soufre de la Louisiane.

Il y a une vingtaine d'années, des sondages effectués en Louisiane, près du lac Charles, dans l'espoir de découvrir du pétrole, révélèrent un gisement de soufre d'environ 35 mètres d'épaisseur à 140 mètres de la surface du sol. Pour l'atteindre, il fallait traverser une nappe aquifère et des sables boulants; quatre compagnies essayèrent successivement de vaincre ces difficultés et se ruinèrent.

En 1891, M. Frasch imagina un procédé aussi bizarre qu'audacieux. On fore jusqu'à la partie inférieure du gisement un trou qu'on munit d'un tubage de 254 millimètres de diamètre s'arrêtant à la partie supérieure du gisement. Dans ce premier tube on en place trois autres qui descendent presque au fond du trou de sonde et présentent des diamètres respectifs de 152, 76 et 25 millimètres. Les intervalles entre ces quatre tubes forment donc trois «couronnes».

Par la couronne extérieure on lance de l'eau sous pression suffisante pour atteindre la température de 330° centigrades: le soufre, fusible à 110°, monte dans la couronne intermédiaire par suite de la pression de l'eau. On envoie de l'air comprimé par le petit tube central, et le soufre liquide, se mélangeant de bulles d'air, est refoulé dans la couronne centrale, formant une colonne de densité inférieure à celle du soufre liquide et de l'eau, ce qui lui permet d'arriver à l'air libre. Le soufre sort ainsi du sol, tout raffiné, avec un degré de pureté de 99,6%.

La richesse du gisement actuellement reconnu est évaluée à 40 millions de tonnes.

La production de la mine, qui était de 100 tonnes par jour en 1902, atteint aujourd'hui environ 1.000 tonnes, soit 350.000 tonnes par an. M. Frasch vient de perfectionner une installation qui lui permettrait, affirme-t-il, de produire 3.000 tonnes par jour. La consommation mondiale du soufre se chiffre par 500.000 tonnes, dont la presque totalité était jusqu'ici produite par la Sicile (467.000 tonnes en 1902). Les États-Unis en absorbent 150.000 tonnes. Par suite d'une entente récente entre les compagnies intéressées, le soufre de la Louisiane ne sera exporté que dans quelques régions déterminées d'Europe.


  Gerbe de roses en orfèvrerie
   offerte par le président de
   la République à la reine de
                  Portugal.

Un présent de M. Loubet à la reine de Portugal.

Le président de la République a prié le roi de Portugal de vouloir bien offrir en son nom, à la reine Amélie, une gerbe de roses de France, exécutée par Falize. Les fleurs, en bijouterie d'or et d'argent, plongent leurs tiges dans un très beau vase en cristal de Galle, monté sur pied d'orfèvrerie, portant, d'un côté, l'écusson royal au chiffre de la reine; de l'autre, les armes de la République avec une banderole d'or où est inscrite la dédicace: Émile Loubet, président de la République française, à S. M. la reine Amélie de Portugal.

Trains de bois sur le Pacifique.

On se rappelle peut-être que des spéculateurs américains avaient imaginé de recourir au flottage pour le transport des bois à travers les océans. Ils avaient calculé qu'en formant des radeaux représentant la charge de vingt grands navires, il suffirait qu'un seul sur trois arrivât à destination pour rendre le procédé économique. Le premier essai réussit exactement dans cette proportion; mais, contrairement aux prévisions, les bois des radeaux disloqués, au lieu d'être portés par le Gulf-Stream vers les rivages antarctiques, arrivèrent dans les parages des Açores. Durant plusieurs mois, les navigateurs y furent exposés à se heurter à d'innombrables troncs mesurant de 75 centimètres à 2 mètres de diamètre, et de 9 mètres à 27 mètres de longueur. Ce mode de transport, à peu près abandonné sur la côte orientale des États-Unis, est devenu assez usité entre le Canada et San-Francisco, la proximité continuelle l'assèchement et la pêche du lac d'Enghien de la côte en atténuant les risques pour les exploiteurs... et pour les autres.

Un industriel, plus audacieux que tous ses devanciers, fait construire en ce moment un radeau monstre que quatorze remorqueurs traîneront sur le Pacifique, des rives canadiennes aux côtes chinoises. Si ce «fagot» se disloque en route, les accidents que ces épaves pourront causer seront compensés dans une certaine mesure par les nouvelles données qu'elles fourniront sur la direction des courants. Elles pourront, en outre, apporter la richesse à de nombreuses familles de pêcheurs.

L'ÉPAISSEUR DE LA GLACE EN SIBÉRIE.

On savait, d'après les observations de Middendorf, que l'épaisseur de la nappe de glace des lacs sibériens varie ordinairement entre lm,50 et lm,80, sans dépasser jamais 2m,40. Le professeur Velikov vient de communiquer le résultat d'études faites, au même point de vue, sur les eaux courantes de la Russie d'Asie. Sur l'Ienisseï, l'épaisseur de glace oscille entre 70 et 90 centimètres; à l'extrémité septentrionale de la Sibérie, vers Bouloum et Rourskoyé-Oustié, elle atteint 2 mètres et 2m,35. On cote seulement lm,80 sur la Yassa, à Verkhoyansk; ce point, situé sous 67° 30' de latitude, est pourtant voisin du pôle froid de l'ancien monde, et la température moyenne des trois mois d'hiver y varie de -44° à -48°, s'abaissant parfois à -67°.

Enfin, en Transbaïkalie, aux latitudes de Londres et de Hambourg (51°30' et 53°35') on trouve d'un mètre à 2m,35 de glace; l'épaisseur croît très vite dans le haut bassin de l'Amour quand la neige fait défaut. Pour empêcher la congélation complète des rivières peu profondes et sauver la vie des poissons, les habitants du pays couvrent alors la glace de branches de pin qui déterminent la formation de monceaux de neige mettant la couche de glace à l'abri de la température extérieure.

La pêche du lac d'Enghien.

Tous les cinq ans environ, on assèche le lac d'Enghien pour procéder au curage du fond.

C'est l'occasion d'une grande pêche, toujours fructueuse, car cette eau, dont s'accommoderaient mal les truites, est très favorable à la multiplication des carpes, perches, anguilles et gardons. Il y a quelques jours, le lac a été mis presque complètement à sec et il n'a pas fallu moins de près de trois semaines pour mener à bout cette opération; en deux coups de filet, dans le chenal qui avait été laissé plein d'eau, on a retiré 3.400 kilos de poisson dont le frétillement était guetté par de nombreux curieux.

Un coup de filet ramenant 1.800 kilos de poisson. Le lac complètement asséché.

L'hôpital Claude-Bernard.

Le nouvel hôpital élevé à la porte d'Aubervilliers, et dont nous donnions récemment une vue d'ensemble, vient d'être inauguré en présence de M. le président de la République. Il portera le nom d' «hôpital Claude-Bernard»!

Au cours de la visite des divers pavillons, on a fait remarquer à M. Émile Loubet à quel point l'installation en était parfaite et quel soin on avait pris de se conformer, dans les moindres détails aux prescriptions des hygiénistes. C'est ainsi que l'air et la lumière pénètrent à flots par de larges baies dans toutes les salles chauffées à la vapeur, et dont les murs, soigneusement laqués, ce qui permet de fréquents lessivages, partout sont arrondis dans les angles.

L'hôpital Claude-Bernard est, de tout point, un hôpital modèle.


Une salle du nouvel hôpital Claude-Bernard, à Aubervilliers.



LES BOUÉES LUMINEUSES Voir la gravure page 390.

Le récent naufrage de l'Hilda, en vue de Saint-Malo, semble résulter surtout de l'impossibilité où se trouva le capitaine d'apercevoir, à travers la brume, les feux de la rade et de reconnaître les récifs qui en gênent l'approche.

Pour parer à cette éventualité dangereuse, la marine entretient, en de nombreux points voisins des côtes, de France, des feux flottants destinés à signaler les écueils par les temps où les projections lumineuses du littoral ne peuvent les atteindre.

Le «plateau des Minquiers», massif de rochers fort dangereux, situé précisément dans le golfe de Saint-Malo, était jadis signalé par un bateau-feu comportant un équipage et devant être ravitaillé tous les dix ou quinze jours. Ce bateau a été remplacé par cinq bouées lumineuses qui peuvent fonctionner, abandonnées à elles-mêmes, durant trois mois. En fait, cependant, on les recharge à peu près aussi souvent qu'on ravitaillait le bateau-feu: on se borne à attendre une mer calme pour aborder à ces rochers, dont l'accès, fort difficile par les gros temps d'hiver, est parfois impossible pendant plusieurs semaines.

En tôle d'acier très résistante, d'une seule pièce, contenant du gaz d'huile à la pression de 11 atmosphères, la bouée pèse 5 tonnes. Elle est munie d'une longue queue chargée d'un poids de 1.500 kilos qui lui assure une grande stabilité, et de gros champignons en fonte, remplaçant une ancre, l'empêchent de dériver. La lampe est entourée de lentilles identiques à celles des phares.

Pour le chargement, le bateau accoste la bouée, l'amarre, et un homme fixe à son extrémité supérieure un tuyau par lequel on envoie le gaz pompé dans les réservoirs du bateau. De temps en temps, les bouées sont remplacées et ramenées au port pour être repeintes et nettoyées.



LES THÉÂTRES

Le théâtre de l'Ambigu, qui semble vouloir renoncer au mélodrame, joue, avec un succès incontestable, une pièce simple et poignante: la Grande Famille, de M. Arquillière, le distingué comédien. Le sujet se déroule en province, et trois actes sur six se passent dans une caserne, ce qui a permis à l'auteur de nous présenter une image vivante et pittoresque de la vie au régiment. A ce titre, c'est un document. Il a a été fort goûté--et fort applaudi. L'Illustration publiera la Grande Famille dans son prochain numéro.

Le théâtre de l'Athénée détient aussi un nouveau succès. L'humoristique comédie-vaudeville de MM. Tristan Bernard et Godfernaux, dénommée Triplepatte, met en scène un viveur mondain que tous ses proches, parents et créanciers, voudraient enfermer définitivement dans les liens du mariage. Triplepatte, de son vrai nom le vicomte de Houdan, hésite, manque de parole et finalement épouse celle qu'il avait fait «poser» à la mairie. C'est un type bien parisien d'homme usé par l'inaction; la satiété des plaisirs le laisse désemparé et sans volonté pour le bien comme pour le mal. Triplepatte est très bien interprété par l'excellente troupe de l'Athénée et présenté au public dans une mise en scène brillante.

Les Bouffes-Parisiens ont fait leur réouverture avec une pièce de style anglo-américain, c'est-à-dire dépourvue de sens et de raison. Elle est cependant intéressante parce que les chants et les danses, l'éternel balancement des personnages, ne laissent pas au public le temps de s'ennuyer; le musicien des Filles Jackson et Cie, M. Clérice, a beaucoup de gaieté et un sens très vif des rythmes entraînants: c'est lui qui sauve le scénario de M. Maurice Ordonneau et stimule la verve des acteurs, dont certains sont d'ailleurs remarquables.

Au Palais-Royal, MM. Pierre Veber et Adrien Vely passent en revue, en dix tableaux de mise en scène luxueuse, les événements de l'année écoulée; c'est un prétexte à exhumer d'aimables vieilleries: le bal de la Chaumière, les héros célébrés par E. Sue et par Gavarni et les vieilles chansons d'antan. Le public prend grand plaisir à cette revue rétrospective, comme aussi à la critique fort spirituellement faite des principales nouveautés du temps présent.

Au Vaudeville, MM. Decourcelle et Granet viennent de donner avec un plein succès une pièce tirée du célèbre roman de Balzac: la Cousine Bette. L'adaptation au théâtre est faite avec une habileté consommée. Une interprétation parfaite et l'exactitude historique du décor donnent un intérêt des plus vifs à la reconstitution des moeurs et du costume de 1830, et accentuent la portée des principales situations du drame.




La devanture de la librairie du Cu-Cut. L'atelier du Cu-Cut saccagé. La porte de l'imprimerie du Cu-Cut.

A BARCELONE: UNE IMPRIMERIE CATALANISTE MISE A SAC PAR DES OFFICIERS ESPAGNOLS

LES INCIDENTS DE BARCELONE

L'agitation catalaniste, assoupie depuis quelques années déjà, a repris, ces temps derniers, avec une nouvelle intensité, à la suite des élections municipales. On en sait les causes: les Catalans ne tondent pas à se séparer de l'Espagne, mais revendiquent une certaine autonomie. Leur attitude a exaspéré leurs adversaires, et des officiers, dans un excès de zèle loyaliste regrettable, viennent de se porter à de fâcheuses extrémités.

Réunis au nombre de trois cents, armés de leurs sabres, de haches, de revolvers, d'outils divers, ils se sont rués vers les locaux occupés par le journal catalaniste le Cu-Cut, à l'imprimerie d'abord, où ils ont pénétré de force après avoir brisé la devanture et fracturé la porte. Une fois là, ils détruisirent les machines, firent main basse sur tout le papier, journaux, almanachs, et y mirent le feu, dans la rue, sous l'oeil du gouverneur et de la police, impuissants. La rédaction reçut ensuite la visite de ces furieux et fut pareillement saccagée. Puis la Veu de Catalogna, autre journal catalaniste, fut envahie à son tour, dans les mêmes conditions, et traitée de pareille façon.

Et, tandis que brûlaient les autodafés, les passants inoffensifs étaient molestés et obligés, sous menace de coups, de crier: «Vive l'Espagne! A bas la Catalogne!»




La princesse Eugénie de Battenberg.--Phot. Hughes et Mullins.


Sir Henry Campbell Bannerman.--Phot. E. H. Mills.


M. Philippe Jourde.--Phot. Pierre Petit.]

LA FUTURE REINE D'ESPAGNE

Depuis quelque temps, le bruit s'est répandu des prochaines fiançailles du roi d'Espagne avec la princesse Victoria-Eugénie de Battenberg; bien que cette nouvelle n'ait pas encore reçu de confirmation officielle, on a dès maintenant de sérieuses raisons de la tenir pour véridique. C'est lors de son séjour à Londres, au mois de juin dernier, que le jeune souverain aurait fixé son choix sur la fille de la princesse Béatrice, soeur du roi Édouard VII, et veuve du prince Henri de Battenberg, de la branche morganatique de Hesse-Darmstadt, mort en 1896. Par le mariage projeté, Alphonse XIII se trouverait, on le voit, étroitement allié à la maison d'Angleterre. La future reine, qui est la filleule de l'impératrice Eugénie, est née à Balmoral, le 24 octobre 1887; elle vient donc d'accomplir sa dix-huitième année; on s'accorde à louer le charme de sa beauté blonde, la culture de son intelligence, la vivacité de son esprit. Elle a trois frères, dont l'aîné, le prince Alexandre-Albert, âgé de dix-neuf ans, appartient à la marine britannique.

SIR HENRY CAMPBELL BANNERMAN

A la suite de la démission du cabinet conservateur présidé par M. Balfour, le roi d'Angleterre a confié à sir Henry Campbell Bannerman, le leader de l'opposition parlementaire, la mission de former un cabinet libéral.

Né en Écosse en 1836, le nouveau «premier» du gouvernement britannique est âgé de soixante-neuf ans; il siège depuis 1868 à la Chambre des communes, sur les bancs de ce parti libéral dont il est devenu le chef. Au cours de sa longue carrière politique, il fut, de 1871 à 1874, secrétaire des Finances au ministère de la Guerre, fonctions qu'il reprit en 1880; il occupa, en 1882, le poste de secrétaire de l'Amirauté, et, en 1886, il eut le portefeuille de secrétaire d'État à la Guerre, dans le dernier cabinet Gladstone.

L'«OMÉGA»

On vient de mettre à l'eau le submersible Oméga, construit à Toulon, dans l'arsenal du Mourillon.

La coque, en forme de cigare aplati à l'avant et évasé vers l'arrière, supporte une passerelle d'environ 20 mètres qui émerge seule pendant la navigation en surface et au centre de laquelle se trouve le kiosque du commandant avec son capot. Cette coque, à peu près semblable à celle des autres submersibles, est d'un tonnage bien supérieur: 301 tonneaux; elle mesure 48 mètres de longueur. La vitesse prévue est de 11 noeuds.


Le submersible Oméga, qui vient d'être lancé à Toulon.

M. PHILIPPE JOURDE

M. Philippe Jourde, président honoraire de l'Association des journalistes parisiens, fondateur du syndicat de la Presse parisienne, qu'il présida également, et de la Caisse des victimes du devoir, vient de mourir à l'âge de quatre-vingt-neuf ans. Ancien négociant, il était entré au conseil d'administration du Siècle, puis avait dirigé ce journal pendant une dizaine d'années, jusqu'en 1878. Depuis 1882, il s'était établi au château de Carry-Rouet, dans le canton des Martigues, dont, pendant dix-huit ans, il fut le représentant au conseil général des Bouches-du-Rhône. C'est là qu'il s'est éteint, après avoir consacré l'activité de sa verte vieillesse et une partie de sa fortune non seulement à la constitution d'une importante collection d'objets d'art et d'une bibliothèque de plus de 20.000 volumes, léguée au Puy, sa ville natale, mais encore à la fondation d'oeuvres de bienfaisance, notamment de l'asile des marins, aux Martigues, magnifique établissement que la généreuse donation de M. Jourde a fait la propriété de l'Association de secours des gens de mer de la Méditerranée.



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NOUVELLES INVENTIONS
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LE SOUTIRAGE DE l'ACIDE CARBONIQUE

On n'avait pas trouvé jusqu'ici de procédé bien commode pour vider facilement et sûrement les cuves de la masse d'acide carbonique qu'elles contiennent au-dessus du moût ayant l'opération du foulage; le très simple appareil que nous décrivons ici résout ce problème en décantant ce gaz, comme on le ferait d'un liquide que l'on voudrait soutirer d'un récipient, soutirage qui en assure l'évacuation complète et conjure tout danger d'asphyxie. Le principe de cet appareil repose sur la densité de l'acide carbonique qui, comme on le sait, est considérable, environ une fois et demie celle de l'air, propriété qui permet de le transvaser sans qu'il se mêle sensiblement à l'air ambiant, tout au moins pour un temps, et qui donne la faculté de le soutirer comme un liquide.

Le moyen est des plus simples et consiste à munir, dans les conditions indiquées ci-après, une cuve quelconque d'orifices que l'on peut ouvrir ou fermer à volonté. Reportons-nous à la cuve représentée sur notre figure. L'une des douelles montre la place de cinq de ces orifices; ils sont ronds, ont 6 centimètres de diamètre et doivent être espacés de 20 centimètres à partir du haut. On en met quatre pour un vaisseau de 6 mètres cubes (environ 25 pièces); mais ce nombre peut être augmenté ou diminué suivant sa capacité. Il en faut nécessairement plusieurs, la hauteur du raisin pouvant être plus ou moins grande dans la cuve. Pour toute sûreté, le plus bas ne doit guère être à plus d'un mètre du fond.

Au niveau de chacune de ces ouvertures, sont adaptés des ajutages métalliques formés de deux pièces, l'une s'appliquant sur la cuve avec des vis; l'autre, en forme de bouchon, se vissant sur la première. La fermeture est rendue étanche par deux rondelles de caoutchouc: l'une se place entre la cuve et le cercle de la pièce, l'autre entre cette pièce et le bouchon.

Tous ces ajutages doivent être fermés en dehors du foulage, l'acide carbonique qui se produit, et qui résulte du dédoublement du sucre de raisin en alcool et en acide carbonique, étant nécessaire, en formant au-dessus du moût une couche qui l'empêche d'aigrir.


Lorsqu'on veut procéder au foulage, on ouvre tous les ajutages qui sont au-dessus du moût, de façon à soutirer tout l'acide carbonique qui le surmonte. Il s'écoule, en vertu de sa densité, sous forme de jets, comme s'il s'agissait d'un liquide, ce qui ne demande pas plus de dix minutes, un quart d'heure; on s'assure, du reste, qu'il ne reste plus de ce gaz, au moyen d'une lanterne qui doit brûler jusqu'à l'ouverture la plus basse.

Cette précaution étant prise, on peut entrer dans la cuve avec la sécurité la plus absolue, sans être incommodé même par l'acide carbonique emprisonné sous le chapeau formé par les rafles, qui se dégage lorsqu'on foule et qui s'écoule par les orifices, au fur et à mesure qu'il arrive.

Ces ajutages se trouvent au prix de 3 fr. 50 pièce chez M. Rameau, ingénieur, 110, rue s'Angoulême, Paris.




Note du transcripteur: Ce supplément ne nous a pas été fourni.