The Project Gutenberg EBook of Thémidore; ou mon histoire et celle de ma
maîtresse, by Claude Godard d'Aucourt

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Title: Thémidore; ou mon histoire et celle de ma maîtresse

Author: Gondart D'Aucourt.

Release Date: April 23, 2013 [EBook #42586]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

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PREMIERE PARTIE
SECONDE PARTIE

THEMIDORE.

P R E M I E R E   P A R T I E.

THEMIDORE.

Togatos
Cum Venere in molli gramine bella decent.
Ovid. Eleg. 5. Lib. 3.

P R E M I E R E   P A R T I E.

colophon

A LA HAYE,
Aux dépens de la Compagnie.

M. DCC. LXXVI.

AVERTISSEMENT.

LORSQU’ON entre chez un Curieux, non-seulement on est charmé d’observer ses collections, mais on est encore flatté de savoir dans quel esprit elles ont été recueillies: l’histoire du cabinet intéresse en faveur des morceaux qu’il renferme. C’est précisément le cas où se trouvent ceux entre les mains desquels ces Mémoires se rencontrent. Il est juste de satisfaire leurs désirs.

L’Auteur des aventures que l’on communique ici au Public est un Conseiller au Parlement: il est inutile d’exposer son nom; comme son ouvrage paroît sans son consentement, ce seroit lui déplaire que de l’en faire connoître pour l’Auteur.

M. Thémidore est un jeune homme riche, beau, bien fait, d’un excellent caractere, plein d’esprit, & qui aime éperdument le plaisir: avec ces qualités il n’est pas étonnant qu’il ait recherché les occasions de s’amuser, & qu’il les ait rencontrées. Sensible à la vanité, comme il convient à son âge, il seroit très-singulier qu’outre le soin qu’il a dû prendre de raconter à Paris ses bonnes fortunes de vive voix, il eût manqué de les transmettre par écrit à ses amis, qui, par leur éloignement, ne pouvoient autrement en avoir la confidence. Ainsi c’est en partie à son amour-propre que l’on est redevable des descriptions que renferment ces deux parties de Mémoires. Monsieur le Marquis de Doncourt, à qui ils sont adressés, les a lus avec plaisir, & me les a envoyés pour m’en amuser: ils ont fait sur moi l’impression qu’ils avoient faite sur lui: ils méritent de plaire à tout le monde.

Ce n’est point ici un Comte imaginaire, qui en donnant ses prétendues confessions, ment hardiment à confesse; c’est un jeune homme qui entre à peine dans le monde, & qui s’imagine souvent que le plaisir est une découverte de son invention; qui en conséquence en entretient les autres avec transport: c’est un jeune homme qui, par l’usage qu’il a de parler exactement, écrit de même; qui réfléchit quelquefois, & donne à ses pensées une tournure qui lui est propre: enfin c’est un esprit un peu impétueux, & qui n’ayant pas encore eu le temps de devenir sage, fait avec feu l’éloge de l’égarement, & peint avec force les occasions où il a pu se livrer à la volupté: ses portraits sont d’après nature, & méritent une place dans le Recueil des Miniatures galantes.

Nous avons jugé à propos de déguiser le nom de ceux dont on fait mention; ce soin sera approuvé de toutes les personnes raisonnables. Nous ne conseillons point aux ames scrupuleuses de jetter les yeux sur ces aventures; elles sont quelquefois chatouilleuses & capables d’exciter des idées extrêmement éveillées. Elles ne sont faites que pour être lues par les esprits revenus de la bagatelle, ou qui vivent avec elle: ainsi ne doit-on communiquer l’histoire d’un naufrage qu’à ceux qui en sont échappés, ou à ceux qui sont dans le cas de s’y exposer. Au reste, ces Mémoires sont écrits avec retenue: il n’y a aucun mot qui puisse blesser la modestie; mais on ne répond pas des idées qu’ils peuvent faire naître. Ils sont semés de sentences très-sages & aisées à retenir; ils sont dans le goût actuel du Public, puisqu’ils ne contiennent que d’aimables bagatelles, bien dictées, & plus propres à amuser l’esprit qu’à nourrir le cœur.

THÉMIDORE.
PREMIERE PARTIE.

CE que je désirois depuis si long-temps, cher Marquis, s’est offert de lui-même; & je n’ai pas fait les avances du hazard. Enfin j’ai possédé la belle Rozette. Voici son portrait: jugez si je sais attraper la ressemblance.

Elle a de l’esprit, du jugement, de l’imagination, & se plaît dans l’exercice de ses talens. Faisant tout avec aisance, elle fait faire aux autres tout ce qu’elle veut. Extérieur éveillé, démarche légere, bouche petite, grands yeux, belles dents, graces sur tout le visage; voilà celle qui a fait mon bonheur: prude par accès, tendre par caractere; dans un moment son caprice vous désespere, dans un autre sa passion vous enivre des idées les plus délicieuses. Rozette entend au mieux le coup d’œil, elle part à votre appel, & vous rend aussi-tôt votre déclaration. Elle folâtre avec le plaisir, mais elle l’éloigne le plus qu’elle peut de sa véritable destination: goût singulier d’aimer mieux caresser un beau fruit, que d’en exprimer la liqueur!

Trois jours s’étoient passés depuis votre relation de la prise de Menin, lorsque plein de vous, & inquiet de votre santé, cher Marquis, je reçus de vos nouvelles. Je fus au Palais-Royal les communiquer à nos amis, & ensuite me promenai dans une allée un peu écartée. Je vis arriver le Président de Mondorville. Il étoit pimpant à son ordinaire; la tête élevée, l’air content: il s’applaudissoit par distraction, & se trouvoit charmant par habitude. Il badinoit avec une boîte d’or d’un nouveau goût, & y prenoit quelques légeres couches de tabac, dont, avec certaines minauderies, il se barbouilloit le visage. Je suis à vous, me dit-il en passant: je courus au Méridien. Il y fut; je fis en l’attendant quelques tours seul, & considérai avec un plaisir critique un groupe original de Nouvellistes, qui politiquoient profondément sur des choses qui ne doivent jamais arriver. Je m’approchai d’un vieux Militaire qui parloit fort haut & fort bien, chose assez rare à son espece: il fit noblement le panégyrique de notre illustre Monarque; & peut-être pour la premiere fois de sa vie il ne trouva point de contradicteur.

Le Président revint du Méridien, en grondant de ce que sa montre retardoit de quelques minutes: il promit que jamais Julien le Roy ne travailleroit pour lui, & qu’il feroit venir exprès de Londres une douzaine de répétitions. Tel qui ne veut pas que sa pendule se dérange d’une seconde, est perpétuellement en contradiction avec lui-même.

Mon cher Conseiller, me dit-il, une prise d’Espagnol? C’est ce marchand Arménien qui est là-bas sous ces arbres qui me l’a vendu. C’est un nouveau Converti: on le dit bon Chrétien; mais ma foi il est Arabe avec les curieux. Vous voilà beau comme l’Amour: on vous prendroit pour lui, si vous étiez aussi volage; mais on sait que la jeune Baronne vous tient dans ses chaînes. Votre pere est à la campagne. Divertissons-nous à la ville. Quel désert que Paris! Il n’y a pas dix femmes: ainsi celles qui veulent se faire examiner ont des yeux à choisir.

Je vous fais dîner avec trois jolies filles; nous serons cinq, le plaisir fera le sixieme: il sera de la partie puisque vous en êtes. J’ai renvoyé mon équipage, & Laverdure doit m’amener une remise.

Argentine est du dîner: c’est une fille adorable; au libertinage près, elle a les meilleures inclinations du monde.

Ne reconnoissez-vous pas bien-là, cher Marquis, le Président? Il a du génie, de l’honneur, mais il tient furieusement au plaisir. La nuit au bal, à sept heures du matin au Palais: il n’est ni pédant en parties, ni dissipé à la Chambre. Charmant à une toilette, integre sur les fleurs-de-lis: sa main joue avec les roses de Vénus, & tient toujours en équilibre la balance de la Justice.

Nous sortîmes insensiblement du jardin. Laverdure n’étoit pas encore arrivé. Depuis quelque-tems nous entendions les propos de deux jeunes gens qui se confessoient mutuellement leurs bonnes fortunes, mais qui, à leur air, m’avoient bien celui de mentir au tribunal.

Nous appercevions à leurs fenêtres plusieurs Vestales, dont la réputation est excellente dans le quartier, & embaume tout le voisinage; elles étoient parées comme pour des mysteres: nous jugeâmes qu’elles ne pouvoient allumer que des feux d’artifice.

Nous considérions d’un côté de la place le Café de la Régence, si brillant autrefois; nous plaignions la maîtresse de ce lieu, qui a été forcée de fuir un époux qui ne sera jamais choisi pour servir le nectar à la table des Dieux.

De l’autre côté nous appercevions le Café des beaux Arts, Café nouveau, orné très-galamment, bien fréquenté; & qui, s’il continue, ne sera pas si-tôt le Café des Arts défendus.

La maîtresse de ce cabaret[A] étoit sur sa porte en négligé. Souvent il y a plus d’art dans cette simplicité que dans les ornemens précieux. Elle est prévenante & gracieuse: sans être belle, on plaît quand on lui ressemble. Elle est bien faite, a la peau fort blanche, parle avec aisance, & l’esprit accompagne ses reparties. A sa façon propre de se mettre on imagine qu’elle doit être sensuelle dans le particulier. Sa jambe est fine & déliée à ce qui paroît. Je connois un autre sens que la vue qui auroit plus de satisfaction à en décider.

Cependant arriva Laverdure: il descendit de carrosse; nous y montâmes. Tout est prêt, dit-il, mademoiselle Laurette & mademoiselle Argentine vous attendent; mais mademoiselle Rozette est indisposée, & vous fait ses excuses. Cette nouvelle, que Rozette devoit être de la partie, & n’en seroit pas, me rendit chagrin. J’ignorois la surprise qu’elle nous ménageoit. On s’afflige souvent de ce qui nous doit être le plus agréable dans la suite.

Le Président ne déparla pas jusqu’au logis de nos Demoiselles. Il est permis de ne pas garder le silence quand on s’exprime avec sa variété. Il n’y a pas un petit-maître ou une petite-maîtresse qu’il ne connoisse par nom, surnom, intrigues, qualités, mœurs & aventures: il sait la chronique médisante de tout Paris.

Voici, me disoit-il, ce grand Flamand au teint pâle, qui joue si gros jeu. Il est au-dessus & au-dessous de nous de toute sa tête. Voyez-vous le sage Damis au regard ingénieux & spirituel? on croiroit qu’il pense, il donne bonne idée de lui lorsqu’il ne dit mot; sa physionomie est une menteuse, & cet homme-là n’est bon qu’à être son portrait.

Vous voyez le petit Duc dans son équipage. Il joue le galant & le passionné auprès des Dames, mais on sait son goût, & l’on est persuadé qu’il triche toujours en de telles parties.

N’avez-vous pas apperçu la Comtesse de Dorigny? elle est toujours dans son vis-à-vis seule; elle court de maison en maison pour annoncer une piece que l’on donnera ce soir aux Italiens pour la premiere fois: elle dit à tout le monde qu’elle en est très-contente, & ne l’a pas lue; c’est le Secrétaire de son frere qui en est auteur, elle en jugera en faisant des nœuds. Voici le jeune Poliphonte; il court à toute bride dans son phaëton bleu-céleste: fils d’un riche Marchand de vin, il se croit un Adonis; il est bien le favori de Bacchus, mais il ne le sera jamais de l’Amour.

Je n’ose, continuoit-il, regarder la porte d’Hebert[B]; il me vend toujours mille choses malgré moi: il en ruine bien d’autres en bagatelles. Il fait en France ce que les Français font à l’Amérique, il donne des colifichets pour des lingots d’or.

Nous arrivâmes à la porte de nos Demoiselles, après avoir attendu assez long-tems: Laverdure descendit avec elles.

Pensez-vous comme moi, Marquis? Je n’aime pas qu’un Domestique soit si fort dans la confidence de mes secrets, ou de mes plaisirs. En gardant un bijou on le regarde; en le regardant de trop près on en est tenté, & quelquefois le gardien devient larron: d’ailleurs une fille qui se vend à vous par intérêt, peut se donner par goût à votre confident.

Laurette & Argentine monterent avec nous: les stores tirés, nous partons. Le Président de prendre les mains à nos compagnes, elles de lui recommander d’être sage; lui de les embrasser, elles de se défendre ou d’en faire la cérémonie. Bientôt j’eus fait connoissance, à l’exemple de mon ami: nous badinons, le tems s’écoule, nous nous trouvâmes à la Glaciere.

Le dîner étoit préparé. Donnez vos ordres à un Domestique entendu, qu’il soit le maître de votre bourse, il en fera les honneurs par-delà vos vœux: plus vous serez content, plus il y aura trouvé son avantage. Qui est-ce qui n’est pas industrieux sur le plaisir, lorsque les frais en sont faits par un autre?

La maison où nous étions est louée par le Président; on y trouve toutes les commodités désirables.

L’extérieur n’en est pas brillant, mais l’intérieur vous en dédommage. C’est au dehors la forge de Vulcain; mais le dedans est le palais de Vénus.

Ces petites maisons-là sont d’une idée charmante, le mystere en est l’inventeur, le goût les construit, la commodité les dispose, & l’élégance en meuble les cabinets. On ne rencontre là que le simple nécessaire; mais c’est ce nécessaire cent fois plus délicieux que tous les superflus. On ne trouve jamais là de parens au degré prohibé, ainsi jamais de trouble. La sagesse est consignée à la porte; & le secret, qui y fait sentinelle, ne laisse entrer que le plaisir & l’aimable libertinage.

Le dîner servi nous en profitâmes. Passez-m’en la description. Imaginez ce que peut offrir la Volupté, quand la finesse vous sert à petits plats. Je me plaçai auprès de Laurette, & le Président choisit Argentine. Laverdure nous fit attendre après la bisque; cet intervalle fut rempli par une dispute qui s’éleva sur le savant & ennuyeux Opéra de Dardanus. Déjà nous étions animés, lorsqu’on nous présenta deux entrées, auxquelles Martiolo[C] eût donné un nom très-apétissant. Ce service calma notre ardeur, & nous remit dans notre assiette & sur notre assiette.

Vous ne connoissez pas beaucoup nos deux convives; en voici une esquisse.

Laurette est encore jeune, mais moins qu’elle ne le dit, & moins aussi qu’elle ne le pense: la bonne foi des femmes est admirable sur cet article. Elle est une de ces grandes filles bien découplées, dont la taille & la jambe dénotent des dispositions excellentes pour plus d’une danse. Elle est brune, très-semillante, & se pique de faire naître des désirs.

Argentine est une grosse maman ragoûtante, qui a le nez un peu retroussé, la bouche jolie, la main potelée, & une gorge en faveur de laquelle la Nature n’a pas été ménagere. Le plaisir est sa divinité chérie; aussi lui sacrifie-t-elle le plus souvent qu’il lui est possible. Leur conversation se ressemble assez; elle est brillante lorsqu’elle roule sur la bagatelle: ces filles-là possedent bien leur matiere.

Le dîner se passa assez tranquillement; j’en fus surpris, connoissant l’humeur impétueuse du Président. J’ai toujours soupçonné que pendant un moment d’absence avec Argentine, sous prétexte de rendre visite à un cabinet nouvellement meublé de Perse, il s’étoit précautionné contre les effets du vin de Champagne. Au reste je le plains, s’il a été si long-tems sage sans préparation. Pour moi je m’apperçus bien que l’on n’est pas réservé quand on le veut. Est-ce un si grand mal de n’avoir pas un empire absolu sur la nature? On dit qu’il y a de la gloire à prendre sur elle; je trouve qu’il y a plus de plaisir à lui laisser prendre sur nous.

Déjà les propos enjoués avoient animé notre repas; quelques couplets de chansons assez libres avoient fait naître des désirs agréables, plusieurs baisers avoient, en conséquence, effleuré les charmes de nos convives, qui ne résistoient qu’autant qu’il le falloit pour se donner une réputation de s’être défendues. Nous ne songions à personne lorsque Laverdure nous annonça que l’on pensoit très-fort à nous, & nous remit une lettre de la part de Rozette.

Le Président la décacheta avec empressement: elle étoit badine, & nous félicitoit sur l’aimable désordre où elle supposoit que nous devions être, & nous avertissoit qu’avant une demi-heure elle partageroit nos amusemens. On but à sa santé; je le fis d’une façon trop marquée. Le cœur se trahit aisément, on le prend sur le fait à chaque rencontre. Cette façon découvrit à Argentine & à Laurette que je lui donnois la préférence. Toute femme est jalouse; les filles du genre de ces Demoiselles ne le sont pas précisément & en forme; mais elles ne sont point insensibles. Pourquoi, ayant des agrémens, l’orgueil ne seroit-il pas aussi leur apanage? Sans se dire mot elles se le donnerent pour empêcher que Rozette à son arrivée ne profitât de ce qu’elles avoient mérité comme premieres occupantes. Ce systême ne portoit pas à faux. En punissant l’amour que j’avois pour Rozette elles avoient deux satisfactions: la premiere de se procurer de l’amusement; la seconde d’en priver une rivale: ce dernier motif suffisoit. Les femmes font quelquefois le mal pour le mal; mais leur malice est bien industrieuse lorsqu’elle doit être récompensée par le plaisir.

On remit le dessert à l’avénement de Rozette. J’ai oublié de vous dire, cher Marquis, que c’étoit elle-même qui avoit apporté la lettre; & que, de concert avec Laverdure, elle s’étoit cachée dans un appartement voisin, d’où elle étoit témoin de ce qui se passoit dans le nôtre. Que n’en fus-je informé! j’aurois été mettre le secret de sa retraite à contribution: bien différens de vous autres Militaires, nous n’en levons que dans les pays qui nous sont les plus chers.

Quelques raisons ayant obligé Argentine à sortir, le Président lui donna la main: nous restâmes seuls Laurette & moi.

Argentine étoit en robe détroussée de moire citron, avec une coëffure qui demandoit à être chiffonnée. Laurette étoit parée, avoit du rouge & un ajustement des plus lestes. La simplicité embellissoit Argentine, & Laurette trouvoit mille avantages dans sa parure. Rien ne peut enlaidir une jolie femme; & on peut se flatter d’être passable quand on n’est point changée par l’affectation de la parure.

Le Président tardoit un peu dehors. Nous en badinâmes & rîmes entre nous de ce qui probablement ne les désespéroit pas alors. Suivant le caractere des absens, nous jugions que l’emploi de leur tems étoit leur plus sérieuse affaire; & que s’ils avoient quelque compte à rendre ce ne seroit pas d’y avoir laissé un grand vuide à remplir.

Ceux qui badinent des autres sont toujours punis. En critiquant son prochain on agit souvent de même; la morale est très-foible vis-à-vis le plaisir. Otez cette palatine, dis-je à Laurette; elle doit vous gêner. Cette garniture de robe est bien gaie. Il faut avouer que la Duchap[D] a un grand goût pour ces riens-là, si elle a le talent de vous les vendre au poids de l’or. Que vous êtes charmante, continuai-je! le vin de Chably vous a mis un feu divin dans les yeux. Votre gorge est toute couverte de poudre: que je l’ôte! J’y portai le doigt légérement; j’aurois voulu alors être un autre Jonathas.[E] Que je voie votre bague: vous avez les doigts bien pris! Je saisis sa main, je la baisai; elle prit la mienne, elle la serra: une main qui serre veut quelque chose, je lui donnai un baiser de tout mon cœur, & redoublai à plusieurs reprises, en faveur d’une belle bouche qui s’offroit toujours à mon passage. Mon ardeur augmentoit, son feu se communiquoit au mien; déjà nos yeux fixés les uns sur les autres se demandoient ce qu’ils ne peuvent qu’indiquer: nous nous approchâmes d’un canapé qui étoit auprès de nous, & vers lequel le parquet ciré conduisit, peut-être malicieusement, nos sieges. Ce fut alors que, sans rien détailler, je m’occupait essentiellement de mon devoir. Je m’oubliai comme elle; nous nous égarâmes ensemble: ce que je sais, c’est que nous tombâmes dans une espece de précipice où elle aidoit à m’ensévelir, & dans lequel je serois encore, si, au contraire de ce qui arrive ordinairement, il ne falloit pas être extrêmement fort pour y demeurer long-temps. Nous sortîmes de notre léthargie, & en rougissant de ce que nous sentions, nous désirions d’en sentir encore davantage. C’est bien-là le temps d’avoir de la pudeur! vous me la passez, cher Marquis: il n’est pas permis à un homme de Robe de penser aussi généreusement qu’un Colonel de Hussards. Nous rîmes un instant après d’avoir été si fous; mais nous en fûmes si peu fâchés, que, par un baiser mutuel, nous convînmes de recommencer au premier moment à perdre la raison.

Argentine rentra en bon ordre: elle étoit en habit de combat, & se mit à éclater de rire en regardant la robe de Laurette qui avoit l’air d’avoir été de quelque partie. La physionomie n’est pas toujours trompeuse. Elle plaisanta sur ses yeux, sur les miens, & se tournant vers le canapé & l’examinant avec soin, elle assura que si je faisois une carte des lieux où j’aurois combattu, celui-ci seroit marqué en rouge. Pourquoi, disoit-elle d’un ton ironique, n’a-t-on point de foiblesses sans que les autres s’en apperçoivent? La faute se peint dans les yeux; voyez les miens, ne sont-ils pas le miroir de l’innocence? Apparemment que pour cette fois Argentine nous avoit fait faire un jugement téméraire, ou plutôt qu’elle n’étoit troublée que lorsqu’elle avoit combattu dans les regles. Défaites-vous de ces ajustements superflus, dit-elle à Laurette; restez en corset, comme je m’y suis mise: puisque nous passons ici la journée, il ne faut point de cérémonies; vos graces en seront plus aimables en négligé. Montez en haut & arrangez proprement tout sur le lit; mais de graces ne réveillez pas le Président, qui repose sur la duchesse. Laurette suivit le conseil, comme il étoit bon: elle s’aperçut qu’on ne le lui avoit donné que par quelqu’intérêt. Quelle est la femme qui soit bien aise que sa rivale soit plus brillante, & aide à la rendre telle? Aussi en nous quittant retourna-t-elle malicieusement la tête à plusieurs reprises. Les maîtres dans un art en savent tous les secrets.

C’est à moi à qui vous avez affaire maintenant, beau Conseiller, dit alors Argentine, sans autre préambule: elle avoit déjà fermé la porte, & fait un petit saut de caractere. Je vous aime, le tems est court, le Président n’a fait qu’effleurer la matiere; il a commencé le combat, il faut que vous vainquiez pour lui. Ce canapé n’a-t-il pas été témoin de votre courage? Il est poudreux; mais je crains peu la poussiere: elle est honorable lorsqu’elle est prise au champ de bataille. Elle dit, elle m’embrasse, je lui rends avec vivacité; elle m’entraîne où j’allois assurément très-volontiers. Rien n’est tel qu’une femme qui a du tempérament, & qui a été frustrée dans son attente. Ce n’est plus goût, c’est passion; ce n’est plus transport, c’est fureur: je ne crois pas qu’il y ait quelque chose dans le monde de plus vif que la possession d’un objet de ce genre. Bref, j’attaquai une place qui s’étoit offerte à moi: combattant avec courage, & vainqueur avec gloire, j’étendis mes conquêtes dans un climat dont on m’avoit facilité les entrées. Argentine & moi sortîmes de notre ébat très-satisfaits; & si elle ne fut pas surprise de ma valeur, elle eut lieu de s’en glorifier. Que Rozette vienne présentement, disoit-elle, je lui souhaite beaucoup de satisfaction: nous serons amies ensemble, & je vous prie même de lui témoigner combien je l’aime. Jugez, cher Marquis, si Argentine m’avoit laissé les moyens de lui témoigner quelque chose.

Cependant arriva Laurette. Ce canapé est contagieux, on ne peut en approcher sans s’en ressentir, dit-elle: voyons aussi vos yeux, Argentine; & les votres, Conseiller? Cela suffit: il faut avouer que ma bonne amie est bien tranquille; elle ressemble au grand Condé, qui n’étoit jamais d’un plus grand sens-froid qu’au milieu d’une bataille. Le Président repose, vuidons cette bouteille de Frontignan pendant son sommeil. Vous êtes pensif, cher Conseiller: vous avez un air respectueux; il ne faut marquer du respect aux Dames que lorsque vous ne pouvez pas leur en manquer.

Cependant la conversation tomba sur la lecture; ressource d’un homme fatigué, & de femmes qui n’ont pas encore songé à médire. On parla beaucoup du Roman d’Acajou[F]: je trouvai que l’Epître Dédicatoire au Public étoit ce qu’il y avoit de plus raisonnable dans le Livre. Nos Demoiselles firent l’éloge de l’Auteur, louerent sa facilité à parler, & son esprit sur toutes sortes de matieres. Argentine qui est de ses amies, dans les transports de son affection pour lui, nous assura que, par cascade, elle avoit assez de crédit pour le faire recevoir à l’Académie Française.

La conversation est bientôt épuisée, lorsqu’elle roule sur le mérite d’un Auteur. Nous discourûmes de modes, de dentelles, d’étoffes, & par gradation nous commencions à mettre Rozette sur le tapis, lorsqu’elle entra elle-même & nous surprit agréablement par sa présence. Je me levois pour aller au-devant d’elle, elle m’arrêta; & après un salut de joie, elle fit le tour de la table, & nous donna à tous un baiser sur le front avec un certain petit bruit des levres, qui est ordinairement l’écho du plaisir.

Elle nous découvrit tout le mystere, & nous apprit qu’il y avoit long-tems qu’elle étoit dans la chambre voisine; elle nous récita nos propos, & nous décrivit nos aventures: elle compta même les minutes que j’avois occupé avec Argentine; & en connoisseuse elle m’assura que j’avois été trop long-tems pour peu, & trop peu pour beaucoup. On en fit juge Argentine: un seul mot de sa part fit mon éloge.

Rozette étoit sans panier, avec le plus beau linge du monde; une chaussure fine, & une jambe dont elle sait tirer mille avantages. Le Président dort, s’écria-t-elle! veillons. Le dessert a été réservé pour mon arrivée; remplissons sa destination: tâchons qu’il n’en reste rien; & que pour la premiere fois le Juge n’ait que les écailles de l’huître. Nous suivîmes son avis. Une heure se passa à badiner, à chanter, à faire partir les bouchons, & à casser des verres & quelques porcelaines.[G] C’est le goût des Dames de condition: depuis le départ des Officiers pour l’armée, elles font les petites-maîtresses, & se plaisent dans des soupers où l’on fait carillon. Elles trouvent un esprit infini à briser un miroir ou une table, ou à jetter des chaises par les fenêtres: les filles du monde n’ont-elles pas droit de copier, dans ces expéditions, les jeunes Marquises, puisque celles-ci les copient dans leurs intrigues? Je tirai de ma poche ma flûte: Laurette s’en saisit; & comme elle en joue passablement, elle préluda par des roulades, & nous donna des airs assez touchants. Rozette prit cet instrument à partie, & soutint que la façon d’en tirer des sons étoit indécente: elle blâma les coups de langue, & soutint que jamais le sexe ne devoit toucher à une flûte en compagnie. Où la morale alloit-elle se loger? Dans le fond, il est vrai de dire qu’il est certaines choses dont une femme ne doit jamais faire savoir qu’elle sait faire usage.

Rozette, après ses réflexions sur ma flûte, parla de son état. C’est l’ordinaire qu’après certaines parties, lorsqu’on a, pour ainsi parler, épuisé le plaisir, on se jette sur les embarras de la vie, ou sur les obligations de la nature, & ses malheurs. Quelle destinée pour la philosophie d’être fille en quelque sorte du libertinage! Rozette fit une comparaison de ses pareilles avec les Abbés, qui n’étoit pas sans ressemblance.

Les uns, disoit-elle, débutent dans le monde par un air de modestie & de pudeur; les autres par une affectation de cagotterie. Nous regardons les hommes à la dérobée; les Abbés dévorent les femmes sous leurs grands chapeaux. Les hommes viennent nous chercher; les femmes se glissent vers nos Messieurs. Nous ruinons nos amants; ils font fortune par le moyen de leurs maîtresses. Nous sommes dans l’opulence tant que nous sommes jeunes; les autres ne deviennent à leur aise qu’en vieillissant. Nous sommes sages & quelquefois saintes sur la fin de nos jours; les Abbés au contraire sont plus libertins sur le déclin des leurs. La nécessité fait notre vocation, l’intérêt fait presque toujours la leur. On ne donne au monde que ce qu’il y a de mieux; & l’Eglise a ordinairement le rebut de la nature. Nous sommes dans l’état deux êtres indéfinissables qui ne tiennent à rien & se trouvent par-tout, qui ne sont pas nécessaires, & dont on ne peut se passer. Elle nous détailla ensuite quelques aventures qu’elle avoit eues avec de très-graves Ecclésiastiques, & qui nous amuserent beaucoup. Je les passe sous silence, cher Marquis, ayant un frere Chanoine, & un autre Abbé Commandataire: je ne veux pas qu’il soit dit que j’aie révélé le secret de l’Eglise.

Le Président se réveilla, descendit, & vit Rozette avec surprise. Il vola vers elle, l’embrassa, & se mit vis-à-vis pour la contempler à son aise.

Le repos l’avoit rafraîchi: un verre de liqueur le remit en humeur, la compagnie lui donna de l’audace; & se sentant fort, il défia ma foiblesse. Je fus humilié, je le confesse: Argentine & Laurette triomphoient intérieurement. Mes yeux se tournerent du côté de Rozette, & lui demandoient pardon de ce qui m’arrivoit, ou plutôt de ce qui ne m’arrivoit pas. Elle en parut touchée: un malheur qui arrivoit en sa compagnie l’en rendoit presque participante.

On me badina, on me tourna en ridicule. Le Président jouissoit de mon trouble; & fier d’un instant de valeur; orgueilleux dans la prospérité, il me félicitoit ironiquement sur mes exploits du canapé.

Rozette se sentit piquée en ma personne, & vit bien que les deux convives défioient ses charmes. Elle eût bien voulu faire un coup décisif; mais après ce qu’elle avoit vu de moi, elle appréhendoit pour son honneur. La plaisante circonstance que celle où on le perd en le gardant! Elle ne savoit pas si, nouvelle Aurore pour les attraits, elle en auroit la puissance en faveur d’un nouveau Titon[H], qu’elle n’avoit pas réduit à cet état de foiblesse.

Elle me fit un souris pour tenter l’entreprise; j’y répondis: elle examina mes yeux, & surprit dans mon regard le présage de sa gloire à venir. Elle but à la Déesse de la Jeunesse, prononça quelques mots mystérieux, & après trois mouvements magiques elle fit voir son triomphe. On lui donna de grandes louanges & on convint, malgré la jalousie, que la fleur qu’elle avoit fait éclorre lui appartenoit, & qu’elle en devoit faire un bouquet pour mettre à son côté.

On se leva de table. Après quelques tours de jardin on fit un Médiateur. Le Président gagna beaucoup: il jouoit d’un bonheur sans égal. Rozette en étoit outrée; ce n’est pas aux cartes où elle est belle joueuse: elle nous répéta souvent qu’elle étoit en péché mortel, parce qu’elle ne voyoit pas un as noir. Cependant elle trichoit suivant le talent qu’elle en avoit reçu. Argentine, que je conseillois, l’imitoit au mieux. Le Président s’en appercevoit & en rioit sous cape. Il sait comme vous & moi que toute femme triche, & que même lorsqu’elles veulent être fidelles l’habitude suplée à leur intention. Le souper fut délicat. Notre cuisinier se surpassa, & le Président en tira vanité. En effet, c’est-là ce qu’on appelle un homme essentiel: n’est-il pas plus estimable qu’un bel esprit mathématicien, qui pique réguliérement votre table? Celui-ci vous mange, & l’autre vous fait manger.

Rozette & Argentine firent l’amusement du repas, par une infinité de chansons plus jolies les unes que les autres, qu’elles débitoient à l’envi. Laurette excitoit à boire & faisoit circuler la joie avec la mousse qu’elle excitoit dans les verres.

Il est des bornes à tout, même à la folie. Le Président devint rêveur, Laurette le fit sortir pour le distraire, & le conduisit au jardin. Semblable guide étoit propre à l’égarer. Apparemment qu’ils se fourvoyerent en chemin, & tomberent dans quelques broussailles, car nous remarquâmes que la rosée avoir gâté la robe de celle qui, je crois, n’étoit point sortie pour examiner les étoiles.

Je ne réussis pas à engager Rozette de venir avec moi, elle savoit que je tenois d’elle mon rajeunissement, & elle ne vouloit pas que je lui remisse son bienfait. Qu’un cœur né généreux souffre lorsqu’on lui interdit les moyens de témoigner sa reconnoissance!

Le souper fini nous montâmes en carrosse: le Président étoit revenu de ses vapeurs. Il le prit sur un ton gai, & nous dit de très-plaisantes choses. Son libertinage est ordinairement à fleur d’esprit.

A peine étions-nous placés, arrivent dix personnes & un grand bruit avec elles. On appelloit le Président par son nom, & on lui demandoit de loin sa protection. Je mets la tête à la portiere: le Président regarde aussi. Ah! Monseigneur, s’écria un vieillard avec une voix cassée, voici ma femme: (c’étoit une grosse laide, tout bourgeonnée, autant que je pus voir à la lumiere de deux lanternes.) Nous nous recommandons à votre bonne justice: notre procès se juge demain. Il s’agit..... Le vieux Plaideur n’alloit-il pas nous détailler son affaire; & ses voisins, qui l’accompagnoient, n’alloient-ils pas aussi tous crier ensemble, lorsque le Président leur dit en fureur: qui diable vous a donné l’idée de venir ici? Pardon, s’écria la troupe: Monseigneur, nous vous avons reconnu pendant que vous étiez dans le jardin, & nous sommes tous montés au grenier pour avoir l’honneur de vous voir. Voici un Mémoire dressé à la hâte, Monseigneur, continuoit le Nestor de ce village; j’espere en votre bonté. Donnez, donnez, reprit le Président: bon jour, & fouette, cocher. Le Seigneur vous maintienne en santé, s’écria la bande importune, & qu’il vous donne une longue vie. L’écho du voisinage, selon sa coutume, répéta, à faire rire, pendant un quart-d’heure, les dernieres syllabes du souhait. Que le Diable vous emporte, ajoutoit le Président: voilà-t-il pas une belle heure pour entendre des causes? La chicane vient nous déterrer dans des endroits où je serois très-fâché que la Justice me rencontrât jamais.

Argentine se trouva assise sur mes genoux. Rozette m’avoit rétabli dans mes anciens droits, & je m’en appercevois bien dans la position présente. Elle étoit à mon côté & veilloit de près à ma conservation. Argentine est méchante; malgré les amitiés qu’elle faisoit à Rozette, elle ne fut pas contente qu’elle n’eût ravi, même à perte, à sa rivale ce qui lui appartenoit à titre de droit féodal. La nuit me cacha ce qui se passoit entre Laurette & mon ami, ainsi je serai aussi discret que son ombre. Descendu chez nos Demoiselles, qui ce soir couchoient dans la même maison, nous les vîmes se mettre au lit, & après quelques jeux de mains très-superficiels, nous leur souhaitâmes un bon soir verbal, & nous nous retirâmes chez nous. En embrassant Rozette je lui fis promettre qu’elle me recevroit bien le lendemain.

De quatre jours je ne vis le Président. Ce qui m’est arrivé pendant cet intervalle n’est pas indifférent: sans être romanesque, il a le singulier des aventures de ce genre.

Toutes les fois que je songe à Rozette je ne puis comprendre comment on peut aimer par inclination une fille qui par son état est obligée de se livrer au premier qui en essaie la conquête. Je ne comprends pas aussi, par la même raison, comment une honnête femme peut s’attacher à un jeune homme, qui certainement ne cherche qu’à voler de conquête en conquête, & s’attache rarement même à celle qui a le plus de mérite. Le cœur de l’homme est bien aveugle: il sent qu’il l’est, & qu’il lui faut un conducteur; il va chercher l’Amour, qui est aussi aveugle que lui, & tous deux se précipitent dans l’abyme.

J’étois fatigué en rentrant chez moi. Je me couchai, & rêvai de Rozette pendant toute la nuit. Ma premiere occupation à mon réveil fut d’envoyer savoir des nouvelles de sa santé; en quoi je fis mal: cet ordre, que je donnai à un Domestique que je ne connoissois pas à fond, coûta pour quelque tems la liberté à ma nouvelle amie, & pensa me faire à moi-même de très-mauvaises affaires. J’en reçus pour réponse, qu’elle étoit en parfaite santé; & comme elle n’imaginoit pas que je fusse assez imprudent pour me servir d’un laquais dont je ne serois pas sûr, elle me fit dire qu’elle m’attendoit avec impatience; mais à condition que je serois aussi modéré que si je sortois du carrosse avec mademoiselle Argentine. La Fleur me rendit mot pour mot ce qu’il tenoit de Rozette: il profita de ce qu’il avoit appris; & dans le tems qu’il faisoit mes affaires auprès de la maîtresse, il poussa les siennes auprès de sa suivante, & fut cause de beaucoup de malheurs. Vous apprendrez par la suite le tour qu’il me joua; comment, pris en flagrant délit, il fut conduit en une maison de force, où je veux qu’il reste encore plus de deux années révolues. Vos Domestiques sont toujours vos espions; il faut quelquefois être le leur.

Charmé de la réponse de Rozette, je montai dans mon carrosse & me fis conduire au Luxembourg: je renvoyai mes gens, & un instant après m’enfermai dans une chaise à porteur & arrivai où j’étois attendu. Rozette étoit à sa fenêtre, dès qu’elle m’eut apperçu elle vint au-devant de moi. Quand on est amoureux une bagatelle est sensible: une prévenance de la part d’une jolie femme est quelque chose de divin pour un jeune homme.

Rozette étoit coëffée en négligé, & avoit un désespoir couleur de feu; un corset de satin blanc, par-dessous une robe brodée des Indes, pressoit un peu sa gorge, &, faute d’une épingle, en laissoit appercevoir tous les charmes. Je me jettai à son cou, je l’embrassai avec transport. Nous nous reposâmes un moment, & je ne pouvois me lasser de lui donner des marques de mon amour. Ses mains, sa bouche, sa gorge, tout eut un compliment & mille baisers. Sa satisfaction mit le comble à la mienne.

Dînons-nous, lui dis-je? Sans doute, reprit-elle; & fit venir sa cuisiniere, à qui elle recommanda la propreté & de la promptitude.

Cependant je pris ma bonne amie sur mes genoux. Mes mains ardentes s’émancipoient-elles; elle réprimoit soudain leur ardeur. Vous vous fatiguez, mon cher ami, me disoit-elle; soyez sage. Voilà mes jeunes gens, leur feu part comme un coup de pistolet & s’évapore en fumée. Soyez plus modéré, mon cher cœur, dans peu vous aurez besoin de ces transports. Sa voix me persuadoit, je restois tranquille; elle me donnoit un baiser pour récompenser mon obéissance, & ce baiser m’en faisoit manquer à l’heure même. La situation où nous étions étoit singuliere. Vous vous souvenez, Marquis, du tems où nous travaillions en Salle d’Armes chez Dumouchelle.[I] Supposez que Rozette est le maître, & moi l’éleve.

Toujours les armes en état, je me présentois de bonne grace: j’avançois, elle badinoit contre mes appels; quelquefois elle se laissoit effleurer ou le sein, ou le bras, ou le côté; tierce, quarte, seconde, elle étoit à tout, & rioit en prévenant toutes les feintes dans mes yeux. Tantôt elle rompoit la mesure & alloit rapidement à la parade: plus d’une fois elle courut au désarmement. Jamais je ne pus la toucher à l’endroit où j’avois fixé mon triomphe. Je sortis fort fatigué de cet assaut, où j’avois à la fin perdu beaucoup sans qu’elle en profitât. Cela s’appelle un combat en blanc: il n’y a que des enfans, ou des poltrons, qui puissent s’en amuser.

Nous nous mîmes à table. Je me piquai contr’elle, & fus vingt fois sur le point de me retirer. J’attribuois à mépris de sa part son peu de complaisance. Je la haïssois; je la détestois: elle me regardoit, & j’en redevenois passionnément amoureux.

Je ne restai pas long-tems à table; j’avois mon dessein: le voyageur curieux d’arriver ne s’amuse pas à considérer les prairies qui se trouvent sur son passage.

Rozette savoit la carte de mon voyage, elle m’avoit vu mettre le doigt sur l’endroit où je prétendois arriver, & avoit résolu de me donner quelque distraction en chemin. Sans m’avertir elle avoit fait venir une de ses bonnes amies, qui en pareille rencontre avoit coutume de lui servir de second. C’est la premiere fois qu’une femme ait choisi une autre femme pour lui faire la galanterie d’une bonne fortune qui lui appartenoit.

Nous rentrâmes dans le cabinet, Rozette me devançoit. Nous en étions aux explications, & une glace qui répétoit notre attitude me la rendoit plus chere en en doublant la perspective. Un de ses bras étoit derriere ma tête, la sienne penchée sur mon estomac, son autre main étoit saisie de ce qu’elle craignoit; les miennes errantes s’amusoient à des emplois qui ne se décrivent pas. Ses jambes badinoient auprès d’un ennemi, qui n’en étoit pas un pour elle. Avez-vous vu, Marquis, un tableau de Coipel[J], dans lequel une Nymphe, couchée sur un lit de fleurs auprès de Jupiter, se plaît à manier son foudre. Nous étions une copie de ce chef-d’œuvre. J’étois dans une position si agréable que je n’osois en sortir, & elle étoit si voluptueuse qu’elle me faisoit sentir qu’il y en avoit une autre qui l’étoit davantage. Je la demandai, on me la refusa; je voulus la ravir, on me disputa la victoire: j’allois triompher lorsque mademoiselle de Noirville entra. Vous ne pouvez être sage, me dit alors Rozette en élevant la voix, & feignant d’avoir été surprise. Savez-vous que je me fâcherai à mon tour? Je m’étois levé par politesse; elle s’esquiva alors, & en fermant la porte à la clef elle me laissa avec la nouvelle venue dans un déshabillé qui annonçoit ce que j’avois voulu faire. Je fus un peu surpris. Mademoiselle Noirville me pria de n’en point être troublé; mais sur-tout de ne lui en pas vouloir sur son arrivée, qui sembloit ne me pas mettre à mon aise. Je n’y étois que trop; mais c’est qu’on n’y est jamais avec les personnes que l’on ne connoît pas. Je me laissai toucher par la douceur de sa voix; je l’envisageai, & mes regards tomberent sur une des plus jolies brunes de Paris. Le désordre où j’étois présentoit de lui-même le sujet de la conversation: elle le saisit, & le tournant en fille d’esprit à mon avantage, elle me félicita sur ce que sans doute j’avois exécuté avec Rozette. Ses discours sinceres & ambigus, gracieux & ironiques, me mirent dans l’embarras de m’expliquer; mais comme elle continuoit de parler, je fus forcé par politesse de lui répondre. On n’est pas hardi quand on a quelque chose sur la conscience. Je n’étois plus dans un état présentable, & mes réponses se sentirent de ma foiblesse. Je m’en apperçus moi-même. Il est des momens critiques, où les plus grands guerriers font mauvaise contenance. Insensiblement notre conversation tomba sur ce qui venoit de m’arriver, mes yeux sur les appas de la nouvelle Nymphe, & ses regards sur un endroit qui étoit alors extrêmement respectueux. De propos en propos elle m’avoua qu’elle ne reconnoissoit point Rozette dans cette conduite, & ne concevoit point ses idées de chagriner un galant homme, dont la figure seule étoit capable de désarmer la plus cruelle, & qui certainement étoit fait pour remplir le présage de sa bonne mine. Cette fille étoit bien dressée, elle parloit à l’esprit avec art, & ses charmes se rendoient maîtres de mon cœur. Les louanges qu’elle me donnoit tomboient sur un article dont tout le monde est charmé de se prévaloir. Détaillant le caractere de sa bonne amie, elle en faisoit, par forme de conversation, une critique approchante de la satyre. Elle en vint à me confesser que, vis-à-vis de moi, en telle situation, si sa foiblesse ne plioit pas, l’espoir certain du plaisir détermineroit son obéissance; la gloire d’être inexorable ne valant pas la joie intérieure que l’on goûte à ne la pas être. Elle embellit cette morale en fille qui en espéroit du fruit. Cependant elle s’étoit approchée de moi, & en regardant mon ajustement: serrez, Monsieur, dit-elle, ce que j’entrevois là-dessous; vous m’exposez-là une tentation & à une tentation; & en voulant elle-même écarter cette tentation, elle en fit naître en moi pour elle une des mieux conditionnées. De degrés en degrés mademoiselle de Noirville me mit hors de moi-même. Je prends feu aisément: la moindre étincelle embrase une matiere combustible, & l’embrasement consume indifféremment tout ce qui se trouve à son passage. Bref, mademoiselle de Noirville remplit la place de Rozette, en tint presque lieu chez moi dans des embrassemens que serroit la passion; je ne songeai qu’au sacrifice, & peu à la Divinité: ce que j’éprouvai, c’est qu’à quelque Dieu de l’Univers que l’on adresse ses vœux, il y a une satisfaction sensible à mettre des présens sur un autel.

Rozette rentra alors, & mademoiselle de Noirville, que j’ai connue depuis, qui étoit venue-là comme une machine, s’en retourna de même. La plaisante figure que celle que je faisois alors en présence de Rozette! Elle savoit ce qui étoit arrivé, & elle avoit d’avance calculé cette éclipse. Elle étoit à un coin de la chambre, & moi à l’autre. Nous n’osions nous approcher. Qu’étoient devenus ces momens où nous nous serions si volontiers confondus ensemble? Elle me fit mille reproches; mais avec cet air sévere & gracieux, & de ce ton insinuant qui vous peint votre faute sans vous la nommer: elle m’offroit à penser & me prêtoit un cadre vuide où je pouvois moi-même placer mes solides réflexions. Elle me fit remarquer que les femmes étoient bien folles de compter sur le cœur des hommes, dont l’unique but n’est jamais que de satisfaire leurs passions. Qui n’auroit pas goûté cette morale dans sa bouche? Mais la façon dont elle la débitoit excitoit en moi pour elle les mêmes passions contre lesquelles elle déclamoit avec tant de grace.

De la morale au plaisir il n’est souvent qu’un pas. Au milieu des avis que me prodiguoit si libéralement Rozette, je lui demandai si le soir je pourrois venir souper avec elle; & pour déterminer son consentement, je lui fis la galanterie d’une navette garnie d’or. Elle aime à faire des nœuds, ainsi elle reçut mon présent, & me confessa que, malgré mes infidélités, elle m’aimoit toujours. Un bijou présenté à temps attendrit bien une ame: si les Dieux se gagnent par des offrandes, pourquoi de simples mortelles y seroient-elles insensibles?

Je la quittai avec peine. Retourné à la maison, j’y trouvai mon pere, auquel je fis un détail de ce que je n’avois pas vu la veille à l’Opéra & le soir aux Tuileries. Il sut en un moment l’histoire circonstanciée de mille aventures qui n’étoient certainement point arrivées. En pareilles circonstances il faut d’autant plus raconter de choses qu’on en a moins vues. Je lui dis que j’étois prié à souper en ville, & que la partie étoit indispensable. Je lui nommai une maison qu’il ne connoissoit point ni moi non-plus. Mon pere est bon, peu défiant, s’en rapporte à moi, & m’aime extrêmement, comme étant le dernier fruit de son amour avec ma mere, & à qui ma naissance a coûté la vie. Je me fis conduire au Marais, renvoyai mon équipage, & ordonnai au Cocher de se trouver à côté de l’hôtel de Soubise à une heure du matin au plus tard. J’espérois effectivement m’y rendre. Ne comptons jamais sur l’avenir. Les Domestiques partis, je monte dans un Fiacre. Je ne sais pourquoi le coquin, qui étoit cependant sur la place, ne vouloit point marcher: je fus obligé d’en venir à des extrêmités. Il me servit enfin. Il étoit marqué au numéro 71, & à la lettre X.

Vous verrez, cher Marquis, que ce numéro va jouer un grand rôle; ainsi ne soyez pas étonné que je m’en souvienne si bien.

En passant pardevant un Café, ce nombre impair fit perdre une grosse somme à des particuliers qui jouoient à pair ou non sur le chiffre du premier Fiacre qui passeroit. Avant que le Fiacre fût à portée de laisser voir son numéro on eut celle de considérer celui qui étoit dedans. Les perdans & les gagnans se ressouvinrent du chiffre & de la lettre, & n’oublierent pas celui qui étoit dans la voiture. Ainsi, cher Marquis, les événemens de la vie dépendent d’une circonstance à laquelle on n’a jamais pensé, & qu’il est impossible au plus fin de prévoir.

J’arrivai chez Rozette, qui commençoit à s’impatienter de mon délai. Elle me reçut avec empressement; soit qu’elle eût pris de l’amitié pour moi, soit que ma libéralité lui eût plu, elle se préparoit à une généreuse reconnoissance. Elle m’obligea de mettre la robe de chambre que j’avois fait porter chez elle, & voulut que je me misse à mon aise, étant dans le pays de la liberté. Elle s’étoit coëffée de nuit, & sa garniture de dentelles, en pressant un peu ses joues, faisoit un office qui lui donnoit de belles couleurs. Un mouchoir politique couvroit sa gorge; mais il étoit placé d’un air qui demandoit qu’on ne le laissât pas à sa place. Elle n’avoit qu’un corset de taffetas blanc & un jupon de même étoffe & de pareille couleur: sa robe, aussi de taffetas bleu, flottoit au souffle des zéphirs.

Le souper n’étoit pas encore prêt. Nous entrâmes dans sa chambre. Les rideaux du lit étoient fermés, & les bougies placées sur la toilette, de sorte que la lumiere ne réfléchissoit pas sur toute la chambre. Nous passâmes vers le côté obscur. Je me jettai sur un fauteuil, & la tenant entre mes bras, je lui tenois les discours les plus tendres. Elle y répondoit par de petits baisers & par des caresses délicates: ainsi peint-on les colombes de Vénus. Tu veux donc, dit-elle après quelques instants de recueillement, que je te donne du plaisir? Petit libertin! N’allez pas faire venir mademoiselle de Noirville, lui repliquai-je. Non, non, ajouta-t-elle, ce n’est plus le tems: j’ai eu mes raisons pour le faire; d’autres circonstances exigent d’autres soins. En discourant ainsi, & badinant toujours, nous gagnâmes le lit: je l’y poussai délicatement, en la serrant entre mes bras. Approchez ces deux chaises, dit-elle, puisque vous le voulez absolument. J’obéis. Elle mit ses deux jambes dessus, l’une d’un côté, l’autre de l’autre, & sans sortir de la modestie, sinon par la situation, elle m’agaça par mille figures.

Mes mains ardentes écartoient déjà le voile qui... Tout doucement, beau Conseiller, dit-elle! donnez-moi ces mains-là, je les placerai moi-même. Elle les mit sur deux pommes d’albâtre, avec défense d’en sortir sans permission. Elle voulut bien elle-même arranger le bouquet que je destinois pour son sein. Elle m’encouragea alors avec un signal dont vous vous doutez: je croyois qu’elle agissoit de bonne foi. En conséquence je me donnois une peine très-sincere pour parvenir à mes fins; elle faisoit semblant de m’aider: la simplicité étoit chez moi, & la malice dans toute sa conduite.

Fatigué, je la nommois cruelle, barbare. Nouveau Tantale, le fruit & l’onde fuyoient à mon approche.

Cruelle, barbare, reprenoit-elle! vous serez puni tout à l’heure. Alors elle se saisit du bouquet que je lui destinois; puisque l’on m’insulte, continuoit-elle, en prison tout à l’heure. Effectivement elle l’y conduisit: mais je ne sais si ce fut de chagrin, ou par quelqu’autre motif, le prisonnier à peine entré, se mit à pleurer entre les deux guichets.

Nous entendîmes qu’on avoit servi, & nous nous transportâmes, sans dire mot, où la volupté nous attendoit avec ses apprêts. Notre conversation fut assez vague & sage. Quand, dans un tête-à-tête, deux personnes comme nous s’entretiennent de choses indifférentes, c’est une preuve qu’il s’en est passé qui ne l’étoient pas.

Le souper fini, je ne jugeai pas à propos de m’en retourner, & sans me soucier de mon équipage qui m’attendoit, ni de mon pere, ni de personne, je demandai à Rozette une retraite pour cette nuit: elle me l’accorda en me faisant jurer que je serois sage. Ne savoit-elle pas bien qu’un jeune homme ne peut contracter vis-à-vis d’une jolie femme avec qui il doit passer la nuit?

Cependant Rozette étoit devenue extrêmement gaie, & faisoit mille folies dans la chambre. Tantôt elle montoit sur la commode, & vouloit que je la portasse sur mes épaules; tantôt elle sautoit d’une chaise à l’autre & contrefaisoit les tours des danseurs de corde. Tantôt, levant son jupon jusqu’aux genoux, elle passoit un entrechat & me prioit d’examiner sa jambe, qui effectivement est faite à ravir. Elle découvroit de loin sa gorge, puis la recouvroit, & faisant l’éloge de ce qui étoit caché, elle me promettoit que je n’en profiterois jamais. Puis, elle prenoit son chat, & lui tenoit les discours les plus plaisans & les plus singuliers. Elle alloit ensuite chercher des liqueurs, m’en présentoit, en buvoit, n’en buvoit pas, me prenoit entre ses bras comme un enfant, & me couvroit de caresses. En un mot, elle fit mille folies que les graces ne désavoueroient point. Le lit se trouva préparé & nous invita à prendre du repos. La lumiere retirée, les rideaux fermés, croyez-vous, cher Marquis, que je me sois abandonné au sommeil? Pétrone fait la description d’une nuit qu’il passa délicieusement; celle-ci est fort au-dessus: quand ce ne seroit que parce qu’un honnête homme n’ose pas se vanter de l’une, & qu’il faut être bien homme pour avoir goûté autant de plaisir que j’en ai eu pendant l’autre. Tout ce que l’art peut inventer fut mis en usage: nous avions la nature à nos ordres. Le moindre obstacle eût nui à nos empressemens, on écarta tout: nous donnâmes l’exclusion à une feuille de rose.

Nous entrâmes en conversation. Rozette, malgré ses promesses, n’essayoit-elle pas encore d’éluder mes entreprises? J’allois uniment à mon but, & elle vouloit m’y conduire par des détours.

Hors d’elle-même, comme je m’en appercevois bien, elle n’en perdoit cependant pas la tête; & après avoir épuisé six fois mon ardeur, elle n’en avoit éprouvé superficiellement que l’elixir. Sans avoir joui précisément, j’avois eu le plaisir de la possession. Je ne pouvois me glorifier d’avoir obtenu ce que je désirois; je ne pouvois être fâché de ne l’avoir pas obtenu: l’art de Rozette m’avoit fait illusion; c’est une vraie magicienne en amour.

Le jour arriva, & Morphée me procura du repos. A mon réveil je trouvai la table couverte; je dînai de grand apétit. Les fatigues de la nuit m’avoient épuisé. Souvent on est plus incommodé d’une promenade que d’un long voyage.

L’après-dînée se passa encore en badineries. Les amans ne s’ennuient jamais: le tems fuit, & leurs plaisirs renaissent.

Cependant on étoit fort inquiet chez mon pere. Une affaire arrivée à un jeune homme de famille dans une maison de jeu faisoit appréhender quelque chose de semblable à mon égard. Mon absence étoit d’autant plus singuliere que je n’avois encore donné aucune occasion au reproche que l’on pouvoit ici me faire. Un pere tendre craint tout pour un fils dont il n’a jamais reçu aucune occasion de craindre. Un ami, nouvelliste de profession, & qui racontoit ordinairement toutes les anecdotes de Paris, fut chargé de s’informer si on n’avoit pas entendu parler de moi. Il s’acquitta de la commission. On lui dit dans le Café pardevant lequel j’avois passé que dans le numéro 71, qui couroit à toute bride, on avoit apperçu un jeune homme, & qu’au train dont il alloit il y avoit quelque partie fine au bout de la course. Quoiqu’on ne pût faire le portrait de celui qui étoit dans le Fiacre, cet ami soupçonnant à tout hazard que c’étoit moi, le rapporta à mon pere, qui en fut persuadé.

Sans perdre de tems, mon pere & son ami montent en carrosse, vont de place en place demander le numéro 71, & ne le rencontrerent nulle part: il étoit allé à Saint Cloud, d’où il ne devoit revenir que le soir. Un embarras ne va jamais sans un autre, & les inconvéniens font une chaîne. La ressource de mon pere fut d’attendre que le Fiacre fût de retour à son logis: on le lui avoit enseigné au bureau.

Lafleur, dès le matin, avoit été chargé de me déterrer: il se doutoit du lieu de ma retraite, & s’en inquiétoit peu, sachant que j’étois chez quelque amie. Il avoit reçu un louis pour les frais de la recherche, il l’employa à se divertir, au lieu de venir me donner avis de ce qui se passoit, & d’épargner par-là à mon pere & à moi la douleur de ce qui arriva par la suite. Cependant il vint chez Rozette: sa suivante lui avoit plu. Je lui demandai comment il avoit appris où j’étois, & pourquoi il venoit; si mon pere n’avoit point d’inquiétude de mon absence. Il répondit à tout très-juste, m’assura qu’il avoit fait mes affaires au mieux, qu’il avoit dit que j’étois rentré à quatre heures, & que sur les dix heures du matin madame la Comtesse de Mornac m’avoit envoyé prier de passer à sa toilette, & que probablement, à ce que le Valet de chambre lui avoit dit, j’y passerois la journée & serois d’un grand souper à Auteuil: que mon pere avoit dîné chez le Premier Président, & qu’il devoit y assister à un conseil pour une affaire survenue de la part de la Cour. Je fus content de ce qu’il me disoit; je le regardai comme un domestique impayable: il reçut un louis pour ses soins, & ordre de m’attendre à cinq heures du matin à la porte du jardin, où je lui promis de me trouver. Le scélérat me remercia, me donna même quelques avis, & fut dans le moment trouver mon pere. Ce qui est véritable, c’est que Lafleur ne m’avoit pas dit un mot de vrai; que mon pere avoit été dans une impatience cruelle, & qu’il me cherchoit comme vous avez vu.

J’ai trouvé un grand nombre de domestiques coquins, méchants, ornés de toutes les qualités de leur état; mais je ne croyois pas que quelqu’un fût ainsi méchant sans intrigue ni profit. Il étoit Bas-Normand, & je ne suis point surpris de sa conduite. Arrivé chez mon pere, il lui dit qu’il ne savoit pas précisément le lieu de ma retraite, mais qu’on l’avoit assuré que j’étois avec une fille nommée Rozette, dont j’étois passionné, & qui me ruinoit; que je devois l’enlever, pour l’épouser en pays étranger. Pour confirmer son avis il montra le signalement de Rozette & le remit à mon pere. Mon pere se transporta aussi-tôt chez monsieur le Lieutenant de Police, à qui il fit part de ce qu’il venoit d’apprendre. Il s’emporta contre moi, & lui demanda un ordre pour me faire arrêter par-tout où je serois, ainsi que la fille qui me dérangeoit. Ce pere, qui m’aime tant, hors de lui-même alors, ne respiroit que punition & vengeance.

Son ardeur surprit le Magistrat; il avoit peine à concevoir qu’un homme d’un âge mûr, & grave par caractere, se laissât ainsi emporter. Il lui représenta que cette affaire feroit de l’éclat, & que cet éclat étoit le plus grand mal. Qu’il s’agissoit de taire cette aventure, qui, peut-être, peu considérable dans le fond, seroit tournée autrement par la calomnie. Enfin qu’il étoit d’avis qu’on fît ce qui étoit nécessaire pour me retrouver, & que l’on aviseroit aux moyens d’empêcher que la Demoiselle en question ne me vît plus par la suite. Cet avis étoit très-sensé: le Magistrat qui le donnoit est très-éclairé; il ne s’occupe que de son devoir & à rendre service à ses concitoyens, dont il est un des meilleurs.

Mon pere ne profita point de ses remarques. M. le Lieutenant de Police lui accorda ce qu’il demandoit, c’est-à-dire un ordre pour faire arrêter Rozette, & main-forte, en cas de résistance de ma part: un Exempt l’accompagna & monta en carrosse avec lui. Mon pere eut bien lieu de se repentir de sa démarche; un homme sage ne peut pas répondre qu’il ne perdra jamais la tête.

Minuit étoit sonné que le Fiacre n’étoit point de retour. Jugez de l’embarras dans lequel se trouvoit mon pere. Cependant mon domestique, sans que j’en fusse informé, vint trouver la femme de chambre de Rozette, & lui tint compagnie durant la nuit: le coquin ne prenoit-il pas bien son tems?

Avant le souper Rozette étoit devenue un peu triste; sans en pouvoir rendre raison, elle sentoit des sujets de chagrin. On a dans son cœur un pressentiment de son infortune. Je ne suis point superstitieux, cependant je crois qu’il y a quelque chose autour de nous qui nous avertit de l’avenir. Ceux qui ont les yeux perçants ne découvrent-ils pas le nuage qui précede le tonnerre? Je fis mon possible pour distraire Rozette, & j’y réussis. Insensiblement ses yeux se ranimerent, la joie rentra dans son imagination, & le plaisir dans son cœur. Nous préludâmes par ces amusemens folâtres qui n’effleurent que la superficie de la volupté, qui vous font sentir mille mouvemens délicieux, & qui à chacun d’eux vous avertissent que ce n’est pas là le lieu de se fixer. Ce monde n’est qu’un pélerinage, il faut faire durer ses provisions jusqu’au bout de la carriere.

Nous nous étions donné parole de nous conserver pour la nuit; mais sans y penser nous empruntâmes sur l’avenir. Ce fut alors qu’elle ne me refusa rien. Elle me conduisit de plaisirs en plaisirs, & sema de fleurs les avenues du palais, où, pour cette fois, je fus reçu avec tous les honneurs.

Ah! cher Marquis, dans quel abyme de volupté mon ame ne fut-elle pas plongée! Je ne sentois rien pour trop sentir; je mourois, je renaissois pour mourir encore; & Rozette, pleine de tendresse, aprochoit sa belle bouche pour recueillir mes derniers soupirs. Plus j’avois attendu, plus je goûtois la récompense de mon attente. L’Amour s’applaudissoit de notre union & se faisoit honneur de ce qu’alors nous n’avions qu’une ame.

Le repas que nous prîmes remit un peu les forces que nous avions perdues. Nous nous ménageâmes sur le vin de Champagne; & pour ne rien dérober à la sensualité, nous y suppléâmes par de petits verres de liqueur propres à raffermir contre la tension du repos.

Nous passâmes quelque-tems à la fenêtre, & nous y restâmes dans des attitudes de préparation à une nuit amusante.

Rozette feignant un désir ou un besoin de sommeil, s’approcha de la toilette, & de-là se retira dans son alcove. Victime de l’Amour, elle étoit ornée de bandelettes, & avoit eu soin de se purifier dans une onde parfumée.

Sur un autel simple par sa construction, & fait de bois de myrte, s’élevoient plusieurs larges coussins de soie & de coton: un voile de fin lin en couvroit la superficie, & un tapis de taffetas couleur de rose, piqué en lacs d’amour, & roulé sur une des extrêmités, attendoit qu’on voulût l’employer à couvrir quelque cérémonie. Une bougie à la main, je m’approchai de ce lieu respectable. Rozette elle-même s’étoit placée sur l’autel; ses mains étoient jointes sur sa tête, mais sans la presser; ses yeux fermés, sa bouche un peu ouverte comme pour demander quelqu’offrande. Une rougeur naturelle & fraîche couvroit ses joues: le zéphir avoit caressé tout son extérieur; une mousseline transparente couvroit la moitié de sa gorge, & l’autre moitié se montroit en négligé aux regards. D’un côté l’examen étoit permis, & de l’autre, sous l’air d’être défendu, il devenoit plus piquant. Ses bras paroissoient avec tout leur embonpoint & leur blancheur. Ses jambes croisées déroboient ce que j’aurois voulu envisager, mais fournissoient à l’imagination une belle prairie à s’égarer. Rozette dormoit en disposition de se réveiller aisément, & en position voluptueuse & de voluptueuse. Je m’arrêtai à contempler mon bonheur. Je m’avançai avec une tendresse respectueuse, & gardant un silence sacré, je posai mon offrande sur l’autel. Dieux! que la victime donnoit de courage au Sacrificateur.

Le Fiacre au numéro 71 étoit enfin arrivé. On ne lui donna pas le tems de conduire ses chevaux à l’écurie; on le saisit, on le met dans une chambre, on l’interroge, on lui fait questions sur questions. Il ne répondit rien, parce qu’il étoit effrayé; & que, comme il se trouvoit dans l’exercice actuel de sa profession, il étoit raisonnablement ivre. Mon pere fit venir du café, lui en fit prendre plusieurs tasses, & enfin il tira de lui que la veille il avoit mené un monsieur habillé de noir au fauxbourg S. Germain. Mon pere le fit monter dans son carrosse, avec l’Exempt & le Commissaire du quartier, & ordonna à une compagnie de Guet à cheval de les suivre. Les ordres du Magistrat de Police étoient qu’on obéît ponctuellement à mon pere; d’ailleurs la place de Président qu’il tient lui donnoit une certaine autorité. La compagnie arrive près de l’Académie de M. de Vandeuil[K], où le Fiacre avoit indiqué: mais il ne put jamais reconnoître la maison: après avoir cherché & examiné, il se fit conduire vers les Petites-Maisons; mais il ne fut pas plus heureux: ce ne fut qu’après bien des courses pareilles qu’il avoua qu’il ne se souvenoit plus de la rue; que cependant il en avoit quelque idée & que ce pouvoit bien être près de la Comédie. Il fallut bien y aller, & les plaintes & les mauvaises humeurs n’abrégerent point la route. Il reconnut la porte, c’étoit celle d’un Café connu par le nombre infini des inutiles de Paris qui s’y rencontrent. On frappe, refrappe; enfin descend un laquais qui, en se frottant les yeux, demande ce qu’on lui veut. On lui répond que de la part du Roi il faut qu’il dise où est monsieur Thémidore: il jure ses grands Dieux que jamais personne de ce nom n’est entré chez son maître. On monte, on fait la visite par toute la maison, & l’alarme couroit d’étage en étage. Point de Thémidore. Le Commissaire ayant apperçu près du grenier une petite porte basse & une lumiere qui passoit au travers des planches mal jointes, y frappa rudement & l’enfonça presque: vint à lui un grand fantôme pâle & sec, en habit de nuit, avec un bonnet affreux sur sa tête & une petite lampe à sa main. On entre, on visite, on ne trouve que quelques cahiers de musique, une épée sans garde, quelques nouvelles à la main, & la vie de monsieur de Turenne. L’habitant de cet antre aërien fut fort effrayé, & excita la commisération. Mon pere lui donna deux écus de six livres, en lui disant adieu, & lui demandant excuse de son importunité: c’est la premiere fois qu’une visite de gens de robe ait apporté de l’argent dans un logis. Le Commissaire, dont j’ai apris tout ceci, & le reste de l’aventure jusqu’à ma découverte, m’a assuré cette nuit-là avoir été témoin de visions qui n’étoient pas fantastiques, & dont on dresseroit de plaisans procès-verbaux à Cythere.

Enfin on trouva ce jeune homme, qui la surveille étoit vêtu de noir. C’étoit un Poëte[L], qui ce jour-là avoit été en cérémonie présenter à un Sous-Fermier une Épître en vers libres sur la mort de son singe, & qui tremble encore d’avoir vu sur son Parnasse des gens dont la profession est de faire la guerre aux Muses. Mon pere se fâcha sérieusement contre le Fiacre, lui soutint qu’il s’entendoit avec moi. L’autre juroit qu’il étoit innocent. Après bien des interrogations, le cocher leur dit à tous qu’il étoit bien conducteur du carrosse au numéro 71, mais que c’étoit pour la premiere fois qu’il en étoit chargé; que l’on s’étoit mal expliqué avec lui; qu’il connoissoit celui qui avoit mené le numéro 71 depuis six mois, mais qu’il demeuroit à la Villette & étoit malade des coups que lui avoit donné un Officier, qui eût mieux fait de les aller porter aux Pandours de la Reine d’Hongrie.

Il enseigna très-juste la demeure de son camarade, & on fut obligé de l’aller trouver. En vérité, ne se donnoit-on pas bien de la peine pour troubler un galant homme dans son bonheur? Le cocher du numéro 71 fut enfin découvert. On monte chez lui: il étoit assez mal. Plus d’une contusion à la tête & par tout le corps lui faisoient jetter des cris peu soulageans pour lui, & très-désagréables à la compagnie.

Cependant il répondit bien, & trop bien, à ce qu’on lui demandoit. Il avoit de bonnes raisons pour se souvenir de moi; il fit mon portrait d’après nature, sans oublier les deux soufflets dont j’avois apostrophé son insolence. Il indiqua le quartier de l’Estrapade & une maison blanche, dans une grande porte jaune. Nouvelle course. On arrive au lieu indiqué. Il n’y avoit personne dans les rues. Le Commissaire s’adresse à un Garde Française qui étoit en sentinelle, & lui demande s’il ne connoît point mademoiselle Rozette; le drôle étoit un résolu, qui, moitié en riant, moitié en goguenardant, en exigea le portrait: on le lui fit. Elle est vraiment très-jolie, dit-il; mais je vois bien que vous en voulez à ses charmes: votre serviteur, Messieurs. Je ne connois ni Roze ni Rozette. Ces Messieurs ont à juste titre la réputation d’être les protecteurs du sexe d’un certain genre, & s’intéressent fort à son honneur, s’ils ne contribuent pas à sa réputation.

De porte en porte on frappa à un hôtel garni: la plupart de ces endroits sont entretenus aux dépens de ce qui se passe dans leur enceinte. Le maître vint en tremblant ouvrir, & protesta sur son honneur que la seule personne qui demeuroit chez lui étoit une fille sans scandale, & que même elle passoit dans le voisinage pour une dévote. Le Commissaire monta indépendamment des attestations de sagesse de M. l’Hôte de la Providence. La porte de la chambre fut enfoncée dans le moment, ceux qui y étoient ayant tardé à l’ouvrir. On ne vit personne. On fut droit au lit; mais comme la fenêtre se trouva ouverte on se douta que quelqu’un avoit pu se sauver par-là. Cette idée se trouva confirmée par un bruit que l’on entendit dans les feuilles d’une treille qui étoit posée contre la muraille. On s’approcha, on vit un homme en bonnet de nuit & en chemise qui se débattoit pour se débarrasser du milieu d’une infinité de fagots sur lesquels il étoit tombé. L’Exempt, homme alerte, descend au jardin avec une lumiere, & ayant aperçu cette figure en un état très-immodeste, cria aux Archers de venir voir un buisson où il croissoit de plaisants fruits sauvages.

Cependant mon pere avoit considéré cette fille. Au signalement qu’on lui avoit donné de Rozette il ne l’avoit pas reconnue. L’une étant une beauté, & celle-ci un petit monstre au yeux chassieux, au teint jaunâtre & d’un blond hazardé.

La visite de la chambre fut bientôt expédiée. A l’ouverture d’une armoire on trouva une perruque large & mal peignée, une robe de chambre d’homme, percée par les coudes. En même-tems un Archer tira de dessous le chevet du lit un haut-de-chausses, duquel, en glissant sans y songer ses mains dans le gousset, il tira une longue discipline. Vous voyez bien, cher Marquis, que ce lieu étoit une école de l’Amour; que la belle blonde étoit écoliere: son Précepteur étoit un Maître de Pension du voisinage, nommé monsieur Damon, celui chez qui nous avons demeuré ensemble, & qui crioit perpétuellement contre les femmes, & qui nous étrilloit si souvent pour des bagatelles. Le pauvre Maître de Pension fut conduit en présence de l’assemblée. Je ne pus m’empêcher de rire lorsque le Commissaire me fit la peinture des contorsions que faisoit le nouvel Adam pour couvrir son honneur. Celui du plus honnête homme n’est pas fort considérable en pareille rencontre: il ne tient pas une grande place dans le monde. Presque dans l’état de pure nature, avec une chemise extrêmement courte, les menotes aux mains, il eût été très-satisfait de profiter des feuilles de figuier qui servirent à nos premiers Peres.

On n’abusa point de l’état où étoit ce Pédagogue, on lui restitua ses vêtemens, & mon pere lui fit une mercuriale très-sévere, suivant l’exigence du cas, & blâma fort l’Exempt, qui, par forme de correction fraternelle, avoit détaché plusieurs coups de discipline sur le postérieur du patient: peut-être lui rendoit-il ce qu’il en avoit reçu autrefois.

Cette scene finit en s’informant à la dévote si elle n’avoit point entendu parler de Rozette. Qui les dévotes ne connoissent-elles pas! Elle enseigna ce qu’on lui demandoit, & se voyant délivrée, par le plus affreux caractere, elle fit le récit de la conduite de Rozette & la peignit avec les plus noires couleurs. Il n’y a qu’une dévote capable d’une semblable noirceur. Elle fut assez hardie pour s’offrir d’y conduire mon pere; ce qu’elle fit. Je la tiens maintenant enfermée, la malheureuse: elle y demeurera long-tems, & ma vengeance se fera une satisfaction de ses pleurs. On renvoya le pédant; on lui dit de venir chercher sa discipline chez monsieur le Lieutenant de Police, s’il en étoit curieux. Elle restera long-tems au Greffe. Comme il n’y avoit rien là à gagner pour le Commissaire, il ne fit point de procès-verbal, & dirigea ses pas vers la maison désignée: il y arriva avec son cortege.

L’Aurore, montée sur son char de pourpre & d’azur, ouvroit dans l’Orient les portes du jour, & les oiseaux commençoient leurs concerts amoureux: il étoit quatre heures de matin. Les songes voltigeoient dans les alcoves, & Rozette entre mes bras goûtoit le repos dont les fatigues d’une nuit voluptueuse lui avoient mérité l’usage. Ne vous attendez pas, cher Marquis, que je vous fasse ici la description de cette nuit. Mille fois j’expirai de plaisir, mille fois je fus rappellé à la vie, & mille fois je mourus afin de revivre encore. Jamais je n’eus une ferveur plus sincere. Mon culte s’adressoit à toutes les parties de ma Divinité; tout en elle étoit le sujet d’un éloge & d’une offrande, tout en moi étoit pour elle un présent agréable & étoit récompensé par une faveur. Transportés, je crois, dans le royaume des enchantemens, nous changions mutuellement de sort: elle devenoit sacrificateur & moi victime; je goûtois presque la satisfaction d’être immolé, & hors le couteau sacré qui ne me perçoit par le flanc, il ne me manquoit rien de ce que doit éprouver une victime. Nos momens ne couloient plus, ils étoient fixés; & des années entieres ainsi consumées ne seroient pas un point dans la vie la plus courte. Combien de fois dans ces égaremens, qu’on ne peut que sentir, ai-je oublié que j’existois, ou ai-je désiré d’être anéanti dans ce que je sentois? Pourquoi la nature a-t-elle borné nos forces, & étendu si loin nos désirs? Ou plutôt pourquoi ne se rencontrent-ils pas à raison égale?

Epuisés de fatigue, Rozette & moi, nous voulions nous avertir de terminer nos transports; mais ses levres étoient collées sur les miennes, & les organes de nos voix embarrassés l’un par l’autre, étoient occupés si délicieusement, qu’ils ne pouvoient former le moindre son pour nos oreilles. C’est dans cette position que nous avions attendu le sommeil & qu’il nous avoit couronnés de ses pavots. Enfin nous dormions, la volupté étoit entre Rozette & moi, & la vengeance veilloit pour nous faire sentir les horreurs d’un affreux réveil. Hélas! qu’alors un songe officieux envoyé par l’Amour tenoit mes sens dans une attente flatteuse! Quel bruit vint me tirer de cette aimable illusion!

Mon pere, le Commissaire, l’Exempt & quelques Cavaliers étoient entrés dans la maison & s’étoient informés si mademoiselle Rozette n’y étoit pas, & quelle étoit sa compagnie. Ils surent tout, & on fut sûr, par le portrait qui fut tracé de ma figure, que j’étois celui qui s’amusoit depuis deux jours avec la Nymphe de ce palais. On monte, on frappe à la porte; la femme de chambre vint porter l’alarme dans notre appartement, & effrayée des menaces qu’elle entendoit, elle ouvrit à des personnes qui entrerent avec un grand nombre de lumieres. Rozette fut saisie de peur; une femme seule en tel cas est hors d’elle-même; mais elle est bien autrement tremblante quand elle se trouve alors entre les bras de son amant. Je me levai, je saisis deux pistolets, dont je suis toujours muni quand je vais en parties: j’attendois en bonne contenance que quelqu’un se présentât. Pensois-je que mon pere dût se trouver ainsi à mon lever? Une sentinelle est placée dans l’antichambre, une autre à la porte de notre cabinet, & plusieurs gardoient l’escalier.

Le Commissaire se présente avec l’Exempt: n’avancez pas, Messieurs, leur criai-je. Ils virent mes armes & furent très-dociles. Mon pere entra. Que faites-vous ici, Monsieur, me dit-il d’un ton ferme? Il y a deux jours que vous me désespérez. Il s’avance vers moi, m’ôte les deux pistolets, & commande aux Archers de faire leur devoir. Les rideaux du lit furent tirés, & l’on aperçut la belle Rozette qui étoit tombée en défaillance. On la fit revenir avec peine. Son premier regard se tourna vers moi: elle imploroit un secours que j’étois hors d’état de lui procurer. Elle demanda tristement ce qu’on vouloit faire d’elle; mon pere lui répondit avec un air dur que sa destination étoit marquée sur un ordre qu’on lui fit voir. La douleur l’accabla, & un torrent de larmes inonda ses beaux yeux; ses charmes devinrent plus séduisans, & toucherent toute l’assemblée, qui n’étoit pas venue dans cette idée. Elle se jetta aux pieds de mon pere pour lui demander grace. Je l’imitai; mais cet homme inflexible détourna son visage & m’ordonna séchement de le suivre.

Le Commissaire s’empara de Rozette; elle m’appella d’une voix entrecoupée, je ne lui répondis que par un soupir. Un fils, quelque résolu qu’il soit, est bien foible vis-à-vis de son pere qui est dans son droit, & en présence d’une amante malheureuse. L’amour reste dans le silence et l’inaction: la nature nous fait sentir tout son pouvoir.

Déjà nous étions sur l’escalier, lorsqu’un Archer s’avisa de regarder dans le lit de la femme de chambre. Il y découvrit une figure humaine qui s’enfonçoit dans la ruelle & se couvroit avec les draps. On tire la couverture & on force le quidan à se montrer: il le fit. On lui demande son nom, sa qualité, qui il est. Nous rentrons. Quelle fut notre surprise lorsque nous reconnûmes le coquin de Lafleur. J’oubliai à sa vue tous mes chagrins, & j’allois le tuer dans ma fureur, si on ne m’eût arrêté le bras. Je racontai sincérement que c’étoit lui qui étoit cause de mon malheur; il fut saisi, lié, garotté, traîné en prison, de-là au château de Bicêtre, où il expiera amplement ses perfidies.

Rozette fut conduite à Sainte Pélagie, par l’Exempt & le Guet, qui eurent lieu d’être satisfaits de la générosité de mon pere. Le Commissaire monta avec nous dans le carrosse. On le remit chez lui.

Arrivé à la maison, je passai au travers de tous les domestiques, qui étoient inquiets de moi, & se réjouirent en me voyant. Il n’y en a pas un qui ne me soit attaché: mon principe fut toujours de traiter avec humanité des gens au-dessus desquels nous ne nous trouvons que par hazard. Accablé de chagrin & de lassitude je me retirai dans ma chambre, & m’étant jetté sur mon lit, je m’endormis dans les bras de l’inquiétude. Je ne rêvai que de Rozette. Une maîtresse heureuse enflamme, enchante un amant: une maîtresse infortunée lui devient plus chere & plus adorable. Vous saurez, cher Marquis, dans la seconde partie de ces Mémoires, ce qui arriva à Rozette: sa situation fut extrêmement dure; la description en a coûté des soupirs à mon cœur lorsqu’elle me l’a faite.

Après avoir sommeillé, ou plutôt après avoir été assoupi assez long-tems, je sortis de cet état, & songeai aux moyens de délivrer ma chere amie.

Deux heures étoient sonnées & le dîner servi: on vint m’en avertir; comme je tardois, l’ami nouvelliste monta à ma chambre, & après un compliment assez fade sur mon retour, il m’apprit avec une joie orgueilleuse qu’il avoit été le principal instrument de ma découverte. Apparemment qu’il ignoroit tout le chagrin que j’avois alors: mais il y a des gens qui ne peuvent pas s’empêcher de discourir; qui aiment mieux dire des riens que de ne rien dire, & qui parlent à tout hazard. Ils disent tout ce qu’ils pensent, & ne pensent jamais à ce qu’ils disent. Je le regardai avec des yeux de mépris. Il voulut m’engager à descendre; mais il le faisoit si pesamment & si mal, que m’ayant échauffé l’imagination, peu s’en fallut que je n’en vinsse à des extrêmités avec sa chevalerie. Il se retira promptement, & fit bien. Le sort me ménageoit une occasion de vengeance qui me devoit être plus douce & qui lui auroit été plus sensible, s’il en eût été informé. Ce Chevalier se nomme d’Orville: il est du pays du Maine, Gentilhomme d’une ancienne race. Il a servi long-tems, s’est retiré avec les honneurs militaires, & jouit d’un bien considérable. C’est un de ces honorables parasites, qui sont toujours bien hors de chez eux. Son métier est de débiter des nouvelles & de les dire autant de fois que vous le voulez. C’est une montre à répétition qui sonne aussi souvent que vous la poussez avec le pouce. Il n’a pas l’esprit de faire du bien, ni de malice pour faire du mal; c’est le Manceau le moins Manceau qui fut jamais. Il est marié depuis plusieurs années, & est un peu jaloux; personne ne connoît sa femme, parce qu’il ne l’a jamais présentée en compagnie, & qu’aucun de ses amis ne sait où il loge: son adresse est au Palais-Royal, sous l’arbre de Cracovie, ou sur le banc de Mantoue.

On m’avertit plusieurs fois de la part de mon pere de venir dîner, mais en vain; je fis toujours la sourde oreille sans l’avoir. On me servit dans ma chambre. Quoique triste, je pris quelque nourriture. Le besoin a une voix qui se fait puissamment entendre, & qui est aisément écoutée.

Cependant j’avois écrit une grande lettre à Rozette, dans laquelle je lui marquois en termes passionnés mon amour, & le désespoir où m’avoit plongé son infortune. Je l’encourageois à avoir bonne espérance, & l’assurois que je ne négligerois rien pour la tirer de l’injuste captivité où elle étoit cruellement retenue. Je finissois en la conjurant de m’aimer toujours, de ne point m’imputer ses chagrins, & la priant de recevoir dix louis que je lui envoyois pour subvenir à ses nécessités. Cette lettre étoit simple, mais touchante; on a le cœur tendre dans la douleur, & je me souviens que l’amour me dictoit des expressions qu’il n’eût pas désavouées lui-même.

La lettre étoit sur mon secrétaire; je ne découvrois aucun moyen pour la faire tenir à sa destination. Je n’osois me confier à personne depuis la perfidie de Lafleur. D’ailleurs, dans ces premiers momens, la moindre démarche est suspecte, & presque toujours hazardée. Je résolus de faire avertir le Président: il est, comme vous savez, cher Marquis, homme de plaisir; mais de bon conseil; capable de vous mettre dans des affaires galantes, mais en état de vous tirer des plus embarrassantes. Je lui écrivis de venir me trouver pour une affaire d’importance. Je chargeai un des cochers de la maison de ce message, dont il fut content & moi aussi.

M. le Président n’étoit point chez lui. Laverdure, son laquais affidé, instruit que la lettre venoit de ma part, soupçonna quelque chose, & en garçon intelligent il se transporta chez moi. Je fus ravi de son arrivée. Voilà de ces domestiques sans prix; heureux qui en rencontre de semblables! Je ne lui cachai rien, il apprit en un moment toute mon aventure; & sans faire le moraliste, il me plaignit, me blâma, & fit briller quelque espérance à mes yeux. Je lui parlai de la lettre que j’écrivois à Rozette, & lui avouai l’embarras où j’étois de la lui faire tenir. D’abord il n’y trouvoit aucune difficulté, croyant qu’elle étoit renfermée dans l’endroit où l’on met d’ordinaire les Pénitentes de ce genre, qui ne sont jamais repentantes. Mais lorsque je lui eus assuré que Rozette étoit à Sainte Pélagie, il fut déconcerté. Son découragement m’alarma; je demeurai dans cette situation accablante, où l’on ne fait que sentir stupidement son malheur. Laverdure fit plusieurs tours dans la chambre, & après une méditation profonde, il me dit qu’il tenteroit, qu’il ne garantissoit rien; mais qu’avant huit heures du soir il me rendroit une réponse très-positive. Je fus transporté d’alégresse. Je voulus lui remettre les dix louis qui étoient les seuls qui me restassent; mais il prit simplement la lettre, en me disant que l’argent m’étoit nécessaire, que je gardasse celui-là, qu’il avanceroit la somme. Il se contenta de recevoir quatre pistoles pour les frais de sa commission. Il partit: je demeurai entre la crainte & l’espérance.

N’êtes-vous pas étonné, cher Marquis, de mon attachement pour une maîtresse de quelques jours? Je l’aimois, je l’aime encore, & l’amour est extrême en tout. Quand elle m’eût été moins chere, ma vanité se seroit roidie contre ceux qui vouloient me l’enlever. N’étoit-ce pas un devoir de ma part de ne pas abandonner une fille, libertine à la vérité, mais charmante, & qui n’étoit dans la tristesse que pour s’être tournée sur tous les sens pour me procurer du plaisir?

Le bruit de mon aventure s’étoit répandu: elle servoit de conversation aux convives qui se trouverent ce jour-là chez mon pere. Chacun en dit son mot. Quelques douairieres ne m’épargnerent pas, surtout une certaine dame d’Origny, à qui j’avois autrefois conté mes raisons, & qui par scrupule avoit refusé de m’entendre. Les femmes sont plaisantes: elles sont choquées de ce que l’on obtient d’une autre femme ce qu’on leur a demandé à elle-mêmes, & qu’elles ont toujours refusé. Je me vengeai de tout par la suite, & d’une façon très-plaisante, comme vous verrez. Au sortir de table quelques amis vinrent me visiter; visites qui ne se font jamais que par curiosité, ou par méchanceté: on veut savoir l’histoire d’un homme, de sa bouche, ou bien jouir du spectacle de sa misere. Aussi je reçus assez impoliment tous les complimens. Mon pere étant aussi venu avec les autres, sortit fort à propos dans le tems que ma fureur contre lui alloit m’emporter au-delà des bornes du respect.

On me laissa seul. Dans le transport où j’étois je résolus de faire quelque coup d’éclat qui désespérât mon pere. Je ne m’embarrassois pas de mon honneur, si je pouvois lui faire de la peine. J’étois outré de ce que je n’avois pas le cœur méchant. Le sort m’offrit ce que je désirois, me sauva du hazard d’un coup d’éclat, & fut cause que j’eus un plaisir d’autant plus singulier, qu’il se trouva rempli à titre de vengeance. Voici le fait, cher Marquis, je serai plus long à le raconter que je n’ai été à l’expédier. C’est un in-promptu de cabinet.

Depuis quelque-tems j’étois à ma fenêtre, lorsque je vis un Fiacre s’arrêter à notre porte. Pour le coup, Marquis, celui-ci ne me porta pas malheur; au contraire, il m’apportoit une bonne fortune. Depuis que le numéro 71 a été cause de ma disgrace je n’apperçois point de semblable voiture sans en examiner la lettre & le numéro. Aussi me souviens-je de la marque de celui-ci à merveille. Il étoit au numéro 1er & à la lettre B. Si j’eusse pensé à examiner cette espece d’emblême j’aurois trouvé qu’elle me pronostiquoit mon aventure. La connoissance des Fiacres seroit une chose qui devroit être éclaircie par l’Académie des Sciences, & un bon traité sur cette matiere seroit aussi utile que celui qu’a fait Mathieu Lansberg sur celle des tems. La matiere au moins est aussi sujette à conjectures.

Le laquais qui étoit derriere le carrosse, après s’être informé au Suisse si mon pere y étoit, avoit donné le bras à une Dame vêtue de noir. A cet habillement je devinai sans peine que c’étoit une solliciteuse. La curiosité me prit de savoir qui elle étoit, ce qu’elle demandoit, & sur-tout si elle étoit jolie. Mon chagrin n’avoit pas entiérement fermé mon cœur à l’amour du plaisir. On l’avoit conduite dans la salle de compagnie, sur l’air de distinction qu’elle avoit. Là elle attendoit l’audience de mon pere. Je descendis par un escalier dérobé, en robe de taffetas, en bonnet de nuit & en pantoufles, & m’étant introduit doucement dans le cabinet qui a vue sur la salle, je considérai au travers de la porte vitrée les agrémens de la solliciteuse: elle en avoit. C’étoit une femme de 26 à 28 ans, ni grande ni petite, des yeux assez éveillés, de belles dents, un teint un peu brun, une gorge passable, un ensemble de physionomie capable d’animer. Sa jambe dans sa façon n’étoit pas indifférente: elle étoit dans le sopha étendue négligemment, & dans ces attitudes que l’on croit indifférentes, qui le sont rarement, & qui n’ont pas été inventées par la modestie. Elle se considéroit dans les glaces, & répétoit devant elles les graces avec lesquelles elle devoit se présenter devant mon pere.

Toute femme aime à plaire; mais toutes ne sont pas coquettes: celle-ci l’étoit. Jeune femme d’un vieil Officier, suivie de près: que de titres pour l’être! Une coquette cherche à charmer les autres: qui aime à charmer, n’est pas loin de se laisser surprendre; & essayez de vous rendre maître d’une telle Nymphe, brusquez l’affaire, je vous réponds de la victoire. Tout cela se suit. Logique de galanterie, direz-vous! Je la soutiens meilleure que celle de Nicole & de Crouzas.

Rien n’excite plus les passions que la vue d’une personne qui, ne se croyant pas examinée, fait devant un miroir l’exercice de la coquetterie. Mon tempérament est impétueux, son feu se trouva encore animé par le désir que j’avois de faire un coup d’éclat. Je fermai les yeux & me livrai à tout événement. Je sortis brusquement du cabinet; feignant d’être surpris de rencontrer quelqu’un, je demandai excuse à la Dame de ce que je paroissois ainsi en déshabillé devant elle. Elle me répondit poliment. Je m’informai qui elle étoit & pourquoi elle venoit: elle m’apprit qu’elle ne sollicitoit point pour elle, & que quoique née à Caen en France, elle n’avoit jamais eu de procès; mais qu’elle venoit pour une de ses sœurs, actuellement fort mal, dont la cause devoit être portée dans quelques jours à l’audience. Elle ajouta qu’elle n’avoit pas l’honneur d’être connue de moi; mais que son époux étoit tous les jours à la maison, & qu’il se nommoit le Chevalier d’Orville. Je la regardai fixement. Comment, Madame, repris-je, cet homme est votre époux? C’est mon ennemi mortel, il m’a joué un tour sanglant; sans doute que vous en étiez complice: puisque j’en trouve le moment, il faut que je me venge. Aussi-tôt je la saisis entre mes bras, je la serre, je la pousse sur le canapé. Elle veut crier. Criez, criez, lui dis-je... Oui, Madame, le plus haut que vous pourrez: faites éclat, c’est ce que je veux. Je lui mis le poignard dans le sein: elle perdit connoissance. Sans songer aux fenêtres & aux portes ouvertes, sans me soucier du bruit que faisoit le froissement de nos robes de taffetas, je combattis, j’attaquai, je triomphai. Je ne sais si, pour être plutôt libre, madame d’Orville n’aida pas à la victoire. Je me vengeois de son époux; peut-être vouloit elle aussi s’en venger: quelle est la femme qui n’ait pas sujet de mécontentement dans son ménage!

Semblable à un Pandour, j’arrive, j’attaque, je pille, je tire mon coup de pistolet, & je suis déjà décampé. En une minute tout fut expédié, & j’étois déjà à ma chambre que la solliciteuse n’avoit pas eu le tems de remarquer si j’étois encore auprès d’elle.

Personne ne survint, & madame d’Orville eut tout le tems de se remettre à sa toilette. De plus d’une heure mon pere ne sortit de son cabinet. Arrivé dans mon appartement, je me mis à rire comme un fou, & passai près d’une demi-heure à en méditer les circonstances. Je sais actuellement que penser de cette étourderie.

Mon pere arriva enfin. Il étoit depuis long-tems en conférence avec un Ecclésiastique nommé monsieur le Doux, son Confesseur ordinaire & mon Directeur honoraire. Il tire beaucoup d’argent de mon pere pour les pauvres, entre lesquels je crois qu’il se met au premier rang, & pour plus d’une part. Ce consolateur monta chez moi, & vint me débiter bénignement une morale assurément très-épurée.

Madame d’Orville se présenta devant mon pere, qui attribua un reste de trouble qui étoit dans ses yeux à la modestie d’une Dame, qui rougit nécessairement de demander quelque grace à un homme. Toute autre que madame d’Orville eût été aussi embarrassée; car jamais chûte n’a été plus précipitamment amenée. Si les Dames saisissoient ainsi le moment à propos, elles ne courroient pas risque de leur honneur. Ce qui les perd, est-ce ce qu’elles accordent? Non; c’est le tems qu’elles perdent à le faire attendre.

L’épouse du Chevalier exposa à mon pere le sujet de sa visite. Après une audience assez longue, il se trouva que mon pere n’étoit point Juge dans ce procès; mais qu’il étoit pendant à une des Enquêtes, dont j’ai l’honneur d’être membre, & que c’étoit moi que l’on devoit solliciter.

Mon pere me fit appeller. Je ne voulus pas descendre; ce ne fut qu’après un ordre précis que j’obéis. Je refusois d’autant plus, qu’on me disoit que c’étoit pour une Dame qui avoit un grand procès. Je crus d’abord que, hors d’elle-même, madame d’Orville avoit découvert à mon pere mon imprudence: mon feu étoit tombé & l’esprit de vengeance s’étoit un peu radouci. Où étoit donc alors, cher Marquis, la parfaite connoissance que j’ai du sexe? Une femme se vante-t-elle jamais de pareille aventure? Elle s’en aplaudit intérieurement; elle sait bien qu’on n’est malhonnête homme qu’avec une jolie personne; & elle ne peut vouloir du mal à qui lui a donné du plaisir. Dans le vrai, ne doit-on pas savoir gré à quelqu’un qui vous délivre du cérémonial? Lucrece se tua, mais après coup; & peut-être de désespoir de ce qu’elle craignoit ne pouvoir plus recommencer.

Je parus. Je saluai madame d’Orville avec respect, comme si je ne l’eusse pas connue, cognoveram. Elle ne se démonta point, & m’expliqua son affaire assez intelligiblement. Mon pere sortit. Madame d’Orville entra en fureur contre moi; elle se servit des termes les plus forts & les plus énergiques pour me reprocher ma hardiesse: elle pleura même. Façons, cher Marquis; je connoissois trop la marche du cœur du sexe pour être alarmé: une femme souvent n’est jamais plus près de sa chûte que lorsqu’elle fait plus d’efforts pour s’en défendre. Je lui laissai exhaler son courroux. Je pris la parole, & m’excusai sur ses charmes. Mon excuse posoit sur un bon fondement. Je lui promis un secret inviolable; & moi qui avois été regardé comme un tyran, je devins insensiblement un consolateur, dont on écoutoit tranquillement les avis. Quand on est sûr du secret on craint moins pour sa vertu. Je rétablis la paix dans l’ame de madame d’Orville; je la vis dans ses yeux: ce fut là où je fus convaincu qu’Annibal se seroit rendu maître de Rome s’il ne se fût pas amusé aux délices de Capoue. Elle se leva, je la reconduisis, & en sortant elle me serra la main d’une façon à me faire entendre qu’elle étoit moins fâchée, & qu’elle me pardonneroit mon audace, aux conditions que je ne serois pas assez imprudent pour m’exposer sur la bonne foi des fenêtres & des portes ouvertes. Je lui fis mille politesses & je l’assurai que je goûtois infiniment la bonté de sa cause.

Elle remonta en carrosse & moi dans mon appartement. J’y avois laissé monsieur le Doux. En mon absence il avoit fait la visite de ma bibliotheque; & en furetant il n’avoit pas oublié certains pots de confitures qui étoient sur une tablette écartée. Il m’en parla comme d’une chose indifférente à moi, qui étois un homme du monde, & qui seroit d’une grande utilité à un Directeur comme lui, qui assistoit un grand nombre de malades. Il n’eut point ce qu’il demandoit; car sur le chapitre des confitures & des douceurs j’ai l’ame la plus ecclésiastique qui fut jamais.

Il me gronda amicalement sur plusieurs livres, sur-tout à l’occasion des Romans. Je fis la controverse sur cet article: il ne brilla pas; il m’avoua que son fort n’étoit pas la dispute; qu’il étoit persuadé que les Romans étoient mauvais, mais qu’il n’en avoit jamais lu, & qu’ainsi il n’en pouvoit pas juger. Il me conseilla de brûler mes miniatures & mes estampes. Sur ce que je lui représentai que cet assemblage valoit plus de 200 louis, il me dit que la somme n’étoit pas assez considérable pour se damner pour elle. J’insistois sur la valeur des choses: hé bien, dit-il! vendez toutes ces infamies à quelques Conseillers Constitutionnaires; ces gens-là n’ont point d’ame à perdre. Je lui promis d’y penser, & le Janséniste me crut déjà dans la bonne voie.

De matiere en matiere nous parlâmes de mon aventure. Il n’est pas étonnant que le saint homme fût curieux. Je lui racontai tout, & l’intéressai si bien, que c’est lui qui a le plus contribué à la délivrance de Rozette, comme vous le verrez, & que c’est par son moyen que j’ai tout obtenu de mon pere.

N’ayez point mauvaise opinion de lui sur la conduite que vous lui remarquerez. M. le Doux n’est point un hypocrite; il est droit, bon Ecclésiastique, mais simple, aisé à tromper: il a toutes les minuties de son état, mais n’en a pas les intrigues secretes. S’il a fait quelque faute, j’en suis la cause. On n’est véritablement coupable que lorsqu’on l’est par le cœur.

Il étoit près de huit heures, M. le Doux étoit retourné chez lui, & m’avoit laissé le temps de revenir au sujet de mes inquiétudes. Je me promenois dans ma chambre à grands pas; je regardois par la fenêtre: Laverdure ne revenoit point. J’excusois son retardement sur la différence des horloges: j’étois dans une cruelle impatience. Entre subitement dans ma chambre une figure empaquetée dans une cape de camelot, qui, sans me parler, jette une lettre sur mon bureau, & se jette dans un canapé. Je lis l’adresse, je reconnus l’écriture de Rozette; sans différer je l’ouvre, je la dévore, & je suis enchanté. Je vais vous en donner une copie, après vous avoir mis au fait des moyens par lesquels elle étoit parvenue jusqu’à moi, comment s’y étoit pris mon commissionnaire, & quelle étoit la personne qui étoit entrée chez moi dans cet équipage. Cette intrigue est assez bien conduite, & Laverdure m’a avoué que c’étoit son chef-d’œuvre.

 

Fin de la premiere Partie.

THEMIDORE.

S E C O N D E   P A R T I E.

THEMIDORE.

Dùm licet, in rebus jucundis vive beatus.
Hor. Lib. I. Ep.

S E C O N D E   P A R T I E.


colophon
A LA HAYE,
Aux dépens de la Compagnie.

M. DCC. LXXVI.

THÉMIDORE.

S E C O N D E   P A R T I E.

LAVERDURE lui-même avoit été le commissionnaire de Rozette. Embarrassé comment il pourroit s’introduire à Sainte Pélagie, il avoit imaginé de se travestir en femme. La nature avoit fait en sa faveur la moitié des frais de ce déguisement. Il est petit, maigre, sa voix est foible, sa taille menue; il a très-peu de barbe: passable en homme, il avoit en femme une physionomie très-singuliere. Sans doute il hazardoit beaucoup en cette rencontre; mais il y a des choses que l’on fait pour d’autres, auxquelles on ne penseroit peut-être pas pour soi-même. Dans les occasions critiques on a meilleure idée de la fortune de son ami que de la sienne propre. Je ne vous ferai pas, cher Marquis, la description de l’ajustement de Laverdure: pour se dédommager de la peine qu’il avoit eue à le disposer, il me contraignit d’en admirer successivement le comique assemblage. Quoique je ne fusse pas en position de rire, je ne pus m’empêcher de le trouver très-plaisamment imaginé. La capote dont il étoit couvert le masquoit au mieux: la pluie, qui dura pendant toute la journée, la lui avoit fait prendre. Le mauvais tems désespéra bien des personnes; mais je puis dire qu’il ne pouvoit y en avoir de plus beau & de plus favorable pour notre stratagême.

Laverdure se transporta d’abord au Couvent. Après quelques préambules avec une Touriere curieuse selon son état, & qu’il trompa suivant le sien, il fut admis au parloir de la Mere Supérieure. Les premiers complimens épuisés, il lui expliqua modestement le sujet de sa visite, & lui dit qu’il étoit la parente très-proche d’une jeune fille nommée Rozette, qui, par ordre du Roi & pour son bien, avoit été conduite dans la maison depuis le matin: qu’il venoit se réjouir de ce que la Providence l’avoit adressée dans un port de salut, où les bons exemples ne lui manqueroient pas, & pourroient la faire rentrer dans le chemin de la vertu, dont elle ne s’étoit que trop long-tems écartée. Qu’il étoit charmé que de bonnes ames l’eussent obligée à se repentir, & l’eussent fait enfermer: qu’il y avoit déjà plusieurs mois qu’il auroit fait cette action de charité si ses moyens lui en eussent permis l’exécution. Enfin Laverdure joua la parente si pathétiquement, que la Supérieure en fut attendrie. Il se mit à pleurer; le don des larmes est un don de Comédien, notre drôle l’est au parfait. Les larmes sont un mal qui se gagne; qu’une femme pleure, une autre pleurera, ainsi que toutes celles qui viendront, & cela à l’infini. La conversation se termina en disant à la Mere Prieure qu’il désiroit parler un moment à Rozette; que quoique ce fût une fille dérangée, il l’aimoit cependant encore assez pour ne pas entiérement desespérer, & qu’il venoit lui apporter quelque soulagement. Alors il tira de sa poche deux louis, & en remit un à la Dame, en la priant de le distribuer par parties à Rozette, à proportion qu’elle s’acquitteroit bien de son devoir, & qu’il auroit soin chaque mois de lui remettre pareille somme. Cette générosité eut son effet: la Supérieure admira le bon cœur de la prétendue parente, & lui en faisant un compliment assez poli, elle l’assura que dans peu Rozette se trouveroit à portée de profiter de ses avis & de ses bontés. Laverdure sans y penser fit une révérence d’homme assez marquée: ce manque d’attention devoit le trahir; mais tout réussit à qui est en bonheur: on fut édifié au contraire de ce que la modestie ne lui permettoit pas d’imiter ces révérences mondaines, qui dans le fond sont très-indécentes, & qui ne sont entretenues que par un esprit secret de libertinage.

En attendant l’arrivée de Rozette, Laverdure, qui sait que l’oisiveté est la mere de tout vice, s’occupa à examiner les tableaux qui décoroient le parloir. Il fut fort édifié des sujets qui y étoient représentés: il n’y en avoit aucun qui ne fût très-régulier; mais il m’a avoué que quoiqu’il ne soit pas autrement scrupuleux, il avoit été scandalisé d’y voir des figures toutes nues de beaux jeunes hommes bien proportionnés & faits à ravir, & qui, sous prétexte d’être des Anges, n’en étoient pas moins capables de donner à tout le Couvent des tentations très-peu archangéliques.

La Touriere amena Rozette. Jugez, cher Marquis, de son état. Encore fatiguée des plaisirs de la nuit, pleine de chagrins, les yeux baignés de larmes, & qu’elle osoit à peine lever, la coëffure chiffonnée, manquant de la moitié de ses ajustemens, & dans un déshabillé qui n’étoit pas de commande, elle s’avança tristement, & eut beaucoup de peine à reconnoître Laverdure sous sa physionomie empruntée. Sa surprise fut extrême, & elle la témoigna en reculant en arriere. La Touriere la rassura; elle ignoroit la bonne fille le sujet de l’étonnement, & lui dit, d’un air assez sec, qu’une Demoiselle de son état ne devoit pas voir avec effroi une parente qui avoit la charité de venir la consoler dans son malheur. Un mot suffit à qui a de l’intelligence. Rozette se douta du tour, & pensa que la Touriere n’étoit que l’écho de ce que Laverdure lui avoit raconté. Elle se mit à pleurer: l’idée de sa captivité, en présence de celui qui l’avoit vue si triomphante dans le monde, la désespéroit. A peine, selon ce qu’elle m’a avoué depuis, put-elle soutenir sa présence. Laverdure, sans se troubler ni perdre son sang froid, d’un ton grave, lui fit une leçon très-vive sur sa conduite passée, la lui peignit avec des traits forts & nerveux; puis insensiblement radoucissant sa voix, il conclut, comme finissent tous les parens, par donner de la consolation à l’infortunée: il lui dit qu’il avoit quelqu’argent à lui remettre, & que la Mere Prieure avoit bien voulu se charger d’une somme pour subvenir à ses nécessités, si cependant elle se comportoit avec prudence. Il donna alors à Rozette un louis, lui glissa en même-tems ma lettre: elle la prit avec ardeur, la cacha dans son sein. Ah! que l’auteur eût bien voulu être à la place de son ouvrage! Laverdure exigea qu’elle écrivît à sa mere (qu’il feignit être à Paris) qu’elle étoit contente dans la retraite où la Providence l’avoit placée, & qu’elle feroit ses efforts pour en devenir meilleure. La Touriere fut chercher du papier & de l’encre. Laverdure profita de son absence pour remettre à Rozette le reste de la somme, & pour l’assurer qu’on ne négligeroit rien pour la délivrer au plutôt. Il lui ordonna de lire promptement la lettre qu’elle avoit reçue. Le peu de diligence de la Touriere leur donna le tems d’une conversation assez étendue. Rozette, munie enfin des choses nécessaires pour écrire, après avoir simulé quelque répugnance, se mit sur une table qui étoit à son côté. Elle ne fut pas longue & son expédition; le commissionnaire s’en chargea & sortit du Couvent, après avoir fait un petit présent de quelques tablettes de chocolat à la bonne Sœur qui avoit été si complaisante. Il ne tarda pas à arriver au logis: j’admirai la présence d’esprit de ce garçon; & n’ayant rien alors à lui donner pour récompense, je le comblai de mille remerciemens. Voici la réponse de Rozette.

«J’ai reçu votre lettre, cher ami; je reconnois votre bon cœur dans votre conduite. Faut-il que je sois malheureuse pour avoir adoré un homme qui mérite si fort de l’être? Je ne sais encore comment je suis ici; je n’ai pas eu le tems de me reconnoître. Donnez-moi de vos nouvelles, je m’en rapporte à vous pour ma délivrance. Laverdure est un garçon impayable: il m’a remis l’argent que vous m’envoyiez. Adieu, je vais pleurer mon malheur. Je vous aimerai éternellement. Rozette.»

Vous ne sauriez croire, cher Marquis, à quelles réflexions je me livrai alors. Je ne songeai plus qu’aux moyens les plus prompts pour délivrer Rozette. Je congédiai Laverdure, qui me promit de ne me point abandonner. On vint m’avertir que le souper étoit servi: je descendis. La compagnie étoit assez bien composée. Plusieurs Dames s’y trouverent, qui dans d’autres tems m’eussent paru charmantes, & qui l’étoient en effet. La brillante madame du Cœurville, & son aimable compagne, s’y étoient donné rendez-vous: elles n’étoient que deux de leur parti, mais l’amour, qui les embellissoit, faisoit en leur faveur un tiers dont elles n’avoient pas lieu de se plaindre. La sage Rozalie y avoit suivi son époux: la vertu qui est dans son cœur est peinte dans ses yeux. On l’adoreroit toujours, la vertu, si elle avoit le talent de se placer ainsi à son avantage. La coquette madame de Blazamond avoit aporté toutes ses minauderies; mais ce soir-là elle leur donna un jeu si nouveau que j’en fus surpris, comme d’une nouvelle décoration dont on nous feroit la galanterie à l’Opéra.

Les deux petites Sœurs ne contribuoient pas peu à l’ornement du souper; l’une chanta à ravir, & l’autre enleva tous les cœurs par ses saillies ingénieuses. Nous avions en hommes le Président & le Chevalier de Mirval: ils s’attaquerent quelque-tems à la grande satisfaction de l’assemblée, & pour la gloire de leurs esprits épigrammatiques. Le gros Géometre nous fit beaucoup d’extraits de vin de Champagne, & l’Abbé des Etoiles nous parodia toutes les dames de la sous-ferme. Bref, je me serois fort réjoui sans le chagrin qui s’étoit emparé de mon ame. L’homme seroit trop heureux s’il pouvoit à son gré disposer des situations de son cœur! Que le mien étoit mal à son aise! Monsieur le Doux s’y trouva aussi: mon pere avoit gagné sur lui cet extraordinaire, afin de le raccommoder avec la vieille Comtesse de Saint Etienne. Vous avez cent fois entendu parler de cette insupportable Dévote. Jadis assez jolie, & coquette affichée, maintenant bigotte avec le même éclat; ainsi que beaucoup de ses semblables, elle s’est rangée sous la direction de notre saint homme, qui les conduit assez vertement dans le chemin de la vie éternelle. Entre les gens dévots, cher Marquis, ainsi que parmi les personnes du monde, il est certains momens d’indifférence ou de ralentissement de ferveur; quelquefois même il s’éleve de saintes piques, qui dans la suite ne servent qu’à donner une nouvelle pointe à la charité: ce fut du fond d’une bouteille de Champagne que sortit la réconciliation entre des personnes qui se disoient ennemies des sens.

Le Président de Mondorville arrivoit de campagne, & il ne savoit rien de mon aventure. Il n’étoit pas tems de la lui raconter, & le lieu ne paroissoit pas convenable à un pareil récit. L’ignorance où il en étoit lui fit tenir de très-jolis propos à mon sujet, qui étoient d’autant plus plaisans qu’ils étoient plus justes. Toute la compagnie en rioit; j’étois intérieurement fâché contre lui, mais sans lui en vouloir; & je puis dire qu’en cette circonstance le Président avoit un esprit infini sans le savoir.

Après le souper je pris en particulier M. le Doux, & le priai de me faire l’honneur de me rendre une visite le lendemain matin, parce que j’avois une affaire importante à lui communiquer. Il s’imagina qu’il s’agissoit de quelques cas de conscience, ou même de ma conversion: ces Messieurs ne s’imaginent pas qu’il y ait d’autres choses plus intéressantes dans l’univers. Il m’assura qu’il se rendroit chez moi sur les neuf heures. Je lui promis de l’attendre avec une tasse de chocolat, qu’il accepta, après que je lui eus persuadé que le mien étoit préférable à celui dont il usoit ordinairement.

Le Président monta à ma chambre peu de temps après. Je lui racontai mon aventure: il me demanda excuse des plaisanteries dont il avoit diverti la compagnie, & me promit qu’il feroit sortir Rozette dès le lendemain si je le voulois. Il y eût réussi; son crédit est sans bornes, pour certaines choses, auprès des Ministres. Il étoit en pointe de joie. Je le priai de n’en parler à personne & d’attendre que nous en eussions conféré ensemble à tête reposée. Il y consentit, & se retira après m’avoir croqué plusieurs histoires plus amusantes les unes que les autres.

Il me fut impossible de dormir. Rozette revenoit sans cesse à mon imagination. Pour me distraire je me fis donner mes cartons à estampes, & j’en commençai une revue générale. A proportion qu’elles étoient libres ou plaisantes, je me rapellois les situations dans lesquelles je m’étois trouvé avec celle qu’on venoit de m’enlever. Ce souvenir étourdissoit au moins ma douleur.

Enfin la nature se trouva accablée, un sommeil languissant s’empara de moi & me surprit au milieu de mes estampes éparses sans ordre sur toute la surface de mon lit. J’ai quelquefois dormi entre les bras de la réalité; mais alors l’illusion étoit entre les miens.

A peine étoit-il sept heures de matin, qu’un domestique vint me réveiller, parce que la gouvernante de M. le Doux m’apportoit une lettre, & qu’elle vouloit absolument me parler de la part de son maître. Je donnai ordre qu’on l’introduisît. Elle fit quelque bruit en entrant pour avertir de son arrivée. J’avançai la tête, & par l’ouverture de mes rideaux j’entrevis un minois très-gracieux. J’ai toujours été heureux au coup d’œil. Je me levai, & remuant ma couverture je fis tomber plusieurs estampes. La jeune fille les ramassa par propreté, & ne croyant pas être vue les examina par sensualité. J’en augurai bien pour la satisfaction d’un de ces désirs qui naissent à l’instant, dont l’effet étoit alors prodigieux en moi, & que pour tout jeune homme la beauté fait galamment éclorre. Je crus appercevoir que ce qu’elle avoit examiné, quoique très-rapidement, avoit fait sur elle une agréable impression. Un rien trahit la passion dominante, & il n’y a personne qui n’en ait une: un signe sur le visage dévelope les replis de l’ame la mieux sur la défensive. Nanette, c’étoit son nom, me fit une révérence simple & gracieuse, & me présenta sans affectation la lettre qui m’étoit adressée. Je jettai les yeux dessus, & sur celle qui me la remettoit: elle méritoit bien les regards d’un galant homme.

Imaginez-vous, cher Marquis, une grande fille d’une taille ordinaire, mais bien tournée, déliée & ferme sur ses jambes: de grands sourcils noirs, de belles dents, un teint qui étoit disposé à recevoir des couleurs, & qui pour-lors ne jouissoit que de la blanche. Une gorge qui ne paroissoit pas; mais qui, cachée avec affectation, disoit aux curieux qu’elle étoit digne de faire leur admiration & leur plaisir. Sa coëffure & son habillement répondoient à la simplicité de tout son extérieur; elle me parut une Dévote aisée, & qui, âgée de vingt-huit à trente ans, ne prendroit de parti que suivant les circonstances. Je la fis asseoir, & je lus la missive. M. le Doux me marquoit qu’il étoit au désespoir de ne pouvoir se trouver chez moi à neuf heures, selon sa promesse, parce qu’il étoit obligé d’aller visiter les pauvres prisonniers du Petit-Châtelet avec une Dame qui depuis deux jours avoit renoncé solemnellement au monde: que sur les deux ou trois heures, aussi-tôt qu’il auroit pris son café, il ne manqueroit pas à se rendre au logis.

Je complimentai Nanette sur ce qu’elle étoit la gouvernante de monsieur le Doux, qui étoit un très-honnête homme & mon ami particulier. Elle me repliqua uniment qu’il étoit fort bon maître, & que depuis trois ans qu’elle étoit à son service elle n’avoit qu’à se louer de son égalité & de sa douceur. Comme elle ne s’étendit pas extrêmement sur son panégyrique, je conclus qu’il n’y avoit aucune liaison déterminée entr’eux. Pendant que je lui demandois pourquoi elle s’étoit attachée à monsieur le Doux, moi-même, sans m’en appercevoir, je m’attachois très-fort à elle. Enfin de discours en discours je conduisis la conversation sur ces matieres que les femmes aiment si fort à traiter, & dont elles font semblant de rougir. Les fleurs naissent sous les pas de ceux qui courent dans cette carriere: il y a toujours quelqu’un qui en cueille.

Cependant le feu me montoit au visage: je m’approche de cette belle fille, qui se levoit de son siege sans avoir trop envie de sortir. Je lui prends la main, que je trouve blanche à ravir; je lui répete qu’elle est charmante, qu’elle est adorable: je lui donne un léger baiser, qui est suivi par un second, auquel elle se déroboit autant qu’il en falloit pour qu’il ne fît pas une impression trop marquée sur ses levres. Je ne sais si c’est la dévotion qui apprend ces délicatesses; si cela est, je veux m’y livrer pour mon plaisir. L’état dans lequel j’étois excusoit de ma part un peu de hardiesse; on n’a jamais exigé qu’un homme en robe de chambre soit aussi retenu & aussi sage que lorsqu’il est empaqueté dans les ornemens de sa magistrature. Mes mains devenues entreprenantes par degrés, oserent lever le voile qui cachoit à mes yeux des trésors; alors me nommant par mon nom, Nanette me reprocha qu’autrefois je n’avois pas daigné la regarder lorsqu’elle étoit fille de boutique chez madame Fanfreluche, cour Dauphine. Quoi, c’est vous, ma charmante, m’écriai-je! que je vous rendois peu de justice alors! Que je répare ma faute, & que je vous embrasse de tout mon cœur! Effectivement, Marquis, elle étoit la compagne d’une petite-maîtresse que j’ai eue dans ma jeunesse, que j’aimois à l’adoration, & que j’ai quittée ainsi que beaucoup d’autres. Deux mots de mes intrigues passées me donnerent lieu de penser aux siennes, & me mirent en une espece de droit d’y faire un supplément à mon goût: je commençai.

En vain me représentoit-elle qu’elle étoit presque Dévote depuis trois ans; que j’allois la chiffonner: sa dévotion excitoit mon ardeur, & les trois années de sagesse qu’elle m’objectoit me rassurant contre la crainte du danger, me donnoient de nouvelles forces: je n’étois pas embarrassé de rétablir son ajustement. Une vertu qui ne se débat plus que sur un arrangement de plis, est bien prête à être dérangée elle-même. Nanette le fut. Je la pressai, elle soupira, & après les façons usitées en tel cas, j’ôtai à cette belle commissionnaire toute connoissance, excepté celle du plaisir. Dans le feu de nos embrassemens elle me fit soupçonner qu’il n’y avoit pas extrêmement long-tems qu’elle avoit perdu la charmante habitude de les varier à l’infini. Soupçon ridicule, réflexion impertinente, comme si on avoit besoin d’exercice pour pratiquer parfaitement les choses qui ne sont que de nature! Mes estampes répandues sur le lit jouerent leur personnage & joignirent leur petit murmure à un certain bruit occasionné par la pratique de ce qu’elles représentoient pour la plupart. Mademoiselle Nanette, libre enfin de l’embarras où j’avois mis sa dévotion & sa robe, s’étant elle-même raccommodée dans le miroir, me salua malignement & gracieusement. Je la reconduisis, & lui promis une coëffure de fantaisie, & de l’aller voir souvent, parce que j’aurois certainement besoin de sa protection. Elle se retira avec le contentement dans les yeux, mais avec le besoin autre part; car je ne suis pas assez orgueilleux pour croire que j’aie pu en un moment combler le vuide que trois années d’abstinence avoient laissé dans son ame. N’est-il pas vrai, cher Marquis, que je suis un garçon d’un violent tempérament? Si je ne trouvois de tems à autre quelque occasion de me réjouir je périrois de chagrin.

J’aurois cru que cette fille auprès de M. le Doux étoit peu sage: point du tout; il est des tempéramens qui ressemblent à ces machines qui n’ont de violence que lorsqu’elles sont montées. Elle m’a assuré depuis, cent fois, que son maître étoit un homme sur qui la nature ne s’étoit réservé aucuns droits, & dont l’unique occupation étoit de se mêler des affaires des autres, de diriger des vieilles, de les prêcher ou de les endormir.

Je fus au Palais, où je trouvai le Président: l’audience levée nous fûmes ensemble chez lui, où, ayant quitté nos robes, nous fîmes la partie d’aller rendre une visite de passage à mademoiselle Laurette. Elle se mit à rire en nous voyant; elle savoit le malheur de Rozette: elle m’entreprit sur cet article, me reprocha mon peu de prudence; &, avec un ton orgueilleusement plaintif, elle m’assura qu’elle étoit touchée du sort de sa bonne amie. Elle nous offrit à dîner, nous la remerciâmes; ses charmes & l’air dont elle en faisoit parade nous invitoient à lui faire compagnie; mais mon feu avoit eu son essor le matin; & le Président, sans s’être trouvé dans ma premiere position, se trouvoit par habitude dans la seconde.

Nous passâmes chez la belle Bijoutiere de la rue S. Honoré, d’où, après avoir examiné, critiqué, contrôlé, marchandé mille choses différentes, nous sortîmes sans en emporter une seule. Je revins dîner à la maison & j’y restai jusqu’à l’arrivée de M. le Doux. Il tint sa promesse & me rendit sa visite un peu avant trois heures. Il salua mon pere; leur conférence fut très-courte: il me joignit au jardin, & après m’avoir lu un article des Nouvelles Ecclésiastiques où on traitoit très-plaisamment un Evêque Constitutionnaire, & m’avoir informé de quelques anecdotes sur le chapitre de deux autres, il me demanda quel étoit le sujet de la confidence que je lui destinois. Je lui répondis que je ne pouvois m’ouvrir que chez le Président de Mondorville; que mon carrosse étoit dans la cour à nous attendre, & que nous irions s’il y consentoit. Nous partîmes; comme je serois fâché, cher Marquis, qu’on ne me prît pas pour un jeune Conseiller, je vais toujours dans Paris à toute bride: mes chevaux y sont accoutumés. M. le Doux, qui ne monte en équipage qu’avec des Dévotes & des vieilles, fut effrayé de mon train, & me pria d’ordonner à mes gens de ne se pas tant précipiter. Il m’ajouta qu’il n’étoit pas séant qu’on vît un Ecclésiastique courir comme un jeune homme; il me cita même un passage latin d’un Concile de Jérusalem, qui défend aux cochers d’obéir aux maîtres qui leur commandent d’aller plus vîte que le pas.

Je vous avoue, Marquis, que je fus bien humilié dans ma route: je rencontrai plusieurs Seigneurs qui n’avoient que de très-mauvais chevaux, & qui se faisoient un honneur infini par leur course rapide. Notre conversation pendant le chemin fut peu intéressante: je ris seulement de ce que M. le Doux fit un signe de croix en passant pardevant l’Opéra. Le Président nous reçut d’un air enjoué, & après avoir obligé M. le Doux à prendre des raffraîchissemens, nous entrâmes en matiere. Quand on est en compagnie on se sent plus de hardiesse. Je lui exposai que j’aimois Rozette, que j’étois cause de son malheur, & que si mon pere la retenoit encore long-tems je me porterois à des extrêmités; que je consentois à ne la plus revoir, mais qu’aussi je voulois être certain qu’elle ne seroit pas dans l’état le plus déplorable. Le saint homme m’écouta très-pacifiquement, &, contre mon attente, il s’étendit fort peu sur la morale, & me fit grace d’un bel & beau sermon qu’il étoit en droit de me débiter. Après un préambule grave sur la sagesse de mon pere & la légéreté de ma conduite, il me dit qu’il étoit impossible, selon Dieu & sa conscience, de se mêler de cette affaire. En vain lui fis-je diverses représentations; sourd à mes prieres, il me pria très-sérieusement à son tour de ne lui jamais parler dans ce genre. J’étois sur le point de me retirer, le désespoir dans le cœur, lorsque le Président laissa échapper comme par hazard: «c’est dommage en vérité, car cette fille-là pense bien sur les affaires du tems, & même elle a eu des convulsions en conséquence.»

Rozette, cher Marquis, n’a jamais rien pensé sur ces matieres, parce qu’elle ne les connoît pas; pour des convulsions elle n’en a jamais éprouvé qu’en amour. Ce mot du Président me servit beaucoup, puisque dans la suite il fut cause de l’élargissement de Rozette, qui n’eût point réussi sans M. le Doux.

Notre saint homme avoit un foible, & ce foible étoit un zele sans bornes lorsqu’il s’agissoit de servir quelqu’un qui avoit seulement un vernis de Jansénisme. Je le tenois par l’endroit critique, & je ne négligeai rien pour venir à bout de mon entreprise. On fait faire aux hommes ce que l’on veut, dès qu’on a trouvé l’art de mettre en mouvement certains ressorts qui conduisent toute leur machine.

Monsieur le Doux, après avoir réfléchi quelque-tems, nous demanda si nous étions certains de ce que nous assurions sur le compte de Rozette. Fûmes-nous assez simples pour ne pas le lui confirmer authentiquement? Sa charité se trouva assez bien disposée, son cœur s’attendrit, il nous donna sa parole que dans peu il auroit une conférence plus étendue avec nous, dans laquelle il nous communiqueroit ses réflexions. Il sortit. Mon équipage le conduisit à une assemblée de piété, & celui du Président nous mena droit à l’Opéra: on y donnoit, je crois, l’Ecole des Amants. Nous augurâmes bien du succès de notre affaire, puisque monsieur le Doux s’en mêloit. Le spectacle n’eut pas grande part à notre attention; nous ne nous y amusâmes qu’à examiner la parure de plusieurs Dames dont nous devions cruellement médire le soir.

Dès le lendemain j’écrivis à Rozette l’idée qui nous étoit venue de la faire passer pour une fille attachée au parti anticonstitutionnaire. Je lui recommandai d’être prête à jouer ce rôle si on l’exigeoit. Que ne doit-on pas exécuter pour se mettre en liberté? Je lui envoyai même quelques livres à ce sujet, sur-tout un qui est l’abrégé de l’Histoire de tout cet événement. Le maudit livre coûta cher à ma nouvelle Néophite. Il va se rencontrer du comique dans cette aventure. Je lui mandai que j’étois obligé d’aller avec mon pere à la campagne pour quelques semaines, & qu’elle ne se désespérât pas, que Laverdure lui donneroit souvent de mes nouvelles.

Notez, cher Marquis, que je n’avois pas voulu confier au Président que son Domestique se travestissoit pour mon service. Cette remarque sera nécessaire par la suite.

Nous partîmes pour la terre de mon Pere. Rozette cependant lisoit avec avidité les livres que je lui avois envoyés. Elle se préparoit au rôle dont je lui avois indiqué l’idée dans ma derniere lettre. Elle n’eut que trop le tems de s’y exercer, & de pleurer sur cette malheureuse invention. Mais n’anticipons point sur les faits.

La terre où j’accompagnai mon pere, cher Marquis, est en Picardie: l’air y est serein, le pays assez beau, & notre maison très-bien disposée. Elle est un peu ancienne; mais elle ressemble à certaines femmes de la Cour qui ont perdu la fleur de leur jeunesse, mais qui sont cultivées parce qu’elles sont profitables en des rencontres. Pendant quelques jours nous ne vîmes personne. Nous ne nous souciyons pas de compagnie, puisque mon pere n’avoit entrepris ce voyage que pour arranger ses affaires dans ce pays. Insensiblement divers Gentilshommes des environs nous honorerent de leurs visites: la politesse ne nous permit pas de demeurer en reste. Nous les avions trop bien traités, ils se piquerent de nous rendre la pareille. Les Picards en général sont de bonnes gens, francs pour l’ordinaire, estimables quand ils donnent du bon côté; mais malins & fourbes plus que les Normands, quand ils quittent leurs inclinations natales.

Les différens endroits où nous fûmes reçus ne méritent pas que je vous en parle. Là c’étoit un vieil Officier qui habitoit un reste de château, échapé à la fureur du déluge, & qui, ayant à peine le nécessaire, dédaignoit avec orgueil le commerce de ses voisins qui eussent pu lui rendre service, & cela parce que, comme lui, ils n’avoient pas eu un de leurs ancêtres tué auprès de Philippe à la bataille de Bovine. Ici je rencontrois une maison assez bien ornée, quoique les tapisseries en parussent avoir été travaillées par les mains du tems, lorsqu’il étoit encore en son enfance. On m’y recevoit avec aisance; mais je n’y rencontrois que des bégueules provinçiales, qui n’avoient lu & admiré que le conte assez gentil de Ver-Vert. Dans un autre côté je me rencontrois avec des Moines qui me faisoient des fêtes superbes: elles m’eussent plu, si tout ce que font ces gens-là n’avoit toujours un goût de froc qui m’est insupportable. Enfin, cher Marquis, pendant six semaines je ne fus occupé qu’à parcourir, tantôt tout seul, tantôt en la compagnie de mon pere, des gentilshommieres, où je ne découvrois que bon cœur sans délicatesse, ou politesse sans goût, & telle que la pratiquoient nos bons aïeux. Un de nos petits soupers d’hiver vaut une éternité de ces plaisirs champêtres. En vain voulus-je chercher quelque aventure amusante, les circonstances ne se présentoient pas: & quelquefois, lorsque je croyois en avoir trouvé de favorables à mes désirs, justement les plus jolies Picardes n’avoient que la tête chaude.

Comme ceux qui aiment les fleurs en surprennent par-tout, je me saisis de quelques-unes par occasion; mais je ne m’en fais pas gloire: d’ailleurs elles n’étoient pas choisies dans des parterres qui pussent, comme à Paris, donner un certain lustre à celles qui sont les plus communes. Voici la seule rencontre où je me sois un peu amusé. Les Picards sont simples, & si la foi étoit perdue dans l’univers, on la rencontreroit chez eux; ils lui sont dévoués, ainsi qu’à la superstition: l’une est bien voisine de l’autre.

Un jeune homme, fils d’un riche Fermier, étoit amoureux de la fille d’un Gentilhomme de son voisinage. Il l’adoroit, & elle voyoit avec plaisir son adorateur. Le pere n’eût pas souffert que sa fille aimât un roturier; aussi ne lui en fit-on point confidence. La Demoiselle croyoit tous les cœurs de condition lorsqu’ils pensoient bien ou qu’ils aimoient: elle souhaitoit fort s’unir avec son jeune ami, dont sans doute elle étoit sûre. Elle n’avoit que son titre de noblesse: il ne possédoit que ceux de quelques terres très-fertiles, & peut-être un fond de cinquante mille livres; mais il étoit écrit sur la porte de son pere: en mariage tu ne convoiteras qu’un Gentilhomme seulement. Le tempérament l’avoit emportée, & elle avoit trouvé le moyen depuis deux ans de faire rencontrer à des rendez-vous le Tiers-Etat avec la Noblesse. Sans entrer dans le détail de ses aventures, il en vint à la république un sujet: l’affaire étoit encore nouvellement répandue à notre arrivée. Le pere n’ayant pu cacher les passe-tems de sa fille, plutôt que de la marier avec celui qui sans son ordre étoit entré dans sa famille, aima mieux répandre le bruit qu’un Cordon-bleu de Versailles, en passant par chez lui, en avoit été l’auteur. Ainsi Romulus étoit fils du Dieu Mars: ainsi beaucoup d’autres qu’on a encore fait de meilleure famille, n’ont-ils eu pour pere que des Jérôme Blutot: tel étoit le nom du jeune homme.

Depuis ses couches mademoiselle des Bercailles ne pouvoit plus souffrir celui à qui elle avoit l’obligation de la maternité: elle l’avoit congédié; j’ai su qu’elle avoit rempli sa place en fille sage, & qui ne changeoit que pour trouver mieux.

Le pauvre garçon, qui n’étoit pas si intelligent, se désespéroit; il en parla à un Fermier de ses amis, qui lui donna la connoissance d’un Berger qui, suivant l’attestation de toute la Nation Picarde, étoit sorcier, & avoit un grimoire comme un Curé. C’est une remarque certaine & infaillible; moins les peuples sont sorciers, plus il s’en trouve parmi eux. Blutot fut le trouver. Le drôle, après s’être fait prier, supplier, conjurer & payer, lui donna dans une fiole une liqueur, & lui ordonna de la mêler dans la boisson de celle dont il vouloit regagner le cœur. Notre Fermier se saisit de l’ampoule, & attendoit avec impatience le moment de s’en servir: il se présenta enfin.

Une fête de paroisse étant arrivée, le Curé y invita toute notre maison; & pour nous faire honneur rassembla quelques Gentilshommes, plusieurs Curés, & M. Blutot s’y trouva, ainsi que son ancienne maîtresse. Le dîner fut servi copieusement, & nous nous assîmes environ vingt-cinq personnes à table: le Pasteur ne se contenoit pas de joie. Comme il n’y avoit de femmes ou filles que mademoiselle des Bercailles de jolie, les autres étant toutes passées, je la mis entre le Curé & moi, bien résolu d’en tirer parti, sachant que la poulette n’étoit pas novice.

Son amoureux eût bien voulu être à ma place; mais si l’épée cede le pas à la robe, un Villageois ne doit pas seulement avoir contr’elle de la jalousie. Blutot, qui avoit apporté sa fiole amoureuse, cherchoit à en verser dans le pot duquel on devoit servir à boire à mon aimable compagne. Il ne put choisir, & comme l’homme perd souvent la tête à propos de rien, il se précipita si fort, qu’il vuida toute sa bouteille dans une grande cruche de six à huit pintes qui devoit servir au dessert. Le repas fut assez tumultueux: le Clergé mangea beaucoup, & but de même, déclama contre les hérétiques & fit l’éloge de la biere. Je pris soin d’en conter à ma compagne, & je n’eus pas de peine à lui faire goûter mes raisons. Elle avoit de l’expérience; une fille dans ce cas, avec un peu de tempérament, vous devance dans la carriere du plaisir. Nous en étions au point que, sans la compagnie qui commençoit à s’émanciper insensiblement, nous nous serions recueillis dans quelqu’allée du jardin. Ce ne fut que partie différée. Le dessert venu, redoublement de joie. Rien n’est plus divertissant à voir, une seule fois en sa vie, que ces assemblées. Vous y reconnoissez l’âge d’or, ce bel âge où les hommes, sans finesse & sans goût, s’enivroient de voluptés sans les sentir.

On servit à toute la compagnie un grand verre de la liqueur renfermée dans cette cruche en question; c’étoit une espece de ratafia propre à faire couler la biere. Mon pere, ni ma voisine, ni moi n’en bûmes point, ayant toujours usé de vin de Bourgogne, que nos Domestiques avoient apporté. Bien nous en prit. M. le Prédicateur se repentit d’en avoir trop peu ménagé la dose. Nous sortîmes & fûmes à l’Eglise. Ma bonne amie étoit à mes côtés; ce n’étoit pas trop là la situation où je l’aurois voulue; mais celle-là étoit encore assez pour le lieu.

Le Prédicateur commença au mieux; son texte fut heureux: & comme il faisoit le panégyrique d’une Vierge, son Sermon devoit être une exhortation à la chasteté; il ne l’acheva pas.

Il est à propos de remarquer que la liqueur qui étoit dans ce vase mentionné avoit eu le tems de fermenter & de s’insinuer dans toutes les parties du prétendu ratafia: c’étoit une composition d’une force extraordinaire, qui avoit deux effets, l’un de mettre le sang en fureur & d’exciter un amour violent; l’autre d’égaler la médecine la plus purgative: le tout plus promptement ou plus lentement, suivant la constitution des corps.

Déjà l’Orateur Chrétien s’échauffoit, se battoit les flancs, & nous endormoit, lorsque le ratafia commença à opérer en lui. Il y résista quelque-tems: l’autre effet de la même liqueur fermentoit, & s’animoit par degrés chez la plupart des Curés, & de ceux qui avoient été au dîner. Rien ne m’a tant amusé que de voir de saints Ecclésiastiques se tourmenter sur leurs chaises, & rouler leurs yeux d’une façon injurieuse à l’aimable vertu de continence dont l’Orateur entamoit déjà le panégyrique. Les Paysans rioient intérieurement de ce qu’ils voyoient, & leur malignité naturelle n’avoit alors aucun respect pour leurs Directeurs. Il fut encore bien moindre dans la suite.

Le Chrysostôme de village ayant fait un effort violent en poussant un de ces hélas pathétiques qui ébranlent jusques aux voûtes des temples, ne fut pas assez heureux pour contenir en lui-même la malignité du ratafia cruel, & la laissa échapper avec impétuosité. Ce malheur l’étonne, il perd la voix; on court, on vole à son secours: une sueur froide coule de tous ses membres, on le croit mort; mais dans l’instant ceux qui aident à le ranimer s’apperçoivent bien qu’il est très-vivant: & soit par esprit de joie, soit par quelque autre principe, ils ordonnent que très-précipitamment on offre de l’encens au Ciel & que l’on parfume l’Eglise.

Tout le monde rit de l’aventure, & ceux qui en parurent les plus réjouis donnerent eux-mêmes à rire aux autres à leur tour. Cependant on commença l’Office, & mon pere, qui étoit présent, ne put s’empêcher de me demander si je me souvenois de l’aventure de Constantin Copronime.[M]

A peine étoit-on au tiers du premier pseaume, que les deux Chantres pressés par le témoignage intérieur de leur besoin, quittent rapidement leurs chapes & sont déjà dans le cimetiere. Leur espece de fuite étonne: on se regarde. Deux Curés prennent les places vacantes: ils n’ont pas fait dix tours dans le chœur que les vêtemens contagieux, semblables à la robe de Nessus, les embrase; ils les quittent, fuient de l’Eglise & sont suivis de dix de leurs confreres qui sont dans les mêmes tourmens; tout le reste de l’assemblée de rire & de s’emporter en éclats. Le seul Curé de la Paroisse demeura immobile: en vain le ratafia fit-il tout son effet, en vain étoit-il inondé des restes précieux de cette liqueur, il demeura ferme en sa place & imita ces anciens Sénateurs, qui, au milieu du sac de Rome par les Gaulois, resterent tranquilles dans leurs chaires curules & y reçurent la mort.

Les Peuples anciens reconnoissoient les Dieux à la bonne odeur qui naissoit sous leurs pas; je réponds que pas un de ceux qui avoient dîné avec nous n’eût eu des autels chez les Païens.

L’effet du ratafia, ou plutôt du philtre, n’avoit pas borné son pouvoir à donner de la fluidité aux corps hétérogenes avec lesquels il s’étoit trouvé; il avoit aussi mis en feu la concupiscence des particuliers dans lesquels il s’étoit introduit. Nous en vîmes plusieurs qui, dans leurs transports amoureux, embrassoient sans distinction toutes les femmes ou filles qui s’offroient à leurs yeux: sans doute ils désiroient davantage & le faisoient voir; mais il y avoit un trop grand concours, la honte les enchaînoit. La nature est une sotte de se cacher toujours pour faire son plus agréable ouvrage: c’est précisément lorsqu’on a le moins de modestie qu’on en veut le plus avoir. Nous fûmes témoins qu’un vieux Chapelain de plus de 60 ans, qui sans doute avoit doublé la mesure de la liqueur, ou qui étoit dans une certaine habitude, se mit à poursuivre une Bergere, assez laide & âgée, au travers d’un pré, & dans un déshabillé fort peu honnête. On cria après lui. La Nymphe fuyoit, le nouvel Apollon étoit prêt à enlever sa chere Daphné, lorsqu’elle se précipita dans une mare d’eau bourbeuse, où tomba à sa suite le Dieu Ecclésiastique, dont on les tira, lui & sa Nymphe, bien couverts de boue, dans laquelle ils étoient presque métamorphosés. Quel comique spectacle, cher Marquis! Que Calot n’étoit-il là! il en eût fait une de ses plus jolies fantaisies. C’étoit pourtant l’amour qui causoit tout ce désordre. Si d’un côté il troubloit l’office de l’Eglise, il ne dérangeoit pas d’un autre mes petites intrigues particulieres. Ainsi jamais personne ne perd qu’une autre ne gagne.

Je m’étois écarté avec dessein de ne me pas perdre. Mademoiselle des Bercailles me vint joindre. C’étoit dans une allée d’un bosquet, extrêmement couvert. Là, pourrois-je vous dire, le lierre amoureux s’unissoit à l’ormeau; là une jeune vigne tapissoit des murs de tilleuls & de sycomores: on y entendoit le murmure d’une onde argentée & les concerts des oiseaux qui soupiroient leurs tendres soucis. Je pourrois charger ce tableau, & vous répéter toutes ces descriptions usées que les Poëtes se donnent de main en main: mais n’ayant pas perdu de temps à mon expédition, dois-je vous en faire perdre en y ajoutant des circonstances? Nous arrivons, l’herbe étoit grande; nous nous y jettons: la belle étoit animée, j’étois plein d’ardeur; Vénus donne le signal, la pudeur s’envole, l’Amour nous couvre de ses ailes. Le temps nous pressoit; nous ne le fîmes pas attendre: le nuage se forme, le ciel s’obscurcit, le tonnerre gronde; il tombe, & tout est consommé.

Nous regagnâmes la maison du Curé, & en chemin ma belle Nymphe me répéta qu’elle étoit charmée de ce que j’étois Gentilhomme. Ma foi, Marquis, sans vanité, avec elle j’avois valu le Paysan le plus vigoureux. On ne s’informa pas d’où nous venions; chacun étoit occupé à faire son paquet pour partir. Je vis la chambre du Curé ouverte, j’y entre; mademoiselle des Bercailles m’y suit: le lit étoit bien fourni, bien mollet & sembloit inviter à quelque chose. Sans doute il avoit une vertu particuliere, ou peut-être avoit-il tâté du ratafia; mais à son aspect je devins comme un des Curés: ma voisine s’en apperçut; les fenêtres se ferment, les rideaux se tirent, la porte est barrée, & je commence à pratiquer ce que dans tel cas telles précautions engagent de faire. Le lieu, la position y font beaucoup; je goûtai mille plaisirs. Je ne faisois que les demander, on me les varioit: je m’en enivrois; & en me plongeant dans cette douce volupté, je la voyois naître dans les yeux de celle qui en étoit la mere. Quel surcroît de satisfaction de jouir d’un fruit défendu, & dans un lieu où une chose même permise auroit une pointe particuliere. Que je donnai de louanges à la jeune Demoiselle! Qu’elle me donna de contentement! Nous descendîmes, après avoir bien ri de l’aventure du Clergé, & nous être promis que ce ne seroit pas la derniere fois nous parlerions d’affaires intéressantes. L’histoire de cette Paroisse fit beaucoup de bruit dans le canton: on s’en divertit comme il convenoit, & depuis on demande aux Curés qui sont à semblables fêtes s’ils y boiront du ratafia.

Pendant huit à dix jours que je restai encore dans le pays, je n’en passai aucun sans m’entretenir avec mon pere de cette farce, & sans rendre visite à M. des Bercailles. Le bon Gentilhomme venoit exactement chez nous faire sa cour au vin de Bourgogne, en y amenant son héritiere, à qui je faisois quelque chose de plus. Enfin nous partîmes, & après avoir témoigné à plusieurs reprises à ma jeune maîtresse le déplaisir que j’avois de la quitter & lui avoir fait quelques présents, je la laissai peut-être avec l’ébauche d’un petit Conseiller, qui, dans son tems, pourra être regardé par M. le Gentilhomme comme une galanterie de quelque Prince du Sang ou de quelque Monarque.

Me voici à Paris. Revenons à Rozette & à son étude des livres que je lui avois envoyés, & du rôle qu’elle devoit jouer. Aussi-tôt que je fus arrivé j’envoyai chercher Laverdure, pour être instruit de ce qu’il avoit exécuté en mon absence.

Rozette, qui n’avoit eu rien tant à cœur que de sortir du lieu où elle étoit enfermée, & qui s’étoit imaginé que l’étude des livres que je lui avois adressés devoit y contribuer infiniment, s’y étoit donnée toute entiere. Elle en a profité d’une façon marquée. Un jour qu’elle étoit absorbée dans cette méditation, entra une Religieuse: ces filles-là sont encore plus curieuses mille fois que les femmes du monde; moins elles devroient savoir de choses, plus elles sont impatientes d’en apprendre. Est-il étonnant qu’il soit difficile aux Religieuses de vivre heureuses? Elle voulut apprendre quel étoit le livre qui étoit le sujet des réflexions profondes que Rozette sembloit former avec tant de soin. Rozette fit difficulté, la Sœur n’en eut que plus de désirs: elle le demanda avec empressement, on le lui refusa par plaisanterie; sa curiosité s’en fâcha & fut poussée au point que dans son transport elle fit ce qu’elle put pour arracher le livre. On le lui refusa alors très-nettement, & elle eut le désespoir de se voir même méprisée. Ah! que la sainte vengeance va bien faire son devoir! La Sœur Sainte Monique, c’étoit son nom, va mettre l’alarme dans le Couvent, raconte à toutes celles qu’elle rencontre qu’elle a vu quelque chose qui fait trembler (elle n’avoit rien vu certainement;) que la fille renfermée dans la chambre rouge avoit été surprise par elle à lire un livre affreux, abominable, couvert de noir, avec des flammes jaunes dessus; que ce livre étoit un livre de magie, qui contenoit la fin du monde, qui faisoit venir le Diable; que c’étoit le grand Albert, ou peut-être même un Rituel ou un Grimoire. La Supérieure tremble à ce récit, tout le Couvent est dans l’effroi; on sonne la cloche, on assemble la Communauté; on parle, on discute, on délibere, on opine, on décide: sur quoi? sur rien absolument, parce qu’il n’avoit été rien proposé. On fait avertir un Grand-Vicaire; il vient, on lui dit le cas: il en sourit, & monte chez Rozette, lui demande ses livres: elle les remet, & l’on trouve entre ses mains un ouvrage Janséniste! On lui demande si elle est du parti des Appellants, elle répond qu’oui fermement, & qu’elle en sera toujours. Elle croyoit, la pauvre fille, que celui qui l’interrogeoit de la sorte étoit du parti, qu’il étoit tems de jouer son rôle. Le Grand-Vicaire, homme d’esprit, lui dit qu’il étoit charmé de ses sentimens, & que le parti des Appellants étoit fort bien soutenu par des personnes de réputation comme elle dans le monde; & d’un ton ironique lui demanda si parmi ses compagnes elles étoient un grand nombre attachées à la bonne cause. Rozette vit sa méprise, & donna une replique qui ne déplut pas à l’Ecclésiastique. Il ordonna qu’on eût soin d’elle & qu’on ne lui donnât que de bons livres: il se saisit des volumes Jansénistes et les emporta.

Cependant les Religieuses n’avoient pas encore su ce que c’étoit que ce Grimoire, sujet de leurs alarmes. Elles firent ce qu’elles purent pour l’apprendre de Rozette; celle-ci, pour les désespérer, refusa absolument de les satisfaire: elles entrerent dans une fureur extraordinaire, & lui auroient dès ce jour interdit tout soulagement, si le Grand-Vicaire en sortant ne leur eût recommandé de ne point inquiéter leur Pensionnaire. On ne lui promettoit cependant pas de laisser ce mépris sans une vengeance marquée. D’abord on refusa à Laverdure l’entrée du Couvent pendant plusieurs jours: ce ne fut qu’après en avoir appris la cause qu’il demanda à parler à la Sœur Monique, & il lui dit que c’étoit lui qui avoit apporté les livres que Rozette lisoit, & que ces livres étoient les Voyages de Paul Lucas; que c’étoit un entêtement de sa part de n’avoir pas voulu les montrer: que preuve que ce n’étoient pas de mauvais ouvrages, c’est que monsieur le Grand-Vicaire n’y avoit rien trouvé de fort blâmable. La curiosité de la Sœur ainsi remplie par l’adresse de Laverdure, on lui permit de parler à Rozette, qui commençoit à s’impatienter: ce n’étoit pas encore le temps.

Depuis plusieurs jours Laverdure s’étoit absenté de chez son Maître, qui s’en étoit apperçu. Le Président en avoit voulu savoir la raison, & quelle intrigue avoit son Domestique: il n’avoit pu rien tirer de la vérité. Enfin il s’avisa de le faire suivre, & après bien des soins il fut informé qu’il se travestissoit en femme & qu’il alloit de temps à autre dans la Communauté de Sainte Pélagie. Monsieur de Mondorville affecte un air aisé avec Laverdure, & prend la résolution de lui donner une belle peur. Pour cet effet, il lui dit un matin qu’il étoit le maître de se promener toute la journée, après lui avoir donné quelques commissions, & qu’il n’avoit qu’à se trouver le soir chez la Marquise de Saint Laurent à l’attendre. Le Domestique profita de la liberté qui lui étoit accordée, & vers son heure accoutumée il se disposa à aller rendre visite à Rozette. Le Président, qui avoit un espion affidé, fut averti que son drôle, revêtu de son équipage féminin, étoit en route pour se rendre à Sainte Pélagie: il écrit aussitôt à la Supérieure qu’il y avoit un homme déguisé en femme qui s’étoit introduit dans sa Communauté, & que le loup pouvoit causer un grand ravage dans la maison du Seigneur; que cet homme commettoit un si grand crime depuis plusieurs semaines. La Prieure reçoit cet avertissement, & tremble en le lisant: elle fait avertir le Commissaire; celui-ci se transporte au plutôt au Couvent, accompagné d’Archers, & on se saisit de six personnes qui étoient alors au parloir. Malheureusement il s’en trouva une qui à son air peu féminin fut soupçonnée d’avoir voulu déguiser son sexe. On la prend, on la saisit, malgré sa résistance & les protestations qu’elle fait qu’elle est femme d’honneur & n’a rien fait qui la puisse mettre entre les mains d’un Commissaire. On la traîne dans un endroit secret: il falloit entendre les cris que poussoit cette nouvelle Lucrece lorsqu’un Sergent se mit en devoir de vérifier l’accusation intentée contre elle. En pareille rencontre il n’y a pas de personnes qui se défendent mieux que celles à qui il seroit impossible de rien prendre. Enfin l’examinateur avec un grand cri assura à toute l’assemblée que madame Bourut (c’étoit son nom) n’étoit point un homme, & que sa physionomie en avoit imposé. Pour cette fois le Commissaire ne fit pas une plus ample perquisition, & se dispensa volontairement d’une descente sur les lieux. On fit la visite de la maison, on ne trouva rien de suspect, & toute la Justice se retira, après avoir averti la Supérieure que dans de pareilles occurrences il ne falloit pas trop s’alarmer, & que sur un simple avis on ne mettoit pas tant d’honnêtes gens en alarmes pour une affaire où l’on ne tiroit pas ses frais. La compagnie se retira, & monsieur le Président, informé de la rumeur qui étoit arrivée à Sainte Pélagie, attendoit qu’on vînt le demander de la part de Laverdure, lorsqu’il entra avec son air tranquille & délibéré, & rendit compte de ce dont il avoit été chargé. Monsieur de Mondorville ne lui parla de rien, & n’en étoit pas moins curieux de savoir comment il s’étoit tiré de ce mauvais pas. Sans doute vous avez la même curiosité, cher Marquis. Il n’avoit eu aucune peine à se délivrer de l’embarras: il ne s’y étoit point trouvé. Voici le fait. Un petit malheur de hazard nous sauve très-souvent de grandes infortunes.

Laverdure, déguisé à son ordinaire, étoit en chemin pour rendre sa visite à Rozette. Il est bon que vous remarquiez, cher Marquis, que le drôle en étoit un peu amoureux, & qu’en faisant exactement mes affaires il croyoit qu’il avançoit les siennes: deux motifs bien puissants le conduisoient, l’intérêt & l’amour; il n’est point étonnant qu’il fût si animé à exécuter mes ordonnances. Dans sa route il fut rencontré par deux jeunes gens, qui, la tête encore un peu échauffée du vin de Champagne dont ils avoient abondamment éprouvé les piquantes douceurs, l’arrêterent, & après l’avoir considéré quelque tems, s’imaginerent avoir trouvé en lui une Déesse des plus charmantes, & en conséquence vouloient que sa Divinité les conduisît dans un temple où ils pussent lui faire des offrandes proportionnées à ses mérites. Vous voyez, Marquis, que le bandeau que Bacchus met sur les yeux des mortels est plus épais encore que celui de l’Amour: l’un empêche de voir, mais l’autre fait voir trouble; rien n’est plus pernicieux qu’une fausse lumiere.

Laverdure se défendit en vain; il essuya les compliments les plus flatteurs, & se vit donner les épithetes les plus tendres: il m’a avoué que, quoique d’un sexe qui n’entend pas ordinairement de fadeurs & qui ne fait qu’en débiter, il avoit senti la tentation à laquelle on expose une jolie femme en lui détaillant des fleurettes. Ne pouvant se débarrasser de leurs mains, & craignant qu’en affectant trop la femme d’honneur on ne vînt à examiner de trop près cet honneur là, qui, comme tout autre, perd souvent à l’examen, il invita ces messieurs à venir se reposer chez lui: ces jeunes entreprenans lui avoient demandé cette faveur, de façon que ce qu’il avoit alors de mieux à faire étoit de la leur accorder. Ils monterent en Fiacre, & le Cocher eut ordre de les conduire dans un endroit qu’il nomma. Ne songeons pas, pour un moment, que Laverdure est un Domestique, & imaginons que cette affaire arrive à un de nos amis. Elle nous intéressera davantage.

La plaisante figure que faisoit alors notre homme! Je m’imagine voir ces jeunes gens le caresser, l’embrasser, lui tenir de galants propos: lui se défendre d’un baiser de l’un, écarter les mains libertines de l’autre, quoiqu’il eût pu les rendre très-sages en leur laissant une minute toute liberté de ne le pas être. Il étoit très-plaisant aux uns de se croire en possession de jolies choses, & de vouloir s’en emparer, & à l’autre de défendre très-sérieusement ces jolies choses, qu’il n’auroit pas si bien défendues s’il en eût été le possesseur. On fait pour le mensonge ce qu’on n’auroit pas le courage de faire pour la réalité.

Enfin la compagnie arriva au lieu marqué: c’étoit à l’endroit où Laverdure avoit coutume de prendre ses habits de déguisement. Une de ses cousines à la mode de Paris y demeuroit, qui reçut fort bien ces nouveaux venus & qui leur fit perdre en un moment la passion violente qu’ils avoient conçue pour le bel Adonis de rencontre. On proposa des raffraîchissements, ces messieurs en avoient besoin & ils en firent suffisamment les frais. Cependant comme les tentations qui les avoient accompagnés dans l’équipage étoient augmentées, on voulut, à la faveur de la colation, badiner sur ce qui y donnoit lieu, & de-là en traiter à fond la matiere. Laverdure s’étoit bien promis de pousser l’aventure, mais jusqu’au point que sa parente ne seroit point forcée à enfreindre les bienséances. Voyant néanmoins qu’elle seroit bientôt dans le cas de se défendre à force ouverte, & connoissant qu’une femme n’a jamais l’avantage lorsque l’attaque est de longue durée, il se retira dans la chambre voisine, & ayant alors abandonné son ajustement féminin, il reparut aux yeux de la compagnie en homme, & par sa présence subite effraya les convives. Armé d’une espece de couteau de chasse qui n’y avoit jamais servi, il s’avance vers ces messieurs, & avec des paroles emportées leur commande de sortir promptement, sous peine de se voir étendus sur le pavé. Notre homme est brave, cher Marquis, & si je l’en crois, il fit trembler ces deux jeunes gens, qui descendirent en diligence d’une maison où on leur préparoit une si mauvaise récompence des frais qu’ils avoient faits pour y être bien reçus. Laverdure, qui ment peut-être, & fait le généreux après coup, m’a protesté qu’il les avoit poursuivis jusques dans la rue: peut-être étoit-ce de paroles, alors le fait devient assez vraisemblable. En un mot il se tira d’intrigue de la part de ces jeunes gens: sa prudence & le hazard lui sauverent pour cette journée le malheur que son Maître lui avoit machiné.

Le Président piqué de n’avoir point réussi continua à le faire épier. Dès le lendemain Laverdure fut trouver Rozette, à qui il raconta son aventure & lui amplifia sans doute sa hardiesse & son courage. Après la victoire le soldat le plus lâche a droit de faire son éloge. Il resta ce soir là moins long-tems qu’à l’ordinaire, & par son bonheur il esquiva une visite que les gens de la maison firent, sur un second avis anonyme qui leur étoit envoyé par le Président. Pendant plusieurs jours il ne put être découvert: s’il se fût douté qu’on lui préparoit quelque tour, jamais on n’y auroit réussi. La vengeance veille, & la simplicité s’endort sur la foi de son innocence.

Enfin le Président, outré de ne pouvoir réussir, suivit lui-même son Domestique, & l’ayant vu entrer au Couvent, fit avertir le Commissaire, la Supérieure, & une compagnie du Guet, & découvrit que c’étoit à Rozette à qui on en vouloit. On ne douta plus de rien. Laverdure ayant voulu sortir apperçut quelque tumulte, & qu’on le considéroit de près; il soupçonna que la visite faite dans le Couvent quelques jours avant, & dont il avoit entendu parler, pouvoit le regarder: il craignit. Mais, sans perdre la tête, il imagina que ce tour venoit de la part de son Maître, & en rapprochant diverses circonstances, il en fut convaincu. Il pensa à se sauver, & ensuite à s’en venger. En un instant il eut quitté son ajustement de femme, & il se trouva en petite camisolle blanche; & ayant par hazard un bonnet brodé dans sa poche, il le mit sur sa tête & passa au milieu de la Garde & des Religieuses comme quelqu’un qui étoit entré par curiosité, ou comme un jardinier de la maison. S’étant même abouché avec un Sergent, il lui dit en confidence que celui qui s’étoit introduit étoit un homme de condition, & lui avoua sous le secret qu’il se nommoit le Président de Mondorville, qui étoit amoureux d’une Religieuse. Le Sergent le dit au Commissaire, qui, sur cet avis, trancha toute difficulté, fit ouvrir les portes, & se retira en recommandant aux Religieuses le secret sur cette affaire. Les gens de Robe n’aiment point à avoir de discussion les uns avec les autres. Sans ce stratagême Laverdure restoit dans le Couvent, & il eût pu être découvert. Ce prétendu secret se divulga, & on fut d’autant mieux persuadé de la vérité de la chose, que l’on avoit vu le carrosse du Président arrêté dans une rue voisine, précisément pendant cette expédition. Laverdure dissimula avec son Maître, qui n’osa lui parler de cette aventure.

Les Religieuses, dont la curiosité avoit été si cruellement tourmentée par Rozette, profiterent de l’occasion, & ayant un sujet de la punir la saisirent avidement: on avoit trouvé les habits en question dans le parloir, & on avoit reconnu ce déguisement sous lequel quelqu’un depuis long-temps venoit faire la cour à Rozette. La pauvre fille fut enfermée dans une chambre obscure, au pain & à l’eau, & y demeura jusqu’à ce qu’enfin, par le moyen de monsieur le Doux, elle en sortit, pour n’y rentrer sans doute de ses jours.

Le Président ne put se contenir ayant entendu dans le monde que l’on affirmoit qu’il s’étoit travesti pour enlever une fille de Sainte Pélagie, & que les Religieuses le publioient. Il se fâcha d’abord, & en rit après. Ce fut alors qu’il voulut savoir tout de son Domestique: celui-ci le lui raconta fidelement. Le drôle trouvoit son orgueil flatté à tracer ses avantages contre son Maître: il en reçut son pardon. Mais le Président eut beaucoup de difficulté à ne se pas brouiller avec moi, parce que je ne lui avois pas confié mon secret, & que je l’avois exposé à des démarches qui avoient tourné à son désavantage. Ah! cher Marquis, qu’il étoit piqué de n’avoir pu réussir! Autant qu’il étoit sérieux lorsqu’on lui parloit de sa prétendue expédition conventuelle, autant je m’en divertissois à ses dépens. Ainsi souvent ceux qui veulent jouer les autres sont-ils joués eux-mêmes. On ne hazarde point à faire du bien à quelqu’un; il y a tout à appréhender à lui préparer des embûches.

L’état affreux où je savois qu’étoit Rozette me désespéroit. J’eus recours à M. le Doux. Je le pris en particulier, & lui ayant abandonné certains rayons de mes tablettes remplis de pots de confitures, je lui exposai mes chagrins. Le ton pathétique que j’employai le toucha. Les Dévots ont l’ame tendre, & quand on a une fois trouvé le chemin de leur cœur, on est assuré de leur faire exécuter les choses les plus difficiles. Je lui déclarai d’abord que puisqu’il étoit ami de mon pere, & de notre famille, il devoit le faire voir à cette occasion, en empêchant quelque coup d’éclat que j’étois résolu de hazarder. Voyant que mon discours ne faisoit pas une impression assez vive sur son esprit, je lui racontai comment Rozette étoit actuellement dans l’état le plus affreux: je ne lui dissimulai point que c’étoit à cause de moi; mais profitant de la circonstance des livres pris chez elle, & de la confession qu’elle avoit faite de son attachement au parti des Appellants, je fis entendre à M. le Doux que l’on avoit été charmé d’avoir trouvé la rencontre de Laverdure, pour la punir de la premiere aventure, & que cette fille alors souffroit pour la bonne cause. Pour achever de déterminer mon Dévot, je le priai de s’informer de la vérité de ce que j’avançois, & je lui donnai tous les éclaircissements nécessaires. Il m’assura que sa protection seroit le fruit de la vérité que je lui aurois exposée. Il promit que sans faute il me rendroit réponse dans trois jours. Je l’embrassai: je lui fis plaisir; & en me remerciant il me dit qu’il seroit bien heureux s’il pouvoit gagner une si belle ame au Seigneur, & qu’il n’en désespéroit pas.

Lorsqu’il s’agit du soulagement de leurs freres tous les gens de parti sont très-ardents. M. le Doux fut en me quittant constater la vérité de ce dont je l’avois entretenu. N’ayant pu être instruit de tout en un jour il n’abandonna pas sa résolution.

Pendant ces recherches, instituées & suivies en faveur de Rozette, je m’amusai auprès d’une Dame assez connue dans le monde par sa grande ferveur, & qui quoiqu’à vingt-neuf ans, a déjà affiché la plus éminente dévotion.

Je passe à une femme de cinquante ans, qui a l’orgueil de vouloir se faire remarquer, d’abandonner le rouge & les mouches, de se mettre sous la direction d’un homme célebre, enfin de faire semblant de vouloir abandonner le monde; mais je ne pardonne pas à une veuve qui n’est pas encore dans sa trentieme année, qui a de l’esprit, du bien, des graces, de la beauté, qui peut faire les charmes du Public, d’aller se renfermer dans une société de Bigotes ou de Directeurs. Qu’arrive-t-il? Telle femme dit au monde qu’elle le quitte, afin que le monde l’engage à rester: hé bien! ce monde-là la prend au mot, & elle se trouve obligée à jouer par pique ce que dans le fond du cœur elle est au désespoir de pratiquer à l’extérieur. Aussi, cher Marquis, semblable vertu est bien sujette à se démentir: un souffle la dérange; & accoutumée à ne se soutenir que par la vue de ceux qui l’admirent, si elle se trouve seule avec elle-même, elle chancelle: je réponds moi qu’elle est tombée si jamais elle se rencontre vis-à-vis le plaisir.

Madame de Dorigny[N] depuis un an étoit un exemple d’édification: la bonne odeur de sa charité étoit répandue dans tout le Marais. Je la voyais depuis quelque tems, & même elle avoit eu la bonté de me mener aux Sermons choisis du Pere Regnault; à ces Sermons qui se prêchent aux extrêmités de Paris, où on choisit exprès une petite Eglise afin d’y faire foule.

Un soir que j’avois collationné avec elle, elle se mit à médire de plusieurs Dames de ma connoissance d’une façon qui me parut indigne. J’oubliai alors les charmes de ses yeux, les agrémens de sa personne, & je ne vis qu’avec une espece d’indignation la plus belle main du monde, qu’elle affectoit de me faire remarquer, en prenant un soin particulier de me servir à diverses reprises les mets les plus délicats. Je commençai dès-lors à jetter les fondemens d’une punition qui pût lui être d’autant plus sensible qu’elle la privoit pour un temps d’une satisfaction, pour la jouissance de laquelle elle avoit sacrifié son appareil de vertu & ces beaux dehors, dont il n’y a que les sots qui soient dupes. Ne sachant trop où aller, après avoir quitté M. le Doux, je me fis conduire chez elle: son Portier me dit que Madame n’étoit pas visible. J’insistai; on fut lui dire mon nom: j’eus permission d’entrer. Elle vint au-devant de moi en robe courte, mais d’une étoffe des plus belles; en garniture simple, mais de points d’Angleterre, & avec des manchettes semblables, quoiqu’à un seul rang. La fraîcheur de son visage, & la sérénité qui y régnoit, étoient l’image de la paix de son cœur: le trouble devoit bientôt y exciter une cruelle tempête. Elle tenoit en ses mains un gros livre relié en maroquin noir; elle me dit qu’avec ma permission elle alloit achever ses petites heures: elles me parurent bien longues. En attendant j’examinai l’ameublement, qui étoit d’un goût exquis. Je parcourus des yeux ce cabinet, où il brilloit un luxe étudié, & où je voyois par-tout des meubles qui n’avoient pas été inventés par la mortification. Il n’y a que les mondains qui ignorent l’art de se procurer les véritables commodités de la vie.

L’office fini, mon aimable Dévote vint me rejoindre, & par un air presque étourdi, elle sembloit me dire que pour être une Sainte elle n’en étoit pas moins charmante. Notre conversation roula sur la conduite qu’on tenoit dans le monde, sur les spectacles, les cercles, les parties, &c. Le tout pour avoir occasion d’en médire, & cependant d’en entendre faire l’histoire. On mit sur le tapis les aventures galantes de madame de Brepile, de madame de Selrez & de quelques autres. On parla des miennes, & on me dit, d’un air d’amitié, qu’en conscience je ne pouvois pas porter ma figure, parce qu’elle étoit capable de faire naître des désirs. J’en avois effectivement déjà excité chez madame de Dorigny; ses yeux me le disoient, & dès ce jour il n’eût tenu qu’à moi d’en avoir une confirmation. Ses regards me signifierent qu’elle m’aimoit, qu’elle me le déclaroit: les miens furent assez barbares pour ne lui pas rendre sa déclaration. Elle me parla d’un livre, qui, à ce qu’elle disoit avoir entendu dire, faisoit un grand bruit dans le monde: elle me le demanda; je lui répondis que je l’avois, mais qu’il étoit écrit trop librement, & qu’elle en seroit scandalisée. Elle parut de mon avis; mais elle revint à son but par un détour, en s’informant si tout le livre étoit du même style. Je lui répliquai qu’il y avoit des endroits que toute personne pouvoit lire. Ce sont ces endroits-là que je veux examiner, reprit-elle, afin de décider si cet ouvrage est aussi bien dicté que le publie la renommée, qui exagere toujours. Je n’exagere point moi, lorsque je vous affirme, cher Marquis, que ma Dévote n’étoit plus maîtresse d’elle-même. Je lui promis de le lui envoyer le lendemain: elle l’exigea pour le soir. Je le lui fis tenir, & par malice je glissai dedans deux estampes capables de rallumer des feux qu’une jeune veuve doit ressentir avec plus de violence, parce qu’elle en a encore les dernieres étincelles en son ame.

Je retournai le lendemain, en sortant du Palais, savoir si mon livre avoit plu: je le savois à n’en pas douter. On me dit qu’on n’en avoit encore parcouru que quatre pages, mais qu’on en étoit assez contente. Elle ne m’en imposoit pas avec son ingénuité; je suis trop convaincu qu’une femme est sans réserve lorsqu’elle entre dans la carriere de l’amusement. Je fus invité à dîner. Je ne me fis point prier: je renvoyai mon carrosse. On me vanta beaucoup l’esprit d’un certain Ecclésiastique qui devoit nous faire compagnie. Il vint, je ne trouvai qu’une espece de béat; sans doute, qu’il ne brilloit que quand il étoit à table tête à tête: son esprit n’étoit pas un esprit de trois couverts.

Notre dîner fut des plus sensuels; le café qui le suivit m’embaumoit: si j’étois à mon particulier je voudrois une main dévote pour m’apprêter tous mes besoins. Un tiers nuisoit à la conversation que nous devions avoir madame de Dorigny & moi; elle écarta pieusement le saint homme en l’envoyant porter à l’autre extrêmité de Paris du soulagement à quelques malades. D’une main la jeune veuve répandoit des bienfaits, de l’autre elle appelloit le plaisir & écartoit les obstacles. Les passions ont toutes leur politique particuliere; mais la plus sure est celle qui est couverte de l’extérieur de la réforme.

J’étois assis auprès de madame de Dorigny; soit par négligence, ou soit par la faute d’une épingle, on appercevoit au-dessous de son mouchoir de cou l’extrait d’une gorge d’une blancheur éblouissante. Je lui en fis compliment; elle rougit. Sa mule, de couleur noire, étoit si petite qu’à peine pouvoit-elle lui servir; un mouvement léger causa sa chûte, je la ramassai & ne pus m’empêcher de me récrier sur une jambe dont j’avois apperçu toute la finesse. On me pria de glisser sur ces choses. De la jambe à la gorge, de la gorge à la main, de la main à la taille, toute sa personne étoit pour moi l’occasion d’un éloge: insensiblement notre conversation s’anima, & chaque chose dont je faisois le panégyrique servoit à trouver dans telle ou telle Dame de notre connoissance un défaut opposé à cette perfection. J’en fus choqué, & si je jouai le passionné, ce fut pour punir cette belle médisante. Enfin, de propos en propos, après avoir baisé sa main, j’osai m’approcher de sa gorge & de son visage: elle voulut détourner le coup; mais sa bouche vermeille, qui n’entendoit rien à telle défense, reçut les marques de mon ardeur, qui ne lui étoient pas destinées. Un baiser en exige un second; le second trouva moins de résistance: après m’être donné tout le temps d’amener une attaque éclatante, avec la plus mauvaise volonté du monde & la plus grande malignité, je redoublai mes efforts. Ne gardant plus de mesure, j’enleve madame de Dorigny entre mes bras; je la transporte sur un lit de repos dans son cabinet; j’en ferme la porte & je lui demande à genoux le pardon d’une offense dont jamais femme ne s’est offensée. La belle ouvrit mollement les yeux; la foiblesse les lui referma, & poussant un soupir, elle me dit d’une voix tendre: ah! cher Conseiller, je me damne. Et moi je me sauve, m’écriai-je; & aussi-tôt je courus à la porte pour sortir. Ce mot la réveilla: jugez dans quelle fureur elle entra alors. En un moment le feu pétilla dans ses yeux, la colere fermenta dans son cœur, s’étant relevée avec fureur, elle s’avança vers moi pour m’accabler de reproches. Je n’avois pu ouvrir le cabinet, parce qu’il y avoit un ressort secret. Je fis de cette nécessité une ressource; je me retourne vers elle & lui dis en riant, que ce que j’en avois fait étoit une plaisanterie. Comme elle n’écoutoit pas mes raisons, & qu’elle exigeoit une réparation, je la regardai tendrement: elle m’envisagea de même; des larmes coulerent de ses yeux. Quel cœur n’eût pas été attendri? Je m’approche d’elle, je la reprends entre mes bras, & dans les effusions de mon repentir je lui fis goûter que c’étoit un bonheur pour elle que j’eusse failli, & que ma faute étoit la plus heureuse du monde. Ah! cher Marquis, que j’éprouvai de délices! Que je bénis mille fois ce fortuné ressort qui m’avoit forcé à jouir de mon bonheur. Deux heures se passerent à gémir sur ma faute, & je ne quittai ma belle qu’après en avoir obtenu mon pardon en doublant & triplant mes œuvres satisfactoires.

Je me retirai vers le soir, avec promesse de revenir. Je n’y ai pas manqué depuis, le plus souvent que j’en ai trouvé l’occasion. J’ai conservé du goût pour la pénitence, & madame de Dorigny en garde pour la volupté, la critique & la simagrée. Après tout, j’aurois été un grand sot de n’avoir pas profité de mon aventure: j’aurois puni la médisance, je n’aurois pas détruit le mal, & je me serois privé d’un plaisir inexprimable. Profitons de l’occasion, & pour mortifier les autres ne nous interdisons pas le plaisir: sa fleur ne dure qu’un jour; insensé qui la laisse périr sans en avoir éprouvé les douceurs.

Monsieur le Doux étoit enfin sûr de l’exactitude de mon rapport, & ne doutoit plus que je ne lui eusse accusé juste. Il avoit trouvé le moyen de parler à Rozette, qui, pour cette fois, ne s’étant pas livrée tout d’un coup par ses réponses, en avoit donné assez à entendre à son futur libérateur, qui lui promit de la revenir voir. Ce fut dans cet esprit de contentement que le saint homme vint me trouver & me protester qu’il me rendroit service, en m’assurant que le soir il seroit en état de porter de bonnes nouvelles à la prisonniere. M. le Doux avoit obtenu par amis un ordre de monsieur le Lieutenant de Police pour parler à Rozette à sa volonté. Cependant il en avoit touché quelque chose auprès de mon pere, qui n’avoit point voulu absolument y entendre. M. son Directeur en cette circonstance n’avoit pas eu plus de privilege qu’un simple ami.

La visite devoit se faire le soir même; je fis ce que je pus pour déterminer mon protecteur à me laisser l’accompagner, afin de m’entretenir avec Rozette: il me refusa, & si j’en vins à mon honneur, ce fut malgré lui, & j’en eus obligation à Laverdure.

J’étois triste & rêveur après le dîner. Le Président m’envoya son Domestique affidé pour me demander si je voulois faire un médiateur chez mademoiselle de l’Ecluse. Vous la connoissez, cher Marquis; c’est la femme soi-disant d’un Officier, qui donne à jouer pour l’amusement des autres & pour son profit. Il s’y rencontre assez bonne compagnie en hommes & assez libertine en femmes. Il ne se passe rien dans cette maison; mais il est bien commode d’avoir quelques endroits dans Paris où on puisse voir aisément de jolies personnes sans scandale, & en choisir à son gré sans avoir la réputation & l’air d’en chercher par besoin. Je fis faire réponse que je m’y rendrois sur les huit heures. J’étois instruit qu’il s’y trouvoit depuis peu une jeune Provinciale qui venoit solliciter un procès à Paris. Tel est mon cœur, il est avide de tout, & ressemble en amour & en volupté à ces enfans qui ont envie de tout ce qu’ils voient.

Cependant je m’étois entretenu avec Laverdure des moyens de voir Rozette. Je lui avois parlé de la visite que lui devoit faire ce jour même monsieur le Doux. Il ne trouva rien de si simple que de l’y accompagner, & m’ouvrit son sentiment. On s’imagineroit que ce garçon avoit la tête remplie de stratagêmes, & que, nouveau Mascarille, ses ressources se varioient à l’infini. Point du tout; il n’a qu’un seul chemin; il ne connoît qu’une seule façon de se tirer d’intrigue: quoique ce soit toujours la même, la même lui réussit toujours; avec lui on n’a pas la surprise de l’invention, on n’a que celle de la réussite. Je m’abandonnai à lui. Il s’étoit travesti pour parler à Rozette, il jugea à propos que je me déguisasse aussi pour jouir de la même faveur. Il me conseilla de m’habiller en Ecclésiastique & de me mettre dans le même appareil que monsieur le Doux, n’étant point embarrassé comment il se conduiroit pour le reste. Le parti accepté, j’écrivis aussi-tôt à un Abbé de mes amis, Docteur de Sorbonne, de m’envoyer une soutane, un manteau long, un rabat & le reste de l’ajustement. Sans soupçonner l’usage que j’en espérois faire, & même sans daigner s’en informer, il me fit tenir ce que je lui avois demandé. Le tout porté dans la chambre de Laverdure, je m’équipai en Ecclésiastique. La perruque qui couvroit mes cheveux avoit un air modeste, mais étoit peignée & arrangée comme par les mains de la régularité: la calotte, qui en couvroit une partie, étoit très-luisante & brilloit avec affectation. Enfin mon extérieur étoit uni & recherché, & j’avois, sauf mes yeux qui sont toujours libertins, la représentation d’un saint Directeur, jeune à la vérité, mais qui n’en est que plus chéri des bonnes ames.

Je ne me trouvai point du tout emprunté sous cette nouvelle forme; j’ai porté le petit collet à Saint Sulpice plusieurs années, & les médisants ont attribué à cela le fond de galanterie qui fait mon apanage. Je m’enfonçai dans une chaise à porteur, & Laverdure me suivit à Sainte Pélagie. Il s’informa s’il n’y avoit point un Ecclésiastique de telle & telle façon qui fût entré; on lui dit qu’il y étoit depuis une demi-heure. Il demanda ensuite si son Maître n’y étoit pas; on lui repliqua qu’on ne connoissoit pas son Maître: alors feignant d’être embarrassé, il dit qu’il seroit grondé; que son Maître étoit monsieur l’Abbé de Calamort, Abbé d’une Abbaye qu’il institua subitement, & qui devoit être avec cet Ecclésiastique qui étoit entré, puisqu’il avoit une permission de monsieur le Lieutenant de Police pour visiter aussi le Couvent. Il dit, & sortit pour m’avertir d’entrer.

Il me précéda en disant à la Touriere: ma Sœur, voici mon Maître, conduisez-le au parloir où est monsieur le digne Prêtre qui est déjà entré. La bonne fille ouvrit la porte. J’avançai, non sans trembler, & sans rire en même-temps. Sur mon passage je fus examiné par plusieurs Religieuses ou Pensionnaires, que je ne regardai pas par crainte: le Couvent en fit honneur à ma modestie. Quelle fut la surprise de monsieur le Doux en me voyant! Que faites-vous, monsieur le Conseiller, s’écria-t-il! vous voulez donc nous perdre? Heureusement il n’y avoit personne qui pût nous entendre. Rozette fut transportée de joie: sans ce que venoit de faire le saint homme elle eût eu peine à me reconnoître. Paix, dis-je au Directeur: la chose est consommée, il s’agit de ne pas faire de bruit. Il voulut me haranguer; mais je lui fis sentir l’inutilité de son sermon, & combien il seroit mal placé. Je dis à Rozette les choses les plus vives & les plus expressives; je lui glissai une lettre qui étoit toute prête, dans laquelle je l’avertissois que le lendemain je reviendrois si je pouvois réussir. Monsieur le Doux, qui étoit sur les épines, termina la conversation & la visite en donnant parole à Rozette que dans trois jours elle ne coucheroit pas à Sainte Pélagie, & en l’exhortant à rentrer en elle-même & à se conserver dans ses bons sentiments. Il y a toujours de la ressource avec les personnes d’esprit, me disoit monsieur le Doux; je ne désespere que des sots: cette fille a beaucoup d’intelligence.

Nous sortîmes, & en sortant je fus considéré par quelques Religieuses, qui aparemment avoient du goût pour les Ecclésiastiques de figure revenante. Je renvoyai mes porteurs & montai en Fiacre. Ce fut alors qu’il me fallut essuyer les remontrances les plus raisonnables & les plus légitimes. Monsieur le Doux, quittant le caractere de son nom, me traita durement, me reprocha que je profanois l’habit de l’Eglise, que je le rendois complice d’un crime affreux, & que puisque je n’avois pas plus de tête, ni de religion, il ne me verroit plus; qu’il avertiroit mon pere de ma conduite, & qu’il abandonnoit Rozette. Ce dernier article me touchoit plus que tous les autres.

Je lui demandai excuse, je lui promis d’être plus retenu & je fis tant par mes caresses qu’il s’adoucit: sur-tout lorsque je lui eus reproché qu’il n’étoit pas juste qu’une fille qui souffroit pour la vérité fût malheureuse plus long-temps par mon imprudence.

Je le descendis chez lui. Je changeai promptement d’habits aussitôt que je fus arrivé chez Laverdure. Ce qui est plaisant, c’est que le Cocher, que je payois libéralement, me dit, en me saluant d’un air malin, que je n’étois pas si méchant qu’un certain jour où je l’avois bien battu, & que le Seigneur m’avoit fait une grande grace de me faire Prêtre: & en montant sur son siege il ajouta qu’il me souhaitoit une bonne cure. C’étoit ce coquin de Fiacre qui m’avoit conduit chez Rozette deux mois auparavant, & que mon pere avoit trouvé dangereusement malade à la Villette.

Il étoit près de neuf heures lorsque je rendis ma visite à madame de l’Ecluse: j’y trouvai de jolies femmes, & le Président, qui étoit fort occupé auprès d’une. Content & joyeux de la réussite de l’entreprise que je venois d’exécuter, je communiquai ma joie à toute la compagnie: je fis même des folies, jusqu’à un point, qu’une Dame de plus de quarante ans, & très-grave, devint amoureuse de moi. Elle en fut pour ses avances; car ma foi je n’avois pas la moindre petite tentation d’y répondre. Le temps viendra où pour mon malheur je me trouverai dans le même cas: alors, sans espoir pour l’avenir, je m’amuserai du passé, & cette considération pour un vieillard équivaudra aux espérances de la jeunesse: un retour sur ce qui a précédé ne vaut-il pas un prospectus de ce qui peut arriver quelque jour?

Je refusai ce soir-là plusieurs soupers fort bien composés; & devant faire le lendemain une folie, je voulus m’y préparer par la sagesse. Je demeurai à la maison, & fis compagnie à mon pere assez tard, après quoi je me retirai à mon appartement, où je reposai tranquillement toute la nuit.

Dès le lendemain matin je vis arriver Laverdure, qui s’informa de la façon dont tout s’étoit passé. Je la lui racontai: il m’encouragea à y retourner le soir; je lui promis de n’y pas manquer. Je lui ordonnai de dire à son Maître que je le retenois pour souper le surlendemain absolument, & qu’il ne s’engageât à rien avec personne.

En même-temps je reçus une lettre de madame de Dorigny, qui me prioit de passer chez elle. Cette lettre étoit écrite de façon à pouvoir être lue du plus sévere Casuiste, & cependant des plus expressives pour quelqu’un qui comme moi avoit la clef de ses sentiments & de son cœur. Je fis réponse que je m’y transporterois dans l’instant. Je montai en carrosse, & quoiqu’en robe de Palais je lui fis ma visite, excusant mon habillement sur la passion que j’avois de lui faire ma cour. Elle me reçut à sa toilette: les Dévotes en ont une moins brillante que celle des coquettes du monde; mais plus choisie, & mieux composée. Les odeurs qui remplissoient les boîtes n’étoient pas fortes & en grande quantité; mais elles étoient douces & répandoient un parfum suave qui embaumoit légerement la chambre & vous flattoit délicieusement l’odorat. Son linge de nuit, garni d’une dentelle, petite, mais fine, étoit travaillé avec goût; sa robe de Perse, son jupon de satin piqué, ses bas extrêmement fins, ainsi que sa chaussure; enfin tout son déshabillé accompagnoit bien sa taille & sa figure. Ses yeux se fixerent sur moi tendrement, les miens lui rendirent ce qu’ils inspiroient, & pendant qu’on nous préparoit un chocolat voluptueux, je m’approchai d’elle & cueillis sur sa bouche un nectar tel que celui qui étoit préparé pour les Dieux.

Je ne fus point tenté alors de me sauver. Je contemplois l’heureuse situation dans laquelle elle étoit; mais un miroir me faisoit appercevoir qu’en perruque longue & en robe je ne pouvois me hazarder sans péril. Je l’embrassois néanmoins: ses belles mains me serroient avec transport: animés tous les deux, elle voulut bien, pour cette fois seulement, après avoir tiré des rideaux de damas qui déroboient presque la lumiere, se prêter à ma commodité, ou plutôt à la nécessité. Oui, cher Marquis, dans un lieu embelli par le goût, disposé par la délicatesse & le plaisir, je contemplai sans obstacle la divine madame de Dorigny.

Placé sur un sofa violet, & elle à mes côtés, exerçant en cette attitude la fonction de Juge, ayant mis un bandeau sur mes yeux & couvrant les siens de mille baisers, je rendis à ses charmes toute la justice qui leur étoit due. Quel bonheur de prononcer un Arrêt, quand on le met ainsi soi-même à exécution.

Ne pouvant demeurer plus long-temps, parce que l’heure du Palais me pressoit, je la quittai avec peine, & courus où mon devoir m’appelloit; mais où il ne me devoit pas causer tant d’amusement. Cher Marquis, si vous devenez sensuel, délicat & raffiné en plaisirs, prenez-moi une Dévote pour amie, vos vœux seront comblés: elles seules ont la clef du bonheur; il faut qu’elles vous introduisent elles-mêmes dans son temple.

Mon premier soin, vers les quatre heures du soir, fut de me transporter chez Rozette. A mon habillement & à la visite de la veille on me laissa entrer. Une Mere vint m’entretenir en attendant l’arrivée de celle que j’avois demandée: je ne m’ennuyai pas, parce qu’elle me laissoit voir un visage frais, & une gorge qui s’élevoit de temps à autre avec une grande envie de se faire remarquer. Le bruit s’étoit répandu dans la Communauté qu’il y avoit un Ecclésiastique au parloir S. Jean, qui étoit beau comme l’Amour: les filles de Couvent outrent tout.

Là-dessus les Meres, Novices, Sœurs, Pensionnaires vinrent successivement me regarder, sous prétexte qu’on les démandoit à la grille. J’eus la satisfaction de voir de jolies physionomies. Quel dommage de tenir en cage des oiseaux si charmants & qui ne demanderoient qu’à voltiger! Rozette arrivée me remercia de ma visite: nous nous dîmes mille tendresses, nous nous embrassâmes autant que nous le pouvions au travers des grillages. Je lui protestai que je la tirerois de sa captivité dans peu: elle me protestoit un amour éternel. Pendant que nous étions collés pour ainsi dire contre les barreaux, une Religieuse, qui nous vit, crut que je la confessois, & le dit à ses compagnes.

Depuis près d’une heure que j’étois avec ma chere amie, mon tempérament étoit devenu extrêmement violent: il étoit encore animé par l’obstacle. Celui de Rozette, qui se reposoit depuis long-temps, étoit au moins égal au mien: n’entendant venir personne, nous nous hazardâmes à une entreprise difficile.

Je montai sur une chaise; elle fit de même de son côté: malgré l’embarras de mon habit, la crainte qu’il ne vînt quelqu’un, & les barreaux maudits, par son adresse & la mienne, je touchois au séjour de l’amusement. Dix fois j’y eusse trouvé mon bonheur en tout autre lieu; mais soit que la visite que j’avois rendue le matin très-amplement à madame de Dorigny me nuisit alors, soit que ce grillage fût funeste par sa fraîcheur, je ne profitois pas de ma position. Cependant j’étois justement sur le point de conclure mes projets; déjà un petit frémissement secret, avant-coureur du succès, m’avertissoit de ma félicité; déjà Rozette y avoit contribué deux fois, & pour la troisieme s’y livroit encore, lorsque nous entendîmes du bruit: tout fut perdu, nous nous remîmes en notre place. Le destin des entreprises ne dépend jamais que d’un instant. Une imagination comme la vôtre, cher Marquis, se représente aisément combien étoit plaisante notre attitude.

J’ai beaucoup d’estampes, très-gaillardes, mais aucune des miennes ne copie une situation dans ce goût: c’est bien-là un sujet à burin. Si je voulois plaisanter, je vous dirois que je ne comprends pas comment toute la grille n’a pas fondu, se trouvant ainsi entre deux feux.

C’étoit une Touriere, dont la marche heureusement pesante nous avertit de son arrivée. Elle me dit que deux Meres & trois Sœurs me demandoient au confessionnal. Il est bon de savoir que lorsque quelque Prêtre vient souvent dans une Communauté, & qu’il a le bonheur de plaire, il est accablé par les Religieuses, qui veulent lui ouvrir l’intérieur de leur conscience. Un Directeur de vingt-quatre ans ne seroit pas mal le fait d’une douzaine de Cloîtrées: une douzaine de gentilles Cloîtrées ne le seroient que trop d’un Directeur de cet âge.

Je répondis à la commissionnaire que je ne pouvois pour le présent; que j’en étois fort mortifié, mais que le lendemain à la même heure je donnerois à ces Dames le temps qu’elles exigeroient; que je me ferois un honneur de me rendre à leurs ordres. On porta ma réponse, on me pria de ne pas manquer à ma parole, & l’on me demanda mon adresse, au cas que quelqu’une des Meres se trouvât incommodée: je donnai celle de mon ami, Docteur de Sorbonne. Craignant d’être encore importuné je me retirai. J’ai oublié de dire que depuis deux jours Rozette étoit un peu mieux, & qu’à cause du bonheur qu’elle avoit eu, disoit-on, d’aller à confesse à moi, chacune voulut lui rendre visite ce soir-là. Il y eut même quelques Religieuses qui désirerent être filles du monde, pour avoir la satisfaction de raconter leurs aventures à un Confesseur aussi doux que je semblois l’être. Rozette eut soin de dire à celles qui lui parloient de moi, que ma physionomie étoit trompeuse (c’étoit vrai dans un autre sens) & que sous mon extérieur doux & politique j’avois un cœur qui étoit très-rigide pour les pécheresses. La malicieuse se jouoit de la simplicité de ces béguines.

Au sortir de Sainte Pélagie, ayant repris mes habits, je fus trouver monsieur le Doux, qui arrivoit, très-fatigué, & qui, depuis le matin, avoit couru pour intéresser plusieurs saintes ames à la délivrance de ma maîtresse. Il me confia que le lendemain elle sortiroit, malgré mon pere, s’il ne vouloit pas y consentir; que ses amis le lui avoient promis, & que quand il se mêloit de quelque chose il réussissoit absolument & malgré tous les obstacles. Il me dit que le soir il souperoit au logis, & qu’il ne falloit pas que je m’y trouvasse; je le remerciai, &, suivant ses ordres, je fus chercher compagnie. Pour la premiere fois de ma vie je la cherchai raisonnable. On fut étonné en me voyant arriver chez le Comte de Montvert; on m’en fit compliment: je m’y entretins de choses très-intéressantes, soit de la guerre, soit de la politique particuliere. Je mêlai mes éloges à ceux qu’on faisoit de notre Auguste Monarque, duquel, cher Marquis, vous me parlez dans toutes vos lettres avec tant de respect, d’admiration & d’amour. Je vous dirai que je vous estime d’autant plus, que vous rendez plus de justice à un Prince qui égale dès maintenant les Louis XII par son cœur paternel, & les Philippe-Auguste par sa valeur.

Le destin est ordinairement favorable à ceux qui se comportent sagement, du moins il le fut pour moi en cette rencontre. Après le souper on joua pour passer un moment. Monsieur le Comte, qui est d’une santé infirme, s’étant retiré, le jeu s’échauffa. On proposa un lansquenet, j’y hazardai quelques louis. La fortune me favorisa; plus d’un particulier se piqua, & insensiblement, sans presque avoir manqué une seule réjouissance, je me trouvai avoir gagné plus de deux cens vingt louis. La séance finit à mon grand contentement. J’employai une partie de la nuit à songer à mon bonheur & à remercier le Ciel de m’avoir envoyé cette somme dans un temps où elle m’étoit extrêmement nécessaire.

Le lendemain matin encore une lettre de madame de Dorigny: nouvelle invitation au chocolat. M. le Doux vint m’apprendre que mon pere ne vouloit pas absolument que Rozette sortît, & que leur dispute à ce sujet avoit été extrêmement vive; qu’il étoit embarrassé. Comme il me décrivoit ses inquiétudes, mon pere entra, qui, voyant chez moi son Directeur, se douta du sujet qui l’y avoit conduit: sans autre préambule, d’un ton ferme & mâle, il nous dit que Rozette ne sortiroit de dix ans de sa prison, & que je me repentirois de mes démarches. M. le Doux ayant voulu faire quelques représentations, mon pere repliqua un peu durement. M. le Directeur lui ayant dit d’un ton benin & imposant qu’on la feroit bien sortir sans lui, mon pere l’en défia & le piqua d’honneur. Il n’en fallut pas davantage: il n’étoit pas nécessaire d’être fin pour appercevoir qu’un Dévot n’est jamais défié en vain. Il sortit, réunit toutes ses batteries, & intéressa sur-tout madame de Dorigny. Une heure après je me rendis chez cette même Dame: son carrosse étoit prêt, & elle étoit déjà descendue. Mon apparition la fit remontrer: elle me dit qu’elle n’avoit qu’un moment à m’entretenir, parce qu’il falloit qu’elle se trouvât avec deux Dames de la premiere condition, pour obtenir du Ministre, qui étoit alors à Paris, l’élargissement d’une honnête fille enfermée à Sainte Pélagie, qui lui étoit recommandée par un saint Ecclésiastique. Je ne lui dis point que je savois ce dont il s’agissoit; je l’exhortai à cette bonne œuvre, & voulus prendre congé d’elle, pour ne la pas arrêter plus long-temps.

Les bonnes œuvres ne passent jamais qu’après le plaisir. Elle m’engagea à rester un moment. Sous un vain prétexte elle entra dans son cabinet: je n’étois point, comme la veille, en robe. Je l’embrassai, & en ménageant sa coëffure & ses habits, je la poussai sur son lit. Là, dans les transports de ma reconnoissance, je lui prodiguai des satisfactions incroyables: comme elle n’est pas ingrate, dans le même moment elle tâchoit de me les rendre, pour ne pas demeurer en reste. Elle se releva avec des couleurs charmantes, & telles que l’art ne peut les appliquer: rien n’égale celles qui sont broyées par l’Amour, & que la volupté dispense sans affectation.

Je me transportai chez le Président, à qui j’annonçai que peut-être dès le soir même nous souperions avec Rozette. Il se chargea de préparer la fête: nous fûmes au Palais-Royal nous entretenir de ce que nous pouvions faire pour la rendre brillante. Il fut conclu que nous irions à son jardin; que le Chevalier de Bourval s’y trouveroit; qu’il y conduiroit sa maîtresse; que lui Président y ameneroit la petite Tante de l’Opéra-Comique, & que j’aurois Rozette pour ma compagnie. La chose étant comme faite, nous nous séparâmes, & Laverdure eut ordre d’aller tout préparer. J’obtins du Président que je ferois les frais de la fête, puisqu’elle étoit faite pour moi. Nous nous séparâmes. Pour lors je me trouvois dans une grande inquiétude.

Pendant que j’étois à dîner avec mon pere il lui vint un exprès avec une lettre: le Secrétaire du Ministre lui écrivoit qu’il le prioit de donner son consentement à la sortie d’une nommée Rozette, enfermée à Sainte Pélagie, parce que le Ministre ne pouvoit refuser son élargissement à des personnes de la premiere considération. Mon pere vit bien ce que cela signifioit; après le dîner il me fit venir dans son cabinet; & pour n’en pas avoir le dessous, il me dit qu’il vouloit bien faire ce que je désirois; que je n’avois qu’à venir avec lui, qu’il m’alloit rendre Rozette; qu’il me demandoit en grace, si je l’aimois, de ne plus revoir cette fille, & de prendre le parti qu’on me proposoit, qui étoit une héritiere de condition, vertueuse, jeune & belle. Je l’embrassai & lui promis de lui donner toute satisfaction à l’avenir.

Nous montâmes en carrosse, & fûmes chez M. le Lieutenant de Police, qui remit à mon pere l’ordre de délivrance de Rozette. Mon pere, pour me donner la satisfaction en entier, me permit de l’aller retirer: & se doutant bien que je souperois avec elle, il me prévint qu’il ne seroit pas le soir au logis. Quel pere, cher Marquis! je ne puis vous exprimer tout ce que je sentois pour lui en cette rencontre.

Je volai à Sainte Pélagie. Je demandai à parler à la Mere Supérieure: elle vint assez promptement; mais trop lentement au gré de mon impatience. Je lui montrai l’ordre dont j’étois saisi. Après l’avoir tourné & retourné, elle me demanda qui j’étois; je le lui expliquai. Elle s’informa si je n’avois pas un frere Ecclésiastique. Je lui dis que non. Elle étoit en extase qu’il y eût quelqu’un dans le monde qui pût me ressembler si bien: elle ne soupçonnoit pas que j’eusse été effectivement ce Directeur aimable à qui toute la Communauté vouloit confier ses peines de conscience. On fit venir Rozette; je lui dis que j’avois l’ordre de sa délivrance, & qu’elle n’avoit qu’à aller faire son paquet.

Cependant arriva fort embarrassé mon ami le Docteur de Sorbonne, dont j’avois donné l’adresse. Il avoit reçu dix lettres le matin des Religieuses, qui le demandoient au confessionnal. Il faut remarquer que cet ami confesse quelquefois, mais rarement, & qu’il est laid à faire peur. On le produisit à la grille, où on l’attendoit. Dès qu’il se fut nommé on lui dit qu’il se trompoit, que ce n’étoit pas son nom, & que celui qu’on demandoit étoit bien d’une autre figure. Il en fut pour sa course. L’ayant rencontré en sortant, je le mis au fait de l’aventure: il est homme d’esprit, quoique Docteur de Sorbonne; il en rit & monta en carrosse avec moi. Survint aussi M. le Doux, qui me voyant me dit d’un air triste que la pauvre Rozette ne sortiroit point, qu’il venoit la consoler. Comment, lui repliquai-je, qu’est devenu votre pouvoir! Il soupira. C’est dans le temps où l’on croit que certaines personnes n’ont aucun crédit, & qu’elles le pensent elles-mêmes, qu’elles réussissent davantage. Je le remerciai de ses peines, & lui appris que Rozette alloit venir avec moi. Dieu soit loué, dit le saint homme. Rozette parut: quoiqu’en linge sale & assez mal mise, la joie lui avoit donné des couleurs charmantes. Elle embrassa la Supérieure, la Touriere, & ne fit qu’un saut de la porte du Couvent dans le carrosse. Quelqu’un qui nous auroit vus auroit bien mal pensé des deux Ecclésiastiques qui m’accompagnoient. Rozette fit la sage devant eux, & je lui en sus bon gré.

Après avoir remis mes deux Messieurs chez eux, je fus chez Rozette, où sa femme de chambre, par mon ordre, avoit tout préparé pour la recevoir.

J’envoyai dire au Président que ma maîtresse étoit libre. Avec quel transport ne revit-elle pas son appartement! elle eût embrassé, si elle l’eût osé, tous ses meubles. Plusieurs mois de captivité rendent la liberté bien chere; il faut l’avoir perdue pour en goûter tout le prix. Son premier soin fut de prendre un bain promptement & de faire une toilette complette. Ce fut alors qu’après s’être habillée le plus galamment qu’il lui fut possible, elle vint me sauter au cou, & en m’embrassant avec toute l’effusion de son cœur, elle me remercioit de mes soins.

Vous entendez bien, cher Marquis, par quelles marques je lui prouvai la joie que je goûtois de sa délivrance. Deux mois de loisir n’avoient pas fait perdre à Rozette son art à diversifier le plaisir: il fut mit dans toute sa force, & en moins d’une heure nous offrîmes plusieurs sacrifices de reconnoissance à la belle Vénus, qui certainement avoit été notre protectrice. Il me sembla qu’elle avoit répandu ses faveurs sur moi; car jamais je ne fus si ardent & si prodigue dans mes offrandes religieuses. Ah! charmante Rozette, que la Déesse de Cythere vous a d’obligation, & que vous êtes bien digne de partager les présents qu’on lui consacre.

Après m’être informé des facultés de ma bonne amie, elle me dit qu’elle avoit encore sept des louis que je lui avois envoyés: elle voulut me les rendre en m’ouvrant un coffre qui en contenoit plus de deux cens, sans plusieurs contrats bien conditionnés. Je ne voulus pas les recevoir, & j’y en ajoutai vingt autres pour elle, & vingt pour payer le souper que nous devions faire: elle s’en acquitta au mieux, & nous régala parfaitement.

Nous arrivâmes bientôt au rendez-vous: on nous y attendoit. Rozette fut embrassée de toute la compagnie avec transport. La petite Tante, son ancienne amie & la maîtresse du Chevalier de Fourval, qui la connoissoit, avoient pris part à sa détention & en prenoient beaucoup à sa délivrance. Le Président ne pouvoit se rassasier d’embrasser la nouvelle arrivée. Enfin nous nous mîmes à table; ce fut une satisfaction très-grande pour les convives de voir avec quel apétit Rozette dévoroit tout ce qui lui étoit présenté: tout étoit de son goût, & à chaque mets elle faisoit un commentaire de comparaison avec la nourriture qu’on lui apportoit dans son hermitage. Le dessert venu, elle commença à chanter, & un verre de Champagne à la main, elle but à la santé de son libérateur: nous fîmes chorus. Elle tint toute la conversation à nous décrire la façon dont elle étoit traitée en sa retraite.

Elle nous peignit une vieille Mere, âgée de soixante & dix ans, Directrice de toutes les pécheresses, & qui obligeoit toutes les nouvelles venues à lui raconter leurs aventures. Elle nous fit connoître un tartufe de Confesseur, qui la trouvant à son goût, s’étoit efforcé de la convertir. Enfin, depuis la premiere jusqu’à la derniere, elle me les contrefit toutes, déchira la Sœur Monique, cette curieuse impertinente, & ne regretta qu’une jeune Professe, avec laquelle elle nous avoua que, contre sa coutume, & uniquement par besoin, elle avoit passé des moments assez gracieux.

L’histoire finie, la petite Tante s’évertua: elle nous apprit pourquoi elle ne vouloit pas remonter sur le Théatre de l’Opéra-Comique. Elle fit la satyre de la charmante petite Brillant, qui vaut mieux qu’elle du côté de la nature, & qui lui est inférieure à certains égards. La maîtresse du Chevalier de Forval commença par des airs libres. Elle embrassa son voisin: sa voisine en fit autant; ainsi, comme de main en main, le libertinage prit une espece de circulation. Le vin de Champagne excitoit les esprits, chacun dit à l’envi les plus jolis propos du monde & chanta les vaudevilles les plus éveillés. Successivement Vénus se mit de la partie; le Président fut faire un tour, le Chevalier le suivit, ainsi que sa bonne amie: je restai seul avec Rozette. Ils sont bien occupés, me dit-elle; & nous, cher Conseiller, resterons-nous dans l’oisiveté? elle est la mere de tout vice. Elle se leva, se mit sur mes genoux, & en me tenant le visage entre ses deux mains, elle m’embrassoit légerement & déroboit des baisers sur ma bouche, qu’elle enflammoit par ce manege. Le feu étoit par-tout: après les réjouissances que nous avions faites chez elle, elle en parut surprise. Sa premiere idée fut d’en profiter. Encore une fleur, dit-elle en la touchant avec sensualité! je croyois avoir tout moissonné. Qu’elle est fraîche, que je la mette à mon côté: elle l’y mit en effet, & cette fleur, comme enchantée de se trouver si bien placée, se préparoit à lui prodiguer ses trésors: déjà la belle lui avoit fait part des siens. Alors Rozette, par un esprit d’économie, fit un pas en arriere, & me dit qu’elle réservoit pour la nuit un cadeau qu’elle me vouloit faire. Elle me remit mon bouquet & m’exhorta à le conserver jusqu’à ce temps. On se remit à table, & les liqueurs finies nous remontâmes, Rozette & moi, dans mon carrosse, & fûmes prendre du repos. Nos autres convives ne jugerent pas à propos d’en faire autant, & continuerent jusqu’au matin à se divertir. Je passai la nuit auprès de Rozette: elle se dédommagea amplement de la diete qu’elle avoit été forcée de garder pendant son séjour de retraite; & malgré ce que j’avois exécuté pendant la journée, je fus assez heureux de la satisfaire.

Rozette, au sortir du Couvent, étoit un Prothée; elle se changeoit entre mes bras: elle étoit lion pour le feu, serpent pour l’art de s’insinuer, onde & fleuve pour se dérober, & finissoit par être une mortelle au-dessus de toutes les Déesses.

Enfin, après avoir passé une nuit des plus voluptueuses, je la quittai le lendemain de très-grand matin: elle pleura en me voyant partir. Depuis ce tems, cher Marquis, selon que je l’avois promis à mon pere, je ne l’ai point vue d’habitude, excepté les quinze premiers jours. Cette fille est rentrée en elle-même; j’ai même contribué à son arrangement: comme elle avoit une douzaine de mille francs, elle s’est établie, a épousé un Marchand de la rue saint Honoré, riche, sans enfants, qui l’a prise pour compagne. Elle est maintenant attachée à son commerce, est heureuse avec son mari, qu’elle aime & qui lui rend la pareille. C’est une union de gens qui ont vu le monde. Je la vais visiter quelquefois, & je suis avec elle comme avec une amie, je l’estime même assez pour ne lui plus parler de galanterie.

M. le Doux me prophétisoit juste lorsqu’il me disoit que cette fille rentreroit en elle-même, parce qu’il y avoit toujours à espérer des personnes d’esprit. Rozette devroit servir d’exemple aux filles jeunes & jolies qui sont assez malheureuses pour se livrer au libertinage. Elles devroient dans leurs beaux jours se ménager une ressource, comme elle, au lieu de dissiper; mais comment espérer de la prudence de personnes assez folles pour s’abandonner à leurs passions sans réserve?

Pour moi, cher Marquis, j’ai rendu à Laverdure ses dix louis, & lui en ai donné dix autres. J’ai tiré mon coquin de Domestique de Bicêtre; je suis les avis de mon pere, & je suis actuellement épris d’une aimable Demoiselle, avec laquelle je serai peut-être assez heureux pour m’unir par les liens sacrés du mariage. Je compte que cet hiver cette affaire sera terminée: comme tu seras à Paris, j’aurai la satisfaction de t’y embrasser; tu viendras joindre les lauriers qui couvrent ton front aux myrtes que la belle Vénus & l’Amour préparent à ton ami. Mon bonheur sera parfait, puisque je serai certain que tu y prendras part. Adieu, cher Marquis; je t’embrasse, te souhaite à ton arrivée autant de satisfaction que j’en ai goûté pendant ton absence.

 

Fin de la seconde Partie.

NOTES:

[A] Elle se nomme madame Morin.

[B] Marchand Bijoutier; rue Saint Honoré; vis-à-vis le Grand-Conseil.

[C] Fameux Cuisinier.

[D] Marchande de mode vis-à-vis l’Opéra.

[E] Rois 3.

[F] Tout le monde sait que ce Roman est de M. Duclos, de l’Académie des Inscriptions.

[G] Mesdames de *** étant à la Rapée, au mois de Juillet, y firent ces extravagances.

[H] On sait la fable de Titon & de l’Aurore, & personne n’ignore la façon galante dont M. de Moncrif l’a traitée dans son rajeunissement inutile.

[I] Fameux Maître d’Armes, rue de la Comédie.

[J] Antoine Coipel, fameux Peintre.

[K] Ecuyer du Roi, près S. Sulpice.

[L] D. Auteur de la Tragédie de Pantapouff.

[M] Constantin, surnommé Copronime, parce que lorsqu’on le baptisoit il souilla les eaux dans lesquelles il étoit plongé suivant l’usage.

[N] J’en ai déjà parlé page 106 de la premiere partie: c’étoit une de celles qui avoient insulté à mon malheur.




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     you already use to calculate your applicable taxes.  The fee is
     owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
     has agreed to donate royalties under this paragraph to the
     Project Gutenberg Literary Archive Foundation.  Royalty payments
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     prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
     returns.  Royalty payments should be clearly marked as such and
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electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

1.F.1.  Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
your equipment.

1.F.2.  LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
liability to you for damages, costs and expenses, including legal
fees.  YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
PROVIDED IN PARAGRAPH F3.  YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
DAMAGE.

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received the work on a physical medium, you must return the medium with
your written explanation.  The person or entity that provided you with
the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
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providing it to you may choose to give you a second opportunity to
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is also defective, you may demand a refund in writing without further
opportunities to fix the problem.

1.F.4.  Except for the limited right of replacement or refund set forth
in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.

1.F.5.  Some states do not allow disclaimers of certain implied
warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
the applicable state law.  The invalidity or unenforceability of any
provision of this agreement shall not void the remaining provisions.

1.F.6.  INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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