Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843, by Various

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Title: L'Illustration, No. 0007, 15 Avril 1843

Author: Various

Release Date: December 2, 2010 [EBook #34547]

Language: French

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Nº 7. Vol. 1.--SAMEDI 15 AVRIL 1843.
Bureaux, rue de Seine, 33.

SOMMAIRE.

Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes, avec une gravure.--Un mot sur l'Université--Courrier de Paris. Le givre, une réconciliation, les deux yeux, un enfant mort en bas âge, les portraits et les modèles, appétit monstre, un mari reconnaissant, l'auteur et le directeur. Représentation de pièces historiques. Lucrèce.--Romance. Musique de M. Flotow, paroles de M. E. de Loutay, avec une vignette.--Chronique musicale. Concerts du Conservatoire. Salle du Conservatoire.--Des Caisses d'Épargne.--Longchamp. L'Obélisque et les Champs-Elysées, une scène de Longchamp.--La Vengeance des Trépassés, nouvelle (3e partie), avec une gravure.--De l'Éloquence de la Chaire au XIXe siècle. Le dimanche des Rameaux, portraits de M. de Boulogne, de M. Deguerry, de M. Combalot, de M. Lacordaire, de M. de Ravignan, de M. Coeur, une prédication à Saint-Roch.--Bulletin bibliographique.--Annonces.--M. le maréchal comte d'Erlon.. Portrait.--Sur la locomotion aérienne.--Rébus.

Écroulement du vieux Beffroi de Valenciennes.

Depuis la chute de la flèche métropolitaine de Cambrai en 1809, disent les journaux du Nord, nul événement aussi épouvantable que l'écroulement du beffroi de Valenciennes n'était venu frapper de consternation nos provinces.

A la suite d'interminables lenteurs, après avoir renvoyé cette affaire de commission en commission, après avoir même fait visiter le beffroi par un architecte de Paris, M. Visconti, le conseil municipal de Valenciennes avait enfin voté la restauration du vieux monument: restauration difficile, dont la direction fut confiée à l'architecte de la ville, et les travaux adjugés au rabais à un entrepreneur. Les ouvrages commencèrent il y a peu de mois, et bientôt l'on s'aperçut de toutes les difficultés qu'ils présentaient: les ouvriers avaient fait de si fortes tranchées dans la vieille maçonnerie, que l'architecte lui-même en fut effrayé. Des lézardes se montrèrent le long de l'édifier, et dans la matinée du vendredi 7 avril, les pierres commencèrent à tomber successivement du faîte, avertissant les habitants de la Place d'Armes de l'effroyable catastrophe qui les menaçait.


     Écroulement du Beffroi de Valenciennes, le 7 avril.

Le même jour, à quatre heures vingt minutes du soir, la tour s'écroula tout entière avec un fracas épouvantable, s'abattant à peu près sur elle-même; le poids des pierres bleues qui couronnaient le beffroi, et surtout celui des vingt-quatre consoles qui supportaient le balcon, et ne pesaient pas moins de six milliers chacune, étaient devenus trop lourds pour les piétements affaiblis. On conçoit ce qu'a dû présenter d'horrible la chute d'une telle masse, qui comptait soixante-dix mètres de hauteur depuis la base jusqu'au paratonnerre, s'écroulant d'un seul coup, et tombant sur les habitations de son pourtour et les maisons voisines; les cloches, dont l'une ne pesait pas moins de neuf mille livres, enfoncèrent tous les étages jusqu'aux caves; enfin le dôme de la tour, violemment précipité, alla rouler jusqu'à la Place du Commerce. La Place d'Armes et l'entrée des rues voisines furent presque ensevelies sous une montagne de pierres, de poutres, de fer, de cloches et de plâtras.

La première victime fut le malheureux guetteur, monté à son poste en tremblant, vendredi à midi, et qui entendit pendant quatre heures tomber une à une autour de lui les pierres du couronnement; il fut relevé respirant encore, et tenant en sa main son ouvrage de cordonnier; mais il expira bientôt après, par suite de l'affreuse commotion qu'il avait éprouvée. L'entrepreneur, resté sur l'échafaudage, fut dangereusement blessé, le serrurier, placé près de lui, a été sauvé miraculeusement.

Les journaux quotidiens ont donné la liste des victimes de cet affreux événement: ils annonçaient que le chiffre exact n'en était pas encore connu. On sait aujourd'hui que sept personnages seulement ont perdu la vie, mais plusieurs blessés sont dans un état désespéré. Les habitants et la garnison rivalisèrent de zèle et de dévouement pour sauver les malheureux ensevelis sous les décombres: la compagnie d'Anzin envoya aussitôt des travailleurs intelligents et actifs, et mit à la disposition de la ville les chèvres, les grues et tous les outils de ses mines. Grâce à ces secours réunis, l'on put déblayer un peu la place, et sauver la vie a quelques blessés gisants sous des monceaux de ruines.

Le malheur qui vient d'arriver est immense: mais si l'on considère ce qu'il pouvait être, il faut encore rendre grâces à Dieu de ce que le nombre des victimes ait été aussi restreint. Une ou deux heures plus tôt, l'écroulement atteignait plus de cinquante individus; et si le couronnement s'était, dans sa chute, incliné un peu à droite ou à gauche, une foule de maisons eussent été infailliblement écrasées.

La perte matérielle de la ville est considérable: Valenciennes se trouve à la fois privée de son seul monument, du vieux souvenir de ses libertés communales, de ses bureaux d'octroi, de son horloge, de son carillon et d'un grand nombre de maisons attenantes au beffroi, qui étaient des propriétés communales.

Une grave responsabilité va peser sur les entrepreneurs des travaux: l'administration n'avait cessé de leur recommander de prendre les plus grandes précautions; peu persuadée d'ailleurs par les assurances réitérées de l'architecte, qui prétendait répondre sur sa tête de la solidité de la tour, la municipalité avait ordonné, le matin même du 7 avril que l'on évacuât immédiatement les bâtiments du beffroi et les petites maisons qui y étaient adossées; en même temps elle fit cesser la sonnerie des cloches et interdit la circulation des voitures aux alentours du monument C'est grâce à la promptitude et à l'énergie de ces mesures que la ville n'a pas en à déplorer de plus grands malheurs.

Le beffroi de Valenciennes était sans contredit l'un des plus anciens et des plus remarquables monuments du nord de la France. Nos lecteurs trouveront donc nous l'espérons, quelque intérêt dans la notice historique que nous joignons au récit de l'événement. Nous puisons la plupart de nos documents dans l'histoire de Valenciennes par d'Oultreman, et les deux derniers feuilletons de l'Écho de la Frontière.

Notice historique

SUR LE BEFFROI DE VALENCIENNES.

L'antiquité du beffroi de Valenciennes remonte jusqu'au treizième siècle En 1222, sous le règne de la comtesse Jeanne de Flandres, fille du fameux empereur Baudouin de Constantinople, un premier beffroi fut élevé sur la place du Marché: mais, soit que la construction en fût vicieuse ou l'emplacement mal choisi, il fut démoli dès l'an 1237, et l'on jeta les fondements d'une nouvelle tour à l'extrémité méridionale de la place. Cette fois la comtesse Jeanne chargea le seigneur de Materen, gouverneur de la ville, de surveiller la construction du monument. De 1238 à 1240 l'édifice fut achevé dans toutes les normes. C'était une tour quadrilatérale, à angles arrondis, bâtie en grès dans la partie inférieure, et en pierres blanches à partir d'une certaine hauteur jusqu'au sommet, qui se terminait alors par quatre petites tourelles en encorbellement, et par une plate-forme générale, garnie de murs d'appui crénelés. Au-dessus de cette plate-forme, couverte de plomb, s'élevait la hutte de bois du guetteur, fortement établie sur un soubassement qui la rehaussait encore de plusieurs toises. A la base de la tour étaient adossées plusieurs constructions servant de lieu de dépôt pour marchandises.

En l'an 1558, deux cloches furent placées au beffroi. La première grosse cloche, dite Blanche cloche, du poids de 9.000 livres, et la seconde, la cloche des ouvriers, nommée Curiande, du poids de 3,800 livres, fondue par Guillaume de Saint-Omer; elle sonna pour la première fois le jour de la Toussaint de la même année.

Au commencement du seizième siècle, Jacquemart-Levayrier, dit l'Arbre d'or, voulant réjouir ses concitoyens, institua quatre musiciens, ou museux, qui devaient, sur le balcon du beffroi, jouer du hautbois tous les jours à midi, et du matin jusqu'au soir les jours de marché. Cet usage se perpétua pendant deux siècles; mais, en l'an VII, la République confisqua et fit vendre les biens affectés à cette fondation.

Pendant les guerres de Charles-Quint avec François Ier et Henri VIII, on avait éprouvé que le guetteur ne voyait pas d'assez loin l'approche des partis français qui venaient ravager les environs de Valenciennes; en conséquence, le beffroi fut exhaussé en 1546; la flèche fut de même relevée de vingt-deux pieds en 1647, et l'on y plaça, comme girouette, un grand aigle doré, emblème héraldique de l'empereur Charles-Quint.

Le beffroi resta longtemps en cet état sans éprouver de nouveaux changements. En 1578, le baron de Harchies, voulant faire un coup de main sur la ville, s'empara du beffroi, mais il en fut bientôt chassé.

En 1615, il y eut quelques agrandissements apportés aux bâtiments du pourtour, qui servaient alors de bourse aux marchands. De 1680 à 1700, le magistrat éleva devant la tour un bâtiment à la moderne, faisant face à la place, surmonté, aux deux ailes, de deux petites lanternes, ou belvédères, de très-bon goût, qu'un auteur signale, dans un livre d'architecture, comme un modèle d'élégance. En 1712, on rebâtit sur les autres faces neuf maisons d'habitation, décorées de jolies sculptures, et connues sous le nom de leurs diverses enseignes: le Dromadaire, le Taureau-Marin, le Cheval-Marin, le Triton, la Sirène, le Chameau, le Castor et l'Éléphant. L'octroi occupait le Dromadaire et le Taureau-Marin. Les six autres maisons étaient louées à certaines professions désignées, qu'on ne pouvait changer sans la licence du magistrat. Outre les deux pavillons, la façade de la tour se composait encore d'une galerie découverte et de deux balcons aux étages supérieurs. Les bustes des douze Césars, plus grands que nature, les quatre Saisons, et autres sculptures délicates, ornaient ces constructions.

De 1782 à 1784, sous la prévôté de M. de Pujol, qui fit reconstruire ou réparer presque tous les monuments de Valenciennes, le couronnement du beffroi fut remis à neuf et de nouveau exhaussé. On démolit la plate-forme et toute la partie supérieure, jusqu'à l'endroit où l'on trouva la bâtisse saine et solide; là-dessus fut élevé un nouveau couronnement dans le style Louis XV. Les colonnes ornées, les balcons contournés, les vases Pompadour, vinrent se placer sur la tour gothique de Jeanne de Flandres. Les pierres employées pour cette restauration étaient en calcaire bleu, leur solidité ayant paru supérieure à celle des pierres blanches,

......Color deterrimus albis;

malheureusement ces pierres bleues étaient d'une pesanteur énorme, et devaient tôt ou tard écraser l'édifice: aussi prévit-on dès lors un écroulement; et M. de Rollecour, l'un des magistrats, défendit à son cocher, sous peine d'être chassé, de jamais passer avec sa voiture dans les environs du beffroi.--On oublia en même temps de garnir de plomb le palier du balcon, et la pluie, filtrant au travers des pierres, fit pourrir peu à peu les dernières assises.

Le 30 mai 1795, à l'ouverture du siège de Valenciennes, la garnison et les habitants prêtant à la République le serment solennel de fidélité, le zèle patriotique des sans-culottes s'affligea de voir l'énorme fleur de lis sculptée au faîte du beffroi; des ouvriers furent envoyés pour l'effacer, mais ils ne purent jamais l'atteindre; il fallut se borner à couvrir le signe monarchique sous les plis d'un vaste drapeau tricolore. La tour du beffroi, pendant tout le siège, servit de point de mire aux obus de l'armée ennemie, mais elle soutint assez bien ce bombardement. «Il est vrai, dit l'Écho de la Frontière, que les canons du duc d'York ne lui firent pas d'aussi grandes brèches que les modernes restaurateurs.»

En 1800, la girouette aux armes d'Espagne fut remplacée par une brillante Renommée sonnant de la trompette. Cette statue, debout sur un globe doré, fut menée en triomphe par les rues de la ville avant d'être hissée sur son piédestal. Mais deux ans après, un violent ouragan abattit la Renommée, qui heureusement n'atteignit personne dans sa chute.--A la Restauration, on plaça sur le beffroi un lion d'or, emblème héraldique de Valenciennes.

En 1811 le maire de la ville, M. Benoist, eut la fantaisie de remplacer les deux élégants belvédères et tout le bâtiment de la façade par une lourde construction où furent logés l'octroi et le Cercle du Commerce. Chacun protesta contre cet acte de vandalisme, et M. le général Pommereul, préfet du Nord, témoigna là-dessus son sentiment à l'architecte d'une façon toute militaire.

Enfin, depuis dix ans on projetait une restauration complète du beffroi; plût à Dieu qu'on l'eut entreprise plus tôt et sur de meilleurs plans!

M. le capitaine Coste, en 1824, avait pris, avec le graphomètre, les différentes dimensions de la tour. On nous saura peut-être gré de les reproduire ici:

De la base au balcon.                             79 m. 50 c.
Du balcon au-dessus du dôme.                      14    50
Du dôme au-dessus de la lanterne, sous la boule.   7    50
De la lanterne jusqu'au bout du paratonnerre.      8    55

Total.                                            70 m. 05 c.

La sonnerie du beffroi était fort belle et fort ancienne. Au moment où nous écrivons, elle est à peu près dégagée de dessous les décombres, et chacun se presse pour la voir.--Elle se composait de huit cloches: 1º le gros bourdon, d'un poids énorme, sans millésime apparent; 2º une cloche à la date de 1346, avec une légende historique dont on ne peut encore lire qu'une partie: Nuit et jour peut oïr la communauté; le reste de la devise est enseveli sous les plâtras; 3º deux cloches de 1555, dont l'une porte ces mots: Réjouissant les coeurs par vrais accords; 4° deux cloches de 1597, blasonnées du cygne valenciennois; 5º une cloche de 1626, avec le même signe et cette inscription: Nous avons été fait pour l'horloger de Valenciennes par Jean Delecourt et ses fils, en 1626; enfin une dernière cloche sans date, mais entourée d'ornements, parmi lesquels on distingue des fleurs de lis, une madone, un saint Michel à cheval et des armoiries flanquées de deux bâtons en croix de Saint-André, comme on en voit sur quelques emblèmes de Charles-Quint.

Toutes ces cloches sont en parfait état; elles n'ont éprouvé aucune avarie dans leur chute.


Un mot sur l'Université.

Parmi les diverses propositions, toutes vaines et avortées, par lesquelles d'honorables députés des divers bancs de la Chambre ont du moins manifesté depuis quelques jours le désir louable de combattre l'affaiblissement de l'esprit public et l'atonie politique où nous tombons de plus en plus, la proposition d'admettre les candidats au baccalauréat à subir leur examen sans avoir à justifier d'études universitaires, nous semble devoir être remarquée non pour son résultat immédiat (elle a été repoussée), mais pour l'arriére-pensée politique qui l'a inspirée et pour cet esprit agressif contre l'Université, qui gagne et se propagerait enfin de proche en proche dans tous les partis d'une façon bientôt inquiétante. En effet, au moment même où cette proposition était faite par un esprit d'ailleurs éclairé, M. de Carné, M. Arago, de son côté, à propos d'une pétition qui demandait que les candidats à l'école polytechnique ne soient pas, à l'avenir forcés d'être bacheliers, non content d'appuyer cette requête, comme il en a assurément le droit plus que personne au monde, et comme député, et comme ancien professeur de cette école célèbre et comme savant éminent, a pris de là occasion d'attaquer aussi l'Université, repoussant, comme inutile, frivole et presque dangereux, son enseignement, l'étude des belles-lettres et de la philosophie.

En temps ordinaire, et sans cette espèce, de coalition fortuite, nous l'avouons, mais générale et malheureuse, contre l'Université de France, nous laisserions volontiers cette respectable matrone se justifier seule, par l'organe de ses rhéteurs émérites et de ses philosophes en robe et en bonnet, et défendre seule son monopole contre M. de Carné, la nature de son enseignement et ses traditions un peu routinières contre M. Arago.

Mais c'est un des malheurs de ce pays d'être en ce moment divisé, non plus seulement comme tous les pays du monde, en esprits jeunes, ardents, aventureux et plus ou moins témérairement novateurs, et en esprits plus mûrs, et, si l'on veut, plus désabusés et plus ou moins sagement conservateurs, mais bien en trois partis exclusifs, intraitables, aveugles, qui s'anathématisent sans relâche et se damnent l'un l'autre sans miséricorde, savoir: un parti qui ne voit, ne comprend, ne veut, et, chose étrange! n'espère que le passé! un parti qui, par compensation, ne cherche, ne voit, ne sait, ne pleure que l'avenir, toujours en retard d'un millier d'années au gré de son impatience; enfin, un parti qui, naturellement effrayé de cette soif monstrueuse, également déraisonnable des deux parts, et de ce qui n'est plus et de ce qui ne saurait être encore, se condamnerait volontiers, lui, de peur de donner gain de cause à l'un de ses adversaires, à une impuissance absolue, à une éternelle immobilité, sommeil perfide, torpeur dangereuse, qui, lorsqu'elle se prolonge, n'est autre chose que la mort même des nations.

Et, dans la plupart des questions qui se débattent, le parti qui veut, au fond, revenir purement et simplement au passé, irrité de la résistance qu'on lui oppose justement, s'allie tout bas au parti novateur et nie effrontément au pouvoir les facultés dont il se réserve, à part soi, d'user largement un jour contre ses imprudents amis, si jamais il gouverne encore.

Il faut donc que les hommes sages qui croient que l'idée même du progrés normal implique, avec celle de ne point rétrograder, l'idée d'une succession graduée de développements mesurés et toujours plus ou moins lents, interviennent enfin. Oui, bon gré, mal gré, quand il s'agit, par exemple, d'une institution aussi considérable que l'Université de France, liée aux plus grands souvenirs et de la monarchie et de la démocratie française, au temps de Philippe, le Bel et de Louis XIV, comme au temps de François Ier et de Napoléon, d'une institution vieille, mais forte encore, dont la chute, qui peut le nier? nous livrerait demain à coup sûr, sans parler des tentatives des factions, à toute la honte de l'éducation au rabais et à je ne sais quel maquignonnage des intelligences qui révolte également et le sens moral et la raison; alors ou jamais il faut bien prêter secours au passé et à la tradition, dans l'intérêt même de l'avenir et des perfectionnements ultérieurs du monde.

«Mais à quoi servent positivement les études classiques, commence-t-on à s'écrier de toutes parts, et la philosophie, et son histoire, et les monades de Leibnitz, et les tourbillons de Descartes, et la vision en Dieu de Malebranche? Cicéron ne disait-il pas déjà assez naïvement: «Je ne sais pourquoi il n'y a rien de si absurde qui n'ait été enseigné et soutenu par quelque philosophe.» Et Fontenelle: «Oh! moi, la philosophie, quand j'étais petit, tout petit, je commençais déjà à n'y rien comprendre.»

Oui, sans doute, messieurs les mathématiciens; mais ce même Cicéron que vous citez, n'en consacra pas moins la moitié de sa vie à étudier les philosophes de la Grèce, et à faire connaître leurs idées à ses concitoyens; et, au rapport de Pline, il était plus glorieux d'avoir par là reculé pour les Romains les limites du génie, que d'avoir administré la République. Ce n'est pas apparemment faute de connaître et de cultiver les sciences physiques et mathématiques que l'illustre géomètre Descartes et l'illustre savant Leibnitz se sont tant occupés de philosophie; et Fontenelle, l'un des esprits les plus sceptiques, mais les plus polis et les plus fins qui aient jamais été, s'il vivait de notre temps, ne se hâterait pas tant de nier l'éducation générale ou de la définir un apprentissage, et non plus une culture libérale et préparatoire. Il lui semblerait que, sans donner tête baissée dans aucun système exclusif, et à ne considérer même la philosophie que comme l'idéal suprême non encore réalisé de la raison humaine en quête de la vérité divine, il y a bien quelque profit pour l'âme, qu'elle réussisse ou non, à chercher encore à conquérir cet idéal par le mâle exercice de la pensée, de même qu'il y a encore profit pour le corps et développement dans les exercices, en apparence et immédiatement inutiles, du gymnase. Et quant à l'histoire de la philosophie, ne fit-elle que nous enseigner la tolérance et l'indulgence, par le spectacle des grandes erreurs où sont tombés de tous temps les plus grands esprits, apprit-elle seulement à ceux qui ne doutent de rien qu'il y a de grands mathématiciens qui ont douté de tout, et que Socrate, le plus sage des hommes, disait volontiers dans les rues à qui voulait l'entendre, et surtout en présence des sophistes de son temps, si pleins de morgue et de pédantisme, qu'il ne savait rien; serait-elle donc, cette histoire, si inutile de nos jours?

On insiste: mais le reste des études universitaires, où est son utilité? D'abord, cette utilité fût-elle impossible à démontrer positivement, nous n'admettons pas que ce fût là une raison si péremptoire de les condamner et de les supprimer dans le haut enseignement. On ne peut pas ainsi rendre compte de tout; et les choses les plus nécessaires, les plus divines, sont précisément celles-là même qui se laissent le moins analyser, étant simples de leur nature. Après cela, nous laisserons répondre un homme dont les savants ne récuseront pas la compétence, l'illustre Cuvier: «Il est plus nécessaire qu'on ne croit, pour apprendre à bien raisonner, de se nourrir des ouvrages qui ne passent d'ordinaire que pour être bien écrits En effet, les premiers éléments des sciences n'exercent peut-être pas assez la logique, précisément parce qu'ils sont trop évidents; et c'est en s'occupant des matières délicates de la morale et du goût, qu'on acquiert cette finesse de tact qui conduit seule aux hautes découvertes.» Ajoutons que ceux qui se livrent à l'étude des sciences positives, ne rencontrant point sur leur route les passions des hommes, s'accoutumeraient volontiers à ne croire qu'à ce qui est susceptible d'être mesuré, pesé, calculé mathématiquement. L'étude réfléchie de la littérature est un contre-poids à cette tendance étroite et fausse.

Il y a plus; notre civilisation est tellement basée sur celle des Grecs et des Latins, qu'il serait presque impossible d'exposer avec clarté l'histoire du monde chrétien, et en particulier celle de notre pays, à qui ne connaîtrait pas la civilisation des anciens par leur littérature.

Ceux qui contestent si fort l'utilité du grec et du latin ne voudraient pas apparemment supprimer celle de la langue maternelle. Ils ignorent donc que le latin contenant les racines, c'est-à-dire, la raison du français, si on en supprime l'étude, un enseignement supérieur de la langue française devient par là même impossible. Et ce coup, porté à la langue nationale, atteindrait, qu'on ne s'y trompe pas, l'intelligence, le goût, la vie même de la France! L'allemand, dit-on, tiendra lieu du latin. Quand l'allemand aurait la perfection du latin, ce qui n'est pas, là ne sont pas nos origines. Gardons-nous bien de soumettre ainsi gratuitement l'esprit français au génie germanique, en altérant ou en brisant nous-mêmes l'idéal du type collectif auquel la pensée publique emprunte ses formes.

Tout ceci ne va pas à nier, à Dieu ne plaise! l'utilité de quelques-unes des réformes proposées par l'esprit de réalisme qui, on en conviendra, nous domine de plus en plus; et si l'on reconnaît avec nous, que nul homme, nul peuple véritablement grand ne fut réaliste, nous sommes prêts à accorder que le temps consacré à l'étude des langues anciennes est beaucoup trop long; que les méthodes d'enseignement ont grand besoin d'être perfectionnées; qu'une distribution plus rationnelle, sinon une répartition plus égale des divers éléments de l'instruction publique, opérée avec sagacité et mesure, et l'admission dans les collèges de certaines branches d'étude qui se rapportent à l'exercice des professions non littéraires et même non libérales, seraient des innovations à la fois largement bienfaisantes et conservatrices à l'époque, où nous vivons.

Au reste, pour déterminer un peu nettement ce que doit être l'Université de France au dix-neuvième siècle, il faudrait s'entendre sur cette question: Qu'est-ce que la France? Comme pour les Grecs au temps de Socrate, il nous semble qu'après tant d'utopies sans fondement, de théories sans élévation et de luttes sans moralité, le temps est venu pour les grandes nations de l'Europe de s'appliquer cette sage maxime: «Connais-toi toi-même.» Qu'est-ce donc que la France? Est-il impossible de trouver à rette simple et grande question une réponse à la fois positive et satisfaisante pour toute l'âme? Cette question résolue mettrait fin à tant de discussions? Que nos lecteurs y pensent un peu; nous y réfléchirons beaucoup de notre côté, et nous saisirons quelque occasion d'arriver ensemble, s'il est possible, à la lumière sur ce point capital.


Courrier de Paris.

LE GIVRE.--UNE RÉCONCILIATION.--LES DEUX YEUX.--UN ENFANT MORT EN BAS AGE.--LES PORTRAITS ET LES MODÈLES.--APPÉTIT MONSTRE.--UN MARI RECONNAISSANT.--L'AUTEUR ET LE DIRECTEUR.

C'est une véritable trahison, et le printemps se conduit avec nous d'une manière indécente. Eh quoi! il nous sourit d'abord de son sourire le plus doux, il nous envoie de charmants rayons de soleil, il nous inonde de brises caressantes, il agite, sous nos fenêtres, des bouquets de feuilles et de fleurs précoces pour nous engager à sortir de nos demeures et pour nous attirer dehors, nous, pauvres innocents, coeurs crédules, âmes confiantes; nous, prisonniers des villes, que tout coin d'azur ravit et console, nous allons sur la foi de ces belles promesses.

Voici Paris qui se répand de tous côtés, d'un air de fête, s'ébattant dans ses rues et dans ses promenades pareilles à une cage immense qui laisserait envoler ses oiseaux par milliers. Puis, tandis qu'on se fie à ces perfides caresses d'avril, tout à coup le ciel se voile, le vent souffle de sa bouche glacée des tourbillons de pluie et de grésil. Il faut voir comme cette foule gazouillante cesse ses joyeux ébats et s'enfuit par volées; les mains rentrent dans les profondeurs du paletot; les nez reprennent l'abri du foulard; mille gracieux petits visages féminins, qui commençaient à s'épanouir sous le frais chapeau de couleur printanière, s'enveloppent de velours et disparaissent sous le voile et dans la fourrure. Le printemps, qui se permet de pareilles plaisanteries, ne ressemble-t-il pas à ces soldats d'escarmouches, grands fabricants de surprises et d'embuscades? De même que ceux-ci se cachent derrière les haies et au détour des monts, pour lancer leurs fusillades de même avril masque de quelques rayons de soleil sa mitraille de neige et de vent. Pour nous, arbustes à deux pieds et trop souvent sans fleurs et sans fruits, le mal n'est pas mortel. Le premier moment paraît désagréable, je le confesse; il est toujours pénible de découvrir un traître dans un ami plein de sourires, et d'être gelé quand on a la bonhomie de compter sur le soleil.--Après tout, il nous reste l'abri du foyer et le toit de nos maisons.--Mais qui sauvera ces frêles habitants des vergers qu'avril a trompés et attirés dans ses pièges? Ils ont mis prématurément au jour leurs fleurs d'une blancheur éblouissante et d'un rose virginal, fleurs délicates, promesses embaumées des plus beaux fruits. Le givre leur donne le frisson et les tue; le fruit meurt dans sa fleur.--Et ce jeune enfant, plein d'espérances, qui succombe aux bras de sa mère, et ces génies qui s'éteignent à leurs premiers rayons, et ces rêves de bonheur, d'amour, de gloire, morts et ensevelis sur le seuil, n'est-ce pas aussi quelque givre d'avril qui les a glacés?

Comment Longchamp n'aurait-il pas souffert de cette froidure? Comment ce vent aigu aurait-il épargné sa couronne?

Madame Charles B... s'y est fait voir; c'est une des lionnes les plus rugissantes de la Chaussée-d'Antin; elle a cependant un mérite que beaucoup de panthères se refusent: madame Charles B... n'est ni médisante ni jalouse. Quoique coquette et fêtée, elle ne hait pas les jolies femmes; elle fait plus que ne pas les haïr, elle semble les aimer et les recherche. Ses soirées et ses bals offrent la collection, à peu près complète, de ce que Paris possède de plus exquis et de plus charmant en brunes et en blondes; ce sont les deux nuances qu'elle préfère à juste raison. Son plus grand souci est d'apprendre qu'il y a quelque part un piquant visage féminin dont elle n'a pas encore eu la visite. Aussitôt elle en entreprend la recherche avec l'ardeur de ces bibliomanes passionnés, de ces furieux antiquaires qui poursuivent un Elzévir ou une médaille, et maigrissent tant qu'ils ne les ont pas trouvés. Je vois cette différence entre eux et madame Charles B...., qu'ils aiment la médaille et l'Elzévir d'un amour égoïste et pour eux-mêmes, tandis que madame B.... ne fait des fouilles que pour les autres; elle veut qu'on dise: «Étiez-vous, hier, au bal de madame B...? il y avait toutes les jolies femmes de Paris!»--Les plus fins valseurs et le plus fin orchestre, les plus jolies femmes et les meilleures glaces, voilà l'ambition de madame de B...; de tout le reste, elle s'en inquiète fort peu.--Mercredi dernier, elle était à l'Opéra. Dans la loge placée en face de la sienne, une jeune femme, d'une remarquable beauté, attirait l'attention. On se demandait son nom, mais personne ne le connaissait.--«Ah! dit madame B..... qui n'en savait pas plus qu'une autre, il faudra que l'hiver prochain j'aie ces deux yeux-là dans mon salon?»

Dans la trilogie des Burgraves, Job, âgé de cent ans, devait dire à Magnus, son fils, qui en compte soixante: «Jeune homme, taisez-vous!» Cette apostrophe m'a rappelé le mot d'un autre patriarche; celui-ci n'avait que quatre-vingts ans, et son fils en possédait cinquante. Le fils s'avisa de mourir subitement; on alla trouver le père; et lui, apprenant la fatale nouvelle, de s'écrier: «J'avais bien dit que je ne pourrais pas élever cet enfant-là!»

Le salon de peinture est resté fermé toute la semaine; cette clôture de huit jours a jeté la désolalion dans le peuple des désoeuvrés; il y a toujours à Paris quelque lieu d'asile pour cette nation qui n'a rien à faire. Mais le salon est son paradis de prédilection; au 15 février, le flâneur, cette espèce errante de le flore parisienne, entre en possession du Louvre et n'en sort qu'au 15 mai. Le flâneur a donc été obligé de porter, cette semaine, sa tente ailleurs: le matin, à la place du Carrousel, au moment de la garde montante; et, le reste de la journée, à la grâce de Dieu. Après tout, le flâneur est philosophe et prend volontiers son parti: aujourd'hui au Champ-de-Mars, demain au rond-point de la Bastille, peu lui importe! Mais la classe véritablement et douloureusement frappée par cette clôture momentanée du salon, c'est l'estimable classe qui a son portrait à l'exposition de 1843. M. de Cailleux ne sait pas le mal qu'il lui a fait. Tous ces honnêtes gens avaient pris, depuis un mois, la douce habitude d'aller, de dix heures à quatre heures, se contempler eux-mêmes sur tuile et encadrés; les uns aimaient à se voir dans l'attitude héroïque d'un garde national patrouillant autour de sa mairie; les autres, majestueusement coiffés de leur bonnet d'avocat ou de leur toge magistrale; ceux-ci plongés dans la poésie du registre en partie double; ceux-là arrosant leurs tulipes, ou jouant au cheval fondu avec leur dernier né, ou souriant agréablement à la compagne de leur vie, occupée de leur broder des pantoufles. Être privé, pendant huit jours, de sa propre image, quelle douleur et quelle abstinence! Les portraits en bustes ne savaient que devenir, les portraits en pied tombaient dans la tristesse, les poitraits de famille perdaient le boire et le manger. Je ne plaisante pas; j'ai des preuves de ce que j'avance. Un de mes voisins s'est fait peindre cette année, lui et son chien, sa femme et son chat, son fils et son serin; c'est une peinture de famille au grand complet. Or, je n'ai pas mis le pied une seule fois au Louvre, sans rencontrer le père, la mère et l'eufant, se promenant de long en large devant leur propre tableau. Le serin manquait, il est vrai et le chat aussi. Le gardien avait sans doute exigé qu'on les laissât au dépôt des cannes.--Eh bien! toute cette semaine, mon voisin a été d'une humeur de dogue: il ne pouvait plus se mirer à l'huile dans sa propre image ni dans l'image des siens. Assurément, si on avait besoin d'apprendre combien l'homme s'adore lui-même, il suffirait de se mettre en vedette dans la galerie des portraits. Là vous rencontrez à chaque pas les modèles en extase devant leurs copies; et, par un admirable don de la Providence, ce sont les plus laids en réalité et en peinture, qui paraissent s'aimer le plus et faire avec le plus de satisfaction des petites mines à leurs portraits.

En vérité, c'est effrayant! Avez-vous examiné le relevé statistique et officiel de la consommation de la bonne ville de Paris, pendant le mois de mars qui vient de finir? Mais on n'a jamais vu un pareil ogre! Le mois de mars 1842 s'était distingué par un assez bel appétit, je l'avoue; il avait fait cuire et assaisonner, en trente jours 5.721 boeufs, 1.281 vaches, 5.439 veaux, 52.000 moutons. C'est quelque chose, surtout quand on songe ce que cette effroyable cuisine exige de grils, de casseroles et de marmites; mais enfin on peut s'en tirer. Interrogez le mois de mars 1843, s'il vous plaît; il vous répondra, en haussant les épaules, que son frère aîné de 1842 s'est tenu à la diète, et que, lui, 1843 n'aurait fait de tout cela qu'une bouchée. 6.987 boeufs, 1.458 vaches. 6.051 veaux. 38.128 moutons, voilà le menu de ce terrible mois. Quel petit souper!--On attribue généralement cette consommation extraordinaire de moutons et de veaux, à l'apparition des Margraves, ces hommes géants.

M. V..... espérait en vain depuis longtemps le bonheur d'être père. Le ciel vient de mettre fin à son attente, et de combler tous ses voeux. M. V.... en a reçu hier l'heureuse nouvelle. Je ne chercherai pas à vous donner une idée de sa joie. Dans son transport, il a écrit à madame V.... la lettre que voici: «Ma chère amie, je te remercie beaucoup du fils que tu as bien voulu me donner.»

On parle beaucoup, dans le monde dramatique, d'une aventure qui aurait un directeur et un auteur pour acteurs principaux. Le directeur se croit le droit d'accuser l'auteur de lui avoir fait une de ces délicates blessures dont plus d'un héros de Molière se plaint assez naïvement. Le directeur exposait son grief à un de ces amis intimes qui n'a jamais écrit une ligne de sa vie. Celui-ci cherchait à le consoler. «Me consoler, répliqua l'autre, me consoler, jamais! Si cela venait de ta part, si c'était toi, je ne dis pas; mais un homme d'esprit, un homme qui fait des pièces, c'est humiliant!»

Le bruit court qu'un prince héréditaire d'Allemagne a retrouvé, au comptoir d'un café du boulevard Palien, la princesse sa fille, qui lui avait été enlevée au berceau il y a dix ans, sans qu'on eût jamais retrouvé ses traces. Nous éclaircirons cette nouvelle singulière dans notre prochain courrier.


Premières Représentations.

DE PIÈCES DE THÉÂTRE HISTORIQUES.

ÉTUDES SUR LUCRÈCE.

Lorsqu'une oeuvre dramatique dont le sujet est emprunté à l'histoire s'annonce dans le monde littéraire, l'homme d'étude se prépare à l'aller entendre en évoquant ses souvenirs; l'homme du monde interroge sa bibliothèque, et veut connaître au moins les données principales sur lesquelles l'auteur a construit sa fable. Ce travail, que font quelques-uns, pourquoi la presse ne le ferait-elle point pour tous? Toutes les fois que serait prochaine la représentation d'une grande pièce dont les récits de l'histoire forment la trame principale, pourquoi ne la ferait-on pas précéder d'une analyse des sources historiques où l'auteur a pu s'inspirer? Nous tentons de commencer ce travail par l'oeuvre d'un jeune homme qui nous est tout à fait inconnu, mais qui est déjà cité par quelques hommes de goùt et de sens, comme ayant fait consciencieusement un de ces ouvrages sérieux que repousse, depuis longtemps une décourageante ironie.

L'événement qui fait le sujet de la tragédie que l'Odéon annonce n'est pas seulement un fait domestique plein d'intérêt et de grandeur, c'est aussi toute une révolution politique qui renversa la royauté romaine. «Sextus Tarquin, dit Montesquieu, en violant Lucrèce, fit une chose qui presque toujours a fait chasser les tyrans; car le peuple à qui une action pareille fait sentir sa servitude, prend d'abord une résolution extrême.»

Disons quelques mots des personnages qui figurent dans la tradition historique.

La haine de tous les siècles, malgré quelques apologistes, a poursuivi Sextus Tarquin digne fils du Superbe. C'est ce même Sextus qui s'introduisit dans Gabies assiégée, en se donnant pour victime de la colère paternelle, et qui, lorsqu'il se fut rendu maître de ses dupes, interpréta avec tant d'esprit les têtes des hauts pavots coupées par son père devant l'envoyé chargé de le consulter sur le sort des vaincus.

Lucrèce, fille de Lucrétius Tricipitinus, épousa Collatin, parent de Tarquin. Collatin ne doit qu'à la vertu et au courage de sa femme, et son nom historique et l'honneur d'avoir été un des deux premiers consuls de Rome.

Enfin un hasard providentiel comme on le verra par le récit qui suit, donna pour témoin à ce grand drame un homme dont la grandeur inconnue jusqu'alors créa la force et la gloire de Rome. L. Junius appartenait à une famille considérable: son père avait épousé une fille de Tarquin l'Ancien; Tarquin le Superbe, redoutant son crédit, le fit assassiner. Son fils aîné aurait pu le venger; il eut le même sort. Lucius Junius, son second fils, quoique fort jeune, comprit, dit Tite-Live qu'il ne devait laisser au tyran rien à redouter dans son caractère, et rien à désirer dans sa fortune. En effet. Tarquin, comme tuteur, administra les biens de l'orphelin qu'il avait fait, et, Junius contrefit l'insensé, cherchant dans le mépris la sûreté qu'il ne trouvait pas dans la justice. Il se hissa même surnommer Brute, pour qu'à l'abri de ce surnom le genie libérateur du peuple romain pût atteindre son heure. Th. Howe a réuni avec fidélité, dans sa vie de Junius Brutus, les traits de feinte démence que les auteurs ont rapportés de lui.

Les principaux personnages étant ainsi esquissés, nous ne pouvons mieux faire, après avoir indiqué en passant le récit de Denys d'Halicarnasse et les vers ingénieux, mais froids d'Ovide dans ses Fastes, que d'essayer de traduire l'excellente narration de Tite-Live. Niebuhr n'hésite pas à l'appeler le chef-d'oeuvre de toute son histoire.

La scène se passe au siège d'Ardée, que les Romains voulaient prendre par la famine.

«Les jeunes princes passaient assez souvent leurs loisirs entre eux à des festins et des parties de plaisir. Un jour on buvait chez Sextus, ou soupait aussi Collatin Tarquin, fils d'Égérius; la conversation des convives tomba sur leurs femmes: chacun exalta la sienne. La discussion s'animait: «Il n'y a pas besoin de tant de paroles, dit Collatin; en peu d'heure, vous pouvez savoir combien ma Lucrèce l'emporte sur les autres. Si nous sommes jeunes et forts, montons à cheval, et allons voir par nous-mêmes ce que font nos femmes; chacun de nous tiendra pour preuve décisive ce qui frappera ses veux au retour d'un mari qu'on n'attend pas.» On était échauffé par le vin: «Allons!» c'est le cri général. Ils volent à Rome de toute la vitesse de leurs chevaux. Ils y arrivent à la tombée de la nuit, et de là poursuivent jusqu'à Collatie. Ils trouvent Lucrèce, non pas comme les brus rivales, dans la pompe d'un festin avec leurs compagnes, mais au milieu de ses appartements, et, malgré la nuit avancée, travaillant à la laine, entourée de ses femmes, qui veillaient comme elle. Dans la lutte engagée, le prix est décerné à Lucrèce; elle accueille avec grâce son mari et les Tarquins, et le vainqueur se fait un plaisir d'inviter les jeunes princes. C'est là que Sextus est saisi du criminel désir de déshonorer Lucrèce par la violence, désir qu'irrite tant de beauté jointe à tant de vertu. Après une joyeuse nuit, ils retournent au camp.

«Peu de jours après, Sextus Tarquinius, à l'insu de Collatin, n'ayant qu'un seul homme de suite, vint à Collatie. On ignorait ses projets, on lui fait bon accueil, et après souper il est conduit à la chambre des hôtes. Quand tout lui paraît tranquille et livré au sommeil, brûlant d'amour, l'épée à la main, il va à Lucrèce endormie, et lui appuyant la main gauche sur la poitrine; «Silence. Lucrèce, lui dit-il, je suis Sextus Tarquin, j'ai mon épée; tu meurs si tu dis un mot.» Ainsi éveillée et saisie de terreur. Lucrèce ne voit aucun secours, et la mort est devant elle. Alors Tarquin fait l'aveu de son amour, conjure, mêle les menaces aux prières, emploie tous les moyens qui peuvent émouvoir l'esprit d'une femme; elle demeure inébranlable, insensible même à la crainte de la mort; il y ajoute la crainte du déshonneur. Il la tuera, dit-il, et près d'elle il placera le corps nu d'un esclave égorgé comme elle, afin qu'on dise qu'elle a péri surprise dans un ignoble adultère. Par cette terreur, le crime triomphe de la vertu obstinée de Lucrèce, et Tarquin part glorieux de sa victoire sur l'honneur d'une femme.

Inconsolable d'un si grand malheur. Lucrèce envoie un messager à Rome et à Ardée, vers son père et son mari. Elle leur mande de venir chacun avec un ami fidèle: qu'il fallait agir et se hâter: qu'il était arrivé une chose affreuse. Sp. Lucrétius amène P. Valerius, fils de Volesus, et Collatin L. Junius Brutus, avec qui il retournait à Rome quand il avait rencontré le courrier de son épouse. Ils la trouvent assise dans sa chambre et désolée. A leur arrivée, ses larmes jaillirent: son mari lui demande si tout va bien: «Non, répond-elle, il ne peut y avoir rien de bien pour une femme qui a perdu l'honneur. Les traces d'un étranger sont dans ton lit, Collatin. Au reste, le corps seul a été souillé, l'âme est pure; ma mort en rendra témoignage. Mais donnez-moi vos mains et votre serment que l'adultère ne restera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, qui, lâche ennemi quand j'avais cru recevoir un hôte, et s'armant de violence, a emporté d'ici, la nuit dernière, une joie mortelle pour moi, mortelle aussi pour lui, si vous êtes des hommes.» Tous, l'un après l'autre, lui donnent leur parole; ils veulent consoler son désespoir en rejetant la faute de la victime sur le coupable; ils lui répètent que l'âme seule peut faillir, et non le corps, et qu'où il n'y a pas eu de consentement, il ne peut y avoir de crime. «Vous verrez, leur répond-elle, ce qui lui est dû. Quant à moi, si je m'absous de la faute, je ne m'exempte pas du châtiment: nulle femme ne citera Lucrèce pour pouvoir vivre sans honneur.» Alors elle s'enfonce dans le coeur un couteau qu'elle tenait caché sous sa robe; elle tombe expirante sous le coup. Son mari, son père, poussent ensemble un cri d'horreur.

Tandis qu'ils sont en proie à leur douleur, Brutus retire de la blessure le couteau d'où le sang dégoutte, et le tenant devant lui: «Par ce sang si pur avant l'outrage royal, je jure, et vous, dieux, je vous prends à témoins, je jure de poursuivre Tarquin le Superbe et sa scélérate épouse, et ses enfants et sa race, par le fer, par le feu, par toutes les armes qui seront en mon pouvoir; je jure de ne jamais souffrir ni qu'eux ni qu'un autre régnent dans Rome!» Il passe ensuite le couteau à Collatin, puis à Lucrétius et à Valerius, stupéfaits du prodige qui met une nouvelle âme dans la poitrine de Brutus. Ils font le serment qu'il leur dicte, et passant tout entiers du désespoir à la fureur, ils suivent Brutus qui les appelle et les guide à la destruction de la royauté.

C'est là sans contredit un grand et magnifique tableau.

Quoique Valére-Maxime ait appelé Lucrèce l'honneur et la gloire de la chasteté romaine, son héroïsme n'en a pas moins été l'objet de doutes railleurs et de suppositions peu bienveillantes. On a eu tort cependant de ranger saint Augustin au nombre de ses détracteurs. Saint Augustin n'examine que la question du suicide. Mais une foule d'écrivains inférieurs qui trouvent moyen de faire de petits quatrains avec de grandes choses, ont eu le triste courage de s'égayer au prix de tant de noblesse et de malheur. Depuis l'épigramme latine rapportée par Henri Etienne, jusqu'à la chanson de Marmontel, on pourrait citer une assez longue liste de ces esprits malheureux pour qui la chasteté n'est qu'une vertu équivoque et qui prête à rire. Un de nos plus grands écrivains n'a-t-il pas essayé de déshonorer la vierge qui sauva la France!

Parmi les auteurs qui ont sérieusement discuté le mérite de Lucrèce, il en est qui ont porté l'égarement jusqu'à ne voir dans sa mort qu'un acte de fanatisme politique qui voulait à tout prix l'expulsion des Tarquins. D'autres ont cru que l'amour n'était pas étranger à la première partie de l'histoire de Lucrèce. Parmi ces derniers, il faut citer surtout le comte Verri dans ses Nuits romaines aux tombeaux des Scipions, en présence des ombres des plus glorieux Romains; l'ombre de Pomponius accuse Lucrèce de ne s'être tuée qu'après avoir reconnu que son déshonneur à demi volontaire serait révélé par l'indiscrétion de Sextus. Cicéron la défend mollement; Brutus le Jeune, avec plus de chaleur, veut repousser l'accusation et interpelle l'ombre de Lucrèce: Lucrèce, sourde à cet appel, s'appuie sur un tombeau, se tait et pleure.


(Agrandissement)

Chronique musicale.--Concerts du Conservatoire

Il va, à l'école royale de musique et de déclamation, une petite salle destinée originairement à servir de théâtre aux exercices des élèves, et disposée de telle sorte qu'elle peut devenir alternativement et selon qu'il convient, salle de spectacle, ou salle de concert. Là, point de lustre étincelant, point de tapis, de peintures, de dorures, rien de ce qui attire et éblouit la foule. Aucune salle peut-être, dans nos quatre-vingt-six départements, n'est plus modestement décorée, ni éclairée avec plus d'économie: aucune n'affecte un plus profond dédain pour le luxe et pour l'élégance extérieure. En revanche, il n'en est aucune assurément dont les portes soient assiégées chaque année avec plus d'empressement, et qui se remplisse d'un auditoire plus éclairé, plus attentif, plus difficile à satisfaire, et plus prompt à la reconnaissance et à l'enthousiasme, lorsqu'il est satisfait.


(Salle des Concerts du Conservatoire.)

Voilà quinze ans que la société des artistes qui concourent à l'exécution des concerts du Conservatoire s'est organisée. Ce fut M. Habeneck qui, en 1828, les réunit et jeta les fondements de leur association. Depuis cette époque, il n'a pas cessé de les diriger. Le but de cet habile et savant musicien était, dans l'origine, de faire connaître au public les productions d'un homme de génie depuis longtemps illustre et vénéré en Allemagne, mais que la France n'avait pas encore compris. Seul, Habeneck avait déjà fait une étude consciencieuse et approfondie des procédés et du style de Beethoven; il avait deviné tous les secrets de ce génie mystérieux, et lui avait voué dans son coeur un culte pour lequel il cherchait partout des prosélytes. Déjà deux fois, à l'Académie royale de Musique, il avait tenté d'introduire les artistes, ses confrères, dans ce monde inconnu et merveilleux, créé par l'auteur des modernes symphonies. Deux fois il avait échoué. La formation de la société des concerts fut le signal de la troisième tentative. Celle-ci réussit plus complètement qu'Habeneck lui-même n'eut peut-être osé l'espérer.

Nous n'essaierons pas de décrire les transports d'admiration et d'enthousiasme qui éclatèrent de toutes parts à l'apparition de ces chefs-d'oeuvre si hardiment conçus, si neufs de pensée et de forme, si riches de coloris, si vastes de proportions, si magnifiques d'ordonnance. Ce fut, pour la France artiste, comme la découverte d'un nouvel univers, et la révélation d'un nouveau dieu.

L'orchestre, formé et dirigé par Habeneck, était en même temps une chose merveilleuse et tout à fait inattendue. On n'avait pas encore vu d'exemple d'une exécution purement instrumentale aussi intelligente, aussi habilement nuancée, aussi chaleureuse, aussi puissante. Dès le premier jour, cet orchestre incomparable parut avoir atteint les limites extrêmes de l'art, et pourtant il s'est perfectionné, depuis cette époque, d'année en année. Aujourd'hui sa réputation est établie dans toute l'Europe, et l'Allemagne, cette patrie de la musique instrumentale, n'en a pas un seul qu'elle puisse ni qu'elle ose lui comparer.

Tous les ans la société donne huit ou neuf concerts. Chacun est consacré à l'exécution d'une des oeuvres symphoniques de Beethoven. Cela dure depuis quinze années, et l'admiration publique paraît encore aussi vive, aussi jeune que le premier jour.

Malgré cette large place accordée à Beethoven, les autres maîtres de l'art ancien et moderne ont néanmoins conservé la leur. Marcello, Pergolése, Haendel, Gluck, Haydn, Mozart, Weber, Méhul, Chérubini, viennent figurer tour à tour dans cette lice glorieuse, et si les représentants de l'art italien y paraissent plus rarement et en plus petit nombre, c'est sans doute à cause de la difficulté qu'il y aurait à leur trouver des interprètes dignes d'eux. L'école italienne est essentiellement vocale, et malheureusement le chant, sauf de rares exceptions, a toujours été jusqu'ici la partie faible des concerts du Conservatoire.

Nous ne pourrions nous étendre sur ce sujet, sans nous exposer à raconter ce qui est su de tous nos lecteurs. Cependant on ne nous saura pas mauvais gré, nous l'espérons, de jeter un coup d'oeil rapide sur les séances de cette année.

Il y en a déjà eu six, et plusieurs ont excité un vif intérêt.

Trois symphonies nouvelles ont été essayées:--La première, de M. Mendelshon-Bartholdy, l'un des compositeurs vivants les plus renommés en Allemagne;--la seconde, de M. Swencke, Allemand aussi, mais qui habite Paris depuis longtemps;--la troisième, de M. Rousselot. Celui-ci est Français, élève de notre Conservatoire, et même, si nous ne nous trompons, fit partie, pendant plusieurs années, de la Société des Concerts.

M. Rousselot est jeune, et probablement l'ouvrage qu'il a fait entendre était son coup d'essai en ce genre. Du moins l'étendue excessive de quelques parties, l'abondance et peut-être la prolixité de ses développements, semblent nous donner le droit de le supposer. L'art de se borner, la force et le courage nécessaires pour supprimer sans pitié certains détails, et pour aller droit au but, sont presque toujours les fruits précieux et tardifs des années et de l'expérience. Peut-être encore pourrait-on désirer, dans la symphonie de M. Rousselot, plus de chaleur, plus de verve, et des idées d'une plus grande valeur; mais, s'il y a quelques défauts, il s'y trouve aussi de belles qualités, une entente remarquable de l'instrumentation, une extrême habileté de contre-pointiste. Personne ne sait mieux que lui prendre un sujet, lui donner mille positions, mille formes différentes, le présenter sous mille aspects divers. C'est même parce qu'il abuse quelquefois de ses ressources et de sa fécondité en ce genre, qu'il tombe dans l'inconvénient que nous signalions tout à l'heure. Son défaut n'est que l'excès d'une qualité. C'est donc, à tout prendre, un heureux défaut, et tout le monde comprendra qu'il est plus facile de modérer une faculté que l'on a, que de suppléer à une faculté qui nous manque. La symphonie de M. Rousselot est, en résumé, une oeuvre consciencieuse et fort estimable, et qui atteste un remarquable talent.

A quelques modifications près, on en peut dire autant des ouvrages de MM. Swencke et Mendelshon-Bartholdy. Peut-être y a-t-il chez ces deux compositeurs une démarche plus assurée, une disposition de parties plus régulière. Cela prouve qu'ils n'en étaient pas à leur début, et que M. Rousselot est plus jeune qu'eux. Nous ne doutons pas qu'il ne se console aisément de ce malheur.

Dans une discussion entre deux soeurs, l'une, faute de meilleures raisons, faisait prévaloir son droit de primogéniture. «Je suis l'aînée, dit-elle.--C'est-à-dire la plus vieille, répondit l'autre, je ne t'envie pas cet avantage.»

Parmi les oeuvres de musique religieuse exécutées cette année, on a surtout distingué un magnifique motet de Chérubini, et deux fragments d'une messe de J. Haydn. Ces trois morceaux ont paru également admirables par l'élévation de la pensée et la puissance de l'exécution.

Quand un artiste étranger vient à Paris, le plus grand honneur auquel il puisse aspirer c'est d'être admis à figurer aux concerts du Conservatoire. C'est là que Sigismond Thalberg s'est fait entendre pour la première fois. Ces! là que, cette année, Camille Sivori est venu établir ses droits à la succession de Paganini, qui était jusqu'à présent restée vacante.

La sixième séance a été remarquable, non par la révélation d'un talent nouveau, mais par l'exhumation d'un chef-d'oeuvre oublié, ou peut-être inconnu en France. Madame Viardot, cette jeune cantatrice dont nous avons apprécié, dans notre dernier numéro, en parlant du Théâtre-Italien, le talent si brillant et si varié, a fait entendre un air de Pergolése, qui est assurément l'une des plus charmantes créations de ce grand homme. Rien de plus piquant, de plus gracieux, de plus élégant, de plus frais, et même de plus neuf que ce morceau. L'auditoire, d'abord surpris, bientôt ému et transporté, l'a salué d'acclamations unanimes, et l'a redemandé tout d'une voix. Madame Viardot s'est prêtée à ce désir avec une grâce parfaite, et n'y a rien perdu pour son propre compte. Moins préoccupé cette fois du compositeur, le public, a concentré son attention sur la cantatrice, et a compris tout ce qu'il y avait d'esprit, de délicatesse, d'élégance et de charme dans son exécution. Il s'est émerveillé surtout, et à juste titre, de voir ces qualités appliquées à une composition qui date de plus d'un siècle. Pour retrouver avec tant de précision les intentions d'un maître ancien, pour pénétrer tous les secrets d'un style qui a si peu d'analogie avec le style moderne, pour rompre aussi résolument avec toutes les habitudes et tous les préjugés musicaux d'aujourd'hui, il faut joindre à une intelligence supérieure un tact exquis et une érudition peu commune. Soutenir un compositeur vivant est beau, sans doute; mais il faut une bien autre puissance pour ressusciter un mort, et l'on ne s'étonnera pas que ce prodige, opéré si victorieusement par madame Viardot, l'ait encore élevée dans l'estime de tous les connaisseurs.


Des Caisses d'Épargne.

Les Caisses d'Épargne et de Prévoyance ont pour objet de recevoir au fur et à mesure en dépôt les moindres économies des citoyens qui n'ont que leur travail journalier pour vivre, de faire fructifier ces modestes épargnes au moyen des ressources de l'intérêt composé, de les grossir enfin insensiblement jusqu'au moment où elles sont suffisantes pour avoir une destination utile, ou former un placement avantageux.

Le dix-huitième siècle, qui ne connut, lui, que les tontines, ne pouvait que mettre en avant l'idée d'appliquer les intérêts composés. C'est ce qu'il fit. Mais ce fut seulement en 1810 qu'on vit surgir en Angleterre, pays de calcul et d'application pratique, la première caisse d'épargne véritablement digne de ce nom, une caisse gérée gratuitement et dotée des fonds nécessaires pour garantir ses engagements. Le nombre des caisses d'épargne depuis lors alla toujours en augmentant, et il y a quelques années, on en comptait dans le Royaume-Uni environ 500, dépositaires de 600 millions, qui appartenaient à plus de 500,000 personnes. En 1818, une société anonyme, à la tête de laquelle étaient des hommes dont les noms ont été constamment entourés de l'estime et de la reconnaissance, publiques, fonda la Caisse de Paris sur des principes qui depuis ont servi de modèle aux autres. Outre le vénérable Larochefoucault-Liancourt, il nous sera permis de citer, parmi les fondateurs, deux honorables citoyens dont les noms se retrouvent à côté de toutes les institutions utiles et bienfaisantes, MM. François et Benjamin Delessert.

Malgré l'exemple donné par la Caisse d'Epargne de Paris, on ne comptait en France, à la fin de la Restauration, que treize établissements de ce genre. Depuis cette époque, leur nombre s'accrut dans une progression rapide, et qui indiquait suffisamment que les masses commençaient à apprécier les bienfaits de cette institution. En 1836, il existait déjà 220 caisses qui avaient au trésor 93 millions, dont la moitié environ avait été versée par la Caisse de Paris. Au 31 décembre 1839, le solde total des caisses était de 167,474,629 fr. 25 cent.

Les lois des 5 juin 1835 et 31 mars 1837 modifièrent les bases sur lesquelles avaient été primitivement établies les Caisses d'Épargne. Le minimum de la somme à déposer est toujours cependant de 1 fr., sans fraction de franc. On ne peut verser plus de 500 fr. par semaine, et la somme appartenant à chaque déposant ne peut excéder 5,000 fr.; les sociétés de secours mutuels sont seules admises à avoir un dépôt de 6,000 fr. La dernière de ces lois réalisa en même temps une grande amélioration en autorisant les Caisses à verser en compte courant leurs fonds au Trésor public, qui leur en paie un intérêt de 4 pour 100. Il opère aussi sans frais le transfert d'une Caisse à l'autre dans toute la France. L'État devient ainsi l'administrateur de la fortune publique et privée; payant un intérêt de 4 p. 100, il est dans la nécessité d'employer les sommes qui, auparavant, restaient inactives dans ses coffres. La Caisse, de son côté, paie aux déposants un intérêt, non plus de 5 p. 100, comme dans le principe, mais seulement de 3 fr. 75 cent. pour 100 fr. La différence entre 5 fr. 75 cent. et 4 fr. est bonifiée au profit de la Caisse, qui subvient, au moyen des ressources qu'elle en tire, à ses frais d'administration. Cette réduction d'intérêts s'est opérée sans secousse ni perturbation; car on avait déjà reconnu que les déposants avaient moins en vue un intérêt considérable qu'une accumulation successive de petits capitaux, la facilité de les retirer à volonté et la sûreté du placement.

H y a trois classes d'individus auxquels les Caisses d'Épargne peuvent surtout être utiles; les domestiques et autres gens à gages, les ouvriers, les habitants des campagnes.

Les premiers placent généralement mal leurs économies, en des mains peu sures. Désabusés aujourd'hui par tous les mécomptes et toutes les pertes qu'ils ont subis, ils commencent à se servir des Caisses d'Épargne.

Les ouvriers ont eu plus de peine à en prendre le chemin. Les préjugés particuliers à cette classe, les tentations, de funestes habitudes, de mauvaises connaissances, les en ont bien longtemps empêchés. Peu à peu, toutefois, ils sont arrivés à se convaincre que les Caisses d'Épargne sont, suivant l'expression de M. de Cormenin, des écoles de moralité, où le travail, fondé sur l'intérêt personnel, maîtrise les vices et les mauvaises passions des hommes. «Il n'y a pas d'exemple, dit M. B. Delessert, qu'un porteur de livret ait été condamné par les tribunaux. » Le nombre des ouvriers déposants s'accroît dans une rapide progression. Aujourd'hui, ils forment la majorité des déposants nouveaux. Mais il n'en est pas de même dans les départements, pour les habitants des campagnes. Défiants et soupçonneux, ils ne veulent pas qu'on sache qu'ils ont de l'argent, ou bien ils se croiraient perdus s'ils le sortaient de la cachette où ils l'ont enfoui, et où il dort improductif jusqu'à ce qu'ils achètent un petit lot de terre. Que de capitaux ces habitudes inintelligentes n'enlèvent-elles pas à la circulation.

En tête de toutes les Caisses d'Épargne du royaume, se place naturellement celle de Paris. Il ne sera sans doute pas sans intérêt d'extraire du rapport présenté par M. B. Delessert quelques détails sur sa situation.

En 1841, la Caisse a reçu à divers titres. 40,041,548 f. 50 c.
Elle a remboursé par contre. ......        26,911,458    78

Augmentation des versements sur les remboursements.
                                           13,130,009    52

Au 31 décembre 1841, le solde du aux
déposants était de...........              83,485,457    50

En 1841, il y a eu 34,303 déposants nouveaux, dont 18,875 ouvriers, et 7,200 domestiques. La moyenne de chaque versement a été de 141 fr.; celle de chaque remboursement, de 410 fr.; celle de chacun des 134,000 livrets existants au 31 décembre 1841, de 619 fr. A cette même époque, les 285 Caisses d'Épargne des départements, non compris celle de Paris, avaient en compte courant à la Caisse des dépôts et consignations, 157,988,002 fr.; en y joignant ce qui était dû à la Caisse de Paris, nous trouvons un total de 241,661,552 fr. et une augmentation totale de 32,921,001 fr. pour la seule année 1841.

Que de passions domptées, que de mauvais conseils repousses, que de vertus acquises pour amasser et conserver ces 241 millions! En prévenant de nombreuses douleurs, ces habitudes d'ordre et d'économie donnent de nouveaux gages à la paix, à la tranquillité publiques; car il ne faut pas s'y tromper, le pauvre qui commence à avoir une petite propriété cherche dès lors à se garantir, par une économie soutenue, contre les privations de l'indigence, et du moment où il a un petit pécule placé sur l'État, non-seulement il n'y attache pas moins d'importance que le plus fort capitaliste à ses trésors, mais il cherche sans cesse à le grossir. Si nous en voulions une preuve, il nous suffirait de citer un exemple. A l'occasion du mariage du duc et de la duchesse d'Orléans, 40.000 fr. furent distribués entre 1,760 livrets, qui furent répartis à Paris entre autant d'enfants. Le nombre de ces livrets est encore aujourd'hui de 1,698, et la somme due aux jeunes déposants est de 136.000 fr.: en quatre ans et demi elle s'est accrue de 97.000 fr.

On voit donc de quel intérêt il peut être pour le pays et pour les individus d'augmenter le nombre des Caisses d'Épargne. Seconder le mouvement qui porte les petits capitaux vers ces utiles établissements, c'est répandre dans la population des éléments de sécurité et de bonheur.


Longchamp.

L'abbaye de Longchamp.--Mort de Philippe le long.--Henri IV et Catherine de Verdun.--Lettre de Saint Vincent de Paul.--Sermons prêchés à Boulogne.--Ermites du mont Valérien.--Conversion de mademoiselle Lemaure.--Les Ténèbres à Longchamp.--Le musicien Lalande.--Longchamp sous Louis XV.--La Guimard et ses armes portantes.--Equipage de mademoiselle Duthé.--Mademoiselle Cléophile.--Anecdote--M. le comte d'Artois (Charles X).--Efforts de l'archevêque de Paris contre Longchamp.--Arrestation de mademoiselle Rancourt.--Longchamp de 1780--Carrosses de porcelaine.--Les princes à Longchamp--Modes de 1784.--Voitures anglaises.--Mesdemoiselles Adeline et Deschamps.--Longchamp de 1787.--Parodie de Longchamp, par le marquis de Villette.--Interruption de Longchamp.--Modes de 1793.--Démolition de l'abbaye.--Renaissance de Longchamp.--Semaine sainte de l'an VIII.--Vol d'un couvert.--Longchamp de l'an X.--Verts inédits de Luc de Lancival. Longchamp en 1815.--Conclusion.

En racontant l'histoire des moutons de Dindenout, Rabelais a écrit celle du genre humain. Dans la foule qui piétine, roule, ou chevauche à Longchamp, peu de gens se demandent l'origine de cette promenade annuelle. Nous y venons parce que nos pères y sont venus, c'est une des clauses de l'héritage que nous ont légué les générations précédentes, et que nous transmettrons à nos descendants. Les usages, une fois établis, trouvent une raison d'être dans leur existence même; plus ils durent, plus ils se consolident, et on les observe encore longtemps après en avoir oublié la cause première. Pourquoi ces flots vont-ils à la mer? parce qu'ils sont poussés par d'autres flots, et que, derrière ceux-ci, d'autres encore suivent la même pente invincible.... Mais qui s'inquiète de la source?

On a beaucoup disserté sur Longchamp sans approfondir ce sujet si important dans l'histoire des moeurs parisiennes. Chaque écrivain, jugeant plus commode de copier servilement ses prédécesseurs que de recourir aux pièces originales, s'est contenté d'allégations incomplètes, de vagues généralités, de notions acceptées sans examen. Ces maladroits défrichements ont laissé le sol vierge encore, et nos études sur Longchamp seront, nous osons l'espérer, moins imparfaites que celles de nos devanciers.

Au nord du village de Boulogne, entre le bois et la Seine, s'étend une plaine étroite qui doit à sa configuration le nom de Longchamp (longus campus), et non pas Longchamps, comme on l'écrit sans égard pour la syntaxe et pour l'étymologie. Ce fut là que dame Isabelle de France bâtit, en 1250, le monastère de l'Humilité de Notre-Dame. Elle avait écrit à Méméric, chancelier de l'Université: «Je veux assurer mon salut par quelque pieuse fondation; le roi Louis IX, mon frère, m'octroie trente mille livres parisis; dois-je établir un couvent ou un hôpital?» Le chancelier opta pour qu'on ouvrit un asile à des nonnes de l'ordre de Sainte-Claire. La Révolution lui a donné tort: elle eût conservé l'hôpital, elle a démoli le couvent.

L'origine royale de Longchamp lui valut le patronage des souverains. Saint Louis en visitait souvent les religieuses; Marguerite et Jeanne de Brabant. Blanche de France, Jeanne de Navarre et douze autres princesses y prirent le voile. Philippe le Long y mourut le 2 janvier 1321, d'une dysenterie compliquée de fièvre quarte. Pendant qu'il agonisait, l'abbé et les moines de Saint-Denis vinrent processionnellement l'assister, apportant comme remèdes un morceau de la Vraie Croix, un saint clou et un bras de saint Simon. L'application de ces pieuses reliques parut soulager le moribond; mais, suivant la chronique du continuateur de Nangis, la maladie étant revenue par la faute du roi, il fit son testament et expira.

Longchamp, comme tous les autres monastères, comme toutes les institutions humaines, passa de la grandeur à la décadence, de la ferveur au relâchement, de la régularité au désordre. Saint Louis y avait maintenu la stricte observance de la règle; son petit-fils, Henri IV, y prit une maîtresse, Catherine de Verdun, jeune religieuse de vingt-deux ans, à laquelle il donna le prieuré de Saint-Louis de Vernon, et dont le frére, Nicolas de Verdun, devint premier président du Parlement de Paris. Cet exemple paraît avoir été fatal à la moralité de l'abbaye, à en juger par une lettre que saint Vinrent de Paul écrivait, le 25 octobre 1632, au cardinal Mazarin: «Il est certain, disait-il, que, depuis deux cents ans, ce monastère a marché vers la ruine totale de la discipline et la dépravation des moeurs. Les parloirs sont ouverts aux premiers venus, même aux jeunes gens sans parents. Les frères mineurs recteurs aggravent le mal; les religieuses portent des vêtements immodestes, des montres d'or. Lorsque la guerre les força à se réfugier dans la ville, la plupart se livrèrent à toute espèce de scandale, en se rendant seules et en secret dans les maisons de ceux qu'elles désiraient voir.....»

Nous citons ce curieux passage, non pour dénigrer les nonnes de Longchamp, mais pour établir que les relations du couvent avec la capitale étaient fréquentes, et que les Parisiens préludaient par des promenades partielles à la grande promenade périodique. Plusieurs circonstances contribuaient à les entraîner vers ces parages. Dès le quinzième siècle, on allait à Boulogne entendre prêcher le carême par les cordeliers aumôniers de Longchamp. «En 1429, selon le Journal de Charles VII, frère Richard, cordelier, revenu depuis peu de Jérusalem, fit un si beau sermon, qu'après le retour des gens de Paris qui y avaient assisté, on vit plus de cent feux à Paris, en lesquels les hommes brûlaient tables, cartes, billes, billards, boules, et les femmes les atours de leur tête, comme bourreaux de truffes, pièces de cuir et de baleine, leurs cornes et leurs queues. «En outre, il fallait passer par Longchamp pour monter au Mont-Valérien, habité par des ermites qui, au temps où Mercier rédigeait son Tableau de Paris, en 1782, attiraient encore, après quatre ou cinq siècles, un concours étonnant de peuple et de bourgeois Il y avait fluxion sur ce point, et l'autorité ecclésiastique fut souvent obligée d'employer des mesures coërcitives. «Les évêques de Paris, dit l'abbé Leboeuf, ont toujours veillé à ce qu'un trop grand concours à Longchamp n'en troublai la retraite. La bulle du pape Grégoire XIII, sur un jubilé, en avait assigné l'église pour une des sept stations. Pierre de Gondi, évêque, mit l'église de Saint-Roch à la place de celle de Longchamp; et lorsque le pape eut appris ces raisons, il loua sa prudence par un bref que j'ai vu, daté du 10 mars 1584.»

Ce fut au commencement du règne de Louis XV que se régularisèrent les excursions qui avaient pour fut l'abbaye. Une cantatrice célèbre, mademoiselle Le Maure, quitta théâtre en 1727, à la vive douleur du public, qui regrette toujours ceux qui prennent envers lui l'initiative de l'abandon. Des scrupules religieux avaient déterminé la retraite de mademoiselle Le Maure; mais le chant était sa vie; elle n'y put renoncer d'une manière absolue, et lasse de dire les amours d'Armide ou d'Alceste, elle fit retentir de ses notes éclatantes les voûtes de l'église de Longchamp. Les saintes filles se formérent aux leçons de l'actrice; leur psalmodie lugubre devint un angélique concert et tout Paris accourut les entendre chanter Ténèbres pendant la semaine sainte. L'abbesse, étonnée de ce succès, se mit en quête de belles voix, et demanda aux choeurs de l'Opéra. Les dryades du Triomphe de l'Amour, les divinités infernales de Persée, entonnèrent, concurremment avec les vierges du Seigneur, quare fremuerunt gentes, ou miserere mei, Deus. Les Parisiens se crurent au spectacle. On assiégea les portes, on s'amoncela dans la nef, on escalada les galeries, on monta sur les chaises, sur les tombeaux, sur les autels des chapelles. Ce fut, pendant plusieurs années, une effroyable cohue, une avalanche de bruyants visiteurs, l'invasion d'une petite église par une grande ville. Le jour enfin, les curieux, arrivant le mercredi saint aux portes de Longchamp, les trouvèrent fermées par ordre de M. de Beaumont, archevêque de Paris. Le pèlerinage annuel n'en continua pas moins. C'était une inauguration des promenades, une fête publique du printemps, une manifestation joyeuse en l'honneur du soleil et des toilettes d'avril, des nouvelles feuilles et des nouvelles modes, des beaux jours renaissants et des jolies femmes ranimées. C'était, à défaut des cantiques de Longchamp, un hommage rendu à celui qui vivifie la nature après l'hiver.

En recherchant ce qui concerne les premiers Longchamp, nous n'avons exhumé qu'une seule anecdote. Lalande, musicien de la chapelle du roi, voulant aller à Longchamp, se rend chez le loueur de chevaux Mousset, et loue un cheval avec selle de velours, housse galonnée, bride et bridon d'or; il donne 9 fr. d'arrhes. En sortant de l'écurie, il rencontre trois de ses collègues, Daigremont, Douillet et Mondoville, qui l'invitent à monter avec eux dans une calèche et à les accompagner à Longchamp. Lalande répond qu'il vient de louer un cheval, mais que s'il peut retirer ses arrhes il sera volontiers de la partie. On retourne chez le loueur: «M. Mousset, dit Lalande, montrez-moi donc encore une fois le cheval que j'ai arrêté.--Le voici. Monsieur.--Savez-vous qu'il est bien court, votre cheval, et qu'il y a peu d'espace entre le cou et la queue? Car enfin, c'est moi qui paie: je prends la première place, voici celle de Daigremont, Doublet se tiendra là; mais je ne vois pas où diable sera placé Mondoville, et celui-là compte!»

Le loueur, après avoir écouté attentivement ce calcul, se hâte de restituer les arrhes.

De 1750 à 1760 Longchamp atteignit son apogée. C'était alors une solennité: grands seigneurs, diplomates, fonctionnaires publics, financiers et fermiers-généraux y faisaient assaut de luxe et d'élégance. A Naples, à Madrid, le roi lui-même par un sentiment de pieuse vénération, n'aurait pas osé monter en voiture pendant la semaine sainte: à Paris, au contraire, l'aristocratie préparait longtemps à l'avance les plus somptueux équipages, et les bourgeois modestes, ceux qui allaient ordinairement à pied, dérogeaient durant trois jours à leur habitude. Calèches, fiacres, cabriolets, carrosses de remise, chevaux, chaises à porteur, vinaigrettes, tous les véhicules disponibles étaient mis en réquisition. Dès le mercredi saint, une immense cohue encombrait les allées des Champs-Elysées et du bois de Boulogne. Les actrices y venaient briguer les applaudissements que les vacances de Pâques les empêchaient de chercher sur le théâtre. Les femmes qu'on appelait alors les impures, et qui doivent leur nom actuel au quartier qu'elles habitent, se montraient resplendissantes de diamants qui les paraient sans les éclipser. Les journalistes, les pamphlétaires, les peintres de moeurs, ne manquaient pas au rendez-vous général, et les nombreux documents qu'ils ont recueillis nous mettent à même de tracer, presque année par année, une monographie de Longchamp.

La promenade de mars 1768 fut favorisée par la beauté du temps et de la douceur de la température. «Les princes, les grands du royaume, disent les mémoires contemporains, s'y rendirent dans les équipages les plus lestes et les plus magnifiques.» L'héroïne de la fête fut la danseuse Guimard, que Marmontel avait surnommée la belle damnée. Elle parut dans un char d'une élégance exquise, sur les panneaux duquel, pour mieux rivaliser avec les grandes dames, elle avait fait peindre des armes parlantes. L'écusson portait un marc d'or, d'où s'élevait une plante parasite, un gui de chêne; les grâces servaient de supports et les amours de cimier. Ce blason révélait un lucre honteux; mais, sous ce règne, la licence étaient trop commune pour qu'il lui fût possible d'être effrontée, et l'un oublia l'imprudence de l'aveu pour ne songer qu'à l'esprit des emblèmes.

Quelques années plus tard, en avril 1774, nous voyons la chanteuse Duthé succéder à mademoiselle Guimard dans les fonctions de beauté à la mode. Cet équipage doré, vernissé, traîné par six chevaux fringants, n'appartient point, comme on pourrait le croire, à une princesse du sang royal; il porte tout simplement la Duthé. Le mercredi et le jeudi saints elle excite l'admiration; on la proclame et elle se croit sans rivale; mais, le troisième jour un autre équipage, non moins doré, traîné par six chevaux non moins superbes, galope à côté du sien. Quelle était donc celle qui dressait ainsi carrosse contre carrosse, celle qui opposait sa piquante physionomie à la beauté fade et régulière de la Duthé? Une obscure élève d'Audinot, danseuse en double à l'Opéra, la demoiselle Cléophile, qui devait une subite opulence à la protection du comte d'Aranda.

Un an après, la Duthé faisait l'épreuve de l'inconstance du public. Au moment où son équipage entrait en ville, des groupes menaçants l'environnèrent; des huées, des sifflets, des cris d'indignation l'assaillirent avec tant de violence qu'elle fut obligée de rétrograder. Des bruits vagues, calomnieux peut-être, avaient provoqué cette explosion de mécontentements. Le comte d'Artois, marié depuis deux ans à Marie-Thérèse de Savoie, venait souvent incognito de Versailles à Paris. «Las de biscuit de Savoie, disait M. de Bievre, il venait à Paris prendre du thé; et les Parisiens, d'ordinaire peu scrupuleux, avaient pris parti pour la comtesse délaissée.

L'affluence d'actrices et de femmes équivoques faisait de Longchamp un spectacle assez scandaleux pour que l'archevêque de Paris cherchât à en arrêter les progrès, après en avoir entravé la naissance. Il pria le ministre de faire fermer les portes du bois de Boulogne durant la semaine sainte, par respect pour le jubilé de 1776; mais ses réclamations avortèrent, et la promenade eut son cours.

La tragédienne Rancourt, la prima donna du Longchamp de 1777 faillit n'y pas assister. Le 29 mars, resplendissante et fière comme si elle eût joué Roxane, elle s'apprêtait à monter en voiture. Vous pensez aller à Longchamp, madame; vous êtes toute au désir de plaire et de briller; mais vous avez compté sans vos créanciers. Vous n'avez pas aperçu les recors en embuscade autour de votre hôtel; les voici, ils vous entourent, ils s'emparent de votre personne, ils vous invitent poliment à coucher au Fort-l'Évêque. Heureusement qu'un homme généreux, mais peu désintéressé, en sacrifiant quelques milliers de louis, va vous rendre à l'ovation qui vous attend.

Le Longchamp de 1780 fut des plus brillants, en dépit de la vivacité du froid. La file des voitures allait sans interruption depuis la place Louis XV jusqu'à la porte Maillot, entre deux haies de soldats du guet. Les voitures circulaient plus librement dans le bois, dont la garde avait été confiée à la maréchaussée. On signala comme des merveilles deux carrosses de porcelaine. L'un, occupé par la duchesse de Valentinois, avait pour attelage quatre chevaux gris-pommelé, dont les harnais étaient de soie cramoisie brodée en argent, le second appartenait à une impure, mademoiselle Beaupré. Il reparut l'année suivante avec un prince du sang, le duc de Chartres pour écuyer cavalcadeur, «ce qui, disent les mémoires de Bachaumont, n'augmenta pas pour lui la vénération publique.»

Malgré la présence de Monsieur, du comte et de la comtesse d'Artois, du duc et de la duchesse de Bourbon. Le Longchamp de 1781 fut triste. Pendant quelques aimées, il y eut diminution progressive dans le luxe et le nombre des équipages, quoique les modes eussent atteint un degré d'extravagance qui aurait du donner de la splendeur à la fête annuelle de la mode. C'était le temps des étoffes, entrailles de petit-maître, soupir étouffé, jambe de nymphe émue, centre de puce en fièvre de lait: les hommes étaient coiffés à l'oiseau royal, au cabriolet, à la Ramponneau, à la grecque, à l'hérisson; les femmes portaient de gigantesques bonnets à la Belle-Poule, à la d'Estaing, au ballon, à la Montgolfier, au Port-Mahon, au compte-rendu, aux relevailles de la reine. Les carrosses massifs avaient été remplacés par des cabriolets importés d'Angleterre, wiskys ou garricks, voitures légères, mais d'une si prodigieuse hauteur que le peuple disait, en les voyant passer: «Voilà des gens qui vont allumer les réverbères.» Il parut, au Longchamp de 1786, un wisky dont la caisse disparaissait dans le brancard. Les laquais étaient assis sur le devant, et le cocher, placé derrière sur un siège élevé, dirigeait les chevaux par-dessus la tête de ses maîtres. Les beautés remarquables et remarquées de cette même année furent les demoiselles Adeline et Deschamps, appartenant toutes deux à la Comédie-Italienne La première avait reçu de M. de Weymeranges, intendant des postes et relais, un présent de mille louis pour son longchamp. La seconde est nommée par Delille dans une épître sur le luxe:

Cette beauté vénale, émule de Deschamps,

Des débris de vingt ducs scandalise Longchamps.

Une modification essentielle, introduite au Longchamp de 1787. lui rendit momentanément son éclat primitif. On renonça à suivre la route inégale et sablonneuse de l'abbaye, pour adopter l'allée qui va de la Muette à Madrid. «Depuis longtemps, écrit l'annaliste Bachaumont, on ne se rappelle pas avoir vu tant de monde, tant de voitures aussi belles et aussi bizarres: les wiskys y brillaient surtout. Beaucoup de petits-maîtres, beaucoup de dames avaient fait faire une voiture différente pour chaque jour. Un wisky plus bizarre et plus galant que les autres a fait pendant ce temps la matière des conversations. Ce wisky était surmonté d'une Folie avec sa marotte; dedans étaient quatre marionnettes, deux de chaque sexe, saluant à droite et «gauche sans cesse; tout cela était mené par un ânon joliment harnaché, et un jockey dirigeait l'animal. On lisait sur la voiture: D'où viens-je? où vais-je? où suis-je? On l'a appelé la parodie de Longchamp, dont en effet on semblait vouloir faire la critique. Quoi qu'il en soit, ce concours a dû satisfaire le marquis de Villette, qui passe aujourd'hui pour l'auteur.»

La révolution suspendit Lonçchamp. Comment l'aurait-on solennisé? Tous les chevaux avaient été accaparés pour le service des quatorze armées, et le sang coulait sur la place ci-devant de Louis XV. Si quelques voitures avaient osé s'aventurer dans les Champs-Elysées, elles auraient rencontré chemin faisant les charrettes chargées de victimes. Longchamp tomba en même temps que la monarchie. Ne pensez pas toutefois que la mode ait complètement perdu son empire. Exilée de Longchamp, elle se réfugiait dans les galeries de bois C'était au Palais-Égalité qu'on voyait les redingotes à la Zutime en pékin velouté et lacté; les douillettes à la laponne en florence unie; les habits à la républicaine: les caracos à la Nina; les robes à la turque, à la persienne, à la Psyché, au lever de Venus. Où diable la mythologie va-t-elle se nicher?

Cependant l'on abattait sans pitié le vieux monastère; on brisait les nombreux tombeaux de l'église édifiée par sainte Isabelle, et les cendres de la fondatrice, de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe le Long, de Jeanne de Navarre, de Jean II, comte de Dreux, étaient dispersées par des mains profanes. Longchamp semblait mort avec la religion qui l'avait enfanté; les vainqueurs de thermidor le ressuscitèrent. Nous sommes en germinal an V (avril 1797). La terreur est anéantie, l'échafaud renversé, la jeunesse dorée triomphante; Longchamp va renaître pour les ébats des parvenus du Directoire. «Le peuple, dit le Miroir du 26 germinal, commence à voir que ces opulentes niaiseries lui sont de la plus grande utilité. On ne peut compter le nombre des couturières, des marchandes de modes, que nos jolies promeneuses ont fait travailler, pour fixer les regards pendant cette fête, qui, en elle-même, ne ressemble à rien. Pendant que les amours s'occupent de leur parure, les forgerons, les charpentiers, les selliers, travaillent sans cesse à confectionner, à équiper les chars et les chevaux qui doivent traîner cette foule élégante et badine. Gloire à Longchamp, aux niais qui y galopent, aux badauds qui les considèrent! Ils font travailler, ils font vivre le pauvre monde.»

En vertu de ces doctrines, exprimées dans un style qui exhale un parfum d'ancien régime, les Parisiens se portent à Longchamp, le jour du ci-devant mercredi saint. On brave la pluie; on veut reconnaître les lieux; mais il y a encore peu d'élégantes voitures, et l'on ne distingue qu'un seul équipage à quatre chevaux, conduits par des jockeys vêtus à l'anglaise. Le jeudi, les équipages, plus nombreux, vont et reviennent sur deux lignes parallèles. La citoyenne Tallien, la citoyenne Récamier, la citoyenne Lange, la citoyenne Mézerai, du théâtre Louvois, la danseuse Lanxade, ont les honneurs de la journée. Le vendredi, on compte deux mille voitures. Les héroïnes de la veille reparaissent avec des toilettes différentes. L'écuyer Franconi a réuni ses musiciens dans une vaste gondole, qu'escorte une foule d'écuyers, et donne un concert ambulant aux promeneurs, depuis la place Louis XV jusqu'à Bagatelle. Des troupes à pied et à cheval, des agents de police, sont distribués sur toute la route; car le gouvernement est averti qu'une grande conspiration se prépare, et qu'on doit profiter de Longchamp pour prendre le Chemin de Ia Révolte. Comme un symbole, de l'aristocratie déchue, se montre à cette fête une calèche de forme antique, lourde et vermoulue, conduite par deux maigres laquais, et péniblement tiraillée par deux maigres haridelles. A l'entrée des Champs-Elysées s'est formé un groupe d'humoristes, qui narguent le faste des nouveaux enrichis. «Tiens, voici un ex-jacobin.--Celui-ci est un valet qui a dénoncé son maître.--Voilà un comité révolutionnaire: le père, la mère, le fils, tout en était...» Le soir, les citoyennes, en costume d'amazone, ou habillées à la grecque et étincelantes de diamants, vont au théâtre Feydeau entendre Garat chanter Enfant chéri des Dames et l'air d'Alceste: Au nom des Dieux. Voilà Longchamp reconstitué!

Diverses particularités signalèrent la semaine sainte de germinal an VIII (1798). Le vendredi saint fut en même temps le mardi-gras; on confondit le carême et le carnaval. Il y eut un bal masqué le jeudi saint, et le lendemain on exécuta le Stabat, au grand mécontentement des vieux hébertistes. Les merveilleux de l'an VIII figurèrent à Longchamp en habits gros bleu, brodés en soie bleu-de-ciel, à collet triplement juponné, avec cravates nouées sur le côté gauche, gilets à la débâcle, et demi-chemises de batiste. Les couleurs chamois, serin et violet, dominaient dans les ajustements des dames. Quelques robes étaient bleu-clair recouvertes de linon. La coiffure en vogue était le fichu-marmotte sur un chapeau de paille.

Le soir du vendredi saint, un jeune homme entre chez le restaurateur Naudet; il commande une bisque aux écrevisses, un vol-au-vent, une suprême, des biscuits à la crème et une bouteille de Volney. Il mange vite; et, comme par distraction, met un couvert dans sa poche. Madame Naudet s'en aperçoit, et sans esclandre, elle ajoute sur la carte: un couvert d'argent, 54 fr. Le merveilleux, en payant, se contenta de dire: «Je ne croyais pas que la carte montât si haut.»

En l'an X, Longchamp a repris racine, et inspiré des vers à Luce de Lancival, un des grands poètes de l'Empire:

Célèbre qui voudra les plaisirs de Longchamps:

Pour moi, je choisis mieux le sujet de mes chants;

Mon pinceau se refuse à la caricature.

J'abandonne à Callot la grotesque figure

Du dédaigneux Mondor, brillant fils du hasard,

Pompeusement assis au fond du même char

Dont naguère il ouvrait et fermait la portière;

Ce fat, tout rayonnant de son luxe éphémère,

Et qui, pour trois louis, s'estime trop heureux

De louer un coursier qui sera vendu deux;

Et nos Vénus, sortant de l'écume de l'onde,

Qui prennent le grand ton pour le ton du grand monde,

Et pensent ennoblir leurs vulgaires appas,

En affichant le prix que les paie un Midas.

Ce qui déplaît à voir n'est point aimable à peindre,

Et Longchamp me déplaît, à parler sans rien feindre.

Tout Paris à Longchamp vole. Qu'y trouve-t-on?

Maint badaud à cheval, en fiacre, en phaéton,

Maint piéton vomissant mainte injure grossière,

Beaucoup de bruit, d'ennui, de rhume et de poussière.

Tel est encore Longchamp de nos jours; car depuis l'an VIII, il n'a plus été interrompu, même lorsque les chevaux des Cosaques rongeaient les arbres des Champs-Elysées, et que la hache des sapeurs ennemis décimait le Bois de Boulogne.

C'est toujours le même programme, exécuté de la même manière; ainsi, cette année, on s'est occupé de Longchamp plusieurs mois à l'avance. La fashion noble ou financière a fait renouveler ses équipages. Les lions ont demandé des tilburys et des wurks à Desouches-Touchard, des habits à Humann, des cannes à Verdier. Les élégantes se sont pourvues des capotes d'Alexandrine, des chapeaux de Lemonnier-Pelvey, surmontés des plumes de Zacharie. Et que d'étoffes nouvellement inventées par nos industriels! échelle orientale, droguet catalan, pékin en camaïeux, lampas burgrave, étoile polaire, caméléon fleuri, etc. Tout cela a été préparé sous l'influence d'un printemps hâtif, et le retour inattendu du froid a déçu bien des espérances, retenu bien des promeneurs au coin du feu, bien des voitures sous la remise; néanmoins, quoique les Champs-Elysées fussent déserts le mercredi, jour de pluie et de giboulées, on y a vu, malgré l'incertitude du temps, un public de choix le jeudi, et une très-grande affluence le vendredi. M. Gabriel Delessert avait, suivant l'usage, publié une ordonnance pour prévenir tous accidents et désordres pendant les promenades de Longchamp, avec défense de rompre la file, de conduire des voitures dans les contre-allées, de monter sur les arbres et sur les candélabres destinés à l'éclairage public. Ces mesures n'ont pas été inutiles le dernier jour, car la foule est revenue avec le soleil; deux lignes de voitures s'étendaient de la place de la Concorde à la porte Maillot; c'était le mardi-gras, moins les masques. Au milieu de la chaussée, circulaient les équipages armoriés, les calèches de la Chaussée-d'Antin, et celles de quelques actrices assez jolies pour avoir voiture avec deux mille francs d'appointements. A l'entour, des sportsmen, en habit fumée de Londres, caracolaient sur leurs nouvelles montures; des commis s'évertuaient à modérer le langage de leurs locatis; de gracieuses cavalières paradaient en amazones de casimirienne à boutons d'or, à manches amadis. Dans les contre-allées erraient les curieux vulgaires, les spectateurs désoeuvrés, qui contribuent eux-mêmes à former le spectacle.

Voilà le Longchamp de cette année; ce sera sans doute, avec de légères variantes, celui de 1844. Longtemps encore, toujours peut-être, on verra les modes nouvelles s'épanouir durant ces trois jours consacrés. Comment voulez-vous que cet usage périsse? Il est devenu en quelque sorte une des fonctions de note organisme. Il est protégé par la coquetterie des femmes, l'orgueil des riches, l'intérêt des commerçants. Qui pourrait ébranler un édifice assis sur les bases aussi éternelles?



La Vengeance des Trépassés.

NOUVELLE.
(Suite.)


§ 3.--Le Moulin.--La famille de Ponce-Pilate.

Mille terreurs, mille soupçons s'élevaient dans le coeur des fugitifs, qui n'osaient encore se les communiquer. Ils allaient sans parler, respirant à peine, livrés tour à tour à l'espoir d'être sauvés et à la crainte d'être trahis. Tout à coup on leur barre le chemin; dans la nuit, une figure humaine est debout devant eux, une main se pose sur l'épaule de don Christoval qui marchait le premier, et une douce voix connue leur dit: C'est moi. Trop tard! don Christoval avait déjà frappé. La pauvre Rachel ne jeta pas un cri; mais elle ajouta aussitôt: «Je suis morte! vous avez tué votre libératrice.» En même temps l'abîme ténébreux dans lequel ils étaient plongés tous trois s'ouvrit comme par enchantement et laissa apercevoir l'immensité du ciel brillant d'étoiles. Rachel, par un dernier effort, poussa en avant ses protégés, et lorsque, après avoir fait un pas, ils se retournèrent vers elle, la porte s'était remise à sa place, le rocher était refermé, tout était silencieux et immobile.

Leur premier mouvement fut de tomber à genoux pour remercier Dieu. Ils se trouvaient dans une prairie couverte d'une herbe haute et touffue; derrière eux s'élevait un énorme massif de rochers sur lesquels avaient crû çà et là des chênes et des pins, dont les spectres noirs et mélancoliques se dessinaient sur le ciel doucement éclairé d'une lueur crépusculaire. La sinistre maison devait être située derrière ces rochers, car on ne la découvrait nulle part, en sorte que rien ne souillait la pureté de ce paysage. Au sortir d'une atmosphère chargée de vapeurs de sang. Léonor et Christoval respiraient avec délices, et cet air embaumé leur rendait les forces dont ils avaient tant besoin.

Don Christoval cherchait la meilleure direction à suivre, quand leur oreille fut frappée d'un bruit lointain et régulier. Ils reconnurent le tic-tac d'un moulin; ils se dirigèrent de ce côté, en marchant avec toute la vitesse possible dans cette grande herbe où il leur eût été facile de se cacher, même en plein jour. Le bruit devenait plus distinct; il semblait que ce fût une voix amie qui les appelât. Au bout d'un quart d'heure, ils distinguèrent la maisonnette du meunier. Mais un obstacle imprévu les arrêta court: ce fut le ruisseau qui faisait tourner le moulin. Heureusement ils crurent distinguer quelqu'un près de la maison. Don Christoval, d'une voix forte dont il tâchait pourtant de calculer et de ménager la portée, cria: Au secours! et aussitôt un homme accourut vers eux. Quand il fut sur le bord du ruisseau. Léonor ne put se tenir de lui crier à son tour sauvez-nous! l'homme ne répondit qu'un mot attendez! et il disparut. Au bout de cinq minutes il revint avec une planche qu'il jeta sur le ruisseau, et les amants se crurent sauvés en touchant l'autre rive.

Le meunier n'attendit pas leurs questions: «Vous venez de là-bas?--Hélas! oui.--Par quel miracle vous êtes-vous échappés?--Nous avons été délivrés par un ange qui a été bien mal payé de ce bienfait. Mais vous savez donc....--Je sais tout. Vous n'êtes pas les premiers qui se sauvent ici. Oui, la Rachel est un ange parmi les démons. Aussi je commence à leur devenir suspect; mais n'importe, venez; nous trouverons moyen de vous cacher comme ceux d'il y a un mois.»

Ils touchaient au seuil de la porte, lorsqu'on vit soudain des lanternes courir le long de l'eau, dans la prairie. Elles descendaient vers le moulin, et l'air retentissait de ces cris: Juan! Juanito! Juan! Juan! «Les voici, dit le meunier; ils veulent passer. Carmen, dit-il à la meunière qui était sortie au-devant d'eux, Carmen, cache ces étrangers. » En même temps, il tourna les talons; et, comme l'on continuait à crier: Juan! Juanito! il se mit à répondre de toutes ses forces: «Oui, maître, oui! me voilà! me voilà!

--Ils seront bientôt ici, dit la meunière; vite, vite, fourrez-vous dans le bluteau. Là!... bon!... Entassez-vous tant que vous pourrez dans la farine. C'est cela! et ne bougez.» La bonne Carmen ayant laissé retomber le couvercle de toile et fait un signe de croix sur le bluteau, alla s'asseoir près du berceau de son enfant, et se mit à le bercer en chantant une vieille romance sur le Cid.

Bientôt la porte s'ouvrit avec impétuosité, et trois hommes se précipitèrent dans la chambre. Juan les suivait. Sans dire une parole, ils coururent au lit, le visitèrent par-dessous avec leurs lanternes; ils levèrent même les couvertures. Ensuite ils ouvrirent l'armoire; en un mot, ils fouillèrent dans tous les coins et recoins dont ils purent s'aviser, mais, par bonheur, ils ne s'avisèrent pas du bluteau. Enfin l'un d'eux rompit le silence, et ce fut pour s'écrier avec des jurements horribles: «Malheur à eux, si nous les rattrapons, les traîtres, les scélérats, qui ont volé nos bons maîtres! ils le paieront cher! Et toi, Juan, si l'on découvrait que tu aies favorisé leur fuite, que tu es leur complice, ton affaire serait bientôt faite, ainsi qu'à ta femme et à ton marmot!

--Vous me faites tort, mes braves camarades, répondit le meunier. J'atteste le ciel que je voudrais avoir ces coquins en ma seule puissance, les tenir là, à ma discrétion, et je vous montrerais bientôt quel homme je suis! Mais je puis vous garantir qu'ils n'ont pas pris de ce côté; ou, s'ils y sont venus, le ruisseau leur aura fait rebrousser chemin, et je n'en ai point vu. Probablement ils se seront jetés sur la route de Jaen. En tout cas, ils ne peuvent manquer d'être rejoints, puisque vous me dites que toute la maison est à leurs trousses. Mais vous n'avez plus rien à faire ce soir; vous devez être fatigués; ne voulez-vous pas vous rafraîchir?

--Volontiers, ami Juan, répondit un autre qu'à sa voix, don Christoval reconnut pour le portier qui les avait d'abord repoussés; mais nous avons déjà soupé, il nous faut peu de chose.

--Un bon beignet de pâte, à l'huile, arrosé d'une outre de vin vieux, dit Carmen. Nous avons de l'huile admirable; et quant au vin, vous m'en direz des nouvelles.»

Les quatre hommes s'assirent autour de la table. Carmen prit un plat creux, s'approcha du bluteau, leva le couvercle, et puisa de la farine pour faire son beignet, affectant de rester longuement devant le bluteau ouvert. Cependant un des bandits qui n'avait pas encore parlé: «Que j'aurais du plaisir, dit-il, à planter mon poignard au coeur de ces misérables, comme cela!...» En achevant ces mots, il enfonçait son poignard au milieu de la table avec rage. L'arme se tint debout en tremblant; la lame avait pénétré dans le bois à six lignes au moins de profondeur.

«Carmen, dit le meunier, arrête le moulin. Il est une heure passée; c'est aujourd'hui dimanche..., et apporte-nous l'outre.» Le souper commença et la conversation continua de plus en plus animée et enjolivée de mille plaisanteries atroces ou indécentes. Le meunier faisait le bon compagnon, enchérissant sur ses convives, et avait soin de les faire boire largement, en s'épargnant lui-même sans qu'il y parût. Enfin, il joua si bien son jeu, qu'ils sortirent du moulin plus assurés que jamais du dévouement du meunier et complètement ivres, à ce point, qu'en repassant le ruisseau, l'un de ces honnêtes gens y tomba, et y fût resté, s'il se fût trouvé en la seule compagnie de l'honnête Juan.

Léonor et Christoval furent tirés de leur asile, tellement enfarinés de la tête aux pieds, que leur visage et leurs mains ressemblaient à ceux d'une statue de marbre blanc. En les voyant dans cet état, le meunier et sa femme firent de grands éclats de rire, auxquels eux-mêmes prirent part très-volontiers. «Vous voilà hors du plus grand péril, dit Juan; mais ce n'est pas tout: il faut trouver moyen de gagner la ville voisine sans être découverts, car nous sommes toujours sur le domaine de vos ennemis. Or, ils sont puissants et vigilants! et, s'ils vous surprennent, il n'est point de violence qu'ils ne se permettent pour s'assurer de vous et vous empêcher de découvrir leurs crimes à la justice. Le point du jour approche; voici ce qu'il faut faire: vous allez prendre un de mes habits, et cette jeune dame fera à ma femme l'honneur de revêtir un des siens. Nous partirons avec ma voiture. Vous savez conduire une voiture? Vous conduirez donc la mienne à pied, et madame et moi serons assis sur les sacs: elle pourra même faire semblant de dormir, cela fera que, si l'on nous rencontre, l'on aura moins de soupçons; car je suis connu dans le pays, et vous passerez pour mon garçon de moulin.»

--Rien n'est mieux arrangé, reprit don Christoval; dites-moi seulement comment il se peut faire qu'un si honnête homme que vous soit au service d'une troupe d'assassins.--Je vous conterai tout cela en route, dit le meunier. Nous n'avons pas de temps à perdre.»

Les travestissements finis et la voiture préparée, l'on partit. L'aurore n'était pas encore levée, mais une ligne rouge, qui enflammait l'horizon du côté de l'orient annonçait son approche. Au fond de la voûte céleste les étoiles avaient disparu sous un voile grisâtre; et, à l'extrémité opposée, la lune brillait encore, pale et légère, dans un ciel bleu. L'air était frais et calme; les oiseaux se taisaient, endormis dans les vieux oliviers qui bordaient la route, et le silence universel attestait que la nature n'était pas encore réveillée. On sait que, par l'effet d'un de ces mystères dont notre vie est tissue, cette heure matinale verse au coeur de l'homme l'espoir et la confiance, comme la venue des ténèbres y jette le découragement et la terreur. Nos voyageurs, dans cette heureuse disposition qu'inspire le retour de la clarté, sortirent du moulin, Christoval, en équipage de garçon meunier, un fouet à la main, Léonor en habit de paysanne. Ils embrassèrent la bonne Carmen, qui pleurait et ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et l'on se sépara pour ne jamais se revoir, selon toutes les apparences. Ainsi va la vie!

Tous trois étant montés sur la voiture, Juan et Léonor assis côte à côte et don Christoval sur le devant, comme celui qui conduisait les chevaux, le meunier prit la parole en ces termes: «Regardez entre les arbres: voyez-vous là bas la maison isolée enveloppée d'une petite vapeur blanche? Tenez, voilà le premier rayon du soleil qui l'éclairé. C'est là que vous devriez être à cette heure, étendus sans mouvement et sans une goutte de sang dans les veines, au lieu de rouler tranquillement comme nous faisons, sur une bonne route bien sablée. Il est certain que Dieu a opéré miraculeusement en votre faveur.

«Il y a trois ans que cette famille vint s'établir dans le pays. Nul ne les connaissait, et personne, aujourd'hui même, ne pourra vous dire d'où ils sortaient. Ils achetèrent cette maison avec ses dépendances, qui sont très-vastes. C'était un vieux manoir inhabité depuis des siècles: on le disait hanté par des apparitions; ainsi vous voyez que ce n'est pas d'hier que c'est un lieu redoutable. Ils firent réparer l'habitation. On y travailla longtemps; et je me souviens, moi, d'y avoir mené du sable et des pierres. Dans ce temps-là, je n'étais pas encore marié et je n'avais pas loué leur moulin. Je ne pensais qu'à me faire soldat; c'était bien loin de songer à devenir meunier! Pour en revenir à eux, ils se sont mis à vivre très-mystérieusement, et ont toujours continué depuis. Ils se donnent pour Moresques, mais la vérité est que ce sont des Hébreux, ou, si vous l'aimez mieux, des juifs. Ils sont très-riches, et on les croit profondément versés dans les secrets de la cabale. Mais ce n'est pas là le plus extraordinaire de leur histoire; le voici: ils sont tous venus au monde avec une main lépreuse, la main droite; aussi vous avez dû remarquer qu'ils portent tous un gant à cette main, et ne la découvrent jamais. Cette lèpre reste immobile et ne se répand pas sur le reste du corps avant un certain âge, qui est trente ans pour les femmes, et quarante ans pour les hommes. Alors cette horrible maladie se met en mouvement; elle commence par les jambes, et monte lentement, lentement, jusqu'à ce qu'elle envahisse le corps tout entier; et, au fur et à mesure qu'elle gagne du terrain, elle tue les endroits par où elle a passé, de manière qu'il y a dans le même individu une moitié morte et une moitié vivante. Quand le mal s'est emparé de la tête, c'est fini! mais il faut beaucoup de temps pour en arriver là.

«Il est impossible de guérir ce mal, et vous croirez sans peine que les hommes n'y peuvent rien, quand vous saurez que c'est un châtiment de Dieu sur toute une race. Ces gens descendent, à ce qu'on dit, de Ponce-Pilate, qui signa l'arrêt de mort de notre Sauveur, et ils doivent porter jusqu'à la consommation des siècles le signe et la peine du crime de leur ancêtre.

«Mais, s'ils ne peuvent vaincre cette lèpre hideuse, ils ont du moins trouvé moyen de la combattre et de retarder ses progrès: c'est en prenant des bains tièdes dans du sang de chrétien.

« La situation de leur demeure, au milieu de cette immense plaine déserte, au sortir d'un défilé de la montagne Noire, les sert admirablement. Quelque voyageur égaré ou attardé vient de temps à autre leur demander asile, et ces infortunés voyageurs disparaissent sans laisser aucune trace de leur passage. Ils ont chez eux une demi-douzaine de domestiques, ou plutôt d'assassins à leur solde, qui, en un clin d'oeil, et à l'aide de certaines machines, vous expédient un homme dans l'autre monde. Après quoi, le vieux père, qui est le plus avancé dans sa maladie, prend son bain, et l'on assure que les trois autres membres de la famille se plongent successivement dans cette cuve sanglante.»

Ici don Christoval interrompit le récit du meunier: «Je ne croirai jamais, dit-il, que deux créatures aussi charmantes que le sont Amine et Rachel participent ni à ce bain atroce, ni au meurtre qui a servi à le préparer.

--Je ne sais ce qui est d'Amine; quant à Rachel, vous avez raison. Comme elle est la plus jeune, il n'y a pas longtemps qu'elle est instruite des sombres mystères de la maison paternelle, et elle ne demanderait pas mieux que de s'enfuir; mais comment? avec le secours de qui? et où se réfugier?

--Mais, demanda Léonor, comment avez-vous su tous ces détails!

--Par deux domestiques qui se sont échappés de cet affreux repaire, il y a un mois; et qui se sont sauvés, comme vous, dans mon moulin, jusque-là je ne me doutais pas de la moindre chose. Ce moulin appartient à la famille de Ponce-Pilate: ils me la louent bon marché et j'y gagne beaucoup d'argent. Mais il n'est argent ni intérêt qui tiennent! je ne puis souffrir en silence qu'on égorge ainsi mon prochain à deux pas de moi, surtout étant, comme je suis, d'une famille de vieux chrétiens! Mais nous voilà arrivés à Huescar sans avoir, grâce à Dieu, fait de mauvaise rencontre. Dès que, vous serez en sûreté, j'irai avertir la justice.

--Hélas, dit Léonor, dans votre déposition, n'oubliez pas de justifier la pauvre Rachel! c'est à elle que nous devons la vie, et probablement elle nous eût accompagnés, sans la cruelle méprise qui, peut-être, à l'heure qu'il est, lui a ravi l'existence. Que sera-t-elle devenue, sans secours, dans ce couloir voûté? Aura-t-elle pu en sortir? Quel traitement aura-t-elle reçu du reste de sa famille? Je vous avoue que ces pensées me tourmentent beaucoup!»

§ 4.--La Bohémienne.

Sur ces entrefaites, la voiture était entrée dans les rues d'Huscar. Ils allèrent descendre à l'enseigne du Saint-Sacrement, dont l'hôte était un ancien ami du meunier. Il se trouvait justement dans cette auberge des marchands qui retournaient à Murcie après avoir terminé leurs affaires à Hescar: ils consentirent à prendre dans leur compagnie don Christoval et Léonor, qui passait pour sa femme. Ceux-ci ne quittèrent pas le brave Juan sans mille protestations d'amitié et sans l'avoir forcé d'accepter une généreuse récompense.

De Murcie, il leur fut aisé de gagner Alicante, où, trouvant encore une occasion toute prête, ils s'embarquèrent pour Barcelone. Léonor regrettait les chevriers de la montagne Noire; mais don Christoval lui fit comprendre qu'il n'y avait de sûreté pour eux en aucun endroit de l'Espagne, à cause du grand crédit de l'archevêque, qui, tôt ou lard, finirait par les découvrir dans la retraite la plus cachée. Léonor se rendit à ces raisons.

Leur dessein était de se retirer quelque part en France, et d'y attendre que la mort du prélat ou son indulgence, sur laquelle, à vrai dire, ils ne comptaient guère, leur permit de rentrer en Espagne.

Ils descendirent à Barcelone, et résolurent de continuer leur route par terre, parce que la navigation fatiguait trop Léonor. Ils étaient trop loin pour risquer beaucoup d'être poursuivis, outre qu'ils étaient toujours déguisés; et une fois au delà des Pyrénées, ils n'avaient plus rien à craindre.

Aucun incident remarquable ne troubla leur voyage jusqu'à Llivia, petit village situé à l'entrée de la montagne. Ils y arrivèrent avec la nuit. L'unique auberge de l'endroit était un cabaret d'apparence assez chétive, mais, comme il n'y avait pas à choisir, ils allèrent y descendre.

On remisa leur chaise, ensuite ils demandèrent une chambre: on leur dit qu'il n'y en avait point de disponible pour l'heure, mais que sûrement ils en auraient une pour coucher. En attendant, ils devaient se contenter d'une espèce de salle commune, où étaient entassés bon nombre de buveurs, qui faisaient grand bruit, car la méchante fortune de nos voyageurs voulut que ce fût précisément la fête de l'endroit. Ils se soumirent et prirent place dans un coin. Peu à peu, cependant, les pratiques du cabaretier se retirèrent pour aller danser ou voir danser dans une grange voisine, et les nouveaux venus luirent souper plus tranquillement qu'ils ne l'avaient espéré. Ce souper fut meilleur aussi qu'on n'aurait dû s'y attendre: il se composait de gibier, de pâtisseries et de fruits, le tout relevé par un très-bon vin. Avant la fin du repas, Léonor et don Christoval étaient demeurés tout à fait seuls; cependant la prudence ne leur permit pas de s'entretenir de leurs affaires, de peur d'être espionnés et entendus à travers une simple cloison de planches mince comme du pallier. Ils causèrent de choses indifférentes, et bien leur en prit. Après le dessert, don Christoval sortit pour faire préparer enfin leur chambre, y transporter leur bagage et s'occuper avec l'hôte d'autres détails touchant le départ du lendemain et la route à suivre. Léonor, pensive, accoudée sur la table, la tête appuyée sur sa main, prêtait l'oreille au bruit de la danse lointaine, et son regard se perdait dans la partie obscure et profonde de cette salle déserte. Tout à coup en face d'elle, dans l'angle opposé, il lui sembla distinguer une forme humaine qui se mouvait et grandissait dans l'ombre. La lampe de cuivre qui brûlait devant elle, suspendue à une crémaillère en bois, lui donnait sur le visage, et la vivacité de la lumière formait une sorte de rempart devant ses yeux éblouis. Léonor ne put se défendre d'un sentiment de surprise et même de frayeur. La personne inconnue s'approcha lentement jusqu'au bord de la table qui la séparait de Léonor. C'était une grande femme maigre avec de beaux traits réguliers, un teint cuivré et des yeux noirs brillants comme deux flammes sombres. Elle était coiffée d'une espèce de turban rouge, vêtue d'une longue robe grise qui s'en allait en guenilles, et paraissait avoir quarante ans ou un peu plus. Il était facile de reconnaître une Egyptienne ou Bohémienne. «Madame, dit-elle en bon espagnol, n'ayez pas peur de moi; je m'étais endormie là, sur une natte: la faim m'a réveillée tout à l'heure; voulez-vous me donner à manger?--Très-volontiers; tout ce qui est là est à votre service. Prenez une chaise, ma pauvre femme, et buvez et mangez.» L'Égyptienne ne se le fit pas répéter: elle s'assit en face de Léonor, qui la considérait avec compassion, et se mit à souper silencieusement, en personne affamée. Quand elle fut rassasiée: «Que le ciel, ma bonne dame, vous récompense de votre charité, dit-elle d'une voix grave et émue; je n'ai pas d'autre moyen de reconnaître le bien une vous m'avez fait; cependant, si vous le désirez, je vous dirai votre bonne aventure. C'est un art dans lequel je passe pour habile.--Oh! que vous me feriez plaisir! dit Léonor. »

L'Égyptienne, sans répondre, remplit un verre d'eau; puis, tirant de sa poche unie petite boîte oblongue dans laquelle étaient renfermées des plantes et des graines desséchées, elle y chercha une feuille de buis, une feuille de romarin et un grain de genièvre, qu'elle plaça dans une cuiller d'argent soigneusement essuyée, au-dessus de la flamme de la lampe. Tandis que ces substances se calcinaient avec un faible pétillement et une odeur aromatique, l'Égyptienne marmottait des paroles rapides dans une langue inconnue. Sans s'interrompre, elle versa les cendres dans le verre d'eau; et comme elles flottaient légèrement à la surface, elle pria Léonor de souffler trois fois dessus pour les submerger. Enfin, elle sortit de sa poche deux autres objets: un morceau de parchemin chargé de caractères et de figures cabalistiques qu'elle glissa sous le verre; plus, un petit volume également écrit sur parchemin, qu'elle ouvrit à un endroit marqué, et posa ainsi ouvert au-dessus de l'eau, comme un toit. Elle l'y laissa environ une minute, pendant laquelle elle continuait toujours ses prières et ses évocations. Enfin elle remit le livre dans sa poche, et dit: «Tout est prêt. »

Elle s'agenouilla alors. Le verre était au niveau de ses yeux; elle y regarda, et traduisait ce qu'elle voyait dans l'eau, «Vous avez été religieuse, au moins avez-vous porté l'habit de novice.--Vous vous êtes enfuie de votre couvent,--la nuit,--avec un cavalier.--Vous avez traversé un bois,--ensuite une plaine;--on vous reçoit dans une vaste maison;--vous avez échappé à un grand péril....--Attendez! interrompit Léonor: ne pouvez-vous me donner des nouvelles de notre libératrice?--Je ne puis vous parler que de vous seule; je ne vois que vous. Au sortir d'ici, vous voyagerez encore longtemps....» La Bohémienne resta quelques minutes sans parler, comme absorbée dans une contemplation plus attentive, puis elle reprit d'une voix attendrie: «Ah! ma fille! vous avez déjà supporté bien des peines; mais ce n'est rien, au prix de celles qui vous attendent!--Quelles sont ces peines?--Je n'ai pas le courage de vous en faire le détail. Armez-vous de force et de patience!--N'est-il aucun moyen de prévenir mon sort?--Aucun! Tout ce que je puis vous dire et encore cela ne vous servira de rien, c'est que vous devez prendre garde au rosaire, et que vous mourrez au milieu de l'eau, par le feu.--Au milieu de l'eau, par le feu! répéta Léonor épouvantée de ces sinistres paroles. Grand Dieu! n'est-il donc sur la terre aucun refuge pour moi? Oh! cherchez, indiquez-moi un asile où je puisse trouver le repos.» La Bohémienne, cette fois, ne regarda plus dans le verre; elle mit sa main sur ses yeux, réfléchit profondément, et dit: «Le repos? vous ne le trouverez qu'en terre sainte!»

Sur ce mot, elle se leva, et sortit de la chambre.
F. G.

(La suite à un prochain numéro.)



Sur l'Éloquence de la Chaire

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

L'histoire de la chaire sacrée en France, depuis le commencement de ce siècle, offre trois périodes bien distinctes dont chacune a une physionomie particulière, en grande partie déterminée par les événements.

Nous ne pouvons qu'effleurer ici un sujet si vaste. Nous passerons rapidement sur les deux premières périodes surtout. Notre but sera atteint si nous pouvons en mettre les traits distinctifs et caractéristiques en relief, dans une esquisse impartiale de quelques-unes des figures principales.

Au commencement de ce siècle, la France sortait à peine d'une crise violente et douloureuse. La lutte subsistait toujours, au dehors contre les ennemis de la nationalité, au dedans entre les anciennes traditions vivantes encore et les idées issues de la Révolution. Alors il se présenta un homme singulièrement propre à défendre et à gouverner la France, dans cette situation difficile. Quoi qu'on ait dit des idées absolues de Napoléon, c'était aussi l'homme des transactions, et il le montra en cette occasion. Pour satisfaire les partisans de l'ordre nouveau, tout en conservant la puissance royale, il en abolit le titre et consacra l'égalité civile. Il rouvrit ensuite les églises pour attirer à lui les hommes du passé; car, en rétablissant le culte, Napoléon semble avoir été guidé plutôt par ses vues de domination que par une conviction religieuse bien profonde. Le traité conclu avec le Saint-Siège en est une preuve éclatante: au lieu de creuser les idées, on s'appliquait plus particulièrement à polir les formes. Dans la crainte sans doute d'effrayer ceux que l'on voulait attirer dans le giron de l'Église, par la rigidité d'une morale trop austère, on prêcha presque exclusivement sur le dogme. Au reste, cette méthode ne laissait pas que d'être logique; il était assez naturel, avant de déduire les conséquences pratiques, de chercher à pénétrer les esprits de la doctrine qui leur sert de base.

Il y eut sous l'Empire plusieurs prédicateurs qui jouirent d'une grande réputation, et qui la méritaient à bien des titres. Ne pouvant les citer tous, nous nous bornerons à parler de MM. de Boulogue et Frayssinous, qui nous semblent les plus remarquables. Ils résument en quelque sorte l'illustration de la chaire pendant cette période à laquelle ils ont survécu, mais dans laquelle permettent de les classer le temps de leur plus grande vogue et surtout le genre de leur talent.

M. de Boulogne avait déjà acquis quelque gloire avant la Révolution. Né de parents pauvres, il avait étudié un peu tard; mais ses dispositions naturelles, jointes à beaucoup d'ardeur pour l'étude, suppléèrent à l'éducation première qui lui manquait. Ordonné prêtre, il vint à Paris pour tenter la fortune de la chaire. Il y vécut longtemps solliciteur obscur. Il trouva enfin des protecteurs puissants, fut présenté au roi, et prêcha devant lui en 1787, M de Boulogne avait alors quarante ans.

Pour bien juger la longue carrière de M. de Boulogne, tour à tour pamphlétaire et journaliste, mais prédicateur avant tout, il faut se faire une idée nette de son caractère, sous peine de trouver en lui des contradictions inexplicables. Avec une conscience droite, des intentions pures et un grand amour pour le bien, il était dans sa conduite plein d'hésitation; souvent même il paraissait agir par boutade. Cela provenait de cette imagination vive et mobile qui était le fond de son talent. Il était de ces hommes sur qui l'impression du moment est toute-puissante; aussi l'action des événements est-elle plus visible chez lui que chez tout autre. Avant de se montrer l'adversaire ardent de toute concession libérale et de tout progrès en politique, il avait partagé, du moins jusqu'à un certain point, les idées qui avaient cours à la fin du dix-huitième siècle. On lit en effet dans un de ses discours imprimés de cette époque: «Le peuple seul a des droits, les rois n'ont que des devoirs.» Ces paroles sont curieuses dans la bouche de celui qui a prêché plus tard le sermon: «La France veut son Dieu! la France veut son roi!» Mais il faut, pour les comprendre, se reporter à un autre temps, et faire la part d'une époque où l'orateur1 appelé à prêcher devant Louis XVI, le matin même de l'ouverture des États-Généraux, avait pris pour texte de son discours ce verset prophétique: Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles.

Note 1: (retour) M. l'abbé de Laboissière.

M. de Boulogne n'aimait pas beaucoup l'Empereur; on assure même qu'il ne l'épargnait pas dans la liberté de ses entretiens intimes. Cependant il le loua beaucoup dans ses sermons et dans ses mandements. Il fut nomme chapelain de l'Empereur et évêque de Troyes. Mais, après avoir joui quelque temps de la faveur du maître, il encourut aussi sa disgrâce. Voici à quelle occasion.--Nommé en 1809 pour prêcher l'anniversaire du sacre et de la bataille d'Austerlitz, M. de Boulogne fut obligé de soumettre son discours à la censure d'un personnage en crédit. Celui-ci corrigea les passages qui lui semblaient trop hardis, et en retrancha même quelques-uns tout entiers. Le prélat consentit à ces modifications.

La cérémonie eut lieu à Notre-Dame, où l'Empereur se rendit avec son cortège de rois. La fête fut brillante: mais il arriva que, dans la chaleur du débit, M. de Boulogne, qui avait appris son discours par coeur, oublia de supprimer les passages notés. Quoiqu'il n'y eût dans ces passages rien de blessant pour personne, Napoléon n'était pas homme à oublier un manque de soumission. Trois ans de cachot et d'exil prouvèrent plus tard à l'évêque de Troyes comment Napoléon savait se venger.

Les persécutions essuyées sous l'Empire furent un titre sous la Restauration. M. de Boulogne fut fait pair en 1822. Deux ans après, il mourut à Paris à l'âge de soixante-dix-sept ans.

M. de Boulogne avait une physionomie spirituelle et douce. Il avait un talent d'orateur incontestable; sa manière un peu ampoulée et pompeuse le rendait surtout propre à prêcher dans les grandes occasions. On voit que ses sermons sont travaillés avec soin; mais on y trouve plus de style que de pensées, plus d'images que de sentiments. Ce prédicateur, si agréable à entendre, perd beaucoup à être lu, surtout aujourd'hui. En effet, il faisait aux affaires de son temps des allusions dont l'à-propos est perdu pour nous. Ce qui a fait son plus grand succès est peut-être ce qui rend aujourd'hui la lecture de ses sermons un peu froide et monotone.

M. Frayssinous était, sous tous les rapports, un homme supérieur à.M. de Boulogne. Sa vie a été aussi plus conséquente avec elle-même. Les commencements en furent cependant obscur et difficiles. En 1804, il n'était encore que simple vicaire dans une commune du diocèse de Rhodes. A la suite d'un petit démêlé avec son curé, il s'en vint à Paris, qu'il n'aurait peut-être jamais vu sans cela. Il était sans argent: et, ne connaissant personne dans cette ville où il devait plus tard arriver aux plus grands honneurs, il alla demander un asile à Saint-Sulpice, où il fut accueilli avec plaisir. Les prêtres étaient rares alors, ainsi que le talent, et il n'est pas étonnant que celui de M. Frayssinous parvint bientôt à se faire jour. Il avait été suivi à Paris par M. Royer, son parent, et ils se réunirent tous deux pour faire des conférences dans l'église des Carmes. La nouveauté de l'enseignement et l'éloquence des deux prédicateurs firent du bruit, et bientôt la petite église de la rue de Vaugirard ne suffit pas pour contenir la foule. Grâce à ce succès, M. Frayssinous vit s'ouvrir devant lui les portes de l'église Saint-Sulpice, où il établit désormais ses conférences.

Là, ses succès et sa réputation furent croissants de jour en jour. On venait l'entendre une première fois attiré seulement par la curiosité; on y revenait séduit par les charmes de l'éloquence.

Rien n'était en effet plus attrayant que la minière de M. Frayssinous. Sa figure imposante, la douceur et la pureté de son style, sa grâce touchante et persuasive, son éloquence tout entière, étaient ce qu'il fallait alors pour captiver les auditeurs. Au lieu de jeter de fiers mépris à la raison révoltée, il cherchait à la soumettre en démontrant qu'aucune philosophie n'avait, comme le christianisme, résolu les grands problèmes de l'existence et dévoilé le mystère de la destinée, apporté plus de consolation dans la douleur et mis plus d'espérances dans la mort. M. Frayssinous avait dans le talent beaucoup d'analogie avec celui de Chateaubriand. Tous les deux procèdent par l'émotion, et s'adressent au coeur plutôt qu'à l'intelligence.

M. Frayssinous était trop prudent; il craignait trop de blesser inutilement les auditeurs, pour mêler de la politique à ses conférences. Mais la police impériale était trop ombrageuse pour se contenter de la neutralité. On trouva mauvais que le conférencier ne parlât que de Dieu. On lui en fit des reproches, et il fut obligé d'accorder aussi quelque chose à César, et de parler de celui que Dieu avait ramené miraculeusement des bords du Nil, et de la main qui avait été suscitée pour relever les autels.

Malgré ces concessions, les conférences furent suspendues en 1809, pour n'être reprises qu'à la Restauration. Cinq années de silence et de méditations mûrirent encore un talent si remarquable. En 1814. M. Frayssinous remonta dans la chaire, et continua ses conférences, presque sans interruption jusqu'en 1822. Cette époque ferma, pour ainsi dire, sa carrière oratoire, en lui ouvrant celle des honneurs. M fut sacré évêque d'Hermopolis, et appelé à siéger à l'Académie et à la Chambre des Pairs. Bientôt il fut nommé grand-maître de l'Université et ministre des affaires ecclésiastiques. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain brûlant de la politique.2 Nous dirons seulement que l'évêque d'Hermopolis n'a pas fait oublier l'abbé Frayssinous, et que ses conférences de Saint-Sulpice restent son plus beau titre.

Note 2: (retour) On sait que la loi du sacrilège, si victorieusement combattue par M. Royer-Collard et désapprouvée par une partie du clergé, fut présentée par M. Frayssinous.

Ces conférences ont été recueillies et publiées par leur auteur sous le titre de Défense du christianisme. Le plan en est vaste, ingénieusement rempli, et les grâces d'une littérature toujours élégante n'en excluent ni la science théologique ni la profondeur des vues sociales. Aussi lorsque l'on songe que la nomination à l'Académie de l'éloquent évêque a fait crier dans le temps, on s'étonne moins des récriminations auxquelles a donné lieu celle de son successeur.

Après 1830, M. Frayssinous refusa le serment et renonça à la pairie. Dévoué à la branche aînée des Bourbons qui l'avait comblé de ses bienfaits, il se rendit à Prague en 1835, pour diriger l'éducation du duc de Bordeaux. Il est revenu en France en 1838, et y a vécu dans la retraite jusqu'à sa mort arrivée en 1842.

La prédication catholique qui avait été sous l'Empire, timide et soumise, je dirais presque résignée, prit un autre caractère sous la Restauration.

Dans les dernières années de son règne. Napoléon s'était aliéné le clergé en s'immisçant aux affaires ecclésiastiques, et surtout par ses démêlés avant le Saint-Siège. Il tomba. Les prêtres accueillirent les Bourbons avec enthousiasme et fondèrent sur leur retour de grandes espérances qui ne se sont pas toutes réalisées. En effet, la Charte excitait parmi eux beaucoup de défiance. Ils croyaient que la religion était la seule base solide de la société, et que la monarchie etait le seul gouvernement conciliable avec la religion. Ainsi ils eurent le tort d'établir une sorte de solidarité entre la foi et les formes gouvernementales, si variables de leur nature. Mais on ne s'arrêtait point là. Ce que voulait la majorité du clergé qui s'était ralliée à cette faction royaliste appelée les ultra, ce n'était pas l'absolutisme proprement dit, ce n'était pas non plus l'ancien régime, c'était quelque chose de nouveau. On rêvait alors une féodalité constitutionnelle.

Partant de la nécessité de l'union de la royauté et de la religion, la prédication devait avoir un caractère expressif et politique. C'est aussi ce qui arriva. Le clergé, en défendant la cause de la royauté, croyait défendre la cause de la religion, et s'habitua à comprendre dans une même réprobation les ennemis de Dieu et ceux du roi. Le trône et l'autel devinrent le thème ordinaire des prédications. Cette alliance entre la politique et le culte fit à la religion beaucoup de tort. Elle en éloigna d'abord tous ceux qui avaient été blessés, soit dans leurs intérêts, soit dans leurs opinions, soit dans leurs sentiments nationaux, par les événements de 1815. Quelques paroles réactionnaires aliénèrent aussi les hommes positifs, qui, habitués aux affaires, avaient accueilli les institutions nouvelles, mais qui ne croyaient pas qu'il fût possible de ne tenir aucun compte des événements et de l'état où se trouvaient alors les esprits.

Cette situation explique les troubles qui, suivant les lieux se manifestaient alors à l'occasion des misions nombreuses qui furent faites, souvent avec trop-peu de prudence, pendant la Restauration. Elle explique aussi les justes reproches dont ces missions furent l'objet de la part des organes de la presse. Chaque prédicateur était alors un adversaire politique. Les missionnaires prêchant au milieu des passions émues en avaient toute la véhémence. Mais combien de prédicateurs réellement éloquents dont la renommée ne s'est pas même étendue bien loin! Telle est la destinée des succès oratoires les plus brillants, les plus flatteurs de tous pour l'amour-propre. Ils sont fugitifs comme l'émotion qu'ils produisent Quelquefois, lorsque l'impression a été bien profonde, il se conserve quelque trace dans le souvenir des auditeurs. Mais après que reste-t-il, surtout lorsqu'ils n'ont pas écrit? un nom qui s'efface de jour en jour.


(Le dimanche des Rameaux.--Portail latéral de Saint-Eustache.)

Au reste, quand même ils auraient publié leurs sermons et pu exprimer par le style les mouvements passionnés de leur éloquence, est-il bien sûr que cela les aurait sauvés de l'oubli? nous ne le croyons pas. Comme ils avaient subordonné leur enseignement à un point de vue particulier, lorsque les circonstances ont changé, ils ont dû nécessairement beaucoup perdre de leur importance. C'est pour ce motif que nous n'insisterons pas sur la biographie des prédicateurs sous la Restauration. Nous citerons simplement les Maccarthi, les Guyon, les Fayet, les Ollivier, les Deguerry, et nous pourrions facilement étendre la liste. Mais nous avons hâte d'arriver à la période ouverte par la révolution de juillet. Les événements de 1830 n'apportèrent pas un grand changement dans les relations qui existaient entre l'Église et l'État. Quelques mots furent remplacés dans la Charte par des mots à peu près équivalents, mais les lois réglementaires du culte ne furent point modifiées: on les exécuta seulement avec plus de rigueur, dans le principe surtout. Néanmoins cette révolution, dynastique pour ses résultats, mais démocratique par ses moyens, jeta dans les esprits une activité et une agitation qui se communiquèrent aussi au clergé.


                                 M. de Boulogne.

Nous sommes obligé de reprendre encore ici la marche des idées depuis le commencement du siècle; M.. Chateaubriand et M. Frayssinous avaient cherché à calmer les répugnances que le catholicisme inspirait alors: ils avaient voulu en faire aimer la poésie, mais là s'était arrêtée leur action. Les méditations, les harmonies rêveuses et un peu sensuelles de M. Lamartine, ont été l'expression du degré de foi qui régnait alors dans la société. D'un autre côté la Restauration avait mis en honneur la pratique extérieure du culte; tout serviteur dévoué de la monarchie voulait, par cela même, paraître bon chrétien. Mais la religion ainsi pratiquée, s'arrêtait évidemment à l'écorce, si je puis m'exprimer ainsi, et occupait plus de place dans les habitudes que dans les consciences.

Tout à coup apparut l'Essai sur l'indifférence, de M. de Lamennais. Ce livre, qui alors était aussi un événement, fit peut-être autant de bruit qu'en ont fait plus tard les Paroles d'un Croyant. Rome n'osa se décider d'abord, et le clergé de France se partagea, en attendant la décision, en deux camps ennemis. Il y eut alors une guerre de pamphlets et de brochures qui ne sera pas un des épisodes les moins curieux de l'histoire des idées religieuses au dix-neuvième siècle.


                                 M. Deguerry.

L'idée philosophique développée dans l'Essai établissait le sens commun, c'est-à-dire la manifestation générale de la raison humaine comme la règle de la certitude. Ce n'était rien moins qu'introduire le principe démocratique dans l'ordre des faits intellectuels; et, de conséquence en conséquence, M. de Lamennais et ses disciples devaient nécessairement transporter les mêmes idées sur le terrain de la politique. La révolution de juillet aidant, c'est ce qui arriva bientôt. On sait l'histoire orageuse de l'Avenir. Quelque courte que fût la durée de ce journal, son action fut grande sur le jeune clergé. S'il ne fit pas beaucoup de partisans au gouvernement nouveau, il lui rendit du moins un grand service, en ce qu'il habitua les prêtres à voir avec indifférence la chute du trône qui venait de s'écrouler, mais l'influence de M. Lamennais s'est perpétuée par l'élite du clergé, dont il s'était entouré pour la rédaction de son journal. Ses disciples ont été dispersés par les foudres du Saint-Siège; ils se sont séparés de lui en reniant l'ensemble de ses doctrines, mais ils n'en ont pas moins conservé, peut-être à leur insu, beaucoup de la manière et aussi quelques-unes des idées de leur ancien maître. Sous la Restauration, le comble de l'audace, pour un prédicateur, était de déclarer que le salut de la religion ne dépendait pas de celui de la légitimité. Depuis 1830, la prédication a souvent côtoyé les opinions radicales et démocratiques, quelquefois même elle s'y est lancée à pleines voiles. Et ce qui prouve que M. de Lamennais est pour beaucoup dans cette tendance nouvelle du clergé, c'est que ce sont ceux qui l'ont approché de plus près qui ont été le plus loin en ce sens.

Aujourd'hui, l'éloquence de la chaire tient plus par la manière générale à l'Empire qu'à la Restauration. A cette dernière époque il eut trop de reproches directs et de récriminations violentes; mais, à présent, le clergé, loin de se montrer hostile au mouvement, cherche à s'y associer dans certaines limites afin de le diriger.

Il y a une remarque qui n'est pas non plus sans intérêt c'est que jamais plus qu'aujourd'hui le clergé ne s'était montré satisfait des progrès de l'Église. Il se plaît à montrer la croix triomphant partout, et de la meilleure foi du monde il exagère ses dernières victoires. On dirait qu'il cherche à attirer ainsi les esprits indécis et toujours prêts à imiter les autres, et les âmes timides qui n'embrassent jamais que le parti de la victoire.

Il nous reste à entrer dans quelques détails biographiques sur les prédicateurs les plus en vogue. Malheureusement, la vie des prédicateurs, comme la vie de tous les hommes d'étude, est rarement féconde en incidents. Nous serons donc forcé d'être court, et nous parlerons seulement de quatre des prédicateurs qui ont en ce moment le plus de réputation.

M. Combalot est né en 1794 à Chastenay (Isère). On assure qu'il s'était destiné d'abord à la profession d'avocat, et qu'une retraite spirituelle changea tout à coup sa vocation. Quoi qu'il en soit, il fut ordonné prêtre à 25 ans. Il vint à Paris quelque temps après et entra chez les jésuites. Il n'y fut qu'un an, et à peine rentré dans la vie séculière il commença ses prédications. Il parcourut d'abord les départements, et s'il faut tout dire, il ne fut pas celui qui réveilla sur son passage le moins d'irritation.

Depuis ce temps. M. Combalot s'est voué tout entier à la prédication et aux retraites ecclésiastiques. Si Combalot est un véritable orateur: il a toute la fougue, toute l'impétuosité d'un tribun. Sa parole est animée et brûlante; ses images sont belliqueuses et pleines d'actualité. Il y a, dans sa physionomie bilieuse et fortement caractérisée, le cachet d'une indomptable fermeté. La manière de ce prédicateur n'est pas cependant exempte de tout reproche: il est quelquefois incorrect: ses comparaisons sont parfois triviales et ses métaphores heurtées. Un logicien sévère pourrait aussi lui demander plus de suite dans ses raisonnements. Souvent un mot réveille en lui une idée soudaine, qu'il saisit au passage, et il semble alors rompre, pour la suivre, le plan qu'il s'était tracé d'abord. On suit l'improvisation dans ses discours, mais, malgré ces défauts, à cause de ces défauts peut-être. M. Combalot domine son auditoire et le remue profondément.


                        M. Combalot.

Le talent du M. Lacordaire a beaucoup d'analogie avec celui de M. Combalot: sa puissance d'entraînement est la même, il a ses qualités brillantes et quelques-uns de ses défauts. Il s'écarte moins de son sujet, ou, pour parler plus juste, il y revient souvent. L'éloquence de M. Lacordaire se compose surtout d'élans enthousiastes qui enlèvent les jeunes imaginations. On n'a pas encore oublié le sermon qu'il prêcha à Notre-Dame le 15 janvier 1841. Comme il avait exalté les gloires de la France! comme il avait attiré à lui tous ceux qui se sentaient au coeur quelque fierté nationale! S'il suffisait, pour être un orateur parfait, d'exercer sur son auditoire...... influence toute-puissante, M. Lacordaire serait le premier des orateurs: mais, malheureusement, le moment qui suit n'est pas aussi favorable que celui pendant lequel on l'écoute. Ainsi, dans ce sermon dont nous venons de faire mention, et qu'il prêcha avec son froc de dominicain, beaucoup d'auditeurs parfaitement disposés en sa faveur furent frappés de son exagération.


                        M. Lacordaire.

M. Lacordaire était avocat avant d'être prêtre. Il est né à Recey-Sur-Ource (Côte-d'Or), et peut avoir aujourd'hui 41 ans, il eut, à ce qu'il dit lui-même, une enfance turbulente, et ses idées, au sortir du collège, n'annonçaient guère un futur prédicateur. Au grand chagrin de sa pieuse mère, il déclarait, à qui voulait l'entendre, que Dieu était une chimère, et le catholicisme une sottise. Son droit terminé, il vint faire son stage à Paris et travailla chez un avocat. Deux ans après, c'est-à-dire en 1824, le jeune athée, subitement converti, était entré au séminaire de Saint-Sulpice. Il ne se proposait rien moins, à cette époque, que d'aller en Amérique convertir les peuplades sauvages, et respirer, loin de cette Europe décrépite, l'air pur du Nouveau-Monde. M. de Lamennais, dont les ouvrages avaient beaucoup contribué à sa conversion, l'en dissuada, et pour donner carrière à son insatiable activité l'attacha depuis à l'Avenir, dont il fut un des principaux rédacteurs.

Le journal tomba. M. Lacordaire accompagna à Rome M. de Lamennais et le quitta brusquement. Il publia bientôt une rétractation, où il déclarait qu'il n'avait jamais adhéré par conviction aux doctrines de M. de Lamennais, qu'il n'avait fait que céder par lassitude aux sollicitations qui lui étaient faites en s'associant à son oeuvre.

C'est à dater de cette époque que la réputation de M. Lacordaire, comme orateur, a commencé. Elle grandit en peu de temps. On lui proposa de prêcher le Carême à Notre-Dame en 1835, mais à condition qu'il soumettrait à M. Affre, alors vicaire-général, le plan de ses sermons. On redoutait la fougue et les idées démocratiques du jeune prédicateur. Cependant on ne put si bien faire, que ses discours ne portassent l'empreinte du catholicisme libéral et un peu révolutionnaire de l'Avenir. Il y était question de souveraineté du peuple et d'idées analogues qui ne devaient pas flatter beaucoup un légitimiste inflexible comme M. de Quélen. Un auteur assure avoir vu l'archevêque s'agiter sur son siège pendant que l'orateur développait devant lui ses théories nationales. Aussi n'est-il pas étonnant que, malgré le succès qu'il avait obtenu dans cette station du Carême, on l'engageât à faire un voyage à Rome. Il en revint l'année suivante et prêcha encore à Notre-Dame; comme on trouvait que son style et ses idées n'étaient guère amendés, on lui conseilla un nouveau voyage. On assure que ce fut alors que M. Lacordaire, pour s'affranchir de la censure épiscopale, résolut d'entrer dans l'ordre de Saint-Dominique, dont il prit l'habit en juin 1840.

La figure maigre et allongée de M. Lacordaire s'anime, quand il parle, d'une expression enthousiaste et poétique. C'est un homme à imagination ardente, dont les opinions peuvent changer; mais on sent que sa parole exprime la conviction.


                        (M. de Ravignan.)

M. de Ravignan a une manière plus posée et plus réfléchie que M. Lacordaire. Il se tient aussi plus en garde contre tout ce qui pourrait donner à la prédication un caractère politique. C'est là le motif qui l'a fait probablement substituer à ce dernier pour les prédications de Notre-Dame. Il suit une marche rigoureusement logique. Malgré la science dont il brille, il ne transporte cependant point son auditoire; on sent comme quelque chose de factice dans la chaleur de son débit et dans la vivacité calculée de son geste.

Où est né M. de Ravignan? les biographes ne sont pas d'accord sur ce point. Les uns le font naître à Paris, les autres à Bordeaux ou dans les environs. La dernière opinion nous paraît la plus vraisemblable.

En 1816, époque à laquelle il fut nommé conseiller-auditeur, M. de Ravignan pouvait avoir vingt-trois ans. Sept ans après, il entra dans la magistrature et occupa avec distinction pendant dix-huit mois la place de substitut du procureur du roi près le tribunal de la Seine. Il renonça au monde, disposa de sa fortune en faveur de ses héritiers naturels et entra au séminaire de Saint-Sulpice, qu'il quitta bientôt pour entrer à Montrouge dans la maison des jésuites. On assure que M. de Ravignan fut tonsuré par M. Frayssinous, que l'on venait de sacrer évêque, et qui, prévoyant dès lors sa gloire future, dit en s'adressant à ceux qui l'entouraient: «Voilà celui qui doit me succéder dans l'oeuvre des conférences.»

Après avoir passé plusieurs années à étudier les Pères de l'Église et à s'instruire dans la science des prédicateurs. M. de Ravignan fut nommé pour prêcher le Carême à Notre-Dame. Ce fut le 12 février 1837 qu'il y ouvrit sa première conférence. Il les a continuées depuis avec un succès dont rien n'annonce le déclin. Prêchant presque toujours sur des matières qui ont rapport au dogme, M. de Ravignan a peu excité la critique des journaux.


Une prédication à Saint-Roch.

M. Coeur n'est pas avocat. Sa vocation semble l'avoir porté d'abord vers le professorat et l'état ecclésiastique. Après avoir achevé ses études, qui furent brillantes, il fut quelque temps régent de rhétorique et de
                                M. Coeur.
philosophie dans un petit séminaire de province. Puis, il vint à Paris en 1827 pour suivre les cours publics professés par les hommes célèbres qui ont abandonné depuis les triomphes pacifiques de la Sorbonne et du Collège de France pour une scène plus orageuse. Il y passa deux ans et alla ensuite passer quelque temps dans la solitude de la Chartreuse pour se préparer à recevoir la prêtrise, qui lui fut conférée en juin 1829. Il venait d'atteindre sa vingt-quatrième année.

La réputation de M. Coeur a commencé en province, lors des prédications qu'il fit à Lyon en 1833, et plus tard à Nantes et à Bordeaux. Paris devait appeler à lui un talent déjà si distingué, et la Sorbonne a rendu justice à M. Coeur en le nommant à remplir à la Faculté de Théologie la chaire d'éloquence sacrée.

M. Coeur a une figure assez commune, un geste lourd et un timbre de voix un peu voilé. Il manque de ces qualités extérieures qui concourent à faire un orateur. Mais sa parole est d'une lucidité admirable. On lui sait gré de tous les efforts qu'on n'est pas obligé de faire pour saisir sa pensée. Sa manière est savante et philosophique; il excelle à exprimer de ces vérités que tout le monde sait, mais que personne n'avait encore exprimées. Son style est abondant et fleuri.--un peu trop fleuri peut-être; mais c'est là un défaut dont il aurait tort de se corriger tout à fait. Ce qui serait de la recherche dans tout autre semble naturel en lui et il y a tel passage de ses cours et de ses sermons qui rappelle les plus, charmantes page» de Bernardin de Saint-Pierre.

M. Coeur n'a pas encore dit son dernier mot comme prédicateur. Mais tout annonce qu'il s'élèvera avant qu'il soit de la réputation de MM. Lacordaire et de Ravignan, à moins qu'il ne soit absorbé complètement par l'enseignement de la Sorbonne.



Bulletin bibliographique.

Histoire des États-Généraux et des institutions représentatives en France depuis l'origine de la monarchie jusqu'en 1789; par A.-C. Thibaudeau, auteur des Mémoires sur la Convention et de L'Histoire du Consulat et de l'Empire. 2 vol. in-8. Paris, 1843. Paulin, 15 fr.

«Les États-Généraux ont eu, dit M. Thibaudeau, une influence immense sur les destinées de la nation Française. Dépositaires de ses pouvoirs, ils l'ont éclairée sur ses intérêts et sur ses besoins; ils lui ont révélé et enseigné ses droits, ils ont mis à découvert les abus criants du pouvoir, les plaies profondes de la société; ce sont eux qui en ont indiqué et réclamé les réformes et les remèdes. Ils ont contribué à former l'opinion, à créer un esprit public. De temps en temps ils ont secoué et réveillé la royauté par l'expression du voeu national. Ils l'ont, par l'empire du droit et de la raison, forcée à sortir de son ornière et à marcher avec le siècle. Elle a marché à pas lents, de mauvaise grâce, de mauvaise foi, mais elle n'est pas restée stationnaire. Les célèbres ordonnances qui formaient notre droit publie, dont nos pères se glorifiaient et que l'Europe admirait, ce ne sont ni les rois ni leurs conseillers qui en eurent la pensée: les États-Généraux en ont fourni la matière; elles ont été calquées sur leurs cahiers. C'est au cri des États-Généraux qu'éclata la plus glorieuse des révolutions. Qui peut dire où en serait la France, si elle n'avait pas en les États-Généraux. »

L'histoire des États-Généraux, en d'autres termes, l'histoire de la longue lutte de la royauté et de la nation, de la légitimité et de la souveraineté du peuple, de l'absolutisme et de la légalité, tel est le vaste et beau sujet que M. Thibaudeau s'est proposé de traiter, car cette histoire ne tient qu'une petite place dans les histoires de France. Quelques écrivains avaient, il est vrai, essayé, à diverses époques, de combler cette importante lacune; mais leurs travaux sont très-abrégés, superficiels, incomplets et fautifs. D'ailleurs, M. Thibaudeau s'est aidé surtout de documents précieux restés inédits jusqu'à ce jour, et dont ses prédécesseurs n'avaient pas pu profiter.

Les États-Généraux ne datent que de 1502. Cependant ils n'ont pas été improvisés. D'autres institutions analogues les ont amenés et leur ont servi de base. Il faut nécessairement connaître ces précédents pour apprécier l'origine des États, leur constitution, leurs vices, leur utilité. Une longue et savante introduction placée en tête du premier volume contient l'exposé des vicissitudes diverses qu'avait subies, pendant sept siècles, depuis sa fondation jusqu'au règne de Philippe le Bel, la monarchie française.

Ces prémisses posées, M. Thibaudeau aborde franchement son sujet. Il montre les États-Généraux naissant sous Philippe le Bel (1302), se développant sous ses successeurs, empiétant peu à peu sur l'autorité royale, essayant d'établir un gouvernement représentatif, gouvernant un instant, pendant la captivité du roi Jean, puis, mal compris et mal secondés par le peuple, laissant échapper une partie du pouvoir dont ils s'étaient emparés, ne cessant pas cependant, malgré l'inutilité de leurs réclamations, d'adresser à la couronne des remontrances qui ne seraient pas tolérées dans les gouvernements constitutionnels, préparant autant qu'il était en eux la grande régénération du royaume, remplacés pendant une période de près de deux siècles, de 1614 jusqu'en 1789, par des assemblées de notables, instruments dociles de la monarchie absolue, rappelés enfin en 1789, et disparaissant pour toujours dans cette tempête qui engloutit clergé, noblesse, tiers-état, toute distinction d'ordres, et créa la nation française.

History of the House of Commons, from the convention-parliament of 1688-9 to the passing of the reform bill in 1832; by W. Charles Townsend, Esq., recorder of Macclesfield.

Histoire de la Chambre des Communes depuis la convention de 1688-9, jusqu'au vote du bill de réforme en 1832; un vol. in-8. Londres. Colburn, 14 schellings (non traduite.)

A en juger par le premier volume qui vient de paraître, cet ouvrage de M. Townsend ne tiendra pas les promesses de son titre. Il n'est jusqu'à présent qu'un recueil assez indigeste d'anecdotes ou de biographies. S'il se fût présenté avec un air plus convenable et plus modeste, il eût été sans aucun doute beaucoup mieux accueilli par la critique; mais il lui sied trop mal d'avoir de telles prétentions. M. Townsend ne peut pas croire qu'il a écrit une histoire de la chambre des communes: il ne le persuadera pas au lecteur, que son annonce mensongère aura trompé.

L'histoire que M. Townsend s'était proposé d'écrire renferme une période de 144 années; car elle s'étend depuis la convention de 1688-9 jusqu'à la promulgation du bill de réforme en 1832. Cette période, M. Townsend la divise en trois époques. La première de ces époques, qui commence à l'abdication de Jacques II et finit à la mort de Georges Ier, en 1727, se trouve comprise tout entière dans le premier volume que le libraire Colburn vient de mettre en vente.

Ce volume, divisé en treize chapitres, se compose des biographies de tous les speakers qui ont présidé la chambre des communes pendant ces 39 années, et de celle des principaux lawyers, ou jurisconsultes qui y ont jeté quelque éclat, Somers, sir Robert Sawyer, sir William Williams, Robert Priée, sir Bartholomew Shower et lord Lechmere. On y trouve en outre trois curieux chapitres sur les divers privilèges dont jouissaient les membres de la chambre des communes. Mais, nous le répétons une fois encore, pourquoi cette compilation a-t-elle pris un si beau titre?

Les Annales du Parlement français, ou Compte-rendu méthodique des débats de la Chambre des Pairs et de la Chambre des Députés, publié par une société de publicistes, sous la direction de M. Fleury (4e année de la publication). Chaque année, 1 volume in-4° du prix de 25 fr.--Chaque discussion se vend séparément 25 cent. la feuille. Paris, Firmin Didot.

MM. Firmin Didot suivent, depuis quatre années, l'exemple que leur avait donné le libraire Hansard: à la fin de chaque session ils réimpriment, en un beau volume in-4º, les Parliamentary debates des Chambres françaises. Cette publication, faite avec le plus grand soin, ne pouvait manquer d'obtenir un grand succès. D'une part, en effet, elle s'adresse non-seulement aux pairs et aux députés, mais aux administrateurs, aux jurisconsultes, à tous les hommes qui se livrent à des études sérieuses sur la politique, la législation, et à l'économie politique; d'autre part, elle ne peut être remplacée par aucune collection, car elle est conçue sur un plan entièrement nouveau. Tandis que toutes les autres publications périodiques offrent, pour chaque session, une série de séances, les Annales du Parlement français offrent, pour la même période, une série de discussions complètes. Tout ce qui concerne le même sujet, depuis la première présentation du projet jusqu'au dernier vote, est réuni sans interruption. Les exposés des motifs et les rapports dans les deux Chambres sont transcrits in extenso. Les discours prononcés sont tantôt reproduits en entier d'après le Moniteur, tantôt analysés avec soin, le plus souvent en conformité des procès-verbaux qui offrent la meilleure garantie d'exactitude et d'impartialité. Les textes des projets présentés, amendés et votés, sont transcrits en entier sur plusieurs colonnes, de manière que l'oeil peut suivre facilement les transformations subies dans la discussion.

Chaque volume comprend ainsi une session entière; mais pour que cette classification méthodique ne fasse pas perdre de vue l'ordre naturel des débats, les sommaires des séances, en ordre chronologique, indiquent tous les travaux des deux Chambres et tous les noms des pairs et des députés qui ont pris part aux débats.

Enfin des tables alphabétiques permettent de rechercher facilement les travaux des deux Chambres et de chacun de leurs membres.

Des Monts-de-Piété et des Banques de prêt sur nantissement en France, en Belgique, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, par A. Blaize. 1 vol.. in-8° de 440 pages. Paris, 1843. Pagnerre, 9 francs.

Frappé des inconvénients et des abus actuels des Monts-de-Piété, M. A. Blaize a consacré plusieurs années de sa jeunesse à examiner cette question, qui intéresse à un si haut degré la condition présente et peut-être même l'avenir des classes inférieures. Il a réuni en un seul volume une masse énorme de documents inédits ou disséminés dans de nombreux ouvrages; mais il ne s'est pas contenté de signaler le mal, il a en outre essayé d'indiquer les remèdes capables de le guérir. Le livre qu'il vient de publier est tout à la fois un ouvrage de statistique et de théorie, qui s'adresse aux hommes sérieux et positifs. Toutes les réformes qu'il propose sont, non-seulement possibles, mais immédiatement réalisables.

M. A. Blaize a divisé son travail en trois parties. La première comprend l'histoire des banques de prêts sur nantissement depuis le Moyen-Age jusqu'à nos jours Un fait curieux, l'apparition des aventuriers italiens désignés, au Moyen-Age, sous le nom de Caoursins et de Lombards, et qui paraissent avoir été d'abord les agents de la cour de Rome, l'a conduit à des recherches du plus haut intérêt pour l'histoire des finances et de l'économie politique. Ainsi M. Blaize a surtout puisé aux sources officielles; les ordonnances du Louvre lui ont fourni des matériaux précieux.

La seconde partie est consacrée à l'examen de l'organisation des Monts-de-Piété en général, mais principalement de celui de Paris, le plus considérable de tous. M A. Blaize a étudié ses opérations dans le plus grand détail, et s'est appuyé uniquement sur les comptes administratifs. Il discute avec un soin tout particulier la question des commissionnaires, débattue depuis plusieurs années entre eux et l'administration, et dont la solution, quelle qu'elle soit, ne peut être éloignée et exercera une grande influence sur l'avenir du Mont-de-Piété. Est-il nécessaire d'ajouter qu'il considère en fait et en droit leur suppression «comme chose juste, utile et légale.»

Dans la troisième partie, M. A Blaize expose et développe les réformes qu'il voudrait voir introduire dans le régime des Monts-de-Piété. Les institutions ne sauraient rester stationnaires; elles doivent se mettre en harmonie avec le développement progressif des sociétés. M. A. Blaize propose douze réformes principales qui feraient, dit-il, des monts d'impiété, comme les appelait Nicolas Barianno, des banques populaires et de véritables institutions de bienfaisance et contiendraient le germe d'une transformation sociale.

Enfin, pour compléter son travail, M. A. Blaize a réuni dans un appendice tous les documents qu'il a pu recueillir sur les banques étrangères de prêts sur nantissement. Il passe successivement en revue l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, la Belgique, la Hollande, l'Allemagne, l'Italie, le Piémont, l'Espagne, la Russie et la Chine. Trois curieux paragraphes, intitulés: Législation, Jurisprudence et Bibliographie des Monts-de-Piété, terminent cet appendice.

M. A. Blaize a rempli son but; il réussira certainement «à appeler sur cette matière, si importante à ses yeux et si ignorée, l'attention des hommes de bien, à provoquer des études sérieuses et les réformes que commandent, en faveur des classes déshéritées, la justice et la raison.» Son livre mérite à un double titre nos éloges. C'est une bonne action et de plus un ouvrage consciencieux, méthodique, clair, et écrit dans certaines parties avec cette noble chaleur qui vient plus encore du coeur que de l'esprit.

De la création de la Richesse, ou des intérêts matériels en France, statistique comparée et raisonnée, par J.-H Schnitzler; 2 vol. in-8º. Paris, 1842. Lebrun, 15 fr.

M. J-H. Schnitzler a entrepris, depuis plusieurs années, un important ouvrage, intitule Statistique générale de la France. Cet ouvrage, accompagné de nombreux tableaux et divisé en deux parties, doit former 4 vol. in-8°. La seconde partie seule a paru, sous le titre de: Création de la Richesse. M Schnitzler l'a publiée séparément, «malgré son imperfection trop réelle, afin de mieux débrouiller l'énorme amas de matériaux qu'il lui a fallu mettre en oeuvre, et, afin de puiser, dans les indulgents suffrages du public, l'encouragement dont il a besoin pour mener à bien une entreprise si difficile.»

Le premier volume de la Création de la Richesse est consacré à la production, c'est-à-dire à l'industrie dans son acception la plus générale (agriculture, exploitation des mines, industrie manufacturière, etc.) Le second volume traite de la circulation ou du commerce (des importations et des exportations de la France, de ses relations mercantiles avec tous les pays du monde, des transports par terre et par mer, de l'état de tous les ports du royaume, etc.).

Ces deux volumes embrassent ainsi les intérêts matériels dans leur vaste ensemble et les examinent sous toutes leurs faces.

Les intérêts moraux seront l'objet des deux premiers volumes qui paraîtront dans le courant de cette année. Après avoir traité avec détail du territoire, de la population et de la consommation, M. Schnitzler annonce qu'il exposera d'une manière complète et dans un ordre méthodique, tous les faits relatifs à l'État (constitution, gouvernement, administration, force publique, etc.), à l'Église et aux Écoles.

Voyage en Bulgarie pendant l'année 1841, par M. Blanqui, membre de l'institut; 1 vol. in-18. Paris, 1843. W. Coquebert, 3 fr. 50 c.

Vers le milieu de l'année 1841, à la suite de quelques exactions financières plus rudes que de coutume, une partie des populations chrétiennes de la Bulgarie se souleva contre les Turcs. Ce mouvement, mal combiné, fut bientôt comprime par la force militaire. Pendant plusieurs semaines, des bandes d'Albanais, déchaînées contre les insurgés mirent à feu et à sang la malheureuse Bulgarie. Le bruit de leurs dévastations retentit bientôt dans toute l'Europe chrétienne, dont les cabinets venaient de se concerter d'une manière si éclatante en faveur de l'Empire ottoman. La France s'en montra surtout vivement préoccupée, et M. Guizot, ministre des affaires étrangères, chargea alors M Blanqui d'aller constater le véritable état des choses, en traversant la Turquie d'Europe dans sa plus grande longueur, depuis Belgrade jusqu'à Constantinople.

M. Blanqui était parti de Paris publiciste de l'opposition, il est revenu de Constantinople candidat ministériel. A son retour, il a rédigé un travail officiel qui ne lui appartient plus; mais il publie aujourd'hui la relation personnelle de son voyage. On ne peut refuser à M. Blanqui un esprit vif et prompt et un style net et facile. Son Voyage en Bulgarie a en outre le mérite de nous faire connaître, superficiellement il est vrai, l'état physique, économique et moral d'une vaste contrée bien rarement visitée et plus rarement décrite par les voyageurs français ou étrangers.

M. Blanqui s'embarque à Vienne sur le Danube, et descend ce beau fleuve jusqu'à Belgrade, où il rend une visite au prince Michel et à la princesse Lioubitza. A Belgrade il prend la voie de terre pour gagner Constantinople; il traverse successivement Vidin, dont le pacha, le fameux Hussein, l'exterminateur des janissaires, lui fait une magnifique réception, Nissa, Sophie, Ousonnjava, Andrinople et Constantinople. Un bateau à vapeur le ramène ensuite à Malte et à Marseille. L'importance actuelle et future du Danube, les dernières révolutions de la Servie, le caractère, l'agriculture et le commerce des Bulgares, la quarantaine et la navigation à vapeur en Orient, forment les sujets de plusieurs chapitres qui permettent au lecteur de reprendre haleine.... car M. Blanqui ne s'arrête pas longtemps dans le même pays. Enfin un rapport sur les prisons de la Turquie termine ce joli petit volume, dont la lecture est aussi agréable qu'instructive.

Poésies d'Antoinette Quarré, de Dijon; 1 vol. in-8º, 1843. Paris, Ledoyen.--Dijon, Lamarche.

Mademoiselle Antoinette Quarré est une jeune lingère qui a toujours habité Dijon, sa ville natale. Dès son enfance, elle aima passionnément la poésie. A peine les travaux de l'atelier lui laissaient-ils un instant du repos, elle lisait les tragédies de Racine; elle en récitait les plus belles tirades. Enfin, un jour le hasard fit tomber entre ses mains un volume des Méditations poétiques de M. de Lamartine. «Il me sembla, dit-elle, qu'un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je m'abandonnai avec délices à l'enivrement de cette lecture, qui venait de compléter en quelque sorte mon existence intellectuelle. Ce livre chéri ne me quitta plus, et, à force de le relire, j'en appris bientôt toutes les pages. C'est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des vers, j'en vins tout naturellement à la parler à mon tour; mes propres pensées se revêtirent d'elles-mêmes d'expressions poétiques, et j'y trouvai du plaisir. »

A dater de cette époque, mademoiselle Antoinette Quarré composa, dans ses moments de loisir, quelques petites pièces pleines de fautes et d'incorrections; car les règles de l'art lui étaient tout à fait inconnues; mais déjà un homme d'esprit et de goût. M. Roget de Belloguet, ayant pris connaissance de ces premiers essais, y découvrit les germes d'un beau talent. Il alla trouver la jeune fille ignorante, l'aida de ses conseils et de ses leçons, et plus tard lui fit ouvrir les colonnes d'une revue littéraire qui s'imprimait alors à Dijon. Les premiers vers publiés par mademoiselle Antoinette Quarré furent accueillis avec faveur. M. de Lamartine adressa à la jeune lingère dijonnaise une de ses plus gracieuses épîtres; dès lors la réputation de mademoiselle Quarré s'accrut dans la même proportion que son talent. Une souscription qui fut bientôt remplie s'ouvrit à Dijon pour l'impression de ses oeuvres choisies. Le Conseil municipal et l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, s'empressèrent de s'associer à ce généreux mouvement d'une ville que sa réputation littéraire place au premier rang parmi les villes de la France.

Telle est l'histoire de ce charmant volume qui nous arrive de la capitale de la Bourgogne. Disciple de M. de Lamartine, mademoiselle Antoinette Quarré imite parfois un peu servilement les rhythmes de son maître; mais alors même qu'elles paraissent trop monotonement harmonieuses, ses strophes renferment toujours quelque pensée délicate ou profonde. Pour elle, la forme n'est évidemment qu'un moyen, qu'un accessoire. Elle a un but plus élevé, elle cherche à parler à l'âme ou au coeur. On a peine à comprendre, en lisant ses poésies, comment, au milieu des soucis d'une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement son pain de chaque jour, une jeune fille a pu atteindre à une pareille perfection de style, développer si largement son intelligence et trouver en elle de tels trésors de sentiment. Cependant le doute est-il possible? Les preuves ne sont-elles pas là dans nos mains, sous nos yeux? N'avons-nous pas lu Un fils, la réponse à M. de Lamartine, à mon Perroquet, à Dijon, la Madone, l'Invocation, et tant d'autres petits chefs-d'oeuvre qui nous autorisent à ajouter dès à présent le nom de mademoiselle Antoinette Quarré à la liste déjà si longue des écrivains auxquels Dijon s'enorgueillit d'avoir donné le jour.

Rimes héroïques, par Auguste Barbier. 1 joli vol. in-18. Paris, 1843. Paul Masgana, 3 fr. 50.

En feuilletant les oeuvres lyriques de Torquato Tasso, M. A. Barbier y a trouvé un recueil de sonnets intitulé: Rime héroïque. Ce sont des vers adresses à différents princes de l'Italie, en l'honneur de leur mariage ou de la naissance de leurs enfants. L'auteur des Iambes a pensé que ce titre pouvait s'appliquer avec plus de raison encore aux chants inspirés par ceux qui se sont dévoués au bien de leurs semblables. Il a donc recueilli toutes les pièces, de vers que, dans ses lectures ou dans ses voyages, l'émotion d'un pieux souvenir, un grand acte de vertu ou de patriotisme avaient pu lui inspirer, et les groupant par ordre de temps, il en a composé une sorte de galerie qu'il a décorée du titre de Rimes héroïques.--La forme du sonnet est celle que sa pensée a revêtue, «car, dit-il, ce petit poème, d'invention moderne, a le mérite d'encadrer avec précision l'idée ou le sentiment.»


M. le Maréchal comte d'Erlon.

M. le lieutenant-général Drouet, comte d'Erlon, vient, par ordonnance royale du 9 avril, d'être élevé à la dignité de maréchal de France.

Aux termes de la loi du 4 août 1839, sur l'organisation de l'état-major-général de l'armée, le nombre des maréchaux de France est de six au plus en temps de paix, et pourra être porté à douze en temps de guerre. Lorsqu'en temps de paix le nombre des maréchaux de France excédera la limite fixée, la réduction s'opérera par voie d'extinction; toutefois, il pourra être fait une promotion sur trois vacances.

A l'époque où cette loi fut rendue, le nombre des maréchaux de France était de douze. Depuis, six d'entre eux sont morts, et sur ces six vacances, deux promotions ont été faites: celles de M. le lieutenant-général comte Horace Sébastiani et de M. le lieutenant-général comte Drouet d'Erlon.


              M. le maréchal comte d'Erlon.

Aujourd'hui, le nombre des maréchaux de France est de huit, dont un seul, M. le duc de Dalmatie, est de la première promotion, faite par Napoléon, le 19 mai 1804, le lendemain de son élévation au trône impérial. Voici les noms des huit maréchaux actuels: Duc de Dalmatie (Soult), président du conseil et ministre de la Guerre; duc de Reggio (Oudinot), gouverneur de l'hôtel royal des Invalides; comte Molitor; comte Gérard, grand-chancelier de l'ordre, royal de la Légion-d'Honneur; marquis de Grouchy; comte Valée; comte Horace Sébastiani; comte Drouet d'Erlon.

Les six derniers maréchaux morts sont: comte de Lobau (Mouton); marquis Maison; duc de Tarente (Macdonald); duc de Bellune (Victor); duc de Conégliano (Moncey); comte Clauzel.

La dignité de maréchal de France, en vertu de la même loi du 4 août 1839, n'est conférée qu'aux lieutenants-généraux qui auront commandé en chef devant l'ennemi: 1° une armée ou un corps d'armée composé de plusieurs divisions de différentes armes; 2º les armes de l'artillerie et du génie dans une armée composée de plusieurs corps d'armée. Le nouvel élu, doyen des lieutenants-généraux depuis quelques années, et dont la nomination à ce grade remonte au 27 août 1803, satisfait depuis longtemps à la première de ces conditions, puisqu'il plusieurs reprises, sous l'Empire, il a commandé en chef des corps d'armée formés de plusieurs divisions.

M. le maréchal Drouet d'Erlon, né à Reims le 29 juillet 1765, débuta dans la carrière militaire par être soldat dans un bataillon de volontaires nationaux, où il s'enrôla en 1792. Son courage et son intelligence l'ayant fait distinguer par le général Lefebvre, il devint son aide-de-camp, et fit sous ses ordres les campagnes de 1793, 1794, 1795 et 1796, aux armées de la Moselle et de Sambre-et-Meuse. En 1799, il fut nommé, général de brigade. Attaché à l'armée qui, en 1803, s'empara du Hanovre, il fut élevé au grade de général de division. Il servit en cette qualité à la grande armée d'Allemagne, prit une part active à la bataille d'Iéna, et contribua à la prise de Halle. Chef d'état-major-général du corps d'armée du maréchal Lannes, il se signala à la bataille de Friedland, le 14 juin 1807, et y fut blessé. Le 29 mai, il fut nommé grand-officier de la Légion-d'Honneur. En 1809, il contribua à soumettre le Tyrol. Chargé du commandement du 9e corps d'armée d'Espagne, il obtint, en 1810, des succès en Portugal, et lit sa jonction avec Masséna, le 26 décembre 1811 A la fin de décembre 1812, il força le général anglais Hill à se retirer sous les murs de Lisbonne. En 1815, il commandait l'armée du centre et obtint des succès sur la Guenna. Vers la lin de juillet, il emporta de vive force le Col-de-Maya, après la plus vigoureuse résistance de la part des Espagnols. Il commandait un corps d'armée à la bataille de Vittoria, devint un des lieutenants du maréchal Soult lors de l'invasion de l'armée anglaise dans le midi de la France, et combattit, en 1814, dans toutes les affaires où le territoire national fut énergiquement disputé à l'ennemi, notamment à Orthez et à Toulouse.

A la première Restauration, M. le comte d'Erlon fut nommé commandant de la 16e division militaire (Lille), chevalier de Saint-Louis et grand cordon de la Légion-d'Honneur. Après le débarquement de l'Empereur au golfe Juan, le général Lefebvre-Desnouettes ayant formé le projet de rassembler toutes les forces qui se trouvaient dans le nord de la France, pour tenter un coup de main sur Paris, M. le général Drouet d'Erlon fut prévenu de complicité dans ce hardi dessein, et arrêté, le 13 mars 1813, par ordre du duc de Feltre (Clark), alors ministre, de la Guerre. Le cours des événements le rendit bientôt à la liberté, et lui permit de s'emparer de la citadelle de Lille, où il se maintint jusqu'au 20 mars. Le 28 du même mois, il fit proclamer et reconnaître l'Empereur dans la 16e division. Napoléon l'éleva à la pairie par décret du 2 juin, et lui confia le commandement du premier corps de son armée, à la tête duquel il fit, à Fleuras et à Waterloo, des prodiges de valeur que la fortune rendit inutiles. Le général d'Erlon commanda ensuite l'aide droite de l'armée sous Paris, et après la capitulation, il se retira au delà de la Loire. Compris dans l'ordonnance de proscription du 24 juillet 1815, il quitta son corps d'armée, et fut assez heureux pour arriver à Bayreuth, en Bavière, où il trouva un asile. Plus tard il s'établit aux environs de Munich et y vécut, dans une modeste retraite, de l'exploitation industrielle d'une brasserie. Il fut cité, le 12 juin 1815, devant le conseil de guerre de la 11e division militaire, à Bordeaux, pour être jugé par contumace; mais l'instruction n'ayant pas été trouvée suffisante, l'affaire fut suspendue jusqu'à plus ample informé et n'eut pas d'autre suite.

La révolution de Juillet 1830 rappela en France le comte d'Erlon, et il fut réintégré dans son grade. Son nom figura de nouveau sur la liste des lieutenants-généraux en activité, publiée par l'Almanach royal et national de 1831, après en avoir été effacé pendant quinze années. Pair de France, le 19 novembre 1831, M. le comte d'Erlon fut nommé, par ordonnance royale du 27 juillet 1834, gouverneur-général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique, et conserva ce commandement jusqu'au 8 août 1833, jour où il quitta Alger, une ordonnance du 8 juillet lui ayant donné pour successeur le maréchal Clauzel, qu'il vient de remplacer à son tour dans la dignité de maréchal de France. Peu de temps après son retour d'Algérie, M. le lieutenant-général d'Erlon fut appelé de nouveau au commandement de la 12e division militaire, qu'il avait occupé avant son départ pour l'Afrique, et qu'il occupait encore au moment de sa promotion au maréchalat.


Sur la Locomotion aérienne

LETTRE
A M. LE DIRECTEUR DE L'ILLUSTRATION.

Monsieur,

Vous avez inséré dans le dernier numéro de votre Journal universel une description, avec figures, d'une machine à vapeur aérienne. Il paraît que la curiosité publique est vivement excitée, en Angleterre, par cette prétendue invention, et qu'il en a été même question au Parlement. En mettant vos lecteurs au courant du sujet, vous n'avez fait, ce me semble, que justifier votre titre et la promesse de ne rien laisser échapper de ce qui attire l'attention générale, à tort ou à raison. Vous avez eu soin, d'ailleurs, de ne parler de la découverte de M. Henson qu'avec une prudente réserve, et je suis convaincu que tous vos lecteurs, mis en garde par la manière dont vous la leur avez exposée, ne l'auront accueillie qu'avec une extrême défiance, peut-être même la plupart avec une complète incrédulité.

Pour moi, Monsieur, j'avoue que je me range décidément au nombre de ceux-ci, et je vous demande la permission de vous soumettre quelques réflexions au sujet du problème que M. Henson s'est proposé et de la solution qu'il s'imagine en avoir trouvée. Si vous jugez convenable de les communiquer à mes co-abonnés, j'ose croire que ceux qui prendront la peine de les lire tomberont d'accord avec moi sur l'absurdité théorique de cette solution; et quant à l'impossibilité pratique, je laisse à M. Henson lui-même le soin de la démontrer, s'il ne l'a déjà fait.

Le principe fondamental de la nouvelle machine consiste, dit-on, en ce qu'elle emprunte à la Nature la force nécessaire pour se mettre en mouvement et s'élever dans l'air; la machine à vapeur qu'elle porte lui restitue d'ailleurs, à chaque instant, la vitesse que lui fait perdre la résistance de l'air. On ajoute fort judicieusement, comme exemple à l'appui de cette idée, qu'un oiseau s'envole beaucoup plus facilement lorsqu'il est perché au sommet d'un rocher ou d'un arbre, que lorsqu'il lui faut s'élever de terre.

Je trouve à ceci, monsieur Henson, une petite difficulté qui m'arrête tout d'abord. Vous lancez votre machine dans les airs, de l'extrémité supérieure d'un plan incliné: fort bien! Mais comment l'aurez-vous hissée au sommet de ce plan?--à grand renfort de poulies, de cordes, de cabestans, d'engrenages, etc.; le tout mis en action par des hommes, par des chevaux, par la vapeur, que sais-je? En tout cas, par un moteur qu'il faut payer; car si la Nature consent à vous prêter de la force, ce n'est, assurément, pas pour rien. Puis, lorsque vous aurez abandonné l'appareil à lui-même, dans quel sens pensez-vous donc que s'exercera la vitesse qu'il acquiert en vertu de sa chute? Tout le monde ne répond-il pas, dans le sens vertical, de haut en bas.--Comment voulez-vous donc que cette vitesse puisse servir à un mouvement de progression horizontal dans un sens perpendiculaire à sa direction? Bien plus! comment oser dire qu'elle puisse changer de direction, et que votre aérostat d'un nouveau genre ait plus de vitesse à la descente? Ne voyez-vous pas que vous nous proposez tout simplement le mouvement perpétuel? Nierez-vous que votre histoire soit tout à fait analogue à celle du couvreur qui, venant de glisser le long d'un toit, passe, pendant sa chute, devant une fenêtre ouverte au premier étage, et profite de cette heureuse circonstance pour entrer de plain-pied dans l'appartement, à la grande surprise des locataires? Si le grand Newton ne s'est pas avisé de cette importante modification aux lois de la pesanteur universelle, c'est qu'il n'a philosophé qu'à propos de la chute d'une simple pomme dans son jardin. Nous, au contraire, n'avons-nous pas appris par nos bonnes l'anecdote de la chute du couvreur? Étonnez-vous donc un peu des progrès de la mécanique appliquée!

Mais votre comparaison de l'oiseau me paraît tout à fait ingénieuse, et je désire vous y suivre, monsieur Henson! Oui, sans doute, votre oiseau vole avec moins de peine quand, d'un point culminant, il s'élance dans les airs, pour se maintenir à la même hauteur ou pour descendre, que lorsqu'il lui faut d'abord s'élever de terre à la hauteur qu'il veut atteindre. Vous-même, j'en suis sûr, vous éprouvez moins de fatigue à descendre qu'à monter un escalier. Il est vraiment à regretter que ces grandes vérités n'aient pas été vulgarisées, depuis longtemps, par quelque couplet ad hoc, dans la chanson de M. de la Palice; vous auriez moins de mal à nous les faire comprendre.--Mais comment votre oiseau a-t-il gagné le sommet de l'arbre sur lequel vous le perchez si gratuitement? Comment êtes-vous parvenu au haut de l'escalier que vous n'avez plus qu'à descendre? Je vous vois, vous et votre oiseau, dans un cruel embarras! Il va falloir que vous commenciez, vous, par monter, lui, par s'envoler de bas en haut. Tirez-vous de là si vous pouvez.

Encore quelques mots, Monsieur le Directeur.--M. Henson nous promet une machine de la force de 20 chevaux, ne pesant pas plus de 500 kil., avec l'eau nécessaire pour l'entretenir. Je regrette qu'il ne nous ait pas parlé du temps du voyage. Mais jele suppose d'une heure seulement. Or, jusqu'à ce jour, on n'a jamais réussi à brûler moins de 2 kil. et demi de charbon par heure et par force de cheval; ce qui, pour 20 chevaux fait 50 kilog.--Il faut aussi compter au moins 12 kilog. et demi d'eau par heure et par cheval; et, pour la machine en question, 250 kilog.--Comme 50 et 250 l'ont 300 kilog., voilà, si je ne m'abuse, la totalité du poids de la machine absorbé uniquement par l'approvisionnement d'une heure en eau et en charbon. Quant à la machine elle-même, il paraît qu'elle ne pèse rien du tout. Ce résultat n'est pas moins merveilleux que le reste; car on n'a pas encore, que je sache, réduit le poids d'une machine à vapeur à moins de 500 à 400 kilog. par force de cheval développée; ce qui coterait à 6.000 kilog., au bas mot, le poids de celle de M. Henson.

Il y a donc quelques raisons de croire, Monsieur le Directeur, que la nouvelle invention doit être classée au premier rang parmi les puffs-monstres dont l'imagination féconde de nos voisins d'outre-mer nous gratifie si souvent aujourd'hui. Mais ce qui me semble fort divertissant, c'est que, cette fois, où ils paraissent avoir dépassé les limites du genre, ils se sont dupés eux-mêmes, semblables aux conteurs qui finissent par se persuader de la réalité des aventures qu'ils ne peuvent plus faire croire à personne.

Agréez, je vous prie, etc.

UN DE VOS ABONNÉS


Rébus.



EXPLICATION DU

DERNIER RÉBUS.


L'approche de la Comète a effrayé

les vieilles bonnes femmes..











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electronic work or group of works on different terms than are set
forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark.  Contact the
Foundation as set forth in Section 3 below.

1.F.

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effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
collection.  Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
works, and the medium on which they may be stored, may contain
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property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
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INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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with this agreement, and any volunteers associated with the production,
promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
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that arise directly or indirectly from any of the following which you do
or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.


Section  2.  Information about the Mission of Project Gutenberg-tm

Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
electronic works in formats readable by the widest variety of computers
including obsolete, old, middle-aged and new computers.  It exists
because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
people in all walks of life.

Volunteers and financial support to provide volunteers with the
assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
remain freely available for generations to come.  In 2001, the Project
Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.


Section 3.  Information about the Project Gutenberg Literary Archive
Foundation

The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
Revenue Service.  The Foundation's EIN or federal tax identification
number is 64-6221541.  Its 501(c)(3) letter is posted at
http://pglaf.org/fundraising.  Contributions to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
permitted by U.S. federal laws and your state's laws.

The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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