Project Gutenberg's L'Illustration, No. 1599, 18 Octobre 1873, by Various

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Title: L'Illustration, No. 1599, 18 Octobre 1873

Author: Various

Release Date: December 2, 2014 [EBook #47514]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 1599, 18 ***




Produced by Rénald Lévesque







L'ILLUSTRATION
JOURNAL UNIVERSEL

31e Année.--VOL. LXII.--N° 1599
SAMEDI 18 OCTOBRE 1873

DIRECTION, RÉDACTION, ADMINISTRATION
22, RUE DE VERNEUIL, PARIS.
31e Année.VOL. LXII. N° 1599
SAMEDI 18 OCTOBRE 1873
SUCCURSALE POUR LA VENTE AU DÉTAIL
60, RUE DE RICHELIEU, PARIS.
Prix du numéro: 75 centimes
La collection mensuelle, 3 fr.; le vol. semestriel, broché, 18 fr.; relié et doré sur tranches, 23 fr.
Abonnements Paris et départements: 3 mois, 9 fr.; 6 mois, 18 fr.; un an, 36 fr.;
Étranger, le port en sus.

SOMMAIRE

Texte: Le général Pourcet.--Histoire de la semaine.--Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand.--La Sœur perdue, une histoire du Gran Chaco, par M. Mayne Reid.--Nos gravures.--Les Théâtres.--Les frayeurs de M. Pommier, par M. Jean Bruno.--L'esprit de Parti (suite).--M. Léon de Rosny et le Congrès international des Orientalistes.--Bulletin bibliographique.--Exposition universelle de Vienne; les Bronzes de M. Domange Rollin.

Gravures: Le général Pourcet, commissaire spécial du gouvernement.--Sir Edwin Landseer.--Le dernier soldat prussien ayant foulé le territoire français.--Remise à la Prusse d'un convoi de forçats ayant opté pour la nationalité allemande. --La pêche des huîtres (6 gravures).--Un intrus, dessin de M. K. Bodmer.--M. Léon de Rosny, président du Congrès international des Orientalistes..--La nouvelle caserne d'infanterie de marine construite à Saïgoun.--Exposition universelle de Vienne: les Bronzes de M. Domange Rollin.--Rébus.


            LE GÉNÉRAL POURCET Commissaire
                        spécial du gouvernement.

LE GÉNÉRAL POURCET

Le général Pourcet, commissaire spécial du gouvernement près le conseil de guerre appelé à juger le maréchal Bazaine, porte gaillardement ses soixante automnes. La moustache et les cheveux sont blancs, mais bien fournis et bien plantés; la chevelure est fine et soyeuse, la moustache et la mouche coupées court, selon l'ordonnance. Les traits du visage sont d'une grande ténuité, seul le front a un certain développement; la bouche, le nez, les yeux vifs et noirs sont petits. Le teint indique que le général a été brun; sa taille est un peu au-dessous de la moyenne des officiers; mais avec sa tournure droite et élancée, le général n'en a pas moins fort bon air en uniforme. Dans sa jeunesse, avec sa figure fine et distinguée, il a dû passer pour fort joli garçon.

Au repos, l'aspect du général Pourcet est toujours charmant; mais quand son esprit est tendu et qu'il darde les yeux sur le maréchal Bazaine afin de saisir au passage ses impressions en même temps qu'il écoute ses paroles, ses traits prennent une sévérité, une dureté qui ne nous rassurent que médiocrement sur l'attitude du ministère public, qui ne s'est encore manifesté que par quelques monosyllabes, de même du reste que la défense.

Le général est entré à Saint-Cyr en 1832; deux ans après il passait à l'école d'état-major, et nommé lieutenant au commencement de 1835, il ne tardait pas à partir pour l'Afrique, où il allait faire un séjour de près de trente ans.

Le général Changarnier, qui l'avait distingué pendant ses expéditions, le prit pour aide-de-camp en 1841, pour ne se séparer de lui qu'en 1850, époque à laquelle le général Régnault d'Angely osa renverser l'idole des Parisiens.

Pourcet retourna aussitôt en Afrique, où il remplit pendant plusieurs années les fonctions de chef d'état-major de la division d'Oran, sous un chef exigeant et difficile, le terrible Pélissier. Le subordonné n'ayant pas un caractère beaucoup plus souple que le supérieur, nous croyons savoir que leurs rapports laissèrent à désirer et que les torts n'étaient pas du côté du colonel Pourcet.

Nommé général de brigade, Pourcet fut désigné pour l'emploi de chef d'état-major du grand commandement de Toulouse. Son avancement, très-rapide au début, s'était singulièrement ralenti; chef d'escadron en 1848, il ne devenait divisionnaire qu'en 1869, malgré ses beaux services de guerre, son zèle et son instruction pourtant très-appréciés. Il avait eu les bénéfices des aides-de-camp d'un général en vue; il en connut les inconvénients, toujours nombreux et souvent graves dans les pays qui changent souvent de gouvernement et où les influences sont comme les branches d'une girouette. Pourcet ne voulant pas, comme tant d'autres, devenir un indicateur des vents, resta fidèle au souvenir de son vieux général, et marqua invariablement le nord, signe de froid.

La guerre le trouva général de division du 24 février 1869 et commandant de la province d'Alger. Maintenu dans la colonie au début de la campagne, il évita ainsi d'être pris à Sedan ou à Metz. En octobre, M. Gambetta le rappela en France pour lui confier un commandement digne de son incontestable valeur militaire, celui du 16e corps d'armée alors en voie de formation derrière la Loire.

Avec ses habitudes de sévère discipline et de commandement sans réplique, le commandant du 16e corps ne put supporter les nombreux actes d'indiscipline qui se commettaient dans ces amas de recrues auxquelles manquaient les soins matériels et la direction morale, faute de temps et de cadres.

Lorsque M. Gambetta, à la suite de la capitulation de Metz, fit sa célèbre proclamation, le général Pourcet manifesta son indignation en termes éloquents. Un de ses meilleurs divisionnaires, le général Barry, le surpassa encore par la véhémence de son langage.

Le général en chef d'Aurelles raconte, dans son Histoire de l'armée de la Loire, la scène émouvante qui eut lieu, le 1er novembre, à Marchenoir, lors de la réunion des officiers généraux, commandants de régiments, les membres de l'intendance et les chefs des divers services du 16° corps. «Au fond du cœur; dit le général d'Aurelles, je partageai l'indignation de mes officiers; mais, comme général en chef, j'avais des devoirs à remplir, et je m'efforçai de faire entendre des paroles d'apaisement.»

Très-peu de jours après, le général Pourcet envoyait sa démission, qui était acceptée. Cependant, cinq semaines plus tard, touché des malheurs de la France, il accepta le commandement du 25e corps, en voie de formation dans le Cher, et destiné à couvrir le grand vide qui allait s'élargissant entre les armées de Bourbaki et de Chanzy. En quelques jours, le nouveau commandant en chef sut faire preuve de coup d'œil et d'audace dans l'exécution.

Décidé à gêner les communications des Prussiens, il dirigea sa première division, Bruat, sur Nevers, et se porta avec la seconde dans une direction tout opposée, vers Blois, par Romorantin. Ce mouvement fut exécuté avec un mystère et une célérité bien rares chez nous à cette époque, et le 29 janvier il refoulait brusquement les avant-postes prussiens en avant du faubourg de Vienne, sur la rive gauche de la Loire. Chassé de leurs embuscades et maisons crénelées, l'ennemi se rejeta en désordre dans Blois, abandonnant à Pourcet une centaine de prisonniers, désarmés et des munitions. Pour arrêter la poursuite, ils brûlèrent le tablier provisoire en bois établi par eux sur l'arche du pont, détruite lors de la retraite de Chanzy sur le Mans.

C'est sur ce beau fait d'armes que l'armistice arrêta le général Pourcet. A la paix, il fut appelé au commandement de la 12e division militaire à Toulouse, et nous ne serions pas étonné de le voir appelé à remplacer prochainement le doyen de nos commandants de corps d'armée, après l'accomplissement de la tâche difficile qui lui a été confiée dans le procès du maréchal Bazaine.

A. Wachter.



HISTOIRE DE LA SEMAINE

FRANCE

L'événement de la semaine a été la quadruple élection du 12 octobre. Il faut le reconnaître le succès des candidatures républicaines a été écrasant.

En effet, dans la Loire, M. Reymond a été élu par 59,886 voix contre 24,588 données à son concurrent, M. Faure-Belon. Dans la Nièvre, la différence en faveur de M. Turigny a été de 11,617 voix. Dans les élections du 27 avril dernier, où les mêmes candidats s'étaient déjà trouvés en présence, l'écart n'avait été que de 1,150. L'Assemblée avait cru devoir alors annuler l'élection de M. Turigny et mettre le suffrage universel en demeure de faire connaître avec plus d'éclat ses préférences: le suffrage universel a répondu. Dans le Puy-de-Dôme, où le parti monarchique n'avait point tenté d'opposer une candidature à celle de M. Girot-Pouzol, celui-ci a été élu par 79,825 voix. Enfin, dans la Haute-Garonne, où le parti monarchique avait produit la candidature de M. Niel, et paraissait nourrir quelque espérance de succès, M. de Rémusat l'a emporté de 39,577 voix.

Ne semble-t-il pas que l'on doive conclure de ce quadruple échec infligé par les électeurs aux candidats du parti monarchique que le pays, partout où il est appelé à faire connaître ses désirs, se prononce pour la république, et que c'est encore sa parole qui seule peut trancher la grave question de la forme du gouvernement? Cependant les journaux de la fusion y trouvent des raisons impérieuses de conclure dans un sens tout différent et de marcher avec plus de résolution que jamais dans la voie où tente d'entraîner la France la majorité du 24 mai. Le Français parle de la nécessité de ne pas prolonger d'un seul jour les retards qui ont fait battre son parti aux élections du 12 octobre. De même la Patrie «appelle l'attention des promoteurs de la restauration monarchique sur les inconvénients qu'offrent la prolongation de l'incertitude touchant les conditions de cette restauration».

Pour l'Univers, c'est «la révolution qui a triomphé partout», et il conclut: «Pour arrêter le radicalisme il faut la monarchie». Et l'Union: «Voyez et jugez, parti conservateur, écrit-elle; voyez où est l'opinion en France, jugez s'il est temps d'y apporter remède.» Le Journal de Paris conclut également au rétablissement de plus en plus indispensable d'une monarchie: «L'heure des résolutions viriles va sonner, dit-il. Il s'agit du salut même de la patrie. En vérité, si vous ne rétablissez pas la monarchie par le légitime souci de rejeter la révolution hors du gouvernement; si, après avoir rétabli la monarchie, vous ne vous pourvoyez point d'une loi municipale qui permette à l'autorité de gouverner, six mois ne se passeront pas avant que l'on n'acclame le général qui réprimera l'audace des nouvelles couches sociales, comme Tarquin le Superbe faisait des pavots de son jardin.» Enfin, car il faut en finir, toutes semblables sont les conclusions de l'Assemblée nationale: «Les élections du 12 octobre, écrit cette feuille, sont le suprême avertissement qui nous est donné. La logique des faits est marquée d'avance: c'est la monarchie immédiate, quelles qu'en soient les conditions; ou bien c'est, avec des étapes qui paraissent devoir être rapidement parcourues, retomber en Thiers, et de Thiers en Gambetta, et de Gambetta en Turigny, et de celui-ci en Pyat, Vermesch et Gaillard.»

Nous ne saurions voir, quant à nous, les choses sous une couleur si foncée, et il nous semble qu'entre le drapeau blanc et le drapeau rouge, il y a encore une place pour le drapeau tricolore. Au fond, ce qui est en cause ici, comme le fait remarquer le Journal des Débats, ce n'est plus la république, c'est le suffrage universel. Après le 24 mai, on se faisait fort de ramener le pays le plus facilement du monde et de dompter le suffrage universel en le «moralisant». L'expérience a prouvé qu'il y avait beaucoup de présomption dans cet engagement. Le ministère du 24 mai n'a rien ramené, et chaque jour le suffrage universel témoigne qu'on avait trop compté sur sa docilité. En présence de cette déconvenue, il serait téméraire d'espérer qu'un changement dans la forme du gouvernement serait plus efficace pour modifier les tendances bien connues de l'esprit national. Veut-on modifier ces tendances par la force? Qu'on le tente. Il nous semble toutefois qu'au lieu de montrer le poing à son temps avant de lui tourner le dos, il serait plus sage de s'accommoder avec lui, afin de tirer de ses nécessités, au profit des intérêts sociaux, tout le parti et le meilleur parti possible.

En attendant, tandis que le comité Changarnier délibère dans l'ombre et le mystère, les députés fusionnistes continuent leurs tentatives auprès de M. le comte de Chambord. Un membre du cercle des Réservoirs est parti ces jours derniers pour Salzbourg, où se trouve en ce moment le prétendant, auprès duquel il déploie les plus grands efforts pour l'amener à certaines concessions capables de grouper la majorité de l'Assemblée en un seul faisceau. A-t-il réussi? je ne sais. D'après les bruits qui courent, M. le comte de Chambord se montrerait disposé à céder sur le drapeau, mais en insistant sur son droit supérieur et inhérent, et sur la nécessité pour la France de le reconnaître avant tout. Quoi qu'il en soit, nous ne tarderons pas à être renseignés et édifiés à cet égard, et il est probable que la réponse de M. le comte de Chambord sera connue quand paraîtront ces lignes.

Le procès du maréchal Bazaine poursuit son cours à Trianon. Après le rapport du général Rivière, M. le président du conseil de guerre a ordonné, usant de son pouvoir discrétionnaire, la lecture d'un mémoire justificatif de l'accusé, qui n'est que la reproduction de celui que le maréchal avait lui-même publié antérieurement à son arrestation. Puis on a passé à l'interrogatoire. Avant d'y procéder, M. le président a fait connaître aux juges, au parquet, à la défense et au maréchal Bazaine les divisions qu'il se proposait d'introduire dans cet interrogatoire et qui doivent être reproduites dans l'audition des témoins.

Ces divisions sont au nombre de neuf. Les voici:

1° Prise de possession du commandement;

2° Opérations militaires depuis le 13 jusqu'au 19 août;

3º Communications avec l'empereur, le gouvernement, le maréchal de Mac-Mahon et divers;

4° Opérations du 19 août au 1er septembre 1870;

5º Défense et approvisionnement de la place de Metz;

6° Incidents et démarches diverses pendant le mois de septembre;

7° Communications avec le gouvernement de la défense nationale;

8° Dernières négociations;

9º Capitulation.

L'interrogatoire du maréchal Bazaine a commencé lundi dernier. Il a déjà porté sur les cinq premières divisions ci-dessus mentionnées. Ce qu'ont été les réponses de l'accusé, nous n'avons pas à l'apprécier ici. Sur ce point, nous croyons devoir garder pour nous nos impressions, et nous sommes certains que tout le monde comprendra et approuvera ce sentiment de réserve.

Une autre affaire, l'affaire Ranc, a été jugée le 13 octobre par le 3e conseil de guerre, présidé par M. le lieutenant-colonel Deloffre. M. Ranc n'ayant pas répondu à l'appel de son nom, le greffier a donné lecture d'un rapport dans lequel est passée en revue toute la vie de l'accusé et qui, sur les faits qui ont motivé les poursuites, n'apprend rien que ne connaissent nos lecteurs depuis deux ans. À la suite de cette lecture, le conseil, après en avoir délibéré, a condamné par contumace M. Ranc à la peine de mort.

ESPAGNE

Les nouvelles d'Espagne sont relativement satisfaisantes. Carthagène est investi par terre et par mer. Les insurgés font preuve d'énergie, mais les vivres commencent à manquer. Une dépêche de Madrid, en date du 14 octobre, annonce qu'il en resterait seulement pour trois ou quatre jours. On sait qu'un engagement a eu lieu le 11 entre l'escadre de l'amiral Lobo et les frégates intransigeantes. L'issue de cet engagement est d'un excellent augure. Après deux heures d'un combat acharné, dans lequel a été tué M. Mova, député et membre de la junte insurrectionnelle, les forces navales carthaginoises, fort maltraitées, ont été obligées de regagner le port.

Voilà pour le midi; quant au nord, le combat de Cirauqui paraît avoir eu plus d'importance qu'on ne l'avait d'abord supposé. Il semble que le général Moriones qui, depuis plusieurs jours, essayait de forcer les lignes ennemies, ait voulu surtout s'assurer de la valeur de ses troupes en les lançant contre les bandes navarraises, qui constituent la grande force des carlistes, attirer en Navarre une partie des insurgés du Guipuzcoa et de la Biscaye, et offrir ainsi au général Loma l'occasion de prendre l'offensive. Le général Moriones a atteint le premier but et paraît devoir atteindre les deux autres; en effet, dans son rapport sur le combat qui vient d'avoir lieu, il termine en disant que dans peu de jours les heureuses conséquences du combat de Cirauqui se feront certainement sentir, et que déjà l'on signale à Estella la présence de don Carlos, venu du Guipuzcoa au secours de son lieutenant.

ITALIE.

Le Journal officiel de Berlin publie une curieuse correspondance que viennent d'échanger le pape et l'empereur d'Allemagne. La lettre du pape est du 7 août. Il s'y plaint que toutes les mesures prises depuis quelque temps par le gouvernement allemand «ont de plus en plus pour but de détruire le catholicisme», et il demande à l'empereur s'il n'arrivera pas à se convaincre que «ces mesures n'ont d'autre effet que de miner son propre trône ...»

Dans sa réponse du 3 septembre, l'empereur se plaint de son côté qu'une partie de ses sujets catholiques aient, avec le concours de l'épiscopat, «organisé un parti politique qui cherche à troubler, par des menées hostiles à l'État, la paix religieuse qui règne en Prusse depuis plusieurs siècles», et il espère que le pape voudra bien «employer son autorité à mettre fin à une agitation fomentée à la faveur d'une déplorable falsification de la vérité et d'un abus de l'influence ecclésiastique». L'empereur se montre donc résolu à soutenir M. de Bismark dans sa lutte contre les catholiques, et il repousse les prières que le pape lui adresse, non-seulement comme chef de l'Église catholique, mais comme prêtre et pontife. «Tous ceux qui ont reçu le baptême appartiennent au pape», écrit Pie IX à l'empereur, qui proteste, et répond: «La foi évangélique que mes ancêtres ont professée et que je professe moi-même avec la majorité de mes sujets, ne nous permet pas d'admettre, dans nos rapports avec Dieu, d'autre intermédiaire que Notre-Seigneur Jésus-Christ.»

Le bruit court que par suite de l'absence prolongée de notre ambassadeur à Rome, M. Fournier, M. Nigra, ministre d'Italie en France, vient d'être autorisé par son gouvernement, à demander un congé et qu'il a quitté Paris.



Courrier de Paris

--Avez-vous vu l'Homme-Chien? Avez-vous vu le fils de l'Homme-Chien, plus chien encore que son père.

On s'abordait déjà en se faisant ces questions le moyen de s'amuser aux bagatelles d'une baraque au moment où se joue, à côté de nous, le drame de Trianon? Frivole, notre peuple l'est. Nul ne l'aura jamais été au même degré. Un rien le distrait. Rabelais disait: «Rien qu'avec un grelot à la main, vous le faites rire.» La moindre bizarrerie lui fait tourner la tête. Mais ce qui n'est pas moins vrai non plus c'est que tout ce qui se rapporte à son honneur le touche du premier coup au plus vif de l'âme. Voilà comment, l'autre soir, en lisant l'épisode relatif aux drapeaux que le maréchal Bazaine a livrés aux Prussiens dans les forts de Metz, des millions de Français ont senti les larmes leur venir aux yeux, larmes d'impuissance et de rage. A l'heure qu'il est, il ne s'agit plus d'une manifestation partielle ou fragmentée; la France entière s'emporte. On se demande en tout lieu comment cela a pu se faire.

Que n'imitait-il l'héroïque Beaurepaire qui s'est si bien brûlé la cervelle en rendant Verdun? se disait-on de tous côtés.

Au reste, l'étonnement a saisi chacun de nous à la gorge depuis l'ouverture de ces lamentables débats. Cette aventure de notre abaissement était pourtant assez connue. Mais en dépit des kilomètres d'écrits qu'on a publiés là-dessus, on ne connaissait encore la vérité qu'à demi. Le rapport du général de Rivière projette sur notre chute des lueurs inattendues, une lumière qui ne laisse plus rien dans l'ombre. Comme il est bien visible que nos revers nous viennent en grande partie de nous-mêmes! Comme nous avions bien cent fois tout ce qu'il nous fallait pour ne pas tomber!

A l'heure où tout cela n'en était encore qu'au prologue, les Italiens s'égayaient de l'événement, les ingrats! Pasquin et Marforio engageaient un dialogue de jolis cœurs.

«Marforio.--Qu'est-ce qu'il y a de neuf aujourd'hui?

«Pasquin.--Une nation de romanciers qui déclare la guerre à une nation de géomètres.»

Le restant de la scène est fort piquant; je ne vous le rapporterai cependant pas, parce qu'il nous oblige un peu trop à mettre le doigt sur nos hontes. Tenons-nous-en au mot de Pasquin:

«Une nation de romanciers.» C'est de nous, bien entendu, qu'il s'agit. Mon Dieu, oui, l'abus du roman nous a toujours perdus. Cette fois là entre autres. Une femme veut empêcher qu'un Hohenzollern ne s'asseye sur le trône d'Espagne, cherchant à garder ce fauteuil pour une autre, qui en était descendue. En quoi cela nous intéressait-il, nous autres? Nous savons bien, d'ailleurs, ce qui n'aurait pas tardé à arriver. Tout juste ce qui est advenu dix-huit mois plus tard à Amédée de Savoie, le bien avisé. Peut-être plus vite que ça encore, le Hohenzollern serait retourné sans tambour ni trompette dans le pays de la bière brune et des contes fantastiques. Mais non, il a fallu faire la guerre pour une idée de femme. Premier chapitre du roman.

Les autres chapitres, passons-les rapidement sous silence. Frédéric II avait dit: «Pourquoi je l'emporterai sur les Français? Tiens, parce que Soubise a quatre-vingt-dix-neuf cuisiniers et un espion et que j'ai, moi, quatre-vingt-dix-neuf espions et un seul cuisinier.» Cette même situation s'est reproduite fait pour fait; n'est-ce pas, hélas! suffisamment romanesque? Mais ce qu'il y a de plus inconcevable, c'est ce qui se passe à Metz quand un inconnu se présente, amené par l'ennemi, agitant son mouchoir au bout de sa canne. Qu'est-ce que c'est que Régnier, si ce n'est un copiste du Rocambole de Ponson du Terrail? Voyez-vous d'ici Bourbaki, le plus brave de nos soldats, poussé à se déguiser comme un personnage de feuilleton? Bismark, tenant, à Versailles, les fils de cette intrigue, a plus d'un point de ressemblance avec l'esprit satanique qu'Eugène Sue a placé dans la Salamandre. Hélas! d'un bout à l'autre, tout est roman là-dedans et, en même temps, c'est la plus cruelle et la plus sérieuse des histoires!

Trianon est devenu méconnaissable. Nous voilà bien loin du temps où, au spectacle des bergeries de Marie-Antoinette, le chevalier de Florian disait que les deux palais et leur beau parc formaient ne «île de Calypso». Trianon est, pour le moment un corps-de-garde, une forteresse. Il y pousse des faisceaux de fusils; il y croit des sabres. On a vu un canon de sept à cent pas de cette chapelle païenne qu'on appelle le Temple d'Idalie. Et toute cette mise en scène ne se comprend que trop après qu'on a lu le rapport du général de Rivière. Attendez. Nous ne sommes qu'à un commencement. Les conséquences de la capitulation de Metz vont se dérouler une à une, sous nos yeux. Tant de soldats de tout grade, entrant de plein-pied dans un domaine autrefois voué seulement à l'idylle, c'est une préface. Toutes les mères le disent à leurs enfants à la mamelle: il faudra songer à reconquérir un jour ce que Bazaine et ses coopérateurs nous ont fait perdre.

Il n'y a donc pas de mal à ce que le bruit du tambour se mette, dès à présent, à dissiper les échos trop élégiaques des anciennes résidences royales. Tout doit concourir à nous ramener à des mœurs guerrières.

C'est là aussi ce qu'on ne peut s'empêcher de dire en voyant la Savoie armée.--Qu'est-ce que c'est que ça, la Savoie armée?--va-t-on dire. Une œuvre patriotique enrichie de quatre superbes dessins de M. Am. Champod, de Genève. L'artiste a décrit avec son crayon quatre grandes scènes de la lutte désespérée de 1870-1871. Ici le paysage du champ de bataille ne doit rien à la fantaisie; M. Champod s'est religieusement attaché à reproduire jusqu'aux moindres accidents du terrain, tous les détails des localités dont l'histoire a enregistré les noms. Il a montré les Savoisiens répandant leur sang pour la France, leur nouvelle patrie, et ces pages sont du plus bel effet. Les quatre dessins, au surplus, ont été mis sous les yeux du maréchal de Mac-Mahon, qui a fait répondre à leur auteur une lettre qui est tout à fait en harmonie avec ce que nous disions tout à l'heure à propos du retour aux allures militaires.--Lisez:

«Le président me charge de vous remercier de cet envoi auquel il a été très-sensible. Votre œuvre n'est pas seulement un hommage rendu aux courageuses victimes de notre dernière guerre. Elle sert encore à perpétuer des souvenirs qui doivent fournir, à ceux qui ont survécu, un bien douloureux, mais bien utile enseignement ...»

Il nous faut pourtant descendre de ces hauteurs épiques pour revenir au Chien-Homme ou à l'Homme-Chien, comme il vous plaira.--On vient, rien de plus vrai, de nous amener deux échantillons d'une espèce encore inconnue en Europe. Un chien se présente qui est un homme, tenant par la main, oui, par la main, non par la patte, son fils Fédor, qui est un chien. Arrangez cela, si vous pouvez. Pour les lettrés, cette exhibition n'a rien qui choque absolument l'esprit. Il a existé, à travers les siècles, des temps mal éclairés par le réverbère de l'histoire. A ces époques là, le monde était à l'état d'enfance, il a existé en assez grand nombre des natures mixtes; c'est ainsi que les Grecs, les Étrusques et les premiers Romains (mettez les Quirites) ont connu les Faunes, les Satyres, les Egipans, moitié hommes, moitié boucs; c'est dans les mêmes cycles qu'ont vécu les Centaures, moitié hommes, moitié chevaux, les Syrènes, moitié femmes, moitié poissons, les sphynx, partie femmes, partie oiseaux. Hérodote lui-même, le père des historiens, parle d'un dieu d'Égypte du nom d'Anubis, lequel avait un corps d'homme surmonté d'une tête de chien. A la vérité, nous autres, enfants d'un âge réaliste, nous disons que tout cela remonte au temps des fables; et, pour ce qui est de l'assertion d'Hérodote, nous nous rappelons que c'est du nom de ce conteur qu'on a formé le verbe radoter. Oui, tout ce que vous voudrez, mais je vous défie bien d'expliquer d'une façon satisfaisante ce que c'est que l'Homme-Chien.

Que disais-je donc tout à l'heure en parlant de traditions primitives, de fables, de poésie et d'historiens qui ne savent pas ce qu'ils disent? Mais ces légendes bizarres se sont remises à vivre dans la science moderne. Il n'y a pas bien longtemps, moi qui vous parle, j'ai vu se promener sous les arcades du Palais-Royal, de midi à quatre heures, un grand esprit, un beau génie, un réformateur, un homme qui, ayant pris le globe terrestre dans ses mains comme un statuaire prendrait un bloc de terre glaise, l'a pétri et façonné d'une façon nouvelle. Je parle de Charles Fourier, un Prométhée bourgeois, le téméraire auteur de la Théorie des quatre mouvements, le créateur du Phalanstère. Celui-là, je vous le répète, avait tout remanié: les astres, le ciel, la mer, la terre, l'homme, le végétal, la bête. C'est ainsi qu'il est arrivé à nous dire à quel point parviendra un jour le progrès.--Un jour l'homme dessalera la mer, et il en fera un lac de limonade. Un jour l'homme assouplira les cétacés, et, de quatre baleines attelées à un navire, il fera les coursiers qui mèneront ces omnibus nautiques à travers les océans.--Un jour, l'homme forcera le cèdre à porter une poire plus douce que la pêche de Médie, et la ronce des haies à produire un raisin opale comparable à l'ambroisie d'Homère.--Un jour l'homme accouplera le cheval et le terrible quadrupède que les Arabes ont nommé le Seigneur à la grosse tête, et de cet hymen il résultera l'hippo-lion, le plus fier, le plus rapide des porteurs.--Il nous faut hausser les épaules de pitié, MM. les sportmen de la Marche, qui croisent à grand'peine un cheval anglais et un cheval du désert pour donner le jour à d'innocentes pouliches qui font un kilomètre en dix minutes. Qu'est-ce que c'est que ces lourdes bêtes comparées à l'hippo-lion de Charles Fourier qui, dès sa naissance, en l'an 2500 ira en trois secondes de la butte Montmartre à Montsouris?

En attendant cette heure tant désirée du rajeunissement de la planète, où l'on entendra hennir l'hippo-lion, plus agile que la licorne de Zoroastre, descendons pour cinq cents ans encore sur l'indigent petit tas de boue où nous nous agitons sans cesse les uns les autres comme des vers coupés. On a beaucoup chassé cette semaine, notamment chez M. Olympe Aguado. On s'est remis à courir au bois de Boulogne. Le prince Milan Obrenowitch, souverain de la Serbie, était de toutes les fêtes. Une bonne et heureuse pensée; cet étranger de distinction n'a pas voulu quitter Paris sans emporter son portrait photographié par Nadar.

Nadar a quitté le boulevard des Capucines pour la rue d'Anjou; c'est dire qu'il n'a pas cessé d'être le photographe par excellence. Comme le roi Léopold de Belgique, comme le shah de Perse, le prince régnant de Serbie dont je vous parlais tout à l'heure s'est dit: «--Allons chez Nadar», et en sortant, un jour, de la chapelle expiatoire du boulevard Haussmann, il est entré dans les grands ateliers photographiques de ce quartier, les mêmes qui sont devenus une des curiosités de Paris pour tous les étrangers de distinction.--Nadar, à l'aide de ses nouveaux procédés, a fait alors un de ces portraits qu'il fait toujours si bien.

À propos de nouvelles théâtrales, un mot en passant.

On avait prétendu que Jules Noriac faisait une pièce nouvelle sous ce titre: le Peuple souverain. L'auteur de la Timbale s'est empressé avec raison de dire qu'il n'en était rien: «Il est possible, écrit-il, que je fasse une opérette nouvelle, mais, pour sûr, elle ne portera pas le titre qu'on a dit. Je trouve que le peuple est trop peuple pour que je le flatte et pas assez souverain pour que je me moque de lui.»



SIR EDWIN LANDSEER.


--Comment trouvez-vous ces quatre lignes là?--A ce propos, qu'on me permette une indiscrétion touchant leur auteur. Jules Noriac compose effectivement une opérette nouvelle; celle-là, j'en suis sûr, a pour titre: la Branche cassée.

Un jeune compositeur d'un très-bel avenir fait la musique de cet ouvrage. Celui-là n'est autre que M. Gaston Serpette, qui est quelque chose comme un grand prix de Rome. Il faut ajouter que ce jeune maître, emporté par la violence d'une irrésistible vocation, a tout sacrifié à la musique. Dès son enfance, on l'a chapitré, mais en vain, afin de l'éloigner de l'art de cultiver les croches et les doubles croches. Les siens l'ont maudit, son père, un vénérable millionnaire, l'a presque déshérité et ne lui fait, à cause de ce fait, qu'une modique pension de deux cents francs par mois. N'importe, M. Gaston Serpette a tenu bon. Il s'est dit: «Je suis musicien et je ne serai jamais autre chose.» C'est là un bon préjugé en faveur de la Branche cassée.--Voilà ce que Paris entier constatera très-prochainement.

Nous sommes plus que jamais en temps de chasse, il n'y a pas le moindre doute là-dessus, n'est-ce pas.


    Le dernier soldat Prussien ayant foulé le territoire
    français. D'après la photographie de M. Bruneau.

A ce sujet on parle beaucoup depuis quelques jours des exploits cynégétiques d'une célèbre chanteuse.

Christine Nilsson, aujourd'hui Mme Rouzeaud, réside souvent en Russie.

Il y a quelque temps, à cinquante verstes de Saint-Pétersbourg, Ophélia eut une fantaisie.

Qui n'aura un caprice si ce n'est la pâle et extravagante fiancée du noble et extravagant Hamlet?

Christine Nilsson voulut assister à une chasse à l'ours.

Il y a mieux, écrit-on, elle a tué un solitaire.

Est-ce bien vrai, cet ours tué par la chanteuse? Il en est qui refusent d'y croire. Mais à l'Opéra, les bonnes petites camarades glosent joliment sur cette prouesse, réelle ou supposée. Il faut entendre surtout Mlle Z***! En voilà une qui raconte vivement la chose.

--Voilà, s'écrie donc Mlle Z***, comment le fait s'est passé. Christine cherchait un ours noir. Fi donc! c'est un ours blanc qui est venu, un des plus féroces, avec une gueule comme doublée de satin rose et de grandes dents de diamants. Christine a pris son remington; elle a visé l'ours, a tiré, l'a tué, abattu, dépouillé, découpé, fait cuire et mangé, le tout, en dix minutes de temps!

Ah! les bonnes petites camarades!

Philibert Audebrand.


Remise à la Prusse d'un convoi de forçats ayant opté pour la nationalité allemande.



LA SŒUR PERDUE

Une histoire du Gran Chaco


CHAPITRE I

EL GRAN CHACO.--DEUX VOYAGEURS

Étendez devant vous une carte de l'Amérique du Sud; fixez vos yeux sur le confluent de deux grandes rivières: le Salado, qui vient des montagnes des Andes dans une direction sud, et le Parana, qui descend du nord. Remontez le premier fleuve jusqu'à la ville de Salta dans l'ancienne province de Tucuman; puis, le long du second fleuve et de son tributaire le Paraguay, allez jusqu'au fort brésilien de Coïmbra; joignez ces deux points par une ligne légèrement recourbée, tournant sa convexité vers la grande Cordillère des Andes, et vous aurez tracé la frontière qui limite une des contrées du continent d'Amérique les moins connues, et pourtant l'une des plus intéressantes. C'est une région aussi romantique dans son passé que mystérieuse dans son présent, aussi fermée de fait à la civilisation qu'à l'époque où les bateaux de Mendoza essayèrent vainement de l'atteindre du côté du sud et où les chercheurs d'or, désappointés à Cusco, tentèrent de l'explorer du côté de l'ouest. C'est la région de «El gran Chaco». Vous avez certainement entendu citer ce nom, et si vous avez étudié la géographie, vous n'êtes pas sans connaître un peu le territoire ainsi désigné. Mais vous ne connaîtriez que très-imparfaitement le Gran Chaco, alors même que vous en sauriez autant que ceux qui en habitent les frontières. Tout ce qu'ils en ont appris se résume en deux mots: souffrance et angoisses.

Vous avez été élevé dans la croyance que les peuples de sang espagnol, au jour de leur grandeur et de leur gloire, soumirent tout le continent d'Amérique, ou du moins la portion qu'ils prétendaient en coloniser, et qui, partiellement encore, est restée sous leur domination.

C'est une erreur historique comme il y en a beaucoup. Poussés par la soif de l'or, et sous la protection de fortes expéditions militaires, les conquistadores parcoururent une grande portion du territoire; mais il y eut d'immenses étendues où ils ne pénétrèrent jamais et qu'ils colonisèrent encore moins. Tels furent Navajoa au nord, le pays des Guajiros au centre, les terres de Patagonie et d'Arauco au sud, et une vaste contrée de plaines qui s'étend entre les Cordillères des Andes péruviennes et les eaux du Paraguay,--c'est-à-dire le Gran Chaco.

Ce territoire que nous venons de nommer, assez vaste pour y fonder un empire, non-seulement n'a pas été encore colonisé, mais il reste même complètement inexploré. En effet, la demi-douzaine d'expéditions qu'on y a timidement tentées et qui furent promptement abandonnées, ne méritent pas le nom d'explorations.

Nous en dirons autant des faibles efforts des Pères jésuites ou franciscains. Les sauvages du Gran Chaco ont refusé de se soumettre aussi bien à la croix qu'à l'épée.

A quelle cause faut-il attribuer l'abandon de ce singulier territoire? Est-ce un désert stérile comme la majeure partie du pays des Apaches et des Comanches, comme les plaines de Patagonie et les sierras de Arauco?

Est-ce une forêt humide et impénétrable, périodiquement inondée comme la vaste vallée de l'Amazone ou les deltas de l'Orénoque? Rien de tout cela. Le Gran Chaco possède, au contraire, tout ce qu'il faut pour attirer la colonisation: de vastes clairières naturelles couvertes d'une herbe nourrissante; des forêts d'arbres tropicaux où le palmier prédomine; un climat d'une salubrité qui n'a jamais été mise en doute; un sol capable de produire tout ce qui est nécessaire pour les besoins et les agréments de la vie. En résumé, on peut le comparer à un immense, ou à une série de vastes et pittoresques jardins dont la culture aurait été laissée aux seuls soins du Créateur!

Pourquoi n'a-t-il pas été soumis au travail de l'homme?

La réponse est facile: parce que l'homme qui l'habite est un chasseur et non un agriculteur.

Ce pays est resté le domaine de ses propriétaires à peau rouge, seigneurs primitifs de son sol, race d'indiens belliqueux qui, jusqu'à présent, ont défié toutes les tentatives faites pour les rendre esclaves, par le soldat, par le mineur, le missionnaire ou le Mameluco (1).

Note 1: Los Mamelucos de l'Amérique du Sud forment un peuple de races mélangées, portugaise, africaine et indienne, dont le centre, est à San-Paulo, au Brésil. Ils sont les plus féroces chasseurs d'esclaves du continent méridional, et leur histoire est un tissu de cruautés et de meurtres.

Ces sauvages indépendants, montés sur des chevaux infatigables qu'ils dirigent avec une habileté de centaures, parcourent les plaines du Chaco, rapides comme l'oiseau emporté par le vent. Dédaignant les résidences fixes, ils voyagent sur ces plaines verdoyantes et à travers ces bois parfumés, comme l'abeille voltigeant de fleur en fleur, et ils ne plantent leurs lentes que là où le charme de l'endroit les retient. On les appelle sauvages; mais qui n'envierait parfois leur insouciante et poétique existence? Voulez-vous mieux connaître ces peuples?

Alors, suivez-moi et entrons ensemble dans le Gran Chaco.

Une plaine d'un vert d'émeraude s'étend sous un ciel combinant les teintes du saphir et de la turquoise. Malgré leurs nuances vives, l'aspect est monotone: quelques petits nuages blancs épars et le globe d'or du soleil qui brille au zénith tranchent, seuls sur l'uniformité du ciel; et à travers la plaine, l'œil ne se repose que sur quelques bouquets de palmiers, un groupe de rhéas et un couple de grands oiseaux blancs à gorge orange et à crête écarlate, les rois des vautours (2). Mais ces derniers, planant dans les hauteurs de l'éther, appartiennent également à la terre et au ciel.

Note 2: Cathartes papa. C'est le plus bel oiseau de la famille des vautours.

Tel se présente le Gran Chaco, que le pied de l'homme blanc n'a presque jamais foulé; aussi frais et aussi virginal que le jour où il est sorti des mains de Dieu.

Je dis: «Presque jamais foulé.» En effet, tandis qu'avec des yeux ravis nous admirons le paysage, nous voyons deux formes d'êtres vivants se détacher sur l'horizon lointain.

Jusqu'à présent, elles ne semblent que deux points et pourraient être un couple d'autruches, ou bien le mâle et la femelle du guazuti (3), car il y a une différence dans leur taille.

Note 3: Une grande espèce de daim sud-américaine, et particulière à la région des Pampas.

Mais non, ce ne sont pas de simples animaux. Ce sont bien véritablement des êtres humains, ils marchent vers le centre de la plaine; ils s'approchent; déjà on distingue en eux des cavaliers; les voici plus près encore: leur visage est blanc.

L'un d'eux, le plus grand, est vêtu d'un costume à la fois imposant et pittoresque. Le vêtement de laine qui couvre ses épaules, avec ses larges bandes alternées blanches, bleues et rouges, est le poncho, ce manteau porté par tous les habitants des plaines de la Plata. Par-dessous se trouve une jaquette ressemblant au justaucorps d'autrefois, et ornée de riches broderies et de pesetas ou pièces de vingt-cinq sous à l'effigie de la république argentine. De larges culottes de coton, les calzoncillos, attachées à la façon des zouaves, couvrent les jambes, mais laissent près du sommet de la botte une partie du genou nue.

De lourds éperons et un chapeau à grands bords avec un ruban de couleur vive complètent le costume du cavalier, facile maintenant à reconnaître pour un gaucho au seul aspect du harnachement de son cheval, à sa bride et à ses courroies plaquées d'argent, et à sa carona ou couverture de selle soigneusement cousue et brodée.

L'autre cavalier est aussi couvert d'un manteau, mais l'étoffe en est foncée et il est si ample que ses autres vêtements ne peuvent s'apercevoir. Ses pieds reposant sur des étriers en bois, sont chaussés de bottes, et des culottes de velours les recouvrent presque jusqu'à leur extrémité. Sur sa tête est un sombrero dans le genre de celui de son compagnon; ce chapeau semble avoir été récemment bossué et comme écrasé. Sa monture caparaçonnée avec plus de simplicité que celle du gaucho, garde une allure tranquille.

Bien que les deux cavaliers chevauchent côte à côte, les étriers se touchant, pas un mot n'est et n'a été échangé entre eux depuis le moment où ils nous sont apparus au milieu de la plaine.

Un seul, d'ailleurs, le gaucho, semble être en état de parler. Son compagnon, quoique installé solidement sur sa selle, porte la tête d'une façon étrange. On dirait qu'elle tombe plus bas que ses épaules et incline légèrement à droite. Malgré l'ombre projetée par son chapeau, on distingue déjà que ses yeux sont fermés. On ne peut supposer qu'une chose, c'est qu'il est tout au moins endormi.

Cette supposition n'aurait en elle-même rien d'étrange, si elle s'appliquait au gaucho, car ces demi-centaures se donnaient rarement la peine de quitter leur selle pour faire leur sieste. L'autre cavalier, sans être un gaucho, peut encore être un habile écuyer. On monte bien à cheval dans ces parties de l'Amérique du Sud.

Outre son attitude singulière, la nuance de sa peau est remarquable, son teint de blond, rare sous ces climats méridionaux, est d'une pâleur extraordinaire. Ses lèvres elles-mêmes sont complètement décolorées. Éveillé ou endormi, ou aveugle, ce cavalier n'est évidemment pas en bonne santé. Mais il se peut qu'il ne soit qu'endormi, car sa monture s'avance sans qu'il la guide: ses mains pendent le long de son corps, cachées par son manteau, et les rênes reposent, abandonnées, sur la crinière du cheval.

L'animal s'en soucie peu. Il n'a pas besoin de se sentir conduit, et règle son pas sur celui de l'étalon monté par le gaucho. L'un et l'autre s'avancent lentement. Ils semblent comme plongés dans une sorte de léthargie par la brûlante chaleur du soleil dont la hauteur, du reste, leur assure tout le temps qui peut leur être nécessaire pour l'achèvement de leur voyage.

Tout indique qu'ils ne sont pas pressés. Cela résulte des mouvements mêmes du gaucho. En arrivant au centre de la plaine, il arrête brusquement son cheval pour porter vers le zénith un regard plus attentif.

«Nous avons six heures encore devant nous, et dans trois heures, même avec cette allure de tortue, nous atteindrons l'estancia. A quoi bon y arriver avant le coucher du soleil. Pobra senora! Pour ce qu'elle a à voir, il vaut mieux qu'il fasse nuit.»

Bien que ses yeux soient tournés vers lui, ces mots ne s'adressent pas à son immobile compagnon, ont le cheval s'est arrêté en même temps que celui du gaucho. Ce temps d'arrêt n'a pas éveillé son cavalier. Les paroles du gaucho ne sont qu'un monologue prononcé sur un ton lugubre contrastant étrangement avec l'air naturellement gai et épanoui du personnage. Son visage, tout bronzé qu'il est, semble plutôt fait pour la bonne humeur que pour les noires pensées.

«Que faire? continue-t-il en se parlant encore à lui-même. Je vais d'abord, car c'est le plus pressé, me débarrasser de ce poncho qui m'étouffe. Il fait chaud sous ce soleil comme dans une fournaise.»

Il fit passer son manteau par-dessus sa tête et l'étendit en travers sur le pommeau de sa selle; puis, regardant son compagnon, il ajouta:

«Il n'est, hélas! pas besoin de lui ôter le sien. Ce n'est pas la chaleur qui le gênera, bien sûr.»

Cela dit, il reste tout pensif sur sa selle, puis il observe la plaine comme s'il cherchait à y découvrir quelque chose. Son regard s'est arrêté sur un bouquet d'arbres algarrobas qui croissent à peu de distance. Leurs troncs sont entrelacés par un réseau de plantes parasites et ils apparaissent comme un îlot boisé sur la surface d'une mer d'émeraude immobile.

«Je puis me permettre de me reposer sous leur ombre, reprit-il; j'ai besoin de reprendre des forces, Dieu le sait, pour me donner le courage d'accomplir ma tâche. Pobre senora y los ninos! (Pauvre dame, pauvres enfants!) Quelle terrible nouvelle je leur rapporte. Sangre de Cristo! Pourrai-je jamais les regarder en face!» Cependant, l'autre voyageur ne prononce pas un mot; il semble que rien ne puisse l'éveiller, car son cheval, en tournant subitement dans une autre direction à côté de celui du gaucho, l'a fait vaciller sur sa selle, sans que sa paupière se soit relevée.

Le bouquet d'algarrobas est atteint. Le gaucho prend le parti de mettre pied à terre. Il attache à un arbre son cheval et celui de son compagnon, mais il ne dit pas un mot au cavalier en manteau, toujours immobile sur sa selle, toujours taciturne, et quand il a allumé le feu sur lequel il fait griller quelques bandes de chargui pour son repas de midi, il ne l'invite même pas à partager son déjeuner. Il n'essaye pas de causer avec lui, il le laisse sur sa monture, toujours plongé dans le plus profond des sommeils.


CHAPITRE II

UNE ESTANCIA SOLITAIRE

Trois grandes rivières, le Salado, le Vermejo et le Pilcomayo, arrosent le Gran Chaco. Toutes prennent leur source dans les montagnes des Andes, et après avoir coulé au sud-est dans une direction presque parallèle, elle débouchent à des distances inégales dans le Parana et le Paraguay.

On connaît peu ces cours d'eau; le Salado a été partiellement exploré pendant ces dernières années. Il constitue la frontière méridionale du Chaco, et l'une de ses rives est suivie par quelques voyageurs, mais seulement dans la portion supérieure qui arrose les districts colonisés de Santiago et de Tucuman. Du côté de son embouchure, sa rive méridionale elle-même n'est pas sûre, car les sauvage du Chaco la franchissent souvent dans leurs expéditions pillardes.

On connaît moins le Vermejo que le Salado, et moins encore le Pilcomayo que le Vermejo. L'un et l'autre peuvent être approchés avec sécurité dans leurs eaux supérieures, au milieu de la section inhabitée des États argentins et de la république de Bolivie, mais dès qu'ils entrent dans les solitudes du Chaco, ils sont ignorés de la science du géographe jusqu'au moment où ils se déversent dans le Paraguay. Le Pilcomayo est le plus septentrional et le plus long de ces trois fleuves, son cours depuis sa source jusqu'à son embouchure dépasse mille milles. Il entre dans le Paraguay par un double canal dont la branche septentrionale débouche presque en face de la ville d'Asuncion, tandis que la bouche méridionale est encore inconnue (4).

Note 4: On la dit située à environ vingt milles plus bas, quoique Page, dans son exploration ne l'ait pas découverte. Peut-être le Pilcomayo débouche-t-il dans le Paraguay par un des nombreux riachos qui sillonnent le pays. Il n'y avait alors rien d'étonnant à ce qu'elle ait échappé à l'observation de Page.

Telles sont les données succinctes que l'on possède sur le Pilcomayo, malgré plusieurs tentatives d'exploration faites autrefois par les missionnaires et les mineurs, et de notre temps par une expédition sous le patronage du gouvernement bolivien. Toutes ont échoué et n'ont guère produit que des informations dérivées des Indiens, incomplètes presque toujours.

La rivière arrose, paraît-il, une contrée généralement plate et des savanes couvertes d'herbes et semées de bouquets de palmiers et d'arbres tropicaux; la plaine est dominée par des montagnes isolées ressemblant à de grandes tours. Tantôt le courant coule rapidement entre des rives bien définies, tantôt il s'étend en marécages et en lacunes d'eau salée ou saumâtre, ressemblant par leur étendue à des mers intérieures. Du reste, cette dernière affirmation n'est vraie que dans la saison des inondations.

Quoique l'embouchure connue du Pilcomayo soit presque à portée de canon de la capitale du Paraguay, de la première ville fondée par les Espagnols dans cette partie de l'Amérique du Sud, aucun Paraguayen n'a jamais eu l'idée de la remonter: les habitants d'Asuncion sont aussi ignorants de la région qui les entoure que le jour où Azara fit avancer sa periagua pendant une quarantaine de milles contre son rapide courant.

On n'a jamais fait d'essai de colonisation sur le Pilcomayo, excepté dans la portion tout à fait supérieure de son cours. Dans le Chaco, aucune ville n'a été bâtie par les blancs, aucune église n'a projeté l'ombre de son clocher sur les vagues encore vierges du fleuve.

Et cependant en l'année de Notre-Seigneur 18.., un voyageur remontant cette mystérieuse rivière à une dizaine de milles au-dessus du point atteint par le naturaliste espagnol, aurait pu apercevoir une maison s'élevant sur une des rives et qui n'avait certainement été bâtie que par un homme blanc, ou du moins par une personne initiée aux usages de la civilisation. La maison était simplement en bois avec des murailles de bambous et couverte en feuilles du palmier cuberto (5). Cependant, ses dimensions excédant de beaucoup celles de la hutte d'un Indien Chaco, sa verandah, ombragée par la projection du toit, et surtout les enclos qui l'entouraient, et dont l'un renfermait du bétail, tandis que l'autre était soigneusement planté de maïs, de mauves, de bananiers et de nombre d'autres produits du climat paraguayen, tout dénotait la main d'un homme de race caucasienne.

Note 5: Ainsi nommé de ce que ses rameaux servent à couvrir les maisons.

On se trouvait là en présence non pas d'une simple hutte ou toldo, mais d'une riche estancia (6). L'intérieur de la maison montrait d'une manière encore plus frappante que le propriétaire était un blanc. La plupart des meubles, bien qu'assez grossièrement fabriqués, affectaient cependant les formes données par la civilisation moderne. Des chaises et des tabourets en cana brava ou bambou sud-américain, des lits avec de blancs couvre-pieds, sur le sol des nattes faites de fibres de palmier, quelques dessins exécutés d'après nature, un petit nombre de livres et de cartes, une guitare, indiquaient des usages et une économie domestique inconnue à l'Indien.

Note 6: Toldo Nom donné à la hutte d'un berger et au wigwam de l'Indien Chaco. L'estancia a de plus hautes prétentions; c'est l'analogue de l'hacienda mexicaine et la résidence d'un propriétaire. On désigne souvent aussi sous ce nom l'ensemble de la propriété.

Mayne Reid.

(La suite prochainement.)



NOS GRAVURES

Le dernier soldat prussien ayant passé la frontière

Dans notre numéro du 27 septembre nous avons donné un dessin représentant le dernier bataillon allemand passant, le 16, à neuf heures et demie du matin, la nouvelle frontière française de l'Est. Aujourd'hui nous donnons le portrait du dernier soldat prussien ayant foulé le sol de la France.

Il a été photographié par un de nos collaborateurs à Rozerieulles, petit village de la Moselle qui, hélas! ne nous appartient plus, en même temps que deux de ses camarades qui le précédaient immédiatement.

Ce soldat se nomme Jahnke.

Il fait partie de la deuxième compagnie du huitième régiment d'infanterie brandebourgeois, n° 64.

Les deux autres se nomment Guillaume Mittelstâdt et Charles Blümner, et appartiennent à la même compagnie du même régiment.

Remise des forçats alsaciens à la gendarmerie prussienne.

Vers le milieu du mois de septembre arrivaient à Belfort une quarantaine de forçats, marchant en colonne et attachés deux par deux à l'aide de chaînettes cadenassées aux poignets. Six de ces forçats étaient en outre reliés ensemble par une forte chaîne. Une huitaine de soldats et autant de gendarmes armés les ont escortés à la gare, puis de là se sont dirigés jusqu'à Montreux-Vieux, où ils les ont remis entre les mains de la gendarmerie prussienne.

Ces individus sont des Alsaciens qui avaient opté pour l'Allemagne, et que le gouvernement français a ramenés de Cayenne, pour les livrer au gouvernement allemand.

Le costume de ces forçats était celui-ci: pour coiffure, chapeau de paille; pour vêtement, vareuse et pantalon de coutil gris. Ils portaient de la main qui était libre de petits sacs ou des mouchoirs noués paraissant contenir du linge.

Il y en avait parmi eux qui sont très-âgés. Plusieurs marchaient la tête baissée; quelques-uns avaient l'air insolent.

C'est le sixième cortège de ce genre qui a été expédié dans les landes de la Poméranie. En échange la France a reçu un certain nombre de pensionnaires nés en France, qui ont été internés à Clairvaux et ailleurs.

P. Kauffmann.

La pêche des huîtres

Nous avons plusieurs fois parlé du naissain; nos lecteurs auront certainement compris que nous désignions ainsi l'huître dans son état embryonnaire, mais nous ne devons pas moins leur exposer les phénomènes de la reproduction du mollusque, dire quelque chose des tentatives qui ont été faites et qui se poursuivent pour en régulariser la multiplication, ainsi que de cette industrie du parcage, auquel elle doit une bonne part de ses qualités comestibles.

Si bas qu'elle soit placée dans l'échelle des êtres, l'huître obéit comme les autres aux grandes lois qui assurent la conservation des espèces. Le mois de mai est le mois des amours pour elle comme pour tous les habitants de nos latitudes. Ces amours sont ce qu'ils doivent être chez ces casanières personnes: s'ils occasionnent quelques modifications dans leur organisme apparent, ils naissent, se développent et s'évanouissent sans que ces embrasements printaniers aient occasionné le moindre dérangement à ceux qui les éprouvent. Les signes distinctifs des sexes deviennent plus apparents. Ces signes sont, suivant les pêcheurs anglais, une tache noire à la membrane du mâle, black sick (noir malade), une tache blanche à la membrane de la femelle, white sick (blanche malade).

La phase critique se caractérise par la teinte laiteuse que prend le mollusque. Il est alors un aliment non-seulement malsain, mais dangereux, et il lui faudra deux mois pour qu'il ait recouvré ses qualités premières. Bientôt il émet son frai sous la forme d'un chapelet blanchâtre.

On a observé sur des huîtres placées au bord de l'eau que c'était toujours au commencement du flot que se produisait le phénomène, alors que l'eau, arrivant attiédie par l'action du soleil, recouvrait le coquillage de quelques centimètres à peine. On a également remarqué que les innombrables embryons huîtriers, au moment de leur sortie de l'huître-mère, obéissaient à un mouvement ascensionnel assez rapide à la surface de l'eau, puis à un autre mouvement qui les portait vers le fond. Il n'est pas douteux que l'action du soleil ne soit pour quelque chose dans cette viabilité momentanée. Il est probable que sa chaleur contribue au durcissement du premier test calcaire de l'animal, durcissement qui lui permet de se fixer au fond sur les objets qu'il y rencontre, vieilles écailles, pierres ou morceaux de bois. Après vingt-quatre heures, l'enveloppe est déjà solide, et la jeune huître puise désormais dans le milieu où elle vit les éléments nécessaires à sa croissance.

Le naissain ou frai d'une seule huître peut s'évaluer à plus d'un million; mais bien des causes, telles que la violence des courants, les fonds infestés de parasites et particulièrement d'étoiles de mer, le fléau du naissain, viennent entraver cette exubérante multiplication. Le manque de bons collecteurs où le frai puisse se fixer est encore une de ses principales causes d'avortement. Il est encore évident que le naissain des huîtres placées à une grande profondeur doit être plus exposé à périr que celui des coquillages qui se trouvent à courte distance de la surface, c'est-à-dire dans de bonnes conditions pour recevoir le principe vivificateur dont nous avons parlé.

Ces diverses observations servirent de point de départ à l'ostréiculture. De sérieux essais furent tentés par les soins du ministère de la marine à Primel, Tréguier, Paimpol; soit que ces premières expériences eussent été mal conduites, soit que les stations choisies ne fussent pas favorables à la reproduction, ils ne donnèrent pas de résultats satisfaisants. En revanche, dans le vaste bassin d'Arcachon, le succès fut complet et dépassa toutes les espérances.

Le choix des collecteurs employés à Arcachon fut certainement pour quelque chose dans cette merveilleuse réussite. Ils consistent en tuiles creuses oblongues, superposées par étages et entrecroisées de façon à former une espèce de ruche. Après le frai, chacune de ces tuiles se trouve couverte de 50 à 200 petites huîtres. Au bout d'une année on démonte la ruche; la tuile est alors placée dans un parc, où elle séjourne jusqu'à ce qu'elle soit assez forte pour être détachée et traitée comme les huîtres draguées, c'est-à-dire mise à l'engrais dans un milieu nourricier. Il lui faut trois ans pour avoir atteint sa croissance et être livrée à la consommation.


LA PÊCHE DES HUITRES.--Maraudeuses surprises la nuit.

Les excellents résultats de l'huîtrière d'Arcachon tenant beaucoup aux conditions spéciales dans lesquelles se trouve cette baie, peut-être ne serait-il pas hors de propos, sans renoncer pour cela à renouveler ces tentatives sur d'autres points, d'emprunter à nos voisins les Anglais les errements pratiques à l'aide desquels ils favorisent la multiplication et assurent la conservation des bancs naturels. D'une tolérance exagérée nous avons passé à une réglementation excessive. La pêche, jadis permise en tous lieux et en tout temps, n'est plus tolérée qu'aux jours et endroits désignés par la commission nommée par le ministère de la marine. Cependant il a été constaté que le draguage sur un banc où l'on ne rencontre pas de naissain n'était jamais nuisible.

Non-seulement les Anglais raclent les fonds pendant l'été pour les dégager des végétations sous-marines, mais une partie du littoral reste pendant toute l'année ouverte à la drague. Nous citerons notamment les environs de l'estuaire de la Tamise. Seulement le pêcheur anglais se garde bien de faire proie de tout ce que lui rapportent ses engins. Quand il récolte du brood ou naissain, il le détache soigneusement du culch ou collecteur naturel, vieille écaille, pierre ou débris, rejette ce dernier à la mer et vend le naissain aux parcs de Witstable, Bukersham, Briekel, Burnham, etc.; celui-ci, qui produit l'huître verte, a une grande renommée; son exportation est considérable. Il est évident que si le nombre des établissements éducateurs était augmenté, si tout notre littoral en était pourvu, nos pêcheurs y trouvant le placement du naissain qu'ils ramassent ne le gaspilleraient plus comme autrefois, et par suite il deviendrait possible d'élargir les périodes de pêche dans une certaine mesure.


AVISO DE L'ÉTAT SURPRENANT DES PÊCHEURS SUR UN BANC INTERDIT.

Le parc n'est pas seulement le réservoir où l'on place les huîtres pour les en tirer au fur et à mesure des demandes de la consommation, il est surtout une station nécessaire où le coquillage se trouvant placé dans des conditions de lumière et de nourriture les plus favorables, perd l'âcreté qui le caractérisait lorsqu'il a été extrait de ses bancs, et acquiert, comme nous l'avons dit, sa finesse en gagnant encore en embonpoint.

Il y a deux espèces de parcs, les parcs naturels, dénommés claires dans le pays de Marennes, aujourd'hui ruinés, et qui ne sont à proprement parler que des sortes de dépôts placés, avec l'autorisation administrative, soit sur quelque point du littoral, et plus souvent à l'embouchure d'un petit fleuve, et les parcs artificiels, qui sont immergés au moyen d'écluses, et constituent par conséquent des créations assez dispendieuses.


Costumes cancalais: Pêcheurs au ras de l'eau.

Nos principaux parcs artificiels sont ceux de Dunkerque, Dieppe, Courseuilles, Saint-Waast, Cancale, Loc-Tudy, Pont-l'Abbé, Marennes et Arcachon.

Ce genre d'établissement consiste dans un réservoir alimenté par un conduit souterrain, lequel communique directement avec le chenal. Le réservoir est rempli toutes les vingt-quatre heures par la marée montante; l'eau y est reçue par une écluse; l'huîtrière proprement dite se compose d'un mur d'enceinte en briques, de 1m40 de hauteur; le fond est garni d'un plancher formant de petites cases destinées à retenir les coquillages quand l'eau s'écoule; elle est divisée en un certain nombre de fosses séparées par des cloisons praticables sur lesquelles marche l'homme chargé des soins de l'huîtrière.


LA PÊCHE DES HUITRES.--Parcs artificiel: Nettoyage des huîtres.


Mise en bourriches.

Tous les jours, à la marée basse, l'écluse du parc est ouverte; l'eau s'écoule, les huîtres restent à sec. A la mer montante on ferme cette écluse, et la vanne ayant été ouverte, l'huîtrière se trouve de nouveau remplie.

Le remarquable phénomène du verdissement de l'huître s'obtient dans des fosses munies d'écluses, et de 1 mètre de profondeur, qui donnent un maximum de 50 centimètres d'eau. La composition chimique du sol agissant de concert avec l'action du soleil, colore le mollusque en quatre ou cinq jours. Plus on l'y laisse, plus la nuance devient intense.

Certaines fosses ne communiquent une teinte verdâtre à l'huître que pendant l'été; telles sont celles de Solesbury, en Angleterre. D'autres au contraire, celles de Briekel, par exemple, les verdissent dans toutes les saisons.


Matelots dragueurs d'huîtres, côtes anglaises.

Le coquillage qui a passé par les parcs verdissants est moins salé non-seulement que les huîtres qui arrivent du large, mais que celles qui ont séjourné dans les parcs ordinaires.--On a observé que l'huître élevée dans les parcs artificiels aussi bien que celle qui y avait été transportée devenait mule, c'est-à-dire perdait ses facultés de reproduction; celle des claires seule peut fournir du naissain.

L'huître est extrêmement sensible aux variations atmosphériques. Son immobilité prétendue n'est que relative. A la marée montante elle repose sur celle de ses écailles dont l'intérieur est convexe; lorsque la mer se retire elle se retourne sur l'écaille plate. Lorsqu'il fait froid elle s'enfonce dans la vase. Son alimentation se compose des infusoires dont l'eau de la mer tient des myriades en suspension. Ce que nous lui reprochons comme un perpétuel bâillement est en réalité l'acte de la fonction la plus importante de tout organisme, elle mange. Bien qu'il mange souvent, le mollusque est susceptible de vivre assez longtemps hors de son élément sans qu'il paraisse souffrir beaucoup de son jeûne.

Un parc exige des soins multiples et une surveillance incessante. La principale opération du parqueur consiste à balayer le limon que l'eau des fosses, toujours un peu stagnante a laissé sur les coquilles.--Cette opération lui permet de vérifier l'état de l'huîtrière, elle lui permet d'enlever les malades et les morts, dont le voisinage pourrait infecter les huîtres saines. Quant à la surveillance, facile dans les parcs artificiels auxquels attient presque toujours une maison de garde, elle est bien plus difficile à réaliser quand il s'agit des parcs naturels ou claires. Ces dépôts, situés le plus souvent loin des habitations, offrent un appât auquel les amateurs de la pêche du prochain résistent d'autant plus difficilement qu'en raison du prix élevé auquel est arrivé le mollusque ils réalisent ainsi des bénéfices aussi élevés que faciles. Les maraudeurs sans cesse aux aguets autour de cette proie opime profitent des nuits obscures, des temps de brume ou de grosse mer pour faire main basse sur le trésor sous-marin. Quelquefois, ils chargent le produit de leur vol sur une embarcation, tandis que les auteurs de la rapine donnent le change en s'éloignant par terre. Il est arrivé aussi que le ciel s'est chargé de la punition du coupable: parfois on a entendu un cri d'angoisse qui traversait le silence de la nuit; il était jeté par quelque malheureuse femme qui, craignant d'être surprise, ayant pris la fuite avec précipitation, a glissé sur les pierres roulantes et humides et que le courant emporte. Ce lugubre épisode s'est présenté dernièrement sur le Saudy, où la mère et la fille ont trouvé la mort sans pouvoir être secourues.

La statistique des bateaux et des équipages employés à la drague des huîtres ne fournit pas la mesure complète de l'importance de cette pêche pour les populations maritimes; si elle représente une des principales ressources de la partie valide et navigante de ces populations, elle apporte aussi quelque secours à une de ses fractions les plus intéressantes. Que de veuves de marins,--et elles sont nombreuses les veuves chez ces braves gens,--ont trouvé dans de mauvais jours, en se livrant à la pêche à pied, du pain pour leur pauvre petite famille. Cette pêche à pied est toujours passablement fructueuse dans les jours de grandes marées.

Les physionomies toujours si caractérisées, quelquefois si originales, les costumes si pittoresques des habitants de nos côtes fournissent encore aux artistes d'attrayants modèles à étudier. Que ce soit le pêcheur du Nord, son vénérable brûle-gueule à la bouche, enfoui dans ces bottes qui font songer à celles de l'ogre du Petit-Poucet, que ce soit son confrère l'Anglais, le suroi sur la tête, fumant avec calme sa longue pipe, veillant avec autant de soin au bon échouage de son butler qu'à ne pas laisser une goutte de whisky dans son verre, tous présentent des types curieux à reproduire et à conserver. Le sexe féminin fournit également un large appoint à son album; il se gardera bien d'oublier nos gracieuses Cancalaises, à la coiffure provocante, surtout lorsque le vent tourmente les longues brides qui la nouent avec tant de coquetterie sur des joues d'un rose un peu maladif.

L. Faudacq.

Sir Edwin Landseer

L'Angleterre a perdu la semaine dernière un de ses artistes les plus distingués: sir Edwin Landseer.

Le célèbre peintre d'animaux était né en 1802.

Il fit son éducation artistique sous la direction de son père, qui était un graveur de talent. Landseer montra pour l'art dans lequel il devait s'illustrer une précocité extraordinaire. A l'âge de cinq ans, il dessinait déjà des animaux avec une exactitude et une vigueur remarquables. C'est sur le Commun d'Hampstead qu'il allait étudier d'après nature les moutons, les chèvres, les chevaux. On conserve encore au Musée de Kensington ses premiers dessins. En 1815, il exposa pour la première fois deux tableaux qui furent remarqués. En 1818, il avait conquis la célébrité qui depuis s'est constamment attachée à son nom.

Peu de peintres ont été plus féconds que sir Edwin Landseer.

La gravure a reproduit une partie de ses œuvres, et surtout ses tableaux d'animaux que tout le monde connaît. Mais ce que l'on sait moins c'est qu'il a fait aussi de la sculpture et qu'il est l'auteur des lions placés, dans Trafalgar square, aux pieds de la statue de Nelson.

Landseer exposa fréquemment aux Salons de Paris. A l'Exposition universelle de 1867 figurait un tableau de lui: La jument domptée. C'est le dernier qu'il ait exposé en France.

Ses toiles les plus célèbres sont:

Les chiens du mont Saint-Gothard (1821);

La chasse aux faucons (1832);

Sir Walter Scott et ses chiens (1833);

Les animaux à la forge (1855);

Sauvé! (1856).

Membre associé de l'Académie dès 1827, il en devenait membre titulaire en 1830, était créé chevalier en 1850, nommé en 1847 membre de l'Académie royale de Belgique, et recevait en 1855 du jury international de Paris, une des grandes médailles d'honneur.

Sir Edwin Landseer était âgé de soixante-dix ans.

La nouvelle caserne d'infanterie de marine de Saïgoun

La nouvelle caserne d'infanterie de marine de Saïgoun, commencée à la fin de 1868, a été livrée aux troupes le 15 mai dernier.

Cette construction avec ses bâtiments annexes (cuisines, cantine, lavoir, piscine, etc.), construite en 1700, par le colonel français Victor Olivier, occupe dans l'ancienne citadelle un carré de terrain d'environ 250 mètres de côté; la caserne a 80 mètres de longueur sur 20 de large. Elle est entièrement en pierres de taille, briques et fer. Les portes et persiennes seulement sont en bois.

Près de 800 mille kilogrammes de fer y ont été employés.

La question si importante de l'eau potable, à l'étude depuis plus de dix ans ici, a été résolue grâce aux actives recherches du service du génie. Un puits, muni d'une pompe de service desservie par une machine à vapeur, alimente un château d'eau, lequel fournit en abondance d'excellente eau à la caserne, à la piscine, au lavoir; en un mot, à tous les bâtiments. Ce puits peut fournir constamment de 4 à 500 litres d'eau par minute, ce qui serait presque suffisant pour toute la ville.

Plus de cinq cents arbres ont été plantés dans la cour de la caserne.

Enfin, le conseil de santé et les commissions d'hygiène ont constaté une immense amélioration dans l'état de santé des troupes depuis l'entrée à la nouvelle caserne.

C'est sous la direction du génie militaire que la caserne a été construite par l'entrepreneur Alb. Mayer.

Un intrus

C'est vers la fin du mois de septembre ou le commencement d'octobre que commence pour le cerf la saison des amours. A ce moment son bois est complètement poussé, et il est armé pour la bataille. Ce n'est plus l'animal de la saison précédente, doux et timide, prêt à fuir d'un pied rapide au premier soupçon du danger. Alors il est devenu audacieux, et, à la vue d'un autre cerf, cette audace se change en fureur.

Cet animal toutefois ne s'attache pas, comme le chevreuil, à la même femelle, mais il en change comme le daim. Naturellement, la biche le paye de la même monnaie.

Elle ne se pique pas de fidélité, on sait cela, et elle aime qu'on se dispute ses faveurs. Elle ne se donne qu'au plus vaillant. Aussi Dieu sait les combats que, à cette époque de l'année les cerfs accourant à l'appel des biches, se livrent dans les clairières des hautes futaies! Combats successifs que le même tenant est obligé de livrer à tous ses rivaux. Et quand il a vaincu le dernier, lorsqu'il s'est emparé du prix de la victoire, souvent tout n'est pas dit encore. Un dernier appel de quelque biche affolée lui amène un dernier rival, contre lequel il lui faut se mesurer une dernière fois, malgré sa fatigue, malgré ses blessures. Et dans ce cas là, malheur à lui! neuf fois sur dix, il lui arrive de perdre le fruit de ses précédents efforts qui, finalement, ne doivent profiter qu'au combattant de la dernière heure.

Ce n'est pas la seule circonstance dans laquelle les cerfs entrent en lutte. Comme les daims, qui ont avec eux tant de points de ressemblance, ils vivent en troupes ou hordes, sous le commandement du plus fort et du plus âgé de la bande. Quand la troupe est trop nombreuse, elle se fractionne. Dans ce cas, ces fractions ne tardent pas à devenir ennemies. La possession de certaines régions de la forêt ou du parc où elles sont cantonnées les met aux prises. Alors ce sont de véritables guerres qui durent jusqu'à ce que, par une suprême défaite, le parti vaincu soit forcé d'abandonner sans espoir de retour le champ de bataille à l'heureux vainqueur.

L'hostilité qui règne entre les hardes ne s'arrête pas à la harde prise en masse, elle s'étend encore à l'individu Ainsi un cerf ou un daim ne s'aventure pas toujours impunément sur le territoire d'une harde voisine. En temps ordinaire, il n'y songe guère; mais l'amour le pousse-t-il, il ne craint plus de se risquer. Dans ce cas, je vous Laisse à penser la réception qui est faite à l'intrus.

Louis Clodion.



LES THÉÂTRES

Ambigu.--Le Parricide, drame en cinq actes de M. Adolphe Belot.--Théâtre-Italien.--Débuts de Mlle Belocca.

M. Adolphe Belot a créé dans son imagination une sorte de bagne d'où il tire, suivant les besoins du théâtre, une série de gredins fort propres à la confection des drames. Ces héros du crime travaillent dans Le Parricide d'une façon plus adroite encore que leurs complices de l'Article 47 et du Drame de la rue de la Paix. Voilà de quelle façon s'y prennent ces messieurs. La chose est bien simple, et pourtant elle réussit par sa simplicité même:

Il s'agit d'abord de commettre un assassinat; en second lieu il faut éviter la justice, et puisqu'elle cherche un coupable, le moyen le plus ingénieux est de le lui servir tout prêt, avec les preuves habilement arrangées d'une irréfutable culpabilité. Dans ce genre de crime on vise une personne même de la maison où doit se commettre le meurtre: un fils prodigue par exemple qui a bien quelques légers torts que la justice, les faits aidant, aura le soin de grossir. On accumule sur sa tête les indices, et pendant que le juge d'instruction se jette sur cette fausse piste, les vrais criminels s'échappent en riant de l'accusé et des juges.

C'est ce qui arrive à Laurent Dalissier. Le pauvre diable est accusé d'avoir tué sa mère. Tout parle contre lui; il lui a demandé dix mille francs qu'elle a refusés, et les dix mille francs ont été volés après le meurtre. L'assassin a laissé dans Je jardin des traces de pas; le pied de Dalissier se moule dans ces traces accusatrices. On a ramassé un bouton de manchette; il est à Dalissier. Le poignard avec lequel on a frappé lui appartient; l'accusé en convient. Enfin, preuve plus convaincante encore, une jeune fille est accourue aux cris de la victime; elle a été frappée, dans l'ombre, par l'assassin; elle le reconnaît, c'est lui, c'est Dalissier. Voilà certes de quoi envoyer un homme, si ce n'est à l'échafaud, du moins au bagne à perpétuité, si les jurés sont en train d'indulgence.

Mais le jury y met de la complaisance, car il acquitte Laurent Dalissier sur la plaidoirie de l'avocat, et surtout, je pense, sur la bonne mine de l'accusé. C'est une justice un peu étrange, mais dont M. A. Belot avait besoin; et remarquez que ce singulier verdict est plein de bon sens, car Laurent est le plus honnête criminel qui ait jamais été traîné devant les assises du drame. Les assassins l'ont suivi à la piste; ils lui volent son bouton de manchette. C'est avec son poignard que sa mère a été frappée. Si l'on a reconnu la trace de ses pas, c'est que l'assassin s'était chaussé de ses bottines; si cette jeune fille l'a vu, elle a pu se tromper, car c'était de ses habits que l'assassin s'était revêtu. Ceci est le secret du drame, le dernier mot que l'auteur nous dira à la fin de la pièce.

En attendant, voici Laurent en liberté; le tribunal l'a acquitté mais le monde ne l'a pas absous. Il ne suffit pas que le jury ait proclamé son innocence. C'est ce que comprend le malheureux, qui ne pourra marcher tête haute que lorsqu'il aura trouvé le coupable, et pour être plus sûr de ses recherches et de leur résultat, il se met lui-même dans les rangs de la police et s'associe à un M. Roule, un fin chasseur de gredins celui-là. A partir de ce moment le drame se lance dans ce chassé-croisé de limier de la police et de gibier de bagne. Toujours émouvant ou amusant, suivant le genre, depuis les Talismans, de E. Soulié, jusqu'à Tricoche et Cacolet de divertissante mémoire. Enfin tout se découvre et M. Roule a éventé l'assassinat par substitution. Ce parricide n'était pas un parricide, pas plus que le fou du Beau-frère n'était un fou. C'est la manière dramatique de M. Belot; il réhabilite ses titres de pièce.

Ce drame du Parricide aura du succès; il a pour lui quelques tableaux qui ont été chaleureusement applaudis, entre autres celui des saltimbanques, très-habilement fait et mis en scène d'une manière très-pittoresque. Il est bien joué par Lacressonnière, excellent en policier, par Vannoy, par René Didier, un jeune comédien d'avenir. Montbars a été très-applaudi et Mlle Vannoy, qui est entrée à l'Ambigu en possession de son talent dramatique égaré au Gymnase, a obtenu un réel succès.

Si M. Strakosch ne remet pas sur pied le Théâtre-Italien, il faut désespérer pour toujours de ce théâtre, car jamais impresario ne déploya pareille activité et ne fit plus grandes tentatives. M Strakosch, qui cherche du nouveau, n'en fût-il plus au monde, ne prend aucun engagement de durée avec un artiste; c'est au public à se prononcer entre le directeur et le chanteur; jusqu'à cette suprême décision M. Strakosch ne répond de rien. Il cherche, il trouvera, j'en suis sûr. La semaine dernière, il nous faisait entendre Mlle Belval; aujourd'hui il nous présente Mlle Belocca. Mlle Belocca, qui débutait dans le Barbier, est une fort jeune et fort jolie personne, pour laquelle le public était déjà favorablement prévenu, puisque la direction avait pris soin d'adresser son portrait avec les billets d'invitation à cette soirée. Il y avait même une petite légende qui circulait dans les couloirs au bénéfice de la débutante, mais cela ne nous regarde pas. Toujours est-il que cette charmante Russe a la voix la plus agréable du monde; une voix bien fraîche, bien timbrée et vivante de toute la grâce de la jeunesse. Avec cette brillante musique du Barbier, qu'elle nous rendait avec son contralto et dans laquelle elle a été fort applaudie, elle a dit, à la leçon de chant, un air russe qui nous plaît fort dans son caractère doux et mélancolique et comme contraste, le Brindisi de la Lucrezia Borgia, où l'actrice lance vaillamment le fameux trille, ce grand succès de l'Alboni. L'accueil fait par la salle à la jeune virtuose a été des plus chaleureux.

Est-ce à dire qu'une étoile se soit levée au ciel du Théâtre-Italien? Non, il faut attendre encore. Mlle Belocca est une chanteuse qui donne les plus grandes espérances, mais qui, à l'heure qu'il est, chante avec la timidité d'une élève et parfois même avec les hésitations d'une écolière; mais le public l'a prise du premier coup en grande sympathie et le succès, qui est le meilleur de tous les encouragements, sera aussi le meilleur maître de Mlle Belocca.

M. Savigny.



LES FRAYEURS DE M. POMMIER

(A la campagne, M. et Mme Rambert se mettent à table pour déjeuner.)

Mme Rambert (déployant sa serviette).--C'est entendu, mon ami; tu consens à me conduire ce soir à Cernon?

M. Rambert.--Et mon agent de change?

Mme Rambert.--Il t'attendra ... La fête sera magnifique; il y aura concert dans le parc, illumination sur la terrasse, joute aux flambeaux, feu d'artifice sur la Marne ...

M. Rambert (riant).--Allons, puisque tu le veux ...

Mme Rambert (tendant la main à son mari).--Merci, Paul ...

(On sonne à la grille).

Mme Rambert.--Une visite ...

M. Rambert (à la fenêtre).--Ah!... M. Pommier ...

Mme Rambert (fronçant les sourcils).--Lui ... c'est jour de malheur. Je ne connais pas d'homme plus insupportable ...

M. Rambert.--Voilà le moment de faire provision de courage.

Mme Rambert.--C'est-à-dire de faiblesse; on devrait s'affranchir de ces petites tyrannies ...

M. Rambert (avec prière).--Hermandine ...

Mme Rambert.--J'ai tort, pardonne-moi ...

Pommier (entrant vivement).--Je vous ai vu à la fenêtre, mon cher Rambert ... cela va bien? moi aussi ... Tenez, François, portez ma gibecière et mon parapluie dans ma chambre; car je viens m'installer chez vous, mes bons amis ... Vous ne vous attendiez pas à cette surprise, j'en suis sûr ... (A Mme Rambert). Oh! pardon, belle dame, j'oubliais de vous demander des nouvelles de votre santé ... (S'asseyant). Vous permettez ...

Mme Rambert (d'un ton aimable).--Nous sommes très-flattés de votre gracieuse visite, M. Pommier. Vous n'avez pas déjeuné?

Pommier.--Du tout; je suis parti à neuf heures.

Mme. Rambert.--François, un couvert ...

Pommier.--Ces choses n'arrivent qu'à moi ... Figurez-vous que ce matin, en me levant, je vois ... J'en frissonne encore ...

M. Rambert.--Nous y voilà ...

Pommier.--Vous connaissez le canal qui longe mon parc ... Eh bien! on a profilé de la nuit pour élever, à la hauteur de mes fenêtres, une estacade qui empêche absolument l'écoulement des eaux ...

M. Rambert.--Je ne devine pas ...

Pommier.--Si l'estacade résiste, ma maison peut être emportée par l'inondation; et de plus je serais exposé à attraper la fièvre en respirant les miasmes pestiférés qui s'élèveront du lit du canal.

Mme Rambert.--C'est manifeste.

Pommier.--D'ailleurs, les grandes chaleurs que nous traversons pourraient bien ramener le choléra parmi nous....

Mme Rambert.--Oh! certainement ...

Pommier (faisant un soubresaut).--On en parle peut-être?

Mme Rambert.--Pas encore ... mais il a été question du vomito ...

Pommier (pâlissant),--Le vomito ... il est à Paris?

M. Rambert.--Non, mon cher ami; il n'a pas quitté les Antilles.

Pommier (s'essuyant le front).--Ah! vous m'avez fait une peur ... car je ne suis point un héros, moi, je l'avoue ...

Mme Rambert (souriant; à part).--Cela se voit.

Pommier.--Vous permettez que je ferme cette fenêtre ... le vent du nord est frais, et j'ai la poitrine si délicate ...

Mme Rambert.--A votre aise, M. Pommier ... nous pouvons même allumer du feu.

M. Rambert (bas à Mme Rambert).--Tu es cruelle ...

Pommier.--Merci, belle dame; je crois que ce n'est pas nécessaire aujourd'hui ... (Il se rassied.)

M. Rambert.--Vous êtes arrivé bien tard; il y a peut-être eu un accident au chemin de fer?

Pommier.--Je l'ignore; du reste cela ne m'intéresse guère, car j'ai juré de ne plus employer ce mode de locomotion, depuis que j'ai lu, dans un journal anglais, l'effrayante statistique des accidents arrivés sur les voies ferrées pendant l'année ...

M. Rambert (l'interrompant).--Vous avez pris votre voiture?

Pommier.--Je ne me sers pas de mes chevaux en été, dans la crainte des taons ... Je suis venu sur un chariot conduit par des bœufs; c'est moins prompt, mais plus sûr ...

Mme. Rambert.--Personne ne pourra vous contester le monopole de la prudence ... Voulez-vous accepter des radis?

Pommier.--Mille grâces, madame, les crudités sont un vrai poison pour les gens nerveux.

Mme. Rambert.--Alors je vous offrirai du saucisson ...

Pommier (vivement).--Du saucisson ... Comment, vous persistez à braver les animaux meurtriers que ce perfide aliment renferme.

M. Rambert.--Vous croyez donc sérieusement aux trichines?

Pommier.--Si j'y crois ..., comme à toutes les vérités prouvées par la science ... Si vous le permettez, je prendrai un peu de rôti ...

Mme. Rambert (jetant un regard à son mari).--Arrêtez, M. Pommier, mais ce rôti ...

Pommier (inquiet).--Eh bien?

Mme. Rambert.--Il a été bardé de lard ...

Pommier (philosophiquement).--Je me contenterai alors d'un œuf à la coque.

M. Rambert (à part).--Hermandine est sans pitié ...

Pommier (se levant tout à coup).--Hum!... le ciel s'obscurcit d'une façon inquiétante ... Voilà de gros nuages noirs qui ne me disent rien de bon ... Votre paratonnerre est-il en bon état?...

Mme. Rambert.--Pas trop ... le conducteur est rompu ...

Pommier (soucieux).--Vous avez tort de négliger ces choses-tà ...

M. Rambert (à part).--Oui, c'est une idée. (Haut, sortant.) Veuillez me pardonner, messieurs, mais j'ai quelques ordres à donner à la cuisine ...

Pommier (se rasseyant).--Ces chaleurs ne sont pas naturelles; il y a là-dessous quelque dangereuse perturbation atmosphérique.

M. Rambert.--C'est possible, mais je ne me suis jamais mieux porté.

Pommier.--Oh! la sécheresse engendrera indubitablement la disette, les épidémies et une foule d'autres fléaux ...

M. Rambert (à part).--Décidément Hermandine a raison, la conversation de M. Pommier manque de charme.

Pommier (faisant un soubresaut).--Un éclair!.. (On entend deux détonations du côté de la cuisine.) Ah!... qu'est-ce que c'est, mon Dieu!...

Mme. Rambert (accourant).--Ciel!... quel accident!

M. Rambert (vivement).--Que se passe-t-il?

Mme. Rambert (bas à son mari).--Tais-toi ... (Haut.) Deux flacons de pétrole viennent de faire explosion dans la cave ...

Pommier (se relevant en proie à un grand trouble).--Du pétrole?...

Mme. Rambert.--Si le feu se communique au baril, je crains pour la maison ...

Pommier (poussant un cri de terreur).--Ah!... nous sommes perdus?... (Il s'élance vers l'antichambre.) Ma gibecière, mon parapluie!... (Il saisit ses bagages et se précipite dehors en s'écriant.) Faites comme moi ... sauvez-vous ... adieu!...

Mme. Rambert (riant à gorge déployée).--Ah! ah! bon voyage M. Pommier ... Ah! ah! j'en mourrai ...

M. Rambert (vivement).--Explique-toi donc?

Mme. Rambert.--Ah! ah!... j'ai dit au jardinier de mettre le feu à deux pétards ...

M. Rambert.--Ainsi, l'histoire du pétrole?

Mme. Rambert.--Mon ami, pardonne-moi, je tiens à aller à Cernon ...

Jean Bruno.

L'ESPRIT DE PARTI

LE CHARIVARI

1833

On assure que la fête de Quelqu'un sera désormais fixée au 19 novembre, jour de la Saint-Ladre.

Lorsque les journaux ministériels disent que «l'ordre le plus parfait règne en France», nous aimons à croire qu'ils ne parlent pas de l'Ordre de choses.

L'insurrection carliste a principalement gagné dans les montagnes situées sur les frontières de l'Espagne, dont les habitants, comme on sait, sont tous contrebandiers. Il est question de leur envoyer M. de Broglie pour s'entendre avec eux.

L'hiver s'annonçant comme devant être très-rigoureux, chacun s'empresse de faire ses provisions de bûches. C'est sans doute pour ce motif que le juste milieu rassemble ses députés.

L'industrie des tourneurs de chaises est, dit-on, dans une grande détresse. Cela n'est pas étonnant avec un Ordre de choses si mal assis.

Jules Rohaut.

(A suivre.)




UN INTRUS.--Dessin de M. K. Bodmer.



M. LÉON DE ROSNY
ET LE CONGRÈS INTERNATIONAL
DES ORIENTALISTES

Le Congrès international des Orientalistes a été l'événement de la première quinzaine de septembre 1873. Répondant à la tendance actuelle, qui veut que tout tourne à une application humanitaire utile et immédiate, le Congrès a produit tout de suite des résultats pratiques importants. C'est l'entrée spontanée de l'empire du Japon dans le concert des peuples européens, par la création rendue possible de la presse, c'est-à-dire par la solution du grand problème de l'unité orthographique de la transcription européenne des textes japonais par les caractères romains; c'est l'application raisonnée et pratique de plusieurs desiderata de la sériciculture et de l'industrie des soies; c'est, enfin, l'exposition scientifique, faite au Palais de l'Industrie, des produits étonnants d'une civilisation étrangère, dignes de notre admiration et sur plusieurs points dignes même de notre imitation.

M. Léon de Rosny, notre savant professeur à l'école spéciale des langues orientales, a été le promoteur, l'organisateur et le président de ce premier Congrès international des Orientalistes: belle œuvre essentiellement d'initiative privée (premier mérite trop rare en France) et dont la réussite a été complète (deuxième mérite prisé en tout pays).

Il appartenait à la voix autorisée de ce savant (jeune d'âge mais vieux de réputation), de faire un appel fructueux à tous les orientalistes de l'univers pour se réunir dans un grand congrès et inaugurer une ère nouvelle.


M. de Rosny, président du Congrès international des Orientalistes.

La presse française et la presse étrangère ont suivi, avec une curieuse et bienveillante attention, les travaux du congrès. Leurs premières impressions lui ont été complètement favorables, mais elles ne pourront se prononcer définitivement, et en toute connaissance de cause, qu'après la publication du volume des procès-verbaux des séances, et des mémoires justificatifs à l'appui des opinions et des thèses émises par les orateurs.

L'œuvre du congrès est acceptée par l'opinion publique et elle va se poursuivre régulièrement. En 1874, sa seconde session sera tenue en Angleterre. Ce pays, en effet, a été choisi de préférence à l'Italie, la Suisse, le Portugal et le Luxembourg, qui auront plus tard leur tour. L'étude des langues hindoustaniques sera l'objet principal de ses travaux, de même que le Japon a été l'objectif du premier congrès, et que les études orientalistes en général n'y ont obtenu que la moitié du nombre des séances.

C'est le 1er septembre que le congrès a ouvert ses travaux au palais de la Sorbonne, sous la présidence d'honneur de M. l'amiral Roze, et c'est le 11 qu'il les a clos, également sous la présidence de ce savant marin. M. de Rosny, avec la haute modestie qui est un des traits de son caractère, n'a voulu présider que les séances où sa présence au fauteuil était indispensable pour mieux diriger et soutenir les débats; mais, quant aux autres séances, il a toujours cédé son fauteuil aux savants français et étrangers qui étaient davantage familiarisés avec les sujets qui en faisaient l'objet.

*
* *

M. Léon de Rosny naquit à Loos (Nord), le 5 avril 1837. Dès son enfance, il annonça ce qu'il devait être un jour par sa grande aptitude à l'étude de la grammaire, de la géographie et de l'histoire. Élève de l'École spéciale des langues orientales, il s'y distingua par sa merveilleuse facilité à l'étude des langues de l'extrême Orient et il en fut le brillant élève.



La nouvelle caserne d'infanterie de marine construite à Saïgoun.


A l'âge de vingt ans, il débuta dans la carrière de la presse politique comme rédacteur successivement de la Presse, le Courrier du dimanche et le Temps. Il fit aussi la correspondance politique quotidienne de plusieurs journaux étrangers. Cette même année 1857, il reçut, pour services politiques, la décoration du Lion et Soleil de Perse, et, peu après, la médaille d'or de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. M. de Rosny a été décoré depuis d'un grand nombre d'ordres étrangers.

En 1858, le ministre de l'instruction publique l'envoya en Angleterre pour la composition d'un grand Dictionnaire japonais--français--anglais. Cette même année, il fonda la Revue orientale américaine (première série, 10 volumes in-8°), et, en 1859, il fonda la Société d'ethnographie, belle institution dont il est resté secrétaire jusqu'en 1873, époque à laquelle les suffrages des membres l'appelèrent aux fonctions de président.

En 1861, un fragment de son Histoire de la langue chinoise lui valut, au concours Volney, le grand prix de 1,200 francs. Nommé premier interprète de la légation de France à Yedo, il fut chargé, en 1862, par le ministère des affaires étrangères, d'accompagner la première ambassade japonaise en Europe et il voyagea avec elle en Hollande, en Prusse et en Russie.

Une chaire de japonais manquait à l'École des langues orientales. En 1863, M. de Rosny y fut appelé comme professeur libre. Cette même année il fonda le Comité d'archéologie américaine, et, en 1865, la société de l'Athénée oriental, la jeune et brillante rivale de la Société asiatique de Paris. Cette même année, 1865, M. de Rosny fut chargé de traduire en chinois, pour le gouvernement espagnol; le traité conclu par cette puissance avec la Chine.

En 1866, il fut envoyé à Marseille par le ministère de l'agriculture et du commerce pour diriger une mission chargée d'examiner les graines de vers à soie données par le Taïkoun à l'empereur des Français, affaire de haute importance en présence de l'épidémie qui, depuis vingt ans, ravage nos magnaneries. Il fit, à cette époque, un voyage scientifique en Suisse et en Italie, qui attira l'attention. En 1867, il fut nommé membre de la commission scientifique de l'exposition universelle pour l'ethnographie.

En 1868, un décret impérial ayant transformé la chaire d'arabe de M. Sylvestre de Sacy à l'École spéciale des langues orientales en chaire de japonais, M. de Rosny y fut nommé le premier titulaire, juste récompense qui consacrait définitivement la haute place que ce jeune professeur avait conquise dans le monde orientaliste.

Le cours d'ethnographie de la race jaune qu'il ouvrit au Collège de France en 1869, réunit un nombreux public. Enfin, la grande œuvre de l'organisation et de la conduite du premier congrès international des Orientalistes est venue confirmer la réputation de M. Léon de Rosny comme savant et comme organisateur progressif.

M. Léon de Rosny est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages techniques sur l'extrême Orient et de vocabulaires japonais, chinois, coréen et aïno, qui tous ont été remarqués par leur haute valeur. On en trouve le détail dans le Dictionnaire des contemporains, de G. Vapereau, arrêté à 1869. Les limites de cette notice ne nous permettent pas de les mentionner ici, mais nous dirons que depuis dix ans, de Rosny s'occupe d'une histoire de la race jaune, grand ouvrage qui résumera ses immenses travaux et formera quatre forts volumes in-8°.

Bon Textor de Ravisi.



BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Le fond de la société sous la Commune, par M. Dauban (1 vol. in-8º, E. Plon et Cie).--Le bruit avait couru un moment que ce volume,--un des plus intéressants qu'on ait publié sur les événements et les hommes de la Commune,--avait été saisi chez les libraires. On se demandait pourquoi? Était-ce parce que M. Dauban avait décrit l'état de la société parisienne d'après les documents qui constituent les archives de la justice militaire? Mais il avait été légalement autorisé à les consulter. Était-ce parce qu'il avait mis en tête de son livre le fac-similé d'un dessin publié en Allemagne, en septembre 1870, huit mois avant les incendies de la Commune, et où l'artiste allemand avait prophétisé quelques-uns des tragiques événements qui allaient suivre? «Gefallen, Gefallen ist Babylon die stolze!» «Tombée, tombée, la Babylone orgueilleuse!» s'écriait insolemment le Germain au bas de ce dessin, d'ailleurs assez médiocre, mais extrêmement curieux. Était-ce plutôt parce que M. Dauban, dans la conclusion de son livre, demandait à la fois justice pour la Commune (qu'il condamne) et justice pour tous, puis s'écriait: «On s'étonne que les ministres qui ont pris, vis-à-vis du pays, la première, la plus grave des responsabilités, celle de la déclaration de guerre et des malheurs qui l'ont suivie, puissent venir se promener, le front serein, au milieu de ceux auxquels leurs fautes ont imposé un deuil éternel, et qu'on n'ait même pas le droit de les interroger!»

M. Dauban, dont on connaît les idées modérées, ajoute en effet que la paix sociale, cette paix tant souhaitée par un pays plein de passions souterraines et menaçantes, n'a pas de meilleure base que l'égalité des droits. Il eut donc fallu juger à la fois tous les coupables et, avant tout, les coupables de la première heure. Cette conclusion avait peut-être effarouché bien des gens, mais elle était si juste qu'on n'a pas cru devoir plus longtemps retenir un livre plein de faits, de renseignements, de pièces authentiques et indispensables à tous ceux qui veulent se rendre compte de la dernière crise civile traversée par notre pays.


La Sève, poésies par M. Albert Pinard (1 vol. in-18).--De l'élan, de la fièvre, d'une largeur d'idées unie à un sentiment intime, de la grâce, beaucoup de foi et de verdeur, voilà ce qui distingue ce livre, qui porte un titre jeune et hardi, la Sève. Il y a de la sève en effet, et beaucoup, dans les vers de M. Pinard, et on y sent un amour vrai de l'humanité et de la justice.


Mémoires d'un journaliste, par M. de Villemessant (1 vol. in-18, Dentu).--C'est la seconde série d'un ouvrage piquant écrit sous forme de causerie et qui nous initie, chemin faisant, à la vie privée de quelques gens célèbres. L'auteur parle fort peu de lui-même dans ce volume et beaucoup des autres, de ceux qu'il appelle «les hommes de mon temps». Ceux-là sont ce spirituel Auguste Villemot, le bon bourgeois de Paris, mort au moment où Paris assiégé semblait rayé du reste de la carte, Félix Solar, que je n'ai connu que par sa catastrophe, Nestor Roqueplan, le paradoxe fait homme et l'esprit incarné, mais l'esprit tendu, avec un torticolis élégant. Quand je pense que Nestor Roqueplan, ce sceptique, avait signé avec M. Thiers la protestation des journalistes en 1830. «Il nous faut des noms, il nous faut des têtes», avait dit M. Thiers en tendant le papier, Roqueplan avait donné son nom et risqué sa tête. Deux portraits bien différents, celui d'Alexandre Dumas et celui du comte de Chambord, complètent ce volume qu'on lit avec plaisir, sans fatigue, comme on écoute un bon conteur.

Ces Mémoires d'un journaliste seront-ils jamais terminés? Je le souhaite, et M. de Villemessant, qui a connu tant de gens, en a bien d'autres à nous présenter. On peut dire que tout ce qui a tenu une plume, dans la jeune littérature militante, a passé chez lui, et franchi ce seuil du Figaro où nous avons connu, pour notre part, les écrivains les plus disparates. Il y a dix ou douze ans de cela. Déjà! Je n'oublierai jamais que l'auteur de ces Mémoires m'ouvrit à moi, très-jeune et fort ignoré alors, les colonnes d'un journal qui, d'un bond, donnait la notoriété. J'étais fort ému en débutant. Mais il savait donner lui-même la confiance. Et l'on écrivait! Et l'on allait! Combien en a-t-il fait débuter de la sorte? Il a su se créer des ennemis en foule, des ingrats en quantité, et quelques-uns seulement n'ont pas oublié, malgré tout, ces heures de début. Pour moi, leur souvenir m'en est revenu, à travers la fumée de la lutte et les escarmouches de la politique, présent encore, en lisant ces pages alertes et ces anecdotes qui amusent comme un roman.

Le troisième volume de ces Mémoires, qui vient de paraître, contient des anecdotes fort curieuses sur quelques-uns des premiers rédacteurs du Figaro, Louis Énault, M. B. Jouvin, dont son beau-père retrace la physionomie de lettré et de bibliophile, et on lit ce volume nouveau avec le même plaisir que les autres, réserves faites des attaques politiques qu'on y peut trouver çà et là.


Connaissance pratique du cheval, par M. Vial (1 vol. in-8°. J. Rothschild).--Tout le monde aujourd'hui parle hippologie. Le cheval est entré, si l'on peut dire, dans les mœurs de tous, et même dans l'estomac de quelques-uns. Mais on en parle très-souvent en toute ignorance et par genre. J'avoue que, pour ma part, j'avais grand besoin qu'un écrivain spécial, comme M. Vial, ancien élève de l'école de Saumur, s'attachât à écrire, comme il l'a fait, un traité d'hippologie à l'usage des sportsmen, officiers de cavalerie, éleveurs de chevaux, vétérinaires et même simples hommes de lettres.

J'ai appris, dans son livre, un nombre infini de choses et M. Victor Borie a grandement raison d'écrire, dans la Préface de cet ouvrage, qu'à chaque ligne on y reconnaît la main de l'homme pratique, instruit par l'expérience acquise. L'ostéologie du cheval, aussi bien que sa forme extérieure, y est décrite avec clarté. L'allure, la robe, les tares, les maladies, tout est étudié avec soin. M. Vial passe en revue les races diverses des chevaux, l'anglo-arabe, le normand, le boulonnais, le percheron, etc., etc. Bref, d'un bout à l'autre ce livre spécial est instructif et utile. J'ajoute que l'éditeur, M. Rothschild, l'a publié avec le luxe habituel qu'il donne à ses publications, gravures sur acier et sur bois, un véritable ouvrage de haras qui mérite d'être un ouvrage de bibliothèque.


Notice sur Émile Deschamps, par M. Achille Taphanel (1 broc. in-18).--Émile Deschamps, académicien né, est mort sans avoir été de l'Académie. Mais il occupe dignement le quarante-et-unième fauteuil. C'était le plus aimable des causeurs, le plus railleur des poètes romantiques, le plus accueillant des vieillards. M. Taphanel, qui l'a beaucoup connu, s'est attaché à faire revivre cette souriante physionomie dans une notice que je signale avec plaisir aux lettrés. Mais qui s'occupe d'Émile Deschamps et qui lira ce joli travail d'un jeune homme lettré et reconnaissant? Qui? Tout ce qui n'est pas ingrat envers une mémoire sympathique et un poète de talent.


Histoire de la troisième République, par M. Adolphe Michel (tome premier).--Les histoires particulières de la dernière guerre sont nombreuses, mais les histoires générales sont rares, beaucoup ont raconté, avec plus ou moins de talent et de vérité, les épisodes dont ils avaient été témoins; bien peu ont eu la patience de faire la synthèse de ces travaux divers et d'en tirer des vues d'ensemble et des jugements généraux. M. Adolphe Michel, déjà apprécié comme historien pour un travail très-érudit sur Louvois et les protestants, vient de tenter l'entreprise de raconter ce qu'il appelle l'Histoire de la troisième république, et j'ajoute qu'il vient d'y réussir. Nous reviendrons sur cet ouvrage dès qu'il sera complet ou du moins terminé. Qu'il nous suffise aujourd'hui de signaler à l'attention le premier volume de ce livre, qui va de la déclaration de guerre (juillet 1870) jusqu'au bombardement de Paris (janvier 1871). On ne peut demander à des histoires de ce genre, palpitantes d'actualité, le calme et la modération. Dieu nous garde de demeurer calmes en un tel sujet! M. Michel s'indigne souvent, il a raison, et il prouve une fois de plus que l'indignation, qui fait les poètes, fait même et fait aussi les historiens.


En faction, par M. Albert Méral (1 petit volume in-32).--Ce sont encore des vers et des vers patriotiques. En faction, le titre sent les souvenirs du siège. Ce sont des impressions de remparts, des épisodes de la prise de Montretout. Le style a souvent des hésitations, mais ces pièces de vers méritent d'être lues, et c'est là un début heureux.


L'assassin du bel Antoine, par M. Paul Parfait (1 vol. Michel Lévy).--La Chambre bleue, de Prosper Mérimée, nous montrait deux amoureux fort dépités en entendant, dans une chambre d'auberge, le bruit de la chute d'un corps et se croyant les témoins de auditu d'un crime commis, pour parler comme au théâtre, à la cantonade. Ce que Mérimée prit au comique, M. Paul Parfait l'a pris au tragique dans ce roman qui est, je pense, son premier roman et qui s'appelle: L'assassin du bel Antoine. Un peintre, Julien Grandier, a, dans un hôtel d'une petite ville, un rendez-vous avec une femme mariée. Cette nuit même, un marchand de bestiaux, le bel Antoine, est assassiné dans la chambre nº 6 de l'hôtel, et Julien occupe la chambre nº 5. Nécessairement on l'accuse et, pour comble de malheur, c'est précisément le mari de Mme de Marcillac, le juge Marcillac qui est chargé de l'instruction de l'affaire. Julien n'hésite pas; plutôt que de compromettre celle qu'il aime, il se laissera accuser d'un crime, bien plus, il déclarera qu'il est, lui, Julien, l'assassin du bel Antoine. Mais à son tour, Hélène de Marcillac cherche à sauver Julien; elle découvre l'assassin véritable, un certain Floquart et le livre elle-même à son mari. M. de Marcillac, après avoir un moment hésité à se venger d'une façon effroyable, fait mettre Julien en liberté, mais il déclare qu'il veut sa vie. Un duel a lieu. Julien tire sans viser et tue M. de Marcillac. «A l'heure où vous recevrez cette lettre, écrit alors Hélène à Julien, je serai déjà réfugiée dans un couvent. Ne cherchez pas à me revoir. Il y a du sang entre nous.»

Ainsi finit ce livre, très-rapide, très-émouvant, écrit d'un style preste et pittoresque. C'est un roman tout à fait attachant qui, transporté au théâtre, ferait un excellent drame. Je féliciterai surtout M. Paul Parfait d'avoir écrit là, non pas un récit de cour d'assises, comme nous en avons tant et trop lu, mais un roman de passion où la perspective du supplice ne fait que montrer sous un jour plus sympathique les nobles caractères des personnages. Il y a un écrivain remarquable et un romancier de race chez M. Paul Parfait, qu'on connaissait déjà pour un polémiste érudit, spirituel et incisif.


Cahiers de la Marche et Assemblée du département de Guéret (1788-1789), par M. Louis Duval, archiviste du département de la Creuse. (1 vol. in-18 Limoges, Ducourtieux.)--On finira bien peu à peu par connaître à fond l'histoire de la Révolution française s'il se trouve partout des érudits et des curieux pour recueillir et mettre au jour les documents relatifs à cette époque. M. Louis Duval. archiviste à Guéret, vient de faire pour le département de la Creuse ce que fit M. Antonin Proust pour l'Anjou, et ce qu'il faudrait faire pour tous les départements français. Il a remis au jour les cahiers du département de Guéret envoyés aux états généraux, ces fameux cahiers qui furent l'immense voix de la France demandant des réformes à la royauté. La plupart des doléances des habitants du Centre rappellent les autres doléances, celles des provinces de Picardie, par exemple. Mais elles n'en ont pas moins leur intérêt tout particulier, que M. L. Duval a parfaitement fait ressortir.

L'introduction qu'il a placée en tête de ce livre et où, après avoir justement insisté sur la nécessité de connaître la situation de la France avant 1789, si l'on veut comprendre l'œuvre de la Révolution et l'importance des cahiers, cette introduction est un excellent morceau de critique historique. M. Duval étudie les divisions territoriales de la Marche, son organisation judiciaire, son organisation financière, les impôts, les contributions indirectes, la gabelle, la corvée, les banqueroutes royales, la milice, le tirage au sort, les enrôlements forcés, la misère du soldat, les entraves apportées à la liberté du travail multipliant le nombre des bandits, vagabonds, faux-sauniers, et le paupérisme, les disettes, en un mot, tout ce qui amena l'explosion de 89, et la seule lecture de la table d'un tel livre donne à la fois une idée de son importance et un tableau succinct de la vieille France. Un tel ouvrage vaudrait d'être analysé longuement, étudié pas à pas. Je me contente de le signaler et de le recommander tout particulièrement à ceux qui veulent étudier de près les origines de la France nouvelle.


La Dernière bataille, par Frédéric Stampf, traduction de M. Edmond Thiaudière (1 broch. chez Le Chevalier).--Il paraît que l'auteur de ce poème, traduit de l'allemand, M. Frédéric Stampf, était officier dans le 3e régiment d'infanterie de la landwehr prussienne. Son père, républicain, avait été tué en 1848, à Berlin. Après Sedan, il eut l'idée de rimer un poème pacifique bientôt connu, qui le fit dégrader et enfermer dans la citadelle de Spandau. Stampf s'échappa, gagna la Suisse et il y mourut. Il n'avait pas trente-cinq ans. M. Thiaudière a traduit avec amour ce poème d'un Allemand en l'honneur de l'affranchissement des peuples, dont la pauvre France avait eu le glorieux vouloir. Il est rare de rencontrer ces mots, «la pauvre France,» sous la plume d'un Allemand, autrement qu'avec une intention ironique. Mais il paraît que ce malheureux Stampf nous aimait. Que doivent penser de lui ses compatriotes, qui tiennent un peu rigueur à Frédéric le Grand lui-même de ses sympathies françaises? Le poème de Stampf est d'ailleurs, un peu nébuleux; c'est par là qu'il est resté Allemand.

Jules Claretie.



EXPOSITION DE VIENNE

BRONZES DE M. DOMANGE ROLLIN

Chaque nouveau concours international met en évidence les admirables qualités inventives de nos fabricants, depuis les plus grandes maisons jusqu'aux plus modestes, et le monde entier est tributaire du goût français. L'industrie du bronze, éminemment française, parisienne même, peut être comptée au nombre de celles qui offrent le plus vaste champ à l'imagination de nos artistes, soit qu'ils allient ce métal au marbre ou bien au bois, soit qu'ils en combinent les effets avec des métaux plus précieux, tels que l'or et l'argent. En dehors des pièces de grande fabrication, dont le prix est excessivement élevé, nous trouvons journellement des produits accessibles à toutes les bourses et qui se recommandent par d'excellentes qualités de fabrication, la pureté du style et le bon goût qui a présidé à leur création.


EXPOSITION UNIVERSELLE DE VIENNE.--Les Bronzes de M. Domange Rollin.

Tel a été d'ailleurs l'avis du jury de l'Exposition de Vienne, en décernant un diplôme de mérite à M. Domange Rollin qui expose une collection riche et très-variée de garnitures de cheminée et de petits bronzes.

Les quelques pièces reproduites par notre gravure permettent de juger par le détail des produits de cette maison.


RÉBUS

EXPLICATION DU DERNIER RÉBUS:

Souvent l'homme est porté à s'enrichir, et tourne le dos au bonheur.








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1873, by Various

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