The Project Gutenberg eBook, Le Livre des Mères et des Enfants, Tome II, by Marceline Desbordes-Valmore This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Le Livre des Mères et des Enfants, Tome II Author: Marceline Desbordes-Valmore Release Date: December 9, 2004 [eBook #14310] Language: French Character set encoding: ISO-646-US (US-ASCII) ***START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DES MèRES ET DES ENFANTS, TOME II*** E-text prepared by Suzanne Shell, Renald Levesque, and the Project Gutenberg Online Distributed Proofreading Team from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) LE LIVRE DES MERES ET DES ENFANTS CONTES EN VERS ET EN PROSE PAR Mme Desbordes Valmore. TOME II. LA PHYSIOLOGIE DES POUPEES. I. UN PERE. Quatre poupees entrerent un jour a la fois rue des Pyramides. Cela fit quelque sensation chez les voisins de l'heureuse maison ou se precipitaient ces charmantes etrangeres, car elles etaient pleines d'eclat, de decence et de fraicheur dans leurs parures. Une vieille gouvernante les recut dans le vestibule du second etage, les prit des bras de la personne qui les apportait, et les rangea derriere un rideau, comme elle en avait recu l'instruction, puis courut avertir son maitre, arrive, depuis quelques jours d'un grand voyage; il parut un moment apres, suivi de quatre enfants qu'il fit ranger autour d'un excellent dejeuner prepare pour eux. Cet homme, d'une taille legerement courbee, quoique jeune encore, les assit lui-meme aupres de lui d'un air doux et triste. Il etait le pere des enfants et revenait leur tenir lieu d'une mere charmante, qu'ils avaient perdue. Rien ne pouvait retenir M. Sarrasin a la vie, que le dessein irrevocable d'etre a la fois le pere et la mere de cette petite famille groupee autour de lui. Force a de frequents voyages dans l'interet de tous, il n'avait pu depuis trois ans cultiver lui-meme ces jeunes plantes dont il ignorait entierement les caracteres. Leurs jours s'etaient passes depuis six mois, dans une pension, ou elles avaient senti moins cruellement l'absence de leur mere et la privation momentanee de ce jeune pere, qui leur etait enfin rendu! C'etait leur troisieme reunion depuis son retour beni, et vous avez deja juge qu'ils s'occupaient des moyens d'assurer leur bonheur. Il ne lui en restait pas d'autre. Il se leva quand le dejeuner fut fini et la table remise en ordre. Voici, dit-il en tirant le rideau qui cachait les belles visiteuses, quatre petites compagnes que je veux associer a notre voyage de Saint-Denis. Un saisissement de plaisir fit manquer la voix aux quatre soeurs, qui leverent leurs bras, en criant: --Oh! papa! oh! papa! qu'elles sont jolies! Ce n'est pas sans dessein, reprit-il, qu'elles sont arrivees ainsi pour vous chercher. Elles ont sans doute desire un asile pres de chacune de vous. Leur choix doit etre ecrit d'avance dans leur billet de visite. Toutes se precipiterent sur les petites mains a ressorts des poupees qui tenaient une carte de visite. Albertine, l'ainee, y lut son nom (car elle savait lire l'ecriture), l'adresse etait ainsi concue: Prudente pour Albertine. Augusta, Marceline et Valerie y epelerent aussi leurs noms et ce furent des cris, des embrassements, qui firent couler la joie jusqu'au coeur de leur pere. --Elevez-les bien, dit-il avec une tendresse serieuse, et rendez-moi un compte fidele de leurs penchants: ce sont vos filles. Albertine emporta la sienne dans ses bras avec un maintien de petite maman tout a fait compose, la regardant avec un air de tendre protection qui fit bien augurer a monsieur Sarrasin de l'avenir de la poupee, qu'elle appela sur le champ:--ma fille. Augusta saisit vivement Lutine par le milieu du corps, et lui appliqua deux gros baisers qui derangerent un peu sa coiffure. Valerie soutint Peri par ces deux mains delicates, en la faisant sauter en mesure sur un pas de valse. Marceline, la plus jeune, petite blonde silencieuse, se tint gravement debout devant celle qui la regardait de dessus la table, sans montrer trop d'empressement a l'en faire descendre. --Tu ne prends pas, Fauvette? dit son pere: ne te trouves-tu pas contente d'avoir une telle fille?--Si! repondit l'enfant blond, en regardant alternativement Fauvette et son pere.--Je t'aime mieux, toi! ajouta-elle a voix basse en se glissant dans ses genoux et en passant ses bras autour de son cou qu'elle etreignit longtemps de toute sa force. Son pere emu, tenant les yeux long temps aussi fixes sur cette petite tete attachante, crut voir en miniature le portrait de sa mere, et la serra fortement sur son coeur. Le pere et l'enfant resterent plonges dans une immobilite qui n'etait pas de l'engourdissement. Les eclats de rire et de musique qui partaient de la chambre voisine reveillerent cet homme absorbe au fond de sa memoire. Il prit par la main sa plus jeune fille, qui tenait avec quelque embarras la brillante Fauvette, et ils se reunirent au cercle joyeux qui allait devenir le centre des observations du tendre physiologiste. II. QUATRE FEMMES EN MINIATURE. Albertine venait de faire asseoir Prudente devant elle, pour lui montrer patiemment un point de tapisserie, lui parlant avec une gracieuse autorite, et lui promettant un monde de bonheur dans le charme du travail. Elle en avait deja range autour de Prudente tous les elements sans confusion. La poupee attentive tenait avec soumission son aiguille enfilee de laine, et paraissait ecouter sans ennui sa jeune maman compter les fils de canevas, et lui expliquer les delices de cet ouvrage, repetant sans se lasser:--Vous prenez deux, que votre point soit egal et rond vos mains toujours propres et vos laines en ordre. Ce petit coin du tableau reposa delicieusement les yeux de M. Sarrasin, car Albertine etait l'ainee. Quel bonheur pour lui de decouvrir en elle le germe d'une patience si utile un jour dans sa maison! cette grace liante et calme devait si bien unir ensemble les jeunes branches qui l'enracinaient au monde! Assise sur une grande chaise devant le piano, Valerie soutenait Peri par sa ceinture comme par des lisieres, et la faisait legerement tourner en frappant avec sa main droite une espece de galop qui semblait enivrer la poupee, et la petite fille criant comme son maitre de danse:--en mesure, mademoiselle, arrondissez-les bras, effacez les epaules..., baissez les yeux devant votre cavalier! --Heureuse enfant! pensa monsieur Sarrasin, la musique fera du bruit dans tes plaisirs et dans tes peines. Ta physionomie riante reposera souvent ma douleur, et j'allegerai tes graves lecons par l'espoir de la danse. Augusta, qui se tenait alors a l'ecart, paraissait tres affairee autour de Lutine.--Elle l'avait embrassee si fort et si souvent, que l'humidite de ses levres, assez mal essuyees des traces de son dejeuner; avaient deja compromis l'eclat des joues rouges et presque vivantes de sa fille. C'est dans l'etonnement de voir une tache ternir un teint plus brillant que le sien meme, qu'elle avait eu recours au savon, et qu'elle s'apercut avec desespoir qu'il ne restait dessous qu'un carton pale ou le sang ne circulait pas. L'autre joue, toute neuve et intacte, formait un affreux contraste avec celle ou la couleur delayee se melait au savon et aux cheveux colles dans ce hideux mastic. Ce fut dans cet etat qu'Augusta, avec une grosse larme dans les yeux s'elanca vers son pere, en elevant sous ses yeux, Lutine ainsi deshonoree, et criant: Vois comme elle a mal a la joue; je l'ai pourtant bien lavee. C'est a cause de cela, repondit son pere, l'eau ne vaut rien aux poupees. Ta tendresse lui a deja fait mal; il ne faut pas devorer ce qu'on aime. Trop de caresses etouffent un enfant. Une surveillance calme et active, une douce liberte autour de ta fille, comme pour tout ce que tu aimeras au monde, ce sera le meilleur secret pour le conserver. --Fais-la guerir, dit Augusta les mains jointes, et je te promets de l'embrasser bien doucement. Lutine fut envoyee chez un medecin celebre de poupees au grand bazar ou elle avait ete choisie; et des le soir meme, elle rentra rue des Pyramides, plus rouge que jamais. Monsieur Sarrasin observait en meme temps que Marceline, la plus petite et la plus frele, n'enseignait ni la tapisserie, ni la danse a Fauvette. Elle la regardait quelquefois, caressait doucement ses souliers de satin et ses mains un peu cachees par des manchettes de blonde: mais c'etait une admiration froide ou craintive que ne pouvait expliquer son pere. --Pourquoi ne danses-tu pas avec Fauvette, mon petit ange? lui demanda-t-il; elle doit etre legere comme ses plumes. Sa robe de crepe blanc est si bien garnie de fleurs!" Marceline d'abord ne repondit pas: puis, comme si sa pensee sortait a son insu de sa bouche, elle dit: je n'ose pas l'aimer." --C'est singulier; pensa Monsieur Sarrasin. III. LA PORTE DU CIEL. Comme le temps etait fort beau le lendemain, bien qu'il fit froid d'une derniere gelee, apres que les lecons furent apprises, que l'active gouvernante eut habille ses quatres petites maitresses qu'elle aimait avec devotion, on dejeuna de bonne heure, on sortit a pied tous ensemble. La vieille Suzanne, chaudement paree, guidait ce petit troupeau dont elle etait fiere, et Monsieur Sarrasin le suivait de pres avec la surveillance et la sollicitude d'un pere. Savez-vous ou l'on allait avec tant d'empressement, tant d'espoir, que pas un pied ne touchait terre? et pourquoi ces quatre visages doux et charmants se levaient souvent pour regarder au-dessus des maisons le ciel bleu suspendu, si pur, si haut au-dessus des cheminees des immenses batiments de Paris? Pourquoi l'on avait embrasse serieusement les poupees en leur disant: au revoir! sans les emmener avec soi? Eh bien! vous allez le savoir; car la personne qui a raconte cette histoire a suivi toute la famille jusqu'a la barriere Montmartre; elle avait a rendre aussi une pieuse visite la ou montaient ces beaux enfants, ayant chacun une couronne de fleurs passees au bras sous leur manteau brun. --Oh! ma bonne Suzanne, ou allons-nous? dit la petite Marceline qui ne marchait pas encore d'un pas aussi ferme que les autres. Suzanne soupira et n'osa repondre, car son maitre gardait un profond silence. On monte, on monte..... puis on aborde une grille devant laquelle monsieur Sarrasin s'arrete, decouvre sa tete; et dit:--Saluez, mes enfants, car c'est ici la porte du ciel! Les quatre petites filles obeirent avec un instinct de douleur et de tendresse qui les fit ressembler a quatre anges de la piete. Suzanne se detourna pour cacher ses larmes.--Ma bonne vieille Suzanne, poursuivit monsieur Sarrasin, si vous ne pouvez nous suivre, vous nous attendrez la.--Ah! monsieur! dit Suzanne avec une instance dans le regard, et decouvrant sous son tablier noir sa couronne a elle, qu'on ne lui avait pas commande d'apporter, monsieur! j'ai du courage, et je sais le chemin! Dans votre absence depuis six mois demeuree toute seule, je n'avais pas d'autre voyage a faire, et je venais!--Entrez donc, ma fidele Suzanne, entrez, mes petites cheries... Vous n'oublierez jamais notre premiere promenade: elle est serieuse; mais elle est pleine d'esperance. Voyez que de fleurs! Il y en avait, en effet, deja beaucoup; et des arbustes, des plantes vertes, des saules si bien entremeles ensemble que la terre a cette place ne se voyait plus qu'a peine.--C'est ici, mes filles, qu'il faut attacher vos couronnes et vous mettre a genoux. Ce que firent les enfants. --Venez, leur dit-il, apres qu'il eut prie au milieu d'eux et pour eux. Venez! votre mere vous regarde; elle vous benit. La petite Marceline se precipita dans les branches et les hautes herbes en criant:--ou donc! ou donc! --Monsieur Sarrasin apres l'avoir saisie dans ses bras, lui dit: je te promets que nous serons tous reunis un jour et que nous irons la rejoindre par la porte du ciel.--Merci! repondit l'enfant qui se coucha triste sur son epaule, et qui redescendit avec son pere au milieu des sanglots de ses jeunes soeurs qui marchaient mieux qu'elle. IV. LA POUPEE MALADE. L'enfance est heureuse! elle est aimee de Dieu. Dieu charge un ange de mesurer la peine a la faiblesse. L'ange y va bien doucement; on croit qu'il leur souffle des baisers dans leurs larmes. De la ces ondees de pleurs qui mouillent a peine, car il les emporte sur ses ailes avec leurs prieres. Alors, ils rient, ces petits enfants; ils aiment, ils esperent, ils croient et c'est pour cela que Dieu les aime; pour cela qu'il a dit: _Laissez venir a moi les petits enfants?_ Il faut donc se rejouir en pensant que les quatre soeurs retrouverent leurs poupees avec un sentiment de joie tres pur et qu'elles les associerent a leurs souvenirs, a leurs jeux, a l'union charmante qui regnait entre elles. Un jour que les lecons etaient finies, leur pere s'etonna du profond silence qui avait succede au bruit accoutume de l'heureuse chambre de ses enfants. Il s'approcha sur la pointe du pied pour observer la cause de ce grand silence, et demeura fort surpris de voir la poupee d'Augusta couchee, et les petites filles s'agitant autour d'elle avec le plus tendre empressement. Un ordre parfait regnait dans leur activite muette. On glissait doucement autour du cher petit objet qu'on semblait avoir peur de reveiller, de cette Lutine si vive et si brillante, privee de ses vetements incommodes; renversee sur un oreiller, se conformant a sa position avec une grace qui enchantait les enfants. Alphonse, joli petit parent de la maison, partageait fort gravement les soins de ses cousines et remplissait les fonctions de medecin. C'etait un charme de le voir tatant le pouls de Lutine, reflechissant comme il avait vu reflechir un docteur profond, et s'asseyant pres du lit, le front appuye sur sa main, une plume passee dans ses levres, lent a ecrire l'ordonnance que ses cousines attendaient avec anxiete. Oui! l'enfance est heureuse. Il y avait pour elle dans cette scene l'interet d'un drame veritable. Cette malade immobile leur faisait pressentir ou rappeler tout ce qu'il y a de doux, d'aimable aux soins prodigues a un etre souffrant. Monsieur Sarrasin vit tant de zele et de charite regner dans ce coin de chambre, que les larmes lui en vinrent aux yeux. Albertine lut l'ordonnance du medecin, et prepara promptement une petite bande de toile urgente pour la saignee, qu'executa sur l'heure la main legere et hardie d'Alphonse. La lancette fut un passe-cordon d'argent, la cuvette une coupe de porcelaine qu'avait pretee la vieille Suzanne. Alors, a la satisfaction curieuse des enfants, la poupee dont la peau fut plus qu'effleuree par l'integre Alphonse qui s'en acquittait de tout son coeur, la poupee perdit une grande quantite de son. --Elle est sauvee! cria le docteur. Elle est sauvee! Sauvee! repeterent en frappant dans leurs mains les gardes-malades, qui avaient a peu pres le costume de l'etat. --Je te fais compliment de cette cure, mon ami, dit monsieur Sarrasin en se montrant. Tu me parais devoir etre un jour medecin dans toutes les formes. Alphonse lui sauta au cou, et lui dit en confidence.--Je fais semblant de croire; car, vois-tu, cette poupee n'est pas vivante.--Si! Si! un peu vivante cria Augusta qui l'avait entendu, et qui ne voulait pas perdre son illusion. Tiens, papa, regarde, ajouta-t-elle en entrainant son pere aupres de sa Lutine. Tu vois que les sangsues ont bien pris!" Lutine avait, en effet, huit sangsues, ou du moins huit petits morceaux de reglisse decoupes dans la forme de ce laid et bienfaisant animal. Il faut convenir que Lutine ainsi barbouillee, le bras vide, et lavee par toutes les potions qu'on lui avait fait boire, demeura dans un etat de convalescence, dont les bons soins de la sage Albertine ne purent jamais la tirer entierement. Monsieur Sarrasin declara pourtant que cette convalescence serait celebree par un banquet, ou le docteur recut, en cremes, en biscuits et en darioles, le prix de sa sagacite merveilleuse. --D'ou provenait la maladie de Lutine? manda Monsieur Sarrasin, moitie serieux, moitie riant. Le docteur mangeait, se reposant sur ses lauriers. Augusta repondit avec vivacite que Lutine avait fait son malheur elle-meme, qu'elle se serrait dans son corset de maniere a s'etouffer, ce qui la rendait tres-agacee et tres-pale. Enfin, papa, sans moi, elle serait devenue poitrinaire. C'est une folle, sans soin d'elle-meme, jamais en place, une petite ramasse-poussiere qui me fait tourner la tete. --Je comprends, dit son pere, en frappant doucement sur cette petite tete agitee, qu'il faudra lui donner un bien bon exemple pour la corriger. La tienne, Valerie, parait en bonne sante. --Oui, papa, elle danse toujours, et je lui apprends le pas du chale pour te faire une surprise le jour de ta fete. Oh! papa! elle valse presque seule sans s'etourdir. --Il faut lui faire une recompense de cet amusement, mon ange: on peut danser de joie quand on a bien rempli tous ses devoirs; j'y veillerai avec toi. La tienne, Albertine, comment se conduit-elle? Albertine ne repondit rien qu'en courant chercher les preuves de l'excellente conduite de Prudente. Elle rapporta, dans un doux silence, l'ouvrage de tapisserie termine avec une proprete ravissante; puis elle etala, avec un sourire d'une petite mere satisfaite, un trousseau cousu de la facon la plus solide. Ce trousseau se composait deja d'une paire de draps ourles, marques au nom de Prudente; quatre chemises a manches longues en forme de peignoir; quatre manteaux de lits, des beguins bordes d'une petite dentelle de Lille et quatre mouchoirs ornes de son chiffre. Avec cela, dit l'enfant plein de joie, elle peut attendre. Elle m'a bien aidee, cette chere mignonne! Oh! papa que je l'aime! et que je suis contente quand nous travaillons ensemble!--je t'aime aussi, dit son heureux pere, et je te donne des ce moment le droit de surveillance sur toutes les poupees de la maison; elles y gagneront beaucoup et tes jeunes soeurs davantage. Les plus petites embrasserent tendrement Albertine, qui les baisa d'un baiser plein d'amour et d'avenir. Je dois vous dire, pour l'avoir vu de mes yeux qu'elle devint, en effet, plus tard, le guide et l'appui de ses soeurs, dont elle est encore adoree. Dans un moment de reflexion fort rare chez Augusta, elle regardait un peu tristement les ravages que sa tendresse avait produit chez Lutine, qui n'etait plus que l'ombre d'elle-meme,--Veux-tu la mienne? dit Marceline, que personne ne soupconnait en observation dans un coin; mais dont les yeux intelligents percaient toujours jusqu'a la tristesse des autres. Prends la mienne, prends, petite soeur; tu soigneras, Lutine et Fauvette te rejouira. --Mais toi, repondit Augusta, en hesitant a recevoir la belle Fauvette, aussi fraiche que le jour de son entree dans la maison. --Je la regarderai, Augusta, quand j'aurai fini mes devoirs; mais elle est lourde et elle a trop de plumes, il est impossible que ce soit la ma fille. --Oh! j'en aurai donc deux! s'ecria sa soeur folle de joie. Que de choses, mon Dieu! que d'inquietudes je vais avoir sur les bras! qu'une grande famille cause de soins et de fatigue aux meres! L'ORPHELINE DU BOULEVARD Monsieur Sarrasin n'avait pas vu sans surprise le detachement de Marceline pour Fauvette, il en cherchait la cause dans l'insouciance de son age; mais il se trompait; il en eut la preuve un jour. Toute cette famille innocente revenait du boulevard Saint-Denis; on pressait le pas, car c'etait l'heure ou les lumieres du gaz s'allument de loin en loin. Une humble boutique a terre s'annoncait a une grande distance par la voix d'un jeune marchand, qui jetait ces paroles percantes dans toutes les oreilles promeneuses: Voyez, messieurs, voyez mesdames, enfants, petits enfants, voyez! pleurez pour obtenir de vos peres et meres les tresors a cinq sous que voila. A cinq sous, messieurs, mesdames, enfans, petits enfants! A cinq sous, tout ce qui peut frapper l'oeil de l'acquereur!" Monsieur Sarrasin ne resista pas a l'attraction de cette voix puissante; il permit a ses enfants de choisir chacune un de ses tresors a cinq sous qui font plus d'heureux qu'on ne pense. Un seul objet attira toute l'attention de Marceline. Une poupee nue, abandonnee dans un coin, sur la terre humide, lui causa une sensation de pitie subite. La plus attrayante sympathie s'etablit entre elle et cette pauvre petite chose dedaignee; et pressant de toute l'etreinte de ses deux mains la main de son pere pour le forcer a se pencher vers elle, donne-moi, lui dit-elle, cette Fauvette, pour que je la rechauffe, oh! je t'en prie!" Elle fut a l'instant sous son manteau, entre'ouvert vingt fois par les caresses que cette poupee recut de son doux sauveur. C'est de la que lui vint le nom de l'Orpheline du Boulevard. Il est impossible de vous representer l'affection qui parut s'etablir entre elles deux. C'etait presque triste de penser qu'un seul coeur en faisait tous les frais: on aurait voulu animer un peu l'objet d'une amitie si tendre, pour lui donner le bonheur d'y repondre. Marceline ne le desirait pas, elle en etait sure! elle voyait ces petits traits fins et luisants s'animer pour elle, pour elle seule! et cette idee lui causait du ravissement. Jamais on ne la rencontrait sans l'orpheline collee contre sa poitrine; jamais elle ne se couchait, apres sa priere a Dieu, sans endormir sur son coeur son enfant trouve, l'amour de son choix, sa petite bien-aimee! Elle passait toutes ses recreations dans cette union intime et silencieuse. Tout ce qu'elle lui chuchotait de paroles caressantes et mignonnes ferait un poeme d'amour et d'amitie! Cette jeune ame etait remplie, et son visage d'ange rayonnait de bonheur. Sur les genoux de son pere meme, qui l'y bercait souvent comme la plus legere, elle montait avec l'orpheline associee a sa vie; cette vie fut un sourire tant qu'elle posseda sa frele et pure idole. Quand son pere, qui souriait de cette tendresse, lui demandait:--Que dit-elle de tout ce que tu lui racontes! --Elle m'ecoute, repondait l'enfant, elle m'entend!" Et l'avenir de cette petite fille l'inquietait plus que celui de la rangeuse Albertine, plus que celui de la bondissante Valerie; plus meme que celui d'Augusta, dont le caractere impetueux pouvait se modifier, et l'exempter a coup sur de toutes les maladies de l'ame. LA POUPEE PERDUE. Alphonse avait passe tout un jour de conge au milieu de ses jeunes parentes, et ce jour s'etait ecoule comme une heure. Le jardin deja embaume, la cour ou il y avait de l'herbe et des poules, les greniers ou vivaient des pigeons a la plume eclatante au soleil, tout avait maintenu la joie et la concorde dans cette jolie famille; pourtant Marceline devint triste apres le depart d'Alphonse. Elle le fut le lendemain, le surlendemain, longtemps, jusqu'a ce que l'on s'apercut qu'il y avait de profonds soupirs dans son silence, que ces soupirs ressemblaient presque a des sanglots et qu'enfin sa sante s'alterait d'une maniere sensible. Son pere la portait dans ses bras, la faisait danser avec Valerie, coudre avec Albertine, sortir avec sa bonne Suzanne. L'enfant obeissait partout, mais elle dansait d'un air pleurant, se couchait sur l'epaule de son pere, reveuse et les yeux fixes, gardait sans y toucher les gateaux delicieux dont Suzanne voulait reveiller son appetit, et posait une heure entiere sa petite tete brulante sur les genoux de sa patiente soeur, Albertine. --Veux-tu cela? lui disait-on, et cela? et cela? et beaucoup de choses propres a la distraire. Oui! oui! oui!" repondait-elle d'une voix douce et plaintive, mais elle ne jetait seulement pas les yeux sur les joujoux qu'on s'empressait de lui offrir. Cette petite fille etait devenue si chere a monsieur Sarrasin, qu'il devint lui-meme tout reveur de la voir ainsi languissante apres avoir interroge sa maison dans la crainte que l'enfant n'y fut malheureux pendant ses courtes absences; il prit la resolution de la veiller lui-meme jusque dans son sommeil, cet excellent pere! il entra quand tous les enfants dormaient paisibles et blancs comme des ramiers couches dans leurs nids. Le sommeil d'Albertine l'arreta un moment dans une contemplation pleine de bonheur. C'etait l'ange de la paix, qui s'etait endormi dans la priere _pour tous_! Augusta dont les joues rouges semblaient bondir comme deux beaux fruits sur l'oreiller blanc, appela comme Albertine le baiser de ce pere attendri. Il jugea par le sourire de Valerie qu'elle s'etait assoupie avec une chanson sur les levres. Jamais il n'avait compris jusque la tout le bonheur d'un pere, qui entend les douces haleines de ses enfants immobiles de sommeil et de sante. C'est a remercier Dieu a genoux; c'est a croire qu'on l'entend respirer lui-meme dans ce monde. Il n'eut pas le loisir d'interroger le repos de son plus jeune enfant, car a peine eut-il effleure les boucles blondes de son front presque pale, que la petite Marceline se reveilla en tressaillant et fixa ses yeux brillants tout grand ouverts sur son bien-aime pere, en lui tendant les bras. --T'ai-je fait peur? dit-il en se penchant sur elle. Non! j'ai cru que c'etait le bon Dieu, bon comme toi." Alors, avec une voix de pere qui ouvre les secrets de tous les enfants, il entra dans la petite ame sensible et renfermee, au milieu d'un ruisseau de larmes qu'il fit couler a force de confiance et de tendres paroles, la petite melancolique laissa sortir cet aveu: J'ai perdu ma fille! --Comment! dit monsieur Sarrasin frappe d'etonnement, c'est la ce que je cherche depuis trois mois, et tu ne m'en as rien dit? Oh! tu aurais trop de chagrin, poursuivit-elle eu jetant les bras a son cou et puis je ne voulais pas rapporter; c'est si laid! Dis tout, dis, pauvre ange! insista son pere emu et enchante d'avoir decouvert la blessure. --Eh! bien!... ne gronde pas Alphonse, dit-elle en sanglotant sur le coeur de son pere. Moi, je serai bien sage..., je rirai devant toi." Je vous avoue que cet homme qui n'etait plus enfant depuis trente ans passes, pleura d'aussi bon coeur que cette douce petite fille. LE RETOUR DE LA POUPEE. --Bonjour, Alphonse, dit le lendemain monsieur Sarrasin en entrant dans la maison de son petit neveu, qu'il trouva dans la cour. --Ah! mon oncle, quelle joie de te voir! --Je l'imagine bien, mon ami, et puis voila ta cousine un peu malade, qu'il faut distraire et guerir. C'est une heure de plaisir que nous venons te demander. --Quel bonheur! quel bonheur! quel bonheur! cria de toute sa tete Alphonse en voltigeant a travers l'escalier, ou il tirait de toute sa force son oncle par la main: maman! c'est mon oncle! c'est petite cousine " et sa mere ouvrit avec empressement. Au milieu de l'entretien amical qui s'engagea, monsieur Sarrasin observait le maintien de sa fille. Il craignait qu'elle n'en voulut dans son coeur a ce jeune garcon, auteur vrai ou suppose d'un si grand chagrin. Mais il ne vit nulle trace d'inimitie ni de bouderie sur ce petit front reveur, et l'aima bien mieux encore. Amour a ceux que la douleur n'aigrit pas; qui ne rendent pas les autres responsables de leur extreme sensibilite! Alphonse l'avait fait souffrir, mais Alphonse n'etait pas mechant; il n'etait qu'etourdi. Cette petite le sentait bien, elle etait si bonne, si triste de la perte de Fauvette, qu'elle n'avait pas besoin de joindre a son mal d'amitie, le mal qui mord le coeur, la haine. Sa mere avait dit une fois devant elle que la haine ferme la porte du ciel: oh! cette petite voulait aller au ciel, elle ne voulait qu'aimer, comme les anges, comme sa mere! "--Figure-toi, Alphonse, dit monsieur Sarrasin au joyeux enfant qu'il avait pris entre ses genoux, et qui grimpait dessus comme un chevreau, figure-toi que j'ai du chagrin." Alphonse dressa l'oreille, cessa de se rouler sur son oncle, et le nez en l'air, les cheveux eparpilles sur son front qui devenait grave, il ecouta tout frappe d'interet, la suite de ce mot qu'il avait repete vivement:--du chagrin. --Oui, Alphonse, du chagrin! je peux te confier cela, a toi, qui es un grand garcon, le cousin, l'ami, le defenseur de mes filles, a defaut de frere, qu'elles n'ont pas: tu comprends? --Alphonse devint tout ame. --Figure-toi que cette petite, que j'ai prie expres ta mere d'emmener un moment au jardin, est encore si credule, si enfant, qu'elle se persuade... mille choses touchantes par leur naivete; entre autres, elle croit que les poupees sont vivantes.--Alphonse poussa un grand eclat de rire et se frotta les mains. --Toi aussi quand tu etais petit, tu croyais fermement a l'existence de ton cheval de carton, et tu exigeais qu'on lui achetat de l'avoine. Mais tu as neuf ans, tu sais la vie et tu es revenu de tous ces enfantillages, une poupee pour toi, c'est un petit morceau de bois; c'est exactement la meme chose pour moi-meme; toutefois, nos anciennes erreurs doivent tourner en indulgence pour les simples, et tu seras triste comme moi quand tu sauras que ta petite cousine est serieusement malade de l'absence, de la fuite, du vol d'une poupee; je dis du vol, car elle a disparu en effet comme un oiseau dont elle portait le nom: Fauvette. --Alphonse redevint immobile. Figure-toi, mon pauvre Alphonse, que depuis trois mois environ, je vois languir mon plus jeune enfant, un ennui muet fane sa vie, sa jeune vie, autrefois heureuse et comblee par la possession de sa poupee! c'etait sa compagne, c'etait sa fille! elle lui parlait bas, elle lui faisait respirer des fleurs, cherchait partout de la mousse pour l'y coucher aupres d'elle: tu aurais ri... Alphonse ne riait plus. --Enfin, pitie! une si petite idole suffisait a un si petit coeur; car sa perte l'oppresse, l'etonne, l'isole. Elle est dans un desert depuis que cette diable de poupee a disparu. Elle ne mange plus qu'a peine, elle a de la fievre, des soupirs, qui disent: ma fille! ma fille! on pourrait en rire si... Alphonse fondait en larmes. --Pourquoi pleures-tu? tu n'es pas son pere, poursuivit monsieur Sarrasin; tu ne sens pas le mal que me fait l'etrange manie de mon enfant. --Je le sens, moi, mon oncle, et c'est bien pire que toi! dit Alphonse avec une candeur passionnee. Tiens! quand tu devrais me battre, il faut que je te l'avoue, car j'etouffe. C'est moi qui suis le voleur de poupee, adieu, mon oncle, je vais..., je ne sais pas ou je vais, mais je n'ose plus te regarder, et j'aimerais mieux etre en prison que devant toi! --Rends-moi plutot la poupee! repartit son oncle en lui barrant la porte, et comprimant ses sanglots contre sa poitrine. --Mon Dieu! s'ecria l'enfant malheureux, si je l'avais, ce serait deja fait. Mais j'ai pris cela, moi, comme un caillou, une balle pour lancer en l'air. Je ne sais ce qu'elle est devenue: je croyais que c'etait pour rire ce nom de: _ma fille_, qui est-ce qui va penser!... --Ah! voila le mal dit l'oncle en appuyant sur cette reflexion. On trouble souvent le bonheur des autres, sans contribuer au sien meme; faute de l'avoir compris on brise, on detruit, sans cruaute, des liens, des habitudes profondes et sacrees; mon cher ami, ne prends rien a personne, ne derange pas un fil dans la trame des autres, de peur de rompre ceux que tu n'apercois pas. Souviens-toi de mon conseil, surtout quand tu seras grand! ---Ah! je te le jure! mon oncle: Malade par ma faute! repetait, en tapant des pieds, Alphonse exalte de repentir. Marceline rentrait dans ce moment. Presse par la honte de paraitre devant elle, il se glissa prompt comme l'eclair, sous un long rideau de croisee, ou il ensevelit sa rougeur et ses larmes. L'ample draperie de soie agitee fortement par Alphonse s'ebranla; quelque ange, souriant peut-etre, en fit tomber la poupee elle-meme! la poupee les bras ouverts comme pour alleger sa chute; la poupee mignonne et cherie, retenue dans un pli du rideau comme dans une etroite prison! Ah! ce fut etouffant de surprise et de joie. Marceline ne fit qu'un grand cri, puis se jeta sur sa fille qu'elle saisit a deux mains avec un tremblement d'ame inexplicable a cet age en se refugiant avec elle sous les bras de son pere, ingenieuse a lui chercher un asile pour toujours! Je ne peux pas vous dire exactement lequel fut le plus heureux de cette etonnante aventure. Monsieur Sarrasin y puisait la guerison de sa chere fille; Marceline une recompense sans nom a sa silencieuse maladie, et Alphonse dansait sur un repentir. Il sentait tomber ce plomb qui pend au coeur de ceux qui se disent: j'ai fait du mal a quelqu'un! Oh! decidement, Alphonse etait le plus heureux! tout le monde du moins aurait pu le croire comme moi, en le voyant bondir sur le chemin ou la poupee fut ramenee en triomphe par les trois personnes auxquelles elle inspirait un interet si different! LA MERE A SON FILS. Quand j'ai gronde mon fils je me cache et je pleure. Qui suis-je, pour punir, moi, roseau devant Dieu; Pour devancer le temps qui nous gronde a toute heure, Et crie a tous: prends garde; il faudra dire adieu! Mourir avec le poids d'une parole amere; D'une larme d'enfant que l'on a fait couler; Que l'on sent sur son coeur incessamment rouler; est-ce donc pour ce droit que l'on veut etre mere? Est-ce donc la le prix des immenses douleurs, Dont nous avons paye leur presence adoree? De ce pas sur la tombe encor toute navree, Dieu! laissez-nous donc vivre et respirer nos fleurs! Laissez-nous contempler a deux genoux la tige, Qui veut se lever seule et fremit d'obeir; Qui veut sa liberte, son plaisir, doux vertige. Tout ce qui nait, mon Dieu! tend ses bras au plaisir. Laissez-nous seulement, ardentes sentinelles, Ecarter leurs dangers qu'ils aiment, si petits; Si forts a repousser nos forces maternelles, De la fierte de l'homme innocents apprentis. Purifiez un peu ce monde ou chaque haleine, A l'entour de nos fruits souffle un air plein de feu; Preservez le lait pur dont leur ame etait pleine; Alors nous guiderons leur coeur par un cheveu. Beaux anges mutines qui bravez nos tendresses, Dont les jours, dont les nuits tiedes de nos caresses, Loin de vos nids plumeux brulent de s'envoler; Qui les fera plus doux pour vous en consoler? La mere, n'est-ce pas un long baiser de l'ame? Un baiser qui jamais ne dit NON ni DEMAIN? Faut-il ses jours? Seigneur! les voila dans sa main: Prenez-les pour l'enfant de cette heureuse femme. Enfant! mot plein de ciel, qui fait reine ou martyr; Couronne des berceaux! aureole d'epouse! Saint orgueil! noeud du sang, eternite jalouse, Dieu vous fait trop de pleurs pour vous aneantir. C'est notre ame en dehors, en robe d'innocence, Helas! comme la vit ma mere a ma naissance: Et si je la contemple avec d'humides yeux, C'est que la terre est triste et que l'ame est des cieux! O femmes! aimez-vous par vos secrets de larmes; Par les devoirs sans bruit ou s'effeuillent vos charmes; Apres vos jours d'encens dont j'ai bu la douceur, Quand vous aurez souffert, appelez-moi: ma soeur! MINETTE. Ah! que j'ai vu une triste chose! Il m'en coute beaucoup de vous la raconter; mais elle peut servir de lecon a quelques enfants, si par malheur, il s'en rencontrait encore de pareils a Minette. J'en prends donc le courage. Minette passait chaque annee une partie des vacances chez une amie de sa mere, car Minette etait en pension, parce que sa mere avait des enfants tres petits a elever. Il faut bien vous avouer que Minette revelait un caractere si absolu, si despotique, a sept ans que force etait deja de soustraire de plus faibles creatures a sa domination. Hyacinthe etait de son age, et bien qu'elle fut liante et bonne comme un agneau, mademoiselle Minette etait bien obligee de faire, suivant l'expression, patte de velours, car Hyacinthe etait calme et forte. La douce simplicite de son caractere se rehaussait des dehors les plus beaux; leur aimable puissance s'exercait sur Minette elle meme qui n'osait que bien rarement lui dire: je veux! mais, par combien de ruses, l'orgueilleuse ambition de son amitie arrivait-elle au but d'asservir tout ce qui avait le malheur de lui plaire! je dis le malheur, car, j'en connais peu qui fatiguent le coeur plus qu'une amitie tyrannique. Nous n'avons pas le droit d'opprimer nos amis. Ainsi donc, bien que la complaisance d'Hyacinthe fut charmante pour les mobiles fantaisies de Minette, on ne craignait pas qu'elle en souffrit, car elle cedait toujours avec le sourire sur les levres. Personne ne s'apercevait des mille petits sacrifices qu'elle faisait a la tenace perseverance de sa _bonne amie_; elle-meme ne s'en doutait pas peut-etre, car elle y trouvait, je ne sais quel plaisir tranquille qu'un bon coeur goute a voir les autres heureux de l'abnegation de ses gouts. Vraiment, Hyacinthe etait une aimable enfant! On courait un jour dans le jardin, on se jetait des fleurs; Minette en avait deracine un bon nombre, pour les replanter suivant le caprice de son gout sans utilite, sans reflexion que l'idee fixe: je le veux! Minette etait inflexible et legere; rapide et raide comme un papillon de fer. Quel bonheur avec une telle organisation, (qu'elle ne songeait pas a corriger, parce qu'elle se trouvait, parfaite), quel bonheur de ne s'appuyer que sur des relations moelleuses Sur l'inepuisable condescendance de la belle Hyacinthe, qui, n'opposait au degat de ses fleurs qu'un sourire un peu triste, un regard ou se montrait a peine un reproche melancolique, et que Minette ne voyait pas, car elle etait a son affaire, a son systeme de regner partout, meme en ecrasant des fleurs. Mais le jardinier le voyait, lui! et il avait pris Minette en horreur. Minette le meritait, car, un jour que cet homme avait prie poliment la bouleversante petite fille de laisser ses plantes et ses arbustes en repos, elle l'avait regarde de toute la hauteur de ses trois pieds et demi, en disant d'un ton bref: qu'est-ce que c'est que cet homme-la?--C'est Roch le jardinier, avait repondu Hyacinthe, d'une voix pleine d'amenite. --Eh bien! jardinier, je m'amuse! voila! Eh bien! murmura le jardinier en la regardant de travers, ca fait un fier petit paquet d'ortie: voila! Minette devint rouge comme une pivoine qu'elle venait de cueillir; elle la tordit dans ses mains, que la colere faisait ressembler a des petites griffes, ce mouvement furieux d'orgueil fit rire Hyacinthe, qui n'en comprenait pas la souffrance! car l'orgueil fait mal comme une aiguille, quand il n'est pas content. Il faut toujours qu'il danse sur la tete des autres, pour ne pas se retourner contre le cour: c'est un ver malsain a la vie, prenez-y garde. --Tu ris, toi! dit Minette avec du feu dans les yeux et eu poussant Hyacinthe qui chancela. --Tu m'as poussee! dit la douce enfant la poitrine gonflee de surprise. --Non! je ne ne l'ai pas poussee, repartit Minette vivement. --Si! tu m'as poussee! et deux larmes ruisselerent sur ses mains que serrait impatiemment Minette, en lui criant d'une voix alteree:--Dis que je ne t'ai pas poussee! dis que je ne t'ai pas poussee! --Je l'ai cru, dit naivement Hyacinthe. Si non, je ne l'aurais jamais invente. --D'ailleurs, tu ne m'aimes pas, toi! reprit Minette en boudant. --Si! je t'aime! --Non! tu ne m'aimes pas, puisque tu ris quand on me dit des mots. --Je n'ai pas ri de cela, parce que tu avais commence, et que Roch est bon! mais c'est que tu avais l'air de faire expres des gestes, comme en jouant a _prechi, precha!_ --Bien sur! dit Minette en levant son doigt. --Oui! bien sur! et l'on s'embrassa. Si tu m'aimes, tu feras tout ce que je voudrais; n'est-ce pas? reprit avec reflexion Minette en calinant. --Tout ce que je pourrai, sans faire de mal a personne. --Bien entendu, nigaude; est-ce que je suis mechante, moi? et Minette avait un desir singulier d'obtenir une grande preuve d'amitie, d'obeissance peut-etre, de cette compagne qu'elle avait vu rire d'elle. Tiens, dit-elle en cueillant une herbe laiteuse et d'un vert gracieux; si tu m'aimes, frotte tes joues avec ce bouquet: cela pique un peu, et ce sera un gage. --Quelle idee! si cela pique. --Je t'en prie! je t'en prie! pour etre sure de toi. Hyacinthe ne se fit pas presser davantage, et sans redouter une legere piqure, elle broya l'herbe sur son charmant visage. Minette dansa! C'etait du tithymale, connu sous le nom d'_eclair_, dont le suc violent et corrosif, par une trompeuse ressemblance avec la creme, peut causer les maux les plus cuisants, si on l'applique sur une chair tendre et delicate. La fraicheur du soir arreta d'abord l'effet douloureux de l'herbe. Cependant une inquietude involontaire agitait l'enfant qui passait a chaque instant les mains sur ses joues et son menton plus blanc, plus rose qu'a l'ordinaire. Mais la lumiere, qui palit tout, attenuait l'eclat de cette nuance fievreuse qui la rendit d'abord plus belle en faisant scintiller ses yeux d'une flamme souffrante. Oui, elle commencait a souffrir; mais sans le demeler clairement, sans se plaindre surtout, disant dans son cour: Bah! ce sera bientot fini. Minette est ma bonne amie: elle n'aurait pas voulu me faire du mal. Minette mangeait des fraises. Hyacinthe la regardait se detournant souvent pour gratter sa figure et une fois aussi pour pleurer. La nuit, ce fut terrible. Elle revait des choses qui font peur, des chats qui sautent aux yeux, des oiseaux qui dorment des coups de bec: enfin toutes sortes de betes mechantes que la fievre invente et jette dans les songes des plus innocentes creatures. Minette dormait du sommeil du juste: elle n'entendit pas une des plaintes etouffees de sa pauvre petite victime, dont la mere fut eveillee avec un sentiment profond d'effroi. D'abord elle preta l'oreille en s'appuyant sur son coeur qui battait; puis, cette voix chere et gemissante la remplit de saisissement. Elle alla dans la chambre voisine droit au lit de sa fille, comme si cette chambre eut ete pleine de lumiere. Hyacinthe etait assise sur son lit dormant et pleurant tout ensemble; ses deux mains dechiraient, sans le savoir, ce doux visage brulant, baigne d'autant de sang que de larmes. Sa mere ne recevant pas de reponse et l'entendant gemir, approcha d'elle une veilleuse allumee toutes les nuits pour la securite de la maison: douleur d'une mere! vous la figurez-vous, quand la lueur de cette lampe n'eclaira qu'un monstre couvert d'ampoules noires et sanglantes! Hyacinthe avait la tete grosse, grosse! comme je ne sais quoi, car elle etait tres-grosse. Dieu sauveur! dit sa mere toute defaillante, mon enfant! ma fille! qu'avez-vous? Ah! Ferdinand! cria-t-elle a son fils aine qui etait accouru a ses cris douloureux, Hyacinthe a la petite verole, regardez, comme la voila!" Ce jeune homme qui etait un tres-bon frere, ne put contenir son effroi et reveilla tout-a-fait la petite fievreuse, dont il retenait les mains dans les siennes. "--Oh! laisse! laisse! mon bon Ferdinand, dit-elle, laissent moi oter ces mouches qui me piquent, ou bien, ote-les, toi! Seigneur! Seigneur! que j'ai du mal! ou est maman? je croyais qu'elle parlait aussi dans mon reve." Sa mere resta bien epouvantee, car elle etait juste devant elle; ce qui lui fit dire avec un frisson froid par le corps:--Ma fille est devenue aveugle! Tout fut dans une grande agitation jusqu'au jour, comme vous pouvez croire. Il etait trop vrai qu'Hyacinthe ne pouvait ouvrir les yeux qu'avec des peines infinies et disait des mots si touchants que le coeur de sa mere s'ouvrait. Enfin, des que le jour parut, Ferdinand la conjura de se calmer *** meilleur medecin de la terre pour soulager leur petite bien aimee. Hyacinthe l'attirant doucement vers elle se pencha sur son epaule pour parler dans son oreille: --Ne va pas chez un medecin, dit-elle il n'y a que Minette qui puisse me guerir. Dis-lui de venir me voir, Ferdinand: elle m'otera bien vite mon mal, va! Ferdinand emu d'un vague soupcon fit en toute hate lever mademoiselle Minette par la bonne, et attendit impatiemment a la porte jusqu'a ce qu'elle fut habillee. --Venez! Minette, venez! dit-il d'un air trouble, on a besoin de vous aupres du lit de ma soeur. --A peine Hyacinthe entendit-elle sa petite amie, qui demandait avec effroi: --Besoin de moi? Ah!... pourquoi...? qu'elle s'elanca de son lit les bras ouverts devant Minette, en disant tristement: --Voila comme je suis!" Un cri d'horreur repondit seul a ce touchant appel: Minette s'enfuit sans vouloir embrasser Hyacinthe, et descendit quatre a quatre les escaliers en repetant.--Non! j'ai peur! non! j'ai peur! Sa mauvaise action avait pris en effet une figure bien effrayante pour la punir; mais s'en aller! fuir devant la priere sans reproche d'Hyacinthe! Ah! c'etait affreux! c'etait lache, c'etait encore la secheresse de l'orgueil! Je vous dis que l'orgueil est sans pitie. Il n'en a pas meme pour ceux, qui le nourrissent, ce serpent! Qui, dans le monde, si ce n'est Minette, ne fut tombe a genoux et n'eut pleure a chaudes larmes devant l'enorme tete de son innocente compagne? Les larmes, dit-on ne guerissent pas. Non; mais elles desarment; et l'on n'eut pas vu ce que l'on a vu, si Minette n'eut ete, par ce degout hors de raison, jugee indigne de toute pitie. Ferdinand avec la promptitude d'un garcon de quatorze ans, que l'on irrite dans ses amities, (car sa mere et sa soeur etaient ce qu'il aimait le mieux dans l'univers) s'elanca a la poursuite de la fuyarde et l'atteignit au bout du jardin, ou Roch replantait tout ce qu'elle avait abime la veille. Ferdinand brulait d'eclaircir le soupcon qu'il avait contre cette petite griffe, assez connue deja dans le monde, (bien qu'elle n'y fut que depuis sept ans) pour ne pas inspirer grande confiance. La reputation d'une longue vie commence de bien bonne heure dans les familles. --C'est vous! dit Ferdinand qui avait saisi la petite fille effaree, c'est vous qui pouvez guerir ma soeur: Voyons, est-ce vous? --Je ne peux pas la guerir, non, laissez-moi, criait-elle en se tordant. Ahie! je veux m'en aller! --Oui! tout de suite. Mais quand vous m'aurez avoue ce que vous avez fait a ma soeur. --Rien du tout! dit-elle un peu pale, et les levres amincies: est-ce ma faute si elle en a trop mis! je veux m'en aller. --Ferdinand! Ferdinand! dit sa mere en l'appelant de la fenetre, laissez cette petite. Le medecin! mon ami, le medecin!" Et Roch, appuye sur sa beche, regardait avec un grand sang-froid l'heure de la justice qui allait sonner pour Minette; des dames aussi, dont les jardins entouraient celui-la, regardaient egalement de leurs fenetre l'acte de justice qui s'accomplissait alors. --Le medecin, ma mere! repondit Ferdinand a voix haute, le voila, tenez, le voila! poursuivit-il en levant en l'air par les bras, la furieuse Minette qui battait des pieds a vide, pour echapper a Ferdinand. --Vous savez bien, reprit-il que la vipere guerit sa piqure quand on l'ecrase dessus. Alors, inflexible et fort, il interroge de nouveau cette nuisible enfant. Elle avoue son crime, entremelant sa confession de hurlements, qui disaient: je veux m'en aller! je le dirai a maman! je vous ferai battre par maman!" Ce qu'il me reste a vous dire me fait perdre la respiration. Minette, au milieu du jardin entoure de fenetres peuplees de spectateurs, devant Roch, qui en replanta ses fleurs avec plus de courage, Minette fut fouettee! fouettee par un frere qui venge sa soeur, et qui y va de toute son ame, au bruit des applaudissements des spectateurs indignes: et tout en elle, tout! jusqu'a sa jupe, en demeura immobile, petrifie de honte.--Il faut tirer le rideau sur la fin de cette scene. On la reconduisit en voiture chez ses parents, ou a sa pension, n'importe. Ainsi tout lien fut rompu entre deux maisons qui s'aimaient avant la naissance de Minette! Une quantite prodigieuse de lait, sa soumission a se baigner le visage, et les soins de ses amis rendirent a Hyacinthe la vue et la sante. Ce fut la seule qui pleura de l'humiliation de Minette. LE PETIT RIEUR. "Laissez entrer ce chien qui soupire a la porte; Je souffre quand j'entends souffrir autour de moi: Fut-il aveugle et vieux, il pleure, qu'on l'apporte. Mon feu lui sera doux... Quoi! petit Paul, c'est toi? C'etait le petit Paul. Sous un brouillard d'automne, Pensif et tout mouille depuis un long moment, Sans l'ouvrir, a la porte il grattait doucement. Pourquoi n'entrait-il pas? On l'entoure, on s'etonne. Il entre. Il reste la sans avoir dit: bonsoir, Bonsoir, petite mere! et sans oser s'asseoir. Mais Paul tenait en vain sa paupiere baissee; Les meres ont des yeux qui percent la pensee. "De l'ecole avant l'heure on vous a fait sortir; Pourquoi? Ne mentez pas. --Je ne sais plus mentir, Mere. Pour presque rien. --Presque dit quelque chose: Votre maitre est si bon qu'il ne fait rien sans cause. --On ne peut jamais rire, et c'est bien malheureux! Moi, quand je ne ris pas, je suis tout las de vivre. --Vous avez donc ri, Paul? --Oui, mere, sous mon livre. --Qui vous rendait si gai? --Christophe. Il est affreux, Christophe! Il a l'oeil trouble et la tete enfoncee. Ses bras vont jusqu'a terre, et sa jambe est torsee, Comment cela! --C'est triste. --Oui, si je l'avais su: Mais je n'avais jamais vu d'ecolier bossu; J'ai cru que les bossus venaient tout vieux au monde, Comme Esope a mon livre. --Esope fut enfant, Et sa mere pleura. Pitie douce et profonde, La laideur s'embellit quand ta voix la defend. L'homme apporte des maux dont rien ne le console! --Mais Christophe, ma mere, est un rude garcon; Ce n'est qu'un paysan, le dernier dans l'ecole. Et comme on riait trop pour suivre la lecon, J'ai dit: Esope! Esope! en regardant Christophe; Et j'ai fait le portrait du crochu philosophe: Voyez! Messieurs, voyez le divin animal! --Et que disait Christophe? --Il detournait la vue; Il cachait dans ses mains sa rougeur imprevue, Et je crois qu'il pleurait. --Tais-toi! tu me fais mal. Il pleurait!... O railleurs, que vous etes a craindre! Un etre a donc souffert, et souffert sans se plaindre: Tout ce qui pleure est beau. Je l'aime en ce moment; Oui, j'aime mieux Christophe et sa jambe tournee, Que ta langue epineuse a blesser destinee; Je l'embrasse de l'ame et je le vois charmant. Viens, que je te corrige! Ecoute-moi: tu m'aimes? --Oh oui! --Souvent nos dards retombent sur nous-memes. Regarde-moi longtemps: et que ton avenir S'epure d'un amer et tendre souvenir; Comment me trouves-tu? --Belle comme une mere! O ma mere! vos traits ont la douceur du ciel. La vierge des enfants, que l'on prie a Noel, Est comme vous tendre et severe: Oui, vous lui ressemblez. J'y pense en vous voyant, Et c'est vous que je vois, ma mere, en la priant! A l'eglise une fois vous etes apparue, Et la foule indigente en joie est accourue; Vos habits etaient gais; vous etiez blanche; et moi Je disais: C'est ma mere! et l'on disait: "He! quoi! C'est sa mere!" Ah! maman, quel bonheur! --Je t'ecoute, Et je plains ton doux reve; il me touche. Il m'en coute D'attrister le miroir attache sur ton coeur, Ou tu me trouves belle, ou je me vois aimee; Mais, regarde, et gemis d'etre un enfant moqueur: Je suis laide. --Ma mere!... --Enfant! je vous afflige? Je vous ote un bandeau. Je suis laide, vous dis-je; Un jour, un petit Paul aussi rira de moi. --Je le tuerai, ma mere! oh! quand il serait roi. Dieu! rire de ma mere! --Et l'enfant qu'elle adore L'enfant que son malheur lui rend plus sien encore, Penses-tu qu'une mere, au fond de ses douleurs, Ne se levera pas pour revenger ses pleurs? Et toi, mon fol enfant, fier de tes belles armes, Lancant ton rire ingrat sur l'objet de ses larmes, Prends garde! si ta langue allait faire mourir! Dieu dit: "Tu souffriras ce que tu fais souffrir." L'OISEAU SANS AILES. --Que tenez-vous-la, Georges? dit Marie a son frere qui accourait vers elle. --Prenez-le, Marie; car c'est un pauvre oiseau presque mort de froid. --Ou l'avez-vous trouve, Georges? --Engourdi sur la neige, Marie. --Pauvre oiseau! dit-elle; quelque mechant garcon t'aura coupe les ailes, et tu seras tombe du toit, sans pouvoir voler. Mais je te ferai un nid; j'y mettrai de la laine chaude pour t'y coucher, et tu auras ta nourriture de ma main, jusqu'a ce que tes ailes soient repoussees. Ainsi, ne crie pas, pauvre oiseau; cela me fait mal dans le coeur de l'entendre gemir. Elle nourrit ainsi le jeune oiseau jusqu'a ce qu'il put sautiller et voler. Georges le regardait avec joie, tout gueri et si familier qu'il s'elancait de sa cage, quand on lui disait seulement: petit! petit! Georges fut si content qu'il embrassa Marie en lui disant: tu es bonne! Par un jour de soleil et tout pres du printemps, Marie regardait le ciel a travers la fenetre; elle dit en elle-meme: C'est pourtant la le vrai sejour des oiseaux; le notre a des ailes a cette heure; quelle serait sa felicite de remonter vers ces beaux nuages d'or, et dans ce fond d'azur, sa splendide maison, sa premiere maison! Petit! petit! cria-t-elle, courageusement; et l'oiseau vola sur son epaule. Adieu! poursuivit Marie en versant une larme, qui tomba sur l'aile de l'oiseau, et en ouvrant precipitamment la fenetre: Je t'aime mieux, dit-elle, pour toi-meme que pour moi. Je t'ai rendu des ailes, ce serait affreux de les enerver dans une cage. L'oiseau, ebloui d'abord, et un peu chancelant au grand air, fixa bientot hardiment cette vivifiante lumiere du ciel; il etendit trois fois ses ailes palpitantes, et disparut enfin dans l'espace inonde de soleil. Marie revint seule pres de la cage vide, ou elle appuya son coeur, et prenant dans ses deux petits bras cette cage triste, comme la chambre d'un ami perdu, elle dit tout has: C'est lache a moi de pleurer, car j'ai bien fait. Tout a coup, Georges entra en sautant. --Bonjour, Marie, ou est le petit? Petit! petit! cria-t-il ne le voyant pas comme a l'ordinaire dans sa cage egayee de fleurs et de feuilles vertes qu'il venait de renouveler. --Vois qu'il fait beau, repondit Marie, en le conduisant a la fenetre. Rejouis-toi, Georges. Notre ami est plus pres que nous da ciel. Le ciel est a lui, vois-tu? et je le lui ai rendu tout a l'heure; regarde mes yeux... Je ne pleure plus. Georges cacha sa tete sur la fenetre, et demeura petrifie de douleur. --Ah! Marie! dit-il enfin, rouge de reproche et de passion, tu m'as pris mon ami. Tu ne m'aimes pas; tu n'aimes pas l'oiseau non plus, puisque tu l'as ainsi delivre. --Delivre! tu sens toi-meme que c'est une delivrance. Tais-toi donc, mon frere; et pense qu'il n'etait a nous que pour le guerir, le recevoir en passant, comme un pelerin blesse. Il chante peut-etre nos deux noms a la porte du ciel! tais-toi donc! dit-elle en embrassant Georges qui l'embrassa lui-meme; car il sentait que le cour de Marie etait gros et battait contre le sien. Oui! dit-il en la regardant, les yeux mouilles, mais pleins de courage: Tu as bien fait! Vers le soir, comme ils revaient tous deux en regardant du coin de l'oeil la cage silencieuse ils entendirent: tac! lac! tac! contre la vitre. O joie! c'etait l'oiseau qui battait ses ailes pour rentrer. On ne le fit pas attendre, vous le devinez bien! Georges en poussant un cri de bonheur, courut vers la fenetre; Marie, qui etait la plus grande, l'ouvrit en jetant vers le soleil couchant un regard heureux, tandis que Georges couvrait l'oiseau fidele des chauds baisers de sa reconnaissante tendresse, et leur libre ami, tous les jours de sa douce vie d'oiseau, se partagea des lors entre le ciel et sa cage ouverte! L'homme s'eleve de la terre au ciel, a la faveur de deux ailes, qui sont la simplicite et la purete. LE LIVRE D'UNE PETITE FILLE. Dieu benit les enfants qui vont vite a l'ecole; Peut-on, sans les aimer, les regarder courir! On les croirait pousses par quelque ange qui vole, Qui de leurs longs cheveux leur souffle une aureole, Frappe a la lourde porte et les aide a l'ouvrir. J'en sais un dont la mere, humble femme, est heureuse, Et qui chante toujours avec ses cheveux blancs: La reine dans ses fils est moins ambitieuse, Que cette pauvre femme agitee et joyeuse, Qui regarde voler deux petits pieds brulants. "La reputation commence avec la vie. A-t-elle dit un jour a son precoce enfant: Cette echelle mouvante ou monte aussi l'envie, L'ecole grandira de memoire suivie, Et sera d'aujourd'hui le registre vivant. Marche donc! marche droit sans retourner la tete. Qui s'amuse au present retarde l'avenir! Tends les mains jour par jour aux lecons qu'il t'apprete; Jeune, saute a pieds joints l'obstacle qui t'arrete; Vieux, va t'asseoir paisible au banc du souvenir. Moi, j'y suis. Moi pourtant, j'apprends encor: je t'aime! Je cherche, dans un coin de mon passe perdu, Quelque fruit mis a part, sterile pour moi-meme, Car il fut, mon passe, d'une avarice extreme; Mais s'il te fait moins pauvre, il m'aura tout rendu! Et l'on parla bientot jusqu'au bout de la rue, De l'enfant regulier qui savait l'heure: "Allons! Voila Rene qui passe et la nuit disparue; Voila son cri de coq et l'aurore accourue; En route!" et vers la ruche on poussait les frelons. Rene, c'etait l'abeille, et jamais buissonniere. Un jour, un seul, son banc le reclama longtemps C'est la premiere fois! "Sera-ce la derniere?" Cria le maitre aigri dans l'heure prisonniere. Et les plus paresseux riaient, fiers et contents! Ce jour meme, aux rayons d'un soleil couleur On trouva deux enfants que l'on croyait perdus. Un saule, aux bras ouverts, leur a servi de chambre, Et sur le blanc tapis que leur a fait decembre, On dirait, de leur toit, deux ramiers descendus! Le plus grand, c'est Rene. Le plus beau, c'est ma fille; Ange rodeur qui boude a s'instruire avec nous; Qui va cacher son livre au fond de la charmille, Qui ne veut point d'ecole au sein de la famille: Qui se choisit un maitre et l'ecoute a genoux! Cendrillon les absorbe! ils ont contre la bise, D'une haleine d'enfant l'innocente chaleur. L'un par l'autre emportes de surprise en surprise, Rene veut qu'on epelle et ma fille qu'on lise Tout!... comme on veut d'un champ voir la derniere fleur! Moi, j'y si fais peur aux rois: sois douce aux meres! Donne un jour ta main droite a nos jeunes garcons; Tiens ces hommes-enfants loin des molles chimeres: Nous, pour qui la nature a des lois plus ameres, Laisse-nous de leurs soeurs enfermer les lecons! LA PARESSE. --Oh! Maman! quel bonheur de passer tout un jour sans rien faire! cria tout a coup la petite Marie a sa mere. --Quoi! pas la moindre chose de tout: un jour, ma fille? Non, maman, rien du tout! --J'ai dans l'idee, moi, que le jeu finirait par t'ennuyer. --Le jeu m'ennuyer maman! oh! maman, je serais plus heureuse que la reine. --Les reines travaillent, mon enfant. --Oh! maman! Vrai!... Vrai, mon petit Ange. --Elles sont donc bien a plaindre? dit Marie avec un gros soupir. Au contraire, le travail les dedommage souvent d'etre reines. Marie demeura confondue. Mais plus amoureuse que jamais d'un long espace tout vide de lecture et d'ecriture, d'un jour de cent lieues a parcourir dans la danse, les papillons, les poupees, le soleil et tout! Marie etait palpitante de ce desir: l'eau lui en venait a la bouche, et riante, agitee, gracieuse et suppliante, elle recommenca: Oh! maman! quel bonheur depasser tout un jour sans rien faire!--Je te le donne, dit sa mere en l'embrassant. La respiration manqua a Marie. Elle rassembla ses joujoux, sautant a pas entrecoupes comme son haleine. Elle prepara son univers a elle toute seule; car ses soeurs etudiaient avec les maitres et leur mere, en attendant le diner. Elle porta sa liberte pendant une heure avec une constance parfaite. Elle glissait a travers, legere comme un reve, ou comme une realite qui a des ailes. Jamais oiseau, ne pour voler, sans lire, ni ecrire, ni coudre, n'a pris un elan plus rapide dans son ciel, que Marie dans son bonheur oisif. Toutefois, peu a peu, son imagination, si haut montee, sembla s'alourdir; puis, tous les instants qui suivirent, comme des moineaux devorants qui ravagent du ble, lui enleverent, un a un, ses plaisirs. Elle avait deja pese bien souvent ses joujoux les uns apres les autres, ils devenaient de plomb; a la fin, elle demeura muette devant eux, les bras pendants, les yeux fixes; sa poupee etait tombee en desordre, sans que Marie eut tremble qu'elle ne se blessat; au contraire, elle la releva avec une moue pleine de reproches, en l'appelant assez aigrement _traine-a-terre!_ La soumission de cette poupee, favorite dechue, plus muette qu'a l'ordinaire, ne la toucha point. Elle s'avoua meme un peu qu'elle etait en carton: l'ennui desenchante tout. Par bonheur, la chatte Mouflette montra tout a coup son nez rose a travers les vitres de la Fenetre entre-ouverte et Mouffette parut illuminer la chambre, ou rien ne bougeait, ou rien ne parlait plus a Marie. Mouffette peupla le desert. D'abord elle fut caressee. Contente elle-meme de l'accueil distingue de sa petite maitresse, elle miaula d'une voix flatteuse et ce _ron-ron_ des chats satisfaits ranima un moment la solitude de Marie: on s'aima, on dansa! Mais Marie, comme pour se venger d'avoir langui toute seule, y mettait une sorte d'ardeur qui deplut a Mouflette. Peu passionnee pour la danse, elle refusa de se preter au jeu; Marie la traina alentour d'elle avec obstination, et lui tira tres-imprudemment la queue. Ce procede parut si inconvenant a Mouffette, que, de sa patte demeuree libre par oubli de sa danseuse, elle lui fit une longue egratignure sur son visage penche vers le sien, et s'enfuit lestement par ou elle etait entree. --Ingrate! cria Marie, en tenant sa figure, voila comme tu m'aimes, pour mon lait de tous les jours. C'est bon! je le dirai a maman.". Mouffette ne l'ecouta pas plus que si elle eut chante. Alors, Marie chercha sa mere pour la prier de lui inventer un nouvel amusement, ou pour jouer avec elle; mais sa mere active, qui savait le prix des heures, en apprenait l'emploi a ses autres enfants; la petite fille ne la trouva donc point. Elle se traina au miroir, et fit des grimaces. Elle s'assit encore silencieusement dans un coin de la chambre, ou baillante et accablee, elle pria Dieu pour l'arrivee de ses soeurs. Tout en priant, tout en soupirant, ne reconnaissant plus rien autour d'elle, elle cacha sa tete dans tous ses joujoux morts comme son bonheur, et s'endormit de desespoir. Ce fut ainsi que la trouverent ses soeurs, ses soeurs eveillees comme des souris joyeuses. Elles avaient bien su leurs lecons, et poussaient des chants pleins d'espoir et d'appetit: la bonne mettait le couvert! Marie les regarda, les yeux gonfles d'un mauvais sommeil. Quand elle voulut se lever, elle etait lasse et raide comme dans une fievre de croissance. --Es-tu malade? Marie, lui demanderent ses soeurs qui l'aimaient tendrement. Marre declara qu'elle etait bien malheureuse. Alors toutes s'empresserent de lui apporter ses joujoux qui trainaient; mais elle en avait mal au cour, et se detourna en criant qu'il y avait un complot contre elle, que tout le monde voulait la faire mourir de chagrin! Dans ce moment, sa mere qui connaissait la cause du sommeil et du desordre de cette petite paresseuse entra. --Regarde autour de toi, Marie, dit-elle en lui prenant la main avec douceur, cherche, en nous comptant l'une apres l'autre, celle qui a voulu te rendre malheureuse." Marie eut beau parcourir tous ces visages bienveillants, elle n'y trouva pas son ennemie. Alors elle dit d'une voix honteuse: --Je ne sais pas!" --Je vais t'aider a la connaitre, moi, poursuivit sa mere en la placant toute droite devant le miroir: Regarde: la voila!" Marie fut frappee de ce petit visage maussade ou l'ennui faisait deja des siennes; il enlaidit beaucoup les enfants, et tout le monde. Elle ecouta, docile, les paroles sages et tendres qui se graverent aussi avant dans son coeur que le souvenir humiliant de cette journee entiere de baillements, d'egratignures et de langueur: plutot perir que d'y retomber. Aussi, comme elle apprit ses lecons! comme elle aima l'etude! je crois de meme que c'est la plus douce nourriture du temps. Et vous! LE PREMIER CHAGRIN D'UN ENFANT. Le chagrin t'a touche, mon beau garcon. Tu pleures; Ta levre tremble; allons! te voila dans nos rangs; Tu viens d'apprendre. Oui, nous naissons expirants; Oui, la vie est malade avant que tu l'effleures. Que veux-tu? tes epis pleins de lait, verts encor, Pour tes jeunes larcins plus attrayants que l'or, N'iront pas egayer sous ce treillage vide Le ramier, de tes dons si tendrement avide. Tu courais dans ta joie: et puis, un dard moqueur T'a frappe sons le sein. Pauvre enfant! c'est le coeur; On ne peut te l'oter; la vie est la. Des larmes Baignent a ton insu ta paleur et tes charmes; Tu ne te sauves point dans ton premier effroi: Un instinct te l'a dit; la mort est devant toi. Oui, le Pylade aile de ta coureuse enfance, Doux et muet temoin de tes ebats naifs, Qui se laissait aimer ou gronder sans defense, Qui savait te repondre en murmures plaintifs, Ton camarade est mort. Celte idole livide Grave le premier deuil sur la page encore vide De ta memoire vierge. Oh! que tu souffriras! Ce que tu dois aimer, oh! que tu l'aimeras! Car nul cri ne t'echappe, et d'un muet courage, Sous ta petite main tu contiens tout l'orage: Mais je te sens souffrir de ce qui souffre en moi; Ce qu'on aime est si triste ainsi gisant et froid. Nul chagrin n'entrera plus au fond de ton etre; Nul amour ne sera plus vrai pour toi, peut-etre. La bas, dans l'avenir ou coulent tes beaux jours, A ton beau ramier bleu tu penseras toujours: Et, plus tard, abattu sous les vents du voyage Seul, au bord d'un sentier depeuple, sans fraicheur, Sans soleil, et navre de quelque adieu railleur, Tes yeux retourneront tristes vers l'humble cage Ou t'attendait l'ami par ton souffle eveille, Qui, vivant sur ton coeur, ne l'a jamais raille! Oui, tu regretteras cet amour sans melange, Et tes pleurs innocents ou se mire un jeune ange! Tu diras dans ton sort, plein d'echos du passe, Par des amis ingrats amerement blesse: Oh! je voudrais, mon Dieu, pleurer de douces larmes, Comme l'enfant candide et sans haine, l'enfant Qui pleurait son ramier mort dans ses jeunes charmes; Oh! pleurer comme alors!... qui donc me le defend? LE PETIT BERGER. J'aime la campagne; je suis bien sure que vous l'aimez aussi. C'est un grand jardin sans murailles, sans rideaux, sans jalousies. Rien n'y cache le lever du soleil; il se couche devant vous, et l'on sent jusqu'au dernier de ses rayons qui nous dit a tous:--A revoir! La nuit aussi est animee de bruits qui rejouissent l'ame a demi endormie. C'est un grillon cache dans le four. L'enfant rit quand il l'ecoute; car sa mere, qui sait tout, dit qu'il porte bonheur au village. C'est partout des amis qui se bougent, qui respirent a l'entour de vous. Le coq chante trois fois et sonne l'heure, c'est l'horloge vivante de la nuit. Il est gai de sentir palpiter la nature, meme quand elle est noire; d'entendre fremir les poules, de comprendre tous les cris voiles des poussins, qu'elles tiennent renfermes sous leurs ailes, et qui ont chaud! Il est gai de voir, durant le jour, des fleurs, plus belles dans un sentier desert, que les fleurs peintes aux riches tapisseries du roi et de la reine. Le soir, quand on ne les voit plus sous la lune trop pale, sous le ciel trop sombre, quel bonheur de les respirer! de humer leur haleine qui coule au coeur, qui fait du bien, qui sent bon, qui murmure dans l'air: "Bois la vie!" et qui nous attire a genoux, les mains jointes, levees pour dire:--Mon Dieu! Un petit berger, bien qu'il n'eut que six ans, savait lire tout cela dans le champ de son pere. Il est vrai que c'est un beau livre qu'un champ! Ce petit bonhomme, aux pieds nus, au chapeau de paille, aux cheveux couleur de paille, avec deux petites lumieres noires qui lui faisaient des yeux, les yeux les plus percants de son village, avait compose de son petit cerveau comme une chambre noire qu'il emportait partout, ou il amassait en silence des couleurs, des formes, de la peinture vivante, pour tout son avenir. Quand on le voyait au bord d'un chemin, droit et immobile comme l'arbre ou il cherchait de l'ombre, tandis que cinq a six moutons, la tete en has, epluchaient le sol de toutes ses plantes embaumees, et que sa tete, a lui, comme celle qui fremit au moindre soupir du vent, tournait mobile et curieuse, avec tous ses cheveux epars; on s'arretait. On disait: Qu'est-ce que tu regardes donc la-bas, Hilaire? "Ah! mais..." repondait l'enfant a qui les mots manquaient, "Ah! mais! Les vieux patres passaient et se mettaient a sourire. Ils n'avaient jamais vu un petit berger si peu causeur. Non pas rentre au village pourtant: on eut dit qu'alors il fermait sa boite a couleurs, de concert avec le soleil, qui, le soir, emporte les siennes. Le petit Hilaire dansait, courait autour de l'eglise, jouait, a tous les jeux bruyants des garcons, qui ont besoin, pour grandir, de pousser leurs voix, de gambader, de s'etendre en tous sens. Hilaire etait alors le plus fameux; il attelait les autres apres lui, si on peut dire cela. Tantot sur une charrette, tantot sur un cheval, escaladant un boeuf, ou le remplacant a une charrue renversee, qu'il redressait tout seul; c'etait un lutin de mouvement, d'energie, de gaite; un gamin de village, qui eut fait rire des pierres, et qui trouvait une galette dans toutes les chaumieres. On l'y attirait pour lui faire peindre des _postures_. Les villageois appelaient ainsi tous les portraits de vaches, de chevaux et de chiens qu'Hilaire charbonnait sur les murailles. Il y avait de ses tableaux tout autour de l'eglise. C'etait son _album_ ouvert, parce que les murs etaient lisses et luisants. Il y deroulait tout le portefeuille relie dans sa tete; il placardait ses pensees dans l'ombre, en jouant, toujours arme d'un charbon, ou d'un morceau de craie qu'il cachait dans sa chemise. Le soir, il cessait de jouer a cloche-pied, sous l'humble parvis, ou bien, en attendant son tour, pour respirer, il allait, en courant, tracer une figure, un arbre, sans y voir. Il fit M. le cure ressemblant, frappe de l'avoir vu un jour porter le bon Dieu a un malade. On reconnut M. le cure, M. le cure se reconnut, et il passa doucement la main sous le menton du petit villageois surpris, qui sentit, pour la premiere fois, qu'il ne serait pas toujours berger; car, dans le regard de ce bon cure de campagne, il y avait une promesse: elle fut realisee. --Et puis, que fais-tu la par terre? demanda-t-il, quelques jours apres, a Hilaire etendu a plat-ventre aupres d'un tas d'argile. En meme temps il se baissa pour voir: car il etait vieux et ses yeux aussi!--Tout ca! et puis tout ca! repondit l'enfant; il y en aura un pour vous!" Jamais vous n'avez vu de plus charmants moutons, presque belants; ni des petits cochons plus prets a grogner. C'etait joli, c'etait vrai de forme, petri et modele avec une sagacite naive, qui fit rever encore une fois M. le cure, disant en lui-meme: "Il faut pousser ce petit gardeur de cochons!" Il le poussa; l'instruisit dans un livre, et l'habitua aux souliers. Alors il le mena droit avec lui au chateau ou il allait dire la messe, quand le maitre etait malade. Hilaire restait des heures entieres devant les tableaux d'une galerie peuplee de peintures, ou le malade se plaisait a le voir si absorbe, qu'il oubliait d'avoir faim. --Quel est ton sentiment la-dessus? lui demandait le cure quand il etait temps de partir. --J'en ferai des pareils!" repondait-il sans orgueil, parce qu'il voyait ses tableaux a lui pendre dans l'avenir. Alors il retournait joyeux a son argile et a ses moutons. Il dit pourtant un jour adieu a ces belles scenes changeantes; mais adieu, comme le soleil qui dit: "Je reviendrai." Il revint douze ans apres, tout rayonnant d'instruction, d'experience, de lumiere et de gloire. Tout le village, en tressaillant d'aise, courut au devant d'Hilaire, le petit berger! avec de gros bouquets et des couronnes. Il mangea de la galette delicieuse dans beaucoup de chaumieres, ou il pleura de retrouver ses _postures_ soigneusement gardees sur les murailles. Tout le monde n'est pas peintre au village, mais presque tout le monde y est bon. L'on s'y rassemblait souvent autour de M, le cure, pour l'entendre lire, dans l'ecriture d'Hilaire, tout ce qu'il ecrivait de si amical qu'on s'essuyait les yeux, parce qu'il ne finissait pas une de ses lettres sans dire: J'embrasse mon village, et je tacherai de lui faire honneur! Alors M. le cure embrassait tout le monde. On pouvait bien dire qu'apres Dieu, il avait fait un peintre celebre d'un berger, en lui donnant des protecteurs et des conseils eclaires. Aussi M. le cure montre-t-il une chambre toute pleine des couronnes d'Hilaire: le berger-peintre les lui a toutes donnees avec son portrait aux pieds nus, recevant du saint homme son premier livre et ses premiers souliers! LE COUCHER D'UN PETIT GARCON. Couchez-vous, petit Paul! il pleut. C'est nuit: c'est l'heure. Les loups sont au rempart. Le chien vient d'aboyer. La cloche a dit: "Dormez!" et l'ange gardien pleure, Quand les enfants si tard font du bruit au foyer. "Je ne veux pas toujours aller dormir; et j'aime A faire etinceler mon sabre au feu du soir; Et je tuerai les loups! je les tuerai moi-meme!" Et le petit mechant, tout nu, vint se rasseoir. Ou sommes-nous? mon Dieu! donnez-nous patience; Et surtout soyez Dieu! soyez lent a punir: L'ame qui vient d'eclore a si peu de science! Attendez sa raison, mon Dieu! dans l'avenir. L'oiseau qui brise l'oeuf est moins pres de la terre; Il vous obeit mieux: au coucher du soleil, Un par un descendus dans l'arbre solitaire, Sous le rideau qui tremble ils plongent leur sommeil. Au colombier ferme nul pigeon ne roucoule; Sous le cygne endormi l'eau du lac bleu s'ecoule, Paul! trois fois la couveuse a compte ses enfants; Son aile les enferme; et moi, je vous defends! La lune qui s'enfuit, tonte pale et fachee, Dit: "Quel est cet enfant qui ne dort pas encor?" Sous son lit de nuage elle est deja couchee; Au fond d'un cercle noir la voila qui s'endort. Le petit mendiant, perdu seul a cette heure, Rodant avec ses pieds las et froids, doux martyr! Dans la rue isolee ou sa misere pleure, Mon Dieu! qu'il aimerait un lit pour s'y blottir!" Et Paul, qui regardait encor sa belle epee, Se coucha doucement en pliant ses habits: Et sa mere bientot ne fut plus occupee Qu'a baiser ses yeux clos par un ange assoupis! LES PETITS SAUVAGES Un naturaliste vivait heureux au milieu des echantillons de toutes les parties du monde qu'il pouvait rassembler dans son cabinet. Ces fragments de l'univers etaient ranges avec tant d'ordre, qu'une carte de geographie semblait froide aupres des quatre coins de ce monde en miniature. C'etait un charme. Ce savant conduisait par la main ceux qui le visitaient, la en Asie, la! en Afrique, la en Europe ou bien en Amerique. C'etait presque aussi instructif et beaucoup moins fatigant. Monsieur Le Femi, comme il s'appelait, avait aussi des enfants qu'il aimait avec une tendresse infinie, mais prudente. Ce sanctuaire de la science, qui etait en meme temps la source de leur fortune, ne s'ouvrait pour eux qu'en sa presence. Il pensait, ce pere plein de sollicitude pour ces chers petits ignorants, que la chose la plus innocente recele un danger, quand on en meconnait l'usage. Aussi fermait-il soigneusement a cle ce magasin pittoresque, objet de la curiosite toujours renaissante de ces trois enfants affames de nouveautes et de joujoux. --Oh! que je voudrais avoir un morceau d'Asie! disait l'un. Moi, une dent de l'Afrique, disait l'autre en soupirant pour un long fragment d'ivoire etiquete: _Dent d'hippopotame d'Afrique_. Mais, mieux garantis qu'Adam et Eve dans leur soif curieuse, ils tournaient autour de l'arbre de la science, sans pouvoir y rien cueillir, car il etait sous les verroux. Ils n'entraient qu'avec leur pere, quand nul danger ne pendait aux murs; quand les serpents etaient vendus on empailles; enfin, quand on pouvait faire ce voyage de la terre connue, sans crainte de se blesser en route. Mais un instinct dangereux ramenait sans cesse les enfants autour de celte salle, isolee de la maison par l'espace d'un jardin qui l'en separait. C'etait au bout d'une longue allee d'arbres, ou ces enfants jouaient a tous leurs jeux bruyants. Ils choisissaient de preference cette place a tous les coins frais et odorants du jardin dans le seul plaisir de lever leurs nez vers la grande fenetre inflexiblement fermee, et de regarder a travers tout ce qui leur eut fait des jouets si amusants! Vous eussiez dit de jeunes chats sous une voliere. Un jour moins clair qu'un autre, un de ces jours qui portent l'homme a la reflexion, et les enfants a l'ennui, ou le soleil s'etait cache, peut-etre pour ne pas voir ce qui allait arriver, les trois enfants allaient, venaient, errants par-ci, par-la, les bras sur la tete, sans gout, sans jambes pour grimper aux arbres ou il n'y avait plus de poires, un vrai jour de repos et d'inaction, si des ecoliers en vacances pouvaient comprendre l'inaction et le repos. Monsieur Le Femi, sorti de grand matin pour des recherches precieuses, venait comme a l'ordinaire d'emporter sa cle: mais comme il avait nouvellement recu des caisses pleines de toutes sortes de tresors etrangers, un grand desordre regnait dans son cabinet, ou tant de belles choses etaient confondues pele-mele sur les tables et par terre. Deja vingt fois messieurs les enfants avaient plonge leurs yeux de cormoran contre les carreaux de vitres, qu'ils detestaient, faisant des commentaires sur tout ce qu'ils entrevoyaient d'une maniere si imparfaite et sans pouvoir y toucher! leurs coeurs passaient a travers la fenetre. On sait bien que c'est attrayant des curiosites a distance, des objets qui brillent, dont les couleurs eclatent, dont la forme inconnue tourmente l'intelligence, et attire l'instinct d'apprendre; on le sait bien; mais des enfants qui doivent etre un jour des hommes, ont deja le courage necessaire pour vaincre ses elans mal places. Il y a toujours de la joie dans la resistance contre un mauvais desir, et toujours du danger dans la possession d'une chose defendue. C'est encore ici une preuve de cette grande verite. L'impossibilite de glisser en corps comme en ame par ces carreaux transparents qui semblaient rire au nez des enfants, leur rendit l'energie de courir et de chercher a se distraire par le mouvement et le bruit. Une paume heureusement retrouvee fit l'affaire. Il y eut un moment d'ardeur et d'oubli qui tint lieu de vertu. On ne pensa qu'au bonheur permis. On fit bondir la paume au milieu de l'allee verte; on sauta presque aussi haut qu'elle, et l'idee fixe du cabinet merveilleux s'evapora en cris aigus, etourdissante morale de cet age. Mais la paume lancee a travers l'espace par la main deja vigoureuse d'Alfred se dirigea comme a son insu du cote de la fenetre, et brisa le carreau du milieu. Clic! clac! un trou pour passer la tete: gare la tentation! Il n'y avait pas deux partis a prendre: il fallait fuir. Ce n'est pas lache de fuir la tentation. Alfred resta petrifie comme Emile et Blondel. Il perdit son temps a deplorer une faute involontaire, et a ramasser les inutiles debris de la vitre en eclats. C'etait du temps bien employe! Peu a peu, le bruit du verre rompu s'oublia, le regret de cette faute se fondit dans une ardente esperance rallumee. --Vois comme on voit! dit Alfred a voix basse.--Oh! que c'est beau! repondirent les autres plus petits, en se haussant sur leurs pieds, et se tenant au mur sous la fenetre. Alfred, entraine dans l'eblouissement de l'attraction, grimpa jusqu'au carreau casse, et s'accrocha sur l'appui de la fenetre en passant son bras par ce trou de mauvais augure. --Qu'est-ce que tu vois? demandaient les plus petits haletants et genes. Le cou leur faisait un mal affreux, et leurs ongles, ne pouvant entrer dans le mur, se cassaient contre, ce qui est tres douloureux. Enfin, la probite fit naufrage. L'espagnolette rouillee se trouva, je ne sais comment (Alfred lui-meme n'a pu l'expliquer), sous la main de l'escaladeur. Elle tourna, cria un peu, separa en deux la croisee gemissante d'une telle violation, et tout fut dit. Les deux petits se hisserent comme ils purent, apres quelques glissades qui creverent les pantalons aux genoux, et a l'aide de l'infatigable Alfred, qui ne voulait etre heureux ni coupable tout seul, on entra ivre, palpitant, effraye de bonheur, force au silence par exces d'emotion et de fatigue. Apres cette treve qui ranima les coeurs, toutes les caisses ouvertes furent inspectees; on fureta les quatre parties du globe; on se trompa en replacant les specimen plus chers au naturaliste absent que les prunelles de ses yeux. Bien des choses qui venaient du coin de l'Afrique furent rejetees a la hate au milieu de l'Asie. En un moment tout fut sens dessus dessous; on marcha sur l'univers; on s'habilla en sauvage! Il y avait precisement la les depouilles de quelque tribu, dont les ceintures et les bonnets surcharges de plumes offraient une irresistible parure. Les bonnets flottants hausserent de trois pieds Alfred et ses freres. Les pantalons dechires disparurent sous les ceintures emplumees qui leur faisaient des blouses, vu leurs tailles, et des carquois brodes de perles ou de coquillages furent attaches tant bien que mal sur leurs epaules tremblantes d'orgueil. --Toi, tu es anthropophage! dit Alfred a Blondel, petit blond naturellement fort doux, que l'exemple seul avait attire dans ce gouffre. --Toi, Emile, tu es l'Esquimau, mangeur de poissons et de fruits. Moi! je suis le chef d'une tribu guerriere; je passe: l'anthropophage veut te manger, je tire une fleche, et je le tue. --Non! je ne veux pas que tu me tue! dit Blondel qui pretendait jouer longtemps. Il faut nous battre; tu crieras: arrete! je ne m'arreterai pas; Emile tombera; et pendant que je lui mangerai la tete, pour faire semblant, toi tu feras un cri de guerre, oak! oak! et nous nous battrons. --Hardi! repliqua l'aine, et la piece commenca. Les fleches jouerent leur role; role affreux! La mort montre un bout de sa faux partout. On dirait que les enfants l'agacent dans leurs jeux pleins d'imprevoyance: elle tourne autour de ceux qui n'ont pas de respect pour les ordres de leur pere. Les fleches, en apparence plus elegantes qu'acerees, ressemblant par leur extremite a l'aile d'un oiseau gracieusement ouverte, s'entremelerent bientot aux acclamations confuses de: oak! oak! et de tout ce qu'on pouvait inventer de plus sauvage, lorsqu'une douleur aigue arracha un vrai cri, un vrai _aie!_ si naturel, et si percant qu'il termina le combat. Alfred etait blesse au doigt, et bien qu'il voulut rire, il parait qu'il n'en eut pas la force. La piqure le mordit jusqu'au sang. La voix du pere, retentissante comme la voix de la conscience qui s'eveille, parvint dans leurs oreilles dressees de peur. --Alfred! Emile! Blondel! allons donc, messieurs! ou etes-vous tous les trois! Personne n'osa souffler. --Bientot des pas d'homme approchent. Monsieur Le Femi, pousse par un battement de coeur de pere, une arriere-crainte qu'il n'avait pas encore sentie, atteint le bout de l'allee: il pousse un cri sourd en voyant la fenetre entr'ouverte. Il n'attend pas le porteur qui le suit charge d'une enorme caisse d'emplettes rares. Sans prendre le temps d'ouvrir la porte dont il tient la cle dans sa main qui tremble, il apparait comme un Dieu terrible... et sauveur, aux yeux des sauvages qui tombent a genoux, eux et leurs plumes, humilies dans la poussiere. Un coup d'oeil rapide jete sur leur costume, qui l'eut fait rire, s'il ne l'eut epouvante, fait jaillir dans son ame une pensee funeste qui surmonte son indignation. --Qu'avez-vous fait! s'ecrie-t-il, vous surtout, Alfred, vous l'aine, le premier apres moi, pour les guider, mechant garcon! --Il est blesse! repondent en sanglotant ses freres, montrant le doigt entr'ouvert d'Alfred, pale et muet de souffrance. --Terreur! pitie! blesse! par quoi? --Par cela! dit Blondel, l'anthropophage, montrant la fleche plus grande que lui. Un vertige saisit le pere, qui chancela plus pale qu'Alfred. --Enfant!... miserable...! non! mon fils! begaye-t-il d'une langue seche de frayeur, en soulevant de terre son malheureux Alfred! Viens ici. Du courage, entends-tu, ou tu es mort dans une heure, et si tu meurs, je meurs, entends-tu, je meurs!--J'aurai du courage, mon pere, dit le coupable, fais ce que tu veux.--Tenez cet enfant, monsieur... mon ami! tenez-le ferme entre vos genoux! dit M. Le Femi en appelant au secours le porteur, qui franchit la fenetre, emu, ce brave homme, de la terreur peinte dans les yeux du naturaliste qui atteignait une hache d'armes du moyen-age. --Alfred, repete-t-il a l'enfant immobile, il faut que je te coupe le doigt. --Coupe! dit Alfred, en l'avancant lui-meme. --Ah! mon frere! --Ah! monsieur! crierent les enfants et l'homme epouvantes. --Pas une seconde a perdre, la fleche est empoisonnee. Ferme donc!... et le doigt tomba. --Tu le garderas, dit Alfred, sans faiblir. Les plus jeunes tremblaient sous leurs plumes tandis que le pere, dans un sublime sang-froid, brulait la plaie vive de son fils qu'il disputait a la mort. La force humaine n'alla pas plus loin: et quand il eut termine cette operation pour laquelle Dieu le soutenait, il serra convulsivement la tete d'Alfred sur sa poitrine, et perdit connaissance. Ce ne fut que longtemps apres ce jour, dont l'impression forte et salutaire est encore gravee chez ces enfants corriges, que la mere d'Alfred apprit l'evenement qui s'etait passe si pres de sa chambre. Malade alors, elle n'en sortait pas. L'enfant ne se plaignit point, ne versa point de larmes, quand elle s'apercut avec de vives craintes qu'il avait la main enveloppee:--Ce n'est rien, ma mere, rien du tout, dit-il en s'enfuyant pour ne pas lui donner le saisissement d'une telle vue. Il chanta meme de toutes ses forces, ce qui rassura et fit sourire la mere. Mais il pleura, oh! il pleura beaucoup avec son pere, parce que ce bon pere en voulant faire des reproches justes a son garcon, fut tout-a-coup etrangle par des sanglots qui firent tomber Alfred a ses pieds. Il les mouilla de larmes. --Oui! pleure! pleure! dit-il; nous pouvons etre un moment faibles l'un devant l'autre: nous avons eu l'un pour l'autre tant de courage! L'OREILLER D'UNE PETITE FILLE. Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tete, Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi! Quand on a peur du vent, des loups, de la tempete, Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi! Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mere, Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir; Ils ont toujours sommeil. O destinee amere! Maman, douce maman, cela me fait gemir. Et quand j'ai prie Dieu pour tous ces petits anges Qui n'ont pas d'oreiller, moi j'embrasse le mien. Seule, dans mon doux nid qu'a tes pieds tu m'arranges, Je te benis, ma mere, et je touche le tien! Je ne m'eveillerai qu'a la lueur premiere De l'aube, au rideau bleu c'est si gai de la voir! Je vais dire tout bas ma plus tendre priere: Donne encore un baiser, douce maman! Bonsoir! PRIERE. Dieu des enfants! le coeur d'une petite fille, Plein de priere, (ecoute!) est ici sous mes mains; On me parle toujours d'orphelins sans famille: Dans l'avenir, mon Dieu, ne fais plus d'orphelins! Laisse descendre au soir un ange qui pardonne, Pour repondre a des voix que l'on entend gemir. Mets, sous l'enfant perdu que la mere abandonne, Un petit oreiller qui le fera dormir! LE PETIT DESERTEUR. (EN CINQ PARTIES). LA DESERTION. I. "Huit ans, fluet, rose, bien mis; une montre d'etain en sautoir, une piece de dix sous toute neuve et des billes dans sa poche." Tel etait le signalement passe de main en main, depuis le faubourg Poissonniere jusqu'a la barriere du Temple, d'un petit garcon, sans chapeau, qui avait disparu le matin de chez son pere: on ne voulait pas le croire. On disait: "c'est impossible! un enfant ne quitte pas son pere." Quelqu'un repondait:--Si! si! on l'a vu passer sans chapeau, en petit garnement, criant en confidence a un ecolier qui l'appelait pour jouer aux billes: "--Je n'ai pas le temps: je fais l'ecole buissonniere. Ne dis pas que je vais chez ma tante, a Dammartin. Ah! ah! J'ai pris mon parti? ne le dis pas." Il y avait une foule de voisins aux portes qui racontaient ou qui ecoutaient ce depart dont l'imagination etait frappee comme d'un sinistre presage. Une vieille qu'on croyait comme l'Evangile disait: --Cela annonce une revolution. L'enfant qui deserte la maison de son pere, c'est les hirondelles qui s'envolent d'un toit. Ne me parlez jamais de choses pareilles; elles portent malheur! Tout le monde frissonnait. --C'est-a-dire qu'elles portent malheur aux hirondelles et aux enfants, repartit l'epicier qui combattait pour son compte un augure si menacant. Il ne faut pas croire que les honnetes gens doivent payer pour les mauvais sujets. --A present, cherche!" interrompit celui qu'on avait mis a la poursuite du fuyard, et il se mit a courir, le signalement a la main, poussant tout le monde, qui s'arretait de surprise, disant: --Qu'est-ce qu'il a donc?--Je cherche un enfant, repliquait l'homme, moitie triste et moitie colere: un gamin, que si je le tenais! "Huit ans, fluet, rose, bien mis; une montre d'etain en sautoir, une piece de dix sous toute neuve et des billes dans sa poche!" Enfin tout le signalement. Quel scandale sur le boulevard! Quel etonnement pour tous les curieux a qui cet homme racontait que l'enfant, qu'il osait a peine nommer Oscar, evitant d'ajouter le nom de son pere, s'enfuyait de sa famille, pour avoir recu le fouet; et si peu, si peu, que sa mere n'avait fait que semblant! Les curieux etaient confondus. Pendant cela, monsieur Oscar courait comme un brule, croyant n'atteindre le bonheur qu'apres avoir franchi la barriere. Il passa roide et prompt, sans chapeau, sans passeport, ce qui est d'une audace inouie, jetant la plume au vent; ou, pour parler mieux encore suivant son aspect devergonde, jetant son bonnet par-dessus les moulins. Il y avait un tel parti pris dans son aspect de desordre, qu'on l'eut pris pour Christophe Colomb courant a la conquete d'un nouveau monde. Il fuyait l'ecole, il allait chez sa tante, et il avait dix sous! l'espace, le temps, la fatigue, tout disparaissait devant ses temeraires esperances. --Ma tante, disait-il en lui-meme, en fendant l'air qui faisait voler ses cheveux blonds, ma tante me donnera un chapeau. Elle me donnera cent chapeaux: c'est ma tante! c'est riche, une tante! et elle ne me donnera pas le fouet. J'aurai tout ce que j'avais quand je demeurais chez ma mere; des tartes, des galettes, des cerfs-volants, (j'en veux douze de cerfs-volants!) et je n'irai plus a l'ecole, ou l'on devient bete. Je ferai un _buisson_ tous les jours; je courrai avec Pierre; je me battrai avec Francois, j'irai nager avec le cheval. C'est bien mieux! d'ici-la, je trouverai a manger, quand je passerai devant les patissiers, ils me donneront des gateaux. On a tout avec de l'argent: mon pere l'a dit. Et j'ai une piece blanche! on crie toujours que ma tante est mon _coupe-gorge_; mais j'aime mieux ma tante, moi! ma tante n'a pas de livres. Oh! ma tante! vive ma tante! Il marche! il marche! Des arbres passaient devant lui, fuyaient derriere comme sur un plancher a coulisse. Des moutons, des vaches, des champs ou les bles flottaient, ou les fleurs brillaient; tout glissait sous ses yeux par la rapidite de sa course. Mais point de maisons, point de patissiers! seulement des flots de poussiere qu'il levait avec ses pieds, et qui sechaient sa gorge, parce que d'abord il avait chante la _Parisienne_ et tout! Il marche! il marche! A la fin, quelques chaumieres apparaissent sur le chemin. Ses regards affames se portent vers les enseignes, point d'enseignes! enfin, au milieu de quelques paires de sabots, de harengs saurs et de savon vert, trois brioches de campagne et des oeufs rouges de Paques dernieres raniment le voyageur epuise. Il paie sans marchander la somme qu'on lui demande de ces denrees dessechees au soleil, puis il remet, comme l'homme errant de l'ecriture, cinq sous dans sa poche. Il croit, comme le juif maudit, que ces cinq sous se renouvelleront: vous allez voir. Quoiqu'il en soit, il mange les oeufs durs et les brioches qui tombent en poussiere, et reprend haleine un moment devant une femme a demi-stupide, qui le regarde baigne de sueur et defigure de poussiere, sans s'inquieter ni d'ou vient, ni ou va ce petit arpenteur de grand chemin. --Pour aller chez ma tante, dit-il, c'est-il encore loin? --Quelle tante? demande la maitresse de ce bazar de hameau. --Ma tante, quoi! ma tante Dorothee Carbonnel. --Je ne sais pas ce nom la, repart la femme insoucieuse en se remettant a tirer le lin d'une quenouille de chanvre. --"Mais, ma tante Dorothee Carbonnel, comment! repart Oscar qui ne comprend pas que sa tante soit inconnue a quelqu'un dans le monde, elle est a Dammartin, ma tante! et c'est ma tante." --"Ah ben! faut que vous retourniez sur vous, et puis prendre la fourche a votre main droite, et ce sera par la. Y aura toujours queque laboureur en champ pour vous montrer." Oscar deroute et las du repos meme qu'il avait pris, car il en sentait mieux sa fatigue, rebrousse chemin. Alors le soleil lui donna en plein dans la figure, sans chapeau, sans quelques larges feuilles pour cacher un peu sa tete qui bout comme au milieu de la chaudiere de midi; c'est a tomber sur place; aussi leve-t il pesamment cette poussiere qu'il faisait voler naguere avec tant d'insolence. Une inquietude brulante le devore sans qu'il y trouve un nom; car tant de choses deja tournent dans son isolement, qu'il souffre sans pouvoir dire de quoi: c'est la soif! il se ressouvient qu'il a oublie de boire, apres le repas d'une nourriture fanee et alterante. Ah! c'est la un commencement de desespoir. Il donnerait, ses cinq sous sans chanceler pour un verre d'eau de la source, ou sa tante puise de si larges cruches, dont l'image fraiche et bouillonnante qui se met tout a coup devant lui, attise le feu mele a son haleine. Personne sur cette route consumante! Le desert se montre devant lui! Oh! que les pretres espagnols pourraient dire de lui, ce qu'ils disaient a Montezuma: Les dieux ont soif!... Cependant, avec la perseverance digne d'un autre but, il fait le signe de la croix pour s'assurer ou est sa main droite, et entre dans un chemin un peu moins aride. Il avait entrevu au loin, une voiture qui venait du cote de Paris, et plutot perir que de rencontrer rien de ce qui venait de Paris, car ce ne pouvait etre, selon lui, qu'une ecole, des livres ou le fouet! Il penetre donc dans un chemin de traverse, ou quelques haies lui donnent d'abord l'esperance d'un ruisseau: bientot cette fraiche idee se seche et peut-etre qu'il se fut ainsi calcine au milieu d'un chemin sous le soleil vengeur qui dardait a plomb sur lui, si son ange gardien qui devait etre pourtant bien fache, n'eut arrose son joli visage d'un deluge de larmes qui vinrent du coeur; car ce coeur crevait. On a beau faire et beau dire, on ne peut porter a la fois une mauvaise action, la solitude et la soif. Il y avait dans ce petit garcon, la desolation profonde qui se trouve au fond de tous les coups de tete ou porte l'ingratitude. Il s'arrete, ebloui, se lavant avec ses larmes de la poussiere incrustee dans ses joues; ce bain naturel en degonflant sa poitrine, detend un moment la peau rose et tendre de sa figure deja moins hardie. Il s'avoue meme pour la premiere fois que sa mere ne lui faisait pas le moindre mal quand elle disait qu'elle le fouettait; que c'etait vraiment l'ombre du fouet. Il se l'avoue, car enfin, sa tante etait tres-loin... sa position etait deplorable, la porte de l'ecole ne trouble plus son jugement. Il est donc la sous l'oeil de Dieu et devant sa conscience: la verite etincelle nue au soleil; il soupire:--ah! Je crois que vous ne serez pas fache de le laisser la un moment tout seul, d'autant plus qu'a force de marcher il arrive a la fin pres d'un moulin qui tourne dans une ecluse. Ce bruit limpide et les flots d'ecume qui jaillissent, sous un petit pont jusqu'a sa personne penchee en avant, lui rendent la vie, la force et l'etrange imprudence que nous ne saurons que trop tot, avec ses suites meritees. II L'ABREUVOIR Le commissionnaire de confiance envoye a la recherche d'Oscar tenait toujours a la main son signalement, mais d'une maniere plus commode. Il etait monte de bon accord sur l'enorme charrette d'un roulier obligeant, et du haut de cette haute position de surveillance il criait loyalement aux rares pietons qui traversaient l'heure la plus chaude du jour.--Avez-vous vu un enfant? un petit gamin sans chapeau? huit ans, fluet, rose, bien mis; une montre d'etain en sautoir, une piece de dix sous toute neuve et des billes dans sa poche?" On lui repondait: Non! sans faire de longs discours: car on cuisait de soleil. C'etait la voiture que le petit deserteur avait apercue au loin, elle passa juste devant le chemin en fourche ou Oscar se trouvait cache et perdu dans les haies de sureau, ou d'eglantiers; je ne sais lequel. Ce ne fut donc qu'a la Fileuse, ou l'enfant avait fait un si mauvais repas, que cet honnete chercheur d'ecoliers obtint quelques renseignements, au moyen du portrait ecrit qu'il relut trois fois a cette espece de femme sauvage qui avait deja perdu la memoire. La piece de dix sons l'eveilla seule; car elle la touchait souvent au fond de sa poche, neuve et brillante comme elle etait, cette petite monnaie blanche! le genie de l'idiot est au milieu d'une piece d'or ou d'argent. Elle donna donc ses instructions; en refoulant dans sa poche le prix de sa patisserie et le pauvre coureur, disant a regret adieu au roulier et a la charrette, se remit sur les traces d'Oscar. Nous l'avons laisse dans une position si calme que ce serait doux de l'y retrouver, n'est-ce pas? Moi j'y ressentais un plaisir infini, car le bruit de l'eau durant la grande chaleur me semble un des plus grands bienfaits de Dieu. Il parait qu'une chose plaisait mieux encore a Oscar, et qu'apres l'ecole buissonniere, un cheval etait ce qui pouvait le plus exalter sa tete deja tres-montee par l'ardeur du grand soleil. Il parait encore qu'apres s'etre sature de fraicheur, ne fut-ce que dans le creux de sa main (on tire parti de tout dans le desespoir), Oscar fut tout a coup frappe de la presence d'un cheval qu'il n'avait pas vu d'abord. Ce cheval, les naseaux ouverts, humait comme Oscar l'humidite delicieuse de l'ecluse, et savourait, sans maitre, sans harnais, sans rien, le charme d'une promenade en toute liberte, qui sentait d'une lieue l'ecole buissonniere. La ressemblance de leurs situations etablit tout-a coup une sympathie si puissante entre eux, du cote du petit fuyard au moins, qu'il grimpa plein d'audace et de bonheur sur ce grand camarade qui se laissa faire avec une indulgence tranquille. Tout ce qui est vraiment fort protege la faiblesse. Toutefois quand il sentit sur son dos cet extrait de cavalier, qui s'agitait en tous sens pour l'exciter a courir un peu, a jouer amicalement pourvu qu'il lui donnat force de coups de pieds, de coups de poing dans les flancs, sur la tete et partout, le geant d'ecurie frissonna d'indignation ou d'amour pour la promenade, et prit ses bottes de sept lieues. Il se mit a courir a travers champs, faisant des gambades et des manieres d'eclats de rire qui epouvanterent singulierement l'ecuyer de huit ans. Pour comble d'alarme, en gagnant du pays, et chevauchant avec la vitesse du vent, une large riviere parut ouvrir ses bras devant l'immense soif du cheval, qui, se souciant tres peu si Oscar avait peur de l'eau, courut tout droit s'y plonger jusqu'au poitrail, Oscar poussa des cris affreux, se retenant de toute sa peur aux crins du cheval altere, criant alors, de ce cri ne dans le coeur de tous les enfants, meme des enfants ingrats comme Oscar:--Ma mere! ah! ma mere! Le cheval ne bougea pas plus que celui d'Henri IV sur le Pont-Neuf. Il prenait son bain, il etait bien: tant pis pour Oscar! que devait-il a Oscar? ces cris lamentables:--Ma mere! ah! ma mere! ne laisserent point d'abord parvenir jusqu'aux oreilles bourdonnantes du peut garcon pantelant ces cris plus rudes et plus affreux: Au voleur! arretez le voleur! arretez le cheval! arretez le voleur! Jugez comme la solitude des champs fut desagreablement troublee par ce tumulte deshonorant pour Oscar! combien le ciel avec tous ses yeux ouverts dut regarder tristement cette scene! Des paysans, qui ne badinent pas sur les droits de la propriete, accouraient de toutes leurs jambes, armes de fourches et les yeux en fureur, prets a dechirer peut-etre ce frele larron. Il y avait serieusement de quoi fremir! Oscar les entendit tout a coup si pres de lui que l'insense fut comme pousse a se precipiter dans l'eau, pour eviter le chatiment qui se preparait terrible. Mais l'ange gardien, oh! comme j'y crois a l'ange gardien! il me semble le voir detourner lui-meme le cheval de cette riviere qui allait etre un tombeau d'enfant! Il eut pitie de sa mere absente; le cheval legerement frappe par une main invisible, rafraichi d'une station salutaire a l'abreuvoir, se remit gaiement a trotter vers un petit village, emportant Oscar presque evanoui, mais sauve de la riviere. Au bord de ce village, l'enfant glissa du cheval moins fougueux. Ranime par la terreur, environne de toutes parts d'ennemis prets a fondre sur lui, il s'elanca les bras ouverts dans l'eglise du hameau, qui le recut haletant, plein de fatigue, de remords et d'esperance! Car tout petit qu'il etait, il sentit qu'il y a une protection puissante aux genoux de la Vierge, qui tient son enfant entre ses bras; elle rappelait a Oscar sa mere, et semblait lui dire du haut de l'autel ou il tremblait:--Reste avec nous. --Huit ans, fluet, rose, une montre d'etain en sautoir, etc., criait alors, a la porte du village, l'homme qui gagnait si laborieusement sa journee. Il fut entoure, ecoute par tous les paysans qui sortaient des chaumieres, tandis que le maitre du cheval se calmait un peu en remontant, comme on dit, sur sa bete. Cela fit un spectacle pour le hameau. L'asile ou Oscar avait porte sa honte fut franchi: on le trouva blotti dans le choeur, la tete cachee entre les pieds de la Vierge, ou il eut voulu rester toujours! personne, en le voyant se retourner si pale, si rendu d'epuisement, le visage baigne de larmes, les plus ameres de la vie d'Oscar, personne, pas meme son poursuivant bleu de chaleur, pas meme le proprietaire monte sur son cheval a la porte de l'eglise, n'eut le courage d'insulter a un coupable si malheureux! On respecta d'ailleurs l'abri inviolable qu'il avait choisi par une inspiration divine; on decouvrit sa tete devant l'autel, on prit de l'eau benite et l'on fit sortir en silence Oscar, qui se laissa conduire en tonte humilite devant la foule rassemblee pour le voir passer. Les vieillards dirent: --A tout peche misericorde." Les femmes, en voyant ce pale deserteur, la tete courbee sous l'humiliation, les femmes presserent leurs enfants contre elles, et sentirent leurs yeux humides. Les enfants, toujours bons quand ils regardent ces yeux de femme brillants de pitie, dirent a plusieurs: Meres, il faut lui bailler du lait." Il en but a pleine mesure et jusqu'au coeur, tandis que son guide reprenait sa force par quelques verres de vin, pour lesquels, il faut le dire, Oscar offrit ses cinq sous avec tant d'instance, que tout le monde dit:--Il a bon coeur" et que l'homme, desarme par cette action, prit sa main, sans rudesse, sans _rancoeur_, saluant a droite, a gauche les habitants, qui leur donnerent un pas de conduite dans les champs, en criant: Dieu vous garde! et d'autres compliments qui se graverent pour toujours dans le coeur gonfle d'Oscar. III. LES BILLES PERDUES. Une solitude affreuse regnait dans la maison paternelle quand il y rentra. Il semblait que tout fut mort. La nuit tombait, les meubles etaient sombres et reprochants. Le pere d'Oscar courait a la recherche de son fils depuis le matin. Sa mere, la douleur dans l'ame, etait egalement sortie pour decouvrir son cruel enfant!... La rue etait large, depeuplee, ironique. Elle semblait dire avec une mine glaciale: --Rentrez, monsieur, j'ai bien l'honneur de vous saluer! L'epicier, les bras croises, sur sa porte, inspectant, a la fin du jour, tous les scandales a la portee de son investigation, railleur comme la rue que reconnaissait a peine le _paria_ volontaire, l'epicier ota sa casquette avec la derision ecrasante de cette apostrophe: --Ah! mon estimable voisin, enchante de vous revoir. Si vous avez besoin d'excellentes figues, de raisins de caisse pour vous remettre de vos voyages, dites a votre pere que j'en vends. Il doit etre bien content de vous, il vous en achetera. Les jambes d'Oscar rentraient sous lui. La vieille Leonore, qui tricotait a la lampe dans l'arriere-boutique, fut prise d'un grand saisissement a la vue du petit garcon.--Croyez moi, dit-elle en preparant un bon souper a son guide harasse de fatigue, croyez-moi, Oscar, montez dans votre chambre et couchez-vous. Ce soir, votre pere sera encore bien fache, votre mere n'osera vous pardonner devant lui. Venez avec moi; ce souper que je vous porte, vous le mangerez en vous couchant, et qui vivra verra! Oscar monta sans proferer une parole. Son pain fut tres-amer ce soir-la, ainsi que tout ce que la vieille Eleonore avait monte pour manger. Au milieu de sa melancolie, a demi-deshabille sur son lit, ou l'on voyait a peine clair par une petite fenetre, et par un reflet de la lune, abime dans mille pensees de crainte pour _demain_! d'espoir dans la clemence de sa mere, de son pere offense, et de son Dieu flechi, une fraiche idee se glissa dans la memoire d'Oscar: Ses billes! tout l'avenir s'arrangea devant ses yeux. L'argent etait devore, le chapeau disparu dans le naufrage, mais ses billes! si polies, si bien veinees, si transparentes qu'on pouvait regarder le soleil et la chandelle au travers.--Oh! mes billes comptons mes billes! et il s'assit avec un soupir plein d'aise et de dilatation. Tout le monde savait, avant ce jour affreux, que les heures innocentes d'Oscar n'avaient pas de plus doux loisirs que l'examen de ces jolis marbres ronds; que c'etait sa fortune, ses rentes; qu'il les comptait cent fois par jour; en mangeant, ce qui le faisait gronder; a l'ecole, sous son livre, ce qui le faisait mettre en penitence, enfin partout, et comme vous voyez jusqu'au fond de ses remords. Jugez comme il fut triste quand il n'en retrouva plus que deux, apres avoir parcouru avec effroi tous les coins de sa poche, d'une immense poche, qui pouvait passer pour un sac, et qu'Eleonore avait la bonte de recoudre souvent, car c'etait un entrepot qui suivait Oscar dans toutes les demarches de sa vie. Malheureusement dans cette derniere aussi! il est a presumer que les secousses du cheval errant avaient fait sortir ces petites richesses roulantes... Oscar se renversa sur son oreiller, qu'il inonda de ses larmes et s'endormit desenchante de ce monde, ou les fautes s'expient par de si grandes souffrances. Il avait dit: Tout est fini pour moi! et il etait entre dans un profond sommeil. Ce fut ainsi que le trouva sa mere, quand elle monta, non pour punir un crime qu'elle n'avait jamais prevu, qui ne faisait point partie de ceux enfermes dans son code penal de mere et qu'elle remettait a Dieu; mais quand elle ne put resister enfin a venir s'assurer si c'etait bien lui! bien son enfant perdu tout un jour... C'etait lui! mais qu'il etait change! comme sa mere le reconnut avec tristesse, lorsqu'apres avoir approche bien doucement, bien doucement une lumiere aupres de son lit, elle le vit humecte de larmes, barbouille de la poussiere des voyages, et les cheveux meles comme s'il se fut battu avec cent chats! Le coeur de cette mere ne put resister. Elle pleura comme il avait pleure, avec plus de douceur toutefois, car elle retrouvait son cher enfant! Aussi laissa-t-elle tomber, avant de sortir, le baiser du pardon sur le front souille d'Oscar. Elle retourna pres de son mari, qui se promenait en long et en large dans le magasin, songeant d'un air soucieux au chatiment que meritait son fils. Elle parla tant, tant! sa voix etait si bonne, si suppliante, si craintive qu'elle entra dans la colere de l'homme grave et blesse. Il repondit: --Couchez-vous; car vous me rendez aussi faible que vous-meme! Elle benit Dieu! et se coucha delassee. IV. ECOLE ET PARDON. Le lendemain, Eleonore conduisit Oscar a l'ecole, avant que personne fut leve chez son pere. Un dejeuner _d'enfant prodigue_, prepare par sa mere qui ne se montra pas encore, avait repare ses forces et rendu un peu de teint a ses joues bien lavees. Excepte la perte des billes dont il etait si fier autrefois, si ruine aujourd'hui, tout semblait a peu pres remis en place dans son existence, ou il avait repris son banc, son livre, et tous ses bruyants camarades. Quand l'ecole fut complete, le maitre ayant saisi au vol un moment de profond silence, se leva et dit:--Messieurs, il y a parmi vous un enfant qu'il est de mon devoir de vous signaler comme pouvant donner un funeste exemple a ma classe, un buissonnier! qui n'a pas craint de plonger sa mere dans les angoisses de l'inquietude, sa mere, sa bonne mere qui l'a nourri de son lait, qui l'habille, qui lui paie des maitres! cet enfant ingrat a deserte hier sa maison! Son nom est inutile a prononcer! une rougeur coupable fait eclater sa condamnation dans ses traits, qu'il s'efforce en vain de cacher sous son livre! Puisse, messieurs, cette rougeur provenir d'une bonne honte qui enchainera dans notre sein l'enfant qui a merite tout un jour le titre anti-social de deserteur!!! Oh! quel murmure suivit cette denonciation publique! Oscar crut tourner dans un tourbillon de feu, quand il sentit trente-six yeux d'ecoliers attaches sur lui seul, comme sur un centre de blame et de curiosite, car il n'y avait pas a hesiter, c'etait lui! Les innocents de ce jour-la s'etaient regardes fierement entre eux, ayant l'air de se dire: --Voyez! les deserteurs portent-ils la tete comme cela!" et la tete d'Oscar tombait comme une feuille morte sur sa poitrine! Aussi les murmures, d'abord decents et etouffes, devinrent tellement _tumulte_ que le maitre eut besoin d'une vigueur peu commune pour retablir a la fin le silence, d'ou s'echappait encore, comme les dernieres fusees d'un feu d'artifice, ce mot qui ne tombait que sur le banc vide d'Oscar.--Deserteur! deserteur! et la classe entiere lui tourna le dos. Ce procede n'est pas d'une haute charite, c'est vrai: mais telles sont les moeurs de l'ecole, du monde entier. Oscar eut bien du mal a detacher de lui ce vilain nom qui s'y etait colle par sa faute. Son pere, quand il rentra, vit qu'il en etait si courbe qu'a peine il pouvait s'avancer vers lui. Suivant sa promesse de la veille, il lui tendit la main genereusement.--Oscar! je te pardonne, tu as souffert." Et il vit, lui, que sa mere pleurait en faisant semblant de regarder par la fenetre. Pauvre Oscar! il se trouva, sans savoir comment, dans ses bras, dont l'etreinte lui rechauffa le sang autour du coeur! il s'y plongea comme dans son champ d'asile. Il y oublia tout! et les grandes routes, et les ecoles impitoyables. Elle fit des epargnes pour lui rendre vingt billes. Il fit le serment de ne la deserter jamais. ADIEU D'UNE PETITE FILLE A L'ECOLE. Mon coeur battait a peine et vous l'avez forme, Vos mains ont denoue le fil de ma pensee, Madame! et votre image est a jamais tracee Sur les jours de l'enfant que vous avez aime! Si le bonheur m'attend, ce sera votre ouvrage; Vos soins l'auront seme sur mon doux avenir: Et si pour m'eprouver, mon sort couve un orage, Votre jeune roseau cherchera du courage. Madame! en s'appuyant sur votre souvenir! [Illustration] TABLE DES Matieres contenues dans le second volume. La physiologie des poupees. La mere a son fils, _vers_. Minette. Le petit rieur, _vers_. L'oiseau sans ailes. Le livre d'une petite fille, _vers_. Le paresse. Le premier chagrin d'un enfant, _vers_. Le petit berger. Le coucher d'un petit garcon, _vers_. Les petits sauvages. Le petit deserteur. Adieu d'une petite fille a l'ecole, _vers_. FIN DE LA TABLE. ***END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DES MèRES ET DES ENFANTS, TOME II*** ******* This file should be named 14310.txt or 14310.zip ******* This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/dirs/1/4/3/1/14310 Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.gutenberg.org/fundraising/pglaf. Section 3. 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