Project Gutenberg's Poésies de Charles d'Orléans, by Charles d'Orléans

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Title: Poésies de Charles d'Orléans

Author: Charles d'Orléans

Release Date: December 13, 2004 [EBook #14343]

Language: French

Character set encoding: ISO-8859-1

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POÉSIES DE CHARLES D'ORLÉANS ***




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POÉSIES
DE
CHARLES D'ORLÉANS



PUBLIÉES AVEC L'AUTORISATION DE
M. le Ministre de l'Instruction Publique.

D'après les manuscrits des bibliothèques du Roi et de l'Arsenal.

PAR J. MARIE GUICHARD.

1842




INTRODUCTION.

En 1734, l'abbé Sallier, homme savant et judicieux, prononça pour la première fois le nom d'un poëte qui peut passer à bon droit pour un des plus élégants et des plus accomplis parmi ceux de notre vieille langue1. La parole du docte académicien qui exhumait Charles d'Orléans après trois siècles d'oubli, semble avoir eu un faible retentissement; ceci ne nous surprend pas. D'abord, la description et quelques extraits du manuscrit étaient insuffisants à mettre dans sa lumière un personnage si nouveau; puis, la critique d'alors, à peu près uniquement circonscrite dans les limites de l'érudition grecque et latine, se souciait peu d'un poëte à peine âgé de quelques centaines d'années. Évidemment l'époque était mal choisie pour une réhabilitation. En remontant un peu plus haut, Boileau, a-t-on dit maintes fois, n'a pas nommé Charles d'Orléans; ceci prouve que Boileau, esprit d'un tact exquis, n'avait pas lu un seul vers du recueil que nous publions aujourd'hui. Mais si dans tout cela une chose doit étonner, c'est le silence incompréhensible des écrivains du seizième siècle.

Note 1: (retour) Mém. de l'Acad. des Inscrip. t, XIII, année 1740, p. 593.

Petit-fils de Charles V, le roi lettré de l'ancienne monarchie, neveu de Charles VI, père de Louis XII et oncle de François Ier, Charles d'Orléans fut le chef d'une faction puissante qui ébranla la France pendant un demi-siècle; il poursuivit sans relâche le meurtrier de son père assassiné rue Barbette par Jean de Bourgogne; il vécut au premier rang dans les guerres civiles; enfin, lui et les siens se trouvent mêlés à tous les désordres, à toutes les agitations de l'époque la plus troublée des temps modernes. Certes, il faudrait moins que cela aujourd'hui pour illustrer de mauvais vers, et on se demande pourquoi les poésies si remarquables d'un homme qui réunissait d'ailleurs toutes les conditions apparentes de la célébrité, sont restées dans l'ombre? François Ier faisait publier les ouvrages de Villon, et il oublia son oncle, le maître de Villon. Octavien de Saint-Gelais, Blaise d'Auriol et les poëtes de ce temps pillaient effrontément Charles d'Orléans, les compilateurs prenaient ses ballades2, et personne ne signale le plagiat. Bien plus, Marot a dit: «Entre tous les bons livres imprimez de la langue françoise, ne s'en veoit ung si incorrect, ne si lourdement corrompu, que celluy de Villon: et m'esbahy, veu que c'est le meilleur poète parisien qui se trouve3. Cependant, et Marot le savait sans doute mieux que nous4, Charles d'Orléans composa certaines de ses ballades avec une délicatesse de pensée et une perfection de langage que Villon n'atteignit jamais; il fut en outre l'instigateur d'un grand mouvement littéraire où Marot a tenu assurément une des premières et des plus larges places.

Note 2: (retour) Voyez le Jardin de Plaisance, où se trouvent, mêlées à d'autres poésies du temps, deux ballades de Ch. d'Orléans.
Note 3: (retour) Voy. la préface des Oeuvres de Villon, publiées par Marot.
Note 4: (retour) La ballade de Marot, intitulée: D'un amant ferme en son amour, est tout à fait dans le goût de Ch. d'Orléans.

Lorsqu'on écrit la vie d'un poëte, on interroge curieusement ses vers, on y découvre les secrets de sa pensée, on aime à suivre les impressions les plus fugitives de son âme, et on saisit le caractère qui leur appartient. C'est là une étude attrayante et pleine d'enseignements imprévus. Sans doute, nous pourrions raconter ici le meurtre de Louis d'Orléans, épisode sanglant qui domine tout le règne de Charles VI; nous pourrions suivre pas à pas les péripéties diverses de cette guerre de parents à parents, où les uns s'appelaient Armagnacs, les autres Bourguignons, ceux-ci Cabochiens, et ceux-là Écorcheurs. Mais ces récits se trouvent partout; l'histoire abonde en matériaux de toute sorte, et il serait facile de grouper autour de Charles d'Orléans des volumes de pièces inédites ou déjà publiées. Le prince et le chef de parti sont connus, nous cherchons le poëte; aussi écarterons-nous tout ce qu'il n'est pas absolument nécessaire de connaître pour l'objet que nous nous sommes proposé dans cette notice.

Louis d'Orléans et Valentine de Milan sa femme eurent trois fils: Charles, l'aîné, d'abord comte d'Angoulême, puis duc d'Orléans, naquit à Paris le 26 mai 13915. Louis a laissé la réputation de ce qu'on peut appeler un prince lettré; il protégea Christine de Pisan, il rimait des ballades; passionné pour les fêtes et les plaisirs, sa maison était le rendez-vous des beaux esprits, des femmes séduisantes et des plus aimables gentilshommes6. On sait l'âme tendre et mélancolique de Valentine, son exquise beauté, son inépuisable amour pour un mari dont le libertinage sans frein était un scandale public; l'épouse résignée se voua toute entière à l'éducation de ses enfants. L'histoire n'offre point de figure plus gracieuse, plus chaste, ni plus touchante; tout chez cette femme, jusqu'à la douleur, a quelque chose d'élevé et de majestueux. Depuis le meurtre de La rue Barbette, Valentine avait adopté la devise devenue populaire: Rien ne m'est plus, plus ne m'est rien, et elle avait choisi pour emblème une chantepleure placée entre deux S, initiales de soucy et de soupirs 7. C'est en face de ces lugubres images et au milieu des plus sinistres catastrophes que Charles d'Orléans passa les années de sa jeunesse. En 1407, son père tombe sous le fer d'un assassin; en 1408, sa mère meurt épuisée par les larmes; en 1409, sa jeune épouse Isabelle 8 perd la vie en donnant le jour à une fille; et pendant tous ces désastres, Charles, qui est l'unique protecteur de deux jeunes frères, fait d'inutiles efforts pour tirer vengeance du duc de Bourgogne. Enfin le 25 octobre 1415, jour de la bataille d'Azincourt, les Anglais trouvèrent sous un tas de morts le duc d'Orléans blessé; ils l'emmenèrent prisonnier. Le poëte avait vingt-quatre ans.

Note 5: (retour) Du Tillet dit 1393, et Juvénal des Ursins 1394.
Note 6: (retour) Christine de Pisan, le Livre des fais du sage roy Charles V. Collect. Petitot, t. V, p. 371.
Note 7: (retour) Hist. du château de Blois, par L. de la Saussaye, p. 44. Lemaire [Hist. et antiquités de la ville d'Orléans, p. 96. Édit. in-folio] explique ainsi ces deux S: Solam soepe seipsam sollicitari suspirareque, c'est-à-dire: Seule souvent elle nourrit sa douleur.
Note 8: (retour) Isabelle, fille aînée de Charles VI, et déjà veuve de Richard II, roi d'Angleterre, avait épousé Ch. d'Orléans en 1406.

Un singulier contraste frappe tout d'abord dans Charles d'Orléans: d'une part, sa vie est ébranlée par les plus cruelles tourmentes; de l'autre, une certaine tranquillité d'âme, des moqueries pleines de finesse et une résignation placide, paraissent dans ses vers. On démêle bien au fond des plus joyeux rondels échappés à sa plume quelque chose de réfléchi, de grave et de mélancolique: Je suis cellui au cueur vestu de noir, dit-il dans les premières pages de son livre 9. Cependant, à proprement parler, Charles d'Orléans n'a fait que des poésies légères, quelques plaintives élégies et des chansons amoureuses.

Note 9: (retour) Page 31.

Dans le poëme qui ouvre le recueil, l'auteur raconte, au milieu d'une continuelle allégorie, comment il fut conduit par dame Jeunesse dans la maison du seigneur Amour, comment il fut vaincu par Beaulté (Beaulté est la Béatrix de notre poëte, nous y reviendrons tout à l'heure), Comment il laissa à Amour son coeur en gage, et comment il promit de faire balades et chancons rimer. Dame Merencolie, dame Enfance, Joye, Soussy et autres personnifications des sentiments humains, se retrouvent dans toutes les poésies de Charles d'Orléans.

Cette narration est froide, quoique d'une rime assez élégante. Les ballades qui suivent sont uniquement consacrées à la louange de Beaulté (le lecteur nous permettra de laisser ce nom à une femme qui joue un grand rôle dans la vie littéraire de Charles d'Orléans, et dont nous aurons quelquefois à parler). Dans ces premières pages inspirées par la douleur d'une séparation récente, le vers du poète s'affermit visiblement, un élan inaccoutumé échauffe sa verve, et déjà brillent çà et là toute l'originalité et toute la richesse de sa manière. Tantôt l'amant s'abandonne à une triste rêverie, tantôt il soupire gracieusement les peines de l'absence; parfois il craint d'être oublié10 et rappelle à sa maîtresse les serments jurés dans la maison du seigneur Amour11. Alors Beaulté se hâte de rassurer son bel amy sans per, puis la correspondance continue plus active et plus passionnée. Je ne sais si cette femme, dont le poëte a tu discrètement le nom, méritait tous les éloges qu'il lui donne, mais à coup sûr elle faisait des vers fort tendres; citons la première stance d'une de ses chansons:

Mon seul amy, mon bien, ma joye,

Cellui que sur tous amer veulx,

Je vous pry que soyez joyeux,

En esperant que brief vous voye 12

Écoutons maintenant la réponse du poëte:

Je ne vous puis, ne scay aimer,

Ma Dame, tant que je vouldroye,

Car escript m'avez pour m'oster

Ennuy qui trop fort me guerroye:

«Mon seul amy, mon bien, ma joye,

»Cellui que sur tous amer veulx,

»Je vous pry que soyez joyeux,

»En esperant que brief vous voye13.

Je demande pardon au lecteur d'insister sur ces détails; mais je devais lui signaler une petite confusion échappée à deux éditeurs14 qui ont compris dans les oeuvres de Charles d'Orléans les poésies de sa maîtresse. Cette erreur est d'autant plus facile à rectifier, que la plus simple lecture suffit, à défaut de tout autre indice, pour montrer que les poésies dont nous parlons, ont été composées par une femme et envoyées au poëte prisonnier.

Note 10: (retour) Page 33.
Note 11: (retour) Page 40.
Note 12: (retour) Page 232.
Note 13: (retour) Page 45-46.
Note 14: (retour) MM. Chalvet et Aimé Champollion. Chalvet a édité en 1803, les poésies de Charles d'Orléans, d'après le manuscrit incomplet qui est conservé à la bibliothèque de Grenoble. Notre édition est la seconde, ou si l'on veut la première, et pour mieux dire la seule, qui offre d'une part toutes les poésies de Charles d'Orléans, et de l'autre celles de ses collaborateurs: elle a paru en deux livraisons, d'abord le texte, ensuite l'introduction et le glossaire. Dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre ces deux publications, M. Aimé Champollion-Figeac, de la Bibliothèque royale, etc., a mis au jour une troisième édition du même livre. Je n'ai pas le loisir d'examiner ici le travail du nouvel éditeur, je me bornerai à indiquer en note quelques-uns des principaux points sur lesquels nos opinions diffèrent le plus.

Ainsi c'est à Beaulté et non pas à Charles d'Orléans qu'il faut attribuer la chanson de la page 227 (Se Dangier me tolt le parler), celle de la page 232 (Mon seul amy, mon bien, ma joye), celle de la page 428 (Faire ne puis joyeulx semblant), et le rondeau de la page 427 (Mon amy, Dieu te convoye): ce rondeau et celui du poëte (J'ay tant en moy de desplaisir, page 427) sembleraient avoir été écrits à l'époque même où le prisonnier d'Azincourt quittait la France. Nous attribuerons aussi à Beauté la chanson de la page 214 (Pour vous monstrer que point ne vous oublie), celle de la page 220 (Comment vous puis je tant aimer), et même le rondel de la page 208 (Pour le don que m'avez donné), ici l'auteur paraît répondre à deux chansons (Ce mois de may, nompareille princesse, page 197, et Belle que je cheris et crains, page 203) composées par Charles d'Orléans.

La chanson de la page 233 (Au besoing congnoist on l'amy) est sans contredit de Beaulté; la jeune femme annonçait son prochain départ pour l'Angleterre, projet longuement médité entre les deux amants; le voyage n'eut pas lieu15, et c'est ici que finissent tout à la fois les premières amours du poëte et les derniers chants de sa maîtresse. Beaulté tombe dangereusement malade16, un instant on espère la sauver17, mais bientôt la nouvelle de sa mort traverse la mer et arrive au prisonnier18.

Note 15: (retour) C'est ce que paraît indiquer la ballade de la page 61.
Note 16: (retour) Page 64.
Note 17: (retour) Page 65.
Note 18: (retour) Page 66 et suiv.

Dans cet endroit du livre, le poëte exprime sa tristesse d'une façon touchante, et le souvenir de Beaulté, morte en droicte fleur de jeunesse19, restera empreint pour toujours dans ses vers. Toutefois nous ne pouvons passer sous silence une ballade pleine de gémissements funèbres, et où l'auteur s'est représenté faisant une partie d'échecs avec Faulx Dangier en présence d'Amour. Faulx Dangier aidé par Fortune enlève tout à coup la dame de son adversaire, et celui-ci s'écrie:

Par quoy suy mat, je le voy clerement,

Se je ne fais une Dame nouvelle20.

Note 19: (retour) Page 67.
Note 20: (retour) Page 68.

Quelques-unes des ballades suivantes viennent confirmer l'inconstance de l'amant de Beaulté; cependant ne le condamnons pas sans l'entendre. Le poète qui avouait si ingénuement son infidélité a eu le soin de nous laisser aussi sa justification sous la forme de deux ballades, où tout ce que l'allégorie a de plus ingénieux, tout ce que la forme du langage a de plus frais et de plus élégant, tout ce que la pensée offre de plus naïf et de mieux senti, se trouve rassemblé21. Nous nous rangerons volontiers à l'opinion de ceux qui compteront ces deux ballades au nombre des plus charmantes du recueil.

Note 21: (retour) Voyez la ballade qui commence à la p. 70 et la suiv.

Charles d'Orléans avait épousé en 1410 (d'autres disent qu'elle lui fut seulement fiancée) Bonne d'Armagnac; or, quelques critiques guidés sans doute par un sentiment de haute moralité, ont cru voir dans Bonne d'Armagnac la femme si éloquemment chantée par le prisonnier. Mais comme cette conjecture, que rien dans les manuscrits ne peut autoriser, tendrait tout simplement à rendre inexplicable le tiers des poésies composées par Charles d'Orléans, nous devons nous y arrêter un instant.

Dans quelques-unes de ses premières poésies, Charles d'Orléans se plaint douloureusement, parfois avec un certain dépit, des rigueurs de sa dame, et la forme de ces reproches ne peut en vérité convenir aux calmes relations d'une union conjugale22. Nous signalerons aussi une ballade où le prisonnier dit la joie que lui causera, à son retour en France, la présence de cette même dame, à laquelle il recommande de craindre Dangier qui les épie, mais qui à la fin trompé sera23. Ces particularités et nombre d'autres semblables que nous omettons, ne paraissent pas devoir s'appliquer à une épouse légitime. Mais continuons: Bonne d'Armagnac mourut un mois après la bataille d'Azincourt, et il est matériellement impossible que dans ce court intervalle les deux époux aient eu le temps d'écrire, l'un ses nombreuses ballades, l'autre ses chansons. Enfin, le duc de Bourbon, aussi prisonnier en Angleterre, revint en France, et à cette occasion son cousin Charles d'Orléans lui adressa une ballade où il dit: Recommandez moy sans point l'oublier, à ma Dame24. Or le voyage du duc de Bourbon est de l'année 1417, et Bonne d'Armagnac était morte en 1415. Quant au nom de la femme que nous avons appelée avec le poëte Beaulté, car nous la soupçonnons fort d'être aussi la dame de la ballade, c'est une petite énigme littéraire dont les manuscrits ne donnent pas le mot, et que nous laisserons à nos successeurs25.

Note 22: (retour) Voy. la ballade de la page 27 (Belle que je tiens pour amye); voy. la chanson de la page 194 (Quelque chose que je die), etc., etc.
Note 23: (retour) Pag. 61.
Note 24: (retour) Pag. 148.
Note 25: (retour) En ouvrant l'édition des poésies de Charles d'Orléans publiée par M. Aimé Champollion, nous n'avons pas été médiocrement surpris de trouver des ballades ainsi intitulées: Ballade sur la maladie de la duchesse d'Orléans; Ballade sur la guérison de la duchesse d'Orléans; Ballade sur les obsèques de la duchesse d'Orléans, etc., etc. J'ignore dans quel manuscrit le nouvel éditeur a puisé les titres de ces ballades; mais je ne puis véritablement adopter son avis sur ce point.

A la page 80, commence le Songe en complainte qui forme le complément, ou si l'on veut, la contre-partie du poëme placé en tête du recueil. Le Songe en complainte porte la date de 143726; Charles d'Orléans avait alors quarante-six ans, Beaulté était morte et le temps Des jeunes amours passé. Ung vieil homme lequel Aage s'appelle apparaît en songe au prisonnier; mais, cette fois, Aage est devenu philosophe, ses discours sont pleins d'une moralité affectueuse et de sages conseils; il reproche doucement au poëte une vie dépensée dans les loisirs inutiles; puis il ajoute:

Avisez vous, ce n'est pas chose fainte;

Car Vieillesse, la mère de courrous,

Qui tout abat et amaine au dessoubz,

Vous donnera dedens brief une atainte27.

Note 26: (retour) Page 92.
Note 27: (retour) Page 81.

A ce mot de vieillesse le poëte effrayé se résigne courageusement et va redemander son coeur à Amour (on se souvient que vaincu par Beaulté, Charles d'Orléans avait laissé à Amour son coeur en Gage). Le poëte reprend donc son coeur et sa quittance, abandonne pour jamais la maison du seigneur Amour; puis, guidé par Confort, il arrive Bientôt à l'ancien manoir que l'en appelle Nonchaloir, et demande au gouverneur Passetemps la permission de demeurer avec lui le reste de Ses jours. Ce petit poëme entremêlé de ballades est tout à fait dans le goût de celui auquel il sert en quelque sorte de dénoûment.

Charles d'Orléans composa aussi pendant la captivité, un chant patriotique intitulé: La Complainte de France28. Le but du poëte qui signalait avec douleur les plaies de la patrie, était louable sans doute, mais sa voix n'avait ni la mâle éloquence ni la verve puissante qu'il faut pour de tels sujets; et la ballade de la page 139 (Priez pour paix, doulce Vierge Marie) nous confirme dans cette opinion. Après la Complainte de France, viennent trois autres complaintes29 que je préfère, surtout la première; le poëte y dit ses peines amoureuses, et il est plus à l'aise. En général, toutes les fois que Charles d'Orléans, qu'on pourrait appeler le peintre des petits tableaux, veut sortir de la ballade, de la carole ou du rondel, sa pensée s'alourdit et sa plume s'embarrasse dans les détails. Qu'on lise les poésies tendres et mélancoliques que lui arrachèrent les amertumes et l'isolement de la prison, c'est là qu'il réussit parfaitement. Lorsque des côtes d'Angleterre l'exilé tourne ses regards vers la France30 sa ballade devient une ode sublime et une élégie attendrissante. Les jours de joyeuse humeur, Charles d'Orléans trouve dans ses vers une incroyable dérision et une malignité de bon aloi, qu'aucun écrivain de notre langue n'a connue avant lui; à la page 145 (Je fu en fleur ou temps passé d'enfance), c'est Raison qui l'a mis pour meurir ou feurre de prison. Plus loin, il condamne gaiement son coeur qui voulait fuir à demeurer captif au royaume d'Angleterre31. A la page 141, le poëte raille avec une colère bouffonne L'outrecuidance de Jean de Garencières32, probablement son rival en amour; Ce dernier réplique avec non moins de vivacité, et le tout reste consigné dans deux ballades où chacun exhale à qui mieux mieux, celui-ci sa plaisanterie provoquante, et celui-là son dépit. On avait répandu en France le bruit de la mort du prisonnier, de là une ballade pleine de moquerie, dont la première stance se termine ainsi:

Si fais à toutes gens savoir

Qu'encore est vive la souris33.

Et plus bas:

Nul ne porte pour moy le noir,

On vent meilleur marchié drap gris.

Note 28: (retour) Page 181.
Note 29: (retour) Page 184 et suiv.
Note 30: (retour) Page 139.
Note 31: (retour) Page 146.
Note 32: (retour) Jean de Montenay, sire de Garencières, fait prisonnier à la bataille d'Azincourt (Essai sur les Bardes, etc., par l'abbé de La Rue, t. III, p. 326), soutint longtemps le parti des Armagnacs contre les Bourguignons. En 1411, Charles d'Orléans demandait au roi qu'on rendît à Jean de Garencières la capitainerie de la ville de Caen (Juvénal des Ursins, édit. de 1614, p. 274).
Note 33: (retour) Page 147.

A son arrivée en Angleterre, Charles d'Orléans avait été enfermé à Windsor; en 1422, on le retrouve au château de Bolingbroke; ramené à Londres en 1430, mis à l'enchère comme une bête de somme, on lui donna successivement pour geôliers ceux qui le voulaient prendre au plus bas prix; l'âme du poëte plia sous de telles humiliations: «En ma prison, disait-il plus tard34, pour les ennuys, desplaisances et dangiers en quoy je me trouvoye, j'ay mainteffoiz souhaidié que j'eusse esté mort à la bataille où je fus prins.» En 1433, ayant rencontré un jour chez le comte de Suffolk, alors son gardien, les ambassadeurs de Philippe de Bourgogne, il vint à leur rencontre et leur pressant tendrement la main, il répondit à l'un d'eux qui s'enquérait de sa santé: «Mon corps est bien, mais mon âme est douloureuse; je meurs de chagrin de passer ainsi les plus beaux jours de ma vie en prison sans que personne songe à mes maux35.» Puis, après quelques paroles échangées, le prince ajouta: «Et ne viendrez-vous point me visiter? promettez-le-moi, vous savez si je me tiendrai heureux de vous voir36.» Le comte de Suffolk ne permit pas d'entretien particulier. Il y avait dans l'hôtel de ce comte un barbier, natif de Lille et nommé Jean Canet; le prince aimait causer avec lui, c'était un compatriote. Jean Canet alla trouver les ambassadeurs bourguignons, et leur dit que le duc d'Orléans estimait grandement son cousin le duc Philippe, et qu'il les priait de se charger d'une lettre pour lui; mais cette lettre envoyée le lendemain n'avait pas été écrite librement37. C'est au milieu de ces misères que le prisonnier proposa au monarque anglais, en échange de sa liberté, de le reconnaître pour seigneur suzerain; on a reproché cet acte au duc d'Orléans comme une indigne bassesse, c'était avant tout une Impossibilité.

Note 34: (retour) Discours prononcé par Ch. d'Orléans, en présence du roi Charles VII, au sujet du procès du duc d'Alençon.
Note 35: (retour) Hist. des ducs de Bourgogne, par M. de Brabante, quatrième édition, t. VI, p. 233.
Note 36: (retour) M. de Brabante, loc. cit. p. 234.
Note 37: (retour) M. de Brabante, loc. cit. p. 235.

Déjà en 1435 et 1438, les Anglais avaient amené leur prisonnier à Calais pour y traiter de sa rançon; ces négociations échouèrent; mais en 1439, aux conférences de Gravelines, Charles d'Orléans sut plaire par les charmes de son esprit à la duchesse de Bourgogne; celle-ci fut émue aux récits de si longs malheurs, et elle s'intéressa vivement à la délivrance de son parent. C'est probablement pendant ce dernier voyage en France que le poëte envoya à Philippe de Bourgogne la ballade de la page 151 (Puisque je suis vostre voisin); le duc de Bourgogne répliqua, et les deux princes continuèrent ainsi de régler les affaires de l'Europe38. Certes, l'histoire de la diplomatie n'offre pas trace d'une telle particularité. Tout Bourgongnon suis vrayement, dit le duc d'Orléans à son cousin; les temps étaient bien changés. On fixa la rançon du prisonnier à la somme énorme de cent vingt mille écus d'or.

Note 38: (retour) Les ballades échangées par les ducs d'Orléans et de Bourgogne sont au nombre de sept; voy. pages 151, 152, 153, 154, 155, 158 et 159.

Quand Villon avait dépensé jusqu'à son dernier sou, il adressait une requête à Mgr de Bourbon, qui lui prêtait (c'est l'expression de l'auteur) six écus; Marot escomptait ses Épistres sur la bourse de François Ier; et plus tard, pour une modique gratification, Corneille comparait le financier Montauron à Auguste. Charles d'Orléans, qui devait subir toutes les vicissitudes des grands poëtes ses descendants, prit la plume et envoya à son cousin une ballade où il disait:

Il ne me fault plus riens qu'argent

Pour avancer tost mon passaige,

Et pour en avoir prestement,

Mectroye corps et ame en gaige39.

Note 39: (retour) Page 159.

La ballade eut du succès, Philippe donna trente mille écus.

Enfin, après une détention de vingt-cinq années, Charles d'Orléans débarqua à Calais; la duchesse de Bourgogne l'attendait à Gravelines, où le duc son mari arriva peu après. Les deux cousins se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, il n'y avait plus ni Armagnac, ni Bourguignon, et la réconciliation était complète. Charles d'Orléans, ses hôtes et un brillant cortége se rendirent à Saint-Omer; là fut célébré (novembre 1440) le mariage du poëte avec Marie de Clèves, nièce de Philippe de Bourgogne. Après un voyage à Bruges, les princes se séparèrent. Le duc et la nouvelle duchesse d'Orléans prirent le chemin du château de Blois.

Le temps de la tranquillité et de la paix était venu; une vie libre, facile et souriante s'ouvrait devant Charles d'Orléans rentré au foyer de ses pères. Le poëte avait commencé par chanter ses maîtresses avec une ardeur toute juvénile, puis ses vers s'étaient parfois assombris sous les murs de la prison; maintenant l'homme mûri par l'âge a renoncé aux joies des jeunes années, et il se laisse complaisamment aller à une douce mélancolie. La ballade de la page 97 (Balades, chançons et complaintes), composée en Angleterre, et dont les premiers vers annoncent le retour du poëte, après une interruption, à ses délassements favoris, nous semble marquer le point de départ de ce que nous nommerons volontiers la troisième manière de Charles d'Orléans; quelques années plus tard la transformation qui s'était accomplie se manifestait dans une autre ballade, publiée récemment par M. Ch. Lenormand40, et où paraît la philosophie rêveuse et la brillante couleur des nouveaux chants du poëte.

Note 40: (retour) * Livre de poésie à l'usage des jeunes filles chrétiennes, p. 408; voy. Dans notre édition la ballade de la page 164 (En tirant d'Orléans à Blois).

Mais ici notre tâche se complique; Charles d'Orléans ne faisait pas seulement de charmantes poésies, il faisait aussi des poëtes; et nous ne pouvons pas tout à fait passer sous silence cette seconde partie des oeuvres de notre auteur. Habité par un prince riche et puissant, le château de Blois devint bientôt le centre d'une colonie littéraire, où des rois, des grands seigneurs, le duc d'Orléans, la duchesse sa femme, confondus avec d'humbles gentilshommes et de pauvres poëtes, venaient chaque jour apporter leur tribut. Parmi les membres de cette petite académie, qui rappelle le Dauphin et ses familiers écrivant à Génappe les Cent nouvelles nouvelles, on remarque quelques noms devenus célèbres dans les lettres, et au premier rang François Villon.

La ballade de la page 130 (Je meurs de soif aupres de la fontaine), signée par Villon et adressée à Charles d'Orléans, est une espèce de jeu d'esprit où toute l'invention de l'auteur consistait à fondre et à ajuster dans le même vers deux pensées opposées l'une à l'autre; ces contrastes plus ou moins ingénieux, cherchés avec effort, embarrassent sensiblement l'allure franche et aventureuse de Villon, et se plient d'ailleurs avec peine à la forme rhythmique. La ballade de la page 124, qui a pour épigraphe un vers de Virgile, et les deux suivantes41, ne portent pas de nom d'auteur dans les manuscrits; mais elles sont aussi de Villon, qui termine la dernière par ces mots: Vostre povre escolier françoys, qualité qu'il a prise plusieurs fois dans ses vers42. Ces trois ballades, qui ont été insérées par M. Prompsault dans son édition des oeuvres de Villon, furent écrites à l'occasion de la naissance de la princesse Marie, fille de Charles le Téméraire, et petite-fille du duc Charles de Bourbon43. A la page 336, nous lisons un rondel d'Olivier de la Marche; nous préférons assurément un chapitre de ses Mémoires. Le rondel de la page 337, signé George, a été attribué par quelques critiques à George Chastelain.

Note 41: (retour) Combien que j'ay leu en ung dit, p. 125; et Euvre de Dieu, digne, louée, p. 127. Ces trois ballades de Villon sont réunies dans le manuscrit en une seule, peut être pour montrer qu'elles appartenaient au même auteur; nous avons dû respecter cette disposition.
Note 42: (retour) M. Aimé Champollion a inséré dans son édition les deux premières de ces ballades, et il a supprimé la troisième. Il ajoute en note, p. 443: «Il suffira de la lire (les deux premières ballades) sans grande attention pour voir qu'elle n'est point de Charles d'Orléans; son texte et ses rimes sont des plus mauvais.» Boileau était moins sévère pour François Villon.
Note 43: (retour)

Les relations littéraires de Charles d'Orléans et de Villon, qu'on n'a peut-être pas assez remarquées, ont laissé dans les ouvrages du dernier une trace qu'on retrouve, pour ainsi dire, à chacun de ses vers: nous ne citerons qu'un exemple. Charles d'Orléans adresse à sa maîtresse une ballade (p. 22) où nous lisons:

Au fort, martir on me devra nommer,

Se Dieu d'amours fait nulz amoureux saints,

Car j'ay des maulx plus que ne scay compter.

Puis qu'ainsi est que de vous suis loingtains.

Ouvrons le petit testament de Villon:

Au fort, je meurs amant martir,

Du nombre des amoureux sains.

Nous trouvons aussi parmi les collaborateurs de Charles d'Orléans, René, roi de Sicile et duc d'Anjou, qui est indiqué dans le manuscrit sous le nom de Secile, le cadet d'Albret (le cadet Dalebret ou simplement le Cadet), Jean II, duc d'Alençon, le grant Seneschal (selon l'abbé de la Rue44, ce personnage était Pierre de Brézé, comte de Maulévrier, grand sénéchal d'Anjou, de Poitou et de Normandie), le comte de Nevers, le vicomte de Blosseville qui avait suivi Charles d'Orléans en Angleterre45, et quelques autres gentilshommes que nous nommerons plus loin46. Les poésies de ces auteurs sont fort médiocres. Divers chansons ou rondels portent le nom du duc de Bourbon et du comte de Clermont; il faut ici, pour éviter les méprises, donner quelques éclaircissements.

Note 44: (retour) Essais hist. sur les Bardes, etc. t. III, p. 327.
Note 45: (retour) Essais hist, sur les Bardes, etc, t. III. p. 322.
Note 46: (retour) Voyez la Liste des auteurs, p. xxiv.

Trois ballades de Charles d'Orléans47 sont adressées à un duc de Bourbon; ce duc est Jean Ier, qui avait été fait prisonnier à Azincourt, et qui mourut à Londres en 1433. Jean II, comte de Clermont, petit-fils de Jean Ier, prit à la mort de Charles son père (1456) le titre de duc de Bourbon; il est l'auteur des rondels que nous allons citer: p. 303 (Rondel Clermondois), 309, 310 et 354. Au rondel de la p. 383, il est désigné sous le nom de Bourbon jadis Clermont; le duc son père venait de mourir, et ceci nous explique les deux premiers vers du rondel suivant, où Charles d'Orléans dit:

Comme parent et alyé

Du duc Bourbonnois à present48.

Note 47: (retour) Pag. 148-150.
Note 48: (retour) Page 383.

Enfin, ce duc Bourbonnois à présent est encore l'auteur de la chanson de la page 235, et de trois rondels (pag. 386, 391, 425), où il est appellé Bourbon49. C'est probablement à ce duc Jean, et en qualité de collaborateur, que Villon empruntait de temps en temps six écus.

Note 49: (retour) Plusieurs de ces rondels ou chansons portent au titre le nom de Bourbon, et sont, par conséquent, postérieurs à l'année 1456. Je m'éloigne donc encore ici de l'opinion émise (p. 425-427) par M. Aimé Champollion qui attribue ces poésies à Jean Ier, duc de Bourbon, mort en 1433.

Hugues le Voys, Pierre Chevalier, Étienne le Gout, Montbreton, Vaillant, n'étaient pas, je crois, gentilshommes; mais à coup sûr, ainsi que le lecteur pourra s'en convaincre facilement, ils n'étaient pas poëtes non plus. Les deux rondels de Guillaume Cadier50 et de Robertet composés en l'honneur de Charles d'Orléans51, les trois rondels de Guiot et de Philippe Pot, sont mauvais. Jean, duc de Lorraine, fils du roi Réné, a fait sept rondels; celui de la page 345 annonce de l'esprit et de la finesse. C'est à ce même duc de Lorraine qu'Antoine de la Sale a dédie le roman du Petit Jehan de Saintré.

Note 50: (retour) Charles d'Orléans nomme ce Guillaume Cadier dans une ballade, p. 148.
Note 51: (retour) Page 424.

Philippe de Boulainvilliers a mis dans le recueil une chanson et un rondel, deux pièces délicieuses qu'on croirait échappées à la plume de Charles d'Orléans; on peut ranger hardiment sur la même ligne les trois rondels et la chanson de Fraigne.

Deux rondels d'un style élégant et pleins de sentiments gracieux portent au titre: Madame d'Orléans; l'abbé de la Rue avait attribué ces deux pièces à Bonne d'Armagnac52, seconde femme du duc d'Orléans, et qui probablement ne fit jamais un vers de sa vie. Nous nous empressons de les restituer à leur véritable auteur, Marie de Clèves.

Note 52: (retour) Essai hist. sur les Bardes. etc. t III, p. 323.

La ballade de Gilles des Ourmes, Je meurs de soif aupres de la fontaine, ressemble à celle de Villon sur le même sujet; la chanson de la page 210 est fine et spirituelle; disons-en autant du rondel de la page 414; celui de la page 349, signé Gilles, est probablement du même auteur. Nous lisons deux ballades et deux rondels de Berthault de Villebresme; la ballade de la page 168, dont chaque vers commence par le mot tost, semble être la continuation de celle de Pierre Chevalier (p. 167), qui offre la même singularité. Les deux Caillau ont composé onze pièces, tant ballades que rondels. Jean est incontestablement supérieur à Simonnet; les rondels des pages 278 et 381 sont fort jolis, surtout le dernier. Benoît d'Amiens ne vaut pas à beaucoup près Jean Caillau. Mais de tous ces poëtes, le plus fécond était, sans contredit, Fredet.

Fredet paraît pour la première fois à la page 169; il écrit une lectre en complainte à Charles d'Orléans, qui répond par une autre complainte, laquelle est suivie d'une nouvelle lettre de Fredet. Les deux poëtes se plaignent et se consolent mutuellement; le premier est tourmenté par Amour et le second par Soussy; ces trois pièces sont froides et dénuées de tout intérêt poétique. Fredet et Charles d'Orléans échangent encore Deux rondels (pages 251, 252) qui ne valent pas mieux que leur complainte; mais bientôt les vers s'animent et se colorent. A la page 279 Fredet dit les grandes douleurs qu'il endure, et Charles d'Orléans (page 280) promet de l'aider de toute sa puissance; en effet un peu plus loin (page 335) le prince dit à son protégé: Vostre fait que savez, va bien. Nonobstant ces bonnes paroles, voici Fredet qui déplore les mauvais tours qu'on lui joue, et appelle la mort à grands cris (page 335). Que voulait Fredet? quels tours lui avait on joué? c'est ce que le livre ne dit pas; mais à la page 336 nous lisons un rondel de Charles d'Orléans où perce le dépit du prince et toute la mauvaise humeur du poëte; il faut remarquer cette pièce, quoique très-faible; elle est la seule de son genre dans le recueil. La pique des deux poëtes amena sans doute une rupture, car à la page 350 Charles d'Orléans se plaint de la longue absence de Fredet, mais d'une façon toute bienveillante; ce rondel, qui a douze vers, est un petit chef-d'oeuvre d'esprit, de bonhomie et de gaieté; la réponse (page 350) nous apprend que Fredet était marié, ce qui fournit à Charles d'Orléans le sujet d'un nouveau rondel (page 351), aussi caustique, aussi piquant qu'un chapitre de Rabelais ou une scène de Molière.

Nous ne pousserons pas plus loin cet examen des collaborateurs de notre poëte. Seulement nous ferons remarquer que tous s'efforçaient d'imiter le maître, et que ceux-là réussissaient le mieux qui, comme Fraigne, Boulainvilliers et Jean Caillau, en approchaient le plus. Il nous reste maintenant à parler de quelques pièces comprises dans le recueil, et dont les auteurs sont inconnus.

L'attribution des poésies qui portent au titre un nom d'auteur doit être mise, par cela même, hors de toute controverse. Les poésies non signées peuvent se diviser en deux catégories: les unes, et c'est l'immense majorité, appartiennent à Charles d'Orléans; les autres, et c'est l'exception, appartiennent à ses collaborateurs; il suffira d'indiquer ces dernières.

Onze ballades commencent par le vers: Je meurs de soif auprès de la fontaine; cinq de ces ballades ne sont pas signées53. Les poëtes du château de Blois, et ceci en offre un exemple, choisissaient ordinairement une pièce de vers qui servait de thème commun; or, il est peu probable que Charles d'Orléans ait composé pour sa part les cinq ballades non signées. Quelles sont celle ou celles qui lui appartiennent? Nous nous bornerons ici à consigner notre doute, car dans ces concours poétiques l'originalité de l'auteur disparaît, pour ainsi dire, derrière la rigueur de programme.

La ballade de la page 166 (Du regime quod dedistis) n'est certainement pas de Charles d'Orléans, car elle sert de réponse à la précédente (Bon régime sanitatis), qui est signée par lui. Nous avons vu plus haut Charles d'Orléans et Fredet échanger deux rondels à propos du mariage de ce dernier; or, je serais tout disposé à voir dans les deux ballades une continuation de la même polémique; d'autant plus que cette réponse non signée est tout à fait dans la manière de Fredet, et j'ajouterai même qu'elle ressortait de la situation. On pourra m'objecter que Fredet n'était pas prince, et que le mot se trouve dans l'envoi de la ballade de Charles d'Orléans; mais nous ferons remarquer que Villon appelait prince son ami Garnier54; ce sont fictions de poëte.

Note 53: (retour) Voyez l'Envoi de la ballade de Villon à Garnier. OEuvres de Villon, édit. de M. Prompsault, p. 310-311.
Note 54: (retour) Il nous est impossible de partager sur les Envois l'opinion de M. Aimé Champollion, qui a retranché des poésies de Charles d'Orléans les six ballades suivantes (nous citons les pages de notre édition): En la forest de longue actente, p. 105; Portant harnois rouillé de nonchaloir, p. 108; Dieu vueille sauver ma galée p. 109; Amour qui tant a de puissance, p. 158; L'autre jour je fis assembler, p. 165, et Bon regime sanitatis, p. 166 (cette dernière porte au titre dans les manuscrits le nom de Charles d'Orléans, et c'est probablement par une omission involontaire que l'éditeur ne l'a pas comprise dans son volume). Ces six ballades se terminent par un envoi adressé à un prince; et comme Charles d'Orléans était prince, M. Aimé Champollion a conclu que ces poésies avaient été composées pour lui et non par lui; mais ici le nouvel éditeur nous semble avoir attaché au mot prince une signification trop absolue et trop rigoureuse. Nous avons déjà vu que cette locution était employée chez les poëtes de ce temps comme une formule toute de convention. Bien plus, Charles d'Orléans avait autour de lui et dans sa famille de vrais princes auxquels il pouvait dédier ses poésies: qu'on ouvre notre volume aux pages 120 et 121, on y Trouvera des ballades signées par Charles d'Orléans, et adressées dans l'envoi à un prince. La ballade de la page 100 (Comment voy je les Anglois esbahys) composée, en 1453, par Charles d'Orléans, à l'occasion de la conquête de la Guienne et de la Normandie, porte au titre de l'envoi le mot prince (le nouvel éditeur a supprimé ce titre dans plusieurs ballades). Ainsi une ballade avec l'envoi à un prince peut venir aussi bien de notre poëte que de ses collaborateurs. J'attribue sans hésitation à Charles d'Orléans les six ballades citées plus haut, car je crois y découvrir des traces non douteuses de sa manière. La ballade de la page 105 est une charmante poésie, et toutes offrent de ce beautés délicates et élégantes qui ont, du moins à mes yeux, l'autorité d'une signature.

Le rondel de la page 245 (Je suis desja d'amour tanné), adressé comme le précédent à la doulce Valentine, doit être du même auteur, René, roi de Sicile, auquel nous attribuerons aussi le rondel de la page 248 (Se vous estiez comme moy).

La ballade de la page 111 (Yeulx rougis, plains de piteux pleurs), celle de la page 129 (Je n'ay plus soif, tarie est la fontaine), celle de la page 131 (Parfont conseil eximium) et celle de la page 157 (Visaige de baffe venu), me paraissent toutes provenir des élèves de Charles d'Orléans; péniblement rimées, triviales et dénuées de toute élégance, ces quatre ballades n'offrent pas un vers qui trahisse le style pénétrant, facile et correct du maître. Je rangerai dans la même catégorie le rondel de la page 406 (Prophétisant de vostre advenement), celui de la page 425 (Des droiz de la porte Baudet) et celui de la page 426 (Gardez vous bien de ce fauveau), celui de la page 410 (Les biens de Vous, honneur et pris) et les trois suivants. Le rondel de la page 324 (Se vous voulez m'amour avoir) serait plus naturellement placé dans la bouche d'un poëte féminin que dans celle de Charles d'Orléans.

Le petit poëme diffus, plein de vers barbares, intitulé: Le lay piteux (pages 429-436), et que deux manuscrits comprennent au nombre des poésies de Charles d'Orléans, me paraît d'une époque plus ancienne et n'est vraisemblablement pas de lui; à la page 430, ligne 10, on lit le mot arme pour ame; à la page 434, ligne 31, li pour le; à la page 436, ligne 24, m'ot pour m'a; ces formes grammaticales, dont les vers De Charles d'Orléans n'offrent pas d'exemple55, viennent nous raffermir dans notre conviction.

Note 55: (retour) A la page 390 de l'édition de M. Aimé Champollion, ligne 16, on lit le vers suivant: Abayer ne m'ot sonner. Il faut mot; voy. notre édition, page 399, vers 22.

Il y a bien encore quelques rondels sur lesquels nous ne sommes pas absolument fixés; mais nous avons dû nous borner ici à indiquer les pièces dont l'authenticité nous a paru la plus suspecte. Une lecture attentive des poésies de Charles d'Orléans et des membres de sa petite académie, est le meilleur guide qu'on puisse choisir pour démêler sûrement, dans cette espèce d'album poétique, ce qui appartient à celui-ci ou à ceux-là; toutefois il faut se défier de Fraigne et de Boulainvilliers, dont la manière se rapproche et égale parfois celle du maître. Maintenant on comprendra pourquoi nous avons publié le recueil dans son entier, pourquoi nous avons toujours fidèlement et exactement reproduit les titres de chaque pièce et pourquoi nous les avons laissées dans l'ordre indiqué par le manuscrit où elles sont les plus nombreuses. Tout cela est un enseignement nécessaire pour ceux qui voudront examiner des questions que nous n'avons certainement pas la prétention d'avoir résolues; d'ailleurs ces poésies s'éclairent les unes les autres et il y a ici trop d'obscurité pour ne pas saisir avec empressement la plus petite lumière. Le lecteur a maintenant les pièces du procès sous les yeux, il appréciera56.

Note 56: (retour)

Les manuscrits que nous avons reproduits dans celle édition sont au nombre de six:

1. BIBLIOTH. DU ROI. (Lavall. No 193.) 269 feuil. vélin, in-8°. Le feuillet 1 porte les armes de la maison d'Orléans. L'écriture annonce la fin du quinzième siècle. Ce manuscrit, auquel plusieurs scribes ont travaillé, a appartenu au duc de la Vallière.

2. BIBLIOTH. DU ROI. (Fond. franc., No 7357-4.) 112 feuil. écrits sur Deux col. vélin, petit in-folio. Le feuillet 1 porte les armes de la maison d'Orléans et de Milan. Moins ancien que le No 1, le manuscrit No 2 représente le recueil le plus complet des poésies de Charles d'Orléans et de ses collaborateurs; il a appartenu à Henri II, à Catherine de Médicis, à Ballesdens et à Colbert. L'exécution du manuscrit No 2 est très-riche et très-soignée; mais les textes offrent la trace d'altérations nombreuses.

3. BIBLIOTH. DU ROI. (S.Germ. 1660.) Papier, petit in-folio. Les poésies de Charles d'Orléans, recueillies dans le même volume avec d'autres Opuscules, commencent au recto du feuillet 1 par ces mots: Cy commence le livre que monseigneur Charles duc d'Orléans a faict estant prisonnier en Angleterre, et finissent au recto du feuillet 59: Cy fine le livre, etc. Le manuscrit No 3 ne contient qu'une partie des poésies de l'auteur; mais dans le nombre se trouvent une ballade, le Lay piteux, deux rondeaux et deux chansons, qui manquent aux Nos 1 et 2.

4. BIBLIOTH. DE L'ARSENAL. 139 feuil. vélin, petit in-4º. Le feuillet 1 porte la signature du marquis de Paulmy. Le manuscrit No 4, moins complet que les Nos 1 et 2, plus ancien que ce dernier, nous a fourni quelques leçons utiles.

5. BIBLIOTH. DE L'ARSENAL. Papier, petit in-folio. Ce volume contient les poésies de divers auteurs; celles de Charles d'Orléans occupent cinquante-trois feuillets; elles se terminent par la souscription suivante; Cy fine le livre que monseigneur d'Orléans fist lui estant prisonnier en Angleterre, là où vous trouvères la lectre de Retenue, et balades, et complaintes, et la Requeste, et la Quictance, comme il bailla son cueur en gaige, et la lectre close et le dit de France, et le lay piteux, etc., etc. Le manuscrit No 5 offre les mêmes textes que le No 3; mais il est moins correct, et on y remarque une lacune considérable; le copiste a omis vingt-cinq ballades.

6. BIBLIOTH DE L'ARSENAL. Papier, in folio. Reproduction très-fautive du Manuscrit No 2. Cette copie, a été faite an commencement du siècle dernier, sur un texte vicieux et déjà altéré; mais une main érudite a jeté sur les marges du volume quelques notes qui ont dû appeler notre attention. Au folio 120 recto le critique anonyme écrit ces mois: Galois et Galoises dont j'ai parlé dans mes Mémoires sur la chevalerie, et un peu plus loin (folio 126 verso), il renvoie le lecteur à son glossaire au mot estradiot. Or, ce critique ne peut être que La Curne de Sainte Palaye, dont l'écriture fine et serrée se reconnaît d'ailleurs à la première vue. M. Aimé Champollion, qui, tout à l'heure, était sans pitié pour notre ami François Villon, n'a vu dans les remarques du célèbre philologue que des «notes dont le ridicule et la singularité sont le seul mérite(Notice prélim. xxxi.) Nous sommes moins difficile, nous avons lu les Observations de Sainte Palaye avec tout le soin que commande le nom de L'auteur, et nous y avons puisé des lumières pour rédiger le glossaire qui termine notre volume.

Le manuscrit n° 1, sans contredit le plus ancien et le plus correct de tous, est celui que nous avons suivi de préférence pour la transcription des textes. Le manuscrit n° 2, où les pièces sont les plus nombreuses, est celui que nous avons suivi pour la distribution et le classement des pièces. Ainsi notre Édition, à partir de la page 1, jusques y compris le rondel de Cadier, page 425, reproduit, dans leur ordre successif, les diverses poésies contenues dans le manuscrit n° 2 (il faut toutefois excepter une première strophe de la ballade de la page 116, qui, comme nous l'avons dit en note, appartient au manuscrit n° 1). Les trois rondels qui suivent celui de Cadier sont empruntés au manuscrit n° I, et le reste du volume, à partir de la ballade de la page 426 est tiré des manuscrits 3 et 5.

Les bibliographes signalent encore d'antres manuscrits des poésies de Charles d'Orléans. Quatre de ces manuscrits sont à Londres, un à Grenoble et un à Carpentras. Les manuscrits de Londres renferment, dit-on, quelques chansons qui manquent dans ceux de Paris: je ne sais si ces chansons appartiennent à notre auteur. Un des manuscrits de Londres est la traduction anglaise des Oeuvres de Ch. d'Orléans; cette traduction a été publiée en 1827, par M. Walson Taylor. Le manuscrit de Grenoble ne contient qu'une partie des poésies composées par Charles d'Orléans et ses collaborateurs: les textes offrent de fâcheuses lacunes; et une imperfection plus fâcheuse encore est l'absence du nom des auteurs en tète des pièces. Le manuscrit de Carpentras paraît être une copie des manuscrits déjà cités.

De tous ces manuscrits, ceux que nous avons décrits sous les n° 1 et 2 sont assurément les plus précieux, surtout le n° 1, qui semble réunir tous les Caractères d'un texte original. L'édition de Chalvet, qui a publié le manuscrit de Grenoble, nous a peu servi.

On lit dans les manuscrits n° 1 et n° 2, une ballade et huit rondels ou chansons en anglais; nous n'avons pas reproduit ces poésies qui intéressent peu la littérature française. Nous avons joint au volume un petit glossaire-index qui donne l'explication des termes les plus vieillis. Le recueil contient une carole en latin (p. 266), un certain nombre de poésies mêlées de latin et de français, et deux rondels (p. 361 et 390) où le français et l'italien se trouvent confondus; nous n'avons inséré dans le glossaire que des mots français D'ailleurs les termes empruntés aux idiomes étrangers n'offrent pas ici de difficultés sérieuses, il faut toutefois excepter le vers: Contre fenoches et noxbuze (p. 361 et 390), dont le sens est assurément fort obscur. Nous avons hésité entre diverses interprétations qui, après un examen attentif, nous ont paru trop peu certaines; ajoutons que Sainte-Palaye a écrit à la marge du vers cité: Mots que je n'entens pas. Quelques Fautes se sont glissées dans notre édition; au rondel dialogué de la page 355, les noms des personnages Soussy et Cusur ont été transposés dans les quatre premiers vers. On a imprimé au premier vers de la page 1 au pour ou. Quoique le poète ait dit lui-même dans un de ses rondels: Au temps passé, il faut néanmoins signaler cette petite infidélité; tous les manuscrits portent ou. Nous avons fait nos efforts pour donner un texte pur et correct, et nous prions le lecteur de nous pardonner les fautes qui, malgré des soins assidus, ont pu nous échapper, soit dans la copie des manuscrits, soit dans l'impression du volume.

Retiré à Blois, Charles d'Orléans s'abandonna tout entier à ses goûts littéraires, et chaque jour voyait s'accroître le nombre infini de ses Poésies. Une promenade en bateau, la visite d'un parent, une partie de chasse, en un mot, les moindres accidents deviennent sous sa plume facile le sujet d'un rondel; de là aussi quelques passages du livre dont le sens nous échappe aujourd'hui. Jamais le front du poète ne fut plus serein, ni sa main plus ferme; nous recommandons au lecteur la ballade de la page 106 (Je cuide que ce sont nouvelles), et surtout celle de la page 112 (Ce que l'ueil despend en plaisir) où un certain Contentement de soi-même s'allie merveilleusement à une sensibilité qui n'a rien d'affecté. Le petit poème en ballades sur la Fortune (pages 113-116) offre aussi de grandes beautés, mais d'un ordre plus élevé. La ballade de la page 107 (N'a pas longtemps qu'escoutoye parler) est ravissante; l'auteur n'a peut-être jamais mieux fait. J'avoue qu'entre toutes les poésies de Charles d'Orléans, j'ai une préférence marquée pour celles de cette époque; le poète me semble ici avoir atteint toute la puissance et toute la maturité de son talent. Les majestueuses grandeurs de la nature viennent se refléter dans ses vers, et quelques-uns de ses rondels sur l'été aux tappis veluz57, sur l'hiver qui fuit58, sont des chefs-d'oeuvre déjà devenus populaires. Son humeur honnête et pacifique le Tenait éloigné des agitations; il enseignait sa petite académie, et c'est à peine si nous trouvons çà et là quelques anneaux qui le rattachent au mouvement politique de l'Europe. En 1442, Charles VII chargea le duc d'Orléans de conclure à Tours une trêve avec les Anglais; les deux premiers vers du rondel de la page 250 (Durant les trêves d'Angleterre) rappellent cette négociation. En 1447, Philippe Marie, duc de Milan, mourut sans laisser d'héritier, et Charles d'Orléans, comme fils de Valentine, réclama cette riche succession; aidé par le duc de Bourgogne, il leva une petite armée et en confia le commandement à Jean de Châlons. L'exécution fut de petit fruit, dit Olivier de la Marche. En effet, on sait que François Sforce, qui avait épousé une fille bâtarde du défunt, l'emporta sur ses rivaux et conquit le duché; après un voyage à Asti, Charles d'Orléans revînt à Blois. En 1458, il sortit de nouveau de sa retraite pour défendre Jean II, duc d'Alençon, son gendre et son collaborateur en rondels, accusé du crime de haute trahison59. Jean d'Alençon fut condamné à mort, mais le roi fit grâce.

Note 57: (retour) Page 422.
Note 58: (retour) Page 423.
Note 59: (retour) Ce discours prononcé par Charles d'Orléans; et que nous avons déjà cité page IX, a été conservé dans un manuscrit de là Bibliothèque du Roi (Fonds franc. n° 7357-4).

Quelques-unes des dernières poésies de Charles d'Orléans portent l'empreinte d'une décadence qu'on ne saurait dissimuler. Le poète a perdu par degré sa vive allure et ses fraîches inspirations; il rime toujours, mais son vers est décoloré, la sève des jeunes années a disparu, et sa plume se traîne péniblement sur des sujets peu propres à réveiller une muse épuisée; son imagination languit, s'éteint peu à peu et paraît comme affaissée sous le poids de je ne sais quelle douleur secrète; il dit tristement:

Le monde est ennuyé de moy

Et moy pareillement de luy60.

Et ailleurs:

Je ne voy rien qui ne m'annuye

Et ne scay chose qui me plaise61.

Note 60: (retour) Page 287.
Note 61: (retour) Page 377.

En 1462, la duchesse d'Orléans mit au monde un fils; mais ce bonheur domestique ne réjouit plus le poète, ni ses chants, qui portent la trace d'un sombre découragement et semblent annoncer une fin prochaine. En effet, Charles d'Orléans allait être entraîné une dernière fois sur la scène politique; le vieillard modeste, si plein de douceur et d'humanité, le poète plaintif, devait paraître, avant de mourir, en face de Louis XI.

Louis XI avait résolu de dépouiller le duc de Bretagne de son duché, et dans les états tenus à Tours, en 1464, Charles d'Orléans osa vanter les douceurs de la paix publique et faire au roi quelques timides remontrances que son grand âge eût dû lui faire pardonner. Louis XI, furieux, interrompit violemment ces humbles paroles et accabla l'orateur d'insultes et d'outrages. Le vieillard épouvanté s'enfuit de Tours précipitamment; arrivé à Amboise, il expira le 4 janvier 1465.

Quand on lit Christine de Pisan, Eustache Deschamps, Alain Chartier, Martin le Franc et leurs contemporains, on se demande où notre poète a puisé cette élocution facile, ce vers net, incisif et nerveux, ce sentiment exquis de l'harmonie et de la pureté du langage qu'on retrouve jusque dans ses poésies les plus négligées. Charles d'Orléans apparaît au premier âge de notre littérature dans tout l'éclat d'un génie original; il ne copie ni ne singe personne; c'est un homme toujours lui, qui ne pose jamais, et qui donne aux moindres idées, aux plus fugitifs détails, une forme admirable d'élégance et de distinction; rien de guindé, rien de prétentieux, ni de préparé à l'avance; on pourrait faire avec son livre son histoire de chaque jour; il dit toute chose, et s'embarrasse peu si on l'écoute; il écrit pour lui, comme un voyageur sur son album; maintenant choisissez ce qui vous plaît, vous trouverez partout l'homme simple et bon, imprégné d'un parfum aristocratique qui assouplit merveilleusement sa voix. Dans la jeunesse, il vous parlera de ses amours; dans la prison, de ses ennuis; dans le château, de ses pères, de sa philosophie songeuse. Ne lui demandez pas des souvenirs trop lointains, il vit au jour le jour, ne s'inquiétant, ni de la veille, ni du lendemain; c'est une nature insouciante, timide, un peu molle et qui ne retrouve réellement sa vivacité que dans le vers qui échappe à sa pensée. Né poète, la poésie a été l'occupation de toute sa vie; les ballades, les rondels qui tombaient chaque jour de sa plume sont devenus peu à peu, et peut-être sans qu'il s'en doutât, un véritable monument poétique dont l'influence s'est étendue au loin dans les siècles suivants. Mais pour achever cette esquisse trop imparfaite, appelons ici à notre aide l'imposante parole d'un de nos plus ingénieux écrivains: «Il y a dans Charles d'Orléans, dit M. Villemain, un bon goût d'aristocratie chevaleresque, et cette élégance de tour, cette fine plaisanterie sur soi-même, qui semble n'appartenir qu'à des époques très-cultivées. Il s'y mêle une rêverie aimable, quand le poète songe à la jeunesse qui fuit, au temps, à la vieillesse. C'est la philosophie badine et le tour gracieux de Voltaire dans ses stances à madame du Deffant.» Et ailleurs: «Le poète, parla douce émotion dont il était rempli, trouve de ces expressions qui n'ont point de date, et qui, étant toujours vraies, ne passent pas de la langue et de la mémoire d'un peuple. Sans doute, quelques empreintes de rouille se mêlent à ces beautés primitives; mais il n'est pas d'étude où l'on puisse mieux découvrir ce que l'idiome français, manié par un homme de génie, offrait déjà de créations heureuses62

Note 62: (retour) Tableau de la littérature au moyen âge, par M. Villemain, t. II, p. 228 et 234.

Le suc poétique, si je puis dire ainsi, exprimé par Charles d'Orléans, a été soigneusement recueilli par Villon et par Marot; le premier y a déposé sa franchise quelque peu cynique, et le second sa verve étincelante, son vers correct et les traditions des littératures grecques, et et latines qui renaissaient. Ces trois éléments combinés dominent toute la poésie du seizième siècle. Ainsi pour apprécier, sous tous ses aspects, le livre de Charles d'Orléans, il faudrait analyser ces trois individualités et montrer l'effet qu'elles durent produire confondues. Nous laissons ces questions de haute critique à une main plus habile; d'ailleurs nous avons dû renfermer cette notice dans les bornes restreintes et modestes d'une biographie littéraire; nous n'ajouterons plus qu'un mot. De graves historiens ont prétendu que le duc d'Orléans, prince du sang royal de France, était resté au dessous de sa mission; ils lui ont fait un crime d'avoir soutenu mollement le drapeau de la révolte et de la guerre civile, et ils lui reprochent ses vers, en quelque sorte, comme des lâchetés. Voilà, en vérité, de singulières accusations. Eh bien, sauf le respect que nous devons à ces historiens, je crois que si au lieu d'assassiner leurs parents, d'avilir une monarchie qu'ils devaient protéger, délivrer leur pays aux Anglais, Jean sans Peur, le comte de Saint-Pol et le connétable d'Armagnac avaient employé leur loisir à rimer des ballades dans leur château, je crois, dis-je, que nos pères de ce temps-là en eussent ressenti quelques bons effets. Historiens, rassure-vous, les chefs politiques ne manqueront jamais à vos récits; mais des poètes comme Charles d'Orléans, on n'en trouve qu'un dans une littérature; ainsi, pardonnez-lui ses poésies.

J. MARIE GUICHARD.




LISTE DES AUTEURS
NOMMÉS EN TÊTE DE QUELQUES-UNES DES POÉSIES
CONTENUES DANS CE VOLUME.

ALBRET (le cadet d'), 352, 356.
ALENÇON (Jean II, duc d'), 271.
BENOIT d'Amiens, 358, 359, 371, 390, 397, 418.
BLOSSEVILLE (le vicomte de), 385.
BOUCICAUT, 339, 340.
BOULAINVILLIERS (Philippe de), 209, 353.
BOURBON (Jean II, duc de), 235, 303, 309, 310, 334, 354, 383, 386, 391, 425.
BOURGOGNE (Philippe-le-Bon, duc de), 152, 154.
CADET (le), voy. Albret.
CADIER (Guillaume), 424.
CAILLAU (Jean), 104, 136, 278, 316, 380, 381.
CAILLAU (Simonnet), 138, 341, 370, 395, 413.
CHEVALIER (Pierre), 167.
CLERMONT (compte de), voy. Bourbon.
CUISE (Antoine de), 408, 409.
DALEBRET, voy. Albret.
FARET, 371.
FRAIGNE, 238, 389, 405, 406.
FREDET, 169, 176, 251, 279, 322, 325, 335, 341, 350.
GARENCIÈRES (Jean de Montenay, sire de), 142.
GEORGE, 337.
GILLES, 349.
GOUT (Étienne le), 269.
LORRAINE (Jean, duc de), 342, 344, 345, 346, 372, 415, 416.
LUSSAY (Antoine de), 348.
MARCHE (Olivier de la), 336.
MONTBRETON, 133.
NEVERS (Charles de Bourgogne, comte de), 243, 319.
ORLÉANS (Charles, duc d'), 103, 120, 121, 123, 141, 151, 153, 155, 158, 159, 166, 173, 234, 243, 244, 246, 248—250, 252, 260, 269, 271, 280, 311, 313, 320, 323, 334, 335, 336, 340—342, 346, 347, 350—352, 354—358, 360—368, 370, 372—389, 391—395, 397—405, 407, 409. 412—414, 417, 420, 423.
ORLÉANS (Marie de Clèves, duchesse d'), 321, 347.
OURMES (Gilles des), 137, 210, 349, 353, 396, 414.
POT (Guiet), 348, 349.
POT (Philippe), 348.
ROBERTET, 133, 424.
SECILE (René d'Anjou, roi de), 245, 248, 249, 250.
SÉNÉCHAL (le grand), 384, 405.
TIGNONVILLE, 360, 396.
TORSY (le seigneur de), 333.
TREMOILLE (Jacques, bâtard de la), 110, 351.
VAILLANT, 102, 337, 338.
VILLECRESME (Berthaud de), 135, 168, 387, 390.
VILLON (François), 130.
VOYS (Hugues le), 397, 400, 401.




POÉSIES DE CHARLES D'ORLÉANS

DE JEHAN DE LORRAINE, DE GILLES DES OURMES,
DU COMTE DE CLERMONT, DE SIMONNET ET DE JEHAN CAILLAU,
DE BERTHAULT DE VILLEBRESME, DE FREDET, ETC.



Au temps passé quant Nature me fist

En ce monde venir, elle me mist

Premierement tout en la gouvernance

D'une Dame qu'on appeloit Enfance;

En lui faisant estroit commandement

De me nourrir, et garder tendrement,

Sans point souffrir soing ou merencolie,

Aucunement me tenir compaignie;

Dont elle fist loyaument son devoir;

Remercier l'en doy pour dire voir.

En cest estat, par ung temps me nourry,

Et apres ce, quant je fu enforcy,

Ung messaigier qui Aage s'appella,

Une lectre de creance bailla

A Enfance, de par Dame Nature,

Et si lui dist que plus la nourriture

De moy n'auroit, et que Dame Jeunesse

Me nourriroit, et seroit ma maistresse;

Ainsi du tout Enfance delaissay,

Et avecques Jeunesse m'en alay.

Quant Jeunesse me tint en sa maison,

Ung peu avant la nouvelle saison,

En ma chambre s'en vint ung bien matin,

Et m'esveilla le jour saint Valentin,

En me disant: Tu dors trop longuement,

Esveille toy, et aprestes briefment,

Car je te vueil avecques moy mener

Vers ung seigneur dont te fault acointer,

Lequel me tient sa servante tres chiere;

Il nous fera, sans faillir, bonne chiere.

Je respondy: Maistresse gracieuse,

De lye cueur et voulenté joyeuse,

Vostre vouloir suy content d'acomplir;

Mais humblement je vous vueil requerir

Qu'il vous plaise le nom de moy nommer

De ce seigneur dont je vous oy parler,

Car s'ainsi est que sienne vous tenez,

Sien estre vueil, se le me commandez;

Et en tous faiz vous savez que desire

Vous ensuir, sans en riens contredire.

Puis qu'ainsy est, dist elle, mon enfant,

Que de savoir son nom desirez tant,

Saichiez de vray que c'est le Dieu d'amours

Que j'ay servy, et serviray tousjours,

Car de pieca suy de sa retenue,

Et de ses gens, et de lui bien congneue,

Oncques ne vis maison, jour de ta vie,

De plaisans gens si largement remplie;

Je te feray avoir d'eulx acointance,

Là trouverons de tous biens habondance.

Du Dieu d'amours quand parler je l'oy.

Aucunement me trouvay esbahy;

Pour ce lui dis: Maistresse, je vous prie

Pour le present que je n'y voise mie,

Car j'ay oy à plusieurs raconter

Les maulx qu'Amour leur a fait endurer,

En son dangier bouter ne m'oseroye,

Car ses tourmens endurer ne pourroye;

Trop jeune suy pour porter si grant fais,

Il vaulx trop mieulx que je me tiengne en pais.


Fy, dist elle, par Dieu tu ne vaulx riens;

Tu ne congnois l'onneur et les grans biens

Que peus avoir, se tu es amoureux,

Tu as oy parler les maleureux,

Non pas amans qui congnoissent qu'est joye;

Car raconter au long ne te sauroye

Les biens qu'Amour scet aux siens departir;

Essaye les, puis tu pourras choisir

Se tu les veulx ou avoir ou laissier;

Contre vouloir nul n'est contraint d'amer.

Bien me revint son gracieux langaige,

Et tost muay mon propos et couraige,

Quant j'entendy que nul ne contraindroit

Mon cueur d'amer fors ainsy qu'il vouldroit;

Si luy ay dit: Se vous me promectez,

Ma Maistresse, que point n'obligerez

Mon cueur, ne moy, contre nostre plaisir,

Pour ceste fois je vous vueil obeir,

Et à present vous suivray ceste voye,

Je prie à Dieu qu'à honneur m'y convoye.

Ne te doubles, se dist elle, de moy,

Je te prometz et jure par ma foy

Par moy ton cueur ja forcé ne sera,

Mais garde soy qui garder se pourra,

Car je pense que ja n'aura povoir

De se garder, mais changera vouloir;

Quant Plaisance lui monstrera à l'ueil

Gente beaulté plaine de doulx acueil,

Jeune, saichant, et de maniere lye,

Et de tous biens à droit souhait garnie.

Sans plus parler, sailli hors de mon lit,

Quant promis m'eust ce que devant est dit,

Et m'aprestay le plus joliement

Que peu faire, par son commandement:

Car jeunes gens qui desirent honneur,

Quant veoir vont aucun royal Seigneur,

Ilz se doivent mectre de leur puissance

En bon arroy, car cela les avance;

Et si les fait estre prisiez des gens,

Quant on les voit netz, gracieux et gens.

Tantost apres tous deux nous en alasmes,

Et si longtemps ensemble cheminasmes

Que venismes au plus pres d'un manoir

Trop bel assis, et plaisant à veoir;

Lors Jeunesse me dist: Cy est la place

Où Amour tient sa court et se soulace,

Que t'en semble, n'est elle pas tres belle?

Je respondy: Oncques mais ne vy telle.

Ainsi parlans aprouchasmes la porte,

Qui à veoir fut tres plaisant et forte.

Lors Jeunesse si hucha le portier,

Et lui a dit: J'ay cy ung estrangier,

Avecques moy entrer nous fault leans;

On l'appelle CHARLES DUC D'ORLÉANS.

Sans nul delay le portier nous ouvry,

Dedens nous mist, et puis nous respondy:

Tous deux estes ceans les bien venuz;

Aler m'en vueil, s'il vous plaist, vers Venus

Et Cupido, si leur raconteray

Qu'estes venuz, et ceans mis vous ay.

Le portier fu appellé compaignie

Qui nous receu de maniere si lye,

De nous party, à Amour s'en ala:

Briefment apres devers nous retourna,

Et amena Bel-acueil et Plaisance

Qui de l'ostel avoient l'ordonnance;

Lors quant de nous approucher je les vy,

Couleur changay, et de cueur tressailly.

Jeunesse dist: De riens ne t'esbahys,

Soyes courtois et en faiz et en dys.

Jeunesse tost se tira devers eulx,

Apres elle m'en alay tout honteulx,

Car jeunes gens perdent tost contenance

Quant en lieu sont où n'ont point d'acointance;

Si lui ont dit: «Bien soyez vous venue;

Puis par la main l'ont liement tenue;

Elle leur dit: «De cueur vous en mercy;

J'ay amené céans cest enfant cy,

Pour lui monstrer le tres loyal estat

Du Dieu d'amours, et son joyeulx esbat.

Vers moy vindrent me prenant par la main,

Et me dirent: «Nostre Roy souverain

Le Dieu d'amours vous prie que venez

Par devers lui, et bien venu serez.

Je respondy humblement: «Je mercie

Amour et vous de vostre courtoisie:

De bon vouloir iray par devers lui,

Pour ce je suis venu cy aujourdui,

Car Jeunesse m'a dit que le verray

En son estat et gracieux array.

Bel-acueil print Jeunesse par le bras,

Et Plaisance si ne m'oublia pas,

Mais me pria qu'avec elle venisse,

Et tout le jour pres d'elle me tenisse;

Si alasmes en ce point jusqu'au lieu

Là où estoit des amoureux le Dieu.

Entour de lui son peuple s'esbatoit,

Dancant, chantant, et maint esbat faisoit;

Tous à genoulz nous meismes humblement,

Et Jeunesse parla premierement;

Disant, «Tres haut et noble puissant Prince,

A qui subgiet est chascune province,

Et que je doy servir et honnourer,

De mon povoir je vous viens presenter

Ce jeune filz qui en moy a fiance,

Qui est sailly de la maison de France,

Creu ou jardin semé de fleurs de lys,

Combien que j'ay loyaument lui promis

Qu'en riens qui soit je ne le lyeray,

Mais à son gré son cueur gouverneray.

Amour repont, «Il est le bien venu,

Ou temps passé j'ay son pere congneu,

Plusieurs autres aussi de son lignaige

Ont mainteffoiz esté en mon servaige,

Parquoy tenu suy plus de lui bien faire,

S'il veult apres son lignaige retraire;

Vien ça, dist il, mon filz, que pense tu?

Fu tu oncques de ma darde feru;

Je croy que non, Car ainsi le me semble;

Vien pres de moy, si parlerons ensemble.

De cueur tremblant pres de lui m'aprouchay,

Si lui ay dit: «Sire, quant j'accorday

A Jeunesse de venir devers vous,

Elle me dist que vous estiez sur tous

Si tres courtois que chascun desiroit

De vous hanter, qui bien vous congnoissoit;

Je vous supply que je vous trouve tel,

Estrangier suy venu en votre hostel,

Honte seroit à vostre grant noblesse

Se fait m'estoit ceans mal ou rudesse.

Par moy contraint, dist Amour, ne seras,

Mais de ceans jamais ne partiras

Que ne soies es las amoureux pris:

Je m'en fais fort, se bien l'ay entrepris:

Souvent Mercy me vendras demander,

Et humblement ton fait recommander,

Mais lors sera ma grace de toy loing;

Car à bon droit le fauldray au besoing,

Et si feray vers toy le dangereux,

Comme tu fais d'estre vray amoureux.

Venez avant, dist il, plaisant Beaulté,

Je vous requier que sur la loyaulté

Que me devez, le venez assaillir,

Ne le laissiez reposer ne dormir,

Ne nuit, ne jour, s'il ne me fait hommaige,

Aprivoisiez ce compaignon sauvaige;

Ou temps passé vous conqueistes Sampson

Le fort, aussi le saige Salmon.

Se cest enfant surmonter ne savez,

Vostre renom du tout perdu avez.

Beaulté lors vint, de costé moy s'assist,

Ung peu se teut, puis doulcement m'a dist:

Amy, certes, je me donne merveille

Que tu ne veulx pas que l'en te conseille;

Au fort saiches que tu ne peuz choisir,

Il te convient à Amour obeir;

Mes yeulx prindrent fort à la regarder,

Plus longuement ne les en peu garder;

Quant Beaulté vit que je la regardoye,

Tost par mes yeulx ung dard au cueur m'envoye.

Quand dedens fu, mon cueur vint esveiller,

Et tellement le print à catoillier

Que je senty que trop rioit de joye;

Il me despleut qu'en ce point le sentoye;

Si commençay mes yeulx fort à tenser,

Et envoyay vers mon cueur ung penser,

En lui priant qu'il gectast hors ce dard;

Helas! helas! j'y envoyay trop tart,

Car quant Penser arriva vers mon cueur,

Il le trouva ja pasmé de doulceur.

Quant je le sceu, je dis par desconfort,

Je hé ma vie, et desire ma mort,

Je hé mes yeulx, car par eulx suis deceu,

Je hé mon cueur qu'ay nicement perdu,

Je hé ce dard qui ainsi mon cueur blesse,

Venez avant, partuez moy, Destresse,

Car mieulx me vault tout à ung cop morir

Que longuement en desaise languir;

Je congnois bien, mon cueur est pris es las

Du Dieu d'amours, par vous Beaulté, helas!

Adonc je cheu aux piez d'Amour malade,

Et semblay mort, tant euz la coleur fade:

Il m'apperceu, si commenca à rire

Disant: «Enfant, tu as besoing d'un mire;

Il semble bien par ta face palie

Que tu seuffres tres dure maladie;

Je cuidoye que tu fusses si fort

Qu'il ne fust riens qui te peust faire tort,

Et maintenant, ainsi soudainement,

Tu es vaincu par Beaulté seulement.

Où est ton cueur pour le present alé

Ton grant orgueil est bientost ravalé;

Il m'est advis tu deusses avoir honte

Si de legier, quant Beaulté te surmonte,

Et à mes piez t'a abatu à terre;

Revenge toy, se tu vaulx riens pour guerre,

Ou à elle il vault mieulx de toy rendre,

Se tu ne scez autrement te deffendre,

Car de deux maulx, puisque tu peuz eslire,

C'est le meilleur que preignes le moins pire.

Ainsi de moy fort Amour se mocquoit,

Mais non pourtant de ce ne me challoit,

Car de douleur je estoye si enclos

Que je ne tins compte de tous ses mos:

Quant Jeunesse vit que point ne parloye,

Car tout advis et sens perdu avoye,

Pour moy parla, et au Dieu d'amours dist:

Sire, vueillez qu'il ait aucun respit:

Amour respont: «Jamais respit n'aura

Jusques à tant que rendu se sera.»

Beaulté mist lors en son giron ma teste,

Et si m'a dit: «De main mise t'arreste,

Rens toy à moy, et tu feras que saige,

Et à Amour va faire ton hommaige;

Je respondy: «Ma Dame, je le vueil,

Je me soubzmetz du tout à vostre vueil;

Au Dieu d'amours et à vous je me rens,

Mon povre cueur à mort feru je sens,

Vueillez avoir pitié de ma tristesse,

Jeune, gente, nompareille Princesse.

Quant je me fu ainsi rendu à elle:

Je maintendray, dist elle, ta querelle

Envers Amour, et tant pourchasseray

Qu'en sa grace recevoir te feray;

A brief parler, et sans faire long compte,

Au Dieu d'amours mon fait au vray raconte,

Et lui a dit, «Sire, je l'ay conquis,

Il s'est à vous, et à moi tout soubzmis,

Vueillez avoir de sa douleur mercy,

Puisque vostre se tient, et mien aussy;

S'il a meffait vers vous, il s'en repent,

Et se soubzmet en vostre jugement;

Puisqu'il se veult à vous abandonner,

Legierement lui devez pardonner;

Chascun seigneur qui est plain de noblesse

Doit departir mercy à grant largesse;

De vous servir sera plus obligié,

Se franchement son mal est allegié;

Et si mectra paine de desservir

Voz grans biensfaiz, par loyaument servir.

Amour respont: Beaulté, si saigement

Avez parlé, et raisonnablement,

Que pardonner lui vueil la malvueillance

Qu'ay eu vers lui, car par oultrecuidance

Me courrouça quant, comme foul et nice,

Il refusa d'entrer en mon service;

Faictes de lui ainsi que vous vouldrez,

Content me tiens de ce que vous ferez,

Tout le soubzmetz à vostre voulenté,

Sauve, sans plus, ma souveraineté.

Beaulté respont: Sire, c'est bien raison

Par dessus tous et sans comparaison,

Que pour seigneur et souverain vous tiengne,

Et ligement vostre subgiet deviengne;

Premierement devant vous jurera

Que loyaument de cueur vous servira,

Sans espargnier, soit de jours ou de nuis,

Paine, soucy, dueil, courroux ou ennuis,

Et souffrera, sans point se repentir,

Les maulx qu'amans ont souvent à souffrir.

Il jurera aussi secondement

Qu'en ung seul lieu amera fermement,

Sans point querir ou desirer le change,

Car sans faillir ce seroit trop estrange

Que bien servir peust ung cueur en mains lieux,

Combien qu'aucuns cueurs ne demandent mieulx

Que de servir du tout à la volée,

Et qu'ilz ayent d'amer la renommée,

Mais au derrain ilz s'en trouvent punis

Par Loyaulté dont ils sont ennemis.

En oultre plus promectra tiercement

Que voz conseulx tendra secretement,

Et gardera de mal parler sa bouche.

Noble Prince, ce point cy fort vous touche,

Car mains amans, par leurs nices parolles,

Par sotz regars et contenances folles,

Ont fait parler souvent les mesdisans,

Par quoy grevez ont esté voz servans,

Et ont receu souventeffoiz grant perte

Contre raison, et sans nulle desserte.

Avecques ce, il vous fera serment

Que s'il recoit aucun avancement

En vous servant, qu'il n'en fera ventance;

Cestui meffait dessert trop grant vengance,

Car quant Dames veulent avoir pitié

De leurs servans, leur monstrant amitié,

Et de bon cueur aucun reconfort donnent,

En ce faisant leurs honneurs abandonnent,

Soubz fiance de trouver leurs amans

Secrez, ainsi qu'en font les convenans.

Ces quatre points qu'ay cy devant nommez

A tous amans doivent estre gardez,

Qui à honneur et avancement tirent

Et leurs amours à fin mener désirent:

Six autres points aussi accordera,

Mais par serment point ne les promectra,

Car nul amant estre contraint ne doit

De les garder, se son prouffit n'y voit;

Mais se faire veult, apres bon conseil,

A les garder doit mectre son traveil.

Le premier est qu'il se tiengne jolis,

Car les dames le tiennent à grant pris;

Le second est que tres courtoisement

Soy maintendra, et gracieusement;

Le tiers point est que, selon sa puissance,

Querra honneur et poursuivra vaillance;

Le quatriesme qu'il soit plain de largesse,

Car c'est chose qui avance noblesse;

Le cinquiesme qu'il suivra compaignie,

Amant honneur, et fuiant villenie.

Le sixiesme point et le derrenier

Est qu'il sera diligent escollier,

En aprenant tous les gracieux tours,

A son povoir, qui servent en amours,

C'est assavoir à chanter, à dancer,

Faire chancons, et balades rimer,

Et tous autres joyeulx esbatemens.

Ce sont icy les dix commandemens,

Vray Dieu d'amours, que je ferai jurer

A cest enfant, s'il vous plaist l'appeller.

Lors m'appella, et me fist les mains mectre

Sur ung livre en me faisant promectre

Que feroye loyaument mon devoir

Des poins d'amours garder, à mon povoir;

Ce que je fis de bon vueil lyement;

Adonc Amour a fait commandement

A Bonnefoy d'Amours chief secretaire

De ma lectre de Retenue faire;

Quant faicte fut, Loyaulté la scella

Du scel d'Amours et la me délivra.

Ainsi Amour me mist en son servaige,

Mais pour seurté retint mon cueur en gaige,

Pourquoy lui dis que vivre ne pourroye

En cest estat, s'un autre cueur n'avoye.

Il respondit: Espoir mon medicin

Te gardera de mort soir et matin,

Jusques à tant qu'auras en lieu du tien

Le cueur d'une qui te tendra pour sien,

Gardes tousjours ce que t'ay commandé,

Et je t'auray pour bien recommandé.



COPIE DE LA LECTRE DE RETENUE.


Dieu Cupido, et Venus la Deesse,

Ayans povoir sur mondaine liesse,

Salus de cueur par nostre grant humblesse,

A tous amans

Scavoir faisons que le DUC D'ORLÉANS

Nommé CHARLES à présent jeune d'ans,

Nous retenons pour l'ung de noz servans

Par ces presentes,

Et lui avons assigné sur noz rentes

Sa pension en joyeuses actentes

Pour en joir par noz lectres patentes

Tant que vouldrons,

En esperant que nous le trouverons

Loyal vers nous, ainsi que fait avons

Ses devanciers dont contens nous tenons

Tres grandement.

Pour ce donnons estroit commandement

Aux officiers de nostre Parlement

Qu'ilz le traictent et aident doulcement

En tout affaire,

A son besoing, sans venir au contraire;

Si chier qu'ilz ont nous obeir et plaire,

Et qu'ilz doubtent envers nous de forfaire

En corps et biens,

Le soustenant, sans y epargnier riens,

Contre Dangier avecques tous les siens,

Malle bouche plaine de faulx maintiens,

Et jalousie;

Car chascun d'eulx de grever estudie

Les vraiz subgietz de nostre Seigneurie,

Dont il est l'un, et sera à sa vie,

Car son serment

De nous servir devant tout ligement

Avons receu, et pour plus fermement,

Nous asseurer qu'il fera loyaument

Entier devoir,

Avons voulu en gaige recevoir

Le cueur de lui, lequel, de bon vouloir,

A tout soubzmis en noz mains et povoir;

Pourquoy tenus

Sommes à luy par ce de plus en plus,

Si ne seront pas ses biensfaiz perdus,

Ne ses travaulx pour neant despendus;

Mais pour monstrer

A toutes gens bon exemple d'amer,

Nous le voulons richement guerdonner,

Et de noz biens, à largesse donner,

Tesmoing nos seaulx

Cy actachiez, devant tous nos feaulx,

Gens de conseil, et serviteurs loyaulx

Venus vers nous par mandemens royaulx,

Pour nous servir.

Donné le jour saint Valentin martir,

En la cité de gracieux desir,

Où avons fait nostre conseil tenir.

LE DESSOUBZ DE LA RETENUE

Par Cupido et Venus souverains,

A ce presens plusieurs plaisirs mondains.



BALADE.

Belle, bonne, nompareille plaisant,

Je vous suppli vueilliez me pardonner

Se moy qui sui vostre grace actendant,

Viens devers vous pour mon fait raconter,

Plus longuement je ne le puis celer

Qu'il ne faille que saichiez ma destresse,

Comme celle qui me peut conforter,

Car je vous tiens pour ma seule maistresse.

Se cy à plain vous vois mes maulx disant,

Force d'amours me fait ainsi parler;

Car je devins vostre loyal servant,

Le premier jour que je peuz regarder

La grant beaulté que vous avez sans per,

Qui me feroit avoir toute liesse,

Se serviteur vous plaisoit me nommer;

Car je vous tiens pour ma seule maistresse.

Que me donnez en octroy don si grant,

Je ne l'ose dire, ne demander;

Mais s'il vous plaist que, de cy en avant,

En vous servant puisse ma vie user,

Je vous supply que sans me refuser

Vueillez souffrir qu'y mecte ma jeunesse,

Nul autre bien je ne vueil souhaidier,

Car je vous tiens pour ma seule maistresse.



BALADE.

Vueilliez voz yeulx emprisonner,

Et sur moy plus ne les gectez;

Car quant vous plaist me regarder,

Par Dieu, Belle, vous me tuez;

Et en tel point mon cueur mectez

Que je ne scay que faire doye;

Je suis mort se vous ne m'aidez,

Ma seule souveraine joye,

Je ne vous ose demander

Que vostre cueur vous me donnez,

Mais, se droit me voulez garder

Puisque le cueur de moy avez,

Le vostre fault que me laissiez;

Car sans cueur vivre ne pourroye;

Faictes en, comme vous vouldrez,

Ma seule souveraine joye.

Trop hardy suis d'ainsi parler,

Mais, pardonner le me devez

Et n'en devez autruy blasmer,

Que le gent corps que vous portez

Qui m'a mis, comme vous veez,

Si fort en l'amoureuse voye,

Qu'en vostre prison me tenez,

Ma seule souveraine joye.

L'ENVOY.

Ma Dame, plus que ne savez,

Amour, si tres fort me guerroye,

Qu'à vous me rens, or me prenez,

Ma seule souveraine joye.



BALADE.

C'est grand peril de regarder

Chose dont peut venir la mort,

Combien qu'on ne s'en scet garder

Aucunes foiz, soit droit ou tort,

Quant plaisance si est d'accord

Avecques ung jeune desir,

Nul ne pourroit son coeur tenir

D'envoyer les yeulx en messaige;

On le voit souvent avenir,

Aussi bien au fol comme au saige.

Lesquelz yeulx viennent raporter

Ung si tres gracieulx raport

Au cueur, quant le veult escouter,

Que s'il a eu d'amer l'effort,

Encores l'aura il plus fort;

Et le font du tout retenir

Ou service, sans departir

D'amours, à son tres grant dommaige

On le voit souvent avenir,

Aussi bien au fol comme au saige.

Car mains maulx lui fault endurer,

Et de soussy passer le port,

Avant qu'il puisse recouvrer

L'acointance de Reconfort,

Qui plusieurs foiz au besoing dort,

Quant on se veult de lui servir;

Et lors il est plus que martir;

Car son mal vault trop pis que raige,

On le voit souvent avenir,

Aussi bien au fol comme au saige.

L'ENVOY.

Amour, ne prenez desplaisir

S'ay dit le mal que fault souffrir,

Demourant en vostre servaige;

On le voit souvent avenir,

Aussi bien au fol comme au saige.



BALADE.

Comment se peut ung povre cueur deffendre,

Quand deux beaulx yeulx le viennent assaillir;

Le cueur est seul, desarmé, nu et tendre,

Et les yeulx sont bien armez de plaisirs;

Contre tous deux ne pourroit pié tenir.

Amour aussi est de leur aliance,

Nul ne tendroit contre telle puissance.

Il lui convient ou mourir ou se rendre,

Trop grant honte lui seroit de fuir;

Plus baudement les oseroit actendre,

S'il eust pavais dont il se peust couvrir;

Mais point n'en a, si lui vault mieux souffrir,

Et se mectre tout en leur gouvernance,

Nul ne tendroit contre telle puissance.

Qu'il soit ainsi bien me le fist aprendre

Ma maistresse, mon souverain desir,

Quand il lui pleut ja pieca entreprendre

De me vouloir de ses doulx yeulx ferir;

Oncques depuis mon cueur ne peut guerir,

Car lors fut il desconfit à oultrance;

Nul ne tendroit contre telle puissance.



BALADE.

Espargniez vostre doulx actrait,

Et vostre gracieux parler,

Car Dieu scet les maulx qu'ilz ont fait

A mon povre cueur endurer;

Puisque ne voulez m'acorder

Ce qui pourroit mes maulx guerir,

Laissiez moy passer ma meschance,

Sans plus me vouloir assaillir

Par vostre plaisant acointance.

Vers Amours faictes grant forfait,

Je l'ose pour vray advouer;

Quant me ferez d'amoureux trait,

Et ne me voulez conforter,

Je croy que me voulez tuer.

Pleust à Dieu que peussiez sentir

Une foiz la dure grevance

Que m'avez fait longtemps souffrir

Par vostre plaisant acointance.

Helas! que vous ay je meffait

Par quoy me doyez tourmenter;

Quant mon cueur d'amer se retrait,

Tantost le venez rappeller;

Plaise vous en paix le laissier,

Ou lui acorder son desir;

Honte vous est, non pas vaillance,

D'un loyal cueur ainsi meurdrir

Par vostre plaisant acointance.



BALADE.

N'a pas longtemps qu'alay parler

A mon cueur tout secretement,

Et lui conseillay de s'oster

Hors de l'amoureux pensement;

Mais me dist bien fellement:

Ne m'en parlez plus, je vous prie;

J'ameray tousjours, se m'aist Dieux,

Car j'ay la plus belle choisie,

Ainsi m'ont raporté mes yeulx.

Lors dis: Vueilliez me pardonner,

Car je vous jure mon serement

Que conseil vous cuide donner,

A mon povoir, tres loyaument;

Voulez vous sans allegement

En douleur finer vostre vie?

Nennil dya, dist il, j'auray mieulx;

Ma Dame m'a fait chiere lie,

Ainsi m'ont raporté mes yeulx.

Cuidez vous scavoir sans doubter

Par ung regart tant seulement,

Se, dis je, du tout son penser

Ou par ung doulx acointement.

Taisiez vous, dist il, vrayement

Je ne croiray chose qu'on die;

Mais la serviray en tous lieux,

Car de tous biens est enrichie,

Ainsi m'ont raporté mes yeulx.



BALADE.

De jamais n'amer par amours

J'ay aucune foiz le vouloir,

Pour les ennuieuses dolours

Qu'il me fault souvent recevoir,

Mais en la fin, pour dire voir,

Quelque mal que doye porter,

Je vous asseure par ma foy,

Que je n'en sauroye garder

Mon cueur qui est maistre de moy.

Combien qu'ay eu d'estranges tours,

Mais j'ai tout mis à nonchaloir,

Pensant de recouvrer secours

De Confort ou d'ung doulx espoir:

Hélas! se j'eusse le povoir

D'aucunement hors m'en bouter,

Par le serement qu'à Amours doy,

Jamais n'y lairroye rentrer

Mon cueur qui est maistre de moy.

Car je scay bien que par doulcours

Amour le scet si bien avoir,

Qu'il vouldroit ainsi tous les jours

Demourer sans ja s'en mouvoir;

Nil ne veult oir ne savoir

Le mal qu'il me fait endurer,

Plaisance l'a mis en ce ploy,

Elle fait mal de le m'oster

Mon cueur qui est maistre de moy.

L'ENVOY.

Il me desplaist d'en tant parler,

Mais, par le Dieu en qui je croy,

Ce fait desir de recouvrer

Mon cueur qui est maistre de moy.



BALADE.

Quand je suis couchié en mon lit,

Je ne puis en paix reposer;

Car toute la nuit mon cueur lit

Ou rommant de plaisant penser,

Et me prie de l'escouter;

Si ne l'ose desobeir,

Pour dobte de le courroucier,

Ainsi je laisse le dormir.

Ce livre si est tout escript

Des faiz de ma Dame sans per;

Souvent mon cueur de joye rit,

Quand il les list ou oyt compter;

Car certes tant sont à louer,

Qu'il y prent souverain plaisir,

Moy mesmes ne m'en puis lasser,

Ainsi je laisse le dormir.

Se mes yeux demandent respit

Par sommeil qui les vient grever,

Il les tense par grant despit,

Et si ne les peut surmonter;

Il ne cesse de souspirer

A part soy; j'ay lors, sans mentir,

Grant paine de le rapaisier,

Ainsi je laisse le dormir.

L'ENVOY.

Amour, je ne puis gouverner

Mon cueur; car tant vous veult servir

Qu'il ne scet jour ne nuit cesser,

Ainsi je laisse le dormir.



BALADE.

Fresche beaulté tres riche de jeunesse,

Riant regart trait amoureusement,

Plaisant parler gouverné par sagesse,

Port femenin en corps bien fait et gent,

Haultain maintien demené doulcement,

Acueil humble plain de maniere lie,

Sans nul dangier bonne chiere faisant,

Et de chascun pris et los emportant;

De ces grans biens est ma Dame garnie.

Tant bien lui siet à la noble Princesse

Chanter, dancer et tout esbatement,

Qu'on la nomme de ce faire maistresse,

Elle fait tout si gracieusement,

Que nul n'y scet trouver amendement:

L'escolle peut tenir de courtoisie,

En la voyant aprent qui est saichant,

Et en ses faiz qui va garde prenant,

De ces grans biens est ma Dame garnie.

Bonté, Honneur, avecques Gentillesse

Tiennent son cueur en leur gouvernement,

Et Loyaulté nuit et jour ne la laisse;

Nature mist tout son entendement

A la fourmer, et faire proprement;

De point en point, c'est la mieux accomplie

Qui aujourdui soit ou monde vivant,

Je ne dy riens que tous ne vont disant;

De ces grans biens est ma Dame garnie.

Elle semble mieulx que femme Deesse,

Si croy que Dieu l'envoya seulement

En ce monde, pour monstrer la largesse

De ces haults dons qu'il a entierement

En elle mis abandonnement.

Elle n'a per, plus ne scay que je dye,

Pour fol me tiens de l'aler devisant,

Car moy ne nul n'est à ce souffisant,

De ces grans biens est ma Dame garnie.

S'il est aucun qui soit prins de tristesse

Voise voir son doulx maintenement,

Je me fais fort que le mal qui le blesse

Le laissera pour lors soudainement,

Et en oubly sera mis plainement;

C'est Paradis que de sa compaignie,

A tous complaist, à nul n'est ennuyant,

Qui plus la voit plus en est désirant,

De ces grans biens est ma Dame garnie.

L'ENVOY.

Toutes dames qui oyez cy comment

Prise celle que j'ayme loyaument,

Ne m'en saichiez maugré, je vous en prie;

Je ne parle pas en vous desprisant,

Mais comme sien je dy en m'acquittant:

De ces grans biens est ma Dame garnie.



BALADE.

A ma Dame je ne scay que je dye,

Ne par quel bout je doye commencer,

Pour vous mander la doloreuse vie

Qu'Amour me fait chascun jour endurer;

Trop mieulx vaulsist me taire que parler,

Car prouffiter ne me pevent mes plains,

Ne je ne puis guerison recouvrer,

Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains.

Quanque je voy me desplaist et ennuye,

Et n'en ose contenance monstrer,

Mais ma bouche fait semblant qu'elle rie,

Quant mainteffoiz je sens mon cueur plourer.

Au fort, martir on me devra nommer,

Se Dieu d'amours fait nulz amoureux Saints,

Car j'ay des maulx plus que ne scay compter,

Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains.


Et non pourtant humblement vous mercie,

Car par escript vous a pleu me donner

Ung doulx confort que j'ay à chiere lie

Receu de cueur, et de joyeulx penser,

Vous suppliant que ne vueilliez changier,

Car en vous sont tous mes plaisirs mondains

Desquelz me fault à present deporter,

Puisqu'ainsi est que de vous suis loingtains.



BALADE.

Loingtain de vous, ma tres belle maistresse,

Fors que de cueur que laissié je vous ay,

A compaignie de Deuil et de Tristesse,

Jusques à tant que reconfort auray

D'un doulx plaisir, quant reveoir pourray

Vostre gent corps, plaisant et gracieux;

Car lors lairray tous mes maulx ennuyeux

Et trouveray, se m'a dit Esperance,

Par le pourchas du regard de mes yeulx

Autant de bien que j'ay de desplaisance

Car s'oncques nul sceut que c'est de destresse,

Je pense bien que j'en ay fait l'essay;

Si tres avant et à telle largesse

Qu'en dueil pareil nulluy de moy ne scay;

Mais ne m'en chault; certes j'endureray

Au desplaisir des jaloux envieux,

Et me tendray par semblance joyeulx,

Car quand je suy en greveuse penance,

Ilz recoyvent, que mal jour leur doint Dieux,

Autant de bien que j'ay de desplaisance.

Tout prens en gré jeune, gente Princesse,

Mais qu'en saichiez tant seulement le vray,

En actendant le gueredon de Liesse

Qu'à mon povoir vers vous desserviray;

Car le conseil de Loyaulté feray,

Que garderay pres de moy en tous lieux,

Vostre tousjours soye, jeunes ou vieulx,

Priant, a Dieu ma seule desirance,

Qu'il vous envoit, savoir ne povez mieulx,

Autant de bien que j'ay que desplaisance.



BALADE.

Puisqu'ainsi est que loingtain de vous suis,

Ma Maistresse, dont Dieu scet s'il m'ennuye,

Si chierement vous requier que je puis,

Qu'il vous plaise de vostre courtoisie,

Quant vous estes seule sans compaignie,

Me souhaidier ung baisier amoureux

Venant du cueur et de pensée lie,

Pour alegier mes griefz maulx doloureux.

Quant en mon lit doy reposer de nuis,

Penser m'assault, et Désir me guerrye;

Et en pensant mainteffoiz m'est advis

Que je vous tiens entre mes bras, m'amye;

Lors accolle mon oreillier, et crie:

Mercy Amours, faictes moy si eureux,

Qu'avenir puist mon penser en ma vie,

Pour alegier mes griefz maulx doloureux.

Espoir m'a dit et par sa foy promis

Qu'il m'aidera, et que ne m'en soussie;

Mais tant y met qu'un an me semble dix,

Et non pourtant, soit ou sens ou folie,

Je m'y actens, et en lui je m'afie

Qu'il fera tant que Dangier le crueux

N'aura briefment plus sur moy seigneurie,

Pour alegier mes griefz maulx doloureux.

L'ENVOY.

A Loyaulté de plus en plus m'alye,

Et à Amours humblement je supplie

Que de mon fait vueillent estre piteux,

En me donnant de mes vouloirs partie,

Pour alegier mes griefz maulx doloureux.



BALADE.

Pourtant se souvent ne vous voy,

Pensez vous plus que vostre soye;

Par le serement que je vous doy,

Si suis autant que je souloye;

N'il n'est ne plaisance, ne joye,

N'autre bien qu'on rac puist donner,

Je le vous prometz loyaument,

Qui me puist ce vouloir oster

Fors que la mort tant seulement.

Vous savez que je vous feis foy

Pieca de tout ce que j'avoye,

Et vous laissay, en lieu de moy,

Le gaige que plus chier j'amoye;

C'estoit mon cueur que j'ordonnoye

Pour avecques vous demourer,

A qui je suis entierement;

Nul ne m'en pourroit destourber

Fors que la mort tant seulement.

Combien certes que je recoy

Tel mal que, se le vous disoye,

Vous auriez, comme je croy,

Pitié du mal qui me guerroye;

Car de tout dueil suis en la voye,

Vous le povez assez penser,

Et ay esté si longuement,

Que je ne doy riens desirer

Fors que la mort tant seulement.

L'ENVOY.

Belle que tant veoir vouldroye,

Je prie à Dieu que brief vous voye;

Ou s'il ne le veult accorder,

Je lui supply tres humblement

Que riens ne me vueille donner

Fors que la mort tant seulement.



BALADE.

Quelles nouvelles, ma Maistresse,

Comment se portent noz amours?

De ma part je vous fais promesse

Qu'en ung propos me tiens tousjours,

Sans jamais penser le rebours;

C'est que seray toute ma vie

Vostre du tout entierement,

Et pour ce de vostre partie

Acquittez vous pareillement.

Combien que Dangier et Destresse

Ont fait longuement leurs sejours

Avec mon cueur, et par rudesse

Lui ont monstré d'estranges tours,

Helas! en amoureuses cours,

C'est pitié qu'ilz ont seigneurie;

Si mectray paine que briefment

Loyaulté sur eulx ait maistrie,

Acquittez vous pareillement.

Quoyque la nue de Tristesse

Par ung longtemps ait fait son cours;

Apres le beau temps de Liesse

Vendra qui donnera secours

A noz deux cueurs, car mon recours

J'ay en espoir, en qui me fie,

Et en vous, Belle, seulement,

Car jamais je ne vous oublie;

Acquittez vous pareillement.

L'ENVOY.

Soyez seure, ma doulce amye,

Que je vous ayme loyaument,

Or vous requier et vous supplie

Acquittez vous pareillement.



BALADE.

Belle que je tiens pour amye,

Pensez, quelque part que je soye,

Que jamais je ne vous oublie;

Et pour ce prier vous vouldroye,

Jusques à tant que vous revoye,

Qu'il vous souviengne de cellui

Qui a trouvé peu de mercy

En vous, se dire je l'osoye.

Combien que je ne dye mie

Que n'aye receu bien et joye,

En vostre doulce compaignie,

Plus que desservir ne sauroye;

Non pourtant voulentiers j'auroye

Le guerdon de loyal amy,

Qu'oncques ne trouvay jusqu'à cy

En vous, se dire je l'osoye.

Je vous ai longement servie,

Si m'est advis qu'avoir devroye

Le don que de sa courtoisie

Amour à ses servans envoye;

Or faictes qu'estre content doye,

Et m'accordez ce que je dy,

Car trop avez refus nourry

En vous, se dire je l'osoye.



BALADE.

Ma Dame, vous povez savoir

Les biens qu'ay euz à vous servir;

Car par ma foy, pour dire voir,

Oncques je n'y peuz acquerir

Tant seulement ung doulx plaisir,

Que sitost que je le tenoye,

Dangier le me venoit tollir

Ce peu de plaisir que j'avoye.


Je n'en savoye nul avoir

Qui peust contenter mon desir,

Se non quant vous povoye voir,

Ma joye, mon seul souvenir;

Or m'en a fait Dangier bannir,

Tant qu'il faut que loing de vous soye,

Par quoy a fait de moy partir

Ce peu de plaisir que j'avoye.

Non pas peu, car de bon vouloir

Content m'en devoye tenir,

En esperant de recevoir

Ung trop plus grant bien advenir;

Je n'y cuidoye point faillir

A la paine que g'y mectoye,

Cela me faisoit enrichir

Ce peu de plaisir que j'avoye.

L'ENVOY.

Belle, je vous vueil requerir,

Pensez, quant serez de loisir,

Qu'en grant mal qui trop me guerroye,

Est tourné, sans vous en mentir,

Ce peu de plaisir que j'avoye.



BALADE.

En ce joyeulx temps du jourduy

Que le mois de may ce commance,

Et que l'en doit laissier ennuy,

Pour prendre joyeuse plaisance,

Je me trouve sans recouvrance,

Loingtain de joye conquester;

De tristesse si bien renté

Que j'ay, je m'en puis bien vanter,

Le rebours de ma voulenté.

Las! Amours je ne voy nulluy

Qui n'ait aucune souffisance,

Fors que moy seul qui suis celluy

Qui est le plus dolent de France.

J'ay failli à mon esperance;

Car quant à vous me voulz donner

Pour estre vostre serementé,

Jamais ne cuidoye trouver

Le rebours de ma voulenté.

Au fort, puisqu'en ce point je suy,

Je porteray ma grant penance,

Ayant vers Loyaulté refuy

Où j'ay mis toute ma fiance;

Ne Dangier qui ainsi m'avance,

Quelque mal que doye porter,

Combien que trop m'a tourmenté,

Ne pourra ja en moy bouter

Le rebours de ma voulenté.

L'ENVOY.

D'aucun reconfort acointer

Plusieurs foiz m'en suy dementé;

Mais j'ay tousjours au par aler

Le rebours de ma voulenté.



BALADE.

Quant je party derrainement

De ma souveraine sans per,

Que Dieu gard et luy doint briefment

Joye de son loyal penser,

Mon cueur lui laissay emporter;

Oncques puis ne le peuz ravoir,

Si m'esmerveille, main et soir,

Comment j'ai vesqu tant de jours

Depuis sans cueur, mais pour tout voir,

Ce n'est que miracle d'Amours.

Qui est cellui qui longuement

Peut vivre sans cueur, ou durer

Comme j'ay fait en grief tourment;

Certes nul, je m'en puis vanter.

Mais Amours ont voulu monstrer

En ce leur gracieux povoir,

Pour donner aux amans vouloir

D'eulx fier en leur doulx secours;

Car bien pevent apparcevoir,

Ce n'est que miracle d'Amours.

Quant pitié vit que franchement

Voulu mon cueur abandonner

Envers ma Dame, tellement

Traicta que lui fist me laissier

Son cueur, me chargeant le garder,

Dont j'ay fait mon loyal devoir,

Maugré Dangier qui recevoir

M'a fait chascun jour de telz tours,

Que sans mort en ce point manoir

Ce n'est que miracle d'Amours.



BALADE.

Douleur, courroux, desplaisir et tristesse,

Quelque tourment que j'aye main et soir,

Ne pour doubte de mourir de destresse,

Ja ne sera en tout vostre povoir

De me changier le tres loyal vouloir

Qu'ay eu tousjours de la Belle servir,

Par qui je puis, et pense recevoir

Le plus grand bien qui me puist avenir.

Quant j'ay par vous aucun mal qui me blesse,

Je l'endure par le conseil d'Espoir

Qui ma promis qu'à ma seule maistresse

Lui fera brief mon angoisse savoir,

En lui mandant qu'en faisant mon devoir,

J'ay tous les maulx que nul pourrait souffrir;

Lors trouveray, je ne scay s'il dist voir,

Le plus grant bien qui me puist avenir.

Ne m'espargniez donc en rien de rudesse,

Je vous feray bien brief apparcevoir

Qu'aura y secours d'un Confort de liesse;

Longtemps ne puis en ce point remanoir,

Pour ce je metz du tout à nonchaloir

Les tres grans maulx que me faictes sentir;

Bien aurez dueil, se me voyez avoir

Le plus grant bien qui me puist avenir.

L'ENVOY.

Je suis cellui au cueur vestu de noir

Qui dy ainsi qui que le vueille ouyr,

J'auray briefment, Loyaulté m'en fait hoir,

Le plus grant bien qui me puist avenir.



BALADE.

Jeune, gente, plaisant et debonnaire,

Par ung prier qui vault commandement

Chargié m'avez d'une balade faire;

Si l'ay faicte de cueur joyeusement;

Or la vueilliez recevoir doulcement,

Vous y verrez, s'il vous plaist à la lire,

Le mal que j'ay combien que vrayement

J'aymasse mieulx de bouche le vous dire.

Vostre doulceur m'a sceu si bien atraire

Que tout vostre je suis entierement,

Tres desirant de vous servir et plaire,

Mais je seuffre maint doloreux tourment,

Quant à mon gré je ne vous voy souvent,

Et me desplaist quant me fault vous escrire,

Car se faire ce povoit autrement,

J'aymasse mieulx de bouche le vous dire.

C'est par Dangier mon cruel adversaire

Qui m'a tenu en ses mains longuement,

En tous mes faiz je le trouve contraire,

Et plus se rit, quant plus me voit dolent;

Se vouloye raconter plainement

En cest escript mon ennuyeux martire.

Trop long seroit pour ce certainement,

J'aymasse mieulx de bouche le vous dire.



BALADE.

Loué soit cellui qui trouva

Premier la manière d'escrire,

En ce grand confort ordonna

Pour amans qui sont en martire;

Car quant ne pevent aler dire

A leurs dames leur grief tourment,

Ce leur est moult d'alegement,

Quant par escript pevent mander

Les maulx qu'ilz portent humblement,

Pour bien et loyaument amer.

Quand ung amoureux escrira

Son dueil, qui trop le tient de rire,

Au plustost qu'envoyé l'aura

A celle qui est son seul mire;

S'il lui plaist à la lectre lire,

Elle peut veoir clerement

Son doloreux gouvernement,

Et lors pitié lui scet monstrer

Qu'il dessert bon guerdonnement,

Pour bien et loyaument amer.

Par mon cueur je congnois pieca

Ce mestier, car quant il souspire,

Jamais rapaisié ne sera,

Tant qu'il ait envoyé de tire

Vers la belle que tant desire;

Et puis s'il peut aucunement

Oir nouvelles seulement

De sa doulce beaulté sans per,

Il oublie l'ennuy qu'il sent,

Pour bien et loyaument amer.

L'ENVOY.

Ma Dame, Dieu doint que briefment

Vous puisse de bouche compter

Ce que j'ay souffert longuement,

Pour bien et loyaument amer.



BALADE.

Belle combien que de mon fait

Je croy qu'avez peu souvenance,

Toutesfoiz se savoir vous plaît

Mon estat, et mon ordonnance;

Saichiez que loingtain de Plaisance,

Je suis de tous maulx bien garny,

Autant que nul qui soit en France,

Dieu scet en quel mauvais party.

Helas! or n'ay je riens forfait

Dont porter je doye penance,

Car tousjours je me suis retrait

Vers Loyaulté et Esperance,

Pour acquerir leur bienvueillance;

Mais au besoing ilz m'ont failly

Et m'ont laissié sans recouvrance,

Dieu scet en quel mauvais party.

Dangier m'a joué de ce trait,

Mais se je puis avoir puissance,

Je feray maugré qu'il en ait,

Encontre lui une aliance,

Et si lui rendray la grevance,

Le mal, le dueil et le soussy,

Où il m'a mis jusqu'à oultrance,

Dieu scet en quel mauvais party.

L'ENVOY.

Aydiez moy à l'oultrecuidance

Vengier, com en vous ay fiance,

Ma Maistresse, je vous supply

De ce faulx Dangier qui m'avance

Dieu scet en quel mauvais party.



BALADE.

Loyal espoir, trop je vous voy dormir,

Resveilliez vous et joyeuse pensée,

Et envoyez ung plaisant souvenir

Devers mon cueur, de la plus belle née

Dont aujourduy coure la renommée;

Vous ferez bien d'ung peu le resjoir,

Tristesse s'est avecques lui logiée,

Ne lui vueilliez à son besoing faillir.

Car Dangier l'a desrobé de plaisir,

Et que pis est, a de lui eslongnée

Celle qui plus le povoit enrichir;

C'est sa dame tres loyaument amée.

Oncques cueur n'eut si dure destinée

Pour Dieu, Espoir, venez le secourir,

Il a en vous sa fiance fermée,

Ne lui vueilliez à son besoing faillir.

Par povreté lui fault son pain querir

A l'uis d'Amours par chascune journée,

Or lui vueilliez l'aumosne departir

De liesse, que tant a désirée:

Avancez vous, sans faire demourée

Pensez de lui, vous savez son desir,

Par vous lui soit quelque grace donnée,

Ne lui vueilliez à son besoing faillir.

L'ENVOY.

Seule sans per, de toutes gens louée,

Et de tous biens entierement douée,

Mon cueur ces maulx seuffre pour vous servir,

Sa loyaulté vous soit recommandée

Ne lui vueilliez à son besoing faillir.



BALADE.

Mon cueur au derrain entrera

Ou Paradis des amoureux,

Autrement tort fait lui sera,

Car il a de maulx doloreux

Plus d'un cent, non pas ung ou deux,

Pour servir sa belle maistresse;

Et le tient Dangier le crueulx

Ou Purgatoire de Tristesse.

Ainsi l'a tenu, longtemps a,

Ce faulx traître, vilain, hideux;

Espoir dit que hors le mectra,

Et que n'en soye ja doubteux;

Mais trop y met dont je me deulx,

Dieu doint qu'il tiengne sa promesse

Vers lui, tant est angoisseux

Ou Purgatoire de Tristesse.

Amour grant aumosne fera

En ce fait cy, d'estre piteux,

Et bon exemple monstrera

A toutes celles et à ceulx

Qui le servent, quant desireux

Le verront par sa grant humblesse,

D'aidier ce povre souffreteux

Ou Purgatoire de Tristesse.

L'ENVOY.

Amour! faictes moy si eureux

Que mectez mon cueur en liesse;

Laissiez Dangier et Dueil tous seulx

Ou Purgatoire de Tristesse.



BALADE.

Mon cueur a envoyé querir

Tous ses bienvueillans et amis,

Il veult son grant conseil tenir

Avec eulx, pour avoir advis

Comment pourra ses ennemis,

Soussy, Dueil, et leur aliance

Surmonter, et tost desconfire,

Qui desirent de le destruire

En la prison de Desplaisance.

En desert ont mis son plaisir,

Et joye tenue en pastis;

Mais Confort lui a sans faillir

De nouvel loyaument promis

Qu'ilz seront desfaiz et bannis;

De ce se fais fort Esperance,

Et plus avant que n'ose dire,

C'est ce qui estaint son martire

En la prison de Desplaisance.

Briefment voye le temps venir,

J'en prie à Dieu de Paradis,

Que chascun puist vers son desir

Aler sans avoir saufconduis;

Adonc Amour et ses nourris

Auront de Dangier moins doubtance,

Et lors sentiray mon cueur rire

Qui à present souvent souspire

En la prison de Desplaisance.

L'ENVOY.

Pour ce que veoir ne vous puis,

Mon cueur se complaint jours et nuis,

Belle nompareille de France;

Et m'a chargié de vous escrire

Qu'il n'a pas tout ce qu'il desire

En la prison de Desplaisance.



BALADE.

Desployez vostre banniere,

Loyaulté, je vous en prie,

Et assailliez la frontiere

Où Dueil et Merencolie,

A tort et par felonnie,

Tiennent Joye prisonnière,

De moy la font estrangiere;

Je pry Dieu qu'il les maudie.

Quant je deusse bonne chiere

Demener en compaignie,

Je n'en fais que la maniere,

Car, quoique ma bouche rie,

Ou parle parolle lye,

Dangier et Destresse fiere

Boutent mon plaisir arriere;

Je pry Dieu qu'il les maudie.

Helas! tant avoye chiere,

Ja pieca, joyeuse vie;

Se Raison fust droicturiere,

J'en eusse quelque partie;

Or est de mon cueur bannie

Par Fortune losengiere

Et Durté sa conseilliere;

Je pry Dieu qui les maudie.

L'ENVOY.

Se j'avoye la maistrie

Sur ceste faulse mesgnie,

Je les meisse tous en biere;

Si est telle ma priere,

Je pry Dieu qui les maudie.



BALADE.

Ardant desir de veoir ma maistresse

A assailly de nouvel le logis

De mon las cueur, qui languist en tristesse,

Et puis dedens partout a le feu mis;

En grant doubte certainement je suis

Qu'il ne soit pas legierement estaint;

Sans grant grace, si vous pry, Dieu d'amours,

Sauvez mon cueur, ainsi qu'avez fait maint,

Je l'oy crier piteusement secours.


J'ay essayé par lermes à largesse

De l'estaindre; mais il n'en vault que pis:

C'est feu Gregeois, ce croy je, qui ne cesse

D'ardre, s'il n'est estaint par bon avis.

Au feu, au feu, courez tous mes amis;

S'aucun de vous, comme lasche, remaint

Sans y aler, je le hé pour tousjours;

Avancez vous, nul de vous ne soit faint,

Je l'oy crier piteusement secours.

S'il est ainsi mort par vostre peresse,

Je vous requier, au moins tant que je puis,

Chascun de vous donnez lui une messe,

Et j'ay espoir que brief ou Paradis

Des amoureux sera moult hault assis,

Comme martir et tres honnoré Saint,

Qui a tenu de Loyaulté le cours;

Grant tourment a, puisque si fort se plaint.

Je l'oy crier piteusement secours.



BALADE.

En la nef de bonne nouvelle

Espoir a chargié Reconfort,

Pour l'amener de par la belle

Vers mon cueur qui l'ayme si fort.

A joye puist venir au port

De Desir, et pour tost passer

La mer, de fortune trouver

Ung plaisant vent venant de France,

Où est à present ma maistresse

Qui est ma doulce souvenance,

Et le tresor de ma liesse.

Certes moult suy tenu à elle,

Car j'ay sceu par loyal raport,

Que contre Dangier le rebelle

Qui mainteffoiz me nuist à tort,

Elle veult faire son effort

De tout son povoir de m'aidier,

Et, pour ce, lui plaist m'envoyer

Ceste nef plaine de Plaisance

Pour estoffer la forteresse,

Où mon cueur garde l'Esperance,

Et le tresor de ma liesse.

Pour ce, ma voulenté est telle,

Et sera jusques à la mort,

De tousjours tenir la querelle

De Loyaulté, où mon ressort

J'ay mis; mon cueur en est d'accort;

Si vueil en ce point demourer,

Et souvent Amour mercier,

Qui me fist avoir l'acointance

D'une si loyalle Princesse,

En qui puis mectre ma fiance

Et le tresor de ma liesse.

L'ENVOY.

Dieu vueille celle nef garder

Des robeurs, escumeurs de mer,

Qui ont à Dangier aliance;

Car, s'ilz povoient, par rudesse

M'osteroient ma desirance,

Et le tresor de ma liesse.



BALADE.

Je ne crains Dangier, ne les siens,

Car j'ay garny la forteresse

Où mon cueur a retrait ses biens,

De Reconfort et de Liesse;

Et ay fait Loyaulté maistresse,

Qui la place bien gardera;

Dangier deffy, et sa rudesse,

Car le Dieu d'amours m'aidera.

Raison est et sera des miens,

Car ainsi m'en a fait promesse,

Et Espoir mon chier amy tiens,

Qui a mainteffoiz, par proesse,

Bouté hors d'avec moy Destresse;

Dont Dangier, dueil et despit a;

Mais ne me chault de sa tristesse,

Car le Dieu d'amours m'aidera.

Pour ce, requerir je vous viens,

Mon cueur, que prenez hardiesse;

Courez lui sus, sans craindre riens,

A dangier qui souvent vous blesse;

Sitost que vous prandrez l'adresse

De l'assaillir, il se rendra;

Je vous secourray sans peresse,

Car le Dieu d'amours m'aidera.

L'ENVOY.

Se vous m'aidiez, gente Princesse,

Je croy que brief le temps vendra

Que j'auray des biens à largesse,

Car le Dieu d'amours m'aidera.



BALADE.

Belle, bien avez souvenance,

Comme certainement je croy,

De la tres plaisant aliance

Qu'Amour fist entre vous, et moy;

Son secretaire Bonne foy

Escrist la lectre du traictié,

Et puis la scella Loyaulté

Qui la chose tesmoingnera,

Quant temps et besoing en sera.

Joyeux desir fut en presence,

Qui alors ne se tint pas coy;

Mais mist le fait en ordonnance,

De par Amour le puissant Roy;

Et selon l'amoureuse loy,

De noz deux vouloirs, pour seurté,

Fist une seule voulenté;

Bien m'en souvient, et souvendra,

Quant temps et besoing en sera.

Mon cueur n'a en nully fiance

De garder la lectre, qu'en soy;

Et certes ce m'est grant plaisance,

Quant si tres loyal je le voy,

Et lui conseille, comme doy,

De tousjours hair Faulceté;

Car quiconque l'a en chierté,

Amour chastier l'en fera,

Quant temps et besoing en sera.

L'ENVOY.

Pensez en ce que j'ay compté,

Ma Dame, car en verité

Mon cueur de soy vous requerra,

Quant temps et besoing en sera.



BALADE.

Venez vers moy, Bonne nouvelle,

Pour mon las cueur reconforter.

Contez moy comment fait la belle,

L'avez vous point oy parler

De moy, et amy me nommer?

A elle point mis en oubly

Ce qu'il lui pleut de m'accorder,

Quant me donna le don d'amy.

Combien que Dangier le rebelle

Me fait loing d'elle demourer;

Je congnois tant de biens en elle,

Que je ne pourroye penser

Que tousjours ne vueille garder

Ce que me promist sans nul sy,

Faisant nos deux mains assembler,

Quant me donna le don d'amy.

Pitié seroit, se Dame telle

Qui doit tout honneur desirer,

Failloit de tenir la querelle

De bien et loyaument amer;

Son sens lui scet bien remonstrer

Toutes les choses que je dy,

Et ce qu'Amour nous fist jurer

Quant me donna le don d'amy.

L'ENVOY.

Loyaulté, vueilliez asseurer

Ma Dame que sien suy, ainsi

Qu'elle me voulu commander,

Quant me donna le don d'amy.



BALADE.

Belle, s'il vous plaist escouter

Comment j'ay gardé en chierté

Vostre cueur qu'il vous pleut laissier

Avec moy, par vostre bonté;

Saichez qu'il est enveloppé

En ung cueuvrechief de Plaisance,

Et enclos, pour plus grant seurté,

Ou coffre de ma souvenance.

Et pour nectement le garder,

Je l'ay souventesfoiz lavé

En lermes de piteux penser;

Et regrectant vostre beaulté,

Apres ce, sans delay porté,

Pour seicher, au feu d'Esperance,

Et puis doulcement rebouté

Ou coffre de ma souvenance.

Pour ce, vueillez vous acquieter

De mon cueur que vous ay donné;

Humblement vous en vueil prier,

En le gardant en loyaulté,

Soubz clef do bonne voulenté,

Comme j'ay fait, de ma puissance,

Le vostre que tiens enfermé

Ou coffre de ma souvenance.

L'ENVOY.

Ma Dame, je vous ay compté

De vostre cueur la gouvernance,

Comment il est et a esté

Ou coffre de ma souvenance.



BALADE.

L'AMANT.

Se je vous dy bonne nouvelle,

Mon cueur, que voulez vous donner?

LE CUEUR.

Elle pourroit bien estre telle

Que moult chier la vueil acheter.

L'AMANT.

Nul gueredon n'en quier demander.

LE CUEUR.

Dictes tost doncques, je vous prie,

J'ay grand desir de la savoir.

L'AMANT.

C'est de vostre Dame et amye

Qui loyaument fait son devoir.

LE CUEUR.

Que me savez vous dire d'elle?

Dont me puisse reconforter.

L'AMANT.

Je vous dy, sans que plus le celle,

Qu'elle vient par deca la mer.

LE CUEUR.

Dictes vous vray? Sans vous mocquer.

L'AMANT.

Ouil, je vous le certiffie,

Et dit que c'est pour vous veoir.

LE CUEUR.

Amour humblement j'en mercie,

Qui loyaument fait son devoir.

L'AMANT.

Que pourrait plus faire la belle

Que de tant pour vous se pener?

LE CUEUR.

Loyaulté soustient ma querelle,

Qui lui fait faire sans doubter.

L'AMANT.

Pensez doncques de bien l'amer.

LE CUEUR.

Si feray je toute ma vie,

Sans changier, de tout mon povoir.

L'AMANT.

Bien doit estre dame cherie,

Qui loyaument fait son devoir.



BALADE.

Mon cueur, ouvrez l'uis de Pensée,

Et recevez un doulx present

Que la tres loyaument amée

Vous envoye nouvellement;

Et vous tenez joyeusement;

Car, bien devez avoir liesse,

Quant la trouvez sans changement

Tousjours tres loyalle maistresse.

Bien devez prisier la journée

Que fustes sien premierement;

Car sa grace vous a donnée,

Sans faintise, tres loyaument;

Vous le povez veoir clerement,

Car elle vous tient sa promesse,

Soy monstrant vers vous fermement

Tousjours tres loyalle maistresse.

Par vous soit doncques honnourée,

Et servie soigneusement;

Tant comme vous aurez durée,

Sans point faire departement;

Car vous aurez certainement,

Par elle des biens à largesse,

Puisqu'elle est si entierement

Tousjours tres loyalle maistresse.

L'ENVOY.

Grans mercis des foiz plus de cent,

Ma Dame, ma seule Princesse,

Car je vous trouve vrayement

Tousjours tres loyalle maistresse.



BALADE.

J'ay ou tresor de ma pensée

Ung mirouer qu'ay acheté;

Amour, en l'année passée,

Le me vendy de sa bonté;

Ou quel voy tousjours la beaulté

De celle que l'en doit nommer,

Par droit, la plus belle de France;

Grant bien me fait à m'y mirer,

En actendant bonne esperance.

Je n'ay chose qui tant m'agrée,

Ne dont tiengne si grant chierté,

Car, en ma dure destinée,

Mainteffoiz m'a reconforté;

Ne mon cueur n'a jamais santé,

Fors, quant il y peut regarder

Des yeulx de joyeuse plaisance,

Il s'y esbat pour temps passer,

En actendant bonne esperance.

Advis m'est, chascune journée

Que m'y mire, qu'en verité

Toute douleur si m'est ostée;

Pour ce, de bonne voulenté,

Par le conseil de Leaulté,

Mectre le vueil et enfermer

Ou coffre de ma souvenance,

Pour plus seurement le garder,

En actendant bonne esperance.



BALADE.

Je ne vous puis, ne scay amer,

Ma Dame, tant que je vouldroye;

Car escript m'avez pour m'oster

Ennuy qui trop fort me guerroye:

Mon seul amy, mon bien, ma joye,

Cellui que sur tous amer veulx,

Je vous pry que soyez joyeux

En esperant que brief vous voye.

Je sens ces motz mon cueur percer

Si doulcement, que ne sauroye

Le confort, au vray, vous mander.

Que vostre messaige m'envoye;

Car vous dictes que querez voye

De venir vers moy, se m'aid Dieux,

Demander ne vouldroye mieulx.

En esperant que brief vous voye.

Et quant il vous plaist souhaidier

D'estre empres moy, où que je soye;

Par Dieu, nom pareille sans per,

C'est trop fait, se dire l'osoye;

Se suy je qui plus le devroye

Souhaidier de cueur tres soingneux,

C'est ce dont tant suis desireux,

En esperant que brief vous voye.



BALADE.

L'autrier alay mon cueur veoir,

Pour savoir comment se portoit;

Si trouvay avec lui Espoir

Qui doulcement le confortoit,

Et ces parolles lui disoit:

Cueur, tenez vous joyeusement,

Je vous fais loyalle promesse,

Que je vous garde seurement

Tresor d'amoureuse richesse.

Car je vous fais pour vray savoir,

Que la plus tres belle qui soit

Vous ayme de loyal vouloir,

Et voulentiers pour vous feroit

Tout ce qu'elle faire pourroit;

Et vous mande que vrayement,

Maugré Dangier et sa rudesse,

Departir vous veult largement

Tresor d'amoureuse richesse.

Alors mon cueur, pour dire voir,

De joye souvent souspiroit,

Et, combien qu'il portast le noir,

Toutesfoiz pour lors oublioit

Toute la douleur qu'il avoit;

Pensant de recouvrer briefment

Plaisance, Confort et Liesse,

Et d'avoir en gouvernement

Tresor d'amoureuse richesse.

L'ENVOY.

A bon espoir mon cueur s'actent,

Et à vous, ma belle maistresse,

Que lui espargniez loyaument

Tresor d'amoureuse richesse.



BALADE.

Haa, Doulx penser, jamais je ne pourroye

Vous desservir les biens que me donnez,

Car, quant Ennuy mon povre cueur gerroye,

Par fortune, comme bien le savez,

Toutes les foiz qu'amener me voulez

Ung souvenir de ma belle maistresse;

Tantost Doleur, Desplaisir et Tristesse

S'en vont fuiant; ilz n'osent demourer,

Ne se trouver en vostre compaignie;

Mais se meurent de courrous et d'envie,

Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.

L'aise que j'ay, dire je ne sauroye,

Quant Souvenir et vous me racontez

Les tres doulx fais, plaisans et plains de joye

De ma Dame, qui sont congneuz assez

En plusieurs lieux, et si bien renommés,

Que d'en parler chascun en a liesse.

Pour ce, tous deux pour me tollir Destresse,

D'elle vueilliez nouvelles m'aporter,

Le plus souvent que pourrez, je vous prie;

Vous me sauvez, et maintenez la vie,

Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.

Car lors Amour par vous deux si m'envoye

Ung doulx espoir que vous me presentez,

Qui me donne conseil que joyeux soye;

Et puis apres tous trois me promectez

Qu'à mon besoing jamais ne me fauldrez;

Ainsi m'actens tout à vostre promesse,

Car par vous puis avoir, à grant largesse,

Des biens d'Amours, plus que ne scay nombrer,

Maugré Dangier, Dueil et Merencolie,

Que je ne crains en riens; mais les deffie,

Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.

L'ENVOY.

Jeune, gente, nompareille Princesse,

Puisque ne puis veoir vostre jeunesse,

De m'escrire ne vous vueilliez lasser;

Car vous faictes, je le vous certiffie,

Grant aumosne dont je vous remercie,

Quant il vous plaist d'ainsi me conforter.



BALADE.

Se je povoye mes souhais

Et mes souspirs faire voler,

Si tost que mon cueur les a fais,

Passer leur feroye la mer,

Et vers celle, tout droit aler,

Que j'ayme du cueur si tres fort.

Comme ma liesse mondaine

Que je tendray jusqu'à la mort.

Pour ma maistresse souveraine.

Helas! la verray je jamais?

Qu'en dictes vous, tres doulx penser?

Espoir m'a promis, ouil, mais

Trop longtemps me fait endurer;

Et, quant je lui viens demander

Secours à mon besoing, il dort.

Ainsi suis chascune sepmaine

En maint ennuy, sans reconfort,

Pour ma maistresse souveraine.

Je ne puis demourer en paix,

Fortune ne m'y veult laisser;

Au fort, à présent je me tais,

Et vueil laisser le temps passer;

Pensant d'avoir au par aler,

Par Loyaulté où mon ressort

J'ay mis, de Plaisance l'estraine,

En guerdon des maulx qu'ay à tort

Pour ma maistresse souveraine.



BALADE.

Fortune, vueilliez moy laissier

En paix une fois, je vous prie;

Trop longuement, à vray compter,

Avez eu sur moy seigneurie.

Tousjours faictes la rencherie

Vers moy, et ne voulez ouir

Les maulx que m'avez fait souffrir,

Il a ja plusieurs ans passez;

Doy je tousjours ainsi languir?

Helas! et n'est ce pas assez?

Plus ne puis en ce point durer;

A Mercy, mercy je crie;

Souspirs m'empeschent le parler;

Veoir le povez, sans mocquerie.

Il ne fault ja que je le dye;

Pour ce, vous vueil je requerir.

Qu'il vous plaise de me tollir

Les maulx que m'avez amassez,

Qui m'ont mis jusques au mourir;

Helas! et n'est ce pas assez?

Tous maulx suis content de porter,

Fors ung seul, qui trop fort m'ennuye,

C'est qu'il me fault loing demourer

De celle que tiens pour amye;

Car pieca en sa compaignie

Laissay mon cueur et mon desir;

Vers moy ne veulent revenir,

D'elle ne sont jamais lassez;

Ainsi suy seul, sans nul plaisir,

Helas! et n'est ce pas assez?

L'ENVOY.

De balader j'ay beau loisir,

Autres deduiz me sont cassez,

Prisonnier suis, d'Amours martir;

Helas! et n'est ce pas assez?



BALADE.

Espoir m'a apporté nouvelle

Qui trop me doit reconforter,

Il dit que Fortune la felle

A voulu de soy raviser,

Et toutes faultes amender,

Qu'a faictes contre mon plaisir,

En faisant sa roe tourner.

Dieu doint qu'ainsi puist avenir!

Quoy que m'ait fait guerre mortelle,

Je suis content de l'esprouver,

Et le desbat qu'ay et querelle,

Vers elle je veuil delaisser,

Et tout courroux lui pardonner:

Car d'elle me puis bien servir.

Se loyaument veult s'acquicter...

Dieu doint qu'ainsi puist avenir!

Se la povoye trouver telle

Qu'elle me voulsist tant aidier;

Qu'en mes bras, je peusse la belle

Une foiz à mon gré trouver;

Plus ne vouldroye demander,

Car lors j'auroye mon desir,

Et tout quanque doy souhaidier.

Dieu doint qu'ainsi puist avenir!

L'ENVOY.

Amour, s'il vous plaist commander

A Fortune de me cherir,

Je pense joye recouvrer;

Dieu doint qu'ainsi puist avenir!



BALADE.

Je ne me scay en quel point maintenir,

Ce premier jour de May plein de liesse;

Car d'une part puis dire sans faillir

Que, Dieu mercy, j'ay loyalle maistresse,

Qui de tous biens a trop plus qu'à largesse;

Et si pense que, la sienne mercy,

Elle me tient son servant et amy;

Ne doy je bien doncques joye mener,

Et me tenir en joyeuse plaisance?

Certes ouil! et Amour mercier

Tres humblement de toute ma puissance.

Mais d'autre part, il me convient souffrir

Tant de doleur et de dure destresse

Par Fortune, qui me vient assaillir

De tous costez, qui de maulx est princesse;

Passer m'a fait le plus de ma jeunesse,

Dieu scet comment, en doloreux party;

Et si me fait demourer en soussy,

Loings de celle par qui puis recouvrer

Le vray tresor de ma droicte esperance,

Et que je vueil obeir, et amer

Tres humblement de toute ma puissance.

Et pour ce May, je vous viens requerir,

Pardonnez moy de vostre gentillesse,

Se je ne puis à present vous servir

Comme je doy, car je vous fais promesse;

J'ay bon vouloir envers vous, mais Tristesse

M'a si longtemps en son dangier nourry,

Que j'ay du tout joye mis en oubly;

Si me vault mieulx seul de gens eslongner,

Qui dolent est ne sert que d'encombrance;

Pour ce, reclus me tendray en penser

Tres humblement de toute ma puissance.

L'ENVOY.

Doulx souvenir, chierement je vous pry,

Escrivez tost ceste balade cy;

De par mon cueur la feray presenter

A ma Dame, ma seule desirance,

A qui pieca je le voulu donner

Tres humblement, de toute ma puissance.



BALADE.

Mon cueur est devenu hermite

En l'ermitaige de Pensée;

Car Fortune la tres despite

Qui l'a hay mainte journée,

S'est nouvellement aliée,

Contre lui, avecques Tristesse,

Et l'ont banny hors de liesse;

Place n'a où puis demourer,

Fors ou bois de Merencolie,

Il est content de s'y logier;

Si lui dis je que c'est folie.

Mainte parolle lui ay dicte,

Mais il ne l'a point escoutée:

Mon parler riens ne lui proufite,

Sa voulenté y est fermée;

De legier ne seroit changée,

Il se gouverne par Destresse

Qui, contre son prouffit, ne cesse

Nuit et jour de le conseillier;

De si pres lui tient compaignie

Qu'il ne peut ennuy delaissier,

Si lui dis je que c'est folie.

Pour ce saichiez, je m'en acquicte,

Belle tres loyaument amée,

Se lectre ne lui est escripte

Par vous, ou nouvelle mandée,

Dont sa doleur soit allegée,

Il a fait son veu et promesse

De renoncer à la richesse

De plaisir, et de doulx penser;

Et apres ce, toute sa vie,

L'abit de Desconfort porter,

Si lui dis je que c'est folie.

L'ENVOY.

Se par vous n'est Belle sans per,

Pour quelque chose que lui dye,

Mon cueur ne se veult conforter,

Si lui dis je que c'est folie.



BALADE.

Dangier, je vous gecte mon gant,

Vous appellant de traison,

Devant le Dieu d'amours puissant

Qui me fera de vous raison;

Car vous m'avez, mainte saison,

Fait douleur à tort endurer,

Et me faictes loings demourer

De la nompareille de France.

Mais vous l'avez tousjours d'usance

De grever loyaulx amoureux,

Et pour ce que je suis l'un d'eulx,

Pour eulx et moy prens la querelle;

Par Dieu, vilain, vous y mourrez

Par mes mains, point ne le vous celle,

S'à Loyaulté ne vous rendez.

Comment avez vous d'orgueil tant?

Que vous osez sans achoison

Tourmenter aucun vray amant

Qui, de cueur et d'entencion,

Sert Amours sans condicion;

Certes moult estes à blasmer,

Pensez donques de l'amender,

En laissant vostre malvueillance,

Et par tres humble repentance,

Alez crier mercy à ceulx

Que vous avez faiz doloreux,

Et qui vous ont trouvé rebelle;

Autrement pour seur vous tenez

Que gaige je vous appelle,

S'à Loyaulté ne vous rendez,

Vous estes tous temps mal pensant,

Et plain de faulse soupecon;

Ce vous vient de mauvais talant

Nourry en couraige felon;

Quel mal ou ennuy vous fait on?

Se par amours on veult amer,

Pour plus aise le temps passer

En lyee joyeuse plaisance;

C'est gracieuse desirance.

Pour ce, faulx, vilain, orgueilleux,

Changiez voz vouloirs oultragieux,

Ou je vous feray guerre telle

Que, sans faillir, vous trouverez

Qu'elle vauldra pis que mortelle,

S'à Loyaulté ne vous rendez.



BALADE.

Se Dieu plaist, briefment la nuée

De ma tristesse passera,

Belle tres loyaument amée,

Et le beau temps se monstrera:

Mais savez vous quant ce sera?

Quant le doulx souleil gracieux

De vostre beaulté entrera

Par les fenestres de mes yeulx.

Lors la chambre de ma pensée

De grant plaisance reluira,

Et sera de joye parée,

Adonc mon coeur s'esveillera

Qui en dueil dormy longtemps a,

Plus ne dormira, se m'aid Dieux,

Quant ceste clarté le ferra

Par les fenestres de mes yeulx.

Helas! quant vendra la journée,

Qu'ainsi avenir me pourra

Ma maistresse tres desirée,

Pensez vous que brief avendra;

Car mon cueur tousjours languira

En ennuy sans point avoir mieulx,

Jusqu'à tant que ce cy verra

Par les fenestres de mes yeulx.

L'ENVOY.

De Reconfort mon cueur aura

Autant que nul dessoubz les cieulx,

Belle, quant vous regardera,

Par les fenestres de mes yeulx.



BALADE.

Au court jeu de tables jouer,

Amour me fait moult longuement;

Car tousjours me charge garder

Le point d'actente seulement;

En me disant que vrayement

Se ce point lye scay tenir,

Qu'au derrain je doy, sans mentir,

Gaaingnier le jeu entierement.

Je suy pris, et ne puis entrer

Ou point que desire souvent;

Dieu me doint une fois gecter

Chance qui soit aucunement

A mon propos, car autrement

Mon cueur sera pis que martir,

Se ne puis, ainsi qu'ay desir,

Gaaingnier le jeu entierement.

Fortune fait souvent tourner

Les dez contre moy mallement;

Mais Espoir, mon bon conseillier,

M'a dit et promis seurement,

Que Loyaulté prochainement

Fera Boneur vers moy venir

Qui me fera, à mon plaisir,

Gaaingnier le jeu entierement.

L'ENVOY.

Je vous supply tres humblement,

Amour, aprenez moy comment

J'asserray les dez sans faillir;

Par quoi puisse, sans plus languir,

Gaaingnier le jeu entierement.



BALADE.

Vous, soyez la tres bien venue

Vers mon cueur, Joyeuse nouvelle,

Avez vous point ma Dame veue?

Contez moi quelque chose d'elle;

Dictes moy, n'est elle pas telle

Qu'estoit? quant derrenierement,

Pour m'oster de merencolie,

M'escrivy amoureusement:

C'estes vous de qui suis amye.

Son vouloir jamais ne se mue,

Ce croy je, mais tient la querelle

De Loyaulté, qu'a retenue

Sa plus prochaine damoiselle;

Bien le monstre, sans que le celle,

Qu'elle se maintient loyaument,

Quant lui plaist, dont je la mercie,

Me mander si tres doulcement:

C'estes vous de qui suis amye.

Pour le plus eureux soubz la nue

Me tiens, quant m'amye s'appelle;

Car en tous lieux, où est congneue,

Chascun la nomme la plus belle;

Dieu doint que, maugré le rebelle

Dangier, je la voye briefment,

Et que de sa bouche me die:

Amy, pensez que seulement

C'estes vous de qui suis amye.

L'ENVOY.

J'ay en mon cueur joyeusement

Escript, afin que ne l'oublie,

Ce refrain qu'ayme chierement:

C'estes vous de qui suis amye.



BALADE.

Trop longtemps vous voy sommeillier,

Mon cueur, en dueil et desplaisir;

Vueilliez vous ce jour esveillier,

Alons au bois le May cueillir,

Pour la coustume maintenir.

Nous orrons des oyseaulx le glay,

Dont ilz font les bois retentir,

Ce premier jour du mois de May,

Le Dieu d'amours est coustumier,

A ce jour, de feste tenir,

Pour amoureux cueurs festier

Qui desirent de le servir;

Pour ce, fait les arbres couvrir

De fleurs, et les champs de vert gay;

Pour la feste plus embellir,

Ce premier jour du mois de May.

Bien scay, mon cueur, que faulx Dangier

Vous fait mainte paine souffrir;

Car il vous fait trop eslongner

Celle qui est vostre desir;

Pourtant vous fault esbat querir;

Mieux conseiller, je ne vous scay,

Pour vostre doleur amendrir,

Ce premier jour du mois de May.

L'ENVOY.

Ma Dame, mon seul souvenir,

En cent jours n'auroye loisir

De vous raconter, tout au vray,

Le mal qui tient mon cueur martir,

Ce premier jour du mois de May.



BALADE.

J'ay mis en escript mes souhais

Ou plus parfont de mon penser;

Et combien, quant je les ay fais,

Que peu me pevent profiter;

Je ne les vouldroye donner

Pour nul or, qu'on me sceust offrir,

En esperant, qu'au par aler,

De mille l'un puist avenir.

Par la foy de mon corps! jamais

Mon cueur ne se peut d'eulx lasser;

Car si richement sont pourtrais,

Que souvent les vient regarder,

Et s'y esbat pour temps passer,

En disant par ardent desir:

Dieu doint que, pour me conforter,

De mille l'un puist avenir!

C'est merveille, quant je me tais,

Que j'oy mon cueur ainsi parler;

Et tient avec Amour ses plais,

Que tousjours veult acompaignier;

Car il dit que des biens d'amer

Cent mille lui veult departir;

Plus ne quier, mais que sans tarder,

De mille l'un puist avenir.

L'ENVOY.

Vueilliez à mon cueur accorder,

Sans par parolles le mener,

Amour, que par vostre plaisir,

Des biens que lui voulez donner,

De mille l'un puist avenir.



BALADE.

Par le commandement d'Amours

Et de la plus belle de France,

J'enforcis mon chastel tousjours

Appellé Joyeuse plaisance,

Assis sur roche d'Esperance,

Avitaillé l'ay de Confort;

Contre Dangier et sa puissance,

Je le tendray jusqu'à la mort.

En ce chastel y a trois tours,

Dont l'une se nomme Fiance

D'avoir briefment loyal secours,

Et la seconde Souvenance,

La tierce Ferme desirance.

Ainsi le chastel est si fort

Que nul n'y peut faire grevance;

Je le tendray jusqu'à la mort.


Combien que Dangier, par faulx tours,

De le m'oster souvent s'avance;

Mais il trouvera le rebours,

Se Dieu plaist, de sa malvueillance;

Bon droit est de mon aliance,

Loyaulté et lui sont d'accort

De m'aidier, pour ce, sans doubtance;

Je le tendray jusqu'à la mort.

L'ENVOY.

Faisons bon guet sans decevance

Et assaillons par ordonnance,

Mon cueur, Dangier qui nous fait tort;

Se prandre le puis par vaillance,

Je le tendray jusqu'à la mort.



BALADE.

La premiere foiz, ma Maistresse,

Qu'en vostre presence vendray,

Si ravi seray de liesse,

Qu'à vous parler je ne pourray;

Toute contenance perdray,

Car, quant vostre beaulté luira

Sur moy, si fort esbloira

Mes yeulx que je ne verray goute;

Mon cueur aussi se pasmera,

C'est une chose que fort doubte.

Pour ce, nompareille Princesse,

Quant ainsi devant vous seray,

Vueilliez, par vostre grant humblesse,

Me pardonner, se je ne scay

Parler à vous, comme devray;

Mais tost apres, s'asseurera

Mon cueur, et puis vous contera

Son fait, mais que nul ne l'escoute;

Dangier grant guet sur lui fera,

C'est une chose que fort doubte.


Et se mectra souvent en presse

D'ouir tout ce que je diray;

Mais je pense que par sagesse

Si tres bien me gouverneray,

Et telle maniere tendray,

Que faulx Dangier trompé sera,

Ne nulle riens n'appercevra;

Si mectra il sa paine toute

D'espier tout ce qu'il pourra;

C'est une chose que fort doubte.



BALADE.

Me mocquez vous, Joyeulx Espoir,

Par parolles trop me menez,

Pensez vous de me decevoir;

Chascun jour vous me promectez

Que briefment veoir me ferez

Ma Dame, la gente Princesse,

Qui a mon cueur entierement;

Pour Dieu, tenez vostre promesse,

Car trop ennuié qui actent.

Il a longtemps, pour dire voir,

Que tout mon estat congnoissez;

N'ay je fait mon loyal devoir

D'endurer, comme bien savez,

Ouil, ce croy je plus qu'assez;

Temps est que me donnez liesse,

Desservie l'ay loyaument,

Pardonnez moy, se je vous presse,

Car trop ennuié qui actent.

Ne me mectez à nonchaloir,

Honte sera se me failliez,

Veu que me fie main et soir

En tout ce que faire vouldrez,

Se mieulx faire ne me povez,

Au moins monstrez moy ma maistresse

Une foiz, pour aucunement

Allegier le mal qui me blesse,

Car trop ennuié qui actent.

L'ENVOY.

Espoir, tousjours vous m'asseurez

Que bien mon fait ordonnerez,

Bel me parlez, je le confesse;

Mais, tant y mectez longuement,

Que je languis en grant destresse,

Car trop ennuié qui actent.



BALADE.

Le premier jour du mois de May

S'acquicte vers moy grandement;

Car, ainsi qu'à présent, je n'ay

En mon cueur que deuil et tourment;

Il est aussi pareillement

Troublé, plain de vent et de pluie;

Estre souloit tout autrement,

Ou temps qu'ay congneu en ma vie.

Je croy qu'il se met en essay

De m'acompaignier loyaulment;

Content m'en tiens, pour dire vray,

Car meschans, en leur pensement,

Recoivent grand allegement,

Quant en leurs maulx ont compaignie;

Essayé l'ay certainement,

Ou temps qu'ay congneu en ma vie.

Las! j'ay veu May joyeux et gay,

Et si plaisant à toute gent,

Que raconter au long ne scay

Le plaisir et esbatement

Qu'avait en son commandement;

Car Amour, en son abbaye,

Le tenoit chief de son couvent,

Ou temps qu'ay congneu en ma vie.

L'ENVOY.

Le temps va je ne scay comment,

Dieu l'amende prouchainement!

Car Plaisance est endormie,

Qui souloit vivre lyement,

Ou temps qu'ay congneu en ma vie.



BALADE.

Pour Dieu, gardez bien souvenir

Enclos dedens vostre pensée,

Ne le laissiez dehors yssir,

Belle tres loyaument amée;

Faictes que chascune journée

Vous ramentoive bien souvent

La maniere quoy et comment,

Ja pieca, me feistes promesse,

Quant vous retins premierement

Ma Dame, ma seule maistresse.

Vous savez que, par franc desir

Et loyal amour conseillée,

Me deistes que, sans departir,

De m'amer estiez fermée;

Tant comme j'auroye durée.

Je metz en vostre jugement

Se ma bouche dit vray ou ment;

Si tiens que parler de princesse

Vient du cueur, sans decevement,

Ma dame, ma seule maistresse.

Non pourtant, me fault vous ouvrir

La double qu'en moy est entrée:

C'est que j'ay paour, sans vous mentir,

Que ne m'ayez, tres belle née,

Mis en oubly; car mainte année

Suis loingtain de vous longuement,

Et n'oy de vous aucunement

Nouvelle pour avoir liesse;

Pourquoy vis douloreusement,

Ma Dame, ma seule maistresse.

Nul remede ne scay querir,

Dont ma doleur soit allegée;

Fors que souvent vous requerir,

Que la foy que m'avez donnée

Soit par vous loyaument gardée;

Car vous congnoissiez clerement

Que, par vostre commandement,

Ay despendu de ma jeunesse,

Pour vous actendre seulement,

Ma Dame, ma seule maistresse.

Plus ne vous convient esclarsir

La chose que vous ay comptée;

Vous la congnoissiez, sans faillir;

Pour ce, soyez bien advisée

Que je ne vous trouve muée;

Car, s'en vous trouve changement,

Je requerray tout haultement,

Devant l'amoureuse Deesse,

Que j'aye de vous vengement,

Ma dame, ma seule maistresse.

L'ENVOY.

Se je puis veoir seurement

Que m'amez tousjours loyaument,

Content suis de passer destresse

En vous servant joyeusement,

Ma Dame, ma seule maistresse.



BALADE.

Helas! helas! qui a laissié entrer

Devers mon cueur doloreuse nouvelle?

Conté lui a plainement, sans celer,

Que sa Dame, la tres plaisant et belle,

Qu'il a longtemps tres loyaument servie,

Est à present en griefve maladie;

Dont il est cheu en desespoir si fort,

Qu'il souhaide piteusement la mort,

Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.

Je suis alé pour le reconforter,

En lui priant qu'il n'ait nul soussy d'elle,

Car, se Dieu plaist, il orra brief conter

Que ce n'est pas maladie mortelle,

Et que sera prochainement guerrie;

Mais ne lui chault de chose que lui die;

Aincois en pleurs, a tousjours son ressort

Par Tristesse qui asprement le mort,

Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.

Quant je lui dy qu'il ne se doit doubter,

Car Fortune n'est pas si tres cruelle,

Qu'elle voulsist hors de ce monde oster

Celle qui est des princesses l'estoille,

Qui partout luist des biens dont est garnie;

Il me respond; qu'il est fol qui se fie

En Fortune qui a fait à maint tort.

Ainsi ne voult recevoir reconfort,

Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.

L'ENVOY.

Dieu tout puissant, par vostre courtoisie

Guerissez la, ou mon cueur vous supplie

Que vous souffrez que la mort son effort

Face sur lui, car il en est d'accort,

Et dit qu'il est ennuyé de sa vie.



BALADE.

Sitost que l'autre jour j'ouy

Que ma souveraine sans per

Estoit guerie, Dieu mercy,

Je m'en alay sans point tarder

Vers mon cueur pour le lui conter;

Mais certes tant le desiroit,

Qu'à paine croire le povoit,

Pour la grant amour qu'a en elle,

Et souvent a par soy disoit:

Saint Gabriel, bonne nouvelle.

Je lui dis: mon cueur, je vous pry,

Ne vueilliez croire ne penser

Que moy, qui vous suy vray amy,

Vous vueille mensonges trouver,

Pour en vain vous reconforter;

Car, trop mieulx taire me vaudroit,

Que le dire se vray n'estoit;

Mais la vérité si est telle,

Soyez joyeulx comment qu'il soit.

Saint Gabriel, bonne nouvelle.

Alors mon cueur me respondy:

Croire vous vueil sans plus doubter,

Et tout le courroux et soussy

Qu'il m'a convenu endurer,

En joye le vueil retourner;

Puis apres, ses yeulx essuyoit

Que de plourer moilliez avoit,

Disant: il est temps que rappelle

Espoir qui delaissié m'avoit.

Saint Gabriel, bonne nouvelle.

L'ENVOY.

Il me dist aussi qu'il feroit,

Dedens l'amoureuse chapelle,

Chanter la messe qu'il nommoit:

Saint Gabriel, bonne nouvelle.



BALADE.

Las! Mort qui t'a fait si hardie.

De prendre la noble Princesse

Qui estait mon confort, ma vie,

Mon bien, mon plaisir, ma richesse;

Puisque tu as prins ma maistresse,

Prens moy aussi son serviteur,

Car j'ayme mieulx prouchainement

Mourir, que languir en tourment,

En paine, soussy et doleur.

Las! de tous biens estoit garnie,

Et en droicte fleur de jeunesse;

Je pry à Dieu qu'il te maudie,

Faulse mort, plaine de rudesse;

Se prise l'eusses en vieillesse,

Ce ne fust pas si grant rigueur;

Mais prise l'as hastivement,

Et m'as laissié piteusement

En paine, soussy et doleur.

Las! je suis seul, sans compaignie,

Adieu ma Dame, ma liesse;

Or est nostre amour departie,

Non pourtant, je vous fais promesse

Que de prieres, à largesse,

Morte vous serviray de cueur,

Sans oublier aucunement,

Et vous regrecteray souvent

En paine, soussy et doleur

L'ENVOY.

Dieu, sur tout souverain Seigneur,

Ordonnez, par grace et doulceur,

De l'ame d'elle, tellement

Qu'elle ne soit pas longuement

En paine, soussy et doleur.



BALADE.

J'ai aux esches joué devant Amours,

Pour passer temps, avecques faulx Dangier,

Et seurement me suy gardé tousjours,

Sans riens perdre jusques au derrenier,

Que Fortune lui est venu aidier,

Et par meschief, que maudite soit elle!

A ma Dame prise soudainement;

Par quoy suy mat, je le voy clerement,

Se je ne fais une Dame nouvelle.

Eu ma Dame j'avoye mon secours,

Plus qu'en autre, car souvent d'encombrier

Me delivroit, quant venoit à son cours,

Et en gardes faisoit mon jeu lier;

Je n'avoye Pion, ne Chevalier,

Auffin ne Rocq qui peussent ma querelle

Si bien aidier; il y pert vrayement,

Car j'ay perdu mon jeu entierement,

Se je ne fais une Dame nouvelle.

Je ne me scay jamais garder des tours

De Fortune, qui mainteffoiz changier

A fait mon jeu, et tourner à rebours;

Mon dommaige scet bientost espier,

Elle m'assault sans point me desfier;

Par mon serement, oncques ne congneu telle;

Enjeu party suy si estrangement,

Que je me rens, et n'y voy sauvement,

Se je ne fais une Dame nouvelle.



BALADE.

Je me souloye pourpenser

Au commencement de l'année,

Quel don je pourroye donner

A ma Dame la bien amée;

Or suis hors de ceste pensée,

Car Mort l'a mise soubz la lame,

Et l'a hors de ce monde ostée,

Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame.

Non pourtant, pour tousjours garder

La coustume que j'ay usée,

Et pour à toutes gens monstrer

Que pas n'ay ma Dame oubliée,

De messes je l'ay estrenée;

Car ce me seroit trop de blasme

De l'oublier ceste journée,

Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame.

Tellement lui puist prouffiter

Ma priere, que confortée

Soit son ame, sans point tarder,

Et de ses biensfaiz guerdonnée

En Paradis, et couronnée

Comme la plus loyalle Dame

Qu'en son vivant j'aye trouvée;

Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame

L'ENVOY.

Quant je pense à la renommée

Des grans biens dont estoit parée,

Mon povre cueur de dueil se pasme;

De lui souvent est regrectée,

Je pry à Dieu qu'il en ait l'ame.



BALADE.

Quant Souvenir me ramentoit

La grant beaulté dont estoit plaine,

Celle que mon cueur appeloit

Sa seule Dame souveraine,

De tous biens la vraye fontaine,

Qui est morte nouvellement,

Je dy, en pleurant tendrement,

Ce monde n'est que chose vaine.

Ou vieil temps grant renom couroit

De Creseide, Yseud, Elaine

Et mainte autres, qu'on nommoit

Parfaictes en beaulté haultaine.

Mais, au derrain, en son demaine

La Mort les prist piteusement;

Parquoy puis veoir clerement,

Ce monde n'est que chose vaine.

La Mort a voulu et vouldroit,

Bien le cognois, mectre sa paine

De destruire, s'elle povait,

Liesse et Plaisance mondaine,

Quant tant de belles dames maine

Hors du monde; car vrayement

Sans elles, à mon jugement,

Ce monde n'est que chose vaine.

L'ENVOY.

Amours, pour verité certaine,

Mort vous guerrie fellement;

Se n'y trouvez amendement,

Ce monde n'est que chose vaine.



BALADE.

Le premier jour du mois de May,

Trouvé me suis en compaignie

Qui estoit, pour dire le vray,

De gracieuseté garnie;

Et, pour oster merencolie,

Fut ordonné qu'on choisiroit,

Comme fortune donneroit,

La fueille plaine de verdure,

Ou la fleur pour toute l'année;

Si prins la feuille pour livrée,

Comme lors fut mon aventure.

Tantost apres je m'avisay,

Qu'à bon droit, je l'avoye choisie;

Car, puisque par mort perdu ay

La fleur, de tous biens enrichie,

Qui estoit ma Dame, m'amie,

Et qui de sa grace m'amoit,

Et pour son amy me tenoit,

Mon cueur d'autre fleur n'a plus cure:

Adonc congneu que ma pensée

Accordoit à ma destinée,

Comme lors fut mon aventure.

Pour ce, la fueille porteray

Cest an, sans que point je l'oublie;

Et à mon povoir me tendray

Entierement de sa partie;

Je n'ay de nulle fleur envie,

Porte la qui porter la doit,

Car la fleur, que mon cueur amoit

Plus que nulle autre creature,

Est hors de ce monde passée,

Qui son amour m'avoit donnée,

Comme lors fut mon aventure.

L'ENVOY.

Il n'est fueille, ne fleur qui dure

Que pour ung temps, car esprouvée

J'ay la chose que j'ay comptée,

Comme lors fut mon aventure.



BALADE.

Le lendemain du premier jour de May,

Dedens mon lit, ainsi que je dormoye,

Au point du jour m'avint que je songay

Que devant moy une fleur je veoye,

Qui me disoit: Amy, je me souloye

En toy fier, car pieca mon party

Tu tenoies, mais mis l'as en oubly,

En soustenant la fueille contre moy;

J'ay merveille que tu veulx faire ainsi,

Riens n'ay meffait, ce pense je, vers toy.

Tout esbahy alors je me trouvay,

Si respondy au mieulx que je savoye:

Tres belle fleur, oncques je ne pensay

Faire chose qui desplaire te doye;

Se, pour esbat, aventure m'envoye

Que je serve la fueille cest an cy,

Doy je pourtant estre de toy banny?

Nennil certes, je fais comme je doy,

Et, se je tiens le party qu'ay choisy,

Riens n'ay meffait, ce pense je, vers toy.

Car non pourtant honneur te porteray

De bon vouloir, quelque part que je soye,

Tout pour l'amour d'une fleur que j'amay

Ou temps passé; Dieu doint que je la voye

En Paradis, apres ma mort, en joye;

Et pour ce, fleur, chierement je te pry,

Ne te plains plus, car cause n'as pourquoy,

Puisque je fais ainsi que tenu suy,

Riens n'ay meffait, ce pense je, vers toy.

L'ENVOY.

La vérité est telle que je dy,

J'en fais juge Amour le puissant Roy;

Tres doulce fleur, point ne te cry mercy,

Riens n'ay meffait, ce pense je, vers toy.



BALADE.

En la forest d'ennuieuse tristesse,

Ung jour m'avint qu'à par moy cheminoye,

Si rencontray l'amoureuse Deesse

Qui m'appella, demandant où j'aloye.

Je respondy que par Fortune estoye

Mis en exil en ce bois, longtemps a,

Et, qu'à bon droit, appeller me povoye

L'omme esgaré qui ne scet où il va.

Et soubzriant, par sa tres grant humblesse,

Me respondy: Amy, se je savoye

Pourquoy tu es mis en ceste destresse,

A mon povoir, voulentiers t'aideroye;

Car, ja pieca, je mis ton cueur en voye

De tout plaisir, ne scay qui l'en osta;

Or me desplaist qu'à present je te voye

L'omme esgaré qui ne scet où il va.

Helas! dis je, souveraine Princesse,

Mon fait savez, pourquoy le vous diroye?

C'est par la Mort qui fait à tous rudesse,

Qui m'a tollu celle que tant amoye,

En qui estoit tout l'espoir que j'avoye,

Qui me guidoit, si bien m'acompaigna

En son vivant, que point ne me trouvoye

L'omme esgaré qui ne scet où il va.

L'ENVOY.

Aveugle suy, ne scay où aler doye;

De mon baston affin que ne forvoye,

Je vois tastant mon chemin ca et là;

C'est grant pitié qu'il convient que je soye

L'omme esgaré qui ne scet où il va.



BALADE.

J'ay esté de la compaignie

Des amoureux moult longuement,

Et m'a Amour, dont le mercie,

Donné de ses biens largement;

Mais au derrain, ne scay comment,

Mon fait est venu au contraire;

Et, à parler ouvertement,

Tout est rompu, c'est à reffaire

Certes, je ne cuidoye mie

Qu'en amer eust tel changement;

Car, chascun dit que c'est la vie

Où il a plus d'esbatement;

Helas! j'ay trouvé autrement;

Car, quant en l'amoureux repaire

Cuidoye vivre seurement,

Tout est rompu, c'est à reffaire.

Au fort, en Amour je m'affie

Qui m'aidera aucunement,

Pour l'amour de sa seigneurie

Que j'ay servie loyaument;

N'oncques ne fis, par mon serement,

Chose qui lui doye desplaire,

Et non pourtant estrangement,

Tout est rompu, c'est à reffaire.

L'ENVOY.

Amour, ordonnez tellement

Que j'aye cause de me taire,

Sans plus dire de cueur dolent:

Tout est rompu, c'est à reffaire.



BALADE.

Plaisant Beaulté mon cueur nasvra

Ja pieca, si tres durement

Qu'en la fievre d'amours entra,

Qui l'a tenu moult asprement;

Mais, de nouvel presentement,

Ung bon medicin qu'on appelle

Nonchaloir, que tiens pour amy,

M'a guery, la sienne mercy,

Se la playe ne renouvelle.

Quant mon cueur tout sain se trouva,

Il l'en mercia grandement;

Et humblement lui demanda:

S'en santé serait longuement?

Il respondy tres saigement:

Mais que gardes bien ta fourcelle

Du vent d'Amours qui te fery,

Tu es en bon point jusqu'à cy,

Se la playe ne renouvelle.

L'embusche de Plaisir entra

Parmy tes yeulx soutifvement;

Jeunesse le mal pourchassa,

Qui t'avoit en gouvernement;

Et puis bouta priveement

Dedens ton logis l'estincelle

D'Ardant desir qui tout ardy;

Lors fus nasvré, or t'ay guery,

Se la playe ne renouvelle.



BALADE.

Le beau souleil, le jour saint Valentin,

Qui apportait sa chandelle alumée,

N'a pas longtemps, entra ung bien matin

Priveement en ma chambre fermée.

Celle clarté, qu'il avoit apportée,

Si m'esveilla du somme de Soussy,

Où j'avoye toute la nuit dormy

Sur le dur lit d'ennuieuse pensée.

Ce jour aussi, pour partir leur butin

Des biens d'Amours, faisoient assemblée

Tous les oyseaulx, qui parlans leur latin,

Crioyent fort, demandans la livrée

Que Nature leur avoit ordonnée;

C'estoit d'un per comme chascun choisy;

Si ne me peu rendormir, pour leur cry,

Sur le dur lit d'ennuieuse pensée.

Lors en moillant de larmes mon coessin,

Je regrectay ma dure destinée,

Disant: Oyseaulx je vous voy en chemin

De tout plaisir et joye désirée;

Chascun de vous a per qui lui agrée,

Et point n'en ay, car Mort, qui m'a trahy,

A prins mon per, dont en dueil je languy

Sur le dur lit d'ennuieuse pensée.

L'ENVOY.

Saint Valentin choisissent ceste année

Ceulx et celles de l'amoureux party;

Seul me tendray, de confort desgarny,

Sur le dur lit d'ennuieuse pensée.



BALADE.

Mon cueur dormant en nonchaloir,

Reveilliez vous joyeusement,

Je vous fais nouvelles savoir,

Qui vous doit plaire grandement;

Il est vray que presentement

Une Dame tres honnorée

En toute bonne renommée,

Desire de vous acheter,

Dont je suy joyeulx et d'accort;

Pour vous, son cueur me veult donner,

Sans departir, jusqu'à la mort.

Ce change doy je recevoir

En grant gré, tres joyeusement;

Or, vous charge d'entier povoir

Si chier et tant estroictement,

Que je puis plus que loyaument

Soit par vous cherie et amée;

Et, en tous lieux, nuit et journée

L'acompaignier, sans la laissier,

Tant que j'en aye bon rapport;

Il vous convient sien demourer,

Sans departir, jusqu'à la mort.

Alez vous logier ou manoir

De son tres gracieux corps gent,

Pour y demourer main et soir,

Et l'onnourer entierement;

Car, par son bon commandement,

Lieutenant vous veult ordonner

De son cueur, en joyeulx deport;

Pensez de bien vous gouverner,

Sans departir, jusqu'à la mort.



BALADE.

Belle, se ne m'osez donner

De voz doulx baisiers amoureux,

Pour paour de Dangier courroucer,

Qui tousjours est fel et crueux;

J'en embleray bien ung ou deux;

Mais que, n'y prenez desplaisir,

Et que le vueilliez consentir,

Maugré Dangier et ses conseulx.

De ce faulx vilain aveugler,

Dieu scet se j'en suis desireux;

Nul ne le peut aprivoiser,

Tout temps est si souspeconneux,

Qu'en penser languist doloreux,

Quant il voit Plaisance venir;

Mais elle se scet bien chevir,

Maugré Dangier et ses conseulx.

Quand estroit la cuide garder,

Hardy cueur, secret et eureux,

S'avecques lui scet amener

Avis bon et aventureux,

Desguisé soubz maintien honteux;

Bien pevent Dangier endormir;

Lors Plaisance fait son desir,

Maugré Dangier et ses conseulx.

L'ENVOY.

Bien dessert guerdon plantureux

Advis, qui scet si bien servir

Au besoing, et trouver loisir,

Maugré Dangier et ses conseulx.



BALADE.

J'ay fait l'obseque de ma Dame

Dedens le moustier amoureux,

Et le service pour son ame

A chanté Penser doloreux;

Mains sierges de souspirs piteux

Ont esté en son luminaire;

Aussy j'ay fait la tombe faire

De regretz, tous de lermes pains,

Et tout entour, moult richement,

Est escript: Cy gist vrayement

Le tresor de tous biens mondains.

Dessus elle, gist une lame

Faictes d'or et de saffirs bleux;

Car saffir est nommé la jame

De Loyaulté, et l'or eureux;

Bien lui appartiennent ces deux;

Car Eur et Loyaulté pourtraire

Voulu, en la tres debonnaire,

Dieu, qui la fist de ses deux mains,

Et fourma merveilleusement;

C'estoit, à parler plainement,

Le tresor de tous biens mondains.

N'en parlons plus, mon cueur se pasme

Quant il oyt les faiz vertueux

D'elle, qui estoit sans nul blasme;

Comme jurent celles et ceulx

Qui congnoissoient ses conseulx;

Si croy que Dieu la voulu traire

Vers lui, pour parer son repaire

De Paradis, où sont les sains,

Car c'est d'elle bel parement,

Que l'en nommoit communement

Le tresor de tous biens mondains.

L'ENVOY.

De riens ne servent pleurs, ne plains;

Tous mourrons, ou tart ou briefment;

Nul ne peut garder longuement

Le tresor de tous biens mondains.



BALADE.

Puisque Mort a prins ma maistresse,

Que sur toutes amer souloye,

Mourir me convient en tristesse,

Certes plus vivre ne pourroye;

Pour ce, par deffaulte de joye

Tres malade, mon testament

J'ai mis en escript doloreux,

Lequel je presente humblement

Devant tous loyaulx amoureux.

Premierement, à la haultesse

Du Dieu d'amours donne et envoye

Mon esperit, et en humblesse

Lui supplie qu'il le convoye

En son Paradis, et pourvoye;

Car je jure que loyaument

L'a servi de vueil desireux;

Advouer le puis vrayement

Devant tous loyaulx amoureux.

Oultre plus, vueil que la richesse

Des biens d'Amours qu'avoir souloye,

Departie, soit à largesse,

A vraiz amans, et ne vouldroye

Que faulx amans, par nulle voye,

En eussent part aucunement;

Oncques n'euz amistié à eulx;

Je le prans sur mon sauvement

Devant tous loyaulx amoureux.

L'ENVOY.

Sans espargnier or, ne monnoye,

Loyaulté veult qu'en terre soye

En sa chapelle grandement;

Dont je me tiens pour bien eureux,

Et l'en mercie chierement

Devant tous loyaulx amoureux.



BALADE.

J'oy estrangement

Plusieurs gens parler,

Qui trop mallement

Se plaingnent d'amer;

Car, legierement,

Sans paine porter,

Vouldroient, briefment.

A fin amener

Tout leur pensement.

C'est fait follement

D'ainsi desirer;

Car, qui loyaument

Veulent acquester

Bon guerdonnement,

Maint mal endurer

Leur fault, et souvent

A rebours trouver

Tout leur pensement.

S'Amour humblement

Veulent honnourer,

Et soingneusement

Servir, sans faulser;

Des biens largement

Leur fera donner;

Mais, premierement,

Il veult esprouver

Tout leur pensement.



SONGE EN COMPLAINTE.

Apres le jour qui est fait pour traveil,

Ensuit la nuit pour repos ordonnée;

Pour ce, m'avint que chargié de sommeil

Je me trouvav moult fort une vesprée.

Pour la peine que j'avoye portée

Le jour devant, si fis mon appareil

De me couchier, sitost que le souleil

Je vy retrait, et sa clarté mussée.

Quant couchié fu, de legier m'endormy;

Et en dormant, ainsi que je songoye,

Advis me fu que, devant moy, je vy

Ung vieil homme que point ne congnoissoye;

Et non pourtant autresfoiz veu l'avoye,

Ce me sembla; si me trouvay marry

Que j'avoye son nom mis en oubly,

Et, pour honte, parler à lui n'osoye.

Ung peu se teut, et puis m'araisonna,

Disant: Amy, n'avez vous de moy cure?

Je suis Aage qui lectres apporta

A Enfance, de par Dame Nature,

Quant lui chargeay que plus la nourriture

N'auroit de vous, alors vous delivra

A Jeunesse, qui gouverné vous a

Moult longuement, sans raison et mesure.

Or est ainsi, que Raison qui sur tous

Doit gouverner, a fait tres grant complainte

A Nature, de Jeunesse et de vous,

Disant qu'avez tous deux fait faulte mainte,

Avisez vous, ce n'est pas chose fainte;

Car Vieillesse, la mere de courrous,

Qui tout abat et amaine au dessoubz,

Vous donnera dedens brief une atainte.

Au derrenier, ne la povez fuir;

Si vous vault mieulx, tandis qu'avez jeunesse,

A vostre honneur de folie partir,

Vous esloingnant de l'amoureuse adresse;

Car, en discort, sont Amours et Vieillesse,

Nul ne les peut à leur gré bien servir;

Amour vous doit pour excuse tenir,

Puisque la Mort a prins vostre maistresse.

Et tout ainsi, qu'assez est avenant

A jeunes gens, en l'amoureuse voye

De temps passer, c'est aussi mal seant,

Quant en amours ung vieil homme folloye;

Chascun s'en rit, disant: Dieu qu'elle joye!

Ce foul vieillart veult devenir enfant;

Jeunes et vieulx du doy le vont monstrant,

Mocquerie par tous lieux le convoye.

A vostre honneur povez Amours laisser

En jeune temps, comme par nonchalance;

Lors ne pourra nul de vous raconter,

Que l'ayez fait par faulte de puissance;

Et dira l'en que c'est par desplaisance

Que ne voulez en autre lieu amer,

Puisqu'est morte vostre Dame sans per,

Dont loyaument gardez la souvenance,

Au Dieu d'amours, requerez humblement

Qu'il lui plaise de reprandre l'ommaige

Que lui feistes, par son commandement,

Vous rebaillant vostre cueur qu'a en gaige;

Merciez le des biens qu'en son servaige

Avez receuz, lors gracieusement

Departirez de son gouvernement,

A grant honneur comme loyal et saige.

Puis requerez à tous les amoureux

Que chascun d'eulx tout ouvertement die,

Se vous avez riens failly envers eulx,

Tant que suivy avez leur compaignie,

Et que par eulx soit la faulte punie;

Leur requerant pardon de cueur piteux,

Car de servir estiez desireux

Amours, et tous ceulx de sa seigneurie.

Ainsi pourrez departir du povoir

Du Dieu d'amours, sans avoir charge aucune;

C'est mon conseil, faictes vostre vouloir,

Mais gardez vous que ne croiez Fortune

Qui de flater est à chascun commune;

Car tousjours dit qu'on doit avoir espoir

De mieulx avoir, mais c'est pour decevoir.

Je ne congnois plus faulse soubz la lune.

Je scay trop bien, s'escouter la voulez,

Et son conseil plus que le mien eslire,

Elle dira que, s'amours delaissiez,

Vous ne povez mieulx vostre cueur destruire;

Car vous n'aurez lors à quoy vous deduire,

Et tout plaisir à nonchaloir mectrez;

Ainsi, le temps en grant ennuy perdrez,

Qui pis vauldra que l'amoureux martire.

Et puis apres, pour vous donner confort,

Vous promectra que recevrez amande

De tous les maulx qu'avez souffers à tort,

Et que c'est droit qu'aucun guerdon vous rende;

Mais il n'est nul qui à elle s'atende,

Qui tost ou tard ne soit, je m'en fais fort,

Deceu d'elle, à vous je m'en raport;

Si pry à Dieu que d'elle vous deffende.

En tressaillant, sur ce point m'esveillay,

Tremblant ainsi que sur l'arbre la fueille,

Disant: Helas! oncques mais ne songay

Chose dont tant mon povre cueur se dueille;

Car, s'il est vray que Nature me vueille

Abandonner, je ne scay que feray;

A Vieillesse tenir pié ne pourray,

Mais convendra que tout ennuy m'acueille.

Et non pourtant le vieil homme qu'ay veu

En mon dormant, lequel Aage s'appelle,

Si m'a dit vray; car j'ay bien aperceu

Que Vieillesse veult emprandre querelle

Encontre moy, ce m'est dure nouvelle;

Et ja soit ce qu'à present suy pourveu

De jeunesse, sans me trouver recreu,

Ce n'est que sens de me pourveoir contre elle.

A celle fin que quant vendra vers moy,

Je ne soye despourveu comme nice;

C'est pour le mieulx, s'avant je me pourvoy;

Et trouveray Vieillesse plus propice,

Quant cognoistra qu'ay laissé tout office

Pour la servir; alors, en bonne foy

Recommandé m'aurra, comme je croy,

Et moins soussy auray en son service.

Si suis content, sans changier desormais,

Et pour tousjours entierement propose

De renoncer à tous amoureux fais;

Car il est temps que mon cueur se repose;

Mes yeulx cligniez et mon oreille close

Tendray, afin que n'y entre jamais,

Par Plaisance, les amoureux atrais;

Tant les congnois qu'en eulx fier ne m'ose.

Qui bien se veult garder d'amoureux tours,

Quant en repos sent que son cueur sommeille,

Garde ses yeulx emprisonnez tousjours;

S'ils eschapent, ils crient en l'oreille

Du cueur qui dort, tant qu'il fault qu'il s'esveille;

Et ne cessent de lui parler d'Amours,

Disans qu'ilz ont souvent hanté ses cours,

Où ilz ont veu plaisance nompareille.

Je scay par cueur ce mestier bien à plain,

Et m'a longtemps esté si agreable

Qu'il me sembloit qu'il n'estoit bien mondain,

Fors en amours, ne riens si honnorable;

Je trouvoye, par maint conte notable,

Comment Amour, par son povoir haultain.

A avancié comme Roy souverain,

Ses serviteurs en estat prouffitable.

Mais en ce temps, ne congnoissoye pas

La grant douleur qu'il convient que soustiengne

Ung povre cueur, pris es amoureuxlas;

Depuis l'ay sceu, bien scay à quoy m'entiengne,

J'ay grant cause que tousjours m'en souviengne;

Or en suis hors, mon cueur en est tout las,

Il ne veult plus d'Amours passer le pas,

Pour bien ou mal que jamais lui adviengne.

Pour ce tantost, sans plus prendre respit,

Escrire vueil, en forme de requeste,

Tout mon estat, comme devant est dit;

Et quant j'auray fait ma cedule preste,

Porter la vueil à la premiere feste

Qu'Amours tendra, lui monstrant par escript

Les maulx qu'ay euz, et le peu de prouffit,

En poursuivant l'amoureuse conqueste.

Ainsi d'Amours, devant tous les amans,

Prendray congié en honneste maniere,

En estouppant la bouche aux mesdisans

Qui ont langue pour mesdire legiere;

Et requerray, par tres humble priere,

Qu'il me quicte de tous les convenans

Que je lui fis, quant l'ung de ses servans

Devins pieca de voulenté entiere.

Et reprendray hors de ses mains mon cueur,

Que j'engagay par obligacion,

Pour plus seurté d'estre son serviteur,

Sans faintise, ou excusacion;

Et puis, apres recommandacion,

Je delairay, à mon tres grant honneur,

A jeunes gens qui sont en leur verdeur;

Tous fais d'Amours par resignacion.



LA REQUESTE

AUX EXCELLENS, ET PUISSANS EN NOBLESSE,

DIEU CUPIDO ET VENUS LA DEESSE.

Supplie presentement,

Humblement,

CHARLES LE DUC D'ORLÉANS

Qui a esté longuement,

Ligement

L'un de voz obeissans,

Et entre les vraiz amans,

Voz servans,

A despendu largement

Le temps de ses jeunes ans

Tres plaisans,

A vous servir loyaument.

Qu'il vous plaise regarder,

Et passer

Ceste requeste presente,

Sans la vouloir refuser;

Mais penser

Que d'umble vueil la presente

A vous, par loyalle entente,

En actente

De vostre grace trouver,

Car sa fortune dolente

Le tourmente,

Et le contraint de parler.

Comme ainsi soit que la Mort,

A grant tort,

En droicte fleur de jeunesse

Lui ait osté son deport,

Son ressort,

Sa seule Dame et liesse,

Dont a fait veu et promesse,

Par destresse,

Desespoir et desconfort,

Que jamais n'aura Princesse,

Ne maistresse,

Car son cueur en est d'accord.

Et pour ce que, ja pieca,

Vous jura

De vous loyaument servir,

Et en gaige vous laissa,

Et donna

Son cueur, par loyal desir;

Il vient pour vous requerir

Que tenir

Le vueilliez, tant qu'il vivra,

Excusé; car sans faillir.

Pour mourir,

Plus amoureux ne sera.

Et lui vueilliez doulcement,

Franchement,

Rebaillier son povre cueur,

En lui quictant son serement,

Tellement

Qu'il se parte, à son honneur,

De vous, car bon serviteur,

Sans couleur,

Vous a esté vrayement;

Monstrez lui quelque faveur,

En doulceur,

Au moins à son partement.

A Bonnefoy que tenez,

Et nommez

Vostre principal notaire,

Estroictement ordonnez,

Et mandez,

Sur peine de vous desplaire,

Qu'il vueille, sans delay traire,

Lectre faire,

En laquelle affermerez

Que congié de soy retraire,

Sans forfaire,

Audit cueur donné avez.

Afin que le suppliant,

Cy devant

Nommé, la puisse garder,

Pour sa descharge et garant,

En monstrant

Que nul ne le doit blasmer,

S'Amours a voulu laisser;

Car d'amer

N'eut oncques puis son talant

Que Mort lui voulut oster

La nomper

Qui fust ou monde vivant.

Et s'il vous plaist faire ainsi

Que je dy,

Ledit suppliant sera

Allegié de son soussy;

Et ennuy

D'avec son cueur bannira;

Et apres, tant que vivra,

Priera

Pour vous, sans mectre en oubly

La grace qu'il recevra,

Et aura,

Par vostre bonne mercy.



LA DESPARTIE D'AMOURS EN BALADES.

Quant vint à la prochaine feste,

Qu'Amour tenoit son Parlement,

Je lui presentay ma requeste

Laquelle leut tres doulcement,

Et puis me dist: Je suis dolent

Du mal qui vous est advenu;

Mais il n'a nul recouvrement,

Quant la Mort a son cop feru.

Eslongnez hors de vostre teste

Vostre doloreux pensement,

Monstrez vous homme, non pas beste,

Faictes que, sans empeschement,

Ait en vous le gouvernement

Raison, qui souvent a pourveu

En maint meschief, tres saigement,

Quant la Mort a son cop feru.

Reprenez nouvelle conqueste,

Je vous aideray tellement

Que vous trouverez Dame preste

De vous amer tres loyaument,

Qui de biens aura largement;

D'elle serez amy tenu;

Je n'y voy autre amendement,

Quant la Mort a son cop feru.



BALADE.

Helas! sire, pardonnez moi,

Se dis je, car, toute ma vie,

Je vous asseure par ma foy,

Jamais n'auray Dame, n'amie;

Plaisance s'est de moy partie,

Qui m'a de liesse forclos,

N'en parlez plus, je vous supplie,

Je suis bien loing de ce propos.

Quant ces parolles de vous oy,

Vous m'essayez, ne faictes mye;

A vous dire vray, je le croy,

Ou ce n'est dit qu'en mocquerie;

Ce me seroit trop grant folie,

Quant demeurer puis en repos,

De reprendre merencolie,

Je suis bien loing de ce propos.

Acquictié me suis, comme doy,

Vers vous et vostre seigneurie,

Desormais me vueil tenir coy;

Pour ce, de vostre courtoisie,

Accordez moi, je vous en prie,

Ma requeste, car à briefz mos,

De plus amer, quoique nul die,

Je suis bien loing de ce propos.



BALADE.

Amour congnu bien que j'estoye

En ce propos, sans changement,

Pour ce respondy: Je vouldroye

Que voulsissiez faire autrement,

Et me servir plus longuement,

Mais je voy bien que ne voulez,

Si vous accorde franchement

La requeste que faicte avez.

Escondire ne vous pourroye,

Car servy m'avez loyaument,

N'oncques ne vous trouvay en voye,

N'en voulenté aucunement

De rompre le loyal serement

Que me feistes, comme savez;

Ainsi le compte largement

La requeste que faicte avez.

Et afin que tout chascun voye

Que de vous je suis tres content,

Une quictance vous octroye,

Passée par mon Parlement,

Qui relaissera plainement

L'ommaige que vous me devez,

Comme contient ouvertement

La requeste que faicte avez.



BALADE.

Tantost Amour, en grant array,

Fist assembler son Parlement;

En plain conseil mon fait comptay,

Par congié et commandement;

Là fust passée plainement

La quictance que demandoye,

Baillée me fut franchement,

Pour en faire ce que vouldroye.

Oultre plus, mon cueur demanday,

Qu'Amour avoit eu longuement,

Car en gaige le lui baillay,

Quant je me mis premierement

En son service ligement;

Il me dist que je le rauroye,

Sans refuser aucunement,

Pour en faire ce que vouldroye.

A deux genoilz m'agenoillay,

Merciant Amour humblement

Qui tira mon cueur, sans delay,

Hors d'un escrin priveement,

Le me baillant courtoisement,

Lyé en ung noir drap de soye;

En mon sain le mist doulcement,

Pour en faire ce que vouldroye.



COPIE DE LA QUICTANCE DESSUS DICTE.

Saichent presens et avenir,

Que nous, Amours, par franc desir

Conseillez, sans nulle contraincte,

Apres qu'avons oy la plainte

De CHARLES LE DUC D'ORLÉANS

Qui a esté, par plusieurs ans,

Nostre vray loyal serviteur

Rebaillé lui avons son cueur

Qu'il nous bailla, pieca, en gaige,

Et le serment, foy et hommaige,

Qu'il nous devoit quictié avons,

Et par ces presentes quictons;

Oultre plus, faisons assavoir,

Et certiffions, pour tout voir,

Pour estoupper aux mesdisans

La bouche, qui trop sont nuisans,

Qu'il ne part de nostre service

Par deffaulte, forfait ou vice,

Mais seulement la cause est telle:

Vray est que la Mort trop cruelle

A tort lui est venu oster

Celle que tant souloit amer,

Qui estoit sa Dame et maistresse,

S'amie, son bien, sa leesse;

Et pour sa loyaulté garder,

Il veult desormais ressembler

A la loyalle turterelle

Qui seule se tient, à par elle,

Apres qu'elle a perdu son per;

Si lui avons voulu donner

Congié du tout de soy retraire

Hors de nostre court, sans forfaire.

Fait par bon conseil et advis

De nos subgietz et vraiz amis,

En nostre present Parlement

Que nous tenons nouvellement;

En tesmoing de ce, avons mis

Nostre scel, plaqué et assis,

En ceste presente quictance,

Escripte par nostre ordonnance,

Presens mains notables recors,

Le jour de la feste des morts,

L'an mil quatre cent trente et sept,

Ou chastel de Plaisant recept.



BALADE.

Quant j'euz mon cueur et ma quictance,

Ma voulenté fut assouvie,

Et non pourtant, pour l'acoinctance

Qu'avoye de la seigneurie

D'Amour, et de sa compaignie,

Quant vins à congié demander,

Trop mal me fist la departie,

Et ne cessoye de plourer.

Amour vit bien ma contenance,

Si me dist: Amy, je vous prie,

S'il est riens dessoubz ma puissance

Que vueilliez, ne l'espargniez mie.

Tant plain fu de merencolie,

Que je ne peuz à lui parler

Une parolle ne demie,

Et ne cessoye de plourer.

Ainsi party en desplaisance

D'Amour, faisant chiere marrie,

Et comme tout ravi en trance,

Prins congié, sans que plus mot dye.

A Confort dist qu'il me conduye,

Car je ne m'en savoye aler,

J'avois la veue esbluye,

Et ne cessoye de plourer.



BALADE.

Confort, me prenant par la main,

Hors de la porte me convoye;

Car Amour, le Roy souverain,

Lui chargea moy monstrer la voye

Pour aler où je desiroye;

C'estoit vers l'ancien manoir

Où en enffance demouroye,

Que l'en appelle Nonchaloir.

A confort dis: Jusqu'à demain

Ne me laissiez, car je pourroye

Me forvoier, pour tout certain,

Par desplaisir, vers la saussoye

Où est Vieillesse rabat joye;

Se nous travaillons fort ce soir,

Tost serons au lieu que vouldroye,

Que l'en appelle Nonchaloir.

Tant cheminasmes qu'au derrain

Veismes la place que queroye;

Quant de la porte fu prouchain,

Le portier, qu'assez congnoissoye,

Sitost comme je l'appelloye,

Nous receut, disant que pour voir

Ou dit lieu bien venu estoye,

Que l'en appelle Nonchaloir.



BALADE.

Le gouverneur de la maison

Qui Passetemps se fait nommer,

Me dist: Amy, ceste saison

Vous plaist il ceans sejourner?

Je respondy qu'à brief parler,

Se lui plaisoit ma compaignie,

Content estoye de passer

Avecques lui, toute ma vie.

Et lui racontay l'achoison

Qui me fist Amour delaisser;

Il me dist qu'avoye raison,

Quant eut veu ma quictance au cler,

Que je lui baillay à garder.

Aussi de ce me remercie

Que je vouloye demourer

Avecques lui, toute ma vie.

Le lendemain lectres foison

A Confort baillay à porter,

D'umble recommandation,

Et le renvoyay sans tarder

Vers Amour, pour lui raconter

Que Passetemps, à chiere lye,

M'a voit receu pour reposer

Avecques lui, toute ma vie.



A TRES NOBLE, HAULT ET PUISSANT SEIGNEUR

AMOUR, PRINCE DE MONDAINE DOULCEUR.

Tres excellent, tres hault et noble Prince,

Tres puissant Roy en chascune province,

Si humblement que se peut serviteur

Recommander à son maistre et seigneur,

Me recommande à vous, tant que je puis,

Et vous plaise savoir que toujours suis

Tres desirant oir souvent nouvelles

De vostre estat, que Dieu doint estre telles,

Et si bonnes, comme je le desire,

Plus que ne scay raconter ou escrire;

Dont vous suppli que me faictes sentir

Par tous venans, s'il vous vient à plaisir,

Car d'en oir en bien, et en honneur,

Ce me sera parfaicte joye au cueur;

Et s'il plaisoit à vostre seigneurie

Vouloir oir, par sa grant courtoisie,

De mon estat; je suis en tres bon point,

Joyeux de cueur, car soussy n'ay je point,

Et Passetemps, ou lieu de Nonchaloir,

M'a retenu pour avec lui manoir

Et sejourner, tant comme me plaira,

Jusques à tant que Vieillesse vendra;

Car lors fauldra qu'avec elle m'en voise

Finer mes jours; ce penser fort me poise

Dessus le cueur, quant j'en ai souvenance,

Mais, Dieu mercy, loing suis de sa puissance,

Presentement je ne la crains en riens,

N'en son dangier aucunement me tiens.

En oultre plus, saichez que vous renvoye

Confort, qui m'a conduit la droicte voye

Vers Nonchaloir, dont je vous remercie

De sa bonne, joyeuse compaignie,

En ce fait, à vostre commandement,

De bon vouloir et tres soingneusement,

Auquel vueilliez donner foy et fiance,

En ce que lui ay chargié en creance,

De vous dire plus pleinement de bouche;

Vous suppliant qu'en tout ce qui me touche,

Bien à loisir, le vueilliez escouter,

Et vous plaise me vouloir pardonner

Se je n'escris devers vostre Excellence,

Comme je doy, en telle reverence

Qu'il appartient, car c'est par non savoir

Qui destourbe d'acomplir mon vouloir.

En oultre plus, vous requerant mercy,

Je cognois bien que grandement failly,

Quant me party derrainement de vous,

Car j'estoye si rempli de courrous

Que je ne peu ung mot à vous parler,

Ne mon congié, au partir, demander;

Avecques ce, humblement vous mercie

Des biens qu'ay euz soubz vostre seigneurie.

Autre chose n'escris, quant à present,

Fors que je pry à Dieu, le tout puissant,

Qu'il vous octroit honneur et longue vie,

Et que puissiez tousjours la compaignie

De faulx Dangier surmonter, et deffaire,

Qui en tous temps vous a esté contraire.

Escript ce jour troisiesme vers le soir,

En Novembre ou lieu de Nonchaloir.

Le Bien vostre CHARLES DUC D'ORLÉANS

Qui jadis fut l'un de voz vrays servans.



BALADE.

Balades, chancons et complaintes

Sont pour moy mises en oubly,

Car ennuy et pensées maintes

M'ont tenu longtemps endormy;

Non pourtant, pour passer soussy,

Essayer vueil se je sauroye

Rimer, ainsi que je souloye,

Au moins j'en feray mon povoir,

Combien que je congnois et scay

Que mon langaige trouveray

Tout enroillié de nonchaloir.

Plaisans parolles sont estaintes

En moy qui deviens rassoty;

Au fort, je vendray aux actaintes,

Quant beau parler m'aura failly;

Pourquoy pry ceulx qui m'ont oy

Langaigier, quant pieca j'estoye

Jeune, nouvel et plain de joye,

Que vueillent excusé m'avoir;

Oncques mais je ne me trouvay

Si rude, car je suis, pour vray,

Tout enroillié de nonchaloir.

Amoureux ont parolles paintes,

Et langaige frais et joly;

Plaisance dont ilz sont acointes

Parle pour eulx; en ce party

J'ay esté, or n'est plus ainsy;

Alors, de beau parler trouvoye

A bon marchié, tant que vouloye;

Si ay despendu mon savoir,

Et s'ung peu espargné en ay,

Il est, quant vendra à l'essay,

Tout enroillié de nonchaloir.

L'ENVOY.

Mon Jubile faire devroye,

Mais on diroit que me rendroye

Sans cop ferir, car Bon espoir

M'a dist que renouvelleray;

Pour ce, mon cueur fourbir feray

Tout enroillié de nonchaloir.



BALADE.

L'emplastre de nonchaloir,

Que sus mon cueur pieca mis,

M'a guéri, pour dire voir,

Si nectement que je suis

En bon point, ne je ne puis

Plus avoir, jour de ma vie,

L'amoureuse maladie.

Si font mes yeulx leur povoir

D'espier par le pays,

S'ilz pourroyent plus veoir

Plaisant beaulté, qui jadis

Fut l'un de mes ennemis,

Et mist, en ma compaignie,

L'amoureuse maladie.

Mes yeux tense main et soir,

Mais ilz sont si tres hastis,

Et trop plains de leur vouloir;

Au fort, je les metz au pis,

Facent selon leur advis;

Plus ne crains, dont Dieu mercie,

L'amoureuse maladie.

L'ENVOY.

Quant je voy en doleur pris

Les amoureux, je m'en ris;

Car je tiens, pour grant folie,

L'amoureuse maladie.



BALADE.

Mon cueur m'a fait commandement

De venir vers vostre jeunesse,

Belle que j'ayme loyaument,

Comme doy faire ma Princesse;

Se vous demandez pourquoi esse?

C'est pour savoir quant vous plaira

Alegier sa dure destresse,

Ma Dame, le sauray je ja?

Dictez le, par vostre serment

Je vous fais loyalle promesse,

Nul ne le saura, seulement

Fors que lui, pour avoir leesse;

Or lui monstrez qu'estes maistresse,

Et lui mandez qu'il guerira,

Ou s'il doit mourir de destresse,

Ma Dame, le saurai je ja?

Penser ne pourroit nullement

Que la doleur, qui tant le blesse,

Ne vous desplaise aucunement;

Or faictes donc tant qu'elle cesse,

Et le remectez en l'adresse

D'Espoir, dont il party pieca;

Respondez sans que plus vous presse.

Ma Dame, le sauray je ja?



BALADE.

Je meurs de soif, en cousté la fontaine;

Tremblant de froit, ou feu des amoureux;

Aveugle suis, et si les autres maine;

Povre de sens, entre saichans l'un d'eulx;

Trop negligent, en vain souvent soigneux;

C'est de mon fait une chose faiée,

En bien et mal par fortune menée.

Je gaingne temps, et pers mainte sepmaine;

Je joue et ris, quant me sens douloreux;

Desplaisance j'ay, d'esperance plaine;

J'actens boneur en regret angoisseux;

Rien ne me plaist, et si suis desireux;

Je m'esjois, et courre à ma pensée,

En bien et mal par fortune menée.

Je parle trop, et me tais à grant paine;

Je m'esbahys, et si suis courageux;

Tristesse tient mon confort en demaine,

Faillir ne puis, au moins à l'un des deux;

Bonne chierre je faiz, quant je me deulx;

Maladie m'est en santé donnée,

En bien et mal par fortune menée.

L'ENVOY.

Prince, je dy que mon fait maleureux,

Et mon prouffit aussi avantageux,

Sur ung hasart j'asseray quelque année,

En bien et mal par fortune menée.



BALADE.

Comment voy je les Anglois esbahys,

Resjoys toy, franc royaume de France,

On apparcoit que de Dieu sont hays;

Puis qu'ilz n'ont plus couraige ne puissance;

Bien pensoient, par leur oultrecuidance,

Toy surmonter, et tenir en servaige;

Et ont tenu à tort ton heritaige;

Mais à present Dieu pour toy se combat,

Et se monstre du tout de ta partie,

Leur grant orgueil entierement abat,

Et t'a rendu Guyenne et Normendie.

Quant les Anglois as pieca envays,

Rien ny valoit ton sens, ne ta vaillance;

Lors estoies ainsi que fut Tays

Pecheresse qui pour faire penance,

Enclouse fut par divine ordonnance;

Ainsi as tu esté en reclusaige

De desconfort, et douleur de couraige.

Et les Anglois menoient leur sabat,

En grans pompes, baubans et tirannie.

Or, a tourné Dieu ton dueil en esbat,

Et t'a rendu Guyenne et Normendie.

N'ont pas Anglois souvent leurs Rois trays?

Certes ouil. tous en ont congnoissance;

Et encore, le Roy de leur pays

Est maintenant en doubteuse balance;

D'en parler mal, chascun Anglois s'avance;

Assez monstrent, par leur mauvais langage,

Que voulentiers ilz lui feroyent oultrage;

Qui sera Roy entr'eulx est grant desbat;

Pour ce, France, que veulx tu que te dye?

De sa verge Dieu, les punist et bat,

Et t'a rendu Guyenne et Normendie.

PRINCE.

Roy des Français gaigné as l'asvantaige,

Parfaiz ton jeu, comme vaillant et saige,

Maintenant l'as plus belle qu'au rabat.

De ton boneur, France, Dieu remercie;

Fortune en bien avecques toi s'embat,

Et t'a rendu Guyenne et Normendie.



BALADE.

On parle de religion

Qui est d'estroicte gouvernance,

Et, par ardant devocion,

Portent mainte dure penance;

Mais, ainsi que j'ay congnoissance,

Et selon mon entencion,

Entre tous, j'ay compassion

Des amoureux de l'observance

Toujours par contemplacion

Tiennent leurs cueurs raviz en trance;

Pour venir par perfection

Au hault Paradis de Plaisance:

Chault, froit, soif et faim d'esperance,

Souffrent en mainte nacion;

Telle est la conversacion

Des amoureux de l'observance.

Piez nuz, de consolacion

Quierent l'aumosne d'alegence;

Or ne veulent ne pension,

Fors de pitié pour pitance;

En bissacs plains de souvenance,

Pour leur simple provision,

N'est ce saincte condicion

Des amoureux de l'observance?

L'ENVOY.

Des bigotz ne quiers l'accointance,

Ne loue leur oppinion,

Mais me tiens, par affection,

Des amoureux de l'observance.



OBLIGATION DE VAILLANT.

Present le notaire d'Amours,

Sans alleguer decepcion,

En renoncant tous droiz d'amours,

Coustume, loy, condicion,

De tres loyalle entencion,

A vous servir sans me douloir,

Passe ceste obligacion

Soubz le scel de vostre vouloir.

De cueur, corps, biens, sans nul recours.

Vous fais renunciacion,

Presens, advenir, à tousjours.

Et vous mets en possession

Ne nulle part, ne porcion

N'y aura, et, pour mieulx valoir,

Le jure en ma dampnacion

Soubz le scel de vostre vouloir.

Et quant je feray le rebours,

Pour recevoir punicion,

Me soubzmetz, sans estre ressours,

A vostre juridiction;

Et à bon droit, et action,

Pourrez, de vostre plain povoir:

Me mectre à execution

Soubz le scel de vostre vouloir.

L'ENVOY.

En l'an de ma grant passion

Mectant toutes à nonchaloir,

Feis ceste presentacion,

Soubz le scel de vostre vouloir.



VIDIMUS DE LA DICTE OBLIGACION

PAR LE DUC D'ORLÉANS.

A ceulx qui verront ces presentes,

Le Bailly d'Amoureux espoir,

Salut plain de bonnes ententes,

Mandons et faisons assavoir

Que le tabellion Devoir,

Juré des centraux en amours,

A veu nouvellement, à Tours,

De Vaillant l'obligacion

Entiere de bien vraye sorte,

Dont en fait la relacion,

Ainsi que ce vidimus porte.

A double queue, par patentes,

En cire vert, pour dire voir,

Oblige, soubzmectant ses rentes,

Cueur, corps et biens, sans decevoir,

Soubz le seau d'autruy vouloir,

Pour recouvrer joyeulx secours,

Qu'il a desservy par mains jours;

Faisant ratifficacion,

Ledit notaire le rapporte,

Par sa certifficacion,

Ainsi que ce vidimus porte.

Et deust il mectre tout en ventes,

Des biens qu'il pourra recevoir,

Veult paier ses debtes contentes,

Tant qu'on pourra apparcevoir,

Qu'il fera trop plus que povoir;

Combien qu'ait eu d'estranges tours

Qui lui sont venuz au rebours;

En soit faicte informacion,

Car à Loyaulté se conforte,

Qu'en fera la probacion,

Ainsi que ce vidimus porte.

L'ENVOY.

Pour plus abreviacion,

De l'an et jour je me deporte,

On en voit declaracion,

Ainsi que ce vidimus porte.



ENTENDIT DE LA DICTE OBLIGACION

Par Maistre Jehan Caillau.

Intendit le nommé Vaillant

Qui fait ceste obligation,

Vous resigne tout son vaillant,

Par simple resignacion;

Ne ne fait supplicacion

De gueredon, pour mieulx valoir,

Fors tout à vostre oppinion,

Soubz le scel de vostre vouloir.

Lequel, d'estoc et de taillant.

Endure mainte passion

D'Amours, qui le vont assaillant;

Mais, soubz dissimulacion,

Porte sa tribulacion,

Faisant semblant de non doloir,

Actendant doulce pension,

Soubz le scel de vostre vouloir.

Pour ce, ne doit estre faillant

A la renumeracion,

Car, s'il y estoit deffaillant,

Ce serait sa perdicion;

Et, par Dieu, si bon champion

Ne devez mectre à nonchaloir;

Si faictes qu'ait provision,

Soubz le scel de vostre vouloir.

L'ENVOY.

J'en parle par compacion,

Mais grant bien lui devez vouloir,

Puis que met son entencion

Soubz le scel de vostre vouloir.



BALADE.

En la forest de longue actente,

Chevauchant par divers sentiers,

M'en voys, ceste année presente,

Ou voyage de desiriers;

Devant sont allez mes fourriers,

Pour appareiller mon logis

En la cité de Destinée,

Et, pour mon cueur et moy, ont pris

L'ostellerie de Pensée.

Je mene des chevaulx quarente,

Et autant pour mes officiers,

Voire, par Dieu, plus de soixante,

Sans les bagaiges et sommiers.

Loger nous fauldra par quartiers,

Se les hostelz sont trop petis

Touteffoiz pour une vesprée

En gré prandray, soit mieulx ou pis,

L'ostellerie de Pensée.

Je despens chascun jour ma rente

En maints travaulx avanturiers,

Dont est Fortune mal contente,

Qui soustient contre moy Dangiers;

Mais, Espoirs, s'ilz sont droicturiers,

Et tiennent ce qui qu'ilz m'ont promis,

Je pense faire telle armée,

Qu'auray malgré mes ennemis,

L'ostellerie de Pensée.

L'ENVOY.

Prince, vray Dieu de paradis,

Vostre grace me soit donnée,

Telle que trouve à mon devis,

L'ostellerie de Pensée.



BALADE.

Je cuide que ce sont nouvelles,

J'oy nouveau bruit, et qu'est ce là?

Helas! pourroy je savoir d'elles

Quelque chose qui me plaira;

Car j'ay desiré, longtemps a,

Qu'Espoir m'estraynast de liesse,

Je ne scay pas qu'il en fera,

Le beau menteur plain de promesse.

S'il ne sont ou bonnes ou belles,

Au fort, mon cueur endurera,

En actendant d'avoir de celles

Que Bon eur lui apportera,

Et de l'endormye beuvra;

De nonchaloir, en sa destresse,

Espoir plus ne l'esveillera,

Le beau menteur plain de promesse.

Pour ce, mon cueur, se tu me celles

Reconfort, quant vers toy vendra,

Tu feras mal, car tes querelles

J'ay gardées, or y perra;

Adviengne qu'avenir pourra!

Je suis gouverné par Vieillesse,

Qui de legier n'escoutera

Le beau menteur plain de promesse.

L'ENVOY.

Ma bouche plus n'en parlera,

Raison sera d'elle maistresse;

Mais au derrain, blasmé sera

Le beau menteur plain de promesse.



BALADE.

N'a pas longtemps qu'escoutoye parler

Ung amoureux, qui disoit à s'amye:

De mon estat plaise vous ordonner,

Sans me laisser ainsi finer ma vie,

Je meurs pour vous, je le vous certiffie.

Lors respondit, la plaisante aux doulx yeulx,

Assez le croy, dont je vous remercie,

Que m'aymez bien, et vous encores mieulx,

Il ne fault ja vostre pousse taster,

Fievre n'avez que de merencolie,

Vostre orine ne aussi regarder,

Tost se garist legiere maladie,

Medicine devez prendre d'oublie;

D'autres ay veu trop pis, en plusieurs lieux,

Que vous n'estes, et, pour ce, je vous prie,

Que m'aymez bien, et vous encores mieulx.

Je ne vueil pas de ce vous destourber,

Que ne m'amiez de vostre courtoisie;

Mais que pour moy, doyez mort endurer,

De le croire, ce me seroit folie;

Pensez de vous, et faictes chiere lye;

J'en ay ouy parler assez de tieulx

Qui sont tous sains; quoyque point ne desnye

Que m'aymez bien, et vous encores mieulx.

L'ENVOY.

Telz beaulx parlers ne sont en compaignie

Qu'esbatemens, entre jeunes et vieulx;

Contente suis, combien que je m'en rye,

Que m'aymez bien, et vous encores mieulx.



BALADE.

Portant harnois rouillé de nonchaloir,

Sus monteure foulée de foiblesse,

Mal abillé de desireulx vouloir,

On m'a croizé, aux montres de liesse,

Comme cassé des gaiges de jeunesse;

Je ne congnois où je puisse servir,

L'arriere ban a fait crier Vieillesse,

Las! fauldra il son soudart devenir?

Le bien, que puis avecques elle avoir,

N'est que d'un peu d'atrempée sagesse;

En lieu de ce, me fauldra recevoir

Ennuy, soussy, desplaisir et destresse;

Par Dieu! Bon temps, mal me tenez promesse,

Vous me deviez contre elle soustenir,

Et je voy bien qu'elle sera maistresse,

Las! fauldra il son soudart devenir?

Foibles jambes porteront bon vouloir,

Puisqu'ainsy est, endurant en humblesse,

Prenant confort d'un bien joyeulx espoir,

Quant, Dieu mercy, maladie ne presse;

Mais loing se tient, et mon corps point ne blesse,

C'est ung tresor que doy bien chier tenir,

Veu que la fin de menasser ne cesse,

Las! fauldra il son soudart devenir?

L'ENVOY.

Prince, je dy que c'est peu de richesse

De ce monde, ne de tout son plaisir,

La mort depart ce qu'on tient à largesse,

Las! fauldra il son soudart devenir?



BALADE.

Dieu vueille sauver ma galée,

Qu'ay chargée de marchandise

De mainte diverse pensée

Enpris de loyaulté assise;

Destourbée ne soit, ne prise

Des robeurs, escumeurs de mer;

Vent, ne marée ne luy nuyse,

A bien aler et retourner.

A Confort l'ay recommandée,

Qu'il en face tout à sa guise,

Et pencarte lui ay baillée,

Qui d'estranges pays devise,

Affin que dedens il advise

A quel port pourra arriver,

Et le chemin à chois eslise,

A bien aler et retourner.

Pour acquicter joye empruntée,

L'envoye, sans espargner mise,

Riche devendray, quelque année,

Se mon entente n'est surprise;

Conscience n'auray reprise

De gaing à tort au par aler,

En eur viengne mon entreprise,

A bien aler et retourner.

L'ENVOY.

Prince, se maulx fortune atise,

Sagement s'y fault gouverner:

Le droit chemin jamais ne brise,

A bien aler et retourner.



BALADE.

(Jacques bastart de la Tremoille.)

Pour la conqueste de mercy,

Où les vaillans hommes et saiges

Ont été pris, et mors aussi,

En acquerant leurs avantaiges;

Amours accroissant les couraiges

Des mieulx venuz, lectre patente

A tous a donné leurs usaiges,

En la forest de longue actente.

Les piteux s'arment de soussy,

Les francs se mectent en servaige,

Maigres de corps, le cueur noircy

De dueil, et pales les visaiges;

A tant pour services et gaiges,

Auront trois cens maulx jours de rente

Par an, avec les arreraiges,

En la forest de longue actente.

Ceulx qui Amours servent ainsy,

En lui faisant foys et hommaiges,

Il les fait apres eureux sy

Qu'ilz s'eschappent des brigandaiges

De Dangiers, par petiz boucaiges,

Puis les duit en la droicte sente;

Mais premier, paient leurs truaiges,

En la forest de longue actente.

L'ENVOY.

Prince, pour duire cueurs volaiges,

Affin que nul ne s'en exempte,

Mectez les tous en hermitaiges,

En la forest de longue actente.



BALADE.

Ha! Dieu Amours, où m'avez vous logié?

Tout droit au trait de desir et plaisance,

Où, de legier, je puis estre blecié

Par doulx regart, et plaisant atraiance.

Jusqu'à la mort, dont trop suis en doubtance,

Pour moy couvrir prestez moy ung pavaiz,

Desarmé suis, car pieca mon harnaiz

Je le vendy, par le conseil d'oiseuse.

Comme lassé de la guerre amoureuse.

Vous savez bien que me suis esloingné,

Des longtemps a, d'amoureuse vaillance,

Où j'estoye moult fort embesoingné,

Quant m'aviez en vostre gouvernance;

Or en suis hors, Dieu me doint la puissance

De me garder que n'y rentre jamais;

Car, quant congneu j'ay les amoureux fais,

Retrait me suis de vie si peneuse,

Comme lassé de la guerre amoureuse.

Et non pourtant, j'ay esté advisé

Que Bel acueil a fait grant aliance

Encontre moy, et qu'il est embusché

Pour me prandre, s'il peut, par decevance;

Ung de ses gens, appellé Acointance,

M'assault tousjours; mais souvent je me taiz,

Monstrant semblant que je ne quiers que paiz.

Sans me bouter en paine dangereuse,

Comme lassé de la guerre amoureuse.

L'ENVOY.

Voisent faire jeunes gens leurs essaiz,

Car reposer, je me vueil desormaiz;

Plus cure n'ay de pensée soingneuse,

Comme lassé de la guerre amoureuse.



BALADE.

Yeulx rougis, plains de piteux pleurs,

Fourcelle d'espoir reffroidie,

Teste enrumée de douleurs,

Et troublée de frénésie,

Corps percus sans plaisance lye,

Cueur du tout pausmé en rigueurs,

Voy souvent avoir à plusieurs,

Par le vent de merencolie.

Migraine de plaingnans ardeurs,

Transe de sommeil mi partie,

Fievre frissonnans de maleurs,

Chault ardant fort en reverie,

Soif que confort ne rassasie,

Dueil baigné en froides sueurs.

Begayant, et changeant couleurs,

Par le vent de merencolie.

Toute tourmentant en langueurs,

Colique de forcenerie,

Gravelle de soings assailleurs,

Raige de desirant folie,

Anuys enflans d'ydropisie,

Maulx ethiques aussi ailleurs

Assourdissent les escouteurs,

Par le vent de merencolie.

L'ENVOY.

Guerir ne se peut maladie

Par phisique, ne cireurgie,

Astronomans, n'enchanteurs,

Des maulx que souffrent povres cueurs

Par le vent de merencolie.



BALADE.

Ce que l'ueil despend en plaisir,

Le cueur l'achete chierement,

Et, quand vient à compte tenir,

Raison, president saigement,

Demande pourquoi et comment

Est despendue la richesse,

Dont Amours deppart largement,

Sans grant espargne de liesse.

Lors respond Amoureux desir:

Amours me fist commandement

De joyeuse vie servir,

Et obeir entierement;

Et, s'ay failly aucunement,

On n'en doit blasmer que jeunesse

Qui m'a fait ouvrer sotement,

Sans grant espargne de liesse.

Pas ne mourray sans repentir,

Car je m'en repens grandement,

Trouvé me suis pis que martir,

Souffrant maint doloureux tourment;

Desormais en gouvernement

Me metz, et es mains de Vieillesse,

Bien scay qu'y vivray soubrement,

Sans grant espargne de liesse.

L'ENVOY.

Le temps passe comme le vent,

Il n'est si beau jeu qui ne cesse,

En tout fault avoir finement,

Sans grant espargne de liesse.



BALADE.

Je, qui suis Fortune nommée,

Demande la raison pourquoy

On me donne la renommée,

Qu'on ne se peut fier en moy,

Et n'ay ne fermeté ne foy;

Car, quant aucuns en mes mains prens,

D'en bas je les monte en haultesse,

Et d'en hault en bas les descens,

Monstrant que suis Dame et maistresse.

En ce, je suis à tort blasmée,

Tenant l'usaige de ma loy,

Que de longtemps m'a ordonnée

Dieu, sur tous le souverain Roy,

Pour donner au monde chastoy;

Et, se de mes biens je despens

Souventesfoiz, à grant largesse,

Quant bon me semble, les suspens,

Monstrant que suis Dame et maistresse.

C'est ma maniere acoustumée,

Chascun le scet, comme je croy.

Et n'est pas nouvelle trouvée,

Mais, fays ainsi comme je doy;

Me mocquant, je les monstre au doy

Tous ceulx qui en sont mal contens:

En gré pregnent joye ou destresse,

Qu'ayent l'un des deux me consens,

Monstrant que suis Dame et maistresse.

L'ENVOY.

Sur ce, s'advise qui a sens,

Soit en jeunesse, ou en vieillesse,

Et qui ne m'entent, je m'entens,

Monstrant que suis Dame et maistresse.



BALADE.

Fortune, je vous oy complaindre

Qu'on vous donne renom, à tort,

De savoir, et aider, et faindre,

Donnant plaisir et desconfort;

C'est vray, et encore plus fort.

Souvent effoiz, contre raison,

Boutez de hault plusieurs en bas,

Et de bas en hault; telz debas

Vous usez en vostre maison.

Bien savez de plaisance paindre,

Et d'espoir, quand prenez depport.

Apres effacer et destaindre

Toute joye, sans nul support.

Et mener à douloureux port,

Ne vous chault en quelle saison;

Jamais vous n'ouvrez par compas;

Beaucoup pis, que je ne dy pas,

Vous usez en vostre maison.

Pour Dieu, vueillez vous en reffraindre,

Affin qu'on ne face rapport,

Qui vouldra vostre fait actaindre,

Que vous soyez digne de mort;

Vostre maniere chascun mort,

Plus qu'autre, sans comparaison,

Qui regarde par tous estats,

Anuy et meschief, à grant tas,

Vous usez en vostre maison.

L'ENVOY.

Ne jouez plus de vostre sort,

Car trop le passez oultre bort;

Se gens ne laissiez en pais, on

Appellera les advocas,

Qui plaideront que tres faulx cas

Vous usez en vostre maison.



BALADE.

Or ca, puisque il faut que responde,

Moy, Fortune, je parleray,

Si grant n'est, ne puissant ou monde,

A qui bien parler n'ozeray.

J'ay fait, faiz encores, et feray,

Ainsi que bon me semblera,

De ceulx qui sont soubz ma puissance;

Parle qui parler en vouldra,

Je n'en feray qu'à ma plaisance.

Quant les biens, qui sont en la ronde,

Sont miens, et je les donneray

Par grant largesse, dont j'abonde,

Et apres je les reprendray;

Certes, à nul tort ne feray.

Qui est ce qui m'en blasmera?

Je l'ay ainsi d'acoustumance,

En gré le preigne qui pourra,

Je n'en feray qu'à ma plaisance.

En raison jamais ne me fonde,

Mais mon vouloir accompliray;

Les aucuns convient que confonde,

Et les autres avanceray;

Mon propos souvent changeray,

En plusieurs lieux, puis ca, puis là,

Sans regle, ne sans ordonnance;

Où est il qui m'en gardera?

Je n'en feray qu'à ma plaisance.

L'ENVOY.

On escript: tant qu'il nous plaira,

Es lettres des seigneurs de France;

Pareillement de moy sera,

Je n'en feray qu'à ma plaisance.



BALADE.

Fortune, vray est vostre compte,

Que quant voz biens donné avez,

Vous les reprenez; mais, c'est honte,

Et don d'enfant, bien le savez;

Ainsi faire ne le devez.

Voz fais vous mectez à l'enchiere,

Chascun ce qu'il en peut, en a,

Et ne vous chault comment tout va,

Pour Dieu, changez vostre maniere63.

Note 63: (retour) Nous trouvons le commencement de cette ballade dans un manuscrit de la Bibliothèque royale (Laval, 193); la fin manque.


BALADE.

Escollier de merancolie,

A l'estude je suis venu,

Lectres de mondaine clergie

Espelant atout ung festu,

Et moult fort m'y trouve esperdu;

Lire, n'escripre, ne scay mye,

Des verges de Soussy batu,

Es derreniers jours de ma vie.

Pieca, en jeunesse fleurie,

Quant de vif entendement fu,

J'eusse apris en heure et demye

Plus qu'à present; tant ay vesqu,

Que d'engin je me sens vaincu;

On me deust bien, sans flaterie,

Chastier despoillié tout nu,

Es derreniers jours de ma vie.

Que voulez vous que je vous die?

Je suis pour ung asnyer tenu,

Banny de bonne compaignie,

Et de nonchaloir retenu

Pour le servir, il est conclu;

Qui vouldra pour moy estudie,

Trop tart je m'y suis entendu,

Es derreniers jours de ma vie.

L'ENVOY.

Se j'ay mon temps mal despendu,

Fait l'ay, par conseil de folie;

Je m'en sens, et m'en suis sentu,

Es derreniers jours de ma vie.



BALADE.

L'autre jour tenoit son conseil,

En la chambre de ma pensée,

Mon cueur, qui faisoit appareil

De deffence contre l'armée

De Fortune mal advisée,

Qui guerrier vouloit Espoir;

Se sagement n'est reboutée,

Par Bon eur et Loyal vouloir.

Il n'est chose soubz le souleil,

Qui tant doit estre désirée

Que paix; c'est le don non pareil

Dont Grace fait toujours livrée

A sa gent qu'a recommandée;

Fol est, qui ne la veult avoir,

Quant elle est offerte et donnée,

Par Bon eur et Loyal vouloir.

Pour Dieu, laissons dormir traveil,

Ce monde n'a gueres durée,

Et paine, tant qu'elle a sommeil,

Souffrons que prengne reposée:

Qui une foiz l'a esprouvée,

La doit fuyr, de son povoir,

Par tout doit estre deboutée,

Par Bon eur et Loyal vouloir.

L'ENVOY.

Dieu nous doint bonne destinée,

Et chascun face son devoir,

Ainsi ne sera redoubtée

Par Bon eur et Loyal vouloir.



BALADE.

En la chambre de ma pensée,

Quant j'ay visité mes tresors,

Mainteffoiz la trouve estoffée

Richement, de plaisans confors;

A mon cueur je conseille lors,

Qu'y prenons notre demourée,

Et que par nous soit bien gardée,

Contre tous envieux rappors.

Car Desplaisance maleurée

Essaye souvent ses effors,

Pour la conquester par emblée,

Et nous bouter tous deux dehors;

Se Dieu plaist, assez sommes fors

Pour bientost rompre son armée,

Se d'Espoir bannyere est portée

Contre tous envieux rappors.

L'inventoire j'ay regardée

De noz meubles, en biens et corps;

De legier, ne sera gastée,

Et si ne ferons à nulz tors;

Mieux aymerions estre mors,

Mon cueur et moy, que couroucée

Fust raison saige et redoublée,

Contre tous envieux rappors.

L'ENVOY.

Demourons tous en bons accors,

Pour parvenir à joyeulx pors;

Ou monde qui a peu durée,

Soustenons Paix la bien amée

Contre tous envieux rappors.



BALADE.

Je n'ay plus soif, tarie est la fontaine,

Bien eschauffé, sans le feu amoureux;

Je vois bien cler, ja ne fault qu'on me maine,

Folie et sens me gouvernent tous deux,

En nonchaloir resveille sommeilleux;

C'est de mon fait une chose meslée,

Ne bien, ne mal, d'avanture menée.

Je gaingne et pers, mescontant par sepmaine,

Ris, jeux, deduiz, je ne tiens compte d'eulx;

Espoir et dueil me mectent hors d'alaine,

Eur me flatent, si m'est trop rigoreux;

Dont vient cela, que je ris et me deulx?

Est ce par sens, ou folie esprouvée?

Ne bien, ne mal, d'avanture menée.

Guerdonné suis de malheureuse estraine,

En combatant, je me rens courageux,

Joye et Soussy m'ont mis en leur demaine,

Tout desconfit, me tiens au renc des preux;

Qui ne sauroit desnoer tous ses neux,

Teste d'acier y fauldroit fort armée,

Ne bien, ne mal, d'avanture menée.

PRINCE.

Vieillesse fait me jouer à telz jeux,

Perdre et gaingner, et tout par ses conseulx;

A la faille j'ay joué ceste année,

Ne bien, ne mal, d'avanture menée.



BALADE.

(Orléans.)

Pourquoy m'as tu vendu, Jeunesse,

A grant marchié, comme pour rien,

Es mains de ma Dame Vieillesse

Qui ne me fait gueres de bien,

A elle peu tenu me tien,

Mais il convient que je l'endure,

Puisque c'est le cours de nature.

Son hostel, de noir de tristesse,

Est tendu; quant dedens je vien,

J'y voy l'istoire de destresse

Qui me fait changer mon maintien,

Quant la ly, et maint mal soustien;

Espargnée n'est creature,

Puisque c'est le cours de nature.

Prenant en gré ceste rudesse,

Le mal d'autruy compare au mien;

Lors me tance Dame Sagesse,

Adoncques en moy je revien;

Et croy de tout le conseil sien,

Qui est en ce plain de droicture,

Puisque c'est le cours de nature.

PRINCE.

Dire ne sauroye combien

Dedens mon cueur mal je retien,

Serré d'une vieille sainture,

Puisque c'est le cours de nature.



BALADE.

(Orléans.)

Mon cueur vous adjourne, Vieillesse,

Par droit huissier de parlement,

Devant Raison qui est maistresse,

Et juge de vray jugement;

Depuis que le gouvernement

Avez eu, de luy et de moy,

Vous nous avez, par tirannie,

Mis es mains de merencolie,

Sans savoir la cause pourquoy.

Par avant nous tenoit Jeunesse,

Et nourrissoit si tendrement,

En plaisir, confort et liesse,

Et tout joyeulx esbatement;

Or faictes vous tout autrement

Se vous est honte, sur ma foy,

Car, en douleur et maladie,

Nous faictes user nostre vie,

Sans savoir la cause pourquoy.

De quoy vous sert ceste destresse

A donner sans alegement?

Cuidez vous pour telle rudesse

Avoir honneur aucunement?

Nennil, certes, car vrayement

Chascun vous monstrera au doy,

Disant: la vieille rassotie

Tient tout maulx en sa compaignie,

Sans savoir la cause pourquoy.

PRINCE.

Ce saint Martin presentement,

Qu'avocas font commencement

De plaidier les faiz de la loy,

Prenez bon conseil, je vous prie,

Ne faictes debat ne partie,

Sans savoir la cause pourquoy.



BALADE.

Plus ne voy riens qui reconfort me donne,

Plus dure ung jour que ne me souloient cent,

Plus n'est saison qu'à nul bien m'abandonne,

Plus voy plaisir et mains mon cueur s'en scent,

Plus qu'oncques mais mon vouloir bas descent,

Plus me souvient de vous, et plus m'empire;

Plus quiers esbas, c'est lors que plus soupire;

Plus fait beau temps, et plus me vient d'ennuys;

Plus ne m'actens fors tousjours d'avoir pire,

Puisque de vous approcher je ne puis.

Plus suis dolent que nul autre personne,

Plus n'ay espoir d'aucun alegement,

Plus ay désir, crainte d'autre part sonne;

Plus vueil aler vers vous, mains scay comment;

Plus suis espris, et plus ay de tourment;

Plus pleure et plains, et plus pleurer desire;

Plus chose n'est qui me sauroit suffire,

Plus n'ay repos, je hai les jours et nuys;

Plus que jamais à douleur me fault duyre,

Puisque de vous approcher je ne puis.

Plus vivre ainsi ne m'est pas chose bonne,

Plus vueil mourir, et raison si assent;

Plus qu'à nully, Amours de maulx m'ordonne;

Plus n'a ma voix, bon accort, ne assent;

Plus fait on jeux, mieux desire estre absent;

Plus force n'ay d'endurer tel martire,

Plus n'est vivant, homme qui tel mal tire;

Plus ne congnois bonnement où je suis,

Plus ne scay brief que pencer, faire ou dire,

Puisque de vous approcher je ne puis.

L'ENVOY.

Plus n'ay mestier de jouer, ne de rire;

Plus n'est le temps sinon de tout despire,

Plus cuide avoir de douceur les apuys,

Plus suis adonc desplaisant et plain d'ire.

Puisque de vous approcher je ne puis.



BALADE.

(Orléans.)

Chascun s'esbat au mieulx mentir,

Et voulentiers je l'aprendroye,

Mais maint mal j'en voy advenir,

Parquoy savoir, ne le vouldroye.

De mentir par déduit, ou joye,

Ou par passe temps, ou plaisir,

Ce n'est point mal fait, sans faillir,

Se faulceté ne s'y employe.

Faulx menteurs puisse l'en couvrir,

Sur les montaignes de Savoye,

De neiges, tant que revenir

Ne puissent par chemin, ne voye,

Jusques querir je les renvoye;

Pour Dieu, laissiez les là dormir,

Ils ne scevent de riens servir,

Se faulceté ne s'y employe.

Pourquoy se font ilz tant hair?

Veulent ilz que l'en les guerroye?

Cuident ilz du monde tenir

Tous les deux boutz de la courroye?

C'est folie, que vous diroye?

Leur prouffit puissent parfournir,

Et laissent les autres chevir,

Se faulceté ne s'y employe.

L'ENVOY.

Paix crie, Dieu la nous octroye.

C'est ung tresor qu'on doit cherir,

Tous biens s'en pevent ensuir,

Se faulceté ne s'y employe.



BALADE.

Jam nova progenies coelo demittitur alto.

O louée Conception,

Envoyée sa jus des cieulx,

Du noble Lys digne Syon,

Don de Jhesus tres precieulx,

Marie, nom tres gracieulx,

Fons de pitié, source de grace,

La joye, confort de mes yeulx,

Qui nostre paix batist et brasse.

La paix, c'est assavoir des riches,

Des povres, le substantament,

Le rebours des felons et chiches,

Tres necessaire enfantement

Conceu, portée honnestement

Hors le pechié originel,

Que dire je puis sainctement,

Souverain bien de Dieu Eternel.

Nom recouvré, joye de peuple,

Confort des bons, de maulx retraicte,

Du doulx Seigneur premiere et seule

Fille, de son cler sang extraicte.

Du dextre costé Clovis traicte,

Glorieuse ymage en tout fais,

Ou hault ciel crée et pourtraicte,

Pour esjouyr, et donner paix.

En l'amour et crainte de Dieu,

Es nobles flans Cesar conceue,

Des petitz et grans, en tout lieu,

A tres grande joye receue,

De l'amour Dieu traicte, tissue

Pour les discordez ralier,

Et aux enclos donner yssue,

Leurs lians et fers delier.

Aucunes gens qui bien peu sentent,

Nourriz en simplesse et confiz,

Contre le vouloir Dieu, actentent

Par ignorance desconfiz,

Desirans que feussiez ung filz,

Mais qu'ainsi soit, ainsi m'aist Dieux,

Je croy que ce soit grans proufiz;

Raison, Dieu fait tout pour le mieulx.

Du Psalmiste je prens les dictz,

Delectasti me, Domine,

In factura tua, si ditz;

Noble enfant de bonne heure né,

A toute doulceur destiné,

Manna du ciel, celeste don,

De tous biens fais le guerdonné,

Et de noz maulx le vray pardon.

Combien que j'ay leu en ung dit,

Inimicum putes y a

Qui te presentem laudabit,

Toutteffoiz, non obstant cela,

Oncques vray homme ne cela

En son courage aucun grant bien,

Qui ne le monstrast ca et là,

On doit dire du bien le bien.

Saint Jehan Baptiste ainsi le fist,

Quant l'aignel de Dieu descela,

En ce faisant, pas ne meffist,

Dont sa voix es tourbes vola,

De quoy saint Andry Dieu loua,

Qui de lui, cy ne scavoit rien,

Et au filz de Dieu s'aloua,

On doit dire du bien le bien,

Envoyée de Jhesucrist,

Rappelez sa jus par deca

Les povres que rigueur proscript,

Et que fortune betourna;

Cy scay bien comment y m'en va,

De Dieu, de vous, vie je tien,

Benoist celle qui vous porta;

On doit dire du bien le bien.

Cy, devant Dieu, fais congnoissance

Que creature feusse morte,

Ne fust vostre doulce naissance,

En charité puissant et forte,

Qui ressuscite et reconforte,

Ce que mort avoit prins pour sien;

Vostre presence me conforte,

On doit dire du bien le bien.

Cy vous rens toute obeissance,

Ad ce faire, raison me porte,

De toute ma povre puissance,

Plus n'est deul qui me desconforte,

N'autre ennuy de quelconque sorte;

Vostre je suis, et non plus mien,

Ad ce, droit et devoir m'enhorte,

On doit dire du bien le bien.

O grace et pitié tres immense,

L'entrée de paix et la porte,

Some et benigne clemence,

Qui noz faultes toult et supporte;

Cy de vous louer me deporte,

Ingrat suis, et je le maintien,

Dont en ce refrain me transporte,

On doit dire du bien le bien.

Princesse, ce loz je vous porte,

Que sans vous je ne feusse rien;

A vous et à vous m'en rapporte,

On doit dire du bien le bien.

Euvre de Dieu, digne, louée,

Autant que nulle créature,

De tous biens et vertuz douée,

Tant d'esperit, que de nature,

Que de ceulx qu'on dit d'aventure;

Plus que rubis noble, ou balais,

Selon de Caton l'escripture,

Patrem insequitur proles.

Port asseuré, maintien rassis,

Plus que ne peut nature humaine,

Et eussiez des ans trente six,

Enfance en riens ne vous demaine,

Que jour ne le die et sepmaine,

Je ne scay qui le me deffant;

Ad ce propoz un g dit ramaine,

De saige mere, saige enfant.

Dont resume ce que j'ay dit,

Nova progenies coelo,

Car c'est du Poete le dit,

Jamjam demittitur alto.

Saige Cassandre, bel Echo,

Digne Judith, caste Lucresse,

Je vous congnois, noble Dido,

A ma seule Dame et maistresse.

En priant Dieu, digne Pucelle,

Qui vous doint longue et bonne vie,

Qui vous ayme, ma Damoiselle,

Ja ne coure sur lui envie;

Entiere Dame, et assouvie,

J'espoir de vous servir aincoys,

Certes, se Dieu plaist que devie

Vostre povre escolier francoys.



BALADE.

Je meurs de soif empres de la fontaine;

Suffisance ay, et si suis convoiteux;

Une heure m'est plus d'une quarantaine;

Droit et parfait, je chemine boiteux;

Tres pacient, plus que nul despiteux;

Je retiens tout, et ce que j'ai, despars;

A moy cruel, et aux autres Piteux;

Le neutre suis, et si tiens les deux pars.

En doubte suis de chose tres certaine;

Infortuné, je me repute eureux;

Vraye conclus une chose incertaine;

Rien je ne fois, et suis adventureux;

Feble me tiens, quant me sens vigoreux;

Plain de moisteur, tout tremblant au feu ars;

Doulx et beguin, de semblant rigoreux;

Le neutre suis, et si tiens les deux pars.

Quant dueil me prent, grand joye me demaine;

Par grant plaisir, je deviens langoreux;

Indigent suis, possident grant demaine;

Qui n'a nul goust, je le tiens savoreux,

Qui m'est amer, de lui suis amoureux;

Ignorant suis, et si scay les sept ars;

En grant seurté, fort craintif et paoureux;

Le neutre suis, et si tiens les deux pars.

L'ENVOY.

Qui me loue, il m'est injurieux;

Je ne bouge, quant d'un lieu je me pars;

Par bien ouvrer, en vain labourieux;

Le neutre suis, et si tiens les deux pars.



BALADE.

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Tant plus mengue, et tant plus je me affame;

Povre d'argent, ou ma bourse en est plaine;

Marié suis, et si n'ay point de fame;

Qui me honnore, grandement me diffame;

Quant je vois droit, lors est que me devoye;

Pour loz et pris, je tiltre de diffame;

Grief desplaisir m'est excessive joye.

Quant on me toult, richement on me estraine;

Dix mile onces ne me sont que une dragme;

Sec et brahaing, je porte fleur et graine;

En reposant, sur mer tire à la rame;

Actaine suis en tous lieux on n'a ame;

Acompaigné, je n'ay qui me convoye;

Toute entiere est la chose que je entame,

Grief desplaisir m'est excessive joye.

En aspirant, je retiens mon alaine;

Quant eur me vient, maleureux je me clame;

Fort et puissant, flexible comme laine;

Transi d'amours sans avoir nulle dame;

Homme parfait, privé de corps et d'ame;

Paisible suis, et ung chascun guerroye;

Mes ennemis plus que tous autres, ame;

Grief desplaisir m'est excessive joye.

L'ENVOY.

Mauvaise odeur m'est plus fleurant que basme;

Pasmé de dueil, angoisseux me resjoye;

En eau plungié, je brule tout en flame;

Grief desplaisir m'est excessive joie.



BALADE.

Je n'ai plus soif, tarie est la fontaine,

Repeu je suis de competent viande,

J'ai pris treves affin que on ne me actaine,

Dissimulant, fault que le hurt actende;

Adjoing des deux, sans que nul vilipende,

Je festie l'un, à l'austre fois la moue;

En ce faisant, pour éviter escande,

Entre deux eaues, comme le poisson, noue.

En grant travail j'ai frapé la quintaine,

Jusques ung temps fault qu'à repos entende;

Pour obvier à voye trop haultaine,

Le moyen tiens, affin que ne descende,

J'ai eu delay de payer mon amende,

En couroux faint, couvertement me joue,

En reculant pour mieulx saillir en lande,

Entre deux eaues, comme le poisson, noue.

Ne vert, ne meur, mon blé mangue en graine,

Dueil et plaisir me tiennent en commande;

En divers lieux ca et là me pourmaine;

La moitie fois, quant tout l'en me commande;

A demy trait lors est que l'arc debande,

Pour abreger, ne l'un ne l'autre loue,

Participant de l'une et l'autre bande,

Entre deux eaues, comme le poisson, noue.

L'ENVOY.

Par priere de affaictée demande,

Interrogé se l'ung ou l'autre avoue,

A ce respons, se aucun le me demande,

Entre deux eaues, comme le poisson, noue.



BALADE.

(Villon.)

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Chault comme feu, et tremble dent à dent;

En mon pays, suis en terre loingtaine;

Lez ung brasier, friconne tout ardent;

Nu comme ung ver, vestu en president;

Je ris en pleurs, et actens sans espoir;

Confors reprens, en triste desespoir;

Je m'esjouys, et n'ay plaisir aucun;

Puissant, je suis sans force et sans povoir;

Bien recueilly, débouté de chascun.


Rien ne m'est seur, que la chose incertaine;

Obscur, fors ce qui est tout evident;

Doubte ne fais, fors en chose certaine;

Science tiens à soudain accident;

Je gaigne tout, et demeure perdent;

Au point du jour diz: Dieu vous doint bon soir;

Gisant envers, j'ai grant paour de cheoir;

J'ai bien de quoy, et si n'en ay pas ung;

Eschoite actens, et d'omme ne suis hoir;

Bien recueilly, debouté de chascun.

De riens n'ay soing, si mets toute ma paine

D'acquerir biens, et n'y suis pretendent;

Qui mieulx me dist, c'est cil qui plus m'actaine;

Et qui plus vray, lors plus me va bourdent;

Mon amy est qui me fait entendent,

D'un cigne blanc, que c'est un corbeau noir;

Et qui me nuys, croy qu'il m'aide à povoir;

Bourde, verité, aujourduy m'est tout ung;

Je retiens tout, riens ne scay concepvoir;

Bien recueilly, debouté de chascun.

L'ENVOY.

Prince clement, or vous plaise savoir

Que j'entens moult, et n'ay sens, ne savoir;

Parcial, suis à toutes lois commun;

Que fais je plus? quoy? les gaiges ravoir;

Bien recueilly, debouté de chascun.



BALADE.

Parfont conseil eximium.

En ce saint livre, exortatur,

Que l'omme, in matrimonium,

Folement non abutatur;

Raison, le sens hebetatur,

De omni viro quelqu'il soit;

Fol non credit tant qu'il recoit.

Et constat, par ceste leccon,

Pour conserver vim et robur,

Prestat ne faire mot, ne son,

Souffrir et escouter murmur;

Si conjunx clamat ad ce mur,

Fingat que pas ne le concoit,

Fol non credit tant qu'il recoit.

Fortior multo que Sanson,

En cest assault conjuncitur

Contra de Venus l'escusson,

Le plus fort bourdon plicatur;

. . . . . . . . . . . . . . . . . .64

Sed quisquis pas ne le concoit,

Fol non credit tant qu'il recoit.

L'ENVOY.

Prince très saige, legitur

Quod astucior si decoit,

Le mieulx nagent y mergitur;

Fol non credit tant qu'il recoit.

Note 64: (retour) Le vers manque dans les manuscrits.


BALADE.

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

J'ai tres grant fain, et si ne puis mengier;

Je suis au bas en la maison haultaine,

Et enchartré en ung très beau vergier;

En grant peril, et hors de tout dangier;

Les biens que j'ay, me font povre indigent;

En beau logis, ne me scay où logier;

Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.

Je fais grant dueil, tristesse m'est loingtaine;

Dormir ne puis, et ne fais que songier;

Je suis tout sain, et ay fievre quartaine;

Tout esdenté, mon frain me fault rongier,

Verité dy, et si suis mensongier;

Je suis recluz, hanté de toute gent;

Congneu de tous, et à tous estrangier;

Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.

Grant doubte fais de chose bien certaine;

Incertain suis, et si en vueil jugier;

Ou champs estroit, je jouste à la quintaine;

Non offensé, je me cuide vengier;

Ung pesant faiz me semble tres legier;

Je suis paillart, et contrefay du gent;

Par trop couart, hardy comme un Ogier;

Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.

L'ENVOY.

Prince, je suy siche, pour abregier,

Prodigue aussi, nonchallant, diligent,

Assez subtil, plus simple que bergier,

Je gaigne assez, et si n'ay point d'argent.



BALADE.

(Montbreton et Robertet.)

Je meurs de soif auprès de la fontaine;

Je trouve doulx ce qui doit estre amer;

J'ayme et tiens chier tous ceux qui me font haine,

Je hé tous ceulx que fort je deusse amer;

Je loue ceulx que je deusse blasmer;

Je prens en gré plus le mal que le bien;

Je vois querant ce qu'à trouver je doubte;

Croire ne puis cela que je scay bien;

Je me tiens seur de ce dont plus jay doubte.

Je prens plaisir en ce qui m'est atayne;

Ung peu de chose m'est grant comme la mer;

Je tiens de pres, celle qui m'est loingtaine;

Je garde entier ce que deusse entamer;

Saoul suis, de ce qui me fait affamer;

J'ay largement de tout, et si n'ay rien;

J'oublie ce que plus à cueur je boute;

Ce qui me lasche, me tient en son lien;

Je me tiens seur de ce dont plus j'ay doubte.

Je tiens pour basse chose qui est haultaine;

Je fuis tous ceulx que deusse reclamer,

Je croy plus tart le vray qu'une fredaine;

Tant plus suis froit, plus me sens enflamer;

Quant j'ay bon cueur, lors je prens à pasmer;

Ce que j'aquiers, je ne tiens pas pour mien;

Je prise peu ce qui bien chier me couste;

Sote maniere m'est plus que beau maintien;

Je me tiens seur de ce dont plus j'ay doubte.

L'ENVOY.

Prince, j'ay tout, et si ne scay combien;

J'atire à moy ce qui plus me deboute;

Ce que j'esloigne, m'est plus pres qu'autre rien;

Je me tiens seur de ce dont plus j'ay doubte.



BALADE.

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Verbe normal, sans conjugacion:

Congruité, de incongruité plaine;

Declinable, sans declinacion;

Approprié par appellation;

Determiné, sans quelque terminance;

Ou brief, ou long, sans variacion;

C'est plus fort fait, que ouvrer par ignorance.

Mat et vaincu, je frape la quintaine;

Sans violance je fois invasion;

Affirmatif d'une chose incertaine;

Silogisant sans proposicion;

Meuf figure où n'a conclusion;

Emptimeme sans quelque consequance;

Convertible où n'a conversion;

C'est plus fort fait, que ouvrer par ignorance.

J'ayme repos, et desire la paine;

Corruptible en generacion;

Le vray au faulx je duis et ramaine;

De maxime je fois oppinion;

Diffiment je fois descripcion,

Et l'accident je mue en substance;

Aveugle suis en clere vision;

C'est plus fort fait, que ouvrer par ignorance.

L'ENVOY.

Incomplexif, ayant complexion;

Irregulier, je suis de l'observance;

Je suis actif, designant passion;

C'est plus fort fait, que ouvrer par ignorance.



BALADE.

(Maistre Berthault de Villebresme.)

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Tout affamé, en mengier sumptueulx;

Comblé de dueil, en liesse haultaine;

Sec et brahaing, en pays fructueux;

Loing de vertuz, entre les vertueux;

Entre joyeux, plaintif et souspirant;

En lieu de bien, de mal affectueux;

Et va mon fait tousjours en empirant.

Entre tous biens je suis de mal quintaine;

Alangoré, entre les vigoreux;

Entre esbanoys, de regret cappitaine;

Amertume, entre les doulcereux;

Tremblant de froit en manoir chalereux;

En grant santé, tousjours mal endurant;

Entre courtois, despit et rigoreux;

Et va mon fait tousjours en empirant.

Forvoyé suis par hanter voye certaine,

Et avoyé, en lieux avantureux;

Ma nacion m'est region lointaine;

En lieu tres seur, je suis tres fort paoureux;

Espris d'amour, sans estre amoureux;

La lerme a l'ueil, je me vois deduisant;

Tout me desplaist, sans estre dangereux;

Et va mon fait tousjours en empirant.

L'ENVOY.

Prince, cesser fay le mal qui m'actaine,

Ou autrement je m'en iray mourant,

Car je suis pres d'avoir fievre quartaine,

Et va mon fait toujours en empirant.



BALADE.

(Maistre Jehan Caillau.)

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Tremblant de froit ou feu des amoureux;

Je suis tout sain en langueur et enpaine;

Et suis asseur, où tout est dangereux;

Tout mal, tout grief, m'est doulx et savoureux;

Plain de tourment, mene joyeuse vie,

Et ce qui plaist à tous, ne me plaist mie;

En povreté, je suis tres richement;

En engoisse, j'ay plaisance assovye;

Or jugiez donc se je vis plaisamment.

Je suis joyeulx sans plaisance mondaine;

Où chascun rit, pensif et douloreux;

Sans nul travail, si suis je hors d'alaine;

Pres de tout bien, suis le tres langoreux;

Ce qui me plaist, est aspre et rigoreux;

J'ayme estre seul, et si vueil compaignie;

Je dors assez, et suis en frenesie;

En desespoir j'ay grand allegement;

Ce qui est doulx, m'est plus amer que suye;

Or jugiez donc se je vis plaisamment.

Je suis seigneur sans terre et sans demaine;

Tant plus ay biens, et plus suis maleureux;

Je meurs de fain, et ay ma grange plaine;

Où tout est seur, si suis je tres paoureux;

Des plus vaillans et moins chevalereux;

Qui mal me fait, je lui rens courtoisie;

S'il fait beau temps, je demande la pluye;

Se je meurs tost, si vis je longuement;

En grant repos, plain de forsenerie;

Or jugez donc si je vis plaisamment.

L'ENVOY.

Prince, mon fait est droicte faerie,

Je bay travail, et le repos m'ennuye;

Maintenant d'un, et tantost autrement;

J'ay tous les jeux, et quicte la partie;

Or jugez donc si je vis plaisamment.



BALADE.

(Gilles des Ourmes.)

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Tremblant de froit ou feu des amoureux;

Je suis joyeulx s'aucun mal me demaine;

Plaintz et souspirs sont mes riz et mes jeux;

Je n'ay santé, sinon quand je me deulx;

Beau temps me plaist, et desire la pluye;

Qui bien me fait, je le tiens mon hayneux;

Or regardez, et jugiez s'il m'ennuye.

Je n'ay repos qu'en doleur et en paine;

J'ayme travail, et si suis paresseux;

Ung mois ne m'est qu'à ung aultre sepmaine,

Et m'est d'advis que le jour dure deux;

Se j'ay nul bien, je m'en tiens maleureux;

Quant j'ayme aucun, force est que je le fuye;

Qui m'est courtois, je lui suis rigoreux;

Or regardez, et jugiez s'il m'ennuye.

J'ay mille maulx, et ma personne est saine;

Plaisirs mondains me sont malencontreux;

Quant je suis seul, lors ung chascun m'actaine;

Rien n'ay asseur, si je n'en suis doubteux;

Gens bien en point me semblent souffreux;

En plain midy j'ay la veue esbluye;

Je n'ayme rien, et si suis convoiteux;

Or regardez, et jugiez s'il m'ennuye.

L'ENVOY.

Sans mot sonner, je dy mon cas piteux;

Je n'ay regret qu'en ce que je ne veulx;

Ce qui est doulx, m'est plus amer que suye;

Quant gens n'ont rien, je vueil mordre sur eulx:

Or regardez, et jugiez s'il m'ennuye.



BALADE.

(Simonnet Caillau.)

Je meurs de soif aupres de la fontaine;

Costé plaisir, mon cueur plaint et souspire;

Tout arresté, sans marchier l'on me maine;

Rempli de deul, vouloir me prent de rire;

En plaisans lieux je n'ay si non martire;

A nul ne suis, et si fault que m'avoue;

Parler scay bien, et ne puis mon cas dire;

Or regardez, se tel homme se joue.

Croire ne vueil, et est chose certaine;

Sans me toucher, je sens que l'on me tire;

En lit bien fait, là ne seuffre que paine;

Le chois ay eu, et est ma part la pire;

Sans avoir riens, j'ay tant qu'il deust suffire;

Qui mal me fait, de cestui la me loue;

Pres des joyeulx, je ne me scay deduire;

Or regardez, se tel homme se joue.

Esgaré suis, et voy la voye plaine;

Où tout est bien, assez treuve à redire;

Sens grant chaleur, ca et là me pourmaine;

Les yeulx bandez, en mirouer me mire;

Loingt de chault feu, je ne cesse de frire;

Tel me flate qui puis me fait la moue;

Ce qui est mien, j'en voy ung autre sire;

Or regardez, se tel homme se joue.

L'ENVOY.

J'ay piez et sens, et ne me scay conduire;

En beau chemin je suis cheut en la boue;

J'ayme estre à part, et compaignie desire;

Or regardez, se tel homme se joue.



BALADE.

En regardant vers le pays de France,

Ung jour m'avint, à Dovre sur la mer,

Qu'il me souvint de la doulce plaisance

Que souloie ou dit pays trouver;

Si commencay de cueur à souspirer,

Combien certes que grant bien me faisoit,

De veoir France que mon cueur amer doit.

Je m'avisay que c'estoit nonsavance,

De telz souspirs dedens mon cueur garder,

Veu que je voy que la voye commence

De bonne paix, qui tous biens peut donner;

Pour ce, tournay en confort mon penser,

Mais non pourtant, mon cueur ne se lassoit

De veoir France que mon cueur amer doit.

Alors chargay, en la nef d'esperance,

Tous mes souhays en leur priant d'aler

Oultre la mer, sans faire demourance,

Et à France de me recommander;

Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder,

Adonc auray loisir, mais qu'ainsi soit,

De veoir France que mon cueur amer doit.

L'ENVOY.

Paix est tresor qu'on ne peut trop loer,

Je hé guerre, point ne la doit prisier,

Destourbé m'a longtemps, soit tort ou droit,

De veoir France que mon cueur amer doit.



BALADE.

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,

Royne des cieulx, et du monde maistresse,

Faictes prier, par vostre courtoisie,

Saints et sainctes, et prenez vostre adresse

Vers vostre fils, requerrant sa haultesse

Qu'il lui plaise son peuple regarder,

Que de son sang a voulu rachater,

En deboutant guerre qui tout desvoye;

De prieres ne vous vueilliez lasser,

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, prelaz, et gens de saincte vie.

Religieux, ne dormez en peresse,

Priez, maistres, et tous suivans clergie,

Car par guerre fault que l'estude cesse;

Moustiers destruiz sont sans qu'on les redresse,

Le service de Dieu vous fault laisser,

Quant ne povez en repos demourer;

Priez si fort que briefment Dieu vous oye,

L'Eglise voult à ce vous ordonner;

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, princes qui avez seigneurie,

Roys, ducs, contes, barons plains de noblesse,

Gentils hommes avec chevalerie,

Car meschans gens surmontent gentillesse;

En leurs mains ont toute vostre richesse,

Debatz les font en hault estat monter,

Vous le povez chascun jour veoir au cler,

Et sont riches de voz biens et monnoye,

Dont vous deussiez le peuple supporter;

Prier pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, peuple qui souffrez tirannie,

Car voz seigneurs sont en telle foiblesse,

Qu'ilz ne pevent vous garder par maistrie,

Ne vous aider en vostre grant destresse;

Loyaux marchans, la selle si vous blesse,

Fort sur le doz chascun vous vient presser,

Et ne povez marchandise mener,

Car vous n'avez seur passage, ne voye,

Et maint peril vous convient il passer:

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

Priez, galans joyeulx en compaignie,

Qui despendre desirez à largesse,

Guerre vous tient la bourse degarnie;

Priez, amans, qui voulez en liesse

Servir amours, car guerre, par rudesse,

Vous destourbe de voz dames hanter,

Qui mainteffoiz fait leurs voloirs torner,

Et quant tenez le bout de la courroye,

Ung estrangier si le vous vient oster;

Priez pour paix, le vray tresor de joye.

L'ENVOY.

Dieu tout puissant nous vueille conforter

Toutes choses en terre, ciel et mer,

Priez vers lui que brief en tout pourvoye,

En lui seul est de tous maulx amender;

Priez pour paix, le vray tresor de joye.



BALADES DE PLUSIEURS PROPOS.

(Orléans contre Garancières.

Je, qui suis Dieu des amoureux,

Prince de joyeuse plaisance,

A toutes celles et à ceulx

Qui sont de mon obeissance,

Requier qu'a toute leur puissance

Me viengnent aider et servir,

Pour l'outrecuidance punir

D'aucuns qui, par leur janglerie,

Veulent, par force, conquerir

Des grans biens de ma seigneurie.

Car Garencieres, l'un d'entre eulx,

Si dit en sa folle ventance,

Pour faire le chevalereux,

Qu'avant hyer, par sa grant vaillance,

Lui et son cueur d'une aliance,

Furent devant beaulté courir;

Je ne luy vy pas sans faillir,

Mais croy qu'il soit en resverie,

Car si pres n'oseroit venir

Des grans biens de ma seigneurie.

Il dit qu'il est tant douloreux,

Et qu'il est mort sans recouvrance;

Mais bien seroit il maleureux,

Qui donneroit en ce creance;

On peut veoir que celle penance,

Qu'il lui a convenu souffrir,

N'a fait son visaige pallir,

Ne amaigrir de maladie,

Ainsi se mocque, pour chevir

Des grans biens de ma seigneurie.

L'ENVOY.

Sur tous, me plaist le retenir

Roys des heraulx pour bien mentir;

Cest office je lui octrie,

C'est ce que lui veuil departir

Des grans biens de ma seigneurie.



BALADE.

(Response de Garencieres.)

Cupido, Dieu des amoureux,

Prince de joyeuse plaisance,

Moi, Garancieres, tres soingneux

De vous servir de ma puissance,

Viens devers vous, en obeissance,

Pour vous humblement requerir

Que vous vueilliez faire punir

Ung homme de mauvaise vie.

Qui, contre raison, veult tenir

Le droit de vostre seigneurie.

C'est ung enfant malicieux,

Où nul ne doit avoir fiance,

Car il en a ja plus de deux

Deceues, au pais de France,

Dont vous deussiez prendre vengeance,

Pour faire les autres cremir;

C'est le prince de bien mentir,

Ainsné frere de janglerie,

Qui, contre raison, veult tenir

Le droit de vostre seigneurie.

Oncques Lucifer l'orgueilleux

Ne fist si grant oultrecuidance,

Quant il emprist d'estre envieux

Sur le Dieu de toute puissance;

Il me semble que, par sentence,

Vous le deussiez faire bannir

De vostre court, sans revenir,

Lui et sa faulse compaignie,

Qui, contre raison, veult tenir

Le droit de vostre seigneurie.

L'ENVOY.

Prince, s'on doit avoir vaillance

Pour mentir à grant habondance,

Et pour faulseté maintenir,

Vour verrez icellui venir

A grant honneur, n'en doubtez mie,

Qui, contre raison, veult tenir

Le droit de vostre seigneurie.



BALADE.

En acquictant nostre temps vers jeunesse,

Le nouvel an et la saison jolie,

Plains de plaisir et de toute liesse,

Qui chascun d'eulx chierement nous en prie;

Venuz sommes en ceste mommerie,

Belles, bonnes, plaisans et gracieuses,

Prestz de dancer, et faire chiere lye,

Pour resveiller voz pensées joyeuses.

Or bannissiez de vous toute peresse,

Ennuy, soussy avec merencolie,

Car froit yver, qui ne veult que rudesse,

Est desconfit, et convient qu'il s'enfuye;

Avril et May amainent doulce vie

Avec eulx; pour ce, soyez songneuses

De recevoir leur plaisant compaignie,

Pour resveillier voz pensées joyeuses.

Venus aussi, la tres noble Deesse,

Qui sur femmes doit avoir la maistrie,

Vous envoye de confort à largesse,

Et plaisance de grans biens enrichie,

En vous chargeant que, de vostre partie,

Vous acquictiez sans estre dangereuses;

Aidiez vous veult sans que point vous oublie,

Pour resveiller voz pensées joyeuses.



BALADE.

Bien monstrez, printemps gracieulx,

De quel mestier savez servir,

Car yver fait cueurs ennuieux,

Et vous les faictes resjouir;

Sitost, comme il vous voit venir,

Lui et sa meschant retenue

Sont contrains, et pretz de fuir,

A vostre joyeuse venue.

Yver fait champs et arbres vieulx,

Leurs barbes de neiges blanchir,

Et est si froit, ort et pluvieux,

Qu'empres le feu convient croupir;

On ne peut hors des huis yssir,

Comme ung oisel qui est en mue;

Mais vous faictes tout rajeunir,

A vostre joyeuse venue.

Yver fait le souleil, es cieulx,

Du mantel des nues couvrir;

Or maintenant, loué soit Dieux,

Vous este venu esclersir

Toutes choses et embellir;

Yver a sa peine perdue,

Car l'an nouvel l'a fait bannir,

A vostre joyeuse venue.



BALADE.

Je fu en fleur ou temps passé d'enfance,

Et puis apres devins fruit en jeunesse;

Lors m'abaty de l'arbre de plaisance,

Vert et non meur, Folie, ma maistresse;

Et pour ce la, raison qui tout redresse

A son plaisir, sans tort ou mesprison,

M'a à bon droit, par sa tres grant sagesse,

Mis pour meurir ou feurre de prison.

En ce j'ay fait longue continuance,

Sans estre mis à l'essor de largesse;

J'en suis content, et tiens que sans doubtance,

C'est pour le mieulx, combien que par peresse

Deviens fletry, et tire vers vieillesse;

Assez estaint est en moy le tison

De sot desir, puisqu'ay esté en presse

Mis pour meurir ou feurre de prison.

Dieu nous doint paix, car c'est ma desirance,

Adonc seray en l'eaue de liesse

Tost refreschi, et au souleil de France

Bien nectié du moisy de tristesse;

J'actens bon temps, endurant en humblesse,

Car j'ay espoir que Dieu ma guerison

Ordonnera; pour ce, m'a sa haultesse

Mis pour meurir ou feurre de prison.

L'ENVOY.

Fruit suis d'yver qui a meins de tendresse

Que fruit d'esté, si suis en garnison,

Pour amolir ma trop verde rudesse,

Mis pour meurir ou feurre de prison.



BALADE.

Cueur, trop es plain de folie,

Cuides tu de t'eslongner

Hors de nostre compaignie,

Et en repos te logier;

Ton propos ferons changier,

Soing et Ennuy nous nommons,

Avecques toy demourrons,

Car c'est le commandement

De Fortune qui en serre

T'a tenu moult longuement,

Ou royaume d'Angleterre.

Dy nous, ne cognois tu mie

Que l'estat de prisonnier

Est que souvent lui ennuye,

Et endure maint dangier,

Dont il ne se peut vengier;

Pour ce, nous ne te faisons

Nul tort, se te gouvernons

Ainsi que communement

Sont prisonniers pris en guerre,

Dont es l'un presentement

Ou royaume d'Angleterre.

En lieu de plaisance lye,

Au lever et au couschier

Trouveras merencolie,

Souvent te fera veillier,

La nuit et le jour songier;

Ainsi te guerdonnerons,

Et es fers te garderons;

De soussy et pensement,

Se tu peuz, si te defferre,

Par nous n'auras autrement

Ou royaume d'Angleterre.



BALADE.

Nouvelles ont couru en France,

Par mains lieux, que j'estoye mort;

Dont avoient peu deplaisance

Aucuns qui me hayent à tort;

Autres en ont eu desconfort,

Qui m'ayment de loyal vouloir,

Comme mes bons et vrais amis;

Si fais à toutes gens savoir

Qu'encore est vive la souris.

Je n'ay eu ne mal, ne grevance,

Dieu mercy, mais suis sain et fort,

Et passe temps en esperance

Que paix, qui trop longuement dort,

S'esveillera, et par accort

A tous fera liesse avoir;

Pour ce, de Dieu soient maudis

Ceux qui sont dolens de veoir

Qu'encore est vive la souris.

Jeunesse sur moy a puissance,

Mais Vieillesse fait son effort

De m'avoir en sa gouvernance;

A present faillira son sort,

Je suis assez loing de son port,

De pleurer vueil garder mon hoir;

Loué soit Dieu de Paradis,

Qui m'a donné force et povoir,

Qu'encore est vive la souris.

L'ENVOY.

Nul ne porte pour moy le noir,

On vent meilleur marchié drap gris;

Or tiengne chascun, pour tout voir,

Qu'encore est vive la souris.



BALADE.

Puisqu'ainsi est que vous alez en France,

Duc de Bourbon, mon compaignon tres chier,

Ou Dieu vous doint, selon la desirance

Que tous avons, bien povoir besongner;

Mon fait vous vueil descouvrir et chargier

Du tout en tout, en sens et en folie;

Trouver ne puis nul meilleur messagier,

Il ne faut ja que plus je vous en die.

Premierement, se c'est vostre plaisance,

Recommandez moy, sans point l'oublier,

A ma Dame; ayez en souvenance,

Et lui dictes, je vous pry et requier,

Les maulx que j'ay quant me fault eslongnier,

Maugré mon vueil, sa doulce compaignie;

Vous savez bien que c'est de tel mestier,

Il ne faut ja que plus je vous en die.

Or y faictes comme j'ay la fiance,

Car un amy doit pour l'autre veillier;

Se vous dictes: Je ne scay, sans doubtance,

Qui est celle? vueilliez la enseignier.

Je vous respons qu'il ne vous fault serchier,

Fors que celle qui est la mieulx garnie

De tous les biens qu'on sauroit souhaidier;

Il ne faut ja que plus je vous en die.

L'ENVOY.

Sy ay chargié à Guillaume Cadier

Que, par de la, bien souvent vous supplie;

Souviengne vous du fait du prisonnier,

Il ne faut ja que plus je vous en die.



BALADE.

Mon gracieulx cousin, Duc de Bourbon,

Je vous requier, quant vous aurez loisir.

Que me faictes, par balade ou chancon,

De vostre estat aucunement sentir;

Car quant à moy, saichiez que, sans mentir,

Je sens mon cueur renouveller de joye,

En esperant le bon temps à venir,

Par bonne paix que brief Dieu nous envoye.

Tout crestian qui est loyal et bon,

Du bien de paix se doit fort resjoir,

Veu les grans maulx, et la destruction,

Que guerre fait par tous pays courir;

Dieu a voulu Crestianté punir,

Qui a laissié de bien vivre la voye,

Mais puis apres, il la veult secourir,

Par bonne paix que brief Dieu nous envoye.

Et pour ce la, mon tres chier compaignon,

Vueilliez de vous desplaisance bannir,

En oubliant vostre longue prison,

Qui vous a fait mainte doleur souffrir;

Merciez Dieu, pensez de le servir,

Il vous garde de tous biens grant montjoye,

Et vous fera avoir vostre desir,

Par bonne paix que brief Dieu nous envoye.

L'ENVOY.

Resveilliez vous en joyeulx souvenir,

Car j'ay espoir qu'encore je vous voye,

Et moy aussy en confort et plaisir,

Par bonne paix que brief Dieu nous envoye.



BALADE.

Mon chier cousin, de bon cueur vous mercie,

Des blancs connins que vous m'avez donnez;

Et oultre plus, pour vray vous certiffie,

Quant aux connins, que dictes qu'ay amez,

Ilz sont pour moy, plusieurs ans a passez,

Mis en oubly; aussi mon instrument

Qui les servoit, a fait son testament,

Et est retrait, et devenu hermite;

Il dort tousjours, à parler vrayement,

Comme cellui qui en riens ne prouffite.

Ne parlez plus de ce, je vous en prie,

Dieux ait l'ame de tous les trespassez!

Parler vault mieulx, pour faire chiere lye,

De bons morceaulx et de frians pastez,

Mais qu'ilz soient tout chaudement tastez;

Pour le present, c'est bon esbatement,

Et qu'on ait vin pour nectier la dent;

En char crue mon cueur ne se delicte,

Oublions tout le vieil gouvernement,

Comme cellui qui en riens ne proufite.

Quant Jeunesse tient gens en seigneurie,

Les jeux d'amours sont grandement prisez;

Mais Fortune qui m'a en sa baillie,

Les a du tout de mon cueur deboutez;

Et desormais, vous et moi excusez

De tels esbatz serons legierement,

Car faiz avons nos devoirs grandement

Ou temps passé; vers Amours me tiens quicte,

Je n'en vueil plus, mon cueur si s'en repent,

Comme cellui qui en riens ne proufite.

L'ENVOY.

Vieulx soudoiers avecques jeune gent,

Ne sont prisiez la valeur d'une micte;

Mon office resine plainement,

Comme cellui qui en riens ne proufite.



BALADE.

Dame qui cuidiez trop savoir,

Mais vostre sens tourne en folie,

Et cuidiez les gens decevoir,

Par vostre cautelle jolie;

Qui croirait vostre chiere lie,

Tantost seroit pris en voz las,

Encore ne m'avez vous mie,

Encore ne m'avez vous pas.

Vous cuidiez bien qu'apercevoir

Ne saiche vostre moquerie,

Si fais, pour vous dire le voir;

Et pour ce, chierement vous prie,

Alez jouer de l'escremie

Autre part, car quant en ce cas,

Encore ne m'avez vous mie,

Encore ne m'avez vous pas.

Vous ferez bien vostre devoir,

Se m'atrapez par tromperie;

Car trop ay congneu main et soir

Les faulx tours dont estes garnie,

On vous appelle, fol si fie;

Deportez vous de telz esbas,

Encore ne m'avez vous mie,

Encore ne m'avez vous pas.



BALADE.

(Orléans à Bourgoigne.)

Puisque je suis vostre voisin

En ce pais presentement,

Mon compaignon, frere et cousin,

Je vous requier tres chierement,

Que de vostre gouvernement,

Et estat me faictes savoir,

Car j'en orroye bien souvent,

S'il en estoit à mon vouloir.

Il n'est jour, ne soir, ne matin,

Que ne prie Dieu humblement

Que la paix prengne telle fin,

Que je puisse joyeusement,

A mon desir, prouchainement

Parler à vous, et vous veoir;

Ce seroit tres hastivement,

S'il en estoit à mon vouloir.

Chascun doit estre bien enclin

Vers la paix, car certainement

Elle departira butin

De grans biens à tous largement;

Guerre ne sert que de tourment,

Je la hé, pour dire le voir,

Bannie seroit plainement,

S'il en estoit à mon vouloir.

L'ENVOY.

Va, ma balade, prestement

A Saint Omer, monstrant comment

Tu vas pour moy ramentevoir

Au Duc à qui suis loyaument,

Et tout à son commandement,

S'il en estoit à mon vouloir.



BALADE.

(Responce de Bourgoigne à Orléans)

S'il en estoit à mon vouloir,

Mon maistre et amy sans changier,

Je vous asseure, pour tout voir,

Qu'en vo fait n'auroit nul dangier;

Mais par deca, sans actargier,

Vous verroye hors de prison,

Quicte du tout, pour abregier,

En ceste presente saison.

Se tel don povez recevoir

Par la grace Dieu, de legier

Pourrez tel à paix esmouvoir,

Qui la desire eslongier;

Nul contre n'osera songier,

Car confort aurez bel et bon,

Se Dieu nous veult assoulagier,

En ceste presente saison.

Mectons nous en nostre devoir

Qu'en paix nous puissions herbergier;

Il n'est ou monde tel manoir,

Qui desir a de s'y logier;

Abregeons, sans plus prolongier,

Il en est temps, ou jamais non,

Pour nous de guerre deslogier,

En ceste presente saison.

L'ENVOY.

Or pensons de vous allegier

De prison, pour tout engagier,

Se n'avons paix et union,

Et du tout m'y vueil obligier,

En ceste presente saison.



BALADE.

(Orléans à Bourgoigne.)

Pour le haste de mon passaige

Qu'il me convient faire oultre mer,

Tout ce que j'ay en mon couraige

A present ne vous puis mander;

Mais non pourtant, à brief parler,

De la balade que m'avez

Envoyée, comme savez,

Touchant paix et ma delivrance,

Je vous mercie chierement,

Comme tout vostre entierement,

De cueur, de corps et de puissance.

Je vous envoyerai messaige,

Se Dieu plaist, briefment sans tarder,

Loyal, secret et assez saige,

Pour bien à plain vous informer

De tout ce que pourray trouver

Sur ce que savoir desirez;

Pareillement fault que mectez

Et faictes, vers la part de France,

Diligence soigneusement;

Je vous en requier humblement,

De cueur, de corps et de puissance.

Et, sans plus despendre langaige,

A cours mots, plaise vous penser

Que vous laisse mon cueur en gaige

Pour tousjours, sans jamais faulser;

Si me veuillez recommander

A ma cousine, car croiez

Que en vous deux, tant que vivrez,

J'ay mise toute ma fiance;

Et vostre party loyaument

Tendray, sans faire changement,

De cueur, de corps et de puissance.

L'ENVOY.

Or y perra que vous ferez,

Et se point ne m'oublierez,

Ainsi que j'y ai esperance.

Adieu vous dy presentement,

Tout Bourgongnon sui vrayement,

De cueur, de corps et de puissance.



BALADE.

(Responce de Bourgoigne à Orléans.)

De cueur, de corps et de puissance,

Vous mercie tres humblement

De vostre bonne souvenance,

Qu'avez de moi soingneusement;

Or povez faire entierement

De moy, en tout bien et honneur,

Comme vostre cueur le propose,

Et de mon vouloir soyez seur,

Quoy que nul dye, ne deppose.

Ne mectez point en oubliance

L'estat et le gouvernement

De la noble maison de France.

Qui se maintient piteusement:

Vous saurez tout, quoy et comment;

Je n'en dy plus pour le meilleur,

Mais on en dit tant et expose,

Que c'est à oir grant orreur;

Quoy que nul dye, ne deppose.

Pensez à vostre delivrance,

Je vous en prie chierement;

Car, sans ce, je n'ay esperance

Que nous ayons paix nullement,

On la heit tant mortellement

Que trop peu trouve de faveur,

Ne fera, comme je suppose,

Se ce n'est par vostre labeur,

Quoique nul dye, ne deppose.

L'ENVOY.

Or prions Dieu, par sa doulceur,

Qu'à vous delivrer se dispose,

Car trop avez souffert douleur,

Quoy que nul dye, ne deppose.



BALADE.

(Orléans à Bourgoigne.)

Des nouvelles d'Albion,

S'il vous en plaist escouter,

Mon frere et mon compaignon,

Saichiez qu'à mon retourner,

J'ay esté, deca la mer,

Receu à joyeuse chiere,

Et a fait le Roy passer,

En bons termes, ma matiere.

Je doy estre une saison

Eslargi pour pourchasser

La paix, aussi ma raencon;

Se je puis seurté trouver

Pour aler et retourner,

Il fault qu'en haste la quiere,

Se je vueil brief achever,

En bons termes, ma matiere.

Or, gentil Duc Bourgongnon,

De ce cop vueilliez m'aydier,

Comme mon entencion

Est vous servir et amer,

Tant que vif pourray durer;

En vous ay fiance entiere,

Que m'ayderez à finer,

En bons termes, ma matiere.

L'ENVOY.

Mes amis fault esprouver,

S'ilz vouldront à ma priere,

Me secourir pour mener,

En bons termes, ma matiere.



BALADE.

J'ay tant joué avecques Aage

A la paulme, que maintenant

J'ay quarante cinq, sur bon gaige

Nous jouons, non pas pour neant;

Assez me sens fort et puissant

De garder mon jeu jusqu'à cy,

Ne je ne crains riens que Soussy.

Car Soussy tant me descourage

De jouer, et va estouppant

Les cops que fiers à l'avantage,

Trop seurement est rachassant;

Fortune si lui est aidant,

Mais Espoir est mon bon amy,

Ne je ne crains riens que Soussy.

Vieillesse de douleur enrage,

De ce que le jeu dure tant,

Et dit en son felon langage,

Que les chasses dorenavant

Merchera, pour m'estre nuisant;

Mais ne m'en chault, je la deffy,

Ne je ne crains riens que Soussy.

L'ENVOY.

Se bon eur me tient convenant,

Je ne double, ne tant ne quant,

Tout mon adversaire party,

Ne je ne crains riens que Soussy.



BALADE.

Visaige de baffe venu

Confit en composte de vin,

Menton rongneulx et peu barbu,

Et dessiré comme ung coquin,

Malade du mal saint Martin,

Et aussi ront q'un tonnellet;

Dieu le me sauve ce varlet!

Il est enroué devenu,

Car une pouldre de raisin

L'a tellement en l'ueil feru,

Qu'endormy l'a, comme un touppin;

II y pert chascun matin,

Car il en a chault le touppet;

Dieu le me sauve ce varlet!

Rompre ne sauroit ung festu,

Quant il a pincé un loppin,

Saint Poursain qui l'a retenu

Son chier compaignon et cousin,

Combien qu'ayent souvent hutin,

Quant ou cellier sont en secret;

Dieu le me sauve ce varlet!

L'ENVOY.

Prince, pour aler jusqu'au Rin,

D'un baril a fait son ronssin,

Et ses esperons d'un foret;

Dieu le me sauve ce varlet!



BALADE.

Amour qui tant a de puissance,

Qu'il fait vieilles gens rassoter,

Et jeunes plains d'oultrecuidance,

De tous estas se scet meller;

Je l'ay congneu pieca au cler,

Il ne fault ja que je le nye,

Parquoy dis et puis advouer

Ce n'est fors que plaisant folie.

A droit compter, sans decevance,

Quant ung amant vient demander

Confort de sa dure grevance,

Que vouldroit il faire, ou trouver?

Cela, je ne l'ose nommer;

Au fort, il faut que je le die,

Ce qui fait le ventre lever,

Ce n'est fors que plaisant folie.

Bien scay que je fais desplaisance

Aux amoureux, d'ainsi parler,

Et que j'acquier leur malvueillance;

Mais, s'il leur plaist me pardonner,

Je leur prometz qu'au par aler,

Quant leur chaleur est refroidie,

Ilz trouveront que, sans doubter,

Ce n'est fors que plaisant folie.

L'ENVOY.

Prince, quant ung prie d'amer,

Se l'autre si veult accorder,

Il n'y a plus sans mocquerie,

Laissiez les ensemble jouer,

Ce n'est fors que plaisant folie.



BALADE.

(Orléans à Bourgoigne.)

Beau frere, je vous remercie,

Car aidié m'avez grandement;

Et, oultre plus, vous certiffie

Que j'ay mon fait entierement;

Il ne me fault plus riens qu'argent,

Pour avancer tost mon passaige,

Et pour en avoir prestement,

Mectroye corps et ame en gaige.

Il n'a marchant en Lombardie,

S'il m'en prestoit presentement,

Que ne fusse, toute ma vie,

Du cueur à son commandement;

Et tant que l'eusse fait content,

Demourer vouldroye en servaige,

Sans espargner aucunement,

Pour mectre corps et ame en gaige.

Car se je suis en ma partie,

Et oultre la mer franchement,

Dieu mercy, point ne me soussie

Que n'aye des biens largement;

Et desserviray loyaument

A ceulx qui m'ont, de bon couraige,

Aidié, sans faillir nullement,

Pour mectre corps et ame en gaige.

L'ENVOY.

Qui m'ostera de ce tourment,

Il m'achetera plainement,

A tousjours mes à heritaige,

Tout sien seray, sans changement,

Pour mectre corps et ame en gaige.



BALADE.

(Orléans à Bourgoigne.)

Pour ce que je suis à présent

Avec la gent vostre ennemie,

Il fault que je face semblant,

Faignant que ne vous ayme mie;

Non pourtant, je vous certiffie,

Et vous pry que vueillez penser

Que je seray, toute ma vie,

Vostre loyaument, sans faulser.

Tous maulx de vous je voiz disant,

Pour aveugler leur faulse envie;

Non pourtant, je vous ayme tant,

Ainsi m'aid la Vierge Marie,

Que je pry Dieu qu'il me mauldie,

Se ne trouvez, au par aler,

Que vueil estre, quoy que nul die,

Vostre loyaument, sans faulser.

Gaignez envers moy mal talant,

A celle fin que nul n'espye

Nostre amour, car par ce faisant,

Sauldray hors du mal qui m'anuye;

Mais faictes que bonne foy lye

Nos cueurs, qu'ilz ne puissent muer,

Car mon vouloir vers vous se plye,

Vostre loyaument, sans faulser.

Vous et moy avons maint servant,

Que convoitise fort mestrie;

Il ne fault pas, ne tant ne quant,

Qu'ilz saichent nostre compaignie;

Peu de nombre fault que manye

Noz faiz secrez par bien celer,

Tant qu'il soit temps qu'on me publie

Vostre loyaument, sans faulser.

Tout mon fait saurez plus avant,

Par le porteur en qui me fye;

Il est loyal et bien saichant,

Et se garde de janglerie;

Creez le de vostre partie,

En ce qu'il vous doit raconter,

Et me tenez, je vous en prie,

Vostre loyaument, sans faulser.

L'ENVOY.

Dieu me fiere d'espidimie,

Et ma part es cieulx je renye,

Se jamais vous povez trouver

Que me faigne, par tromperie,

Vostre loyaument, sans faulser.



BALADE.

Par les fenestres de mes yeulx,

Ou temps passé, quant regardoye,

Advis m'estoit, ainsi m'ait Dieux,

Que de trop plus belles voye

Qu'à present ne fais; mais j'estoye

Ravy en plaisir et lyesse,

Es mains de ma Dame Jeunesse.

Or, maintenant que deviens vieulx,

Quant je lis ou livre de joye,

Les lunectes prens pour le mieulx,

Parquoy la lectre me grossoye,

Et n'y voy ce que je souloye;

Pas n'avoye ceste foiblesse,

Es mains de ma Dame Jeunesse.

Jeunes gens vous deviendrez tieulx,

Se vivez et suivez ma voye;

Car aujourduy n'a soubz les cieulx

Qui en aucun temps ne foloye;

Puis fault que raison son compte oye,

Du trop despendu en simplesse,

Es mains de ma Dame Jeunesse.

L'ENVOY.

Dieu en tout, par grace pourvoye,

Et ce qui nicement fourvoye

A son plaisir, en bien radresse

Es mains de ma Dame Jeunesse



BALADE.

Par les fenestres de mes yeulx,

Le chault d'amours souloit passer;

Mais maintenant que deviens vieulx,

Pour la chambre de mon penser,

En esté freschement garder,

Fermées les feray tenir;

Laissant le chault du jour aler

Avant que je les face ouvrir.

Aussi en yver le pluvieux,

Qui vens et broillars fait lever,

L'air d'amour epidimieux

Souvent parmy se vient bouter;

Si fault les pertuis estouper,

Par où pourroit mon cueur ferir,

Le temps verray plus net et cler,

Avant que je les face ouvrir.

Desormais en sains et seur lieux,

Ordonne mon cueur demourer,

Et par Nonchaloir, pour le mieulx,

Mon medicin soy gouverner;

S'Amour à mes huys vient hurter,

Pour vouloir vers mon cueur venir,

Seurté lui fauldra me donner,

Avant que je les face ouvrir.

L'ENVOY.

Amours, vous venistes frapper

Pieca mon cueur, sans menacer;

Or, ay fait mes logis bastir

Si fors que n'y pourrez entrer,

Avant que je les face ouvrir.



BALADE.

Ung jour à mon cueur devisoye,

Qui en secret à moy parloit,

Et en parlant, lui demandoye

Se point d'espargne fait avoit

D'aucuns biens, quant Amour servoit;

Il me dist que tres voulentiers

La vérité m'en compteroit,

Mais qu'eust visité ses papiers.

Quant ce m'eut dit, il print sa voye,

Et d'avecques moy se partoit,

Apres entrer je le voye

En ung comptouer qu'il avoit;

Là deça et delà queroit,

En cherchant plusieurs vieux cayers,

Car le vray monstrer me vouloit,

Mais qu'eust visité ses papiers.

Ainsi, par ung temps l'atendoye,

Tantost devers moy retournoit,

Et me monstra, dont j'euz grant joye,

Ung livre qu'en sa main tenoit,

Ou quel dedens escript portoit

Ses faiz, au long et bien entiers,

Desquelz informer me feroit,

Mais qu'eust visité ses papiers.

Lors demanday se j'y liroye,

Ou se mieulx lire lui plaisoit;

Il dit que trop paine prandroye,

Pourtant à lire commancoit,

Et puis gectoit et assommoit

Le compte des biens et dangiers;

Tout à ung vy que revendroit

Mais qu'eust visité ses papiers.

Lors dy: Jamais je ne cuidoye,

Ne nul autre ne le croiroit,

Qu'en amer, où chascun s'employe,

De proffit n'eust plus grant exploit;

Amours ainsi les gens decoit,

Plus ne m'aura en telz santiers,

Mon cueur bien effacier pourroit,

Mais qu'eust visité ses papiers.

L'ENVOY.

Amours savoir ne me devroit

Mal gré, se blasme ses mestiers,

Il verroit mon gaing bien estroit,

Mais qu'eust visité ses papiers.



BALADE.

En tirant d'Orléans à Blois,

L'autre jour par eaue venoye,

Si rencontray, par plusieurs foiz,

Vaisseaulx, ainsi que je passoye,

Qui singloient leur droicte voye,

Et aloient legierement,

Pour ce qu'eurent, comme veoye,

A plaisir et à gré, le vent.

Mon cueur, penser et moy, nous trois,

Les regardasmes à grant joye,

Et dist mon cueur à basse voie:

Voulentiers en ce point feroye,

De Confort la voille tendroye,

Se je cuidoye seurement

Avoir, ainsi que je vouldroye,

A plaisir et à gré, le vent.

Mais je treuve le plus des mois

L'eaue de Fortune si quoye,

Quant ou bateau du monde vois,

Que, s'avirons d'Espoir n'avoye,

Souvent en chemin demourroye,

En trop grant ennui longuement,

Pour neant en vain actendroye,

A plaisir et à gré, le vent.

L'ENVOY.

Les nefz dont cy devant parloye,

Montoient, et je descendoye

Contre les vagues de tourment;

Quant il lui plaira, Dieu m'envoye,

A plaisir et à gré, le vent.



BALADE.

L'autre jour je fis assembler

Le plus de conseil que povoye,

Et vins, bien au long, raconter

Comment deffié me tenoye;

Comme par lectres monstreroye,

De merancolie et douleur,

Pourquoy conseiller me vouloye

Par les trois estas de mon cueur.

Mon advocat prist à parler,

Ainsi qu'anformé je l'avoye;

Lors vissiez mes amis pleurer,

Quant sceurent le point où j'estoye;

Non pourtant je les confortoye,

Qu'à l'aide de nostre Seigneur,

Bon remede je trouveroye,

Par les trois estas de mon cueur.

Espoir, Confort, Loyal penser,

Que mes chiefs conseillers nommoye,

Se firent fors, sans point doubter,

Se par eulx je me gouvernoye,

De me trouver chemin et voye

D'avoir brief secours de doulceur,

Avecques l'aide que j'auroye

Par les trois estas de mon cueur.

L'ENVOY.

Prince, fortune me guerroye

Souvent à tort, et par rigueur,

Raison veult que je me pourvoye,

Par les trois estas de mon cueur.



BALADE.

(Orléans.)

Bon regime sanitatis

Pro vobis, neuf en mariage,

Ne de vouloirs effrenatis,

Abusez nimis en mesnage;

Sagaciter menez l'ouvrage,

Ainsi fait homo sapiens,

Testibus les phisiciens.

Premierement, caveatis

De c...u trop à oultraige;

Car, se souvent hoc agatis,

Conjunx le vouldra par usaige

Chalenger, velud heritaige,

Aut erit quasi hors du sens,

Testibus les phisiciens.

Oultre plus, non faciatis

Ut Philomena ou boucaige;

Se voz amours habeatis,

Qui siffle carens de couraige

Cantendi, mais monstrez visaige

Joyeulx, et silis paciens;

Testibus les phisiciens.

L'ENVOY.

Prince, miscui en potaige

Latinum et françois langaige,

Docens loyaulx advisemens,

Testibus les phisiciens.



BALADE.

Du regime quod dedistis,

Cognoscens que tres saigement

Me, Monseigneur, docuistis,

Je vous remercie humblement;

Mais d'ainsi faire seurement,

Numquam uxor concordabit,

Hoc mains desbas generabit.

Je ne scay si bien novistis

L'infinie peine et tourement,

In quibus me posuistis,

Se je croy vostre enseignement;

Car tant congnois, s'aucunement

Fais du sourt quando temptabit,

Hoc mains desbas generabit.

Je voy trop bien que dixistis

Ce qu'on doit dire bonnement,

Et qu'aussi me avertistis

De ma santé entierement;

Mais quant je feray autrement,

Le fait d'autres recordabit,

Hoc mains desbas generabit.

L'ENVOY.

Prince, selon mon sentement,

Il fault s'acquiter loyaument;

Quia qui non laborabit,

Hoc mains desbas generabit.



BALADE.

(Maistre Pierre Chevalier.)

Tost est deceu, cuider d'homme oultrageux;

Tost est perdu, avoir mal acquesté;

Tost est vaincu, homme peu courageux;

Tost est reprins, qui fait desloyaulté;

Tost est saoule, apetit degouté;

Tost est lassé amy, de plaisir faire;

Tost despendu, ce qui a chier cousté;

Tost est deffait, qui veult autruy deffaire.

Tost est meschant, qui est enclin à jeux;

Tost renversé, qui est trop hault monté;

Tost est à fol, son parler dommageux;

Tost voions nous l'orgueilleux surmonté;

Tost dit helas, qui se voit tourmenté;

Tost ennuye, ce qu'on ne peut parfaire;

Tost octroie, qui en a voulenté;

Tost est deffait, qui veult autruy deffaire.

Tost est passé, ung plaisir soulageux;

Tost est villain de mesdire apresté;

Tost est baillé, ung mal contagieux;

Tost se tarist, jeunesse et beaulté;

Tost est pensif, qui a necessité;

Tost est paillart, qui le veult contrefaire;

Tost vient l'yver, tost se passe l'esté;

Tost est deffait qui veult autruy deffaire.

L'ENVOY.

Tart est rendu, argent qui est presté;

Tart vient à bien, homme de mal afaire;

Tart deffié, qui est ja conquesté;

Tost est deffait qui veult autruy deffaire.



BALADE.

(Maistre Berthault de Villebresme.)

Tost fût Priam, puissant Roy couronné,

Tost fut destruit et toute sa lignée;

Tost fut Saturne à mal habandonné;

Tost fut Echo en amours refusée;

Tost Leander perit en mer salée;

Tost devia la noble Rosemonde;

Tost fut Dido, d'amours desheritée;

Tost se passe la joye de ce monde.

Tost delaissa Paris, Oenone;

Tost fut Biblis en fontaine muée;

Tost defflora Bacchus, Erigone;

Tost fut Jason ennuyé de Medée;

Tost fut Philis pendue et estranglée;

Tost finerent Guischart et Sigismonde;

Tost print jadis Atropos, Dyopée;

Tost se passe la joye de ce monde.

Tost fut Saul, Roy des Juifz ordonné,

Tost se navra à mort de son espée;

Tost fut Pheton de fouldre environné;

Tost fut ravie Helene en Citharée,

Tost en mourut noblesse inestimée;

Tost fut Hero noyée en mer parfonde;

Tost fut l'amour Piramus expirée;

Tost se passe la joye de ce monde.

L'ENVOY.

Tost envahit fortuné, Hermionne;

Tost fut Progné convertie en haronde;

Tost fut Ithis en pieces tronsonné;

Tost se passe la joye de ce monde.



LECTRE EN COMPLAINTE

Envoyée par Fredet au duc d'Orléans.

Monseigneur, pour ce que scay bien

Que vous avez, de vostre bien,

Autreffoiz pris plaisir à lire

De mes faiz qui ne valent rien,

Dont trop à vous tenu me tien;

Vouloir m'est pris de vous escripre,

Et mon aventure vous dire,

Laquelle conter vous desire;

Car c'est raison que je le face,

Esperant que de mon martire,

Tel conseil qui devra suffire,

Me donnerez de vostre grace.

Il est vray que de par Amours,

Ung jour saint Valentin à Tours,

Fut une grande feste ordonnée,

Et fist assavoir par les cours,

Comme de coustume a tousjours,

Que chascun vint à la journée.

Là eut grant joye demenée,

Et mainte haulte loy donnée;

0Qui fut sans per, choisit adoncques;

Si euz, comme par destinée,

A mon gré la meilleure née

Qui en France se trouvast oncques.

Comme ma Dame, ma maistresse

Et ma terrienne Deesse,

Tousjours la sers, et l'ay servie;

Car il m'a, par deffense expresse,

Commandé lui faire promesse

D'estre sien pour toute ma vie;

Car tant ma pensée a ravie,

Et à la cherir asservie,

Que je ne pourroye, sur m'ame,

D'aultre jamais avoir envie,

Tant feust elle bien assouvie,

Si fort lui a pleu que je l'ame.

Mais ainsi m'en va, que depuis

Qu'à elle donné je me suis,

Je ne peuz avoir bien, ne joye,

Fors que tous maulx et tous Ennuys,

Qui à toute heure, jours et nuys,

Me tourmentent où que je soye,

Tant que ne scay que faire doye;

Et semble, se dire l'osoye,

Qu'ilz ayent tous ma mort jurée;

Se vostre bonté n'y pourvoye,

Force sera que par eulx voye

Finer ma vie maleurée.

Pource que souvent ne la voy,

Le plus que je puis, sur ma foy,

Je ne fais qu'en elle penser;

Savez vous la cause pourquoy?

En esperant que mon ennoy

Se deust aucunement cesser;

Mais il ne me veult delaisser,

Car plus en elle est mon penser,

Et plus de doleur me court seure,

Qui m'est si tres dure à passer,

Que je désire trespasser

Plus de mille foiz en une heure.

Que je sceusse prendre plaisir

En riens qui soit, fors desplaisir,

Las! je ne pourroye loing d'elle;

Car c'est celle que mon desir

M'a fait, pour maistresse choisir,

Comme s'il n'en feust point de telle,

Tout mon bien et mal vient de celle;

Ainsi, comme il plaist à la belle,

Il n'en est qu'à sa voulenté;

Et ne cuidez pas que vous celle

Que ce ne soit celle qu'appelle,

Devant chascun, ma Leauté.

Puisque je l'ame si tresfort,

N'a pas doncques Amours grant tort?

De moy faire tant endurer,

Ou dire fault qu'il soit d'accort,

Que pour trop amer prengne mort,

Ou moy faire desesperer;

Quant pour plaindre, pour souspirer,

Pour mal qu'il me voye tirer,

Il ne m'en a que pis donné;

En ce point me fault demourer,

Car mieulx vault ainsi qu'empirer;

Veez là comment suis gouverné!

Helas! ce qui plus me tourmente,

Et dont fault que plus de dueil sente,

C'est la grant doubte que je fais,

Que je defaille à mon entente,

Et que dutout perde l'actente

De mes tant desirez souhais;

Car je suis seur, plus qu'oncques mais,

Que si par vous ne sont parfais,

User ma vie me fauldra,

En languissant desoresmais;

Comme cil à qui, pour jamais,

Toute plaisance deffauldra.

Et quant devers Amours je viens

Lui compter les maulx que soustiens,

En lui requerant allegance.

Il me respond: Je n'y puis riens,

Mais va t'en au DUC D'ORLÉANS,

Que fors lui, n'en a la puissance;

Fay donc qu'ayes son accointance,

Et te metz en sa bienveillance;

Car, se tu le puis faire ainsi,

Tu ne dois point faire doubtance,

Que de ta dure desplaisance,

Il n'en ait voulentiers merci.

A vous doncques me fault venir,

Et vostre du tout devenir,

Puisque vous avez ce povoir,

Que de moy faire parvenir

Au plus haut bien qui avenir

Me peut jamais, à dire veoir;

Pourquoy il vous plaise savoir,

Que se vous y faictes devoir,

Et voulez à mon fait entendre,

Tellement que je puisse avoir

Celle qui tant me plaist à voir,

Vostre à tousjours je m'iray rendre.

Or n'oubliez pas, Monseigneur,

Vostre tres humble serviteur;

Mais escoutez mes dolans plains,

Desquieulx je vous fais la clameur,

Et vueillez, par vostre doulceur,

Que par vous ilz soient estains,

Car croiez qu'ilz ne sont pas fains,

Ains pires avant plus que mains;

Puis me donnez, de vostre grace,

Je vous en pry à jointes mains,

Tel responce que, soirs et mains,

Tout mon vivant joyeulx me face.



AUTRE LECTRE EN COMPLAINTE

FAISANT RESPONCE AU DIT FREDET.

Fredet, j'ay receu vostre lectre,

Dont vous mercie chierement,

Ou dedens avez voulu mectre

Vostre fait bien entierement;

Fier vous povez seurement

En moy, tout, non pas à demy;

Au besoing congnoist on l'amy.

S'Amour tient vostre cueur en serre,

Ne vous esbahissez en rien;

Il n'est nulle si forte guerre

Qu'au derrain ne s'appaise bien;

Amour le fait, comme je tien,

Pour esprouver mieulx vostre vueil,

Grant joye vient apres grant dueil.

Se vous dictes: Las! je ne puis

Une telle doleur porter;

Je vous respons: Beau Sire, et puis

Vous en voulez vous depporter,

Ou au Dieu d'amours rapporter?

L'un des deux fault, se m'aist Dieux, voire;

Puisqu'il est trait, il le fault boire.

Cuidez vous, par dueil et courroux,

Ainsi gangner vostre vouloir?

Nennil, ce ne sont que coups roux

Qu'Amours met tout en nonchaloir;

De riens ne vous pevent valoir,

Et se les couchez en despense,

Trop remaint de ce que fol pense.


Voulez vous rompre votre teste

Contre le mur? ce n'est pas sens;

Il faut dancer, qui est en feste;

Certes, autre raison n'y sens;

Et pour ce la, je me consens

Que souffrez qu'Amours vous demaine;

Grant bien ne vient jamais sans paine.

Mais de voz doleurs raconter

Faictes bien, ainsi qu'il me semble,

Et les assommer et compter

Devant Amours; car il ressemble

A l'ostellier qui met ensemble,

Et tout dedens son papier couche;

Pour parler est faicte la bouche.

De pieca je fuz en ce point,

Encore pis, loing d'allegence;

Touteffoiz ne vouluz je point,

De moy mesmes, faire vengence;

Mais chauldement, par diligence,

Pourchassay et playday mon fait;

Peu gangne cellui qui se tait.

Et pour ce que la lectre dit

Qu'Amours veult que vers moy tirez,

De moy ne serez escondit,

S'aucune chose desirez

A vostre bien, quant l'escriprez;

Paine mectray, d'entente franche,

Que l'ayez de croq ou de hanche.

Combatez, d'estoc et de taille,

Vostre dure merencolie,

Et reprenez, commant qu'il aille,

Espoir, confort et chiere lie;

De ne vous oublier me lie,

Autant en ce que puis et doy.

Que se me teniez par le doy.


Or retournons à mon propos,

Et ne parlons plus de cecy.

Vray est que je suis en repos

D'amours, mais non pas de Soussy;

Et pour ce, je vous vueil aussy

De me conseiller travailler,

L'ami doit pour l'autre veillier.

Soussy maintient que c'est raison

Qu'il ait sur tous vers moy puissance;

Nonchaloir dit qu'en ma maison,

Vault mieulx qu'il ait la gouvernance,

Car il ramenera Plaisance,

Que Soussy a bannye à tort,

Sans resveillier le chat qui dort.

Soussy respond qu'estre ne peut,

Tant qu'on est ou monde vivant,

Car Fortune partout s'esmeut,

Et est à chascun estrivant,

En tous lieux va mal escrivant,

Et toutes choses met en double;

Elle a beaux yeulx et ne voit goute.

Si ne scay que je doye faire,

Ne lequel d'eulx me laissera;

Car, veu que tousjours j'ay affaire,

Soussy jamais ne cessera,

Mais mon plaisir rabessera,

En quelque place que je voyse;

Bien est aise, qui est sans noyse.

Quant en nonchaloir je m'esbas,

Et desplaisir vueil debouter,

Jamais ne scay parler si bas

Que Soussy ne viengne escouter:

Las! je le doy tant redoubter,

Car à tort souvent me ravalle;

Mais sans mascher fault que l'avalle.


Je ne scay remede quelconques,

Quant ay mis ces choses en poys,

Pour tous deux contenter adoncques,

Fors les faire servir par moys;

Mandez moy sur ce quelquefoys,

Fredet, bon conseil par vostre ame,

Foy que devez à vostre Dame.



RESPONCE DE FREDET AU DUC D'ORLÉANS.

Monseigneur, j'ay de vous receu,

Et aussi de mot à mot leu,

Une lectre qu'il vous a pleu

Moy rescripre, touchant mon fait,

Par laquelle j'ay apperceu

Le bon vouloir qu'avez eu

Vers moy tousjours, qui n'est pas peu,

Dont tout mon dueil avez deffait;

Et oultre plus comme j'ay veu,

Avez voulu que j'aye sceu,

De quoy il ne m'a point despleu,

Ce qui tant vous griefve, ou refait;

Sur quoy, de vous obeir meu,

Non pas ainsi comme il est deu,

Mais du tout au mieulx que j'ay peu,

Mon conseil tel quel vous ait fait:

Vous plaigniez de la rigueur,

Et aigreur,

Que vous fait, par sa fureur,

Et chaleur,

Celluy que nommez Soussy,

Qui sans cause et sans couleur,

Et langueur,

Par son ennuyeux labeur

Et maleur,

Vous tourmente sans mercy;

Dont par force de douleur

Vostre cueur

Est noyé par grant langueur,

Tout en pleur,

Et souvent devient transy;

Puis racontez, Monseigneur,

Quel doulceur,

Nonchaloir, par son bon eur

Et valeur,

Se offre vous faire aussi.

De Soussy vous vueil escripre,

C'est ung tres merveilleux sire,

Et fault dire

Que cellui n'a pas couraige

D'omme saige,

Qui veult qu'avec lui demeure,

Car il ne sert que de nuyre,

Et ne pense, ne desire

Qu'à destruire,

Et fait à chascun dommaige,

Et oultraige;

Ne lui chault qui vive ou meure,

Et fut il seigneur d'empire,

Ou qui que soit, tout fait frire,

Et martire;

Tant qu'il est en son servaige,

Avantaige

N'a nul, je le vous assure,

Mille maulx, tous d'une tire,

Ne lui pevent trop suffire;

Il n'est pire,

Tant fait de tourmenter raige,

Et enraige

Qu'à son gré tout ne demeure.

Soussy toult d'estre joyeulx,

Et fait merencolieux

Par tous lieux,

Et bien souvent furieux,

Tous ceulx où il a puissance;

Par lui les biens gracieux

Deviennent mal gracieux;

Jeunes, vieux,

Tout fait trouver ennuyeux

A qui plaist son accointance;

Puis, par sa grande savance,

Il avance

Autour d'eulx Desesperance

Qui, par ses diz ennuyeux,

Et ses faiz malicieux

Et crueux,

Les met en ceste creance,

Que jamais ilz n'auront mieulx;

Lors sont à tel desplaisance,

Que plus seroit leur plaisance,

Sans doubtance,

Brief mourir qu'estre mais tieulx.

Se les maulx compter vouloye,

Et la puissance en avoye,

Que Soussy vous feroit bien;

Mais à quoy l'entreprendroye?

Car certes je ne sauroye

D'un an vous dire combien,

Et pour ce, à tant je m'en tien;

Et maintenant je revien,

Pour faire vostre vouloir,

A parler, se j'en scay rien,

Du grant aise, du hault bien,

Lequel donne Nonchaloir.

Qui à Nonchaloir s'adresse,

Et tout, pour estre sien, lesse

Et delesse;

En leesse,

Sans que jamais mal le blesse,

Pourra sa vie passer.

Dueil, courroux, soussy, aspresse,

Et tous ceulx de leur promesse,

Soit tristesse,

Ou destresse,

Ou rudesse,

Qui de mains grever ne cesse,

Tous les fait avant passer.

Contre lui n'ont hardiesse;

Il les vaint, par sa sagesse,

Et abesse

Leur duresse,

Leur haultesse;

Nul ose lui faire presse,

N'encontre lui s'amasser,

Car il maine joye en lesse,

Qui le deffent d'eulx sans cesse,

Par prouesse;

Or donc qu'esse?

Est il au monde richesse

Qui sceut ung tel bien passer?

De lui vient plaisante vie

Qui desvie

Dueil, soussy, de toute place,

De repos aise assouvie,

Sans envie

De bien qu'à autruy se face,

Les autres bonnes efface,

Et defface.

Tout est en joye ravye,

Tout fait a joyeuse face,

Dont la grace

De vous a bien desservye.

Nonchaloir, de sa nature,

Lui soit fortune ou non dure,

L'un et l'autre tout endure,

Et prent en gré l'avanture,

Car il ne tient d'ame conte;

Joye, dueil, paix ou murmure,

Gangner, perdre sans mesure,

Soit à tort, ou par droicture,

Tout lui est ung, je vous jure;

Ne lui chault s'il besse ou monte,

Ou se moindre le surmonte,

D'un chascun à son gré compte,

De quanque lui vient n'a honte,

Soit bien ou mal, rien n'en compte,

A tout faire s'avanture,

Autant lui est Roi que Conte,

La cause est, comme il raconte,

Car à nulluy ne rent compte;

Et pour ce, la fin de conte,

Tousjours sa vie en paix dure.

Pourquoy, servir je vous conseille

De nostre maistre Nonchaloir;

Et bannissez, vueille ou non vueille,

Soucy, sans plus vous en chaloir;

De lui mieulx ne povez valoir,

Mais soit hors de vostre memoire;

Qui demande conseil doit croire.

Je vous supply qu'il vous suffise,

Et aussi il ne vous desplaise,

D'une question qu'ay cy mise,

D'un mien amy tres en malaise;

Dont, Monseigneur mais qu'il vous plaise,

Vostre conseil avoir m'en fault;

L'advis de deux mieulx que d'un vault.

Celluy que dy est si espris

D'une tant belle, bonne Dame,

Qu'il ne pourrait estre pris

Tellement si tres fort il ame,

Mais espoir n'a point, sur mon ame,

D'avoir jamais d'elle secours;

Pas n'est en paix qui sert amours.

Que autre Dame, se lui semble,

Qui n'a point de meilleur vivant,

Par le bien qu'en elle s'assemble,

Le vouldroit bien, pour son servant;

Non pourtant il mourrait avant

Que son cueur se peust sien clamer;

Par force l'en ne peut amer.

Et, pour ce, maintenant demande

Qui lui sera moins chose forte?

Celle amer qu'Amours lui commande,

Où toute s'esperance est morte,

Ou l'autre, combien qu'il rapporte

Qu'amer ne la peut, ne desire;

De deulx maulx on prent le moins pire.

Veez là de mon amy le cas,

Auquel fauldroye bien envis;

Mais conseiller ne le puis pas,

Sans en avoir de vous l'advis;

Fait en soit à votre devis,

Monseigneur, car c'est bien raison,

Et à tant fine ma raison.



LA COMPLAINTE DE FRANCE.

France, jadis on te souloit nommer,

En tous pays, le tresor de noblesse,

Car ung chascun povoit en toy trouver

Bonté, honneur, loyaulté, gentillesse,

Clergie, sens, courtoisie, proesse;

Tous estrangiers amoient te suir,

Et maintenant voy, dont j'ay desplaisance,

Qu'il te convient maint grief mal soustenir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Seez tu dont vient ton mal, à vray parler?

Congnois tu point pourquoy es en tristesse?

Conter le vueil, pour vers toy m'acquicter,

Escoutes moy, et tu feras sagesse.

Ton grant ourgueil, glotonnie, peresse,

Convoitise, sans justice tenir,

Et luxure, dont as eu habondance,

Ont pourchacié vers Dieu de te punir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Ne te vueilles pourtant desesperer,

Car Dieu est plain de mercy, à largesse;

Va t'en vers lui sa grace demander,

Car il t'a fait, de ja pieca, promesse;

Mais que faces ton advocat Humblesse,

Que tres joyeux sera de toy guerir;

Entierement metz en lui ta fiance,

Pour toy et tous, voulu en croix mourir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Souviengne toy comment voult ordonner

Que criasses Montjoye, par liesse,

Et, qu'en escu d'azur, deusses porter

Trois fleurs de Lis d'or, et pour hardiesse

Fermer en toy, t'envoya sa haultesse,

L'Auriflamme qui t'a fait seigneurir

Tes ennemis; ne metz en oubliance

Telz dons haultains, dont lui pleut t'enrichir,

Très crestien, franc royaume de France.

En oultre plus, te voulu envoyer

Par un coulomb qui est plain de simplesse,

La unction dont dois tes Roys sacrer,

Afin qu'en eulx dignité plus en cresse;

Et, plus qu'à nul, t'a voulu sa richesse

De reliques et corps sains, departir;

Tout le monde en a la congnoissance,

Soyes certain qu'il ne te veult faillir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Court de Romme si te fait appeller

Son bras dextre, car souvent de destresse

L'as mise hors, et pour ce approuver,

Les Papes font te seoir, seul, sans presse,

A leur dextre, se droit jamais ne cesse;

Et pour ce, dois fort pleurer et gemir,

Quant tu desplais à Dieu qui tant t'avance

En tous estas, lequel deusses cherir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Quelz champions souloit en toy trouver

Crestienté! Ja ne fault que l'expresse;

Charlemaine, Rolant et Olivier,

En sont tesmoings, pour ce, je m'en delaisse,

Et saint Loys Roy, qui fist la rudesse

Des Sarrasins souvent aneantir,

En son vivant, par travail et vaillance;

Les croniques le monstrent, sans mentir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Pour ce, France, vueilles toy adviser,

Et tost reprens de bien vivre l'adresse;

Tous tes meffaiz metz paine d'amander,

Faisant chanter et dire mainte messe

Pour les ames de ceulx qui ont l'aspresse

De dure mort souffert, pour te servir;

Leurs loyaultez ayes en souvenance,

Riens espargnié n'ont pour toy garantir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Dieu a les braz ouvers pour t'acoler,

Prest d'oublier ta vie pecheresse;

Requier pardon, bien te vendra aidier

Nostre Dame, la tres puissant princesse,

Qui est ton cry, et que tiens pour maistresse;

Les sains aussi te vendront secourir,

Desquelz les corps font en toy demourance.

Ne vueilles plus en ton pechié dormir,

Tres crestien, franc royaume de France.

Et je, CHARLES DUC D'ORLÉANS, rimer

Voulu ces vers, ou temps de ma jeunesse,

Devant chacun les vueil bien advouer,

Car prisonnier les fis, je le confesse;

Priant à Dieu, qu'avant qu'aye vieillesse,

Le temps de paix partout puist avenir,

Comme de cueur j'en ay la desirance,

Et que voye tous tes maulx brief finir,

Tres crestien, franc royaume de France.



COMPLAINTE.

Amour, ne vous vueille desplaire.

Se trop souvent à vous me plains,

Je ne puis mon cueur faire taire,

Pour la doleur dont il est plains;

Helas! vueillez penser au meins

Aux services qu'il vous a fais,

Je vous en pry à jointes mains,

Car il en est temps, ou jamais.

Monstrez qu'en avez souvenance,

En lui donnant aucun secours,

Faisant semblant qu'avez plaisance

Plus à son bien, qu'à ses doulours;

Ou me dictes, pour Dieu, Amours,

Se le lairrez en cest estat,

Car d'ainsi demourer tousjours,

Cuidez vous que ce soit esbat?

Nennil, car Dangier qui desire

De le mectre du tout à mort,

L'a mis, pour plustost le destruire,

En la prison de Desconfort;

Ne jamais ne sera d'accort

Qu'il en parte par son vouloir,

Combien que trop, et à grant tort,

Longtemps lui a fait mal avoir.

Et pour la tres mauvaise vie

Que lui fait souffrir ce villain,

Il est encheu en maladie,

Car de tout ce qui lui est sain,

A le rebours, j'en suy certain;

En ceste dolente prison,

Ne scay s'il passera demain,

Qu'il ne meure sans guerison.

Car il n'a que poires d'angoisse

Au matin, pour se desjeuner,

Qui tant le refroisdist et froisse,

Qu'il ne peut santé recouvrer;

D'eaue ne lui fault point donner,

Il en a de larmes assez;

Tant a de mal, à vray parler.

Que cent en seroient lassez.

Et n'a que le lit de pensée

Pour soy reposer et gesir;

Mais plaisance s'en est alée,

Qui plus ne le povoit souffrir,

A paine l'a peu retenir,

S'espoir ne feust jusques à cy;

N'a il donc raison, sans mentir?

S'il fait requeste de mercy.

Il porte le noir de tristesse,

Pour reconfort qu'il a perdu,

N'oncques hors des fers de destresse

N'est party, pour mal qu'il ait eu;

Touteffoiz vous avez bien sceu

Qu'à vous s'estoit du tout donné,

Quelque doleur qu'il ait receu,

Et vous l'avez abandonné!

Par m'ame, c'est donner courage

A chascun de voz serviteurs

De vous laisser, s'il estoit sage,

Et querir son party ailleurs;

Car tant qu'aurez telz gouverneurs,

Comme Dangier, le desloyal,

Vous n'aurez que plains et clameurs,

Car il ne fist oncques que mal,

A mon cueur le conseilleroye

Qu'il vous laissast; mais, par ma foy,

Ja consentir ne lui feroye,

Car tant de son vueil j'aperçoy,

Quelque doleur qu'il ait en soy,

Qu'il est vostre par devant tous;

Et, par mon serement, je le croy,

Qu'autre maistre n'aura que vous.

Or regardez, n'est ce merveille?

Qu'il vous aime si loyaument,

Quant toute doleur nompareille

A receu, sans allegement,

Et si le porte lyement,

Pensant que une foiz mieulx sera;

A vous s'en actent seulement,

Ne ja aultrement ne fera.

Si m'a chargié que vous requiere,

Comme pieca vous a requis,

Que vueilliez oir sa priere:

C'est qu'il soit hors de prison mis,

Et Dangier et les siens bannis,

Qui jamais ne vouldront son bien;

Ou au moins qu'aye saufconduis

Qu'ilz ne lui meffacent de rien.

Afin qu'il puist oir nouvelle

De celle dont il est servant,

Et souvent veoir sa beaulté belle;

Car d'autre rien n'est desirant

Que la servir, tout son vivant,

Comme la plus belle qui soit,

A qui Dieu doint de biens autant

Que son loyal cueur en vouldroit.



COMPLAINTE.

Ma seule Dame et ma maîtresse,

Où gist de tout mon bien l'espoir,

Et sans qui, plaisir, ne liesse,

Ne me pevent en riens valoir;

Pleust à Dieu que peussiez savoir

Le mal, l'ennuy et le courrous,

Qu'à toute heure me fault avoir

Pource que je suis loings de vous.

Helas! or ay je souvenance

Que je vous vy derrainement

A si tres joyeuse plaisance,

Qu'il me sembloit certainement

Que jamais ennuyeux tourment

Ne devoit pres de moi venir,

Mais je trouvay bien autrement,

Quant me fallut de vous partir.

Car, quant ce vint au congié prandre,

Je ne savoye, pour le mieulx,

Auquel me valoit plus entendre,

Ou à mon cueur, ou à mes yeulx;

Car je trouvay, ainsi m'aid' Dieux,

Mon cueur courroucié si tres fort

Qu'oncques ne le vy, en nulz lieux.

Si eslongné de reconfort.

Et d'autre part, mes yeulx estoient

En ung tel vouloir de pleurer

Qu'à peine tenir s'en povoient,

N'ilz n'osoient riens regarder;

Car, par ung seul semblant monstrer

En riens d'en estre desplaisans,

C'eust esté pour faire parler

Les jalous et les mesdisans.

Et de la grant paour que j'avoye

Que leur dueil si ne feust congneu,

Auquel entendre ne savoye;

Oncques si esbahy ne fu,

Si dolent, ne si esperdu;

Car, par Dieu, j'eusse mieulx amé,

Avant que l'en l'eust apperecu,

N'avoir jamais jour esté né.

Car, se par ma folle maniere,

J'eusse monstré, ou par semblant

Venant de voulenté legiere,

L'amour dont je vous ayme tant,

Par quoy eussiez eu, tant ne quant,

De blasme, ne de deshonneur;

Je scay bien que tout mon vivant,

Je fusse langui en doleur.

En ce point, et encore pire,

Alors de vous je me party,

Sans avoir loisir de vous dire

Les maulx dont j'estoye party:

Touteffoiz, Belle, je vous dy

Qu'il vous pleust de vouloir penser

Que je vous avoye servi,

Et serviroye sans cesser.

Tant comme dureroit ma vie,

Et, quant de mort seroye pris,

De m'ame seriez servie,

Priant pour vous en Paradis,

S'il en estoit en son devis;

Et mes biens, mon cueur et mon corps,

Je les vous ay du tout soubzmis;

Mais ca esté de leurs accors.

Car il n'est nulle que je clame,

Ne qui se puist nommer, de vray,

Ma seule souveraine Dame,

Fors que vous, à qui me donnay

Le premier jour que regarday

Vostre belle plaisant beaulté,

De qui vray serviteur mourray,

En gardant tousjours loyaulté.

Or vueilliez donc avoir pensée,

Puisque lors j'avoye tel dueil,

Belle tres loyaument amée,

Qu'encore plus grant le recueil,

Maintenant que, contre mon vueil,

Me fault estre de vous loingtains,

Et que veoir ne puis à l'ueil

Voz belles, blanches, doulces mains,

Et vostre beaulté nompareille,

Que veoye si voulentiers,

Plaine de doulceur à merveille,

Dont tous voz faiz sont si entiers,

Qu'ilz ont esté les messaigiers

De me tollir, et pres, et loing,

Mes vouloirs et mes desiriers;

Ainsi m'aid' Dieu à mon besoing.

Si vous supply, tres bonne et belle,

Qu'ayez souvenance de moy;

Car, à tousjours, vous serez celle

Que serviray comme je doy;

Je le vous prometz par ma foy,

Dutout à vous me suis donné;

Se Dieu plaist, je feray pourquoy

J'en seray tres bien guerdonné.



COMPLAINTE.

L'autrier en ung lieu me trouvay,

Triste, pensif et doloreux,

Tout mon fait, bien au long, comptay

Au hault Prince des amoureux,

Lequel m'a esté rigoreux,

Ou temps que mon cueur le servoit;

Et, ainsi qu'il me respondoit,

Souvenir, qui fut au plus pres,

Ses ditz et les miens escripvoit

En la maniere cy apres:

L'AMANT.

Helas! Amours, de vous me plains;

Mais les griefz maulx le me font faire,

Dont mon cueur et moy sommes plains,

Car trop estes de dur afaire;

S'un peu me fussiez debonnaire,

Espoir, que j'ay du tout perdu,

Si me seroit tantost rendu;

Mais pas n'avez tel vostre vueil,

Aincois, par vous m'est deffendu

Plaisant desir et bel acueil.

AMOURS.

Amours respond: A trop grand tort

Vous complaignez, et sans raison,

Car, envers chascun, Reconfort

N'est pas tousjours en sa saison;

Et, si savez qu'en ma maison,

Une coustume se maintient,

C'est assavoir que qui se tient

Pour serviteur de mon hostel,

Mainteffoiz souffrir lui convient;

L'usaige de mes gens est tel.

L'AMANT.

Certes, Sire, vous dictes vray;

Mais l'ordonnance riens ne vault,

Parler en puis, car bien le scay,

Et ay dancié à ce court sault;

Parquoy je congnois le deffault

De doulx plaisir que l'en y a;

Car, quant mon cueur vous depria

Secours, il lui fust escondit,

Adoncques, de dueil regnya

Vostre povoir, et s'en partit.

AMOURS.

Dea! beaulx amis, se dit Amours,

Celui qui a servir se met,

S'il veult avoir tantost secours,

Et le guerdon qu'on lui promet,

Ou autrement, il se desmet

Du service qu'il a empris;

De Loyaulté seroit repris,

Quand je tendray mon jugement,

Et si perdroit tous los et pris,

Sans jamais nul recouvrement.

L'AMANT.

Voire, Sire doit on servir

Sans prouffit, ou guerdon avoir?

Nennil, ung cueur devroit mourir,

Puisqu'il a fait loyal devoir,

Entierement à son povoir,

Et qu'il lui fault querir son pain;

A vous, qui estes souverain,

En est le plus de deshonneur,

Veu que, par faulte, meurt de fain

Vostre bon loyal serviteur.

AMOURS.

Qu'on meure de fain ne vueil pas,

Mais le trop haste s'echaulda,

Il convient aler pas à pas;

Et puis apres on congnoistra,

Qui mieulx son devoir fait aura,

Alors doit estre guerdonné.

Je suis assez abandonné,

A grant largesse, de mes biens;

Mais quant j'ay mainteffoiz donné

A plusieurs, semble qu'ilz n'ont riens.

L'AMANT.

De ceulx ne suis, quant est à moy,

Sur ce, je respons à briefz motz:

Je vous asseure, par ma foy,

Oncques ne fuz en ce propos,

J'ay tousjours porté sur mon dos,

Paine, travail à grant planté,

Ne nulle chose n'ay hanté,

Dont on dye qu'aye failly,

Combien qu'en dueil m'aiez planté,

Comme faint seigneur et amy.

AMOURS.

Estre mon maistre vous voulez,

Par vostre parler ce me semble,

Et grandement vous me foulez;

Mais l'estrif de nous deux ensemble,

Comme en peust cognoistre, ressemble

Au desbat du verre et du pot;

Fain avez qu'on vous tiengne à sot;

Devant Raison soit assigné,

Se j'ay tort, paier vueil l'escot,

Quand le desbat sera finé.

L'AMANT.

Il fault que le plus foible doncques

Soit tousjours gecté soubz le pié,

Ne je ne vy autrement oncques,

Rendre se fault, qui n'a traictié.

J'ay congneu, où j'ay peu gaingnié,

Vostre court, à mont et à val,

Et, soit à pié, ou à cheval,

On n'y scet trouver droit chemin;

Quoiqu'on y trouve bien, ou mal,

Il fault tout partir à butin.

AMOURS.

Pour le present, plus n'en parlons;

Puisque j'ay puissance sur tous,

Quelque chose que debatons,

A mon plaisir feray de vous;

Ne me chault de vostre courrous,

Ne de chose que l'en me dye,

Se je vous ay fait courtoisie,

Se vous voulez, prenez l'en gré;

Car le premier vous n'estes mie

Qu'ay courcié en plus grant degré.



CHANCON.

Ce May qu'amours pas ne sommeille,

Mais fait amans esliesser,

De riens ne me doy soussier,

Car pas n'ay la pusse en l'oreille;

Ce n'est mie doncques merveille

Se je vueil joye demener,

Ce May, etc.

Mais fait, etc.

Quant je me dors, point ne m'esveille,

Pour ce que n'ay à quoy penser,

Sy ay vouloir de demourer

En ceste vie nompareille.

Ce May, etc.



CHANCON.

Tiengne soy d'amer qui pourra,

Plus ne m'en pourroye tenir,

Amoureux me fault devenir,

Je ne scay qu'il m'en avendra;

Combien que j'ay oy, pieca,

Qu'en amours fault mains maulx souffrir.

Tiengne soy, etc.

Plus ne, etc.

Mon cueur devant yer accointa

Beaulté qui tant le scet chierir,

Que d'elle ne veult departir;

C'est fait, il est sien et sera.

Tiengne soy d'amer, etc.



CHANCON.

Quelque chose que je die

D'Amour, ne de son povoir,

Touteffoiz, pour dire voir,

J'ay une Dame choisie,

La mieulx en bien acomplie

Que l'en puist jamais veoir.

Quelque chose, etc.

D'amour, ne, etc.

Mais à elle ne puis mie

Parler, selon mon vouloir,

Combien que, sans decevoir,

Je suis sien toute ma vie.

Quelque chose, etc.



CHANCON.

N'est elle de tous biens garnie?

Celle que j'ayme loyaument;

Il m'est advis, par mon serement,

Que sa pareille n'a en vie.

Qu'en dites vous? je vous en prie,

Que vous en semble vrayement?

N'est elle, etc.

Celle que, etc.

Soit qu'elle dance, chante ou rie,

Ou face quelque esbatement;

Faictes en loyal jugement,

Sans faveur ou sans flatterie.

N'est elle, etc.



CHANCON.

Quant j'ay nompareille maistresse

Qui a mon cueur entierement,

Tenir me vueil joyeusement,

En servant sa gente jeunesse.

Car certes je suis en l'adresse

D'avoir de tous biens largement,

Quant j'ay, etc.

Qui a mon, etc.

Or en ayent dueil ou tristesse

Envieux, sans allegement;

Il ne m'en chault, par mon serement,

Car leur desplaisir m'est liesse,

Quant j'ay, etc.



CHANCON.

Dieu, qu'il l'a fait bon regarder!

La gracieuse, bonne et belle;

Pour les grans biens qui sont en elle,

Chascun est prest de la louer.

Qui se pourroit d'elle lasser?

Tousjours sa beaulté renouvelle.

Dieu qu'il, etc.

La gracieuse, etc.

Par deca, ne dela la mer,

Ne scay Dame, ne Damoiselle

Qui soit en tous biens parfais, telle;

C'est ung songe que d'y penser.

Dieu qu'il, etc.



CHANCON.

Par Dieu, mon plaisant bien joyeux,

Mon cueur est si plain de leesse,

Quant je voy la doulce jeunesse

De vostre gent corps gracieux,

Pour le regart de voz beaux yeulx

Qui me met hors de tristesse.

Par Dieu, etc.

Mon cueur, etc.

Combien que parler envieux

Souventeffoiz moult fort me blesse,

Mais ne vous chaille, ma maistresse,

Je n'en feray pourtant que mieulx.

Par Dieu, etc.



CHANCON.

Que me conseilliez vous, mon cueur,

Irai je par devers la belle?

Lui dire la paine mortelle

Que souffrez pour elle en doleur.

Pour vostre bien et son honneur,

C'est droit que vostre conseil celle.

Que me, etc.

Irai je, etc.

Si plaine la scay de doulceur,

Que trouveray mercy en elle,

Tost en aurez bonne nouvelle,

Cy vois n'est ce pour le meilleur.

Que me, etc.



CHANCON.

Ou regard de voz beaulx, doulx yeulx,

Dont loing suis par les envieux,

Me souhaide si tres souvent,

Que mon penser est seulement

En vostre gent corps gracieux.

Savez pourquoy, mon bien joyeulx,

Celle du monde qu'ayme mieulx

De loyal cueur, sans changement?

Ou regart, etc.

Dont loing, etc.

Me souhaide, etc.

Pour ce que vers moy en tous lieux

J'ay trouvé plaisir ennuieux,

Trop fort puis le departement

Que de vous fis derrainnement,

A regret merencolieux.

Ou regart, etc.



CHANCON.

Qui la regarde de mes yeulx,

Ma Dame, ma seule maistresse,

En elle voit, à grant largesse,

Plaisirs croissans de bien en mieulx.

Son parler et maintien sont tieulx

Qu'ilz mectent un cueur en liesse.

Qui la regarde, etc.

Ma Dame, etc.

Tous la suient, jeunes et vieulx,

Dieu scet qu'elle n'est pas sans presse;

Chascun dit: C'est une deesse

Qui est descendue des cieulx.

Qui la regarde, etc.



CHANCON.

Ce mois de May, nompareille Princesse,

Le seul plaisir de mon joyeulx espoir,

Mon cueur avez, et quanque puis avoir,

Ordonnez en comme dame et maistresse.

Pour ce, requier vostre doulce jeunesse

Qu'en gré vueille mon present recevoir.

Ce mois, etc.

Le seul, etc.

Et vous supply, pour me tollir tristesse,

Tres humblement, et de tout mon povoir,

Qu'à m'esmayer ayez vostre vouloir,

D'un reconfort bien garny de liesse.

Ce mois, etc.



CHANCON.

Commandez vostre bon vouloir

A vostre tres humble servant,

Il vous sera obeissant

D'entier cueur, et loyal povoir.

Prest est de faire son devoir,

Ne l'espargnez ne tant, ne quant.

Commandez, etc.

A vostre, etc.

Mectez le tout à nonchaloir,

Sans lui estre jamais aydant.

S'en riens le trouvez refusant,

Essayez se je vous dy voir.

Commandez, etc.



CHANCON.

Espoir, confort des maleureux,

Tu m'estourdis trop les oreilles

De tes promesses nompareilles,

Dont trompes les cueurs doloreux,

En amusant les amoureux,

Et faisant baster aux corneilles.

Espoir, confort, etc.

Tu m'estourdis, etc.

Ne soies plus si rigoreux,

Mieux vault qu'à raison te conseilles,

Car chascun se donne merveilles,

Que n'as pitié des langoreux.

Espoir, confort, etc.



CHANCON.

Belle, se c'est vostre plaisir

De me vouloir tant enrichir

De reconfort et de liesse,

Je vous requier, comme maistresse,

Ne me laissiez dutout mourir;

Car je n'ay vouloir, ne desir,

Fors de vous loyaument servir,

Sans espargnier dueil, ne tristesse.

Belle, etc.

De me, etc.

De reconfort, etc.

Et s'il vous plaist à l'accomplir,

Vueilliez tant seulement bannir

D'avec vostre doulce jeunesse,

Dolent refus qui trop me blesse,

Dont bien vous me povez guerir,

Belle, etc.



CHANCON.

Paix ou tresves, je requier desplaisance;

S'en toy ne tient, pas ne tendra à moy,

Que ne soyons desormais en requoy;

Accordons nous, chargons en Esperance.

Que gaignes tu à me faire grevence?

Assez me metz en devoir sur ma foy.

Paix ou tresves, etc.

S'en toy ne tient, etc.

Ou combatons tellement à oultrance

Que l'un die: Je me rens ou ren toy;

Mieulx estre mort je vueil, s'estre le doy,

Qu'ainsi languir, d'offrir premier m'avance.

Paix ou tresves, etc.



CHANCON.

Rafreschissez le chastel de mon cueur

D'aucuns vivres de joyeuse plaisance,

Car faulx Dangier, avec son aliance,

L'a assiegé tout entour de doleur.

Se ne voulez le siege sans longueur

Tantost lever, ou rompre par puissance,

Rafreschissez, etc.

D'aucuns, etc.

Ne souffrez pas que Dangier soit seigneur,

En conquestant soubz son obeissance

Ce que tenez en vostre gouvernance;

Avancez vous, et gardez vostre honneur.

Rafreschissez, etc.



CHANCON.

Se je fois loyalle requeste,

Soing et Soucy, et bon vous semble,

Pour Dieu, accordons nous ensemble;

Qui tort a soit mis en enqueste.

Quant vous, ne moy bien n'y aqueste,

Pour jugier droit conseil asemble.

Se je fois, etc.

Soing et Soussy, etc.

Je ne requier aultre conqueste

Que d'Espoir qui larron ressemble,

Et sans cause de mon cueur s'emble,

Dieu me secoure en cette queste!

Se je fois, etc.



CHANCON.

Se ma doleur vous savies,

Mon seul joyeux pensement,

Je scay bien certainement

Que mercy de moy auries.

Du tout refus banniries,

Qui me tient en ce tourment.

Se ma, etc.

Mon seul, etc.


Et le don me donneries,

Que vous ay requis souvent,

Pour avoir allegement;

Ja ne m'en escondiries,

Se ma, etc.



CHANCON.

Ne hurtez plus à l'uis de ma pensée,

Soing et Soucy, sans tant vous traveiller,

Car elle dort, et ne veult s'esveiller,

Toute la nuit en paine a despensée.

En dangier est, s'elle n'est bien pensée,

Cessez, cessez, laissez la sommeiller.

Ne hurtez plus, etc.

Soing et soussy, etc.

Pour la guerir Bon espoir a pensée

Medicine qu'a fait appareiller;

Lever ne peut son chief de l'oreiller,

Tant qu'en repos se soit recompensée.

Ne hurtez plus, etc.



CHANCON.

Ma seule, plaisant, doulce joye,

La maistresse de mon vouloir,

J'ay tel desir de vous veoir,

Que mander ne le vous sauroye.

Helas! pensez que ne pourroye

Aucun bien, sans vous, recevoir.

Ma seule, etc.

La maistresse, etc.

Car, quant desplaisir me guerroye

Souventeffoiz, de son povoir,

Et je vueil reconfort avoir,

Esperance vers vous m'envoye.

Ma seule, etc.



CHANCON.

L'un ou l'autre desconfira

De mon cueur et merencolie;

Auquel que fortune s'alye,

L'autre je me rens lui dira.

D'estre juge me suffira,

Pour mectre fin en leur folye.

L'un ou l'autre, etc.

De mon cueur, etc.

Dieu scet comment mon cueur rira,

Se gangne, menant chiere lye,

Contre ceste saison jolye,

On verra comment en yra.

L'un ou l'autre, etc.



CHANCON.

Je ne vueil plus riens que la mort,

Pource que yoy que reconfort

Ne peut mon cueur eslyesser;

Au moins me pourray je vanter

Que je souffre doleur à tort.

Car puisque n'ay d'Espoir le port,

D'Amours ne puis souffrir l'effort.

Ne doy je donc joye laisser?

Je ne, etc,

Pource que, etc.

Ne peut, etc.

Au Dieu d'amours je m'en rapport

Qu'en peine suis bouté si fort,

Que povoir n'ay plus d'endurer,

S'en ce point me fault demourer;

Quant est de moy, je m'y accort.

Je ne, etc.



CHANCON.

Qui? quoy? comment? à qui? pourquoi?

Passez, presens, ou avenir,

Quant me viennent en souvenir,

Mon cueur en penser n'est pas coy.

Au fort, plus avant que ne doy,

Jamais je ne pense en guerir.

Qui? quoy? etc.

Passez, etc.

On s'en peut rapporter à moy

Qui de vivre ay eu beau loisir,

Pour bien aprendre et retenir,

Assez ay congneu, je m'en croy.

Qui? quoy? etc.



CHANCON.

Belle que je cheris et crains,

En cest estat suis ordonné,

Que Dangier m'a emprisonné

De vostre grant beaulté loingtains;

N'il ne m'a de tous biens mondains

Qu'un souvenir abandonné.

Belle que je, etc.

En cest estat, etc.

Mais de nulle riens ne me plains,

Fors qu'il ne m'a tost raenconné;

Car bien lui seroit guerdonné,

Si j'estoye hors de ses mains.

Belle que je, etc.



CHANCON.

Je prens en mes mains voz debas

Desormais, mon cueur et mes yeulx,

Se longuement vous seuffre tieulx,

Moy mesmes de mon tour m'abas.

Pour vostre prouffit me combas,

Le desirant de bien en mieulx.

Je prens en, etc.

Desormais, etc.

Quant voz desirs souvent rabas

Desordonnez, en aulcuns lieux,

Mon devoir fais, ainsi m'aid' Dieux.

Passons temps en plus beaulx esbas.

Je prens en, etc.



CHANCON.

Ma Dame, tant qu'il vous plaira

De me faire mal endurer,

Mon cueur est prest de le porter,

Jamais ne le refusera.

En espérant qu'il guerira,

En cest estat veult demourer.

Ma Dame, etc.

De me, etc.

Une fois pitié vous prendra,

Quant seulement vouldrez penser,

Que c'est pour loyaument amer

Vostre beaulté qu'il servira

Ma Dame, etc.



CHANCON.

Mon cueur se combat à mon ueil,

Jamais ne les trouve d'accort;

Le cueur dit que l'ueil fait rapport

Que tousjours lui accroist son dueil.

La verité savoir j'en vueil,

Que semble il qui ait le tort?

Mon cueur, etc.

Jamais ne les, etc.

Se je trouve que Bel acueil

Ait gecté entre eulx aucun sort,

Je la condampneray à mort;

Doy je souffrir un tel orgueil?

Mon cueur, etc.



CHANCON.

De la regarder vous gardez

La belle que sers ligement,

Car vous perdrez soudainement

Vostre cueur, se la regardez;

Se donner ne le lui voulez

Clignez les yeulx hastivement,

De la regarder, etc.

La belle que, etc.

Les biens que Dieu lui a donnez,

Emblent un cueur subtilement;

Sur ce, prenez avisement,

Quant devant elle vous vendrez.

De la regarder, etc.



CHANCON.

Tant que Pasques soient passées,

Se nous avons riens trespassé.

Prions mercy du tems passé,

Et pour les ames trespassées.

Chascun pas à pas ses passées

Face, avant que soit trespassé.

Tant que, etc.

Se nous, etc.

Foleur a fait grandes passées,

Mains cueurs ont tout oultre passé;

Pour ce, par nous soit compassé

D'eschever faultes compassées.

Tant que, etc.



CHANCON.

Puisque je ne puis eschapper

De vous, courroux, dueil et tristesse,

Il me convient suir l'adresse

Telle que me vouldrez donner.

Povoir n'ay pas de l'amender,

Car douleur est de moy maistresse.

Puisque je ne, etc.

De vous, etc.

Si manderay par ung penser

A mon las cueur vuit de liesse,

Qu'il prengne en gré sa grant destresse,

Car il lui fault tout endurer.

Puisque je ne, etc.



CHANCON.

Sans ce, le demourant n'est rien;

Qu'esse? je le vous ay à dire,

N'enquerez plus, il doit suffire,

C'est conseil que tres segret tien.

Pourtant n'y entendez que bien,

Autrement je ne le desire.

Sans ce, etc.

Qu'esse? etc.

S'ainsi m'esbas ou penser mien,

Et mainte chose faiz escripre

En mon cueur, pour le faire rire;

Tout ung est mon fait, et le sien.

Sans ce, etc.



CHANCON.

C'est fait, il n'en fault plus parler,

Mon cueur s'est de moy departy;

Pour tenir l'amoureux party,

Il m'a voulu abandonner.

Riens ne vault m'en desconforter,

Ne d'estre dolent ou marry.

C'est fait, etc.

Mon cueur, etc.

De moy ne se fait que mocquer;

Quant piteusement je lui dy,

Que je ne puis vivre sans luy,

A paine me veult escouter.

C'est fait, etc.



CHANCON.

Assez pourveu, pour de cy à grant piece,

Et plus qu'assez, de penser et anuy,

Je me treuve sans congnoistre nulluy.

Qui se vente d'en avoir telle piece.

Fortune dit, qui tout mon fait despiece,

Que j'endure comme maint aujourduy.

Assez pourveu, etc.

Et plus qu'assez, etc.

Pourquoy souvent je mets soubz mon pié ce,

Prenant confort d'espoir, comme celluy

Qui me fye parfaitement en luy,

Ainsi remains qui le croiroit en piece.

Assez pourveu, etc.



RONDEL.

Puisqu'Amour veult que banny soye

De son hostel, sans revenir,

Je voy bien qu'il m'en fault partir,

Effacé du livre de Joye.

Plus demourer je n'y pourroye,

Car pas ne doy ce mois servir.

Puisqu'Amour, etc.

De son hostel, etc.

De Confort ay perdu la voye,

Et ne me veult on plus ouvrir

La barriere de Doulx plaisir,

Par desespoir qui me guerroye.

Puisqu'Amour, etc.



CHANCON.

Ca, venez avant, Esperance,

Or y perra que respondrez,

Et comment vous vous deffendrez;

On se plaint de vous à oultrance.

L'un dit que promectez de loing,

Et qu'en estes bonne maistresse,

L'aultre que faillez au besoing,

En ne tenant gueres promesse.

Quoique tardez, c'est la fiance

Qu'aux faiz de chascun entendrez

Et au derrain guerdon rendrez;

Dy je bien, ou se trop m'avance?

Ca, venez, etc.



RONDEL.

Pour le don que m'avez donné,

Dont tres grant gré vous doy savoir,

J'ay congneu vostre bon vouloir,

Qui vous sera bien guerdonné.

Raison l'a ainsi ordonné,

Bienfait doit plaisir recevoir.

Pour le don, etc.

Dont tres, etc.

Mon cueur se tient emprisonné,

Et obligé, pour dire voir,

Jusqu'à tant qu'ait fait son devoir

Vers vous, et se soit raenconné,

Pour le don, etc.



CHANCON.

Mon cueur, estouppe tes oreilles,

Pour le vent de Merencolie;

S'il y entre, ne doubte mye,

Il est dangereux à merveilles;

Soit que tu dormes ou tu veilles,

Fays ainsi que dy, je t'en prie.

Mon cueur, etc.

Pour le vent, etc.

Il cause doleurs nompareilles,

Dont s'engendre la maladie

Qui n'est pas de legier guerie;

Croy moy, s'à raison te conseilles.

Mon cueur, etc.



CHANCON.

Se j'eusse ma part de tous biens,

Autant que j'ay de loyaulté,

J'en auroye si grant planté

Qu'il ne me fauldroit jamais riens.

Et si gaingneroye des miens,

Ma Dame, vostre voulenté.

Se j'eusse, etc.

Autant que, etc.

Car pour asseuré je me tiens

Que vostre tres plaisant beaulté,

De s'amour me feroit rente,

Maugré Dangier et tous les siens.

Se j'eusse, etc.



CHANCON.

(Philippe de Boulainvilliers.)

Hola, hola, souspir, on vous hoit bien,

Vous vous cuidez embler trop coyement,

Contrefaisant ung peu le cayement;

Grant fain avez qu'on vous die tien,

Vous ne querez que d'ung cueur le soustien,

C'est de tieulx gens tousjours l'esbatement.

Hola, hola, etc.

Vous vous, etc.

Trop vous hastez, de vray, comme je tien,

Car l'on congnoist vostre fait clerement,

Une autreffoiz faictes plus saigement,

Car maintenant vous n'y gangnerez rien.

Hola, hola, etc.



CHANCON.

Pour les grans biens de vostre renommée,

Dont j'oy parler à vostre grant honneur,

Je desire que vous ayez mon cueur,

Comme de moy, tres loyaument amée.

Tresoriere, je vous voy ordonnée

A le garder en plaisance et doulceur.

Pour les, etc.

Dont j'oy, etc.

Recevez le, s'il vous plaist, et agrée,

Du mien ne puis vous donner don meilleur;

C'est mon vaillant, c'est mon tresor greigneur,

A vous l'offre de loyalle pensée.

Pour les, etc.



CHANCON.

(Gilles des Ourmes.)

Hola, hola, souspir, on vous oyt bien,

C'est à ung sourt à qui il le fault faire,

Retrayez vous, et pensez de vous taire,

Car Dangier oit si cler qu'il n'y fault rien;

Se d'aventure il vous oyt, je vous tien

Pour rué jus, car c'est vostre adversaire.

Hola, hola, etc.

C'est à ung, etc.

Ne saillez plus, actendez aucun bien,

Vous voulez vous, de vous mesmes deffaire?

Prenez conseil, quant c'est pour vostre affaire,

Et pour le mieulx, croyez sans plus le mien.

Hola, hola, etc.



CHANCON.

En songe, souhaid et pensée

Vous voy chascun jour de sepmaine,

Combien qu'estes de moy loingtaine,

Belle, tres loyaument amée,

Pour ce qu'estes la mieulx parée

De toute plaisance mondaine.

En songe, etc.

Vous voy, etc.

Dutout vous ay m'amour donnée,

Vous en povez estre certaine,

Ma seule Dame, souveraine,

De mon las cueur moult desirée.

En songe, etc.



CHANCON.

Aidez ce povre cayement

Souspir, je le vous recommande;

De vous, quant ausmone demande,

Ne se parte meschantement.

Son cas monstre piteusement,

Il semble que la mort actende.

Aidez ce povre, etc.

Souspir, je le, etc.

Donnez lui assez largement,

Qu'il ne meure, Dieu l'en deffende,

Affin que n'en faictes amende,

Au jour d'amoureux jugement.

Aidez, etc.



CHANCON.

De leal cueur, content de joye,

Ma maistresse, mon seul desir,

Plus qu'oncques vous vueil servir,

En quelque place que je soye;

Tout prest en ce que je pourroye,

Pour vostre vouloir acomplir.

De leal, etc.

Ma maistresse, etc.

En desirant que je vous voye,

A vostre honneur, et mon plaisir

Qui seroit briefment, sans mentir,

S'il fust ce que souhaideroye.

De leal, etc.



CHANCON.

En faulte du logeis de Joye,

L'ostellerie de Pensée

M'est par les fourriers ordonnée,

Ne scay combien fault que je y soye.

Autre part ne me bouteroye,

Content m'en tien, et bien m'agrée.

En faulte, etc.

L'ostellerie, etc.

Je parle tout bas, qu'on ne l'oye,

Pensant de veoir, quelque année,

Quelle sera ma destinée,

Et en quel lieu demeurer doye.

En faulte, etc.



RONDEL.

Se mon propos vient à contraire,

Certes, je l'ay bien desservy,

Car je congnois que j'ay failly

Envers ce que devoye plaire.

Mais j'espoire que debonnaire

Trouveray sa grace et mercy.

Se mon, etc.

Certes, etc.

Je vueil endurer et me taire,

Quant cause suy de mon soucy;

Las! je me sens en tel party

Que je ne scay que pourray faire.

Se mon, etc.



CHANCON.

Et bien, de par Dieu, Esperance,

Esse doncques vostre plaisir?

Me voulez vous ainsi tenir

Hors, et ens toujours en balance?

Ung jour j'ay vostre bienveillance,

L'autre ne la scay où querir.

Et bien, etc.

Esse doncques, etc.

Au fort, puisque suis en la dance,

Bon gré maugré, m'y fault fournir,

Et n'y scay de quel pié saillir,

Je reculle, puis je m'avance.

Et bien, etc.



RONDEL.

Par le pourchas du regart de mes yeulx,

En vous servant, ma tres belle maistresse,

J'ay essayé qu'est plaisir et tristesse,

Dont j'ay trouvé maint penser ennuyeux.

Mais de cellui que j'amoye le mieulx,

N'ay peu avoir qu'à petite largesse.

Par le pourchas, etc.

En vous, etc.

Car pour ung jour qui m'a esté joyeux,

J'ay eu trois moys la fievre de destresse;

Mais Bon espoir m'a guery de liesse,

Qui m'a promis de ses biens gracieux.

Par le pourchas, etc.



CHANCON.

Armez vous de joyeux confort,

Je vous en pry, mon povre cueur,

Que destresse, par sa rigueur,

Ne vous navre jusqu'à la mort;

Vous couvrant d'ung pavaiz, au fort,

Tant qu'aurez passé sa chaleur,

Armez vous, etc.

Je vous, etc.

Faictes bon guet, tant qu'elle dort;

Espoir dit qu'il sera seigneur,

Et fera vostre fait meilleur,

Contre Dangier qui vous fait tort.

Armez vous, etc.



CHANCON.

Pour vous monstrer que point ne vous oublie,

Comme vostre que suis où que je soye,

Presentement ma chancon vous envoye.

Or la prenez en gré, je vous en prie.

En passant temps, plain de merencolie,

L'autrier la fis ainsi que je pensoye;

Pour vous, etc.

Comme, etc.

Mon cueur tousjours si vous tient compaignie,

Dieu doint que brief vous puisse veoir à joye!

Et, en briefz motz, en ce que je pourroye,

A vous m'offre du tout à chiere lye.

Pour vous, etc.



CHANCON.

Tousjours dictes: Je vien, je vien;

Espoir! je vous congnois assez,

De voz promesses me lassez,

Dont peu à vous tenu me tien.

Se vous requier au besoin mien.

Legierement vous en passez.

Tousjours, etc.

Espoir, etc.

Vous ne vous acquictez pas bien

Vers moy, quant ung peu ne cassez

Les soussiz que j'ay amassez

En me contentant d'un beau rien.

Tousjours, etc.



CHANCON.

Loingtain de joyeuse sente,

Où l'en peut tous biens avoir.

Sans nul confort recevoir,

Mon cueur en tristesse s'ente.

Par quoy convient que je sente

Mains griefz maulx, pour dire voir.

Loingtain, etc.

Où l'en peut, etc..

En dueil a fait sa descente

De tous poins, sans s'en mouvoir;

Et s'il fault qu'à mon savoir

Maugré mien je m'y consente.

Loingtain, etc.



CHANCON.

Vivre et mourir soubz son dangier

Me veult faire Merencolie;

Jamais vers moy ne s'amolye,

Mais plaisir me faist estranger.

D'ainsi demourer, sans changer,

Se me seroit trop grant folie.

Vivre et, etc.

Me veult, etc.

Pour d'elle plus tost me venger,

Force m'est qu'à Confort m'alye,

Acompaigné de Chiere lye;

A le suir me vueil ranger.

Vivre et, etc.



CHANCON.

Je ne prise point telz baisiers

Qui sont donnez par contenance,

Ou par maniere d'accointance;

Trop de gens en sont parconniers.

On en peut avoir par milliers,

A bon marchié, grant habondance.

Je ne prise, etc.

Qui sont, etc.

Mais savez vous lesquelz sont chiers?

Les privez venans par plaisance;

Tous autres ne sont, sans doubtance,

Que pour festiers estrangiers,

Je ne prise, etc.



CHANCON.

Pourtant, s'avale soussiz mains,

Sans macher, en peine confiz;

Si ne seront ja desconfiz

Les pensées qui m'ont en leurs mains.

En ce propos seurement mains,

Qu'il vendront à aucuns prouffiz.

Pourtant, etc.

Sans macher, etc.

Travail mectray, et soirs, et mains,

Autant ou plus quanques je fiz,

S'a les achever ne souffiz,

D'en faire quelque chose au mains.

Pourtant, etc.



CHANCON.

Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,

Puisqu'il me fault loing de vous demourer,

Je n'ay plus riens à me reconforter,

Qu'un souvenir pour retenir lyesse.

En allegant, par espoir, ma destresse,

Me conviendra le temps ainsi passer.

Ma seule, etc.

Puisqu'il, etc.

Car mon las cueur, bien garny de tristesse,

S'en est voulu avecques vous aler,

Ne je ne puis jamais le recouvrer,

Jusques verray vostre belle jeunesse.

Ma seule, etc.



CHANCON.

Trop entré en la haulte game,

Mon cueur, d'ut, ré, mi, fa, sol, la,

Fut ja pieca, quant l'afola

Le trait du regart de ma Dame.

Fors lui, on n'en doit blasmer ame,

Puisqu'ainsi fait comme fol l'a.

Trop entré, etc.

Mon cueur, etc.

Mieux l'eust valu estre soubz lame,

Car sotement s'en afola;

Si, lui dis je, mon cueur, hola!

Mais conte n'en tint, sur mon ame.

Trop entré, etc.



CHANCON.

Se desplaire ne vous doubtoye,

Voulentiers je vous embleroye

Ung doulx baisier priveement,

Et garderoye seurement

Dedens le tresor de ma joye.

Mais que Dangier soit hors de voye,

Et que sans presse je vous voye,

Belle que j'ayme loyaument.

Se desplaire, etc.

Voulentiers, etc.

Ung doulx, etc.

Jamais ne m'en confesseroye,

Ne pour larrecin le tendroye,

Mais grant aumosne vrayement;

Car à mon cueur joyeusement,

De par vous le presenteroye,

Se desplaire, etc.



CHANCON.

Pour nous contenter, vous et moy,

De bon cueur et entier povoir,

Ne s'espargne Leal vouloir;

Viengne avant sans se tenir quoy.

Commandez moy je ne scay quoy,

Vous verrez se feray devoir,

Pour nous, etc.

De bon cueur, etc.

Se faulx, par l'amoureuse loy

Mis en fossé de Nonchaloir,

Soye sans grace recevoir;

Baillez la main, prenez ma foy,

Pour nous, etc.



CHANCON.

Malade de mal ennuieux,

Faisant la peneuse sepmaine,

Vous envoye, ma souveraine,

Un souspir merencolieux.

Par lui saurez, mon bien joyeulx,

Comment desplaisir me demaine.

Malade, etc.

Faisant, etc.

Car aler ne pevent mes yeulx,

Vers la beaulté dont estes plaine,

Mais au fort, ma joye mondaine,

J'endureray pour avoir mieulx;

Malade, etc.



CHANCON.

Tousjours dictes: Actendez, actendez,

Pas ne payez vos reconfors contens,

Joyeulx espoir, dont maints sont malcontens,

Qui ne scevent comment vous l'entendez;

De Fortune, pour Dieu, l'arc destendez,

Ne souffrez plus qu'elle face contens.

Tousjours, etc.

Pas ne payez, etc.

Vostre grace tost sur moy estandez,

Vous congnoissez assez à quoy contens;

Plus ne perdray ung tel tresor com temps,

Ainsi que fait qui son eur met en dez.

Tousjours, etc.



RONDEL.

Prenez tost ce baisier, mon cueur,

Que ma maistresse vous presente,

La belle, bonne, jeune et gente,

Par sa tres grant grace, et doulceur;

Bon guet feray, sus mon honneur,

Afin que Dangier riens n'en sente.

Prenez tost, etc.

Que ma, etc.

Dangier toute nuit en labeur

A fait guet, or gist en sa tente;

Accomplissez brief vostre entente

Tant dis qu'il dort, c'est le meilleur.

Prenez tost, etc.



CHANCON.

Resjouissez plus ung peu ma pensée,

Leal espoir, et me donnez secours;

Tousjours fuyez, et apres vous je cours,

Où j'ay assez de paine despensée;

La verray je jamais recompensée?

Quelque office lui donnent en vos cours.

Resjouissez, etc.

Leal espoir, etc.

La penance soit par vous dispensée,

Car desormais mes temps deviennent cours;

Ne souffrez plus son plaisirs en decours,

Veu que vers vous n'a faulte pourpensée,

Resjouissez, etc.



CHANCON.

Comment vous puis je tant amer

Et mon cueur si tres fort hair?

Qu'il ne me chault de desplaisir

Qu'il puisse pour vous endurer.

Son mal m'est joyeux à porter,

Mais qu'il vous puisse bien servir.

Comment vous, etc.

Et mon cueur, etc.

Las! or ne deusse je penser

Qu'à le garder et chier tenir,

Et non pourtant, mon seul desir,

Pour vous le vueil abandonner.

Comment, etc.



CHANCON.

M'amye Esperance,

Pourquoy ne s'avance

Joyeulx Reconfort?

Ay je droit ou tort,

S'en lui j'ay fiance?

Peu de desplaisance

Prent en ma grevance,

Il semble qu'il dort.

M'amye, etc.

Pourquoy, etc.

Joyeulx, etc.

Quoy qu'à lui je tence,

Pour sa bienvueillance

Acquerir; au fort,

Je suis bien d'accort

D'actendre allegance:

M'amye, etc.



CHANCON.

Dedens mon sein, pres de mon cueur

J'ay mussié ung privé baisier

Que j'ay emblé, maugré Dangier;

Dont il meurt en paine et langueur.

Mais ne me chault de sa douleur,

Et en deust il vif enragier,

Dedens mon, etc.

J'ay mussié, etc.

Se ma Dame, par sa doulceur,

Le veult souffrir, sans m'empeschier,

Je pense d'en plus pourchassier,

Et en feray tresor greigneur.

Dedens mon, etc.



CHANCON.

D'Espoir, et que vous en diroye?

C'est ung beau bailleur de parolles,

Il ne parle qu'en parabolles,

Dont ung grant livre j'escriroye.

En le lisant, je me riroye,

Tant auroit de choses frivolles.

D'Espoir, etc.

C'est ung, etc.

Par tout ung an ne le liroye.

Ce ne sont que promesses folles,

Dont il tient chascun jour escolles;

Telles estudes n'esliroye.

D'Espoir, etc.



RONDEL.

De vostre beaulté regarder,

Ma tres belle, gente maistresse,

Ce m'est certes tant de lyesse

Que ne le sauriez penser.

Je ne m'en pourroye lasser.

Car j'oublie toute tristesse.

De vostre, etc.

Ma tres belle, etc.

Mais, pour mesdisans destourber

De parler sus vostre jeunesse,

Il fault que souvent m'en delaisse,

Combien que ne m'en puis garder.

De vostre, etc.



CHANCON.

Passez oultre, decevant Vueil,

Où portez vous cest estendart

De plaisant, actrayant regart,

Soubz l'emprise de Bel acueil?

De ma maison n'entrez le sueil

Plus avant, tirez autre part.

Passez oultre, etc.

Où portez, etc.

Vous taschez à croistre mon dueil,

Et gens engigner par votre art;

A! a! maistre sebelin regnart,

On vous congnoist tout cler à l'ueil.

Passez oultre, etc.



CHANCON.

Trop estes vers moy endebtée,

Vous me devez plusieurs baisiers,

Je vouldroye moult voulentiers

Que la debte fust acquictée;

Quoyque vous soyez excusée

Que n'osez pour les faulx Dangiers.

Trop estes, etc.

Vous me, etc.

J'en ay bonne lectre scellée,

Paiez les, sans tenir si chiers;

Autrement, par les officiers

D'Amours, vous serez arrestée.

Trop estes, etc.



CHANCON.

Ma plus chier tenue richesse,

Ou parfont tresor de pensée,

Est soubz clef, seurement gardée,

Par Esperance ma Déesse.

Se vous me demandez et qu'esse?

N'enquerez plus, elle est mussée.

Ma plus, etc.

Ou parfont, etc.

Avecques elle, seul, sans presse,

Je m'esbas soir et matinée,

Ainsi passe temps et journée,

Au partir dy: Adieu maistresse.

Ma plus, etc.



CHANCON.

Vostre bouche dit: Baisiez moy,

Se m'est avis quant la regarde;

Mais Dangier de trop pres la garde,

Dont mainte doleur je reçoy.

Laissez m'avoir, par vostre foy,

Ung doux baisier, sans que plus tarde.

Vostre, etc.

Se m'est, etc.

Dangier me heit, ne scay pourquoy?

Et tousjours destourbier me darde,

Je prie à Dieu que mal feu l'arde!

Il fust temps qu'il se teinst coy.

Vostre bouche, etc.



CHANCON.

Va tost, mon amoureux desir,

Sur quanque me veulx obeir,

Tout droit vers le manoir de Joye;

Et pour plus abregier ta voye,

Prens ta guide doulx souvenir.

Metz peine de me bien servir,

Et de ton messaige accomplir,

Tu congnois ce que je vouldroye.

Va tost, etc.

Sur, etc.

Tout, etc.

Recommandes moy à Plaisir;

Et se brief ne peuz revenir,

Fay que de toy nouvelles oye,

Et par Bon espoir les m'envoye;

Ne vueilles au besoing faillir.

Va tost, etc.



CHANCON.

Ou puis parfont de ma merencolie

L'eaue d'Espoir que ne cesse de tirer.

Soif de confort la me fait desirer,

Quoy que souvent je la trouve tarie.

Necte la voy ung temps et esclercie,

Et puis apres troubler et empirer.

Ou puis, etc.

L'eaue, etc.

D'elle trempe mon ancre d'estudie;

Quant j'en escrips, mais pour mon cueur irer,

Fortune vient mon pappier dessirer,

Et tout gecte par sa grant felonnie.

Ou puis, etc.



CHANCON.

Je me metz en vostre mercy;

Tres belle, bonne, jeune et gente,

On m'a dit qu'estes mal contente

De moy, ne scay s'il est ainsi.

De toute nuit je n'ay dormy,

Ne pensez pas que je vous mente.

Je me, etc.

Tres belle, etc.

Pour ce, tres humblement vous pry,

Que vous me dictes vostre entente;

Car d'une chose je me vante,

Qu'en loyaulté n'ay point failly.

Je me, etc.



CHANCON.

Monstrez les moy, ces povres yeulx,

Tous batuz et deffigurez,

Certes ilz sont fort empirez

Depuis hier, qu'ilz valloient mieulx.

Ne se congnoissent ilz pas tieulx;

Mal se sont au matin mirez.

Monstrez les moy, etc.

Tous batuz, etc.

Ont ilz pleuré devant leurs Dieux?

Comme de leur grace inspirez,

Ou s'ilz ont mains travaulx tirez,

Priveement en aucuns lieux.

Monstrez les, etc.



CHANCON.

S'il vous plaist vendre voz baisiers,

J'en achecteray voulentiers,

Et en aurez mon cueur en gaige,

Pour les prendre par heritaige,

Par douzaines, cens ou milliers.

Ne les me vendez pas si chiers,

Que vous feriez à estrangiers,

En me recevant en hommaige.

S'il vous, etc.

J'en achecteray, etc.

Et en aurez, etc.

Mon vueil et mon desir entiers

Sont vostres, maugré tous dangiers;

Faictes comme loyalle et saige,

Que pour mon guerdon et partaige,

Je soye servy des premiers.

S'il vous, etc.



CHANCON.

Traitre regart, et que fais tu?

Quant tu vas souvent in questu;

Tu fiers sans dire: garde toy.

Et ne sces la raison pourquoy,

N'il ne t'en chault pas ung festu.

Tu es de couraige testu,

Et de fureur trop in estu,

Change ton propos, et me croy.

Traitre, etc.

Quant, etc.

Tu fiers, etc.

On te deust batre devestu

Parmi les rues cum mestu,

Par l'ordonnance de la loy;

Car tu n'as leaulté, ne foy,

On le voit in tuo gestu.

Traitre, etc.



CHANCON.

Ma seule amour, que tant desire,

Mon reconfort, mon doulx penser,

Belle, nompareille, sans per,

Il me desplaist de vous escrire;

Car j'aymasse mieulx à le dire

De bouche, sans le vous mander.

Ma seule, etc.

Mon reconfort, etc.

Las! or n'y puis je contredire;

Mais Espoir me fait endurer,

Qui m'as promis de retourner

En liesse, mon grief martire.

Ma seule, etc.



CHANCON.

Anuy, Soussy, Soing et Merencolie,

Se vous prenez desplaisir à ma vie,

Et desirez tost avancer ma mort,

Tourmentez moy de plus fort en plus fort,

Pour en passer tout à cop vostre envye.

Ay je bien dit? Nennil, je le renye;

Et, par conseil de Bon espoir, vous prie

Que m'espargnez, ou vous me ferez tort.

Anuy, Soussy, etc.

Se vous prenez, etc.

Et desirez, etc.

Et qu'esse cy? je suis en resverie,

Il semble bien que ne scay que je dye;

Je dy puis l'un, puis l'autre, sans accort;

Suis je enchanté? veille mon cueur ou dort?

Vuidez, vuidez de moy telle folie.

Anuy, Soussy, etc.



CHANCON.

Logiez moy entre voz bras,

Et m'envoyez doulx baisier

Qui me viengne festier,

D'aucun amoureux soulas.

Tandis que Dangier est las,

Et le voyez sommeillier,

Logiez, etc.

Et m'envoyez, etc.

Pour Dieu, ne l'esveillez pas

Ce faulx, envieux Dangier;

Jamais ne puist s'esveillier!

Faictes tost, et parlez bas.

Logiez moy, etc.



CHANCON.

Se Dangier me tolt le parler

A vous, mon bel amy, sans per;

Par le pourchas des envieux,

Non plus qu'on toucheroit aux cieulx,

Ne me tendray de vous amer,

Car mon cueur m'a voulu laissier

Pour soy du tout à vous donner,

Et pour estre vostre en tous lieux.

Se Dangier, etc.

A vous, etc.

Par le, etc.

Tout son povoir ne peut garder,

Que, sur tous autres, n'aye chier

Vostre gent corps, tres gracieux;

Et se ne vous voy de mes yeulx,

Pourtant ne vous veuil je changier.

Se Dangier, etc.



CHANCON.

Fault il aveugle devenir?

N'ose l'en plus les yeulx ouvrir,

Pour regarder ce qu'on desire?

Dangier est bien estrange sire,

Qui tant veult amans asservir.

Vous lerrez vous aneantir.

Amours, sans remede querir,

Ne peut nul Dangier contredire?

Faut il, etc.

N'ose l'en, etc.

Pour, etc.

Les yeulx si sont faiz pour servir,

Et pour raporter tout plaisir

Aux cueurs, quand ilz sont en martire;

A les en garder, Dangier tire,

Est ce bien fait de le souffrir?

Faut il, etc.



CHANCON.

Riens ne valent ses mirlifiques,

Et ses menues oberliques;

D'où venez vous? petit mercier,

Gueres ne vault vostre mestier,

Se me semble, ne voz pratiques.

Chier les tenez comme reliques,

Les voulez vous mectre en croniques,

Vous n'y gangnerez ja denier.

Riens ne valent, etc.

Et ses menues, etc.

D'où venez vous, etc.

En plusieurs lieux sont trop publiques,

Et pour ce, sans faire repliques,

Desploiez tout vostre pannier;

Affin qu'on y puisse serchier

Quelques bagues plus auctentiques.

Riens ne valent, etc.



CHANCON.

Regardez moy sa contenance,

Lui siet il bien à soy jouer?

Certes, c'est le vray mirouer

De toute joyeuse plaisance.

Entre les parfaictes de France

Se peut elle l'une advouer?

Regardez, etc.

Lui siet, etc.

Pour fol me tien, quant je m'avance

De vouloir les grans biens louer,

Dont Dieu l'a voulu douer;

Ses faiz en font la demonstrance.



CHANCON.

Petit mercier, petit pannier;

Pourtant se je n'ay marchandise

Qui soit du tout à vostre guise,

Ne blasmez, pour ce, mon mestier.

Je gangne denier à denier,

C'est loings du tresor de Venise.

Petit mercier, etc.

Pourtant, etc.

Et tandiz qu'il est jour ouvrier,

Le temps pers quant à vous devise;

Je voys parfaire mon emprise,

El parmi les rues crier:

Petit mercier, etc.



CHANCON.

Reprenez ce larron souspir

Qui s'est emblé soudainement,

Sans congié, ou commandement,

Hors de la prison de Desir.

Mesdisans l'ont ouy partir,

Dont ilz tiennent leur parlement.

Reprenez, etc.

Qui s'est, etc.

Se le meschant eust sceu saillir

Sans noyse, tout priveement,

N'en peult chaloir, mais sotement

L'a fait; pour ce, l'en fault pugnir.

Reprenez, etc.



CHANCON.

L'ostellerie de Pensée

Plaine de venans et alans,

Soussiz soient petitz ou grans,

A chascun est habandonnée;

Elle n'est à nul reffusée,

Mais preste pour tout les passans,

L'ostellerie, etc.

Plaine de, etc.

Plaisance chierement amée

S'y loge souvent, mais nuisans

Lui sont ennuiz gros et puissans,

Quand ilz la tiennent empeschée.

L'ostellerie, etc.



CHANCON.

Fuyez le trait de doulx regard,

Cueur, qui ne vous savez deffendre,

Veu qu'estes desarmé et tendre,

Nul ne vous doit tenir couard.

Vous serez pris ou tost, ou tard,

S'Amour le veult bien entreprendre.

Fuyez le, etc.

Cueur, etc.

Retrayez vous sous l'estendart

De Nonchaloir, sans plus actendre;

S'a Plaisance vous laissiez rendre,

Vous estes mort, Dieu vous en gard!

Fuyez le trait, etc.



CHANCON.

Yver, vous n'estes qu'un villain,

Esté est plaisant et gentil,

En tesmoing de May et d'Avril,

Qui l'accompaignent soir et main.

Esté revest champs, bois et fleurs,

De sa livrée de verdure,

Et de maintes autres couleurs,

Par l'ordonnance de Nature.

Mais vous, Yver, trop estes plain

De neige, vent, pluye et grezil;

On vous deust bannir en exil,

Sans point flater, je parle plain.

Yver, etc.



CHANCON.

Mon seul amy, mon bien, ma joye,

Cellui que sur tous amer veulx,

Je vous pry que soyez joyeux,

En esperant que brief vous voye.

Car je ne fais que querir voye

De venir vers vous, se m'aist Dieux.

Mon seul, etc.

Cellui. etc.

Et se par souhaidier povoye

Estre empres vous, un jour ou deux,

Pour quanqu'il a dessoubz les cieulx,

Outre rien ne souhaideroye.

Mon seul, etc.



CHANCON.

Je le retiens pour ma plaisance,

Espoir, mais que leal me soit,

Et, se jamais il me décoit,

Je renie son acointance.

Nous deux avons fait aliance,

Tant que mon cueur tel l'aparcoit.

Je le retiens, etc.

Espoir, etc.

Monstrer me puisse bienvueillance,

Ainsi que mon penser concoit,

Dont mainte liesse recoit;

Quand à moy, j'ay en lui fiance.

Je le retiens, etc.



CHANCON.

Je ne les prise pas deux blancs

Tous les biens qui sont en amer,

Car il n'y a que tout amer,

Et grant foison de faulx semblans;

Pour les maulx qui y sont doublans,

Pire que les perils de mer.

Je ne les, etc.

Tous les, etc.

Ilz ne sont à riens ressemblans,

Car ung jour viennent entamer

Le cueur, et apres embasmer;

Ce sont amouretes tremblans.

Je ne les, etc.



CHANCON.

Hors du propos si baille gaige,

Ce n'est que du jeu la maniere,

Nulle excusacion n'y quiere,

Quoyque soit prouffit ou dommaige.

Tousjours parle plus fol que saige,

C'est une chose coustumiere.

Hors du propos, etc.

Ce n'est que, etc.

Se l'en me dit: Vous contez raige;

Blasmez ma langue trop legere,

Raison de Secret tresoriere

La tance, quant despent langaige.

Hors du propos, etc.



CHANCON.

Au besoing congnoist on l'amy

Qui loyaument aidier desire,

Pour vous je puis bien cecy dire,

Car vous, ne m'avez pas failly;

Mais avez, la vostre mercy,

Tant fait qu'il me doit suffire.

Au besoing, etc.

Qui loyaument, etc.

Bien brief pense partir de cy,

Pour m'en aler vers vous de tire;

Loisir n'ay pas de vous escrire,

Et pour ce, plus avant ne dy.

Au besoing, etc.



CHANCON.

O tres devotes creatures,

En ypocrisies d'amours

Que vous querez d'estranges tours!

Pour venir à voz aventures.

Vous cuidez bien par voz paintures,

Faire sotz, aveugles et sours.

O tres devotes, etc.

En ypocrisies, etc.

On ne peut desservir deux cures,

Ne prendre gaiges en deux cours;

Prenez les champs, ou les faulbourgs,

Ilz sont de diverses natures.

O tres devotes, etc.



CHANCON.

Que c'est estrange compaignie

De Penser joint avec Espoir;

Aidier scevent, et decevoir

Ung cueur qui tout en eulx se fie.

Il ne fault ja que je le dye,

Chascun le peut en soy savoir.

Que c'est, etc.

De Penser, etc.

D'eulx me plains et ne m'en plains mye,

Car mal et bien m'ont fait avoir;

Menty m'ont, et aussi dit voir,

Je l'aveu et si le renye.

Que c'est, etc.



CHANCON.

(Orléans.)

Sera elle point jamais trouvée?

Celle qui ayme loyaulté,

Et qui a ferme voulenté,

Sans avoir legiere pensée.

Il convient qu'elle soit criée,

Pour en savoir la verité.

Sera elle point, etc.

Celle qui, etc.

Je crois bien qu'elle est deffiée

Des aliez de faulceté,

Dont il y a si grant planté,

Que de paour elle s'est mussiée.

Sera elle, etc.



CHANCON.

(Responce du duc Jehan de Bourbon,)

DUC D'ORLÉANS, je l'ay trouvée

Celle qui ayme loyaulté,

Et qui a ferme voulenté,

Sans avoir legiere pensée.

Ja ne fault qu'elle soit criée,

J'en scay assez la vérité.

DUC D'ORLÉANS, etc.

Celle qui, etc.

C'est ma Dame tres bien amée,

Qui a des biens si grant planté,

Qu'el ne craint vostre faulceté,

Ne de ceulx de vostre livrée.

DUC D'ORLÉANS, etc.



CHANCON.

Puis ça, puis là,

Et sus, et jus,

De plus en plus,

Tout vient et va.

Tous on verra

Grans et menus,

Puis ça, etc.

Et sus, etc.

Vieulx temps desja,

S'en sont courus,

Et neufz venus,

Que dea! que dea!

Puis ca, etc.



CHANCON.

Dieu vous conduie, Doulx penser,

Et vous doint faire bon voyage,

Rapportez tost joyeulx message

Vers le cueur pour le conforter;

Ne vueillez gueres demourer,

Exploictez comme bon et sage.

Dieu vous, etc.

Et vous, etc.

Riens ne vous convient ordonner,

Les secrez savez du courage,

Besongnez à son avantage,

Et pensez de brief retourner.

Dieu vous, etc.



CHANCON.

Puisque par deca demourons,

Nous Saulongnois et Beausserons,

En la maison de Savonnieres,

Souhaidez nous des bonnes chieres

Des Bourbonnois et Bourguignons.

Aux champs, par hayes et buissons,

Perdrix et lyevres nous prendrons,

Et yrons pescher sur rivieres.

Puisque, etc.

Nous, etc.

En la maison, etc.

Vivres, tabliers, cartes aurons

Où souvent nous estudirons;

Vins, mangers de plusieurs manieres,

Galerons, sans faire prieres,

Et de dormir ne nous faindrons.

Puisque, etc.



CHANCON.

Les fourriers d'Amours m'ont logé

En ung lieu bien à ma plaisance,

Dont les mercy de ma puissance,

Et m'en tiens à eulx obligé.

Afin que tost soit abregé

Le mal qui me porte grevance,

Les fourriers, etc.

En ung lieu, etc.

Desja je me sens alegé,

Car acointié m'a Esperance,

Et croy qu'amoureux n'a en France

Qui soit mieulx que moy hebergé.

Les fourriers, etc.



CHANCON.

Penser, qui te fait si hardy,

De mectre en ton hostellerie

La tres diverse compaignie

D'Ennuy, Desplaisir et Soussy.

Se congié en as, si le dy,

Ou se le fais par ta folie.

Penser, qui, etc.

De mectre, etc.

Nul ne repose pour leur cry,

Boute les hors, et je t'en prie,

Ou il faut qu'on y remedie;

Veulx tu estre à tous ennemy?

Penser, qui, etc.



CHANCON.

Dont vient ce souleil de plaisance

Qui ainsi m'esbluyst les yeulx?

Beaulté, doulceur, et encor mieulx

Y sont à trop grant habondance;

Soudainement luyst par semblance,

Comme un escler venant des cieulx.

Dont vient, etc.

Qui ainsi, etc.

Il fait perdre la contenance

A toutes gens, jeunes et vieulx;

N'il n'est eclipse, se m'aist Dieux,

Qui de l'obscurcir ait puissance.

Dont vient, etc.



CHANCON.

(Fraigne.)

Et où vas tu? petit souspir,

Que j'ay ouy si doulcement;

T'en vas tu mectre à saquement

Quelque povre amoureux martir?

Viens ca, dy moy tost, sans mentir,

Ce que tu as en pensement.

Et où vas tu, etc.

Que j'ay, etc.

Dieu te conduye à ton désir,

Et te remaine à sauvement;

Mais je te requier humblement

Que ne faces ame mourir.

Et où vas tu, etc.



CHANCON.

Laissez moy penser à mon aise,

Helas! donnez m'en le loisir,

Je devise avecques Plaisir,

Combien que ma bouche se taise.

Quant merencolie mauvaise

Me vient maintes foiz assaillir,

Laissez moy, etc.

Helas! donnez, etc.

Car affin que mon cueur rapaise,

J'appelle plaisant souvenir,

Qui tantost me vient resjouir;

Pour ce, pour Dieu, ne vous desplaise.

Laissez moy, etc.



CHANCON.

As tu ja fait? petit souspir,

Est il sur son trespassement?

Le cueur qu'as mis à saquement;

A il remede de guerir?

Tu as mal fait de le ferir

En haste, si piteusement.

As tu ja, etc.

Est il sur, etc.

Amours qui t'en doit bien pugnir,

A fait de toy son jugement;

Pren franchise hastivement,

Sauve toy, quant tu as loisir.

As tu ja, etc.



CHANCON.

Levez ces cuevrechiefz plus hault

Qui trop cuevrent ces beaulx visaiges;

De riens ne servent telz umbraiges,

Quant il ne fait hale, ne chault.

On fait à beaulté qui tant vault,

De la musser, tort et oultraiges:

Levez ces, etc.

Qui trop, etc.

Je scay bien qu'à Dangier n'en chault,

Et pense qu'il ait donné gaiges,

Pour entretenir telz usaiges;

Mais l'ordonnance rompre fault.

Levez ces, etc.



CHANCON.

Deux ou trois couples d'ennuys

J'ay tousjours en ma maison,

Desencombrer ne m'en puis,

Quoyqu'à mon povoir les fuis,

Par le conseil de raison.

Deux ou trois, etc.

Je les chasse d'où je suis,

Mais en chascune saison,

Ilz rentrent par un autre huis.

Deux ou trois, etc.



CHANCON.

Entre les amoureux fourrez,

Non pas entre les decoppez,

Suis, car le temps sans refroidy,

Et le cueur de moy l'est aussi;

Tel me veez, tel me prenez.

Jeunes gens qui Amours servez,

Pour Dieu, de moy ne vous mocquez,

Il est ainsi que je vous dy.

Entre les, etc.

Non pas, etc.

Car, quant Amours servy aurez

Autant que j'ay, vous devendrez

Pareillement en mon party;

Et quant vous trouverez ainsy,

Comme je suis, lors vous serez.

Entre les, etc.



CAROLE.

Las! Merencolie,

Me tendrez vous longuement,

Es maulx dont j'ay plus de cent,

Sans pensée lie.

Je l'ay souffert main et soir,

Loingtain de joyeulx confort;

Mais nul bien n'en puis avoir,

Dont mon cueur est presque mort.

Au moins, je vous en prie,

Que me laissiez seulement,

Aucun peu d'alegement,

Sans m'oster la vie

Las! etc.

Esperance d'avoir mieulx

Dist qu'elle me veult aidier;

Mais tousjours maugracieux

Je trouve le faulx Dangier,

Qui tant me guerrie.

Si, vous requier humblement,

Qu'en ce douloureux tourment

Ne me laissiez mie,

Las! Merencolie.



CAROLE.

Avancez vous, Esperance,

Venez mon cueur conforter,

Car il ne peut plus porter

Sa tres greveuse penance.

Pieca, Joyeuse pensée

S'esbatoit avecques lui,

Mais elle s'en est alée,

Tant a pourchassié Ennuy.

Se vous n'avez la puissance

De tout son mal lui oster,

Plaise vous à alegier

Au moins un peu sa grevance.

Avancez, etc.

Vous lui avez fait promesse

De le venir secourir,

Et de lui tollir tristesse,

Mais trop le faictes languir.

Ayez de lui souvenance,

Et le venez deslogier

De la prison de Dangier,

Où il meurt en desplaisance,

Avancez, etc.



CAROLE.

M'avez vous point mis en oubly?

Par Dieu, je double fort, oy,

Ma seule maistresse et ma joye;

Non pourtant, quelque part que soye,

Je m'actens à vostre mercy.

Espoir m'a dit que Leauté

Vous fera souvenir de moy,

Car vostre bonne voulenté

Ne peult faillir, comme je croy.

Quant est à moy, je vous supply,

Pensez que l'amoureux party,

Que j'ay prins, changier ne pourroye;

Certes avant mourir vouldroye,

Je vous prometz qu'il est ainsi.

M'avez vous, etc.

Amour a tort, ce m'est advis,

Qu'il ne fait aux dames sentir

Les maulx, où leurs servans sont mis,

Pour les tres loyaument servir.

Pour vous, ma Dame, je le dy,

Car se vous saviez le soussy,

Qu'Amours, pour vous servir, m'envoye,

Vous diriez bien que j'auroye,

De droit, gaingné le don d'amy.

M'avez vous, etc.



RONDEL.

Et ne cesserez vous jamais?

Tousjours est à recommencer;

C'est folie d'y plus penser,

Ne s'en soussier desormais.

Plus avant j'en diroye, mais

Rien n'y vault flater, ne tanser.

Et ne cesserez, etc.

Tousjours, etc.

Passez a plusieurs moys des Mays

Qu'Amour vous vouldrent avanser;

Mal les voulez recompenser,

En servant de telz entremais.

Et ne cesserez vous, etc.



RONDEL.

(Orleans à Nevers.)

Pour paier vostre belle chiere,

Laissez en gaige vostre cueur,

Nous le garderons en doulceur

Tant que vous retournez arriere.

Contentez, car c'est la maniere,

Vostre hostesse pour vostre honneur.

Pour paier, etc.

Laissez en, etc.

Et se voiez nostre priere

Estre trop plaine de rigueur,

Changons de cueur, c'est le meilleur,

De voulenté bonne et entiere.

Pour paier, etc.



RONDEL.

(Responce de Nevers.)

Mon tres bon hoste, et ma tres doulce hostesse,

Tres humblement et plus vous remercie

Des biens, honneurs, bonté et courtoisie,

Que m'avez faiz tous deux, par vostre humblesse.

Aussi fais je de vostre grant largesse

Et tres soingneuse et bonne compaignie.

Mon tres bon hoste, etc.

Tres humblement, etc.

Mon povre cueur pour paiement vous laisse,

Prenez en gré, et je vous supplie,

Et oultre plus, tant que je puis vous prie,

Que m'octroyez estre maistre et maistresse.

Mon tres bon, etc.



RONDEL.

Qu'il ne le me font,

Pour veoir que feroye,

Et se je sauroye

Leur donner le bont.

Puisque telz ilz sont

Affin qu'on les voye

Qu'il ne, etc.

Pour veoir, etc.

Droit à droit respont,

Paier les vouldroye

De telle monnoye

Qu'il desserviront.

Qu'il ne, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

A ce jour de saint Valentin,

Que chascun doit choisir son per,

Amours, demourray je non per?

Sans partir à vostre butin.

A mon resveillier au matin,

Je n'y ai cessé de penser,

A ce jour, etc.

Que chascun, etc.

Mais Nonchaloir, mon medicin,

M'est venu le pousse taster,

Qui ma conseillié reposer,

Et rendormir sur mon coussin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

J'ay esté Poursuivant d'Amours,

Mais maintenant je suis Herault;

Monter me fault en l'eschaffault,

Pour jugier des amoureux tours.

Quant je verray riens à rebours

Dieu scet se je crieray bien hault.

J'ay esté, etc.

Mais, etc.

Et s'amans vont faisant les lours,

Tantost congnoistray leur deffault;

Ja devant moy, clochier ne fault,

D'amer scay par cueur le droit cours.

J'ay esté, etc.



RONDEL.

(Secile.)

Apres une seule exceptée,

Je vous servirai ceste année,

Ma doulce Valentine gente,

Puisqu'Amours veult que m'y consente,

Et que telle est ma destinée.

De moy, pour autre habandonnée

Ne serez; mais si fort amée

Qu'en devrez bien estre contente.

Apres une seule, etc.

Je vous, etc.

Or me soit par vous ordonnée,

S'il vous plaist, à ceste journée,

Vo voulenté doulce et plaisante;

Car à la faire me presente

Plus que pour Dame qui soit née.

Apres une seule, etc.



RONDEL.

Je suis desja d'amour tanné,

Ma tres doulce Valentinée,

Car pour moi fustes trop tart née,

Et moy pour vous fus trop tost né.

Dieu lui pardoint qui estrené

M'a de vous, pour toute l'année.

Je suis desja, etc.

Ma tres doulce, etc.

Bien m'estoye suspeconné,

Qu'auroye telle destinée,

Ains que passast ceste journée,

Combien qu'Amours l'eust ordonné.

Je suis desja, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Soubz parler couvert

D'estrange devise,

Monstrez qu'avez prise

Douleur; il y pert.

Du tout en desert,

N'est pas vostre emprise.

Soubz parler, etc.

D'estrange, etc.

Se Confort ouvert

N'est à vostre guise,

Tost, s'Amour s'avise,

Sera recouvert.

Soubz parler, etc.



RONDEL.

Laissez aler ces gorgias,

Chascun yver, à la pippée;

Vous verrez comme la gelée

Reverdira leurs estomas.

Dieu scet s'ilz auront froit aux bras.

Par leur manche deschiquetée.

Laissez aler, etc.

Il portent petiz soulers gras,

A une poulaine embourrée,

Froidure fera son entrée,

Par leurs talons nuz par en bas.

Laisser aler, etc.



RONDEL.

Les en voulez vous garder

Ces rivieres de courir,

Et grues prendre et tenir,

Quant hault les veez voler.

A telles choses muser,

Voit on folz souver servir.

Les en voulez, etc.

Ces rivieres, etc.

Laissez le temps tel passer

Que Fortune veult souffrir,

Et les choses avenir

Que l'en ne scet destourber.

Les en voulez, etc.



RONDEL.

Veu que j'ay tant Amour servy,

Ne suis je pas mal guerdonné,

Du plaisir qu'il m'avoit donné,

Sans cause m'a tost desservy.

Mon cueur loyaument son serf vy,

Mais à tort l'a abandonné.

Veu que j'ay, etc.

Ne suis, etc.

Plus ne lui sera asservy;

Pour Dieu, qu'il me soit pardonné,

Je croy que suis à ce don né,

D'avoir mal pour bien desservy.

Veu que j'ay, etc.



RONDEL.

(Secile.)

Pourtant se vous plaignez d'Amours,

Il n'est pas temps de vous retraire,

Car encore il vous pourra faire

Tel bien, que perdrez vos dolours.

Vous congnoissez assez ses tours,

Je ne dy pas pour vous desplaire.

Pourtant, etc.

Il n'est, etc.

Ayez fiance en lui tousjours,

Et mectez paine de lui plaire;

Combien que mieulx me vaulsit taire,

Car vous pensez tout le rebours.

Pourtant, etc.



RONDEL.

Se vous estiez comme moy,

Las! vous vous devriez bien plaindre;

Car de tous mes maulx le maindre

Est plus grant que vostre ennoy.

Bien vous pourrez, sur ma foy,

D'Amours alors vous complaindre;

Se vous estiez, etc.

Las! vous, etc.

Car si tres dolent me voy,

Que plus la mort ne veuil craindre;

Touteffoiz, il me faut faindre;

Aussi feriez vous, se croy,

Se vous estiez, etc.



RONDEL.

(Responce par Orléans.)

Chascune vieille son dueil plaint;

Vous cuidez que vostre mal passe

Tout autre; mais ja ne parlasse

Du mien, se n'y feusse contraint.

Saichiez de voir qu'il n'est pas faint,

Le tourment que mon cueur enlasse.

Chascune vieille, etc.

Vous cuidez, etc.

Ma peine pers comme fait maint,

Et contre Fortune je chasse;

Desespoir de pis me menasse,

Je sens où mon pourpoint m'estraint.

Chascune vieille, etc.



RONDEL.

(Secile.)

Bien deffendu, bien assailly,

Chascun dit qu'il a grant dolours,

Mais, au fort, je veuil croire Amours

Par qui le debat est sailly;

Affin que qui aura failly,

N'aye jamais de lui secours.

Bien deffendu, etc.

Chascun dit, etc.

Car se j'ay en riens deffailly

De compter mon mal puis deux jours,

Banny vueil estre de ses cours,

Com un hom lasche et failly.

Bien deffendu, etc.



RONDEL.

(Responce par Orléans.)

Bien assailly, bien deffendu;

Quant assez aurons debatu,

Il faut assembler noz raisons,

Et que les fons voler faisons

Du debat nouvel advenu.

Tres fort vous avez combatu,

Et j'ay mon billart bien tenu;

C'est beau debat que de deux bons.

Bien assailly, etc.

Quant assez, etc.

Vray est qu'estes d'Amour feru,

Et en ses fers estroit tenu;

Mais moy non, ainsi l'entendons;

Il a passé maintes saisons,

Que me suis aux armes rendu.

Bien assailly, etc.



RONDEL.

(Secile.)

Si dolant je me trouve à part

De laisser ce dont mon bien part;

C'est celle en qui n'a que redire,

Que ne fus oncques si plain d'ire,

Ou jamais Dieu n'ait en moy part.

Car, quant je pense en mon depart,

Et qu'aler me fault autre part,

Je ne scay plus que je dois dire.

Si dolant, etc.

De laisser, etc.

Fortune, qui les lotz depart,

M'a baillé ce dueil pour ma part,

Qu'est pis qu'on ne seroit redire;

Et si ne lui puis contredire,

Dont a peu que mon cueur n'en part.

Si dolant, etc.



CHANCON.

(Orléans.)

Durant les treves d'Angleterre

Qui ont esté faictes à Tours,

Par bon conseil avec Amours,

J'ay prins abstinence de guerre;

S'autre que moy ne la desserre,

Content suis que tiengne tousjours.

Durant les, etc.

Qui ont, etc.

Il n'est pas bon de trop enquerre,

Ne s'empechier es faiz des cours;

S'on m'assault, pour avoir secours,

Vers Nonchaloir iray grant erre.

Durant les, etc.



RONDEL.

Vous vistes que je le veoye

Ce que je ne vueil descouvrir,

Et congnustes, à l'ueil ouvrir,

Plus avant que je ne vouloye.

L'ueil d'embusche saillit en voye,

De soy retraire n'eut loisir.

Vous vistes, etc.

Ce que je ne, etc.

Trop est saige qui ne foloye,

Quant on est es mains de Plaisir,

Qui lors vint vostre cueur saisir,

Et fist comme pieca souloye.

Vous vistes, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

Jusques Pasques soient passées,

Donnez trieves à mes pensées,

Je vous pri tant que je puis, Amours;

Car c'est bien droit qu'à ces bons jours

En paix de vous soient laissées.

Assez voz gens les ont lassées,

Et pour ceste foiz couroussées,

Allez ailleurs faire vos tours.

Jusques Pasques, etc.

Donnez trieves, etc.

Pour plus donc n'estre d'eulx pressees,

Qui tant les ont fort menassées,

Faictes les crier par voz cours,

Et leur deffendez bien tousjours,

Que par eulx ne soient cassées.

Jusques Pasques, etc.



RONDEL.

(Responce par Orléans)

Tant que Pasques soient passées,

Sans resveiller le chat qui dort,

Fredet, je suis de vostre accors,

Que pensées soient cassées,

Et en aumaires entassées,

Fermans à clef tres bien et fort.

Tant que Pasques, etc.

Sans resveiller, etc.

Quand aux miennes, ilz sont lassées,

Mais de les garder, mon effort

Feray, par l'avis de Confort,

En fardeaulx d'espoir amassées.

Tant que Pasques, etc.



CHANCON.

La veez vous là, la lyme sourde,

Qui pense plus qu'elle ne dit,

Souventeffoiz s'esbat et rit

A planter une gente bourde;

Contrefaisant la coquelourde,

Soubz un malicieux abit.

La veez vous, etc.

Qui pense, etc.

Quelle part que malice sourde,

Tost congnoist s'il y a prouffit;

Benoist en soit le saint Esprit,

Qui de si finete me hourde.

La veez vous me, etc.



RONDEL.

Beaulté, gardez vous de mes yeulx,

Car ilz vous viennent assaillir;

S'ilz vous povoient conquerir,

Ilz ne demanderoyent mieulx.

Vous estes seule soubz les cieulx

Le tresor de parfait plaisir.

Beaulté, etc.

Car ilz vous, etc.

Congneuz les ay jeunes et vieulx,

Qu'il ne leur chauldroit de morir,

Mais qu'eussent de vous leur desir,

Je vous avise qu'ilz sont tieulx.

Beaulté, etc.



CHANCON.

Helas! et qui ne l'aymeroit?

De Bourbon le droit heritier,

Qui a l'estomac de papier,

Et aura la goute de droit;

Se Lymosin ne lui aidoit,

Il mourroit, tesmoing Villequier.

Helas! et qui, etc.

De Bourbon, etc.

Jamais plus hault ne sailliroit,

S'elle lui monstroit ung dangier;

Et pour ce, Fayete et Gouffier,

Aidiez chascun en vostre endroit.

Helas! et qui, etc.



RONDEL.

Bien viengne doulx regart qui rit,

Quelque bonne nouvelle porte,

Dont Dangier fort se desconforte,

Et de courroux en douleur frit.

Ne peut chaloir de son despit,

Ne de ceulx qui sont de sa sorte.

Bien viengne, etc.

Quelque, etc.

Dangier dist: baille par escript,

Et qu'il n'entre point en la porte;

Mais Amour, comme la plus forte,

Veult qu'il entre sans contredit.

Bien viengne, etc.



CHANCON.

Dieu vous envoye pascience,

Gentil conte Cleremondois,

Vous congnoissez, à ceste foiz,

Qu'est d'amoureuse penitence;

Puisqu'estes hors de la presence,

De celle que bien je congnois.

Dieu vous, etc.

Gentil conte, etc.

Vouer vous povez aliance

A la riche, comme je crois,

Ne vous trouverez de ce mois,

Las! trop estes loing d'alegance.

Dieu vous, etc.



RONDEL.

En la promesse d'Esperance

Où j'ay temps perdu et usé,

J'ay souvent conseil reffusé,

Qui me povoit donner plaisance.

Las! ne suis le premier de France

Qui sotement s'est abusé,

En la promesse, etc.

Où j'ay temps, etc.

Et, de ma nysse gouvernance,

Devant Raison j'ay accusé

Mon cueur; mais il s'est excuse,

Disant que deceu l'a Fiance

En la promesse, etc.



CHANCON.

Sauves toutes bonnes raisons,

Mieulx vault mentir, pour paix avoir,

Qu'estre batu, pour dire voir;

Pour ce, mon cueur, ainsi faisons.

Riens ne perdons, se nous taisons,

Et se jouons au plus savoir.

Sauves toutes, etc.

Mieulx vault, etc.

Parler boute feu en maisons,

Et destruit paix, ce riche avoir;

On aprent à taire et à veoir,

Selon les temps et les saisons.

Sauves toutes, etc.



RONDEL.

Mon cueur, il me fault estre mestre

A ma foiz, aussi bien que vous,

N'en ayez ennuy, ou courroux;

Certes il convient ainsi estre.

Trop longuement m'avez fait pestre,

Et toujours tenir au dessous.

Mon cueur, etc.

A ma foiz, etc.

Allez à dextre, ou à senestre,

Pris serez, sans estre rescous,

Passer vous fault, mon amy doulx,

Ou par là, ou par la fenestre.

Mon cueur, etc.



CHANCON.

Il souffist bien que je le sache,

Sans en enquerir plus avant;

Car se tout aloye disant,

On vous pourrait bien dire actache.

Nul de la langue ne m'arrache

Ce qu'en mon cueur je voys pensant.

Il souffist, etc.

Sans en, etc.

Ainsi qu'en blanc pert noire tache,

Vostre fait est si apparant,

Que m'y trouve trop congnoissant;

Qui est descouvert, mal se cache.

Il souffist, etc.



RONDEL.

Mes yeulx trop sont bien reclamez,

Quant ma Dame si les appelle,

Leur monstrant sa grant beaulté belle,

Ilz reviennent comme affamez;

Maugré mesdisans peu amez,

Et Dangier qui tient leur querelle.

Mes yeulx, etc.

Quant ma, etc.

Estre devroient diffamez,

S'ilz ne voloyent, de bonne elle,

Vers les grans biens qui sont en elle;

De ce ne seront ja blasmez.

Mes yeulx, etc.



CHANCON.

Pense de toy

Dorenavant,

Du demourant

Te chaille poy.

Ce monde voy

En empirant.

Pense, etc.

Dorenavant, etc.

Regarde et oy,

Va peu parlant;

Dieu tout puissant

Fera de soy.

Pense, etc.



RONDEL.

Retraiez vous, regart mal avisé,

Vous cuidez bien que nulluy ne vous voye;

Certes, Aguet par tous lieux vous convoye

Priveement, en habit desguisé.

De gens saichans en estes moins prisé,

D'ainsi tousjours trocter parmy la voye.

Retraiez vous, etc.

Vous cuidez, etc.

Dangier avez contre vous atisé,

Quant sot maintien tellement vous forvoye;

Au derrenier, faudra qu'il y pourvoye,

Il est ainsi que je l'ay devisé.

Retraiez vous, etc.



CHANCON.

Ce n'est riens qui ne puist estre,

On voit de plus grans merveilles,

Que de baster aux corneilles

Les mariz, et l'erbe pestre.

Car de jouer tours de maistre,

Femmes sont les nompareilles.

Ce n'est riens, etc.

On voit, etc.

Tant aux huis, comme aux fenestres,

En champs, jardins, ou en trailles,

Par tout ont yeulx et oreilles,

Soit à dextre, ou a senestre.

Ce n'est riens, etc.



RONDEL.

Regart, vous prenez trop de paine,

Tousjours courez et racourez,

Il semble qu'aux barres jouez;

Reprenez un peu vostre alaine.

Cueurs qu'Amours tient en son demaine,

Cuident qu'assaillir les voulez.

Regart, vous, etc.

Tousjours, etc.

Amours, une fois la sepmaine

C'est raison que vous reposez,

Et affin que ne morfondez,

Il faudra que l'en vous pourmaine.

Regart, etc.



CHANCON.

Or est de dire, laissez m'en paix,

Et tout plain, de rien ne m'est plus;

Mes propos sont en ce conclus,

Qu'ainsy demourray desormais.

De s'entremectre de mes faiz,

Je n'en requier nulles, ne nuls.

Or est, etc.

Et tout, etc.

Fortune, par ses faulx atraiz,

En pipant, a pris à la glus

Mon cueur, et en soussy reclus

Se tient, sans departir jamais.

Or est, etc.



CHANCON.

Le voulez vous?

Que vostre soye,

Rendu m'octroye,

Pris ou recous.

Ung mot pour tous,

Bas qu'on ne l'oye.

Le voulez, etc.

Que vostre, etc.

Maugré jalons,

Foy vous tendroye,

Or sa, ma joye,

Accordons nous.

Le voulez, etc.



CHANCON.

C'est grant paine que de vivre en ce monde,

Encores est ce plus paine de mourir;

Si convient il, en vivant, mal souffrir,

Et au derrain, de mort passer la bonde.

S'aucunefois joye, ou plaisir abonde,

On ne les peut longuement retenir.

C'est grant, etc.

Encores, etc.

Pour ce, je vueil comme un fol qu'on me tonde,

Se plus pense, quoyque voye à venir,

Qu'a vivre bien, et bonne fin querir;

Las! il n'est rien que soussy ne confonde.

C'est grant, etc.



RONDEL.

Crevez moy les yeulx,

Que ne voye goute,

Car trop je redoubte,

Beaulté en tous lieux;

Ravir jusqu'aux cieulx

Veult ma joye toute.

Crevez moy, etc.

Que ne, etc.

D'elle me gard Dieux,

Affin qu'en sa route

Jamais ne me boute;

N'est ce pour le mieulx?

Crevez moi, etc.

Quant je la regarde,

Elle vient ferir

Mon cueur, de la darde

D'amoureux desir.



CHANCON.

En vivant en bonne esperance,

Sans avoir desplaisance, ou dueil,

Vous aurez brief, à votre vueil,

Nouvelle plaine de plaisance.

De guerre n'avons plus doubtance,

Mais tousjours gracieulx acueil.

En vivant, etc.

Tous nouveaulx revendrons en France,

Et quant me reverrez à l'ueil,

Je suis tout autre que je sueil;

Au moins j'en fais la contenance.

En vivant, etc.



RONDEL.

Jeunes amoureux nouveaulx,

En la nouvelle saison,

Par les rues, sans raison,

Chevauchent faisans les saulx;

Et font saillir des carreaulx

Le feu, comme de charbon.

Jeunes, etc.

En la, etc.

Je ne scay se leurs travaulx

Ilz employent bien, ou non;

Mais piqués de l'esperon,

Sont autant que leurs chevaulx.

Jeunes, etc.



CHANCON.

(Orléans à Secile.)

Vostre esclave et serf, où que soye,

Qui trop ne vous puis mercier,

Quant vous a pleu de m'envoyer

Le don qu'ay receu à grant joye;

Tel que dy, et plus, se povoye,

Me trouverez à l'essayer.

Vostre esclave, etc.

Qui trop, etc.

Paine mectray que brief vous voye,

Et tost arez, sans delayer,

Chose qui est sus le mestier,

Qui vous plaira; plus n'en diroye.

Vostre esclave, etc.



RONDEL.

Gardez le trait de la fenestre,

Amans, qui par rues passez,

Car plus tost en serez blessez,

Que de trait d'arc, ou d'arbalestre.

N'alez à dextre, ne à senestre

Regardant, mais les yeulx bessez.

Gardez, etc.

Amans, etc.

Se n'avez medicin bon maistre,

Si tost que vous serez navrez,

A Dieu soiez recommandez;

Mort vous tiens, demandez le prestre.

Gardez, etc.



CHANCON.

Tellement, quellement,

Me faut le temps passer,

Et soucy amasser

Mainteffoiz, mallement,

Quant ne puis nullement

Ma fortune casser.

Tellement, etc.

Me faut, etc.

G'iray tout bellement,

Pour paour de me lasser,

Et sans trop m'enlasser,

Ou monde follement.

Tellement, etc.



RONDEL.

En gibessant toute l'apres disnée

Parmy les champs, pour me desanuyer,

N'a pas longtemps que faisoye l'autrier

Voler mon cueur apres mainte pensée;

La quilote souvenance nommée,

Sourdoit deduit, et savoit remerchier.

En gibessant, etc.

Parmy, etc.

Gibessiere de passe temps ouvrée,

Emplie toute d'assez plaisant gibier,

Et puis je peu mon cueur, au derrenier,

Sur ung faisant d'esperance celée.

En gibessant, etc.



CHANCON.

A tout bon compte revenir

Convendra, qui qu'en rie, ou pleure,

Et ne scet on le jour, ne l'eure;

Souvent en devroit souvenir.

Prenez qu'on ait dueil, ou plaisir,

En brief temps, ou longue demeure,

A tout bon, etc.

Convendra, etc.

Las! on ne pense qu'à suyr

Le monde qui tousjours labeure;

Et quant on cuide qu'il sequeure,

Au plus grant besoing vient faillir,

A tout bon, etc.



RONDEL.

Que faut il plus à ung cueur amoureux?

Quant assiegé l'a Dangier, de tristesse;

Qu'avitailler tantost sa forteresse

D'assez vivres de Bon espoir eureux,

Cappitaine face Desir songneux,

Qui, nuyt et jour, fera guet sans peresse.

Que faut, etc.

Quant, etc.

Artillié soit d'Avis avantureux,

Coulevrines et canons, à largesse,

Pretz, assortiz et chargiez de Sagesse,

Es boulevers et lieux avantageux.

Que faut il, etc.



CHANCON.

Vous estes paié pour ce jour,

Puis qu'avez eu ung doulx regart;

Devant ung ancien regnart,

Tost est apparceu ung tel tour;

Quant on a esté à sejour,

Ce sont les gaiges de musart.

Vous estes, etc.

Puis qu'avez, etc.

Il souffist pour vostre labour,

Et s'apres on vous sert de lart,

Prenez en gré, maistre coquart,

Ce n'est qu'un restraintif d'amour.

Vous estes, etc.



RONDEL.

Des maleureux porte le pris,

Servant Dame loyalle et belle,

Qui, pour mourir en la querelle,

N'acheve ce qu'a entrepris;

Diffamé de droit, et repris

Par devant dame et damoiselle,

Des maleureux, etc.

Servant Dame, etc.

Pourquoy est d'amer si espris

Quant congnoist que son cueur chancelle?

En soy donnant repreuve telle,

Où a il ce mestier apris?

Des maleureux, etc.



CHANCON.

Puisqu'estes en chaleur d'amours.

Pour Dieu, laissez veoir vostre orine;

On vous trouvera medicine

Qui briefment vous fera secours.

Trop tost, oultre le commun cours,

Vous bat le cueur en la poictrine.

Puisqu'estes, etc.

Pour Dieu, etc.

La fievre blanche ses sejours

A fait, se voulez que termine,

Et que plus ne vous soit voisine,

Repousez vous pour aucuns jours.

Puisqu'estes, etc.



RONDEL.

En amer n'a que martire,

Nully ne le devroit dire

Mieulx que moy;

J'en sauroye, sur ma foy,

De ma main ung livre escripre,

Où amans pourroient lire,

Des yeulx larmoyans, sans rire,

Je m'en croy.

En amer, etc.

Nully, etc.

Des maulx qu'on y peut eslire,

Celluy qui est le mains pire,

C'est anoy,

Qui n'est jamais à part soy;

Plus n'en dy, bien doit souffire.

En amer, etc.



CHANCON.

Saint Valentin, quant vous venez

En Karesme au commencement,

Receu ne serez vrayement

Ainsi que acoustumé avez.

Soussy et penance amenez,

Qui vous recevroit lyement?

Saint Valentin, etc.

En Karesme, etc.

Une autreffoiz vous avancez

Plus tost, et alors toute gent

Vous recuilliront autrement;

Et pers à choisir amenez.

Saint Valentin, etc.



RONDEL.

Me fauldrez vous à mon besoing?

Mon reconfort et ma fiance,

M'avez vous mis en oubliance?

Pourtant se de vous je suis loing,

N'avez vous pitié de mon soing,

Sans vous, savez que n'ay puissance.

Me fauldrez vous, etc.

Mon reconfort, etc.

On feroit des larmes ung baing,

Qu'ay pleurées de desplaisance,

Et crie, par desesperance,

Ferant ma poictrine du poing,

Me fauldrez, etc.



CHANCON.

Saint Valentin dit: Veez me ca,

Et apporte pers à choisir;

Viengne qui y devra venir,

C'est la coustume de pieca.

Quant le jour des Cendres hola

Respond, auquel doit on faillir?

Saint Valentin, etc.

Et apporte, etc.

Au fort, au matin convendra

En devocion se tenir,

Et apres disner, à loisir,

Choississe qui choisir vouldra.

Saint Valentin, etc.



RONDEL.

Cueur endormy en pensée,

En transes, moitié veillant,

S'on lui va riens demandant,

Il respont à la volée,

Et parle de voix cassée,

Sans propos ne tant, ne quant.

Cueur endormy,

En transes, etc.

Tout met en galimafrée,

Lombart, Anglois, Alemant,

Francois, Picart et Normant,

C'est une chose faée.

Cueur, etc.



CAROLE EN LATIN.

Laudes Deo sint, atque gloria,

Hoc tempore, pre cordis gaudio,

Exultemus cum Dei Filio,

Misso nobis a patris gracia.

Tunc prophete vere predixerant

Nasciturum de pura virgine,

Ut salvaret hos qui perirant,

Pro parentum dampnati crimine.

Tunc natus est ex stirpe Regia,

Flos ascendens de Jesse gremio;

Illi honor et benedictio

Qui nos replet tanta leticia.

Laudes, etc.

Sic induit se carne hominis,

Ut per carnem, carnem redimeret,

Sic amorem demonstrans servulis,

Quos creavit ne ipsos perderet.

O miranda Regis clemencia!

Qui non parcens corpori proprio,

Se obtulit diro supplicio,

Nostra sanans cruore vicia.

Laudes, etc.



RONDEL.

A trompeur, trompeur et demy;

Tel qu'on seme convient cuillir;

Se mestier voy partout courir,

Chascun y joue, et moy aussi.

Dy je bien de ce que je dy?

De tel pain souppe fault servir.

A trompeur, etc.

Tel qu'on seme, etc.

Et qui n'a pas langaige en lui,

Pour parler selon son desir,

Ung truchement lui fault querir

Ainsi, ou par là, ou par cy.

A trompeur, etc.



RONDEL.

Baillez lui la massue,

A cellui qui cuide estre

Plus subtil que son maistre,

Et sans raison l'argue;

Ou il sera beste mue,

Quant on l'envoyera pestre.

Baillez, etc.

A cellui, etc.

Quoy qu'il regibe, ou rue,

Si sault par la fenestre,

Comme s'il vint de nestre,

Sera chose esperdue.

Baillez, etc.



RONDEL.

Ubi supra,

N'en parlons plus

Des tours cornulz,

Et cetera;

Non est cura,

De telz abus.

Ubi, etc.

N'en, etc.

Mala jura

Sont suspendus,

Ou deffendus,

Et reliqua.

Ubi, etc.



RONDEL.

Il vit en bonne esperance,

Puisqu'il est vestu de gris,

Qu'il aura, à son advis,

Encore sa desirance;

Combien qu'il soit hors de France,

Par deca le mont Senis,

Il vit, etc.

Puisqu'il, etc.

Perdu a sa contenance,

Et tous ses jeux et ses ris,

Gaigner lui fault Paradis.

Par force de paciance.

Il vit, etc.



RONDEL.

Noti me tangere

Faulte de serviteurs,

Car bonté de seigneurs

Ne les scet frangere.

Il vous fault regere

En craintes et rigueurs.

Noli me, etc.

Faulte de, etc.

De hault erigere

Trop tost en grans faveurs,

Ce ne sont que foleurs

Bien m'en puis plangere.

Noli me, etc.



RONDEL.

(Orléans à Maistre Estienne le Gout.)

Maistre Estienne le Gout nominatif,

Nouvellement, par maniere optative,

Si a voulu faire copulative;

Mais failli a en son cas genitif.

Il avait mis six ducatz en datif,

Pour mieulx avoir s'amie vocative.

Maistre, etc.

Nouvellement, etc.

Quant rencontré a un accusatif,

Qui sa robbe lui a fait ablative;

De fenestre assez superlative,

A fait ung sault portant coups en passif.

Maistre, etc.



RONDEL.

Responce de Maistre Estienne le Gout.)

Monseigneur tres supellatif,

Pour respondre au narratif

De vostre briefve expositive;

Elle fut premier vocative,

Par le moyen du genitif.

Les six ducatz sont nombratif,

Mais quant au fait du possessif,

La chose est ung peu neutrative.

Monseigneur, etc.

Pour respondre, etc.

Et quant au dangier du passif,

J'ay saufconduit prerogatif,

Par quoy mectray paine soubtive

D'accorder, sus la negative,

L'adjectif et le substantif.

Monseigneur, etc.



RONDEL.

Pres là, briquet aux pendantes oreilles,

Tu sces que c'est de deduit de gibier,

Au derrenier tu auras ton loyer,

Et puis seras viande pour corneilles.

Tu ne fais pas miracles, mais merveilles,

Et as aide pour te bien enseigner.

Pres là, briquet, etc.

Tu sces, etc.

A toute heure diligemment traveilles,

Et en chasse vaulx autant qu'un limier,

Tu amaines au tiltre de levrier

Toutes bestes, et noires, et vermeilles.

Près là briquet, etc.



RONDEL.

Or s'y joue qui vouldra;

Qui me change, je le change;

Nul ne le tiengne chose estrange,

D'avoir selon qu'il fera;

Quant par sa faulte fera,

Gré ne dessert, ne louange.

Or s'y joue, etc.

Qui me, etc.

Puisque advisé on l'en a.

Et à raison ne se range,

S'apres s'elle se revange,

Le tort à qui demourra?

Or s'y joue, etc.



RONDEL.

(Orléans à Alençon.)

En la vigne jusqu'au peschier

Estes bouté, mon filz tres chier,

Dont, par ma foy, suis tres joyeulx,

Quant de rimer vous voy songneux,

Et vous en voulez empeschier?

Soit au lever, ou au couchier,

Ou quant vous devez chevauchier,

Esbatez vous pour le mieulx.

En la vigne, etc.

Estes bouté, etc.

Se Desplaisir vous vient serchier,

Pour de lui tost vous despeschier,

Sans estre merencolieux,

Grant bien vous fera, se m'aid Dieux,

Passez y temps sans plus preschier.

En la vigne, etc.



RONDEL.

(Responce d'Alençon.)

Le vigneron fut atrapé,

Quant il fut trouvé en la vigne,

Trop mieulx que poisson à la ligne,

Ne que rat au lardon hapé;

D'un trait d'ueil fut prins et frapé,

Par celle qui pas ne forligne.

Le vigneron, etc,

Quant il fut, etc.

A peine lui fut eschappé,

Le povre compaignon qui pigne,

Tres mal pigne des dents d'un pigne,

Ainsi surprins et agrapé.

Le vigneron, etc.



RONDEL.

Quant je fus prins ou pavillon

De ma Dame tres gente et belle,

Je me brulay à la chandelle,

Ainsi que fait le papillon.

Je rougiz comme vermeillon,

Aussi flambant qu'une estincelle.

Quand je fus, etc.

De ma Dame, etc.

Si j'eusse esté esmerillon,

Ou que j'eusse eu aussi bonne elle,

Je me feusse gardé de celle

Qui me bailla de l'aguillon.

Quant je fus, etc.



CHANCON.

Satis, satis, plus quam salis,

N'en avez vous encore assez?

Par Dieu, vous en serez lassez

Des folies quas amatis.

Cum sensibus ebetatis,

Soctes gens vous les amassez.

Satis, satis, etc.

N'en avez, etc.

Et pour ce, si me credatis,

Oubliez tous les temps passez,

Et voz meschans pensers cassez,

Dolendo de perpetratis.

Salis, satis, etc.



CHANCON.

Mon cueur plus ne volera,

Il est enchaperonné,

Nonchaloir l'a ordonné,

Qui ja piaca le m'osta.

Confort depuis ne lui a

Cure, n'atirer donné.

Mon cueur, etc

Il est, etc.

Se sa gorge gectera?

Je ne scay, car gouverné

Ne l'ay, mais abandonné;

Soit com avenir pourra.

Mon cueur, etc.



CHANCON.

Non temptabis, tien te coy,

Regard plain d'atrayement,

Vade retro tellement

Que point n'aproches de moy.

Probavi te, sur ma foy,

Je crains ton assotement.

Non, etc.

Regard, etc.

Ecce la raison pourquoy,

Tu resveilles trop souvent

Corda, bien congnois comment

Presches l'amoureuse loy.

Non temptabis, etc.



CHANCON.

Chascun dit qu'estes bonne et belle,

Mais mon ueil jugier n'e saura,

Car lignage m'avuglera,

Qui maintendra vostre querelle;

Quant on parle de damoiselle

Qui à largesse de biens a.

Chascun dit, etc.

Mais mon, etc.

A nostre assemblée nouvelle,

Verray ce qu'il m'en semblera,

Et, s'ainsi est, bien me plaira;

Or prenons que vous soyez telle.

Chascun dit, etc.



CHANCON.

Gardez vous de mergo

Trompeur faulx et rusez,

Qui les gens abusez

Mainteffoiz a tergo.

En tous lieux où pergo,

Fort estes accusez.

Gardez vous, etc.

Trompeur, etc.

Mercy dit: abstergo

Les faultes dont usez,

Mais que les refusez;

Avisez vous ergo.

Gardez vous, etc.



RONDEL.

Encore lui fait il grant bien

De veoir celle qu'a tant amée,

A celui qui cueur et pensée

Avoit en elle, comme tien.

Combien qu'il n'y aye plus rien,

Et qu'autre la lui ait ostée.

Encore lui, etc.

De veoir, etc.

En regardant son doulx maintien,

Et son fait qui moult lui agrée,

S'il la peut tenir embrassée,

Il pense que une foiz fut sien

Encore lui, etc.



CHANCON.

Quant n'ont assez fait dodo,

Ces petitz enfanchonnés,

Ilz portent soubz leurs bonnés

Visaiges pleins de bobo.

C'est pitié s'ilz font jojo

Trop matin, les doulcinés.

Quant n'ont, etc.

Ces petitz, etc.

Mieux amassent à gogo

Gesir sur molz coissinés,

Car ilz sont tant poupinés,

Helas! che, guoguo, guoguo.

Quant n'ont, etc.



RONDEL.

Avugle et assourdy,

De tous poins en nonchaloir,

Je ne puis ouir, ne veoir

Chose dont soye esjouy.

Se desplaisant, ou marry,

Tout m'est ung, pour dire veoir.

Avugle, etc.

De tous, etc.

Es escolles fu nourry

D'amours, pensant mieux valoir;

Quant plus y cuiday savoir,

Plus m'y trouvay rassoty.

Avugle, etc.



RONDEL.

Procul a nobis

Soient ces trompeurs,

Dantur aux flateurs

Verba pro verbis,

Sicut pax vobis,

Et tendent ailleurs.

Procul, etc.

Soient ces, etc.

Non semel sicul bis,

Et des foiz plusieurs,

Sont loups ravisseurs

Soubz peaulx de brebiz.

Procul, etc.



RONDEL.

J'estraine de bien loing m'amie,

De cueur, de corps et quanque j'ay,

En bon an lui souhaideray

Joye, santé et bonne vie.

Mais que ne m'estraine d'oublie,

Ne plus ne moins que la feray.

J'estraine, etc.

De cueur, etc.

Mon cueur de chapel de soussie,

Ce jour de l'an, estreneray;

Et à elle presenteray

Des fleurs de ne m'oubliez mie.

J'estraine, etc.



RONDEL.

Faulcette confite

En plaisant parler,

Laissez la aler,

Car je la despite.

Ce n'est que redite

De tant l'esprouver.

Faulcette, etc.

En plaisant, etc.

Et quant on s'acquicte

Plus de l'amender,

Pis la voy ouvrer,

C'est chose maudicte.

Faulcette, etc.



RONDEL.

Parlant ouvertement

Des faiz du Dieu d'amours,

N'a il d'estranges tours

En son commandement?

Ouil, certainement,

Qui dira le rebours?

Parlant, etc.

Des faiz, etc.

S'on faisoit loyaument

Enqueste par les cours,

On orroit tous les jours

Qu'on s'en plaint grandement.

Parlant, etc.



RONDEL.

Il fauldroit faire l'arquemie,

Qui vouldroit forgier faulceté

Tant qu'elle devint loyaulté,

Quant en malice est endurcie.

C'est rompre sa teste en folie,

Et temps perdre en oysiveté.

Il fauldroit, etc.

Qui vouldroit, etc.

Plus avant qu'on y estudie,

Et moins y congnoist on seurté,

Car de faire de mal, bonté,

L'un à l'autre trop contrarie.

Il fauldroit, etc.



RONDEL.

Tant sont les yeulx de mon cueur endormiz

En nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye;

Pour ce, parler de beaulté n'oseroye,

Pour le present, comme j'ay fait jadiz.

Par cueur retiens ce que j'en ay apris,

Car plus ne scay lire ou livre de joye,

Tant sont, etc.

En nonchaloir, etc.

Chascun diroit qu'entre les rassotiz,

Comme aveugle des couleurs jugeroye,

Taire m'en vueil, rien n'y voy, Dieu y voye!

Plaisans regars n'ont plus en moy logis.

Tant sont, etc.



RONDEL.

En changeant mes appetiz,

Je suis tout saoul de blanc pain,

Et de menger meurs de fain

D'un fres et nouveau pain bis.

A mon gré, ce pain faitis,

C'est ung morceau souverain.

En changeant, etc.

Je suis tout, etc.

S'il en fust à mon devis,

Plus tost anuyt que demain

J'en eusse mon vouloir plain,

Car grant desir m'en est pris.

En changeant, etc.



RONDEL.

(Maistre Jehan Caillau)

Tant sont les yeulx de mon cueur endormiz

En nonchaloir, qu'ouvrir ne les pourroye;

Pour ce, parler de beaulté n'oseroye

Pour le present, comme j'ay fait jadiz;

Joye et soulaz ne sont plus mes amis,

Chose ne voy de quoy je me resjoye,

Tant sont, etc.

En nonchaloir, etc.

Je suis mouillé, et retrait, et remis,

Morne et pensif, trop plus que ne souloye,

J'y voy trouble, car es yeulx ay la taye,

Et n'y congnois le blanc d'avec le bis,

Tant sont, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

Pour mectre à fin la grant doleur

Que par trop amer je reçoy,

Secourez moy;

Las! ou autrement, sur ma foy,

Mes jours n'auront pas grant longueur.

Car si tres tourmenté je suis,

De tant d'ennuys

Qui sans cesser me courent seure,

Que je n'ays bons jours, bonnes nuys;

Et si ne puis

Trouver, fors vous, qui me sequeure.

Aidez à vostre serviteur,

Qui est mieulx pris que par le doy,

Ou mort me voy,

Se ne montrez brief, savez quoy?

Que vous ayez mon fait à cueur.

Pour mectre, etc.



RONDEL.

Helas! me tuerez vous?

Pour Dieu retraiez cest ueil

Qui d'un amoureux acueil

M'occit, se ne suis rescous.

Je tiens vostre cueur si doulx,

Que me rens tout à son vueil.

Helas! etc.

Pour Dieu, etc.

De quoy vous peut mon courrous

Valoir? ne servir mon dueil?

Quant humblement, sans orgueil,

Je requier mercy à tous.

Helas, etc.



RONDEL.

(Responce d'Orleans à Fredet.)

Pour mectre à fin vostre doleur,

Où pour le present je vous voy,

Descouvrez moy

Tout vostre fait, car, sur ma foy,

Je vous secourray de bon cueur;

Plus avant offrir ne vous puis,

Fors que je suis

Prest de vous aider à toute heure,

A vous bouter hors des ennuys

Que, jours et nuys,

Dictes qu'avec vous font demeure.

Quant vous tenez mon serviteur,

Et vostre doleur apparcoy,

Montrer au doy

On me devroit, se tenir quoy

Vouloye, comme faint seigneur.

Pour mectre, etc.



RONDEL.

Ung cueur, ung vueil, une plaisance,

Ung desir, ung consentement,

Ung reconfort, ung pensement,

Fermez en loyalle fiance,

Dieu que bonne en est l'accointance!

Tenir la doit on chierement.

Ung cueur, etc.

Ung desir, etc.

Contre Dangier et sa puissance.

Qui les het trop mortelement,

Gardons les bien et saigement;

N'est ce toute nostre chevance?

Ung cueur, etc.



RONDEL.

Pour ce que plaisance est morte,

Ce May suis vestu de noir,

C'est grant pitié de veoir

Mon cueur, qui s'en desconforte.

Je m'abille de la sorte

Que doy, pour faire devoir.

Pour ce que, etc.

Ce May, etc.

Le temps ces nouvelles porte,

Qui ne veult deduit avoir,

Mais par force de plouvoir,

Fait des champs clorre la porte.

Pour ce que, etc.



RONDEL.

Cueur, à qui prendrez vous conseil?

A nul ne povez descouvrir

Le tres angoisseux desplaisir

Qui vous tient en paine et traveil.

Je tiens qu'il n'a soubz le souleil,

De vous plus parfait vray martire.

Cueur, a qui, etc.

A nul, etc.

Au moins faictes vostre apareil

De bien vous faire ensevellir,

Ce n'est que mort d'ainsi languir,

En tel martire nompareil.

Cueur, à qui, etc.



RONDEL.

A Dieu! qu'il m'anuye,

Helas! qu'est ce cy?

Demourray ainsi

En merencolie?

Qui que chante, ou rie,

J'ay tousjours soussy.

A Dieu, etc.

Helas! qu'est ce, etc.


Penser me guerrie,

Et fortune aussi,

Tellement, et si

Fort que hé ma vie.

A Dieu, etc.



RONDEL.

Dedens mon livre de pensée,

J'ay trouvé escripvant mon cueur,

La vraye histoire de doleur,

De lermes toute enluminée;

En deffassent la tres amée

Ymage de plaisant doulceur.

Dedens mon, etc.

J'ay trouvé, etc.

Helas! où l'a mon cueur trouvée?

Les grosses goutes de sueur

Lui saillent, de peine et labeur

Qu'il y prent, et nuit, et journée.

Dedens, etc.



RONDEL.

Ci pris, ci mis,

Trop fort me lie

Merencolie,

De pis en pis,

Quant me tient pris

En sa baillie.

Ci pris, etc.

Trop fort, etc.

Se hors soussis

Je ne m'alie

A chiere lie,

Vivant languis.

Ci pris, etc.



RONDEL.

En regardant ces belles fleurs

Que le temps nouveau d'amours prie,

Chascune d'elle s'ajolie,

Et farde de plaisans couleurs;

Tant embasmées sont de odeurs

Qu'il n'est cueur qui ne rajeunie.

En regardant, etc.

Que le temps, etc.

Les oyseaulx deviennent danseurs

Dessus mainte branche fleurie,

Et font joyeuse chanterie,

De contres, des chans et teneurs.

En regardant, etc.



RONDEL.

Et de cela, quoy?

Se soussy m'assault,

A mon cueur n'en chault,

N'aussi peu à moy;

Comme j'appercoy,

Courroux riens n'y vault.

Et de cela, etc.

Se soussy, etc.

Par luy je reçoy

Souvent froit et chault,

Puisqu'estre ainsi fault,

Remede n'y voy.

Et de cela, etc.



RONDEL.

Oncques feu ne fut sans fumée,

Ne doloreux cueurs sans pensée,

Ne reconfort sans esperance,

Ne joyeulx regart sans plaisance,

Ne beau soleil qu'apres nuée.

J'ay tost ma sentence donnée,

De plus sachant soit amendée,

J'en dy selon ma congnoissance.

Oncques feu, etc.

Ne doloreux, etc.

Esbatement n'est sans risée,

Souspir sans chose regretée,

Souhait sans ardant desirance,

Doubte sans muer contenance,

C'est chose de vray esprouvée.

Oncques feu, etc.



RONDEL.

Et de cela, quoy?

En ce temps nouveau,

Soit ou laid, ou beau,

Il m'en chault bien poy;

Je demourray quoy

En ma vieille peau.

Et de cela, etc.

Plusieurs, comme voy,

Ont des pois au veau;

Je mectray mon seau

Qu'ainsi je le croy.

Et de cela, etc.



RONDEL.

Chantez ce que vous pensez,

Monstrant joyeuse maniere.

Ne la vendez pas si chiere,

Trop en vis la despensez.

Or sus, tost vous avancez,

Laissez coustume estrangiere.

Chantez ce que, etc.

Monstrant, etc.

Tous noz menuz pourpensez

Descouvrons, à lye chiere,

L'un à l'autre, sans priere;

J'acheveray, commencez.

Chantez, etc.



RONDEL.

Le trouveray je jamais?

Ung loyal cueur joint au mien,

A qui je soye tout sien,

Sans departir desormais.

D'en deviser par souhais,

Souvent m'y esbas, et bien.

Le trouveray, etc.

Ung loyal, etc.

Autant vault se je m'en tais,

Car certainement je tien

Qu'il ne s'en fera ja rien;

En toute chose a ung mais.

Le trouveray, etc.



RONDEL.

Gens qui cuident estre si saiges

Qu'ilz pensent plusieurs abestir,

Si bien ne se sauront couvrir

Qu'on n'aperçoive leurs couraiges;

Payer leur fauldra les usaiges

De leurs becz jaunes, sans faillir.

Gens qui, etc.

Qu'ilz pensent, etc.

On scet par anciens ouvraiges,

Dequel mestier scevent servir;

Melusine n'en peut mentir,

Elle les cognoist aux visaiges.

Gens qui, etc.



RONDEL.

Il me pleust bien,

Se tour il a,

Quan me monstra

Que estoit tout mien;

Par son maintien

Tost me gaigna.

Il me, etc.

Se tour, etc.

Sans dire rien,

Mon cueur pensa,

Et ordonna,

Qu'il seroit sien.

Il me, etc.



RONDEL.

Quant j'ay ouy le tabourin

Sonner, pour s'en aler au May,

En mon lit fait n'en ay effray,

Ne levé mon chief du coissin;

En disant: il est trop matin,

Ung peu je me rendormiray.

Quant j'ay, etc.

Sonner, pour, etc.

Jeunes gens partent leur butin,

De nonchaloir m'accointeray,

A lui je m'abutineray,

Trouvé l'ay plus prouchain voisin.

Quant j'ay, etc.



RONDEL.

En mon cueur cheoit,

Et là devinoye,

Comme je pensoye,

Qu'ainsi m'avendroit.

Fol tant qu'il reçoit,

Ne croit rien qu'il voye.

En mon, etc.

Et là, etc.


Sotye seroit,

Se plus y musoye;

Ma teste romperoye,

Soit ou tort, ou droit.

En mon, etc.



RONDEL.

Le premier jour du mois de May,

De tanne et de vert perdu,

Las! j'ay trouvé mon cueur vestu,

Dieu scet en quel piteux array!

Tantost demandé je lui ay,

Dont estoit cest habit venu?

Le premier, etc.

De tanne, etc.

Il m'a respondu, bien le scay,

Mais par ma foy ne sera cogneu;

Desplaisance m'en a pourveu,

Sa livrée je porteray.

Le premier, etc.



RONDEL.

Le monde est ennuyé de moy,

Et moy pareillement de lui;

Je ne congnois rien aujourdui

Dont il me chaille que bien poy.

Dont quanque devant mes yeulx voy,

Puis nommer anuy sur anuy.

Le monde, etc.

Et moy, etc.

Chierement se vent bonne foy,

A bon marché n'en a nulluy;

Et pour ce, se je suis cellui

Qui m'en plains, j'ay raison pourquoy.

Le monde, etc.



RONDEL.

De riens ne sert à cueur en desplaisance,

Chanter, dancer, n'aucun esbatement,

Il lui souffit de povoir seulement

Tousjours penser en sa male meschance;

Quant il congnoist qu'en hasart gist sa chance,

Et desir n'est à son commandement.

De riens ne sert, etc.

Chanter, dancer, etc.

S'on rit, pleurer lui est d'acoustumance;

S'il peut, à part se met le plus souvent.

Afin qu'à nul ne tiengne parlement;

Pour le guerir ja mire ne s'avance.

De riens ne sert, etc.



RONDEL.

Vous y fiez vous?

En mondain espoir,

S'il scet decevoir,

Demander à tous.

Son actrait est doulx,

Pour gens mieulx avoir.

Vous y, etc.

En mondain, etc.

De joye, ou courroux,

Soing, ou nonchaloir,

Veult, à son vouloir,

Tenir les deux boux.

Vous y, etc.



RONDEL.

Fiez vous y,

A qui?

En quoy?

Comme je voy,

Riens n'est sans sy;

Ce monde cy

A sy

Pou foy.

Fiez, etc.

A, etc.

Plus je n'en dy,

N'escry,

Pourquoy?

Chascun j'en croy;

S'il est ainsy,

Fiez, etc.



RONDEL.

Vengence de mes yeulx

Puisse mon cueur avoir,

Ilz lui font recevoir

Trop de maulx en mains lieux.

Amours, le Roy des Dieux,

Faictes vostre devoir.

Vengence, etc,

Puisse mon, etc.

Se jamais plus sont tieulx,

Encontre mon vouloir,

Sur eulx, et main, et soir,

Crieray jusques aux cieulx.

Vengence, etc.



RONDEL.

De legier pleure à qui la lippe pent;

Ne demandez jamais comment lui va,

Laissez l'en paix, il se confortera,

Ou en son fait mectra appoinctement.

A son umbre se combactra souvent,

Et puis son frein rungier lui convendra.

De legier, etc.

Ne demandez, etc.


S'en parle à lui, il en est mal content;

Cheminée, au derrain trouvera,

Par où passer sa fumée pourra;

Ainsi avient le plus communement.

De legier, etc.



RONDEL.

Espoir ne me fist oncques bien,

Souvent me ment pour me complaire,

Et assez promet sans riens faire,

Dont à lui peu tenu me tien;

En ses ditz ne me fie en rien,

Se Dieu m'aist, je ne m'en puis taire.

Espoir ne, etc.

Souvent me, etc.

Quant reconfort requerir lui vien,

Et cuide qu'il le doye faire,

Tousjours me respont au contraire,

Et me hare reffus son chien.

Espoir ne, etc.



RONDEL.

Dont viens tu maintenant, souspir,

Aportes tu nulles nouvelles?

Dieu doint qu'ilz puissent estre telles

Que voulentiers les doye ouir.

S'ilz viennent de devers Desir,

Ilz ne sont que bonnes et belles.

Dont viens, etc.

Aportes tu, etc.

Mais s'ilz sourdent de Desplaisir,

J'ayme mieulx que tu les me celes,

Assez et trop j'en ay de telles;

Ne dy riens que pour m'esjouir.

Dont viens, etc.



RONDEL.

C'est par vous seulement, Fiance,

Qu'ainsi je me trouve deceu;

Car, se par avant l'eusse sceu,

Bien y eusse mis pourveance.

Au fort, quant je suis en la dance,

Puisqu'il est trait, il sera beu.

C'est par vous, etc.

Qu'ainsi je, etc.

Je doy bien hair l'acointance

Du premier jour que vous ay veu,

Car prins m'avez au despourveu;

Nul n'est trahy qu'en esperance.

C'est par, etc.



RONDEL.

Ou pis, ou mieulx,

Mon cueur aura,

Plus ne sera

En soussy tieulx;

Par Dieu, des cieulx

Chemin prendra.

Ou pis, etc.

Mon cueur, etc.

En aucuns lieux,

Fortune, or ca,

On vous verra

Plus cler aux yeulx.

Ou pis, etc.



RONDEL.

Par vous, regart, sergent d'amours,

Sont arrestés les povres cueurs,

Souvent en plaisirs et doulceurs,

Et mainteffoiz tout au rebours;

Devant les amoureuses cours,

Les officiers et gouverneurs.

Par vous, etc.

Sont arrestés, etc.

Et adjournez à trop briefz jours,

Pour leur porter plus de rigueurs,

Comme subgiez et serviteurs,

Endurent mains estranges tours.

Par vous, etc.



RONDEL.

S'en mes mains une foiz vous tiens,

Pas ne m'eschapperez, Plaisance,

Ja Fortune n'aura puissance

Que n'aye ma part de voz biens;

En despit de Dueil et des siens,

Qui me tourmentent de penance.

S'en mes, etc.

Pas ne, etc.

Doy je tousjours, sans avoir riens,

Languir en ma dure grevance?

Nennil, promis m'a Esperance

Que serez de tous poins des miens.

S'en mes, etc.



RONDEL.

Payés selon vostre deserte

Puissiez vous estre! faulx trompeurs,

Au derrenier des cabuseurs

Sera la malice deserte.

D'entre deux meures, une verte

Vous fault servir, pour voz labeurs.

Payés selon, etc.

Puissiez vous, etc.

Vostre besongne est trop ouverte,

Ce n'est pas jeu d'entrejecteurs;

Aux esches s'estes bons joueurs,

Gardez l'eschec à descouverte.

Payés selon, etc.



RONDEL.

Plus penser que dire,

Me convient souvent,

Sans monstrer comment,

N'a quoy, mon cueur tire;

Faignant de soubzrire,

Quant suis tres dolent.

Plus penser, etc.

Me convient, etc.

En toussant, souspire

Pour secretement

Musser mon tourment,

C'est privé martire.

Plus penser, etc.



RONDEL.

Mort de moy! vous y jouez vous

Avec Dame Merencolie?

Mon cueur, vous faictes grant folye,

C'est la nourrisse de courroux.

Ung baston qui point à deux boutz,

Porte, dont elle s'escremye.

Mort de moy, etc.

Avec Dame, etc.

Je tiens saiges toutes et tous,

Qui eslongnent sa compaignie;

Saint Jehan, je ne m'y mectray mie,

Que je m'y boutasse à quans coups.

Mort de moy, etc.



RONDEL.

Je ne suis pas de ses gens là,

A qui Fortune plaist et rit,

De reconfort trop m'escondit,

Veu que tant de mal donné m'a.

S'on demande comment me va?

Il est ainsi comme j'ay dit.

Je ne suis, etc.

A qui, etc.

Quant je dy que bon temps vendra,

Mon cueur me respont par despit:

Voire, s'Espoir ne vous mentit,

Plusieurs decoit et decevra.

Je ne suis, etc.



RONDEL.

Allez, allez, vieille nourrice

De courroux et de malle vie

Rassotée Merencolie,

Vous n'avez que dueil et malice;

Desormaiz plus n'aurez office

Avec mon cueur, je vous regnye.

Allez, allez, etc.

De courroux, etc.

Pour vous n'y a point lieu propice,

Confort l'a prins, n'en doubtez mie,

Fuyez hors de la compaignie;

D'Espoir fais nouvel edifice.

Allez, allez, etc.



RONDEL.

Remede comment

Pourray je querir?

Du mal qu'à souffrir

J'ay trop longuement.

Qu'en dit loyaument

Conseil? sans mentir.

Remede, etc.

Pourray je, etc.

Pour abregement,

Guerir, ou mourir;

Plus ne puis fournir,

Se sens ne m'aprent.

Remede, etc.



RONDEL.

Vous ne tenez compte de moy,

Beau Sire, mais qui estes vous?

Voulez vous estre seul sur tous,

Et qu'on vous laisse tenir quoy?

Merencolie suiz, et doy

En tous faiz, tenir l'un des bouts.

Vous ne tenez, etc.

Beau Sire, etc.

Se je vous pinsse par le doy,

Ne me chault de vostre courroux;

On verra se serez rescous

Des mains, par qui, et pourquoy?

Vous ne tenez, etc.



RONDEL.

Quant je voy ce que ne vueil mie.

Et n'ay ce dont suis desirant,

Pensant ce qui m'est desplaisant,

Est ce merveille s'il m'anuye?

Nennil, force est que me soussie

De mon cueur qui est languissant.

Quant je voy, etc.

Et n'ay, etc.

En douleur et merencolie

Suis, nuit et jour, estudiant;

Lors je me boute trop avant

En une haulte theologie.

Quant je voy, etc.



RONDEL.

Ainsi que chassoye aux sangliers,

Mon cueur chassoit apres Dangiers

En la forest de ma pensée,

Dont rencontra grant assemblée

Trespassans par divers sentiers;

Deux ou trois saillirent premiers,

Comme fors, orgueilleux et fiers;

N'estoit ce pas chose esfroyée?

Ainsi que, etc.

Mon cueur, etc.

En la forest, etc.

Lors mon cueur lascha sus levriers,

Lesquels sont nommés Desiriers;

Puis Esperance l'asseurée,

L'espieu ou poing, sainte l'espée,

Vint pour combatre voulentiers.

Ainsi que, etc.



RONDEL.

Sot euil, reporteur de nouvelles,

Où vas tu? et ne sces pourquoy,

Ne sans prandre congié de moy

En la compaignie des belles,

Tu es trop tost accointé d'elles;

Il te vaulsist mieulx tenir quoy.

Sot euil, etc.

Où vas tu, etc.

Se ne changes manieres telles,

Par raison, ainsi que je doy,

Chastier te vueil, sur ma foy;

Contre toy j'ay assez querelles.

Sot euil, etc.



RONDEL.

Mort de moy! vous y jouez vous?

En quoy? es faiz de tromperie;

Ce n'est que coustume jolie

Dont ung peu ont toutes et tous;

Renverser s'en dessuz dessoubz,

Est ce bien fait? je vous en prie.

Mort de moy, etc.

En quoy, etc.

Laissez moy taster vostre pouls,

Vous tient point celle maladie?

Parlez bas, qu'on ne l'oye mie,

Il semble que criez aux loups.

Mort de moy, etc.



RONDEL.

Est ce vers moi qu'envoyez ce souspir?

M'apporte il point quelque bonne nouvelle?

Soit mal ou bien, pour Dieu, qu'il ne me celle

Ce que lui vueil de mon fait enquerir.

Suis je jugié de vivre, ou de mourir?

Soustendra ja Loyaulté ma querelle?

Est ce vers moy, etc.

M'apporte il, etc.

Et, nuit et jour, j'escoute pour ouir

S'auray confort de ma paine cruelle,

Pire ne peut estre se non mortelle,

Dictes se riens y a pour m'esjouir?

Est ce vers moy, etc.



RONDEL.

M'apellez vous cela jeu?

D'estre tousjours en ennuy;

Certes, je ne voy nulluy

Qui n'en ait plus trop que peu.

Nul ne desnoue ce neu,

S'il n'a de Fortune apuy.

M'apellez, etc.

D'estre, etc.

On s'art qui est pres du feu;

Et pour ce, je suis cellui

Qui à mon povoir le sui,

Quant je n'y congnois mon preu.

M'apellez vous, etc.



RONDEL.

Alons nous esbatre,

Mon cueur, vous et moy,

Laissons, à part soy,

Soussy se combatre;

Tousjours veult desbatre,

Et jamais n'est quoy.

Alons nous, etc.

Mon cueur, etc.

On vous devroit batre,

Et monstrer au doy,

Se, dessoubz sa loy,

Vous laissez abatre.

Allons nous, etc.



RONDEL.

Aussi bien laides que belles

Contrefont les dangereuses,

Et souvent les precieuses,

Ilz ont les manieres telles;

Pareillement les pucelles

Deviennent tantost honteuses

Aussi bien, etc.

Contrefont, etc.

Les vieilles font les nouvelles,

En parolles gracieuses

Et accointances joyeuses,

C'est la condicion d'elles.

Aussi bien, etc.



RONDEL.

Je vous arreste, de main mise,

Mes yeulx, emprisonnés serez,

Plus mon cueur ne gouvernerez,

Desormais je vous en avise;

Trop avez fait à vostre guise,

Par ma foy, plus ne le ferez.

Je vous arreste, etc.

Mes yeulx, etc.

On peut bien pour vous corner prise,

Prins estes, point n'eschapperez;

Nul remede n'y trouverez,

Rien n'y vault apel, ne franchise.

Je vous arreste, etc.



RONDEL.

Qui a toutes ses hontes beues,

Il ne lui chault que l'en lui die,

Il laisse passer mocquerie

Devant ses yeulx, comme les nues.

S'on le hue parmy les rues,

La teste hoche à chiere lie.

Qui a toutes, etc.

Il ne lui, etc.

Truffes sont vers lui bien venues,

Quant gens rient, il faut qu'il rie;

Rougir on ne le feroit mie,

Contenances n'a point perdues.

Qui a toutes, etc.



RONDEL.

En mes pais, quant me trouve à repos,

Je m'esbays, et n'y scay contenance,

Car j'ay apris travail des mon enfance,

Dont fortune m'a bien chargié le dos.

Que voulez que vous die? à briefz mos,

Ainsi m'est il, ce vient d'acoustumarice.

En mes pais, etc.

Je m'esbays, etc.

Tout à part moy, en mon penser m'enclos,

Et fais chasteaulx en Espaigne et en France;

Oultre les monts, forge mainte ordonnance,

Chascun jour, j'ay plus de mille propos.

En mes pais, etc.



RONDEL.

Repaissez vous en parler gracieux,

Avec dames qui menguent poisson,

Vous qui jeusnez par grant devocion,

Ce vendredi ne povez faire mieulx.

Se vous voulez de Deesses, ou Dieux,

Avoir confort, ou consolacion,

Repaissez vous, etc.

Avec dames, etc.

Lire vous voy faiz merencolieux

De Troilus, plains de compassion;

D'Amour martir fut en sa nascion,

Laissez l'en paix, il n'en est plus de tieulx.

Repaissez vous, etc.



RONDEL.

Alez vous en, alez, alez,

Soussy, Soing et Merencolie,

Me cuidez vous toute ma vie

Gouverner, comme fait avez?

Je vous promet que non ferez,

Raison aura sur vous maistrie.

Alez vous en, etc,

Soussy, Soing, etc.

Se jamais plus vous retournez

Avecques vostre compaignie,

Je pri à Dieu qu'il vous maudie,

Et ce par qui vous revendrez.

Alez vous en, etc.



RONDEL.

Hau guecte mon ueil, et puis quoi?

Voyez vous riens? ouil, assez;

Qu'est ce cela que vous savez?

Cler, le vous puis monstrer au doy.

Regardez plus avant un poy,

Vos regars ne soient lassez.

Hau guecte, etc.

Voyez vous, etc.

Acquicté me suis, comme doy,

Il a ja plusieurs ans passez,

Sans avoir mes gaiges cassez,

Bien avez servi, sur ma foy.

Hau guecte, etc.



RONDEL.

Se vous voulez que tout vostre deviengne,

En me monstrant quelque joyeux semblant,

Dictes ce mot: Je vous tiens mon servant,

Servez si bien que contente m'en tiengne.

Devoir feray, comment qu'il m'en adviengne,

Tres loyaument, desoresenavant.

Se vous voulez, etc.

En me monstrant, etc.

Sans que mercy, ne grace me soustiengne,

S'en loyaulté je faulx, ne tant ne quant,

Punissez moy tout à vostre talant;

Et se bien sers, pour Dieu, vous en souviengne.

Se vous voulez, etc.



RONDEL.

Que nous en faisons

De telles manieres,

Et doulces, et fieres,

Selon les saisons;

En champs, ou maisons,

Par bois et rivieres,

Que nous, etc.

De telles, etc.

Ung temps nous taisons,

Tenans assez chieres,

Nos joyeuses chieres,

Puis nous rapaisons.

Que nous, etc.



RONDEL.

A l'autre huis,

Souvent m'envoye Esperance,

Et me tanse,

Quant en tristesse je suis.

Jours et nuys,

Cellui demande alegance.

A l'autre, etc.

Souvent, etc.

Oncques puis

Que failli ma desirance,

De plaisance

Mon cueur et moy, sommes vuys.

A l'autre, etc.



RONDEL.

Vendez autre part vostre dueil,

Quant est à moy, je n'en ay cure;

A grant marché, oultre mesure,

J'en ay assez contre mon vueil.

Ja n'entrera dedans le sueil

De mon Penser, je vous le jure.

Vendez, etc.

Quant est, etc.

Desconforté, la lerme à l'ueil,

Ailleurs quiere son avanture,

Plus ne vous mene vie dure,

Puisque mal vous fait son accueil.

Vendez, etc.



RONDEL.

Comme j'oy que chascun devise;

On n'est pas tousjours à sa guise,

Beau chanter si ennuye bien,

Jeu qui trop dure, ne vault rien;

Tant va le pot à l'eaue qui brise.

Il convient que trop parler nuyse,

Se dit on, et trop grater cuise;

Riens ne demeure en ung maintien.

Comme j'oy, etc.

On n'est pas, etc.

Beau chanter, etc.

Apres chault temps, vient vent de bise,

Apres hucques, robbes de frise,

Le monde de passé revien,

A son vouloir joue du sien,

Tant entre gens laiz que d'Eglise.

Comme j'oy, etc.



RONDEL.

Clermondois.

Qui veult achater de mon dueil?

D'en avoir trop, las! je me vante,

Car ma povre vie dolante

N'en peut plus, non fait pas mon vueil.

Partout où je voys, mon recueil

Est si piteux, et mon actente.

Qui veult, etc.

D'en avoir, etc.

Que j'aye ung petit bon accueil

Au commancement de ma vante,

Et puis apres, se jamais hante.

Amours, qu'on me creve cest ueil.

Qui veult, etc.



RONDEL.

Ad ce premier jour de l'année,

De cueur, de corps et quanque j'ay,

Priveement estreneray;

Ce qui me gist en ma pensée,

C'est chose que tondray cellée,

Et que point ne descouvreray.

Ad ce premier, etc.

De cueur, etc.

Avant que soit toute passée

L'année, je l'aproucheray,

Et puis à loisir conteray

L'ennuy qu'ay, quant m'est eslongnée.

Ad ce premier, etc.



RONDEL DOUBLE.

Que voulez vous que plus vous die?

Jeunes assotez amoureux,

Par Dieu, j'ay esté l'un de ceulx

Qui ont eu vostre maladie;

Prenez exemple, je vous prie,

A moy qui m'en complains et deulx.

Que voulez, etc.

Et pour ce, de vostre partie,

Se voulez croire mes conseulx,

D'abregier, conseillier vous veulx,

Voz faiz, en sens, ou en folie.

Que voulez vous, etc.

Plusieurs y trouvent chiere lye

Mainteffoiz, et plaisans acueulx.

Que voulez vous, etc.

Mais au derrain, Merencolie

De ses huis fait passer les seulx,

En deuil et soussy, Dieu scet quieulx;

Lors ne chault de mort, ou de vie.

Que voulez vous, etc.



RONDEL.

Mais que vostre cueur soit mien,

Ne doit le mien estre vostre?

Ouil, certes, plus que sien.

Que vous en semble? dy je bien?

Vray comme la Patenostre.

Mais que vostre, etc.

Content et joyeulx m'en tien,

Foy que doy saint Pol l'Apostre,

Je ne désire autre rien.

Mais que vostre, etc.



RONDEL.

A ce jour de saint Valentin,

Que prendray je? per, ou non per;

D'Amours ne quiers riens demander,

Pieca, j'eus ma part du butin;

Veu que plus resveille matin

Ne vueil avoir, mais reposer.

A ce jour, etc.

Que prendray, etc.

Jeunes gens voisent au hutin

Leurs sens, ou folie esprouver;

Vieux suis pour à l'escolle aller,

J'entens assez bien mon latin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

Pour Dieu! boutons la hors,

Ceste Merencolie,

Qui si fort nous guerrie,

Et fait tant de grans tors.

Monstrons nous les plus fors,

Mon cueur, je vous en prie.

Pour Dieu, etc.

Ceste, etc

Trop lui avons amors

D'estre en sa compaignie,

Ne nous amuserons mie

A croire ses rappors.

Pour Dieu, etc.



RONDEL.

Contre le trait de faulceté,

Convient harnois de bonne espreuve,

Artillerie forgé neufve,

Chascun jour, en soutiveté.

A! Jhesus, benedicite,

Nul n'est qui seulement se trouve

Contre le, etc.

Convient, etc.

Au derrain fera Loyaulté,

Faulceté de son penser, veufve;

Pour Raison fault que Dieu s'esmeuve,

Monstrant sa puissance et bonté.

Contre le, etc.



RONDEL.

Acquictez vostre conscience,

Et gardez aussi vostre honneur,

Ne laissez mourir en douleur

Ce qui avoir vostre aide pense;

Puisque avez le povoir en ce

De l'aider, par grace et doulceur.

Acquictez vostre, etc.

Et gardez, etc.

On criera sur vous vengence,

Se souffrez murdrir en rigueur,

Ainsi à tort, ung povre cueur;

Assez a porté pascience.

Acquictez vostre, etc.



RONDEL.

On ne peut servir en deux lieux,

Choisir convient ou ca, ou là;

Au festu tire qui pourra,

Pour prendre le pis, ou le mieulx.

Qu'en dictes vous? jeunes et vieulx,

Parle qui parler en vouldra.

On ne peut, etc.

Choisir, etc.

Les faiz de ce monde sont tieulx:

Qui bien fera, bien trouvera;

Chascun son paiement aura,

Tesmoing les Deesses et Dieux.

On ne peut, etc.



RONDEL.

Le truchement de ma pensée,

Qui est venu devers mon cueur,

De par Reconfort, son seigneur,

Lui a une lectre apportée;

Puis a sa creance contée,

En langaige plein de doulceur.

Le truchement, etc.

Qui est venu, etc.

Response ne lui est donnée,

Pour le present, c'est le meilleur;

Il aura, par conseil greigneur,

Son ambaxade despeschée.

Le truchement, etc.



RONDEL.

Quant tu es courcé d'autres choses,

Cueur, mieulx te vault en paix laisser,

Car s'on te vient araisonner,

Tost y trouves d'estranges gloses.

De ton desplaisir monstrer n'oses

A aucun, pour te conforter.

Quant tu es, etc.

Cueur, mieulx, etc.

De tes levres les portes closes,

Penses de saigement garder;

Que dehors n'eschappe parler

Qui descouvre le pot aux roses.

Quant tu es, etc.



RONDEL.

Le truchement de ma pensée,

Qui parle maint divers langaige,

M'a rapporté chose sauvaige

Que je n'ay point acoustumée.

En francoys la m'a translatée,

Comme tres souffisant et saige.

Le truchement, etc.

Qui parle, etc.

Quant mon cueur l'a bien escoutée,

Il lui a dit: Vous faictes raige,

Oncques mais n'ouy tel messaige,

Venez vous d'estrange contrée?

Le truchement, etc.



RONDEL.

J'ayme qui m'ayme, autrement non;

Et non pourtant je ne hay rien,

Mais vouldroye que tout feust bien,

A l'ordonnance de raison.

Je parle trop, las! se faiz mon;

Au fort, en ce propos me tien.

J'aime qui, etc.

Et non pourtant, etc.

De pensées son chapperon

A brodé le povre cueur mien,

Tout droit de devers lui je vien,

Et m'a baillé ceste chancon.

J'aime, etc.



RONDEL.

Comme le subgiet de Fortune,

Que j'ay esté en ma jeunesse,

Encores le suis en vieillesse;

Vers moy la trouve tousjour une.

Je suis ung de ceulx, soubz la lune,

Qu'elle plus à son vouloir dresse.

Comme le, etc.

Que j'ay, etc.

Ce ne m'est que chose commune,

Obeir fault à ma maistresse;

Sans machier, soit joye ou tristesse,

Avaler me fault ceste prune.

Comme le, etc.



RONDEL.

Ce qui m'entre par une oreille,

Par l'autre sault comme est venu,

Quant d'y penser n'y suis tenu,

Ainsi Raison le me conseille.

Se j'oy dire, vecy merveille,

L'ung est long, l'autre court vestu.

Ce qui m'entre, etc.

Par l'autre, etc.

Mais paine pert, et se traveille,

Qui devant moy trayne ung festu;

Comme ung chat, suis vieil et chenu,

Legierement pas ne m'esveille.

Ce qui m'entre, etc.



RONDEL.

(Le conte de Clermont.)

Le truchement de ma pensée,

Qui de longtemps est commencée,

Va devers vous, pour exposer

Ce que de bouche proposer

N'oze, craignant d'estre tancée.

Combien que chose n'a pensée,

Dont deust estre desavancée,

Comme au long vous pourra gloser.

Le truchement, etc.

Qui de long, etc.

Va devers, etc.

Si soit par vous recompensée,

Et selon son cas avancée,

Pour mieulx se povoir disposer;

Car plus ne pourra reposer,

Jusques sa joye ait prononcée.

Le truchement, etc.



RONDEL.

Quelque chose derriere,

Convient tousjours garder,

On ne peut pas monstrer

Sa voulenté entiere.

Quant on est en frontiere

De dangereux parler,

Quelque chose, etc.

Convient, etc.

Se pensée legiere

Veult motz trop despenser,

Raison doit espargnier.

Comme la tresoriere,

Quelque chose, etc.



RONDEL.

(Le conte de Clermont.)

De bien ou mal, le bien faire l'emporte,

N'est il pas vray? ainsi que dit chascun;

Helas, ouy, car je n'en voy pas ung

Qui à la fin d'un jeu ne se deporte.

Je vous diray, quant la personne est morte,

Et a bien fait, il n'a esté commun.

De bien ou mal, etc.

N'est il pas vray, etc.

Faisons le donc, nous trouverons la porte

De Paradis, où il n'entre nes ung,

Que peu ne soit, s'il n'est trop importun

De prier Dieu, et à vous m'en rapporte.

De bien ou mal, etc.



RONDEL.

Que cuidez vous qu'on verra,

Avant que passe l'année?

Mainte chose demenée

Estrangement, ca et là.

Veu que des cy, et des ja,

Court merveilleuse brouée.

Que cuidez vous, etc.

Avant que, etc.

Viengne que advenir pourra?

Chascun a sa destinée,

Soit que desplaise, ou agrée;

Quant nouveau monde vendra,

Que cuidez vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant oyez prescher le regnart,

Pensez de voz oyes garder,

Sans à son parler regarder,

Car souvent scet servir de l'art;

Contrefaisant le papelart,

Qui scet ses parolles farder.

Quant oyez, etc.

Pensez de voz, etc.

Les faiz de Dieu je mets à part,

Ne je ne les vueil retarder,

Ne contre le monde darder,

Chascun garde son estandart.

Quant oyez, etc.



RONDEL.

pour Estampes.

Je suis mieulx pris que par le doy,

Et fort enserré d'un anneau;

S'a fait ung visaige si beau,

Qui m'a tout conquesté à soy.

Je rougis, et bien l'apercoy,

Ainsi qu'un amoureux nouveau.

Je suis, etc.

Et fort, etc.

Et d'amourectes, par ma foy,

J'ay assemblé ung grant fardeau,

Qu'ay mussées soubz mon chapeau;

Pour Dieu! ne vous mocquez de moy.

Je suis, etc



RONDEL.

(Maistre Jehan Caillau.)

Las! le faut il? est ce ton vueil?

Fortune, dont me plains et dueil,

Que tout mon temps en doleur passe,

Souffre que j'aye quelque espasse

De repos, entre tant de dueil.

N'auray je de toy autre accueil?

Fors desdaing, reprouche et orgueil,

Veux tu qu'en ce point je trespasse?

Las! le fault, etc.

Fortune, etc.

Que tout, etc.

Je ris de bouche, et pleure d'ueil,

Et fais, et dy ce que ne vueil;

Ainsi ma vie se compasse,

Maleureuse, chetive et lasse,

En paine et maulx dont trop recueil.

Las! le fault, etc.



RONDEL.

Marche nul autrement

Avecques vous, beaulté,

Se de vous Loyaulté

N'a le gouvernement.

Puisque mes jours despens

A vous vouloir amer,

Et apres m'en repens,

Qui en doist on blasmer?

Riens, fors vous seulement,

A qui tiens feaulté,

Quant monstrez cruaulté,

Veu qu'Amour le deffent.

Marché nul, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Las! le faut il? est ce ton vueil?

Fortune, qu'aye douleur mainte,

Del'ueil me soubzris, mais c'est fainte,

Et soubz decepte, doulx accueil.

Ay je tort? quant recoy tel dueil,

S'ainsi je dy en ma complainte:

Las! le fault, etc.

Fortune, etc.

Tue moy, puis en mon sercueil

Me boute, c'est chose contrainte;

Lors n'y aura Dieu, saint, ne sainte,

Qui n'appercoive ton orgueil.

Las! le fault, etc.



RONDEL.

As tu ce jour ma mort jurée?

Soussy, je te pry, tien te quoy,

Car à tort ma douleur, par toy,

Est trop souvent renouvellée;

A belle enseigne desployée,

Me court sus, et ne scay pourquoy?

As tu ce jour, etc.

Soussy, etc.

La guerre sera tost finée,

Se tu veulx, de toy et de moy,

Car je me rens, or me recoy;

Hola! paix, puisqu'elle est criée.

As tu ce jour, etc.



RONDEL.

Ne fais je bien ma besoingne?

Quant mon fait cuide avancer,

Je suis à recommancer,

Et ne scay comment m'esloingne.

Fortune tousjours me groingne,

Et ne fait riens que tanser.

Ne fais je, etc.

Quant mon, etc.

Certes tant je la ressoingne,

Car mon temps fait despenser

Trop, en ennuyeux penser,

Dont en roingeant mon frain, froingne.

Ne fais je bien, etc.



RONDEL.

Quant commenceray à voler,

Et sur elles me sentiray,

En si grant aise je seray

Que j'ay double de m'essorer.

Beau crier aura le levrier,

Chemin de plaisant vent tendray.

Quant je, etc.

Et sur elles, etc.

La mue m'a fallu garder

Par longtemps, plus ne le feray,

Puisque doulx temps et cler verray;

On le me devra pardonner.

Quant je, etc.



RONDEL.

Je ne hanis pour autre avoine,

Que de m'en retourner à Blois;

Trouvé me suis pour une fois

Assez longuement en Touraine.

J'ay galé, à largesse plaine,

Mes grans poissons, et vins des Grois.

Je ne, etc.

Que de, etc.

A la court plus ne prendray paine,

Pour generaux et millenois,

Confesser à present m'en vois,

Contre la peneuse sepmaine.

Je ne, etc.



RONDEL.

Je congnois assez telz desbas

Que l'ueil et le cueur ont entre eulx;

L'un dit: Nous serons amoureux,

L'autre dit: Je ne le vueil pas.

Raison s'en rit, disant tout bas:

Escoutez moy ces maleureux.

Je congnois, etc.

Que l'ueil, etc.

Lors m'en vois plustost que le pas,

Et les tanse si bien tous deux,

Que je les laisse tres honteux;

Mainteffoiz ainsi me combas.

Je congnois, etc.



RONDEL.

Que pense je? dictes le moy,

Adevinez, je vous en prie,

Autrement ne le saurez mie;

Il y a bien raison pourquoy.

A parler à la bonne foy,

Je vous en fais juge et partie.

Que pense, etc.

Adevinez, etc.

Vous ne saurez, comme je croy,

Car heure ne suis, ne demye,

Qu'en diverse merencolie;

Devisez, je me tairay, quoy?

Que pense, etc.



RONDEL.

Cueur, que fais tu? revenge toy

De Soussy et Merencolie;

C'est deshonneur et villenie,

De laschement se tenir coy.

Je tarderay, quant est à moy,

Voulentiers; or ne te fains mie.

Cueur, etc.

De Soussy, etc.

N'espergne riens, scez tu pourquoy?

Pour ce, qu'abrégeras ta vie,

Se les tiens en ta compaignie;

Desconfiz les, et prens leur foy.

Cueur, etc.



RONDEL.

Plaindre ne s'en doit loyal cueur,

S'Amours a servy longuement,

Recevant des biens largement,

Et pareillement de douleur.

N'est ce raison que le Seigneur

Ait tout à son commandement?

Plaindre, etc.

S'Amours, etc.

Ne plus a desservi Doulceur

Que ne trouve à son jugement,

En gré prengne pour payement

Moins de proufit et plus de honneur.

Plaindre, etc.



RONDEL.

Par les portes des yeulx et des oreilles,

Que chascun doit bien saigement garder,

Plaisir mondain va et vient, sans cesser,

Et raporte de diverses merveilles.

Pour ce, mon cueur, s'a raison te conseilles.

Ne le laisses point devers toy entrer.

Par les portes, etc.

Que chascun, etc.

A celle fin que par lui ne t'esveilles,

Veu qu'il te fault desormais reposer,

Dy lui: Va t'en, sans jamais retourner,

Ne revien plus, car en vain te traveilles.

Par les portes, etc.



RONDEL.

En faictes vous doubte?

Point ne le devez,

Veu que vous savez

Ma pensée toute;

Quant mon cueur s'y boute,

Et vostre l'avez.

En faictes, etc.

Point ne, etc.

Dangier nous escoute,

Sus, tost achevez,

Ma foy recevez,

Ja ne sera route.

En faictes, etc.



RONDEL.

A qui les vent on?

Ces gueines dorées,

Sont ilz achectées

De nouvel, ou non?

Par prest, ou par don?

En fait on livrées?

A qui les, etc.

Ces gueines, etc.

Alant au pardon,

Je les ay trouvées;

De telles denrées,

C'est petit guerdon.

A qui les, etc.



RONDEL.

En faictes vous doubte?

Que vostre ne soye,

Se Dieu me doint joye

Au cueur, si suis toute.

Rien ne m'en deboute,

Pour chose que j'oye.

En faictes, etc.

Que vostre, etc.

Dangier et sa route

S'en voisent leur voye,

Sans que plus les voye,

Tousjours il m'escoute.

En faictes, etc.



RONDEL.

A qui vendez vous voz coquilles?

Entre vous, amans pelerins,

Vous cuidez bien, par voz engins,

A tous pertuis trouver chevilles.

Sont ce coups d'esteufs, ou de billes,

Que ferez tesmoing voz voisins.

A qui vendez, etc.

Entre vous, etc.

On congnoist tous voz tours d'estrilles,

Et bien clerement voz latins;

Troctez, reprenez voz patins,

Et troussez voz sacs et voz quilles.

A qui vendez, etc.



RONDEL.

Avez vous dit, laissez me dire,

Amans qui devisez d'amours,

Sainte Marie! que de jours

J'ay despenduz en martire!

Vous mocquez vous? je vous voy rire,

Cuidez vous qu'il soit le rebours?

Avez vous, etc.

Amans, etc.

Parler n'en puis que ne souspire,

Raconter vous y scay cent tours

Qu'on y a, sans joyeulx secours,

S'au vray m'en voulez ouir lire.

Avez vous dit, etc.



RONDEL.

Envoyez nous ung doulx regart

Qui nous conduie jusqu'à Blois,

Nous le vous rendrons quelque fois,

Quoy que l'atente nous soit tart;

Puisqu'en emportez l'estandart

De la doulceur, que bien congnois.

Envoyez nous, etc.

Qui nous, etc.

Et pry Dieu que toutes vous gart,

Et vous doint bons jours, ans et mois,

A voz desirs, vouloirs et chois,

Acquictez vous de vostre part.

Envoyez nous, etc.



RONDEL.

(Nevers.)

En la forest de longue actente,

Mainte personne bien joyeuse

S'est trouvée moult doloreuse,

Triste, marrie et bien dolente.

D'y estre, nul ne s'en talente,

La demeure est trop ennuyeuse.

En la forest, etc.

Mainte, etc.

Chascun qui pourra, s'en abscente,

Car l'entrée en est perilleuse,

Et l'issue fort dangereuse;

Pas de cent, ung ne se contente,

En la forest, etc.



RONDEL.

Pour ce qu'on jouxte à la quintaine

A Orleans, je tire à Blois;

Je me sens foulé du harnois,

Et veulx reprendre mon alaine;

Raisonnable cause m'y maine,

Excusé soye ceste foiz.

Pour ce, etc.

A Orleans, etc.

Je vous promet que c'est grant paine,

De tant faire baille lui bois;

Eslongner quelque part du mois,

Vault mieulx, pour avoir teste saine.

Pour ce, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

En la forest de longue actente,

Par vent de Fortune dolente.

Tant y voy abatu de bois,

Que, sur ma foy, je n'y congnois

A present, ne voye, ne sente.

Pieca, y pris joyeuse rente,

Jeunesse la payoit contente,

Or n'y ay qui vaille une nois.

En la forest, etc,

Par vent, etc.

Tant y voy, etc.

Vieillesse dit, qui me tourmente,

Pour toy n'y a pesson, ne vente,

Comme tu as eu autreffoiz;

Passez sont tes jours, ans et mois,

Souffize toy, et te contente.

En la forest, etc.



RONDEL.

Des arrérages de Plaisance,

Dont trop endebté m'est Espoir,

Se quelque part j'en peusse avoir,

Du surplus donnasse quictance;

Mais au pois et à la balance,

N'en puis que bien peu recevoir.

Des arrerages, etc.

Dont trop, etc.

Usure, ou perte de chevance,

Mectroye tout à nonchaloir,

Se je savoye, à mon vouloir,

Recouvrer prestement finance.

Des arrerages, etc.



RONDEL.

(Madame d'Orléans.)

En la forest de longue actente,

Entrée suis en une sente,

Dont oster je ne puis mon cueur,

Pourquoy je viz en grant langueur

Par Fortune qui me tourmente.

Souvent Espoir chascun contente,

Excepté moy, povre dolente,

Qui, nuyt et jour, suis en doleur.

En la forest, etc.

Entrée, etc.

Dont oster, etc.

Ay je donc tort, se me garmente

Plus que nulle qui soit vivente?

Par Dieu, nennil, veu mon maleur;

Car, ainsy m'aist mon Créateur,

Qu'il n'est paine que je ne sente,

En la forest, etc.



RONDEL.

Rescouez ces deux povres yeulx

Qui tant ont nagé en Plaisance,

Qu'ilz se nayent sans recouvrance;

Je les tiens mors, ou presque tieulx.

Videz les tost, se vous aist Dieux,

En la sentine d'Alegeance.

Rescouez, etc.

Qui tant, etc.

Courez y tous, jeunes et vieulx,

Et à cros de bonne Esperance,

De les tirer hors, qu'on s'avance,

Chascun y face qui, mieulx, mieulx.

Rescouez, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

En la forest de longue actente,

Des brigans de Soussi bien trente,

Helas! ont pris mon povre cueur;

Et Dieu scet se c'est grant orreur

De veoir comment on le tourmente.

Priant vostre aide, lamente

Pour ce que chascun d'eulx se vente

Qu'ilz le merront à leur Seigneur.

En la forest, etc.

Des brigans, etc.

Helas! ont, etc.

Et pour ce, à vous il s'en garmente,

Car il voit bien qu'ilz ont entente

De lui faire tant rigueur,

Qu'il ne sera mal, ne doleur,

Se n'y pourvoyez, qu'il ne sente.

En la forest, etc.



RONDEL.

A recommencer de plus belle,

J'en voy ja les adjournemens.

Que font, vers vieulx et jeunes gens,

Amours et la saison nouvelle.

Chascun d'eulx, aussi bien lui qu'elle,

Sont tous aprestés sur les rens.

A recommencer, etc.

J'en voy ja, etc.

Comme toute la chose est telle,

Je congnois telz esbatemens

Assez, de pieca m'y entens,

Ce n'est que ancienne querelle.

A recommencer, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

En la forest de longue actente,

Forvoyé de joyeuse sente,

Par la guide dure rigueur,

A esté robbé vostre cueur,

Comme j'entens, dont se lamente.

Par Dieu! j'en congnois plus de trente

Qui, chascun d'eulx, sans que s'en vente,

Est vestu de vostre couleur.

En la forest, etc.

Forvoyé, etc.

Et en briefz motz, sans que vous mente,

Soiez seur que je me contente,

Pour allegier vostre douleur,

De traictier avec le Seigneur,

Qui les brigans soustient et hente.

En la forest, etc.



RONDEL.

Ainsi doint Dieux à mon cueur, joye,

En ce que souhaidier vouldroye,

Et à mon penser; reconfort,

Comme voulentiers prisse accort

A soussy qui tant me guerroye.

Mais remede n'y trouveroye,

Et qui pis est, je n'oseroye

Descouvrir les maulx qu'ay à tort.

Ainsi doint, etc.

En ce que, etc.

Quant je lui dy: Dieu te convoye,

Laisse m'en paix, va t'en ta voye,

Par ton enchantement et sort;

Gueres mieulx ne vault vif que mort,

Je languis quelque part que soye.

Ainsi doint, etc.



RONDEL.

Se vous voulez m'amour avoir,

A tousjours, mais sans departir,

Pensez de faire mon plaisir,

Et jamais ne me decevoir;

Bientost sauray apparcevoir,

Au par aler, vostre desir.

Se vous voulez, etc.

A tousjours, etc.

Assez biens povez recevoir,

S'en vous ne tient, sans y faillir,

Vous estes pres d'y avenir,

Faisant vers moy leal devoir.

Se vous voulez, etc.



RONDEL.

Maudit soit mon cueur, se j'en mens,

Quant à mon lesir estre puis,

Et avecques pensée suis,

En mes maulx prens alegemens;

Car soussis plains d'encombremens,

Boutons hors, et lui fermons l'uis.

Maudit soit, etc.

Quant à mon, etc.

Assez y trouve esbatement.

Lors lui dy: Ma maistresse, et puis

Serons nous ainsi jours et nuis,

G'y donne mes consentemens.

Maudit soit, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

J'actens l'aumosne de doulceur,

Par l'aumosnier de doulx regart;

Espoir m'a promis de sa part,

Qu'il me fera toute faveur;

En esperant que ma langueur

Cessera, qui tant mon cueur art.

J'actens, etc.

Car, etc.

Car, comme leal serviteur,

J'ay servy tousjours main et tart;

Pensant qu'Amours aura regart

Quelquefoiz, à ma grant douleur.

J'actens, etc.



RONDEL.

En la querelle de Plaisance,

J'ay veu le rencontre des yeulx

Qui estoient, ainsi m'aid Dieux,

Tous prestz de combatre à oultrance,

Rangez par si belle ordonnance,

Qu'on ne sauroit deviser mieulx.

En la querelle, etc.

S'Amours n'y mectent pourveance,

De pieca je les congnois tieulx,

Qu'au derrenier, jeunes ou vieulx,

Mourront tous, par leur grant vaillance.

En la querelle, etc.



RONDEL.

Par l'aumosnier, plaisant regart,

Donnez l'aumosne de doulceur,

A ce povre malade cueur,

Du feu d'Amours, dont Dieu nous gart.

Nuit et jour, sans cesser, il art;

Secourez le, pour vostre honneur.

Par l'aumosnier, etc.

S'il vous plaisoit, de vostre part,

Prier Amours qu'en sa langueur,

Pourvoyent à vostre faveur,

Aidié sera plus tost que tart.

Par l'aumosnier, etc.



RONDEL.

De la maladie des yeulx,

Feruz de pouldre de plaisir,

Par le vent d'Amoureux desir,

Est fort à guerir, se maid Dieux.

Toutes gens, et jeunes, et vieulx,

S'en scevent bien à quoy tenir.

De la maladie, etc.

Feruz de, etc

Je n'y congnois remedes tieulx,

Que hors de presse soy tenir,

Et la compaignie fuir;

Qui plus en saura, die mieulx.

De la maladie, etc.



RONDEL.

Ce n'est que chose acoustumée,

Quant Soussy voy vers moy venir,

Se tost ne lui venoye ouvrir,

Il romproit l'uis de ma Pensée;

Lors fait d'escremie levée,

Et puis vient mon cueur assaillir.

Ce n'est, etc.

Quant, etc.

Adonc prent d'Espoir son espée

Mon cueur, pour des coups soy couvrir,

Et se deffendre et garentir;

Ainsi je passe la journée.

Ce n'est, etc.



RONDEL.

Par m'ame, s'il en fust en moy,

Soussy, Dieu scet que je feroye,

Moy et tous, de toy vengeroye;

Il y a bien raison pourquoy.

Riens ne dy qu'ainsi que je doy,

Et telle est la voulenté moye.

Par m'ame, etc.

Soussy, etc.

Ung chascun se complaint de toy,

Pour ce, voulentiers fin prendroye

Avec toy, se je povoye;

Je n'y vois qu'à la bonne foy.

Par m'ame, etc.



RONDEL.

Chascun devise à son propos,

Quant à moi, je suis loing du mien,

Mais mon cueur en espoir je tien,

Qu'il aura une foiz repos;

Souvent dit, me tournant le dos,

Je doubte que n'en sera rien.

Chascun, etc.

Quant, etc.

Tenez l'uis de Pensée clos,

Faictes ainsi pour vostre bien,

Soussy vous vouldroit avoir sien,

Ne croyez, n'escoutez ses mos.

Chascun, etc.



RONDEL.

Mon cueur se plaint qu'il n'est payé

De ses despens, pour son traveil

Qu'il a porté, si nompareil,

Qu'oncques tel ne fut essayé.

Son payement est delayé

Trop longtemps, sur ce, quel conseil?

Mon cueur, etc.

De ses, etc.

Puisqu'il n'est de gaiges rayé,

Mais prest en loyal appareil,

Autant que nul soubz le souleil,

Se mieulx ne peut, soit deffrayé.

Mon cueur, etc.



RONDEL.

Ennemy, je te conjure,

Regart qui aux gens cours sus,

Vieillars aux mentons chanus

Dont suis, n'avons de toy cure.

Jeune, navré de blesseure

Fu par toy, ny reviens plus.

Ennemy, etc.

Regart, etc.

Va querir ton avanture

Sus amans nouveaulx venus;

Nous vieulx, avons obtenus

Saufconduitz, de par Nature.

Ennemy, etc.



RONDEL.

Ou Loyaulté me payera

Des services qu'ay faiz sans faindre,

Ou j'auray cause de me plaindre;

Qui mon guerdon delayera?

Bon droit pour moy tant criera,

Qu'aux cieulx fera sa voix actaindre.

Ou Loyaulté, etc.

Des services, etc.

Quand Fortune s'effrayera.

Dieu a povoir de la reffraindre,

Et Raison, qui ne doit riens craindre,

De moy aider s'essayera.

Ou Loyaulté, etc.



RONDEL.

Des amoureux de l'observance,

Dont j'ay esté ou temps passé,

A present m'en treuve lassé

Du tout, sinon de souvenance.

Ou je prens d'en parler plaisance,

Quoy que suis de l'ordre cassé.

Des amoureux, etc.

Dont j'ay esté, etc.

Souvent y ay porté penance,

Et si pou de biens amassé,

Que, quant je seray trespassé,

A mes hoirs lairray pou chevance.

Des amoureux, etc.



RONDEL.

Mon cueur, n'entreprens trop de choses,

Tu peulz penser ce que tu veulz,

Et faire selon que tu peuz,

Et dire ainsi comme tu oses.

Qui vouldroit sur ce trouver gloses?

Je men rapporteray à eulx.

Mon cueur, etc.

Tu peulz, etc.

Se ces raisons garder proposes,

Tu feras bien, par mes conseulz,

Laisse les embesoignez seulz,

Il est temps que tu te reposes.

Mon cueur, etc.



RONDEL.

Ostez vous de devant moy,

Beaulté, par vostre serment,

Car trop me temptez souvent;

Tort avez, tenez vous quoy.

Toutes les foiz que vous voy,

Je suis je ne scay comment.

Ostez vous, etc.

Beaulté, etc.

Tant de plaisir j'appercoy

En vous, à mon jugement,

Qu'ilz troublent mon pensement,

Vous me grevez, sur ma foy.

Ostez vous, etc.



RONDEL.

Comment ce peut il faire ainsi,

En une seule creature,

Que tant ait des biens de nature,

Dont chascun en est esbahy.

Oncques tel chief d'euvre ne vy

Mieulx accomply, oultre mesure.

Comment, etc.

En une, etc.

Mes yeulx cuiday qu'eussent manty,

Quant apporterent sa figure

Devers mon cueur, en pourtraiture;

Mais vray fut, et plus que ne dy.

Comment, etc.



RONDEL.

Plaisant regard, mussez vous,

Ne vous monstrez plus en place,

Mon cueur craint vostre menace,

Dont mainteffoiz l'ay rescous;

Vostre actrait soubtil et doulx

Blesse sans qu'on lui mefface.

Plaisant, etc.

Ne vous, etc.

Se dictes: Je fais à tous

Ainsi, car je m'y solace;

A tort, sauve vostre grace,

Ne devez donner courrous.

Plaisant, etc.



RONDEL.

Ne m'en racontez plus, mes yeulx,

De beaulté que vous prisez tant,

Car plus voys ou monde vivant,

Et moins me plaist, ainsi m'aist Dieux.

Trouver je ne me scay en lieux

Qu'il m'en chaille, ne tant ne quant.

Ne m'en, etc.

De beaulté, etc.

Qu'est ce cy? deviens je des vieulx?

Ouy certes, dorenavant,

J'ay fait mon Karesme prenant,

Et jeusne de tous plaisirs tieulx.

Ne m'en, etc.



RONDEL.

Je ne vous voy pas à demy,

Tant ay mis en vous ma plaisance,

Tousjours m'estes en souvenance,

Puis le temps que premier vous vy.

Assez ne puis estre esbahy

Dont vient si ardent desirance.

Je ne vous, etc.

Tant ay, etc.

Fin de compte, puisqu'est ainsi,

Fermons nos cueurs en aliance;

Quant plus ay de vous acointance,

Plus suis ne scay comment ravy.

Je ne vous, etc.



RONDEL.

Si hardiz, mes yeulx,

De riens regarder,

Qui me puist grever,

Qu'en valez vous mieulx?

Estroit, se m'aist Dieux,

Vous pense garder.

Si hardiz, etc.

De riens, etc.

Vous devenez vieulx,

Et tousjours troter

Voulez, sans cesser,

Ne soyez plus tieulx,

Si hardiz, etc.



RONDEL.

Mon cueur, pour vous en garder,

De mes yeux qui tant vous temptent,

Afin que devers vous n'entrent,

Faictes les portes fermer.

S'ilz vous viennent raporter

Nouvelles, pensez qu'ilz mentent.

Mon cueur, etc.

De mes, etc.

Mensonges scevent conter,

Et trop de plaisir se ventent,

Folz sont qui en eulx s'atendent,

Ne les vueillez escouter.

Mon cueur, etc.



RONDEL.

N'est ce pas grant trahison

De mes yeulx en qui me fye,

Qui me conseillent folie

Maintes foys, contre raison.

Que male part y ait on

D'eulx, et de leur tromperie.

N'est ce pas, etc.

De mes yeulx, etc.

Mieulx me fust, en ma maison

Estre seul à chiere lye,

Qu'avoir telle compaignie

Qui me bat de mon baston.

N'est ce pas, etc.



RONDEL.

Rendez compte, Vieillesse,

Du temps mal despendu

Et sotement perdu,

Es mains Dame Jeunesse.

Trop vous court sus Foiblesse,

Qu'est Povoir devenu?

Rendez compte, etc.

Mon bras en l'arc se blesse,

Quant je l'ay estendu,

Parquoy j'ay entendu

Qu'il convient que jeu cesse.

Rendez compte, etc.

Tout vous est en destresse,

Desormais chier vendu.

Rendez compte, etc.

Des tresors de liesse

Vous sera peu rendu,

Riens qui vaille ung festu;

N'avez plus que sagesse.

Rendez compte, etc.



RONDEL.

(Le Seigneur de Torsy.)

Mais que mon mal si ne m'empire,

Je suis en bon point, Dieu mercy,

Ne n'ay ne douleur, ne soucy

De chose que on me puisse dire.

Plus ne me plains, plus ne souspire,

Je mengue, et dors bien aussi.

Mais que mon, etc.

Je suis en bon, etc.

Pleurer souloye en lieu de rire,

En requerant grace et mercy;

Maintenant ne fais plus ainsi,

Car je ne crains point l'escondire.

Mais que, etc.



RONDEL.

(Le conte de Clermont.)

J'amasse ung tresor de regrez

Que ma tant amée m'envoye,

Mais jusqu'à ce que je la voye,

Ne partiront de mes segrez.

La cause pourquoy? je la celle,

Ses griefz maulx qui me font mourir,

C'est pour garder l'onneur de celle

Qui ne me daigne secourir.

Plus l'eslongne, plus d'elle est pres

Mon cueur, dont mon povre oeil lermoye;

Il n'est point doleur que la moye,

Car quant j'ay assez plaint, apres

J'amasse, etc.



RONDEL.

(Responce d'Orléans.)

C'est une dangereuse espergne

D'amasser tresor de regrez,

Qui de son cueur les tient trop pres,

Il convient que mal lui en preigne;

Veu qu'ilz sont si oultre l'enseigne,

Non pas assez nuysans, mais tres.

C'est une, etc.

D'amasser, etc.

Se je mens, que l'en m'en repreigne,

Soient essayez, puis apres

On saura leurs tourmens segres;

Qui ne m'en croira, si l'apreigne.

C'est une, etc.



RONDEL.

à Fredet.

Le fer est chault, il le fault batre,

Vostre fait que savez, va bien;

Tout le saurez, sans celer rien,

Se venez vers moy vous esbatre.

Il a convenu fort combatre,

Mais, s'il vous plaist, parfait le tien.

Le fer est chault, etc.

Vostre fait, etc.

Convoitise vouloit rabatre

Escharsement, et trop du sien;

Mais ung peu j'ay aidié du mien,

Qui l'a fait cesser de debatre.

Le fer est chault, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

Je regrecte mes dolans jours,

Comme celluy la qui tousjours

Ne fait que desirer sa mort;

Car plus avant vois, et plus fort

Acroissent mes dures dolours.

Quant on me fait d'estranges tours,

Que, mille foiz le jour, en plours,

Me fault dire par desconfort:

Je regrecte, etc.

En vous seul est tout mon recours,

Faictes donc, plustost que le cours,

Cesser le mal que souffre à tort,

Ou autrement je me voy mort,

Et tout pour bien servir Amours.

Je regrecte, etc.



RONDEL.

(Responce au dit Fredet.)

Se regrectez vos dolans jours,

Et je regrecte mon argent

Que j'ay delivré franchement,

Cuidant de vous donner secours.

Se ne sont pas les premiers tours

Dont Convoitise sert souvent.

Se regrectez, etc.

Et je regrecte, etc.

Mais se vous n'avez voz amours,

Puisque Convoitise vous ment,

Le mien recouvreray briefment,

Ou mectray le fait en droit cours.

Se regrectez, etc.



RONDEL.

à Daniel.

Vous dictes que j'en ayme deux,

Mais vous parlez contre raison,

Je n'ayme fors ung chapperon,

Et ung couvrechief, plus n'en veulx;

C'est assez pour ung amoureux;

Mal me louez, ce faictes mon.

Vous dictes, etc.

Mais vous, etc.

Certes je ne suis pas de ceulx

Qui partout veulent à foison

Eulx fournir, en toute saison;

N'en parlez plus, j'en suis honteux.

Vous dictes, etc.



RONDEL.

(Olivier de la Marche)

Pour amours des dames de France,

Je suis entré en l'observance

Du tres renommé saint Francois,

Pour cuidier trouver une fois

La doulce voye d'alegance.

Saint suis de corde de souffrance,

Soubz haire d'aigre desirance,

Plus qu'en mon Dieu ne me congnois.

Pour amours, etc.

Je suis entré, etc.

Soubrement vis de ma plaisance,

Et june ce que desir pense,

Mandiant par tout où je vois,

Je veille à conter, par mes dois,

Les maulx que m'a fait Esperance.

Pour amours, etc.



RONDEL.

(Vaillant.)

Des amoureux de l'observance,

Je suis le plus subgiet de France,

Car je sers d'estre mandien,

Et cherche le cotidien;

Mais nul en mon sac rien ne lance.

Aux freres l'aumosne, pour Dieu,

Tousjours vois criant d'uys en huis,

Las! Charité ne trouve en lieu,

Ne Pitié ne scet qui je suis,

Retourner m'en fault sans pitance;

Desir le proveheur me tance,

Puis le beau pere gardien,

Pis suis que Boesme, n'Yndien;

L'ordre vueil laisser sans doubtance.

Des amoureux, etc.



RONDEL.

(George.)

Les serviteurs submis à l'observance,

Quoyque souvent, il leur tourne à grevance,

De non avoir leur plaisir à toute heure;

Toute fois, Dieu soubz qui rien ne demeure,

A telz servans ne fist onc decevance;

Mains il convient par contrainte eslevance,

Qu'onneur, fortune, ou amour les avance

En quelque endroit, et au besoing seceure.

Les serviteurs, etc.

Quoyque, etc.

De non, etc.

Ce long souffrir en penible estrivance

N'aist aux souffrans, haulte et riche chevance,

Finablement, qui les paye et honneure;

Apres l'aigret, trouve on la doulce meure

Qui radoulcist en leur propre savance.

Les serviteurs, etc.



RONDEL.

(Vaillant.)

Quant à moy, je crains le filé

Que d'autres ne craignent mye,

C'est d'avoir Dame sans amye,

Qui est un cas mal compilé.

Le fait d'amour est avilé,

Car Pitié y est endormie.

Quant à moy, etc.

Que d'autres, etc.

Puis voy, par maint bec affilé

Faire plus fort que l'arquemie,

Dont, sur mon ame, je fremie

Et de paour d'estre aux piez pilé.

Quant, etc.



RONDEL.

Celle que je ne scay nommer

Com à mon gré desireroye,

Ce jour de l'an, de biens et joye

Paise à Dieu de vous estrener.

S'amie vous vueil appeller,

Trop simple nom vous bailleroye.

Celle que, etc.

Com à mon, etc.

De ma Dame, nom vous donner,

Orguilleuse je vous feroye,

Maistresse point ne vous vouldroye;

Comment donc doy je à vous parler?

De celle, etc.



RONDEL.

A ce jour de saint Valentin,

Que l'en prent per par destinée,

J'ay choisy, qui tres mal m'agrée,

Pluye, vent et mauvais chemin.

Il n'est de l'amoureux butin,

Nouvelle, ne chancon chantée.

A ce jour, etc.

Que l'en, etc.

Sourges me donne ce tatin,

Et à plusieurs de ma livrée;

Mieulx vauldroit en chambre natée

Dormir, sans lever sy matin,

A ce jour, etc.



RONDEL.

(Bouciquault.)

Assez ne m'en peuz merveiller

Qu'aucuns amoureux ont creance

D'estre de ceulx de l'observance,

Mais plus n'y veulent travailler.

Je dy que leur vaulsist trop mieulx

Plus large reigle avoir choisie;

Par servir jeunes, et puis vieulx,

Laisser tout, c'est ypocrisie.

Autre nom leur convient bailler,

C'est apostat, qui pour doubtance

D'avoir un peu de penitance,

Ont voulu Loyaulté soiller.

Assez m'en, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Ce n'est pas par ypocrisie,

Ne je ne suis point apostat

Pourtant, se change mon estat

Es derreniers jours de ma vie.

J'ay gardé, ou temps de jeunesse,

L'observance des amoureux,

Or m'en a bouté hors Vieillesse,

Et mis en l'ordre douloreux

Des chartreux de Merencolie,

Solitaire, sans nul esbat;

A briefz motz, mon fait va de plat,

Et pour ce, ne m'en blasmez mye.

Ce n'est pas, etc.



RONDEL.

(Bouciquault.)

Monstrer on doit qu'il en desplaise

Du meffait, à qui n'a povoir

De servir; car si cru pour voir,

En parler, il semble qu'il plaise;

Qui ne peut pour le moins se taise,

Et face en dueil larmes pleuvoir.

Monstrer on doit, etc.

Du meffait, etc.

Mais dire qu'on n'a temps, ne aise,

Pour aage, d'y faire devoir,

Chascun scet bien apparcevoir

Que pou courcé, tost se rappaise.

Monstrer on doit, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

A quiconques plaise, ou desplaise,

Quant Vieillesse vient les gens prendre,

Il convient à elle se rendre

Et endurer tout son malaise.

Nul ne peut faire son devoir

De garder d'Amours l'observance,

Quant, avecques son bon vouloir,

Il a povreté de puissance.

Plus n'en dy, mieulx vault que me taise,

Car j'en ay à vendre et revendre;

Ung chascun doit son fait entendre;

Qui ne peut, ne peut, si s'appaise.

A quiconques, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

Le truchement de ma pensée,

Ceste saint Valentin passée,

J'ay envoyé devers Amours,

Pour lui compter les grans dolours

Que seuffre, pour ma tant amée;

Requerant ma peine alegée,

Autrement ma vie est finée,

Comme scet bien, il a mains jours.

Le truchement, etc.

Et quant sa raison eut contée,

Lui dist: Ta requeste m'agrée,

Car trop leal l'ay veu tousjours;

Lors fut commandé mon secours,

Et le m'apporta la journée,

Le truchement etc.



RONDEL.

(Simonnet Caillau.)

Pour bref telz maulx d'amours guerir,

Esgrun de Dueil te fault fuyr,

Les poix au veau te sont contraires,

Quant les fleurs de plaisans viaires

Sont dedans mises au boillir.

L'oubliete te peut servir,

Et l'herbe de Nonsouvenir,

A faire bons electuaires.

Pour bref, etc.

Du triacle de Repentir,

Pour tes accez faire faillir,

Prendras sur les appoticaires;

Avecques siropz necessaires,

Faiz en succres de Deppartir.

Pour bref, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Les malades cueurs amoureux

Qui ont perdu leurs apetiz,

Et leurs estomacs refroidiz

Par soussiz et maulx douloureux,

Diete gardent sobrement,

Sans faire exces de trop douloir;

Chaulx electuaires souvent

Usent de Conforté vouloir,

Succres de Penser savoureux,

Pour renforser leurs esperiz;

Ainsi pevent estre gueriz,

Et hors de danger langoureux.

Les malades, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

Pour brief du mal d'amer guerir,

Esloingner l'air de Souvenir

Convient, sans grant merencolie;

Apres tout mes, mengier l'oublie

Pres du couchier, pour mieulx dormir.

De Nonchaloir, pour adoulcir

La medicine de Desir,

Prendre fault la plus grant partie.

Pour brief, etc.

Esloingner, etc.

Puis ung beau regime, à l'issir

De vostre acces, pourrez choisir,

D'une Leaulté m'y partie,

Affin que ne rencheez mye,

Faictes reffuz d'amour bannir.

Pour brief, etc.



RONDEL.

Pour tous voz maulx d'amours guerir,

Prenez la fleur de Souvenir

Avec le just d'une ancollie,

Et n'obliez pas la soussie,

Et meslez tout en Desplaisir.

L'erbe de loing de son Desir,

Poire d'Angoisse pour refreschir,

Vous envoye Dieu, de vostre amye.

Pour tous, etc.

Pouldre de Plains pour adoulcir,

Feille d'aultre que vous choisir,

Et racine de Jalousie,

Et de tretout la plus partie

Mectes au cueur, avant dormir.

Pour tous, etc.



RONDEL.

Puisque tu t'en vas,

Penser, en message,

Se tu fais que sage,

Ne t'esgare pas.

Au mieulx que pourras,

Pren le seur passage.

Puisque, etc.

Penser, etc.

Tout beau, pas à pas,

Reffrain ton courage,

Qu'en si long voyage

Ne deviengnes las.

Puisque, etc.



RONDEL.

L'ueil et le cueur soient mis en tutelle,

Si tost qu'ilz sont rassotez en amours,

Combien qu'il a plusieurs qui font les lours,

Et ont trouvé contenance nouvelle;

Pour mieulx embler priveement Plaisance,

Mommerie sans parler de la bouche,

En beaux abiz d'or cliquant d'Acointance,

Soubz visieres de semblant qu'on n'y touche,

Faignent souvent l'amoureuse querelle;

Ainsi l'ay vu faire en mes jeunes jours,

Vestu m'y suis à droit et à rebours;

Je jangle trop, au fort, je me rappelle.

L'ueil et le cueur, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

Pour eschever plus grant dangier,

Certes, mon cueur, il est mestier,

Puisque nous alons veoir la belle,

Que tenez mon ueil en tutelle,

Qui ne vous donne à besongner;

Commandez lui bien, sans prier,

Qu'il ne croie riens de legier,

Dont il vous rapporte nouvelle.

Pour eschever, etc.

Et s'il ne s'y veult obligier,

Mectez Raison pour espier

A part sa couverte cautelle;

Car c'est cellui seul qui se mesle

De tieulx defaultes corrigier.

Pour eschever, etc.



RONDEL.

Chose qui plaist est à demy vendue,

Quelque cherté qui coure par pais;

Jamais ne sont bons marchands esbahis,

Tousjours gaignent à l'allée, ou venue.

Car, quant les yeulx qui sont facteurs du cueur,

Voyent Plaisir à bon marchié en vente,

Qui les tendroit d'achater leur bon eur?

Et deussent ilz engaiger biens et rente,

Et à rachat toute leur revenue,

De lascheté seroient bien trays,

Et devroient d'Amours estre hays;

Marchandise doit estre maintenue.

Chose qui plaist, etc.



RONDEL.

Chose qui plaist est à demy vendue,

A bon compte souvent, ou chierement,

Qui du marchié le denier a Dieu prent,

Il n'y peut plus mectre rabat, ne creue.

D'en debatre n'est que paine perdue,

Prenez ore, qu'apres on s'en repent.

Chose qui, etc.

A bon compte, etc.

S'aucun aussi monstre sa retenue,

Et au bureau va faire le serement,

Les officiers n'y font empeschement,

Mais demandent tantost la bienvenue.

Chose qui, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

L'abit le moine ne fait pas,

Pourtant se je me veis de dueil,

J'ay la lerme assez loing de l'ueil,

Passant mes ennuiz au gros sas;

Je fains d'assembler à grans tas

Douleurs à part, mais quant je vueil.

L'abit le, etc.

Pourtant, etc.

Conclusion, vecy mon cas:

De nulle rien je ne me dueil,

En gré prens d'Amours le recueil,

Soit beau, ou lait; puis je diz bas:

L'abit le, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

L'abit le moine ne fait pas,

L'ouvrier se congnoist à l'ouvrage,

Et plaisant maintient de visage

Ne monstre pas toujours le cas.

Alez tout soubrement le pas,

N'est que contrefaire le sage.

L'abit le, etc.

L'ouvrier, etc.

Soubtil sens couchié par compas,

Enveloppé en beau langage,

Musse le vouloir du courage;

Cuider decoit en mains estas.

L'abit le, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

De fol juge, briefve sentence;

Certes bon cueur ne peut mentir,

Et si ne scet du sac yssir

Que ce qui est d'acoustumence.

Là où Raison pert pascience,

On voit bien souvent avenir,

De fol juge, etc.

Certes bon, etc.

Envie, atout sa double lance,

Blesse en mains lieux sans cop ferir,

Dont il se convient repentir

Aucuneffoiz, qui bien y pense.

De fol juge, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

De fol juge, briefve sentence;

On n'y sauroit remedier,

Quant l'advocat oultrecuidier,

Sans raison, mainteffois sentence;

Apres s'en repent et s'en tence,

C'est tart, et ne se peut vuidier.

De fol juge, etc.

On n'y, etc.

Fleurs portent odeur, et sentence

Et savoir vient d'estudier;

Ce n'est pas ne d'anuyt, ne d'yer,

J'en dy ce que mon cueur sent en ce.

De fol juge, etc.



RONDEL.

(Madame d'Orleans.)

L'abit le moine ne fait pas,

Car quelque chiere que je face,

Mon mal seul tous les autres pace,

De ceulx qui tant plaignent leur cas.

Souvent, en dansant fais mains pas

Que mon cueur pres en dueil trespace.

L'abit le, etc.

Las! mes yeulx gectent sans compas

Des lermes tant parmy ma face,

Dont plusieurs foiz je change place,

Alant à part pour crier las!

L'abit le, etc.



RONDEL.

(Guiot Pot.)

L'abit le moine ne fait pas,

Car tel n'est pas vestu de noir,

Qui a cause de se douloir;

Par Dieu, qui congnoistroit son cas?

S'on lui fait changer ses esbas

Contre raison et son vouloir.

L'abit le, etc.

Quant Fortune charge le bas

Au compaignon, s'il a povoir,

Et s'il joue ung tour de savoir,

Disant que de souffrir est las.

L'abit le, etc.



RONDEL.

(Messire Philippe Pot.)

En la forest de longue actente

Où mainte personne est dolente,

Espoir me promist de donner,

Se bien vouloye cheminer,

Ce qui tous amoureux contente.

J'ay tout mis, cueur, corps et entente,

A traverser chemin et sente,

Pour cuider ce grant bien trouver.

En la forest, etc.

Où mainte, etc.

Espoir me, etc.

Mais d'une chose je me vente,

Que j'ay eu tous les jours de rente,

Pour ma queste parachever,

Paine et ennuy, sans conquester

Riens, si non dueil qui me tourmente.

En la forest, etc.



RONDEL.

(Anthoine de Lussay.)

En la forest de longue actente

Où les contentés, Dieu contente,

Je vous asseure, sur ma foy,

Que je n'y ay eu, tant soit poy,

Joye, ne bien dont je me sente.

Pensez se ma vie est dolente,

Veu, qu'ainsi soit, je me garmente,

Et que nul bien n'y a pour moy

En la forest, etc.

Où les contentés, etc.

Ou fort, d'une chose me vente,

Se je ne faulx en mon entente,

Ou se la mort brief ne recoy,

Que je y auray, savez vous quoy?

Aucun plaisir qui vauldra rente.

En la forest, etc.



RONDEL.

(Guiot Pot.)

En la forest de longue actente,

Ja pieca, fus en une sente,

Là où j'ay esgaré mon cueur,

Mais y souffrit tant de douleurs

Que tousjours convient que s'en sente

Depuis, tousjours tant fort lamente,

Par Fortune qui le tourmente,

Qu'il fault qu'il vive en grant langueur.

En la forest de, etc.

Ja pieca, etc.

Mais, s'il eschappe, bien se vente

Qu'il gardera qu'on ne le tente

Par beau parler, ne par rigueur;

Car chascun se doit tenir seur

Que l'on fault bien à son entente,

En la forest, etc.



RONDEL.

(Gilles.)

En la forest de longue actente,

Mon povre cueur tant se garmente

D'en saillir par aucune voye,

Qu'il ne lui semble pas qu'il voye

Jamais la fin de son entente;

Deconfort le tient en sa tente,

Qui par telle facon le tente,

Que j'ay paour qu'il ne le forvoye.

En la forest, etc.

Mon povre, etc.

Espoir en riens ne le contente,

Comme il souloit, pourquoy dolente

Sera ma vie, où que je soye;

Et si auray, en lieu de joye,

Dueil et soussy tousjours de rente.

En la forest, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Crié soit à la clochete,

Par les rues, sus et jus,

Fredet, on ne le voit plus;

Est il mis en oubliete?

Jadis il tenoit bien conte

De visiter ses amis,

Est il roy, ou duc, ou conte?

Quant en oubly les a mis.

Banny à son de trompete,

Comme marié confus,

Entre chartreux, ou reclus,

A il point fait sa retrete?

Crié soit, etc.



RONDEL.

(Fredet.)

Se veoir ne vous voys plus,

Helas! ce fait mariage,

Qui me fait avoir courage

D'estre desormais reclus;

Puisque si fort m'a confus,

Ne le tenez à oultrage.

Se veoir, etc.

Helas! etc.

Mais non pourtant, je conclus

Que ce n'est pas fait que sage,

Car j'en puis, à brief langage,

Pour le moins perdre le plus.

Se veoir, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

En l'ordre de mariage,

A il desduit, ou courrous?

Comment vous gouvernez vous?

Y devient on fol, ou sage?

Soit aux vieulx, ou jeunes d'age,

Rapporter m'en vueil à tous.

En l'ordre, etc.

A il desduit, etc.

Le premier an, c'est la rage,

Tant y fait plaisant et douls;

Apres deux foiz toussir, j'ay la tous,

Cesser me fait de langage.

En l'ordre, etc.



RONDEL.

(Jacques bastart de la Tremoille.)

En la forest de longue actente

J'ay couru l'année presente,

Tant que la saison a duré,

Mais j'ay esté plus maleuré

Que homme qui vive, je m'en vente.

La haye fut garnie de tente,

Et fis ma queste belle et gente,

Suivant les chiens, je m'esgaré

En la forest, etc.

J'ay couru, etc.

Je cours, je corne, je tourmente

En traversant, sans trouver sente,

Me trouvay tres fort enserré,

Tout seul presque desesperé,

Cuiday mourir des fois soixante.

En la forest, etc.



RONDEL.

(Le Cadet Dalebret.)

Dedans l'abisme de douleur,

Où tant a d'amere saveur,

Aussi d'angoisseuse destresse,

Se trouve tourmenté, sans cesse,

Pour vous amer, mon povre cueur.

Ma Dame, par vostre doulceur,

Secourez ce bon serviteur,

A qui l'on fait tant de rudesse.

Dedans, etc.

Où tant, etc.

Las! ostez de lui tout maleur,

Ou autrement il se tient seur

De jamais n'avoir que tristesse;

Dont fauldra que sa vie cesse

Piteusement, en grant langueur.

Dedans, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Dedans l'abisme de douleur,

Sont tourmentées povres ames

Des amans; et, par Dieu, mes Dames,

Vous leur portez trop de rigueur.

Ostez les de ceste langueur,

Où ilz sont en maulx et diffames.

Dedans, etc.

Sont, etc.

Se n'y monstrez vostre doulceur,

Vous en pourrez recevoir blasmes;

Tost orra prieres de fames,

Dangier, des dyables le greigneur.

Dedans, etc.



RONDEL.

(Gilles des Ourmes.)

Dedans l'abisme de douleur

Sont tourmentés par grand foleur

Maints cueurs, par faulte de secours,

Qui n'ont à personne recours,

Qu'à Pitié qui detient le leur.

Car, quant ilz ont servy, on leur

Taille la broche sans couleur;

Lors ilz s'en vont languir le cours

Dedans, etc.

Sont, etc.

Par Dieu! c'est faulte de valeur

A ceulx qui le font par chaleur,

Et de fait, les tiennent si cours,

Qu'il leur fault user tout le cours

De leur vie, en paine et maleur.

Dedans, etc.



RONDEL.

(Philippe de Boulainvilliers.)

Tirez vous là, regart trop convoiteux,

Renom avez d'estre de nul piteux,

Vostre semblant demonstre, pour tout voir,

Qu'estes venu pour mon cueur décevoir;

Dont me desplaist, j'en suis tres tout honteux.

Pour me tromper, faictes le marmiteux,

II ne fault point clocher devant boiteux;

Allez, allez, je ne vous vueil plus voir.

Tirez vous là, etc.

Renom avez, etc.

Point ne vous fault faire le despiteux,

Car, quant vous voy, je suis toujours doubteux

De quelque mal, plus que de bien avoir;

Je vous congnois sans plus rien en savoir,

Où que soyez, vous estes rioteux.

Tirez vous là, etc.



RONDEL.

(Clermont.)

Rendre vous fault de toutes choses conte,

Qu'avez vous fait, ma Dame, de mon cueur?

N'en mentons point, est il plus serviteur

Vostre tenu? dont je tien si grant conte.

A celle fin que l'en ne me mesconte,

Je vous diray, mais par mon créateur,

Rendre vous, etc.

Qu'avez, etc.

Entendez vous ce que je vous raconte,

Dictes moy vray, hay avant rigueur

Sera elle en vous? lui donrez vous faveur?

Fy, fy, nennil, car ce vous serait honte.

Rendre vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Que je vous ayme maintenant!

Quant je congnois vostre maniere

Venant de voulenté legiere,

Enveloppée en faulx semblant.

Je ne m'y fie tant, ne quant,

Veu qu'en estes bien coustumiere.

Que je vous, etc.

Quant je, etc.

N'en peut chaloir, tirez avant,

Parfaictes comme mesnagiere,

De haulte lisse bonne ouvriere;

Plus vous voy, plus vous prise tant.

Que je vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Cueur, qu'est cela? ce sommes nous voz yeulx,

Qu'apportez vous? grant foison de nouvelles,

Quelles sont ilz? amoureuses et belles,

Je n'en vueil point voire, non, se m'aist Dieux;

D'où venez vous? de plusieurs plaisans lieux,

Et qui a il? bon marchié de querelles.

Cueur, etc.

Qu'apportez, etc.

C'est pour jeunes, aussi est ce pour vieulx,

Trop sont vieulx soulz, pieca, n'en eustes telles,

Si ay, si ay, au moins escoutez d'elles,

Paix, je m'endors, non ferez pour le mieulx.

Cueur, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

SOUSSY.

Soussy, beau Sire, je vous prie,

LE CUEUR.

De quoy? que me demandez vous?

SOUSSY.

Ostez moy d'anuy et courous,

LE CUEUR.

Où vous estes? non feray mie.

SOUSSY.

Tenir je vous vueil compaignie,

LE CUEUR.

Las! non faictes, soyez moy douls.

Soussy, etc.

De quoy, etc.

SOUSSY.

Parlez en à Merencolie,

LE CUEUR.

Conseil premier entre vous.

SOUSSY.

Espoir y pourroit plus que nous,

LE CUEUR.

Faictes donc qu'il y remédie.

Soussy, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant Leaulté et Amour sont ensemble,

Et on les scet à deu entretenir.

En temps et lieu, et pour lui retenir,

Ilz font, par Dieu, feu Grejois, ce me semble.

J'en congnois deux qui portent grant atour,

Où contre droit en emportent le bruit;

Helas! voire, et ne font pas sejour,

Car traison en leurs cueurs tousjours bruit.

Garder se fault que nul ne les ressemble,

Ne nulle aussi qu'il veult à bien venir;

Pour ce, conclus, pour au point revenir,

Que jamais mal entre amoureux n'assemble

Quant, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Plus tost accointé que congneu,

Plus tost esprouvé que nourry,

Plus tost plaisant que bien choisy,

Est souvent en grace receu.

Mains tost que riche, despourveu

Se trouve garny de soussy.

Plus tost, etc.

Plus tost, etc.


Assez tost meschant est recreu,

Assez tost entreprent hardy,

Assez tost senti qui s'ardy,

Tout ce mal est de chascun sceu.

Plus tost, etc.



RONDEL.

(Le Cadet.)

Tu vas trop avant, retray toy,

Mon cueur, ou tu te feras prendre,

Pas n'est bon de tant entreprendre;

Arreste et te tiens tout coy.

Le feras tu? or le dy coy,

Affin qu'on ne te puist reprendre

Tu vas, etc.

Mon cueur, etc.

Siet toy quelque part en requoy,

Pour mieulx te garder de surprendre;

Et de là tu pourras comprendre

Ton fait bien au long, or m'en croy.

Tu vas, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

A ce jour de saint Valentin,

Bien et beau Karesme s'en va;

Je ne scay qui ce jeu trouva,

Penser m'y a pris au matin;

Et puis pour jouer à tintin

Avecques moy tost se leva.

A ce jour, etc.

Bien et beau, etc.

Soussy m'a cuidé ung tatin

Donner, mais pas ne l'acheva,

Bien garday que ne me greva;

Maledicatur en latin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

(Orléans)

A ce jour de saint Valentin,

Venez avant, nouveaux faiseurs,

Faictes de plaisirs, ou douleurs,

Rimes en francoys, ou latin;

Ne dormez pas trop au matin,

Pensez à garder voz honneurs.

A ce jour, etc.

Venez, etc.

Heur et maleur sont en hutin,

Pour donner pers, cy et ailleurs,

Autant aux moindres, qu'aux greigneurs,

Veulent departir leur butin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

(Orléans)

A ce jour de saint Valentin,

Qu'il me convient choisir ung per,

Et que je n'y puis eschapper,

Pensée prens pour mon butin.

Elle m'a resveillé matin,

En venant à mon huis frapper.

A ce jour, etc.

Ensemble nous arons hutin,

S'elle veult trop mon cueur happer;

Mais, s'Espoir je peusse atrapper,

Je parlasse d'autre latin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Au plus fort de ma maladie,

M'a abandonné Esperance,

Laquelle sans point decevance,

Me devoit tenir compaignie.

Helas! ce n'est pas mocquerie,

D'avoir perdu telle alliance.

Au plus fort, etc.

Car certes qui que chante, ou rie,

J'ay à toute heure desplaisance

Plus que nes ung qui soit en France,

Par quoy je ne scay que je die.

Au plus fort, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Au plus fort de ma maladie

Des fievres de merencolie,

Quant d'anuy j'ay frissonné fort,

J'entre en chaleur de desconfort

Qui me met tout en resverie;

Lors je jangle mainte folie,

Et meurs de soif de chiere lie,

De mourir seroye d'accort.

Au plus fort, etc.

Adoncques me tient compaignie

Espoir, dont je le remercie,

Qui de me guérir se fait fort;

Disant que n'ay garde de mort,

Et qu'en riens je ne m'en soussie.

Au plus fort, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Pour les maux dont je suis si plains,

Fortune, ay je tort? se me plains

De ta grant fierté et rudesse

Qui, nuyt et jour, sans point de cesse,

Me tient en douleur et en plains.

Las! pense qu'ilz ne sont pas fains,

Mais avant tres plus grans que mains,

Veu que suis en telle foiblesse.

Pour les, etc.

Or te requier, à jointes mains,

Que tu vueilles, à tout le moins.

Me tollir le mal qui me blesse;

Car je suis en telle destresse,

Que languir me fault, soirs et mains.

Pour les, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Pour parvenir à vostre grace,

Esperant que mon dueil efface,

Vous vueil servir jusqu'à la mort;

De ce, vous povez tenir fort,

Que nul autre bien ne pourchace.

Par quelque semblant que je face,

Ne quelque chemin que je trace,

N'est que pour arriver au port.

Pour parvenir, etc.

Quant des yeulx ne vous voy en place,

Plus rien qui soit ne me soulace,

Dont soussy me tient si tres fort;

Non pourtant, mon seul reconfort,

Ne me chault quoy qu'on me mefface,

Pour parvenir, etc.



RONDEL.

de Monseigneur d'Orléans à ma Dame d'Angoulesme.

A ce jour de saint Valentin,

Puisqu'estes mon per ceste année,

De bien eureuse destinée

Puissions nous partir le butin.

Menez à beau frere hutin

Tant qu'ayez la pense levée.

A ce jour, etc.

Je dors tousjours sur mon coissin,

Et ne fois chose qui agrée

Gueres à ma mal assenée,

Dont me fait les groings au matin.

A ce jour, etc.



RONDEL.

(Tignonville.)

Pour la coustume maintenir,

Ceste saint Valentin nouvelle,

Mon cueur a choisy Damoiselle,

Moyennant l'amoureux desir.

Par ung regart fait à loisir,

Se voult logier es mains de celle.

Pour la, etc.

Ceste saint, etc.

S'on lui fait trop de mal souffrir,

Je m'accorde qu'il se rappelle,

Et puis se tiengne à la plus belle

Que ses yeulx lui pourront choisir.

Pour, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Contre fenoches et nox buze,

Peut servir ung tantost de France,

Daly parolles de plaisance,

Au plus sapere l'en cabuze,

Ja cossy maintes foiz s'abuze,

Grandissime fault pourveance.

Contre fenoches, etc.

Sta fermo, toutes choses uze,

Aspecte ung poco par savance,

La Rasonne fa l'ordonnance

De quella medicine on uze,

Contre fenoches, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Ce premier jour du mois de May,

Quant de mon lit hors me levay,

Environ vers la matinée,

Dedens mon jardin de pensée,

Avecques mon cueur, seul entray.

Dieu scet s'entrepris fu d'esmay,

Car en pleurant tout regarday

Destruit d'ennuyeuse gelée.

Ce premier, etc.

Quant, etc.

En gast, fleurs et arbres trouvay;

Lors au jardinier demanday

Se Desplaisance maleurée,

Par tempeste, vent, ou nuée,

Avoit fait tel piteux array.

Ce premier, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Qui est cellui qui s'en tendroit

De bouter hors merencolie,

Quant toute chose reverdie,

Par les champs, devant ses yeulx, voit.

Ung malade s'en gueriroit,

Et ung mort revendroit en vie.

Qui est cellui, etc.

De bouter, etc.

En tous lieux on le nommeroit

Meschant endormy en follie,

Chasser de bonne compaignie,

Par raison, chascun le devroit.

Qui est cellui, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Allez vous musser maintenant,

Ennuyeuse Merencolie,

Regardez la saison jolie,

Qui partout vous va reboutant;

Elle se rit en vous mocquant,

De tous bons lieux estes bannye.

Allez vous, etc.

Ennuyeuse, etc.

Jusques vers Karesme prenant

Que jeusne les gens amaigrie,

Et la saison est admortie,

Ne vous monstrez ne tant, ne quant.

Allez vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Qui est cellui qui d'amer se tendroit,

Quant beaulté fait de morisque l'entrée,

De plaisance si richement parée,

Qu'à l'amender jamais nul ne vendroit.

Cueur demy mort, les yeulx en ouvreroit,

Disant: C'est cy raige desesperée.

Qui est cellui, etc.

Quant, etc.

Lors quant Raison enseigner le vendroit,

Il lui diroit: A! vieille rassotée,

Laissez m'en paix, vous troublez ma pensée,

Pour riens, en ce nully ne vous croiroit.

Qui est cellui, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Bon fait avoir cueur à commandement,

Quant il est temps, qui scet laisser, ou prendre,

Sans trop vouloir sotement entreprendre

Chose où ne gist gueres d'amendement.

Quel besoing est, quand on est à son aise,

De se bouter en soussy et meschief;

Je tiens amans pour folz, ne leur desplaise,

De travailler sans riens mener à chief;

C'est par espoir, ou par son mandement,

Qui tel mestier leur conseille d'aprendre,

Il fait pechié, on l'en devroit reprendre,

J'en parle au vray, à mon entendement.

Bon fait avoir, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Je vous entens à regarder,

Et part de voz penser congnois,

Essayé vous ay trop de fois,

De moy ne vous povez garder.

Cuidez vous, par voz motz farder.

Mener les gens de deux en trois.

Je vous, etc.

Et part, etc.

Vous savez tirer et tarder,

Raige faictes, et feu Gregois;

Bien gangnez voz gaiges par mois,

Parachevez sans retarder.

Je vous. etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Plus de desplaisir que de joye,

Assez d'ennuy, souvent à tort,

Beaucoup de soussy sans confort,

Oultraige de peine, où que soye;

Trop de douleur à grant montjoye,

Foison de tres piteux rapport.

Plus de desplaisir, etc.

Assez d'ennuy, etc.

Tant de grief que je ne diroye,

Mains amant ma vie, que mort,

Pis que mourir, n'est ce pas fort?

Telz beaulx dons fortune m'envoye.

Plus de desplaisir, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Pour mon cueur qui est en prison,

Mes yeulx vont l'aumosne quérir;

Gueres n'y pevent acquérir,

Tant petitement les prise on.

Reconfort qui est l'aumosnier,

Et Espoir, sont allez dehors;

On ne donna point l'aumosne hier,

Refus estoit portier alors.

Pour mon, etc.

Il est si plain de mesprison,

De rien ne le faut requerir,

N'essayer de le conquerir,

Tousjours tient sa vieille aprison.

Pour mon, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Fortune! sont ce de voz dons?

Engoisses que vous aportez,

A présent vous en deportez,

Ce sont trop doloreux guerdons;

D'entrer ceans vous deffendons,

Dures nouvelles rapportez.

Fortune, etc.

Engoisses, etc.

Et oultre plus, vous commandons

Que les cueurs ung peu supportez

Jouer vous, et vous depportez

Autre part, baillant telz pardons.

Fortune, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Et comment l'entendez vous?

Ennuy et Merencolie,

Voulez vous toute ma vie.

Me tourmenter en courrous?

Le plus maleureux de tous

Doy je estre? je le vous nye.

Et comment, etc,

Ennuy, etc.

De tous poins accordons nous,

Ou, par la vierge Marie,

Se Raison n'y remédie,

Tout va sen dessus dessous.

Et comment, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Voire, dea! je vous ameray,

Ennuyeuse Merencolie,

Et servant de plaisance lie,

Par vous plus ne me nommeray;

Foy que doy à Dieu, si seray

Tout sien, soit ou sens, ou folie.

Voire, dea, etc.

Ennuyeuse, etc.

Jamais ne m'y rebouteray,

En voz lactz, se je m'en deslie,

Et se Bon eur à moy s'alie,

Je fait à vous, mais non feray.

Voire, dea, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Fortune, passez ma requeste,

Quant assez m'aurez tort porté,

Ung peu je soye déporté,

Que Desespoir ne me conqueste;

Veu que je me suis, en la queste

D'Amours, loyaument deporté.

Fortune, passez, etc.

Quant, etc.

Mon droit, sans que plus y acqueste.

Aux jeunes gens j'ay transporté;

Se riens est de moy rapporté,

Je vous prie qu'on en face enqueste.

Fortune, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

De quoy vous sert cela? Fortune,

Voz propos sont, puis longs, puis cours,

Une foiz estes en decours,

L'autre plaine comme la lune;

On ne vous trouve jamais une,

Nouvelletez sont en voz cours.

De quoy, etc.

Voz propos, etc.

S'est vostre maniere commune;

Car, quant je vous requiers secours,

Vous fuyez, apres vous je cours,

Et pitié n'a en vous aucune.

De quoy, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Serviteur plus de vous, Merencolie,

Je ne seray, car trop fort y traveille;

Raison le veult, et ainsi me conseille

Que le face, pour l'aise de ma vie.

A Nonchaloir vueil tenir compaignie,

Par qui j'auray repos sans que m'esveille.

Serviteur, etc.

Je ne seray, etc.

Se de vous puis faire la departie,

Et il seurvient quelque estrange merveille,

Legierement passera par l'oreille;

Au contraire jamais nul ne me die.

Serviteur, etc



RONDEL.

(Orléans.)

Pourquoy moy, plus que les autres ne font,

Doy je porter de Fortune l'effort?

Par tout je vois criant: Confort, Confort,

C'est pour neant, jamais ne me respont.

Me convient il tousjours ou plus parfont

De dueil nager, sans venir à bon port.

Pourquoy moy, etc.

Doy je, etc.

J'appelle aussi, et en bas et amont,

Loyal Espoir, mais je pense qu'il dort,

Ou je cuide qu'il contrefait le mort:

Confort, n'Espoir, je ne scay où ilz sont.

Pourquoy, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Pourquoy moy, mains que nulluy

Que je congnoisse aujourduy,

Auray je part en liesse,

Veu qu'ay despendu jeunesse

Longuement, en grant ennuy.

Doy je donc estre cellui

Qui ne trouvera en lui

Bon eur, qu'à peu de largesse.

Pourquoy moy, etc.

J'ay loyal désir suy,

A mon povoir, et fuy,

Tout ce qui à tort le blesse;

Désormais, en ma vieillesse,

Demourray je sans apuy?

Pourquoy moy, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

C'est pour rompre sa teste

De fortune tanser,

Qui à riens ne s'arreste,

Trop seroit fait en beste.

C'est pour, etc.


Quant elle tient sa feste,

Les aucuns fait danser,

Et les autres tempeste.

C'est pour, etc.



RONDEL.

Du tout retrait en hermitage

De Nonchaloir, laissant folie.

Desormais veult user sa vie,

Mon cueur, que j'ay veu trop volage.

Et savez vous qui son courage

A changié? s'a fait maladie.

Du tout, etc.

De Nonchaloir, etc.

Fera il que fol, ou que sage?

Qu'en dictes vous? je vous en prie,

Il fera bien, quoy que nul dye,

Moult y trouvera d'avantage.

Du tout, etc.



RONDEL.

Sans faire mise, ne recepte

Du monde, dont compte ne tien,

Mon cueur, en propos je maintien;

Que mal et bien en gré accepte.

Se fortune est mauvaise, ou bonne,

A chascun la fault endurer;

Quant raison y mectra la bonne,

Elle ne pourra plus durer;

Rien n'y vault engin, ne decepte,

Au derrain on congnoistra bien,

Qui fera le mal, ou le bien,

Grans, ne petiz, je n'en excepte.

Sans faire, etc.



RONDEL.

Est ce tout ce que m'apportez

A vostre jour? Saint Valentin,

N'auray je que d'Espoir butin,

L'actente des desconfortez.

Petitement vous m'enhortez

D'estre joyeulx à ce matin.

Est ce tout, etc.

A vostre jour, etc.

Nulle rien ne me rapportez,

Fors bona dies en latin,

Vieille relique en viel satin;

De telz presens vous deportez.

Est ce tout, etc.



RONDEL.

(Simonnet Caillau.)

Ou millieu d'espoir et de doubte,

Helas! je pense jours et nuys;

Mais, par Dieu! bien bref, se je puis,

J'auray pis, ou mieulx, quoy qu'il couste.

Mes yeulx ouvers, je n'y vois goute,

Si non que maintenant j'en suis.

Ou millieu, etc.

Helas! je pense.

J'ay tant fait le guet et l'escoute,

A la fenestre et à l'uis,

Et n'ay pas ce que g'y poursuis,

Aincois m'est force que j'escoute.

Ou millieu, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant pleur ne pleut, souspir ne vante,

Et que cessée est la tourmente

De dueil, par le doulx temps d'espoir,

La nef de desireulx vouloir

A port eureux fait sa descente;

Sa marchandise met en vente,

Et à bon marché la presente

A ceulx qui ont fait leur devoir.

Quant pleur, etc.

Et que cessée, etc.

Lors les marchans de longue actente,

Pour gaigner, et corps, et rente,

En ont ce qu'en pevent avoir;

D'en acheter font leur povoir;

Tant que chascun cueur s'en contente.

Quant pleur, etc.



RONDEL.

(Faret.)

Ou millieu d'espoir et de doubte,

Une foiz mal, autre foiz bien,

Je m'y trouve; mais je voy bien

Que c'est fortune qui m'y boute;

Et pour vous dire, somme toute,

C'est une chose où n'entens rien.

Ou millieu, etc.

Une foiz, etc.

Mais quelque chose qui me coute,

Si est ce bien le vouloir mien

De m'ouster hors de ce lien

Aucuneffoiz, tant me reboute,

Ou millieu, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

En la grant mer de desplaisance,

Sans avoir espoir d'alegance

De trouver port, fors de douleur,

Nage tousjours mon povre cueur,

En bateau banny d'esperance;

Voille n'a que de decevance,

Ne soutte que de pascience,

Jamais n'y vente que maleur.

En la grant, etc.

Sans avoir, etc.

Dueil, Soussy ont la gouvernance;

Qui ne lui donnent, pour pitance

Que bescuit durcy de langueur,

Avecques eaue de rigueur;

Ainsi languist, faisant penance.

En la grant, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant pleur ne pleut, souspir ne vente,

Le bruit sourt de jeux et risée,

Et Joye vient appareillée

De recevoir d'Espoir sa rente

Assignée sur longue actente.

Mais apres loyaument paiée.

Quant, etc.

Le bruit, etc.

Ja Reconfort est mis en vente,

Et Plaisance fait sa livrée

De biens si richement ouvrée,

Que deuil fuyt, et s'en mal contente.

Quant pleur, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

Chose qui plaist est à demy vendue,

En quelconque marchandie que ce soit.

Mais l'ueil prise tel chose qui decoit,

Le plus souvent, quant elle est bien congnue;

Car, quant Amour se vendoit à Priere,

Peu de marchans y conquestoit proufit;

Desir survient qui met la fole enchiere,

A qui marchié de raison ne suffit.

Adonc vela qui apovrist, et tue

Le maleureux que chascun monstre au doit,

Disant: C'est cil qui plus fait qu'il ne doit,

Dont s'ordre n'est à son droit maintenue.

Chose qui plaist, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Quant je congnois que vous estes tant mien,

Et que m'aymez de cueur, si loyaument,

Je feroye vers vous trop faulcement

Se, sans faindre, ne vous amoye bien;

Essayez moy se vous fauldray en rien,

Gardant tousjours mon honneur seulement.

Quant, etc.

Et que, etc.

Se me dictes: Las! je ne scay combien

Vostre vouloir durera longuement;

Je vous respons, sans aucun changement,

Qu'en ce propos me tendray, et me tien.

Quant, etc.



RONDEL.

pour Monseigneur de Beaujeu.

Puisqu'estes de la contrarie

D'Amours, comme monstrent voz yeulx,

Vous y trouvez vous pis, ou mieulx?

Qu'en dictes vous de telle vie?

Souffler vous y fault l'alquemie,

Ainsy que font jeunes et vieulx.

Puisqu'estes, etc.

D'Amours, etc.

Ne cuidez par nygromancye

Estre invisible; se m'aist Dieux,

On congnoistra, en temps et lieux,

Comment jourez de l'escremye.

Puisqu'estes, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Dedans l'amoureuse cuisine,

Où sont les bons, frians morceaux,

Avaler les convient tous chaulx,

Pour reconforter la poictrine.

Saulce ne faut, ne cameline,

Pour jeunes appetiz nouveaulx.

Dedans, etc.

Où sont, etc.

Il souffist de tendre geline

Qui soit sans os, ne vieilles peaulx,

Mainssée de plaisans cousteaux,

C'est au cueur vraye medicine.

Dedans, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Où le trouvez vous en escript?

Se dient à mon cueur mes yeulx,

Que nous ne soyons vers vous tieulx

Que devons, de jour et de nuyt.

Se ne vous conseillon prouffit,

Nous en croirez vous? nennil, Dieux.

Où le trouvez, etc.

Quant rapportons quelque deduit

Que nous avons veu en mains lieux,

Prenez en ce qui vous plaist mieulx,

L'autre lessez, est ce mau dit?

Où le trouvez, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

L'eaue de pleurs, de joye, ou de douleur,

Qui fait mouldre le molin de Pensée,

Dessus lequel la rente est ordonnée,

Qui doit fournir la despense du cueur.

Despartir fait farine de doulceur,

D'avecques son de dure destinée.

L'eaue, etc.

Lors le mosnier nommé Bon, ou Mal eur,

En prent prouffit, ainsi que lui agrée;

Mais Fortune souvent desmesurée

Lui destourbe mainteffois, par rigueur.

L'eaue, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

En verray je jamais la fin

De voz euvres? Merencolie,

Quant au soir de vous me deslie.

Vous me ratachez au matin;

J'amasse mieulx autre voisin

Que vous, qui si fort me guerrie.

En verrai je, etc.

De voz euvres, etc.

Vers moy venez en larrecin,

Et me robez plaisance lie;

Suis je destiné, en ma vie,

D'estre tousjours en tel hutin.

En verray je, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Soupper ou baing, et disner ou bateau,

En ce monde n'a telle compaignie,

L'un parle, ou dort, et l'autre chante, ou crie,

Les autres font balades, ou rondeau.

Et y boit on du viel et du nouveau,

On l'appelle le desduit de la pie.

Soupper ou baing, etc.

En ce monde, etc.

Il ne me chault ne de chien, ne d'oiseau;

Quant tout est fait, il fault passer sa vie

Le plus aise qu'on peut, à chiere lie;

A mon advis, c'est mestier bon et beau.

Soupper ou baing, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Qu'est cela? c'est Merencolie.

Vous n'entrerez ja; pourquoy? pour ce

Que vostre compaignie acourse

Mes jours, dont je foys grant folie.

Se me chassez par chiere lie,

Brief revendray de plaine course.

Qu'est cela, etc.

Vous, etc.

Il fault que raison amolie

Vostre cueur, et plus ne se cource,

Ainsi pourrez auroir ressource,

Mais que vostre mal sens deslie.

Qu'est cela, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

En yver, du feu, du feu,

Et en esté, boire, boire,

C'est de quoy on fait memoire,

Quant on vient en aucun lieu.

Ce n'est ne bourde, ne jeu,

Qui mon conseil vouldra croire?

En yver, etc.

Et en esté, etc.

Chaulx morceaux faiz de bon queu,

Fault en froit temps, voire, voire,

En chault, froide pomme, ou poire;

C'est l'ordonnance de Dieu.

En yver, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Ne cessez de tanser, mon cueur,

Et fort combatre ces faulx yeulx

Que nous trouvons, vous et moy, tieulx

Qu'ilz nous font trop souffrir douleur.

Estroictement commandez leur

Qu'ilz ne troctent en tant de lieulx.

Ne cessez, etc.

Et fort, etc.

Et leur monstrez telle rigueur,

Qu'ilz vous craingnent, car c'est le mieulx;

Qu'ilz obeissent, se m'aist Dieux,

A vous, vous monstrant leur Seigneur.

Ne cessez, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Je ne voy rien qui ne m'annuye,

Et ne scay chose qui me plaise;

Au fort, de mon mal me rapaise,

Quant nul n'a sur mon fait envye.

D'en tant parler, ce m'est follie,

Il vault trop mieulx que je me taise.

Je ne voy, etc.

Et ne scay, etc.

Vouldroit aucun changer sa vie

A moy? pour essayer mon aise;

Je croy que non, car plus mauvaise

Ne trouveroit, je l'en deffie.

Je ne voy, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Ne bien, ne mal, mais entre deulx

J'ay trouvé aujourduy mon cueur

Qui parmi Confort et Douleur,

Se seiéoit ou meilleu d'entr'eulx.

Il me dit: Qu'est ce que tu veulx?

Peu, respondy pour le meilleur.

Ne bien, ne mal, etc.

J'ay trouvé, etc.

Aux dames et aux paons fais veulx,

Se fortune me tient rigueur,

De sa foy requerray bon eur,

Qu'il s'aquicte quant je me deulx.

Ne bien, ne mal, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Fermez lui l'uis au visaige,

Mon cueur, à Merencolie,

Gardez qu'elle n'entre mye,

Pour gaster nostre mesnaige;

Comme le chien plain de raige,

Chassez la, je vous en prye.

Fermez lui l'uis, etc.

Mon cueur, etc.

C'est trop plus nostre avantaige

D'estre sans sa compaignie,

Car tousjours nous tanse, et crye,

Et nous porte grand dommaige.

Fermez lui l'uis, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Ou millieu d'Espoir et de Doubte,

Les cueurs se mussent plusieurs jours,

Pour regarder les divers tours

Dont Dangier souvent les deboute.

L'oreille je tens, et escoute

Savoir que, sur ce, dit Secours.

Ou millieu, etc.

Les cueurs, etc.

Eslongné de mondaine route

Me tiens, comme né en decours,

Entre les aveugles et sours,

Dieu y voye, je n'y voy goute.

Ou millieu, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Devenons saiges desormais,

Mon cueur, vous et moy, pour le mieulx,

Noz oreilles, aussi noz yeulx,

Ne croyons de legier jamais.

Passer fault nostre temps en paix,

Veu que sommes du renc des vieulx.

Devenons, etc.

Mon cueur, etc.

Se nous povoions par souhaiz

Rasjeunir, ainsi m'aide Dieux,

Feu Grejoys ferions en mains lieux;

Mais les plus grans coups en sont faiz,

Devenons, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Qui le vous a commandé?

Soussy, de me mener guerre;

Avant qu'on vous aille querre,

Venez sans estre mandé.

M'ordonnez vous almandé,

Quant Mort de son dart m'enferre.

Qui le vous, etc.

Soussy, etc.


Pour Dieu, tost soit amendé

Le mal qui tant fort me serre,

Apres que seray en terre,

Vous en sera demandé.

Qui le vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Ces beaulx mignons à vendre et à revendre,

Regardez les, sont ilz pas à louer?

Au service sont tous pres d'eulx louer

Au Dieu d'amours, s'il lui plaist à les prendre.

Bon escolle sauront bientost aprendre,

Bons escolliers, je les vueil advouer.

Ces beaulx, etc.

Regardez, etc.

Et s'ilz faillent, il les pourra reprendre,

Quant ilz vouldront trop nycement jouer,

Et sus leurs braz la chemise nouer,

Tant qu'au batre ne se puissent deffendre.

Ces beaulx, etc.



RONDEL.

(Maistre Jehan Caillau.)

Quant pleur ne pleut, souspir ne vente,

Si fait, dea! des foiz plus de trente,

Maint se tourmente,

Souffrant le revers de son vueil,

Et touteffoiz lerme de l'ueil

Neist hors du sueil,

Pour payer du courroux la rente;

Du dolent, ou de la dolente,

Qui seuffre doleur non pas lente,

Sans nulle actente

D'assouagement de leur dueil.

Quant pleur, etc.

Tant y en a en ceste sente,

Souffrans de corps, de cueur, d'entente,

Loing de la tente

Où sont Plaisance et Doulx acueil;

Quant à moy, des maulx que recueil,

Dont tant me dueil,

Seulet, à part moy, me guermente.

Quant pleur, etc.



RONDEL.

(Orléans)

D'Espoir, il n'en est nouvelles,

Qui le dit? Merencolie,

Elle ment, je le vous nye;

A! a! vous tenez ses querelles.

Non faiz, mais parolles telles

Courent, je vous certiffie.

D'Espoir, etc.

Qui le dit, etc.

Parlons doncques d'autres, quelles?

De celles dont je me rie,

Peu j'en scay, or je vous prie

Que m'en contez des plus belles.

D'Espoir, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Une povre ame tourmentée

Ou Purgatoire de Soussy,

Est en mon corps, qu'il soit ainsi;

Il y pert, et nuyt, et journée,

Piteusement est detirée,

Sans point cesser, puis là, puis cy.

Une povre, etc.

Ou, etc.

Mon cueur en a peine portée,

Tant qu'il en est presque transy;

Mais esperance j'ay aussi,

Qu'au derrenier, sera sauvée.

Une povre, etc.



RONDEL.

(Maistre Jehan Caillau.)

Espoir où est? en chambre close,

Et là que fait? il se repose,

Sera il empiece esveillé?

Il dit que il a trop veillé,

Et que dormir veult une pose.

Que pour quelque pris je compose

A vous, et l'esveiller je n'ose,

Car il est las, et traveillé.

Espoir, etc.

Par Dieu, ainsi que je suppose,

Il fait quelque roman, ou glose;

Moy mesmes suis esmerveillé

De le veoir si ensommeillé,

Ne m'en direz vous autre chose?

Espoir, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Pour empescher le chemin,

Il ne fault q'un amoureux

Qui, en penser desireux,

Va songant soir et matin;

Donnez lui ung bon tatin,

Il s'endort le maleureux.

Pour, etc.

Il ne, etc.

D'eaue tout plain ung bassin

Eust il dessus ses cheveulx,

D'un coup d'esperon, ou deux,

Ne veult chasser son roussin.

Pour, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Qu'esse la? qui vient si matin?

Se suis je, vous, saint Valentin,

Qui vous amaine maintenant,

Ce jour de Karesme prenant,

Venez vous departir butin?

A present nulluy ne demande,

Fors bon vin et bonne viande,

Banquetz, et faire bonne chiere;

Car Karesme vient et commande

A charnaige, tant qu'on le mande,

Que pour ung temps se tire arriere.

Ce nous est ung mauvais tatin,

Je n'y entens nul bon latin,

Il nous fauldra dorenavant

Confesser, penance faisant,

Fermons lui l'uys à tel hutin.

Qu'esse la, etc.



RONDEL.

Commandez qu'elle s'en voise,

Mon cueur, à Merencolie,

Hors de vostre compaignie,

Vous laissent en paix sans noise;

Trop a esté, dont me poise,

Avecques vous, c'est folie.

Commandez, etc.

Mon cueur, etc.

Oncques ne vous fut courtoise,

Mais les jours de vostre vie

A traictez en tirannie;

Sang de moy, quelle bourgoise!

Commandez, etc.



RONDEL.

(Bourbon jadiz Clermont.)

Je gis au lit d'amertume et doleur,

Livré à mort, par faulte de secours,

Et si ne scay quant finera le cours

De mon aspre et immortel malheur.

Priez pour moy, car je m'en vois mourir,

Mes bon amis, aiez en souvenance;

On ne me veult au besoing secourir,

Requerez en, apres mes jours, vengance.

Si vous m'amez, car c'est pour la valleur

D'une sans per, qu'ainsi m'est au decours

Ma povre vie, sans repit, ne recours,

Pour estre tant son loyal serviteur,

Je gis au lit, etc.



RONDEL.

(Response d'Orleans à Bourbon.)

Comme parent et alyé

Du duc Bourbonnois à present,

Par ung rondeau nouvellement

Me tiens pour requis et payé;

Par une, gist malade, mis

Ou lit d'amertume et grevance,

Requerant tous ses bons amis,

S'il meurt, qu'on demande vengance.

Quant à moy, j'ay ja deffie

Celle qui le tient en tourment,

Et apres son trespassement,

Par moy sera bien hault crié.

Comme parent, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant ung cueur se rent à beaulx yeulx,

Criant mercy piteusement,

S'ilz le chastient rudement,

Et il meurt, qu'en valent ilz mieulx?

Batu de verges de Beaulté,

De lui font sang par tout courir,

Mais qu'il n'ait fait desleauté,

Pitié le devroit secourir;

S'il n'a point hanté entre tieulx

Qui ne s'acquictent loyaument;

Doit estre tel pugnissement,

A mon advis, en autres lieux.

Quant, etc.



RONDEL.

(Le Seneschal.)

Ma fille de confession,

Vueillez avoir compassion

De cellui qui sert loyaument,

Et qui est vostre entierement,

Sans point faire de fiction.

Selon raison et conscience,

Tort lui tendrez, c'est ma creance,

S'il n'a bien brief ce que tant vault.

Je vous charge par penitence,

Q'ayez en lui toute fiance,

Sans plus respondre: Ne m'en chault.

Cellui qui souffrist passion,

Vous doint bonne contriction;

Au chois de mon entendement,

Plus eureux soubz le firmament

N'auroit, dont il soit mencion.

Ma fille, etc.



RONDEL.

(Response d'Orleans au Seneschal.)

Beau Pere! benedicite,

Je vous requier confession,

Et, en humble contriction,

Mon pechié sera recité.

En moy n'a eu mercy, ne grace,

Prenant de ma beaulté orgueil,

Amours me pardoint, ainsi face,

Desormais repentir m'en vueil;

Reffus à mon cueur delité,

J'en feray satisfacion,

Donnez m'en absolucion

Et penance, par charité.

Beau Pere, etc.



RONDEL.

(Blosseville.)

Ma tres belle, plaisante seur,

Confiteor du bon cueur

Dictes, par grant devocion,

Sans plus avoir intencion

De maintenir vostre folleur.

Car tost apres, de ma puissance

Vous absouldray, en esperance

Que doulce serez envers tous.

Et vous enjoings, par penitance,

De donner demain allegance

A cellui qui se meurt par vous;

Lequel, par vostre grant rigueur,

Seuffre, comme j'entens, doleur,

Et sans cause pugnicion;

Dont ja n'aurez remission,

Tant qu'il en soit hors, j'en suis seur.

Ma très belle, etc.



RONDEL.

(Bourbon.)

Je sens le mal qu'il me convient porter

Non advenu, mais je crains qu'il aviengne,

Et qu'en la fin maleureux je deviengne,

Sans m'asservir ailleurs, ne transporter;

S'ainsi advient qu'à tort on m'abandonne,

Que Dieu ne vueille, que feray je sans per?

Las! je ne scay, si ce mal on me donne.

Des malheureux je seray le non per.

Pour le meilleur, il me fault deporter

Jusques à tant que ce malheur me viengne;

Mais à ma Dame hardiement en souviengne;

Car pour tousjours sa rigueur supporter,

Je sens le mal, etc.



RONDEL.

(Response d'Orléans à Bourbon.)

A voz amours hardiement en souviengne,

Duc de Bourbon, se mourez par rigueur,

Jamais n'auront ung si bon serviteur,

Ne qui vers eulx tant loyaument se tiengne.

Dieu ne vueille que tel meschief adviengne,

Ilz perdroient leur renom de doulceur.

A voz amours, etc.

Duc de, etc.

S'il est jangleur qui soctement maintiengne

Que Bourbonnois ont souvent legier cueur,

Je ne respons, fors que pour vostre honneur,

Esperance convient que vous soustiengne.

A voz amours, etc.



RONDEL.

(Orléans)

Descouvreur d'embusche, sot ueil,

Pourquoy as tu passé le sueil

De ton logis, sans mandement?

Et par oultrageux hardement,

As entrepris contre mon vueil.

Demourer en repos je vueil,

Et en paix faire mon recueil.

Sans guerre avoir aucunement.

Descouvreur, etc.

Pourquoy, etc.

En aguet se tient Bel acueil,

Et se par puissance, ou orgueil,

Une fois en ses mains te prent,

Tu fineras piteusement

Tes jours, en la prison de dueil.

Descouvreur, etc.



RONDEL.

(Maistre Berthault de Villebresme.)

Puisque Atropos a ravy Dyopée,

Contre humain cours prinse et anticipée,

Cupido! plus je ne vous serviray;

Car tel douleur que pour vous servir ay,

Pour Demophon n'eut Phillis Rodopée.

Plaisance s'est de moy émancipée,

Dueil m'est acquis, ma joie est dicipée;

En Boreas, Zephirus s'est viray.

Puisque, etc.

Contre, etc.

Adieu vous dy, toute nymphe actrapée

Aux laqs, Venus com oyseau a pipée,

Plus avecques vous je ne me deduiray,

Mais à gémir du tout me reduiray,

Ou m'occiray, com Piramus, d'espée.

Puisque, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Amours, à vous ne chault de moy,

N'à moy de vous, c'est quiete et quiete,

Ung vieillart jamais ne prouffite

Avecques vous, comme je croy;

Puisque suis absolz de ma foy,

Et jeunesse m'est interdicte.

Amours, etc.

N'à moy, etc.

Jeune, sceu vostre vieille loy,

Vieil, la nouvelle je despite,

Ne je ne crains la mort subite

De regart; qu'en dictes vous? quoy?

Amours, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

J'ay pris le logis de bonne heure

D'Espoir, pour mon cueur, aujourduy,

Affin que les fourriers d'Annuy

Ne le preignent pour sa demeure;

Veu que, nuyt et jour, il labeure

De me gaster; et je le fuy.

J'ay pris, etc.

D'Espoir, etc.

Bon eur, avant que mon cueur meure,

L'aidera, il se fye en luy;

Autre part ne quiers mon apuy,

En actendant qu'il me sequeure,

J'ay pris, etc.



RONDEL.

(Fraigne.)

Mon oeil m'a dit qu'il me deffie

A tousjours, sans repentir.

Se je ne lui fais ce plaisir

D'amer une qu'il a choisie;

Se c'estoit pour sauver sa vie,

Plus ne m'en pourroit requérir.

Mon oeil, etc.

A tousjours, etc.

Je lui ay dit: Tu fais folie,

Je te prie, laisse moy dormir,

Je n'ay pas à présent loisir

De penser à ta reverie.

Mon oeil, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Escoutez et laissez dire,

Et en voz mains point n'empire

Le mal, retournez le en bien;

Tout yra, n'en doublez rien,

Si bien qu'il devra suffire.

Dieu, comme souverain mire,

Fera mieulx qu'on ne désire,

Et pourverra; tout est sien.

Escoutez, etc.

Et en voz, etc,

Chascun à son propos tire,

Mais on ne peut pas eslire,

Je l'ay trouvé, ou fait mien;

Au fort, content je m'en tien,

Car apres pleurer, vient rire.

Escoutez, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Contre fenouches et nox buze,

Convient l'un faire, l'aultro dire,

Pleurer d'un ueil, de l'aultro rire,

Questo modo les gens abuze.

Or da poy que lo mondo en uze,

Non est dy besoingno dormire.

Contre, etc.

Convient, etc.

Tanto principo comme duze,

Veulent le lour fato conduire,

Et li soy servitor instruire

A sapere jouar la ruze.

Contre, etc.



RONDEL.

(Maistre Berthault de Villebresme.)

Puisque chascun sert de fenouches,

Et de mentir, neiz que de mouches.

Aucun aujourduy ne tient conte,

Mais à chascun d'avoir son compte

Souffist, soit honneur, ou reprouches.

Retraire je me vueil es touches

Des bois, ainsi que les farouches,

Car d'estre au monde j'ay grant honte.

Puisque, etc.

Et de mentir, etc.

Je y congnois tant de males bouches,

De clers voyans faisant les louches.

De bons et simples que l'on donte;

Veu donc que mal bien y surmonte.

Plus me plaist vivre entre les souches.

Puisque, etc.



RONDEL.

(Le Duc de Bourbon.)

Prenez l'ommaige de mon cueur,

En recevant sa feaulté,

Et il gardera loyaulté,

Comme doit leal serviteur.

S'il se forfait en vous servant,

Et qu'il soit clerement cogneu,

Ne le tenez plus pour servant,

Banny soit comme descongneu.

Mais ce pendant, toute doulceur

Lui soit faicte, sans cruaulté,

Actendant que vostre beaulté

Ait pouveu à sa grant douleur.

Prenez, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

En arrierefief soubz mes yeulx,

Amours, qui vous ont fait hommaige.

Je tiens de mon cueur l'eritaige,

A vous sommes et serons tieulx,

Voz vraiz subgietz, voire des vieulx.

Soit nostre prouffit, ou dommaige.

En arrierefief, etc.

Amours, etc.

J'appelle Déesse et Dieux

Sur ce, vers vous, en tesmoingnaige,

Se voulez, j'en tendray ostaige;

Vous puis je dire, ou faire mieulx?

En arrierefief, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

J'en baille le denombrement

Que je tiens soubz vous loyaument.

Loyal desir et bon vouloir;

Mais j'ay trop engagé povoir,

Se je n'en ay relèvement.

Je vous ay servi longuement,

En y despendant largement

Des biens que j'ay peu recevoir.

J'en baille, etc.

Que je tiens, etc.

Vieillesse m'assault tellement,

Et me veult à destruisement

Mener, mais, veu qu'ay fait devoir

Que m'aiderez, j'ay ferme espoir

A mes drois, voyez les comment.

J'en baille, etc.



RONDEL.

(Orléans).

Je suis à cela

Que Merencolie

Me gouvernera.

Qui m'en gardera?

Je suis, etc.

Puisqu'ainsi me va,

Je croy qu'à ma vie

Autre ne sera.

Je suis, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

On ne peult chastier les yeulx,

N'en chevir, quoy que l'en leur dye,

Dont le cueur se complaint et crye,

Quant s'esgarent en trop de lieux.

Seront ilz tousjours ainsi? Dieux!

Rien n'y vault s'on les tanse, ou prie,

On ne peut, etc.

N'en chevir, etc.

Quant aux miens, ilz sont desja vieulx,

Et assez lassez de follie;

Les yeulx jeunes, fault qu'on les lye

Comme enragiez, n'est ce le mieulx?

On ne peut, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Sont les oreilles estouppées?

Rapportent ilz au cueur plus rien?

Ouyl, plustost le mal que bien,

Quant on ne les tient gouvernées.

Se leurs portes ne sont fermées,

Tout y court de va et de vien.

Sont les oreilles, etc.

Rapportent, etc.

Les miennes seront bien gardées

De Nonchaloir, que portier tien;

Dont se plaint et dit le cueur mien,

On ne me sert plus de pensées.

Sont les oreilles, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Tel est le partement des yeulx,

Quant congié prennent doulcement,

D'eulx retraire piteusement,

En regretz privez pour le mieulx.

Lors divers se dient adieux,

Esperans revenir briefment.

Tel est le, etc.

Quant, etc.

Et si laissent, en plusieurs lieux,

Des larmes par engagement

Pour paier leur deffrayement,

En gectant souspirs, Dieu scet quieulx.

Tel est le, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Pour monstrer que j'en ay esté,

Des amoureux aucuneffoiz,

Ce May, le plus plaisant des mois,

Vueil servir ce present esté.

Quoy que Soucy m'ait arresté,

Sans son congié, je m'y envoiz.

Pour monstrer, etc.

Des amoureux, etc.

Pour ce, je me tiens apresté

A deduiz, en champs et en bois,

S'Amours y prent nulz de ses droitz,

Quelque bien m'y sera presté.

Pour monstrer, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Tant ay largement despendu

Des biens d'amoureuse richesse,

Ou temps passé de ma jeunesse,

Que trop chier m'a esté rendu;

Car lors à rien je n'ay tendu,

Qu'à conquester foison lyesse.

Tant ay, etc.

Des biens, etc.

Commandé m'est, et deffendu

Desormais par Dame Vieillesse,

Qu'aux jeunes gens laisse prouesse,

Tout leur ay remis et vendu

Tant ay, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Fyez vous y, se vous voulez,

En Espoir qui tant promet bien;

Mais souventeffoiz n'en fait rien,

Dont mains cueurs se sentent foulez.

Quant Desir les a affolez,

Au grant besoing leur fault du sien.

Fyez vous y, etc.

En Espoir, etc.

Lors sont de destresse affolez;

J'aymeroye, pour le cueur mien,

Mieulx que deux tu l'aras, ung tien;

Quant les oyseaux s'en sont vollez.

Fyez vous, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Jaulier des prisons de Pensée,

Soussy, laissez mon cueur yssir,

Pasmé l'ay veu esvanouir

En la fosse desconfortée;

Mais que seurté vous soit donnée

De tenir foy et revenir.

Jaulier, etc.

Soussy, etc.

S'il mouroit en prison fermée,

Honneur n'y povez acquerir;

Vueilliez au moins tant l'eslargir

Qu'ait sa finance pourchassée.

Jaulier, etc.



RONDEL.

(Simonnet Caillau.)

Jaulier des prisons de Pensée,

Mon povre cueur aux fers tenez,

Et dit on que vous lui donnez,

Chascun jour, une bastonnée.

Est ce par sentence ordonnée,

Qu'en ce point le me gouvernez?

Jaulier, etc.

Mon povre, etc.

Se sa cause estoit bien menée,

On jugeroit que mesprenez,

Et qu'à grant tort le retenez,

Sans plainte de personne née.

Jaulier, etc.



RONDEL.

(Tignonville.)

Jaulier des prisons de Pensée,

Avez vous le commandement

De traicter ainsi rudement

Les povres cueurs, en ceste année;

Vous est la puissance donnée

De par Soussy, ou autrement.

Jaulier, etc.

Avez vous, etc.

Dedens la chartre adoulée,

Tenir les deussiez doulcement,

Batre ne devez nullement

Prisonniers en fosse fermée.

Jaulier, etc.



RONDEL.

(Gilles des Ourmes.)

Jaulier des prisons de Pensée,

Qui tenez tant de gens de bien,

Ouvrez leur, ilz paieront bien

Le droit de l'yssue, et l'entrée.

Ilz m'ont commission baillée

D'appointer, dictes moi combien?

Jaulier, etc.

Qui tenez, etc.

Car j'ay cy finance apportée

Assez, que du leur, que du mien;

Tant qu'on ne vous en devra rien,

Jusqu'à la derreniere journée.

Jaulier, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Donnez l'aumosne aux prisonniers,

Reconfort, et espoir aussi,

Tant feray au jaulier Soussy,

Qu'il leur portera voulentiers.

Ilz n'ont ne vivres, ne deniers,

Crians de fain; il est ainsi.

Donnez, etc.

Reconfort, etc.

Meschans ont esté mesnagiers,

Tenuz pour debte jusques cy,

Faictes les euvres de mercy,

Comme vous estes coustumiers.

Donnez, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

N'oubliez pas les prisonniers,

Bonnes gens, aiez en mercy;

Ilz sont en la tour de Soussy,

Et n'ont ne mailles, ne deniers,

Larrons ne sont point, ne murtriers,

Par envie on les tient ainsi.

N'oubliez pas, etc.

Bonnes gens, etc.

Faictes comme bons aumosniers,

Pour la grant pitié que veez cy,

Et pour vous prieront Dieu aussi

De tres bon cueur, et voulentiers.

N'oubliez pas, etc.



RONDEL.

(Hugues le Voys.)

Jaulier des prisons de Pensée,

Ouvrez à Reconfort la porte,

Car à mon cueur l'aumosne porte,

Que mes yeulx lui ont pourchassée;

Tenu l'avez, mainte journée,

Ou cep d'anuy, et prison forte.

Jaulier, etc.

Ouvrez, etc.

Tant à faim et soif endurée,

Qu'il a perdu couleur et sorte,

Helas! pour Dieu, qu'on le supporte,

Autrement sa vie est finée.

Jaulier, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Banissons Soussy, ce ribault

Batu de verges par la ville,

C'est ung crocheteur trop habille

Pour embler joye qui tant vault;

Copper une oreille lui fault,

Il est fort larron entre mille.

Banissons, etc.

Batu de, etc.

Se plus ne revient, ne m'en chault,

Laissez le aller sans croix, ne pille,

Le Deable l'ait ou trou Sebille;

Point n'en saille pour froit, ne chault.

Banissons, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Des vieilles defferres d'Amours,

Je suis à present, Dieu mercy;

Vieillesse me gouverne ainsi,

Qui m'a condempné en ses cours.

Je m'esbahis quant à rebours

Voy mon fait, disant: Qu'est ce cy?

Des vieilles, etc.

Je suis, etc.

Mon vieil temps convient qu'ait son cours,

Qui en tutelle me tient sy,

Du jaulier appellé Soussy,

Que rendu me tiens pour tousjours.

Des vieilles, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Comme monnoye descriée,

Amours ne tient compte de moy;

Jeunesse m'a laissé, pourquoy?

Je ne suis plus de sa livrée.

Puisque telle est ma destinée,

Desormais me fault tenir coy.

Comme, etc.

Amours, etc.

Plus ne prens plaisir, qu'en pensée

Du temps passé; car, sur ma foy,

Ne me chault du present que voy,

Car Vieillesse m'est delivrée.

Comme, etc.



RONDEL.

(Orleans.)

Laissez Baude buissonner,

Le vieil Briquet se repose,

Desormais travailler n'ose,

Abayer, ne mot sonner.

On lui doit bien pardonner,

Ung vieillart peut pou de chose.

Laissez, etc.

Le vieil, etc.

Et Vieillesse emprisonner

L'a voulu, en chambre close;

Par quoy j'entens que propose

Plus peine ne lui donner.

Laissez, etc.



RONDEL.

(Hugues le Voys.)

Comme monnoye descriée,

Loyaulté je voy abriée

Dessoubz le pavillon de Honte,

Par Faulceté qui la surmonte,

Et l'a d'oultrance deffiée.

De Bonnefoy s'est alyée,

Et de son aide l'a priée,

Mais on n'en tient que peu de conte.

Comme, etc.

Loyaulté, etc.

Du tout la tiens pour ravallée,

Par montaigne et par vallée,

Est notoire ce que raconte;

En maison de Duc, ne de Conte,

Ne se treuve qu'à l'eschappée.

Comme, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Quant me treuve seul, à part moy,

Et n'ay gueres de compaignie,

Ne demandez pas s'il m'ennuye,

Car ainsi est il, sur ma foy.

En riens plaisance n'apercoy,

Fors comme une chose endormye.

Quant me, etc.

Et n'ay, etc.

Mais s'entour moy plusieurs je voy,

Et qu'on rie, parle, chante, ou crye,

Je chasse hors merencolie

Que tant hair et craindre doy.

Quant, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Trop ennuyez la compaignie,

Douloureuse Merencolie,

Et troublez la feste de Joye;

Foy que doy à Dieu, je vouldroye

Que feussiez du pays bannie.

Vous venez sans que l'on vous prie,

Bon gré, maugré, à l'estourdie,

Alez, que plus on ne vous voye.

Trop ennuyez, etc.

Douloureuse, etc.

Soussy avecques vous s'alye,

Si lui dy je que c'est folie,

Quel mesnaige! Dieu vous convoye

Si loing, tant que vous revoye

Querir, quant? jamais en ma vie.

Trop ennuyez, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Escollier de Merencolie,

Des verges de Soussy batu,

Je suis à l'estude tenu,

Es derreniers jours de ma vie;

Se j'ay ennuy, n'en doubtez mye,

Quant me sens vieillart devenu.

Escollier, etc.

Des verges, etc.

Pitié convient que pour moy prie,

Qui me treuve tout esperdu,

Mon temps je pers, et ay perdu,

Comme rassoté en folie.

Escollier, etc.



RONDEL.

(Hugues le Voys.)

Escollier de Merencolie,

Par Soussy qui est le recteur,

A l'estude est tenu mon cueur;

Et Dieu scet comme on le chastie.

De s'y mectre fist grant folie,

Car on le tient à la rigueur.

Escollier, etc.

Par Soussy, etc.

Bon temps n'aura jour de sa vie.

Puisqu'il y est, de son maleur,

Dedens le livre de douleur,

Lui est force qu'il estudie.

Escollier, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Et fust ce ma mort, ou ma vie,

Je ne puis de mon cueur chevir,

Qu'il ne veuille conseil tenir

Souvent, avec Merencolie.

Si lui dy je que c'est folie,

Mais comme sourt ne veult oir

Et fust ce, etc.

Je ne puis, etc.

A Grace, pour ce, je supplie

Qu'il lui plaise me secourir,

Au par aller ne puis fournir,

Se ne m'aide par courtoisie.

Et fust ce, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Allez vous en dont vous venez,

Ennuyeuse Merencolie,

Certes on ne vous mande mye.

Trop privée vous devenez.

Soussy avecques vous menez,

Mon huis ne vous ouvreray mye.

Allez vous en, etc.

Ennuyeuse, etc.

Car mon cueur en tourment tenez,

Quant estes en sa compaignie;

Prenez congié, je vous en prie,

Et jamais plus ne retournez,

Allez vous en, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

A qui en donne l'en le tort?

Puisque le cueur en est d'accort,

Se les yeulx vont hors en voyage,

Et rapportent aucun message

De beaulté plaine de confort.

Ilz crient: Resveille qui dort,

Lors le cueur ne dort pas si fort,

Qui ne dye: J'oy compter rage.

A qui en, etc.

Puisque le, etc.

Adoncques Desir picque et mort,

Savez comment? jusqu'à la mort;

Mais le cueur, s'il est bon et sage,

Remede y treuve et avantage,

Bien, ou mal en vient oultre bort.

A qui en, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Doivent ilz estre prisonniers,

Les yeulx, quant ilz vont assaillir

L'embusche de plaisant desir,

Comme hardiz avanturiers;

Veu qu'ilz sont d'Amours souldoyers,

Et leurs gaiges fault desservir.

Doivent ilz, etc.

Les yeulx, etc.

Ilz se tiennent siens si entiers,

Qu'au besoing ne pevent faillir,

Jusques à vivre, ou à mourir.

Ilz le font bien, et voulentiers.

Doivent ilz, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

N'oubliez pas vostre maniere,

Non ferez vous, je m'en fais fort,

Ennuy armé de desconfort,

Qui tousjours me tenez frontiere,

Venez combatre à la barriere,

Et faictes à coup vostre effort.

N'oubliez pas, etc.

Non ferez, etc.

Quant mectez sus vostre banniere,

Cueurs loyaux guerriez si fort,

Que les faictes retraire ou fort

De Douleurs, à piteuse chiere.

N'oubliez pas, etc.



RONDEL.

(Orleans)

Chiere contrefaicte de cueur.

De vert perdu et tanne painte,

Musique notée par fainte,

Avecques faulx bourdon de maleur.

Qui est il ce nouveau chanteur?

Qui si mal vient à son actainte.

Chiere, etc.

De vert, etc.

Je ne tiens contre, ne teneur

Enroué, faisant faulte mainte,

Et mal entonné par contrainte,

C'est la chapelle de douleur.

Chiere, etc.



RONDEL.

(Le grant Seneschal.)

Qui trop embrasse, peu estraint;

Je le dy pour maintes et maint

Qui scevent servir de telz tours,

Mectans loyaulté en decours,

Dont leur bon los peut estre estaint.

Qui a choisy et pris party,

Puisque son cueur y a party,

Est ce bien fait de le laisser?

Pose qu'on feust trop mieulx party,

Si seroit ce mal depparty,

Et son honneur trop fort blesser.

Qui varie, sans bien remaint;

Par fermeté souvent on vaint,

Les bons trouvent tousjours secours,

Ceulx qui changent, l'ont à rebours;

Il est pieca escript et paint.

Qui trop, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Il n'est nul si beau passe temps

Que de jouer à sa pensée,

Mais qu'elle soit bien despensée

Par raison, ainsi je l'entens.

Elle a fait milz despens contens,

Par espoir soit recompensée.

Il n'est, etc.

Elle dit: A ce je m'actens,

Veu qu'ay loyaulté pourpensée,

Que de mes soussiz dispensée

Seray, malgré les malcontens.

Il n'est, etc.



RONDEL.

(Fraigne.)

Le cueur, dont vous avez la foy,

Se recommande à vous, ma Dame,

Vous faisant savoir qu'il vous ame,

Mais pensez que ce n'est pas poy.

Il parle nuyt et jour à moy,

En vous louant, belle, plus que ame.

Le cueur, etc.

Se recommande, etc.

Il m'a juré, et je le croy,

Qu'à son vivant n'ayma tant femme,

Et Dieu scet comment il me blasme

Que plus souvent je ne vous voy.

Le cueur, etc.



RONDEL.

Prophetizant de vostre advenement,

Voyant venir voz haulx biens clerement,

Acompaignez de vostre grant beaulté,

A vous amer si fort me suis bouté,

Qu'au monde n'ay nul autre pensement.

Tres que mon oueil vous vit premierement,

Il ordonna mon cueur entierement

Pour vous servir en toute feaulté.

Prophetizant, etc.

Lors je jugay, à mon entendement,

Que quelquefoiz j'auroye advencement.

Vous remonstrant ma tres grant loyaulté,

Et que de biens j'auroye à grant planté,

Cela je creu des le commencement.

Prophetizant, etc.



RONDEL.

(Fraigne.)

Mon oueil, je te pry et requier

Que tu n'ayes plus en pensée

D'aler veoir ma tant desirée.

Ou tu me metz en grant dangier:

Et si te dy, pour abregier,

Que c'est ma mort toute jurée.

Mon oueil, etc.

Que tu n'ayes, etc.

Quant tu la verra au moustier,

Ou quelque part à la passée,

Ne te metz pas en sa visée,

Car perilleux est tel archier.

Mon oueil, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Pour Dieu, faictes moy quelque bien,

Veu que m'a desrobé Vieillesse,

Plaisance; car, en ma jeunesse,

Savez que vous amoye bien;

Pour vous n'ay espargné du mien,

Or suis povre, plain de foiblesse.

Pour Dieu, etc.

Veu que, etc.

Devoir ferez, comme je tien.

Car j'ay despendu à largesse,

Pieca, mon tresor de liesse,

Et maintenant je n'ay plus rien.

Pour Dieu, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

C'est la prison Dedalus,

Que de ma merencolie,

Quant je la cuide faillie,

J'y rentre de plus en plus.

Aucunes foiz je conclus

D'y bouter Plaisance lie.

C'est la prison, etc.

Que de ma, etc.

Oncques ne fut Tantalus

En si tres peneuse vie,

Ne, quelque chose qu'on die,

Chartreux, hermite, ou reclus.

C'est la prison, etc.



RONDEL.

(Anthoine de Cuise.)

Ha! mort, helas!

Veu que je suis de vivre las,

Que ne tens tu vers moy tes las,

Pour abregier mon infortune,

Aussi pour monstrer à Fortune

Qui me fortune,

La puissance que sur elle as.

Fay ton effort, et si t'avance,

Mais, pour Dieu, que ce soit avant ce

Que je m'occye de mes mains;

Monstre ton povoir et savance,

Puisque je vueil faire l'avance,

Car certes tu ne peutz à mains.

Pren tes esbas

A faire cesser noz debas,

Aussi bien sont ce tes cabas

Que de tousjours trouver rancune;

Tu es seule, celle et chascune:

Sans autre aucune,

Par qui tout cesse hault et bas.

Ha! mort, helas!



RONDEL.

(Anthoine de Cuise.)

Par bien celer mains tours divers,

Monstrant de son vueil le revers,

Soubz ung peu de maniere fainte.

Avec abstinence contrainte,

Sont les secrez d'Amours ouvers.

Refus les deffent à travers,

Et ne sont à nulz descouvers,

Que ce ne soit en tres grant crainte.

Par bien celer, etc.

Honte, les tient clos et couvers,

Pour les faulx Dangiers et pervers.

Dont elle a eu repcouche mainte;

Mais pour venir à nostre actainte,

Loyaulté nous baille ces vers.

Par bien celer, etc.



RONDEL.

(Anthoine de Cuise.)

Ou val obscur, avantureux,

Où les loyaulx cueurs doloreux

Des amoureux

Sont condempnez d'user leurs jours,

En piteux plains et grans clamours,

Me tient Amours,

Comme le chief des langoureux.

Et faut qu'avec les maleureux,

Par son faux refus rigoureux,

Plus que poureux,

J'actende la mort à secours.

Ou val obscur, etc.

C'est le hault guerdon dangereux,

Ordonné pour moy et pour eulx,

Peu savoureux,

Sans autre part avoir recours;

Et la voyant nostre decours.

De criz et plours,

Faisons ung tresor plaintureux.

Ou val obscur, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

A! que vous m'anuyez, Vieillesse!

Que me grevez plus que oncques mes,

Me voulez vous à tousjours mes

Tenir en courroux et rudesse;

Je vous fais loyalle promesse

Que ne vous aymeray james.

A! que vous, etc.

Que me, etc.

Vous m'avez banny de jeunesse,

Rendre me convient desormais,

Et faictes vous bien? Nennil, mais,

De tous maulx on vous tient maistresse.

A! que vous, etc.



RONDEL.

Les biens de vous, honneur et pris,

M'ont tant espris

De vous amer, ma gente Dame,

Qu'il n'est pas en puissance d'ame

De tourner ailleurs mes espris.

C'est à moy trop hault entrepris,

Com mal apris,

Mais blasmez en, s'il y a blasme,

Les biens, etc.

Donc, puisqu'Amour ainsi m'a pris

En son pourpris,

Et que tant loyaument vous ame,

Amez moy, je prens sus mon ame

Que jamais n'en serons repris.

Les biens, etc



RONDEL.

M'amerez vous bien?

Dictes par vostre ame,

Mais que je vous ame

Plus que nulle rien;

Le vostre me tien,

Sans faire autre Dame.

M'amerez, etc.

Dictes par, etc.

Dieu mist tant de bien

En vous, que c'est basme;

Pour ce, je me clame

Vostre, mais combien.

M'amerez, etc.



RONDEL.

C'est par vous que tant fort souspire,

Tousjours m'empire;

A vostre advis, faictes vous bien?

Que tant plus je vous vieulx de bien,

Et, sus ma foy, vous m'estes pire.

Ha! ma Dame, si grief martire,

Ame ne tire

Que moy, dont ne puis mais en rien.

C'est par vous, etc.

Vostre beaulté vint, de grant tire,

A mon oueil dire

Que feist mon cueur devenir sien;

Il le voulut, s'il meurt? et bien,

Je ne lui puis aider, ou nuyre.

C'est par vous, etc.



RONDEL.

Pour mectre fin à mes douloureux plains,

Et aux ennuys dont je me sens si plains,

Fort me complains

A toute heure, mais remede n'y treuve,

Fors qu'il me fault de mort faire l'espreuve,

Ou dame neuve,

Car la mienne se rit, tant plus me plains;

Souvent m'a veu pleurant par brais et plains,

A triste cueur, de dueil paliz et tains,

Mais pensez vous que de riens et se meuve?

Pour mectre fin, etc.

Nenny, ains dit par sa foy, qu'autres mains

Seuffrent des maulx plus que moy, soirs et mains,

Et qu'en ay mains

Que je ne dy, ainsi mon fait repreuve,

Bien lui plairoit qu'elle feust de moy veufve,

Son cas le preuve;

Ne suis je pas doncques en bonnes mains?

Pour mectre, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Temps et temps m'ont emblé jeunesse,

Et laissé es mains de Vieillesse,

Où vois mon povre pain querant;

Aage ne me veult, tant ne quant,

Donner l'aumosne de liesse.

Puisqu'elle se tient ma maistresse,

Demander ne lui puis promesse,

Pour ce, n'enquerons plus avant.

Temps, etc.

Je n'ay repast que de foiblesse,

Couchant sur paille de destresse,

Suis je bien payé maintenant

De mes jeunes jours cy devant?

Nennil, nul n'est qui le redresse.

Temps, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Asourdy de Nonchaloir,

Aveuglé de Desplaisance,

Pris de goute de Grevance,

Ne scay à quoy puis valoir.

Voulez vous mon fait savoir?

Je suis presque mis en trance.

Asourdy, etc.

Aveuglé, etc.

Se le Medicin Espoir,

Qui est le meilleur de France,

N'y met briefment pourveance,

Vieillesse estaint mon povoir.

Asourdy, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Dedens la maison de douleur,

Où estoit tres piteuse dance,

Soussy, Vieillesse et Desplaisance

Je vy dancer comme par cueur.

Le tabourin nommé Maleur

Ne jouoit point par ordonnance.

Dedens la, etc.

Où estoit, etc.

Puis chantoient chancons de pleur,

Sans musicque, ne accordance;

D'ennuy, comme ravy en trance,

M'endormy lors, pour le meilleur.

Dedens la, etc.



RONDEL.

(Simonnet Caillau.)

Dedens la maison de douleur,

Où n'a leesse, ne musique,

Mon las cueur gist merencolique,

Malade ou piteux lit de pleur.

Dieu! n'est ce pas grant maleur?

Il est pis que paralitique.

Dedens la, etc.

Où n'a, etc.

Par racine, feuille, ne fleur,

Ne par medicine auctentique,

Remedier n'y scet phisique;

Confesse soy, c'est le meilleur,

Dedens la, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Je vous sans, et congnois venir,

Ennuyeuse Merencolie,

Mainteffoiz, quant je ne vueil mye,

L'uys de mon cueur vous fault ouvrir;

Point ne vous envoye querir,

Assez hay vostre compaignie.

Je vous sans, etc.

Ennuyeuse, etc.

Jeunes pevent paine souffrir,

Plus que vieillars; pour ce, vous prie

Que n'ayez plus sur nous envie,

Ne nous vuelliez plus assaillir.

Je vous sans, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Mentez, menteurs à quarterons,

Certes point ne vous redoubtons,

Ne vous, ne vostre baverye,

Loyaulté dit, de sens garnie.

Fy de vous et de voz raisons;

On ne vous prise deux boutons,

Et pour ce, nous vous deboutons.

Esloignant nostre compaignie.

Mentez, etc.

Voz parlez, pires que poisons.

Boutent par tout feu en maisons;

Que voulez vous que l'en vous die?

Dieu tout puissant si vous mauldie,

Vous donnant de maulx jours foisons.

Mentez, etc.



RONDEL.

(Gilles des Ourmes.)

Pour bien mentir souvent et plaisamment,

Mais qu'il ne tourne à aucun prejudice,

Il m'est advis que ce n'est point de vice,

Mais est vertu et bon entendement:

On en voit maint eslevé haultement,

Bien recueilly et requis en service,

Pour bien, etc.

Mais qu'il, etc.

Mais controuveurs qui mentent faulcement,

Pour diffamer quelcun par leur malice,

Soient pugniz par droit, selon justice;

Pour ce, chascun s'avise saigement.

Pour bien mentir, etc.



RONDEL.

Des soucies de la court,

J'ay acheté aujourdui,

De deulx bien garny j'en suy,

Quoique mon argent soit court.

A les avoir chascun y court,

Mais quant à moy, je m'enfuy.

Des soucies, etc.

J'ay acheté, etc.

Je deviens vieil, sourt et lourt,

Et quant me treuve en ennuy,

Nonchaloir est mon apuy,

Qui mainteffoiz me secourt.

Des soucies, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

Je voy mal faire et mal parler,

Je voy meschefz renouveller,

Je voy loyaulté du tout morte,

Je voy trahison aspre et forte,

Je voy partout tout mal aler.

Je voy hayneurs entre acoler,

Verité voy dissimuler,

Grans et petiz sont d'une sorte.

Je voy mal, etc.

Je voy vertuz aux piez fouler.

Je voy amictié desseler,

Raison voy musser à la porte,

Par mehain voy justice morte,

Quant honneur veult voile caller.

Je voy mal, etc.



RONDEL.

(Jehan Monseigneur de Lorraine.)

Je prens le temps ainsi qu'il peut venir,

Je metz courroux hors de mon souvenir,

Je suis content de tout ce que j'oy dire,

Je n'ay soucy qui me garde de rire,

Je suis d'amours bien aise à tenir.

Dorenavant plus ne vueil vivre en dueil,

Dorenavant consentir plus ne vueil

Qu'ame, fors moy, ait de mon cueur la garde.

C'est folie d'asubgetir son vueil,

C'est simplesse que pour ung regart d'ueil,

Sans coup ferir, te blesser par mesgarde.

N'ay je pas droit de joyeulx devenir?

N'ay je cause de mon ennuy bannir?

N'ai je raison de rigueur desconfire?

Ne doy je pas paix et repos eslire?

Je dye oy, et pour ce maintenir,

Je prens le temps, etc.



RONDEL.

Je n'ay deffaulte que de veue,

Et ne congnois riens qu'à demy,

En nonchaloir j'ay tant dormy

Qu'ay mainte chose descongneue.

Vieillesse tient mon cueur en mue,

Accompaignée de soucy.

Je n'ay, etc.

Et ne, etc.

Plus ne suis de la retenue

De jeunesse qui m'a banny;

Mais, au fort, puisqu'il est ainsi,

Souffrir fault fortune advenue.

Je n'ay, etc.



RONDEL.

Tais toy, cueur, pourquoy parles tu?

C'est folie de trop parler

De ce que ne puis amender,

Ton jangler ne vault ung festu;

Tu pers temps, d'espoir devestu.

Pense de toy reconforter.

Tais toy, etc.

C'est folie, etc.

J'ay desja plusieurs ans vescu,

Et tant congnois qu'au par aler

Il faut bien, ou mal endurer,

Riens ne gaigner d'estre testu.

Tais toy, etc.



RONDEL.

Qu'a mon cueur, qui s'est esveillé,

A faire chancon, ou balade?

Dieu mercy, il n'est plus malade,

Tant a par eaue travaillé;

D'Orleans s'est appareillé

Aler à Blois mangier salade.

Qu'a mon, etc.

A faire, etc.

Son harnois fourbira rouillé,

Quelque foiz aussi sa salade;

Mais qu'il ait joyeuse ambaxade,

Tout se trouvera retaillé.

Qu'a mon, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Tout plain ung sac de joyeuse promesse,

Soubz clef fermé, en ung coffin d'oublie,

Qui me poursuit, certes c'est grant folie,

Tant qu'on en ayt par raison, à largesse;

Craindre ne fault Fortune la diverse,

Qui Passe temps avecques elle alie.

Tout plain, etc.

Soubz clef, etc.

Conseil requier à gens plains de sagesse,

Qui mieulx saura, si leur plaist, com le die;

Car Bon espoir, quoy qu'on le contrarie,

A droit vendra et trouvera richesse.

Tout plain, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Nagent en angoisse parfonde,

Où joye, ne plaisir n'abite,

Mon dolent cueur en nef mauldite,

D'Ercules a passé la bonde;

D'y avoir bien nul ne s'y fonde,

La voye si est interdite.

Nagent, etc.

Où joye, etc.

L'aider, nul ne peut en ce monde,

Fors Thetis qui Deesse est dicte

De la mer, car, sans contredite,

En elle tout povoir habonde.

Nagent, etc.



RONDEL.

(Benoist d'Amien.)

Tant plus regarde, moins y voy;

Et plus y voy, moins y congnois;

Le monde va de deux en trois,

Sans savoir comment, ne pourquoy.

Faulceté regne, et tient sa loy

En trestous les lieux où je vois.

Tant plus, etc.

Et plus, etc.

Loyaulté si est en recoy,

Deboutée on l'a tant de foiz,

Que passez sont mains jours et mois,

Qu'on ne la vit, comme je croy.

Tant plus, etc.



RONDEL.

Dieu les en puisse guerdonner,

Tous ceulx qui ainsi tormenter

Font, de vent, de neige et de pluye,

Et nous et nostre compaignie;

Dont peu nous en devons louer.

Mais il fauldra qu'au par aller,

Comment qu'il en doye tarder,

Que nous, ou eulx, en pleure, ou rie.

Dieu les, etc.

Or ca, il fault parachever.

Et puisqu'il est trait, avaler;

On congnoistra qu'est de clergie,

D'Orleans trait de Lombardie,

Tous bien faiz convendra trouver.

Dieu les, etc.



RONDEL.

Prenons congié du plaisir de noz yeulx,

Puisqu'à present ne povons mieulx avoir.

De revenir faisons nostre devoir,

Quant Dieu plaira, et sera pour le mieulx.

Il faut changier aucunefoiz les lieux,

Et essayer, pour plus, ou moins savoir.

Prenons congié, etc.

Puisqu'à, etc.

Ainsi parlent les jeunes et les vieulx;

Pour ce, chascun en face son povoir,

Nul ne mecte sa seurté en espoir,

Car aujourduy courent les eurs tieulx queulx.

Prenons, etc.



RONDEL.

M'appelez vous cela jeu?

En froit d'aler par pays;

Or pleust à Dieu qu'à Paris

Nous feussions empres le feu.

Nostre prouffit veulent peu,

Qui en ce point nous ont mis.

M'appelez, etc.

En froit, etc.

Deslyer nous faut ce neu,

Et desployer faiz et dis.

Tant qu'aviengne mieulx, ou pis.

Passer convient par ce treu.

M'appelez, etc.



RONDEL.

De Vieillesse porte livrée

Qu'elle m'a puis ung temps donnée,

Quoy que soit contre mon desir,

Mais maugré myen le fault souffrir,

Quant par Nature est ordonnée.

Elle est d'ennuy si fort bordée,

Dieu scet que l'ay chiere achaptée,

Sans gueres d'argent de plaisir.

De Vieillesse, etc.

Par moy puist estre bien usée,

En eur et bonne destinée,

Et à mon souhait parvenir,

Tant que vivre puisse et mourir

Selon l'escript de ma pensée.

De Vieillesse, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Saluez moy toute la compaignie

Où à present estes à chiere lie,

Et leur dictes que voulentiers seroye

Avecques eulx, mais estre n'y porroye,

Pour Vieillesse qui m'a en sa baillie.

Au temps passé, Jeunesse si jolie

Me gouvernoit; las! or n'y suis je mye,

Et pour cela, pour Dieu, que excusé soye.

Saluez moy, etc.

Amoureux fus, or ne le suis je mye,

Et en Paris menoye bonne vie;

Adieu bon temps, ravoir ne vous saroye,

Bien sanglé fus d'une estroite courroye,

Que, par aige, convient que la deslie.

Saluez moy, etc.



CHANCON.

Et eussiez vous, Dangier, cent yeulx

Assis, et derriere, et devant,

Ja n'yrez si pres regardant,

Que vostre propos en soit mieulx;

Estre ne povez en tous lieux,

Vous prenez peine pour neant.

Et eussiez, etc.

Assis, etc.

Les faiz des amoureux sont tieux,

Tousjours vont en assoubtivant,

Jamais ne saurez faire tant

Qu'ilz ne vous trompent, se m'aist Dieux.

Et eussiez, etc.



CHANCON.

Patron vous fais de ma galée

Toute chargée de pensée,

Confort, en qui j'ay ma fiance,

Droit ou pais de Desirance,

Briefment puissiez faire arrivée;

Affin que, par vous, soit gardée

De la tempeste fortunée

Qui vient du vent de Desplaisance.

Patron, etc.

Au port de Bonne destinée

Deschargez tost, sans demourée,

La marchandise d'Esperance;

Et m'aportez quelque finance,

Pour paier ma joye empruntée.

Patron, etc.



RONDEL.

Apres l'escarde route,

Mectons à saquement

Annuyeulx pensement,

Et sa brigade toute;

Il crye: Volte route,

Ralions nostre gent.

Apres, etc.

Mectons, etc.

Se Loyaulté s'y boute,

Par advis saigement

Dye gaillardement:

Daly brusque sans doubte.

Apres, etc.



RONDEL.

Les fourriers d'Esté sont venus

Pour appareillier son logis,

Et ont fait tendre ses tappis,

De fleurs et verdure tissus:

En estendant tappis velus

De vert herbe par le pais.

Les fourriers, etc.

Pour, etc.

Cueurs d'ennuy pieca morfondus,

Dieu mercy, sont sains et jolis;

Alez vous en, prenez pais,

Yver, vous ne demourerez plus.

Les fourriers, etc.



RONDEL.

Ce mois de May, ne joyeulx, ne dolent

Estre ne puis; au fort, vaille que vaille,

C'est le meilleur que de riens ne me chaille,

Soit bien ou mal, tenir m'en fault content:

Je laisse tout courir à val le vent,

Sans regarder lequel bout devant aille.

Ce mois, etc.

Estre ne, etc.

Qui Soussy suit, au derrain s'en repent;

C'est ung mestier qui ne vault une maille,

Avantureux comme le jeu de faille,

Que vous semble de mon gouvernerment?

Ce mois, etc.



RONDEL.

Le temps a laissié son manteau

De vent, de froidure et de pluye,

Et s'est vestu de brouderie

De souleil luisant, cler et beau.

Il n'y a beste, ne oyseau,

Qu'en son jargon ne chante, ou crie:

Le temps, etc.

De vent, etc.

Riviere, fontaine et ruisseau,

Portent, en livrée jolie,

Goutes d'argent d'orfaverie,

Chascun s'abille de nouveau.

Le temps, etc.



RONDEL.

(Orléans.)

Mais que mon propos ne m'empire,

Il ne me chault des faiz d'Amours,

Voisent à droit, ou à rebours,

Certes je ne m'en fais que rire.

En ne peut de riens m'escondire,

Aide ne requiers, ne secours.

Mais que, etc.

Il ne me, etc.

Quant j'oy ung amant qui souspire,

A, ha! dis je, vela des tours

Dont usay en mes jeunes jours.

Plus n'en vueil, bien me doit souffire.

Mais que, etc.



RONDEL.

(Robertet.)

Ung droit Cesar en liberalité,

Ung grant Chaton en pure integrité,

Ung Fabius en foy non defaillable,

Vous tient chascun vray, constant et estable,

Duc D'ORLIENS, prince tres redoubté.

En si hault sang, parfonde humilité,

Clemence grant et magnanimité,

Cela avez; mais vous passez, sans fable,

Ung droit Cesar, etc.

En vostre bouche tousjours a verité,

En cueur, amour et ardent charité,

En loyaulté non jamais variable;

Qu'affiert il plus à Prince si notable?

Puisqu'on vous tient, parlant en equité,

Ung droit Cesar, etc.

Ung robertet indigne à porter plume,

Pour atouchier apres voz haulx escriptz,

Ces petiz vers icy vous a escriptz,

De rude mains, plus pezant qu'un enclume.



RONDEL.

(Cadier.)

Vous l'ung des plus nobles du monde,

Prince, tres redoubté Seigneur,

A Blois m'avez acreu d'onneur,

Dont joye en moy trop surhabonde.

Par vostre humilité parfonde,

Dieu vous en soit retributeur.

Vous l'ung, etc.

Prince, etc.

J'ay peu science, moins faconde,

Et encore prudence mineur,

Et vous me clamez serviteur

Digne pour estre en table ronde.

Vous l'ung, etc.

Cadier, qui endormy estoit,

Avez tout esveillé en joye,

Il prie Dieu qu'il vous octroie

Autant de bien qu'il vous vouldroit.



RONDEL.

(Bourbon.)

Gardez vous bien du cayement,

Ung chascun tendez y l'oreille,

Pour vous decevoir tousjours veille,

Escoutez s'il dit vray, ou mant.

Il vous trompera meschamment,

Pour ce que sans cesser traveille.

Gardez, etc.

Ung chascun, etc.

Dieu met en mal an le flament,

Vous direz qu'il dort et sommeille

Quant il va; mais il se reveille

En temps et lieu, incessamment

Gardez vous bien, etc.



RONDEL.

Des droiz de la porte Baudet,

Pour toute recompense et paine,

Tout au beau long de la sepmaine,

Suis servy comme ung grant cadet;

Si doulx ne sont que muscadet,

Rien n'en vault le fruit, ne la graine.

Des droiz, etc.

Pour toute, etc.

C'est bien joué du soubz coudet,

Puisqu'il le fault, ribon ribayne,

Endurer, comme à la quintayne,

On en deust servir Mistodet.

Des droiz, etc



RONDEL.

Gardez vous bien de ce fauveau,

C'est une dangereuse beste,

Arsoir, me donna par la teste,

Tant qu'il me rompit le cerveau.

Il est ferré tout de nouveau,

Et rue comme la tempeste.

Gardez vous bien, etc.

C'est une, etc.

Et combien qu'il soit bon et beau,

Doulx au brider, et faisant feste

A ung chascun, vous amonneste

Que vous ne le peignez sans eau.

Gardez vous bien, etc.



BALADE.

En ceste nouvelle saison

Qui remplist jeunes cueurs de joye,

Et qu'Amours sault de sa maison

Pour conquester aucune proye;

Nulle riens n'ay qui me guerroye,

Se non Jeunesse qui me prie

D'estre amoureux plus conques mais,

Mais ainsi ne feray je mye,

Il me vault mieulx tenir en paix.

Je ne congnois point d'achoison

Pourquoy son conseil croire doye,

En elle n'a riens de raison;

Pour trop fol doncques me tendroye,

S'apres elle me gouvernoye;

Quel besoing est que je me lie?

Quant je suis franc en tous mes fais;

Pardieu, ce seroit grant folie.

Il me vault mieulx tenir en paix.

Je suis de ceste entencion,

Et seray quelque part que soye;

Mais Pieu me gart de la prison

Qu'Amours souventeffoyz m'envoye,

Par mes yeulx qui trop vont en voye,

Combien que souvent je leur die

Qu'ilz font mal, dont je leur desplais;

Pour ce, pour avoir d'eulx maistrie,

Il me vault mieulx tenir en paix.

L'ENVOY.

J'ay essayé toute ma vie

Qu'est de porter amoureux faiz,

Pourquoy congnois, sans moquerie,

Il me vault mieulx tenir en paix.



RONDEAU.

J'ay tant en moy de desplaisir,

Puisqu'il me convient departir,

Helas! de vous, et loing aller:

Et si ne puis à vous parler,

Dont j'auray maint mal à souffrir;

N'est riens qui puist esjoir,

Si n'est le tres doulx souvenir

Que j'ay par vous bien fort amer.

J'ay tant, etc.

Adieu ma joye, mon plaisir,

Adieu mon loyal souvenir,

Adieu belle Dame sans per;

Adieu dire m'est coup mortel,

Car je m'en vois sans vous veoir.

J'ay tant, etc.



RESPONCE.

Mon amy, Dieu te convoye,

Et brief te remaint à joye,

A ton honneur et plaisir,

Tout ainsi que je desire,

Mieulx que dire ne sauroye.

Si par souhait je povoye,

Plus souvent te reverroye

Mais, car ne te puis veoir.

Mon amy, etc.

Ceste chancon je t'envoye,

De m'amour par grant montjoye,

Si t'en vueilles esjoir;

Car te jure, sans mentir,

Que t'ayme loing que je soye.

Mon amy, etc.



CHANCON.

Faire ne puis joyeulx semblant,

Reconfort n'ay, qui soit plaisant

A moy qui suis sans mon amy;

Il a long temps que ne vous vy,

Ne le verray, je ne scay quant?

Faire ne puis, etc.

Guerir ne puis du mal qu'ay tant,

Helas! emy! jusques à tant

Retournera celluy pourquoy.

Faire ne puis, etc.

Mon cueur si est si desplaisant,

Aussi bien doit estre dolent,

Il m'ayme tant! si foys je lui;

Ne le mectray point en oubli,

Et l'ameray en l'actendant.

Faire ne puis, etc.



CHANCON.

Faictes pour moy com j'ay pour vous,

Retenez moy, par dessus tous,

Amy tout seul, tres belle Dame,

Je vous jure sur Dieu, sur m'ame,

Ne vueil servir autre que vous.

Faictes pour moy, etc.

Guerrissez moy du mal d'Amours,

Et me donnez du bien de vous;

Reconfort tel plus ne m'en chaille,

Mon bien, m'amour, mon fin cueur doulx,

A vous me rens, à vous suis tous.

Faictes pour moy, etc.

Je vous ayme plus que autre femme,

N'autre que vous n'aura la garde,

Helas! de moy qui suy à vous.

Faictes pour moy, etc.



LE LAY PITEUX.

Bonne saison, bon temps avoye,

Helas! amy, quant vous veoye,

Reconfort bon en vous prenoye;

Tant de plaisir et d'autre bien

Rejoissoit ma seule joye,

A vo vouloir me soubzmectoye,

Nul autre bien ne demandoye,

Dessoubz les cieulx pour estre mien,

Que vostre amour qui tant amoye,

En vous servant me delictoye,

Et pourquoy moult seur estoye

Que vous m'amiez tres loyaument;

Et quant jadiz vous requeroye

Que vo servant estre vouloye,

Mon seul vouloir vous appelloye,

Et mon vaillant entierement.

Vous me dictes si doulcement,

En moy baisant et accollant,

Amy, amons nous chierement,

Baille ton cueur, et prens le mien;

Et je changay joyeusement,

Et vous aussi si liement,

Et feismes loyal serment

Qu'avons tenu, je le scay bien.

Et est vray qu'oncques crestien

En amours n'eust autant de bien,

Gardant vostre honneur et le mien,

Que j'ay eu, et sans avoir blasme,

Vo doulx acueil, vo doulx maintien.

Vostre plaisir, que fust le mien,

Car sans cellui, ne m'estoit rien,

Je le jure sur Dieu, sur m'ame.

Si vous baillay le mien en garde,

Belle Dame,

Prenant charge

De vous loyaument servir,

Sans reprouche, ne diffame,

Sur mon arme,

Sans jamais de vous partir.

Helas! quant d'elle partoye,

Je pensoye

Quant pourroye

Bientost vers elle venir,

Nuit et jour je la sonjoye,

La veoye parler, aler et venir;

Tant espris d'elle estoye,

Qu'en veillant je l'appelloye,

Puis que bien loing en estoye,

A soy cuidoye parler;

Mais puis bien apres veoye

Que resvoye,

Me prenoye à plourer.

Cest dueil m'estoit à porter,

Et bien aise endurer,

Car bientost, du retourner

Me prenoit tres grant talent;

En elle si fort penser,

Ma joye renouveller

Me faisoit incontinent.

Et quant venir n'y povoye,

Entre deux lui rescripvoye,

Son nom et le mien mectoye

Escript bien estrangement;

Et puis quant je la veoye,

Dieu scet quel chiere j'avoye

Recueilly joyeusement.

Puis nous faillu esloingner

L'un de l'autre, guermenter,

Car dangier,

Plusieurs autres mesdisans

Nous firent tant endurer,

Et plourer,

Tourmenter,

Oncques puis n'eusmes bon temps

Et puis entre autre gent

Failloit, en nous esloingnant,

A plusieurs autres parler,

Avoir autre pensement,

Muer la couleur souvent,

Sans l'un l'autre regarder.

Helas! elle s'esbatoit,

Et bonne chiere faisoit

A tous autres, fors qu'à moy,

Dont mon cueur fort souspiroit,

Quant elle me regardoit,

Je vous jure par ma foy.

Dont sourdit grant jalousie,

Car elle ne creoit mye

Que n'eusse fait autre amye;

Ainsi me sembloit il d'elle,

Que s'amour me fust faillie,

Departie,

Et guerpie,

M'eust laissié la bonne belle.

Dont ensiues grant querelle;

Moy et elle,

Advint qu'en une chappelle

Nous nous trouvasmes tous deux,

Et je lui dis: Bonne et belle,

Ne me soiez si cruelle,

Puisque nous sommes tous seulz.

Dictes moy vostre vouloir,

Ne me vueillez decevoir,

Ne mectre à nonchaloir;

Car, vers vous, n'ay rien forfait.

Mon amy, vueillez savoir,

Vous me feistes trop douloir,

Ne savez vous comment il m'est?

Vous m'avez abandonnée

Et laissiée,

Desolée,

Esloingnée;

A qui oseray je dire

Ma tres dolente pensée

Qui grevée

M'a, et trestant mal menée

Que je vis en grant martire.

N'est riens qui me puist souffire,

Tant ay d'ire;

Quant les autres vous voy rire,

Et grant joye demener,

Je ne vueil avoir nul mire

Qui me mire,

J'ayme mieux mes jours finer.

Et lors nous nous advisames,

Et l'un l'autre pardonnasmes,

Car pour obvier mains blasmes,

Il nous faillut eslongner;

Noz amours renouvellasmes,

Et de nouvel, nous jurasmes

De nous loyaument amer.

Cecy nous dura long temps,

On dit qu'au bout de sept ans,

Revient voulentiers mal ans

Ainsi m'est il advenu,

Dont je vis piteusement,

En tourment,

Las! je suis pis que perdu.

Helas! tres cruelle mort,

Tu me fais crier à tort

A la mort,

Que ma mort

Bonnement ne l'ose dire

Mon confort,

Ma joye et mon deport.

Or me fault passer du port

Du royaulme en l'empire

De tout plaisir, en tristesse,

Mectre mon cueur en destresse

Qui me blesse,

Et ne cesse

De destruire ma jeunesse,

Puis que m'as mort ma maistresse.

Dont liesse

Si me blesse,

Helas! qu'esse

Qui me presse

De dire las! que feray?

Que diray? où iray?

Si mourray,

Ou si de dueil creveray,

Car je n'ay que esmay

Helas! et où me mectray

Jusques mes jours fineray!

En lieu ne reposeray

Jusque là où la verray.

Car pour ce que tant l'aymay,

Tous les jours souhaiteray

La mort qui desja m'aprouche,

Entre deux je ne vouldroye

Estre en lieu où eust joye,

Com souloye,

Car ma douleur doubleroit.

Veoir ce qu'avoir souloye,

Helas! car mieulx ameroye

M'enfouir où que que soit,

Disant adieu tres douloureux,

Adieu, adieu tous amoureux,

Adieu le plaisir de mes yeulx,

Adieu, sans plus estre joyeulx.

Adieu le bien de tous les lieux,

Adieu le mien dessoubz les cieux,

Adieu regard tres gracieux,

J'en preing congié de cueur piteux;

Si fineray ma complainte,

Ma joye sera actainte,

Et de douleur auray mainte.

Grant actainte

Dont il me convient languir,

Et sevir,

Car j'ay aymé, et sans fainte,

Celle qu'avoye tant crainte,

Que pour elle vueil mourir.

Sa tres bonne renommée,

Sa grace de tous louée,

Et de beauté aournée,

Tant amée et prisée,

Desirée

De tres toute autre gent,

La fait estre regrectée,

Dont ay la mort demandée,

Toute joye oubliée,

A Dieu son ame command.

Et saichiez certainemment

Trestous li leal amant,

J'en dis tant,

Sans nulle dame blasmer,

Que c'estoit la plus plaisant

Des belles, et avenant,

Com peut des yeulz regarder.

C'est le reconfortement

Que j'ay en mes jours finant,

En priant humblement

A Dieu, tres devotement,

Qu'en son Paradis briefment

Son ame puisse trouver.

Sans vous veoir,

Pres du manoir,

Amy de vous,

Fine mes jours

Cest derrain soir,

Veuillez savoir

Qu'à nonchaloir

Mis par vous tous.

Sans vous, etc.

Mourant espoir

Ferez devoir,

Souviengne vous

Que laissay tous,

Par vous vouloir.

Sans vous, etc

Faulce mort,

A grant tort,

M'as grevée,

Et ostée

Mon deport;

Mon cueur mort,

Car trop fort

L'as serré.

Faulce, etc.

Pres du bort

Du mal port

M'as laissiée

Desolée,

Sans confort.

Faulce, etc.



BALADE.

Bien puis dire souvent: helas!

Comment m'est il mesavenu!

La mort que moqué ne m'a pas,

La belle bonne m'a tollu,

Et m'a laissié despourveu

De tous les biens qu'avoir souloye,

Tout plain d'ennuy, sans point de joye,

Sy pry à Dieu qu'en son manoir,

L'ame de soy tout droyt envoye,

Où la puisse briefment veoir.

Helas! amy, d'un de ses dars

Soudainement Mort m'as feru;

De mon meschief, je n'ose pas

Faire semblant, qu'ay receu.

Or, ay je bien trestout perdu,

Car seulement quant je pensoye

De la veoir, m'esjoissoye,

Ou pres, ou loing, et main, et soir;

Or à présent, estre vouldroye

Où la puisse briefment veoir.

He! Dieu d'amour trop pugny m'as,

Sans toy me faire deceu,

Quant me souvient qu'entre ses bras

Amy tout seul m'ot retenu,

Mon cueur et moy si bien pourveu;

Estre tout sien lui promectoye

Tres loyaument, et lui disoye:

Vueillez vostre amy recevoir;

Or à present, estre vouldroye

Où la puisse briefment veoir.

EXPLICIT LE LAY PITEUX.




GLOSSAIRE-INDEX


A

ABRIÉ, abrité, caché.
ACHOISON, cause, motif.
ACTARGIER, retarder, attendre.
AD, à.
ADOULÉ, triste, chagrin.
AINCOIS, auparavant, cependant.
ALQUEMIE, alchimie.
ANGOULESME (madame d'). Marguerite de Rohan, femme de Jean, comte d'Angoulême, frère de Charles d'Orléans.
ANOY, ANUY, ennui.
ANUYT, aujourd'hui.
ARQUEMIE, alchimie.
ARRAY, équipage, arrangement.
ABSOIR, hier au soir.
ASSENER, assigner, établir. A ma mal assenée (page 360, vers 21); c'est-à-dire, à ma mal partagée.
ASSENTIR, consentir, acquiescer.
ASSERER, maîtriser, prendre.
ASSOMER, compter, nombrer.
ASSOUBTIVER, ruser, feindre.
ATIRER. Au vers 2 de la page 273. L'auteur veut dire que Confort n'a donné à son coeur ni soin, ni conseil; atirer signifie ici préparer, régler, disposer, et est employé comme substantif.
ATOUT, avec.
ATREMPÉ, modéré.
AUMAIRE, armoire.
AVOYÉ, celui qui est dans le chemin.

B

BAFFE, soufflet, coup.
BAGUES, bagages, bardes.
BALLAIS (rubis), sorte de rubis couleur de vin paillet.
BAILLIE, garde, juridiction.
BAUDET. La porte Baudet ou Baudoyer, bâtie sous Philippe-Auguste, donnait dans la rue Saint-Antoine.
BAUDEMENT, joyeusement.
BEAUJEU (Monseigneur de). Pierre II, duc de Bourbon.
BEAUSSERONS, habitants de la Beauce.
BETOURNER, détourner.
BRAHAING, stérile.
BRAI, cri, pleurs.

C

CABAS, tromperie, subtilité.
CABUSEUR, trompeur.
CAMELINE, espèce de sauce.
CATOILLER, chatouiller.
CAYEMENT, vagabond, mendiant.
CHALENGER, réclamer.
CHANU, blanchi.
CHASTOY, châtiment, punition.
CHATON, Caton.
CHEVANCE, richesse, héritage.
CHEVIR, venir à bout.
CIL, celui.
COFFIN, corbeille, coffre.
CONNIN, lapin.
CONSEULX, projets, desseins.
CONVOYER, accompagner.
COURCER ou COURCIER, courroucer.
COUSTÉ, côté.
CREMIR, craindre, trembler.
CRESEIDE (page 69), probablement Cresside.
CUEUVRECHIEF, coiffure, voile.

D

DECEPTE, tromperie, feinte.
DEDALUS. Au vers 22 de la page 407, le mot Dedalus est pris adjectivement; l'auteur compare sa mélancolie au labyrinthe construit dans l'île de Crète par Dédale.
DELITER, réjouir. Page 385, vers 19; Reffus a (et non pas à) mon cueur délité, c'est-à-dire: Refus a réjoui mon coeur.
DEMENTER (se), se plaindre.
DEPORT ou DEPPORT, plaisir, joie.
DERRAIN, dernier.
DERRAINEMENT, dernièrement.
DESERTE, mérite.
DESIRIERS, désirs.
DESPENDRE, dépenser.
DESSELER, renverser de cheval.
DESSERVIR, mériter.
DESTOURBER, empêcher, troubler, détourner.
DESTAINDRE, éteindre.
DOINT, donne.
DOUBTER, craindre.
DOULCINÉS, douillets, délicats.
DOULOIR, (se) se plaindre, s'affliger.
DOVRE, Douvres, en Angleterre.
DUIRE ou DUYRE, conduire.

E

ELLE pour aile. Voy. p. 256, 272, 314.
EMBATTRE (s'), s'attacher, se joindre.
EMBLER, enlever.
EMY, hélas.
EMPIECE, bientôt.
EMPRES, proche, auprès.
EMPRISE, entreprise.
EMCOMBRIER, malheur, embarras.
ENFANCHONNES, petits enfants.
ENS, dedans.
ENSIVES, de ensievir, suivre, sortir.
ESBANOY, joyeux, réjoui.
ESCANDRE, scandale, dispute.
ESCARDE, lisez escadre troupe, compagnie.
ESCHARSEMENT, mesquinement, avec avarice.
ESCHEVER, éviter.
ESCHOITE, succession, héritage.
ESCREMIE ou ESCREMYE, escrime. Jouer de l'escremye; voyez Escremyr.
ESCREMYR (s'), s'escarmoucher, lutter.
ESFROYÉ, effroyable.
ESGRUN, herbe amère.
ESMAY, étonnement, embarras.
ESMAYER. Au vers 27 de la page 197, esmayer signifie à proprement parler: Planter le mai. Le poëte prie, la dame de ses pensées de l'esmayer, c'est-à-dire de lui envoyer, à l'occasion du mois de mai, un reconfort bien garny de liesse.
ESSORER (s'), s'élever, prendre son essor.
ESTAMPES Jean de Bourgogne, duc de Brabant et comte d'Etampes.
ESTEUF, balle pour jouer à la paume.
ESTOUPPER, boucher, fermer.
ESTRIF, querelle, dispute.
ESTRIVANCE, malaise, inquiétude.

F

FAÉ, FAIÉ, fait, fabriqué, conclu.
FAITIS, beau, agréable.
FEL, méchant, cruel.
FELLEMENT, méchamment, cruellement.
FERMER, affermir, déterminer.
FEURRE, chaume. Ou feurre de prison (page 145), sur la paille de la prison.
FOLEUR, FOLLEUR, ardeur folie, extravagance.
FOURCELLE, poitrine.

G

GAIGE. Que gaige je vous appelle (p. 54, vers 20); c'est-à-dire que je vous provoque au combat.
GALÉE, vaisseau, navire.
GALER, se réjouir, se régaler.
GARMENTER (se), gémir, se plaindre.
GAST, ruine, dégât.
GESIR, dormir, se coucher.
GLAY, ramage, gazouillement des oiseaux.
GREIGNEUR, plus grand.
GREVANCE, chagrin, injure, affliction.
GUERDON, GUERDONNEMENT; récompense.
GUERDONNER, récompenser.
GUERMENTER, gémir, pleurer.

H

HANCHE (p. 174, vers 18). On appelait le croc en jambe le tour de haute hanche.
HANIR, hennir.
HARER, exciter, pousser.
HARONDE, hirondelle.
HASTIS, vif, emporté.
HAYNEUR, celui qui hait.
HERAULT, voyez Poursuivant.
HOURDER, enduir, couvrir.
HUCQUE, sorte de capuchon.
HUTIN, querelle, tapage.

J

JAME, pierre précieuse, bijoux.
JANGLER, bavarder.
JANGLERIE, bavardage, vanterie.
JANGLEUR, bavard.

K

KARESME PRENANT. On désignait ainsi les trois jours qui précèdent le mercredi des Cendres.

L

LAIZ, laïques.
LAME, tombeau.
LANGAGIER, parler.
LESIR, loisir.
LEZ, auprès de.
LIE, joyeux.
LIEMENT, joyeusement.
LIPPE, lèvre. Faire la lippe, c'est-à-dire faire la moue.
LOS ou LOZ, louange, réputation, faveur.
LOSENGIER, trompeur, incertain.
LYE, LYEMENT, voy. Lie, Liement.

M

MAIN, pour matin.
MAIN MISE. Ancien terme de jurisprudence, action de saisir, de prendre.
MAINS, pour moins. Au vers 9 de la page 216. Mains signifie (je) demeure, du latin manere.
MAINSSÉ, découpé.
MAINTENEMENT, maintien.
MAISTRIE, puissance, autorité.
MAL, méchant, nuisible.
MALLEMENT, méchamment.
MALEURÉ, infortuné, malheureux.
MANOIR, demeurer.
MARMlTEUX, triste, dolent.
MARTIN. (malade du mal saint). Page 157, vers 12. C'est-à-dire porté à l'ivrognerie.
MEHAIN, tort, méchanceté
MEINS, pour moins.
MERCHER, marquer, désigner.
MESCHIEF, malheur, accident.
MESGNIE, famille.
MESPRISON, injustice, outrage.
MESTRIER, dominer.
MIE, nullement.
MIRE, médecin, chirurgien.
MIRLIFIQUES, petits bijoux, menues curiosités.
MONTRE. Pag. 108, vers 11. Croizé aux montres de liesse; c'est-à-dire mis au rebut, condamné à être privé de toute joie.
MONTJOYE (grand), abondamment.
MOSNIER, meunier.
MUSSER, cacher.

N

NEIZ, même, si ce n'est, non plus.
NES, pas.
NICE, NYSSE, niais, innocent.
NICEMENT, niaisement.
NOUER, nager, naviguer.
NOURRIS, adeptes, nourrissons.
NYSSE, voy. Nice.

O

OCTRIE pour octroye.
ORINE, urine.
ORT, sale, impur.
OUVRIER, travailler.

P

PAINTURE, feinte, tromperie.
PAISE, lisez. Plaise, p. 338, vers 32.
PAON. Pag. 377, vers 27. Faire voeu aux dames et aux paons était un usage dont l'histoire et les romans du moyen âge offrent de nombreux exemples. A la fin du banquet, on apportait aux convives un paon ou un faisan, sur lequel juraient les dames et les chevaliers: on appelait cette cérémonie, le serment du paon.
PAR ALER (au), au retour, à la fin.
PARCONNIER, participant, compagnon.
PARTUER, tuer.
PASTIS, pâturages, enclos.
PAVAIS, bouclier.
PENANCE, douleur, pénitence.
PER, égal, pareil, compagnon.
PESSON, droit de pâture.
PIECA, longtemps, depuis longtemps.
PLANTÉ (à grant), en nombre, en grande quantité.
PLOY, pli.
POU, peu.
POURPRIS, jardin.
POURSUIVANT D'ARMES. Page 245 vers 1. Allusion aux coutumes de la chevalerie. Les héraults d'armes présidaient aux tounois, en arrêtaient les conditions, et montaient sur l'échaffaut, ainsi que dit le poëte, pour surveiller les combattants et désigner le vainqueur. Les poursuivants d'armes étaient un corps de jeunes gens parmi lesquels on choisissait les héraults.
POY, peu.
PROVEHEUR, pourvoyeur.

Q

QUEU, cuisinier.
QUIEULX, quels.
QUINTAINE. Jeu qui consistait à frapper un but, soit avec des fleches, soit avec d'autres armes.

R

RACHASSER, rabattre.
RAMENTEVOIR (se), se souvenir, se rappeler.
REMAINT, voy. Remanoir.
REMANOIR, demeurer.
REPREUVE, injure, reproche.
RESCOUS, délivré, secourus.
RESSOINGNER, craindre, appréhender.
RETRAIRE, retirer.
RIOTEUX, querelleur.
RONSSIN, cheval.

S

SALMON, Salomon.
SANS signifie quelquefois sens, de sentir. Voy. p. 119, 413.
SAULONGNOIS, habitants de la Saulogne.
SAUSSOYE. Pag. 94, vers 4. Lieu planté de saules. Sainte-Palaye a vu dans ce mot une allusion a l'abbaye de la Saussoye, près de Villejuif
SEBELIN, fourré de martre zibeline.
SEREMENTÉ, lié par un serment.
SOLACER (se), se divertir.
SOUBTIS, subtil, adroit.
SOULDOYER, qui reçoit des gages, une paye.
SOUSSIE, souci.
SOUTIVETÉ, subtilité, finesse.
SUIR ou SUYR, suivre.

T

TABLIER, table ou carton pour jouer aux dés, aux échecs, etc.
TALANT, volonté, désir.
TALENTER (se), s'inquiéter.
TANNÉ, couleur brune.
TAYS, Thaïs, courtisane du quatrième siècle, célèbre par sa conversion au christianisme.
TENEUR, voix de ténor.
TIEULX, tels.
TIRE (de), toute de suite, immédiatement.
TOUTE. Pag. 112, vers 13. La toux.
TRESQUE, dès que.
TRIACLE, thériaque.
TRUAIGE, impôt, subside.

V

VALENTIN (saint). L'abbe Goujet, qui a remarqué avant nous les nombreux passages où Charles d'Orléans cite saint Valentin, s'exprime ainsi: «Le jour de la fête de saint Valentin, qui se célèbre le quatorzième de février, arrive assez communément durant le temps de carnaval; et en ce même jour c'était un usage dans plusieurs cours de l'Europe que les cavaliers s'assemblassent pour donner quelque fête aux dames, et qu'ensuite on tirât au sort pour assigner à chaque dame un cavalier, qui était tenu de lui rendre ses services durant une année, d'être à ses ordres, etc. Cette servitude volontaire durait jusqu'au même jour de saint Valentin de l'année suivante.» (Bibl. franç. t. IX, p. 266.)
VAULSIT, voulût, de vouloir.
VIAIRE, visage.
VOLTER, tourner, retourner.
VUIT, VUYS, vide.









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