The Project Gutenberg EBook of Journal de Jean Héroard, tome 1/2
(1601-1610), by Jean Héroard

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Title: Journal de Jean Héroard, tome 1/2 (1601-1610)
       sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII

Author: Jean Héroard

Release Date: February 28, 2014 [EBook #45031]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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Au lecteur

Table

JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII
(1601-1628)

EXTRAIT DES MANUSCRITS ORIGINAUX
Et publié avec autorisation de S. Exc. le Ministre de l'Instruction publique
PAR
MM. EUD. SOULIÉ ET ED. DE BARTHÉLEMY


TOME PREMIER
1601—1610


PARIS
LIBRAIRIE DE FIRMIN DIDOT FRÈRES, FILS ET Cie
IMPRIMEURS DE L'INSTITUT, RUE JACOB, 56

JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII

INTRODUCTION.


Après avoir, à la fin de l'année 1599, obtenu la dissolution de son mariage avec Marguerite de Valois, Henri IV s'était allié, un an plus tard, à la princesse de Toscane, Marie de Médicis. La grossesse de la Reine avait été annoncée dès le commencement de mars 1601 et, au mois de septembre suivant, la Cour était rassemblée à Fontainebleau, attendant les couches de la Reine. Henri IV désirait vivement un héritier de sa couronne: «Je suis bien en peine de notre fils, écrivait-il à Marie de Médicis quelques jours avant d'arriver à Fontainebleau, mais je me résous à la volonté de Dieu, en cela comme en toute autre chose.» Le Roi avait, avec l'espoir de perdre et peut-être par suite de quelque idée superstitieuse, parié mille écus avec le financier Zamet que la Reine accoucherait d'une fille; cependant, en choisissant la future gouvernante des enfants de France, Henri IV ne craignait pas de lui écrire le 19 septembre, huit jours avant l'accouchement de la Reine: «Madame de Montglat, je vous ai choisie pour être auprès de mon fils. C'est pourquoi je vous fais ce mot pour vous prier, incontinent la présente reçue, de vous en venir ici et vous y rendre demain au soir.» Le surlendemain, le Roi s'exprimait en termes presque identiques, lorsqu'il disait au médecin qu'il avait appelé pour l'attacher à l'enfant à naître: «Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon fils le Dauphin; servez-le bien.»

Ce médecin se nommait Jean Héroard (on prononçait Hérouard); il était alors âgé d'environ cinquante ans et, depuis près de trente années, il avait été successivement attaché à la personne des rois Charles IX, Henri III et Henri IV en qualité de médecin ordinaire. Le 27 septembre 1601, naissait enfin le prince tant désiré qui devait régner sous le nom de Louis XIII, et, dès son entrée en fonctions auprès du Dauphin, Héroard commençait à écrire un «Journal et registre particulier», dont la rédaction, poursuivie pendant plus de vingt-six années, ne devait cesser qu'avec la vie de l'auteur, mort devant la Rochelle «au service du Roi son maître, à la santé duquel il s'étoit entièrement dédié, âgé de soixante-dix-huit ans, moins curieux de richesses que de gloire d'une incomparable affection et fidélité».

II

Le manuscrit original d'Héroard est conservé à la Bibliothèque impériale; mais il offre quelques lacunes que nous avons pu heureusement combler pour les premières années, grâce à une copie presque contemporaine, appartenant à M. le marquis de Balincourt. Le Journal d'Héroard, connu dès le dix-septième siècle de Tallemant des Réaux et des médecins parisiens, mentionné au dix-huitième dans la Bibliothèque historique du P. Lelong et signalé de notre temps par MM. Cimber et Danjou, Michelet, Paulin Paris, Armand Baschet, est un volumineux recueil, d'une lecture difficile, dont la publication complète serait impossible et fastidieuse. Nous avons essayé d'en extraire tout ce qui, en dehors de la question médicale qui n'est pas de notre compétence, nous a paru de nature à compléter par de nouveaux éclaircissements les nombreux mémoires que l'on possède déjà sur les vingt-cinq premières années du dix-septième siècle. La lecture même de ces extraits fera peut-être reculer quelques-uns de ceux qui y chercheraient une forme suivie, et c'est ce qui nous a engagé, pour montrer tout d'abord le parti que l'on peut tirer du Journal d'Héroard, à rapprocher les faits les plus saillants que l'on rencontre épars dans ce journal: sur Henri IV et ses relations avec sa famille;—sur l'éducation, les exemples et les soins donnés au Dauphin;—sur le caractère de Louis XIII comme dauphin et comme roi;—sur les mœurs, le langage, les usages du temps;—et sur les particularités relatives aux beaux-arts, aux objets de curiosité, armes, faïences, etc., ainsi qu'aux premières constructions de Versailles qui s'y trouvent mentionnées incidemment. Une notice biographique sur Jean Héroard, sur ses ouvrages imprimés et sur ses manuscrits, complète et termine notre introduction à ce journal que des tables chronologique et alphabétique, placées à la fin de la publication, permettront de consulter et d'apprécier facilement.

I.

Au moment de son second mariage, Henri IV était déjà père de trois enfants, nés de Gabrielle d'Estrées, et, un mois après la naissance du Dauphin, la marquise de Verneuil, qui avait succédé à Gabrielle comme maîtresse du Roi, donnait le jour à un fils, nommé d'abord Gaston, puis Henri. Dans les années suivantes la naissance des enfants naturels de Henri IV alterne et coïncide d'une façon singulière avec celle de ses enfants légitimes. Ainsi Mlle de Verneuil, autre enfant de la marquise, naît peu après Mme Élisabeth. Le second fils de Marie de Médicis, Monsieur, duc d'Orléans, vient au monde le 16 avril 1607, et le fils de la comtesse de Moret, trois III semaines plus tard, le 9 mai. Une fille de Charlotte des Essars est, comme Gaston, frère de Louis XIII, du commencement de l'année 1608, et l'année 1609 voit également naître la seconde fille de Mme des Essars et la dernière fille de Marie de Médicis, Mme Henriette, depuis reine d'Angleterre. L'existence de Henri IV avec les deux Reines, car Marguerite de Valois ne tarde pas à reparaître à la Cour; avec ses maîtresses ouvertement et crûment avouées; avec ses enfants légitimes et légitimés, élevés ensemble sous la même gouvernante; le mélange de faste et de simplicité, d'étiquette et de grossièreté qui caractérise cette époque, apparaissent dans le journal d'Héroard avec une naïveté, une vérité que l'on ne trouve, à ce qu'il nous semble, dans aucun autre document contemporain.

Un mois après sa naissance, le Dauphin avait été transporté de Fontainebleau au vieux château de Saint-Germain-en-Laye où il devait passer ses premières années. Pendant cette période on voit le Roi visiter souvent son fils, tantôt seul, tantôt avec la Reine, tantôt avec la marquise de Verneuil dont les enfants ne tardent pas à se joindre à ceux de Gabrielle d'Estrées et de Marie de Médicis. Ces visites donnent lieu à des scènes intimes où l'imagination supplée à la concision d'Héroard. Ainsi, le 12 janvier 1602, la Reine arrive d'abord de Paris, attendant le Roi venant de Verneuil; «elle lui va au-devant, à la porte du cabinet où elle le rencontre», et, après quelques mines et bouderies, «ils vont ensemble voir le Dauphin au berceau», où le Roi manie et considère les pieds de l'enfant, dont le médecin avait signalé la ressemblance avec ceux du Roi. Pourtant la jalousie de Marie de Médicis ne devait pas être bien forte, car, quelques jours plus tard, le 30 janvier, le Roi, la Reine et Mme de Verneuil visitent ensemble le Dauphin «qui leur a fort ri et s'est joué avec eux».

Dans ces premiers temps, Marie de Médicis ne paraît pas éprouver pour son premier enfant des sentiments bien maternels. A la date du 19 mars (le Dauphin a déjà près de six mois), le médecin remarque que la Reine a fort caressé son fils, «ce qu'elle n'avoit encore fait», et trois mois plus tard, le 17 juin, la Reine, arrivant, «trouve au pied des degrés Mgr le Dauphin, au grand escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front».

A ce moment, avant même que l'enfant n'ait accompli sa première année, commencent à se produire des détails de mœurs et d'éducation sur lesquels nous aurons à revenir; mais nous devons d'abord indiquer ceux dans lesquels figure le Roi «vert galant». Le 22 juin, après que le Roi a voulu manger le reste de la bouillie de son fils et dit en plaisantant: «Si l'on demande maintenant IV que fait le Roi? l'on peut dire: il mange sa bouillie;» après que Mme de Verneuil a fort caressé le Dauphin, «mais, ce disoit-on, avec peine», on fait voir au Roi les caresses que l'enfant faisait à Tiennette Clergeon, fille de chambre de sa nourrice, «le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la lui présentant». La même scène se répète quelques jours plus tard pour la Reine, et dans les caresses que l'enfant faisait à la jeune Tiennette, lui riant et lui empoignant la joue à pleine main, on se plaisait à voir un présage que le Dauphin tiendrait de son père. On sait ce qu'il en fut, et l'enfant lui-même ne tarde pas à se montrer plus clairvoyant que ceux qui lui donnent de si singuliers encouragements. Lorsque la folle de la Reine, Mathurine, lui dit: «Viens çà; seras-tu aussi ribaud que ton père?» Il répond froidement, y ayant songé: «Non.» (9 juin 1604.)

L'antipathie du Dauphin pour les enfants naturels du Roi commence à paraître dès la seconde année de son âge, et l'insistance de Henri IV pour combattre cette antipathie amène bientôt, entre lui et l'enfant, des scènes violentes. Ainsi, le 23 décembre 1602, «le Dauphin danse en branle, donnant la main à Alexandre Monsieur (second fils de Gabrielle d'Estrées), le Roi lui ayant commandé de le faire»; et le 23 janvier suivant, après qu'Alexandre Monsieur lui a donné sa chemise (car il était élevé à la fois en frère et en serviteur du Dauphin), «soudain l'ayant prise, il lui élance un coup de sa main pour le frapper. Il ne le pouvoit souffrir,» ajoute Héroard.

Le Dauphin était également élevé à servir le Roi et la Reine, et, dès les premiers jours de l'année 1603, on le porte au dîner du Roi «où il lui donne la serviette». Le 11 août «porté au lever de la Reine, il baise la chemise et la lui donne»; le lendemain «il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette». L'enfant ne se prêtait pas toujours à ce service d'étiquette, et un jour (7 décembre 1604), ce qui le fâcha le plus, ce fut quand le Roi lui dit: «Je suis le maître, et vous êtes mon valet.» Il s'aigrit extrêmement de ce mot-là, ajoute Héroard; mais il finit par céder, et lorsque, quelques jours après, on demande au Dauphin: «Qui êtes-vous?» il répond: «Le petit valet à papa.»

A l'âge de deux ans, le Dauphin est sevré; on lui fait dire ses prières; on l'exerce à parler par discours; on lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots; Héroard, tenant la main de l'enfant, lui fait écrire sa première lettre au Roi, et, triste complément de l'éducation de cette époque, on commence à lui donner le fouet, suivant en cela les intentions de Henri IV qui écrivait encore à Mme de Montglat, lorsque son fils avait plus de V six ans: «Je me plains de vous, de ce que vous ne m'avez pas mandé que vous aviez fouetté mon fils; car je veux et vous commande de le fouetter toutes les fois qu'il fera l'opiniâtre ou quelque chose de mal, sachant bien par moi-même qu'il n'y a rien au monde qui lui fasse plus de profit que cela; ce que je reconnois par expérience m'avoir profité, car, étant de son âge, j'ai été fort fouetté.» Pourtant ce système ne paraît guère «profiter» au Dauphin, autant que l'on peut en juger d'après Héroard; ainsi le 22 février 1604: «le Roi le menace du fouet, il s'opiniâtre, veut aller en sa chambre; mené en celle de la Reine, il continue. Le Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par Mme de Montglat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la Reine.»

Dans le premier séjour que le Dauphin fait à Fontainebleau, du 28 août au 9 novembre 1604, Henri IV se montre tour à tour avec son fils très-tendre, très-taquin, très-emporté et très-enfant lui-même. Un jour, le 4 septembre, on voit le Roi arrivant de la chasse et le Dauphin courant à bras ouverts au-devant de son père, «qui blêmit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant de main selon qu'il tournoit, sans dire mot», tout en écoutant M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi; l'enfant ne peut laisser son père «ne le Roi lui». Le lendemain, scène bien différente. Le Roi vient le matin chez son fils et «le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par Sa Majesté. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. Mme de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois. Le Roi lui demande en lui montrant des verges: «Mon fils, pour qui est cela?» Il répond en colère: «Pour vous.» Le Roi fut contraint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi l'ayant pris et laissé diverses fois.»

Mais la journée la plus orageuse, celle qui laissa pour longtemps au Dauphin un sentiment de crainte envers son père, est à la date du 23 octobre. L'enfant s'était levé de mauvaise humeur, et, au moment où il se joue avec un petit tambour, on le mène au Roi contre son gré. Le Roi lui dit: «Otez votre chapeau;» il se trouve embarrassé pour l'ôter; le Roi le lui ôte, il s'en fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes, ce fut encore pis: «Mon chapeau! mon tambour! mes baguettes!» Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur sa tête: «Je veux mon chapeau!» Le Roi l'en frappe sur la tête, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend par les poignets et le soulève en l'air, comme VI étendant ses petits bras en croix. «Hé! vous me faites mal! hé! mon tambour! hé! mon chapeau!» La Reine lui rend son chapeau, puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il est emporté par Mme de Montglat; il crève de colère, est fouetté, égratigne au visage, frappe des pieds et des mains Mme de Montglat, criant: «Tuez Mamanga; elle est méchante. Je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu!»

Le bon Héroard constate que le lendemain l'enfant avait des égratignures aux bras et à la tête, et qu'il souffrait de la fièvre. Les jours suivants, lorsqu'on parle au Dauphin de son père, «il se ressouvient toujours d'en avoir été malmené, en a peur, et quand il le voit, demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie,» qu'il avait d'ordinaire. De son côté le Roi, aigri encore par les faux rapports de César de Vendôme, frère naturel du Dauphin, s'en prend à la gouvernante et, en présence de l'enfant, dit à Mme de Montglat: «Vous serez cause qu'un jour je l'écorcherai.» Aussi quelques jours après, le Dauphin est-il ramené à Saint-Germain.

Une nouvelle maîtresse du Roi, la comtesse de Moret, vient à ce moment, comme la marquise de Verneuil, visiter le Dauphin qui lui témoigne la même répugnance et la nomme avec mépris: «Madame de foire.» Il ne se montre pas mieux disposé pour son autre frère naturel, et il faut un ordre exprès du Roi pour que M. de Verneuil puisse garder son chapeau sur sa tête devant le Dauphin. Un jour (25 janvier 1605), le Roi commande à Mme de Montglat de faire manger quelquefois M. de Verneuil avec son fils; il l'entend et dit: «Ho! non, il ne faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres.» Le lendemain, il répond encore au Roi qui insiste pour que Mlle de Verneuil et son frère dînent avec lui: «Ho! il n'est pas fils de maman!» A la fin de la même année (21 novembre 1605) Héroard rapporte une singulière conversation du Dauphin avec ses deux autres frères naturels; se jouant après souper avec M. de Vendôme et M. le Chevalier (second fils de Gabrielle), le Dauphin dit qu'il était fils du Roi.—«Et moi aussi, dit M. de Vendôme.—Vous!—Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé?—Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman comme moi! Qui est votre maman?—Monsieur, c'étoit madame la duchesse de Beaufort.—Duchesse de Beaufort! est-elle morte?—Elle est bien loin si elle court toujours,» dit le chevalier de Vendôme, à qui son précepteur ne paraît pas avoir inspiré un grand respect pour la mémoire de sa mère.

Lors de la naissance du fils de Mme de Moret, le Dauphin ne s'exprimera pas d'une manière moins méprisante; «sur le bruit qui en couroit (9 mai 1607), on dit au Dauphin: «Monsieur, vous VII avez encore un autre féfé.—Qui? qui est-il? demande-t-il, comme ébahi.—Monsieur, c'est Mme la comtesse de Moret qui est accouchée d'un fils.—Ho! ho! il n'est pas à papa.—Monsieur, à qui est-il donc?—Il est à sa mère», et n'en voulut jamais dire autre chose.» Dans une autre circonstance (13 mars 1608), le Dauphin se fâche contre un page qui revenait de Moret et lui disait que M. de Moret, son frère, lui baisait très-humblement les mains: «Mon frère! il est pas mon frère; vous êtes un sot! Je vous ferai donner le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de fouet.» C'est ainsi que le Dauphin réagissait contre les intentions du Roi, qui voulait établir entre tous ses enfants des liens et une affection impossibles. Un jour qu'il se promenait dans les jardins de Fontainebleau avec son fils, alors dans sa huitième année, Henri IV rencontre Mme de Moret et, la lui montrant, lui dit: «Mon fils, j'ai fait un enfant à cette belle dame; il sera votre frère.» Le Dauphin honteux se retourne et balbutie: «C'est pas mon frère.» (2 mai 1608.)

L'enfant établissait pourtant des distinctions entre ses frères naturels, et son médecin rapporte à ce sujet, à la date du 18 mai 1608, une conversation bien caractéristique. Avant son coucher le Dauphin s'est retiré dans un cabinet, et, pendant qu'il est sur sa chaise percée, on heurte à la porte; il dit alors à un soldat, nommé Descluseaux, que le Roi avait attaché à sa personne, de demander qui c'est: «Vous l'entendrez bien à la voix, je veux que personne entre.—Monsieur, ne voulez-vous pas que personne entre?—Hé! oui, féfé Chevalier.—Et M. de Vendôme?—Non!—Et pourquoi?—Il n'est pas si connu» (il voulait dire si familier auprès de lui). Descluseaux lui dit: «Mais, Monsieur, ils sont vos frères.—Ho! c'est une autre race de chiens.—Et M. de Verneuil?—Ho! c'est encore une autre race de chiens.—Monsieur, de quelle race?—De Mme la marquise de Verneuil; je suis d'une autre race, mon frère d'Orléans, mon frère d'Anjou et mes sœurs!—Laquelle est la meilleure?—C'est la mienne, puis celle de féfé Vendôme et féfé Chevalier, puis féfé Verneuil, et puis le petit Moret. C'est le dernier; il est après ma m... que je viens de faire.»

Dans cette énumération le Dauphin ne mentionne même pas une autre fille du Roi qui était pourtant née, au commencement de 1608, de Mme des Essars; mais Héroard nous donne, précisément au moment de la naissance de cette fille, une autre conversation de l'enfant qui n'est pas moins libre et dédaigneuse. Le gouverneur de Saint-Germain, M. de Frontenac, l'entretenant de Mme des Essars, lui demande: «Monsieur, la connoissez-vous?—Oui, VIII je la connois bien, dit-il en souriant.—Où l'avez-vous vue?—Je l'ai vue à Fontainebleau, à la chambre de Mamanga.—Monsieur, qui la menoit?—Je sais pas,» dit-il en souriant, car il le savoit bien et jamais ne voulut nommer. M. de Frontenac lui demande à l'oreille si ce n'étoit pas M. de la Varenne?—«Oui»; il étoit vrai.—«Monsieur, elle est accouchée d'une fille, vous avez là une autre sœu-sœu.—Non.—Pourquoi?—Elle n'a pas été dans le ventre à maman.—Papa la fera porter ici pour la faire baptiser et veut que vous soyez le compère.—Qui, papa?—Oui, Monsieur.—Comment la portera-t-on?—L'on empruntera une litière pour la porter.—Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman, je monterois sur les mulets, je les ferois tant courir, tant courir, que tout iroit par terre.» L'huissier Birat dit tout bas au Dauphin: «Monsieur, c'est une femme que le Roi aime bien.—C'est une p....., si (donc) je l'aime point.» (11 janvier 1608.)

M. de Frontenac pouvait à la rigueur croire de bonne foi que le Dauphin serait «le compère» de la fille de Mme des Essars, car un mois avant (9 décembre 1607) le Dauphin et Madame Elisabeth avaient tenu sur les fonts de baptême, dans la chapelle de Saint-Germain, M. et Mlle de Verneuil, et, par une singulière association d'idées, le Roi avait voulu que l'on donnât à ces deux enfants de la marquise son propre prénom et celui de la belle Gabrielle.

Lorsque la première femme de Henri IV, Marguerite de Valois, reparaît à la Cour, le Dauphin se montre d'abord presque aussi dédaigneux pour elle que pour Mmes de Verneuil, de Moret et des Essars. En effet, un enfant de quatre ans devait avoir quelque peine à comprendre qu'il dût appeler maman une autre femme que sa mère; mais il cède bientôt aux marques extraordinaires de tendresse que la reine Marguerite lui prodigue et qu'elle ne cessa de lui donner jusqu'au moment où elle mourut en 1615. C'est le 6 août 1605 qu'a lieu leur première entrevue. Le Dauphin était allé de Saint-Germain jusqu'à Rueil au-devant de Marguerite; aussitôt qu'elle l'aperçoit, elle descend de la litière que Marie de Médicis lui avait envoyée. «M. le Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on le lève, il la baise et l'embrasse: «Vous soyez la bien venue, maman ma fille.—Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie, il y a fort longtemps que j'avois desir de vous voir.» Elle le baise derechef; il faisait le honteux et se cachait de son chapeau: «Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes beau! vous avez bien la mine royale pour commander comme vous ferez un jour!» Le lendemain le Dauphin va trouver le Roi et Marguerite qui se promenaient dans la galerie de Saint-Germain; «la reine Marguerite lui fait de grandes caresses et quitte le Roi pour l'aller trouver.» Elle lui envoie le même IX jour un magnifique bijou, que décrit minutieusement Héroard et qui n'avait pu être fait que pour le Dauphin. Quelques jours après le médecin nous fait assister à une scène qui, retracée par tout autre que par lui, semblerait invraisemblable; l'enfant, conduit le matin au château neuf de Saint-Germain pour dire adieu à la reine Marguerite, trouve Marie de Médicis couchée, Henri IV assis sur le lit, et Marguerite «à genoux, appuyée contre le lit. M. le Dauphin, mis sur le lit, se joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté.»

L'année suivante Marguerite faisait au Dauphin une donation de tous ses biens. C'était chez elle qu'il allait de préférence quand il se trouvait à Paris, et, lors de la foire qui se tenait chaque année au faubourg Saint-Germain «pour les joailliers, peintres et marchands de Flandre et d'Allemagne», elle lui faisait de riches présents, promettant en outre aux marchands de payer tout ce qu'il demanderait. Le jeune Louis, devenu roi, s'adresse à elle, dans un jour de paresse, afin d'avoir un prétexte pour ne pas travailler. «Après souper, raconte Héroard à la date du 19 juillet 1610, il envoie secrètement prier la reine Marguerite d'envoyer à M. de Souvré (son gouverneur), le prier de sa part à ce que, le jour suivant, il l'exempte de l'étude, à cause que c'est le jour de Sainte-Marguerite. Elle y envoya sur les neuf heures; ce fut au grand cabinet de la Reine, ce qui lui donna sujet de rire.»

On a déjà pu juger à diverses reprises, dans ce qui précède, de la liberté de langage à laquelle le Dauphin était habitué par tous ceux qui l'entouraient, à commencer par le Roi lui-même. Nous passerons plus rapidement encore sur d'autres détails que nous révèle Héroard, à propos des relations de Henri IV avec son fils. Lorsqu'il rentrait fatigué de la route ou de la chasse, le Roi se couchait au milieu de la journée, dans le premier lit venu, faisait souvent «dépouiller» son fils, et le mettait nu dans son lit auprès de lui, pour le laisser gambader en liberté. Lorsque l'enfant n'a pas deux ans (4 août 1603), ce n'est qu'un jeu sans conséquences, mais quand on voit cette habitude se continuer presque jusqu'aux derniers moments de la vie de Henri IV (26 janvier 1610), alors que son fils est dans sa neuvième année; quand le Roi se fait dévêtir par lui ou qu'il le mène baigner à la rivière; quand Héroard nous rapporte naïvement (une seule fois en latin) les gestes, les actions, les «paroles honteuses et indignes de telle nourriture» qui résultent de cet oubli de toute pudeur, on reste confondu d'une grossièreté poussée à ce point. C'est peut-être trop déjà d'avoir reproduit ces passages lorsqu'ils se présentent dans le journal du médecin, et nous nous ferions scrupule d'y renvoyer d'une manière plus précise. Nous préférons rappeler quelques scènes où X le bon roi Henri reparaît avec son caractère traditionnel et populaire, comme le jour où il part pour assiéger Sedan (15 mars 1606). Il vient tout ému dire adieu à son fils, «y est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant: «Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils, je vous donne ma bénédiction.—Adieu, papa,» répond le Dauphin. Il étoit tout étonné et comme interdit de paroles.»

Dans une circonstance moins solennelle, un simple départ de Saint-Germain pour Paris (7 décembre 1608), Héroard nous montre le Roi plus tendre encore et les progrès qu'il a faits dans le cœur de son fils. Le Dauphin «conduit le Roi hors de l'escalier; il étoit triste; le Roi lui dit: «Mon fils, quoi! vous ne me dites mot! Vous ne m'embrassez pas quand je m'en vais?» Le Dauphin se prend à pleurer sans éclater, tâchant de cacher ses larmes tant qu'il pouvoit, devant si grande compagnie. Lors le Roi, changeant de couleur et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse, lui disant: «Mon fils, je suis bien aise de voir ces larmes, je y aurai égard;» puis entre en carrosse pour s'en retourner à Paris.»

On aime encore à voir le Dauphin assister pour la première fois au Conseil (2 juillet 1609), le Roi le tenant entre ses jambes; et l'on ne peut se défendre d'un certain attendrissement, lorsque, célébrant pour la dernière fois l'anniversaire de la naissance de son fils (27 septembre 1609), Henri IV «boit au Dauphin», disant: «Je prie Dieu que d'ici à vingt ans je vous puisse donner le fouet!» Le Dauphin lui répond: «Pas, s'il vous plaît.—Comment! vous ne voudriez pas que je le vous puisse donner?—Pas, s'il vous plaît,» répond de nouveau l'enfant. Moins de huit mois plus tard, trois jours après l'assassinat, la nourrice du jeune Roi le trouvait le matin assis sur son lit et lui demandait ce qu'il avait à rêver; il répond: «C'est que je songeois,» puis demeure longtemps pensif. Sa nourrice lui dit: «Mais que rêvez-vous?» Il répond: «Dondon, c'est que je voudrois bien que le Roi mon père eût vécu encore vingt ans. Ha! le méchant qui l'a tué!»

II.

Quatre nourrices en moins de quatre mois: la première, dont le «manifeste défaut de lait» est reconnu par les médecins du Roi, «assemblés par le commandement de Leurs Majestés»; la seconde, qui est obligée de se retirer «pour n'avoir point été agréable à la Reine»; la troisième, qui, bien qu'envoyée par le Roi lui-même, n'est pas «trouvée propre»; la dernière, enfin, amenée par la Reine et qui réussit à remplir les conditions difficiles exigées par l'avidité de l'enfant d'abord, puis par les avis XI opposés des parents et des médecins; tels sont les incidents qui signalent le commencement de la vie du Dauphin. Cette nourrice définitive, Antoinette Joron, femme Boquet, est celle que l'on vient de voir auprès du jeune Roi et qu'il appelait familièrement Dondon ou maman Doundoun. Il avait aussi continué de donner à sa gouvernante, Mme de Montglat, le nom qu'il avait bégayé tout enfant, celui de Mamanga.

Sans le témoignage d'un homme aussi grave que le médecin Héroard, tenant son registre jour par jour, notant, lorsqu'elles se rapportent à l'enfant dont la santé lui est confiée, les actions, les paroles de ceux qui partagent ce soin avec lui, on se refuserait à admettre certains détails qui reviennent fréquemment sous sa plume, et les mêmes faits sembleraient au moins fort exagérés si on les rencontrait dans les Mémoires d'un Bassompierre ou dans les Historiettes d'un Tallemant des Réaux. Que l'on compare les premiers chapitres de Rabelais, ceux qui se rapportent à l'enfance et à l'éducation de Gargantua, avec les premières années du Journal d'Héroard, et l'on sera stupéfait de trouver la joyeuse fantaisie de l'un confirmée et presque dépassée, à soixante-dix ans de distance, par la naïve exactitude de l'autre. Il serait tout naturel d'insister sur ce curieux rapprochement dans un travail sur Rabelais ou dans une annotation de son livre, mais on comprendra que nous nous contentions de l'indiquer ici. Bornons-nous à donner par quelques citations qui, à la grande rigueur, peuvent être reproduites, une idée de la conduite, du langage que tiennent devant l'héritier du trône les personnes qui occupent le premier rang auprès de lui; on jugera par la grossièreté des maîtres de ce que devait être celle des serviteurs.

Le mari de la gouvernante du Dauphin, le baron de Montglat, premier maître d'hôtel de Henri IV, remplissait auprès de l'enfant royal les fonctions d'intendant de sa nombreuse maison. Un jour (27 janvier 1603), le Dauphin, qui depuis quelque temps «commence à cheminer avec fermeté», va après l'une de ses femmes de chambre, «Mlle Mercier, qui glapissoit pour ce que M. de Montglat lui bailloit de sa main sur les fesses; il glapissoit de même aussi. Elle s'enfuit à la ruelle, M. de Montglat la suit et lui veut faire claquer la fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend, se prend à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et de tout le corps, de joie, tournant sa vue de ce côté-là, les montre du doigt à chacun.» Animé par cet exemple, il «se joue à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la renverse à bas, se jette sur elle, avec trépignement de tout le corps et grincement XII de dents.» Le soir il se prend à rire aussitôt qu'il voit Mlle Mercier, «s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin de verges.» La remueuse du Dauphin, Mlle Bélier, lui demande: «Monsieur, comment est-ce que M. de Montglat a fait à Mercier?» Il se prend soudain à claquer de ses mains l'une contre l'autre, avec un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit transporté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure riant et claquant de ses mains, et se jetant à corps perdu sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.»

Après les déportements du mari et les désordres qui en résultent, voyons comment la femme parle à son royal élève. Le Dauphin a trois ans de plus (11 janvier 1607); «peigné, coiffé dans le lit, à bâtons rompus, par sa nourrice, Mme de Montglat, pour le faire hâter, y vient et lui dit: «Je m'en vais chausser; si vous n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Elle revient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore: «Je m'en vais p.....; si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Le Dauphin dit tout bas: «Ha! qu'elle est vilaine, elle dit devant tout le monde qu'elle va p.....; velà qui est bien honnête, fi!» On conviendra qu'en tenant un pareil langage devant l'enfant, sa gouvernante était peu fondée à lui donner le fouet lorsqu'il employait vis-à-vis d'elle des expressions tout à fait analogues (22 août 1608).

Les moyens dont on se servait pour corriger le Dauphin lorsqu'il se montrait opiniâtre ou paresseux n'étaient pas moins vulgaires. Afin de l'intimider on faisait venir, tantôt un lavandier qui le menaçait «de le mettre dans son sac, puis au cuvier,» tantôt un maçon qui faisait mine de l'emporter dans sa hotte, tantôt un serrurier lui montrant des tenailles et une tringle, et lui disant: «Voilà de quoi j'embroche les opiniâtres.» Une autre fois, comme il fait «le fâcheux, l'on fait abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, sous la cheminée; l'on lui faisoit croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel.»

Pour l'amuser ou le distraire, on lui apprenait des chansons plus que libres, on lui faisait danser la Saint-Jean des Choux, espèce de ronde qui consistait à donner du pied dans le derrière de ses voisins, ou bien on jouait devant lui quelque vieille farce comme celle «du badin mari, de la femme garce et de l'amoureux qui la débaucha». Un jour qu'il se promène dans une allée de Fontainebleau, «on l'amuse à voir nettoyer un pourceau; quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on arrêter.»

Comme contraste à ce qui précède, Héroard nous montre le XIII Dauphin recevant dans un âge assez précoce les premiers éléments de son éducation. Ainsi, le 14 mars 1605, «il s'amuse à un livre des figures de la Bible; sa nourrice lui nomme les figures et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoît toutes;» un an plus tard (18 mai 1606), il commence à écrire sous Dumont, clerc de sa chapelle, qui lui montrait; il dit: «Je pose mon exemple, je m'en vas à l'école,» et fait des O fort bien.» Enfin à l'âge de six ans (22 novembre 1607), il lit couramment, «appelle les mots sans faillir» et écrit «sans trace ni aide». Son instruction religieuse commence aussi de bonne heure, car dès qu'il peut prononcer quelques mots de suite, c'est-à-dire à l'âge de deux ans, on lui apprend le Pater et l'Ave, puis cette prière: «Dieu donne bonne vie à papa, à maman, au dauphin, à ma sœur, à ma tante, me donne sa bénédiction et sa grâce, et me fasse homme de bien, et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles.» A Fontainebleau on voit le Roi lui-même et le P. Coton, son confesseur, faire dire le Pater à l'enfant qui préférait réciter cette prière en français, et disait un soir à Mme de Montglat: «Mamanga, faites pas dire Pater, faites dire Notre-Père.» Étant à ces mots ton règne advienne, il demande: «Mamanga, qu'est-ce à dire ton règne advienne?» Mme de Montglat lui en donne raison, et il continue: «Mamanga, qu'est-ce à dire et nous pardonnez nos offenses?—Monsieur, c'est que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le prions qu'il nous pardonne.» A ces mots, et nous garde du malin: «Mamanga, qu'est-ce à dire malin?—Monsieur, c'est le mauvais ange qui vous fait dire: Allez-vous-en! Parlez plus haut!» et autres traits de son opiniâtreté. Il dit encore à Mme de Montglat: «Le bon Dieu a été sur la croix, Mamanga?» Héroard, dont la femme est présente à cette conversation enfantine, lui demande: «Monsieur, pourquoi?—Pour ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Mamanga, moi aussi, maman Doundoun et mademoiselle Hérouard.» A l'âge de cinq ans et lorsqu'il marche encore avec des lisières, le Dauphin est mené à la chapelle de Fontainebleau, où «il se confesse à son aumônier pour la première fois», et le 12 avril 1607, jour du jeudi saint, le Roi tient à ce que son fils, malgré «son âge tout foiblet», le remplace dans la cérémonie de la Cène, qui consistait à laver les pieds à treize pauvres.

Lorsque, le 24 janvier 1609, le Dauphin, alors dans sa huitième année, passe des mains des femmes entre celles d'un gouverneur, son éducation devient plus sérieuse, et l'on voit avec plaisir le marquis de Souvré réagir tout d'abord contre une «sale parole, XIV parole de laquais et de palefrenier» dont un des petits gentilshommes attachés à la personne du Dauphin veut continuer à se servir. Aux occupations ordinaires du jeune prince, élevé dès-lors près de son père, s'ajoutent l'escrime et la danse; ce n'est que beaucoup plus tard, dans sa quatorzième année, que Louis XIII prendra de Pluvinel sa première leçon régulière d'équitation, bien que dès l'âge de sept ans il ait commencé à monter à cheval.

Le jeune Louis devait avoir presque autant de précepteurs que de nourrices. Le Roi avait désigné pour faire l'éducation du Dauphin le poëte Des Yveteaux qui sortait de remplir les mêmes fonctions auprès du fils aîné de Gabrielle d'Estrées, César de Vendôme. Un an après la mort de Henri IV, Des Yveteaux, reconnu incapable, était obligé de céder la place à un autre précepteur, le savant Nicolas Le Fèvre, qui, lui, n'avait d'autre défaut que son grand âge. Enfin à Nicolas Le Fèvre, mort en novembre 1612 dans sa soixante-dixième année, succède le sieur de Fleurence qui avait déjà le titre de sous-précepteur du Roi. Héroard nous fait assister à quelques-unes des leçons données par ces trois professeurs successifs, et nous permet de juger leurs enseignements.

Écoutons d'abord Des Yveteaux donnant sa première leçon a un enfant âgé de sept ans et quelques mois: «Après déjeûner M. Des Yveteaux, son précepteur, lui donna la première leçon, commençant par un petit discours qui lui représentoit comme il avoit à reconnoître que Dieu l'avoit fait naître chrétien et dans l'Église apostolique, et fils d'un grand Roi, et par ainsi qu'il avoit à savoir qu'il lui falloit aimer et craindre Dieu, se rendre véritable et juste, à aimer et honorer le Roi et la Reine comme ayant supériorité sur lui, et puis comme ses père et mère; et que les vertus s'apprenoient dans les livres; et commença à lui faire lire le commencement de l'Histoire de Josèphe, puis lui baille par écrit à savoir: «S'il faut que les ecclésiastiques soient appelés aux conseils des princes et ce qui lui en semble.—Je sais pas», répond le Dauphin. (6 mars 1609).

Le 2 mai suivant, «M. Des Yveteaux lui ayant demandé que c'étoit à dire en françois: Discite justitium moniti et non temnere divos, il répond: «Je ne sais.» M. Des Yveteaux reprit: «C'est-à-dire, soyez averti à apprendre à faire justice et à ne craindre point Dieu.»—«Je veux croire que ce fut par mégarde,» ajoute Héroard, se contentant de relever ainsi l'inadvertance du professeur qui confond temnere avec timere.

L'année suivante, on commence à montrer au Dauphin «la carte XV géographique» et «on lui enseigne que la grandeur d'Espagne est venue lancea carnea, non lancea ferrea, comme les François»; singulière leçon pour un enfant de huit ans et que le médecin prend la peine d'expliquer plus clairement dans une note marginale.

Quelques mois après son avénement, c'est le jeune Roi qui veut faire la leçon à Des Yveteaux. Le 25 juin 1610, «son précepteur lui demande s'il lui plaisoit pas traduire quelque sentence de françois en latin; il répond: «Oui, mais j'en veux faire,» prend la plume et écrit de son invention ces mots: Le sage prince réjouit le peuple. Peu après le précepteur lui demande quel étoit le devoir d'un bon prince, il répond: «C'est d'abord la crainte de Dieu,» et, comme il songeoit pour continuer, son précepteur ajoute: «Et aimer la justice.» Le Roi repart soudain: «Non! il faut: Et faire la justice.»

Le 5 octobre 1610, «son précepteur lui commença la leçon par la louange des romans, et lui demanda s'il pensoit pas que la lecture des romans fût pas suffisante pour instruire un prince?—«Non,» répond le Roi, qui commence à n'avoir plus aucun respect pour son précepteur. Un jour (18 mars 1611), Des Yveteaux, poussé à bout par une plaisanterie que le journal ne rapporte pas, répond au Roi «qu'il n'étoit possible pas des plus savants, mais toutefois qu'il n'étoit pas un homme du commun ne du vulgaire, car on ne l'eût pas mis auprès de Sa Majesté». Lors de sa révocation par Marie de Médicis (25 juillet 1611), le pauvre Des Yveteaux, prenant congé du Roi, le supplie de lui donner quelque bague comme souvenir, et se plaint qu'il avait eu la peine de l'instruire, tandis qu'un autre en aurait l'honneur.

Le 12 août 1611, «M. Le Fèvre entend donner la leçon au Roi par M. de Fleurence, pour essayer à reconnoître sa portée», et le 17 il lui «donne la première leçon sur l'Institution de l'empereur Basile». C'était une rude tâche que celle de précepteur du jeune Louis; il avait peu de goût pour l'étude et il fallait concilier le respect dû au Roi avec la sévérité nécessaire pour faire travailler l'élève. Le gouverneur du prince, qui assistait aux leçons, avait lui-même bien de la peine à maintenir son autorité. Ainsi, le 26 septembre 1611, le jeune Roi, en étudiant, «entre en mauvaise humeur contre M. de Souvré, qui le reprenoit de ce qu'il s'amusoit; il avoit le chapeau sur la tête. Le Roi lui dit: «Vous avez votre chapeau sur la tête!—Oui, répond M. de Souvré, et si je le vous ôterai pas pour cette heure. Ce n'est pas que je ne sache ce que je vous dois, qui est cent, mille fois plus. Plaignez vous-en à la Reine.—Je ne vous ôterai pas aussi le mien», répond le Roi en XVI colère. «M. Le Fèvre, son précepteur le voulut aussi un peu presser sur la leçon; le Roi lui dit: «Quoi! et du commencement vous étiez si doux que vous trembliez tout, et maintenant vous êtes si rude!» Un autre jour, «on lui montroit la carte d'Espagne et les avenues de la frontière; il l'étudioit fort attentivement; M. Le Fèvre lui ayant dit que la France étoit bien un plus grand, plus beau et plus riche royaume, le Roi dit: «Si voudrois-je qu'elle fût à moi.» Une autre leçon du bon Le Fèvre rapportée par Héroard (31 décembre 1611) a pour sujet une sentence en latin sur la clémence, dans laquelle le précepteur insiste sur cette vertu «et la loue sur toutes, disant qu'un prince doit toujours pardonner».

Plus le Roi avançait en âge et plus la position de précepteur devenait difficile auprès de lui; à plus forte raison celle de sous-précepteur. Un jour le Roi répond à M. de Souvré, à propos d'une instruction que devait lui faire M. de Fleurence: «Oui! Fleurence me dira encore des sottises!»—Fleurence lui répond: «Sire, j'aime mieux que vous me haïez homme de bien que si vous m'aimiez méchant; je gagnerai aussi bien ma vie en Turquie qu'auprès de Votre Majesté.» Lorsque Fleurence remplace le savant Le Fèvre, le jeune Roi conteste de plus en plus contre lui à propos de leçons de géométrie et de mathématiques. A l'âge de douze ans, le Roi étudie «en l'histoire, n'apprend plus le latin.» M. de Fleurence, qui était dans les ordres, avait aussi la direction de son instruction religieuse; le 21 décembre 1614, la leçon semblant trop longue au Roi, il demande à M. de Fleurence: «Si je vous donne une évêché, accourcirez-vous vos leçons?—Non, Sire;» et le Roi ne répond rien. L'année suivante le Roi étudie encore, mais armé en guerre, avec la cuirasse, les brassards et «un habillement de tête, fait de fer blanc»; à dater de ce moment il n'est plus question de Fleurence, qui ne mourut cependant qu'en 1616.

Sous le gouvernement de M. de Souvré le système de correction recommandé par Henri IV à Mme de Montglat avait continué d'être suivi, et, même longtemps après son sacre, on voit encore le Roi fouetté à l'âge de dix ans pour avoir, la veille, heurté trop fort à la porte du cabinet de la Reine (19 septembre 1611) et à plus de onze ans pour n'avoir pas voulu prendre médecine. Aussi le jeune Louis craignait-il son gouverneur au point qu'un jour où son pourpoint le serre trop «il ne le veut point desserrer qu'il n'ait su si c'est la volonté de M. de Souvré, auquel il l'envoie demander et qui le lui permet». Ce joug lui pesait cependant, et le médecin rapporte à ce sujet un mot caractéristique du prince; XVII il était depuis un peu plus d'un an confié à M. de Souvré lorsqu'un jour (8 mars 1610) Mme de Montglat vient au coucher du Dauphin qui s'amusait dans son lit «à de petits engins», pendant que son ancienne gouvernante et M. de Souvré devisoient ensemble. «Je puis dire, commence Mme de Montglat, que Monseigneur le Dauphin est à moi; le Roi me l'a donné à sa naissance, me disant: Madame de Montglat, voilà mon fils que je vous donne, prenez-le.» M. de Souvré lui répond: «Il a été à vous pour un temps, maintenant il est à moi.» Le Dauphin, qui écoutait tout ce qui se disait sans en faire semblant, murmure froidement, sans hausser la voix et sans se détourner de sa besogne: «Et j'espère qu'un jour je serai à moi.» L'enfant se trompait dans ses espérances, et, quand, à la fin de 1614, il priait la Reine «de lui ôter M. de Souvré, qu'il ne pouvoit plus durer avec cet homme-là», sa colère ne venait que de ce qu'on avait dit au Roi que M. de Souvré «vouloit empêcher que le sieur de Luynes n'entrât en sa chambre».

III.

Louis XIII en effet, bien que d'un naturel opiniâtre et emporté qui se montre de très-bonne heure, devait toute sa vie subordonner sa volonté à celle de ses favoris et de ses ministres, et ne voir jamais le jour où il s'appartiendrait entièrement. Étant enfant, il disait à ses petits chiens en les caressant: «Ha! je voudrois que vous pussiez manger Mamanga;» et comme son maître d'hôtel et son aumônier l'entendaient, il se retournait vers eux et leur recommandait de ne pas rapporter cette parole à la gouvernante. Que de fois le jeune Roi dut en dire autant, soit à ses chiens, soit à ses familiers, en parlant tout bas de M. de Souvré et, plus tard, du connétable de Luynes ou du cardinal de Richelieu! Héroard, l'un de ses plus intimes confidents, en laisse entrevoir quelque chose, malgré la concision des dernières années de son journal, lorsque, quelques mois après la mort du duc de Luynes, le Roi, étant au lit, parle de la fortune et de la famille du connétable (10 avril 1622); ou quand, dans un séjour en Bretagne, le Roi «va à la Haye voir M. le cardinal de Richelieu avant de se mettre au lit». Le Roi, ajoute Héroard, «se met en colère, ne se peut apaiser; en soi-même se plaint à moi qu'il avoit tort.» (18 août 1626.)

Le meurtre de Concini avait été la suite de ces plaintes sourdes que le jeune Louis laissait échapper contre le favori de Marie de Médicis, depuis la journée du 22 novembre 1616 XVIII surtout, où le Roi était dans la grande galerie du Louvre «en l'une des fenêtres qui regardoit sur la rivière, quand le maréchal d'Ancre entra, accompagné de plus de cent personnes, et s'arrêta aussi à une des fenêtres, sans aller vers le Roi, se faisant faire la cour par tous, tête nue; mais il savoit bien que le Roi étoit là, car on lui avoit dit, l'ayant demandé en la chambre.» Le Roi s'en était allé aux Tuileries, «le cœur plein de déplaisir» contre l'insolent, pour qui le Dauphin avait eu déjà une répugnance précoce, si l'on en juge par la petite scène que raconte Héroard à la date du 1er février 1603: «Le sieur dom Garcia, le sieur Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un carrosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres: Mme et Mlle de Guise, et Mme de Guiercheville. On les lui faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit du doigt. Le sieur Conchino va lui demander: «Monsieur, où est la place de ma femme?» En disant: Ah! il lui montre une avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fenouil confit au sieur Conchino, à qui Mme de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du tout, le regardant, comme importuné.»

Bien que le nom de Marie de Médicis se retrouve presque à chaque page de son journal, sauf la période de l'exil à Blois, Héroard ne cite d'elle qu'un petit nombre de ces traits caractéristiques qui abondent pour Henri IV. On peut juger seulement, en se reportant à quelques passages antérieurs ou postérieurs à la mort du Roi, que les actions et les paroles de la Reine-mère vis-à-vis de son fils n'étaient pas moins libres que celles de son époux.

Il en est de même pour Anne d'Autriche; la première partie du journal révèle beaucoup de particularités relatives au projet d'union avec l'Infante et aux dispositions peu bienveillantes du Dauphin pour les Espagnols; mais, si l'on en excepte les faits qui se rapportent à la célébration et à la consommation du mariage, faits pour la publication desquels nous avons été prévenus par M. Armand Baschet, dans le curieux livre qui a pour titre: Le Roi chez la Reine, Héroard n'a presque rien à nous apprendre sur le caractère et la manière d'être de la jeune Reine.

Son affection toute paternelle pour l'enfant qu'il avait vu naître n'aveugle pas le premier médecin du Dauphin sur les infirmités et les défauts qui se révèlent au fur et à mesure de la croissance, et Héroard a pris soin de noter en marge de son manuscrit de nombreuses remarques sur le tempérament et sur le naturel de Louis XIII. Né sain et robuste de corps, d'après la minutieuse XIX description écrite au moment même où il vient au monde, le Dauphin avait dû pourtant, dès le lendemain, subir une petite opération; comme «il avoit peine à téter, il lui fut regardé dans la bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur les cinq heures du soir (28 septembre 1601) il lui fut coupé à trois fois par M. Guillemeau, chirurgien du Roi». L'opération avait été mal faite ou l'enfant avait un défaut naturel dans la conformation de la langue, car, lorsqu'il commence à prononcer quelques mots, on s'aperçoit qu'il bégaye en parlant et «il se fâche quand il ne peut prononcer autrement». Plus tard Héroard remarque encore (1er décembre 1604) qu'il «bégaye fort en parlant». C'est surtout lorsqu'il est ému, qu'il s'anime ou qu'il se met en colère que le Dauphin mâche «sa grosse langue, comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quelque chose avec grande ardeur». Le 22 décembre 1609, le Dauphin est «mené chez la Reine, mandé par elle, pour lui avoir été dit que son bégayement provenoit pour avoir encore le filet; il fut jugé» qu'il n'était pas nécessaire de faire une nouvelle opération. «Il craignoit qu'on lui voulût couper la langue quand on la lui faisoit tirer; il dit: «Comment me la veut-on couper?» et commençoit d'en pleurer.» Cette infirmité persiste et cependant ne devait pas être très-forte puisqu'elle pouvait disparaître à un moment donné; ainsi, la veille du jour où il doit «aller à la cour de Parlement pour se déclarer majeur», le jeune Roi «fait vœu à Notre-Dame des Vertus, s'il peut, le lendemain, au Palais, prononcer sans faire faute ses paroles pour sa majorité,» et en effet, le 2 octobre 1614, il prononce son discours «hautement, fermement et sans bégayer».

D'un tempérament très-actif, ayant peine à rester une minute en place, ce qui lui rendait l'étude très-pénible, le jeune Louis était pourtant sujet à des accès de rêverie maladive, qui font comprendre l'expression mélancolique de ses traits. Ces accès lui prennent d'abord à ses repas; un soir, le 2 août 1605, «en soupant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit aucune fois réservé et tout ainsi que s'il eût songé à de grandes affaires, il dit: «Mais, c'est Thomas!» Voyant qu'il ne disait plus mot, le médecin lui demande: «Monsieur, qui est ce Thomas?—C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy, dans une chapelle, rangé là, à un petit coin.» Il y avoit environ quatorze mois qu'il fut à Poissy, où il vit et entendit nommer cette image du nom de saint Thomas et au lieu où il la représentoit.» Un autre soir «il songeoit en regardant le feu; sa nourrice lui demande: «Monsieur, à quoi songez-vous?—Je songe à quoi je me jouerai.» On a vu plus haut le jeune Roi s'absorber dans des préoccupations XX plus graves le lendemain de la mort de son père. Héroard caractérise cet état par une expression latine: Quasi aliud agens.

Le sommeil de Louis XIII était fréquemment agité par des cauchemars qui prenaient quelquefois le caractère du somnambulisme. Le 3 octobre 1606, il s'éveille «à une heure après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement et effroyable. Sa nourrice et Mlle de Ventelet (qui aidait à le veiller) vont à lui, demandant ce qu'il avoit: «Hé! c'est que papa s'en va sans moi,» dit-il en pleurant et fondant en larmes, «hé! je veux aller avec papa; attendez-moi, papa!» Il le songeoit et s'en éveille... se rendort à peine, ayant le cœur saisi. Le matin sa nourrice lui demande: «Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette nuit?—Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à la chasse avec papa; j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit manger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon épée, puis je les ai tués tous deux.» Nous regrettons d'avoir à dire que le bon Héroard, avec l'esprit superstitieux qui le caractérise, voit sans doute dans ce cauchemar un présage favorable, et écrit en marge de son journal: Augurium.

Le 29 juillet 1614, le Roi éveillé à une heure, en sursaut, «se veut lever sans dire la cause; ses valets de chambre, les sieurs de Heurles et Armaignac, l'en veulent empêcher, croyant qu'il rêvât: «Laissez-moi, laissez-moi,» dit-il; il se lève en chemise, et ainsi veut aller à la salle.» Le 8 septembre suivant «il raconte comme il avoit songé qu'il voyoit des poissons volants et appeloit de Heurles, son premier valet de chambre; il dormoit et parloit. Il étoit hors des draps sur le milieu du lit, se vouloit élancer pour en aller prendre.» Le 31 novembre 1616, le Roi est pris d'une syncope, à la suite de laquelle il est saigné pour la première fois. Voici une autre indication donnée par Héroard à la date du 4 juillet 1622: «Éveillé à trois heures après minuit, il se plaint, criant et me disant avoir eu froid étant couché dans le lit, et fort peu dormi, les yeux chauds et la tête pesante. Levé, blême, il se sent foible et lassé.» Cette lassitude ne l'empêche cependant pas de partir à quatre heures du matin de la ville de Toulouse, où il était arrivé huit jours avant, et de faire à cheval une dizaine de lieues jusqu'à Villefranche de Lauraguais, où «il se plaint encore des mêmes choses qu'il avoit fait ici dessus». A son entrée à Arles le 30 octobre suivant, le Roi, entouré du peuple qui «crioit en son langage: Vive notre bon roi Louis,» est saisi d'une impression de sensibilité nerveuse «et l'on lui a ouï dire ces paroles: «Dieu vous bénie mon peuple, Dieu vous bénie!» Le soir, pensif, il dit à son médecin «qu'il avoit été triste tout le jour».

XXI

Louis XIII passait alternativement et presque sans transition des exercices les plus pénibles et que le corps le plus robuste pouvait seul supporter, à un état de langueur qui le faisait se mettre au lit «avec inquiétude», ou se coucher au milieu du jour «pour ne savoir que faire». Une indication du journal d'Héroard qui peut servir à dater les portraits de Louis XIII et à juger de son tempérament se rencontre dans le journal au 1er août 1624; le Roi, alors âgé de près de vingt-trois ans, «se fait raser la barbe pour la première fois; il ne y avoit que du poil imperceptible».

A cette nature rêveuse et mélancolique, à cette figure silencieuse et qui se déridait rarement (Héroard remarque à plusieurs reprises que le Dauphin n'est ni parleur ni rieur, et que lorsqu'il rit, c'est d'un gros «rire d'hôtelier» comme quelqu'un qui n'en a pas l'habitude), Louis XIII joignait cependant un esprit assez vif; il avait parfois des reparties pleines de bon sens, parfois aussi il raillait et se moquait; mais en avançant en âge ses saillies deviennent plus sévères et plus âpres. Un jour d'hiver (19 février 1605) le porteur de charbon entre dans sa chambre pendant qu'il se lève et lui dit: «Bonjour, mon maître.—Qui est son maître?» demande l'enfant à son aumônier.—«C'est le Roi et vous.—Qui est le plus grand?—C'est papa et vous après, répond l'aumônier.—Non, c'est Dieu qui est le plus grand!» reprend le Dauphin, qui de sa nature «n'aimoit pas la flatterie». Le lendemain «l'on parloit d'un homme condamné à être pendu, le Dauphin demande: «Qui le pendra?» L'on répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit: «Je ne veux donc point avoir un valet.» Peu après il appelle Birat, huissier de sa chambre; il avait l'habitude de lui donner le nom de valet et de lui dire: Valet, faites ceci ou cela; ce jour-là il le nomme par son nom: «Quoi, Monsieur, dit Birat, vous ne m'appelez pas votre valet!—Hé! c'est le bourreau qui a un valet,» répond le Dauphin. Un autre jour Mme de Montglat lui demande après qu'il vient de prier pour le Roi: «Aimez-vous bien papa?—Oui.—Comment l'aimez-vous?—Je l'aime plus que Pataut (le chien de sa nourrice).—Monsieur, reprend la gouvernante, il ne faut pas dire ainsi, il faut dire plus que vous-même.—Plus que moi-même! Eh! il ne faut pas aimer soi-même! il faut aimer des hommes, mais pas soi-même!»

Le Dauphin se plaisait aussi à jouer sur les mots et sur les noms; nous nous bornerons en ce genre à une seule citation où figure le poëte Racan. Le 14 octobre 1606 il y avait à son souper «un page de la chambre auquel il demanda: «Comment vous XXII appelez-vous?—Monsieur, je m'appelle Des Ars.—Vous êtes donc un arc? Il vous faut attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y mettre une flèche et tirer.» D'un autre page de la chambre qui se nommoit Racan, il dit à sa gouvernante: «Mamanga, velà l'arc en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entendement, imaginant Arcan et ajoutoit ciel en sa petite fantaisie. Il se plaisoit à des pareilles rencontres.»

Voici, à la date du jour des Rois, une jolie conversation sur le nombreux personnel de la maison du Dauphin: «Il tenoit une peinture du Roi sur du papier, où étoient les nom, surnom et qualités; il les lisoit. M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, quand vous serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» Il répond brusquement: «Ne parlons point de cela!—Mais, Monsieur, vous le serez, s'il plaît à Dieu, un jour après papa.—Ne parlons point de cela!—Monsieur, c'est que vous voulez dire qu'il faut prier Dieu qu'il donne longue vie à papa?—Oui, c'est cela.» En dînant il demanda si, pour son souper, il ne y auroit pas un gâteau pour faire les rois; M. de Ventelet lui dit que oui et qu'il seroit le roi. «Ho! non, dit-il, c'est papa.—Monsieur, j'entends le roi de la fève, ce n'est que pour jouer;» et là-dessus je lui dis: «Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à tous vos serviteurs; que donnerez-vous à M. Birat?—Ce sera le fou.—Et à M. de Ventelet?—Ce sera le bon vieux homme.—Et à moi, Monsieur?—Vous serez l'imprimeur.» M. Boquet, mari de sa nourrice, lui demande une charge.—«Vous serez maître Guillaume,» c'étoit le fou du roi. Je poursuis à lui demander: «Et à M. de Malleville, que lui donnerez-vous? (Il étoit exempt aux gardes écossoises servant près de lui.)—Ce sera Pantalon;» il avoit la barbe assez grande.—«Et M. de la Pointe? (archer du corps qui étoit gros).—Ce sera le gros ventre.—Et M. d'Origny? (son compagnon).—Ce sera le cuisinier;» il étoit un peu malpropre.—«Et maître Jean? (son sommelier).—Ce sera l'ivre.—Et maître Gilles? (son pannetier).—Il sera confiturier.—Et votre huissier de salle? (il faisoit des vers).—Féfé Vaneuil a un petit chien qui s'appelle Joly; quand ils seront ensemble ils feront des vers et Joly les fera par le c...—Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier).—Ce sera Sibilot;» c'étoit le fol du feu Roi.—«Et Champagne? (garçon de garde-robe).—Ce sera mon verseur de m...—Et M. Guérin? (son apothicaire).—Ce sera Frely;» c'étoit le nom que ledit Guérin avoit donné à l'un des chiens.—«Et M. de Cressy? (enseigne de la compagnie qui étoit fort grand).—Ce sera le petit Marin;» c'étoit le nain de la Reine.—«Et M. Aude? XXIII (huissier de chambre de Madame qu'il voyoit souvent enveloppé au visage).—Ce sera l'enrhumé.» M. Boquet, qui n'étoit pas content d'être maître Guillaume, le pressoit pour lui en donner une autre; M. Birat entre en la chambre, M. Boquet lui dit: «Monsieur, voilà M. Birat; quelle charge lui donnerez-vous?—Ce sera maître Guillaume.—Et moi, Monsieur, lui dit Boquet, que serai-je maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?—Vous serez maître Guillaume Dubois, le poëte de mousseu de Roquelaure (c'étoit un fol qui avoit été maçon et se faisoit croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua, il me venoit voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse de ma chambre; il me montroit des vers qui étoient si mal faits, si mal faits,» me dit-il avec action, comme s'il se y fût connu et en souriant.—«Et à M. de Bernet? (porteur de M. d'Orléans).—Ce sera le nouveau tondu;» il avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.—«Et Bourgeois? (l'un des huissiers de sa chambre qui étoit vêtu de noir, portant le deuil).—Ce sera la corneille.—Et Montalier? (valet de garde-robe, portant le deuil).—Ce sera le corbeau.» (5 janvier 1608.)

Une autre repartie du Dauphin pourrait s'appeler le Dauphin terrible. Le 30 juillet 1608, il jouait avec des figurines en faïence dont une représentait un singe. Henri IV le vient voir et lui dit que ce singe ressemblait à M. de Guise. «Peu après M. de Guise arrive et lui demande: «Monsieur, qu'est cela?—C'est votre ressemblance.—Comment le savez-vous?—Papa le dit.» Le 21 décembre suivant, le Dauphin se fâche contre les petits gentilshommes attachés à sa personne, «veut qu'ils aient le fouet. Mme de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi pardonnoit à tout le monde.—A tout le monde! il n'a pas pardonné au maréchal de Biron!»

Le 28 avril 1610, peu de temps avant le couronnement de Marie de Médicis qui devait être suivi d'une entrée solennelle, on disait au souper du Dauphin «que les enfants de Paris qui devoient être à l'entrée de la Reine auroient des éperons dorés. «Ho! dit-il, s'ils en ont de dorés, j'en veux avoir de fer noir.»

Citons encore trois ou quatre mots du jeune Roi qui achèvent de peindre une des faces de son caractère et la tournure que prend peu à peu son esprit. Le 15 juillet 1610, il fait donner à boire à son petit chien et demande: «Pourquoi donne-t-on à boire aux chiens?» Il lui fut répondu: «De peur qu'ils n'enragent.» Il repart soudain: «Les ivrognes donc n'ont garde d'enrager, car ils boivent toujours.»

Le 11 décembre 1612 «la Reine avoit commandé qu'on lui fît XXIV la mine pour n'avoir point voulu prendre sa médecine: il s'en aperçut ou il le sut, et s'adressant à Mlle de Vendôme, lui dit tout bas: «La Reine ma mère a commandé que l'on me fasse la mine, mais ils seroient bien tous étonnés si je la faisois.» Soudain il va à Mme la douairière de Guise: «Eh bien, madame de Guise, êtes-vous de celles qui me font la mine?» et s'en va, lui faisant la moue et le hausse-bec.»

Le 9 avril 1616, il construisait un petit fort et y plaçait «des petits canons tirés par des chiens, l'un desquels fait difficulté de passer outre sur une planche qui faisoit du bruit. Il le bat rudement et en colère, le chien passe sans difficulté; lors il dit froidement et de façon sérieuse: «Voilà comme il faut traiter les opiniâtres et les méchants,» et, lui donnant du biscuit, «et récompenser les bons, les hommes aussi bien que les chiens.»

Le 30 décembre 1622, il y avait eu «dispute entre les sieurs d'Ecquevilly et de Sourdis, enfants d'honneur qui portoient des oiseaux de la chambre»; d'Ecquevilly avait été appelé en duel, et on disait au Roi qu'il fallait les empêcher de se battre: «Non, non, répond-il en colère. Qu'on ne les empêche pas; laissez-les battre. Je les séparerai bien; je leur ferai trancher la tête.»

Les inclinations de Louis XIII pour les armes et pour la chasse se montrent chez lui de très-bonne heure; mais, malgré son caractère hautain, il apportera dans ces exercices, comme en toutes choses, des instincts au-dessous de son rang, un esprit subalterne, et il sera plutôt soldat que capitaine, plutôt piqueur que grand veneur. Héroard remarque à plusieurs reprises que le Dauphin «se familiarise de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec toute autre sorte de personnes, faisant du pair et du compagnon avec eux». Son premier favori est un soldat aux gardes, qu'il appelle son mignon Descluseaux; «mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table avec lui pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.» Un jour qu'il faisait ses exercices militaires devant le Roi, avec ses frères naturels MM. de Vendôme et de Verneuil, et les deux petits Frontenac, fils du gouverneur de Saint-Germain, «le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néanmoins il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoient pas bien; le Roi lui dit: «Mon fils, vous êtes mousquetaire et vous commandez!» C'est exactement ce que Louis XIII sera toujours, et roi il joue encore au soldat. Le 23 janvier 1611, après déjeûner, il prend un bâton, se fait mettre en sentinelle par le jeune Loménie, qu'il fait caporal, fait demander à M. de la Curée (lieutenant des chevau-légers) par M. de Préaux (son sous-gouverneur) s'il connoît point ce soldat. M. de la Curée répond que non.—«Il a été aux guerres de Flandre,» XXV dit M. de Préaux.—«Il a bonne mine,» répond M. de la Curée, puis adressant la parole au sentinelle: «Mon compagnon, d'où êtes-vous?—De Gâtinois, répond le Roi.—Comment vous appelez-vous?—Capitaine Louis.—Vous êtes bien habillé! il y a quelque sergent qui est votre camarade, qui vous fournit ce qu'il vous faut?—Oui.»

A l'âge de quinze ans et encore dans sa seizième année, le Roi continue le même jeu. Le 2 septembre 1616, «il s'amuse à faire la garde lui-même, se couche sur la paillasse, s'endort; Descluseaux qui faisoit le caporal l'éveille, le tire par les pieds hors de la paillasse, le met en sentinelle où il se rendort. Descluseaux le y trouve, le met en prison; ce fut en son lit.» Le 20 juin 1617, après avoir, dans la journée, été au conseil et donné une audience à l'ambassadeur de Savoie, et après la cérémonie de son coucher terminée, il se relève dans la soirée et «vêtu légèrement, il descend au jardin, s'amuse à faire la garde, se fait mettre en sentinelle, reçoit le commandement du sergent (c'étoit Descluseaux), y est jusques à une heure après minuit.»

Cinq ans après le jeu devient plus sérieux et produit même une impression pénible. Le Roi qui assiége la ville de Saint-Antonin, occupée par les protestants, descend du rôle de commandant d'armée à celui de simple «artillier»; le 16 juin 1622 «il va au camp à dix heures, au-dessus d'une batterie où il y avoit deux couleuvrines, en pointe par deux fois, tire sur des paysans qui remparoient; à la deuxième fois il en tue deux.» Héroard cite pourtant beaucoup de traits d'humanité de Louis XIII envers les hommes et même envers les animaux, mais ici le désir de prouver son adresse, de se montrer bon soldat, lui fait oublier qu'il n'appartient pas à un roi de tirer sur ses sujets, même révoltés.

Dans son goût passionné pour la chasse, Louis XIII se montre le même. Enfant, il entretient de préférence le veneur maître Martin, lui parle «de tous ses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils savent faire, comme il dresse les jeunes». Roi, il élève lui-même ses oiseaux et leur donne «la mangeaille». Il va seul au bois et à la volerie, en si simple appareil qu'un jour, à Saint-Germain (19 février 1619), un meunier court après lui «le prenant pour un fauconnier, disant et opiniâtrément que c'étoit lui qui lui avoit pris sa poule; à quoi il prenoit plaisir et à le faire contester». Dans un âge plus avancé, il va de Saint-Germain coucher le soir à Versailles, y dort tout vêtu afin d'être plus tôt prêt pour aller à la chasse, et le lendemain (3 août 1624), «éveillé à trois heures, il prend son limier et va au bois pour détourner le cerf, y est deux ou trois heures, et revient tout mouillé à Marly. Il se jette sur un méchant lit sans dormir et, XXVI après dîner, va courir son cerf qu'il avoit détourné. Il ne le prend point et revient à Saint-Germain.»

Héroard nous montre encore le Dauphin «curieux de vouloir tout savoir», ayant «l'œil et l'oreille à tout», se plaisant «toujours à quelque exercice pénible». Son goût pour «les œuvres mécaniques» lui fait, tantôt suivre «un maçon qui raccoustroit», tantôt regarder «des charpentiers qui mettoient des cloisons». Voici par exemple une journée où l'on voit la diversité de ses occupations et de ses instincts: Le 10 août 1607 «il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusqu'à la chapelle où il entend la messe, faisant des gambades sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-Comté. Il dit à l'oreille à Hindret, son joueur de luth, qui le menoit: «Je veux être le valet de pied, mais le dites pas.» Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de la chambre auxquels il commande, leur fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, me demande papier et encre, se met à peindre, fait un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice.» Une autre fois, «il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les pierres», ou bien il pave lui-même un chemin, «porte le pavé, le met en œuvre». Roi, il s'amusera «à faire des paniers de menu jonc», clouera «les tapis du pied de son lit avec le tapissier», travaillera avec un émailleur ou avec un excellent tourneur allemand qui lui apprendra à tourner. Le 15 octobre 1614, «il s'amuse lui-même à travailler avec le menuisier, à dresser le jeu de billard,» et le 12 janvier 1617 à établir «une batterie de petits canons qu'il avoit lui-même fondus à sa forge».

Nous avons vu Louis XIII demander à sa mère de lui ôter son gouverneur M. de Souvré, parce qu'il ne «pouvoit plus durer avec cet homme-là»; quinze jours avant il lui avait servi de cuisinier et de maître d'hôtel. Le 13 octobre 1614 il était allé faire collation dans une maison particulière; après avoir mangé, «il entre en la cuisine, met M. le comte de la Rocheguyon à la porte pour huissier, et lui se fait porter des œufs, ayant été auparavant au poulailler pour en prendre. Il donne deux écus à une femme qui lui en apporta six et un poulet, se prend à faire des œufs perdus et des œufs pochés au beurre noir, et des durs hachés avec du lard, de son invention. M. de Frontenac, premier maître d'hôtel, fait une omelette; le Roi commande au petit Humières de prendre un bâton et de servir de maître d'hôtel, au sieur de Montpouillan XXVII d'huissier, à d'autres de prendre des plats, et lui prend le dernier et marche ainsi à la salle où étoit M. de Souvré, auquel il avoit commandé d'attendre ce qu'on alloit lui servir. Il fait l'essai du plat qu'il portoit».

Le Dauphin montre des goûts plus élevés dans ses dispositions naturelles pour la musique et le dessin. Suivant l'usage de l'époque, deux musiciens étaient attachés à sa personne «pour l'endormir»; l'enfant les écoutait avec transport, retenait les termes de leur art et voulait même faire sa partie avec eux. Le 23 février 1608, il joue du «tabourin de basque fort bien, en concert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau, son violon; il avoit appris de lui-même. Mené pour donner le bonsoir au Roi et jouer leur concert, il s'arrête à la porte du cabinet et ne voulut jamais entrer pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose messéante à sa qualité; le Roi le sut et le trouva bon». Le 11 août 1609, «il fait chanter et chante en concert des chansons d'amour; mis au lit, il fait encore chanter Laudate en concert de voix, d'un luth et d'une mandore».

Un jour de la fête de Sainte-Cécile, «M. de Souvré le vouloit mener à Notre-Dame»; le jeune Roi s'y refusait «à cause, disoit-il, qu'il y auroit une grande messe.—Oui, Sire, lui dit M. de Souvré, mais il y aura de la musique que vous aimez tant!—Oui, mais il y en a de deux sortes; il y en a une que j'aime point»; c'étoit le plain-chant.» La musique que le Roi préférait était celle que lui faisaient à son coucher La Chapelle, «excellent joueur d'épinette qui étoit à lui», et Bailly qui chantait en s'accompagnant du luth. «Quand ils cessoient: «Chantez, chantez,» disoit-il, ainsi que souloit faire le feu Roi son père, duquel il avoit toutes les mêmes actions.» Le 1er septembre 1612, le Roi «commence à apprendre à jouer du luth par Ballard,» et à la fin de l'année 1616 on le voit encore chanter en concert avec les orgues, «sur lesquelles jouoit le sieur de La Chapelle».

Louis XIII enfant avait moins d'ardeur pour la danse, peut-être parce que cet exercice faisait partie de son éducation, tandis que la musique et le dessin n'étaient que des arts d'agrément qui ne lui étaient pas imposés. Cependant, le 21 février 1608, il danse fort bien son ballet des Falots devant Henri IV qui «en pleure de joie»; mais plus tard Héroard écrit à la date du 5 janvier 1611: «Dansé à regret; il n'aimoit pas la danse de son naturel, et si il faisoit bien; il le fait pour faire les révérences à M. de Souvré qui le forçoit à les bien apprendre.» Dans les années suivantes au contraire le Roi figure lui-même dans plusieurs ballets, et on sait qu'il se plaisait à en composer.

XXVIII

Dès l'âge de trois ans, le Dauphin commence à «crayonner sur du papier» et Héroard a conservé précieusement ces premiers griffonnages, dans lesquels il voit déjà une «merveilleuse inclination à la peinture»; on les retrouve dans le manuscrit de son journal, ainsi que les premiers essais d'écriture de l'enfant. Ces dispositions pour le dessin se développèrent un peu plus tard, pendant les séjours à Fontainebleau où de nombreux artistes, à la tête desquels se trouvait Martin Fréminet, continuaient les travaux de décoration commencés sous François Ier. Le 14 décembre 1606, le Dauphin s'amuse à peindre «ayant fait venir un peintre qui lui apprend; il l'écoute et suit ce qu'il lui dit, maniant aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant les couleurs au pouce comme le peintre, qui lui fait tirer un visage». Le matin, il avait dit à Mme de Montglat: «Je peindrai, je vous ferai un beau petit chérubin.—Ho! lui dit la gouvernante, vous êtes un beau peintre! Vous ne sauriez peindre le beau temps.—Si ferai.—Comment ferez-vous?—Je prendrai du blanc, puis des couleurs de chair et du bleu.—Mais vous ne sauriez faire le soleil ne la lune.—Si ferai.—Comment ferez-vous le soleil?—Je prendrai du jaune et du rouge, et je les mêlerai.—Et la lune?—Je prendrai du blanc et du jaune, je les mêlerai, puis je ferai un visage, puis ce sera la lune.» Le lendemain, «il envoie quérir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des cerises après le crayon du peintre, demande: «Que faut-il que je fasse? Faut-il du blanc, du rouge?» et besogne dextrement et avec attention.»

Deux jours après, c'est Fréminet lui-même qui vient donner au Dauphin une leçon dont Héroard a conservé les dessins, et son journal nous fait assister à la petite scène d'intérieur qui se passe entre le prince et le premier peintre du Roi. Aussitôt que Fréminet entre dans sa chambre, le Dauphin lui montre ses peintures des jours précédents et lui dit: «J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose.» M. Fréminet, «peintre du Roi, excellent personnage», lui dit: «Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse faire un oiseau avec la plume?» Il lui répond gaiement: «Oui; Mamanga, envoyez quérir mon écritoire;» il met son papier sur sa petite table et commence à griffonner tout seul un oiseau dont le corps est semé de grosses taches d'encre: «Les taches noires du milieu, dit-il, ce sont les plumes.» Fréminet lui propose alors de lui conduire la main et lui fait dessiner un perroquet, mais ce n'est pas sans peine, à cause de l'impatience de l'enfant qui veut aller plus vite que l'artiste. Fréminet dessine ensuite XXIX une tête de profil et dit au prince: «Faites un visage comme celui-là.—Ho! ho! dit-il en souriant, je ne saurois.» Fréminet lui reprend alors la main et lui fait dessiner deux profils, puis, pour terminer la leçon, l'artiste retourne le papier et dessine une belle tête de guerrier coiffé d'un casque; l'enfant ravi lui donne pour le remercier une grosse poire.

Le 6 février 1607, le Dauphin, qui est toujours à Fontainebleau, parle dans son lit, avant de s'endormir, «sur les peintures qu'il a faites, d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune; que demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau pour la présenter à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y prenoit de plaisir». En effet, le lendemain, «il s'assied et accommode une petite toile carrée, et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant auprès de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau, froidement, attentivement, dextrement et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de coutume, il y avoit de l'inclination comme aux autres sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au petit peintre: «Faites l'accoustrer.—Monsieur, lui dit le peintre, y ferai-je faire un châssis?—Oui, oui.—Monsieur, je n'ai point d'argent.—Mamanga, donnez-moi de l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau.» Elle lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre et lui dit: «Tenez, velà deux quarts d'écus, gardez-en un pour en faire un autre.» Trois jours après le Dauphin «tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait avec le petit peintre; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il vous faut écrire.—Non, Mamanga, qu'on aille quérir le petit peintre;» il aimoit la peinture», répète encore Héroard.

Une autre fois c'est Dupré, le graveur en médailles, qui donnera au jeune prince, toujours à Fontainebleau, une leçon de modelage. Le 6 juin 1607, le Dauphin, qui pose pour un sculpteur en cire nommé Paolo, s'amuse pendant ce temps à «tirer en cire» son mignon Descluseaux. Dans l'après-midi «il s'amuse, avec de la cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite». Le lendemain il dit à son médecin qu'il le «veut peindre en cire pendant que M. Dupré l'achèvera» et qu'il lui fera la barbe pointue comme une épingle.

Plus tard le Dauphin fait faire par Boileau, son joueur de violon, et fait lui-même des copies d'après quelques-uns de ces dessins XXX dont la mode s'était conservée depuis le seizième siècle et que l'on nommait des crayons; c'est tantôt Duguesclin ou Louis XII, tantôt ses deux grands-pères Antoine de Bourbon et le duc de Toscane; lui-même pose pour Boileau et il fait attacher ces crayons sur la tapisserie de sa chambre. Héroard a joint à son manuscrit une copie de la main du Dauphin d'après un crayon représentant la marquise de Ménelay. Une autre fois le Dauphin copie le portrait de la reine Jeanne de Sicile et «en huile le portrait du Roi qui étoit devant lui; il étoit fort reconnoissable».

Louis XIII conserva toute sa vie son goût pour la peinture et le dessin. Lorsqu'au mois de février 1611, Marie de Médicis veut lui acheter à la foire Saint-Germain une chaîne de diamants, «il n'en veut point, dit mieux aimer des tableaux», et à diverses reprises il se remet à peindre «ayant fait venir Bunel, l'un de ses peintres et excellent». Le 25 juillet 1622, étant à Béziers, le Roi «s'amuse à peindre en crayon, ne laisse pas d'entendre ses affaires par M. de Puisieux, secrétaire d'État»; et au mois d'août 1627 on le retrouve à Versailles, s'occupant encore «à peindre». Si Héroard avait vécu jusqu'aux derniers jours de son maître il l'aurait vu, quelques semaines avant sa mort, ainsi que le rapporte Dubois, l'un des valets de chambre du Roi, «travaillant fort longtemps à peindre certains grotesques, à quoi il se divertissoit ordinairement».

IV.

La liberté de mœurs et de langage qui régnait sous Henri IV commence à disparaître avec Louis le Juste, que l'on a aussi surnommé Louis le Chaste. Dès la première année de son avénement au trône, un jour que le Roi «fait faire la musique de voix et d'instruments» et qu'il parle des chansons qu'il vient d'entendre, M. de Souvré lui demande: «N'avez-vous point fait chanter de celles du feu Roi, qui étoient pour les amours de Mme la princesse de Condé et autres?—Non, répond le Roi.—Pourquoi?—Je les aime point,» dit-il brusquement. L'année suivante, Concini s'étant permis au coucher du jeune Louis une indécente plaisanterie sur la nourrice du Roi et sur les femmes qui veillaient encore près de son lit, le Roi, «le regardant en colère, lui tourne le dos» en lui reprochant ces «vilainies»; et encore, le 25 décembre 1619, comme il dînait à sa petite chambre où le prince de Condé et plusieurs seigneurs «se parloient de mots qui dépassoient la gaillardise», le Roi dit: «Je ne veux point que l'on dise des saletés et des vilainies.»

XXXI

Louis XIII n'avait non plus aucun goût pour les fous de Cour, les faiseurs d'horoscopes, les soi-disant poëtes à cervelle dérangée qui étaient admis familièrement auprès de son père. Étant Dauphin, on le voit chasser à coups de pied Engoulevent, prince des sots, qui était entré en sa chambre; «il haïssoit naturellement, dit Héroard, les plaisants et bouffons.» Une autre fois il renvoie de sa chambre «un gentilhomme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités; il s'adresse à lui parmi la troupe, lui dit: «Allez-vous-en,» et le presse si fort qu'il fallut sortir.»

L'accès des résidences royales était alors d'une facilité inouïe. Les épousées de village y venaient danser le jour de leurs noces; les merciers, les porte-paniers y entraient pour débiter leurs marchandises, les mendiants pour demander l'aumône; les musiciens ambulants pénétraient jusque dans l'intérieur des appartements. Le 10 juin 1604, on voit le Dauphin faire sortir de la salle du Roi, à Saint-Germain, «un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant: «Mettez dehors! qu'il joue, mais je ne le veux pas voir.» Il ne veut point voir Olyvette, folle de feu Mme de Bar (sa tante), ne veut point voir maître Guillaume (fou de Henri IV), n'aime point les fols de cette sorte.» Son goût pour la musique lui fait pourtant un autre jour, pendant son dîner, écouter ce même cul-de-jatte avec plaisir jusqu'à ce que, «après avoir joué longtemps et deux violons avec lui,» l'estropié lui dit d'une voix rude: «Monsieur, buvez à nous.» Il devient rouge, disant soudain: «Je veux qu'il s'en aille.» Son médecin lui dit: «Monsieur, il est pauvre; il ne les faut pas chasser.—Il ne faut pas que les pauvres viennent ici.—Monsieur, non pas tous, oui, bien ceux qui vous font jouer comme lui.—Qu'il aille donc jouer là-bas.» Mme de Montglat l'en veut aussi distraire, il lui répond: «Mamanga, il m'étourdit;» et puis après il dit: «Je ne bois qu'à papa et à maman.»

Héroard note dans son journal non-seulement les grands personnages qui viennent visiter le Dauphin, mais encore les plus infimes. Pendant la première année c'est une véritable procession de gens de toute sorte qui font le voyage de Paris à Saint-Germain en «grande troupe» ou en «compagnie», et qui sont admis à voir l'enfant au berceau ou dans les bras de sa nourrice. Tantôt ce sont des courtisans qui rendent au Dauphin le plus singulier hommage; tantôt c'est une vieille revendeuse de Paris, à moitié folle, qui «se prend à danser devant lui», avec les mots et les gestes les plus indécents. A côté de ces scènes burlesques le médecin nous en montre de touchantes, telles que celle du 28 avril 1602, où le XXXII lieutenant-général de Fontenay-le-Comte «âgé de quatre-vingts ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer, le voit remuer, et s'en retournant dit à Mme de Montglat qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller, étant au coin du grand pavillon, il lève les mains au ciel et dit: «Dieu, m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu le salut du monde.»

Une autre visite d'un caractère bien particulier est celle que Sully fait au Dauphin le 20 juillet 1606: «A midi, M. de Sully, revenant de Rosny, le vient voir. Mme de Montglat fait ouvrir la grande porte de la salle; M. le Dauphin y est mené en attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la cour, elle le fait courir au-devant de lui, pour l'embrasser comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée, est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cinquante écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent des mains; il n'eut presque pas le temps de les manier; il ne lui en demeura qu'une pièce qu'il tient ferme contre Montailler, tailleur de Mme de Montglat, dont il s'écrie: «Hé! maman, Montailler me l'arrache;» elle y vient, la prend et fait rendre les autres, qu'elle retient. Il n'en dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit: «Mais moi je suis soldat et je n'ai point eu d'argent;» M. de Sully lui donne un doublon, puis s'en va.» Après avoir constaté cette «grande indiscrétion» envers le Dauphin, Héroard ajoute en marge de son manuscrit que Mme de Montglat eut quatre de ces doublons, le chevalier de Vendôme un, le musicien «Hindret, un, etc.»

On a d'autres exemples de cette incroyable avidité de la gouvernante; le 30 septembre de la même année, après avoir soupé avec le Roi, le Dauphin suit son père «en la chambre de la Reine, laquelle lui donne deux pièces de monnoie d'or. Ramené en sa chambre, querelle pour ces deux pièces d'or entre Mme de Montglat et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter toutes deux.» Moins de deux mois plus tard, le 20 novembre, le Dauphin est mené dans la chambre du Roi où se trouve Sully. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux, demandez à M. de Sully de l'argent pour donner.» Il ne dit mot et ne veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il s'en offensoit. Mme de Montglat l'en presse, et sur cela il entend que M. de Sully disoit: «Il n'est pas encore temps;» il se retourne soudain, comme dépité, disant: «C'est pas du sien, c'est de celui à papa,» et s'en va. Mme de Montglat le retire vers M. de Sully: «Monsieur, dit-elle, dites à M. de Sully qu'il fasse pour moi ce XXXIII que je lui demanderai.—Qu'est-ce?—Monsieur, dites-lui seulement cela.» Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin, fort pressé, dit par acquit et se retournant: «Faites cela pour Mamanga, et s'en va tout dépité.»

Le Dauphin n'aimait pas à s'adresser à Sully, et disait de lui: «C'est un glorieux.» Quelques jours avant l'assassinat de Henri IV il est «mené en carrosse à l'Arsenal où M. de Sully lui demande: «Monsieur, voulez-vous de l'argent?—Non, dit-il par dédain.—Mais, Monsieur, dites si vous en voulez,» et il le lui demande par plusieurs fois.—«Si vous en voulez bailler, répond le Dauphin, faites l'apporter à Monsieur de Souvré.» Il avoit cueilli des brins fleuris d'un arbre qui lui avoit plu; M. de Sully lui dit: «Monsieur, quand vous reviendrez ici, vous trouverez cent bourses pleines d'écus sur cet arbre-là que vous avez trouvé beau.—Ce sera un bel arbre,» dit-il, négligemment et sans le regarder. Cependant lorsqu'au commencement de 1611, Sully est «démis de la garde de la Bastille et de la surintendance des finances, le Roi dit à M. de Souvré: «L'on a ôté mousseu de Sully des finances?—Oui, Sire.—Pourquoi?» demande-t-il, avec contenance d'étonnement.—«Je n'en sais pas les raisons, répond le gouverneur, mais la Reine ne l'a pas fait sans beaucoup de sujets, comme elle fait toutes choses avec grande considération. En êtes-vous marri?—Oui.»

La figure du brave Crillon, lorsqu'il visite le Dauphin, est un peu celle d'un capitan de comédie. Le 19 avril 1605, «arrive M. de Crillon, mestre de camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore vu; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à baiser, disant: «Bonjour, moucheu de Crillon.» M. de Crillon lui dit: «Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là?» en montrant les personnes qui sont autour de lui.—«Non,» répond l'enfant étonné.—«Qui donc? demande Crillon.—Les ennemis de papa.» Ces manières semblent si étranges au Dauphin, qu'un peu plus tard, lorsque Crillon accompagnant le Roi revient à Saint-Germain et que Henri IV demande à son fils: «Qui est celui-là?» il répond: «Le fou.» M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré.—Non.—Si je ne le bats point, m'aimerez-vous?—Oui.» Le 6 avril 1606, Crillon vient encore voir, pendant son goûter, le Dauphin qui ne veut pas lui dire adieu; Mme de Montglat «l'en tance dans sa petite chambre: «Mais, Mamanga, c'est un méchant homme. Je suis brave, je suis furieux!» dit-il, en faisant les contenances de M. de Crillon.»

Le Dauphin est en perpétuelle opposition contre tout ce qu'il voit XXXIV et ce qu'il entend, au grand étonnement de son médecin lui-même. Un jour, à Fontainebleau, une troupe d'Égyptiens vient danser au château et les gens de service se divertissent avec les bohémiennes. Le Dauphin regarde danser ces Égyptiens, mais il défend que «pas un des siens danse avec leurs femmes»; le soir on parlait devant lui «de ce qu'il n'avoit permis la danse aux siens avec ces femmes». Héroard lui demande: «Monsieur, voudriez-vous bien que j'eusse dansé avec elles?—Non, dit-il, je ne voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines femmes; elles sont si sales!» Le lendemain on fait entrer ces bohémiens pendant son dîner, alors «il ne veut plus manger que l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais».

Cette répugnance du Dauphin fait comprendre la résistance que Henri IV rencontre chez son fils la première fois qu'il veut lui faire laver les pieds aux pauvres à sa place, le jour du jeudi saint: «Je ne veux point, dit-il, la veille, ils sont puants,» et le lendemain lorsqu'on lui demande s'il lavera bien les pieds aux pauvres, il répète encore: «Non, je ne veux point, ils ont les pieds puants.» On juge de ce que, Roi et à peine âgé de neuf ans, il dut souffrir lorsque, quelques jours après son sacre, il eut à toucher plus de neuf cents malades des écrouelles. «Il se reposa quatre fois, dit Héroard, mais peu, ne s'assit qu'une seule fois. Il blêmissoit un peu du travail, et ne le voulut jamais faire paroître, ne voulut pas prendre de l'écorce de citron.» Le jour de l'Assomption 1611, le Roi touche quatre cent cinquante malades, «se trouve foible; il faisoit une extrême chaleur»; ayant «lavé les mains avec du vin pur et respiré du vin, il revient à lui». En 1613, il touche jusqu'à onze cent soixante-dix malades; mais lorsqu'en 1619, Héroard lui demande «s'il toucheroit les malades (il y avoit de la peste à Paris), le Roi lui répond avec colère: «Non! mais ces gens-ci me pressent si fort, si fort! Parlez à eux, ils me persécutent si fort! Ils disent que les rois ne meurent point de la peste; ils pensent que je sois un roi de carte!»

V.

Tous ceux qui s'occupent de l'histoire de l'art français savent par expérience combien sont rares les renseignements qu'on peut trouver sur ce sujet dans les collections de mémoires et de chroniques, et l'on ne songerait guère à aller chercher des indications de ce genre dans le journal d'un médecin. Héroard en donne cependant de très-précieuses, de très-nouvelles et de très-inattendues. On a déjà pu voir d'après lui un Louis XIII artiste, que XXXV l'on connaissait à peine sous ce rapport; assistons maintenant aux séances dans lesquelles le Dauphin pose pour les dessinateurs, les peintres, les sculpteurs chargés successivement de reproduire son effigie.

Le premier en date est Charles Decourt, «peintre du Roi», dont les dessins, s'il en subsiste encore aujourd'hui, doivent être attribués à l'un des Du Monstier. En effet les quatre portraits du Dauphin que Decourt fait de 1602 à 1607, le premier «par commandement de la Reine, pour l'envoyer à Florence», sont tous «peints en crayon».

Le 27 mars 1602, c'est «le peintre du Quesnel» qui peint le Dauphin en pied, de grandeur naturelle, «il avoit deux pieds et demi»; ce portrait paraît destiné à la duchesse de Mantoue, sœur de Marie de Médicis et tante de l'enfant.

Le 25 février 1603, le Dauphin est «amusé dans sa petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin, demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre»; l'indication est précise et ne peut se rapporter qu'à un portrait. En 1604, le Dauphin est encore «peint par le sieur Martin», et un an plus tard l'enfant se rappelle cette circonstance; «en goûtant il entend parler de M. Martin et dit: «C'est celui qui a fait la peinture de moucheu le Dauphin.» Le 3 mars 1605, «il s'amuse seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent... donnant une extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin»; ce maître Jehan Martin est-il le même que le Charles Martin cité deux ans avant, et y a-t-il dans le journal une erreur de prénom? Quoi qu'il en soit, ce doit bien être ce dernier «maître Martin» qui, au mois d'août 1605, fait le portrait de Mme Élisabeth, âgée de deux ans, et qui, le 10 mai 1606, peint d'après le Dauphin un portrait dont Héroard nous donne cette minutieuse description: «Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé de son corcelet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la tête couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint.» Le Dauphin «se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignît sa chienne auprès de lui. Mlle Mercier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens avec eux;» il répond soudain: «Mais ce sera pour prendre les ennemis par les jambes.»

XXXVI

Voici deux autres crayons d'après le Dauphin: Le 20 mars 1604, «il voit le jeune Du Monstier, peintre,» se posant devant lui avec un portefeuille, et, croyant que c'est pour écrire, il lui dit: «Écrivez.» Héroard lui explique: «Monsieur, il veut écrire votre visage, votre nez, vos yeux.» Alors le Dauphin dit au peintre: «Écrivez-moi;» il «lui soutient doucement le portefeuille et a peur de l'empêcher». Le lendemain il s'amuse à ses échecs d'argent «pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon». Le 27 septembre suivant, jour où le Dauphin a trois ans accomplis, il s'amuse encore «à ses échecs d'argent», pendant que «Mallery en tire le crayon».

Voyons maintenant les sculpteurs: Le 20 août 1604, le Dauphin «baise un portrait en cire de la Reine, assez mal fait, qu'il reconnut; il est tiré en cire, avec sa nourrice, par le sieur Paolo, pour être porté en Italie». Une autre fois, «il se joue, tenant un portrait du Roi, fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et s'amuse à travailler sur de la cire, comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo». Ce Paolo fait encore un portrait en cire du Dauphin, à la date du 6 juin 1607.

Le 21 septembre 1604, c'est une figure en terre, destinée sans doute à être cuite à la poterie de Fontainebleau, où l'on fabriquait de rustiques figulines dans le genre de Bernard de Palissy. Ce jour-là le Dauphin, après avoir été dire adieu au Roi et à la Reine qui allaient à la chasse, est ramené «pour être retiré tout de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne près de Laon. A trois heures et demie goûté; il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut». On a vu, plus haut, ce même Dupré, «statuaire du Roi», modeler le 6 juin 1607 une médaille du Dauphin. M. A. Jal, dans son utile Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, nous apprend que le célèbre graveur en médailles Guillaume Dupré était protestant; mais il n'a pas trouvé son acte de décès sur les registres du temple de Charenton, et il en conclut que Dupré n'est pas mort à Paris. Quant au lieu de naissance de Dupré Mariette prétend qu'il était de Troyes, et la date de cette naissance est également inconnue. Peut-être l'indication formelle donnée par Héroard servira-t-elle à retrouver des dates précises pour la biographie d'un de nos plus éminents artistes.

Il est un autre sculpteur du nom de Dupré ou de Després qui vient modeler encore une statue du Dauphin, mais malheureusement Héroard ne donne cette fois que des renseignements vagues et difficiles à éclaircir. Le 10 mars 1605 «arrive un sculpteur envoyé de la Reine; le Dauphin lui demande: «Peintre, comment XXXVII vous appelez-vous?» Il répond: «Després». Il est tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després.» Cinq jours après, nouvelle mention de ce «statuaire» dont le nom est laissé en blanc, et qui est désigné comme Flamand de naissance et retiré à Florence. Il continue à travailler à son modèle de cire «de la hauteur d'un pied et demi» qui, «par le commandement de la Reine», doit être jeté en or pour l'envoyer à l'Annonciade de Florence. Le Dauphin dit: «C'est mon frère de cire,» s'amuse à son petit ménage d'argent et dit à M. de Vendôme: «Allez-vous-en.» Mme de Montglat l'en reprend, il répond: «Ce n'est pas moi, c'est mon petit frère de cire qui l'a dit.» Enfin, le 17 mars, troisième et dernière séance de deux heures, pour achever de «tirer sa figure de cire» par «Du Pré», dont le prénom reste en blanc.

Héroard ne donne pas non plus le nom de famille d'un peintre italien attaché à un neveu de Marie de Médicis, le prince Ferdinand de Gonzague; le 21 août 1606, pendant que le Dauphin s'amuse à peindre, cet artiste, du prénom de Francesco, «le pourtrait de son long».

Le lendemain du jour où l'on a vu le premier peintre de Henri IV donner une leçon de dessin au Dauphin (18 décembre 1606), «M. Fréminet commença de le peindre», et le Dauphin ayant dit: «Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles sont plus belles,» on lui en envoie quérir au logis du sieur Fréminet, au jardin des Canaux; il s'en amuse avec le pinceau.» Le 23, «M. Fréminet achevoit de le peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile avec de la craie». Nous ne pouvons quitter Fréminet sans montrer le Dauphin fuyant son maître d'écriture pour aller voir travailler le peintre de la chapelle de la Trinité, ou bien se promenant dans les appartements de Fontainebleau en faisant ses observations enfantines. Le 16 août 1608, «il ne se peut mettre à l'écriture; y ayant demeuré un quart d'heure, il sort et dit à M. de la Court, exempt des gardes: «La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir Fréminet;» c'étoit une excuse. Il vient en ma chambre, y joue à la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne à la chapelle y trouver Fréminet; ce n'étoit que pour fuir l'école». Trois jours après, le 19 août, «il monte tout au haut de son pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de M. de Franco, peintre du Roi; y a goûté.»

Le lendemain il vient dans la chambre d'Héroard «pour y écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les desseins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette occasion et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par XXXVIII un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y est assez longtemps; s'en retournant il dit: «Aussi vrai, velà qui est bien fait;» descendu il s'en va voir les peintures qui étoient là où se mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit une Annonciation et dit encore: «Aussi vrai, velà qui est bien fait.» Il se fait descendre par un trou entre deux planches.»

L'année précédente, comme le Dauphin se promenait dans la galerie de Fontainebleau, «Mme de Montglat lui montre la peinture d'un léopard, lui demande que c'est, il répond: «Je sais pas.—Monsieur, c'est un léopard.—Il ressemble à de Hoey.» C'étoit un peintre; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne. M. de Malleville lui montre une voile de navire et lui demande: «Monsieur, à quoi sert une voile?—C'est pour faire aller le navire, car le vent le pousse.» Il y avoit des H peintes, Mme de Montglat lui demande: «Quelle lettre est cela?—C'est un H; quand je serai grand je ferai mettre des L auprès.»

Le dernier portrait du jeune Louis comme Dauphin est de bien peu antérieur à son avénement au trône; le 16 février 1610 «en étudiant, il est peint par Bunel, peintre excellent qui est au Roi».

Dans la seconde partie de son journal, Héroard ne mentionne que deux portraits de Louis XIII: l'un de Porbus, «flamand, peintre excellent», qui le 11 février 1611 «le tire de sa hauteur pendant qu'il se joue à des petites besognes»; l'autre de Fernand, aussi «peintre excellent»; pendant que le Roi est au bain (2 août 1617) il le peint «étant dans l'eau».

Le médecin rapporte encore un trait d'humanité du jeune Roi envers un artiste, mais il dédaigne de donner le nom de ce pauvre diable; le 16 juillet 1611 «un certain peintre lui apporte un portrait de cire de son visage; le Roi lui demande: «Combien en voulez-vous?—Sire, il vaut bien deux pistoles.—En velà sept.—Sire, ma pauvre femme est bien malade; s'il vous plaît de me donner quelque chose pour la faire assister?—Tenez, je vous donne tout ce que j'ai,» dit le Roi en vidant sa bourse; il y avoit encore sept pistoles.»

Ce n'est pas seulement à propos des portraits de Louis XIII que le journal d'Héroard nous fournit çà et là des renseignements utiles à recueillir pour l'histoire des arts, et lorsqu'il nous montre le Dauphin jouant avec «ses petits marmousets de poterie», le bon médecin ne se doute pas qu'il va jeter quelque lumière sur une question dont on se préoccupait peu de son temps, mais qui de nos jours a le plus vif intérêt pour les amateurs de curiosités. XXXIX Nous voulons parler de ces nombreuses pièces de faïence française, datant évidemment du commencement du dix-septième siècle, et classées jusqu'à présent, faute de documents certains, sous le nom de faïences de l'école de Palissy. Les collectionneurs pourront désormais désigner avec certitude sous le nom de faïences de Fontainebleau quelques-unes de ces pièces, et entre autres le plat représentant Henri IV, Marie de Médicis portant le Dauphin, et à côté d'eux féfé Vendôme, ce frère naturel de Louis XIII dont il est si souvent question dans Héroard. Divers passages de son journal servent à reconnaître les produits de cette «poterie de Fontainebleau» où le Dauphin va fréquemment acheter ses jouets. Ainsi, le 20 mars 1608, «il s'en va à la poterie; on lui demande ce qu'il veut?—«Attendez, j'y songe: Combien vendez-vous cela?» dit-il en montrant la figure du Roi. On lui en demande trois écus; il commande de les bailler, prend l'effigie du Roi, l'embrasse, la donne à porter à sa nourrice». Le 7 mai suivant la princesse de Conty devait danser un ballet dans la chambre de la Reine et venir après dans celle du Dauphin. «On lui propose de faire préparer une collation de petites pièces qu'il avoit prises en la poterie,» et, le ballet fini, il mène toutes les personnes qui l'avaient dansé à sa collation; «et de rire, et de faire des exclamations: c'étoient des petits chiens, des renards, des blaireaux, des bœufs, des vaches, des écurieux, des anges jouant de la musette et de la flûte, des vielleurs, des chiens couchés, des moutons, un assez grand chien au milieu de la table, un dauphin au haut bout, un capucin au bas».

Ce petit catalogue se trouve complété à diverses reprises; ainsi, le 23 octobre 1604, le Dauphin mené à la poterie «s'y joue longtemps et voulut avoir un cheval blanc». Le 7 novembre 1606, «il s'amuse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dauphin étoit à la tête». Le 12 décembre suivant, «il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau, s'amuse au buffet du roi, fait du temps du roi François Ier, qui s'ouvroit par un marmouset». Le 29 mai 1607, «il va à la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis revient en sa chambre où, sur le tapis de pied, il les fait combattre». Le 5 juin suivant, le fils de M. de Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dauphin. Héroard lui demande bas à l'oreille: «Monsieur, vous plaît-il pas de lui donner quelque chose?—Oui.—Monsieur, quoi?—Un cheval marin (qui étoit de poterie).—Monsieur, vous plaît-il que je l'aille quérir?—Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé.» Enfin, le 24 avril 1608, XL le petit duc d'Orléans, frère puîné de Louis XIII, donne à la fille de Mme de Montpensier «une petite nourrice de poterie qu'il tenoit»; on sait que cette figure a été attribuée jusqu'à présent à Bernard de Palissy.

Héroard nous signale aussi à diverses reprises (et quelquefois par des descriptions qui pourraient servir à les reconnaître si on les rencontrait aujourd'hui dans quelque collection) les bijoux, les pièces d'orfévrerie, les objets précieux de toute sorte, donnés en présent au Dauphin. C'est d'abord Henri IV qui envoie à son fils âgé de deux ans «une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi lui a fait, la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu». Marie de Médicis lui donne «une enseigne de diamants avec un bouquet de plumes d'argent», une autre fois le «petit coffret d'argent où elle mettoit ses pendants d'oreille,» puis «une petite montre couverte de diamants». Le 15 septembre 1610 «la Reine lui veut donner des petites besognes, comme des Agnus Dei, garnis de diamants»; il ne les prend pas et demande «un petit livre couvert de diamants», que la Reine lui refuse, «disant que le feu Roi son père le lui avoit donné; il le désiroit pour le mettre en son oratoire».

Ce n'est pas la reine Marguerite qui aurait eu le courage de refuser, et les présents qu'elle fait au Dauphin sont les plus magnifiques de tous. La première fois qu'elle le voit c'est: «un Cupidon parsemé de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de diamants; au ventre du dauphin il y avoit une émeraude gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits diamants.» Elle lui donne encore «un petit cimeterre parsemé de diamants et à Madame un serre-tête de diamants». Un autre jour elle lui envoie «un navire d'argent doré, sur roues, allant au vent à la hollandoise»; lors de la foire de Saint-Germain, elle lui donne «une enseigne et un cordon de diamants, le tout estimé à deux mille écus,» et elle commande à l'orfévre de lui «bailler tout ce qu'il demanderoit, promettant de le payer».

La princesse d'Orange, fille de l'amiral Coligny, a aussi pour le Dauphin une amitié singulière; en revenant de Flandre elle «lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir: un parquet de bois peint et doré par dedans, peint des feuillages, arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile qui lioit les ais de demi-pied; l'on s'en servoit comme de cabinet. Elle donne à Madame de la vaisselle tissue de jonc et crépie, par le dedans, de laque, comme cire d'Espagne. Mme de Montglat demande au Dauphin: «Monsieur, aimez-vous bien Mme la princesse d'Orange?—Oui.»—Héroard XLI lui demande: «Comment l'aimez-vous?—De tout mon cœur.» Mme la princesse d'Orange en rougit et en pleura de joie.» On «lui avoit donné le matin de petites besognes de bois qui se font en Allemagne»; le lendemain (16 août 1605) «il fait porter son petit cabinet de la Chine, se met dedans et se joue avec ses petits jouets d'Allemagne et d'argent».

Un autre présent fait à la sœur aînée du Dauphin, Mme Élisabeth, par sa marraine l'infante Isabelle, gouvernante des Pays-Bas, est «une chaîne de diamants, où tenoit au bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit une relique des os de sainte Élisabeth».

Lorsque César de Vendôme épouse Mlle de Mercœur, le Dauphin reçoit de Mme de Mercœur «une petite chaîne de chiffres d'or, où pendoit un Hercule enrichi de petits diamants, et à la base au-dessous étoient écrits ces mots: La grandeur de ton père et ta vertu te font plus grand qu'Hercule». Enfin le Dauphin reçoit encore de l'électeur de Brandebourg «un échiquier où les carrés étoient d'ambre jaune, et au-dessus les rois de France en ivoire».

On peut aussi, avec Héroard, reconstituer en partie le riche cabinet d'armes de Louis XIII. Sa première épée lui est donnée à l'âge de un an par la belle Corisande, ancienne maîtresse de Henri IV, qui lui envoie aussi sa première arbalète. La duchesse de Bar, tante du Dauphin, lui envoie, le 26 janvier 1603, un charmant joujou, «des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied,» et à la fin de la même année les députés de Moulins lui offrent, au nom de la ville, sa première armure: «une épée, une lance et une paire d'armes complètes» qu'il revêt le 14 juillet 1604, et dont il se joue encore deux ans après: le 5 juillet 1606, «il monte tout en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix (pour les suspendre), les fait accommoder dessus, y travaille lui-même, va quérir en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui-même sous le brassal, toute droite comme s'il eût été en sentinelle.»

Le 31 octobre 1604, «M. de Blainville, maréchal des logis de sa compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite arquebuse d'un pied et demi de long», et c'est avec cette arquebuse, «faite à Rouen par Timothée», et qu'il appelait la Blainville, que, le 21 octobre 1611, le jeune Roi tirera pour la première fois à balle.

Le 18 septembre 1605, le duc de Lorraine envoie au Dauphin «un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandoulière brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la fourchette qui étoit un dauphin». En 1606, M. de Rosny, que l'on XLII n'appelle pas encore Sully, lui donne «un petit canon d'argent»; en 1607, le prince de Galles, frère aîné de Charles Ier, lui envoie une escopette et une couple de petits pistolets.

Héroard indique encore deux armures complètes données à Louis XIII: l'une présentée au Dauphin en 1609, de la part du duc de Lesdiguières, avait été faite à Milan et avait coûté mille doublons; l'autre est envoyée au Roi, en 1611, par le prince Maurice de Nassau.

A la fin de l'année 1611, Louis XIII possédait sept arquebuses; le 1er janvier 1614 il en a quarante, et six semaines après cinquante-cinq. Le Roi avait sans doute fait cette nombreuse acquisition à la foire de Saint-Germain, car le 4 février 1616, il va «en carrosse à la foire Saint-Germain des Prés où il a acheté quatre arquebuses, ayant méprisé toutes autres sortes de marchandises». Son cabinet d'armes le suivait dans ses voyages, et une des occupations favorites du jeune Roi était de démonter et de nettoyer lui-même ses arquebuses.

Cet instinct particulier, qui le porte en toute circonstance à faire lui-même «œuvre de ses mains», devait naturellement détourner le jeune Roi de concevoir et d'entreprendre ces grands travaux de bâtiments affectionnés par son père Henri IV et repris depuis avec tant de passion par son successeur Louis XIV, le fils tardif de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. Dans la seconde partie de son journal Héroard nous montre assez fréquemment le Roi, posant la première pierre de divers monuments, tels que: le bâtiment neuf de Vincennes et le collége de Cambrai (1610), l'aqueduc d'Arcueil (1613), le soubassement de la statue de Henri IV sur le Pont-Neuf (1615), le portail de Saint-Gervais (1616), le pont Saint-Michel (1617), les Récollets de Saint-Germain (1621), les Carmélites de Toulouse (1622). Ces cérémonies devaient plaire au jeune Louis qui y trouvait une occasion publique de montrer son adresse et faisait «merveilles», en jetant «le mortier pris dans un bassin d'argent, avec une petite truelle d'argent». La dernière mention de ce genre est à la date du 28 juin 1624. Dans cette journée le Roi «monte à cheval; part du Blanc-Mesnil (résidence du secrétaire d'État Potier d'Ocquerre), arrive à Paris à une heure, va au Louvre pour mettre la première pierre du pavillon du côté du jardin, avec une médaille de la face et du revers du pavillon faite par M. Grotius, flamand, homme très-docte. Au partir de là il est allé à l'Hôtel de Ville, y a goûté, y met la première pierre d'une fontaine que l'on avoit fait venir en la place des eaux de Roungy, puis monte à cheval, va au galop à Versailles, y arrive à cinq heures, va à la chasse au renard, revient souper à huit heures.»

XLIII

Le château de Versailles, où l'on vient de voir le Roi se retirer et chasser encore après une journée aussi fatigante, est la seule construction de quelque importance à laquelle Louis XIII ait attaché son nom. On sait par Félibien avec quelle «piété pour la mémoire du feu Roi son père» Louis XIV voulut conserver les bâtiments qui s'élèvent encore au centre de ce château et entourent la cour de marbre. Dès le mois de février 1621, Héroard nous montre le Roi chassant et dînant pour la première fois à Versailles, terre qui appartenait alors à l'évêque de Paris, Jean-François de Gondi, mais dont le «vieil» château était depuis longtemps «ruineux et inhabitable»; puis le nom de Versailles ne revient qu'au commencement de l'année 1624, après une lacune de plus de onze mois dans le manuscrit du médecin. Sans cette interruption si regrettable, on saurait de source certaine comment Louis XIII peut, en moins d'une année, créer à Versailles une installation assez rapide et assez complète pour qu'à la date du 9 mars 1624, Héroard écrive: «Il entre en carrosse et va pour la chasse à Versailles, y dîne, par après monte à cheval, va courir un cerf, le prend, revient de bonne heure et prend un renard. Après souper il va en sa chambre, fait faire son lit qu'il avoit envoyé quérir à Paris, y aide lui-même.» Cette installation est définitive au milieu de la même année, et le Roi passe à Versailles une semaine entière; le 30 juin 1624, le Roi «étant à son château de Versailles» fait tenir sur les fonts de baptême par un de ses gentilshommes la fille de François Mongey, «concierge du château de Versailles»; le 2 juillet «il va à la messe, va faire donner la curée du cerf à ses chiens, revient au château, va faire faire l'exercice à ses mousquetaires, puis a tracé le plan de la basse cour de sa maison de Versailles». Le 2 août suivant, «après souper il monte à cheval, part de Saint-Germain, va au déçu de chacun à Versailles, où il arrive à huit heures et demie, s'amuse à voir toutes les sortes d'ameublements que le sieur de Blainville, premier gentilhomme de la chambre, avoit fait acheter, jusques à la batterie de cuisine.» En 1626, le Roi fait la Saint-Hubert à Versailles, y donne «un excellent festin aux Reines et princesses, où il porte le premier plat, puis s'assied auprès de la Reine. Il y fit garder un ordre merveilleux, puis leur donna le plaisir de la chasse.»

Pendant la dernière année du journal et de la vie d'Héroard, on voit encore Louis XIII, malade, languissant de corps et d'esprit, se traîner à Versailles où un jour, pour se distraire, «il mange d'un pâté que M. le cardinal de Richelieu avoit envoyé à ses mousquetaires.» Le 24 août 1627, le Roi arrive en carrosse à Versailles, «se met auprès du feu, puis sur son lit, à midi dîne à table, puis XLIV va en sa chambre, se couche sur son lit, se fait couvrir les jambes de sa robe fourrée, y est environ une heure, s'amuse à peindre. A quatre heures et demie il sort à pied, va à la porte entretenir les soldats du corps de garde, puis entre dans son petit carrosse tiré par un cheval et va se promener, voir son plant.» Enfin la fièvre disparaît, et le 15 septembre 1627 le Roi renvoie «tous les médecins qu'on avoit appelés»; le surlendemain Louis XIII retourne à Versailles pour quelques jours, et y fait encore «faire l'exercice à ses mousquetaires», avant de les emmener au siége de la Rochelle, où le fidèle premier médecin du Roi devait terminer ses jours.

VI.

Dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de la faculté de Montpellier, un ancien professeur de cette école de médecine, Jean Astruc, écrivait vers 1760: «Il est fâcheux d'être obligé, comme je le suis, de prendre les particularités de la vie de Jean Héroard dans les ouvrages d'un de ses plus grands ennemis.» Cette fâcheuse obligation, ajouterons-nous, se rencontre dans presque toutes les questions biographiques, et, que le personnage dont on s'occupe soit des plus célèbres ou appartienne à un ordre secondaire, l'on est à peu près certain de se trouver en présence de renseignements incomplets, contradictoires, erronés, dictés par la légèreté ou par la passion. Les documents qui peuvent servir à composer une notice sur le premier médecin de Louis XIII offrent les mêmes difficultés de contrôle et vont nous laisser dans l'incertitude sur bien des points.

«Jean Héroard étoit de Montpellier, dit le docteur Astruc. Il fut immatriculé dans le registre de la Faculté le 27 août 1571, et prit ses degrés en 1575.» Ces dates sont positives et doivent avoir été relevées sur les registres de la Faculté de Montpellier; il n'en est pas de même de celle de la naissance d'Héroard qu'un manuscrit de la Bibliothèque impériale place au 12 juillet 1552. L'erreur manifeste qui précède cette date, relativement à l'âge d'Héroard au moment de sa mort, permet de la mettre en doute, et celle donnée par le P. Lelong semble plus vraisemblable; il dit Héroard «né le 22 juillet 1551». Si la note qui termine le manuscrit original est exacte, Héroard, mort en 1628 «âgé de soixante-dix-huit ans», serait né vers 1550.

D'après le médecin Charles Guillemeau qui est le «grand ennemi» signalé par le docteur Astruc, et qui a écrit contre Héroard plusieurs diatribes en latin, le père du «futur premier médecin XLV de Louis XIII» était un barbier de Montpellier qui appartenait, ainsi que son fils et toute sa famille, à la Religion «prétendue réformée». Après avoir étudié quelque temps les lettres et la médecine «en dépit des Muses et d'Apollon», Héroard se serait enrôlé comme simple soldat dans l'armée de Coligny, et, saisi de frayeur à la bataille de Moncontour, il se serait enfui à toutes jambes jusqu'à Montpellier, où il aurait repris ses études. Peu de temps après, le chirurgien Jacques Guillemeau, père de celui qui raconte à sa manière la vie d'Héroard, étant venu dans sa jeunesse à Montpellier «curieux de voir et d'apprendre du nouveau», s'y serait lié avec Héroard; puis, de retour à Paris et nommé chirurgien ordinaire de Charles IX, il aurait bientôt rencontré son camarade de Montpellier battant le pavé de la capitale. Après l'avoir embrassé et lui avoir demandé pourquoi il était à Paris, ce qu'il y faisait et ce qu'il savait faire, Jacques Guillemeau (toujours suivant le récit de son fils) annonce à Héroard que le roi Charles avait chargé son premier chirurgien, Ambroise Paré, de lui trouver un jeune homme capable, et disposé à s'adonner à l'étude des chevaux et de leurs maladies; puis il lui propose de le présenter à son ami et collègue Paré pour cet emploi. Héroard saisit avec empressement cette occasion d'entrer dans la maison du Roi; il est amené par Guillemeau au logis d'Ambroise Paré, qui le conduit à Vincennes, où le Roi se plaisait d'ordinaire à jouer à la paume: «Sire, lui dit Paré, je vous amène, ainsi que vous me l'avez commandé, un futur médecin de cheval;» et le Roi, ne voulant pas se dédire, ordonne de coucher Jean Héroard sur l'état de sa maison, en lui assignant quatre cents livres de traitement par an.

Abandonnons ici le mauvais latin de Charles Guillemeau, que nous abrégeons et traduisons tant bien que mal, pour rappeler ce que nous apprend Héroard lui-même, dans la préface de son Hippostologie, sur ses rapports avec Charles IX: «Le feu roi Charles, lequel sur toutes choses prenoit un singulier plaisir à ce qui est de l'art vétérinaire, duquel le sujet principal est le corps du cheval, me commanda, quelques mois avant son décès, d'y employer une partie de mon étude, pour en dresser après quelque instruction aux maréchaux et autres qui travaillent, et sans raison et sans science, aux maladies des chevaux... J'avois déjà conçu le gros de l'œuvre et fait dessein de l'ordre que je devois tenir pour élever cet édifice, quand il décéda; de telle sorte que je me vis frustré par son trépas de l'espérance que j'avois de rendre témoignage de mon ardent désir à satisfaire et obéir au vouloir de mon Roi.»

XLVI

Si l'on en croit Guillemeau, le successeur de Charles IX n'ayant pas pour la chasse, les chiens et les chevaux la même passion que son frère, Henri III se serait tout d'abord privé des services d'Héroard qui n'aurait réussi à rentrer dans la maison du Roi qu'après avoir passé par celle du duc Anne de Joyeuse, qui «était pour le Roi un autre Héphestion». Guillemeau insinue ensuite que Héroard se montra lâche et ingrat envers le duc de Joyeuse et qu'il l'abandonna, lors de sa campagne de 1586 en Guyenne, comme il avait abandonné Coligny à Moncontour. Héroard rappelle une seule fois dans son Journal ses services sous Joyeuse: «M. le marquis de Renel et moi, écrit-il le 25 octobre 1607, parlions des voyages où nous nous étions vus aux armées, du temps du feu Roi, conduites par feu M. de Joyeuse.» On voit, aussi, à la date du 20 octobre 1605, Héroard conserver précieusement le livre d'heures de Henri III, «un livre jaune» où «il y a un roi qui prie Dieu» que le médecin avait eu à Tours et qu'il tenait probablement du Roi lui-même. Contrairement à ce que prétend Guillemeau, Henri III avait chargé son médecin de continuer l'ouvrage sur l'art vétérinaire commencé sous son prédécesseur. «Le feu Roi, dit-il, me commanda de le poursuivre, de façon que dès lors j'en tirai les premiers traits, par un recueil sommaire du nombre et de la figure des os du cheval, leur donnant noms françois pour, puis après, comme sur un premier crayon, représenter les vives couleurs, non-seulement par le discours entier de l'anatomie, mais aussi de tout l'art vétérinaire.» Le célèbre bibliographe Antoine Du Verdier avait vu et, suivant son expression, «tenu à son aise», bien avant la mort de Henri III, le manuscrit de ce livre; «Jean Héroard, dit-il dans sa Bibliothèque, imprimée à Lyon en 1585, conseiller, médecin ordinaire du Roi, a écrit Hippostologie c'est-à-dire discours des os du cheval, dédié au Roi, non encore imprimé, selon une inscription latine mise au front du livre avant l'épître liminaire,» et Du Verdier reproduit cette inscription d'où il résulte que: Henri III, roi de France et de Pologne, voulant rétablir et remettre en lumière le noble art hippiatrique, obscurci depuis tant de siècles par l'ignorance et l'incurie, a commandé pour l'usage public cet ouvrage, composé par Jean Héroard, de Montpellier, sous les auspices de Marc Miron et d'Alexis Gaudin, premiers médecins du Roi et de la Reine.

Il est encore un témoignage précieux à recueillir pour prouver que Jean Héroard n'était pas autant l'ennemi des Muses que le veut Charles Guillemeau. Après la mort de Ronsard (27 décembre 1585), un grand nombre de pièces en vers latins furent composées par les XLVII amis du poëte vendômois et imprimées l'année suivante sous ce titre: Tumulus Petri Ronsardi et Syntagma Carminum, Elegiarum, Eclogarum, ab Amicis, in ejus obitum. Parmi toutes ces pièces il s'en trouve une signée: Jo. Heroardus Regis Medicus P. et c'est précisément celle qui fut choisie pour figurer sur le tombeau, érigé au poëte dans le chœur de l'église de Saint-Cosme de Tours, dont Ronsard était prieur. Pendant les guerres de Religion, dit M. Prosper Blanchemain dans son Étude sur la Vie de Ronsard, «les huguenots envahirent le monastère de Saint-Cosme et détruisirent le tombeau que de pieuses mains avaient élevé à sa mémoire, et ce fut seulement en 1609 que Joachim de La Chétardie, conseiller-clerc au Parlement de Paris, étant alors prieur commendataire de Saint-Cosme, lui fit ériger un monument de marbre orné de son buste et de cette inscription:

EPITAPHIUM PETRI RONSARDI
POETARUM PRINCIPIS ET HUJUS CŒNOBII QUONDAM
PRIORIS.


D. M.


CAVE VIATOR, SACRA HÆC HUMUS EST,
ABI, NEFASTE, QUAM CALCAS HUMUM SACRA EST,
RONSARDUS ENIM JACET HIC
QUO ORIENTE ORIRI MUSÆ,
ET OCCIDENTE COMMORI,
AC SECUM INHUMARI VOLUERUNT.
HOC NON INVIDEANT, QUI SUNT SUPERSTITES,
NEC PAREM SORTEM SPERENT NEPOTES.
IN CUJUS PIAM MEMORIAM
JOACHIM DE LA CHETARDIE,
IN SUPREMA PARISIENSI CURIA SENATOR
ET ILLIUS, VIGINTI POST ANNOS,
IN EODEM SACRO CŒNOBIO, SUCCESSOR
POSUIT.

«Cette épitaphe, sauf les six dernières lignes, a été insérée dans le Tombeau de Ronsard, comme ayant été composée par J. Héroard, médecin du Roi. Il est vraisemblable que La Chétardie se sera borné à reproduire l'inscription originale, en ajoutant XLVIII que le monument avait été reconstruit par ses soins. Le biographe et l'un des derniers admirateurs du maître, Guillaume Colletet, la traduit de cette façon:

Epitaphe de Pierre de Ronsard,
Prince des poëtes et autrefois prieur de ce monastère.


Arreste, passant, et prends garde; cette terre est sainte. Loin d'icy, prophane! cette terre que tu foules aux pieds est une terre sacrée puisque Ronsard y repose. Comme les Muses, qui naquirent en France avecque luy, voulurent aussy mourir et s'ensevelir avecque luy, que ceux qui luy survivent n'y portent point d'envie, et que ceux qui sont à naistre se donnent bien de garde d'espérer jamais un pareil advantage du ciel.

C'est à la mémoire de ce grand poëte que Joachim de La Chétardie, conseiller au souverain Parlement de Paris et, vingt ans après, son successeur en ce mesme prieuré, a consacré cette inscription funèbre.

«De même que la première, continue M. P. Blanchemain, cette nouvelle sépulture devait disparaître à son tour. L'orage révolutionnaire de 1793 emporta le prieuré de Saint-Cosme; nul ne s'inquiéta du buste érigé par La Chétardie, et le marbre tumulaire à demi brisé n'obtint l'hospitalité d'un musée de province qu'après un demi-siècle d'oubli.» L'épitaphe latine de Pierre de Ronsard, composée par Jean Héroard, existe en effet, «très-fruste, mais en partie lisible encore,» au Musée de Blois.

Héroard était de service auprès de Henri III lorsque le Roi fut frappé par Jacques Clément, et le docteur Astruc nous apprend que c'est en qualité de «médecin par quartier» qu'il fut présent à l'ouverture du corps. Il conserva ses fonctions sous le roi de Navarre avec le titre de «conseiller, médecin ordinaire et secrétaire du Roi», et dédia à Henri IV son Hippostologie, imprimée enfin en 1599. Deux ans après il était nommé premier médecin du Dauphin, et Guillemeau prétend que ce fut grâce à la protection du grand écuyer de Bellegarde. Vers la même époque Jean Héroard devint seigneur de Vaugrigneuse, par son mariage avec Anne Du Val, fille et héritière de Guillaume Du Val, trésorier de la généralité de Tours et seigneur de Vaugrigneuse.

Avec la naissance de Louis XIII commence pour Héroard une nouvelle existence qui va nous permettre de laisser de côté les diatribes de son ennemi Charles Guillemeau. La tendresse du XLIX médecin pour l'enfant qui lui est confié a un caractère tout paternel et vraiment touchant. Lorsque, quelques années plus tard, il sera question de donner un précepteur au Dauphin, Héroard écrira: «Je lui fais offre (à ce précepteur) d'un journal d'où il pourra tirer, fil après autre, des conjectures évidentes des complexions et des inclinations de notre jeune Prince; et si l'affection se pouvoit transporter, je lui en fournirois à suffisance et autant que nul autre, voire de cette tendre et cordiale passion que naturellement les pères ont pour leurs propres enfants.»

Héroard a développé ses idées sur l'éducation, dans un livre qui a pour titre De l'Institution du Prince, qu'il devait dédier au Dauphin et imprimer à la fin de l'année 1608. «Il faut, dit-il dans les premières pages de ce livre, bégayer avec les petits enfants, c'est-à-dire s'accommoder à la délicatesse de leur âge et les instituer plutôt par la voie de la douceur et de la patience que par celle de la rigueur et de la précipitation;» suivant cette méthode le Dauphin est à peine âgé de deux mois que le médecin lui parle déjà comme si l'enfant pouvait le comprendre et il commence à lui dire «qu'il falloit être bon et juste, que Dieu l'avoit donné au monde pour cet effet et pour être un bon roi; que s'il le étoit Dieu l'aimeroit»; on comprend combien le digne médecin est heureux de constater que l'enfant «l'écoutoit fort attentivement et sourioit à ses paroles».

Quand le Dauphin commence à souffrir des dents, Héroard passe la nuit entière à le veiller; «j'ai toujours, dit-il le 13 avril 1602, demeuré debout, accoudé sur le bord de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne.» Aussi son médecin est-il un des premiers que l'enfant reconnaît et nomme en son jargon. Après une absence de quelques jours, Héroard note en ces termes, à la date du 29 avril 1603, l'accueil que lui fait le Dauphin: «A onze heures et un quart j'arrive, de retour de Paris; je le salue, lui disant: «Monsieur, Dieu vous donne le bonjour.» Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins d'allégresse et en passant tout riant, il me tendoit la main pour la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit.» Il faut dire que presque toutes les fois que le médecin s'absente, il rapporte à l'enfant quelque jouet; c'est tantôt un suisse, un lion ou un cheval de poterie, tantôt un petit arc avec des flèches et quelques jours après «un bracelet d'ivoire pour mettre au bras à tirer de l'arc», tantôt un trompette turc à cheval ou un gendarme sur un cheval noir, tantôt, lorsqu'il commence à grandir, une arbalète à jalet.

L

Le Dauphin va souvent dans la chambre de son médecin regarder des livres d'images: ceux de Gesner sur l'histoire naturelle, dont les estampes d'animaux et d'oiseaux amusent et instruisent l'enfant; le livre des bâtiments de Vitruve et celui des antiquités de Rome, dont il demande «la raison de chacune des figures», ou encore des livres et des cartes de géographie, et même l'Hippostologie, dont l'auteur lui «rend raison de toutes les figures». Aussitôt que l'enfant peut comprendre que son médecin tient un registre «journalier» de ses faits et gestes, Héroard essaye d'user de ce moyen pour exercer sur lui une influence salutaire; ainsi, le 16 juin 1604, le Dauphin vient en la chambre de son médecin. «Je tenois sur ma table, dit Héroard, la liasse de mon journalier pour le montrer à Mme de Panjas (dame d'honneur de la duchesse de Bar) qui étoit avec Mme de Montglat. «Ce livre, Monsieur, lui dis-je, c'est votre histoire pisseusse.» Il répond: «Non.—C'est votre histoire breneuse.» Il répond: «Non.—C'est l'histoire de vos armes.» Il répond: «Oui.» En s'exprimant ainsi sur la forme de son journal, le médecin allait, sans s'en douter, au-devant du reproche que Tallemant des Réaux devait lui adresser un jour dans son Historiette de Louis XIII.

Le 23 janvier 1606 le Dauphin demande à Héroard: «D'où venez-vous?—Monsieur, je viens de mon étude.—Quoi faire?—Monsieur, je viens d'écrire en mon registre.—Quoi?—Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre.» Il me dit, à demi pleurant: «Ne l'écrivez pas.» Le 25 septembre 1607, le Dauphin, dit encore Héroard, «s'amuse à écrire et à peindre, m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention de le mettre en mon registre.» Cependant, il faut bien l'avouer, Héroard transcrit parfois, et sous la dictée même du Dauphin, quelques-unes de ces «paroles honteuses» dont, en d'autres occasions, il cherche à le reprendre.

Héroard, qui voulait élever les enfants plutôt par la voie de la douceur que par celle de la rigueur, devait cruellement souffrir dans ses principes et dans sa tendresse pour le Dauphin, lorsque l'enfant était châtié. La première fois que le Dauphin est fouetté (9 octobre 1603), c'est en l'absence d'Héroard, et un peu plus tard, le 7 janvier 1604, jour où «on met le Dauphin en si mauvaise humeur qu'il fault de crever à force de crier», le médecin ajoute: «Tout fut en si grande confusion que je n'eus point le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde, criant à outrance; fouetté longtemps après.» Héroard devait intervenir souvent pour demander grâce, sous prétexte de santé, et on se cachait un peu de lui pour punir l'enfant. Ainsi il écrit, le LI 2 mars 1607: «Fouetté comme je suis entré en la chambre; j'ai trouvé Mme de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la chambre ouverte.» Le 28 juin 1607 Héroard est plus heureux; le Dauphin éveillé à huit heures «se jette du lit à bas, fait fermer les portes de peur que Mme de Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court pour l'empêcher; j'obtiens grâce, il ouvre».

On peut juger, par quelques autres passages du journal, de la profonde affection que le médecin éprouve pour l'enfant et de l'attachement toujours croissant du Dauphin pour lui. Voici, par exemple, à la date du 20 décembre 1606, une scène où figurent Héroard et sa femme: le soir, en le déshabillant pour le coucher, la nourrice du Dauphin «lui tire tant soit peu un cheveu; il s'en prend à crier et plaindre fort dolentement. Ma femme lui dit: «Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez plus crier pour un coup d'épée?—Je m'en soucie bien, d'un coup d'épée!» répond le Dauphin. Ma femme réplique: «Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?—Pour ce que je serois mort,» dit-il avec façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie», et le bon médecin, tout attendri, ajoute en marge: «Il m'en arracha des larmes.»

Le 21 juillet suivant, autre scène qui demande une petite explication préliminaire. Le médecin craignait beaucoup pour l'enfant l'usage du vin; Henri IV, au contraire, toutes les fois que son fils dînait avec lui, en faisait verser au Dauphin qui y prenait goût, et alors Héroard effrayé ne manque jamais d'inscrire en marge de son journal: «Nota, nota. Son goût pour le vin; il y faudra prendre garde.» Donc, le 21 juillet 1607, le Dauphin s'avise de demander du vin à son dîner, et à la première observation qu'on lui fait, répond: «Bien, c'est tout un, donnez m'en,» et, raconte Héroard, «il me regarde et me commande de lui en faire donner. Je lui dis: «Monsieur, il vous feroit mal.—Papa le veut.—Monsieur, c'est quand vous mangez avec lui.» Il commence à s'échauffer de colère: «Vous êtes un homme de neige, vous êtes laid!—Oui, Monsieur, mais vous ne boirez pas de vin, car il vous feroit mal.» Sur ce refus il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace. Je lui dis: «Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à fait.» Je pars et m'en allai en ma chambre; il envoie plusieurs fois vers moi, et, après plusieurs refus, je retourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de son breuvage dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et LII par menace. Il est toujours sur ce vin, il en vouloit, je lui résiste encore: «Je vous aime point, vous êtes un bel homme de neige.—Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je m'en irai le lui dire.—Je m'en soucie bien.—Bien donc, Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien, adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi.» Je pars, il envoie plusieurs fois après moi; je ne y retourne plus, cependant il continue à dîner. A deux heures il vient en ma chambre, après s'être informé de lui-même si je m'en allois; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse: «Ho! son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à Paris!» Mme de Montglat le conduisoit, il marchandoit à entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient enfin à moi: «Je vous prie, ne vous en allez pas!—Monsieur, que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous, puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre santé? je ne y sers plus de rien.—Je fairai plus;» et la paix fut faite.»

Une autre fois, pendant que le Dauphin est à Fontainebleau, son frère naturel le chevalier de Verneuil est pris de la rougeole, et le Roi écrit le 20 mars 1608 à Mme de Montglat: «Pour ce que M. Hérouard à cause de cela ne le peut voir, de peur d'apporter du mal à mon fils le Dauphin et à mes autres enfants, j'envoie Hubert, l'un de mes médecins que vous connoissez, et qui vous rendra cette-ci de ma part, pour avoir soin de la santé de mon fils de Verneuil et lui ordonner ce qu'il jugera à propos, avec l'avis dudit Hérouard.» Le médecin Hubert arrive avec cette lettre et le Dauphin demande à Héroard ce qu'il venait faire. «Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever; il vient en ma place.» Rougissant et souriant, il me saute au col: «Ha! vous vous moquez, je veux pas!»

Quelque temps avant que le Dauphin ne fût remis entre les mains des hommes, Héroard, et cette fois nous le savons par son journal même, à la date du 15 juillet 1608, avait été maintenu, grâce à l'intervention de Marie de Médicis, dans la place de premier médecin du Dauphin. Une première lacune, assez inexplicable, se rencontre dans son registre pendant les dix jours qui précèdent la prise de possession du Dauphin par M. de Souvré. Quel que soit le motif de cette lacune, c'est ici le moment de donner un aperçu du livre que méditait sans doute le médecin depuis son entrée en fonctions près de l'héritier du trône, et dont il lui avait présenté un exemplaire le premier jour de l'an 1609. Ce livre, dont nous avons déjà cité quelques passages, est fort rare, et il est resté ignoré des biographes d'Héroard qui ont seulement connu la traduction latine qui en a été faite en 1617 par un LIII autre médecin du Roi, Jean Degorris. C'est ce qui nous a déterminé à reproduire intégralement l'original dans l'appendice du journal.

Le livre De l'Institution du Prince est écrit en forme de dialogue et divisé en six matinées. L'auteur suppose que, dès la première année de la vie du Dauphin, il rencontre dans le parc de Saint-Germain le futur gouverneur de l'enfant, M. de Souvré, et que celui-ci le consulte d'abord sur la santé et sur le caractère du prince, puis qu'il lui demande ses conseils sur la manière de l'élever. Dans le premier dialogue, Héroard, après avoir signalé avec toutes sortes de précautions le tempérament colère du Dauphin, trace de la gouvernante un portrait idéal qui n'est pas celui de Mme de Montglat et qui est par conséquent une critique indirecte du choix fait par le Roi. Il passe ensuite au commencement d'instruction que, dès l'âge de deux ans, on peut donner à l'enfant, en ce qui concerne la religion, la lecture et l'écriture. Il recommande, pour cet âge «tendrelet», les Proverbes de Salomon, les histoires tirées de la Bible, les quatrains de Pibrac, les fables d'Ésope; et en effet on voit dans les sept premières années de son journal le Dauphin à peu près élevé dans le sens de ce dialogue préparatoire.

Dès la seconde matinée l'auteur, qui jusque-là s'est renfermé dans une période sur laquelle il n'y a plus à revenir, entre dans le vif de la question et trace à M. de Souvré la route qu'il doit suivre pour «d'un enfant fait en former un homme, et de cet homme prince en façonner un roi». Les fonctions de gouverneur et de précepteur le préoccupent tout d'abord, et l'on pense bien que, pour le premier, Héroard se contente d'indiquer à son interlocuteur ce qu'il désirerait qu'il fût pour son prince. Quant au précepteur, le médecin dit modestement: «Il me seroit plus malaisé de le trouver que de le peindre. Je désire pour cette charge un homme mûr d'âge et de sens, de bonne vie et louable réputation; un homme sans reproche et droit en ses actions, d'honnête extraction, instruit aux bonnes lettres, l'esprit poli, de courage élevé, sans vanité, non pédant;..... qui soit d'une agréable conversation, de bon et ferme entendement; industrieux, après avoir bien su connoître le naturel, l'inclination et la portée de l'esprit de ce prince, à lui faire goûter la douceur des semences de la piété, des bonnes mœurs et de la doctrine; ayant fait naître dextrement en son âme le désir d'apprendre et de bien retenir ce qu'il jugera propre; et en somme de telle vie qu'elle prêche à l'égal de ses enseignemens.»

La troisième matinée est consacrée par l'auteur à exposer le LIV plan des études que, suivant lui, le prince doit suivre pendant une période d'environ six années, et le programme qu'il trace est traité avec une grande connaissance du caractère du Dauphin et un esprit que l'on appellerait aujourd'hui très-libéral.

Héroard demande qu'on enseigne d'abord au prince la piété et la «prudhomie» par «un petit Catéchisme fort abrégé, et qui contienne seulement les choses nécessaires, et celles que le long et légitime usage a fait passer en nature de loi, ayant à prendre soigneuse garde de ne point faire un superstitieux au lieu d'un homme pie et vraiment religieux; ne se trouvant aucune chose plus contraire à la religion chrétienne pure, sans fard et sans macule, comme est la superstition: celle-là forme l'homme doux, débonnaire, hardi et charitable, engendre en lui l'amour, la révérence et la crainte de Dieu, et la paix en son âme; et celle-ci le transforme en une bête brute, plein de félonie, de cruauté, de lâcheté et bête impitoyable, lui laissant dedans sa conscience l'inquiétude perpétuelle qui la remue par la peur et l'effroi qu'il va s'imaginant de la seule justice et vengeance divine.»

Le médecin qui avait composé pour le tombeau de Ronsard l'épitaphe que nous avons rapportée devait insister sur l'étude des «bonnes lettres», et il le fait avec un sentiment de retour vers le passé et de regrets sur le temps où il écrit. Les Lettres ont, dit-il, «cette vertu de donner l'embellissement, la vigueur et la force à l'esprit de l'homme, si elles y rencontrent un bon sens naturel, et la tête bien faite;» il conseille «de l'en instruire autant qu'il se pourra, étant très-raisonnable que celui qui doit un jour commander à tous, les surpasse aussi trétous en suffisance. C'est un bien certes plus aisé à souhaiter qu'à espérer pour notre jeune prince, vu le siècle où nous sommes, où la vieille rouillure d'une cuirasse est plus en prix que l'excellence de la splendeur et lumière de la doctrine; ce sont malheurs qui suivent à la queue des guerres intestines. Mais espérons que le Roi son père appellera auprès de sa personne des pareilles lumières à celles-là que nos pères ont vues reluire de leur temps autour de celles de quelques-uns de ses prédécesseurs; et tout ainsi comme il travaille incessamment pour le repos et la grandeur de son empire, qu'il ne sera moins curieux d'épargner quelques heures pour les donner à son Dauphin, et aviser à faire tout ce qu'on peut imaginer pour élever ce fils au degré le plus haut de la perfection où l'homme puisse atteindre par les voies humaines: pour, après infinis labeurs soufferts en cette vie, remporter dans le ciel, pour le comble de ses trophées, cette joie en son âme d'avoir remis entre les mains de ce cher enfant un LV royaume assuré, florissant et paisible, et de tous ses sujets l'obligation d'une étreinte éternelle de leur avoir laissé un fils pour successeur, c'est-à-dire un prince des plus parfaits et accomplis, et rétabli en sa personne l'honneur des bonnes lettres sur le trône royal, leur estime à la Cour et par toute la France. C'est toujours acte digne de gloire en un bon père de laisser un enfant semblable à soi.»

Cependant Héroard désirerait que le Dauphin continuât à être élevé loin de la Cour. Je souhaiterais, dit-il, un lieu particulier «pour y laisser ce jeune prince jusques à ce qu'il eût apprins ce que l'on peut savoir, pour être aucunement capable d'apprendre de soi-même, et tant que l'âge avec l'instruction eût un peu façonné ses actions, formé son jugement, et du tout égoutté ces petites humeurs qui accompagnent communément les premières années de la vie; ce qui seroit, à mon avis, fort à considérer en cette nourriture. Car si le Roi trouvoit bon de ne le voir que par fois, il n'en rapporteroit que le contentement du profit remarquable qu'il y verroit de temps, et n'auroit pas le déplaisir des mauvaises créances qui pourroient échapper aucune fois, en sa présence, à la foiblesse de son âge..... J'estime toutefois qu'il le voudra retenir auprès de sa personne, là où j'espère que, pour l'amour extrême qu'il porte à Sa Majesté et l'incroyable crainte qu'il a de lui déplaire, et sur la connoissance que je puis avoir acquise de son bon naturel, de la portée et de la force de son entendement, et assuré de votre vigilance, il réussira selon nos vœux et nos espérances. Et pourtant, Monsieur, ne laissez pas à renforcer vos gardes à ce que la bonne semence que vous aurez jetée dans ce bon fonds ne soit enlevée par les vents des débauches, naturalisées aux Cours des grands.»

Après avoir indiqué du quelle manière on doit enseigner au Dauphin les préceptes de la langue latine «sans perdre le temps sur ces principes, par les longueurs dont usent ceux qui ont mis en trafic l'instruction de la jeunesse,» et avoir recommandé l'étude de Cicéron, «le plus pur et le plus élégant entre tous les Latins», Héroard indique comment doit être employée la journée du prince et ne demande pas plus de quatre heures de travail pour l'enfant: «Vêtu et tout prêt à sept heures,» il doit se mettre à l'étude jusqu'à neuf, aller à l'église, puis se récréer jusqu'à onze, heure de son dîner, reprendre l'étude de une heure après midi jusqu'à trois, puis être «libre jusques à six, heure de son souper; et son coucher à neuf».

Le médecin revient ensuite à son plan d'études. Il regarde celle de la langue grecque comme inutile, «d'autant qu'elle n'est LVI que pour ceux qui font particulière profession des lettres, et sans usage aujourd'hui;... mais on lui apprendra, au lieu de celle-là, les langues vulgaires des nations voisines, avec lesquelles les affaires de ce royaume se mêlent ordinairement le plus». Pour les sciences mathématiques, Héroard recommande d'abord que l'étude «des nombres tienne le premier lieu, comme l'entrée pour pénétrer à toutes», puis la géométrie, la géographie, l'astronomie et la mécanique qui «lui sera, dit-il, nécessaire, pour être la science qui donne les inventions de composer et fabriquer toutes les sortes de machines, étant ici à remarquer l'inclination extrême qu'il y a de la nature». Le médecin termine son programme par cet éloge remarquable de l'étude de l'histoire: «Je tiens, ajoute-t-il, que l'histoire est l'école des princes et que le nôtre y doit être nourri pour y apprendre à vivre et la manière de bien faire sa charge, et se rendre meilleur par l'imitation ou dommage des autres. C'est où il trouvera des yeux pour tous ceux qui seront sous son obéissance; c'est une glace de cristal, le miroir de la vie, où il verra en la personne d'autrui louer ses actions sans flatterie, et les blâmer sans crainte. C'est un bon conseiller, sans passion, et ami très-fidèle, duquel il apprendra les dits, les faits et les conseils des princes et des grands personnages. Sa connoissance est si utile et nécessaire que, la savoir parfaitement, c'est, vivant notre vie, vivre de celle des autres qui ont vécu, et acquérir les siècles tout entiers par l'emploi fait à la lecture d'un petit nombre d'heures, hâtant notre vieillesse sans abréger la vie, en tant qu'elle est la vieillesse des jeunes gens;.... cette seule école.... lui fera voir les choses jà passées pour se savoir souplement gouverner sur le train des présentes et pourvoir aux futures. Et de ce lieu il tirera ce maître conducteur pour le tenir inséparable auprès de sa personne et lui donner à faire le ménage de ses actions et de ses pensées, et en effet pour lui confier sa fortune et sa vie. C'est en somme ce que je pense qui se peut proposer comme un projet pour l'accomplissement de la première partie de cette instruction.»

Comme délassement et récréation, Héroard recommande la musique «non pour chanter, mais pour l'écouter et prendre plaisir», puis «le promener, danser, sauter, courir, jouer aux barres, à la paume et au pale-mail, se promener à cheval, la chasse de l'oiseau, celle du lièvre avec des lévriers». Le médecin a oublié parmi ces distractions une de celles qui plaisait le plus au Dauphin, celle du dessin et de la peinture.

La quatrième matinée est employée par l'auteur à revêtir le prince «de sa robe royale», c'est-à-dire à indiquer les vertus et les conseils qui doivent «le rendre capable de pouvoir dignement LVII à l'avenir tenir le trône de ses pères». On peut croire que dans les trois derniers dialogues, qui deviennent de plus en plus des monologues, Héroard s'adresse moins à M. de Souvré qu'au Dauphin même, puisque ce livre est, dit-il dans son journal, «fait pour lui». L'auteur cherche à lui inspirer l'amour de ses futurs sujets, et lui dit «qu'étant né, comme il est, dedans cette royale et ancienne famille qui domine sur les François, c'est pour y être le maître un jour et commander sur eux, non point en étranger, les gourmandant outrageusement pour satisfaire à l'abandon de ses cupidités, mais en père et en roi, ayant toujours devant les yeux ces paroles du peuple saint et celles de son roi: Nous sommes, sire, vos os et votre chair, et vous êtes, mes frères, et ma chair et mes os; pour y apprendre que le devoir d'un bon et sage roi, c'est de conduire et gouverner son peuple avec amour de frère et charité de père, s'il en veut retirer une franche et prompte obéissance. Nourrissant donc dedans son âme une si sainte intention, il régira ses peuples, les contenant en leur devoir par une juste égalité, mère, nourrice et gardienne de toutes choses, armé de la Justice et tenant en sa main cette balance qu'il a portée, du ciel à sa nativité.»

Il lui conseille de faire «peu de nouvelles lois, la multiplicité étant indubitable marque d'une insigne corruption dans le corps d'un État; les vraies lois, ce sont les bonnes mœurs. Et puis un jour il doit entrer en la possession d'un royaume comblé de bonnes lois, toutes fois accablé dessous la pesanteur du tas de ces formalités qui en ont prins la qualité et occupé la place, par la malice industrieuse de quelques-uns, qui ont rendu vénale la poursuite de la justice, et convertie en un métier de sordide déception. C'est un mal envieilli où il faudra qu'il remédie à temps, avec prudence et bon conseil, faisant faire une élection de toutes les meilleures lois, pour en garder l'usage».

Il lui prêche la clémence, en lui citant pour exemple «les actions du Roi son père, lequel donnant par préférence ses intérêts particuliers aux offenses publiques, n'a point trouvé plus de secours en sa grande valeur qu'en sa rare clémence; ayant par les rayons d'icelle, comme un puissant soleil, dissipé les épaisses obscurités et profondes ténèbres où ce pauvre royaume étoit enseveli, lui redonnant le jour et la sérénité dont il jouit et s'éjouit par toutes ses parties».

Il recommande encore au prince, entre autres vertus, la foi dans la parole jurée, la libéralité, la chasteté «comme l'une des tutrices de la santé du corps et l'un des contrepoisons des souillures de l'âme», le prévient contre son inclination à la colère LVIII et surtout contre les flatteurs et les effets de la flatterie. Voici les moyens qu'il lui indique «pour découvrir l'hypocrisie de ces galants» et lui apprendre à «reconnoître les flatteurs dessous le masque de l'affection»: Vous les verrez en général, dit-il, «souplir comme couleuvres et complaire en toutes façons, couler toujours sans résistance aucune de fait ne de parole, et surpasser aucunes fois les vrais amis et les plus fidèles serviteurs, en soin, en diligence, et en tout autre témoignage qui se peut rendre d'une sincère affection. Ayant connu qu'il n'y a rien entre les hommes qui les oblige plus étroitement que de se voir aimés et voir aimer pareillement les mêmes choses qui leur sont agréables, ..... ils s'étudient à imiter entièrement et à tromper, en imitant les mœurs, les complexions et les façons de faire, et tous les exercices où ils s'apercevront que le prince prendra plaisir. S'il est voluptueux, ils seront des Sardanapales; s'il est d'humeur colère, ils seront furieux; s'il est mélancolique, ce seront des Timons; s'il contrefait le borgne, ils se feront aveugles; s'il a la goutte au bout du doigt, ils feindront de l'avoir nouée par toutes les jointures; si les Lettres lui plaisent, ils auront toujours en parade un livre pendant à leur ceinture; et s'il se plaît à la chasse du fauve ou de la bête noire, ils porteront dedans leur sein les meutes à douzaine et, sans partir d'un cabinet, avaleront les forêts toutes crues. Ces gens ici, gens sans honneur, qui n'ont non plus de honte qu'ils ont de conscience, pleins d'artifices dissimulés et doubles, on les verra railler, mentir effrontément, médire, bouffonner et tirer de leur forge des petits contes pour lui donner à rire, frappant aucunes fois sur leurs intimes amis et sur eux-mêmes, plutôt que de n'avoir aucune chose à lui dire, ne tâchant qu'à complaire à quel prix que ce soit; faire parfois de bons offices en public pour être crus, et assommer après, comme on dit, dessous la cheminée; dire du bien pour avoir loi de nuire, ne parlant qu'à demi; tous variables à dessein en leurs opinions, donnant au noir la blancheur de la neige, à la blancheur la noirceur de l'ébène, et réprouvant, selon l'occasion, ce qu'ils auront auparavant loué; puis exaltant jusques au neuvième ciel les mêmes choses qu'ils auront réprouvées et ravalées jusques au centre de la terre..... Ils sont mouvans, actifs et assidus, et vont chauffant la ceinture à chacun, s'entremêlent de tout. Ils savent faire tout, ils sont tout, ils font tout, et devant lui les bons valets, faisant valoir impudemment des services non faits ou à faire, en parole, se présentant souventes fois sans respect et sans sujet à des imaginaires, jusques à souffler sur le manteau, ou le poil ou la plume qu'ils n'y auront point vue. Jamais tant serviables, LIX voire invincibles, que aux choses déshonnêtes, ne moins qu'aux vertueuses; car s'il se parle de porter le poulet, ils élancent la main tout les premiers pour en faire l'office.... Voilà ce peu d'observations qui s'est pour cette fois représenté à ma mémoire, touchant cette sorte de faux visages qui, par le grand malheur des princes et des rois, font leur repaire coutumier au milieu de leurs Cours, dans leurs conseils, dans leurs palais, dedans leurs chambres, dedans leurs cabinets, où, en toute saison, elles trouvent de quoi à faire proie de tout âge.» Donc, «quand il entendra quelqu'un louer son nom, admirer ses vertus, magnifier toutes ses actions, le nommant prince juste, clément, fidèle, libéral, courageux, courtois, doux, et galant entre les dames, et l'honorant de telles ou de pareilles qualités vertueuses, qu'il entre en soi-même pour y faire une vive recherche de la vérité, éprouvant ces paroles sur la pierre de touche du jugement intérieur, qui ne peut s'abuser, pour reconnoître si elles sont de bon ou de mauvais aloi, et considère à froid s'il ressent en son âme du repentir ou de la honte de n'être rien moins que cela.» Louis XIII aurait pu faire plus de profit de cette verte tirade, dans laquelle son médecin cherchait à le prémunir contre sa propension naturelle à choisir parmi ceux qui l'approchaient un «mignon» comme le soldat Descluseaux ou des «favoris» comme Luynes et Cinq-Mars.

Les cinquième et sixième matinées sont consacrées à exposer l'art de gouverner, et l'auteur s'y flatte de l'espoir que c'est de Henri IV lui-même que le Dauphin apprendra «à connoître en masse quelle est la composition et la situation» du royaume, les lois et coutumes des provinces, «les humeurs des hommes» qui y commandent, la nature du peuple français, «ses changemens, ses inégalités et mouvemens divers, par où ce prince puisse juger de l'instabilité des dominations, étant fondées sur la mobilité d'un sujet si bizarre, et apprendre que toutes prennent fin, mais plus tôt ou plus tard, selon les bons ou mauvais moyens, les forts ou les foibles liens que chaque prince employe pour établir et maintenir la souveraineté; et que cet établissement et conservation dépend de la prudence, du bon entendement et de l'expérience du prince souverain, pour savoir retenir à l'ancre du devoir l'inconstance de ce vaisseau par les câbles de bonnes lois divines et humaines, et former son autorité par la bonne opinion dont il rendra aimable sa personne, admirable par sa vertu, et redoutable par la réputation et la propre puissance de son État, non-seulement à ses sujets, mais envers les peuples voisins et nations lointaines, étant certain que sans l'autorité il n'y a plus de domination.»

LX

Héroard continue cependant à exposer ses propres idées sur le choix des personnages à nommer aux dignités, aux «charges d'importance,» aux ambassades, au commandement des armées, dans les conseils de l'État et dans la maison du prince. En ce qui concerne les impôts il conseille que les «tributs soient modérés, assis également, et demandés à une seule fois, non imposés sur un fond déshonnête»; que le prince «se tienne aux anciens, évite les nouveaux, et de nom et d'effet, autant comme il pourra, et que la seule nécessité des affaires publiques lui en fasse la loi. Si elle est si grande qu'elle le force, pour le salut commun, d'avoir recours aux nouveautés et moyens extraordinaires, ayant fait reconnoître, non par prétextes déguisés, ains par causes notoires, le péril de l'État, c'est aux peuples alors à les donner à double main, au prince à les contraindre quand ils refuseront, sans en venir, s'il est possible, à cette extrémité de saisir le troupeau, ne le bœuf, ne la vache, ne d'enlever le couvert des maisons, ne se prendre aux personnes pour leur faire épouser l'effroi d'une triste prison, ou faire souffrir quelque peine. Il choisira des gens de bien pour les lever et recueillir, et pour les mettre après en son épargne, sous la clef de personnes fidèles; et que ce soit un réservoir pour subvenir aux soudaines émeutes et aux affaires de l'État; les dépense à propos et les ménage mieux que si c'étoit son bien particulier, se rendant libéral tant seulement du sien, mais chiche de celui de la république. Ainsi faisant, il bâtira un autre trésor dans le cœur de ses sujets, qui ne tarira point, et se verra par ces moyens extrêmement puissant, pour autant que le prince qui a leur cœur est assuré d'en avoir à sa discrétion la bourse.» L'auteur indique ensuite l'emploi de cette «épargne» destinée à munir les «arsenaux de toutes sortes d'instrumens et de machines propres à la guerre, et de matériaux pour en faire à loisir»; à «fortifier à bon escient, ou faire de nouveau des places fortes dessus les avenues, pour empêcher l'invasion soudaine et arrêter ou rompre les desseins d'une force ennemie»; à garnir «les havres et les ports de certain nombre de navires et de galères». Puis il descend dans le détail des «régimens de gens de pied et de gens de cheval», de leurs exercices, et va jusqu'à prévoir les circonstances dans lesquelles le prince pourra se trouver un jour à la tête de ses armées. Puisque le Roi, dit-il en terminant, veut que son fils «entre en son conseil à l'âge de douze ans, et qu'il se façonne et fasse son apprentissage dans cette école de la chose publique, depuis cet âge jusqu'à celui qui le rendra majeur par les lois du royaume», on peut penser que «Sa Majesté, pour couronner cette œuvre, prendra plaisir aucunes fois d'employer LXI en la personne de son Dauphin tout ce que le long temps et la pénible expérience lui ont si chèrement apprins, et plus par aventure qu'à nul autre des princes qui vivent sur la terre. Mais pource que je sais qu'il n'y a rien dessous le ciel qui ne soit périssable et sujet à sa fin, même que les grandeurs des plus puissans empires ont leur point limité, je prie Dieu et le supplie de vouloir différer le décret final préordonné sur cette monarchie, à ce que la tempête n'en tombe sur ce prince, et que jamais elle ne puisse choir sur les rois de son nom, de le garder et conserver toujours sous l'abri de ses ailes, gouverner et conduire toutes ses actions, et lui permettre de régner après Sa Majesté paisiblement, heureusement et à longues années.» Toutes ces leçons du sage et fidèle médecin, toutes ces prévisions qu'il se plaisait à émettre dans son livre De l'institution du Prince devaient être déjouées un an plus tard par la mort prématurée de Henri IV, l'avénement au trône d'un enfant de huit ans et la régence de Marie de Médicis.

Dès que le Dauphin passe sous le gouvernement de M. de Souvré, le journal d'Héroard commence à devenir plus concis et l'on y rencontre de moins en moins ces conversations, ces reparties, ces détails de mœurs qui, pendant les premières années de la vie de Louis XIII, font de ce journal un document unique en son genre. Jean Héroard devait cependant conserver longtemps encore auprès du Roi les fonctions qu'il avait remplies auprès du Dauphin; le 25 mai 1610, écrivait-il dans son registre, je reçus de la Reine «l'honneur du commandement qu'elle me fit de servir le Roi en qualité de premier médecin». Bien qu'alors âgé d'environ soixante ans, il passa encore dix sept années dans ce service, rendu de plus en plus pénible par les voyages et les campagnes de Louis XIII. Lors d'un de ces voyages, celui fait en 1614 par le Roi dans les provinces d'Anjou, de Poitou et de Bretagne, le premier médecin se trouvant indisposé avait, le 10 septembre, quitté Louis XIII à la Ferté-Bernard et il était venu se reposer dans sa terre de Vaugrigneuse, située sur le chemin de Chartres à Paris. Cinq jours plus tard, le Roi, qui rentrait à Paris pour la déclaration de sa majorité, «passe par Angervilliers, et là, enregistre Héroard avec un bonheur facile à comprendre, nous fait l'honneur non espéré ne attendu, et de son propre mouvement, de venir à Vaugrigneuse... Il arrive à neuf heures et demie, va au jardin, au clos, déjeûne de ce qui se trouva de prêt.» Le Roi trouva si bon le pain de son médecin «qu'il en fit prendre et emporter trois».

Nous pourrions revenir ici sur les diatribes latines dirigées contre LXII Héroard par Charles Guillemeau, alors premier chirurgien de Louis XIII, et qui, dit Éloy dans son Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, «ne cessoit de blâmer la conduite du premier médecin dans toutes les incommodités du Roi, et de le poursuivre de ses basses manœuvres et de ses sourdes détractations»; mais en ce qui concerne la vie d'Héroard, comme dans les extraits de son journal, nous nous abstenons, autant que possible, de toucher à des questions médicales qui ne sont pas de notre ressort. Il est certain, d'après le Journal d'Arnauld d'Andilly, que le premier médecin avait des ennemis auprès du Roi; l'on y lit à la date du 19 octobre 1616: «Le Roi se trouve mal d'une fort grande colique qui lui donne quelque peu de tranchées. M. Hérouard étoit lors à Vaugrigneuse; on se voulut servir de cette occasion pour lui faire un mauvais office;» et plus loin, au commencement de septembre de la même année, Arnauld d'Andilly ajoute: «On continue à vouloir faire de mauvais offices à M. Hérouard, lequel, voyant le Roi guéri, lui fit demander son congé par M. de Luynes, dont le Roi se fâcha extrêmement et dit qu'il ne souffriroit jamais qu'il le quittât.»

Dans son Histoire des Secrétaires d'État, publiée en 1668, Fauvelet du Toc prétend que lorsque Charles le Beauclerc fut nommé secrétaire d'État en 1624, il le fut «avec un applaudissement si universel que le cardinal de Richelieu, qui commençoit à s'introduire au ministère, en eut de la jalousie; il appréhenda qu'il ne fît quelque obstacle à son élévation, et ne put s'empêcher de dire qu'il ne craignoit que deux hommes auprès du Roi, M. le Beauclerc et Hérouard, premier médecin de Sa Majesté.» Si ce mot est historique, il faudrait peut-être ajouter foi à un document d'après lequel «le sieur Hérouard» est compris parmi les personnages «emprisonnés sous le ministère du cardinal». (Archives curieuses de l'histoire de France, 2e série, tome V.) Cette détention pourrait être la vraie cause d'une des longues interruptions qui existent dans les dernières années du journal et que des notes ajoutées après coup attribuent à la négligence de la veuve et des parents d'Héroard qui auraient «misérablement perdu, pillé, dissipé et vilainement employé» de nombreux cahiers du manuscrit.

Les regrets que causent sur certains points ces lacunes sont pourtant, il faut l'avouer, un peu atténués par la sécheresse, la rareté des informations utiles données par le médecin, au moment où son grand âge ne lui permet plus de voir et d'entendre par lui-même. Ainsi, dès le 13 août 1620, il en est réduit à écrire, lors d'une entrevue de Louis XIII avec sa mère: «Les paroles, je LXIII ne les sais pas.» Les réserves, les expressions «j'ai appris que» ou «je n'y étois pas» reviennent de plus en plus fréquemment sous sa plume. Louis XIII conserva pourtant jusqu'aux derniers moments de son vieux médecin la confiance et l'amitié qu'il lui avait toujours témoignées. Le 24 janvier 1628, Héroard, qui avait suivi son maître au camp devant la Rochelle, écrivait encore dans son registre: «J'arrive à Aitré, mandé en diligence; j'arrive à neuf heures du soir, le Roi étoit couché. Il m'envoie commander de me trouver le matin à son lever; j'ai l'honneur de le voir à sept heures;» et le premier médecin donne pour la dernière fois son avis dans la consultation à la suite de laquelle le Roi est saigné. Cinq jours après Jean Héroard, «saisi de maladie à Aitré», y meurt le 11 février 1628, «visité en sa maladie par Sa Majesté et regretté après sa mort par Sa dite Majesté en ces paroles: «J'avois encore bien besoin de lui.» Ce dernier fait est rapporté dans un livre publié en 1653, par Simon Courtaud, ancien médecin de Louis XIII et neveu maternel d'Héroard.

Nous avons suivi, pour la date de mort de Jean Héroard, le registre de l'église paroissiale de Sainte-Marie-Madeleine de Vaugrigneuse dans laquelle son corps fut transporté et enterré le 28 février 1628, ainsi que la légende d'une médaille dont nous parlons plus loin. D'après une longue épitaphe qui existait encore dans le sanctuaire de l'église de Vaugrigneuse du temps de l'abbé Lebeuf, mais qui en a disparu et que le savant abbé transcrit avec quelques fautes de lecture ou d'impression, Héroard «décéda à Autré le dixième jour de février en l'an soixante-septième de son âge». Les deux manuscrits de la Bibliothèque impériale portent que Héroard décéda le huitième février, âgé de soixante-dix-huit ans, dit le premier manuscrit, âgé de soixante-sept ans sept mois, dit le second qui ajoute «il étoit né le 12 juillet 1552». Cette dernière date ne paraît pas non plus bien exacte, mais dans tous les cas il y a erreur manifeste dans les indications qui donnent soixante-sept ans à Héroard au moment de sa mort, ce qui placerait sa naissance vers l'année 1561. Inscrit sur les registres de la faculté de Montpellier en 1571, Héroard devait avoir alors de dix-huit à vingt ans.

Les titres donnés à notre médecin par le registre de l'église de Vaugrigneuse et par l'épitaphe que rapporte l'abbé Lebeuf sont: Jean Héroard, chevalier, seigneur de Vaugrigneuse, de l'Orme le Gras et de Launay-Courson, conseiller du Roi en ses conseils d'État et privé, secrétaire de Sa Majesté, maison et couronne de France et de ses finances, premier médecin de Sa Majesté et surintendant des eaux minérales de France. L'épitaphe ajoute que, par son testament, Héroard «a voulu être inhumé dans sa chapelle LXIV qu'il a fait bâtir en cette église, laquelle il a fait rétablir en paroisse qui avoit été unie avec la paroisse de Briis plus de cent cinquante ans auparavant, et a voulu être fondateur de la paroisse de Vaugrigneuse...» On lit ensuite, ajoute l'abbé Lebeuf, que cette inscription a été apposée par les soins d'Anne Du Val, femme du même Jean Hérouard.» Si, comme le prétend Guillemeau, Héroard et ses parents appartenaient à la religion protestante, le médecin de Charles IX avait dû se convertir de bonne heure.

On possède de Jean Héroard un portrait gravé et une médaille, exécutés tous deux après sa mort et peut-être par les soins de sa veuve. Le portrait, indiqué dans la Bibliothèque historique du P. Lelong comme étant d'Ant. Bosse, est sans nom de peintre ni de graveur et se trouve classé dans l'œuvre d'Abraham Bosse, dont le catalogue a été publié par M. Georges Duplessis. Héroard est représenté de trois quarts, à droite, dans une bordure octogone posée sur une console ornée de ses armoiries, d'azur au chevron d'argent accompagné de trois étoiles d'argent, avec la devise: Jove dignus Apollinis arte. La médaille, signée Warin, porte au revers les mêmes armoiries, la même devise et cette mention: Ob. XI fev. 1628. Les indications données par le portrait et la médaille sont identiques: I. HEROARD S. D. VAVGRIGNEVSE P. MEDECIN DV ROY LOVIS XIII. Le nom du Roi manque seul sur l'inscription de la médaille, le reste est absolument semblable.

La veuve de Jean Héroard, Anne Du Val, dame de Vaugrigneuse et de l'Orme le Gras, lui survécut jusqu'en janvier 1640, ainsi que le constate le registre de l'église de Vaugrigneuse. La terre et seigneurie de Launay-Courson était échue à des neveux maternels d'Héroard, les frères Courtaud, qui la vendirent dès l'année 1634, ainsi qu'il résulte des titres de cette terre, appartenant aujourd'hui à M. le duc de Padoue.

Jean Héroard était mort depuis seize années lorsque son nom se trouva mêlé, d'abord incidemment, puis avec un éclat bien fâcheux pour sa mémoire, dans la controverse qui agita les Facultés de Paris et de Montpellier pendant la seconde moitié du dix-septième siècle. Un des neveux maternels et héritiers d'Héroard, Simon Courtaud, après avoir été, par la protection de son oncle, pourvu pendant quelque temps d'une charge de médecin par quartier, s'était retiré à Montpellier où il était devenu doyen de la Faculté. En 1644 Courtaud, dans un discours latin prononcé à l'ouverture de l'école de Montpellier, mentionne Héroard parmi les docteurs sortis de cette école qui avaient eu l'honneur d'occuper la première place auprès des rois de France. Cette apologie, imprimée à Montpellier, vient aux oreilles des médecins de Paris LXV et provoque de la part de l'un d'eux, Jean Riolan, une longue réponse, publiée en 1651 sous le titre de Curieuses recherches sur les Écoles de médecine de Paris et de Montpellier, dans laquelle Riolan insinue en passant que Jean Héroard n'a pas été choisi parce qu'il avait étudié à Montpellier, mais parce qu'il se trouvait déjà auprès de Louis XIII, au moment de sa nomination comme premier médecin du Roi. Simon Courtaud réplique en 1653 par un gros in-4o intitulé: Seconde apologie de l'Université en médecine de Montpellier, etc., envoyée à M. Riolan, professeur anatomique, et là il reprend l'éloge de son oncle Héroard, à propos de la préférence donnée par les Rois à la Faculté de Montpellier sur celle de Paris, puis il attaque Charles Guillemeau comme ayant abusé de la confiance de son collègue et ami Héroard «pour muguetter la charge de premier médecin». C'est alors que l'année suivante Charles Guillemeau entre dans la lice avec le libelle latin dont nous avons extrait et traduit librement quelques passages; il y attaque, avec une violence inouïe, Héroard et son neveu qu'il n'appelle pas autrement que le chien Courtaud, et il termine sa brochure par ce parallèle entre Riolan et Héroard:

«Jean Riolan est né à Paris d'un père éminent dans les lettres et dans la médecine, et n'a fait qu'augmenter la gloire du nom de son père; Jean Héroard a eu pour père un méchant barbier de Montpellier et le plus ignare de tous parmi les barbiers. Jean Riolan, après avoir puisé les principes sacrés de l'art de la médecine à la Faculté de Paris, a reçu d'emblée son bonnet de docteur; Jean Héroard n'a jamais été reçu médecin, mais seulement bachelier dans votre École, et encore par la complaisance du grand conseil et du doyen de Montpellier. Jean Riolan a érigé des monuments immortels, divins, dans les lettres et dans l'art de la médecine; Jean Héroard n'a jamais écrit que son Hippostologie, ouvrage bien digne d'un vétérinaire et qui fait que toute la France s'écrie qu'il n'a jamais été un médecin royal, mais un médecin de cheval!» Enfin, nous en passons et des meilleurs, «est-il possible, dit-il à Courtaud, de comparer, sans la plus mortelle injure, Jean Héroard avec ce grand médecin Jean Riolan! Non! il faut le comparer, ton Héroard, à ces charlatans africains dont les éloges, et telle était la Ludovicotrophie de ton oncle, tuaient les gens de bien, pétrifiaient les arbres, faisaient périr les enfants! à ces Triballiens et Illyriens, peuples de la même espèce, qui ensorcelaient par leurs regards et mettaient à mort tous ceux sur qui ils tenaient trop longtemps les yeux attachés! Ah! Roi infiniment trop bon! Ah! il t'a regardé trop longtemps de son mauvais œil, cet Héroard! Il faut le comparer encore avec ces sorcières de LXVI Scythie, appelées Bythies, avec cette race de Thibiens Pontiques dont Philarque écrit à Pline qu'ils avaient dans un œil deux pupilles et dans l'autre la figure d'un cheval, ce qu'un ami de la médecine peut bien dire d'un médecin de cheval, d'un archi-âne tel que Héroard!... Reléguons-le, cet Héroard maudit, qui a abrégé la vie de son Roi et n'a point péri lui-même, parmi ces peuples d'Éthiopie dont l'odeur et les exhalaisons communiquaient la peste par le seul contact de leur corps!»

On croirait vraiment, à entendre Guillemeau, que Louis XIII n'a pas survécu quinze ans à son premier médecin; mais est-il bien nécessaire d'insister plus longtemps sur ces invectives qui se reproduisirent, avec plus de virulence encore, dans deux brochures latines publiées l'année suivante et qui auraient été sans doute suivies de bien d'autres, sans la mort de Guillemeau, arrivée en 1656? Cédons pourtant à une dernière tentation, en ce qui concerne Guillemeau, pour rappeler, nous l'apprenons de lui-même, que ce médecin était un protégé du grand louvetier Saint-Simon, père de celui qui s'est montré lui-même si passionné et si injuste dans ses célèbres Mémoires. Les injures, les calomnies si peu fondées qu'elles soient, laissent toujours après elles, surtout lorsqu'elles se produisent après la mort et que les individus attaqués ne peuvent plus se défendre, des traces profondes, des préventions invincibles. C'est ainsi que Guy Patin, dont l'esprit satirique était d'ailleurs tout disposé à prendre parti pour la Faculté de Paris dont il était doyen, écrivait encore en 1663 à son ami André Falconet, médecin de Lyon: «M. Bouvard m'a dit autrefois qu'il avoit entretenu le feu Roi du mérite et de la capacité de quelques médecins par les mains de qui Sa Majesté avoit passé, et après qu'il lui en eût dit ce qu'il en savoit, que le Roi s'écria: «Hélas! que je suis malheureux d'avoir passé par les mains de tant de charlatans!» Ces messieurs étoient Héroard, Guillemeau et Vautier. Le premier étoit bon courtisan, mais mauvais et ignorant médecin. M. Sanche, le père, m'a dit ici l'année passée que cet homme ne fut jamais médecin de Montpellier.»

Vers la même époque Tallemant des Réaux disait dans son Historiette de Louis XIII: «J'oubliois que son premier médecin Hérouard a fait plusieurs volumes qui commencent depuis l'heure de sa naissance jusqu'au siége de la Rochelle, où vous ne voyez rien, sinon à quelle heure il se réveilla, déjeuna, cracha, p...., ch... etc.» Le savant et dernier éditeur de Tallemant, M. Paulin Paris, cite en note un autre livre intitulé: La santé du Prince, ou les soings qu'on y doigt observer, 1616, in-12, qui serait attribué à Jean Héroard. «Une partie de ce livre, ajoute M. Paulin LXVII Paris, contient les Rencontres et promptes reparties de M. le duc d'Anjou. Il y en a une pour chaque jour du mois; mais, comme on le devine, les bons mots qu'on prête à cet enfant de six à huit ans sont généralement assez mauvais.» Nous pensons que ce livre doit plutôt avoir été écrit par le médecin attaché à la personne du frère puîné de Louis XIII, Gaston, depuis duc d'Orléans.

M. J. Michelet, parlant ironiquement du volumineux manuscrit d'Héroard qu'il nomme le Journal des digestions de Louis XIII, dit dans une note de son livre sur Henri IV et Richelieu: «L'historien, le politique, le physiologiste et le cuisinier étudieront avec profit ce monument immense.»

Les Archives curieuses de l'histoire de France, publiées par MM. Cimber et Danjou, avaient, dès l'année 1838, commencé à faire mieux connaître le journal d'Héroard par un long extrait comprenant toute l'année 1614; plus récemment M. Armand Baschet a puisé dans ce journal des détails spéciaux sur le mariage de Louis XIII et a donné du manuscrit original d'Héroard une très-exacte description. Nous apportons à notre tour le résultat d'un travail, entrepris d'abord en vue d'une publication autorisée le 10 janvier 1859 par S. Exc. M. Rouland, alors ministre de l'Instruction publique, continué et complété depuis par une bienveillante communication de M. le marquis de Balincourt. Il ne nous est pourtant pas permis d'affirmer, malgré le double dépouillement auquel nous nous sommes livrés, que l'on ne trouverait pas encore beaucoup de faits intéressants à signaler dans les manuscrits d'Héroard. Les extraits d'un document inédit ne représentent toujours que l'impression personnelle de celui qui le consulte, et tout lecteur qui surviendra aura inévitablement des préoccupations différentes de celles de son prédécesseur. Des extraits ne peuvent donc en aucun cas tenir lieu d'une publication intégrale; mais, quelles que soient les facilités que l'on trouve de nos jours pour imprimer des documents beaucoup plus volumineux, il est bien peu probable que les manuscrits d'Héroard soient jamais reproduits dans toute leur étendue. Il nous reste maintenant à donner sur ces divers manuscrits les renseignements qui permettront de recourir à ceux que nous avons eus à notre disposition.

Le manuscrit original de Jean Héroard est ainsi décrit dans la Bibliothèque historique du P. Lelong: «21447. MS. Journal particulier de la vie du Roi Louis XIII, depuis l'an 1605 jusqu'en 1628; composé et écrit de la main de Jean Héroard, seigneur de Vaugrineuse, son premier médecin, in-fol. 6 vol.—Ce journal étoit conservé dans la bibliothèque de M. Colbert, numéro 2601-606 LXVIII et est dans celle du Roi.» On remarquera qu'il manque à ce manuscrit original un peu plus de trois années, c'est-à-dire les cahiers d'Héroard depuis le 15 septembre 1601 jusqu'au 31 décembre 1604. Les six tomes de ce manuscrit sont aujourd'hui catalogués à la Bibliothèque impériale sous les nos FR. 4022 à 4027.

La Bibliothèque impériale possède aussi, dans le Supplément français, no 928, un autre manuscrit de douze feuillets qui a pour titre: Particularitez de la vie du Roy Louys XIII, des mémoires d'Erouard médecin. C'est une analyse succincte du manuscrit original, année par année, depuis la naissance du Dauphin jusqu'à la mort d'Héroard. Cette analyse paraît avoir été faite par un médecin; elle se termine ainsi: «Érouard... étoit moins curieux de richesses que de gloire; il faisoit la médecine un peu différemment des autres; il saignoit moins et usoit de cordiaques et spécifiques.»

Un autre extrait se trouve à la Bibliothèque de l'Arsenal, dans le Recueil de pièces sur l'histoire de France, no 184. Ce manuscrit a pour titre: Journal du Roy Louis XIIIe par Me Jeh. Hérouard, son premier médecin; il comprend de janvier 1614 à décembre 1617.

Le quatrième et dernier manuscrit que nous avons eu entre les mains est catalogué dans la Bibliothèque du P. Lelong à la suite du manuscrit original: «21448. MS. Ludovicotrophie ou journal de toutes les actions et de la santé de Louis Dauphin de France, qui fut ensuite le Roi Louis XIII, depuis le moment de sa naissance (le 27 septembre 1601) jusqu'au 29 janvier 1628; par Jehan Hérouard, premier médecin du Prince, in-4o, 4 vol.—Ce manuscrit qui contient des anecdotes singulières, et qui est important pour les dates, est conservé dans le cabinet de M. Genas, conseiller au Présidial de Nismes. Le premier volume, qui commence à la naissance du Prince, finit à l'année 1604. Il manque les années 1605 et 1606. Le second contient depuis 1607 jusqu'à 1610. Il manque ensuite les années 1611, 12 et 13. Le troisième volume commence à 1614 et finit en 1617. Il manque ensuite quatre années. Le quatrième et dernier volume comprend les années 1622 et suivantes, jusqu'au 29 janvier 1628 où l'auteur tomba malade à Aitré, et y mourut le 8 février suivant. Il étoit né le 22 juillet 1551. Outre ce qu'on a marqué, il y a encore quelques petites lacunes.»

Cette description est rigoureusement exacte, et c'est ce manuscrit, appartenant aujourd'hui à M. le marquis de Balincourt, dont la communication nous a permis de combler la lacune des trois premières années qui existe dans le manuscrit original de la Bibliothèque LXIX impériale. On a vu plus haut, sous la plume de Charles Guillemeau, l'ennemi d'Héroard et de son neveu Courtaud, ce nom de Ludovicotrophie que portent en effet, sur le dos de leur reliure en parchemin, les quatre volumes appartenant à M. de Balincourt. Une note d'une écriture microscopique, qui se trouve au bas de la première page du premier volume, indique que ce manuscrit a été commencé le 25 septembre 1648. Le manuscrit de M. de Balincourt n'est pas une reproduction intégrale de l'original avec lequel on peut le confronter dès le 1er janvier 1607; c'est aussi un extrait dans lequel on a supprimé la plus grande partie des détails qui choquaient Tallemant des Réaux. Ce travail a été exécuté d'après le manuscrit original, et l'on en trouve la preuve dès les premières lignes, en regard desquelles est relié un fragment de l'écriture d'Héroard qui est le commencement même de son registre: «Le 15e jour de septembre 1601[1] je reçus lettre, etc.» La copie, faite de la main même d'Héroard, de la lettre écrite par Biron à Mme de Montglat le 24 avril 1602, est également placée dans le manuscrit de M. de Balincourt, en regard de la journée du 28 avril, où le médecin mentionne cette lettre.

Toutes ces circonstances nous font supposer que, postérieurement à la mort de la veuve Héroard en 1640, Simon Courtaud était devenu possesseur du manuscrit de son oncle; que c'est lui qui, aux endroits des lacunes du manuscrit original, s'est plaint de la négligence de la veuve et des autres parents d'Héroard; et que c'est lui enfin qui, en préparant cet extrait et en imaginant le titre de Ludovicotrophie, projetait une publication pour laquelle il aurait rédigé la préface que nous reproduisons. Cet avis au lecteur se trouve en tête du manuscrit appartenant à M. le marquis de Balincourt; mais il n'est pas de la même écriture que le reste de la copie, et il n'est certainement pas de la main de Jean Héroard. Le texte en est autographe et corrigé par l'auteur, que nous croyons être Simon Courtaud.

Le dessein de l'auteur en cet œuvre a été divers et doit être diversement considéré: car son but étant de s'acquitter dignement du soin de la nourriture du Prince qui lui avoit été commise, il s'est principalement et particulièrement arrêté aux observations qu'il reconnoissoit, de jour en jour et d'heure à autre, nécessaires pour établir un solide jugement à l'avenir aux altérations et changemens auxquels, dès la naissance, la nature assujettit tous les hommes, et, par cette remarque sage, pénible, judicieuse et curieuse, prendre instruction et fondement pour conduire à bonne fin la charge de la santé du Prince pour laquelle le roi Henry le Grand avoit fait choix de sa personne, l'ayant considérée pour son expérience, pour son jugement et pour sa fidélité reconnue dès longtemps auparavant par Sa Majesté, par longs et signalés services. A quoi l'auteur se seroit porté avec tout le soin et diligence qui se pouvoit requérir, n'ayant laissé passer aucun accident, concernant la santé et infirmités du Prince, dont il n'aye fait les remarques, y joignant l'ordonnance et la sage application des remèdes, ensemble le récit et observation de ses inclinations et appétits particuliers; le tout si exactement et simplement décrit que l'on peut dire cet ouvrage sans exemple ni espérance d'un pareil à l'avenir. D'autre part l'auteur n'a point voulu donner à son ouvrage le titre d'histoire, ains seulement Journal et Registre particulier, d'autant que son but n'a point été de s'étendre plus avant dans l'histoire, comme il eût bien pu faire s'il eût voulu, ains il s'est tenu dans les limites de la vie particulière de son Prince et de son Maître, afin de ne rien prendre d'autrui et de ne mettre en avant que les choses qu'il auroit vues; imitant en quelque sorte ce qui étoit jadis usité par les anciens grands empereurs du Cathay, qui au bas de leur table tenoient toujours quatre secrétaires assis, qui mettoient en écrit tout ce que le Roi disoit, soit bien, soit mal; et de cet usage l'auteur n'a point été mauvais imitateur n'ayant laissé passer aucune parole ni action remarquable du Prince qui ne soit insérée en ce journal, ne faisant aussi en cela qu'obéir à son Prince qui lui commandoit expressément d'enregistrer les sentences et actions louables et vertueuses qu'il reconnoissoit dignes de lui: lequel commandement l'auteur faisoit souplement servir d'occasion pour réprimer les défauts de la jeunesse du Prince en le menaçant d'en charger son journal dont il étoit jaloux que cela ne fût point. Et de tout cet ouvrage non pareil et qui est comme une riche et agréable tapisserie de diverses matières et un chef-d'œuvre du soin d'un fidèle serviteur et sujet envers la personne de son Prince et de son Maître, il n'y a rien dont il soit fait mention en aucune histoire, et qui pourra servir de modèle et d'instruction à ceux qui ont ou auront à l'avenir la conduite de la santé et éducation des Princes, étant mêlé du médecin, du politique, du moral, même de méthode à tous pour l'éducation des enfans.

JOURNAL
DE
JEAN HÉROARD
SUR L'ENFANCE ET LA JEUNESSE
DE LOUIS XIII

ANNÉE 1601.

Héroard est nommé premier médecin du futur Dauphin; paroles que lui adresse Henri IV.—Naissance du Dauphin à Fontainebleau.—Témoins de l'accouchement.—Description du corps de l'enfant; remarque de la duchesse de Bar.—Le Roi annonce lui-même l'événement.—Départ des courriers.—Paris de Zamet avec le Roi et la Reine.—Première nourrice.—Le Roi manque de laisser tomber son fils.—Visites de grands personnages.—Première chemise; mot de la duchesse de Bar.—Avidité de l'enfant.—Seconde nourrice.—Le Dauphin transporté de Fontainebleau à Saint-Germain en Laye; son passage et sa réception à Melun et à Paris.—Visites à Saint-Germain; la Reine y vient avec Mme de Guise et la Concini.—Arrivée du Roi; il se joue avec son fils.—Premier mot de l'enfant à sa nourrice.—Arrivée des gardes du corps.—La marquise de Verneuil à Saint-Germain.—Jargon du Dauphin; il aime la musique.—Visite des nonces du Pape.—Remplacement de la première nourrice.

Le 15e jour de septembre 1601 je reçus lettre de Mme de Guiercheville[2], le 17e, celle de M. de la Rivière, premier médecin du Roi. Le 20e, dimanche, j'allai coucher à Fontainebleau.

Le 21e, sur les quatre heures du soir, à l'entrée du jardin des canaux, je rencontrai le Roi qui revenoit de la chasse, et m'appelant, me fit l'honneur de me dire: Sept
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2 «Je vous ai choisi pour vous mettre près de mon fils le Dauphin; servez-le bien.»

En l'année 1601, le 26e jour de septembre, Marie de Médicis, reine de France et de Navarre, se trouvant à Fontainebleau sur la fin du neuvième mois de sa grossesse, environ les onze heures du soir, commença de sentir quelques douleurs que l'on jugea pouvoir être d'enfantement. Toute la nuit elles furent lentes, la reprenant de loin à loin sans point de violence; continuèrent en la même façon jusques sur les deux heures après midi du jour suivant qu'il lui survint une colique venteuse qui la traita bien fort cruellement l'espace de deux heures et enfin s'apaisa par l'aide des remèdes qui furent faits; et fut après cela une bonne heure sans douleur aucune. Les premières la reprirent comme devant, mais aussi avec plus de rigueur et moins de repos; passa jusques à huit heures en cette sorte. Alors on la leva de son lit, où elle avoit été toujours couchée, pour la mettre sur une chaise faite exprès pour accoucher, estimant qu'elle y pourroit être plus aisément délivrée. Au même temps les douleurs la saisirent si vives et si pressantes que, sans aucun ou fort peu de relâche, elles continuèrent jusques à l'entier accouchement, qui fut d'un Dauphin, le 27e du mois susdit, quatorze heures dans la lune nouvelle, à dix heures et demie et demi quart, selon ma montre faite à Abbeville par M. Plantard. L'enfant fut reçu par dame Louise Bourgeois, dite Mme Boursier[3], sage-femme à Paris, qui fut longtemps à couper le nombril de peur de le blesser, d'autant qu'à tout propos il y entortilloit ses mains et le tenoit de telle force qu'elle avoit peine de l'en retirer. Et sur ces entrefaites la Reine demanda par deux fois en ces termes: E maschio? A quoi ne lui étant point répondu se leva en pied de la chaise où elle venoit Sept
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3 d'accoucher pour voir ce qui en étoit. Le Roi ne l'en sut empêcher, qui étoit tout debout derrière la chaise et d'où il n'étoit parti depuis l'heure qu'elle y fut mise. François de Bourbon, prince de Conty[4], Charles de Bourbon, comte de Soissons[5], et Henri de Bourbon, duc de Montpensier[6], furent présents à cet accouchement, auxquels fut commandé par Sa Majesté de s'approcher de la sage-femme et de se baisser pour voir l'enfant tenant à l'arrière-faix, avant qu'elle en fît la séparation. Catherine de Bourbon, duchesse de Bar[7], sœur du Roi, Anne d'Este, duchesse de Nemours[8], et Antoinette de Pons, marquise de Guiercheville[9], dame d'honneur de la Reine, la servirent à cet accouchement. Durant cette longueur de mal, et âpreté de tant de sortes de douleurs, la constance et fermeté de la Reine fut merveilleuse et incroyable, voire à ceux même qui ont eu l'honneur de la servir en cette occasion, n'ayant en ses plus grandes douleurs, sinon sur les dernières, haussé plus haut sa voix et son Oimè je morio, qu'il se pût qu'à peine entendre d'un bout de chambre à l'autre; et, la douleur passée, faisant paroître sa face autant joyeuse comme en pleine santé. Lors mêmement que le Roi (qui tout le long de son travail alloit et venoit), arrivoit auprès d'elle, on la voyoit revenir toute à soi, le recevant et l'entretenant de Sept
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4 propos de personne contente, lâchant ce néanmoins parmi ces gaietés des grosses larmes. Pendant le cours de ces assauts, comme elle avoit un peu plus de repos, demandoit quelquefois combien on tenoit de la lune, craignant d'accoucher d'une fille, sur l'opinion vulgaire que les femelles naissent sur le décours, et les mâles sur la nouvelle lune. Étant donc entièrement délivrée et l'enfant se trouvant foible, pour avoir longtemps séjourné en attendant l'arrière-faix, il lui fut donné un peu de vin par M. Guillemeau, chirurgien ordinaire du Roi; puis étant élevé par la sage-femme, pris par Mlle de la Renoulière, première femme de chambre de la Reine, à laquelle le Roi lui commanda, disant: «Baillez-le à Mme de Montglat[10],» qui le prit enveloppé et le porta devant le feu, où il fut assez longtemps, pendant que la sage-femme pansoit la Reine, qui alla sur ses pieds, depuis sa chaise d'où elle venoit d'accoucher jusques dedans son lit, sans l'aide de presque de personne. Cependant je lui donnai (à l'enfant), dans sa cuiller, un peu de mithridate détrempé avec du vin blanc, qu'il avala fort bien et en suça ses lèvres comme si ç'eût été du lait. Puis elle vint à monseigneur le Dauphin, où l'on put voir alors un enfant grand de corps, gros d'ossements, fort musculeux, bien nourri, fort poli, de couleur rougeâtre et vigoureux tout ce que l'on peut penser pour cette petite âge. Il avoit la tête bien formée, de bonne grosseur, couverte de poil noirâtre, les yeux tannés, le nez un peu enfoncé vers sa racine, épaté et relevé par le bout, les oreilles de moyenne grandeur et bordées, la bouche Sept
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5 très-belle, petite et fort relevée, ayant le dessus du milieu de la lèvre haute par le dehors fort canelé, et le milieu de la basse aussi; le menton fourchu, le tout fait comme d'un trait, et le bas du visage fort arrondi; le col gros et fort, et les épaules larges; la poitrine bien relevée, les bras grands, les mains aussi et d'une blancheur naïve (sic) par dessus l'ordinaire; les parties génitales à l'avenant du corps; les jambes droites et les pieds grands, fort larges par le bout, se rétrécissant en un talon fort pointu, les orteils presque de pareille longueur, les serrant en dedans, du gros au petit, comme on feroit du bout de la main. Il porta sur lui ces marques: entre les deux sourcils, mais plus proche du droit, se trouva une tache rougeâtre ronde, de la grandeur d'un petit denier; une autre au-dessus de la nuque, sous la racine des cheveux, de pareille couleur et de même figure, mais de grandeur semblable à un rouge double, et une autre petite de la même couleur à l'entrée de la narine gauche; et la dernière ce furent trois poils noirs sur le sommet du cartilage de l'oreille gauche, et le croupion tout velu. Les poils de l'oreille et la forme du pied se trouvent être de même au Roi son père. Je lui fis laver tout le corps de vin vermeil mêlé avec de l'huile, et la tête de pareil vin et de l'huile rosat. Pendant tout cela il cria fort peu, mais par son cri fit bien paroître la force de ses poumons, ne criant point en enfant, qui est une des choses plus remarquables en lui.

Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui considéroit les parties si bien formées de ce beau corps, ayant jeté sa vue sur celles qui le faisoient être Dauphin, se retournant vers Mme de Panjas, sa dame d'honneur, lui dit qu'il en étoit bien parti[11]. Ces mots furent reçus avec risée qui les porta aux oreilles du Roi, qui étoit près de la Reine.

Étant emmaillotté il fut porté sur le lit de la Reine et Sept
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6 couché à sa main droite, où elle lâchoit parfois quelques œillades. Un quart d'heure après il fut emporté par Mme de Montglat dedans sa chambre et mis dans son berceau entre minuit et une heure.

Aussitôt que Monseigneur le Dauphin fut né, le Roi apporta lui-même la nouvelle à la noblesse qui l'attendoit en son antichambre, laquelle fut si bien reçue qu'ils se jetoient tous en foule à ses jambes, avec telle ardeur qu'il ne pouvoit passer et faillit à être renversé. Ayant reçu Sa Majesté ce témoignage d'allégresse pour la bonne nouvelle: «Allons, dit-elle, rendre grâces à Dieu, et que chacun de vous se y prépare.» La Reine ayant été pansée et Monseigneur le Dauphin couché, il se y achemina. A son retour toute la cour flamboit des feux de joie et tout tonnoit des salves des arquebusades qui furent faites par les soldats des gardes; le Sr de Mansan, capitaine au régiment des gardes, étoit en garde.

A l'heure même de sa naissance, les courriers qui avoient demeuré bottés depuis que la Reine commença de se plaindre, montèrent à cheval pour France, Florence et Mantoue, sachant que c'étoit un Dauphin, «n'étant bottés, ce disoient-ils, pour une fille;» et de fait M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État, avoit fait préparer double dépêche. Avant de partir, on fit voir la marque de Dauphin à ceux qui furent dépêchés pour l'Italie et quelques autres pour France. Le Sr de la Varenne[12] porta cette nouvelle à Paris, alla descendre chez le Sr Zamet qui y gagna mille écus, pour gageure faite d'un mâle contre le Roi, et de deux mille écus contre la Reine qu'elle accoucheroit dans le jeudi[13].

Le 28 septembre, vendredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice Sept
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7 fut damoiselle Marguerite Hotman[14], et reconnoissant qu'il avoit peine à teter, il lui fut regardé dans la bouche et vu que c'étoit le filet qui en étoit cause; sur les cinq heures du soir il lui fut coupé à trois fois par M. Guillemeau, chirurgien du Roi.

Le 30 septembre, dimanche, à Fontainebleau.—Messire Achille de Harlay, premier président à Paris, arrive de sa maison de Beaumont pour le voir.

Le lundi 1er octobre.—Porté à la chambre de la Reine; M. le cardinal de Gondi le vient voir.

Le 5, vendredi.—Porté chez la Reine; le Roi se y trouva, et le voulant rendre à la nourrice, couché sur un oreiller de velours ras, il l'a soulevé pour le baiser; l'enfant coule, et le Roi baise l'oreiller. Le Dauphin fût tombé sur les pieds à terre s'il n'eût été reçu par sa nourrice, qui l'empoigna. Dès lors on ajouta une pièce de velours audit oreiller, où l'on le mettoit quand on le vouloit porter hors de sa chambre, et depuis le Roi ne le porta plus et ne le prit entre ses bras.

Le 6, samedi.—Messire Jean de Nicolaï, premier président des Comptes à Paris, arrive pour le voir comme particulier.

Le 8, lundi.—M. Guyet, sieur de Charmeaux, président des Comptes et prévôt des marchands, arrive comme particulier et le vit remuer.

Le 9, mardi.—Porté chez la Reine.

Le 10, mercredi.—Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, lui donne sa première chemise. La remueuse lui dit qu'il falloit faire le signe de la croix. «Faites-le donc pour moi, dit-elle en souriant, je ne le sais pas faire[15]». Elle ne laisse pas pourtant de la lui donner.—Depuis le lendemain de sa nativité, il avoit le cri fort et puissant, ne ressentant aucunement le cri et le vagissement des Oct
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8 enfants, ce qu'il n'a jamais fait; et quand il tetoit c'étoit à si grandes gorgées, élevant sa mâchoire si haut, qu'il en tiroit plus à une fois que les autres ne font en trois; aussi sa nourrice étoit à toute heure presque à sec.

Le 11, jeudi, à Fontainebleau.—Porté chez la Reine; rapporté. La nourrice, au retour de la chambre de la Reine, a vomi tout son dîner; elle mangeoit beaucoup et plus qu'elle ne pouvoit, reconnoissant le défaut de son lait.

Le 12, vendredi.—Remué devant Messire Pomponne de Bellièvre, chancelier de France.

Le 13, samedi.—Manifeste défaut de lait en sa nourrice, qui avoit la mamelle petite et le lait clair et chaud.

Le 14, dimanche.—Porté chez la Reine; rapporté. Allouvi[16], point assouvi. On lui donne de la bouillie, ayant mis à sec les deux mamelles; il en prend et avidement.

Le 17, mercredi.—A cause de cette grande avidité, l'importunité des femmes lui fit donner du lard frais[17], bouilli, à frotter ses gencives; il en tronçonna un morceau qu'il faillit à avaler. Porté chez la Reine; teté avidement; rapporté.

Le 18, jeudi.—Remué, le Roi présent. Allouvi; mis à sec sa nourrice; bouillie.

Le 19, vendredi.—Sur le défaut de lait reconnu par plusieurs fois en sa nourrice par MM. de la Rivière, du Laurens, Vido et moi, assemblés par le commandement de LL. MM., il fut résolu que Mlle Hélin, femme Lemaire, seconde nourrice, donneroit le lait à Mgr le Dauphin pour secourir la première[18].

Oct
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Le 20, samedi, à Fontainebleau.—Allouvi à l'accoutumée; la nourrice à sec; la seconde nourrice, Mlle Hélin, lui a donné le lait; la Reine y est venue, puis le Roi.

Le 22, lundi.—M. de Mayenne[19] le vient visiter.

Le 23, mardi.—Remué en présence de la Reine.

Le 24, mercredi.—Peu de lait en la nourrice qui, de son collet, couvroit ses mamelles pour en cacher le défaut; il rit à la sage-femme.

Le 25, jeudi.—Porté chez la Reine; M. Groulard, premier président de Rouen, y arriva pour saluer la Reine et Mgr le Dauphin; il le voit remuer. Le Dauphin part de Fontainebleau à deux heures dans la litière de la Reine, dans un panier d'osier fait exprès[20]; il a dormi sans s'éveiller jusques à Melun. Arrivé à cinq heures à Melun, le lieutenant général, accompagné de six conseillers, lui viennent au-devant et font offre de leur service, parlant à Mme de Montglat, sa gouvernante; les quatre échevins portant un poêle de taffetas blanc en firent de même, et après mirent mondit Seigneur sous le poêle, et en cette façon fut conduit dans la ville, par la porte de Gâtinois, les rues tendues de blanc, jusques à la maison de M. de la Grange, où il coucha la nuit. M. de Mansan, gentilhomme gascon et capitaine aux gardes du Roi, et qui étoit en garde à Fontainebleau à sa naissance, fit la garde devant son logis. Il y eut beaucoup de personnes qui le virent remuer, et une femme d'assez moyenne qualité, qui, entre les autres, transportée d'affection, se jette à genoux à mon côté: «Mon Dieu, dit-elle, y auroit-il danger de le baiser», et ce disant fait contenance de le vouloir faire si je ne l'eusse retenue.

Le 26, vendredi.—Parti à huit heures de Melun pour aller à Lourcine; arrivé à onze heures à Lourcine. Parti Oct
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10 de Lourcine à deux heures et demie, il arrive à six heures à Villeneuve-Saint-Georges. M. Gobelin, trésorier de l'Épargne, sa femme, M. et Mlle du Mesnil le vinrent voir, ainsi que M. et Mme de Mareuil du Val. Je le portai de la litière en sa chambre.

Le 27 octobre, samedi, voyage.—M. le grand prévôt du Val, M. de Mareuil, son frère, sont partis avec le Dauphin à neuf heures. Arrivé à onze heures à Maisons, parti à deux heures et demie. En chemin, Messire Guyet, président des Comptes et prévôt des marchands à Paris, accompagné des échevins et autres officiers de la Ville, vêtus de leurs habits de magistrats, ayant avec eux tous les archers de la dite Ville, sortent au-devant de lui sur le chemin de Charenton, mille pas hors la porte. Étant arrivés près de la litière, ils mirent pied à terre, et le prévôt des marchands parla à Mme de Montglat qui étoit dedans, tenant sur les genoux Monseigneur le Dauphin dormant. Elle lui répondit, et les discours de l'un et de l'autre durèrent environ demi-heure, lesquels finis l'on commença à marcher, M. de Montglat d'un côté de la litière et moi de l'autre, et les archers aussi, pour empêcher que la grande multitude de peuple de tous âges et sexes, à pied, à cheval et en carrosse, ne se jetât sur la litière, comme il est vraisemblable qu'il fût advenu, pour le désir ardent que chacun avoit de le voir. Étant arrivé à la porte Saint-Antoine, le Dauphin fut reçu par les hautbois, cornets à bouquin et trompettes, qui étoient sur le bastion de main droite, et conduit enfin à la maison du sieur Sébastien Zamet, où il logea en la chambre du Roi, à quatre heures et demie.

Le 28, dimanche, à Paris.—Le Roi, la Reine, M. de Mayenne et tout ce qui étoit des princes et princesses à la Cour, le sont venus voir, à part ou avec la Reine.

Le 29, lundi.—Sur les six heures, parti de chez M. Zamet, porté au Louvre, où le Roi et la Reine l'ont vu et tenu bien une heure; de là aux Tuileries où le Oct
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11 Roi, qui y étoit venu, le fit passer pour le voir derechef et le montrer à plusieurs qui ne l'avoient encore vu; et de là, partant entre midi et une heure, il alla à Saint-Cloud, logea au petit logis de M. de Gondi, chevalier d'honneur de la Reine. Parti de Saint-Cloud à trois heures il arrive à six heures à Saint-Germain en Laye, lieu choisi par le Roi pour y être nourri, accompagné de messire [Robert] de Harlay, sieur de Montglat, de Françoise de Longuejoue, dame de Montglat, sa gouvernante; de moi Héroard, médecin ordinaire du Roi et premier de Monseigneur le Dauphin; de Georges Birat, premier huissier de sa chambre, et du sieur François de Marviller, écuyer, sieur de Meninville en Beauce, capitaine exempt des gardes du corps du Roi, sous la charge de M. de Praslin; du sieur Daniel Prévost, sieur de Bragelongne en Champagne; du sieur Jehan Dugué, Parisien; du sieur Jacques de Lancelin, sieur de la Rouillère, de Valence en Dauphiné; du sieur Guillaume de la Palisse, de Messe en Gâtinois; du sieur Charles du Til, de Préaux en Normandie; du sieur Isaac de Rives, sieur de la Rivière, d'Aspreville en Normandie; du sieur Jacques du Glasc, Écossois, tous archers des gardes du corps du Roi, et de quatre Suisses de la garde. A bonne heure nous prit la pluie qui arriva aussitôt comme il fut en sa chambre. Il fut mis en celle de la Reine en attendant que la sienne fût accommodée; le soin que l'on avoit eu d'un si précieux trésor fut tel que l'on ne y avoit trouvé aucune chose de prêt pour le recevoir. Il est à présumer que l'on en doit blâmer ceux qui tiennent les charges pour telles affaires. Peu de lait à la nourrice.

Le 3 novembre, samedi, à Saint-Germain en Laye.—Le comte de Lindre, prince d'Espinoy, Flamand, ambassadeur extraordinaire de la part de l'Archiduc devers le Roi pour se réjouir de la naissance de Mgr le Dauphin, le vient voir ce disoit-il, par commandement du Roi. [Louis de Lorraine], abbé de Saint-Denis, et le chevalier Nov
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12 de Lorraine, son frère, le sont venus visiter[21].

Le 4 novembre, à Saint-Germain.—Dormi, réveillé, etc.; frotté le ventre d'huile d'absinthe et le nombril de civette. M. Brulard, abbé de Léon, le vient visiter.

Le 5, lundi.—La Reine arriva à midi et demi à Saint-Germain, ayant en sa compagnie Mme de Guise et Mlle sa fille[22], Mme de Guiercheville, et la signora Conchino[23]. La Reine reçoit par Petit des lettres du Roi écrites à Verneuil[24]; elle fait réponse. La Reine part pour s'en retourner à Paris.

Le 6, mardi.—Mme de Villars, femme du sieur de Villars, gouverneur du Havre, le vient voir.

Le 7, mercredi.—Sa nourrice avoit peu de lait; mis de l'or battu au bout de sa mamelle pour les tranchées.

Le 8, jeudi.—Le clarissime Contareno, ambassadeur de Venise, le vient visiter, et ce même jour aussi M. de la Force, capitaine des gardes du corps du Roi.

Le 11, dimanche.—On lui a frotté la tête la première fois avec plaisir.

Le 12, lundi.—Le Roi et la Reine sont arrivés; il les a considérés.

Le 13, mardi.—Dormi, réveillé, rendormi au tétin, faute de lait. La Reine ne veut point que Mlle Lemaire donne le lait comme Mme de Montglat me le dît. Mlle la nourrice a la fièvre du poil. Mlle Lemaire donne le lait.

Le 17, samedi.—La Reine l'est venue voir; M. d'Andelot, Mme de Gesvres le sont venus voir. On lui a frotté le front et le visage avec du beurre frais et huile d'amandes Nov
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13 douces, pour la crasse qui paroissoit y vouloir venir.

Le 18 novembre, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi le fait porter en son cabinet, où il lui fait savourer deux gouttes de vin qu'il ne refusa point.

Le 19, lundi.—Amusé, le Roi et la Reine présents.

Le 20, mardi.—M. le connétable[25] le vient saluer, M. de Rohan aussi.

Le 21, mercredi.—M. Séguier, ambassadeur pour le Roi à Venise et président en la cour de Parlement à Paris, M. de Thémines, sénéchal de Quercy, le viennent saluer. Amusé et fort caressé du Roi.

Le 22, jeudi.—Amusé par le Roi.

Le 23, vendredi.—La Reine dit que la marque rouge qu'il a sur la nuque, à la racine des cheveux, pouvoit provenir d'une envie qu'elle eut de manger des betteraves, lesquelles on lui ôta et n'en voulut point demander. Le Roi et la Reine présents au remuer.

Le 24, samedi.—Le fils du marquis de Brandebourg le vient voir, la Reine aussi.

Le 25, dimanche.—La duchesse de Bar le vient voir avec la Reine.

Le 26, lundi.—Il lui a été mis un collier de grains de corail au col. Le Roi et la Reine le sont venus voir.

Le 27, mardi.—J'ai pris congé de la Reine, qui m'a recommandé el delphino e la norrizza. Le Roi et la Reine partent à une heure et demie pour s'en retourner à Paris.

Le 5 décembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il écoute fort attentivement à l'âtre, comme je lui disois qu'il falloit être bon et juste, que Dieu l'avoit donné au monde pour cet effet et pour être un bon roi; s'il le étoit que Dieu l'aimeroit; il sourioit à ces paroles. Mlle sa nourrice Déc
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14 le tenoit en son giron; lui ayant donné à teter aussitôt qu'il fut remué et se jouant à lui, elle lui dit ces mots: «Eh bien, Monsieur, quand je serai bien vieille et que je irai avec un bâton, m'aimerez-vous plus?» Il la regarde droit en la face et puis, comme y ayant pensé, répondit: Non. J'étois tout contre qui le considérois pendant qu'il tetoit, et fus entièrement étonné, aussi bien que tous ceux qui y étoient présents, qui l'entendirent de l'autre bout de la balustre.

Le 6, jeudi, à Saint-Germain.—M. de Gondrin, chevalier de l'Ordre, le vient voir. Les quatre archers des gardes du corps et un exempt, avec quatre Suisses des Cent de la garde du Roi, arrivent.

Le 7, vendredi.—M. le duc de Vendatour le vient voir. La Reine arrive, amenant avec elle le cavalier Juigny, maître général de la garde-robe et gentilhomme de la chambre du Grand-Duc, ambassadeur ordinaire vers le Roi, pour se réjouir de la naissance de Monseigneur le Dauphin. Le cavalier prend congé de lui, l'appelle Sire. La Reine part.

Le 8, samedi.—Éveillé, etc., Mme de Gondi, abbesse de Poissy, et Mme de Vieuxpont le viennent voir.

Le 10, lundi.—La marquise de Verneuil[26] le vient voir; il la regarde attentivement, et lui rit gracieusement. Elle demeura, ce disoit-elle, fort contente de l'honneur qu'il lui faisoit; la marquise soupa. Il a toujours ri avec joie incroyable à la marquise parlant à lui.

Le 12, mercredi.—Il commence à reconnoître et à nommer en son jargon, et lui étant demandé de moi par la remueuse: «Qui est cet homme-là?» répond en jargonnant et aisément: Eouad. On reconnoît manifestement que son corps ne se nourrit point; les muscles de la Déc
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15 poitrine étoient tout consumés, et le gros rempli qu'il avoit sur le col n'étoit que peau. Il aime et se plaît à ouïr la musique.

Le 14, vendredi, à Saint-Germain.—Ce jourd'hui je commençai à coucher au château pour les flegmes.

Le 16, dimanche.—Éveillé, etc.; M. le maréchal de Bois-Dauphin le vient voir.

Le 18, mardi.—MM. de Châteauvieux, de Roquelaure et d'Inteville le viennent voir.

Le 20, jeudi.—Mme de Lairs, du pays d'Agenois, demande de le tenir afin qu'elle puisse s'en vanter, et laisse son manchon pour le prendre. La nourrice se recule disant qu'il le falloit demander à Mme de Montglat, qui lui répondit que personne ne l'avoit encore pris; ce qu'elle ne fit point.

Le 21, vendredi.—Le Roi l'a éveillé; fort causé avec lui et fort paisiblement dans son berceau; fort raillé, rossignolé. Sa nourrice lui demande: «Êtes-vous pas le mignon de papa?» Il dit: Oui, MM. de Villeroy, d'Alincourt, du Laurens et plusieurs autres étant présents. Montré son corps à LL. MM. qui s'en sont retournés à Paris fort contents.

Le 23, dimanche.—Coiffé d'un bonnet de satin et pris des manches de même. L'illustrissime monsignor del Buffalo, évêque de Camerino, nonce ordinaire, et l'illustrissime et révérendissime monsignor Barberino, clerc de la chambre de S. S., nonce extraordinaire, le viennent saluer. Le nonce ordinaire a demandé à le baiser; ils l'ont fait, l'extraordinaire a commencé. Ils ont donné un chapelet et un Agnus Dei au bout à Mme de Montglat et un chapelet à Mlle la nourrice. Ils étoient conduits par M. de Luxembourg, ont dîné à midi aux dépens du Roi. La Parisière, maître d'hôtel servant, a dîné avec eux; M. Fleureteau, maître de la chambre aux deniers, a fait la charge.

Le 24, lundi.—M. le prince d'Orange est venu, qui l'a Déc
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16 vu dans son berceau; Mme la princesse d'Orange, M. d'Andelot, le comte de Warambon l'ont vu remuer.

Le 27 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat montre une lettre du Roi du 22 décembre 1601[27], lui commandant de faire donner le lait par Mlle Galand, femme de maître Charles Butel, barbier chirurgien à Paris, et de l'ôter à Catherine Hotman; Mlle Galand donne à teter. Remué en présence du sieur Lussan, capitaine des gardes du corps, et du sieur de Saint-Angel, gouverneur de Mâcon. Mlle Hotman fait merveille de se plaindre, se ressouvient du non de monseigneur le Dauphin en lui disant adieu. Il n'a jamais teté Hotman qu'il ne se soit mis en colère.

ANNÉE 1602.

Le Roi et la Reine à Saint-Germain.—Premier portrait du Dauphin fait en crayon par Decourt.—Départ de la seconde nourrice.—La marquise de Verneuil.—Première sortie.—Autre portrait du Dauphin.—M. de Rosny.—Les enfants de Gabrielle d'Estrées, élevés avec le Dauphin, ont la petite vérole.—Premières caresses de la Reine.—Portrait fait par Quesnel.—Réception d'ambassadeurs.—Premier instinct de la chasse.—Première dent.—M. de Mansan.—Projet de mariage avec l'infante d'Espagne.—Lettre du maréchal de Biron à Mme de Montglat.—Émotion d'un vieil officier général.—M. de Mayenne.—Le comte d'Auvergne.—Mme Boursier.—Premier vêtement.—Concini.—Mot du Roi sur la bouillie.—Tienette Clergeon.—Second portrait fait par Decourt.—Singulières habitudes données à l'enfant.—Le Roi joue à cache-cache avec son fils, lui fait voir la curée du cerf.—Exécution de Biron et chute du Roi.—La fête de Saint-Louis.—Nouvelle grossesse de la Reine.—Le Dauphin entre dans sa deuxième année.—Mœurs singulières.—Présents des députés du Dauphiné.—Audience des ambassadeurs suisses.—Singulier hommage des courtisans.—Le prince de Condé.—Naissance de Madame à Fontainebleau; son arrivée à Saint-Germain.

Le 12 janvier, samedi, à Saint-Germain.—Porté à la chambre de Mme de Montglat pour éventer la chambre et son berceau, et le parfumer de bois de genièvre. M. de la Tuillerie, maître d'hôtel du Roi, arrive, attendant le Roi venant de Verneuil; ce pendant la Reine arrive. Elle a été longtemps dans le parquet, se chauffant, accompagnée de Mme la marquise de Guiercheville, sa dame d'honneur, et de Mme de Montglat. Le Roi arrive demi-heure après; elle lui va au-devant à la porte de la chambre, où elle le rencontre; mines [sic]. Ils vont ensemble voir le Dauphin au berceau; le Roi lui a manié et considéré les pieds[28].

Janv
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18

Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—LL. MM. le viennent voir, oyent la messe en sa chambre puis s'en vont dîner; LL. MM. sont parties à une heure et demie. La Reine avoit, le jour de devant, amené Antoinette Joron pour nourrice, l'autre n'ayant point été trouvée propre.

Le 16, mercredi.—Le cavalier Juigny, ambassadeur du Grand-Duc, l'est venu voir pour lui dire adieu; et, par commandement de la Reine, Decourt, peintre du Roi[29], en tire un crayon pour l'envoyer à Florence.

Le 18, vendredi.—Achevé de peindre par M. Decourt.

Le 20, dimanche.—Le chevalier de Sancy le vient voir.

Le 21, lundi.—Je lui donne le bonjour et pars à onze heures pour aller à Paris, en compagnie de Mlle Lemaire, sa seconde nourrice, qui se retire pour n'avoir point été agréable à la Reine, par la persuasion de quelques personnes qui étoient près de Sa Majesté. C'étoit une très-honnête femme, fort douce, qui avoit beaucoup de lait et fort bon; et plût à Dieu que Monseigneur le Dauphin en eût été nourri au lieu de la première. Il en eût été mieux pour sa santé, et je crois qu'il eût été nourri seulement d'un lait. Dieu le veuille pardonner à ceux qui en sont cause.

Le 28, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent.

Le 29, mardi.—La Reine le vient voir à trois heures; le Roi et la Reine le viennent voir à cinq heures.

Le 30, mercredi.—Le Roi et la Reine y sont venus à une heure, le Roi et la marquise de Verneuil à cinq heures; il leur a fort ri et s'est joué avec eux.

Le 1er février, vendredi.—Le Roi et la Reine ont été présents depuis quatre heures et demie jusqu'à cinq heures.

Le 2, samedi, à Saint-Germain.—Joué, amusé, le Roi et la marquise de Verneuil présents.

Fév
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19

Le 5 février, mardi, à Saint-Germain.—Remué, le Roi et la Reine présents.

Le 8, vendredi.—A cinq heures le Roi arrive; remué en sa présence. Il est porté à la salle où le Roi soupoit.

Le 15, vendredi.—Il prend la bouillie avec la cuiller; Mme de Montglat la lui donne dorénavant, auparavant c'étoit la remueuse.

Le 19, mardi, jour de carême prenant[30].—Il faisoit fort beau temps; il fait sa première sortie par le pont de la chapelle, ayant son chapeau de paille; porté par Mlle Lecœur, l'une de ses femmes de chambre.

Le 21, jeudi.—Un peintre flamand est venu de la part de M. de Noailles, pour le peindre en huile et l'envoyer en Guyenne, par permission du Roi. Il a fait beau jeu au peintre durant deux heures, autant qu'il eût su désirer.

Le 23, samedi.—Le Roi et la Reine arrivent de Paris, l'ont amusé et fait longtemps causer dans le berceau.

Le 27, mercredi.—M. de Rosny le voit remuer.

Le 1er mars, vendredi.—Porté au jardin; à deux heures le comte Hercole Tasson, ambassadeur pour le duc de Modène devers LL. MM., le vient voir.

Le 2, samedi.—A dix heures le comte de Sulmo, ambassadeur de l'Électeur Palatin, arrive avec une douzaine de gentilshommes; à trois heures et demie Mme la présidente Dudrach, avec sa grande troupe.

Le 3, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Ventelet l'entretient, lui dit qu'il n'avoit que Dieu pour maître; il répond en souriant: Oui. M. de Saint-Germain (de Saintonge) et M. de Lauzeré, premier valet de chambre de Roi, M. Bovier, gentilhomme des ordinaires du Roi, le viennent voir. Il danse fort gaiement au son du violon.

Le 6, mercredi.—La petite vérole paroît à Alexandre Monsieur, et à Mlle de Vendôme[31].

Mars
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20

Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—A une heure Mme de Beuvron le vient voir; à huit heures et demie arrive un courrier de la part du Roi pour aller au bâtiment neuf[32].

Le 9, samedi.—Il est porté au château neuf pour y loger.

Le 12, mardi.—Il commence à tendre les mains à ce qui lui est présenté; ce fut un livre que je lui montrois. Le livre étoit les Psalmes de David, de la version de M. de Bourges, que j'avois donné à Mme de Montglat.

Le 17, dimanche.—La Reine arrive à douze heures et demie, on le lui porte couvert de son chapeau de taffetas; elle le trouve grand, blanchi et lui a fort plu. A cinq heures et demie le Roi arrive de Verneuil avec la Reine, qui étoit allée au-devant de lui jusques à Herbelay, où il avoit dîné. Il est porté devant le Roi; S. M. en est satisfaite et de sa santé.

Le 18, lundi.—A huit heures le Roi arrive et l'a fort caressé; à deux heures Mme de Nemours le vient voir.

Le 19, mardi.—LL. MM. le font porter au cabinet, l'ont fort caressé, la Reine particulièrement, ce qu'elle n'avoit encore fait.

Le 20, mercredi.—A une heure trois quarts M. Zamet; à six le Roi en la galerie avec MM. les secrétaires, la Reine y entre.

Le 21, jeudi.—M. de Souvré et Mme de Montglat parlent au Dauphin; il est porté sur la terrasse au Roi et à la Reine.

Le 22, vendredi.—Il caresse le Roi, qui part à dix Mars
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21 heures pour aller à Paris, la Reine pareillement, et de là à Fontainebleau, puis à Poitiers. Le Roi revient à quatre heures trois quarts, ramené par la chasse et accompagné de M. le prince de Conty, de M. le Grand[33], des sieurs de Termes, de Frontenac et de Nançay; il retourne à Paris dans le carrosse de M. de Frontenac.

Le 27 mars, mercredi, à Saint-Germain.—A onze heures est arrivé le comte Henri de Saint-Georges, ambassadeur extraordinaire du duc de Mantoue, accompagné du sieur de la Brosse, agent pour ledit duc, et du sieur Braccio, écuyer ordinaire de la Reine. Ils ont mené le peintre du Quesnel[34], qui l'a tiré tout de son long; il avoit deux pieds et demi. Ils ont dîné aux dépens de Mme de Montglat.

Le 29, vendredi.—A onze heures est arrivé le sieur de Schomberg, grand chambellan de l'Empereur, ambassadeur extraordinaire vers LL. MM. pour la naissance de Monseigneur le Dauphin, accompagné des sieurs de Souvré, de Bois-Dauphin et du jeune Schomberg. Cet ambassadeur est neveu de feu le sieur Diétrich Schomberg, qui fut tué pour le service du Roi à la bataille d'Ivry. Il a baisé les mains, le chapeau au poing, et fait une révérence à Monseigneur le Dauphin; à douze heures et demie il est allé dîner à la salle, accompagné desdits sieurs, aux dépens du Roi. L'ambassadeur revenu lui a demandé s'il vouloit mander quelque chose à l'Empereur son oncle; il a répondu en souriant en son jargon: Dré. L'ambassadeur, de joie, lui a baisé les mains, est allé aux fontaines, et de là à Paris.

Le 1er avril, lundi.—Mme de Vilette, M. Canaye-Branay et leur compagnie, la comtesse de Montgomery et les filles de son mari, le sont venus voir.

Le 2, mardi.—Mme de Souvré, Mme de Loménie le viennent visiter.

Avr
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22

Le 3, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Soboles, gouverneur de Metz, Mme de Fervaques, veuve de M. de Laval, le viennent voir.

Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre, Mme de Villegomblin le viennent voir.

Le 6, samedi.—A onze heures M. de Vitry, gendre de Mme de Montglat, arrive; M. de la Bastide, capitaine des gardes de M. de Lorraine, arrive de sa part; à deux heures M. de Chazeron.

Le dimanche 7, jour de Pâques.—Il considère à la messe toutes les actions de M. l'aumônier.

Le 8, lundi.—Il jargonne, danse au violon de Boileau, son joueur de violon. A trois heures après-midi M. Brulart, secrétaire d'État du feu Roi, arrive et M. de Cypierre aussi.

Le 9, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures Mmes de Clermont d'Amboise, d'Abin et de Saint-Gelais; à onze heures M. d'Épernon, avec ses trois fils, qui lui baisèrent les mains. M. d'Épernon le loua fort et le considéra attentivement. A une heure et demie M. Puget, trésorier de l'Épargne, et sa compagnie. A deux heures M. d'Épernon, ses enfants et M. Puget le voient remuer, les trois enfants de M. d'Épernon étant dans la balustre. A quatre heures M. de la Nauve et M. Lecoq, conseillers en Parlement, et M. Martineau, qui est à M. de Montpensier, viennent pour le visiter.

Le 11, jeudi.—Promené; il prend plaisir à un levraut qui se vint rendre dans l'allée du palemail et fut pris à la main par M. Petit, archer des gardes du corps du Roi. Le Dauphin l'ayant vu le veut soudain, l'empoigne à deux mains, se jetant dessus avec ardeur. A six heures M. de Roissy, maître des requêtes, M. Vion, maître des Comptes, le sont venus voir.

Le 13, samedi.—Éveillé à minuit, teté, point dormi. Mlle de Rumilly me vient appeler, me disant que Monseigneur le Dauphin étoit malade du mal de dents. Je y arrive Avr
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23 incontinent après; il s'endort à peine jusqu'à cinq heures. J'ai toujours demeuré debout, accoudé sur le bord de son berceau, tenant sa main droite dedans la mienne.

Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures trois quarts M. de Saint-Fussien, conseiller de la Cour, le vient voir.

Le 15, lundi.—Reconnu par la remueuse, qui lui mit le doigt dans la bouche, une dent percée; M. Guérin, son apothicaire, part pour en porter la nouvelle au Roi à Fontainebleau[35].

Le 16, mardi.—A midi et demi M. d'Épernon (qui a dit des louanges), ses trois fils, et M. d'Échaux, évêque de Bayonne.

Le 17, mercredi.—A midi Mme la princesse d'Orange, Mme de Bruzoles, Mlle Beringhen et sa mère le sont venues visiter.

Le 18, jeudi.—M. de Mansan, gentilhomme gascon, nourri et élevé par M. de Vic, gouverneur de Calais et capitaine aux gardes du Roi, arrive à Saint-Germain en Laye avec sa compagnie, pour la garde de Monseigneur le Dauphin, pendant que S. M. fait son voyage en Poitou.

Le 19, vendredi, à Saint-Germain.—A dix heures et demie M. d'Arquery le vient voir. A sept heures trois quarts, lettres du Roi par M. Guérin.

Le 20, samedi.—A midi M. du Passage, Mme de Fonlebon et ses filles; il a fort caressé la petite Charlotte de Fonlebon.

Le 21, dimanche.—A deux heures, M. de Bouqueron, président au parlement de Grenoble, M. de Chevrier, conseiller en ladite Cour, le viennent voir.

Le 22, lundi.—A neuf heures et demie, M. le duc de Bouillon, M. de Salignac, M. de Sancy et le jeune Sardini et son frère. A douze heures et demie, Hieronimo Taxis, ambassadeur d'Espagne, tête nue, fait une grande révérence et prend la main de monseigneur le Dauphin Avr
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24 sans la baiser; dit qu'il n'a pas voulu partir sans l'avoir vu auparavant. Le Dauphin est remué en sa présence. L'ambassadeur se tenoit tout debout, accompagné desdits sieurs; sur ce qui lui fut dit par M. de Sancy[36] qu'il en falloit faire un mariage, il répondit qu'il n'étoit rien qui ne se pût faire, que la reine de France étoit grosse et la leur aussi, qu'ils avoient une damoiselle et maintenant ils auroient un fils et nous une fille, et puis que l'on mettroit tout ensemble[37].

Le 24, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'est fort joué à sa peinture[38], que je lui ai apportée de Paris.

Le 27, samedi.—A quatre heures M. le connétable l'envoie visiter; viennent aussi Mme Deschamps, Mlle de Ligny, Mlle d'Ouailly.

Le 28, dimanche.—M. le baron de Saint-Blancart, de la part de M. de Biron[39], son beau-frère, avec lettre à Mme de Montglat, copie ci-attachée[40].—M....., lieutenant Avr
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25 général[41] à Fontenay le Comte, âgé de quatre-vingts ans, arrive en jupe, se met à genoux et à pleurer, le voit remuer, et s'en retournant dit à Mme de Montglat qu'il plût à Dieu de donner à Monseigneur le Dauphin le bonheur de son père, la valeur de Charlemagne et la piété de saint Louis; et s'étant retourné pour s'en aller, étant au coin du grand pavillon, lève les mains au ciel et dit: «Dieu m'appelle quand il lui plaira, j'ai vu le salut du monde.» A trois heures M. de Sillery-Brulart et sa femme, M. de Berny, son frère et sa femme.

Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A sept heures, Messire Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, le vient voir.

Le 30, mardi.—A onze heures viennent Mme et Mlle de Guise; dîné avec Mme de Montglat. Mme de Guise l'a porté et fait danser. A quatre heures MM. Archambaud, Corbonois et leurs femmes. A onze heures après midi, lettres du Roi, de Blois, du 28, faisant mention de sa fluxion sur le pied[42] et recommandation de son fils Alexandre et de Mademoiselle.

Mai
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26

Le 1er mai, mercredi, à Saint-Germain.—A neuf heures et demie, quatre députés de la ville de Metz viennent pour le visiter; à onze heures, M. et Mme de Sancy; à une heure, M. de Bois-Dauphin; à trois heures, M. le maréchal de Brissac et son fils.

Le 2, jeudi.—A onze heures, et demie M. de la Rivière-Dudrach et sa troupe; à deux heures et demie Mme de Nemours, M. de Rissay, Mme la procureuse générale La Guesle.

Le 3, vendredi.—A huit heures et un quart, un gentilhomme de la part de M. d'Antragues; à une heure, Mme la présidente Dudrach.

Le 4, samedi.—Le poil, de brun lui devient châtain clair. A une heure, M. Campagnol, gouverneur de Boulogne; à quatre heures, M. le prince de Condé et Mme sa mère, Mme la comtesse de Briqueil, sœur de feu M. de Humières; à six heures, Mme de Buisseau.

Le 5 mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le Dauphin étant à la fenêtre du préau répondit: ghi à une bonne femme qui parloit à lui, sur le bord du fossé, l'appelant: «mon ami.» Arnoul, contrôleur chez la Reine, arrive.

Le 6, lundi.—A une heure, M. le duc de Mayenne, qui fait la révérence seulement. M. de Mayenne ne s'est jamais voulu asseoir, n'a jamais dit mot, sinon sur ce qu'on parloit de la grossesse de la Reine et des enfants qu'elle pourroit encore avoir, il a dit qu'il n'y en sauroit avoir trop. Aussitôt que M. le Dauphin a été remué il s'en est allé, et M. d'Aiguillon est venu et parti sans saluer Mme de Montglat.

Le 7, mardi.—A dix heures et demie, M. de Cachac, capitaine de la porte; M. Bioneau, secrétaire de M. le Grand; à quatre heures et demie, Mme de Montmeray, nièce de M. le maréchal de Retz, avec Mme de Montmeray, sœur de son mari, religieuse en l'abbaye de Saint-Avit près de Châteaudun.

Le 8, mercredi.—A midi et demi, Mme la comtesse de Mai
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27 Chaulnes, Mme de Chemerault, Mme de Poyane, Mme de Liancourt, sa fille, M. d'Espois, M. Sevin, maître des requêtes.

Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—A midi, M. l'archevêque de Tours et M. de La Guesle, procureur-général.

Le 10, vendredi.—A onze heures Mme de Larchant; à deux heures et demie le baron de Châteauneuf-Laubespine.

Le 11, samedi.—A onze heures, M. le duc d'Elbeuf, MM. le vidame de Chartres, Maligny, le baron des Ards en Provence; à deux heures, M. l'amiral de Montmorency et Mme sa femme.

Le 12, dimanche.—A dix heures et demie, les chevaliers de Sancy et de Saint-Mesmain; à quatre heures et un quart, le capitaine Maltais, le commissaire Lesage.

Le 13, lundi.—A huit heures, M. Fouquet, deuxième président en Bretagne; à douze heures et demie, M. l'évêque de Paris[43], Mme la marquise de Menelay, sa sœur, le lieutenant général de Mâcon, qui lui a souhaité des ans nestoriens et la lignée de Salomon.

Le 14, mardi.—A midi MM. de Gondi, le baron de la Tour; à trois heures et un quart M. de Marchaumont.

Le 15, mercredi, à Saint-Germain.—A dix heures M. de l'Isle, d'Orléans, M. de la Motte, M. de la Violete; à douze heures et demie le jeune comte de Montafié, Mme de Carnavalet, son petit-fils, aumônier de Monseigneur le Dauphin, Mlle de Bourdeilles.

Le 16, jeudi.—A douze heures et demie, M. de la Rocheposay, fils de feu M. d'Abin; à trois heures, Mme de Colignon, M. de Lorme, M. de Foucault, conseiller aux Aides, M. Damyn.

Le 17, vendredi.—A onze heures, M. de Bragelongne, conseiller, et Mlle de Luteau, sa sœur; à trois heures trois quarts M. d'Amanzay.

Le 18, samedi.—A trois heures et demie, M. le président Mai
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28 d'Assy et sa femme, M. Hennequin, sieur de Manœuvre.

Le 19 mai, dimanche, à Saint-Germain.—A trois heures et demie M. de Sancy, Mme la marquise de Pisani, sa fille, le vicomte du Mans, son gendre, Mme de Malissy, M. Petau, conseiller en Parlement; à quatre heures, M. de Pisani, la More de la Reine; à six heures, Mme la présidente Fayet, ma belle-sœur, et M. Laubigeois et sa femme.

Le 20, lundi.—Mme de Guise s'en allant à Eu et Mlle de Guise le viennent voir.

Le 21, mardi.—M. le comte d'Auvergne[44] arrive sur les trois heures, accompagné de deux hommes; il y a été une petite demi-heure, appuyé contre la balustre, son visage à demi couvert de son manteau, appuyé sur un pied; il tient à Mme de Montglat des propos confus et mal cousus.

Le 27, lundi.—Il arrive une vieille femme de Paris, comme une revendeuse; elle pleure en le voyant, l'appelle: «Mon fils, la petite courte à sa mère», et puis s'est prise à danser devant lui.

Le 31, vendredi.—Mme Boursier, sage-femme de la Reine, vient voir le Dauphin avec sa compagnie, dont en s'en retournant il se noya au bac de Neuilly une femme grosse et une fille de douze ans.

Le 2 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Champagne, cordonnier, lui prend la mesure de ses souliers, qui fut d'un grand point.

Le 8, samedi.—Le baron de Treslon porta les souliers à Monseigneur le Dauphin; à cinq heures il a été vêtu et habillé d'un corset et d'un bas de soie, et au-dessus d'une robe carrée, faite de satin blanc rayé d'argent. Mlle de Vendôme lui a donné sa chemise. L'habillement lui étoit si Juin
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29 bien séant et convenable qu'il paroissoit avoir deux ans.

Le 9, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Sève, président en premier la cour des Aides à Paris, M. de Rebours, président, et M. Barentin, conseiller en ladite Cour, sont venus de la part de leur compagnie et ont prié Mme de Montglat de le faire entendre au Roi.

Le 10, lundi.—Le sieur Concino[45] prie Mme de Montglat qu'il le puisse voir vêtir; il le voit coiffer, puis habiller, prend la mesure de sa longueur, de la grosseur du bras et de la longueur du soulier, puis est parti pour s'en retourner en Cour.

Le 14, vendredi.—Ses cheveux longs, châtain clair, ont trois grands doigts de travers en longueur; les sutures du sommet presque du tout serrées.

Le 16, dimanche.—M. le vicomte de Bourdeilles vient visiter le Dauphin; Mme de Montglat lui raconte les desseins et l'emprisonnement de M. de Biron.

Le 17, lundi.—A midi, le Roi arrive, le baise et se joue à lui; la Reine arrive à une heure et demie, trouve au pied des degrés Monseigneur le Dauphin, au grand escalier; elle devient soudain fort rouge et le baise à côté du front. On le remonte à la salle du Roi; LL. MM. se jouent un peu à lui, puis se mettent à table pour dîner, et s'en retournent.

Le 20, jeudi.—A six heures après midi M. le maréchal de Fervaques et M. de Laval le viennent voir. Le premier lui a baisé le pied et l'autre touché le bout de son tablier et baisé la main qui l'avoit touché.

Le 22, samedi.—Il se divertit à tout, fort agréablement, fait une chère extraordinaire à la fille de chambre de sa nourrice, lui rit. Le Roi arrive à dix heures et demie par son petit pont. Le Roi s'est joué à lui et lui a vu prendre sa bouillie. Le Roi a voulu prendre le demeurant et dit: «Si l'on demande maintenant: Que fait le Roi? l'on peut Juin
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30 dire: Il mange sa bouillie.» Le Roi lui fait prendre sa barbe à deux mains; il la tire bien fort et lui fait mal. Il lui fait prendre celle de M. de Montigny; il la prend à deux mains et se soulève tout le corps pour la tirer plus fort; il a pris la moustache de M. le Grand. Mme la marquise de Verneuil arrive à une heure, caresse fort M. le Dauphin, mais, ce disoit-on, avec peine. Elle dîna, se joua après fort à Monseigneur le Dauphin. On a fait voir à S. M. les caresses qu'il avoit jà faites à Tienette Clergeon, native de Lagny, fille de chambre de Mlle sa nourrice, le Roi l'ayant lui-même fait approcher et la lui présentant. Il l'a vue pleurer comme elle s'en alloit. Le Roi est parti pour s'en retourner à Paris, à sept heures et demie, et a fait prendre dans son carrosse Monseigneur le Dauphin par Mme la marquise de Verneuil, qui l'a porté jusques au bout de la cour. On l'a repris; le Roi est parti.

Le 23 juin, dimanche, à Saint-Germain.—Porté à la salle du Roi; vu Tienette, fait les mêmes caresses, lui rit, lui empoigne la joue à pleine main.

Le 25, mardi.—Le sieur Decourt, par commandement de la Reine, en tire le crayon. A quatre heures trois quarts, la Reine arrive; on le lui porte au-devant. La Reine veut que l'on lui amène Tienette; il lui fait caresses. La Reine part fort contente à six heures et demie.

Le 28, vendredi.—M. de Rosny, revenant de Rosny, le voit dans son berceau.

Le 4 juillet, jeudi, à Saint-Germain.—Il a été peigné pour la première fois, y prend plaisir, et accommode sa tête selon les endroits qu'il lui démangeoit.

Le 10, mercredi.—A midi le Roi arrive, se joue à lui à diverses reprises, la Reine pareillement.

Le 11, jeudi.—A sept heures et demie après midi, le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.

Le 17, mercredi.—Il lui a été mis des lisières à sa robe pour l'apprendre à marcher.

Juil
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Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—La Reine arrive à dix heures, le Roi à dix heures et demie.

Le 22, lundi.—Vêtu d'une cotte neuve, du présent de la Reine, il est porté à huit heures au jardin, au Roi qui se promenoit, ayant pris de l'eau de Pougues[46]. La Reine le demande, on le lui apporte, il pleure; il le faut emporter, le Roi ne le peut apaiser. Porté chez la Reine, le Roi y étant; ils ont voulu voir sa tête, l'ont fait brosser, et en ont toute la journée eu leur agréable passe-temps.

Le 24, mercredi.—Vêtu à sept heures, il prend plaisir et se rit à plein poumon, quand la remueuse lui branle du bout du doigt sa guillery. A huit heures, porté à la chambre de la Reine, aux fiançailles du baron de Gondi et de la signora Polyxena Gonzaga, l'une des filles de la Reine. Le Roi lui continue toujours ses caresses.

Le 28, dimanche.—Le Dauphin, vêtu à sept heures, se promène, se tourne pour voir s'il a ses soldats, rencontre le Roi, le reconnoît en souriant. Le Roi se cache derrière moi et l'appelle; il le cherche, l'aperçoit enfin et se met à sourire. Mme d'Angoulême[47], Mme la princesse d'Orange[48] arrivent; la Reine lui donne une petite turquoise mise à son doigt.

Le 29, lundi.—Le Roi et la Reine arrivent de la chasse, commandent de le leur porter. Le Roi lui fait Juil
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32 voir donner la curée du cerf pris au-dessus de Ruel; il ne s'en étonne point.

Le 31 juillet, mercredi.—Impatient pour sortir; il rencontre le Roi; mené en carrosse dans la forêt à voir passer le cerf couru par le Roi, qui avoit dîné à Forqueil, où s'étoit faite l'assemblée. Porté au Roi, dedans son lit, blessé d'une chute, courant le cerf. Il tient un bâton; je prends un brin de fagot, j'en frappe contre son bâton pour escrimer; le jeu lui plaît, il me poursuit en riant par toute la chambre. Tout le reste du jour paisible et fort gai.—Ce jourd'hui, à cinq heures, le maréchal de Biron eut la tête tranchée à la Bastille[49].

Le 1er août, jeudi, à Saint-Germain.—Le poil lui éclaircit, la tête se nettoie. Promené; il rencontre le Roi, voit la Reine, caresses accoutumées.

Le 2, vendredi.—Promené il rencontre le Roi, lui rit et tend les bras; va en la chambre de la Reine. On lui fait chercher le Roi dans le lit de la Reine; ne le trouvant point il entre en grande colère. Il va en la chambre du Roi, qui le met coucher avec lui, avec infinies caresses.

Le 4, dimanche.—Allées et venues. M. de Rosny. Porté à la chambre du Roi, qui soupoit; il lui a fait prendre de la soupe, qu'il a fort bien mangée.

Le 7, mercredi.—Il rencontre le Roi, qui fait semblant de ne le point voir; il crie; le Roi se retourne, va à lui et l'embrasse. Au sortir de la messe, Engoulevent[50] se met à chanter et le Dauphin aussi; le Roi y prend plaisir pour un peu de temps. A cinq heures arrive Bartholomæo Pusuynki, Polonois, clerc de la chambre et nonce extraordinaire de Sa Sainteté vers le Roi, conduit par M. de Sillery. Mme la comtesse de Guichen[51], Août
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33 lui envoye une épée par M. de Frontenac en présence du nonce. Le Roi et la Reine en ont pris grand divertissement.

Le 9 août, vendredi, à Saint-Germain.—Au sortir du jardin il rencontre le Roi, qui entroit; caresses accoutumées, réciproques.

Le 10, samedi.—Le Roi, et la Reine partent et lui disent adieu, fort contents.

Le 21, mercredi.—A trois heures et demie mis dans le carrosse et porté au bâtiment neuf, pour l'éloigner de Messieurs, qui avoient eu la rougeole[52].

Le 22, jeudi.—A deux heures, le clarissimo Marino Cavalli, ambassadeur de Venise, entre en la balustre, ayant demandé permission à Mme de Montglat, le salue, baise sa main, et puis embouche (sic) la sienne, et peu après se couvre. On met au Dauphin son épée au côté et son chapeau en tête, qu'il enfonce en mauvais garçon; il bat fort et ferme le tambour avec les deux baguettes. L'ambassadeur prend congé de lui et baise sa main, puis embouche la sienne.

Le 25, dimanche.—Promené; mis aux fenêtres pour le faire voir à grand nombre de peuple venu pour le voir[53], dont la plus part s'est mis à genoux et plusieurs les larmes aux yeux.

Le 5, jeudi.—A douze heures trois quarts Mme de Longueville laisse à Saint-Germain M. son fils.

Le 6 septembre, vendredi, à Saint-Germain.—M. Pary, chevalier de la Jarretière, ambassadeur extraordinaire d'Angleterre devers le Roi, le vient voir, parle à Mme de Montglat, ayant fait une révérence de la tête, de loin, à M. le Dauphin, puis, s'approchant de lui, en fait une autre et se met à se promener avec la dite dame.

Sept
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Le 8 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—On porte le pain bénit au Dauphin; il tenoit le goupillon, fait ses affaires à croupeton sur le tapis; le goupillon qu'il tenoit s'y mêle, et si l'aumônier n'y eût pris garde, en donnant de l'eau bénite il en eût donné.

Le 11, mercredi.—Il écoute les contes que lui fait Mlle de Ventelet touchant l'Infante[54], qu'il couchera avec elle; il en rit.

Le 12, jeudi.—Crié extrêmement; Mlle de Ventelet lui vient donner le bon jour de la part de l'Infante; il s'apaise soudain, et se prend à rire.

Le 15, dimanche.—A huit heures le page de M. de Longueville arrive pour savoir de ses nouvelles; ayant parlé à Mme de Montglat et s'en retournant, le Dauphin l'appelle d'un Hé! et se retrousse, lui montrant sa guillery. Il est porté au vieux château par le commandement du Roi, qui arrive à cinq heures. Porté au pied du degré au devant du Roi, l'obscurité et la foule des hommes fut cause qu'il eut peur. Le Roi le caresse; à sept heures et un quart la Reine arrive.

Le 16, jeudi.—Il montre sa guillery à M. d'Elbenne; porté chez la Reine, il voit la signora Passithea, en eut peur, à cause de la coiffure.

Le 17, mardi.—A quatre heures, porté chez la Reine; la marquise de Verneuil y arrive, au cabinet de la Reine; le Roi y arrive.

Le 18, mercredi.—Sur les dix heures et demie le Roi part pour aller dîner à Saint-Cloud et de là à Paris, pour conduire la Reine à Fontainebleau pour attendre ses couches.

Le 19, jeudi.—Il commence à cheminer avec fermeté, soutenu sous les bras.

Le 23, lundi.—Fort gai, émerillonné; il fait baiser à chacun sa guillery. Le comte de Visé, du marquisat Sept
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35 de Saluces, ambassadeur extraordinaire du duc de Savoie, et le comte de Hems, ambassadeur extraordinaire d'Écosse, le viennent voir.

Le 25 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—M. de Montpensier lui baise les mains au berceau et lui a donné la chemise.

Le 27, vendredi.—Il se joue à sa guillery, repousse son ventre en dedans, qui l'empêchoit de la voir. Il vient un gentilhomme flamand, du parti espagnol, pour le voir; il se y trouve un vieil Espagnol qui entrant et sortant lui donna sa bénédiction la larme à l'œil, en souhaitant le mariage de l'Infante[55].

Le 30, lundi.—A douze heures un quart le sieur de Bonières et sa fille, jeune; il lui a fort ri, se retrousse, lui montre sa guillery, mais surtout à sa fille, car alors la tenant et riant son petit rire il s'ébranloit tout le corps. On dit qu'il y entendoit finesse. A douze heures et demie le baron de Prunay; il y avoit en sa compagnie une petite damoiselle; il a retroussé sa cotte, lui montré sa guillery avec une telle ardeur qu'il en étoit tout hors de soi. Il se couchoit à la renverse pour la lui montrer.

Le 8 octobre, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, se joue à lui; la Reine pareillement.

Le 9, mercredi.—Porté au Roi au jardin, où il faisoit bien froid; porté à la chambre de la Reine.

Le 11, vendredi.—Porté au Roi, à la galerie rouge, à une heure et demie un ambassadeur allemand; à six heures Mme la princesse d'Orange.

Le 12, samedi.—A deux heures et demie endormi; le Roi arrive, qui l'éveille, le baise et s'en va pour retourner à Paris. Sur les trois heures, comme il ne faisoit que s'endormir, la Reine l'éveille, et s'en va soudain; comme on le rendormoit, arrive M. le comte de Soissons, qui conduit les députés généraux du pays de Dauphiné Oct
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36 pour rendre l'hommage, qu'ils firent à genoux, fors l'archevêque de Vienne[56], qui porta la parole, M. le Dauphin étant dans un berceau. Il leur tendit la main à tous pour la baiser.

Le 13 octobre, dimanche.—Porté à la messe; les députés de Dauphiné y étoient. Lesdits députés ont donné des présents: à Mme de Montglat, un buffet d'argent de la valeur de trois cents écus; à Mlle Piolant, un bassin et une aiguière d'argent, valant environ cent écus; une chaîne d'or pesant quatre-vingts écus à Mlle la nourrice, et une de cinquante à la remueuse; et des pièces d'or et d'argent faites en mémoire de la naissance de M. le Dauphin à plusieurs du château et aux officiers de Mme de Montglat.

Le 17, jeudi.—Promené à la chambre du Roi, à dix heures, où il a vu les ambassadeurs de Suisse venus pour jurer et confirmer l'alliance avec le Roi; il leur a baillé sa main à baiser. Ils furent conduits par M. de Souvré et M. de Vic, ambassadeur pour le Roi vers les Cantons. Ils furent fort satisfaits de M. le Dauphin, qui sembloit avoir composé sa façon pour cet acte. Ils furent traités à dîner aux dépens du Roi, en la salle du Roi, et leurs officiers en la salle du bal, où ils étoient cent à table.

Le 24, jeudi.—Le Roi arrive à neuf heures et demie, revenant de la chasse, où il avoit été deux jours, et venoit découcher à Villepreux; il le trouve fort gentil, lui donne du sucre rosat. A douze heures et trois quarts, le Roi part et s'en retourne à Paris.

Le 5 novembre, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie, le Roi arrive de Fontainebleau; il voit le Roi, résolu. Le Roi va dîner; porté au dîner du Roi, il fait baiser sa guillery à M. de Souvré, à M. de Termes, à M. de Liancourt, à M. Zamet. Le Roi part à trois heures pour aller coucher à Paris.

Le 15, vendredi.—A trois heures M. le prince de Nov
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37 Condé[57], Mme sa mère, M. de Haucourt viennent voir le Dauphin. Sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez votre petit cousin qui vous vient voir.» Il se retourne, regardant tous ceux qui étoient contre la balustre, le va choisir et lui tend la main, que M. le Prince lui baisa alors. A l'entrée M. d'Haucourt lui dit qu'il allât baiser la robe du Dauphin; il se tourna, et lui dit qu'il ne le falloit pas faire.

Le 16, samedi, à Saint-Germain.—M. le prince de Condé prenant congé de lui, il le suit après, le regardant toujours, et se prend à pleurer; il faut que M. le Prince revienne pour partir sans être aperçu; Mme la princesse de Condé lui vient dire adieu.

Le 21, jeudi.—Porté au château neuf.

Le 22, vendredi.—Naissance de Madame[58], à Fontainebleau, environ les neuf heures du matin.

Le 23, samedi.—Nouvelles de la naissance de Madame, le jour précédent, sur les neuf heures du matin[59].

Le 28, jeudi.—A onze heures et un quart le colonel Postech, de Berne, le sieur Ryech, député de Zurich, lui ont Nov
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38 baisé la main, qu'il leur a tendue; ils n'étoient pas venus à Saint-Germain avec les autres. Ils lui ont dit qu'ils étoient ses très-humbles serviteurs et alliés, lui ont derechef baisé la main en s'en allant; le sieur Ryech avoit la larme à l'œil d'aise en lui disant adieu.

Le 12 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures trois quarts joué à de petits jeux. On lui demande: «Où est le mignon de papa?» Il se montre, frappant sur son estomac. Je lui demande: «Où est le mignon de l'Infante?» Il met la main sur sa guillery.

Le 19, jeudi.—Rapporté au vieux château à une heure; à six heures le Roi et la Reine, accompagnés de M. le maréchal de la Châtre, arrivent en sa chambre; ils l'ont trouvé fort gentil.

Le 20, vendredi.—Le Roi et la Reine l'entendent jargonner, y prennent plaisir.

Le 21, samedi.—Le Roi oit la messe en sa chambre; le Dauphin est porté chez la Reine. A une heure, le Roi l'ayant baisé part pour s'en retourner à Paris, la Reine peu après.

Le 23, lundi.—Le Roi arrive à onze heures et demie à l'assemblée[60]; le Dauphin est porté en la cour devant lui, ne le salue point, sinon quand le Roi lui eut tiré le chapeau; il ôte le sien, puis se recouvre quand le Roi lui eut dit: «Couvrez-vous, Monsieur.» Porté au dîner du Roi à onze heures et demie, mis au bout de la table, rêveur; le Roi se joue à lui, le fait jargonner. Le Dauphin reconnoît M. de Guise ne lui ayant été montré qu'une fois. A cinq heures arrive M. de Rosny; le Roi revient de la chasse, fait porter le Dauphin dans son cabinet. A six heures, porté au bout de la table avec le Roi, qui lui fait donner une cuillerée de vin fort trempé. Rapporté en sa chambre, à sept heures trois quarts, le Roi y vient, il le prend, le promène; le Dauphin danse en branle donnant Déc
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39 la main à Alexandre Monsieur, le Roi lui ayant commandé de le faire. A huit heures et demie M. le comte de Soissons lui donne sa chemise à brassière; le Roi le baise et s'en va coucher.

Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à neuf heures, va déjeuner à la petite salle; le Dauphin y est porté, regarde déjeuner le Roi attentivement. Le Roi s'en retourne à Paris, et part à dix heures.

Le 30, lundi.—Sur les quatre heures trois quarts, le Dauphin est porté en hâte au-devant de Madame, sa sœur, à laquelle heure Madame arrive, conduite par Mlle Piolant et MM. de Montglat et de Villeserin, écuyer servant de la Reine. M. le Dauphin, porté par sa nourrice, est descendu par la petite montée du côté de la chambre de Madame, et rencontre vis-à-vis de la porte de l'autre petite montée, à huit pas près, Madame, que l'on descendoit de la litière; prise et portée par M. de Villeserin. Il fut aise et sans dire mot de la voir, lui ayant été dit: «Monsieur, voilà votre sœur.»

Le 31, mardi.—Madame est portée en sa chambre; il la baise doucement. A douze heures et demie, le Roi arrive; le Dauphin, porté dans la chambre du Roi, y a été durant le dîner et a donné la serviette au Roi, qui la lui avoit demandée. Le Roi part pour aller à la chasse. A quatre heures et demie la Reine arrive, vient en la chambre de Madame, où j'étois, puis va en celle de M. le Dauphin. A cinq heures il est porté chez la Reine, à sept heures au souper du Roi, qui lui donne de la gelée, dont il étoit friand, et du vin.

ANNÉE 1603.

Premiers services rendus au Roi.—Répugnance du Dauphin pour son frère naturel.—Premières armes données par la duchesse de Bar.—Singuliers exemples donnés au Dauphin.—Mauvais vouloir pour Concini et sa femme.—Le Roi menace le Dauphin du fouet.—Charles Martin fait son portrait.—M. de Longueville vient demeurer à Saint-Germain.—La marquise de Verneuil et son fils; détails singuliers.—Serment de fidélité des magistrats de Paris.—Le Dauphin joue au mail.—Mme Héroard.—Première lettre au Roi.—Le P. Coton.—Mme de Verneuil et sa mouche.—Les enfants de MM. de Liancourt et d'Épernon.—Comment on l'entretient de l'infante d'Espagne.—Habitude de Henri IV.—La duchesse de Bar.—Départ du Roi et de la Reine pour la Normandie.—Le Dauphin apprend à parler.—Mlle de La Salle.—Mme Concini.—Mme de Verneuil.—Prière que récite le Dauphin.—Il boit à l'infante d'Espagne et danse en présence de l'ambassadeur.—Son caractère opiniâtre; il est fouetté pour la première fois.—Son amitié pour Héroard.—Le Dauphin est sevré.—Armes données par la ville de Moulins.—Mathurine la Folle.—Audience du connétable de Castille.

Le 1er janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Porté en la chambre de la Reine, où le Roi est venu; le Dauphin voit que le Roi la baisoit; il la lui fait baiser plusieurs fois. A une heure porté au dîner du Roi.

Le 2, jeudi.—A dix heures et demie porté chez la Reine; porté au dîner du Roi, porté au dîner de la Reine; elle le fait mettre au bout de la table. A deux heures la Reine part. Le Roi revient de la chasse pour changer de chemise en son cabinet, où il commande que l'on apporte le Dauphin. Il ôte son chapeau au Roi, puis le remet. Le Roi part à deux heures pour s'en retourner à Paris.

Le 7, mardi.—A onze heures et demie le Roi arrive; Janv
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42 il est porté au-devant de lui; porté au dîner du Roi, il lui donne sa serviette. A six heures porté chez le Roi, qui étoit revenu blessé à un genou, courant à la chasse, et étoit couché dans son lit.

Le 8 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Le Roi part sans le voir, et part en carrosse pour s'en retourner à Paris, se plaignant fort de sa douleur de reins.

Le 9, jeudi.—Il reconnoît mes cousins Pierre et Claude Héroard, qu'il avoit vus le soir auparavant.

Le 19, dimanche.—Les cheveux lui éclaircissent en blondeur.

Le 23, jeudi.—Alexandre Monsieur lui donne sa chemise, et soudain, l'ayant prise, il lui élance un coup de sa main pour le frapper; il ne le pouvoit souffrir.

Le 26, dimanche.—M. de Pardaillan-Panjas arrive, lui portant de la part de Mme la duchesse de Bar, sa tante, des armes complètes de la hauteur d'un demi-pied; il y prend plaisir.

Le 27, lundi.—A midi porté en la cour au Roi, qui arriva à douze heures et demie. Porté au dîner du Roi, assis au bout de la table; le Roi lui jette une orange, et lui la renvoie au Roi; le Roi lui donne à tâter du vin. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et demie. Le Dauphin va après Mlle Mercier, qui glapissoit pour ce que M. de Montglat lui bailloit de sa main sur les fesses; il glapissoit de même aussi. Elle s'enfuit à la ruelle, M. de Montglat la suit, et lui veut faire claquer la fesse; elle s'écrie fort haut, le Dauphin l'entend, se prend à glapir fort aussi, s'en réjouit et trépigne des pieds et de tout le corps de joie, tournant sa vue vers ce côté-là, les montre du doigt à chacun. Amusé, dansé aux branles, étant par avant songeart et triste pour ne voir personne; l'on fait venir ses femmes; il se prend à les faire danser, se joue à la petite Marguerite, la baise, l'accole, la renverse à bas, se jette sur elle avec trépignement de tout le corps et grincement de dents. Amusé jusqu'à Janv
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43 neuf heures, gai, nous tire des arquebusades[61] et surtout à Mlle Mercier, s'étant pris à rire aussitôt qu'il l'a vue. Il s'efforce de la fouetter sur les fesses avec un brin de verges; Mlle Bélier lui demande: «Monsieur, comment est-ce que M. de Montglat a fait à Mercier? Il se prend soudain à claquer de ses mains l'une contre l'autre avec un doux sourire, et s'échauffe de telle sorte qu'il étoit transporté d'aise, ayant été un bon demi-quart d'heure riant et claquant de ses mains, et se jetant à corps perdu sur elle, comme une personne qui eût entendu la raillerie.

Le 30 janvier, jeudi.—Il s'essaye à fouetter un sabot; mange et avale du canard, première viande qu'il a mangée; mange du chapon, trouve tout bon.

Le 1er février, samedi, à Saint-Germain.—Éveillé à neuf heures trois quarts, levé, gai, riant, bon visage. Le sieur dom Garcia, le sieur Conchino arrivent à l'heure de l'habiller. Il se jouoit à un carrosse du palais où il y avoit quatre poupées; l'une étoit la Reine, les autres Mme et Mlle de Guise et Mme de Guiercheville. On les lui faisoit montrer, les nommant par leurs noms; il les montroit du doigt. Le sieur Conchino lui va demander: «Monsieur, où est la place de ma femme?» En disant: Ah! il lui montre une avance qui étoit par dehors, au cul du carrosse. Il ne veut point prendre un grain de fenouil confit du sieur Conchino, à qui Mme de Montglat l'avoit baillé pour le lui donner, s'en recule du tout, le regardant, comme importuné. A douze heures et demie le baron Pophlech, saxon; il lui donne à baiser sa main.

Le 7, vendredi.—Bon visage mais gercé du grand froid[62].

Fév
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Le 12 février, mercredi, à Saint-Germain.—A cinq heures et un quart, le Roi, la Reine arrivent de Paris comme on achevoit de l'habiller; ils le baisent. Le Roi et la Reine vont chez Madame, et lui avec; porté à sept heures et un quart en la chambre du Roi pour y souper; rapporté en sa chambre. Le Roi et la Reine y viennent, se jouent à lui.

Le 13, jeudi.—Porté au Roi en la chapelle; porté en la chambre de la Reine; il se joue dans le lit avec elle et depuis en celle du Roi. A onze heures et demie il baise la serviette, et la donne au Roi; il veut crier, le Roi le menace du fouet, il s'apaise.

Le 14, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen; le Roi et la Reine y prennent grand divertissement et, à deux heures, partent pour s'en retourner à Paris.

Le 25, mardi.—Amusé jusqu'à onze heures dans sa petite chaise, auprès du peintre nommé Charles Martin[63] demeurant à Paris, sur le pont Notre-Dame, près Saint-Denis de la Chartre.

Le 17 mars, lundi à Saint-Germain.—A une heure et un quart Mme de Luxembourg, Mlle de Luxembourg, sa belle-fille, M. Boulenger, son maître d'hôtel; il attend froidement et résolument, avec son chapeau vert sur la tête, Mme de Luxembourg, et la reçoit à six pas de la porte, lui tend la main, qu'il lui donne à baiser et à Mlle de Luxembourg.

Le 23, dimanche.—Il joue du violon et chante ensemble.

Le 24, lundi.—A une heure trois quarts, M. de Longueville[64], qui vient pour demeurer à Saint-Germain, Mars
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45 le Sr Conchino, M. Poussin, médecin de M. de Longueville.

Le 3 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures, Mme la marquise de Verneuil arrive à la porte du jardin, comme il étoit sur le point d'en sortir; elle lui demande à baiser sa main; il la refuse, se recule, la regarde de côté; enfin on lui dit de le faire, il la baille. On apporte M. de Verneuil[65], qui lui est présenté, il le regarde froidement, se retourne brusquement, fait bonne chère[66] à Mme la marquise, fait semblant de se cacher, puis la regarde en riant. Elle lui met une chaîne au col; il s'en glorifie, se regarde dans le miroir, lui met la main dans son sein, puis baise le bout de son doigt; elle le couvre de son mouchoir, il le découvre, et puis y touche comme auparavant. Il renverse la petite Marguerite, la baise, se jette sur elle, puis, étant relevé en fait le honteux et se va cacher. La marquise lui mettoit souvent la main sous sa cotte; il se fait mettre sur le lit de sa nourrice, où elle se joue à lui, mettant souvent la main sous sa cotte.

Le 4, vendredi.—Mené en la chambre d'Alexandre Monsieur, où étoit Mme la marquise et son fils. Aussitôt qu'il a vu la troupe, il s'est retourné, court vers la porte en criant, sans avoir jamais pu lui faire tourner la face; il avoit accoutumé de s'y plaire. Mené en la chambre de Mme la marquise, il se joue et rit avec elle en se cachant. Amené en la chambre d'Alexandre Monsieur, où étoient tous les enfans, il prend la poule[67] d'Alexandre Monsieur, court par la chambre comme un désespéré, la jetant devant lui, puis courant après, sans regarder en façon du monde ces enfants et moins l'un que les autres. Mme la marquise lui touche à ses cheveux; il la frappe et Avr
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46 s'en plaint; demande la serviette, qui lui est servie par Mme la marquise, qui dit: «Je ne sais s'il la refusera de moi, tant il est dédaigneux.» Il la prend sans la regarder, s'en essuie lui-même. L'on y porte M. de Verneuil; il n'a pas fait semblant de le voir. L'une des femmes de M. de Verneuil demande à son maître[68]: «Monsieur, où est M. le Dauphin?» Il se bat la poitrine en se montrant, puis en étant repris, il montra M. le Dauphin. Mme la marquise lui sert sa chemise à son coucher.

Le 20 avril, dimanche, à Saint-Germain.—A onze heures, M. le président de Bragelongne, prévôt des marchands, et MM. les échevins de Paris approchant de lui, il leur a tendu la main à tous pour la baiser; puis M. le prévôt a dit qu'ils étoient venus en corps, représentant la ville de Paris, pour le reconnoître pour fils naturel et légitime du Roi son père et le vrai successeur, après son décès, de ce royaume, lui faisant à cet effet serment de fidélité. Il le regardoit attentivement et portoit son doigt à un poreau rouge que ledit sieur prévôt a au côté du nez, puis leur a lui-même tendu la main pour la baiser. A sept heures la Reine arrive, le Roi un peu après.

Le 21, lundi.—Le Roi part pour s'en retourner à Paris. Le Dauphin, éveillé à sept heures, est porté au lever de la Reine; la Reine part à dix heures trois quarts.

Le 29, mardi.—A onze heures un quart j'arrive de retour de Paris; je le salue, lui disant: «Monsieur, Dieu vous donne le bon jour.» Il ne fait pas semblant de me voir, mais se prend à courir et se cacher deçà delà, me guignant des yeux pleins d'allégresse et en passant tout riant, il me tendoit la main pour la baiser. Il en faisoit ainsi à ceux qu'il aimoit.

Le 7 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Le Dauphin jouant au palemail[69] blessa d'un faux coup M. de Longueville Mai
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47 qui étoit près à lui, en l'encoignure gauche du front. Le coup fait, il en demeure étonné et se retourne court, comme s'enfuyant, n'osant presque regarder personne, se laisse sans résistance ôter le palemail.

Le 11, dimanche, à Saint-Germain.—A quatre heures et demie M. de Montmorency[70], fils de M. le connétable, le voit dans son berceau; on le hausse pour baiser la main au Dauphin, qu'il lui tend et le regarde fort résolûment. A huit heures trois quarts M. de Longueville et Mlle de Vendôme débattoient à qui donneroit la chemise à M. le Dauphin; la remueuse lui demande: «Monsieur, qui vous donnera votre chemise?» Il répond: Mme de Montglat[71]. M. de Longueville la sert et l'arrache à Mlle de Vendôme; M. de Montmorency sert une bande (sic), M. de Longueville une autre.

Le 23, vendredi.—A cinq heures j'arrive[72]. Il cheminoit en la basse cour. Je me présente à lui; il me tend de lui-même sa main à baiser, puis à ma femme, et après s'en va au carrosse de M. Sabathier, sieur du Mesnil, où nous étions venus. Il le faut mettre dedans, se fait promener, résolu, assis à la portière auprès de Mme de Montglat; mené dans le château, il n'en veut point sortir et crie.

Juin
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Le 4 juin, mercredi, à Saint-Germain, il écrivit cette lettre au Roi, moi lui tenant la main, ayant eu la patience entière:

Papa, Dieu vous donne le bon jour et à maman, j'ay bien enuie de vous voir pour vous faire rire. Adieu, bon jour, je suis papa vostre tres humble et tres obeissant fils et serviteur. Daulphin, et au-dessus: A Papa.

Le 10, mardi.—A midi le Roi arrive; il le va recevoir à l'entrée de la salle, reconnoît le Roi, qui se joue à lui, fait la révérence à la Reine, lui ôte son chapeau; elle le baise.

Le 11, mercredi.—Le Roi se joue à lui; à trois heures et demie M. le prince de Conty donne la chemise au Dauphin.

Le 12, jeudi.—Il joue au palemail, s'opiniâtre contre le Roi. A douze heures et demie les ambassadeurs d'Espagne, Juan Baptiste Taxis et Hieronimo Taxis, extraordinaire, qui alloit en Angleterre, lui font une grande révérence à l'entrée de la chambre et lui baisent la main. Le Roi et la Reine vont au palemail, font porter le Dauphin; il bat le tambour de la compagnie qui étoit en garde.

Le 13, vendredi.—A quatre heures trois quarts M. le connétable le vient voir, lui baise la main, lui donne la chemise, lui mène le fils de M. le comte d'Auvergne. Le Dauphin, porté au Roi et à la Reine en la galerie, a soupé avec le Roi.

Le 14, samedi.—Mené en la chambre du Roi, il le baise, l'accole. Le Roi le mène en la chambre de la Reine; il en sort avec le Roi, joue au palemail, bien; il fait plusieurs gentillesses devant le Roi et la Reine, se retire en leur faisant la révérence.

Le 15, dimanche.—Porté à onze heures au Roi, en la chapelle; mené en la galerie pendant le sermon du P. Coton, jésuite. A deux heures et demie arrive M. d'Épernon; il aime et se joue avec M. de Termes avec une inclination naturelle. M. d'Épernon lui donne sa chemise. Le Dauphin Juin
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49 se joue de son tabourin, bat la batterie des Suisses.

Le 16, lundi, à Saint-Germain.—A onze heures arrive M. le prince d'Orange, qui lui baise la main. A cinq heures, porté au château neuf, en la chambre du Roi; il fait bonne chère au Roi, se cache devant la Reine. Il voit sur le nez de Mme la marquise de Verneuil une mouche de satin; «Monsieur, dit-elle, ôtez-moi cette mouche.» Il y va du doigt, et lui égratigne le nez. Le Roi et la Reine vont au parc; il les accompagne jusqu'à la porte du milieu du parc.

Le 17, mardi.—Porté à la chambre du Roi, il lui fait bonne chère, et se rit à la Reine. Le Roi se promenoit avec le P. Coton, jésuite; il va vers sa Majesté le prendre par la main pour le mener souper. A six heures soupé avec le Roi. Le Roi lui donne des cerises; le Roi donne du massepain dans un plat à M. de Vendôme et à M. son frère et à sa sœur; chacun se partageoit devant lui sans lui en donner; il jette hardiment la main au plat et en prend un morceau, qu'il mange à moitié, puis n'en veut plus.

Le 18, mercredi.—Le Roi part pour aller à Paris; le Dauphin est porté chez la Reine, se joue avec elle. La Reine part.

Le 23, lundi.—M. de Dangeau le vient voir.

Le 24, mardi.—A dix heures, Hans Trot, maréchal de Clèves, envoyé devers le Roi de la part du duc de Clèves et de Juliers et de la part du Roi pour voir M. le Dauphin. A sept heures arrivent les trois enfants de M. de Liancourt, premier écuyer.[73]

Le 25, mercredi.—Il donne sa main à baiser fort librement aux enfants de M. le Premier, qui furent mis Juin
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50 autour de son berceau; l'aîné lui donna la chemise, Mlle de Liancourt sa cotte, et le petit son ruban, où pendoit un Agnus Dei. Il se joue familièrement avec eux, leur baise les mains avec chaleur.

Le 28 juin, samedi.—A neuf heures arrivent les trois fils de M. d'Épernon[74]; il leur donne la main à baiser; le puîné, abbé de Grandselve, fait à dîner l'office d'aumônier; l'aîné comte de Candale, lui baille la chemise.

Le 29, dimanche.—En tetant il gratte sa marchandise, droite et dure comme du bois. Il se plaisoit ordinairement fort à la manier et à se y jouer du bout des doigts.

Le 13 juillet, dimanche, à Saint-Germain.—A une heure les ambassadeurs de Venise, ancien et nouveau, lui baisent la main, qu'il leur tend. Montagne, chevaucheur d'écurie, arrive de Villiers-Cotterets de la part du Roi[75].

Le 27, dimanche.—Mlle de Ventelet lui demande: «Monsieur, où est votre cœur?» Il bat sur son côté gauche. Il fait un rot, Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, vous soupirez, où va ce soupir:» Il répondit: «En Espagne.»[76].

Le 29, mardi.—A onze heures le Roi arrive; il se cache comme honteux, s'apprivoise incontinent. Le Roi le prend en son carrosse; dîne avec le Roi, pleure voyant partir le Roi. Le Roi, revenant de la chasse, va prendre sa chemise chez M. de Frontenac, en la salle; on lui Juil
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51 mène le Dauphin, qui y entre battant de son tabourin. Le Roi le caresse, le baise, lui baise la poitrine. Il sert à boire au Roi dextrement. Le Roi le promène dans son carrosse et à pied, lui tient toujours la main.

Le 2 août, samedi, à Saint-Germain.—A trois heures et demie, le Roi arrive de la chasse et se met pour se reposer dans le lit de Mme de Montglat. A quatre heures, le Roi va éveiller M. le Dauphin, lui fait prendre du sirop d'abricots, lequel ma femme avoit fait. Le Dauphin continue à battre sur son tabourin toutes sortes de batteries; le Roi le baise fort, et s'en va à cinq heures à Paris.

Le 4, lundi.—Porté au Roi, qui venoit d'arriver à cinq heures et demie avec la Reine; le Roi le baise, la Reine le caresse. Le Roi se va coucher, le fait dépouiller et mettre dans le lit auprès de lui; il gambade en liberté.

Le 6, mercredi.—Le Roi et la Reine le mettent en carrosse et vont au devant, au port de Chatou, pour recevoir Mme la duchesse de Bar, sœur du Roi, qui arrive. Il est honteux, puis s'apprivoise et l'accole.

Le 7, jeudi.—Mené à la chambre de Mme la duchesse de Bar par le Roi et la Reine, d'où il ramène le Roi par la main pour dîner.

Le 8, vendredi.—Porté au Roi en la chambre de la Reine; il va voir Mme la duchesse de Bar.

Le 11, lundi.—Porté au lever de la Reine, il baise la chemise et la lui donne; va chez Mme de Bar, en fait autant; revient chez la Reine comme elle se coiffe; chasse Alexandre Monsieur et Mlle de Vendôme d'autour de sa table.

Le 12, mardi.—Il va au dîner de la Reine, lui donne la serviette. A six heures, le Roi revient de Paris.

Le 13, mercredi.—Porté au château neuf, il se joue au Roi et à la Reine.

Le 14, jeudi.—Porté chez le Roi par le jardin; il le rencontre en chemin. Porté chez la Reine.

Le 15 août, vendredi, à Saint-Germain.—Porté au Août
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52 dîner de Mme de Bar; à deux heures et demie, en la chambre de M. de Bar; le Roi lui fait battre sur le tabourin qui étoit en garde.

Le 16, samedi.—Le Roi vient à sept heures, le trouve et le baise dormant, lui disant: «Adieu, mon mignon.» Le Roi part à l'heure pour aller en Normandie. La Reine va dîner, le fait porter et mettre au bout de sa table; il demanda du vin, de celui que la Reine venoit de boire; je lui en donne dans sa cuiller; puis il demande des confitures, qui étoient des prunes en pâté; je lui en donne par commandement de la Reine. La Reine s'en va pour le voyage de Normandie; il l'accompagne jusques à la porte de l'escalier, et à la portière du carrosse se met à pleurer amèrement.

Le 18, lundi.—On lui fait prononcer les syllabes à part, pour après dire les mots.

Le 21, jeudi.—A cinq heures et demie, mis en carrosse, mené par le parc à Carrière, première maison où il a été hors de Saint-Germain. Il reçoit sur le haut M. et Mlle de la Salle, qui étoit grosse de sept mois et demi et, depuis quatre mois, avoit une si grande passion de le baiser qu'elle en perdoit entièrement le dormir. A l'arrivée, comme elle le voit, elle en approche toute tremblante, lui baise la main par deux diverses fois; Mme de Montglat la lui fait accoler et baiser. Il la prenoit avec la main par dessous le menton; elle témoigna n'avoir jamais eu si grand contentement, et tel qu'il surpassoit le déplaisir qu'elle avoit souffert.

Le 25, lundi.—Arrive de la part du Grand Duc le comte de Montecucullo, qui alloit en Angleterre de la part de Son Altesse; il lui donne sa main à baiser.

Le 30, samedi.—A quatre heures, M. de Longueville revient pour demeurer à Saint-Germain.

Le 6 septembre, samedi, à Saint-Germain.—A quatre heures il va au devant de Madame, sœur du Roi, duchesse de Bar, jusque près d'Anemont.

Sept
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Le 17 septembre, mercredi, à Saint-Germain.—Il commence en ce mois à parler par discours[77].

Le 20, samedi.—A dix heures et demie la signora Conchino et la signora Gorini dînent avec Mme de Montglat; il baille sa main à baiser à Mme Conchino.

Le 22, lundi.—A onze heures M. le prince de Condé lui baille la serviette à dîner.

Le 25, jeudi.—A cinq heures le Roi arrive de Caen; il fait bonne chère au Roi, le baise, l'accole, et à la Reine aussi, qui arrive après.

Le 26, vendredi.—Amené chez le Roi et la Reine, il bat sur la table du Roi la françoise et la suisse, sur les vaisselles; trouve son tabourin, recommence ses batteries. Le Roi y prend grand plaisir.

Le 27, samedi.—Mené au souper du Roi[78].

Le 28, dimanche.—Il rencontre Mme la marquise de Verneuil, qui lui demande sa main à baiser, puis son teton; il refuse fièrement l'un et l'autre, jusques à ce que par plusieurs fois il lui ait été dit par Mme de Montglat de le faire; il s'y laisse aller comme par acquit. Mené au cabinet du Roi, il danse au son du violon toutes sortes de danses.

Le 29, lundi.—Il joue au palemail devant le Roi et frappe nettement un coup de cinquante-cinq pas. Mené au dîner du Roi et de la Reine, fort gentil; le Roi et la Reine partent à une heure et demie, fort contents.

Le 30, mardi.—Il avoit une merveilleuse inclination à aimer M. de Candale, reconnu dès le premier jour qu'il l'ait vu[79].

Le 2 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—La prière ordinaire que l'on lui commença à apprendre ce fut, Oct
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54 après le Pater, Ave: «Dieu donne bonne vie à papa, à maman, au dauphin, à ma sœur, à ma tante, me donne sa bénédiction et sa grâce, et me fasse homme de bien, et me garde de tous mes ennemis, visibles et invisibles.» A onze heures et un quart, il mangeoit le dernier aileron d'un poulet, quand il arrive don Sanches de la Serta, maître d'hôtel du roi d'Espagne, fils du feu duc de Medina-Cœli, venant de la part du roi son maître pour voir M. le Dauphin, lui s'en allant en Flandres. M. le Dauphin quitte son poulet, Mme de Montglat lui essuie la main, il la présente. Don Sanches la prend ayant baisé la sienne, qu'il rebaise après; le sieur Hieronimo de Taxis, ambassadeur ordinaire d'Espagne, ayant baisé sa main prend celle de M. le Dauphin et la baise; ils demeurent découverts un peu de temps, puis se couvrent. Le Dauphin achève de dîner, demande à boire, boit à l'Infante. Il voit le poignard au côté d'un Espagnol, et, le montrant du doigt, dit: Ah, la petite épée! Ils vont dîner aux dépens du Roi. Le Dauphin, mené à la salle du bal, où avoient dîné les ambassadeurs, leur ôte son chapeau, et fait la révérence, le pied en arrière, puis va son chemin, eux suivent. Il branle la pique devant eux, il joue au palemail, sec et sans faillir, il danse toutes sortes de danses fort gentiment; il veut monter sur le théâtre[80] pour y danser. Les ambassadeurs montent les degrés pour dire adieu; don Sanches, baisant sa main, prend celle de M. le Dauphin et la baise, Taxis en fait autant, et il tend la main à baiser à tous les autres, à la rangette. Au dîner de M. le Dauphin, M. de Souvré dit au sieur Hieronimo Taxis: «Voilà un serviteur un jour pour l'Infante.» Il répond. «A juger selon le cours du monde; ils sont nés l'un pour l'autre.» Il m'en dit autant.

Oct
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55

Le 9 octobre, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à huit heures; il fait l'opiniâtre, est fouetté pour la première fois. A six heures, j'arrive de Paris, lui étant sur les terrasses, je le trouve assis. Il trémousse d'aise de me voir, mord sa serviette, me regarde, puis détourne sa vue, en fait autant à ma femme. Il nomme fort bien le nom de M. de Beringhen.

Le 30, jeudi.—Il clarissimo Dandolo, ambassadeur extraordinaire de Venise, arrive pour le voir en passant, lui baise la main, le chapeau au poing. Le Dauphin compose sa contenance et lui ôte le sien, le prie de se couvrir en mettant la main sur son bonnet. Il danse devant l'ambassadeur, joue du tabourin, branle la pique.

Le 3 novembre, lundi, à Saint-Germain.—En s'habillant on lui dit: «Monsieur, dépêchons nous, nous irons jouer au jardin.—Nenni, nous irons voir M. Hérouard en sa chambre[81].» J'arrive là-dessus; il se prend à crier et pleurer à chaudes larmes, disant qu'il étoit bien fâché de ce que j'étois descendu, et qu'il vouloit aller à ma chambre. Je m'en retourne pour écrire une lettre, il s'apaise. On lui demande «Monsieur, où aimez-vous mieux aller, ou au jardin ou à la chambre de M. Hérouard?» Il répond: à Hérouard. Il me fait l'honneur d'y venir, me trouve écrivant en mon étude, entre gaiement me tendant la main. Il est tiré par un peintre, de sa hauteur, qui étoit de deux pieds neuf pouces.

Le 7, vendredi.—Le Dauphin est sevré.

Le 22, samedi.—M. de Saint-Géran, sous-lieutenant de sa compagnie[82], présente le président de Moulins et un échevin, lui offrant une épée, une lance et une paire d'armes complètes. Le président lui fait sa harangue Nov
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56 à genoux, lui offrant, de la part de MM. de Moulins, les armes avec leur très-humble affection à son service. Il les écoute, leur tend la main à baiser, prend l'épée, qu'il manie fort adroitement.

Le 29 novembre, samedi.—M. le président de Paulo, deuxième président à Toulouse, MM. Chauvet, de Trelon et Saint-Jory, conseillers, députés de la cour de parlement de Toulouse, [viennent pendant le dîner du Dauphin]. Il s'arrête, ne mange plus, leur tend sa main à baiser, puis ils lui font leur harangue. Il leur donne derechef la main à baiser.

Le 4 décembre, jeudi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive, la Reine aussi. Dîné avec le Roi; il lui donne la serviette.

Le 5, vendredi.—Porté au Roi et à la Reine dans leur lit; à onze heures, porté au dîner du Roi. Le Roi se lève pour aller à la chasse, le Dauphin va achever de dîner avec la Reine. Mathurine[83] arrive, il la considère froidement; elle se joue avec lui, il en rit; elle se retrousse, il lui voit un haut-de-chausses, il se prend à rire et s'en moque.

Le 6, samedi.—Porté au cabinet du Roi; à midi au dîner du Roi. Le Roi et la Reine s'en vont.

Le 11, jeudi.—A six heures, le Roi arrive; il y est porté. Le Roi l'embrasse; il soupe avec le Roi. Le Roi fait semblant de dormir, il vient tout bellement en souriant, et le va baiser. Le Roi se joue à lui.

Le 12, vendredi.—Mené au dîner du Roi; le Roi part pour aller à la chasse.

Le 14, dimanche.—Opiniâtre, fouetté.

Le 19, vendredi.—A deux heures, le Dauphin reçoit le connétable de Castille, auquel il tend la main pour la Déc
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57 lui faire baiser. Le connétable la baise, puis dit en espagnol qu'il avoit commandement exprès du Roi, son seigneur, de le venir voir de sa part et de lui en faire savoir des nouvelles fort particulièrement. M. le Dauphin lui demande (lui étant dit à l'oreille): Comment se porte l'Infante? Puis le Dauphin lui tendant la main et l'ayant baisée, il va voir Madame dans son berceau. Le duc d'Ossone ne voulut point voir M. le Dauphin. Un Espagnol en s'en retournant et passant devant lui, fit le signe de la croix. Le connétable coucha à Saint-Germain, à cause du mauvais temps.

Le 22, lundi, à Saint-Germain.—Le Roi arrive à midi pour la chasse; il baise et accole le Roi; est porté à son dîner. Le Roi s'en va, il crie; colère, fouetté. Mené en la chambre et au souper du Roi.

Le 23, mardi.—Mené au Roi, qui s'en retourne.

ANNÉE 1604.

Étrennes du Dauphin.—Visite du Roi; journée orageuse.—Bégayement du Dauphin.—Chanson sur La Clavelle et Engoulevent.—Chasse du Roi à Versailles.—Les musiciens du Dauphin.—Il reçoit la croix du Saint-Esprit, premier présent du Roi.—Curiosité et dissimulation du Dauphin.—Le Roi le fait fouetter.—Le Dauphin fait l'essai des mets destinés au Roi.—Opiniâtretés et corrections.—Il voit danser un ballet.—Portrait fait au crayon par le fils de Dumonstier.—Caractère et éducation du Dauphin.—Il va à la Muette, à Croissy, à Poissy.—Singulier langage.—Accueil fait à M. de Rosny, à son présent et à sa lettre.—Lettre du Dauphin au Roi.—Jalousie envers les enfants naturels du Roi.—Dialogue avec le page Labarge.—Scènes avec le Roi et la Reine.—Comment on lui parle de son père; les fous de Cour.—Nouveau portrait peint par Charles Martin.—Le journal d'Héroard.—Scène avec le Roi.—Arrivée des enfants de Mme de Verneuil; dispositions du Dauphin pour eux.—Scène avec le Roi et la Reine; page fouetté à la place du Dauphin.—Les chats du feu de la Saint-Jean.—Le cantique de Siméon.—Mme de Verneuil.—Visite du duc de Lorraine et de ses fils.—Goût du Dauphin pour les armes et les instruments militaires.—M. de Rosny.—Singulier langage qu'on tient devant l'enfant, et ses résultats.—Nouveau portrait fait au crayon par Decourt.—Le livre de Gesner sur l'histoire naturelle; le siége d'Ostende.—Portraits en cire de la Reine et du Dauphin faits par Paolo.—Le Dauphin part de Saint-Germain; son passage à Paris, à Savigny, à Villeroy, à Fleury; son arrivée à Fontainebleau.—Scènes avec le Roi et la Reine.—La poterie de Fontainebleau.—Caractère impressionnable de Henri IV; il blémit d'aise en embrassant son fils et le fouette lui-même.—Lit donné par M. de Rosny.—Concini.—Le P. Coton.—Costume d'été.—Goût de plus en plus développé pour la musique.—Le fou du Roi.—Tragédie anglaise représentée à Fontainebleau.—Statue du Dauphin faite par Guillaume Dupré.—Le danseur de corde.—Portrait au crayon fait par Mallery.—Accès facile des pauvres dans les cours du château.—M. de Favas et sa jambe de bois.—Scène avec le Roi.—L'épinette de M. de Saint-Géran.—Envoi à l'infante d'Espagne.—M. de Rosny et le service d'argent doré.—Journée de colère et ses suites.—Mlle de Guise.—M. de Vendôme indispose le Roi contre le Dauphin.—Singulières conversations.—Continuation de la colère du Roi.—Le lit de la Reine.—Le masque de Mme de Montglat.—Départ de Fontainebleau; passage à Melun, retour à 60 Saint-Germain.—Arrestation du comte d'Auvergne.—La marquise de Verneuil et la comtesse de Moret viennent l'une après l'autre à Saint-Germain.—Arrivée du Roi; souvenir de la scène de Fontainebleau.—Le branle des navets.—Le Dauphin recommence à bégayer.—Moyens dont on se sert pour le faire obéir.—Lutte entre le Roi et son fils.—Le Dauphin valet du Roi.—Historiette du fils de M. de la Fon.—Le Dauphin quitte les lisières.—Remarques sur les antiquités de Rome.—Joujoux de Noël.—Le mari de la nourrice.—Audience des états généraux de Normandie.—Un joujou d'Italie.

Le 2 janvier, vendredi, à Saint-Germain.—Il reçoit la bourse des jetons du Roi apportée par M. Plassin.

Le 7, mercredi.—Le Roi, le vient voir et se joue à lui gaiement. On met le Dauphin en si mauvaise humeur qu'il fault de crever à force de crier, et tout fut en si grande confusion jusques à six heures que je n'eus point le courage de remarquer ce qu'il fit, sinon qu'il vouloit battre tout le monde, criant à outrance; fouetté longtemps après.

Le 8, jeudi.—Il va voir le Roi à dix heures et demie et va à la chambre de la Reine; à douze heures et demie dîné avec la Reine.

Le 9, vendredi.—A onze heures mené au Roi; dîné à deux heures[84] debout sur un placet[85]. Le Roi l'envoye querir en la chambre de la Reine pour voir Mme de Montpensier.

Le 10, samedi.—Mené au Roi en son cabinet; soupé à six heures avec le Roi.

Le 11, dimanche.—A douze heures et demie mené en la chambre du Roi; dîné avec le Roi et la Reine. A deux heures le Roi et la Reine s'en vont. Le Dauphin n'est plus couché les après-dînées.

Le 12, lundi.—Le Dauphin bégaye en parlant[86]; on remarque que ce a été depuis deux jours auparavant, Janv
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61 quand le Roi, couché dans le lit, prenoit plaisir à le faire railler avec le petit Frontenac, qui bégayoit. Il se fâche quand il ne peut prononcer promptement.

Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—A une heure et demie arrive Juan Hieronimo de Taxis, ambassadeur du roi d'Espagne qui vient prendre congé de M. le Dauphin. A cinq heures le Roi arrive, revenant de la chasse; il jette ses bras au col du Roi. A six heures et un quart, soupé avec le Roi; à sept et demie, en sa chambre, il chante la chanson qu'on lui avoit apprise:

La Clavelle[87] a deux laquais
Qui savent porter poulets
Aux dames et aux damoiselles.
Hélas! le pauvre La Clavelle
La Clavelle et Engoulevent[88].

Le 15, jeudi.—Le Roi le vient voir; il l'accole; le Roi part pour aller à la chasse à Versailles[89].

Le 27, mardi.—Le Roi arrive à une heure, il accole le Roi, est porté au cabinet de la Reine, où le Roi dîne. A six heures et demie soupé avec le Roi.

Le 28, mercredi.—A trois heures et demie mené à la chambre du Roi; à six heures et demie soupé avec le Roi.

Le 29, jeudi.—A onze heures et demie mené au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi; il donne la serviette au Roi, qui s'en va à la chasse à une heure et demie.

Janv
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Le 30 janvier, vendredi.—Le Roi s'en retourne à Paris. Le Dauphin ne veut point dire adieu à Alexandre Monsieur, qui part pour aller à Paris recevoir la croix[90] le dimanche ensuivant.

Le 3 février, mardi, à Saint-Germain.—Le Dauphin avoit pour violon et joueur de mandore Boileau, et pour joueur de luth Florent Hindret, d'Orléans, pour l'endormir.

Le 4, mercredi.—M. de Beauclerc, premier secrétaire du Dauphin, lui porte de la part du Roi, avec lettre, une croix du Saint-Esprit, premier présent que le Roi lui a fait; la croix tenue par un dauphin émaillé de bleu.

Le 9, lundi.—A six heures la Reine arrive; le Dauphin, porté au cabinet de la Reine, refuse de l'accoler; il le fait par crainte.

Le 10, mardi.—A onze heures le Roi arrive, qui avoit couché à Meudon; le Dauphin est porté en sa chambre, et dîne avec le Roi.

Le 11, mercredi.—Il va à la chambre du Roi, tabourin battant; le Roi étoit encore au lit. Le Roi et la Reine partent à deux heures pour aller à Paris.

Le 16, lundi.—Il fait tirer le capitaine Richard, qui, de son arquebuse, tue un pigeon; il dit: «A diré à papa» (Je le dirai à papa). M. de Mansan[91], oyant cela, dit que dorénavant il ne falloit rien faire devant lui et qu'il diroit tout, et qu'il écoutoit tout sans faire semblant de rien.

Le 18, mercredi.—A six heures et demie il va voir le Roi et la Reine venant de Paris au château neuf; s'endort dans le carrosse.

Le 19, jeudi.—A deux heures mené au château neuf, chez le Roi; il se joue sur le lit du Roi; qui avoit la goutte.

Fév
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Le 20 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au Roi, il revient à onze heures et un quart; mené au dîner du Roi.

Le 22, dimanche.—Mené en la chambre du Roi; le Roi le menace du fouet, il s'opiniâtre, veut aller en sa chambre; mené en celle de la Reine, il continue. Le Roi commande qu'il soit fouetté; il est fouetté par Mme de Montglat, au cabinet. Il est apaisé par de la conserve que la Reine lui donne, mais non autrement, ayant voulu battre et égratigner la Reine. Mené à une heure au bâtiment neuf, il est malmené du Roi.

Le 23, lundi.—Mené à midi au Roi, au bâtiment neuf; il sert le Roi à table.

Le 24, mardi.—Mené au Roi, il le sert à son dîner, fort gentil; il fait les essais sur toutes les viandes; leur dit adieu lorsque le Roi et la Reine s'en sont retournés à Paris, fort contents de lui.

Le 4 mars, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures il veut dîner; le dîner porté il le fait ôter, puis rapporter. Fâcheux, fouetté fort bien; apaisé, il crie après le dîner, et dîne.

Le 5, vendredi.—A onze heures il est fouetté pour ne vouloir point dîner.

Le 7, dimanche.—Il va à la salle du Roi, voir danser le ballet.

Le 18, jeudi.—La Reine arrive de Paris, on le lui dit; il va à la chambre de la Reine, l'embrasse, la salue.

Le 19, vendredi.—Parti avec la Reine, à onze heures, pour aller trouver le Roi, qui dînoit à Laumosne, près de Maubuisson. Étant près de la Muette, il veut aller en sa chambre; la Reine lui montre la Muette, disant que c'étoit Saint-Germain; il répond: Non pas, faut tourner carrosse pour aller à Saint-Germain. La Reine le renvoie; il arrive à Saint-Germain à douze heures, est porté fort criant en sa chambre et fouetté longtemps. Le Roi arrive, venant de Merlou, à trois heures.

Mars
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Le 20 mars, samedi, à Saint-Germain.—Il voit le jeune Du Monstier, peintre[92], et lui dit: Équivé (écrivez). Je lui dis: «Monsieur, il veut écrire votre visage, votre nez, vos yeux.» Il lui dit: Équivé-moi; lui soutient doucement le portefeuille, et a peur de l'empêcher. Il va à la chambre du Roi, qui étoit couché; ramené à dix heures et demie, dîné; il se laisse peindre. Mené au dîner du Roi et de la Reine, il sert le Roi, fait l'essai des viandes et du breuvage dans le couvercle de verre. A cinq heures soupé; il sert le Roi à souper, à l'accoutumée.

Le 21, dimanche.—Mené au dîner du Roi, il le sert à l'accoutumée. A une heure le Roi part pour retourner à Paris; à deux heures la Reine part. Il s'amuse à ses échecs d'argent, pendant que le jeune Du Monstier tire son crayon.

Le 28, dimanche.—Il jure sa foi, je l'en reprends, lui disant: «Monsieur, vous jurez votre foi.» Il s'en prend à pleurer, s'en met en colère, s'en va à Mme de Montglat, et ne lui veut jamais dire pourquoi il étoit fâché.

Le 8 avril, jeudi, à Saint-Germain.—A onze heures dîné; fantasque, crie, pleure; un coup de verge sur la main, colère, s'apaise.

Le 21, mercredi.—En se promenant par la chambre, il s'arrête court, voyant M. de la Valette sans manteau, se chauffant dans la balustre, les mains derrière le dos, et lui dit: Ho! la Valette, vous chauffez comme moi, êtes-vous le Roi? ôtez de là, allez-vous-en. Peu après Mlle Bélier, sa remueuse, en l'entretenant lui dit: «Monsieur, quand vous serez grand on vous fera un haut de chausses où il y aura une belle petite brayette.» Il répond soudain: Fi! braguette, c'est pour les Suisses. A deux heures trois quarts goûté debout, car il faut noter que depuis le matin, qu'il Avr
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65 étoit levé jusques à ce qu'il s'endormoit pour être couché, il ne s'asseyoit qu'à dîner et à souper.

Le 23, vendredi, à Saint-Germain.—Promené à Vésinet.

Le 24, samedi.—Il se réjouit d'une robe neuve, la montre à chacun.

Le 27, mardi.—A sept heures déjeuné, fort gai, contrefait souvent l'ivrogne. A onze heures dîné; il lui prend humeur à contredire et de crier; fouetté.

Le 29, jeudi.—Éveillé à sept heures et demie, levé, déjeuné, colère mal à propos, fouetté très-bien.

Le 4 mai, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures et demie, levé, il se met en mauvaise humeur, crie, fouetté, crie plus fort, apaisé.

Le 7, vendredi.—A quatre heures et demie mis dans la litière de la Reine pour essayer; mené jusques auprès de la Muette[93], en revenant il veut entrer en carrosse.

Le 8, samedi.—Éveillé à six heures, il demande son déjeuner, en mauvaise humeur, chasse tous ceux qu'il voit. Levé, hoignard; à huit heures et demie déjeûné; opiniâtre, fouetté, se dépite, apaisé. A onze heures dîné. A trois heures il passe le bac au Pecq; mené à Croissy, goûté à Croissy, gai, il demande où est la cuisine. Remis en litière, il s'endort, arrive au château à cinq heures et demie.

Le 11, mardi.—A dix heures le Roi arrive, il lui fait bonne chère; dîné à onze heures trois quarts avec le Roi. A quatre heures le Roi s'en retourne; il l'accole, il lui baise la main.

Le 12, mercredi.—Mené à Poissy; le curé vient au-devant de lui avec la croix et la bannière. Il est reçu par Mme de Retz, abbesse, à l'entrée de la maison de l'abbaye.

Le 13, jeudi.—Levé à huit heures, il entre en mauvaise humeur, crie, est fouetté, porte la main au fessement, disant: Chatouillez-moi, chatouillez-moi, crie par Mai
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66 dépit, apaisé. A trois heures il entre en carrosse, est mené à Forqueux.

Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures levé, déjeuné. J'avois nommé potage son bouillon, il me dit: Je pense vous rêvez, c'est pas du potage. A deux heures goûté; il se cache en mon étude, m'appelle: Moucheu Heoua, je suis en vote petite chambe. Il ne brouilloit jamais rien là où il alloit; s'il y a quelque désordre, il le fait remettre.

Le 17, lundi.—Dîné, mené à la salle du bal, il s'opiniâtre, est fouetté.

Le 20, jeudi.—Mené au palemail, ramené à onze heures pour dîner, il n'en veut point; fort crié, fouetté très-bien coup sur coup, par deux fois, ne se rend point, enfin dîné.

Le 23, dimanche.—A huit heures levé, bon visage, gai, vêtu; il avale[94] ses bas de chausses disant: Voyez la belle jambe. Mlle de Ventelet lui hausse le bas et l'attachoit d'un ruban bleu à son cotillon; il voit que le ruban tournoit un peu sur le derrière, il se prend à dire en souriant: Ho! ho! je pense vous voulez fai mon cu chevalier, puis le voyant encore plus en arrière: Ho! ho! mon cu est chevalier. A neuf heures et demie déjeuné sur la fenêtre du préau; il voit des hommes qui passent, leur crie: Bonjou, Messieurs, je m'en vais boire à vous. A six heures il voit en passant le petit Canada[95] à la fenêtre, malade, il lui fait porter de son potage.

Le 24, lundi.—M. de Rosny le vient voir, il lui baille froidement la main à baiser, joue au palemail à la salle Mai
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67 du bal. M. de Rosny lui veut baiser la main et s'en aller, il la refuse et ne le veut accoler; M. de Rosny s'en va, il est marri de l'avoir refusé, le dit à Mme de Montglat, lui donne la main.

Le 26 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Il ne veut point saluer M. de la Chevalerie qui lui apporte un petit carrosse plein de poupées; il y avoit une lettre de M. de Rosny; il tend la main, et pour la lettre, dit: Je la jetterai par la fenêtre.

Le 27, jeudi.—A une heure, dans la tourelle de la chambre du Roi, il écrit, pour du sucre rosat, une lettre au Roi. Je lui tiens la main; il se fâchoit sur la fin, disant: Ma pume est to pesante. Il nommoit tous les mots après moi, qui lui conduisois la main:

Papa ie say ben equiué non pa enco lisé. Moucheu de Oni m'a anuoié un home amé et un beau caoche ou é ma maitesse l'infante, é une belle poupée à theu theu. I m'a pomi un beau gan li pou couché, ie ne sui pu peti anfan, iay ben chau dan mon bechau, iay beu a vote santé papa é a maman. Ma pume est fo pesante, ie ne pui pu équiué, ie vous baise te humbeman lé main papa é a ma bone maman é sui papa vote te humbe é te obéissan fi é cheuiteu. Daufin[96].

Le 31, lundi.—Levé contre son gré par Mme de Montglat; il tenoit des verges, lui en donne un bon coup sur le visage, ne veut point de Mme de Montglat, s'y opiniâtre, en est fouetté. Il envoie à dîner à Canada.

Le 1er juin, mardi, à Saint-Germain.—Il se fait promener dans son petit carrosse du comte de Permission[97].

Juin
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Le 3, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures, levé; il prend sa chemise par jalousie de Labarge, page de Mme de Montglat. Il frappe à coups de pied M. le Chevalier et Mlle de Vendôme. Amusé, promené, il est toujours avec les soldats, fait mettre le feu à un pétard. Il fait fouetter Labarge, fait mettre le petit Frontenac à genoux, le fouette, lui fait baiser les verges, lui pardonne.

Le 4, vendredi.—Levé à neuf heures; le Roi arrive; fort gentil, l'embrasse, entre en colère de ce que le Roi avoit baisé un peu serré M. le Chevalier, en fait le dépité; diverti, fait bonne chère au Roi. M. le Prince lui donne sa chemise. Déjeuné, il va à la messe avec le Roi en la chapelle, veut faire ôter le Roi de sa place, s'y efforce, et dit: Il est en ma place, ôtez-vous de là. Le Roi s'ôte et laisse son chapeau: Otez le chapeau; il fut ôté. Mené partout avec le Roi. A onze heures dîné avec le Roi. La Reine arrive à midi; il la sert, se joue à elle. Mlle de Vendôme baise la main de la Reine; il s'en fâche, y court pour la frapper, frappe la Reine. A trois heures goûté en sa chambre, mené promener, il dit adieu au Roi et à la Reine; à six heures soupé, il fait exercice de guerre; à huit heures s'endort.

Le 5, samedi.—A huit heures et demie déjeuné; mené au Roi, il va jouer au palemail, puis au lever de la Reine. A dix heures et demie dîné en la salle avec le Roi; il ne veut point que M. le Chevalier et Mlle de Vendôme prennent dans le plat du Roi. A six heures trois quarts soupé; mené au Roi, il voit M. le Chevalier auprès du Roi, s'en va à la charge, le fait mettre derrière.

Le 6, dimanche.—A huit heures et demie déjeuné; le Roi y vient, le voit déjeuner; il fait le fâcheux, fait taire Hindret, joueur de luth. Promené au jardin, aux allées, il voit et regarde le Roi touchant les malades.

Le 8, mardi.—Levé, il ne veut point prendre sa chemise, et dit: Point ma chemise, je veux donner premièrement du lait de ma guilley; l'on tend la main, il fait comme s'il Juin
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69 en tiroit, et de sa bouche fait: fsss, fsss, nous en donne à tous, puis se laisse donner sa chemise. Vêtu, il se joue en paroles avec Labarge; Labarge lui dit qu'il est Monsieur le Dauphin; il lui répond: Vous êtes Dauphin de mede. Mené au palemail, M. de Lorraine avec lui, ramené chez la Reine; dîné avec la Reine à midi. «Mon fils, dit la Reine, où irons nous?» Il répond: A la chasse. A trois heures la Reine le met en son carrosse, le mène à la chasse aux toiles, au bois de Ponchi, près le parc de Sainte-Gemme. A quatre heures et demie goûté d'une rôtie à l'accoutumée; le Roi arrive de courir le cerf, prend de sa rôtie; il s'en met en colère. Le Roi le pressa trop et lui jette au visage l'eau dont la rôtie étoit trempée; il se met à pleurer, et eût été plus malmené sans M. de Lorraine. Porté sur un chariot, dans les toiles, il voit passer devant lui et s'en retourner le sanglier; le voyant, il remarque ses dents et dit: Il a de grandes dents.

Le 9, mercredi.—Mathurine[98] lui demande: «Viens çà; seras-tu aussi ribaud que ton père?» Il répond froidement, y ayant songé: Non. Il va chez la Reine à une heure et demie; à deux heures goûté; il entre en mauvaise humeur contre la Reine, il la frappe, elle en rit. On veut fouetter Labarge s'il ne demande pardon, il le demande. Madame le veut baiser, il lui fait baiser son pied.

Le 10, jeudi.—M. de Vendôme arrive, se met auprès de lui, à la main gauche; il le repousse par deux diverses fois de la main, disant: Allez plus loin. M. de Vendôme, de son mouvement, lui baise le dessus de la main et à l'impourvû. Ha! dit-il en faisant le fâché, vous baisez ma main, et la frotte contre sa robe. Promené au jardin, dîné, amené à la Reine, mis en carrosse. A deux heures goûté, amusé, ramené en la salle du Roi, il fait sortir un cul-de-jatte qui jouoit du flageolet, disant: Mettez dehors; qu'il joue, mais je ne le veux pas voir. Il ne veut Juin
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70 point voir Olyvette, folle de feu Mme de Bar, ne veut point voir maître Guillaume[99], n'aime point les fols de cette sorte. Soupé; il fait porter de la gelée au petit Canada, malade; s'amuse à voir les passants.

Le 11, vendredi, à Saint-Germain.—Il se fâche, frappe Mme de Montglat, fait ôter le bâton à M. de Courville, gouverneur des pages de la chambre. Mené au jardin, on ne le peut contenter; on est contraint de l'emporter; il crie, craignant le fouet; outré, un peu fouetté, il égratigne bien fort Mme de Montglat à la joue de deux grandes raflades. Apaisé, mené à la salle du Roi; à onze heures trois quarts dîné; fâcheux, il fait ôter Madame de table. Mesuré, il a trois pieds de long, moins demi-pouce[100].

Le 12, samedi.—A neuf heures déjeuné; il va à la chapelle, voit M. le Chevalier et Mlle de Vendôme à genoux sur leurs carreaux; il se prend à eux, disant: Otez, ôtez de là; priez Dieu à terre; ils sont contraints de les ôter. Mené chez la Reine, il entre en fâcheuse humeur, veut que la Reine ôte sa robe, qu'elle ôte sa chaîne. La Reine le frappe, il lui rend, demande pardon. Il fait le fâcheux, ne veut point dîner; enfin, sur la jalousie de Labarge, qui feignit vouloir manger le dîner, il dîne à onze heures et demie. Il prend plaisir aux discours de maître Guillaume, les redit. A deux heures et demie goûté; il va en la chambre de Madame; Mme de Montglat veut donner la chemise à Madame; il la prend, la jette à terre en colère. On la met à Madame, il crie plus fort; fouetté, outré de colère. Porté au Roi à sept heures et demie, ramené à huit.

Le 13, dimanche.—A neuf heures déjeuné; mené chez le Roi; le Roi lui veut faire prendre en la bouche, par force, une fraise; il entre en mauvaise humeur, jette la serviette du Roi par terre; porté en la chambre de la Juin
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71 Reine, fouetté. Mené au dîner du Roi, il mange tout ce que le Roi lui donne.

Le 14, lundi.—Mené au palemail, il court de loin au Roi, l'embrasse; le Roi le prend par la main. A onze heures mené en la salle du Roi; dîné; mené au Roi à deux heures, il se joue en la galerie.

Le 15, mardi.—A neuf heures déjeuné; peint par le sieur Martin[101]. Mené à la chapelle, M. le Chevalier et Mlle de Vendôme étoient sur leurs carreaux, il les en fait ôter. Mené à la Reine à trois heures; le Roi revient de la chasse; à trois heures trois quarts le Roi et la Reine partent pour aller à Paris.

Le 16, mercredi.—Il se jouoit d'une petite clef attachée à un cordon; je lui demande. «Monsieur, est-ce la clef de vos écus?» Il répond: Oui.—«Et qui les garde?»—Il répond: Moucheu de Rosny. A deux heures et demie goûté; il vient en ma chambre. Je tenois sur ma table la liasse de mon journalier pour le montrer à Mme de Panjas, qui étoit avec Mme de Montglat. «Ce livre, Monsieur, lui dis-je, c'est votre histoire pisseuse.» Il répond: Non.—«C'est votre histoire breneuse[102].» Il répond: Non.—«C'est l'histoire de vos armes.» Il répond: Oui. A huit heures le Roi et la Reine reviennent; mené vers LL. MM., il les embrasse, danse, court, va servir le Roi à table. Il demande une guine, le Roi la lui refuse, il s'en fâche; le Roi la lui veut donner, il n'en veut point, est en mauvaise humeur, continue voyant que le Roi baisoit M. le Chevalier. Le Roi se lève de table, le veut baiser, il Juin
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72 ne veut pas; le Roi lui prend la tête et le baise, et se sentant pressé, pour se défendre il rencontre la barbe du Roi (sic).

Le 17, jeudi.—Mené à la messe du Roi, qui le mène à la procession, ramené à la chapelle pour l'écu à l'offrande, qu'il ne vouloit point lâcher[103]. A onze heures trois quarts, mené en la salle du Roi; dîné en rêvant et battant le tambour de la voix, tirant des arquebusades. Il ne songe point à boire; on lui en présente sans en demander; il n'en fait compte, boit par coutume. Amusé jusques à trois heures, goûté; mené au palemail au Roi et à la Reine, il court, joue au palemail, frappe un coup en lieu plein, vers la chapelle, de quatre vingts pas, mesurés par le Roi. A six heures et demie soupé; en mangeant on lui dit: «Monsieur, voici un autre féfé qui vous vient voir.» Il répond: Enco un aute féfé! où est-i? M. et Mlle de Verneuil arrivent à sept heures et un quart; il les regarde fixement à l'entrée. On le met bas[104], il va au devant froidement pour recevoir M. de Verneuil, lequel se retire contre celui qui le tenoit et se retourne, hoignant, ne voulant point voir et approcher M. le Dauphin, qui suivoit froidement, sans s'émouvoir, pour le caresser. M. de Verneuil résiste à l'accoutumée; cependant M. le Dauphin se retourne, baise et accole par deux fois Mlle de Verneuil. Voyant que M. de Verneuil ne se vouloit point laisser accoler ni approcher, il retourne, court vers sa table et achève de manger. Il regardoit M. de Verneuil, tenant la tête baissée sur le côté droit et appuyé sur le bras de la chaise, du coude du même côté. Mené au Roi en la cour, le Roi le mène au jardin; tous ses enfants y étoient[105].

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Le 18, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la Reine, M. de Verneuil avec lui; la Reine leur fait bonne chère. A trois heures et un quart goûté; il donne des confitures à M. de Verneuil.

Le 19, samedi.—Il se joue à un petit canon qu'il dit lui avoir été donné par le sieur Constance, écuyer du Roi. A onze heures et demie dîné; il pousse son écuelle de cerises, et dit: Velà pou le petit Canada, qui étoit décédé le jour précédent. A cinq heures et demie mené au jardin, il se fait mettre dans le petit chariot vert avec Mme de Montglat, et à son côté M. de Verneuil, disant: Mettez, mettez-le là, après que M. de Verneuil lui eut demandé: «Mon maître, vous plaît-il que je sois là?» Mené au Roi et à la Reine revenant de la chasse.

Le 20, dimanche.—M. de Vendôme entre en sa chambre fort accompagné; il y avoit entre les autres un gentilhomme de Normandie, nommé le sieur de la Valée, qui se mêloit de prédire par horoscopes et nativités. Il s'adresse à lui parmi la troupe: Allez vous-en, et le presse si fort qu'il fallut sortir. A dix heures et demie porté au Roi en la chapelle; on lui demande: «Monsieur, qui est le papa de féfé Verneuil?» Il répond un mot controuvé, de son invention, comme quand il ne vouloit pas dire quelque chose. «Monsieur, lui dit-on, il est le fils du Roi.» Il répond court et soudain: C'est moi, se montrant et ayant la main sur sa poitrine.

Le 21, lundi.—Mené à la chapelle; le Roi lui jette de l'eau bénite au visage; il s'en met en colère, ne veut que personne sorte, fait fermer les portes. A deux heures et demie goûté; il s'amuse aux exercices de guerre. La Reine arrive, il se met en mauvaise humeur, ne veut point baiser la Reine, la veut frapper. L'on feint de Juin
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74 fouetter Labarge comme faisant la faute; il s'apaise et fouette lui-même Labarge. A six heures soupé; sa nourrice lui demande s'il veut teter, et lui présente le teton; il lui tourne le dos, lui disant froidement: Faites teter mon cu.

Le 22, mardi.—Il entre en mauvaise humeur contre Mme de Montglat, en fait autant à M. Concino, puis fait la paix moyennant un petit carrosse et une charrette pour Labarge. Il va au jeu de paume, donne le bonjour au Roi, se joue, et rit avec M. de Montigny, enseigne colonelle aux gardes, qui avoit un grand nez, l'appelant Janica, pour Nasica.[106]

Le 23, mercredi.—Promené par la galerie; il donne le bonjour au Roi, qui étoit en carrosse à cause de la pluie. Il donne un soufflet à la petite Louise, parce qu'il ne vouloit pas qu'elle tînt par la main Mlle de Verneuil; elle s'en va, il la suit pour la faire revenir, ne veut point que Labarge y aille, et l'ayant attrapée: Venez, venez, petite Louise, je ne vous battai pus.

Le 24, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine; il obtient grâce pour des chats que l'on vouloit mettre au bûcher de la Saint-Jean. Mené au Roi et à la Reine, il est gentil et le Roi lui est fort doux. Il s'amuse avec ses petits seigneurs à des actions de guerre; la Reine arrive, il se met en colère contre elle, craignant que ce fût pour lui empêcher son plaisir. La Reine le menace du fouet, la colère augmente; le Roi l'apaise. Le Roi et la Reine partent à trois heures.

Le 27, dimanche.—Il fait ôter de derrière lui M. de la Valette, qui lui tenoit sa lisière; arrive un habitant de Rouen, âgé de cinquante-cinq ans, qui se met à genoux, la larme à l'œil, disant le cantique de Siméon.

Le 28, lundi.—Mlle de Vendôme pour se jouer avec le Dauphin, comme elle faisoit bien souvent, lui porte son Juin
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75 doigt au visage; il s'élance en colère sur elle comme un lion et lui arrache le masque du visage. Il met le feu au bûcher de Saint-Pierre.

Le 29 juin, mardi, à Saint-Germain.—Il fait de petites actions militaires avec ses soldats; M. de Mansan lui met le hausse-col, le premier qu'il ait mis; il en est ravi, se fait voir à tous ses soldats. Il goûte avec son hausse-col, s'entretient avec tous ses soldats comme s'il étoit en pleine guerre.

Le 30, mercredi.—Il demande son hausse-col et toutes ses armes, les prend, les considère, s'en joue, en est ravi, met ses gantelets en mains, en gourme Labarge. Il ne peut laisser les armes. Mme de Vitry appeloit M. de Verneuil son maître; il l'entend, et dit: Non, c'est moi.

Le 2 juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Mme sa nourrice demande à M. de Verneuil ce qu'il avoit mangé à souper, il répond: «Du poulet, de la panade, etc.» Elle demande après à M. le Dauphin: «Et vous, petit bout de nez, petit galant, qu'avez-vous mangé à souper?» Il répond en souriant, comme gaussant: De la mede.

Le 3, samedi.—Il se fait mettre dans le chariot du comte de Permission, fait asseoir M. de Verneuil sur le devant, se fait traîner.

Le 4, dimanche.—Mené à dix heures à la chapelle, il entre en colère contre M. l'aumônier, est fouetté; la colère lui augmente, il en est diverti par Labarge, qui sonne les cloches. Le baron d'Ornh, gentilhomme anglois, fils du grand fauconnier d'Angleterre, vient avec le sieur de l'Isle, gentilhomme anglois, lequel, par transport, souleva et baisa à l'oreille M. le Dauphin par permission; mais il avoit à demi fait quand il la demanda.

Le 5, lundi.—Promené en la basse-cour où il donne l'aumône à des pauvres.

Le 6, mardi.—Mme la marquise arrive en la salle du Roi, trouve M. le Dauphin, qui lui donne la main à baiser; Mme de Verneuil se veut jouer à lui, et lui prend ses Juil
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76 tetons; il la repousse et lui dit: Otez, ôtez, laissez cela; allez-vous-en.

Le 7, mercredi.—Botté pour la première fois par M. de Ventelet, il en est ravi, montre ses bottes à chacun, dit qu'il va à Paris, demande son cheval. Le capitaine Polet, gentilhomme gascon, revenant de Hongrie, lui baise les mains. Le Dauphin ne veut point baiser Mme la marquise de Verneuil, ne veut point approcher Mme la marquise, la frappe de son palemail. Il se fait mettre son hausse-col, prend sa pique, la branle contre M. de Belmont, se fait mettre son épée, s'efforce de la tirer (elle étoit bridée). Mme la marquise lui dit: «Monsieur, je vous la tirerai, et permettez que mon fils prenne votre pique, le voulez-vous bien?» Elle la met hors du fourreau; il la tient haut, élevée, pour un peu de temps. M. de Belmont la prend de ses mains, la remet dans son fourreau et la bride, feignant de la lui vouloir racoustrer. Il ne veut jamais permettre que la marquise lui touche les tetons; sa nourrice l'avoit instruit, disant: «Monsieur, ne laissez point toucher vos tetons à personne, ne votre guillery, on la vous couperoit.» Il s'en ressouvenoit.

Le 8, jeudi.—M. de Lorraine[107], qui le venoit voir avec MM. de Bar[108] et de Vaudemont[109], arrive; il va à lui le chapeau au poing, lui tend la main à baiser et à MM. ses enfants, se fait mettre l'épée que le duc de Lorraine lui donne. Mme la marquise de Verneuil, qui étoit revenue de Poissy à une heure, vient à deux heures; il ne tend point la main. Elle essaye tous les moyens, point; Mme de Montglat lui fait donner, mais avec peu de volonté, et lui fit dire: Adieu, madame, j'aimerai bien vote fils, mon féfé. Elle répondit: «Et il sera votre Juil
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77 serviteur.» A quatre heures, le duc de Lorraine prend congé de lui.

Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il ordonne en paroles comme s'il avoit déjà commandement, et dispose de l'ordre et devoir des soldats, sait les noms et propriétés de toutes les armes. Il tire des armes, fait ôter le plastron à M. de la Valette.

Le 12, lundi.—Il fait venir une épousée de village, considère les danseurs.

Le 14, mercredi.—Éveillé à sept heures trois quarts, il s'entretient tout seul, bat tout bas en soi-même la batterie des lansquenets, bat du tambour contre sa poitrine avec le poing. Çà, dit-il, venez souda, en fait autant faire par Mlle Beraud, lui dit: Marchez, en garde, demande son corselet, disant: J'ai astheure une grande chambre, et un grand corcelet; il est là-haut à ma garde-robe. Il en fut impatient tant qu'il l'eût; il se laisse vêtir et coiffer patiemment, sous l'espérance d'un casque qu'il voyoit devant lui; il le fait essayer, il étoit trop étroit. M. de Belmont lui met son hausse-col; M. de Ventelet tenoit le derrière du corcelet; M. de Belmont lui met le derrière, qu'il empoigne lui-même et le serre comme sauroit faire le plus accoutumé à porter cuirasse, a la patience, et soudain qu'il est armé demande: Ma pique, et se prend à marcher parmi la chambre, si gaiement et si à son aise qu'il sembloit n'avoir rien sur les épaules. Jamais ne fut vu pareille chose en cet âge: la patience, l'adresse et la facilité à porter et manier les armes. Il se prend à tirer et branler des coups de pique contre Labarge et sur la balustre, comme à la barrière; il va, il vient, il ne dit mot, transporté d'aise. L'on lui porte un grand miroir, il se voit dedans, et tout soudain se fait désarmer. Il joue, raille sur Marguerite Valon, descend chez MM. d'Épernon, s'amuse à un livre de figures, en voit une où il y avoit un hallebardier qui en détachoit un autre, lui avaloit les chausses, et lui mettoit le doigt dans le Juil
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78 fondement. , dit-il, Velà Fanchemont (Franchemont, un hallebardier du corps, qui étoit en quartier) qui met le doigt au cu du capitaine Richard. A trois heures, comme il a entendu battre la garde, il a demandé soudain: Je veux mes armes, mon corcelet, mon casque, mon hausse-cou, se fait armer, et là-dessus les soldats viennent pour entrer en garde. Il se fait désarmer et commande au baron de Montglat de porter ses armes au corps de garde, au sieur de Saint-Martin, pour les mettre au râtelier et les bien attacher. Elles y furent mises, les armes entières, depuis le casque jusques aux pieds; il les alloit montrant à ceux qui entroient en la salle; il me les montra par la fenêtre, me dit: Voyez, mes armes qui sont au corps de garde, et me commanda de l'écrire.

Le 16, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat, par mégarde, lui tournoit le dos; il lui a dit: Il faut pas tourner le cu à moucheu le Dauphin.

Le 19, lundi.—Il voit dresser son lit avec une extrême allégresse, est mis dans son lit pour la première fois[110].

Le 24, samedi.—Étant à la messe, Mlle Bélier lui donne une image d'un crucifix, lui disant que c'étoit le bon Dieu. M. l'aumônier élevant l'hostie, elle lui dit: «Monsieur, regardez le bon Dieu.» Il répond: C'est encore le bon Dieu? L'aumônier élevant le calice, elle lui en dit autant; il répond: C'est le bon Dieu, en montrant sa figure, et là? ajoute-t-il en montrant le calice. «Cela, dit-elle, est le sang du bon Dieu»; il répond: Buvons-nous du sang?

Le 27, mardi.—Il s'arme pour aller au devant de M. de Rosny avec sa pique.

Le 28, mercredi.—Éveillé à sept heures, il se met en mauvaise humeur, égratigne Mme de Montglat, est fouetté. Juil
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79 Labarge lui demande: «Monsieur, vous plaît-il que je mette Marguerite en prison?» Il répond: Non.—«Pourquoi, Monsieur?»—Vous êtes pas de mes archers de mes gardes!—«Que suis-je donc?»—Archer de ma garde-robe.

Le 31 juillet, samedi.—Il va chez M. de Frontenac, qui lui baille une petite arquebuse et un petit fourniment, qu'il fait mettre sur soi, et s'en transporte d'aise.

Le 4 août, mercredi.—M. de Montglat lui demande: «Monsieur, me donnez-vous rien à souper?» Il répond: Mon reste.—«Monsieur, voilà maman dondon[111], qui a un cul de ménage où il y à boire et à manger.» Il répond: Et moi aussi.

Le 5, jeudi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dévêtu; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur, coucherai-je avec vous?». Il répond brusquement: Ho! ho! vous n'êtes pas l'Infante. Mis au lit, Mlle de...[112].... lui en demande autant: «Monsieur, vous plaît-il que je couche là avec vous?» Il répond résolûment: Êtes-vous l'Infante?—«Oui, monsieur,» dit-elle. Il répond: Non, vous n'êtes pas l'Infante.

Le 6, vendredi.—Il se joue dans son lit à ses petites armes, chante une chanson qu'il avoit ouï chanter: A Paris, su petit pont, le poil du...[113] s'étant failli pour dire le coil du pont. Levé à neuf heures et demie, déjeuné, il mange assis, ayant devant lui ses petites besognes d'armes, pendant que le sieur Decourt, peintre du Roi, en tire le crayon. A neuf heures et un quart dévêtu, il chante: Le coil du pont, le pont du coil, et se faut, disant: le poil du...; l'on en rit.

Le 10, mardi.—On parloit de deux Espagnols qui avoient tué une femme à Paris; il écoutoit, et soudain Août
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80 va dire: Il faut que le capitaine Richard les prenne, il les fera fouetter et puis pendre[114].

Le 12, jeudi.—Éveillé à huit heures, il appelle Mlle Bethouzay, et lui dit: Zezai, ma guillery fait le pont levis; le velà levé, le velà baissé; c'est qu'il la levoit et la baissoit. Il vient en ma chambre à quatre heures, s'amuse au livre des oiseaux de Gesner[115], en mangeant un gros morceau de pain de Gonesse, que sa nourrice lui avoit donné. Il s'amuse au plan du siége d'Ostende, s'informe de toutes les particularités du siége, tant du dedans que du dehors[116]. Il s'en va par le pont du Roi au palemail à cinq heures et demie, va jusques au bout, jouant la plupart du temps au palemail; il frappe un coup de septante-six pas. Quand il avoit mal frappé il disoit: J'ai pas bien joué; si on lui vouloit dire le contraire, il s'en fâchoit, et disoit: Non, je n'ai pas bien joué. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.»—Eh! la velà-ti pas? dit-il en me montrant l'endroit; il mettoit contre le manche du palemail, et je voulois lui en faire peur.

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Le 20, vendredi.—Il baise un portrait en cire de la Reine, assez mal fait, qu'il reconnut; il est tiré en cire, avec sa nourrice, par le sieur Paolo[117], pour être porté en Italie.

Le 27, vendredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive; il lui tend la main à baiser. «Monsieur, dit Mme de Montglat, baisez-la.» Il répond: Non, brusquement, et la regarde de même. A huit heures et demie, dévêtu, fort gai. «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery»; il répond: Hé! la velà-ti pas, gaiement, la soulevant du doigt. Mis au lit, il s'assied sur son chevet et se joue à sa guillery.

Le 28, samedi.—A trois heures trois quarts il est entré en litière pour le voyage de Fontainebleau[118]; il en faisoit difficulté, mais lui ayant montré les cordons et lui ayant dit qu'il feroit le pont-levis, il y est entré gaiement; il va par la levée, passe par Buzenval, et arrive à Saint-Cloud chez M. de Gondi.

Le 29, dimanche, voyage.—A neuf heures et demie, mis en litière pour aller à Paris. M. de Rosny, accompagné de soixante chevaux, lui vient au devant, à Chaillot. Entrant au faubourg Saint-Honoré, il sent la puanteur du ruisseau et dit à Mme de Montglat: Mamanga, que je sens pas bon; on lui fait sentir un mouchoir trempé au vinaigre. Il arrive à la porte Saint-Honoré à onze heures et demie, trouve entre les deux portes le prévôt des marchands et échevins, et autres officiers de la Ville, qui firent une harangue Août
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82 prononcée par le prévôt des marchands, M. Miron, et un chant de joie en musique; ils l'étoient venus voir à Saint-Cloud. A l'entrée de la ville se trouvèrent MM. de Nevers, d'Aiguillon, de Sommerive, de Joinville, accompagnés de sept chevaux; ils mettent pied à terre avec M. de Longueville, qui l'avoit accompagné depuis Saint-Cloud, où il étoit venu le jour précédent, et Mme d'Angoulême aussi. La litière fut découverte avant que d'entrer sur le pont-levis. Il passe la ville, tenant en sa main des tablettes, regardant de çà, de là, en haut, tourne et prête son visage aucunes fois à ceux qui prenoient plaisir de le voir; bref, il sembloit une personne qui avoit composé sa façon avec jugement pour cette action; résolu, ferme, grave, doux. Il ne s'étonne de rien. Il passe de la rue Saint-Honoré en celle de Saint-Denis, devant la porte de Paris, au pont Notre-Dame; et, devant les petites boutiques qui sont devant Saint-Denis de la Chartre, le mulet de devant tombe tout à fait, et, se voulant par trois diverses fois relever ne peut; se relève aidé à la quatrième. Il faisoit grand chaud; sa nourrice étoit dans la litière avec Mme de Montglat. Il ne s'étonna jamais et ne changea jamais de contenance; ferme, assuré, sans s'ébranler en marchant, dit: Maman, fait bien chaud, allons à ma chambre. En entrant dans la ville, comme le peuple commença de crier Vive le Roi et Monsieur le Dauphin, il crioit aussi: Ah! ah! Mme de Montglat lui dit qu'il ne falloit pas crier et que ces gens prioient Dieu pour papa, pour maman et pour lui; il se tut. Il sort par la porte Saint-Victor et arrive à une heure et demie à Villejuif (il est logé chez un apothicaire de Paris, et y dîne); il bouffonne avec M. Arnauld, trésorier de France à Paris[119]. Parti à cinq heures et demie, il arrive à sept heures et trois quarts à Savigny; mis sur le lit à huit heures et demie.

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Le 30 août, lundi, à Savigny.—Mené à la chapelle, puis au jardin et aux allées; parti à quatre heures, il arrive à six heures et demie à Villeroy.

Le 31, mardi.—Parti à neuf heures (de Villeroy) il arrive à midi à Fleury. Le Roi y vient dîner; il le va recevoir par le parc. La Reine arrive à douze heures et demie. Fort gentil, doux, baisé, embrassé, dîné avec la Reine, mené à la chambre du Roi, qui se met sur son lit; il le va éveiller, le tire, y envoie MM. de Vendôme et de Verneuil. A deux heures il demande sa collation; le Roi lui dit: «Mon fils, donnez-m'en?» Il répond: Non, donnez-moi de la vôte. La Reine lui demande: «Mon fils, donnez-moi de votre soucre»[120]. Il la reprend, en souriant et disant: Du soucre! du sucre. Le Roi et la Reine partent à quatre heures et demie pour s'en retourner à Fontainebleau.

Le 1er septembre, mercredi.—A huit heures trois quarts, parti de Fleury et arrivé à Fontainebleau, en la basse-cour du Cheval[121], à onze heures. En chemin ayant vu Fontainebleau, un valet de pied de la Reine qui étoit à côté de la litière lui dit: «Monsieur, voilà Fontainebleau.» Il répond: Où est-i?—«Le voilà.»—Est-i à moi?-«Oui, Monsieur.»—Et ce rouge aussi? en voyant les briques. Le Roi le reçut, l'attendant au pied du pavillon du côté de la galerie, l'embrasse, le baise, le mène au jardin de la Reine, en la galerie des Cerfs. Ramené en la chambre de la Reine et de là en la grande galerie où il a, avec le Roi et la Reine, dîné à douze heures et demie. Le Roi lui fait tâter un peu de melon, il le mâche et le rejette incontinent, disant: Pas bon; bu deux fois des restes du Roi fort trempé de vin blanc, et avant boire il tourne sa tête vers moi, me demandant: Est-i bon? Mené en sa chambre au haut du pavillon qui joint la grande galerie; Sept
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84 à une heure et demie ramené en la galerie; à trois heures goûté. Il prend la bourse de M. le comte de Sault qui jouoit, pleine d'écus; il les épand par terre, court après la Reine se jouant à elle. A cinq heures et demie descendu par le bout de la galerie avec le Roi qui le mène au jardin des canaux, lui montre les truites, les canes blanches et les cygnes. A sept heures ramené en sa chambre.

Le 2, jeudi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène éveiller la Reine, puis de là en la cour de la Fontaine, lui fait voir les jardins et canaux, carpes, leur donne du pain, canes, cygnes, faisans et l'autruche. A dix heures à la messe, puis à la volière, aux galeries; dîné à onze heures et demie. A cinq heures et demie le Roi le mène au jardin des canaux, puis au jardin des faisans, où il mange un bon morceau de pain bis, voyant en manger au Roi et à la Reine; il voit jeter la mangeaille aux oiseaux. Je parlois assez bas du serein à Mme de Montglat pour l'en faire retirer; il l'entend, et soudain va vers Leurs Majestés: Adieu, Mecheu, adieu, Mecheu, velà le serein, mama Doundoun[122], penez-moi. A six heures trois quarts soupé.

Le 3, vendredi.—Éveillé à sept heures, le Roi se joue à lui; il ne veut pas que Madame danse ni que le Roi la baise; en est fâché contre le Roi, qui, pour l'apaiser, lui dit: «Baisez-moi, mon fils, je ne la baiserai plus.» Il sort avec le Roi, qui le mène à la chambre de la Reine, au jardin, à la volière; il ouvre et ferme le robinet des fontaines, mouille le Roi. A douze heures et demie mené chez M. Zamet au Roi et à la Reine, fort gentil jusques à ce que le Roi se voulut coucher sur le lit vert. Otez-vous de là, ôtez-vous de là, dit-il, et se met en fâcheuse humeur; menacé de verges, il n'en perd pas la fantaisie; enfin un quart d'heure après le Roi se met en son séant: Ha! le velà ôté, dit-il. La Reine s'en prend à rire.—Mamanga[123], Sept
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85 fouettez maman, elle a ri.
Elle feint de la battre.—Non, fouettez-la tout à fait.

Le 4, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse en déjeûnant à de petits marmousets de poterie[124]. A cinq heures le Roi arrive de la chasse en la grande galerie; il s'en va courant à bras ouverts au-devant du Roi qui blémit de joie et d'aise, le baise et l'embrasse longuement, le mène en son cabinet, le promène le tenant par la main, changeant de main selon qu'il tournoit, sans dire mot, écoute M. de Villeroy rapportant des affaires au Roi, ne peut laisser le Roi, ne le Roi lui. Ramené en sa chambre; à six heures soupé. Il va en la galerie; LL. MM. étoient à l'issue du fruit. Le Roi lui donne un peu de carottes sauvages en compote, puis un peu de reste du vin clairet fort trempé. A huit heures et demie mis au lit; le Roi arrive et le baise, le Roi étant extrêmement content.

Le 5, dimanche.—A huit heures un quart le Roi arrive, qui le veut forcer à le baiser; le voilà entré en si fâcheuse humeur qu'il en fut fouetté par S. M. Il se défend, l'égratigne aux mains, le prend à la barbe. Mme de Montglat le fouette aussi; il le fut cinq ou six fois. Le Roi lui demande (en lui montrant des verges): «Mon fils, pour qui est cela?» Il répond en colère: Pou vous. Le Roi fut contraint d'en rire; cela dura plus de trois quarts d'heure, le Roi l'ayant prins et laissé diverses fois. Le Roi s'en va.—Je veux, dit-il, papa; le Roi revient, le baise. A dix heures le Roi et la Reine le mènent à la messe. A quatre heures et demie goûté; le Roi le mande; il va trouver le Roi au jardin des canaux, va voir courir le blaireau dans la cour de la maison.

Le 6, lundi.—Levé, vêtu en présence du Roi, il s'amuse Sept
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86 à manger des raisins de Damas que le Roi lui donne; déjeûné en présence du Roi. Mené à la Reine, puis par la galerie au jardin des pins et des canaux; il va au-devant de M. de Rosny, qui, dit-il, m'a donné mon beau lit. A onze heures et demie dîné, il se fait mettre son épée bleue qu'il appelle françoise.

Le 7, mardi, à Fontainebleau.—Madame arrive qui avoit une robe de même que la sienne, il la renvoie de jalousie; mené en la chambre de la Reine, au jardin des cerfs, au Roi, il court au-devant, ôtant son chapeau, et le va embrasser; à dix heures et demie le Roi le mène à la messe. A midi dîné, ayant lui-même mis son couvert. A une heure et un quart il va chez la Reine; en entrant il rencontre le sieur Conchino, lui demande: Où est maman? Entré au cabinet de la Reine. A trois heures et demie goûté; il fait retrousser la barbe à M. de Rosny. A cinq heures et demie mené par le Roi au jardin des pins et canaux.

Le 8, mercredi.—A dix heures et demie mené au Roi et à la Reine, et à la messe. A dîner il voit M. de Montigny, enseigne-colonelle, que l'on appeloit au régiment Nasica; il le reconnoît, se prend à sourire le regardant et montrant du doigt: Velà Nasica; il y avoit plus de trois mois qu'il ne l'avoit vu[125]. A sept heures et demie la Reine vient en sa chambre, puis le Roi; il danse au branle, puis voit danser; à huit heures trois quarts LL. MM. s'en vont[126].

Le 9, jeudi.—Éveillé à huit heures, il ne se veut point laisser nettoyer les pieds avec un linge mouillé; à neuf heures levé, il raille avec cinq ou six capitaines aux gardes, les appelle par leurs sobriquets. A huit heures il va chez la Reine, lui donne le bonsoir, puis chez le Roi, auquel le voulant mener par la terrasse, il Sept
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87 dit: Ne sotez pas, papa, le serein vous fairoit mal; le Roi le ramène par la chambre de la Reine en haut, en la sienne, le voit coucher, lui fait dire son Pater. Le Roi le baise et s'en va.

Le 10, vendredi, à Fontainebleau.—Il donne le bonjour à LL. MM., descend aux étuves. A dîner il se raille à Labarge, va voir le Roi et la Reine en la grande galerie, revient à trois heures en sa chambre. A huit heures il va donner le bonsoir à LL. MM., revient incontinent, dévêtu, mis au lit; le P. Coton lui fait prier Dieu.

Le 11, samedi.—A neuf heures et demie déjeûné; mené au jardin de la Reine, à la volière, il fait mouiller le Roi; le Roi le fait mouiller aussi. On lui demande: «Monsieur, qu'aimez-vous mieux, Saint-Germain ou Fontainebleau? Il répond: Fontainebleau, et l'avoit toujours dit ainsi. A cinq heures il demande du pain bis de M. Zamet et en mange un gros morceau, puis va chez le Roi, qui étoit sur la paillasse, au cabinet. On lui dit: «Monsieur, papa dort.» Il réplique gravement: Dort-i? la Reine remarqua sa façon de parler: «Voyez, dit-elle, comme il parle!»

Le 12, dimanche.—Il ne veut point baiser Madame pource qu'elle étoit morveuse et s'en reculoit en se gaussant. A neuf heures et demie mené chez la Reine et au Roi, comme il prenoit sa chemise; il l'ôte pour la bailler au Dauphin qui la prend et la lui donne fort gentiment. A onze heures et demie dîné; MM. et Mlle de Vendôme dînent tous trois au bout de sa table des restes qu'il leur donne. Avant souper il mit Mme de Montglat en prison, c'est-à-dire dans un coin de fenêtre, pour ce qu'elle avoit baisé M. de Vendôme, et fut long-temps à se remettre en bonne humeur.

Le 13, lundi.—A cinq heures mené par LL. MM. au jardin des canaux; il mange beaucoup et de grand appétit du pain bis; fort gai, il saute devant le Roi par-dessus un petit bâton mis à terre.

Sept
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Le 14, mardi, à Fontainebleau.—Il demande son luth; je lui dis: «Monsieur, jouez et chantez Philis.» Il fait jouer et chanter une chanson de guerre. Il a une chemise avec du passement devant la gorge, comme on les souloit porter, et ouverte pour la chaleur; mené au Roi et à la Reine, il sert la Reine.

Le 15, mercredi.—Le Roi arrive qui lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller vous promener?» Il répond: Non, car i pleut; le temps étoit fort couvert. Le Roi feint de s'en aller; il ne veut pas, l'appelle, le suit. A dix heures mené à la messe; au sortir de là il fait marcher devant lui deux petits pages de la Reine qui chantoient. Il est ravi, ne disoit mot; en marchant il étoit si transporté de la musique qu'il passa sans prendre garde à la fontaine où il souloit prendre son plus grand plaisir.

Le 16, jeudi.—Mené au Roi, qui le mène à la Reine, puis va avec le Roi au jardin des canaux. A onze heures et demie dîné; maître Guillaume[127] arrive, il le regarde, l'écoute, puis se prend à sourire de ce qu'il disoit, comme ayant reconnu qu'il étoit fol. Il en ricanoit, redisoit ses mots, s'en riant. A cinq heures mené au Roi et à la Reine venant de la chasse.

Le 17, vendredi.—A la fin de la messe on disoit l'évangile sur lui et le Roi s'en alloit, il lui dit: Attendez, papa, qu'on ait dit mon évangile.

Le 18, samedi.—A trois heures et demie goûté; mené en la grande salle neuve ouïr une tragédie représentée par des Anglois[128]; il les écoute avec froideur, gravité Sept
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89 et patience jusques à ce qu'il fallut couper la tête à un des personnages. Mené au jardin et de là au chenil voir faire la curée du cerf que le Roi venoit de prendre; il oit les cors sans s'étonner, voit venir la meute jusques à ses pieds où se faisoit la curée, les voit sur le carnage avec une assurance étrange.

Le 19, dimanche.—A six heures, le Roi passe par la galerie lambrissée et le mène en la grande salle du bal; à six heures trois quarts soupé avec le Roi, il mange de tout ce que le Roi lui donne, sinon la salade, pour la force du vinaigre. Le Roi l'emmène par la main à la chambre de M. le connétable, puis en celle de la Reine; LL. MM. le baisent, il leur donne le bonsoir.

Le 21, mardi.—Éveillé à huit heures, il s'entretient en la mémoire de l'Infante, dit qu'il en a reçu lettres, lui veut écrire. A midi dîné, M. le Chevalier avec lui pour la première fois à sa table; en mangeant il considère l'enrichissement du plancher de la salle, s'enquiert des histoires qui y sont dépeintes. Mené au Roi et à la Reine qui alloient à la chasse; ramené en la salle pour être retiré tout de son long, en terre de poterie, vêtu en enfant, les mains jointes, l'épée au côté, par Guillaume Dupré, natif de Sissonne près de Laon[129]. A trois heures et demie goûté; il donne la patience au statuaire tout ce qui se peut. Sept
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90 A six heures mené à LL. MM. revenant de la chasse.

Le 22, mercredi.—Il donne la main à baiser à M. de Favas le jeune et à d'autres gentilshommes qu'il n'avoit point encore vus, la tend volontairement à tous l'un après l'autre; il s'amuse à ranger ses échecs. A quatre heures le Roi revient de la chasse, il le va voir au cabinet, lui soutient la jambe quand le valet de chambre les frotte, lui donne fort dextrement et de bonne grâce la chemise, l'ayant baisée, lui sert et lui met l'Ordre[130].

Le 23, jeudi, à Fontainebleau.—Maître Gilles, son sommelier, parlant de quelqu'un, dit: «J'ai vu qu'il étoit proculeur;» M. le Dauphin s'en prend à rire: Il a dit proculeu! «Monsieur, dis je, comment faut-il dire? «Il répond: Procureu. Il regarde par la fenêtre de la salle un Espagnol qui voloit[131] sur la corde; on lui dit que c'étoit un Espagnol[132], il répond: C'est donc un ennemi. Mené au Roi et à la Reine sur la terrasse pour voir ce voleur de corde. A trois heures et demie goûté, mené au grand Ferrare[133], de là il veut venir en ma chambre aux Mathurins, me fait l'honneur d'y venir à quatre heures et demie, entre en mon étude, se fait mettre sur la chaise, s'amuse à écrire, ne s'en peut aller; enfin ramené à cinq heures et un quart au jeu de paume, au grand jardin, à la fontaine du Tibre.

Le 24, vendredi.—Il voit les sieurs de Montigny et de Belmont, les entretient de la fenêtre, eux étant en la cour, commande au sieur de Belmont qui alloit sortir de garde, de faire passer la compagnie à travers la cour, les voit Sept
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91 passer, leur dit: Adieu, capitaine Robert, adieu sagean (sergent) Beauchêne, adieu, mes souda, adieu, sagean Lafontaine, qui étoit à la queue; il veut aller sur la terrasse pour les voir par la basse-cour, les conduit de la vue. A quatre heures et demie mené au jardin de Ferrare et monté sur un chariot pour voir courir des chiens terriers contre une laie à demi-morte; ramené en l'allée des ormes, il rencontre le Roi et la Reine revenant de la chasse.

Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la Reine, laquelle le mène à la messe le tenant par la main, puis au grand jardin trouver le Roi; il voit entrer les gardes, demande qui est le capitaine de cette compagnie; elle étoit à M. de Campagnols.

Le 27, lundi.—Il s'amuse à ses échecs d'argent pendant que Mallery en tire le crayon[134].

Le 28, mardi.—Le Roi le vient voir et s'en va à Paris. Je l'ai mesuré avec un pied et une ficelle de la hauteur de trois pieds et environ demi-pouce. Il se fait habiller en masque, son tablier sur sa tête et une écharpe de gaze blanche, imite les comédiens anglois qui étoient à la Cour et qu'il avoit vu jouer.

Le 29, mercredi.—Il dit qu'il veut jouer la comédie; «Monsieur, dis-je, comment direz-vous?» Il répond: Tiph, toph, en grossissant sa voix[135]. A six heures et demie, soupé; il va en sa chambre, se fait habiller pour masquer et dit: Allons voir maman, nous sommes des comédiens.

Le 30, jeudi.—Mené chez la Reine il est peint en crayon pour le deuxième jour par Mallery, a patience, s'amuse à crayonner sur du papier, voit son portrait. «Monsieur, lui dit-on, voilà votre frère.» Il répond: Non che n'est pas mon frère.—«Monsieur, lui dis-je, voudriez Sept
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92 pas avoir un frère?» Il répond Ho! non, avec une action résolue.

Le 2 octobre, samedi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, à la Reine, il voit pêcher des truites, ramené à la messe; au sortir il s'arrête pour faire donner de l'argent aux pauvres.

Le 3, dimanche.—Il dit: Habillons-nous en comédiens, on lui met son tablier coiffé sur la tête; il se prend à parler, disant: Tiph, toph, milord, et marchant à grands pas.

Le 4, lundi.—Éveillé à six heures, il s'amuse en son séant à ses échecs; il a le cœur à la chasse et aux armes, tous autres passe-temps ne lui sont rien. Il veut un tablier tout blanc, sans ouvrage, comme celui de M. de Verneuil et non comme le sien où il y avoit du passement. A douze heures et un quart dîné; il dit Bénédicité pour la première fois. Il se rit de ce qu'il ne pouvoit prononcer la lettre r.

Le 8, vendredi.—En sortant de la messe il voit des pauvres, ne veut point passer qu'il n'ait, selon sa coutume, donné l'aumône. A quatre heures il va au pied de la montée au-devant du Roi, qui arrive de Paris, l'embrasse, a peur de M. de Favas à cause de sa jambe de bois.

Le 9, samedi.—Le Roi lui mène M. de Favas, qui lui donne des cerises afin qu'il n'aye plus peur de lui à cause de sa jambe de bois. Mené au lever de la Reine il saute, fait des cabrioles; mené par la galerie au jardin des canaux, où étoit le Roi, portant un bâton en mousquet et une fourchette, il se campe, couche en joue, tire: Pou! tou! avec une voix forte. Le Roi le fait tirer contre M. le Grand et M. de Montpensier, mais il n'a jamais voulu tirer contre M. de Souvré[136]. Mené chez la Reine, il y trouve un maçon qui raccoustroit; il le suit partout où il va, le regarde faire.

Le 10, dimanche.—Mené au Roi en la chambre de la Oct
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93 Reine; le Roi dit. «Je m'en vais botter.»—Et moi itou, dit-il, je me veux botter. On va quérir ses bottes, M. de Courtenvaux lui présente une paire d'éperons; il se laisse botter, appelle M. de Vendôme, lui dit: Bottez-moi. Étant botté il marchoit par la chambre avec une extrême allégresse disant à chacun: Je suis botté et éperonné. Le Roi lui demande: «Mon fils, que ferez-vous maintenant que vous êtes botté et éperonné?» Il répond: Je monterai à cheval.—«Où est votre cheval?»—A l'écuirie.—«Et quel cheval est-ce?»—C'est mon cheval bleu, puis je irai à la chasse. Mené à la galerie pour ce qu'il ne pouvoit laisser le Roi.

Le 12, mardi.—A trois heures et demie il est mené par le bout de la grande galerie au jardin des pins, où le Roi s'amusoit à ceux qui dressoient les palissades et leur commandoit ce qui étoit de son intention; il écoutoit attentivement et suivoit le Roi, les mains sur le dos. Le Roi veut prendre sa main, il ne veut pas; le Roi prend son chapeau sur sa tête et le lui jette en terre; le voilà en colère. Le Roi lui fait peur de la bête, s'en va, le quitte; il s'apaise, va trouver le Roi au jardin des canaux, et, sans dire mot, lui va prendre la main.

Le 13, mercredi.—Il se promène après le Roi et la Reine, fait autant de tours comme eux, Mme de Montglat lui tenant la main. Le Roi lui veut prendre la main, il ne le veut pas; le Roi s'en fâche, il entre en mauvaise humeur et se y opiniâtre. Il demande pardon au Roi, il l'embrasse, mais ne lui veut jamais donner la main.

Le 15, vendredi.—A dîner il s'amuse, en mangeant, à faire jouer du luth le sieur de Hauteribe; M. de Saint-Géran lui parle d'une épinette, il n'a point patience tant que l'on l'aie apportée. M. de Saint-Géran en fait jouer son page, Hauteribe joue du luth et Boileau du violon; il les écoute avec ravissement. A sept heures trois quarts je lui dis: «Monsieur, voilà le petit homme qui jette le sable.» Il répond: Eh! couchez-moi.

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Le 18, lundi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à un petit mercier, fait acheter des anneaux de paille. Le Roi le mène à son souper, où il lui sert la serviette, deux fois à boire, et refuse à boire le reste, fait l'essai, puis lui demande congé pour s'aller coucher.

Le 19, mardi.—Il se fait botter et éperonner; on lui retrousse la cotte en grègues et sa robe tout autour; en marchant il se fait mettre en écharpe son épée de M. de Lorraine et puis sa trompe. En cet équipage il marche en cavalier et, résolu, descend en la chambre de la Reine où étoient les Princesses, MM. le grand écuyer et de Roquelaure, qui se prirent tretous à s'écrier et rire. Il s'arrête court sans s'étonner, les considère, puis dit froidement: Je suis botté, moi, et prend sa trompe et se met à tromper, fait plusieurs tours dedans la chambre. Il ne se vit jamais rien de plus gentil; il marchoit droit et couroit sans s'entre-heurter des éperons.—A sept heures trois quarts mis au lit; «Monsieur, lui dis-je, vous n'avez plus de guillery.» En se découvrant il fait apporter et approcher la bougie et dit: La velà t'i pas. M. le Grand dit à sa nourrice, de qui le mari étoit venu le jour précédent: «Vous fîtes hier noce, madame la nourrice»; par rencontre il va répondre: C'est d'un flageolet.

Le 20, mercredi.—Mené au roi sous le portique de l'étang où étoit M. le comte de Sore, grand écuyer de l'archiduc, qui s'en alloit en Espagne. Le Roi lui demande: «Mon fils, que voulez-vous envoyer (à l'Infante) en Espagne par M. le comte?» Il répond: Je lui baise la main.—«Est-elle votre maîtresse?»—Oui.—«L'aimez-vous bien?»—Oui.—«Comme l'aimez-vous?»—Comme mon cœur.—Le Roi commande qu'il soit botté et éperonné comme le jour précédent.

Le 22, vendredi.—Mené chez la Reine puis chez M. de Rosny pour recevoir la vaisselle d'argent doré que l'on lui avoit fait faire.

Le 23, samedi.—Éveillé à sept heures et demie; levé Oct
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95 à huit heures et demie, il entre en mauvaise humeur, ne veut point prendre sa robe; sa nourrice l'appelle: «Monsieur Tabouret, ça monsieur Tabouret, prenez votre robe»; il s'en éclate de rire; il la prend. A neuf heures et un quart déjeûné; il demande s'il pleut: il craignoit la pluie. Mené chez le Roi et la Reine, à la chapelle, ramené en la salle à onze heures. A midi dîné, mené chez le Roi qui alloit à la chasse, fort gentil; il se veut botter comme le Roi et veut aller en bas à sa garde-robe et non ailleurs, y voit son petit tambour de la femme qui alloit par ressorts, le veut (c'étoit un de ses plus grands plaisirs). Il va ainsi trouver le Roi contre son gré, y est comme forcé; le Roi lui dit: «Otez votre chapeau»; il se trouve embarrassé pour l'ôter, le Roi le lui ôte, il s'en fâche; puis le Roi lui ôte son tambour et ses baguettes, ce fut encore pis: Mon chapeau, mon tambour, mes baguettes. Le Roi, pour lui faire dépit, met le chapeau sur sa tête: Je veux mon chapeau; le Roi l'en frappe sur la tête, le voilà en colère et le Roi contre lui. Le Roi le prend par les poignets et le soulève en l'air comme étendant ses petits bras en croix: Hé! vous me faites mal! hé! mon tambour! hé! mon chapeau! La Reine lui rend son chapeau puis ses baguettes; ce fut une petite tragédie. Il est emporté par Mme de Montglat, il crève de colère; porté à la chambre de Mlle la nourrice où il crie encore longtemps sans se pouvoir apaiser, il ne veut ne baiser ne accoler Mme de Montglat, ne lui crier merci, sinon quand il se sentoit retrousser; enfin fouetté non châtié[137], criant: Hé! fouettez-moi là haut. Il égratigne au visage, frappe des pieds et des mains Mme de Montglat; il est enfin apaisé, lui étant parlé de faire collation. Goûté, rôtie à l'accoutumée, bu; il semble qu'il n'y paroît plus. Sa nourrice le met à part et, seule, lui dit: «Monsieur, vous Oct
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96 avez bien été opiniâtre, il ne faut pas, il faut obéir à papa;» il répond en soupirant gros: Tuez Mamanga[138], elle est méchante; je tuerai tout le monde, je tuerai Dieu.—«Ah! non, dit sa nourrice, Monsieur, vous buvez tous les jours son sang quand vous buvez du vin». Il s'arrête: Bois-je son sang du bon Dieu?—«Oui, Monsieur».—I ne faut donc pas le tuer, et il s'apaise ainsi, soupirant parfois jusques aux sanglots. Mené à la poterie, il s'y joue longtemps et voulut avoir un cheval blanc; puis, sentant l'heure de sa retraite, qui étoit sur les cinq heures, il dit de lui-même: Mamanga, allons-nous-en, veci le serein. Ramené en sa salle à six heures, soupé, panade, il en mangea peu, n'en veut plus, se plaint, pleure contre sa coutume, se penche contre la chaise, frotte ses yeux, porte les mains au front. On l'endort, il est porté en sa chambre, dévêtu. A six heures trois quarts il s'éveille un peu disant: Ai-je dîné? Il demande à être au lit, se plaint, prend de la conserve de roses. Le pouls étoit égal, et en son naturel par intervalles, puis se rendoit plus vite et revenoit comme devant. Il s'éveille et se rendort à diverses fois, se plaignant du haut du bras puis du joint de l'épaule, montrant l'endroit avec l'autre main; il n'a pas la force, de ce bras malade, de prendre comme il souloit[139], ce que l'on lui bailloit. Enfin il dit: Mama Doundoun, endomez-moi; elle chante et l'endort à dix heures et demie[140].

Le 24, dimanche.—Éveillé à six heures et demie, doucement; à sept heures il s'amuse à sa poterie et à ses petits gendarmes[141], fort gaiement. Je lui demande: «Monsieur, qui n'a pas soupé?» il répond: C'est moi.—«Pourquoi, Monsieur?»—J'étois malade.—«Qui vous Oct
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97 faisoit mal?»—Le bras et la tête. Il avoit des égratignures. Levé, un peu blême, gai; mené chez la Reine, puis à la chapelle et en sa salle à onze heures. A midi dîné, le visage blafard outre son ordinaire; le Roi l'envoie querir, on le lui dit; il en demeure étonné, en fait difficulté: Je ne veux point aller voi papa. On lui dit que papa lui donnera du bonbon, il se laisse aller; encore y est-il comme tiré par force, et faisoit difficulté d'entrer dans la chambre de la Reine, où étoit le Roi. Il y entre, va droit au Roi, qui lui donne du sucre rosat, l'embrasse et le baise, en fait autant à la Reine.

Le 25, lundi, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure lui apporte un pourpoint de satin blanc et un haut de chausses plissé, de satin incarnat, avec le bas attaché; il s'en réjouit. Il étoit enrhumé, le visage plus blême qu'à l'ordinaire, néanmoins gai. Il va chez Madame, où il s'amuse à un petit lit de velours que, le jour précédent, on avoit donné à Madame, où il y avoit un Holopherne sans tête et la tête à part, et une Judith; il demande: Où est la femme? On lui dit: «La voilà.» Il répond: «Eh! ne faut-i pas que la femme soit sous l'homme.» Mis au lit fort enrhumé, les yeux gros, pleurants, la fièvre.

Le 26, mardi.—Il est fort enrhumé, le nez fort empêché, les yeux bouffis de rhume. Le Roi arrive, accompagné de M. de Roquelaure, le caresse, lui demande s'il veut pas aller à la chasse; il répond: Oui, papa; Mes bottes? et veut tirer les jambes hors du lit. Le Roi lui dit qu'après dîner il l'envoyeroit querir par Roquelaure, et qu'il n'avoit pas dîné; il répond: Bien, se paye de raisons. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent en sa chambre; Mlle de Guise[142], se jouant à lui, va dire: «Monsieur, voulez-vous cela?» lui montrant une portion du dessus de son tetin prinse avec deux doigts; il y porte sa Oct
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98 main, disant: Non, non, donnez-moi ce gros mouceau-là, montrant le tetin en se souriant.

Le 27, mercredi, à Fontainebleau.—Peu enrhumé, les lèvres sèches, la face blême, les yeux un peu pleurants. M. Arnaud, secrétaire de M. de Rosny, arrive, il le veut chasser; on lui dit que c'est lui qui a fait faire la bride pour son cheval bleu, il s'apaise, se joue avec lui, et l'agace, lui frappe dans la main. A six heures, soupé; le Roi et la Reine y viennent, il demeure comme étonné quand le Roi parle à lui, lui donne le bonsoir avec crainte, l'embrasse, baise la Reine plus gaiement.

Le 29, vendredi.—Levé à une heure, le visage blême. Mené à la galerie après avoir bien marchandé, et, se y voyant pressé, il demande: Papa y est-il? Il se ressouvient toujours d'en avoir été malmené, en a peur, et quand il le voit demeure étonné, n'a plus cette contenance gaie, hardie qu'il souloit avoir.

Le 30, samedi.—Il ne veut point aller chez le Roi, contre sa coutume, oyant dire qu'il alloit à la chasse, le craint et en a peur, et n'en parle qu'avec étonnement; auparavant c'étoit avec gaieté. A trois heures le viennent saluer, lui assis au pied de son lit, dans sa chaire, MM. les ambassadeurs de l'Allemagne, des villes Anséatiques; ils lui baisent la main, qu'il leur présente avec une douce gravité, la leur tendant les uns après les autres. Amusé jusques à cinq heures et demie, il frotte ses yeux, ne veut point souper. Comme il eut quitté son ouvrage de crayonner sur du papier[143], M. de Vendôme arrive de la part du Roi pour savoir ce qu'il faisoit, le trouve en volonté de souper. On le veut disposer d'aller premièrement voir le Roi; à demi dormant, il dit: Je ne veux pas aller là bas, et encore légèrement. M. de Vendôme alla Oct
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99 rapporter au Roi fort crûment qu'il ne le vouloit pas voir, dont l'après soupée le Roi se fâcha contre Mme de Montglat.

Le 31 octobre, dimanche.—Levé à neuf heures, il veut aller à la chambre de sa nourrice, va au Roi, au cabinet; doux; le Roi le mène à la Reine, il veut retourner en la chambre de sa nourrice, s'amuse assez longtemps à la fenêtre, à regarder la messe qui se disoit devant le Roi, puis veut aller à sa chambre; chagrin, tout lui déplaît. M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie de gendarmes, lui fait présent d'une belle et petite arquebuse d'un pied et demi de long; en la voyant il en est ravi, s'écrie de joie et, tout transporté, la fait dîner avec lui.

Le 1er novembre, à Fontainebleau.—M. de Souvré lui donne une bandolière de velours violet, avec les charges couvertes de broderie d'or et d'argent; il en fait des exclamations. Levé à huit heures, vêtu d'une robe de velours violet et passement d'or, il montre à chacun sa bandolière. Mené au Roi et à la Reine, puis à la chapelle, où il sonne la clochette à l'élévation; ramené en sa chambre à onze heures, dîné, porté à la fenêtre pour voir le Roi touchant les malades dans la cour; il se promène avec l'arquebuse, va à la charge contre les Espagnols.

Le 2, mardi.—Il va à la chambre de Madame, qui étoit malade des dents. «Monsieur, lui dit-on, êtes-vous marri que Madame est malade?» Il répond: Non. Il présente à la Reine l'Avis des amendes du sieur du Luat[144]. A six heures soupé, fort gai; le Roi arrive; il demeure un peu étonné, baise et embrasse le Roi.

Le 3, mercredi.—Le Roi l'envoie querir à son souper; Nov
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100 il lui sert à boire; le Roi lui donne de son souper, puis de sa poudre digestive. A sept heures et demie dévêtu; il met ses jambes en croix et demande: L'Infante fait-elle ainsi?—«Oui, lui dit-on, Monsieur; voulez-vous qu'elle vienne coucher avec vous?» Il répond: Non.—«Monsieur, dit Mlle de Ventelet, quand vous serez couché ensemble elle mettra ses jambes comme cela» (c'est-à-dire en croix). Il répond soudain et gaiement: Et moi je les ferai comme cela, élargissant ses jambes avec ses mains.

Le 4, jeudi, à Fontainebleau.—Il demande son luth, le porte à dix heures chez la Reine pour lui faire voir comme il en joue; mené au jardin, fort gai, ramené en la chapelle, puis en la chambre. Il demande au mari de sa nourrice: Qu'est cela?—«C'est, dit-il, mon bas de soie.»—Et cela?—«Ce sont mes chausses.»—De quoi sont-elles?—«De velours.»—Et cela?—«C'est une brayette.»—Qué qu'il y a dedans?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est une guillery! Pou qui est-elle?—«Je ne sais, Monsieur.»—Eh! c'est pou maman Doundoun. Mené promener au palemail, il fait en passant donner l'aumône aux pauvres qu'il rencontre. Il va en la chambre de la Reine, au cabinet; il demande de la dragée à Mme de la Chastre, qui lui en donne deux grains; il en demande encore. Le Roi survient là-dessus, qui défend que personne ne parle et lui contredit: «Vous n'en aurez point.»—J'en veux. Le Roi se fâche, disant à Mme de Montglat un peu soudainement: «Vous serez cause qu'un jour je l'écorcherai.» Le Roi lui dit: «Venez-moi baiser»; il y va soudain, et l'embrasse.

Le 5, vendredi.—Mené chez la Reine; Mme de Guise lui montre le lit de la Reine, et lui dit: «Monsieur, voilà où vous avez été fait.» Il répond: Avec maman.

Le 6, samedi.—Il bat le tambour, bat la françoise, la suisse, l'alarme, la diane, le bandoul et fort bien, et en maître. Il entend le bruit des chevaux comme le Roi alloit à la chasse aux toiles, demande froidement: Papa Nov
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101 va-t-i pas à la chasse?
on lui dit que oui. Quelque bruit qui se fît à la cour et quoique chacun courût aux fenêtres pour voir passer le Roi, fors M. de la Court, exempt des gardes, et moi, il ne fit jamais contenance de vouloir y aller, mais demeura ferme et résolu en sa place. A six heures soupé; il va en la chambre de Madame, danse au branle, n'ayant point voulu aller chez le Roi.

Le 7, dimanche.—A neuf heures et demie mené chez le Roi et la Reine, qui étoient au lit; leur ayant donné le bonjour, M. de Verneuil entretenoit le Roi, qui s'amusoit à lui; sans dire mot, le Dauphin sort de la ruelle et va de l'autre côté se ranger près de la Reine. M. de Verneuil approche de la Reine, et la veut entretenir; il lui donne un grand soufflet sans dire mot, et l'autre se retire de même. Ramené en sa chambre, il s'amuse à ranger en soldats ses petits marmousets de poterie.

Le 8, lundi, à Fontainebleau.—Il se fâche contre Mme de Montglat et lui voulant donner un soufflet; demeure en chemin, la trouvant masquée. Otez, dit-il, votre masque; la fait démasquer.

Le 9, mardi.—A douze heures et demie mené au dîner du Roi; le Roi fault à le fâcher; il obéit, ramenant sa colère comme un lionceau, et ne sait si bien se retenir que, le Roi lui ôtant une cuiller dont il battoit le tambour sur une assiette, il ne jette la cuiller haut sur la troupe. Ramené en la chambre de la Reine, il baise et embrasse LL. MM., part et entre en litière à une heure et demie pour retourner à Saint-Germain en Laye. Goûté à l'endroit de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt, dans sa litière, son buffet sur une pierre. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, les président, lieutenant général et officiers de la justice sortent à pied, hors de la ville, au-devant de lui. Logé en l'île chez M. de la Grange. A six heures soupé; les officiers de la ville lui apportent un présent de tartes. A sept heures trois quarts M. de la Salle, capitaine aux gardes, lui demande le mot; Nov
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102 il le dit tout haut: Dauphin. «Monsieur, dit M. de la Salle, il le faut dire bas;» il le lui dit à l'oreille.

Le 10, mercredi, voyage.—Mené à la messe à Notre-Dame. Parti de Melun à dix heures trois quarts, il arrive à Crosne, maison de M. Bruslard, autrefois secrétaire d'État; à quatre heures après midi, mené au jardin; il se joue, discourt et raille avec Madame sa sœur; ce n'est que soudars et armes.

Le 13, samedi, à Saint-Germain[145].—A deux heures M. de Souvré part pour s'en retourner à Fontainebleau, d'où il l'avoit accompagné. Mis au lit, il entend que nous parlions de la prinse faite de M. le comte d'Auvergne[146] et que le Roi savoit bien attraper ses ennemis; il demande: Mes ennemis sont-is pris?—«Oui, Monsieur.»—Où sont-is?—«A la Bastille.»

Le 16, mardi.—Il va en la chambre de Madame, où arrive Mme la marquise de Verneuil, la connoît, lui donne sa main à baiser; elle lui demande: «Monsieur, me connoissez-vous?» Il répond: Oui.—«Qui suis-je?»—Vaneuil, sans dire Madame. Il se joue avec ses poteries; ses jeux et discours ne sont que soldats et guerre. La marquise part par derrière M. le Dauphin sans dire mot, avec MM. ses enfants.

Le 17, mercredi.—A midi dîné en la présence de Mme de Verneuil; il va aux fenêtres du préau, où il se joue privément à la marquise, chante comme voulant l'entretenir et se donner plaisir. La marquise part à quatre heures et un quart. Il vient en ma chambre, heurte. Je demande: «Qui est-là?»—Ouvez.—«Qui êtes-vous?»—Dauphin. Nov
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103 Il entre, demande à voir le livre des animaux[147].

Le 18, jeudi.—A onze heures et demie dîné; Madame demande une cuiller que tenoit M. le Dauphin, il la lui jette, et si ferme que, de la queue, il la blessa sous la paupière de l'œil droit avec un peu d'entamure; l'on l'en tança, il en demeure étonné; fait toutefois ce qu'il peut pour faire l'assuré et ne s'en soucier point. Mme la comtesse de Moret[148] le vient voir; il lui donne sa main à baiser. A deux heures il vient en ma chambre, demande la figure du siége d'Ostende, où il y avoit des petits soldats. Mme la comtesse de Moret s'en va, il lui donne encore volontairement sa main à baiser.

Le 23, mardi, à Saint-Germain.—Je lui dis que papa et maman le devoient venir voir, il répond: Je ne veux pas qu'i viennent, avec contenance d'étonnement, se ressouvenant toujours de Fontainebleau. Pour l'assurer, je lui dis qu'ils lui apportoient de beaux présents; il répond: Oui, et ne respire que tambours, soldats et armes.

Le 24, mercredi.—Je lui demande: «Monsieur, voulez-vous vous lever pour aller au devant de papa?»—Non, dit-il.—«Vous n'aurez donc pas le beau tambour et les belles baguettes qu'il vous apporte, il les donnera à M. de Verneuil.» Il se met soudain en colère, grince les dents, me veut égratigner, puis me regarde froidement. «Bien, Monsieur, vous me battez, dis-je; que voulez-vous que papa fasse de ce tambour?» Il répond: Qu'i le donne à moucheu de Veneuil, brusquement, remuant la tête comme de chose qu'il méprise; il ne peut oublier le rude traitement de Fontainebleau. Il va sur les terrasses, mangeant du gros pain, au-devant du Roi, qu'il rencontre à cheval, à la fontaine basse des maçons, à onze heures et demie. Le Roi met pied à terre; il va gaiement Nov
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104 au Roi, qui le prend au bras, le baise; il embrasse le Roi. A midi, dîné; il ne veut point que M. de Courtenvaux s'appuie et soit derrière la chaise de Mlle de Vendôme. Le Roi y vient après son dîner; Mme de Montglat parle au Roi; il ne le veut pas. Allez-vous-en en vote chambe, Mamanga; s'en met en colère. Le Roi s'en fâche, il mène Mme de Montglat en sa petite chambre; on l'apaise à peine, enfin on le fait danser, fort gai. Le Roi entr'ouvre la tapisserie; il l'aperçoit, quitte soudain la danse, se va cacher. Le Roi le presse, il s'aigrit; la nourrice le prend, l'assied sur la table; le Roi va par la douceur, le baise, le prie de danser pour l'amour de lui; enfin il s'apaise, et à ce coup dit: Je vas danser pou l'amou de papa, se coule à bas, et se prend à danser gaiement le branle des navets. Le Roi fait collation; il le servoit, et reconnoissant son essai[149]: Otez, ôtez, dit-il, empotez-le. Il le fallut remporter; le Roi céda à son humeur. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures et un quart; il l'accompagne jusques au pied du degré, se prend à pleurer, demande d'aller avec papa.

Le 29, lundi, à Saint-Germain.—A dîner je demande à Madame si elle étoit belle, elle dit: Oui. Il l'entend, hochant la tête. Je lui demande. «Madame, êtes-vous bonne?» Elle dit: Oui.—Il dit, hochant la tête: Elle est bonne comme frère Jean. Il vouloit dire maître Jean; c'étoit le singe. Il demande de la gelée à Madame, laquelle lui pousse aussitôt l'écuelle en disant: «Tenez, papa petit;» elle étoit si aise quand elle lui pouvoit complaire[150]. Il bégaye fort ce jourd'hui en parlant.

Le 1er décembre, mercredi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie, dîné; il ne veut point que l'on donne aucune chose à Madame. «Monsieur, lui dis-je, quand Déc
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105 vous serez grand, vous donnerez tout à Madame.» Il répond: Non, je li donnerai que du pain.—«Et à boire?» Il répond: Que de l'eau. Il mange une poire confite, ne veut pas que l'on en donne à Madame.

Le 2, jeudi.—Levé à huit heures et demie, il ne veut point prendre sa robe; Bruneau, le lavandier, le menace de le mettre dans son sac, puis au cuvier; il craint, s'habille, se joue avec sa nourrice; étant habillé, il se retourne vers le lavandier, et lui dit: Je suis habillé.

Le 4, samedi, à Saint-Germain.—A sept heures déjeuné, levé, vêtu, fâcheux, il ne veut point prendre sa robe, s'assied. M. Birat lui dit: «Monsieur, voilà le bossu du jeu de paume qui vient;» il se lève soudain, et met sa robe. Il vient en mon étude, s'amuse au siége d'Ostende.

Le 5, dimanche.—Il vient en ma chambre, voit le livre des animaux de Gesner, s'informe de chacun; à souper l'on demande à Madame ce qu'elle donnera aux siens quand elle sera en Angleterre[151], elle répond: «Des perles,» en son langage. Et moi, dit le Dauphin, des harquebuses.

Le 6, lundi.—Le Roi arrive à douze heures et demie, le Dauphin le reçoit au pied de l'escalier, l'embrasse, lui fait bonne chère[152]. Le Roi le mène en sa chambre, et à une heure le fait dîner avec lui; il boit du vin clairet du Roi. Il se va jouer à la salle des gardes; le Roi arrive, il s'arrête, et demande d'aller à sa chambre; le Roi ne le veut pas; il y résiste, le Roi à lui, et lui donne un petit soufflet; le Dauphin persiste; enfin il demeure en son opinion, et Mme de Montglat l'emmène en sa chambre. La Reine arrive à cinq heures.

Le 7, mardi.—Il va chez le Roi, où il est fort gentil; Déc
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106 le Roi et la Reine vont à la chasse. Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, qui est le maître de papa?» Il répond: C'est Dieu.—«Et qui est le vôtre?»—Je ne veux pas dire. Il ne fut jamais possible de lui faire avouer un maître; comme le jour précédent, quand le Roi le fâcha le plus, ce fut quand il lui dit: «Je suis le maître, et vous êtes mon valet;» il s'aigrit extrêmement de ce mot-là. A trois heures goûté; il lui sort une goutte de sang du nez, il la voit et dit: Mamanga, c'est pouce que j'ai été opiniâtre. Il va au Roi au retour de la chasse, gentil au possible.

Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, au Roi, il va à lui, les bras ouverts, tire son épée et montre au Roi qu'il s'en sait aider[153] contre les palissades; mené sur les terrasses de Neptune. Mené chez la Reine, qui part à deux heures et demie pour aller à la chasse.

Le 10, vendredi.—Il ne veut point aller voir le Roi, y consent ensuite, lui ayant promis son tambour bleu; il se le fait attacher, va battant trouver le Roi, qui étoit à la chapelle, le baise, mais il ne veut point y demeurer. Le Roi sort à dix heures, le baise, et s'en va dîner à Bezons, pour coucher à Paris; la Reine part peu après.

Le 12, dimanche.—A six heures il fait recoucher sa nourrice, puis l'appelle: Maman Doundoun, levez-vous; mettez-vous tout en chemise, je le veux. Il avoit ouï faire le conte du fils de M. de la Fon, avocat au Conseil, qui en faisoit faire autant à sa nourrice.

Le 13, lundi.—Il se lève, et descend tout seul de son lit: ce fut la première fois; vêtu, fâcheux; Bruneau, lavandier, arrive, il se tait.

Le 14, mardi.—Je lui demande congé d'aller voir papa et maman lui dire de ses nouvelles. «Monsieur, lui dis-je, vous plaît-il me commander quelque chose vers papa et maman?» Prenant le roi violet de ses échecs: Oui, dit-il, velà que je li envoie, et prenant la reine, et cela à maman.

Déc
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Le 18, samedi, à Saint-Germain.—Il danse dans sa chaise en mangeant, oyant jouer le sieur Jean-Jacques, violon de la Reine, qui jouoit la sarabande, les branles gais et autres semblables qu'il aimoit; il prend son manteau de satin blanc doublé de pluche, le retrousse sous le bras, et ainsi se met à danser.

Le 19, dimanche.—Il est vêtu d'une robe neuve de velours cramoisi brun. Mais, dit-il, je courrai donc tout seul. Il voit entrer M. de Mansan: Taine (capitaine), je n'ai point de lisière, j'irai tout seul; il en étoit tout réjoui. M. de Verneuil arrive, et lui donne le bonjour; il ne veut jamais l'appeler féfé (frère), mais petit Vaneuil.

Le 23, jeudi.—Il s'amuse à un livre recueilli des Antiquités de Rome. Venez voir, me dit-il (c'étoit la figure du Capitole moderne), velà Fontainebleau, velà ma chambe, velà la pote pou y monter, velà le cheval blanc, velà Mecure, velà le jadin, velà des bassins; il voit toutes les églises de Rome, et dit de toutes les églises qui sont en dôme: Velà des tambours. Il voit les figures du Monte-Cavallo: Hé! velà qui montre le cul (l'un des chevaux). Il voit un Hercule; on lui demande: «Monsieur, qu'est cela?» lui montrant la guillery; il répond honteusement en souriant: Faut pas le dire. Une épingle piquoit M. le Chevalier au collet, il ne veut point que Mme de Montglat la lui ôte, mais bien La Haye, qui étoit à M. le Chevalier; il ne vouloit point que ceux qui étoient à lui servissent ailleurs.

Le 24, vendredi.—On lui demande: «Qui êtes-vous?» Il répond: Le petit valet à papa. Il se joue avec M. le Chevalier, qui lui en contoit, disant qu'ils trouveroient de grands loups qui avoient de grandes hures; il répond: Non, ce ne sont pas les loups, ce sont les sangliers qui ont les hures.

Le 25, samedi.—Mme de Montglat lui dit avoir reçu nouvelles de papa, et qu'il est fort aise de ce qu'elle lui avoit mandé que M. le Dauphin est sage, plus opiniâtre, Déc
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108 qu'il ne dit plus: «Allez-vous-en», ne «Je veux». Le Borgne[154] arrive, le Dauphin lui voit mettre des bûches au feu, dit que c'est la venue de Noël, d'autant que le jour auparavant, avant souper, il vit mettre la souche de Noël, où il dansa et chanta à la venue de Noël.

Le 27, lundi, à Saint-Germain.—Chacun lui demande ce qu'il lui donnera pour étrennes; il se raille, et promet joyeusement et convenablement à chacun les siennes. Il a peur de Bongars, maçon du Roi: Dites-lui que je ne suis plus opiniâte. A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui donne un petit tambour et la bandolière pour l'accrocher; il le met, et en joue. A cinq heures soupé, LL. MM. présentes; le Roi demande de son breuvage et dans son verre, M. de Ventelet lui en sert. Il lui en fâchoit fort, mais il se vainquit, et le passa doucement.

Le 28, mardi.—A neuf heures il prend son tambour, et s'en va au lever du Roi, qui étoit au lit; lui ayant, et à la Reine, donné le bonjour, le Roi lui demande s'il veut aller à la chasse avec lui, il lui répond: Oui, et à d'autres choses que le Roi lui demande. Le Roi se lève, et le mène en son cabinet, où il lui baille un petit ballon et un brassard; il le met au bras et en pousse le ballon. Le Roi le heurta du ballon poussé sur son front; il fault à en pleurer, se retient pour le respect du Roi.

Le 29, mercredi.—Il s'amuse à couper du papier avec des ciseaux. Il entend que M. Boquet[155] disoit à sa femme: «Madame Dondon, je vous battrai.» Il se retourne court, lui montrant les ciseaux qu'il tenoit et disant: Et je vous châtrerai; velà de quoi je couperai votre guillery. Sa nourrice lui demande: «Monsieur, le lui voudriez-vous bien couper?» Il répond, hochant la tête: C'est que je me joue. A quatre heures il va chez le Roi, qui le fait mettre à son côté, voulant donner audience aux députés des états-généraux Déc
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109 de Normandie; il les écoute attentivement, et le Roi, sur la fin de sa réponse, leur disant qu'après lui il les laisseroit pour les gouverner à son fils qui les conserveroit et achèveroit la décharge qu'il auroit commencée pour leur soulagement, M. le Dauphin lui dit froidement et de lui-même: Ga meci (grand merci), papa. Il va en la chambre de la Reine, qui s'amuse avec lui à des petites besognes d'Italie, entre autres un pigeon; il le faisoit battre des ailes qui étoient de toile d'argent; le Roi arrive de souper à sept heures et un quart; le Dauphin danse toutes danses, parfois va baiser le Roi, qui l'appelle, puis reprend la danse.

Le 31, vendredi, à Saint-Germain.—A midi mené au dîner du Roi; le Roi et la Reine s'en vont à deux heures pour retourner à Paris; il y veut aller.

ANNÉE 1605.

Devise du Dauphin.—On l'habitue au bruit des armes à feu.—Lettre à la Reine.—Les figures de la Bible.—Les portraits du Roi et de la Reine.—Le livre de M. de La Capelle.—Antipathie naissante pour les femmes.—Le valet du serrurier.—La comtesse de Moret.—Présent de la Reine.—Henri IV et ses enfants.—Le serment de fidélité.—L'ambassadeur d'Angleterre.—M. d'Harambure.—Le pied du cerf et le pied de la perdrix.—Les emblèmes d'Alciat.—La duchesse des Deux-Ponts.—Le valet du bourreau.—Jouets de poterie.—Les danses du Dauphin.—Entretien sur l'Infante.—Le peintre Martin.—Jouets d'argent.—Premier page.—Le jeu du corbillon.—Le baron de Donaw.—Modèle en cire d'une statue du Dauphin, le sculpteur Després ou Dupré.—La chanson de Robin.—Jouets de carton peint.—Le Dauphin logé au château neuf de Saint-Germain.—La comtesse de Moret.—Lettre au Roi.—Goût naissant pour le dessin.—Les fontaines et les orgues de Saint-Germain.—Instincts du commandement.—Chanson du Dauphin.—Les Espagnols et l'Infante.—Les outils du menuisier.—L'esprit de la galerie rouge.—Danger que court Héroard.—Conversation sur la chasse, le Louvre, etc.—La paye des soldats du Roi.—Le brave Crillon.—Le chien Favori.—Caractère du Dauphin.—Discours des députés suisses.—La statue d'Orphée.—Les forçats.—La belle Corisande et son petit-fils.—Les Gascons.—M. de Favas.—Jouets de plomb.—Mme de la Trimouille.—Amour du Dauphin pour sa nourrice.—Retour au vieux château de Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux.—Le comte de Saure.—Lettre au Roi.—Les prières du Dauphin.—Chanson gasconne.—Henri IV couché avec ses enfants; mœurs et conversations singulières.—Fiançailles du prince de Conty.—Enseigne de diamants donnée par la Reine.—La musique de la Reine.—Le fossé et le pont-levis.—Le Dauphin fouetté par le Roi.—Un coffret flamand.—Le comte de Soissons, M. de Rosny et M. de Montbazon.—Batteries des tambours.—Le Jaquemard de Fontainebleau.—La famille de Montmorency.—Le grand maréchal de Lorraine.—Goût pour la musique.—Don Juan de Médicis.—Anniversaire de la mort de Henri III, usage pour les Dauphins.—Familiarité d'un cul-de-jatte.—Le sculpteur Francisco, le peintre Martin.—Entrevue avec la reine Marguerite; présents qu'elle fait au Dauphin et à sa sœur.—Le galimatias de Nervèze.—Le Saint-Thomas de Poissy.—Ouvrages de la Chine et joujoux d'Allemagne.—Lettre à la reine Marguerite.—Proverbe de Salomon.—Le 112 président du Vair.—Le ballet du Combat.—Députés de l'assemblée de Châtellerault.—Joujoux de Nevers.—Présent du duc de Lorraine.—Le chevalier d'Épernon.—Le Dauphin entre dans sa cinquième année.—La reine Marguerite; les livres à gravures.—Conversation sur le prince de Galles.—Le frère bâtard de Henri IV.—Chapelets d'Italie.—Mot de l'ambassadeur de Venise sur l'Italie.—L'éclipse de soleil.—Le nain de la Reine.—La chambre de Charles IX.—Lettres au Roi et à la Reine.—Mendiants irlandais.—Le livre d'Heures de Henri III.—L'histoire de Matthieu.—Portrait en cire du Roi.—Le sculpteur Jean Paulo.—Jouets de poterie.—Le Dauphin va demeurer au château neuf.—La marquise de Verneuil.—Animal et bateau rapportés du Canada.—Le sang royal et la fleur de lys.—Captivité de Henri IV à Saint-Germain.—La duchesse de Beaufort.—Scène avec le Roi.—Humanité du Dauphin.—La carte gallicane de Thevet.—Sympathie entre le Dauphin et le Roi.—Henri IV et ses enfants.

Le 1er janvier, samedi, à Saint-Germain.—Il se promène avec sa harquebuse et sa fourchette, est mené ainsi à la messe, M. le Chevalier portant l'enseigne bleue où étoit l'aigle avec cette devise: Genus insuperabile bello, qui lui fut donnée par M. Arnaud, trésorier de France à Paris et secrétaire de M. de Rosny, M. le Dauphin étant à Villejuif, à dîner, s'en allant à Fontainebleau[156]. M. de Verneuil avoit son chapeau sur la tête: Otez, dit-il, votre chapeau, il faut pas que vous ayez votre chapeau sur la tête devant moi. On lui dit que papa vouloit qu'il (M. de Verneuil) eût son chapeau sur la tête: Mettez, mettez-le, dit-il soudain. Il tire son épée rabattue, qu'il appeloit son épée rouge; M. de Cressy, enseigne de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, voilà une belle épée! Elle ne coupe point!»—Ho! je la ferai bien couper pour le service de papa.

Le 2, dimanche.—Il fait un peu le fâcheux. M. de La Court lui dit que le tonnerre viendra qui l'emportera; il s'arrête, et demande: Que c'est? M. de La Court lui répond: «Monsieur, ne vous souvient-il pas que vous l'appeliez le tambour de Dieu?» Il écoute avec admiration, puis demande à Mme de Montglat: Mamanga, qu'est que Dieu, de quoi est-il fait? Elle lui dit qu'il n'étoit point fait, qu'il Janv
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113 étoit un esprit invisible. Peu de temps après elle lui demande que c'étoit que Dieu; il lui répond: C'est un esprit invisible. On le rassure aux arquebusades; le capitaine du Bouchage, archer des gardes du corps, et en garde près de lui, tire sept coups; il disoit: Je n'ai point peur, et les voyoit tirer assurément. Il en avoit été intimidé par ses femmes et surtout par sa nourrice, quand la compagnie faisoit la monstre[157], criant tout haut que l'on ne tirât point. Sept ou huit arquebusiers et mousquetaires tirent sous le grand portail, il se retourne et crie tout haut: Je n'ai pas peur.

Le 3, lundi.—Il veut écrire à papa et à maman, et écrit[158]: Ma bonne maman, je ne suis pus opiniâte, je n'ai pus peur du borgne; papa, je n'ai pus peur des harquebusades, j'ai fait tuer une perdrix.—Il a des jetons du palais dans une petite bourse d'Espagne, il en donne à chacun.—Je lui montrois, en un livre de figures de taille-douce, l'histoire de Goliath et de David; je lui montre la tête au bout d'une lance, il voit David à cheval et dit: Velà le petit Dauphin monté sur son grand cheval.—On l'accoutume à aller seul dans la chambre. Mme de Montglat lui donne un petit panier d'argent pour ses étrennes.

Le 4, mardi.—Sa nourrice lui demande: «Monsieur, voulez-vous pas aller à la messe, puis vous irez vous promener?» Il répond: Ho! non, j'irai premièrement à Ferme[159] me promener, puis j'irai à la messe.—«Mais, Monsieur, vous trouverez la porte fermée».—Je l'ouvrirai avec mon harquebuse à rouet.

Le 6, jeudi.—Madame entroit en sa chambre, il la veut frapper de sa pique. Madame de Montglat le tance, lui demande: «Monsieur, pourquoi avez-vous voulu Janv
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114 frapper Madame?»—Je suis fâché contre elle pour ce qu'elle a voulu manger ma poire. C'étoient des excuses inventées. M. l'aumônier lui en demandant autant à part, il répond: Pource que j'ai peur d'elle.—«Monsieur, pourquoi?»—Pource qu'elle est fille.—L'on tire des arquebusades dans la cour; il en a grand'peur.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il dit à sa nourrice: Hé! ma Doundoun, hé! ma belle Doundoun, baisez-moi! Puis regardant et faisant la révérence aux portraits du Roi et de la Reine[160] il dit: Papa n'a point de chapeau. Je lui demande pourquoi?—Pource que c'est une peinture. Il s'amuse au livre de portraits en taille douce de M. de la Capelle, assis dans sa petite chaise, attentivement, demande l'interprétation des figures et s'en ressouvient.

Le 10, lundi.—Devienne, son cuisinier, fut marié ce jourd'hui; il dit: Mon gros roti e-est marié; i-il a une femme, i-il couchera avec elle[161]. Il s'amuse avec le chevalier de Verneuil et MM. d'Épernon, et dit, les faisant mettre autour de lui: Nous tenons le conseil; Madame approche: Ho! ho! voilà Madame qui écoute, allez-vous-en, il faut pas que les filles soient au conseil.

Le 13, vendredi.—Il s'amuse à tourner le rouet de la chambrière de Mlle Piolant. M. de Frontenac lui dit qu'il deviendroit fille, il quitte le rouet.—Il s'amuse au livre des figures du sieur de la Capelle, reconnoît en un endroit les armoiries du roi d'Espagne, et dit: Velà celles de papa, mettant le doigt sur les fleurs de lis. Je lui demande: «Monsieur, qu'y a-il aux armoiries de papa?»—Des fleurs de lis.—«Et aux vôtres?»—Des Dauphins.

Le 18, mardi.—Il entre, le matin, en fâcheuse humeur, dit à chacun: Allez-vous-en, je vous battrai. On fait entrer le valet du serrurier, qui par rencontre revenoit de Janv
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115 la chambre de sa nourrice, portant des tenailles et une tringle: «Voilà, dit le serrurier, de quoi j'embroche les opiniâtres.»—Je ne suis point opiniâte, mousseu le serrurier.

Le 19 janvier, mercredi, à Saint-Germain.—Il brûle de la poudre pour la première fois.

Le 20, jeudi.—A une heure arrive Mme la comtesse de Moret, elle assiste à son goûter; comme elle partoit, il lui dit de son mouvement: Recommandez-moi bien à papa, et que je suis son serviteur.

Le 25, mardi.—A cinq heures le Roi et la Reine arrivent de Paris; la Reine lui apporte un petit pistolet que lui-même a voulu débander devant le Roi. Le Roi commande à Mme de Montglat de faire manger quelquefois M. de Verneuil avec lui; il l'entend et dit: Ho! non, y ne faut pas que les valets mangent avec leurs maîtres!

Le 26, mercredi.—M. et Mlle de Verneuil ont dîné avec lui et ce fut la première fois; il ne le vouloit point; le Roi lui demanda pourquoi: Ho! il n'est pas fils de maman.

Le 27, jeudi.—Mené au Roi, au château neuf, dîné avec le Roi et tous les autres petits. A deux heures il va voir le Roi revenu de la chasse, le trouve avec sa robe de nuit, lui dit par deux fois: Papa, venez-vous mettre au lit.

Le 28, vendredi.—Mené chez la Reine, ramené à deux heures.

Le 5 février, samedi, à Saint-Germain.—Il se fait mettre son hausse-col, prend sa pique et s'en va à la basse-cour voir faire la monstre à la compagnie de M. de Mansan qui lors étoit à Paris; il se met à la tête, accompagné de M. le Chevalier et de M. de Verneuil, fait marcher la compagnie après lui, marche comme le capitaine, porte sa pique baissée; le tout fini il s'arrête, hausse sa pique, tourne la face vers les soldats, les fait arrêter, fait cesser la batterie du tambour, puis se retourne vers le sieur de Castillon, commissaire et secrétaire de M. le connétable, et Fév
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116 lève la main pour prêter le serment. Le commissaire demeure en doute, Mme de Montglat lui dit qu'il n'y avoit point danger de lui faire prêter le serment, et lui ayant demandé s'il ne promettoit pas de bien servir papa, il répond: Oui, et tout soudain appelle: Féfé Chevalier, venez prêter serment de bien servir papa. Il en dit autant à M. de Verneuil, et cela fait, crie aux soldats: Tirez, tirez, je n'ai pas peur. Ils tirent tous en salve, il n'a point de peur ni aucun semblant d'en avoir et dit encore à M. le Chevalier: Féfé, promettez-vous de bien servir papa?—«Oui, Monsieur».—Et moi aussi.

Le 7, lundi, à Saint-Germain.—A douze heures et demie arrive le duc de Lenos[162], ambassadeur du roi d'Angleterre, né en France, fils d'une sœur de M. d'Antragues, cousin germain de Mme la marquise de Verneuil; le Dauphin le reçoit fort bien.

Le 10, jeudi.—M. de Frontenac le vient voir avec M. d'Harambure[163], portant un oiseau de poing.

Le 11, vendredi.—A onze heures il se met à la fenêtre attendant impatiemment la venue du Roi; le voyant venir il crie à haute voix: Papa; le Roi arrive, il le reçoit dans sa chambre puis le mène en la sienne; dîné avec le Roi, il mange du beurre que le Roi lui-même lui étend sur du pain. Le Roi parle d'aller à la chasse, disant qu'il se faut dépêcher de dîner; il dit: Et moi itou j'irai à la chasse avec papa; j'ai envoyé quéri Cavalon; c'étoit son chien. Madame lui dit de prendre aussi le sien qui se nommoit Amadis de Gaule: Ho! non, dit-il, le cerf le blesseroit d'un coup de corne. Le Roi lui dit qu'il falloit dire de la tête, il reprit: De la tête, et n'y faillit plus. A souper, le Roi lui envoie le pied du cerf par M. Praslin; il fait couper Fév
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117 le pied de sa perdrix et lui dit: Tenez, portez cela à papa.—Le Roi vient en sa chambre, y joue aux échecs.

Le 12, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures mené au Roi qui étoit encore au lit; il lui donne la chemise. Dîné avec le Roi; il danse devant le Roi la bourrée où il compose des grimaces, la sarabande, la gavotte, les remariés, et plusieurs autres danses; le Roi le baise, l'embrasse, et à une heure part après midi pour retourner à Paris.—En goûtant, il entend parler de M. Martin et dit: C'est celui qui a fait la peinture de Moucheu le Dauphin, mémoire incroyable de s'en ressouvenir[164].

Le 14, lundi.—L'on parloit d'une mariée qui devoit venir danser au château. Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, comment fera la mariée?»—Si Moucheu Heroua n'étoit là, je le dirois.—«Monsieur, lui dis-je, il n'y a point de danger.» Il met sa pique entre ses jambes et élevant un bout branloit les fesses.

Le 15, mardi.—Il se joue avec un lévrier nain noir, que M. de Longueville lui avoit envoyé, nommé Charbon. Il cause étrangement, se ressouvient d'un ballet fait il y avoit un an et demande: Pourquoi est-ce que le petit Bélier étoit tout nu? Il faisoit le Cupidon tout nu.

Le 16, mercredi.—Il s'amuse dans son lit aux emblèmes d'Alciat, il en reconnoissoit beaucoup. A une heure et demie vient Mme la duchesse de Deux-Ponts, qui, le soir auparavant, étoit arrivée à dix heures; il danse la gaillarde, la sarabande, la vieille bourrée.

Le 19, samedi.—Pendant son lever, le charbonnier vient, qui lui dit: «Bonjour, mon maître.» Il demande à M. l'aumônier: Qui est son maître?—«C'est le Roi et vous.»—Qui est le plus grand?—«C'est papa et vous après,» répond l'aumônier.—Non, c'est Dieu qui est le plus grand?

Le 20, dimanche.—L'on parloit d'un homme condamné Fév
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118 à être pendu, il demande: Qui le pendra? l'on répond que ce seroit le valet du bourreau, il dit: Je ne veux donc point avoir un valet. Peu après il appelle M. Birat, lequel il souloit appeler son valet, pour lui commander quelque chose, et l'ayant appelé par son nom: «Quoi! dit-il, Monsieur, vous ne m'appelez pas votre valet?»—Hé! c'est le bourreau qui a un valet.

Le 22 février, mardi.—Il reconnoît beaucoup de lettres de l'alphabet; il se fait habiller en mascarade.

Le 1er mars, mardi, à Saint-Germain.—Il demande un marmouset qui joue de deux épées et le nomme Salomon, du nom du tireur d'armes de MM. d'Épernon. Je lui donne un cheval et un marmouset de Flandres, fait de poterie. Où est, dit-il, son corps? pource qu'il n'étoit fait que jusques à la poitrine.

Le 2, mercredi.—Le Roi arrive, il va à la porte, courant au devant de lui l'embrasser; le Roi le mène dîner avec lui, puis va à la chasse. A cinq heures, la Reine arrive de Paris, il est mené au devant d'elle presque hors la porte de l'escalier, remonte avec elle en sa petite chambre, danse sarabande, bourrée, le branle simple, la saugrenée, Comment, ce moine trotte, puis dit: Maman, ai-je pas bien dansé? Il s'amuse à un chien d'Ostreland; il aimoit fort les chiens.—Mené à sept heures en la chambre de la Reine, il s'amuse à voir des personnages à la tapisserie où il y avoit des petits enfants. Le Roi lui dit: «Mon fils, je veux que vous fassiez un petit enfant à l'Infante.»—Ho! ho! non, papa.—«Je veux que vous lui fassiez un petit dauphin comme vous.»—Non pas, s'il vous plaît, papa, dit-il, en mettant sa main au chapeau et en faisant la révérence. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, dites à papa qu'il fasse donner des hoquetons neufs aux archers qui vous gardent, comme aux autres.»—Ho! ho! non, dites-l'y vous-même, et il lui fait par plusieurs fois la pareille réponse, sans le pouvoir persuader de le faire.

Mars
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119

Le 3, jeudi.—Il s'amuse seul, sans dire mot, avec un petit puits d'argent que lui avoit donné M. de Candale, donnant une extrême patience à se laisser peindre par maître Jehan Martin[165]. Mené au Roi, au cabinet de la Reine, laquelle lui donne un petit ménage d'argent.

Le 4, vendredi.—Mené au Roi, qui étoit à table; cela le mit un peu en mauvaise humeur de n'avoir point dîné avec le Roi; il baise LL. MM. qui s'en retournent à Paris à deux heures. Charles de Bompar lui a été donné pour page par le Roi; ç'a été son premier page.

Le 6, dimanche, à Saint-Germain.—Il ne se veut lever, l'on fait venir Pierre Cabaret, maréchal de forge du village, et Bongars, maître maçon qu'il craignoit.

Le 7, lundi.—Il joue au jeu: Que met-on au corbillon? Il invente des mots pour rimer: Dauphillon, damoisillon.

Le 8, mardi.—Le baron d'Aune, Allemand, neveu de celui qui, du temps du feu Roi, fut défait à Auneau[166], lui baise la main en arrivant et en s'en allant.

Le 10, jeudi.—A une heure arrive un sculpteur envoyé de la Reine; le Dauphin lui demande: Peintre, comment vous appelez-vous? il répond: Després[167]. Il est Mars
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120 tiré en bosse de cire pour jeter en fonte par Després. Amusé à chanter le pot pourri des chansons; quand il étoit à la meunière de Vernon, il disoit: de Candale, changeant le nom de d'Épernon.

Le 13, dimanche.—Mme la princesse de Condé et Mlle de Bourbon le viennent voir. Il se joue avec sa nourrice, dit qu'il est l'Infante et parle des mots de jargon; puis il cause avec sa nourrice, dit qu'il est moucheu Dauphin et que l'Infante a un petit conin comme Madame; il le dit tout bas à Mlle de Ventelet, de honte de le dire tout haut, et me le dit tout bas à l'oreille. Il se joue avec Madame, mais il ne veut point que l'on dise qu'il est le prince de Galles: Ho! non, je suis Dauphin, dit-il.

Le 14, lundi.—Il s'amuse à un livre des figures de la Bible, sa nourrice lui nomme les figures et les lettres, puis après il nomme les lettres et les connoît toutes. Il se meurtrit en jouant, se fait prendre par sa nourrice qui le met en son giron et s'amuse à chanter et à jouer sur la mandore de Boileau, qui en jouoit; il chante la chanson de Robin:

Robin s'en va à Tours.
Acheter du velours
Pour faire un casaquin:
Ma mère je veux Robin.

Le 15, mardi.—Le sieur...., Flamand, statuaire, retiré à Florence, le retiroit en cire de la hauteur d'un pied et demi par le commandement de la Reine. Le Dauphin dit: C'est mon frère de cire (c'étoit pour le jeter en or, pour l'envoyer à l'Annonciade de Florence). Il s'amuse à son petit ménage d'argent, dit à M. de Vendôme: Allez Mars
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121 vous-en
. Mme de Montglat l'en reprend, il répond: Ce n'est pas moi, c'est mon petit frère de cire qui l'a dit.

Le 16, mercredi.—Il se joue avec un petit marmouset de Cupidon, fait de carte et de plâtre peint, et avec un petit bœuf de carte plâtrée et peinte sur lequel il monte son Cupidon. Il vient en ma chambre, demande à voir les oiseaux; c'étoit le livre de Gesner.

Le 17, jeudi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son petit ménage plus de deux heures continuelles, donnant la patience à..... du Pré de tirer sa figure de cire.

Le 18, vendredi.—M. de Belmont arrive, portant un beau pistolet de Metz; il quitte tout soudain son petit ménage: Eh! donnez-moi ce beau pistolet! M. de Belmont lui dit: «Monsieur, donnez-moi donc ce ménage;» il l'avance soudain pour le bailler, et le retire de même disant: Ho! non, c'est maman qui me l'a donné. Il s'amuse à tirer du pistolet de M. de Belmont fort dextrement.

Le 21, lundi.—Il s'amuse à un petit homme de carte plâtrée, à cheval, que ma femme arrivant de Paris lui donne; il voit M. Donon, contrôleur des bâtiments, et lui dit: Faites accommoder le palemail pour l'amour que j'y joue.

Le 22, mardi.—Mené au bâtiment neuf où, à onze heures trois quarts, le Roi arrive et le reçoit au haut de la montée de Mercure, le mène en la galerie, en la chapelle et à la salle où il a dîné avec le Roi, M. d'Angoulême et M. de Montpensier. Le Roi le fait danser la sarabande, la bourrée, les branles, le mène à la galerie, se fait botter, et à deux heures et demie l'ayant embrassé et baisé, part pour s'en retourner à Paris.

Le 23, mercredi.—Il vient, par le village et le préau, loger au bâtiment neuf à cause que ce jour-là, au matin, la petite vérole apparut à M. de Verneuil.

Le 26, samedi.—Mme la comtesse de Moret le vient voir; il danse la sarabande, la bourrée, puis dit à Boileau, son joueur de violon: Ne jouez plus, je ne veux plus Mars
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122 danser
; il court au cabinet pour y prendre ses armes, y appelle M. le Chevalier, revient, son épée au côté, portant son arquebuse à mèche et fait marcher devant lui M. de Belmont. A goûter, on lui demande de Mme de Moret: «Monsieur, qui est cette dame-là?» il répond en souriant: Madame de foire.

Le 27, dimanche.—Après déjeûner il fait trois sauts, un pour papa, un pour maman et un petit pour Madame. Mené aux grottes, il fait grande difficulté d'y entrer; on lui promet de lui faire tourner le robinet, il y entre et prend plaisir de faire mouiller ceux qui y étoient.

Le 29, mardi, à Saint-Germain.—Il écrit une lettre portée par M. de Mansan, moi lui tenant la main[168]. Il s'amuse après à crayonner[169].

Le 31, jeudi.—Mené aux fontaines, il entre aux orgues[170], ouvre et ferme le robinet, puis va à celle de Neptune. M. de Cressy avoit blessé, d'un coup d'épée en la tête, un soldat nommé Delor; le sang lui couloit par tout le côté et il ne s'en vouloit point aller pour se faire panser; je dis à M. le Dauphin qu'il lui commandât d'y aller, et il lui dit avec gravité: Delor, allez vous faire panser, allez, je le veux. M. de Cressy contestant avec Delor, lui parle rudement et le menace de la prison; M. le Dauphin tenoit des petits ciseaux, il se retourne en colère, grossissant les yeux et représentant Mars
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123 la face d'un homme ardent de colère, et lui dit: Je vous tuerai, voyez-vous bien avec mes ciseaux! puis se repentant du mot tuer dont on le reprenoit: Je vous donnerai dans les yeux, voyez-vous bien! Il étoit bouffi de colère; je ne lui avois jamais vu faire une pareille action pour témoigner sa colère.

Le 2 avril, samedi, à Saint-Germain.—Il se prend à chanter de son invention:

Amour a prins Mansan
Pour faire un capitan
Pour me servir quand serai grand.

Il en avoit autant dit après dîner, l'inventant et chantant sur le son d'une autre chanson, chantée par sa nourrice et Mlle de Ventelet.

Le 4, lundi.—M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, n'aimez-vous pas les Espagnols?» il répond: Non.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource qu'ils sont ennemis de papa.—«Monsieur, aimez-vous bien l'Infante?»—Non.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour l'amour qu'elle est Espagnole, je n'en veux point. Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne et vous la ferez reine de France;» il répond en se souriant, comme de chose où il eût pris plaisir: Elle couchera donc avec moi et je lui ferai un petit enfant.—«Monsieur, comment le ferez-vous?»—Avec ma guillery, dit-il bas et avec honte.—«Monsieur, la baiserez-vous bien?»—Oui, comme cela, dit-il, en se jetant à corps perdu la face contre le traversin. Il va à la galerie, s'amuse aux outils du menuisier qui posoit les châssis de verre; on lui en nomme quelques-uns, je lui demandai: «Monsieur, comment s'appelle cela?»—Une varloppe.—«Et cela?»—C'est un Guillaume[171]. Il retenoit extrêmement bien les noms propres des choses.

Le 5, mardi.—Mme de Montglat lui apprend: Je crois Avr
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124 en Dieu le père tout-puissant, etc.
, qu'il retient fort bien, puis lui apprend ces mots qu'il prononce après elle: Dieu est un esprit, et il ajoute du sien: Et gage que ce n'est pas celui de la galerie rouge, se ressouvenant avoir autrefois ouï dire qu'il y en revenoit un; il avoit l'œil et l'oreille à tout, sans en faire semblant, retenoit tout, s'en ressouvenoit et accommodoit les choses passées à celles qu'il voyoit ou dont il avoit ouï parler.

Le 6, mercredi.—Je lui dis: «Monsieur, nous donnez-vous votre congé pour aller à Paris?»—Oui. Ma femme lui demande: «Monsieur, si nous revenions, en seriez-vous bien aise?»—Non.—«Monsieur, dis-je, pour combien de temps nous donnez-vous congé?»—Pour trois mois.—«Monsieur, si nous nous noyons, nous ferez-vous pêcher?»—Oui.—«Monsieur, avec quoi?»—Avec un filet. Notre coche faillit à tomber dans la rivière au port de Neuilly; nous y courûmes grande fortune[172].

Le 7, jeudi, à Saint-Germain.—M. et Mme de Rosny assistent à son souper.

Le 13, mercredi.—J'arrive à cinq heures avec mon beau-frère Montfaulcon, il me fait bonne chère[173].

Le 16, samedi.—Éveillé à sept heures il se tourne et retourne dans son lit en toutes façons, dit qu'il va aux fontaines tourner le robinet, fait, fss fss, puis me dit: Dites grand merci moucheu Francino[174]. Je lui réponds: «Grand merci, M. Francino; voulez-vous de l'argent?»—Oui. Je lui mets en la main un quart d'écu.—Ho! ho! c'est tout à bon[175].—«Je le donne au sieur Francino, non à Avr
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125 M. le Dauphin, car il ne faut pas que les princes prennent de l'argent.» Il m'écoute et le met dans son lit: «Monsieur, lui dis-je, où est l'écu que je vous ai baillé?»—Il est dans mon lit; il le prend et me le rend, puis change de propos. J'irai à la chasse, je tuerai un sanglier avec mon épée. Je lui dis: «Monsieur, vous irez à la chasse et porterez votre épée, puis le sanglier qui viendra droit à vous s'enferrera dedans, après vous lui donnerez un coup d'épée, il mourra.»—Puis je lui couperai le cou.—«Monsieur, non pas, vous lui ferez couper par les veneurs.»—Serai-je pas veneur?—«Monsieur, vous commanderez aux veneurs, qui couperont la hure, et vous la porterez à papa, qui vous embrassera, il vous aimera tant; puis vous irez prendre le cerf, lui donnerez un coup d'épée sur le jarret, il tombera, vous lui ferez couper le pied, vous le porterez à papa, qui vous caressera, vous appellera son mignon, vous mènera dans sa belle galerie du Louvre.»—Du Louvre! où est-il?—«A Paris, c'est la maison de papa; dans sa galerie il y a des corselets d'or, d'argent (je lui nomme toutes sortes d'armes); il vous dira: mon fils, prenez ce que vous voudrez, voilà une clef de ma galerie que je vous donne puisque vous êtes bon fils et point opiniâtre, et que vous avez pris le sanglier et le cerf.» Ce discours dura fort longtemps, tant il y prenoit de plaisir; il dit encore: Quand j'irai à Paris, je donnerai un coup d'épée à un Irlandois!—«Mais, Monsieur, il ne faut pas qu'un prince fasse mal à personne ni qu'il frappe jamais; si vous rencontrez des Irlandois qui fassent du mal[176] vous commanderez que l'on les mette entre les mains de la justice de papa.»—Oui, de Avr
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126 la justice qui les mettra en prison au vieux château.
—«Oui, Monsieur, et si vous en trouvez qui dérobent, qui volent les pauvres gens aussi.»—Ce voleur qui voloit sur la corde étoit Irlandois? Il étoit vrai; il accommoda le mot de voleur à l'autre signification, il l'avoit vu voler à Fontainebleau[177].—Et puis s'ils sont voleurs il les faut mettre entre les mains du grand prévôt. Il m'étonna d'avoir nommé de son mouvement cette qualité et en avoir su reconnoître la fonction.

Le 17, dimanche.—Il me fait redire les mêmes contes que je lui avois faits le matin du jour précédent; il y prenoit un grand plaisir, les écoutoit attentivement et il lui prenoit des tressaillements de courage quand j'étois sur les combats. Il dit: J'aurai mon grand tambour bleu et puis le tambour de taine[178].—«Oui, Monsieur, c'est un tambour de guerre.»—Oui, de guerre, il y va pour gagner sa vie.—«Oui, Monsieur, papa lui donne six francs par mois.»—Et à les soldats?—«Papa leur donne douze francs.» Il répète en soi-même douze francs et dit: Je leur veux donner six écus, moi.

Le 18, lundi, à Saint-Germain.—Il appelle M. le Chevalier: Cadet pisseux, Mlle de Vendôme, Cadette pisseuse, et se nomme lui-même Cadet de haut appétit, parce qu'autrefois il l'avoit ouï dire aux soldats.

Le 19, mardi.—Arrive M. de Crillon[179], mestre de camp du régiment des gardes, qui ne l'avoit pas encore vu; le Dauphin lui ôte son chapeau, lui donne sa main à baiser, disant: Bonjou, moucheu de Crillon. M. de Crillon lui dit: «Monsieur, voulez-vous que je tue cettui-ci, cettui-là?»—Non.—«Qui donc?»—Les ennemis de papa. Le Roi et la Reine arrivent à une heure et demie venant de Avr
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127 Paris en carrosse, il va au devant en la cour, revient avec LL. MM. en la galerie, s'asseoit à table avec eux, sert la serviette au Roi, puis à la Reine. L'on met Favori, chien de la Reine, sur la table, il demande: Ho! ho! qui est stilà? lui tire l'oreille; le chien fault à le mordre. Mis à bas il fait la révérence au Roi, qui le mène à la galerie où il va à la guerre, tire des arquebusades[180]. Je crois qu'il avoit la tête et le corps pleins de tambours, d'arquebuses, de pistolets, de toutes sortes d'armes et de soldats. A quatre heures trois quarts, le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.

Le 20, mercredi, à Saint-Germain.—Parti en carrosse pour aller à Carrière; il mène Madame pour tenir à baptême la fille de M. de la Salle avec M. le Chevalier; il voit paisiblement faire le baptême où Madame tenoit les pieds de la petite fille.

Le 21, jeudi.—Il se joue à coigner des clous à un vieux placet[181]. Mlle Piolant lui dit qu'il se donnât de garde de se blesser, il s'en fâche et lui jette son marteau; Mme de Montglat l'en tance et lui dit: «Monsieur, faites-lui baiser votre main.» Il la tend et l'approchant de sa bouche lui donne un petit soufflet et s'en va; peu après s'en repentant, mais non à l'heure, il va où étoit Mlle Piolant, l'embrasse et lui demande pardon. Sur l'heure il ne pardonnoit point; il falloit lui en parler, il songeoit, puis il y venoit de lui-même avec contenance de déplaisir d'avoir offensé.

Le 25, lundi.—Il fait danser, à la salle, des Limousins, maçons qui travailloient à la muraille du parc. Mené chez M. de Frontenac, qui fiançoit Mlle sa fille à M. de Carbonnière, Mme de Montglat lui dit qu'il prît la damoiselle par la main pour la mener fiancer; il la prend, la mène au devant du curé, se fait prendre aux bras par Avr
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128 M. Birat et écouta attentivement toutes les paroles du curé, ayant toujours la vue arrêtée sur lui.

Le 26, mardi.—Mené au vieux château, où il prend par la main Mlle de Frontenac, la conduit dans la chapelle, la mène à l'offrande après avoir attentivement regardé et écouté tout ce qui s'étoit passé aux cérémonies d'épousailles, et la ramène en son logis. A une heure arrivent les députés de Zurich, Bâle et Schaffouse; celui de Zurich, chancelier, porta la parole, disant: «Monseigneur, Messieurs des Quatre Cantons, vos serviteurs et bons amis, alliés et confédérés, nous ont envoyés devers le Roi pour quelques affaires, desquelles nous lui avons parlé ces jours passés, et nous sommes venus ici, Monseigneur, pour vous voir et vous supplier de les tenir pour vos serviteurs, bons amis, alliés et confédérés. Aimez et assistez notre nation quand elle en aura besoin, espérant qu'avec le temps, vous serez roi de France; et pour notre particulier, Monseigneur, nous vous supplions de nous tenir pour vos très-humbles et affectionnés serviteurs, et prions Dieu qu'il vous accroisse en vertu comme en âge.» Le Dauphin répond: Messieurs, je vous remercie.—Il soupe à la noce de Mlle de Frontenac, ayant en sa table toute la compagnie.

Le 27, mercredi.—Il demande d'aller à la garenne; en approchant du bac il voit sept ou huit hommes delà l'eau et dit: Hé! je gage que velà la drôlerie du Pecq; c'étoient les gens du Pecq qu'à la mi-carême il avoit ouï nommer ainsi. Passé, mené le long de l'eau, il voit courir quelques lapins. Ramené au bac il s'amuse à jeter du papier dans l'eau en guise de bateaux.

Le 28, jeudi.—Il va en la galerie, s'amuse à voir planter des châssis aux fenêtres, considère les fruits des vases peints au lambris, les nomme.

Le 29, vendredi.—Mené à la grotte d'Orphée, où l'on le fait enfin entrer, suivant Mme de Montglat, qui lui tendoit des pois sucrés dans sa main; mais avant il fallut Avr
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129 faire couvrir l'effigie[182] avec un linge; il voulut avoir les clefs de peur que l'on ne le fît jouer.

Le 30 avril, samedi.—Il s'amuse à peindre sur du papier, imitoit les peintres, soutenant sa main droite, dont il tenoit la plume comme un pinceau par-dessus le bras gauche, comme font les peintres sur la verge[183], et conduisoit sa main et la plume aussi artistement qu'eût fait le peintre son pinceau.

Le 1er mai, dimanche, à Saint-Germain.—Le tambour de M. de Mansan lui apporte des bouquets; il va à Mme de Montglat: Hé! Mamanga, donnez un écu au tambour.—«Monsieur, votre trésorier n'est pas ici».—Hé! Mamanga, donnez-lui, je vous rendrai tout, mais que je sois grand.

Le 2, lundi.—Je pars pour aller à Paris[184].

Le 7, samedi.—M. de Guise le vient voir; il lui demande: «Monsieur, aimez-vous bien les Espagnols?»—Non, répond le Dauphin.

Le 9, lundi.—Mené promener aux grottes, il voit des forçats qu'on menoit à la galère, et se prend à pleurer, disant: Mamanga, je veux qu'on les laisse aller.

Le 13, vendredi.—Mme la comtesse de Guichen le vient voir; il tire d'une petite arbalète que la comtesse lui avoit donnée, monte sur le cheval du petit Lauzun, petit-fils de la comtesse[185].

Mai
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Le 14, samedi.—Il va jouer en la cour, dit aux soldats qu'il aimoit les Gascons; on lui demande: «Pourquoi?»—Pour ce que je suis de leur pays.

Le 18, mercredi, à Saint-Germain.—Il voit plusieurs sortes de satin de couleur, à doubler l'armoire de ses armes, choisit le bleu. J'arrive de Paris; il vient au devant en la cour: Que m'apportez-vous? Je lui baille un marmouset à cheval tenant une laisse de lévriers. Le soir, un peu avant de se coucher, il donne le mot au sieur de la Perrière, exempt; M. l'aumônier le lui demande, il lui répond: Il ne faut pas donner le mot au prêtre.

Le 24, mardi.—Mené au logis du sieur Francino, qui lui faisoit une petite fontaine.

Le 25, mercredi.—Il se joue en la galerie; M. de Favas[186] y vient, il lui baille son épieu de fer, son épieu de bois à M. de Belmont, et, à M. de Mansan, sa fourchette[187]; lui porte sa arquebuse, fait marcher M. de Favas à la tête, et va ainsi à la guerre. Il va chez Francino, en son cabinet, où il s'informe du nom de tout ce qu'il y voit.

Le 26, jeudi.—Sa remueuse lui donne un petit ménage de plomb, un calice, un encensoir, un coq et une femme, le tout dans une boîte; il range ces petites besognes. Mme de la Trimouille, fille de feu M. le prince d'Orange et de Mme de Jouarre, Mme la marquise de Royan, fille de feu M. le chancelier, vont à la chambre de M. de Verneuil; le Dauphin fut fâché que quelqu'un de ceux de Mme de la Trimouille lui avoit relevé de terre une petite balle; elle s'approche de lui, disant qu'elle le tanceroit bien: il lui donne un soufflet.

Mai
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Le 30 mai, lundi.—Il écoutoit sa nourrice se plaignant de ce que l'on avoit renvoyé de ses amis qui étoient venus pour voir le Dauphin; il se prend à pleurer, disant: Je veux qu'on les aille querir. Il s'étoit déchaussé étant à table, sa nourrice le veut chausser: Non, maman doundoun, je veux pas que vous me chaussiez.—«Pourquoi, Monsieur?»—Pource que vous m'avez donné à teter quand j'étois petit. Il va chez Francino, fait mettre un robinet à sa fontaine de bois, a la patience de voir tout faire.

Le 31, mardi.—Parti pour retourner au vieux château, à cause de la venue du Roi.[188]

Le 1er juin, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Prévost des Yveteaux[189] et Mlle Morin, de Chartres, assistent à son souper; il regarde attentivement Mlle Prévost, je lui dis que je vois bien qu'il est amoureux; il en sourit, puis feint de regarder ailleurs et la guigne du coin de l'œil. Mené au jardin, il entend deux soldats qui étoient à la prison de l'horloge, et dit: Je veux qu'ils sortent, Mamanga. Elle lui dit qu'il le falloit demander à M. de Mansan; il se retourne soudain pour aller à lui, qui étoit demeuré derrière, et lui dit: Taine[190], je veux, s'il vous plaît, que vous fassiez sortir ces soldats.

Le 2, jeudi.—Le comte de Saure, grand écuyer de l'Archiduc, revenant d'Espagne, lui baise la main, lui fait les recommandations de l'Infante, et dit qu'elle parle souvent de lui et que l'on désire en ce pays là bien fort de le y voir. A dîner on lui dit: «Monsieur, buvez à la santé de l'Infante,» il répond: Je m'en vas boire à ma maîtresse.

Juin
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Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande: Où est le lion? C'étoit le livre des animaux de Gesner; il les reconnoît, puis les oiseaux.

Le 4, samedi.—Il s'amuse dans son lit à une boîte de petites quilles à pirouette; je lui baille un petit singe de poterie qui avait le col cassé jusqu'aux épaules.—Il va sur les terrasses, se raille de Montméjan, soldat et gentilhomme gascon, en disant: Ce Montméjan qui dit: lou castel de mon païre, c'est-à-dire le château de mon père, s'en rendant lui-même l'interprète. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis: Où est celui des bâtiments? C'étoit celui de Vitruve, qu'il n'avoit vu il y avoit plus d'un an.

Le 6, lundi.—Il va en la chambre de Mme de Montglat. Je lui tiens la main pour écrire au Roi en cette sorte:

Papa, j'ay su que vous avez esté malade, j'en ay esté bien marry, mais j'ay tant prié Dieu qu'il vous a rendu vostre santé. J'en ai fait trois petits sauts. J'ay bien envie de vous voir, car je suis bien sage, plus opiniastre, et feray tout ce que vous me commanderez, et seray toute ma vie, Papa, votre très humble et très obéissant fils et petit valet.—Daulphin.

Deux soldats de la compagnie, pour s'être battus au corps de garde, étoient prisonniers; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, dites, s'il vous plaît, à M. de Belmont qu'il fasse sortir les prisonniers.»—Qu'ont-ils fait? dit-il brusquement et de lui-même; on lui dit qu'ils s'étoient battus; il va froidement à M. de Belmont: Belmont, faites sortir les prisonniers, faites, faites. Les deux soldats arrivent, il leur dit de son mouvement: Soyez sages, ne vous battez plus, et, peu après, les voyant encore là: Allez vous-en au corps de garde.

Le 7, mardi.—Il va au bâtiment neuf, chez le menuisier, pour voir faire son jardin de bois, puis chez le sieur Francino pour y voir la fontaine qu'il lui faisoit. Le soir il dit à Mme de Montglat: Mamanga, faites pas dire Pater, faites Juin
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133 dire notre Père
. Étant à ces mots: Ton règne advienne: Mamanga, qu'est-ce à dire ton règne advienne? Mme de Montglat lui en donne raison, et il continue: Mamanga, qu'est-ce à dire: et nous pardonnez nos offenses?—«Monsieur, c'est que nous offensons le bon Dieu tous les jours, nous le prions qu'il nous pardonne;» à ces mots: Et nous garde du malin: Mamanga, qu'est-ce à dire malin?—«Monsieur, c'est le mauvais ange qui vous fait dire: Allez-vous-en! Parlez plus haut!» et autres traits de son opiniâtreté. Il dit encore à Mme de Montglat: Le bon Dieu a été sur la croix, Mamanga. Je lui demande: «Monsieur, pourquoi?»—Pour ce que nous avions tous été opiniâtres, vous, Mamanga, moi aussi, maman doundoun et mademoiselle Héouard.

Le 8, mercredi.—Éveillé il chante dans son lit:

Miquele se veut marida
A un brave capitaine, hélas[191]!

Le Roi arrive au bâtiment neuf; il part avec une extrême impatience de le voir, court au Roi, qui l'attendoit sur la porte de la salle du bâtiment neuf, le baise, l'accole; à une heure dîné avec le Roi. La Reine arrive à une heure et demie; il la va recevoir à la descente de son carrosse, à la porte de la salle; elle le baise par-dessous le masque. Il va en la galerie avec LL. MM., puis suit la Reine, qui s'en alloit dîner, lui donne la serviette. Il s'en va avec la Reine en la chambre, voit un homme qu'il n'avoit point vu il y avoit un an, qui faisoit des fusées, s'en va au Roi: Papa, velà celui qui fait des fusées, ce qui étonna tout le monde pour sa mémoire.

Le 9, jeudi.—MM. de Crillon et de Favas assistent à son lever. Le Roi le promène, puis le mène en la chapelle, après le ramène à pied à la procession, portant aussi son cierge, puis le ramène à la chapelle. Le Roi se voulant jouer à lui l'appelle vilain, et lui dit qu'il n'est pas Juin
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134 gentilhomme; le voilà en colère extrême; le Roi en fut fâché, et lui dit qu'il étoit gentilhomme: il ne s'apaise aucunement, et fut mené dehors et porté en sa chambre. Le Roi sortant de la messe, il entend le tambour et dit: Je veux aller dîner avec papa; il y va et dîne à douze heures et demie. Mené en la chambre du Roi, il est ensuite ramené en la carrosse[192] avec LL. MM. au château vieux. M. d'Alincourt prend congé de lui, allant partir à l'heure pour aller à Rome. Il se joue avec M. de Courtenvaux, pour lequel il avoit une merveilleuse inclination.

Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi au bâtiment neuf; le Roi, qui étoit dans le lit pour un peu de goutte, le fait mettre, lui et Madame, dans le lit auprès de lui, tout nus. Madame cause, M. le Dauphin en est l'interprète[193] et le rapporte en souriant au Roi.

Le 11, samedi.—A neuf heures mené chez le Roi, qui étoit au lit; il va chez la Reine, prend sa petite boîte ronde d'argent et une aiguille d'argent, en fait un tambourin, retourne chez le Roi, puis en la galerie. Dîné avec la Reine. Dépouillé et Madame aussi, ils sont mis nus dans le lit avec le Roi, où ils se baisent, gazouillent et donnent beaucoup de plaisir au Roi. Le Roi lui demande: «Mon fils, où est le paquet de l'Infante?» Il le montre, disant: Il n'y a point d'os, papa; puis comme il fut un peu tendu: Il y en a astheure, il y en a quelquefois. Il assiste aux fiançailles de M. le prince de Conty avec Mlle de Guise[194], à huit heures.

Le 12, dimanche.—Mené par le pont du Roi au bâtiment neuf, au Roi, encore au lit pour sa goutte; la Reine Juin
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135 lui donne une enseigne de diamants avec un bouquet de plumes d'argent. Ramené à cinq heures au vieux château, il va en sa chambre, où il fait jouer et chanter la musique de la Reine (quatre luths et deux voix de petits enfants), l'écoute avec ravissement.

Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il va chez Mlle de Guise, qui le matin, à six heures, avoit été épousée; mené au Roi en carrosse au bâtiment neuf. Le Roi le fait mettre nu avec lui dans le lit; revêtu, il descend à la grotte sèche avec LL. MM., qui y font collation.

Le 14, mardi.—Mené à la chambre de la mariée (c'étoit Mlle de Guise, qui avoit été le soir précédent mariée), puis à la chapelle, où en allant il trouve une pauvre femme qui prioit pour son mari, à qui l'on avoit confisqué le bien: Mamanga, donnez de l'argent à cette femme. M. de la Noue[195] le vient voir. Mené au Roi au bâtiment neuf; le Roi et la Reine sont partis pour retourner à Paris, à trois heures.

Le 15, mercredi.—Il monte en la chambre de sa nourrice, lui demande ses ciseaux; elle les lui baille, il les jette dans le fossé, puis veut aller dans le fossé pour les querir, va tout plein de feu jusqu'au dessous du pont-levis; on le lui fait regarder: Qu'est cela? demande-t-il.—«Monsieur, c'est le pont-levis qui vous tombera dessus la tête»; il tourne court, et remonte.

Le 17, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine revenant de Paris. Mis au lit, on lui demande la différence qu'il y avoit d'un fils à une fille, il songe, puis dit: Je le dirai demain, je sais pas, je veux songer en mon lit.

Le 18, samedi.—Il se fait mettre au lit avec sa nourrice; le Roi y vient à huit heures, et l'y trouve; il chante: Miquele se veut marida, papa. A neuf heures, il s'en va avec le Roi en carrosse, va voir la Reine, encore Juin
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136 au lit, se joue, va prendre un placet[196] pour en faire des fontaines. Mme de Montglat en veut apporter un autre, il entre soudain en colère: Je vous battrai, Mamanga, et va sur elle, la frappe: Je vous tuerai, maman. Le Roi le fouette sur les fesses avec la main; ne se taisant point, le refouette encore, puis s'en va; il se jette à terre, puis feint de ne pouvoir cheminer, va clopinant, pleurant, criant: Hé! Mamanga, papa m'a rompu la cuisse, mettez-moi de l'onguent. A trois heures mené en litière, avec Madame, chez le Roi, qui le mène voir la chasse aux toiles, aux Loges.

Le 20, lundi, à Saint-Germain.—Il se joue dans le cabinet du Roi avec des petites tenailles dont il pinçoit le couvercle, peint de personnages, d'une boîte de Flandres.

Le 21, mardi.—Il vient en ma chambre, s'amuse aux oiseaux[197], au siége d'Ostende et à la carte de Flandres.

Le 23, jeudi.—Mené chez M. de Frontenac, d'où il voit mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean.

Le 24, vendredi.—M. le comte de Soissons le vient voir, il entre en mauvaise humeur, ne le veut point accoler ni saluer; on lui apporte une pièce du biscuit du Roi, on lui dit que c'est M. le comte de Soissons qui l'a envoyée querir; il le va accoler et l'en remercie. A deux heures et demie goûté sur le haut de l'escalier, assis sur le premier degré; M. de Montbazon et M. de Rosny y étoient. M. de Rosny lui demande: «Monsieur, qui est le plus enfant de nous deux?»—C'est moucheu de Montbazon. Il va en bas, à la chambre de M. de Souvré; M. de Rosny y va, lui porte une bourse.—Je n'en veux point, elle est pas belle.—«Mais, Monsieur, vous voyez qu'elle est si belle! il y a de si beaux dauphins!»—Non, alle est vilaine; si vous me la baillez, je la jetterai dans le fossé.—«Mais, Monsieur, voyez! il y a de si beaux demi-écus Juin
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137 dedans,» et on les vide dans un tablier. Il les prend, les remet dans la bourse, la jette en disant: Allez, vilaine.—«Monsieur, dit M. de Rosny, que vous plaît-il donc que je vous donne?»—Un petit carrosse. Mené au bâtiment neuf, il court après le Roi et la Reine, ores à l'un puis à l'autre, se jouant à eux; le Roi le fait décoiffer et aller tête nue; la Reine mettant la main à sa guillery dit: «Mon fils, j'ai pris votre bec.»

Le 25, samedi.—En dînant Mme de Montglat parloit d'aller voir M. de Rosny pour lui parler d'affaires; M. le Dauphin, se retournant soudain vers elle, dit: Et du lit de maman doundoun. Il s'amuse à la fenêtre du passage entrant au petit cabinet, à faire battre le tambour du sieur de Mainville, capitaine aux gardes, lui fait battre les batteries espagnole, angloise, wallone, italienne, piémontoise, moresque, écossoise, lombarde, allemande, turque, puis la françoise, une chamade, un assaut, puis lui dit: C'est assez! battez au champ vous en allant. A cinq heures il va au bâtiment neuf voir la Reine, qui étoit prête à se lever du lit; le Roi le fait mettre tête nue.

Le 26, dimanche.—Le Roi l'envoie querir à dix heures et demie; il se y en va, tabourin battant, trouve le Roi écrivant, cesse son tambour, et jamais ne voulut battre. Ayant salué le Roi, il va chez la Reine, puis en la galerie pour battre son tambour; le Roi y vient: «Mon fils, ne battez plus»; il cesse aussitôt, et baille à garder son tambour à M. le Chevalier. Il va chez la Reine, où il se met en mauvaise humeur pour ce qu'il vouloit et jetoit la poudre de la Reine avec la houppe; la Reine envoye querir des verges par le nain Camille; aussitôt qu'il les voit entrer, sans dire mot il s'encourt à la Reine l'embrasser.

Le 27, lundi.—Le Roi part à quatre heures du matin pour aller à Paris. Mené chez la Reine, le Dauphin la rencontre dans la galerie revenant de la messe, va dîner avec elle. Il s'en va avec la Reine; elle lui coupe Juin
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138 les cheveux sur le front et les tempes; il est tout changé, semble un de ces gros visages de moines. La Reine s'en va en litière[198] par Saint-Cloud à Paris.

Le 30 juin, jeudi, à Saint-Germain.—On lui demande: «Monsieur, quand vous serez baptisé, comment aurez-vous nom?»—Henry. Il battoit de sa cuiller sur le bord du plat qu'il tenoit d'une main, disant: Mamanga, je sonne les heures comme le Jacquemard qui frappe sur l'enclume. Je lui demande: «Monsieur, où est ce Jacquemard?»—A Fontainebleau[199].—Il s'amuse à monter la montre triangulaire de Mme de Montglat, la monte fort bien.

Le 1er juillet, vendredi, à Saint-Germain.—Il développe les portraits du Roi et de la Reine, les baise disant en se jouant: Velà moucheu papa et velà madame maman. Je pars pour aller à Paris[200].

Le 7, jeudi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous courez trop! papa ne fait pas comme cela.»—Non, Mamanga, mais quand il étoit petit comme moi il couroit comme ça.

Le 9, samedi.—M. de Montmorency, fils de M. le connétable[201], M. le comte d'Alès, fils de M. le comte d'Auvergne[202], M. le comte de la Voulte, fils de M. de Ventadour[203], M. de Précy, fils de M. de Bouteville-Montmorency[204], Juil
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139 et Mlle de Montmorency[205] arrivent; le Dauphin va à la chapelle, où il a fort crié; il faut envoyer querir Thomas, le maçon, il s'apaise. A dîner M. de Montmorency lui sert à boire; il écrit au Roi par un nommé Nervèze[206], qui lui avoit donné un petit livre. A souper M. de Montmorency lui sert la serviette à laver[207]; le Dauphin, la prenant, dit: Or ça, je m'en vas laver à la françoise, et prenant la serviette, la toupillant: Voyez, velà comme on se lave à la françoise.

Le 10, dimanche, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris avec M. de Souvré; il me voit du dessus de la terrasse de la salle du bal, m'appelle et me demande: Que m'apportez-vous? Je lui montre un papier sous le bras où il y avoit un cheval et un gendarme enveloppés; il se prend à tressaillir de joie et à courir pour venir à bas, vient à moi à sauts. Après dîner il va à la guerre, fait tirer son petit carrosse par MM. de Montmorency, de Ventadour, comte d'Alès et de Bouteville.

Le 11, lundi.—Il rencontre deux demoiselles, pas trop mal vêtues, qui ne demandoient encore rien; il reconnoît qu'elles avoient besoin, et leur donne un quart d'écu. A souper il se fait donner à boire par Mlle de Montmorency, ayant vu qu'elle en donnoit à Madame.

Le 12, mardi.—En passant par la salle il voit M. du Servon-Mailler assis dans une chaise, à cause de sa goutte; il va à lui, lui tend la main à baiser, et voyant qu'il avoit peine à se tenir: Seyez-vous, seyez-vous, lui dit-il, avec compassion et respect pour son âge.

Juil
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140

Le 13, mercredi.—Il reprend M. de Ventelet, qui disoit: Celui-ci. Je lui demande: «Monsieur, comment faut-il donc dire?»—Cettui-ci. L'on parloit de la reine Marguerite et on demandoit comment il l'appelleroit[208]; quelqu'un dit qu'il l'appelleroit sa tante.—Non, je l'appellerai ma sœur, ce sera Madame qui l'appellera sa tante.—«Monsieur, lui dit quelqu'un, ç'a été la femme à papa.»—Non, c'est maman, dit-il brusquement.

Le 14, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au jardin, il rencontre en allant Mme la comtesse de Moret.

Le 15, vendredi.—Se jouant avec M. de Montmorency et M. le comte de la Voulte, qui lui demandoient congé de s'en retourner le lendemain: Non, dit-il, je veux que vous demeuriez avec moi.—«Monsieur, dit Birat, quelle charge lui donnerez-vous quand vous serez grand?»—Je le fairai mon connétable.—«Et à M. de la Voulte?»—Amiral. Mis au lit, il embrasse M. de Montmorency, qui lui disoit adieu pour s'en retourner à Chantilly, en fait autant aux sieurs comte de la Voulte, comte d'Alès et de Pressy; puis à Mlle de Montmorency il fait le honteux, ne la veut point embrasser, prend courage et l'embrasse avec honte, sans la baiser, donne la main à baiser à leur suite.

Le 19, mardi.—M. le baron de Toun, grand maréchal de Lorraine, le vient visiter de la part de Son Altesse et assiste à son souper; ce baron voulant prendre congé de lui, le Dauphin ne voulut jamais dire qu'il fut le serviteur de M. de Lorraine, comme Mme de Montglat le lui vouloit faire dire; il dit seulement entre ses dents: Je lui baise les mains. Quand il fut parti, Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, pourquoi n'avez-vous voulu dire à ce gentilhomme que vous étiez serviteur de M. de Lorraine, Juil
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141 votre oncle?» Il songe, et puis répond: Pource que je suis trop petit.

Le 21, jeudi, à Saint-Germain.—On lui dit qu'il falloit qu'il appelât la reine Marguerite: Maman.—Pourquoi?—Mme de Montglat lui dit: «Pource que maman le veut.» La Reine l'avoit ainsi commandé par lettre expresse, que Mme de Montglat venoit de recevoir.

Le 23, samedi.—Le sieur de la Lane, maître d'hôtel de la reine Marguerite, arrivée à Madrid depuis trois jours, vient pour visiter le Dauphin de sa part et lui dire qu'elle lui baisoit les mains et pour s'excuser si elle n'étoit venue pour le voir, ce qu'elle feroit se trouvant délassée du travail du chemin et lorsqu'elle auroit eu l'honneur de voir le Roi. Le Dauphin lui répond: Je la remercie bien humblement, je suis son serviteur. Comment se porte maman?—M. de Longueville, Mme de la Trimouille arrivent; Mme de Montglat lui ayant dit que Mme de la Trimouille le venoit voir et qu'il eût à lui dire qu'il étoit petit quand il lui donna le soufflet au bâtiment[209]: Mais, mamanga, elle est aveugle qu'elle porte cela si longtemps sur le nez? se ressouvenant que le bout de sa coiffure y étoit avancé fort bas. Il observoit tout, jusques aux plus petites choses.

Le 24, dimanche.—Tout le long du dîner il est transporté et comme ravi de la musique des violons du Roi, qui étoient quinze, auxquels, pour la fin, il commanda de jouer la guerre, n'ayant dit que ce mot durant tout le dîner; ils ne la surent jouer.

Le 25, lundi.—Étant au droit de la chapelle, Madame se trouva dans l'allée qui est vis-à-vis; on les fait avancer, ils s'entre saluent, et comme il fut à six pas près, sa nourrice lui dit: «Monsieur, il ne faut pas approcher de Madame davantage que cela[210]»; il s'arrête, faisant sa Juil
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142 petite lippe assez longue, et à la fin il lui en tombe des larmes des yeux et à Madame aussi, qui en firent faire autant à toute la troupe.

Le 26 juillet, mardi.—Cejourd'hui le Roi a vu, au château de Madrid, la reine Marguerite.

Le 27, mercredi.—Il vient en mon étude, veut voir le livre de Mathiole[211], où il avoit autrefois vu des poissons.

Le 28, jeudi.—J'eus l'honneur de lui donner sa chemise, Mme de Montglat n'y étoit pas.

Le 29, vendredi.—Le Roi arrive au bâtiment neuf, accompagné de Don Juan de Médicis[212], oncle bâtard de la Reine; mené par le pont du Roi à S. M., il lui court, lui saute au col, le mène à la galerie, où il joue au palemail. Dîné avec le Roi.

Le 30, dimanche.—Mené au bâtiment neuf au Roi et à la Reine; il se joue au Roi, ayant respect et crainte de le blesser sur le lit, où il étoit, ayant mal aux dents et le visage enflé.

Le 1er août, lundi, à Saint-Germain.—Mené à quatre heures au bâtiment neuf, le Roi se reposoit sur son lit; il dresse en la ruelle tout son petit ménage de poterie verte; M. de Verneuil étoit un des cuisiniers. A six heures il donne le bonjour au Roi et à la Reine, prend le mot du Roi et le baille à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes.

Le 2, mardi.—Mené à la chapelle, où il voit tout le préparatif pour faire le service pour le feu Roi[213]; il s'informe de toutes les pièces: Pourquoi ceci? pourquoi cela? puis s'en va ne y étant point demeuré, les Dauphins n'assistant jamais aux services des funérailles.

Le 3, mercredi.—A dîner il mange sans dire mot et Août
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143 comme transporté de joie d'ouïr jouer un flageolet d'un estropié que l'on nommoit cul-de-jatte, lequel après avoir joué longtemps et deux violons avec lui, lui va dire d'une voix rude: «Monsieur, buvez à nous.» Il devient rouge, disant soudain: Je veux qu'il s'en aille, je veux qu'il s'en aille, maman. Je lui dis: «Monsieur, il est un pauvre, il ne les faut pas chasser».—Il ne faut pas que les pauvres viennent ici.—«Monsieur, non pas tous, ou bien ceux qui vous font jouer comme lui».—Qu'il aille donc jouer là-bas.—Mme de Montglat l'en veut aussi distraire, il lui répond: Mamanga, il m'étourdit, et puis après dit: Je ne bois qu'à papa et à maman.—Il s'amuse sur une petite planche à imiter le sieur Francisco, que le jour précédent il avoit vu travailler en cire, à faire des modèles de figures, et dit: Je fais le modèle d'une fontaine, je fais le modèle d'un singe; il l'avoit vu le jour précédent à la galerie où travailloit Francisco.

Le 4, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures mené par le petit pont au bâtiment neuf, au Roi, en la galerie; M. de Béthune y arrive, revenant ambassadeur de Rome; sur ce sujet le Roi lui demande: «Mon fils, voulez-vous aller à Rome?»—Non, papa.—«Où voulez-vous donc aller?»—Je veux demeurer auprès de vous, papa.

Le 5, vendredi.—Il va en la chambre de Madame, où étoit son peintre, maître Martin, qui la peignoit; il se fait donner un pinceau, demande de la peinture. «Monsieur, dis-je, de laquelle voulez-vous?»—De la bleue. C'étoit une couleur qu'il aimoit naturellement et qu'il avoit toujours aimée.

Le 6, samedi.—Je lui dis: «Monsieur, habillez-vous vîtement; vous irez au parc voir papa, qui vous donnera un beau canon qu'il fait promener avec des chevaux, ou bien M. de Verneuil ira le premier, et il l'aura.—Féfé Vaneuil dort encore.—«Monsieur, vous me pardonnerez, il est levé et est allé trouver papa».—Ho! non; papa veut pas qu'il aille qu'avec moi! Mené à LL. MM. Ramené, appelant: Août
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144 Allons, féfé Vendôme, féfé Chevalier, allons féfé Vaneuil! Il ne y vouloit laisser personne de ces Messieurs après lui.—L'après-dînée il demanda à Mlle de Ventelet: Tetai, où a-t-on porté cette messe noire qui étoit à la chapelle? (c'étoient les meubles pour le service du feu Roi).—«Monsieur on l'a rapportée à Paris».—Pourquoi est-elle noire?—«Monsieur, c'est pour prier Dieu pour le feu Roi, vous devez bien prier Dieu pour lui.»—Pourquoi?—«Monsieur, pource que vous ne seriez pas ce que vous êtes.»—A quatre heures et demie mis dans le carrosse de la Reine pour aller au-devant de la reine Marguerite; il est accompagné de Madame, de MM. de Vendôme, de Verneuil, de Souvré. Il va par la levée près de Ruel et, la Reine ne venant point encore, il revient en l'hôtellerie qui est sur la levée, où il a soupé. Remis en carrosse, il va au-devant de la reine Marguerite, et étant environ le milieu de la muraille du clos de M. le président Chevalier, qui est sur le chemin de la levée, il met pied à terre. Elle, le voyant aussi, descend de la litière que la Reine lui avoit envoyée, et ils se rencontrent au droit du bout de la muraille du clos, à gauche en allant. M. le Dauphin de dix pas ôte son chapeau, va à elle; on le lève, il la baise et l'embrasse: Vous, soyez la bien-venue, maman ma fille.—«Monsieur, lui dit la Reine, je vous remercie, il y a fort longtemps que j'avois desir de vous voir.» Elle le baise de rechef; l'on le reprend au bras (c'étoit Birat) et, faisant le honteux et le vieux, il se cachoit de son chapeau. «Mon Dieu, reprend la Reine, que vous êtes beau! vous avez bien la mine royale pour commander comme vous ferez un jour.» Elle baise Madame et puis les autres Messieurs; il rentre en carrosse et elle en litière. M. le Dauphin s'endort à demi-chemin, et arrive en sa chambre tout endormi, à huit heures trois quarts. La reine Marguerite arrive aussi à cette heure.

Le 7, dimanche.—A dix heures mené au bâtiment neuf, il salue la Reine, et puis va en la galerie trouver le Roi et la Août
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145 reine Marguerite, qui se promenoient il y avoit plus d'une heure; il court, se promène tête nue; la reine Marguerite lui fait de grandes caresses, et quitte le Roi pour l'aller trouver. Le Roi la mène et lui aussi à la messe. A deux heures la reine Marguerite lui envoie un présent par Mme de Lansac, sa dame d'honneur; ce fut un Cupidon parsemé de diamants, assis sur un dauphin, et tenant un arc d'une main et un brandon de l'autre, parsemé de diamants; au ventre du dauphin il y avoit une émeraude gravée d'un dauphin couronné et entouré de petits diamants, et un petit cimeterre parsemé de diamants; elle envoya à Madame un serre-tête de diamants.—Les députés du Clergé, de l'assemblée générale séant à Paris, viennent saluer le Dauphin. La reine Marguerite le vient voir, il s'en va au devant jusques à l'entrée du pied de l'escalier; remonté en sa chambre, où il a goûté devant elle, il va avec elle, dans le carrosse, au bâtiment neuf. Le soir la reine Marguerite envoie à sa nourrice un bassin doré et un vase de même; il en fait le remerciement: Je remercie maman ma fille pour maman doundoun.

Le 8, lundi, à Saint-Germain.—Il entend lire des vers faits en l'honneur du Roi et du sien par M. Nervèze, passe sa main devant le visage, sur le front comme ceux qui y ont de la pesanteur, et bâille[214].

Le 9, mardi.—Il donne la chemise au Roi revenant de la chasse; dîné avec le Roi.

Le 11, jeudi.—Mené à neuf heures trois quarts au bâtiment neuf, trouver le Roi et la Reine; la Reine étoit au lit, le Roi assis dessus et la reine Marguerite à genoux, appuyée contre le lit[215]. M. le Dauphin mis sur le lit se Août
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146 joue à un petit chien que le Roi lui avoit prêté; il dit adieu à la reine Marguerite, qui s'en retournoit à Madrid, l'embrasse et la conduit jusques en sa chambre.

Le 12, vendredi, à Saint-Germain.—Comme il étoit en la cour, il voit le Roi revenant de la chasse, se prend de lui-même à courir au-devant de lui si dispostement qu'il sembloit voler. On le hausse, le Roi, qui étoit à cheval, le baise; il retourne avec le Roi à la chambre de la Reine, puis le suit au cabinet; en voyant donner les souliers au Roi, il court de lui-même pour soutenir la jambe du Roi.—En soupant, ayant été quelque temps sans dire mot, comme il étoit aucunes fois réservé et tout ainsi que s'il eût songé à de grandes affaires, il dit: Mais c'est Thomas; voyant qu'il ne disoit plus mot: «Monsieur, dis-je, qui est ce Thomas?»—C'est un homme de pierre; je l'ai vu à Poissy dans une chapelle, rangé là, à un petit coin. Il y avoit environ quatorze mois qu'il fut à Poissy[216], où il vit et entendit nommer cette image du nom de Saint-Thomas et au lieu où il la représentoit.

Le 13, samedi.—Mené chez la Reine, sa nourrice lui dit qu'il aille demander à la Reine l'aumône pour une femme qui étoit en prison; il part, puis revient: Maman doundoun, venez, demandez-lui? Il en faisoit difficulté. Enfin, après plusieurs remises il y va, et, s'amusant à se jouer à des soies sans regarder la Reine: Maman, donnez-moi quelque chose pour une pauvre femme qui est en prison? La Reine lui en promet, n'en ayant point sur elle; Mme la princesse de Conty lui présente un sol, il n'en veut point; elle lui présente un écu, il le prend; Mme de Longueville lui en donne deux, il porte tout gaiement à sa remueuse, qui en faisoit la quête.

Le 14, dimanche.—Éveillé à deux heures et demie après minuit en sursaut, il se lève hors du lit, debout, disant: Où me faut-il aller! Sa nourrice le prend, le Août
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147 recouche[217], et il se rendort jusqu'à six heures et demie. Il se fait mettre au lit de sa nourrice, et, se jouant à elle: Bonjour, ma garce, baise-moi, ma garce, hé! ma folle, baise-moi!—«Monsieur, lui demande sa nourrice, pourquoi m'appelez-vous ainsi?»—Pource que vous êtes couchée avec moi. Mlle Lecœur, femme de chambre, lui demanda: «Monsieur, vous savez donc bien ce que c'est que des garces?»—Oui.—«Et qui, Monsieur?»—Celles qui couchent avec les hommes.—Mené à la chapelle avec le Roi, comme le Roi battoit sa poitrine sur le Domine non sum dignus, il demande à M. Birat, qui le tenoit: Mon valet, pourquoi papa fait cela!—«Monsieur, pource qu'il s'étoit courroucé et avoit battu quelqu'un; il avoit offensé Dieu, il lui en demande pardon.» Il joint soudain les mains, et puis bat sa poitrine, disant: J'ai offensé bon Dieu, pardonnez-moi. Après la messe il dit au Roi: Papa, vous plaît il que votre musique vienne chanter à ma chambre?—«Oui, mon fils».—Venez chanter grâces à mon dîner, papa le veut. Il va en sa salle; à midi, dîné; la musique du Roi chanta Laudate; il l'écouta avec transport, tant il aimoit la musique. A deux heures le Roi l'envoie querir pour le faire voir au nonce. A souper l'on disoit que M. de Saint-Germain, prédicateur[218], étoit fort malade; il demande: Pourquoi n'est-il pas mort? L'on le loua d'avoir demandé cela: il se retourne à moi, et me dit: Écrivez cela[219].

Le 15, lundi.—Mme la princesse d'Orange, fille de feu M. l'amiral de Châtillon[220], revenant de Flandre, Août
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148 lui apporte des ouvrages de la Chine, à savoir: Un parquet de bois peint et doré par dedans, peint des feuillages, arbres, fruits et oiseaux du pays, sur de la toile qui lioit les ais de demi-pied; l'on s'en servoit comme de cabinet; elle donne à Madame de la vaisselle tissue de jonc et crépie par le dedans de laque, comme cire d'Espagne. Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, aimez-vous bien Mme la princesse d'Orange?»—Oui.—Je lui demande: «Comment l'aimez-vous?»—De tout mon cœur. Mme la princesse d'Orange en rougit et en pleura de joie. Je lui dis: «Monsieur, vous plaît-il que je l'écrive.»—Oui.—Mme de Brezolles lui avoit donné le matin de petites besognes de bois qui se font en Allemagne. A deux heures mené à la chapelle, au sermon du P. Coton, il écouta jusqu'à deux heures trois quarts; il s'ennuyoit sans dire mot, le Roi le fait emporter.

Le 16, mardi, à Saint-Germain.—Il fait porter son petit cabinet de la Chine, se met dedans; il se joue avec ses petits jouets d'Allemagne et d'argent. Mme de Montglat lui dit s'il vouloit pas écrire à Maman sa fille[221] pour M. de Mansan; il répond soudain, gaiement: Oui, Mamanga, allons équire; Taine[222], venez; moucheu Heoua, allons équire. Il s'assied en la tourelle, et a la patience entière d'écrire; je lui conduisois la main:

Maman ma fille, je vou pie de tou mon cœu de vouloi doné à Teine, que papa m'a preté pou me gadé, le droi seigneuriau de la terre de Morcourt; je vous en pie encore tes humblemen, et je vous feré seuice tes humble et toi peti sault de joie que j'en aurai, comme pou la pemiere chose don je vous ai piée. Je suis la dessu, Maman ma fille, vote tes humble seuiteu.—Daulphin.

Le 17, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, dites au P. Coton, je vous prie, de faire quelque chose Août
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149 pour le fils du grand Tetai[223]»—Non. Il refusoit de dire je vous prie, et après plusieurs refus il dit: Faites quelque chose pour le fils de grand Tetai, père Coton, s'il vous plaît; il avoit naturellement ces discrétions de parler et de commander à chacun des choses selon sa qualité. Mené à LL. MM., dîné avec eux; la Reine part pour s'en retourner à Paris; à six heures le Roi est parti. Il s'amuse à travailler avec un pinceau sur de la cire de Francisque, dit qu'il fait un modèle imitant ledit sieur Francisque[224], qu'il avoit vu travailler aux figures de cire qu'il faisoit pour jeter en fonte.

Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat me dit: «Je gage que Monsieur est plus savant que vous, qui ne savez pas des proverbes de Salomon.» Je dis qu'il n'en savoit point; soudain il va dire ce que Mme de Montglat lui avoit appris depuis son réveil: L'aumône préserve de la mort (premier proverbe de Salomon qu'il sut). M. Danorville, mon beau-frère, lui fait la révérence, lui demande s'il y a des tambours à sa compagnie, ayant su qu'il étoit gendarme.

Le 19, vendredi.—Il apprend un autre proverbe de Salomon: L'enfant sage réjouit le père; il s'amuse à crayonner de rouge, fait des figures d'oiseaux[225].

Le 22, lundi.—M. du Vair, premier président en Provence, le vient voir; il fait deux oiseaux fort reconnoissables, qui avoient le bec l'un contre l'autre; M. le président du Vair prit le papier pour le faire voir au Roi.

Le 23, mardi.—A souper il commande à Boileau et à Indret, qui jouoient entre la porte de la chambre et de la salle: Jouez le combat; c'étoit un ballet où il y avoit à darder les uns contre les autres, qu'il avoit autrefois Août
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150 vu danser à sa nourrice; il étoit comme transporté pour aller à cette danse.

Le 24 août, mercredi, à Saint-Germain.—MM. du Pons, premier consul de Montpellier, de Gasques et de Ferrier, députés vers le Roi par l'assemblée tenue à Châtellerault, le baron de Courtomer (de Normandie) portant la parole, viennent, avec lettre de M. de Rosny à Mme de Montglat, offrir leur service au Dauphin et donner assurance de leur fidélité.

Le 13 septembre, mardi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[226]; ma femme lui donne des petits chiens de verre et autres animaux faits à Nevers; je lui donne un suisse fait de poterie. A souper ma femme lui dit: «Monsieur, vous êtes friand, il pleuvra le jour de vos noces!» Il lui répond: Ho! je serai à couvert.

Le 15, jeudi.—Les milords North et Noris, anglois, jeunes, le viennent voir; il leur donne sa main à baiser; le milord North lui dit: «Monsieur, tous vos gendarmes sont allés en Périgord avec le Roi votre père à la guerre; quand vous y voudrez aller, nous serons vos gendarmes, nous irons devant vous;» ils lui baisent la main, et s'en vont.—Il se met à écrire avec son crayon, puis plie la lettre, me fait entortiller la soie; Mme de Montglat met la cire, lui le cachet, et il dit à M. Boquet: Boquet, allez-vous-en porter cette lettre à papa, à Orléans.—«Monsieur, dis-je, qu'y a-t-il dans la lettre?»—J'écris à papa qui me vienne voir bientôt.

Le 16, vendredi.—Il chante tout bas:

Bergeronette mamiette,
Bergeronette mon souci,

et montrant ma femme, qui étoit habillée d'un manteau de chambre, dit: La velà.

Le 17, samedi.—Il dit qu'il n'est pas puceau, pource Sept
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151 qu'il a couché avec doundoun quand Boquet[227] n'y étoit pas
.—Il donne de soi-même le mot à M. de Mansan: Saint Paul, après avoir été enhardi de ce faire par Mme de Montglat.

Le 18, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Champvallon lui apporte, de la part de M. de Lorraine, un mousquet dans un fourreau de velours vert et une bandoulière brodée d'or et d'argent, les charges d'or émaillé et la fourchette, qui étoit un dauphin; il en est tout transporté de joie. Là-dessus MM. d'Épernon viennent de Paris pour le voir; il leur montre son mousquet, les mène au cabinet de ses armes, les arme tous, les met en garde. Il étoit tout né aux fonctions de la guerre, tout viril, et je n'ai jamais reconnu en lui, pour si petit qu'il ait été, aucune foible et féminine action. M. le Chevalier lui dit, en lui montrant le chevalier d'Épernon[228], fils bâtard de M. d'Épernon: «Monsieur, voici le fils bâtard de M. d'Épernon, qui vient pour être votre page.»—Un bâtard, un bâtard être mon page! répète-t-il plusieurs fois avec véhémence et abomination. L'après-dînée je racontois ce qu'il avoit dit du chevalier bâtard de M. d'Épernon; il m'écoutoit froidement et sans en faire semblant, et tout à coup il me demande: Avez-vous écrit cela?

Le 19, lundi.—Il va en carrosse se promener sur la côte du Pecq, aux vignes d'un nommé La Fontaine, archer du corps, qui étoit en garde près de lui; il y apporte une petite serpe et un petit panier, se coupe deux grappes, les met en son panier. Il mange un gros morceau de pain bis; envoyé querir par Mlle de Vendôme chez le gros Maurice, au Pecq. Mme de Montglat me racontoit comme il avoit mangé du pain de M. Maurice; lui, qui écoutoit tout et faisoit profit de tout, l'accommodant aux occasions, dit: Il a de bon pain bis, Maurice; ce n'est pas le Sept
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152 comte Maurice, qui garde les Espagnols; c'est pas Flandres, c'est le Pecq.

Le 20 septembre, mardi.—Il se joue du bout des doigts sur les lèvres disant: Velà la basse; puis, élevant la voix, je dis: «Voilà la chanterelle.»—Non, c'est la moyenne. Il étoit vrai; chose merveilleuse d'avoir su reconnoître le ton et le nom de la corde; il pouvoit l'avoir appris, l'ayant ouï dire à Boileau ou Indret, ses joueurs de luth.

Le 27, mardi, à Saint-Germain.—Il se joue à jouer du bonnet de toile d'argent de Madame, le poussant comme un ballon. Il entend parler de faire chanter le Te Deum pour le jour de sa nativité[229], il le presse avec extrême impatience; il va à la chapelle, où il fut chanté par le curé et prêtres du village. Ramené, il voit tirer dans la cour des arquebusades et mousquetades, et dit, sans ciller la paupière, à M. de Mansan: «Taine, commandez-leur de tirer encore. A souper, il dit tout bas à Mme de Montglat: Mamanga, faites ôter la brayette qui est à mes chausses, maman me prendroit pour un suisse, maman penseroit que je n'aurois pas quatre ans.

Le 28, mercredi.—Mené à la chapelle où l'on porte le pain bénit pour le jour de sa nativité, il va à l'offrande, donne un demi-écu à son aumônier. M. l'abbé de Saint-Denis, Mme de Soisy assistent à son goûter; il danse la sarabande et la danse qu'il appelle le combat. La fille de Mme de Soisy dansoit la sarabande à la mode d'Espagne, il dit: Elle danse pas bien.

Le 29, jeudi.—Il caresse sa nourrice, la baise, se pend à son col; elle lui dit: «Monsieur, gardez de faire mal au petit enfant;» elle étoit enceinte. Le Dauphin demande: Est-il au col?—«Non, Monsieur, lui répond sa nourrice.» Je lui demande: «Monsieur, où est-il?»—Il est dans votre ventre, dit-il tout bas à l'oreille de sa nourrice.—«Monsieur, lui dis-je, par où est-il entré?»—Par Sept
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153 l'oreille.
—«Par où sortira-t-il?»—Par l'oreille[230].

Le 2 octobre, dimanche, à Saint-Germain.—Il descend à sept heures pour aller au-devant de la reine Marguerite, y va en la cour, puis elle le reconduit en haut jusques en sa chambre, où elle lui fait présent de deux livres de tailles-douces; il en étoit extrêmement amoureux[231]. A sept heures et demie elle s'en va pour aller coucher à Argenteuil; il la reconduit jusques à la porte de la salle, et, voyant qu'on portoit ses flambeaux plus outre pour lui éclairer, il se prend à crier: Je veux pas qu'on emporte mes flambeaux.

Le 4, mardi.—Il s'amuse à son livre des chasses; je lui montre[232] un cerf qui se grattoit l'oreille et un chasseur qui le tiroit de l'arc. M. de Gondi vient pour le voir; il lui montre son livre des chasses où étoient des chevaux tirés en taille-douce.

Le 6, jeudi.—Il vient à mon étude, et faisant apporter son livre des chasses, dit: Moucheu Heoua, montrez-moi ceux qui ont des lunettes, qui étoient dans son livre de tailles-douces, puis les faiseurs d'horloges, puis les distillateurs, s'informe de tout, des noms et de l'usage des choses, demande jusqu'à ce qu'il soit satisfait et ait appris. Je lui montre la planche où sont les vers à soie, celle où il y a l'empereur Justinien assis dans une chaise.—Mme de Montglat voyoit plusieurs pièces de drap de soie pour lui faire des habits, et lui demande: «Monsieur, laquelle est-ce que vous aimez le mieux?» Voyant la pièce de velours violet à fond d'or, il s'écrie: Ha! je veux celle-là, ce sont mes couleurs, il y a du bleu!

Oct
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Le 8, samedi, à Saint-Germain.—La remueuse du Dauphin racontoit du prince de Galles[233] qu'il aimoit Madame et qu'il avoit répondu au Roi son père que si on ne la lui vouloit pas donner qu'il feroit la guerre en France, en prendroit une partie et que pour avoir la paix on la lui donneroit; que le Roi répliquant qu'il vaudroit bien mieux l'avoir paisiblement, qu'il repartit qu'il vouloit premièrement faire parler de lui. Ceci avoit été raconté le soir précédent par Mlle de Villiers-Hotman, qui avoit soupé avec Mme de Montglat, comme l'ayant ouï dire elle-même en Angleterre, au roi d'Angleterre et au prince, et d'où elle étoit revenue depuis peu de jours. M. le Dauphin écoutoit tout ce que nous en disions sans en faire le semblant, comme il faisoit le plus souvent, et entendant parler que le prince de Galles vouloit faire la guerre, il dit: Hé! j'irai devant pour l'empêcher; puis il me demande froidement: Est-il seigneur, le prince de Galles?—«Oui, Monsieur, c'est le dauphin d'Angleterre qui aime Madame, et son papa envoyera vers le Roi votre papa pour le supplier de la lui donner en mariage; le voulez-vous pas bien?»—Non.—«Mais si papa le veut?»—Si papa le veut, je le veux bien; mais c'est le prince de Galles, il est donc galeux?—«Non, Monsieur, c'est le nom de sa qualité; Galles c'est un pays.»

Le 9, dimanche.—M. de Rouen[234], frère bâtard du Roi, porté en chaise à cause de sa goutte, le vient voir; il se joue aux bras de sa chaise à les faire branler.

Le 10, lundi.—Mme de Guise et Mme de Prouilly, sa fille, le viennent voir; il se joue à deux chapelets de corail de Mme de Guise: Velà, dit-il, des chapelets faits à la nouvelle Oct
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155 façon
; elle portoit un chapelet d'Italie à grains carrés; il y avoit des peintures dedans.

Le 11, mardi, à Saint-Germain.—Indret, son joueur de luth, revenoit de la foire de Saint-Denis et racontoit qu'il y avoit vu Mme Briant, marchande de draps de soie; il demande: Est-elle mercière?—«Non, Monsieur, elle est marchande de draps de soie, qui vous baille ces belles étoffes qu'il vous faut pour vous habiller.»—Pourquoi l'appelle-t-on Madame?—«Monsieur, on les appelle ainsi à Paris[235].» Il s'amuse à des petites pièces de ménage de plomb portées de Saint-Denis.

Le 12, mercredi.—Il se joue à des petits jouets et à un petit cabinet d'Allemagne, fait d'ébène, baisse et rebaisse le couvercle, l'ouvre et le ferme à la clef.—A une heure arrive l'ambassadeur de Venise, qui s'en retournoit; il lui souhaite que l'on puisse le voir un jour en Italie, la lance sur la cuisse, avec une armée de cinquante mille hommes. Le Dauphin va sur la terrasse de la salle, pour voir l'éclipse de soleil dans une chaudière pleine d'eau; l'ambassadeur y étoit présent.

Le 13, jeudi.—Marin, nain de la Reine, arrive; le Dauphin danse, joue du violon et chante tout à la fois, se jouant à Marin et courant après lui.

Le 14, vendredi.—Le P. Gontier, jésuite, revenant du Caire, assiste à son dîner; il écoute en s'amusant l'exhortation du P. Gontier sur le Domine, da judicium Regi et filio Regis justitiam.

Le 17, lundi.—Il voit M. Guérin qui avoit pris du tour d'une boîte de sapin et en avoit fait deux cercles mis en croix: Velà, dit-il, le monde. Je lui demande: «Monsieur, qui vous a dit cela?»—Personne.—«Monsieur, le monde est-il pas quarré?»—Non, il est rond.—«Qui le Oct
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156 vous a dit?»—Personne. Il vient en ma chambre, puis en mon étude, où il écrit au Roi pour le supplier de faire donner à sa compagnie une autre garnison que Provins:

Papa, tous les apothécaires de Provins sont venus à moi pour me prier de vous supplier très-humblement, comme je fais, de donner à ma compagnie une autre garnison, car mes gendarmes aiment bien la conserve de roses, et j'ai peur qu'ils ne la mangent toute, et je n'en aurois plus. J'en mange tous les soirs quand je me couche, et je prie bien Dieu pour vous et qu'il vous fasse venir bientôt, et à moi la grâce de vous pouvoir faire très-humble service. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.

Quand il eut écrit la lettre du Roi, moi lui tenant la main[236], il me commanda de la lire, et l'ayant lue: «Monsieur, dis-je, est-elle bien?»—Oui.—Il va en la chambre où est né le feu roi Charles[237], où Mme de Montglat faisoit de la confiture de coings.

Le 19, mercredi.—Il vient en ma chambre et à mon étude; je lui conduis la main pour écrire à la Reine cette lettre, portée le lendemain par M. de Mansan:

Maman, j'ai bien envie de vous voir et de baiser mon petit frère d'Orléans[238], et si vous ne venez bientôt, je prendrai mon pourpoint blanc et mes chausses et mes bottes, puis je monterai sur mon petit chevau, et je m'en irai, patata, patata. Maman, je partirai demain bon matin, de peur des mouches; maman, l'on m'a dit que vous m'avez apporté queuque chose de beau, je le voudrois bien voir. Venez donc, ma bonne maman, il fait si beau, et vous me trouverez bien gentil, et ce pendant je suis, maman, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.—Daulphin.

Mené au Pecq, passé le bac, mené à la garenne. Il y avoit trois ou quatre pauvres Irlandois et Irlandoises mendiants; on le lui dit, il les voit; le voilà le visage tout de feu de colère: Qu'on les fasse sortir. Ils sortent; on lui dit: «Monsieur, ce sont de pauvres petits Irlandois Oct
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157 qui demandent l'aumône»; il revient à soi, et la leur fait donner.

Le 20, jeudi, à Saint-Germain.—Il me dit: Allez querir votre livre jaune. Je lui demande: Est-ce celui où il y a un Roi qui prie Dieu».—Oui.—«C'est un livre qui a été au feu Roi[239], où il prioit Dieu.»—Au feu Roi?—«Oui, Monsieur.»—Où l'avez-vous eu?—«Monsieur, je l'ai eu à Tours.»

Le 21, vendredi.—Il vient en ma chambre, et dit: Je veux écrire à papa; c'étoit par M. le baron du Tour[240]; Madame aussi écrit sa première lettre à la Reine.

Le 23, dimanche.—Mené au bâtiment neuf y attendre la Reine, il court en la galerie, aide à faire le lit de la Reine; la Reine ne venant point, il est ramené en sa chambre, où M. de Châteauvieux[241] lui baise les mains; et comme il s'en retournoit, Mme de Montglat le fait conduire et éclairer avec un flambeau; il court après, et crie: Mon flambeau, qu'on le rapporte? La Reine arrive à six heures et demie.

Le 24, lundi.—M. de Vic, l'ambassadeur, lui donne l'histoire de Matthieu[242], de la part de l'auteur. A dix heures, mené au bâtiment neuf, à la Reine, qui étoit encore au lit; il s'amuse près de la Reine à son habiller, puis à onze heures et demie va à la messe avec elle; dîné avec la Reine.

Le 25, mardi.—Mené à la Reine au bâtiment neuf, il court en la galerie, va le long des lambris, feignant de cueillir des raisins qui y sont en peinture. Le sieur Alphonso Taxis, revenant d'Angleterre ambassadeur, baise Oct
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158 la robe de la Reine et se couvre, puis baise la main de M. le Dauphin, qui lui demande des nouvelles de l'Infante et dit: Apportez-moi son portrait.—L'on parloit que son baptême se feroit au mois de mai; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, comment voulez-vous que l'on vous nomme?»—Henry. Je lui demande pourquoi.—Papa s'appelle ainsi; je ne veux pas avoir nom Louis.

Le 26 octobre, mercredi.—La Reine lui donne son petit coffret d'argent, où elle mettoit ses pendants d'oreille; M. de Courtenvaux, revenant de Flandres, lui donne un pistolet. Il se joue, tenant un portrait du Roi fait en cire, dans une boîte d'ivoire, et dit: C'est papa. Mlle de Vendôme lui dit: «C'est aussi mon papa.»—Non, c'est pas votre papa. Il va en la chambre de Madame, où il écoute fort attentivement M. de Cressy lisant l'histoire de Matthieu, fait taire ceux qui faisoient du bruit.

Le 27, jeudi.—La Reine part à deux heures et demie; il va sur la terrasse de Neptune, d'où il lui voit passer le bac.

Le 28, vendredi.—Il s'amuse à travailler sur de la cire comme il avoit vu faire au sieur Jehan Paulo[243].

Le 3 novembre, jeudi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris[244], il court au-devant de moi, me saute au collet, m'embrasse par deux fois; je lui donne un petit lion de poterie et ma femme un homme de poterie.

Le 5, samedi.—Montaigne, chevaucheur d'écurie, arrive de la part du Roi, avec lettre portant commandement exprès de faire, la lettre vue, loger M. le Dauphin au bâtiment neuf pour causes contenues dans la lettre[245]; il en est si aise qu'il fait lui-même déménager, trousser son lit; il commande et a le soin de tout.

Nov
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Le 9, mercredi, à Saint-Germain.—Mme la marquise de Verneuil arrive au vieux château[246].

Le 10, jeudi.—Il se fait entretenir par Mlle Piolant de petits contes.

Le 12, samedi.—M. de Verneuil revenoit de voir Mme la marquise sa mère au vieux château[247]; il lui demande: D'où venez-vous?—«Mon maître, je viens de voir maman mignonne.»—C'est la vôtre, pas la mienne.

Le 13, dimanche.—Il faisoit le fâcheux; l'on fait abaisser une poignée de verges attachée à une ficelle, sous la cheminée; l'on lui faisoit croire que c'étoit un ange qui les portoit du ciel.

Le 14, lundi.—Il va en la chambre de sa nourrice, où il épluche de l'oseille et du persil pour le potage de M. Girard.

Le 15, mardi.—Sa première nourrice le vient voir; il lui donne sa main, ne la veut point baiser ne accoler.—Mené au Pecq et passé l'eau pour voir dans un grand bateau un animal porté du Canada par M. de Monts[248], Nov
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160 de la grandeur d'un élan. Il y avoit une petite barque faite à la mode du pays, avec du jonc, et couverte d'écorce d'arbre, teinte de rouge, faite en façon de gondole et ayant les avirons du bois du pays; trois mariniers la firent voguer devant lui d'une incroyable vitesse.

Le 17, jeudi.—Il écrit au Roi en ma chambre:

Papa, je suis bien aise de ce que M. de Saint-Aubin m'a dit que vous vous portez bien et que vous êtes à Paris, pour ce que je pense d'avoir bientôt l'honneur de vous voir et de vous baiser la main. Si j'étois bien grand je vous irois voir à Paris, car j'en ai bien envie. Hé! papa, je vous supplie très-humblement, venez me voir, et vous verrez que je suis bien sage. Il n'y a que Madame d'opiniâtre, je le suis plus. Ma plume est bien pesante. Je vous baise très-humblement les mains. Je suis, papa, votre très-humble et très-obeissant fils et serviteur.—Daulphin.

Le 18, vendredi.—Il retourne au château vieux.

Le 19, samedi.—Il se prend à chanter la chanson dont il se faisoit endormir:

Bourbon l'a tant aimée
Qu'à la fin l'engrossa,
Vive la fleur de lis....[249]

A la chanson il y a le sang royal, mais il ne vouloit pas que l'on dît ainsi, oui bien la fleur de lis. On lui demande: «Pourquoi voulez-vous que l'on dise la fleur de lis et non pas le sang royal?» Il répond soudain: Pour ce que ce sont les armoiries à papa, mon frère d'Orléans en aura des fleurs de lis.—«Oui, dis-je, Monsieur, mais il y aura des lambeaux[250].» Il fait dire à Mme de Montglat des proverbes de Salomon, elle en dit plusieurs; entre tous Nov
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161 il trouva celui-ci le plus beau: «L'homme est heureux qui a trouvé une femme vertueuse;» il le lui fait redire souvent.

Le 20, dimanche, à Saint-Germain.—Le Roi arrive au vieil château à cinq heures et demie, revenant du Limousin; il fait tout ce qu'il peut pour donner plaisir au Roi. Le Roi va voir Mlle de Vendôme, puis Mlle de Verneuil.

Le 21, lundi.—A dix heures mené au bâtiment neuf, au lever de la Reine. Mené au jardin où étoit le Roi, le Roi lui dit qu'il avoit été prisonnier dans le château il y avoit plus de vingt-cinq ans[251], et ajoute: «Je vous veux faire mettre en prison là dedans.»—Ho! dit le Dauphin, je romprai la porte. Le Roi lui demande: «Que ferez-vous après?»—Je passerai, dit-il, par la cheminée, je me sauverai sans me blesser, et il se met entre les jambes de Mme de Montglat. Le Roi lui dit: «Voilà le fils de Mme de Montglat, la voilà qui en accouche»; il part soudain, et se va mettre entre les jambes de la Reine et s'enveloppe de son manteau si fort qu'il ne montroit que la plume de son chapeau.—Après souper il se joue avec M. de Vendôme et M. le Chevalier; M. le Dauphin dit qu'il étoit fils du Roi. «Et moi aussi, dit M. de Vendôme.»—Vous!—«Oui, Monsieur, ne m'appelez-vous pas votre féfé?»—Ho! ho! mais vous n'avez pas été dans le ventre à maman comme moi! Qui est votre maman?—«Monsieur, c'étoit madame la duchesse de Beaufort.»—Duchesse de Beaufort, est-elle morte?—«Elle est bien loin si elle court toujours,» dit M. le Chevalier[252].

Le 22, mardi.—A onze heures il se fait lever, les yeux pleurant de rhume, entoussé; il est vêtu de sa robe de chambre fourrée, incarnat. Le Roi l'envoie querir, il Nov
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162 y est conduit avec sa robe. M. de Rosny le vient voir, il l'embrasse, instruit[253].

Le 23, mercredi.—Il chante avec sa nourrice:

Qui veut ouïr chanson:
La fille au roi Louis,
Bourbon l'a tant aimée
Qu'à la fin l'engrossit.
Vive la fleur de lis.

Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures le Roi le vient voir, le trouve bandant son pistolet; le Roi déjeûne auprès de lui, s'en va chez Madame, et de là à la chasse. A deux heures mené chez la Reine.

Le 25, vendredi.—Mené au château neuf, il s'amuse dans la chambre de la Reine, puis va à la galerie, tire et puis se fait tirer dans le petit carrosse; le bras du carrosse se rompt; il envoie querir le menuisier, lui-même y travaille, puis il se fait remettre dedans et se fait rouler. Il bâille plusieurs fois, le visage lui blêmit; il dit à Mme de Montglat qu'il se trouve mal, se prend à pleurer[254]. L'on le met à bas pour l'emmener; le Roi entre en la galerie pour le voir, et dès qu'il le voit: «Vous avez pleuré, dit-il, je vois bien.» M. le Dauphin s'arrête, s'étonne; toutefois, voyant M. de Verneuil être allé au devant du Roi, il y court et l'embrasse. Le Roi le reprend sur ces larmes, lui demande pourquoi il pleure et ce qu'il veut: Je veux aller en ma chambre, papa. Le Roi se fâche de cette réponse, lui demande pourquoi: Pource que j'ai froid.—«Ha! voilà une menterie! vous êtes un menteur! Que l'on le mène en sa chambre, vous verrez qu'il se jouera.» Il s'en fâche, lui permet de s'en aller; le Dauphin, ramené, ne veut point aller en carrosse; il étoit saisi de l'appréhension de la colère du Roi. Mené en sa chambre, il ne fait que se plaindre et pleurer; M. de Verneuil Nov
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163 le vient voir et, raillant, lui dit qu'il avoit dîné avec le Roi.—C'est pource que papa vous l'a dit, lui répond-il brusquement.

Le 27 novembre, dimanche.—Mené en carrosse chez le Roi, fort gentil. Mme la princesse de Conty se jouoit à lui, l'appelant: «Mon père grand, mon bisaïeul, mon cousin;» il disoit Non à tout. «Comment voulez-vous que je vous appelle?»—Moucheu Dauphin.

Le 28, lundi.—Mené en carrosse au Roi, qu'il rencontre sur le pavé allant à la chasse; le Roi descend de cheval, le baise dans le carrosse, et lui dit qu'il allât trouver maman pour la réjouir; il va chez la Reine.

Le 29, mardi.—A huit heures et demie le Roi arrive en sa chambre, y déjeûne; le Dauphin se fait asseoir à table avec le Roi, qui lui donne une petite beurrée puis une rôtie sèche, de celles qui avoient été faites pour le Roi à prendre de l'hypocras. M. de Crillon arrive; le Roi demande au Dauphin: «Qui est celui-là?»—Le fou.—M. de Crillon lui dit brusquement s'il vouloit qu'il battît M. de Souvré.—Non.—«Si je ne le bats point, m'aimerez-vous?»—Oui. Le Dauphin ne peut laisser aller le Roi, il le conduit de chambre en chambre; le Roi s'en va à neuf heures et demie de la chambre de Mlle de Vendôme.

Le 30, mercredi.—Le Roi part à six heures pour aller à Paris; dîné avec la Reine; à deux heures elle part pour s'en retourner à Paris.

Le 3 décembre, samedi, à Saint-Germain.—La reine Marguerite le vient voir; il se joue à elle, puis entre en mauvaise humeur, se va cacher à la ruelle du lit, regardant Mme de Montglat, et disant tout bas: C'est pas une Reine.

Le 13, mardi.—En soupant, Mme de Montglat tançoit Saunier, cuisinier de son commun[255], et, le menaçant de Déc
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164 la prison, commandoit au sieur Dupré, exempt, de le y mettre; ce pendant le Dauphin ne mangeoit point, écoutoit; les grosses larmes lui sortent des yeux, tombant sur lui, sans dire mot, ému de compassion. Mme de Montglat, l'apercevant, lui dit: «Non, Monsieur, il ne y ira point en prison; qu'il vous demande pardon.»—Non, Mamanga, c'est à vous; dites à Dupré qu'il ne le mène pas en prison, bien haut; elle l'ayant dit: Dupré, Mamanga l'a dit bien haut.

Le 14, mercredi.—J'arrive[256], il court à moi, me saute au col, me serre; il en fait autant à ma femme. Je lui apporte un cheval et une carte gallicane de Thevet, il s'amuse à la carte avec transport. «Voilà M. le Dauphin,» lui dit-on en lui montrant le côté des Flandres.—C'est moi qui bat les Espagnols, répondit-il.

Le 15, jeudi.—Il se fait faire des contes du Compère Renard, du mauvais riche et du Lazare par sa nourrice. Je lui attache la carte gallicane de Thevet, que je lui avois apportée, contre la tapisserie; on lui montre Provins; il y porte la main en disant: Mangeons de la conserve[257].

Le 16, vendredi.—Il s'amuse à ouvrir et refermer un cadenas à lettres[258].

Le 19, lundi.—Il fait chanter des Noëls à son huissier de salle, qui les avoit faits, surtout celui où il y avoit: «Couronne de lauriers.» L'huissier le lui donne par écrit; il ne veut plus manger, d'impatience de le lire et de l'apprendre.

Le 20, mardi.—Il se fait lever puis recoucher plein Déc
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165 de mélancolie et sans sujet, contre son naturel. Il sembloit avoir du ressentiment du danger de la vie où, le jour précédent, le Roi se trouva, environ les quatre heures, sur le Pont-Neuf, revenant de la chasse, par...........[259] qui se jeta sur lui, l'assaillant d'un poignard. Sur les dix à onze heures l'on en fut averti; on lui dit qu'une bête avoit voulu faire du mal à papa étant à la chasse; les larmes lui en vinrent aux yeux avec une grande tristesse. A huit heures et demie, dévêtu, mis au lit; l'on parloit de celui qui le jour précédent avoit voulu tuer le Roi; on disoit que c'étoit un fol; il dit: On le fera tourner sur une roue, puis par des chevaux qui tireront une charrette.

Le 25, dimanche, à Saint-Germain.—Il s'amuse à mettre un de ses carreaux blancs dans une taie d'oreiller, le met sur son col, comme son lavandier faisoit le linge sale, dit qu'il porte un opiniâtre pour le mettre à la lessive, puis prend un carreau[260] et le porte sur le bras, l'autre sur le col, disant: J'en porte encore un autre, c'est un opiniâtre qui est vert.—«Oui, Monsieur, lui dis-je, l'autre est blême.»—C'est pource qu'il est mort. Il se fait, en goûtant, entretenir par M. de Verneuil, qui avoit de jolies inventions pour le faire rire; il en rioit, encore qu'il ne fût point rieur de son naturel.

Le 28, mercredi.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, papa vous viendra voir aujourd'hui, l'embrasserez-vous pas bien en lui disant que vous avez remercié Dieu de ce qu'il l'a gardé de ce méchant homme qui l'a voulu tuer?»—Oui, Mamanga, il est en prison; c'est qu'il est fou, et papa lui a pardonné. Il va sur la terrasse de sa chambre pour voir décharger les mulets de la chambre du Roi; à quatre heures un quart, le Roi, revenant de Déc
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166 Paris, il lui saute au col, le serre, le conduit au grand cabinet. Madame disoit ses quatrains au Roi et tout ce qu'elle savoit; M. le Dauphin lui dit ses proverbes; MM. de Verneuil y étoient; ils donnent le plaisir au Roi de ramasser des sols qu'il leur jetoit à terre; M. le Dauphin rapportoit au Roi ceux qu'il avoit ramassés; il n'aimoit point l'argent. Le Roi vient en sa chambre; il l'entretient de tout ce qu'il peut; le Roi sommeilloit, et lui demande: «Mon fils, voulez-vous bien que je me couche sur votre lit?»—Oui, papa, dit-il gaiement; il conduit le Roi jusques au lit, et de soi-même tira le rideau comme il fut couché.

Le 29, jeudi.—Dîné avec le Roi; le Roi se joue avec lui, et, en la chambre, le Roi demande à M. de Verneuil s'il vouloit pas aller en poste à Paris avec lui.—Non, je veux pas, dit M. le Dauphin. «—Comment, dit le Roi, savez-vous pas que suis le maître?»—Oui, papa, passez, allez, dit-il à M. de Verneuil, le prenant par la manche, et moi aussi papa. Il reconnoît et fait tout ce qu'il peut pour complaire au Roi, et le va conduire jusques à la cour, d'où il part à une heure après midi.

Le 30 décembre, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat le fait jouer au hère; ce fut la première fois qu'il joua aux cartes.

ANNÉE 1606.

Étrennes du Dauphin.—Souvenir de Fontainebleau.—Étrennes données par la Reine, remerciement du Dauphin.—Lettre au fils de Mme de Montglat.—Lettre du prince de Galles.—Présent du duc de Lorraine.—Le Roi et la comtesse de Moret à Saint-Germain.—Les piques de Biscaye.—Utilité du journal d'Héroard.—Comment dînent les laquais.—Habitude du Roi.—Chanson turque.—Parcimonie dans laquelle est élevé le Dauphin.—Naissance de Madame Christine.—Détail sur la mort de Henri III.—La géographie de Mérula.—Le Roi à Saint-Germain.—Le duc de Bouillon.—Premier enfant tenu sur les fonts de baptême.—Donation de la reine Marguerite au Dauphin.—Départ pour Paris.—Visite à la reine Marguerite.—Départ du Roi pour le siége de Sedan.—La chapelle de Bourbon.—Visite à l'Arsenal et à la Bastille; M. de Rosny, le comte d'Auvergne.—Visite au Palais de Justice.—Lettre au Roi.—Retour à Saint-Germain.—Précautions pour la sûreté du Dauphin.—La Castramétation de du Choul.—M. de Crillon.—Le feu de joie de la paix.—La nourrice de Charles IX.—Inclination aux mécaniques.—Modèle du château neuf de Saint-Germain.—Habitude du Roi.—La belle Corisande.—Le Roi et M. de Bouillon.—Goût du Roi pour l'ail.—Jalousie et opiniâtreté du Dauphin; sa sensibilité.—Premier coup de feu.—Mœurs singulières.—Députation d'un régiment suisse.—Portrait du Dauphin peint par Martin.—Visite de la reine Marguerite.—Le Dauphin amoureux; encouragements et exemples qu'on lui donne.—Le connétable de Montmorency.—La belle Gillette.—Le cardinal de Joyeuse.—Produit de la verrerie de Saint-Germain des Prés.—Le marquis de Rainel.—Le Roi et son fils.—Accident du bac de Neuilly.—Prière du Dauphin.—Le président Groulard et les députés de Normandie.—Paroles honteuses.—Le soldat Descluseaux.—Le Dauphin logé au château neuf.—Hommage des députés d'Auvergne.—Les écus de M. de Sully; avidité de l'entourage du Dauphin.—Maladies épidémiques; vision d'une sentinelle.—L'hiver en été.—Habitude du Roi.—Précautions de salubrité.—Le Roi et le prince de Mantoue.—M. de Saint-Aubin-Montglat.—La Reine et la duchesse de Mantoue.—Jalousie du Dauphin.—Portrait du Dauphin par Francesco.—L'abbé de Saint-Germain.—Le cardinal de Joyeuse.—Répugnance du Dauphin à demander.—Départ de Saint-Germain pour le baptême.—Le prisonnier de Chilly.—Les portraits de M. de Beaulieu.—Baptême du Dauphin à Fontainebleau.—Présent de M. de 168 Lorraine.—Feu d'artifice.—La verrerie de Fontainebleau.—Séjour à Cély.—Lettres au Roi.—Le canal de Fleury.—Détail d'étiquette.—Mœurs des laquais de Fontainebleau.—Le Dauphin entre dans sa sixième année.—Avidité de Mme de Montglat.—Ange Cappel.—Songe du Dauphin.—Les pages de la chambre; Racan.—Bons mots du Dauphin; son respect pour la vieillesse.—Visite à la comtesse de Moret.—Le peintre Le Blond.—La mule de M. de Roquelaure.—Jeux du Dauphin.—Les députés du Dauphiné.—Dispositions pour la chasse.—M. et Mme de Rosny.—Combat de dogues, d'ours et de taureau.—Engoulevent; répugnance du Dauphin pour les bouffons.—Mariage du prince d'Orange.—Ballet du Dauphin.—Reparties à MM. de Roquelaure et de Bassompierre.—Guerre contre la princesse d'Orange.—La petite Panjas.—Familiarité avec les soldats.—Le comte de la Roche.—Superstition d'Héroard.—Jouets de poterie.—Buffet de François Ier.—Goût pour le dessin; première leçon donnée par Fréminet.—Portrait du Dauphin par Fréminet.—Amour et attentions d'Héroard pour le Dauphin.

Le 1er janvier, dimanche, à Saint-Germain.—Vêtu de son manteau, coiffé, peigné paisiblement pour ce qu'on lui dit qu'il ne falloit pas faire l'opiniâtre le premier jour de l'année, de peur de l'être toute l'année. Il tient le manchon de Mme de Montglat, et s'en va à chacun, l'en frappant gaiement et souriant en disant: Tenez, velà vos étrennes, et comme honteux de n'avoir aucune chose à donner à ceux qui lui demandoient. On lui apporte du ruban bleu; il en donne à plusieurs pour étrennes.

Le 2, lundi.—Il promet à M. de Cressy de le faire un jour chevalier de l'Ordre, lui ayant donné le jour précédent le cordon bleu.—Il reçoit par M. Bragelogne, commis de M. Phélypeaux, trésorier de l'Épargne, une bourse de jetons d'argent à la devise d'un temple de Janus avec cette lettre: Clusi cavete, recludam.

Le 3, mardi.—Il chante: Quand le bon homme vécut de son labourage, etc. Il dit à M. de Ventelet: Tetai, contez-moi du grand homme qui a du feu autour de lui, qui est à Fontainebleau.—«Monsieur, je ne sais qui est cet homme-là.»—C'est ce grand homme qui est à la salle.—«En quelle salle?»—A la salle qui est auprès du Jacquemart. C'étoit l'élément du feu, qui étoit à la salle du bal.

Le 5, jeudi.—Son huissier de salle se prit à crier: le Janv
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169 Roi boit
, il lâche soudain la coupe, disant: Non, je veux pas, et l'en reprit par deux fois. Je lui dis: «Monsieur, voulez-vous pas que l'on crie le Roi boit quand vous buvez?»—Non; quand je serai le Roi.

Le 7, samedi, à Saint-Germain.—La Reine lui envoie pour étrennes une montre d'horloge et une paire de petits couteaux; il s'en va à la chambre de Mme de Montglat, écrit à la Reine, la remerciant de ses belles étrennes, et disant qu'il regarderoit bien souvent à sa montre d'horloge pour savoir les heures qu'il faudroit poser les sentinelles et qu'il les éveilleroit, les piquant dans les cheveux avec ses petits couteaux, s'il les trouvoit endormis.—Il se joue avec Bompar, son page, qui prenoit Madame prisonnière; il dit que c'est le grand dragon qui prend Andromède, et lui Perséus, qui tue le dragon.

Le 8, dimanche.—Il aide à faire son lit comme s'il eût été le garçon de la chambre[261], veut seul porter et rapporter toutes les pièces, sur sa tête ou sur son épaule.—Mme de Montglat le fait écrire à son fils:

Petit Montglat, voyez de ma part monsieur le grand-duc, mon oncle, et madame la grande-duchesse, ma tante, et leur dites que je leur baise très-humblement les mains et que je suis leur très-humble serviteur. Venez-moi servir à mon baptême et amenez-moi un beau cheval pour courir la bague, et soyez bien sage, et je serai votre bon petit maître. Adieu, petit Montglat. Votre bon petit maître,

Daulphin.

Le 9, lundi.—Il va à la salle du bal, danse toutes sortes de danses; on en rit de le voir si joliment faire, il cesse la danse incontinent, fâché, et dit: Je veux pas qu'on rie, je veux pas donner du plaisir, et ne voulut plus danser.

Le 10, mardi.—Il vient des violons de la noce d'un Janv
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170 de ses cuisiniers; il leur commande de jouer, et les écoute si attentivement qu'il demeuroit immobile. M. Birat, pour le faire jouer, lui dit: «Monsieur, ce matin il est venu en ma chambre une bête si grande, si grande.» Il lui demanda en souriant: Étoit-elle plus grande que vous? A dîner on fait le conte ci-dessus mis de M. Birat; il se retourne en souriant, et me demande: L'avez-vous mis en votre registre?

Le 12, jeudi.—Le sieur Thomas Parry, ancien ambassadeur d'Angleterre, lequel conduisoit le sieur Georges Kerry, ambassadeur demeurant en sa place, présente à M. le Dauphin une lettre de la part de M. le prince de Galles, disant, lui ayant tous deux baisé la main, que, venant prendre congé de lui et lui amenant celui qui entroit en sa place pour lui baiser bien humblement les mains, il avoit aussi charge de lui présenter une lettre de M. le prince de Galles. Il la prend, et ne voulut jamais entendre à autre chose qu'ayant lui-même rompu le cachet, il n'eût vu ce qui étoit dedans. On lui demande qui il vouloit qui lui lût la lettre, il répond: Je veux que ce soit moucheu Hérouard. Il me la baille, et en présence des ambassadeurs, de M. de Souvré, qui les étoit venu conduire, je la lus. En voici la teneur, écrite et signée de sa main, et, ce dit-on, de sa façon, le roi d'Angleterre n'ayant pas voulu qu'un autre que lui y mît la main, disant qu'il avoit demeuré assez longtemps à l'école pour la savoir faire, et toutefois que le Roi son frère et non autre repassât dessus [sic]:

Monsieur et frère, ayant entendu que vous commenciez monter à cheval, j'ai creu que vous auriez pour aggréable une meute de petits chiens que je vous envoie pour tesmoigner le desir que j'ay que nous puissions suyvre les traces des Rois noz pères comme en entière et ferme amitié; aussi en ceste sorte d'honneste et louable recreation j'ay supplié le comte de Beaumont, qui retourne par delà, remercier en mon nom le Roy vostre père, et vous aussi, de tant de courtoisies et obligations dont je me sens surchargé, et vous déclarer combien de pouuoir vous avés sur moy, et combien je suis desireux rencontrer Janv
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171 quelque bonne occasion pour monstrer la promptitude de mon affection à vous seruir, et pour ce me remettant à luy, je prie Dieu,

Monsieur et frère, vous donner en santé longue et heureuse vie.

Vostre très-affectionné frère et seruiteur,

Henry.

A Richmond, le 25 d'octobre 1605.

A Monsieur et frère Monsieur le Dauphin.

Le 13, vendredi, à Saint-Germain.—A deux heures la marquise de Verneuil s'en retourne[262].

Le 16, lundi.—Il s'amuse à voir travailler les maçons qui raccoustroient son âtre, est toujours parmi eux; il arrive un joueur de musette poitevin; il l'écoute assez longtemps, attentivement et comme immobile, puis dit tout à coup: Qu'il s'en aille, allez jouer à la grande salle.

Le 17, mardi.—Il vient en ma chambre, où il demande le livre des oiseaux, puis me demande son livre rouge; c'étoit l'histoire de la paix de Matthieu, donné par M. de Vic, ambassadeur, de la part de l'auteur; il le remporte lui-même en sa chambre.

Le 18, mercredi.—Je lui dis qu'il iroit au-devant de papa, au bâtiment neuf; il répond: Ho! ho! je veux pas aller au bâtiment neuf, il tombe tout; quand la gelée viendra tout tombera; il en avoit ouï parler entre nous; il écoutoit tout, et tout ce qu'il entendoit lui demeuroit en l'entendement. A onze heures mené au-devant du Roi sur les terrasses, il le rencontre à la descente qui va au Neptune; le Roi descend de cheval, le baise, l'embrasse. Ramené au vieux château et dîné avec le Roi, à midi.—M. de Lorme, premier médecin de la Reine, baise les mains au Dauphin de la part de M. de Lorraine, avec Janv
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172 commandement de lui dire qu'il lui faisoit faire deux canons; il demande: Sont-ils grands?

Le 19, jeudi, à Saint-Germain.—Il va chez le Roi, qui le mène au jardin; dîné avec le Roi.—M. de Loménie lui donne un petit gentilhomme fort bien habillé d'un collet parfumé, enrichi de broderie d'or, les chausses à bande de même; il le peigne, et dit: Je le veux marier à la poupée de Madame.—Mené chez Mme la comtesse de Moret, où il se piqua un peu au bout du doigt, en coupant des cartes avec les ciseaux de Mme de Montglat.

Le 20, vendredi.—Mené au Roi, et, à neuf heures, déjeûné avec lui; il se fait porter aux fenêtres où le Roi étoit allé pour voir courir un lièvre devant la meute des chiens courants que le prince de Galles avoit envoyée à M. le Dauphin. Le Roi part pour aller à la chasse.—Un honnête homme donna quatre piques de Biscaye, non ferrées, au Roi; le Roi en donne trois à M. le Dauphin, lui disant: «Il y en a une pour vous, donnez-en une à féfé Chevalier et l'autre à féfé Verneuil.» Étant en sa chambre, M. de Souvré lui dit: «Monsieur, je m'en vais à Paris; me voulez-vous commander quelque chose?»—Faites-moi accommoder ma pique.—«Monsieur, comment? Voulez-vous qu'elle pique, qu'elle tue, qu'elle égratigne? Comment la voulez-vous?»—Je veux pas que la mienne tue, mais je veux qu'elle pique, et je veux pas que celles de féfé Chevalier et de féfé Vaneuil tuent, et qu'elles ne piquent, et qu'elles n'égratignent; mettez y un clou au bout.—Le Roi revient de la chasse, le Dauphin se trouve à son dîner, fort gentil, obéissant, craignant et respectueux du Roi. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à deux heures trois quarts.

Le 22, dimanche.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, voyez que Madame a les cheveux beaux et blonds pour ce qu'elle se laisse bien peigner;» il répond: Les noirs sont les plus beaux, puis me dit: Allez, allez écrire en votre registre ce que j'ai dit de mes cheveux.

Janv
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173

Le 23, lundi.—Il me demande: D'où venez-vous?—«Monsieur, je viens de mon étude.»—Quoi faire?—«Monsieur, je viens d'écrire en mon registre.»—Quoi?—«Monsieur, j'étois prêt à écrire que vous avez été opiniâtre.» Il me dit, à demi pleurant: Ne l'écrivez pas.—On le divertit avec son petit ménage d'argent; il y avoit deux petits chandeliers et de la petite bougie blanche dont on se sert aux offrandes; ma femme l'alluma. Il la prend soudain, la souffle, l'éteint, disant: Ho! non, elle s'useroit, faisant en cela ce qu'il voyoit faire et oyoit dire[263].

Le 24, mardi, à Saint-Germain.—Il dit des proverbes de Salomon abrégés, entre autres celui, dit-il, que j'aime tant: L'homme est heureux qui rencontre une femme vertueuse; il dit trois quatrains de Pibrac.

Le 25, mercredi.—Le savoyard[264] de M. de Verneuil traversoit sa chambre d'une porte à l'autre; il lui demande: Où allez-vous?—«Monsieur, à la chambre de M. de Verneuil.»—Retournez-vous-en par là, ma chambre est pas un passage.

Le 26, jeudi.—Madame voulant dîner debout et ne s'asseoir pas, il dit: La velà qui veut dîner en laquais.

Le 27, vendredi.—Il se fait armer de ses armes dorées, vient à ma chambre, demande à voir le lion; c'étoit au livre de Gesner.

Le 28, samedi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme, s'avise qu'il n'y avoit point de poutres au plancher et demande: Hé! pourquoi n'y-a-t'il point de poutres comme à ma chambre? A dîner il mange une côtelette rissolée. Il épluchoit le rissolé; je lui dis: «Monsieur, vous ne mangez que ce qui vous fera devenir colère[265].»—Papa Janv
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174 le mange bien.
Il disoit vrai, et étoit grand imitateur des actions du Roi. Il nettoyoit ses gencives avec le doigt, je lui dis: «Monsieur, il les faut nettoyer avec la langue.»—Mais ma langue n'est pas assez longue, j'y tâche, mais je ne saurois.

Le 29 janvier, dimanche.—Il chante:

Guillaume, Guillaume.
Ho! pauvre Guillaume,
Te lairras-tu mourir?

puis ce qu'il avoit appris il y avoit plus d'un an du petit Turc de M. de Vendôme; Houja Criaqué, Chinchin Criaqué, Pista, christa Criaqué.

Le 30, lundi.—Sa nourrice regardant à sa bouche la dent vingt et unième qui lui étoit percée, il lui fut avis que sa nourrice lui vouloit faire mal, et, voulant frapper sur elle, frappa sur Madame, dont il fut si fâché que soudain il s'en prit à pleurer et à frapper fort sur sa nourrice, puis va baiser et accoler Madame, puis va accoler sa nourrice, qui en faisoit la courroucée.—L'on parloit qu'il le falloit apprendre à être libéral, et que l'on n'en faisoit rien; il écoutoit tout ce qui s'en disoit, sans faire paroître qu'il y prêtât l'oreille, et tout à coup et par boutade il se prend à faire ses libéralités, disant: Je vous donne ceci, etc.

Le 10 février, vendredi, à Saint-Germain.—Mme de Montglat part à onze heures et demie pour aller au travail de la Reine, laquelle accoucha entre midi et une heure de Madame[266].

Le 11, samedi.—Mlle de Ventelet lui dit que maman étoit accouchée; il demande: A-t-on ouï le canon?—«Non, Monsieur.»—C'est donc une fille?

Le 12, dimanche.—Il vient deux minimes pour le Fév
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175 voir; M. de Franchemont, archer du corps, les conduisoit portant sa hallebarde; il lui demande: Pourquoi portez-vous votre hallebarde?—«Monsieur, pource que je n'ai pas voulu venir avec eux sans la porter.»—Pourquoi?—«Monsieur, pource qu'il y eut un moine qui tua le feu Roi.»—Que lui fit-on?—«Monsieur le Grand le tua[267].» Il demeure froid, et n'en dit plus mot.—J'arrive[268] en la cour à cinq heures; il descendoit en sa chambre; je le rencontre entre deux portes; il me saute au col, me demande: Que m'apportez-vous?—«Monsieur, je vous apporte un petit arc et des flèches.» Il en tressault de joie; ma femme lui apporta un petit réchaud et une petite écuelle de fayence[269].

Le 13, lundi, à Saint-Germain.—Il vient en ma chambre, demande à voir le livre des oiseaux, puis je lui montre les figures de la géographie de Merula[270].

Le 14, mardi.—Mené chez M. de Frontenac, il y joue du clavecin.

Le 15, mercredi.—A cinq heures le Roi arrive, lequel il attend avec extrême impatience, s'amuse à l'entretenir à la chambre, dit qu'il veut souper avec papa, qu'il attendra que son souper soit prêt. Le Roi, qui mangeoit maigre, se plaignoit d'un peu de douleur à une amygdale.—Papa, mangez de la viande, vous êtes malade. Le Fév
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176 Roi lui demande s'il veut aller à la guerre.—Non, papa.—«Pourquoi?»—Je suis trop petit.—«Quand est-ce que vous y irez?»—Mais que je sois grand.—«Quand serez-vous grand?»—A Pâques. Le Roi va en sa chambre.

Le 16, jeudi, à Saint-Germain.—Éveillé à cinq heures après minuit, il se fait coucher auprès de Mme de Montglat, lui frappe sur la tête chantant:

Baume sur baume,
L'abbé de Vendôme,
La Castaigne et le merlus
Combien de cornes portes-tu?

puis, se souriant et battant doucement de sa main sur la tête de Mme de Montglat, il dit: Velà la mère aux cornes.—Mené au jardin; le Roi revenant de la chasse, met pied à terre, va à lui. Ramené au château, il se fait habiller en masque, va chez le Roi danser un ballet, ne veut point se démasquer, ne voulant être reconnu.

Le 17, vendredi.—Il se joue avec ses animaux de poterie (un cheval et un bœuf).—L'on parloit de la guerre de Sedan, du canon que l'on y menoit, il demande: Comment le mène-t-on?—Mené au jardin, il tire de l'arc; le Roi le prend pour tirer. Papa, voulez-vous que je vous montre? le Roi lui dit: «Je sais mieux tirer que vous.»—Excusez-moi, papa, répond-il doucement et froidement. Après dîner il va chez le Roi, le voit partir pour aller à la chasse; à cinq heures mené au Roi revenant de la chasse, il aide à le détacher; le Roi se couche.

Le 18, samedi.—Dîné avec le Roi; à quatre heures et demie il va chez le Roi, qui revenoit de la chasse, lui détache ses aiguillettes, lui sert à boire, puis s'en retourne en sa chambre; à sept heures et un quart dévêtu, le Roi y arrive; M. le duc de Montbazon[271] déchausse le Dauphin, Fév
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177 le Roi le baise dormant, lui disant adieu. Le Roi s'en retourna à Paris à cinq heures après minuit.

Le 19 février, dimanche.—Mme de Montglat parloit de M. de Bouillon[272], disant qu'il étoit bien mauvais.—Qui, Mamanga?—«Monsieur, c'est un bouillon qui est fâcheux à prendre.»—Oui, Mamanga, il faut du canon.—Mené à la chapelle, il tient à baptême la fille de sa nourrice; c'est le premier enfant qu'il a porté à baptême; il lui donne nom Henriette.

Le 28, mardi.—M. de Montpensier vient à son lever; il lui fait bonne chère.

Le 4 mars, samedi, à Saint-Germain.—Les ambassadeurs d'Angleterre le viennent voir, il leur fait bonne chère.

Le 11, samedi.—J'arrive à trois heures et demie[273]; je lui apporte un bracelet d'ivoire pour mettre au bras, à tirer de l'arc; il le met au bras gauche de la façon qu'il le falloit; il n'en avoit jamais vu, ni su comme il le falloit mettre que par ouï-dire.—A cinq heures, Madame la petite arrive; il la reçoit en la cour, au pied de la petite montée.—En soupant, je lui dis: «Monsieur, papa vous mande à Paris pour remercier la reine Marguerite du présent qu'elle vous a fait.»—Quel? Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, elle vous a donné tout son bien.»—Comment dit-on quand on donne tout son bien? Je lui dis: «Monsieur, elle vous a donné le duché de Valois, le comté de Lauraguais et le comté d'Auvergne.»—Faudra-t-il que je sois prisonnier comme le comte d'Auvergne?

Le 12, dimanche.—A sept heures levé, vêtu, il aide lui-même à démonter son lit. A une heure il part pour aller à Paris dans la litière de la Reine, va par les bacs, trouve M. de Souvré au Pecq. Goûté à Chatou. Passant le bac de Mars
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178 Neuilly il voyoit Madrid: Hé! dit-il, velà une grande maison qui chemine? M. le prince de Condé, M. de Vendôme, M. le connétable, M. le Grand et grand nombre de noblesse lui viennent au-devant jusque près du port de Neuilly. A quatre heures trois quarts il arrive aux Tuileries, où le Roi l'attendoit qui, l'ayant promené jusques à cinq heures et demie, le mène, par la porte du jardin et la grande galerie, au Louvre. Il va voir la Reine, court à elle qui s'essaye de l'élever pour le baiser[274]; ne pouvant, le Roi l'élève; mené au grand cabinet, où il se joue avec des volants que la Reine lui avoit donnés. Soupé avec le Roi au petit cabinet de la Reine, il s'endormoit, demande congé d'aller en sa chambre, où il est mené à sept heures et demie, sous le cabinet de la Reine.

Le 13, lundi, au Louvre.—A une heure et demie mené par la galerie aux Tuileries, au Roi, qui lui fait voir piquer des chevaux; ramené par le même chemin en sa chambre. Mené chez la Reine à douze heures et un quart, et à deux heures et demie le Roi le fait mettre avec lui en carrosse, à la portière, assis sur un carreau, pour aller vers la reine Marguerite, logée à l'hôtel de Sens, pour la remercier du don qu'elle lui avoit fait. En chemin le Roi lui demande: «Mon fils, aurez-vous pas froid?»—Ho! non, papa, je ne crains point le soleil ni la pluie. Il dit à la reine Marguerite: Maman ma fille, je vous remercie très-humblement du présent que vous m'avez fait, je suis votre très-humble serviteur. Ramené au Louvre à six heures et demie.

Le 14, mardi, au Louvre.—Mené par la galerie au jardin, aux Tuileries, il va à la messe aux Capucins[275]; ramené par le même chemin en la chambre de la Reine, puis en la sienne. A huit heures mené chez le Roi et la Reine, il leur donne le bonsoir.

Mars
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Le 15, mercredi, au Louvre.—A sept heures et demie, le Roi vient lui dire adieu, s'en allant assiéger Sedan, y est fort peu, le baise, l'embrasse, lui disant ces mots: «Adieu, mon fils, priez Dieu pour moi, adieu, mon fils, je vous donne ma bénédiction.»—Adieu, papa, répond le Dauphin; il étoit tout étonné et comme interdit de paroles. Soudain Mme de Montglat lui dit s'il veut pas prier Dieu: Oui, Mamanga, et il prie Dieu soudain.—Mené par la galerie aux Tuileries, il joue du palemail sur la terrasse, ne veut point aller à la messe aux Capucins. Mme de Montglat lui dit à l'oreille que le Roi lui a commandé de le mener ouïr la messe aux Capucins; il y va soudain.—Mené chez la Reine, il est logé à la chambre du Roi, aide à porter son bois de lit à la vue de la Reine; Mme de Montglat y fait mettre son lit pour y coucher. Il va seul en la ruelle de la Reine, y voit Mlle de Renouillère qui y dormoit, s'en vient doucement à la Reine, et lui demande: Maman, qui est cette bête-là?

Le 16, jeudi, au Louvre.—Mené jusques à la chapelle de Bourbon[276] pour ouïr la messe, il n'y veut point entrer: Il y fait noir, on n'y voit goutte! Hé! Mamanga, que j'entre pas là dedans! Mené au jardin du Louvre, ramené en sa chambre. A une heure trois quarts mené en la litière de la Reine à l'Arsenal; il ne veut descendre de la litière que M. de Rosny ne y fût arrivé; mené par les galeries des armes sur le rempart, et de là à la Bastille, en la cour, d'où il est salué du haut des tours par M. le comte d'Auvergne, qui lui dit: «Bonsoir, Monsieur, je suis votre très-humble serviteur»; il lui répond: Dieu vous garde, moucheu le comte. Il étoit accompagné de Mme de Montglat, de MM. de Souvré, de Châteauvieux; je y étois. Ramené par le jardin en la salle et au cabinet où, à trois heures et un quart, il fait collation; M. de Rosny lui donne Mars
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180 un canon d'argent. Il demande le nom et l'usage des outils et des parties, s'en veut aller et par le même chemin qu'il étoit entré, ne voulut jamais passer par autre chemin. Ramené à quatre heures et demie, mené à la Reine, puis en sa chambre.

Le 17, vendredi, au Louvre.—Il part en litière à dix heures, accompagné de MM. de Souvré, de Châteauvieux, de Liancourt, va au jardin du Palais par le Pont-Neuf, où il est reçu par M. le premier président, messire Achille de Harlay; il le prie pour une affaire de sa maman Doundoun; M. de Harlay lui promet de n'oublier à le servir, au premier commandement qu'il lui a fait. Monté par le logis dudit sieur président, il est allé à la Sainte-Chapelle, où il entend la messe, baise la vraie croix, demande les noms et les usages de tout ce qu'il voit, passe et repasse porté par le sieur Birat, regarde deçà delà avec gravité et allégresse de tout le monde. Il se trouva des femmes qui se portoient à sa robe pour la baiser. Ramené par le même chemin au Louvre, et à onze heures et demie dîné. Il va chez la Reine, va en la galerie, où il court un renard avec les chiens du Roi.

Le 20, lundi, au Louvre.—Il va chez la Reine, qui partoit pour conduire Mlle Straler, damoiselle flamande, et Gratienne, l'une de ses femmes de chambre, aux Carmélines, où elles s'alloient rendre.—Il écrit au Roi par M. de Vendôme:

Papa, depuis que vous êtes parti, j'ai bien donné du plaisir à maman. J'ai été à la guerre dans sa chambre: Je suis allé reconnoître les ennemis: ils étoient tous en un tas dans la ruelle du lit à maman, où ils dormoient[277]. Je les ai bien éveillés avec mon tambour: J'ai été à votre arsenal, papa: M. de Rosny m'a montré tout plein de belles armes, et tant, tant de gros canons, et puis il m'a donné de bonnes confitures et un petit canon d'argent; il ne me faut qu'un petit cheval pour le tirer. Maman me renvoie demain à Saint-Germain, où je prierai bien Dieu pour vous, papa, afin qu'il vous garde Mars
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181 de tout danger et qu'il me fasse bien sage et la grâce de vous pouvoir bientôt faire très humble service. J'ai fort envie de dormir, papa: Féfé Vendôme vous dira le demeurant, et moi que je suis votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur,

Dauphin[278].

Le 21 mars, mardi, au Louvre.—Il va chez la Reine; la reine Marguerite y vient, le prévenant en ce que la Reine le vouloit mener chez elle pour lui dire adieu.

Le 22, mercredi.—Il va chez la Reine, qui lui demande s'il est pas plus aise de s'en retourner à Saint-Germain que de demeurer auprès d'elle; il répond: Oui, froidement, lui dit adieu et, à une heure mis en litière, est parti pour se y en retourner. Arrivé au Pecq, il y trouve Madame, qui lui étoit venue au-devant, accompagnée de M. de Verneuil, la fait mettre avec lui dans la litière, la baise, l'embrasse, la fait asseoir près de lui.

Le 27, lundi, à Saint-Germain.—M. de Souvré; sur l'alarme de ceux qui avoient couru M. de Mansan, l'on fait murer les portes des deux petits ponts[279].

Le 1er avril, samedi, à Saint-Germain.—J'arrive de Paris, il me saute au col; je lui apporte un trompette turc à cheval, qu'il fait manier à courbettes. Il va chez la petite Madame, qu'il aimoit fort, vient en ma chambre, où je lui montre les figures de la Castramétation des Romains par du Choul[280]; il y prend plaisir. L'on parloit Avr
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182 du Roi, qui étoit allé assiéger Sedan; il demande: Mamanga, qui est dedans?—«Monsieur, c'est monsieur de Bouillon.»—Je lui couperai la tête.

Le 2, dimanche, à Saint-Germain.—Il se plaint à Mme de Montglat que l'on ne donne de la bougie à sa maman Doundoun, lesquelles, par ménage, M. de Montglat avoit retranchées aux officiers, encore que il en eût de l'argent du Roi pour les fournir.

Le 5, mercredi.—Sa nourrice parloit d'acheter une maison, mais disoit n'avoir point d'argent; elle lui en demande.—Je n'en ai point, maman, si j'en avois, je vous donnerois tout. Je lui demande qui le lui gardoit; il répond en souriant: C'est moucheu de Rosny.—Mené en carrosse au Pecq pour voir prendre, en la rivière, une oie par le gros barbet de M. de Frontenac, il s'amuse à voir pêcher du poisson, s'en fait donner des petits qu'il met dans la pelle creuse du batelier, où il y avoit de l'eau, fait jeter dans l'eau les plus petits disant: Hé! les pauvres petits! hé! sauvez-les; jettez-les dans la rivière.

Le 6, jeudi.—Il se fait mettre aux fenêtres du préau; il passa un nommé Dumesnil sans le saluer, suivi de son laquais, qui fit de même. Il demande: Qui est cettui-là qui passe sans ôter son chapeau? Bompar, allez arrêter ce laquais! Il y va, l'arrête. L'on disoit derrière M. le Dauphin: «Voilà un homme mal avisé et son laquais aussi»; il crie: Laissez, laissez-le aller, Bompar; il est aussi sot que son maître. M. de Crillon le vient voir pendant son goûter; il ne veut point dire adieu à M. de Crillon; Mme de Montglat l'en tance dans sa petite chambre: Mais, Mamanga, c'est un méchant homme. Je suis brave, moi, je suis furieux, dit-il en faisant les contenances de M. de Crillon[281].—Il fait allumer un feu au coin de la cheminée; l'on dit que c'est le feu de joie pour la prise de Sedan: Non, dit-il; Avr
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183 c'est le feu de joie de la paix, et avec toutes ses femmes de chambre il chante: Vive le Roi, à grosse voix.

Le 10, lundi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de Mme de Montglat, qui avoit pris médecine, s'amuse à un cabinet d'Allemagne, y trouve la chambre du Roi, les cabinets, la salle du bal, la galerie rouge.

Le 11, mardi.—Mme de Vitry lui donne des poules et un renard d'ivoire[282].

Le 12, mercredi.—En se couchant il dit: Mamanga, je veux prier Dieu; Mamanga, c'étoit la nourrice du feu roi Charles qui se levoit toujours matin, et c'étoit qu'elle alloit prier Dieu?

Le 16, dimanche.—Il prend son tambour, et à la tête de la compagnie de M. de Mansan, qui faisoit la monstre, il prête le serment, le fait prêter à M. de Verneuil et à M. le Chevalier, et leur fait donner un sol à chacun.—Il vient en ma chambre, me demande à voir le livre des bâtiments (c'étoit Vitruve), demande les noms des machines principalement et leurs usages, les considère; il avoit une grande inclination aux mécaniques.

Le 17, lundi.—Il va en la salle du Roi, où il se trouve dix ou douze soldats de la compagnie de M. de Mansan qui apprenoient à danser sous Boileau; il leur fait prendre les armes, les mène à la guerre; le tambour c'étoit Boileau, qui jouoit du violon. Après avoir fait quelques tours de salle: Ça, dit-il, dansons; l'on fait poser les armes, il se met à danser aux branles, et afin qu'aucun ne le tînt par la main, il donne à tenir à son page Bompar l'une de ses petites manches et l'autre au sieur de Birat, son valet.

Le 18, mardi.—Mené par le petit jardin du bâtiment neuf sur la terrasse de Neptune, il va voir un modèle de pierre que l'on faisoit du bâtiment neuf, s'enquiert de tout froidement, considère mûrement.—Pendant son Avr
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184 souper il fait apporter la guenon et le sapajou de la Reine, et s'entretient avec celui qui en a la garde, parle avec telle ardeur qu'il en bégaye.

Le 20 avril, jeudi, à Saint-Germain.—Sa nourrice le tenoit en son giron; il la caresse, la baise: Hé! ma folle! mon cu! ma mère Doundoun! c'est Doundoun qui m'a donné à téter; elle lui demande s'il veut téter; il s'efforce à découvrir son sein; elle lui tend la mamelle, il la prend, suçoit et eût tété s'il y eût eu du lait.

Le 22, samedi.—Il voit en la cour un marchand de toile, le fait monter en sa chambre, veut lui-même avec une aune mesurer la toile.—A souper il fait du gâchis avec du pain esmié, disant: Je fais comme papa, et feint de manger, imitant le Roi lorsqu'il jetoit le jus de mouton sur du hachis sec.

Le 25, mardi.—L'ambassadeuse d'Angleterre, M. de Nemours, Mme la comtesse de Guichen[283] le viennent voir.

Le 30, dimanche.—M. le prince de Condé le vient voir; il lui en conte, lui dit qu'il a un beau canon tout d'argent, l'envoie querir, le lui montre.

Le 1er mai, lundi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à faire mordre les survenants à un œuf de marbre et à faire sauter une petite grenouille artificielle. A dix heures mené à la chapelle, puis, par le jardin et le préau, au bâtiment neuf; il se joue en la galerie et sur les terrasses, attendant le Roi, qui arriva à onze heures et demie, et le reçut au bout de la terrasse de Neptune, du côté de Carrière, au milieu, tout vis-à-vis de la petite porte des pompes de la colonne. Le Roi lui commanda de donner sa main à baiser à M. de Bouillon et d'embrasser M. le Grand. A douze heures et demie dîné avec le Roi; voyant manger au Roi du beurre frais sur du pain avec des aulx, il dit qu'il en mangera bien, en avale deux petites tranches, de celles que le Roi lui-même avoit mises sur son Mai
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185 pain, et s'y forçoit pour complaire au Roi. Mené à la galerie par le Roi, où il arme sa compagnie; il étoit mousquetaire, il entre en garde, se fait mettre en sentinelle par M. de Vendôme, et à deux heures et demie revient au château avec le Roi. Mené au devant de la Reine, qui arrive à six heures, il monte avec le Roi et la Reine en la chambre de la petite Madame; le Roi s'étant joué longtemps à M. et à Mlle de Verneuil, il en conçoit de la jalousie, part soudain de la main, et va dans la garde-robe de sa chambre, se met derrière la porte, s'assied sur un coffre, et commande impérieusement à l'exempt: Fermez la porte, que personne n'entre. Je lui demande pourquoi il s'en étoit ainsi venu: De peur, dit-il, que papa ne me vit pleurer. Il s'en va en la chambre de Mme de Montglat, on ne l'en peut tirer pour aller en sa chambre souper que par deux de ces pièces d'or de dix écus de la Reine que Mlle de Ventelet lui apporta.

Le 2, mardi.—Mené chez la Reine, la Picarde, seconde nourrice de Madame, tenant au bras son enfant, se jeta à genoux devant la Reine, les larmes aux yeux; le Dauphin en eut tant de compassion qu'il part soudain d'auprès de la Reine et se met derrière Mme de Montglat, le visage tout en feu de rougeur, de la force dont il se gardoit de pleurer; il saute au col de Mme de Montglat, où il se tient tant que la Reine (même qui se leva de son siége pour cet effet) l'eût assuré qu'elle donneroit de l'argent à la nourrice; là-dessus sa couleur ordinaire lui revient. Mené par la Reine en carrosse au bâtiment neuf, il va à la messe avec le Roi et, à midi, a dîné avec Leurs Majestés. Le Roi et la Reine s'en retournent à Paris.

Le 4, jeudi.—Il ne veut point déjeuner qu'il n'ait tiré une harquebusade, se fait mettre de la poudre dans sa harquebuse à mèche et de l'amorce par M. de Ventelet, puis, sur la terrasse de sa chambre, avec un petit bâton au bout duquel il y avoit de la mèche, il y met le feu; la fumée lui passa sur la main et près du visage; puis il dit Mai
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186 par grande allégresse à tout chacun qu'il a tiré une harquebusade et qu'il n'a pas eu peur; c'étoit de la harquebuse que lui avoit donnée M. d'Oinville, maréchal de logis de sa compagnie, et la première qu'il eût[284].

Le 5, vendredi.—Il entend jouer les joueurs de cornemuse du Roi avec attention, et jusqu'au transport; les joueurs de musette jouent pendant son dîner.

Le 7, dimanche.—Mlle Mercier, l'une de ses femmes de chambre, qui l'avoit veillé, étoit encore au lit contre le sien; il se joue à elle, lui fait mettre les jambes en haut, en cornemuse, et des pailles entre les orteils des pieds, puis les y fait remuer comme si elle eût dû jouer de l'épinette; après il dit à sa nourrice qu'elle aille querir des verges pour la fesser, le fait exécuter; puis sa nourrice lui demande: «Monsieur, qu'avez-vous vu à Mercier?» Il répond: J'ai vu son cu, froidement.—«Est-il bien maigre?»—Oui, puis soudain il se reprend: Non, non, il est bien gras.—«Qu'avez-vous vu encore?» Il répond froidement et sans rire qu'il a vu son conin.—Il voit le colonel Berman, du canton de Fribourg, qui avoit emmené un régiment de Suisses pour le siége de Sedan, lui donne sa main à baiser et à ceux de sa compagnie, puis soudain demande son corselet et ses armes complètes, va en la salle du Roi, où il se fait armer de la cuirasse, puis prend sa pique, fait mettre près de lui M. de Verneuil, fait battre le tambour, et marche en garde. A l'arrivée, les Suisses lui firent un petit mot de harangue par la bouche du colonel Berman, qui étoit, en somme, pour lui faire entendre qu'ils étoient venus pour le service du Roi et pour le sien et qu'ils étoient serviteurs du Roi et les siens; le Dauphin, sur cette parole, répondit: Bien. A la salle, avant partir, Mme de Montglat fit porter du vin pour la collation, et dit à l'oreille à M. le Dauphin qu'il falloit qu'il bût à eux; il dit soudain: Mai
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187 Qu'on apporte mon verre; on l'envoie querir, l'on y met un bien peu de vin avec beaucoup d'eau, et il boit à eux; il ne y fait que tâter. Ils en furent fort aises, disant que cette action iroit bien loin.

Le 9, mardi, à Saint-Germain.—Mené au bâtiment neuf, où étoit la mariée du jardinier, qui dansoit au petit jardin du Roi; l'on y vouloit jeter le coq; il le jeta par trois fois en la cour, puis il s'en va en la galerie, où il a dansé en branle où étoit la mariée, dansa la courante et la bourrée avec Mlle de Vendôme.

Le 10, mercredi.—Maître Martin, son peintre, vient pour le peindre, le peint armé de son corselet, sous sa robe de velours cramoisi garnie d'or, l'épée au côté et la pique de la main droite, la tenant droite, la tête couverte de son bonnet de satin blanc, d'enfant, avec une plume blanche; c'est la première fois qu'il ait été ainsi peint. Il se fait donner des couleurs et un pinceau, imite le peintre mêlant ses couleurs, regarde parfois la besogne de son peintre. Il tenoit sa chienne Isabelle, la caressoit, la baisoit, l'appeloit sa mignonne, car il aimoit extrêmement les chiens; il disoit à son peintre qu'il peignit sa chienne auprès de lui. Mlle Mercier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas que ceux qui sont armés aient des chiens avec eux;» il répond soudain: Mais ce sera pour prendre les ennemis par les jambes.

Le 11, jeudi.—Il prend en coutume, quand on lui dit quelque chose, de répondre: Je m'en soucie bien.

Le 12, vendredi.—La reine Marguerite le vient voir; il permet à Mme de Montglat d'aller au-devant d'elle, puis il y va, et la salue au milieu de l'allée du jardin qui est sur le fossé, l'emmène voir faire son jardin.

Le 14, dimanche.—Il devient amoureux de la nourrice de la petite Madame; il alloit et revenoit à la chambre de la petite Madame, tout exprès pour la voir en passant, la guignant de l'œil et se souriant.

Le 15, lundi.—Je lui maniois le pouls, lui ayant dit Mai
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188 que je reconnoîtrois s'il étoit amoureux; il me demande: Que fait-il?—«Monsieur, il frétille.» Il se laisse coiffer pour l'amour de la nourrice de Madame sa petite sœur, prend plaisir que l'on lui en parle et que l'on lui demande de qui il est amoureux. A dîner il fait les doux yeux à la nourrice de Madame la petite, fait le honteux et retourne sa face; Mme de Montglat lui dit qu'il ne faut point qu'un amoureux soit honteux.—Il se joue en sa chambre; arrive une femme, revendeuse à Paris, nommée, à ce qu'elle me dit, Opportune Julienne; elle se prend à danser devant, à découvrir ses cuisses bien haut, tantôt l'une et puis l'autre; il regardoit tout cela avec un extrême plaisir, auquel il se laisse transporter, et court après cette femme pour lui soulever la cotte.

Le 18, jeudi.—Il fait porter son écritoire[285] à la salle à manger pour écrire sous Dumont[286], dit: Je pose mon exemple; je m'en vas à l'école; il fait des O, fort bien.

Le 21, dimanche, à Saint-Germain.—M. de Longueville le vient voir, a dîné avec lui.

Le 23, mardi.—On lui dit que M. le connétable venoit pour le voir; le voilà soudain en mauvaise humeur, et il demande d'aller en la salle du bal. M. le connétable y monte; le voilà à crier; enfin apaisé. On lui porte son mousquet, sa bandoulière, et il descend en la basse-cour, puis au jardin, ayant avec lui M. le Chevalier, M. de Verneuil, M. de Montmorency et M. le comte de Lauraguais, armés aussi; il se met à la tête de la compagnie, va chez M. de Frontenac pour être à la collation qui se y faisoit, à cause que M. le connétable tenoit à baptême un sien fils[287] avec Mlle de Vendôme. M. le connétable Mai
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189 prend congé de lui, s'en allant en Languedoc; M. de Montmorency prend aussi congé de lui.

Le 24 mai, mercredi, à Saint-Germain.—Mlle Value, Mlle Prévost-Biron, Mlle Gillette[288], maîtresse du feu maréchal de Biron, assistent à son goûter.

Le 26, vendredi.—Arrive M. de Vaudemont, qui baise la main du Dauphin en la chambre du Roi.

Le 27, samedi.—M. et Mme de Montpensier viennent voir le Dauphin; il leur fait bonne chère.—On lui demande si l'Infante est pas sa maîtresse, il dit: Non, c'est la nourrice à ma petite sœur, et de fait l'ayant rencontrée, il lui sauta au col et la baisa.

Le 30, mardi.—M. le cardinal de Joyeuse arrive, auquel il donne sa main à baiser.—A huit heures trois quarts, il avoit envie de dormir, et toutefois il lui prend une humeur de s'armer, se fait mettre son corselet, prend sa pique pour se faire mettre en sentinelle par Hindret, son joueur de luth, qui étoit le caporal. Je lui demandai s'il seroit longtemps, il répond: Deux heures. C'étoit l'heure des sentinelles de la garnison qu'il avoit apprise, car il savoit toutes les fonctions d'un soldat. L'on ne sut jamais le dissuader de cette action; il y est quelque temps, et n'en voulut jamais partir qu'il ne fût relevé, se promenant la pique haute.

Le 1er juin, jeudi, à Saint-Germain.—Il récite les quatre premiers quatrains de M. de Pibrac, qu'il savoit, comme s'il eût récité une comédie; M. le Chevalier en faisoit autant, puis M. de Verneuil.

Le 3, samedi.—Mme de Montglat le tance et lui arrache son tablier, qu'il tenoit à la bouche; le voilà en colère. Il la bat sur la main; elle ne disoit mot; il se retourne Juin
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190 et lui rue des coups de pied, tant que voyant deux maçons qui travailloient à faire l'enceinte de la chapelle, l'un avec un balai l'autre avec une hotte, il se jette à genoux: Hé! Mamanga, pardonnez-moi! Cependant les maçons prennent le petit laquais de M. de Mansan et l'emportent dans la hotte, le mettent dans la chapelle. Hé! Mamanga, parlez pour lui!

Le 4, dimanche.—Il se joue à une petite fontaine faite dans un verre, qui lui venoit d'être donnée par les verriers de la verrerie de Saint-Germain-des-Prés, s'amuse à une vaisselle de poterie où il y avoit des serpents et des lézards représentés[289], y faisoit mettre de l'eau pour les représenter mouvants.—Il appelle Hindret, son joueur de luth, Boileau, son violon, et un soldat qui jouoit de la mandore, et lui, prenant un luth, dit: Faisons la musique; il les fait ranger tous autour de lui, au chevet de son lit; il pinçoit son luth comme s'il eût joué avec intelligence. Il aimoit extrêmement la musique.

Le 5, lundi.—M. le marquis de Rainel, revenant de Hongrie, le vient voir; il lui disoit: «Monsieur, me ferez-vous pas un jour grand maître de votre artillerie?» Le Dauphin ne répondant point, M. de Ventelet lui dit: «Monsieur, c'est M. le marquis de Rainel qui vous prie de le faire un jour grand maître de votre artillerie, le ferez-vous pas?» Il répond: Je le veux bien. J'entendois tout cela, et lui demandai: «Monsieur, vous plaît-il que j'enregistre cette promesse que vous avez faite à M. de Rainel, dans mon registre?»—Oui! oui!—Mené au palemail, il fait démasquer la nourrice de la petite Madame, lui disant: Démasquez-vous, je vous veux baiser.

Le 6, mardi.—Il frotte le derrière de son oreille, en rapporte une ordure qu'il met en sa bouche, comme il faisoit souvent, et celles du nez, qu'il avaloit; Mme de Montglat l'en reprend, il répond: Quoi! est-ce du poison? Juin
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191 Il va en la chambre de la petite Madame, en baise la nourrice à la bouche, aux yeux, au front, au nez, aux tétons, avec transport, disant: Je vous baiserai toujours. Il en étoit amoureux par inclination.

Le 8, jeudi, à Saint-Germain.—A cinq heures et demie le Roi et la Reine arrivent de Paris; il les va recueillir hors du pied de l'escalier, en la cour. Le Roi lui dit: «Eh bien, mon fils, vous avez été fouetté!»—Non pas tous les jours, papa.—«Qu'aviez-vous fait?»—Rien. Il remonte avec eux en la chambre de la petite Madame, où il s'assied sur la fenêtre, et fut fort longtemps à entretenir le Roi; à sept heures et un quart soupé avec le Roi. Mené en sa chambre, le Roi peu de temps après y arrive, et la Reine après; il danse aux branles, la courante, puis se met au giron de sa nourrice, s'endort, est mis au lit à neuf heures et demie. Leurs Majestés se retirent; sa nourrice approchant près de lui trouve qu'il ne dormoit pas, et lui dit: «Monsieur, vous ne dormez pas?»—Non, dit-il tout bas, papa s'en est allé?—«Oui, Monsieur, pourquoi avez-vous fait semblant de dormir?»—Pource que papa s'en fût pas allé, et il y avoit tant de monde, j'avois si chaud!

Le 9, vendredi.—Il attend avec impatience un carrosse pour aller trouver le Roi au bâtiment neuf, y va, le trouve à la chapelle, revient avec lui à la galerie. Armé de son mousquet, il va à la guerre, assault la ville (c'étoit la balustre qui étoit autour de l'une des cheminées où il y avoit des soldats); MM. de Vendôme et de Verneuil, les deux fils de M. de Frontenac, étoient avec lui. Il fait planter dans la salle de grands tuyaux de chaume pris des paillasses vidées, dit que ce sont des piquiers, et au-devant, d'un bout à l'autre, fait faire une traînée de poudre. Le Roi y fait mettre le feu en sa présence et en celle la Reine. Le Dauphin disoit qu'il vouloit être mousquetaire, et néanmoins il avoit accoutumé de reprendre ceux qui ne faisoient pas bien; le Roi lui dit: «Mon fils, vous êtes mousquetaire, et vous commandez!» A quatre heures le Roi et Juin
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192 la Reine partent pour s'en retourner à Paris; étant au port de Chatou, au delà de l'île, il faisoit glissant à la descente; les chevaux reculent, poussent le bac, les roues de derrière du carrosse demeurent dans l'eau, et, à la descente de celui de Neuilly[290], tout le carrosse tomba dans l'eau, à la main gauche de la Reine, étant à la portière, et le Roi couché du long en dedans, où il s'étoit mis un peu auparavant pour dormir. Ce fut ainsi que les chevaux étoient près d'entrer dans le bac; l'un de ceux de derrière glisse, le cocher le fouette; se voulant relever, il retombe, tire et fait tomber son compagnon, et le carrosse renverse en l'eau, sur la nacelle attachée au bac, qui s'enfonça mais empêcha que le carrosse n'allât tout au fond. M. de Montpensier se jeta le premier dehors, par la portière qui étoit en l'air environ demi-pied. M. de l'Isle-Rouet y va, appelle le Roi, qui n'avoit que la tête et un bras hors de l'eau, lui prend les mains, le met hors de l'eau, [le Roi] disant: «Que l'on aille à ma femme», et en sortant rencontre M. de Vendôme, qu'il met hors de l'eau. Ce pendant la Reine étoit toute dans l'eau, à la portière; un valet de pied[291] se y jette, la prend par sa coiffure qui échappe; il la prend sous la gorge, et à l'aide de M. de la Chastaigneraie ils lui mettent la tête hors de l'eau, et aussitôt [elle] demanda: «Où est le Roi?» qui, l'entendant, se jeta dans l'eau pour l'aider à mettre dehors. Mme la princesse de Conty fut toute la dernière, qui avoit du commencement prins le sieur de l'Isle par la barbe, comme il tiroit le Roi; elle quitta pour ce qu'elle l'empêchoit[292].

Juin
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Le 10, samedi, à Saint-Germain.—A onze heures mené à la chapelle; étant sur son carreau, il se lève, va dire à M. de Verneuil: Féfé Vaneuil, priez Dieu pour papa, qui a failli se nayer, et se va remettre en sa place.—Mme de Montglat me disoit qu'écrivant au Roi elle avoit dit une petite menterie; elle vouloit dire que M. le Dauphin avoit pleuré, ayant su la nouvelle de son danger, bien qu'il fût vrai qu'il en demeura fort étonné. Lui, qui écoutoit toujours ce que l'on disoit, la regarde soudain premièrement sans dire mot, puis tout à coup lui dit: Ha! vous avez donc menti! Mené à la chapelle pour y faire chanter un Te Deum pour l'heureuse délivrance de Leurs Majestés.

Le 12, lundi.—Il dit la prière qui lui plaisoit fort et qu'il aimoit à dire: «Notre Seigneur Dieu et Père, veuille moi assister par ton saint Esprit et par icelui me gouverner et conduire à celle fin que ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des miens.»

Le 17, samedi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse fort, l'accompagne au bâtiment neuf; il soupe avec le Roi, va en la cour avec lui[293].

Le 19, lundi.—Éveillé à huit heures, il est fouetté pour avoir fait le fâcheux à la chapelle, le jour précédent.

Le 21, mercredi.—Le Roi arrive de Paris; il va au devant du Roi, l'embrasse, le conduit en sa chambre.

Le 22, jeudi.—Il va trouver en sa chambre le Roi, qui étoit parti pour aller au bâtiment neuf[294], court sur le pavé au devant de lui; mené à la chapelle, dîné avec Juin
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194 le Roi, qui part à deux heures et demie pour aller à Paris.

Le 23 juin, vendredi, à Saint-Germain.—Il va mettre le feu au bûcher de la Saint-Jean, en la basse cour, puis va chez M. de Frontenac.

Le 25, dimanche.—J'arrive[295]; il court à moi gaiement; je lui donne un cheval noir et un gendarme dessus.

Le 26, lundi.—A cinq heures mené par le petit pont au devant du Roi revenant de la chasse; il est ramené dans la petite chambre de Mme de Montglat, où le Roi se met dans le lit, y fait mettre en chemise M. le Dauphin, qui se y joue fort privément [sic]. A six heures levé, à sept soupé avec le Roi; M. Groulard, premier président de Rouen, y vient; il lui donne sa main à baiser, par commandement du Roi. Le Roi s'en retourne à Paris à sept heures trois quarts, il le conduit et, en la cour, le Roi lui montrant M. le premier président et autres députés de Normandie, lui dit: «Voyez-vous ces gens-là, vous les commanderez après moi;» il répond froidement: Bien, papa; est fort privé avec le Roi, qu'il craint. Il conduit le Roi jusques au bâtiment neuf et, en la basse cour, le Roi lui disant: «Adieu, mon fils,» il (le Dauphin) devient rouge et la larme lui vient aux yeux. Le Roi le baise, l'embrasse, lui disant qu'il s'alloit promener et qu'il reviendroit incontinent; il s'apaise. Ramené il s'amuse sur le tapis, entretenu par Mmes de Vitry et de Saint-Georges, où il dit mots nouveaux et paroles honteuses et indignes de telle nourriture, disant que celle de papa est bien plus longue que la sienne, qu'elle est aussi longue que cela, montrant la moitié de son bras.

Le 27, mardi.—Mené en carrosse dans la forêt, à la chasse aux toiles, il voit prendre deux sangliers et un marcassin, et sauver une biche par-dessus les toiles; il ne s'ennuie point, y prend plaisir froidement.—Il prend Juin
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195 un petit violon, joue en concert avec Hindret, son joueur de luth, nous fait chanter en concert: Hau! Guillaume, Guillaume, puis: Maître Ambroise, ho! ho! d'où venez vous, etc. Il baise sa nourrice, et lui dit: J'entrerai par votre bouche, Doundoun, puis j'irai en votre ventre, vous direz que vous êtes grosse et puis vous me fairez.

Le 28 juin, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à son corselet neuf, dit qu'il veut être piquier. Vêtu, coiffé à bâtons rompus; pour le faire hâter, M. Birat lui dit que le Roi venoit. Le Dauphin, se retournant et souriant, dit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat: Mamanga, voyez vous ce vieux penard qui me veut faire craire que papa vient. Descluseaux, soldat aux gardes, entre après le dîner du Dauphin, qui dit en le voyant: Hé! velà mon mignon, venez mon mignon Décuseaux; ce soldat avoit accoutumé de le faire jouer. Après souper il se joue en sa chambre, joue du violon en concert avec le luth, et chante: En m'en retournant, etc., puis danse le ballet des grenouilles, la morisque, fort joliment et en cadence, sans avoir été instruit.

Le 29, jeudi.—Il se fait armer, prend sa pique et sort en la cour, où l'on fait entrer la compagnie. Il se met à la tête, ayant à côté gauche M. de Verneuil, et M. de Liancourt au milieu, fait deux tours de la cour, puis il veut prêter le serment, lève la main, et lui étant demandé par le commissaire Faure s'il promettoit pas de bien servir le Roi, il répond: Oui, ayant premièrement ôté son chapeau et son gant de la main.

Le 30, vendredi.—Mené au jardin, il fait attacher son canon d'argent avec un jarretier, et le jarretier au derrière de la ceinture de son tablier, et se promène le faisant rouler après soi; il va ainsi jusques au palemail, se fâche de ce que les roues se crottent et la bouche aussi, s'en met en peine pour les faire nettoyer.

Le 1er juillet, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à jouer de son petit sifflet d'ivoire et à entendre des Juil
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196 contes de maître Guillaume[296]. Il sème des feuilles de rose sur le banc où étoit assis Descluseaux, soldat aux gardes qui le souloit faire jouer, et dit: C'est afin que votre place sente bon; il aimoit ce soldat. M. de la Court, exempt aux gardes, arrive; il le reconnoît et par son nom, après avoir été un an et demi sans le voir.

Le 5, mercredi.—Mené à la chapelle, il ressort du chœur pour recevoir, dans la chapelle, l'ambassadeur de la Grande-Bretagne, accompagné du sieur Gandaloufin, gentilhomme de la chambre du roi de la Grande-Bretagne et de son jeune fils, échanson du prince de Galles, ayant charge de le voir de la part du prince de Galles; il lui répondit qu'il le remercioit de la souvenance qu'il avoit de lui et le prioit de l'assurer qu'il étoit à son service. Après souper il monte tout en haut de sa garde-robe, où il fait prendre ses armes toutes complètes, faites à Moulins, les fait porter en sa chambre avec la croix[297], les fait accommoder dessus, y travaille lui-même, va querir en son armoire son épée rouge et la y fait ceindre, puis fait apporter sa pique, la met lui même sous le brassal, toute droite comme s'il eût été en sentinelle.

Le 6, jeudi.—Il tenoit un chapelet de corail que le fils de M. de Montglat lui avoit envoyé de Florence; sa nourrice lui dit: «Monsieur, donnez-moi ce chapelet.» Il le lui refuse par plusieurs fois, elle lui dit: «Allez, vous êtes un gros chiche.»

Le 9, dimanche.—A dix heures il part pour loger au bâtiment neuf[298]. Mlle de Ventelet lui dit: «Monsieur, il faut être bien sage pour votre baptême, ou autrement maman auroit un autre Dauphin, qu'elle feroit baptiser;» il répond froidement: Et puis il m'en soucie bien, j'en serois bien aise, j'irois où je voudrois, on me suivroit point. Il Juil
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197 s'en va en la cour, le tambour se prend à battre pour assembler, pensant qu'il dût sortir; il l'entend, et crie tout haut: Je veux pas sortir, qu'on batte point, c'est que je me joue.

Le 10, lundi, à Saint-Germain.—A cinq heures arriva au vieux château Mme la marquise de Verneuil.

Le 11, mardi.—Il se fait mettre au lit de sa nourrice, la baise partout où il peut, avec âpreté.—Il va faire un tour dans la galerie, où il faisoit faire un fort de briques dans lequel il faisoit loger toutes les armes qui étoient dans son armoire et mettre l'enseigne dans le donjon. Mis au lit, il demande à se jouer, se joue avec Mlle Mercier, m'appelle me disant que c'est Mercier qui a un conin qui est gros comme cela (montrant ses deux poings), et qu'il y a bien de l'eau dedans. Je lui demande: «Monsieur, comment le savez-vous?» Il répond qu'il a pissé sur maman Doundoun, et me dit: Écrivez cela dans votre registre; il rioit à outrance.

Le 13, jeudi.—Après dîner il range les noyaux de ses cerises sur l'assiette et me dit que c'est un moulin à vent. Je lui apprends là dessus le nom des vents, qu'il rumine, et les retient: Est, ouest, north, sud, les répète en lui-même pour les retenir. Après souper il range encore les noyaux sur le bord de son assiette, et nomme tout bas: Est, ouest, north, sud, puis m'appelle: Moucheu Héoua, velà les quatre vents, comment les appelez-vous en françois? Je les lui nomme: «Levant, ponant, tramontane, midi»; il les redit après moi.—Il va avec impatience en la cour pour voir deux chevaux que le jeune Montglat avoit emmenés d'Italie.

Le 16, dimanche.—A souper il demandoit sa gelée, Mme de Montglat lui dit: «Dites s'il vous plaît;» il répond: Papa dit pas s'il vous plaît, pource qu'elle lui disoit souvent qu'il falloit tout faire comme papa.

Le 17, lundi.—Il est fouetté pour avoir, le jour précédent, fait le fâcheux à son habiller. A dix heures arrivent, Juil
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198 conduits par M. le comte de Choisy, chevalier d'honneur de la reine Marguerite, et de sa part, le président Savaron, président à Clermont en Auvergne, et autres députés avec lui, pour venir faire l'hommage d'obéissance et de fidélité comme à leur seigneur, par la donation qui lui en a été faite dudit comté par ladite Reine. Il les écoute fort attentivement, froidement et la plupart du temps les mains sur les côtés, par l'espace d'une demi-heure.—Il s'amuse à faire une tour avec de la brique, trouve un ais, dit qu'il en faut faire un pont-levis, commande d'aller chez le menuisier qui travailloit aux offices pour avoir un virebrequin, afin de faire des trous, dit-il, pour y passer les cordons. On apporte le virebrequin, il en veut travailler lui-même, et s'apercevant qu'il ne avançoit pas beaucoup avant, pour ne tenir assez ferme, il donne à tenir la main dessus et, lui, s'amuse à tourner.

Le 19, mercredi.—Mme de Montglat le fait prier Dieu puis dire des sentences; à celle-ci: «L'homme fol se fait connoître à ses propos,» le Dauphin dit: Velà pour maître Guillaume; et à celle-ci: «La folle femme fait toujours beaucoup de bruit»: Velà pour Mathurine.

Le 20, jeudi.—A midi, M. de Sully[299], revenant de Rosny, le vient voir. Mme de Montglat fait ouvrir la grande porte de la salle; M. le Dauphin y est mené en attendant M. de Sully; comme il est au milieu de la cour, elle le fait courir au devant de lui, pour l'embrasser comme il faisoit au Roi. Il s'arme à l'accoutumée, est piquier, fait armer la compagnie, entre en garde, va à la charge, fait les exercices. M. de Sully lui donne cinquante écus en quadruples, ses soldats les lui arrachent des mains. Il n'eut presque pas le temps de les manier; il ne lui en demeura qu'une pièce, qu'il tient ferme contre Montailler, tailleur de Mme de Montglat, dont il s'écrie! Juil
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199 Hé! maman, Montailler me l'arrache; elle y vient, la prend et fait rendre les autres, qu'elle retient[300]. Il n'en dit mot, ne s'en plaint point, mais peu après il dit: Mais moi je suis soldat, et je n'ai point eu d'argent! M. de Sully lui donne un doublon, puis s'en va.—Mme de Montglat le tançant de ce qu'il étoit tout hâlé et noir dit que la Reine en seroit bien courroucée, que pour le Roi il ne s'en soucioit pas. «Ho! Monsieur, lui dit-elle, si vous continuez à sortir comme vous faites, il vous faudra retenir, vous seriez tout hâlé!» Il répond: C'est tout un, papa veut bien que je sois noir.—Il avoit fort plu, comme il fait fort mauvais temps depuis six semaines; M. de la Court, exempt aux gardes, qui étoit en quartier, lui dit: «N'allez pas à la cour, il n'y fait pas beau;» il lui répond en souriant: Si fait, allons, allons, je m'en vas marcher sur vous, puisque vous êtes la Cour. Il donne le mot à M. de Belmont: Sainte-Barbe, puis dit à M. de la Court en souriant: Sainte-Barbe la Cour, lui montrant sa barbe (la barbe de M. de la Court).

Le 21, vendredi.—M. de Verneuil est revenu, qui avoit été séparé pour la petite vérole et rougeole de sa sœur.—Il y avoit environ six semaines qu'il ne se passa jamais jour sans pleuvoir et faisoit une saison d'hiver, s'étant fallu chauffer comme en hiver.—Mis au lit, il s'amuse à railler, m'appelle et me dit d'écrire dans mon registre que le conin de Doundoun est gros comme cela, dit-il, en grossissant sa voix et élargissant ses poings; qu'il l'a fouetté, qu'il est gras. Puis il me dit encore d'écrire que le conin de sa mie Saint-Georges est grand comme cette boîte (c'étoit celle où étoient ses jouets d'argent) et que le conin de Dubois (damoiselle de Mme de Vitry) est grand comme son ventre, que c'est un conin de bois. Je lui Juil
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200 demande: «Monsieur, n'en avez-vous point?» Il répond que non, qu'il a une cheville, qui est au milieu de son ventre, mais que c'est Doundoun qui a un gros conin au milieu des jambes. Enfin il prie Dieu, et s'endort à neuf heures trois quarts.

Le 23, dimanche, à Saint-Germain.—L'on avoit séparé quelques-uns des petits enfants qui avoient accoutumé d'aller à la guerre avec lui, à cause des maladies de petite vérole, et de la peste de Paris; se jouant en la galerie et voyant ses armes dans son armoire, il dit à Descluseaux: Je veux vendre mes armes, astheure que toute ma compagnie s'en est allée.

Cette nuit, entre minuit et une heure, Canier[301] étoit en garde sur le perron des terrasses quand il vit, par le petit escalier à main droite, monter à lui un homme vêtu d'un pourpoint blanc, sans vouloir s'arrêter, quelque chose qu'il lui sût dire par la contrainte de descendre en bas pour l'arrêter et lui donner des coups d'épée qu'il rompit sur sa tête, sans dire mot que tout bas: «Hé! Monsieur!» Le voulant saisir au collet, il lui vient au nez une si puante odeur qu'il fut contraint de le lâcher, en étant avis être venue d'une boîte qu'il vit en sa main gauche et un linge autour du bras; quitte cet homme pour courir à sa pique, et, retournant à lui, le voit s'en retournant du côté du Pecq. L'on eut opinion que ce fut un graisseur; la peste étoit lors à Paris[302].

Le 24, lundi.—Il se ressouvient d'avoir ouï parler sur Juil
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201 le jour[303] du sentinelle [sic] et de ce qui lui étoit arrivé la nuit précédente, et ayant entendu de quelques-uns que c'étoit un esprit, il dit: Si j'eusse été sentinelle, je l'eusse tué cet esprit.

Le 25, mardi, à Saint-Germain.—On lui demande s'il est pas bien fâché de ce que M. le Chevalier s'en étoit allé (on l'avoit transporté au vieux château, à cause de la petite vérole qu'il avoit, sans fièvre); il répond: Non. Il s'amuse à faire des dessins avec du charbon, (représentant) des forges et des grottes.

Le 26, mercredi.—Il voit ses femmes s'en aller à la messe, y veut aller, y va; c'étoit le prêtre qui nourrissoit les petits oiseaux du Roi [qui la disoit]. Il fait quelque dessin; il avoit l'imagination du dessin de fontaine qu'il avoit fait en papier le soir précédent. Il s'amuse à voir faire un modèle de fontaine de terre de potier par M. Hindret, son joueur de luth. Il faisoit une journée froide comme en plein hiver et grand vent du nord; il y avoit plus de six semaines que la constitution de l'air étoit comme d'hiver.

Le 27, jeudi.—A souper il mange gaiement, et dit: Je sens la senteur des lapins qui sont dans ce fossé. Je lui dis: «Mais, Monsieur, ce ne sont pas des lapins, la fenêtre est fermée».—Je sais pas, mais je sens quéque chose qui pue; je pense c'est c'homme qui vouloit passer et qui potoit cette boîte; je pense qu'il est dans ce fossé.—«Monsieur, que sentoit cette boîte?»—Elle sentoit le safran.

Le 28, vendredi.—Il se fait mettre son corselet, son épée à sa ceinture, en écharpe, prend sa pique et se fait mettre en sentinelle par Descluseaux, soldat aux gardes, qui avoit accoutumé de le faire jouer et qu'il appeloit son mignon; mais il ne vouloit pas qu'il fût assis à table avec lui, pource que, disoit-il, il est pas gentilhomme.

Juil
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Le 29, samedi, à Saint-Germain.—Il est fouetté le matin, et prie Mme de Montglat de n'en rien dire. Il va au cabinet, où il regarde donner le fouet à Bigneux, page de Mme de Montglat, crie trois fois: Fouettez fort; soudain le cœur lui grossit, et il eut envie d'en pleurer, mais pour assurer sa contenance il se print à rire; il avoit beaucoup de peine à s'en garder. Mené au parterre et à la coudraie, il court, va aux vignes pour cueillir du verjus; montant la demi-lune, il m'aperçoit entrer au parterre pour monter par le degré par où, les jours précédents, voulut passer l'homme à la boîte. M. Birat le portoit; il s'avance et, avec soin et crainte que j'eusse du mal, rougit disant: Moucheu Hérouard, moucheu Hérouard, passez pas par là, c'est par où cet homme a passé; il me le dit plusieurs fois.

Le 30 juillet, dimanche.—Il donnoit de son pain à son petit chien; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il ne faut pas donner du pain aux chiens, il le faut donner aux pauvres.»—Les chiens sont-ils riches?—A neuf heures et demie dévêtu, pissé, il dit: Velà comme pisse papa; il montroit tout le ventre. Mis au lit, il parle de l'Orphée de la fontaine, qui joue de la lyre. Je lui demande de quoi étoient faites les cordes. Il répond: D'airain, ce qui étoit vrai. Je commençai à lui raconter qui étoit Orphée, comme il jouoit bien de la lyre, ce qu'il enseignoit aux hommes. Je lui représente la figure de la lyre antique; je lui dis que, après sa mort, sa lyre fut mise au ciel parmi les autres, il demande: Y a t'i point de violon?

Le 31, lundi.—Il va en la chambre de Mlle de Vendôme, qui étoit au lit, fait déboutonner les boutons à queue qui le tenoient ferme, disant: Déboutonnez tout; sœu-sœu n'a point de plaisir. Il va en la chambre de sa nourrice qui étoit au lit, lui saute au col, lui donne des coups de poing sur les joues par caresses, disant: Je t'aime tant que je te veux tuer, en mâchant sa grosse langue Juil
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203 comme il avoit accoutumé de faire quand il faisoit quelque chose avec grande ardeur.

Le 3 août, jeudi, à Saint-Germain.—En se couchant il dit à Mme de Montglat: Mamanga, me donnez pas le fouet demain matin[304]; elle lui répond: «Monsieur, je vous ai promis que vous ne l'aurez point.»—Ho! je sais bien que si; vous me fairez dire mes quadrains et puis vous direz: Ça troussons ce cu.

Le 4, vendredi, à Saint-Germain.—Ramené au vieux château, tambour battant à l'esquadre[305] de la compagnie, lui à la tête, ayant son haussecol.

Le 7, lundi.—Il se fait donner une enseigne de pierreries et de diamants que la Reine avoit baillée à mettre à son chapeau, s'en joue disant: Velà qui pèse neuf livres. Je lui dis qu'elle ne pesoit pas tant, et qu'il falloit envoyer querir les balances de M. Guérin, son apothicaire. Il répond: Oui, oui, Pierre (c'étoit le valet de chambre de M. de Ventelet). Venez ici, allez dire à Guérin qu'il m'appote ses petites balances pour peser mon enseigne, puis il me dit: Il pensera que c'est mon enseigne quand j'entre en garde. On lui met une petite coiffe de toile pour lui ôter le bonnet d'enfant et lui donner le chapeau. Je lui dis: «Monsieur, maintenant que l'on vous ôte le bonnet, vous ne serez plus enfant, vous commencerez à devenir homme; il ne faudra plus faire l'enfant.» Il m'écoute, et dit: Ho! je n'ai garde.—Il va au bâtiment neuf, entre dedans pour y voir les chambres tendues pour y recevoir Mme la duchesse de Mantoue.

Le 8, mardi.—Sur les deux heures, il vient au pied de la vis, où il se tenoit pour le frais[306], et pour y entendre Août
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204 une défense que Mme de Montglat fit faire à son de trompe par Thomas le suisse et proclamée par Hugues Rabouyn, huissier de salle, par laquelle, de par le Roi et Monseigneur le Dauphin, il étoit enjoint à toutes personnes, de quelque qualité, condition ou nation que ce fût, de n'avoir à faire leurs ordures dans l'enclos du château, sinon aux lieux destinés pour ce faire, à peine d'un quart d'écu d'amende applicable: une moitié aux pauvres et l'autre au dénonciateur des infracteurs, ou, à faute de ne la pouvoir payer, de tenir prison au pain et à l'eau par l'espace de vingt et quatre heures. Il y avoit en ce temps ici de la peste à Paris et autres lieux circonvoisins. Après le souper Mlle d'Agre surprend le Dauphin pissant contre la muraille de la chambre basse où il étoit: «Ha! Monsieur, dit-elle, je vous y prends! Vous payerez un quart d'écu;» il se trouve surpris, rougit, ne sait que dire, se reconnoissant avoir contrevenu.

Le 9, mercredi.—L'on vient dire que le Roi arrivoit, il va en la cour, où le Roi arrive de Paris, pour le voir, court au-devant, lui saute au col. Il va au palemail, par le petit pont avec le Roi et un peu auparavant, en la salle du conseil, arriva Don Ferdinand de Gonzague, fils puîné du duc de Mantoue et chevalier de Malte, son cousin germain. Le Roi le lui fait accoler, puis ils vont au palemail, où il joue de grands coups jusques à la chapelle[307], où il entend la messe avec le Roi. Dîné avec le Roi; peu après il a dansé les branles et autres danses, puis il s'arme de son corselet et de sa pique, fait armer sa compagnie; M. le Chevalier étoit le capitaine; M. de Verneuil marchoit avec lui. Il va en la cour, fait les exercices en la présence du Roi; à la fin M. le Chevalier porta au Roi un papier où étoient les noms des soldats de la compagnie pour le supplier de Août
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205 faire ordonner le payement; le sieur de Saint-Aubin-Montglat[308] se trouva là: le Roi lui bailla le papier, disant: «Tenez, monsieur le commissaire, faites-leur faire la monstre» (il étoit homme réputé pour être fort avaricieux). Le Roi dit à M. le Chevalier qu'ils seroient payés comme ils serviroient, puis, les voyant en bataille, il leur dit qu'il ne falloit qu'un balai de verges pour faire fuir toute cette compagnie[309]; à ces mots M. le Dauphin regarde de côté, se souriant et rougissant. Le Roi s'en va au bâtiment neuf, M. le Dauphin retourne en sa chambre; il presse son goûter pour aller trouver le Roi, qui montroit le bâtiment neuf au sieur don Ferdinand de Gonzague. Le Roi part pour s'en retourner à Paris à quatre heures et trois quarts.

Le 10, jeudi, à Saint-Germain.—Je lui demande: «Monsieur, qui a été le premier, la poule ou l'œuf?» il répond: La poule, après avoir tant soit peu songé. Je lui dis que je l'allois écrire en mon registre.

Le 12, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac, en dit quinze, et ses sentences; et en l'une, où il y avoit: «Celui qui contient sa langue est sage,» il ajoute, du sien et de son mouvement: Celui donc qui la lâche est fou.—A quatre heures mené en carrosse, au bâtiment neuf, pour y attendre la Reine, qui y arriva à quatre heures trois quarts, menant Mme la duchesse de Mantoue, à laquelle il fit grandes caresses; elle lui donna une écharpe de gaze d'or et d'argent, où pendoit un poignard garni à l'antique, et le lui mit au col. Il va en la galerie, où il court, joue au palemail et envoie querir ses armes aux vieux château, s'arme et toute sa compagnie, fait à l'accoutumée. A six heures et demie, la Reine part pour s'en retourner à Paris; les dames italiennes le baisèrent. Un quart d'heure Août
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206 après, le Roi arrive, revenant de la chasse, le baise, l'embrasse; à sept heures soupé avec le Roi. Pendant qu'il mangeoit le Roi lui demandoit s'il lui vouloit donner à coucher, et lui dit: «Si vous ne me couchez avec vous, je coucherai avec maman Doundoun.»

Le 13, dimanche, à Saint-Germain.—On lui remet son bonnet par le commandement de la Reine, qui lui fit ôter sa coiffe à son arrivée. Mené au bâtiment neuf, au Roi, qui le mène à la chapelle, puis aux grottes de Neptune et d'Orphée. Ramené, il ne se veut point asseoir pour dîner que M. de Vendôme ne fût venu de chez le Roi, qui dînoit ayant en sa compagnie le sieur don Ferdinand de Gonzague, le prince d'Anhalt, M. de Bouillon et M. de Montbazon; enfin il se met à table sans vouloir manger tant que M. de Vendôme arrive: c'étoit par jalousie de ce qu'il ne y dînoit pas. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris.

Le 16, mercredi.—Il fait assembler, entre les deux portes de la chambre et de la salle, tous ceux qu'il connoissoit savoir chanter et jouer des instruments, et leur commande de faire la musique; il étoit dans sa chambre, qui les écoutoit à travers la tapisserie avec transport.

Le 17, jeudi.—Il accommode son écritoire, la porte en sa chambre, disant qu'il veut étudier; Dumont, clerc de sa chapelle, lui apprenoit à lire et à écrire[310].

Le 20, dimanche.—Le sieur Francesco.....[311], peintre du sieur don Ferdinand, puîné de M. le duc de Mantoue, le pourtrait de son long; il s'amuse aussi à peindre et fait, dit-il, Mistaudin, petit garçon qui servoit le fils de M. de Liancourt, premier écuyer[312].

Le 21, lundi.—M. de Verneuil lui demande: «Mon maître, vous plaît-il bien que je dîne avec vous?» Il répond: Non, brusquement. Mme de Montglat lui demanda Août
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207 pourquoi.—Pource qu'il en feroit coutume, et je veux pas.—«Monsieur, mais papa le veut.»—Bien donc, je veux bien. On le peignoit en dînant, et comme il voulut boire, je lui dis: «Monsieur, on vous peindra le verre au poing;» il s'arrête court, me regarde, se souriant et rougit; il ne vouloit point boire tant que je l'eusse assuré que je l'avois dit à petit semblant. Il perdoit patience à se laisser peindre; le peintre l'amuse, disant qu'il avoit un petit oiseau dans sa main.

Le 23, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au sermon de M. de Saint Germain[313], a patience pour un quart d'heure, ne veut point entendre la messe. Mmes de Martigues et de Mercœur et Mlle de Mercœur le viennent voir; il s'arme de son corselet, prend sa pique et fait ses exercices devant ces dames. Mme de Rannes lui vouloit faire croire qu'elle étoit un vieil capitaine, mais qu'elle avoit fait couper sa barbe. Le Dauphin lui demande: Où est-elle?—«Je l'ai brûlée.»—Ho! ho! c'est que vous moquez de moi; vous êtes une femme. Mme de Saint-Georges lui dit: «Monsieur, où faut-il regarder si c'est un homme ou une femme?»—Entre les jambes.

Le 24, jeudi.—Il fait mettre un mouchoir sous les cordes du luth à Hindret, et lui commande de jouer le ballet des grenouilles. Il le danse sur le tapis en faisant les sauts en cadence.

Le 26, samedi.—Mme de Montglat lui fait dire son catéchisme et, à la demande: «Pourquoi Dieu avoit condamné Adam et Ève à la mort?» il répondit selon le sens et non selon la lettre, et de soi-même: C'est pource que ils avoient mangé de la pomme et Dieu l'avoit défendu. M. le Chevalier et Mlle de Vendôme s'en alloient à Paris; il faisoit paroître en avoir du déplaisir, et peu s'en falloit qu'il n'en pleurât, disant: Ho! féfé Chevalier va bien voir papa, et je n'y vas pas.—M. Birat lui disoit: «Monsieur, il Août
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208 faudra, quand vous serez grand, que vous alliez prendre Milan, que l'on a ôté à vos prédécesseurs[314].» Il répondit: Oui, en s'animant.

Le 30 août, mercredi, à Saint-Germain.—Il va au devant de M. le cardinal de Joyeuse, légat pour le tenir à baptême, le trouve accompagné de M. le duc de Montbazon et de M. de Ragny; il ne faisoit que passer pour s'acheminer à Fontainebleau.

Le 4 septembre, lundi, à Saint-Germain.—Il y avoit deux soldats, Dufour et Harivet, qui étoient prisonniers pour s'être battus dans le quartier et contre les défenses; M. de Mansan les vouloit faire juger par les capitaines. Nous le voulons persuader (le Dauphin) de demander leur grâce, lui représentant qu'ils seroient arquebusés; cela le toucha, il rougit, et demande: Quand? demain?—«Non, Monsieur, lui dis-je, ce sera aujourd'hui;» il lui prend de l'inquiétude, et toutefois ne veut pas demander la grâce. Je lui dis: «Monsieur, vous demandez bien la grâce et faites donner la vie à des mouches et des petits oiseaux, et vous ne la voulez faire donner pour des braves soldats qui vous gardent?» Il répond: C'est qu'on me le fait dire; je le presse: Non, dit-il, je veux pas, et il eût voulu que ce fût fait; il en avoit de la peine. Je veux, dit-il, que ce sait Mamanga. Mme de Montglat arrive; il lui parle bas à l'oreille: Mamanga, un mot; dites à Taine qu'il[315] pardonne à ces soldats; il les veut faire passer par les armes. Il se retourne, rougit et cache sa face quand Mme de Montglat le demanda à M. de Mansan. On lui dit alors: «Monsieur, remerciez-en M. de Mansan;» il répond: Non, en étant fort aise et le témoignant par un honteux souris[316].

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Le 6, mercredi.—Un valet de pied de la Reine racontoit, comme à Fontainebleau, entre le logis de M. de Rosny, il y avoit soixante hommes artificiels et autant de diables qui se combattoient[317]: Hé! hé! dit-il en bégayant d'ardeur, il faut jeter dessus de l'eau bénite, en jeter à chacun sur la tête, puis il s'enfuiront en leur maison.

Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Je lui donne six muscardins[318], où il y entroit du bézoar, de la licorne, etc., sur la nouvelle de ce laquais qui étoit mort de peste en l'écurie de la reine Marguerite, et son compagnon qui l'avoit laissé malade étoit venu avec lui à Saint-Germain, avec la litière de la dite Reine qui devoit porter M. le Dauphin[319].

Le 9, samedi, voyage.—A douze heures et demie il est mis en litière et part de Saint-Germain en Laye pour son baptême; il arrive à Meudon à quatre heures et demie, est logé chez M. Garrault, trésorier de l'Extraordinaire. Il étoit conduit par M. de Souvré, accompagné de M. d'Oinville, maréchal des logis de sa compagnie, de M. de Courtenvaux, guidon, de M. d'Annerville, gendarme de sa compagnie, de M. de Champagne, lieutenant aux gardes du corps, de M. de la Court, exempt aux gardes du corps. Je lui disois qu'à Meudon il y avoit un beau château; il demande: Où est-il?—«Monsieur, il est tout là haut.»—Pourquoi m'y a-t-on pas logé?

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Le 10, dimanche, voyage.—A midi parti de Meudon en carrosse, ne voulant aller en litière; il arrive à trois heures à Chailly[320], près de Longjumeau.

Le 11, lundi, voyage.—On lui apporte un placet de la part d'un prisonnier qui étoit en la tour de Chailly; il en est si aise qu'il ne sait en quelle place mettre ce placet, délivre ce prisonnier qui s'étoit battu avec le curé. Mené à l'église, ramené en sa chambre, M. de la Court, exempt aux gardes, hausse la tapisserie pour lui faire voir le portrait de M. de Beaulieu-Ruzé, secrétaire d'État et seigneur de Chailly, étant armé à cheval comme il étoit à la bataille d'Ivry; peu après entrant en la salle, il en voit un autre tableau de son long, demande: Qui est cettui là? M. d'Angès répondit: «Monsieur, c'est M. de Beaulieu que vous avez vu là dedans à cheval.»—Il a donc mis pied à terre[321]? A midi parti en carrosse pour aller coucher à Villeroy, il arrive à trois heures et un quart, va aux jardins, aux fontaines, partout.

Le 12, mardi, voyage.—A douze heures et un quart, il part de Villeroy en carrosse, arrive à Fleury à quatre heures.

Le 13, mercredi, voyage.—Mené à la messe au prieuré, il va aux jardins, fait pêcher au canal[322] qui est au-dessous du parterre. A dîner Mlle d'Antragues se présente pour lui baiser la main; il fait le honteux, rougit, se sourit et lui Sept
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211 tourne le dos. Parti en carrosse à une heure pour aller à Fontainebleau; à une lieue de Fontainebleau arrive au devant de lui grande quantité de noblesse. Il arrive à trois heures et demie à Fontainebleau, baise et embrasse le Roi, la Reine, Mme la duchesse de Mantoue, va au jardin de la Reine, joue à la paume sous la galerie. Soupé avec le Roi. Mis au lit, il s'amuse à deviser avec MM. d'Épernon, leur parle du canal que le Roi fait faire, qui va jusques à la rivière.

Le 14, jeudi, à Fontainebleau.—A huit heures levé, vêtu de son habit de satin blanc pour le baptême; à neuf heures trois quarts déjeûné, mené chez le Roi et la Reine, puis à la chapelle du Braquemard[323]; ramené à onze heures trois quarts; dîné. Il veut voir sa chambre de parade, y va, se y ennuie incontinent, craint de partir pour le baptême craignant qu'on lui jetât de l'eau; le Roi lui en avoit donné l'appréhension, on l'assure[324]. A quatre heures parti de sa chambre avec les cérémonies et ordre ici inséré[325], donné par M. de Rhodes, grand maître des cérémonies. Il arrive sous le poële, où étoient les fonts; à cinq heures et demie il est baptisé, nommé Louis; M. le cardinal de Joyeuse parrain, Mme la duchesse de Mantoue marraine. M. le cardinal de Gondi baptisa, c'est-à-dire fit les restes des cérémonies. Il l'interrogea et répondit à propos, ouvre sa poitrine pour y recevoir l'huile; M. de Montpensier lui baissa le collet pour y recevoir le chrême sur les épaules; il se prend à sourire, disant: Velà qu'est fraid. Au sel il dit: Il est avalé, je le treuve bon. Cette cérémonie dura près d'une heure[326], puis on le retire par la chambre Sept
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212 de la Reine et celle du Roi en la sienne. Passant sur la terrasse, il aperçoit dans la cour Descluseaux qui étoit en la compagnie, et tout le régiment en la cour; il l'appelle: Hé! mon mignon! Venez mon mignon! Il va en sa chambre; il lui prend une humeur de vouloir entrer en garde, se fait bailler sa pique, se fait mettre son hausse-col. A sept heures et un quart soupé, à neuf heures trois quarts dévêtu, mis au lit.

Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, puis en carrosse à la maison des artifices à feu, il va chez le Roi et la Reine, est mené en la galerie du Roi d'où il regarde courir la bague en la basse-cour[327]. M. de Lorraine le vient voir à son souper; il se fait mettre à bas pour le saluer, le va embrasser; M. de Lorraine lui donne un fort beau canon. A huit heures et trois quarts le Roi envoya commander qu'on le menât au pavillon qui est au bout de la grande salle pour voir les artifices à feu, faits en forme de fort carré, défendu par des hommes et assailli par des diables. Il y est mené mais ne y pouvoit durer, s'en vouloit aller; on l'en divertit jusques à ce que le feu fût donné aux artifices; voyant les diables qui couroient autour du fort: Hé! mon Dieu, qu'il est joli! dit-il, cela dura longtemps. Ramené à dix heures en sa chambre.

Le 16, samedi.—Il va à la chapelle au bout de la salle du bal, puis chez le Roi et la Reine, prend congé de Mme la duchesse de Mantoue, puis s'en va au grand jardin, où il voit faire des verres au fourneau fait sous une des arcades de la terrasse[328]. Après dîner il Sept
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213 va chez le Roi et la Reine leur dire adieu et, à deux heures, il est parti de Fontainebleau en carrosse pour aller coucher à Cély, maison appartenant à M. de Bonneuil de Thou[329]. Il arrive à cinq heures, se joue au jardin, va voir pêcher au canal. A six heures et demie soupé en se jouant d'une sarbacane de verre qu'il avoit fait faire à la verrerie.

Le 17, dimanche, à Cély.—Il va au jardin, où il se joue diversement, et à trois heures y fait porter sa collation et fait mettre sa serviette sur une bordure de buis qui étoit grande et épaisse.

Le 19, mercredi, à Cély.—Il est mené à Courance[330] dans mon carrosse, n'ayant point voulu entrer dans celui de M. de Fleury, le trouvant trop obscur. Il s'amuse à ramasser des cailloux au-dessous de la source du bois, monte à la grande source, goûte dans la salle des palissades, sur la table ronde d'ardoise, puis va voir conduire la nacelle sur le grand réservoir. Il est ramené et arrive à six heures à Cély.

Le 20, mercredi, à Cély.—Mené au parc, il y avoit une petite planche à passer, où M. de Souvré glissa et donna d'un pied dans l'eau. Mamanga, dit le Dauphin, gardez de tomber dedans. Il craignoit pour lui; on lui dit: «Monsieur, Birat vous portera, ne craignez point.»—Mais, dit-il, si Birat tombe dedans!

Le 21, jeudi, à Cély.—Je lui parlois des machines de guerre et entre autres des échelles, lui disant qu'en haut il y avoit des poulies revêtues de drap de peur du bruit, coulant contre les murailles pour prendre les ennemis Sept
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214 qui étoient dans les villes, et au bas des pointes de fer de peur qu'elles ne glissent; il me demande: Papa en avoit-il pour prendre Sedan. Il veut écrire au Roi qui s'étoit un peu trouvé mal, écrit, moi ayant l'honneur de lui conduire la main comme à toutes les autres qu'il avoit écrites[331]; il m'envoya quérir à mon logis pour cet office.

Papa, je suis bien marri de votre maladie; je voudrois bien être auprès de vous pour vous faire service et vous faire passer le temps, si vous le treuvez bon; mais j'aurai besoin de votre carrosse et de celle de maman, si vous plaît. Je sais faire de beaux jardins, j'en ai fait un en cette belle maison, vous le verrez un jour si vous y venez. J'ai fait aussi une belle petite fontaine; j'ai commencé une petite maison, mais c'est que je ne l'ai pu achever pource que mon valet Birat a oublié mon marteau et mon ciseau à Saint-Germain. J'ai peur de vous ennuyer, papa, je vous donne le bonsoir et à maman aussi; ma plume est bien pesante. Je suis et serai toujours, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur,

Louis Daulphin.

Il me commanda de lui faire signer Louis; c'est la première fois qu'il a signé Louis[332]. Il s'amuse à griffonner sur un papier, fait un corbeau[333].

Le 22, vendredi, à Cély.—Il lui prend une humeur de vouloir écrire au Roi; il m'envoie quérir à mon logis par deux fois coup sur coup. Il écrit; je lui conduis la main:

Papa, je loue Dieu de ce que le petit Montglat m'a dit que vous Sept
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215 étiez guéri; j'en ai fait trois petits sauts, j'en ferai six quand j'aurai l'honneur d'être auprès de vous, et encore cent; j'en ai bien envie pour vous faire très-humble service, parce que je suis votre petit valet; j'ai retenu ici le petit souda avec son haussecou; il viendra avec moi s'il vous plaît, papa; je m'en vas à la messe prier Dieu pour vous, papa, et pour maman. Bonjour, papa, bonjour; bonjour, maman, je suis et serai toujours, papa, votre très-humble très-obéissant fils et serviteur,

Louis Daulphin.

A quatre heures et demie il va à sa nourrice qui étoit au jardin et fait caca; elle, par faute de linge, l'essuie avec des feuilles. Le voilà à crier, à pleurer: Ha! la vilaine! Mme de Montglat arrive qui demande que c'est?—C'est Doundoun qui m'a torché le cul avec des feuilles, et se retournant vers elle: Ha! la vilaine, et il la frappe d'un petit bout de houssine. Achevé de nettoyer avec un linge par Mlle de Ventelet, n'ayant voulu permettre que ce fût la nourrice tant il étoit fâché[334].

Le 23, samedi, à Cély.—A neuf heures trois quarts parti en carrosse pour aller à Chailly, sur le bord de la forêt, dîner avec le Roi qui l'avoit mandé, y étant venu à l'assemblée[335]. Il y arrive à onze heures. Dîné avec le Roi, de la viande du Roi. Le Roi lui fait tâter le goût d'une huître cuite: Bon, dit-il, j'en mangerai bien encore papa; le Roi l'en refusa. A une heure et demie il part, va à Fleury, voit toutes les avenues, va au grand canal où on lui avoit fait mettre une roue de moulin pour lui donner du plaisir; il faisoit hausser et baisser la bonde alternativement. Ramené à Cély à quatre heures et un quart; il avoit porté de Fleury une galère de jonchée, le voilà soudain au canal pour la faire voguer.—M. de la Court lui dit: «Monsieur, avez-vous pas bien entendu que papa vous a dit qu'il vouloit que vous apprinssiez à vous laver les Sept
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216 mains tout seul et à vous torcher le cul.—Oui.—«Que ne lui disiez-vous qu'il ne le torchoit pas lui-même!»—Je n'eusse osé, il m'eût donné le fouet[336].

Le 24, dimanche, à Cély.—A dix heures et demie il dit qu'il a faim; je lui demande s'il vouloit pas dîner: Non, dit-il, je veux attendre papa. Le Roi arriva à onze heures et demie; dîné avec le Roi. Il va en sa chambre, où le Roi se joue à lui. A deux heures et demie parti de Cély en carrosse, avec le Roi qui le mène à Fleury; amené au moulinet du canal. A quatre heures le Roi part pour aller à la chasse, et le Dauphin à Fontainebleau; il arrive à six heures et un quart, va chez la Reine, est ramené en sa chambre qui regarde l'étang, vers la grande galerie.

Le 25, lundi, à Fontainebleau.—A neuf heures mené à la chapelle, puis au jardin de la Reine; monté en la chambre du Roi et de la Reine, puis à onze heures il va dîner avec le Roi en sa chambre. Il ne veut point de betterave, y ayant tâté; le Roi lui donne du fenouil vert, il dit qu'il le plantera dans son jardin. Il va chez la Reine, puis en sa chambre, à une heure se met à la fenêtre du cabinet, commande aux laquais: Ne faites point de mal à cette femme, qui puisoit de l'eau, se ressouvenant y avoir vu jeter une femme dans la fontaine par les laquais, au dernier voyage[337]. A quatre heures et demie mené au grand canal, puis au jardin des canaux, il va voir l'autruche puis les gazelles; il s'amuse autour de l'eau, voit les ombres dans l'eau de ceux qui étoient à Sept
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217 l'opposite avoir la tête dedans et les pieds en haut, et dit: Hé! velà les antipodes! Ramené à six heures, il rencontre le Roi qui le ramène en la chambre de la Reine et souper avec lui.

Le 26, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le long du canal de l'étang au grand jardin, s'amuse à la fontaine du Tibre à faire donner et arrêter l'eau. Mené chez la Reine lui donner le bonjour, puis retourné en sa chambre. Amusé jusqu'à trois heures et demie à peindre, ayant fait apporter des couleurs.—M. de Sillery, garde des sceaux, le vient voir.

Le 27, mercredi.—Mené à neuf heures trois quarts au jardin des canaux où il trouve le Roi, il lui donne le bonjour et se y joue jusqu'à dix heures et un quart. Ramené par le grand jardin à la messe, puis chez la Reine. Il lui donne le bonjour et, à onze heures et trois quarts, en sa chambre, dîné.

Le 28, jeudi.—Se jouant avec un fouet de postillon, il le va passer sur de la fumée de genièvre et dit: C'est parce qu'il vient de Paris, je le passe pardessus le feu. La peste étoit à Paris.—M. de Souvré le vient voir et lui dit: «Monsieur, vous aurez aujourd'hui cinq ans, il ne faut plus être opiniâtre;» il répond gaiement et souriant: J'ai tout laissé à Saint-Germain, dans mon cabinet des armes.—A midi dîné en la salle du bal avec le Roi.

Le 29, vendredi.—Mené au jardin des canaux, où le Roi faisoit pêcher des truites. Il va chez la Reine, s'amuse à écrire disant: Je ferai bien d'un o un a, et il le faisoit.

Le 30, samedi.—Il prie Dieu, dit ses quatrains de Pibrac et, à celui où il y a que Dieu, d'un souffle de sa bouche, nous peut emporter, Mme de Montglat lui remontre que, s'il n'étoit sage, que Dieu l'emporteroit bien loin, d'un coup de son souffle. Eh! dit-il, je m'en retournerois dans le ventre à maman.—Le Roi lui donne un barbet, il demande: Papa, que sait-il faire? Comment s'appelle-t-il? le Roi lui répond: «Il s'appelle Lion.» Il Sept
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218 l'embrasse et le baise. Mme de Montglat l'en reprend et lui dit qu'il ne faut point de chiens, qu'il est si laid.—J'aime, dit-il, tout ce qui vient de papa.—Soupé avec le Roi. Il va avec le Roi en la chambre de la Reine, laquelle lui donne deux pièces de monnoie d'or; ramené en sa chambre, querelle pour ces pièces d'or entre Mme de Montglat et sa nourrice, lui bien empêché pour les contenter toutes deux; et ses larmes et cris voyant pleurer sa nourrice[sic]; enfin apaisé[338].

Le 1er octobre, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux, au Roi, où M. de Vitry emmena la meute de chiens que le prince de Galles avoit, depuis quelques mois, envoyée à M. le Dauphin[339]; le Roi lui demande: «Mon fils, que lui envoyerez-vous en récompense de ces chiens?»—De petits chevaux, mais que ma petite jument les ait faits.—Il vouloit aller au rut avec le Roi et la Reine; il en est diverti, est mené au chenil.—Mené au cabinet de la Reine, où il s'amuse à jouer aux cartes, au hoc; le petit More[340] l'appelle coquin, il lui jette ses cartes au visage.

Le 2, lundi.—A neuf heures déjeuné; M. de Lesdiguières y étoit présent qui lui promet des armes de Milan. Mené au jardin des canaux, Ange Cappel, sieur du Luat, lui fait la révérence, lui dit qu'il est son très-humble serviteur; le Dauphin l'ayant vu un peu retiré dit: Mamanga, il ressemble à maître Guillaume[341], le voyant chauve et la barbe rase[342]. La Reine le mène en carrosse Oct
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219 dans la forêt au devant du Roi qui étoit allé à la chasse du chevreuil.

Le 3, mardi, à Fontainebleau.—Éveillé à une heure après minuit, en sursaut, avec un cri haut extrêmement, et effroyable. Sa nourrice et Mlle de Ventelet vont à lui, demandant ce qu'il avoit: Hé! c'est que papa s'en va sans moi, pleurant et fondant en larmes; hé! je veux aller avec papa, attendez-moi, papa! Il le songeoit et s'en éveille; il aimoit fort et craignoit le Roi; il se rendort à peine ayant le cœur saisi. Éveillé à sept heures, sa nourrice lui a demandé: «Monsieur, qu'aviez à songer et à crier cette nuit?»—Doundoun, c'est que je songeois que j'étois à la chasse avec papa, j'ai vu un grand, grand loup qui vouloit manger papa et un autre qui me vouloit manger, et j'ai tiré mon épée, puis je les ai tués tous deux[343].—A huit heures trois quarts dévêtu. On lui a lavé les jambes dans de l'eau tiède, au bassin de la Reine; c'est la première fois.

Le 4, mercredi.—Il va courant jusqu'en la chambre de M. de Guise pour donner le bonjour au Roi, qui s'en alloit à la chasse. Mené chez le Roi au retour de la chasse.

Le 5, jeudi.—Il va au jardin des canaux, est ramené avec le Roi, qu'il ne veut point quitter pour dîner avec lui.

Le 6, vendredi.—Mené au grand canal où étoit le Roi qui se promenoit sur la chaussée, parlant à un capitaine espagnol tout seul; Mme de Montglat le lui dit, il répond: S'il vouloit faire mal à papa, je le battrois bien.—Dîné avec le Roi; il prend plaisir à ouïr maître Guillaume.—Mené chez le Roi et la Reine au cabinet, il s'amuse à faire des châteaux de cartes; M. de Verneuil lui demande: «Mon maître, cette maison est-elle à vous?»—Non, je n'en ai point, elle est à papa.—«J'en ai une, moi.»—Qui est-elle?—«Verneuil.»—Vous êtes un menteur, elle est pas à vous, elle est à votre maman.—Soupé Oct
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220 avec le Roi qui lui fit servir de la viande; il voulut demander au Roi du poisson[344], le Roi lui dit un peu brusquement qu'il l'envoyeroit souper en sa chambre s'il ne mangeoit sa viande; il se tut tout court et ne demanda plus rien, et mangea du mouton bouilli (deux nœuds de la queue).

Le 7, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous pleurerez bien quand vous ne serez plus avec moi et que vous irez avec M. de Souvré.» Il lui répond: Mamanga, ne parlons point de cela.—Il va avec la Reine au devant du Roi revenant de la chasse.

Le 8, dimanche.—Il va au jardin des canaux, puis en celui où étoient les gazels (sic), les fait courir et son chien après eux. Dîné avec le Roi.

Le 9, lundi.—La Reine le mène en son carrosse jusques à la route de Moret, pensant rencontrer le Roi revenant de la chasse.

Le 10, mardi.—Mis en carrosse avec LL. MM. pour aller aux toiles, hors de la forêt, au commencement du chemin de Melun. Il voit prendre quinze ou seize sangliers.

Le 13, vendredi.—Le Roi venoit de jouer et avoit perdu, et le baisant lui dit: «Mon fils je viens de jouer tout votre bien.»—Excusez-moi, papa, il n'est pas à moi, il est à vous, papa. Il va donner le bonsoir à LL. MM. puis revient en sa chambre où il se joue encore, fait prendre à Boileau, son violon, un petit fagot de paille entre les jambes, chantant: «Vous ne me sauriez bouteur, bouter, etc.;» lui, avec le flambeau, le suit partout et y mit le feu par deux fois.

Le 14, samedi.—Mené au lever de la Reine et de là en carrosse pour aller trouver le Roi au grand canal, il le rencontre en chemin; le Roi le ramène et le mène au parterre du Tibre, où, par les sentiers des compartiments, Oct
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221 le Roi court après lui, faisant semblant de lui vouloir prendre son chapeau sur la tête, puis il court après le Roi qui se laisse surprendre.—A six heures et demie soupé; il y avoit un page de la chambre auquel il demanda: Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je m'appelle Des Ars.»—Vous êtes donc un arc? il vous faut attacher une corde au nez et au bout des jambes, et puis y mettre une flèche et tirer. Il dit d'un autre page de la chambre qui se nommoit Racan[345]: Mamanga, velà l'arc en ciel, pour ce qu'il tournoit le nom en son entendement imaginant Arcan, et ajoutoit ciel en sa petite fantaisie; il avoit et se plaisoit à des pareilles rencontres.

Le 15, dimanche, à Fontainebleau.—A neuf heures et demie déjeûné. Il flatte Mme de Montglat, lui baise les mains, la robe, lui saute au col; c'étoit instruction, non de son naturel. Dîné avec le Roi. A six heures et demie soupé; il demande à un page de la Reine qui étoit Italien: Comment vous appelez-vous?—«Monsieur, je m'appelle Pettrousse[346].»—Vous appelez donc Troussepet, dit-il soudain.

Le 16, lundi.—Il va chez le Roi en son cabinet, prend congé de lui; le Roi s'en alloit à Nemours[347] et de là voir le canal de Briare. Mené chez la Reine, il prend congé d'elle; la Reine part.

Le 18, mercredi.—Il va à la volière et de là chez M. de Roquelaure, où il voit manier[348] sa petite mule, qui même passoit par-dessus un cerceau, à quoi il prenoit un extrême plaisir.

Le 20, vendredi.—Mené voir Mme la comtesse de Moret.

Le 24, mardi.—Mené à la messe; M. Birat le portoit Oct
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222 ayant la tête nue et M. de Belmont marchoit auprès, la tête couverte; il dit à M. Birat: Mettez votre chapeau.—«Monsieur, je suis bien.»—Non, non, mettez votre chapeau, vous êtes vieil; ôtez votre chapeau>, Belmont.

Le 25, mercredi.—Il est mené à la messe, puis a voulu monter à l'horloge y voir le Vulcain Jacquemard[349]. Mené chez Mme la comtesse de Moret, puis au jardin des Mathurins et de là en la chambre de M. Héroard[350].

Le 27 octobre, vendredi, à Fontainebleau.—Je parlois du Blond[351], peintre, disant qu'il faisoit bien les visages, il demande: Et pour le reste?

Le 28, samedi.—Mené par le jardin de la Reine en la conciergerie, voir Mme la comtesse de Moret.

Le 29, dimanche.—Mené à la messe, à la chapelle de la salle du bal, il se dépêche de y aller afin que Madame ne les autres petits ne y soient pas comme lui. Mené au jardin du Tibre, il y court le cerf; c'étoit M. Birat puis son page Bompar, puis il se fait le cerf. Il donne à manger aux cygnes, va par-dessous la terrasse au logis neuf de M. Zamet, et de là, par la conciergerie et le jardin de la Reine, en sa chambre. Mené au jardin des canaux; il va voir les autruches et après va voir manier la petite mule de M. de Roquelaure qui passoit dans un cercle, sautoit sur le bâton, se mettoit à genoux, marchoit dessus avec un singe dessus; le Dauphin y faisoit monter des laquais et prenoit plaisir à les voir tomber. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi y viennent, le font jouer aux cloches d'ivoire et le moine dessous, puis aux piliers où l'on demande: La compagnie vous plaît-elle? (jeu d'enfants de douze à quinze ans). Il y jouoit, entendoit le jeu.

Oct
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Le 30 octobre, lundi, à Fontainebleau.—M. de Gramont, écuyer de M. de Roquelaure, lui demande: «Monsieur, connoissez-vous M. de Roquelaure?»—Oui.—«A quoi le connoissez-vous?»—C'est qu'il est borgne[352]; et il se prend à rire, mais d'un rire d'hôtelier, car il n'étoit pas grand rieur. A onze heures trois quarts il dit sa leçon; il y a bien de la peine à le y faire résoudre; auparavant il s'amusoit à chasser des mouches. A six heures et un quart soupé; les pages de la chambre du Roi arrivent, se mettent à jouer à La compagnie vous plaît-elle? puis à Bis cum bis etc.; il fait le maître aucunes fois, et quand il ne sait pas dire quelque chose qu'il faut, il le demande; il joue à ces jeux ici comme s'il avoit quinze ans, joue à faire allumer la chandelle les yeux bouchés.

Le 31, mardi.—Un homme qu'il avoit fait mettre hors de prison[353], le vient remercier; il lui dit: Soyez homme de bien à l'avenir. Sa partie y étoit: Soyez gens de bien tous deux et ne vous demandez plus rien, et priez Dieu pour papa et pour maman.

Le 1er novembre, mercredi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il se confesse à son aumônier pour la première fois.

Le 4, samedi.—Vêtu, peigné paisiblement; M. Zamet y étoit, ce qui le retenoit, craignant qu'il ne dît à la Reine s'il faisoit le fâcheux.—Il se joue à divers jeux, les pages de la chambre avec lui; ils dansent le branle: Ils sont à Saint-Jean des choux, et se donnent du pied au cul; il le dansoit et faisoit comme eux.

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Le 5, dimanche, à Fontainebleau.—Il joue aux barres et entend le jeu et les termes du jeu. A cinq heures le Roi arrive, revenant de Montargis; il lui va au devant courageusement[354] et toujours courant jusques au pied de l'escalier de la basse-cour, va en la chambre du Roi, où il se joue jusques à six heures que la Reine arrive; l'ayant saluée, peu après il s'en va en sa chambre.

Le 6, lundi.—Il sort avec le Roi, qui s'en alloit promener; il pleuvoit, le Roi lui dit: «Mon fils, il pleut; allez-vous-en.»—Non, s'il vous plaît, papa; je crains pas la pluie.—«Mais je crains que vous ne deveniez malade.»—Je le serai pas, papa, et il le suit. C'étoit d'amour qu'il avoit au Roi, car il craignoit d'aller à la pluie. Ramené en la chambre de la Reine, il s'en va en la chambre du Roi, le y attendant pour dîner; M. le prince de Condé prend la serviette, la lui présente pour la servir au Roi, le Dauphin lui dit: Attendez que papa soit venu; gardez-la, puis je la prendrai; dîné avec le Roi.—Le Roi lui fait la guerre, lui disant qu'il est amoureux de la Tornaboni, l'une des filles de la Reine; il en est honteux et en eût volontiers pleuré; cela lui fait prendre envie de revenir en sa chambre.—Mené chez le Roi pour lui donner le bonsoir, le Roi le voulant asseoir sur le lit vert du cabinet lui dit: «Mon fils, mettez-vous ici entre maman et moi.»—Excusez-moi, papa, je me mettrai bien là derrière, dit-il par respect.

Le 7, mardi.—Il s'amuse à mettre en bataille, file à file, toute sa compagnie de pièces de poterie, et le Dauphin[355] étoit à la tête.—Mené chez le Roi au cabinet, où il s'amuse, avec de l'encre et une plume, à faire des oiseaux; il joue à trois dés, M. de Bassompierre contre lui, en lui apprenant le jeu.

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Le 8, mercredi.—Il dit vingt-cinq quatrains de Pibrac. Mené chez le Roi, le Roi lui dit qu'il veut que le petit More[356] couche avec lui.—Il noirciroit les draps, papa, n'ayant point voulu dire qu'il ne le vouloit pas.

Le 9, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qui étoit encore au lit, le Roi le met dessus, lui disant: «Vous êtes un petit veau.»—Excusez-moi, papa, si vous aviez vu comme je saute, vous diriez pas que je sois veau.—Il va chez M. de Rosny, au bout du parterre, est ramené chez la Reine, puis du balcon de l'escalier il regarde M. de Créquy et autres qui jouoient au ballon en la cour.—Le Roi l'envoie querir pour souper, puis il retourne en sa chambre pour faire habiller tous ces petits qui étoient avec lui, avec Madame et Mlle de Vendôme, pour un ballet. Il n'en veut point être, dit: J'en fairai demain un tout de garçons, retourne chez le Roi, où il voit danser ce ballet.

Le 10, vendredi.—Mené chez le Roi et la Reine; la Reine lui demande s'il veut dîner avec elle, il s'en réjouit, n'en peut être dissuadé. Il va à la messe avec la Reine, et revient avec elle; dîné avec elle à douze heures et demie.

Le 11, samedi.—Mené chez le Roi, où il trouve la Reine. Le Roi lui dit: «Mon fils, je m'en vais à Saint-Germain, voulez-vous venir avec moi?»—Oui, papa. La Reine lui dit: «Mais papa va en poste.»—C'est tout un, j'irai à pied, je courrai tant que je pourrai, et s'il va trop fort je m'arrêterai, et puis je m'en retournerai. Le Roi lui dit: «Mon fils, me servirez-vous bien?»—Oui, papa.—«Me donnerez-vous bien ma chemise, mon collet, mon mouchoir?»—Oui, papa.—«Mais vous ne me sauriez donner mes bottes?»—Excusez-moi, papa, je ferai tout, dit-il gaiement. La Reine lui dit: «Mais je veux aussi que vous me serviez.»—Je le veux bien, maman.—«Mais vous ne me sauriez coiffer.»—Excusez-moi, maman; Nov
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226 puis, reconnoissant qu'il s'étoit mépris, et y ayant songé, il s'en va droit à la Reine: Maman, ce sera ma sœur.

Le 12, dimanche.—Les députés du Dauphiné lui viennent faire la révérence en corps, lui témoignant leur fidélité et affection, et le suppliant de les conduire devers le Roi pour le supplier d'accorder leur demande, à laquelle il avoit intérêt (c'étoit pour réunir au Dauphiné la Bresse, donnée en récompense du marquisat de Saluces). Il les remercia de leur bonne volonté, leur promit la sienne selon les occasions, mais [leur dit] pour ce sujet que tout étoit à papa. M. de Lesdiguières les conduisit.—Il va chez la Reine, puis à la volière, de là chez M. Zamet, d'où il voit, en la cour, courir deux renards; il étoit à la fenêtre d'où il commande: Maître Martin, lâchez ce chien blanc, puis celui-ci ou celui-là, les nommant par leur nom; il commandoit magistralement et à propos.

Le 13, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi et chez la Reine, puis à la chapelle de la salle du bal; il va de là au grand jardin, où il joue au ballon, du poing: M. de Bassompierre le lui avoit donné; dîné avec le Roi.—Il causoit avec Mathurine[357], lui dit que si elle étoit morte il la feroit mettre en terre; M. l'aumônier lui dit: «Monsieur, vous en ferez donc des reliques?»—Ho! dit-il en souriant, une belle relique de folle.

Le 14, mardi.—Il voit Boileau, son violon, qui caressoit Joron, l'une de ses femmes de chambre, de laquelle Boileau étoit amoureux; elle étoit couchée au lit de sa nourrice: Boileau, venez ici, venez çà, venez à moi, dit-il, impérieusement; et comme il se fut approché: Qui vous fait si hardi de vous jouer à mes femmes de chambre? et devant moi! Il s'amuse à ses animaux de poterie, qu'il met en bataille, l'appelle sa compagnie.

Le 15, mercredi.—Mené chez la Reine; soupé avec le Roi.

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Le 16, jeudi, à Fontainebleau.—A onze heures et un quart dîné; il entretient Engoulevent, prince des sots[358]; il lui demande: Que vous est papa? pource qu'il disoit que le Roi le suivoit et qu'il étoit prince des sots.—Il prend sa bandoulière et son mousquet, fait armer sa compagnie; M. de Verneuil, arquebusier, marche auprès de lui, M. le Chevalier est le capitaine, et il s'en va ainsi, par la terrasse des deux cours, trouver dans son cabinet la Reine, qui alloit au devant du Roi revenant de la chasse. Il fait tous les exercices devant elle, prête serment de bien servir le Roi, puis sort en bataille en l'antichambre, où il fait haie et battre le tambour pendant que la Reine passe, puis se désarme et est mené chez M. de Rosny, au pavillon qui est au bout du parterre; il le rencontre, puis est mené en la chambre pour y voir Mme de Rosny. Il va chez le Roi, veut souper avec lui; le Roi se met à jouer, le renvoie souper en sa chambre.

Le 18, samedi.—Il fait chanter deux jeunes enfants de la musique de la Reine, lui assis, les écoutant attentivement comme immobile, tant il aimoit la musique.—M. de Vendôme arrive revenant de la chasse avec le Roi; il racontoit comme le Roi étoit encore dans la forêt et que comme, lui (M. de Vendôme), est arrivé dans la basse-cour, les gardes ont commencé à prendre les armes et à battre le tambour; il entend cela, et, se retournant vers lui, demande: Ont-ils pris leurs armes pour vous?

Le 19, dimanche.—Mené au Roi en la salle du bal, pour y voir combattre les dogues contre les ours et le taureau; un ours ayant mis sous lui un des dogues, il se prend à crier: Tuez l'ours, tuez l'ours.—Mené chez la Reine, où, à neuf heures, il assista aux fiançailles de M. le prince d'Orange avec Mlle de Bourbon[359]. Ramené Nov
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228 à neuf heures trois quarts, il ne se veut point coucher, se fait mettre sa cotte, se fait tenir par la lisière pour imiter les dogues qu'il avoit vus tirant la laisse pour se jeter contre les ours.

Le 20, lundi, à Fontainebleau.—Mené sur les terrasses de la chambre de la Reine pour voir combattre des dogues, puis mené en la chambre du Roi, où se trouva M. de Rosny, autrement M. de Sully[360]. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, l'on dit que vous êtes avaricieux[361], demandez à M. de Sully de l'argent pour donner.» Il ne dit mot, et ne veut point; il ne demandoit pas aisément, de peur d'être refusé; il s'en offensoit. Mme de Montglat l'en presse, et sur cela il entend que M. de Sully disoit: «Il n'est pas encore temps;» il se retourne soudain, comme dépité, disant: C'est pas du sien, c'est de celui à papa, et s'en va. Mme de Montglat le retire vers M. de Sully: «Monsieur, dit-elle, dites à M. de Sully qu'il fasse pour moi ce que je lui demanderai.»—Qu'est-ce?—«Monsieur, dites-lui seulement cela.» Il demanda toujours ce que c'étoit, et enfin, fort pressé, dit par acquit et se retournant: Faites cela pour Mamanga, et s'en va tout dépité.

Le 22, mercredi.—Il commence à apprendre à danser, apprenant la sarabande, le branle gai. Il chasse Engoulevent, bouffon; il haïssoit naturellement les plaisants et bouffons. M. le prince d'Orange prend congé de lui, s'en allant à Valery se marier à Mlle de Bourbon; Engoulevent étoit rentré en sa chambre, il le chasse, lui donne des coups de pied.—Mené chez le Roi, il le suit au jardin de la Reine; le Roi lui commandant de l'attendre là Nov
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229 pendant qu'il entre en la galerie des cerfs pour parler d'affaires, il va dans la volière, fait jouer les robinets, rentre au jardin. Mme de Montglat le veut mener au lever de la Reine, il s'en défend; elle le presse: Mais papa m'a commandé de ne bouger d'ici; elle le veut forcer, le tire, il résiste disant: Je le veux aller demander à papa; elle le y mène par force, y va; le Roi le mène à la messe, puis à midi il a dîné avec le Roi.

Le 23, jeudi.—Il s'amuse à voir faire un habillement à la matelote, chausses et jupe pour conduire le ballet que faisoient M. le Chevalier et Mlle de Vendôme; vêtu de chausses à la matelote et d'une jupe de gaze, il est extrêmement content, se fait mettre son épée au côté en bandoulière, à huit heures est mené chez le Roi.

Le 24, vendredi.—L'ambassadeur du duc de Saxe le vient visiter de la part de son maître, lui disant en avoir commandement et qu'il prioit Dieu qu'il fût un jour un grand prince; M. le Dauphin lui donne sa main à baiser et l'embrasse, le remercie, dit qu'il est à son service et qu'il le servira toujours envers le Roi pour le tenir toujours en son amitié et bonne intelligence.

Le 26, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Roquelaure se jouant à lui l'appelle: Maître Louis; il repart soudain: Maître borgne; il l'étoit. M. de Bassompierre se jouant à lui l'appeloit: Maître badin; il repart sérieusement et sans rire: Maître sot. Le Roi dit au Dauphin et à M. de Roquelaure: «Qui voudra être le mignon de papa il faut qu'il mouche ce flambeau»; il y saute soudain tout le premier, le mouche net et se brûle au bout du doigt indice, sans s'en plaindre qu'en souriant.

Le 27, lundi.—Mené chez le Roi, M. de Roquelaure l'appelle: Sergent Louis; il lui répond: Sergent borgne.—Il entretient M. de Mansan, lui demande les noms des capitaines qui doivent entrer en garde, de ceux qui les relèvent et du lieu où ils entrent en garde; sur le nom du sieur de Drouët, il dit: Son tambour est gaucher; Nov
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230 il étoit vrai, et si il y avoit longtemps qu'il ne l'avoit vu. Il joue au jeu: Je vous éveille, et ne s'éveille que pour le Roi et pour la Reine, pour Mme de Montglat et son fils.

Le 28 novembre, mardi.—Mme la princesse d'Orange de Coligny[362] le vient voir; il entend que l'on lui ramentevoit comme le soir précédent le Roi et la Reine lui faisoient la guerre, et que le Roi la frappant, elle dit comme elle fut contrainte de se revenger et le frapper. Comment, lui dit le Dauphin, vous avez battu papa! Si j'y eusse été je vous eusse porté par terre, et il se jette sur elle pour le faire, et dit animeusement: Je suis bien fort. Elle lui répond qu'il ne l'étoit pas assez tout seul; J'envoyerai querir féfé Vaneuil. Il le fait, et l'attendant il se jette sur elle, tâche de lui donner la jambe[363]. M. de Verneuil arrive, il le tire à part, lui raconte tout bas ce qu'elle avoit fait, ce qu'ils ont à faire, puis soudain partant du bout de la chambre: Suivez-moi, et il se prend à courir droit à elle, se jette sur elle, qui feint de plier.

Le 30, jeudi.—Il ne se veut point coucher que la plus petite Panjas, qu'il avoit envoyé querir, ne soit arrivée; on lui demande s'il veut pas que la petite Panjas couche avec lui; il répond: Elle est pas princesse. Je lui demande: «Monsieur, ne coucherez-vous jamais qu'avec des princesses?»—Non. Elle arrive, il la baise, elle lui tendant sa joue, la considère froidement, puis peu à peu entre en discours avec elle: le jeu commence à lui plaire; elle, s'en retournant, lui donne le bonsoir; il s'avance et la baise en la bouche, ce qu'il ne faisoit à personne. On demande à la petite Panjas si elle vouloit bien coucher avec M. le Dauphin, elle répond oui; lui, souriant, dit: Vous êtes donc une garçonnière.

Le 1er décembre, vendredi, à Fontainebleau.—Mené à la galerie lambrissée, ayant une épée; le Roi y vient, et Déc
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231 lui dit: «Quoi, mon fils, vous avez une épée; est-ce contre moi?»—Ho! ho! Jésus! non, papa. A quatre heures mené chez le Roi et la Reine revenant de la chasse.—Arrivent deux lieutenants du régiment des gardes; l'un il l'appelle Croquant et l'autre Harlequin, par raillerie; il se familiarisoit de son mouvement avec les soldats plutôt qu'avec toute autre sorte de personnes, faisant du pair et compagnon avec eux.

Le 2, samedi, à Fontainebleau.—A sept heures et demie levé, vêtu[364], peigné, coiffé paisiblement pour le desir qu'il avoit d'aller dire adieu au Roi, qui devoit partir pour aller à Paris et partit sur les neuf heures. Mené chez le Roi, qui lui demanda quand il vouloit qu'il l'envoyât querir?—Quand il vous plaira, papa. Il étoit triste de ce départ; le Roi le rassura, lui disoit que dans peu de jours, il le renvoyeroit querir, et lui commanda d'avoir soin de son ménage. Il prend congé du Roi, bien aise d'avoir été seul et d'avoir surpris les autres petits. La Reine part à une heure après midi.

Le 4, lundi.—M. d'Arquien le vient voir, revenant de Metz. Il joue aux poules pour enfermer le renard, avec patience et froideur, demande: Doundoun, que faut-il jouer? et chante en jouant comme une grande personne qui ne laisse pas de regarder et de considérer son jeu: Maintenant que nos cœurs sont pleins d'amour et que chacun, etc., avec l'air. Il lui prend une humeur d'étudier, demande son livre pour étudier, appelle Madame pour lui faire dire sa leçon; elle y vient à regret et pleurant, et parloit en pleurant. Sans pouvoir entendre ce qu'elle disoit le Dauphin dit: Je pense qu'elle parle suisse.

Le 5, mardi.—Mme de Montglat demandoit si le comte de la Roche étoit encore à la Bastille; il demande: Qui Déc
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232 est-il?
—«Monsieur, c'est le comte de la Roche.»—Qu'a-t-il fait? Je lui réponds qu'il avoit été opiniâtre.—Mais je l'ai vu à la Bastille, croyant que ce fût le comte d'Auvergne.—«Monsieur, vous parlez de M. le comte d'Auvergne, mais Mamanga parle de M. le comte de la Roche.»—Est-il encore à la Bastille le comte d'Auvergne?—«Oui.»—Pourquoi?—«Pource qu'il avoit été fort opiniâtre.»—C'est pas cela, dit-il court et résolûment.—«Monsieur, pardonnez-moi.»—C'est pas cela.—«Monsieur, pourquoi donc?»—Je veux pas dire.—«Il n'y a pas de danger de le dire.» Il y songe, puis dit froidement: C'est parce qu'il avoit voulu faire la guerre à papa.—«Mais, Monsieur, il n'est qu'un homme seul, comment lui eût-il pu faire la guerre?»—Avec cinquante mille hommes.—«Qui le vous a dit?»—Je sais bien; il n'en voulut jamais dire davantage. L'on parloit d'aller à Saint-Germain, il dit: J'en suis bien aise, puisque papa est pas ici. Je lui demandai là-dessus: «Monsieur, où aimez-vous mieux être, à Saint-Germain, à Paris ou à Fontainebleau?» Il répond soudain: A Paris, papa y est; il aimoit fort le Roi, et sans contrainte.

Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va par le grand jardin à la Mi-Voie, à pied, par le long du ruisseau; ramené en carrosse à six heures et un quart, il s'endormoit, demande à se coucher, dit qu'il est las[365].

Le 10, dimanche.—Mené à la galerie lambrissée, où il envoie quêter le cerf, donne le département aux veneurs, leur fait faire leur rapport, puis va au bois, conduit son limier et fait donner les chiens; il prend plaisir à apprendre Déc
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233 les termes de tout, les écoute attentivement de M. de Ventelet.

Le 11, lundi.—M. de Souvré arrive, avec commandement du Roi de le conduire à Saint-Germain.

Le 12, mardi, à Fontainebleau.—Il est fort aise de voir tout remuer pour s'en aller à Paris voir papa; sur ces entrefaites arrive un courrier portant commandement de ne partir point; il ne le veut point croire, il en pleuroit. A la fin, lui étant dit que papa le vouloit, il se tut, et ne dit plus mot. Le contremandement fut une lettre que Mme la marquise de Guiercheville, par commandement de la Reine, avoit écrite à M. de Souvré, lui mandant qu'il n'eût point à faire partir messieurs les enfants, à cause de l'avis que le Roi lui avoit donné que la peste étoit en deux maisons, à Saint-Germain en Laye, où le Roi étoit alors.—Il s'amuse à un chandelier de poterie, dont il fait une fontaine, siffle d'un rossignol de poterie où il fait mettre de l'eau, s'amuse au buffet du Roi, fait du temps du roi François Ier, qui s'ouvroit par un marmouset.

Le 13, mercredi.—Mme de Montglat entre en la chambre, portant entre ses bras Madame Christienne; le voilà à crier: Otez-la, ôtez-la, ne voulant point qu'elle la portât. Mme de Montglat l'ayant laissée, le Dauphin lui dit: Lavez vos mains; elle les lave; lui-même verse de l'eau: Lavez vos bras. Là dessus elle le menace du fouet, il s'apaise.

Le 14, jeudi.—Il fut longtemps dans son lit, sans dire mot, étant éveillé; il avoit peur du fouet pour l'opiniâtrise du jour précédent. Il demande à Mme de Montglat de ne l'avoir point, et que tout le jour je serai bien gentil, je prierai Dieu, je dirai mes quadrains, je étudierai, je peindrai, je vous fairai un beau petit chérubin.—«Ho! lui dit Mme de Montglat, vous êtes un beau peintre! Vous ne sauriez peindre le beau temps.»—Si fairai.—«Comment ferez-vous?»—Je prendrai du blanc, puis des couleurs de chair et du bleu.—«Mais vous ne sauriez faire le soleil ne la lune.»—Si ferai.—«Comment ferez-vous Déc
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234 le soleil?»—Je prendrai du jaune et du rouge, et je les mêlerai.—«Et la lune?»—Je prendrai du blanc et du jaune, je le mêlerai, puis j'y fairai un visage, puis ce sera la lune. Pour flatter davantage Mme de Montglat, le Dauphin lui demande: Je voudrois bien coucher auprès de vous. Elle le fait coucher entre elle et son mari le sieur de Montglat. Mené à la chapelle puis en sa chambre, où il s'amuse à peindre; y ayant fait venir un peintre qui lui apprend, il l'écoute et suit ce qu'il lui dit, maniant aussi dextrement le pinceau que l'ouvrier, et tenant ses couleurs au pouce[366], comme le peintre qui lui fait tirer un visage.

Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir deux jeunes peintres, dit qu'il veut apprendre à peindre; étant arrivés, il prend les couleurs au pouce, peint des cerises après le crayon du peintre, demande: Que faut-il que je fasse? Faut-il du blanc, du rouge? et besogne dextrement et avec attention. Amusé jusques à onze heures et demie; M. de Montglat le prend en ses bras, le hausse, se fait accoler et le baise serré en la bouche[367], puis part pour s'en aller à Paris.

Le 16, samedi.—Mené à la galerie lambrissée et aux chambres qui regardent la basse-cour, où il y avoit des charpentiers qui mettoient des cloisons, il prend plaisir à les regarder faire, tenant ses deux mains sur les côtés. Il aimoit fort les œuvres mécaniques. Il demande à écrire; Dumont, clerc de sa chapelle, lui montre à faire des a, il suit l'impression que Dumont en fait sur le papier.—Il chante des noëls, en fait chanter; Mlle de Ventelet lui représentant le pauvre état auquel Jésus-Christ étoit né, sans draps, dans une crèche, il se prend soudain à dire avec élan et ardeur: Si j'y eusse été je lui eusse Déc
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235 donné mon lit et mes draps?
C'étoit une faveur singulière, qu'il ne faisoit à personne, et il ne permettait qu'au Roi de se mettre dessus son lit.

Le 17, dimanche, à Fontainebleau.—Mené au jardin des canaux; ramené par la cour du dragon en sa chambre, où il montre à M. Fréminet, peintre du Roi, excellent personnage, les peintures qu'il avoit faites les jours précédents: J'ai fait ces cerises, j'ai fait cette rose. M. Fréminet lui dit: «Monsieur, vous plaît-il que je vous fasse faire un oiseau, avec la plume?» Il lui répond gaiement: Oui; Mamanga, envoyez querir mon écritoire; il met son papier sur sa petite table, prend la plume, et lui-même commence à faire l'oiseau marqué A[368], commençant de droite à gauche; les taches noires du milieu, ce sont, dit-il, les plumes; puis l'autre oiseau marqué B il le fait, la main toujours conduite par le sieur Fréminet, qui sentoit comme M. le Dauphin poussoit à conduire la main. M. Fréminet lui fait le visage marqué C, disant: «Faites un visage comme celui-là.»—Ho, ho! dit-il en souriant, je ne sarois, et ne le voulut point entreprendre; il fait le visage marqué D, conduit toujours par le sieur Fréminet, et le visage aussi qui est dessous marqué E; puis, en l'autre face du papier, le visage marqué F est fait par le sieur Fréminet, auquel il donna une grosse poire.

Le 18, lundi.—M. Fréminet commença de le peindre, et pour s'amuser il demanda: Mamanga, je voudrois bien avoir des couleurs, mais je voudrois des siennes, elles sont plus belles. On lui en envoie querir au logis du sieur Fréminet, au jardin des canaux; il s'en amuse avec le pinceau. A six heures et un quart soupé; tout à coup il dit: Je suis las, demande à se coucher. Diverti il se joue à divers jeux comme: Votre place me plaît, à burlurette, avec des soldats, à frappe main.

Déc
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236

Le 20, mercredi, à Fontainebleau.—Sa nourrice le déshabillant lui tire tant soit peu un cheveu, il s'en prend à crier et plaindre fort dolentement; ma femme lui dit: «Mais, Monsieur, vous criez tant pour un cheveu, vous ne sauriez plus crier pour un coup d'épée.»—Je m'en soucie bien d'un coup d'épée! Ma femme réplique: «Monsieur, et pourquoi ne vous soucieriez-vous pas d'un coup d'épée?»—Pource que je serois mort, dit-il avec façon, comme ne se souciant et se déplaisant de la vie[369].

Le 21, jeudi.—M. de Saint-Antoine, gentilhomme françois, écuyer du prince de Galles, salue Madame de la part de son maître; elle en rougit et en fit la honteuse.—En allant à la chambre de Madame, M. de Verneuil éteint une chandelle que l'on laissoit dans le petit cabinet de la Reine, pour éclairer aux passants. M. le Dauphin n'en dit mot, mais étant dans la chambre suivante, où il y avoit de la clarté, il lui bailla un soufflet, ajoutant la raison: Pourquoi avez-vous éteint la chandelle?

Le 23, samedi.—M. Fréminet achevoit de le peindre, lui s'amusant à peindre, et il fit un oiseau sur de la toile avec de la craie.

Le 24, dimanche.—M. le prince d'Orange et Mme sa femme, fille de feu M. le prince de Condé, viennent prendre congé de lui, s'en allant à Orange.

Le 25, lundi.—Vêtu de sa robe de lames d'or et d'argent, et de soie brune, il dit: Ma robe me pèse plus derrière que devant; il ne y eut pas moyen de la raccoustrer à son gré: Otez-la moi, donnez-m'en une autre. Il fut dévêtu et revêtu de celle qu'il avoit le jour précédent, puis mené à la chapelle de la salle du bal. Après la messe il va à confesse, se confesse de tout ce qu'il avoit d'opiniâtrise ce matin.

Le 28, jeudi.—Il change de logis, fait déménager et Déc
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237 porter son lit en la chambre du pavillon de la grande galerie[370].

Le 30, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire le messager de Fontainebleau qui portoit de la marchandise à Paris, attache un jarretier à un placet[371], y met dessus ou un chapeau, ou un panier, ou quelque autre chose, le va traînant d'un bout de la chambre à l'autre où étoit son lit, décharge en la ruelle, puis s'en retourne faire nouvelle charge. M. le Chevalier en fait autant que lui, et le suivoit; Descluseaux les conduisoit. Puis le Dauphin le fait asseoir, et s'amuse à faire attacher deux flambeaux d'argent avec un petit chapelet.

Le 31, dimanche.—L'on faisoit la monstre de la compagnie sous la galerie basse de la terrasse; sa viande étoit servie; il sort de lui-même pour y aller, je cours après. Il alloit descendre la montée sans reconnoître[372], j'arrive à point nommé pour le prendre par la lisière. Il y descend, voit prêter le serment.

ANNÉE 1607.

Caractère moqueur du Dauphin.—Le gâteau des Rois.—Mme de Montglat et Mlle d'Agre.—Première signature du Dauphin.—Comment se tient le Roi.—Lettre au Roi.—La Saint-Jean des choux.Lettre du Roi.—Dessins et peintures du Dauphin.—Présent de l'archiduchesse d'Autriche à Madame.—Oraison du Dauphin.—Présents que lui fait M. de Brèves.—Le Roi joue à la paume avec le Dauphin.—Le peintre Dehoey.—Première leçon de latin.—Lettre de l'Électeur palatin.—Le Dauphin à la cérémonie de la Cène.—M. de Guise.—Naissance du duc d'Orléans; son thème de nativité.—M. de Sully.—Apparition d'un aigle; geste du duc d'Orléans et augures que l'on en tire.—Les quatrains de Pibrac.—Goût croissant du Dauphin pour la musique et le dessin.—Decourt fait de nouveau son portrait.—Vêtement d'été.—Accouchement de la comtesse de Moret.—La reine Marguerite.—Relevailles de la Reine.—Antipathie pour les Espagnols.—Paillardise du Roi.—Produits de la poterie de Fontainebleau.—Portrait en cire et médaille du Dauphin par Paolo et Dupré.—Danse d'Égyptiens ou bohémiens.—Rancune du Dauphin contre son page.—Réception d'un ambassadeur turc.—Ordres du Roi pour donner le fouet au Dauphin.—Mort de M. de Montglat.—Le comte de Moret sauvé du tonnerre.—Départ pour Saint-Germain, passage à Melun, à Crosne, à Paris, à Saint-Cloud, arrivée à Saint-Germain.—Mme des Essars.—Familiarités du Dauphin.—La peste à Saint-Germain; départ pour Noisy.—Caractère dissimulé du Dauphin.—Le Roi à Villepreux.—Lettre et présent du prince de Galles.—Histoires tirées de la Bible.—Portrait du père du Roi.—Peu de goût du Dauphin pour la danse.—Il entre dans sa septième année.—Portrait de Louis XII.—Lettres de la famille ducale de Toscane.—Incendie à Noisy.—Services d'Héroard sous Henri III.—Premier seing valable du Dauphin.—Portrait de Du Guesclin.—Le duché de Milan.—Peu de goût du Dauphin pour l'étude.—Lettre au Roi.—Le ballet des lanterniers.—Retour à Saint-Germain.—Baptême de M. et de Mlle de Verneuil.—M. de Cési.—Le livre de Vitruve.

Le lundi, 1er janvier, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il se moque d'une femme de village qui étoit fort bossue, en ricane; sur la fin de Janv
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240 la messe il va et revient, et retourne près de son aumônier qui la disoit, le contrefait en riant.

Le 2, mardi.—A deux heures mené au delà du grand jardin, du côté de main gauche, environ cent pas allant à la Mi-Voie, pour y planter le premier arbre de ceux que le Roi y vouloit faire planter; c'étoit un tilleau.

Le 3, mercredi, à Fontainebleau.—En dînant il entretient, comme une grande personne, maître Martin, preneur des renards du Roi, sait le nom de ses chiens.

Le 4, jeudi.—M. le baron de la Châtre le vient voir, allant à la Cour. Après souper il joue aux poules et au renard contre M. de Belmont. En jouant M. le Chevalier appelle M. de Belmont son lieutenant. Il le regarde en colère, songe, puis le veut frapper, lui veut jeter les poules qu'il ramasse, puis l'échiquier. M. de Belmont, qui étoit lieutenant de M. de Mansan, lui dit: «Monsieur, pourquoi voulez-vous le frapper?»—C'est parce qu'il vous a appelé son lieutenant, et vous êtes à moi.—«Mais, Monsieur, il ne le faut pas battre pour cela.»—Ho! mais c'est qu'il veut tout!

Le 5, vendredi.—A six heures il se assied à table; on lui coupe un gâteau de massepain pour lui et pour Madame et Mme Christienne; il fut le roi pour la première fois. Il avoit envie de manger sa portion de gâteau et celle de Dieu; Mme de Montglat lui dit: «Si vous voulez manger celle de Dieu, il faut donner de l'argent.»—Bien, qu'on en donne, répond-il promptement; Tétai (M. de Ventelet), donnez de l'argent.—«Monsieur, combien?»—Il songe: Cinq écus. Il fut baillé cinq quarts d'écu à M. l'aumônier, qui furent après rendus. Bu à reposées, il prenoit plaisir à faire crier: Le Roi boit par Madame.

Le 6, samedi.—Il va aux petites fontaines, où il fait rompre la glace, se y joue à la casser à coups de poing. A six heures et un quart on lui coupe un gâteau, il est fait le Roi; soupé de sa part de gâteau, il ne veut point Janv
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241 que l'on crie: Le Roi boit, le fait défendre à M. de Verneuil.

Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Il prend un grand luth, fait que Indret met ses doigts sur les touches et lui il pince les cordes; il va aux cadences, joue et chante: Ils sont à Saint-Jean d'Anjou, les gen, les gen, les gendarmes, etc. Il touche la bergamasque, la sarabande, les cloches, puis se va jouer sur le tapis de pied, étendu parmi la chambre, feignant que le tapis fut la mer; M. le Chevalier faisoit comme lui.

Le 8, lundi.—Il va à la salle du bal, où il avoit fait venir deux épousées du village, les regarde danser, se moquoit de leur danse. A dix heures et un quart, dévêtu; mis au lit, prié Dieu; il demande quand c'est qu'il aura un haut-de-chausses? Mme de Montglat lui dit que ce seroit quand il auroit huit ans.—Comme féfé Chevalier?—«Oui, Monsieur.»—Je suis vieux!—«Oui, Monsieur, vous avez six ans.»—Quand aurai-je huit ans?—«Dans deux ans et demi.»—Je suis plus vieux que ma sœur, je suis venu le premier, puis ma sœur, et ma petite sœur est venue à la queue.—«Et l'enfant qui viendra après, que vous sera-il?»—Ce sera mon frère.

Le 9, mardi.—Il se fâche contre sa nourrice, la frappe, va prendre sa pique, la poursuit pour l'en frapper de la pointe, en est après marri, est bien empêché à faire la paix; il la fait enfin, et promet de ne la battre plus. A huit heures trois quarts déjeûné; il ne veut point que l'on fouette en sa présence deux garçons, Pierrot et Champagne: Mamanga, jetez les verges au feu, elles sécheront. Mené à la chapelle de la salle du bal, puis au jardin du Tibre, le long des palissades hautes, il dit: Je n'ai jamais passé ici. Il se fait entretenir des chiens que j'avois à Vaugrigneuse, demande s'ils prennent bien le loup. A deux heures monté en la chambre de sa nourrice, il va voir M. de Verneuil, qui étoit enrhumé, puis descend en la petite chambre du demi-pavillon qui étoit sur la terrasse, Janv
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242 où étoit Mme de Montglat, où il a goûté. Puis il va en ma chambre, regarde jouer à la paume, où il se prenoit outrement à rire d'un qui jouoit, qui étoit fort laid et ne portoit que des caleçons qui étoient justes aux cuisses.

Le 10, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à la poterie, fait prendre des pièces, est soigneux de les faire payer à mesure qu'il les prend.

Le 11, jeudi.—Peigné, coiffé dans le lit, à bâtons rompus par sa nourrice; Mme de Montglat, pour le faire hâter, y vient, et lui dit: «Je m'en vais chausser; si vous n'êtes peigné quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Elle revient, ce n'étoit pas fait; elle lui dit encore: «Je m'en vais pisser; si vous n'êtes peigné et coiffé quand je reviendrai, vous aurez le fouet.» Il dit tout bas: Ha! qu'elle est vilaine! elle dit devant tout le monde qu'elle va pisser; velà qui est bien honnête, fi! Ce monde c'étoit Montailler, tailleur de Mme de Montglat, et Champagne, l'un de ses laquais. Mlle d'Agre[373] parloit tout bas à l'oreille de Mme de Montglat, le Dauphin lui dit: D'Agre, que ne parlez-vous tout haut? Vous parlez bas comme si vous étiez malade, et vous parlez si gaiement! Comme il étoit vrai, elle parloit fort gaiement. Il étoit curieux de vouloir tout savoir, écoutoit tout, et bien souvent n'en faisant pas le semblant. Mis au lit, il se fait entretenir des chiens comme feroit un grand chasseur, parle en termes de chasse: Moucheu Héoua, parlez-moi de Miraude et de Lion qui prend tout seul les loups; c'étoit d'une chienne que j'avois, bonne aboyeuse, et d'un dogue extrêmement furieux, qui prenoit les loups seul à seul, dans les bois; il étoit à mon cousin, et je lui en avois parlé sur le jour.

Le 12, vendredi.—Il se joue à remuer ménage et à transporter les meubles; il se plaisoit toujours à quelque exercice pénible; M. de Verneuil lui aide. A six heures Janv
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243 soupé; je lui dis: «Monsieur, faites souper Descluseaux avec vous.»—Je ne veux pas.—«Vous ne l'aimez donc pas comme vous dites?»—Si fait, non pas pour dîner.

Le 13, samedi, à Fontainebleau.—A onze heures trois quarts dîné; il danse dans sa chaise en mangeant au son du luth et du violon, boit de même, faisant branler son verre en buvant, s'amuse à tout ce qu'il voit faire, s'enquiert des choses et de leur usage. Il entretient M. du Tost, mari de la nourrice de Madame, des oiseaux et sur un tiercelet qu'il avoit sur le poing; il fouille en sa gibecière, y trouve deux sonnettes, et les fait tinter.

Le 14, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il voit danser des épousées du village. Après souper il voit danser aux chansons d'un nommé Laforest[374], où il prenoit un extrême plaisir et surtout en celle qui disoit:

Quand je partis de la ville,
Quand j'en partis, j'en partis.

Le 15, lundi.—A douze heures et demie Madame s'en va dîner; soudain il lui prend une humeur: Je m'en vas servir ma sœur. Il y va en sa chambre, fait toute la cérémonie: M. le Chevalier étoit gentilhomme servant, qui mettoit la viande et recevoit les plats que l'on desservoit; il (le Dauphin) étoit page, et se faisoit nommer Faveroles, nom d'un page de la chambre du Roi, et il nomme M. de Verneuil, Pettruce, aussi page de la chambre.—Il vient des violons du bourg, il se met à danser à toutes danses.

Le 16, mardi.—Mené en la chapelle, puis en la salle du bal, où il saute de la première marche du théâtre, de plein saut, jusques au second carré, franchit le premier, puis danse la sarabande fort gaiement, allant justement à toutes les cadences du violon; puis il danse aux branles, où dansoit Laforest, soldat qui lui donnoit beaucoup Janv
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244 de plaisir par ses actions et contenances. Il vient en ma chambre, et de l'escalier regarde jouer à la paume. A six heures et demie soupé, dansé; il tance Madame, elle en pleure. Mlle de Vendôme lui dit: «Monsieur, je m'en vas le dire à Mme de Montglat que vous faites pleurer Madame;» elle y vient, il s'excuse; Mme de Montglat s'en retourne, et lui, tout soudain et froidement, prend la main droite à Mlle de Vendôme et la lui mord bien serré.

Le 17, mercredi, à Fontainebleau.—Il joue à la balle à la raquette, fait de bons coups au bond, l'attend avec jugement, entend les termes du jeu: Trentain, le jeu, quarante-cinq, passons, velà une chasse, haussez la corde, en passant comme il avoit vu faire au jeu de paume.

Le 19, vendredi.—Indret, son joueur de luth, étoit en la ruelle du lit de sa nourrice où il fut longtemps à accorder son luth; l'impatience le prend: Indret, il y a trois jours que vous accordez votre luth! jouez! dit-il impérieusement, car il attendoit la musique, qu'il aimoit fort.—Madame étoit allée chez les tailleuses, qui étoient venues de Paris; on ne l'en pouvoit retirer jusques à ce que Mme de Montglat lui envoya dire qu'elle avoit à lui bailler une lettre de la part de M. le prince de Galles; elle part là-dessus tout aussitôt, descend en la chambre de M. le Dauphin, auquel Mme de Montglat avoit dit la fourbe. Elle tire de sa pochette une petite lettre; M. le Dauphin la demande, disant: Donnez-la-moi, Mamanga, je la lirai. Il la prend, l'ouvre et, feignant de lire, prononça haut ces paroles: Madame, je m'en vas en Espagne pour voir ma maîtresse, mais que je revienne je vous apporterai quelque chose de beau que je n'ai pas vu encore, et je le vous apporterai, car j'ai bien envie de vous voir.—Il apprend à faire ses lettres, écrit son nom: Loys; ce fut la première fois; il fut conduit par Dumont[375].

Janv
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245

Le 21, dimanche, à Fontainebleau.—Il est mené au préau, derrière le chenil, pour y voir lutter des Bretons, de ceux qui travailloient aux ouvrages du Roi.

Le 22, lundi.—Il étoit assis et tenoit un genou sur l'autre; Mme de Montglat l'en reprend, disant que cela le feroit devenir bossu. Il répond: Papa le fait bien. Je lui demande s'il vouloit faire tout ce que papa faisoit; il répond: Oui. Il écrit son exemple suivant l'impression faite sur le papier, la suit fort bien, y prend plaisir.

Le 24, mercredi.—Il écrit au Roi gaiement, se veut dépêcher, de peur, dit-il, que Guérin ne s'en aille; Dumont, clerc de sa chapelle, lui traça les lettres; il les suivit fort dextrement, et racoustroit là où il y défailloit quelque chose:

Papa, j'ay grande envie de vou voir, cependan je vou dirai qu'il y a beaucoup d'arbres plantés. Je sui, Papa, vote tes humbe et tes obeissan filz et seuiteu.—Daulphin.

Le 26, vendredi.—Il va à la poterie, prend quelques pièces, commande à Mme de Montglat que l'on les paye; il crioit après ceux qui s'approchoient près des pièces: Touchez pas là! ne prenez rien!—Il s'amuse froidement à voir jouer une farce où Laforest faisoit le badin mari, le baron de Montglat faisoit la femme garce, et Indret l'amoureux qui la débaucha.

Le 27, samedi.—Il commande au baron de Montglat de masquer et faire une comédie, et lui dit: J'en veux être.—«Mais, Monsieur, nous ne savons que jouer!»—Vous direz que nous sommes vos petits enfants. Il se fait habiller d'une robe de fille et coiffer du chaperon de Mme de Montglat, et couvrir le visage d'un masque en velours. A huit heures commence le jeu; il fait son entrée ayant M. le Chevalier avec lui et deux autres; il danse fort gentiment, hardiment et de bonne grâce, puis se retire, et revient seulement quand il fallut comparoître. La farce achevée, il se fait ôter la robe, et danse: Ils sont à Saint-Jean Janv
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246 des choux
, frappant du pied sur le cul de ses voisins. Cette danse lui plaisoit.

Le 28 janvier, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle de la salle du bal, puis en la salle, où il court par acquit et ne voulut jamais danser devant des femmes du bourg; il ne se plaisoit point à donner plaisir à autrui. Après soupé il se fait habiller en fille comme le jour précédent, et coiffer d'un chaperon de sa nourrice; ils font une comédie qui fut l'entrée d'une sarabande, puis un petit festin de confitures. Mis au lit, il est entretenu par le baron de Montglat, qui devoit partir le lendemain pour aller en Espagne.

Le 29, lundi.—M. l'aumônier lui faisoit dire les commandements de Dieu, et quand il fut à dire: «Tu ne tueras point,» il dit: Ne les Espagnols? Ho, ho! je tuerai les Espagnols, qui sont ennemis de papa; je les épuceterai[376] bien. L'aumônier lui dit: «Monsieur, il ne faut pas tuer les Espagnols, ils sont chrétiens.»—Mais ils sont ennemis de papa.—«Mais ils sont chrétiens.»—J'irai donc tuer les Turcs. Il va en la salle du bal pour y voir une mariée du bourg, qu'il avoit envoyée querir pour complaire à Madame, car il ne l'avoit jamais voulu faire: Mais, Mamanga, je prens point plaisir à ces filles de village; velà un beau plaisir! Il y danse.

Le 31, mercredi.—Dîné en chantant, se jouant et mouvant; il nomme les valets de nous tous. Je lui dis qu'il ne savoit pas le nom du mien.—C'est Nicolas; il étoit vrai.—«Comment s'appeloit celui que j'avois auparavant?»—Grand nez; il le souloit ainsi nommer à cause de son grand nez.—«Mais, Monsieur, il s'appeloit Janv
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247 autrement?»—Légier; il étoit vrai, et y avoit trois ans qu'il ne me servoit plus.—«Monsieur, comment s'appelle le valet de Bompar?» (C'étoit le page du Dauphin).—Je sais pas; puis tout à coup: C'est madame sa personne, pource qu'il n'en avoit point. Je ne sais qui il ne connoissoit point. A souper il se fait entretenir des chiens de mon cousin, dont je lui avois parlé, qui étoient trois dogues: Lion, Come et Grainbon, et Miraude qui étoit à moi; il demande ce qu'ils savent faire et ce qu'ils ont fait, et quand Miraude aura ses petits.

Le 2 février, vendredi, à Fontainebleau.—M. Guérin, apothicaire du Dauphin, arrive de Paris qui lui apporte une lettre du Roi, écrite et contrefaite de la main du Roi par M. de Loménie, secrétaire d'État et du cabinet, qui lui fut lue par Mme de Montglat en ces termes, faisant réponse à celle qu'il lui avoit écrite aussi par M. Guérin:

Mon fyls, Guerin me rendant une lettre ma dyt de vos nouuelles et que atandant ma venue uous aués byen du soyn de mes jardins et de mes plans, de quoy iay esté fort ayse. Je luy ay commandé en vous randant cete-cy de vous dyre des myennes et de maman la Roine; que iespere vous voyr yncontynant après la foyre Saynt-Germayn, en laquelle je feray achepter des petytes besongnes[377] pour vous iouer, lesquelles ie vous porteray quant et moy pourueu que vous maymyés byen et soyés byen sage. Bonsoyr, mon fyls. Ce dernyer de janyuer a Parys. Vre byen bon pere.—Henry.

Et au-dessus de la lettre: A mon fyls le Daufyn[378].

Fév
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248

Le 3, samedi, à Fontainebleau.—Il fait coucher avec lui la lettre que le Roi lui avoit écrite.

Le 4, dimanche.—Il se fait marquer une lettre pour écrire à la Reine. M. de Saint-Géran, prenant congé de lui, lui demande s'il lui plaît qu'il dise à papa qu'il lui envoie quelque chose, il répond: Ho! non, il faut rien demander à papa.

Le 5, lundi.—Mme de Montglat lui remontroit qu'il falloit bien recevoir les étrangers quand ils le viendroient voir, et commandoit que lorsque l'on en verroit à la basse-cour on les fît venir.—Qui? ces moines? qu'on fasse venir ces moines?—dit-il; c'étoient des moines de poterie dont il jouoit, et il disoit ceci en raillant[379]. Il chantoit; quelqu'un dit que le Savoyard de M. de Verneuil étoit bon basse-contre, le Dauphin répond: C'est un basse-contre de village. Je lui dis: «Monsieur, vous l'êtes donc aussi, car vous êtes né à Fontainebleau.» Il dit soudain et sec: Je suis né au château! Mené au jardin du Tibre, il se promène en la dernière allée, le long de la muraille. On l'amuse à voir nettoyer un pourceau; quand le boucher le voulut éventrer il s'en alla, et ne le y sut-on arrêter.

Le 6, mardi.—Il va au jeu de paume couvert pour y voir courir un blaireau. Il fait faire la cornemuse au chien Pataut par Indret[380], dont il rioit à outrance, lui qui n'étoit pas grand rieur[381]. A neuf heures et demie mis au lit, il se prend à en conter sur les peintures qu'il a faites, d'un bois, d'une montagne, du ciel; qu'il n'avoit pas les couleurs pour faire les ombrages du soleil et de la lune; que demain il achèvera, peindra la chasse au blaireau Fév
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249 pour la présenter à papa; il n'en pouvoit sortir tant il y prenoit de plaisir.

Le 7, mercredi, à Fontainebleau.—Il s'assied et accommode une petite toile carrée et la cloue sur un petit ais pour peindre dessus, ayant auprès de lui le petit-fils de l'un de ses jardiniers, qui savoit peindre et qui lui montre. Il le suit avec son pinceau froidement, attentivement, dextrement et avec vouloir et affection d'apprendre. Ce désir l'avoit fait lever plus matin que de coutume; il y avoit de l'inclination comme aux autres sortes de mécaniques. Ayant achevé son bocage, il dit au petit peintre: Faites l'acoustrer.—«Monsieur, lui dit le peintre, y ferai-je faire un châssis?»—Oui, oui.—«Monsieur, je n'ai point d'argent.»—Mamanga, donnez-moi de l'argent pour faire un châssis à mon petit tableau. Elle lui baille deux quarts d'écu; il va au peintre, et lui dit: Tenez, velà deux qua d'écu, gardez-en un pour en faire un autre. A quatre heures et demie arriva le sieur Pierre Pechius, ambassadeur de l'Archiduc et de l'Archiduchesse, infante d'Autriche, lui disant avoir charge et commandement de leur part de venir savoir des nouvelles de sa santé, de lui baiser les mains et lui dire qu'ils prioient Dieu pour sa conservation. Il en dit autant à Madame, et lui présenta de la part de la sérénissime Infante, sa marraine, un présent de reliques qui étoient des os de sainte Élisabeth[382], à laquelle elle avoit une particulière dévotion, et qu'en cette considération, et pour ce qu'elle avoit le même nom comme elle, la prioit d'y avoir une pareille dévotion. C'étoit une chaîne de diamants, où tenoit au bout une enseigne de diamants, en laquelle étoit la relique; le tout pouvoit valoir deux mille écus.

Fév
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250

Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il dessine un jardin carré, fossoyé, dans une allée, l'ordonne, y fait planter des choux, arrache lui-même des troncs et les y porte. Ramené en sa chambre, il tire de son pupitre le paysage qu'il avoit fait avec le petit peintre; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il vous faut écrire.»—Non, Mamanga, qu'on aille queri le petit peintre; il aimoit la peinture.

Le 10, samedi.—Pendant la messe, le Dauphin montre à lire dans son livre à Madame, lui apprend et fait dire sa petite oraison, qu'il aimoit fort: «Seigneur Dieu et Père, je te supplie de m'assister par ton Saint-Esprit, et par icelui me conduire et gouverner tellement que tout ce que je ferai, dirai ou penserai, soit à ton honneur et gloire, au salut de mon âme et à l'édification des tiens.» Mené au jardin des pins, il s'amuse à remuer terre et bois pour faire un jardin et un pont. Après souper le sieur Outrebon, chantre du Roi, arrive portant nouvelle que le Roi arriveroit demain. Le Dauphin rougit et tressault de joie et de crainte de ce jardin qu'il avoit fait. Il faut l'aller ôter, dit-il, de peur que papa ne se fâche. Il fut volontiers parti tout à l'heure pour l'aller ôter.

Le 11, dimanche.—A deux heures trois quarts le Roi est arrivé; il court au-devant de lui, lui embrasse la cuisse, puis lui saute au cou; le Roi le mène à la conciergerie, où il alloit loger. Il s'est longtemps joué au Roi dans le cabinet. M. de Brèves, ambassadeur pour le Roi en Levant, donne au Dauphin un cimeterre avec la ceinture, valant huit cents ou mille écus, un vase de terre sigillée, un lapis-bézoard, un arc turquois et un trousseau de flèches.

Le 12, lundi.—Éveillé à six heures, mis dans le lit de Mme de Montglat entre son mari et elle[383]. En priant Dieu il dit de lui-même gaiement: Dieu doint bonne vie à Fév
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251 papa, mon bon ami.
A dix heures et demie mené par la grande galerie au jardin des gazelles, au Roi; il court devant lui après M. de Verneuil, à qui courra le mieux, saute au saut de l'allemand. Le Roi lui dit: «Mon fils, dites à M. de Souvré qu'il coure après vous.»—S'il vous plaît de lui commander, papa, répond le Dauphin, doucement, froidement, promptement. Le Roi le lui commande par trois fois; il fit toujours la même réponse. A onze heures il entend la messe avec le Roi, qui le mène en la conciergerie, par le jardin, et, à midi, dîné avec lui. Ramené en sa chambre à une heure et demie, il écrit le rôle de sa compagnie: La Rose (M. le Chevalier), capitaine; La Verdure (le Dauphin), mousquetaire; La Violette (M. de Verneuil), harquebusier. A trois heures goûté; on lui demande s'il veut pas voir danser la mariée?—Je m'en soucie bien! belle mariée de village! Il va toutefois à la salle du bal, où il la voit danser un quart d'heure, puis va en la conciergerie, en la chambre du Roi, qui étoit allé se promener au grand canal. A cinq heures le Roi revient en sa chambre, il lui donne le bonsoir, le Roi le renvoyant en sa chambre. A huit heures trois quarts dévêtu, mis au lit, prié Dieu: Dieu doint bonne vie à mon père, mon bon ami, à ma mère, ma bonne amie. Mme de Montglat lui demande: «Aimez-vous bien papa?»—Oui.—«Comment l'aimez-vous?»—Je l'aime plus que Pataut (le chien de sa nourrice).—«Monsieur, il ne faut pas dire ainsi; il faut dire plus que vous-même.»—Plus que moi-même! eh! il ne faut pas aimer soi-même, il faut aimer des hommes, mais pas soi-même.

Le 13, mardi.—Il va voir le Roi à la conciergerie; dîné avec le Roi. Il joue à la paume avec le Roi, et chaque fois qu'il servoit[384], il baisoit la balle. A six heures trois quarts soupé avec le Roi; à sept heures trois quarts ramené en sa chambre. A huit heures et demie le Roi Fév
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252 y vient pour y voir jouer la comédie de quatre du bourg (sic).

Le 14, mercredi, à Fontainebleau.—Mené par les étuves au Roi, en la conciergerie, il lui dit adieu; le Roi part pour s'en retourner à Paris à huit heures trois quarts.

Le 15, lundi.—Il est chaussé de chausses de serge jaune qui montoient jusques à la cuisse; c'est la première fois. A dix heures et demie mené à la chapelle puis joué en la salle, dansé par contrainte, pour ce qu'il y avoit deux hommes étrangers, et il disoit qu'il ne vouloit pas danser pour donner du plaisir, en est en mauvaise humeur, veut faire danser Mme de Montglat, la frappe, lui donne un grand coup de poing sur la poitrine. A onze heures trois quarts ramené en sa chambre, dîné; il dit à son page: Bompar, allez faire parler le perroquet tout le long du dîner. A trois heures et demie goûté. Ma femme arrive de Vaugrigneuse; il lui fait l'honneur de se lever de sa chaise, et lui porte au-devant sa main à baiser, lui demandant: Où est la petite Oriane? C'étoit une petite chienne; on l'envoie querir; il lui fait mille caresses. Il advient à M. le Chevalier de s'asseoir dans sa chaise; il le voit, et lui dit: Otez-vous de ma chaise, féfé. Il le dit deux ou trois fois; il n'en faisoit rien; il s'en va promptement à Mme de Montglat, et lui dit: Mamanga, j'aime mieux ma petite sœur que féfé Chevalier, parce qu'il n'a pas été dans le ventre à maman avec moi, comme elle, et il est assis dedans ma chaise.

Le 16, vendredi.—M. de Cressy disoit à la nourrice du Dauphin que M. Boquet, son mari, reviendroit de Sens, où il étoit allé, sur la mi-nuit; elle disoit que non.—C'est qu'il songe à la coignée, dit le Dauphin; le sieur Boquet lui avoit promis de lui rapporter une petite cognée à son retour de Sens.

Le 17, samedi.—Il danse avec Madame la volte, la courante. A trois heures goûté; bu un bon coup dans la coupe d'argent doré que Mme de Loménie lui avoit Fév
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253 donnée. A cinq heures viennent les ambassadeurs des villes Anséatiques et Teutonique, venant de la Cour et s'en allant en Espagne.

Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—Il se va promener en la galerie; Mme de Montglat lui montre la peinture d'un léopard, lui demande que c'est; il répond: Je sais pas.—«Monsieur, c'est un léopard.»—Il ressemble à de Hoey[385]. C'étoit un peintre; il étoit vrai. Il avoit l'imagination fort bonne. M. de Maleville lui montre une voile de navire, et lui demande: «Monsieur, à quoi sert une voile?»—C'est pour faire aller le navire, car le vent le pousse. Il y avoit des H peintes, Mme de Montglat lui demande: «Quelle lettre est cela?»—C'est un H; quand je serai grand je ferai mettre des L auprès.

Le 20, mercredi.—Il se fait habiller en chambrière picarde, masquée, se fait nommer Louise, suit Mlle de Vendôme coiffée en bourgeoise, qui dit que c'est sa chambrière, et se garde de parler de peur d'être reconnu. M. le Chevalier les conduit, disant que c'est de la marchandise qu'il emmène du Levant.

Le 21, mercredi.—Il écrit au Roi par moi[386], lui envoyant la petite Oriane, chienne de ma femme; en écrivant au Roi, il a demandé Si maman lui écriroit pas? On lui a répondu qu'elle n'écrivoit qu'au Roi.—Papa m'a dit que maman fait force pâtés, mais si elle m'écrit, encore qu'il y ait des pâtés, je garderai bien la lettre.

Le 22, jeudi.—Il commence à apprendre des mots latins, qui lui sont appris par M. Hubert, médecin du Roi, venu pendant mon absence.

Le 23, vendredi.—Il écrit au Roi. A six heures et demie soupé; il voit jouer une farce à Laforest.

Le 27, mardi.—A onze heures dîné; il se fait habiller en bergère. A deux heures et demie goûté, dansé, joué; Fév
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254 il entend le tonnerre, va à Mme de Montglat, et lui dit: Mamanga, faites-moi prier Dieu.

Le 28 février, mercredi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il a pris des cendres.

Le 1er mars, jeudi, à Fontainebleau.—Il dit que quand il verra qu'il voudra être opiniâtre, il s'en ira mettre en un coin pour dire son Pater, afin de chasser incontinent le mauvais ange qui le fait être opiniâtre.

Le 2, vendredi.—Éveillé à six heures, amusé dans son lit jusqu'à sept heures et demie; fouetté comme je suis entré en la chambre. J'ai trouvé Mme de Montglat en colère contre lui et marrie de ce que j'ai rencontré la chambre ouverte. A onze heures dîné; il est venu un ambassadeur de la part de l'Électeur Palatin[387] qui lui a présenté une lettre de la part du comte Frédéric, comte Palatin, dont voici la copie:

Monsieur, je me persuade que vous ne l'aurés point desagréable si je prens la hardiesse de me servir d'une si bonne occasion pour vous representer la joye extrême que j'ay de vostre prospérité et vous donner les asseurances de ma très-humble devotion à voir fleurir vostre grandeur. C'est, Monsieur, tout mon desir que d'ensuivre les traces de mes prédécesseurs au bien et service de la corone de France, et d'esprouver un jour ceste protestation de mon zèle pour meriter l'honneur de vostre bienveillance et bonne grâce et demeurer à jamais, Monsieur, vostre plus humble et très-affectionné à vous faire service.

Friderich comte Palatin.

De Heydelberg, ce 19 de janvier 1607.

Le 7, mercredi.—Les députés de Bretagne le viennent voir.

Le 8, jeudi.—Il écrit au Roi une lettre en latin, faite par M. Hubert, une autre en françois à la Reine.

Le 30, vendredi.—Il s'est botté pour aller environ une lieue au devant du Roi, qui le fait mettre dans son Mars
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255 carrosse, où il le ramène au château. Après souper il va voir le Roi et la Reine[388].

Le 31 mars, samedi.—Il va chez le Roi, lui donne sa chemise, puis va avec lui se promener au grand canal, puis à la chapelle. Mené chez M. Zamet, où dînoit le Roi.

Le 5 avril, jeudi, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle, puis allé chez la Reine; le Roi revient de la chasse; dîné avec le Roi[389]. J'arrive à cinq heures[390]; il vient au devant de moi, me demande l'arbalète à jalet que je lui avois promise. Je la lui donne, il frétilloit après. A huit heures et demie mené chez LL. MM., il leur donne le bonsoir.

Le 6, vendredi.—Déjeuné d'un bouillon aux herbes avec un jaune d'œuf, Mme de Montglat m'ayant dit que le Roi avoit commandé que l'on lui fît manger maigre les vendredis, et qu'il le vouloit.

Le 11, mercredi.—Il fait des demandes à un fauconnier du Roi, qui portoit un faucon volant pour rivière, s'entretient avec lui. Mené chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume; à six heures il sert le Roi à souper. Il ne veut point ouïr parler de laver le lendemain les pieds aux pauvres, et dit: Je ne veux point, ils sont puants. Enfin il se surmonte peu à peu, le Roi lui ayant dit qu'il vouloit qu'il le fît en sa place, ne pouvant y aller.

Le 12, jeudi.—On lui demande s'il lavera bien les pieds aux pauvres, il répond: Ho! que non! je les laverai Avr
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256 bien aux filles, non pas aux garçons.
Il ne y avoit point de moyen pour le persuader à laver les pieds aux pauvres, le jour de la Cène: Non, je ne veux point; ils ont les pieds puants. A neuf heures déjeuné; mené chez le Roi, qui lui demanda s'il feroit bien la cérémonie en sa place, il répond: Oui, papa. A dix heures mené à la salle du bal, où il entend le sermon de M. l'archevêque d'Embrun, pendant lequel il s'amuse à piquer du papier avec une épingle, figurant des oiseaux et autres animaux. Après la cérémonie de l'absolution, il est conduit sur le théâtre[391] pour laver les pieds aux pauvres, par force, accompagné de MM. le prince de Condé, prince de Conty et comte de Soissons, lesquels servirent à la cérémonie, comme si le Roi y eût été présent. Quand il approcha du premier pauvre, il reconnut son bassin, où l'on vouloit verser l'eau pour le lavement; cela le confirma en son humeur, et ne put jamais être forcé seulement pour se baisser, reculant et pleurant. Les aumôniers en firent l'office devant lui. Au servir de la viande, il ne voulut jamais prendre ne toucher à aucun service que l'on lui présentoit, mais bien aux bourses, et les donnoit fort gaiement. Tout fini, il en fut fort réjoui[392]. Avr
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257 Mené chez le Roi, puis en sa chambre, et, à midi, dîné. Il va jouer à la galerie, y fait courir un levrault par Pataut, l'un de ses chiens, va chez le Roi. M. de Guise lui montroit son épée, lui disant: «Monsieur, voilà une belle épée.»—D'où l'avez-vous eue!—«Monsieur je l'ai achetée en Turquie.»—Vous êtes un moqueur.—La Reine voulant aller faire la Cène lui dit: «Mon fils, voulez-vous pas venir laver les pieds aux pauvres?» Il va avec la Reine. Mme de Montglat lui demandoit pourquoi il n'avoit pas voulu le matin laver et baiser les pieds aux malades, et que le Roi le faisoit bien, lui qui étoit le Roi; il répond: Mais je suis pas le Roi!

Avr
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258

Le 13, vendredi, à Fontainebleau.—Mené au jardin des pins, il visite son jardin, où il avoit semé des pois et des fèves, puis travaille avec une bêche pour faire une coulée à jouer aux œufs de Pâques. Il va chez le Roi, qui étoit malade de fièvre de rhume.

Le 14, samedi.—Mené à la chapelle de la salle du bal, il va à confesse.

Le 15, dimanche, jour de Pâques.—Mené en la chambre du Roi, d'où il regarde le Roi touchant les malades et arrivant au droit des fenêtres[393], lui ôte le chapeau et dit: Bonjour, papa, en contraignant sa voix par respect, ne le voulant pas détourner de la cérémonie.

Le 16, lundi.—La Reine va en la grande galerie ayant quelques petites douleurs pour accoucher; y étant arrivée, les douleurs la pressent, elle retourne en sa chambre, où, ne faisant que d'entrer, les douleurs lui redoublent et les eaux se percent. En se couchant le Dauphin disoit que si la Reine faisoit un petit frère il feroit tirer son canon; mais si c'étoit une fille: Je m'en soucie bien! La Reine accoucha de Monsieur, duc d'Orléans[394], à dix heures et demie du soir, fort heureusement, le vingtième jour de la lune de mars. En le voulant remuer on lui vit la quille droite, ferme; je l'ai maniée.

Le 17, mardi.—Il va voir M. d'Orléans, lui fait de grandes caresses. M. de Rosny vient voir le Dauphin, et lui demande: «Monsieur, avez-vous besoin de quelque chose? demandez-le-moi.» Ayant songé et branlant la tête, il répond: Rien. Peu après sa nourrice lui dit: «Que n'avez-vous dit à M. de Rosny qu'il me fît bailler un lit?»—Hé! Dondon, je l'y ai demandé tant de Avr
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259 fois, et il n'en fait rien
, dit-il, comme s'en plaignant.

Le 18, mercredi, à Fontainebleau.—A dix heures il monte en la chambre de Monsieur pour le voir ondoyer; il le fut par M. le cardinal de Sourdis. Mlle Bélier dit au Dauphin: «Monsieur, il faut bien maintenant prier Dieu pour Monsieur votre frère, qu'il lui fasse la grâce de le bien garder;» le Dauphin s'en prit à pleurer, mais doucement. Le sieur Pietro Alsense, commandeur de Malte, Sicilien, le vient voir; il avoit fait sa nativité[395]; puis je le menai pour voir Monsieur, pour faire la sienne.

Le 19, jeudi.—A neuf heures déjeuné; M. de Sully y vient; on le veut persuader à lui demander quelque chose, il n'y est porté que par force et par acquit. Il prie pour un lit à sa nourrice; puis, Mme de Montglat le priant pour Indret, joueur de luth, et pour M. Birat, M. de Sully dit: «Monsieur, ne s'en soucie pas.»—Si fait, dit-il soudain; puis M. de Sully lui demande: «Qui sont ceux de céans que vous aimez le mieux?»—Il répond soudain: Indret et Birat, pour les recommander sur cette occasion, ne lui ayant point voulu parler auparavant.—Cette nuit, sur les deux heures après minuit, deux sentinelles, l'un suisse et l'autre françois, ont aperçu en l'air un grand aigle blanc qui a fait le tour du château et, arrivé à l'horloge du braquemart, est disparu rendant comme un coup d'arquebuse. Ils l'ont ainsi rapporté au Roi[396].

Avr
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260

Le 20, vendredi, à Fontainebleau.—Le Dauphin aperçoit le Roi au jardin; on ne le peut plus retenir, il y court. Il voit remuer M. d'Orléans, et considérant sa main dit en souriant: Hé! voyez sa petite main! Je lui dis: «Monsieur, c'est de cette main dont un jour il vous fera service.» Il advint qu'à l'instant il haussa le bras droit, tenant le poing fermé, ce que chacun interpréta à bon augure, et lui (le Dauphin) l'alloit contant à chacun.

Le 21, samedi.—Il dit ses quatrains et quelques sentences[397]; entre autres Mme de Montglat lui faisoit dire: «L'humilité est le chemin de l'honneur;» il dit de lui-même: L'humilité est le chemin de la gloire qui conduit à l'honneur.

Le 22, dimanche.—Dîné avec le Roi; le Roi mangeoit Avr
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261 du revenu du cerf, le Dauphin dit à Mme de Montglat: Mamanga, je voudrois bien manger de cela.—«Monsieur, lui dit-elle, il n'en faut pas demander.» Comme le Roi eut achevé, le Dauphin lui dit: Papa, donnez-moi de cela, s'il vous plaît.—«Il n'y en a plus, lui dit le Roi: que ne m'en avez-vous demandé?» Le Dauphin lui répond en hoignant un peu: Papa, j'en voulois bien demander, mais Mamanga n'a pas voulu.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, qu'il trouve dînant et MM. de Vendôme et le Chevalier avec lui; il s'en pique en lui-même, n'en fait point semblant, se met auprès du Roi, qui le choque sans y penser ni s'en apercevoir; il se retire et se prend à pleurer, et pour prétexte de son déplaisir dit qu'il croit que Papa est fâché contre moi puisqu'il m'a battu. L'on le dit au Roi, qui l'apaise et le fait dîner avec lui.

Le 24, mardi.—Mené chez le Roi, qui venoit d'être saigné, puis à la chapelle et ramené en sa chambre. Mmes les princesses de Conty, de Martigues[398] et de Mercœur[399] le viennent voir. Mme la princesse de Conty lui dit, se voulant jouer à lui: «Monsieur, je veux que vous m'appeliez Madame.»—Je veux pas.—«Je vous appellerai donc griffon.»—Je vous appellerai chienne.—«Je vous appellerai petit renard.»—Je vous appellerai grosse bête, et, montant sur un placet[400], il lui porte sa main vers le front en faisant les cornes et lui disant: Je vous ferai porter ces armoiries.—«Ce ne sera pas vous qui me les ferez porter,» répliqua-t-elle, se trouvant un peu hors de train.

Le 26, jeudi.—Il va en la galerie, où il fait appeler la Avr
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262 musique de la chambre du Roi pour l'entendre; il aimoit la musique et l'avoit toujours aimée avec transport.

Le 28 avril, samedi.—Mené voir M. de Montglat, qui avoit la goutte, il le trouve levé, assis, et son pied sur un de ses carreaux de velours vert; il s'en aperçoit, s'en retourne tout court, en colère, disant entre ses dents: Ho! il a son pied sur mon carreau, et puis on le mettra sur mon visage! Mme de Montglat ne l'en peut apaiser par aucune promesse, il s'en va. M. Guérin lui dit: «Monsieur, il vous lui en faut donner un, puisque vous en avez deux.»—Ho! c'est un bel homme pour l'y en donner. Indret lui dit: «Monsieur, il faut que vous les lui donniez tous deux.»—Je m'en soucie bien; si c'étoit vous, qui êtes pauvre, je vous le donnerois; mais il est riche, qu'il en achète!

Le 29, dimanche.—On parloit du Pape, il demande: Le Pape est-il pus riche que papa? Quelqu'un répond: «Oui».—Je l'aime donc point.—Il étoit dans la balustre, voyant remuer M. d'Orléans; son aumônier lui demande s'il vouloit pas bien être cardinal?—Non, ce sera pour cet homme, dit-il en mettant la main sur la tête de M. de Verneuil[401].

Le 1er mai, mardi, à Fontainebleau.—Il avoit une robe neuve, verte, avec du passement d'or et de soie; il demande: Pourquoi y a-t-y pas du passement tout d'or? Le nonce du Pape le vient voir, l'embrasse. Mme de Montglat lui dit qu'il demande comment se porte le Pape, son parrain; le Dauphin, branlant doucement la tête, dit à demi-voix: Je ne saurois faire cela, il est trop mal aisé. Amusé à peindre en crayon à mesure que M. Decourt, peintre du Roi, le pourtrayoit en crayon; il demande: Faut-il mettre du bleu aux yeux? Il aimoit la peinture et y avoit de l'inclination.

Mai
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263

Le 3, jeudi, à Fontainebleau.—Mené chez le Roi, puis chez la Reine, il donne le bonsoir à Leurs Majestés[402].

Le 5, samedi.—Il joue assis pour être peint en crayon par M. Decourt, peintre du Roi; pour l'arrêter[403] Mathurine fait chanter trois petits garçons; rien ne l'arrêtoit tant que la musique, il l'écoutoit avec transport.

Le 6, dimanche.—On lui avoit fait faire un pourpoint de toile blanche doublé de taffetas, un haut-de-chausses de même. J'en veux point, dit-il, il est pas beau; ho! j'en veux point! Mme de Montglat lui dit qu'il est de même que celui du Roi; que ce n'est pas pour le porter toujours, mais quelques heures du jour, quand il fait chaud. Je ne le porterai ni aujourd'hui ni tantôt; j'en veux un de taffetas, comme celui de féfé Chevalier.—Je lui demande de quelle couleur il le vouloit?—Je le veux rouge.—«Monsieur, c'est la couleur des Espagnols; voici le mois de mai, le voulez-vous vert?»—Ho! on diroit que je serois fou!

Le 7, lundi.—Il joue avec une petite peinture de Diane, en papier, que le jour précédent il avoit faite, remplissant avec la plume ce qu'on lui avoit tracé. Je lui dis que les femmes portoient la lune en la tête, il répond soudain: Et les hommes le croissant!—Il reçoit une lettre de M. de la Trimouille[404], âgé de huit ans, qui s'éjouissoit de la naissance de Monsieur d'Orléans, mais qui lui offroit son service à lui tout le premier. Il serre la lettre en son petit cabinet, puis dit: Je voudrois bien lui écrire. Mme de Montglat lui demande quoi?—Je sais pas.—«Mais dites quoi.» Il songe en se promenant les mains sur le derrière: Si veut venir avec moi à la guerre Mai
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264 qu'il y vienne, sinon qu'il n'y vienne pas; s'il ne veut, quand je serai grand comme féfé Chevalier j'irai à la guerre avec papa, je serai toujours avec papa.

Le 8, mardi, à Fontainebleau.—Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il se joue jusques à six heures; le Roi le ramène, et il a soupé avec lui; il va en la chambre de la Reine, puis ramené en la sienne il se joue sur le tapis et chante en compagnie: Quand cette malheureuse bande et Jean de Nivelle.

Le 9, mercredi.—Mme la comtesse de Moret accouche d'un fils à dix heures[405]; sur le bruit qui en couroit, on dit au Dauphin: «Monsieur, vous avez encore un autre féfé.»—Qui? qui est-il? demande-t-il, comme ébahi.—«Monsieur, c'est Mme la comtesse de Moret qui est accouchée d'un fils.»—Ho, ho! il n'est pas à papa!—«Monsieur, à qui est-il donc?»—Il est à sa mère, et n'en voulut jamais dire autre chose, tout fâché et comme s'il eût voulu pleurer. A midi dîné; il rêve en mangeant, et demande tout à coup à Mlle de Vendôme: Sœu-sœu Vendôme, qui aimez-vous mieux, Mousseu de Longueville ou Mousseu de Momorency?—«Monsieur, je ferai ce qu'il plaira à papa.»—Ho, ho! vous êtes amoureuse de Mousseu de Longueville[406].—Mme de Montglat l'instruisoit sur ce qu'il auroit à faire et à dire à la reine Marguerite: Je serai bien sage, je serai bien sage, dit-il brusquement. Mené visiter la reine Marguerite, qui étoit arrivée à une heure après minuit, il fait ses compliments par force; ramené avec elle chez M. d'Orléans, d'où il s'échappe, il va en sa chambre, où il envoie querir deux renardeaux pour les faire courir en la galerie par son chien Pataut; il les fait courir en présence de la reine Marguerite.

Mai
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265

Le 10, jeudi, à Fontainebleau.—A peine avoit-il les yeux ouverts qu'il est fouetté pour n'avoir pas fait, le jour précédent, les compliments à la reine Marguerite. Il s'en va avec le Roi chez la reine Marguerite.

Le 11, vendredi.—Il se joue de son petit canon, que la Reine lui avoit donné; je lui demande qui lui avoit donné ce canon?—Papa l'a acheté, et maman me l'a donné. Mené par la galerie au jardin des pins y trouver le Roi, qui promenoit la reine Marguerite.—Dîné avec le Roi.—A neuf heures du soir il est mené chez Leurs Majestés, et va prendre congé de la reine Marguerite, qui devoit partir le lendemain.

Le 12, samedi.—Il va conduire, jusques au carrosse, la reine Marguerite s'en retournant à Paris.

Le 13, dimanche.—A souper il a de l'impatience pour aller à la fenêtre voir en la cour un cul-de-jatte jouer du flageolet, et lui crie: Ne vous en allez pas, cul-de-jatte, je lave mes mains. Il va voir le Roi, qui devoit partir bon matin, lui dit adieu.

Le 14, lundi.—L'on vient demander à Mme de Montglat si on porteroit M. d'Orléans à la chambre de Madame; il en est jaloux, s'en fâche, et le fait porter en la sienne, et permet qu'on le couche sur son lit; c'étoit une extrême faveur.

Le 15, mardi.—Il va attendre la Reine en son petit anticabinet, pour être le premier rencontré à sa première sortie, relevant de sa couche, l'accompagne jusques à la chapelle de la salle du bal. A onze heures trois quarts, dîné; Mme la princesse d'Orange lui disoit: «Monsieur, qui aimez-vous mieux qui soit votre beau-frère, ou le prince d'Espagne, ou le prince de Galles?»—Le prince de Galles.—«Et vous, épouserez-vous l'Infante?—J'en veux point.—Je lui dis: «Monsieur, elle vous fera roi d'Espagne.»—Non, je veux point être Espagnol. Il va chez la Reine pour prendre le mot, et le donne aux capitaines.

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Le 16 mai, mercredi, à Fontainebleau.—Mené chez la Reine et au jardin des pins, où il s'amuse; l'on porta une cane pour y mettre des barbets après, dans la grande fontaine; il s'en va, et jamais ne le sut-on persuader de l'aller voir; c'est qu'il ne la vouloit point voir faire mourir. Il va sur la terrasse, où il voit la chaise percée de Mme de Montglat, l'appelle, et tenant son nez bouché: Mamanga, velà un lièvre en forme.

Le 18, vendredi.—Fouetté pour avoir fait le fâcheux le jour précédent à la messe. A huit heures trois quarts il va donner le bonsoir à la Reine et prendre le mot.

Le 19, samedi.—Il va chez le Roi, qui arrivoit de Paris; le Roi et la Reine viennent voir remuer M. d'Orléans; il y va, chasse M. le Chevalier d'auprès d'eux.

Le 21, lundi.—Il vient chez M. d'Orléans pour lui donner ses premières brassières. A huit heures et demie mené chez le Roi, il lui donne le bonsoir; ramené il trouve un suisse en la salle, assis dans sa chaise, entre en extrême colère, veut qu'on l'envoie en prison.

Le 22, mardi.—A six heures soupé; on lui vient dire que le Roi alloit voir faire la curée du cerf qu'il avoit pris; il achève de souper avec impatience, va par la galerie en mangeant son massepain, et va rencontrer le Roi et la Reine, qui lui font voir la curée. Ramené en sa chambre, il s'amuse sur le tapis de pied à faire de la musique, chante lui-même: Ambroise, d'où venez-vous?

Le 24, jeudi.—Il s'amuse à peindre, se fait tracer par un jeune peintre et remplit après avec un charbon, fort sûrement; ayant bien commencé, il dit au peintre: Achevez le demeurant[407].

Le 25, vendredi.—Mené au Roi et à la Reine, qui soupoient; le Roi jette sur la table à Cadet, son chien, de la menue dragée; le chien la lèche, M. le Dauphin la ramasse et la mange.

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Le 28 mai, lundi, à Fontainebleau.—Le Roi revient de la chasse; il le va voir[408].

Le 29, mardi.—Il reçoit une escopette et deux grands et beaux barbets que lui envoie le prince de Galles. Il va à la poterie, où il prend plusieurs pièces, chiens, lions, taureaux, puis revient en sa chambre, où, sur le tapis de pied, il les fait combattre. A huit heures trois quarts mené chez Leurs Majestés, il y écoute la musique de voix et de luths; on ne l'en peut tirer tant il y étoit attentif; il joue après aux cartes, au reversis, M. le grand écuyer joue avec lui; il y jouoit d'affection et comme entendu.

Le 30, mercredi.—A neuf heures du soir mené chez le Roi, il prend le mot, le donne à M. d'Épernon, colonel de l'infanterie, puis à M. de Créquy, mestre de camp du régiment des gardes; il le refuse à M. de Bouillon, maréchal de France.

Le 5 juin, mardi, à Fontainebleau.—Le fils de M. de Saint-Luc, âgé de quatre ans, vient dire adieu au Dauphin; je lui demande bas à l'oreille: «Monsieur, vous plaît-il pas de lui donner quelque chose?»—Oui.—«Monsieur, quoi?»—Un cheval marin, qui étoit de poterie.—«Monsieur, vous plaît-il que je l'aille querir?»—Oui, mais ne prenez pas celui qui est cassé; il y en avoit. Je lui porte l'entier, il le lui donne gracieusement.

Le 6, mercredi, à Fontainebleau.—Il va à l'entrée de la galerie, où il s'amuse à tirer en cire Descluseaux pendant que le sieur Paulo le tire en cire; amusé jusques à trois heures et un quart; goûté; il s'amuse, avec de la cire, à faire un visage, pendant que M. Dupré, statuaire du Roi, le tire pour en faire une médaille; il sait tout ce qu'il faut faire et travaille fort dextrement, polit, fait les cheveux, perce les yeux, les oreilles, tout sur la trace grossière que M. Dupré lui en avoit faite.

Juin
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Le 7, jeudi, à Fontainebleau.—Il conteste contre Mme de Montglat, dit qu'il ne fera rien de ce qu'elle voudra, et là-dessus il est fouetté.—Il dit qu'il me veut peindre[409] en cire pendant que M. Dupré l'achèvera, et qu'il me fera la barbe pointue comme une épingle[410].

Le 9, samedi.—A huit heures mené chez Leurs Majestés, il leur donne le bonsoir; ramené à neuf heures et un quart, il voit danser les Égyptiens[411] en sa salle, ne veut point que M. Birat ne pas un des siens danse avec leurs femmes. A neuf heures trois quarts mené en sa chambre, dévêtu, mis au lit; l'on parloit de ce qu'il n'avoit permis la danse aux siens avec ces femmes; je lui demande: «Monsieur, voudriez-vous bien que j'eusse dansé avec elles?»—Non, dit-il, je ne voudrois pas que vous eussiez touché la main à ces vilaines femmes; elles sont si sales! Je ferai allumer dans la salle un grand fagot de genièvre.

Le 10, dimanche.—Mené à la messe en la chambre de M. d'Orléans, puis chez le Roi, qui avoit la goutte. A onze heures et demie dîné; il ne veut plus manger que l'on ne fasse sortir trois Égyptiens, disant qu'ils sentoient mauvais.

Le 14, jeudi.—A dix heures mené à la chapelle puis chez la Reine et avec elle à la procession[412]; le Roi avoit la goutte. A six heures et demie soupé; il va sur la terrasse, revient en sa chambre pour y recevoir don Diego d'Ivarra, Espagnol, qui étoit ambassadeur pour le roi d'Espagne dans Paris, quand le Roi le prit sur la Ligue; il s'en alloit en Flandres.

Juin
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Le 15, vendredi.—Pour n'avoir voulu ôter son chapeau à des gentilshommes qui l'étoient venus voir, après qu'ils sont sortis de sa chambre, il est pris par des femmes de chambre, mis et couché sur le lit et fouetté.

Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Mis au lit de Mme de Montglat avec elle et son mari. A quatre heures et demie il va chez le Roi, qui le met dans son carrosse et le mène au grand canal.

Le 17, dimanche.—Mené chez le Roi, qu'il trouve en son antichambre, prêt à sortir, qui le mène au promenoir; il fait le tour entier du jardin du Tibre, entre en l'allée du chenil, où le Roi le renvoie. Ramené, il veut battre Bompar, son page, disant que c'étoit pour ne l'avoir point suivi, taisant la cause qui étoit pour avoir suivi le Roi, portant sur lui le parasol de M. le Dauphin; il retient longtemps cette vengeance. Bompar arrive, il va à lui à coups de verge, qu'il tenoit en sa main, et à coups de pied, ne lui veut point pardonner, quelque chose qu'on lui puisse remontrer, demeure froid et ferme sur cette opinion. A dîner, Bompar revient; Mme de Montglat dit au Dauphin qu'il lui commande de sa part d'aller savoir comme se portoit M. le grand écuyer, qui étoit malade; il répond: Je veux pas que ce soit Bompar, je veux que ce soit Charpentier, valet de garde-robe de Madame. Sur la menace du fouet par Mme de Montglat, il dit: Oui, oui, allez-y, Bompar; et quand il fut parti il reprit: Mais qu'il soit revenu, je le battrai bien, je lui donnerai cent coups de bâton, puis je l'envoyerai à la cuisine. Il dit tout cela froidement; il ne pouvoit oublier son maltalent. Bompar revient: Allez-vous en, dit-il, et il le chasse. «Monsieur, lui dit-on, il ira trouver papa, auquel il dira la cause pour laquelle vous l'avez chassé.» Il songe quelque peu de temps sans dire mot, puis tout à coup: Qu'on l'appelle. Il revient, et, pour rompre cette opiniâtre humeur de vengeance, je lui dis comme Bompar rentroit: «Monsieur, faites-lui boire le reste de votre Juin
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270 breuvage.» Il le fait, se prend à rire, l'ayant vu boire, et son humeur se passa.

Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il va par le jardin des canaux au Navarre[413], pour voir piquer les chevaux du Roi, y voit la Donzelle, cheval barbe, le Montgommery, cheval normand du haras de M. de Brueil, qui étoit le cheval de guerre du Roi.

Le 21, jeudi.—Il se réjouit de ce que Mme de Montglat dit que la Reine lui venoit de dire qu'il iroit à Saint-Germain: Ha! que j'en suis bien aise, moucheu Héoua, vos grands livres sont-ils encore à Saint-Germain?—«Oui, Monsieur.»—Les avez-vous fait serrer?—«Oui, Monsieur.»—Maître Gille (c'étoit son sommelier), je m'en vas à Saint-Germain, il faut que vous fassiez serrer ma coupe, mon verre et mon cadenas; mon bassin, faites le mettre dans un étui. Et vous, Devienne (son cuisinier), faudra faire serrer ma vaisselle.—Il va en la galerie, où l'on lui porte un tapis à l'entrée pour se jouer dessus; il faisoit grand chaud. Le cardinal Barberini, nonce, et le sieur Denis Caraffa, évêque, passant de Flandres pour aller nonce en Espagne, lui baisent la main.

Le 26, mardi.—Il bégaye fort en parlant. Il entend la messe en la chambre du Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. A cinq heures, mené au jardin et chez M. de Sully.

Le 27, mercredi.—Il voit sur les quatre heures entrer l'ambassadeur turc Mustapha-Aga, qui a la garde des habits des enfants du Grand-Seigneur, et autres grands de sa Cour; il étoit monté sur un cheval bai de la grande écurie du Roi, et descendit au pied de l'escalier de la cour des fontaines, conduit par M. de Brèves et accompagné d'un janissaire, de deux autres Turcs et de deux esclaves. Il venoit pour demander au Roi les esclaves turcs qui Juin
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271 avoient été délivrés des galères à la prise de l'Écluse et mis aux galères à Marseille, ce que le Roi leur accorda[414]. Cependant il prend une humeur à M. le Dauphin de vouloir aller chez le Roi pour le y voir; on ne le peut retenir. Il va en la galerie; on suppose un valet de chambre qui lui vient dire de la part du Roi qu'il eût à s'en retourner en sa chambre; il y va soudain sans marchander. M. de Souvré arrive pour lui dire que l'ambassadeur Turc le vient voir; le voilà aussitôt à même pour accommoder le tapis de pied, y travaille lui-même pour qu'il soit bien tendu, jusqu'à ôter un fétu que M. de Souvré commandoit à un autre d'ôter. L'on demande sa chaise: Qu'on m'apporte la grande, dit-il. On lui donnoit de fausses alarmes de la venue de l'ambassadeur: Asseyez-moi, asseyez-moi, disoit-il, se jouant avec M. le comte de Saulx, M. de Courtenvaux et autres jeunes gentilshommes. Assis, il goguenarde encore avec eux sur les postures des chapeaux sur la tête; l'ambassadeur arrivé, il prend sa contenance ferme, froid, grave, doux, élève et dresse son corps, le regarde assurément comme il s'arrêta au bout du tapis et le considérant, et se regardoient l'un l'autre. Peu après l'ambassadeur prend du damas vert figuré et mêlé d'autres couleurs, s'avance et le lui présente, puis développe une petite chemise à la turque, ouvrée de bouquets, qu'il lui présente aussi: il reçoit tout froidement. L'ambassadeur dit en son langage, rapporté par M. de Brèves, que ceux qui étoient pauvres ne pouvoient pas donner beaucoup, mais qu'ils donnoient l'affection, et qu'il donnoit la sienne; puis demanda à lui baiser la main; il lui baise la main gauche qu'il tend, puis dit qu'il prioit le grand Dieu qu'il lui donnât la volonté de continuer en l'amitié envers eux, comme avoient fait le Roi et ses prédécesseurs, Juin
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272 et qu'il lui donnât longue vie; puis il s'en va par la galerie aux jardins, et de là recoucher à Moret. Le soir, étant sur le lit de Mme de Montglat, se jouant, je commence à lui parler de ce Turc, et lui dis: «Monsieur, il faudra que vous alliez un jour à Constantinople avec cinq cent mille hommes.»—Oui, je tuerai tous les Turcs et cettui-ci, et tout.—«Monsieur, il ne faudra pas tuer cettui-ci, qui a pris la peine de venir de si loin pour vous voir et vous faire des présents.»—Mais les Turcs ne croient pas en Dieu.—«Monsieur, pardonnez-moi, ils croient en Dieu, mais non pas en Jésus-Christ, qui est fils de Dieu.»—En qui donc?—«En Mahomet.»—Qui est-ce Mahomet?—«Monsieur, ce a été un méchant homme qui les a tous trompés et fait croire qu'il étoit envoyé de Dieu pour leur faire croire autrement que ce que Jésus-Christ avoit fait.» Il songe un peu, puis soudain: Ho! ho! je les tuerai tous, mais je ferai dire une messe devant cettui-ci, puis je le ferai baptiser.—«Ce sera bien fait, mais il le faudroit premièrement faire baptiser, puis vous feriez dire la messe devant lui.»—Pourquoi?—«Pource qu'il ne peut être chrétien qu'il ne soit baptisé, ni ouïr la messe qu'il ne soit chrétien.»—Bien donc. L'on nous interrompit.

Le 28 juin, jeudi.—Éveillé à huit heures, il se jette hors du lit à bas, fait fermer les portes, de peur que Mme de Montglat ne lui donnât le fouet, qu'il craignoit pour des fautes faites le jour précédent; elle vient, il y court pour l'empêcher, j'obtiens grâce, il ouvre.

Le 1er juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Le Roi commande à M. Birat, à M. Guérin, nomme son mignon ce soldat Descluseaux (sic), puis à M. de Cressy, à M. de Mansan de le tenir quand Mme de Montglat le voudra fouetter; me fait l'honneur de me commander devant lui de le reprendre quand il fera quelque faute. Le Roi et la Reine partent pour s'en aller souper et coucher à Melun et le lendemain à Saint-Maur-des-Fossés.

Juil
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Le 3, mardi, à Fontainebleau.—A trois heures étudié; il écrit à contre-cœur, hausse ses deux jambes, les met du long sur son papier; les cuisses étoient en l'air, nues. Mme de Montglat lui donne un grand coup de verges dessus, ne voulant pas les ôter.

Le 4, mercredi.—A deux heures il vient au pavillon de M. le Grand, où j'étois logé, y joue à la paume; à trois heures il y a goûté, puis il va en la galerie du jeu de paume, y joue à la paume avec jugement, frappe de grands coups. Mené au jardin des pins, en celui des canaux et des fruitiers, où il s'amuse à voir des cages où des poules avoient couvé des faisandeaux; il n'en pouvoit partir.

Le 6, vendredi.—A une heure il va chez sa nourrice, d'où il m'envoie querir pour étudier; mais ce ne fut pas pour longtemps. Il fallut marchander pour en dire deux lignes et demie du Psaultier latin. A deux heures et demie il consent de descendre en sa chambre pour y apprendre à écrire puis à danser. A neuf heures trois quarts dévêtu, mis au lit, fort gai; l'on parloit des chevau-légers du Roi et de Caulet, qui en étoit le chirurgien et qu'il vouloit qu'on envoyât querir pour lui panser une écorchure qu'il avoit; il demande: Papa n'a-t'y que des chevau-légers?—Je lui dis que non.—J'ai des gendarmes et des chevau-légers; je veux donner à papa ma compagnie de gendarmes.—«Monsieur, papa les vous a baillés pour y commander pour son service, et quand vous serez grand, un jour de bataille, vous serez à la tête de l'armée, au devant de papa, avec votre compagnie de gendarmes.»—Qu'est-ce que tête?—«Monsieur, c'est le devant de l'armée qui regarde les ennemis.» Il répond en s'animant: J'y serai devant papa avec ma compagnie de gendarmes, et mes chevau-légers seront devant moi, puis nous irons tuer tous les ennemis.

Le 7, samedi.—Comme Mme de Montglat lui donne sa chemise, elle lui demande: «Monsieur, quand vous serez Juil
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274 hors d'avec moi et entre les mains des hommes, et que j'aille quelquefois à votre lever, me permettrez-vous de vous donner votre chemise?» Il lui répond: Ne parlons pas de cela, Mamanga, je vous en prie; il me semble que j'y suis déjà!—A cinq heures, mené aux jardins, il voit une femme qui mangeoit du pain bis de la concierge du portail de la chaussée, en veut, en mange un gros morceau. Ramené, M. l'aumônier demande à Mme de Montglat pour le faire voir à quelques chanoines de Saint-Quentin: Mais, Mamanga, mon aumônier ne parle jamais que de chanoines et que de moines! dit-il, hoignant et hochant la tête.

Le 8, dimanche, à Fontainebleau.—Il écoute, en mangeant lentement, la musique des luths et des voix avec transport; aucune chose n'arrêtoit tant son esprit que la musique. Il va en sa chambre, se fait donner sa trompe, que M. de Montbazon lui avoit donnée, va en la galerie, s'amuse à sonner ce qui est de la chasse, parlant dans sa trompe sans souffler.

Le 10, mardi.—On lui dit que M. Birat étoit revenu de Montargis, il s'en réjouit, l'envoie querir, l'attend avec impatience; il étoit de ceux qui le faisoient jouer.—Étudié à contrecœur, après avoir bien marchandé.

Le 11, mercredi.—M. Caulet, chirurgien aux chevau-légers du Roi, lui a coupé les cheveux en homme.

Le 14, samedi.—Il pleure fort sur ce qu'il voit pleurer Mme de Montglat pour les mauvaises nouvelles de son mari, qui étoit mort[415]. M. de Souvré le fait étudier; ce fut la première fois.

Le 15, dimanche.—Mené sur la chaussée, où il voit M. du Brocq voltiger sur un cheval. Il demande d'aller voir Mamanga, mais je veux pas qu'elle pleure. Il y va: Bonsoir Mamanga, je veux pas que vous pleuriez, riez; il la veut emmener pour coucher en sa chambre.

Juil
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Le 17, mardi, à Fontainebleau.—Il ne veut point que M. Guérin le serve (à souper), pour ce qu'il avoit touché à Mlle de Vendôme pour l'asseoir à table; il se y opiniâtre. L'on vient à parler du tonnerre, qui le jour précédent, sur les trois heures, étoit tombé à Moret dans la chambre où M. le comte de Moret, âgé de deux mois et demi, étoit entre les bras de sa nourrice, près de la fenêtre, où il entra sans offenser personne. Je dis que la chambre étoit pleine d'opiniâtres; il ne dit mot, mais incontinent après dit: Guérin, prenez la serviette, servez-moi.

Le 18, mercredi.—J'allai à Moret voir M. le comte de Moret, qui se portoit bien et avoit été miraculeusement sauvé du tonnerre, qui entra par les fenêtres de sa chambre, du côté du midi, à deux pas près de lui, étant dans les bras de sa nourrice.

Le 21, samedi.—A onze heures dîné; il demande de la tisane de Mlle de Vendôme à boire, M. Guérin lui dit que c'étoit du vin: Bien, c'est tout un, donnez-m'en, et il me regarde, et me commande de lui en faire donner. Je lui dis: «Monsieur, il vous feroit mal».—Papa le veut.—«Monsieur, c'est quand vous mangez avec lui». Il commence à s'échauffer de colère: Vous êtes un homme de neige, vous êtes laid!—«Oui Monsieur, mais vous ne boirez pas de vin, car il vous feroit mal». Sur ce refus il prend un couteau et, tout ardent de colère, m'en menace. Je lui dis: «Adieu, Monsieur, je m'en vais tout à fait.» Je pars, et m'en allai en ma chambre; il envoie plusieurs fois vers moi, et après plusieurs refus je retourne. Il dit qu'il est bien marri de ce qu'il a fait et que jamais il n'y retournera, demande à boire. On lui sert de son breuvage, dont il ne vouloit pas, en boit fort peu et par menace. Il est toujours sur ce vin; il en vouloit, je lui résiste encore: Je vous aime point, vous êtes un bel homme de neige.—«Monsieur, je l'écrirai au Roi, ou je m'en irai le lui dire».—Je m'en soucie bien.—«Bien donc, Monsieur, puisque je ne vous sers plus de rien, Juil
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276 adieu, je m'en vais tout à bon trouver le Roi.» Je pars, il envoie plusieurs fois après moi; je ne y retourne plus, cependant il continue à dîner. A deux heures il vient en ma chambre, après s'être informé de lui-même si je m'en allois; on lui dit que oui, et que c'étoit en carrosse: Ho! son carrosse est à Vaugrigneuse et celui de Mamanga est à Paris! Mme de Montglat le conduisoit, il marchandoit à entrer; il entre, je le salue sans dire mot; il s'en vient enfin à moi: Je vous prie, ne vous en allez pas!—«Monsieur, que voulez-vous que je fasse ici, auprès de vous, puisque vous ne voulez pas faire ce qui est pour votre santé; je ne y sers plus de rien».—Je ferai plus; et la paix fut faite. Sur les trois heures Boileau, son violon, se présente pour le faire danser, il lui dit des injures, et le veut frapper; Mme de Montglat l'aperçoit, elle le fait prendre et tenir par Boileau, et il fut fouetté.—Mme la comtesse de Moret le vient voir.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—Il se réjouit d'aller à Saint-Germain, sur la nouvelle qui en étoit venue de la part de la Reine.

Le 24, mardi.—Il va en la galerie, s'y joue, s'y amuse, va chez sa nourrice, et à trois heures y a goûté, puis écrit; en écrivant M. Boquet (mari de sa nourrice) crioit après Pataut, son chien, pour ce qu'il faisoit du bruit pendant que Monseigneur écrivoit: Hé! Boquet, savez-vous pas que c'est une bête, quelle n'a point de raison?

Le 25, mercredi.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant d'Italie pour l'accord du Pape et des Vénitiens, vient voir le Dauphin.—Mme de Moret lui avoit envoyé un navire; il disoit qu'étant à Saint-Germain il le mettroit sur la rivière, et le feroit tout charger de lapins.

Le 27, vendredi.—Ayant appris par le capitaine des mulets du Roi qu'il avoit amené les mulets pour aller à Saint-Germain; il presse que l'on serre ses habits, que l'on fasse les coffres.

Le 28, samedi, à Fontainebleau.—MM. de Souvré et Juil
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277 de Béthune arrivent pour le conduire à Saint-Germain; aussitôt il va en sa chambre, et disoit par celles où il passoit: Je m'en vas détendre ma chambre, Mousseu de Souvré est venu. A six heures et un quart soupé, il se ressouvient, en parlant de Crosne, d'un grand cabinet rond, découvert, où il avoit passé il y avoit deux ans dix mois[416] disant: C'est là où nous fîmes le corps de garde; il étoit vrai.

Le 29, dimanche, voyage.—A une heure et demie il est entré en carrosse à la cour du Cheval-Blanc, et est parti, accompagné de M. d'Orléans en litière, Madame et Mme Christienne en litière, Mlle de Vendôme en litière; et dans son carrosse de M. et de Mlle de Verneuil et Mme de Montglat, sa gouvernante; MM. de Souvré et de Béthune à cheval. A trois heures et un quart goûté dans la forêt, à la table du Roi. Arrivé à Melun à quatre heures et demie, il se joue en sa chambre chez M. de la Grange. MM. de la ville et le lieutenant général le viennent saluer, lui font présent de pièces de pâtisserie et de leur vin. Il va voir chez un plombier, près du pont, des moulins où il y avoit une pompe qui donnoit de l'eau à une petite grotte; M. de Souvré le y mena; il fut ramené à pied par la ville.

Le 30, lundi, voyage.—Parti de Melun à midi, il arrive à deux heures et demie à Lourcine, où il a goûté, passe par le pont de Villeneuve-Saint-Georges, et arrive à Crosne à cinq heures et un quart. Mené au jardin, il se promène partout, passe sur le pont, qui tourne sur un pivot, fait abattre des prunes.

Le 31, mardi, voyage.—On le mène au logis de M. Gobelin; on lui fait voir la fontaine, le jardin; il part à huit heures trois quarts, il est mené à Charenton, chez M. Cenami, gentilhomme lucquois; parti à une heure et demie, il entre à Paris par la porte Saint-Antoine. MM. de Guise, de Nemours, d'Aiguillon et de Sommerive le Juil
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278 viennent saluer et le conduisent jusques à la porte Saint-Honoré, où ils rencontrent M. le prévôt des marchands (Sanguin, sieur de Livry) et les échevins, qui lui font la réception; hors la porte ces messieurs prennent congé de lui. Il est mené jusques au Roule, où, sous un ombrage, sans descendre de carrosse, il a goûté à trois heures et un quart. Il passe le pont de Saint-Cloud, porté sur les bras par M. de Courtenvaux (on racoustroit le pont); il arrive à Saint-Cloud en son logis, chez M. de Gondi, à cinq heures et demie.

Le 1er août, mercredi, voyage.—A deux heures et demie parti de Saint-Cloud, il passe par la levée; il se rencontre un grand bateau qui montoit et qui traînoit, attaché, un petit bateau que les bateliers dirent avoir fait faire pour lui; il commande de le descendre au Pecq, et arrive à Saint-Germain-en-Laye à quatre heures et un quart.

Le 2, jeudi, à Saint-Germain.—Il va en la chambre de sa nourrice, puis descend en son ancienne chambre, où il s'amuse. M. Nicolaï, premier président des Comptes à Paris et Mme des Essars[417] le viennent voir. Quelqu'un lui demande: «Monsieur, qui est cette belle dame?» Il répond en souriant: C'est la femme de Mousseu de la Varenne; il l'avoit vue quelquefois à Fontainebleau et conduite par M. de la Varenne.

Le 5, dimanche.—Il bégaye en parlant, se fait coiffer en paysanne pour jouer une comédie, ayant une épée à son côté.

Le 7, mardi.—Mené au palemail, il va jusques à la chapelle, fait mener ses petits tombereaux, remuer et transporter de la terre, ordonne, commande, se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, où il s'amuse à la fenêtre, et y prenoit plaisir à voir travailler les charpentiers et les autres ouvriers, puis entre en mon étude, Août
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279 demande à écrire, écrit son nom Lois, puis me demande: Comment faut-il écrire roi? Je le lui montre, il y ajoute un s, disant: Velà Rois[418].

Le 10, vendredi, à Saint-Germain.—Mené au palemail, il se fait mettre dans son petit carrosse découvert jusques à la chapelle, où il entend la messe faisant des gambades sur son carreau. Il va à son carrosse, y fait mettre dedans Madame, la petite Vitry et le petit Gramont de la Franche-Comté. Il dit à l'oreille à Indret, son joueur de luth, qui le menoit: Je veux être le valet de pied, mais le dites pas. Deux pages tirent le carrosse, il va à côté branlant les bras et marchant de l'air d'un laquais, se fait appeler le petit Louis. Mené en sa chambre, il se met sur les outils de menuiserie; il a deux pages et deux garçons de la chambre, auxquels il commande, leur fournit la besogne et se fait appeler maître Louis. Il vient en ma chambre, me demande papier et encre, se met à peindre, fait un oiseau, puis se met à faire Dondon, sa nourrice; comme il faisoit le nombril, il tire ce qui est plus bas, et l'ayant fait, dit: Et velà ce que je veux pas dire[419].

Le 11, samedi.—M. de la Luzerne, le jeune, le vient saluer; il lui montre ses armes. Mené à la chapelle du parc, il y entend la messe ayant son papier et sa plume à écrire; il falloit quelque chose pour contenir son esprit. Au sortir de là il s'amuse à faire paver l'allée d'une maison qu'il avoit faite les jours auparavant, y travaille et apporte lui-même [ce qu'il faut]; on ne l'en peut tirer jusques à ce que je lui dis qu'il falloit que les ouvriers allassent dîner. Le page de Mme de Montglat, Maisonrouge, demandoit de l'argent, menaçoit de ne revenir plus; le Dauphin lui dit: Venez ce soir; savez-vous pas qu'on paye les ouvriers le samedi au soir? Il s'amuse à ses outils de menuiserie, va en la chambre de Mme de Montglat, la prie Août
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280 de lui donner un grand cabinet d'Allemagne qu'elle avoit; elle le lui donne, il ne veut point ouïr parler de donner le sien, qui étoit petit, à Mme de Vitry, qui le lui demandoit. A neuf heures dévêtu, mis au lit, il s'amuse à crayonner avec du rouge fort proprement et dextrement.

Le 12, dimanche, à Saint-Germain.—Il monte en la chambre de sa nourrice, qui étoit accouchée le matin, puis entre en la mienne, s'amuse à la fenêtre qui regarde le préau à parler aux passants, et leur demande: Qui êtes-vous? où allez-vous? Il fait sauter, courir, danser sur le pont de la chapelle des pauvres garçons, puis à la fin leur jette quatre grands blancs attachés à une pierre.

Le 13, lundi.—Il va à la chambre de la Reine, où il fait faire du feu et y mettre sa petite marmite, dans laquelle il met du mouton, du lard, du bœuf et des choux, appelle et prie chacun pour être à la collation, y fait monter Mlle de Vendôme. Il s'amuse à peindre en crayon, n'en peut sortir.

Le 14, mardi.—On lui dit que M. de Verneuil arrive[420]; le voilà de courir jusques au pied de l'escalier avec grandes exclamations et glapissements de joie; il en étoit tout transporté, l'embrasse, lui demande: Avez-vous soupé?—«Non, mon maître.»—Allez-vous-en souper, lui dit-il, faisant le maître et l'honneur de la maison.

Le 16, jeudi.—En prenant son bouillon dans son écuelle de porcelaine, on lui louoit la porcelaine; je lui dis que le Grand-Turc buvoit dans des vases de porcelaine: Ho! dit-il, je veux plus prendre du bouillon là dedans, et il repousse son écuelle.—«Monsieur, lui dis-je, c'est pour ce que le Grand-Turc est un grand prince et qu'il n'y a que les rois et les grands princes qui en usent.» Août
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281 Il revient à soi, la reprend et me demande: Papa s'en sert-il?—«Oui, Monsieur.»

Le 17, vendredi.—Éveillé à six heures et demie; levé avec impatience de faire déménager pour aller à Noisy[421], à cause de la peste qui depuis avoit été découverte sur une femme, au-dessus du cimetière, ce dont on avoit averti le Roi, qui étoit à Monceaux; il dépêcha M. de Frontenac, qui arriva le jour précédent à quatre heures et demie après midi, portant commandement d'aller à Noisy. Il presse de charger, va lui-même en sa chambre, où il aide à emballer un matelas; jusques à trois heures c'est une perpétuelle inquiétude et soin, pour faire partir le reste des bagages qu'il voyoit en la cour, du dessus de la terrasse; il descend, remonte, est mené en la chapelle à cause du chaud. Enfin, parti de Saint-Germain à cinq heures, M. de Frontenac étant revenu de Poissy, et à son arrivée ayant reçu nouvelles du matin à dix heures, de Monceaux, de la maladie du Roi. Le Dauphin arrive, fort gai et ne faisant que chanter, à Noisy, à six heures et demie. Aussitôt qu'il est descendu il demande d'aller au jardin, y est mené, va partout. Amusé jusques à neuf heures, dévêtu, mis au lit, Mme de Montglat lui dit que l'on alloit à la chapelle prier Dieu pour papa: Et pour moi aussi, Mamanga, dit-il promptement et d'affection[422].

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Le 18, samedi, à Noisy.—A huit heures et demie déjeûné; il me dit: Allons promener, mousseu Héroua; voulez-vous bien que je vous montre la grotte. Il me va montrant tout ce qu'il avoit vu le jour précédent, ayant remarqué jusques aux moindres choses. Ramené, et à neuf heures mené à la chapelle. A cinq heures mené au parc puis au jardin; à six heures trois quarts ramené, il veut hausser le pont levis. Mme la marquise de Ménelay[423] le vient voir. Dévêtu, mis au lit, il donne le mot à MM. de Mansan et de la Court: Saint Jacques.

Le 19, dimanche, à Noisy.—M. du Tost, mari de la nourrice de Madame, lui apporte une pie-grièche qu'il avoit dressée à voler le moineau; il se fait donner son gant de fauconnier, la prend sur le poing, et, dans la salle haute, la lâche fort à propos après un moineau, lui en fait voler deux. Il veut aller aux Cordeliers ouïr vêpres; sur la fin la patience lui échappe, et il s'en va aux orgues, puis remonte au château, prend la pie-grièche, lui fait voler un moineau en la salle. L'on présentoit la collation à Mme la marquise de Ménelay; Mlle de Ventelet dit au Dauphin: «Monsieur, que n'allez-vous? on y fait collation.»—Ho! Mamanga, mousseu Héroua y sont; ils ne feroient que me gronder, j'aime mieux y aller pas; c'est qu'il craignoit d'être contrôlé devant Mme la marquise. Mené au parc, où il se fait porter du papier et de l'encre pour y écrire une lettre au Roi par M. de l'Isle-Rouët. A six heures et demi soupé; il va sur la première terrasse hors la cour, danse avec les filles, leur dit des chansons grasses, puis tout riant les quitte et danse avec M. de Verneuil, Août
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283 M. de Mansan, M. de la Court et moi; il chante: En revenant de cette ville, etc., on ne l'en peut tirer.

Le 24, vendredi, à Noisy.—Il lui prend humeur de vouloir aller à la chasse, commande à M. de Ventelet: Tetay, faites atteler le carrosse, je veux aller à la chasse. Taine, faites tenir prêts les oiseaux; il commande sérieusement et avec action et passion. A quatre heures et demie il entre en carrosse pour aller à la chasse (c'est la première fois), est mené aux environs du moulin de pierre allant vers Versailles[424], voit prendre près de lui un levraut avec deux lévriers, cinq ou six cailles à la remise chassées par le haubereau, et deux perdreaux, dont un pris par son épervier; l'on vit un grand renard qui se sauvoit vers le moulin. Ramené à six heures trois quarts, il raconte en soupant ce qu'il a vu de la chasse. Mme de Vitry lui vient porter un bouquet, disant que demain est Saint-Louis, sa fête, et qu'il faudra qu'il paye sa tarte pour tous; il s'en met en colère, et la chasse de sa chambre.

Le 25, samedi.—On lui apporte morte sa pie-grièche, où il prenoit fort grand plaisir; il ne s'en émeut pas beaucoup, mais lui fait ôter la longe et les sonnettes, disant froidement: Ce sera pour une autre, encore qu'en son âme il en fût marri, mais ne vouloit pas faire paroître son déplaisir.

Le 26, dimanche.—Il presse M. de Ventelet pour lui faire porter la tarte qu'il avoit commandé de faire pour sa fête Saint-Louis, que Mme de Montglat avoit remise à ce jour d'hui, parce que le jour précédent, qui étoit la Saint-Louis, elle faisoit faire un service aux Cordeliers pour la quarantaine après le décès de M. de Montglat.

Le 28, mardi.—Il s'amuse à crayonner, fait cette Août
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284 copie[425] de Mme la marquise de Menelay, fille de feu M. le maréchal de Retz, sans aide aucune.—Il va à la ferme, trouve des petits enfants du fermier, s'amuse à les entretenir, puis leur donne de l'argent.

Le 29 août, mercredi.—Mené aux jardins du côté de Bailly[426], il visite tout, monte à la grotte. A neuf heures mis au lit, il entre en mauvaise humeur; Mme de Montglat lui montre des verges: Hé! Mamanga pardonnez-moi, et se prend à pleurer. Mme de Montglat lui dit: «Ne pleurez point.»—Vous me voulez fouetter, et vous voulez pas que je pleure! Il continue, et est fouetté.

Le 5 septembre, mercredi, à Noisy.—A dix heures le Roi arrive; il lui va au devant, le rencontre hors du pont-levis; à onze heures trois quarts dîné avec le Roi; il mène le Roi se reposer sur son lit. A quatre heures et demie le Roi part pour s'en aller coucher à Villepreux[427], le Dauphin pleure; on le met dans le carrosse de Mme de Montglat, et il suit ainsi le Roi jusques près de Villepreux, où il vouloit aller avec le Roi, vers lequel il envoya M. de la Court, exempt au corps et servant près de lui, pour savoir s'il lui plaisoit pas de lui permettre d'aller à Villepreux. Il rapporte que le Roi ne le veut pas: Hé! je le veux moi, dit-il impérieusement; touche, carrossier, touche! L'on fait insensiblement tourner le carrosse vers Noisy, lui faisant croire qu'il alloit à Villepreux, de façon que se voyant près de Noisy il entre en colère, accuse M. de Verneuil, qui étoit dans le carrosse, au cul des chevaux: Ha! c'est féfé Véneuil qui l'a dit au carrossier; fouettez-le, Mamanga, et je vous promets que Sept
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285 jamais je ne serai opiniâtre.
Enfin il arrive à Noisy; l'humeur lui passe.

Le 6, jeudi, à Noisy.—Le Roi arrive de Villepreux, l'envoie querir et mener au Cordeliers; dîné avec le Roi; il va en la chambre de Madame, s'y joue devant le Roi, qui à onze heures trois quarts part pour aller courir le cerf et coucher à Villepreux; il pleure fort pour le départ du Roi.

Le 8, samedi.—Il dit ses quatrains de Pibrac. Mené dehors, il s'amuse à la petite grotte sèche, à l'entrée du parc. Mis au lit, il me commande de lui montrer ma montre, de monter la sonnerie, demande la raison des mouvements, veut savoir tout.

Le 10, lundi.—MM. de Souvré, de Béthune, baron de Lux, de Gondi, le viennent visiter, et, peu après, le cardinal Barbarini, nonce du Pape, qui s'en retournoit à Rome. Mené aux parterres du côté de la grotte, il se joue dans la salle qui est dessus, sort, entre, court, n'en peut partir.—L'on parloit d'un mulet sur lequel un des officiers étoit allé aux champs: Il a des cors aux pieds, dit le Dauphin; c'est qu'il avoit le boulet enflé: il savoit et remarquoit tout.

Le 11, mardi.—Le sieur du Glast, gentilhomme anglois, écuyer du prince de Galles, le vient visiter de la part de son maître, avec une couple de petits pistolets qu'il lui envoie, accompagnés d'une lettre dont la teneur ensuit:

Monsieur et frère, le Roy mon père envoyant un des miens vers Sa Majesté, je luy ay commandé vous saluer de ma part, vous présentant deux petits bidets lesquels j'ay pensé qu'auriez agréables pour l'amour de moy, qui vous supplie croire qu'il n'est aucun plus desireux d'estre favorisé de vos bonnes grâces et de rencontrer quelque digne sujet pour les pouvoir mériter que celuy qui s'est voué vostre très-affectionné frère à vous servir.

Henry.

Nonsuch, 22 juillet 1607.

Le voilà amoureux de ces pistolets, il les met dans son cabinet d'Allemagne.

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286

Le 12, mercredi, à Noisy.—Le Roi arrive à dix heures; à dix heures trois quarts dîné avec le Roi. Le Roi part pour aller à la chasse.

Le 13, jeudi.—Mené au devant du Roi revenant de la chasse[428], puis à midi dîné avec lui. Il va en sa chambre, et, cependant que le Roi se repose, il va chez Madame, où il se joue jusques à deux heures qu'il lui prend une secousse de mal aux dents; il se fait coucher sur le lit de Madame. A trois heures le Roi y vient, le baise, et s'en retourne à Paris. Amusé doucement jusques à six heures, ayant été au galetas des meubles et des peintures où il s'étoit le plus amusé.

Le 14, vendredi.—Il s'amuse à peindre et faire peindre par Boileau.

Le 15, samedi.—Mme de Montglat disoit qu'elle alloit envoyer vers la Reine, qui s'étoit trouvée mal, et qu'il falloit qu'il lui écrivît pour apprendre de ses nouvelles. Qui y envoyez-vous? demande le Dauphin.—«Monsieur, je y envoyerai un homme de pied.»—Un homme de pied; que n'y envoyez-vous le Bernet? C'étoit un honnête homme, qui avoit été à feu M. de Montglat.—Mme de Vitry avoit un petit mortier de marbre; il desire de l'avoir, le lui demande à donner; elle le fait un peu marchander: Si vous ne me le donnez, je dirai que vous êtes ciche.

Le 16, dimanche.—Il me dit: J'ai envoyé querir mon gros canon.—«Monsieur, lequel?»—C'est Dondon, sa nourrice[429]. Il monte en la chambre de sa nourrice, où il se joue doucement, le petit Grandmont, parent de M. de Saint-Georges, avec lui et Louise, sa sœur de lait.

Le 17, lundi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui fait des crayons[430], et il dit ses quatrains de Pibrac en musique.

Sept
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287

Le 18, mardi, à Noisy.—Il s'amuse à voir peindre par Boileau, sait les noms de la matière des couleurs. A trois heures trois quarts dévêtu, mis au lit. On lui faisoit des contes de Mélusine; je lui dis que c'étoient des fables, et qu'elles n'étoient pas véritables. Mme de Montglat lui fait le conte de Daniel jeté aux lions; il y prend grand plaisir. Je lui fais celui de la tour de Babel et de la confusion des langues, il demande: Y avoit-il des François?—«Oui, Monsieur.»—Les François faisoient le mortier, et ils bailloient de la pierre. Puis je lui fis celui de David quand il tua Goliath; il me le fait redire plusieurs fois, me demande si David étoit bien aussi grand que M. le Chevalier, si sa fronde étoit de corde, si la pierre étoit pierre de liais; c'est qu'il avoit retenu ce mot ayant vu à son promenoir une grande table de pierre de liais, au jardin, et entendu dire quelle étoit bien dure. Il demande si Goliath étoit bien grand, s'il étoit plus haut que sa chambre, si son cheval étoit bien grand, de quel poil il étoit, s'il eût bien porté six hommes, si Goliath étoit bien pesant, s'il montoit tout seul dessus sans aide, et, de tous ces contes, demande: Cela est-il vrai?—«Oui, Monsieur, lui dis-je, ils sont dans la Bible[431].»—Je les veux apprendre, puis je les conterai à papa, car ils sont vrais, ils sont dans la Bible de Mamanga. Ma sœur fera des contes de la mouche guêpe qui a piqué la chèvre au cul, qui ne sont pas vrais, mais je ferai ceux-ci qui sont vrais. Mamanga, avez-vous ici votre Bible?—«Non, Monsieur.»—Il faut l'avoir, et quand nous serons en carrosse vous me la lirez.

Le 19, mercredi.—Il s'amuse à regarder Boileau, qui Sept
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288 peignoit le père du Roi[432]. Je lui demande: «Monsieur, lequel aimez-vous mieux, ou étudier ou danser?»—J'aime mieux étudier; il n'aimoit point la danse de son naturel.

Le 23, dimanche, à Noisy.—Amusé avec de la craie, il écrit contre la porte Loys, assez bien, m'appelle pour me le montrer. Mené à la chapelle, puis à onze heures trois-quarts dîné. Il entre en mauvaise humeur, et ne veut point que M. de Verneuil dîne avec lui; Mme de Montglat le y fait dîner. Madame, assise au bout de table, fait des remontrances au Dauphin: Ha! Jésus! Monsieur, il faut pas faire cela; on vous reconnoîtroit pas pour le fils du Roi seulement. Il faut pas avoir des fantasies; on les balie par le cu, Monsieur, mais on les balie pas comme la terre; on fait ainsi: Chac, chac. Il faut pas avoir des humeurs, Monsieur, Mamanga vous fouetteroit[433]. Il n'osoit dire mot, l'écoutoit sans faire semblant de l'entendre; elle lui dit encore: Ha! Monsieur, il faut pas dire cela, il faut pas parler ainsi aux gouvernantes, cela n'est pas beau, Monsieur; c'est qu'il disoit à Mme de Montglat qu'il ne feroit pas ce qu'elle vouloit.—Mené par la cour au jardin des orangers, ramené à six heures.

Le 25, mardi.—Il s'amuse à écrire et peindre, m'appelle pour me montrer son ouvrage, et me le donne en intention de le mettre dans le registre[434].

Le 26, mercredi.—Il écrit au Roi, lui ayant imprimé[435] les lettres. Comme j'écrivois ceci, Monseigneur le Sept
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289 Dauphin est monté ici en ma chambre, m'a fait quitter l'écriture pour l'aller promener[436].

Le 27 septembre, jeudi.—A goûter on lui sert une tarte aux pommes, à cause du jour de sa nativité[437]. Mené à vêpres, aux Cordeliers, pour ouïr chanter le Te Deum à cause du jour de sa naissance, et ayant vu un cordelier tenant un grand fouet à chasser les chiens, il en a peur, s'en va dehors sous l'ormoie; on ne le peut ramener.

Le 1er octobre, lundi, à Noisy.—Mené à la noce de la fille du concierge, il y a dansé.

Le 3, mercredi.—Il est vêtu de sa robe à haut collet, robe de satin gris; c'est la première qu'il a portée de cette sorte, et on lui a ôté sa bavette.

Le 9, mardi.—A neuf heures et demie parti pour aller à Saint-Cloud trouver LL. MM., il y a dîné; ramené à Noisy à huit heures[438].

Le 14, dimanche.—A neuf heures et demie il part pour aller aux Cordeliers pour ouïr une première messe; il en sort, dit que la messe est trop longue. M. de Béthune arrive, cela ne l'émeut point; il est fouetté devant le logis du jardinier, Descluseaux le tenant; il y va forcé.

Le 15, lundi.—Il s'amuse à voir peindre Boileau, auquel il faisoit copier en crayon le roi Louis douzième. Mené en carrosse à Villepreux, en la maison de M. le cardinal de Gondi, il s'amuse à des régales[439] qu'il y avoit en la chambre. Mme de Montglat lui demande en revenant quel, de Noisy ou de Villepreux, il aimeroit le mieux; Oct
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290 il répond: Villepreux.—«Monsieur, pourquoi?»—Pour ce qu'il y a des orgues.—«Monsieur, il y en a aussi aux Cordeliers de Noisy.»—Ho! j'aime point ceux-là; il y avoit été fouetté.

Le 19, vendredi, à Noisy.—Le comte de Gatinara, dépêché vers le Roi de la part de M. de Savoie pour la naissance de M. d'Orléans, le vient saluer, lui disant en avoir commandement de son maître. Il va en sa chambre, et de son mouvement fait ôter de la tapisserie tous ces crayons en papier qu'il y avoit fait attacher, faits par Boileau; il commence lui-même à les ôter, reconnoissant qu'ils n'étoient pas bien faits, et par ainsi ne vouloir être vus par l'ambassadeur: Je les veux, dit-il, montrer seulement à papa. A deux heures et demie l'ambassadeur prend congé de lui.—Mené au parc, il va jusques à la ferme des Essars, maison autrefois appartenante au sieur des Essars[440], traducteur de l'Amadis de Gaule, et qu'il a traduit en ce lieu.

Le 20, samedi.—Il s'amusoit avec la clef de ses tablettes à ouvrir celles de Mme de Montglat; il les ouvre, et soudain s'écrie: Hé! Mamanga, je m'en vas vous montrer un miracle. La clef de mes tablettes ouvre les vôtres.—A onze heures arriva, conduit par M. de Béthune, le marquis de Bevilaqua, venu de la part du Grand-Duc vers le Roi, pour la naissance de M. d'Orléans, et vers le Dauphin pour lui remettre des lettres du grand-duc, de la grande-duchesse et du prince de Toscane[441] que Oct
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291 l'ambassadeur appelle grand prince en parlant au Dauphin, lui disant que tous trois se recommandoient à ses bonnes grâces.

Le 21, dimanche, à Noisy.—Il voit danser en la salle l'épousée du fauconnier de M. de Paris[442].

Le 23, mardi.—Mené par le haut du parc à Bailly, il voit la maison de M. Veillard et de M. de Laistre.

Le 25, jeudi.—Éveillé à une heure après minuit par le bruit qui fut fait pour le feu qui s'étoit mis au lit des femmes de chambre qui couchoient dans la garde-robe, où lors couchoit Mme de Montglat pour avoir pris médecine le jour précédent. Il ne y avoit que la muraille entre deux de la garde-robe et de la chambre du Dauphin. Sa nourrice, tout en chemise, le prend et le porte en la chambre de M. d'Orléans, située sous la sienne; il fut couché avec sa nourrice, au lit de Mlle de Ventelet, tout tremblant. Mlle de Vendôme y fut portée et couchée. Il renvoyoit au feu tous ceux qui le venoient voir, disant: Allez vous-en aider à éteindre le feu.—A deux heures mis en carrosse, mené à l'abbaye de Saint-Sixte; goûté à trois heures, confitures, pain et biscuit de l'abbesse. Il va en l'église comme par force, s'en veut retourner, est ramené à quatre heures à Noisy. M. le marquis de Renel et moi parlions, dans le carrosse, des voyages où nous nous étions vus aux armées du temps du feu Roi[443], conduites Oct
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292 par feu M. de Joyeuse; il écoute à l'accoutumée, attentivement, sans dire mot; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, vous ne dites mot; oyez-vous bien tout ce qu'ils disent?» Il répond froidement: J'y songe.

Le 26 octobre, vendredi, à Noisy.—A neuf heures déjeuné; il fait parfumer par où avoit passé Le Borgne, son portefaix, l'ayant fait mettre hors de la chambre, et disant qu'il puoit, en bouchant son nez. C'étoit d'autant que Le Borgne l'appeloit boutefeu, disant qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris. A neuf heures trois-quarts mené à la chapelle où le sieur de La Vigne, archer harquebusier aux gardes du Roi, répondit à la messe, tenant sa harquebuse, ayant sur le poing le haubereau chaperonné de velours vert qui étoit à Monseigneur le Dauphin. Mené promener au bout de l'ormoie, sur la haie du grand chemin, il regarde passer les poulaillers qui vont à Paris, venant de Normandie, leur demande d'où ils sont, ce qu'ils portent.

Le 28, dimanche.—Il fait parfumer de fumée de genièvre par où Le Borgne, portefaix, avoit passé portant le bois dans sa chambre, pource qu'il disoit qu'il puoit; mais c'étoit de haine pource que Le Borgne lui faisoit la guerre, l'appelant brûleur de maisons et qu'il avoit mis le feu en la maison de M. de Paris.—Louise Joron, l'une de ses femmes de chambre, a été accordée dans sa chambre; il a signé les articles après la trace qui lui en a été faite; ç'a été son premier seing valable. Il va en la chapelle, aux fiançailles.

Le 29, lundi.—Il s'amuse à regarder attentivement Boileau, auquel il faisoit tirer en crayon une copie de Bertrand du Guesclin. A dix heures viennent M. de Lussan, gouverneur de Blaye, conduisant MM. du Bernay et de Guilleraigues, conseillers en la cour de parlement de Bordeaux, députés vers le Roi, qui l'assurèrent de leur très-humble service. Les ayant écoutés attentivement, et les ayant remerciés, il dit: Allons voir Oct
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293 ma sœur
, se met devant et les y mène. S'en étant partis, Mme de Montglat lui dit: «Allons voir la mariée, si elle est habillée.»—Non, j'y veux pas aller parce qu'on se moqueroit de moi. Il n'aimait point à être raillé ni moqué. Il regarde danser, ne veut point danser; rien ne le y peut persuader jusques à ce que Mme de Montglat lui dit: «Bien donc, Monsieur, allons étudier.» Il part tout soudain de la main, et se jette à corps perdu au branle, entre Madame et Mlle de Vendôme, et en fit plus que l'on ne vouloit. Il goûte à la collation de la mariée. Après souper il danse encore, surtout la Saint-Jean des choux.

Le 30, mardi.—Il s'amuse à peindre gaiement en la présence de M. de Souvré[444]. A cinq heures il descend chez Mlle de Vendôme, dit qu'il veut coucher avec elle, envoie querir ses flambeaux, sa cassette, son cabinet, sa chaise percée.

Le 2 novembre, vendredi, à Noisy.—M. de Saint-Remi, conseiller au Parlement, étoit à son coucher et disoit à Mme de Montglat qu'il avoit démarié Mme la comtesse de Moret[445]. Monseigneur le Dauphin l'entend, et demande pourquoi? Guérin[446] lui répond: «Pource qu'on lui avoit noué l'aiguillette.»—Non, c'est pas cela; c'est parce qu'il est châtré.

Le 6, mardi.—Il va en la chambre de Joron[447], sœur de sa nourrice, pour la fouetter ainsi que son mari, puis M. Boquet, mari de sa nourrice.

Le 7, samedi.—Il me commande[448] de lui tracer des Nov
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294 mots en latin pour les remplir avec la plume. Dansé, recordé un ballet.—Madame parloit de l'enfant dont la Reine étoit grosse; Mlle Piolant lui demanda si ce seroit un fils ou une fille, le Dauphin répond promptement: Non, ma sœur; il y a assez de garçons.

Le 18, dimanche, à Noisy.—A onze heures et demie M. de Fresnes-Canaye, revenant de Venise, ambassadeur pour le Roi, arrive; il l'écoute attentivement; il lui faisoit entendre les bonnes volontés des Vénitiens et autres grands d'Italie, l'intérêt qu'il avoit au duché de Milan, qui appartenoit au Roi, qu'il le lui falloit demander quand il seroit grand pour en aller chasser les Espagnols.—M. du Tost lui avoit apporté un leurre[449]; il leurre son haubereau, puis se met à courir, dit qu'il vient de Paris, qu'en chemin il avoit pris un coq d'Inde; c'étoit le leurre de maroquin incarnat, avec des rubans bleus.—A neuf heures dévêtu, mis au lit, M. Dupré, exempt aux gardes, lui demande le mot; il le lui refuse: Je veux attendre que tous les lits soient faits, car vous fermeriez la porte. Il avoit soin des garçons de la chambre qui dressoient les lits des veilleuses, afin qu'ils ne fussent point enfermés dans le château, eux qui couchoient dehors. Les lits étant dressés, il le donne.

Le 19, lundi.—Il monte aux chambres de la mariée, de sa nourrice et de celle de Madame pour les fouetter étant couchées avec leurs maris.

Le 20, mardi.—Mme de Montglat lui dit qu'il faut étudier, il cache son livre dans son chapeau; elle l'aperçoit, et lui demande: «Monsieur, où est votre livre?»—La petite du Lux l'a emporté.—«Voyons votre chapeau;» il est fouetté sur le sujet du mensonge[450], et dit à Descluseaux: Nov
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295 Ne dites pas au corps de garde que j'ai eu le fouet.

Le 22, jeudi, à Noisy.—Il dit ses quatrains et sentences, demande à étudier, en dit plus qu'on ne veut; il appelle les mots entiers sans faillir. M. l'évêque de Paris et M. de Dampierre, son frère[451], le viennent voir.—Il écrit sans trace ni aide: «Papa et maman je vous aime bien, j'ai grande envie de vous voir.—Loys.»

Le 23, vendredi.—L'on parloit du dégât que les soldats avoient fait sur les noisettes au jardin de son logis à Meudon, lorsqu'il alloit à Fontainebleau pour son baptême[452]; le Dauphin dit: C'étoit là où ces méchants cadets me dérobarent des noisettes que j'avois fait serrer; il étoit vrai. Il s'amuse à cueillir des herbes pour faire un potage, et se met à faire son potage, de peur d'étudier.

Le 24, samedi.—Madame contoit qu'elle iroit demeurer en Angleterre; il lui dit: Ma sœur, je vous irai voir; papa me y envoyera. Mlle Piolant lui va dire: «Vous y viendrez quelquefois, puis après à la dérobée, Monsieur.»—Ho! non, quand je serois revenu, papa me donneroit le fouet; je ne veux aller en aucune part que papa ne me le commande.

Le 25, dimanche.—Il danse un ballet, fort bien habillé en homme, d'un pourpoint et d'une chausse grègue de toile de Hollande par-dessus sa cotte; il mène danser une courante à Madame Christienne. Mlle Piolant arrive comme il eut tout fait. Ma mie Piolant, lui dit-il, m'avez-vous vu danser mon ballet?—«Non, Monsieur.»—Qu'on me rapporte Nov
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296 mon masque, je veux danser mon ballet devant ma mie Piolant
; il se fait masquer et danse.

Le 26 novembre, lundi.—Il écrit une lettre au Roi sans que l'on lui ait marqué, on ne lui a fait que nommer[453]:

Papa, ce mot est pour vous montrer que j'écris sans marquer et que je ne suis plus opiniâtre. Je suis, papa, votre très-humble et tres-obéissant fils.

Loys.

Le 29, jeudi, à Noisy.—Il va en la grande salle, où il voit danser le ballet des Lanterniers, fait par des soldats de la compagnie, puis danse aux branles.

Le 3 décembre, lundi.—A une heure et un quart il part de Noisy pour Saint-Germain[454], dans le carrosse de M. Gobelin, président des Comptes, que l'on avoit envoyé querir de Paris avec d'autres et trois litières. Dès qu'il aperçoit Saint-Germain: Hé! velà Saint-Germain! hé! Saint-Germain mon mignon! hé! je t'appellerai tant que tu viendras! A trois heures il arrive à Saint-Germain.

Le 4, mardi, à Saint-Germain.—Il a envie d'avoir un petit pot de chambre d'argent de Mlle de Vendôme; lui dit: Sœu-sœu Dôme, si vous me voulez donner votre petit pot de chambre d'agent, je vous donnerai ma salière. Elle lui répond: «Bien, Monsieur, je vous baillerai ce qu'il vous plaira.»—Je vous donnerai encore cela; c'étoient des balances.—«Monsieur, vous les aimez bien, vous vous en jouez quelquefois.»—Oui, je les aime bien.—«Monsieur, je n'en veux donc point, s'il vous plaît.»—Prenez donc la salière.—«Bien donc, puisqu'il vous plaît, je la prendrai.» Le Dauphin se retournant vers Mlle d'Agre, qui étoit gouvernante de Mlle de Vendôme, lui demande: D'Agre, est-ce assez?—«Oui, Monsieur, c'est assez».—Ho! non, non; sœu-sœu, prenez ce que vous voudrez. Déc
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297 L'on lui dit que M. de Verneuil se nommeroit Henri[455]; il répond: Je veux pas, moi; je le nommerai pas Henri, c'est le nom de papa, il seroit pus que moi, et je m'appelle Loys. Il est longtemps sur cette opinion, on l'en divertit, et surtout lui ayant dit que le Roi le vouloit ainsi. Mis au lit, Mme de Montglat me dit que Monseigneur le Dauphin vouloit bien nommer Henri M. de Verneuil; je prends occasion de lui dire que son nom étoit bien plus beau et lui parler du roi saint Louis, de sa piété, de son équité, et comme il avoit fait la guerre aux Turcs, comme il faisoit percer la langue aux blasphémateurs avec un fer chaud, et mort en Égypte, faisant la guerre aux Turcs, et puis monté au ciel, où il étoit saint; il écoutoit avec attention.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Mené à la chapelle, puis par le pont au bâtiment neuf, pour y attendre le Roi, qui arriva à onze heures et demie; au bout de l'escalier, en haut de la dernière marche, il lui saute au col. A midi dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A trois heures il entre au carrosse du Roi, et va jusques auprès de la Muette au devant du Roi; le Roi, entre en carrosse, et le ramène. A neuf heures il va chez le Roi, où il danse son ballet à la chambre de la Reine, fort bien; le Roi en demeure fort content. La remueuse portoit M. d'Orléans, et Madame Christienne étoit portée par sa nourrice; elles s'étoient mises au branle. Après avoir fait deux tours le Dauphin dit à Mme de Montglat: Mamanga, velà un grand plaisir! faire danser des enfants avec nous! qu'on les ôte! Le Roi les fit ôter.

Le 8, samedi.—Mené au bâtiment neuf, il y entend la messe avec le Roi; dîné avec le Roi; il accompagne le Roi, qui s'en va à Paris à une heure; ramené en sa chambre au vieux château.

Le 9, dimanche.—A trois heures et demie mené à la Déc
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298 chapelle pour tenir à baptême, avec Madame, M. et Mlle de Verneuil; le Dauphin est accompagné de M. de Vendôme, de M. le Chevalier, son frère, de M. le duc de Montbazon, de M. de Frontenac, premier maître d'hôtel du Roi, de MM. de Lansac et de Courtenvaux, portant les honneurs. Ils furent baptisés par messire Henri de Gondi, évêque de Paris; M. de Verneuil fut nommé Henri, et Mlle sa sœur fut nommée Gabrielle. Il va souper en la salle du Roi, au festin que le Roi avoit commandé qui se fît; il voit le bal, où il n'y avoit qu'un violon; c'étoit Boileau.

Le 10, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal Duperron, revenant de Rome, lui sert de grand aumônier; ce fut la première fois.—Amusé en sa chambre à divers jeux, à sainte Catherine où l'on traîne; c'étoient MM. de Lansac, de Courtenvaux, de Cressy, de Montglat. A neuf heures et un quart dévêtu, mis au lit, il s'amuse à railler, à faire des rencontres sur les noms des uns et des autres, fait celle-ci: Lansac, c'est un sac; Courtenvaux, c'est un veau, qu'on mettra dans ce sac.

Le 11, mardi.—Il va en l'antichambre de la Reine y recorder son ballet des Lanterniers, le danse fort bien; il ne y avoit que trois jours qu'il l'apprenoit.

Le 13, jeudi.—A quatre heures et demie l'on lui dit que le Roi arrivoit; le voilà tout transporté de joie; le Roi arrive, il le va saluer en son cabinet; à sept heures et demie soupé avec le Roi.

Le 14, vendredi.—Le Roi arrive en sa chambre, le mène chez M. d'Orléans, puis en sa chambre, où il a dîné de la viande du Roi. A trois heures le Roi le mène à la chasse en Vésinet. A sept heures et demie soupé avec le Roi. Ramené en sa chambre, M. de Cési, qui avoit épousé Mme la comtesse de Moret, puis été démarié, lui donnoit le bonsoir; il ne le connoissoit pas. Mme de Montglat lui dit que c'étoit M. de Cési, et qu'il lui donnât le bonsoir; il le fait: Bonsoir, Cési. Mamanga, qui est stilà?—«Monsieur, Déc
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299 c'est M. de Cési.»—A qui est-il?—«Monsieur, il est au Roi.»—De quoi lui sert-il!—«Monsieur, il le suit quand il va quelque part.»—Chemine-t-il, va-t-il à pied?—«Monsieur, il va à cheval et à pied.» Et adressant la parole à moi, elle me dit qu'il en avoit eu de bon argent et touché trente mille écus. Le Dauphin reprend: Pourquoi?—«Monsieur, c'est qu'il étoit prisonnier.»—Où?—«A Paris.»—Avec des cordes?—«Non, Monsieur, mais il y avoit été mis pour avoir été opiniâtre, et le Roi l'a fait délivrer.» Le Dauphin ayant un peu songé dit: Voudroit-il bien être encore prisonnier pour avoir de l'argent?

Le 15, samedi, à Saint-Germain.—A neuf heures déjeûné; le Roi arrive en sa chambre, le mène à la messe, puis, à dix heures et un quart, dîné avec le Roi. Ramené en sa chambre, il va recorder son ballet. J'envoie querir de l'oignon pilé; c'étoit pour M. d'Orléans, qu'un éclat de feu avoit brûlé un peu au dedans de la cuisse. Il demande ce que c'est; je lui dis que c'étoit Mercier qui s'étoit brûlé le doigt, il répond: Il ne faut que y mettre un emplâtre de diapalma. Voyez, dit-il à M. de la Massoire, lui montrant le doigt, je m'étois l'autre jour brûlé le doigt, je fis qu'y mette du diapalma, je fus guéri tout incontinent. Demandez à mousseu Héroua. Je me coupis l'autre jour dans le jardin; j'y mis de la terre, je fus incontinent guéri. A quatre heures trois-quarts il va chez le Roi, qui se mettoit au lit, revenant de la chasse.

Le 16, dimanche.—A huit heures il va chez le Roi, lui donne sa chemise; mené par le Roi au bâtiment neuf; il va à pied, encore qu'il plût un peu, entend la messe avec le Roi, puis à dix heures et un quart dîné. A onze heures le Roi s'en retourne à Paris, et lui au vieux château, à pied; il ne voulut jamais être porté, nonobstant les crottes, la pluie et le vent. Il monte en ma chambre, demande à voir les livres des oiseaux et des quadrupèdes de Gesner, puis Vitruve, qu'il n'avoit point vu, il y avoit deux ans.

Déc
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300

Le 17, lundi, à Saint-Germain.—M. le cardinal de Joyeuse, revenant de Gaillon à Paris, le vient voir. Il recorde son ballet des Lanterniers, y va fort bien, guidé seulement par l'oreille, car il ne savoit point faire des pas.

Le 24, lundi.—Il se fait mettre un bonnet de nuit à façon d'homme, pour en aller voir Madame; c'est le premier qu'il a porté de cette façon. A onze heures et demie dîné; il va en sa chambre. Il songeoit en regardant le feu; sa nourrice lui demande: «Monsieur, à quoi songez-vous?»—Je songe à quoi je me jouerai. Amusé à divers jeux.

Le 26, mercredi.—Il demande à écrire: Je veux, dit-il, écrire un petit livre que je veux faire imprimer, pour envoyer à papa pour ses étrennes; il se met à écrire, et se fait entretenir de l'Infante.

Le 30, dimanche.—A deux heures et demie il monte en ma chambre, me demande ce que j'écrivois; je lui dis que c'étoit à M. de Béthune: Équivez, équivez, dit-il, et ne me vouloit point détourner. Il s'amuse auprès du feu, puis, à trois heures, me dit: Adieu mousseu Hérouard, je m'en vas faire collation.—«Monsieur, vous plaît-il me faire l'honneur de me permettre que j'achève d'écrire à M. de Béthune?»—Oui.—«Monsieur, me voulez-vous commander de lui écrire quelque chose de votre part?» Il s'en vient à moi, et me dit tout bas à l'oreille: Mandez-li que je me recommande à li, et qu'il vous mande ce qu'il m'apportera pour mes étrennes; mais ne dites mot. Il va en la chambre de M. de Verneuil pour y recorder son ballet. A six heures et un quart soupé; comme il eut achevé de manger ses ris de veau, il dit à M. de Ventelet, lui baillant la vaisselle: Tenez, donnez le reste à ma sœur; laquelle répond gaiement: Aussi vrai, j'en avois bien envie; j'en eusse bien mangé, mais je n'ai osé en demander à Mousseu.

Le 31, lundi.—Le matin il se fâchoit de ce qu'on lui avoit à son gré fait les cheveux trop courts: Hé! Déc
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301 Mamanga, je semble un moine
. Il écrit une lettre au Roi:

Papa, j'ai apprins que l'enfant sage réjouit le père, c'est pourquoi je ferai tout ce que je pourrai pour vous donner ce contentement, d'autant que je suis, papa, Votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.

Loys.

Il monte en ma chambre, me demande le livre des bâtiments, c'étoit Vitruve; il se y plaisoit fort. Il le feuillette tout, demandant la raison de chacune des figures. Il a de l'impatience que le jour soit venu pour avoir des étrennes, veut que Mme de Vitry couche avec Mme de Montglat, afin qu'elle lui donne ses étrennes à minuit.

ANNÉE 1608.

Conversation sur le Roi et sur les charges de la maison du Dauphin.—Mariage projeté du duc d'Orléans.—Accouchement de Mme des Essars; mot du Dauphin.—Portraits des grands-pères du Dauphin.—Froid excessif.—La volière du Dauphin.—Catéchisme du P. Coton.—Conversation sur l'Infante; jeux avec les petites filles.—M. d'Albigny.—Jeux et langage singuliers.—Pain fait avec du blé avarié.—Présent de la reine Marguerite.—Le ballet des Falots.—Envoi du Dauphin à l'infante d'Espagne.—Le porte-panier.—Départ de Saint-Germain.—Séjour au Louvre.—Visites à la reine Marguerite, au Palais de Justice, à l'Arsenal.—Départ pour Fontainebleau.—Le tableau de la belle Agnès.—Aversion pour M. de Moret.—Figure de Henri IV en poterie.—Amitié du Dauphin pour Héroard.—Le chien et le singe du Roi.—Cérémonies des Rameaux et de la Cène.—Le P. Ange de Joyeuse.—Le fou-poëte de M. de Roquelaure.—MM. de Mortemart et de la Trémoille.—Naissance du duc d'Anjou.—Mot du Roi au Dauphin.—Lettre du Dauphin au Roi.—Collation de poterie.—Un joujou de Nuremberg.—Mmes de Montpezat et du Peschier.—M. de Vic et sa jambe de bois.—Les différentes races des enfants du Roi.—Goût pour la chasse et les chiens.—Le Dauphin quitte l'habillement d'enfant.—Contes sur l'Infante.—Le premier laquais du Dauphin.—Ses exercices militaires; il aime l'odeur de la poudre.—Le sauteur Colas.—Un chien cocu.—Mariage de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur.—Mot du Roi sur M. de Guise.—Premier bain.—Jalousie du Dauphin.—Le docteur de la Palestine.—Éclipse de soleil.—Le prince de Mantoue.—Première leçon d'équitation.—Devise latine signée Louis.—Les peintures de Fréminet et de Franco.—Lettre à la grande-duchesse de Toscane.—Superstition d'Héroard.—Le tireur d'épines.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Melun et à Chaillot.—La comtesse de Guiche et la reine Marguerite.—Le partisan Montauban.—Collation à Ruel.—Arrivée à Saint-Germain.—Le Dauphin entre dans sa huitième année.—Le duc de Mantoue.—Visite à l'abbaye de Poissy.—Lettre au Roi.—La comtesse de Mansfeld.—Le Dauphin a la rougeole.—Portrait de Jeanne de Naples.—L'Hippostéologie d'Héroard.—Chasse avec le Roi.—Sensibilité de Henri IV.—La vaisselle d'argent du Dauphin.—Mot sur le maréchal de Biron.

Le 1er janvier, mardi, à Saint-Germain.—Éveillé à sept heures, il se fait lever pour recevoir ses étrennes. Il Janv
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304 écrit à la Reine une lettre où il ne voulut jamais écrire ce mot: bien; il vouloit écrire: bian, disant que c'étoit mieux dit, et se y opiniâtre de telle sorte qu'il lui fallut dresser une autre lettre où ce mot ne fût point.

Le 5, samedi.—Il tenoit une peinture du Roi sur du papier, où étoient les nom, surnom et qualités; il les lisoit. M. de Ventelet lui demande: «Monsieur, quand vous serez un jour le Roi, comment mettrez-vous?» Il répond brusquement: Ne parlons point de cela!—«Mais, Monsieur, vous le serez, s'il plaît à Dieu, un jour après papa».—Ne parlons point de cela!—«Monsieur, c'est que vous voulez dire qu'il faut prier Dieu qu'il donne longue vie à papa?»—Oui, c'est cela. En dînant il demanda si pour son souper il ne y auroit pas un gâteau pour faire les rois; M. de Ventelet lui dit que oui, et qu'il seroit le roi; Ho! non, dit-il, c'est papa.—«Monsieur, j'entends le roi de la fève, ce n'est que pour jouer; et là-dessus je lui dis: «Monsieur, il faudra s'il vous plaît des charges à tous vos serviteurs; que donnerez-vous à M. Birat?»—Ce sera le fou.—«Et à M. de Ventelet?»—Ce sera le bon vieux homme.—«Et à moi, Monsieur?»—Vous serez l'imprimeur. M. Boquet, mari de sa nourrice, lui demande une charge.—Vous serez maître Guillaume, c'étoit le fou du Roi[456]. Je poursuis à lui demander: «Et Janv
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305 à M. de Malleville que lui donnerez-vous?» (il étoit exempt aux gardes écossoises servant près de lui).—Ce sera Pantalon; il avoit la barbe assez grande.—«Et M. de la Pointe? (archer du corps, qui étoit gros)».—Ce sera le gros ventre.—«Et M. d'Origny? (son compagnon)».—Ce sera le cuisinier: il étoit un peu malpropre.—«Et maître Jean? (son sommelier)».—Ce sera l'ivre.—«Et maître Gilles? (son pannetier)».—Il sera confiturier.—«Et votre huissier de salle? (il faisoit des vers)».—Féfé Vaneuil a un petit chien, qui s'appelle Joly; quand ils seront ensemble ils feront des vers, et Joly les fera par le cul.—«Et de Vienne? (c'étoit son cuisinier)».—Ce sera Sibilot: c'étoit le fol du feu Roi.—«Et Champagne? Janv
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306 (garçon de garde-robe)».—Ce sera mon verseur de mede.—«Et M. Guérin? (son apothicaire).»—Ce sera Frely: c'étoit le nom que ledit Guérin avoit donné à l'un des chiens.—«Et M. de Cressy? (enseigne de la compagnie, qui étoit fort grand)».—Ce sera le petit Marin: c'étoit le nain de la Reine.—«Et M. Aude? (huissier de chambre de Madame, qu'il voyoit souvent enveloppé au visage)».—Ce sera l'enrhumé. M. Boquet, qui n'étoit pas content d'être maître Guillaume, le pressoit pour lui en donner un autre; M. Birat entre en la chambre, M. Boquet lui dit: «Monsieur, voilà M. Birat, quelle charge lui donnerez-vous?»—Ce sera maître Guillaume.—«Et moi, Monsieur, lui dit Boquet, que serai-je maintenant que je ne suis plus maître Guillaume?»—Vous serez maître Guillaume Dubois, le poëte de mousseu de Roquelaure (c'étoit un fol qui avoit été maçon et se faisoit croire qu'il faisoit bien des vers); mousseu Héroua, il me venoit voir souvent à Fontainebleau, sur la terrasse de ma chambre; il me montroit des vers, qui étoient si mal faits, si mal faits, me dit-il avec action comme s'il se y fût connu et en souriant.—«Et à M. de Bernet? (porteur de M. d'Orléans)».—Ce sera le nouveau tondu: il avoit ses cheveux et sa barbe faits de nouveau.—«Et Bourgeois? (l'un des huissiers de sa chambre, qui étoit vêtu de noir, portant le deuil)».—Ce sera la corneille.—«Et Montalier? (valet de garde-robe, portant le deuil)».—Ce sera le corbeau.—A six heures et un quart, soupé, il fait les Rois; il est le roi. Jamais il ne voulut permettre que l'on criât: le Roi boit!

Le 7, lundi.—Il se fait asseoir et donner un échiquier, pour jouer aux échecs contre Louise, fille de sa nourrice, prie M. de Ventelet de lui apprendre comme il faut jouer, le désire, y prend plaisir, y a de la patience.

Le 8, mardi.—Il s'amuse à peindre et à écrire[457]. Un Janv
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307 peu devant son coucher Mme de Vitry lui dit que l'on marioit M. d'Orléans; il demande: Mais est-il vrai?—«Oui, Monsieur, à Mlle de Montpensier[458]».—Quel âge a-t-elle?—«Dix-huit mois.»—Qui vous l'a dit?—«C'est La Concie, qui est à M. de Béthune.»—Mais le sait-il bien?—Il dit que oui.—Papa le veut-il bien?—Il dit que oui. «Monsieur, seriez-vous bien aise qu'il fût marié devant vous?»—Comment, avant moi?—«C'est-à-dire premier que vous.»—Non, je veux point être marié.—«Que ferez-vous donc?»—Quand je serai grand, je veux aller toujours à la guerre.

Le 11, vendredi.—M. de Frontenac l'entretenoit de Mme des Essars: «Monsieur, la connoissez-vous?»—Oui, je la connois bien, dit-il en souriant.—«Où l'avez-vous vue?»—Je l'ai vue à Fontainebleau, à la chambre de Mamanga.—«Monsieur, qui la menoit?»—Je sais pas, dit-il en souriant, car il le savoit bien et jamais ne voulut nommer. M. de Frontenac lui demande à l'oreille si ce n'étoit pas M. de la Varenne?—Oui (il étoit vrai).—«Monsieur, elle est accouchée d'une fille[459], vous avez là une autre sœu-sœu.»—Non.—«Pourquoi?»—Elle n'a pas été dans le ventre à maman.—«Papa la fera porter ici pour la faire baptiser, et veut que vous soyez le compère.»—Qui? papa?—«Oui, Monsieur.»—Comment la portera-t-on?—«L'on empruntera une litière pour la porter.»—Ah! oui, car si c'étoit la litière à maman, dit-il en hochant la tête et souriant, je monterois sur les mulets, je les ferois tant courir, tant courir, que tout iroit par Janv
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308 terre
. M. Birat lui dit tout bas: «Monsieur, c'est une femme que le Roi aime bien.»—C'est une putaine, si je l'aime point. Il s'amuse à ses canons, puis à une cassolette d'argent, dont il se joue. Madame lui dit: «Monsieur, il y faut mettre de l'eau rose et de la pastille.»—Non, ma sœur, je veux pas, Mamanga le veut pas. Elle le lui avoit dit, le matin, et qu'il n'y avoit point de meilleure cassolette que la senteur du genièvre.

Le 12, samedi.—M. de Frontenac prend congé de lui; il le prie de dire au Roi qu'il lui envoie un de ses portraits et à la Reine aussi. Il se va s'amuser aux portraits qu'il avoit à côté du chevet de son lit, attachés contre la tapisserie; celui du Roi son grand-père[460] y étoit: Comment s'appelle-t'y?—«Monsieur, il s'appeloit Antoine.»—Je suis donc bien marri que je n'aie nom Antoine.

Le 16, mercredi, à Saint-Germain.—Il fait copier le portrait du père de la Reine[461] par Boileau, ne peut partir d'auprès de lui, tant il est âpre à la peinture, n'en veut point aller à la messe. A midi dîné; amusé doucement jusques à trois heures, spécialement à crayonner avec du charbon, imite fort bien, me dit: Voyez, mousseu Héroua, je l'ai fait sans voir (sans regarder l'original), je l'avois en mon esprit; c'étoit un oiseau de la Chine; je lui dis qu'il étoit fort bien, mais qu'il y falloit encore la crête.—La crête? et, regardant l'original: Oui, mais je ne l'avois pas encore en mon esprit; je l'y veux mettre, puis je la peindrai. Arrive un gentilhomme de la part de M. et de Mme de Montpensier pour le saluer et voir M. d'Orléans de leur part, comme leur gendre, le contrat ayant été passé de son mariage avec Mlle leur fille le lundi précédent.

Le 17, jeudi.—Il envoie querir la grande horloge, où étoit le cours de la lune, la fait monter, y prend plaisir. Janv
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309 Il joue son ballet des Lanternes, et le fait danser à Gramont et à Louise, fille de sa nourrice, fait venir son violon et son joueur de luth, chante et fait la musique avec eux. Mme de Saint-Georges prie Bompar, page du Dauphin, d'aller chez M. d'Orléans querir sa besogne; il l'entend, le rappelle. Bompar ne revient point: Vous aurez le fouet, Bompar; Bompar aura le fouet. Il chante cela entre ses dents. Mme de Montglat l'en tance, et lui demande pourquoi il ne veut pas que Mme de Saint-Georges, qui est sa fille, prie son page de faire quelque chose pour elle; il répond: Parce qu'elle ne veut pas que son petit laquais fasse rien pour moi. (C'étoit une bourde.) Mme de Montglat tenoit assis sur son giron le Dauphin, marmonnant: Bompar aura le fouet; un page qui s'appelle Par, qui a des jarretières rouges et des chausses bleues, aura le fouet; sur ces entrefaites le page entre. Le Dauphin part sans dire mot, et lui va lancer un grand coup de pied sans le toucher; Mme de Montglat lui dit: «Eh bien, Monsieur, vous n'avez pas fait ce que je vous ai dit; souvenez-vous-en, je ne vous aime point.»—Mais, Mamanga, je vous aime bien.—«Vous ne m'aimez pas, puisque vous n'aimez pas mes enfants; quand ils prient ceux qui sont à vous de faire quelque chose pour eux, vous ne le voulez pas.»—Bon pour la mère, non pas pour les enfants.

Le 18, vendredi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans, où il reconnoît une pièce tendue de sa tapisserie, l'empoigne en criant: Hé! ôtez! hé! velà de ma tapisserie, qu'on l'ôte! hé! on serre celle de mon frère pour lui faire servir la mienne. Je lui dis pour le divertir qu'il n'en falloit plus, puisqu'elle y avoit servi.—Fi! la vilaine tapisserie, je n'en veux plus. Mme de Montglat le menace du fouet, et tourne le dos pour aller querir des verges: Fi! la vilaine! qu'elle est laide! dit-il, en lui faisant les cornes. Il rentre en humeur de vouloir sa tapisserie, et il fallut obéir. Il étoit vrai aussi ce qu'il disoit de la tapisserie. A onze heures trois quarts, dîné; il s'amuse à son Janv
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310 horloge, à faire sonner le réveille-matin, fait la musique avec Hindret. A six heures et un quart, soupé; il s'amuse à porter Gramont et Louise dans la chaise de Madame Christienne, joue aux métiers, en invente de nouveaux: Soyons, dit-il, coupeurs de bourses.

Le 19, samedi, à Saint-Germain.—A une heure et un quart sorti gaiement par la porte de la chapelle; il y avoit cinq semaines qu'il n'étoit sorti, à cause du froid et des neiges qui depuis ce temps-là étoient tombées et étoient encore sur la terre, près de quatre ou cinq pieds, sans avoir diminué. La rivière fut toute glacée, une charrette y passa. Mené par les offices sur la terrasse, il faisoit comme le cheval échappé; il ne fait que courir sur le pavé où le chemin étoit frayé, prend plaisir à passer dans la neige. Ramené il va voir Boileau, qui crayonnoit son grand-père maternel.

Le 22, mardi.—Il s'amuse assis, à crayonner, pendant que Boileau le tire en crayon, s'y prête avec une facilité et une patience admirables. En soupant il entend que l'on disoit qu'il faisoit un extrême froid, comme il étoit vrai (je n'en ai jamais senti de pareil ni de si long, nous gelions près d'un grand feu); il dit en raillant de M. Birat, qui quelques jours auparavant avoit dit qu'il dégeloit: Je suis de l'avis de Birat, il dégèle; je suis astrologue, moi. Je lui demande: «Monsieur, qu'est-ce que astrologue?» Il répond en levant les yeux en haut à diverses fois et feignant d'écrire de son doigt dextre sur la main gauche: Je fais des almanachs, je regarde le globe.

Le 23, mercredi.—Il y avoit plus d'un mois qu'il faisoit une excessive froidure; il n'avoit jamais dit qu'il eût froid (encore le dit-il froidement) que ce jour-ci; aussi étoit-elle extrême. On ne le pouvoit faire tenir auprès du feu; toujours près des fenêtres du côté du préau, où il se jouoit. En écrivant ceci l'encre geloit, tant le froid étoit grand. A six heures et un quart soupé; le couvercle tenoit au verre et le pied du verre dans l'essai, tant le Janv
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311 froid étoit grand, et il fut soudainement gelé.—L'on parloit que M. de Vendôme feroit dimanche prochain un ballet devant le Roi à Paris.—Ho! Mamanga, j'y veux aller, j'irai bien! Je lui dis: «Mais, Monsieur, il fait un extrême froid!»—C'est tout un; je prendrai mon masque de mascarade (qui étoit noir), je n'aurai point de roupie.

Le 24, jeudi, à Saint-Germain.—A dix heures trois quarts il entend la messe en sa chambre, pour le grand froid. A midi dîné; son verre et le couvercle, et le pied du verre et l'essai tenoient ensemble, glacés.

Le 25, vendredi.—Il s'amuse à faire recoller par Hindret, son joueur de luth, une jambe de l'un de ses chevaux; ne faisant pas comme il lui étoit commandé, le Dauphin lui dit: Ha! vous êtes fâcheux; je dirai à papa qu'il vous ôte d'auprès de moi.—«Monsieur, le Roi ne vous croira pas.»—J'ai bien empêché qu'on vous a pas ôté.—«Monsieur, le Roi ne m'a pas voulu ôter.»—Qui donc? est-ce mousseu de Souvré?—«Non, Monsieur.»—Qui donc? Il le presse pour le savoir en ceci, se ressouvenant qu'il avoit prié M. de Rosny de mettre Hindret sur son état, à Fontainebleau, il y a eu un an devant Noël dernier, sur ce que quelques-uns l'en vouloient faire ôter.

Le 26, samedi.—Il me conte de ses petits oiseaux pris pendant la neige, qu'il avoit fait mettre dans la terrasse de sa chambre, où étoit sa fontaine, close en volière: J'ai une compagnie de petits oiseaux dans ma volière, que je y ai mis durant la gelée. Il y a un pinçon d'Ardenne, qui est le capitaine; un autre pinçon, le lieutenant, et un autre, l'enseigne. Il y a une alouette, qui est le tambour, et un chardonneret, qui est le fifre. J'ai fait mettre tous les jours, tous les jours, une terrine toute pleine de braise, et ils venoient tout autour, deux à deux, qui se chauffoient, et ils chantoient; puis je fis mettre du vin à l'eau qu'ils buvoient, et le tambour s'enivra.

Janv
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312

Le 27 janvier, dimanche.—Il se prend, contre sa coutume et son naturel, à baiser les petites filles, sur toutes la jeune Vitry: J'en veux, disoit-il, à la petite Vitry, la tiroit à part. Le jour précédent M. de Verneuil lui avoit dit: «Mon maître, baisons toutes les filles, il les faut baiser;» et par ce moyen rompit sa honte accoutumée.

Le 28, lundi, à Saint-Germain.—Il entend la messe en sa chambre, prend le goupillon, donne de l'eau bénite à chacun, suit la petite Vitry, et dit en lui en donnant: C'est à la petite Vitry que j'en veux donner, puisque c'est à elle que j'en veux.

Le 29, mardi.—Il dit ses quatrains, en sait cinquante. Il apprend un petit catéchisme fait par le P. Coton à la prière de Mme de Montglat[462]. En la demande: «Qui sont nos ennemis?» il y a, en la réponse: «Le monde, Satan, et la chair.»—La chair! dit le Dauphin en reprenant ce mot. «Oui, Monsieur, la chair,» répond Mme de Montglat.—Est-ce ma chair, Mamanga? dit-il en se tâtant.—«Oui, Monsieur, votre chair.»—Ho! ho! je la tuerai donc, dit-il en se frappant, Ha! ha! je vous tuerai! Mlle d'Agre lui demande, sur ce que l'on parloit de l'Infante et de M. d'Orléans, qui étoit marié: «Monsieur, voilà M. d'Orléans qui est marié»; il répond: Non, il est accordé.—«Et vous, Monsieur, ne le voulez-vous pas être?»—Non, je le veux pas être.—«Monsieur, ne le serez-vous pas à l'Infante?»—Non.—«Elle vous aime bien et a un portrait de vous.»—Qui le lui a envoyé?—«M. de Barreau, ambassadeur pour le Roi, le lui a donné; mais dites-moi Janv
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313 sans rire, l'aimez-vous pas?» Il répond en faisant le petit bec: Non; puis, s'approchant, lui dit bas à l'oreille: Un petit[463]. Il prend plaisir d'en ouïr parler, demande: Quel âge a-t-elle? est-elle grande? Il se joue avec les petites filles[464], passe par-dessus le lit de Mme de Montglat, se coule en la ruelle pour y baiser la petite Vitry.

Le 30 janvier, mercredi.—En s'habillant il me demande: Mousseu Héroua, quand irai-je à Paris?—«Monsieur, lui dis-je, quand il plaira à papa; il viendra ici dans peu de jours, vous lui demanderez quand il l'aura agréable et que vous alliez à la foire, et de vous donner de l'argent. Combien lui en demanderez-vous, Monsieur?»—Deux cents écus.—«Qu'en ferez-vous, Monsieur?»—Je les mettrai dans mon coffre.—«Ha! Monsieur, il ne faut point qu'un prince demande de l'argent pour le serrer dans son coffre.»—Je l'emploierai, dit-il, et là-dessus il désigne tous les présents qu'il fera pour la foire Saint-Germain.

Le 1er février, vendredi, à Saint-Germain.—Il arrive un gentilhomme breton qui revenoit d'Espagne et racontoit les beautés de l'Infante et l'amour qu'elle avoit pour Monseigneur le Dauphin. Il écoutoit avec plaisir sans en faire semblant; et comme le roi d'Espagne avoit défendu à l'Infante de dire qu'elle aimât Monseigneur le Dauphin: Je battrai bien ce roi d'Espagne.—«Mais Monsieur, lui dis-je, on dit qu'elle se veut déguiser pour vous voir.»

Le 3, dimanche.—Mené sur la terrasse du bâtiment neuf, ramené, par le petit jardin et le préau, au grand jardin et en la basse cour, où il a vu un fort grand loup, que l'on avoit pris le matin au piége. Mlle de Vendôme s'étoit coiffée en bourgeoise, et Madame s'en étoit aussi coiffée et avoit fait de même à la petite Frontenac, à la Fév
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314 petite Vitry, à la fille de sa nourrice, et à la petite Marguerite, qui étoit à Mlle de Vendôme; la petite Louise, fille de la nourrice de M. le Dauphin étoit la mariée. Le Dauphin prend une poche[465] et l'archet, se met entre Boileau et Hindret, ses joueurs de violon et de luth, joue avec eux, et ils font danser toutes ces bourgeoises; il joue froidement, va aux cadences et comme ceux qui jouoient aux noces.

Le 5, mardi, à Saint-Germain.—Il joue aux métiers, aux comédies avec Madame; il danse aux chansons, n'en veut point dire quelques-unes qu'il sait: Elles sont vilaines. Je lui demande qui les lui a apprises?—Parsonne, mais je les ai ouï chanter.

Le 6, mercredi.—Il vient à ma chambre à trois heures, me demande Vitruve, entre en mon étude: Je veux, dit-il, moi-même deviner le livre; il le tire, l'apporte lui-même en ma chambre. M. de Mansan, arrivé de Paris, lui apporte un crocheteur[466]; il s'y transporte, se y amusant jusques à près de cinq heures. A huit heures trois quarts, dévêtu, mis au lit, il me demande: Mousseu Héroua, dites-moi encore de l'aigle; c'étoit l'histoire de cette dame romaine qui avoit nourri l'aigle qui se brûla avec elle sur le bûcher, le jour de ses funérailles; je la lui avois faite le matin. Je voudrois bien, dit-il, avoir un aigle, mais est-il vrai? Il prenoit plaisir à quelque chose de sérieux, n'aimoit point à être trompé ni que l'on lui mentît.

Le 7, jeudi.—Il va au bâtiment neuf, sur la terrasse de Neptune, d'où il voit passer des hommes, d'un bord à l'autre, sur la rivière, qui étoit encore toute glacée, encore qu'il fît un temps doux.—M. Birat demandoit à Mlle Piolant: «Madamoiselle, avez-vous pas connu Albigny[467], fils de M. de Gordes? Il est mort.»—«Non, Fév
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315 j'ai connu le père, qui étoit bon serviteur du Roi. Où est-il mort?»—«En Savoie.»—Étoit-il Espagnol? demande le Dauphin.—«Non, Monsieur, répond Birat, mais il étoit avec M. de Savoie.»—«Il étoit donc Espagnol, reprend Mlle Piolant, puisqu'il étoit en Savoie, car M. de Savoie est Espagnol.»—Ha! que j'en suis donc bien aise, puisqu'il étoit Espagnol! dit le Dauphin avec exaltation, ha! que j'en suis bien aise qu'il est mort! L'on disoit que M. de Savoie l'avoit fait mourir.

Le 8, vendredi, à Saint-Germain.—Il descend en la chambre de M. de Verneuil pour lui voir danser la bohémienne, puis va en celle de Mlle de Vendôme, où Madame lui donne son petit bénitier d'argent; il y fait mettre de l'eau bénite et va en donnant à chacun. Je lui demande: «Monsieur, est-ce de l'eau bénite de Cour?»—Non, mousseu Héroua, c'est de la bonne.

Le 9, samedi.—Mené au bâtiment neuf et, par les offices, sur la terrasse, d'où il regarde passer des hommes sur la rivière, encore glacée d'un bord à autre, et si il y avoit quinze jours que le dégel avoit commencé. Ce fut un grand et rude hiver; le froid commença le jour Saint-Thomas[468]; plusieurs personnes en moururent.

Le 11, lundi.—Il est peigné pendant qu'il écrit le mémoire de son linge sale, pour bailler au lavandier. Il va chez Mlle de Vendôme; M. de Verneuil se y trouve, qui le conseille de baiser les filles, la petite Vitry et la petite Frontenac; ils se mettent après. Ma femme lui dit: «Monsieur, ne vous souvenez-vous pas de ce que M. Hérouard Fév
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316 vous en dit l'autre jour[469]?» Sans dire mot, le Dauphin se bouche les oreilles; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître ne les écoutez pas!» Mlle d'Agre lui dit: «Mais vous, qui êtes cardinal, il vous faudra aller à Rome demander pardon au Pape.»—«Ho! oui, répond M. de Verneuil, ho! mon maître épousera la petite Frontenac et moi la petite Vitry.» Ramené en sa chambre, M. de Frontenac dit au Dauphin: «Monsieur, l'on m'a dit des nouvelles;» il se doute que c'étoit de sa fille, en est honteux et se prend à pleurer. Le soir il demande à danser aux chansons, et comme il fallut chanter la chanson où il y a: Mettons sous le pied ces garçons à marier, il se tire hors du branle et appelle Hindret, qui étoit seul (de danseur) avec lui. Il se retire près des fenêtres du préau, et lui dit: Ha! je vous réponds que je ferai demain bien fouetter ce cul brûlé; c'étoit la femme de chambre de Mme de Montglat, qu'il appeloit ainsi depuis qu'elle faillit à se brûler à Noisy. Il étoit en colère, et soudain approche de la danse: Fi! les pisseuses! fi! les pisseuses!

Le 12, mardi, à Saint-Germain.—A onze heures et demie dîné; il dit que son pain n'étoit pas bon, il étoit vrai; arrivent peu après les députés du chapitre de Metz pour le saluer, venant devers M. de Verneuil[470] de la part du chapitre; il les embrasse.

Le 13, mercredi.—M. de Montbazon et M. le Grand le devoient venir voir; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, je veux que vous vous jetiez sur eux à corps perdu.»—Hé! maman, voulez-vous que je perde mon corps? Ils arrivent et lui apportent le pied du cerf; il les embrasse, les mène chez M. d'Orléans, où il va battant les joues des femmes de chambre et de Mme de Montglat avec le nerf pendant du pied du cerf. Ils s'en vont et lui en sa Fév
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317 chambre. A six heures et demie soupé; il mange du pain bis, du nôtre[471], n'ayant jamais voulu manger du sien, disant qu'il étoit amer; aussi n'étoit-il pas bon, étant fait de blé empiré[472], comme celui du matin et des jours précédents.

Le 14, jeudi.—Son pain fut envoyé à acheter au village, à l'heure de son dîner; le sien n'étoit pas encore bon. Il voit danser le ballet des sorciers et diables, dansé par des soldats de M. de Mansan, de l'invention de Jean-Baptiste[473], piémontois. A dix heures dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il me dit: Mousseu Héroua, devinez où je mets mes mains?—«Monsieur, c'est entre vos jambes.»—Je les mets toujours sur ma guillery.

Le 15, vendredi.—Il fallut envoyer acheter du pain au village, le sien sentoit le blé pourri, à l'accoutumée.

Le 16, samedi.—Le sieur de Ferrals arrive de la part de la reine Marguerite, et lui apporte un navire d'argent doré sur roues, allant au vent à la hollandoise; il l'en remercie par écrit.

Le 19, mardi, à Saint-Germain.—Habillé par-dessus sa robe d'un pourpoint de toile blanche et d'un haut-de-chausses de même, et masqué, il recorde son ballet des Lanterniers.

Le 20, mercredi.—Mené à la messe en la petite salle, il y prend des cendres, puis il est ramené en sa chambre, où entrant il dit gaiement: Ha! c'est à ce coup que j'en ai, en portant sa main aux cheveux. A quatre heures il va au bâtiment neuf, au devant du Roi; à six heures soupé avec le Roi.

Le 21, jeudi.—Il va chez le Roi, où le nonce du Pape Ubaldini, évêque de Montepulciano, le vient saluer et Fév
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318 lui baiser les mains. Mené dans le carrosse du Roi à La Muette, au devant du Roi, qui étoit allé courir le cerf, il est entré dans la maison, voit passer le cerf à la Croix-Dauphin. Ramené à quatre heures et demie, il va à cinq heures chez le Roi. A six heures soupé; il va en la chambre de Mme de Montglat pour s'habiller pour danser son ballet, ne veut que personne le sache ni le voie, de peur d'être reconnu, et d'autant qu'il étoit habillé en fille, comme étoient aussi tous ceux qui le dansoient avec lui et masqués. C'étoient Mgr le Dauphin et Mlle de Vendôme, Mme et Mlle de Vitry; M. le Chevalier et M. de Verneuil; Marguerite, nièce de Mme Valon, et Mlle de Verneuil; Nicole, fille de la nourrice de Madame, et Louise, fille de celle de Mgr le Dauphin. Le ballet, c'étoit celui des Falots, pource qu'ils avoient chacun un demi-cercle revêtu de laurier, et au-dessus un petit falot où il y avoit de la bougie allumée; ils faisoient trois figures: un H, un O, un L, puis passoient sous les cercles et dansoient à la fin une courante. Ils partent à huit heures en la grande chambre du Roi, où, en sa présence, ils l'ont dansé fort bien, ne l'ayant point auparavant recordé masqués ni habillés. Le Roi en pleura de joie parlant à deux jésuites, l'un espagnol, l'autre italien. Toute la cour l'admira; ils l'avoient appris en quatre jours. A neuf heures un quart dévêtu, mis au lit, il voit le Piémontois, soldat en la compagnie de M. de Mansan, qui avoit inventé le ballet et dit, le montrant du doigt: Velà celui qui a inventé le ballet; comme voulant rendre l'honneur à celui auquel il étoit dû. Il envoie de son écriture à l'Infante avec ses recommandations, après s'en être fait un peu presser, et par permission du Roi, qui commanda au sieur Birat de l'apporter à un jésuite espagnol qui s'en alloit en Espagne. Le Dauphin avoit écrit ces mots: Le sage écoute le conseil que l'on lui donne.

Le 22, vendredi.—Il écrit cinq lignes d'exemple, en présence du P. Labastide, jésuite espagnol, qui s'en alloit Fév
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319 en Espagne, auquel il le bailla avec son baise-main à l'Infante. Il entend la messe, puis est mené sur la terrasse du Mercure, pensant y trouver le Roi, qui ne faisoit que de partir pour aller à la chasse, delà l'eau. A deux heures mené sur la terrasse de Mercure, il s'y joue jusqu'à deux heures trois quarts, est ramené pour se trouver à l'arrivée du Roi, en la cour du vieux château, revenant de la chasse. Il monte en sa chambre, et lui détache les aiguillettes de ses chausses à botter, avec affection et désir de complaire, puis il va en la salle du bal voir courir un blaireau. A cinq heures et demie mené chez le Roi, et à six heures soupé avec le Roi. A huit heures et demie il donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre, est en colère de ce que M. de Vendôme vouloit faire fouetter M. le Chevalier; il dit: Je dirai demain à papa, je vous en assure, que féfé Chevalier a été tout le jour avec moi, et que féfé Vendôme y a point été, qu'il est allé jouer aux cartes chez sœu-sœu Vendôme tout le jour. Il montre sa guillery à la petite Ventelet; Mme de Montglat l'en reprend, et lui demande qui lui a appris cela: C'est féfé Vendôme. Il l'accusoit par colère qu'il gardoit contre lui.

Le 23, samedi.—A huit heures il va chez le Roi, écrit en sa présence, puis à neuf heures déjeûne avec le Roi, mange du pain bis, de celui de mes valets qu'il envoya querir, et le Roi en mangea de même. Il va avec le Roi jusques au bout du palemail, est ramené par le jardin au château, à la messe. A une heure il entre en carrosse pour aller rencontrer le Roi, qui étoit à courir le cerf, s'arrête auprès de La Muette, où, à deux heures, dans le carrosse, il a goûté. Mené sur le lieu où le cerf avoit été pris, il lui est montré; c'étoit un cerf de dix cors. Ramené et arrivé au château à quatre heures, il toucha les chevaux avec le fouet du cocher, s'étant mis sur le devant. A cinq heures mené chez le Roi et à six heures soupé; il mange du beurre salé de Bretagne, Fév
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320 envoyé au Roi de la part de M. de Montmartin. A sept heures il va en sa chambre, en la chambre de Madame, joue du tabourin de basque fort bien, en concert avec Hindret, son joueur de luth, et Boileau son violon; il avoit appris de lui-même. A huit heures mené pour donner le bonsoir au Roi et jouer leur concert, il s'arrête à la porte du cabinet et ne voulut jamais entrer pour jouer, comme ayant reconnu que c'étoit chose messéante à sa qualité; le Roi le sut, et le trouve bon, et aussitôt qu'il eut su que le Roi avoit trouvé bon le refus qu'il en avoit fait, il entre incontinent et va donner le bonsoir au Roi.

Le 24, dimanche, à Saint-Germain.—Mené chez le Roi, il va avec lui à la messe, en la chapelle du bâtiment neuf; le Roi part à neuf heures et un quart pour s'en retourner à Paris. Joué aux jonchets avec sa nourrice; il se fâche quand elle gagne.

Le 25, lundi.—Il s'amuse à son canon d'argent, est mené sur la terrasse du bâtiment neuf, d'où il va en la cour voir courir un renard. A douze heures et un quart dîné; il est aux fenêtres du préau, voit dehors un petit porte-panier, l'appelle et lui demande d'où il étoit; lui ayant répondu qu'il étoit de Savoie, il lui commande de monter en sa chambre; il voit une écritoire dorée, il l'achète, une paire de couteaux, un ganif (sic), des plumes et de la cire d'Espagne; et à chaque pièce il demandoit: Combien cela? et à chacun il disoit: Ce n'est pas assez, il en faut tant. Il va au devant d'un valet de pied du Roi qui apportoit des lettres à Mme de Montglat, pour faire préparer le voyage de Fontainebleau, et lui demande: Papa m'envoye-t-il queri?—«Monsieur, je ne sais pas,» répond le valet.—Ho! nous velà bien camus! dit-il en souriant, puis quand il eut su le voyage: Ha! que le nez m'est revenu!

Le 28, jeudi.—Éveillé à six heures, il demande plusieurs fois s'il est jour, pour avoir à partir et aller à Paris Fév
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321 puis à Fontainebleau. A sept heures levé, à huit heures et demie déjeûné; il s'amuse à voir déménager pour partir. A dix heures il entend la messe en la petite salle, puis à onze heures dîné. Peu après il commence à presser le partement, va deçà delà, jette de l'argent aux pauvres, en envoie à un aveugle. A une heure et demie il entre dans le carrosse de la Reine, duquel la flèche, toute neuve, n'ayant fait que venir de Paris, se rompit au-dessous de la Verrerie, et il fallut le mettre avec Madame, M. et Mlle de Verneuil et Mlle de Vendôme dans le carrosse de M. de Béthune. Arrivé à Saint-Cloud, au logis de M. de Gondi, à quatre heures, il va aux jardins et surtout au petit ruisseau qui est sous le berceau, puis à la fontaine du rocher.

Le 29 février, vendredi.—Il aide à plier son lit, part de Saint-Cloud à neuf heures et demie, est porté à bras sur le pont de bois, puis remis en carrosse. Tous les princes et les seigneurs de la Cour viennent au-devant de lui; il y avoit plus de cinq cents chevaux. Arrivé au Louvre à onze heures et demie, le Roi le reçoit en son premier cabinet, puis le mène à la Reine, au grand cabinet; il lui saute au col (c'étoit au grand cabinet). Il va en sa chambre, au-dessus de celle du Roi, qui étoit celle où logeoit M. de Vendôme, que le Roi fit déloger et loger en sa chambre, et coucher en son lit. M. de Souvré mène le Dauphin, par la galerie, aux Tuileries; ramené à quatre heures et demie il va chez le Roi, puis au grand cabinet de la Reine, où le Roi le fait lutter contre M. le Chevalier.

Le 1er mars, samedi, au Louvre.—Il va chez le Roi, qui, par la galerie, le mène aux Tuileries, et entend la messe aux Capucins, et puis le ramène en son carrosse. Dîné avec le Roi.

Le 2, dimanche.—Il va à la fenêtre du côté des offices, voit passer deux carmes, demande à M. de Cressy, qui me l'a dit: Qui sont ces sortes de bêtes-là? Il va en carrosse visiter la reine Marguerite, au faubourg Saint-Germain, Mars
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322 au bout de la rue de Seine du côté de l'eau.

Le 3, lundi, au Louvre.—Mené à la galerie et à la messe, à la petite chapelle d'en haut.

Le 4, mardi.—Mené au Roi, en la galerie, où il sert le Roi, qui déjeunoit et s'en alloit à Chantilly.—L'ambassadeur de Venise, ancien, le vient voir et lui amenant le nouveau, il signor clarissimo Foscarini, prend congé de lui. Comme ils parloient à lui, il entend le tambour des gardes qui entroient, il s'ébranle pour les aller voir entrer en garde, y va suivi des ambassadeurs, qui trouvèrent fort bon ce mouvement. Mené chez la Reine, il lui demande permission d'aller au Palais; elle le lui permet; puis il la supplie de lui donner de l'argent; elle lui demande combien il veut: Dix écus; elle les lui donne. Je lui demande à son dîner pourquoi il n'avoit demandé davantage: Je voulois que cela. Sa nourrice lui dit pourquoi il n'en avoit demandé à M. Sully: Il ne m'en eût pas donné. La Reine lui donne un chameau et deux coffres; donne un bœuf[474] à M. de Verneuil; il lui dit: «Vous n'en faites pas cas, parce que maman le vous a donné; vous ne faites cas que de ce que vous donne votre maman.»

Le 5, mercredi.—A deux heures il est mené, par la rue Saint-Honoré, au Palais, en la galerie des Merciers, où il marchande; si on lui demande un écu d'une chose, il dit: Vous en aurez trois; il marchande un carrosse qui marchoit à ressort; on le fait quinze écus: Il en faut cinquante, et ne voulut jamais le prendre qu'il ne le vît payer. Il va en la galerie des Prisonniers, ne les voulut point voir (c'étoit par compassion et pitié), mais il leur fit jeter un doublon. Mené en la grande salle, il ne voulut entrer en la chambre dorée, où l'on lui dit que l'on rendoit la justice: J'y veux pas entrer, la justice y est, et je veux pas l'empêcher.

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Le 6, jeudi, au Louvre.—La Reine le mène à la messe à Saint-Jean en Grève. A trois heures mené à l'Arsenal; il voit tout et goûte dans le cabinet. M. de Sully lui baille cent écus, cinquante à Madame et ving-cinq à Mlle de Vendôme, rien à MM. de Verneuil.

Le 7, vendredi.—A dix heures arrive le cavalier Guidi, secrétaire du Grand-Duc, pour résider près de Leurs Majestés; il apporte au Dauphin des lettres du grand-duc, de la grande-duchesse et du prince de Toscane, Côme.

Le 8, samedi, voyage.—Mené chez la Reine, il prend congé, et à douze heures trois quarts part pour aller à Fontainebleau; goûté à demi-chemin de Longboyau; il arrive à Ris à cinq heures et demie, s'en va au jardin.

Le 9, dimanche, voyage.—A une heure il part de Ris; goûté au Plessis dans son carrosse; il arrive à Melun à cinq heures et trois quarts.

Le 10, lundi, voyage.—Mené à Saint-Père, à la messe; on lui montre le tableau de la belle Agnès et celui d'Étienne Chevalier, qui le donna en ce temps-là[475]; il semble tout frais, pour avoir été bien conservé. A douze heures et demie il entre en carrosse, et part de Melun pour aller à Fontainebleau, où il arrive à trois heures et un quart. Goûté; il prend du coffre de son petit carrosse une petite truelle et une auge d'argent, qu'il y avoit enfermés à son partement, va sur la petite terrasse de sa chambre, se met sur la maçonnerie.

Le 11, mardi, à Fontainebleau.—Il donne gaiement un écu à chacun des valets de pied et à ceux de la Reine qui l'avoient servi (ils étoient quatre); un écu Mars
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324 à chacun des cochers (ils étoient deux), et demi-écu à un garçon du cocher qui avoit été blessé à une main dans la forêt. MM. de Souvré, de Béthune et de Saint-Géran, qui l'avoient accompagné, s'en retournent. Amusé sur la terrasse à sa maçonnerie.

Le 12, mercredi, à Fontainebleau.—Éveillé à sept heures et demie, il s'amuse (dans son lit) à polir et travailler un visage en cire. Quatre grands garçons et portefaix, qui avoient aidé à transporter les meubles[476] et bagages, viennent le supplier de leur donner quelque chose; il les regarde, puis demande: Où est Mamanga? Je lui dis qu'elle étoit en son cabinet; il y va, et, s'arrêtant sur le pas du degré de la terrasse, il se retourne demandant: Combien êtes-vous? ils lui répondent: «Quatre.»—Bon, bon, et il s'en va au cabinet: Mamanga, je vous prie, dounez-moi quatre écus pour douner à ces portefaix qui ont porté mes meubles; ils sont quatre.—«Monsieur, dit-elle, combien leur voulez-vous donner?»—Quatre écus, Mamanga.—«Monsieur, n'est ce pas assez de deux?»—Hé! non, Mamanga, ils sont pauvres! Elle lui donne les quatre écus; il leur en donne deux, puis se retournant à Mme de Montglat: Maman, je vous prie, ne soyez point fâchée si je leur doune encore ces deux écus; en serez-vous point fâchée?—«Non, Monsieur.»—J'en suis bien aise, tenez; et il leur donne les deux écus fort gaiement.

Le 13, jeudi.—Bigneux, page de Mme de Montglat, revient de Moret, où elle l'avoit envoyé pour visiter Mme la comtesse de Moret, et lui dit que M. de Moret, son frère, lui baisoit très-humblement les mains: Mon frère! il Mars
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325 est pas mon frère; vous êtes un sot, je vous fairai donner le fouet, et pour chaque mot vous aurez vingt coups de fouet
.

Le 14, vendredi.—Il s'amuse à faire faire des couleurs par un jeune peintre, écrit son exemple. Mme la comtesse de Moret le vient voir; il est mené à la Coudre[477] par le grand jardin et le village, d'où il demande d'aller à la mi-voie; il ne veut point entrer dans le carrosse de Mme de Moret, veut aller à pied. Ramené, il danse aux chansons, chante en concert: Frère Ambroise, etc.

Le 15, samedi, à Fontainebleau.—Je lui dis que le Roi m'avoit commandé d'aller voir M. de Moret et s'il lui plaisoit me donner congé? Il me demande: Où est-il?—«Monsieur, il est à Moret.»—Je veux pas.—«Monsieur, le Roi me l'a commandé.»—Je veux pas; allez-vous-en, vous êtes un méchant homme, ne revenez plus. Je m'en allai en ma chambre; quand je lui dis que c'étoit pour aller à Moret, il devint rouge comme feu. A six heures et un quart soupé; il me reproche que je suis son médecin et que je suis allé voir le petit Moret.

Le 19, mercredi.—Mené promener au jardin des canaux et des fruitiers, où il mène Mme de Saint-Georges pour lui montrer les autruches, et va lui montrant tout, comme fait le Roi aux nouveaux venus.

Le 20, jeudi.—Il va en la galerie des Cerfs, reconnoît le Louvre[478]: Ha! velà le Louvre qui est à Paris, c'est Paris qui est mon mignon; puis il reconnoît Saint-Germain-en-Laye avec allégresse. Il s'en va à la poterie; on lui demande ce qu'il veut: Attendez, j'y songe: Combien Mars
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326 vendez-vous cela?
dit-il en montrant la figure du Roi; on lui en demande trois écus; il commande de les bailler, prend l'effigie du Roi, l'embrasse, la donne à porter à sa nourrice, et revient à sa chambre[479]. M. Hubert, médecin du Roi, arriva pour M. de Verneuil, qui avoit la rougeole[480], le Dauphin me demanda ce qu'il venoit faire ici.—«Monsieur, lui dis-je, c'est pour me relever, il vient en ma place.» Rougissant et souriant, il se lève, me saute au col: Ha! vous vous moquez, je veux pas.

Le 22, samedi, à Fontainebleau.—Mme de Saint-Georges lui dit adieu, puis la petite Vitry, qui alloit avec elle; il la regardoit de bon œil en se souriant et étoit rouge. Il se fait presser de la baiser, le fait lui tendant la joue à son accoutumée, puis s'étant retiré il s'avance en sursaut et lui porte la main au sein. A six heures et un quart soupé; à sept heures il va au devant de la Reine, qui arrivoit, la rencontre au haut de l'escalier du donjon, la conduit en sa chambre, y est en attendant le Roi, qui étoit encore à la chasse du cerf, et le Roi ne venant point, il donne le bonsoir à la Reine.

Le 23, dimanche.—Il va donner le bonjour au Roi et Mars
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327 à la Reine, puis se va promener avec le Roi; dîné avec le Roi.

Le 24, lundi, à Fontainebleau.—Il va au jardin du Tibre y attendre le Roi, qui étoit allé se promener et voir ses ouvriers, va donner le bonjour à la Reine. Voulant donner un coup de chapeau à Soldat, l'un des chiens du Roi[481], le chien se jette sur lui, le surprenant; il en pleure. Le Roi le tance d'avoir eu peur, et lui dit qu'il ne faut avoir peur d'aucune chose; il lui répondit: C'est que je n'y pensois pas.

Le 25, mardi.—A six heures soupé avec le Roi; à dix heures dévêtu, mis au lit, il appelle la jeune Ventelet pour lui apprendre une chanson qu'elle savoit; il en apprend quelque chose. Soudain, elle lui dit: «Mon Dieu, Monsieur, quel esprit vous avez! Vous apprenez incontinent tout!» Il lui répond en se souriant: J'ai mon esprit fait comme les joues de Robert, le singe de papa; il fourre, il fourre tout dedans.

Le 26, mercredi.—Il va trouver le Roi en la chapelle basse du donjon[482], où il entend la messe, puis le suit en la chambre de la Reine, où, sous espérance de dîner avec elle, il demeura jusques à une heure, n'en voulant en aucune façon partir. Soupé avec le Roi.

Le 28, vendredi.—Éveillé à sept heures avec quelque inquiétude; il disoit avoir fait des songes qu'il ne vouloit pas dire, de peur de s'en souvenir et que cela ne l'empêchât de dormir la nuit suivante. En déjeunant Mars
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328 je lui demande ce qu'il avoit vu en songeant.—Un homme habillé de blanc.—«Monsieur, que vous a-t-il dit?»—Rien.—«Monsieur, que lui avez-vous dit?»—Qu'il étoit un sot, et n'en voulut dire autre chose.

Le 29 mars, samedi.—Il va trouver le Roi au jardin du Tibre, fait courir M. Birat après lui, tout à travers les parterres. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi, puis en sa chambre. Mené par le bout de la galerie au jardin des canaux, il va après au grand Navarre, où il voit piquer des petits chevaux de M. de Vendôme; ramené, il va au jardin de l'étang, s'amuse à jardiner et à planter des pois; on ne l'en peut tirer. A cinq heures je dis à Mme de Montglat qu'il commençoit à faire froid: Ho! dit-il, je vois bien, mousseu Héroua n'est pas de mon côté? Ramené en sa chambre, il va peu après chez le Roi, y a soupé; bu du vin clairet du Roi, fort trempé; il avoit soif, il le trouve bon, mange du massepain, de celui du Roi, boit encore du vin clairet du Roi, un bon coup: Ha! qu'il est bon! il seroit bien meilleur s'il n'avoit point d'eau, qu'il fût bien rouge, bien rouge, dit-il avec action. Il y faudra prendre garde pour ce regard[483].

Le 30, dimanche, à Fontainebleau.—A dix heures et demie, M. le prince de Condé, MM. de Guise, de Joinville, d'Aiguillon le viennent prendre en sa chambre pour l'accompagner à la cérémonie des Rameaux, que le Roi voulut qu'il fît en sa place. Le tambour le prit au sortir de la chambre, à l'entrée de la terrasse; il marche en cérémonie et tenoit bien son rang, nullement étonné. Mis au lit, il veut que Bompar, son page, soit botté tous les matins pour aller apprendre à monter à cheval, au manége de M. Pluvinel; cela vient de son mouvement; il le menace du fouet s'il y fault.

Mars
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329

Le 31 mars, lundi.—Mené par le jardin des canaux au grand Navarre, voir piquer des chevaux, il fait monter son page à cheval; il rioit à plein poumon, et sur la fin Bompar étant sur le barbe de M. de Vendôme, il tomba à terre, dont le Dauphin se prit fort à rire. Ramené, il entend la messe en sa chambre, où M. de Giais[484] lui montre et lui donne un petit morceau de la mine d'argent trouvée, depuis six semaines ou deux mois, auprès de l'Islebourg en Écosse. M. le cardinal de la Rochefoucauld[485], qui le jour précédent avoit reçu le bonnet, assiste à sa messe.

Le 3 avril, jeudi saint, à Fontainebleau.—Il va chez le Roi, et l'accompagne au sermon et à la cérémonie du lavement des pieds, y sert le Roi et porte le pain; ce fut en la salle du bal[486]; puis le Roi le mène à la chapelle basse, à la messe.

Le 4, vendredi.—Il va au jardin des canaux, et revient à la grande source aux truites, où il s'amuse à regarder des poissons que le Comte Palatin avoit envoyés au Roi. Il va à la messe avec le Roi, porte à l'offrande l'écu du Roi, que M. le prince de Condé lui avoit apporté, puis le sien.

Le 5, samedi.—Mené à la salle du Cheval blanc, où il se confesse et entend la messe. Le Roi le mène au jardin de la Reine, où il court saute et tombe une fois, par la faute de sa robe, sans se blesser. A deux heures et demie il entre en carrosse, va à la chasse après le Roi, qui alloit au chevreuil, à la Vente au Diable. A souper il se prend à chanter: Qui veut ouïr une imparfaite, etc.

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Le 6, dimanche, jour de Pâques, à Fontainebleau.—Le Roi le mène à la messe; il le sert à la communion, qui lui fut administrée par M. le cardinal Du Perron; la messe achevée, le Roi allant toucher les malades[487] en la cour des Fontaines, le renvoie en sa chambre, d'où il regarde la cérémonie.

Le 7, lundi.—Il entre en carrosse pour suivre le Roi à la chasse au chevreuil, le voit prendre, est marri de le voir tuer aux chiens.

Le 11, vendredi.—Il va trouver le Roi, qui le mène au jardin des pins et des canaux, où il lui prend envie d'aller au grand Navarre voir piquer des chevaux, y voit courir la bague. Ramené aux jardins, il va ratteindre le Roi derrière le chenil; il montroit les jardins à M. de Joyeuse, dit Père Ange, capucin[488]; il ne veut retourner, suit le Roi au jardin du Tibre et à la salle du Cheval, ouïr la messe avec le Roi, puis va donner le bonjour à la Reine. M. de Joyeuse vient voir remuer M. le duc d'Orléans, lui donne sa chemise et prend congé du Dauphin pour s'en retourner à Rome. Il étoit père de Mme de Montpensier, mère de Mlle de Montpensier accordée à M. d'Orléans.

Le 12, samedi.—Il va à la chasse après le Roi, voit le cerf par deux fois. Mme la comtesse de Moret, étant dans son carrosse, sembloit venir à lui[489]; il dit soudain: Tournez, tournez, cocher! dret (droit) à Fontainebleau.

Avr
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Le 13, dimanche.—Dîné avec le Roi; ramené en sa chambre; à six heures et demie soupé. M. le cardinal Du Perron vient à son souper; il le fait asseoir; aussitôt que le Dauphin eut soupé il s'en va à la galerie; Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, vous n'avez pas dit adieu à M. le cardinal Du Perron.»—Vient-y pas?—«Non, Monsieur.»—C'est qu'il est comme une fille, il craint le serein. Un écuyer du Roi étoit demeuré avec ledit sieur cardinal, le Dauphin demande: Où est l'écuyer? il est une fille comme lui.—«Monsieur, lui répond Mme de Montglat, c'est son écuyer.»—Ho! ho! non, il est à papa, mais c'est que ses aumôniers sont ses écuyers.

Le 14, lundi, à Fontainebleau.—Il trouve sur la terrasse près de sa chambre un petit mercier, achète demi-douzaine d'agrafes de verre blanc lui ayant plu; il eût volontiers acheté toute la boîte. Il va chez le Roi, où il joue au hoc[490] contre Mme la princesse de Conty, qui se laisse perdre trois ou quatre écus.

Le 16, mercredi.—Il va en la galerie, se joue, vient où nous dînions, y prend un cornet d'oublie qu'il mange, puis s'en retourne en sa chambre pour y entretenir maître Guillaume Dubois, poëte de M. de Roquelaure (il n'étoit pas bien sage), et avant que partir prie Mme de Montglat de lui faire donner à dîner; il en avoit compassion, l'on ne y pensoit point.

Le 17, jeudi.—Mené chez le Roi; M. de Verneuil étoit près du Roi; il approche, et, le tirant par le bras, il lui dit: Otez-vous de là; c'étoit pour y faire approcher Madame. Le Roi l'en tança, y fait demeurer M. de Verneuil, et le chassa. Il se retire à l'écart, et se met à pleurer; M. le Grand fit la paix.

Le 20, dimanche.—Mené au jardin des pins, il y fait mener son petit carrosse rouge, et y fait mettre dedans Mistaudin, petit nain du jeune Liancourt, le fait tirer Avr
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332 par tout le jardin, par M. le Chevalier, et lui et M. de Verneuil sont les valets de pied. Mistaudin commande: Je veux aller à Paris ou autre part, et les nomme par leurs noms: valets de pied.

Le 22, mardi, à Fontainebleau.—On lui amena pour lui faire la révérence MM. de Mortemart[491], l'un âgé de sept ans et demi et l'autre de six ans et demi, et comme on lui dit que demain matin ils viendront à son lever, il dit: Non, il nous faut faire devant deux tours de galerie; c'étoit pour y courir et s'éprouver à la course. Il se mesure avec eux, se trouve plus grand, puis les mène à la galerie, où il les fait courir avec lui, et les gagna de beaucoup. Il va par la galerie au jardin des pins, revient par l'allée du chenil, regarde les compagnies entrer en garde, voit un goujat monté sur un bidet, lui demande: A qui est ce cheval? et lui ayant répondu que c'étoit à un soldat: Il ne faut pas que les soldats ayent de chevaux; c'est pour les capitaines. Dîné avec le Roi; il va chez la Reine, et se jouant à Soldat[492], un turquet du Roi, il en fut un peu mordu. Mené aux toiles, où il voit prendre un sanglier.

Le 24, jeudi.—M. de la Trimouille, âgé de quatre ans, lui fait la révérence, présenté par Madame sa mère[493]. Mme de Montpensier visite M. d'Orléans et lui mène sa fille, âgée d'environ trois ans. Il lui fait bonne chère[494], lui rit, Avr
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333 la baise, l'embrasse, et lui donne une petite nourrice de poterie[495] qu'il tenoit, le lui ayant dit.

Le 25, vendredi.—A sept heures trois quarts, la Reine commença à sentir les douleurs pour accoucher; j'en revenois, et lui demandai (au Dauphin): «Monsieur, voilà maman qui est en travail pour accoucher, qu'aimeriez-vous mieux, ou un frère, ou une sœur?»—Un frère.—«Monsieur, pourquoi?»—Parce que ce sera un autre serviteur pour papa, et puis on fera tant tirer le canon. A neuf heures et demie la Reine accouche de Mgr le duc d'Anjou[496], et fort heureusement, n'ayant eu qu'une seule tranchée de forte, et l'enfant grand, fort et bien nourri et ayant la voix fort grosse. Le Dauphin entend sur la fin de son déjeuner tirer des arquebusades, il se prend à sauter avec transport d'allégresse, disant: Ho! maman est accouchée! On lui demande: «Monsieur, que pensez-vous que c'est?»—Attendez! il y faut songer; ce est un frère, j'en suis bien aise, nous sommes à c'theure trois. Il va chez le Roi et au grand cabinet de la Reine, voit mondit Seigneur que l'on pansoit, met ses deux mains sur les flancs et le considère froidement; il ne le voulut baiser. Il va voir la Reine, puis va avec le Roi au Te Deum. Il regarde, des fenêtres de la galerie, courir la bague en la cour du Cheval. Mis au lit, il s'amuse à faire des empreintes de gravures[497], me demande la mienne, qui étoit d'un Hippocrate en cornaline antique; je lui en retire une en cire blanche, il me commande de lui en rogner les bords jusques au visage. Je Avr
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334 lui dis: «Monsieur, je gâterai tout.»—Ho! vous ne sauriez rien gâter, vous êtes bon sculpteur.

Le 26 avril, samedi, à Fontainebleau.—Il s'amuse à faire des empreintes de mon lion et de mon Hippocrate[498]; MM. de Mortemart entrevenant à son lever, il en est fâché, entre en mauvaise humeur et en querelle avec Mme de Montglat. Elle lui dit que sa mauvaise tête lui feroit donner le fouet: Je voudrois que vous eussiez ma mauvaise tête, et je vous donnerois le fouet. Levé, vêtu, il va à l'entrée de la galerie où étoient ses petits chiens d'Artois, et, les caressant, dit: Ha! je voudrois que vous peussiez manger Mamanga; mais ne lui dites pas, dit-il à M. de Ventelet et à son aumônier, qui l'avoient entendu. Il fait apporter ses armes, va en la galerie, fait sa compagnie comme il avoit fait d'autres fois, et fait armer MM. de Mortemart; M. le Chevalier étoit le capitaine. Il y étoit si attentif que Mme de Montglat ne l'en sut jamais divertir pour aller assister au baptême, sans les cérémonies, de Mgr le duc d'Anjou. Ce fut en sa chambre, proche de la terrasse de la galerie lambrissée qu'il fut baptisé par M. le révérendissime [cardinal de Bonzi] évêque de Béziers, grand aumônier de la Reine, à deux heures après midi, y étant Madame, Mme de Montpensier, Mme de Guiercheville, dame d'honneur de la Reine.

Le 27, dimanche.—Vêtu d'une saye[499] que la Reine lui fit faire, il ne veut point que l'on mette des plumes à son chapeau, y fait mettre une laisse. Le Roi le mène aux toiles, où il voit prendre une laie et une douzaine de marcassins presque tous en vie.

Le 30, mercredi.—Comme il alloit trouver le Roi, il rencontre M. le Grand, retourne arrière, et le mène Avr
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335 chez lui pour lui montrer ses chiens; c'étoient deux petits chiens d'Artois. Il leur fait courir le marcassin dans la galerie, va après courant, et toute cette noblesse qui étoit avec lui. Dîné avec le Roi.

Le 1er mai, jeudi, à Fontainebleau.—M. le Chevalier se moquoit de quelqu'un, et lui montroit le personnage; il lui dit: Taisez-vous, féfé Chevalier, il faut point regarder les personnes quand on se moque. A neuf heures et demie dévêtu, mis au lit, il s'amuse fort gentiment à entretenir des gentilshommes qui étoient à son coucher, raille avec eux sérieusement, gracieusement; comme s'il n'avoit jamais fait autre chose et toujours vécu privément avec eux.

Le 2, vendredi.—Le Roi le mène promener au jardin, où, lui montrant Mme la comtesse de Moret: «Mon fils, j'ai fait un enfant à cette belle dame, il sera votre frère;» il se retourne honteux, disant: C'est pas mon frère. Dévêtu, mis au lit, il s'amuse à entretenir la noblesse; entre autres il faisoit bonne chère au fils aîné de M. de Sourdéac[500], il l'appeloit: Petit jeune.

Le 3, samedi.—A huit heures et demie levé, il essaye un pourpoint et des grègues de satin, saute, gambade; il y a de la peine à lui faire quitter, tant qu'on lui dit qu'il y avoit quelque chose à raccoustrer. A onze heures et demie dîné; bu de la tisane de réglisse de M. de Vendôme, qu'il avoit fait tenir en sa chambre tout le long de son dîner, sans lui vouloir permettre d'aller avec Mlle de Vendôme[501]; aussitôt qu'il eut achevé, lui ôtant son chapeau: Allez, allez-vous-en dîner. Le Dauphin prend Mai
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336 son petit carrosse rouge, s'assied à la place du cocher, y attelle Bajordan, Villereau, Saint-Privat, pages du Roi en la grande écurie, et Décluseaux, et se fait traîner par la chambre.—Il y avoit quatre ou cinq jours qu'il lui fut donné deux petits chiens que l'on avoit trouvés; il les fit mettre, pour les nourrir, à sa fourrière et les aimoit fort. Celui qui les avoit perdus, l'ayant su, vint trouver le Dauphin, lui dit qu'il étoit fort aise que ces deux chiens lui avoient été donnés; qu'ils étoient à lui, qu'il les avoit perdus, qu'il les aimoit fort, mais que s'ils lui étoient agréables, il lui feroit beaucoup d'honneur de les recevoir en don. Le Dauphin l'écoute froidement, et ayant achevé, lui demande: Sont-ils à vous? Il répond que oui.—Qu'on les y rende, dit le Dauphin gravement, doucement, et n'en voulut plus. A six heures et demie il va chez la Reine[502].

Le 4, dimanche, à Fontainebleau.—Il va donner le bonsoir à la Reine, et prendre le mot pour le donner aux gardes. Avant que s'endormir il demanda à M. de Drouet, capitaine aux gardes, qui étoit venu prendre le mot: Où êtes-vous en garde?—«Monsieur, à la porte du donjon.»—Et l'autre compagnie?—«Monsieur, à la porte des cuisines.»—Qui est le capitaine?—«Monsieur, c'est Campagnols.»—Où est-il?—«Monsieur, il est à Boulogne, dont il est gouverneur.»—Et son lieutenant, est-il ici?—«Non, Monsieur, il est malade à la garnison.»—Et son enseigne?—«Monsieur, il est allé à sa maison.»—Et son sergent?—«Monsieur, il est ici.»—Pourquoi n'est-il venu prendre le mot? Il fit toutes ces demandes pour venir à cette dernière.—«Monsieur, les sergents ne le prennent point quand il y a des capitaines; je le leur donnerai à tous.» Il se contenta de cela.

Le 5, lundi.—Il fait son exemple; Beaugrand, écrivain du Roi, lui montre à écrire.

Mai
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Le 6, mardi, à Fontainebleau.—Il écrit une lettre au Roi, par commandement de la Reine, comme il s'ensuit, sans trace, mais entre deux lignes de règle et fort bien:

Papa, maman m'a commandé de vous escrire pour vous remercier en son nom de la peine que vous prenés de luy faire scauoir de vos nouuelles, maintenant qu'elle ne vous peut mander des siennes; elle se porte bien et se resiouit de ce qu'elle vous verra jeudy, et vous baise tres-humblement les mains et moy aussi, qui suis bien sage et tousiours, mon papa, vostre tres-humble et tres-obeissant fils et seruiteur.

Loys.

Et pour suscription: «à Papa».

Mené au jardin des pins, puis en celui des canaux, et voir le manége qui se faisoit au logis de Jamin, et après au jardin des fruitiers. Il va en son petit jardin, s'amuse à bêcher, baille des outils à d'autres, leur disant: Travaillez, ou je vous battrai. Ramené, il va chez la Reine; il fait lui demander de l'argent, car jamais il n'en vouloit demander; il craignoit le refus. La Reine l'appelle: «Mon fils, voulez-vous de l'argent?»—Oui, s'il vous plaît, maman. La Reine lui fait donner trois doublons, et lui demande: «Mon fils, qu'en ferez-vous?»—Je les dounerai à mon petit jardinier.—«Mais, mon fils, lui donnerez-vous tout?»—Oui, maman, car il faut une serrure à mon jardin, puis il y a un an qu'il travaille à mon jardin. Ramené à sept heures et un quart en sa chambre, soupé. Mme la princesse de Conty faisoit un ballet pour danser devant la Reine; il disoit en soupant: La femme du singe à papa est morte; je prendrai la peau, puis je m'en irai. Je monterai sur une fenêtre et puis je me jetterai dans le ballet, et puis ils seront bien étonnés. Il racontoit cela à Madame, sa sœur.

Le 7, mercredi.—Mme la princesse de Conty devoit danser un ballet en la chambre de la Reine, puis venir en la sienne; on lui propose de faire préparer une collation de petites pièces qu'il avoit prises en la poterie. Mai
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338 Attendant le ballet il se jouoit avec les filles de la Reine, surtout avec Mlle de Fonlebon, se jetoit sur elle à corps perdu, la couchoit à terre. Le ballet arrive; c'étoient: Mme la princesse de Conty, Mlle de Vendôme, Mme la comtesse de Moret, Mme de Vitry, fille de Mme de Montglat, Mlle de Liancourt, M. de Vendôme, M. le Chevalier et le fils de M. de Liancourt. Le ballet fini, on danse les branles, il ne veut point danser, et regarde; M. de Vendôme conduisoit le branle. Il lui prend une humeur de danser, se jette dans la danse au-dessous de M. de Vendôme, et prend Mme la comtesse de Moret à la main gauche; M. de Vendôme la menoit à sa droite; M. de Vendôme lui dit: «Monsieur, prenez votre rang.»—Mon rang est partout! Il mène Mme de Guise, qui fut suivie des autres du ballet, à sa collation, et de rire et de faire des exclamations: c'étoient des petits chiens, des renards, des blaireaux, des bœufs, des vaches, des écurieux, des anges jouant de la musette, de la flûte, des vielleurs[503], des chiens couchés, des moutons, un assez grand chien au milieu de la table, un dauphin au haut bout, un capucin au bas.

Le 9, vendredi, à Fontainebleau.—Il fait courir ses chiens après le Robert du Roi[504].

Le 10, samedi.—A onze heures mené au Roi, qui revient de Paris.

Le 14, mercredi.—Levé à huit heures et un quart, il s'assied à terre, disant: Je ne sais que j'ai, mais je suis pas malade, tâche de se jouer à son petit chien, qu'il se fait bailler. A huit heures et demie remis au lit, il se prend à vomir à deux diverses fois, et dit: Je suis guéri. La bonne couleur lui revient, la gaieté; il demande ses petits jouets d'argent, les fait nommer par M. du Buisson, Mai
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339 exempt des gardes, qui les nomme en bourguignon qu'il étoit; le Dauphin en rit à bon escient[505]. A sept heures (du soir) le Roi arrive, et l'éveille; il lui saute au col, en est tout réjoui. Le Roi lui dit: «Mettez-vous sur le cul que je le voie;» il se plante sur les deux bras, et montre tout le derrière du corps.

Le 15, jeudi.—Éveillé à sept heures, il s'entretient du loup que, sur les cinq heures, le Roi avoit pris dans le parc. A neuf heures et un quart il demande à faire son lit; levé, gai, peu après qu'il étoit assis auprès du feu, vomi. Remis au lit, M. le baron de Portes[506] le vient voir; le Dauphin dit gaiement: Ha! veci la porte de ma chambre; mais cela est bien étrange de voir parler une porte. A quatre heures et demie on lui parle de prendre un clystère; cela ne lui plaît point. On l'en presse, il tempête: J'aime mieux mourir. On le menace du Roi, qui venoit; il s'arrête. Enfin, un quart d'heure après toute contestation, M. d'Épernon arrive, qui lui dit: «Monsieur, voilà le Roi.» Soudain il se retourne: Hé! donnez-le moi, et le prend tout: et là-dessus le Roi entra, et y fut jusques à cinq heures et demie[507].

Le 16, vendredi.—Il demande: Mamanga, je vous prie, envoyez-moi querir quelque petit mercier pour me jouer. M. Birat va au bourg, fait venir un Marseillois qui avoit un instrument fait à Nuremberg, en forme de cabinet, où il y avoit grand nombre de personnages faisant diverses actions, par le mouvement du sable au lieu de l'eau. L'instrument arrivé, il se y amuse, et incontinent comprend les moyens pour faire jouer le sable et le faire arrêter, en parle en mêmes termes qu'il avoit Mai
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340 ouï nommer au Marseillois, comme contrepès, pour contrepoids. M. de Ventadour et M. de Montespan[508] font tout ce qu'ils peuvent pour le persuader de l'envoyer montrer au Roi et le supplier de le lui donner. Il ne leur répond rien, d'autant qu'il avoit entendu que ce pauvre homme en gagnoit sa vie. Le désir de l'avoir, la crainte qu'il avoit d'en importuner le Roi et la charité envers ce pauvre homme combattoient en lui; enfin M. de Montespan, capitaine des gardes, le presse tant, et s'offre d'en aller supplier le Roi, qu'il dit oui, mais assez froidement et comme par contrainte. M. de Montespan en revient, et dit: «Monsieur, le Roi le vous donne.»—Est-il payé? Amusé fort gaiement à cet instrument, où étoient la prinse de Jérusalem et la Passion. Le Roi fait marchander et offrir six écus pour vingt-cinq; il envoie M. le Chevalier pour l'en dégoûter. La Reine l'envoie donner, et promet de les payer[509]. Le Dauphin eut pitié de ce pauvre homme: Mamanga, je vous prie, faites donner à ce pauvre homme la moitié d'une sole, la moitié d'une carpe, et un pain; il n'a point mangé d'aujourd'hui.

Le 17, lundi.—Il s'amuse à l'instrument du jour précédent, que la Reine lui avoit donné et payé vingt écus, dont le Roi fut fâché, disant qu'elle le gâtoit; il le montre à ceux qui le viennent voir et le conduit lui-même.—Mmes de Montpezat[510] et du Peschier[511] viennent à son souper. Mme du Peschier voyoit qu'il la regardoit fixement, et dit: «Je vois bien que Monsieur me fait l'honneur de m'aimer, puisqu'il me regarde ainsi.» Mai
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341 Le Dauphin dit tout bas à l'oreille de sa nourrice: C'est qu'elle ressemble à Robert, le singe à papa: elle avoit les épaules voûtées; puis quand elles furent parties, il le dit tout haut en la nommant. On lui demande: «Monsieur, à qui ressemble Mme de Montpezat?»—Au sapajou de maman, elle a une petite tête et un petit nez: il étoit vrai[512].

Le 18, dimanche, à Fontainebleau.—M. de Vic, gouverneur de Calais, le vient voir; il étoit botté et éperonné d'un côté, d'autant qu'il avoit une jambe de bois: Il vous faut mettre, lui dit-il, un petit éperon à cette petite jambe, tout au bout. Il va donner le bonjour à Leurs Majestés; ramené, il s'amuse à peindre, fait bien, judicieusement, se y arrête; il avoit fait venir un Allemand qui étoit au petit M. de Liancourt, pour lui montrer. A six heures et un quart il va en son cabinet; cependant qu'il est empêché, on heurte à la porte; il commande à Descluseaux de demander qui c'est: Vous l'entendrez bien à la voix, je veux que personne entre.—«Monsieur, ne voulez-vous pas que personne entre?»—Hé! oui, féfé Chevalier.—«Et M. de Vendôme?»—Non.—«Et pourquoi?»—Il n'est pas si cognu; il vouloit entendre si ordinaire auprès de lui. Descluseaux lui dit: «Mais, Monsieur, ils sont vos frères.»—Ho! c'est une autre race de chiens.—«Et M. de Verneuil?»—Ho! c'est encore une autre race de chiens.—«Monsieur, de quelle race?»—De madame la marquise de Verneuil; je suis d'une autre race, mon frère d'Orléans, mon frère d'Anjou et mes sœurs.—«Laquelle est la meilleure?»—C'est la mienne, puis celle de féfé Vendôme et féfé Chevalier, puis féfé Vaneuil et puis le petit Moret, qu'il ne voulut jamais appeler comte. C'est le dernier, il est après ma mede que je viens de faire. Dévêtu, mis au Mai
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342 lit, il raille avec des gentilshommes qui étoient à son coucher, leur donne des noms, demande à M. le baron de Portes: D'où êtes-vous? Il répond: «De Languedoc.»—De langue de chien.

Le 24 mai, samedi, à Fontainebleau.—L'ambassadeur d'Angleterre, M. Georges Cheruth, le vient voir pour lui dire adieu, ayant avec lui sa femme et un petit-fils nommé François, âgé de sept ans et demi, fort joli esprit, qui supplie Mgr le Dauphin qu'il pût être son soldat. Il le mène en la galerie où il le fait mettre debout sur le cul du petit carrosse, et lui fait le cocher assis et fait tirer le carrosse; il lui demande s'il étoit huguenot, sur ce que lui en venoit de dire M. de Verneuil. Il répond que M. le prince de Galles, son maître, étoit de la religion de ceux que l'on nommoit ainsi, et qu'il en étoit aussi.—En soupant il entretient M. de Vic, gouverneur de Calais, qui avoit une jambe de bois, lui demande: Pouquoi n'avez-vous fait faire un éperon à vote jambe?—«Monsieur, pource qu'il ne me serviroit de rien.»—Pouquoi?—«Monsieur, pource que ma jambe qui est de bois ne plie point.»—Il y faut mettre une cheville sous le genoil, et puis elle fera chac, faisant plier son doigt sur la table.

Le 25, dimanche.—Il va chez le Roi, qui le mène à la messe, puis, à onze heures et un quart, en la salle du bal; dîné avec lui; le Dauphin se jouant de la manche de sa robe avec Soldat, chien du Roi[513], le chien aboyant sur lui feint de le mordre; le Roi l'en tance pensant qu'il battoit le chien. Il pleure pour avoir déplu au Roi. Le Roi s'en fâche, et le mène par la main en sa chambre; il la quitte pour aller à Mme de Montglat; le Roi s'en fâche, le menace du fouet; tout soudain il se jette à genoux, demande pardon. Le Roi s'apaise.

Le 26, lundi.—Il dit à M. de Vic: Avez-vous fait faire une cheville à vote jambe pou la faire plier?—«Non, Mai
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343 Monsieur.»—Il y faut faire mettre une petite roue pour la faire plier, puis une cheville pour l'arrêter. Voulez-vous courir contre moi dans la galerie? Je vous donnerai cinquante pas. Il va dire adieu au Roi, qui alloit à la chasse, et puis en la chambre de la Reine.

Le 27 mai, mardi, à Fontainebleau.—En dînant il demanda à M. de Ventelet quand il mangeroit du poisson?—«Monsieur, ce sera après-demain.»—Et demain?—«Non, Monsieur, encore que ce soit les quatre-temps.»—Ho! ho! les quatre temps! est-ce pluie, est-ce l'éclair, est-ce tonnerre, est-ce la grêle? A six heures et demie soupé; il entend le tambour des gardes: Velà papa qui revient; il y va soudain, et le rencontre au bas de l'escalier de la cour des Fontaines, revenant de la chasse, et le mène en sa chambre.

Le 28, mercredi.—M. le maréchal de la Châtre le vient voir, lui donne sa chemise. A onze heures dîné; un fauconnier y vient portant un autour d'Inde, qui avoit une huppe noire sur la tête, envoyé d'Espagne par le sieur de Barrault, ambassadeur pour le Roi; il étoit gros et fort comme un aiglon. Le Dauphin dit: Il a la tête faite comme la jeune de Lisle, qui l'avoit grosse et carrée, et le nez long; il étoit ingénieux à ces rencontres. Il entretient en soupant maître Martin[514] de tous ses chiens, sait ou demande leurs noms, ce qu'ils savent faire, comme il dresse les jeunes; ce fut presque tout le long de son souper comme une grande personne bien entendue, parlant en termes propres et avec grâce. Mené à sept heures trois quarts chez le Roi, revenant de dîner à Villeroy.

Le 6 juin, vendredi, à Fontainebleau.—Il est vêtu d'un pourpoint et de chausses, quitte l'habillement d'enfance, prend le manteau et l'épée, c'étoit celle que feu M. de Lorraine lui avoit donnée. Son habillement étoit de satin incarnat avec du passement d'argent. Juin
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344 M. de Verneuil fut habillé de même. Il va ainsi habillé voir le Roi et la Reine.

Le 11 juin, mercredi.—Il va voir la Reine (le Roi étoit parti pour aller à Paris), prend congé d'elle (elle alloit rejoindre le Roi). Il écrit une lettre à M. de Sully pour avoir un cheval pour Descluseaux; on le faisoit écrire selon leur passion. A six heures le Roi est revenu, ramené par la chasse; soupé avec le Roi chez M. Zamet.

Le 16, lundi.—J'arrive de Vaugrigneuse[515]; il me mène pour me montrer son manteau et sa croix dessus. J'avois feint de ne le connoître avec son habillement.

Le 23, lundi, à Fontainebleau.—A quatre heures il entre en carrosse pour aller au-devant du Roi, qu'il rencontre au haut du pavé, à l'entrée de la forêt, et revient avec lui à cinq heures, lui donne sa chemise. Après souper il va en la basse-cour, y fait tirer des fusées, puis à huit heures et demie il a mis le feu au bûcher de la Saint-Jean; après il va au-devant de la Reine, la salue au pied de l'escalier du donjon, salue Mmes de Martigues, de Mercœur et Mlle de Mercœur; il va en la chambre de la Reine, où il se joue devant Leurs Majestés. Mis au lit il se fait entretenir, dit: Quand j'aurai quatorze ans, on parlera de me marier, pource qu'il avoit entendu dire que l'on parloit de marier M. de Vendôme avec Mlle de Mercœur[516], pource qu'il avoit quatorze ans. Là dessus nous lui parlons de l'Infante, lui en faisons des contes; il y prend plaisir, et entr'autres il dit: Faites-moi le conte des ambassadeurs. C'étoit un conte que l'on lui faisoit de l'Infante, qui jouant aux ambassadeurs qui venoient de toutes parts à elle faisoit la Reine; elle fit asseoir et couvrir celui du Dauphin.

Le 24, mardi.—Il va à la messe en la salle du Cheval, après va donner le bonjour à la Reine, qui lui donna un Juin
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345 laquais qu'elle avoit fait habiller; c'étoit un petit garçon gueux, que les laquais faisoient danser et en faisoient leur bouffon, plein de poux, natif d'Orléans; ce fut son premier laquais. Il essaye à ses chiens, Pataut et Lion, des harnois que M. Conchino lui avoit donnés pour leur faire tirer son petit carrosse. A six heures, en la salle du bal, soupé avec le Roi; il va chez la Reine avec le Roi.

Le 26 juin, jeudi.—Il demande ses armes, mousquet, bandoulière et tout l'équipage, fait armer toute sa compagnie, y joignant plusieurs pages de la petite écurie, marche ainsi sur la terrasse, le tambour battant, et va à la salle du bal; c'étoit le tambour de la compagnie qui étoit en garde. Ils se rangent en haie, puis marchent, vont à la charge; le Roi et la Reine y viennent pour les voir, M. de Sully et M. de Villeroy[517] avec eux. Après plusieurs revues et salves d'arquebusades[518], il s'adresse à M. de Sully, surintendant des finances, et lui demande de l'argent pour faire la paye de ses soldats; il lui donne un sol; le Dauphin le prend, et voyant qu'au lieu d'un doublon ce n'étoit qu'un sol, il le regarde en colère et jette le sol au loin, disant: Je veux paye royale. Il fait encore en présence de LL. MM. une revue et une salve, par commandement du Roi, puis se retire en bataille en sa chambre.

Le 27, vendredi.—La Reine lui demanda s'il seroit marri quand il ne seroit plus avec Mamanga, il répond: Non.

Le 2 juillet, mercredi, à Fontainebleau.—Bagot, artillier du Roi, étoit sur la petite terrasse jetant des fusées; il les regardoit à travers la vitre de sa chambre, monté sur un placet[519] sur lequel je le tenois, et se retournant Juil
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346 vers moi dit gaiement: Ha! Mousseu Héroua, que j'aime cette senteur: il aime l'odeur de la poudre.

Le 3, jeudi.—Mené à la salle du bal, aux comédiens entre lesquels étoit Colas, cet admirable sauteur, qui montoit sur une échelle droite, à niveau, sans l'appuyer, et tomboit tout du long à culbutes sans se blesser.

Le 5, samedi.—Il joue une comédie, au passage de l'entrée de la galerie, hardiment, avec M. le Chevalier et MM. de Mortemart. A trois heures goûté; il va jouer encore au même lieu une comédie; il fait le soldat françois.

Le 8, mardi, à Fontainebleau.—A onze heures dîné avec le Roi; il tonnoit et éclairoit; il en avoit peur, baissoit son chapeau du côté des fenêtres, faisoit des signes de croix, et, assurant tant qu'il pouvoit sa contenance, disoit que ce n'étoient que des flambeaux. A trois heures goûté, il va à la comédie.

Le 9, mercredi.—Il s'entretient de ses chiens, dit qu'il a six chiennes pleines et qu'il les a mariées. Je lui dis qu'il auroit bien des accouchées. Il appelle M. de Candale, et lui dit à l'oreille: J'ai un chien qui a fait un autre chien cocu; il a couché avec sa femme la chienne, mais ne le dites à personne; dites-le à mousseu Héroua, il n'y a point de danger.

Le 10, jeudi.—Il va en la galerie, où il se joue en diverses façons, fait brûler de la poudre, se jette dans la fumée pour la humer, dit que cette odeur lui plaît. A trois heures goûté, mené à la comédie.

Le 11, vendredi.—Il ne veut point aller à la comédie, ne s'y plaît point, ne aux bouffons.

Le 14, lundi.—Déjeuné à la fenêtre de la galerie, regardant courir la bague. M. de Vic, gouverneur de Calais, étoit à son souper; il raille avec lui, lui demande pourquoi il est botté, lui dit qu'il courroit avec lui s'il vouloit courir à cloche-pied[520].

Juil
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Le 15, mardi, à Fontainebleau.—Il va donner le bonjour à la Reine, où je la remerciai de ce que, le jour précédent, elle m'avoit fait l'honneur de faire résoudre au Roi que je demeurerois premier médecin de Monseigneur le Dauphin. Il va en sa chambre; l'on parloit de le retirer des mains des femmes et de lui ôter tous ses serviteurs; M. de Verneuil lui dit: «Mon maître, l'on dit que on veut faire prendre de la casse à tous vos serviteurs»; il répond: Paix! paix! sans le regarder ne faire semblant de l'entendre, avec un visage fâché.

Le 16, mercredi.—Soupé en la galerie; il va chez le Roi, où le contrat de mariage entre M. de Vendôme et Mlle de Mercœur fut signé et eux fiancés.

Le 17, jeudi.—Mené chez la Reine, là où le Roi lui baille son chapeau de castor, lui commandant de l'apporter à Armaignac, premier valet de chambre du Roi, et lui rapporter un chapeau de taffetas; le Dauphin y va courant avec ardeur, et ne veut point retourner[521] sans le chapeau de taffetas, qu'il apporta au Roi. Mené en la grande salle, à la comédie.

Le 18, samedi.—M. de Souvré lui dit que le fils du duc de Wittemberg le doit venir voir; il demande: Est-il plus que moi!—«Oui, Monsieur, car il est plus âgé que vous, c'est un prince d'Allemagne.» Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, il est prince comme vous». Le Dauphin mangeant une cerise, et ayant songé dit: Je suis plus que lui en France, et il est plus que moi en Allemagne. A trois heures trois quarts le prince de Wittemberg le vient saluer, revenant de Poitiers et en dessein d'aller après en Angleterre, pour s'en retourner après séjourner à Alençon, dont le duché étoit engagé à son frère.

Le 19, samedi.—Les violons viennent en sa chambre; Madame, Mlle de Vendôme et MM. de Mortemart dansent, il ne veut point danser, n'aime point la danse. Don Pedro Juil
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348 de Toledo[522] arrive sur les sept heures par la chaussée, traverse la cour du Donjon, et, par le jardin de la Reine, va loger à la Conciergerie.

Le 20 juillet, dimanche, à Fontainebleau.—Don Pedro de Toledo le vient saluer, lui baise la main, et lui dit qu'il est bien aise de voir qu'il est si beau et gentil prince, et prie Dieu qu'il le fasse prospérer. M. de Souvré, gouverneur du Dauphin, fit la réponse pour lui.

Le 21, lundi.—Soupé avec impatience pour aller aux toiles; à six heures et demie mené aux toiles: il étoit âpre à la chasse, où il vit tuer un sanglier.

Le 22, mardi.—Le sieur Jacob, ambassadeur du duc de Savoie, le vient saluer de la part de son maître, lui baise les mains et lui offrant, pour témoignage de l'affection que son maître avoit à le servir, sa personne et celle de ses enfants. Mené chez le Roi aux fiançailles de M. de Vendôme et de Mlle de Mercœur[523].

Le 25, vendredi.—A neuf heures et un quart, sur le parepied [sic] de la terrasse de la basse cour du Cheval blanc, déjeûné. Il va en sa chambre, fait dresser les toiles, dit à M. de Nangis, qui étoit capitaine des toiles: Vous serez aussi capitaine des toiles de ma chambre. Il y met des chiens de poterie, des blaireaux, des loups.

Le 30, mercredi.—Il se joue des marmousets de Mlle de Vendôme, et entre autres d'un marmouset fait en singe; le Roi le vient voir, lui dit que ce singe ressemble à M. de Guise; peu après M. de Guise arrive, et lui demande: «Monsieur, qu'est cela?»—C'est votre ressemblance.—«Comment le savez-vous?»—Papa le dit. A six heures le Roi et la Reine sont partis pour aller souper à Loursine et coucher à Paris.

Le 31, jeudi.—Il va en la chambre du grand pavillon, Juil
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349 où souloit loger M. le Grand; l'on y porte son lit, à cause de l'extrême chaleur. Il s'amuse à considérer les peintures en la galerie des chasses, les différences et les personnes qui y étoient peintes au naturel, des chefs principalement[524].

Le 2 août, samedi, à Fontainebleau.—Baigné pour la première fois, mis dans le bain et Madame avec lui; il se frottoit avec des feuilles de vigne.

Le 3, dimanche.—Il vient au jardin avec son petit carrosse, le mène en la chambre des statues, où j'étois logé. Mené au jardin des canaux: Allons, dit-il, au jardin des gazelles, cueillir des groseilles. Est-ce pas bien rimé?—Étant sur la terrasse, il voit beaucoup de femmes qui suivoient Madame, qui se retiroit en sa chambre; n'ayant auprès de lui que M. de la Court, M. de Ventelet et moi, il dit: Hé! velà tout plein de monde qui suit ma sœur, et n'y a personne avec moi.

Le 4, lundi.—Il vient en ma chambre, où il s'amuse, ne se peut mettre à l'écriture; enfin il se y met. Beaugrand, son écrivain, dit: «Silence.»—Hé! oui, silence; allez-vous en à Paris querir six lances.

Le 6, mercredi.—Pendant son dîner, M. d'Orléans s'engoua du bout d'un os; Mme de Montglat lui met le doigt en la bouche, et le fait un peu vomir. Il le voit: Allez laver vos mains. Elle y va, et revient.—Ne me touchez pas; elle touche à la manche de sa chemise: Fi! changez-moi de chemise, vilaine laide, n'approchez pas de moi, reculez ma chaise.—«Mais, lui dit Mme de Montglat, ne savez-vous pas bien que je suis sa gouvernante et qu'il faut que j'en aie le soin comme de vous?»—Je voudrois que vous fussiez morte; il ne s'en pouvoit apaiser.

Août
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350

Le 8, vendredi, à Fontainebleau.—Il ne se veut point laisser peigner, s'en coigne de colère le front à coups de poing, en est fouetté.

Le 10, dimanche.—Il lit son catéchisme, où le docteur demande et le disciple répond; Mme de Montglat l'interrogeoit par cœur: elle fut trop longue à demander, le Dauphin lui dit: Parlez, docteur, parlez, docteur de la Palestine. C'étoit un bouffon italien qui étoit en crédit à la Cour. A trois heures goûté; c'étoit l'heure de l'éclipse du soleil; il avoit fait porter, sur la terrasse, où il goûta, une pleine chaudière d'eau pour la voir.

Le 11, lundi.—Il avoit envie d'avoir un petit chariot à se jouer, qui étoit à Madame Christienne, Mme de Montglat lui dit qu'il le prenne: Mais, Mamanga, ma sœur y est pas; je veux qu'elle me le donne.—Mis au lit, il s'amuse à voir danser Madame, qui s'étoit vêtue de l'un de ses habits; il étoit incarnat, chamarré de passements d'argent, chausses et pourpoint. Elle danse les branles, la gaillarde, la sarabande; elle ressembloit fort à Mgr le Dauphin.

Le 12, mardi.—Il s'amuse à ranger en bataille sa compagnie de poterie. L'un des princes de Mantoue devoit ce jour-ci le venir voir; je lui demandai: «Monsieur, que lui montrerez-vous? sera-ce votre compagnie?»—Ho! non, dit-il, jugeant que c'étoit un jeu d'enfant. Il se va promener le long de la terrasse, par où l'on alloit à la salle du bal, trouve la salle des gardes fermée; c'étoient les soldats de la compagnie qui l'avoient fermée et jouoient. Il heurte, ils ouvrent; les trouvant jouant, il se tourne à M. de la Court, exempt des gardes servant près de lui: La Court, ils jouent ici! puis, s'adressant à eux, il leur dit doucement: Allez, allez jouer en votre corps de garde. Ils se voulurent excuser par trois ou quatre fois, et autant de fois il leur commanda doucement et souriant: Allez jouer au corps de garde. Il ne les vouloit pas mécontenter, et si leur vouloit faire connoître que ce n'étoit pas là où ils devoient être. A Août
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351 sept heures le sieur don Vincentio di Gonzaga, troisième fils du duc de Mantoue, son cousin germain, arrive venant pour le voir; il l'embrasse, le mène par la galerie au jardin des pins, à celui des canaux, lui montre la source, puis en celui des fruitiers, lui fait voir les autruches, et puis par l'allée de l'étang, le mène souper avec lui. Don Vincentio, à neuf heures et demie, prend congé de lui pour aller trouver le duc son père à Spa. Le Dauphin mis au lit demande, parlant de la duchesse de Mantoue, sœur de la Reine: A-t-elle été en un même ventre avec maman? Je lui dis que oui, mais en divers temps.—Maman est-elle pas l'aînée?—«Non, Monsieur.»—Elle n'est pas l'aînée! dit-il, comme le trouvant étrange, comme appelle-t-elle maman? l'appelle-t-elle pas ma sœur?—«Non, Monsieur, lui dis-je, elle l'appelle Madame.»—Pourquoi?—«Monsieur, pource qu'elle est Reine.»

Le 13, mercredi.—Il écrit au Roi sur la réception qu'il a faite au sieur Don Vincenzio, son cousin.

Le 15, vendredi, à Fontainebleau.—Il envoie querir ses bottes et ses éperons dorés, se fait botter, monte à cheval sur des placets[525], sur tout ce qu'il peut. A cinq heures mené par l'allée de l'étang et au bout monté à cheval sur la petite guilledine que M. de Vitry lui avoit donnée. Je n'ai jamais vu homme mieux planté à cheval, le corps droit, les jambes comme s'il eût été entièrement instruit. C'étoit la première fois. Ramené en sa chambre à huit heures trois quarts, il s'amuse et en conte: C'est, dit-il, un étrange homme que la Court, il m'accorde tout ce que je veux. Quand je demande est-il neuf heures, oui il est neuf heures. Quand je me mouille les pieds, oui Monsieur, velà qui est bon, cela vous rafraîchira: c'est un étrange homme. Il donne pour mot du guet: Colo, c'étoit le nom de l'un des comédiens[526].

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Le 16, samedi, à Fontainebleau.—Il dit qu'il veut écrire, envoye querir Beaugrand; comme il est dans le cabinet et MM. de Mortemart avec lui, pendant qu'ils écrivent il ne fait rien, ne se peut mettre à l'écriture; y ayant demeuré un quart d'heure, il sort, et dit à M. de la Court, exempt des gardes: La Court, je ne sarai rien faire qui vaille, allons voir Fréminet, le peintre; c'étoit une excuse. Il vient en ma chambre, y joue à la paume, va à la galerie qui mène à la volière, puis s'en retourne à la chapelle y trouver Fréminet[527]; ce n'étoit que pour fuir l'école. Il monte à cheval en l'allée de l'étang, hardi et bien planté comme le jour précédent. Mis à terre il va en l'allée des ormes, où il s'amuse à dresser un fort de quatre bastions, élevé du sable de l'allée.

Le 17, dimanche.—Mené par l'allée de l'étang en celle des ormes, il fait un nouveau dessein de fortification. Mis au lit, il donne pour mot du guet: Doctor, personnage de la comédie.

Le 18, lundi.—Il voit entrer Beaugrand, son écrivain, et lui dit: Allez, allez vous-en, j'écris point ce matin.—«Monsieur, lui dis-je, voici un petit livre qui est à un gentilhomme allemand, qui vous prie de vouloir écrire quelque chose dedans. Cela se verra par toute l'Allemagne».—Je le veux bien; y a-t-il un empereur en Allemagne?—«Oui, Monsieur.» Le désir de gloire le fit écrire gaiement ces mots que je lui donnai, tirés du poëte Manile: Lancibus ut gentes tollatque prematque. Signé, Louis.—L'allemand s'appeloit Guillaume Friderich. Le prince de Galles y avoit écrit: Fax mentis honeste gloria. Signé, Henricus P. Le comte Maurice de Nassau y avoit écrit: Je maintiendrai. Le comte d'Essex, qui eut la tête Août
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353 tranchée en Angleterre: Virtutis comes invidiæ. Signé, Robertus comes Essexiæ; et, à la page d'après, son ennemi Cecil: Vana sine viribus ira. Signé, Guilielmus Cecilius.—Mis au lit il donne le mot Piombino, qui étoit un comédien.

Le 19, mardi, à Fontainebleau.—Il monte tout au haut de son pavillon, à la chambre de sa nourrice et à celle des peintures de M. de Franco, peintre du Roi[528]; y a goûté. Il voit la nourrice de M. d'Orléans, qui étoit une grosse et lourde paysanne, s'en moque et va dire à Mme de Montglat: Mamanga, c'est une méchante femme que la nourrice de mon frère d'Orléans; elle a un grand pied en France qui a deux toises de large et une de long. Il donne pour mot Stefanello, après s'être fait nommer tous ceux qu'il avoit donnés les jours précédents.

Le 20, mercredi.—Pour ne point écrire, il demande à jouer à la paume en ma chambre, y vient et joue en la petite galerie qui mène à la volière, revient à ma chambre pour y écrire, y trouve M. Fréminet, peintre du Roi, celui qui a fait les dessins et les peintures de la chapelle. Il est bien aise de trouver cette occasion, et demande à voir ce qu'il en avoit fait, y va, monte par un escalier de bois tenant à la garde-robe de M. d'Anjou, au bout de la galerie lambrissée, sur un échafaud près de la voûte de la chapelle, sans peur ne étonnement, se plaît à voir les peintures, y est assez longtemps; s'en retournant, il dit: Aussi vrai velà qui est bien fait; descendu, il s'en va voir les peintures qui étoient là où se mettent les musiciens, y monte par une petite échelle, y voit une Annonciation, et dit encore: Aussi vrai velà qui est bien fait. Il se fait descendre par un trou entre deux planches.

Le 22, vendredi.—Il est fouetté pour les fautes du jour Août
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354 précédent[529], étudie, dit son catéchisme, fait son exemple. Mené au jeu de paume, il me fait l'honneur, comme le jour précédent, de me donner l'une de ses raquettes pour jouer avec lui, joue avec jugement, avance, recule, coupe de l'arrière-main. A trois heures il vient en ma chambre, lit dans mon livre des Exercitations de Scaliger.

Le 23 août, samedi, à Fontainebleau.—Voyant passer un grand garçon bossu et mal habillé, il demande à M. de Ventelet: Est-ce pas lui qui garde les moutons de mon pourvoyeur? Il se trouva ainsi; il reconnoissoit tout par noms ou par fonctions; il s'informoit aussi de tout et retenoit jusques aux moindres choses.

Le 24, dimanche.—Mené au jardin du Tibre, où il s'amuse à voir danser une mariée de village.

Le 25, lundi.—Il avoit le cœur pour faire dresser la collation pour la fête de Saint-Louis et sur ce sujet ne veut point étudier; il s'en va en la galerie où la collation fut dressée, envoie prier Mesdames, Mlle de Vendôme et M. de Verneuil; à trois heures et trois quarts goûté, tarte, etc.[530]. Il va au jardin du Tibre; M. de Vendôme y arrive pour prendre congé de lui avant d'aller en Bretagne[531]. Le Dauphin veut aller au grand canal, il est arrêté pour avoir rencontré en la rue un chien enragé, que l'on avoit tué.

Le 28, jeudi.—Il écrit une lettre à Mlle de Mercœur. Mené par l'allée de l'étang à l'entour de celle des ormes, où il fait un nouveau dessin de bâtiment, envoie querir ses outils; il est le premier à la besogne.

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Le 29 août, vendredi, à Fontainebleau.—Il achève d'écrire sa lettre à Mlle de Mercœur.

Le 31, dimanche.—Il va jouer à la paume au jeu découvert, se moque de M. de Verneuil et de Bompar, son page. En quittant le jeu il n'oublie point, comme il ne faisoit jamais, à dire à M. de Ventelet: Tetay, payez les balles. Il avoit toujours un soin merveilleux à faire payer ce qu'il devoit.

Le 1er septembre, lundi, à Fontainebleau.—La petite Louise, sa sœur de lait, lui faisoit de petites images de la cire des flambeaux; sa nourrice lui dit: «Monsieur, voyez comme la petite Louise fait bien de petites filles de cire»; il répond: Quand elle sera grande elle en fera bien de chair.

Le 2, mardi.—Il va à la poterie pour y acheter deux chevaux. Il arrive un valet de pied de la Reine portant commandement à Mme Montglat d'avertir Leurs Majestés du charroi et autres choses qui seroient nécessaires pour emmener Messeigneurs à Saint-Germain. Il ne se vit jamais une pareille allégresse à la sienne; il alla par toutes les chambres pour le dire avec transport de joie.

Le 5, vendredi.—Il va écrire une lettre à Mme la Grande-Duchesse, par M. Nicolini, gentilhomme servant de la Reine:

Madame ma bonne tante, je vous supplie de me bien aimer, car je vous aime et honore de tout mon cœur, étant comme je suis votre très-affectionné neveu à vous faire service.

Louis.

On lui dit que deux charrois étoient arrivés, le voilà à tressaillir de joie, et le dit à tout chacun.—Il saigne du nez, peu; l'on sut le lendemain au soir que le Roi se trouva mal d'un grand flux de ventre; nous avons remarqué plusieurs fois qu'il n'est jamais arrivé au Roi absent quelque accident signalé, qu'il ne lui soit advenu Sept
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356 (au Dauphin) quelque accident sans cause manifeste[532].

Le 7, dimanche, à Fontainebleau.—Mené pour voir le réservoir des eaux qui viennent de la Couldre[533], il s'amuse ensuite sur la terrasse de la cour des Fontaines, se fait mettre dans les niches, fait dire que ce sont statues que le Roi a envoyées, y fait mettre aussi MM. de Mortemart et M. de Verneuil, fait comme celui qui se tire l'épine du pied[534].

Le 8, lundi, voyage.—Il s'amuse lui-même à démonter son lit, impatient pour partir, va voir charger les mulets. Parti de Fontainebleau à douze heures un quart pour retourner à Saint-Germain en Laye, goûté au-dessous de la chapelle Saint-Louis, dans la forêt, Mesdames avec lui. Il arrive à Melun sur les trois heures, est logé en l'hôtel de Sens, maison de M. Renaud, procureur du Roi, près de la porte du Jars. Il demande d'aller se promener au jardin, puis sort hors de la ville, passe le pont et va en la prairie le long du ruisseau. MM. de la Ville lui viennent faire la révérence et lui font présent de tartes.

Le 9, mardi, voyage.—Mené à la messe à Saint-Aspés, il part de Melun à onze heures et un quart et arrive à Loursine à une heure et demie; goûté à deux heures. Il arrive pour coucher à Crosne sur les cinq heures, se promène aux jardins, passe dans le bateau et va en la prairie, fait donner un quart d'écu à un faucheur.

Le 10, mercredi, voyage.—A midi il part de Crosne; à deux heures il arrive à Charenton, chez M. Cenami; à quatre heures il entre par la porte Saint-Antoine à Paris; sortant par la porte Saint-Honoré, il arrive à Chaillot, maison de Mme la comtesse de Guichen[535], où la reine Marguerite le vient voir.

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Le 11, jeudi, à Chaillot.—Il se va promener au parc, puis par le dehors descend en bas et entre, par la grande porte, aux Bonshommes, voit le cloître et la librairie, puis à dix heures entend la messe. Au sortir, les Pères lui offrent deux plats de prunes et un de leurs pains. Ramené par le long de la rivière et par le jardin en sa chambre. Il vient grand nombre de dames et de damoiselles de la Cour et de Paris, M. le président de Thou, M. le président Nicolaï pour le voir. Les violons du Roi arrivent, jouent; il ne veut point danser. On lui dit que Montauban[536], autrefois tailleur et maintenant payeur des rentes de la Ville, lui donneroit une belle collation de confitures en sa maison de Ruel: Une collation, dit-il, ai-je pas la mienne! Amusé d'un petit sifflet d'ivoire que ma femme lui avoit apporté de Dieppe avec des coquilles.

Le 12, vendredi.—Parti de Chaillot à onze heures et demie, il passe par Saint-Cloud et, à une heure trois quarts, arrive à Ruel, où M. Montauban avoit fait apprêter une magnifique collation de fruits et de confitures; il y goûte, puis se va promener au jardin et partout. Parti à deux heures trois quarts, il est arrivé à quatre heures à Saint-Germain-en-Laye, logé en la chambre du Roi; il demande à s'aller promener au bâtiment neuf[537].

Le 13, samedi, à Saint-Germain.—M. de Souvré, qui l'avoit conduit, prend congé de lui. A huit heures déjeuné sur la terrasse de sa chambre d'hiver. Il se fâche contre le marquis de Mortemart de ce qu'il avoit baillé quelque chose à Bompar contre sa défense, va au précepteur Sept
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358 du marquis, et lui dit: La Martinière, c'est le marquis qui veut faire le compagnon. Mené par le pont de la chapelle au bâtiment neuf et aux grottes, il va en celle d'Andromède, non encore achevée, considère froidement tout, en demande la raison, se plaît à voir plusieurs sortes de moulins; celui qui scie le marbre lui plaît le plus. Mis au lit, il demande du papier et de l'encre, disant: Je veux faire quelque chose que j'ai en mon esprit.—«Monsieur, lui dis-je, où est votre esprit?»—Dans la tête.

Le 14, dimanche, à Saint-Germain.—Il me montre sa peinture du soir précédent, me dit ce qu'il lui reste à faire pour parachever son dessin. Mené sur la terrasse de Mercure, il s'amuse à maçonner une maison, porte lui-même les pierres, avec le marquis de Mortemart, sur une civière qu'il inventa tout à l'heure; c'étoit deux bâtons et de la grosse ficelle qui les joignoit lâchement au milieu.

Le 15, lundi.—Éveillé à sept heures et demie; à huit heures il a pris de la dragée de rhubarbe; il avoit voulu que Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, la lui vît prendre. Il l'envoie querir plusieurs fois avec impatience, et ne vouloit point la manger tant qu'elle y fût; enfin on lui dit qu'elle étoit allée p....., et qu'avant qu'elle fût venue il auroit bien mangé sa dragée. Il le fait, elle vient, et il lui dit à l'arrivée: Zezai, allez vous-en astheure ch... puisque vous avez été si longtemps à p.....—Amusé jusques à neuf heures après des couleurs et peintures, il demande à boire, reprend ses crayons, et entend la messe en sa chambre à dix heures trois quarts. Levé, vêtu, à onze heures et un quart dîné, il se fait porter ce qu'il avoit crayonné; Mlle de Vendôme lui demande: «Monsieur, tireriez-vous bien une personne»? (pour dire peindriez).—Oui-dà.—«Monsieur, me tireriez-vous bien»?—Oui-dà, avec une corde, dit-il froidement, et il reprend sa besogne. Goûté d'une grappe de maroquin; c'est du raisin noir, apporté de Montpellier par le sieur Anchès, contrôleur chez la Reine, qui le lui avoit donné Sept
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359 à Chaillot. Il s'amuse à des petits jouets de poterie, va en la salle des gardes, où il voit des épousées qui y vinrent l'une après l'autre danser devant lui.

Le 18, jeudi, à Saint-Germain.—Mené au cabinet[538], aux fiançailles de Betouzay, l'une de ses femmes de chambre, il signe au contrat.

Le 20, samedi.—A trois heures, goûté, joué, écrit; Mme de Montglat lui demande: «Monsieur, voulez-vous mander quelque chose au Pape?»—Et quoi?—«Que vous lui baisez les pieds.»—Fi! fi! non ferai.—«Eh bien! la pantoufle.»—Non, non, il ne faut pas.

Le 23, mardi.—Mis au lit, il m'entretient de la fontaine que le sieur Francino lui avoit faite, où étoit toute la représentation du bâtiment neuf, m'en disoit tous les secrets et les mouvements, ne les ayant ouï dire qu'une fois, puis s'endort; il s'éveille en sursaut par frayeur, son tailleur, qui avoit servi feu M. de Montpensier, lui ayant fait des contes de son maître, comme il mourut, comme il fut habillé après sa mort[539]; il ne put être assuré tant qu'il fût couché avec sa nourrice.

Le 24, mercredi.—A cinq heures et demie le Roi arrive, il lui va au-devant, au pied de l'escalier; va chez le Roi à son souper.

Le 25, jeudi.—Le Roi est parti à cinq heures après minuit. Le Dauphin rencontre un porte-panier qu'il fait venir en sa chambre, achète un horloge de sable, une paire de couteaux et la gaine, et deux étuis à barbier, en disant: Ce sera pour mettre mes couleurs.

Le 27, samedi.—Mené en l'église entendre le Te Deum, pour le jour de sa nativité[540]. En soupant l'on parloit des abbesses, sur le sujet de l'une des filles de Mme de Sept
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360 Frontenac, abbesse d'Argensol; le Dauphin demande: Est-elle jeune? je lui dis que oui.—Et madame de Poissy est-elle jeune?—«Non, Monsieur. Monsieur, quel vaut le mieux que les abbesses soient jeunes ou vieilles?»—Il vaut mieux qu'elles soient jeunes, elles dureront plus longtemps, répond-il promptement.

Le 28 septembre, dimanche, à Saint-Germain.—Il va en la chambre du Roi, où il danse et fait danser, à cause de la mariée Betouzay. Ses femmes dansoient la danse des femmes, sa nourrice dit qu'il ne faut pas que les garçons y dansent: Non, çà tous les garçons; il les ramasse tous, danse et fait beau bruit. Comme Mme de Montglat dînoit et Mme de Frontenac avec elle, il y vient; Mme de Frontenac lui dit: «Monsieur, faites la guerre à la mariée, elle a couché avec les hommes;» il lui répond promptement: Vous y couchez bien. A son goûter il écoute la musique de deux voix et un luth, y est si attentif qu'il en demeure immobile. On lui demande lequel des deux chantoit le mieux?—C'est celui qui n'a point de luth. Il disoit vrai; il chantoit la basse.

Le 29, lundi.—Il s'amuse à peindre. Pendant son dîner il entend la musique du soir précédent avec ravissement, fait chanter plusieurs fois une chanson espagnole qui lui plaisoit fort, où il y avoit ces vers: Esta escondido onde voste meste esta. A douze heures et un quart, M. de Nevers[541] arrive qui venoit prendre congé de lui, s'en allant à Rome; il lui demande s'il lui plaisoit qu'il dît au Pape de sa part qu'il lui baisoit les pieds; il répond: Ho! non, ils sont pas bien lavés.—«Et la pantoufle?»—Ho! non.—«Monsieur, le Roi m'a commandé de lui dire de sa part qu'il lui baisoit les pieds, vous plaît-il pas que je lui en die autant de la vôtre?»—Bien donc! je le Sept
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361 veux bien.
Le duc de Nevers part à une heure et demie, et emporte de son écriture et la peinture qu'il avoit faite le matin, pour la montrer au Pape.

Le 30 septembre, mardi.—L'on racontoit à M. de Frontenac ce qu'il avoit dit à M. de Nevers quand il le pressa de dire de sa part au Pape qu'il lui baisoit les pieds: C'étoit, dit le Dauphin, afin qu'il s'en allât. M. de Nevers y avoit été à son gré trop longtemps et empêchoit sa liberté. M. de Souvré arrive pour recevoir l'ambassadeur de Venise, qui devoit venir voir Mgr le Dauphin; l'on disoit que l'ambassadeur demeuroit longtemps à venir: Je voudrois qu'il fût déjà venu et qu'il s'en fût allé, c'est qu'il désiroit sa liberté. Mené à la salle du bal, où il voit danser une mariée du bourg, il y danse lui-même ainsi que Mesdames. A six heures et demie soupé; il va en la chambre du Roi, où il avoit fait venir les violons de la mariée, voit danser, danse lui-même plusieurs danses, entre autres: Ils sont à Saint-Jean des choux.

Le 1er octobre, mercredi, à Saint-Germain.—La Reine arrive à cinq heures trois quarts et le Roi à sept heures. M. le duc de Mantoue[542], qui accompagnoit le Roi, broncha un peu voulant saluer Mgr le Dauphin, et faillit tomber sur lui. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine; après souper il va chez la Reine; M. le duc de Mantoue étoit en la ruelle, assis près de la Reine et couvert: Ho! ho! dit le Dauphin, ce monsieur est couvert auprès de maman, et je suis ici toujours découvert!

Le 2, jeudi.—Mené au bâtiment neuf, il descend sur les terrasses et va aux grottes avec le Roi, qui y menoit M. de Mantoue. Remonté à dix heures et demie à la messe, en la chapelle de la terrasse; le Dauphin se promenoit sur la terrasse; le magot du Roi couroit après lui; qui, se retirant, va rencontrer le pommeau de l'épée de M. de Mantoue, où il se blesse et meurtrit le dessus Oct
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362 de l'œil gauche. Il va chez la Reine puis, à douze heures et demie, dîné avec LL. MM.; ramené en sa chambre, il se met aux fenêtres du préau; il y avoit des châssis de verre; comme l'un vint à tomber, il retira promptement la main et eut le doigt indice de la main droite écorché; s'il n'eût retiré sa main il y a de l'apparence que, de la pesanteur, il en eût eu la main écrasée. A deux heures trois quarts goûté; il reçoit l'ambassadeur pour les Vénitiens s'en allant en Angleterre. A trois heures et demie il entre en carrosse, et s'en va à la forêt après la Reine, qui étoit allée pour voir passer la chasse, le Roi y ayant mené M. le duc de Mantoue; il voit la chasse par cinq fois, et arrive à la mort du cerf. Ramené, à six heures trois quarts soupé; il s'amuse à peindre en crayon.

Le 3, vendredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses peintures, ne veut point déjeuner, tant il y est attentif. Le Roi vient au château[543] pour le faire voir à M. le duc de Mantoue, qu'il promène par les chambres de Messieurs et de Mesdames jusques au-dessus de la voûte. Sorti avec le Roi par le petit pont, goûté en cheminant, ramené au vieux château, il commande à son page Bompar d'aller dire à M. de Ventelet qu'il fît porter son souper au bâtiment neuf, et qu'il souperoit avec papa. L'huissier de la salle vient où il étoit pour le savoir, auquel il en dit autant; l'huissier répond: «Monsieur, c'est M. de Ventelet qui m'a envoyé ici pour le savoir, pource qu'il ne le croit pas.» Le Dauphin, reprenant hautement ce mot: Il ne le croit pas? Allez lui dire qu'il vienne parler à moi, allez, dit-il, avec une action fort impérieuse. Papa s'en ira demain, et je le verrai plus. A huit heures soupé avec le Roi et la Reine.

Le 4, samedi.—Mené au lever du Roi, il lui donne sa chemise, et à neuf heures et trois quarts le Roi part pour Oct
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363 aller dîner à Ruel, y mène M. le duc de Mantoue, qui dit adieu à Mgr le Dauphin, lequel l'embrasse, puis est revenu au vieux château. Mené chez la Reine à l'issue de son dîner; la Reine s'en retourne et part à deux heures.

Le 6, lundi.—Il va en la chambre de M. d'Orléans puis en celle de Mlle de Vendôme, la trouve au lit, lui donne le fouet de la main avec un peu de honte.—Mis au lit, il se met en colère de ce que l'on avoit apporté en sa chambre une chaudronnée d'eau avec des herbes, pour laver les jambes de Mme de Montglat; il la fait emporter.

Le 7, mardi.—A une heure et demie il entre en carrosse et va à Poissy, où il arrive à deux heures et demie, est reçu par Mme de Gondi, abbesse. Mené en la galerie, de là au jardin, puis par le même chemin, ramené en la salle, où il a goûté à trois heures, puis va en l'église, au salut des religieuses, par le petit passage qui est près de l'entrée du logis de l'abbesse, il écouta et regarda tout fort patiemment. Parti à quatre heures, et arrivé au château à quatre heures trois quarts. Henri du Plessis[544], âgé de six ans, fils de M. de Liancourt, premier écuyer du Roi, arrive ce soir pour être nourri auprès de Mgr le Dauphin. Mis au lit il donne le mot genitrix, et se rit de ce que Dupré, exempt des gardes, ne l'entendoit pas.

Le 8, mercredi.—Il s'amuse avec ses chevaux et ses charrettes de cartes; M. de la Croix, gouverneur de MM. de Mortemart, se met à l'entretenir et lui dit: «Monsieur, il ne vous faut plus amuser à ces petits jouets, ne à plus faire le charretier; vous êtes grand, vous n'êtes plus enfant.»—Mais je ne sais à quoi.—«Monsieur, il vous en faut apprendre d'autres dignes de vous.»—Mais Oct
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364 je n'ai personne pour m'apprendre.
Mis au lit il est entretenu par Montalier, son tailleur, et Champagne.

Le 9, jeudi, à Saint-Germain.—Déjeuné aux fenêtres du côté du préau; en mangeant il considère le pays des environs, remarque le chemin à aller à Noisy, et dit: Ho! que velà bien une plus belle vue qu'à Fontainebleau; on ne y voit rien que des rochers. Son tailleur, nommé Archambault, étoit fort camus; il dit: Quand Archambault rit, il rit comme Robert; c'étoit le magot du Roi.—Mis au lit, il s'amuse à un livre de chasses, en taille-douce.

Le 10, vendredi.—Il écrit au Roi par M. de Frontenac:

Papa, je n'ai point voulu laisser partir M. de Frontenac sans vous donner le bonjour et vous prier me faire l'honneur de m'envoyer querir pour la foire Saint-Germain, et cependant j'emploierai si bien le temps que vous en recevrez du contentement et maman aussi. Je suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.

Louis.

Et pour suscription: A Papa.

Il vient un mercier qui portoit des besognes d'ambre jaune; il y avoit un cordon incarnat avec des grains d'ambre entre deux. Il l'essaye à son chapeau, et dit gaiement: Il est bon à mon chapeau, combien en voulez-vous?—«Monsieur, dix écus; je l'ai fait exprès pour vous.» Mme de Montglat survient: Mamanga, velà un cordon qu'il a fait exprès pour moi; il n'en demande que dix écus.—«Monsieur, c'est beaucoup.»—Hé! Mamanga, je demanderai à mousseu de Sully cent écus, et je vous les baillerai.—«Bien, Monsieur, prenez-le.»—Ho! non, Mamanga, je veux qu'on le paye devant, je le prendrai pas qui ne soit payé. Le marquis de Mortemart lui demande: «Monseigneur, qui aimez-vous mieux, de M. de Liancourt ou moi?» il répond promptement: Je vous aime bien tous deux; mettez-vous là, et vous là Liancourt.

Le 11, samedi.—Il fait son exemple, écrit sur du papier rouge avec de l'encre argentée. M. le comte de la Oct
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365 Voute arrive cette après-dînée pour demeurer auprès de lui.

Le 12, dimanche.—Jouant avec les petits marquis et comte de Mortemart, les comtes de Torigny et de la Voute, et le petit Liancourt, il dit à Mme de Montglat: Mamanga, je vous prie que j'aille en votre chambre, et j'équirai. Ils ne font que m'importuner: l'un me tire, l'autre me pousse, l'autre me parle à l'oreille; je ne sais où me mettre.

Le 13, lundi.—Il va jouer en la salle du bal; Mme de Fontaine-Martel y amène son fils, âgé d'environ dix ans. Mené au jardin, il s'amuse à paver lui-même un chemin, porte le pavé, le met en œuvre; Mlle de Vaux, veuve de M. de Montholon et belle damoiselle, lui demanda: «Monsieur, vous plaît-il que j'en porte?»—Ho! non, vous n'y êtes pas propre; comment le porteriez-vous?—«Monsieur, là dessus,» dit-elle en montrant son vertugadin.—Non, vous vous gâteriez toute.

Le 14, mardi, à Saint-Germain.—A huit heures et demie dragée de rhubarbe, deux onces; levé, vêtu, il entend la messe, puis s'amuse à tirer de l'arc que M. de Brèves lui avoit apporté de Turquie. Mme de Montglat envoyoit savoir des nouvelles de M. de Frontenac, qui avoit pris médecine, le Dauphin dit: Et moi aussi dites-lui que j'ai prins médecine; le page étant revenu, le Dauphin lui dit de son mouvement: Allez-vous-en savoir comme il s'en porte par le cu.

Le 15, mercredi.—Il s'amuse à faire faire des chevaux de carte par son tailleur; lui, avec la plume et l'encre, leur fait les yeux, le crin, la queue. Mené au jardin, il y fait porter son arc turquois, va le long des palissades tirer aux petits oiseaux.

Le 17, vendredi.—Mis en carrosse pour aller à la garenne, goûté dans le bac en passant, il va à main gauche de la garenne, où il voit prendre quatre lapins en deux divers endroits. Mme la comtesse de Chaligny, qui le venoit voir, le salue en la garenne. Ramené au Pecq, il Oct
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366 voit pêcher; il ne se prend que deux bien petits poissons, dont il fait donner un quart d'écu au pêcheur. Étant dans le bac, en revenant, le Dauphin entend dire que l'on avoit défendu l'entrée à un nommé Godin, de Blois, égaré de son entendement, étant devenu amoureux de Mlle de Vendôme et maintenant de Madame; il défend qu'on ne lui fasse point de mal, et dit: Hé! mon Dieu! les loups le mangeront! qu'on le laisse entrer, qu'on le laisse entrer.

Le 18, samedi.—Il écrit son exemple, puis va à la messe en la petite salle, après au jardin, où il se met dans son petit chariot que M. de Verneuil lui avoit donné, fait le conducteur, une grande houssine à la main et le fait tirer par quatre pages et suivre par les sieurs comtes de la Voute, de Torigny, les sieurs de Liancourt et de Fontaine-Martel, fait plusieurs fois les allées du jardin. Ramené à onze heures et demie; Mme la comtesse de Mansfeld le vient saluer. Dîné; Mme la comtesse de Mansfeld lui donne douze chiens, et lui dit qu'ils sont beaux: Je m'en soucie pas qu'ils soient laids, mais qu'ils soient bons. Amusé jusques à trois heures, il va par le pont de la chapelle aux grottes, y mène cette comtesse, descend au parterre, puis va bien avant aux vignes, par le sentier qui va à Carrières. M. le comte de Torigny en se jouant heurta à la tête M. de Fontaine-Martel; le Dauphin le voit, et commande à son précepteur: Donnez le fouet au comte de Torigny; vous aurez le fouet, comte de Torigny, dit-il avec action sérieuse, et, quelque prière qu'on lui sût faire, il ne voulut jamais révoquer ce commandement. Ramené à cinq heures, pendant qu'il étoit sur la chaise percée, je lui dis: «Monsieur, ne pardonnez-vous pas à M. le comte de Torigny? Ç'a été sans y penser ce qu'il a fait.»—Ho! non, mousseu Héroua; excusez-moi, il lui a jeté sur la tête.—«Mais, Monsieur, vous commanderez à son précepteur de ne le fouetter pas, à la charge qu'il ne le fera plus?»—Astheure, astheure, Oct
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367 mousseu Héroua, mais je le fais afin qu'il n'y retourne plus.
—«Monsieur, s'il avoit été fouetté, il n'aimeroit jamais monsieur de Fontaine-Martel, l'ayant été à son occasion, et puis quand ils seroient grands ils se battroient et tueroient. Vous êtes leur maître: quand ils feront faute, il faut que vous les repreniez, et, pour les bien châtier, dites-leur que vous ne les aimerez plus s'ils ne sont sages. Le Roi les a mis ici auprès de vous afin qu'ils apprennent à vous aimer et à vous servir; ils sont tous de grande et riche maison.»—Qui est le plus riche? On les mit à l'égalité.

Le 19, dimanche, à Saint-Germain.—Il est allé par le parc à Maisons, où M. de Longueil, seigneur de Maisons[545], lui donna la collation.

Le 20, lundi.—Levé, vêtu, il se met à sa peinture, n'en peut partir. Il se fâche de ce que M. le comte de Torigny avoit suivi au jardin M. de Longueville, qui tenoit compagnie à Mlle de Vendôme, croyant que ce fût elle qu'il eût suivie, et dit à M. le comte de la Voute: Dites à Torigny que c'est une fille, et qu'il ne vienne plus avec moi. Peu après on lui en parla pour l'induire à lui pardonner, et à la fin il consent: Bien donc, je lui pardonne, à la charge qu'il s'habillera en fille. Il étoit jaloux des siens et l'avoit toujours été, pour si petit qu'il fût.

Le 21, mardi.—Sa nourrice lui demande s'il étoit pas amoureux, il répond: Non, je fuis l'amour; je lui demande: «Mais, Monsieur, fuyez-vous l'Infante?»—Non, et se reprenant soudain: Ha! si fait, si fait! Mis au lit, il se met à peindre et crayonner.

Le 27, lundi.—Il est vêtu de sa robe pour recevoir les députés de la Religion venant de Jargeau; il les a reçus fort à leur contentement.

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368

Le 29 octobre, mercredi.—La rougeole lui paroît[546].

Le 31, vendredi.—J'arrive de Vaugrigneuse; l'on ne me donna jamais avis qu'il eût aucune fièvre, mais un simple rhume; je le trouve avec la fièvre, le pouls plein, égal, hâté, chaud, tout couvert de rougeurs, avec inquiétude tant pour la fièvre que pour le grand feu qui se faisoit dans sa chambre, dont il se plaignoit et l'on ne le plaignoit pas, étouffant à demi dans son lit pour être entouré encore d'un tour de serge et lui fort couvert. Il s'en plaint à moi. Il fut levé, et son lit fut refait.

Le 1er novembre, samedi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à ses crayons, entend la messe à neuf heures et demie, ne peut souffrir la clarté, se remet à la peinture, à broyer et travailler en peintre. Il se joue avec Madame, qui parloit à lui par le trou qui alloit d'une chambre à l'autre.

Le 5, mercredi.—M. de Liancourt, premier écuyer, le vient voir de la part du Roi, et s'en retourne incontinent; après dîner le précepteur du fils de M. de Liancourt[547], nommé le sieur du Vernay, vient voir le Dauphin, qui lui demande: Mousseu de Liancourt est-il parti?—«Oui, Monsieur, et s'en va fort content, ayant vu que vous devenez si sage tous les jours».—Ho! je crois bien, je vieillis aussi[548].

Le 6, jeudi.—Il est vêtu de ses chausses et de son pourpoint, ce dont il est extrêmement content et joyeux, ne veut point mettre sa robe[549], et dit: Elle ressemble à Nov
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369 la robe de maître Guillaume
, le fol du Roi; il quitte son bonnet de nuit et prend son chapeau lui-même. Il se met à sa peinture, raille en besognant (c'étoit un visage de Jeanne, reine de Sicile, dont il faisoit la copie); il fait une grande bouche: Ho! dit-il, que velà une grande coquine de bouche! M. de Ris, premier président de Rouen, le vient voir. A trois heures et demie goûté; il se remet à la peinture. A six heures soupé, amusé et joué jusques à huit heures, il se met à la peinture, y porte tout son esprit, y est jusques à dix heures.

Le 7, vendredi, à Saint-Germain.—Il prend une lime, s'amuse à limer une clef attachée à un petit étau, puis se remet à la peinture[550].

Le 9, dimanche.—Il va à la messe à la petite salle, puis va se jouer à la salle du bal. Il me somme de la promesse que le matin je lui avois faite de le faire sortir; sorti au jardin.

Le 16, dimanche.—Il s'amuse avec plume et encre à faire des maisons sur le papier[551]. En dînant il parle de faire la monstre de sa compagnie, dit: Féfé Chevalier c'est le capitaine; le lieutenant c'est mousseu de Momorency (qui étoit là présent); je suis caporal, il y trois ans que j'étois cadet. A deux heures, il prend sa bandoulière, son épée, arme sa compagnie (c'étoient MM. de Mortemart, de la Voute, de Liancourt, de Pressy, de la Roche-d'Anjou, de Fontaine-Martel, de Torigny et lui qui marchoit au premier rang, ayant M. de Verneuil à son côté); il va prendre le tambour de M. de Mansan et marche en bataille.

Le 18, mardi.—Il s'amuse à la peinture. Mis au lit, il s'amuse à entretenir M. du Tost, qui avoit les oiseaux Nov
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370 de la chambre du Roi, sur ce qui étoit de la nourriture et traitement des oiseaux, en parle en termes propres et avec action de personne entendue et qui y prend plaisir.

Le 20 novembre, jeudi.—Il est vêtu d'un habit d'écarlate; M. de Frontenac arrive, et lui dit: «Monsieur, vous voilà maintenant habillé en chasseur»; il lui répond: C'est pour chasser le froid; il faisoit froid aussi.

Le 21, vendredi.—Il va au bâtiment neuf pour y attendre le Roi; à quatre heures le Roi arrive, et le reçoit au bout du parterre. A cinq heures, en la chambre, dansé en branle devant le Roi. Soupé avec le Roi, il mange du potage à l'oignon, de celui du Roi, huîtres crues, sole en pâté, et prend une cuillerée de la poudre digestive du Roi. Il va avec le Roi chez M. d'Anjou.

Le 22, samedi, à Saint-Germain.—Il va entendre la messe au bâtiment neuf, et fait mener un petit nouveau chariot par un petit mulet que M. de Courtenvaux lui avoit donnés. A onze heures et demie dîné; il se remet à la peinture. A deux heures mené en carrosse jusques auprès de Herbelay, au devant du Roi revenant de la chasse. Soupé avec le Roi; peu après le Roi vient en la chambre de M. d'Anjou, fait railler Messieurs ses enfants. Mlle de Verneuil dit qu'elle est fée et fille d'une fée, et ils se mettent à deviner. Mgr le Dauphin lui dit: Je gage que vous aurez demain le nez de même que vous l'avez astheure. Elle lui dit: «Je gage que vous l'aurez aussi de même que vous l'avez.»—Ho! j'en ai un autre plus long, je le change quand je veux. A huit heures et un quart il donne le bonsoir au Roi, est ramené en sa chambre, s'amuse à la peinture.

Le 23, dimanche.—Il entend la messe à la chapelle avec le Roi[552]; s'amuse auprès du Roi en la galerie jusques à une heure et demie que le Roi s'en retourne.

Nov
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Le 26 novembre, mercredi.—Il va à Poissy, à la profession de l'une des filles de M. de Frontenac, mène à la messe la petite fille qui devoit être religieuse, la mène à l'offrande, voit froidement la cérémonie. Ramené à Saint-Germain il s'amuse à peindre avec la plume, fait des chevaux tirant des charrettes. Mis au lit, comme je tenois mon Hippostologie[553], il en avise le titre, le lit; il lui en faut rendre raison et de toutes les figures.

Le 28, vendredi.—Il écrit son exemple et fait, ce dit-il, un livre pour le faire imprimer et le donner à papa, à ses étrennes.

Le 29, samedi.—Il envoie querir ma petite nièce du Val, la fait habiller en épousée, la marie avec M. le comte de la Voute, va à Mme de Montglat, lui demande à souper pour l'épousée, lui apporte le couvert et puis ce qu'on lui donnoit, et à la fin à boire, et tout lui-même.

Le 1er décembre, lundi, à Saint-Germain.—Il dit à Mme de Montglat: Mamanga, j'ai composé une sentence: «Celui qui sert bien Dieu, Dieu lui aidera.» Je la veux équire de peur de l'oublier.

Le 2, mardi.—Il va à la messe en la chapelle, se fait monter sur la chaise, dit qu'il veut prêcher et commence: In nomine patris et filii et spiritus sancti, Amen. Les hommes qui couchent avec les femmes....[554]. Il écrit une lettre à la Reine par M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt.

Le 3, mercredi.—A neuf heures et demie le Roi arrive de Paris; dîné avec le Roi; le Roi va à la chasse. A deux heures le Dauphin va en la chapelle, où lui et Madame Christienne tinrent à baptême la fille de M. Talon, mari Déc
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372 de la nourrice de Madame Christienne; il la nomma Louise, et jamais ne la voulut nommer Christienne, disant: Elle aura plus d'honneur d'être appelée de mon nom que de celui de ma sœur. Il s'amuse à sa peinture, va en la chambre du Roi qui revenoit de la chasse.

Le 5, vendredi, à Saint-Germain.—Il entre en carrosse avec le Roi qui le mène aux toiles près de Poissy, où il voit prendre quatre sangliers. Ramené il monte en sa chambre où il s'amuse à ses peintures.

Le 6, samedi.—Il entretient M. de Liancourt, premier écuyer, des juments du carrosse du Roi, où il avoit été le jour précédent, lui dit qu'il y avoit une des juments qui étoit borgne, que le cocher disoit que c'étoit la meilleure. M. de Liancourt n'en savoit rien.

Le 7, dimanche.—Il s'amuse à peindre sur du papier avec la plume et l'encre, fait la chasse du sanglier dans la cour, fort bien. Il va chez le Roi, puis à la messe et au jardin, et à dix heures dîne avec le Roi. A onze heures trois quarts il conduit le Roi hors de l'escalier, il étoit triste; le Roi lui dit: «Mon fils, quoi! vous ne me dites mot! Vous ne m'embrassez pas quand je m'en vais?» Le Dauphin se prend à pleurer sans éclater, tâchant de cacher ses larmes tant qu'il pouvoit, devant si grande compagnie. Lors le Roi, changeant de couleur et à peu près pleurant, le prend, le baise, l'embrasse, lui disant: «Je dirai comme Dieu dit dans l'Écriture sainte: Mon fils, je suis bien aise de voir ces larmes, je y aurai égard;» puis entre en carrosse pour s'en retourner à Paris, et Monseigneur le Dauphin gagne vîtement l'escalier pour s'en retourner aussi, de peur que l'on le vît pleurer. Comme il fut en sa chambre, peu de temps après, je lui demandai ce que le Roi lui avoit dit en partant; les larmes lui viennent aux yeux et, changeant de propos, il me dit: Il m'a dit que je tirasse de la harquebuse. Je le presse une fois ou deux, il tient ferme; je le quitte, il pleure abondamment et de cœur. Il va Déc
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373 en son cabinet où il s'amuse à peindre; on le vient appeler pour souper, il s'en fâche; M. le baron de Montglat[555] s'en veut aller, il ne le veut pas, et d'un petit bâton lui frappe sur les doigts; Mme de Montglat en est fâchée, il la frappe aussi; le voilà en colère, il lui dit des injures: Vilaine! la chienne! Mlle Piolant lui dit: «Monsieur, il faut que vous ne soyez pas fâché contre elle, n'ayant pas à être longtemps céans avec elle.» Il lui répond: J'en voudrois être déjà dehors; et appelant Mlle de Vendôme, il lui dit, parlant bas à son oreille: Sœu-sœu Dôme, j'aurai un bâton qui sera creux, je le remplirai tout de poudre, et puis avec du charbon j'allumerai la poudre qui lui brûlera tout le cul. M. Guérin lui dit: «Monsieur, ne savez-vous pas que papa vous a dit que vous ne seriez pas longtemps avec elle; il ne la faut pas fâcher.»—Ho! dit-il, c'est qu'elle veut retenir toute ma vaisselle d'argent[556]. Il étoit vrai; il en entendoit parler et le couvoit sans le dire. La paix se fait; à six heures et demie soupé. En soupant il fait tout ce qu'il peut pour s'entretenir et déployer son déplaisir [sic]; il advint que le sieur de Dorelle, gouverneur du jeune Fontaine-Martel, vient en la chambre et dit que, passant par la salle des gardes, deux hommes lui avoient voulu ôter son manteau. L'on s'en émut; je dis: «Monsieur, ce sont quelques-uns qui se jouent.»—Ce n'est pas beau, c'est un jeu de voleur. Il commande qu'on aille au corps de garde dire qu'on ne laisse sortir personne, qu'on aye des lanternes pour regarder ceux qui voudront sortir.

Le 15, lundi, à Saint-Germain.—Il écrit au Roi et à la Reine, se va promener en carrosse vers la Muette, envoie à Carrière, chez M. de la Salle, pour avoir des confitures, et en revenant en a goûté.

Déc
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Le 21 décembre, dimanche, à Saint-Germain.—Mis au lit, il se fâche contre ses gentilshommes, veut qu'ils aient le fouet. Mme de Montglat lui dit qu'il leur falloit pardonner et que le Roi pardonnoit à tout le monde: A tout le monde! dit-il, il n'a pas pardonné au maréchal de Biron.

Le 30, mardi.—Il fait fendre de la glace avec une pelle à feu, en sa chambre, la vend par morceaux, pour avoir, dit-il, de l'argent à donner aux pauvres.—J'arrive de Paris[557]; il étoit sur le point de se mettre à table, court au-devant de moi: Ha! velà mousseu Héroua! et me fait l'honneur de me sauter au collet, me serrant bien fort.

Le 31, vendredi.—Il se plaint et pleure de ce qu'on lui avoit pris, dans la pochette de ses chausses, sept sols provenus de la vente de la glace, et de ce qu'il ne les y avoit point trouvés, ayant voulu donner l'aumône à des pauvres qu'il avoit rencontrés. Il veut voir ce que ma femme lui veut donner pour ses étrennes; ce fut une boîte de très-beaux abricots. Mme de Montglat lui dit: «Monsieur, ce sera pour vous, je m'en vais les serrer.»—Ho! velà! je ne les verrai jamais, elle sarre tout ce qu'on me donne, puis elle en entame un, y tâte pour lui donner le demeurant. Ho! voyez, elle l'a rompu pour en manger un et elle sarre tout; elle dit: C'est tout pour moi; et je vois jamais rien.

ANNÉE 1609.

Le livre De l'Institution du Prince.—Le gâteau des Rois.—Farces et comédies.—Le Dauphin copie le portrait du Roi.—La gravure de Jupiter.—La Vénerie de Du Fouilloux.—Départ de Saint-Germain pour Paris.—Le Dauphin remis entre les mains des hommes.—Usage des mouches pour les femmes.—Première justice du Dauphin; ses petits gentilshommes.—Ballet de la Reine.—Présent de M. de Sully.—La foire Saint-Germain.—Visite de Mme de Montglat.—Présent de la reine Marguerite.—Travaux de la galerie du Louvre.—Le maître d'armes du Dauphin.—Chasses et visites dans Paris.—Mort du Grand-Duc.—Mariage du prince de Condé.—La première leçon de Des Yveteaux.—Armes de Milan.—Collation chez M. de Mayenne.—Visite à Saint-Germain.—Dîner à Ruel.—Départ pour Fontainebleau.—Les moulins d'Essonne.—Cérémonie de la Cène.—Le grand canal de Fontainebleau.—Le Dauphin fouetté de verges.—La Bradamante.Le musicien Pradel.—Les maquereaux.—Passage à Moret.—Le vin et la tisane.—Le fou du Roi.—Mlle de Fonlebon.—Le maréchal d'Ornano.—Le Dauphin entre au conseil pour la première fois.—Fêtes du mariage de M. de Vendôme.—Bijou donné par Mme de Mercœur.—Le fou Des Viètes.—Départ de Fontainebleau.—Passage à Brie-Comte-Robert.—Vers faits par Héroard sur l'ordre du Dauphin.—Passage à Creteil.—Arrivée au Louvre.—Le jeu de paume du Verdelet.—Bain de rivière.—Service de Catherine de Médicis à Saint-Denis; le trésor, les tombeaux.—L'hôpital des pestiférés.—Sully et la reine Marguerite.—Séjour à Saint-Maur.—Ballet des Sauvages.—Nouvel habillement.—Absences de Des Yveteaux.—Présent du marquis de Brandebourg.—Visite à Chaillot.—Mot sur Mucius Scévola.—Départ pour Fontainebleau.—Leçon de grammaire.—Le Dauphin entre dans sa neuvième année; souhait du Roi.—Chasse avec le Roi.—Lettres à la reine d'Angleterre et au prince de Galles.—M. de Souvré et M. Dupont.—Retour à Paris.—Habitude du Dauphin.—Antipathie pour Sully.—Nouveau logis au Louvre; les chapons de la Reine.—Naissance de Madame Henriette.—Goût du Dauphin pour le vin.—Les contes de La Clavelle.—Bégayement du Dauphin.—Le comte de Chalais.—Lettres à la famille royale d'Angleterre.—Compliment à l'ambassadeur de Venise.

Le 1er janvier, jeudi, à Saint-Germain.—Levé à huit heures et un quart, il se plaint de ce que l'on ne l'avoit Janv
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376 pas voulu lever plus tôt, pource que l'on lui avoit dit que s'il se levoit tard il seroit paresseux toute l'année. Je lui donne mon livre De l'Institution du prince[558] fait pour lui.

Le 3, samedi, à Saint-Germain.—L'on parloit du jour des Rois, il dit: Je veux pas être le Roi; sa nourrice lui demande pourquoi.—Je veux pas l'être.—«Si vous l'êtes vous payerez quelque chose, si Madame l'est aussi, ou Mlle de Vendôme?» Il appelle M. de Ventelet, et lui dit tout bas à l'oreille: N'y faites point mettre de fève, afin qu'il n'y aye point de Roi.—«Monsieur, lui dit sa nourrice, si Dieu est Roi, il faudra que vous teniez sa place.»—Je veux pas moi.—«Comment, Monsieur, dit un chacun, refusez-vous à tenir la place de Dieu?»—Il s'arrête avec crainte: Hé! c'est à papa!—«Monsieur, il faut que ce soit vous qui la tienne ici.»—Hé! je veux bien.

Le 4, dimanche.—Il va en la chambre de M. de Liancourt, où il s'amuse à peindre; ramené en sa chambre, et à six heures soupé, il se prépare pour faire jouer une comédie, la voit jouer, consent que M. de la Voute en seroit, pourvu qu'il s'habille en fille, et ne veut permettre que M. de Liancourt s'habille qu'en garçon. Il la voit jouer, elle dure jusques à neuf heures et demie. Mis au lit, il se débarbouille le menton qu'il avoit tout noirci avec de la fumée du flambeau et fait barbouiller les autres.

Le 5, lundi.—Mme de Libertat, veuve de feu M. de Libertat, celui qui délivra Marseille sur la Ligue[559], le Janv
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377 vient voir.—A souper il fait couper le gâteau des Rois, Madame est faite la Reine. Elle donnoit les charges; elle le fait son grand écuyer: Non, dit-il, je veux être valet de pied, je cours bien. Mlle Piolant lui dit: «Monsieur, vous serez donc le premier valet de pied.»—Ho! non, dit-il, honteux. Amusé à jouer et à voir jouer une comédie par des valets de M. de Verneuil et Verdelet, valet de pied du Roi.

Le 6, mardi à Saint-Germain.—Mené jouer au jeu de paume, il se moque de M. de Verneuil qui jouoit foiblement: Velà féfé Veneuil, c'est miracle quand il frappe un coup, il faut faire sonner la trompette. A huit heures mené en la chambre de M. de Verneuil, où il voit jouer une comédie par les gens de M. de Verneuil et autres.

Le 7, mercredi.—On lui apporte une lettre de la part de Mlle de Mercœur, il l'ouvre, et sur ce que Mlle de Vendôme lui dit, voyant qu'il jetoit la poudre de Chypre qui étoit dedans: «Hé! Monsieur, ne la jetez pas, il la faut serrer.»—Ho! je la veux jeter moi; je l'aime point, j'aime mieux la poudre des canons.—Il va chez M. de Verneuil pour y voir jouer une comédie par ses gens.

Le 8, jeudi.—Mené promener, il fait tirer par son petit mulet sa petite charrette portant les ornements de sa chapelle à celle du bâtiment neuf, où il entend la messe.

Le 9, vendredi.—Il monte en ma chambre, et me dit: Mousseu Héroua, montrez-moi ce que vous avez écrit de moi; c'étoit mon journal. Il vouloit voir ses premières années, je l'avois à Paris. Il se met à écrire, et me dit: J'écris bien de la minute françoise, et peu après: Mousseu Héroua, il faut que je m'en aille achever un pourtrait que j'ai commencé. Il descend soudain, et va à sa peinture Janv
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378 dans son cabinet; il copie en huile le portrait du Roi qui étoit devant lui; il étoit fort reconnoissable: il s'amuse à peindre fort attentivement.

Le 10, samedi, à Saint-Germain.—Il me dit: Mousseu Héroua, j'ai inventé une sentence.—«Monsieur, vous plaît-il de me la dire?»—Les enfants qui ne sont pas sages, Dieu les punit. J'en ai inventé une autre: Les enfants qui craignent bien Dieu, Dieu les aide. En soupant, Mme de Montglat lui dit qu'il étoit beau: Je suis pas beau, cela est bon pour les femmes. Soudain qu'il eut soupé il s'en va à sa peinture en son cabinet, là où M. Du Vernet, précepteur de M. de Liancourt, lui donna un Jupiter[560] entouré des Muses, en taille-douce, et lui en expliqua le sens: comme c'étoit un roi, roi de tout le monde, et qu'il faisoit chanter devant soi et jouer des instruments, et qu'il ne faisoit rien et qu'un jour il feroit ainsi: Comment, dit-il, ce roi ne fait rien! je ne veux pas faire ainsi; tenez, j'en veux point, et le lui rend. Il va en la salle des gardes, où il voit danser la Bohémienne par de ses gens. Mis au lit, il s'amuse et prend plaisir bien grand au livre des chasses du sieur Du Fouilloux[561], que M. de Frontenac venoit de lui donner; il s'apprend à dire en musique l'appel des chiens.

Le 11, dimanche.—Il entend que l'on disoit qu'il seroit en pension avec M. de Souvré comme chez Mme de Montglat, et s'en fâche; il demande à M. de la Valette: Féfé Vendôme y est-il?—«Non, Monsieur.»—Ho! il a tout plus que moi! il a six laquais, et j'en ai que deux! Il l'avoit ainsi entendu dire, et avoit toujours ses comparaisons sur M. de Vendôme.

Le 12, lundi.—A quatre heures il va chez M. de Frontenac, où le Roi arriva de Paris venant de l'assemblée[562] de Vaucresson; le Roi se mit sur le lit pour Janv
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379 reposer; il faisoit la garde autour du lit afin que l'on ne l'éveillât point.

Le 13, mardi.—A sept heures et demie il va au lever du Roi chez M. de Frontenac, y est jusques à huit heures que le Roi s'en retourna à Paris par Versailles[563], où il alloit dîner. Il va jouer à la paume; M. Sauvat, excellent joueur, lui montre.

Le 14, mercredi, à Saint-Germain.—Il s'amuse à peindre fort bien[564], s'amuse à lire le livre du sieur Du Fouilloux.

Le 24, samedi[565].—A sept heures trois quarts il entre en carrosse, l'œil sec, et part de Saint-Germain en Laye pour aller à la Cour, entrer aux mains de M. de Souvré; il va par Saint-Cloud, arrive à onze heures au Louvre, où étoient le Roi et la Reine. A onze heures trois quarts dîné avec le Roi; à une heure le Roi le mène en carrosse chez la reine Marguerite. A six heures et demie soupé, de la viande de la Reine; ç'a été la première fois qu'il a commencé à boire du vin pour continuer.

Le 25, dimanche, au Louvre.—On lui met une fraise; M. de Souvré le fait regarder dans un miroir: Je semble, dit-il, au petit ambassadeur d'Angleterre; c'en étoit le fils. Il va chez le Roi à son lever, lui sert sa chemise. Le Roi lui commande de l'appeler son père, le mène par la galerie aux Tuileries. Il entend la messe avec le Roi, puis, à onze heures et demie, dîné avec le Roi; il est servi, par derrière, par commandement du Roi. Le petit M. de Humières le servoit; il ne l'avoit jamais servi, ce qui fut cause que le Dauphin, de son mouvement, commanda à M. de Ventelet: Allez, allez avec lui, pou lui montrer comme il faut faire. Il va ensuite chez la Reine.

Janv
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380

Le 26 janvier, lundi.—Il avoit une petite enlevure au coin de la lèvre droite; je lui fis mettre un petit emplâtre, lui disant s'il lui plaisoit pas que je lui fisse mettre une petite mouche: Une mouche, dit-il, en raillant, ho! je veux pas être beau; c'est madame la princesse de Conty qui met à son visage des petites mouches pour se faire belle. Il va chez le Roi, qui le mène aux Tuileries et le ramène à onze heures à la messe, en Bourbon[566].

Le 27, mardi, au Louvre.—Les députés de Bretagne lui viennent offrir leur service au nom de la province.—Il s'amuse à regarder des étoffes, choisit le bleu pour un habit; il en aimoit naturellement la couleur. A deux heures mené à voir la verrerie, au faubourg Saint-Germain, il y fait faire des verres, des paniers, des cornets. Le jeune M. de la Boissière donna un démenti à M. le comte de Torigny; il l'entend, et l'accuse envers M. de Souvré et lui commande de le fouetter. Ramené à quatre heures, il fait fouetter M. de la Boissière par M. de Souvré; ce fut la première justice en sa chambre[567].

Le 29, jeudi.—Il a vu tirer des armes, a tiré lui-même avec grâce et disposition.

Le 30 janvier, vendredi, au Louvre.—M. de Longueville vient en son cabinet, et lui dit: «Monsieur, voulez-vous pas que je fouette vos enfants d'honneur et vos pages?»—Vous n'êtes pas mon écuyer, lui dit-il assez brusquement, et se retournant vers M. du Repaire il lui dit tout bas: Voyez qu'il est hardi! il n'est pas mon écuyer; c'étoit qu'il ne vouloit pas ouïr parler de faire mal aux siens.

Le 31, samedi.—Il veut lui-même écrire le rôle de ses petits gentilshommes[568] selon l'ordre qu'ils étoient Janv
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381 venus à lui. On lui met un habillement neuf pour aller après souper à l'Arsenal, y voir danser le ballet de la Reine[569].

Le 1er février, dimanche, au Louvre.—Il écrit par réponse à Madame, sa sœur, sur la minute de M. de Souvré. Sur l'après-dînée il se ressouvient que Mlle de Vendôme lui avoit écrit; il demande du papier et de l'encre pour lui faire réponse. M. de Souvré lui fait la minute, et la lui envoie; elle commençoit: «Ma sœur, etc.»; quand il voit ces mots: Ma sœur! elle est pas ma sœur; faut mettre ma sœur de Vendôme. On alla le demander à M. de Souvré, qui trouva qu'il avoit raison.

Le 2, lundi.—Mené à la messe et à la procession avec le Roi. Il reçoit des nouvelles de Mesdames[570].

Le 3, mardi.—Il joue en la galerie, là où M. le comte de Torigny dit à un de ses compagnons: «L'ase vous etc.» Cette sale parole est rapportée à M. de Souvré, qui le menace du fouet. Tout du long de son dîner, le Dauphin persécuta M. le comte de Torigny pour la mauvaise parole: Torigny, dites à votre cul qu'il s'arme. Torigny, dites à votre laquais qu'il vous interroge. Torigny, puisque vous voulez être laquais, je vous envoyerai demain porter des lettres à Saint-Germain; il avoit ouï M. de Souvré disant que c'étoit une parole de laquais et de palefrenier. Mené à l'Arsenal, il y voit tout, et puis va à la Bastille. M. de Sully lui baille deux cents écus au soleil, pour sa foire, lui demande s'il veut qu'il lui fasse faire des balles de sucre comme celles de canon; il lui répond: Oui, mais que vous me les tiriez dans la bouche.

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Le 4, mercredi.—Il a de l'impatience pour aller à la foire, où il demande d'aller, au lieu d'écrire son exemple. M. de Souvré lui porte cinquante écus pour employer à la foire; il dit: J'en ai encore pou trois fois. A une heure et demie mené en carrosse, à la foire, il y gagne un cachet d'or à la rafle, jouant avec lui Mlle de Rohan.

Le 5, jeudi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis aux Tuileries, où il entend la messe. Il va tirer des armes, puis va chez la Reine, où il se joue à M. de Verneuil, qui avoit ce jourd'hui pris la soutane; le Dauphin se met à genoux, et va ainsi pour lui baiser le pied (à M. de Verneuil), ses petits gentilshommes en font autant. A quatre heures le sieur Don Pedro de Toledo le vient voir pour prendre congé de lui, s'en retournant en Espagne.

Le 6, vendredi.—Mené à la foire, ramené à onze heures, il va chez le Roi et après, à onze heures et demie, dîné.—M. de Souvré avoit fait emprisonner son laquais pour avoir donné un coup de bâton à la foire; l'on en parloit pour l'excuser. Je dis à M. de Souvré, assez bas, que Mgr le Dauphin ne seroit pas longtemps sans demander sa grâce. M. de Souvré répond: «Si y sera-t-il vingt-quatre heures.» Le Dauphin écoutoit en sournois, et répond tout bas: Je fairai bientôt sonner les vingt-quatre heures. Aussitôt qu'il eut achevé de dîner, il fait apporter sa montre sonnante, et les fait sonner, et dit aussitôt: Mousseu de Souvré, vingt-quatre heures ont sonné, faites s'il vous plaît sortir de prison votre laquais. Il va chez le Roi en la galerie, où il mène sa compagnie armée: il étoit mousquetaire; le Roi y prend un singulier plaisir; ils étoient plus de trente. Ramené en sa chambre, il joue au trou-madame.

Le 7, samedi.—Il écrit, lit, tire des armes. A cinq heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, à la comédie; ce fut la première fois. Ramené à six heures et demie, il en récite beaucoup devant Leurs Majestés.

Le 8, dimanche.—Il écrit à Mme et à Mlle de Vendôme. Fév
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383 A trois heures trois quarts[571], mené à l'Hôtel de Bourgogne, il se met à rire avec éclat et dit: Mousseu de Souvré, je ris ainsi, afin qu'on pense que j'entens l'italien. Ramené à six heures et demie.

Le 9, lundi, au Louvre.—Mené chez le Roi puis à la messe aux Feuillants, par la galerie, il se promène aux Tuileries, revient par le même chemin, va chez la Reine. A souper il donne le demeurant d'un hachis de perdrix à MM. de Vendôme et le Chevalier, les appelle ses frères par commandement du Roi.

Le 10, mardi.—Mme de Montglat, qui l'étoit venue voir, pleuroit: Mamanga, vous pleurez; ne pleurez pas, vous n'avez qu'une dent; comme elle lui veut dire adieu, il lui saute au col; elle pleure, il ricane pour s'assurer; l'on lui ouvre la porte du cabinet: Mamanga, velà la porte ouverte, allez-vous-en. Ce ne fut point par mauvaise volonté, mais pource qu'il se sentoit touché de ses larmes. A deux heures mené aux Chartreux, c'est la première fois. Il va à la foire, y joue à la rafle, perd deux cachets. La reine Marguerite lui donne sa foire: une enseigne et un cordon de diamants le tout estimé à deux mille écus[572]; elle commanda à l'orfèvre de lui bailler tout ce qu'il demanderoit, promettant de le payer.

Le 11, mercredi.—Il est mené à la messe en Bourbon, puis se va promener au jardin du Louvre, va donner le bonjour à la Reine. Il s'entretient à dîner avec un fol nommé Des Vietes[573]. Il va chez le Roi, revenant de Saint-Germain, où il avoit couché.

Le 12, jeudi.—Il va en la grande galerie, où il s'amuse à voir les carreleurs, les fait travailler, y aide, puis va donner le bonjour à la Reine et après au Roi, que la Fév
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384 goutte avoit pris la nuit précédente. La Reine lui donne une petite montre couverte de diamants.

Le 13 février, vendredi, au Louvre.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Jacques faire courir un lièvre, dans le clos du sieur de La Tour, où il court deux lièvres, emporte les queues et les met à son chapeau. Il reçoit Madame, arrivée à Paris; à souper elle buvoit du vin; il lui dit: Ma sœur, vous êtes trop jeune pou boire du vin; j'en bois astheure, mais j'ai un an plus que vous; maître Gilles[574], ne donnez point de vin à ma sœur, elle est trop jeune. Après le souper il lui dit: Ma sœur, me voulez-vous voir tirer des armes? Et il fait envoyer querir le sieur Jeronimo pour lui montrer, tire devant Madame, puis ils vont chez Leurs Majestés.

Le 14, samedi.—A quatre heures mené à l'Hôtel de Bourgogne, ramené à huit heures tout morfondu de froid.

Le 15, dimanche.—Mené hors du faubourg Saint-Honoré, à la Ville-l'Évêque, qui appartenoit à Mlle de Longueville; il y fait courir un lièvre dans le parc. A sept heures soupé, il va chez le Roi, est ramené à onze heures et demie, à cause du ballet.

Le 19, jeudi.—Mené chez la reine Marguerite, à la foire, chez M. Conchino et chez M. de Gondi.

Le 20, vendredi.—Lu, écrit, tiré des armes[575]; il rompt d'une avant-main, sur l'épée du sieur Jeronimo, son fleuret près de la poignée, tant il étoit fort; il ne y avoit point de fêlure au fleuret; il tâche, en tirant, à surprendre son maître. Il est mené à la Roquette puis chez M. de Roquelaure.

Le 22, dimanche.—A neuf heures déjeûné, écrit; il s'avise qu'il étoit dimanche, s'en veut dédire, y est retenu Fév
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385 par M. de Souvré. Il écrit à regret, et dit: Parce qu'il est dimanche, j'écris rien qui vaille; il tire des armes, et en dit autant, tirant avec négligence.—La Reine le mène jusqu'à Villejuif, au-devant du Roi revenant de Fontainebleau.

Le 24 février, mardi.—Ce matin arriva la nouvelle du duc de Florence[576] qui étoit décédé le 7me du mois.

Le 27, vendredi.—Mené chez M. de Roquelaure avec la Reine, il revient avec elle sur le pont au Change, chez La Haye, et de là sur le pont aux Marchands, où il demande le nom des oiseaux de toutes les enseignes, puis au bout du Pont-Neuf, où il joue à une blanque, y gagne un tableau d'une Lucrèce.

Le 28, samedi.—Madame prend congé de lui, pour s'en retourner à Saint-Germain-en-Laye; il est mené en un jardin, au faubourg Saint-Jacques, où il fait courir des lièvres.

Le 2 mars, lundi, au Louvre.—Il va en la galerie aux accordailles de Henri de Bourbon, prince de Condé, avec Mlle [Charlotte] de Montmorency, fille de M. le connétable. Il demande à M. de Souvré: Quel pays est-ce que querouage? Il y avoit six jours qu'il lui avoit ouï dire le mot.—«Monsieur, lui répond M. de Souvré, je ne sais, mais qu'est-ce?»—Je ne sais; et si, je sais bien que c'est; puisque me le voulez pas dire, je le demanderai aux dames.—Et à qui?»—A madame de Souvré. Enfin, il dit que querouage c'est aller faire l'amour. Je lui avois dit que c'étoit aller au serein, au clair de la lune: Hon! c'est pas cela; il ne voulut jamais confesser celui qui lui en avoit donné l'interprétation[577].

Mars
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Le 3, mardi, au Louvre.—Mené chez M. de Roquelaure, où étoient LL. MM. A six heures et demie soupé; il va chez le Roi, y voit danser le ballet du chevalier de Vendôme, y est jusques à onze heures trois quarts.

Le 5, jeudi.—Mené en carrosse en la plaine de Vaugirard et d'Issy, à la volerie; il voit prendre des corneilles.

Le 6, vendredi.—Après déjeuner M. Des Yveteaux[578], son précepteur, lui donna la première leçon, commençant par un petit discours qui lui représentoit comme il avoit à reconnoître que Dieu l'avoit fait naître chrétien et dans l'Église apostolique, et fils d'un grand Roi, et par ainsi qu'il avoit à savoir qu'il lui falloit aimer et craindre Dieu, se rendre véritable et juste, à aimer et honorer le Roi et la Reine comme ayant supériorité sur lui, et puis comme ses père et mère, et que les vertus s'apprenoient dans les livres; et commença à lui faire lire le commencement de l'histoire de Josèphe, puis lui baille par écrit à savoir: «s'il faut que les ecclésiastiques soient appelés aux conseils des princes et ce qui lui en semble.»—Je sais pas, répond le Dauphin.

Le 7, samedi.—Mené au bois de Vincennes, c'est la première fois; il y court des lièvres, y voit un élan.

Le 8, dimanche.—Mené au devant du Roi revenant de Saint-Germain-en-Laye; goûté au Roule, puis il rencontre, au devant des Ternes, le Roi, qui le fait mettre en son carrosse.

Le 10, mardi.—A souper il fait un rot; M. de Souvré l'en reprend; il lui répond froidement: Mousseu de Souvré, c'est un rot, ce n'est pas un pet.

Le 11, mercredi.—Mené sur le pont voir, tous les engins Mars
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387 de la pompe de la Samaritaine, puis il va au jardin du Palais, y a goûté.

Le 12, jeudi, au Louvre.—Botté et éperonné, il est mené en carrosse aux Chartreux, y monte sur sa petite haquenée baie, dans le clos, pour voir courir deux blaireaux.

Le 13, vendredi.—Il commença à signer des lettres de retenue[579] pour quelques-uns de ses officiers.

Le 14, samedi.—Il signe des brevets, veut savoir pour qui ils sont. L'on parloit d'Engoulevent[580], qui faisoit le fol; de Heurles, son valet de chambre, va dire qu'il étoit à Langres, le Dauphin demande: Pourquoi?—«Monsieur, pour des affaires.»—Les fous ont-ils des affaires? Il demande le sieur Des Yveteaux, son précepteur, et l'envoie querir pour étudier; le précepteur se trouva malade. Mené à Cachant[581], il monte à cheval aux Carmélines.

Le 15, dimanche.—Il est mené en l'hôtel de Nemours pour y voir un cabinet d'antiques, puis va à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés; ce fut la première fois; M. le prince de Conty[582] lui fait voir toute la maison.

Le 16, lundi.—M. de Gouville[583], gentilhomme normand, excellent tireur des armes, lui montroit les pas en avant et en arrière, et lui dit: «Monsieur, il vous faut apprendre à tirer en avant et à reculons;» il répond soudain: Je veux tirer en avant, non pas à reculons.

Le 17, mardi.—Mené chez le Roi, qui alloit à Chantilly, à deux heures; M. de Souvré le fait étudier. A six heures et demie soupé; le Dauphin fait armer M. le Chevalier Mars
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388 des armes entières que M. de Lesdiguières[584] lui avoit fait faire à Milan et ce jourd'hui avoient été présentées au Dauphin par M. de Créquy; elles avoient coûté mille doublons.

Le 19 mars, jeudi, au Louvre.—Ce jourd'hui, à déjeuner, il a commencé à manger de ses viandes et ouvrir sa maison; la Reine l'avoit nourri jusques ici, depuis son retour de Saint-Germain. Mené au clos des Chartreux, il y court un renard qu'il y avoit fait porter, lui étant à cheval, botté et éperonné; puis mené à l'hôpital des fols au faubourg Saint-Germain, il y voit une folle qui se disoit être fille du roi Charles[585].

Le 21, samedi.—A deux heures et un quart il entre en carrosse avec la Reine, qui part pour aller à Notre-Dame de Chartres, la conduit jusques auprès de Bourg-la-Reine.

Le 23, lundi.—Il est mené au faubourg Saint-Germain, voir la reine Marguerite.

Le 25, mercredi.—Mené au parc de Madrid[586], il a goûté à l'entrée, chez le concierge, puis il est mené en l'abbaye de Longchamp.

Le 27, vendredi.—Mené à l'Arsenal, il y a goûté à trois heures, puis est venu aux Tuileries trouver le Roi.

Le 29, dimanche.—Mené chez M. de Mayenne, où l'on lui présente la collation. Il demande à boire; lui en étant offert par les officiers de M. de Mayenne, il dit: Où sont mes officiers? M. de Ventelet, son maître d'hôtel, lui dit tout bas que ce seroit offenser M. de Mayenne de refuser ses officiers; lors il prend le verre où étoit le vin, fort trempé, et ne y fait que tâter. Mené à vêpres à Saint-Antoine-des-Champs.

Le 30, lundi.—Mené aux Tuileries et aux Chartreux, Mars
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389 ramené au jardin du Louvre, il y a cueilli lui-même une douzaine d'asperges.

Le 31 mars, mardi.—A douze heures et demie il entre en carrosse pour aller à Saint-Germain-en-Laye, va par le pont de Neuilly et arrive à la chaussée, monte à cheval et rencontre Mesdames, qui lui étoient venues au devant. Il marche à la tête du carrosse pour se faire voir, et arrive à Saint-Germain à quatre heures et trois quarts. Il va par le jardin au parc jusques à la chapelle, est ramené au château, en la chambre du Roi, où il logea.

Le 1er avril, mercredi, à Saint-Germain.—A neuf heures et un quart il entre en carrosse pour aller dîner à Fresnes, où le Roi, revenant d'Anet par Mantes, l'avoit mandé, y a dîné à onze heures trois quarts avec le Roi; peu après, mené en carrosse jusques au bois, il est monté à cheval, est allé dans le bois après la chasse, suivant le Roi. Ramené à Saint-Germain avec le Roi en carrosse à six heures, il lui demande permission d'aller étudier, pource que le Roi lui avoit dit le matin que s'il n'étudioit point qu'il ne iroit point à la chasse. A sept heures et demie il est mené en carrosse au bâtiment neuf[587], voir la Reine.

Le 2, jeudi.—A sept heures et demie mené en carrosse au bâtiment neuf, pour y voir danser le ballet de Madame.

Le 3, vendredi.—Mené vers la Muette, à la rencontre du Roi, qui étoit à la chasse.

Le 4, samedi.—Il va dire adieu à Messieurs, ses frères, et à Mesdames, ses sœurs, est mené à la chapelle à la messe, puis chez la Reine au bâtiment neuf, et à neuf heures et demie est parti. Il va à Ruel, où étoit le Roi, se promène partout; à midi dîné avec le Roi et la Reine; Moisset[588] donnoit le dîner, et aux princesses. Parti à trois Avr
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390 heures, il passe par Saint-Cloud, et arrive à Paris à cinq heures trois quarts.

Le 5, dimanche, au Louvre.—Mené aux Feuillants, à la messe, il se joue aux Tuileries; dîné avec le Roi; mené au faubourg Saint-Jacques, en un jardin où il court un lièvre avec ses deux petits lévriers.

Le 9, jeudi, au Louvre.—Il entre en carrosse avec la Reine, qui part pour aller à Fontainebleau, l'accompagne jusques à la porte Saint-Antoine, va à l'Arsenal. Mené au parc de Mlle de Longueville à la Ville-l'Évêque.

Le 10, vendredi, voyage.—A huit heures parti de Paris pour aller à Fontainebleau, il arrive à dix heures trois quarts à Juvisy, où il a dîné; ne voulut jamais entrer en l'hôtellerie: Hé! mousseu de Souvré, n'y allons point! allons là dedans, montrant une maison de M. Chauvelin, qui étoit fort propre; il y a dîné. A trois heures il rentre en carrosse, arrive à Essonne à quatre heures trois quarts, va voir le moulin à polir les diamants, puis celui à papier, y fait lui-même six feuilles à papier, fort bien, est ramené par eau. Couché à Essonne.

Le 11, samedi.—Mené à l'église, puis au moulin où l'on blanchit les toiles; il part d'Essonne à huit heures, et arrive à dix heures trois quarts à Ponthierry, où il a dîné. Arrivé à quatre heures à Fontainebleau, il va chez le Roi; à cinq heures et un quart soupé avec le Roi.

Le 12, dimanche, à Fontainebleau.—Mené chez LL. MM. et à la procession[589], avec le Roi.

Le 13, lundi.—Lu, écrit, tiré des armes, mené à la messe en la chapelle, puis chez LL. MM. Après souper il s'amuse à peindre[590].

Le 16, jeudi saint.—Il ne veut point déjeuner pource que M. de Souvré lui dit que le Roi, qui se trouvoit Avr
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391 un peu mal, lui commandoit d'aller laver les pieds aux petits enfants. Il ne y peut consentir, jusques à ce que M. de Souvré lui dit qu'il les laveroit; il a déjeuné puis il dit soudain: Mousseu de Souvré, souvenez-vous de votre promesse. M. de Richelieu[591] lui demanda s'il lui plaisoit pas qu'il fût le Dauphin pour lui, et qu'il laveroit les pieds: Je le veux bien, mais je reviendrai incontinent. Il demande à étudier, mais c'est pour gagner le temps. Mené chez le Roi, qui lui demande s'il veut pas aller laver les pieds aux petits enfants: Oui, mon père, mais j'aimerois mieux sauter le fossé; c'étoit un petit fossé que deux jours auparavant le Roi lui avoit fait sauter, et où il avoit mis une jambe dans l'eau, ne l'ayant pu franchir. Mené à la grande salle à neuf heures et demie, il fait fort bien la cérémonie du lavement des pieds, est servi par M. le comte de Soissons, grand maître, et autres officiers du royaume, comme si c'eût été le Roi. Après souper mené chez LL. MM.; au retour, il s'arrête de lui-même au reposoir qui étoit en la salle, y prie Dieu.

Le 17, vendredi saint, à Fontainebleau.—Mené à la salle du cheval, au sermon du P. Coton.

Le 18, samedi.—Il écrit à M. de Lesdiguières, le remerciant des armes qu'il lui avoit envoyées[592]; mené à la messe en la chapelle, il va à confesse au P. Coton. A quatre heures et demie il entre en carrosse avec LL. MM., qui le mènent voir l'eau mise au grand canal.

Le 19, dimanche, jour de Pâques.—A deux heures il est mené au sermon du P. Coton.

Le 20, lundi.—Mené chez LL. MM., où il voit un miroir ardent qui fondoit du plomb.

Le 22, mercredi.—Le fils du mylord Cécil, Anglois, Avr
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392 le vient saluer; mené à la chasse au blaireau, il y mène le fils du mylord Cécil.

Le 23 avril, jeudi.—Il s'amuse en sa chambre à raboter des ais; il y avoit des menuisiers.

Le 27, lundi, à Fontainebleau.—A deux heures mené chez la Reine, il y dit tous ses mots latins. Mené à cinq heures promener au parc avec le Roi: près de la bonde, il y avoit une rigole d'un pied et demi de largeur par où l'eau tomboit dans le grand canal. Le Roi le faisoit sauter cette rigole; il la sautoit sans course. Il lui commande de la sauter avec course: la crainte qu'il avoit de ne prendre pas justement son élan, de tomber dedans et faire rire le monde, fut cause qu'il ne voulut jamais sauter à course. Le Roi sauta pour lui en donner la volonté, en fit sauter plusieurs. M. de Souvré le menace du fouet, il répond qu'il aime mieux l'avoir que de sauter. Cela offensa le Roi, qui commanda qu'il le fût. Ramené en son cabinet avec protestation de vouloir sauter. Fouetté de trois coups de verge, ce fut la première fois, il dit: Ce n'est rien; il ne m'a pas fait mal. A neuf heures il va chez le Roi, où quelques-uns de ses petits gentilshommes se préparent de jouer quelques vers de la Bradamante[593] devant le Roi; il avoit sept vers à dire de Charlemagne. A dix heures ils vont à la chambre de la Reine, et en présence de LL. MM. ils jouèrent; il dit: J'ai oublié mon rolet.

Le 28, mardi.—A neuf heures il va dire adieu à la Reine, qui partoit pour aller à Paris; le Roi étoit parti à six heures. Le soir il envoie querir la musique de M. de Bouillon; c'étoit un luth, un clavecin et une viole par un nommé Pradel, excellent joueur s'il en fut jamais.

Le 29, mercredi.—Il s'amuse à écrire des devises et à peindre les corps[594].

Avr
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Le 30 avril, jeudi.—Mené sur la route de Moret, où il chasse au blaireau. Il étudie et apprend à décliner son nom en latin jusqu'à l'ablatif.

Le 1er mai, vendredi, à Fontainebleau.—Il étoit botté pour aller à la chasse, il se prit à pleuvoir: C'est, dit-il, un grand cas; il pleut toujours quand je me botte, je voudrois bien savoir d'où vient cela. Il est amusé par certaine musique ambulatoire[595].

Le 2, samedi.—Son précepteur M. Des Yveteaux lui ayant demandé que c'étoit à dire en françois: Discite justitiam moniti et non temnere divos, il répond: Je ne sçais. M. Des Yveteaux reprit: «C'est-à-dire, soyez avertis à apprendre à faire justice et à ne craindre point Dieu.» Je veux croire[596] que ce fut par mégarde.

Le 5, lundi.—En buvant il regardoit deçà et delà; M. de Souvré lui dit qu'il faut regarder dans le verre, et le lui montroit avec deux doigts; le Dauphin ayant bu, lui fait les cornes. M. de Souvré lui dit: «Comment, Monsieur, vous me faites les cornes?»—Quand on fait les cornes, il les faut rendre; c'étoit un de ses plus grands déplaisirs quand on les lui faisoit, et l'une de ses plus grandes vengeances. Le long du dîner il s'entretient de la chasse avec maître Martin, qui avoit les chiens d'Artois. Le sieur Angé lui voulut faire quelque conte, il dit: Ho! ce sont contes de la cigogne.—«Monsieur, vous ne les croyez donc pas?»—Je ne suis pas de ceux là. Je lui demande: «Monsieur, qu'est-ce des contes de la cigogne?» il répond: Quand on veut faire craire quelque chose qui n'est pas vraie.

Le 8, vendredi.—Il s'amuse à peindre un carrosse à six chevaux, avec l'encre et la plume[597].

Le 9, samedi.—A dîner il raille avec M. le Chevalier Mai
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394 et avec M. de Verneuil, dit à M. de Verneuil qu'il donnera la bénédiction à M. le Chevalier quand il ira à Malte. A souper on lui sert des maquereaux pour la première fois; il demande: Qu'est cela? on lui répond: «Monsieur, ce sont des maquereaux»; il ouvre la gueule au poisson et, lui battant la tête: Fi! le vilain! ôtez, ôtez-moi ces vilains!

Le 11 mai, lundi, à Fontainebleau.—Le matin il fait ouvrir les fenêtres et souffle en l'air, disant qu'il envoie toutes ses opiniâtretés au comte de la Voute, qui étoit logé au pavillon du bout du jardin du Tibre.

Le 13, mercredi.—A dix heures il entre en carrosse, va par Moret (ce fut la première fois); on lui porte les clefs de la ville; il la traverse, et va dîner à Ravannes, maison du jeune Loménie. Il revient par Moret, où M. de Moret, âgé de deux ans, le vient saluer, arrive à Fontainebleau, où, sans descendre de carrosse il est mené en la forêt, au devant du Roi, qui couroit le cerf, revenant de Paris. La Reine arriva à neuf heures.

Le 16, samedi.—L'on prend un chaton de diamants qui étoit sur un cordon de chapeau, pour le lui mettre pour enseigne; quelqu'un dit que M. de Sully lui en bailleroit un de deux mille écus: Ha! oui, dit le Dauphin, et il n'a pas voulu payer mes chevaux de chariot! il le disoit en colère sans le montrer; il n'aimoit pas à être refusé.

Le 18, lundi.—Déjeuné en s'amusant à faire lire et interpréter au sieur Des Yveteaux certaines devises qui étoient dans un petit livre appartenant à M. de Souvré; il y en avoit une de l'hermine, qui aimoit mieux se laisser prendre que de se souiller: Celle-là est belle! dit-il.

Le 19, mardi.—A souper M. de Vilaines, gentilhomme servant, lui demanda s'il lui plaisoit du vin ou de la tisane, il lui répond: Duquel que vous aimerez le mieux; il lui sert de la tisane, et ayant bu il lui dit: J'ai bu de celui que vous aimez le moins.

Le 21, jeudi.—A midi, dîné avec le Roi; il s'amuse Mai
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395 à écouter maître Guillaume[598], et rit de ce que le Roi lui ayant demandé de qui il pensoit que Monseigneur le Dauphin fût fils, il lui répondit: «D'un président de Paris.»

Le 26 mai, mardi.—Goûté hâtivement pour aller à la chasse, il dit à M. de Souvré: Mousseu de Souvré, dites s'il vous plaît à ma mère qu'il y a cinq jours que je ne suis point monté à cheval; en vérité il y a cinq jours! Il commande que ses bottes fussent mises dans le carrosse, va chez la Reine, est mené en carrosse pour aller au devant du Roi, qui couroit le cerf, voit passer le cerf et se trouve à la mort.

Le 1er juin, lundi, à Fontainebleau.—Mis au lit, il me donne son bras et me dit: Regardez le petit oiseau avant de vous en aller; c'étoit son pouls. Il me donna congé pour aller à Vaugrigneuse[599].

Le 18, jeudi.—Mené à la chapelle, puis chez LL. MM.; il va avec eux à la procession et au sermon.

Le 24, mercredi.—Il étudie au catéchisme. Après souper il est mené chez LL. MM., puis se va jouer à la galerie, où il bat un des laquais à coups de raquette, parce qu'il avoit accompagné M. de Souvré allant au bourg; ramené en pleurant de peur du fouet, que le Roi avoit commandé de lui donner. Mis au lit, il ne veut point dormir que M. de Souvré ne l'aye assuré qu'il n'auroit point le fouet.

Le 25, jeudi.—M. de Souvré lui fait la peur entière du fouet jusques à l'exécution, suivant la grâce qu'il en avoit demandée au Roi. Mené à la messe chez LL. MM., où il se jette à genoux devant la Reine, demandant pardon de la faute du jour précédent, et peu après en fait autant au Roi, qui arriva en la chambre de la Reine, laquelle rougit lorsque Monseigneur le Dauphin se jeta à Juin
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396 genoux devant elle, et n'écoutoit point ce que M. de Souvré lui disoit. Soupé avec le Roi; mené au jardin promener, il demande permission au Roi de cueillir et faire deux bouquets, l'un pour la Reine et l'autre pour Mlle de Fonlebon, l'une des filles de la Reine, sa maîtresse; il en étoit amoureux. S'en retournant il demande congé d'aller chez les filles de la Reine, donne le bouquet à sa maîtresse, et la baise quatre fois, serré et gaiement; puis va chez la Reine, et lui donne l'autre bouquet, fait de lys blancs et autres fleurs, se met à chanter plusieurs chansons en concert, devant LL. MM.

Le 26, vendredi.—M. le maréchal d'Ornano[600], qui ne l'avoit jamais vu, lui fait la révérence, la larme à l'œil.

Le 28 juin, dimanche.—M. [le prince] et Mme la princesse de Condé, fille de M. le connétable, arrivent. Piedro Guichardini, ambassadeur du nouveau grand-duc de Toscane[601], lui apporte des lettres de sa part, de son frère et de la Grande-Duchesse.

Le 2 juillet, jeudi, à Fontainebleau.—A une heure il va trouver le Roi, qui le mène au conseil, où il alloit pour entendre les avis divers qui se proposoient par diverses personnes, sur le fait et changement des monnoies; le Roi le tenoit entre ses jambes; la Reine aussi y assista. C'est la première fois qu'il a été au conseil.

Le 4, samedi.—Mené à la messe, puis à la grande galerie pour voir le Roi, qui couroit la bague; il l'emporta une fois. Les dames étoient aux fenêtres d'en haut du pavillon, et entre les autres Mme la princesse de Condé.

Le 5, dimanche.—Il va en la grande galerie pour voir le Roi courant la bague, qui de cinq courses fit trois dedans. Après souper il va chez LL. MM., et, du corridor, regarde le Roi, qui étoit en la cour prenant plaisir Juil
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397 à jeter des fusées; mené au bal, où il dansa gaiement. M. de Vendôme fut épousé[602] entre une heure et deux heures après minuit. Mme de Mercœur envoya au Dauphin une petite chaîne de chiffres d'or où pendoit un Hercule enrichi de petits diamants, et, à la base au-dessous, étoient écrits ces mots: La grandeur de ton père et la vertu te font plus grand qu'Hercule.

Le 6, lundi, à Fontainebleau.—A déjeûner il hume trois cuillerées de bouillon pour l'amour de Mme la princesse de Condé et deux pour Mlle de Fonlebon, sa maîtresse[603]. Après souper il va chez le Roi, le regarde jetant des fusées, puis monte en la chambre de Mme la princesse de Condé; il en étoit piqué.

Le 7, mardi.—A cinq heures il accompagne, en la chapelle basse, le Roi, qui conduisoit Mlle de Mercœur pour épouser; M. de Gondi, évêque de Paris, l'épousa à M. de Vendôme, fils naturel du Roi. Soupé à six heures et demie en la salle du cheval, où se faisoit le festin royal, les princes servant, puis il va à la salle du bal, où se dansa le grand bal; il conduisoit la Reine.

Le 8, mercredi.—Il s'amuse à faire copier une chanson d'amour et à marquer la note de l'air. Mené chez LL. MM., et à cinq heures à la grande galerie, d'où il voit le Roi courant la bague. A six heures et demie soupé, puis mené chez LL. MM., il va à onze heures avec eux en la salle du cheval, où il a vu danser le ballet des preneurs d'amour avec des faucons, des furets et par des pêcheurs, etc., de l'invention du sieur de Bonières. Ramené à une heure et demie après minuit.

Le 11, samedi.—A neuf heures étudié; M. Des Yveteaux le tenoit entre ses jambes, à la vue de M. de Souvré et de Mme de Saint-Luc; écrit, dansé, tiré des armes.

Juil
1609

398

Le 12, dimanche, à Fontainebleau.—Mené à la chapelle, puis en la grande galerie, d'où il voit le Roi courant la bague. Avant de se coucher il compose et écrit des vers amoureux, marque la note de l'air; son précepteur[604] l'aide à achever, y ajoute des vers.

Le 13, lundi.—A dîner, il raille avec un fol normand, nommé Des Vietes, qui faisoit du mauvais latin.

Le 14, mardi, voyage.—Il part de Fontainebleau, dîne à Melun, arrive pour la première fois à Brie-Comte-Robert à quatre heures; goûté au château, racoustré par M. Gobelin, président des Comptes. Après souper il est mené promener à Panfou, maison de M. le chancelier[605], se joue sur un meulon de foin, l'assaut, le défend, se roule du haut en bas, sue, change de chemise. Ramené à Brie; ses bagages n'étoient point arrivés, son chariot s'étoit rompu par deux fois, ils n'arrivèrent qu'à onze heures. A neuf heures et demie il est dévêtu, mis au lit; c'étoit le lit de M. Gobelin et de ses draps. Il demanda: Le Roi mon père a t'y couché ici? On lui dit que oui, car il eût fait difficulté d'y coucher. Il se met à vouloir des vers, et me dit: Mousseu Hérouard, mettez cette prose en vers: «Je veux que ceux qui m'aiment m'aiment longtemps; car s'ils ne m'aiment point qu'ils me quittent demain». Il me presse de les faire tout à l'heure; je les lui fais ainsi:

Je veux que tous ceux-là qui de m'aimer desirent,
Que ce soit pour toujours ou bien qu'ils se retirent.

Il me dit: Je vous en veux donner une autre prose; c'est cette-ci: «Je veux que toutes mes actions ayent leur fondement sur la vertu». Apportez-le moi demain matin en vers.

Le 15, mercredi, voyage.—Éveillé à huit heures, il me demande les vers avec impatience; je me veux excuser, il me presse, je les lui baille ainsi:

Juil
1609

399

Je consacre mes actions
Et toutes mes affections
A la vertu pour fondement unique,
Afin que par tout l'univers,
En renommée magnifique,
Mon nom soit immortel en tous âges divers.

Il voulut se les faire écrire pour leçon. Mené à l'église, il entre à neuf heures en carrosse, arrive à onze heures et un quart à Creteil pour la première fois, dîne en la maison de M. Mangot[606]. Parti à trois heures en carrosse, il monte à cheval au petit Saint-Antoine, et ses petits gentilshommes marchent devant lui, deux à deux, selon l'ordre de leur arrivée auprès de lui; les premiers furent M. de Liancourt et M. le comte de la Voute. Il arrive au Louvre à cinq heures, voit le Roi, qui étoit arrivé par eau une heure auparavant; la Reine arrive à huit heures.

Le 16, jeudi, au Louvre.—Étudié, écrit, dansé, tiré des armes, joué à la paume; il change de chemise, étant forcé par M. de Souvré, qui le frappe du gant; il s'en pique étrangement. M. de Souvré lui remontre, et lui disant qu'il ne veut rien faire ne croire de tout ce qu'il lui dit, il lui répond en colère: Non, je crois pas tout ce que vous me dites ne ce que vous me direz.

Le 17, vendredi.—Éveillé à six heures et demie; il feint de dormir, de peur de châtiment, se ressouvenant de la colère qu'il avoit eue contre M. de Souvré; on regarde en son lit, on le trouve pleurant; M. de Souvré lui remontre; il se repent.

Le 18, samedi.—Mené aux Tuileries par la galerie, il entend la messe aux Capucins. A quatre heures mené en carrosse au jeu de paume de Verdelet, à la rue Plâtrière, il y a joué.

Juil
1609

400

Le 19 juillet, dimanche.—M. le maréchal d'Ornano lui donne un poignard de sultane, garni de rubis.

Le 20, lundi.—A neuf heures il entre en carrosse pour aller à Saint-Germain-en-Laye, par le port de Neuilly et la chaussée, y arrive à midi et fait bonne chère à Messieurs, ses frères, et Mesdames, ses sœurs. A six heures le Roi revient de la chasse.

Le 21, mardi.—Dîné avec le Roi; à quatre heures il entre en carrosse, et, par les bacs, arrive à Paris à six heures et un quart.

Le 22, mercredi, au Louvre.—A quatre heures et demie il entre en carrosse avec le Roi, qui le mène baigner en la rivière, au-dessous de Conflans, à l'île gauloise (ce fut la première fois); il se y met sans crainte, en gagne une discrétion à M. de Bellegarde, grand écuyer, qui gagea le contraire contre lui. Le Roi lui versoit de l'eau sur la tête à pleins chapeaux, M. de Paistry lui montroit à nager, le conduisoit, le tenoit sous le menton. Il lui prend envie de plonger, il but; il y est une demi-heure. Ressuyé, ramené en son carrosse; à huit heures soupé; il me fait l'honneur de me raconter son voyage et comme il s'étoit baigné, me dit qu'il n'avoit point voulu pisser en l'eau, de peur qu'il ne le bût mêlé dans l'eau, mais que le Roi son père y avoit pissé.

Le 27, lundi.—A trois heures il entre en carrosse, est mené à Saint-Denis pour la première fois; il donne de l'eau bénite à la feue Reine, mère du feu Roi, que, depuis quatre mois, Mme d'Angoulême avoit fait porter de Blois pour la faire ensevelir[607]; il voit le trésor. Ramené à sept heures, soupé; il se ressouvient et me raconte qu'il a vu à Saint-Denis l'épée de Jehanne la Pucelle, veut Juil
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401 savoir qui elle étoit, ce qu'elle fit, ce qu'elle devint; il dit qu'il y a six Louis enterrés, parle des sépultures, de celle du roi Louis et de son petit qui n'avoit que deux mois[608] et autres choses.

Le 29, mercredi.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Germain, au clos de l'hôtel de Luxembourg, il y fait courir deux lièvres par ses petits chiens d'Artois.

Le 31, vendredi.—A midi, dîné, étudié; sa nourrice vient, qui lui dit qu'il faut bien étudier trois ou quatre ans et qu'après il n'étudiera plus; il lui répond: Ho! non, plus je serai vieux et plus j'aurai besoin d'apprendre.

Le 1er août, samedi, au Louvre.—Mené en carrosse à l'hôpital des pestiférés, qui se bâtissoit près de Montfaucon[609].

Le 3, lundi.—A midi dîné, mené chez le Roi, puis à l'Arsenal, où il a goûté et mangé beaucoup de prunes, que M. de Sully a secouées lui-même de l'arbre.

Le 7, vendredi.—Il va voir la reine Marguerite à deux heures, puis part pour aller à Saint-Maur[610], arrive au petit Saint-Antoine, en l'abbaye, où il a goûté, passe par le bois de Vincennes et arrive à six heures à Saint-Maur-des-Fossés.

Août
1609

402

Le 9, dimanche, à Saint-Maur.—Il est mené à la messe au village, puis se promener par des jardins du bourg; il s'amuse à abattre des noix avec une balle, à coups de raquette, mange des cerneaux sucrés des noix qu'il avoit abattues. A deux heures mené en carrosse à la chasse au lièvre: il en prend deux vers Champigny; il faisoit un extrême chaud.

Le 11, mardi.—Il fait chanter et chante en concert des chansons d'amour; mis au lit, il fait encore chanter Laudate en concert de voix, d'un luth et d'une mandore.

Le 12, mercredi.—Il est mené à la messe en l'abbaye, puis va vers le moulin mettre ses chiens en l'eau après une oie. A quatre heures mené à pied au jardin de M. Le Voy.

Le 13, jeudi.—A deux heures il entre en carrosse, va au Plessis-Saint-Antoine, maison de M. de Pluvinel; il faisoit grand chaud.

Le 14, vendredi.—Il va au-devant de la reine Marguerite, l'a longtemps accompagnée.

Le 15, samedi.—Mené à la messe au bois de Vincennes, il y fait ôter le comte d'Alais d'auprès de M. de Verneuil, l'ayant commandé à M. de Pons, précepteur de M. de Verneuil.

Le 21, vendredi.—Mené à la messe aux Bonshommes du bois de Vincennes; Mme la princesse douairière de Condé et Mme la duchesse de Vendôme le viennent voir.

Le 23, dimanche.—Il est mené à la messe, puis entre en carrosse pour aller à Breban, maison de M. de Mareuil du Val, y a dîné; il faisoit une extrême chaleur.

Le 25, mardi.—Goûté et fait la collation pour la fête Saint-Louis; après souper il attend avec impatience un ballet fait par huit des siens; c'étoient des sauvages; il le fait danser deux fois.

Le 26, mercredi.—M. de Vendôme arrive, qui venoit prendre congé de lui pour aller tenir les états de Bretagne Août
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403 à Nantes; mené en carrosse à la chasse, M. de Vendôme avec lui.

Le 27, jeudi, à Saint-Maur.—Il avoit un chien nommé Pataut, le plus ancien, qu'il souloit avoir à Saint-Germain, et qu'il aimoit et avoit toujours aimé. M. de Souvré lui disoit: «Monsieur, vous avez trop de chiens; il en faut ôter de ceux qui ne valent rien, et sont trop vieux comme Pataut».—Pataut, mousseu de Souvré, ho! non, je veux nourrir les vieux.—Il se met à inventer un ballet, fait les vers, dit: Velà pour donner, et ceux là pour chanter.

Le 28, vendredi.—Il n'étudie point, pour ce que son précepteur étoit allé à Paris; botté, il monte à cheval, va jusques à Chenevières à la chasse du lièvre, avec sa meute de petits chiens courants, donnés par le prince de Galles et que M. de Vitry avoit amenés.—Il s'amuse à peindre avec l'encre et la plume.

Le 29, samedi.—Mené à Champs, maison de M. Faure, maître d'hôtel du Roi et beau-frère de M. le chancelier.

Le 30, dimanche.—Il est vêtu de chausses rondes à bas à attacher, l'habillement de satin gris et passement d'or (c'est la première fois pour le bas attaché). Il monte à cheval, est mené à la messe aux Minimes du bois de Vincennes.

Le 31, lundi.—Il s'amuse à peindre avec la plume. M. de Souvré lui parle d'aller dîner à Champs; il déclame contre le chemin: C'est le plus mauvais chemin du monde. Je lui dis que si M. Faure, qui en est le maître, eût su qu'il y fût allé l'autre jour, il y eût trouvé une belle collation, et qu'il m'avoit prié de l'en avertir, et s'il y vouloit retourner qu'il la y trouveroit.—Ho! non, il y a trop mauvais chemin, j'aime mieux mes chevaux qu'une collation. M. de Souvré lui demande s'il veut pas que son carrosse soit attelé de mules.—Ho! non, cela est bon pour dom Piedro de Toledo.

Le 1er septembre, mardi, à Saint-Maur.—Mené au-devant du Roi, qui revenoit de Monceaux; le Roi arrive à Sept
1609
404 Saint-Maur à cinq heures et un quart; soupé avec le Roi à six heures et demie; le Roi part à sept heures trois quarts pour aller à Paris.

Le 2, mercredi, à Saint-Maur.—A trois heures il entre en carrosse, et va jusques à Plaisance au-devant de la Reine, qui de Monceaux alloit à Paris; elle le fait mettre en sa litière[611], jusques auprès du parc de Vincennes; il est ramené à Saint-Maur à sept heures et demie.

Le 5, samedi.—Il se joue à tirer par le cordage un petit canon donné par feu M. de Lorraine, y met ses petits gentilshommes deux à deux; il se met au premier rang, va ainsi de chambre en chambre.

Le 6, dimanche.—Il monte à cheval, passe l'eau au bac de Créteil et va dîner à Brevannes; à trois heures il monte à cheval, est mené à Maisons, où il a goûté. Ramené à six heures et un quart, il se va jouer au parc, à un petit fort qu'il faisoit défendre et assaillir.

Le 7, lundi.—Il étudie sur un billet que son précepteur avoit laissé du samedi pour aller se jouer à Paris[612].

Le 8, mardi.—Il étudie un compliment que M. de Souvré lui apprit pour dire à l'ambassadeur du marquis de Brandebourg, qui devoit venir le saluer sur l'après-dînée. A une heure et demie arrive l'ambassadeur du marquis de Brandebourg devers le Roi, pour lui demander son assistance contre les Espagnols, qui s'étoient saisis de Clèves, où il prétendoit par succession[613]; il dit au Dauphin avoir commandement de son maître de le venir saluer de sa part et de lui offrir son service. Je me sens obligé à monsieur l'Électeur de la souvenance qu'il a de moi, répond le Dauphin, et il demeure court. L'ambassadeur Sept
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405 lui présente un pied d'élan et un échiquier, où les carrés étoient d'ambre jaune et au-dessus les rois de France en ivoire, lui disant que c'étoient des présents du pays; le Dauphin reprend le reste de son discours et lui dit: Je serai très-aise quand il s'offrira quelque occasion où je le puisse servir.

Le 9, mercredi, à Saint-Maur.—Son précepteur revient de Paris; étudié, écrit, tiré des armes, dansé, mené à la messe en l'abbaye, puis sur le bord de la rivière, où il fait faire un fort, y travaille lui-même. Il joue aux dames au damier du marquis de Brandebourg, fait un ballet sur la Bergamasque et un autre tout à l'heure, qu'il appelle des lièvres, couvrant sa tête d'un mouchoir qui faisoit deux cornes pour les oreilles.

Le 11, vendredi.—A onze heures et demie il part pour aller à Chaillot, pour y voir M. d'Anjou et Mesdames; M. d'Orléans étoit demeuré à Saint-Germain, il se trouvoit mal du flux de ventre. Le Dauphin passe par le parc de Vincennes et autour de Paris par dehors[614], arrive à une heure à Chaillot, à trois heures y a goûté, se promène au parc, y mène Madame, leur raconte ce qu'il a fait à Saint-Maur. Le Roi et la Reine y arrivent. A quatre heures et un quart il entre en carrosse, est ramené coucher à Saint-Maur, y arrive à sept heures.

Le 13, dimanche.—Il entre en carrosse, va ouïr la messe à Picpus[615], puis à dix heures et un quart arrive à Paris, au Louvre; mandé pour dîner avec LL. MM., qui Sept
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406 avoient aussi mandé M. d'Anjou et Mesdames. Il retourne et arrive à Saint-Maur à six heures et demie.

Le 16, mercredi, à Saint-Maur.—On lui demande s'il aime mieux aller à Fontainebleau, ou demeurer à Saint-Maur; il répond: Si papa va à Fontainebleau, j'aime mieux y aller, s'il demeure à Paris j'aime mieux être ici. L'on parloit de Scœvole, qui brûla sa main pour avoir failli à tuer le roi Porsenna, le Dauphin dit: Il valoit mieux qu'il eût brûlé sa tête, qui avoit si mal conseillé sa main[616].

Le 17, jeudi.—Mené à Charenton et par delà du pont, en une maison qui est sur la pointe du chemin de Brie et de Villeneuve.

Le 21, lundi, à Saint-Maur.—Étudié par billets; son précepteur étoit absent depuis le samedi après dîner. Mme de Montglat vient voir le Dauphin; il la mène promener au palemail.

Le 23, mercredi, voyage.—Il part en carrosse à onze heures trois quarts pour Fontainebleau, passe au bac de Chenevières sur la chaussée d'Amboile, et arrive à trois heures et demie à Brie.

Le 24, jeudi.—Il part de Brie à huit heures trois quarts, arrive à onze heures et un quart à Melun, y dîne et arrive à Fontainebleau à trois heures et demie. Il va chez la Reine; le Roi, qui étoit à la chasse, arrive à quatre heures et demie; mené avec LL. MM. au grand jardin, où il voit pêcher un cormoran aux canaux.

Le 25, vendredi, à Fontainebleau.—Il étudie un petit compliment pour un seigneur florentin, où il y avoit: Monsieur, je vous remercie qu'avez prins la peine, etc.; il demande à M. de Souvré, qui l'avoit fait: Qu'avez? qu'est-ce Sept
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407 qu'avez?
jugeant qu'il falloit dire que vous avez. Le Florentin arrive; il ne le sut pas bien dire; étant parti, M. de Souvré le tance, il se fâche; M. de Souvré le menace du fouet, puis de le dire au Roi. Là-dessus viennent les larmes et les prières: J'aime mieux être fouetté et le dites pas au Roi mon père; il lui est pardonné. Il étudie un billet que son précepteur avoit laissé dès le samedi précédent pour leçon: Experientia in tractatu rerum consistit. Écrit, tiré des armes, dansé, mené à la chapelle, puis au jardin des canaux pour y voir le cormoran prendre du poisson. Ramené à onze heures chez la Reine; à une heure et demie, lu en l'absence de son précepteur.

Le 27, dimanche, à Fontainebleau.—Il apprend le catéchisme; c'étoit une fois seulement au dimanche. Mené à la chapelle de la salle du bal, puis chez le Roi, qui le mène promener et faire à pied le tour du grand canal. Dîné avec le Roi; peu après il va en la chambre du Roi, où M. de Lesdiguières a été reçu et a prêté le serment de maréchal de France. A huit heures soupé chez M. Zamet, pour solenniser le jour de sa naissance[617]; le Roi boit au Dauphin, disant: «Je prie Dieu que d'ici à vingt ans je vous puisse donner le fouet!»[618] Le Dauphin lui répond: Pas, s'il vous plaît.—«Comment! vous ne voudriez pas, que je le vous puisse donner?»—Pas, s'il vous plaît. Ramené à neuf heures en la chambre du Roi, il s'amuse à écouter la musique.

Le 28, lundi.—A six heures et demie, en sa chambre, soupé. Le Roi arrive de la chasse, il y est conduit, se blesse au côté extérieur du pied gauche, à l'éperon de son huissier, qui portoit les flambeaux devant lui.

Le 29, mardi.—A trois heures et un quart goûté; il attend l'ambassadeur d'Angleterre, qui devoit prendre congé de lui, ce pendant apprend par cœur ce compliment, Sept
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408 dressé par M. de Souvré: Je vous prie de dire au roi et à la roine de la Grande-Bretagne, et à monsieur le prince de Galles, que je suis désireux de l'honneur de leurs bonnes grâces. Il attend jusques à six heures, il ne vint point. Arrive M. Jacob, ambassadeur extraordinaire de M. de Savoie, qui vient prendre congé de lui; M. de Souvré fait la réponse.

Le 1er octobre, jeudi, à Fontainebleau.—L'ambassadrice d'Angleterre vient prendre congé de lui; il la baise et ses deux filles, embrasse son fils. Elle prie M. de Souvré de lui permettre qu'il mesure sa hauteur à celle de Mgr le Dauphin; il avoit neuf ans. Mgr le Dauphin se trouva plus grand de deux doigts.—Il va au jeu de paume, où il joue en partie.

Le 3, samedi.—Dîné avec impatience pour ce qu'il devoit aller à la chasse; à midi il entre en carrosse, est mené à Fontaineport, où il passe la rivière; il avoit lui-même ordonné de ses relais à se tenir delà l'eau. Il monte à cheval sur l'une de ses petites haquenées, va au bois (c'étoit le buisson de Massory), brosse[619] à travers le bois, en est transporté de joie, dit à chacun: Voyez! je brosse, je brosse! C'est la première fois qu'il a brossé. Puis il va sur les routes, voit deux fois le cerf. Arrivé à six heures trois quarts, soupé avec le Roi; il étoit las et avoit la vue abattue; le Roi lui dit que s'il dormoit il ne iroit plus à la chasse avec lui, et lui de s'éveiller.

Le 4, dimanche.—Il écrit au prince de Galles:

Monsieur et frere, j'ay receu à faveur la souvenance que vous avés eue de moy, qui serai tousjours tres desireux de vous tesmoigner combien j'estime la continuation de vostre bonne grace par tout ce que peut

Votre tres affectionné frere à vous servir,

Louis.

A monsieur le prince de Galles, mon frère.

Oct
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409

Il écrit à la reine d'Angleterre:

Madame j'ay en trop d'estime l'honneur de vostre amitié pour négliger sans me y ramentevoir et vous asseurer de l'entiere affection à vostre service en tout ce qu'il vous plaira m'en recognoistre digne, estant, Madame ma tante,

Vostre affectionné nepveu à vous faire service,

Louis.

A la roine de la Grande Bretagne madame ma tante.

Ces lettres furent données à l'ambassadeur, qui s'en retournoit.

Le 5, lundi, à Fontainebleau.—Il étudie sous M. de Chaumont en l'absence de son précepteur; écrit, tiré des armes, dansé. Tout durant son dîner il s'entretient des chiens avec maître Martin, qui avoit les chiens d'Artois, et d'oiseaux avec M. de Marsilly, maître d'hôtel du Roi, sait juger des plus beaux, demande leur âge, leurs noms et ce qu'ils savent faire.

Le 10, samedi.—M. de Souvré lui met sa robe, disant: «Monsieur, allons étudier; vous voilà maintenant habillé en docteur.»—Oui, dit-il, docteur de la Palestine; et il jette sa robe à terre.

Le 12, lundi.—Mené à la chapelle, puis au grand canal pour y voir une petite galère qui avoit été faite pour l'y mettre.

Le 16, vendredi.—Mené au grand canal; il se met dans la galère, conduit le gouvernail; le Roi y entre; il est toujours au gouvernail; il veut que ce soit sa charge. Ramené à six heures, soupé; il appelle son baladin: Satyre, et fait deux vers:

Je viens de la part d'un satyre
Pour savoir si vous voulez rire
.

Le 17, samedi.—Il étudie; M. le président Jeannin y assiste. Le soir il fait faire la musique d'un luth, d'un théorbe et d'une mandore, l'écoute avec transport.

Oct
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410

Le 23, vendredi.—M. le marquis de Tresnel, sieur de la Chapelle aux Ursins, lui demande lequel, de lui ou de M. de Verneuil, étoit le plus fouetté?—Ho! mousseu Dupont[620] est bien doux; mousseu de Souvré l'est pas tant. Mais savez-vous qu'il faudroit faire? il faudroit faire saler mousseu Dupont, et donner du sucre à mousseu de Souvré.

Le 24, samedi, à Fontainebleau.—Il va voir le Roi, qui part pour aller à Paris; puis prend congé de la Reine, laquelle part pour aller dîner à Ponthierry et coucher à Saint-Jean en l'Isle, et le lendemain à Paris pour y faire ses couches.

Le 25, dimanche, voyage.—Il s'amuse à aider à trousser ses bagages, va au jardin de Ferrare, fait donner l'assaut à un fort qu'il avoit fait faire. A douze heures et demie il entre en carrosse et part de Fontainebleau; au dehors de la forêt il monte à cheval, et va chassant au lièvre et à l'oiseau, va à l'abbaye du Lis (c'est la première fois), y a goûté, remonte à cheval et arrive à Melun à quatre heures et demie.

Le 26, lundi, voyage.—Mené à la messe à Saint-Père; il part de Melun à sept heures et demie et, par Loursine et la forêt de Sénart, arrive à Villeneuve-Saint-Georges à dix heures et demie. Après dîner il va sur le bord de l'eau, et dit à M. de Souvré: Mousseu de Souvré, voulez-vous bien que j'entre en ce petit bateau; venez je vous mènerai bien, je rame fort bien. M. de Souvré le lui permet; il y va aussi. Mgr le Dauphin prend une rame, vogue fort justement et monte dans la rivière d'Yères, y est assez longtemps. Revenu à terre il rentre en carrosse, accompagné de M. de Longueville, qui étoit venu à Villeneuve. Il arrive dans l'abbaye Saint-Antoine à trois heures et un quart, y a goûté; à quatre heures et demie il monte à cheval et, par la porte Saint-Antoine, arrive à cinq heures au Louvre. Il va voir la Reine; le Oct
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411 Roi revient de la ville; il le va voir, et a soupé avec lui.

Le 27 octobre, mardi, au Louvre.—Mené voir la reine Marguerite, ramené chez LL. MM.

Le 29, jeudi.—Il écrit une lettre à Mme la princesse de Condé, la qualifie sa maîtresse, lui envoyant une petite guenuche, et souscrit: Votre plus affectionné cousin et serviteur.Louis.

Le 30, vendredi.—Mené en carrosse à la boutique de l'Argenterie pour voir des étoffes; il en choisit une d'un bel incarnat, et fouette d'un mouchoir toutes les autres qui ne lui agréoient point.

Le 31, samedi.—Il va au dîner de la Reine, prend congé de la Reine et du Roi au jeu de paume, et entre en carrosse pour aller à Saint-Germain-en-Laye voir Messieurs, ses frères, et Mesdames, ses sœurs. Il s'en va à la laiterie de Madame, aide à faire le beurre, va chez le Roi, qui arriva à six heures, s'amuse à jouer aux cartes avec Mesdames.

Le 1er novembre, dimanche, à Saint-Germain.—Il va au lever du Roi, lui donne sa chemise; dîné avec le Roi. Il se botte pour accompagner le Roi, qui part après vêpres à deux heures et demie, va en la garenne chassant avec le Roi jusques auprès de Chatou. Ramené à Saint-Germain à quatre heures.

Le 2, lundi.—Il prend congé de Messieurs et de Mesdames, entre en carrosse jusques au port du Pecq, où il passe l'eau dans une flette[621], et en l'autre bord dit encore adieu à Mesdames, que Mme de Montglat y avoit envoyées. Il monte à cheval, et va, chassant la perdrix, jusques à Chatou, où il passe dans une flette jusques à l'autre bord, et à quatre heures trois quarts arrive à Paris, au Louvre. Il va chez la Reine; le Roi étoit allé dès le matin, ce disoit-on, vers Breteuil en Picardie.

Nov
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412

Le 6, vendredi, au Louvre.—Éveillé à deux heures, il se fait coucher auprès de M. de Souvré[622], ne fait que dormailler et avec quelque inquiétude jusques à cinq heures.—Il va en son cabinet, s'amuse à faire joûter des chevaliers françois contre des Espagnols sur une ligne artificielle qu'il tournoit avec un instrument fait en clef de pistolet. Mené promener à la Ville-l'Évêque, il y court dans le parc un lièvre; en revenant il se rencontre un vilain chien, le fait prendre pour le faire apporter chez lui, et dit que c'est un pauvre chien qui cerche maître.

Le 7, samedi.—Mené en carrosse à l'Arsenal, voir M. de Sully; il ne y vouloit pas aller, ne lui faire bonne chère[623], n'eût été que la Reine le lui commanda.

Le 9, lundi.—Le Roi arrive de Fontainebleau; le Dauphin se soulève sur sa chaire et ôte son chapeau, le saluant à travers les vitres.

Le 12, jeudi.—Mené à l'hôtel de Luxembourg, il court un lièvre dans le parc; mené chez le Roi, qui avoit la goutte.

Le 13, vendredi.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé; mené aux Feuillants, puis chez LL. MM. Ramené en sa chambre, où il fut fait son nouveau logis, tout en haut du vieux corps de logis qui regarde le septentrion. Mené en l'hôtel de Luxembourg, il y fait courir un lièvre; ramené, il passe chez la reine Marguerite, va chez le Roi, puis en sa chambre.

Le 14, samedi.—Mené en carrosse promener à la Place Royale.

Le 15, dimanche.—A deux heures après minuit[624] il est éveillé, dit-il, par les chapons qui étoient au-dessus Nov
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413 de sa chambre, où l'on les engraissoit pour la Reine; il se fait coucher auprès de M. de Souvré. Mené à la messe à la chapelle de la tour de la Salle (c'est la première fois).

Le 17, mardi, au Louvre.—Mené à la chasse à la plaine de Grenelle; au retour M. de Longueville l'accompagne jusques en sa chambre, et lui dit: «Monsieur, vous êtes fort bien logé maintenant, mais vous êtes bien haut monté!»—Il se retourne à M. de Souvré, disant froidement et en raillant: Mousseu de Souvré, c'est mousseu de Longueville qui n'est pas en haleine.

Le 18, mercredi.—Mené en carrosse chez M. de la Tour, au faubourg Saint-Jacques; il y court et prend dans le parc un lièvre que M. de Souvré y avoit fait apporter. Il va chez la Reine; le Roi étoit allé à la chasse à Saint-Germain-en-Laye.

Le 19, jeudi.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé[625], mené par la galerie aux Feuillants. Le Roi revient de Saint-Germain.

Le 20, vendredi.—Botté, mené en carrosse jusques au Roule, il monte à cheval et va courir un loup en la garenne de Madrid.

Le 21, samedi.—Mené en carrosse à l'hôtel de Mercœur, au faubourg Saint-Honoré; ramené, il va chez LL. MM. Avant que d'aller chez la Reine, il va en la chambre d'où il étoit délogé, et qui se réservoit pour l'enfant dont la Reine devoit accoucher. Il voit tendre l'ameublement, il accommode le berceau, y met les matelas, puis se couche dedans et son petit chien Vaillant auprès de lui, se fait bercer, puis monte à la chambre de la Reine[626].

Le 23, lundi.—Mené en carrosse à la rue Saint-Denis; Nov
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414 voir des étoffes de soie; ramené chez la Reine, puis chez le Roi.

Le 24, mardi.—On commence à lui montrer la carte géographique. Mené en carrosse à la rue des Bons-Enfants, à l'académie de M. Benjamin, écuyer du Roi.

Le 26, jeudi, au Louvre.—Mené en carrosse à l'Arsenal, ramené à cinq heures chez la Reine. Sur les sept à huit heures la Reine commença à sentir des douleurs pour accoucher; il y va, se tient en la chambre. La Reine étoit pour accoucher dans son grand cabinet, il demande au Roi: Mon père, vous plaît-il que j'entre au cabinet de la Reine ma mère?—«Non pas encore, attendez ici.»—Mon frère de Vendôme y est bien. Il ne lui fut pas permis. Ce fut un peu devant l'accouchement, les douleurs ne furent pas grandes ne fréquentes. Justement comme dix heures eurent sonné, sa tranchée la print dont elle accoucha aussitôt de Madame, sixième enfant de sa Majesté[627]. Il va peu après saluer la Reine, et puis au petit cabinet de Madame, sa sœur; lui maniant la main, il dit: Riez, riez, ma sœur, riez, riez, petite enfant; voyez comme elle me serre la main.

Le 27, vendredi.—Dîné avec impatience pour aller à la chasse au bois de Vincennes; il y vole, y court le lièvre, en prend quatre, ne veut pas que le Roi sache qu'il en ait pris qu'un[628].

Le 28, samedi.—Mené en carrosse chez M. le comte de Soissons.

Le 6 décembre, dimanche au Louvre.—Mené à la messe à sa petite chapelle, puis par la galerie aux Tuileries. Ramené chez lui, il fait jouer une comédie par ses petits gentilshommes.

Le 9, mercredi.—Il dit à Mme de Montglat, qui étoit Déc
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415 venue à son lever. «Mamanga, voulez-vous pas me voir étudier?—«Monsieur, j'en verrai le commencement, s'il vous plaît.»—Je ne fais bien qu'à la fin, lui dit-il pour l'engager à être tout du long de son étude. On lui parloit des vies des hommes illustres que l'on avoit écrites, il demande: N'écrira-t-on pas la mienne? A une heure et demie dîné avec le Roi; après souper il blémit, s'endort: je lui demande s'il se trouvoit mal.—Oui, là, dit-il en me montrant le côté droit du ventre; mais c'est que le Roi mon père m'a fait dîner avec lui; il étoit deux heures et j'avois faim.

Le 10, jeudi, au Louvre.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite.

Le 11, vendredi.—Mené en carrosse chez Mme d'Angoulême.

Le 12, samedi.—M. de la Boissière récitoit une histoire du grand Gonzalve étant à Barlette; il demeura court. Le Dauphin lui dit: Achevez, ce n'est pas tout.—«Monsieur, pardonnez-moi.»—Ho! non, le sens n'est pas parfait; il écoutoit, selon sa coutume, fort attentivement. Mené en carrosse au jeu de paume du Verdelet.

Le 13, dimanche.—Mené à la petite chapelle, puis chez le Roi et par la galerie aux Tuileries, puis à onze heures trois quarts mené en carrosse par le Roi chez M. de Roquelaure, où il alloit dîner pour le jour de sa nativité[629]; le Dauphin y mange trois cornets d'oublies trempés dans du muscat pur; il dit qu'il est aigre, pource qu'il piquoit, en veut boire trempé d'eau; le Roi ne le veut pas permettre.

Le 15, mardi.—Mené en carrosse au faubourg Saint-Victor, au jardin du sieur de la Tour; il y court des lièvres, y a goûté; ramené chez la Reine, puis chez lui, il s'amuse à jouer au sabot.

Déc
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416

Le 17, jeudi, au Louvre.—Mené en carrosse chez M. le comte de Soissons, ramené chez la Reine, où il s'amuse à de petits amusements.

Le 18, vendredi.—Il s'aperçoit que M. de Souvré alloit prendre du vin pour déjeûner; il saute de sa chaise, y va pour en avoir et âprement, ne veut permettre que M. de Souvré en boive s'il ne lui en permet[630]. M. de Souvré n'en veut point; Mgr le Dauphin se doutant qu'il en prendroit après, commande à son sommelier de s'en aller, le guette s'il emportoit la bouteille au vin, puis entre en son étude.

Le 20, dimanche.—Mené chez le Roi, qui avoit pris médecine, puis par la galerie aux Feuillants; ramené par le même chemin chez LL. MM., puis chez lui; mené en carrosse aux Chartreux, où il a goûté.

Le 21, lundi.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite, où il se joue au jardin, danse au bal, écoute la musique. A six heures et demie soupé; il s'amuse à écouter des mauvais contes de La Clavelle[631] et autres, dont il sembloit que son esprit s'amollissoit; il y prenoit plaisir.

Le 22, mardi.—Mené chez la Reine, mandé par elle pour lui avoir été dit que son bégayement[632] procédoit pour avoir encore le filet; il fut jugé qu'il n'en avoit pas besoin; il craignoit qu'on lui voulût couper la langue quand on la lui faisoit tirer; il dit: Comment! me Déc
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417 la veut-on couper?
et commençoit d'en pleurer.—En soupant il s'amuse à voir faire des sauts de souplesse merveilleux à une petite fille âgée de cinq ans et à la voir danser.—Les sieurs de Chalais et de Pouillay s'étoient battus au cabinet du Roi; S. M. commande à M. de Souvré que Pouillay ait le fouet comme ayant jugé qu'il avoit le tort. Mme de Montglat est priée par Pouillay de supplier Mgr le Dauphin de supplier le Roi pour lui pardonner; il entre en colère, la repousse avec la main avec ces paroles: Allez-vous-en! quoi! vous voulez que je prie pour Pouillay le Roi mon père, et il a commandé qu'il eût le fouet! Il se mettoit en colère contre tous ceux qui lui en parloient à sa recommandation, et ne put être vaincu. Il aimoit plus Chalais que l'autre[633].

Le 25, vendredi, jour de Noël, au Louvre.—Mené chez le Roi, qui, à une heure et demie, le mène à Saint-Gervais au sermon du P. Gontier, jésuite.

Le 26, samedi.—Mené à vêpres à Saint-Germain-de-l'Auxerrois, puis goûté chez Mme de Souvré, logée au doyenné. Joué en son cabinet, avec ses petits gentilshommes, à croix et à pile, comme le Roi, à trois dés: Tope, masse.

Le 28, lundi.—Il écrit en son cabinet, dans la tour, cette lettre à M. le prince de Galles:

Monsieur et frère, le Roy mon seigneur et père envoyant le sieur de la Boderie vers le Roy de la Grande-Bretagne, je l'ay voulu charger de ce mot qui vous servira d'asseuré tesmoignage de mon amitié, de laquelle vous devés faire estat aussi certain que de chose qui vous est entierement acquise, desirant que vous me teniez pour

Vostre plus affectionné frère à vous servir,

Louis.

Le 29, mardi.—Il écrit au roi d'Angleterre cette Déc
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418 lettre, minutée par M. Lebeauclerc, son secrétaire; c'est la première lettre qu'il lui a écrite.

Sire, le sieur de la Boderie retournant par le commandement du Roy, mon seigneur et père, vers Vostre Majesté, je l'ay voulu charger de ce mot pour vous offrir mon service, duquel il vous asseurera plus particulièrement, me contentant de vous dire que je veux demeurer, Sire, vostre, etc.

Mené chez le Roi, joué, couru en la galerie. En attendant son souper, il écrit la lettre suivante à la reine d'Angleterre, minutée par M. Lebeauclerc:

Madame, je n'ay point voulu perdre l'occasion du voyage du sieur de la Boderie vers Vos Majestés sans me ramentevoir à vostre bonne grâce et vous asseurer de mon service comme de celuy qui veut estre tousjours

Vostre très-affectionné nepveu à vous servir,

Louis.

A madame ma tante, la roine de la Grande-Bretagne.

Après souper il apprend ce qui s'ensuit pour le dire à l'ambassadeur de Venise, qui le devoit visiter le jour suivant, venant résider auprès du Roi:

Je remercie humblement Messieurs de la seigneurie de Venise de la faveur qu'ils me font. Je vous prie de les asseurer de mon affection à les servir en ce qui pourra dépendre de moi et en votre particulier vous asseurer de mon amitié et bonne volonté.

Le 31, jeudi, au Louvre.—Botté, dîné, il ne mange point, d'impatience d'aller à la volerie avec le Roi, vers le Bourget. A douze heures et demie il entre en carrosse pour aller après le Roi, qui étoit parti; goûté en carrosse; il ne monta point à cheval, dont il étoit fort fâché: le temps et les chemins étoient mauvais.

ANNÉE 1610.

Étrennes de la ville de Paris.—Compliment à l'ambassadeur d'Espagne.—Reliques de Sainte-Geneviève.—Comédiens, marionnettes et ballets.—M. de Pluvinel.—Le Dauphin n'aime pas la flatterie.—Visite à Saint-Germain.—Baptême du fils de M. de Tresmes.—Portrait du Dauphin par Bunel.—Carrousel, course de bagues et ballet.—Mot sur Sully.—Mme de Montglat et M. de Souvré.—La nourrice du Dauphin.—Anecdote sur Charles IX.—La marquise de Verneuil.—Bruits de guerre.—La cérémonie de la Cène.—La librairie de Saint-Victor.—Visite à Saint-Germain.—La lance de chair.—Plan d'une forteresse.—Les enfants de Paris.—M. Aleaume.—Dernier dîner avec le Roi.—Dédain pour Sully.—Couronnement de la Reine.—Assassinat de Henri IV; mot du Dauphin.—Précautions prises dans la nuit.

Le 1er janvier, vendredi, au Louvre.—Mené en sa petite chapelle, puis chez LL. MM.; à onze heures et demie mené en Bourbon par le Roi, puis à douze heures et demie ramené pendant que le Roi touche les malades. Le prévôt des marchands, M. Sanguin, et [les] échevins de la Ville, en corps, le viennent saluer et lui apportent une douzaine de boîtes de confitures et autant de bouteilles de vin et hypocras; ils en avoient fait autant au Roi. Mené à vêpres à Saint-Germain-de-l'Auxerrois.

Le 5, mardi.—L'ambassadeur d'Espagne le visite de la part du Roi, son maître, il lui dit: Je remercie bien humblement le roi d'Espagne, mon oncle, de la souvenance qu'il a de moi; je vous prie de l'asseurer de mon affection à son service et en votre particulier de mon amitié et bonne volonté. Mené chez le Roi, ramené, soupé, il fait souper M. de Souvré, tous ses petits[634] avec lui (c'est la première Janv
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420 fois), et fait les Rois. Il est le roi, seul en sa table, et en l'autre ce fut M. de la Luzerne.

Le 6, mercredi, au Louvre.—A dîner il commande à une comédiante françoise[635], et lui dit: Venez à huit heures, car je me couche à dix. Mené en carrosse au faubourg Saint-Jacques chez M. de la Tour, ramené chez LL. MM., puis chez lui; après souper mené chez le Roi, où se joue la comédie.

Le 7, jeudi.—Il s'amuse en son cabinet à chanter et faire chanter par ses petits des chansons d'amour. Mis au lit, il se joue aux échecs; M. de la Boissière lui veut représenter un coup qu'il jouoit mal; il prend le roi, le lui jette à la tête. M. de Souvré l'en tance, le va dire au Roi et à la Reine, qui le condamnent au fouet[636].

Le 8, vendredi.—Éveillé à six heures et demie, il Janv
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421 demande à se coucher près de M. de Souvré, pour éviter ce qu'il craignoit; refusé, fouetté.

Le 9, samedi.—Mené à l'Arsenal, où il a goûté.

Le 10, dimanche, au Louvre.—Après souper mené chez LL. MM., où il voit danser un ballet venu de la ville.

Le 11, lundi.—A souper M. le Chevalier parle de Sainte-Geneviève des Ardents, le Dauphin lui demande: Comment! brûle-t-elle?—«Non, mon maître, mais ses reliques guérissent ceux qui brûlent.»—Qui étoit-elle?—«C'étoit une sainte.»—Ya-t'i longtemps?—«Oui, mon maître.»—Combien?—«Je ne sais, mon maître.»—Pourquoi les guérit-elle?—«Je ne sais, mon maître.» Il s'enquéroit avec attention, curiosité, et desir.

Le 12, mardi.—Mené par la galerie aux Feuillants, il trouve le Roi aux Tuileries, revient avec lui chez la Reine. Don Philippe, marquis de Guadalesta, allant de Flandres en Espagne, le vient saluer et entre autres choses lui demanda s'il trouvoit belle l'Infante?—Oui, répond le Dauphin; il lui demande s'il lui plaisoit qu'il lui en envoyât un portrait?—Oui, mais j'ai le cœur françois.»

Le 14, jeudi.—Dîné avec impatience, pour aller à la chasse où M. le comte de Soissons le devoit mener et l'attendoit à la salle; il met des marrons rôtis non pelés dans sa pochette. Botté, il entre en carrosse, est mené par le Roule, où le pavé étoit couvert du débordement de la rivière, au parc de Madrid, y est monté sur sa petite haquenée baie, court deux lièvres. La pluie et la grêle surviennent, il se prend à galoper pour gagner le château; il change de chemise; l'orage passé, il remonte à cheval; goûté à cheval, d'une petite tarte de massepain et de deux marrons qu'il tire de sa pochette.

Le 15, vendredi.—Il s'amuse à faire travailler des garçons de sa chambre à enfiler des verres de couleur en façon de broderie, pour en faire des colliers à ses chiens.

Le 16, samedi.—Mené chez le Roi, ramené à six heures Janv
1610
422 trois quarts, soupé, il ne veut point de dragées de fenouil[637], par impatience d'aller en sa chambre pour y voir jouer un italien nommé Simon, juif ce disoit-on, qui jouoit lui-même quatre ou cinq personnages. Mené chez LL. MM., il voit chez la Reine un joueur de marionnettes, y prend plaisir; ramené à minuit.

Le 17, dimanche, au Louvre.—Après souper il voit jouer un joueur de marionnettes, y prend plaisir, puis est mené chez le Roi pour voir danser le ballet de M. de Vendôme, n'en voit que la singerie, le demeurant n'ayant pu être dansé à cause de la presse.

Le 18, lundi.—Mené chez le Roi et au ballet de M. de Vendôme en la grande salle[638].

Le 21, jeudi.—A souper il entretient M. de Pluvinel de chevaux en termes et comme personne qui en sait des particularités.—Ce jourd'hui, à huit heures du soir, mourut M. d'Ornano, maréchal de France, âgé de septante-huit ans, qui le samedi précédent s'étoit fait tailler de la pierre.

Janv
1610

423

Le 22, vendredi, au Louvre.—A dîner M. de Souvré lui dit qu'il venoit de faire justice des petits Fontaine-Martel et de Pouillay pource qu'ils avoient été trouvés jouant au dés avec des laquais, et qu'ils étoient incorrigibles, que c'étoient brebis galeuses, et qu'il les faudroit renvoyer en leurs maisons. Il le dit par deux diverses fois, à quoi fut répondu par Mgr le Dauphin: Mais, mousseu de Souvré, ce sont leurs gouverneurs qui les flattent; il le leur faut dire. Il en parle bien selon son naturel, qui n'aimoit pas la flatterie, et pource aussi qu'il ne désiroit pas qu'ils fussent renvoyés, d'autant qu'ils étoient à lui. A six heures et demie soupé; il va en sa chambre pour voir jouer un joueur de marionnettes; le Roi les envoya querir, il y va (chez le Roi), est ramené à dix heures.

Le 24, dimanche.—Après souper mené chez le Roi à la comédie.

Le 26, mardi.—Dîné avec impatience, pour aller à Saint-Germain où le Roi alloit; sur les deux heures, il entre en carrosse pour aller à Saint-Germain-en-Laye, passe par Saint-Cloud et la Celle, arrive sur les six heures, va trouver le Roi, puis visiter Messieurs et Mesdames; après, le Roi le mène chez M. de Frontenac, où il a soupé. A neuf heures et demie dévêtu, mis au lit, couché avec le Roi, où il a gambadé toute la nuit, lui portant les pieds sur la poitrine et sous la gorge; le Roi ne faisoit que le chatouiller, il se retiroit sans s'éveiller.

Le 27, mercredi, à Saint-Germain.—Le Roi l'a mené au jardin, où il a déjeûné, puis il va voir Messieurs et Mesdames; après il est allé à la chambre de Madame, où il a dîné. Le Roi étoit allé en la forêt sur l'avis de quelques voleurs, ce qui fit courir le bruit que c'étoient nombre de gens bien armés et bien montés qui avoient quelque mauvais dessein[639]. Le Roi dîna au bout de Janv
1610
424 la route vers Poissy. A six heures soupé avec le Roi chez M. de Frontenac, en la chambre du Roi; dévêtu, mis et couché dans le lit de chasse du Roi.

Le 28 janvier, jeudi.—Il va prendre congé du Roi pour s'en revenir, monte à cheval à une heure, vient à cheval jusques à la Celle; il avoit grand froid, à cause du vent froid. Mis en carrosse il passe par Saint-Cloud, arrive à Paris à cinq heures et demie, va chez la Reine.

Le 2 février, mardi, au Louvre.—Le Roi le mène à la procession en la chapelle de Bourbon; à trois heures il entre en carrosse, est mené à l'Arsenal y voir M. de Sully, qui étoit malade, enrhumé, puis chez M. le connétable. Ramené, il va chez la Reine, est enrhumé, se couche sur des placets et des carreaux.

Le 3, mercredi.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé; il s'amuse à jouer des comédies.

Le 4, jeudi.—A trois heures il est allé chez M. de Gesvres, secrétaire d'État, pour porter à baptême le fils du sieur de Tresmes, à Saint-Germain de l'Auxerrois: c'est le premier qu'il a tenu en cérémonie[640].

Le 5, vendredi.—Il va chez LL. MM., et après dîné est mené à la foire Saint-Germain.

Le 11, jeudi.—Mené chez LL. MM., puis aux Augustins et à la foire.

Le 13, samedi.—Il avoit le matin demandé au Roi une chanoinie de Metz pour un sien chapelain; le Roi avoit accordé. Un garçon de la chambre du Roi, que l'on appelloit Danobis, le vient supplier de faire que le Roi la lui accorde, il répond: J'ai parlé pour un des Fév
1610
425 miens, je ne saurais ast'heure parler au Roi mon père pour vous.
Il étoit marri de ne pouvoir le faire, ce garçon lui faisoit pitié. L'on parloit de la guerre qui se devoit faire à Milan; il dit: Si je rencontre un petit escarbot comme moi; s'il se défend, je le prendrai et l'envoyerai en prison à Paris. Il croyoit que le Roi le mèneroit à la guerre.

Le 16, mardi, au Louvre.—En étudiant il est peint par Bunel[641], peintre excellent qui est au Roi. Mené en carrosse à l'Arsenal.

Le 18, jeudi.—Mené en carrosse à la foire, ramené par les Augustins[642], où il s'est chauffé et y a donné six écus, y a entendu la messe. Ramené, il va chez LL. MM., recorde son ballet[643].

Le 20, samedi.—M. d'Anjou, Madame, Mme Christienne, arrivent de Saint-Germain, accompagnés de Mlles de Vendôme et de Verneuil; il les mène souper avec lui.

Le 21, dimanche.—Il se joue avec des petites balottes, qu'il fait rouler le long du canal de son bougeoir, disant que ce sont des soldats; M. de Souvré le reprend, et lui dit qu'il s'amusera toujours à jeux d'enfant.—Mais, mousseu de Souvré, ce sont des soldats, c'est pas jeu d'enfant!—«Monsieur, vous serez toujours en enfance.»—C'est vous qui me y tenez!—Il voit un carrousel en la cour du Louvre.

Le 22, lundi.—Mené en carrosse à la foire Saint-Germain, ramené chez LL. MM. Il recorde son ballet; après souper il emmène Mesdames en sa chambre, leur fait voir jouer les marionnettes et autres passetemps.

Fév
1610

426

Le 23 février, mardi, au Louvre.—Son précepteur lui racontoit comme le roi d'Espagne[644] s'empara du royaume de Portugal pendant que le roi don Sébastien passa en Afrique avec une armée, où il mourut[645]; il demande: Et si le Roi mon père alloit en Flandre, le roi d'Espagne prendroit-il la France? Mené en carrosse à l'Arsenal avec LL. MM. pour y voir courir la bague.

Le 25, jeudi.—Mené en carrosse à l'Arsenal pour voir les artifices que l'on y préparoit pour danser son ballet.

Le 27, samedi.—Il recorde son ballet, est mené à la rue Saint-Honoré chez un orfèvre, y voir un cabinet de médailles.

Le 28, dimanche.—A deux heures mené en carrosse chez M. Zamet près de la Bastille; il y a recordé son ballet (ils l'ont recordé laissant leurs épées, couronnes et autres choses à terre) devant Mme la marquise de Verneuil assise et M. de Souvré auprès d'elle. Il va se promener à l'Arsenal, puis retourne chez M. Zamet à cinq heures. A six heures soupé, accompagné de Mesdames, ses sœurs aînées, de Mlle de Vendôme et de Verneuil, de MM. les chevaliers de Vendôme et de Verneuil. Sur les huit à neuf heures il s'endort entre les jambes de M. de Souvré jusques à dix heures, qu'il fut habillé à demi endormi puis mené à l'Arsenal. Il a dansé son ballet fort bien devant LL. MM. C'est le premier qu'il a dansé en Cour. A minuit couché à l'Arsenal.

Le 1er mars, lundi, au Louvre.—Éveillé à huit heures, à neuf heures et demie déjeûné, à dix heures promené au jardin et sans avoir été visité de M. de Sully, ramené à onze heures au Louvre chez LL. MM. A midi dîné; il raconte de ceux qui avoient été refusés à l'Arsenal, se plaint de ce que M. de Sully n'avoit point voulu laisser Mars
1610
427 entrer les siens, dit par diverses fois: C'est un glorieux.

Le 4, jeudi.—Mené chez la reine Marguerite.

Le 7, dimanche.—A dîner il jette un morceau de massepain contre M. de Souvré, à demi riant, mais en colère de ce qu'il le faisoit débattre pour aller à la chasse; il faisoit un froid excessif, le vent très-grand et très-froid; on le lui représentoit: Je prendrai plutôt six manteaux.—M. de Souvré y consent, mais à condition de n'aller qu'en carrosse, et point à cheval: J'aimerois mieux n'y aller point. Enfin, il lui est permis; botté, mis en carrosse à midi, il est mené à Saint-Maur, il monte à cheval, court deux lièvres; il avoit froid, demande de revenir en carrosse, témoignage qu'il faisoit grand froid.

Le 8, lundi.—Ce matin Mme la princesse de Conty est accouchée d'une fille sur les quatre heures[646].—Mme de Montglat se trouve au coucher du Dauphin; dévêtu, mis au lit, il s'amuse à de petits engins. Cependant Mme de Montglat et M. de Souvré devisoient ensemble. Mme de Montglat va dire: «Je puis dire que monseigneur le Dauphin est à moi; le Roi me l'a donné à sa naissance, me disant: «Madame de Montglat, voilà mon fils que je vous donne, prenez-le.» M. de Souvré lui répond: «Il a été à vous pour un temps, maintenant il est à moi.» Le Dauphin dit froidement sans hausser la voix et sans se détourner de sa besogne: Et j'espère qu'un jour je serai à moi.—Il écoutoit tout ce qui se disoit sans en faire semblant, à quelque chose qu'il fût occupé.

Le 14, dimanche.—La Reine le mène en son carrosse au sermon à la Sainte-Chapelle; il étoit trop long, il s'ennuie, envoye dire à M. de Souvré qu'il ne croira jamais Mars
1610
428 en ses promesses s'il ne le tire de là. M. de Souvré demande son congé à la Reine; il l'a. Mené aux Tuileries, puis chez lui; après souper mené chez la Reine; il y tire à la blanque[647].

Le 15 mars, lundi, au Louvre.—Mené en carrosse au-devant du Roi, qui revenoit de Fontainebleau; il le rencontre au petit Saint-Antoine. Soupé avec le Roi.

Le 16, mardi.—Le chevalier de Vendôme disant en soupant qu'il ne y auroit que lui qui iroit à la guerre en Champagne avec le Roi: Voyez quelle insolence, qu'il n'y aura que lui! Mené chez LL. MM. il tire à la blanque, gagne une turquoise; sa nourrice la lui demande, il lui refuse; elle l'appelle ingrat. Il la bat des pieds et des poings; le Roi la trouve pleurante; en sachant la cause, lui dit: «Je lui donne puissance de vous fouetter.» Le Dauphin répond: Ho! j'ai une bonne épée!

Le 18, mercredi.—Mené en carrosse à la Place Royale chez le sieur Descures, où il a goûté.

Le 19, vendredi.—Mesdames avoient soupé avec lui; il les mène en sa chambre pour leur montrer une petite galère qui marchoit par ressorts et les hommes voguoient par mêmes moyens.

Le 20, samedi.—A cinq heures il va chez le Roi, qui revenoit de la chasse, lui donne sa chemise, va chez la Reine.

Le 27, samedi.—Il va à la Roquette, y mène Mesdames pour leur faire voir prendre un renard qu'il y avoit fait porter, par ses chiens d'Artois.

Le 28, dimanche.—M. d'Anjou et Mesdames s'en retournent à Saint-Germain-en-Laye, il leur dit adieu. Mené au sermon du P. Coton, puis à trois heures au faubourg Saint-Victor, à la maison du sieur Voisin, où il se joue et roule à écorchecul.

Le 29, lundi.—A souper il prend plaisir à ouïr raconter Mars
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429 des contes du roi Charles neuvième, comme il mettoit quatre chevaux de front à son carrosse et le conduisoit à toute bride; demande s'il renversoit quelquefois, dit qu'il le conduiroit bien.

Le 30, mardi.—Mené en carrosse à la garenne de Saint-Denis, où il monte à cheval, court deux lièvres et les prend.

Le 31, mercredi.—L'on parloit de la Champagne et qu'il ne se y trouvoit pas seulement un arbre qu'aux Trois Maisons, hôtellerie en allant à Troyes; l'on ne y faisoit du feu qu'avec de la paille, il dit promptement: Il ne y faut donc point de chenets. Un autre dit que l'on y faisoit six lieues de chemin sans trouver un homme, il demande: Où prend-on donc des guides?

Le 1er avril, jeudi, au Louvre.—Mené en carrosse à la garenne de Colombes pour y courir un loup; il ne le voit point pour avoir pris un autre chemin, court deux lièvres, en prend un.

Le 2, vendredi.—Mené en carrosse chez un marchand de draps de soie pour choisir des étoffes.—Mme la marquise de Verneuil le vient voir; il lui montre toutes les besognes de son cabinet et lui donne deux petits chiens de verre.

Le 3, samedi.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite; il s'y est fort promené.

Le 4, dimanche.—Mené à sa petite chapelle puis chez LL. MM., puis avec elles en la messe en Bourbon, il s'amuse à faire des croix de palmes[648], en donne une à la Reine. Mené à vêpres à Saint-Eustache puis chez Mme de Mareuil, où il a goûté.

Le 5, lundi.—Mené en carrosse à la Roquette, il y fait un tour à cheval; puis va ainsi sans bottes et sans housse, trouver le Roi, qui étoit à l'Hôtel-Dieu des pestiférés près de Montfaucon. Il revient en carrosse avec le Roi.

Avr
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430

Le 6, mardi.—Mené avec le Roi aux Tuileries; à souper il dit, racontant de la guerre, qu'il vouloit faire armer son cheval blanc que M. le Grand lui avoit donné, qu'il vouloit prendre prisonnier M. le prince de Condé.

Le 7, mercredi, au Louvre.—Mené avec LL. MM. à Notre-Dame. Le prince d'Anhalt, allemand, qui étoit venu pour résoudre le secours de Clèves, prend congé de lui. Le Roi étoit allé au bois de Vincennes pour y passer ses fêtes.

Le 8, jeudi saint.—A huit heures mené en carrosse au bois de Vincennes pour trouver le Roi et le servir à la cérémonie. Le Roi se trouve mal d'un dévoiement, lui commande d'aller faire la cérémonie, il la fait fort bien et gaiement[649].

Le 9, vendredi.—Mené en carrosse au sermon à Saint-Eustache et de là à la messe aux Cordeliers.

Le 10, samedi.—Mené en carrosse au bois de Vincennes, où étoient LL. MM.; il y entend vêpres aux Bonshommes, puis va à la chasse avec eux dans le parc.

Le 11, dimanche, jour de Pâques.—Mené à sa petite chapelle, où le P. Gontier, jésuite, l'a confessé et y a dit la messe; mené en carrosse à Notre-Dame, où il a ouï le service. Ramené à onze heures et demie, dîné, mené au sermon à Saint-Germain-de-l'Auxerrois, de là à vêpres aux Célestins, puis dans leur parc, où il a goûté.

Le 12, lundi.—Mené en carrosse au-devant de la Reine par la porte Saint-Antoine, revenant de passer les fêtes au bois de Vincennes, il la va trouver à Montmartre, est ramené avec elle, va voir le Roi.

Le 13, mardi.—Mené chez le Roi, puis en carrosse ouïr la messe à Sainte-Geneviève, il entend vêpres à Saint-Victor, va à la librairie, partout, s'informe de tout.

Avr
1610

431

Le 14, mercredi, au Louvre.—A son souper l'on parloit de Saint-Maur: S'il étoit à moi, dit-il, je le ferois achever.

Le 15, jeudi.—Mené avec la Reine voir les fols à l'hôpital de Saint-Germain-des-Prés.

Le 16, vendredi.—Mené en carrosse voir les manufactures au faubourg Saint-Marceau.—Le Roi devoit aller à Saint-Germain-en-Laye le jour suivant, le Dauphin avoit envie d'y aller et non M. de Souvré, auquel il demande: Mousseu de Souvré, irai-je pas demain à Saint-Germain avec le Roi mon père?—«Monsieur, il n'en sera pas grand besoin, le Roi reviendra coucher ici.»—Ho! aussi vrai, c'est que vous n'aimez pas mes frères et mes sœurs; c'est pourquoi vous voulez pas que j'aille à Saint-Germain.—«Mais, Monsieur, le Roi reviendra demain.»—Et tant mieux. Il va chez LL. MM., obtient permission du Roi d'aller à Saint-Germain.

Le 17, samedi.—Il va chez le Roi, lui donne sa chemise; ramené chez lui, il va à sa petite chapelle, puis, sans prendre son déjeûner, qui étoit prêt, entre en carrosse à sept heures et un quart et part pour aller à Saint-Germain-en-Laye; le Roi étoit déjà parti. Il passe par Neuilly et la chaussée, en l'hôtellerie où il a déjeûné de pain sec, et arrive à Saint-Germain à dix heures et demie. Dîné en sa chambre avec Messieurs et Mesdames; il va au bâtiment neuf et à toutes les grottes, où il fait tout jouer; a de l'impatience pour s'en revenir, rentre en carrosse, et à trois heures goûte à la chaussée, chez M. le président Chevallier. Arrivé au Louvre à cinq heures trois quarts, soupé, mené chez Leurs Majestés.

Le 19, lundi.—Mené en carrosse au Pré-aux-Clercs voir faire la monstre au régiment des gardes.

Le 24, samedi.—Étudié, écrit, tiré des armes, dansé. On lui enseigne que la grandeur d'Espagne est venue par la lance de chair[650], lancea carnea, non lancea ferrea, Avr
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432 comme les François. Mené en carrosse à la Savonnerie[651] près des Bonhommes, puis à Auteuil au jardin de l'abbé de Sainte-Geneviève, il y monte à cheval, y court la poste; M. de Rissay étoit le postillon, il y a goûté. Ramené, il me dit à souper: Mais vous savez bien que la femme de la Savonnerie a dit que je n'étois pas grand pour mon âge et que son fils étoit plus grand que moi; il en étoit en colère et ne s'en pouvoit taire.

Le 26 avril, lundi, au Louvre.—Il s'amuse à faire à terre, dans son cabinet, un dessin de forteresse carrée et de tours rondes aux coins, tire l'alignement avec un carreau de velours dont il se sert comme règle et avec du charbon; il étoit à genoux sur le carreau, ce qui fut cause qu'il lui prit envie de vomir. Mis au lit, il s'amuse à se faire faire des messages de la part du roi d'Espagne par le comte de Maure. Levé, dîné, il se joue à ses petits canons, se remet au lit et s'amuse comme dessus aux messages de la part de l'Archiduc.

Le 27, mardi.—Mené en carrosse à l'Arsenal, au jardin, puis chez M. de Roquelaure, où il a goûté.

Le 28, mercredi.—Mené en carrosse chez la reine Marguerite, il court à pied un lièvre dans le clos, une heure durant, et le prend à force. A souper il fut dit que les enfants de Paris qui devoient être à l'entrée de la Reine auroient des éperons dorés: Ho! s'ils en ont de dorés, j'en veux avoir de fer noir!

Le 29, jeudi.—Mené par la galerie chez M. Aleaume[652] qui lui montre l'ordre des batailles des états de Flandres, puis à voir faire des doubles; le Roi y étoit avec Mme la Avr
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433 marquise de Verneuil[653], à laquelle Mgr le Dauphin fait grandes caresses.

Le 30 avril, vendredi.—Il monte à cheval pour aller au-devant de MM. d'Orléans et d'Anjou et de Madame Christienne, qui venoient de Saint-Germain pour le couronnement de la Reine, va jusques à Madrid, ne les rencontre point, revient à six heures, et les trouve chez la Reine.

Le 1er mai, samedi, au Louvre.—Il demande des aulx pour manger à déjeûner, dit qu'ils sont si bons, qu'il les aime tant, en fait le bon compagnon[654], et dit tout à coup: Aussi vrai, ils ne valent rien, et en fait un présent à M. de la Rivière, l'un de ses écuyers, gascon. Mené chez la Reine, d'où il regarde planter le mai.

Le 2, dimanche.—Ce jourd'hui il commença à porter le bonnet de velours, qu'il ne vouloit pas; il aimoit mieux le chapeau. Mené à la chapelle, chez LL. MM., en la galerie.

Le 3, lundi.—A dîner il se fâche contre M. d'Angé, qui avoit servi à M. le Chevalier son chapon bouilli avant que le lui avoir présenté et lui jette une asperge.

Le 4, mardi.—M. de Souvré lui ramentoit ce que le jour précédent il avoit fait au sieur Hieronimo, son tireur d'armes, auquel il avoit tiré un coup de fleuret contre l'œil, pendant qu'il lui enseignoit comme il falloit planter son pied, et aussi à M. d'Angé; ce dont il est Mai
1610
434 fouetté. Il va à cheval à la chasse au parc de Madrid.

Le 5, mercredi, au Louvre.—Mené par la galerie aux Tuileries où il trouve le Roi, revient avec lui chez la Reine. Mené en carrosse à Picpus pour voir faire la monstre à cheval aux enfants de Paris[655].

Le 6, jeudi.—Mené chez LL. MM., il y est mordu par Brigantin, petit chien de la Reine, sur le sourcil droit. Ramené, il voit, en passant par la grande salle, asseoir le guet et leur voit faire leur collation; c'est la première fois.

Le 9, dimanche.—Mené aux Feuillants, ramené avec le Roi; à onze heures et demie dîné avec le Roi[656]; il va chez la Reine. Mené en carrosse à l'Arsenal, où M. de Sully lui demande: «Monsieur, voulez-vous de l'argent?»—Non, dit-il, par dédain[657].—«Mais, Monsieur, dites si vous en voulez,» et il le lui demande par plusieurs fois.—Si vous en voulez bailler, faites l'apporter à Monsieur de Souvré. Il avoit cueilli des brins fleuris d'un arbre qui lui avoit plu; M. de Sully lui dit: «Monsieur, quand vous reviendrez ici vous trouverez Mai
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435 cent bourses pleines d'écus sur cet arbre-là que vous avez trouvé beau.»—Ce sera un bel arbre, dit-il négligemment[658] et sans le regarder.

Le 10, lundi, au Louvre.—Mené en carrosse à la Savonnerie et à la Ville-l'Évêque, où il a goûté; après souper mené chez Leurs Majestés.

Le 11, mardi.—Mené en carrosse à l'hôtel du Luxembourg, et de là à cheval chez la reine Marguerite; après souper mené chez Leurs Majestés.

Le 12, mercredi.—Étudié, tiré des armes, dansé, mené chez LL. MM., et chez lui à onze heures. A trois heures il entre en carrosse pour aller coucher à Saint-Denis[659]; à six heures soupé, mené chez Leurs Majestés.

Le 13, jeudi.—Éveillé à six heures trois quarts, vêtu, prié Dieu; à sept heures trois quarts déjeûné, pain sec[660]. Mené à la messe puis chez LL. MM. A neuf heures et demie dîné. A onze heures trois quarts il va en cérémonie et entre en l'église avec la Reine que l'on alloit coroner et sacrer[661]. Il en sort à quatre heures, entre en carrosse et revient à Paris à sept heures. Soupé, mené en sa chambre; en voulant sauter sur son lit que l'on faisoit, il se heurte sur l'os de la jambe gauche, un peu effleuré. A neuf heures et un quart dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il s'endort à dix heures.

Le 14, vendredi.—Éveillé à sept heures, levé, vêtu, prié Dieu. A huit heures et demie déjeûné, pain sec. Mené à sa chapelle, puis aux Tuileries et chez Leurs Majestés; à onze heures dîné, joué, étudié, etc., fort gai, goûté. Sur les quatre heures le Roi allant à l'Arsenal en carrosse est tué d'un coup de couteau par François Ravaillac, natif d'Angoulême, en la rue de la Ferronnerie; le sieur de Mai
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436 Saint-Michel, l'un de ses gentilshommes ordinaires le saisit et lui ôta le couteau. Monseigneur le Dauphin étoit en carrosse à la Croix du Tiroir s'allant promener, lors du coup; au bruit on le ramène incontinent dans le Louvre. Monseigneur le Dauphin l'ayant su en pleura, et dit: Ha! si je y eusse été avec mon épée, je l'eusse tué! Chacun se vient offrir à lui en la chambre de la Reine. A sept heures soupé en l'antichambre de la Reine; mené chez la Reine et chez lui; à neuf heures dévêtu, mis au lit, prié Dieu, il dit vouloir coucher avec M. de Souvré, pour ce qu'il me vient des songes. Couché avec M. de Souvré, il s'endort jusques à onze heures et demie; la Reine l'envoie querir pour le faire coucher dans la chambre, et y fait porter aussi M. de Verneuil, qui coucha avec lui. Il s'endort à minuit, et jusques à six heures et demie après minuit a assez mal reposé.

NOTES:

[1] Dans le Journal inédit de Henri IV, publié en 1862 par M. Halphen, Lestoile écrit à cette date: «Pour médecin de M. le Dauphin, on y mît Érouard, à la faveur et recommandation de M. de Bouillon,» et Lestoile ajoute «que ledit Érouard étoit de la Religion.» D'après ce témoignage qui se joint à celui de Guillemeau (pag. XLV), il faut croire que la conversion d'Héroard fut beaucoup plus tardive que nous ne l'avons supposé page LXIV.

[2] Dame d'honneur de la Reine. Voy. page 3, note 9.

[3] On a d'elle: Récit véritable de la naissance de Messeigneurs et Dames les enfans de France. Paris, 1626.

[4] Né en 1558, mort en 1614; fils de Louis Ier, prince de Condé, tué à Jarnac en 1569, et d'Éléonore de Roye, sa première femme.

[5] Né en 1566, mort en 1612; fils de Louis Ier, prince de Condé, et de Françoise d'Orléans-Rothelin, sa seconde femme.

[6] Né en 1573, mort en 1608.

[7] Née en 1558, morte en 1604; fille d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et de Jeanne d'Albret, mariée en 1599, à Henri de Lorraine, duc de Bar.

[8] Morte en 1607, âgée de soixante-seize ans. Elle avait été mariée: 1o en 1549, à François de Lorraine, duc de Guise, tué par Poltrot en 1563; 2o en 1566, à Jacques de Savoie, duc de Nemours, mort en 1585.

[9] Morte en 1632. Elle avait été mariée: 1o à Henri de Silly, comte de la Rocheguyon, mort en 1586; 2o en 1594, à Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, comte de Beaumont-sur-Oise, marquis de Guercheville; Henri IV disait d'elle que c'était une véritable dame d'honneur.

[10] Françoise de Longuejoue, veuve de Pierre de Foissy et remariée à Robert de Harlay, baron de Montglat, premier maître d'hôtel du Roi «homme violent et fâcheux, dit Lestoile, et sa femme encore plus.» Le Journal d'Héroard confirme ce jugement et prouve que le choix de cette gouvernante ne fut pas heureux. Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 19 septembre 1601, dans le Recueil des Lettres missives de Henri IV, publiées par M. Berger de Xivrey, tome V, page 473.

[11] Qu'il en était bien pourvu.

[12] Contrôleur général des postes. Voy. la lettre du Roi à M. de Montigny, Lettres missives, V, 476.

[13] Le Roi avait aussi promis le château de Monceaux à la Reine, si elle avait un fils. (Lettres missives, V, 481.)

[14] Héroard la nomme Catherine le 27 décembre suivant.

[15] La duchesse de Bar était protestante.

[16] Cette expression est encore usitée en Normandie pour exprimer l'avidité d'un enfant nouveau né.

[17] Cette coutume est encore suivie en Normandie dans des circonstances semblables.

[18] Henri IV écrivait le même jour à la marquise de Verneuil: «Je vous eusse envoyé M. de la Rivière, mais a fallu qu'il soit demeuré pour pourvoir à mon fils qui a tari sa nourrice». (Lettres missives, V, 507.)

[19] Charles de Lorraine, duc de Mayenne, né en 1554, mort en 1611.

[20] Lestoile dit que c'était un «berceau que la grande-duchesse de Florence lui avoit envoyé.»

[21] Louis de Lorraine, depuis cardinal de Guise et archevêque de Reims, mort en 1621, et François-Alexandre Paris de Lorraine, chevalier de Malte, mort en 1614. Ils étaient frères d'Henri le Balafré, tué à Blois.

[22] Catherine de Clèves, duchesse de Guise, veuve du Balafré, et Louise-Marguerite de Lorraine, mariée en 1605 au prince de Conty.

[23] Léonora Galigaï, connue depuis sous le nom de maréchale d'Ancre.

[24] Le Roi était auprès de la marquise de Verneuil, qui était accouchée le mois précédent d'un fils, nommé d'abord Gaston puis Henri, duc de Verneuil.

[25] Henri I de Montmorency, mort en 1614.

[26] Catherine-Henriette de Balsac, fille de François de Balsac, seigneur d'Entragues, et de Marie Touchet; maîtresse de Henri IV après la mort de Gabrielle d'Estrées.

[27] Cette lettre est datée du 26 dans le Recueil des Lettres missives, V, 522.

[28] Sans doute à cause de la ressemblance avec les siens signalée plus haut par Héroard, page 4.

[29] Charles Decourt, est porté dans les comptes de l'hôtel de Henri IV, comme peintre du Roi. (Hist. du Règne de Henri IV, par M. Poirson, 1856, in-8o, tome II. p. 815.)

[30] Le mardi gras.

[31] Alexandre, nommé d'abord Alexandre Monsieur, puis le chevalier de Vendôme, né à Nantes, en 1598, de Gabrielle d'Estrées, légitimé en 1599, reçu chevalier de Malte en 1604, puis grand prieur de France, mort en 1629.—Catherine-Henriette, nommée Mlle de Vendôme, fille de Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, légitimée en 1597, mariée en 1619 à Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf, morte en 1663.

[32] Le Dauphin était logé au vieux château de Saint-Germain.

[33] Roger de Saint-Lary, duc de Bellegarde, grand écuyer de France.

[34] François Quesnel.

[35] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, Lettres missives, V, 575.

[36] Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy, conseiller du Roi, etc., mort en 1629.

[37] Ce projet se réalisa par le traité de 1612, qui unit Élisabeth de France à Philippe IV et Anne d'Autriche à Louis XIII.

[38] C'est-à-dire son portrait, et probablement celui gravé par Cl. de Mallery en avril 1602, où Louis XIII est représenté à l'âge de sept mois.

[39] Charles de Gontaut, duc de Biron. Il fut arrêté le 14 juin suivant et exécuté à la Bastille le 31 juillet.

[40] Copie de la lettre du maréchal de Biron à Mme de Montglat, rendue par le sieur de Saint-Blancart, à Saint-Germain en Laye, le dimanche 28 du mois d'avril 1602:

«Madame, le desir que jé de sauoyr des nouvelles de monseigneur le Daufin me fait vous enuoier ce laquay exprés pour vous supplyer m'en mander et me feres honneur et faueur que je tiendray a vue très grande oblygation sy prenes la payne de me donner aduis de son bon portement par la voye du Sr. Preuost qui est a Parys, car jé de la pasyon et affection pour luy desyrer vn heureux accroyssement estant de ceux qui croient que il est donné de Dieu pour le maintien de cet estat ne pouuant fayllyr que il ne se trouue de la generosyté, de la vertu et de bon heur en luy estant né du Roy mon maistre qui a de Dieu toutes ces grâces plus que jamays[A] autre Roy ny prince aye eu. Pour moy, Madame, je le me fygure le plus beau, le plus aimable prince qui feust ny qui sera, pour ce que toute mon inclynation est portée a l'aymer, outre la royauté que le Roy ly layra vn jour, il le laissera accompagné de tres bons et fideles subiects et seruyteurs. Jauroys regret sy la mort me preuenoit auant que je peusse rendre preuue de ce mien ardent sele que je luy ay voué comme la plus tres humble et tres obeissante creature du Roy son pere. Je borneray la ce mien discours, et vous offryré mon humble seruyce et mon affection, et vous baise bien humblement les mains estant,

«Madame,

«Vostre bien humble seruiteur

Biron.

Ce xxiiiie auril 1602.

Suscription:

«A Madame,
«Madame de Mongla, gouuernante
de Monseigneur le Daulphin.»

La copie de cette lettre, écrite de la main d'Héroard et certifiée par lui, est jointe au manuscrit appartenant à M. le marquis de Balincourt.

[A] Jamays est effacé de sa main. (Note d'Héroard.)

[41] Son nom est resté en blanc.

[42] Cette lettre, adressée sans doute à Mme de Montglat, ne se trouve pas dans le Recueil des Lettres missives. Henri IV parle de cette fluxion dans les lettres au connétable de Montmorency et à Rosny des 25 et 26 avril.

[43] Henri de Gondi.

[44] Charles de Valois, comte d'Auvergne, puis duc d'Angoulême, fils naturel de Charles IX et de Marie Touchet. Il fut arrêté avec le maréchal de Biron le 14 juin suivant. Il mourut en 1650.

[45] Depuis Maréchal d'Ancre.

[46] Héroard commence en ces termes son livre De l'institution du Prince, dédié au Dauphin et publié en 1609: «Au temps que le Roi séjournoit à Saint-Germain en Laye, y prenant quelques jours de ceux-là qu'il employe continuellement aux plus grandes affaires de son État pour les donner à sa santé, buvant à cet effet, par l'avis de ses médecins, des eaux portées des fontaines de Pougues.»

[47] Charlotte de Montmorency, fille du connétable, mariée en 1591, à Charles de Valois, duc d'Angoulême; elle n'avait pas été enveloppée dans la disgrâce de son mari. Voy. Lettres missives de Henri IV, V, 616.

[48] Louise de Coligny, veuve d'abord de Téligny, tué à la Saint-Barthélemy, puis de Guillaume de Nassau, dit le Taciturne, prince d'Orange, assassiné en 1584.

[49] Nous reproduisons tel quel le texte du manuscrit. Cette chute de Henri IV, le jour de la mort de Biron, n'eut pas de suites, car Héroard n'en reparle pas, et on n'en trouve pas trace dans le Recueil des Lettres missives.

[50] Voy. la note du 14 janvier 1604.

[51] Diane d'Andouins, dite la belle Corisande, veuve de Philibert, comte de Gramont et de Guiche, ancienne maîtresse de Henri IV. Elle mourut vers 1620.

[52] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 29 août. (Lettres missives, V, 661.)

[53] C'était le jour de la Saint-Louis.

[54] Anne d'Autriche, née le 22 septembre 1601.

[55] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa deuxième année.

[56] Jérôme de Villars.

[57] Henri de Bourbon II, né posthume, le 1er septembre 1588, était alors âgé de quatorze ans; sa mère était Charlotte-Catherine de la Trémoille; elle mourut en 1629.

[58] Élisabeth de France, mariée par procuration à Philippe IV, roi d'Espagne, en 1615, morte à Madrid, en 1644.

[59] C'est à la date du 23 novembre 1602 qu'il faut rapporter la lettre du Roi à Mme de Montglat que M. Berger de Xivrey a classée à l'année 1608. (Lettres missives, VIII, 647.) Voici cette lettre: «Madame de Montglat, vous m'avez fait plaisir que, sur l'avis que le fils de Frontenac avoit la petite vérole, de transporter mon fils au petit château. Faites le même de mon fils Alexandre et de ma fille; les quels je vous recommande, et que vous me mandiez souvent des nouvelles de mon fils. Ma femme accoucha hier, sur les neuf heures du matin, de ce qu'il a plu à Dieu. De quoi elle est plus fâchée que moi, qui l'en console. Bonjour, madame de Montglat. Ce xxiiie novembre, à Fontainebleau.—HENRY.»

La phrase du Roi sur la seconde couche de Marie de Médicis s'explique par ce passage de la circulaire sur la naissance de Madame Élisabeth: «Ce n'est pas chose qui soit, selon les apparences humaines, si avantageuse qu'eût été un fils.» On verra que le 23 novembre 1608 Henri IV était au château de Saint-Germain avec le Dauphin.

[60] C'est-à-dire au rendez-vous de la chasse.

[61] C'est-à-dire que le Dauphin faisait semblant de les coucher en joue et de tirer sur ceux qui l'entouraient avec ses armes d'enfant.

[62] Héroard dit à la date du 4: «Il faisoit un extrême froid.» Henri IV écrit le 6 au duc d'Épernon: «Le froid ne me permet plus long discours.» Le supplément au Journal de Lestoile parle aussi de ce froid, à la date du 3 février.

[63] Charles Martin est porté dans les comptes de l'hôtel comme peintre du Roi. (Histoire du règne de Henri IV par M. Poirson, 1856, in-8o, tome II, page 815.)

[64] Henri d'Orléans II, duc de Longueville, né le 27 avril 1595, deux jours avant la mort de son père, Henri d'Orléans Ier; il était alors dans sa huitième année. Il mourut en 1663.

[65] Henri, nommé premièrement Gaston, depuis duc de Verneuil, né en octobre 1601; il avait été légitimé au mois de février précédent. Il mourut en 1682.

[66] C'est-à-dire bon accueil.

[67] Sans doute un jouet d'enfant.

[68] Il avait un mois de moins que le Dauphin.

[69] C'est le jeu du mail; «il y a quelques endroits, dit le Dictionnaire de Trévoux, où l'on appelle ce jeu palemail. Le mail de Saint-Germain est un des plus beaux.»

[70] Henri de Montmorency, depuis duc et maréchal de France, était né le 30 avril 1595; le roi Henri IV fut son parrain. Il eut la tête tranchée à Toulouse, le 30 octobre 1632.

[71] Héroard ne figure pas encore le langage enfantin du Dauphin, comme il le fera plus tard.

[72] Héroard était parti pour Paris le 14, sans doute à cause de la maladie de son frère; on lit dans le supplément du Journal de Lestoile: «Le jour de devant (20 mai) étoit mort en cette ville le trésorier Érouard, frère du médecin du Dauphin.» Quelques jours avant, Henri IV était tombé malade à Fontainebleau, d'une rétention d'urine. Il écrivait le 17 mai à Sully: «Mon amy, je me sens si mal qu'il y a bonne apparence que le bon Dieu veut disposer de moy.» Le supplément de Lestoile rapporte ces paroles presque dans les même termes. «Le Roi, ajoute-t-il, se fit apporter le portrait de son Dauphin, et le regardant dit tout haut ces mots: «Ha! pauvre petit, que tu auras à souffrir s'il faut que ton père ait mal.»

[73] Le P. Anselme ne cite que deux enfants de Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, premier écuyer du Roi, et d'Antoinette de Pons, plus connue sous le nom de marquise de Guiercheville. Ces deux enfants sont Roger du Plessis, depuis duc de la Roche-Guyon, mort en 1674, âgé de soixante-quinze ans, et Gabrielle du Plessis, depuis princesse de Marsillac, mère du duc de la Rochefoucauld, auteur des Maximes.

[74] Ces trois enfants sont: Henri de Nogaret de la Valette, comte de Candale, mort en 1639, âgé de quarante-huit ans; Bernard de Nogaret, depuis duc d'Épernon et colonel général de l'infanterie française, mort en 1661; et Louis de Nogaret, connu depuis sous le nom de cardinal de la Valette, mort en 1639, à quarante-sept ans.

[75] Le Roi écrivait de Villers-Cotterets, le 18 juillet, à Mme de Montglat une lettre par laquelle il lui recommandait de ne plus laisser visiter ses enfants et de les isoler le plus possible, à cause de la contagion qui régnait à Paris et aux environs. (Lettres missives, VI, 135.)

[76] Voir au 12 décembre 1602.

[77] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 15 septembre, à Caen.—Lettres missives, VI, 165.

[78] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa troisième année.

[79] Voir au 28 juin précédent.

[80] Sans doute une espèce d'estrade, puisque les ambassadeurs en montent les degrés.

[81] Héroard ne figure pas encore la manière de prononcer du Dauphin.

[82] Jean-François de la Guiche, comte de Saint-Géran, sous-lieutenant de la compagnie des gendarmes du Dauphin, depuis maréchal de France, mort en 1632.

[83] Folle de la Reine. «Cette Mathurine, dit Tallemant des Réaux, avoit été folle, puis guérie, mais non parfaitement; il y avoit encore quelque chose qui n'alloit pas bien.» (Les Historiettes, 3e édition, I, 206.)

[84] On remarquera l'irrégularité de cette heure du dîner, qui est la veille à midi et demi et plus haut à onze heures.

[85] Sorte de tabouret.

[86] Ce bégayement eut des suites; Héroard en parle à différentes reprises.

[87] Secrétaire de Sully, dont parle Tallemant des Réaux dans ses Historiettes, tome Ier, pages 116 et 124, de l'édition donnée par M. Paulin Paris. Voy. le Journal d'Héroard, au 21 décembre 1609.

[88] Nicolas Joubert, sieur d'Engoulevent, prince des sots. Voy. sur ce farceur l'introduction de M. Édouard Fournier aux chansons de Gaultier Garguille, Paris, Jannet, 1858, pages lxxix à lxxxv.

[89] La terre et seigneurie de Versailles appartenait alors à Henri de Gondi, évêque de Paris, fils d'Albert de Gondi, maréchal de Retz, qui l'avait achetée en 1573 des enfants mineurs de Martial de Loménie.

[90] La croix de Malte. Voy. le Journal de Lestoile à la date du 1er février.

[91] Capitaine aux gardes.

[92] Qui se préparait à faire son portrait aux trois crayons; c'est sans doute Daniel Dumontier.

[93] Dans le bois de Boulogne.

[94] Il met.

[95] C'était sans doute un jeune sauvage d'Amérique; il avait été tenu sur les fonts de baptême, le 9 mai précédent, par Alexandre, chevalier de Vendôme, et sa sœur; il mourut le mois suivant. Le 15 novembre 1605, le Dauphin se ressouvient, à propos d'objets rapportés du Canada par M. de Monts, «du petit Canada mort il y avoit dix-sept mois, le jour de la Fête-Dieu, de sa façon de prononcer, de la couleur de son habit bleu, de la forme de son bonnet, rond comme celui du feu Roi.»

[96] Papa, je sais bien écrire, mais pas encore lire. M. de Rosny m'a envoyé un homme armé et un beau carrosse où est ma maîtresse l'Infante, et une belle poupée à ma sœur. Il m'a promis un beau grand lit pour coucher; je ne suis plus petit enfant; j'ai bien chaud dans mon berceau. J'ai bu à votre santé, papa, et à maman. Ma plume est fort pesante; je ne puis plus écrire. Je vous baise très-humblement les mains, papa et à ma bonne maman, et suis, papa, votre très-humble et très-obéissant fils et serviteur.

[97] C'était, dit Lestoile, «un fol courant les rues, qui se faisoit nommer le comte de Permission... Le métier de ce fol étoit d'être charron, et montoit en Savoie l'artillerie du duc, où on disoit qu'il se connoissoit fort bien.» (Journal de Henri IV, tome Ier, 2e partie, p. 356, éd. Michaud et Poujoulat.)

[98] Folle de la Reine. Voy. la note du 5 décembre 1603.

[99] Fou du Roi.

[100] Voy. au 3 novembre 1603.

[101] Charles Martin, le même qui avait déjà fait son portrait, le 25 février 1603.

[102] On sait que nous avons précisément retranché du Journal d'Héroard tous les détails dont, on le voit, il est le premier à plaisanter. Voici dans quels termes Héroard parle de son Journal, dans son livre De l'institution du Prince: «Je lui fais offre (au précepteur du Dauphin) d'un journal d'où il pourra tirer des conjectures évidentes des complexions et des inclinations de notre jeune prince, et, si l'affection se pouvoit transporter, je lui en fournirois à suffisance et autant que nul autre, voire de cette tendre et cordiale passion que naturellement les pères ont pour leurs propres enfants.»

[103] Héroard a noté en marge ce passage, comme une première indication de l'amour du Dauphin pour l'argent.

[104] C'est-à-dire qu'on le descend de la chaise sur laquelle il était assis à table.

[105] Les enfants de Henri IV étaient alors au nombre de sept: le Dauphin et sa sœur, nommée Madame; César, duc de Vendôme, Alexandre, nommé M. le Chevalier, et Mlle de Vendôme, nés tous trois de Gabrielle d'Estrées; Henri, duc de Verneuil, et Gabrielle-Angélique, nommée Mlle de Verneuil, enfants du roi et de la marquise de Verneuil.

[106] Voy. au 8 septembre suivant.

[107] Charles II, dit le Grand, duc de Lorraine, mort en 1608.

[108] Henri de Lorraine, duc de Bar, puis de Lorraine, mort en 1624.

[109] François, comte de Vaudemont, puis duc de Lorraine, mort en 1670.

[110] Le Dauphin avait été jusqu'alors couché dans un berceau.

[111] Sa nourrice.

[112] Ce nom est resté en blanc.

[113] Ici et plus loin, une équivoque à la Rabelais.

[114] «Le lundi 2 de ce mois, dit le supplément de Lestoile, se voyoit en l'abbaye de Saint-Germain des Prés une belle jeune femme morte et noyée, âgée de vingt-deux ans ou environ, laquelle ayant été pêchée vers la Grenouillère y avoit été apportée le matin; elle avoit une grosse pierre au col, une autre aux jambes, un coup de poignard à la gorge et quelques autres coups. Chacun y accouroit pour la voir et reconnoître, tant qu'enfin sur le soir elle fut reconnue pour une Espagnole, comédienne, accoutrée de cette façon par deux Espagnols, aussi comédiens, avec lesquels elle avoit dès longtemps privée et familière connoissance et auxquels elle s'étoit découverte de quelques bagues et argent qu'elle avoit, ce qui fut cause de sa mort. Les meurtriers enfin furent pris et, le fait avéré, le jeudi 12 de ce mois, par arrêt de la Cour, confirmatif de la sentence du baillif de Saint-Germain, furent lesdits deux Espagnols roués vis-à-vis de la Grenouillère, où ils avoient noyé leur Espagnole, lequel meurtre toutes fois il ne fut possible de leur faire confesser qu'à la mort, et ce, sur la promesse qu'on leur fit qu'ils ne seroient point roués vifs comme portoit leur arrêt, qui fut exécuté.»

[115] Conrad Gesner, de Zurich, auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire naturelle et surnommé le Pline de l'Allemagne.

[116] La ville d'Ostende était assiégée par les Espagnols depuis 1601; Ambroise Spinola la prit en 1604, le 20 septembre, après trois ans et soixante dix-huit jours de siége.

[117] A la date du 28 octobre 1605 Héroard donne à cet artiste le prénom de Jean.

[118] Le Roi écrivait à Sully de Fontainebleau le 22 août: «Mon amy, je vous depesche ce courrier exprès pour vous dire que je trouve bon l'advis que vous m'avés donné par la Varenne de faire passer mon fils par Paris; et de là je luy ai commandé de passer jusqu'à madame de Montglat pour l'en advertir et luy escris le chemin qu'elle aura à tenir, qui est de venir coucher demain à Saint-Cloud chez Gondy, dimanche passer à travers de ma ville de Paris et venir disner à Ville-Juifve et coucher à Savigny. Je m'asseure que si cette nouvelle se sçait à Paris, qu'il y aura bien du monde pour le voir passer.»

[119] Il était aussi secrétaire de Sully. Voy. au 1er janvier 1605.

[120] Marie de Médicis prononce à l'italienne.

[121] La cour du Cheval-Blanc.

[122] C'est ainsi qu'il appelle sa nourrice.

[123] Mme de Montglat.

[124] Il y avait à cette époque, à Fontainebleau, une fabrique de rustiques figulines où se continuait la tradition de Bernard Palissy et où l'on imitait même les ouvrages du célèbre potier.

[125] Voy. au 22 juin précédent.

[126] Henri IV écrivait le même jour à M. de La Force: «Mon fils est ici avec toute sa suite, qui me donne bien du plaisir.»

[127] Fou du Roi.

[128] Des comédiens anglais étaient déjà venus à Paris en 1598, ainsi que le prouve l'inventaire des papiers de l'hôtel de Bourgogne qui mentionne: 1o un bail de la grande salle et théâtre dudit hôtel, passé le 25 mai 1598 devant Huart et Claude Nourel, notaires à Paris, par Jehan Sehais, comédien anglais; 2o une sentence du Châtelet, rendue le 4 juin 1598 à l'encontre desdits comédiens anglais, tant pour raison du susdit bail que pour le droit d'un écu par pour «jouant lesdits Anglois ailleurs qu'audit hôtel.» (Recherches sur Molière par Eud. Soulié; Paris, 1863, in-8o, page 153.)

Voilà donc, du vivant de Shakespeare, des comédiens anglais jouant à six ans de distance à Paris et à Fontainebleau; un correspondant étranger, M. Henry Ch. Coote, nous fait remarquer que les mots: Tiph, toph, milord, prononcés quelques jours plus tard par le Dauphin, lorsqu'il veut imiter les comédiens anglais, rappellent une apostrophe de Falstaff dans le drame de Henri IV, acte II, scène II: «This is the right fencing grace, my lord, tap for tap, and so part fair.» (L'Intermédiaire des chercheurs et curieux, tome II, page 105).

Vers l'année 1603, des comédiens anglais jouaient en Allemagne Fratricide punished, or Hamlet prince of Denmark. (Shakspeare in Germany in the XVI and XVII centuries. By Albert Cohn. London 1865, part II.)

[129] Le célèbre graveur en médailles Guillaume Dupré passe pour être né à Troyes en Champagne; est-ce de lui qu'il s'agit ici?

[130] Le cordon de l'ordre du Saint-Esprit.

[131] On a dit plus tard voltiger.

[132] Il était Irlandais. Voy. au 16 avril 1605. On trouve sur les registres de l'hôpital général que le 11 janvier 1583 un Juan Ganasa touchait sa part dans les recettes d'une troupe de sauteurs (volteadors), anglais. (Chansons de Gautier Garguille, éd. Éd. Fournier; Janet, 1858, page lix.)

[133] Hôtel bâti par le cardinal de Ferrare et acquis du duc de Guise par Henri IV en 1603. Voy. le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, 1642, in-fol., p. 188.

[134] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa quatrième année. Cl. de Mallery avait déjà gravé en 1602 un portrait de Louis XIII à l'âge de sept mois.

[135] Voy. au 18 septembre précédent et au 3 octobre suivant.

[136] Son gouverneur.

[137] D'autres passages d'Héroard portent à croire que lorsque le Dauphin est fouetté c'est par-dessus sa robe, et que lorsqu'il est châtié c'est à nu.

[138] Mme de Montglat.

[139] Comme il avait coutume.

[140] Nous n'avons rien retranché au texte d'Héroard en toute cette journée.

[141] Il appelait ainsi ses échecs.

[142] Louise-Marguerite de Lorraine, depuis princesse de Conty; elle avait alors environ vingt et un ans.

[143] Le Dauphin commence déjà à crayonner sur du papier; on le verra bientôt essayer de dessiner, et c'est surtout à Fontainebleau que le goût lui en vient.

[144] «Ange Cappel, dit du Luat, fit imprimer à Paris un livre in-folio de dix-huit ou vingt feuilles seulement, lequel il dédia au Roi, sur l'abus des plaideurs et punition par amende de tous ceux qui s'ingéreroient dorénavant témérairement de plaider et perdroient leurs procès.» (Supplément au registre journal de Henri IV, par Lestoile, année 1604.)

[145] Les journées du 11 et du 12 novembre, contenant la fin du voyage du Dauphin et son arrivée à Saint-Germain, manquent dans le manuscrit appartenant à M. le marquis de Balincourt.

[146] Ce prince, dit M. Berger de Xivrey, venait d'être arrêté au moyen d'une ruse dont on peut voir le récit au chapitre xlv du tome II des Œconomies royales. Le comte d'Auvergne ne fut amené à la Bastille que le 20 novembre.

[147] De Gesner.

[148] Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, maîtresse de Henri IV.

[149] Le vase dans lequel on faisait l'essai de la boisson servie au Dauphin.

[150] Madame avait alors deux ans; elle commençait à parler, et le Dauphin se montrait fort rude pour elle.

[151] On voit qu'à cette époque il était question de marier Madame en Angleterre. Ce fut sa sœur Henriette-Marie, née cinq ans plus tard, en 1609, qui épousa Charles Ier.

[152] Bon accueil.

[153] Servir.

[154] Domestique chargé de faire le feu.

[155] Le mari de la nourrice du Dauphin.

[156] Voy. au 29 août 1604.

[157] La revue.

[158] Héroard lui tenait la main et lui faisait écrire les mots tels qu'il les prononçait.

[159] Il appelle ainsi le château neuf de Saint-Germain.

[160] C'est une de ses habitudes le matin de leur dire bonjour.

[161] Héroard figure jusqu'au bégayement du Dauphin. On comprendra que nous n'en donnions que quelques exemples.

[162] Edme Stuart, comte, puis duc de Lenox, avait épousé, en 1572, Catherine de Balsac, tante et non cousine germaine de la marquise de Verneuil.

[163] Jean, baron d'Harambure, grand giboyeur de la maison du Roi. Il était borgne, dit Tallemant des Réaux.

[164] Il y avait deux ans. Voy. au 25 février 1603.

[165] Héroard le nomme Charles le 25 février 1603, et ce peintre paraît pourtant être le même. Voy. plus haut, à la date du 12 février et au 15 juin 1604.

[166] Le 24 novembre 1587 le duc de Guise avait battu à Auneau dans la Beauce, une armée de Suisses et d'Allemands qui allaient joindre le roi de Navarre: elle était commandée par le baron de Donaw.

[167] Le 15 mars suivant, Héroard laisse en blanc le nom de ce sculpteur, mais il le dit Flamand et retiré à Florence; puis le 17 il le nomme Du Pré, en ménageant la place de son prénom. Il s'agit certainement d'un autre artiste que Guillaume Dupré, dont Héroard parle le 21 septembre 1604, en le disant natif de Sissonne, près de Laon. Dans ce statuaire flamand, retiré à Florence, on serait tenté de reconnaître le célèbre Jean de Bologne, né à Douai en 1524 suivant Baldinucci, en 1529 suivant Mariette, et dont le nom de famille est resté inconnu. On sait que Jean de Bologne commença en 1604, pour la France, le cheval de bronze destiné à la statue de Henri IV; qu'après la mort de cet artiste, en 1608, Pierre Tacca, son élève, fut chargé d'achever ce travail; que la figure équestre de Henri IV, terminée en 1611, fut placée sur le Pont-Neuf à Paris, en 1614, et qu'elle fut détruite en 1792. Jean de Bologne, âgé en 1605 d'au moins soixante-seize ans, aurait-il fait à cette époque un voyage en France ignoré de ses biographes, et son nom de famille serait-il Dupré ou Desprès? Cela ne nous paraît pas probable, et il s'agit sans doute d'un de ses élèves et compatriotes.

[168] Héroard fait écrire au Dauphin les mots à mesure qu'il les dit et figure la prononciation de l'enfant dans cette lettre comme dans son journal:

«Papa je pie Dieu qu'i vou donne le bon jou et à maman. Je me pote bien tout pest à faire un peti sau pou vote seuice. Fefé Vaneuil est en pison pouce qu'il a fait l'opiniate et moi je ne le sui pu. J'ay bien touné le robiné j'ay fai mouillé lé dame bien for. Adieu papa maman je sui vote tesumble et tes obeissan fi et seuiteu.—Daulphin.»

[169] Héroard a conservé ces griffonnages qui n'ont encore aucune forme; ils sont reliés avec son Journal, dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

[170] Ces fontaines, construites par Francine, étaient accompagnées d'orgues hydrauliques; cette mode durait encore au commencement du règne de Louis XIV, et la grotte de Versailles avait aussi des orgues hydrauliques.

[171] Sorte de rabot.

[172] Le passage du bac de Neuilly était fort dangereux; le Roi et la Reine faillirent s'y noyer l'année suivante, le 9 juin. Voy. aussi le Journal d'Héroard au 31 mai 1602.

[173] Bon accueil.

[174] Les grottes et fontaines de Saint-Germain et celles de Fontainebleau étaient, dit le P. Dan, «de l'invention et de la conduite du sieur de Francine, que le roi Henri le Grand fit venir de Florence pour les dresser.»

[175] C'est pour tout de bon.

[176] «Le samedi 20 (mai 1606), dit le Journal de Lestoile, furent mis hors de Paris tous les Irlandois qui étoient en grand nombre, gens experts en fait de gueuserie et excellens en cette science, par-dessus tous ceux de cette profession, qui est de ne rien faire et de vivre aux dépens du peuple et aux enseignes du bonhomme Péto d'Orléans... On les chargea dans des bateaux conduits des archers, pour les renvoyer par delà la mer d'où ils étoient venus.»

[177] Voy. au 23 septembre 1604.

[178] Du capitaine.

[179] Louis de Balbis-Bertons, seigneur de Crillon, avait alors soixante deux ans. Il mourut en 1615.

[180] Il en imitait le bruit avec sa bouche.

[181] Un tabouret.

[182] La statue d'Orphée.

[183] L'appuie-main.

[184] Pendant l'absence d'Héroard l'apothicaire Guérin le remplace, et le Journal est beaucoup plus succinct jusqu'au 18 mai, jour du retour d'Héroard. Une lettre de Henri IV à Mme de Montglat, datée du 3 mai, et que M. Berger de Xivrey a classée à l'année 1607, se rapporte évidemment à l'année 1605; la voici: «Madame de Montglat, j'ai été bien aise d'apprendre par votre lettre du 1er de ce mois que mon fils et ma fille se portent bien, comme aussi mes autres enfants. Je trouve bon que vous demeuriez au château neuf, et que vous y fassiez venir mon fils de Verneuil, lui faisant bailler une chambre.» (Lettres missives, VII, 229.)

[185] Gabriel Nompar de Caumont, comte de Lauzun, fils de François Nompar de Caumont et de Catherine de Gramont, fille de la belle Corisande. Il mourut en 1660, et fut père du fameux duc de Lauzun.

[186] Jean de Fabas, vicomte de Castet, un des principaux chefs royalistes de l'époque de la Ligue, ou peut-être son fils, qui mourut en 1654, après avoir pris parti contre le Roi.—Voy. une Étude publiée sur Fabas par M. Anatole de Barthélemy, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes.

[187] Instrument que l'on plantait en terre pour appuyer l'arquebuse.

[188] Le Roi n'arriva que le 8 juin.

[189] Dans son historiette sur des Yveteaux, Tallemant des Réaux dit: «Mme de Saint-Germain-Prévost, dont le fils se vantoit d'être fils du maréchal de Biron, est celle de qui on a le plus parlé avec le bonhomme.» Y avait-il parenté entre des Yveteaux et cette famille Prévost? Ce passage d'Héroard tendrait à le faire supposer.

[190] Abréviation de capitaine.

[191] Le Dauphin chante souvent cet air. Voy. au 18 juin suivant.

[192] C'est la première fois qu'Héroard emploie ce mot au féminin.

[193] Il explique au Roi le jargon de Madame, qui avait un an de moins que lui.

[194] Louise-Marguerite de Lorraine, fille de Henri, duc de Guise, dit le Balafré.

[195] Probablement Odet de la Noue, que fut employé avec distinction au service de Henri IV; il était fils du fameux Bras de Fer, mort en 1591.

[196] Un tabouret.

[197] Dans le livre de Gesner.

[198] La Reine était grosse.

[199] Cette horloge, qui datait de François Ier, représentait la statue du Soleil «qui tenoit un sceptre duquel il montroit les heures qui sonnoient par le moyen de certaines grandes statues représentant des cyclopes et forgerons frappant sur une enclume autant de coups qu'il étoit d'heures.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, page 54.)

[200] Pendant l'absence d'Héroard, Dumont, clerc de la chapelle du Dauphin, et Guérin, son apothicaire, continuent le Journal.

[201] Voy. page 47, note 70.

[202] François de Valois, comte d'Alais, fils du bâtard de Charles IX, mort à Pézénas, en 1622.

[203] Henri de Lévis, depuis duc de Ventadour, puis chanoine de Notre Dame, mort en 1680.

[204] François de Montmorency, depuis seigneur de Bouteville, exécuté en 1627, pour s'être battu en duel.

[205] Charlotte-Marguerite de Montmorency, fille du connétable, mariée en 1609 à Henri II, prince de Condé; elle fut mère du grand Condé, et mourut en 1650.

[206] Antoine de Nervèse, dont le style ridicule avait passé en proverbe: «Jamais, dit Tallemant des Réaux, on n'a mieux débité le galimatias, ni parlé si bien Nervèse.»—(Les Historiettes, 3e édit., tome I, p. 207 et IV, 321.)

[207] Après le repas il se nettoyait les mains avec une serviette mouillée.

[208] Marguerite de France, fille de Henri II, première femme de Henri IV, séparée en 1599, morte en 1615. Le Dauphin la vit pour la première fois le 6 août suivant, et il fut décidé qu'il la nommerait Maman ma fille.

[209] Voy. au 26 mai précédent.

[210] Elle venait d'avoir la rougeole.

[211] Pierre-André Mathiole, médecin, mort en 1577, auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire naturelle.

[212] Fils naturel de Côme Ier, grand-duc de Toscane.

[213] Henri III, assassiné à Saint-Cloud le 1er août 1589, mort le lendemain.

[214] Héroard a écrit en marge: Nota pour son entendement. Voy. la note du 9 juillet précédent.

[215] Le Roi écrivait la veille à M. de la Force: «J'ai ici près de moi ma sœur la reine Marguerite, qui se gouverne de façon que j'en ai beaucoup de contentement.» (Lettres missives, VI, 500.)

[216] Le 12 mai 1604.

[217] Le Dauphin a souvent de ces cauchemars.

[218] Matthieu de Morgues, abbé de Saint-Germain, depuis prédicateur du Roi et premier aumônier de Marie de Médicis, n'était alors âgé que de vingt-cinq ans; il mourut en 1670, âgé de quatre-vingt-huit ans. Il est l'auteur de plusieurs pamphlets contre le cardinal de Richelieu, et se distinguait peut-être déjà par la violence de ses prédications.

[219] Le Dauphin savait qu'Héroard tenait un journal de ses paroles et actions.

[220] Voy. page 31, note 48.

[221] La reine Marguerite.

[222] C'est ainsi que le Dauphin appelle le capitaine de Mansan.

[223] M. de Ventelet.

[224] Ou Francisco. Voy. au 3 août précédent.

[225] Héroard a conservé ces griffonnages, qui n'ont encore aucune forme, mais dans lesquels il voit déjà «une merveilleuse inclination à la peinture.»

[226] Héroard était absent depuis le 29 août.

[227] Mari de sa nourrice.

[228] Il devint lieutenant général des armées du Roi, et mourut en 1650.

[229] Le Dauphin entrait dans sa cinquième année.

[230] Dans l'École des femmes Agnès demande à Arnolphe:

«Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfants qu'on fait se faisoient par l'oreille.»

[231] Dans la journée le Dauphin s'était encore amusé pendant deux heures dans la chambre d'Héroard à regarder les estampes du livre de Vitruve.

[232] Le Dauphin était au lit, un peu malade.

[233] Henri-Frédéric, fils aîné de Jacques Ier, roi d'Angleterre; il avait alors neuf ans, et mourut en 1612.

[234] Charles de Bourbon, fils naturel d'Antoine, roi de Navarre, et de Louise de la Béraudière; archevêque de Rouen en 1594, mort à Marmoutier, en 1610, peu après l'assassinat de Henri IV.

[235] A la Cour on appelait mademoiselle les femmes mariées qui n'étaient pas nobles; le Dauphin nomme toujours la femme de son médecin: mademoiselle Héroard.

[236] Nous ne reproduisons pas l'orthographe de cette lettre et de la suivante.

[237] Charles IX, né à Saint-Germain, en 1550.

[238] La Reine était grosse, et accoucha d'une fille le 10 février suivant.

[239] Henri III.

[240] Héroard se contente d'analyser cette lettre.

[241] Chevalier d'honneur de la Reine.

[242] Histoire de France et des choses mémorables advenues ès provinces étrangères durant sept années de paix du règne de Henri IV, depuis 1598 jusqu'en 1604, par Pierre Matthieu, historiographe de France;—Paris, 1604, in-4o.

[243] Voy. au 20 août 1604.

[244] Héroard était absent depuis le 29 octobre.

[245] Voici cette lettre, que M. Berger de Xivrey a classée par erreur à l'année 1608: «Mme de Montglat, je vous fais ce mot et vous dépêche ce courrier exprès afin qu'il me rapporte des nouvelles de la santé de ma fille de Verneuil et de celle de mon fils, et de mes autres enfants. Au demeurant, si Mme de Verneuil va pour la voir, vous la lui lairrez voir et l'irez voir si elle vous en prie et le désire, lui disant comme de vous-même, si vous voyiez qu'elle voulût voir mon fils, que vous la priez de ne le faire à cause de la maladie de sa fille; et incontinent que vous recevrez cette-ci ferez mener mon fils avec tout le reste de mes autres enfants loger au château neuf. Bonjour, Madame de Montglat. Ce ve novembre, à Fontainebleau. (Lettres missives, VII, 642.)

[246] Le Roi écrivait à Mme de Montglat le 6 novembre: «Pour ce que vous mandez à Loménie touchant mon fils de Verneuil, je désire que vous le fassiez mener au château neuf avec mes autres enfants, et si Mme de Verneuil va à Saint-Germain et désire le voir, que vous le lui envoyiez au vieil château, où j'entends qu'elle loge pour assister ma fille.» Cette lettre est également classée, par erreur, dans les Lettres missives, à l'année 1608.

[247] Voy. encore la lettre du Roi du 10 novembre, dans laquelle il dit à Mme de Montglat: «Si Mme de Verneuil est là et qu'elle désire voir mon fils, envoyez le lui au vieil château, et qu'il soit avec elle tant qu'elle voudra.» (Lettres missives, VII, 644.)

[248] Gentilhomme de la chambre et gouverneur de la ville de Paris. Il avait été envoyé au Canada comme commandant général pour le Roi. Voy. Histoire du Canada, par Garneau; Québec, 1859, in-8o, tome 1er, pages 39 à 68.

[249] Voy. plus loin une variante de cette chanson.

[250] C'est-à-dire un lambel, par lequel se distingue le blason des ducs d'Orléans.

[251] Cette captivité ne peut qu'être antérieure au 3 février 1576, date à laquelle le roi de Navarre s'était évadé de la cour de Henri III. En avril 1574 Henri IV avait subi une sorte de captivité au château de Vincennes.

[252] Gabrielle d'Estrées était morte en 1599.

[253] C'est-à-dire qu'on le lui avait recommandé.

[254] Le Dauphin était encore enrhumé.

[255] De la maison du Dauphin.

[256] Héroard était parti le 30 novembre, et pendant son absence le Journal avait, comme d'habitude, été continué par l'apothicaire Guérin.

[257] Voy. au 17 octobre précédent.

[258] Ces cadenas étaient sans doute d'invention nouvelle. Lestoile dit à la date du 6 septembre 1606 qu'on lui a donné «un petit cadenas qui ne se peut ouvrir ni fermer que par quatre lettres qui sont A, M, O, R, qui font amor, lesquelles sont gravées avec plusieurs autres audit cadenas.» Le cadenas du Dauphin lui avait été donné par Héroard; le mot était DIOGÈNE.

[259] Héroard laisse en blanc le nom de ce fou, qui s'appelait Jacques des Isles.

[260] Un autre coussin de velours vert.

[261] On verra Louis XIII conserver cette habitude dans un âge beaucoup plus avancé.

[262] Voy. la lettre de Henri IV à Mme de Montglat, du 4 janvier, dans laquelle il lui dit: «Madame de Verneuil fait état de s'en aller demain coucher à Saint-Germain en Laye pour y voir ses enfants. Faites-la loger au château, et les lui laissez voir; elle ne verra point mon fils ni ma fille, si ce n'est par occasion.» (Lettres missives, VI, 573.)

[263] Mme de Montglat apportait une grande parcimonie dans les dépenses de la maison du Dauphin.

[264] Il était de Chambéry, et servait de page à M. de Verneuil. Héroard ne donne pas son nom.

[265] Héroard dit au Dauphin quelques jours après que la viande grillée engendre la colère.

[266] Chrétienne ou Christine de France, née au Louvre, mariée en 1619 à Victor-Amédée, duc de Savoie, morte en 1663.

[267] Il s'agit probablement du grand prévôt de l'hôtel, car au moment de l'assassinat de Henri III celui des hauts dignitaires que l'on appelait M. le Grand, c'est-à-dire le grand écuyer, le duc d'Elbeuf, était arrêté depuis quelques mois comme favorable aux Guises et ne devait être rendu à la liberté qu'en 1591. Ce passage est assez curieux, puisqu'il y est dit que c'est le grand prévôt qui tua Jacques Clément, tandis que Mézerai et les autres historiens disent que le Roi lui ayant lui-même porté deux coups avec le couteau qu'il retira de la blessure, M. de la Guesle le frappa du pommeau de son épée et que deux ou trois autres personnes, encore plus imprudentes, le tuèrent sur place. Quand on eut reconnu qui il était, le grand prévôt fit tirer son corps à quatre chevaux, brûler les quartiers et jeter les cendres au vent.

[268] Héroard était absent depuis le 30 janvier.

[269] Le Dauphin s'amusait souvent à faire la cuisine.

[270] Paul Merula, de Dordrecht, mort en 1607.

[271] Hercule de Rohan, grand veneur de France, mort en 1654.

[272] Henri de la Tour d'Auvergne, duc de Bouillon, maréchal de France, mort en 1623. Il tenait alors à Sedan contre les troupes du Roi.

[273] Héroard était absent depuis le 19 février.

[274] La Reine n'était pas encore relevée de couches.

[275] Le couvent des Capucins se trouvait dans la rue Saint-Honoré.

[276] L'hôtel du Petit-Bourbon, démoli sous Louis XIV lors des travaux de la colonnade du Louvre.

[277] Voy. au 15 mars précédent.

[278] L'original de cette lettre est conservé à la Bibliothèque impériale (fonds Du Puy). Elle a été reproduite textuellement par M. Paulin Paris dans la 3e édition des Historiettes de Tallemant des Réaux, tome I, page 312, et par M. Berger de Xivrey dans les Lettres missives, tome VII, p. 689. On ignorait la date de cette lettre, dont nous n'avons pas cru devoir reproduire l'orthographe.

[279] Héroard est absent depuis le 23, et c'est Guérin qui tient le Journal d'une manière beaucoup plus concise. Cette phrase obscure nous paraît signifier que M. de Souvré, gouverneur du Dauphin, était venu à Saint-Germain, sur la nouvelle d'un danger couru par l'officier chargé de la garde du Dauphin. Les bois qui environnaient Saint-Germain étaient alors infestés de bandits. (Voy. au 27 janvier 1610.)

[280] Guillaume du Choul, gentilhomme lyonnais «le plus diligent et le plus grand rechercheur d'antiquités de son temps», dit La Croix du Maine.

[281] Voy. aux 19 avril et 29 novembre 1605.

[282] Il s'en sert plus tard pour jouer sur un damier.

[283] Voy. page 32, note 51.

[284] Voy. au 31 octobre 1604.

[285] C'était, dit Héroard, une écritoire en forme de cassette, où étaient son papier, sa plume et son encrier; elle lui avait été donnée par Mme de Loménie.

[286] Clerc de sa chapelle, qui lui montrait à écrire.

[287] Henri de Buade, fils d'Antoine de Buade, seigneur de Frontenac, capitaine des châteaux de Saint-Germain en Laye.

[288] «La belle Gillette; elle étoit noire, claire et agréable.» (Note d'Héroard.) Elle se nommait Gillette Sabillotte, demoiselle de Savenière, et était fille d'un procureur du Roi à Dijon. Le maréchal de Biron, qui mourut sans avoir été marié, en eut un fils, nommé Charles, mort au siége de Dole, en 1636.

[289] Imitation des plats de Bernard de Palissy.

[290] C'est le troisième accident mentionné par Héroard comme arrivé au même endroit. (Voy. aux 31 mai 1602 et au 6 avril 1605.)

[291] Héroard a laissé son nom en blanc.

[292] Nous reproduisons textuellement ce récit qu'Héroard a ajouté après coup, en marge de son journal. Henri IV écrivait le lendemain à Mme de Montglat: «Ma femme et moi l'échappâmes belle hier; mais Dieu merci nous nous en portons bien.» (Voy. aussi le Journal de Lestoile à cette date.)

[293] Héroard était parti le 13 pour Vaugrigneuse, et Guérin, qui tient le journal en son absence, n'a pas la même exactitude pour marquer les heures d'arrivée et de départ du Roi. Henri IV dut repartir pour Paris le lendemain.

[294] On voit par ce détail que lorsque Henri IV venait seul à Saint-Germain il demeurait au vieux château, et que lorsqu'il était accompagné de la Reine et de la Cour il demeurait dans la partie achevée du château neuf.

[295] Héroard était absent depuis le 13.

[296] Fou du Roi.

[297] Le support, en forme de croix, auquel ses armes étaient attachées.

[298] Mlle de Verneuil avait la rougeole et la petite vérole.

[299] Le Roi lui avait donné au mois de février précédent les lettres d'érection de la duché pairie de Sully.

[300] Héroard ajoute en marge: Nota. Grande indiscrétion envers lui (le Dauphin). Mme de Montglat en eut quatre, M. le Chevalier un, Hindret un, etc. Voy. au 30 septembre suivant, une scène analogue.

[301] Le nom de ce soldat est peu lisible.

[302] Nous reproduisons textuellement ce récit incohérent qu'Héroard a écrit en marge de son journal. Lestoile dit à la date du 31 juillet 1606: «La constitution du temps de cette saison fut tellement déréglée, maussade, pluvieuse, venteuse et froide qu'on disoit que la Toussaint se rencontroit cette année en juillet... Ce qui causa force maladies contagieuses à Paris, où toutefois l'effroi étoit plus grand que le mal, avec prédictions de malheurs à venir qui couroient entre le peuple et l'étonnoient.» Ce graisseur, portant une boîte infecte, nous paraît être un écho des craintes superstitieuses qui couraient alors dans le peuple de Paris.

[303] Sur le matin.

[304] Le Dauphin avait fait l'opiniâtre dans la journée. «Cette défiance, dit Héroard, à la date du 24 août suivant, venoit de ce que par deux diverses fois Mme de Montglat lui avoit promis à son coucher de ne le fouetter point et le matin elle l'avoit fouetté au lit.»

[305] Sic. Sans doute pour l'escouade.

[306] Aux froids précédents avait succédé une extrême chaleur.

[307] Dans son livre De l'Institution du Prince, Héroard parle de «la chapelle, de cette belle et grande allée où est le jeu de palle-mail» (folio 1, verso).

[308] Louis de Harlay, seigneur de Saint-Aubin; il était beau-frère de Mme de Montglat.

[309] Cette compagnie n'était composée que d'enfants.

[310] Ces leçons n'avaient encore rien de régulier.

[311] Héroard a laissé le nom en blanc.

[312] Héroard a conservé ce barbouillage, qui n'a aucune forme.

[313] Voy. la note du 14 août 1605.

[314] Il est à remarquer que l'on entretient souvent le Dauphin de cette question.

[315] Abréviation de capitaine.

[316] Le Dauphin est souffrant du 1er au 7 septembre, et Héroard note en marge de son Journal qu'il écrit presque tous les jours à M. du Laurens, premier médecin du Roi, pour le tenir au courant de la santé du prince.

[317] C'était alors la mode de tailler les ifs en leur donnant des formes d'hommes et d'animaux.

[318] C'était une préparation contre la peste. Le 20 septembre suivant, Héroard donne au Dauphin deux muscardins, «à la charge de les laisser fondre en la bouche». Le Dauphin lui dit: J'en prendrai quand je passerai où il y a du mauvais air.

[319] Cette phrase est très-obscure et nous avons dû la reproduire telle quelle. Voici ce que dit le journal de Lestoile à cette date: «La peste au logis de la reine Marguerite, dont deux ou trois de ses officiers meurent, et entre autres un misérablement, dans une pauvre mazure, près les fratti ignoranti, la fait retirer à Issy, au logis de la Haye, se voyant, à raison de cette maladie, abandonnée de ses officiers et gentilshommes.»

[320] Ou Chilly, château bâti par Métezeau pour le maréchal d'Effiat.

[321] Il existe au musée de Versailles un portrait en pied de Martin Ruzé, seigneur de Beaulieu et de Chilly, qui pourrait être celui placé autrefois à Chilly. Voy. Notice du Musée impérial de Versailles, par Eud. Soulié, 2e édition, 3e partie, p. 114, no 3323.

[322] Le château de Fleury appartenait alors à Henri Clausse, filleul du roi Henri II, grand maître des eaux et forêts de France. Le canal de Fleury servit de modèle à Henri IV pour celui de Fontainebleau. «L'on tient, dit le P. Dan, que le sieur de Fleury ayant vu depuis celui-ci beaucoup plus grand, plus large et plus majestueux que le sien, y fit écrire ou pour le moins dit ces paroles: Voluit me vincere Cæsar.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, page 185).

[323] Ou du Jacquemard; c'est la chapelle dédiée à la Vierge et à saint-Saturnin.

[324] On le rassure.

[325] Héroard avait réservé une place dans son Journal pour y insérer l'ordre du cérémonial, mais il ne l'a pas fait. On peut en lire les détails dans le Trésor des merveilles de Fontainebleau, pages 277 et suiv.

[326] Les deux sœurs du Dauphin, Mesdames Élisabeth et Christine furent baptisées le même jour.

[327] Le lendemain du baptême, dit le P. Dan, «se passa à courre la bague, où le Roi, avec son adresse accoutumée, l'emporta plusieurs fois. C'est ce que j'en ai recueilli de l'imprimé qui fut alors publié et de plusieurs personnes qui y étoient présentes.»

[328] C'est sans doute l'origine de la verrerie royale érigée en 1641, «en faveur du sieur Antoine Clerici, ouvrier de S. M. en terre sigillée.» Voy. le P. Dan, page 338.

[329] René de Thou, seigneur de Bonneuil et de Cély, introducteur des ambassadeurs.

[330] «La blancheur et le courant des eaux de ce beau lieu, dit Dargenville, l'ont fait nommer Courance.» Cette seigneurie, comme celle de Fleury, appartenait alors à Henri Clausse; au dix-huitième siècle elle avait passé dans la famille de Nicolaï. (Voyage pittoresque des environs de Paris, 1779 in-12, page 250.)

[331] C'est pour cette raison que nous ne n'avons pas toujours reproduit l'orthographe de ces lettres.

[332] Dans l'Historiette de Malherbe, Tallemant des Réaux raconte que le Roi lui montra la première lettre «que M. le Dauphin, depuis Louis XIII, lui avoit écrite et qu'ayant remarqué qu'il avoit signé Loys, sans u, il demanda au Roi si M. le Dauphin avoit nom Loys. Le Roi demanda pourquoi.—Parce qu'il signe Loys et non Louis. On envoya querir celui qui montroit à écrire à ce jeune prince pour lui faire voir sa faute, et Malherbe disoit qu'il étoit cause que M. le Dauphin avoit nom Louis.» (Les Historiettes, édit. Paulin Paris, I, 277.) On trouvera plus loin des lettres du Dauphin signées Loys.

[333] Héroard a conservé ces griffonnages qui n'ont encore aucune forme.

[334] Nous ne reproduisons cette scène qu'à cause du mot du Roi auquel elle donne lieu le lendemain.

[335] Au rendez-vous de chasse.

[336] On trouve dans le Journal de Lestoile les vers suivants sur le Roi et son confesseur:

J'avois toujours bien ouï dire,
Depuis le temps que j'ai vécu,
Que quiconque étoit notre Sire,
De coton se torchoit le c.;
Mais notre Roi, par grand merveille,
De Coton se bouche l'oreille.

[337] Héroard n'a pas parlé précédemment de ce détail.

[338] Voy. au 20 juillet précédent.

[339] Voy. au 12 janvier précédent.

[340] Nain de la Reine.

[341] Le fou du Roi.

[342] Ange Cappel, sieur du Luat, était, dit Tallemant des Réaux, une espèce de fou de belles-lettres qui fit imprimer, pour flatter M. de Sully, un petit livre intitulé: Le Confident, et un autre au frontispice duquel «il étoit peint comme un ange avec des ailes et de la barbe au menton, et des vers qui disoient qu'il n'avoit rien d'humain que la barbe.» (Les Historiettes, édit. Paulin Paris, I, 111 et 121.)

[343] Héroard a écrit en marge de son journal: Augurium.

[344] C'était un vendredi.

[345] Honorat de Bueil, seigneur de Racan, parent de la comtesse de Moret; il fut un des premiers membres de l'Académie française et mourut en 1670.

[346] Petrucci.

[347] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, écrite le 19 de Nemours. (Lettres missives, VII, 19.)

[348] Dresser la petite mule de M. de Roquelaure.

[349] Voy. la note du 30 juin 1605.

[350] Héroard, malade depuis le 16, était convalescent; le 27 il reprend le Journal continué en son absence par l'apothicaire Guérin.

[351] Nicolas le Blond se trouve parmi les peintres portés dans les comptes de l'hôtel de Henri IV de 1605 à 1610.

[352] «Il perdit un œil d'une épine qui lui perça la prunelle, comme il étoit à la portière du carrosse, en allant voir Mme de Maubuisson, sœur de Mme de Beaufort. Or, un jour qu'il étoit en carrosse avec Henri IV, il s'avisa en passant de demander à une vendeuse de maquereaux si elle connoissoit bien les mâles d'avec les femelles: Jésus! dit-elle, il n'y a rien de plus aisé; les mâles sont borgnes.» (Les Historiettes de Tallemant des Réaux, I, 37.)

[353] Voy. au 11 septembre précédent. Héroard a écrit par erreur «qu'il avoit fait mettre en prison.»

[354] Ce mot indique sans doute que le Dauphin éprouve encore une certaine crainte lorsqu'il lui faut aller au devant du Roi.

[355] Une figurine qui le représentait ou qu'il désignait sous son nom.

[356] Nain de la Reine.

[357] Folle de la Reine.

[358] Voy. plus haut, page 61, note 88.

[359] Éléonore de Bourbon, fille de Henri de Bourbon, 1er du nom, prince de Condé, mariée à Philippe-Guillaume de Nassau, prince d'Orange, morte en 1619. Voy. la lettre de Malherbe à Peiresc, tome III, page 15, de l'édition donnée par M. Lud. Lalanne. Cette lettre est du 9 décembre, et non du 9 novembre.

[360] Voy. la note du 20 juillet précédent.

[361] Héroard remarque plusieurs fois que le Dauphin était mesnager; mais il attribue ce défaut aux exemples de parcimonie qu'on lui donne.

[362] Voy. page 31, note 48.

[363] Le croc-en-jambe.

[364] Il est à remarquer que jamais, dans ces commencements de journée, le mot lavé ne se trouve indiqué.

[365] Héroard met ici en marge: «Ce jour là, le Roi courant à la forêt de Gros-Bois, le cerf, venant au-devant de lui, saute dessus de furie et fault à le tuer: où il faut noter la sympathie de ce prince envers les accidents qui adviennent au Roi, l'ayant observée en plusieurs autres, comme lorsque ce fol se jeta sur lui passant par le Pont-Neuf, ce prince, sans cause manifeste non plus qu'à cette fois, ne voulut point souper.—Voy. au 20 décembre 1605.

[366] Tenant la palette.

[367] Héroard a écrit en marge de ce passage: Temeritas et impudentia.—Voy. au 12 février suivant.

[368] Ces dessins sont conservés dans le manuscrit d'Héroard; il ont été reproduits dans le Magasin pittoresque, année 1865, pages 212 et 213.

[369] Héroard ajoute en latin: Mihi extorsit lacrymas.

[370] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, écrite de Saint-Germain, le 28 décembre 1606.

[371] C'est-à-dire que le Dauphin attache une jarretière au pied d'un tabouret pour en faire une voiture et le tirer.

[372] Sans voir les marches; Héroard met en note: «Secouru à propos».

[373] Gouvernante de Mlle de Vendôme et nièce de M. de Frontenac.

[374] Soldat aux gardes.

[375] Clerc de la chapelle du Dauphin.

[376] M. Littré adopte comme étymologie du verbe épousester: É pour es.... préfixe, et pousse, radical de poussière. «Cette étymologie, donnée par Scheler, est meilleure, ajoute M. Littré, que celle de pousser.» Le Dauphin prononce épuceter qui est peut-être l'ancienne forme du mot épousseter; on dit encore familièrement: «Je lui secouerai les puces.»

[377] Henri IV écrivait, le 28 février, à Sully: «Mon ami, tantôt parlant à vous, j'ai oublié de vous dire comme ces jours passés, durant la foire Saint-Germain j'ai donné ou joué de la marchandise jusqu'à la somme de trois mille écus; et pource que les marchands desquels j'ai eu ladite marchandise me tiennent au cul et aux chausses, je vous fais ce mot pour vous dire de faire bailler présentement ladite somme, etc.» On voit que le langage grossier du Dauphin n'est pas un fait exceptionnel et qu'il parle comme le Roi, comme tout le monde.

[378] En transcrivant dans son Journal cette lettre, qui ne se trouve pas dans le Recueil des Lettres missives de Henri IV, Héroard ajoute: «Collationné à l'original escrit comme dessus, par moy, conseiller et secrétaire du Roy.—Héroard.»

[379] Nous ne citons ce mot que pour faire connaître les produits de la poterie de Fontainebleau.

[380] Joueur de luth.

[381] Héroard a consigné plus haut, le 25 octobre 1605, cette observation qui caractérise déjà Louis XIII.

[382] Madame (Élisabeth de France) avait été tenue sur les fonts du baptême le 14 septembre précédent par Diane de Valois, duchesse d'Angoulême, au nom de l'infante Isabelle-Claire-Eugénie. On sait que le nom d'Élisabeth est le même que celui d'Isabelle.

[383] Héroard a mis en note, à la marge: Insignis impudentia.

[384] Servir, en terme du jeu de paume, signifie envoyer la balle le premier.

[385] Claude de Hoey, peintre du Roi.

[386] Héroard partait pour se rendre à Paris, auprès du Roi.

[387] Frédéric IV, né en 1574, comte palatin du Rhin en 1583, mort à Heidelberg, le 9 septembre 1610.

[388] Le Roi écrivait à la Reine vers le 20 mars: «Mon cœur, j'espère vous voir demain ayant fait ici un petit de fonds.... Mais bien vous assurerai-je que Mme des Essars n'y a point puisé en passant.» Mme des Essars se trouvait à ce voyage de Fontainebleau, comme on le verra à la date du 2 août suivant et au 11 janvier 1608. La première fille naturelle du Roi et de Mme des Essars naquit en janvier 1608, et fut légitimée dans le mois de mars suivant.

[389] La lettre du Roi à Mme de Montglat, datée du 5 avril à Fontainebleau, et que M. Berger de Xivrey a classée à l'année 1607, doit être antérieure, puisqu'à cette date Mme de Montglat est à Fontainebleau avec le Roi et le Dauphin.

[390] Héroard était absent depuis les premiers jours de mars, et le journal tenu par l'apothicaire Guérin est beaucoup plus concis pendant cette période.

[391] Sur une estrade.

[392] Il est curieux de lire, après le récit d'Héroard, celui que le P. Dan fait de la même cérémonie. «Un chacun sait que nos rois très-chrétiens, par une cérémonie autant remarquable qu'elle est pleine de piété, ont coutume tous les ans, le jeudi saint, de laver les pieds à treize pauvres, à l'imitation du Sauveur des humains, qui par un excès d'humilité daigna bien faire le semblable à l'endroit de ses apôtres. Sa Majesté étant donc dans ce lieu de Fontainebleau à pareil jour, l'an mil six cent sept, toutes choses bien préparées et bien ordonnées pour cette cérémonie, et pour en faire ensuite une autre que l'on appelle la Cène, qui se pratique servant les mêmes pauvres en table, le Roi envoya dire qu'il vouloit que Monseigneur le Dauphin fît ce jour-là cette action purement royale au lieu de Sa Majesté, et que ses officiers lui déférassent alors les mêmes honneurs et services qu'à sa personne propre.... Ce commandement reçu, le sieur de Vitry, avec ses gardes, s'en va accompagner Monseigneur le Dauphin en la salle du bal, où se fait d'ordinaire cette pieuse et très-louable action. Alors Monseigneur l'archevêque d'Embrun étant monté en chaire commença cette cérémonie par une belle exhortation, montrant que toute action du Fils de Dieu incarné étant notre instruction, et par le lavement des pieds de ses apôtres ayant témoigné une action signalée d'humilité, c'étoit donc cette vertu que tous chrétiens devoient soigneusement pratiquer.

«L'exhortation achevée, les princes et officiers de la couronne assistant et servant Monseigneur le Dauphin se présentèrent; l'un prit le bassin et l'autre l'aiguière, tandis que Monseigneur le Dauphin lave, essuie et baise les pieds des pauvres, lesquels, selon la coutume, avoient premièrement été visités par le médecin du Roi, pour reconnoître s'ils n'avoient point quelque maladie dangereuse, et auxquels l'on avoit rasé les cheveux, comme aussi on les avoit revêtus d'écarlate, avec chacun un grand linge de fine toile qui les couvre jusque sur les pieds; le tout selon la pratique ordinaire.

«D'abord Monseigneur le Dauphin fit quelque petite difficulté de laver et baiser les pieds de ces pauvres, son âge tout foiblet ne lui pouvant faire comprendre cette cérémonie, et croyant que l'on se vouloit rire de lui, sur ce qu'il voyoit que tous les princes et seigneurs, tête nue, le servoient, et que lui fut ordonné pour servir ces pauvres; mais aussitôt jetant la vue derrière lui et voyant Monseigneur le comte de Soissons tenant son bâton de grand maître, qui venoit en cérémonie, suivi de tous les maîtres d'hôtel du Roi qui précédoient les mets pour servir et donner à ces pauvres, il commença à sourire, et se porta alors d'affection à faire cette action célèbre de piété, reconnoissant qu'il n'y avoit point de moquerie.

«Les services de chaque pauvre étant de treize plats, furent tous portés par des princes ou seigneurs de marque, entre lesquels étoient Mgr le prince de Condé, Mgr le prince de Conty, Mgr le duc de Vendôme et Mgr le duc de Guise, et quand il fallut donner à chacun de ces pauvres treize écus d'or, accoutumés leur être alors aumônés, ce fut où Monseigneur le Dauphin témoigna une grande allégresse, et ainsi finit cette cérémonie et action purement royale, action que l'on ne lit point avoir été jamais faite auparavant par aucun Dauphin ou autre enfant de France.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, p. 285-7.)

[393] Le Roi touchait les malades dans une allée du jardin. Voy. Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, p. 178.

[394] Cet enfant mourut à Saint-Germain-en-Laye, le 17 novembre 1611, sans avoir reçu de prénom; il ne faut pas le confondre avec Gaston, né l'année suivante, et qui ne prit le titre de duc d'Orléans qu'après la mort de ce second fils de Henri IV.

[395] Son thème de nativité. Malherbe, dans une lettre à Peiresc du 23 mars 1610, dit en parlant de M. d'Orléans: «De tous les enfants du Roi, c'est celui, à ce que l'on dit, qui a le plus grand horoscope.»

[396] Héroard a mis en note, à la marge: Meteorum augurium aquila. Voici comment ce fait est rapporté par le P. Dan.: «Quelques jours après (la naissance du duc d'Orléans), qui fut la nuit du dix-neuf au vingtième du même mois, environ les deux heures du matin, fut vu, venant comme de dessus la chambre de la Reine, la forme d'un aigle environné d'une grande lumière, qui passa sur le jardin près de l'horloge avec un grand éclat, comme d'un coup de tonnerre ou de canon; et le rapport en fut fait le lendemain au Roi par deux sentinelles, l'un françois et l'autre suisse, qui étoient alors en faction, et jurèrent avoir vu la chose ainsi. Ce qui fit avancer plusieurs beaux discours à l'avantage de ce jeune fleuron des lys. Les uns (Mathieu en l'histoire de Henry IV) disoient que cet aigle étoit un présage de la future grandeur de ce petit prince, auquel le Ciel sembloit promettre l'empire, et que son nom, comme un coup de tonnerre, éclateroit par tout l'univers. Les autres en faisoient diverses prédictions non moins favorables; mais la fin a montré assez qu'il ne faut rien s'assurer sur tels et semblables signes et météores, car le quatrième an et six mois de son âge mourut ce petit duc d'Orléans, à Saint-Germain-en-Laye. Et s'il y avoit lieu de faire jugement sur tel signe, il y avoit plus d'apparence de dire que, comme un éclair et un coup de tonnerre, cet aiglon royal passeroit promptement de cette vie en l'autre.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, page 275.)

Malherbe écrivait à Peiresc, le 26 avril 1607: «Il fut vu par les gardes un certain feu en forme d'oiseau, qui s'éleva du jardin des Canaux, passa par dessus le Court du Cheval et par dessus le château, alla crever en le Court du Donjon, à l'endroit de l'horloge, avec un grandissime bruit; on dit comme d'un pétard, mais s'il eût été aussi grand, il eût réveillé tout le monde, ce qu'il ne fit pas. Le Roi, comme cela lui fut récité, s'en réjouit fort, et dit que souvent, devant des batailles et en des siéges de villes et autres entreprises, il avoit vu de semblables choses, mais toujours avec bonne issue, et qu'il espéroit que s'il avoit la guerre il feroit bien ses affaires.» (Œuvres de Malherbe, éd. L. Lalanne, 1862, in-8o, t. III, page 33.)

[397] Les quatrains de Pibrac et les proverbes de Salomon. Voici comment Héroard en parle dans son livre de l'Institution du Prince: «Aussitôt qu'ils sauront (les princes) tant soit peu lire, je suis d'avis qu'on les exerce dans les Proverbes choisis de Salomon, les quatrains du sieur de Pybrac, puis certains auteurs qui ont écrit des petits contes sous des noms feints, mais qui portent leur sens moral.»

[398] Marie de Luxembourg, duchesse de Penthièvre, vicomtesse de Martigues, veuve le 19 février 1602 de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur.

[399] Catherine de Lorraine, veuve de Nicolas de Lorraine, duc de Mercœur, beau-père de la précédente, mort en 1577.

[400] Sur un tabouret.

[401] M. de Verneuil était destiné à entrer dans les ordres.

[402] La lettre de Henri IV à Mme de Montglat, datée du 3 mai à Fontainebleau, et que M. Berger de Xivrey a classée à l'année 1607, est de deux ans antérieure.

[403] Le faire tenir tranquille.

[404] Henri de la Trémoille, né en 1599, fils de Claude, duc de Thouars, et de Charlotte de Nassau.

[405] Au château de Moret près de Fontainebleau, que Henri IV avait donné à Jacqueline de Bueil. Cet enfant, légitimé en 1608, est Antoine de Bourbon, comte de Moret, tué à la bataille de Castelnaudary, en 1632.

[406] Mlle de Vendôme épousa en 1619 Charles de Lorraine, duc d'Elbeuf.

[407] Ce dessin est conservé dans le manuscrit d'Héroard.

[408] Héroard ajoute ici en marge: Pro pudore erubescit; manu obducit faciem [Rex] ostentans manu p...et dicens: Ecce qui te talem qualis es fecit.

[409] Le mot peindre s'employait pour représenter.

[410] Une médaille de Jean Héroard a été gravée par Warin postérieurement à la mort du médecin du Roi; Héroard portait en effet la barbe en pointe. Cette médaille est reproduite dans le Trésor de Numismatique, médailles françaises, 2e partie, planche XIX.

[411] C'étaient sans doute des bohémiens qui avaient eu permission de danser devant la Cour.

[412] De la Fête-Dieu.

[413] L'hôtel de Vendôme appelé aussi le Grand-Navarre. Voy. Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, page 327.

[414] Le P. Dan donne quelques détails sur la réception de cet ambassadeur (pages 287-9); mais il se trompe en la datant du mois de mai 1607.

[415] Voy. la lettre de Henri IV à Mme de Montglat sur la mort de son mari. (Lettres missives, tome VII, page 316.)

[416] Le 10 novembre 1604.

[417] Charlotte des Essars, une des maîtresses du Roi.—Voy. Lettres missives, tome VII, pages 138 et 510.

[418] Héroard a conservé ce papier griffonné.

[419] Ce dessin est conservé dans le manuscrit d'Héroard.

[420] La marquise de Verneuil avait demandé au Roi de garder ses enfants pendant quelques jours auprès d'elle. Voy. Lettres missives, tome VII, pages 319, 328, 333 et 338, et la lettre de Malherbe à Peiresc du 3 août 1607.

[421] Le château de Noisy-le-Roi, près de Versailles, appartenait alors au cardinal de Gondi.

[422] Le Roi avait écrit à Sully de Monceaux, le 15 août: «Mon ami, sur l'avis que je viens tout présentement de recevoir de Mme de Montglat, comme la peste est à Saint-Germain-en-Laye, je vous dépêche Frontenac, par les mains duquel vous recevrez cette-ci, en poste, pour vous dire que je mande à Mme de Montglat de mener mon fils à Noisy avec mes autres enfants. Mais pource qu'il n'ont pas de litières, carrosses ni charrettes pour les mener et porter leur équipage, je vous prie de leur en envoyer le plus promptement que vous pourrez afin qu'ils partent aussitôt; car en telles choses la diligence est requise.» Henri IV tomba malade deux jours après. «Ce mois d'août fut extrêmement chaud et sec, dit Lestoile; les melons donnent des cours de ventre et dyssenteries dont plusieurs étant atteints en sont fort malades, entre autres le Roi, qui s'en trouva si mal d'un, et tellement affoibli qu'on douta (sans dire mot) de sa santé.... Un docteur de Sorbonne fit en ce temps le procès du melon à cause du mal qu'il avoit fait au Roi.» (Registre journal de Henri IV, édition Michaud et Poujoulat, tome I, 2e partie, page 434.)

[423] Claude-Marguerite de Gondi, fille d'Albert de Gondi, duc et maréchal de Retz, veuve de Florimond de Hallwin, marquis de Maignelais; morte en 1650, à l'âge de quatre-vingts ans. Dix jours plus tard, le 28 août, le Dauphin s'amuse à copier son portrait.

[424] Il est curieux de voir Louis XIII enfant chasser au vol pour la première fois, sur l'emplacement du grand parc actuel de Versailles, à peu de distance de l'endroit où plus tard, attiré par le même goût, il devait faire construire le château agrandi depuis par Louis XIV.

[425] Ce dessin est conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale; il a été reproduit dans le Magasin pittoresque, année 1865, page 214. Voy. au 18 août précédent.

[426] Aujourd'hui ferme et village de l'arrondissement de Versailles.

[427] Villepreux, comme Noisy, comme Saint-Cloud, comme Versailles, appartenait au cardinal Henri de Gondi, qui tenait ces héritages de son père le maréchal de Retz.

[428] Le Roi continuait de coucher à Villepreux, près de Noisy.

[429] Elle était restée à Saint-Germain à la suite de ses couches.

[430] Des dessins aux trois crayons.

[431] On reconnaît encore ici l'influence d'Héroard, qui dit dans son livre De l'Institution du Prince: «On peut faire de même, les mettant (les princes) sur les autres livres historiaux contenus en la Bible, où ils liront avec plaisir et profit tout ensemble, s'égayant par l'histoire et s'instruisant en beaucoup de choses qui doivent être sues par des enfants chrétiens, tels que nous les voulons faire.»

[432] Antoine de Bourbon, roi de Navarre. Il s'agit sans doute d'un portrait aux trois crayons, analogue à celui publié par M. Niel dans les Portraits des personnages français les plus illustres du XVIe siècle, tome II.

[433] Madame est alors âgée de près de cinq ans; Héroard reproduit son langage enfantin, qui, on le voit, était aussi grossier quelquefois que celui du Dauphin.

[434] Ce papier est conservé dans le manuscrit d'Héroard. On y lit: Loys, Dauphin, sera bien sage.

[435] Tracé.

[436] On voit par ce passage qu'Héroard tenait note des actions du Dauphin à toutes les heures de la journée.

[437] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa septième année.

[438] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 8 octobre. (Lettres missives, VII, 370.)

[439] Un des plus considérables jeux de l'orgue, qu'on appelle autrement voix humaine. On fait aussi des épinettes organisées, qui ne consistent qu'en un jeu de régale (Trévoux).

[440] Nicolas d'Herberay, sieur des Essars; il vivait sous François Ier et Henri II; il est aussi traducteur de l'Histoire de Josèphe sur la guerre des Juifs.

[441] Héroard donne le texte de ces trois lettres; celles du grand-duc et du prince de Toscane sont en italien. Voici celle de la grande-duchesse (Christine de Lorraine, fille du duc Charles III):

«Monseigneur, l'affection avec laquelle je vous reveris et cheris a rendu en toute perfection l'estreme contentement que j'ay receu que Dieu vous aye accompagné d'un frere, parquoy je m'an rejouis avec V. A. come celle qui vous aime plus que son fils, et pardoner à mon amour si je suis tent presonteueuse comme je ne sede a creature du monde qui soit plus votre tres-humble seruante et quand il luy plaira m'onorer de ses comandement elle conoittera que persone ne m'auansera d'afection et en c'est maime volonté j'eleue mes afans lesquelles avec leur mere vous baise tres humblement les mains, prian Dieu, Monseigneur, vous donné tres longue et tres heureuse vie, vous croissant en toutes ses vertus comme desire

«Vostre tres humble et tres obeissante tante et seruante.

«Chrestne, g. dse.»

Et au-dessus est écrit:
«A Monseigneur,
«Monseigneur Daulphin.

[442] Henri, cardinal de Gondi, évêque de Paris.

[443] Henri III.

[444] Ce dessin est conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

[445] Jacqueline de Bueil avait été mariée pour la forme à Philippe de Harlay, comte de Cési, mais de manière à ce qu'il ne fût son mari que de nom. Aussitôt après la naissance du comte de Moret, on s'occupa des formalités nécessaires pour casser ce mariage. Elle épousa, en 1617, René du Bec, marquis de Vardes.

[446] Héroard était parti pour Vaugrigneuse le 31 octobre, et en son absence Guérin continuait le Journal.

[447] La nouvelle mariée.

[448] Héroard était de retour depuis le jour précédent.

[449] Morceau de cuir façonné en forme d'oiseau, dont les fauconniers se servaient pour attirer et rappeler les oiseaux.

[450] Mme de Montglat suivait les ordres du Roi, qui lui écrivait le 14 novembre: «Je me plains de vous de ce que vous ne m'avez pas mandé que vous aviez fouetté mon fils, car je veux et vous commande de le fouetter toutes les fois qu'il fera l'opiniâtre ou quelque chose de mal, sachant bien par moi-même qu'il n'y a rien au monde qui lui fasse plus de profit que cela; ce que je reconnois par expérience m'avoir profité, car étant de son âge j'ai été fort fouetté. C'est pourquoi je veux que vous le fassiez et que vous lui fassiez entendre.» (Lettres missives, VII, 385.)

[451] Le cardinal de Gondi et Philippe-Emmanuel de Gondi, seigneur de Dampierre, père du cardinal de Retz.

[452] Le 14 septembre 1606.

[453] Dicter.

[454] Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, du 30 novembre. (Lettres missives, VII, 396.)

[455] A son baptême. Voy. plus bas, au 9 décembre.

[456] Sur ce fou de Henri IV, on lit dans le Perroniana: «Maître Guillaume étoit ennemi mortel des pages et des laquais, et portoit toujours sous sa robe un bâton court, qu'il appeloit son oysel, et en frappant crioit toujours le premier au meurtre. Il disoit qu'en même temps que Dieu faisoit les anges, le diable faisoit les pages et les laquais. Il vit en Normandie le pourvoyeur de M. le cardinal de Bourbon qui menoit toujours où alloit son maître une troupe de moutons pour la provision, et celui qui les menoit étoit monté à cheval; maître Guillaume, qui le vit passer, dit: «Voilà le grand moutontier de Cholcos, qui garde les moutons à cheval.» Quand maître Guillaume vouloit dire ruiner, il disoit réformer, à cause qu'au commencement des troubles ceux de la Religion pillèrent Louviers, d'où il étoit, et eux s'appeloient Réformés. M. le comte de Soissons lui dit un jour: «Il faut que tu ailles devant une compagnie de dames (qui étoient au Louvre) et que devant elles tu montres ton cul, et que tu le remues; mais garde-toi bien de dire que c'est moi qui t'ai appris cela, car tu auras des coups de bâton; mais dis ainsi: C'est ma mère qui me l'a appris» (entendant parler de la mère de maître Guillaume). Maître Guillaume ne manqua pas de venir en cette compagnie, où le comte se trouva exprès, et où aussi étoit sa mère; aussitôt le bouffon commença à faire les gestes que lui avoit appris le comte de Soissons. Ces dames se mirent à crier et à le vouloir chasser de la salle; on lui demanda: «Qui t'a appris celle vilenie-là?—C'est le comte de Soissons», dit-il. Le comte, qui étoit là, lui fit signe qu'il le battroit; aussitôt il se reprit: «Non, ce n'est pas le comte de Soissons, mais c'est sa mère qui lui a appris.»

«Je le rendis une fois bien muet devant le feu Roi, et il se trouva pris sans pouvoir répliquer. Il disoit au Roi qu'il avoit été dans l'arche de Noë avec sa femme et ses enfants; là-dessus je lui dis: «Venez çà, maître Guillaume; il n'y avoit dans l'arche que huit personnes, Noë, sa femme, ses trois enfants et les femmes de ses trois enfants: Vous n'étiez pas Noë?—Non, dit-il.—Vous n'étiez pas sa femme?—Non.—Vous n'étiez pas de ses enfants?—Non.—Vous n'étiez pas une des femmes de ses fils?—Non.—Vous étiez donc une bête, car il n'y avoit que ces personnes-là, tout le reste étoit des bêtes.» Il se trouva bien empêché, et ne sut que répondre; le Roi le lui reprochoit souvent....

«Il s'appeloit Guillaume le Marchand et s'appeloit Cavalier des chiffres; il disoit qu'il étoit descendu aux enfers, et que là il combattit Pythagoras. Toute sa science étoit tirée du livre des Quenouilles, qu'il avoit merveilleusement bien étudié; il avoit aussi vu tout plein de tapisseries, et il lui en étoit demeuré force visions; il avoir été aussi souventes fois aux sermons; il n'y avoit pas moyen de le faire obliger ni répondre pour personne. Les bouffons plaisants donnent de merveilleux contentements, mais ils sont dangereux quelquefois. Maître Guillaume avoit de certaines visions admirables quand on l'interrogeoit: Qui étoit cettui-ci, cettui-là, et de certains mots propres, qui lui étoient naturels, et à lui seulement.»

[457] Ces griffonnages sont conservés dans le manuscrit d'Héroard.

[458] Marie de Bourbon, fille de Henri de Bourbon, duc de Montpensier, née au château de Gaillon, le 15 octobre 1605, avait alors près de deux ans; elle fut mariée en 1626 à Gaston, duc d'Orléans, troisième fils de Henri IV, né le 25 avril 1608; le duc d'Orléans, deuxième fils du Roi, était mort en 1611. On voit que ces mariages, projetés dès l'enfance des princes, se réalisaient quelquefois.

[459] Jeanne-Baptiste de Bourbon, fille de Henri IV et de Charlotte des Essars, fut légitimée par lettres du Roi, données au mois de mars 1608, et mourut abbesse de Fontevrault, en 1670.

[460] Voy. au 19 septembre 1607.

[461] François-Marie de Médicis, 1er du nom, grand-duc de Toscane.

[462] Dans son livre De l'institution du Prince, Héroard trace ainsi le plan de ce petit catéchisme: «Il sera, ce me semble, bien à propos de dresser un petit catéchisme fort abrégé, et qui contienne seulement les choses nécessaires et celles que le long et légitime usage a fait passer en nature de loi, ayant à prendre soigneuse garde de ne point faire un homme superstitieux au lieu d'un homme pie et vraiment religieux; ne se trouvant aucune chose plus contraire à la religion chrétienne, pure, sans fard et sans macule, comme est la superstition.»

[463] Un peu.

[464] Voy. plus bas au 3 février.

[465] Un petit violon; on dit aujourd'hui pochette.

[466] Sans doute un jouet de la foire Saint-Germain.

[467] Charles de Simiane, seigneur d'Albigny, s'étant signalé en France pour le parti catholique, sous Charles de Savoie, duc de Nemours; le duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier, l'appela à son service, le fit général de ses armées et lui fit épouser sa sœur naturelle; il mourut à Turin, le 17 février 1608, dit le P. Anselme; il faut peut-être lire janvier d'après ce passage d'Héroard. Le père de M. d'Albigny se nommait Bertrand-Raimbaud de Simiane, Ve du nom, baron de Gordes; c'était, dit le président de Thou, un homme de l'ancienne roche, et qui dans tous les troubles de son temps sut conserver une grande équité. Il mourut à Montélimar, en 1578.

[468] Le 21 décembre 1607.

[469] Ce passage prouve qu'Héroard faisait au Dauphin des remontrances qu'il ne rapporte pas dans son Journal.

[470] Il avait été pourvu de l'évêché de Metz par bulle du Pape.

[471] Voy. au 23 février suivant.

[472] Pourri.

[473] Soldat de la compagnie de M. de Mansan, qui avait composé aussi celui des Fallots ou des Lanternes.

[474] C'étaient sans doute des joujoux achetés à la foire Saint-Germain.

[475] Ce témoignage vient s'ajouter à ceux recueillis par M. le comte Léon de Laborde sur ce diptyque, peint par Jean Fouquet, dont un panneau, celui représentant la Vierge ou Agnès Sorel, se trouve aujourd'hui au musée d'Anvers, et l'autre, offrant le portrait d'Étienne Chevalier avec son patron, fait partie de la collection Brentano-Laroche, à Francfort. (La Renaissance des arts à la cour de France, 1855, in-8o, pages 697 à 722.)

[476] Il faut noter à cette occasion que les châteaux n'étaient pas alors meublés de manière à être habités et qu'on était obligé d'y transporter les objets de première nécessité. On a vu, le 29 février précédent, le Dauphin aider à plier son lit. Il en était encore ainsi au dix huitième siècle: lorsque Louis XV fut frappé par Damiens à Versailles, le 5 janvier 1757, le Roi habitait alors Trianon, et on fut obligé de le coucher sur les matelas de son lit, faute de draps. Voy. le Journal de Barbier et les Mémoires du duc de Luynes.

[477] Maison «ainsi nommée à cause que là autrefois il y avoit quantité de coudriers; est l'hôtel du grand écuyer de France.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, page 188.)

[478] Il y avait dans la galerie des Cerfs, dit le P. Dan, quinze cartes en forme de tableaux, représentant les forêts et maisons royales de France. (Trésor des merveilles de Fontainebleau, p. 153). Ces peintures, cachées depuis par des boiseries, ont été récemment découvertes et restaurées.

[479] Cette effigie du Roi ne peut être celle qui se trouve sur un plat de faïence où Henri IV est représenté avec la Reine et le Dauphin. (Voy. le no 861 du Catalogue du Musée Sauvageot, par A. Sauzay, 1861, in-8o, p. 203.) M. Riocreux, conservateur du Musée céramique de Sèvres, a acquis en 1861, à la vente du cabinet Thorel, un petit buste de Henri IV en faïence qui pourrait être la figure dont parle Héroard.

[480] Le Roi écrivait le même jour à Mme de Montglat: «Madame de Montglat, j'ai été bien aise de voir par toutes les votres le soin que vous avez eu de me faire savoir des nouvelles de la santé de mes enfants, mêmement de celle de mon fils de Verneuil. Et pource que la maladie qu'il a, quoiqu'elle soit contagieuse, n'est pas dangereuse, j'ai trouvé fort à propos la séparation que vous avez fait faire. Et pource que M. Érouard à cause de cela ne le peut voir, de peur d'apporter du mal à mon fils le Dauphin et mes autres enfants, j'envoye Hubert, l'un de mes médecins que vous connoissez et qui vous rendra cette-ci de ma part, pour avoir soin de la santé de mon fils de Verneuil et lui ordonner ce qu'il jugera à propos avec l'avis dudit Érouard.» (Lettres missives, tome VII, page 500.)

[481] M. Berger de Xivrey a classé à l'année 1609 (Lettres missives, VII, 822) un billet sans date de Henri IV à la Reine dans lequel le Roi dit: «Soldat est auprès de moi.» L'éditeur suppose, dans une note, que le Roi désignait ainsi le Dauphin, à cause de son goût pour les exercices militaires; il était en effet difficile de deviner qu'il s'agissait d'un chien hargneux. Voy. au 25 avril suivant.

[482] Le Roi écrivait à Sully, le 25: «D'autant que à cause que l'on travaille à toutes les chapelles de ce château et que à cause de cela il est impossible d'y pouvoir faire le service durant ces fêtes, j'ai résolu de me servir pour cet effet de la salle neuve où est la belle cheminée.» (Lettres missives, VII, 502.)

[483] Héroard note avec soin toutes les occasions où le Dauphin manifeste son goût pour le vin, ce qui arrive surtout lorsque le Dauphin mange avec le Roi.

[484] César de Balsac, seigneur de Gié, frère consanguin de la marquise de Verneuil, étant fils de François de Balsac d'Entragues et de Jacqueline de Rohan, sa première femme: il fut conseiller du Roi, colonel des carabinois et lieutenant général au gouvernement d'Orléans.

[485] François de la Rochefoucauld, évêque de Clermont, puis de Senlis, cardinal en 1607, grand aumônier de France en 1618, mort en 1645.

[486] Voy. la note du 12 avril 1607.

[487] Voy. la lettre du Roi à la marquise de Verneuil. Lettres missives, VII, 510.

[488] Henri de Joyeuse, comte du Bouchage, puis duc de Joyeuse, pair et maréchal de France, gouverneur de Languedoc pendant la Ligue; devenu veuf en 1587, il se fit capucin sous le nom de Père Ange, sortit des ordres en 1592 pour se mettre à la tête de la Ligue, et y rentra en 1599. Il faisait ce jour sa visite d'adieu, partant pour Rome pieds nus; il mourut en route, à Rivoli, le 27 septembre 1608. De sa femme, Catherine de Nogaret de la Valette, il avait une fille unique, Henriette-Catherine de Joyeuse, mariée en 1599 à Henri de Bourbon, duc de Montpensier.

[489] Se diriger du côté du carrosse dans lequel était le Dauphin.

[490] Jeu de cartes qui fut défendu sous le règne de Louis XIV.

[491] Gabriel et Louis de Rochechouart. Gabriel devint premier gentilhomme de la chambre du Roi en 1630, gouverneur de la ville de Paris et de l'Ile de France en 1669, et mourut en 1675; il fut le père de Mme de Montespan. Louis de Rochechouart, comte de Maure, fut grand sénéchal de Guyenne, et mourut en 1669.

[492] Voy. au 24 mars précédent.

[493] Charlotte-Brabantine de Nassau, fille de Guillaume II, prince d'Orange, et femme de Claude de la Trémoille, duc de Thouars. L'enfant qu'elle présente au Dauphin doit être son second fils, Frédéric de la Trémoille, comte de Benaon et de Laval, mort en 1642, à la suite d'un combat singulier contre le seigneur du Coudray-Montpensier.

[494] Bon accueil.

[495] C'était sans doute une copie ou imitation de la figurine de Bernard de Palissy, connue sous le nom de la Nourrice, fabriquée à la poterie de Fontainebleau, où le Dauphin allait si souvent acheter des figurines qui lui servaient de jouets.

[496] Gaston-Jean-Baptiste de France porta le titre de duc d'Anjou jusqu'en 1611, époque de la mort du second fils de Henri IV. Il prit alors les titres de duc d'Orléans et de Monsieur, frère du Roi. Il mourut au château de Blois, en 1660.

[497] De pierres gravées.

[498] C'étaient des pierres gravées qu'Héroard portait en bague. Voy. au 21 juin 1614.

[499] Vêtement court et boutonné par devant. Héroard remarque trois jours après que la cotte du Dauphin étoit trop serrée à l'endroit de l'estomac.

[500] Guy de Rieux, fils de René, seigneur de Sourdéac, qui après la mort de Henri III s'était attaché au roi Henri IV, dont il tint constamment le parti pendant la Ligue. Guy de Rieux devint premier écuyer de Marie de Médicis, sortit avec elle du royaume, fut déclaré criminel de lèse-majesté en 1631, et mourut à Neubourg, en 1640.

[501] César, fils aîné du Roi et de Gabrielle d'Estrées avait alors quatorze ans, Mlle de Vendôme en avait onze.

[502] Héroard note en marge que le Roi était parti le matin.

[503] Parmi les figurines attribuées à Palissy se trouve également un joueur de vielle. Voy. la note du 24 avril précédent.

[504] Le singe du Roi. Voy. au 25 mars précédent.

[505] Tout le reste de la journée l'indisposition du Dauphin continue, et il vomit à plusieurs reprises; son état maladif continue pendant trois jours.

[506] Jacques de Budos, baron de Portes, dont la petite-fille épousa, en 1644, Claude de Rouvroy, premier duc de Saint-Simon.

[507] Voy. les deux lettres de Henri IV à Sully, tome VII, pages 552 et 553. Mlle de Verneuil avait la rougeole, Madame et le duc d'Orléans la fièvre.

[508] Antoine-Arnaud de Pardaillan, marquis de Montespan, capitaine de la première compagnie des gardes du corps du Roi, mort en 1624. Son petit-fils fut le mari de la célèbre Mme de Montespan.

[509] Sic. C'est à dire que la Reine envoie dire au Dauphin qu'elle lui donne ce joujou et qu'elle promet de le payer.

[510] Éléonore Thomassin, femme de Emmanuel des Prés, marquis de Montpezat.

[511] Catherine de Gimel, femme de Jean de Saint-Chamans, comte de Peschier.

[512] Le Roi écrit à Sully à cette date: «Mes enfants se portent mieux, Dieu merci, et sont sans fièvre. Mon fils le Dauphin sortira aujourd'hui et ma fille demain.»

[513] Voy. la note du 24 mars précédent.

[514] Veneur du Roi.

[515] Héroard était absent depuis le 2 juin.

[516] Voy. au 16 juillet suivant.

[517] Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, secrétaire d'État, mort en 1617.

[518] Héroard imite ici jusqu'au bruit que faisait le Dauphin en simulant une décharge.

[519] Un tabouret.

[520] Il avait une jambe de bois.

[521] Revenir vers le Roi.

[522] Ambassadeur de Philippe III, roi d'Espagne.

[523] Héroard a déjà parlé de ces fiançailles dans la journée du 16; il est probable que le premier jour il n'y eut que la signature du contrat.

[524] La galerie des chevreuils ou des chasses était ornée de sept tableaux représentant les différentes sortes de chasses (du loup, du sanglier, du cerf, etc.). Dans tous ces tableaux Henri IV était en habit de chasse, «accompagné de quelques seigneurs et de ses veneurs.» (Le Trésor des merveilles de Fontainebleau, par le P. Dan, p. 155.)

[525] Des siéges analogues à des tabourets.

[526] La veille le Dauphin avait donné pour mot du guet: Pantalon.

[527] «Henri le Grand ayant appris les mérites du sieur Fréminet, peintre célèbre, en fit choix pour travailler aux tableaux qui enrichissent cette église» (la chapelle de la Sainte-Trinité).—Voy. dans le P. Dan, pages 62 à 72, la description de cette chapelle.

[528] Le nom de cet artiste ne se trouve pas dans la liste des peintres du Roi, donnée par M. Poirson d'après les comptes de l'hôtel de Henri IV.

[529] Il avait dit à Mme de Montglat: Ho! la laide, elle vesse puant.

[530] Héroard met en note: «Il paye sa tarte de saint Louis».

[531] «Sur la fin de ce mois, M. de Vendôme, duquel le mariage avoit été résolu par le Roi et tous les empêchements levés par S. M., de pleine puissance et autorité royale, partit de Paris pour aller prendre possession de son gouvernement de Bretagne.» (Journal de Lestoile.)

[532] Voy. au 20 décembre 1605 et au 6 décembre 1606.

[533] Voy. la note du 14 mars précédent.

[534] Un bronze du tireur d'épines se trouvait alors à Fontainebleau; cette figure est aujourd'hui au Louvre.

[535] Voy. page 32, note 51.

[536] Mme de Villars, dit Tallemant des Réaux, souffrit, faute d'argent, «les galanteries d'un partisan nommé Moisset; c'est celui qui a bâti Ruel, c'étoit le Montauron de ce temps-là.» (Historiettes, éd. Paulin Paris, I, 216.) Dans une lettre de Malherbe, du 21 mars 1607, on trouve ce passage: «On dit que le Roi en ce voyage (de Fontainebleau) a dit qu'il la vouloit marier (Mme des Essars) avec Montauban, qui s'appelle autrement M. de Moisset.» (Voy. plus loin, au 4 avril 1609). Lestoile dit aussi, à la date du 31 mars 1604, que Montauban avait été tailleur.

[537] Le Dauphin logeait toujours au vieux château de Saint-Germain.

[538] Les cérémonies de fiançailles se faisaient toujours dans le cabinet du Roi.

[539] Henri de Bourbon, duc de Montpensier, était mort à Paris, le 27 février précédent, de suites de la blessure qu'il avait reçue au siége de Dreux, en 1593.

[540] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa huitième année.

[541] Charles II de Gonzague, duc de Nevers, gouverneur général de Champagne. Il se rendait à Rome pour le serment d'obédience au Saint-Siége; il devint dans la suite duc de Mantoue, en 1612.

[542] Vincent I de Gonzague, mort en 1612.

[543] Le Roi demeurait au château neuf de Saint-Germain.

[544] Héroard se trompe en lui donnant le nom de Henri. Roger du Plessis, fils de Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, marquis de Guercheville, et d'Antoinette de Pons, connue sous le nom de Mme de Guercheville, dame d'honneur de la Reine, fut élevé auprès du roi Louis XIII, qu'il accompagna toujours, dit le P. Anselme, tant en paix qu'en guerre. Duc de la Rocheguyon et pair de France en 1643, il mourut en 1674.

[545] Jean de Longueil, conseiller du Roi et doyen en sa chambre des Comptes, mort en 1629.

[546] Héroard était parti le 23 pour aller à Paris et de là à Vaugrigneuse. En son absence l'apothicaire Guérin le remplace et continue le Journal. Voy. la lettre du Roi à Mme de Montglat, écrite de Fontainebleau le 30 octobre. (Lettres missives, VII, 637.)

[547] Voy. la note du 7 octobre précédent.

[548] Les lettres du Roi à Mme de Montglat, écrites de Fontainebleau les 5, 6 et 10 novembre, que M. Berger de Xivrey a classées à l'année 1608, sont de trois ans antérieures.

[549] La robe et les bottines que le Dauphin portait pendant sa maladie étaient fourrées.

[550] A cette époque le Dauphin s'amuse tous les jours à peindre, à crayonner et à dessiner à la plume.

[551] Les deux jours précédents le Dauphin avait aussi fait des dessins de maisons.

[552] La lettre du Roi à Mme de Montglat, datée du 23 novembre, à Fontainebleau, et classée par M. Berger de Xivrey à l'année 1608, est de l'année 1602.

[553] Hippostologie, c'est-à-dire Discours des os du cheval, par M. Jehan Héroard, conseiller, médecin ordinaire et secrétaire du Roi.—Paris, MDXCIX, in-4o. Les planches gravées représentent les différentes parties du squelette du cheval: les os de la tête, la fourchette, l'échine, etc. La dernière qui a pour titre: «Le corps des os du cheval» est signée: Ja. de Weert fecit.

[554] La citation d'Héroard s'arrête là.

[555] Fils de Mme de Montglat.

[556] La gouvernante du Dauphin, en le remettant entre les mains des hommes, conservait tous les objets qui avaient été à l'usage du prince.

[557] Héroard était absent depuis le 8 décembre.

[558] De l'Institution du Prince, par Jean Héroard, Sr. de Vaulgrigneuse, conseiller et secrétaire du Roy, médecin ordinaire de Sa Majesté et premier de Monseigneur le Daulphin.—A monseigneur le Daulphin.—A Paris, par Jean Jannon, rue Saint-Jean-de-Latran, à la Roze rouge, MDCIX.—Le titre est gravé par Thomas de Leu. On lit dans le Journal de Lestoile, à la date du 2 mars 1609: «J'ai acheté un livre nouveau fait par M. Héroard, premier médecin de M. le Dauphin, intitulé: L'Institution du Prince; qui est une matière et un sujet tant de fois chanté et rechanté, qu'on n'y peut trouver que des redites. Il m'a coûté, relié en parchemin, avec une autre fadèze de contre-satire pour les dames, un teston.»

[559] Pierre Libertat, Corse établi à Marseille; le service qu'il avait rendu en introduisant en 1596 le duc de Guise en la ville de Marseille, que ses magistrats allaient livrer aux Espagnols, fut considéré comme si important que Henri IV s'écria, en apprenant cette nouvelle: «C'est maintenant que je suis roi.» (Lettres missives de Henri IV, tome IV, page 516.)

[560] Ou plus probablement un Apollon.

[561] La Vénerie de Jacques du Fouilloux, gentilhomme poitevin.

[562] On appelait ainsi un rendez-vous de chasse.

[563] Voy. la note du 15 janvier 1604.

[564] C'est à cette époque une de ses occupations les plus habituelles. Le dessin de ce jour est conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

[565] Il y a dans les manuscrits une lacune du 14 au 24 janvier.

[566] Voy. la note du 16 mars 1606.

[567] C'est-à-dire la première fois que le Dauphin exerce son autorité sur les personnes attachées à son service.

[568] «Le Roi, lui permettant d'avoir quelques heures à soi pour y passer honnêtement le temps et l'employer aux exercices vertueux qui soient de sa portée et convenables à sa qualité, a résolu de lui donner pour compagnie une certaine troupe de jeunes gentilshommes de pareil âge ou sortable au sien, qu'il tirera des plus grandes et meilleures maisons de toutes ses provinces.» (Héroard.De l'Institution du Prince, fo 147).

[569] Voy. le Journal de Lestoile à cette date.

[570] Elles étaient restées à Saint-Germain avec Mme de Montglat.

[571] Nous notons à dessein ces différences d'heures pour aller à la comédie.

[572] Lestoile l'estime trois mille.

[573] Voy. au 13 juillet suivant.

[574] Sommelier du Dauphin.

[575] Ces occupations sont les seules du Dauphin à cette époque; depuis son arrivée au Louvre, il n'est plus question de dessin ni de musique.

[576] Ferdinand Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, oncle de la Reine.

[577] Dans le glossaire des Noëls bourguignons de La Monnoye, on trouve cairiaige ou quariage, mot qui signifie proprement charroi, mais qui au figuré se prend pour le tracas d'une affaire:

Voyez comment faisant tels quariages,
Souvent on est trompé ès mariages.

[578] Nicolas Vauquelin, sieur Des Yveteaux, né vers 1568, mort en 1649. Henri IV, dit Tallemant des Réaux, le fit précepteur de M. le Dauphin après qu'il l'eut ôté précepteur de M. de Vendôme. (Les Historiettes, édition Paulin Paris, tome I, p. 341.)

[579] C'est un brevet par lequel on assure une certaine somme sur le prix d'une charge (Trévoux).

[580] Voy. page 61, note 88.

[581] Hameau de la commune d'Arcueil.

[582] François de Bourbon, prince de Conty, demeurait à l'hôtel abbatial de Saint-Germain-des-Prés, où il mourut, en 1614.

[583] François de Gouville, seigneur de Javerly, maréchal de camp en 1597, gouverneur de Pithiviers en 1620.

[584] Héroard écrit comme on prononçoit: Desdiguières.

[585] Charles IX.

[586] Madrid dans le bois de Boulogne; on prononçait alors: Madril.

[587] Le Dauphin habitait toujours le vieux château.

[588] Voy. la note du 11 septembre 1608.

[589] La procession des Rameaux.

[590] Le Dauphin reprend à Fontainebleau cette habitude, dont il n'est pas fait une seule mention pendant son séjour à Paris.

[591] Henri du Plessis, seigneur de Richelieu, frère aîné du cardinal, qui étoit alors évêque de Luçon; il fut maréchal de camp en 1616 et mourut en 1619.

[592] Voy. au 17 mars précédent.

[593] Tragi-comédie de Robert Garnier.

[594] «La devise est un composé de figures et de paroles; on donne à la figure le nom de corps, et aux paroles celui d'âme.» (Moréri.)

[595] Jouée par des musiciens ambulants.

[596] Héroard écrit craire, suivant la prononciation de cette époque.

[597] Ce dessin est conservé dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale.

[598] Fou du Roi.

[599] Héroard revient le 17; pendant son absence l'apothicaire Guérin continue le Journal, mais beaucoup plus succinctement.

[600] Alphonse Corse, dit d'Ornano, maréchal de France en 1597, mort en 1610.

[601] Côme II de Médicis.

[602] Il est difficile de se rendre compte de cette expression, puisque la cérémonie du mariage à la chapelle ne se fit que le 7.

[603] Voy. au 25 juin précédent.

[604] Des Yveteaux.

[605] Nicolas Brulart, marquis de Sillery.

[606] Claude Mangot, depuis chancelier de France, attaché aux intérêts et à la fortune du maréchal d'Ancre; il remit les sceaux au Roi en 1617, après la mort de Concini.

[607] Catherine de Médicis, veuve de Henri II et mère de Henri III, était morte au château de Blois en 1589; il est remarquable de voir la fille naturelle de Henri II (Diane, duchesse d'Angoulême, morte à Paris, en 1619, âgée de quatre-vingts ans) faire transporter à Saint-Denis les restes de Catherine.

[608] Le Dauphin veut sans doute parler du petit roi Jean, fils de Louis le Hutin, né posthume, le 15 novembre 1316, mort quatre jours après, et qui fut enterré à Saint-Denis aux pieds du roi son père. La statue de cet enfant est encore à Saint-Denis.

[609] Le Roi écrivait en 1608 au cardinal de Givry: «Mon cousin, je vous prie présenter à notre saint-père le Pape les lettres que je lui écris, dont je vous envoie la copie, pour obtenir de Sa Sainteté les indulgences y contenues en faveur de l'hôpital de Saint-Louis de Santé, que je fais bâtir près les faubourgs Saint-Laurent de ma bonne ville de Paris, pour y retirer les pestiferés.» (Lettres missives, VII, 535.) C'est l'hôpital situé rue des Récollets, et qui porte encore le nom d'hôpital Saint-Louis.

[610] Le journal de Lestoile constate «force maladies à Paris en ce mois, mortalité de petits enfants par les petites véroles qui y règnent.» C'est à cause de cette épidémie que le Dauphin séjourne à Saint-Maur jusqu'au 23 septembre. Voy. les lettres du Roi à M. de Souvré des 12 et 17 août. La maison de Saint-Maur appartenait au prince de Condé.

[611] Elle voyageait ainsi à cause de sa grossesse.

[612] Ce passage indique une certaine mésintelligence entre Héroard et Des Yveteaux.

[613] Le duché de Clèves et de Juliers était vacant par la mort du duc Jean-Guillaume. On vit jusqu'à sept compétiteurs se disputer sa succession.

[614] Le Roi avait écrit à M. de Souvré la veille: «Je vous fais ce mot pour vous dire que vous ameniez mon fils demain dîner à Chaillot, où son frère d'Anjou et ses sœurs sont arrivés ce soir, et où ma femme et moi les irons voir demain après dîner, et ainsi nous le verrons avec eux. Puis il s'en retournera coucher à Saint-Maur. Bonsoir, monsieur de Souvré. Ce jeudi à dix heures du soir, xe septembre, à Paris.

Henry.

Vous l'amènerez en dehors cette ville.

[615] On écrivait alors: Piquepusse.

[616] Héroard a écrit en marge: Mirum responsum et judicii plenum quod sequenti tetrasticon coegi ex opinione Livii:

Sedentem solio Mutius pro Rege trucidat:
Erroris pœnas sentiit arsa manus.
Quin caput hoc meruit torreri ô Scævola flammis
Delphin ait, falso consuluisse manum.

[617] Le Dauphin entrait ce jour-là dans sa neuvième année.

[618] Moins de huit mois plus tard Henri IV succombait sous le couteau de Ravaillac.

[619] Brosser, courir à travers les bois et les pays de bruyères et de broussailles (Trévoux). En patois haut-normand on dit encore brocher à travers une haie ou un taillis.

[620] Précepteur de M. de Verneuil.

[621] Bateau de rivière qui sert de voiture publique; c'est un coche d'eau. (Trévoux).

[622] Le Dauphin avait conservé cette habitude, que lui avaient donné sa nourrice et Mme de Montglat, lorsque son sommeil se trouvait troublé, ce qui lui arrivait assez fréquemment.

[623] Bon accueil.

[624] C'est l'expression dont se sert toujours Héroard pour parler des heures du matin.

[625] Nous rappelons de temps en temps ces occupations du Dauphin, qui ne varient pas.

[626] Ce détail prouve que le Dauphin demeurait au rez-de-chaussée du Louvre avant d'être logé au second étage.

[627] Henriette-Marie de France, mariée en 1625, à Charles Ier, roi d'Angleterre; morte en 1669.

[628] C'est-à-dire qu'il veut que le Roi croie qu'il n'en a pris qu'un.

[629] Henri IV était né le 13 décembre 1553; il entrait ce jour-là dans sa cinquante-huitième et dernière année.

[630] Selon son habitude, lorsque le Dauphin manifeste son goût pour le vin, Héroard note ce passage en marge de son Journal avec cette remarque: «Son humeur et naturel, pour y prendre garde.» Héroard ne partageait pas les idées de Henri IV au sujet du vin.

[631] Voy. au 14 janvier 1604. La Clavelle, sieur de Chevigny, fut longtemps secrétaire de Sully. Tallemant raconte que La Clavelle, avec quelques femmes d'assez mauvaise réputation, bouffonnaient tous les jours avec Sully. (Historiettes, tome I, p. 116 et 124). On voit qu'Héroard protestait à part lui contre ces mœurs de la Cour et des plus grands personnages; il dut sans doute exercer peu à peu une certaine influence sur le caractère de Louis XIII, si différent de celui de son père.

[632] Héroard n'indique plus que très-rarement ce défaut de prononciation.

[633] Henri de Talleyrand, comte de Chalais, décapité le 19 septembre 1626; il avait environ un an de plus que le Dauphin.

[634] Héroard désigne ainsi les petits gentilshommes élevés avec le Dauphin.

[635] Une comédienne qui devait venir jouer le soir chez le Roi et qui assistait à son dîner. Henri IV écrivait en 1607: «Monsieur de Villeroy, je vous fais ce mot pour vous dire que j'ai permis à l'Ysabelle, comédiante, et à sa compagnie de s'en retourner en Italie.» (Lettres missives, VII, 176.)

[636] Malherbe écrivait le 11 janvier 1610: «Vendredi dernier, M. le Dauphin jouant aux échecs avec la Luzerne, qui est un de ses enfants d'honneur, la Luzerne lui donna échec et mat; M. le Dauphin en fut si fort piqué, qu'il lui jeta les échecs à la tête: la Reine le sut, qui le fit fouetter par M. de Souvray, et lui commanda de le nourrir à être plus gracieux; elle l'a jugé nécessaire pour ce que ce prince, extrêmement généreux, ne veut rien souffrir qui ne lui cède. Il fut à l'Arsenal il y a trois ou quatre jours; j'ai ouï dire à un gentilhomme qui y étoit présent que M. de Sully lui fit un grand accueil; mais que, quoi qu'il fît, jamais il ne s'arrêta à lui et ne le regarda presque point.

«Il y a, depuis huit ou dix jours, au grand cabinet de la Reine un tableau où l'infante d'Espagne est peinte de son long, avec cette inscription: Dona Anna Mauricia d'Austria; l'autre soir M. le Dauphin le montroit à quelques-uns de ces petits qui sont nourris auprès de lui, et leur disoit: «Voilà ma femme.» M. de Souvray lui dit que peut-être les Espagnols ne la lui voudroient pas bailler, et il répondit tout aussitôt: «Eh! il la faudra aller prendre.» Ce prince est pour donner de la besogne à la jeunesse qui sera de son siècle: il est d'un naturel extrêmement bon, mais il veut être respecté, comme il est raisonnable. Madame sera ici dans cinq ou six jours pour faire un ballet.»—(Œuvres de Malherbe, éd. L. Lalanne, tome III, p. 130.)

[637] Le Dauphin en mange ordinairement après ses repas, ainsi que le Roi.

[638] «Les danseurs du ballet, dit Malherbe dans une lettre du 6 février, entraient de cette façon quatre à quatre: les quatre premiers étoient M. de Vendôme et le comte de Cremail, qui alloient ensemble en forme de tours, M. de Termes et la Ferté, petit-fils de M. le maréchal de Fervaques, en forme de femmes de grandeur colossale, suivoient après.

«Des autres quatre, les deux premiers dansoient sous la forme de deux grands pots à fleurs, et les deux derniers sous la forme de chats-huants ou hiboux: les pots étoient le baron de Sainte-Suzanne, etc.; les chats-huants étoient le comte de Roche-Guyon et le baron de la Chataigneraye.

«Des quatre derniers les deux premiers étoient Sesy et Jouy, qui étoient en forme de basses de violes, et les derniers en moulins à vent, qui étoient M. le général des galères et Vinsy.

«Après qu'ils avoient dansé sous ces formes, ils se retiroient au bas de la salle; et là sortoient de dedans ces instruments, et dansoient en leurs formes naturelles quatre à quatre, c'est à savoir les quatre premiers ensemble, puis les quatre seconds, et puis les quatre derniers, et puis dansoient tous ensemble; puis se retirèrent dans leurs machines, et lors les nains sortirent.

«Il ne me souvient pas qui étoit l'autre pot à fleurs avec le baron de Sainte-Suzanne; il n'y eut que les hiboux qui baillassent des vers.» (Œuvres de Malherbe, 1860, in-8o, tome III, p. 138.)

[639] «Le Roi étant allé à Saint-Germain eut avis que dans la forêt on avoit vu cinq hommes avec des pistoles; la forêt fut visitée, et ne trouva-t-on rien. On a su depuis que c'étoit une querelle particulière. Ce n'est pas chose qui vaille être écrite; mais il n'y a point de mal qu'on sache que cet éléphant n'est qu'une mouche.» (Lettre de Malherbe du 2 février 1610.)

[640] Le Journal de Lestoile parle de cette cérémonie à la date du 5: il dit que la marraine fut Mme de Vendôme, et que pendant cette cérémonie M. de Vendôme étoit sur le Pont-Neuf qui se battoit à coups de pelottes de neige. Voy. aussi la lettre de Malherbe du 6 février 1610.

[641] Jacques Bunel peignait alors la petite galerie du Louvre, qui fut brûlée en 1660 et remplacée par la galerie d'Apollon. (Voy. Lettres missives, tome VII, page 480.)

[642] Le Journal de Lestoile parle de cette visite du Dauphin aux Augustins.

[643] Voy. au 28 février suivant. Malherbe écrivait de Paris, le 18 février: Le ballet de M. le Dauphin s'attend au premier jour; il sera de deux mille écus de dépense.»

[644] Philippe II.

[645] En 1578.

[646] Cette fille mourut le 20 mars suivant «en l'abbaye de Saint-Germain, où elle fut portée, dit Malherbe, aussitôt qu'elle naquit. Mme la Princesse avoit résolu d'y faire sa couche, et y avoit fait tout préparer pour cet effet; mais elle fut surprise de son accouchement dans le Louvre.»

[647] Sorte de loterie.

[648] C'était le jour des Rameaux.

[649] La cérémonie de laver les pieds aux pauvres. Il est à remarquer que Henri IV est souvent malade le jour de cette cérémonie; on se rappelle la répugnance que le Dauphin avait à le remplacer.

[650] C'est-à-dire, explique Héroard, par alliances, pour coucher ensemble.

[651] Ancien établissement où l'on faisait effectivement du savon, mais transformé, en 1604, par Pierre du Pont, en une manufacture royale d'étoffes à la turque.

[652] Jacques Aleaume ou Alleaume, mathématicien, était employé aux fortifications.—(Voy. Les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e édition, tome IV, p. 204 et 217.)

[653] Malherbe écrivait le mardi 24 mars 1610, à Peiresc: Le Roi fut dimanche dernier au sermon à Saint-Nicolas des Champs; «il entretint fort Mme la marquise et, après le sermon, il ouït vêpres et complies avec elle, et lui donna encore assignation à la sortie, au logis de Mme sa mère, où l'un et l'autre se rendirent; ce fut la récompense de ne l'avoir point vue depuis dix mois. Je ne sais si ce feu se rallumera; il seroit quasi à désirer, mais il est malaisé: elle dit qu'elle est la bête du Roi; et son explication, c'est qu'ordinairement on fait peur aux petits enfants de la bête, quand on ne peut en venir à bout d'autre façon, et que le Roi fait de même d'elle; que quand il veut fâcher le monde, il dit qu'il verra la marquise.» (Œuvres de Malherbe, tome III, page 153.)

[654] C'était pour imiter son père. Voy. au 1er avril 1606.

[655] Le dimanche 9, dit le Journal de Lestoile, «comme les enfants de Paris passoient par-dessus le Pont-Neuf pour faire leurs monstres, un pauvre tailleur, chargé de cinq petits enfants et sa femme grosse, fut tué d'un mosquet qu'un autre près de lui, en le voulant tirer, fit crever pour être trop chargé. Le Roi les voyant passer à la porte Saint-Antoine, en ayant avisé un brave et en conche (sic) par-dessus les autres et monté sur un beau cheval, voulut savoir qui il étoit, et ayant entendu qu'il étoit fils d'un mercier du Palais: «Ventre saint gris, dit le Roi, il a là un beau cheval; mais je craindrois, vu sa qualité, qu'au lieu de manier le cheval, que le cheval le maniât et lui donnât enfin quelque mauvaise sécouade.» Et l'ayant fait approcher, Sa Majesté, après avoir loué son bel équipage et sa monture lui commande de manier un peu son cheval, ce que l'autre fit si adextrement qu'en étant sorti à son honneur: «Ventre saint gris, dit le Roi, encore ne pensois-je pas que mes Parisiens fussent si bien à cheval qu'ils sont!»

[656] Le Dauphin ne dînait pas tous les jours avec le Roi, et Héroard ne manque pas de mentionner cette circonstance, non-seulement dans son Journal, mais encore en marge. C'est la dernière fois que Henri IV dîne avec son fils.

[657] Héroard dit en latin: per contemptum. Il lui arrive souvent d'exprimer par des mots latins le caractère du Dauphin.

[658] Negligenter.

[659] Voy. au 25 août 1610.

[660] C'est le plus ordinairement ce qui compose le déjeuner du Dauphin.

[661] Héroard écrit ces mots en grosses lettres.

FIN DU PREMIER VOLUME.

TABLE ALPHABÉTIQUE DU PREMIER VOLUME.


A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W Y Z


A

B

C

D

E

F

G

H

I

J

K

L

M

N

O

P

Q

R

S

T

U

V

W

Y

Z

FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE DU PREMIER VOLUME.

TABLE DES MATIÈRES
DU PREMIER VOLUME.

  Pages.
Introduction I
Année 1601 1
Année 1602 17
Année 1603 41
Année 1604 59
Année 1605 111
Année 1606 167
Année 1607 239
Année 1608 303
Année 1609 375
Année 1610 419
Notes Notes
Table alphabétique du premier volume Table

Au lecteur.

Ce livre électronique reproduit intégralement le texte original, et l'orthographe d'origine a été conservée. Seules quelques erreurs clairement introduites par le typographe ont été tacitement corrigées.

Les notes de bas de page ont été renumérotées de 1 à 661 et placées à la fin du livre. Une table alphabétique, extraite de la Table générale alphabétique à la fin du volume II, et une table des matières ont été ajoutées.







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(1601-1610), by Jean Héroard

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Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.