Project Gutenberg's Le Conscrit ou Le Retour de Crimee, by Ernest Doin This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Le Conscrit ou Le Retour de Crimee Author: Ernest Doin Release Date: July 28, 2004 [EBook #13036] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CONSCRIT OU LE RETOUR DE CRIMEE *** Produced by Renald Levesque and La bibliotheque Nationale du Quebec (BNQ) LE CONSCRIT OU LE RETOUR DE CRIMEE DRAME COMIQUE EN DEUX ACTES Par ERNEST DOIN PERSONNAGES: LEFUTE, riche fermier, parrain de Criquet, caractere fin, ruse. ROBERT, Jeune villageois, conscrit. JULIEN, Jeune villageois, conscrit. CRIQUET, conscrit, filleul de Lefute, (comique). LAVALLEUR, vieux sergent recruteur. TAPIN, Tambour. MATHURIN, Villageois conscrit. Troupe de conscrits, 1er acte, au 2e acte, troupe de villageois. LE CONSCRIT ou LE RETOUR DE CRIMEE. Drame Comique en deux Actes. ACTE PREMIER. La scene se passe pres de la ferme de Lefute. Dans le fond une barriere, arbres. A gauche sur l'avant-scene un cabaret; devant, table, bancs, bouteilles, gobelets; au lever de la toile, les conscrits boivent, jouent aux cartes, tableau tres-anime. Un drapeau francais est pres de l'auberge. Mathurin le prend au moment du depart. SCENE 1ere. TAPIN, LAVALEUR, (Lefute, Robert, Julien, villageois a la table.) TAPIN, (s'accompagnant du tambour). CHANT. Par ordre superieur Les jeunes gens du village Sont informes du passage De l'officier recruteur. Qu'au tambour on se rallie, Qu'on se rende a son appel. Par son ordre je publie Cet avis d'apres lequel Tous les conscrits sont invites A se rendre a la mairie Afin d'etre, visites Et puis enregimentes. (Ici les conscrits se levent et viennent former le cercle avec le sergent et le tambour) (Choeur general). Par ordre superieur Les jeunes gens du village Sont informes du passage De l'officier recruteur, LEFUTE. C'est donc pour aujourd'hui, sergent? LAVALEUR. Oui, mon brave, voyez-vous, la France a besoin de soldats pour en finir avec Sebastopol et on veut que ca marche rondement. LEFUTE. On dit que Pelissier est un fameux general. LAVALEUR. J'crois ben, mille baionnettes! Je vous promets qu'c'est un lapin qui n'a pas froid aux yeux et qu'il sait tailler des croupieres aux Russes! ROBERT (avec feu). Ah morbleu! Il me tarde d'y etre, moi! Je suis fier d'etre tombe au sort et de partir pour la Crimee!... Ah! j'vous dis que je ne reculerai pas. LAVALEUR. Bravo!... Bravo!... Allons, si tous etaient comme toi, la France serait bien defendue. ROBERT. Oui, sergent, car je l'aime, moi, et mon premier comme mon dernier cri sera: Vive la France! LAVALEUR. Oui, mon ami, tu as raison, aime la France, car la France... vois-tu, la France!... c'est la France!... et il n'y en a qu'une. JULIEN. Moi aussi, sergent, j'aime la France, mais je prefere rester au pays que d'etre soldat. LAVALEUR. Qu'est-ce que c'est qu'un blanc-bec comme ca?... Ma foi, tu ne ferais pas mon affaire; car a t'entendre, je crois que tu ne serais jamais qu'un mauvais soldat. Tu as peur?... JULIEN. Moi, peur?... oh! non, sergent, vous ne comprenez pas mes paroles. J'aime la France, je donnerais mon sang pour elle; mais si je dis que j'aime mieux rester au pays, c'est que je suis le seul soutien de ma pauvre vieille mere infirme!... Oh! sans cela, j'endosserais vivement le costume militaire. LAVALEUR, (lui frappant sur l'epaule). Allons, allons; voila qui me raccommode avec toi; un bon fils, c'est comme un bon soldat, il se fera aimer de tous. LEFUTE. On dit, sergent, qu'il y a deja eu des batailles? LAVALEUR. J'crois ben, mille bombes! Et de dures, encore!.A Inkermann, surtout... C'est la qu'ca ronflait, allez! LEFUTE. Vous y etiez, sans doute? LAVALEUR. J'm'en flatte et j'm'en glorifie!... Cre coquin! quand j'y pense, y m'semble que j'y suis encore! Ah! ca marchait!... ca ronflait! ROBERT. Racontez-nous donc ca, sergent. LAVALEUR. Volontiers, mon brave!... Donc, c'etait vers le soir... nous etions sous nos tentes... la pluie tombait... tombait... on n'aurait pas mis un chien dehors... quand tout a coup... le brutal... ROBERT. Le brutal!... qu'est-ce que c'est que ca, que le brutal? LAVALEUR. Le brutal, mon garcon, c'est le canon... c'est une maniere de parler au rrrrregiment... Donc, le brutal se faisait entendre... ca marchait pas mal... c'etaient nos allies les Anglais qu'etaient aux prises avec les Russes, et ca s'tapait dur... La nuit etait sombre et nous ne savions que dire, car nous ne connaissions pas les forces de l'ennemi... Cependant vers dix heures la fusillade etait comme un roulement... le canon tonnait a toute minute; ca commencait a nous inquieter et surtout a nous chatouiller!... Mais vla qu'tout a coup notre brave general Bosquet arrive et nous dit: Enfants! les Anglais se font echarper, ils ne sont pas en nombre et les Russes arrivent de tous cotes!... Vite! aux armes! En avant et au pas de charge!... Ah! tenez, j'crois qu'j'en danserais quand j'y pense... Nous partons une colonne, notre brave general en tete et j'vous laisse a penser si nous arpentions le terrain!... Nous arrivons, il etait temps, les Anglais ne pouvaient plus y tenir malgre leur courage... car les Russes etaient trois contre un!... Aussitot qu'a la lueur de la fusillade et des pots a feu, on nous apercut, les Anglais se mettent a crier: Voici les Francais! Hourra! Vive la France!... Nous y voila... nous tombons sur le dos des Russes a coups de fusil, a coups de baionnettes! a coups de poings! corps a corps... a coups de tout enfin... et vlan, pif! paf! pouf!... on leur z'y donne une rincee que l'diable en aurait pris les armes!... Ah! il fallait les voir s'ils prenaient le chemin d'chez eux plus vite qu'ils n'etaient venus!... Ah! mille canons de canonnades, y m'semble que j'y suis encore! ROBERT. Nom d'une bombe!... Dieu! que j'aurais voulu etre la!... Ah! sergent, vous verrez que je ne resterai pas en arriere!... Oui, je le repete, je saurai faire mon devoir de soldat! LAVALEUR C'est bien, mon garcon, avec des sentiments comme ca, tu feras ton chemin... Pelissier aime les braves et si tu te fais remarquer, sois tranquille, il ne te perdra pas de vue. LEFUTE. Ah! d'abord, moi, je reponds de Robert. JULIEN. Oui, car, comme je le connais, j'crois que les Russes ne lui feront pas peur. LAVALEUR. Et aussi, comment voulez-vous que l'on ait peur sur le champ de bataille quand vous voyez nos generaux s'exposer eux-memes au feu de l'ennemi pour encourager nos soldats?... Et surtout, quand on voit nos aumoniers, parler a nos braves de cette belle religion dont ils sont si fiers!... Oui, mes amis, il n'est rien de si grand, de si touchant en voyant ces braves et bons pretres parcourir le champ de bataille, encourager celui-ci, employant les termes de soldat avec celui-la!... Ils sont toujours la pres de vous comme une sentinelle avancee; on les ecoute avec plaisir!... Ah! dame! c'est qu'aussi tous nos soldats portent la medaille de Marie, et avec elle ils se croient invulnerables devant les balles ennemies! LEFUTE (avec feu). Bravo! sergent, touchez la, j'aime a vous entendre parler ainsi de notre brave clerge et de notre belle religion!... car, malheureusement, dans le metier des armes on ne trouve que trop d'incredules... Mais esperons et croyons que la France, notre belle France sera toujours victorieuse! LAVALEUR. Ah! mon brave, c'est le voeu de tous les bons Francais... mais, moi qui vous parle, j'aime bien la France, n'est-ce pas? Eh bien! j'ai quelquefois des craintes pour l'avenir, et pourquoi?... Je vais vous le dire, dussiez-vous vous moquer du vieux soldat... En 1846, on m'a dit qu'une prediction avait ete faite par une sainte et pieuse personne, que la France etait menacee d'une grande guerre qui la ruinerait, qui l'humilierait, en un mot, que notre belle patrie serait envahie par une nation etrangere et que cette nation serait la Prusse!... Eh bien! mes amis, si cela devait arriver, ce serait la faute aux enfants de la France, car malheureusement il faut bien se l'avouer, de pretendus philosophes des ecrivains immoraux lancent parmi notre brillante jeunesse, des feuilles impies, par malheur trop tolerees de l'autorite!... Oui, la foi s'eteint!... Et s'il le faut!... Ah! mes braves amis, je ne vais pas plus loin... car si la France un jour est envahie par l'etranger... c'est que la main de Dieu se sera appesantie sur elle!... Mais non!... la France est la fille ainee de l'Eglise et ses enfants ne se montreront pas ingrats!... Tenez, eloignons de nous ces pensees qui m'oteraient tout mon courage!... Allons, mes braves amis... je vous quitte, je vais faire un tour au village et je reviendrai dans quelques heures chercher nos jeunes recrues, et en avant, le sac sur le dos... Au revoir... (Il sort avec Tapin). SCENE 2e LES PRECEDENTS (hors Lavaleur et Tapin) LEFUTE. Comme ca mon cher Robert, tu es donc bien decide et bien content de partir? ROBERT. Oui, M. Lefute, joyeux et content!... Quel bonheur de verser son sang pour la patrie!... Quel plaisir de voir une belle et grande bataille!... Tenez, les recits de ce brave sergent ont double mon courage. JULIEN. J'en connais un qui n'est pas si joyeux que toi, Robert. LEFUTE Ah! tu veux parler de mon filleul Criquet? Il est vrai que le pauvre garcon fait une triste figure depuis qu'il a tire a la conscription et qu'il a amene le numero Un!... Il ne mange plus, il ne fait que pleurer... Ma parole, ca me fait de la peine. ROBERT (riant). Mais ou est-il donc? on ne l'a pas vu de toute la matinee... Ou peut-il etre fourre? MATHURIN. Moi, j'l'ai apercu au coin d'la barriere du pere Lucas; y s'tenait les deux poings sur les deux yeux et faisait des soupirs qui pouvaient s'entendre d'un quart de lieue. JULIEN Ce matin, en venant ici, je l'ai aussi rencontre, comme dit Mathurin; je lui ai parle, mais il n'y avait pas moyen de le comprendre, les sanglots lui brisaient la respiration; ma foi, si ca continue, le pauvre Criquet en mourra de douleur, je crois. MATHURIN (regardant dans la coulisse). Mais... mais... quel est ce bruit que j'entends la-bas? ROBERT (allant au fond). Eh! par ma foi, je ne me trompe pas... c'est lui... c'est Criquet... Ah! quel drole de figure et comme il est affuble!... Venez donc, les amis... venez donc!... (Riant aux eclats) Ah! ah! ah! ah! (Tous sont au fond riant aux eclats). SCENE 3e LES PRECEDENTS, (Criquet, longue tuque blanche avec le N deg. 1, il est en sabots, un sac sur le dos). CRIQUET (dans la coulisse, le ton pleurard). Adieu, les connaissances, j'vous r'verrons avant que d'partir. (Il entre en scene). ROBERT (toujours riant). D'ou viens-tu, Criquet?... Voyons... parle... qu'as-tu donc? CRIQUET. Ah! bonjour, Robert, bonjour, Julien, bonjour, les amis... Hein! Robert, ca fait mal, n'est-ce pas, de quitter comme ca les connaissances? ROBERT. Voyons, Criquet, mauvais conscrit!... On prend du courage, que diable!... Est-ce qu'on se laisse abattre comme ca? CRIQUET. Du courage... du courage... c'est bon a dire, ca!... T'en as donc, toi, Robert, du courage? ROBERT. Je m'en flatte!... Est-ce que ce n'est pas glorieux, d'abord quand nous nous verrons un bel uniforme, et surtout de combattre pour la gloire de notre belle patrie! CRIQUET. Ouiche!... tout ca c'est bel et bon, mais tiens, vois-tu, Robert, moi, l'courage peut pas m'entrer dans la tete... j'ai la... tiens... sus l'estomac, comme deux galettes chaudes de sarrasin! JULIEN Mon pauvre Criquet, il faut tacher de te remonter un peu le moral; c'est vrai que ca fait de la peine et je crois bien que tu n'es guere fait pour etre soldat, et, sur ma parole, je te plains. CRIQUET Ah! toi, Julien, t'es ben heureux... te v'la exempt de c'te diable d'engeance militaire!... Diable de Carmee, va!...J'vous d'mande un peu si c'est jouer de malheur!... J'arrive a la mairie, avec toi, avec Robert, Jobin, Jean Claude, Mathurin!... Bon!... Vous attrapez tous un bon numero, moi j'mets la main dans ce sac de malheur et vlan! j'attrape le numero Un...!!!... Tiens! j'en r'viens pas... LEFUTE Console-loi, va, mon pauvre filleul, j'penserai a toi et je t'ecrirai souvent. CRIQUET Ah oui! parrain, ca m'f'ra une belle jambe, ca, qu'vous pensiez a moi!.. quand j's'rai au milieu de tout c'fracas d'pistolets, d'fusils, d'canons, brrrrrr!... ROBERT. Voyons, voyons, Criquet, que diable, tu es un homme a la fin! CRIQUET. Dame!... j'dis pas... mais tiens, vois-tu, Robert, quand j'pense qu'il faut quitter parrain Lefute, ma grosse Rose, mon chien Zozor et pis... et pis... (avec un gros soupir) et pis c'te pauvre chere Caillette... ah! ah! ah! ROBERT (riant) Caillette?... Qu'est-ce que c'est qu'ca, Caillette?... CRIQUET. Eh ben!... tu sais ben, Caillette!... notre vache? Sitot qu'a m'voyait v'nir le matin, alle riait d'plaisir. Tiens, Robert, d'pis que c'te chere bete sait que j'sis pour partir pour c'te maudite Carmee... alle mange plus, a fait des reniflements, des gemissements qu'ca m'en donne comme des combustions dans l'estomac. ROBERT Tiens, tiens, Criquet, tout ca, c'est des betises, faut laisser l'chagrin d'cote... viens chanter avec tes amis... viens boire un bon verre de vin avec les amis, et apres, tu partiras joyeux. CRIQUET Oh! pour ca, non, Robert, jamais!... J'sis trop abasourdi... et pis j'te d'mande un peu... qui qui m'ont fait ces Russes pour que j'aille me faire tuer dans c'te coquine de Carmee?... Ah! Jarnigoi! j'ai pas une goutte de sang dans la tete! COUPLETS. Queu douleur! faut que j'aille Vivre loin du pays! J'aimons pas la bataille; Car j'n'ons pas d'ennemis. ROBERT. A tout je me conforme; J'partirai sans regrets; Le tambour, l'uniforme Ont pour moi des attraits. Rantanplan, rantanplan! J'aime ce r'frain du regiment: Rantanplan, rantanplan, Ran ran tan plan plan. CRIQUET J'ons le coeur qui me serre Quand j'vois battre un dindon; Pourrai-je |ben a la guerre Tuer des gens pour tout d'bon? ROBERT. Les enfant de la France A l'ennemi vont gaiment, Et pas un ne balance Quand on crie: En avant! Rantanplan! rantanplan! Amis, la gloire nous attend. Rantanplan rantanplan, Ran ran tan plan plan! CRIQUET. Apres une bonne affaire On r'vient clopin-clopant. ROBERT Mais a la boutonniere Peut briller un ruban. CRIQUET. (Parle: Oui... mais) On attrap' queuq' torgnole. ROBERT Et l'on devient sergent. CRIQUET L'canon vous carambole Et l'on meurt.... ROBERT (Lentement et a voix basse). En chantant: Rantanplan, rantanplan On voit l'ennemi fuyant Et l'on s'dit en mourant: Ran ran tan plan plan! CRIQUET Ran tan plan, ran tan plan! Tout ca n'est pas amusant; J'aime mieux dire bien portant: Ran ran tan plan plan! ROBERT (a Lefute). Tenez, franchement, M. Lefute, je crois que votre filleul Criquet ne fera jamais qu'un mauvais soldat. LEFUTE. Oui, oui, c'est vrai, et plus j'y pense, plus j'ai peine de le voir partir. Je voudrais bien trouver un moyen pour l'en exempter. ROBERT Parbleu! pour l'en exempter, le moyen est tout facile a trouver, pere Lefute, achetez-lui un remplacant... C'est facile ca! LEFUTE. Heu! heu! facile... facile... pas tant facile que tu le crois, Robert; pour trouver un remplacant, il faut beaucoup d'ecus... et... JULIEN Allons donc, M. Lefute, ce n'est pas la mer a boire un mille a douze cents francs... Voyez donc ce pauvre Criquet, il ne tient plus sur les jambes. LEFUTE Ah! tu crois ca, toi, Julien, tu crois qu'on trouve des mille francs du premier coup. ROBERT (riant) Eh! mais, M. Lefute, cherchez donc bien dans vos vieux coffres, il y a bien encore quelque magot en reserve. LEFUTE. Ta, ta, la, ta, tout ca c'est bon a dire. (a dater de cette scene, Lefute a le ton flatteur, insinuant, pese ses mots). A propos, dis donc, mon p'tit Julien... tu sais... hein?... que sur le morceau de terre que je t'ai vendu et la petite maison que j'ai fait batir pour ta vieille mere... tu sais... hein?... que tu me dois une petite somme... comme... heu... heu... huit cents francs. JULIEN (surpris et attriste). C'est vrai, M. Lefute... mais vous savez aussi que la recolte de l'annee derniere n'a pas ete tres-bonne, que ma pauvre bonne mere a ete malade une partie de l'hiver... Mais cette annee le travail va bien, je gagne de bons gages et je pourrai avant peu vous donner un bon a-compte. LEFUTE (toujours flattant). Ah! mon garcon, je ne suis pas inquiet de toi... je te connais et tu es aussi connu de tous, pour ton travail, ta bonne conduite et surtout pour le filial devouement que tu portes a ta mere... mais... vois-tu... si j'avais cette somme... ca m'aiderait pour retirer Criquet... Tu... comprends? ROBERT Allons, allons, pere Lefute, laissez donc ce pauvre Julien tranquille... Que diable lui chantez-vous la? car, je vous vois venir. LEFUTE Ah! Robert, tu me juges mal, je n'ai que de bonnes intentions. ROBERT (souriant). Oui, oui, mais vous etes un un renard, et je crois vous comprendre... on ne vous appelle pas Lefute pour rien.... LEFUTE (Il amene Julien sur le devant de la scene. Robert et Criquet restent au fond; Robert prete l'oreille de temps en temps a la conversation, les autres conscrits se remettent a table et ne se levent que lorsque le sergent arrive avec Tapin.) Ecoute, mon Julien, je vais te parler ouvertement, c'est aussi dans ton interet comme pour le mien. Consens a partir a la place de Criquet et... JULIEN (surpris). Quoi?... Que me dites-vous, M. Lefute?... Moi quitter ma pauvre mere!... o mon Dieu! (Il se cache la tete dans ses mains). LEFUTE. Ecoute donc, mon p'tit Julien... laisse-moi finir... Si tu veux consentir a remplacer mon filleul Criquet, non seulement je te fais remise des huit cents francs, mais encore je me charge d'avoir le plus grand soin de ta mere. JULIEN (avec larmes). Ma mere!... ma mere!... mais vous n'y pensez pas! Vous ne savez doute pas que demain, lorsqu'elle appellera son Julien, son fils?, et qu'on lui dira: "Il est parti, il est soldat!..." la pauvre mere en mourra de douleur!... Oh! par pitie, M. Lefute, n'exigez pas de moi ce sacrifice! LEFUTE (pressant toujours). Julien, mon ami, tous ne sont pas tues a la guerre... tu reviendras... j'en suis sur... sois sans crainte pour ta mere... rien ne lui manquera et je m'engage a lui faire, outre son entretien, une rente de 200 francs. Voyons!... voyons!... voyons!... Julien.... JULIEN (accable de douleur). Mon Dieu! mon Dieu... Je ne puis me resoudre, malgre toutes vos promesses, a abandonner ma mere!... Et cependant... LEFUTE (meme jeu). Julien!.... Julien!... C'est ton bonheur, tu le verras... ulien... encore une fois... ta mere ne manquera de rien!... Je t'en fais la promesse solennelle et sacree!... allons!... (On entend le rappel). Entends-tu? voila le rappel... Julien... decide-toi! JULIEN (avec douleur) Ma mere!... ma pauvre mere!... O mon dieu! Acceptez mon sacrifice et conservez-moi ma mere... (Apres une seconde). J'accepte, M. Lefute, je pars a la place de Criquet, j'ai foi en vos paroles.... et demain... oh! demain... quand ma pauvre mere vous demandera son fils!... oh! consolez-la... et dites-lui que son Julien reviendra. LEFUTE. Tu peux compter sur moi, je te le jure! ROBERT (il s'avance, prend et serre la main de Julien et d'un ton attendri) Bien! Bien! Julien, j'ai tout entendu, tu es un bon fils! Dieu te conservera a ta mere! Car Dieu aime et benit les bons enfants! (A Criquet) Allons, Criquet, reveille-toi, mauvais conscrit, tu ne pars pas? CRIQUET (tout abasourdi) Hein! Hein?... Quoi?... Qui?... C'est y vrai? oh! prends garde, Robert, tu vas me faire tomber en faillance. JULIEN (triste). C'est la verite, Criquet, tu restes au pays et je pars a ta place... Regarde-moi... vois mes pleurs, je ne cherche pas meme a les retenir. CRIQUET Oh! mais! oh! mais... c'est donc comme un miracle!... Dieu de Dieu.. v'la mon poids de d'ssus mon estomac qui commence a s'en aller!... Hein? n'est-ce pas, Julien, qu'ca fait mal de partir?... Ah! ca, parrain, comment diable qu'ca s'est donc manigance? LEFUTE (brusquement). Laisse-moi tranquille, ca ne te regarde pas... avec tes pleurnicheries, tu me tires les deux yeux de la tete. CRIQUET Ah ben!... ali ben! j'y comprends plus rien... A propos, tiens, mon p'tit Julien, puisque tu pars a ma place, j'vas je donner mon sac, tu trouveras d'dans un quarteron d'fromage, une douzaine de pommes d'not' verger ben mures, un d'mi cent d'noix toutes ecalees et pis deux paires de chaussons, qu'la mere Brigitte m'a tricotes c't'hiver a la veillee quand j'y racontais l'conte du P'tit Poucet... et pis... an fond du sac tu trouv'ras une p'lotte de ficelle pour te serrer l'ventre quand t'auras trop faim au regiment. SCENE 4e LES PRECEDENTS. (Lavaleur, Tapin, tous les conscrits se levent et se placent sur une ligne, le drapeau en tete). LAVALEUR 1er Couplet. Eh! bonjour, ma chers enfants, Je viens chercher nos jeunes gens; Sur la liste j'vas les inscrire. Il faut rire, il faut rire, Rire et toujours rire! (Tous repetant). Il faut rire, rire et toujours rire! 2e Couplet J'vas donner a vos conscrits Des armes et des habits, Puis au feu j'vas les conduire. Il faut rire, il faut rire, Rire et toujours rire! (Tous) Il faut rire, rire et toujours rire. LAVALEUR Allons, mes amis, disons adieu a toutes nos connaissances et en route! (Voyant Criquet) Qui m'a bati un gaillard de c't'espece-la? Es-tu conscrit, toi? CRIQUET (riant betement). J'l'etions a c'matin, not' chargent, mais a present je l'sommes pus... T'nez, c'est c'lui-la... c'est Julien, qui m'a remplace, y part a ma place. LAVALEUR (regardant Julien). Eh! c'est mon jeune homme qui voulait rester au pays? Ma foi, je ne perds pas au change!... Du courage, jeune homme... c'est bon signe, tu le verras, et je te le predis, tu feras ton chemin. ROBERT (avec force). Oui! oui! Maintenant partons et allons montrer aux Russes que quoique partant de la campagne, nous saurons leur faire voir que leurs balles ne nous feront pas peur!... Allons! mes camarades, en avant, et repetons la belle devise de nos anciens: Aime Dieu et va ton chemin! Tous (avec explosion, agitant leurs chapeaux). Oui! oui! Aime Dieu et va ton chemin! Vive la France! ROBERT. Adieu, pere Lefute...! adieu, Criquet, mauvais conscrit... Je reviendrai decore ou je serai tombe au champ d'honneur! (il va se mettre en rang). JULIEN. Adieu, M. Lefute; console bien ma mere! songez a vos promesses et priez, pour moi! (il se met en rang). (Les conscrits defilent au son de la musique, ils font le tour du theatre en chantant). CHANT. Partant pour la Syrie, Le jeune et beau Dunois Venait prier Marie De benir ses exploits. Faites, Reine immortelle, Lui dit-il en parlant, Que j'aime la piu belle (bis) Et sois le plus vaillant! (bis) (Ils sortent par le fond). SCENE 5e. LEFUTE, CRIQUET. LEFUTE. Eh bien! maintenant, je suppose que tu es content? CRIQUET (flattant). Oh! oui, mon p'tit parrain, j'vous promets a present que j'vas me r'mettre au travail pour recompenser le temps perdu... J'veux^ qu'vous soyez bien content d'moi... oh! oui, mon cher p'tit parrain... mon p'tit parrain du bon Dieu. LEFUTE Allons, allons, c'est bon ne reste pas plante la toute la journee. Je rentre a la ferme; tu viendras m''y retrouver. CRIQUET Oh! oui... oui... mon gros p'tit parrain... j'y s'rai ben vite... Allez doucement, mon p'tit vieux parrain... prenez garde de tomber. (Lefute sort). SCENE 6e CRIQUET (seul). (Il va au fond) Ah! ben! On les voit encore!... Adieu, les amis... les v'la au haut du la montee... adieu!... adieu!... allez cueillir des lauriers, des grosses bottes de lauriers d'la victoire. Moi, j'reste avec parrain Lefute, avec ma grosse Rose, avec Zozor, avec ma Caillette, avec tout, quoi!... J'aime ben mieux ca!... La gloire!... C'est, ben beau la gloire, comme disait Robert... mais pas pour moi. COUPLET Moi du pain bis je connais l'influence, Ca n'va pas a mon temperament; Pres d'mon parrain, j'vivrai dans l'abondance, Ah! convenez qu'c'est ben pus regalant (bis). Mon nom, je l'sais, ne s'ra pas dans l'histoire, Mais j'vas dev'nir aussi gros qu'une tour; Et j'aime mieux engraisser pour l'amour Que de maigrir pour la victoire (bis). Et puis j'vous d'mande un peu comme c'est amusant... Brrrr!... J'en ai encore la chair de poule... je m'vois sus l'champ d'bataille... En avant!... pif! paf! boum!... vla qu'ca chauffe... les balles sifflent... aie! aie!... j'en attrape une... j'ai la jambe demolie... vite a l'ambulance... Vla l'docteur major, avec tous ses diables de couleaux... allons, garcon... du courage... faut s'debarrasser de c'te jambe-la!... Bon!... marche, Criquet... r'tourne au village, va danser une gigue avec la jambe de bois... Non... non, j'en suis pas, j'aime ben mieux boire, manger, dormir et r'commencer comme ca tous les jours de la semaine que d'me voir dans c't'engeance de soldat militaire!... Non, non, c'est pas mon fort d'etre brave... ah! a present, vla parrain, j'peux ben vous dire ca, j'suis son seul heritier du cote de ma marraine qu'etait sa femme legitime et qu'etait aussi ma tante du cote d'mon oncle Berluchat qu'etait aussi mon parent du cote... mais ca s'rait trop long si j'vous parlais de toute ma parente... c'est une lignee qui a pus d'bout... tant il y a que j'sis l'seul heritier majeur d'mon parrain... Eh ben, si v'nait a vouloir se r'poser y m'passerait tout son bien! ah! dame, c'est qu'il en a du bien, mon parrain... faut que j'fasse la reputation de tout... voyons... primo... y a la terre d'la mare aux biches... qui vaut ben?... oui! oui... deuzo, y a aussi la ferme de la guernouillere, oh! ben, celle-la, alle vaut... toujours... oh! oui... a present: troissio, y a la maison, l'verger, la vigne et la pataugere!... Eh ben, tout ca... tout l'bien d'mon parrain, y vaut... y vaut... oui! mais... y vaut ben plus que ca, l'bien d'mon parrain!... Tiens, j'patauge toujours a vous parler et j'ai promis a parrain d'aller l'trouver, faut pas l'tromper, c'pauvre cher homme!... Allons, me vla donc libre!... me vla donc debarrasse... me vla heureux! (Il ote sa tuque) Ah! grand brigand d'numero! m'en as-tu donne du tintouin?... hein?... grand scelerat!... m'en as-tu fait avoir des eclaboussures d'estomac, des poumons!... m'en as-tu fait jeter d'ces pleurs!... hein! grand renegat! grand polichinelle! Sans c'pauvr' Julien, tu m'faisais aller en Carmee!... Hein?... Hein?... aussi, tiens!... j'te foule aux pieds!... j'te dechire... j'te devisage... j'te pulverise... j'te foule sous mes sabots, et puis, j'vas chanter pour me moquer d'toi, pour te dire je m'fiche de toi comme des Russes qui n'auront pas ma peau!... Entends-tu? vieux numero d'malheur!... COUPLET. Que j'sis content! Queu bonne nouvelle! J'vas rapprendre a tout le hameau: Je crois qu'j'en perdrons la cervelle, Ah! je m'sauve de mon numero! Que j'sis content! Queu bonne nouvelle! J'vas l'apprendre a tout le hameau: Je crois qu'j'en perdrons la cervelle, Ah! je m'sauve de mon numero! Oui, je m'sauve de mon numero! Oui, je m'sauve de mon numero! (Tres vite et en sautant et en sortant.) Oui, je m'sauve de mon numero! Oui, je m'sauve de mon numero! ACTE SECOND DEUX ANS APRES. SCENE 1ere. CRIQUET (un balai a la main). Ma parole la pus sacree, j'comprends pus parrain... d'puis hier, y m'fait travailler, epousseter, balayer... frotter... Et puis y'bougonne, y chante... y siffle... y crie... y marche a grands pas... y fait des grimaces... ma foi, ma parole, j'y entends pus rien... rien... j'crois qu'il a que'qu'chose de traque dans l'cerveau, c'pauvr' parrain!... J'ai beau m'creuser toutes les idees... j'trouve pas... j'comprends rien... mais la... rien, rien, de rien... a la fin ca m'embete, moi, de rien savoir... y m'cache que qu'chose, c'est sur... Diable! quoiqu'ca peut z'etre?... Je m'marie pas?... oh! non!... quand meme je l'saurais ben... oh ben oui, m'marier... faut pas penser a ca!... surtout d'puis c'te grande catastrophe!... oh! grosse trompeuse de Rose, va!... Tenez y m'semble que c'est d'hier... J'vas vous conter ca... Un jour... (il regarde dans la coulisse) aie! vla parrain qui vient, n'y parlez pas d'ca, n'dites rien d'moi, hein? parc'que, voyez-vous, quand j'tombe sus l'chapitre d'ma grosse Rose... y m'appelle idiot, stupide, imbecile, beta et pis y bougonne toute la journee... j'vous conterai ca plus tard.. (Il se met a balayer). SCENE 2e CRIQUET, LEFUTE. LEFUTE. Eh bon! voyons, a quoi penses tu la?... les bras croises, au lieu de travailler. CRIQUET. Dame! parrain, y m'semble que j'm'amuse pas a attraper les mouches... Ah! ca, mais dites donc, parrain, sans vous commander, pourquoi donc qu'vous m'faites comme ca eclabousser d'tous les cotes avec mon balai?... y a c'te pauvre vieille Javotte a la cuisine, qui sue a grosses gouttes a fourbir, a recurer tous ses chaudrons de cuivre jaune!... Enfin, d'pis a c'matin, on met tout sens d'ssus d'ssous dans la maison, vrai, comme si c'etait la Fete-Dieu! LEFUTE (se frottant les mains). Apparemment que c'est pour une grande fete!... une fete!... Entends-tu; Criquet? Hein? Tu ne comprends pas? CRIQUET (l'air etonne). Ma foi, mon parrain, pas seulement le moindre des p'tits brins, et c'est ben ca qui m'turlupine. LEFUTE Ah! Ah! El si j'te disais... Cette fete... cette belle fete que je prepare... c'est pour recevoir deux bons amis... y es-tu, hein? CRIQUET (sautant de joie). Robert et Julien, parrain? LEFUTE. Precisement, et hier j'ai encore recu une lettre d'eux, ils m'annoncent leur prochaine arrivee. CRIQUET (avec joie). Ah sapristi!... Cre coquin! Queu bonheur! Queu joie!... Robert et pis c'bon p'tit Julien! Dieu de Dieu, j'vas t'y etre content d'les voir!... Ah! a present ca m'etonne pas si on travaille tant et comme not' ferme est avant l'village, c'est nous, parrain, qu'on aura leur premiere visite? LEFUTE Comme tu dis, Criquet, et ce sera d'autant plus d'honneur pour les gens du village et pour moi, que nos deux amis oui bien rempli leur devoir de soldat!... En un mot, ce sont deux braves de l'annee de Crimee! CRIQUET C'est y ben loin, ca, parrain, la Carmee LEFUTE. Crimee, imbecile! CRIQUET. Ah! oui, ah! oui! Ah! ca, parrain, dites donc, ca fait deux ans qui sont partis, n'est-ce pas? LEFUTE Deux ans?... y me semble qu'il y a un peu plus que ca, je crois? CRIQUET. Non, non, parrain, y a juste deux ans dimanche... T'nez, c'est a l'epoque ou ma grosse Rose... LEFUTE (colere et frappant du pied). Va-t'en au diable!... Vas-tu encore m'ennuyer avec tes sornettes? CRIQUET (reculant de peur en ressautant). Non, non, parrain, vous fachez pas; voyons! ah! dites donc, parrain, sont y toujours dans c'meme regiment? qu'vous m'disiez, dans c'beau regiment... qu'vous appeliez... les... les... zougabes. LEFUTE (fort). Zouaves!... donc, imbecile. CRIQUET. Zoubabes... zougaves... ca fait rien, ca... ca rime toujours. LEFUTE Robert est dans ce beau corps ainsi que Julien, ils sont tous deux decores de la croix d'honneur. Tiens, je vais te lire la lettre qu'ils m'ecrivent. (Il tire la lettre de sa poche et lit). Cher M. Lefute, Nous avons quitte la Russie, nous sommes en ce moment a Paris, mais, encore quelques semaines et nous allons prendre la route de notre cher village de Blancourt; il nous tarde de revoir tous les amis et Julien se fait une fete d'embrasser sa vieille mere. Nous sommes, comme vous l'avez sans doute appris par les bulletins de l'armee, sous-officiers et decores. Je sais que tous partagent notre bonheur d'avoir fait notre devoir. Allons, allons, au revoir, nous serons bientot pres de vous. Vos bons amis, ROBERT ET JULIEN. Aussi, comme nous sommes aujourd'hui jeudi, je les attends de jour en jour. CRIQUET. Ah bon, j'dis qu'ca va en faire une fete c'jour-la!... Dieu! On va-t'y s'en donner, on va-t'y chanter... et dire, parrain, qu'si j'avais parti j's'rais p't'etre ben comme eux a present. LEFUTE. Ah! oui, parlons-en un peu... un gaillard qui beuglait comme un veau. CRIQUET Dame, parrain, c'etait pas dans mon gout d'endosser l'habit d'soldat? qu'voulez-vous, j'pouvais pas me r'changer, moi! LEFUTE. Allons, c'est bon, tais-toi... Je vais aller au village parler aux amis afin de nous reunir tous ici au plus vite... je reviendrai dans une heure ou deux... Travaille bien. CRIQUET Oh! oui, oui, mon p'tit parrain, pour l'arrivee d'nos deux braves, j'puis m'casser bras et jambes!... Oh! daine, j'vous promets que l'travail ne m'f'ra pas peur. LEFUTE Allons, nous verrons ca; bon courage. (Il sort.) SCENE 3e CRIQUET (seul). Ah! quand j'y pense!... quelle fete! quelle bombance qu'on va faire!... C'est pour le coup qu'parrain va sortir de sa cave ses vieilles bouteilles de c'bon vin d'la comete de 1811. Ah!... (il s'assoit, le balai droit entre ses jambes). Dire qu'y a deux ans qu'j'ai vu Robert! J'parie qu'y doit etre grand... et pis y doit s'tenir droit comme un i. Ca doit faire un beau... un beau... zou... zou... zouba... comment qui dit ca, donc, parrain?... j'peux jamais m'mettre c'diable de nom-la dans la tete... Et Julien, qu'avait l'air si doux, j'sis sur a present qu'il a une grosse voix et pis... et pis... j'vas t'y les faire parler, j'vas t'y leur en demander des affaires, des combats d'bataille!... Ah! et pis y faudra. qu'y m'montrent pour manigance un fusil de soldat!... C'est c'te pauvre vieille Marguerite, la mere de Julien, va-t-elle etre contente de voir son garcon, elle qu'a tant pleure, quand elle a appris son depart!... Pauvre vieille! comme elle va l'embrasser, l'cajoler, l'bichonner! oh! j'vois ca d'avance! (Coup de pistolet dans la coulisse; Criquet tombe sur le dos). Aie! aie! quoiqu'c'est qu'ca?... ah! mon Dieu! la guerre? (il se leve et va au fond). Ah! non, c'est un regiment de militaires... v'la qui descendent la montee!... Ah! tiens, y n'sont qu'deux? ... Ah! mon Dieu!... mais non ... mais oui... voyons, j'ai pas la berlue... j'me trompe pas?... c'est lui... c'est eux... c'est les amis... oui... oui... C'est Robert!... C'est Julien!... Saperlotte!... Vla mon coeur qui saute comme une carpe!... oh! he! oh! he!... les amis... par ici!... he, Robert! Julien! (il court de tout cote et appelle) Oh! parrain! parrain! Mathurin! Jean Claude! Limousin! les v'la!... les v'la... Vive Robert! Vive Julien! Vive Criquet! Vive tout! Nom d'un p'tit bonhomme!... J'sais pas ou donner d'la tete!... oh! oh! oh! les v'la! les v'la!!! SCENE 4e ROBERT, JULIEN (en zouaves), CRIQUET. (Ils entrent tous les deux en se tenant par le cou et en chantant). Sejour de notre enfance, Nous voila, nous voila de retour; Les chagrins et l'absence, Tout s'oublie (bis) en un jour. ROBERT Bonjour, Criquet! bonjour, mauvais conscrit, comment ca va, hein? (Cordiales poignees du main). CRIQUET (essouffle). Ouf!... ah! Robert! Julien!... bonjour... je m'porte bien... vous aussi... merci... ouf!... Laissez-moi respirer... t'nez; j'peux pas parler tant que j'sis content, j'sis tout suffoque! estomaque! ROBERT Ce bon Criquet!... Ca t'etonne, hein! de nous voir dans ce beau costume?... n'est-ce pas, mauvais soldat? CRIQUET Laissez-moi donc vous r'garder a mon aise!... ah! quel beau costume... Et c'te belle croix d'honneur!... Et pis ces grands yeux qui flamboient!.. pre machine! Comme ca vous change, l'regiment de la guerre! ROBERT (riant). Bon! bon! Mais avec tout ca, tu n'as rien a nous donner pour nous rafraichir? car nous sommes diablement alteres! CRIQUET. J'crois que j'vas vous en chercher quequ'chose et du bon encore, et pis apres vous m'conterez ben des choses, hein? JULIEN. Ce brave Criquet!... Mais dis donc, ou est le papa Lefute? CRIQUET. Il est alle au village prevenir tous les amis, pass'qu'on vous attendait bon, allez! t'nez, parrain, y d'meurait pas en place!... Ah! ca va s'savoir ben vite et j'sis ben sur qu'y vont v'nir vous chercher pour aller au village!... Ah! quelle fete! quelle fete!... J'vas vous chercher a boire. (Il sort en courant). SCENE 6e ROBERT, JULIEN. JULIEN. Quel bonheur, Robert, de nous revoir encore an pays! ROBERT. Oui, et surtout apres avoir tant trotte et avoir passe tant de nuits sous la tente du champ de bataille!.. Oui, Julien, aujourd'hui c'est un jour de bonheur. JULIEN (allant a la fenetre et l'ouvrant). Viens, viens, mon cher Robert, viens jouir d'une belle vue. CHANT. Voila, bien nos champs Et nos coteaux et la prairie. Souvenirs charmants! Ah! que mon ame est attendrie! Regarde, tout la-bas, Ami, ne vois-tu pas Le clocher de notre village i Ah! des pleurs mouillent mon visage; Pays, nos amours, Nous voila pour toujours. (ensemble).Pays, nos amours, Nous voila pour toujours. SCENE 6e LES PRECEDENTS, CRIQUET (avec une cruche et trois gobelets) Et moi aussi me vla, avec la bouteille et j'ai choisi la plus grande. (Criquet emplit les verres, on boit). JULIEN. A present, mon cher Criquet, parle-moi de ma bonne mere: elle se porte bien, n'est-ce pas? tu la voyais tous les jours, tu lui parlais de moi et rien ne lui a manque pendant mon absence? CRIQUET. Oh! pour ca, Julien, j'te promets qu'parrain en a eu un soin!... mais un soin!... alle etait comme un coq en pate, quoi!... Dame, aussi, c'est qu'j'allais la voir tous les jours, c'te pauvr'vieille... et de quoi qu'a m'parlait? toujours d'son Julien, mon p'tit Julien par ci, mon p'tit Julien par la!... Mon Dieu, qu'a disait, s'il etait blesse!... s'il etait tue... si... enfin, ben des choses... et pis, dame, alle pleurait... moi, ca m'arrachait l'coeur et tout d'suite j'y donnais des consolations... et pis d'autres fois, j'y contais des p'tites fariboles et j'la faisais rire! JULIEN. Bonne mere! CRIQUET. Ah! ca, dites donc, les amis, a present qu'on s'est rafraichi, et en attendant les autres avec parrain, car y vont v'nir, ben sur, pass'que tout a l'heure, j'viens de dire au p'tit Piquelet qu'vous etiez arrives; ah ben, fallait l'voir, il a pris ses jambes a son cou pour courir au village... En attendant, toi, mon Robert, raconte-moi donc l'combat d'une bataille, hein? ROBERT. Ca te ferait donc bien plaisir? CRIQUET. Ah! tiens, ca m'f'rait dresser les ch'veux par-dessus la tete. JULIEN. Ce pauvre Criquet... Raconte-lui donc la prise de Sebastopol. CRIQUET. Oui, oui, Robert, raconte-moi ca... ca va m'mettre dans l'ravissement. ROBERT (bas a Julien). Tu vas rire. (A Criquet) Allons, mets-toi la, tu es la citadelle. CRIQUET (riant). Oh! oh! c'te betise!... Tu veux que j'fassions une citadelle? ROBERT (commandant). Silence dans les rangs! CRIQUET. Bon!... j'dis pus rien, commence! ROBERT. (CHANT) 1er COUPLET. D'abord, afin d'se distraire, On echange quelque boulets; L'canon gronde comme un tonnerre, Nous avancons de plus pres. Vla. le combat qui s'annonce; Nous marchons tambour battant; Du premier coup l'on enfonce La redoute du grand redan. (Parle). Vlan! (il lui donne un coup de pied au derriere). CRIQUET (riant). Bon! v'la la r'doute enfoncee. (Ensemble). En avant! En avant! (bis) Not' drapeau s'ra triomphant! (bis). 2e Couplet. (Robert tourne autour de Criquet).Puis cernant la citadelle, Nous marchons de toutes parts; De gloire nos yeux etincellent, Nous sommes sur les remparts. V'la le combat qui s'avance, Nous marchons tambour battant; Au seul cri: Vive la France! Sebastopol est sur le flanc. (Parle, Vlan! il passe la jambe a Criquet qui tombe). CRIQUET (a terre, riant aux eclats). Ah! ah! ah! ah! ROBERT ET JULIEN. En avant! En avant! Not' drapeau est triomphant. CRIQUET (qui s'est releve). Dieu de Dieu! Qu'c'est beau l'recit du combat d'une bataille!... Ah! qu'j'aurais ben voulu etre la. JULIEN. Ce diable de Criquet, toujours le meme, il est impayable. CRIQUET. Tout d'meme, ca vous change joliment l'regiment, hein, les amis? C'est vrai qu'vous etiez ben resolus tout d'meme au depart.... Toi surtout, Robert, ah! dame, c'est qu'tu parlais comme un vrai soldat... et Julien, qu'etait si doux... c'est pus l'meme du tout... pauvre Julien, quand j'y pense, lui qui s'attendait pas a partir... ca m'faisait d'la peine, vrai... mais dame, y s'est decide tout d'suite. JULIEN. Oui, je n'ai pas manque de courage, malgre ma douleur. ROBERT. Tiens, tiens, Criquet, au lieu de nous parler de tout ca, tu ferais bien mieux de nous parler du pays, de ce qui s'est passe depuis notre depart, cela nous interessera. JULIEN. Oui! oui, Criquet, dis-nous un peu s'il y a eu du nouveau pendant notre absence. CRIQUET Ah! ben, dame, j'veux ben, pass'qu'il en est arrive diablement du nouveau, allez!... oh! oui! ROBERT Conte-nous donc ca. CRIQUET (au milieu). Eh ben! imaginez-vous qui s'est passe des choses!... oh! mais, des choses incroyables! ROBERT ET JULIEN (souriant). Ah! bast! Oui, oui; d'abord, y a la petite Catelaine... vous savez ben, la p'tite Catelaine qu'a les g'noux en d'dans, qu'a marche comme ca (il la contrefait). Eh ben! pour en r'venir a son histoire a elle, elle a tant bu d'eau, c't'ete, ... tant bu d'eau qu'ca et pis les chaleurs, ca a mis l'ruisseau quasi a sec! ROBERT ET JULIEN (aux eclats) Ah! ah! ah! Assez, Criquet, assez. Je n'en peux plus. CRIQUET. Et pis autr'chose... l'automne derniere y a le tonnerre qu'a tombe sur quatre moutons qui s'occupaient a manger d'l'herbe dans la plaine, si bien que l'lend'main matin on a pus trouve rien qu'des pieds d'mouton!... C't'aventure-la a decide mon cousin Bertambois a faire assurer ses canards contre l'incendie. ROBERT ET JULIEN (aux eclats). Ah! ah! farceur de Criquet, va! JULIEN (en riant). Et la pretendue, ta grosse Rose, Criquet? CRIQUET (soupirant). Ah! Julien, tu viens d'rouvrir une grande blessure dans mon coeur! JULIEN (souriant). Comment? Est-ce qu'elle t'aurait fait des traits? CRIQUET. Horriblement des traits! ROBERT. Diable! Voyons, conte-nous donc ca, mon pauvre Criquet. CRIQUET. Pour lors, donc, imaginez-vous, qu'il etait v'nu dans l'village, un grand med'cin qu'les autres appelaient comme ca un charpatran... ROBERT (riant). Un charlatan, tu veux dire? CRIQUET. J'sais pas... p't'etre ben comme ca... enfin, il etait dans l'village et tous les jours y v'nait sus la grand'place vendre toutes sortes de drogues, des onguents et pis des vulneraires pour les brulures, les cassures, les chicots gates, les engelures, les cors aux pieds, et pis pour faire pousser les cheveux sus les tetes chauves... bast!... est-ce que j'sais moi, toutes sortes de choses, quoi!... Il etait galonne sus toutes les coutures, avec un grand chapeau a plumes rouges a trois cornes, avec des bottes d'or et une grande cocarde rouge; il etait perche sus une grande belle voiture avec deux grands ch'vaux, peinturee en rouge, en jaune et pi?... JULIEN (riant). Peinture? qui ca? les chevaux? CRIQUET. Eh! non, Julien, la voiture... Et pis y en avait une autre des voitures, ousse qu'y avait un tas d'musiciens qui faisaient un tapage a casser les vitres... enfin, y avait rien d'plus beau d'les entendre souffler dans des grandes machines en cuivre jaune!... Donc, l'dimanche, j'voulais faire voir tout ca a la Rose, vla donc que j'pars pour aller la chercher; j'avais mis mes culottes a raies rouges, mon gilet tricolore, mon chapeau bon r'tape avec un ruban jaune large de ca... J'arrive chez la Rose... j'tape... j'cogne, bernique!... visage de bois... j'appelle, j'crie comme un sourd... rien... rien... la sueur me coulait comme un deluge... j'parcours le village comme un insense... j'appelle encore la Rose a grands cris... et... et... j'apprends qu'la scelerate s'avait enfuite entre la clairinette et l'gros tambour!!! aussi, t'nez, d'pis c'temps-la, je m'frais des bosses grosses comme ca qu'je me servirais jamais des vulneraires ni des onguents de tous les charpatrans! JULIEN. Pauvre Criquet!... mais depuis ce temps-la, tu t'es console? CRIQUET. Oh! non! pas trop... surtout quand je r'garde mon chien Zozor qu'la Rose m'avait donne comme un gage de sa fidelite,... quand j'le regarde... c'pauvr' animal, y me r'garde avec des yeux tristes, ca m'en fait un mal de chien! ROBERT (regardant au fond). Eh! mais, qu'est-ce que j'entends? quel est ce bruit? CRIQUET Eh! eh! je n'me trompe pas, c'est parrain avec tous les amis qui viennent vous chercher! Vive la joie... pus d'chagrin!... oh! he! oh! he! arrivez! arrivez, les v'la! les v'la! nos deux amis!... SCENE 7e LES PRECEDENTS, LEFUTE, LAVALEUR, MATHURIN, VILLAGEOIS, (poignees de main en entrant et pendant le choeur, tableau vif et anime). CHOEUR GENERAL. A la veillee accourons tous, Du plaisir c'est le rendez-vous. Aupres de ceux que nous aimons, Amis, trinquons, chantons, buvons! Amis, amis, trinquons, chantons, buvons! LEFUTE. Les voila donc, nos deux amis, l'honneur, l'orgueil de notre pays!... Voyons, mes camarades, avant de quitter ma ferme pour nous rendre au village, il faut boire a la sante de nos braves; zouaves!... Allons, Criquet, verse, verse a pleins bords et chantons en choeur! Tous. Oui! oui, chantons et buvons! verse, verse, Criquet! (Criquet pendant le choeur centree a place une table au milieu, avec verres ou gobelets, bouteilles, etc). CRIQUET. Voila! voila! servis!... A la sante des amis! Tous. Bravo! bravo, (ils boivent). CHOEUR GENERAL. La belle nuit! (bis) La belle fete! (bis) Ah! quel plaisir De boire ensemble A table! a table! Et le verre a la main, Trinquons, chantons, buvons (bis) Jusqu'a demain... (bis). CRIQUET Encore une rasade, les amis! hardi la! Tous. Bravo! bravo! Criquet! (Ils boivent). Reprise du choeur: La belle nuit, etc. LEFUTE. Voyez donc les amis, comme le costume militaire leur va bien... Ah! sergent Lavaleur, il y a deux ans, vous nous l'aviez bien dit que nous les trouverions changes... sapristi! ca rejouit le coeur!... Et cette belle croix!... comme ca brille sur la poitrine... ca ne veut pas dire qu'on est reste en arriere, ca, hein? Tous (avec force). Vive Robert! Vive Julien! LAVALEUR. Ah! ces deux-la, j'les avais juges d'avance au depart, et mille canons! Lavaleur ne se trompe jamais au physique, ca s'voit dans les yeux... Robert et Julien sont des soldats modeles!... je suis fier d'avoir obtenu mon conge avec eux. ROBERT. Ma foi, M. Lefute, mes braves camarades et moi, nous sommes heureux de vous revoir et ravis, enchantes de la cordiale reception que vous nous faites. JULIEN. Je partage avec plaisir les memes sentiments que mon frere d'armes vient de vous exprimer. Quant a vous, M. Lefute, je suis heureux de pouvoir devant tous nos amis, vous remercier des soins que vous avez pris de ma bonne mere: vous avez tenu noblement votre promesse! Soyez-en beni! LEFUTE Ah! Julien, je savais trop bien apprecier ton sacrifice!... Aujourd'hui tout est fini, tu es de retour, mes voeux sont exauces! Le bonheur est la!... Ta bonne vieille mere t'attend au village; encore quelques instants et tu seras dans ses bras!... Elle pleurera... mais ce sera de joie, en voyant son fils, son bon Julien, decore de l'etoile des braves! ROBERT. Oui, mes amis, noire Julien merite le bonheur, et a plus d'un titre; j'en sais quelque chose, moi! JULIEN. Allons, allons, Robert, je t'en prie, tais-toi. ROBERT (souriant). Tais-toi donc toi-meme, monsieur le modeste... Ecoutez, mes amis, ce petit episode de notre carriere militaire!... C'etait presque sous les murs de Sebastopol; j'etais avec mes camarades, place en eclaireur pendant la nuit... Le poste, croyez-le bien, n'etait pas tres agreable; mais le devoir avant tout, le soldat ne sait qu'obeir... Donc, jusqu'a dix heures, tout paraissait tranquille... quand, environ une demi-heure apres, une vive fusillade se fait entendre du cote des remparts de Sebastopol! Les balles pleuvaient comme la grele; nous n'etions pas nombreux, 150 hommes a peu pres, et nos coups de fusil ne pouvaient presque rien!... A la lueur des pots a feu lances par les Russes, ces derniers decouvrent notre ligne d'eclaireurs, malgre nos quelques embuscades... Que faire?... Je l'ignorais comme mes camarades.... Abandonner notre poste... impossible! Les balles sifflaient toujours... et au moment ou nous cherchions le moyen de battre en retraite pour retourner au camp et rejoindre notre corps... une gueuse de balle arrive et me fracasse la jambe!... Je tombe!... Impossible de me relever... mes camarades, battaient en retraite et ne me virent ni ne m'entendirent... Je suis flambe, me dis-je... Les Russes tiraient toujours et mes compagnons s'eloignerent lentement en soutenant le feu!... Que faire?... Le jour paraitra... les Russes ne me feront pas de quartiers!... Il faut mourir ici, me dis-je... je murmure une priere du fond du coeur, un adieu au pays et j'attendais la mort!... quand tout a coup, une voix amie murmure a mon oreille: Non, non, Robert, tu ne resteras pas ici, je te sauverai ou nous mourrons ensemble! Et ce compagnon, ce frere, malgre les balles, malgre l'obscurite, me prend entre ses bras et cinq minutes apres, j'etais sur les chariots d'ambulance! TOUS (avec explosion). Vive! Vive Julien! ROBERT (serrant les mains de Julien). Oui, mes amis, vous avez bien devine... c'etait Julien!... c'etait mon ami mon frere d'armes, qui venait, au peril de sa vie, m'arracher a la mort! CRIQUET (s'essuyant les yeux avec sa manche). Cre coquin! j'en pleure tont rouge! LEFUTE. C'est beau! c'est grand, ca, mon Julien! Ah! je le repete, le village doit etre fier de vous deux!... Voyons, mes camarades, on nous attend la-bas avec une grande impatience... Mais avant de quitter ma, ferme, encore une rasade, comme dit Criquet. CRIQUET Oui, oui, parrain, et servis de suite. (Il verse). LEFUTE. Allons, les amis, a l'honneur de l'armee francaise! Tous (criant). En avant! En avant! (ils boivent). Reprise du choeur: La belle nuit, etc. LEFUTE. Maintenant une chanson de depart. Tous (criant). C'est ca! oui! oui! une chanson! CRIQUET. Ah ben, si vous voulez, j'vas vous chanter la complainte du juif-errant; y a 47 couplets, sans compter la morale. LEFUTE. Si c'est avec ta complainte que tu penses nous amuser, tu peux la garder pour toi. CRIQUET. C'est vrai qu'alle est un peu triste; mais c'est pas moi qui l'a faite. LEFUTE (souriant). Ah! je n'en doute pas. CRIQUET (vivement). Ah! dites donc, les amis, aimeriez-vous la chanson du beau voltigeur? Tous (avec force). Oui, oui, la chanson du beau voltigeur! CRIQUET. Ah! mais v'la l'diable, c'est que j'la sais pas. Tous (aux eclats). Ah! ah! ah! ah! LEFUTE (riant malgre lui). A-t-on jamais vu un animal comme ca? mais tais-toi donc alors! JULIEN Mais je me rappelle, Criquet, avant notre depart, tu chantais souvent les deux conscrits montagnards. ROBERT Tiens, mais c'est vrai, voyons Criquet, quoique tu ne sois pas un grand chanteur, on se contentera, allons, chante. LEFUTE. Robert a raison, allons, filleul, force-toi un peu; on aura de l'indulgence, de plus cette chanson est de circonstance pour l'arrivee de nos deux amis... et ensuite, ca fera oublier ta betise de tout a l'heure? CRIQUET. Ma foi, j'veux ben, a une condition, c'est que vous f'rez chorus (sonnez l'h: c...h...o (chaud)). LEFUTE. Tais-toi, malheureux, dis-donc chorus (corus). CRIQUET (etonne). Ah! bath... c...h...o... cho! Tous. Cho...(co). CRIQUET. Cho! (chaud). Tous. Cho! CRIQUET Ah! ma foi, tant pis pour mon maitre d'ecole, j'ai toujours dit cho... mais Vous voulez co... marche pour co... co... coco... je m'lance!... Tous. Allons, en avant, Criquet! CRIQUET. 1er Couplet. Partant avec courage, Deux conscrits montagnards Jetaient sur leur village De douloureux regards. Beau pays que voila, Tout le bonheur est la. CHOEURIl n'y a pas de croyance, Pas de sejour, Qui vaille le toit de chaume, Ou l'on recut le jour. 2e Couplet. Au milieu de la ville, Et du luxe et de l'or, Songeant a leur asile, Ils repetaient encore; Grand'ville que voila, Le bonheur n'est pas la. CHOEUR Il n'est pas de royaume, etc. 3eme Couplet. Mais quittant leur banniere, Un jour, libres et joyeux, Regagnant leur chaumiere Ils repetaient tous deux: Beau pays que voila, Tout le bonheur est la. CHOEUR Il n'est pas de royaume, etc. FIN. End of Project Gutenberg's Le Conscrit ou Le Retour de Crimee, by Ernest Doin *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CONSCRIT OU LE RETOUR DE CRIMEE *** ***** This file should be named 13036.txt or 13036.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/3/0/3/13036/ Produced by Renald Levesque and La bibliotheque Nationale du Quebec (BNQ) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.