The Project Gutenberg EBook of Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et
de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Aïssé and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette

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Title: Lettres de Mmes de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé
       accompagnées de notices bibliographiques, de notes
              explicatives par Louis-Simon Auger

Author: Various
        Ninon de L'Enclos
        Charlotte-Elisabeth Aïssé
        Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette

Commentator: Louis-Simon Auger

Release Date: July 21, 2009 [EBook #29476]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

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LETTRES

DE

MMES. DE VILLARS,

DE COULANGES,

ET DE LA FAYETTE;

DE NINON DE L'ENCLOS,

ET DE

MADEMOISELLE AÏSSÉ;

Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.

SECONDE ÉDITION.

TOME PREMIER.

A PARIS,

Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire,

Rue Gît-le-cœur, Nº. 18.

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AN XIII.—1805.

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TOME PREMIER.
 
LETTRES DE MADAME DE VILLARS A MADAME DE COULANGES.
NOTICE SUR MADAME DE VILLARS.
Lettre première., II., III., IV., V., VI., VII., VIII., IX., X., XI., XII., XIII., XIV., XV., XVI., XVII., XVIII., XIX., XX., XXI., XXII., XXIII., XXIV., XXV., XXVI., XXVII., XXVIII., XXIX., XXX., XXXI., XXXII., XXXIII., XXXIV., XXXV., XXXVI., XXXVII.
 
LETTRES DE MADAME DE COULANGES, A MADAME DE SÉVIGNÉ.
NOTICE SUR MADAME DE COULANGES
Lettre première., II., III., IV., V., VI., VII., VIII., IX., X., XI., XII., XIII., XIV., XV., XVI., XVII., XVIII., XIX., XX., XXI., XXII., XXIII., XXIV., XXV., XXVI., XXVII., XXVIII., XXIX., XXX., XXXI., XXXII., XXXIII., XXXIV., XXXV., XXXVI., XXXVII., XXXVIII., XXXIX., XL., XLI., XLII., XLIII., XLIV., XLV., XLVI., XLVII., LXVIII., XLIX., L.
TOME SECOND.
 
LETTRES DE MADAME DE LA FAYETTE
NOTICE SUR MADAME DE LA FAYETTE
Lettre première., II., III., IV., V., VI., VII., VIII., IX., X., XI., XII., XIII., XIV.
EXTRAITS DE LETTRES DIVERSES.
PORTRAIT DE LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ
 
LETTRES DE NINON DE L'ENCLOS
NOTICE SUR NINON DE L'ENCLOS
Lettre première., II., III., IV., V., VI., VII., VIII., IX., X., XI., XII., XIII., XIV., XV., XVI., XVII., XVIII., XIX.,
LA COQUETTE VENGÉE.
 
LETTRES DE MADEMOISELLE AÏSSÉ
NOTICE SUR MADEMOISELLE AÏSSÉ.
Lettre première., II., III., IV., V., VI., VII., VIII., IX., X., XI., XII., XIII., XIV., XV., XVI., XVII., XVIII., XIX., XX., XXI., XXII., XXIII., XXIV., XXV., XXVI., XXVII XXVIII., XXIX., XXX., XXXI., XXXII., XXXIII., XXXIV., XXXV., XXXVI.
Erratum
Notes

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AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

La rapidité avec laquelle a été enlevée la première édition du recueil des Lettres de mesdames de Villars, de la Fayette et de Tencin et de mademoiselle Aïssé, nous a déterminés à en donner une seconde. Nous avons fait à ce recueil plusieurs changemens dont il est à propos de rendre compte.

On a remarqué dans un journal très-répandu[1] que les Lettres de madame de Tencin déparoient la collection. Nous étions parfaitement de l'avis du journaliste sur le mérite de ces Lettres: nous avions dit nous-mêmes dans la notice qui les précède, qu'elles étoient de madame de Tencin, intrigante, et non point de madame de Tencin, auteur des jolis romans du Comte de Comminges, du Siége de Calais, etc.; mais nous avions considéré qu'elles étoient en petit nombre; qu'il étoit fort souvent question de celle qui les a écrites, dans une autre correspondance qui fait partie du recueil, c'est-à-dire, dans les Lettres de mademoiselle Aïssé; et qu'enfin, puisque notre dessein étoit de rassembler des Lettres de femmes, celles de madame de Tencin rendroient la réunion plus complète. Ces considérations nous ont bientôt paru d'un moindre poids que l'observation qui nous a été faite; et nous avons reconnu que le principal but de ceux qui travaillent pour le public, étant de lui procurer de l'agrément ou de l'instruction, les Lettres de madame de Tencin devoient être exclues de notre recueil, puisqu'elles ne sont ni instructives, ni agréables.

Nous les avons remplacées par les Lettres de Ninon de l'Enclos et par celles de madame de Coulanges. Ce que nous avons ajouté étant beaucoup plus considérable que ce que nous avons retranché, nous nous sommes vus forcés de faire deux volumes, au lieu d'un.

Le mérite des Lettres de mesdames de Villars et de la Fayette, et de mademoiselle Aïssé, est aujourd'hui trop bien constaté par les éloges que leur ont donnés les journaux, et par l'empressement que le public a mis à se les procurer, pour que nous croyions nécessaire d'en rien dire ici. Il est également inutile de s'étendre sur celles de madame de Coulanges. On sait qu'il n'en est pas de plus enjouées et de plus spirituelles; elles sont remplies de ces traits vifs et brillans, que l'on appeloit les épigrammes de madame de Coulanges; et, en les lisant, on conçoit très-bien comment la femme qui les a écrites, faisoit les délices de la société, dans un siècle où l'on étoit si sensible aux grâces de l'esprit et du bon ton[2].

Quant aux Lettres de Ninon, elles exigent de nous une explication particulière. Beaucoup de personnes pourroient les confondre, d'après le simple énoncé du titre, avec les Lettres de Ninon de l'Enclos au marquis de Sévigné, ouvrage supposé, dont l'auteur est M. Damours, avocat au conseil, mort en 1788. Cette correspondance fictive ne jouit pas d'une grande estime auprès des gens de goût. Voici ce que Voltaire en écrivoit en 1771, à M. ******, ministre du Saint Évangile, qui lui avoit demandé des détails sur Ninon. «Quelqu'un a imprimé, il y a deux ans, des Lettres sous le nom de mademoiselle de l'Enclos, à peu près comme dans ce pays-ci on vend du vin d'Orléans pour du Bourgogne. Si elle avoit eu le malheur d'écrire ces Lettres, vous ne m'en auriez pas demandé une sur ce qui la regarde.» On a publié depuis un autre livre du même genre, intitulé Correspondance secrète entre Ninon de l'Enclos, M. de Villarceaux et madame de Maintenon. Nous ne porterons aucun jugement sur cette dernière production, que nous n'avons point lue, et avec laquelle d'ailleurs nous n'avons rien à démêler, non plus qu'avec celle de M. Damours, puisque l'une et l'autre sont des suppositions. Les Lettres que nous donnons, sont les véritables Lettres de Ninon, adressées à Saint-Evremont, dans les œuvres duquel elles sont comme ensevelies. On les en a déjà extraites une fois. Elles ont paru en 1751, précédées de Mémoires sur Ninon, que quelques-uns ont attribués à M. l'abbé Raynal. Ce volume se trouve aujourd'hui très-difficilement. Les Lettres qui nous restent de Ninon, sont au nombre de dix seulement; celles de Saint-Evremont, qui y correspondent, sont au même nombre, et nous les y avons jointes. Un recueil de Lettres, quel qu'il soit, ne peut que perdre du côté de l'intérêt, lorsqu'il n'offre que l'une des deux parties de la correspondance.

A la suite des Lettres de Ninon, nous avons mis la Coquette vengée, petit écrit attribué à cette fille célèbre par MM. Mercier, abbé de Saint-Léger et Jamet le jeune, deux des hommes du siècle dernier, qui ont été le plus profondément versés dans la bibliographie. L'assertion de tels érudits nous a paru suffire. Nous n'y ajouterons pas que nous avons cru reconnoître dans la Coquette vengée, le style de Ninon: on n'en pourroit juger que d'après ses Lettres; et des Lettres, qui sont une conversation écrite, n'ont presque rien de commun avec un ouvrage exprès; mais nous dirons, sans craindre de trouver des contradicteurs, que cet opuscule, rempli de grâce et de finesse, ne peut guère être sorti que de la plume d'une femme, et qu'il est en tout digne de cette Ninon, dont l'esprit et la raison n'ont pas été moins célèbres que l'éclat et la durée de ses charmes. Nous allons dire à quelle occasion il fut fait. En 1659, il parut un petit livre intitulé: le Portrait de la Coquette ou la Lettre d'Aristandre à Timagène. Aristandre apprenant que Timagène, son neveu, se dispose à faire le voyage de Paris, veut le prémunir contre les dangers que son innocence courra dans cette ville; et de tous ces dangers, le plus grand, à son avis, ce sont les coquettes, dont il décrit à son neveu les différentes espèces. Il est certain que, parmi ces portraits, il en est plusieurs, et notamment celui de la Coquette, qui affecte l'instruction, où la malignité des lecteurs dut vouloir retrouver quelques-uns des traits de Ninon; et il n'est guère douteux qu'en effet le peintre ne l'ait prise pour modèle. Il appartenoit à une femme de venger la plus grande partie de son sexe outragée dans la Lettre d'Aristandre; et ce soin regardoit sur-tout celle qui y paroissoit le plus directement attaquée. Cette circonstance, suivant nous, donne un grand poids au témoignage de nos deux bibliographes; et, à défaut d'autres indices, elle auroit pu servir de base à leur opinion. Ninon (car nous croyons fermement que c'est elle qui est l'auteur de l'écrit) Ninon fit donc la Coquette vengée, dont le titre seul annonce suffisamment le dessein. Cette défense, ou plutôt cette récrimination est dirigée contre certains philosophes, nommés pédans de robe courte, et docteurs de ruelles, qui dogmatisent dans des fauteuils, et raisonnent sans cesse sur l'amour, sans avoir rien de raisonnable pour se faire aimer. Pour expliquer l'emploi injurieux que Ninon fait ici du titre de philosophe, il faut dire que l'auteur du Portrait de la Coquette affiche de grandes prétentions à ce titre, pour lequel il assure que les coquettes ont une aversion insurmontable. Nous avouerons sans peine que la Lettre d'Aristandre nous a paru elle-même un ouvrage agréablement écrit, et vraiment digne de la colère de Ninon. Ce qui confirmeroit notre jugement, c'est qu'il fut réimprimé en 1685, c'est-à-dire, plus de vingt-cinq ans après sa première publication. Nous ignorons si l'écrit de Ninon a eu aussi les honneurs de la réimpression; en tout cas, nous pensons qu'il les méritoit pour le moins autant.

Dans la première, édition de ce recueil, les notices biographiques avoient été placées toutes ensemble, au commencement du volume. Mais cette fois nous les avons disposées plus convenablement; chacune se trouve en tête de la correspondance à laquelle elle a rapport.

Dans l'avertissement qui précédoit ces notices, nous disions à quel point la seule édition qu'on eût eue jusqu'alors des Lettres de mademoiselle Aïssé, étoit incorrecte, et quels efforts nous avions eu à faire pour restituer le sens altéré à chaque page par des omissions ou par des changemens de mots, et rétablir les noms propres, presque toujours défigurés à n'être pas reconnoissables. Nous avons fait, dans les écrits du temps, de nouvelles recherches au sujet de ces noms, et nous avons réintégré dans leur véritable orthographe tous ceux qui n'ont pas appartenu à des personnages totalement ignorés. Nous avons aussi ajouté quelques notes explicatives à celles que nous avions trouvées ou que nous avions faites nous-mêmes.

Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet avertissement, qu'en rapportant un passage de La Bruyère, où ce moraliste ingénieux et profond reconnoît et explique la supériorité que les femmes ont sur les hommes dans le genre épistolaire. «Les Lettres de Balzac, de Voiture, dit-il, sont vides de sentimens qui n'ont régné que depuis leur temps, et qui doivent aux femmes leur naissance. Ce sexe va plus loin que le nôtre dans ce genre d'écrire: elles trouvent sous leur plume, des tours et des expressions qui, souvent en nous, ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche: elles sont heureuses dans le choix des termes qu'elles placent si juste, que, tout connus qu'ils sont, ils ont le charme de la nouveauté, et semblent être faits seulement pour l'usage où elles les mettent. Il n'appartient qu'à elles de faire lire dans un seul mot tout un sentiment, et de rendre délicatement une pensée délicate. Elles ont un enchaînement de discours inimitable, qui se suit naturellement et qui n'est lié que par le sens. Si les femmes étoient toujours correctes, j'oserois dire que les Lettres de quelques-unes d'entr'elles seroient peut-être ce que nous avons dans notre langue de mieux écrit[3].» Il n'est pas inutile de remarquer que La Bruyère proclamoit ainsi la prééminence des femmes dans l'art d'écrire des Lettres, à une époque où celles de madame de Sévigné n'étoient point connues du public, et ne l'étoient probablement pas de La Bruyère lui-même. Elles ont été imprimées pour la première fois plus de 30 ans après la publication des Caractéres.

NOTICE

SUR

MADAME DE VILLARS.

Marie de Bellefonds, fille de Bernardin Gigault de Bellefonds, aïeul du maréchal de ce nom, fut mariée au marquis de Villars. Le vainqueur de Dénain, le célèbre maréchal de Villars, fut le fruit de ce mariage.

M. le marquis de Villars fut envoyé ambassadeur auprès de Charles II, roi d'Espagne, au moment où ce prince épousa Marie-Louise d'Orléans, fille de Monsieur, frère de Louis XIV et de Henriette-Anne d'Angleterre, sa première femme.

Madame de Villars suivit son mari dans cette ambassade, qui ne dura guère plus de dix-huit mois. Pendant son séjour à Madrid, elle écrivit à madame de Coulanges. Il ne nous est parvenu que trente-sept Lettres de cette correspondance; elles commencent au 2 novembre 1679, et finissent au 15 mai 1681. Elles contiennent des détails très-curieux sur le caractère du roi et de la reine, sur leur manière de vivre, sur les intrigues et l'étiquette de leur cour, enfin sur les mœurs et les usages de l'Espagne. Une preuve de la confiance qu'elles méritent, c'est que le président Hénault, écrivain sévère dans le choix de ses autorités, les cite, en parlant du pouvoir absolu que les ministres de l'Empereur exerçoient à la cour de Charles II[4]. Du reste, elles sont écrites d'un style simple, facile et agréable; c'est celui d'une femme, qui à beaucoup de sens et d'esprit naturel joignoit ce ton délicat et fin qui distingue la bonne compagnie. Ces Lettres étoient lues avec beaucoup de plaisir par les personnes les plus spirituelles de la plus aimable société qui ait peut-être jamais existé. Qui pourroit se piquer d'être plus difficile qu'elles? Voici ce que madame de Sévigné écrivoit à sa fille, au sujet des Lettres de madame de Villars. «Madame de Villars mande mille choses agréables à madame de Coulanges, chez qui on vient apprendre les nouvelles. Ce sont des relations qui font la joie de beaucoup de personnes; M. de la Rochefoucault en est curieux; madame de Vins et moi, nous en attrapons ce que nous pouvons. Nous comprenons les raisons qui font que tout est réduit à ce bureau d'adresse; mais cela est mêlé de tant d'amitié et de tendresse, qu'il semble que son tempérament soit changé en Espagne. Cette reine d'Espagne est belle et grasse; le roi amoureux, et jaloux sans savoir de quoi, ni de qui; les combats de taureaux affreux; deux grands pensèrent y périr; leurs chevaux tués sous eux; très-souvent la scène est ensanglantée. Voilà les divertissemens d'un royaume chrétien; les nôtres sont bien opposés à cette destruction et bien plus aisés à comprendre[5]». Madame de Sévigné, dans une autre lettre à madame de Grignan, avoit déjà parlé ainsi de celles de madame de Villars. «Madame de Villars n'a écrit uniquement, en arrivant à Madrid, qu'à madame de Coulanges; et, dans cette lettre, elle nous fait des complimens à toutes nous autre vieilles amies. Madame de Schomberg, mademoiselle de Lestrange, madame de la Fayette, tout est en un paquet. Madame de Villars dit qu'il n'y a qu'à être en Espagne pour n'avoir plus d'envie d'y bâtir des châteaux[6]. Vous voyez bien qu'elle ne pouvoit mieux adresser sa lettre, puisqu'elle vouloit mander cette gentillesse[7]».

Madame de Villars mourut le 24 juin 1706, âgée de 82 ans.

Ses Lettres étoient entre les mains de M. le chevalier de Perrin, éditeur de celles de madame de Sévigné, qui se disposoit à les faire imprimer, lorsqu'il mourut en 1754. Elles l'ont été depuis sur le manuscrit que l'on a trouvé dans ses papiers.

LETTRES

DE

MADAME DE VILLARS,

A MADAME DE COULANGES.

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LETTRE PREMIÈRE.

Madrid, 2 novembre 1679.

Me voici enfin à Madrid, où je suis résolue d'attendre tranquillement le retour du roi, et l'arrivée de la reine, sa femme. Je n'ai pas eu le courage d'aller à Burgos. M. de Villars, qui m'attendoit ici, est parti pour rejoindre le roi, qui va chercher la reine d'une telle impétuosité, qu'on ne peut le suivre; et si elle n'est pas encore arrivée à Burgos, il est résolu d'emmener avec lui l'archevêque de cette ville-là, et d'aller jusqu'à Vittoria, ou sur la frontière, pour épouser cette princesse. Il n'a voulu écouter aucun conseil contraire à cette diligence. Il est transporté d'amour et d'impatience. Ainsi, avec de telles dispositions, il ne faut pas douter que cette jeune reine ne soit heureuse. La reine douairière, qui est très-bonne et très-raisonnable, souhaite passionnément qu'elle soit contente. Je trouvai, en venant, toutes les dames, et tous les officiers de sa maison, qui est très-nombreuse, auprès de Burgos. La duchesse de Terranova, sa camarera mayor, fit arrêter sa litière auprès de la mienne. Elle me parut spirituelle et très-honnête, point aussi vieille que je me l'étois figurée. Toutes les dames et filles d'honneur me montroient de loin leurs mouchoirs que l'on met en l'air en signe d'amitié. Je pensai oublier d'en faire autant; et, si ma fille ne m'en eût fait aviser, j'allois débuter par une grande sottise. Vous ne sauriez vous imaginer quelles honnêtetés je reçois ici. La reine mère m'a envoyé son majordome pour savoir comment je me trouvois des fatigues de mon voyage, et me donner beaucoup de marques de bonté. On dit qu'elle n'a pas accoutumé d'en user de la sorte avec les autres ambassadrices; ce n'est pas à mon médiocre mérite que j'attribue cet honneur.

Je n'ai pas encore voulu recevoir de visites. J'attends le retour de M. de Villars. Il y a tant de manières et tant de cérémonies à observer, qu'il faut qu'il m'instruise de tout, depuis les moindres choses jusques aux plus importantes. Rien ne ressemble ici à ce qui se pratique en France.

Don Juan est mort de chagrin; le roi commençoit à lui en donner, en rappelant, sans lui en parler, plusieurs grands qu'il avoit exilés.

Je ne sais si la princesse d'Harcourt entrera dans le carrosse de la reine.

La connétable Colonne m'a envoyé visiter. Elle est toujours dans son couvent, dont elle s'ennuie fort; elle espère en sortir quand la reine sera ici, et loger chez sa belle-sœur, la marquise de los Balbasès. L'abbé de Villars, qui l'alla voir l'autre jour, l'a trouvée très-bien faite, et j'entends dire qu'elle n'est pas reconnoissable de ce qu'elle étoit en France: c'est une taille charmante, un teint clair et net, de beaux yeux, des dents blanches, de beaux cheveux. Elle a fait un livre de sa vie, qui est déjà traduit en trois langues, afin que personne n'ignore ses aventures: il est fort divertissant. Elle est habillée à l'espagnole d'un fort bon air, mais ayant retranché et augmenté, ce qui en effet est mieux.

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LETTRE II.

Madrid, 30 novembre 1679.

On ne peut mener une plus plaisante vie, que celle que je mène ici depuis mon arrivée, ne faisant aucune visite, et n'en voulant recevoir qu'après le retour de M. de Villars. Je sors quelquefois, quand il fait beau, pour aller, ce qu'on appelle tomar el sol[8], hors des portes. Le soleil est très-agréable en cette saison. Il faut soigneusement tirer tous les rideaux du carrosse dans la ville; autrement on passeroit pour n'être pas honnête femme, et par tout pays il seroit fâcheux de se décrier pour un si petit sujet.

Les ducs d'Ossone et d'Astorga se sont fort querellés devant la reine. L'on a jugé que le premier avoit tort, et on l'a envoyé ici attendre les ordres du roi. Je ne sais plus quelle charge il a[9]; mais les bruits de Madrid sont que le marquis de los Balbasès la pourroit bien avoir. Je n'ai point encore vu de beautés Espagnoles.

M. de Villars vient d'arriver de Burgos. Il m'a conté beaucoup de détails de tout ce qu'il vient de voir. Il se flatte que le prince et la princesse d'Harcourt auront été contens de lui. Il m'a parlé de la plus belle robe du monde qu'avoit la princesse. Madame de Grancey a très-bien fait, et s'est fort bien servie de son temps de faveur auprès de la reine, pour ne lui donner que de très-bons conseils. On croit qu'elle aura du roi Catholique une pension de deux mille écus. On ne sait point encore si elle viendra jusques ici. Elle paroissoit fort tentée de s'en retourner avec la princesse d'Harcourt. Le roi et la reine viennent seuls dans un grand carrosse sans glaces, à la mode du pays. Il sera fort heureux pour eux qu'ils soient comme leur carrosse. On dit que la reine fait très-bien: pour le roi, comme il étoit fort amoureux avant que de l'avoir vue, sa présence ne peut qu'avoir augmenté sa passion. Elle reçut le roi avec un très-bel habit à la françoise, et une quantité surprenante de pierreries; mais elle le quitta le lendemain pour s'habiller à l'espagnole; et le roi la trouva beaucoup mieux. Madame de Grancey en mit un aussi, que la reine lui donna, et se coiffa à l'espagnole; ce qui lui sied fort bien. Elle étoit avec les dames d'honneur, qui sont proprement les filles de la reine. Elles passent toutes deux à deux, après la comédie, devant le roi et la reine, faisant leurs révérences: madame de Grancey figuroit avec une qui étoit de fort bonne grâce. Je n'ai point entendu dire que la maréchale de Clérembault figurât avec personne, mais qu'elle parloit fort bien espagnol. Le roi et la reine seront ici dans trois jours, et viendront demeurer à Buen-Retiro, maison royale aux portes de Madrid, jusqu'à ce que tout soit prêt pour l'entrée de la reine. Que j'appréhende de m'habiller, et de commencer à sortir! Je ne suis point du tout née pour représenter.

Je viens d'apprendre que madame de Grancey est partie de Burgos pour Paris avec le prince et la princesse d'Harcourt. Elle a eu mille louis, deux mille écus de pension, et un présent de diamans de dix-huit cents ou deux mille pistoles, tout pareil à celui qu'on a donné à la maréchale de Clérembault. Il y en a eu deux autres de trois mille pistoles pour le prince et la princesse d'Harcourt. Toutes les femmes, hors les deux nourrices de la reine, et deux autres filles, ont été renvoyées. Une vieille sous-gouvernante, nommée mademoiselle Fauvelet, est morte en chemin; mais si bien en chemin, que son âme est partie de ce monde pour l'autre de dedans sa litière, ayant toujours voulu suivre, quelque malade qu'elle fût. Elle mourut peu d'heures avant que d'arriver au lieu où le roi vint trouver la reine, et où ils se sont mariés.

La reine avoit perdu en chemin mille pistoles contre le prince et la princesse d'Harcourt, et autres personnes qui l'accompagnoient. Quand leurs majestés furent parties, les joueurs eurent grand'peur de n'être pas payés; mais ils furent agréablement surpris par l'arrivée d'une bourse où étoit cette somme.

Ne trouvez-vous pas que madame de Grancey a fait un agréable voyage? Tout le monde dans cette cour est fort content d'elle. Le prince et la princesse d'Harcourt avoient un très-beau train, une grande table, et se sont fort bien acquittés de leur emploi. Leur entrée à Burgos fut trouvée fort belle. Le prince d'Harcourt s'est très-bien gouverné, et l'on est ici très-satisfait de l'un et de l'autre. Vous pouvez en assurer M. de Brancas[10].

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LETTRE III.

Madrid, 14 décembre 1679.

Peu après que la reine a été ici, elle a témoigné beaucoup d'envie de me voir, et me l'envoya dire. Je répondis que j'étois fort sensible à l'honneur qu'elle me faisoit. Elle me fit dire pour la seconde fois qu'elle avoit prié le roi que j'y allasse incognito, parce que, jusqu'à ce qu'elle ait fait son entrée, et qu'elle soit logée dans le palais, personne, homme ni femme, ne la verra. On envoya à la camarera mayor, pour lui dire ce que la reine avoit mandé, et la permission que le roi lui avoit donnée de me voir incognito. La camarera répondit qu'elle ne savoit point cela. Le gentilhomme espagnol, que nous lui avions envoyé, la supplia de vouloir s'en informer; elle répondit qu'elle n'en feroit rien, et que la reine ne verroit personne, tant qu'elle seroit au Retiro. Nous fîmes savoir à la reine la diligence que nous avions faite: on ne pouvoit pas moins après l'envie qu'elle avoit témoignée que j'eusse l'honneur de la voir. Après cela, nous nous sommes tenus en repos. Je n'ai pas même voulu aller à l'église, où l'on peut la voir d'une tribune, de peur qu'on ne m'accusât de trop d'empressement. Le roi en a un très-grand pour elle. Il ne voudroit jamais la perdre de vue. Cela est très-obligeant. Mais, pour en revenir à cette envie de me voir, je fus dimanche, pour la première fois, rendre mes devoirs à la reine mère, qui est bonne, obligeante, disant tout ce qu'elle peut et tout ce qu'il faut pour plaire. Elle me demanda si je n'avois pas encore vu la reine, sa belle-fille. Je lui dis que non. Elle me répondit: Elle a fort envie de vous voir; vous la verrez dès que vous le voudrez, et dès demain. Ce demain est aujourd'hui. Je vous ai écrit tout ceci par avance. Ce sera sur les quatre heures que je me rendrai à cette audience de la reine. Je vous rendrai compte comme tout cela m'aura paru. On dit qu'elle se conduit fort bien: j'en suis persuadée. Aucun François ne l'a vue. Il y a deux jours que la marquise de los Balbasès la voulut voir: elle alla dans l'appartement de la camarera, qui touche à celui de la reine. Dès que la jeune princesse le sut, elle y vint tout aussitôt; mais comme elle voulut parler à la marquise, la camarera prit la reine par le bras, et la fit entrer dans sa chambre. Ce sont des usages qui ne sont pas si extraordinaires ici qu'ils le seroient ailleurs.

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LETTRE IV.

Madrid, 15 décembre 1679.

Je fus hier au Retiro, cette maison où le roi et la reine sont présentement. J'entrai par l'appartement de la camarera mayor, qui me vint recevoir avec toutes sortes d'honnêtetés; elle me conduisit par de petits passages dans une galerie où je croyois ne trouver que la reine; mais je fus bien étonnée quand je me vis avec toute la famille royale; le roi étoit assis dans un grand fauteuil, et les reines sur des carreaux. La camarera me tenoit toujours par la main, m'avertissant du nombre de révérences que j'avois à faire, et qu'il falloit commencer par le roi. Elle me fit approcher si près du fauteuil de sa majesté Catholique, que je ne comprenois point ce qu'elle vouloit que je fisse. Pour moi, je crus n'avoir rien à faire qu'une profonde révérence; sans vanité, il ne me la rendit pas, quoiqu'il ne me parût pas chagrin de me voir. Quand je contai cela à M. de Villars, il me dit que sans doute la camarera vouloit que je baisasse la main à sa majesté. Je m'en doutai bien; mais je ne m'y sentis pas portée. Il m'ajouta qu'elle avoit proposé à la princesse d'Harcourt de baiser cette main, et que, sur l'avis que cette princesse lui en avoit demandé, il lui avoit répondu de n'en rien faire.

Me voilà donc au milieu de ces trois majestés; la reine mère me disant, comme la veille, beaucoup de choses obligeantes, et la jeune reine me paroissant fort aise de me voir. Je fis ce que je pus pour qu'elle ne le témoignât que de bonne sorte. Le roi a un petit nain flamand qui entend et qui parle très-bien françois. Il n'aidoit pas peu à la conversation. On fit venir une des filles d'honneur en guarda-infante[11], pour me faire voir cette machine. Le roi me fit demander comment je la trouvois, et je répondis au nain que je ne croyois pas qu'elle eût jamais été inventée pour un corps humain. Il me parut assez de mon avis. On m'avoit fait donner une almoada[12]. Je m'assis seulement un instant pour obéir, et je pris aussitôt une légère occasion de me tenir debout, parce que je vis beaucoup de segnoras de honor qui n'étoient point assises, et que je crus leur faire plaisir de faire comme elles: je me tins donc toujours debout, quoique les reines me dissent souvent de m'asseoir. La jeune fit une légère collation servie à genoux par ses dames, qui ont des noms admirables, et qui ne prétendent pas moins être que des maisons d'Arragon, de Portugal, de Castille, et autres des plus grandes. La reine mère prit du chocolat: le roi ne prit rien.

La jeune reine, comme vous pouvez penser, étoit habillée à l'espagnole, de ces belles étoffes qu'elle a apportées de France; très-bien coiffée, ses cheveux de travers sur le front, et le reste épars sur les épaules. Elle a le teint admirable, de beaux yeux, la bouche très-agréable quand elle rit. Que c'est une belle chose de rire en Espagne! Mais il est plaisant que je vous fasse le portrait de la reine.

Cette galerie est assez longue, tapissée de damas ou de velours cramoisi, chamarré fort près à près de larges passemens d'or. Depuis un bout jusqu'à l'autre, est le plus beau tapis de pied que j'aie jamais vu; des tables, cabinets et brâsiers, des flambeaux sur les tables: et de temps en temps, on voit des menines très-parées, qui entrent avec deux flambeaux d'argent pour changer, quand il faut moucher les bougies. Elles font de grandes et longues révérences de bonne grâce. Assez loin des reines, il y avoit quelques filles d'honneur assises à bas, et plusieurs dames d'un âge avancé, avec leurs habits de veuves, debout, appuyées contre la muraille. Le roi et la reine s'en allèrent après trois quarts d'heure, le roi marchant le premier. La jeune reine prit sa belle-mère par la main, passant devant à la porte de la galerie, après quoi elle revint plus vîte que le pas me retrouver. La camarera mayor ne revint point, et il parut assez qu'on lui donnoit toutes sortes de libertés de m'entretenir. Il ne demeura qu'une vieille dame fort loin. Elle me dit que, si la dame n'y étoit pas, elle m'embrasseroit bien. Il n'étoit que quatre heures quand j'arrivai là; il en étoit sept et demie avant que j'en sortisse; et ce fut moi qui voulus sortir.

Je vous assure, madame, que je voudrois que le roi, la reine mère et la camarera mayor eussent pu entendre tout ce que je dis à la princesse. Je voudrois que vous le sussiez aussi, et que vous nous eussiez pu voir nous promener dans cette galerie que les flambeaux rendoient très-agréable. Cette jeune reine, dans la nouveauté et la beauté de ses habits avec une infinité de diamans, étoit ravissante.

Imaginez-vous une fois pour toutes, que le noir et le blanc ne sont pas plus différens que la vie d'Espagne et celle de France. Il me semble que cette jeune princesse fait très-bien. Elle voudroit que j'eusse l'honneur de la voir tous les jours; je l'assurai que j'en serois charmée; mais je la suppliai de m'en dispenser, à moins qu'on ne me fît voir clair comme le jour que le roi et la reine mère le souhaitoient presqu'autant qu'elle. La camarera mayor me vint prendre à la porte de la galerie pour me reconduire. Je trouvai là des femmes françoises de la reine, auxquelles je dis qu'il falloit apprendre l'espagnol, et s'empêcher, autant qu'il leur seroit possible, de dire un mot de françois à la reine. Je savois qu'on les grondoit un peu, quand elles lui parloient trop souvent. Je dis en espagnol à la camarera mayor, ce que je disois à ces Françoises: elle m'en sut un très-bon gré. Voilà, à peu près, madame, tout ce que je puis vous mander de cette première visite.

Si vous aviez été aujourd'hui ici, vous auriez eu le plaisir de voir au travers d'une porte le plus beau nonce du monde et le mieux disant. Il parle un espagnol tout-à-fait aisé. Je l'ai reçu en cérémonie tout à mon aise sur des carreaux, et lui dans un fauteuil. Il m'a fort parlé de Charles-Quint. J'étois un peu honteuse d'en être si peu instruite; je n'en ai pas fait semblant; je disois quelques mots par-ci, par-là, rappelant dans ma mémoire beaucoup de beaux endroits, dont mon fils aîné m'a entretenue quelquefois. Mon fils l'abbé, qui m'assistoit en cette occasion, a beaucoup brillé dans cette conversation, et n'y a pas moins paru que sur les bancs de Sorbonne.

M. de Villars, qui revient de la ville, se met à vos pieds, pour parler en termes espagnols. Il me vient d'avouer qu'il a passé son après-dinée chez cette femme dont vous lui avez vu le portrait. Il dit qu'elle n'a plus de beauté, mais bien de l'esprit. J'en jugerai incessamment; car il veut que ce soit une des premières dont je reçoive visite.

Adieu, madame: si ma lettre ne vous prouve le plaisir que je prends à penser à vous, et à vous entretenir, je ne sais pas ce qu'il faut faire pour vous le persuader. Peut-être aimeriez-vous mieux en douter; car cette lettre est bien longue pour une personne comme vous, au milieu de la bonne compagnie et des plaisirs. Telle cependant que vous voyez cette lettre, il y a mille choses que je ne vous mande point, et que je vous dirois bien. Je ne pense point, quand tout le monde verroit ceci, que je pusse en recevoir ni reproche ni blâme. Cependant usez-en avec prudence.

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LETTRE V.

Madrid, 27 décembre 1679.

J'ai reçu depuis peu mes visites. La manière dont se passe cette cérémonie, est une chose assez singulière. Premièrement, dès que j'ai été arrivée, toutes les dames, princesses, duchesses, Grandes, ont envoyé plusieurs fois me complimenter, et s'informer avec soin quand elles me pouroient voir, chacune voulant être avertie des premières. Enfin ce temps est venu; il y a quelques jours qu'on leur fit savoir que je recevrois le monde trois jours de suite. On envoie un page chez toutes celles qui ont envoyé, avec des billets qu'on nomme nudillos, parce qu'en effet ce sont des billets noués. Ce fut la marquise d'Assera, veuve du duc de Lerme, que j'ai vue en France, et qui croit que je lui ai rendu quelque petit service, qui fit les trois jours les honneurs de ma maison. La dame de ce portrait qu'a M. de Villars, les a faits aussi. Je crois qu'elle a été belle, et même qu'elle le seroit encore passablement, sans cette épouvantable coiffure de veuve qu'elle porte. Il n'est pas possible, à quelque belle personne que ce soit, de le paroître avec cet accoutrement; et je ne sais pas comment une veuve qui seroit un peu galante, et qui compte sur sa beauté, ne se remarie pas tout au plus tard au bout de l'an. Cette dame a bien de l'esprit, et est honnête et polie. Je ne vous dirai point les pas comptés que l'on fait pour aller recevoir les dames, les unes à la première estrade, les autres à la seconde ou à la troisième; car, par parenthèse, j'ai un très-grand appartement. Tirez de là, en soupirant pour moi, la conséquence de ce qu'il m'en coûte à le meubler. Il faut, en entrant et en sortant, passer devant toutes ces dames. Celle qui me conduisoit avoit assez d'affaire à me redresser; car j'oubliois souvent le cérémonial. Ces visites durent tout le jour. On les conduit dans une chambre couverte de tapis de pied, un grand brâsier d'argent au milieu. Je n'oublierai pas de vous dire que, dans ce brâsier; il n'y a point de charbon, mais de petits noyaux d'olives qui s'allument, et qui font le plus joli feu du monde, une petite vapeur douce. Ce feu dure plus que la journée. La manière de s'entretenir et de se faire des amitiés, seroit trop longue à vous dire. Toutes ces femmes causent comme des pies dénichées; très-parées en beaux habits et pierreries, hors celles qui ont leurs maris en voyage ou en ambassade. Une des plus jolies, sans comparaison[13], étoit vêtue de gris par cette raison. Pendant l'absence de leurs maris, elles se vouent à quelque saint, et portent, avec leur habit gris ou blanc, de petites ceintures de corde ou de cuir. Je ne puis vous dépeindre aucune beauté; car je n'en ai point vu. La connétable de Castille est des mieux faites; mais revenons à notre brâsier; toutes assises sur nos jambes, sur ces tapis; car, quoiqu'il y ait quantité d'almohadas, ou carreaux, elles n'en veulent point. Dès qu'il y a cinq ou six dames, on apporte la collation qui recommence une infinité de fois. On présente d'abord de grands bassins de confitures sèches; ce sont des filles qui servent, après cela quantité de toutes sortes d'eaux glacées, et puis du chocolat; ce qu'elles ont mangé ou emporté de marons glacés, qu'elles nomment castagnas, ne se peut comprendre, tant elles les trouvent bons. Il règne une grande honnêteté parmi elles; touchées de plaire et de faire plaisir; avec tout cela, madame, que je fus aise de me trouver à la fin de mes trois jours! La plupart me sont venu voir deux fois; trois ou quatre entendent et parlent un peu le françois, et moi très-peu l'espagnol. Si ce récit vous paroît trop long, gardez-le pour le mettre en la place de la lecture que vous faites quelquefois les soirs. Il n'a tenu qu'à moi de vous faire encore un détail des comédies et de leurs machines. La reine, avec qui je me suis trouvée deux fois, comme elle y alloit, m'y a voulu mener; mais jusqu'ici je m'en suis exemptée par m'y figurer un ennui mortel, et je lui ai dit que j'irois quand elle seroit au palais. Cette jeune reine est assurément plus belle et plus aimable que toutes les dames de sa cour. Elle n'a point encore fait son entrée; on dit que le deux du mois prochain on saura le jour destiné à cette cérémonie; il y a des soupçons sur une grossesse. A l'égard de ne la pas voir aussi souvent qu'elle me témoigne le souhaiter, ce que je fais jusqu'à la durété, ce n'est pas que je méprise cet honneur, et que je n'en sache faire tout le cas que je dois; mais je crains plus que je ne puis vous le dire, qu'on ne me puisse accuser de trop d'empressement. Ce que la princesse fera de bien ou moins bien, ne me doit point être attribué; elle se conduit fort prudemment; il n'auroit pas été plus mal qu'on lui eût donné en France quelque bonne tête en qui elle eût confiance; cette cour est remplie de plusieurs personnes, qui peuvent indirectement se mêler de lui donner des conseils; il y a bien peu qu'elle y est, pour savoir choisir les bons et rejeter les mauvais; ce ne sont nullement mes affaires; et, si la reine mère n'avoit souhaité que je visse plus souvent la reine que je ne me l'étois proposé, je n'y aurois été qu'une seule fois. Je vous assure, madame, que, quand il faut m'habiller, quoiqu'il me soit permis d'aller avec toutes sortes de manteaux, et qu'il me faut sortir de ma chambre, je suis triste et peinée par avance, d'aller représenter en public. On prépare, pour l'entrée de la reine, cinq ou six beaux arcs de triomphe. J'en ai vu un qui m'a paru tel. Si le deux du mois prochain on la croit encore grosse, elle fera son entrée dans une espèce de chaise découverte, que des hommes porteront sur leurs épaules; sinon elle la fera à cheval. J'étois, il y a peu de jours, avec elle; le roi vient faire de petites comparanzas[14] et puis s'en reva. Elle me montroit un fort beau présent d'une parure de pierreries, que le roi lui avoit fait le matin. Ils se couchent tous les jours à huit heures et demie, c'est-à-dire, le moment d'après qu'ils sont sortis de table, ayant encore le morceau au bec.

Le prince de Ligne mourut, il y a trois jours; il étoit assez vieux; sa femme s'en retourne en Flandre. Il y en a huit qu'un fameux théatin, nommé le P. Vintimille, fut chassé; il étoit intrigant, à ce qu'on dit, des amis de feu don Juan, et ennemi déclaré de la reine mère; il eût fort souhaité d'être confesseur de la jeune reine; il ne lui auroit pas fait des scrupules de rien; il est ami de la connétable Colonne que je n'ai point encore vue, parce que je n'ai fait aucune visite: je les commencerai bientôt, et la verrai des premières. Elle ne sort point de son couvent: on croyoit qu'elle demeureroit chez la marquise de los Balbasès, sa belle-sœur; mais cela ne sera pas.

Le duc d'Ossone continue de ne pas aller à la cour.

Il y a très-souvent, ce qu'on appelle des cérémonies de chapelle, dans l'église qui touche la maison où leurs majestés sont à présent; on voit la reine à travers les barreaux d'une tribune; elle est très-magnifiquement parée, aussi bien que toutes les dames: ce lieu d'oraison n'est pas moins chéri d'elles. La fête de Noël est solemnisée dans le palais par des parures extraordinaires, et la comédie sur les quatre heures. Sans beaucoup me divertir ici, je vous dirai, madame, qu'il n'y a lieu au monde où je voulusse être qu'en Espagne, tant que M. de Villars y sera, cela s'entend; voilà la pure vérité.

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LETTRE VI.

Madrid, 12 janvier 1680.

Je vous rendis compte par ma dernière lettre des visites que j'avais reçues; je n'entrerai point dans le détail de celles que je rends. J'oubliai de vous dire que toutes ces grandes dames ne se parlent que par tu et toi; c'est une marque d'amitié. Nous commençons à nous tutoyer. Le roi et la reine usent de ces termes entr'eux. La reine n'est plus grosse. Dès le lendemain qu'elle ne le fut plus, le roi et la reine allèrent au Pardo, jolie maison à deux lieues d'ici; elle eut le plaisir de monter un peu à cheval, et de voir tuer un sanglier par le roi, son mari. Son entrée se fera samedi prochain; on dit qu'il s'y verra des magnificences extraordinaires. Leurs majestés quitteront le Retiro, et iront demeurer au palais; l'appartement de la reine est fort doré et très-bien meublé; nous l'allâmes voir l'autre jour. Quand elle y sera, et qu'elle recevra mille visites, je me propose, sans en rien dire, de lui en rendre moins. Toutes les dames, qui sans vanité m'aiment assez, croient et s'attendent que j'y serai tous les jours, et que je puis un peu contribuer à leur faire faire leur cour; mais, ma chère madame, entre vous et moi, non-seulement je ne veux entrer en rien, mais je voudrois me mettre entièrement hors de portée d'aucun soupçon. Je vous prie d'avoir quelque application pour entrevoir au lieu où vous êtes, si l'on ne trouvera pas que ce soit le meilleur parti. Il se peut fort bien qu'on ne prendra pas la peine de songer à ce que je fais ou ne fais pas, à moins que vous ne le mettiez sur le tapis. Il n'y a presque pas de milieu entre voir la reine très-souvent, ou ne la voir que très-rarement, en cherchant, pour le public et pour elle, des raisons qui ne seront guère vraisemblables, puisque le roi, la reine mère, et la camarera mayor font paroître qu'ils sont très-aises que je sois souvent avec elle, et tout le monde disant que l'ambassadrice d'Allemagne étoit tous les jours avec la reine mère, ne parlant ensemble qu'allemand. Vous voyez donc que, du côté de cette cour, tout veut que je sois souvent avec la reine; mais si je ne sais que la cour de France l'approuve, rien ne me peut empêcher de retirer mes troupes, et de laisser penser ici tout ce qu'on voudra: c'est pourquoi je vous supplie encore une fois de tâcher de savoir ce que vous pourrez là-dessus. Cette jeune reine se conduit jusqu'ici avec beaucoup de douceur et de soumission pour le roi; on dit qu'il l'aime fort: chacun a sa manière d'aimer; je le vois assez souvent venir dans une galerie où est la reine. Vous avez apparemment vu de ses portraits.

Le lendemain de l'entrée, il y aura une fête le soir, que l'on nomme mascarade, où tous les grands de la cour courent deux à deux dans une lice avec un flambeau à la main. Le roi court avec son grand écuyer. Ce sont des habits extraordinaires; je crois que cela sera plus beau à dépeindre qu'à voir. Un autre jour, ce sera juego de cagnas; je ne sais pas trop ce que c'est; on jette des cannes en l'air. Mais la grande fête, ce sera celle de la course des taureaux. Pour celle-là, je crois que ce sera une très-belle chose. Des Grands, des fils de Grands tauricideront. La magnificence du train et des livrées sera, à ce qu'on dit, surprenante. Pourvu qu'il ne s'y tue personne, j'y prendrai peut-être quelque plaisir. Si cela est, je vous souhaiterai souvent sur mon balcon. Hélas! madame, si j'osois, je vous y souhaiterois, même quand la fête seroit ennuyeuse.

Je ne me suis point encore habillée à l'espagnole, quoique j'aie fait faire deux habits. La reine mère aime tout-à-fait l'habit à la françoise, et toutes les dames aussi; c'est-à-dire, les manteaux principalement, et c'est ce qui m'accommode fort. Le noir ou la couleur ne marquent pas plus de respect l'un que l'autre.

Il fait aussi froid ici qu'à Paris; j'espère qu'il n'y fera pas plus chaud.

Le marquis de Flamarens est à Madrid avec l'habit espagnol et la honille. Je croirois sans peine qu'il s'y ennuiera bientôt. Le comte de Charni, prétendu fils naturel de feu Monsieur (duc d'Orléans), y passe une vie bien triste. C'est un honnête homme; et s'il est vrai, comme on n'en doute pas, qu'il ait l'honneur d'être frère de tant de princesses, celles qui sont en état de lui faire du bien, devroient bien lui en faire un peu, et lui procurer quelque moyen de subsister. Nous ne le voyons pas souvent, ni Flamarens non plus; il faut qu'ils aient des égards.

Je n'ai été qu'une seule fois chez la reine mère depuis que je suis ici.

La reine m'a expressément chargée de vous faire ses complimens. Je vous mène au palais toutes les fois que j'y vais; et votre nom, sans que je me le propose, est toujours dans toutes nos conversations. La philosophie en-dehors, et les pieds en-dedans, la pensèrent faire mourir de rire. Ce que les François et Françoises trouvent ici de triste, ne l'est nullement, et la reine m'a avoué de très-bonne foi qu'elle n'avoit jamais cru s'accoutumer aussitôt. Vous pouvez penser que je ne lui tiens guère de propos qui soient propres à faire soupirer incessamment après la France. Enfin jusqu'ici j'ai fait de mon mieux par le seul plaisir de bien faire.

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LETTRE VII.

Madrid, 26 janvier 1680.

Je ne vous entretiendrai guère de l'entrée de la reine d'Espagne. Elle en étoit le plus grand et le plus agréable ornement; à cheval sous un grand dais, fort parée, un chapeau de plumes blanches, un habillement fait exprès pour ce jour de cérémonie; précédée de plusieurs Grands fort brodés, et quantité de livrées riches et mal entendues, aussi-bien que les habits des maîtres. La reine avoit très-bonne grâce. Elle quitta un peu sa gravité devant le balcon où nous étions, et je la lui vis reprendre. Il y a eu deux jours de suite des feux d'artifice devant le palais, où je me dispensai d'aller. Jusqu'ici il n'y a point eu d'autre fête. Le roi mène souvent la reine dans des couvens, et ce n'est point du tout une fête pour elle. Elle a voulu absolument que je l'y suivisse ces deux derniers jours. Comme je n'y connois personne, je m'y suis beaucoup ennuyée; et je crois qu'elle ne vouloit que j'y fusse, qu'afin de lui tenir compagnie. Le roi et et la reine sont assis, chacun dans un fauteuil; des religieuses à leurs pieds, et beaucoup de dames qui viennent leur baiser les mains. On apporte la collation; la reine fait toujours ce repas d'un chapon rôti. Le roi la regarde manger, et trouve qu'elle mange beaucoup. Il y a deux nains qui soutiennent toujours la conversation. Je croyois hier au soir, au sortir du couvent, m'en retourner chez moi; mais la connétable de Castille me pria que nous allassions ensemble au palais; car vous saurez que, sans l'avoir mérité, il ne tiendroit qu'à moi de me donner un grand air ici, les dames croyant que c'est assez qu'une ambassadrice soit de la même nation que leur reine, pour leur être de quelque agrément. Je fais aussi de mon mieux pour ne pas tromper leur attente. Voilà toutes les affaires que je veux avoir au palais. La reine mère est toujours une très-bonne princesse; je n'en puis dire autre chose. Je n'abuse point des bontés qu'elle m'a fait paroître; car, depuis que je suis à Madrid, je n'ai été que deux fois chez elle. Il y a, depuis deux jours, un ambassadeur d'Espagne nommé pour la France. L'on a révoqué celui que vous aviez. C'est le marquis de la Fuente, fils de celui que vous avez vu ambassadeur. Sa femme partira bientôt. Elle ne vous paroîtra ni jeune ni belle; elle est peut-être l'un et l'autre en ce pays. C'est une bonne femme.

Je ne passe pas en Espagne une vie aussi oisive que je voudrois, et ce sera beaucoup si je puis jamais rendre toutes les visites que j'ai à y faire. Tout ce que j'y ai de plus agréable, c'est la commodité des habits. La reine mère et toutes les dames approuvent toujours si fort ceux que j'ai, et sur-tout les manteaux, que vous pouvez croire avec quel plaisir je les satisfais. Le noir, comme je crois vous l'avoir déjà mandé, n'est pas une couleur plus respectueuse qu'une autre.

Je ne vois pas qu'on se presse trop ici d'expédier le brevet de cette pension de deux mille écus pour madame de Grancey; M. de Villars voudroit bien lui être utile; mais avec tout l'or qui vient des Indes, l'Espagne ne paroît pas opulente. Ce que j'ai vu de plus riche, de plus doré, de plus magnifique, est l'appartement de la reine. Il y a entre autres meubles dans sa chambre, une tapisserie, dont ce qu'on y voit de fond, est de perles. Ce ne sont point des personnages; on ne peut pas dire que l'or y soit massif, mais il est employé d'une manière et d'une abondance extraordinaires. Il y a quelques fleurs: ce sont des bandes de compartimens; mais il faudroit être plus habile que je ne suis à représenter les choses, pour vous faire comprendre la beauté que compose le corail employé dans cet ouvrage. Ce n'est point une matière assez précieuse pour en vanter la quantité; mais la couleur et l'or qui paroît dans cette broderie, sont assurément ce qu'on auroit peine à vous décrire; mais il ne vous importe guère. Cette tapisserie m'est demeurée dans la tête; c'est ce qui m'a fait écrire ceci, qui vise assez au galimatias. Adieu, madame: ce que je sens bien distinctement, c'est que je vous aime. Aimez-moi aussi, je vous en prie; et ne consentez jamais en vous-même que je sois en Espagne et vous en France.

Madrid, 27 janvier 1680.

Comme le courrier ne partit point hier au soir, et qu'il me reste un peu de temps, je veux vous conter, si je puis, en peu de mots, une belle aventure. Nous arrivions hier, M. de Villars et moi, sur les dix heures du matin, quand nous vîmes entrer dans ma chambre une tapada, suivie d'une autre qui paroissoit sa suivante. Je fis signe à M. de Villars que c'étoit à lui à se mettre en devoir de faire les honneurs; la suivante se retira. L'autre fit signe qu'elle vouloit que quelques gens qui étoient dans l'antichambre, se retirassent aussi. Elle s'approcha d'une fenêtre avec M. de Villars, me faisant signe en même temps de m'approcher. Elle leva son manteau, je n'en étois guère plus savante. Je me souvenois un peu d'avoir vu quelque personne qui lui ressembloit; M. de Villars s'écria: c'est madame la connétable Colonne! Sur cela je me mis à lui faire quelques complimens. Comme ce n'est pas son style, elle vint au fait. Elle pleura et demanda qu'on eût pitié d'elle. Pour dire deux mots de sa personne, sa taille est des plus belles. Un corps à l'espagnole qui ne lui couvre ni trop ni trop peu les épaules. Ce qu'elle en montre, est très-bien fait: deux grosses tresses de cheveux noirs, renouées par le haut d'un beau ruban couleur de feu: le reste de ses cheveux en désordre et mal peigné; de très-belles perles à son cou; un air agité qui ne siéroit pas bien à une autre, et qui pour lui être assez naturel, ne gâte rien; de belles dents. Je voudrois bien vous faire entendre tout ceci en peu de mots. La connétable est dans un couvent royal, nommé San-Domingo. Elle en est déjà sortie quatre ou cinq fois; et la dernière qu'elle y entra, le nonce fit semblant de vouloir parler à une religieuse à la porte; et quand elle fut ouverte, la connétable que l'on croyoit bien loin, rentra promptement; car en Espagne, dans ces sortes de couvens, il y a d'extraordinaires régularités sur les entrées et les sorties. Quand elle y fut, les parens du connétable exigèrent d'elle qu'elle signeroit entre les mains du roi un papier, par lequel elle s'engageroit de ne plus sortir sans la permission de son mari, promettant que, si elle en sortoit, on pourroit la renvoyer à Saragosse, ou en tel autre lieu que son mari souhaiteroit. La voilà donc avec de doubles liens. Quand le marquis de los Balbasès revint avec sa femme, elle crut qu'ils la recevroient dans leur maison; mais ils s'en excusèrent, disant qu'elle étoit trop petite. Le bruit de l'entrée de la reine a fait prendre la résolution à madame Colonne de sortir encore de son couvent. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Elle envoie emprunter un carrosse, et s'en va droit chez la marquise de los Balbasès. Elle fut bien reçue, malgré leur surprise. Au bout de quelques jours, quelqu'un vint lui dire que los Balbasès l'alloit envoyer à Saragosse trouver son mari. Sur cela elle demande un carrosse pour aller prendre l'air; on lui en donne un. Elle fait quelques tours par la ville, et se fait descendre à notre porte; la voilà chez nous disant qu'elle n'en vouloit plus sortir, et que l'on ne voudroit pas la mettre dans la rue. Il parut qu'elle seroit bien aise de voir le nonce. Nous la fîmes dîner; je lui fis de mon mieux, parce qu'en effet elle fait très-grande pitié d'être de l'humeur qu'elle est. Le marquis de los Balbasès envoie un de ses parens pour essayer de la résoudre à retourner, et à ne pas donner une nouvelle scène au public. Elle dit qu'elle n'en fera rien. Le nonce arrive; elle le prie qu'il la fasse rentrer dans son couvent. Il répond qu'il n'en a pas le pouvoir. Une dame de qualité de nos amies, qui est la comtesse de Villombrosa, dont le fils a épousé la fille de los Balbasès, vint ici. M. de Villars et le nonce firent plusieurs allées et venues chez los Balbasès, qui promit plusieurs fois, foi de cavalier, qu'il ne feroit nulle violence à madame Colonne pour retourner avec son mari; qu'il la prioit de revenir chez lui, et que l'on tâcheroit de faire en sorte que le roi qui avoit l'écrit de madame Colonne, ne sauroit rien, de sa sortie, et que, si elle s'opiniâtroit à ne pas vouloir revenir, elle alloit mettre contre elle le roi, son mari, et toute sa famille. Enfin, madame, il étoit près de minuit que nous ne savions tous que faire par les conséquences que cette pauvre créature attiroit contre elle en demeurant chez nous. Mais enfin elle se résolut à s'en aller. La comtesse de Villombrosa, M. de Villars et moi la remmenâmes chez le marquis de los Balbasès. Sa femme et lui la reçurent très-bien; mille embrassades. Vraiment, c'est une chose inconcevable que les mouvemens extraordinaires qui se passent dans cette tête. Elle l'avoue elle-même. Si elle ne fait pas plus de chemin, ce n'est pas manque de bonne volonté. Cependant, s'il lui prend envie une autre fois de revenir chez nous et de n'en vouloir pas sortir, par les frayeurs qu'on ne la remette au pouvoir de son mari, nous en serions bien embarrassés. Si cette histoire vous ennuie, madame, prenez-vous-en à l'envie et au plaisir que j'ai de vous conter tout ce que je sais qui peut vous être écrit.

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LETTRE VIII.

Madrid, 9 février 1680.

La reine d'Espagne, bien loin d'être dans un état pitoyable, comme on le publie en France, est engraissée au point que, pour peu qu'elle augmente, son visage sera rond. Sa gorge, au pied de la lettre, est déjà trop grosse, quoiqu'elle soit une des plus belles que j'aie jamais vues. Elle dort à l'ordinaire dix à douze heures. Elle mange quatre fois le jour de la viande; il est vrai que son déjeûner et sa collation sont ses meilleurs repas. Il y a toujours à sa collation un chapon bouilli sur un potage, et un chapon rôti. Je la vois fort rire, quand j'ai l'honneur d'être avec elle. Je suis persuadée que je ne suis ni assez plaisante ni assez agréable pour la mettre en cette bonne humeur, et qu'il faut qu'elle ne soit pas chagrine d'ordinaire. L'on ne peut assurément se mieux gouverner, ni avec plus de douceur et de complaisance pour le roi. Elle avoit vu son portrait; on ne lui avoit pas fait celui de son humeur pour les manières et la vie solitaire. On n'a pas renversé toutes les coutumes du pays, pour y en mettre de plus agréables. Mais la reine mère fait tout ce qu'elle peut pour les adoucir. Il paroît à tous les gens de bon sens que la jeune reine ne peut mieux faire que de contribuer de son côté à s'attirer la continuation de l'amitié et de la tendresse que ce prince lui témoigne. Il y a cette duchesse de Terranova, camarera mayor, dont l'humeur passe pour être un peu hautaine. La jeune reine plaît infiniment à toutes les dames. Je fais tout ce que je puis, quand j'ai l'honneur d'être auprès d'elle, pour la faire souvenir de leur dire tout ce qui est le plus propre à les gagner. Quand je vous dis qu'elle est grasse, qu'elle dort, qu'elle rit, encore une fois, je vous dis vrai. Il n'est pas moins vrai aussi, avec tout cela, que la vie qu'elle mène, ne lui est guère agréable. Enfin, madame, je vous assure qu'elle fait à merveille; j'en suis tout étonnée.

Il y eut hier la plus célèbre fête de taureaux qui se soit vue depuis plusieurs règnes des rois d'Espagne. Il y eut six Grands ou fils de Grands qui furent les toreadors. Je pensai mourir dans la première heure: mourir est un peu trop dire; mais j'eus une émotion et un si violent battement de cœur, que je crus n'y pouvoir résister, et je me levois pour m'ôter de dessus le balcon où j'étois, si M. de Villars ne m'eût dit que pour rien du monde il ne falloit faire cette faute. C'est une terrible beauté que cette fête. La bravoure des toreadors est grande. Aucuns taureaux épouvantables éprouvèrent bien celle des plus hardis et des meilleurs. Ils crevèrent de leurs cornes plusieurs beaux chevaux; quand les chevaux sont tués, il faut que les seigneurs combattent à pied, l'épée à la main, contre ces bêtes furieuses. Je n'aurois jamais fait, si je voulois vous conter tout ce qui s'observe dans ces combats, qui ont bien des rapports avec ceux des anciens Maures et Grenadins. Les dames, dont les amans combattent, et qui sont présentes, doivent bien mal passer leur temps, pour peu qu'elles les aiment véritablement. Les seigneurs, qui doivent combattre, ont chacun cent hommes vêtus de leurs livrées. C'est une chose qui mériteroit de vous être contée plus en détail. Si j'étois roi d'Espagne, jamais on n'en reverroit.

Je crois vous avoir déjà parlé de la dévotion de ce pays. Nous avons été obligés, de peur d'y scandaliser séculiers et religieux, de manger de la viande le samedi. Nous ne mangeons point ce jour-là ce qu'on appelle petits pieds. C'est une médiocre mortification. Cela est partout, en Espagne.

Toutes les dames, généralement parlant, sont honnêtes et civiles, sur-tout celles qui ont un peu voyagé avec leurs maris.

Le roi d'Espagne hait parfaitement François et Françoises.

Il y a ici un François dont je vous ai parlé: c'est le comte de Charmy, qui mériteroit de vivre dans son pays, et de ne pas finir ses jours dans celui-ci. Nous le voyons peu; mais ce que j'en connois est d'un homme sage et de bon sens. Nous voyons encore moins le marquis de Flamarens. J'ai assez bonne opinion de lui pour croire qu'il s'ennuie beaucoup. Adieu, madame.

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LETTRE IX.

Madrid, 6 mars 1680.

Nous voici au mercredi des Cendres. Je n'ai rien à vous dire du carnaval. Comme le carême n'est point du tout ici un temps de pénitence, celui qui le précède ne se distingue par aucun plaisir; car jamais vous ne voudriez croire que c'en fût un que de jeter sur les passans beaucoup d'eau par la fenêtre. Pour ce qui se passe dans le palais, le roi, la reine et les dames se battent à coups d'œufs remplis d'eau de senteur, mais en si prodigieuse quantité, que l'on ne comprend pas où l'on peut en trouver tant. Ils sont tous argentés et peints. La reine m'en donna un panier dont je régalai ma fille. Voilà, madame, par où l'on marque à cette jeune princesse des jours qu'elle passoit autrement en France, et dont je tâche, autant que je le puis, de lui ôter le souvenir. En vérité, sa douceur, sa complaisance et toute sa conduite, sont des choses extraordinaires à dix-huit ans. Il entre de tout dans cette heureuse composition; et, pour ajouter encore à la gloire qu'elle peut tirer de tout ce qu'elle fait, c'est que d'abord qu'elle arriva, on lui donna les plus méchans conseils du monde. Elle le connoît bien présentement.

J'ai été assez souvent à la comédie espagnole avec elle: rien n'est si détestable. Je m'y amusois à voir les amans regarder leurs maîtresses, et leur parler de loin avec des signes qu'ils font de leurs doigts; pour moi je suis persuadée que c'est plutôt une marque de leur souvenir qu'un langage; car leurs doigts vont si vîte, que, si ces amans s'entendent, il faut que l'amour d'Espagne soit un excellent maître dans cet art. Je pense que c'est qu'il y voit plus clair qu'ailleurs, et qu'il ne se soucie guère de faire plus de chemin.

Il y a, depuis peu de jours, un premier ministre, qui est le grand duc de Medina Celi, le plus grand seigneur de cette cour; il n'a que quarante ou quarante-cinq ans. Voilà tout ce que vous saurez des affaires d'Etat. Je n'en sais guère davantage. On n'a point remédié à celle qui me tient assez au cœur, qui est ce rabais des monnoies. C'est une chose bien triste, madame, que le peu d'argent qui nous vient de France par cette diminution, et qu'il faille sur chaque pistole en perdre plus de la moitié. La pitié que j'ai de nous ne m'empêche pas d'en avoir pour ce pauvre peuple, qui paroît ne vivre que de ce qu'on appelle ici tomar el sol; tant il est maigre, abattu et misérable.

Il y eut dimanche, au Retiro, une comédie de machines, où les deux reines et le roi étoient. Il y falloit être à midi. L'on y mouroit de froid. Comme je me promenois dans les galeries de cette maison, qui sont très-agréables, habillée à ma commodité comme devant voir cette comédie derrière des jalousies, et ne songeant ni à roi, ni à reine, j'entendis notre jeune princesse qui m'appeloit fort haut par mon nom. J'entrai dans le lieu d'où me paroissoit venir sa voix, avec un air un peu composé: je la trouvai assise au milieu du roi et de la reine mère. Elle n'avoit consulté, en m'appelant, que son envie de me voir, et avoit tout-à-fait oublié la gravité espagnole. Elle de rire en me voyant. La reine mère me rassura; elle est toujours aise que la reine sa belle-fille se divertisse. Elle lui donna même occasion de me venir parler auprès d'une fenêtre; mais je m'en retirai bientôt. Elle me demanda si je n'avois point reçu de vos lettres.

Au reste, madame, toutes les ambassadrices meurent à Madrid; en voilà deux en six semaines, qui étoient plus jeunes que moi[15]. J'aimerois autant que la mort en eût pris de quelqu'autre état. On me dit qu'on ne peut résister aux chaleurs. Je me tranquillise un peu sur cela, quand je songe à mesdames de Schornberg et de la Fayette, qui cherchent et qui trouvent des airs tempérés dans leurs maisons de la ville, et dans celles qu'elles choisissent à la campagne. Elles sont toujours malades, sans que d'ailleurs la fortune les accable de ses revers; et moi, je me porte bien, sans faire aucun remède et sans les croire nécessaires. Mais cela ne peut pas durer. J'observe mon régime de chocolat, auquel seul je crois devoir ma santé. Je n'en use pas comme une folle et sans précaution. Mon tempérament ne paroît nullement se pouvoir accommoder de cette nourriture. Elle est pourtant admirable et délicieuse. J'en ai fait faire chez moi, qui ne peut jamais faire mal. Je songe souvent que, si je puis vous revoir, je veux vous en faire prendre méthodiquement, et vous faire avouer que rien n'est meilleur pour la santé. Voilà bien parler de chocolat. Songez que je suis en Espagne, et que c'est presque mon seul plaisir que d'en prendre.

La connétable Colonne, depuis la visite qu'elle nous fit, est toujours dans un couvent à cinq lieues d'ici. Son mari est à Madrid depuis deux jours. On dit qu'il lui permettra de revenir dans un autre couvent de cette ville, où elle aura beaucoup moins de liberté que dans celui d'où elle est sortie. Nous avons appris qu'elle fut toute prête le jour qu'on l'emmena de Madrid au lieu où elle est présentement, de s'en venir encore se fourrer chez nous dans ma chambre.

J'ai reçu par cet ordinaire une lettre de madame de Sévigné. Je ne saurois lui faire réponse aujourd'hui, quelqu'envie que j'en aie. J'ai fait lire à la reine l'endroit où madame de Sévigné parle d'elle et de ses jolis pieds, qui la faisoient si bien danser, et marcher de si bonne grâce. Cela lui a fait beaucoup de plaisir. Ensuite elle a pensé que ses jolis pieds, pour toute fonction, ne vont présentement qu'à faire quelques tours de chambre, et à huit heures et demie tous les soirs, à la conduire dans son lit. Elle m'a ordonné de vous faire à toutes deux bien des amitiés. Elle étoit hier belle comme un ange, accablée, sans se plaindre, d'une parure d'émeraudes et de diamans sur la tête, c'est-à-dire, mille poinçons; de furieux pendans d'oreilles; et devant elle et autour d'elle en écharpe, des bagues, des bracelets. Vous croyez que les émeraudes avec les cheveux bruns ne faisoient pas un bon effet; Détrompez-vous; son teint est un des plus beaux teints de brune qu'on puisse voir; sa gorge blanche et très-belle. Elle étoit un peu plus parée qu'à l'ordinaire. Elle me dit qu'elle avoit donné audience le matin au connétable Colonne, et qu'en le voyant et l'entendant parler, elle avoit été bien persuadée de la folie de sa femme. Il est fait à peindre: pour de bonne humeur, on n'en peut douter, si l'on en juge par l'air dont il laissoit vivre sa femme à Rome. La reine me demanda fort des nouvelles de madame de Grignan[16], et si elle ne reviendroit point cet hiver à Paris.

Si trois semaines après que vous aurez reçu cette lettre, vous envoyez un laquais au quartier de Richelieu, faites-le passer au couvent des Petits-Pères, et dites-lui de s'informer si deux de leurs religieux ne sont pas arrivés d'Espagne. Ces pères ont pour vous une petite boîte où il y a le plus petit présent du monde. Faites pourtant cas des tasses de boucaro. J'ai, en vérité, quelque sorte de honte, non du petit présent, mais de cette longue lettre. Il n'appartient pas à quelqu'un qui est à Madrid de tenter la patience d'une personne comme vous, dont les journées sont remplies d'occupations agréables ou soi-disantes.

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LETTRE X.

Madrid, 21 mars 1680.

Je veux vous parler d'une promenade où je fus hier, qui est la plus ordinaire, quand il fait chaud; et il en fait déjà beaucoup ici. C'est dans cette rivière si vantée du Mançanarès: au pied de la lettre, la poussière commence à y être si grande, qu'elle incommode déjà beaucoup. Il y a de petits filets d'eau par-ci, par-là, mais pas assez pour qu'on en puisse arroser des sables menus, qui s'élèvent sous les pieds des chevaux; en sorte que cette promenade n'est plus supportable. Ce n'est donc pas pour vous dire une mauvaise plaisanterie, mais une vérité assez extraordinaire. Je vous prie, madame, de conter cela, comme vous savez orner toutes les choses auxquelles vous voulez donner un air. Je vous expose seulement celle-ci, qu'on ne peut se promener dans une rivière, parce qu'il y a de la poudre. Mais ce n'est rien: il faut voir le grand et prodigieux pont qu'un roi d'Espagne a fait bâtir sur ce Mançanarès. Il est bien plus large et bien plus long que le Pont-Neuf de Paris: et l'on ne peut s'empêcher de savoir bon gré à celui qui conseilla à ce prince de vendre ce pont, ou d'acheter une rivière. Je pensois que je pourrois vous dire tout ceci en cinq ou six lignes; en voilà bien davantage.

Les femmes de la reine partirent d'ici le 14 de ce mois. Elles vinrent ce jour-là chez nous; elles y firent toutes leurs affaires, et après-dîner, M. de Villars et moi nous les menâmes dans mon carrosse hors la ville, prendre le leur. Elles avoient dit le soir à la reine qu'elles la reverroient le lendemain; mais elles firent prudemment de ne lui dire point adieu. Dès les sept heures, elle les demanda; elles n'y étoient plus. Elle pleura beaucoup: elle ordonna qu'on me vînt dire de l'aller trouver; mais je revins chez moi un peu tard. J'allai, sur les cinq heures du soir, au palais. Elle se levoit. Il est surprenant, en vérité, comme elle est embellie. Elle avoit ses cheveux sur le front, renoués en grosses boucles; des rubans couleur de rose à sa cornette et dessus sa tête, point barbouillée de rouge, comme il faut qu'elle le soit ordinairement; une gorge admirable. Elle mit une robe de chambre à la françoise, et passa le reste du jour avec cet habillement. Elle se considéra un peu de cette sorte dans un grand miroir. Cette vue la remit. Il paroissoit à ses yeux qu'elle avoit bien pleuré. Comme elle commençoit à me parler, le roi entra; et c'est ici une loi établie, que, quand sa majesté entre dans la chambre de la reine, toutes les dames qui s'y trouvent, en sortent aussitôt, si ce n'est la camarera mayor et deux ou trois autres qui sont domestiques. J'entendis qu'on demandoit des cartes, et je conjecturai par là que la reine s'alloit fort ennuyer au petit jeu que le roi aime, et où l'on peut perdre une pistole avec un malheur extraordinaire. La reine fait toujours comme si elle étoit ravie de cette occupation. Il lui est resté deux des femmes qu'elle a amenées, une de ses nourrices, qui est assez adroite, et une Provençale qui joue du clavecin. Le roi a une grande joie de voir diminuer le nombre des François; car il ne peut celer qu'il hait au dernier point notre nation. Pour vous expliquer un peu mieux le renvoi de ces femmes, c'est une grosse nourrice de la reine, et une fille nommée Martin, jolie, belle et sage. On ne les a pas chassées; mais on leur a rendu la vie du palais, assez insupportable, pour les obliger d'en sortir. Joignez à cela les marques que le roi leur donnoit de son aversion.

M. de Villars me prie de ne pas oublier de vous parler d'une parure qu'une des dames de la reine avoit, il y a deux jours; c'est ce qu'on appelle en France fille d'honneur. Elle en a dix. L'on en prend tous les jours quelque nouvelle. Celle dont je vous parle est la fille du duc d'Albe. Leurs habits sont des plus magnifiques; beaucoup de pierreries. Celle-ci servant la collation à la reine, comme les autres, reportoit un plat. Je lui vis un pistolet pendu au côté avec un gros nœud de ruban. Ne croyez pas que ce fut un bijou. Il auroit fort bien tué un homme: il étoit de plus de demi-pied de long, d'un acier bien poli et bien monté. Je ne voulus pas faire semblant, devant la reine, de le remarquer; peut-être ne fis-je pas ma cour à la fille, qui ne portoit pas cette arme pour la cacher, et pour n'en prétendre pas quelque louange.

Il y eut l'autre jour une procession dans ce qu'on appelle les cloîtres du palais. Je la vis par une petite fenêtre devant laquelle elle passoit. Le roi et la reine marchoient ensemble. Elle avoit une grande robe de cérémonie, des manches pendantes, une longue queue portée par la camarera mayor. Les filles ou dames d'honneur marchoient ensuite, parées avec des habits extraordinaires pour ces jours-là. La croix, le patriarche, les évêques, les prêtres et religieux marchent devant leurs majestés. Mais pour en revenir aux dames qui sont suivies de celle qui s'appelle la guarda mayor, leurs amans obtiennent ces jours-là ce qui s'appelle dar lugar[17], c'est-à-dire, qu'ils ont place et la liberté pendant cette procession d'entretenir leurs maîtresses. Les processions sont bien meilleures ici pour les amans que les comédies, où ils ne peuvent se parler que de loin avec les doigts. Voilà, madame, tout ce qu'on peut vous dire de cette cérémonie. Si la croix n'y étoit pas portée, je vous-dirois que c'est une des plus galantes fêtes que l'on voie en Espagne.

Je m'en vais finir cette lettre par quelque chose, qui vous paroîtra aussi extraordinaire que ce que je vous ait dit au commencement: c'est un secret que M. de Villars m'a confié. Le roi, les deux reines et le premier ministre n'ont point du tout de crédit. Ce secret est comme celui de la comédie. Je m'en suis un peu doutée par le peu de précaution que M. de Villars a pris en me le confiant.

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LETTRE XI.

Madrid, 16 avril 1680.

J'ai reçu deux de vos lettres par ce dernier ordinaire, comme je montois en carrosse pour aller à l'Escurial. Hélas! madame, quelle nouvelle m'avez-vous apprise que celle de la mort de M. de la Rochefoucauld[18]. Je n'ai pas le courage de vous parler de toutes les merveilles que je viens de voir. La tristesse de cette mort dont j'étois pénétrée, m'engagea à considérer plus long-temps que je ne l'aurois peut-être fait dans une autre situation d'esprit, ce magnifique Panthéon, et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte celles que les morts habitent, et où sont déjà quatre rois[19] et quatre reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon cœur; et c'est tout ce que je puis faire, affligée comme je le suis.

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LETTRE XII.

Madrid, 27 avril 1680.

Si j'avois été dimanche à une belle procession qui se fit encore, je vous en rendrois un léger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de passer de propos délibéré toute la matinée du dimanche des Rameaux sans prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprès pour cette cérémonie, où il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond de cet habit est de satin noir tout brodé de jais blanc et d'acier, mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France. C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plissés, attachés en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prétend marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des pointes de gaze blanche sur leurs têtes, et leurs amans à leurs côtés. Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints, mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont parées, et courent d'église en église toute la nuit, hors celles qui ont trouvé dans la première où elles ont été, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a plusieurs, qui, de toute l'année, ne parlent à leurs amans que ces trois jours-là.

Je vous écris par un courrier que le roi a envoyé à M. de Villars. Vous aimeriez peut-être davantage cet ambassadeur, si vous saviez à quel point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours sur mes gardes pour ne rien écrire qui vise aux affaires d'état, je ne vous ai point informée de plusieurs choses qui se sont passées ici, quoique publiques; mais, en général, vous pouvez dire que M. de Villars a fait rétablir toutes choses comme le roi le désiroit. On lui a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans son quartier, à Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et brûler notre maison, en animant le peuple. Tout est à craindre, quand il arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle à les empêcher, et même, s'il se peut, à les prévoir, quoique cela soit quelquefois bien difficile. Le cardinal Bonzi, étant ici ambassadeur, y a passé. Quand ces désordres-là arrivent, les plaintes ne manquent pas d'être portées en France, et un pauvre ambassadeur est condamné, sans avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dépit que Juvenozo, leur ambassadeur en France, n'ait pas reçu les traitemens qu'il vouloit, qu'ils auroient acheté bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite de M. de Villars, sur le fait ou le caractère de l'ambassade. Personnellement on ne peut être plus aimé, ni plus estimé qu'il l'est. Ce roi a une haine effroyable contre les François; je ne cesse pas de vous l'écrire. La conduite de la reine est toujours très-bonne. Vous la louez du bon goût qu'elle a pour moi; mais savez vous à quelle sauce je me mets pour être trouvée de si bon goût? Adieu, ma chère madame; M. de Villars vous assure de mille véritables respects.

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LETTRE XIII.

Madrid, premier mai 1680.

Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue à bien faire. Le roi fut mercredi à l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut des airs ici: la reine eut tous ceux qui étoient nécessaires pour marquer une grande mélancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne comédienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis à propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont envoyé, pendant cette courte absence, des présens riches et galans.

Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fête de Monsieur. La reine étoit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut être si belle à Madrid. Elle étoit extraordinairement parée de très-grosses perles, et de beaucoup de diamans. J'ai été quelque temps seule avec elle. Nous avons chanté quelques airs d'opéra: car il n'est pas question, dans nos conversations, de la gravité que comporteroit mon âge. En vérité, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que ce fût une œuvre très-bonne que de la divertir. La vie du palais de Madrid ne se peut guère comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il se porte bien aujourd'hui. J'ai laissé toute la maison royale aller à la comédie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. de Villars voudroit que je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. de Coulanges de tout son cœur. Adieu, madame.

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LETTRE XIV.

Madrid, 26 mai 1680.

Vous dites, madame, que j'attire des louanges à la reine par le goût qu'elle paroît avoir pour moi, et le désir qu'elle fait voir que je sois presque toujours auprès d'elle. Elle en mérite, en vérité, d'autres, par la manière dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des présens qu'elle aime fort, et voilà par où il la console.

Le marquis de Grana et sa femme sont arrivés. On dit que cette femme parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprès d'elle. Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres femmes de ministres étrangers ne les voient que dans un lieu destiné pour les cérémonies. Avec cette prérogative, peut-on ne se pas trouver heureuse à Madrid?

M. de Villars vous assure de mille très-humbles respects, et ma fille aussi. Elle aime un peu mieux M. de Coulanges que vous. Elle porta hier à la reine la lettre et les chansons de M. de Coulanges. Elles les chantèrent long-temps. N'avez-vous pas reçu une petite boîte par des religieux?

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LETTRE XV.

Madrid, 28 mai 1680.

J'ai vu M. et madame de Grana; le mari me vint voir il y a deux ou trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun de ces détails.

Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois, il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand elle me parle de Fontainebleau, de St-Cloud, je change de discours; et il faut éviter de lui en écrire des relations. Quand elle sort, rien n'est si triste que ses promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance. Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs point d'ennui avec M. de Villars, avec qui j'aime bien autant m'aller promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire, l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine. Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.

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LETTRE XVI.

Madrid, 13 juin 1680.

Depuis ma dernière lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps, quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus belles; et, si M. le Nostre en trouvoit une pareille, ce qu'il y pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est grand, est entouré de deux rivières dont l'une est le Tage, et l'autre le Guadaran. Voilà de grands noms; mais me voilà, pour toute ma vie, détrompée de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute idée de ce Tage? et le Mançanarès n'a-t-il pas quelquefois touché votre imagination, comme de quelque agréable rivière? Le Tage est plus grand; mais, en revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vérité; ce jardin, pour l'Espagne, est agréable, par la quantité de fontaines et d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par la sécheresse du climat. Je n'ai rien trouvé à redire au peu de largeur des allées. C'est Philippe II qui les a fait planter; et peut-être que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour être parfaites. La maison serait assez belle, si elle étoit achevée; mais il s'en faut plus de la moitié, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a sept ou huit lieues d'Aranjuez à Madrid. Nous y allâmes le vendredi, et nous en revînmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra. Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseillé de marquer quelque impatience que sa majesté la menât voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de peine à lui persuader que j'en étois charmée; car il le croit au-dessus de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'être propre que pour le temps des chaleurs, est mortelle en été; et le gouverneur a permission de n'y être jamais en cette saison. Pour toutes bêtes rares, il y a une infinité d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en voit quelquefois à Paris, ne fait pas un effet désagréable, comme lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit là ne fait point du tout souvenir de la ménagerie de Versailles. Il n'y a même point de ménagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des troupeaux de bœufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des pierres ou de la terre, quand on bâtit. Me voilà donc revenue de cette maison royale, dont je ne vous parlerai plus.

Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientôt la guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur réponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien alarmée. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux tempérament pour la santé; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans sa tête, pour la soutenir si bien; car pour son cœur, je crois qu'il ne s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opéras; elle joue à merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de rien, elle a appris à jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de consolation dans les livres de dévotion. Cela n'est point extraordinaire à son âge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle fût grosse, et qu'elle eût un enfant.

Je n'ai point vu le marquis de Grana depuis que je vous ai écrit. Je serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit devoir garder en cette cour, le retient peut-être et sa femme aussi, qui, par politique de son côté, s'habille à l'espagnole. On l'en devroit récompenser, car elle est bien mieux autrement.

Il y aura lundi une fête de taureaux. On s'y attend à beaucoup de plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abbé de Villars vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charmé de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi, c'est une épouvantable beauté. Il y aura une autre fête le 31 de ce mois, dont je vous ferai écrire une ample relation. Vous la trouverez bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans. On y brûle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des hérétiques et des athées. Ce sont des choses horribles.

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LETTRE XVII.

Madrid, 25 juillet 1680.

Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette horrible exécution des Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire; mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y être, à moins de bonnes attestations de médecins d'être à l'extrémité; car autrement on eût passé pour hérétique. On trouve même très-mauvais que je ne parusse pas me divertir tout-à-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu exercer de cruautés à la mort de ces misérables, c'est ce qu'on ne vous peut décrire.

Le marquis de Grana fit lundi son entrée. Les Espagnols s'attendoient à voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de n'en pas faire davantage. C'est un très-galant homme, et qui fait toute la dépense qu'il peut. Il est effrayé de tout l'argent qu'il faut ici. Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension, payées par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison payée, sans les appointemens que lui donne l'Empereur, son maître. Il a pour le nôtre une grande estime et un grand respect; mais il mêle parmi cela certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur les conquêtes du roi, qui marquent assez de vivacité. Je vois souvent sa femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis de Grana est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de très-bonne mine. Notre jeune reine, pour être heureuse, auroit grand besoin d'avoir du goût pour la solitude dans son triste palais, où elle veut que j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, délicieux pour cette saison. La reine a été ces jours passés deux fois incognito avec le roi, se promener à dix heures du soir dans cette rivière poudreuse. Elle me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un signe pour reconnoître son carrosse, et moi un pour reconnoître le mien. Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la reine en doit de reste. Adieu, ma chère madame, c'en est un bien sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez véritablement. Si M. de Coulanges, selon les souhaits de M. de Schomberg, et par les pas qu'il a faits à Fontainebleau, eût été envoyé ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gardé à son passage par Madrid, tout autant qu'il nous auroit été possible.

Si vous n'avez encore ni donné ni rompu ces petits boucaro, que je vous ai envoyés, dont le dedans étoit blanc, conservez-les; car ce blanc est une composition de bézoard.

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LETTRE XVIII.

Madrid, 28 août 1680.

Je vous adresse cette lettre à Paris, quoique, par votre dernière, vous m'ayez mandé que, dans trois jours, vous partiez pour Lyon. Il me revient par vous et par tout le monde, à quel point vous faites valoir mes lettres; et, comme je ne suis pas persuadée de leur mérite, j'ai été jusqu'à présent tout étonnée du cas qu'on en faisoit. Mais je crois en avoir découvert la raison; c'est que vous ne les donnez pas à lire, et que vous les lisez vous-même; comme cela ne vous coûte guère, vous y mettez tout ce qui leur manque pour les rendre agréables, et pour leur attirer des louanges. Je vous prie, ma chère madame, de m'avouer la vérité là-dessus, sans consulter votre modestie. Je lirai avec plus d'attention et de sensibilité tout ce que vous m'écrirez de Lyon, que tout ce que vous m'écrivez de Paris, parce que vous me parlerez plus de vous et de tout ce qui vous touche; car je prétends que vous n'omettiez rien de tout ce que vous ferez; je voudrois bien aussi tout ce que vous penserez. Pour moi, madame, si je voulois ne vous parler que de ce qui m'occupe le plus ici présentement, ce seroit de la cruelle canicule qu'on y souffre. Car la peste et la famine, que nous avons déjà vues deux fois, et la guerre qu'on croit fort proche, ne me paroissent pas encore si insupportables que l'horrible chaleur qu'il fait. Encore le jour se sauve-t-on assez, en se tenant dans un appartement bas; mais la nuit on n'y peut coucher, à cause des moucherons qui dévorent les pauvres personnes.

C'est vous, madame, qui pensez et qui écrivez mieux que personne du monde. Hélas! nous ne savons à qui en parler ici. Nous lisons vos lettres, M. de Villars, ma fille et moi, avec un grand goût et un grand plaisir. Elles m'en causent bien plus d'un, par ne me point laisser douter que vous ne m'aimiez; et, quoique ce plaisir réveille l'ennui que l'on souffre de ne point voir ce que l'on aime, et de qui l'on est aimé, cette peine est bien douce, comparée à la moindre diminution de votre amitié pour moi. Il y a quatre ou cinq endroits dans votre dernière lettre, d'une vivacité et d'une imagination bien ignorées jusqu'à vous, madame, et qu'on n'imitera jamais. Je ne pense pas même qu'on puisse faire aller son ambition jusqu'à espérer d'en devenir une méchante copie.

Puisque nous sommes sur les copies; voulez-vous bien que je vous fasse souvenir que vous m'avez parlé de votre portrait? Je n'aurois osé vous le demander, quelqu'envie que j'en eusse, si vous ne m'en aviez parlé la première.

J'aime notre jeune reine du plaisir qu'elle me paroît avoir, quand je lui nomme votre nom, et que je lui dis que vous vous souvenez d'elle. Elle m'a chargée de beaucoup d'amitiés pour vous. Je ne saurois vous rien dire qui puisse vous instruire sur tout ce qui la regarde. Nous en parlerons un jour, si nous nous revoyons. Elle est grasse, belle, buvant, mangeant, dormant, riant très-souvent, dansant de tout son cœur, quand nous sommes seules; moi chantant le menuet et le passe-pied. Contentez-vous de cela.

Vous n'avez pas trouvé que le marquis de la Fuente fît souvenir de M. de Villars. S'il n'y a point de guerre, sa femme partira au mois de septembre pour l'aller trouver. C'est une des plus raisonnables femmes d'ici: je vous prie de me mander tout ce que vous savez touchant la guerre.

Vous me dites, et cela est vrai, que l'on seroit bien heureux, si les lieux d'ennui pouvoient inspirer de solides et sérieuses réflexions pour le salut, nous détacher des choses de ce monde, qui se détachent tous les jours de nous: la santé, la jeunesse, la beauté, les amis.

Il passera dans peu un étranger[20] à Lyon, qui vous remettra un très-petit présent de ma part. J'aime à vous marquer le plus souvent que je puis que je songe à vous, par ces légères bagatelles. M. de Villars en a honte; car il vous croit digne qu'on ne vous présente que des couronnes. Quand vous en auriez, il ne pourroit pas vous honorer, ni vous respecter au-delà de ce qu'il fait. Adieu, madame.

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LETTRE XIX.

Madrid, 15 août 1680.

J'ai une véritable impatience d'avoir de vos nouvelles; j'en ai beaucoup aussi d'en apprendre de Paris, puisqu'on y parle sans cesse de guerre, sans que je comprenne encore qui commencera à la déclarer. Les Espagnols ne sont pas en état de la soutenir. Leur misère passe tout ce qu'on en peut imaginer. Il est vrai qu'ils espèrent, ou, pour mieux dire, qu'ils croient sûrement que l'Empereur, l'Angleterre et la Hollande se joindront à eux. Le prince de Parme doit partir aujourd'hui pour aller commander en Flandre. On dit ici qu'ils n'ont pas voulu qu'elle s'achevât de perdre, sans un Espagnol naturel. Notre marquis de Grana a le cœur bien envenimé contre la France; et, s'il étoit secondé par tout ce qu'il voudroit bien mettre contre nous, il tailleroit ce qu'il appelle de la besogne. Il est galant homme, il a de l'esprit; mais, dans ses manières de parler, on le prendroit pour être né sur les bords de la Garonne.

Nous avons été ici en véritable péril de mourir des excessives chaleurs. La beauté et la fraîcheur de la reine n'en ont point souffert. Elle m'a promis de me donner un petit coffre pour vous. Dès que je l'aurai, je chercherai une voie pour vous le faire tenir. Elle me paroît fort souhaiter votre amitié; je l'assure aussi qu'elle a raison de la souhaiter.

Je voudrois que l'on crût un peu moins aux horoscopes; je ne me reprocherai jamais d'avoir eu, sur ce sujet, de pernicieuse complaisance, et de n'avoir pas fait mon possible pour désabuser des faussetés qui s'y trouvent.

Il y a, dans la boîte que vous recevrez par le marquis de Ligneville, deux paires de bas de soie, des pastilles d'ambre dans une bourse, et un œuf d'aventurine avec des pastilles dedans, dont je crois que le goût ne vous déplaira pas. Je vous fais ce détail de peu d'importance, afin que vous vous aperceviez si l'on en prenoit quelque chose.

La connétable Colonne est dans la maison de son mari, assez inquiète de ce qu'elle deviendra, car elle n'est nullement résolue de s'en retourner en Italie avec lui. Elle voudroit bien pouvoir rentrer en ce temps-là dans un couvent à Madrid; bien entendu d'en sortir peu après, et de s'en aller, tant que terre la pourra porter, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne; car, pour en France, elle a peur qu'on ne l'y veuille pas souffrir. Vraiment c'est un original qu'on ne peut assez admirer, à le voir de près, comme je le vois. Elle a ici un amant; elle me veut faire avouer qu'il est agréable, qu'il a quelque chose de fin et de fripon dans les yeux. Il est horrible; mais ce n'est pas ce qui devroit diminuer son inclination et la rebuter, au prix d'une autre petite chose qui ne vaut pas la peine d'en parler; c'est que cet amant ne l'aime point du tout, à ce qu'elle m'a dit. Elle se trouve heureuse cependant qu'il soit comme cela; parce que, s'il répondoit un peu à ses sentimens, les choses feroient encore plus d'éclat. Elle ne déplaît point; elle s'habille à l'espagnole, d'un air beaucoup plus agréable que ne font toutes les autres femmes de cette cour. Elle a trois grands fils mal élevés; l'aîné va épouser une des filles du duc de Medina Celi, premier ministre; mais vous ne vous souciez guère de tout cela.

Il est fort question ici que, dans peu, la duchesse de Terranova quittera sa place de camarera mayor qui sera, à ce qu'on dit, donnée à la duchesse d'Albuquerque. C'est une joie dans cette cour; car cette première n'y est pas aimée. Pour moi, il ne m'importe, pourvu que la reine s'en trouve bien. Adieu, ma très-chère madame; dites-vous souvent que je vous aime de tout mon cœur.

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LETTRE XX.

Madrid, 29 août 1680.

Je ne reçois point de lettres, madame; je n'ai point de vos nouvelles, et j'en voudrois savoir préférablement à toutes celles qu'on me peut mander de Paris. Comment vous portez-vous? Que faites-vous du matin jusqu'au soir? Combien serez-vous à Lyon? Après cela, je vais vous dire des miennes, qui ne sont pas des plus agréables. La misère augmente ici tous les jours, et les monnoies n'y sont point rehaussées. De douze mille écus que le roi donne à M. de Villars, ce n'est à Madrid qu'environ cinq mille cinq cents écus. Notre maison nous coûte neuf mille fr. de loyer. Voyez ce qui reste pour toutes sortes d'autres dépenses. M. de Villars veut donc me renvoyer pour se loger moins chèrement, et ne garder que très-peu de gens après mon départ. C'est une chose fort triste pour moi que cette séparation, attachée comme je le suis à M. de Villars, et fort triste aussi par ne trouver d'autre moyen de soulager sa dépense. J'ai été quelque temps sans dire ce projet à la reine, et quand je le lui ai appris, elle n'a pu le croire, ni s'y résoudre. Il y a plus d'honneur que de vanité à se persuader que cette pauvre princesse me regretteroit en demeurant en Espagne dans son triste palais, et ses tristes petites occupations. On lui a changé de camarera mayor: c'est, depuis deux jours, que la duchesse d'Albuquerque remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M. de Villars, pour sentir de la peine à le quitter; mais, à force aussi qu'on s'y ennuie, je désire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir passé cette horrible canicule, dont je vous ai parlé, sans y avoir succombé. Il est mort ici une infinité de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre maison. Mais, ma chère madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous aurez, par un homme qui partira bientôt, ce petit coffre de la reine, plein de pastilles à manger.

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LETTRE XXI.

Madrid, 5 septembre 1680.

Je vous ai mandé par ma dernière lettre la destitution de la duchesse de Terranova; qu'on avoit mis à sa place la duchesse d'Albuquerque; et que je ne pouvois être ni aise ni fâchée de ce changement, que selon que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame de Terranova ait une grande aversion pour la France et pour les François, elle m'a toujours traitée fort honnêtement. On croit que la reine n'aura pas sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est déjà tout autre, et le roi aussi. Sa majesté a permis à la reine de ne se coucher plus qu'à dix heures et demie, et de monter à cheval quand elle voudra, quoique cela soit entièrement contre l'usage. Il lui a accordé encore une chose qui lui a donné une grande joie. Il y a trois ou quatre jours que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un air de gaîté extraordinaire, et me dit: Ne direz-vous pas oui à ce que je vais vous demander? C'étoit que le roi vouloit bien que ma fille eût l'honneur d'être une de ses dames. Elle en étoit transportée. Vous jugez bien avec quel respect et quel plaisir je reçus ce qu'elle me disoit; mais elle fut un peu mortifiée quand je lui répondis que je croyois qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. de Villars en eût la permission du roi, notre maître. Ma fille ne s'en sent pas de joie. A son âge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal, Aragon, Mauriquès, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.

L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.

Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans. Si j'avois pu ce matin être à sa toilette, je lui aurois conseillé de n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir à personne; et je suis assurée que le roi, son oncle, l'en dispenseroit volontiers.

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LETTRE XXII.

Madrid, 12 septembre 1680.

J'ai enfin reçu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de temps à y répondre, parce que le courrier part ce soir. J'étois affligée de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'étois point de l'appréhension que vous m'eussiez oubliée. Vous me parlez de la peste, et de la peine où vous en êtes pour moi. Elle ne m'a point approchée, Dieu merci, et il faut espérer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue. Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la misère où l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne veux point que vous y fassiez de réflexion. Vous êtes vive, et vous m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille écus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents écus, et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous ai déjà mandé que M. de Villars, ne pouvant plus subsister, prenoit la résolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis de Grana, qui est riche par lui-même, par ce que son maître lui donne, et par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les affaires de France, et sur tout ce que projette et exécute le roi, notre maître.

Mais votre portrait, que vous me faites espérer, il faut le confier à mes enfans qui seront à Paris avant la fin de ce mois. En vérité, je ne puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus être aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes enfans vous auront vue à Lyon. Qu'ils auront été aises, s'ils tiennent de leur mère!

On se trouve toujours bien du changement de la camarera mayor. L'air du palais en est tout différent. Nous regardons présentement la reine et moi, tant que nous voulons, par une fenêtre qui n'a de vue que sur un grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle l'Incarnation, et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu'une jeune princesse, née en France, et élevée au Palais-royal, puisse compter cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même. Il y a neuf jours qu'on soupçonnoit encore qu'elle étoit grosse. Pour moi, je ne le soupçonne pas. Le roi l'aime passionnément à sa mode, et elle aime le roi à la sienne. Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche; elle dort, elle mange, elle rit; il faut finir là; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous défie de deviner tout ce que j'aurois à vous dire ensuite de tout cela.

Adieu, ma chère madame; je voudrois bien écrire encore, si j'en avois le temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.

Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne vous coûtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous l'envoie.

Je rends mille grâces à M. de Coulanges, de sa prose et de ses vers. La marquise d'Uxelles m'avoit envoyé ceux qu'il avoit faits pour elle, en passant à Châlons-sur-Saône.

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LETTRE XXIII.

Madrid, 26 septembre 1680.

Je reçois présentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui à la reine tout ce que vous m'écrivez d'honnête et d'obligeant pour elle. Que dix-huit ans et une heureuse disposition à croire tout ce qu'on souhaite, sont choses agréables, et conservent bien la santé et la beauté! Pour moi, je lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie été opposée à cette heureuse situation.

Celle de la pauvre connétable Colonne est à présent bien détestable. Il y a plus de deux mois que je lui ai prédit ce qui arriveroit. Mais, sans nulle réflexion, elle vivoit au jour la journée, comptant qu'on la laisseroit jouir de la liberté de sortir de sa maison, de faire des visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'après les noces de son fils aîné. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part du roi, qu'il ne se mêloit plus de ses affaires, et qu'elle songeât à obéir à son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le lendemain, elle eut une défense de ne plus sortir de chez elle; le jour d'après, de ne plus voir personne; et, à tout moment, elle est dans les horreurs qu'on ne l'entraîne avec violence, et qu'on ne la mette dans une litière pour la mener où il plaira à son mari. Je ne veux pas justifier sa conduite passée, mais il faut convenir, en s'en souvenant, qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier à un mari italien. Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus austère couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la famille Balbasès. Elle me fait beaucoup de pitié.

Si j'en juge par les amples relations de Madame[21] à la reine d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont été pareils à ceux dont on jouit à Versailles.

M. de Villars dit toujours qu'il veut me renvoyer, à cause que la misère augmente à Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de dépense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le laisse dans un lieu aussi triste, et dans un état aussi chagrinant que le sien. Jusqu'ici, on ne nous a point encore ôté le bien de la santé; mais ce bien est fragile et très-sujet à ne point durer, sur-tout quand on n'est plus jeune[22]. Adieu, madame; tels que nous sommes, c'est entièrement à vous.

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LETTRE XXIV.

Madrid, 10 octobre 1680.

Permettez-moi, madame, de vous parler, avant toute chose, d'une petite bagatelle qui arriva hier à sept heures du matin. Ce n'est qu'un violent tremblement de terre qui dura la longueur d'un miserere. M. de Villars dans son lit et moi dans le mien, le sentîmes remuer. Il se leva, s'imaginant qu'à cause des horribles pluies, les fondemens de la maison s'écrouloient. Pour moi, je m'écriai, assez effrayée, que c'étoit la terre qui trembloit. Il vint trois secousses qui donnèrent un mouvement à toute la maison, comme pourroit être celui d'un arbre agité du vent. Les prêtres dans les églises où ils disoient la messe, eurent de la peine à empêcher que le calice ne fût renversé. La plupart des hommes et des femmes couroient en chemise dans les places et dans les rues, sans savoir où se cacher, pour éviter l'accablement dont ils se croyoient menacés par la ruine des maisons. Je n'avois pas imaginé qu'à tous les désagrémens d'Espagne, il se fût joint celui de s'y voir englouti dans la terre, qui s'est ouverte en quelques endroits, ou écrasé sous les ruines des maisons; car jamais on n'a vu ici de ces tremblemens. Hier, à tout moment, je croyois que cela alloit recommencer. Comme les pluies recommencent, il se pourra bien faire qu'il reviendra encore quelque tremblement. Je souhaite avoir cette singularité par-dessus vous, et que vous n'éprouviez de votre vie ce qu'on pense en pareille occasion. Je ne sais point encore si le tremblement de terre aura été jusqu'à l'Escurial, où cette cour est depuis lundi dernier. Je fus, dimanche au soir assez tard, avec la reine, qui n'avoit pas beaucoup d'envie d'aller en ce lieu, dont les plus grandes beautés sont les magnifiques places qu'on a fabriquées pour mettre les corps des rois et des reines après leur mort. Elle n'a pas laissé de marquer de la joie d'y aller, pour faire voir sa complaisance pour les volontés du roi. Elle m'écrivit, le lendemain, qu'elle n'avoit pas trouvé tout ce que je lui avois dit de cette maison; car il est vrai que je lui en avois parlé à lui donner de l'envie d'y aller. Je ne vous dis point tout ce qu'elle m'a dit, ni tout ce qu'elle m'a écrit sur la peur qu'elle a que je ne m'en aille. Elle ne le peut croire par cette heureuse facilité qu'elle a à se persuader tout ce qui lui peut ôter du chagrin. Elle me fit savoir, avant que de partir pour l'Escurial, que, sans m'en parler, elle avoit écrit d'une sorte à Monsieur sur mon sujet, qu'elle ne pouvoit pas croire qu'il n'eût assez de crédit pour obtenir qu'on m'accordât de ne point m'en aller, et qu'elle avoit représenté les raisons et les véritables besoins qu'elle croit avoir que je ne parte pas d'ici. Je l'ai suppliée de se préparer au peu d'effet qu'aura sa lettre; et j'ai ajouté que, si elle m'avoit fait l'honneur de m'en demander mon avis, je lui aurois dit de marquer simplement le bonheur que j'avois de lui plaire, et de n'insister point sur autre chose. Quoi qu'il arrive de cette lettre, je lui en aurai autant d'obligation que si le succès en étoit heureux; mais je ne m'y attends pas.

Je ne puis finir celle-ci, sans vous parler de quelle manière cette cour se prépare pour les voyages, qui ne sont jamais qu'à l'Escurial ou Aranjuez. Il en coûte au roi des sommes immenses; il n'y a pourtant que sept lieues; mais les voleries, sur cela, vont toujours leur chemin. Il y a, pour le moins, ce jour-là, cent cinquante femmes du palais, soit segnoras de honor, ou dames qui sont comme les filles d'honneur en France, ou camaristes ou leurs criadas, ou servantes. Pour les segnoras, ce sont de vieilles veuves, toujours habillées et coiffées de la même sorte; les dames sont en leur plus beaux habits, avec des chapeaux et des plumes, assez galamment mises, et sur leurs épaules ce qu'elles appellent mantilles: ce n'est ni manteau, ni écharpe; cela est de velours en broderie d'or et d'argent; les unes les ont vertes, les autres incarnates. Elles les portent d'un air particulier, un bout qui passe sous le bras, et l'autre sur l'épaule, en sorte qu'elles ont un bras dégagé. Voilà ce qu'elles ont de meilleure grâce. Tous les galans les voient monter en carrosse, et font leur chemin en galopant après elles. Plusieurs de ces messieurs, sur de beaux chevaux, suivent incognito, avec des bonnets qui s'abattent, et qui leur cachent le visage. Ils ne sont pas, pour cela, inconnus à leurs dames. La reine avoit, le jour qu'elle fut à l'Escurial, un chapeau avec des plumes jaunes et noires; mais, pour, ces mantilles, il est écrit qu'il faut que les reines n'en portent point, en dussent-elles mourir de froid. Je ne pourrai vous faire comprendre comme cette princesse est embellie, crue et engraissée; un teint admirable; elle s'aime aussi passionnément. L'ordre de ce voyage de l'Escurial est que la cour y séjourne jusqu'à la Toussaint. Le lendemain, leurs majestés font prier Dieu solemnellement pour tous les rois et reines, qui sont là devant leurs yeux; et, le jour d'après, ils reviennent à Madrid avec le même équipage qu'ils en sont partis. Mais, si j'étois à leur place, je n'y reviendrois pas, et j'établirois ma cour en un autre lieu, où la terre ne trembleroit point.

Si le courrier n'alloit partir, je crois que je vous écrirois jusqu'à demain. Quel signe est-ce, madame? car je n'aime point du tout à écrire.

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LETTRE XXV.

Madrid, 31 octobre 1680.

J'attends la reine à son retour de l'Escurial, pour lui faire voir tout ce que vous me dites d'elle dans votre lettre. Elle a été deux jours malade. J'y envoyai aussitôt, pour m'offrir de l'aller servir. Ce n'étoit rien, et j'en fus doublement aise; car nous avons souhaité, M. de Villars et moi, qu'elle fût un peu sous sa propre conduite, et que l'on vît que je ne suis pas bien empressée de la cour. On dit qu'il s'est passé plusieurs petites affaires; si j'avois été là, nous n'aurions pas été d'accord; car je l'aurois suppliée de n'abuser pas de la permission qu'on lui donnoit de monter à cheval, et de ne s'en servir que rarement. Elle m'a souvent honorée de ses lettres. Elle est toujours persuadée qu'il est impossible que je m'en aille. Cependant, si M. de Villars avoit eu de l'argent pour me faire partir, je crois que je serois déjà bien loin. Je pense vous avoir écrit que ma fille ne seroit point dame de la jeune reine. On dit que c'est une loi indispensable qu'il faut demeurer dans le palais; qu'il est de toute nécessité d'y faire de la dépense, et que dix mille francs ne suffiroient pas: au moins quatre ou cinq femmes pour servir; un ordinaire, des meubles, des habits, et, au bout de tout de cela, entre vous et moi, une vie fort ennuyeuse, et qui ne promet pas une fortune assurée. Je ne puis, ma chère dame, vous en dire davantage; il le faudroit pourtant, si je voulois vous faire comprendre mille choses que, malgré tout l'esprit que vous avez, vous ne pouvez pénétrer de si loin. Je vous prie encore que vous ne vous amusiez point, s'il se peut, à faire des réflexions sur notre malheureux état, état dont, par discrétion, je vous cache plus de la centième partie du désagrément. Pour m'en remettre, j'use du charmant remède de songer que je ne suis rien moins que jeune, que la mort approche, et qu'il est meilleur qu'elle nous trouve dénués de tout ce qui compose les plaisirs de la vie. Pour vous, madame[23], qui la pouvez envisager d'une plus longue durée, vous avez de quoi être plus vive et plus sensible aux injustices de la fortune. Je ne vous dis point tous les souhaits que je fais pour qu'elle puisse changer, et à quel point, si on le mérite, je vous crois digne d'être heureuse; mais, madame, quel trésor, si nous pouvions découvrir et mettre en usage le secret d'être véritablement dévotes, et de nous en servir pour l'autre vie! Je ne me saurois plaindre de ce que nous souffrons, tant que Dieu me conservera mes enfans[24], que j'aime tendrement.

Je n'ai point encore de nouvelles de votre portrait; j'espère pourtant l'avoir bientôt par un gentilhomme que nous attendons. Que ce portrait me fera de plaisir!

Nous fûmes hier à une maison du roi, à deux lieues d'ici, qu'on nomme le Pardo. Il n'y a autour ni bois, ni jardins, ni fontaines; et, dans la maison, ni sièges, ni bancs, ni tables, ni carreaux, ni lits; c'est pourtant la favorite, et celle où leurs majestés vont très-souvent. Je ne sais pas encore à quoi elles s'y peuvent divertir: je le demanderai à la reine. Toute mon attention fut de regarder très-long-temps les portraits de cette reine Elisabeth[25], et de ce misérable don Carlos[26], en songeant à leurs funestes aventures: ils étoient bien faits l'un et l'autre.

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LETTRE XXVI.

Madrid, 14 octobre 1680.

Votre petit portrait a été très-bien reçu, et trop bien de M. de Villars, qui en fait son propre. Je n'ai pas laissé de le porter au palais, où il a passé par toutes les mains des dames; car, pour les hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les fenêtres. La reine le prit d'abord pour celui de madame de Nevers. Ce portrait fait souvenir de vous, c'est-à-dire, qu'il ne vous ressemble pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit à bout de peindre tous vos traits, d'imiter que très-grossièrement ce qu'il y a de vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi agréable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grâces, ma chère madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amitié et votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amitié que j'ai pour M. de Villars, que d'être avec lui dans le pays du monde le plus rempli d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que les semaines passent fort vîte, celles d'ici sont d'une longueur infinie. Je vais souvent au palais; peut-être ne trouverais-je pas tant d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses à vous dire là-dessus.

Il y a deux ans qu'il mourut une dès dames de la maison de la reine[27], qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que tous ces médecins-ci, et leurs remèdes ridicules. Il y a une grande chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne couleur de feu, avec un grand galon d'or, à la lueur de quantité de flambeaux. Elle étoit en habit de religieuse, composé de bleu et de blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lèvres. Elle étoit très-belle dans cet état. Ce coffre ferme à clef: la guarda mayor le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit ce coffre, pour lui faire voir qu'elle étoit dedans, et il en prit la clef. Les gardes du roi portèrent le corps jusqu'au haut du degré, à une porte où les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la sépulture. Le majordome, arrivé dans cette église, ouvrit encore ce coffre pour faire voir aux religieux le corps de cette pauvre dona Juana de Portugal. Après quoi, il fut mis en terre avec les prières ordinaires. Je ne pensois nullement à vous faire ce récit, qui n'est pas divertissant. Mais il ne faut pas aussi être toujours tant sur ses gardes, pour ne parler jamais de la mort, qui va indifféremment dans tous les pays du monde.

J'espère vous envoyer, par la première commodité, deux excellentes paires de gants d'ambre, et un éventail de la part de la reine, dont la santé et la beauté augmentent tous les jours.

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LETTRE XXVII.

Madrid, 28 novembre 1680.

Je n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai déjà mandé que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois douté de l'amitié, que vous croyez que j'ai pour M. de Villars, j'en serois plus que certaine à l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot aimable, tout l'opposé de ce qu'il dit en effet. Après tout cela, malgré la destinée, je commence à jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous quittons notre grande, incommode et chère maison pour aller loger dans une autre beaucoup moins chère, et très-commode. A peine ai-je trouvé de quoi vous écrire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine m'a fait paroître plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que vraisemblablement cela ne lui en a dû causer.

Je ne vous entretiendrai guère aujourd'hui. Il m'en déplaît fort, ma chère madame; car il me semble que j'aurois bien des choses à vous dire.

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LETTRE XXVIII.

Madrid, 27 décembre 1680.

Vous m'écrivez que le marquis de Ligneville a passé par Lyon, et qu'il ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laissé le petit présent que je vous envoyois par lui.

Je suis beaucoup plus tranquille que je n'étois le temps passé, quand je vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un départ prochain. Le petit secours, que le roi a eu la bonté de donner à M. de Villars, nous fait un peu respirer. Nous avons payé et quitté notre grande maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes présentement dans une autre la moitié moins chère, et mille fois plus commode. Je ne voudrois pour rien du monde que la guerre recommençât; car je me souviens trop de la vivacité de mes peines dans ce cruel temps. Mais quel plaisir, sans qu'il en fût question, de sortir d'Espagne, et de pouvoir subsister en quelque lieu agréable, jouissant du plaisir de voir et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez, s'il vous plaît, la peine de me siffler comme un perroquet; car assurément je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on fait au coin de votre feu. Il fait ici le même froid qu'à Paris; mais il n'y a point de cheminées. Nous en avons fait faire une dans notre nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons à Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre siège. C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont assises: elles paroissent lasses, fatiguées, ne pouvant non plus se tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voilà de belles nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une manière d'assoupissement misérable.

Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachetés du cachet de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de gants, et un éventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer à leur destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'étoit de sa part, trouvant que le présent étoit trop petit. Vous le direz à mesdames de Sévigné et de Vins. On dit que les éventails seront meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir. Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les yeux très-beaux, la bouche agréable. Quand je vois qu'elle croit avoir sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.

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LETTRE XXIX.

Madrid, 12 décembre 1680.

La connétable Colonne est dans un pitoyable état. Je crois que je vous ai mandé que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant que la reine étoit à l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaçal[28] de Ségovie, très-misérablement traitée. La reine auroit fort souhaité qu'on lui eût accordé avant cela ce qu'elle demandait pour toute grâce à son mari, qu'on la mît dans un couvent, le plus austère qu'on pût choisir à Madrid. Cette pauvre malheureuse écrit souvent au confesseur de la reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le connétable à vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit consentir que sa femme vînt à Madrid, si elle ne se faisoit religieuse dans le couvent où elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres. Le confesseur a écrit cette proposition à la connétable, qui l'a acceptée. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne à la religion. Cependant, comme elle a fait dire à son mari qu'elle fera tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'écrit de Paris que je me mêlois de ses affaires, et que j'étois fort dans ses intérêts. J'ai répondu sur cela à une de mes amies qui m'en écrivoit, que je croyois qu'on avoit jeté à croix ou pile, duquel il valoit mieux m'accuser, ou de trop de dureté pour cette infortunée, ou de trop de pitié. Car pour elle, elle se sentit tout-à-fait outragée, quand elle vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrît pour une nuit, et qu'on lui prêtât secours pour la faire entrer dans son couvent; on ne put lui accorder ce qu'elle vouloit, et je la résolus avec une peine extrême à retourner chez le marquis de los Balbasès, où je la remenai à dix heures du soir, M. de Villars ne voulant pas se mêler de ses affaires. Si j'ai eu pitié d'elle depuis cette visite-là, cette pitié ne s'est signalée en rien; et la reine qui auroit bien voulu lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un couvent, dit que Monsieur lui a recommandé de lui rendre tous les bons offices que raisonnablement elle pourroit désirer d'elle. Celui de la faire enfermer dans un couvent le plus austère, ne paroissoit pas indigne à cette princesse qu'elle s'y employât.

M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse de Soissons? Ce n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille écus dans son coffre, il ne les dépensât en un jour, mieux qu'aucun homme du monde, pour plaire à sa dame. Le roi, notre maître, ne peut pas souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majesté Catholique.

La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est jeune et saine, d'un heureux tempérament. Je ne pense pas qu'au reste du monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entièrement détruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs où je fus après cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une comète. Assurez-vous que depuis huit jours il en paroît une des plus grandes et des mieux marquées qu'on ait jamais vues. Elle commence à se montrer sur les quatre à cinq heures du soir, et dure jusqu'à huit ou neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des choses qui me sont le plus indifférentes; car je suis persuadée qu'elle ne signifie rien pour la France.

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LETTRE XXX.

Madrid, 26 janvier 1681.

Il faut vous dire deux mots de la connétable Colonne. Je trouvai le confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apporté une lettre pour la montrer à cette princesse, avant qu'il la fermât. Il venoit de chez le connétable Colonne, qui l'avoit écrite à sa femme, en présence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle vienne à Madrid, dans un couvent nommé; qu'elle prenne l'habit de religieuse le même jour qu'elle y entrera; et, trois mois après, qu'elle fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour quitter le lieu qu'elle habite présentement. Je ne conseillerois pas à la reine de répondre qu'elle n'en sortira jamais.

Cette princesse continue de se bien porter, et de passer à l'église sept ou huit heures les jours et veilles de grandes fêtes. Je ne voudrois pas vous répondre qu'elle en fût plus dévote. J'ai toujours l'honneur de la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidité, donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volontés du roi. La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle présentement très-bien espagnol. Elle connoît toute la cour, et les différens intérêts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mère, qui est très-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.

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LETTRE XXXI.

Madrid, 23 janvier 1681.

Le comte de Monterei a été exilé de cette cour, il y a quatre ou cinq jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est qu'il est le plus honnête homme du monde, et le plus propre à bien servir son roi. L'on refuse toujours le congé à son père, le marquis de Liche, qui est ambassadeur à Rome, malade, ruiné, par conséquent fort ennuyé. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en larmes aux pieds du roi, pour obtenir le congé. Je ne vous parlerai point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chère madame. Qu'il est difficile de l'être à Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes dispositions pour la pénitence, ce seroit un lieu propre pour la faire! La reine est en parfaite santé, et dans une grande fraîcheur. De vous dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.

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LETTRE XXXII.

Madrid, 6 février 1681.

Vous n'avez donc point reçu par le marquis de Ligneville, le petit présent que je croyois qui vous seroit fidèlement rendu? Les messagers ordinaires, à ce que je vois, ont plus d'honneur et de probité que les gens de qualité portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu précieux et peu magnifique, étoit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois à imaginer que tout cela vous plairoit. Ce Ligneville est des amis du marquis de Grana, et ma confiance étoit parfaite. Ne vous fatiguez d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.

L'on attend, tous les jours ici, la connétable Colonne, pour prendre l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivoit, l'autre jour, que sa sœur Mazarin feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec elle.

Je songe à ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas de matière; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup de sujets. La vie du palais ne convient point à des personnes qui n'y sont point nées, ou du moins qui n'y sont pas venues dès l'enfance; il faut pourtant dire la vérité en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni si terribles, ni si soupçonneux qu'on nous les figure. Les reines sont toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entrée en Espagne, M. de Villars s'est appliqué à la bien persuader qu'il falloit pour son repos, qu'elle fût en bonne union avec la reine, sa belle-mère, et qu'elle se gardât bien d'écouter des avis contraires. Je ne fais autre chose aussi que de tâcher de lui mettre cela dans la tête. Elle ne se divertit pas trop à raisonner sur la politique. Jusqu'ici tout a assez bien été; et, entre vous et moi, tout auroit été encore mieux, si, dès la frontière, on lui eût ôté généralement toutes les Françoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint à mille aimables qualités. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fréquentes. Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.

Je vous ai mandé que le comte de Monterei avoit été exilé. Le duc de Veragas le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.

Je ne vous parle point de la misère de ce royaume. La faim est jusque dans le palais. J'étois hier avec huit ou dix Camaristes et la Moline qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit plus ni pain ni viande. Aux écuries du roi et de la reine, de même. Je ne voudrois pas qu'on sût, au pays où vous êtes, que je me mêlasse seulement d'écrire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on pourroit se moquer.

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LETTRE XXXIII.

Madrid, 19 février 1681.

Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir la marquise de Grana, qui est malade, et qui ne sort point depuis trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle aime fort.

La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui étoit dans l'église, m'a conté tout ce qu'il vit. L'habit est joli et assez galant, le couvent commode. Je ne puis avoir bonne opinion de l'esprit et de la pénétration de messieurs les Italiens et Espagnols, de s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.

A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte Ernand-Nuguès, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et, comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part, et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi, je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la duchesse de Patrana étoit une. Je sortis, et, à trois heures après minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte Ernand-Nuguès a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de maladies.

Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse incognito, à une promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.

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LETTRE XXXIV.

Madrid, 3 avril 1681.

Vous, madame, plusieurs de mes amies, et même mes enfans, vous paroissez étonnés et comme fâchés de n'être point informés par mes lettres de tout ce qui se passe ici touchant le rappel de M. de Villars, et ce qui me regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chère madame, puisqu'assurément, dans le nombre de mes défauts, je n'ai point celui de mentir. Rien au monde n'est donc venu à notre connoissance de ce qu'on a pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on savoit ce que c'est que l'intérieur de ce palais, et qu'aucune dame ni moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que ça été avec les femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout l'appartement de la reine. A l'égard du jeune roi, et de sa haine pour les François, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente pour moi que pour les femmes françoises de la reine, par la raison qu'elles sont plus souvent auprès d'elle que je n'ai cet honneur. Si le premier ministre a fait négocier notre retour en France par l'ambassadeur d'Espagne, qui est à Paris, le roi, leur maître, n'en a rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort étonné quand on la lui apprit, et demanda aussitôt si ce n'étoit point une marque qu'on allât rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois mois, qu'elle n'a jamais été. Je ne me vanterai pas de m'être mêlée de donner des conseils à la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de l'état; c'est ce qui n'est jamais entré dans les conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en vérité, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce qui s'est passé depuis que je suis en ce pays. Avec toute la tranquillité que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis pourtant affligée du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon nom n'a jamais été proféré que bien sinistrement devant tout ce qu'il y a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je souffre à cet égard, me fait porter une véritable envie aux gens dont on n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. de Villars reçut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portât aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette bonté du roi, malgré mon innocence, que n'en ont mille gens pour les solides bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de sa majesté. Je ne laisserai point de partir la première, parce que M. de Villars s'en ira plus vîte, quand il sera tout seul, dès le moment qu'il aura reçu les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce qu'on voudra. Je vous verrai bientôt; ce me sera une véritable joie. Quel voyage ai-je à faire, et quelle fatigue à essuyer!

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LETTRE XXXV.

Madrid, 17 avril 1681.

Je vous rends grâces de l'impatience que vous me marquez de savoir le temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses à faire avant que de partir. C'est M. de Villars qui règle tout cela. J'ai pris congé de la reine ayant son départ pour Aranjuez. Elle m'a fort commandé de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez des raisons pour alléguer contre les torts qu'on me donne au pays où vous êtes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand démêlé avec un maître-d'hôtel de la jeune reine; mais, comme j'ai déjà répondu que je n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire. Toutes ces choses seront des nouveautés pour moi, quand j'arriverai à Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine. Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'eût pas été; et si, de France, on avoit ordonné à M. de Villars que mes visites fussent moins fréquentes, on ne se le seroit pas laissé dire deux fois. Je vous conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous supplie instamment encore une fois, ma chère madame, de laisser dire, sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je désire de vous.

Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable Colonne seroit meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses enfans. Il a marié l'aîné, comme vous savez, avec une fille de Medina Celi, premier ministre, qu'il emmène aussi à Rome. La connétable demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle y est déjà misérablement. Si je n'avois pas autant compati à son malheur, je n'aurois pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant, avec ses hauts et bas. Il étoit, en quelque sorte, facile à M. de Nevers, son frère, de la tirer du malheureux état où elle est, s'il étoit venu ici pour soutenir ses intérêts. Elle n'auroit pas été réduite à jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur de la reine me dit qu'il lui alloit écrire la proposition de se faire religieuse pour sortir du château de Ségovie. Elle n'hésita pas un moment, comme je vous l'ai mandé, à trouver qu'elle en avoit la vocation. Je crus, au moins, qu'étant entrée dans le couvent, elle déclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis étoit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit dès l'instant qu'elle a mis le pied dans l'église. Il falloit que son frère vînt alors l'enlever de là, et tâcher de la faire aller demeurer avec la duchesse de Modène, comme on l'avoit proposé.

J'ai fort bien commencé et fini le carême; je n'en suis pas malade, Dieu merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point prendre?

On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent absolument qu'une certaine île soit à eux. Ils assurent qu'ils vont faire la guerre, si l'on ne la leur cède. On est pourtant tout-à-fait tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon cœur.

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LETTRE XXXVI.

Madrid, premier mai 1681.

Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que vous me dites, ma chère madame, sur l'obligeante envie que vous me marquez que j'aille loger chez vous en arrivant à Paris. Soyez bien persuadée que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous souhaitez. Ce sont des excuses bien différentes de celles que l'on emploie pour refuser une grâce ou un service que l'on ne peut rendre. Mais votre cœur est fait de manière que je ne puis douter que ce ne soit vous faire une espèce d'offense de mettre quelque obstacle aux services que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinité de pardons; je m'en demande à moi-même de m'opposer à la joie que j'aurois de me trouver à portée de vous voir, de vous parler à tout moment. Je ne suis pas destinée à des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis moins empressée de mon retour à Paris; car vous saurez que M. de Villars prit la résolution de me faire partir, quand il sut, par la lettre du roi, son maître, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus grande commodité, qu'il étoit plus à propos que je m'en allasse la première, pour être en état de faire plus de diligence, débarrassé de femmes, de hardes et d'équipages; ne doutant point qu'au plus tard, trois semaines ou un mois après, il n'eût ordre du roi pour partir, et qu'il n'y eût un autre ambassadeur nommé. Mais je vois présentement qu'on ne parle de rien, et que M. de Villars peut demeurer encore ici long-temps. Cela étant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, où je puis être comptée pour quelque chose, par rapport au dénuement de toute sorte de plaisirs. Cependant M. de Villars ne pouvant s'imaginer d'être ici pour long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise que le roi ait ordonné que je m'en revinsse en France, dites hardiment, madame, qu'il n'en est rien; sa majesté n'en a jamais écrit un mot à M. de Villars. Si ce que je vous écris là n'étoit pas vrai, vous croyez bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez à quoi se réduisent mes vanteries, qui sont de vouloir établir, parce que cela est vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous verrai. Il ne me sera, je crois, guère difficile de vous faire avouer que je ne mérite pas beaucoup de blâme sur ma conduite en cette cour; et, sans me vanter, peut-être n'ai-je fait tort à la conduite de personne. Adieu, ma chère madame.

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LETTRE XXXVII.

Madrid, 15 mai 1681.

Je ne suis point encore partie; les pluies ont été si excessives et si continuelles ici, que les carrosses ni les litières ne peuvent se mettre en chemin. Présentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait espérer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nommé le successeur de M. de Villars, je partirai plus volontiers avec la certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici après moi. Leurs majestés Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bonté de me dire qu'elle eût été au désespoir d'en revenir sitôt, sans la joie qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraissé dans ce charmant séjour. Je l'ai trouvée changée. J'ai vu la reine mère ces jours passés, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. de Villars et de la mienne, quant à l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis bien persuadée qu'elle en écrit conformément à la reine en France. Je suis à vous, ma chère madame, plus que je ne puis vous le dire.

Fin des Lettres de Madame de Villars.

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LETTRES

DE

MADAME DE COULANGES,

A MADAME DE SÉVIGNÉ.

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NOTICE

SUR

MADAME DE COULANGES.

Madame de Coulanges a laissé d'elle la réputation d'une femme très-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres, pour ainsi dire, aucune particularité, aucun détail sur sa personne. Il seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-être même impossible, de suppléer entièrement à leur silence. A la distance où nous sommes déjà du siècle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des renseignemens certains sur les personnages de ce siècle, lorsque les écrivains du temps ont négligé de nous en transmettre? Les Lettres de madame de Sévigné sont presque le seul écrit où il soit question de madame de Coulanges. Nous allons en extraire le peu de notions biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.

Madame de Coulanges naquit en 1631, de M. du Gué-Bagnols, intendant de Lyon.

Elle épousa Philippe-Emmanuel de Coulanges, conseiller au parlement de Paris, puis maître des requêtes, mort en 1716, âgé de 85 ans. M. de Coulanges était cousin-germain de madame de Sévigné, dont sa femme devint l'amie intime et presque inséparable. Plein d'esprit et sur-tout de gaîté, très-agréable en société, à cause de ses saillies et de ses chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de goût pour les fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'étant chargé de rapporter une affaire, où il s'agissoit d'une marre d'eau que se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit Grapin, il s'embarrassa tellement dans le détail des faits, qu'il fut obligé d'interrompre son récit: Pardon, messieurs, dit-il aux juges; je me noie dans la marre à Grapin, et je suis votre serviteur. Depuis cette aventure, il ne voulut plus être rapporteur, et il finit par se démettre de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dîners.

Madame de Coulanges, fille d'un simple intendant de province, et femme d'un homme de robe, qui avoit renoncé à son état, n'avoit aucun rang à la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considération. Elle étoit nièce de la femme de le Tellier, ministre d'état, depuis chancelier, et cousine du fameux Louvois, ministre de la guerre. La parenté lui donnoit un certain crédit auprès de ces deux hommes puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'étoit sur-tout auprès de Louvois qu'on réclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres continuelles, où les emplois de l'armée passoient si rapidement de main en main.

C'étoit beaucoup, pour avoir des succès à la cour, que d'être nièce et cousine de ministre; mais ceux de madame de Coulanges tenoient encore à une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame de Sévigné a exprimé d'une manière si vive et si ingénieuse, en disant: l'esprit de madame de Coulanges est une dignité. Cet esprit consistoit à dire avec grâce, avec aisance, des choses fines et imprévues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela les épigrammes de madame de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame de Caylus dans ses Souvenirs. «Madame de Coulanges, femme de celui qui a fait tant de chansons..... avoit une figure et un esprit agréables, une conversation remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui étoit si naturel, que l'abbé Gobelin dit, après une confession générale qu'elle lui avoit faite: Chaque péché de cette dame est une épigramme. Personne en effet, après madame de Cornuel, n'a dit plus de bons mots que madame de Coulanges.» Madame de Sévigné, qui, dans ses Lettres, nous a conservé plusieurs bons mots de madame de Cornuel, que l'on cite encore tous les jours, en a rapporté aussi quelques-uns de madame de Coulanges; mais ils n'ont pas fait la même fortune. Il semble qu'ils avoient quelque chose de plus délié, de plus fugitif, qui tenoit davantage aux circonstances des personnes, des lieux et du temps; aux manières et au ton de celle qui les disoit; en un mot, nous pensons qu'ils perdroient beaucoup à être déplacés; et ce motif nous détermine à n'en transporter aucun dans cette Notice.

Madame de Coulanges, dont la malice s'égayoit souvent aux dépens des femmes que l'on soupçonnoit de quelque tendre foiblesse, fut à son tour l'objet des épigrammes; elle fut accusée d'avoir un peu plus que de l'amitié pour le marquis de la Trousse, cousin-germain de son mari. Le marquis étoit follement amoureux; elle, dure, méprisante et amère, à ce que dit madame de Sévigné, qui avouoit bonnement ne rien concevoir à leur conduite. «Il y auroit, dit-elle ailleurs, à parler un an sur l'état inconcevable et surprenant des cœurs de M. de la Trousse et de madame de Coulanges». Tout le monde n'avoit point là-dessus la même incertitude qu'elle. Madame de la Trousse étoit jalouse avec fureur de madame de Coulanges; et Louvois ayant envoyé M. de la Trousse sur la frontière, demanda publiquement pardon à sa cousine de ce qu'il lui ôtoit, pendant l'hiver, cette douce société. «Au milieu de toute la France, dit madame de Sévigné, elle soutint fort bien cette attaque; elle ne rougit point, et répondit précisément ce qu'il falloit».

Cette intrigue, vraie ou fausse de madame de Coulanges avec M. de la Trousse, n'empêcha, point la scrupuleuse et dévote madame de Maintenon d'avoir toujours le plus vif attachement pour son ancienne amie de l'hôtel de Richelieu. Elle vouloit toujours l'avoir auprès d'elle à Versailles et à St.-Cyr, et alloit elle-même la voir quand elle étoit malade.

Nous ignorons dans quelle année est morte madame de Coulanges.

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LETTRE PREMIÈRE.

Lyon, premier août 1672.

J'ai reçu vos deux lettres, ma belle; et je vous rends mille grâces d'avoir songé à moi dans le lieu où vous êtes. Il fait un chaud mortel; je n'ai d'espérance qu'en sa violence[29]. Je meurs d'envie d'aller à Grignan; ce mois-ci passé, il n'y faudra pas songer; ainsi je vous irai voir assurément, s'il est possible que je puisse arriver en vie; au retour, vous croyez bien que je ne serai pas dans cet embarras. Le marquis de Villeroi passe sa vie à regretter le malheur qui l'a empêché de vous voir. Les violons sont tous les soirs en Bellecour[30]; je m'y trouve peu, par la raison que je quitte peu ma mère; dans l'espérance d'aller à Grignan, je fais mon devoir à merveille; cela m'adoucit l'esprit. Mais quel changement! vous souvient-il de la figure que madame Solus faisoit dans le temps que vous étiez ici? Elle a fait imprudemment ses délices de madame Carle; celle-ci avoit, dit-on, ses desseins; pour moi, je n'en crois rien; cependant c'est le bruit de Lyon; en un mot, c'est de madame Carle que M. le marquis paroît amoureux. Madame Solus se désespère, mais elle aime mieux voir M. le marquis infidèle que de ne le point voir; cela fait croire qu'elle ne prendra jamais le parti de se jeter dans un couvent. Cette histoire vous paroît-elle avoir la grâce de la nouveauté? Continuez à m'écrire, ma très-belle, vos lettres me touchent le cœur: Madame de Rochebonne est toujours dans le dessein de vous aller voir. Je ne savois point que madame de Grignan eût été malade; si c'est une maladie sans suite, sa beauté n'en souffrira pas long-temps. Vous savez l'intérêt que je prends à tout ce qui pourroit, cet hiver, vous empêcher l'une et l'autre de revenir de bonne heure.

Adieu, ma très-chère amie; j'oubliois de vous dire que le marquis de Villeroi se propose d'aller à Grignan avec votre ami le comte de Rochebonne: je vous suis très-obligée de vouloir bien de moi; il y a peu de choses que je souhaite davantage que de me rendre au plus vîte dans votre château; mon impatience, quoique violente, dure toujours: cela me fait craindre pour le chaud; il doit être insupportable, puisque je ne m'y expose pas. La rapidité du Rhône convient à l'envie que j'ai de vous embrasser; ainsi, madame, je ne désespère point du tout de vous aller conter les plaisirs de Bellecour. Vous me promettez de ne me point dire: Allez, allez; vous êtes une laide; cela me suffit. J'ai peur que vous ne traitiez mal notre gouverneur; vos manières m'ont toujours paru différentes de celles de madame Solus. Vous savez bien que l'on dit à Paris que Vardes et lui se sont rencontrés: devinez où?

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LETTRE II.

Lyon, 11 septembre 1672.

Je suis ravie de pouvoir croire que vous m'avez un peu regrettée; ce qui me persuade que je le mérite, c'est le chagrin que j'ai eu de ne vous plus voir; j'ai fait vos complimens au charmant[31]; il les a reçus, comme il le devoit, j'en suis contente; si je prenois autant d'intérêt en lui que M. de Coulanges, je serois plus aise de ce qu'il dit de vous, pour lui que pour vous. Madame d'Assigni a gagné son procès tout d'une voix. Envoyez-moi M. de Corbinelli; son appartement est tout prêt; je l'attends avec une impatience, qui mérite qu'il fasse ce petit voyage; toutes nos beautés attendent, et ne veulent point partir pour la campagne qu'il ne soit arrivé; s'il abuse de ma simplicité, et que tout ceci se tourne en projets, je romps pour toujours avec lui. Adieu, ma vraie amie. C'est à madame la comtesse de Grignan que j'en veux.

A madame de Grignan.

Je n'ai plus de goût pour l'ouvrage, madame; on ne sait travailler qu'à Grignan; le charmant et moi, nous en commençâmes un, il y a deux jours; vous y aviez beaucoup de part; vous me trouveriez une grande ouvrière à l'heure qu'il est. Il me paroît que le charmant vous voudroit bien envoyer des patrons; mais le bruit court que vous ne travaillez point à patrons, et que ceux que vous donnez sont inimitables. Adieu, ma chère madame; je trouve une grande facilité à me défaire de ma sécheresse, quand je songe que c'est à vous que j'écris.

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LETTRE III.

Lyon, 30 octobre 1672.

Je suis très-en peine de vous, ma belle; aurez-vous toujours la fantaisie de faire le bon corps? Falloit-il vous mettre sur ce pied-là après avoir été saignée? Je meurs d'impatience d'avoir de vos nouvelles, et il se passera des temps infinis avant que j'en puisse recevoir. Hélas! voici un adieu, ma délicieuse amie; je m'en vais faire cent lieues pour m'éloigner de vous! quelle extravagance! Depuis que le jour est pris pour m'en aller à Paris, je suis enragée de penser à tout ce que je quitte; je laisse ma famille, une pauvre famille désolée; et cependant je pars le jour même de la Toussaint pour Bagnols: de Bagnols à Rouanne; et puis, vogue la galère. N'êtes-vous pas ravie du présent que le roi a fait à M. de Marsillac[32]? n'êtes-vous pas charmée de la lettre que le roi lui a écrite? Je suis au vingtième livre de l'Arioste; j'en suis ravie. Je vous dirai, sans prétendre abuser de votre crédulité, que, si j'étois reçue dans votre troupe à Grignan, je me passerois bien mieux de Paris, que je ne me passerai de vous à Paris. Mais, adieu, ma vraie amie, je garde le charmant pour la belle comtesse. Ecoutez, madame, le procédé du charmant; il y a un mois que je ne l'ai vu; il est à Neuville[33], outré de tristesse; et quand on prend la liberté de lui en parler, il dit que son exil est long; et voilà les seules paroles qu'il a proférées depuis l'infidélité de son Alcine; il hait mortellement la chasse, et il ne fait que chasser; il ne lit plus, ou du moins il ne sait ce qu'il lit; plus de Solus, plus d'amusement; il a un mépris pour les femmes, qui empêche de croire qu'il méprise celle qui outrage son amour et sa gloire; le bruit court qu'il viendra me dire adieu le jour que je partirai. Je vous manderai le changement qui est arrivé en sa personne. Je suis de votre avis, madame, je ne comprends point qu'un amant ait tort, parce qu'il est absent; mais qu'il ait tort étant présent, je le comprends mieux; il me paroît plus aisé de conserver son idée sans défauts pendant l'absence. Alcine n'est pas de ce goût; le charmant l'aime de bien bonne foi; c'est la seule personne qui m'ait fait croire à l'inclination naturelle; j'ai été surprise de ce que je lui ai entendu dire là-dessus; mais que deviendra-t-elle, comme vous dites, cette inclination? Peut-être arrivera-t-il un jour que le charmant croira s'être mépris, et qu'il contera les appas trompeurs d'Alcine. Le bruit de la reconnoissance que l'on a pour l'amour de mon gros cousin[34] se confirme; je ne crois que médiocrement aux méchantes langues; mais mon cousin, tout gros qu'il est, a été préféré à des tailles plus fines; et puis, après un petit, un grand; pourquoi ne voulez-vous pas qu'un gros trouve sa place? Adieu, madame; que je hais de m'éloigner de vous!

Venez, mon cher confident[35], que je vous dise adieu; je ne puis me consoler de ne vous avoir point vu; j'ai beau songer au chagrin que j'aurois eu de vous quitter, il n'importe; je préférerois ce chagrin à celui de ne vous avoir point fait connoître les sentimens que j'ai pour vous. Je suis ravie du talent qu'a M. de Grignan pour la friponnerie; ce talent est nécessaire pour représenter le vraisemblable. Adieu, mon cher monsieur: quand vous me promettez d'être mon confident, je me repens de n'être pas digne d'accepter une pareille offre; mais venez vous faire refuser à Paris. Adieu, mon amie; adieu, madame la comtesse; adieu, M. de Corbinelli; je sens le plaisir de ne vous point quitter en m'éloignant, mais je sens bien vivement le chagrin d'être assurée de ne trouver aucun de vous où je vais.

Je ne veux point oublier de vous dire que je suis si aise de l'abbaye que le roi a donnée à M. le coadjuteur, qu'il me semble qu'il y a de l'incivilité à ne m'en point faire de compliment.

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LETTRE IV.

Paris, 26 décembre 1672.

Le siége de Charleroi est enfin levé[36]; je ne vous demande aucun détail de ce qui s'y est passé, sachant que mademoiselle de Méri en envoie une relation à madame de Grignan. On ignore jusqu'à présent quelle route le roi prendra; les uns disent qu'il retournera tout droit à Saint-Germain; les autres qu'il ira en Flandre; nous serons bientôt éclaircis de sa marche. Sans vanité, je sais des nouvelles à l'arrivée des courriers; c'est chez M. le Tellier[37] qu'ils descendent, et j'y passe mes journées; il est malade, et il paroît que je l'amuse; cela me suffit pour m'obliger à une grande assiduité. Je ne comprends point par quelle aventure vous n'avez pas reçu la lettre de M. de Coulanges, dans laquelle je vous écrivois; c'est une médiocre perte pour vous; j'ai cependant la confiance de croire que vous regrettez cette lettre, parce que je vous aime, ma très-belle, et que vous m'avez toujours paru reconnoissante. J'ai été à la messe de minuit; j'ai mangé du petit salé au retour; en un mot, j'ai un assez bon corps cette année pour être digne du vôtre. J'ai fait des visites avec madame de la Fayette, et je me trouve si bien d'elle, que je crois qu'elle s'accommode de moi. Nous avons encore ici madame de Richelieu; j'y soupe ce soir avec madame du Fresnoi; il y a grande presse de cette dernière à la cour, il ne se fait rien de considérable dans l'état, où elle n'ait part. Pour madame Scarron, c'est une chose étonnante que sa vie: aucun mortel, sans exception, n'a commerce avec elle; j'ai reçu une de ses lettres; mais je me garde bien de m'en vanter, de peur des questions infinies que cela attire. Le rendez-vous du beau monde est les soirs chez la maréchale d'Estrées; Manicamp et ses deux sœurs sont assurément bonne compagnie; madame de Senneterre s'y trouve quelquefois, mais toujours sous la figure d'Andromaque. On est ennuyé de sa douleur: pour elle, je comprends qu'elle s'en accommode mieux que de son mari; cette raison devroit pourtant lui faire oublier qu'elle est affligée. Je la crois de bonne foi; ainsi je la plains. Les gendarmes Dauphin sont dans l'armée de M. le Prince; il faut espérer qu'on les mettra bientôt en quartier d'hiver, et qu'ils auront un moment pour donner ordre à leurs affaires; je connois des gens qui en sont accablés. Adieu, ma très-aimable; je vais me préparer pour la grande occasion de ce soir: il faut être bien modeste pour se coiffer quand on soupe avec madame du Fresnoi. Permettez-moi de faire mille complimens à madame de Grignan; je voudrois bien que ce fussent des amitiés, mais vous ne voulez pas.

La princesse d'Harcourt a paru à la cour sans rouge par pure dévotion: voilà une nouvelle qui efface toutes les autres; on peut dire aussi que c'est un grand sacrifice; Brancas[38] en est ravi. Il vous adore, mon amie: ne le désapprouvez donc pas, lorsqu'il censure les plaisirs que vous avez sans lui; c'est la jalousie qui l'y oblige; mais vous ne voudriez de la jalousie que de ceux dont vous pourriez être jalouse; il faut plaindre Brancas.

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LETTRE V.

Paris, 24 février 1673.

Si vous étiez en lieu où je vous pusse conter mes chagrins, ma très-belle, je suis persuadée que je n'en aurois plus. Quand je songe que le retour de madame de Grignan dépend de la paix, et le vôtre du sien, en faut-il davantage pour me la faire souhaiter bien vivement? Le comte Tot a passé l'après-dinée ici; nous avons fort parlé de vous; il se souvient de tout ce qu'il vous a entendu dire; jugez si sa mémoire ne le rend pas de très-bonne compagnie. Au reste, ma belle, je ne pars plus de Saint-Germain: j'y trouve une dame d'honneur[39] que j'aime, et qui a de la bonté pour moi; j'y vois peu la reine. Je couche chez madame du Fresnoi dans une chambre charmante; tout cela me fait résoudre à y faire de fréquens voyages. Nos pauvres amis sont repartis, c'est-à-dire, M. de la Trousse[40], sur la nouvelle qu'a eue le roi d'une révolte en Franche-Comté. Comme il n'aimeroit point que les Espagnols envoyassent des troupes qui passeroient sur ses terres, il a nommé Vaubrun et la Trousse pour aller commander en ce pays-là. La Trousse a beaucoup de peine à se réjouir de cette distinction, cependant c'en est une, qui pourroit ne pas déplaire à un homme moins fatigué de voyages; celui-ci joindra la campagne; cela est fort triste pour ses amis. Le guidon[41] nous demeure; mais ce n'étoit point trop de tout. Je menai ce guidon avant-hier à Saint-Germain; nous dînâmes chez madame de Richelieu; il est aimé de tout le monde presqu'autant que de moi. Mithridate[42] est une pièce charmante; on y pleure; on y est dans une continuelle admiration; on la voit trente fois; on la trouve plus belle la trentième que la première. Pulchérie n'a point réussi. Notre ami Brancas a la fièvre et une fluxion sur la poitrine; je l'irai voir demain. Je n'ai point vu votre cardinal[43], j'en ai toujours eu envie; mais il s'est toujours trouvé quelque chose qui m'en a empêchée. La belle Ludre est la meilleure de mes amies; elle me veut toujours mener chez madame Talpon, quand les pougies[44] sont allumées. Le marquis de Villeroi est si amoureux, qu'on lui fait voir ce que l'on veut; jamais aveuglement n'a été pareil au sien; tout le monde le trouve digne de pitié, et il me paroît digne d'envie; il est plus charmé qu'il n'est charmant, il ne compte pour rien sa fortune, mais la belle compte Caderousse pour quelque chose; et puis un autre pour quelque chose encore; un, deux, trois, c'est la pure vérité: fi, je hais les médisances. J'embrasse madame la comtesse de Grignan; je voudrois bien qu'elle fût heureusement accouchée, qu'elle ne fût plus grosse, et qu'elle vînt ici désabuser de tout ce qu'on y admire. Adieu, ma véritable amie; vos petites entrailles[45] se portent bien; elles sont farouches, elles ont les cheveux coupés; elles sont très-bien vêtues. Madame Scarron ne paroît point; j'en suis très-fâchée. Je n'ai rien cette année de tout ce que j'aime; l'abbé Testu et moi, nous sommes contraints de nous aimer. Mademoiselle a songé que vous étiez très-malade; elle s'éveilla en pleurant; elle m'a ordonné de vous le mander.

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LETTRE VI.

Paris, 20 mars 1673.

Je souhaite trop vos reproches pour les mériter; non, ma belle, la période ne n'emporte point; je vous dis que je vous aime par la raison que je le sens véritablement, et même je suis plus vive pour vous que je ne vous le dis encore. Nous avons enfin retrouvé madame Scarron, c'est-à-dire que nous savons où elle est; car pour avoir commerce avec elle, cela n'est pas aisé. Il y a chez une de ses amies[46] un certain homme[47] qui la trouve si aimable et de si bonne compagnie, qu'il souffre impatiemment son absence; elle est cependant plus occupée de ses anciens amis, qu'elle ne l'a jamais été; elle leur donne le peu de temps qu'elle a avec un plaisir qui fait regretter qu'elle n'en ait pas davantage. Je suis assurée que vous trouverez que deux mille écus de pension sont médiocres; j'en conviens, mais cela s'est fait d'une manière qui peut laisser espérer d'autres grâces. Le roi vit l'état des pensions, il trouva deux mille francs pour madame Scarron, il les raya, et mit deux mille écus. Tout le monde croit la paix; mais tout le monde est triste d'une parole que le roi a dite, qui est que paix ou guerre il n'arriveroit à Paris qu'au mois d'octobre. Je viens de recevoir une lettre du jeune guidon[48]; il s'adresse à moi[49] pour demander son congé, et ses raisons sont si bonnes, que je ne doute pas que je ne l'obtienne. J'ai vu une lettre admirable que vous avez écrite à M. de Coulanges; elle est si pleine de bon sens et de raison, que je suis persuadée que ce seroit méchant signe pour quelqu'un qui trouveroit à y répondre. Je promis hier à madame de la Fayette qu'elle la verroit; je la trouvai tête à tête avec un appelé M. le Duc; on regretta le temps que vous étiez à Paris; on vous y souhaita, mais, hélas, qu'ils sont inutiles les souhaits! et cependant on ne sauroit se corriger d'en faire. M. de Grignan ne s'est point du tout rouillé en province, il a un très-bon air à la cour; mais il trouve qu'il lui manque quelque chose. Nous sommes de son avis, nous trouvons qu'il lui manque quelque chose. J'ai mandé à M. de la Trousse ce que vous m'écrivez de lui. Si ma lettre va jusqu'à lui, je ne doute pas qu'il ne vous en remercie; je crois que le secret miraculeux qu'il avoit de faire comme les gens les plus riches, lui manque dans cette occasion: il me paroît accablé sans ressource. Madame du Fresnoi fait une figure si considérable, que vous en seriez surpris; elle a effacé mademoiselle de S.... sans miséricorde. On avoit tant vanté la beauté de cette dernière, qu'elle n'a plus paru belle; elle a les plus beaux traits du monde, elle a le teint admirable, mais elle est décontenancée, et elle ne le veut pas paroître; elle rit toujours, elle a méchante grâce. Madame fera souvent voir de nouvelles beautés; l'ombre d'une galanterie l'oblige à se défaire de ses filles; ainsi je crois que celles qui lui demeureront, se trouveront plus à plaindre que les autres. Mademoiselle de L.... la quitte. Madame de Richelieu m'a priée de vous faire mille complimens de sa part. Adieu, ma très-aimable belle; j'embrasse, avec votre permission et la sienne, madame la comtesse de Grignan; n'est-elle point encore accouchée? M. de Coulanges m'a assurée qu'il vous enverroit Mithridate. On me peint aujourd'hui pour M. de Grignan; je croyois avoir renoncé à la peinture. L'histoire du charmant est pitoyable; je la sais.... Orondate[50] étoit peu amoureux auprès de lui; il n'y a que lui au monde qui sache aimer. C'est le plus joli homme, et son Alcine la plus indigne femme.

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LETTRE VII.

Paris, 10 avril 1673.

Il est minuit, c'est une raison pour ne vous point écrire: j'en suis enragée. J'avois résolu de répondre à votre aimable lettre; mais voici, ma chère amie, ce qui m'en a empêchée. M. de la Rochefoucauld a passé le jour avec moi: je lui ai fait voir madame du Fresnoi; il en est tout éperdu. Je suis ravie que madame de Grignan ne soit qu'accablée de lassitude; la surprise et l'inquiétude que j'ai eues de son mal, me devoient faire attendre à toute la joie que j'ai du retour de sa santé; c'est une barbarie que de souhaiter des enfans. Je ne veux pas oublier ce qui m'est arrivé ce matin; on m'a dit: madame, voilà un laquais de madame de Thianges; j'ai ordonné qu'on le fît entrer. Voici ce qu'il avoit à me dire: Madame, c'est de la part de madame de Thianges, qui vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Sévigné, et celle de la prairie. J'ai dit au laquais que je les porterois à sa maîtresse, et je m'en suis défaite. Vos lettres font tout le bruit qu'elles méritent, comme vous voyez; il est certain qu'elle sont délicieuses, et vous êtes comme vos lettres. Adieu, ma très-aimable; j'embrasse bien doucement cette belle comtesse, de peur de lui faire mal: j'ai bien senti, je vous jure, sa fâcheuse aventure; je souhaite plus que je ne l'espère qu'elle ne soit jamais exposée à de pareils accidens. Le roi dit hier qu'il partiroit le 25 sans aucune remise.

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LETTRE VIII.

Paris, 29 octobre 1694.

On me dit hier que votre mariage étoit refait, c'est-à-dire, qu'on avoit envoyé des conditions à madame de Grignan, qu'elle auroit tort de ne pas accepter; et comme je suppose qu'elle ne peut avoir tort, je conclus que vous vous mariez,[51] et je m'en réjouis avec vous, ma chère amie.

Le roi est à Choisi pour jusqu'à samedi; tout le monde revient en foule; l'armée de Flandre est séparée. Nous n'aurons madame de Louvois et M. de Coulanges que le 8 du mois qui vient; ils ont M. de Souvré et madame de Courtenvaux pour augmentation de bonne compagnie. La maréchale de Villeroi est partie pour passer tout son hiver à Versailles avec sa belle-fille; nous avons cru être fort fâchées de nous séparer. Au reste, madame, j'ai vu la plus belle chose qu'on puisse jamais imaginer; c'est un portrait de madame de Maintenon, fait par Mignard: elle est habillée en Sainte Françoise Romaine. Mignard l'a embellie; mais, c'est sans fadeur, sans incarnat, sans blanc, sans l'air de la jeunesse; et sans toutes ces perfections, il nous fait voir un visage et une physionomie au dessus de tout ce que l'on peut dire; des yeux animés, une grâce parfaite, point d'atours; et avec tout cela aucun portrait ne tient devant celui-là. Mignard en a fait aussi un fort beau du roi; je vous envoie un madrigal que mademoiselle Bernard fit impromptu en voyant ces deux portraits; il a eu beaucoup de succès ici: vous jugerez si nous avons raison. Mademoiselle de Villarceaux est morte de la petite vérole, sans confession, et sans avoir eu le temps de déshériter ses cousines. Madame d'Épinoi, la princesse, est accouchée d'un fils; et depuis ce grand jour, on ne cesse de tirer et de boire à la Place Royale. Adieu, ma chère amie.

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LETTRE IX.

Paris, 19 novembre 1694.

Il y a quinze jours, mon amie, que je ne vous ai écrit; je vous en avertis, de peur que vous ne vous en aperceviez pas. Je n'avois point reçu de vos lettres, et cela me faisoit craindre que vous ne voulussiez plus des miennes. Êtes-vous à la noce? y serez-vous bientôt? Je veux savoir ce qui vous regarde tous, parce que j'y prends un véritable intérêt. Toute la troupe de Tonnerre est revenue dans une parfaite santé. M. de Coulanges a trouvé une grande affliction à son retour; il paroît dans le monde un livre imprimé de ses chansons, et à la tête de ce livre un éloge admirable de sa personne; on dit qu'il est né pour les choses solides et pour les frivoles; on montre les preuves des dernières; il est très-touché de cette aventure, que j'ai encore aggravée par ne la pouvoir prendre sérieusement; à tout cela je réponds: Chansons, Chansons. Il est allé à Versailles, et de là à Saint-Martin; il faut espérer qu'il se consolera d'avoir fait ce livre par en faire un second, avant que sa jeunesse se passe. Vous voulez que je vous dise des nouvelles de ma santé; mon amie, elle n'est en vérité point bonne. Carette me donne tout ce qu'il veut; et j'avale ses remèdes sans confiance et sans succès; mais je crois que ce seroit encore pis de changer tous les jours de médecin; il faut prendre patience, et être bien persuadée qu'on ne meurt que quand il plaît à Dieu. Voilà des vers que l'abbé Têtu m'a priée de vous envoyer; ils sont de sa façon. Le bruit court que le marquis de Moui aura la maison de Pipaut: on dit qu'il fait habiller un de ses laquais en cerf, et qu'il le court toutes les nuits avec un cor; que vous semble de cet équipage de chasse? M. de Harlai n'est point encore de retour de ses négociations; tout le monde désire la paix, et l'espère peu. Voilà encore des vers de mademoiselle Bernard: malgré toute cette poésie, la pauvre fille n'a pas de jupe; mais il n'importe, elle a du rouge et des mouches. Adieu, ma belle amie, ne m'oubliez pas, je vous en conjure.

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LETTRE X.

Paris, 26 novembre 1694.

J'ai envoyé à Versailles la lettre que vous m'avez adressée pour M. de Coulanges; il y est établi depuis son retour: j'ai été bien tentée d'ouvrir cette lettre; mais la discrétion l'a emporté sur l'envie que j'ai toujours de voir ce que vous écrivez; tout devient or entre vos mains. Je suis très-obligée à M. de Grignan de se souvenir encore de moi; sa chute me met tout-à-fait en peine; et je vous prie, ma belle, de me bien mander de ses nouvelles, parce que j'y prends un très-sincère intérêt. Les vers que j'ai envoyés à la cour ont été fort bien reçus; la personne à qui ces vers s'adressoient m'écrit la plus aimable lettre du monde; vous en jugerez par son effet, puisque, sans ma mauvaise santé, qui me rend si difficile à changer de lieu, je serois partie sur-le-champ pour Versailles. J'avale sans fin des gouttes de Carette; et tout ce que je sais, c'est qu'elle ne font point de mal; il y a peu de remèdes dont on en puisse dire autant. Au reste, j'allai voir hier la maréchale d'Humières; elle demeure dans une vilaine maison, au faubourg Saint-Germain, où il n'y a place que dans la cour pour mettre son dais. La duchesse d'Humières, de son côté, occupe une autre maisonnette dans l'Isle. Si la maréchale avoit un peu de courage, en attendant mieux, elle auroit bien donné la préférence à un couvent. M. du Maine vient coucher aujourd'hui à l'Arsenal; il y doit donner à souper à toutes les dames qui l'habitent; la jeune dame de la Troche y brillera; car elle est la beauté de ce lieu. Madame de Boisfranc a la petite vérole; le fils de M. le premier président l'a aussi; enfin, tout en est rempli. Je vous ai mandé l'affliction de M. de Coulanges au sujet de ses chansons, qui ont été même assez mal choisies à l'impression; on a mis son éloge à la tête du livre. Comme il ne pouvoit plus lui arriver que ce malheur, il y a été aussi sensible que ce capitaine qui, après avoir vu mourir son fils, et perdu la bataille de sang froid, pleura seulement la mort de son esclave. Madame de Montespan est de retour ici: elle a donné un lit de quarante mille écus à M. du Maine, et trois autres encore très-magnifiques. Elle donne ses perles à madame la duchesse. Adieu, ma chère amie; dites bien des choses pour moi à toute votre belle et bonne compagnie, et sur-tout ménagez-moi bien les bonnes grâces de la charmante Pauline[52].

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LETTRE XI.

Paris, 10 décembre 1694.

Je viens de passer encore quinze jours sans vous écrire; mais je garde mes excuses pour quand je vous écris; car mes lettres ne peuvent être que tristes et ennuyeuses; je perds tous mes amis et amies. La mort du maréchal de Bellefond[53] m'a donné une véritable douleur; je suis la dernière visite qu'il ait faite; je le vis en parfaite santé, et six jours après il étoit mort: on dit que c'est d'un abcès dans le genou, et que si l'on le lui avoit percé, on lui auroit sauvé la vie; mais vous n'êtes pas la dupe de ces sortes de repentirs: il faut partir quand l'heure est venue; sa famille est dans une désolation digne de pitié; pour moi, je sens très-vivement cette perte: ajoutez à cette mort celle de mademoiselle de Lestranges, qui étoit mon amie depuis vingt-cinq ans, et vous ne serez pas surprise de la noirceur de mes pensées. Ma santé est assez mauvaise. Carette exerce son art très-inutilement sur ma personne: il me donna, il y a quelques jours, une médecine, qui me fit de très-grands maux; mais il dit, comme don Carlos: Tout est pour mon bien. J'ai des journées assez bonnes, et puis des retours de colique plus violens que jamais; je suis résolue à ne plus faire de remèdes, et à vivre avec ce mal tant qu'il plaira à Dieu. Le pis qu'il en puisse arriver, arrive sitôt même avec une bonne santé, que l'événement ne vaut pas qu'on s'en tourmente; il n'y a que les douleurs qui sont redoutables. Vous voyez, mon amie, par le récit de tous mes ennuis, quelle est ma confiance en votre amitié. Je sens cependant le plaisir de vous savoir tous dans la joie. M. l'abbé de Marsillac me dit hier des biens infinis de M. et de madame de Saint-Amant, et de madame la marquise de Grignan leur fille; il les à vus à Vincennes; il dit que ce sont les plus honnêtes gens qu'il est possible, et qu'ils vous ont élevé un chef-d'œuvre; enfin, il passa bien du temps à me chanter leurs louanges, et je vous assure qu'il ne m'ennuya pas; car je prends un très-sincère intérêt à tout ce qui vous touche: je vous demande en grâce de faire bien des complimens de ma part à M. et à madame de Grignan: je suis trop triste et trop malade pour écrire à tout autre que vous; vous vous passeriez peut-être bien de cette préférence. M. de Coulanges est toujours à la cour. M. de Noyon[54] y fait une figure principale; il est le seul présentement qui y soit, et la cour a toujours besoin d'un pareil amusement. Il sera reçu lundi à l'académie (française); le roi lui a dit qu'il s'attendoit à être seul ce jour-là. L'abbé Testu se trouva ici lorsque je reçus votre dernière lettre; il fut fort touché du bon accueil que vous avez fait à ses stances[55]: il vous envoie une dissertation sur Montaigne. Je ne veux pas oublier, mon amie, que l'on m'obligea, il y a quelques jours, en très-bonne compagnie, à dire tout ce que je savois de la charmante Pauline; mon cœur avoit tant de part dans le portrait que j'en fis, qu'en vérité je crois qu'il lui ressembloit; au moins dit-on qu'une telle personne devoit être cherchée au bout du monde, par tout ce qu'il y avoit de meilleur. Je crois que nous aurons M. et madame de Chaulnes à la fin de ce mois.

Le maréchal de Choiseul a exécuté vos ordres; c'est une vérité, je ne le vois plus: il dit qu'on l'a averti qu'il se rendoit ridicule par aller souvent chez des femmes; je lui ai laissé croire qu'on ne le trompoit pas; et enfin, j'en suis quitte pour une visite la semaine. Il a fait des merveilles pour le pauvre maréchal de Bellefond; il n'y a que lui qui parle au roi pour toute cette famille. Adieu, ma très-chère, embrassez toujours la belle Pauline pour l'amour de moi: voyez comme j'abuse de vous, de vous demander des choses si difficiles.

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LETTRE XII.

Madrid, 14 janvier 1695.

Je vous remercie, mon amie, de m'avoir appris la conclusion de votre roman; car tout ce que vous me mandez, est romanesque. L'héroïne est charmante; le héros, nous le connoissons; ce qui me paroît, c'est que vous ne faites point de légers repas, comme faisoient tous ces princes et princesses. Je suis ravie que M. de Grignan se porte bien; cette circonstance n'a pas été inutile pour l'agrément de la fête. J'appris hier votre mariage[56] à madame de Chaulnes, qui est arrivée en très-bonne santé, et qui n'en dit pas moins, Jésus Dieu! ils sont donc mariés! que si elle n'en avoit jamais entendu parler. Elle avoit couché à Versailles; elle y avoit vu madame de Chevreuse et toutes ses amies. On ne peut être plus remplie qu'elle l'est de tout ce qu'on lui a conté de la mort de M. de Luxembourg; si vous étiez ici, mon amie, elle vous diroit bien: Gouvernante, il est mort bien chrétiennement: Monsieur a presque toujours été dans sa chambre. Ce qui est de vrai, c'est que le P. Bourdaloue a dit qu'il n'avoit pas vécu comme M. de Luxembourg, mais qu'il voudroit mourir comme lui. Madame de Maintenon se porte bien; elle a été assez mal; elle sort maintenant tous les jours pour aller à Saint-Cyr. J'eus hier unes des Andromaques de ce temps. La maréchale d'Humières donna ses rendez-vous dans ma chambre à M. de Tréville et à l'abbé Testu; elle nous apprit qu'elle ne voyoit plus la duchesse d'Humières; qui l'eût cru que les intérêts pusseut faire une telle désunion? Le bruit court ici que la princesse d'Orange[57] est morte; mais cette nouvelle auroit besoin d'une plus grande confirmation. La capitation est enfin passée et réglée. J'ai toujours oublié de vous faire les complimens de l'abbé Testu, et à toute la maison de Grignan. Adieu, ma très-aimable; je vous embrasse, je vous aime et vous désire toujours. M. de Coulanges n'habite plus que la cour; on ne dira pas qu'il est mené par l'intérêt; quelque pays qu'il habite, c'est toujours son plaisir qui le gouverne, et il est heureux; en faut-il davantage?

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LETTRE XIII.

Paris, 21 janvier 1695.

Comptez, madame, qu'on ne songe point ici qu'il y ait eu un M. de Luxembourg[58] dans le monde. Vous ne me faites pitié où vous êtes, que par les réflexions que vous vous amusez à faire sur des morts, dont on ne se souvient plus du tout. Les meilleurs amis de M. de Luxembourg s'assemblent encore souvent; le prétexte est de le pleurer, et ils boivent, mangent, rient, se trouvent de bonne compagnie, et de Caron, pas un mot. C'est ainsi qu'est fait le monde, ce monde que nous voulons toujours aimer. On parle à peine encore de la princesse d'Orange[59], qui n'avoit que trente-trois ans, qui étoit belle, qui étoit reine, qui gouvernoit, et qui est morte en trois jours. Mais une grande nouvelle, c'est que le prince d'Orange est malade très-assurément; la maladie de la reine, sa femme, étoit contagieuse; il ne l'a point quittée, et Dieu veuille qu'elle ne l'ait pas quittée pour long-temps. Il se passa hier une belle et magnifique scène à l'hôtel de Chaulnes. Monsieur y passa presque toute la journée avec ses bontés et ses agrémens ordinaires pour la maîtresse de la maison. L'appartement de cette duchesse est dans le point de la perfection; depuis le salon jusques au dernier cabinet, tout est meublé de ces beaux damas galonnés d'or que vous connoissez; on a fait dans la chambre du lit une cheminée d'une beauté et d'une magnificence qui ne peut se dire; et il y avoit de gros feux partout, et des bougies en si grande quantité, qu'elles auroient obscurci le soleil, s'ils s'étoient trouvés ensemble. Madame de Chaulnes est allée ce matin rendre la visite à Monsieur, et ensuite à Versailles pour quelques jours; c'est ce qui l'a empêchée de vous écrire. Il n'y a de plaisir qu'à Grignan, mon amie; mais ce qui est triste, c'est qu'il n'y en a point pour nous à Paris, quand vous êtes à Grignan. Je révère et estime tout ce qui habite ce beau château. M. le marquis de Grignan m'a écrit la plus jolie lettre qu'il est possible; elle a été trouvée telle par les connoisseurs. Rendez-moi de bons offices auprès de madame sa femme; mais, mon amie, rendez-m'en de bons auprès de vous, je vous en supplie. On parle ici tous les jours de l'aimable Pauline, et toutes ses amies s'en souviennent si tendrement, qu'elle est une ingrate si elle ne s'en soucie plus; mais pourvu qu'elle ne m'oublie pas; je lui pardonne tout le reste. La petite duchesse de Sulli, qui est à mon gré la vieille, vient de m'envoyer prier de vous faire à tous mille complimens de sa part. Aimez-moi toujours, je vous en conjure, ma chère amie.

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LETTRE XIV.

Paris, 4 février 1695.

On voit bien que vous avez oublié le climat de Paris, mon amie, puisque vous croyez avoir plus froid que nous; jamais il n'y a eu un hiver comme celui-ci. Le soleil se fait voir depuis deux jours; mais il ne se laisse point sentir; c'est un privilége dont vous jouissez à Grignan, j'en suis assurée. Je comprends à merveille que madame de Grignan se fasse un plaisir de ne point faire de visites; c'est un avantage que j'ai au milieu de Paris; mais aussi n'ai-je point de raison pour m'incommoder; point d'enfans, point de famille; grâces à Dieu, assez de dégoût pour ces fatigantes occupations; bien des années et une assez mauvaise santé; tout cela fait demeurer au coin de son feu avec un plaisir pour moi, que je préfère à d'autres, qui paroissent plus sensibles; mais une retraite que j'admire, c'est celle de mademoiselle de la Trousse; Dieu lui fait de grandes grâces, et son état est maintenant bien digne d'envie. Madame de Chaulnes veut toujours se reposer, et court incessamment. Il y a chez elle des dîners magnifiques; le chevalier de Lorraine, M. de Marsan, M. le cardinal de Bouillon; cela se soutient de cette sorte tous les jours de la semaine. Madame de Pontchartrain est assez malade. La comtesse de Grammont est retournée à la cour en assez bonne santé. L'on ne se souvient plus ici de madame de Meckelbourg, si ce n'est pour parler de son avarice. On dit que M. de Montmorenci va épouser madame de Seignelai; j'ai peine à croire ce mariage-là. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin et de Versailles; mais c'est chez madame de Louvois[60] qu'il est descendu: A tout seigneur, tout honneur. Je comprends fort bien que l'on s'accommode d'un mari qui a plusieurs femmes; j'en souhaiterois encore une ou deux, comme madame de Louvois, à M. de Coulanges. Le maréchal de Villeroi prêta hier le serment[61], et prit le bâton ensuite; il fit attendre beaucoup le roi, parce qu'il s'ajustoit; il avoit un habit de velours bleu d'une magnificence extraordinaire, et sa bonne mine le paroît plus que son habit. Madame la duchesse du Lude m'a fait promettre que je vous ferois mille coinplimens et mille amitiés bien tendres de sa part. Le roi a donné à madame de Soubise l'appartement que le maréchal d'Humières avoit à Versailles; et celui de madame de Soubise aux princesses d'Épinoi; celui de ces princesses à M. de Rasilli; et de la duchesse d'Humières, pas un mot. Adieu, ma chère amie; je vous embrasse et vous aime beaucoup. J'ai peur que la charmante Pauline ne m'oublie à la fin; l'absence laisse tout craindre, même quand on est heureux. Continuez, je vous prie, de faire mes complimens dans le château de Grignan. Je suis fort obligée à M. le chevalier (de Grignan) de l'honneur de son souvenir, et je vous conjure de l'en remercier pour moi; je suis véritablement occupée de ses maux; son ami, le P. de la Tour prêche à St.-Nicolas; et si je suis en état de pouvoir sortir, ce sera mon prédicateur pour ce carême. On vous a sans doute envoyé tous les sonnets qui ont été faits à la louange de la princesse de Conti.

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LETTRE XV.

Paris, 22 février 1695.

J'ai perdu mon petit secrétaire, mon amie, et je ne puis me résoudre à vous faire voir de ma mauvaise écriture. J'essaie un secrétaire nouveau[62]; mandez-moi si vous lisez bien son écriture. La nouvelle qui fait ici le plus de bruit, est le mariage de la belle Pauline. On dit que l'abbé de Simiane est parti pour se trouver aux noces. Quand je dis que je n'en sais rien, personne ne me veut croire. La duchesse du Lude dit qu'elle le sait par le chevalier de Grignan. Pour moi, je pardonne tout le secret que vous m'en faites, pourvu que cela soit vrai. Vous croirez par là que j'aime passionnément M. de Simiane. M. le duc de Chaulnes donne des dîners magnifiques; il en a donné un à madame de Louvois, comme il l'auroit donné à M. de Louvois; un autre au chevalier de Lorraine, et à toute la maison de Monsieur. J'étois du premier; et pour le second, j'y envoyai mon fils, qui s'appelle M. de Coulanges. A mesure qu'il me vient des années, les siennes diminuent, de façon que je me trouve encore bien vieille pour être sa mère. Tous les courtisans sont devenus poètes. L'on ne voit que des bouts-rimés, les uns aussi remplis de louanges, que les autres de médisances. Dieu me garde de vous envoyer ces derniers. Il en court un à la louange du cardinal de Bouillon, qui passe pour une chanson. Qu'en dites-vous, mon amie? Que dites-vous aussi du prince Dauphin? Je laisse à mon secrétaire le soin de vous mander cette histoire; car il se mêle quelquefois d'écrire de son style. On dit que c'est une affaire résolue que le mariage de mademoiselle de Croissi avec le comte de Tillières[63]. Madame de Maintenon est encore languissante; mais elle se porte beaucoup mieux. Madame de Grammont paroît à la cour sous la figure d'une beauté nouvelle; elle est parfaitement guérie. M. l'abbé de Fénélon a paru surpris du présent que roi lui a fait[64]. En le remerciant, il lui a représenté qu'il ne pouvoit regarder, comme une récompense, une grâce qui l'éloignoit de M. le duc de Bourgogne. Le roi lui a dit qu'il ne prétendoit point qu'il fût obligé à une résidence entière; et, en même temps, ce digne archevêque a fait voir au roi que, par le concile de Trente, il n'étoit permis aux prélats que trois mois d'absence de leurs diocèses, encore pour les affaires qui les pouvoient regarder. Le roi lui a représenté l'importance de l'éducation des princes, et a consenti qu'il demeurât neuf mois à Cambrai, et trois à la cour. Il a rendu son unique abbaye. M. de Reims a dit que M. de Fénélon, pensant comme il faisoit, prenoit le bon parti; et que lui, pensant comme il fait, il fait bien aussi de garder les siennes. Adieu, ma chère amie; votre absence m'est toujours insupportable. Ne me laissez point oublier dans ce château de Grignan; c'est votre affaire, je vous en avertis. J'embrasse bien tendrement la charmante Pauline. Les femmes courent après mademoiselle de l'Enclos, comme d'autres gens y couroient autrefois; le moyen de ne point haïr la vieillesse, après un tel exemple! L'abbé et le chevalier de Sanzei partirent hier pour aller faire carême-prenant avec leur mère. Ce dernier fera son possible pour aller faire la révérence à sa marraine[65], en s'en retournant à son vaisseau.

M. de Coulanges continue.

Premièrement, madame, comment vous accommodez-vous de ce petit papier[66]? Ne vous trouble-t-il point quelquefois dans votre lecture? Pour moi, j'aime mieux les bonnes feuilles de papier de nos pères, où les détails se trouvent à l'aise. Il y eut hier huit jours que je revins de Saint-Martin et de Versailles, pour passer le reste des jours gras à Paris. Il n'y a rien de pareil aux bons et somptueux dîners de l'hôtel de Chaulnes, à la beauté du grand appartement, qui augmente tous les jours, et au bon air des feux, qui sont dans toutes les cheminées; il n'y a plus en vérité que cette maison, qui représente la maison d'un seigneur. M. de Marsan et le duc de Villeroi furent du dîner du chevalier de Lorraine. Comme je n'ai point entendu le cardinal de Bouillon sur le sujet du prince Dauphin, je ne puis bien vous dire la vérité de ce fait; mais on prétend que Monsieur, pressé par le cardinal, avoit consenti à démembrer la principauté dauphine d'Auvergne, du duché de Montpensier, pour les prétentions que la maison de Bouillon pouvoit avoir sur la succession de Mademoiselle; en sorte qu'ils étoient par-là les maîtres de toute l'Auvergne, car le cardinal en a le duché, et M. de Bouillon le comté; et que dans la suite le duc d'Albert se seroit appelé le prince Dauphin; comme on est persuadé qu'il n'y a rien de trop chaud pour ce cardinal, qui n'est occupé que de la grandeur de sa maison, que ne dit-on point de cette vision? Ce qui est vrai, c'est que Monsieur, ayant tout promis, fut parler au roi de ce démembrement, et que le roi s'y opposa. On assure que le cardinal, encore affligé de ce refus, a écrit au chevalier de Lorraine pour lui dire qu'il étoit surpris que Monsieur lui eût manqué de parole, et qu'il ne pouvoit plus désormais être du nombre de ses serviteurs. On ajoute que le chevalier de Lorraine a montré sa lettre à Monsieur, qui l'a gardée, et qui a dit que du moins le cardinal devoit lui savoir gré de ce qu'il ne la montroit point au roi. Quoi qu'il en soit, madame, voilà qui est fort désagréable pour notre cardinal; car, comme il n'est pas universellement aimé et approuvé, tous ses ennemis ne perdent pas une si belle occasion de se déchaîner, et tous ses amis sont fâches qu'une bonne fois pour toutes il ne finisse point sur sa maison, et qu'il ne s'accommode point au temps présent. Jugez, après cela, du succès du bout-rimé, dont madame de Coulanges vous a parlé. Il y a des temps infinis que je ne vous ai écrit; mais je sais toujours de vos nouvelles par madame de Coulanges, qui veut bien quelquefois me faire part de vos lettres. J'ai toujours oublié de vous faire, dans les miennes, les complimens de madame de Louvois, et à tout le château de Grignan: elle me gronda très-sérieusement l'autre jour d'y avoir manqué.

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LETTRE XVI.

Paris, 25 mars 1695.

Mes secrétaires me manquent au besoin; mais, quand c'est à vous que j'écris, ma chère amie, mes deux doigts sont toujours disposés à écrire, ils ne vont plus que pour Climène. Que dites-vous de ne plus savoir M. le duc de Chaulnes gouverneur de Bretagne? On ne parle que de ce grand événement; les gens modérés croient que ce duc et cette duchesse se doivent trouver heureux de ce changement[67]; les autres les croient désespérés. Pour moi, je dis tout ce que l'on veut, et suis très-persuadée qu'il ne faut point juger de la manière de penser de nos amis par la nôtre. C'est cependant un tort que le monde a toujours, et qu'il ne peut pas ne point avoir; il a plutôt fait de juger par ses dispositions, que d'examiner celles des autres. M. de Chaulnes fait bonne mine. La duchesse se cache si bien, que je ne l'ai point vue: il est vrai qu'il est assez aisé de m'échapper; car je fais naturellement peu de diligence, et j'en fais moins que jamais, dans l'espérance d'avancer toujours dans cette parfaite indifférence, dont vous ne vous apercevrez jamais, ma très-aimable. Au reste, ma santé n'est pas du tout bonne. Il est plus question que jamais de me faire aller à Bourbon; il arrivera ce qu'il plaira à Dieu. Quand je songe que dix ou douze ans de plus ou de moins font la différence de cette affaire-là, je ne trouve pas que cela vaille la peine de la traiter si solidement. Peut-être penserai-je tout d'une autre façon, quand je me trouverai plus proche de la mort; il faut trancher le mot, ne fût-ce que pour s'y accoutumer. J'attends de vous un compliment qui sera bien sincère, sur l'aventure du feu. Cela a paru une occasion digne de m'attirer le monde entier; mais le monde est bien inutile; je l'ai évité avec assez de soin. Au reste, madame de Villars m'a fait promettre que je vous dirois des choses infinies de sa part, et sur-tout que j'apprendrois qu'elle ne pardonnera point à M. de Villars de n'avoir point parlé d'elle à madame de Grignan. Cela pourroit bien aller à une séparation, si madame votre fille ne s'y oppose. Comme j'achève ma lettre, voilà un secrétaire qui m'arrive. Il vous apprendra que je viens de voir M. de Chaulnes, qui m'a conté tout ce qui s'étoit passé entre le roi et lui; mais, comme en même temps, il m'a dit qu'il vous alloit écrire, je ne m'embarquerai point dans un récit que vous saurez encore mieux par lui-même: il me paroît tout plein de raison. Madame sa femme m'a envoyé prier qu'elle pût aujourd'hui passer la journée avec moi; je la plains, puisqu'elle est fâchée. Pour moi, qui ne connois point le goût de la représentation, ou, pour mieux dire, qui ne connois que celui du repos, quand on n'est plus jeune, je ne me trouverois pas à plaindre à la place de madame de Chaulnes. M. de Mêmes épouse mademoiselle de Broue, à qui on donne trois cent cinquante mille francs en argent, et cinquante mille francs en habits et en pierreries. On dit aussi que M. de Poissi épouse mademoiselle de Beaumelet[68], qui aura un jour soixante mille livres de rente; et de ma pauvre nièce, pas un mot. M. de Coulanges arriva hier de Saint-Martin, et il est allé aujourd'hui je ne sais où. Le maréchal de Choiseul part dimanche. Il a le commandement de la Bretagne joint aux autres. Comme il a le commandement beau, je suis assez aise qu'il commande loin d'ici. Ce n'est pas que je ne sois une ingrate cette année; car je ne l'ai presque pas vu. Adieu, ma vraie amie; ne me laissez pas oublier à Grignan, et sur-tout de l'adorable Pauline.

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LETTRE XVII.

Paris, 13mai 1695.

Je me porte beaucoup mieux; Helvétius ne m'a donné que d'un extrait d'absinthe, qui m'a rétabli, ce me semble, mon estomac; je vous assure, ma très-belle, que je suis bien éloignée d'avoir de l'indifférence pour ma santé, et que je supporte mes maux fort impatiemment: ainsi, je ne veux point me parer auprès de vous d'un mérite que je n'ai point. Je crois que si j'eusse imaginé de passer à Grignan le temps d'entre les deux saisons des eaux, je les aurois crues nécessaires pour ma santé: et je pense que si j'y étois une fois arrivée, j'aurois donné la préférence aux vins de Grignan sur les eaux de Bourbon. Je plains bien M. le chevalier de Grignan, et je suis bien honteuse de me plaindre de mes petits maux, quand j'en vois souffrir de si grands, et avec tant de patience. La pauvre madame de Carman est bien mal; nous verrons la fin de sa vie avant celle de sa patience. Mon Dieu! que je me presse de vous faire des complimens de M. de Tréville; il me gronde tous les jours de l'avoir oublié; il souhaite votre retour très-sincèrement. Il nous dit avant-hier les plus belles choses du monde sur le Quiétisme, c'est-à-dire, en nous l'expliquant; il n'y a jamais eu un esprit si lumineux que le sien. Monsieur Duguet[69], qui n'est pas trop sot, comme vous savez, sur de tels sujets, étoit transporté de l'entendre. Parlons d'autre chose. Les princesses sont ici, et se divertissent si parfaitement bien, qu'on assure qu'elles n'ont nulle impatience du retour de la cour; elles se couchent ordinairement vers onze heures ou midi. Langlée donna hier un souper à M. et à madame de Chartres, madame la Princesse, madame la Duchesse, qui étoit la reine de la fête, madame de Montespan, une infinité d'autres dames, dont madame la maréchale et madame la duchesse de Villeroi étoient; M. le Duc, et tous les princes qui sont ici, s'y trouvèrent; mais une autre fête, ce fut celle que M. le Duc donna, il y a deux jours, dans sa petite maison de madame de la Sablière; tous les princes et princesses y étoient; cette maison est devenue un petit palais de cristal; ne trouvez-vous pas que ce sont les lieux saints aux infidèles[70]? Madame de Montespan a acheté Petit-Bourg quarante mille écus; elle le donne après sa mort à M. d'Antin. M. de Sévigné nous quitte après-demain; il m'assure qu'il vous retrouvera cet hiver à Paris; cela me fera paroître l'été bien long, malgré la belle saison. M. de Chaulnes reviendra le dix-sept de ce mois; et notre duchesse ne reviendra qu'après les fêtes. M. de Coulanges me mande que plus il a de printemps, plus il sent le printemps; voilà un grand prodige; car sans l'offenser, il a plus de printemps que madame de Brégi. Je vous prie, ma très-aimable, de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et d'embrasser pour moi bien tendrement la tranquille Pauline; on dit que vous nous l'amènerez toute mariée; je sens déjà que je ne l'en aimerai pas moins. L'oraison funèbre de M. de Luxembourg[71] sera achevée d'imprimer dans deux jours; l'on dît qu'on a retranché quelques traits du portrait du prince d'Orange[72]. Madame de Grignan[73] va avoir le plaisir de recevoir des lettres tendres de son mari, et de lui en écrire; il est bien joli que tous ses sentimens se développent pour lui. Adieu, ma très-chère.

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LETTRE XVIII.

Paris, 3 juin 1695.

Comment vous portez-vous, ma très-belle? je n'ai point reçu de vos nouvelles depuis la lettre que vous m'avez fait écrire par votre joli secrétaire. J'ai peur que vous n'ayez gâté votre belle santé par une médecine. Je vis hier monsieur de Chaulnes, qui est le parfait courtisan; il a demeuré dix jours à Marli, où il a 'passé ses journées à jouer aux échecs avec le cardinal d'Estrées; et sur ce qu'on lui a dit que cela faisoit ici une nouvelle: il a répondu qu'il en étoit surpris, par la raison qu'il y a long-temps qu'ils cherchoient à se donner échec et mat. Une autre nouvelle est que madame de Louvois a cédé Meudon au roi, qui l'a pris pour Monseigneur, en donnant quatre cent mille francs à madame de Louvois, et la charmante maison de Choisi, qui étoit la chose du monde qu'elle désiroit le plus; ainsi je crains qu'elle ne puisse plus avoir de désirs. Elle est fort mal contente de monsieur de Coulanges, qui, en arrivant de Chaulnes, partit le lendemain pour Pontoise. Quant à moi, je ne me sens plus de goût que pour le repos; on m'a priée d'aller chez le cardinal de Bouillon cette semaine; cela me paroît comme si l'on me proposoit d'aller faire un petit tour à Rome; je trouve qu'il faut de grandes raisons pour quitter son lit; c'est la mauvaise santé, qui fait penser ainsi, il faut bien le croire; la mienne est cependant meilleure qu'elle n'a été. Je ne suis point contente de celle de madame de Chaulnes; elle a un vilain rhume que je ne n'aime point. Je crois le marché du Ménil-Montant absolument rompu, d'autant que, selon toutes les apparences, le premier président ne le veut plus vendre. Adieu, ma très-aimable, ne me laissez point oublier à Grignan, je vous en prie; et dites à la belle Pauline de songer quelquefois à ce que je suis pour elle.

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LETTRE XIX.

Paris, 20 juin 1695.

Vous jouissez présentement des beautés de la campagne, ma très-belle; le printemps paroît dans tout son triomphe. Je m'en vais faire un grand excès; car je compte partir dimanche pour aller à Saint-Martin avec M. et madame de Chaulnes, et y passer trois jours; les plaisirs que j'y espère seront bien troublés par une mauvaise santé; je suis arrivée à un tel excès de délicatesse, que la vue d'un bon dîner me fait malade; ainsi je suis intimidée, et dans cet état les plus petites choses paroissent considérables. Madame de Louvois alla hier remercier le roi; il lui donna une audience particulière chez madame de Maintenon; elle sent plus que jamais la joie d'être défaite de Meudon. Le roi est allé à Trianon, où il demeurera jusqu'au voyage de Fontainebleau. Je crois vous avoir mandé que M. de Montchevreuil marie son fils à la cousine-germaine de la maréchale de Lorges, qui est une petite personne que vous avez souvent vue avec elle; on lui donne trois cent quatre vingt mille livres. C'est vous qui me manderez que M. de Vendôme va commander en Catalogne, et que M. de Noailles en revient malade. M. de Coulanges a toujours plus d'affaires que jamais, et toutes de la même importance; mais elles sont agréables, quand elles le rendent heureux; c'est de cela qu'il est question. J'ai trouvé les couplets du comte de Nicci fort jolis; c'est un aimable enfant; aussi rien ne laisse des idées plus agréables que de ne le point voir; ce petit comte-là parviendra à l'immortalité. J'ai remarqué, comme vous, mon amie, le temps de la mort de notre pauvre madame de la Fayette. Madame de Caylus se divertit à merveille chez elle; la cour ne lui paroît pas un séjour de plaisir; elle ne quitte plus madame de Leuville, qui donne tous les jours les plus jolis soupers qu'il est possible. Je ne crois pas le marché de Ménil-Montant rompu sans ressource; et, n'en déplaise à madame de Chaulnes, c'est la plus jolie acquisition que puisse faire M. de Chaulnes. La maréchale d'Humières se retire aux Carmélites; elle a loué la maison de feue mademoiselle de Porte; elle gouverne entièrement le faubourg Saint-Jacques; et, ce qui est le plus étonnant, c'est que le P. de la Tour la gouverne. Vous savez que M. de Lauzun a l'appartement de Versailles du maréchal d'Humières: il fait faire pour sa femme un collier de diamans de deux cent mille francs. Adieu, ma chère amie; je souhaite bien plus votre retour que je ne l'espère. Je vous prie de dire des choses infinies de ma part à madame de Grignan. Priez la belle Pauline de ne me point jeter dans la nécessité d'aimer une ingrate. Madame de Mêmes paroît dans un carrosse de mille louis. Lisez un peu, dans le Mercure Galant, la généalogie de F***, et vous verrez qu'il n'y a que cette maison-là de noble et d'illustre dans le monde, et que le feu grand-maître[74] s'est trompé, quand il a cru ne pas tirer de là tout son éclat.

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LETTRE XX.

Paris, 24 juin 1695.

Madame de Louvois n'avoit point attendu l'approbation du monde pour désirer Choisi; ça été la seule maison qu'elle ait souhaitée. Le roi et elle ont fait un très-bon marché; ils en paroissent fort contens aussi. Cela se passe, de part et d'autre, avec des honnêtetés que l'on voit quelquefois entre les particuliers, mais que l'on éprouve rarement avec son maître. Le roi est à Marli pour neuf jours; la duchesse du Lude est de ce grand voyage; et, pour comble de bonheur, elle mène et ramène demain madame de Maintenon de Pontoise, où cette dernière va voir une fille de Saint-Cyr. Le roi donna une fête, lundi dernier, à Trianon, au roi et à la reine d'Angleterre. Il y eut un opéra où le roi alla; madame de Maintenon n'y parut point du tout. Il est grand bruit de la faveur de M. de la Rochefoucauld. On prétend qu'il s'est rendu maître de l'esprit de Monseigneur, et qu'il se sert de son crédit, tout comme le roi le peut désirer. Sa majesté mena, il y a quelques jours, madame de Maintenon suivie de ses dames, souper dans une maison de campagne de ce nouveau favori, qui se nomme la Selle, et je vous le dis ainsi, pour ne vous point dire qu'il les mena à la selle. Il doit, aller (le roi) un de ces jours à l'Étang, chez M. de Barbesieux, afin d'avoir l'air de partager ses faveurs. Une autre grande nouvelle: les princesses ont mené dîner et souper, à Trianon, avec le roi, la comtesse de la Chaise, les marquises de la Chaise et de la Luzerne. Je crois que cette distinction les a fort touchées; car jusqu'alors elles n'en avoient eu qu'au salut. M. de Coulanges arriva avant-hier de Saint-Martin. Il fut tout de suite à Choisi, le lendemain à Versailles, et part enfin aujourd'hui pour Evreux, avec M. de Bouillon. Je lui propose de ne plus tant perdre de temps en chemin, et de se mettre tout d'un coup dans une escarpolette, qui le jetera tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, afin de ne pas mettre au moins les pieds à terre. J'attends aujourd'hui une compagnie qui ne vous déplairoit pas, ma très-belle; c'est M. de Tréville, qui vient lire à deux ou trois personnes un ouvrage qu'il a composé. C'est un précis des Pères, qu'on dit être la plus belle chose qui ait jamais été. Cet ouvrage ne verra jamais le jour, et ne sera lu que cette fois seulement de tout ce qui sera chez moi; je suis la seule indigne de l'entendre, c'est un secret que je vous confie au moins:

......N'abusez pas, prince, de mon secret;
Au milieu de ma lettre, il m'échappe à regret.

mais enfin, il m'échappe. M. de Bagnols est parti pour l'armée; et ma sœur sera, je crois, bientôt de retour. Cependant elle ne me parle point encore du jour de son départ. Avez-vous bien chaud à Grignan, ma très-belle? Je me souviens d'y avoir été par un temps pareil à celui-ci. L'affaire du Ménil-Montant paroît tout-à-fait rompue; cependant j'ai dans la tête qu'elle se raccommodera. Adieu, ma chère amie.

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LETTRE XXI.

Paris, 8 juillet 1695.

Je puis répondre pour M. de Tréville qu'il auroit été ravi que vous eussiez augmenté la bonne compagnie qui l'entendit; et je suis assurée, ma chère amie, que vous auriez été contente de votre journée; mais vous nous regardez du haut en bas de votre château de Grignan, et je m'amuse à vous désirer toujours sans m'en pouvoir empêcher. On est fort alerte ici sur le grand événement du siège de Namur; car c'est tout de bon, et apparemment ce siège sera meurtrier; vous savez que le maréchal de Boufflers s'est jeté dedans avec six régimens de dragons à pied, et celui du roi à cheval; ainsi le pauvre Sanzei est dans Namur tout comme un grand homme. M. le maréchal de Boufflers a la fièvre double-tierce; mais il aura bien d'autres affaires qu'à l'écouter. Le maréchal de Lorges est hors de danger. Tout retentit ici des louanges du maréchal de Villeroi; il n'y a guère de jours que le roi n'en parle avec éloge, et tous les guerriers qui composent son armée, n'écrivent ici que pour chanter ses louanges. Je crois qu'à la fin M. le duc de Chaulnes va acheter Putaut, qui est une maison près du pont de Neuilli, située sur le bord de la rivière; il y a de quoi faire des merveilles, et il les fera; car il a une extrême envie d'une maison de campagne. Le roi va à Marli pour quinze jours. Si la duchesse du Lude est de ce voyage, ce sera pour la troisième fois de suite; ces distinctions charment quand on est en ces pays-là: heureux qui peut voir cela du point de vue où il faut l'envisager! Je n'ai point vu la lettre du P. Quesnel; on dit qu'il la désavoue, et il ne sauroit mieux faire. Vous savez, ma très-belle, que M. de la Trappe[75] a remis son abbaye entre les mains de don Zozime, supérieur de sa maison, avec la permission du roi, et qu'il se va trouver simple religieux; cette fin est bien digne de lui, et couronne parfaitement une si belle vie. Pour l'oraison funèbre du P. de la Rue, on n'en parle non plus présentement, que de celle que l'on fit pour la reine mère. On ne sait pas qu'il y ait eu un M. de Luxembourg dans le monde. Est bien fou qui compte sur la gloire qui suit la mort; ce n'est en vérité pas de cela qu'il faut être occupé dans cette vie; mais les hommes auront toujours leurs erreurs et les chériront. M. de Coulanges arriva avant-hier au soir ici, plus charmé de M. de Bouillon, de mademoiselle de Bouillon et de Navarre, que de tous ses anciens amis; il partit hier pour Choisi, où il sera jusqu'à ce que notre voyage de Saint-Martin s'accomplisse; je ne me sens pour ces sortes de parties que la force du projet; l'exécution est fort au-dessus de moi. Ma sœur monte dimanche sur l'hippogriffe, et arrive lundi à Paris. M. de Bagnols[76] ne perd pas de vue le maréchal de Villeroi; cela me fait craindre pour sa vie. M. de Reims a acheté la maison d'Erval deux cent vingt-une mille livres. Adieu, ma très-aimable; n'oubliez pas de m'aimer, je vous en conjure, et ne me laissez point oublier dans le lieu que vous habitez; mandez-moi si la charmante Pauline aura été bien contente du portrait mystérieux que vous lui avez donné. Madame de Caylus me vint voir hier plus jolie qu'un ange; elle me demanda en grâce de venir voir l'arrangement de sa maison; j'aurois plus de peine à rendre cette visite, que je n'en montrerai; ce que je sens là-dessus ne peut être confié qu'à vous, ma chère amie.

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LETTRE XXII.

Paris, 29 juillet 1695.

Il n'est plus question, ma chère amie, ni de M. Arnauld ni du P. Quesnel; toutes les pensées sont détournées du côté de Namur. Ces derniers tués ont jeté une consternation qui ne laisse plus de joie ici. Madame de Morstein est inconsolable. La bonne chancelière[77] pleure amèrement son petit-fils de Vieuxbourg; et madame de Maulevrier renvoie bien loin tous les gens qui lui veulent parler de consolation, jusqu'au P. Bourdaloue. On ne sait point de nouvelles du comte d'Albert, sinon qu'on le croit trépané; et, depuis cela, pas un mot. M. et madame de Chaulnes en sont dans une extrême inquiétude. Vous savez que M. le prince de Conti a la petite vérole; elle est sortie avec abondance, et commence à suppurer sans aucun accident; ainsi on espère qu'il s'en tirera heureusement. On fait des détachemens de tous côtés pour envoyer au secours de Namur. Sanzei est dans la place, et il n'y a que sa mère qui soit plus à plaindre que lui. Madame la duchesse du Lude, qui est de retour de Versailles m'a conté qu'elle avoit mené ma petite nièce de la Chaise dîner à Trianon avec le roi. S. M. et Monsieur ne parlèrent que de l'agrément de cette petite personne, et de son peu d'embarras. Pour moi, je crois qu'elle confesseroit[78] fort bien le roi. M. le premier président[79] a eu une manière d'apoplexie; on l'a saigné quatre fois; sa bouche est demeurée un peu tournée. Il doit partir incessamment pour Bourbon. Voilà une épigramme que l'on a faite sur son mal.

Ne le saignez pas tant; l'émétique est meilleur.
Purgez, purgez, purgez; le mal est dans l'humeur.

Je crois que je ferois bien de prendre le même chemin que ce magistrat; car mon estomac ne se rétablit point du tout. Au reste, ma très-belle, j'ai consulté si l'on pouvoit prendre du café deux heures après la germandrée. On en peut prendre en toute sûreté, et même ils s'accordent fort bien ensemble. Adieu, ma très-aimable; je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui; je vous supplie seulement de faire mes complimens à tutti quanti, et sur-tout de vous, faire la violence d'embrasser pour moi bien tendrement la charmante Pauline. Ma sœur[80] vous rend mille grâces de l'honneur de votre souvenir; elle en a été fort touchée; elle est à Versailles pour quelques jours.

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LETTRE XXIII.

Paris, 13 août 1695.

La mort de M. de Paris[81], ma très-belle, vous aura infailliblement surprise; il n'y en eut jamais de si prompte. Madame de Lesdiguières a été présente à ce spectacle; on assure qu'elle est médiocrement affligée. L'on ne parle point encore du successeur; mais bien des gens croient que ce sera M. de Cambrai[82], et ce sera certainement un bon choix; d'autres disent M. le cardinal de Janson. Nous saurons lundi ce grand événement; la chose mérite bien qu'on y pense. Il s'agit maintenant de trouver quelqu'un qui se charge de l'oraison funèbre du mort. On prétend qu'il n'y a que deux petites bagatelles qui rendent la chose difficile; c'est la vie et la mort. On vous aura sans doute envoyé les articles de la capitulation de Namur; vous aurez vu qu'on fait la guerre fort poliment, et qu'on se tue avec beaucoup d'honnêteté. Nous bombardons Bruxelles[83] à l'heure qu'il est; les chansons, les madrigaux, les bons mots pleuvent sur le maréchal de Villeroi, qui peut-être n'a aucun tort: c'est le malheur des places; heureux qui n'en a point; mais peu de gens sentent ce bonheur-là. La comtesse de Grammont est de retour; je la vis hier si fatiguée des eaux de Bourbon, qu'elle me confirma plus que jamais dans ma paresse; elle est revenue dans une litière, et elle dit qu'elle aimeroit mieux être revenue à pied. Le roi doit aller samedi à Meudon pour deux jours; les distinctions vont rouler présentement sur Meudon, et point sur Marli. Tout y a été cette semaine, jusqu'à M. de Busenval et M. de Saint-Germain. Comme je me sens incapable de prendre la résolution d'aller à Bourbon, je m'en vais essayer à Paris des eaux de Forges. Cela s'appelle aller du chaud au froid. Depuis que madame de Fontevrault[84] est ici; Saint-Joseph, où elle est presque toujours, est le rendez-vous du beau monde, mais non pas de la galanterie[85]. Adieu, ma très-aimable. Tous les marchés de M. de Chaulnes sont rompus. Madame de Chaulnes se console de tout avec madame de Saint-Germain; elle ne se peut passer d'elle, et cela apprend à se passer de madame de Chaulnes.

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LETTRE XXIV.

Paris, 2 septembre 1695.

Hélas! mon amie, il n'est non plus question de M. l'archevêque, que s'il n'avoit jamais été; on a dit bien du mal de lui après sa mort; on a parlé du successeur[86]; depuis qu'il est nommé, on ne parle plus ni de l'un ni de l'autre; ceci est un tourbillon qui ne permet pas les réflexions. Tout le monde étoit fou hier à Paris; on ne voyoit que des femmes désespérées; les unes couroient les rues, les autres se faisoient enfermer dans les églises; on entendoit: «je n'ai plus de mari, je n'ai plus de fils»; d'autres ne disoient pas ce qu'elles n'avoient plus, mais elles ne s'en désespéroient pas moins. La comtesse de Fiesque disoit que la bataille étoit donnée, et par conséquent gagnée; elle ajoutoit que le prince d'Orange étoit prisonnier; je me trouvai le soir chez madame de Carman, où étoit madame de Sulli, la duchesse du Lude, madame de Chaulnes, et une douzaine d'autres femmes, dont étoit la comtesse de Fiesque. Quand elles eurent bien discouru, j'entrepris de leur remettre l'esprit (chose bien difficile) par un petit raisonnement, qui concluoit qu'il n'y auroit point de bataille; elles se moquoient toutes de moi; aujourd'hui que l'événement justifie mes raisons, elles croient que d'ici je conduis l'armée: on ne parle que de ma pénétration; et sur cela je conclus qu'on ne sait presque jamais pourquoi on loue ni pourquoi on blâme. J'étois hier folle, et aujourd'hui je suis la plus habile personne du monde; et la vérité est que je ne suis ni folle ni habile; mais que par un courrier qui étoit arrivé, on avoit appris qu'il étoit impossible de donner une bataille sans hasarder toute l'armée. M. de Conti l'a mandé au roi, aussi bien que monsieur le duc du Maine, et tout ce qu'il y a de principal dans l'armée.

M. de Coulanges est toujours à Navarre, il me prie par toutes ses lettres de vous dire des choses infinies de sa part. Le roi doit partir le 24 de ce mois pour aller à Fontainebleau. M. et madame de Chaulnes partent incessamment pour Chaulnes, et le bruit court que je vais avec eux. Je prends des eaux de Forges, dont je me trouve assez bien. Je suis ravie que la santé de madame de Grignan soit bonne; je m'en réjouis avec vous et avec elle. Faites-vous la violence d'embrasser la charmante Pauline pour l'amour de moi; je vous en conjure, ma très-aimable.

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LETTRE XXV.

Paris, 9 septembre 1695.

Que d'événemens, madame! que de discours! que de chansons! que d'épigrammes! que de dignités! Le maréchal de Boufflers est duc; vous le savez déjà. Le même courrier, qui a apporté la réduction de Namur, lui a été renvoyé pour lui apprendre que le roi le faisoit duc, et lui dire en même temps qu'il pouvoit prendre le chemin de la cour. Quand il s'est trouvé pressé par sa reconnoissance de venir remercier le roi, le prince d'Orange lui a dit qu'il le faisoit son prisonnier. On prétend qu'il a pris cette conduite sur celle que nous avons eue à Dixmude. Il a bien voulu cependant le laisser revenir à la cour sur sa parole; mais le maréchal a cru devoir attendre les ordres du roi. La maréchale de Boufflers est transportée de joie de sa nouvelle dignité, et ne sait point encore ce malheur, qui, selon les apparences, ne sera pas long. Revenons aux épigrammes. Le maréchal de Villeroi en est chamarré; il a pourtant la consolation de savoir que le roi est persuadé qu'il n'a aucun tort; et je sais bien ce que je dis. Mais le monde veut juger de ce qu'il ignore; et, comme on juge par l'opinion des autres, on est assez fou pour se croire malheureux, malgré sa bonne conduite. Le roi va aujourd'hui à Marli pour dix jours. M. et madame de Chaulnes partiront dans peu pour Chaulnes, et moi-avec eux. Que dites-vous de cette résolution? Ne me trouvez-vous pas grande femme tout-à-fait? M. de Coulanges est toujours à Evreux; madame de Louvois le boude; mademoiselle de Bouillon l'aime de passion, et le retient malgré lui. Moi, je lui écris régulièrement, et lui mande toutes les nouvelles. A qui donneriez-vous la préférence? Les passions sont horribles; je ne les ai jamais tant haïes que depuis qu'elles ne sont plus à mon usage: cela est heureux. Notre dragon[87] est sorti tout couvert de gloire, et tout nourri de cheval. Il a écrit une très-plaisante lettre à sa sœur. Dans toutes les relations, il a été nommé au roi avec distinction; et, pour dire plus, c'est de madame de Montchevreuil que je le sais. Vous jugez bien, ma très-aimable, de la joie de madame de Sanzei, qui sait a cette heure que son fils se porte bien. Songez que, de douze mille hommes qu'ils étoient dans Namur, il n'en est resté que trois mille trois cents. J'oubliois de vous dire que c'est M. de Guiscard qui étoit venu apprendre à la cour que le maréchal de Boufflers est prisonnier. Madame de Sulli a la même maladie que madame de Grignan. Elle prend des eaux de Forges, dont elle se trouve à merveille. Mais Forges est un peu trop loin de Grignan: il faudroit s'en approcher, mon amie. Je pardonne à madame de Sulli cette maladie; mais madame de Grignan est trop avancée pour son âge. On prétend que, de toutes les façons d'être malade, c'est la moins fâcheuse. Je vous demande toujours des nouvelles de madame de Grignan, dont je suis très-sincèrement en peine. Ne me laissez point oublier dans le château que vous habitez, et baisez, pour l'amour de moi, la charmante Pauline. Vous m'avouerez que j'exige des choses bien difficiles de votre amitié.

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LETTRE XXVI.

Paris, 16 septembre 1695.

Ce n'est que pour marquer la cadence que je vous écris aujourd'hui, madame; car je n'ai point reçu de vos lettres, cette semaine, et je suis toute honteuse de n'avoir pas de grands événemens à vous mander; depuis quelque temps, ils ne nous ont pas manqué; de vous dire que le roi est à Marli depuis huit jours, voilà une belle affaire; la duchesse du Lude y est; le roi en revient demain, et doit partir jeudi 22 de ce mois pour aller à Fontainebleau. Une assez grande nouvelle; c'est que je crois que j'irai dimanche à Versailles pour deux ou trois jours: Il sera question incessamment du voyage de Chaulnes; j'espère encore que j'en serai; mais j'ai une santé qui me dérange si aisément, que je n'ose plus faire de projets. M. de Coulanges doit revenir aujourd'hui d'Evreux pour rompre avec madame de Louvois, et aller à Chaulnes. Encore faut-il bien vous apprendre, mon amie, que c'est le P. Gaillard, qui ne doit point faire l'oraison funèbre de feu M. l'archevêque (de Paris). Voici ce que je veux dire. M. le président et le P. de la Chaise se sont adressés au P. Gaillard pour ce grand ouvrage; le P. Gaillard a répondu qu'il y trouvoit de grandes difficultés; il a imaginé de faire un sermon sur la mort au milieu de la cérémonie, de tourner tout en morale, d'éviter les louanges et la satire, qui sont des écueils bien dangereux. Tout le prélude des oraisons funèbres n'y sera point. Il se jetera sur les auditeurs pour les exhorter; il parlera de la surprise de la mort, peu du mort; et puis, Dieu vous conduise à la vie éternelle. Adieu, ma belle amie; ne me laissez jamais oublier à Grignan, je vous en conjure; et sur-tout de la charmante Pauline. Je crois que M. de Chaulnes va acheter Villeflit de M. de Fiaubet, dont madame de Chaulnes paroît peu contente. Le confesseur extraordinaire de madame de Grignan me doit demain lire l'oraison funèbre qu'il a faite de ce saint homme.

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LETTRE XXVII.

Paris, 30 septembre 1695.

Je m'en vais vous parler bien habilement du mal de madame de Grignan, c'est-à-dire du mal d'estomac, qui n'est autre chose, mon amie, que le mien. J'ai éprouvé, par mon impatience, toute sorte de remèdes; trop heureuse si ces expériences lui peuvent être utiles. Carette m'a donné, pendant neuf mois, de ses gouttes, qui ne m'ont point fait un mal sensible, mais qui m'avoient grésillée à un tel point sans me raccommoder l'estomac, que je vous avouerai confidemment qu'elles m'ont fait une seconde maladie. Venons à Helvétius: il m'a donné une préparation d'absinthe, qui m'a tout-à-fait rétabli l'estomac. Comme cela fait quelqu'impression de chaleur, très-légère pourtant, il m'a fait prendre des eaux de Forges, dont je me trouve à merveille. Je commence à engraisser; je mange du fruit, je dîne et je soupe; en un mot, mon amie, je ne suis plus la même personne que j'étois il y a deux mois. Vous voyez bien pourquoi je vous conte tous ces détails. Ramenez-nous donc madame de Grignan à Paris; je vous promets qu'en trois semaines, Helvétius et moi lui rétablirons l'estomac. C'est la cause de presque tous les maux. Je me suis même raccommodée avec le café; et, comme je ne sais point user d'une chose que je n'en abuse, j'en prends dans l'excès. Ma petite absinthe est le remède à tous maux. Vous me demanderez, mon amie, pourquoi me portant aussi-bien que je vous le dis là, je ne suis point allée à Chaulnes? Et je vous répondrai que je me trouve comme les personnes qui deviennent avares par être riches. Depuis que j'ai un peu de santé, je la ménage beaucoup. Le vilain temps m'avoit alarmée; si j'avois prévu qu'il pût faire aussi beau qu'il fait présentement, je crois que je me serois embarquée pour ce grand voyage; mais je me garde pour Dampierre, et je fais très-facilement de ma maison une maison de campagne. Je me promène les matins sur mon rempart, et je passe les après-dînées assez solitairement. La cour d'Angleterre est à Fontainebleau. Ils ont des comédies, des fêtes, et s'ennuient, à ce qu'ils disent; et tant pis pour eux. Madame la marquise de Grignan ne veut voir personne; c'est ce qui m'a empêchée de me présenter à sa porte aussi souvent que j'aurois fait. M. de Chaulnes, qui sait forcer les portes, dit qu'elle est très-aimable. M. de Coulanges est allé à Chaulnes; ils reviendront tous dans un mois, et c'est tout-à-l'heure. L'abbé et moi ne laisserons point ignorer à madame de Sanzei tout ce que vous dites pour elle. Je vous demande mille complimens pour madame de Grignan, ma très-aimable: je vous demande aussi d'embrasser la belle Pauline pour l'amour de moi, tout comme si vous n'aviez point de sujet de vous plaindre d'elle.

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LETTRE XXVIII.

Paris, 28 octobre 1695.

Vous avez eu la colique, ma chère amie; et quoique je sache que vous vous en portez bien présentement, je ne saurois être rassurée que je ne le sois par vous-même. Je vous demande aussi des nouvelles de madame de Grignan; si vous saviez combien l'air subtil est contraire à ses maux, vous l'obligeriez de se mettre dans une litière bien faite et bien commode, et vous gagneriez Paris; l'air de Lyon lui feroit connoître qu'il n'y a point de meilleur remède pour elle que de changer de climat; c'est l'avis de mon oracle (Helvétius). La maréchale de Boufflers a été fort malade d'une pareille maladie, elle se-porte très-bien aujourd'hui. Le roi est de retour dans une parfaite santé. Je vis hier la duchesse du Lude, qui est venue à Paris pour se faire saigner et purger, sans autre raison, je crois, que d'avoir trop de santé. Il s'est fait de grands changemens à Chaulnes. M. de Chaulnes aime son château comme sa vie, et ne le peut quitter. Madame de Chaulnes passe les jours, et peut-être une bonne partie des nuits à jouer. M. de Coulanges est devenu délicat et précieux; les visites de province l'ennuient. Je vois souvent notre petite accouchée (la duchesse de Villeroi)[88]; elle a un fils un peu plus grand que son père, et un peu moins grand que le maréchal (de Villeroi); il n'y a point de jour qu'elle ne me demande des nouvelles de mademoiselle de Grignan, et qu'elle ne lui souhaite tous les biens et les maux qu'elle a. L'on dit que le maréchal de Lorges se porte mieux, et on n'appelle plus sa maladie une apoplexie; la maréchale, qui l'est allé trouver, va avec lui aux eaux de Plombières. Tout le monde croit le mariage de M. de Lesdiguières fait avec mademoiselle de Clérembault[89]; le charme que madame de Lesdiguières trouve dans ce mariage, c'est qu'elle n'aura point son fils avec elle. Le monde dit aussi celui de mademoiselle d'Aubigné avec le fils[90] de M. de Noailles; et je crois qu'en cette occasion le monde dit vrai. Au reste, ma très-belle, j'ai à vous apprendre que l'abbé Testu est charmé de madame de Carman, et qu'il se plaint hautement de toutes ses amies de ne lui avoir pas fait connoître ce mérite-là plutôt. On parle fort ici de la solitude de madame la marquise de Grignan; on dit que sa vie n'est pas soutenable, parce qu'il ne faut voir personne, ou voir bonne compagnie. Vous voyez combien votre retour et celui de sa belle-mère[91] sont nécessaires; mes conseils sur cela vous paroîtront bien intéressés; je souhaite que cette raison ne vous empêche pas de les suivre, et que vous me croyez aussi tendrement à vous que j'y suis. Je vous demande en grâce de dire bien des choses de ma part à madame de Grignan, et de ne pas oublier la belle et charmante Pauline.

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LETTRE XXIX.

Paris, 7 novembre 1695.

Après avoir réfléchi avec toute l'application possible sur tout ce que vous me mandiez, ma chère amie, Helvétius a encore voulu emporter votre lettre afin d'y penser à loisir; il ne me rapporta qu'hier ce que je vous envoie; il est persuadé que l'air subtil est fort contraire à madame de Grignan, et que s'il étoit possible qu'elle se mît dans une litière bien commode, et quelle fit de petites journées, elle ne seroit pas plutôt arrivée à Lyon qu'elle se trouveroit fort soulagée; c'est un remède que nous approuvons fort ici. Notre oracle Helvétius a sauvé la vie à la pauvre Tourte; il a un remède sûr pour arrêter le sang, de quelque côté qu'il vienne; c'est un très joli homme et très-sage. Sa physionomie ne promet pas tant de sagesse; car il ressemble à Dupré comme deux gouttes d'eau. Je vous demande des nouvelles de madame de Grignan, ma très-aimable, pour me récompenser de toutes mes consultations. M. le marquis de Grignan m'est venu voir; il est assurément moins gras qu'il n'étoit; je lui en ai fait des complimens très-sincères: madame sa femme me fit l'honneur de venir ici hier; je la trouvai si considérablement embellie, qu'elle me parut une autre personne que celle que j'avois vue; c'est qu'elle est engraissée, et qu'elle a bien meilleur visage, de beaux yeux si brillans, que j'en fus éblouie; elle vint ici sur les deux heures avec madame sa mère et mademoiselle sa sœur. Malheureusement pour moi, madame de Nevers s'étoit levée aussi matin qu'elles; elle arriva un moment après ces dames, qui s'en allèrent quand elle entra; et madame de Nevers qui me parla très-sincèrement, trouva madame la marquise de Grignan toute des plus jolies. M. et madame de Chaulnes et M. de Coulanges arrivent mercredi pour dîner à Paris; je me dois trouver à l'hôtel de Chaulnes pour les y recevoir. Le roi est à Marli pour jusqu'à lundi; la comtesse de Grammont y est aussi; mais quoiqu'elle ait rattrapé à la cour les grâces de la nouveauté, la pauvre femme ne s'en porte pas mieux. Tous ses maux sont revenus; elle les soutient avec un courage et une gaieté qui m'étonnent, ayant perdu, je crois, jusqu'à l'espérance de guérir. La duchesse de Villeroi reçoit ses visites dans son lit, jolie tout ce qu'on peut l'être; je fis, il y a deux jours, les honneurs de sa chambre avec la maréchale de Villeroi; j'ai découvert à cette petite duchesse un mérite qui lui fait bien de l'honneur dans mon esprit, c'est qu'elle a un goût si naturel pour mademoiselle de Grignan[92], qu'elle en est sincèrement occupée; elle m'en demande continuellement des nouvelles. Elle lui souhaite tout le bonheur qu'elle mérite; mais elle ne veut consentir à aucun mariage, qu'elle ne soit assurée de la revoir ici. Enfin, elle a des sentimens, elle a des pensées; c'est un des miracles de Pauline. Je sais de ses nouvelles; on dit que vous vous allez encore marier[93]; j'en suis ravie, mon amie; revenez donc toutes; la vie est trop courte pour de si longues absences. Par rapport à la vie, les plus longues ne devroient être que de deux heures. Je vous envoie une lettre de M. de Vannes, qu'il y a en vérité trois mois qui est dans mon écritoire. Je lui en demande pardon; car pour vous, je suis assurée que vous l'aimez autant à l'heure qu'il est, que quand elle a été écrite. Adieu, ma très-aimable; mandez-moi vîtement que vous allez revenir, et que vous ne pouvez plus souffrir la solitude de cette jeune marquise, qui, comme moi, soupire après votre retour.

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LETTRE XXX.

Paris, 18 septembre 1695.

Monsieur de Lamoignon me montra hier une lettre de M. le chevalier de Grignan, qui m'apprit que madame votre fille se portoit bien mieux; j'en ai une joie très-sincère, et je souhaite de tout mon cœur, ma très-chère, d'apprendre la continuation de ce mieux; j'ai la confiance de croire que vous me le ferez savoir; cela me donne aussi des espérances que nous vous reverrons bientôt; il n'y a rien, en vérité, que je désire si vivement: votre retour est nécessaire à bien des choses, dont le changement d'air est une des principales pour madame de Grignan. Madame sa belle-fille est trop abandonnée ici; le retour de M. de Sévigné qui approche; que de raisons, ma très-belle, pour nous revenir voir! Paris est fort rempli à l'heure qu'il est; mais il ne le sera point à ma fantaisie, tant que vous ne serez point avec nous. J'ai bien envie d'apprendre si madame de Grignan a fait usage des bouillons d'écrevisse, et si elle s'en est bien trouvée. Il y a tous les jours de bon dîners à l'hôtel de Chaulnes, et une très-bonne compagnie, où vous êtes toujours désirée. M. le marquis de Grignan me fit l'honneur de me venir voir il y a deux jours. Je le remerciai de n'être point grossi; il me paroît fort content du palais qu'il habite. On me mande de Lyon que la charmante Pauline va changer de nom; ne nous l'amenez-vous pas? Il n'y a que madame de Simiane que je puisse jamais autant aimer que mademoiselle de Grignan. Hélas! à propos de Simiane; le pauvre monsieur de Langres[94] est à l'extrémité; j'en suis tout-à-fait en peine. Je crois M. Nicole mort; il tomba en apoplexie il y a deux jours. Racine vint en diligence de Versailles lui apporter des gouttes d'Angleterre, qui le ressuscitèrent; mais on vient de me dire qu'il est retombé; c'est une grande perte. Il s'est trop épuisé à écrire: on prétend qu'il s'est cassé la tête à ce dernier livre contre les Quiétistes; ils n'en valoient, en vérité, pas la peine. Adieu, ma très-aimable; j'attends toujours de vos nouvelles avec impatience, mais encore plus à présent, à cause de l'état où est madame de Grignan.

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LETTRE XXXI.

Paris, 6 avril 1696.

Je ferai voir votre lettre à la maréchale de Créqui[95], madame; le seul plaisir qui lui reste, c'est d'entendre louer on pauvre fils[96]: elle me paroît plus affligée que le premier jour; je n'en passe guère sans la voir. Je l'ai cependant envoyée à M. de Coulanges cette aimable et tendre lettre; il est à Saint-Martin d'où il doit revenir mardi. Madame de Saint-Géran a reçu deux visites de madame de Maintenon; vous jugez bien qu'il n'en falloit pas tant pour la consoler: madame de Mornai ne quitte point madame de Maintenon; plus cette petite femme paroît insensible aux honneurs qu'elle reçoit, plus on est occupé d'elle. Je suis étonnée de ces sortes de conduites. Le mariage de ma nièce est absolument rompu avec M. de Poissi[97]; elle part dans huit jours pour aller en Flandre. M. et madame de Bagnols n'ont aucun tort: madame de Maisons[98] a fait aussi ce qu'elle a pu, et nous lui en serons toujours très-sensiblement obligées: je suis ravie de la connoître; elle a un très bon cœur, et une véritable générosité. Il faut espérer que notre grande fille sera bien mariée[99]; mais ce ne peut plus être qu'au retour de la campagne, car rien ne nous convient plus dans la robe. Je m'en vais vîte finir ce petit billet; car madame de Montespan me vient prendre dès la pointe du jour, pour aller entendre le P. de la Ferté (jésuite), qui prêche comme un Bourdaloue, et qui ressemble si fort au duc son frère, qu'on ne se peut empêcher de rire des discours qu'ils tiennent tous deux: madame de Fontevrault[100] vient aussi: voilà bien des sermons que j'entends avec cette bonne compagnie, qui part dans huit jours pour aller à Bourbon. Moins madame de Grignan se rétablira où elle est, plus elle se devroit presser de changer d'air. Séparément de l'intérêt que j'ai à donner ce conseil, c'est l'avis de tous les gens habiles. Quand reverrons-nous aussi madame de Simiane? elle ne s'en soucie guère; elle a de quoi s'amuser, pendant que nous soupirons ici après elle. Je ferai vos complimens à la maréchale de Créqui, et ceux de M. et de madame de Grignan, je vous en assure, ma très-aimable. Le roi a donné deux mille louis au maréchal de Choiseul pour l'aider à faire son équipage; je ne sais si le marquis de Grignan ira avec lui. Adieu, ma vraie amie, et vîte adieu; on me presse de sortir.

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LETTRE XXXII.

A MadameDe Simiane[101].

Paris, 2 mai 1696.

Je vous suis sensiblement obligée, madame, de songer encore à moi; je connoissois toutes vos perfections; mais la tendresse de votre cœur, et l'amitié que vous avez su avoir pour une personne[102] aussi digne d'être aimée que celle que vous regrettez, c'est ce qui me paroît fort au dessus de tout ce qu'on en peut dire. Ah! madame, que vous avez raison, de me croire infiniment touchée! Je ne pense à autre chose; je ne parle d'autre chose; j'ignore tous les détails de cette funeste maladie, je les cherche avec un empressement qui fait voir que je ne songe point à me ménager. Je passai hier toute la journée avec le prieur de Sainte-Catherine; vous jugez bien sur quoi roula notre conversation; je lui fis voir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; elle lui fit un vrai plaisir; car ces sortes de gens-là sont si persuadés que cette vie-ci ne doit servir qu'à s'assurer l'autre, que les dispositions dans lesquelles on quitte le monde sont les seules dignes d'attention pour eux; mais on songe à ce que l'on perd, et on le pleure. Pour moi, il ne me reste plus d'amie; mon tour viendra bientôt, cela est raisonnable: ce qui ne l'est guère, c'est d'entretenir une personne de votre âge de si tristes et de si noires pensées; votre raison fait oublier votre jeunesse, madame; et cela, joint à l'inclination naturelle que j'ai pour vous, m'autorise, ce me semble, à vous parler comme je fais.

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LETTRE XXXIII.

A LA MÊME.

Paris, 8 juin 1696.

Il me paroît qu'il y a bien du temps que vous n'avez reçu de mes lettres; vous ne serez peut-être pas de cet avis: il n'y a pas moyen cependant de pousser ma discrétion plus loin; c'est un bien qui m'est devenu nécessaire, d'avoir de vos nouvelles; et, quelque inégalité qu'il y ait de votre âge au mien, j'éprouve que l'on vous aime très-solidement. Il y a des endroits dans votre cœur, qui font oublier votre jeunesse, sans qu'il y en ait aucun dans votre figure, qui ne présente toute la fleur de ce bel âge.

Je ne m'accoutume point à la perte que nous avons faite[103]; et lorsque j'apprends le retour de la santé de madame votre mère, je ne puis m'empêcher d'être vivement touchée que cette joie n ait point été sentie par une personne qui en eût été si digne[104]. Je vous prie, madame, que je sois informée de la continuation de cette santé, à laquelle je prends plus d'intérêt que je ne puis vous le dire.

Je vis avant-hier M. de Coulanges dans la belle maison de Choisi: madame de Louvois et lui y sont établis pour tout l'été; on est obligé tous les jours d'y avoir deux tables par la quantité de monde qui s'y trouve; un lansquenet ensuite, et puis des promenades délicieuses; joignez à tout cela les plaisirs qui suivent l'abondance, et vous trouverez que Choisi est un séjour enchanté: il y a trop de ces plaisirs pour moi, et je ne saurois me résoudre à y passer plusieurs jours: mon goût augmente pour la solitude, ou du moins pour une très-petite compagnie. Madame de Mornai ne quitte plus madame de Maintenon: elle va à Marli; enfin, madame, je ne trouve rien de si extraordinaire que de la voir de tous les plaisirs, pendant que vous êtes éloignée du monde et du bruit; il est vrai que vous avez de grandes ressources dans vous-même. Adieu, madame, je vous demande en grâce de ne pas négliger l'occasion de dire à M. le comte de Grignan combien je l'honore; mais sur-tout rendez-moi de bons offices auprès de vous, je vous en supplie.

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LETTRE XXXIV.

A LA MÊME.

Paris, 20 juillet 1696.

Il y a long-temps, madame, que je n'ai eu l'honneur de vous écrire; mais je ne suis point seule à m'en apercevoir? En vérité, c'est pure discrétion qui m'empêche de vous dire plus souvent ce que je sais penser de vous; il y a une telle disproportion de votre âge au mien, qu'il me paroît de la cruauté à moi de vous aimer comme je fais, et sur-tout de vous en entretenir. Je suis très-persuadée que vous n'enviez point les extrêmes distinctions dont jouit madame de Mornai; mais, madame, n'est-ce point être trop avancée pour votre âge, de vous savoir passer du monde et de la cour? Il me semble qu'il n'y a que l'expérience qui en puisse détromper, et voilà ce que vous n'avez pas jusqu'à présent. Madame de Mornai est de tous les voyages de Marli, sans être nommée de toutes les promenades du roi; en un mot, madame de Maintenon la traite comme sa fille; et pensez-vous qu'on puisse être insensible à ces honneurs? ma nièce de Bagnols voit tout cela d'un grand sang-froid. La trêve d'Italie donne ici de grandes espérances de la paix générale; je suis assurée, madame, que cette grande nouvelle ne vous sera pas indifférente. On se tourmente déjà pour être des dames de madame de Bourgogne; car on dit qu'elle n'aura point de filles, et qu'on lui donnera à peu près les dames qu'avoit la reine, excepté madame de Beauvilliers, qui, selon toutes les apparences, sera dame d'honneur. Nous craignîmes beaucoup ayant-hier pour madame de Chaulnes, qui, à la suite d'une mauvaise santé, eut une si grande foiblesse, qu'elle perdit connoissance. On envoya quérir des médecins, un confesseur, enfin un appareil très-propre à épouvanter; elle se porte beaucoup mieux; elle a pris aujourd'hui un peu d'émétique. J'aime cette duchesse de la vraie douleur qu'elle a eue de la perte de madame de Sévigné. Pour moi, madame, je vous avoue avec une sincérité que j'ai pour vous, malgré mon âge, que je ne m'en consolerai jamais; j'y pense sans fin et sans cesse; et quand je songe que tous les retours ne la ramèneront point, je ne puis soutenir une telle idée. Je vous demande des nouvelles de votre santé, madame; on m'a dit qu'elle n'étoit pas absolument bonne, et que vous preniez des eaux: je vous croyois une sorte de maladie, où les eaux n'étoient point propres. La maréchale de Castelnau est morte d'un très-douloureux cancer: les petites-filles espèrent la pension de quatre mille livres, que le roi lui faisoit. Je vous demande pardon, madame, de vous écrire une si longue lettre; mais le goût que j'y trouve, me doit faire espérer que vous ne vous en plaindrez pas.

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LETTRE XXXV.

A LA MÊME.

Paris, 14 septembre 1696.

J'ai été fort aise, madame, d'apprendre par vous le rétablissement de la santé de madame votre mère; mais je ne puis m'ôter la pensée que la personne du monde, qui s'intéressoit le plus à cette santé, n'ait point partagé notre joie. Ah! madame, je ne m'accoutume point à ne plus espérer qu'aucun retour nous amène ce que nous regrettons avec tant de raison. Je comprends ce que ce sera pour madame de Grignan, de se trouver en ce pays-ci au milieu de ces tristes souvenirs. Je suis fort occupée de ce que vous nous privez de l'espérance de votre retour. Il me semble que vous seriez bien nécessaire à madame votre mère; et je vous avoue que j'aurois plus de joie de vous revoir qu'il ne convient à une personne de mon âge. Vous êtes faite pour charmer tout ce qui est aimable et jeune comme vous; et c'est vous offenser que de vous aimer aussi véritablement que je fais; mais qu'importe? Je ne sens point que je puisse m'empêcher de vous offenser, ni d'espérer que vous me pardonnerez. Que dites-vous, madame, de notre duchesse du Lude? Je l'embarquai mardi avec les dames du palais, dans une santé parfaite: jamais on n'a marqué tant de confiance en une personne, que le roi et madame de Maintenon ont fait pour elle dans cette occasion; et je vous assure qu'elle n'y est pas insensible. On dit qu'il sera question encore de quatre dames du palais, et de deux autres, quand la jeune princesse se mariera. Je ne comprendrai jamais qu'on ne vous aille pas chercher au bout du monde pour cela. J'ai assez bonne opinion de votre voisine[105], pour croire que vous seriez sa favorite. Enfin, je fais de tout ceci un petit château qui vous regarde uniquement, et je ne m'accommoderai jamais que ce château soit en Espagne. A propos d'Espagne, savez-vous que toute l'histoire de cette reine est fausse? Elle n'est point grosse, elle se porte fort bien; le roi en a reçu des nouvelles. On est ici dans les Te Deum, dans les feux de joie de la paix de Savoie. Grâces à Dieu, le roi continue de se porter de mieux en mieux. On croit que la cour ira à Fontainebleau vers la fin de ce mois, pour y recevoir la princesse. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; j'espère que vous voudrez bien vous souvenir de moi auprès de madame la comtesse de Grignan et de M. le Chevalier. Je vous demande pardon de la liberté que je prends; mais tout est permis à une personne qui a la confiance de vous écrire, et que vous honorez de vos aimables lettres. M. de Coulanges est à Vichi avec sa femme de Louvois[106].

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LETTRE XXXVI.

A LA MÊME.

Paris, 25 octobre 1696.

Je suis fort aise, madame, que vous nous fassiez espérer le retour de madame votre mère; mais, en vérité, pour que la joie fût complète, le vôtre nous seroit bien nécessaire. J'admire que l'on ait pu faire des dames du palais pour madame la duchesse de Bourgogne, sans avoir songé à vous envoyer chercher au bout du monde. Je fis part, il y a quelques jours, de mon étonnement à madame de Montchevreuil. A propos de madame de Montchevreuil, madame de Mornai est accouchée d'un fils. Cet événement donne beaucoup de joie à toute sa maison. Où avez-vous pris, madame, que madame la duchesse de Bourgogne a eu la rougeole? Est-il possible qu'une de ses voisines soit si peu instruite?[107] Je reçus hier une lettre de madame la duchesse du Lude[108], qui me paroît charmée de sa princesse. Elle me mande qu'elle est grâcieuse, qu'elle a un très-bon air, et que, sans beauté, on ne peut être plus agréable qu'elle est. Le roi et Monsieur iront coucher à Montargis, pour la recevoir, et M. le duc de Bourgogne ira jusqu'à Nemours. Madame, toutes les princesses et les femmes de la cour l'attendront toutes parées dans l'appartement qu'on lui destine à Fontainebleau, qui est le même qu'occupoit madame la Dauphine. On dit que l'on nommera encore six dames au mariage de la princesse. Le roi, madame de Maintenon, tout est charmé de madame du Lude. Elle s'est surpassée elle-même dans toute la bonne conduite qu'elle a eue: j'en suis aussi peu surprise que j'en suis aise. Le pauvre abbé Pelletier est mort d'apoplexie. Il y a quatre ou cinq jours que je vois un spectacle bien triste, mais qui commence à le devenir moins. M. d'Harrouis tomba dimanche dernier en apoplexie: je volai à son secours; et nous avons si bien fait par nos remèdes et par nos soins, que je le crois hors d'affaire; mais le pauvre homme demeurera paralytique. Tout ce qu'il nous a dit dans son agonie, ne se peut ni croire ni imaginer; je n'ai jamais vu envisager la mort avec tant de courage, ni revenir à la vie avec tant de docilité. Ce pauvre mourant parloit toujours de madame de Sévigné. Il disoit: «si elle étoit au monde, elle seroit de celles qui ne m'abandonneroient pas.» Nous fondions toutes en larmes, et puis il nous disoit des choses qui nous faisoient rire, malgré que nous en eussions. J'ai une vraie impatience de recevoir l'honneur que vous dites que doit me faire un homme, qui a été assez heureux pour vous plaire. J'avoue que cela me prévient en sa faveur; mais, madame, pourquoi le laissez-vous venir tout seul? En vérité, vous êtes trop raisonnable, et nous souffrons trop de votre raison. J'espère que mademoiselle de Bagnols aura un beau palais sans l'aller chercher à Turin, ou, pour parler plus juste, un beau château; j'ai une grande envie qu'elle soit bien établie. Conservez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame; et, si vous n'êtes point honteuse d'avoir un commerce avec une vieille comme moi, comptez qu'il ne finira point par ma faute. Je vous serai sensiblement obligée, si vous voulez bien me faire la grâce d'assurer madame la comtesse de Grignan et M. le Chevalier que j'attends leur retour avec toute l'impatience qu'ils méritent.

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LETTRE XXXVII.

A LA MÊME.

Paris, 7 mars 1697.

Je suis charmée de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, madame. Comme il y a long-temps qu'on n'a eu celui de vous voir, on est étonné de trouver tant de sagesse, de raison et de bon sens, avec tous les charmes de la jeunesse. Il n'y a que vous qui ayez pu accorder des choses si opposées. Je suis très-fâchée d'avoir ignoré si long-temps le séjour de M. de Simiane en ce pays-ci. Le hasard me l'a fait trouver à dîner chez M. de Saint-Amant; il m'a ensuite fait l'honneur de me venir voir deux fois. Il m'a paru tout comme il vous paroît; je ne crois pas peu dire. Il a bien raison d'être pour vous, comme il est. J'avoue que cela m'a fait un sensible plaisir; je n'aime point qu'on ignore de tels bonheurs. Ah! madame, que ne feroit point notre pauvre madame de Sévigné dans une pareille occasion? Le malheur de ne la plus voir m'est toujours nouveau; il manque trop de choses à l'hôtel de Carnavalet. Je ne saurois m'empêcher de vous désirer; et toute votre indifférence pour ce pays-ci ne m'en peut inspirer pour votre retour. Je le souhaite comme si j'étois d'âge à en profiter; mais il me semble que mon inclination si naturelle pour vous, vous fait souffrir mon âge avec quelque bonté. J'ai eu la conduite que vous m'avez prescrite au sujet de votre lettre; cependant je vous avouerai, madame, que je l'ai montrée à madame de Chaulnes, qui m'a fait promettre de vous dire de sa part qu'elle vous approuve autant qu'elle désapprouve, je ne dirai pas qui. Savez-vous que madame de Chaulnes a un nouveau mérite à mon égard? C'est celui de ne se point du tout consoler de la perte de madame de Sévigné. Nous en parlons sans cesse; car, pour moi, c'est ma manière; j'aime à parler de ce que j'ai aimé, et à ne me point ménager sur les souvenirs qui me sont chers.

Je fis une longue réponse à une lettre, que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire avant la dernière; je la donnai à madame votre mère, et ma lettre s'est trouvée perdue. Je vous le dis, madame, afin que vous ne me soupçonniez pas d'une grossièreté pareille à celle d'y avoir, manqué. Au reste, le mariage de ma nièce avec M. de Poissi est rompu. Si j'étois à sa place, j'en serois aussi aise qu'elle en est peut-être fâchée. Il ne la désiroit point autant qu'il convenait pour surmonter les plus petites difficultés: quand cela est ainsi, il me paroît qu'on se doit trouver heureuse de ne point entrer dans une maison où l'on est si peu souhaitée: je suis assurée que c'est là votre avis. Quel bon sens, madame, que le vôtre, de n'être point entêtée de la cour! Songez que madame du Lude, qui avoit une si bonne santé, est accablée de rhumatismes. Songez qu'il faut qu'elle couche dans la chambre de la princesse; qu'elle se fatigue jour et nuit, et pour qui[109]? Cependant je sais une personne du monde, qui admire les agrémens de la place, et la trouve préférable à tout le repos, dont madame du Lude pouvoit jouir. J'ai eu quelque escarmouche avec cette personne sur une telle façon de penser, que je vous avoue que je ne comprends point. Continuez-moi toujours un peu de part dans votre amitié, madame. Il faudroit que vous pussiez bien savoir comme je suis pour vous, afin de vous persuader que je n'en suis pas indigne. Permettez-moi de prendre part à la joie de M. le marquis de Simiane de se trouver auprès de vous. Sa joie est d'autant plus raisonnable, qu'il n'est pas aise tout seul. J'ai eu assez l'honneur de le voir, pour désirer beaucoup de le voir davantage.

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LETTRE XXXVIII.

A madame de Grignan.

Paris, 19 avril 1700.

Il y a si long-temps, madame, que je ne fais rien de ce que je désire, que je n'ai pu trouver le moment de vous remercier de la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Ma mère a depuis quinze jours la fièvre continue avec des redoublemens; et moins elle est en état de penser, plus je suis attachée auprès d'elle: c'est un terrible spectacle. Ce qui se passe en moi dans cette cruelle occasion, ne se peut concevoir; mais en voilà trop sur un si triste sujet. Il vaut mieux vous faire de très-sincères complimens sur le voyage que M. le marquis de Grignan va faire en Lorraine. Toutes les distinctions sont agréables à son âge; et vous ne sauriez croire, madame, combien celle-là a été recherchée. Je me présentai hier à la porte de son excellence; elle étoit à Versailles. Je vis madame votre belle-fille chez madame de Simiane, qui est en vérité bien incommodée de sa grossesse. Je rendis mes devoirs en votre appartement; il est très-beau; la vue m'en paroît charmante. Je le regardai avec un air d'intérêt, qui me le fit bien examiner pour la première fois. Vous serez bien logée, madame; mais vous nous ferez trop languir après votre retour. C'est là votre unique défaut; nous aurions besoin que vous en eussiez d'autres pour nous consoler. On commence aujourd'hui à tirer la loterie de madame de Bourgogne. J'ai eu trente pistoles à la grande, qui s'est faite à l'Hôpital; se peut-il un plus grand malheur dans une pareille occasion? Cependant j'ai eu l'âme assez intéressée pour préférer ce vilain petit billet noir à un billet blanc; ma sœur a trouvé ce sentiment très-indigne d'elle. M. de Bagnols est ici. Je ne désespère point qu'il n'aille à Grignan rendre à M. de Grignan tout ce qu'il lui doit; car pour Paris, ce n'auroit été que la conduite des autres. Madame la duchesse du Lude a eu un mal assez considérable au pied. Elle a quelquefois un rhumatisme; mais elle ne sent point ses maux dans la chaleur du combat. Je pense toujours de la même façon sur ce qui la regarde; et, Dieu merci pour elle, sa façon de penser n'est point changée aussi. La pauvre petite madame d'Aunai, fille de madame de Morangis, est morte à vingt-un ans; les Villeroi sont très-affligés avec raison. On assure que M. de Rochebonne et M. de Saint-Germain ont des raisons d'espérer; je souhaite de tout mon cœur pour la chose en elle-même, et par l'intérêt sensible que vous y avez tous, que leurs espérances soient fondées. J'ai appris à l'abbé Testu que vous l'honoriez de votre souvenir; mais je vous avouerai que, quoiqu'il ait reçu cette marque de votre bonté avec beaucoup de reconnoissance, il a voulu voir si je ne le trompois point, car il lui faut des démonstrations; et après avoir été convaincu de la vérité de ce que je lui disois, il a tiré des conséquences qu'il falloit qu'il fût charmé, et il a conclu qu'il l'étoit.

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LETTRE XXXIX.

A LA MÊME.

Paris, 30 juillet 1700.

Tout ce que vous me faites la grâce de me dire est vrai, madame; cependant on ne sauroit s'imaginer ce que la nature soutenue du spectacle m'a fait souffrir. L'impression qui m'en est restée est si vive, que je n'en puis revenir, malgré tout ce que la raison peut fournir de consolation. J'espère en la diversion que je n'ai point encore éprouvée; car je n'ai vu personne dans cette triste conjoncture. Je ne vous fais point d'excuses de n'avoir pas fait réponse à votre lettre; vous jugez aisément, madame, de ce qui m'en a empêchée, et combien j'avois renoncé à mes plaisirs, puisque je m'étois retranché celui de vous entretenir. M. de Coulanges est à Versailles; on vient de me dire qu'il vit hier madame de Maintenon chez madame de Saint-Géran, et qu'il en avoit reçu des amitiés infinies. Il a mandé cette heureuse rencontre à madame de Louvois. C'est une chose raisonnable que les secondes femmes soient mieux traitées que les premières; et je suis assez juste pour ne me point plaindre de la préférence que M. de Coulanges donne à madame de Louvois. Que dites-vous de la mort de la duchesse d'U***? Pour moi, je voudrois qu'on fît un exemple de tels assassinats. On dit cependant que la presse est grande à qui épousera ce joli héros. O grand pouvoir du tabouret! Le roi est à Marli pour dix jours. Je donnai à dîner à madame de Simiane en plein réfectoire le jour de la Madeleine. Nous avions la comtesse de Grammont à notre dîner, et ensuite il fut question d'un sermon tout neuf du père Massillon. La seule visite que je me suis permise, a été celle de la maréchale d'Humières. En vérité, il n'y a qu'à habiter le faubourg Saint-Jacques pour être une personne au dessus des autres. On ne peut assez admirer la parfaite patience de cette maréchale, sa résignation à la mort, sa piété, son courage; enfin, rien n'est tel que le faubourg Saint-Jacques. Madame de Guitaut l'habite aussi; je vous assure que ce quartier fournit une très-bonne compagnie. Je voudrois bien, pour nous venger de la joie que vous avez eue de nous quitter, que votre séjour à Grignan vous ennuyât autant que nous. Si cela étoit, madame, il nous seroit permis d'espérer bientôt votre retour. Une des grandes nouvelles du monde, c'est que madame de Bourgogne changera de confesseur aussi souvent qu'elle voudra, pourvu qu'il soit jésuite.

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LETTRE XL.

A LA MÊME.

Paris, 18 décembre 1700.

Vous n'avez pas eu de peine, madame, à imaginer la raison, je ne dis pas de mon oubli, mais de mon silence, puisque vous m'avez fait la grâce de le remarquer. Votre vie est plus remplie que la mienne; ainsi c'est à moi qu'il convient d'être discrète. Je suis plus solitaire que jamais, et ne le suis pas encore assez à mon gré. Il n'a pas été au pouvoir des grands et prodigieux événemens qui sont arrivés[110], de m'obliger à quitter ma chambre. Les années m'ont tellement mise à la raison, que si j'en avois encore beaucoup à passer, je crois que je me retirerois dans quelque petit désert; mais l'avenir est court pour moi. Vous jugez bien qu'avec de telles dispositions je ne suis pas assez informée des nouvelles du monde, pour avoir la confiance d'espérer vous divertir; et je ne dois pas avoir celle de croire que de ne vous apprendre que des miennes, cela vous suffise. Ce n'est pas que je n'aie véritablement souffert d'ignorer ce qui se passoit dans les lieux que vous habitez, et que je n'en aie été instruite, autant que je l'ai pu, par madame de Simiane. Il faut avouer cependant que les nouvelles considérables n'ont pas manqué depuis quelque temps; mais quiconque ne voit guère, n'a guère à dire aussi. Vous allez avoir bien des affaires, madame, pour recevoir les princes[111]; je suis assurée que vous n'en serez point du tout embarrassée. Madame de Simiane trouva hier au soir ici madame la duchesse du Lude, qui est venu passer deux ou trois jours à Paris, et lui demanda de quelle manière il convenoit que vous fussiez habillée pour recevoir cette belle et grande compagnie. Elle lui répondit que ce n'étoit pas une question; qu'il falloit un grand habit, une coiffure noire, en un mot, comme vous seriez au souper du roi. Je ne vous parle point de plusieurs mariages dont il est question, et dont je suis sûre que vous ne vous souciez guère. Madame de Simiane s'embarqua hier au soir pour aller souper chez ma nièce de Tillières, où est le rendez-vous du beau monde tous les jours. Vous voyez bien, madame, qu'on a du monde, quand on en veut avoir. M. de Coulanges veut répondre lui-même aux aimables reproches que vous lui faites; il est cause que l'on a fait des chansons sur tous les grands directeurs: il a eu la goutte comme un grand homme. Je le plains, si jamais il est obligé de se croire vieux.

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LETTRE XLI.

A LA MÊME.

Paris, 17 juin 1701.

Je vous rends mille grâces, madame, de l'attention que vous avez eue à la subite et violente maladie, dont par les soins de Chambon j'ai été délivrée en vingt-quatre heures. Je suis ravie de vous devoir ce médecin; car j'aime fort à être obligée aux personnes pour qui j'ai un sincère attachement; j'espère vivre et mourir de sa façon. Vous aurez été fâchée et surprise de la mort de Monsieur[112], j'en suis assurée. La dernière fois que j'eus l'honneur de le voir, il me demanda tant de vos nouvelles, que je lui fis très-bien ma cour par être en état de lui répondre sur ce qui vous regardoit. En vérité, la mort est un événement trop ordinaire pour pouvoir compter sur cette vie; pour moi, j'avoue que je ris quand je vois traiter solidement quelque chose d'aussi court et d'aussi fragile; c'est ma raison qui a cette conduite; car si c'étoit le sentiment, eh! mon Dieu, on ne feroit rien de tout ce que l'on fait, et on feroit tout ce que l'on ne fait point. On vous aura sans doute mandé, madame, que le roi conserve à M. le duc d'Orléans tous les honneurs et privilèges de Monsieur; des gardes, tous les grands officiers, et même un chancelier. Le roi est très-véritablement affligé. Toutes les femmes ont paru en mante devant S. M., et les cours souveraines vont lundi la haranguer. Les personnes, dont la mort devroit faire le plus d'impression, sont celles qui paroissent le moins regrettées, par la raison que l'on se tourne tout d'un coup à ce qui remplit leurs places. J'avoue, madame, que mon goût ne diminue point pour le repos, et qu'à l'heure qu'il est, je n'y préférerois que ce qui se doit préférer à tout; mais je n'aime point le repos que vous avez; il est trop loin de moi. Ce n'est pas que le séjour de Grignan ne me plût infiniment, si j'y pouvois aller. Au reste, madame, à propos de beau château, je vais avoir celui d'Ormesson; et je suis assez modérée pour n'en point désirer d'autres, ne voyant rien au-dessus que le séjour de Grignan. Nous avons eu ici la duchesse du Lude cinq ou six jours avant la funeste mort de Monsieur. J'ai vu l'abbé de Polignac depuis son retour, dont il se croit redevable au P. de la Chaise; il est plus aimable que jamais, je dis l'abbé de Polignac. M. de Coulanges est ravi de la fin de cette disgrâce; mais comme il court toujours les champs, je crois qu'il ne l'a point encore vu. M. le cardinal de Bouillon est tranquille dans son abbaye, chose étonnante et difficile à croire? mais, madame, vous n'en serez point surprise, quand vous saurez qu'il est dans une extrême dévotion. Le roi lui a fait la grâce de lui accorder une main-levée pour la jouissance de tous ses revenus; cela fait espérer bien des adoucissemens dans ses malheurs. Il faut que je vous remercie beaucoup de vous être souvenue de mon amie la marquise, dont je ne sais seulement pas le nom, mais qui m'a été recommandée par une de mes véritables amies. On me l'amena hier. Elle dit qu'elle connoissoit fort toute ma famille à Lyon; je ne me souviens point de l'y avoir vue. Tout ce que je sais, c'est que c'est une femme de bonne maison, et que je vous suis très-obligée, madame, et à M. de Grignan, de la bonté que vous avez eue l'un et l'autre d'avoir égard à la très-humble prière que je vous ai faite. Madame de Sulli est assez malade; elle est dans toutes les règles des mauvais médecins, du lait, saignare, purgare, etc. Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison sur cela, quoiqu'elle l'entende si bien sur toute chose. Continuez-moi l'honneur de vos bonnes grâces, madame, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut vous honorer plus que je fais. Ma sœur brille à Bruxelles; elle a tous les soirs madame la comtesse de Soissons à souper chez elle. Il me prend quelquefois envie d'aller à Bruxelles représenter madame de Béthune[113] en Pologne. Vous ne sauriez comprendre à quel point je désire votre retour, madame. Plus je suis indifférente pour tout ce qui vient, plus je m'attache à ce qu'il y a quelque temps que je connois. M. de Coulanges s'en va en Bourgogne avec madame de Louvois, et moi à Choisi toute seule prendre patience de ne pouvoir être à Ormesson que l'année qui vient; mais le moyen de faire encore des projets avec les exemples qu'on a chaque jour sous les yeux.

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LETTRE XLII.

A LA MÊME.

Paris, 12 septembre 1701.

Je suis dans le monde, madame, et si peu instruite de ce qui s'y passe, que je n'oserois vous agacer; mais quand vous m'honorez de votre souvenir, j'y réponds avec un empressement, qui vous doit faire connoître la sensible joie que j'en ai, et juger en même temps que mon silence doit s'appeler de la discrétion toute pure. Il est vrai, madame, que vous êtes bien exposée aux grandeurs de ce monde. Vous réussissez si bien, qu'il seroit malheureux que vos talens ne parussent point. Vous ne payez pas seulement d'invention; on n'a parlé ici que de la magnificence avec laquelle vous avez reçu les princes; ce n'étoit qu'en attendant la reine d'Espagne. Madame de Bracciane sera ravie de vous présenter à sa jeune reine. Je la trouve, comme vous, bien digne de l'emploi qu'elle a; mais la façon de penser de quelqu'un qui n'est plus jeune, ne laisse rien imaginer d'agréable[114]. J'ai déjà tant vécu, qu'il me paroît peu possible d'envisager un long avenir; ainsi ce peu qui me reste, j'aimerois à le passer dans le repos. Je n'ai jamais eu de goût pour les personnages, qui n'étoient point les jeunes dans les comédies. Cela m'est demeuré pour le théâtre du monde. Ma paresse naturelle, une foible santé sans doute, me donnent de telles pensées, qui s'accommodent si bien avec ma médiocre fortune, que je n'en puis assez remercier Dieu. J'ai trop aimé le monde. Il me semble cependant que je n'ai pas perdu le temps que j'ai passé à m'en détromper; car il est certain que je préfère la vieillesse aux belles années, par la grande tranquillité dont elle me laisse jouir: mais je veux répondre à vos questions, madame. Le voyage que madame de Louvois devoit faire en Bourgogne, est rompu; elle est à Choisi pour toute l'automne: monsieur de Coulanges y est avec elle, et je compte y aller dans sept ou huit jours. Comme je n'ai point encore de maison de campagne, je prends patience à Paris. Si je vis jusqu'à l'année qui vient, j'aurai Ormesson, qui n'est plus reconnoissable que par le bois. La maison est aussi blanche qu'elle étoit noire. Les fenêtres sont coupées jusques en bas; enfin, il y aura pour se coucher, pour se promener; et, grâce à Dieu, je n'en désire pas davantage. Pardonnez-moi, je désire passionnément de vous y recevoir; les cabarets plaisent quelquefois, quand on est accoutumé aux délices des grands palais. Oui, madame, M. de Coulanges ira voir M. le cardinal de Bouillon, lequel, à ce que j'apprends, est bien plus heureux qu'il n'a jamais été. Je suis tout-à-fait sensible au malheur qui vient d'arriver à madame de Chatelux. Son fils, bien fait, bien riche, qu'elle alloit marier à une héritière de Bourgogne, a été tué à cette dernière occasion[115]. Je crois que le maréchal de Villeroi justifiera tout-à-fait la conduite de M. le maréchal de Catinat. Il est si honnête, qu'il ne dira que des vérités. Votre amie madame de Lesdiguières a été bien heureuse. Vous ne m'aviez jamais confié que ce qu'elle a pour vous, madame, est une passion très-vive. Madame de Louvois et moi, passâmes avec elle, il y a quelques jours, une partie de l'après-dinée. Elle nous montra un assortiment pour prendre du café d'une magnificence et d'une perfection comme il n'y en a point. On proposa d'en faire usage; elle nous assura que personne ne s'en serviroit avant votre retour. Elle l'attend avec une impatience que je comprends mieux que personne; en un mot, madame, vous lui avez inspiré des sentimens qui lui seroient inconnus sans vous. Son palais est plus beau et plus tranquille que jamais. Je m'y trouve à merveille; il me paroît qu'on ne se peut ennuyer dans un lieu où vous êtes si chérie. L'abbé Testu a été ravi de l'honneur de votre souvenir, aussi bien que madame Frontenac et mademoiselle d'Outrelaise. Ce premier est plus jeune que jamais; il seroit tout prêt à conduire le roi d'Espagne[116]. Chaque année lui en ôte deux, de façon qu'il est assurément trop jeune. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre belle-sœur. Elle a des vapeurs; et quand cela est ainsi, elle est seule sur son lit. Je lui ferai vos reproches. Je crois que M. de Sévigné reviendra bientôt de Bretagne. A propos de Bretagne, personne ne doute que M. de Beaumanoir n'épouse mademoiselle de Noailles. Madame de Simiane accouchera bientôt. Je voudrais bien pouvoir lui être bonne à quelque chose; mais je suis très-peu habile sur les accouchemens; et comme vous savez que je ne joue point, vous voyez bien qu'il m'arrive encore de lui être inutile, quand elle se porte bien. J'aurai cependant l'honneur de la voir, et de vous mander de ses nouvelles, quand elle ne sera point en état de vous écrire. Madame de Sanzei est à Autri. La cour est à Marli jusqu'à samedi. Elle partira mardi pour Fontainebleau; elle séjournera deux jours à Sceaux; Meudon, Chaville, Sceaux, Lestang, admirez; madame, comme tout cela a changé en peu de temps: il n'y a que madame de Bracciane et l'abbé Testu qui ne changent point. Je vous demande pardon de la longueur de ma lettre. Je me laisse aller au plaisir de vous entretenir; je crains qu'il ne m'en coûte d'être long-temps sans recevoir de vos nouvelles. Seroit-il possible, madame, que je vous pusse recevoir à Ormesson? Vous ne me parlez jamais de votre retour, et cela m'afflige. Madame de Lesdiguières assure qu'il est décidé pour le printemps. Je la verrai aujourd'hui, et ce ne sera pas sans qu'il soit bien parlé de vous. J'aime fort à lui plaire; mais il n'est pas aisé de démêler qui est la complaisante de nous deux, quand il est question de vous, madame.

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LETTRE XLIII.

A LA MÊME.

Paris, 4 avril 1702.

Je suis bien récompensée du soin que j'ai pris pour le chocolat de M. de Grignan, madame, puisque cela m'a attiré une marque d'honneur de votre souvenir. Il me semble que je vous aurois importunée, si je vous avois écrit dans toutes les occasions où il a été question de vous en ce pays-ci. Vous avez fait les honneurs de la France avec une telle magnificence et une telle profusion que l'on en parle encore tous les jours. Vous allez avoir le roi d'Espagne. J'avoue que tous ces honneurs ne me laissent point oublier mes intérêts, et je crains toujours que cela ne retarde votre retour, que je ne puis m'empêcher de désirer très-vivement. Je ne doute point que vous n'ayez été fort sensible à la perte de notre pauvre duchesse de Sulli[117]. Elle vous aimoit véritablement, et c'étoit une très-aimable femme. Ah! madame, je la vis la veille de sa mort. Elle se croyoit bien malade; mais elle étoit bien éloignée de penser que le terme fût aussi court. Sa docilité pour les médecins l'a tuée; cependant s'il est vrai que nos jours sont comptés, pourquoi ne nous pas désaccoutumer de nos ridicules raisonnemens? Quant à moi, qui me trouve seule de toutes les personnes avec qui j'ai passé ma vie, je demeure dans ma solitude sans vouloir faire aucune nouvelle connoissance; cela n'en vaut pas en vérité la peine. Ma vie est très-éloignée de celle du monde. Je ne m'y trouve plus du tout propre. Ces nouveautés qu'il me présente ne sont plus à mon usage; et mon antiquité n'est plus au sien. Ainsi, grâce à Dieu, nous nous passons à merveille l'un de l'autre. Vous jugez bien, madame, que cela me rend peu digne du commerce que je pourrois avoir avec madame de Simiane. Son âge[118] et le mien sont trop disproportionnés. Je sais cependant qu'elle va habiter notre quartier, et je la plains beaucoup. Je suis assurée que quand elle auroit tort à votre égard, vous chercheriez toujours à la justifier. Ainsi, j'espère que vous l'aimerez toujours par la raison qu'elle vous est fort attachée, et que vous l'aimez naturellement. Elle est aussi très-aimable; cela est constant. Mais, madame, savez-vous bien que votre amie, madame de Lesdiguières, n'est point du tout en bonne santé? elle a une jambe qu'elle ne sent point, et qui est enflée. Elle n'imagine point d'autre remède que la saignée, qui est le seul, je crois, qui peut rendre son mal dangereux. Il faudroit fournir des esprits, et elle se veut épuiser, ce qui n'est assurément pas raisonnable. Je vous en avertis comme la seule personne qui peut lui faire entendre raison. La maréchale de Villeroi a commencé à être affligée du jour que le maréchal partit pour l'Italie. L'événement n'a que trop justifié sa douleur; il étoit plus heureux, étant le marquis de Villeroi. Mais, madame, vous nous avez envoyé un prisonnier, qui l'est, je crois, présentement de mademoiselle de Bellefond. Il soupa avec elle le jour de son arrivée à Vincennes; il fut charmé avec raison de sa beauté. Il a gagné le donjon depuis, avec l'idée de cette jolie fille, qui est toute des plus aimables. Enfin, elle n'a des Mancini que la beauté. J'ai si peu de commerce avec M. de Richelieu[119], que je ne l'ai point vu depuis son mariage. Si on le voyoit toutes les fois qu'il se marie, on passeroit sa vie avec lui. Il est trop jeune pour moi; je ne sais pas si madame de Richelieu lui trouvera ce défaut. On ne peut trop louer sa modération; elle n'a pas encore pris son tabouret. L'hôtel de Richelieu est à vendre. Pour l'abbé Testu, je le crois très-fâché de ne pouvoir suivre l'exemple de M. de Richelieu. Sa jeunesse augmente tous les ans; et vous croyez bien, madame, qu'avec un tel privilège il est assurément trop jeune pour se marier. Il m'a priée de vous dire des choses très-passionnées de sa part. La princesse de la Cisterne[120], à qui j'ai appris que vous vous étiez souvenue d'elle, m'a fait promettre, madame, que je vous dirois combien elle est véritablement affligée de ne vous avoir point trouvée en ce pays-ci. Elle y a réussi à merveilles; la cour lui en a fait. Elle a tourné l'esprit de sa mère à tout ce qu'elle a désiré. Sa petite fille est morte; et c'est un bien pour faire réussir ses projets. Elle a un fils aîné, qui est fort grand seigneur dans son pays; et un petit, beau comme le jour, qu'elle prétend établir en France sous le nom de marquis de la Trousse avec ses deux belles terres de la Trousse et de Lisi. Elle ne trouve nul obstacle du côté de sa mère, qui lui a, je crois, assuré tout son bien. C'est une très-habile femme que madame de la Cisterne. Je la regrette; elle nous quitte après un voyage de huit jours qu'elle va faire à la Trousse. Elle vous plairoit, madame; elle a un esprit bon et naturel: je pense qu'elle pourra bien se venir établir en France dans quelques années; mais je ne prends plus aucune part dans les projets éloignés. Nous sommes ici dans l'agitation du Jubilé. Cette dévotion n'est point dans les principes du Quiétisme; car il se faut donner bien du mouvement. Le roi viendra trois jours de suite à Notre-Dame, à commencer jeudi, et s'en retournera à Meudon; Monseigneur y est venu ces jours-ci. Enfin, madame, tout le monde est dans la ferveur, jusqu'à M. de Coulanges, qui, avant que d'aller courir les rues, m'a fort priée de vous assurer de ses respects. Je ne puis vous dire, madame, à quel point je sais vous honorer et vous aimer; mais les absences sont trop longues. Je ne les trouve point proportionnées à la brièveté de la vie; et vous jugez bien, madame, par la tristesse de cette réflexion, de tout l'ennui que me cause votre éloignement.

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LETTRE XLIV.

A LA MÊME.

Paris, 10 mai 1703.

J'espérois n'avoir aujourd'hui qu'à vous rendre mille très-humbles grâces d'une très-aimable lettre que je reçus hier de vous, madame, et je me trouve obligée de vous faire un triste compliment sur la mort du petit marquis de Simiane. La jeunesse et la fertilité du père et de la mère doivent donner de grandes espérances de voir bientôt cette perte réparée; mais enfin il étoit tout venu, et je prends un véritable intérêt à tout ce qui vous regarde. Je suis ravie, madame, que vous approuviez les dernières connoissances que j'ai faites; car je n'ose encore traiter d'amis des personnes avec qui j'ai eu aussi peu de commerce. J'ai bien de quoi m'annoncer auprès d'eux par leur conter comme vous parlez de leur mérite; c'est par-là que je suis bien sûre de leur plaire. Ils m'ont déjà confié ce qu'ils pensoient de vous et de tout ce qui s'appelle Grignan. M. de Marsin est malade; il attend le retour de sa santé pour aller où son devoir l'appelle. Le maréchal (de Catinat) est dans sa campagne plus philosophe qu'on ne peut vous le dire. Il a raison de se plaindre que je le fais trop attendre. Nous n'avons plus de temps à perdre tous deux; mais aussi nous sommes trop avancés, pour que le temps nous puisse faire tort ni à l'un ni à l'autre. Ma sœur doit partir pour Bruxelles le lendemain des fêtes; et voilà-ce qui m'a empêchée jusqu'à présent de m'aller établir à Ormesson, où je compte passer une partie de l'été; mais je serai bien honteuse, si j'y reçois jamais M. de Grignan, de ne lui présenter qu'un grand bois, lui qui est accoutumé, comme vous dites, madame, aux délices de Capoue. Il n'importe, je désire très-vivement d'avoir cette honte; car si je ne lui présente point les objets charmans, dont il jouit à Mazargues[121], et les belles eaux que je crois qui surpassent en beauté celles de Versailles, je lui présenterai une antique personne très-touchée des charmes de la solitude, et qui, sans avoir aucune aigreur contre le monde, en est fort dégoûtée. J'espère que, par ses conversations, il me tiendra moins de rigueur, et qu'il me pardonnera mes bois très-dénués de vue. Pour vous, madame, j'ose dire que vous serez surprise de l'arrangement de cette vieille maison, si vous pouvez faire un assez grand effort de mémoire pour vous en souvenir. Que dites-vous du parfait bonheur de M. le maréchal de Villars? Il est bien heureux de n'être pas désabusé du monde; car assurément le monde est tourné bien agréablement pour lui; et le moyen alors de penser qu'il n'y ait pas de plaisir dans cette vie? On dit qu'il a des inquiétudes qui le troublent, et que je crois cependant très-peu fondées. Si ma nièce avoit bien voulu me croire, le maréchal seroit heureux, et elle grande dame. Son insensibilité va jusqu'à n'être pas touchée de la conduite qu'elle a eue. J'avoue que je ne reconnois point mon sang à cette indolence. M. de Coulanges arriva hier de Versailles avec un portrait qu'il tenoit de la libéralité de M. le duc de Bourgogne. Il est aussi content que le peut être le maréchal de Villars. Tout Paris dit qu'il va être duc, je ne dis pas M. de Coulanges. Je conterai à Sanzei que vous savez de ses nouvelles; il est si discret, qu'il ne nous a point parlé de ses bonnes fortunes. Il est aide de camp de M. le duc de Bourgogne; et il me paroît encore plus attaché à son maître qu'à sa maîtresse. Je ne vous puis rien dire de Chambon; j'en suis désolée. Moins il est coupable, plus sa prison sera longue. Il n'oseroit dire ce qui pourroit le justifier: cela vous paroîtra un peu énigme; mais je n'ose en dire davantage, de peur d'être à la Bastille. Je vis, il y a deux jours, madame la duchesse de Lesdiguières. La manière dont je désire votre retour, me fait un mérite auprès d'elle; mais je ne suis point contente que vous me parliez de ce retour avec si peu de certitude. Nous attendons la Saint-Jean avec autant de crainte que d'impatience; car si vous ne donnez point congé à M. de Rezé, nous ne tenons rien. Ainsi cet événement-là ne nous est pas assurément indifférent. Si Vous saviez ce que c'est que la calèche de velours jaune que madame de Lesdiguières vient de faire paroître, vous ne pourriez pas résister au plaisir de vous promener dedans; on ne parle d'autre chose. Elle est singulière, magnifique, mais très-éloignée d'être ridicule, comme on l'avoit dit. On me l'avoit faite semée de mores; et cela est faux. Les roues sont bleues, et paroissent de lapis. Cela fait un effet charmant avec ce jaune. Il y a trois mois que je n'ai vu madame votre belle-sœur[122]; elle n'a plus aucun commerce avec les profanes. J'ai été des dernières avec qui elle a rompu; mais elle ne veut plus de moi, il ne faut point s'en faire accroire: la maison qu'elle va habiter est laide; mais son jardin, qui est triste par la hauteur des murailles, ne laisse pas d'être grand. Vraiment, madame, une maison de campagne n'est pas une retraite digne d'une dévote. On ne trouve point le P. Gaffarel[123] à la campagne; et il est vis-à-vis de la porte où habitera M. de Sévigné. Je suis en peine de ce dernier. Sans sa docilité, ce seroit un homme perdu; mais aussi, sans sa docilité, n'iroit-il point habiter le faubourg Saint-Jacques. Pardonnez, madame, la longueur de cette lettre en faveur de la joie que j'ai de vous entretenir, et croyez, s'il vous plaît, qu'on ne peut être plus sensible que je le suis aux bontés dont vous m'honorez. Ne laissez plus aller M. le chevalier de Grignan dans sa solitude, et entretenez M. le comte dans l'envie qu'il a de venir faire sa cour. Je ne crois personne plus propre que lui à convertir les Huguenots; il a bien de la douceur, bien de la raison, et n'est point du tout hérétique. Voilà, de grands talens pour Orange; mais il en a aussi pour le monde, qui le font bien désirer ici. Ne savez-vous pas, madame, que M. le maréchal de Villeroi a été voir madame la comtesse de Soissons à Bruxelles? Il lui a mené son fils; et madame la comtesse de Soissons avoue qu'il y a long-temps qu'elle n'a eu une si grande joie. J'ai lu le Traité de l'Amitié[124], qui m'a paru rempli d'esprit; mais je ne l'aime point. Je donne ce goût pour le mien, et point du tout pour bon. Je hais les règles dans l'amitié, et je ne laisserai jamais mourir mon ami. J'aime cent fois mieux manquer à mon serment.

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LETTRE XLV.

A LA MÊME.

Paris, 17 juin 1703.

J'ai eu la même conduite pour vous, madame, que j'ai eue pour moi; c'est celle aussi qu'ont observée toutes les personnes qui, par discrétion, n'ont pas cru devoir écrire à madame de Maintenon. Elles ont fait passer leurs complimens par madame la duchesse du Lude. J'ai écrit à cette dernière, et je me suis chargée de tout. Vous verrez par sa réponse que je dis vrai; et je suis même assurée que vous me croiriez, quand je ne vous l'enverrois point. Il est impossible d'être plus touchée que madame de Maintenon l'a été de la mort de M. d'Aubigné[125]. Pour moi, je le suis fort de celle de Gourville, avec lequel j'avois renouvelé un commerce très-vif. J'y ajouterai que son esprit étoit si parfaitement revenu, que jamais lumière n'a tant brillé avant que de s'éteindre. Je n'ai point été à la campagne, comme je l'avois espéré; je me suis amusée à marier le frère de madame de Mornai avec mademoiselle de Menars. Cette pensée-là me vint; je la proposai à M. l'abbé Duguet, qui voulut bien entrer dans cette affaire. Elle est enfin conclue, et les noces se sont passées avec toute la magnificence possible. Nous espérons de la bonté du roi l'agrément pour la charge de président à mortier. Mademoiselle de Menars a tant de parens considérables, qu'il y a lieu de croire que cette espérance n'est pas chimérique. On présenta hier la nouvelle mariée au roi et à toute la cour. Madame de Maintenon lui fit des prodiges. Ma complaisance n'a point été jusqu'à aller à Versailles, quoiqu'on l'eût désiré. J'ai renoncé au monde, et je n'ai pas l'humilité d'aller dans un pays où je n'ai que faire, et où je n'ai rien d'agréable, ni de nouveau à montrer. Je cours ce soir à Ormesson, où M. le maréchal de Catinat et M. de Coulanges m'attendent. Je vous manderai des nouvelles de la vie que nous allons faire ce maréchal et moi. Je suis ravie d'apprendre que vous avez enfin donné congé à M. de Rezé; j'en tire la conséquence que vous revenez cet hiver. Je vous assure qu'il y a long-temps qu'aucun évènement ne m'a fait un plaisir si sensible. Je vous prie, madame, que je sois rassurée sur votre rhumatisme, dont je suis très en peine. Vous vous traitez si durement, que je ne vous trouve point bien entre vos mains. Je vis avant-hier madame de Simiane, que je trouvai consolée de la perte qu'elle a faite. Elle l'a réparée, car elle est grosse; mais il en coûte quelque chose à sa jolie figure. M. de Sévigné nous a quittés pour sa Bretagne; et madame votre belle-sœur va jeudi habiter la maison de ma grand'mère. Je me suis trouvée attendrie en leur disant adieu; il me paroît qu'ils vont changer et de vie et d'amis. C'est, en vérité, une vraie sainte que madame votre belle-sœur, plus aisée à admirer qu'a imiter. Je me plains, madame, de n'avoir point appris par vous votre retour; mais j'en pardonnerons bien d'autres, si vous reveniez, comme je le veux espérer.

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LETTRE XLVI.

A LA MÊME.

Paris, 7 juillet 1703.

Je ne suis point contente, madame, de la manière dont vous me parlez de votre retour. Il me paroît que la saison de Noël vous fait peur; pour moi, je suis persuadée que le printemps et l'été n'arriveront qu'alors. Depuis trois semaines que j'habite ma solitude, je n'ai eu qu'un seul beau jour. Les vents sont déchaînés; les pluies continuelles; tous les biens de la terre perdus; voilà les événemens qui nous occupent le plus. Cependant celui de la petite victoire[126] de M. le maréchal de Boufflers est venu jusques à nous. Il étoit temps qu'il fit parler de lui, et que l'on se souvînt que le maréchal de Villars n'est pas le seul conquérant que nous ayons. Nul bonheur sans mélange dans ce monde. La passion de ce dernier pour sa femme est au dessus de celle qu'il a pour la gloire, et sa délicatesse lui persuade que la gloire le traite mieux. Sa mère est charmante par ses mines, et par les petits discours qu'elle commence, et qui ne sont entendus que des personnes qui la connoissent. Mais, madame, je m'amuse à vous parler des maréchaux de France employés, et je ne vous dis rien de celui[127] dont le loisir et la sagesse sont au dessus de tout ce que l'on en peut dire. Il me paroît avoir bien de l'esprit, une modestie charmante; il ne me parle jamais de lui, et c'est par là qu'il me fait souvenir du maréchal de Choiseul. Tout cela me fait trouver bien partagée à Ormesson[128]; c'est un parfait philosophe, et philosophe chrétien; enfin, si j'avois eu un voisin à choisir, ne pouvant m'approcher de Grignan, j'aurois choisi celui-là. Il vous honore beaucoup, et nous parlons souvent de vous et de M. de Grignan. Il ne lui arrive point aussi d'oublier M. le chevalier.

Madame votre belle-sœur est établie au faubourg Saint-Jacques; et M. votre frère ira y descendre en arrivant de Bretagne. Je suis persuadée qu'il va être compagnon du P. Massillon[129]; c'est son premier métier que celui d'être dévot. Les dévots sont en vérité plus heureux que les autres. Je les envie, et je voudrois bien les imiter. Une des premières visites que je ferai, sera celle d'aller dans la maison de ma grand'mère; car c'est la même qu'occupe madame votre belle-sœur.

L'esprit de Gourville étoit plus solide et plus aimable qu'il n'avoit jamais été. Il étoit revenu d'une manière, qui a fait sentir bien vivement le regret de le perdre. Ses mémoires sont charmans; ce sont deux assez gros manuscrits de toutes les affaires de notre temps, qui sont écrits, non pas avec la dernière politesse, mais avec un naturel admirable. Vous voyez Gourville pendu en effigie, et gouverner le monde. Tout ce qui m'en a déplu (car je les ai entièrement lus), c'est un portrait, ou plutôt un caractère de madame de la Fayette, très-offensant par la tourner très-finement en ridicule. Je le trouvai quatre jours avant sa mort avec la comtesse de Grammont; et je l'assurai que je passois toujours cet endroit de ses mémoires. Les caractères de tous les ministres y sont merveilleux; l'histoire de madame de Saint-Loup et de la Croix y est narrée dans le point de la perfection. Vous m'allez demander si l'on ne peut point avoir un aussi aimable ouvrage[130]; non, madame, on ne le verra plus, et en voici la raison: Gourville y parle de sa naissance avec une sincérité parfaite; et son neveu n'est pas un assez grand homme pour soutenir une chose aussi estimable à mon gré.

Ma sœur est présentement à Bruxelles. Je lui manderai que vous lui faites l'honneur de vous souvenir d'elle. Notre nouvelle mariée me vint voir hier. C'est une femme très-vertueuse, et qui donne de très-agréables alliances à son mari, et une charge de président à mortier après la mort de M. de Menars. Je vous réponds sur toutes les questions que vous me faites, madame, à mesure qu'il m'en souvient, et je n'y cherche point de liaison. On ne vous a pas bien informée de la santé, ou plutôt de la maladie de madame de Maintenon. Depuis cette fièvre de l'hiver passé, elle en a toujours eu des accès précédés de grands frissons, sans marquer aucune règle; mais quand ses accès sont passés, elle se porte à merveille. Point de dégoût, point d'insomnie, très-peu de changement; voilà de bonnes marques, et qui font espérer qu'elle aura assez de force pour supporter cette bizarre fièvre. Madame la duchesse de Bourgogne s'est baignée à Marli; il faut espérer au retour de M. le duc de Bourgogne. Je suis persuadée que M. le comte de Grignan est entièrement délivré de sa fièvre tierce. C'est une petite maladie faite pour le quinquina; et il me paroît qu'il n'a rien à hasarder à le continuer. Ma galerie est bien honorée d'être le modèle de la belle et magnifique galerie du château de Grignan; mais la mienne est auprès de vos palais; comme ces petits trous par où l'on fait voir Versailles. Telle qu'elle est, je voudrois bien vous y tenir, madame. Quant à M. le chevalier, j'espère que Saint-Gratien[131] l'attirera dans nos bois, et je le désire beaucoup. Je ne puis souffrir que madame de Sal... ait des garçons tous les ans, toujours Gar.... et jamais Grignan; on n'y peut résister.

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LETTRE XLVII.

A LA MÊME.

Paris, 5 août 1703.

Je suis ravie, madame, que la bonne santé de monsieur le comte de Grignan continue; le quinquina l'a bien mieux servi que madame de Maintenon, qui, malgré tout l'usage qu'elle en a fait, a toujours la fièvre. On l'en avoit crue guérie pendant quelques jours; mais la est revenue avec assez de violence, et peu de règle. Son état rend le voyage de Fontainebleau fort incertain. Elle est cependant à Marli; mais elle ne s'en porte pas mieux.

L'affaire du pauvre Chambon n'avance point. J'allai hier à la Bastille; je fis tout mon possible pour le voir. Jamais mon ami Joncas[132] n'y voulut consentir. Je le regarde comme un homme ruiné sans ressource, d'autant qu'on ne voit point la fin de ses malheurs: sa petite femme me fait une extrême pitié.

Je crois que vous regrettez présentement l'hiver du mois de juillet; car voici un été bien chaud. Cependant il ne faut pas s'en plaindre; je crois ce temps-là bon pour M. le chevalier de Grignan et pour les vignes. J'allai, il y a deux jours, à Choisi. J'y laissai M. de Coulanges, qui doit incessamment venir voir votre maison pour y exécuter vos ordres. Madame de Lesdiguières, que je vis hier, ne parle que de la joie que lui donne votre retour; et c'est moi qu'elle choisit pour en parler. Elle a, en vérité, raison; car je ne le désire pas moins vivement qu'elle. Nous allâmes hier, madame de Simiane et moi, chercher le maréchal de Catinat. Il étoit déjà reparti. Il a passé quelques jours à Paris, où il m'avoit cherchée aussi; mais on ne se voit point à Paris. Je retourne incessamment dans la maison de Polémon, où je serai ravie de le trouver; un héros chrétien est bien plus à mon usage maintenant qu'un héros romanesque. La maison que je vais habiter m'a vue dans ces deux goûts; car, en vérité, je n'y étois soutenue dans ma jeunesse que par des idées très-romanesques. Ce temps-là est bien éloigné. Les pensées solides sont assurément plus raisonnables; et c'est par-là qu'elles sont assez tristes. Au reste, madame, le bel air de la cour est d'aller à la jolie maison que le roi a donnée à la comtesse de Grammont dans le parc de Versailles. Le comte dit que cela jette dans une si grande dépense, qu'il est résolu de présenter au roi des parties de tous les dîners qu'il y donne. C'est tellement la mode, que c'est une honte de n'y avoir pas été. La comtesse va tous les jours dîner à Marli, et le soir revient dans sa jolie maison vaquer à sa famille.

Madame votre belle-sœur[133] est fort joliment logée. J'allai chez elle en dernier lieu; je la trouvai dans une très-parfaite santé, mademoiselle de Grignan et le P. Gaffarel avec elle; charmée de la vie qu'elle mène; bien des prières, bien des lectures, et une société de personnes qui sont toutes occupées de l'éternité, indifférentes pour les nouvelles du monde, peu sensibles à tout ce qui passe. En vérité, madame, ce ne sont pas eux qui ont tort.

La comtesse de Grammont se porte très-bien. Il est certain que le roi la traite, à merveille; et c'en est assez pour que le monde se tourne fort de son côté. Mais, comme vous savez, madame, le monde est bien plaisant. Permettez-moi de vous supplier de me conserver l'honneur de vos bonnes grâces, et d'assurer M. le comte de Grignan et M. le chevalier de mes très-humbles services. Je conterai à notre maréchal tout ce que vous pensez de son mérite, et c'est par-là que je prétends me faire valoir auprès de lui.

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LETTRE LXVIII.

A LA MÊME.

Paris, 25 septembre 1703.

J'entends fort bien parler, madame, de la sagesse de Chambon; ainsi, j'espère que son ressentiment ne l'obligera point à quitter Paris, où il rétablira mieux le tort que sa prison a fait à ses affaires qu'en lieu du monde. Vous ne connoissez plus la cour, de croire qu'on a pu lire sa justification. On ne liroit pas un billet de deux lignes, de quelque importance qu'il pût être. Vous avez été instruite du beau procédé de M. de Chamillard, à l'égard de M. Desmarest, et des raisonnemens du public. Ainsi, madame, je ne vous parlerai plus de cette vieille nouvelle; mais je ne veux pas perdre un moment à vous dire l'état où est Madame de Lesdiguières, dont je vous croyois bien informée. Son mal a été une dyssenterie très-violente; et son médecin, un suisse qui a tué, ou du moins avancé la mort de M. de Chaulnes, par un breuvage qu'il lui donna. Cependant madame de Lesdiguières ne vouloit voir aucun autre médecin; enfin, il y a six jours que madame la maréchale de Villeroi lui mena de son autorité Helvétius, qui ne la trouva point en état de prendre son remède. Il crut voir des indices certains qu'elle avoit un abcès. Il craignit la gangrène; il lui fait prendre des lavemens d'herbes vulnéraires avec de l'eau d'arquebusade. Elle en est à fendre du pus. Ainsi, on espère qu'elle reviendra de cette maladie; mais on ne la croit pas encore hors de péril. Son mal est trop grand pour s'en prendre au café. Notre maréchal ([134]) l'a abandonné pour le chocolat. Je lui ferai assurément voir ce que vous dites de lui; il me paroît fort touché de votre approbation, madame, et de celle de M. le chevalier de Grignan. C'est le plus aimable homme du monde; nous ne passons pas un jour sans le voir. Je le trouve seul au bout, d'une de nos allées; il y est sans épée, il ne croit pas en avoir jamais porté. Il voit le roi tous les quinze jours, et puis revient dans sa solitude avec un goût qui paroît naturel. Vous avez raison, madame, de me trouver à plaindre, quand je retournerai à Paris. J'ai promis à madame de Louvois d'aller passer quinze jours à Choisi; mais je vous avoue que j'ai bien de la peine à m'y résoudre. M. et madame de Simiane me firent hier l'honneur de venir dîner ici avec notre fille d'honneur de la reine Marguerite; et madame votre fille me promit qu'elle y reviendroit passer encore quelques jours. C'est en vérité une jolie femme. On ne peut avoir plus d'esprit, ni un esprit plus aimable que le sien; une charmante humeur: il n'est pas possible de se dépêtrer d'elle; mais c'est bien à moi d'aimer une personne de son âge. Cependant je tomberois infailliblement dans cet inconvénient, si je la voyois trop souvent. J'ai bien de l'impatience de vous voir exécuter le projet que vous avez fait de revenir à Paris. Si j'étois en commerce avec les fées, vous me verriez voler à Grignan. Tant que cela ne sera point, croyez que je ne vais que terre à terre.

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LETTRE XLIX.

A LA MÊME.

Paris, 5 février 1704.

La comtesse de Grammont, madame, ne se porte pas bien; aussi je la crois moins soutenue que le comte par les charmes de la cour, quoiqu'elle y soit traitée avec toutes les distinctions possibles. M. de l'Hôpital est mort[135]; c'étoit une de vos conquêtes. Sa femme[136] demeure avec quarante mille écus de rente. Cela change fort son état; car on ne la faisoit vivre que des infiniment petits[137]. L'abbé Testu est dans un état très-digne de pitié. Ses vapeurs augmentent; au lieu de diminuer. Il y a trois mois qu'il n'a dormi. Il ne mange plus, et son imagination se sent des désordres de son corps. Ajoutez à tous ses maux soixante-dix-huit ans, et vous jugerez que nous aurons bien de la peine à le tirer de l'état où il est. Quelle tristesse, madame, de voir disparoître toutes les personnes avec qui l'on a vécu! j'apprends dans ce moment la mort de madame de Boisdauphin. Je vous quitte avec regret, madame, pour aller au secours de madame de Louvois. Ce ne sera pourtant, qu'après vous avoir suppliée de ne point oublier la manière dont je vous honore, j'ose dire plus, celle dont je vous aime. Je vois quelquefois madame de Lesdiguières; j'ai même été chez elle avec madame de Simiane, qui ne l'avoit point vue depuis la perte de son fils[138]. Cette dernière prétend que ce n'étoit point sa faute; mais il étoit un peu tard, je l'avoue. Elle vous adore (madame de Lesdiguières); mais elle soutient, et je suis de son avis, que ce n'est pas vous voir que de se souvenir de vous. Je crois le printemps revenu à Marseille; car il se laisse entrevoir dans ce pays ci. J'oubliois de vous dire que l'abbé Testu a été très-sensible à l'honneur de votre souvenir, malgré la cruauté de tous ses maux.

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LETTRE L.

A LA MÊME.

Paris, 3 mars 1704.

Je me suis acquittée des ordres que vous m'avez donnés, madame, et j'ai mille et mille remercîmens à vous faire de madame de Louvois, qui m'a paru fort touchée de votre attention à son égard. La pauvre femme a hérité de cinquante-quatre mille livres de rente. Je ne l'en, crois pas plus heureuse, et je sais bien que je me sens très-éloignée de l'envier. Nous avons eu la duchesse du Lude quatre jours ici. Cela devient ridicule d'être aussi belle qu'elle l'est; les années coulent sur elle, comme l'eau sur la toile cirée. Sa joie est très-grande de l'heureuse grossesse de sa jeune princesse. Le P. Massillon réussit à la cour, comme il a réussi à Paris; mais on sème souvent dans une terre ingrate, quand on sème à la cour; c'est-à-dire que les personnes qui sont fort touchées de sermons, sont déjà converties, et les autres attendent la grâce, souvent sans impatience; l'impatience seroit déjà une grande grâce. En vérité, madame, M. le marquis de Grignan est ce qui s'appelle un homme de bien, sans qu'il lui en coûte de déplaire au monde: au contraire, on, l'en aime davantage. Pour moi, j'avoue que je l'honore au dernier point. Madame de Simiane se porte à merveille; elle se dispose à vous aller trouver ce printemps, puisque le duc de Savoie ajoute à tous les maux qu'il nous fait, celui de vous obliger à demeurer en Provence. Nous avons ici un voisin qui vous désire beaucoup à Paris, madame: c'est M. le cardinal d'Estrées. Il s'adonne fort à venir ici les soirs; et j'ai été assez peu polie pour le prier de ne les pas pousser aussi loin qu'il faisoit. Mon antiquité ne me permet plus d'entretenir la compagnie au-delà de neuf heures; et notre cardinal, qui est plus vif et plus jeune que jamais, ne s'amuse point à savoir l'heure qu'il est. Je compte m'aller établir dans ma solitude[139] vers les premiers jours de mai. J'y verrai le maréchal de Catinat, qui se trouve toujours à Saint-Gratien, pour y recevoir le premier rossignol. Le maréchal de Villars nous quitte pour aller habiter le quartier de Richelieu: il est si amoureux de sa belle maréchale, qu'il est difficile qu'il soit heureux. Cette passion est ordinairement suivie d'une autre qui trouble le repos, lors même qu'on a tout lieu de ne se point inquiéter. Le maréchal est souvent plus aise que s'il avoit épousé ma nièce; mais il est bien moins tranquille qu'il ne l'auroit été. La belle-mère de ma nièce se meurt, et le pauvre Termes mourut hier à six heures du matin. L'abbé Testu a des maladies bien réelles; il est à craindre maintenant qu'on ne soit obligé de lui faire une opération. Ajoutez à ce mal un cruel rhumatisme, et vous jugerez, madame, que ses vapeurs ne sont pas le plus grand de tous ses maux. Il est comme Job sur son fumier, à la patience près; je suis très-fâchée de son état. C'est, pour ainsi dire, demeurer seule sur la terre, que de voir disparoître tout ce que l'on a connu; ce qui est de certain, c'est que l'on n'y sera pas long-temps. Votre amie, madame de Lesdiguières, fait des merveilles pour la duchesse de Lesdiguières, jadis madame de Canaples.

Vous savez, madame, que notre Sanzei a été fait brigadier.

FIN.

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LETTRES

DE

MMES. DE VILLARS,

DE COULANGES,

ET DE LA FAYETTE;

DE NINON DE L'ENCLOS,

ET DE

MADEMOISELLE AÏSSÉ;

Accompagnées de Notices biographiques, de Notes explicatives, et de la Coquette Vengée, par Ninon de l'Enclos.

SECONDE ÉDITION.

TOME SECOND.

A PARIS,

Chez LÉOPOLD COLLIN, Libraire,

Rue Gît-le-cœur, Nº. 18.

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AN XIII.—1805.

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LETTRES

DE

MADAME DE LA FAYETTE.

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NOTICE

SUR

Mme. DE LA FAYETTE.

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Marie-Magdeleine Pioche de la Vergne, comtesse de la Fayette, naquit, en 1632, d'Aymar de la Vergne, maréchal de camp et gouverneur du Hâvre-de-Grâce, et de Marie de Péna, d'une ancienne famille de Provence.

Mademoiselle de la Vergne eut le bonheur d'avoir un père en qui le mérite égaloit la tendresse. Il prit soin lui-même de l'éducation de sa fille, et cette éducation fut à la fois solide et brillante. Les lettres et les arts concoururent à embellir un heureux naturel. Ménage et le père Rapin se chargèrent d'enseigner le latin à mademoiselle de la Vergne. Introduite de bonne heure dans la société de l'hôtel de Rambouillet, la justesse et la solidité naturelle de son esprit n'auroient peut-être pas résisté à la contagion du mauvais goût, dont cet hôtel étoit le centre, si la lecture des auteurs latins ne lui eût offert un préservatif, qu'à cette époque elle ne pouvoit encore trouver dans notre littérature. Du reste, elle mit autant de soin à cacher son savoir que d'autres en mettent à l'étaler.

En 1655, âgée de 22 ans, elle épousa François, comte de la Fayette, frère de mademoiselle de la Fayette, fille d'honneur d'Anne d'Autriche, connue par ses chastes amours avec Louis XIII. Madame de la Fayette eut de son mari deux fils, dont l'un suivit la carrière des armes, et l'autre embrassa l'état ecclésiastique.

Douée d'un esprit cultivé et du talent d'écrire, madame de la Fayette ne pouvoit manquer d'avoir une estime particulière pour ceux en qui les mêmes avantages se faisoient remarquer. Plusieurs gens de lettres furent admis dans sa familiarité. De ce nombre étoit la Fontaine, dont la destinée sembloit être d'avoir les femmes les plus distinguées pour amies et pour bienfaitrices.

Segrais avoit déplu à Mademoiselle, au service de laquelle il étoit en qualité de gentilhomme ordinaire, pour avoir blâmé son projet de mariage avec Lauzun. Il fut obligé de quitter la maison de cette princesse. Madame de la Fayette le reçut dans la sienne. Ce fut pendant le séjour qu'il y fit qu'elle composa Zayde et la princesse de Clèves. Elle fit paroître le premier de ces romans sous le nom de Segrais. Le succès en fut si prodigieux, que madame de la Fayette, toute modeste qu'elle étoit, dut regretter de n'en pouvoir jouir qu'en secret, et que Segrais, sur-tout, dut désirer de ne pas rester plus long-temps chargé d'une gloire, qui, croissant chaque jour, devenoit un fardeau également incommode pour sa délicatesse et pour son amour-propre. Il en rendit la jouissance à celle qui en avoit la propriété, sans en rien retenir que l'honneur d'avoir donné quelques avis pour la disposition de l'ouvrage. Sa renonciation fut sincère, et l'on y crut.

Le docte Huet, depuis évêque d'Avranches, fut lié d'une amitié très-tendre avec madame de la Fayette. Il composa pour elle son Traité de l'origine des Romans, qui fut imprimé en tête de Zayde. C'est à ce sujet que madame de la Fayette disoit à Huet: Nous avons marié nos enfans ensemble.

Rien n'est plus connu que l'amitié de madame de la Fayette et du duc de la Rochefoucauld, l'auteur des Maximes. Elle dura plus de vingt-cinq ans, et la mort seule en rompit les nœuds. Ce ne seroit point assez de dire que M. de la Rochefoucauld et madame de la Fayette se voyoient tous les jours; ils étoient continuellement ensemble; ils ne se quittoient pas. Le duc de la Rochefoucauld, après l'éclat et les agitations de sa jeunesse, condamné à la retraite et au repos, éloigné des places et des honneurs, abandonné de ceux qui ne s'attachent qu'à la faveur, et de plus obsédé de maux très-douloureux, se livroit trop souvent aux accès d'une injuste misantropie. Dans cette position, quelle société pouvoit lui être plus nécessaire que celle d'une femme aimable et bonne, qui embellît sa solitude, remplît le vide de son âme, adoucît son humeur et ses chagrins, dont l'attachement désintéressé fût une continuelle réfutation de son triste système, dont l'entretien fît une agréable diversion aux maux qu'elle ne parviendroit pas à soulager par ses soins, qui attirât chez lui, auprès de qui il pût trouver ce choix d'hommes instruits et de femmes spirituelles, si préférable à la foule des courtisans frivoles et perfides? Telle étoit madame de la Fayette pour M. de la Rochefoucauld. Son ami mourut; elle fut inconsolable. Accablée par le chagrin et les infirmités, ayant perdu ce qui l'attachoit le plus au monde, elle se jeta toute entière dans le sein de Dieu. Les dernières années de sa vie furent consacrées aux pratiques de la piété la plus austère; elle mourut en 1693, dans sa soixantième année.

Le trait le plus marqué de son caractère, étoit la franchise. M. de la Rochefoucauld lui avoit dit qu'elle étoit vraie. Ce mot qui n'avoit point encore été employé dans cette acception, parut la peindre parfaitement, et dès lors chacun le lui appliqua.

Son caractère et sa conduite ont été attaqués; mais la malignité connue de ses détracteurs suffit presque seule pour réfuter leurs accusations. Il suffit de nommer la Beaumelle, historien infidèle, qui presque toujours mettoit à la place de la vérité les caprices de son humeur ou les saillies de son imagination; et Bussy-Rabutin, ce satirique impitoyable qui n'épargna ni le roi ni madame de Sévigné, sa cousine, c'est-à-dire, ce qu'il y avoit de plus puissant et de plus aimable. Aux calomnies de pareils hommes, opposons un témoignage, qui, pour être favorable, n'en est pas moins digne de foi. C'est celui de madame de Sévigné. «Madame de la Fayette, écrivoit-elle à sa fille, est une femme aimable et estimable, que vous aimiez dès que vous aviez le temps d'être avec elle, et de faire usage de son esprit et de sa raison. Plus on la connoît, plus on s'y attache.»

Madame de la Fayette avoit l'esprit éminemment juste. Segrais lui avoit dit: Votre jugement est supérieur à votre esprit. Cette opinion lui avoit paru très-flatteuse. On sent que pour bien goûter une pareille louange, il faut la mériter. Elle ne portoit dans la conversation ni les saillies étincelantes et caustiques de madame Cornuel, ni la vivacité spirituelle de madame de Coulanges, ni l'aimable abandon de madame de Sévigné; mais ses discours étoient d'une précision élégante et ingénieuse. On a retenu d'elle plusieurs mots, entr'autres celui-ci: Les sots traducteurs ressemblent à des laquais ignorans qui changent en sottises les complimens dont on les charge.

Il est inutile de s'étendre ici sur ses ouvrages que tout le monde connoît. Zayde, la princesse de Clèves, la comtèsse de Tende et la princesse de Montpensier, seront lues avec plaisir aussi long-temps qu'on sera sensible à la délicatesse des sentimens, aux grâces et au naturel du style. Outre ses romans, elle avoit composé un assez grand nombre d'ouvrages historiques; mais les manuscrits se sont perdus par la négligence de l'abbé de la Fayette, son fils, qui les prêtoit à tout le monde, et ne les redemandoit pas. On n'a conservé que deux de ces écrits; l'un est intitulé: Mémoires de la cour de France, pour les années 1688 et 1689; l'autre est l'histoire de madame Henriette-Anne d'Angleterre, première femme de Monsieur.

On a encore de madame de la Fayette un portrait de madame de Sévigné, l'un des meilleurs qu'on ait faits dans ce siècle où l'on en fit tant. L'amitié retraça fidèlement les traits d'un modèle qu'elle n'avoit pas besoin d'embellir. Ce portrait a été placé dans le volume que nous publions à la suite des lettres de madame de la Fayette.

Ces lettres, qui sont au nombre de quatorze, sont adressées à cette même madame de Sévigné, dont elles ne dépareroient pas le recueil. On peut croire que, si madame de la Fayette se fût livrée davantage au commerce épistolaire, elle eût approché en ce genre du talent et de la réputation de son amie; «mais, lui écrivoit-elle un jour, le goût d'écrire m'est passé pour tout le monde; et, si j'avois un amant qui voulût de mes lettres tous les patins, je romprois avec lui.»

LETTRES

DE

MADAME DE LA FAYETTE,

A MADAME DE SÉVIGNÉ.

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LETTRE PREMIÈRE.

Paris, 30 décembre 1672

J'ai vu votre grande lettre à d'Hacqueville: je comprends fort bien tout ce que vous lui mandez sur l'évêque de Marseille; il faut que le prélat ait tort, puisque vous vous en plaignez. Je montrerai votre lettre à Langlade, et j'ai bien envie encore de la faire voir à madame du Plessis; car elle est très-prévenue en faveur de l'évêque. Les Provençaux sont des gens d'un caractère tout particulier.

Voilà un paquet que je vous envoie pour madame de Northumberland. Vous ne comprendrez pas aisément pourquoi je suis chargée de ce paquet; il vient du comte de Sunderland, qui est présentement ambassadeur ici. Il est fort de ses amis; il lui a écrit plusieurs fois; mais n'ayant point de réponse, il croit qu'on arrête ses lettres, et M. de la Rochefoucauld, qu'il voit très-souvent, s'est chargé de faire tenir le paquet dont il s'agit. Je vous supplie donc, comme vous n'êtes plus à Aix, de le renvoyer par quelqu'un de confiance, et d'écrire un mot à madame de Northumberland, afin qu'elle vous fasse réponse, et qu'elle vous mande qu'elle l'a reçu; vous m'enverrez sa réponse. On dit ici que si M. de Montaigu n'a pas un heureux succès dans son voyage, il passera en Italie pour faire voir que ce n'est pas pour les beaux yeux de madame de Northumberland qu'il court le pays: mandez-nous un peu ce que vous verrez de cette affaire, et comment il sera traité.

La Marans est dans une dévotion et dans un esprit de douceur et de pénitence qui ne se peuvent comprendre: sa sœur[140], qui ne l'aime pas, en est surprise et charmée; sa personne est changée à n'être pas reconnoissable: elle paroît soixante ans. Elle trouva mauvais que sa sœur m'eût conté ce qu'elle lui avoit dit sur cet enfant de M. de Longueville, et elle se plaignit aussi de moi de ce que je l'avois redonné au public; mais ses plaintes étoient si douces, que Montalais en étoit confondue pour elle et pour moi; en sorte que, pour m'excuser, elle lui dit que j'étois informée de la belle opinion qu'elle avoit que j'aimois M. de Longueville. La Marans, avec un esprit admirable, répondit que puisque je savois cela, elle s'étonnoit que je n'en eusse pas dit davantage, et que j'avois raison de me plaindre d'elle. On parla de madame de Grignan; elle en dit beaucoup de bien, mais sans aucune affectation. Elle ne voit plus qui que ce soit au monde, sans exception; si Dieu fixe cette bonne tête-là, ce sera un des grands miracles que j'aurai jamais vus.

J'allai hier au Palais-Royal avec madame de Monaco; je m'y enrhumai à mourir: j'y pleurai Madame[141] de tout mon cœur. Je fus surprise de l'esprit de celle-ci[142]; non pas de son esprit agréable, mais de son esprit de bon sens: elle se mit sur le ridicule de M. de Meckelbourg d'être à Paris présentement; et je vous assure que l'on ne peut mieux dire. C'est une personne très-opiniâtre et très-résolue, et assurément de bon goût; car elle hait madame de Gourdon à ne la pouvoir souffrir. Monsieur me fit toutes les caresses du monde au nez de la maréchale de Clérembault[143]; j'étois soutenue de la Fienne, qui la hait mortellement, et à qui j'avois donné à dîner il n'y a que deux jours. Tout le monde croit que la comtesse du Plessis[144] va épouser Clérembault.

M. de la Rochefoucauld vous fait cent mille complimens; il y a quatre ou cinq jours qu'il ne sort point; il a la goutte en miniature. J'ai mandé à madame du Plessis que vous m'aviez écrit des merveilles de son fils. Adieu, ma belle, vous savez combien je vous aime.

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LETTRE II.

Paris, 27 février 1673

Madame Bayard et M. de la Fayette arrivent dans ce moment; cela fait, ma belle, que je ne vous puis dire que deux mots de votre fils: il sort d'ici, et m'est venu dire adieu, et me prier de vous écrire ses raisons sur l'argent: elles sont si bonnes que je n'ai pas besoin de vous les expliquer fort au long; car vous voyez, d'où vous êtes, la dépense d'une campagne qui ne finit point. Tout le monde est au désespoir et se ruine. Il est impossible que votre fils ne fasse pas un peu comme les autres, et, de plus, la grande amitié que vous avez pour madame de Grignan, fait qu'il en faut témoigner à son frère. Je laisse au grand d'Hacqueville à vous en dire davantage. Adieu, ma très-chère.

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LETTRE III.

Paris, 15 avril, 1673

Madame de Northumberland me vint voir hier; j'avois été la chercher avec madame de Coulanges: elle me parut une femme qui a été fort belle, mais qui n'a plus un seul trait de visage qui se soutienne, ni où il soit resté le moindre air de jeunesse; j'en fus surprise: elle est, avec cela, mal habillée; point de grâce; enfin, je n'en fus point du tout éblouie; elle me parut entendre fort bien tout ce qu'on dit, ou, pour mieux dire, ce que je dis; car j'étois seule. M. de la Rochefoucauld et madame de Thianges, qui avoient envie de la voir, ne vinrent que comme elle sortoit. Montaigu m'avoit mandé qu'elle viendroit me voir; je lui ai fort parlé d'elle; il ne fait aucune façon d'être embarqué à son service, et paroît très-rempli d'espérance. M. de Chaulnes partit hier, et le comte Tot aussi; ce dernier est très-affligé de quitter la France: je l'ai vu quasi tous les jours, pendant qu'il a été ici; nous avons traité votre chapitre plusieurs fois. La maréchale de Grammont s'est trouvée mal; d'Hacqueville y a été, toujours courant, lui mener un médecin: il est, en vérité, un peu étendu dans ses soins. Adieu, mon amie: j'ai le sang si échauffé, et j'ai tant eu de tracas ces jours passés, que je n'en puis plus; je voudrois bien vous voir pour me rafraîchir le sang.

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LETTRE IV.

Paris, 19 mai 1673

Je vais demain à Chantilli: c'est ce même voyage que j'avois commencé l'année passée jusque sur le Pont-neuf, où la fièvre me prit; je ne sais pas s'il arrivera quelque chose d'aussi bizarre, qui m'empêche encore de l'exécuter: nous y allons, la même compagnie, et rien de plus.

Madame du Plessis étoit si charmée de votre lettre, qu'elle me l'a envoyée; elle est enfin partie pour sa Bretagne. J'ai donné vos lettres à Langlade, qui m'en a paru très-content; il honore toujours beaucoup madame de Grignan. Montaigu s'en va: on dit que ses espérances sont renversées; je crois qu'il y a quelque chose de travers dans l'esprit de la nymphe[145]. Votre fils est amoureux, comme un perdu, de mademoiselle de Poussai; il n'aspire qu'à être aussi transi que la Fare. M. de la Rochefoucauld dit que l'ambition de Sévigné est de mourir d'un amour qu'il n'a pas; car nous ne le tenons pas du bois dont on fait les fortes passions. Je suis dégoûtée de celle de la Fare: elle est trop grande et trop esclave; sa maîtresse ne répond pas au plus petit de ses sentimens: elle soupa chez Longueil et assista à une musique le soir même qu'il partit. Souper en compagnie quand son amant part, et qu'il part pour l'armée, me paroît un crime capital; je ne sais pas si je m'y connois. Adieu, ma belle.

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LETTRE V.

Paris, 26 mai 1673

Si je n'avois la migraine, je vous rendrois compte de mon voyage de Chantilli, et je vous dirois que de tous les lieux que le soleil éclair, il n'y en a point un pareil à celui-là. Nous n'y avons pas eu un trop beau temps; mais la beauté de la chasse dans les carosses vitrés a suppléé à ce qui nous manquoit. Nous y avons été cinq ou six jours; nous vous y avons extrêmement souhaitée, non-seulement par amitié, mais parce que vous êtes plus digne que personne du monde d'admirer ces beautés-là. J'ai trouvé ici, à mon retour, deux de vos lettres. Je ne pus faire achever celle-ci vendredi, et je ne puis l'achever moi-même aujourd'hui, dont je suis bien fâchée; car il me semble qu'il y a long-temps que je n'ai causé avec vous. Pour répondre à vos questions, je vous dirai que madame de Brissac[146] est toujours à l'hôtel de Conti, environnée de peu d'amans, et d'amans peu propres à faire du bruit; de sorte qu'elle n'a pas grand besoin du manteau de sainte Ursule. Le premier président de Bordeaux est amoureux d'elle comme un fou; il est vrai que ce n'est pas d'ailleurs une tête bien timbrée. Monsieur le Premier et ses enfans sont aussi fort assidus auprès d'elle; M. de Montaigu ne l'a, je crois, point vue de ce voyage-ci, de peur de déplaire à madame de Northumberland, qui part aujourd'hui; Montaigu l'a devancée de deux jours; tout cela ne laisse pas douter qu'il ne l'épouse. Madame de Brissac joue toujours la désolée, et affecte une très-grande négligence. La comtesse du Plessis a servi de dame d'honneur deux jours avant que Monsieur soit parti; sa belle-mère[147] n'y avoit pas voulu consentir auparavant. Elle n'égratigne point M. de Monaco; je crois qu'elle se fait justice, et qu'elle trouve que la seconde place de chez Madame est assez bonne pour la femme de Clérembault; elle le sera assurément dans un mois, si elle ne l'est déjà.

Nous allons dîner à Livri; M. de la Rochefoucauld, Morangis, Coulanges et moi; c'est une chose qui me paroît bien étrange, d'aller dîner à Livri, et que ce ne soit pas avec vous. L'abbé Testu[148] est allé à Fontevrault; je suis trompée, s'il n'eût mieux fait de n'y pas aller, et si ce voyage-là ne déplaît à des gens à qui il est bon de ne pas déplaire.

L'on dit que madame de Montespan est demeurée à Courtrai. Je reçois une petite lettre de vous: si vous n'avez pas reçu des miennes, c'est que j'ai bien eu des tracas; je vous conterai mes raisons quand vous serez ici. M. le Duc s'ennuie beaucoup à Utrecht; les femmes y sont horribles: voici un petit conte sur son sujet. Il se familiarisoit avec une jeune femme de ce pays-là, pour se désennuyer apparemment, et, comme les familiarités étoient sans doute un peu grandes, elle lui dit: Pour Dieu! Monseigneur, votre altesse a la bonté d'être trop insolente. C'est Briole qui m'a écrit cela; j'ai jugé que vous en seriez charmée, comme moi. Adieu, ma belle; je suis toute à vous assurément.

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LETTRE VI.

Paris, 30 juin 1673

Hé bien! hé bien! ma belle, qu'avez-vous à crier comme un aigle? Je vous demande que vous attendiez à juger de moi quand vous serez ici; qu'y a-t-il de si terrible à ces paroles: Mes journées sont remplies? Il est vrai que Bayard est ici, et qu'il fait mes affaires; mais quand il a couru tout le jour pour mon service, écrirai-je? Encore faut-il lui parler. Quand j'ai couru, moi, et que je reviens, je trouve M. de la Rochefoucauld que je n'ai point vu de tout le jour; écrirai-je? M. de la Rochefoucauld et Gourville sont ici; écrirai-je? Mais quand ils sont sortis? Ah! quand ils sont sortis! il est onze heures, et je sors, moi; je couche chez nos voisins, à cause qu'on bâtit devant mes fenêtres. Mais l'après-dînée? J'ai mal à la tête. Mais le matin? J'y ai mal encore, et je prends des bouillons d'herbes qui m'enivrent. Vous êtes en Provence, ma belle, vos heures sont libres, et votre tête encore plus; le goût d'écrire vous dure encore pour tout le monde; il m'est passé pour tout le monde, et si j'avois un amant qui voulût de mes lettres tous les matins, je romprois avec lui. Ne mesurez donc point notre amitié sur l'écriture; je vous aimerai autant, en ne vous écrivant qu'une page en un mois, que vous, en m'en écrivant dix en huit jours. Quand je suis à St.-Maur, je puis écrire, parce que j'ai plus de tête et plus de loisir; mais je n'ai pas celui d'y être: je n'y ai passé que huit jours de cette année. Paris me tue. Si vous saviez comme je ferois ma cour à des gens à qui il est très-bon de la faire, d'écrire souvent toutes sortes de folies, et combien je leur en écris peu, vous jugeriez aisément que je ne fais pas ce que je veux là-dessus. Il y a aujourd'hui trois ans que je vis mourir Madame: je relus hier plusieurs de ses lettres; je suis toute pleine d'elle. Adieu, ma très-chère: vos défiances seules composent votre unique défaut, et la seule chose qui peut me déplaire en vous. M. de la Rochefoucauld vous écrira.

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LETTRE VII.

Paris, 14 juillet 1673

Voici ce que j'ai fait depuis que je ne vous ai écrit: j'ai eu deux accès de fièvre: il y a six mois que je n'ai été purgée; on me purge une fois, on me purge deux; le lendemain de la deuxième, je me mets à table: ah! ah! j'ai mal au cœur, je ne veux point de potage: mangez donc un peu de viande; non, je n'en veux point; mais vous mangerez du fruit; je crois qu'oui: hé bien! mangez-en donc; je ne saurois, je mangerai tantôt: que l'on m'ait ce soir un potage et un poulet. Voici le soir, voilà un potage et un poulet; je n'en veux point, je suis dégoûtée, je m'en vais me coucher; j'aime mieux dormir que de manger. Je me couche, je me tourne, je me retourne, je n'ai point de mal, mais je n'ai point de sommeil aussi; j'appelle, je prends un livre, je le referme; le jour vient, je me lève, je vais à la fenêtre; quatre heures sonnent, cinq heures, six heures; je me recouche, je m'endors jusqu'à sept: je me lève à huit, je me mets à table à douze inutilement, comme la veille; je me remets dans mon lit le soir inutilement, comme l'autre nuit. Êtes-vous malade? nenni. Êtes-vous plus foible? nenni. Je suis dans cet état trois jours et trois nuits: je redors présentement; mais je ne mange encore que par machine, comme les chevaux, en me frottant la bouche de vinaigre: du reste, je me porte bien, et je n'ai pas même si mal à la tête. Je viens d'écrire des folies à M. le Duc. Si je puis, j'irai dimanche à Livri pour un jour ou deux. Je suis très-aise d'aimer madame de Coulanges à cause de vous. Résolvez-vous, ma belle, de me voir soutenir toute ma vie, à la pointe de mon éloquence, que je vous aime plus encore que vous ne m'aimez: j'en ferois convenir Corbinelli en un demi-quart d'heure: au reste, mandez-moi bien de ses nouvelles; tant de bonnes volontés seront-elles toujours inutiles à ce pauvre homme? Pour moi, je crois que c'est son mérite qui leur porte malheur. Segrais porte aussi guignon; madame de Thianges est des amies de Corbinelli, madame Scarron, mille personnes, et je ne lui vois plus aucune espérance de quoi que ce puisse être. On donne des pensions aux beaux esprits; c'est un fonds abandonné à cela; il en mérite mieux que tous ceux qui en ont; point de nouvelles, on ne peut rien obtenir pour lui. Je dois voir demain madame de Vill......; c'est une certaine ridicule à qui M. d'Ambre a fait un enfant. Elle l'a plaidé, et a perdu son procès. Elle conte toutes les circonstances de son aventure; il n'y a rien au monde de pareil. Elle prétend avoir été forcée: vous jugez bien que cela-conduit à de beaux détails. La Marans est une sainte; il n'y a point de raillerie: cela me paroît un miracle. La Bonnetot est dévote aussi; elle a ôté son œil de verre; elle ne met plus de rouge, ni de boucles. Madame de Monaco ne fait pas de même; elle me vint voir l'autre jour, bien blanche: elle est favorite et engouée de cette Madame-ci tout comme de l'autre: cela est bizarre. Langlade s'en va demain en Poitou pour deux ou trois mois. M. de Marsillac est ici: il part lundi pour aller à Barège; il ne s'aide pas de son bras. Madame la comtesse du Plessis va se marier: elle a pensé acheter Frêne. M. de la Rochefoucauld se porte très-bien: il vous fait mille et mille complimens et à Corbinelli. Voici une question entre deux maximes:

On pardonne les infidélités; mais on ne les oublie point.

On oublie les infidélités; mais on ne les pardonne point.

«Aimez-vous mieux avoir fait une infidélité à votre amant, que vous aimez pourtant toujours; ou qu'il vous en ait fait une, et qu'il vous aime aussi toujours?» On n'entend pas par infidélité, avoir quitté pour un autre; mais avoir fait une faute considérable. Adieu: je suis bien en train de jaser; voilà ce que c'est que de ne point manger et ne point dormir. J'embrasse madame de Grignan et toutes ses perfections.

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LETTRE VIII.

Paris, 4 septembre 1673

Je suis à St.-Maur; j'ai quitté toutes mes affaires et tous mes amis. J'ai mes enfans et le beau temps, cela me suffit. Je prends des eaux de Forges; je songe à ma santé: je ne vois personne, je ne m'en soucie point du tout. Tout le monde me paroît si attaché à ses plaisirs, et à des plaisirs qui dépendent entièrement des autres, que je me trouve avoir un don des fées, d'être de l'humeur dont je suis. Je ne sais si madame de Coulanges ne vous aura point mandé une conversation d'une après-dînée de chez Gourville, où étoient madame Scarron et l'abbé Testu, sur les personnes qui ont le goût au-dessus ou au-dessous de leur esprit; nous nous jetâmes dans des subtilités, où nous n'entendions plus rien. Si l'air de la Provence, qui subtilise encore toutes choses, vous augmente, nos visions là-dessus, vous serez dans les nues. Vous avez le goût au-dessus de votre esprit, et M. de la Rochefoucauld aussi, et moi encore; mais pas tant que vous deux. Voilà des exemples qui vous guideront. M. de Coulanges m'a dit que votre voyage étoit encore retardé: pourvu que vous rameniez madame de Grignan, je n'en murmure pas: si vous ne la ramenez point, c'est une trop longue absence. Mon goût augmente à vue d'œil pour la supérieure du Calvaire; j'espère qu'elle me rendra bonne. Le cardinal de Retz est brouillé pour jamais avec moi, de m'avoir refusé la permission d'entrer chez elle; je la vois quasi tous les jours; j'ai vu enfin son visage[149]: il est agréable, et l'on s'aperçoit bien qu'il a été beau. Elle n'a que quarante ans; mais l'austérité de la règle l'a fort changée. Madame de Grignan a fait des merveilles d'avoir écrit à la Marans. Je n'ai pas été si sage; car je fus, l'autre jour, chercher madame de Schomberg[150], et je ne la demandai point. Adieu, ma belle; je souhaite votre retour avec une impatience digne de notre amitié.

J'ai reçu les cinq cents livres, il y a long-temps. Il me semble que l'argent est si rare, qu'on n'en devroit point prendre de ses amis. Faites mes excuses à M. l'abbé (de Coulanges), de ce que je l'ai reçu.

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LETTRE IX.

Paris, 8 octobre 1689

Mon style sera laconique, je n'ai point de tête: j'ai eu la fièvre, j'ai chargé M. du Bois de vous le mander.

Votre affaire est manquée et sans remède; l'on y a fait des merveilles de toutes parts: je doute que M. de Chaulnes en personne l'eût pu faire. Le roi n'a témoigné nulle répugnance pour M. de Sévigné; mais il étoit engagé, il y a long-temps: il l'a dit à tous ceux qui pensoient à la députation; il faut laisser nos espérances jusqu'aux états prochains. Ce n'est pas de quoi il est question présentement: il est question, ma belle, qu'il ne faut point que vous passiez l'hiver en Bretagne à quelque prix que ce soit. Vous êtes vieille; les Rochers[151] sont pleins de bois; les catarrhes et les fluxions vous accableront. Vous vous ennuierez, votre esprit deviendra triste et baissera: tout cela est sûr, et les choses du monde ne sont rien en comparaison de tout ce que je vous dis. Ne me parlez point d'argent ni de dettes: je vous ferme la bouche sur tout. M. de Sévigné vous donne son équipage. Vous venez à Malicorne: vous y trouvez les chevaux et la calèche de M. de Chaulnes. Vous voilà à Paris: vous allez descendre à l'hôtel de Chaulnes; votre maison n'est pas prête, vous n'avez point de chevaux, c'est en attendant: à votre loisir, vous vous remettrez chez vous. Venons au fait: vous payez une pension à M. de Sévigné; vous avez ici un ménage: mettez le tout ensemble, cela fait de l'argent; car votre louage de maison va toujours. Vous direz: Mais je dois, et je paierai avec le temps. Comptez que vous trouvez ici mille écus, dont vous payez ce qui vous presse; qu'on vous les prête sans intérêt, et que vous les rembourserez petit à petit, comme vous voudrez. Ne demandez point d'où ils viennent, ni de qui c'est: on ne vous le dira pas; mais ce sont gens qui sont bien assurés qu'ils ne les perdront pas. Point de raisonnemens là-dessus, point de paroles, ni de lettres perdues; il faut venir: tout ce que vous m'écrirez, je ne le lirai seulement pas; et en un mot, ma belle, il faut venir, ou renoncer à mon amitié, à celle de madame de Chaulnes et à celle de madame de Lavardin. Nous ne voulons point d'une amie, qui veut vieillir et mourir par sa faute; il y a de la misère et de la pauvreté à votre conduite; il faut venir dès qu'il fera beau.

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LETTRE X.

Paris, 20 septembre 1690

Vous avez reçu ma réponse avant que j'aie reçu votre lettre. Vous aurez vu, par celle de madame de Lavardin et par la mienne, que nous voulions vous faire aller en Provence, puisque vous ne veniez point à Paris; c'est tout ce qu'il y a de meilleur à faire: le soleil est plus beau, vous aurez compagnie; je dis même, séparée de madame de Grignan, qui n'est pas peu; un gros château, bien des gens; enfin, c'est vivre que d'être là. Je loue extrêmement monsieur votre fils de consentir à vous perdre pour votre intérêt; si j'étois en train d'écrire, je lui en ferois des complimens: partez tout le plutôt qu'il vous sera possible. Mandez-nous par quelles villes vous passerez, et à peu près le temps: vous y trouverez de nos lettres. Je suis dans des vapeurs les plus tristes et les plus cruelles où l'on puisse être; il n'y a qu'à souffrir, quand c'est la volonté de Dieu.

C'est du meilleur de mon cœur que j'approuve votre voyage de Provence: je vous le dis sans flatterie, et nous l'avions pensé, madame de Lavardin et moi, sans savoir en aucune façon que ce fût votre dessein[152].

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LETTRE XI.

Paris, 20 septembre 1691

Ma santé est un peu meilleure qu'elle n'a été, c'est-à-dire que j'ai un peu moins de vapeurs; je ne connois point d'autre mal; ne vous inquiétez pas de ma santé; mes maux ne sont pas dangereux; et quand ils le deviendroient, ce ne seroit que par une grande langueur et par un grand desséchement, ce qui n'est pas l'affaire d'un jour: ainsi, ma belle, soyez en repos sur la vie de votre pauvre amie; vous aurez le loisir d'être préparée à tout ce qui arrivera, si ce n'est à des accidens imprévus, à quoi sont sujettes toutes les mortelles, et moi plus qu'une autre, parce que je suis plus mortelle qu'une autre; une personne en santé me paroît un prodige. M. le chevalier de Grignan a soin de moi; j'en ai une reconnoissance parfaite, et je l'aime de tout mon cœur. Madame la duchesse de Chaulnes me vint voir hier; elle a mille bontés pour moi; mon état lui fait pitié. Ma belle-fille a eu une fausse couche huit jours après être accouchée; il y a assez de femmes à qui cela arrive; c'est avoir été bien près d'avoir deux enfans; sa fille se porte bien; ils n'en auront que trop. Notre pauvre ami Croisilles[153] est toujours à Saint-Gratien: il me mande qu'il se porte fort bien à la campagne; il faudroit que vous vissiez comme il est fait, pour admirer qu'il se vante de se porter fort bien; nous en sommes véritablement en peine, le chevalier de Grignan et moi. L'abbé Testu est allé faire un voyage à la campagne; nous le soupçonnons, M. de Chaulnes et moi, d'être allé à la Trappe. La bonne femme, madame Lavocat, est bien malade; il y a aussi bien long-temps qu'elle est au monde. Je suis toute à vous, ma chère amie, et à toute votre aimable et bonne compagnie.

L'on vient de me dire que M. de la Feuillade[154] étoit mort cette nuit; si cela est véritable, voilà un bel exemple pour se tourmenter des biens de ce monde.

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LETTRE XII.

Paris, 26 septembre 1691

Venir à Paris pour l'amour de moi, ma chère amie! la seule pensée m'en fait peur. Dieu me garde de vous déranger ainsi! et, quoique je souhaite ardemment le plaisir de vous voir, je l'acheterois trop cher, si c'étoit à vos dépens. Je vous mandai, il y a huit jours, la vérité de mon état; j'étois parfaitement bien, et j'ai été comme par miracle, quinze jours sans vapeurs, c'est-à-dire, guérie de tous maux. Je ne suis plus si bien depuis trois ou quatre jours, et c'est la seule vue d'une lettre cachetée, que je n'ai point ouverte, qui a ému mes vapeurs. Je ressemble, comme deux gouttes d'eau, à une femme ensorcelée; mais, l'après-dînée, je suis assez comme une autre personne; je vous écrivis, il y a un mois ou deux, que c'étoit ma méchante heure, et c'est à présent la bonne. J'espère que mon mal, après avoir tourné et changé, me quittera peut-être; mais je demeurerai toujours une très-sotte femme; et vous ne sauriez croire comme je suis étonnée de l'être; je n'avois point été nourrie dans l'opinion que je le pusse devenir. Je reviens à votre voyage, ma belle, comptez que c'est un château en Espagne pour moi, que de m'imaginer le plaisir de vous voir, mais mon plaisir seroit troublé, si votre voyage ne s'accordoit pas avec les affaires de madame de Grignan et avec les vôtres. Il me paroît cependant, tout intérêt à part, que vous feriez fort bien de venir l'une et l'autre; mais je ne puis assez vous dire à quel point je suis touchée de la pensée de revenir uniquement à cause de moi. Je vous écrirai plus au long au premier jour.

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LETTRE XIII.

Paris, mercredi 10 octobre 1691

J'ai eu des vapeurs cruelles qui me durent encore, et qui me durent comme un point de fièvre qui m'afflige. En un mot, je suis folle, quoique je sois assurément une femme assez sage. Je veux remercier madame de Grignan pour me calmer l'esprit; elle a écrit des merveilles pour moi à monsieur le chevalier de Grignan.

A madame de Grignan.

Je vous en remercie, Madame, et je vous prie d'ordonner à M. le chevalier de Grignan de m'aimer; je l'aime de tout mon cœur: c'est un homme que cet homme-là. Ramenez madame votre mère; vous avez mille affaires ici; prenez garde de voir vos affaires domestiques de trop près, et que les maisons ne vous empêchent de voir la ville. Il y a plus d'une sorte d'intérêt en ce monde. Venez, Madame, venez ici pour l'amour des personnes qui vous aiment, et songez qu'en travaillant pour vous, c'est me donner en même temps la joie de voir madame votre mère.

A Madame de SÉVIGNÉ.

Mon dieu! ma chère amie, que je serai aise de vous voir! vraiment je pleurerai bien; tout me fait fondre en larmes. J'ai reçu ce matin des lettres de mon fils l'abbé, qui étoit en Poitou, à deux lieues de madame de la Troche. Un gentilhomme d'importance; gendre de madame de la Rochebardon, chez qui madame de la Troche est actuellement, vint dire adieu à mon fils, et c'est là qu'il apprit la mort de la Troche[155], par la gazette, s'il vous plaît; car je n'en avois point parlé à mon fils, qui me fait une peinture de la désolation de ce gentilhomme d'avoir à donner chez lui une telle nouvelle, ce qui m'a rejetée dans les larmes: j'y retombe bien toute seule. M. de Pomponne croyoit madame de la Troche riche, je lui ai écrit, et il m'a mandé que la duchesse du Lude l'avoit détrompé, et qu'ils avoient présenté un placet pour elle. Croisilles sort d'ici; il m'est venu voir de Saint-Gratien; je lui ai fait vos complimens; il est fort bien. Ma petite fille est louche comme un chien: il n'importe; madame de Grignan l'a bien été; c'est tout dire. Me voilà à bout de mon écriture, et toute à vous plus que jamais, s'il est possible.

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LETTRE XIV.

Paris, 24, janvier 1692.

Hélas! ma belle, tout ce que j'ai à vous dire de ma santé est bien mauvais; en un mot, je n'ai repos ni nuit ni jour, ni dans le corps ni dans l'esprit; je ne suis une personne, ni par l'un ni par l'autre; je péris à vue d'œil; il faut finir quand il plaît à Dieu, et j'y suis soumise. L'horrible froid qu'il fait m'empêche de voir madame de Lavardin. Croyez, ma très-chère, que vous êtes la personne du monde que j'ai le plus véritablement aimée.

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EXTRAITS

DE LETTRES DIVERSES.

Madame de la Fayette se moque des ridicules manières de parler de quelques personnes de son temps. Elle fait parler un amant jaloux à sa maîtresse.

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PREMIER EXTRAIT.

Ce sont de ces sortes de choses qu'on ne pardonne pas en mille ans, que le trait que vous me fîtes hier. Vous étiez belle comme un petit ange. Vous savez que je suis alerte sur le compte de Dangeau; je vous l'avois dit de bonne foi; et cependant vous me quittâtes franc et net pour le galoper; cela s'appelle rompre de couronne à couronne; c'est n'avoir aucun ménagement et manquer à toutes sortes d'égards. Vous sentez que cette manière de peindre m'a tiré de grands rideaux. Vous avez oublié qu'il y a des choses dont je ne tâte jamais, et que je suis une espèce d'homme que l'on ne trouve pas aisément sur un certain pied. Sûrement ce n'est point mon caractère que d'être dupe et de donner dans le panneau tête baissée. Je me le tiens pour dit; j'entends le françois. A la vérité, je ne ferai point de fracas; j'en userai fort honnêtement; je n'afficherai point; je ne donnerai rien au public; je retirerai mes troupes; mais comptez que vous n'avez point obligé un ingrat.

SECOND EXTRAIT,

Composé de phrases où il n'y a point de sens, et que bien des gens de la cour mettent dans leurs discours.

Je vous assure, Monseigneur, qu'on est bien chagrin de ne pouvoir faire son devoir, et il est fort honnête de le pardonner. Je vous écris cette missive pour vous donner des nouvelles de M. Domdtel; j'espère qu'il sera bientôt hors d'affaire, et que sa maladie ne sera pas longue. Je me suis trouvé depuis peu à un grand repas où l'on a mangé une bonne soupe, et où vous avez été bien célébré. Vous savez, Monseigneur, que vous inspirez la joie. L'on fit mille plaisanteries; vous me ferez bien la justice de croire que l'on a eu le dernier déplaisir de ne vous y avoir pas. J'ai bien envie d'avoir l'honneur de vous voit pour vous entretenir sur mon gazon. Mes fermiers sont cause que je ne puis m'aller rabattre chez Fredole; mais je vas souvent en un lieu où l'on aime à se réjouir, et où l'on met les plats en bataille. Il y a une personne qui désire fort le tête-à-tête avec vous. Vous connoîtrez dans son dialogue qu'elle a du savoir-faire, et que l'on vous trouve furieusement aimable; je vous dis tout ceci, parce que je suis engoué de vous; car votre caractère me réjouit; et, de bonne foi, il est vrai que je me suis coulé de mon pied en un lieu où j'ai vu de beaux esprits qui ne peuvent se passer de vous à cause de votre génie. Je m'étonne que vous ne veniez pas dialoguer avec les demoiselles; c'est à coup sûr que vous les réjouissez quand elles vous voient; car, assurément, vous êtes du bel air, et vous distinguez bien dans le beau monde, où l'on vous rend justice. Il est vrai que je m'en allai hier au bal dans un grand embarras, dont j'eus bien de la peine de me tirer; il est vrai que je n'y demeurai pas long-temps; j'ouïs la bonne femme qui me parla bien de vous, qui me dit que vous faisiez figure. Elle vous aime autant que les demoiselles; sûrement vous êtes aujourd'hui la coqueluche de tout le monde; il est vrai que votre mérite n'est pas postiche. Les demoiselles en rendent sûrement de bons témoignages.

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PORTRAIT

DE

LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ,

PAR MADAME

LA COMTESSE DE LA FAYETTE,

SOUS LE NOM D'UN INCONNU.

Tous ceux qui se mêlent de peindre des belles, se tuent de les embellir pour leur plaire, et n'oseroient leur dire un seul de leurs défauts; mais pour moi, Madame, grâce au privilège d'inconnu que j'ai auprès de vous, je m'en vais vous peindre bien hardiment, et vous dire toutes vos vérités tout à mon aise, sans craindre de m'attirer votre colère; je suis au désespoir de n'en avoir que d'agréables à vous conter; car ce me seroit un grand déplaisir si, après vous avoir reproché mille défauts, je voyois cet inconnu aussi bien reçu de vous, que mille gens qui n'ont fait toute leur vie que de vous louer. Je ne veux point vous accabler de louanges, et m'amuser à vous dire que votre taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assurent que vous n'avez que vingt ans, que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses; votre miroir vous les dit assez; mais comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable et charmante quand vous parlez; et c'est ce que je veux vous apprendre.

Sachez donc, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point au monde de si agréable. Lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie, tout ce que vous dites a un tel charme, et vous sied si bien, que vos paroles attirent les ris et les grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat à votre teint et à vos yeux, que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux, et que, lorsqu'on vous écoute, l'on ne voit plus qu'il manque quelque chose à la régularité de vos traits, et l'on vous croit la beauté du monde la plus achevée. Vous pouvez juger, par ce que je viens de vous dire, que, si je vous suis inconnu, vous ne m'êtes pas inconnue, et qu'il faut que j'aie eu plus d'une fois l'honneur de vous voir et de vous entretenir, pour avoir démêlé ce qui fait en vous cet agrément dont tout le monde est surpris; mais je veux encore vous faire voir, Madame, que je ne connois pas moins les qualités solides qui sont en vous, que je sais les agréables dont on est touché. Votre âme est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser au soin d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins au plaisir. Vous paroissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous. Votre présence augmente les divertissemens, et les divertissemens augmentent votre beauté lorsqu'ils vous environnent; enfin la joie est l'éaât véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à personne du monde. Vous êtes naturellement tendre et passionnée; mais, à la honte de notre sexe, cette tendresse nous a été inutile, et vous l'avez renfermée dans le vôtre, en la donnant à madame de la Fayette. Ah! Madame, s'il y avoit quelqu'un au monde assez heureux pour que vous ne l'eussiez pas trouvé indigne de ce trésor dont elle jouit, et qu'il n'eût pas tout mis en usage pour le posséder, il mériteroit toutes les disgrâces dont l'amour peut accabler ceux qui vivent sous son empire. Quel bonheur d'être le maître d'un cœur comme le vôtre, dont les sentimens fussent expliqués par cet esprit galant et agréable que les dieux vous ont donné! et votre cœur, Madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais, au contraire, vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qu'il ne vous soit honorable de montrer, que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence du siècle vous obligeroit de cacher. Vous êtes née la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été, et, par un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples complimens de bienséance paroissent, en votre bouche, des protestations d'amitié, et tous ceux qui sortent d'auprès de vous s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils se puissent dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre. Enfin, vous avez reçu des grâces du ciel qui n'ont jamais été données qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venu montrer mille agréables qualités qui, jusqu'ici, lui avoient été inconnues. Je ne veux point m'embarquer à vous les dépeindre toutes; car je romprois le dessein que j'ai de ne vous pas accabler de louanges, et, de plus, Madame, pour vous en donner qui fussent

Dignes de vous et de paroître,
Il faudroit être votre amant,
Et je n'ai pas l'honneur de l'être[156].

Fin des lettres de Madame de la Fayette.

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LETTRES

DE

NINON DE L'ENCLOS.

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NOTICE

SUR

NINON DE L'ENCLOS.

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Anne de l'Enclos naquit à Paris le 15 mai 1616 de M. de l'Enclos, gentilhomme de Touraine, et de mademoiselle de Raconis, son épouse, d'une famille noble de l'Orléanois.

Madame de l'Enclos vouloit faire de Ninon une dévote; mais M. de l'Enclos, homme d'esprit et de plaisir, se chargea lui-même de l'éducation de sa fille, et donna une direction toute différente à ses inclinations.

Ninon perdit ses parens de bonne heure: dès l'âge de quinze ans, elle se trouva maîtresse d'elle-même, et d'une fortune que les dissipations de son père avoient considérablement réduite. Elle mit son bien à fonds perdu, et se fit, par ce moyen, un revenu suffisant pour vivre dans l'aisance, et même obliger ses amis au besoin. Elle sut économiser sans avarice, et dépenser sans profusion.

Plusieurs fois elle fut recherchée en mariage; mais elle chérissoit trop l'indépendance pour contracter un pareil engagement.

Élevée dans les principes les moins sévères, et née avec des sens fort vifs, elle se livra toute entière aux plaisirs de l'amour. Nous n'entreprendrons point de faire l'apologie d'une conduite aussi peu retenue; en renonçant à la principale vertu de son sexe, Ninon a sans doute perdu une grande partie de ses droits à l'estime; mais s'il n'est pas permis de chercher à excuser ses torts, il doit l'être au moins de mettre sous les yeux du lecteur tout ce qui peut contribuer à les faire juger moins rigoureusement. M. de l'Enclos, professant ouvertement l'épicuréisme le plus relâché, avoit donné à sa fille des préceptes de volupté qu'il ne confirmoit que trop par sa manière de vivre; et l'on sait quelle influence exercent sur nos idées et nos actions de toute la vie, les discours et l'exemple des personnes qui ont présidé à notre éducation, sur-tout lorsque ces personnes nous ont été chères, et que leur doctrine a flatté nos goûts, au lieu de les contrarier. Abandonnée fort jeune à sa propre volonté, entourée de mille adorateurs que lui attiroient ses charmes, flattée d'inspirer de l'amour, ne pouvant s'empêcher d'en ressentir elle-même pour des hommes qui réunissoient presque tous aux grâces de l'esprit et du corps l'éclat d'une grande fortune ou d'un grand nom, comment Ninon se seroit-elle défendue contre tant de séductions? Elle y céda sans résistance; mais si elle fut foible, elle ne fut point vile. Quoiqu'elle eut le tort très-grand de ne considérer l'amour que comme une sensation et non point comme un sentiment, on ne voit pas que ce travers d'opinion, qui auroit pu l'entraîner aux choix les plus honteux, lui en ait jamais fait faire un seul que la délicatesse la plus platonique eût pu désavouer. La liste de ses amans est nombreuse; mais il n'y figure aucun nom que, pour son honneur, on soit fâché d'y trouver inscrit; ce sont les Condé, les la Rochefoucauld, les Longueville, les Coligni, les Villarceaux, les Sévigné, les d'Albret, les d'Estrées, les Gersey, les d'Effiat, les Clérembault, les la Châtre, les Bannier, les Gourville, etc. Mais ce qui établit sur-tout une prodigieuse différence entre Ninon et les autres femmes qui, comme elle, ont fait de l'amour une sorte de profession, c'est qu'elle ne trafiqua point de ses faveurs. Par inclination, par caprice ou même par vanité, elle les accordoit en pur don à l'amabilité, au mérite, à la célébrité; mais jamais elle ne les vendit à la richesse. Elle poussoit, dit-on, les scrupules du désintéressement jusque-là, que ceux dont elle avoit satisfait les désirs, en perdoient le droit de lui faire accepter les dons les plus légers.

Celle qui rejetoit les présens de l'amour comme un salaire offensant, n'étoit pas faite pour retenir les dépôts de l'amitié. Gourville, obligé de fuir du royaume, avoit confié vingt mille écus en or à Ninon, dont il étoit alors l'amant, et remis pareille somme entre les mains d'un personnage fameux par l'austérité de ses mœurs. Gourville revint. L'ecclésiastique (c'en étoit un) nia le dépôt. Gourville, à qui Ninon dans l'intervalle avoit donné un successeur, lui fit l'injure de la croire aussi peu fidèle en affaires qu'en amour, et il doutoit si peu de son malheur qu'il s'épargnoit jusqu'à la peine d'aller s'en assurer. Ninon l'envoya chercher. «Mon cher Gourville, lui dit-elle, il m'est arrivé un grand malheur pendant votre absence. J'ai perdu le goût que j'avois pour vous; mais je n'ai pas perdu la mémoire. Voici les vingt mille écus que vous m'avez confiés à votre départ de Paris. Ils sont encore dans la cassette où vous les avez serrés vous-même.»

Ninon ne trahissoit point ses amans; elle cessoit de les aimer et le leur disoit. Ce ne fut que pour se soustraire aux fatigantes importunités de la Châtre, qu'elle lui signa ce fameux billet, où elle faisoit de tous les sermens celui qu'elle étoit le moins en état de tenir, le serment de n'en aimer jamais d'autre de sa vie; et elle ne se crut pas liée un seul instant par un engagement aussi téméraire. Au reste il est certain, d'après son caractère, que si le porteur de cette risible cédule eût été de retour auprès d'elle, quand il lui vint en fantaisie de manquer à la foi jurée, elle lui auroit ingénument confié à lui-même que son billet ne valoit plus rien.

Volage en amour, mais non point perfide, Ninon étoit en amitié d'une constance à toute épreuve. Ses amans, en cessant de l'être, devenoient ses amis, et c'étoit pour toujours. L'amitié étoit le seul sentiment respectable à ses yeux, et elle en remplissoit religieusement tous les devoirs. J. J. Rousseau a dit: «Je n'aurois pas plus voulu d'elle pour mon ami que pour ma maîtresse.» On ne voit pas trop par quel motif il eût répugné si fort à être l'ami de Ninon; on expliqueroit plus facilement encore pourquoi il eût refusé d'être son amant, quoiqu'à dire vrai, Rousseau lui-même eût peut-être eu bien de la peine à se défendre de ses charmes, si elle se fût mis en tête de venir à bout de sa philosophie.

Tous ses contemporains s'accordent à la peindre comme la plus séduisante des femmes. Sa taille, disent-ils, étoit pleine de grâce et de noblesse; sa figure n'étoit pas parfaitement régulière, et n'avoit point ce grand éclat de beauté qui frappe d'abord; mais l'examen y faisoit découvrir une foule d'agrémens et de finesses qui la faisoient préférer aux figures les plus correctes et les plus éblouissantes. Elle dédaignoit le luxe des habits, ou plutôt, par une coquetterie mieux entendue, elle le rejetoit comme contraire aux intérêts de sa beauté. Une propreté recherchée, une simplicité élégante faisoient tous les frais de sa parure. Les charmes de sa personne se conservèrent si long-temps, ils diminuèrent d'une manière si lente et si peu sensible, qu'elle prolongea le don de plaire et d'exciter le désir, jusqu'à un âge où toutes les autres femmes sont trop heureuses de ne pas exciter le dégoût. On prétend qu'à quatre-vingts ans elle inspira une vive passion à l'abbé Gedoyn. Voltaire ne rejette point entièrement cette anecdote, comme quelques autres ont fait; mais à l'abbé Gedoyn il substitue l'abbé de Château-Neuf, et il rabat dix années de l'âge attribué à Ninon quand elle fit sa dernière folie. Au compte même de Voltaire, c'est encore avoir poussé bien loin sa carrière amoureuse. L'abbé Fraguier, qui n'avoit connu Ninon que dans un âge déjà très-avancé, disoit que quiconque vouloit faire attention à ses yeux, pouvoit y lire encore toute son histoire. Chaulieu exprimoit autrement la même idée: L'amour, disoit-il, s'étoit retiré jusque dans les rides de son front.

L'esprit de Ninon n'étoit pas moins célèbre que ses charmes. Elle l'avoit tout à la fois agréable et solide. Elle se l'étoit formé de bonne heure par la lecture de nos meilleurs écrivains. A l'âge de dix ans, Montaigne et Charron étoient ses livres favoris. Elle parloit avec facilité l'italien et l'espagnol. Elle évitoit avec un soin extrême le ridicule si commun parmi les femmes qui se croient ou sont en effet plus instruites que les autres, celui de faire parade de leur savoir. Mignard se plaignoit de ce que sa fille, depuis madame la comtesse de Feuquières, manquoit de mémoire: Vous êtes trop heureux, Monsieur, lui dit Ninon, elle ne citera point. «Son entretien étoit doux et léger, dit l'abbé Fraguier: le contraire la blessoit, mais il n'y paroissoit point.» Elle n'avoit pas négligé les arts agréables; elle dansoit avec grâce, chantoit avec goût, et jouoit très-bien du clavecin, du luth, du tuorbe et de la guitare.

Tant d'agrémens réunis ne pouvoient manquer d'attirer chez elle l'élite de la cour et de la ville. Les hommes les plus distingués par la naissance, l'esprit et les talens, lui faisoient une cour assidue. Les mères ambitionnoient pour leurs fils l'avantage d'être admis chez Ninon, auprès de qui ils se formoient aux manières et au ton de la bonne compagnie. Cette faveur n'étoit point accordée indistinctement à tous ceux qui la sollicitoient. Un mérite reconnu, ou d'heureuses dispositions pour en acquérir, étoient, avec la probité, les seuls titres qui pussent la faire obtenir. Ninon n'y fut trompée qu'une fois. A la sollicitation d'un de ses meilleurs amis, elle avoit consenti à recevoir chez elle un M. Rémond, dont l'éducation ne lui fit point d'honneur. Il se signala bientôt dans le monde par toutes sortes de ridicules. On apprit à Ninon qu'il alloit se vantant partout d'avoir été formé par elle. Je suis comme Dieu, dit-elle, qui s'est repenti d'avoir formé l'homme. Chapelle fut exclus de sa maison, à cause de son ivrognerie, quoique ce défaut, qui est devenu le partage de la dernière classe du peuple, fût encore de mode alors parmi les plus honnêtes gens. Chapelle, offensé, jura que pendant un mois il ne se coucheroit pas sans être ivre, et sans avoir fait une chanson contre Ninon. Il tint parole, dit Voltaire.

On conçoit sans peine que les hommes, moins scrupuleux dans leurs liaisons de tout genre, aient recherché avec empressement la société d'une femme, disons le mot, d'une courtisane charmante, et se soient, en quelque sorte, fait un honneur d'y être admis; mais que des femmes, à qui le soin de leur réputation commandoit à cet égard la plus grande réserve, n'aient point rougi d'être ouvertement les amies de Ninon, voilà ce qui étonne avec raison, voilà ce qu'on ne peut expliquer que par un mérite vraiment extraordinaire dans la personne qui les faisoit ainsi passer par-dessus les conseils du plus sage préjugé. Cela fait supposer aussi, que Ninon mettoit dans sa conduite autant de décence extérieure qu'il en falloit, pour que des femmes honnêtes ne fussent point embarrassées chez elle de leur contenance. Mesdames de la Suze, de Castelnau, de la Ferté, de Sulli, de Fiesque, de la Fayette, de Choisi, de Lambert, de Bouillon-Mancini, de Sandwich, etc., furent liées avec elle d'une amitié très-étroite. Elle en avoit contracté une plus intime encore avec madame de Maintenon, lorsque celle-ci n'étoit que mademoiselle d'Aubigné ou madame Scarron; elles couchèrent plusieurs mois ensemble dans le même lit, et l'on assure que mademoiselle d'Aubigné enleva à Ninon, Villarceaux, son amant, sans que Ninon en sût plus mauvais gré à l'un et à l'autre. Madame de Maintenon, parvenue au comble de la faveur, fit proposer à son ancienne amie de se faire dévote, et de venir auprès d'elle à la cour. Ninon refusa. Ce ne fut pas la seule fois qu'elle sacrifia la fortune et la faveur à son amour pour le repos et la liberté. La reine Christine fit en vain mille efforts pour l'emmener avec elle à Rome. Christine dit en partant qu'elle n'avoit trouvé aucune femme en France qui lui plût autant que l'illustre Ninon. C'est dans une conversation avec cette reine que Ninon qualifia les précieuses de jansénistes de l'amour. Madame de Sévigné n'aimoit point Ninon. Dans plusieurs de ses lettres, elle parle d'elle avec très-peu de considération. Sa prévention est excusable; le marquis de Sévigné s'occupoit peu de son avancement, mais en revanche il travailloit assez efficacement à déranger une fortune que sa mère mettoit tous ses soins à conserver. Madame de Sévigné crut voir dans l'amour de son fils pour Ninon la cause de son indolence et de ses dissipations. La Champmêlé, qui succéda à Ninon dans le cœur du marquis de Sévigné, eut aussi sa part de la mauvaise humeur et des ressentimens de cette mère tendre et inquiète. En général, elle ne ménageoit aucun de ceux qu'elle croyoit pouvoir accuser du dérangement de son fils. Pour un ou deux soupers que celui-ci fit accepter à Racine et à Boileau, elle parle quelque part d'eux, comme de poëtes faméliques, pour qui un repas pris en ville est une bonne fortune. Or, on sait que Boileau recevoit chez lui les plus grands seigneurs, et que Racine refusoit de dîner avec M. le duc de Bourbon, pour manger une carpe en famille.

Revenons à Ninon. Plusieurs beaux esprits du temps, plusieurs écrivains assez distingués la célébrèrent en prose et en vers. De ce nombre furent Scarron, Regnier-Desmarais, l'abbé de Châteauneuf et Saint-Evremont. Ce dernier partageoit ses adorations entre elle et la fameuse duchesse de Mazarin. Tout le monde connoît le joli quatrain qu'il fit pour Ninon:

L'indulgente et sage nature
A formé l'âme de Ninon,
De la volupté d'Épicure,
Et de la vertu de Caton.

Un hommage plus flatteur encore pour elle, c'est le cas que Molière faisoit de son goût et de son esprit; il la consultoit, dit-on, sur tous ses ouvrages. Comme il lui avoit lu un jour son Tartuffe, elle lui fit le récit d'une aventure qui lui étoit arrivée avec un scélérat à peu près de la même espèce. Molière rapporta qu'elle lui en avoit fait le portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que, si sa pièce n'eût pas été faite, il ne l'auroit jamais entreprise, tant il se seroit cru incapable de rien mettre sur le théâtre d'aussi parfait que le Tartuffe de mademoiselle de l'Enclos. Voltaire trouve l'anecdote peu vraisemblable, quoiqu'on en ait pour garant l'abbé de Châteauneuf, qui disoit la tenir de Molière lui-même. On peut l'adopter, en admettant que Molière a parlé avec un peu trop de modestie sur son propre compte, et d'exagération sur celui de Ninon, qui l'avoit frappé d'admiration par son talent pour saisir et peindre le ridicule.

Ses contes et ses bons mots lui avoient fait de bonne heure une réputation. On cite d'elle une foule de réflexions profondes ou ingénieuses. Nous n'en rapporterons que quelques-unes. Elle eut, à l'âge de vingt-deux ans, une maladie qui la mit au bord du tombeau. Ses amis déploroient sa destinée qui l'enlevoit à la fleur de son âge. Ah! dit-elle, je ne laisse au monde que des mourans. Ce mot est bien philosophique. La beauté sans les grâces, disoit-elle souvent, est un hameçon sans appât. Elle disoit un jour à Saint-Evremont qu'elle rendoit grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et qu'elle le prioit tous les matins de la préserver des sottises de son cœur. Elle prétendoit qu'une femme sensée ne devroit jamais prendre d'amant sans l'aveu de son cœur, ni de mari sans le consentement de sa raison. Ninon avoit le talent des vers; mais elle en faisoit rarement usage. Le Grand-Prieur de Vendôme avoit essayé inutilement de se faire aimer d'elle; indigné de ses refus, il mit un jour sur sa toilette ce quatrain:

Indigne de mes feux, indigne de mes larmes,
Je renonce sans peine à tes foibles appas:
Mon amour te prêtoit des charmes,
Ingrate, que tu n'avois pas.

Elle y répondit par cette plaisante parodie:

Insensible à tes feux, insensible à tes larmes,
Je te vois renoncer à mes foibles appas;
Mais si l'amour prête des charmes,
Pourquoi n'en empruntois-tu pas?

Le bonheur dont jouissoit Ninon ne fut troublé qu'une fois, mais ce fut par l'accident le plus affreux. L'un des deux fils qu'elle avoit eus de Villarceaux, ignorant qu'elle étoit sa mère, devint éperdument amoureux d'elle, et lorsque voulant mettre fin à cette fatale passion, elle lui eût révélé le secret de sa naissance, l'infortuné jeune homme alla se poignarder de désespoir. Son autre fils, nommé la Boissière, fit une espèce de fortune; il devint capitaine de vaisseau, et mourut à Toulon, en 1732, âgé de 75 ans.

Tout le monde sait que Voltaire fut présenté à Ninon au sortir du collége par l'abbé de Châteauneuf, et qu'elle lui laissa par son testament deux mille francs pour acheter des livres.

Ninon mourut à Paris dans sa maison de la rue des Tournelles, au Marais, le 17 octobre 1706, sur les cinq heures du soir, à l'âge de quatre-vingt-dix ans et cinq mois.

On a écrit plusieurs fois sa vie. Voltaire impatienté de voir paroître tant de mémoires sur elle, disoit: Si cette mode continue, il y aura bientôt autant d'histoires de Ninon que de Louis XIV.

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LETTRES

DE
 
MLLE. DE L'ENCLOS;
 
A M. DE St.-EVREMONT,
 
ET
 
DE M. DE St.-EVREMONT
 
A MLLE. DE L'ENCLOS.

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LETTRE PREMIÈRE.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

Votre vie, ma très-chère, a été trop illustre pour n'être pas continuée de la même manière jusqu'à la fin. Que l'enfer de M. de la Rochefoucauld[157] ne vous épouvante pas; c'étoit un enfer médité, dont il vouloit faire une maxime. Prononcez donc le mot d'amour hardiment, et que celui de vieille ne sorte jamais de votre bouche. Il y a tant d'esprit dans votre lettre, que vous ne laissez pas même imaginer le commencement du retour. Quelle ingratitude d'avoir honte de nommer l'amour à qui vous devez votre mérite et vos plaisirs! Car enfin, ma belle gardeuse de cassette, la réputation de votre probité est particulièrement établie sur ce que vous avez résisté à des amans qui se fussent accommodés volontiers de l'argent de vos amis. Avouez toutes vos passions pour faire valoir toutes vos vertus. Cependant, vous n'avez exprimé que la moitié du caractère. Il n'y a rien de mieux que la part qui regarde vos amis; rien de plus sec que ce qui regarde vos amans. En peu de vers, je veux faire le caractère entier; et le voici formé de toutes les qualités que vous avez, ou que vous avez eues.

Dans vos amours on vous trouvoit légère,
En amitié toujours sûre et sincère;
Pour vos amans les humeurs de Vénus,
Pour vos amis les solides vertus.
Quand les premiers vous nommoient infidelle,
Et qu'asservis encore à votre loi,
Ils reprochoient une flamme nouvelle,
Les autres se louoient de votre bonne foi.
Tantôt c'étoit le naturel d'Hélène,
Ses appétits, comme tous ses appas;
Tantôt c'étoit la probité romaine,
C'étoit d'honneur la règle et le compas.
Dans un couvent, en sœur dépositaire,
Vous auriez bien ménagé quelqu'affaire;
Et dans le monde, à garder les dépôts,
On vous eût justement préférée aux dévots.

Que cette diversité ne vous surprenne point.

L'indulgente et sage nature,
A formé l'âme de Ninon,
De la volupté d'Épicure,
Et de la vertu de Caton.

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LETTRE II.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

J'étois dans ma chambre, toute seule, et très-lasse de lecture, lorsque l'on me dit: voilà un homme de la part de M. de Saint-Evremont. Jugez si tout mon ennui ne s'est pas dissipé dans le moment. J'ai eu le plaisir de parler de vous, et j'en ai appris des choses que les lettres ne disent point: votre santé parfaite et vos occupations. La joie de l'esprit en marque la force; et votre lettre, comme du temps que M. d'Olonne vous faisoit suivre, m'assure que l'Angleterre vous promet encore quarante ans de vie; car il me semble que ce n'est qu'en Angleterre que l'on parle de ceux qui ont vécu au delà de l'âge de l'homme. J'aurois souhaité de passer ce qui me reste de vie avec vous: si vous aviez pensé comme moi, vous seriez ici. Il est pourtant assez beau de se souvenir toujours des personnes que l'on a aimées; et c'est peut-être pour embellir mon épitaphe que cette séparation du corps s'est faite. Je souhaiterois que le jeune[158] prédicateur m'eût trouvée dans la gloire de Niquée, où l'on ne change point; car il me paroît que vous m'y croyez des premières enchantées. Ne changez point vos idées sur cela; elles m'ont toujours été favorables, et que cette communication, que quelques philosophes croyoient au-dessus de la présence, dure toujours.

J'ai témoigné à M. Turretin la joie que j'aurois de lui être bonne à quelque chose. Il a trouvé ici de mes amis qui l'ont jugé digne des louanges que vous lui donnez. S'il veut profiter de ce qui nous reste d'honnêtes abbés en l'absence de la cour, il sera traité comme un homme que vous estimez. J'ai lu devant lui votre lettre avec des lunettes, mais elles ne me siéent pas mal; j'ai toujours eu la mine grave. S'il est amoureux du mérite que l'on appelle ici distingué, peut-être que votre souhait sera accompli; car tous les jours on me veut consoler de mes pertes par ce beau mot.

J'ai su que vous souhaitiez la Fontaine en Angleterre. On n'en jouit guère à Paris. Sa tête est bien affoiblie: c'est le destin des poëtes; le Tasse et Lucrèce l'ont éprouvé. Je doute qu'il y ait eu du philtre amoureux pour la Fontaine. Il n'a guère aimé de femmes qui en eussent pu faire la dépense.

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LETTRE III.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

M Turretin m'a une grande obligation de lui avoir donné votre connoissance. Je ne lui en ai pas une médiocre d'avoir servi de sujet à la belle lettre que je viens de recevoir. Je ne doute point qu'il ne vous ait trouvée avec les mêmes yeux que je vous ai vue: ces yeux, par qui je connoissois toujours la nouvelle conquête d'un amant, quand ils brilloient un peu plus que de coutume, et qui nous faisoient dire:

Telle n'est point la Cythérée[159],
Quand d'un nouveau feu s'allumant,
Elle soit pompeuse et parée
Pour la conquête d'un amant;
Telle ne luit en sa carrière
Des mois l'inégale courrière;
Et telle dessus l'horizon,
L'Aurore au matin ne s'étale,
Quand les yeux même de Céphalo
En feroient la comparaison.

Vous êtes encore la même pour moi; et quand la nature, qui n'a jamais pardonné à personne, auroit épuisé son pouvoir à produire une petite altération aux traits de votre visage, mon imagination sera toujours pour vous cette gloire de Niquée, où vous savez qu'on ne changeoit point. Vous n'en avez pas affaire pour vos yeux et pour vos dents, j'en suis assuré. Le plus grand besoin que vous ayez, c'est de mon jugement, pour bien connoître les avantages de votre esprit, qui se perfectionne tous les jours. Vous êtes plus spirituelle que n'étoit la jeune et vive Ninon.

Telle n'étoit point Ninon,
Quand le gagneur[160] de batailles,
Après l'expédition
Opposée aux funérailles,
Attendoit avec vous en conversation
Le mérite nouveau d'une autre impulsion.

Votre esprit, à son courage
Qui paroissoit abattu,
Faisoit retrouver l'usage
De sa première vertu.

Le charme de vos paroles
Passoit ceux des Espagnoles,
A ranimer tous les sens
Des amoureux languissans.

Tant qu'on vit à votre service
Un jeune, un aimable garçon[161],
A qui Vénus fut rarement propice,
Bussi n'en fit point de chanson.

Vous étiez même regardée
Comme une nouvelle Médée;
Qui pourroit en amour rajeunir un Éson.
Que votre art seroit beau, qu'il seroit admirable,
S'il me rendoit un Jason,
Un Argonaute capable
De conquérir la toison!

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LETTRE IV.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

1696

J'ai reçu la seconde lettre que vous m'avez écrite, obligeante, agréable, spirituelle, où je reconnois les enjouemens de Ninon et le bon sens de mademoiselle de Lenclos. Je savois comment la première a vécu; vous m'apprenez de quelle manière vit l'autre. Tout contribue à me faire regretter le temps heureux que j'ai passé dans votre commerce, et à désirer inutilement de vous voir encore. Je n'ai pas la force de me transporter en France, et vous y avez des agrémens qui ne vous laisseront pas venir en Angleterre. Madame de Bouillon vous peut dire que l'Angleterre a ses charmes; et je serois un ingrat, si je n'avouois moi-même que j'y ai trouvé des douceurs. J'ai appris avec beaucoup de plaisir que M. le comte de Grammont a recouvré sa première santé, et acquis une nouvelle dévotion. Jusqu'ici je me suis contenté grossièrement d'être homme de bien. Il faut faire quelque chose de plus, et je n'attends que votre exemple pour être dévôt. Vous vivez dans un pays où l'on a de merveilleux avantages pour se sauver. Le vice n'y est guère moins opposé à la mode qu'à la vertu. Pécher, c'est ne savoir pas vivre, et choquer la bienséance autant que la religion. Il ne falloit autrefois qu'être méchant; il faut être de plus malhonnête homme pour se damner en France présentement. Ceux qui n'ont pas assez de considération pour l'autre vie, sont conduits au salut par les égards et les devoirs de celle-ci. C'en est assez sur une matière où la conversion de M. le comte de Grammont m'a engagé. Je la crois sincère et honnête. Il sied bien à un homme qui n'est pas jeune, d'oublier qu'il l'a été. Je ne l'ai pu faire jusqu'ici. Au contraire, du souvenir de mes jeunes ans, de la mémoire de ma vivacité passée, je tâche d'animer la langueur de mes vieux jours. Ce que je trouve de plus fâcheux à mon âge, c'est que l'espérance est perdue: l'espérance, qui est la plus douce des passions, et celle qui contribue davantage à nous faire vivre agréablement. Désespérer de vous voir jamais, est ce qui me fait le plus de peine. Il faut se contenter de vous écrire quelquefois, pour entretenir une amitié qui résiste à la longueur du temps, à l'éloignement des lieux, et à la froideur ordinaire de la vieillesse[162]. Ce dernier mot me regarde. La nature commencera par vous, à faire voir qu'il est possible de ne vieillir pas. Je vous prie de faire assurer M. le duc de Lauzun, de mes très-humbles services, et de savoir si madame la maréchale de Créqui lui a fait payer cinq cents écus qu'il m'avoit prêtés. On me l'a écrit, il y a long-temps; mais je n'en suis pas trop assuré.

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LETTRE V.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

Il y a plus d'un an que je demande de vos nouvelles à tout le monde, et personne ne m'en apprend.

M. de la Bastide m'a dit que vous vous portiez fort bien; mais il ajoute, que si vous n'avez plus tant d'amans, vous êtes contente d'avoir beaucoup d'amis. La fausseté de la dernière nouvelle me fait douter de la vérité de la première. Vous êtes née pour aimer toute votre vie. Les amans et les joueurs ont quelque chose de semblable. Qui a aimé, aimera. Si l'on m'avoit dit que vous étiez dévote, je l'aurois pu croire. C'est passer d'une passion humaine à l'amour de Dieu, et donner à son âme de l'occupation; mais ne pas aimer est une espèce de néant qui ne peut convenir à votre cœur.

Ce repos languissant ne fut jamais un bien,
C'est trouver, sans mourir, l'état où l'on n'est rien.

Je vous demande des nouvelles de votre santé, de vos occupations, de votre humeur, et que ce soit dans une assez longue lettre, où il y ait peu de morale, et beaucoup d'affection pour votre ancien ami. L'on dit ici que le comte de Grammont est mort, ce qui me donne un déplaisir fort sensible. Si vous connoissez Barbin, faites-lui demander pourquoi il imprime tant de choses sous mon nom, qui ne sont point de moi. J'ai assez de mes sottises, sans me charger de celles des autres. On me donne une pièce contre le père Bouhours, où je ne pensai jamais. Il n'y a pas d'écrivain que j'estime plus que lui. Notre langue lui doit plus qu'à aucun auteur, sans excepter Vaugelas. Dieu veuille que la nouvelle de la mort du comte de Grammont soit fausse[163], et celle de votre santé véritable!

La gazette de Hollande dit que M. le comte de Lauzun se marie; si cela étoit vrai, on l'auroit mandé de Paris: outre cela, M. de Lauzun est duc, et le nom de comte ne lui convient point. Si vous avez la bonté de m'en écrire quelque chose, vous m'obligerez, et de faire bien des complimens à M. de Gourville de ma part, en cas que vous le voyiez toujours. Pour des nouvelles de paix et de guerre, je ne vous en demande pas. Je n'en écris point, et je n'en reçois pas davantage. Adieu. C'est le plus véritable de vos serviteurs qui gagneroit beaucoup si vous n'aviez point d'amans; car il seroit le premier de vos amis, malgré une absence qu'on peut nommer éternelle.

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LETTRE VI.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

Je défie Dulcinée de sentir avec plus de joie le souvenir de son chevalier. Votre lettre a été reçue comme elle le mérite, et la triste figure n'a point diminué le mérite des sentimens. Je suis touchée de leur force et de leur persévérance. Conservez-les à la honte de ceux qui se mêlent d'en juger. Je crois, comme vous, que les rides sont les marques de la sagesse. Je suis ravie que vos vertus extérieures ne vous attristent point. Je tâche d'en user de même. Vous avez un ami[164], gouverneur de province, qui doit sa fortune à ses agrémens. C'est le seul vieillard qui ne soit pas ridicule à la cour. M. de Turenne ne vouloit vivre que pour le voir vieux. Il le verroit père de famille, riche et plaisant. Il a plus dit de plaisanteries sur sa nouvelle dignité, que les autres n'en ont pensé. M. d'Elbene, que vous appeliez le Cunctator, est mort à l'hôpital. Qu'est-ce que les jugemens des hommes! Si M. d'Olonne vivoit, et qu'il eût lu la lettre que vous m'écrivez, il vous auroit continué votre qualité de son philosophe. M. de Lauzun est mon voisin. Il recevra vos complimens. Je vous rends très-tendrement ceux de M. de Charleval. Je vous demande instamment de faire souvenir M. de Ruvigny de son amie de la rue des Tournelles.

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LETTRE VII.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

1693

M de Charleval vient de mourir, et j'en suis si affligée, que je cherche à me consoler par la part que je sais que vous y prendrez. Je le voyois tous les jours. Son esprit avoit tous les charmes de la jeunesse, et son cœur toute la bonté et la tendresse désirable dans les véritables amis. Nous parlions souvent de vous, et de tous les originaux de notre tems. Sa vie et celle que je mène présentement avoient beaucoup de rapport. Enfin, c'est plus que de mourir soi-même qu'une pareille perte. Mandez-moi de vos nouvelles. Je m'intéresse à votre vie à Londres, comme si vous étiez ici, et les anciens amis ont des charmes que l'on ne connoît jamais si bien que lorsqu'on en est privé.

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LETTRE VIII.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

J'apprends avec plaisir que mon âme vous est plus chère que mon corps, et que votre bon sens vous conduit toujours au meilleur. Le corps, à la vérité, n'est plus digne d'attention, et l'âme a encore quelque lueur qui la soutient, et qui la rend sensible au souvenir d'un ami dont l'absence n'a point effacé les traits. Je fais souvent de vieux contes où M. d'Elbene, M. de Charleval et le chevalier de la Rivière réjouissent les modernes. Vous avez part aux beaux endroits. Mais comme vous êtes moderne aussi, j'observe de ne vous pas louer devant les académiciens qui se sont déclarés pour les anciens. Il m'est revenu un prologue en musique que je voudrois bien voir sur le théâtre de Paris. La beauté, qui en fait le sujet, donneroit de l'envie à toutes celles qui l'entendroient. Toutes nos Hélènes n'ont pas le droit de trouver un Homère, et d'être toujours les Déesses de la beauté. Me voici bien haut; comment en descendre? Mon très-cher ami, ne falloit-il pas mettre le cœur à son langage? Je vous assure que je vous aime toujours plus tendrement que ne le permet la philosophie. Madame la duchesse de Bouillon est comme à dix-huit ans. La source des charmes est dans le sang Mazarin. A cette heure que nos rois sont amis, ne devriez-vous pas venir faire un tour ici? ce seroit pour moi le plus grand succès de la paix.

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LETTRE IX.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

Je prends un plaisir sensible à voir de jeunes personnes, belles, fleuries, capables de plaire, propres à toucher sincèrement un vieux cœur comme le mien. Comme il y a toujours eu beaucoup de rapport entre votre goût, entre votre humeur, entre vos sentimens et les miens, je crois que vous ne serez pas fâchée de voir un jeune cavalier qui sait plaire à toutes nos dames. C'est M. le duc de Saint-Albans, que j'ai prié, autant pour son intérêt que pour le vôtre, de vous visiter. S'il y a quelqu'un de vos amis avec M. de Tallard, du mérite de notre temps, à qui je puisse rendre quelque service, ordonnez. Faites-moi savoir comment se porte notre ancien ami M. de Gourville. Je ne doute point qu'il ne soit bien dans ses affaires. S'il est mal dans sa santé, je le plains.

Le docteur Morelli, mon ami particulier, accompagne madame la comtesse de Sandwich, qui va en France pour sa santé. Feu M. le comte de Rochester, père de madame Sandwich, avoit plus d'esprit qu'homme d'Angleterre. Madame Sandwich en a plus que n'avoit M. son père. Aussi généreuse que spirituelle, aussi aimable que spirituelle et généreuse: voilà une partie de ses qualités. Je m'étendrai plus sur le médecin que sur la malade.

Sept villes, comme vous savez, se disputèrent la naissance d'Homère. Sept grandes nations se disputent celle du Morelli. L'Inde, l'Égypte, l'Arabie, la Perse, la Turquie, l'Italie, l'Espagne; les pays froids, les pays tempérés même, la France, l'Angleterre, l'Allemagne, n'y ont aucune prétention. Il sait toutes les langues, il en parle la plupart. Son style haut, grand, figuré, me fait croire qu'il est né chez les Orientaux, et qu'il a pris ce qu'il y a de bon chez les Européens. Il aime la musique passionnément. Il est fou de la poésie. Curieux en peinture, pour le moins; connoisseur, je ne le sais pas. Sur l'architecture, il a des amis qui la savent. Célèbre, sérieusement, dans sa profession; capable d'exercer celle des autres. Je vous prie de lui faciliter la connoissance de tous vos illustres. S'il a bien la vôtre, je le tiens assez heureux. Vous ne lui sauriez faire connoître personne qui ait un mérite si singulier que vous. Il me semble qu'Épicure faisoit une partie de son souverain bien, du souvenir des choses passées. Il n'y a plus de souverain bien pour un homme de cent ans comme moi; mais il est encore des consolations. Celle de me souvenir de vous, et de tout ce que je vous ai ouï dire, est une des plus grandes. Je vous écris bien des choses dont vous ne vous souciez guère; je ne songe pas qu'elle vous ennuieront: il me suffit qu'elles me plaisent. Il ne faut pas, à mon âge, croire qu'on puisse plaire aux autres. Mon mérite est de me contenter. Trop heureux de le pouvoir faire en vous écrivant! Songez à me ménager du vin avec M. de Gourville. Je suis logé avec M. de l'Hermitage, un de ses parens, fort honnête homme, réfugié en Angleterre pour sa religion. Je suis fâché que la conscience des catholiques françois ne l'ait pu souffrir à Paris, ou que la délicatesse de la sienne l'en ait fait sortir. Il mérite l'approbation de son cousin, assurément.

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LETTRE X.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

A quoi songez-vous de croire que la vue d'un jeune homme soit un plaisir pour moi? Vos sens vous trompent sur ceux des autres. J'ai tout oublié hors mes amis. Si le nom de docteur ne m'avoit rassurée, je vous aurois fait réponse par l'abbé de Hautefeuille, et vos Anglois n'auroient pas entendu parler de moi. On leur a dit à ma porte que je n'y étois pas, et on y reçut votre lettre qui m'a autant réjouie qu'aucune que j'aie jamais reçue de vous. Quelle envie d'avoir de bon vin! et que je suis malheureuse de ne pouvoir vous répondre du succès! M. de l'Hermitage vous diroit aussi bien que moi que M. de Gourville ne sort plus de sa chambre. Assez indifférent pour toutes sortes de goûts, bon ami toujours, mais que ses amis ne songent pas d'employer, de peur de lui donner des soins. Après cela, si par quelque insinuation que je ne prévois pas encore, je puis employer mon savoir-faire pour le vin, ne doutez pas que je ne le fasse. M. de Tallard a été de mes amis autrefois, mais les grandes affaires détournent les grands hommes des inutilités. On m'a dit que M. l'abbé Dubois[165] iroit avec lui. C'est un petit homme délié, qui vous plaira, je crois. Il y a vingt de vos lettres entre mes mains: on les lit ici avec admiration; vous voyez que le bon goût n'est pas fini en France. J'ai été charmée de l'endroit où vous ne craignez pas d'ennuyer; et que vous êtes sage, si vous ne vous souciez plus que de vous! non pas que le principe ne soit faux pour vous, de ne pouvoir plus plaire aux autres. J'ai écrit à M. Morelli; si je trouve en lui toutes les sciences dont vous me parlez, je le regarderai comme un vrai docteur.

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LETTRE XI.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

J'ai envoyé une réponse à votre dernière lettre, Monsieur, au correspondant de M. l'abbé Dubois; et je crains, comme il étoit à Versailles, qu'elle ne lui ait pas été rendue. Je serois fort en peine de votre santé, sans la visite du bon petit bibliothécaire de madame de Bouillon[166], qui me combla de joie, en me montrant une lettre d'une personne qui songe à moi à cause de vous. Quelque sujet que j'aie eu dans ma maladie de me louer du monde et de mes amis, je n'ai rien ressenti de plus vif que cette marque de bonté. Faites sur cela tout ce que vous êtes obligé de faire, puisque c'est vous qui me l'avez attirée. Je vous prie que je sache, par vous-même, si vous avez rattrapé ce bonheur dont on jouit si peu en de certains temps. La source ne sauroit tarir tant que vous aurez l'amitié de l'aimable personne qui soutient votre vie[167]. Que j'envie ceux qui passent en Angleterre! et que j'aurois de plaisir de dîner encore une fois avec vous! n'est-ce point une grossièreté que le souhait d'un dîner? L'esprit a de grands avantages sur le corps: cependant ce corps fournit souvent de petits goûts qui se réitèrent, et qui soulagent l'âme de ses tristes réflexions. Vous vous êtes souvent moqué de celles que je faisois: je les ai toutes bannies. Il n'est plus temps quand on est arrivé au dernier période de la vie: il faut se contenter du jour où l'on vit. Les espérances prochaines, quoique vous en disiez, valent bien autant que celles qu'on étend plus loin: elles sont plus sûres. Voici une belle morale. Portez-vous bien, voilà à quoi tout doit aboutir.

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LETTRE XII.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

Avril 1698

M l'abbé Dubois m'a rendu votre lettre, Monsieur, et m'a dit autant de bien de votre estomac que de votre esprit. Il vient des temps où l'on fait bien plus de cas de l'estomac que de l'esprit; et j'avoue à ma honte que je vous trouve plus heureux de jouir de l'un que de l'autre. J'ai toujours cru que votre esprit dureroit autant que vous. On n'est pas si sûr de la santé du corps, sans quoi il ne reste que de tristes réflexions. Insensiblement je m'embarquerois à en faire: voici un autre chapitre; il regarde un joli garçon qu'un désir de voir les honnêtes gens de toute sorte de pays a fait quitter une maison opulente, sans congé. Peut-être blâmerez-vous sa curiosité; mais l'affaire est faite. Il sait beaucoup de choses; il en ignore d'autres qu'il faut ignorer à son âge. Je l'ai cru digne de vous voir, pour lui faire commencer à sentir qu'il n'a pas perdu son temps d'aller en Angleterre. Traitez-le bien pour l'amour de moi. Je l'ai fait prier par son frère aîné, qui est particulièrement mon ami, d'aller savoir des nouvelles de madame la duchesse Mazarin et de madame Hervey, puisqu'elles ont bien voulu se souvenir de moi.

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LETTRE XIII.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

Mai 1698

Je n'ai jamais vu de lettre où il y eût tant de bon sens que dans la vôtre. Vous faites l'éloge de l'estomac si avantageusement qu'il y aura de la honte à avoir bon esprit, à moins que d'avoir bon estomac. Je suis obligé à M. l'abbé Dubois de m'avoir fait valoir auprès de vous par ce bel endroit. A quatre-vingt-huit ans, je mange des huîtres tous les matins, je dîne bien, je ne soupe pas mal; on fait des héros pour un moindre mérite que le mien.

Qu'on ait plus de bien, de crédit,
Plus de vertu, plus de conduite,
Je n'en aurai point de dépit;
Qu'un autre me passe en mérite
Sur le goût et sur l'appétit,
C'est l'avantage qui m'irrite.
L'estomac est le plus grand bien,
Sans lui les autres ne sont rien.
Un grand cœur veut tout entreprendre,
Un grand esprit veut tout comprendre:
Les droits de l'estomac sont de bien digérer:
Et dans les sentimens que me donne mon âge,
La beauté de l'esprit, la grandeur du courage,
N'ont rien qu'à sa vertu l'on puisse comparer.

Étant jeune, je n'admirois que l'esprit, moins attaché aux intérêts du corps que je ne devois l'être. Aujourd'hui je répare autant qu'il m'est possible le tort que j'ai eu, ou par l'usage que j'en fais, ou par l'estime et l'amitié que j'ai pour lui. Vous en avez usé autrement. Le corps vous a été quelque chose dans votre jeunesse; présentement vous n'êtes occupée que de ce qui regarde l'esprit. Je ne sais pas si vous avez raison de l'estimer tant. On ne lit presque rien qui vaille la peine d'être retenu. On ne dit presque rien qui mérite d'être écouté. Quelque misérables que soient les sens à l'âge où je suis, les impressions que font sur eux les objets qui plaisent, me trouvent bien plus sensible, et nous avons grand tort de les vouloir mortifier. C'est peut-être une jalousie de l'esprit, qui trouve leur partage meilleur que le sien. M. Bernier, le plus joli philosophe que j'aie connu. (Joli philosophe ne se dit guère; mais sa figure, sa taille, sa manière, sa conversation, l'ont rendu digne de cette épithète-là.) M. Bernier, en parlant de la mortification des sens, me dit un jour: «Je vais vous faire une confidence que je ne ferois pas à madame de la Sablière, à mademoiselle de l'Enclos même, que je tiens d'un ordre supérieur; je vous dirai en confidence que l'abstinence des plaisirs me paroît un grand péché». Je fus surpris de la nouveauté du système. Il ne laissa pas de faire quelqu'impression sur moi. S'il eût continué son discours, peut-être m'auroit-il fait goûter sa doctrine. Continuez-moi votre amitié, qui n'a jamais été altérée; ce qui est rare dans un aussi long commerce que le nôtre.

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LETTRE XIV.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

Août 1698

M de Clérembault m'a fait un sensible plaisir en me disant que vous songiez à moi: j'en suis digne par l'attachement que je conserve pour vous. Nous allons mériter des louanges de la postérité par la durée de notre vie, et par celle de notre amitié. Je crois que je vivrai autant que vous. Je suis lasse quelquefois de faire toujours la même chose; et je loue le Suisse qui se jeta dans la rivière par cette raison. Mes amis me reprennent souvent sur cela, et m'assurent que la vie est bonne, tant que l'on est tranquille et que l'esprit est sain. La force du corps donne d'autres pensées. L'on préféreroit sa force à celle de l'esprit; mais tout est inutile quand on ne sauroit rien changer. Il vaut autant s'éloigner des réflexions, que d'en faire qui ne servent à rien. Madame Sandwich m'a donné mille plaisirs, par le bonheur que j'ai eu de lui plaire. Je ne croyois pas sur mon déclin pouvoir être propre à une femme de son âge. Elle a plus d'esprit que toutes les femmes de France, et plus de véritable mérite. Elle nous quitte; c'est un regret pour tout ce qui la connoît, et pour moi particulièrement. Si vous aviez été ici, nous aurions fait des repas dignes du temps passé. Aimez-moi toujours. Madame de Coulanges a pris la commission de faire vos complimens à M. le comte de Grammont par madame la comtesse de Grammont. Il est si jeune, que je le crois aussi léger, que du temps qu'il haïssoit les malades, et qu'il les aimoit dès qu'ils étoient revenus en santé. Tout ce qui revient d'Angleterre parle de la beauté de madame la duchesse Mazarin, comme on parle ici de celle de mademoiselle de Bellefond qui commence. Vous m'avez attachée à madame Mazarin, et je n'en entends point dire de bien sans plaisir. Adieu, Monsieur; pourquoi n'est-ce pas un bon jour? Il ne faudroit pas mourir sans se voir.

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LETTRE XV.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont[168].

Le 3 juillet 1699

Quelle perte pour vous, Monsieur! Si on n'avoit pas à se perdre soi-même, on ne se consoleroit jamais. Je vous plains sensiblement; vous venez de perdre un commerce aimable, qui vous a soutenu dans un pays étranger. Que peut-on faire pour remplacer un tel malheur? Ceux qui vivent long-temps, sont sujets à voir mourir leurs amis. Après cela votre esprit, votre philosophie vous servira à vous soutenir. J'ai senti cette mort comme si j'avois eu l'honneur de connoître madame Mazarin. Elle a songé à moi dans mes maux: j'ai été touchée de cette bonté; et ce qu'elle étoit pour vous m'avoit attachée à elle. Il n'y a plus de remède, et il n'y en a nul à ce qui arrive à nos pauvres corps. Conservez le vôtre. Vos amis aiment à vous voir si sain et si sage; car je tiens pour sages ceux qui savent se rendre heureux. Je vous rends mille grâces du thé que vous m'avez envoyé. La gaîté de votre lettre m'a autant plu que votre présent. Vous allez ravoir madame Sandwich, que nous voyons partir avec beaucoup de regret. Je voudrois que la situation de sa vie vous pût servir de quelque consolation. J'ignore les manières angloises: cette dame a été très-françoise ici. Adieu mille fois, Monsieur. Si l'on pouvoit penser comme madame de Chevreuse, qui croyoit en mourant qu'elle alloit causer avec tous ses amis en l'autre monde, il seroit doux de le penser.

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LETTRE XVI.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

1699

Votre lettre m'a remplie de désirs inutiles dont je ne me croyois plus capable. Les jours se passent, comme disoit le bon homme des Yveteaux, dans l'ignorance et la paresse; et ces jours nous détruisent, et nous font perdre les choses à quoi nous sommes attachés. Vous l'éprouverez cruellement. Vous disiez autrefois que je ne mourrois que de réflexion: je tâche à n'en plus faire et à oublier le lendemain le jour que je vis aujourd'hui. Tout le monde me dit que j'ai moins à me plaindre du temps qu'un autre. De quelque sorte que cela soit, qui m'auroit proposé une telle vie, je me serois pendue. Cependant on tient à un vilain corps comme à un corps agréable. On aime à sentir l'aise et le repos. L'appétit est quelque chose dont je jouis encore. Plût à Dieu de pouvoir éprouver mon estomac avec le vôtre, et parler de tous les originaux que nous avons connus, dont le souvenir me réjouit plus que la présence de beaucoup de gens que je vois, quoiqu'il y ait du bon dans tout cela, mais, à dire le vrai, nul rapport! M. de Clérembault me demande souvent, s'il ressemble par l'esprit à son père: non, lui dis-je; mais j'espère de sa présomption qu'il croit ce non avantageux, et peut-être qu'il y a des gens qui le trouveroient. Quelle comparaison du siècle présent avec celui que nous avons vu! Vous allez voir madame Sandwich; mais je crains qu'elle n'aille à la campagne. Elle sait tout ce que vous pensez d'elle. Madame Sandwich vous dira plus de nouvelles de ce pays-ci que moi. Elle a tout approfondi et tout pénétré. Elle connoît parfaitement tout ce que je hante, et a trouvé le moyen de n'être point étrangère ici.

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LETTRE XVII.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

1699

La dernière lettre que je reçois de mademoiselle de l'Enclos me semble toujours la meilleure; et ce n'est point que le sentiment du plaisir présent l'emporte sur le souvenir du passé: la véritable raison est que votre esprit se fortifie tous les jours. S'il en est du corps comme de l'esprit, je soutiendrois mal ce combat d'estomac dont vous me parlez. J'ai voulu faire un essai du mien contre celui de madame Sandwich, à un grand repas, chez milord Jersey; je ne fus pas vaincu. Tout le monde connoît l'esprit de madame Sandwich: je vois son bon goût par l'estime extraordinaire qu'elle a pour vous. Je ne fus pas vaincu sur les louanges qu'elle vous donna, non plus que sur l'appétit. Vous êtes de tous les pays; aussi estimée à Londres qu'à Paris. Vous êtes de tous les temps; et quand je vous allègue pour faire honneur au mien, les jeunes gens vous nomment aussitôt pour donner l'avantage au leur. Vous voilà maîtresse du présent et du passé; puissiez-vous avoir des droits considérables sur l'avenir! je n'ai pas en vue la réputation; elle vous est assurée dans tous les temps. Je regarde une chose plus essentielle; c'est la vie, dont huit jours valent mieux que huit siècles de gloire après la mort. Qui vous auroit proposé autrefois de vivre comme vous vivez, vous vous seriez pendue; l'expression me charme; cependant vous vous contentez de l'aise, et du repos, après avoir senti ce qu'il y a de plus vif.

L'esprit vous satisfait, ou du moins vous console;
Mais on préféreroit de vivre jeune et folle,
Et laisser aux vieillards, exempts de passions,
La triste gravité de leurs réflexions.

Il n'y a personne qui fasse plus de cas de la jeunesse que moi. Comme je n'y tiens que par le souvenir, je suis votre exemple, et m'accommode du présent le mieux qu'il m'est possible. Plût à Dieu que madame Mazarin eût été de notre sentiment! elle vivroit encore; mais elle a voulu mourir la plus belle du monde. Madame Sandwich va à la campagne. Elle part d'ici admirée à Londres comme elle l'a été à Paris. Vivez; la vie est bonne quand elle est sans douleur. Je vous prie de faire tenir ce billet à M. l'abbé de Hautefeuille, chez madame la duchesse de Bouillon. Je vois quelquefois les amis de M. l'abbé Dubois, qui se plaignent d'être oubliés. Assurez-le de mes très-humbles respects.

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LETTRE XVIII.

Mademoiselle de l'Enclos à M. de Saint-Evremont.

14 octobre, 1700

Le bel esprit est bien dangereux dans l'amitié! Votre lettre en auroit gâté une autre que moi. Je connois votre imagination vive et étonnante, et j'ai même eu besoin de me souvenir que Lucien a écrit à la louange de la Mouche, pour m'accoutumer à votre style. Plût à Dieu que vous pussiez penser de moi ce que vous en dites! je me passerois de toutes les nations. Aussi est-ce à vous que la gloire en demeure. C'est un chef-d'œuvre que votre dernière lettre. Elle a fait le sujet de toutes les conversations que l'on a eues dans ma chambre depuis un mois. Vous retournez à la jeunesse: vous faites bien de l'aimer. La philosophie sied bien avec les agrémens de l'esprit. Ce n'est pas assez d'être sage, il faut plaire; et je vois bien que vous plairez toujours tant que vous penserez comme vous pensez. Peu de gens résistent aux années. Je crois ne m'en être pas encore laissé accabler. Je souhaiterois, comme vous, que madame Mazarin eût regardé la vie en elle-même sans songer à son visage, qui eût toujours été aimable, quand le bon sens auroit tenu la place de quelque éclat de moins. Madame Sandwich conservera la force de l'esprit en perdant la jeunesse, au moins le pense-je ainsi. Adieu, Monsieur, quand vous verrez madame la comtesse de Sandwich, faites-la souvenir de moi; je serois très-fâchée d'en être oubliée.

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LETTRE XIX.

M. de Saint-Evremont à mademoiselle de l'Enclos.

Le premier janvier 1701

On m'a rendu dans le mois de décembre la lettre que vous m'avez écrite le 14 octobre 1700. Elle est un peu vieille; mais les bonnes choses sont agréablement reçues, quelque tard qu'elles arrivent. Vous êtes sérieuse, et vous plaisez. Vous donnez de l'agrément à Sénèque, qui n'est pas accoutumé d'en avoir. Vous vous dites vieille avec toutes les grâces de l'humeur et de l'esprit des jeunes gens. J'ai une curiosité que vous pouvez satisfaire: quand il vous souvient de votre jeunesse, le souvenir du passé ne vous donne-t-il point de certaines idées aussi éloignées de la langueur de l'indolence que du trouble de la passion? Ne sentez-vous point dans votre cœur une opposition secrète à la tranquillité que vous pensez avoir donnée à votre esprit?

Mais aimer et vous voir aimée,
Est une douce illusion,
Qui dans votre cœur s'est formée
De concert avec la raison.

D'une amoureuse sympathie
Il faut pour arrêter le cours,
Arrêter celui de nos jours;
Sa fin est celle de la vie.

Puissent les destins complaisans
Vous donner encore trente ans
D'amour et de philosophie!

C'est ce que je vous souhaite le premier jour de l'année 1701, jour où ceux qui n'ont rien à donner, donnent pour étrennes des souhaits.

Fin des lettres de mademoiselle de l'Enclos et de M. de Saint-Evremont.

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LA COQUETTE VENGÉE;

PAR MLLE. DE L'ENCLOS.

Ma nièce, disoit Éléonore à Philimène, quand vous serez à Paris, ne faites point amitié ni conversation avec toute sorte d'hommes; il y a bien du choix à faire parmi eux; mais sur-tout évitez les philosophes. Voilà un mot que vous n'entendez pas, je le vois bien; un peu de patience, vous allez bientôt savoir ce que c'est. Quand Dorilas, votre frère, alloit au collége, vous avez vu souvent dîner chez vous un certain homme qui faisoit tant de révérences et tant de gestes en entrant, qui rioit au nez à tout le monde, qui parloit toute sorte de langues hormis la nôtre, qui avoit toujours les cheveux mal peignés, la barbe sale, et le collet entr'ouvert, toujours crotté, toujours la soutane grasse et le long manteau déchiré. Ne vous souvient-il pas d'un éclat de rire qui vous prit à table un jour, quand il disoit au laquais qui lui donnoit à boire qu'il se couvrit, autrement qu'il n'accepteroit jamais le verre de sa main, avec des complimens si longs et si opiniâtres, qu'il fût mort de soif, si votre père n'eût eu pitié de lui? Vous le connoissez; c'étoit le maître qui enseignoit la philosophie à Dorilas, c'étoit un philosophe; mais il n'étoit pas de ceux dont je vous veux parler.

Vous avez encore ouï parler cent fois d'un certain abbé qui est dans notre voisinage, dont la vie est toute retirée, qui ne songe qu'à lui, qui ne veut point faire d'amis de peur de s'engager à être le leur, qui se cache au grand monde pour en éviter l'embarras, qui fuit les compagnies comme autant d'occasions d'intrigues et de soucis, qui n'aime que ses livres et ses chiens, et encore plus ses chiens que ses livres; et autant de fois que nous en avons parlé, vous nous avez toujours ouï dire que c'étoit un philosophe; ce n'est point encore là ce que j'entends.

Il y a d'autres philosophes qui aiment la compagnie, mais celle de leurs semblables, où ils ont leurs coudées franches et la liberté entière de tout dire et de tout faire, des philosophes goinfres qui courent le cabaret, qui ivrognent sans cesse, parce qu'ils disent qu'ils n'ont jamais tant de plaisir que quand ils ont noyé ou endormi leur raison, qui leur joue cent mauvais tours quand elle veille, qui les contraint de faire cent réflexions fâcheuses, et qu'ils appellent l'ennemie capitale de leur repos. Ces philosophes-là portent leur reproche avec eux.

Quand je dis donc que vous devez éviter les philosophes, je n'entends point parler, ni d'un docteur, ni d'un solitaire, ni d'un libertin dont la profession est ouverte et déclarée. J'entends certains pédans déguisés, pédans de robe courte, des philosophes de chambre qui ont le teint un peu plus frais que les autres, parce qu'ils se nourrissent à l'ombre, et qu'ils ne s'exposent jamais à la poussière et au soleil; des philosophes de ruelles qui dogmatisent dans des fauteuils; des philosophes galans qui raisonnent sans cesse sur l'amour, et qui n'ont rien de raisonnable pour se faire aimer. Vous ne sauriez croire combien ces gens-là sont incommodes.

Au commencement que j'étois à Paris, encore toute pleine de l'air de nos provinces, lorsque le premier venu m'étoit bon, pourvu qu'il me dît quelque chose, je fis connoissance avec un de ces gens-là. Il vint par hasard dans une maison où j'étois en visite avec une de mes cousines; il étoit habillé fort uniment, il n'avoit ni ruban, ni dentelle, il ne me souvient pas même s'il avoit des glands; son chapeau étoit un peu lustré avec un petit crêpe, son bas de soie ne faisoit pas le moindre pli, le manteau sur ses deux épaules, le pourpoint fermé, la petite manchette au bout, le gand de Grenoble à la main, il n'y avoit rien de superflu; un clin-d'œil, un souris, un petit mouvement de tête suppléeoient à toutes ces révérences étudiées qui ne sont bonnes à rien. Le fils de la maison lui fit grand accueil. Voilà mon fils qui est ravi de vous voir, lui dit sa mère; c'est Monsieur tel, dit-elle à toute la compagnie; et dans la compagnie il y avoit force dames. Je ne vis pas qu'elles s'en émurent beaucoup. Je crus que le sujet de l'entretien qu'il avoit interrompu par son arrivée, les attachoit si fort qu'elles ne pensèrent point à lui faire compliment. Son nom ne m'étoit pas inconnu; des jeunes gens qui revenoient de Paris m'en avoient parlé dans la province. Il prit un siége auprès de moi. On continua l'entretien d'un certain mariage qui s'étoit fait à la cour. Ni lui, ni moi ne disions pas un mot; moi, parce que je ne savois rien; lui, parce que le sujet ne lui plaisoit pas. Il s'imagina que la même raison nous faisoit taire tous deux. Après avoir attendu quelque temps: nous ne sommes, ni vous, ni moi, me dit-il tout bas, du grand entretien; nous en pouvons faire un second entre nous sans troubler le leur: aussi bien elles parlent si haut qu'elles s'étourdissent elles-mêmes, et par conséquent, il est impossible, dans le bruit qu'elles font, qu'elles nous entendent. Je lui répondis; il me dit encore quelqu'autre chose; je lui fis aussi quelque autre réponse, mais j'affectois toujours de mettre dans ce que je disois quelque pointe et quelque mot extraordinaire. Il me reconnut provinciale; il me fit alors cent questions sur mon pays, sur ma naissance, sur mon nom, sur ma demeure, sur les livres que je lisois. Que ne dit-il point contre Balzac, Voiture et tous les faiseurs de lettres, de comédies et de romans! On abandonne lâchement la connoissance des choses solides pour s'attacher aux mots. Il me tint un grand discours là-dessus avec tant de chaleur, que souvent il en roidissoit le bras et fermoit le poing. Trouvez bon, me dit-il à la fin, que j'aie l'honneur de vous aller voir, et vous en saurez plus en un mois que tous ces conteurs de bagatelles ne pourroient vous en apprendre en toute votre vie. Il n'y aura point de grand sujet, dont vous ne puissiez parler sur-le-champ; d'une ligne que je vous dirai, vous pourrez tirer mille conclusions et former mille discours.

Il me vint voir quelque temps après, comme il m'avoit promis. J'achetai certains livres qu'on appelle des tables. Il me les expliquoit toutes les fois qu'il venoit au logis. C'étoit toute mon occupation; je négligeois toute autre chose. Ses visites et mon étude durèrent un an et quelques mois: j'avois du loisir, je ne connoissois pas encore le grand monde; mais enfin je fus obligée de recevoir tant de visites tous les jours et à tous momens, que je ne pouvois plus le voir qu'en compagnie.

Il entra dans ma chambre, un jour que Polixène y étoit avec Philidor, son frère, qui est un gentilhomme aussi adroit et aussi spirituel que j'en connoisse. Monsieur, lui dit Philidor, vous êtes venu bien à propos; vous avez appris tant de philosophie à Éléonore qu'elle nous fait enrager; je lui disois qu'un amour constant étoit la plus belle de toutes les vertus. Elle m'a répondu fièrement que je confondois les vertus avec les passions, que l'amour étoit une passion et non pas une vertu, et qu'une passion ne devient pas vertu par sa durée, mais seulement une plus longue passion. Elle m'a dit cent choses de la même force; je suis à bout, je vous demande secours. Comment vous pourrois-je secourir répondit-il à Philidor, Éléonore a toutes mes forces de son côté. Elle vous a découvert la source d'une erreur, qui est commune parmi les hommes, de prendre pour une passion ce qui est souvent ou une vertu, ou un vice, faute de savoir la nature et le nombre des passions. Tout cela, ajouta-t-il, est expliqué en deux tables. Il prit le livre qui étoit sur un guéridon, et ayant cherché la table des passions, il la donna à lire à Philidor. Comment! dit Philidor, est-ce là tout ce qu'on peut dire des passions, de tous ces mouvemens impétueux qui nous agitent dans la vie? Certainement voilà une grande mer renfermée dans un espace bien étroit. Vous travaillez admirablement en petit. Quoi! il n'y a qu'une ligne pour l'amour! voilà une divinité bien serrée. Si c'est assez d'une ligne pour fournir à tous les amans, il faut qu'elle soit bien longue. Qui veut devenir savant avec cela a besoin d'un grand naturel. L'amour est une inclination de l'appétit au bien sensible considéré absolument. J'en serai bien plus galant quand je saurai cela! j'aurai bien plus de quoi me faire aimer! j'en aurai de bien plus belles idées pour remplir la conversation! Il n'y a rien de si beau, ni de si plein que l'amour, et cependant ce livre nous en fait un squelette tout sec, sans embonpoint et sans couleur. Si toute la philosophie de cet homme-là est de même, savez-vous ce que j'en pense? c'est une reine bien pauvre et bien maigre, dont les tables sont bien mal servies.

Mon philosophe vouloit s'échauffer contre Philidor; mais pour finir le sujet d'un entretien qui alloit s'aigrir, je pris mon luth, je touchai quelques sarabandes. Philidor, avec son dégagement ordinaire, les dansa toutes. Nous parlâmes ensuite de la danse. Je croyois avoir ôté par ce moyen toute occasion de dispute, quand Polixène, par une belle malice, s'avisa de me demander si dans mon livre il n'y avoit pas une table de la danse, Monsieur, dit Polixène au philosophe, il faut que vous en fassiez une pour l'amour de moi. Cela est fort aisé, dit Philidor, je lui en sauverai la peine. Je mettrai premièrement quelques propositions générales pour montrer la nécessité ou utilité de la danse. J'en ferai après la définition. La danse est un mouvement mesuré du corps au son de la voix ou de l'instrument. Elle est ou simple, ou figurée, ou par bas, ou par haut. Ensuite, j'en remarquerai la différence; les sarabandes, les branles, les courantes, les ballets; j'en distinguerai les pas; le pas coulé, le gravé, le coupé, l'entrechat. Adieu, les maîtres à danser; quand ma table sera faite, quiconque la lira sera un habile sauteur.

Polixène se mit à rire de tout son cœur. Mon philosophe sortit de dépit. Je courus après lui; je lui fis des excuses dans mon antichambre le mieux que je pus. Il me dit que tout cela ne le choquoit point; que Philidor étoit un jeune homme sorti fraîchement de l'académie, qui vouloit s'égayer; qu'il étoit bien trompé si sa sœur n'étoit une franche coquette; qu'il voyoit bien qu'il ne pourroit plus me gouverner à l'avenir; qu'il me supplioit de l'en dispenser; qu'il m'enverroit à sa place un de ses anciens écoliers, qui savoit sa méthode aussi bien que lui. Je lui fis mille remercîmens des bontés qu'il avoit pour moi. Nous nous séparâmes. Voici le commencement d'une histoire bien plus plaisante.

Mon philosophe, encore qu'il ne parlât que par tables, par définitions et divisions, étoit pourtant commode en ce point, qu'il étoit content pourvu qu'on l'écoutât, et n'exigeoit rien autre chose ni de moi, ni des femmes qu'il voyoit, qu'un peu d'attention qui étoit bien dû à ses discours.

Ce n'étoit point là l'humeur de son ami, que Philidor appeloit son prévôt de salle. Il faisoit le galant; il vouloit persuader l'amour dont il parloit; il soupiroit quelquefois; il chantoit même des airs dont il se disoit l'auteur, aussi bien que des paroles. Il étoit jaloux généralement de tous les hommes; il censuroit tout ce qu'ils disoient; il n'en trouvoit pas un qui raisonnât à son gré; ils étoient tous ou des ignorans on des étourdis. Notre sexe même, qui est sacré et inviolable parmi les honnêtes gens, n'étoit point pour lui plus privilégié que tout le reste; il s'érigeoit en censeur de toutes les beautés; il se mêloit de juger du caractère et du tour d'esprit que chacune avoit, avec une présomption si grande, qu'il sembloit, à l'entendre, que nous n'eussions de grâce que ce qu'il lui plaisoit de nous en distribuer.

Cela attira sur lui une conjuration universelle de toutes les femmes et de tous les hommes qui venoient chez moi. On ne m'en dit rien, parce qu'on savoit bien que j'eusse eu pitié de lui, et que j'eusse rendu le complot inutile en le découvrant.

Comme ils épioient sans cesse quand il me viendroit voir, il leur fut aisé de le surprendre dans ma chambre. Ils y arrivèrent tous en un moment. Jamais assemblée ne fut plus grande. Tout le monde lui fit d'abord cent civilités. J'en étois étonnée. L'incomparable, l'inimitable, le plus galant, le plus spirituel, le plus propre à tout, le plus poli de tous les hommes, lui disoit-on. Il ne se reconnoissoit pas. On le pria de faire un petit discours; il expliqua les huit béatitudes. On s'écrioit de temps en temps: sans mentir cela est admirable! On le pria de chanter, et bien qu'il le fît avec des efforts effroyables, des convulsions et des contorsions de possédé; bien que sa voix fût aussi pitoyable et lugubre, que son visage est basané et mélancolique, on disoit tout haut qu'on n'avoit plus besoin de Lambert ni de sa sœur. C'étoient des applaudissemens perpétuels. Polixène lui montra un billet doux qu'elle avoit reçu; il ne voulut pas seulement le lire. C'étoient des bagatelles qui ne pouvoient amuser que des esprits mal faits; chacun lui dit qu'il avoit bien raison, et que l'homme étoit né pour des choses plus grandes. Jamais homme ne fut plus satisfait, ni plus content de lui-même; et parce que c'étoit Polixène qui le caressoit le plus, cela lui donna la hardiesse de venir auprès d'elle, et de lui dire quelques douceurs. Elle les recevoit avec un tel tempérament, qu'elle l'embarquoit toujours de plus en plus; il lui prenoit même la main, lui touchoit le bras, et feignant de lui vouloir dire un mot à l'oreille, il la baisa. Alors Polixène lui appuya un grand soufflet.

C'étoit le signal des conjurés. Chacun se rua sur lui; l'un lui donnoit une nasarde: voilà pour le philosophe amoureux. L'autre, de grands coups d'épingle: voilà pour le musicien amoureux. L'autre, de grands coups de busc sur les oreilles: voilà pour le poëte amoureux. Je fis ce que je pus pour secourir sa philosophie, sa musique et sa poésie attaquées de toutes parts; et tout ce que je pus, fut de le tirer de la presse, et de lui ouvrir la porte pour s'enfuir.

Il crioit de toute sa force, en s'en allant: coquettes, coquettes, je saurai bien me venger; et on m'a dit qu'étant mort, ou de ses blessures, ou de désespoir, on a trouvé parmi ses papiers, une grande invective contre les femmes, sous le nom d'Aristandre, que ses héritiers ont fait imprimer à leurs dépens.

J'étois assez fâchée que ce malheur lui fût arrivé chez moi; mais je m'en dois accuser moi-même pour avoir été si facile que de donner accès chez moi à des philosophes, c'est-à-dire, à des gens qui portent la censure, la médisance et le désordre dans les plus belles, les plus douces et les plus agréables compagnies. Ma nièce, soyez sage par mon exemple, et donnez-vous-en de garde.

Ainsi parloit Éléonore à Philimène, qui en entendoit une partie et devinoit le reste.

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LETTRES

DE

MADEMOISELLE AÏSSÉ.

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NOTICE

SUR

MADEMOISELLE AÏSSÉ.

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M de Ferriol, ambassadeur de France à Constantinople, acheta d'un marchand d'esclaves, en 1698, une petite fille âgée d'environ quatre ans. Elle avoit été enlevée avec beaucoup d'autres enfans dans une ville de Circassie que les Turcs avoient pillée. Ses grâces enfantines lui attirèrent la préférence de l'ambassadeur, et la lui firent choisir parmi ses compagnes d'infortune. Le marchand, peut-être pour accroître l'intérêt qu'elle inspiroit et obtenir de M. de Ferriol un prix plus considérable, assura qu'elle avoit été trouvée dans un palais, et qu'elle étoit fille d'un prince circassien. L'ambassadeur, touché de commisération, acheta 1,500 livres la petite Aïssé. Il étoit garçon et ne pouvoit donner à sa jeune orpheline une éducation proportionnée à l'intérêt qu'elle lui avoit inspiré, intérêt que la pitié sans doute avoit d'abord excité, et auquel se mêlèrent bientôt des vues et des espérances moins pures. Il confia mademoiselle Aïssé à sa belle-sœur, madame de Ferriol, sœur de madame de Tencin: l'éducation de la jeune fille fut très-soignée; elle acquit des talens agréables et de l'instruction. M. d'Argental et M. de Pont-de-Vesle, fils de madame de Ferriol, qui tous deux eurent dès leur jeune âge le goût des plaisirs de l'esprit, se lièrent d'une tendre amitié avec la pupille de leur mère; et cette liaison eut sans doute les plus heureux effets sur son esprit. Elle eut le bonheur plus grand encore, au milieu de cette immoralité qui accompagna les dernières années de Louis XIV et la régence de Louis XV, d'acquérir et de conserver un cœur honnête, et une âme délicate et sensible, qui devoient la rendre plus estimable et plus malheureuse dans la situation dépendante et presque subalterne où le sort l'avoit placée.

Son dégoût pour les vices qui l'entouroient fut bientôt mis à de rudes épreuves. Au sortir de l'enfance, elle entra dans la maison de M. de Ferriol. C'étoit un vieux libertin qui, après s'être livré dans sa jeunesse à tous ses goûts, avoit fortifié ses habitudes de dépravation par un long séjour en Turquie, où il avoit vécu tout à fait à la manière du pays. Ses désirs se portèrent bientôt sur sa jeune protégée, et l'attachement qu'il avoit pour elle, ne fut pas assez fort pour les vaincre. Les personnes qui ont vécu avec l'un et avec l'autre, ont douté long-temps qu'il eût triomphé de la vertu, et sans doute de la répugnance de mademoiselle Aïssé. En effet, l'esprit repousse cette image d'une vertueuse, belle et intéressante personne, flétrie par un vieux débauché, qui détruisoit en elle le sentiment de la reconnoissance, en en exigeant un autre. Des lettres trouvées dans les papiers de M. d'Argental constatent malheureusement cette circonstance pénible et humiliante de la vie de mademoiselle Aïssé.

«Quand je vous achetai, lui écrit M. de Ferriol, je vous destinai à être ou ma fille ou ma maîtresse: vous avez été l'une et l'autre.» Si quelque chose peut inspirer plus de dégoût pour la conduite de M. de Ferriol, c'est sans doute une semblable manière de s'exprimer: en associant ainsi la tendresse paternelle avec les désirs d'un libertin, il semble vouloir rappeler que rien ne ressemble plus à l'inceste qu'une affection de cette nature. Mais tel est le cœur humain, que l'on conçoit comment ces deux sentimens étoient également vrais dans la même personne. Quant à mademoiselle Aïssé, il est douteux que sa reconnoissance pour M. de Ferriol ait survécu à la crainte et au dégoût que dut inspirer à son âme délicate un prétendu bienfaiteur qui ne l'avoit achetée d'un marchand d'esclaves que pour la rendre à sa première destination, après lui avoir donné une éducation qui devoit lui faire regarder cet abaissement comme le plus grand des malheurs. Cependant M. de Ferriol étant tombé dangereusement malade, elle le soigna avec tout le dévouement d'une fille. Il mourut en lui laissant une rente de 4,000 liv., et un capital assez considérable qu'il chargeoit ses héritiers de lui payer.

Après sa mort, mademoiselle Aïssé rentra chez madame de Ferriol, à qui l'ambassadeur l'avoit recommandée spécialement. Madame de Ferriol, quoiqu'au fond du cœur elle aimât assez son ancienne pupille, manqua toujours pour elle de cette délicatesse de sentiment, si nécessaire pour le bonheur de ceux qui passent leur vie ensemble, et que les supérieurs ont si peu avec leurs inférieurs, quoique jamais de semblables ménagemens ne soient plus nécessaires, que lorsqu'ils doivent déguiser des rapports de dépendance. C'est cette absence d'attentions, de soin à ne jamais blesser une âme fière et délicate, que mademoiselle Aïssé reproche souvent à madame de Ferriol, dans les lettres que nous publions. Elle ne méconnoît point les grandes obligations qu'elle a à madame de Ferriol, et elle montre pourtant comment, dans le détail de la vie, sa bienfaitrice la rendoit fort malheureuse.

Elle commença par lui faire sentir que les dons de son beau-frère lui paroissoient trop considérables. Mademoiselle Aïssé, trop fière pour se laisser reprocher des bienfaits, jeta au feu, devant madame de Ferriol, le billet que lui avoit laissé M. de Ferriol. Un pareil désintéressement n'inspira point à madame de Ferriol plus de délicatesse, et elle ne laissa pas de profiter du sacrifice.

Cependant mademoiselle Aïssé jeune, aimable et répandue, avoit d'assez grands succès dans le monde; et au milieu de la galanterie et de la corruption qui signalèrent la régence et le système, elle ne céda jamais ni à la vanité, ni à l'intérêt qui faisoient alors oublier à tant de femmes des devoirs que mademoiselle Aïssé n'avoit point à remplir. Elle eut l'honneur bien extraordinaire de donner quelqu'idée de la vertu et de la pudeur au régent, qui fit gloire toute sa vie de douter de leur existence; opinion qui, chez un prince, est presque toujours fondée, puisqu'il fait disparoître les vertus d'autour de lui, dès qu'il ne les respecte pas. Ce fut chez madame de Parabère que le duc d'Orléans vit mademoiselle Aïssé et lui fit des propositions qu'il ne s'attendoit pas à voir refuser, sur-tout en pareil lieu. Il ne perdit point l'espoir de réussir, et chargea madame de Ferriol de ses intérêts. Madame de Ferriol accepta sans répugnance des fonctions moins honorables encore que celles que le Régent destinoit à mademoiselle Aïssé. Ses efforts furent vains. Comme elle revenoit sans cesse à la charge et développoit à mademoiselle Aïssé tous les avantages d'une semblable conquête, mademoiselle Aïssé se jeta à ses pieds pour la conjurer de ne plus lui en parler, assurant qu'elle se jeteroit dans un couvent si l'on continuoit à la persécuter. Madame de Ferriol, qui ne cherchoit qu'à obtenir du crédit et de la faveur, craignit de perdre tout moyen d'y parvenir en se séparant de mademoiselle Aïssé, et cessa ses exhortations.

Mademoiselle Aïssé, qui avoit résisté à l'appât de la faveur et de la fortune, ne trouva pas les mêmes forces quand il lui fallut défendre sa vertu contre l'amour et l'estime. Elle vit chez madame du Deffant le chevalier d'Aydie; il conçut pour elle la plus vive passion; il se fit présenter chez madame de Ferriol, et bientôt abandonnant presqu'entièrement le monde, il ne quitta plus cette maison. Le chevalier d'Aydie joignoit à la plus noble figure et au caractère le plus aimable, une âme fort tendre. Jusqu'alors son cœur n'avoit point éprouvé de sentimens profonds; il avoit eu plusieurs intrigues, mais aucun attachement durable. Rioms, son oncle, l'avoit présenté chez la duchesse de Berri, qui prit du goût pour lui, et cette princesse ne différoit guère d'ordinaire à satisfaire ses goûts et même ses fantaisies.

Voir à ses pieds un homme brillant et spirituel, que les femmes de la cour s'étoient disputé, que les princesses avoient honoré de leurs faveurs, et le voir animé par un amour tendre, délicat et timide, quelle séduction pour l'amour-propre et pour le cœur de mademoiselle Aïssé! Ce qui rendoit le chevalier plus dangereux pour elle, c'est qu'il n'avoit que des vues honorables. Il vouloit épouser celle qu'il aimoit, et cherchoit à se faire relever des vœux qui l'engageoient dans l'ordre de Malte. Mademoiselle Aïssé se sentoit bien assez de vertu pour ne point se prêter à un projet dont l'exécution eût dégradé son amant aux yeux du monde; mais elle ne se croyoit pas assez de force pour résister à des désirs dont la satisfaction ne pouvoit nuire qu'à sa propre gloire. Dans la défiance qu'elle avoit d'elle-même, elle eut recours à madame de Ferriol, qui comprit encore moins ses scrupules que la première fois, et qui travailla à les détruire. Ne pouvant trouver aucun secours extérieur, voyant tous les jours le chevalier qu'on ne lui permettoit pas de fuir comme elle l'auroit voulu, elle finit par lui avouer qu'elle partageoit ses sentimens, et, en s'abandonnant à lui, elle eut la satisfaction de voir qu'elle en étoit aimée encore davantage. Il redoubla ses instances pour l'épouser; elle n'y voulut jamais consentir; et même, lorsqu'elle s'aperçut qu'elle alloit devenir mère, l'intérêt de son enfant et la perte de sa réputation ne la rendirent pas moins inflexible.

Ce ne fut point à madame de Ferriol qu'elle confia sa situation; elle lui connoissoit trop peu de discrétion et de délicatesse. Elle avoua tout à lady Bolingbrocke, avec qui elle étoit très-liée. C'étoit une femme sensible et estimable. On sait qu'elle étoit nièce de madame de Maintenon, et que son premier mari avoit été M. de Villette. Elle pria madame de Ferriol de lui confier pour quelque temps mademoiselle Aïssé pour la mener en Angleterre. Madame de Ferriol consentit à ce voyage. Lady Bolingbrocke et le chevalier d'Aydie logèrent mademoiselle Aïssé dans un quartier retiré de Paris. Elle y accoucha d'une fille, et y reçut tous les soins d'une amie tendre et d'un amant passionné. L'enfant fut conduit en Angleterre par lady Bolingbrocke, et, après sa première éducation, elle fut ramenée en France, et placée dans un couvent à Sens, sous le nom de miss Black, nièce de lord Bolingbrocke.

C'est d'une époque un peu postérieure que sont datées les lettres que nous publions, et qui se continuant presque jusqu'aux derniers jours de la vie de mademoiselle Aïssé, nous dispensent de prolonger cette notice[169]. Elles sont adressées à madame Saladin qui pendant qu'elle habitoit Paris où son mari étoit résident de la république de Genève, s'étoit liée d'une tendre amitié avec mademoiselle Aïssé. Il paroît que cette dame dont les principes étoient plus sévères que ceux des femmes qui entouroient sa jeune amie, sans que son cœur fût moins sensible, contribua par ses conseils et son exemple à lui donner assez de force pour ne plus s'écarter de ses devoirs. Du moins voyons-nous qu'à l'époque où commença cette correspondance, mademoiselle Aïssé, quoique le chevalier d'Aydie qui fût plus cher que jamais, quoique lui-même l'aimât toujours davantage, avoit rendu cette passion plus pure. Ce combat continuel contre un amour qui acquéroit tous les jours plus de force, le manque absolu d'espérance, le repentir de sa foiblesse, le chagrin de ne pouvoir se livrer sans rougir à la tendresse maternelle, donnent à ses lettres un caractère de mélancolie tout-à-fait touchant. Ce triste sentiment, auquel venoit peut-être se mêler le souvenir de fautes plus anciennes et plus humiliantes, prend plus de force à mesure que la santé de mademoiselle Aïssé s'affoiblit: les consolations de la religion, refuge des âmes tendres et malheureuses, donnent sur la fin un caractère plus résigné et moins amer à sa douleur, mais la rendent plus intéressante encore. Mademoiselle Aïssé mourut en 1733. Sa mort qui termina une vie malheureuse, le désespoir où fut d'abord plongé le chevalier d'Aydie, la tristesse profonde où il vécut encore pendant quinze ans, donnent à ceux qui lisent leur histoire, la tentation de reprocher à mademoiselle Aïssé une délicatesse scrupuleuse qui priva son amant et elle d'un bonheur dont ils étoient dignes de jouir.

Les scrupules peut-être exagérés qui s'opposèrent à ce bonheur, peuvent bien avoir rendu mademoiselle Aïssé plus malheureuse; mais ils donnent une sorte d'admiration pour une vertu si désintéressée. Le chevalier d'Aydie eut toujours pour sa fille une tendresse et des soins auxquels ses regrets donnoient plus de force encore.

Il la maria à un gentilhomme de sa province, et lui laissa sa fortune. Il existe des lettres qu'il écrivit à M. de Pont-de-Vesle, relativement à ce mariage. Elles sont pleines de la douleur la plus vive, quoique l'époque de la mort de mademoiselle Aïssé fût déjà assez éloignée. Elles paroîtront bientôt dans un recueil de lettres trouvées chez M. d'Argental, qui est maintenant sous presse. L'éditeur a bien voulu nous les communiquer, ainsi que celle de M. de Ferriol à mademoiselle Aïssé, dont nous avons cité un passage.

Les lettres de mademoiselle Aïssé à madame Saladin, ont été recueillies et publiées par mademoiselle Rieu, petite-fille de madame Saladin. Elle les avoit, long-temps avant, communiquées à Voltaire, qui y avoit mis de sa main quelques notes que nous avons conservées. Il paroît que la notice que mademoiselle Rieu a mise à la tête de son édition, existoit déjà quand le manuscrit des lettres fut montré à Voltaire; car il atteste dans une note placée au bas de cette notice, que le chevalier d'Aydie avoit offert plusieurs fois à mademoiselle Aïssé de l'épouser. Les détails que nous avons ajoutés à ceux que contient la notice de mademoiselle Rieu, nous ont été fournis par des personnes qui ont beaucoup vu d'anciens amis de mademoiselle Aïssé et du chevalier d'Aydie.

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LETTRE PREMIÈRE.

1726

Je n'ai pu me résoudre à vous écrire plutôt: j'ai envisagé avec chagrin que l'on ne vous laisseroit pas lire mes lettres; ainsi j'ai mieux aimé laisser passer les premiers empressemens. Mandez-moi, Madame, de vos nouvelles. Êtes-vous remise de la fatigue du voyage? J'ai plus fait de vœux pour que vous eussiez le beau temps, qu'un amant n'en auroit fait; il ne seroit assurément pas plus occupé et affligé que moi, de votre départ. Le soleil, la pluie, les vents, me paroissent des embrâsemens, des inondations, des ouragans: enfin, j'ai respiré, quand j'ai vu arriver le jour bienheureux pour vos parens et vos amis, où ils vous ont enfin revue. Vous me manderez, s'il vous plaît, quelques détails de votre réception. Je partage toutes les amitiés que vous recevez. Hélas! je ne puis passer dans la rue où vous avez demeuré, sans avoir le cœur serré et les larmes aux yeux. Je reviens d'Ablons[170], où j'ai passé quelques jours tête à tête avec madame de Ferriol; j'y ai toujours pensé à vous, et je dis à ma compagne le regret que j'avois que vous n'eussiez pas vu cette guinguette. Dans l'instant, je vois entrer dans le salon madame votre fille; jugez de ma joie: elle passa ici pour aller à la Jaquinière; elle venoit de je ne sais où, aux environs. Notre dame prenoit du café; elle vouloit se lever; madame votre fille se précipita pour l'en empêcher. Le chien noir, qui est mal morigéné, saute sur la tasse de café pour japper, la renverse sur sa maîtresse: le désespoir s'empare de ladite dame; fichu sali, robe unie tachée. Vous jugez de l'embarras de madame Rieu, qui auroit voulu être à cent lieues de là. Pour moi je vous l'avoue, j'eus tant envie de rire, que madame votre fille se remit. Cependant, passé ces premiers momens, on lui fit toutes sortes de politesses. Elle la trouva très-belle; en effet, elle l'étoit aussi, quoique dans un grand négligé.

Je parle toujours du voyage de Pont-de-Vesle[171], qui me procurera le bonheur d'aller vous voir. J'espère qu'à force d'en parler, je forcerai d'y aller. Je suis occupée de ce projet: les hommes ne peuvent être sans quelques désirs; je me flattois d'être une petite philosophe; mais je ne le serai, jamais sur ce qui touche le sentiment.

Pont-de-Vesle[172] se porte un peu mieux, il vous assure de ses respects. D'Argental[173] est dans l'île enchantée, chez son amie, qui a hérité considérablement; il revient à la St.-Martin. Le Grand donna, l'autre jour, une comédie qui tomba de la plus belle chute que j'aie jamais vue; il n'en a pas été de même d'un opéra que deux violons ont donné: le sujet est Pyrame et Thisbé; il y eut une très-jolie décoration; ils reçurent bien des applaudissemens.

Je passe mes jours à chasser aux petits oiseaux; cela me fait grand bien. L'exercice et la dissipation sont de très-bons remèdes pour les vapeurs et les chagrins; je reviens de mes courses avec appétit et sommeil. L'ardeur de la chasse me fait marcher, quoique j'aie les pieds moulus: la transpiration que cet exercice m'occasionne, me convient. Je suis hâlée comme un corbeau; je vous ferois peur, si vous me voyiez. Je voudrois bien en être à la peine. Que je serois heureuse si j'étois encore avec vous, Madame! Avouez que vous ne seriez point fâchée d'être encore à Paris. Pour moi, je donnerois bien une pinte de mon sang pour que nous fussions ensemble actuellement; je vous rendrois compte de mille choses, je goûterois le plaisir de vous revoir; au lieu de ce bien, j'ai des regrets; que cela est différent! Le chevalier est en Périgord, où je crois qu'il s'ennuie: sa santé est toujours délicate, son cœur toujours plus tendre. Je vous enverrois avec plaisir des copies de ses lettres; mais non: il y a des choses qui vous déplairoient, et j'aurois honte que vous les vissiez. L'abbé, frère du chevalier, vit l'autre jour madame Rieu chez moi; ce fut un coup de foudre. Il revint le lendemain à Ablons, il me dit qu'il n'avoit jamais rien vu de si beau à son gré: les lis et les roses ne sont pas si fraîches qu'elle étoit ce jour-là; son air de modestie et de douceur plut si fort à ce pauvre abbé, qu'il m'en parle toutes les fois qu'il me voit: cependant il avoit été prévenu; on l'avoit annoncée, et je lui dis: vous allez voir une des belles femmes de Paris: malgré cela, il fut surpris. M. Bertie vous aime toujours de même, quoiqu'il ait changé son goût pour moi en amitié. On vous aime pour vous, et non pas pour les autres. Vous le savez bien; et quand vous dites le contraire, vous parlez contre votre pensée. En bonne foi, peut-on vous connoître sans vous aimer? J'en laisse juge votre cœur. Adieu, Madame, aimez-moi, et soyez assurée que personne dans le monde ne vous aime, ne vous estime, et ne vous respecte autant qu'Aïssé.

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LETTRE II.

Paris, 1726

J'ai reçu la lettre que vous avez eu la bonté de m'écrire de votre campagne: je ne doute point que vous n'ayez eu un plaisir bien vif de vous être vu recevoir avec tant d'amitié: les démonstrations de joie que l'on a eues de votre retour ne peuvent être feintes. Ainsi, Madame, vous avez joui d'un bonheur que les rois mêmes ne goûtent pas. Vous me direz qu'il n'étoit point nécessaire que vous fussiez malheureuse pour être aimée; que vous le seriez tout autant, et même davantage, si vous étiez dans une fortune riante. L'expérience, il est vrai, fait voir que l'adversité et la mauvaise fortune déplaisent aux hommes; et que le plus-souvent les bonnes qualités, le mérite, sont les zéro, et le bien, le chiffre qui les fait valoir; mais cependant on se rend toujours à la vertu; je conviens qu'il faut en avoir beaucoup pour qu'elle supplée au manque de richesses: ainsi, Madame, rien n'est plus flatteur que l'accueil obligeant que vous avez reçu. Vous êtes amplement dédommagée des injustices du sort. Je suis charmée que vous vous portiez mieux; rien ne contribue à la santé, comme d'avoir sujet d'être content de soi. Je fais tous mes efforts pour déterminer M. et madame de Ferriol à aller à Pont-de-Vesle; ils disent que c'est bien leur dessein, mais je ne le croirai que lorsque nous partirons: il n'y a pas de jour que je ne leur fasse sentir le besoin de leur présence dans leurs terres, et celui de quitter quelque temps Paris. M. de Bonac va à Soleure; je lui ai parlé de madame votre sœur; madame de Bonac espère la voir souvent pendant son séjour dans ce pays-là. Comme il n'y a pas loin de Genève, nous irons, vous et moi, les voir; me dédirez-vous? M. et madame de Ferriol et Pont-de-Vesle vous font mille tendres complimens et respects. Pour d'Argental, il est dans l'île enchantée; on ne sait plus quand il en sortira. J'occupe sa chambre, parce que je fais raccommoder la mienne, qui sera charmante; je suis bien fâchée que vous ne la voyiez pas; mes réparations me reviendront à cent pistoles. J'ai vu M. Saladin le cadet; je me suis senti une tendresse pour lui, dont je ne me serois pas doutée, il y a six mois; et je crois que je l'aurois eue pour M. Buisson, s'il avoit vécu. Les gens que j'ai connus chez vous, me sont chers. Il y a long-temps que je n'ai vu madame votre fille; elle a été à la campagne, et moi, de mon côté; nous sommes allés passer les fêtes à Ablons, mademoiselle de Villefranche, madame de Servigni, M. et madame de Ferriol, MM. de Fontenai, La Mésangères, le chevalier et Clémence: nous avons fait grand feu et bonne chère: vous en êtes étonnée; mais c'est pour long-temps; la maîtresse de la maison craignoit La Mésangères. Elle n'a jamais osé appeler Clément, son chien noir, ni Champagne; elle a été de très-bonne humeur, malgré sa contrainte, et la partie s'est très-bien passée. La Mésangères fut charmant. M. de Fontenai m'a chargée de vous assurer de ses respects.

Il faut un peu vous parler des spectacles. Les deux petits violons Francœur et Rebel ont fait un opéra; le sujet est Pyrame et Thisbé; il est fort joli, quant à la musique; car pour le poëme, il est mauvais: il y a une décoration nouvelle. Le premier acte représente une place publique, avec des arcades et des colonnes, ce qui est admirable: la perspective est parfaitement bien suivie et les proportions bien gardées. Le pauvre Thevenard tombe si fort, que je ne doute pas qu'il ne soit sifflé dans six mois. Pour Chassé, c'est son triomphe; il est acteur dans cet opéra; son rôle est très-beau, il fait deux octaves pleins. La Entie en est folle. Mademoiselle Le Maure est rentrée; et Murer, qui a été très-mal, se porte bien; le bruit avoit couru qu'il se faisoit moine, mais le métier est trop bon, et il ne quitte point l'opéra. Il y a une nouvelle actrice nommée Pellissier, qui partage l'approbation du public avec la Le Maure: pour moi, je suis pour la Le Maure; sa voix, son jeu me plaisent plus que celui de mademoiselle Pellissier. Cette dernière a la voix très-petite, et elle l'a toujours forcée sur le théâtre; elle est très-bonne pantomime; tous ses gestes sont justes et nobles; mais elle en a tant, que mademoiselle Entie paroît tout d'une pièce auprès d'elle. Il me semble que dans le rôle d'amoureuse, quelque violente que soit la situation, la modestie et la retenue sont choses nécessaires; toute passion doit être dans les inflexions de la voix et dans les accens. Il faut laisser aux hommes et aux magiciens les gestes violens et hors de mesure; une jeune princesse doit être plus modeste. Voilà mes réflexions. En êtes-vous contente? Le public rend justice à mademoiselle Le Maure; et quand on l'a revue sur le théâtre, elle parut premièrement à l'amphithéâtre, tout le parterre se retourna, et battit des mains pendant un quart-d'heure; elle reçut ses applaudissemens avec une grande joie, et fit des révérences pour remercier le parterre. Madame la duchesse de Duras, qui protège la Pellissier, étoit furieuse, et me fit signe que c'étoit moi et madame de Parabère qui avions payé des gens pour battre des mains. Le lendemain, la même chose arriva, et mademoiselle Pellissier en pensa crever de dépit. La comédie est de retour de Fontainebleau où il y a jubilé: nous ne l'avons pas ici, à cause de M. le cardinal de Noailles. On est affamé de tragédies, parce que depuis Fontainebleau on ne joue que des farces. Pour la comédie italienne, on y joue la critique de l'opéra qui, à ce qu'on dit, est fort jolie. La pauvre Silvia[174] a pensé mourir: on prétend qu'elle a un petit amant qu'elle aime beaucoup; que son mari, de jalousie, l'a battue outrément, et qu'elle a fait une fausse couche de deux enfans, à trois mois; elle a été très-mal, elle est mieux à présent. Mademoiselle Flaminia avoit eu la méchanceté d'instruire le mari des galanteries de sa femme. Vous jugez bien, à l'amour que le parterre avoit pour Flaminia, combien il l'a maltraitée. Les bals vont commencer; mais ils seront sûrement aussi déserts que l'année passée.

Permettez que je fasse ici quelques petites coquetteries à M. votre mari. Je suis extrêmement touchée du petit mot qu'il a mis dans votre lettre; et dussiez-vous le battre de jalousie, je lui dirai que je l'aime beaucoup.

A mademoiselle votre fille.

Je suis persuadée, Mademoiselle, que vous avez un peu d'amitié pour moi: votre extrême vérité m'en assure; le retour est naturel à tous les cœurs bien faits, d'aimer qui nous aime. Continuez, je vous prie, de parler un peu de moi à madame votre mère: choisissez, s'il vous plaît, le moment où vous vous mettez à table, pour que je puisse avoir part à votre conversation; plût à Dieu que j'en fusse témoin! Adieu, Mesdames, recevez mes tendres embrassades. Voici une lettre d'un officier des Invalides à M. du Voisin, pour obtenir la permission de se marier.

Monseigneur,

«J'aurois cru que le précepte de Saint Paul étoit bon à suivre, sur-tout quand il dit, qu'il vaut mieux se marier que brûler. C'est ce qui m'a fait prendre la liberté de demander à votre Grandeur la permission d'épouser mademoiselle d'Auval, fille d'un mérite et d'une sagesse consommée. C'est ce que tous ceux qui la connoissent certifieront à votre Grandeur. Cependant M. notre gouverneur m'a défendu de voir cette demoiselle, si je ne voulois être démis de mon emploi. J'ai obéi à cette défense; et si votre Grandeur ne trouve pas à propos ce mariage, je la supplie très-instamment, pour le salut de mon âme, de m'en présenter une autre, ou bien d'envoyer ordre au père Pascal, mon confesseur, de m'absoudre quand je vais à confesse, ce qu'il m'a refusé: je fais tous mes efforts pour contenter ce bon père, mais en vain, Dieu ne m'ayant point donné à trente-huit ans le don de continence. Enfin, Monseigneur, si vous me procurez le paradis sans femmes, et que je vienne à mourir plutôt que votre Grandeur, je ne laisserai point Dieu en repos, qu'il ne vous ait marqué une place digne de votre mérite, dans son paradis».

»Je suis, etc.»

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LETTRE III.

Paris, 1726

Je n'ai pas de plus grand plaisir que de causer avec vous; et, comme je voudrois rendre mes lettres un peu moins sèches et plus intéressantes, j'écris les nouvelles que je sais bien: je n'aimerois pas à vous mander tout ce qui se dit à Paris. Vous savez, Madame, que je hais les faussetés et les exagérations: ainsi tout ce que j'écrirai, sera sûrement vrai. J'ai reçu hier des lettres d'Angleterre où on m'apprend le mariage de mademoiselle de St.-Jean avec M. Knight, fils du trésorier[175] de la compagnie des Indes: on prétend qu'il a des biens immenses. Argent, argent, que de vanités vous étouffez! que d'orgueils vous soumettez! que de pensées honnêtes vous faites évanouir! Auriez-vous jamais cru que milord, entêté de sa noblesse, comme il l'est, fort riche, et ayant une seule fille, la mariât à un gentillâtre, elle qui devoit être mariée à un pair[176]? Elle va venir à Paris voir la famille de son mari, qui sont de bonnes gens, mais sur un ton bien différent du sien: elle verra tous les petits Anglichons qui sont en France. Je crois qu'elle s'ennuiera et s'impatientera souvent.

Le chevalier est beaucoup mieux, il revient ici. Voici une petite histoire assez plaisante[177]. Un chanoine de Notre-Dame, fameux janséniste, homme de beaucoup d'esprit, et de réputation pour ses mœurs, qui a professé dans plusieurs universités, fort craint des molinistes, et très-aimé de M. l'archevêque de Paris, âgé de soixante-dix ans, a succombé à l'envie de voir la comédie. Il avoit souvent dit à ses amis, qu'il ne mourroit pas avant d'y aller, ayant une très-grande passion de voir une chose dont il entendoit parler sans cesse. On prenoit ce discours pour une plaisanterie. Son laquais lui avoit demandé plusieurs fois ce qu'il vouloit faire des vieilles nippes de sa grand'mère qu'il gardoit depuis long-temps. Il lui avoit répondu qu'elles pouvoient lui être nécessaires. Enfin, ne pouvant résister davantage, il communiqua son dessein à son laquais, qui étoit un vieux domestique dans lequel il avoit beaucoup de confiance, et lui dit, qu'il vouloit s'habiller en femme avec les hardes de sa grand'mère. Le laquais fut très-surpris; il chercha à dissuader son maître d'exécuter cet insensé déguisement, en l'assurant que les nippes étoient si antiques, qu'il seroit sûrement remarqué, au lieu que restant avec son habit, on pourroit très-bien n'y pas faire attention, le spectacle étant rempli d'abbés. Le chanoine ne se rendit point à ses raisons; il craignoit d'être reconnu par ses écoliers: il lui dit que comme il étoit vieux, on ne seroit point surpris de le voir avec des hardes à la vieille mode. Il s'ajuste avec la cornette haute, l'habit troussé, et tous les falbalas imaginés en ce temps-là, pour suppléer aux paniers. Il arrive à la comédie et se place à l'amphithéâtre. Cette figure étonna, comme vous pouvez bien le penser. Les voisins commencèrent à en parler; le murmure augmenta. Armand, acteur qui faisoit le rôle d'arlequin, aperçut le chanoine, alla dans l'amphithéâtre, et examina le personnage; il s'en approcha, et lui dit: Monsieur, je vous conseille de décamper: vous êtes reconnu, et votre habit grotesque fait rire le parterre, au point que je crains quelque scandale. Le pauvre homme bien troublé, remercie le comédien, et le prie de l'aider à sortir. Armand lui dit de le suivre, et pressé par la scène qu'il falloit jouer, il va très-vîte, le chanoine le perd de vue au sortir de l'amphithéâtre. Il entend les huées du parterre; il trouve l'escalier qui se partage en deux, dont l'un conduit à la rue, et l'autre dans la salle des comptes. Comme il ne connoissoit point les lieux, son malheur voulut qu'il se méprît; il descend dans cette salle où l'exempt se tient ordinairement. Il y étoit alors. Il fut frappé de cette figure de femme singulière, qui avoit l'air troublée et interdite; il l'arrêta, ne doutant point que ce ne fût quelqu'aventurier déguisé, et conduisit à M. Hérault, lieutenant de police, notre pauvre docteur qui fondoit en larmes, et qui offrit cent louis à l'exempt pour le laisser aller. Il lui conta son histoire, lui dit son nom; mais ce coquin fut inexorable; c'est la première fois qu'il a refusé de l'argent pour faire un scandale affreux. Le lieutenant de police vit avec plaisir notre chanoine; et, comme il étoit courtisan moliniste, il lui fit une très-grande réprimande, et le nomma devant beaucoup de monde. Le janséniste pleura: on lui a envoyé une lettre de cachet pour aller à 60 lieues d'ici, je ne sais pas bien où.

M. de Prie[178] étoit l'autre jour dans la chambre du roi, appuyé sur une table; la bougie alluma sa perruque; il fit ce que bien d'autres auroient fait en pareil cas, il l'éteignit avec les pieds: l'incendie fini, il la remit sur sa tête. Cela répandit une odeur très-forte. Le roi entra dans ce moment; il fut frappé du parfum, et, ignorant ce que c'étoit, il dit sans aucune malice: il sent bien mauvais ici; je crois qu'il sent la corne brûlée. A ce discours, vous comprenez bien que l'on rit; le roi et la noble assemblée firent des éclats de rire désordonnés. Le pauvre cocu n'eut point d'autre ressource que ses jambes, et il s'enfuit bien vite.

Voici une épigramme de Rousseau contre Fontenelle.

Depuis trente ans, un vieux berger normand
Aux beaux esprits s'est donné pour modèle;
Il leur apprend à traiter galamment
Les grands sujets en style de ruelle.
Ce n'est le tout; chez l'espèce femelle,
Il brille encor, malgré son poil grison;
Et n'est caillette, en honnête maison,
Qui ne se pâme à sa douce faconde.
En vérité, caillettes ont raison,
C'est le pédant le plus joli du monde.

Madame de Parabère a quitté M. le premier, et M. d'Alincourt ne la quitte pas, quoique je sois persuadée qu'il ne sera jamais son amant. Elle a des façons charmantes avec moi; elle sait bien que je crains d'avoir l'air d'être sa complaisante, et comme elle n'ignore point que tous les yeux sont sur elle, elle ne me propose plus de parties; elle m'a dit cent fois qu'elle ne pouvoit avoir de plus grand plaisir que de me voir; que toutes les fois que je voudrois, elle en seroit charmée. Son carrosse est toujours à mon service. Ne croyez-vous pas qu'il seroit ridicule de ne la point voir du tout? d'ailleurs, je n'ai aucune raison de m'en plaindre, bien au contraire; n'ai-je pas reçu de sa part mille amitiés dans toutes les occasions. On ne me peut soupçonner d'être sa confidente, ne la voyant que de temps en temps: enfin, je me conduirai de mon mieux. Mais, en vérité, Madame, je n'ai rien vu qui me confirme les bruits qui courent sur son nouvel engagement; elle est avec lui très-polie, très-modeste, a l'air indifférente: la seule chose qui donneroit des soupçons, c'est que sachant les discours du public, elle auroit dû peut-être ne pas le recevoir chez elle; mais elle dit qu'elle n'a pas le dessein de s'enterrer; que si elle refuse sa porte à M. d'Alincourt, le lendemain il faudra qu'elle la refuse à un autre, et que tour à tour elle chasseroit tout le monde, et qu'elle n'en seroit pas quitte encore pour être dans la solitude; que l'on diroit qu'elle ne les congédie que pour que le public en soit instruit: elle aime mieux, ajoute-t-elle, attendre du temps pour être justifiée. Adieu, ma chère dame, c'est toujours avec un regret infini que je vous quitte; mais la poste va partir.

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LETTRE IV.

Paris, 1726

Vous êtes surprise que j'aie resté si long-temps sans vous écrire; mais, Madame, je vous suis trop attachée, pour ne pas me flatter que vous ne doutez point que, malgré mon silence, j'aie pensé très-souvent à vous, et qu'il a fallu que je n'eusse pas un moment pour vous le dire, puisque je ne l'ai pas fait: mon cœur est sans cesse occupé de vous, et mes regrets sont aussi vifs que le jour où vous quittâtes Paris; tous les instans, je sens tout ce que j'ai perdu; rien n'est plus douloureux que d'avoir une amie de votre caractère, et d'en être séparée. Ces idées sont trop cruelles, parlons d'autre chose.

Le prince de Bournonville est mort hier, il ne pouvoit vivre: il est mort bien jeune, et bien vieux; on le regrette, sans être affligé; car il étoit dans une si triste situation, qu'il valoit mieux pour lui de finir, que de continuer à vivre pour souffrir; il ne pouvoit presque ni parler, ni respirer. Je crois que son âme a bien eu de la peine à quitter son corps; elle y étoit toute entière. Il avoit fait un testament, il y a quatre ans, où il me donnoit deux mille écus; je suis enchantée qu'il n'ait pas subsisté. Le public qui ignoroit l'amitié qu'il avoit eue pour moi, dans le temps qu'il venoit souvent chez M. de Ferriol, auroit soupçonné mille choses. Il a nommé pour héritière madame la duchesse de Duras; il a donné très-amplement à tous ses domestiques, sans en oublier un. Ce qui vous surprendra, Madame, c'est qu'un quart-d'heure après sa mort, le mariage de sa femme avec le duc de Rouvroi a été arrêté et publié; et, ce qui vous étonnera le plus, c'est que ce manque de bienséance part du cardinal de Noailles et de la maréchale de Grammont qui est Noailles, et mère de madame de Bournonville. M. le duc de Rouvroi est fils de M. de St.-Simon, âgé de 25 ans. Il n'a actuellement que 25,000 livres de rente, et vous voyez bien que sa naissance n'est pas bien merveilleuse; et madame de Bournonville jouit de 33,000 livres de rente. Elle est jeune et belle, d'une grande maison par elle et son mari. Madame de St.-Simon est amie du cardinal de Noailles. Elle parloit souvent du prince de Bournonville, comme d'un homme confisqué, et qu'elle se trouveroit bien heureuse, si sa veuve vouloit épouser son fils. Au moment que ce prince expiroit, elle va chez le cardinal, ne le laisse pas achever de dîner, pour qu'il allât demander madame de Bournonville. La maréchale de Grammont accepta la proposition, et dit au cardinal qu'elle en étoit charmée, mais qu'il falloit cacher pour quelque temps ce mariage. Le cardinal dit qu'il ne pouvoit se taire, et qu'il le diroit à tout ce qui se rencontreroit, de manière qu'avant que M. de Bournonville fût enterré, tout Paris a su ce mariage. Il est mort le 5; et le 9, on a été faire part du mariage à tous les parens et amis. Tout le monde est révolté. Au bout de quarante jours, la cérémonie se fera. Madame la duchesse de Duras et madame de Maillé, sœurs du défunt, sont allées rendre visite le surlendemain à la veuve; elle avoit un pied de rouge dans l'habillement de veuve, et son prétendu étoit à côté d'elle, qui venoit de se présenter comme futur époux. Ce n'est point un mariage d'inclination; il n'y a aucun amour: cela fait tenir bien des discours.

Les partis sur mademoiselle Le Maure et mademoiselle Pellissier deviennent tous les jours plus vifs. L'émulation entre ces deux actrices est extrême, et a rendu la Le Maure très-bonne actrice. Il y a des disputes dans le parterre, si vives, que l'on a vu le moment où l'on en viendroit à tirer l'épée. Elles se haïssent toutes deux comme des crapauds, et les propos de l'une et de l'autre sont charmans. Mademoiselle Pellissier est très-impertinente et très-étourdie. L'autre jour, à l'hôtel de Bouillon, à table, devant des personnes très-suspectes, elle dit que M. Pellissier, son cher mari, pouvoit compter d'être le seul à Paris, qui ne fût pas cocu. Pour la Le Maure, elle est bête comme un pot; mais elle a la plus belle et la plus surprenante voix qu'il y ait dans le monde; elle a beaucoup d'entrailles, et la Pellissier, beaucoup d'art. On fit l'anagramme du nom de cette dernière, qui étoit Pilleresse. Murer a quitté tout de bon la fièvre depuis trois mois, et la dévotion s'est emparée de lui. On joue Proserpine le 14 de ce mois. La Entie fait Cérès; la Le Maure, Proserpine; la Pellissier, Aréthuse; Thevenard, Pluton; Chassé, Ascalaphe. Voilà la distribution qu'on dit être à merveille. Je doute pourtant que cet opéra réussisse: toute l'intrigue est une vieille maîtresse qui raconte ses vieilles amours, une petite fille qui cueille des fleurs et qui fait des guirlandes, un vieux cocher amoureux et brutal. Il n'y a donc qu'un épisode, Alphée et Aréthuse, qui fasse une scène assez touchante: tout le reste est froid, languissant et insipide. M. de Nocé me soutint, l'autre jour, que c'étoit le plus bel opéra du monde, et qu'il y avoit une allégorie qui le rendoit charmant. Je l'assurai qu'il pouvoit être agréable pour le personnage pour lequel il avoit été fait: mais que pour moi, qui méprisois souverainement madame de Montespan, et qui ne l'avois jamais connue, sa rupture avec le roi, ses regrets, tout cela ne pouvoit m'émouvoir. La comédie tombe, tous les bons acteurs vont quitter; les mauvais sont détestables, et ne donnent aucune espérance.

Le roi est à Marli, où il tient table le soir, la reine le matin. C'est une chose nouvelle; cela n'étoit pas encore arrivé, que la reine eût mangé en public avec les dames. On parle de guerre; nos cavaliers la souhaitent beaucoup, et nos dames s'en affligent médiocrement: il y a long-temps qu'elles n'ont goûté l'assaisonnement des craintes et des plaisirs des campagnes; elles désirent de voir comme elles seront affligées de l'absence de leurs amans. M. de Nesle a fait des plaisanteries très-fortes à M. le prince de Carignan, sur ce qu'il parloit mal françois. Le prince, impatienté, lui dit qu'il seroit forcé de lui donner des coups de bâton, parce qu'on ne savoit pas en Suède qu'il étoit un grand poltron. M. de Nesle a fait mille excuses et mille bassesses: choses qui lui arrivent trop souvent pour sa réputation.

J'apprends, dans l'instant, qu'on va retrancher les rentes perpétuelles. Comme nous n'en avons ni l'une ni l'autre, je m'en console. Ma santé est mauvaise depuis quelque temps. Je me fis saigner hier; je prends de la limaille, je suis maigre; je me flatte que cela n'aura pas de suite. Adieu, Madame; honorez-moi toujours un peu de vos bontés: c'est une consolation à tous mes maux, tant du corps que de l'esprit. A propos, il y a une vilaine affaire qui fait dresser les cheveux à la tête: elle est trop infâme pour l'écrire; mais tout ce qui arrive dans cette monarchie, annonce bien sa destruction. Que vous êtes sages, vous autres, de maintenir les lois et d'être sévères! Il s'ensuit de là l'innocence. Je suis tous les jours surprise de mille méchancetés qui se font, et dont je n'ai pu croire le cœur humain capable. Je m'imagine quelquefois que la dernière surprise m'empêchera d'en avoir à l'avenir; mais j'y suis toujours trompée.

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LETTRE V.

D'Ablons, 1726

Comment vous portez-vous, Madame? ne me donnerez-vous point de vos nouvelles? voulez-vous me punir de mon silence? La punition est trop forte, et, pour une personne aussi juste que vous, elle n'est pas proportionnée à l'offense. Jamais vous ne pouvez soupçonner mon cœur; vous le connoissez trop. Votre silence ressemble à l'oubli et à l'ingratitude. Au nom de Dieu! souvenez-vous que vous êtes la personne du monde que j'aime et que j'estime davantage. Vous êtes obligée de m'aimer, à cause de mon discernement, si ce n'est pas par goût. Madame votre fille m'a fait l'honneur de me venir voir plusieurs fois: si je n'étois pas extrêmement occupée, j'aurois le plaisir de la voir souvent; je l'ai toujours beaucoup aimée; mais j'avoue que je l'aime encore davantage. Des esprits mal faits pourroient vous soupçonner sur cette phrase d'être tracassière, et d'avoir voulu me donner de l'éloignement pour elle; mais les bons esprits, et qui connoissent les entrailles, imagineront aisément que tout ce qui appartient à ce qu'on aime, devient plus cher, lorsque l'on en est éloigné.

Je me suis flattée, jusqu'à présent, que je ferois le voyage de Pont-de-Vesle, qui me procureroit le plaisir de vous aller voir; mais je vois avec douleur que le temps en est bien éloigné. On me flatte, et je crois deviner qu'il y a une résolution marquée de ne point faire ce voyage; j'en suis très-piquée; on se plaît à me donner des espérances, et ensuite à les détruire, je prends souvent la résolution de paroître indifférente sur l'événement; mais, malgré moi, le chagrin et la joie se manifestent tour à tour.

On parle plus de guerre que jamais: nos guerriers craignent fort de camper. Ils voudroient se battre, prendre à la hâte quelques villes, et revenir, au bout de huit jours, à Paris. M. le prince de Conti est mort, hier matin, d'une fluxion de poitrine; il a dit les choses du monde les plus tendres et les plus obligeantes à sa femme; il lui a demandé pardon des soupçons mal fondés qu'il avoit eus sur sa conduite, lui a nommé son valet de chambre qui étoit son espion et son calomniateur, et l'a assurée qu'il étoit bien éloigné d'ajouter aucune foi à tout ce qu'il avoit rapporté. Il a fait ordonner à madame La Roche, sa maîtresse, qui, en partie, étoit la cause du peu d'union qu'il avoit avec sa femme, de sortir au moment même de sa maison, où elle demeuroit. Il a donné 2,000 livres de pension à quatre personnes: je ne m'en ressouviens que de deux, MM. de Montmorenci et du Bellai; à M. Maton, qu'il a toujours aimé, un diamant de 10,000 livres; au président de Lubère, son portrait en grand; à ses deux filles, chacune une tabatière d'or avec son portrait. A l'égard de ses domestiques, il laisse madame la princesse de Conti maîtresse de les récompenser comme elle le jugera à propos. La princesse a beaucoup pleuré, quand il est tombé malade, quoiqu'ils fussent brouillés, et même sur le point de se séparer. Il a donné tant de marques de tendresse et de repentir, qu'elle a oublié, pour le présent, tous les chagrins qu'il lui a causés. Je crois cependant que, passé les premiers jours, elle s'en consolera bien aisément. M. le duc a eu une attaque d'apoplexie dont il réchappe. A la halle, les harangères disent que le borgne n'avoit garde de mourir, parce qu'il est trop méchant, et que le prince est mort, parce qu'il étoit bon. Ces pauvres gens décident de sa bonté, sans savoir pourquoi, si ce n'est qu'il n'avoit jamais été à portée de leur faire ni mal ni bien.

Je vous enverrai, par la première occasion, un livre fort à la mode ici, le Voyage de Gulliver; il est traduit de l'anglois; l'auteur est le docteur Swift; il est fort amusant; il y a beaucoup d'esprit, d'imagination et une fine plaisanterie. Destouches a donné le Philosophe marié; c'est une très-jolie comédie: il y a du sentiment, de là délicatesse; mais ce n'est pas le génie de Molière: il y a la Critique qui est du même auteur, c'est le panégyrique du Philosophe marié; on la trouve assez mauvaise. Votre commission sera faite au plutôt. Vous me faites tort, quand vous croyez que je peux m'impatienter en la faisant. Non, Madame, soyez persuadée, à moins que vous ne vouliez m'affliger mortellement, que si vous m'ordonniez de marcher sur la tête pour l'amour de vous, j'irois avec joie. L'article de votre lettre où vous me dites que vous ne me verrez plus, m'a serré le cœur à en pleurer. Pourquoi voulez-vous m'affliger? Oui, je vous verrai, quelque chose qu'il arrive, à moins que je ne meure bientôt: ma santé est assez bonne; ainsi laissez-moi l'espérance de vous embrasser encore souvent, avant que je meure. Vous me demandez des nouvelles du chevalier; il est en Périgord, où sa santé est toujours assez mauvaise. Cependant il m'assure qu'il n'y a nul danger; il est plus tendre que jamais: ses lettres sont toutes comme celles que je vous montrois dans le carrosse, quelque temps avant votre départ: si j'osois, je vous en enverrois des copies; elles sont trop pleines de louanges; mais elles sont si bien écrites, que, si l'on ne connoissoit pas l'objet, on les trouveroit charmantes. Je ne sais aucune nouvelle de Paris; je suis ici comme au bout du monde; je vendange, je file beaucoup pour me faire des chemises, et je tire aux oiseaux. J'ai reçu des lettres de madame Knight; elle me dit qu'elle est mariée et heureuse; elle est à Bettersea depuis son mariage; M. de Bolingbrocke ne paroît pas trop content. La tête a tourné apparemment à milord, de marier sa fille de cette façon. Vous auriez mieux fait; il falloit vous laisser faire, sans vous contraindre. Adieu, Madame, continuez-moi vos bontés.

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LETTRE VI.

Paris, 1726

Vous avez tort, Madame, de m'accuser d'oubli à votre égard; ayez meilleure opinion de vos amis, et sur-tout de moi qui sens bien tout le prix de votre amitié: je puis jurer qu'il n'y a pas de jour que je ne pense à vous, que je ne vous regrette, et que je ne fasse des projets pour aller vous voir; je mettrai tout en usage pour exécuter ce que je souhaite si vivement: je quitte tout sans regret pour vous; je suis accablée de chagrin, mon corps s'en ressent; je suis maigrie à en être alarmée. J'ai eu tout à la fois la mort de mon bienfaiteur M. de Ferriol, l'asthme du chevalier qui dure depuis trois mois, et la réduction des rentes viagères. Voici une lettre qu'il m'a faite pour le cardinal de Fleuri; je ne doute point que vous ne la trouviez bien.

Monseigneur,

«Je n'oserois me flatter que votre Éminence se ressouvînt que j'ai eu l'honneur de la voir; mais je crois pouvoir espérer que la singularité de mon état excitera sa compassion, et qu'elle me pardonnera la liberté que je prends de lui en exposer les circonstances. M. de Ferriol m'a amenée de Turquie en ce pays-ci, à 4 ans; et après m'avoir élevée comme sa fille, il a voulu, pour comble de générosité, me laisser une fortune qui soutînt l'éducation qu'il m'avoit donnée. Toute la famille de Ferriol concourant à ses desseins, il m'avoit donné 4,000 liv. de rentes viagères. Aujourd'hui, Monseigneur, on m'en ôte plus de la moitié; et par là je perds ce qui faisoit ma tranquillité, l'indépendance que l'on a voulu m'assurer. J'ose supplier votre Éminence, que l'on ne me traite point à la rigueur; ne souffrez pas que l'on détruise une fortune qui est un témoignage de la générosité des François. Si vous vous informez de moi, on vous dira que je n'ai ni goût, ni talent pour acquérir. Ordonnez donc qu'on me laisse ce que je possédois par des voies si légitimes. Vous aurez part à la reconnoissance que j'ai pour ceux à qui je dois tout ce que je possède, et je ne cesserai jamais d'être avec le plus profond respect, etc.»

Lettre de madame de Ferriol.

Aïssé ne cesseroit de vous écrire, si je la laissois faire; je n'en ai pas la patience, et je l'interromps pour vous parler aussi à mon tour. Gardez-vous bien de m'oublier; je ne cesse point de me ressouvenir de vous, et de vous regretter. Les courses que j'ai faites, et les maladies que j'ai essuyées, ne m'ont pas distraite un moment de ce souvenir; j'espère que tous mes voyages ne sont pas faits, et que j'en ferai un à Pont-de-Vesle, qui me procurera le bonheur de vous voir. J'ai besoin de cette espérance pour adoucir la peine que me cause votre absence. J'espère qu'en attendant, vous voudrez bien me donner de vos nouvelles, et que vous ne doutez pas de la très-tendre amitié que je conserverai toute ma vie pour vous.

Suite de la Lettre de mademoiselle Aïssé.

On me rend la plume, je vais en profiter pour conter quelques ravauderies. Madame de Tencin est toujours malade: les savans et les prêtres sont, presque les seules personnes qui lui fassent leur cour. D'Argental n'est plus amoureux; ses assiduités sont réfléchies actuellement. Il y a eu des tracasseries à la cour; les dames du palais ont voulu jouer des comédies pour amuser la reine. MM. de Nesle, de la Trimouille, Graisi, Gontault, Tallard, Villars, Matignon étoient les acteurs. Il manquoit une actrice pour de certains rôles, et il étoit nécessaire d'avoir quelqu'un qui pût former les autres: on proposa la Desmarest, qui ne monte plus sur le théâtre; madame de Tallard s'y opposa, et assura qu'elle ne joueroit pas avec une comédienne, à moins que la reine ne fût une des actrices. La petite marquise de Villars dit que madame de Tallard avoit raison, et qu'elle ne vouloit point jouer aussi, à moins que l'Empereur ne fît Crispin. Cette grande affaire finit par des éclats de rire. Madame de Tallard a été si piquée, qu'elle a quitté la troupe, La Desmarest a joué, et les comédies ont très-bien réussi.

Milord Bolingbrocke nie hautement les lettres que l'on prétend qu'il a écrites à M. Walpole. Je ne doute pas que vous n'en ayez ouï parler: il dit qu'on peut l'attaquer, mais qu'il ne répondra jamais; que ce sont des lettres supposées; qu'il est résolu de demeurer en repos, malgré toute la malice du public. Madame sa femme est toujours malade. L'air de Londres l'incommode: on avoit fait courir le bruit que le mari et la femme étoient mal ensemble; rien n'est plus faux: je reçois des lettres, presque tous les ordinaires, de l'un et de l'autre; ils me paroissent dans une grande union: les inquiétudes qu'il a de la santé de sa femme, et celles qu'elle a de la sienne, ne ressemblent point à des gens mécontens. Adieu, Madame. La certitude que j'ai de vos bontés, me fait trop de plaisir pour vouloir en douter.

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LETTRE VII.

Paris, 1727

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire; je ne puis vous dire assez tout le plaisir qu'elle m'a fait. Je les montre à une seule personne, qui est très-curieuse de les voir, et qui partage le plaisir que j'ai de les lire: les bontés d'une personne comme vous la flattent comme moi-même, et elle partage mes inquiétudes sur ce qui vous regarde. Vous êtes la première qu'elle a plainte dans ce maudit arrangement du retranchement des rentes viagères. Je n'ai point été consolée de n'être pas la seule misérable dans cette occasion; il est toujours fort douloureux de voir ses amis malheureux. J'aurois, je vous jure, pris mon parti plus aisément, si vous aviez été privilégiée. Mon voyage de Pont-de-Vesle se confirme, et sera beaucoup plus long; mais dans quelque pauvreté que je sois, je vous promets d'aller vous voir; ce sera un des bonheurs les plus vifs de ma vie; et si jamais je me marie, je mettrai dans le contrat, que je veux être libre d'aller à Genève, quand il me plaira, et le temps que je voudrai. Madame de Tencin est toujours malade; mais j'ai grand'peur que madame sa sœur ne parte avant elle; sa cupidité augmente tous les jours. Ma santé est médiocre, et je maigris beaucoup; c'est pourtant le premier bien; elle nous fait supporter toutes nos peines; les chagrins l'altérent, comme vous le prouvez, et ne font pas changer la fortune. D'ailleurs, il n'y a point de honte d'être pauvre, quand c'est la faute du destin et de la vertu. Je vois tous les jours qu'il n'y a que la vertu qui soit bonne en ce monde et en l'autre. Pour moi qui n'ai pas le bonheur de m'être bien conduite, mais qui respecte et admire les gens vertueux, la simple envie d'être du nombre m'attire toutes sortes de choses flatteuses: la pitié que tout le monde a de moi, fait que je ne me trouve presque pas malheureuse; il me reste deux mille francs de rente, tout au plus; j'envisage sans peine de me retrancher les choses qui me faisoient le plus de plaisir. Mes bijoux et mes diamans sont vendus; pour vous, Madame, il y a long-temps que vous vous êtes détachée de tout cela. Si vous avez plus de chagrins, et que vous soyez plus à plaindre que bien d'autres, vous en êtes bien dédommagée par la satisfaction de n'avoir rien à vous reprocher: vous avez de la vertu, vous êtes aimée et estimée, et, par conséquent, vous avez plus d'amis. Conservez-les, Madame, et votre santé; ce sont là les véritables trésors.

Madame de Parabère ayant quitté son amant, a donné cette charge à d'Alincourt. M. de Nesle a plaisanté M. le prince de Conti assez mal à propos; et, quoique le prince l'eût fait prier de se taire, il a continué; ce qui a mis en colère son altesse, qui a voulu lui jeter une assiette à la tête. M. de Nesle a fait des excuses, qui ont été assez mal reçues, puisqu'on lui a répondu que l'on avoit eu tort de se mettre en colère contre un poltron; que l'on devoit en agir avec lui comme avec un chien qui importunoit, et à qui l'on donnoit des coups de pied; que s'il n'étoit pas content, il étoit partout, et le trouveroit. Madame de Nesle avoit pour amant M. de Montmorenci: c'étoit Riom qui avoit fait cette liaison; il a jugé à propos de la rompre, et a donné à son ami madame de Boufflers; madame de Nesle, pour se venger, a donné le ridicule à Riom, de lorgner la reine; ce dernier a été si piqué, qu'il est allé au cardinal pour se justifier. Vous voyez à quoi nos belles dames et nos agréables s'amusent. M. le duc se divertit comme un ange, à son tour, à Chantilli. Madame de Prie est reléguée dans ses terres, où elle perd les yeux; elle se console en lisant le bel édit des rentes. Notre roi est toujours constant pour la chasse. La reine est grosse. Voilà les nouvelles de ce monde. Quelle différence de votre ville à Paris! L'innocence des mœurs, le bon esprit y règnent: ici on ne les connoît pas. Il est arrivé, depuis quelque tems, une petite aventure qui a fait beaucoup de bruit; je veux vous la mander. Il y a six semaines, qu'Isessé, le chirurgien, reçut un billet, par lequel on le prioit de se rendre l'après-midi, à six heures, dans la rue Pot-de-fer, près du Luxembourg. Il n'y manqua pas; il trouva un homme qui l'attendoit, et le conduisit à quelques pas de là, le fit entrer dans une maison, ferma la porte sur le chirurgien, et resta dans la rue. Isessé fut surpris que cet homme ne l'emmenât pas tout de suite où on le souhaitoit. Mais le portier de la maison parût, qui lui dit qu'on l'attendoit au premier étage et qu'il montât; ce qu'il fit: il ouvrit une antichambre toute tendue de blanc; un laquais fait à peindre, vêtu de blanc, bien frisé, bien poudré, et avec une bourse de cheveux blanche, et deux torchons à la main, vint au-devant de lui, et lui dit qu'il falloit qu'il lui essuyât ses souliers. Isessé lui dit que cela n'étoit pas nécessaire, qu'il sortoit de sa chaise, et n'étoit point crotté. Malgré cela, le laquais lui répondit que l'on étoit trop propre dans cette maison, pour ne pas user de précaution. Après cette cérémonie, on le conduisit dans une chambre tendue aussi de blanc. Un autre laquais, vêtu de même que le premier, refit la même cérémonie des souliers: on le mena ensuite dans une chambre toute blanche, lit, tapisseries, fauteuils, chaises, tables et plancher. Une grande figure en bonnet de nuit et en robe de chambre toute blanche, et un masque blanc, étoit assise auprès du feu. Quand cette espèce de fantôme aperçut Isessé, il lui dit: j'ai le diable dans le corps, et ne parla plus; il ne fit pendant trois quarts d'heure que mettre et ôter six paires de gants blancs, qu'il avoit sur une table, à côté de lui. Isessé fut effrayé; mais il le fut encore davantage, quand parcourant des yeux la chambre, il aperçut plusieurs armes à feu; il lui prit un si grand tremblement, qu'il fut obligé de s'asseoir, de peur de tomber. Enfin craignant ce silence, il dit à la figure blanche, ce que l'on vouloit faire de lui, qu'il le prioit de lui donner ses ordres, parce qu'il étoit attendu, et que son temps étoit au public: la figure blanche répondit sèchement: que vous importe, si vous êtes bien payé? et ne dit plus mot. Un quart d'heure s'écoula encore dans le silence: le fantôme enfin tire un cordon blanc de sonnettes. Les deux laquais blancs arrivent; il leur demande des bandes, et dit à Isessé de le saigner et de lui tirer cinq livres de sang. Le chirurgien, étonné de la quantité, lui demanda quel médecin lui avoit ordonné une pareille saignée? Moi, répondit la figure blanche, Isessé se sentant trop ému pour ne pas craindre d'estropier, préféra de saigner au pied, où il y a moins de risque qu'au bras. On apporta de l'eau chaude; le fantôme blanc ôte une paire de bas de fil blanc d'une grande beauté, puis une autre, encore une autre; enfin jusqu'à six paires, et un chausson de castor doublé de blanc; alors Isessé vit la plus jolie jambe et le plus joli pied du monde; il n'est point éloigné de croire que ce soit celui d'une femme: il saigne; à la seconde palette le saigné se trouve mal. Isessé voulut lui ôter son masque pour lui donner de l'air, les laquais s'y opposèrent: on l'étendit à terre; le chirurgien banda le pied pendant l'évanouissement. La figure blanche, en reprenant ses esprits, ordonna que l'on chauffât son lit; ce que l'on fit, et ensuite il s'y mit. Isessé lui tâta le pouls, et les domestiques sortirent; il alla près de la cheminée pour nettoyer sa lancette, faisant bien des réflexions sur la singularité de cette aventure: tout à coup il entend quelque chose derrière lui, il tourne la tête, et voit dans le miroir de la cheminée, la figure blanche qui vient à cloche-pied, et qui ne fait presque qu'un saut pour venir à lui; il fut saisi de frayeur; elle prit sur la cheminée cinq écus, les lui donna, et lui demanda s'il étoit content. Isessé, tout tremblant, répondit que oui.—Eh bien! allez-vous-en. Le chirurgien ne se le fit pas dire deux fois; il prit ses jambes à son cou, et s'en alla bien vite; il trouva les laquais qui l'éclairèrent, et qui de fois à autre se tournoient et rioient. Isessé, impatienté, leur demanda ce que c'étoit que cette plaisanterie. Monsieur, lui répondirent-ils, avez-vous à vous plaindre? Ne vous a-t-on pas bien payé? Vous a-t-on fait quelque mal? Ils le reconduisirent à sa chaise, et il fut transporté de joie d'être sorti de là. Il prit la résolution de ne point raconter ce qui lui venoit d'arriver; mais, le lendemain, on vint s'informer comment il se portoit de la saignée qu'il avoit faite à un homme blanc; alors il raconta son aventure, et n'en fit plus mystère: elle a fait beaucoup de bruit; le roi l'a sue, et le cardinal se l'est fait raconter par Isessé. On a fait mille conjectures qui ne signifient rien: je crois que c'est quelque badinage de jeunes gens qui se sont amusés à faire peur au chirurgien. Je suis bien sincèrement, ma chère madame, toute à vous.

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LETTRE VIII.

Paris, 1727

J'ai reçu avant-hier la lettre que vous m'avez fait l'amitié de m'écrire; vous trouverez dans celle-ci tout ce que vous me demandez. Je vais commencer par les nouvelles de Paris. La reine est accouchée de deux princesses: il est bien fâcheux, Madame, que dans le nombre il n'y ait pas un garçon. Tout Paris étoit dans une grande joie, quand on sut qu'elle étoit en travail; la joie fut bien modérée, quand on apprit la naissance de deux filles: on s'étoit trompé de six semaines. Le chancelier arrive de son exil; il n'a pas encore les sceaux. M. le prince de Carignan est toujours amoureux de la Entie, danseuse à l'opéra; cette créature s'est engouée de M. de la Poplinière, fermier général, homme d'esprit, faiseur de chansons, et d'ailleurs assez laid. M. de Carignan s'étoit lié d'amitié avec lui, comme les maris font avec les amans de leurs femmes; mais le prince est italien, par conséquent clairvoyant, et jaloux outre mesure. Il y a quelques jours qu'il alla prier la Entie de venir à une petite maison qu'il a au bois de Boulogne; elle y consentit, mais elle voulut que M. de la Poplinière fût de la partie; ce dernier ne vouloit point; il se fit long-temps prier par le prince, qui le persuada enfin d'y venir; il y eut pendant le souper plusieurs lorgneries qui furent aperçues du prince, et qui le mirent de très-mauvaise humeur. On alla bientôt après se coucher; et comme la maison est très-petite, et qu'il n'y avoit que deux lits, la Entie coucha avec le prince, et la Poplinière dans une chambre à côté. La demoiselle voulut bien faire les honneurs de chez elle, et alla trouver son voisin, quand le prince fut endormi. M. de Carignan s'étant réveillé, et voyant que sa tourterelle s'étoit envolée, ne fit pas grand chemin pour la retrouver; il eut la constance de s'entendre dire les choses du monde les plus outrageantes; on le traita de sot. Bien des gens prétendent que le greluchon la Poplinière étoit muni de deux pistolets dont il se servoit pour tenir en respect le pauvre abandonné, qui, furieux, désespéré, retourna à Paris, et débarqua chez sa femme; et comme il avoit le cœur très-ulcéré, il lui raconta ce qui venoit de lui arriver. Elle lui dit qu'il y avoit long-temps que cette créature le rendoit malheureux, et qu'il falloit faire un exemple pour châtier de pareilles gens, qu'elle lui demandoit la permission d'en faire des plaintes, et d'avoir une lettre de cachet pour la faire enfermer dans une maison de force. Le prince étoit trop en colère pour n'y pas consentir. La princesse ne perdit point de temps; elle partit pour Versailles, et obtint du cardinal la lettre de cachet, envoya là-dessus arrêter la donzelle, qui fut dans un désespoir inconcevable. Elle avoit 40,000 livres en or chez elle, qu'elle vouloit emporter; mais on ne lui laissa prendre que 300 livres, et on la mena à Sainte-Pélagie, maison de force, où elle est actuellement. Le prince est désespéré de ne la plus voir; il a fait tout au monde pour la faire sortir de là, et pour se venger de la Poplinière et le faire mettre à la Bastille; mais il n'en a pas eu le crédit: on l'a seulement engagé à aller faire un petit tour dans son département, qui est la Provence.

Voici encore une aventure, mais qui est plus tragique. Un gentilhomme, du côté de Villers-Coterets, allant d'un endroit à un autre à cheval avec son valet, fut attaqué dans un bois, par un jeune homme qui lui demanda sa bourse où il y avoit cinquante louis, sa montre, avec un cachet d'or, lui prit ses deux chevaux, et le laissa aller à pied, assez embarrassé de ce qu'il feroit. En marchant, il aperçut une maison qui avoit une belle apparence; il envoya son laquais pour s'informer qui l'habitoit; il apprit avec joie que c'étoit un officier avec lequel il avoit long-temps servi, et qui étoit son bon ami; il se trouva heureux dans sa disgrâce, de rencontrer justement son camarade qu'il connoissoit pour un parfait honnête homme; il en fut très-bien reçu: ils parlèrent de la malheureuse aventure qui leur avoit procuré le plaisir de se revoir; le maître de la maison offrit sa bourse et sa personne à son ami. Quelques momens avant le souper, un jeune homme entra, que le gentilhomme reconnut pour être celui qui l'avoit dévalisé, et il fut bien surpris, quand l'officier le lui présenta comme son fils; il ne dit mot, et se retira d'abord après souper dans sa chambre. Son laquais très-effrayé, lui dit: Monsieur, nous sommes dans un coupe-gorge; le fils de la maison est notre voleur, et nos chevaux sont dans l'écurie. Le gentilhomme lui défendit de parler, et avant que personne fût levé dans la maison, il alla à la chambre de son ami, et le réveilla, en lui disant que c'étoit avec une grande douleur qu'il se trouvoit obligé de lui apprendre que son fils étoit le même homme qui l'avoit dévalisé la veille; qu'il avoit cru, après s'être consulté, qu'il valoit mieux lui apprendre le détestable métier de son fils, que s'il venoit à en être informé par la justice: ce qui ne pouvoit manquer tôt ou tard d'arriver. Le désespoir du père fut inconcevable; la surprise, la douleur, lui donnèrent un si violent saisissement, qu'il s'évanouit; ensuite l'emportement, la fureur succédant, il monte à la chambre de son fils, qui dormoit, ou feignoit de dormir; il trouve sur sa table la montre et le cachet où étoient les armes de son ami: le fils entend le bruit; effrayé, il se lève, veut s'enfuir. Des pistolets se trouvent sur la table; le père, troublé par la colère, en prend un, tire, et tue son malheureux fils. Il est venu tout de suite demander sa grâce: tout le monde a été d'avis qu'on la lui donnât. Le cas est excusable dans le premier mouvement d'une colère aussi légitime. Un honnête homme trouvant dans son fils un voleur de grand chemin, éprouve un chagrin si vif, que la tête lui en peut bien tourner.

Madame de Ferriol compte toujours aller à Pont-de-Vesle; mais, comme elle ne veut y rester que six semaines, je ne l'accompagnerai pas; cela n'en vaut pas la peine. Il y a cinq ou six mariages pour notre ami[179]; mais l'on voudroit fort avoir la dot, et point avoir de femme. Je ne vois plus Bertie; l'ambition le poignarde; il poursuit l'ambassade de Constantinople; les Turcs sont trop simples, pour goûter l'air empesé de notre ami.

Le chevalier est parti pour le Périgord, où il compte être cinq mois. Vous serez bien étonnée, Madame, quand je vous dirai, qu'il m'a offert de m'épouser. Il s'expliqua hier très-clairement devant une dame de mes amies; c'est la passion la plus singulière du monde; cet homme ne me voit qu'une fois tous les trois mois; je ne fais rien pour lui plaire; j'ai trop de délicatesse pour me prévaloir de l'ascendant que j'ai sur son cœur; et, quelque bonheur que ce fût pour moi de l'épouser, je dois aimer le chevalier pour lui-même. Jugez, Madame, comme sa démarche seroit regardée dans le monde, s'il épousait une inconnue, et qui n'a de ressource que la famille de M. de Ferriol. Non, j'aime trop sa gloire, et j'ai en même temps trop de hauteur pour lui laisser faire cette sottise. Quelle confusion pour moi d'apercevoir tous les discours que l'on tiendroit! Pourrois-je me flatter que le chevalier pensât toujours de même à mon égard? Il se repentiroit assurément d'avoir suivi sa folle passion; et moi je ne pourrois survivre à la douleur d'avoir fait son malheur, et de n'en être plus aimée. Il me tint les propos du monde les plus tendres, les plus passionnés et les plus extravagans; il finit par me dire qu'il avoit dans la tête, que d'une façon ou d'une autre, nous vécussions ensemble. Je parus étonnée de ce propos, et lui en dis mon sentiment; il se fâcha, et m'assura que, quand il disoit cela, il ne prétendoit pas m'offenser, ni avoir des desseins malhonnêtes sur moi; qu'il vouloit dire, que si je voulois l'épouser, j'en étois la maîtresse; mais qu'autrement, il croyoit que nous pouvions bien, quand nous serions sans conséquence l'un et l'autre, passer le reste de nos jours ensemble; qu'il m'assureroit une grande partie de son bien; qu'il étoit mécontent de ses parens, à l'exception de son frère, à qui il donneroit honnêtement, pour qu'il fût content; et pour me faciliter d'accepter sa proposition, il me dit que nous ferions cession au dernier vivant de nos biens. Je badinai beaucoup sur mes vieux cotillons qui sont tout l'héritage que je pouvois assurer. Notre conversation finit par des plaisanteries. Adieu, Madame, je suis lasse d'écrire; je vous suis dévouée bien tendrement.

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LETTRE IX.

1727

Je ne vous ai point justifié le silence de M. d'Argental, à cause de vos craintes; à présent qu'il est guéri, je vous dirai qu'il vient d'avoir la petite vérole le plus heureusement du monde: c'est un grand plaisir pour lui et ses amis, qu'il se soit débarrassé de cette vilaine maladie. Je vis hier madame votre fille qui est, comme vous l'avez laissée, belle comme un ange, mais d'une vertu à battre; elle est bien votre digne fille. Madame Knight est grosse, elle retourne à Londres pour accoucher. Miladi Bolingbrocke a été très-mal; elle s'est mise au lit tout-à-fait; elle se trouve mieux de ce régime. Le public, qui veut toujours parler, assure que son mari en agit mal avec elle; je vous assure que rien n'est plus faux. M. le duc de Bouillon a été à l'extrémité. Il a envoyé au roi la démission de sa charge de grand chambellan; il l'a fait supplier de la donner à son fils, ce qui lui a été accordé: il est mieux; mais il n'y a aucune espérance que ce mieux continue. Pour parler de la vie que je mène, et dont vous avez la bonté de me demander les détails, je vous dirai que la maîtresse de cette maison est bien plus difficile à vivre, que le pauvre ambassadeur. Je ne sais jamais sur quel pied danser. Si je reste, on me fait la mine de ce que l'on croit que l'on me contraint: si je sors, on me fait des sorties affreuses: on me contrarie sans fin, on me caresse après, jusqu'à impatienter un ange. Une certaine demoiselle qui vient dans la maison, m'a fait l'honneur d'être jalouse de moi; elle travaille à me détruire dans l'esprit de madame de Ferriol qui avale le poison, sans qu'elle s'en aperçoive: je m'en suis doutée, et j'y ai mis bon ordre. J'ai parlé à madame avec beaucoup de force, de franchise et de respect. La tracassière ignore que je la connoisse, et je ne veux aucun éclaircissement avec des gens faux et méchans; je les laisse dans leur crasse. Je m'appuie sur la netteté de ma conduite, qui est de faire mon devoir de bon cœur, et ne point faire de tort aux autres: elle a déjà le fruit que recueillent les mauvais esprits, madame ne la peut plus souffrir. Pour la Tencin, je continue à ne la point voir: elle a plus de manége que jamais. L'archevêque de Tencin a été très-mal: nous avons été bien en peine. Il étoit cruel de mourir à la veille d'avoir le chapeau; il est mieux, et nous le verrons, j'espère, cardinal.

Nous avons une nouvelle princesse, la femme de M. le Duc, qui est très-jolie, mais fort petite: elle n'a que quatorze ans. Sa taille est charmante; elle a bonne grâce; elle a dit des ingénuités plaisantes sur son mariage. On lui présenta ses deux beaux-frères, et on lui demanda lequel des trois frères elle préféroit. Elle répondit que ses deux beaux-frères avoient de très-beaux visages, mais que M. le Duc avoit l'air d'un prince. On la mena à Versailles, où elle réussit très-bien. Le roi ne causa point avec elle; mais, quand elle fut partie, il dit qu'il la trouvoit bien. Tous les gens de la cour lui firent la révérence; elle reçut leurs complimens sans aucun embarras. M. le duc d'Orléans est d'une dévotion aussi outrée que son père étoit pervers. Madame de Parabère a été, comme je vous l'ai déjà dit, quittée par monsieur le premier, qui est amoureux de madame d'Épernon, qui n'a point encore fait parler d'elle. Cela cause bien du chagrin à madame de Parabère. Elle me fait toujours beaucoup d'amitiés. Voilà ce que c'est que de ne point se mêler des intrigues. Notre reine vint, le dix septembre, à Sainte-Geneviève, pour demander à Dieu un dauphin. Le roi a reçu les petites princesses galamment et avec courage. Ne vous chagrinez point, ma femme, dit-il à la reine, dans dix mois, nous aurons un garçon.

Nous avons à l'Opéra-comique une pièce qui dure depuis six semaines, qui est assez jolie. Je reviens de la comédie; on jouoit Régulus, où j'ai fondu en larmes. Baron a joué dans une perfection admirable. Je ne l'ai jamais vu mieux jouer; j'envisage avec douleur sa vieillesse. Il fit, l'autre jour, le rôle de Burrhus dans La mort de Britannicus, où il excella. Il est impossible que l'on ne le croie pas le personnage qu'il représente. M. le comte de Grancey, et M. le marquis son frère, sont morts à quinze jours l'un de l'autre. Ils sont si ruinés, que leurs veuves ne trouveront pas leur douaire: ils jouissoient de beaucoup de bienfaits du roi, et mangeoient plus que leur revenu. M. de la Chesnelaye vient d'épouser mademoiselle des Mares, sœur du grand fauconnier; elle est belle et bien faite, et voilà tout. Il a marié sa fille, qui a seulement quatorze ans, à M. de Pont-St.-Pierre, homme de condition, riche, mais assez débauché. M. de Maisons a épousé mademoiselle d'Angerviller. M. de Charolois vit toujours avec la de l'Isle, dont il n'est plus amoureux, ni jaloux. Il a une autre maîtresse, qui a été très-secrète, et qui n'a paru que par un éclat violent. Elle s'est jetée dans un couvent, prétendant que son mari avoit voulu l'empoisonner; elle se nomme madame de Courchamp; elle est sœur de cette madame Dupuis, qui a été si belle. M. de Clermont est amoureux fou de madame la duchesse de Bouillon. La marquise de Villars et madame d'Alincourt sont dans la plus grande dévotion: elles ne mettent plus de rouge: ce qui leur sied assez mal. M. l'Avalle et sa femme donnent des fêtes à madame Benard, qui loge où vous logiez. Je ne puis endurer que cette guenon et cette bête habite votre chambre. Elle est encore belle, et si belle, que, si elle se dépaysoit, on ne lui donneroit que trente ans. Les filles de l'opéra, et les filles de joie inondent Paris: on ne sauroit faire un pas qu'on n'en soit entouré. On rejoue à l'opéra Bellérophon. L'autre jour, quand le dragon parut sur le théâtre, il y eut quelque chose qui se dérangea à la machine; l'estomac de l'animal s'ouvrit, et le petit polisson parut aux yeux de l'assemblée, tout nu, ce qui fit rire le parterre. La Pellissier diminue de vogue imperceptiblement; on commence à regretter la Le Maure, qui attend qu'on la prie de revenir. Destouches et elle se tiennent sur la réserve; mais ils meurent d'envie tous deux d'être bien ensemble. Vous savez que Destouches a eu la place de Francine. Nous regrettons toujours Murer et le pauvre Thevenard; il baisse beaucoup. Chassé ne le remplacera pas, il ne devient pas meilleur.

Je me suis fait peindre en pastel, ou, pour mieux dire, M. de Ferriol, qui a un appartement charmant, a fait peindre six belles dames, dont je suis, non comme belle assurément, mais comme amie: madame de Noailles, de Parabère, madame la duchesse de Lesdiguières, madame de Montbrun, et une copie d'un portrait de mademoiselle de Villefranche, à l'âge de quinze ans. Ils sont tous de la même grandeur; le mien est parfaitement ressemblant: j'ai résolu d'en demander la copie; et, si le peintre croit qu'il vaut mieux le faire d'après moi, je le ferai venir; c'est l'affaire de trois heures. Si vous étiez ici, Madame, je vous aurois demandé à genoux la complaisance de vous laisser peindre pour moi. On s'appuie sur une table où le peintre travaille; cela fait qu'on s'amuse à voir dessiner, et que l'on n'a point d'attitude gênante. Aussitôt que j'aurai cette copie, ou l'original, je vous l'enverrai. En le voyant, je vous prie de croire qu'il fait des vœux au ciel pour vous; car on a voulu que les yeux fussent en l'air avec un voile bleu, comme une vestale, ou une novice.

Il y a ici un nouveau livre, intitulé, Mémoires d'un Homme de qualité, retiré du monde. Il ne vaut pas grand'chose; cependant on en lit 190 pages, en fondant en larmes. A peine le chevalier a été arrivé à Périgueux, où il comptoit passer quelques mois, qu'il a été obligé de repartir, et de revenir ici. J'avoue que je fus surprise bien agréablement, quand je le vis hier entrer dans ma chambre; j'ignorois son retour. Quel bonheur, si je pouvois l'aimer, sans me le reprocher! Mais, hélas! je ne serai jamais assez heureuse pour cela. Je finis cette longue épître, qui pourroit à la fin vous fatiguer. Adieu, Madame; excusez et plaignez votre pauvre Aïssé.

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LETTRE X.

Paris, 1727

Monsieur d'Argental est arrivé, il y a deux jours; il est extrêmement marqué de la petite vérole, sur-tout le nez qui, à force d'être couturé, est devenu petit, échancré et façonné. Ses yeux, ses sourcils, ses paupières n'ont point été gâtés; par conséquent, sa physionomie est toujours la même; il est fort engraissé et fort rouge. Nous avons été si aises de le voir, que nous l'avons reçu comme si c'étoit l'amour. On peut dire de lui que ce n'est pas un beau garçon, mais c'est assurément un aimable caractère: il est généralement aimé et estimé; tous ceux qui le connoissent en font des éloges bien flatteurs pour lui, et pour ceux qui s'y intéressent. Vous savez, Madame, que cette réussite n'est pas capable de le gâter. Je voudrois que M. de Caze le connût; sûrement il l'aimeroit: on nous a bien alarmés sur la santé de ce dernier. M. de Saint-Pierre nous avoit mandé qu'il étoit très-mal; Dieu merci, ce n'est qu'une fausse alarme, il se porte bien. Le pathétique M. Jean-Louis Favre m'avoit fait pleurer, en faisant l'énumération des qualités de M. de Caze, la perte que faisoient ses parens et ses amis; en un mot, s'il avoit été romain, il l'auroit mis parmi les dieux. Dites-lui, je vous prie, quand il voudra prendre place parmi eux, que ce soit le plus tard qu'il pourra, et même qu'il fasse quelques mauvaises actions, pour qu'on ne le regrette pas.

Notre voyage de Pont-de-Vesle est toujours très-incertain; cela est insupportable. Madame de Ferriol continue à être d'une pesanteur à alarmer; il faudroit qu'elle prît les eaux de Bourbon. Son fils et moi, nous le lui avons représenté avec un ton d'attachement et d'amitié qui méritoit, de sa part, un peu de complaisance; elle est d'une opiniâtreté et d'une dureté à mettre en fureur. N'en parlons plus. Je suis actuellement, que je vous écris, sur votre fauteuil; il n'y a que mes favoris à qui je permette de s'y asseoir. M. Bertie quelquefois usurpe cette place; mais je ne le trouve pas bon.

Madame la duchesse de Fitz-james épouse M. le duc d'Aumont; il a dix-huit ans, elle vingt; ce mariage est très-convenable et fort approuvé. Elle a eu toutes les peines du monde à renoncer à la liberté dont elle jouissoit; mais il a 50,000 écus de rente, elle 25,000 livres; la médiocrité de son revenu et sa jeunesse l'ont déterminée; elle m'a fait l'honneur de me demander mon avis, ne voulant pas se décider, avant que je lui disse ce que je pensois: la noce se fera incessamment. Quand on le dit à sa sœur, qui a quatorze ans, elle répondit qu'elle auroit mieux aimé que ce fût elle qui se mariât, mais que, dès que les choses étoient arrangées, elle n'étoit point fâchée que ce fût sa sœur. La reine est grosse. On ne parle que de guerre; les officiers partent, dont ils sont bien fâchés. Monsieur et mademoiselle d'Uxelles ont fait avoir un guidon de gendarmerie à M. Clémence, frère de M. de La Marche. Je veux parler politique. On dit ici que les Espagnols prendront Gibraltar, que l'Empereur offre de suspendre, pour deux ans, la compagnie d'Ostende, et que les Anglois veulent que ce soit trois ans. On est en négociation pour cela; je juge que nous sommes les médiateurs. Les Anglois ont une grande animosité contre l'Empereur et les Espagnols. On prétend que la maréchale d'Uxelles est cause que nous ne faisons pas la guerre. L'indécision où l'on est, ruine; les avis étant si partagés dans les conseils, qu'on a été obligé de tenir tout prêt, pour n'être pas pris au dépourvu; les officiers en sont ruinés, et nos rentes retranchées: nous pouvons dire comme à l'opéra: l'incertitude est un rigoureux tourment. D'Argental vous assure de ses respects, et vous envoie cette lettre du marquis de Saint-Aulaire, au cardinal. Elle nous a paru belle.

Lettre du marquis de Saint-Aulaire, au cardinal de Fleury.

«Voici la conjoncture la plus digne d'occuper une intelligence du premier ordre; il n'est point de puissance en Europe, qui ne désire le secours de votre Éminence, pour la conservation de ses droits, ou l'établissement de ses prétentions Le beau rôle que vous allez faire jouer à notre aimable monarque! Qu'il est heureux d'avoir un aussi bon guide dans le chemin de la vraie gloire! Celle de conquérir le monde ne vaut pas celle de le pacifier. Celle-là peut se faire craindre de quelques-uns, celle-ci est sûre de se faire aimer de tous: son ambition ne sera pas bornée à subjuguer quelques nouveaux sujets aux dépens des anciens; ses plus ardens désirs seront de contribuer au repos de ses amis; c'est dans le repos général qu'il cherche le bien. On va voir si l'amour de la justice, la candeur, la modération, la fidélité à sa parole, n'ont pas un succès aussi heureux, que les ruses et les artifices de l'ancienne politique. Mais en instruisant le roi de ses intérêts, n'oubliez pas le plus important, c'est de vous conserver. Je tremble, quand je songe au chaos que vous avez à débrouiller, à la quantité d'intérêts que vous avez à concilier. Il est d'autres craintes que les plus heureux succès ne feroient qu'augmenter. Puis-je espérer de retrouver en vous cette douce urbanité qui nous enchante? Quelle modestie pourroit tenir contre la gloire qui vous menace?»

On a fait une promotion d'officiers de marine, qui a été peu nombreuse; elle a fait une quantité de mécontens. M. le chevalier de Caylus, qui étoit colonel réformé, a été fait, de plein saut, capitaine de vaisseau; il passe sur le ventre de mille officiers, qui ont cinquante années de service, qui ont la plupart une grande naissance, et de fort belles actions; et les officiers réformés, pour lesquels on a beaucoup de dureté, demandent ce qu'a fait le chevalier de Caylus pour être si favorisé. Tous les marins se plaignent, et le public trouve fort étrange que le fils de madame la comtesse de Toulouse soit garde-marine, pendant que M. de Caylus est capitaine de vaisseau. Madame de Montmartel est accouchée à Brisach, d'un garçon: son père et son mari sont toujours en exil, et du Verney à la Bastille; on ne trouve rien pour le retenir, ainsi il sortira bientôt.

Le beau de la Mothe-Houdancourt, recherché des plus belles et des plus riches dames de la cour, a donné congé à madame la duchesse de Duras, pour la Entie, actrice de l'opéra, dont il est fou; il ne la quitte point, et on les prie à souper comme mari et femme. On dit que c'est charmant de voir l'étonnement de la Entie, l'enthousiasme de la Mothe; il n'y a jamais eu une passion aussi violente et aussi réciproque: le rôle de Cérès a fait naître cette passion. Les spectacles sont cessés, et les concerts spirituels sont fort courus. La Entie et la Le Maure, y chantent à enlever.

Il n'y a plus moyen d'excuser madame de Parabère; M. d'Alincourt est établi chez elle. Elle a toujours beaucoup d'empressement pour moi. J'ai du goût, je l'avoue, pour elle: elle est aimable; mais je la vois beaucoup moins, et sur-tout en public. Soyez persuadée de ce que je vous dis, Madame; elle n'est assurément pas excusable d'avoir repris un autre amant, mais bien d'avoir quitté celui qu'elle avoit. Il lui a mangé plus d'un million, et, dans sa rupture, tous les vilains procédés; et de sa part tous les plus nobles et les plus généreux. M. et madame de Ferriol entrent, dans ce moment, dans ma chambre, et me chargent de mille complimens pour vous. Le premier a pris un très-grand intérêt au retranchement de vos rentes viagères. C'est beaucoup pour lui; car il n'a pas le cœur bien tendre. Pour M. de Pont-de-Vesle, vous savez l'estime et l'attachement qu'il a pour vous. Nous parlons cent fois de vous ensemble.

Je pars pour la chasse dans ce moment. Vous me demandez des nouvelles de mon cœur: il est parfaitement content, Madame, à une chose près que des difficultés qui me paroissent insurmontables, empêchent. Mais Dieu est le maître de tout: j'espère en lui; l'attachement, la considération et la tendresse sont plus forts que jamais; et l'estime et la reconnoissance de ma part; quelque chose de plus, si j'ose le dire. Hélas! je suis telle que vous m'ayez laissée, bourrelée de cette idée que vous savez, que vous avez développée chez moi. Je n'ai pas le courage d'en avoir: ma raison, vos conseils, la grâce, sont bien moins agissans que ma passion. Le bruit a couru que je sortois de cette maison, et que je cherchois un appartement. Le chevalier en fut chagrin, mais sans humiliation. Ce qui donna lieu à ce bruit, c'est que j'étois allée voir plusieurs maisons pour madame du Deffant. La petite personne[180] seroit bien heureuse, si elle savoit les bontés que vous avez pour elle. On dit qu'elle continue à être aimable pour le caractère et la figure. Je ne sais si j'oserai y aller cette année; ma bourse me prive de tout. Si j'avois seulement cent pistoles, j'irois l'embrasser, et vous baiser les mains à Genève. Que ma joie seroit grande! Mais, mon Dieu, je ne serai pas assez heureuse! Adieu, Madame: que n'êtes-vous à Paris!

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LETTRE XI.

Paris, 1727

J'ai vu, ce matin, M. Tronchin[181], Madame, qui m'a appris le testament de ce pauvre de Martine[182]. Vous jugez avec quelle joie j'ai su qu'il vous laissoit une marque de souvenir, aussi bien qu'à mademoiselle votre fille; il est mort comme il a vécu, avec amitié et générosité pour ses amis. Son ami en a usé en honnête homme avec les parens du défunt. Je ne sais pas s'ils seront contens; mais ce qu'il y a de très-sûr, c'est que c'est à lui qu'ils doivent ce que M. de Martine leur donne. Il n'étoit point content d'eux; il ne leur devoit rien, puisqu'il n'avoit rien eu de patrimoine, et que c'étoit à sa bonne conduite et à ses talens qu'il devoit sa fortune. M. Tencin lui avoit rendu des services; il étoit son ami. Est-il rien de plus juste que de faire du bien à ce que l'on aime, quand on est en état de le pouvoir faire? J'ai vu beaucoup de gens qui disent que M. Tronchin étoit un sot, de ne pas profiter entièrement de la bonne volonté de son ami. Mais il pensoit avec plus de délicatesse; il a engagé M. de Martine à donner à sa famille: ce qu'il n'auroit sûrement pas fait, je le répète, sans lui. Il est mort âgé de 78 ans; je le croyois plus vieux. Il a traité très-bien ses cousines; il a donné une année de gages à ses domestiques: il me semble que ce n'est pas assez.

Nous reparlons de Pont-de-Vesle plus que jamais, et même l'on assure que l'on y passera l'hiver. Si cela étoit, quelqu'ennui que j'aurois d'être si long-temps absente, si je vous voyois, je serois contente, et prendrois mes peines avec joie. Je n'assure rien; car la volonté de madame de Ferriol est comme une mer agitée. Je voudrois bien être à cette campagne où vous vivez avec tant d'innocence, de pureté et de contentement: je n'ai cru y être que pour me désespérer de n'y être pas. Je voudrois que vous eussiez une petite ménagerie. Quand j'y serai, sûrement je vous en ferai faire une; rien n'est plus amusant. Ne jouez-vous plus au quadrille? Pour moi, je l'ai absolument abandonné. J'ai passé quatre jours à la campagne; je m'y suis baignée; c'étoit justement les jours les plus chauds. Avez-vous une rivière près de votre campagne?

Nous n'avons point de nouvelles, sinon la grossesse de madame de Toulouse, et le bon mot du roi sur l'histoire d'Henri IV, qu'il vient de lire. On lui a demandé son sentiment là-dessus; il a répondu que ce qui lui avoit plu davantage dans la vie d'Henri, c'étoit son amour pour son peuple. Dieu veuille qu'il le pense et qu'il le suive! L'argent est encore bien rare; mais une chose qui l'est furieusement, et que vous n'avez jamais vue, c'est que le premier ministre est fort approuvé. C'est le plus honnête homme du monde, qui est certainement occupé du bien de l'état. Enfin, nous avons un premier ministre estimable, désintéressé, et dont l'ambition n'est que de remettre les affaires en ordre. Les premiers moyens ont été durs; mais la suite fait bien voir qu'il n'a pas pu faire autrement. Il a vaqué un gouvernement: la ville payoit 6,000 livres d'augmentation, qu'il a retranchées; et, à l'avenir, il n'y en aura plus de nouvelles, il remettra les choses sur l'ancien pied. Il a ôté le cinquantième, et a remis deux millions cent mille livres sur les tailles. Tout cela prouve un ministre qui veut rendre les peuples heureux. Dieu veuille qu'il vive assez long-temps pour mettre à exécution ses bonnes intentions! Je ne lui trouve qu'un défaut, c'est de vous avoir retranché vos rentes viagères. Vous n'avez partagé que le mal qu'il a fait, et vous ne pouvez jouir du bien; mais c'est votre malheureuse destinée: ne cessera-t-elle jamais de vous persécuter?

Proserpine ne réussit pas: on trouve cet opéra beau, mais trop triste; on ne le jouera pas long-temps. On joue deux fois la semaine les Élémens, et deux fois Proserpine. La Pellissier est guérie; elle étoit devenue folle, les uns disent de sa prodigieuse réussite, les autres de ce qu'on l'avoit soupçonnée de galanterie, faisant profession d'être sage. Nous avons une pièce à la Comédie françoise, intitulée le Philosophe marié, qui est très-jolie, et qui a eu une réussite prodigieuse: toutes les loges sont louées pour la onzième représentation. L'auteur est Destouches. On dit que c'est sa propre histoire: aussitôt qu'on l'imprimera, je vous l'enverrai. On trouve que Quinault joue bien: pour moi je ne suis pas de cet avis. Imaginez voir M. Bertie, conseiller au parlement; même attitude, mêmes gestes; en un mot, il n'y a de différence que la voix qui est plus forte. Mademoiselle votre fille se seroit prise d'aversion pour le Philosophe marié. On est ici dans la fureur de la mode pour découper des estampes enluminées, tout comme vous avez vu que l'on a été pour le bilboquet. Tous découpent, depuis le plus grand jusqu'au plus petit. On applique ces découpures sur des cartons, et puis on met un vernis là-dessus. On fait des tapisseries, des paravents, des écrans. Il y a des livres d'estampes qui coûtent jusqu'à 200 livres, et des femmes qui ont la folie de découper des estampes de 100 livres pièce. Si cela continue, ils découperont des Raphaël. Je suis déjà vieille: les modes ne prennent plus subitement sur moi. Adieu, Madame, permettez que j'embrasse M. votre mari et mademoiselle votre fille. Je suis lasse d'écrire tant de nouvelles qui sont indifférentes à toutes deux.

Je vous envoie une lettre du marquis de la Rivière à mademoiselle des Houlières, et la réponse. On a trouvé l'une et l'autre très-jolies.

Lettre du marquis de la Rivière, à mademoiselle des Houlières.

Fille d'une aigle, aigle vous-même,
Qui n'avez point dégénéré,
Dont partout le mérite extrême
Est si justement révéré,
Qu'on s'honore, quand on vous aime!
Aimable interprete des Dieux,
Qui parlez si bien leur langage,
Et qui portez dans vos beaux yeux
Et leur douceur et leur image,
Recevez ce petit hommage
Que je vous offre tous les ans;
C'est un tribut de sentimens
Qui ne convient pas à mon âge;
Les bienséances me l'ont dit,
Les amours et les vers sont faits pour la jeunesse;
Mais le feu de mon cœur qui soutient mon esprit,
Amuse et trompe ma vieillesse.
Faites-moi seulement crédit
D'agrémens et de gentillesse;
Contentez-vous du fonds de ma tendresse;
Il en est de ce que je sens,
Comme des tableaux d'un grand maître,
Dont la beauté ne fait que croître,
Et redoubler de force à la longueur du temps.
Votre vertu n'est pas commune,
Vous aimez à faire du bien;
Donnez mes yeux à la fortune,
Il ne vous manquera plus rien.

Réponse de mademoiselle des Houlières.

Demeurez dans votre hermitage;
Je crains ce dangereux hommage;
Qu'avec soin vous m'offrez ici:
Pour la tendresse, il n'est point d'âge,
Vous le sentez, et je le sens,
Ceci n'est point un badinage:
Vous de retour, nos cœurs sympathisans,
L'homme prudent, la fille sage,
Tous peut-être feroient naufrage.
Demeurez dans votre hermitage.

Le traître amour qui vous engage,
Ne doit pas être méprisé;
Avec lui naturalisé,
Les belles de son apanage
Vous ont, dans tous les temps, si bien favorisé,
Que tout de vous me fait ombrage.
Demeurez dans votre hermitage.

Vous parlez un certain langage
Qui porte au cœur, qui fait penser,
Et qui semble être un sûr présage,
Que de ses traits, le dieu volage
Est prêt encore à me blesser.
Demeurez dans votre hermitage.

Ah! s'il avoit eu l'avantage,
Du séjour de l'heureuse paix,
Que penseroit dame dont les attraits
Auroient soumis le cœur le plus sauvage:
Dame dont les beaux vers ne périront jamais,
Et dont le nom est tout mon héritage?
Car vous savez que pas un de ses traits,
Ne gît en mes écrits, non plus qu'en mon visage,
Et que je n'ai, pour tout partage,
Que les yeux doux qu'elle m'a faits,
Pour ne les point mettre en usage.
Demeurez dans votre hermitage.

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LETTRE XII.

Paris, 1726

La fortune est aveugle, et n'aime que les vilains. Si elle m'avoit donné les cent mille écus qu'elle prodigue à madame votre cousine, j'aurois fait un meilleur usage qu'elle de ce bien. Que de plaisirs je me procurerois! Vous seriez ici, Madame, avec M. votre mari et mademoiselle votre fille; je vous verrois heureux, et ce seroit par mon moyen; et comme je sais les liens[183] qui vous retiennent à Genève, je ferois faire une litière bien fermée, bien étoffée, bien commode; j'y mettrois qui vous savez. Je l'amenerois ici, je lui procurerois des plaisirs qui lui feroient oublier le pays natal. Nous rassemblerions les gens célèbres de toute espèce, de tous talens pour le divertir: s'il falloit même quelques jolis visages, je ferois l'effort de lui en chercher. Voilà un vilain métier; mais quand on obtient ce qu'on aime, qu'importe à quel prix? Voilà ce que je ferois du bien de madame votre cousine. Pour parler d'autre chose, M. le duc de Gesvres est malade, il fait de très-grands remèdes. Il est à St.-Ouen, où toute la France va le voir; il est dans son lit, garni de rubans et de dentelles, les rideaux sont relevés, des fleurs répandues sur son lit, des découpures d'un côté, des nœuds de l'autre; et dans cet équipage il reçoit tout le monde. Vingt courtisans entourent son lit; et son père et son frère font les honneurs à la grande compagnie. Il y a toujours deux tables de vingt couverts chacune, et quelquefois trois: M. d'Épernon y est à demeure. On a établi des habits verts pour les complaisans, c'est-à-dire, qu'avec habit, bas, souliers, chapeaux verts, on peut avoir toujours les plus familières entrées chez M. le duc: il y a une trentaine d'habits verts de distribués. Le roi a dit sur cela, qu'il n'y avoit qu'à changer les justaucorps en robes de chambre, que l'habillement d'ailleurs seroit plus commode, ne se portant pas trop bien tous, et qu'ils seroient précisément comme à la Charité, où ils sont habillés de vert. Il y a quelques jours qu'une personne de ma connoissance y alla, et trouva le maître de la maison sur une duchesse d'étoffe verte, la robe de chambre verte, un couvre-pied d'une broderie admirable en vert, un chapeau gris bordé de vert, avec le plumet vert, et un gros bouquet de rue sur lui, faisant des nœuds. Le duc d'Épernon s'est pris de fantaisie pour la chirurgie, il saigne et trépane tout ce qu'il rencontre. Un cocher l'autre jour se cassa la tête, il le trépana. Je ne sais s'il auroit pu réchapper; mais ce qu'il y a de sûr, c'est que le pauvre homme fut bientôt expédié avec un pareil chirurgien. Ce n'est pas tout: ils ont voulu se procurer des fêtes champêtres; et M. le duc de Gesvres a doté une fille. M. d'Épernon souhaita de saigner le mari la nuit de ses noces: ce pauvre misérable ne le vouloit point; et pour obtenir de lui de se laisser saigner, M. le duc de Gesvres lui donna cent écus. Voilà, Madame, ce qui se passe sous nos yeux, à la face de tout l'univers, et sous un gouvernement très-sévère. Cependant on ne peut pas dire que les deux chefs ne soient très-sages, et même pieux. Il n'est pas possible que l'on ignore toujours ces vilenies; et tout ce qu'il y a de plus grand, de plus raisonnable, fait la cour assidument à ce monstre; et, pour excuser leurs bassesses, ils disent que cet homme est officieux et pense noblement. Ceux qui sont bien instruits, savent qu'il dessert bien mieux qu'il ne sert, et qu'il est généreux du bien de ses créanciers, et de l'argent d'un jeu qui est une chose ridicule dans un royaume. Ma bile s'échauffe; je vous en demande pardon. Pour la cour, elle est très-édifiante: on ne donne point de scène au public.

Voulez-vous cependant que je vous parle des gens de votre connoissance? M. de Ferriol est toujours le meilleur homme du monde; sa santé est de même, ses affaires aussi: dans une indifférence parfaite; mais il n'est point indifférent sur les Molinistes; il est d'un zèle outré pour eux. C'est avec fureur qu'il est passionné sur ce sujet. Il se met dans de grands emportemens, quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme lui. Il est occupé de cela, au point de n'en pas dormir. Il sort à huit heures du matin, pour faire part de ses réflexions, ou de quelques riens qu'il aura ramassés; c'est à faire mourir de rire. Pour madame de Ferriol, sur cet article, elle est très-raisonnable, elle n'en parle que très-convenablement; mais, d'ailleurs, toujours les mêmes agitations. Elle est comme vous l'avez laissée, à la pesanteur près, qui a beaucoup augmenté: les mêmes incertitudes, et ne pouvant souffrir que les autres sachent se déterminer: le petit chien par-dessus tout, qui s'enfuit, quand elle l'appelle, et son vieux laquais, qui est toujours insolent et de mauvaise humeur, et qui la traite comme une misérable, jusqu'à lui dire qu'elle ne sait ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Je suis prête à lui jeter un chenet à la tête, et elle souffre ses impertinences avec une patience à impatienter. Je crois, je vous jure, qu'il me battroit, s'il ne me craignoit pas. Pour les autres domestiques, ils sont très-mécontens d'être toujours grondés; mais ils ont pour elle le respect qu'ils lui doivent, et c'est la raison pourquoi elle est toujours après eux. Ils pleurent souvent, et je les console de mon mieux. Pour ses enfans, c'est toujours de même. On ne se plaint jamais de l'un[184]; il fait tout ce qu'il veut. Sa santé est délicate. C'est un très-bon garçon, qui a de l'esprit et de la finesse dans l'esprit, qui est aimé et qui mérite de l'être. D'Argental est fort occupé; il fait son métier avec application. Il est, tout le matin, au palais; il travaille après dîner, jusqu'à cinq heures. Les spectacles sont ses plus grands amusemens. Il n'est pas, je crois, amoureux, et pense plus en homme qui connoît le monde, qu'il ne le faisoit. Il est toujours poli avec les femmes, et point du tout gâté dans les propos. M. et madame Knight ont la fièvre tour à tour. La femme, à ce que je crois, aime mieux le mariage que son mari[185]. Elle est très-enfant gâté; elle n'aime pas à être contrariée. Tout ce mariage-là n'a pas l'air de durer long-temps. Elle pleure souvent; et, comme son mari est encore amoureux, elle a toujours raison. J'ai bien peur qu'elle ne lui donne du fil à retordre. N'allez pas dire ce que je vous dis-là; mais madame votre sœur a eu grand tort de gâter sa fille. Elle en auroit fait quelque chose de bon, si elle lui avoit donné une bonne éducation; mais elle l'a rendue insupportable; elle ne connoît que sa volonté et ses goûts; et, quand quelque chose s'y oppose, le mépris et la déraison s'emparent absolument d'elle. En vérité, c'est dommage; car elle étoit faite pour être aimable.

Madame de Tencin a de temps en temps la fièvre. On dit pourtant qu'elle est fort engraissée. Je continue à ne la point voir, et je crois que ce sera pour la vie, à moins que l'archevêque[186], à son retour, ne le veuille. Je suis pourtant bien résolue à tenir bon. C'est une grande satisfaction pour moi de n'avoir point ce devoir pénible à remplir, et d'ailleurs plus de tracasseries; car il y en a toujours, quand on se voit et qu'on se déteste. Je ne vois plus M. Bertie[187]. A la vérité, je suis rarement au logis: il s'est rebuté d'y venir inutilement. Nous allons passer une partie de ce mois à Ablons. Je suis accablée de rhumatismes et de fluxions, et suis désespérée que vous ne voyiez point ma chambre. Vous ne la reconnoîtriez pas; elle est si jolie, et de plus ornée, pour ce que c'est, car il n'y a rien de magnifique que la jatte que vous m'avez donnée. La Mésangères, qui vint l'autre jour, me dit: Vous avez de bien belles porcelaines, et entr'autres cette jatte. Mes meubles sont tous des plus simples, mais faits par les meilleurs ouvriers. On la vient voir par curiosité. J'ai bien envie, à votre exemple, de gronder ceux qui y crachent. Voilà une grande et ennuyeuse lettre. Recevez mes plus tendres embrassemens.

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LETTRE XIII.

Paris, 13 août 1743

Madame votre fille, Madame, m'a dit le risque que vous aviez couru, qui m'a effrayée, comme si j'en avois été témoin. L'effroi ne vous a-t-il point fait de mal? Comment vous portez-vous? Faites-moi la grâce de m'écrire. Madame votre fille, madame Knight, et moi, nous parlons souvent de vous; vous savez qu'elles me sont chères. J'avois pensé avec Cabanne[188] à trouver quelques moyens de rendre la situation de votre fille plus aisée; mais je n'ai jamais vu plus de délicatesse, plus de désintéressement, plus de douceur, plus d'opiniâtreté et plus de sentimens: elle est d'une vertu si outrée, qu'elle est à impatienter: je la trouvai si déraisonnable, en même temps si estimable, que l'admiration et la colère s'emparèrent de moi, et que je ne pus ni gronder, ni louer.

J'aurois été bien surprise, si vous aviez été quelques mois sans nouveaux chagrins. J'ai aussi été très-affligée de la mort de M. de Villars[189]. M. son fils fait une très-grande perte, d'autant plus qu'il la sent: il est parti sans que je l'aie vu; je n'en suis point trop fâchée; car je me serois sûrement beaucoup attendrie avec lui. Pouvez-vous dire, Madame, que le détail de vos peines m'ennuie? Oubliez-vous le tendre intérêt que je prends à tout ce qui vous regarde? vos malheurs me désespèrent, et ne m'ennuient point: je suis persuadée que le récit que vous m'en faites, vous fait du bien. Maintenant, il est temps que je vous parle du changement arrivé à ma fortune. Je tremble de réveiller une chose qui renouvellera quelques-uns de vos malheurs. Mes rentes viagères avoient été cruellement retranchées. Je vous ai envoyé la lettre que j'écrivis au cardinal[190]; je ne me flattois pas que l'on y eût égard, mais je ne voulois avoir rien à me reprocher. Je promis à ma pauvre Sophie, à qui j'avois mis une rente viagère de 300 liv. sur la tête, et qui avoit été réduite à 100 liv., que si on lui rendoit quelque chose, je lui remettrois son contrat, dont je devois, comme vous savez, avoir la jouissance. On lui a rendu 150 liv.: elle ne vouloit absolument point profiter de ce que je lui ai dit, et par son accommodement, je ne lui donnerai son contrat que dans deux ans; elle aime mieux que je paye mes dettes. Ce procédé n'est-il pas généreux de sa part? Je ne joue pas un beau rôle dans cette pièce. On m'a rendu 840 liv.: je jouis actuellement de 2,740 liv. Ma satisfaction sur cet événement a été bien troublée, en voyant la famille de M. de Ferriol oubliée. On a rendu à madame de Tencin 300 liv.; c'est très-peu de chose à proportion de ses rentes. Elle est furieuse; cependant elle avoit pris toutes les précautions imaginables; elle voyoit souvent M. de Machault; elle a écrit plusieurs fois au cardinal, et a fait agir ses amis, qui sont puissans; elle comptoit sur le rétablissement de tout, comme si elle le tenoit: elle est de bien mauvaise humeur; à ce qu'on dit, car je ne la vois point. Sa favorite, madame Doigny, commence à être dans la disgrâce.

Je ne vous parle point des conciles, car quoique née sous les yeux du chef[191], je n'en ai jamais voulu entendre parler; cependant, si vous êtes bien curieuse, je vous enverrai toutes les écritures: en vérité, je ne vous conseille pas d'avoir cette curiosité, il vous en coûteroit bien de l'ennui. A l'exception d'une lettre de deux évêques qui est belle, tout le reste est pitoyable. Je vous renvoie à ce que disoit Madame Cornuel, qu'il n'y avoit point de héros pour les valets de chambre, et point de pères de l'église pour les contemporains. Ce que je vois, me donne de furieux doutes du passé. Ne parlons plus sur cette matière; j'ai déjà assez dit de sottises.

Les tracasseries de notre cour ne sont pas plus divertissantes. Les disputes sur l'alignement du roi et des princes, et les ricochets des ducs, n'ont produit que des mémoires détestables; et pour nous autres, parterre, nous voulons, pour notre argent, qu'on nous divertisse. Les belles dames sont, ou se vantent d'être dans la dévotion. Mesdames de Gontey, d'Alincourt, de Villars, mère et belle-fille, la maréchale d'Estrées, tout cela grimace la prude. Le roi est toujours sans maîtresse, M. le duc du Maine, fort ami du cardinal; ce dernier se porte très-bien; il vivra assez long-temps pour instruire notre jeune monarque: la reine est grosse de trois mois. Les spectacles vont très-mal. Thevenard et la Entie ont quitté l'opéra, parce qu'ils ont eu ordre de laisser jouer Chassé et la Pellissier. Madame la duchesse de Duras à qui on a attribué cet ordre, a été vilipendée sur l'escalier de l'opéra. Chassé avoit très-mal débuté; mais il fait mieux. Pour la Pellissier, elle fait horriblement mal dans ces opéras. Francine a quitté, et Destouches, comme je vous l'ai mandé, aura la direction de l'opéra. Nous reverrons alors la Le Maure. Francine a 15,000 liv. de pension, et, après sa mort, son fils en aura 8,000, et sa fille 6,000. Vous me demanderez pourquoi tant de libéralités? Je vous répondrai d'abord que ces pensions sont prises sur l'opéra, et en second lieu, que Francine a fait faire, à ses dépens, une partie des belles décorations, et qu'il les laisse. On a établi un concert spirituel deux fois la semaine.

Le frère de l'envoyé d'Alster s'est donné un coup de pistolet dans la tête, après avoir mis le feu dans trois endroits de la maison. Cette précaution étoit pour éviter que l'on sût que sa mort étoit volontaire.

L'envieuse miladi Gersay est très-souvent chez madame Knight: elle mange comme quatre louves, joue avec attention et avidité, ne dit pas quatre paroles, sans défaçonner sa bouche qui est toujours petite et plate. L'air et les paroles ne vont point ensemble; il semble que le miel sort de sa bouche, quand elle parle; mais c'est bien le fiel le plus croupi qu'il y ait au monde. Vous direz que je suis aussi médisante qu'elle aujourd'hui.

Bertie me boude de ce que je ne suis pas ici quand il y vient: quelqu'aimable qu'il soit, il y a apparence que j'aurai souvent ce tort là avec lui. C'est un reste de ses chimères, prétentions d'amant; il voudroit que je fusse comme Bérénice, à passer les jours à l'attendre, et les nuits à pleurer. Je suis parvenue à lui faire faire connoissance avec madame du Deffant; elle est belle, elle a beaucoup de grâces; il la trouve aimable. J'espère qu'il commencera un roman avec elle, qui durera toute la vie. On a député vers moi, croyant que j'avois encore quelque reste de crédit, pour obtenir de M. Bertie de couper un pied de chaque côté de sa perruque. Je veux bien tenter cette grande affaire, mais j'y échouerai; car, Madame, c'est dans ces magnifiques nœuds que gît toute l'importance, la capacité et la grâce de notre cher homme. Je ne me rebuterai pas, et lui en parlerai toutes les fois que je le verrai. A propos, (ou sans à propos, car cela ne va point du tout à la perruque de M. Bertie), madame votre cousine, à ce qu'on dit, ne peut épouser ce Hollandois, sans perdre une partie du bien dont son mari lui donne la jouissance. C'est une vilaine clause, et bien scandaleuse en vérité; le défunt avoit si bien fait les choses de son vivant, qu'il devoit bien continuer. Pour moi, si j'avois été de lui, pour me venger, je leur aurois donné mon bien aux conditions qu'ils se mariassent, et les aurois déshérités, en cas qu'ils ne le fissent pas. Le beau-frère tient des propos fort singuliers du défunt son très-cher frère. D'Argental me prie de ne pas l'oublier auprès de vous. Nous sommes très-amis; il est charmant, il est aimé de tout le monde, et le mérite bien; il a tous les principes de droiture: l'âge confirme ses vertus. Adieu, Madame, je vais partir pour Ablons; ma santé se rétablit tout doucement; j'ai vieilli de dix ans; si vous me voyiez, vous me trouveriez bien changée; mais d'honneur, cela ne me chagrine point du tout. Si toutes les femmes n'étoient pas plus affligées de voir partir leurs charmes, que moi d'avoir perdu le peu que j'en avois, elles seroient bien heureuses.

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LETTRE XIV.

Paris, juin 1727

Je viens, Madame, de recevoir votre lettre du 22 de ce mois. C'est un jour heureux pour moi, quand j'apprends par vous de vos nouvelles. Les assurances que vous me donnez de votre bonté, me sont toujours et bien nouvelles et bien chères; et je dis de vos lettres ce que M. de Fontenelle disoit d'une dame qui lui plaisoit, que le moment où il la voyoit, étoit le moment présent pour lui. Cette façon de s'exprimer a été fort critiquée; mais les gens grossiers ne connaissent qu'une jouissance dans ce monde; je les plains. Est-il un moment plus doux que celui où l'on reçoit les assurances d'amitié d'une personne que l'on aime et qu'on estime parfaitement? Il y a bien des gens qui ignorent la satisfaction d'aimer avec assez de délicatesse, pour préférer le bonheur de ce que nous aimons au nôtre propre. Remercions la providence de nous avoir donné un bon cœur, et à vous, de la vertu dans les malheurs que vous avez essuyés. Que seriez-vous devenue? Votre douceur, votre humanité, votre justice auroient été changées en désespoir, en cruauté et en injustice. Quelque grands que soient les malheurs du hasard, ceux qu'on s'attire sont cent fois plus cruels. Trouvez-vous qu'une religieuse défroquée, qu'un cadet cardinal, soient heureux, comblés de richesses[192]? Ils changeroient bien leur prétendu bonheur contre vos infortunes.

Vous me demandez si M. de Pont-de-Vesle est introducteur des ambassadeurs? Vous le sauriez avant ceux qui font la gazette. Il a été question de quelque chose; mais il falloit trouver à se défaire de sa charge avantageusement, et d'ailleurs sa santé est toujours fort délicate; je crains qu'à la fin nous ne le perdions. Je dis cela, le cœur serré; car c'est la plus grande perte que je puisse faire. C'est un homme qui a toutes les qualités les plus essentielles, beaucoup de mérite et d'esprit; ses procédés à mon égard sont d'un ange. Vous allez être bien surprise. Depuis que M. d'Argental est au monde, voici la première fois que nous nous sommes querellés, mais d'une façon si étrange, qu'il y a quatre jours que nous ne nous parlons. Le sujet de la querelle vient de ce qu'il ne vouloit pas souper avec madame sa mère, qui revenoit de la campagne, où elle avoit été huit jours. Elle lui avoit fait dire par tout le monde qu'elle seroit à Paris ce soir-là; et elle se plaignoit de ce qu'il n'avoit pas assez d'attentions pour elle. Je le lui dis; et nous nous échauffâmes là-dessus. Je lui soutins que le devoir devoit l'emporter sur le plaisir. En un mot, je m'emportai, sans jamais oublier la tendresse et l'amitié que j'avois pour lui; et c'est cette amitié qui m'engagea à lui parler avec cette sincérité. Il me répondit avec une sécheresse et une dureté qui m'assommèrent, comme si la foudre étoit tombée sur moi. La femme de chambre de madame en fut témoin. Il sortit de ma chambre: je restai un quart d'heure sans pouvoir parler, et je me mis à fondre en larmes.

M. de Pont-de-Vesle[193] entra, et me demanda de quoi je pleurois: je ne pus me résoudre à le lui conter. La femme de chambre le fit: il fut bien surpris. Madame ignore notre bouderie. Elle en seroit charmée, parce qu'il y a quelques jours que j'eus une scène affreuse, parce que je le soutins contre les plaintes qu'elle m'en fit. Quand elle est arrivée, mon premier soin a été de lui faire des excuses de la part de son fils, de ce qu'il ne se trouvoit pas à la maison; que j'en étois cause, lui ayant dit qu'elle n'arriveroit que fort tard; et qu'il ne pouvoit se dispenser d'aller à un souper où il s'étoit engagé depuis huit jours, sur-tout connaissant très-peu les gens qui composoient cette partie. La femme de chambre se trouva derrière moi: je l'ignorois. Les larmes lui vinrent aux yeux d'étonnement et de joie. Elle me dit que je justifiois M. d'Argental, lorsque j'avois sujet de m'en plaindre. J'avois dit à Pont-de-Vesle que dorénavant je n'aimerois plus que pour moi M. d'Argental, et qu'assurément je ne l'aimerois plus pour lui-même. Concevez-vous, Madame, ma douleur? Au bout de vingt-sept ans, perdre un ami! Je le crois honteux de ce qui s'est passé. Il continue de me manquer, sûrement par cette raison. J'ai le cœur si gros, qu'il m'est impossible d'achever ma lettre: je la reprendrai quand je serai plus tranquille.

Du 28 août 1728

La bouderie a duré huit jours, et selon la règle, celui qui a raison a fait les avances. Je bus à sa santé, à table, et je l'embrassai le lendemain, sans explication. Depuis ce temps-là, nous sommes fort bien ensemble. Vous direz qu'il y a une furieuse distance d'une date à l'autre; mais j'ai eu des occupations qui m'ont empêchée de vous écrire, mais non pas d'être fort occupée de vous. Mademoiselle Bideau n'a pas fait tout ce qu'elle m'avoit promis. Je n'en suis pas trop fâchée: je crains les trop grandes obligations. Cabanne compte vous aller voir. Plût à Dieu que je fusse aussi libre que lui! je serois actuellement auprès de vous. Mais quelque chose qui arrive, j'irai, quand même je serois réduite à demander l'aumône, pour aller voir tout ce que j'aime le mieux en vérité, sans exception.

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LETTRE XV.

Paris, 10 juin 1723

On dit enfin que nous irons à Pont-de-Vesle. Madame de Ferriol a toutes les peines du monde à s'y déterminer: tous les projets qu'elle avoit faits sont rompus. Premièrement son mari avoit un procès qui devoit se juger incessamment, et il a été remis à l'année prochaine; ensuite elle a dit que jamais son mari ne voudroit venir avec elle, et que pendant son absence, il dépenseroit beaucoup. Il l'a assurée qu'il l'accompagneroit, soit dans la diligence, soit dans une chaise de poste, tout comme elle le souhaiteroit. Ensuite elle a dit qu'elle ne vouloit point partir, qu'elle ne sût si miladi Bolingbrocke ne viendroit point cet été. Madame Bolingbrocke lui a mandé qu'elle ne comptoit venir qu'au commencement de l'hiver, et que si elle n'étoit pas à Paris, elle remettroit son voyage à l'été prochain. Enfin, il a fallu chercher quelqu'autre raison. Elle a dit qu'elle n'avoit point d'argent. M. son frère lui en a offert. La voilà, comme vous voyez, à quia. Elle a paru se rendre; mais elle veut, avant que de partir, prendre les eaux de Balaruc: elles ne sont pas arrivées: ainsi cela renvoie. Je crois qu'il faudra qu'à la fin elle se décide. Tout le monde est excédé de ses incertitudes. Le vrai de ses difficultés, c'est qu'elle ne voudroit point quitter le maréchal, qui ne s'en soucie point, et ne feroit pas un pas pour elle. Mais elle croit que cela lui donne de la considération dans le monde. Personne ne s'adresse à elle pour demander des grâces au vieux maréchal. Elle est très-souvent seule; ses affaires sont toujours très-délabrées, elle ne paie point, elle ne fait aucune dépense, elle est d'une avarice et d'un dérangement inconcevables. Je suis obligée de me rappeler cent fois le jour le respect que je lui dois. Rien n'est plus triste que de n'avoir pour faire son devoir, que la raison du devoir.

Le chevalier est toujours malade; il m'a paru un peu moins oppressé: je tremble de le quitter. Mais je dois accompagner madame de Ferriol dans l'état où elle est. Il faut absolument la déterminer à prendre les eaux de Bourbon; et elle ne les prendra jamais, si elle ne va pas à Pont-de-Vesle. Le devoir, l'amour, l'inquiétude et l'amitié combattent sans cesse mon esprit et mon cœur: je suis dans une cruelle agitation; mon corps succombe; car je suis accablée de vapeurs et de tristesse; et s'il arrive malheur à cet homme-là; je sens que je ne pourrai supporter cet horrible chagrin. Il est plus attaché à moi que jamais; il m'encourage à remplir mon devoir. Quelquefois je ne puis m'empêcher de lui dire, que s'il étoit plus mal, il me seroit impossible de le quitter; il me gronde, et il ne veut absolument point que j'imagine rien qui s'éloigne de ce devoir: il m'assure qu'il n'y a rien dans le monde qui m'excusât; si je restois ici, quand madame de Ferriol va à cent lieues: il ne l'aime point; mais il a ma réputation à cœur. Pardonnez toutes ces foiblesses à votre pauvre amie.

J'avois laissé ma lettre; j'ai eu mille ennuis. Le chevalier est toujours très-incommodé. Je vous avoue que je suis dans de furieuses transes pour lui. Je crains qu'à la fin la suppuration des poumons ne se fasse; je n'ose faire des réflexions sur cela, et je n'ose même en parler; mais mille idées funestes me suivent sans cesse malgré moi: rien ne me console. Je n'ai personne à qui je puisse ouvrir mon cœur. Quel malheur pour moi que votre absence! Si je vous avois, vous me soutiendriez; vous me donneriez des forces; et peut-être vos conseils, mes remords, et l'amitié que j'ai pour vous, Madame, me donneroient assez de courage pour surmonter une passion que ma raison n'a pu vaincre, mais qu'elle condamne.

Madame de Tencin a toujours la fièvre; elle a été 15 jours sans en avoir; elle se croyoit guérie, et avoit pris le ton de se plaindre de tout le monde, et sur-tout du chevalier, mais d'une façon si violente que madame de Lambert, à qui elle en parla, le dit au chevalier, qui la pria de dire à madame de Tencin que jamais il n'avoit parlé d'elle, que rien n'étoit plus faux, qu'il n'étoit point de ceux qui accablent les malheureux, et que, comme il ne la connoissoit point, il auroit été dans le droit du public, pour causer sur l'aventure de La Fresnaye[194], mais qu'il ne l'avoit pas fait, en partie par égard pour madame sa sœur et pour moi. Madame de Tencin dit à madame de Ferriol qu'il étoit fort singulier qu'étant chez elle, je ne vinsse pas savoir de ses nouvelles, et qu'elle ne m'avoit vue qu'une fois depuis six mois; qu'elle me dispensoit très-fort d'y venir; qu'elle ne me laisseroit entrer que quand je serois avec elle; mais que si je venois seule, elle avoit donné ses ordres, pour que l'on me refusât sa porte. Je me le suis tenu pour dit, et je ne m'exposerai pas à m'entendre dire mille injures. Je m'en soucie si peu, que je bénis ce noble courroux contre moi. Je n'irai point à Pont-de-Vesle: madame dit qu'elle veut y aller pour trois semaines seulement, pour régler quelques affaires. J'en suis fâchée à cause de vous. J'aurois eu le plaisir de vous embrasser, et j'aurois vendu jusqu'à ma dernière chemise pour cela; sûrement je vous verrai tôt ou tard. Madame radote plus que jamais; elle vient de prendre les eaux de Balaruc: on lui a fait une ample saignée. Je crains infiniment pour elle. Ses radotages m'impatientent, car ils sont extrêmes; mais quand je fais un moment de réflexion, ma reconnoissance se réveille bien vivement. Je suis entourée de chagrins, et je ne vous ai plus pour me consoler. Le chevalier est toujours très-incommodé, et il est d'un changement horrible. Vous jugez de mon inquiétude: son attachement est toujours plus fort. A propos, j'ai fait deux grandes pertes: une bague que je vous avois destinée, en cas de mort: c'étoit un petit cachet avec un jonc de diamant que j'aime beaucoup; et l'autre perte, c'est mon chien, ce pauvre Patie, à qui vous aviez donné une loge. On me l'a volé; il étoit toujours à la porte pour attendre les gens du chevalier qu'il aime passionnément. Je ne puis vous dire le chagrin que j'ai eu de la perte de ce joli animal. Je souhaite bien me mettre dans la suite hors de l'inquiétude de devoir qui me bourrelle sans cesse. J'ai essuyé un petit malheur; j'avois vendu mes boucles de diamans 1,800 livres pour acheter trois actions que je voulois garder pour qui vous savez. Je ne doute point que le dividende ne fût fort; elles étoient à 650 livres. Comme j'étois prête à les acheter, madame de Ferriol eut besoin de mille francs. Je les lui prêtai, comptant, comme elle me le disoit, qu'elle me les rendroit deux jours après. Il y a six mois, et les actions ont monté à 1,150 livres; elles sont actuellement à 1,000. Jugez, j'aurois gagné, en les vendant, mille écus, et aurois payé quelques-unes de mes dettes. Ainsi ma destination est à vau-l'eau. Je paie quelques bagatelles avec les 600 livres qui me restent. Il faut se consoler des pertes de la fortune. Il y a des gens qui valent mieux que moi, qui sont bien plus à plaindre. Cette consolation est cruelle, quand ces gens-là sont nos amis.

M. Bertie vous aime beaucoup; mais il a été si occupé de la perte de madame de M...., qui étoit sa bonne amie, et la plus impertinente de toutes les femmes, qu'il n'a pu se donner au reste de ses amis. Il est rempli de très-bons procédés à l'égard de madame de Ferriol; il songeoit à l'ambassade de Constantinople depuis long-temps, il n'étoit point éloigné de l'avoir: quand il a su que M. de Pont-de-Vesle y songeoit, sans le dire à aucun de nous, il est allé chez MM. de Maurepas et de Morville, à qui il a dit qu'il ne pensoit à l'ambassade, qu'au cas que M. de Pont-de-Vesle n'y pensât pas, et que comme il venoit d'apprendre que son ami en avoit envie, il y renonçoit, le croyant plus capable que lui; qu'il avoit beaucoup d'esprit, et de plus l'expérience de son oncle, dont la mémoire étoit chère dans ce pays-là. Il est venu dîner chez nous, et il nous a laissé ignorer son bon procédé. M. de Pont-de-Vesle l'a su de M. de Maurepas. Je partage bien la reconnoissance qu'on lui doit; mais cela ne passera jamais l'estime. Dites-le bien à mademoiselle votre fille qui me soutenoit une fois que je l'aimerois un jour. Parlons un peu de M. d'Argental; c'est le plus joli garçon du monde; ses yeux sont bien ouverts; il remplit tous les devoirs du sentiment; il n'est plus amoureux; il est tout à ses amis; il est toujours constant pour les petits pâtés, et nous mourons de faim: la cuisine est si froide, que cela va de mal en pire: il n'y a plus rien à retrancher de la première table: car nous n'avons rien, non, rien du tout, on commence à retrancher de celle des domestiques, et je ne doute pas que l'on ne vienne à faire comme cet homme qui prétendoit que son cheval pouvoit vivre sans manger, et qui commença par diminuer la moitié de ce qu'il lui donnoit; quelques jours après, la moitié de l'autre moitié; et ainsi du reste: le pauvre animal creva; ainsi ferons-nous. Voilà une bien grande lettre; vous aurez de la peine à la déchiffrer: la tête me tourne; car je crois que sans cela, je remplirais encore bien des feuilles. Vous ne dites rien, Madame, de Gulliver. Mes respects à vous, et à tout ce qui vous appartient.

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LETTRE XVI.

Paris, 1728

Il y a un siècle que vous ne m'avez fait l'honneur de m'écrire. Êtes-vous si exacte avec vos amis, que de ne point leur écrire qu'ils ne vous aient fait réponse? Je devois, Madame, vous remercier de la lettre que j'ai reçue il y a un mois: j'avois commencé ma réponse, j'y voulois mettre plusieurs petites nouvelles; j'ai attendu des dénouemens, ils ont été si chargés d'evénemens que je n'ai plus su où j'en étois. D'ailleurs, madame Bolingbrocke a été très-mal: ce qui m'a occupée bien tristement; et puis la santé de madame de Ferriol, toujours mauvaise, et son humeur encore plus. Pont-de-Vesle me charge de ses respects pour vous: il est toujours malingre; une mauvaise digestion. D'Argental n'est plus amoureux de mademoiselle de Tencin; elle ne l'occupe plus que par devoir; il n'est point aussi amoureux de la Couvreur, mais aussi prévenu de son mérite que s'il l'étoit encore; elle est très-incommodée depuis quelque temps: on craint qu'elle ne tombe en langueur.

Madame de Parabère a été quittée, il y a environ quatre ou cinq mois, par M. d'Alincourt: ce dont elle a été au désespoir; et pour s'en consoler, elle a pris, au bout de huit jours, M. de la Mothe-Houdancourt, qui est, à mon sens, le plus vilain homme que je connoisse. Cette précipitation a paru étrange à tout le monde, et sur-tout à moi, qui ne m'en serois pas doutée. Ledit M. de la Mothe ne la quitte pas d'un pas; il est jaloux comme un tigre. Pour vous faire le portrait tant de sa figure que de son esprit (je commencerai par la figure), il est grand, dégingandé, le visage long; il ressemble beaucoup à un vilain cheval de l'âge de quarante-cinq ans; babillard, ne sachant ce qu'il dit; se contredisant sans cesse, ne parlant jamais que de lui; fat, comme s'il étoit un Adonis, et glorieux par fatuité; assez bon homme dans le fond, mais ayant été gâté par les caillettes de la cour. Il me craint prodigieusement, et ne peut pas s'empêcher de m'estimer: il a vu peu de femmes qui se souciassent moins de se mêler d'intrigues: il m'a dit bien des fois qu'il aimeroit mieux que je fusse amie de sa femme, que de sa maîtresse. J'y vais très-rarement; je crois qu'il ne seroit pas bien de n'y point aller du tout; elle a pour moi des façons touchantes: d'abord que j'ai le moindre mal, elle me vient voir; elle m'accable de galanteries; elle dit à tous ceux qu'elle voit qu'elle m'aime infiniment. Je dois être reconnoissante, Madame, de tant de marques d'amitié. Il y avoit, pendant les huit jours de vacance, plus de vingt prétendans à qui je faisois une peur horrible, étant persuadés que je mettrois tout en usage pour la retirer du désordre. Un des prétendans m'a conté tous leurs manéges; ils s'étoient tous ligués de concert pour la retirer de Paris, et qu'elle fût à la campagne, pour que je ne la visse pas. Celui qui m'a raconté tout cela, est parent du chevalier; il espéroit, par son canal, obtenir de moi que je ne m'opposasse point au voyage de madame de Parabère. Le chevalier lui répondit qu'il avoit tort de me soupçonner, que je ne me parois ni de conseiller les prudes, ni de condamner les autres; que jamais je n'avois su ce que c'étoit que de me mêler de tracasseries; en quoi il me loua beaucoup, connoissant assez bien la dame, pour être persuadé qu'elle ne seroit pas susceptible de conseils.

Je veux vous parler de madame du Deffant: elle avoit un violent désir pendant long-temps de se racommoder avec son mari; comme elle a de l'esprit, elle appuie de très-bonnes raisons cette envie; elle agissoit dans plusieurs occasions, de façon à rendre ce raccomodement durable et honnête; sa grand'mère meurt, et lui laisse 4,000 liv. de rentes; sa fortune devenant meilleure, c'étoit un moyen d'offrir à son mari un état plus heureux, que si elle avoit été pauvre; comme il n'étoit point riche, elle prétendoit rendre moins ridicule son mari de se raccommoder avec elle, devant désirer des héritiers. Cela réussit, comme nous l'avions prévu; elle en reçut des complimens de tout le monde. J'aurois voulu qu'elle ne se pressât pas autant; il falloit encore un noviciat de six mois, son mari devant les passer naturellement chez son père. J'avois mes raisons pour lui conseiller cela; mais, comme cette bonne dame mettoit de l'esprit, ou pour mieux dire, de l'imagination, au lieu de raison et de stabilité, elle emballa la chose, de manière que le mari amoureux rompit son voyage, et se vint établir chez elle, c'est-à-dire, y dîner et souper; car pour habiter ensemble, elle ne voulut pas en entendre parler de trois mois, pour éviter tout soupçon injurieux pour elle et son mari. C'étoit la plus belle amitié du monde pendant six semaines; au bout de ce temps-là, elle s'est ennuyée de cette vie, et a repris pour son mari une aversion outrée; et sans lui faire de brusqueries, elle avoit un air si désespéré et si triste, qu'il a pris le parti d'aller chez son père; elle prend toutes les mesures imaginables pour qu'il ne revienne point. Je lui ai représenté durement toute l'infamie de ses procédés. Elle a voulu par distances et par pitié, me toucher et me faire revenir à ses raisons; j'ai tenu bon, j'ai resté trois semaines sans la voir; elle est venue me chercher. Il n'y a sorte de bassesses qu'elle n'ait mises en usage pour que je ne l'abandonnasse pas; je lui ai dit que le public s'éloignoit d'elle, comme je m'en éloignois; que je souhaiterois qu'elle prît autant de peine à plaire à ce public qu'à moi; qu'à mon égard, je le respectois trop, pour ne lui pas sacrifier mon goût pour elle. Elle pleura beaucoup; je n'en fus point touchée. La fin de cette misérable conduite, c'est qu'elle ne peut vivre avec personne. Un amant qu'elle avoit avant son raccommodement avec son mari, excédé d'elle, l'avoit quittée; et quand il a appris qu'elle étoit bien avec M. du Deffant, il lui a écrit des lettres pleines de reproches, et il est revenu. L'amour-propre ayant réveillé des feux mal éteints, la bonne dame n'a suivi que son penchant; et sans réflexion, elle a cru un amant meilleur qu'un mari; elle a obligé ce dernier à abandonner la place; il n'a pas été parti, que l'amant l'a quittée. Elle reste la fable du public, blâmée de tout le monde, méprisée de son amant, délaissée de ses amies; elle ne sait plus comment débrouiller tout cela. Elle se jette à la tête des gens, pour faire croire qu'elle n'est pas abandonnée. Cela ne réussit pas; l'air délibéré et embarrassé règnent tour à tour dans sa personne. Voilà où elle en est, et où j'en suis avec elle.

Madame de Tencin est toujours si outrée contre moi, parce que je n'ai fait aucune démarche pour remettre les pieds chez elle, qu'elle m'a déclaré une guerre ouverte. Elle envoie savoir si je dîne ici pour ne pas y venir, si j'y suis. Je ne suis pas plus alarmée de cette nouvelle disgrâce que des autres. On me persécuta l'autre jour pour faire ma paix avec elle: je répondis à cela, que je ne demandois pas mieux; que tout ce qui étoit de la famille Ferriol, m'étoit respectable; qu'il n'y avoit que cette raison qui me fît désirer que madame de Tencin ne fût pas fâchée contre moi; mais que je ne me sentois pas assez de religion pour présenter ma seconde joue, et que je n'irois jamais demander pardon à madame de Tencin de ce qu'elle m'avoit fait refuser sa porte; que je ne connoissois que madame de Ferriol dans le monde, pour qui je pusse faire cette démarche; que madame de Tencin n'avoit aucun droit sur moi, pour en agir aussi mal; que si elle prétendoit que j'avois tenu de mauvais discours sur elle, je répondrois comme madame de Saint-Aulaire, qui répondit sur la même accusation, que s'il étoit vrai qu'il fût revenu à madame de Tencin qu'elle avoit mal parlé d'elle, elle en étoit bien affligée, parce que cela lui faisoit voir qu'elle avoit des amis perfides. Je suis dans ce cas: j'ai pu dire à mes amis ce que je pensois; mais pour l'amour de moi et de mes devoirs, je n'en ai point parlé ailleurs; et même dans l'accident de la Fresnaye, qui est ce qui l'aigrit contre tous les gens dont elle n'a pas besoin, j'ai dit que c'étoit l'affaire du monde la plus malheureuse, qu'il n'y avoit personne qui fût à l'abri d'un fou qui venoit se tuer chez vous.

Ma vie est assez douce. Si je vous avois à Paris, le roi ne seroit pas plus heureux que moi. Les étrennes m'affligent un peu: tout le monde m'en donne, et je ne puis en donner à personne. Je prends mon parti sur les gouttières de cette maison; il y a des temps où les choses ne font pas autant d'impression. C'est, suivant l'état du cœur; quand il est satisfait, on glisse facilement sur les épines qui se rencontrent toujours dans la vie; il n'y en a point d'exempte. On radote toujours ici; on se plaint sans cesse: il y a quelques jours qu'elle s'adressa à Fontenay, qui lui répondit très-fortement, et l'assura qu'elle ne persuaderoit jamais le public, et qu'elle le révolteroit contre elle-même; qu'il étoit témoin que la veille j'avois été pressée extrêmement de rester à souper chez madame de Parabère avec le chevalier; que j'avois refusé, et étois revenue à neuf heures à pied et par la pluie. Cette justification m'a affligée les raisons ne font que l'aigrir. J'ai lieu d'être très-contente du chevalier; il a la même tendresse et les mêmes craintes de me perdre. Je ne mésuse point de son attachement. C'est un mouvement naturel chez les hommes de se prévaloir de la foiblesse des autres: je ne saurois me servir de cette sorte d'art; je ne connois que celui de rendre la vie si douce à ce que j'aime, qu'il ne trouve rien de préférable: je veux le retenir à moi, par la seule douceur de vivre avec moi. Ce projet le rend aimable; je le vois si content, que toute son ambition est de passer sa vie de même. Peut-être cela nous conduira à ce que nous désirons tant: la nature de son bien est un furieux obstacle. Dieu nous regardera peut-être en pitié: j'ai des mouvemens quelquefois bien durs à combattre. Ce qu'il y a de surprenant, c'est que je les ai eus toute ma vie: je me reproche... Hélas! que n'étiez-vous madame de Ferriol? vous m'auriez appris à connoître la vertu. Mais passons sur cela; cependant je suis, en fait d'amour, la plus heureuse personne du monde. Matière à réflexions pour de jeunes cœurs! Pardonnez toutes mes foiblesses à l'aveu sincère que je vous en fais; et permettez que je vous parle de la petite. Elle est charmante: tout ce qui m'en revient, m'empêche de me repentir de sa naissance; et je crains que la pauvre petite n'en pleure plus que moi: sa figure embellit tous les jours; j'ai envoyé Sophie sous prétexte d'aller voir sa tante; elle y a été quinze jours; elle en a été enchantée; elle est adorée de tout le couvent; elle a de la raison, de la bonté et de la fermeté: on lui fit arracher quatre dents, elle ne jeta aucun cri; on la loua; elle répondit: à quoi m'auroit-il servi de crier? ne falloit-il pas les arracher? Elle dit à Sophie qu'elle étoit bien fâchée que je n'allasse pas cette année la voir; qu'elle me prioit bien d'y venir l'autre; qu'elle me remercioit de toutes mes bontés, qu'elle savoit que l'on m'importunoit souvent pour elle, et qu'elle feroit tout ce qu'elle pourroit, pour bien apprendre, et être sage; qu'elle ne vouloit pas que je me rebutasse. Elle est très-caressante; la pauvre petite sent déjà, je crois, le besoin qu'elle a de l'être. Son bon ami est au désespoir de ne pouvoir pas la voir; il l'aime à la folie; il lui prend des envies d'aller la voir, que j'ai bien de la peine à combattre. Nous travaillons à lui faire une dot, en cas qu'elle ne voulût pas se faire religieuse: si Dieu nous prête vie, elle pourra avoir 40,000 livres et 400 livres de rente. Elle seroit très-bien mariée en province avec cela; mais gare au pot au lait! si elle avoit le malheur de nous perdre, elle seroit bien à plaindre: je la recommanderai à d'Argental. Le chevalier a déjà placé 2,000 écus pour elle seule. Adieu, Madame, voilà une lettre assez longue pour être écrite de suite; mais je suis seule, et j'ai voulu en profiter pour causer long-temps avec vous. Je vous envoie une petite boîte d'écaille, couleur de feu; je n'ai pu me refuser la satisfaction d'y prendre du tabac un jour, pour que vous disiez, quand vous en prendrez dedans, qu'elle a servi à la personne du monde qui vous aime le plus.

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LETTRE XVII.

Paris, 1726

Je boude de votre dernière lettre. Vous m'accusez, avec la dernière injustice, de ne pas vous aimer, et vous ajoutez, que lorsque l'on aime, l'on adopte les sentimens et la façon de penser de nos amis. Hélas! Madame, je vous ai vue malheureusement beaucoup trop tard. Ce que je vous ai dit cent fois, je vous le répéterai: dès le moment que je vous ai connue, j'ai senti pour vous la confiance et l'amitié la plus forte. J'ai un sincère plaisir à vous ouvrir mon cœur; je n'ai point rougi de vous confier toutes mes foiblesses; vous seule avez développé mon âme; elle étoit née pour être vertueuse: sans pédanterie, connoissant le monde, ne le haïssant point, et sachant pardonner suivant les circonstances, vous sûtes mes fautes, sans me mésestimer. Je vous parus un objet qui méritoit de la compassion, et qui étoit coupable, sans trop le savoir. Heureusement c'étoit aux délicatesses, même d'une passion, que je devois l'envie de connoître la vertu. Je suis remplie de défauts; mais je respecte et j'aime la vertu. Ne m'ôtez pas, par un soupçon, ce mérite-là. Que je vous suis obligée d'aimer quelqu'un qui pratique si mal les conseils que vous lui avez donnés, et qui suit encore moins de si bons exemples! mais ma passion est forte, tout me la justifie. Il me semble que je serois ingrate, et que je dois conserver l'amitié du chevalier pour cette chère petite. Elle est un nœud qui entretient notre passion; souvent ce nœud me la fait envisager comme mon devoir. Si vous êtes équitable, croyez qu'il ne m'est pas possible de vous aimer plus que je vous aime. Non, vous n'en doutez point; j'ai pour vous l'amitié la plus tendre. Je vous aime comme ma mère, ma sœur, ma fille, enfin, comme tout ce qu'on doit aimer: mon attachement pour vous renferme tous les sentimens, l'estime, l'admiration et la reconnoissance; et rien ne peut jamais effacer de mon cœur une amie aussi estimable que vous. Ne me dites donc plus des choses qui m'affligent.

J'ai retardé de vous écrire, vous l'avouerai-je? dans le dessein de vous punir; mais je me suis assurément punie de ce sentiment de vengeance, en me privant de mon unique plaisir qui est de m'entretenir avec vous. D'Argental vous assure de ses respects. La mort de la Le Couvreur l'a beaucoup occupé. Je vais vous conter toute cette histoire un peu au long. Madame de Bouillon est capricieuse, violente, emportée, excessivement galante: ses goûts s'étendent depuis le prince jusqu'au comédien. Dans le mois dernier, elle se prit de fantaisie pour le comte de Saxe, qui n'en eut aucune pour elle. Ce n'est point qu'il se piquât de fidélité pour la Le Couvreur, qui est depuis long-temps sa véritable inclination; car il avoit, avec cette passion, mille goûts passagers; mais il n'étoit ni flatté, ni curieux de répondre aux emportemens de madame de Bouillon qui fut outrée de voir ses charmes méprisés, et qui ne mit pas en doute que la Le Couvreur ne fût l'obstacle qui s'opposoit à la passion que le comte devoit avoir naturellement pour elle. Pour détruire cet obstacle, elle résolut de se défaire de la comédienne. Elle fit faire des pastilles pour servir à cet horrible dessein, et elle choisit un jeune abbé qu'elle ne connoissoit point, pour être l'instrument de sa vengeance. Cet abbé a le talent de peindre. Il fut abordé par deux hommes, aux Tuileries, qui lui proposèrent, après une conversation assez longue, et qui rouloit sur sa pauvreté, de se tirer de sa misère, et de s'insinuer, à la faveur de son habileté à peindre, chez la Le Couvreur, et de lui faire manger des pastilles que l'on lui donneroit. Le pauvre abbé se défendit beaucoup sur la noirceur du crime. Les deux hommes lui répondirent qu'il ne dépendoit plus de lui de refuser; qu'il lui en coûteroit la vie, s'il n'exécutoit pas ce qu'on lui demandoit. L'abbé, effrayé, promit tout. On le conduisit chez madame de Bouillon, qui lui confirma les promesses et les menaces, et lui remit les pastilles. L'abbé demanda quelques jours pour l'exécution de ses projets. Mademoiselle Le Couvreur reçoit un jour, en rentrant chez elle avec un de nos amis, et une comédienne nommée La Mothe, une lettre anonyme, par où on la prie instamment de venir seule, ou avec quelqu'un de sûr, au jardin du Luxembourg, et qu'au cinquième arbre d'une des grandes allées, elle trouvera un homme qui a des choses de la dernière conséquence à lui apprendre. Comme c'étoit précisément l'heure du rendez-vous, elle remonte en carrosse, et y va avec les deux personnes qui étoient avec elle. Elle trouve l'abbé qui l'aborde, et lui raconte l'odieuse commission dont il est chargé, et qu'il est incapable d'un crime comme celui-là; mais qu'il est dans une grande perplexité, parce qu'il étoit sûr d'être assassiné. La Le Couvreur lui dit qu'il falloit, pour la sûreté de l'un et de l'autre, dénoncer toute cette affaire au lieutenant de police. L'abbé répondit qu'il craignoit en le faisant, de se faire des ennemis qui étaient trop puissans, pour qu'il y pût résister; mais que du moment qu'elle croyoit cette précaution nécessaire pour sa vie, il ne balançoit point à soutenir ce qu'il lui avoit dit. La Le Couvreur le mena dans son carrosse chez M. Hérault, lieutenant de police, qui, sur l'exposition du fait, demanda à l'abbé les pastilles, et les jeta à un chien qui creva un quart d'heure après. Il lui demanda ensuite laquelle des deux Bouillon lui avoit donné cette commission; et, quand l'abbé lui répondit que c'étoit la duchesse, il n'en fut point surpris. M. Hérault continua à le questionner, et lui demanda s'il oseroit s'exposer à soutenir cette affaire. L'abbé lui répondit qu'il pouvoit le faire mettre en prison, et le confronter avec madame de Bouillon. Le lieutenant de police les renvoya, et fut instruire le cardinal de cette aventure: celui-ci fut très-irrité; il vouloit, dans les premiers momens, qu'on instruisît cette affaire avec beaucoup de sévérité; mais les parens et les amis de la maison de Bouillon persuadèrent au cardinal de ne point mettre au jour une chose aussi scandaleuse que celle-là; et l'on parvint à l'assoupir. Au bout de quelques mois, on ne sait ni par où, ni comment cette aventure fut publique. Elle fit un bruit horrible. Le beau-frère de madame de Bouillon en parla à son frère, et lui dit qu'il falloit absolument que sa femme se lavât d'un pareil soupçon, et qu'il devoit demander une lettre de cachet pour faire enfermer l'abbé; il ne fut point difficile d'obtenir cette lettre de cachet: on arrêta le pauvre malheureux, et on le mena à la Bastille. On le questionna; il soutint avec fermeté ce qu'il avoit dit. On lui fit beaucoup de menaces et bien des promesses, s'il vouloit se dédire. On lui proposa toutes sortes d'expédiens, comme de folie, ou de passion pour la Le Couvreur, qui l'auroit engagé à faire cette fable pour s'en faire aimer. Rien ne l'ébranla, et il ne varia jamais dans ses réponses. On le garda en prison. La Le Couvreur écrivit au père de l'abbé, qui demeuroit en province, et qui ignoroit le malheur de son fils. Le pauvre homme vint tout de suite à Paris, sollicita et demanda que l'on fît le procès dans les formes à son fils, ou qu'on lui rendît la liberté. Il s'adressa au cardinal, qui demanda à madame de Bouillon si elle vouloit que l'on instruisît cette affaire, parce que l'on ne pouvoit le retenir en prison sans cela. Madame de Bouillon redoutoit les éclaircissemens; et, comme elle ne pouvoit le faire assassiner à la Bastille, elle consentit à son élargissement. Pendant deux mois que le père est resté à Paris, on n'a rien dit au fils. Le père étant retourné chez lui, l'abbé a eu l'imprudence de rester à Paris. Il a disparu tout à coup: on ne sait s'il est mort; on n'en entend plus parler. Depuis cela, la Le Couvreur a été sur ses gardes. Un jour, à la comédie, après la grande pièce, madame de Bouillon lui envoya dire de venir dans sa loge. La Le Couvreur fut extrêmement surprise, et répondit qu'elle étoit dans un déshabillé qui ne lui permettoit pas de paroître devant elle. La duchesse envoya une seconde fois. A cette seconde semonce, elle répondit que si elle lui pardonnoit de paroître, le public ne le lui pardonneroit pas; mais qu'elle se tiendroit sur son passage, quand elle sortiroit, pour lui obéir. Madame de Bouillon lui fit dire de n'y pas manquer, et en sortant, elle la trouva, lui fit toutes sortes de caresses, lui donna beaucoup de louanges sur son jeu, et l'assura qu'elle avoit eu un plaisir infini à lui voir exécuter aussi bien le rôle qu'elle avoit joué. Quelque temps après, la Le Couvreur se trouva mal, au milieu d'une pièce que l'on ne put achever. Quand le comédien vint en faire compliment, tout le parterre demanda de ses nouvelles avec empressement. Depuis ce jour, elle a dépéri et maigri horriblement. Enfin, le dernier jour qu'elle a joué, elle faisoit Jocaste dans l'OEdipe de Voltaire. Le rôle est assez fort. Avant de commencer, il lui prit une dyssenterie si forte, que pendant la pièce, elle fut vingt fois à la garde-robe, et rendoit le sang pur. Elle faisoit pitié, de l'abattement et de la foiblesse dont elle étoit; et quoique j'ignorasse son incommodité, je dis deux ou trois fois à madame de Parabère, qu'elle me faisoit grand'pitié. Entre les deux pièces, on nous dit son mal. Ce qui nous surprit, c'est qu'elle reparut à la petite pièce, et joua, dans le Florentin, un rôle très-long et très-difficile, et dont elle s'acquitta à merveille, et où elle paroissoit se divertir elle-même. On lui sut un gré infini d'avoir continué, pour que l'on ne dît pas, comme on l'avoit fait autrefois, qu'elle avoit été empoisonnée. La pauvre créature s'en alla chez elle, et quatre jours après, à une heure après-midi, elle mourut, lorsqu'on la croyoit hors d'affaire: elle eut des convulsions: chose qui n'arrive jamais dans les dyssenteries: elle finit comme une chandelle. On l'a ouverte. On lui a trouvé les entrailles gangrenées. On prétend qu'elle a été empoisonnée dans un lavement. Son testament a été fait quatre mois avant sa mort. On ne doute point qu'elle n'eût quitté la comédie à la clôture. Tout le public a une grande compassion de sa misérable fin. Si la dame soupçonnée fût venue à la comédie, dans ces entrefaites, elle auroit été chassée du spectacle. Elle a eu le front d'envoyer à la porte de la Le Couvreur tous les jours, savoir de ses nouvelles. Elle a fait d'Argental exécuteur de son testament; il a eu assez d'esprit pour se mettre au-dessus du ridicule, et il a été approuvé des gens sages. M. Bertie dit qu'il a très-bien fait; qu'un honnête homme ne doit jamais refuser les occasions de faire du bien. Vous pouvez être assurée de tout ce que je viens de vous conter, je le tiens d'un ami de la Le Couvreur[195]. Adieu, Madame, ne doutez plus, s'il vous plaît, de tout mon attachement.

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LETTRE XVIII.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, en réponse à un gros paquet que je craignois bien qui ne fût perdu. Le nouveau témoignage de votre amitié me comble de joie, et je recevrai votre écran avec transport, puisque c'est de l'ouvrage de ce que j'aime; cependant je me plains des souvenirs trop fréquens qu'il me donnera de vous. Je vous le dis avec vérité; j'ai autant de douleur de vous avoir perdue, que de joie de vous avoir pour amie: ces deux sentimens me combattent furieusement, et si je n'avois pas l'espérance de vous revoir un jour, je ne sais en vérité si je voudrois vous avoir connue. Vous m'avez rendue si difficile, que je suis toujours en colère. Pourquoi tous les cœurs ne sont-ils pas faits comme le vôtre, ou du moins pourquoi n'ont-ils pas une de vos bonnes qualités? Tout leur manque, probité inébranlable, sagesse, douceur, justice; tout n'est qu'apparence chez les hommes: le masque tombe à la plus petite occasion. La probité n'est qu'un nom dont ils se parent; ils paroissent justes, et ce n'est que pour condamner la conduite des autres; de la douceur qui n'est qu'aigreur, de la générosité qui n'est que prodigalité, de la tendresse qui n'est que foiblesse: et toutes ces choses-là me font répéter à tous les instans, que votre âme est capable de vertu dans sa perfection. Je m'aperçois que je blesse votre modestie: mes mouvemens du cœur vous sont connus; vous savez que je dis toutes ces choses, parce que je les pense, et que je n'ai jamais su flatter aux dépens de la vérité: pardonnez en faveur de mon attachement, la petite honte que vous avez eue, en lisant vos louanges. Vous m'avez rendue comme M. le duc d'Orléans, à la différence près que je ne suis pas si perverse que lui, et que je crois qu'il y a une personne dans le monde véritablement raisonnable. Il croyoit tout le monde malhonnêtes gens; je suis bien prête à penser comme lui; cela me met très-souvent de mauvaise humeur, et je finis par vouloir devenir philosophe, trouver tout indifférent, ne m'affliger de rien, et tâcher d'être raisonnable pour ma propre satisfaction et pour la vôtre. Je travaille très-sérieusement à me rendre heureuse, à ne plus me chagriner; je sens que j'ai plus de besoin que jamais d'avoir du courage. La mauvaise humeur règne ici à un point insoutenable; je me suis gendarmée: je vois que cela tourne contre moi. Le public est très-sévère, parce qu'il ne juge que sur l'étiquette du sac, et mes peines lui paroissent petites: il lui semble que ce n'est que des bagatelles; mais hélas! rien n'est bagatelle, quand cela revient tous les jours. Je suis honteuse de me plaindre, quand je vois tant de personnes qui valent bien mieux que moi, et qui sont bien autrement malheureuses. Il est temps de vous amuser un peu: il est arrivé ici deux petites aventures que j'aurai du plaisir à vous conter, parce que vous en aurez à les lire.

Un gentilhomme de Périgord, fort riche, se maria, il y a plusieurs années, avec une demoiselle qui mourut, sans lui laisser d'enfans. Les parens de sa femme le pensèrent ruiner pour la dot, et eurent des procédés si infâmes avec lui, qu'il en eut beaucoup de chagrin, et en fut malade. Cet homme avoit du goût pour le sacrement; mais ce qu'il avoit essuyé le fit résoudre de prendre une femme sans parens. Il écrivit à l'Hôtel-Dieu, et pria l'un des directeurs de lui chercher une fille trouvée, de 17 à 22 ans, grande, bien faite, brune, les yeux noirs, les dents belles, et qu'il l'épouseroit. Le directeur montra cette lettre à M. d'Argenson, lieutenant de police, qui lui dit de faire sa commission. Il la fait: on dresse le contrat de mariage; le gentilhomme l'épouse; il en a eu trois enfans. Au bout de quelques années, elle meurt. Son deuil fini, il récrit à un autre des directeurs de l'Hôtel-Dieu, le précédent étant mort. Il le prie de lui chercher une fille de 38 à 40 ans, blonde, grasse, fraîche et d'un bon tempérament; qu'il avoit passé les jours du monde les plus heureux avec celle qu'on lui avoit déjà choisie, et qu'il ne doutoit pas qu'il ne choisît aussi bien que l'ancien directeur, auquel il s'étoit adressé la première fois. Celui-ci va chez M. Hérault, lieutenant de police, et montre la lettre qu'il vient de recevoir. M. Hérault lui dit comme M. d'Argenson, de faire sa commission, qui étoit difficile, parce que toutes les filles sont établies à cet âge-là. Il trouva enfin une sœur grise qui étoit telle qu'on la lui demandoit. Une des princesses de Conti a signé au contrat de mariage, il y a un mois. Voici l'autre histoire.

Il y a un homme qui demeure aux environs des quais, qui, depuis sept à huit ans, se promène dès une heure jusqu'à six, sur un des quais, sans jamais y avoir manqué d'un jour, quelque temps qu'il fît. M. Hérault en ayant été averti, lui envoya dire qu'il vînt lui parler. Cet homme lui fit répondre qu'il n'iroit point, n'ayant rien à faire avec la police. M. Hérault s'y transporta, monta dans une chambre au quatrième, y trouva cet homme assis contre une table, qui lisoit, sa chambre garnie de livres. Il lui demanda pourquoi il n'étoit pas venu chez lui, quand il le lui avoit fait dire. «Monsieur, lui répondit cet homme, je n'ai point l'honneur d'être de vos amis; et, Dieu merci! je n'ai rien à démêler avec la justice.—Il est vrai, lui répondit M. Hérault, qu'il ne m'est point revenu que vous fissiez du mal; mais pourquoi vous promener régulièrement, à la même heure, tous les jours, sur le quai?—Parce que cela me fait du bien, lui repartit le promeneur. Pour vous éclaircir ma conduite, ajouta-t-il, je vous dirai, Monsieur, que je suis très-bon gentilhomme (il lui dit son nom); je jouissois de 25,000 livres de rente; le système est venu, et il ne m'est resté que 500 livres de rente. J'ai pris un genre de vie proportionné à mon revenu; j'ai gardé mes livres, l'air de la rivière me convient, et je suis venu m'établir dans cette chambre. Un peu de vanité m'a engagé à changer de nom; je dîne tous les jours à midi avec du bœuf à la mode, qui est excellent dans ce quartier; je me lève de bonne heure; j'emploie ma matinée à lire; et, quand j'ai dîné, je vais prendre l'air sur le quai. Je suis très-heureux, je ne dépends de personne, et je ne dérange point ma santé par cet exact régime.» M. Hérault trouva cet homme de très-bon sens. Il conta un jour cela au cardinal, qui lui dit: «Mais si cet homme tomboit malade, il n'auroit pas de quoi se faire soigner; dites-lui que le roi lui donne 300 livres de pension.» M. Hérault lui envoya dire de venir chez lui, se faisant beaucoup de plaisir de lui apprendre cette bonne nouvelle; mais l'homme lui fit répondre qu'il ne pouvoit y aller, demeurant trop loin de chez lui. M. Hérault y retourna pour la seconde fois, et lui dit que le roi lui donnoit 300 livres. Il les refusa, disant qu'il s'étoit arrangé avec 500 livres, et qu'il n'en vouloit pas davantage. Malgré ce genre de vie qui paroît triste, cet homme est fort gai. Il a deux amis, gens d'esprit, qui vont sur le quai pour causer avec lui. Il a beaucoup de connoissance du monde, du savoir, l'esprit simple et un talent singulier pour connoître, à la physionomie, le métier des gens qui passent. Il dira, par exemple: «Voilà le maître d'hôtel d'un évêque, en voilà un d'un financier; voici un chevalier d'industrie; celui-là est Gascon, celui-ci est Breton,» ainsi des autres. Adieu, ma chère madame; en voilà assez pour aujourd'hui. Je vous baise les mains mille fois.

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LETTRE XIX.

Paris, 1729

Je viens d'apprendre, Madame, la perte que vous avez faite de M. de Cambiac. Sans savoir ses dispositions, je prends part à votre affliction. Je connois la bonté de votre cœur; vous serez toujours affligée, de quelque façon qu'il en agisse avec vous. J'espère que je n'aurai rien à reprocher à sa mémoire, et qu'il vous aura rendu justice; j'en attends la nouvelle avec impatience. J'ai couru risque de me trouver à sa mort. Si le projet que l'on avoit fait d'aller à Pont-de-Vesle n'avoit pas été renvoyé, je l'aurois vu mourir. J'attendois d'être sûre de mon voyage; c'est la raison qui m'a empêchée de vous écrire. Je voulois vous le mander positivement; mais il y a trois mois que l'on en parle, et il n'y a pas de jour depuis ce temps-là que le projet ne change quatre ou cinq fois. Voilà où nous en sommes. Il est vrai que le temps de notre départ a été fixé au dix du mois prochain; il seroit temps de se préparer pour les paquets. Vous devez juger de l'empressement que j'ai que ce projet s'exécute, puisque j'aurois le bonheur de vous voir, et de vous assurer de mon respectueux attachement. Il n'y a rien de si joli que mon écran; je ne permets pas à tout le monde de s'en servir. Je vis avec madame votre fille qui est infiniment aimable; sa vertu, sa douceur, sa gaîté la rendent charmante; sa figure est toujours très-belle, et, en vérité, vous la trouverez encore mieux. Son teint est plus démêlé, et elle a des couleurs à croire qu'elle met du rouge; et toute connoisseuse que je suis pour cet ornement, j'y ai été trompée au point que je n'ai pu m'empêcher de lui frotter les joues, pour voir si elle n'en mettoit point. Elle a fait raccommoder son portrait qui est à merveille à présent: elle est tentée d'en faire faire une copie pour vous la porter. Si je ne vais pas à Genève cette année, je la prierai de se charger du mien que je fais faire pour vous. Il sera en petit, c'est-à-dire, d'un pied-de-haut, sur neuf pouces environ de large. Nous sommes en guerre ouverte, madame de Tencin et moi, c'est-à-dire, elle me l'a déclarée; pour moi, je me tiens coite; et quand je suis forcée d'en parler, mes discours sont tranquilles et humbles; mais je tiens bon pour ne pas demander pardon, parce que je suis offensée, et que j'ai assez de maîtres, sans m'en donner de gaîté de cœur. Je la fais plus enrager par cette conduite, que si je me déchaînois contre elle. M. son frère a tenu bon à toutes les attaques qu'elle a faites contre moi. Je ne lui en ai pas ouvert la bouche, excepté une fois qu'il m'en parla devant madame de Ferriol. Je lui répondis avec toute la modération imaginable, et je finis par lui dire que j'avois espéré que toutes ces tracasseries n'iroient point jusqu'à ses oreilles; que j'étois étonnée qu'on lui en eût parlé; qu'il pouvoit bien me rendre la justice, que jamais je ne m'étois plainte à lui de tout ce qu'on me faisoit. Cette conversation produisit une scène très-vive entre le frère et la sœur. Cette dernière eut beau se plaindre, et tourner mes discours malignement, il la fit taire. Madame votre fille vous contera tout cela qui seroit trop long à écrire. Je suis enfin contente de l'archevêque. Je connois bien son cœur; je l'aimerai et l'estimerai toute ma vie. A propos, il y a long-temps que vous me demandez des vers que vous m'aviez prêtés, relatifs à la mort de madame votre mère. Je les trouvai l'autre jour dans ma cassette; je les joins à cette lettre. La poste part; il ne me reste que le temps de vous assurer de mon très-humble respect.

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LETTRE XX.

Pont-de-Vesle, 1729

Nous voilà enfin arrivés à Pont-de-Vesle. Jugez, Madame, de ma joie. J'aurai donc le plaisir de vous voir et de vous embrasser bientôt: j'ignore encore le moment où je jouirai de ce bonheur. J'attends que M. de Pont-de-Vesle soit ici, et les lettres de l'archevêque, pour m'arranger. D'ailleurs madame votre fille est actuellement avec vous: cela vous partageroit trop; je veux la laisser établir. Nous avons tous eu bien du regret de ne l'avoir pas eue ici quelques jours. Monsieur son mari me vint voir le lendemain de son départ. Il m'attendrit beaucoup; je le trouvai si touché, et en même temps si raisonnable, si rempli de considération et d'estime pour madame votre fille, que me connoissant, vous devez juger si je fondis en larmes. Il faut dédommager cette aimable femme de tous ses malheurs. Elle trouvera des parens, des amies qui l'aiment bien tendrement. Mais, hélas! il en feroit plus de cas, si elle revenoit avec une fortune brillante. On pense de cette façon à Paris; et je crois que les hommes sont partout les mêmes. Pour vous, Madame, votre tendresse et votre bonté vous la feront recevoir avec bien de la joie. C'est une grande douceur pour une mère de vivre avec une fille telle que la vôtre. Je vous la recommande comme ma sœur bien aimée. Plaisante recommandation, penserez-vous! en a-t-elle besoin? n'est-elle pas ma fille, et une fille que j'aime tendrement?

J'avois laissé ma lettre pour recevoir M. de Pont-de-Vesle qui vient d'arriver dans ce moment; il vous assure de ses respects. Je suis libre, et je serai bientôt auprès de vous. Préparez-vous à me trouver changée; je ne m'en soucie que pour vous que j'aime, et respecte de tout mon cœur.

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LETTRE XXI.

Pont-de-Vesle, 1729

Je ne puis vous dire, Madame, la douleur où je suis de vous avoir quittée. J'ai le cœur si gros et si serré, que j'ai cru étouffer; la crainte de vous trop attendrir, m'a fait me contraindre, en me séparant de vous; j'ai fait ce que j'ai pu, pour que vous ne vissiez pas couler mes larmes; mais j'en ai gagné un mal de tête affreux. Si je n'avois pas la certitude de vous revoir, je ne sais pas, en vérité, de quoi je serois capable: les réflexions morales m'accablent. La vie me paroît si courte, pour essuyer de si grandes peines, que je ne veux plus faire de connoissances, dans la crainte de m'exposer à la peine où je suis; mais tout cela se détruit à mesure que je le pense. Je me dis que je ne trouverai jamais d'amie qui mérite d'être aimée sur tous les points, comme vous; je ne pense plus à la retraite: mes idées là-dessus sont évanouies. Je me priverois par là absolument de l'espérance de vous aller voir souvent: et d'ailleurs, Madame, je sens trop les conséquences de ce parti-là. Depuis que nous en avons parlé ensemble, je puis me conduire aussi bien dans le monde, et même mieux. Plus ma tâche est difficile, plus il y a de mérite à la remplir, et je dois, par reconnoissance, rester auprès de madame de Ferriol, qui a besoin de moi. Hélas! Madame, je me rappelle sans cesse notre conversation dans votre cabinet: je fais des efforts qui me tuent. Tout ce que je puis vous promettre, c'est de ne rien épargner pour que l'une des choses arrive; mais, Madame, il m'en coûtera peut-être la vie; car pour les espérances, elles sont si éloignées, que je mourrai peut-être de vieillesse avant qu'elles arrivent. On m'a chargée de cent mille jolies choses pour vous; il est juste que je vous en fasse part. Voici deux articles de ses lettres.

«Mille respects à votre amie: assurez-la qu'il y a tant de sympathie entre votre façon de penser et la mienne qu'il ne me seroit pas possible de ne pas partager avec vous les sentimens que vous avez pour elle.»

Dans une précédente, que je reçus à Lyon.

«Je vous félicite du plaisir que vous avez eu de voir et d'embrasser madame Saladin. Je connois votre cœur, et je ne suis pas surpris des larmes que la joie vous a fait répandre. J'en ai répandu aussi, ma chère Aïssé, en lisant votre lettre, et je n'ai pas été plus touché de la peinture que vous faites de vos transports, que de l'empressement avec lequel madame Saladin vous a reçue. Dites-lui bien, je vous prie, que j'ai une extrême reconnoissance des marques de son souvenir: le goût que l'on a pour la vertu, doit être la mesure du respect que l'on a pour elle. Je la crois trop juste, et je lui crois trop de sentimens, pour condamner l'amitié que vous avez pour moi. Si vous pouviez lui peindre l'attachement que j'ai pour vous, ma chère Silvie! dites-lui bien qu'il n'y a jamais eu, et qu'il n'y aura jamais un moment dans ma vie où je cesse de de vous aimer. Demeurez à Genève tout le temps que vous pourrez; je regrette moins votre absence; j'imagine que votre santé y est en sûreté. Je suis en peine des fatigues du retour Conservez-vous, ma chère Aïssé. Aimez-moi; c'est là le véritable fondement du bonheur de ma vie.»

Voilà, Madame, bien des choses qui blessent ma modestie; mais aussi je serai plus excusable à combattre si lentement. Hélas! que l'on est heureuse, quand on a assez de vertu pour surmonter de pareilles foiblesses; car, enfin, il en faut infiniment pour résister à quelqu'un que l'on trouve aimable, et quand on a eu le malheur de n'y pouvoir résister. Couper au vif une passion violente, une amitié la plus tendre et la mieux fondée! Joignez à tout cela de la reconnoissance, c'est effroyable! La mort n'est pas pire. Cependant vous voulez que je fasse des efforts: je les ferai; mais je doute de m'en tirer avec honneur, ou la vie sauve. Je crains de retourner à Paris. Je crains tout ce qui m'approche du chevalier, et je me trouve malheureuse d'en être éloignée. Je ne sais ce que je veux. Pourquoi ma passion n'est-elle pas permise? pourquoi n'est-elle pas innocente?

Mandez-moi au plutôt de vos nouvelles. Permettez que je vous embrasse mille fois, et de tout mon cœur. Beaucoup d'amitiés à mesdames vos filles. Je les embrasse toutes; souvenez-vous de votre Aïssé, et soyez persuadée de tout son attachement, et de tout son respect pour vous; il est extrême.

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LETTRE XXII.

Pont-de-Vesle, 1729

J'ai retardé de vous écrire, parce que j'ai été assez incommodée; j'ai eu une colique très-violente. Je n'ai pas manqué de dire que c'étoit vous qui m'aviez préservée; car je n'ai eu aucun mal à Genève, mes maux ont respecté ma joie; ils feroient bien mieux de ne pas se mêler à ma douleur. Je vous ai quittée, Madame, avec un chagrin extrême. Vos lettres m'ont serré le cœur et ont renouvelé mes larmes. A chaque instant, je me rappelle la douceur, la tranquillité, la candeur avec laquelle j'ai passé ce peu de temps auprès de vous. J'ai trouvé les personnes avec qui je vivois à Genève, selon les premières idées que j'avois des hommes, et non pas selon mon expérience. Je me retrouve presque moi-même, comme dans le moment que j'entrois dans le monde, sans humeur, sans peines, sans chagrins. Combien tout a changé! que les habitans de ces lieux sont différens de ceux des vôtres! je n'ai pas eu un moment de bonne humeur depuis notre séparation. J'ai retrouvé ici des coliques, le serein, les concerts, les puces, les rats, et qui pis est, des hommes, non pas de l'ancienne roche, mais de la nouvelle. Tenons-nous-en aux réflexions générales. Vous me pardonnerez bien de ne pas entrer sur cette matière dans des détails.

Vous m'affligez beaucoup de m'apprendre que madame votre belle-sœur P.... est malade: je sais combien vous l'aimez, et je l'estime et l'aime de tout mon cœur. J'ai fait vos complimens à l'archevêque[196], et aux autres qui vous en remercient. Ce premier m'a fait beaucoup de questions sur mon séjour auprès de vous, sur la douleur de nous séparer, et sur votre ville; il se flatte qu'on l'aime un peu dans ce pays. Je n'ai pas manqué de lui dire que l'on m'avoit demandé de ses nouvelles. J'ai nommé les gens qu'il dit ses amis. Il m'a grondée de ne lui avoir pas emprunté sa litière pour vous aller voir, qu'il y seroit allé lui-même très-volontiers, vous aimant beaucoup. Il me fit faire la description de votre maison de campagne, de la façon dont vous viviez en ville, en un mot, il s'informa de tout, soit par amitié pour vous, soit pour me dire de choses obligeantes. Il y réussit très-bien; car je lui sus le meilleur gré du monde de toutes ses questions. Pour sa sœur, elle ne m'en fit que très-peu: elle cherchoit des discours pour elle, et rien autre chose. M. de Pont-de-Vesle partage de tout son cœur mon enthousiasme.

Nous passons d'ailleurs notre temps ici assez tristement. Le matin, après la messe, l'archevêque s'enferme avec un jésuite jusqu'à dîner. Après le dîner, une partie de quadrille, pleine de rapine et d'aigreur: le tout pour cinq sous que l'on ne paie point; toujours une compagnie de la ville peu divertissante, et à qui il faut faire autant de cérémonies qu'à des intendans. Sur le soir, on va se promener. La maîtresse du logis et moi, nous restons, l'une à lire, l'autre à tricoter, ou à découper. Après la promenade, un concert qui arrache les oreilles. On soupe très-mal; on n'a ni bons poissons, ni des amies. Songez-vous bien à la différence de ce séjour à Genève pour moi, et combien j'ai de raisons de vous regretter?

Vous pouvez m'écrire en toute sûreté: on me rend directement mes lettres. La personne qui les retire a ordre de les remettre à moi seule, pas même à ma fidèle Sophie. La peur que l'on a de payer les ports de lettres, fait que l'on n'ose pas demander si j'en ai eu. L'archevêque paie mes places, et celles de Sophie dans la diligence: c'est bien honnête à lui assurément. Malgré toutes les avarices de madame de Ferriol, sa mauvaise humeur et ses discours, souvent désobligeans; elle étoit dans une grande inquiétude de ma santé pendant mon séjour auprès de vous. Elle disoit: «elle est partie malade; elle a la fièvre ou la petite vérole.» Elle paroissoit aussi en peine de moi que de son fils. Sa femme de chambre disoit à Sophie que sa maîtresse ne pouvoit passer l'hiver auprès de son frère à Embrun, sans moi, et que la crainte que je ne voulusse pas y aller, l'empêcheroit d'y penser. Concevez-vous, Madame, à la façon dont elle agit avec moi, qu'elle puisse regarder comme un malheur de ce que je serois séparée d'elle? D'Argental m'a écrit: je reçus sa lettre, en revenant de chez vous. Il y avoit cent mille choses pour vous; je vous les laisse imaginer. Ma lettre seroit trop longue, si je vous les répétois. Nous partons d'ici dans quinze jours, pour aller à Ablons. Madame de Ferriol y sera dix ou douze jours. Pour moi, j'irai à Sens, voir qui vous savez[197]. J'y resterai le plus que je pourrai. Madame de Ferriol m'y viendra joindre. Vous aurez des détails de mon entrevue: j'aurai vu cette année tout ce qui m'est cher. Adieu, Madame, mes sentimens et mon âme vous sont dévoués.

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LETTRE XXIII.

Pont-de-Vesle, 1729.

Voulà enfin le bienheureux jour arrivé! Je pars d'ici demain matin, et je n'ai que la nuit à passer. Madame de Ferriol avoit bien raison de dire que je ne pouvois tenir ici. En revenant de chez vous, je suis morte d'ennui; et ma santé, d'accord avec l'ennui, m'a très-mal traitée. Je me suis fait saigner: cela ne m'a pas réussi; mes maux de tête et mes coliques sont toujours aussi fréquens; peut-être est-ce l'air du pays et les eaux.

J'attendois une réponse de vous, avant de partir, mais j'espère que vous aurez la bonté de m'écrire à Sens. J'y serai le 15 de ce mois. Mon adresse est chez madame de V....., abbesse de Notre-Dame. Madame de Bolingbrocke a pensé mourir à Reims d'une colique à quoi elle est sujette. Elle a été à l'extrémité; elle est mieux, et je la trouverai à Sens. Mandez-moi de vos nouvelles et de celles de madame P..... Sa sciatique m'inquiète. Vous êtes, je crois, de retour en ville, assise sur ce bon canapé, avec vos aimables filles autour de vous, et toute votre famille empressée à vous voir. Vous jouissez de l'estime et de l'amitié de tout ce qui est auprès de vous, et vous n'avez aucun sentiment pénible à combattre. Que je souhaiterois passer mes jours ainsi! Vous savez à qui je dois des complimens. Voulez-vous bien les faire à votre choix? Pour M. votre mari, je ne vous en charge pas; j'ai remarqué que vous aviez toujours un peu de jalousie. Madame votre fille voudra bien lui faire quelques agaceries de ma part, et me rendre ce petit service; en reconnoissance, je l'embrasse de tout mon cœur.

Madame de Nesle est morte, dit-on, de la rougeole; mais les amies particulières, et qui sont par conséquent au fait, disent qu'il y avoit complication de maux, et que de plus robustes qu'elle y auroient succombé. M. de Richelieu est dans le même cas, excepté qu'il n'est pas mort; mais on me mande qu'il se meurt. Madame d'Aumont et son mari, qui n'ont que la rougeole, s'en tirent très-bien. Je ne sais si je vous ai mandé que M. de la Ferrière marie sa fille à un homme qui a vingt mille livres de rente, et qui demeure à Lyon. C'est une grande joie pour la mère d'avoir sa fille auprès d'elle. Ils méritent bien tous deux de trouver ce beau parti; car ils avoient refusé pour leur fille un homme fort riche, mais vieux, et qu'elle n'auroit pu aimer. Ils lui donnent dix mille écus, et vingt mille francs après leur mort. C'est une très-aimable fille. Adieu, Madame; j'ai bien de la peine à vous quitter. Plût à Dieu que je fusse avec vous réellement! je ne pourrois plus m'en séparer. Il m'en a trop coûté, et il m'en coûte trop tous les jours, en m'en souvenant. Adieu, Madame, je vous aime de tout mon cœur. Je vais encore m'éloigner de vous, et ce n'est pas sans regrets. Vous aurez de mes lettres, quand je serai à Paris. Je serai trop occupée à Sens, pour avoir le temps de vous écrire.

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LETTRE XXIV.

Paris, 1729

Vous m'avez demandé un compte exact de mon retour à Paris et de mon séjour à Sens. J'ai trouvé la petite très-grande, mais fort pâle. Sa figure est noble. Elle est bien faite; elle a les plus beaux yeux que vous ayez vus, l'air délicat. Elle a de l'esprit, de la douceur, de la raison, mais d'une distraction inouie, le caractère et le cœur à souhait. Je crois sans prévention que ce sera un bon sujet. La pauvre petite m'aime à la folie: elle fut si saisie de joie de me voir, qu'elle fut prête à se trouver mal. Vous devez juger de tout ce que je sentis en la voyant. Mon émotion étoit bien vive, d'autant plus qu'il falloit la cacher. Elle me dit cent fois que c'étoit un bien heureux jour pour elle que celui de mon arrivée. Elle ne pouvoit me quitter; et cependant, dès que je la renvoyois, elle s'en alloit avec une douceur extrême; elle écoutoit mes avis, et paroissoit appliquée à en profiter. Elle ne cherchoit point à s'excuser de ses fautes, comme les enfans. Hélas! la pauvre petite, quand je suis partie, étoit si pénétrée de douleur, que je n'osai la regarder, tant elle m'attendrissoit; elle ne pouvoit parler. J'emmenai l'abbesse avec moi, pour voir madame de Bolingbrocke, qui étoit à Reims, où elle avoit été très-mal, et qui comptoit de là aller à Paris. Tout le couvent étoit en pleurs du départ de l'abbesse, et la pauvre petite disoit: «Pour moi, Mesdames, je suis aussi fâchée que les autres de vous voir partir; mais je crois que cela est nécessaire, et que madame de Bolingbrocke sera bien aise de vous voir, et que votre vue lui fera du bien; c'est ce qui me console un peu de votre départ;» et puis la pauvre petite étouffoit. Elle s'assit sur une chaise, n'ayant pas la force de se soutenir, et elle m'embrassoit et me disoit: «Voilà un furieux contre-temps, ma bonne amie; car vous seriez restée ici davantage. Je n'ai ni père ni mère: soyez, je vous prie, ma mère; je vous aime autant que si vous l'étiez». Vous jugez, ma chère madame, dans quel embarras ce discours me mettoit; mais je me suis très-bien conduite. J'y ai resté quinze jours, et mon rhumatisme m'a prise là. Je fus perclue de tout mon corps. Pendant deux jours, elle ne me quitta pas. Elle resta cinq heures d'horloge au chevet de mon lit, sans qu'elle voulût me quitter; elle me lisoit pour m'amuser et puis elle m'entretenoit, et je m'assoupissois un moment. Elle craignoit de me réveiller, et n'osoit respirer. Une personne de trente ans n'auroit pas été plus capable d'attentions. Mademoiselle de Noailles vouloit qu'elle vînt jouer avec elle. Elle la pria de l'en dispenser, ne voulant point me quitter. Enfin, Madame, je suis persuadée que, si elle avoit le bonheur d'être connue de vous, vous l'aimeriez beaucoup. Madame de Bolingbrocke la veut emmener avec elle; et avoir soin de sa fortune: ce qui afflige terriblement qui vous savez; il en est fou. Je ne puis exprimer toute la joie qu'il a eue de mon retour; tout ce que la vivacité d'une passion violente peut faire faire et dire, il l'a fait et dit. Si c'est jeu, il est bien joué. Il est revenu plusieurs fois, après de longues et pénibles chasses: enfin, le roi lui dit la dernière fois, quand, il demanda congé (car il faut le demander toujours au roi directement), ce qu'il avoit tant à faire à Paris; il fut déconcerté de la demande, et rougit; il ne put dire autre chose, sinon qu'il avoit des affaires.

Ce 2 décembre

Depuis seize jours que cette lettre est écrite, le chevalier est revenu de Marly avec la fièvre, une attaque d'asthme et un rhumatisme sur les reins; il souffre beaucoup. Je suis dans un état violent, il faut que je vous écrive pour me distraire; je n'ai de consolation que celle de penser à vous. Si j'étois plus raisonnable, j'oserois vous faire part de toutes mes réflexions. J'ai beaucoup de chagrins; il n'y auroit que vous qui pourriez entrer dans mes peines: le résultat de tous mes regrets, c'est que je vous aime tendrement, que vous méritez de l'être, et qu'il n'y a que vous dans le monde qui en êtes digne. Vous me répondrez à cela qu'il y a bien, de l'orgueil et de l'amour-propre dans ce que je dis. Il peut y en avoir un peu; mais ce n'est point dans le sens que vous l'entendez. Je suis très-imparfaite; mais j'exige des autres ce que je n'ai pas moi-même. Toutes vos qualités me sont agréables, quoique je n'ait pas le bonheur de les posséder. La vertu, l'esprit, la douceur, la délicatesse, l'honnête sensibilité, la pitié pour les malheureux et pour ceux qui ne sont pas dans le bon chemin, sont des qualités utiles pour les autres, quoiqu'on ne les possède pas soi-même. Encore une chose qui satisfait mon cœur, c'est que je sens que je puis dire tout ce que je pense de vous, sans pouvoir être accusée de prévention, ni de flatterie. Vous êtes enfin, selon mon cœur et mon âme. L'amour partage mon cœur avec vous, Madame; mais si je ne trouvois pas dans l'objet ces vertus que j'aime en vous, il ne subsisteroit pas. Vous m'avez rendue délicate sur cet article. Je l'avoue à la honte de l'amour; il cesseroit, s'il n'étoit pas fondé sur l'estime. Adieu, Madame.

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LETTRE XXV.

Paris, 1728

Vous êtes surprise, Madame, que j'aie été si long-temps sans avoir eu l'honneur de vous écrire: ce n'est pas assurément que je n'en eusse une grande envie; mais j'ai été assez incommodée d'un très-gros rhume qui m'a fait garder le lit. J'ai voulu plusieurs fois me lever de bonne heure, pour me mettre à mon écritoire, pour causer avec vous, et toutes les fois, j'ai été interrompue soit par des visites, ou par des invitations. J'ai été premièrement nichée dans un galetas, pendant quinze jours, que madame de V.... et sa compagnie se sont emparées de ma chambre et de tous mes ustensiles. Après cela, madame de Bolingbrocke est arrivée de Reims, malade, et dans un grand besoin de nous tous, pour l'aider à se ranger dans sa maison, et à recevoir ses visites; elle est un peu mieux. Toutes les personnes qui ont des bontés pour moi, se relayent pour ne pas me laisser un instant tranquille; je ne suis pas rentrée pour me coucher, avant trois heures du matin. Je vis hier M. votre neveu, que j'ai trouvé beau et bien fait. Je viens d'apprendre quelque chose qui m'a surprise. M. de Bellegarde a dit à M. de Marcieux que madame votre cousine n'avoit jamais voulu l'écouter comme amant; qu'elle lui avoit dit que ses discours ne lui convenoient pas, et que, s'il continuoit, elle ne le verroit plus; qu'un, homme de sa naissance et de son âge devoit mieux faire que l'amour; qu'il devoit aller dans les pays étrangers chercher du service; qu'elle lui prêteroit 10,000 écus, et que s'il avoit besoin de davantage, elle le lui feroit tenir; qu'elle ne disconvenoit pas qu'elle n'eût beaucoup d'estime et d'amitié pour lui, mais qu'elle ne vouloit point d'amour. Il a assuré M. de Marcieux, à qui il a raconté cette conversation telle qu'elle étoit, qu'il partoit tout de suite pour la Pologne, et que n'ayant aucun secours de sa famille, il se trouvoit dans le cas d'accepter les offres de madame V...., et qu'il devoit aux procédés généreux et désintéressés de cette dame, la plus grande reconnoissance. Je ne puis m'empêcher, je vous l'avoue, de trouver cela très-bien, si cela est[198].

Je suis si lasse des humeurs de mademoiselle Bideau, que je suis résolue de me tirer de ses pattes, à quelque prix que ce soit. Je vendrai ce qui me reste de pierreries, me défaisant, sans regret, de ces joyaux qui me divertissent, mais qui me seroient insupportables, si je continuois d'avoir un fardeau si pesant. Elle exige beaucoup de moi; elle trouve trop que je lui ai des obligations, pour que ma reconnoissance soit bien grande. Elle traite de manie et de sottise ce qu'elle a pratiqué toute sa vie. La dévotion, qui est à présent sa seule ressource, sert encore à me tyranniser. Rien n'est si difficile que de faire son devoir auprès de gens que l'on n'aime point, et que l'on n'estime point. Madame de Ferriol est d'une avarice sordide; elle ne fait plus que végéter, mais d'une façon si triste, elle est si aigre, que personne n'y peut tenir. Tout le monde l'abandonne. D'Argental m'a tant parlé de vous et des vôtres et avec tant d'attachement, que je lui en sais un gré infini, et l'en aime davantage.

Le maréchal d'Uxelles a quitté la cour avec courage; mais il est comme Charles-Quint; il s'en repent. Il se flatte, dit-on, que le roi lui ordonnera de revenir; mais il ne lui a rien dit: on assure que c'est à l'occasion du traité, qu'il l'a quitté. Cela lui fait honneur; car le public n'en a pas été content.

Le chevalier est mieux. Je voudrois bien qu'il n'y eût plus de combat entre ma raison et mon cœur, et que je pusse goûter parfaitement le plaisir que j'ai de le voir. Mais hélas! jamais. Mon corps succombe à l'agitation de mon esprit: j'ai de grandes coliques d'estomac; ma santé est furieusement dérangée. Adieu, Madame, je finis cette lettre qui n'est qu'une rapsodie; je ne sais comment vous vous en tirerez.

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LETTRE XXVI.

Paris, 1730

Je vis hier M. de Villars[199], qui me dit qu'il vous enverroit son portrait incessamment. Il a été assez incommodé; je lui sus bien bon gré de ce qu'il passa deux heures dans ma chambre; nous fûmes seuls, et nous parlâmes de Genève tout à notre aise. Depuis trois mois, je suis garde-malade. Madame de Bolingbrocke a été très-mal. Je l'ai vue beaucoup souffrir; j'ai cru plusieurs fois qu'elle resteroit dans mes bras; elle est actuellement dans un état très-languissant. Elle ne mange presque point, et son dégoût seul seroit capable de mettre aux abois une personne en santé: elle a toujours une fièvre lente. Il y a des momens où l'on craint qu'elle ne s'éteigne comme une chandelle. Elle a bien du courage, et c'est ce qui la soutient. Vous ne croiriez pas, en l'entendant causer quelquefois, qu'elle fût malade, à la maigreur près, qui est extrême. La machine s'affoiblit tous les jours; elle a un peu mieux mangé ces deux jours. Silva et Chirac, ses médecins, ne connoissent point son mal, et ne travaillent pas avec connoissance de cause. Madame de Ferriol refuse opiniâtrement de remédier à une bouffissure qui est répandue sur son visage. Elle est d'un changement si grand, que, si vous la rencontriez, vous ne la reconnoîtriez pas: elle est menacée d'appoplexie et d'hydropisie. Elle est engourdie au point que, quand elle reste une demi-heure assise, elle ne peut se relever; elle dort partout. La maladie de son maréchal la tient un peu alerte; elle en est très-affligée.

Il faut vous parler de nouvelles. Vous savez apparemment la mort du pape. Le cardinal Albéroni se flatte de l'être. Les Sauvages de la Louisiane ont égorgé une colonie françoise. Une sauvagesse aimoit un françoise, et l'avertit de ce qu'on tramoit contre sa nation. Celui-ci le dit au commandant qui fit comme le maréchal de Villars, et crut que l'on n'oseroit point l'attaquer. Il a été puni comme son modèle; car il a été le premier égorgé. La question est de savoir lequel a été le plus puni. L'exil pour un homme ambitieux est pire que la mort. Le commandant auroit peut-être préféré la vie. On prétend que les Anglois ont animé les Sauvages. On est très-embarrassé sur le parti à prendre avec eux. Cela a fait baisser les actions et a causé bien des alarmes. Pour moi, j'en ai une très-petite, parce que j'y suis bien peu intéressée, n'ayant que la moitié d'une action; mais mes amis en ayant, cela suffiroit pour que j'en fusse inquiète. J'en ai parlé à une personne assez au fait, qui m'a assurée que l'on feroit mal de les vendre. La vie est si mêlée de chagrins, qu'il faut, Madame, n'être pas si sensible. Moi qui vous parle, je me tue de sensibilité. M. Orry, intendant de Quimper-Corentin, vient d'être fait contrôleur général. On a remercié M. des Forts. On dit que le nouveau ministre a de l'esprit et de la capacité. Cela a pourtant surpris tout le monde. Mes chères sœurs, permettez-moi ce nom avec mesdames vos filles; j'ai pour elles les sentimens que l'on a pour d'aimables sœurs. Embrassez-les, je vous prie, pour moi, aussi bien que votre mari, pour qui j'aurai toute ma vie de la coquetterie et de la reconnoissance.

Je suis très-incommodée depuis six semaines. J'ai de la diarrhée qui m'a débarrassée de mon rhumatisme et de mes coliques; mais le remède pourroit être plus dangereux que le mal. Je suis maigrie, et très-foible: je vais prendre de l'émétique. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu. Soyez persuadée que personne ne vous aime plus tendrement, ne vous estime et ne vous honore plus parfaitement. Vous feriez le bonheur de ma vie, si je pouvois vivre avec vous. Notre séparation me paroît tous les jours plus cruelle et m'afflige sensiblement. Quelque malheur qu'il y ait à sentir, mes sentimens pour vous seront toujours de la dernière vivacité.

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LETTRE XXVII

Décembre, 1730

Il y a mille ans, Madame, que je ne vous ai fait ma cour; ce n'est pas assurément que je ne pense bien à vous, et que je ne me rappelle tous les plaisirs que j'ai goûtés à Genève. La mémoire, soutenue par le sentiment, me représente tout jusqu'aux moindres choses bien vivement: mes idées font bien du chemin. Arrivée chez vous, je vous vois, je vous embrasse, je pleure de joie; et mon cœur se serre, lorsque je vois que ce n'est qu'en idée. Permettez que j'embrasse mes chères sœurs, mes chères bonnes amies; j'ai bien du plaisir à vous aimer, et vous manquez ici à mon bonheur. Madame de Ferriol me flatte encore, d'un voyage à Pont-de-Vesle; elle se porte mieux. Pour ma santé, elle n'est pas bien merveilleuse. J'ai l'estomac fort dérangé, de grands maux de tête, souvent des rhumes, et beaucoup de foiblesse.

Je veux vous rendre compte de l'état de mes finances. Vous savez qu'il y a long-temps que je dois, et dépensois, sans trop savoir ce que je pouvois dépenser. Enfin, lassée de ce désordre, j'ai emprunté 2,000 écus pour payer mes dettes criardes, que je rendrai dans quatre ans, en donnant par année 1,800 livres de mes rentes; je me réduis alors à 1,200 livres: je serai bien à l'étroit, mais bien soulagée de ne devoir plus que 4,400 livres à M. Pâris de Montmartel, à qui je donnerai 1,000 livres par année. J'aurai le bonheur de ne plus voir de créanciers; ils ne seront pas si aises d'être débarrassés de moi, que je le serai de l'être d'eux; car ils sont bonnes gens, et ne m'ont point tourmentée. J'ai eu le plaisir d'arranger les affaires de Sophie, de façon qu'elle est à proportion plus riche que moi. J'espère que nous mangerons notre revenu ensemble. Je ne puis assez vous exprimer la joie que j'ai d'avoir pris mon parti de payer, pour n'avoir obligation à personne. Madame P..... se ressouvient-elle de moi? Elle seroit bien ingrate, si elle ne m'aimoit pas un peu; car je la respecte et l'honore infiniment. Ne m'oubliez point, s'il vous plaît, auprès de M. de Caze. Madame la duchesse de Saint-Pierre m'a beaucoup demandé de ses nouvelles, et m'a chargée de lui faire ses complimens. Elle l'aime bien, à ce qu'elle m'a dit. Dites-lui que cette dame est toujours plus belle: elle a conservé un beau teint, une belle gorge. Elle est comme à vingt ans; elle est très-aimable: elle a vu bonne compagnie; et un mari sévère, et qui connoissoit le monde, l'a rendue d'une politesse charmante. Elle sait conserver l'air d'une grande dame, sans humilier les autres. Elle n'a point du tout cette politesse haute qui protège; elle a bien de l'esprit, elle sait dire des choses flatteuses, et sait mettre les gens à leur aise.

Je fis, il y a quelques jours, vos complimens à madame de Tencin moi-même. Vous êtes surprise; mais écoutez, et vous le serez davantage. J'étois dans la chambre de madame sa sœur. Elle entra, je voulus m'en aller. C'est ce que je faisois ordinairement, parce qu'elle me refusoit le salut. Elle étoit d'un embarras horrible; elle m'attaqua de conversation, loua d'abord la robe que je portois, me parla de la santé de madame sa sœur, et enfin elle resta deux heures à toujours causer et de très-bonne humeur. Nous vînmes à parler de notre voyage en Bourgogne, à Pont-de-Vesle, à Genève. Je pris cette occasion, et lui dis que j'avois reçu dernièrement votre lettre où vous me chargiez de lui faire des complimens. Elle me dit que cela la surprenoit, qu'il y avoit des temps infinis qu'elle n'avoit entendu parler de vous. Je l'assurai que ce n'étoit pas votre faute; que, presque dans toutes vos lettres, vous faisiez des complimens pour elle, et que, comme je n'avois pas l'honneur de la voir, j'en avois chargé plusieurs personnes, entr'autres d'Argental; que, sur-tout à mon départ de Genève, vous m'aviez recommandé de lui faire bien des amitiés de votre part. Elle me dit que ce ressouvenir lui faisoit bien du plaisir, parce qu'elle vous aimoit beaucoup. Elle me fit bien des questions sur votre santé et sur vos affaires. Je lui rendis compte de l'arrangement que vous aviez fait; elle dit à cela qu'elle vous reconnoissoit bien, et que personne n'étoit plus capable que vous, de bons et nobles procédés. Depuis ce temps-là, nous nous sommes revues. Nous avons fait la conversation comme si nous n'avions pas été mal ensemble et sans éclaircissement. J'en veux rester à ce point. Je ne vais point chez elle. Il me sera difficile de l'éviter; mais si j'y vais, fiez-vous-en à moi, ce sera sobrement.

On ne parle ici que de l'abbé Pâris, des miracles et des convulsions qui s'opèrent sur son tombeau. Les uns disent qu'il fait des miracles; les autres, que ce sont des friponneries. Les partis s'exercent à outrance. Les neutres et les bons catholiques, c'est-à-dire, les vrais, sont peu édifiés. On n'entend que calomnie, fureur, emportement et friponnerie. Les mieux sont ceux qui ne sont que fanatiques, et ceux-là se croient tout permis. Voilà ce qui fait le sujet de toutes les conversations, et messieurs de B..... les chansonnent. Il y a des couplets sur la duchesse douairière; ils sont trop grossiers pour que je vous les envoie. On joue à l'opéra Callirhoë, qui ne réussit pas, quoique cet opéra soit intéressant et joli; mais le grand air à présent est de n'aller que le vendredi à l'opéra; et d'ailleurs, comme tout est esprit de parti, les partisans de la Le Maure sont en plus grand nombre à présent que ceux de la Pellissier. M. d'Argental est amoureux de cette dernière; il est aimé, et il s'en cache beaucoup. Il croit que je l'ignore, et je n'ai garde de lui en parler. Elle en est folle; elle est tout aussi impertinente que la Le Couvreur; mais elle est sotte, et ne lui fera point faire de folie. C'est un furieux ridicule à un homme sage et en charge, que d'être toujours attaché à une comédienne. Tous les partisans de la Le Maure trouvent la Pellissier outrée et peu naturelle. Ils disent que c'est M. d'Argental et ses amis qui la gâtent. Cela m'afflige; mais, connoissant son abandon pour ce qu'il aime, je me console de cela, parce qu'il s'en cache, et que par conséquent, il vit plus avec le monde pour dépayser. Pour M. de Pont-de-Vesle, il se porte à merveille; il est galant au possible; il me demande souvent de vos nouvelles. M. de Ferriol est assez bien, mais horriblement sourd et gourmand. Voilà un compte exact de toutes les nouvelles, mais je ne vous ai pas encore rendu compte de mon cœur. Pour vous, je vous aime parfaitement. Cette amitié fait le bonheur de ma vie, et souvent la peine; car j'ai le cœur serré, quand je pense qu'une personne que j'aime si tendrement, je ne la vois point. Aimez-moi, Madame, comme je vous aime.

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LETTRE XXVIII.

Paris, 1731

Ma santé, Madame, se rétablit tout doucement. Ma convalescence est longue; mais ma maladie l'a été. Il n'est point surprenant que j'aie de la peine à réparer mes forces. Vos bontés et vos vœux pour moi me font un bien infini: je vous en remercie de tout mon cœur. Vos lettres m'ont fait un grand plaisir; mais le chagrin de vous causer des inquiétudes diminue ma satisfaction d'être autant aimée. En vérité, rattachement tendre que je vous ai voué, mérite les bontés que vous avez pour moi. Je vous aime et vous estime comme vous le méritez; c'est sans bornes. Continuez, Madame, à me rendre heureuse; car je mourrois de douleur, si vous cessiez d'avoir de l'amitié pour moi.

Madame de Tencin est, comme vous le savez, exilée à Ablons depuis quatre mois. Elle a été très-malade. Astruc est comme Roland. Je ne sais si c'est badinage, ou si c'est tout de bon; mais, ce qu'il y a de certain, c'est que personne ne la plaint, et bien des gens disent qu'elle n'a rien de mieux à faire qu'à mourir. Voilà de bons propos. M. de Saint-Florentin est à l'extrémité: s'il en revient, il deviendra sage, ou il sera incorrigible. M. de Gesvres et le duc d'Épernon sont toujours exilés. On appelle leur conjuration, la conspiration des marmousets. Tout le monde se moque d'eux. M. de Bedevolle étoit un des conjurés; il laisse une réputation qui ne flaire pas comme baume. On dit que c'est un esprit très-dangereux, d'autant plus qu'il est fripon. Adieu, Madame, je ne puis écrire plus long-temps, je suis trop foible.

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LETTRE XXIX.

Histoire de mes Amours avec le duc de Gesvres.

1731

Je conviens, Madame, malgré votre colère et le respect que je vous dois, que j'ai eu un goût violent pour M. le duc de Gesvres, et que j'ai même porté à confesse ce grand péché. Il est vrai que mon confesseur ne jugea pas à propos de me donner de pénitence. J'avois huit ans, quand cette passion commença, et à douze ans, je tournois en plaisanterie mon goût; non que je ne trouvasse M. de Gesvres aimable, mais je trouvois plaisans tous les empressemens que j'avois eus d'aller causer et jouer dans les jardins avec lui et ses frères: il a deux ou trois ans plus que moi, et nous étions, à ce qui nous paroissoit, beaucoup plus vieux que les autres. Cela faisoit que nous causions, lorsque les autres jouoient à la cligne-musette. Nous faisions les personnes raisonnables; nous nous voyions régulièrement tous les jours; nous n'avons jamais parlé d'amour, car en vérité, nous ne savions ce que c'étoit ni l'un ni l'autre. La fenêtre du petit appartement donnoit sur un balcon où il venoit souvent; nous nous faisions des mines; il nous menoit à tous les feux de la Saint-Jean, et souvent à Saint-Ouen. Comme on nous voyoit toujours ensemble, les gouverneurs et les gouvernantes en firent des plaisanteries entr'eux, et cela vint aux oreilles de mon Aga[200] qui, comme vous le jugez, fit un beau roman de tout cela. Je le sus: cela m'affligea; je crus, comme une personne raisonnable, qu'il falloit m'observer, et cette observation me fit croire que je pourrois bien aimer M. de Gesvres; j'étois dévote, et j'allois à confesse; je dis d'abord tous mes petits péchés: enfin il fallut dire le gros péché; j'eus de la peine à m'y résoudre; mais en fille bien élevée, je ne voulus rien cacher. Je dis que j'aimois un jeune homme. Mon directeur parut étonné, il me demanda quel âge il avoit. Je dis qu'il avoit onze ans: il me demanda s'il m'aimoit, et s'il me l'avoit dit; je dis que non; il continua ses questions. «Comment l'aimez-vous, me dit-il? Comme moi-même, lui répondis-je. Mais me répliqua-t-il, l'aimez-vous autant que Dieu?» Je me fâchai, et je trouvai fort mauvais qu'il m'en soupçonnât. Il se mit à rire, et me dit qu'il n'y avoit point de pénitence pour un pareil péché; que je n'avois qu'à continuer d'être toujours bien sage, et de n'être jamais seule avec un homme; que c'étoit tout ce qu'il avoit à me dire pour l'heure. Je conviendrai encore qu'un jour, j'avois alors douze ans, lui de quatorze à quinze, il parloit avec transport qu'il feroit la campagne prochaine; je me sentis choquée qu'il n'eût pas de regret de me quitter, et je lui dis avec aigreur: «ce discours est bien désobligeant pour nous». Il m'en fit des excuses, et nous disputâmes long-temps là-dessus. Voilà ce qu'il y a jamais eu de plus fort entre nous. Je crois qu'il avoit autant de goût pour moi, que j'en avois pour lui. Nous étions tous deux très-innocens, moi dévote, lui autre chose. Voilà la fin du roman. Depuis ce temps-là, nous nous sommes rappelé nos jeunes ans, sans cependant nous trop étendre; la matière étoit délicate, soit plaisanterie, soit sérieusement; le sujet et nos âges me justifieront-ils, Madame? voilà la vérité pure. Pour celui qui l'a dit, c'est assurément Bedevolle; il porte son esprit tracassier dans tous les pays qu'il habite. Vous devriez toujours prendre ma défense, et me conserver l'estime du public. Savez-vous bien que je suis réellement piquée et en colère des soupçons que vous avez de moi? Il faut que vous ne m'aimiez pas autant que je m'en étois flattée. Quoi! Madame, vous me croiriez capable de vous tromper! Je vous ai fait l'aveu de toutes mes foiblesses; elles sont bien grandes; mais jamais je n'ai pu aimer qui je ne pouvois estimer. Si ma raison n'a pu vaincre ma passion, mon cœur ne pouvoit être séduit que par la vertu, ou par tout ce qui en avoit l'apparence. Je conviens, avec douleur, que vous ne pouvez arracher de mon cœur l'amour le plus violent; mais soyez assurée que je sens toutes les obligations que je vous ai, et que je ne varierai jamais sur les sentimens tendres que je vous ai voués. Ma reconnoissance égale mon amitié et mon estime pour vous. Vous êtes la personne la plus respectable et la plus aimable que je connoisse. Je vous proteste que l'on est bien éloigné de chercher à rompre cette confiance que j'ai pour vous. Le chevalier vous aime et vous respecte infiniment; il s'attendrit quand je parle du malheur que j'ai d'être séparée de vous, et quelque crainte que l'on ait de me perdre, l'estime est plus forte. Quand je lui ai raconté les conversations que j'avois eues avec vous, je l'ai fait pleurer, et tout ce qu'il disoit étoit: «hélas! j'ai couru de furieux risques.» Il paroissoit très-inquiet que cela n'eût diminué mon goût pour lui, sentant que cela en étoit bien capable; il me remercia après cela, de la façon du monde la plus touchante, de l'aimer encore. Vous n'ignorez pas le fruit des soins que l'on avoit pris pour nous désunir et pour me perdre. Le chevalier a trop de délicatesse, pour que l'aversion et le mépris ne fussent pas la récompense de ces âmes basses. Jugez ce que le contraire a dû faire. On a été bien éloigné de vous attribuer le refroidissement de mes lettres, pendant mon séjour en Bourgogne: il tomboit sur la gentille Bourguignonne, et croyoit que la maréchale me disoit du mal de lui. Son attachement devient tous les jours plus fort: ma maladie l'a mis dans des inquiétudes si terribles, qu'il faisoit pitié à tout le monde, et on venoit me rendre ses discours. En vérité, vous en auriez pleuré, Madame, aussi bien que moi. Il étoit dans des frayeurs énormes que je ne mourusse. Il n'étoit pas possible, disoit-il, qu'il pût résister à ce malheur. Sa douleur et sa tristesse étoient si grandes, que je le consolois, et je cachois mes maux, tant que je le pouvois; il avoit toujours les larmes aux yeux; je n'osois le regarder, il m'attendrissoit trop. Madame de Ferriol me demanda un jour si je l'avois ensorcelé; je lui répondis: «le charme dont je me suis servie, est d'aimer malgré moi, et de lui rendre la vie du monde la plus douce». L'envie lui fit faire la question, et la malice me fit répondre. Voilà, Madame, ce que vous m'avez demandé; mon cœur est à découvert. Je passe sous silence mes remords; ma raison m'en fait naître; lui et ma passion les étouffent. Quelques rayons d'espérance d'une fin, d'une conclusion, aident bien à m'égarer; mais il n'est pas à mon pouvoir de les abandonner. Adieu, Madame, je n'en puis plus. Voilà une longue lettre, pour une personne aussi foible que moi.

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LETTRE XXX.

Paris, 1727

J'ai consulté M. Silva et M. Gervais pour vous, Madame; ils veulent que vous vous fassiez saigner souvent, et que vous alliez absolument à des bains chauds. Comme votre santé m'est plus chère que ma propre vie, je n'ai pas oublié un mot de ce qu'ils m'ont dit. Au nom de Dieu, faites ce qu'il faut pour vous procurer une bonne santé! Dieu l'ordonne, vos parens le désirent ardemment, et vos amis, à la tête desquels je veux être, se mettent à vos genoux. Ne me donnez point pour raison celle de la dépense. Je connois la noblesse de votre cœur, et je sais les motifs vertueux qui vous rendent si ménagère; mais les hommes, qui ne sont pas capables de sentimens si délicats, qui rapportent tout à eux, vous accuseront d'un goût pour l'épargne. Cela seroit injuste, je l'avoue; mais il faut vivre avec ces hommes. Laissez moins de bien à vos héritiers, et donnez-leur un bien plus précieux, qui est votre santé, votre vie: l'argent que vous économiserez, pour remédier à votre santé, n'est fait que pour s'en servir. Je connois votre famille: ils donneroient tous une partie de leurs jours pour prolonger les vôtres. Je vous dis tout cela avec une vivacité qui ne peut vous déplaire, puisque c'est l'intérêt le plus vif et le plus tendre qui le dicte à ma plume; et il est difficile de se modérer, quand on est occupé, comme je le suis, d'une amie telle que vous, et dont la santé me tient au cœur. Promettez-moi donc que vous ferez les remèdes nécessaires. Songez, et soyez bien convaincue que si vous êtes mieux, je serai indubitablement soulagée. Je me chagrine et m'attendris pour vous; je ne puis penser à vous que je n'aie le cœur gros. La crainte et la douleur étouffent des souvenirs qui me plairoient. Laissez-moi penser à vous doucement. Enfin, si vous m'aimez, faites votre possible pour guérir.

Il faut que je vous parle de mon foible corps; il est bien foible, je ne puis me remettre de ma furieuse maladie, je ne reprends point le sommeil, j'ai été trente-sept heures sans fermer les paupières, et très-souvent je ne m'endors qu'à sept heures du matin. Vous jugez bien si je peux reprendre mes forces; j'ai de la diarrhée depuis quelques jours. Les médecins ne comprennent pas trop mon mal, ils disent que jamais on n'a eu une fluxion de poitrine sans cracher. Il est vrai que j'ai eu de l'oppression, et que j'en ai encore beaucoup. Je suis extrêmement maigrie; mon changement ne paroît pas autant quand je suis habillée. Je ne suis pas jaune, mais fort pâle; je n'ai pas les yeux mauvais: avec une coiffure avancée, je suis encore assez bien; mais le déshabillé n'est pas tentant, et mes pauvres bras, qui, même dans leur embonpoint, ont toujours été vilains et plais, sont comme deux cotterets. Vous auriez été flattée de l'amitié que tout le monde a témoignée pour une personne que vous honorez de votre tendresse, si vous aviez été témoin de tout ce qui s'est passé pendant que je fus en danger: tous mes amis et les domestiques fondoient en larmes; et quand j'ai été hors de danger (j'ignorois y avoir été), ils vinrent tous à la fois, avec des larmes de joie, me féliciter. Je fus attendrie au point qu'ils craignoient d'avoir commis une indiscrétion. Que seriez-vous devenue, vous, Madame, qui avez, tant de bonté pour moi, si vous aviez été là? Il y a deux de mes amies qui étoient dans la chambre, qui n'y purent tenir. Tout cela m'a été conté depuis. La pauvre Sophie a souffert tout ce qu'il est possible de souffrir; elle craignoit de m'alarmer, elle vouloit avoir l'air assurée; elle faisoit tout ce qu'elle pouvoit pour ne pas pleurer. Vous savez combien elle est pieuse; elle étoit inquiète pour mon âme, d'autant que Silva étoit furieux que l'on ne m'eût pas confessée. Il est vrai que sans avoir la certitude que j'étois en danger, je l'avois demandé à madame de Ferriol, qui fit une autre scène. Elle radote; elle ne fut occupée que du jansénisme. Dans ce moment, au lieu de chercher un peu à me rassurer, elle saisit avec vivacité la première parole que je lui dis, pour me donner son confesseur, et que je n'en prisse point d'autre; je lui répondis d'une façon qui auroit fait rentrer une autre personne en elle-même. J'avoue que dans ce moment je fus plus indignée qu'effrayée; mais je m'aperçus que tout ce que je lui disois étoit inutile; c'étoit semer des marguerites devant des pourceaux; elle ne sentoit rien que le plaisir d'avoir escamoté ma confession à un janséniste; elle trouva le triomphe si beau, qu'elle en devint insolente, et dit à sa femme de chambre des choses si piquantes sur Sophie, parce qu'elle ne m'avoit pas parlé de son confesseur, que cette fille fondit en larmes, en lui disant qu'elle et Sophie étoient assez affligées, pour qu'elles méritassent plus de consolations que de gronderies; que ma femme de chambre, il est vrai, avoit eu plus d'amour pour ma vie que pour mon âme; qu'elle se reprochoit ces sentimens, et qu'elle étoit très-soulagée de voir que j'aurois les secours de l'âme, sans qu'elle eût eu la douleur de me l'apprendre. Que dites-vous de cette scène et de la tendresse de cette bonne dame? Mais l'on conserve toujours son caractère: s'il avoit fallu aller quatre heures à pied, pour me chercher un remède, elle y auroit été avec joie; mais les réflexions tendres et délicates, les sentimens du cœur nuls; elle étoit fâchée, comme nous le sommes d'un indifférent qui ne nous fait point oublier le reste; elle n'étoit occupée que de la colère qu'elle prétendoit que son frère auroit que je fusse morte entre les mains d'un janséniste: chose dont je crois qu'il se seroit peu soucié; mais elle s'étoit figuré qu'il lui en auroit su mauvais gré, et l'en auroit déshéritée. Vous direz peut-être que je m'imagine tout cela. Non, en vérité, j'ai trop vécu avec elle, pour ne la pas connoître, et d'ailleurs, elle a trop peu de soin de me cacher son âme. J'attribue tout ceci à une âme peu tendre et à un corps apoplectique et qui radote. Cela ne me fera jamais oublier toutes les obligations que je lui ai, et mon devoir; je lui rendrai tous les soins que je lui dois, aux dépens même de mon sang. Mais, Madame, qu'il est différent d'agir par devoir ou par tendresse. Cela a son bien: je serois trop malheureuse, si j'avois pour elle la tendresse que j'ai pour vous. Dans l'état où elle est, il faudroit m'enterrer avec elle.

Adieu, Madame, je finis cette longue épître, que je crois très-difficile à déchiffrer. Madame de Tencin m'aime à la folie. Qu'en croyez-vous? Je voudrais bien qu'elle ne s'aperçut pas de l'éloignement que j'ai pour elle: je me crois fausse, et quand je suis avec elle, je suis dans une continuelle contrainte. J'embrasse le mari, les femmes, les enfans. Permettez cette familiarité à votre Aïssé.

P.S. J'apprends dans ce moment que le roi vient d'ordonner que le cimetière de Saint-Médard seroit fermé, avec défense de l'ouvrir que pour enterrer. Comprenez-vous, Madame, qu'on ait permis, depuis près de cinq ans, toutes les extravagances qui se sont faites et débitées sur le tombeau de l'abbé Pâris? Fontenelle nous assuroit l'autre jour, que plus une opinion étoit ridicule, inconcevable, plus elle trouvoit de sectateurs. Les hommes aiment le merveilleux; notre ami, M. Carré de Montgeron[201], jure sur son salut, qu'il a vu des choses surnaturelles. Le gros livre qu'il a présenté au roi, cite des guérisons miraculeuses; aveugles-nés, boiteux, sourds, muets; appuyé de certificats authentiques, signés par des gens de probité reconnue. La postérité aura de la peine à croire, que plus de vingt mille âmes aient donné dans toutes ces extravagances. Le lendemain de la clôture du cimetière, on trouva ces vers:

De par le roi, défense à Dieu
D'opérer miracle en ce lieu.

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LETTRE XXXI.

Paris, 1732

J'ai été encore très-incommodée; j'ai eu six jours la fièvre, des douleurs effroyables dans tout le corps; je suis toujours fort oppressée et foible; les genoux et les mains me font mal. Je me trouve mieux aujourd'hui seulement, et je n'épargne pas les ports de lettres, étant persuadée comme je le suis, Madame, de votre amitié et de votre bonté pour moi. J'envoyai, étant encore bien malade, chez M. S.... le prier de venir me voir, voulant lui demander de vos nouvelles, et qu'il vous donnât des miennes. On ne me permit pas de lui parler, dont j'étois outrée. Il est venu aujourd'hui; il m'a appris le mariage de mademoiselle Ducrest avec M. Pictet. Ah! le bon pays que vous habitez, où l'on se marie, quand on s'est aimé, et quand on s'aime encore. Plût à Dieu qu'on en fît autant ici! Faites-leur, s'il vous plaît, mes complimens de félicitation. M. S.... m'a dit que vous vous portiez assez bien, et que vous étiez à votre campagne, où vous vous amusiez. Je me ressouviendrai toujours de tous les plaisirs que j'y ai goûtés. Madame de Ferriol revient de Sens, où elle a été très-malade, d'une indigestion des plus dangereuses; elle est heureusement mieux; mais si j'avois le malheur de la perdre, et que je lui survécusse, sûrement vous me verriez établie à Pont-de-Vesle. Si je suis un peu mieux, j'irai à Ablons: le changement d'air pourroit contribuer au rétablissement de ma santé.

J'ai une tabatière admirable, que madame de Parabère m'a donnée, et que je voudrois bien vous faire voir; car quand j'ai quelque chose de joli, je souhaiterois bien qu'il eût votre approbation; c'est une boîte de jaspe sanguin, d'une beauté parfaite, montée en or par tout ce qu'il y a de plus habile; la forme en est charmante. Elle l'avoit depuis cinq à six ans, et l'autre jour, elle en parloit comme d'une boîte favorite. Je dis malheureusement qu'elle étoit la mienne, que je n'avois jamais vu un bijou de meilleur goût. Sur cela il n'y a ni prières, ni persécutions qu'elle ne m'ait faites pour me la faire prendre; elle me menaça de la donner au premier venu, si je la refusois: cette boîte vaut plus de cent pistoles. Elle m'entretient, il n'y a point de semaines qu'elle ne me fasse quelque présent, quelque soin que je prenne de l'éviter: je file un meuble, elle m'envoie de la soie, afin que je n'en achète pas; elle ne m'a vu cet été que de vieilles robes de taffetas de l'année précédente, j'en ai trouvé une sur ma toilette, de taffetas broché, charmant; une autre fois, c'est une toile peinte. En un mot, si cela est agréable d'un côté, cela est à charge de l'autre. Elle a une amitié et une complaisance pour moi, telle qu'on l'auroit pour une sœur chérie. Pendant ma maladie, elle quittoit tout, pour venir passer des journées auprès de moi; enfin, elle ne veut pas que j'en puisse aimer d'autres plus qu'elle, hors le chevalier et vous: elle dit qu'il est juste, de toute façon, que vous ayez la préférence, et nous parlons souvent de vous. Je lui ai donné une grande idée de mon amie, et telle qu'elle la mérite. Plût à Dieu qu'elle vous ressemblât, et qu'elle eût quelques-unes de vos vertus! Elle est de ces personnes que le monde et l'exemple ont gâtées, et qui n'ont point été assez heureuses pour s'arracher au désordre. Elle est bonne, généreuse, a un très-bon cœur; mais elle a été abandonnée à l'amour, et elle a eu de bien mauvais maîtres. Adieu, Madame; aimez-moi toujours un peu, et croyez que personne ne vous est plus tendrement, ni plus respectueusement attaché.

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LETTRE XXXII.

Paris, novembre 1732

Je ne vous écris que deux mots, Madame, parce que mes forces sont bien diminuées. J'ai été obligée d'écrire une assez longue lettre d'affaires; mais je n'ai pas voulu tarder à vous donner de mes nouvelles. Je ne doute point de vos bontés pour moi, et que vous seriez en peine, si vous étiez plus long-temps sans en recevoir; j'ai moins de fièvre depuis trois jours, et suis un peu moins foible. Je suis presque toujours sur un lit, et quand je me lève, je me mets sur un canapé. Je prends du lait qui passe assez bien. Si cela pouvoit ne pas aller plus mal pendant une quinzaine de jours, Silva auroit de l'espérance; ma maladie me ruine, et l'avarice est devenue sordide. Si cela continue, nous verrons le second volume de madame Tardieu, qui se faisoit des jupons des thèses que l'on donnoit à son mari. Je vous parlerai dans quelque temps plus amplement sur l'état de mon âme. J'espère que vous serez contente: il faut pourtant que je vous dise que rien n'approche de l'état de douleur et de crainte où l'on est: cela vous feroit pitié; tout le monde en est si touché, que l'on n'est occupé qu'à le rassurer. Il croit qu'à force de libéralités, il rachètera ma vie; il en donne à toute la maison, jusqu'à ma vache, à qui il a acheté du foin; il donne à l'un de quoi faire apprendre un métier à son enfant; à l'autre, pour avoir des palatines et des rubans; à tout ce qui se rencontre et se présente devant lui: cela vise quasi à la folie. Quand je lui ai demandé à quoi tout cela étoit bon, il m'a répondu «à obliger tout ce qui vous environne à avoir soin de vous.» Pour moi, il n'y a sorte de tourment, de persécution qu'il ne me fasse éprouver pour me faire accepter cent pistoles; il a eu recours à mes amis, pour me le persuader; enfin, il me les a fallu prendre; mais je les ai remises à une personne qui les lui rendra après ma mort. Assurément, je n'y toucherai point; je demanderai plutôt l'aumône que de ne pas les rendre. Je vous ferois rire, si je vous contois les frayeurs qu'il a que je ne parle; Silva me l'a défendu sous peine de mort. Ma pauvre Sophie, comme vous le jugez bien, ne me quitte ni jour, ni nuit. Cet homme-là la mettroit dans son cœur, s'il pouvoit; il est outré de n'oser lui donner de l'argent; il tourne autour du pot; il trouve cependant quelques expédiens. Si vous le connoissiez, vous en seriez étonnée; car il est naturellement distrait, et ne connoît point les petits soins: pour la générosité, elle est au souverain degré; il se donne la torture pour trouver des moyens de donner, et il finit toujours par vouloir donner de l'argent; il frappe du pied, et se lamente de n'avoir point d'invention; il envie l'imagination du tiers et du quart, qui savent imaginer des galanteries; enfin, il retourne à son quartier, et j'aurai la liberté de parler; les femmes ne peuvent s'en passer, et je l'éprouve. Adieu, Madame, votre Aïssé vous aime au-delà de l'expression. Vous la trouvez trop sensible et trop peu détachée; mais qu'il est difficile d'éteindre une passion aussi violente, et qui est entretenue par le retour le plus tendre, le plus vif et le plus flatteur! Mais, Madame, les efforts que je fais, aidés de la grâce, me feront surmonter toutes mes foiblesses.

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LETTRE XXXIII.

Paris, 1732

On dit que je suis mieux: non que je trouve du soulagement; je crache des horreurs, et je ne dors que par art; je suis tous les jours plus maigre et plus foible. Le lait commence, non pas à me dégoûter, car je le prends toujours avec plaisir, mais il me surcharge. Je ne puis dire que l'état de mon corps soit bien douloureux; car je ne souffre presque pas: un peu d'oppression et des malaises. D'ailleurs, je n'ai point de ces maladies aiguës. Je me trouve anéantie. Pour les douleurs de l'âme, elles sont cruelles. Je ne puis vous dire combien me coûte le sacrifice que je fais: il me tue; mais j'espère en la miséricorde de Dieu; il me donnera des forces. On ne peut le tromper; ainsi, comme il sait ma bonne volonté et tout ce que je sens, il me tirera d'embarras. Enfin, mon parti est pris: aussitôt que je pourrai sortir, j'irai rendre compte de mes fautes. Je ne veux aucune ostentation, et je ne changerai que très-peu de chose à ma conduite extérieure. J'ai des raisons pour en agir avec tout le secret du monde: premièrement pour madame de Ferriol, qui me feroit tourner la tête pour un directeur moliniste; et madame de Tencin, qui intrigueroit pour cela. D'ailleurs, madame iroit de maison en maison ramasser toutes les dévotes de profession qui m'accableroient; et, outre tout cela, j'ai des ménagemens à garder avec qui vous savez. Il m'a parlé là-dessus avec toute la raison et l'amitié possibles. Tous ses bons procédés, sa façon délicate de penser, m'aimant pour moi-même, l'intérêt de la pauvre petite, à qui on ne pourroit donner un état: tout cela m'engage à beaucoup de ménagement avec lui. Mes remords, depuis long-temps, me tourmentent; l'exécution me soutiendra. Si le chevalier ne me tient pas ce qu'il m'a promis, je ne le verrai plus. Voilà, Madame, mes résolutions, que je tiendrai. Je ne doute pas qu'elles n'abrègent ma vie, s'il en faut venir aux extrémités. Jamais passion n'a été si violente, et je puis dire qu'elle est aussi forte de son côté. Ce sont des inquiétudes et des agitations si vraies, si touchantes, que cela fait venir les larmes aux yeux à tous ceux qui en sont témoins. Adieu, Madame, je me flatte, comme vous voyez, en vous contant tout cela, de vos bontés et de votre indulgence. Mais soyez persuadée que, si votre Aïssé vit, elle se rendra digne d'une amitié dont elle sent bien tout le prix.

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LETTRE XXXIV.

Paris, 1733

Vous m'avez ordonné de vous donner souvent de mes nouvelles. J'obéis de bon cœur; car il n'y a rien dans le monde que je révère, que j'estime et que j'honore autant que vous. Rien ne m'empêche de me livrer à ce goût-là: il est innocent, il est juste. Comment n'aimerois je pas quelqu'un qui m'a appris à connoître la vertu, et qui a fait ses efforts pour me la faire pratiquer; qui a balancé en moi la passion la plus forte? Enfin, Madame, soyez récompensée de vos bonnes œuvres. Je me rends à mon créateur; je travaille de très-bonne foi à me défaire de ma passion, et je suis très-résolue à abandonner mes erreurs. Si vous perdez la personne du monde qui vous est le plus attachée, songez que vous avez travaillé à la rendre heureuse dans l'autre vie. Après vous avoir parlé des dispositions de mon âme, je vous rendrai compte de l'état de mon corps. Je continue de cracher, de tousser et de maigrir. Le lait passe assez bien; mais il ne fait pas les progrès que, depuis près de deux mois, il devoit faire. Je viens de me ressouvenir qu'une religieuse des Nouvelles-Catholiques de mon âge, et pour laquelle j'avois beaucoup d'amitié, est morte de la même maladie. Cette idée de la mort m'afflige moins que vous ne pensez. Je me trouve trop heureuse que Dieu m'ait fait la grâce de me reconnoître, et je vais travailler à mettre à profit le temps qui me reste. Après tout, ma chère amie, un peu plutôt, un peu plus tard, qu'est-ce que la vie? Personne ne devoit être plus heureuse que moi, et je ne l'étois point. Ma mauvaise conduite m'avoit rendue misérable: j'ai été le jouet des passions, emportée et gouvernée par elles. Mes remords, les chagrins de mes amies, leur éloignement, une santé presque toujours mauvaise; enfin personne ne sait mieux que vous, Madame, combien une vie douloureuse est pénible. Adieu, chère amie, aimez-moi, et priez pour le repos de mon âme, soit en ce monde ou en l'autre. J'embrasse mesdames vos filles.

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LETTRE XXXV.

Paris, 1733

J'ai reçu cet après-midi votre lettre, Madame, qui m'a donné un vrai plaisir. Ma santé est toujours de même; et la saison est très-peu propre pour attendre des succès des remèdes. Vous me demandez si je suis changée; je le suis très-fort: mes yeux sont d'un gris brun jaune, le tour de ma bouche maigri et marqué, pâle et abattue. Pour le corps, je n'ai plus que la peau et les os; si je mettois du rouge, cela me ranimeroit: la physionomie est moins changée qu'elle ne devroit être; mes lèvres ne sont pas pâles: en un mot, c'est une vilaine chose qu'un corps maigre. A l'égard de mon âme, j'espère que dimanche prochain, elle sera délivrée de toutes ses impuretés; je m'accuserai de toutes mes fautes. J'ai eu une scène bien touchante hier. Je vous envoie une copie d'une lettre que l'on m'a rendue en réponse d'une que j'avois écrite, remplie de sentimens d'amitié, de détachement et de ma résolution. Comme on me la rendit soi-même, je ne la lus pas sur-le-champ. Nous parlâmes sur cette matière; vous auriez fondu en larmes aussi bien que nous; mais cette scène ne dérange point mes projets, et on ne cherche pas à les déranger. Vous serez étonnée, quand je vous dirai que mes confidentes et les instrumens de ma conversion sont mon amant, mesdames de Parabère et du Deffant, et que celle dont je me cache le plus, c'est celle que je devrois regarder comme ma mère. Enfin, madame de Parabère l'emmène dimanche, et madame du Deffant est celle qui m'a indiqué le P. Bourceaux, dont je ne doute pas que vous n'ayez entendu parler; il a beaucoup d'esprit, bien de la connoissance du monde et du cœur humain; il est sage, et ne se pique point d'être un directeur à la mode. Vous êtes surprise, je le vois, du choix de mes confidentes; elles sont mes gardes, et sur-tout madame de Parabère qui ne me quitte presque point, et a pour moi une amitié étonnante; elle m'accable de soins, de bontés et de présens. Elle, ses gens, tout ce qu'elle possède, j'en dispose comme elle, et plus qu'elle; elle se renferme chez moi toute seule et se prive de voir ses amis; elle me sert sans m'approuver, ni me désapprouver, c'est-à-dire, elle m'a écoutée avec amitié, m'a offert son carrosse pour envoyer chercher le P. Bourceaux, et comme je vous l'ai dit, elle emmène madame de Ferriol, pour que je puisse être tranquille; madame du Deffant, sans avoir ma façon de penser, m'a proposé elle-même son confesseur; je ne doute point que ce qui se passe sous leurs yeux ne jette quelqu'étincelle de conversion dans leur âme. Dieu le veuille! Adieu, madame: j'ai tant de joie à causer avec vous, que je ne puis vous quitter. Hélas! il faudra bien.

Lettre du Chevalier à mademoiselle Aïssé.

«Votre lettre, ma chère Aïssé, me touche bien plus qu'elle ne me fâche; elle a un air de vérité, et une odeur de vertu à laquelle je ne puis résister; je ne me plains de rien, puisque vous me promettez de m'aimer toujours. J'avoue que je ne suis pas dans les principes où vous êtes; mais, Dieu merci, je suis encore plus éloigné de l'esprit de prosélytisme, et je trouve très-juste que chacun se conduise suivant les lumières de sa conscience. Soyez tranquille, soyez heureuse, ma chère Aïssé, il ne m'importe des moyens: ils me paroîtront tous supportables, pourvu qu'ils ne me chassent pas de votre cœur. Vous verrez par ma conduite que je mérite vos bontés. Eh! pourquoi ne m'aimeriez-vous plus, puisque c'est votre sincérité, c'est la pureté de votre âme qui m'attache à vous? Je vous l'ai dit mille fois, et vous verrez que je ne vous trompe pas; mais est-il juste que vous attendiez que les effets vous aient prouvé ce que je dis, pour le croire? Ne me connoissez-vous pas assez pour avoir en moi cette confiance qu'inspire toujours la vérité aux gens qui sont capables de la sentir. Soyez, dès ce moment, persuadée que je vous aime, ma chère Aïssé, aussi tendrement qu'il est possible, aussi purement que vous pouvez le désirer; croyez sur-tout que je suis plus éloigné que vous-même, de prendre jamais d'autre engagement. Je trouve qu'il ne doit rien manquer à mon bonheur, tant que vous me permettrez de vous voir, et de me flatter que vous me regarderez comme l'homme du monde qui vous est le plus attaché. Je vous verrai demain, et ce sera moi-même qui vous rendrai cette lettre. J'ai mieux aimé vous écrire que de vous parler, parce que je sens que je ne pourrois traiter avec vous la matière, sans perdre contenance. Je suis encore trop sensible; mais je ne veux être que ce que vous voulez que je sois; et dans le parti que vous avez pris, il suffit de vous assurer de ma soumission et de la constance de mon attachement, dans tous les termes où il vous plaira de le réduire, sans vous laisser voir des larmes que je ne pourrois empêcher de couler, mais que je désavoue, puisque vous m'assurez que vous aurez toujours pour moi de l'amitié. J'ose le croire, ma chère Aïssé, non-seulement parce que je sais que vous êtes sincère, mais encore parce que je suis persuadé qu'il est impossible qu'un attachement aussi tendre, aussi fidèle, aussi délicat que le mien, ne fasse pas l'impression qu'il doit faire sur un cœur comme le vôtre.»

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LETTRE XXXVI.

Paris, 1733

Je ne puis causer long-temps avec vous aujourd'hui; mais je vous dirai ce qui mettra le comble à vos souhaits; j'ai, Dieu merci, exécuté ce que je vous avois mandé, je suis comblée; ma tranquillité n'est plus que trop grande; car je ne me sens pas assez repentante de mes fautes; mais je suis dans la ferme résolution de ne plus succomber, si Dieu ne me retire pas sitôt à lui. Je ne souhaite plus la vie que pour remplir mes devoirs, et me conduire d'une façon qui puisse mériter la miséricorde de ce bon père. Il y aura demain huit jours que le Père Bourceaux a reçu ma confession. La démarche que j'ai faite a donné à mon âme un calme que je n'aurois point, si j'étois restée dans mes égaremens; j'aurois avec l'objet d'une mort présente, les remords, qui m'auroient rendue bien malheureuse dans ces derniers instans: je suis dans un tel état de foiblesse, que je ne puis sortir de mon lit; je m'enrhume à tous les momens. Mon médecin a pour moi des attentions étonnantes, il est mon ami, je suis bienheureuse en tout: tout ce qui est autour de moi, me sert avec affection: la pauvre Sophie a des soins étonnans de mon corps et de mon âme; elle m'a donné de si bons exemples, qu'elle m'a presque forcée à devenir plus sage; elle ne m'a point prêchée; son exemple et son silence ont eu plus d'éloquence que tous les sermons du monde; elle est affligée jusqu'au fond du cœur; elle ne manquera jamais de rien, quand elle m'aura perdue[202]. Tous mes amis l'aiment beaucoup, et en auront soin. J'espère qu'elle n'en aura pas besoin. J'ai la consolation de lui laisser du pain. Je ne vous parle point du chevalier; il est au désespoir de me voir aussi mal; jamais on n'a vu une passion aussi violente, plus de délicatesse, plus de sentiment, plus de noblesse et de générosité. Je ne suis point inquiète de la pauvre petite: elle a un ami et un protecteur, qui l'aime tendrement. Adieu, ma chère Madame, je n'ai plus la force d'écrire. C'est encore pour moi une douceur infinie de penser à vous; mais je ne puis m'occuper de cette joie, sans m'attendrir, ma chère amie. La vie que j'ai menée, a été bien misérable: ai-je jamais joui d'un instant de joie? je ne pouvois être avec moi-même, je craignois de penser; mes remords ne m'ont jamais abandonnée depuis le moment où j'ai commencé à ouvrir les yeux sur mes égaremens. Pourquoi serois-je effrayée de la séparation de mon âme, puisque je suis persuadée que Dieu est tout bon, et que le moment où je jouirai du bonheur, sera celui où je quitterai ce misérable corps?

FIN.


ERRATUM IMPORTANT.

C'est d'après de faux renseignemens que dans cette édition et dans la précédente, nous avons avancé que les lettres de mademoiselle Aïssé étoient adressées à madame Saladin, femme du résident de Genève à Paris. Au moment où l'on achevoit l'impression de ce recueil, nous avons appris que la personne à qui mademoiselle Aïssé écrivoit, étoit madame Calendrini, de Genève, dont le mari avoit habité Paris pour ses affaires, et non pas pour celles de la république. Ce fait est confirmé par le passage d'une lettre de Voltaire à M. d'Argental, (v. la Correspondance générale de Voltaire, tome 6, page 96 de l'édition de Kelh, in-12.) Le lecteur voudra donc bien substituer le nom de Calendrini ou Calendrin, comme l'écrit Voltaire, au nom de Saladin, partout où ce dernier se trouve écrit, soit dans la notice qui précède les lettres de mademoiselle Aïssé, soit dans les lettres mêmes.

NOTES:

  1. [1] Voyez le numéro du journal des Débats du 3 messidor an XIII.

  2. [2] Depuis plusieurs années, on a réuni aux Lettres de madame de Sévigné celles de mesdames de Coulanges et de la Fayette. Cette partie de notre collection fera un double emploi peu considérable pour ceux qui ont des éditions récentes de madame de Sévigné; et ceux qui n'ont que des éditions antérieures, seront sans doute bien aises de pouvoir les compléter au moyen de notre recueil.

  3. [3] Caractères de La Bruyère, chap. Ier. des Ouvrages de l'Esprit.

  4. [4] Abrégé Chronologique de l'Histoire de France, tom. 3, p. 846.

  5. [5] Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 8 octobre 1679.

  6. [6] Cette phrase est une preuve que toutes les Lettres de madame de Villars à madame de Coulanges n'ont pas été conservées; elle ne se trouve dans aucune de celles qui nous restent.

  7. [7] Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, du 28 février 1680.

  8. [8] Littéralement, prendre le soleil.

  9. [9] Gouverneur du Milanais, conseiller d'état, président du conseil des ordres et grand écuyer de la reine.

  10. [10] Père de la princesse d'Harcourt.

  11. [11] C'est une espèce de panier.

  12. [12] Coussin.

  13. [13] La marquise del Carpio, femme du marquis de Liche, alors ambassadeur à Rome.

  14. [14] Apparitions.

  15. [15] Les ambassadrices d'Allemagne et de Danemarck.

  16. [16] Fille de madame de Sévigné.

  17. [17] Donner ou faire place.

  18. [18] François, duc de la Rochefoucauld, prince de Marsillac, etc. auteur des Maximes et des Mémoires, etc. mort le 17 mars 1680. Il a eu cinq garçons et trois filles.

  19. [19] Les quatre Rois sont:
    Charles-Quint, Empereur.
    Philippe II.
    Philippe III.
    Philippe IV.

  20. [20] Le marquis de Ligneville.

  21. [21] Charlotte-Elisabeth de Bavière, princesse palatine, seconde femme de Monsieur.

  22. [22] M. et madame de Villars avoient tous deux 55 ans. Il mourut en 1698; elle en 1706.

  23. [23] Madame de Coulanges avoit pourtant 49 ans.

  24. [24] Le maréchal son fils étoit âgé de 28 à 29 ans.

  25. [25] Fille aînée de Henri II et de Catherine de Médicis, femme de Philippe II, roi d'Espagne. Elle mourut le 3 octobre 1568, en couche, non sans soupçon de poison.

  26. [26] Fils de Philippe II, exécuté le 24 juillet 1568. Il avoit demandé et obtenu la princesse Elisabeth; mais le roi, étant devenu veuf, la prit pour lui.

  27. [27] De la maison de Portugal.

  28. [28] Château royal de Ségovie.

  29. [29] Selon le proverbe, que ce qui est violent ne dure pas.

  30. [30] Place publique de la ville de Lyon.

  31. [31] François de Neuville, marquis, puis duc de Villeroi, pair et maréchal de France.

  32. [32] De la charge de grand-maître de la Garde-robe.

  33. [33] Château de la maison de Villeroi, à quatre lieues de Lyon.

  34. [34] M. de Louvois, ministre.

  35. [35] A M. de Corbinelli.

  36. [36] Le prince d'Orange fut obligé de lever le siége de Charleroi le 22 décembre 1672.

  37. [37] Madame de Coulanges étoit nièce de la femme de M. le Tellier, depuis chancelier de France.

  38. [38] Charles de Brancas, père de la princesse d'Harcourt, et chevalier d'honneur de la reine Anne d'Autriche.

  39. [39] Madame de Richelieu.

  40. [40] Capitaine des Gendarmes Dauphin.

  41. [41] M. de Sévigné étoit guidon des Gendarmes Dauphin.

  42. [42] Tragédie de Racine, représentée, pour la première fois, en janvier 1673.

  43. [43] De Retz.

  44. [44] Selon la manière de prononcer de madame de Ludre.

  45. [45] Madame de Sévigné nommoit ainsi la fille de madame de Grignan, qui étoit née le 15 novembre 1670.

  46. [46] Madame de Montespan.

  47. [47] Le roi.

  48. [48] M. de Sévigné.

  49. [49] Madame de Coulanges étoit cousine-germaine de M. de Louvois.

  50. [50] Héros de roman.

  51. [51] Il étoit question du mariage du marquis de Grignan, petit-fils de madame de Sévigné, avec mademoiselle de Saint-Amant, qu'il épousa peu de temps après.

  52. [52] Fille de madame de Grignan, depuis marquise de Simiane.

  53. [53] Mort le 5 décembre 1694, âgé de 64 ans.

  54. [54] François de Clermont-Tonnerre, évêque et comte de Noyon.

  55. [55] L'abbé Testu avoit fait des stances chrétiennes sur divers passages de l'Écriture et des Pères.

  56. [56] C'est-à-dire, le mariage du marquis de Grignan avec mademoiselle de Saint-Amant.

  57. [57] Marie Stuard, fille de Jacques II, roi d'Angleterre, et femme de Guillaume III, roi d'Angleterre, lequel n'étoit connu alors en France que sous le nom de prince d'Orange.

  58. [58] Mort le 4 janvier 1695, âgé de 67 ans.

  59. [59] Morte le 7 janvier 1695.

  60. [60] M. de Coulanges appeloit madame de Louvois sa seconde femme.

  61. [61] Pour sa charge de capitaine des gardes du corps de S. M.

  62. [62] C'étoit M. de Coulanges.

  63. [63] Ce mariage ne se fit point. Mademoiselle de Croissi fut mariée, en 1696, au marquis de Bouzoles; et le comte de Tillières épousa, en 1699, mademoiselle du Gué de Bagnols, nièce de madame de Coulanges.

  64. [64] De l'archevêché de Cambrai.

  65. [65] Madame de Sévigné étoit la marraine du chevalier de Sanzei.

  66. [66] Cette lettre et la précédente étoient écrites sur des feuilles volantes d'un très-petit papier.

  67. [67] Le gouvernement de Bretagne fut donné à feu M. le comte de Toulouse, et celui de Guyenne à M. le duc de Chaulnes.

  68. [68] M. de Poissi n'épousa point mademoiselle de Beaumelet, et ne se maria qu'en 1698 avee mademoiselle de Varangeville.

  69. [69] L'abbé Duguet, auteur de l'Institution d'un Prince.

  70. [70] A cause de l'extrême dévotion de madame de la Sablière, à qui cette maison appartenoit auparavant.

  71. [71] Par le P. de la Rue, jésuite.

  72. [72] Guillaume III, roi d'Angleterre.

  73. [73] La marquise de Grignan.

  74. [74] Le duc du Lude.

  75. [75] L'abbé de Rancé.

  76. [76] Intendant de l'armée de Flandre.

  77. [77] Anne-Françoise de Loménie, femme de Louis Boucherat, chancelier de France.

  78. [78] Allusion au père de la Chaise, confesseur du roi.

  79. [79] Achilles de Harlai, premier président du parlement de Paris.

  80. [80] Madame du Gué-Bagnols.

  81. [81] François de Harlai de Chanvalon, archevêque de Paris, mort à Conflans près de Paris, le 6 d'août 1698, âgé de 70 ans.

  82. [82] M. de Fénélon.

  83. [83] C'étoit le maréchal de Villeroi qui commandoit l'armée en ce temps-là.

  84. [84] Sœur de madame de Montespan.

  85. [85] Allusion à ces vers du Menteur: Mais, puisque nous voici dedans les Tuileries, Le séjour du beau monde et des galanteries.

  86. [86] Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons, depuis cardinal.

  87. [87] M. de Sanzei, neveu de M. de Coulanges.

  88. [88] Marguerite le Tellier, fille du marquis de Louvois, ministre de la guerre.

  89. [89] Ce mariage ne se fit point avec mademoiselle de Clérembault, mais avec mademoiselle de Duras, fille du maréchal de ce nom, en 1696.

  90. [90] Ce mariage ne se fit que le premier avril 1698.

  91. [91] Madame la comtesse de Grignan.

  92. [92] Depuis marquise de Simiane.

  93. [93] C'est à l'occasion du mariage de mademoiselle de Grignan, qui devoit bientôt épouser le marquis de Simiane.

  94. [94] Louis-Marie-Armand de Simiane de Gordes, évêque de Langres, mort le 21 novembre 1695.

  95. [95] Catherine de Rougé du Plessis-Bellière.

  96. [96] Nicolas-Charles de Créqui, marquis de Blanchefort, mort à Tournai le 16 mars 1696, âgé de 27 ans.

  97. [97] Claude de Longueil, marquis de Poissi et de Maisons, président à mortier au parlement de Paris.

  98. [98] Louise de Fieubet, mère de M. de Poissi.

  99. [99] Elle fut mariée, en 1699, au comte de Tillières.

  100. [100] Sœur de madame de Montespan.

  101. [101] Pauline Adhémar de Monteil, marquise de Simiane, et petite-fille de madame de Sévigné.

  102. [102] Madame de Sévigné, morte à Grignan peu de jours auparavant.

  103. [103] De madame de Sévigné, grand'mère de madame de Simiane, et bonne amie de madame de Coulanges, morte depuis environ six semaines.

  104. [104] A cause de l'extrême tendresse de madame de Sévigné pour madame de Grignan, sa fille.

  105. [105] La princesse de Savoie, qui devoit être dans peu duchesse de Bourgogne, est appelée ici la voisine de madame de Simiane, parce qu'alors madame de Simiane demeuroit en Provence.

  106. [106] Il a déjà été remarqué que M. de Coulanges appeloit madame de Louvois sa seconde femme.

  107. [107] A cause de la proximité du Piémont et de la Provence.

  108. [108] Dame d'honneur de madame la duchesse de Bourgogne.

  109. [109] Madame du Lude n'avoit point d'enfans.

  110. [110] La mort de Charles II, roi d'Espagne, appela, par son testament, M. le duc d'Anjou à la succession entière de la monarchie d'Espagne.

  111. [111] M. le duc de Bourgogne et M. le duc de Berri, après avoir accompagné le roi d'Espagne, leur frère, sur la frontière d'Espagne, firent le voyage de Provence.

  112. [112] Philippe, fils de France, frère unique de Louis XIV, mort à Saint-Cloud le 9 de juin 1701, âgé de soixante ans et huit mois.

  113. [113] Louise-Marie de la Grange d'Acquien, femme du marquis de Béthune, et sœur de Marie-Casimire de la Grange, reine de Pologne.

  114. [114] Madame de Bracciane étoit fort vieille.

  115. [115] Au combat de Chiari.

  116. [116] Allusion à madame de Bracciane, qui, malgré son âge avancé, conduisoit la reine d'Espagne.

  117. [117] Marie-Antoinette Servien, morte le 26 janvier 1702.

  118. [118] Madame de Simiane n'avoit alors que 26 à 27 ans.

  119. [119] Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, épousa en troisièmes noces, le 20 mars 1702, Marguerite-Thérèse Rouillé, veuve du marquis de Noailles.

  120. [120] Marie-Henriette le Hardi, fille unique du marquis de la Trousse, lieutenant-général des armées du roi, chevalier des ordres de sa majesté, et de Marguerite de la Fond, étoit veuve d'Amédée-Alphonse del Pozzo, prince de la Cisterne.

  121. [121] Terre située en Provence, sur le bord de la mer, et qui appartenoit alors à la maison de Grignan.

  122. [122] Jeanne de Brehan, marquise de Sévigné.

  123. [123] Prêtre de l'Oratoire, d'un très grand mérite, qui demeuroit au séminaire de Saint-Magloire.

  124. [124] De M. de Saci, de l'académie françoise.

  125. [125] Charles d'Aubigné, gouverneur de Berri, chevalier des ordres du roi, frère de madame de Maintenon.

  126. [126] Le combat d'Ekeren, donné le 30 juin 1704.

  127. [127] M. de Catinat.

  128. [128] M. de Catinat s'étoit retiré à Saint-Gratien dans le voisinage d'Ormesson.

  129. [129] Célèbre prédicateur de l'Oratoire, depuis évêque de Clermont.

  130. [130] Les mémoires dont il s'agit furent enfin imprimés à Paris en 1724, avec privilège; 2 vol. in-12, et sans doute après la mort du neveu de Gourville.

  131. [131] A cause du maréchal de Catinat.

  132. [132] Lieutenant de roi de la Bastille.

  133. [133] La marquise de Sévigné.

  134. [134] Maréchal de Catinat.

  135. [135] Le a février.

  136. [136] Marie-Charlotte de Romillei de la Chesnelaye.

  137. [137] Allusion au livre du marquis de l'Hôpital, sur les infiniment petits.

  138. [138] Jean-François-Paul de Créqui, duc de Lesdiguières, mort à Modène le 6 octobre 1703, âgé de 25 ans.

  139. [139] A Ormesson.

  140. [140] Mademoiselle de Montalais, fille d'honneur de madame Henriette-Anne d'Angleterre.

  141. [141] Henriette-Anne d'Angleterre, morte le 29 juin 1670.

  142. [142] Elisabeth-Charlotte, palatine du Rhin, que Monsieur, frère unique de Louis XIV, épousa en secondes noces le 21 novembre 1671.

  143. [143] Gouvernante des enfans de Monsieur.

  144. [144] Marie-Louise le Loup de Bellenave, veuve d'Alexandre de Choiseul, comte du Plessis; et remariée depuis à René Gillier de Puygarreau, marquis de Clérembault, premier écuyer de Madame, duchesse d'Orléans.

  145. [145] Madame de Northumberland.

  146. [146] Gabrielle-Louise de Saint-Simon, duchesse de Brissac.

  147. [147] Colombe le Charron, femme de César, duc de Choiseul, pair et maréchal de France, et première dame d'honneur de Madame.

  148. [148] Il ne faut pas confondre l'abbé Testu, dont il est parlé dans ces lettres, avec un autre abbé Testu qui avoit été aumônier ordinaire de Madame, et qui étoit comme le premier de l'académie françoise: celui dont il s'agit étoit un homme de beaucoup d'esprit et de très-bonne compagnie.

  149. [149] Les religieuses du Calvaire ont leur voile baissé au parloir, excepté pour leurs proches parens, ou dans des cas particuliers.

  150. [150] Madame de Schomberg et madame de Marans étoient logées dans la même maison.

  151. [151] Terre de madame de Sévigné, en Bretagne.

  152. [152] C'est ce que madame de Sévigné appeloit l'approbation de ses docteurs.

  153. [153] Frère du maréchal de Catinat.

  154. [154] François d'Aubusson, duc de la Feuillade; pair et maréchal de France, gouverneur du Dauphiné, et père du dernier maréchal de ce nom.

  155. [155] Tué au combat de Leuze, le 20 septembre 1691.

  156. [156] Derniers vers de la pompe funèbre de Voiture, par Sarrasin.

  157. [157] L'enfer des femmes c'est la vieillesse, disoit un jour le duc de la Rochefoucauld à mademoiselle de l'Enclos.

  158. [158] M. Turretin, professeur en histoire ecclésiastique à Genève.

  159. [159] Malherbe, dans l'ode à la reine-mère, sur sa bien-venue en France.

  160. [160] Le grand Condé qui avoit été son amant.

  161. [161] Le comte de Guiche.

  162. [162] Saint-Evremont étoit né le premier avril 1613, et mademoiselle de l'Enclos en mai 1616; il avoit trois ans plus qu'elle.

  163. [163] Elle l'étoit en effet. Le comte de Grammont ne mourut que le 10 janvier 1707, âgé de quatre-vingt-six ans.

  164. [164] M. le comte de Grammont.

  165. [165] Guillaume, cardinal Dubois, archevêque, duc de Cambrai, prince du Saint-Empire, premier ministre sous la régence du duc d'Orléans, né le 6 septembre 1656, et mort à Paris le 10 août 1723, âgé de soixante-six ans, onze mois et quatre jours.

    N'étant encore que l'abbé Dubois, il fut envoyé, en 1698, en Angleterre, pour quelque négociation secrète de la cour de France avec celle de Londres.

  166. [166] M. l'abbé de Hautefeuille.

  167. [167] La duchesse de Mazarin.

  168. [168] Sur la mort de madame la duchesse de Mazarin, morte à Chelsey, près de Londres, le 21 Juillet 1699, âgée de 76 ans.

  169. [169] Ces lettres vont de l'année 1725 à l'anné 1733.

  170. [170] Ablons, campagne près Paris.

  171. [171] Pont-de-Vesle, terre en Bourgogne.

  172. [172] Fils de madame de Ferriol.

  173. [173] Autre fils de cette dame.

  174. [174] Excellente actrice pour les pièces de Marivaux. (Note de M. de Voltaire).

  175. [175] Mademoiselle Aïssé se trompe. Il étoit caissier de la compagnie de la mer du Sud, et il se retira en France avec la caisse; il y a vécu long-temps, avec plus de magnificence que de bonne réputation. (G...)

  176. [176] La demoiselle en étoit folle. Ce mariage s'est fait contre l'aveu des parens. (Note de M. de Voltaire).

  177. [177] L'histoire est très-vraie. (Note de M. de Voltaire).

  178. [178] Madame de Prie étoit très-galante.

  179. [179] M. d'Argental.

  180. [180] La fille de mademoiselle Aïssé.

  181. [181] M. Tronchin, conseiller d'état à Genève.

  182. [182] Martine, Génevois, envoyé du Landgrave de Hesse, à Paris.

  183. [183] Un parent vieux et riche dont madame Saladin devoit hériter.

  184. [184] M. de Pont-de-Vesle, lecteur du roi.

  185. [185] Prédiction qui s'est confirmée. C'étoit une femme de beaucoup de génie, d'esprit, et très-instruite. Elle parloit plusieurs langues; elle étoit sœur du fameux milord Bolingbrocke. (Note de M. de Voltaire).

  186. [186] L'archevêque de Tencin, frère de madame de Tencin.

  187. [187] M. Bertie, conseiller au parlement.

  188. [188] Gentilhomme provençal.

  189. [189] Villars-Chandieu, officier général en France, ayant un régiment Suisse.

  190. [190] Le cardinal de Fleury imagina, sous de certains prétextes, de retrancher les rentes viagères. Cette opération ne fut pas faite impartialement; plusieurs trouvèrent le moyen, avec de l'argent, d'en être exempts.

    (Note de M. de Voltaire).

  191. [191] Le cardinal de Tencin, qui présida le concile d'Embrun.

  192. [192] Le cardinal de Tencin et sa sœur.

  193. [193] Frère de M. d'Argental.

  194. [194] La Fresnaye, amant de madame de Tencin, qui, dit-on, l'avoit ruiné; il se tua dans son cabinet. Il disoit dans son testament, que s'il mouroit de mort violente, c'étoit elle qu'on devoit en accuser: elle fut mise au châtelet, d'où elle sortit justifiée.(Note de M. de Voltaire).

  195. [195] Elle mourut entre mes bras, d'une inflammation d'entrailles; et ce fut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit mademoiselle Aïssé, sont des bruits populaires qui n'ont aucun fondement. (Note de l'écriture même de M. de Voltaire et signée de lui).

  196. [196] Le cardinal de Tencin, archevêque de Lyon.

  197. [197] Sa petite fille, au couvent.

  198. [198] M. de Bellegarde, cadet sans fortune, fut ensuite en Pologne, où il épousa la sœur du maréchal de Saxe, fille d'Aurore de Konigsmark. Rien de plus vrai. (Note de M. de Voltaire).

    Voltaire a commis ici une petite erreur que nous allons rectifier. La femme qu'épousa M. de Bellegarde, étoit bien sœur du maréchal de Saxe, puisqu'ils avoient tous deux pour père Auguste II, roi de Pologne; mais elle n'étoit point fille d'Aurore de Konigsmark, la mère du maréchal: la sienne étoit une turque, dont Auguste II eut aussi un fils nommé le comte de Rutowski.

  199. [199] Capitaine aux Gardes Suisses.

  200. [200] M. de Ferriol, ambassadeur. Aga, mot turc qui signifie gardien.

  201. [201] M. Carré de Montgeron, conseiller au parlement.

  202. [202] Sophie, à la mort de demoiselle Aïssé, s'est mise dans un couvent.







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Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé, by Various and Ninon de L'Enclos and Charlotte-Elisabeth Aïssé and Marie-Madeleine Pioche de La Ver La Fayette

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Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
throughout numerous locations.  Its business office is located at
809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
business@pglaf.org.  Email contact links and up to date contact
information can be found at the Foundation's web site and official
page at http://pglaf.org

For additional contact information:
     Dr. Gregory B. Newby
     Chief Executive and Director
     gbnewby@pglaf.org


Section 4.  Information about Donations to the Project Gutenberg
Literary Archive Foundation

Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
spread public support and donations to carry out its mission of
increasing the number of public domain and licensed works that can be
freely distributed in machine readable form accessible by the widest
array of equipment including outdated equipment.  Many small donations
($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
status with the IRS.

The Foundation is committed to complying with the laws regulating
charities and charitable donations in all 50 states of the United
States.  Compliance requirements are not uniform and it takes a
considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
with these requirements.  We do not solicit donations in locations
where we have not received written confirmation of compliance.  To
SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
particular state visit http://pglaf.org

While we cannot and do not solicit contributions from states where we
have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
against accepting unsolicited donations from donors in such states who
approach us with offers to donate.

International donations are gratefully accepted, but we cannot make
any statements concerning tax treatment of donations received from
outside the United States.  U.S. laws alone swamp our small staff.

Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
methods and addresses.  Donations are accepted in a number of other
ways including checks, online payments and credit card donations.
To donate, please visit: http://pglaf.org/donate


Section 5.  General Information About Project Gutenberg-tm electronic
works.

Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
concept of a library of electronic works that could be freely shared
with anyone.  For thirty years, he produced and distributed Project
Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.


Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
unless a copyright notice is included.  Thus, we do not necessarily
keep eBooks in compliance with any particular paper edition.


Most people start at our Web site which has the main PG search facility:

     http://www.gutenberg.org

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including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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