The Project Gutenberg eBook of Histoire des rats, pour servir à l'histoire universelle

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Title: Histoire des rats, pour servir à l'histoire universelle

Author: Claude Guillaume Bourdon de Sigrais

Release date: May 10, 2021 [eBook #65301]

Language: French

Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Books project.)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DES RATS, POUR SERVIR À L'HISTOIRE UNIVERSELLE ***
Frontispice

HISTOIRE
DES RATS,
POUR SERVIR
A L’HISTOIRE UNIVERSELLE.

Perlege Mæonio cantatos carmine Mures,
Et frontem nugis solvere disce meis.

Martial.

A RATOPOLIS.

M. DCC. XXXVII.

-j-

DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

Depuis que les Auteurs amusent, ou ennuyent les Lecteurs, on n’a jamais été en droit de censurer le choix de leur sujet. Chacun peut impunément suivre son goût, son talent, son caprice même, sans être comptable au Public que de l’execution seule du projet qu’il a choisi. Je suis très-persuadé que nous sommes nés pour servir la societé, & j’honore infiniment tous les Sçavans qui ont travaillé à éclairer les hommes, & surtout à les rendre meilleurs. Mais comme malheureusement leurs talens me manquent, je n’ai garde de trop présumer de ma destination dans les Sciences ; ainsi je prens la liberté de donner une favorable interprétation au principe ; -ij- je conviens de la nécessité de contribuer au bien commun, mais je pense qu’un Auteur peut s’acquitter à peu de frais de cette étroite obligation.

En effet, plus je refléchis sur les differens interêts de la societé, plus il me semble que l’amusement, le plaisir, la bagatelle sont des parties essentielles de l’utilité publique, plus je trouve très-nécessaires la plupart des choses qu’on nomme inutiles, & surtout dans le monde litteraire, ces riens qui réjoüissent l’imagination au dépens même de l’esprit, qui dissipent l’ennui, ne me paroissent nullement des riens méprisables, parce que nous sommes autant faits pour être réjoüis que pour raisonner.

Ces vérités n’ont pas besoin de preuves, elles portent avec elles une conviction que jamais on n’a mieux sentie qu’aujourd’hui ; on aime la futilité, on court après la bagatelle, ce sont les -iij- Divinités du tems que tout Auteur qui veut être lû doit encenser ; leur regne ne sera peut-être pas éternel, mais il est à présent dans son plus grand brillant, le Public est entiérement subjugué : depuis que deux ou trois beaux esprits lui ont donné le ton par des ouvrages légers, de petites Pieces amusantes, des Romans agréables qu’on a pris pour des livres de caractéres, on dévore avidement tout ce qui est marqué au même coin, & Messieurs les Auteurs en gens habiles profitent de la mode ; ils font pleuvoir les brochûres en tous les genres qui ne demandent pas plus de peine à composer qu’à lire, tout le monde fait des Historiettes, des Contes, des Poësies fugitives, & les Muses devenuës Epicuriennes, pour ne pas avoir l’affront de se voir absolument abandonnées, ne chantent que la paresse, la molesse, la volupté.

-iv- Des personnes même d’un mérite distingué se laissent entraîner par le torrent, & sacrifient à la même bagatelle des talens qu’ils pourroient employer aux plus grandes choses. Les Censeurs ont beau dire que c’est dommage que tel Auteur ait tant d’esprit ou qu’il le place si mal à propos. M. l’Auteur loin d’avoir honte de la censure ne la prend que pour un aveu autentique du seul merite dont il soit jaloux.

Si l’on me demandoit sérieusement ce que je pense de ce goût du siécle, je ne le dirois pas, je n’ai garde de juger le public qui est mon Juge : je sçai seulement que son goût s’accorde à merveille avec celui du plaisir, & que je dois m’y conformer ; c’est pour cela que j’ai choisi, entre mille, un sujet plaisant ; si je l’ai mal rempli, on doit en vérité me tenir compte de l’intention, & me faire grace en faveur de -v- ma complaisance pour mes Concitoyens ausquels j’aurois voulu être utile en les amusant.

Voilà un grand préambule pour conclure qu’il m’a été permis d’écrire l’Histoire des Rats, des Hanetons même, ou des Mouches, si j’avois voulu. Dans le fond, je crois mes preuves fort bonnes ; mais en même-tems je doute fort qu’on y ait égard. On ne lit guéres les Préfaces crainte de l’ennui qui en est inséparable, & pour se réserver le plein pouvoir de critiquer sans remontrance, & de trouver, dans l’ouvrage, des défauts qu’un faiseur de phrases sçait pallier ou excuser adroitement comme inévitables ; car toutes les Préfaces ne sont que des mémoires apologétiques, & celle-ci n’est point autre chose.

Je dois ajoûter encore que les Chats m’ont donné l’idée de l’Histoire des -vj- Rats, & le courage de l’entreprendre, ils ont tant de rapport ensemble, que les derniers m’ont paru mériter le même honneur que leurs ennemis. Le Livre des Chats m’a donc servi d’exemple, je l’aurois même pris pour modéle, si la crainte de tomber malgré moi dans les larcins de l’imitation, & plusieurs autres raisons ne me l’avoient défendu. Chacun doit se livrer à son caractere, & le mien n’est nullement porté pour l’éloge, je n’aime pas à séparer des qualités inséparables, ni faire abstraction des mauvaises pour présenter les autres dans un jour séduisant, cela n’est pardonnable tout au plus que dans les Oraisons funébres.

J’aurois pû encore en imitant les Auteurs qui ont fait les fameux éloges de la Fiévre, de l’Asne, de Car, de Rien, de Quelque chose, de Personne, &c. employer pour loüer les Rats de brillans -vij- Paradoxes : mais il faut pour cela une fécondité & une souplesse d’imagination que la Nature m’a absolument refusées ; je raisonne, mais je n’imagine qu’avec peine.

Qu’est-ce donc que l’Histoire des Rats, si je n’y prens le ton de l’éloge, & si elle ne roule point sur le burlesque ? Je serois fort embarrassé d’en donner une juste idée ; c’est un ouvrage de marqueterie, ce sont les Juveneliæ d’un Militaire qui est entre son quatriéme & son cinquiéme lustre ; & de plus, si l’on veut, une Histoire Litteraire, Critique, Morale, Politique, Phisique, Naturelle, Militaire, & presque universelle. Je m’éloigne peut-être de la modestie qu’on affecte dans les Préfaces, je m’annonce d’une maniere fastueuse, au lieu de prendre cet air humble & soumis si convenable à un Auteur qui va s’exposer à la merci de ses -viij- Lecteurs : J’ai tort, sans doute, cependant on trouvera véritablement dans mon Ouvrage un peu de tout ce que je promets.

Les Rats fournissent dans le genre Historique le plus beau sujet du monde ; ils ont rapport à tout, tout a rapport à eux, en un mot, j’ai trouvé la matiére si vaste que mon plus grand embarras a été de faire un petit Livre ; car je pouvois, sans me gêner, acquérir l’honneur de l’in-folio : mais j’y ai renoncé généreusement encore par condescendance pour la délicatesse de mes contemporains qui s’endorment à la vûë d’un Ouvrage un peu considerable. Les Grecs disoient qu’un grand Livre étoit un grand mal ; on a encheri sur eux, & l’on pense aujourd’hui que le plus petit Livre est le meilleur, ainsi l’on pourroit bien encore réduire le mien à la simple brochûre, malgré ce qu’il -ix- m’en a coûté pour l’abréger : mais je vois à cela un bon accommodement, c’est de regarder chacune de mes Lettres comme autant de brochûres séparées, & pour éviter l’ennui d’une lecture suivie, de n’en lire qu’une par mois ; c’est ainsi que les Histoires de Jacob, de Marianne, de Jannette, & tant d’autres brochûres périodiques données en détail, soutiennent l’appétit du public.

Je prévois aussi que mon plus grand crime sera une érudition qu’on ne jugera immense que pour avoir lieu de s’en moquer : si c’est un crime d’être érudit, je puis bien protester d’innocence contre cette accusation, quoiqu’au défaut du génie qui me manque elle pût me faire honneur ; mais il y auroit de la mauvaise foi à en profiter. Je n’ai jamais lû que très-sobrement, crainte de perdre la liberté de penser par moi-même, -x- en acquerant les connoissances des autres ; qu’on ne s’imagine pas aussi que j’aye passé des années à ramasser les matériaux de cet Ouvrage. La collection, en vérité, ne m’a pas coûté huit jours de recherche : un Livre en indique dix ; & comme le plus moderne est une compilation de tous les autres, on devient Auteur à bon marché. C’est pourquoi, si mon Histoire est mauvaise, je n’aurai pas au moins à me repentir d’avoir perdu beaucoup de tems à en rassembler la matiére, & si elle étoit passable, je ne veux pas qu’on la regarde comme le fruit d’une compilation penible, ni même d’une érudition acquise par une longue étude.

Je demande pardon à mes Confreres en Apollon, de dévoiler ainsi les profonds mystéres de la belle Litterature, & d’apprendre la façon de fabriquer sans peine des Livres très-gros & très-sçavans, -xj- mais je dois cette indiscrétion au Public qui apprécie ordinairement les travaux des Compilateurs plus qu’ils ne méritent, & plus quelquefois que les productions du pur génie.

Au reste, je ne prétens pas que tout Livre d’érudition soit facile à faire. Pour bâtir la Basilique de Rome, il n’a pas suffi d’en ramasser les pierres, & les marbres, il a fallu les tailler, & les mettre dans leurs places pour former ensemble ce superbe Edifice selon les regles & les proportions de l’Architecture. Il en est de même des ouvrages d’esprit, le grand art consiste dans l’Architecture, & peu de personnes peuvent l’attraper. Or je n’ai pas la vanité de me mettre de ce petit nombre ; j’avouë même que j’ignore entiérement les regles de cette ingénieuse disposition dont dépend la destinée de mon Ouvrage.

-xij- J’aurois encore beaucoup d’obligation à mes Lecteurs, s’ils étoient assez généreux pour excuser mes fréquentes digressions : j’avouë que je m’écarte à tout moment de mon sujet pour courir à droit & à gauche sur des terres étrangeres ; mais sans ces excursions, comment aurois-je pû me défendre de l’ennui d’une marche uniforme ? Je suis même inégal par tout, tantôt je raisonne sérieusement, tantôt je veux plaisanter, quelquefois je prens un stile empoulé par imitation, ensuite je reviens au naturel ; enfin ma plume suit toûjours la disposition actuelle de mon ame plûtôt que la nature du sujet, & je n’imagine pas qu’il soit possible de soutenir le même stile ni le même caractére depuis la Préface jusqu’au Privilége.

Ce qui me déplaît d’avantage c’est que je fais trop de reflexions morales, cela sent véritablement le pédant qui -xiij- veut dogmatiser, & sûrement ce n’est point mon caractere ; cependant il faut croire pour me consoler, que je plairai par-là à nombre d’honnêtes gens qui aiment les choses approfondies.

Je puis au moins protester que j’épisode plûtôt par occasion, ou sans raison, si l’on veut, que pour faire étalage de science & de litterature : si c’étoit mon dessein, j’en serois bien la dupe, car je ne crois pas que beaucoup de mes Lecteurs se laissassent ébloüir par un faux air d’Encyclopédie ; mais comment faire ? Nous vivons dans un siecle heureux, où toute la science est digerée, pour ainsi dire ; on ne pâlit plus sur les Livres, on ne sçait rien, cependant l’on sçait de tout, & je suis presque à la mode de ce côté-là, cela se peut dire, je croi, sans vanité.

Je n’ai point menagé les citations & les faits, parce que l’histoire n’est pas -xiv- composée d’autres choses, & c’est même par-là que mon Ouvrage peut avoir quelque mérite. Qu’on brûle un galon, on retrouve toujours le métail : on n’y perd que la façon. Je consens volontiers qu’on mette mon Histoire au creuzet ; si j’en suis pour la façon, on y retrouvera au moins des traits curieux, des faits interessans, enfin une matiére précieuse qui pourroit reprendre une meilleure forme entre les mains d’un habile Ouvrier.

Cependant je m’apperçois que j’avance dans cette Préface, dont je voudrois bien déja être sorti. Je crois avoir prévenu quantité d’objections ; mais j’en laisse encore davantage en arriére. Premierement, parce que je n’y sçai point de réponse ; en second lieu, parce qu’il n’est pas permis d’allonger une Préface comme on tire un lingot d’or. D’ailleurs, ma premiere Lettre est déja -xv- une sorte de Préface qui me dispensoit peut-être de celle-ci ; en effet je croyois pouvoir m’en passer lorsque j’écrivis la Lettre : mais j’en ai reconnu depuis la nécessité, & je n’ai pû effacer ce qui étoit écrit.

Il faut pourtant, quoiqu’il en puisse arriver, que je dise deux mots sur le combat des Rats & des Grenoüilles ; si je l’ai commenté, si je l’ai analysé, comme j’ai fait, j’ai crû devoir cette galanterie aux Dames, persuadé aussi que tous ceux qui ne sçavent pas le Grec me seront obligés de leur faire connoître les badinages du divin Homere, & le goût de l’antiquité ; d’ailleurs ce Poëme justifie encore l’entreprise de mon Histoire, on peut tout hazarder sur l’exemple d’Homere.

Je recommence encore à craindre qu’on ne lise pas ce Discours préliminaire, & supposé qu’on le lise, effacera-t-il -xvj- les impressions qu’aura déja faites l’étiquete du Livre ? Il me semble voir le Frontispice crayonné par mes Lecteurs de traits piquans differemment tournés, mais exprimant tous en gros, qu’il faut avoir des Rats pour en faire l’Histoire. La pointe est d’autant plus spirituelle qu’elle se présente naturellement ; j’en sens aussi toute la force.

Néanmoins il faut bien prendre mon parti. On n’est pas Auteur impunément ; & il est juste de sacrifier quelque chose à la vanité d’être imprimé. Après tout, ceux qui disputoient autrefois à Lyon le prix de l’Eloquence devant l’Autel d’Auguste, étoient encore plus téméraires que moi ; & sans doute qu’ils auroient volontiers échangé la crainte d’être plongés dans le Rhône, & la honte d’effacer leur piece avec la langue, contre toutes les blessures épigrammatiques que je dois essuyer.

-1-

HISTOIRE DES RATS,
Pour servir à l’Histoire Universelle.

LETTRE PREMIERE.

Telluris sobolem cantabo, genusque superbum.

Vous sçavez, Monsieur, qu’on donna au public, il y a quelques années, un Ouvrage sur les Chats. On fut charmé de connoître plus particulierement ces anciens dieux de l’Egypte, & ceux qui les aiment trouverent dans les éloges qu’en fait l’Auteur, de fortes raisons pour les aimer encore davantage, cet Ouvrage ne laissa rien à desirer aux Naturalistes mêmes, que de le voir suivi de l’Histoire des Rats, écrite avec autant d’élégance & de sagacité ; cependant jusqu’ici personne ne l’a entreprise, quoiqu’il semblât qu’on dût s’en disputer l’honneur.

En effet, si la haine réciproque des Romains & des Cartaginois, si les guerres sanglantes, & les révolutions de ces deux puissantes -2- Républiques nous font souhaiter de les connoître également l’une & l’autre ; si nous regrettons sans cesse que les Cartaginois n’ayent point eû de leur côté un Tite-Live, comme leurs ennemis ; pourquoi de deux peuples antipatiques, qui depuis le commencement du monde se disputent nos foyers, l’un sera-t-il seul l’objet de notre curiosité, tandis que nous n’aurons pour l’autre que de l’indifference ?

Ma comparaison n’est point burlesque, puisque, dans un [1]Ouvrage assez sérieux les Chats sont comparés à ce grand Capitaine Cartaginois qui fit souvent trembler Rome, & les Rats à ce Général Romain qui détruisit Cartage. « Lorsqu’Annibal, dit l’Auteur, ne se permettant aucun repos, observoit sans cesse Scipion afin de trouver l’occasion favorable pour le vaincre ; quel modéle avoit-il devant les yeux ? Il guêtoit son ennemi, comme le Chat fait la Souris. »

[1] Les Chats, page 87.

Mais à bon Chat bon Rat, Scipion de son côté avoit apparemment pour modéle quelque Rat habile, dont il opposoit les ruses à celles d’Annibal. Ce trait seul peut, Monsieur, -3- vous prévenir en faveur des Rats, ou du moins vous faire entrevoir ce qu’on peut gagner à les connoître.

On prétend que les animaux ont été nos premiers maîtres en tout genre, & que si nous les avons surpassé en quelque chose, ç’a été à force de les copier. Il est probable que le Triangle que forment en volant les bandes de Canards & d’Oyes sauvages, a donné la premiere idée du triangle d’Ælien, & de la Tête de porc dont les anciens se servoient quelquefois dans leur ordre de batailles. A qui devoit-on l’invention de la Tortuë militaire, si ce n’est à la Tortuë même qu’on imitoit en se couvrant avec des boucliers ? Les Cygognes lorsqu’elles vont en troupe ont leurs sentinelles, leurs gardes avancées, leurs signaux. Les Castors surtout ont le talent d’assurer leurs travaux par un discernement invariable à distribuer des vedettes vigilantes qui sçavent [2]battre la retraite dans l’occasion ; des Chevaux attaqués par le Loup forment une espece de bataillon ou d’escadron, comme on voudra -4- l’appeller, se serrant sur une ligne droite qu’ils arrondissent quelquefois pour enfermer le Loup, s’il est seul, ou pour faire face de tous côtés, s’ils ont à faire à plusieurs. Le Porc-épic lance avec une dexterité infinie les sortes de fléches dont il est couvert ; enfin les Renards, les Blereaux, les Lapins doivent passer pour les inventeurs des mines & des contremines.

[2] Leur queuë est couverte d’écailles, & plate comme celles des Poissons : on dit qu’ils en frappent sur l’eau des coups qu’on entend à une demi-lieuë à la ronde.

Pour peu que j’eusse de dévotion pour les gros livres, je pourrois vous en faire un assez considerable sur l’Art de la Guerre tiré des animaux, avec des observations qu’on ne trouve point sûrement dans tous les sçavans Commentateurs de Polibe, sans exception : Combien de volumes pourroient encore fournir facilement tous les Quadrupedes, les Volatiles, les Insectes, les Reptiles ausquels nous sommes redevables de la découverte des Arts, peut-être même des Sciences, & surtout de la Morale ?

Le gouvernement des Abeilles est un modéle parfait de Monarchie ; la Démocratie constituë la forme de celui des fourmis ; & celui des Castors, passe pour [3]Aristocratique : -5- c’est peut-être sur ces grands modéles que se sont établies les trois especes principales de gouvernement qui partagent l’Univers. D’ailleurs les pilotis des Castors, & les celules des Abeilles ont été les premiers morceaux d’Architecture qui ayent donné aux hommes l’idée des maisons. La prévoyance de la Fourmi laborieuse a donné lieu à des Apologues très-sensés, & nous avons appris à son exemple à faire des [4]magazins. L’ouvrage du Ver à soye fit chercher la façon de filer la laine, le lin, les écorces d’arbres, & la toile de l’Araignée l’art de faire des étofes. Sans impiété on peut conjecturer que la bonne Cerès ne montra aux hommes à labourer la terre, qu’après l’avoir vû remuée par les animaux dont la Magicienne Circé donna la forme aux compagnons d’Ulisse, & qu’Apollon en passant pour l’inventeur de la Musique joüit d’un honneur dérobé aux Rossignols ; les cœurs tendres & constans ne se proposent-ils pas l’exemple des Tourterelles, & celui du Papillon -6- volage, n’aide-t-il point souvent les amans malheureux à briser des chaînes incommodes ? Nos chansons en font foi.

[3] En Pologne on distingue parmi les Castors, les nobles & les roturiers ; les premiers ont une robe plus riche, & commandent aux autres. Or cela, dit-on, prouve bien que la Noblesse est quelque chose de réel.

[4] Malheureusement un habile Physicien a découvert que les Fourmis ne font point de magasins, qu’elles ne mangent point l’hyver. M. de Reaumur a bien eu tort de nous ôter un si beau sujet de moralité.

A présent je serois peut-être autorisé à conclure que l’histoire d’un petit Insecte peut valoir celle d’un grand Empire. Adresse, prudence, prévoyance, sagesse, courage, frugalité, générosité, reconnoissance, talens, vertus, tout enfin se trouve chez les animaux, il ne s’agit que de bien chercher. Vous me prendriez sans doute, Monsieur, pour un Anthousiaste, si je n’avois de bons garans de tout ce que j’avance ici, ce sont le divin Platon, & le célébre M. Despreaux l’Emule d’Horace & de Juvenal : [5]Le premier compte parmi les avantages de l’âge d’or (qui par parenthese n’a jamais existé) le bonheur qu’avoient alors les mortels fortunés de vivre en bonne intelligence avec les animaux, & de s’instruire dans ce commerce utile. Notre Poëte François a senti, comme le Philosophe Grec, combien nous avions besoin des leçons des bêtes qu’il croit même bien moins bêtes que nous ; il débute ainsi dans une Satire qui est, à ce que l’on dit, une de ses plus belles.

[5] Platon sur le bonheur de l’âge d’or. Voyez les Essais de Montagne.

-7- [6]De tous les animaux qui s’élevent dans l’air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Perou, du Japon jusqu’à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c’est l’homme.

[6] Despreaux, Satyre sur l’Homme.

Or l’avis de M. Despreaux doit être celui de tout le monde, à cause de sa réputation, & parce qu’on ne peut pas le soupçonner de partialité, lorsqu’il juge contre ses propres interêts, comme s’il ne tenoit point à la nature humaine. Le reste de la piece répond parfaitement au début, il nous envoye à l’école de la Sagesse chez les [7]Fourmis, les [8]Loups, les [9]Ours, les -8- [10]Vautours, les [11]Lions : & les belles peintures qu’il fait de leurs mœurs, sont décisives en faveur de ma cause ; elles prouvent tout ce qu’on auroit pû me contester.

[7]

La Fourmi tous les ans traversant les guérets,
Grossit ses magasins des trésors de Cerès,
Et dès que l’Aquilon ramenant la froidure
Vient de ses noirs frimats attrister la nature,
Cet animal, tapi dans son obscurité,
Joüit l’hyver des biens conquis pendant l’été.
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais l’homme sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée.

[8]

Voit-on les Loups brigans comme nous inhumains,
Pour détrousser les Loups courir les grands chemins.

[9]

L’Ours a-t-il dans les bois la guerre avec les Ours ?

[10]

Le Vautour dans les airs fond-t-il sur les Vautours ?

[11]

A-t-on vû quelquefois dans les plaines d’Afrique,
Déchirant à l’envi leur propre république,
Lions contre Lions, parents contre parens,
Combattre follement pour le choix des tyrans ?
L’animal le plus fier qu’enfante la Nature
Dans un autre animal respecte sa figure,
De sa rage avec lui modére les accès,
Vit sans bruit, sans débat, sans noize, sans procès.

Boileau, Satyre de l’homme.

M. Despreaux avoit copié Horace, Juvenal & Pline.

Neque hic lupis mos, nec fuit leonibus :
Unquam nisi in dispar feris.

Horat. Epod. 7.

Sed jam serpentum major concordia : parcit
Cognatis maculis similis fera ; quando leoni
Fortior eripuit vitam leo ? Quo nemore unquam
Expiravit aper majoris dentibus apri ?
Indica tigris agit rabida cum tigride pacem
Perpetuam, sævis inter se convenit ursis.
Ast homini, &c.

Juvenal. Sat. 15. v. 150.

Denique cætera animantia in suo genere probè degunt congregari videmus, & stare contra dissimilia : leonum feritas inter se non dimicat, serpentium morsus non petit serpentes, nec maris quidem belluæ ac pisces nisi in diversa genera sæviunt : at Hercules ! Homini plurima ex homine sunt mala.

Plin. Liv, 7.

Aujourd’hui les animaux sont bien changés. O tempora ! O mores ! Les loups dans nos forêts se déchirent ; les chiens dans les ruës s’étranglent ; les bœufs, les chevaux, les moutons même se tuent, & il n’est pas jusqu’aux timides colombes qui ne se battent ; enfin nous ne voyons point d’animaux sur la terre, dans l’eau, ou dans l’air, qui, pour l’amour, la faim, ou quelques autres intérêts ne se fassent la guerre comme les hommes.

-9- Cependant chaque Province, chaque Ville a son Histoire, [12]Chaillot même a la sienne ; on a mis beaucoup d’esprit à écrire les tours & les friponneries d’un miserable Guzman d’Alpharache ; on a chanté les illustres forfaits d’un Cartouche, on a transmis à la posterité, avec beaucoup d’exactitude, les vies joyeuses des virginités estropiées de la Grece & de la France : Enfin on ne finit pas de nous donner de faux Memoires, des Avantures imaginaires, des Anecdotes souvent peu interessantes, tandis qu’on neglige de connoître les animaux, & d’apprendre d’eux mille bonnes choses. Orgüeilleuse indifférence ! Nous les croyons faits pour nous, & nous les méprisons trop pour daigner les étudier. Notre curiosité ne va guerres au-delà du nom, & de -10- la figure de ceux qui peuvent nous nuire, ou nous servir dans l’usage ordinaire de la vie, & generalement les plus connus sont ceux qui figurent sur nos tables.

[12] Village à une demie lieuë de Paris. Cette Histoire est une critique fine & agréable de la mauvaise érudition des Antiquaires.

Sur tout depuis que les Disciples de Descartes, plus hardis que leur Maître, ont osé décider que les animaux étoient de pures machines, on s’est accoutumé à ne voir dans leurs actions que les effets d’un mecanisme, dont on convient en même-tems de ne pouvoir expliquer les premiers principes ; ainsi presque plus de gloire à esperer pour un Naturaliste de toutes les découvertes morales qu’il peut faire, il ne doit point compter sur les applaudissemens d’un Public indifferent pour tout ce qui n’est pas Phisique.

Je vous avouë, Monsieur, que ces réflexions m’avoient d’abord découragé ; mais enfin j’ai pensé, après [13]Horace, & d’autres grands Hommes Grecs & Latins, qu’il ne faut pas écrire pour le plus grand nombre, & qu’un Ouvrage est bon s’il plaît aux Lecteurs pour lesquels il est fait.

[13]

Neque te ut miretur turba labores,
Contentus paucis lectoribus, &c.

Horat. Serm. Lib. 1. Sat. 10.

Si dans celui-ci, Monsieur, vous ne trouvés -11- qu’un stile ordinaire, point de constructions nouvelles, aucun de ces termes ingenieusement créés, dont on enrichit notre langue depuis quelques années avec tant de succès, je me flatte au moins que vous y reconnoîtrez un caractere ami du vrai. Eloigné de la partialité qu’on a reprochée à Pline, à Quint-Curce, à Velleïus Paterculus, & presque à tous les Historiens tant anciens que modernes, je ne vous ennuyerai point de l’éloge des Rats.

Je proteste d’abord, (& vous me croirez sans peine,) que je n’ai jamais aimé les Rats, je n’ai avec eux qu’un commerce necessaire & très-involontaire ; d’ailleurs je n’ai ni Maîtresse, ni Protecteur dont l’Eloge des Rats pût flatter le goût bizarre : En un mot, je les regarde avec tout le monde comme des animaux fort incommodes, des pestes domestiques ; mais qu’il est bon de connoître, puisque nous sommes souvent obligez de vivre avec eux. Cependant je ne dois point aussi taire leurs bonnes qualités, ni dissimuler ce qui peut leur donner quelque consideration parmi les Bêtes, autrement en fuyant la partialité que je blâme, je donnerois dans l’excès opposé, ce qu’on appelle en beau stile de College, échoüer contre Caribde, en voulant éviter Sylla.

-12- Du reste, après l’étude particuliere que je fais depuis long-tems du genie & des mœurs du Peuple Rat, on peut compter sur l’exactitude de mes Observations : Quant aux Auteurs, dont je me servirai, leur nom pour la plus part fait leur Eloge, tels sont Homere, Herodote, Aristote, personnages antiques & venerables. Je ferai aussi usage des Relations des Voyageurs ; mais avec les précautions necessaires ; j’aurai même besoin quelquefois des Fables de M. de la Fontaine, parce qu’elles contiennent dans leurs fictions des verités de caracteres, & peignent les Rats à peu près comme les Romans peignent les hommes.

Après ces précautions qui me répondent presque du succès de mon Ouvrage, il faut vous avouër, Monsieur, que ma petite vanité triomphe encore par un endroit bien plus sensible, je suis furieusement tenté de m’approprier celle d’Horace, [14]& de dire après lui : Je me sens deja venir des aîles pour voler à l’immortalité.

[14]

Jamjam residunt cruribus asperæ
Pelles, & album mutor in alitem
Supernè, nascunturque leves
Per digitos humerosque plumæ.

Hor. Lib. 2. Ode ultimâ.

-13- Ne me traitez pas, Monsieur, s’il vous plaît, de visionnaire ; pesez bien ce que je vais vous dire, & vous tomberez peut-être d’accord, que ma folie, si c’en est une, est plus raisonnable que celle du Poëte Latin. De tant de millions de livres composés par les Egyptiens, les Grecs, les Romains, & les autres Nations sçavantes, peu ont échappé à la fureur des Rats qui en ont sûrement plus dévoré que les flâmes n’en consumerent dans la fameuse Bibliotheque d’Alexandrie.

Juvenal [15]plaint ironiquement un Poëte de son tems, appellé Codrus, dont des Rats ignorans & bornés à la Langue Latine, eurent la cruauté de manger les beaux Vers Grecs ; il ajoûte que ces Vers étoient toute la richesse de Codrus, & qu’en les perdant il perdit tout, quoiqu’il ne perdît rien. Combien nous reste-t-il de titres d’Ouvrages admirables qui ont eû le triste sort des vers de Codrus ? La plus grande partie de ceux du siecle dernier, ont déja été rongés, & le siecle prochain ne verra point certainement toutes les Brochures intermittantes, tous les -14- Romans à parties, tous les écrits Polemiques dont nous sommes inondés, les Rats en supprimeront beaucoup dont il ne se sauvera que des lambeaux défigurés à la faveur des extraits & des journaux. Mais si certains journaux deviennent eux-même la proye des Rats, comme on peut le penser, combien de productions d’esprit rentreront dans les horreurs du néant, avec les noms de leurs Auteurs : Ne dois-je donc pas craindre le même sort ; & ce petit peuple Bibliophage, n’osera-t-il pas toucher à son Histoire ? Non ; il respectera les Archives de son illustration, & les interests de sa gloire s’opposeront toujours à son avidité.

[15]

Divina Opici roderunt carmina mures.
Nil habuit Codrus, quis enim negat ? & tamen illud
Perdidit infelix totum nihil, &c.

Juven. Sat. 3.

Que d’Auteurs voudroient ainsi n’avoir rien à craindre des Rats ! Mais ce Privilege n’appartient qu’à leur Historiographe ; j’en connois tout le prix. Quelle satisfaction, quel ravissement d’être bien assuré, comme je le suis, de transmettre son nom à la posterité ! La certitude de ce bonheur, tout imaginaire qu’il est, devient un bonheur réel. Peut-être, Monsieur, me livrai-je trop aux mouvemens impetueux de ma joye ; mais est-il possible d’avoir beaucoup de gloire, sans un peu de vanité.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-15-

II. LETTRE.

Ingentes animos parvo sub corpore gestant.

Virgil.

Dans des Lettres, Monsieur, qui ne sont que des conversations écrites, on n’est astraint à aucune regle, le désordre y est permis, souvent même il y plaît ; & ce qu’on met au commencement, pourroit également se placer à la fin ; tout y est toujours à sa place : mais malgré les priviléges du Style épistolaire, le genre historique m’assujettit à la pésanteur de sa méthode ; & je ne vois pas comment je pourrois me dispenser de commencer mon Histoire par des recherches étimologiques sur le nom des Rats.

Dans le fond, la science des Etimologies n’est point si méprisable, quoiqu’en disent des Philosophes séveres : c’est une divination par le moyen de laquelle on rétablit ou l’on compose heureusement des généalogies, l’on débrouille les origines & les migrations des Peuples, l’on donne un sens favorable à un texte, de sorte qu’un Savant qui connoît plusieurs langues les compare ensemble, explique l’une par l’autre, trouve la signification -16- propre d’un mot Arabe, par exemple, dans la Langue Celtique, ou celle d’un mot Hébreux dans la Gascone, selon qu’il le juge à propos. C’est ce qu’ont pratiqué avec beaucoup d’honneur plusieurs célébres Commentateurs.

Sans les lumiéres extraordinaires de cette même science, eût-on jamais découvert que les Dieux du Paganisme ont été pris de la famille des Patriarches ? que le [16]Ciel ou Cœlus est Tharé ; Saturne, Abraham ; Bacchus, Esaü ? Cependant rien n’est mieux démontré par l’ingénieuse analyse des noms des Patriarches, soutenuë des circonstances particulieres de leurs vies.

[16] Cœlus, le Ciel, en Grec Ouranos, comme qui diroit l’Ouranien, c’est-à-dire, l’habitant d’Our, Ville de la Chaldée, patrie de Tharé ; donc Tharé est Cœlus.

Saturnus, Saturne, en Grec Chronos, c’est-à-dire, le Charanien, ou l’habitant de Charan, autre Ville où Abraham demeura long-temps après être sorti d’Our sa patrie ; donc Abraham est Chronos ou Saturne.

Les noms des autres Patriarches, sur tout ceux de leurs femmes ne quadrent pas si bien avec la Mythologie, cependant M. Fourmont les rapproche beaucoup. Voyez l’Histoire critique des Phéniciens, des Babyloniens, des Assyriens, des Egyptiens, &c.

D’ailleurs la plûpart des noms sont significatifs, & désignent leur sujet par quelqu’endroit propre ; par exemple, si l’on fait venir -17- femme de fama, qui signifie bruit, renommée, on se trouve aussi-tôt éclairé par une découverte interessante. [17]Ciceron lui-même déployant en plein Senat toutes les forces de son éloquence contre le Questeur Verrès, crut achever par un trait saillant le tableau des mœurs de son adversaire, en montrant de l’infamie jusques dans son nom ; & sans doute que cette pointe fut admirée dans le Sénat, comme elle l’est encore dans nos Colléges.

[17] Est adhuc id quod vos omnes admirari video, non Verrès, sed Q. Mucius. Quid enim facere potuit elegantius ad hominum existimationem… Summè hæc omnia mihi videntur esse laudanda : sed repentè è vestigio ex homine tanquam aliquo circæo poculo factus est Verrès : redit ad se & ad mores suos.

Cic. Orat. 1. contra Verri.

Jusques-là, Messieurs, c’est encore Q. Mucius digne de votre estime & de votre admiration, jusques-là le caractere de Verrès ne s’est point déclaré, mais tout-à-coup ce n’est plus un homme, il a goûté des breuvages enchanteurs de Circé, & le voilà changé en (Verrès) Verrat, il en a les mœurs aussi bien que le nom, &c. Un Verrat est un Cochon mâle.

De profonds Etimologistes n’ont pas manqué aussi de trouver dans le nom des Rats, leur plus incommode qualité, en le faisant venir de [18]ronger. D’autres prétendent que Rat vient plûtôt de raser ou de ratisser ; soit parce que cet animal a le poil raz, & qu’on peut le raser, ou bien parce qu’il ratisse, c’est-à-dire, -18- qu’il vit en rongeant ; en effet, ces deux derniers mots sont bien analogues avec sa nature & son nom.

[18] Selon Covarruvias, Rat à rodendo.

[19]On derive encore Rat du latin Mus, quoique ces deux mots ne se ressemblent gueres ; enfin du bas-Breton Ract, ou de l’Allemand Ratz : & peut-être que, si l’on vouloit bien chercher, on trouveroit d’autres langues d’où les Bretons & les Allemands ont tiré ces noms, dût-on remonter aux anciens jargons de la Tour de Babel.

[19] Périon & le fameux Ménage l’un des quarante, & de plus de l’Académie de la Crusca. Déclinez avec ces Messieurs Mus, Muris, Muri, Murem, Mure, Rat. Il faudroit être bien difficile pour ne pas goûter cette belle analogie.

C’est à vous, Monsieur, à choisir entre ces differentes étimologies ; ne me demandez pas laquelle je préfererois ; je n’en sai rien, en vérité. Vous me dispenserez encore de vous donner une définition des Rats ; définir les choses, ce n’est souvent que les embrouiller, les obscurcir : d’ailleurs, je peux supposer hardiment qu’il n’y a aucun de mes Lecteurs qui ne connoisse des animaux si connus.

Dans cette Lettre-ci, je ne vous parlerai que des Rats domestiques, & de ceux des champs ; ils nous touchent de plus près par les -19- interêts que nous avons à démêler avec eux, que le Roi des Abissins ou celui de Congo, n’en déplaise à tous ceux qui s’interessent à la gloire de ces Princes.

Les gens d’esprit qui ont examiné la nature & le caractere des Rats, leur ont trouvé nos inclinations, nos passions, nos vices, nos vertus, & nous les ont proposés tantôt pour nous instruire, tantôt pour nous corriger. M. de la Fontaine, sur tout, les a connus parfaitement ; aussi, à quelques réflexions près, je ne ferai que glaner après lui ; & ce que j’ajoûterai, ne sera que par forme de commentaire.

La Nature en faisant présent aux Rats de ces grandes moustaches, dont ils semblent aussi fiers que nos peres l’étoient des leurs il n’y a pas cent ans, leur a donné un certain air déterminé qui ne plaît pas à tout le monde ; il y a dans leurs yeux & dans toute leur figure quelque chose de feroce, qui en impose quelque fois aux Chats les plus intrépides.

Les Souris, qu’on peut nommer des Rats de la petite espece, sont bien differentes. Elles ont une phisionomie douce, spirituelle, enfin toute charmante ; leurs petits yeux étincelent sans avoir rien de rude ; c’est un vrai plaisir de les voir aller & venir, joüer, bondir dans une chambre où elles se croyent seules ; -20- toujours prêtes à s’enfuir au moindre bruit, & à revenir au moindre calme, elles s’attaquent, s’évitent, se poursuivent, & font mille tours d’adresse & d’agilité. Imaginez-vous voir dans un Couvent de Filles, une troupe de Novices folâtrer en tremblant dans un Dortoir retiré, & se faire un double plaisir de pecher contre la Regle, & de braver la vigilance des vieilles Meres.

On a donc raison de dire des enfans vifs & petulans, qu’ils sont éveillés comme une portée de Souris ; jamais comparaison ne fut plus juste.

J’ai consulté les Dictionnaires de Richelet, de Furetiere, de l’Academie, de Trevoux, &c. pour savoir l’origine du fameux proverbe, avoir des Rats. Vous savez, Monsieur, que ces livres modernes renferment par ordre alphabetique, la science universelle en abregé, & que sans autre étude on peut tout savoir, & sans autre secours, faire des Ouvrages admirables : cependant ils ne m’ont pas rendu plus savant sur mon proverbe. J’y ai bien lû qu’il s’applique à des esprits vifs, capricieux, distraits, étourdis, inconstans ; mais j’aurois voulu savoir encore ce qui a donné lieu à cette application : par quel endroit les Rats ont mérité d’être les -21- simboles de la folie, d’entrer dans les Armes du Regiment de la Calotte ; enfin, pourquoi dans mille chansons on les accuse de loger dans les cerveaux, & de les déranger, comme de tous tems on en a accusé la Lune fort injustement à mon avis.

Il doit donc nous suffire de croire que nos anciens avoient de bonnes raisons pour accréditer de semblables idées. Et n’est-ce pas, en effet, une façon simple & très-physique d’expliquer les bizarreries, & les inégalités d’un homme, que de supposer qu’il a la tête remplie de Rats qui s’y promenent, & qui par leurs differens mouvemens y déterminent ses pensées & ses volontés ? Ces Rats ambulans, soit dit sans offenser les Cartésiens, valent bien leur glande pinéale dans laquelle l’ame n’a jamais été logée. Mais laissons là Descartes pour étudier les Rats dans La Fontaine.

Parmi leurs bonnes qualités, on compte une tendre sensibilité aux malheurs d’autrui, un attachement qui ne se borne pas à verser des larmes, ni à se répandre en plaintes inutiles ; mais qui cherche les expediens les plus efficaces pour secourir ceux qui sont dans l’adversité. La reconnoissance & la générosité, vertus assez rares chez les hommes, sont -22- communes chez eux : un Lion arrêté dans un piége d’où sa force ne l’auroit pas tiré, se trouva bien d’avoir épargné, quelque temps auparavant, un Rat.

[20]Sire Rat accourut, & fit tant par ses dents,
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage.

[20] Fables de La Fontaine, Edit. de Paris 1729. Tom. 1. Liv. 2. Fab. 11. pag. 43.

Une Gazelle amie d’un Rat en reçut le même service que le Lion.

[21]Ronge-maille (le Rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs. On peut penser la joye.

[21] Fables de La Fontaine, Tom. 2. Liv. 12. Fab. 15. page 209. & suiv.

Malheureusement le Chasseur rencontra une Tortuë compagne de la Gazelle & du Rat, & la mit dans son sac ; elle alloit payer pour l’autre, si le Rat ne l’eût encore délivrée. La Gazelle d’intelligence avec lui, se présente devant le Chasseur ; celui-ci jette son sac pour la poursuivre, & pendant ce tems-là

[22]Ronge-maille
Autour du sac tant opere & travaille,
Qu’il délivre encor l’autre sœur
Sur qui s’étoit fondé le souper du Chasseur.

[22] La Fontaine, ibidem.

Délivrer ainsi des amis captifs, voilà de -23- l’heroïsme tout pur. Thesée n’en put faire autant pour Pirrithoüs, & le grand Hercule à peine en vint à bout pour Thesée. Cependant, Ronge-maille portoit encore les vertus plus loin. A la honte de toute la Philosophie des Grecs & des Romains, il sçavoit rendre service à ses plus cruels ennemis ; car ce fut le même sans doute, qui, touché par les prieres d’un Chat pris dans un filet, eut la générosité de le délivrer.

Je ne croi pas qu’on puisse attribuer cette action à un principe d’interêt ou de fausse gloire : Que gagnoit-il, ou plûtôt que ne risquoit-il pas, en donnant la vie à un ennemi irreconciliable ? & quel honneur en pouvoit-il esperer soit auprès des Rats qui l’auroient sûrement blâmé, soit auprès des Chats qui ne sçavent pas goûter des procédés si généreux ?

Les Rats brillent sur tout par leur prudence & leur habileté à éviter les embûches des Chats : [23]ils ont toujours plusieurs trous qui se communiquent, de sorte que s’il y en a un de bloqué, ils y laissent morfondre l’ennemi, & s’échapent par les autres. Si les Chats sont pleins de finesses, les Rats sont feconds en -24- contre-ruses ; témoin celui qui brava Rodilardus enfariné. Ne diroit-on pas qu’il parla par inspiration ? C’étoit sans doute le Nestor de la nation Rate.

[23] Sed tamen cogitato mus pusillus quàm sapiens sit bestia, ætatem qui uno cubili nunquam commisit suam, quia si unum obsideatur, aliud persugium erit.

Plaut. in Truculento.

[24]C’étoit un vieux routier qui savoit plus d’un tour,
Même il avoit perdu sa queuë à la bataille :
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S’écria-t-il de loin au Général des Chats,
Je soupçonne dessous encor quelque machine ;
Rien ne te sert d’être farine,
Car quand tu serois sac, je n’approcherois pas.

[24] La Fontaine Tome 1. Liv. 3. Fab. 18. pag. 79. & 80.

La défiance de ce Rat fait l’éloge de sa capacité, & nous donne de belles leçons. Troye fut prise par un Cheval de bois sottement introduit dans ses murs ; l’on a surpris une [25]Ville importante, avec un sac de noix répanduës ; & tous les jours des stratagêmes plus grossiers nous en imposent. Il est vrai que tous les Rats n’ont pas la même penétration ni autant d’expérience ; celui, par exemple, qui eut peur d’un Coq, & qui se prit d’amitié pour un Chat, sur son air doucereux, étoit fort neuf : aussi sa mere lui fit elle bien sentir le danger qu’il avoit couru, & lui donna de bonnes instructions pour ne plus s’y exposer.

[25] Amiens.

-25- [26]Mon fils, dit la Souris, ce doucet est un Chat,
Qui, sous son minois hipocrite,
Contre toute ta parenté
D’un malin vouloir est porté :
L’autre animal tout au contraire
Bien éloigné de nous mal faire,
Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au Chat, c’est sur nous qu’il fonde sa cuisine,
Gardes-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens sur la mine.

[26] La Fontaine T. 1. L. 6. Fab. 5. p. 143.

Les sept Sages de la Grece auroient-ils prononcé un plus bel Apophtegme ?

Les Souricieres & toutes les autres machines fatales aux Rats, déposent hautement contre leur gourmandise ; cependant la plûpart aiment la bonne chere, moins par gloutonnerie, que par goût de grandeur & de societé. Ils se plaisent à donner à manger, & reçoivent fort bien leurs hôtes.

[27]Autrefois le Rat de Ville
Invita le Rat des Champs
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’Ortolans :
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.

[27] La Fontaine Tom. 1. Liv. 1. Fab. 9. pag. 12.

-26- Je suis sûr encore qu’il fit fort bien les honneurs du repas ; il y a même des Rats magnifiques qui poussent les choses jusqu’à la prodigalité ; ils n’ont rien à eux, & sont charmés de se voir ronger par tous les Rats du monde. Tel étoit ce Rat tenant table, dont un Fabuliste nous a conservé l’histoire.

[28]Il étoit un grenier vaste dépositaire
Des riches trésors de Cerès ;
Un Rat habitoit tout auprès
Qui s’en crut le propriétaire.
Il avoit fait un trou, d’où, quand bon lui sembloit
Il entroit dans son hermitage.
C’étoit peu d’y manger, le prodigue attiroit
Les Rats de tout le voisinage,
Il y tenoit table ouverte en Seigneur,
Où, selon l’ordre, tout dîneur
Payoit son écot de loüange.
Est toujours bien fêté celui chez qui l’on mange.
Le bon Rat comptoit donc ses amis par ses doigts,
Car il prenoit pour siens les amis de sa table,
Chacun l’avoit juré cent fois,
Voudroient-ils lui mentir ? Cela n’est pas croyable.
Mais cependant l’autre maître du grain
-27- Voyant que ces Messieurs le menoient trop bon train,
Se résolut de le changer de place ;
Le grenier fut vuidé du soir au lendemain,
Voilà mon Rat à la besace.
Heureusement, dit-il, j’ai fait de bons amis.
Tout plein de cet espoir chez eux il se transporte,
Mais d’aucun il ne fut admis,
Par tout on lui ferme la porte.
Un seul Rat, bon voisin, qu’il ne connut qu’alors,
Ouvrit la sienne, & le reçut en frere :
J’ai méprisé, dit-il, ton luxe & tes trésors ;
Mais je respecte ta misere :
Sois mon hôte ; j’ai peu, ce peu nous suffira ;
Je m’en fie à ma tempérance :
Mais insensé qui se fiera
A tout ami qu’améne l’abondance ;
Il ne vient qu’avec elle, avec elle il fuira.

[28] Fables de M. de la Mothe.

Je ne regarde dans cette histoire ni ces faux amis qui abandonnerent le Rat, ni ce généreux voisin qui lui ouvrit sa porte ; je ne m’attache qu’à ce caractére noble & magnifique qui lui faisoit tenir table ouverte en Seigneur. Tous les Rats de ce côté-là se ressemblent assez, on diroit que leurs biens soient en commun, & qu’ils ignorent le tien & le mien.

Je conviens encore qu’il est impossible -28- d’excuser absolument la gourmandise des Rats, cependant on trouve chez eux au moins un exemple de frugalité ; il est peut-être unique, qu’importe, il en est plus curieux, le voici.

Ce gueux célébre, errant par le monde sans feu ni lieu, par esprit d’indépendance, manquant de tout pour être heureux, ce Cynique détaché du monde, insultant du haut de sa misere à tout le genre humain, Diogene enfin vivoit dans ses pélerinages sur la charité publique, & sçavoit même s’en passer : les feuilles des arbres, les racines, l’herbe, tout lui étoit bon[29]. Un jour qu’il mangeoit des feuilles au coin d’un buisson, il s’apperçut qu’un Rat profitoit de ses restes. Diogene admira dans cet animal la frugalité dont il lui avoit le premier donné l’exemple, il le prit à son tour pour modéle, & s’encouragea par là à mépriser les repas délicats des Athéniens. Le Rat de son côté s’estimoit peut-être heureux de vivre comme ce grand homme, dont il vouloit sans doute être disciple.

[29] Ælien Liv. 13.

Après tout, un Rat Philosophe ne seroit pas un prodige : La nation en général a un -29- grand goût pour les livres, ils habitent les plus célébres Bibliothèques du monde, les uns y dévorent les manuscrits & les antiquités, d’autres y font des compilations de tous les genres de litterature, ceux-ci s’attachent aux Romans, ceux-là, & c’est le plus grand nombre, aux Commentateurs, aux grands in-folio de Théologie Scholastique, & Dieu sçait avec quelle ardeur ils travaillent sur ces beaux Ouvrages que les hommes commencent à négliger ! Un [30]Académicien de mérite a connu deux de ces Rats lettrés qui avoient lû prodigieusement, mais de cette lecture immense, il résultoit dans leurs têtes un cahos affreux d’érudition mal arrangée qui faisoit deux pedans de ces Messieurs ; c’est qu’ils n’avoient pas été méthodiques dans leurs études, & qu’au lieu de consulter la nature & la raison, ils avoient donné aveuglément dans tout ce qui sentoit l’antiquité, car d’ailleurs, ils avoient de très-belles dispositions, & généralement leurs semblables sont capables de tout.

[30] M. Billet de Faniere de l’Académie des belles Lettres, dans sa Fable des deux Rats inserée dans la Poësie Françoise de M. de Châlons.

N’en a-t-on pas vû un se distinguer dans -30- la République des Lettres il y a environ dix ans ? On ne parloit alors que du Rat C***. En effet on trouve rarement ailleurs plus de sel, plus d’enjouëment, plus de légereté, plus de grace dans le stile, & de solidité dans le raisonnement : on voit qu’il possedoit toutes les parties de la Critique, & surtout, qu’il avoit un goût exquis. On a voulu le faire passer pour un Satirique dangereux, mais les personnes raisonnables qui connoissent de quelle nécessité est la Critique, & qui ne la confondent point avec la Satire, ne lui donneront jamais ce nom odieux.

Permettez moi, Monsieur, de respirer ; ce que je viens de vous dire des Rats, leur est presque tout avantageux : dans ma premiere Lettre je les peindrai avec des couleurs bien différentes.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-31-

III. LETTRE.

Nos numerus sumus, & fruges consumere nati
… Nebulones.

Horat.

Il en est, Monsieur, des Rats comme des hommes, rien n’est si different d’un Rat qu’un autre Rat : l’étourderie de celui-ci vous étonne autant que la prudence & la raison de celui-là vous avoient charmé. L’esprit superficiel contraste avec le Sçavant. S’il est parmi eux des cœurs genereux, il s’y trouve aussi des ames dures & insensibles ; & pour une cervelle sensée, on compte dix petits Maîtres.

Ce dernier caractere est assez commun chez eux ; on ne peut gueres porter l’impertinence plus loin, que celui qui osoit railler un Elephant.

[31]Ce Rat s’étonnoit que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse,
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place,
Nous rendoit, disoit-il, plus ou moins importans,
-32- Mais qu’admirez-vous tant en lui, vous autres hommes,
Seroit-ce ce grand corps qui fait peur aux enfans ?
Nous ne nous prisons pas, tous petits que nous sommes,
Un grain moins que les Elephans.

[31] Fables de la Fontaine, Edit. de Paris 1729. Tome 2. Fable 16. page 64.

Une Grenoüille avoit crevé autrefois à force de s’enfler, pour se faire aussi grosse qu’un Bœuf ; notre Rat n’étoit pas moins vain assurément ; mais son orgüeil trouvoit mieux son compte à cherir sa petitesse, & à mépriser la grandeur de l’Elephant. Qu’on seroit malheureux sans les ressources de l’amour propre ! Un Nain tâche de se persuader qu’il vaut bien un Geant, un Epictete dans l’esclavage prêche la patience & la constance : Un Philosophe dans la misere déclame contre les richesses : Un vieillard, contre les plaisirs de la jeunesse : Une laide, contre la fragilité de la beauté : Une vieille coquette arbore enfin l’enseigne de la devotion ; & tous ces honnêtes gens, le plus souvent, se font honneur de vertus necessaires qu’ils affectent, ou qu’ils n’ont que par l’avantage qu’ils trouvent à les avoir. Notre petit Maître paya cherement sa raillerie.

[32]Il en auroit dit davantage,
-33- Mais le Chat sortant de la cage
Lui fit voir, en moins d’un instant,
Qu’un Rat n’est pas un Elephant.

[32] Fable 16. page 64.

Un autre Rat à peu près du même caractere, n’eut pas un meilleur sort, & il n’eut que ce qu’il meritoit. Son pere à l’article de la mort obligé d’abandonner une abondante provision qu’il avoit amassée par une longue économie, l’en fit heritier, & l’exhorta avec tout ce qui lui restoit de forces à en joüir tranquillement, sans jamais se laisser tenter par les lardons insidieux des Souricieres. Que produisirent ces sages & pathetiques exhortations ? ce que produisent ordinairement celles des agonisans : on les écoute pour les negliger, ou l’impression qu’elles font dure moins que le deüil.

[33]Le fils maître des biens qu’avoit mis en reserve
Le cher papa défunt, d’abord s’en engraissa ;
Mais tôt après trouvant la chere trop bourgeoise,
De fromage & de noix enfin il se lassa.
Voilà donc mon galant qui s’écarte & qui croise
Sur tous les lieux des environs,
Croque morceaux de lard, & les trouve fort bons.
-34- Parbleu, se disoit-il, mon bonhomme de pere
Avec ses rogatons faisoit bien maigre chere,
Vive la guerre & les lardons.

[33] Poësies du P. du Cerceau, page 349. & suiv.

Cependant notre fanfaron, qui pour faire la petite guerre se croyoit un personnage tout autrement important, va sottement donner dans une Souriciere attiré par l’odeur d’un lardon.

Après bien des façons le pauvret s’en approche,
Et le flairant de près y porte enfin les dents :
La bassecule se décroche
Et tombant l’enferme dedans.

Ce fut alors qu’il maudit la guerre & les lardons, qu’il se repentit amerement d’avoir insulté aux manes de son bon pere, & d’avoir méprisé sa frugalité ; mais il étoit trop tard, une mort cruelle mit fin à ses réflexions & à sa captivité.

Ces funestes lardons sont l’écüeil ordinaire contre lequel va échoüer la prudence des Rats : L’experience est trop foible contre la voracité qui les emporte, & la force d’un [34]naturel qui revient toujours.

[34]

Naturam expellas furcâ licet, usque recurret.

Horat.

Chassez le naturel il revient au galop.

Destouches.

-35- Voulez-vous un Rat qui joigne aux mauvais airs d’un petit Maître l’ignorance d’un sot qui croit sçavoir ? c’est celui qui las de l’ennuyeuse tranquilité de la vie champêtre, quitta sa Gentil-homiere pour voyager, & termina enfin glorieusement ses courses entre les écailles d’une Huitre.

Il est des païs où l’amour de la patrie est si bien soûtenu de la crainte des dangers, que les Peuples ne s’écarteroient pas pour beaucoup de dix lieuës du clocher de leur Paroisse. Les enfans ont reçû de leurs peres cet attachement au domicile de leurs ancêtres, & rarement se rencontre-t-il des temeraires qui osent enfraindre ces loix de famille. D’autres Cantons au contraire, envoyent des voyageurs dans le reste du monde : Ces hommes étrangers chez eux, cherchent leur Patrie par tout, & la trouvent par tout. Les uns vont à des milliers de lieuës recueillir précieusement des morceaux de cruches, & de vases qu’ils nomment sacrés, déterrer des Idoles défigurées par le tems, des lampes sepulchrales, & semblables antiquailles qui ne prouvent qu’une antiquité assez moderne du monde. D’autres entraînés par un esprit de superstition ou de libertinage, abandonnent leurs Dieux Penates, pour aller porter leurs vœux -36- & leurs offrandes à des Dieux étrangers qui peuvent cependant les écouter de loin comme de près, si leur puissance n’est pas bornée par les rivieres & les montagnes. Quelques-uns voyagent pour s’instruire, peu pour devenir plus sages, mais le plus grand nombre court pour courir.

Notre Rat, je croi, n’avoit pas d’autre dessein. Le voilà donc qui part & qui marche à l’avanture droit devant lui.

[35]Si-tôt qu’il fut hors de la caze,
Que le monde, dit-il, est grand & spatieux !
Voilà les Apennins, & voilà le Caucase ;
La moindre Taupinée étoit mont à ses yeux.

[35] La Fontaine Tom. 2. Fab. 9. pag. 52. L. 8.

Il paroît par ces grands mots, qu’il avoit un peu lû, & qu’il ne sçavoit point du tout sa Topographie.

[36]De telles gens il est beaucoup,
Qui prendroient Vaugirard pour Rome,
Et qui caquetant au plus dru,
Parlent de tout, & n’ont rien vû.

[36] Idem, Tom. 1. Liv. 4. Fab. 7. p. 96.

Après tout [37]M. de Scudery fait hardiment -37- passer des vaisseaux de la Mer Caspienne dans la Mer Noire, quoique les Terres qui les séparent ne leur laissent aucune communication que par le vague de l’air qui ne seroit praticable qu’aux Vaisseaux aîlés des Fées.

[37] Dans son Roman de l’illustre Bassa.

[38]Virgile, le divin Virgile, & l’Historien [39]Florus ne font qu’un même champ de bataille des plaines de Philippes en Macedoine où Brutus & Cassius furent vaincus par Auguste, & de celles de Pharsale en Thessalie, où Cesar défit Pompée, & subjugua sa Patrie : cependant, il y a près de cent lieuës de Philippes à Pharsale ; & cette distance merite bien qu’on en parle.

[38]

Ergo inter se se paribus concurrere telis
Romanas acies iterum videre Philippi.

Virg. Georg. 1.

Les Campagnes de Philippes virent donc pour la seconde fois,

Romains contre Romains, parents contre parents,
Combattre follement pour le choix des Tyrans.

Et par cette seconde fois Virgile entend la bataille d’Auguste contre Brutus & Cassius.

[39] Illi comparatis ingentibus copiis eamdem illam quæ fasalis Cneio Pompeio fuit arenam insederant. Florus Hist. lib. 4. cap. 7.

Brutus & Cassius avec les grandes Troupes qu’ils avoient ramassées, s’étoient campés dans le même endroit où Pompée avoit déjà trouvé sa perte.

-38- Sandoval, Historien Espagnol, qui a écrit la vie de l’Empereur Charles-Quint, ne compte que dix lieuës de Paris à Luxembourg, & prend Coron, ville de la Morée, pour Cheronée, ville de Beotie. Je cite ces fautes de Geographie, parce qu’elles se presentent dans le moment à mon esprit.

Eh bien, notre Rat en joignant les Appennins au Caucase, encherit encore sur les méprises de ces grands Hommes, & cela est naturel, un Rat n’est pas obligé de sçavoir la Geographie comme des Auteurs.

Il ne s’en tînt pas sûrement à cette bévûë ; mais le journal de sa route n’a point passé jusqu’à nous ; & la perte, à dire vrai, n’est pas irreparable : Nous en avons tant d’autres qui contiennent, outre la Liste des enseignes de Cabarets, l’Histoire de la Pluye & du beau-tems, du Calme, & de la Bourasque si fidelement, qu’on pourroit y recourir pour sçavoir quel tems il fit le quinze Juillet 1698.

D’ailleurs, je vous dirai, mais sous le sceau du secret, s’il vous plaît, qu’il doit bien-tôt paroître un Ouvrage en ce genre, des plus curieux. J’en ai parcouru le Manuscrit qui a pour Titre : Les longs & penibles Voyages d’un Philosophe Chrétien. Le plus considerable est de Paris à Saint-Cloud, par eau : l’Auteur -39- en fait une Relation poëtique assez divertissante. Il s’embarqua par un vent favorable, aux cris de joye des Matelots, accompagné de plus de deux cens personnes de toute âge, de tout sexe, & de toute condition. Ce pompeux détail est suivi d’une description de la Galiotte, & de sa manœuvre ; & cette description est souvent interrompuë par des digressions morales sur la perfidie de l’Element humide, tirées de l’Ode d’Horace à Virgile : Sic te diva potens Cypri, &c.

Mais le morceau qui m’a plû davantage, c’est la peinture d’une tempeste qu’il essuya au milieu de sa course. Que de belles réflexions sur les vents, les flots, les dangers de la navigation, sur la vie & la mort ! Il en fut quitte pour la peur, l’orage appaisé, la joye rentra dans le bâtiment, & le plaisir dans le cœur de toutes les Nymphes qui y étoient : quelques-unes même oserent lui faire des avances & tenter sa vertu, mais il se défendit vigoureusement, & triompha de leurs artifices. Enfin, il vit heureusement le Port de Saint-Cloud, échappé par une protection miraculeuse à la fureur des eaux, & aux caresses dangereuses des Nymphes effrontées de la Seine. Tel Ulisse sauvé des écueils, des tempêtes, & des mains des Cyclopes par le -40- secours de Minerve, ne put être enivré par les breuvages de Cyrcé, ni séduit par le chant perfide des Syrenes, & rentra après bien des fatigues dans sa chere Itaque.

Le second voyage de mon Philosophe est de Paris à Saint-Denis à pied, & la Relation qu’il en fait peut passer pour un Recüeil sçavant d’observations économiques sur les Phenomenes Potagers de la plaine. Vous pouvez juger de ses autres courses par celles-là. Il n’a jamais perdu de vûë les tours de Nôtre-Dame : cependant il a eu des avantures que personne ne s’étoit encore avisé d’avoir, & il a remarqué des choses qui avoient toujours échappé à la penetration des plus curieux.

Accoûtumez-vous, s’il vous plaît, Monsieur, à mes digressions ; sans la liberté d’en faire, j’abandonnerois mon Ouvrage : je reviens à notre Rat :

[40]Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton où Thétis sur la rive
Avoit laissé mainte Huitre, & notre Rat d’abord
Crut voir en les voyant des Vaisseaux de haut bord.

[40] La Fontaine Tome 2. Liv. 8. Fab. 9. page 52.

Alors charmé de cette prétenduë découverte, il s’en promit de nouvelles, & se -41- flatta bien-tôt de pouvoir s’immortaliser, comme Robinson, par l’histoire véritable de ses avantures ; dès ce moment feu Monsieur son Pere, & tous les Rats casaniers furent honorés de tout son mépris.

[41]Certes, dit-il, mon pere étoit un pauvre sire,
Craintif au dernier point il n’osoit voyager ;
Pour moi, j’ai déjà vû le maritime Empire,
J’ai passé les déserts, &c.

[41] La Fontaine, ibidem.

Cependant il raisonne sur ses vaisseaux de haut bord, & son appétit consulté lui dicte que ce ne peut être qu’une flotte destinée à transporter des munitions de bouche.

[42]Maître Rat plein de belle espérance
Approche de l’écaille, allonge un peu le cou,
Se sent pris comme aux lacs, car l’huître tout d’un coup,
Se referme, & voilà ce que fait l’ignorance.

[42] La Fontaine, ibid. page 53.

Cette même ignorance pensa aussi jouer un mauvais tour à certain Souriceau sans expérience. Ce jeune Rat ne sçachant rien de rien, rencontre un Coq & un Chat ; celui-ci lui paroît aimable, l’autre lui fait peur, il se sauve, & vient conter son avanture à sa mere.

-42- [43]Sans lui (le Coq) j’aurois fait connoissance
Avec cet animal qui m’a semblé si doux,
Il est velouté comme nous,
Marqueté, longue queuë, une humble contenance,
Un modeste regard, & pourtant l’œil luisant,
Je le croi fort sympatisant
Avec Messieurs les Rats, car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

[43] Idem, Tom. 1. Liv. 6. Fab. 5. pag. 143.

Qu’en dites-vous, Monsieur, ne reconnoissez-vous point à ces traits, nos préventions, la légereté de nos attachemens ? Parmi nous tout animal marqueté & velouté se fait facilement des amis. Son crédit, son faste, ses richesses lui en attirent en foule de toutes les especes. Si les hommes vouloient compter avec eux-mêmes en ce point, les uns s’avoueroient qu’ils ne suivent que leur interêt, & les autres se douteroient au moins qu’ils sont aveuglés par une sotte vanité. Le plus souvent aussi nous nous attachons, sans pouvoir justifier nos attachemens : c’est la figure, c’est la taille, c’est l’air, la démarche qui nous déterminent. Nous cedons à ces rapports inconnus qu’on nomme sympathie, enfin nous jugeons ordinairement comme -43- le souriceau, & nous nous trompons de même.

Tous ces exemples que je viens de citer font encore moins de tort aux Rats, qu’une certaine déliberation publique contre le fameux Rodilard : parce que les défauts de quelques particuliers ne sont pas ceux de tout un corps, & que les fautes d’un corps sont celles de tous les particuliers.

[44]Un Chat nommé Rodilardus
Faisoit des Rats telle déconfiture,
Que l’on n’en voyoit presque plus.

[44] La Fontaine, Tom. 1. Liv. 2. Fab. 2. p. 32.

C’est-à-dire, qu’il falloit prévenir promptement la ruine entiere de l’Etat. La Diette des Rats s’assemble, les préliminaires ne se passerent point en cérémonies inutiles, en harangues ennuyeuses pour démontrer des malheurs qu’on ne sentoit que trop.

[45]Dès l’abord leur Doyen, personne très-prudente,
Opina qu’il falloit, & plû-tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu’ainsi quand il iroit en guerre,
De sa marche avertis, ils s’enfuiroient sous terre ;
-44- Qu’il ne savoit que ce moyen :
Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen.

[45] Idem, ibid.

L’avis étoit beau, la commission honorable, l’execution périlleuse, & tout le monde s’excusa le mieux qu’il put de ne pouvoir accepter un tel emploi. Il ne seroit pas difficile de trouver d’aussi braves gens dans ces cohuës errantes d’hommes oisifs, de vieillards imbecilles, de petits genies avides de faits, dogmatisans sur des riens, reglans l’Etat à l’ombre des arbres des jardins publics, & faisant la guerre dans ces maisons où l’inutilité les rassemble tous les jours. Que de magnifiques projets enfantés ! Que d’avis admirables ouverts par Messieurs les Doyens, & confirmés par la sage assemblée ! S’il falloit attacher le grelot, on ne trouveroit plus personne.

Mais les Rats solitaires sont ceux qui déshonorent le plus la nation. Retirés comme les Dervis des Turcs, ils n’ont pas plus de charité qu’eux, comme le dit M. de la Fontaine. Ces Rats solitaires ne quittent rien en quittant le monde où ils auroient vêcu miserablement & sans consideration, au lieu que, dans leurs hermitages, ils regorgent de biens, s’engraissent de loisir, & par dessus -45- le marché passent dans leur nation pour des Saints. Or c’est un titre qui borne leur ambition & les dédommage amplement de tous ceux ausquels ils auroient pû prétendre. Ils se voüent donc au repos, en se voüant à la retraite, & leur vocation n’est que l’effet d’une aversion insurmontable pour le travail, ou d’une incapacité absoluë pour toute autre chose.

Cependant ils se croyent dans un état de perfection, ils méprisent souverainement le monde, & (ce qui est plus extraordinaire) ils l’ont accoutumé à leurs mépris. Inutiles à l’état dont ils ne font partie que comme pensionnaires, les besoins, les dangers, les malheurs de la République ne les touchent pas. Ces soins temporels troubleroient leur dévotion qui consiste à n’être occupés que d’eux-mêmes. Insensibles pour tout le reste du monde, ils sont parvenus à un excès de dureté qui leur ôte jusqu’aux sentimens naturels, qu’on ne peut, sans être hermite, refuser à ses semblables. Ainsi tous les Rats qu’ils appellent séculiers ou mondains ne sont à leurs yeux qu’une multitude profane que les saints Anachoretes verroient périr sans les assister, peut-être même sans les plaindre. Tels sont ces solitaires au moins -46- s’ils ressemblent, comme on peut le croire, à ce Rat Levantin.

[46]Qui las des soins d’ici bas,
Dans un fromage de Hollande,
Se retira loin du tracas.

[46] La Fontaine Tom. 2. Liv. 7. Fab. 3. pag. 9.

Tandis que ce bienheureux & inutile hermite, gras, tranquille, séjourné joüissoit paisiblement d’une grande réputation de sainteté, sa patrie étoit dans un danger pressant ; Ratopolis étoit bloquée, on commençoit à y manquer de tout, & les assiégés envoyoient de toutes parts implorer le secours de leurs alliés : les Ambassadeurs crurent que le Beat les aideroit de quelque chose : qu’ils connoissoient mal les devots !

[47]Mes amis, dit le solitaire,
Les choses d’ici-bas ne me regardent plus :
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister, que peut-il faire ?
Que de prier le Ciel qu’il vous aide en ceci :
J’espere qu’il aura de vous quelque souci.
Ayant parlé de cette sorte
Le nouveau saint ferma sa porte.

[47] Ibid. pag. 10.

-47- Vous pensez bien, Monsieur, que ses prieres ne firent pas lever le blocus de Ratopolis. Cependant il y avoit peut-être encore vingt mille Rats retirés dans des Chartreuses de bled ou de fromage qui auroient pû le faire lever, s’ils avoient voulu y marcher & secourir la Ville de leurs personnes, non de prieres inutiles.

C’est trop long-tems vous conter des historiettes, je finis par celle-ci qu’on m’a donnée sous le titre suivant.

LE RAT PHILOSOPHE ET LE CHAT.

Un Rat gouteux & décrepit
Rat d’ailleurs de beaucoup d’esprit,
Voulut, avant sa mort, faire encor un voyage :
Le Voyageur eut bientôt fait
Son paquet,
Et ses adieux aux gens du voisinage.
Il part ensuite un beau matin
Sans prévoir son triste destin.
Déja l’Aurore au loin couvroit le Ciel de roses
Et la nuit se plongeant dans le goufre des mers,
Laissoit renaître l’Univers,
La terre s’habilloit de mille fleurs écloses,
-48- Lorsque le trotin fort surpris
Rencontre Rominagrobis.
Que faire en telle conjoncture ?
Notre Rat étoit sans monture,
Sur ses genoux tremblans, ne pouvant se sauver,
Il commence à rêver
Comment malgré ses gouttes & son âge
Il pourroit éviter la rage
Du nouveau Rodilard : Enfin Monsieur du Rat
Vous tire une humble révérence ;
Puis s’adressant au Chat :
Pourroit-on s’informer où va son excellence ?
Le cruel Chat à l’instant
Leve un ongle menaçant :
Seigneur, poursuit le Rat, qu’allez-vous faire ?
Eh, quoi me prenez-vous pour un Rat ordinaire,
Quelle perte allez-vous causer à tout l’état,
Pensant croquer un simple Rat ?
Ignorez-vous, Seigneur, que je suis Philosophe,
De la plus fine étoffe ?
Que j’ai lû tout Zénon,
Que je sçai tout Platon ?
Le croirez-vous ? Enfant je rongeois un Descartes,
J’en jure par ma barbe, & mes doctes pencartes ;
Seigneur, il seroit criminel
De ne point cultiver votre heureux naturel ;
-49- Car je vois que votre génie
Seroit, surtout, porté pour la Philosophie ;
Daignez donc écouter ceci.
Le Docteur après ces paroles
Avec la gravité de nos Maîtres d’écoles,
Articula les phrases que voici.
Le Monde est composé d’Atômes.
En Logique on apprend ce que c’est qu’Axiomes,
A pousser un ergo,
A bien placer un distinguo.
Tout Corps est solide ou fluide :
Tout est plein : l’Univers ne connoît point de vuide.
Le Rat avoit lû sa leçon
Sur l’envelope d’un jambon.
Tout est plein ? disoit en lui-même
Compere le Mitis fort pressé de la faim,
Quel diable de sistême ?
Mon ventre n’est pas plein.
La réflexion faite, il saute sur notre homme,
Le met en pieces. Voilà comme
Fut traité le pauvre vieillard
Qui mieux qu’en argumens se connoissoit en lard.
Lors le disciple plus docile,
Et de la griffe moins agile,
Profita des leçons de ce maître accompli,
Et crut plus aisément que tout étoit rempli.

-50- Je vous crois assez bien instruit à présent, Monsieur, sur les differens caracteres des Rats, vous vous seriez même fort bien passé de toutes mes réflexions que je vous prie d’excuser. Vous ferez celles qu’il vous plaira sur la malheureuse destinée de ce Rat philosophe à qui il ne servit de rien de sçavoir Platon, Zenon, & Descartes. J’en suis fâché pour l’honneur de la Philosophie.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-51-

IV. LETTRE.

Non forma est omnibus una,
Nec diversa tamen.

Ovid.

MONSIEUR,

Les Rats dont je vous ai fait les caractéres, sont, sans contredit, ceux qui nous interessent le plus ; mais il en est encore beaucoup d’autres especes qui ont aussi quelque droit d’entrer dans notre Histoire, & sans lesquelles elle ne seroit pas complette. On ne connoît point d’animaux dont la race soit plus étenduë ni plus diversifiée que celle des Rats ; on peut dire qu’ils remplissent le monde ; & pour me servir des termes de Boileau,

[48]… Ils s’élevent dans l’air,
Ils marchent sur la terre, & nagent dans la mer.

[48] Despreaux, Satyre sur l’homme.

En effet, la terre est couverte de Rats, l’eau a les siens, l’air est rempli de Chauve-souris ; ainsi leur domination est universelle.

Les Chauves-souris, qui sont des Rats volans, ont la tête & le corps d’une Souris, & se servent -52- au lieu d’aîles, de deux membranes larges & deliées ausquelles sont attachées plusieurs petites pattes armées de griffes. Ce sont, je vous l’avouë, de fort vilains oiseaux, si on peut leur donner ce nom. Il y en a de toutes blanches dans le Nord, qui sont moins affreuses ; géneralement elles n’ont point de queuë, [49]excepté celles qui logent dans la grande Piramide d’Egypte, qui en portent par privilege de fort grandes, composées de même que leurs aîles, & étenduës en éventail comme celles des oiseaux.

[49] Aldovrandus lib. de Avibus.

[50]A Madagascar, au Brésil, aux Maldives, il y a des Chauves-souris grosses comme des Corbeaux ; on en voit de plus monstrueuses encore à la Chine, & dont les Chinois trouvent la chair délicieuse ; [51]il faut que celles d’Arabie soient bien terribles, puisqu’en certains cantons elles empêchent les habitans d’y cueillir la Casse ; [52]celles des Isles Caribes, ne sont pas moins redoutables ; outre que leur morsure est venimeuse, on dit qu’elles choisissent, entre cent, un homme qu’elles ont mordu une fois, pour le mordre encore au même -53- endroit ; aussi les Caraïbes les craignent fort, & les honorent singulierement : parce qu’ils les craignent, il leur a plu de les regarder comme de bons Anges, gardiens pendant la nuit de leurs cabanes ; ceux qui les tuent sont réputés sacrileges parmi eux.

[50] Diction. de l’Académie & de Trévoux.

[51] Aldovrandus ibid.

[52] Diction. de Trévoux.

Les Rats d’eau ne different gueres pour la figure, des Rats domestiques ; on en voit partout, en France, dans les Ruisseaux, les Rivieres, les Canaux : ils sont amphibies, & vivent de petits poissons ; c’est pourquoi ils en suivent la condition dans la cuisine de quelques Cœnobites voüés au maigre, qui, pour adoucir l’austerité de la Régle, ont naturalisé poissons, certain nombre d’oiseaux & de Quadrupedes aquatiques. Il y auroit sans doute de la mauvaise humeur à leur disputer des Rats d’eau ; généralement on ne leur envie guere ce régal : cependant il est des Villes où l’on en mange sans répugnance, & même comme un morceau délicat ; & cela n’est pas si incroyable que l’ont jugé deux Naturalistes étrangers[53] ; gens d’ailleurs point du tout incredules. Il est vrai qu’autrefois les [54]Mages sectateurs des Zoroastre les avoient en abomination, ils se faisoient -54- un devoir de Religion de les détruire, comme des effets du mauvais principe ; & cela, à mon avis, ne prouve point la sagesse des Mages si vantée.

[53] Gesner & Jonst.

[54] Plutarc. Simposiacorum 4o. quæst. ult.

[55]Les Ichneumons méritent bien d’être comptés parmi les Rats amphibies, on les appelle autrement Rats d’Egypte ou de Pharaon, leur poil est fort rude, & mêlangé de jaune & de gris ; ils sont communs sur le Nil, ils se battent contre les Chiens, attaquent les Chevaux & les Chamaux ; jugez si les Chats auroient beau jeu avec eux. Ils se nourissent de Serpens, de Lezards, de Grenoüilles, & font une guerre continuelle aux Aspics & aux Crocodiles : mais ils ne combattent les derniers que par adresse. Voici ce qu’en dit un Historien que j’ai déja cité.

[55] Jonsthon de quadruped. après Ælien, Aristote, Oppien, &c.

[56]« L’Ichneumon, sorte de Rat, amphibie, empêche la race des Crocodiles de se multiplier. Cette petite bête rend ce service à l’Egypte en deux manieres. 1o. Elle observe le tems que le Crocodile est absent, & elle brise les œufs sans les manger.

[56] M. Rollin, Histoire ancienne, Tom. 1.

-55-  »2o. Lorsque le Crocodile dort sur le rivage, & il dort toujours la gueule ouverte, ce petit animal qui s’étoit tenu caché dans le limon, saute tout d’un coup dans sa gueule, pénétre jusques dans ses entrailles qu’il ronge, puis se fait une ouverture en lui perçant le ventre dont la peau est fort tendre, & sort impunément vainqueur, par sa finesse, de la force d’un si terrible animal. »

Ainsi les Egyptiens sont en quelque sorte excusables d’avoir adoré par reconnoissance l’Ichneumon. Un animal si utile devoit être un Dieu pour eux à plus juste titre que le Crocodile, les Serpens & mille autres animaux nuisibles.

Venons aux Rats de terre. Mais par quelle espece commencerai-je ? Permettez, Monsieur, que le hazard en décide : parmi ceux qu’on voit communément en France, il n’y a que le [57]Musaraigne, & le [58]Musavelaine, qui meritent quelqu’attention ; le premier est fort menu, élancé comme une Belette ; il a le groüin long & pointu, le poil cendré, & les yeux si petits que plusieurs Auteurs -56- ont cru qu’il n’en avoit point ; de là ils l’ont appellé Rat aveugle. [59]C’est aussi par cette raison que les Egyptiens, qui croyoient les ténébres plus anciennes que la lumiere, honoroient singulierement cette espece de Rat ; & lorsqu’ils en trouvoient quelques-uns de morts, ils les portoient honorablement dans une de leurs Villes destinée à la sépulture de ces animaux. Ils sont venimeux dans les pays chauds ; mais dans les climats temperés, ils ne sont dangereux que pour les Chats, qui ne les mangent point impunément, aussi les vieux instruits par l’experience, se contentent de les tuer : au reste, si ce Rat est venimeux comme l’Araignée, il n’est pas moins agile, & il marcheroit, dit-on, comme elle sur un fil tendu. Or l’on dispute beaucoup laquelle de ces deux qualités qu’il a de communes avec l’Araignée, l’a fait nommer Musaraigne, & nous laisserons s’il vous plaît, cette contestation aux Etimologistes.

[57] Mus-Araneus.

[58] Mus-Avellanarum.

[59] Aldovrandus.

Le Musavelaine tire son nom de l’espece de Coudrier qu’il habite, & sur lequel il fait son nid dans la forme de celui des oiseaux ; son poil ressemble assez à celui de -57- la Martre, & l’odeur en est agréable, puisque les Petits-Maîtres & les Coquettes du tems de Saint [60]Jerôme, la preferoient à tous les autres parfums. Il faut voir comment ce Saint fronde cette sensualité dans une Lettre à la Dame Demetriade, où il prêche contre les vanités de son siécle.

[60] Juvenes comam nutrientes & suavem odorem spirantes, cincinnatulos, & olentes pelliculam muris peregrini (id est Avellanarum.) Epist. ad Demetriadem.

Tous les autres Rats dont je vais parler, sont étrangers & portent ordinairement le nom des pays où ils se trouvent. Les plus près de nous & les plus connus sont les Rats des Alpes, appellés autrement Loirs, Glirons, Marmotes, car ces trois noms appartiennent à la même espece. On raconte des merveilles de la sagesse de leur gouvernement, de leur industrie à se construire des maisons sous terre, & à les fermer exactement pendant l’hyver ; on vante leur prévoyance à faire des magasins de fourages, & leur adresse singuliere à les voiturer ; jusques là que l’Apologiste des Bêtes les cite comme des animaux qui font honneur aux animaux, & qui prouvent que ce ne sont point de pures automates. Je vais, Monsieur, vous transcrire son Apologie.

-58- [61]Les Alpes ces monts orgueilleux
Qui portent leur front jusqu’aux cieux,
Nourrissent sur leur pente aux environs de Coire
La Capitale des Grisons,
Des Rats, dont à peine on peut croire
L’ingénieux manége aux tems des fenaisons.
Ces Rats d’une espece assez fine
Sont presqu’aussi gros qu’une foüine,
Ils sçavent dans l’Eté faire pour leur Hyver
Ample provision de foin tout le moins verd,
Et voici comment ils s’y prennent.
Chacun d’eux, tour à tour, fait sa tâche à propos,
L’un se tient couché sur le dos,
D’autres en cet état tout doucement le traînent
Chargé de sa botte de foin
Que ses pattes qu’il dresse embrassent avec soin
Et par sa queuë ainsi traîné dans leur logette
Il leur sert de cheval, & même de charette.
C’est par ce travail redoublé
Que ces Rats Montagnards ont le dos tout pelé ;
Ce manége subtil n’est point un badinage
Si l’on y reflechit, on connoît aisément
Que ce n’est point l’instinct, mais un raisonnement
Qui joint l’assortiment de tout cet équipage.
L’instinct ou le besoin peut bien grossiérement
-59- Inspirer à ces Rats sauvages
Qu’ils doivent nécessairement
Vivre sur la montagne en Hyver de fourages ;
Mais de les voiturer l’adroite invention
Est de l’ame qui pense une operation.

[61] Apologie des Bêtes par M. de Beaumont p. 131.

Passons à l’Apologiste sa très-mauvaise Poësie ; son histoire prouve au moins beaucoup d’industrie dans les Rats ; pour une ame pensante, c’est une autre thèse qui ne se décidera que lorsqu’on connoîtra suffisamment la nature de l’ame ; & l’on ne touche pas encore à cette découverte, à en juger par les peines & les recherches inutiles qu’elle a déja coûté aux hommes depuis qu’ils raisonnent sur eux-mêmes.

On dit encore que les Marmottes dorment tout l’hyver sans manger ; mais si cela étoit, elles feroient bien des frais inutiles en été à ramasser des provisions, & leur adresse à les voiturer seroit en pure perte : il faut donc entendre seulement qu’elles se tiennent couvertes dans leurs troux tout l’hyver, & cela est fort sage ; au reste, elles s’aprivoisent facilement, & les tours que leur font faire ces petits miserables qui en tirent un tribut sur la curiosité populaire, sont des preuves de leur docilité : mais leur premier merite, c’est quelles sont très-bonnes à manger. -60- [62]Dans l’ancienne Rome on en tenoit des Menageries appellées Gliraria, elles faisoient les delices des meilleures tables, & ce goût qui dura long-tems, eût subsisté davantage, si les Ediles, par quelqu’interêt particulier, n’eussent aboli ces Menageries. [63]Marcus Scaurus, beau-fils de Sylla par sa mere Metella, ce voluptueux d’un goût exquis, cet Edile magnifique qui fit élever ce célébre Théatre à trois étages, soutenus sur trois cens soixante colomnes de trente-huit pieds de haut ; cet homme enfin qui introduisit à Rome, par son exemple, le faste & la délicatesse à la place de l’antique sévérité, fut le premier qui apprit à ses citoyens ce que valoient les Glirons. Cette Ædilité de Scaurus, pendant laquelle ils régnerent sur les tables les plus délicates, fit plus de tort à la République, au jugement [64]de Pline, & d’un Historien [65]moderne, que ne lui en avoient fait les sanglantes proscriptions de Sylla son beau-pere. Ainsi les Casuistes, qui sont bien persuadés -61- que c’est le luxe & la volupté qui ont perdu les Romains en les amolissant, pourront compter les Marmotes parmi les causes de la décadence de ce grand Empire.

[62] Jonsthon de Quadrupedibus.

[63] Ibidem.

[64] Cujus (M. Scauri) nescio an Ædilitas maximè prostraverit mores civiles. Plin. lib. 36. cap. 15.

[65] M. Rollin, Histoire ancienne, Tome 11.

Dans les Indes il y a des Rats qui ont la grosseur & le poil des Marmotes, excepté qu’ils sont plus argentés ; ils marchent quelquefois sur leurs piés de derriere, & sont si dangereux quand la faim les presse, qu’on ne dort point en sûreté auprès d’eux.

[66]Dans l’Isle du Pin près celle de Cuba, on en voit de presque aussi gros, de poil roux, & fort bons à manger.

[66] Journal historique de M. de la Salle, pag. 30. tom. 1.

[67]Dans l’Egypte il s’en trouve communément d’assez grands, dont le poil est presque aussi piquant que celui d’un Herisson. A Nuremberg ils sont gros comme des Fouïnes & de la couleur des Liévres ; en Hongrie ils tirent sur le verd, sont à peu près taillés comme les Belettes, sans être plus gros que nos souris.

[67] Dict. de Trevoux.

[68]Dans la Virginie il y a beaucoup de Rats blancs, dont les Naturels du Pays faisoient autrefois un usage singulier : lorsqu’ils en avoient un pendu à chaque oreille, ils -62- se croyoient aussi bien parés que nos Dames sont sûres de l’être avec les plus belles Perles d’Orient. C’étoient, comme vous le pensez bien, des Rats morts remplis simplement de paille s’ils avoient naturellement quelque bonne odeur, ou de parfums pour corriger la mauvaise qu’ils auroient pû répandre.

[68] Bibliotheque universelle, tom. 6. pag. 267.

Cette mode nous paroîtroit peut-être moins ridicule que celle des paniers, si les Virginiens n’étoient pas des Sauvages ; car, dans le fond il n’est point absurde que les Rats puissent servir de parure. [69]Le voile de Proserpine, la Reine du plus vaste de tous les Empires, étoit parsemé de Rats brodés avec beaucoup d’art ; & ce voile lui donnoit peut-être aux yeux de Pluton, les mêmes graces que prêta à Junon la ceinture de Vénus dans une affaire d’honneur.

[69] Euseb. apud Gesnerum, p. 826.

Et sans aller chercher des exemples dans la Virginie & aux Enfers, le petit-gris & l’Hermine, ne sont-ils pas, depuis long-tems, en possession, chez nous, de faire de fort beaux ornemens, & de marquer des titres, & des dignitez ? Or le petit-gris est la dépoüille du Rat lassique, & l’Hermine, selon la plûpart -63- des Naturalistes, est la même chose que le Rat pontique. Il est difficile d’imaginer avec quelle complaisance un Chanoine, un Licencié, un Docteur, portent ces peaux respectables ; on a dit malicieusement qu’elles sont souvent des armes parlantes, cependant elles répondent au moins qu’un homme qui a mérité d’en être revêtu dans une Université, a étudié suivant l’Ordonnance.

J’ai connu un brave Licencié de la Sacrée Faculté de Paris qui étoit plus jaloux de sa Fourure, qu’un gueux de sa besace. A plus de cent lieuës de Paris, au fond d’une Province où l’uniforme de la Licence est inconnu, il s’en paroit en Chaire, dans les Processions, il l’endossoit souvent pour recevoir des visites ; & l’on ajoûte qu’il se donnoit quelquefois le plaisir de coucher avec, tant il l’aimoit tendrement. Je croi ce dernier trait exageré ; mais il est exactement vrai que revêtu de sa peau, ainsi que l’Asne de celle du Lyon, il se croyoit infiniment au-dessus de ses Confreres qui n’étoient pas fourés comme lui ; & ses Confreres de leur côté maudissoient de bon cœur le Licencié, & tous les Rats Pontiques, comptables de sa sote vanité.

Mon Catalogue, Monsieur, n’est pas encore -64- rempli, j’ai bien d’autres Rats à y placer, mais beaucoup plus curieux, d’une nature particuliere, & plus étenduë que toutes les especes que j’ai parcouruës ; nous les nommerons, si vous voulez, les Rats de tout Païs. Il y en a partout où il y a des hommes ; invisibles & d’une substance spirituelle comme les génies, ils ne sont sensibles que par leurs effets, qui ne permettent pas de nier leur existence, au moins de ceux qui ne nous appartiennent point ; car chaque particulier qui en loge dans son cerveau ne s’en doute seulement pas.

N’exigez pas, Monsieur, s’il vous plaît, que je vous fasse l’Analise de toutes les Especes de Rats de cerveau, ils participent à la nature des ames, & semblent former chacun une espece differente ; cependant on pourroit les distribuer par classes selon les conditions, les genies, & les caracteres des Ratiers qui composent la Societé. Mais quelle Liste encore ? Je la commencerai, mais j’ai pour ne la point achever la même excuse, [70]qu’Erasme fait apporter à la folie pour ne -65- pas compter toutes les sortes de Fols, c’est que le dénombrement en est impossible.

[70]

Non mihi si voces centum sint, oraque centum,
Ferrea vox, omnes fatuorum evolvere formas,
Omnia stultorum percurrere nomina possim.

Erasme, Eloge de la Folie.

Nous mettrons donc dans la premiere Classe, les Rats des Coquettes ; je croi qu’ils doivent avoir le pas sur tous les autres sans leur faire tort ; à moins que ceux des Petits-Maîtres ne s’avisent de le leur disputer, & ils ont quelque droit de le faire ; pour lors, la chose seroit problêmatique ; & pour conserver la bonne intelligence qui regne entre-eux, on pourroit par accommodement les mettre ensemble dans le même rang indistinctement comme ils se rencontrent dans le monde. S’il étoit permis de donner de l’étenduë à des êtres immateriels, on les supposeroit, sans rien risquer, les uns & les autres, les plus grands & les mieux nourris de tous les Rats, parce que rien n’égale les caprices d’une Coquette, & l’étourderie d’un Petit-Maître.

La seconde place appartient de droit à ceux des Devots & de la gent mistique. Ce sont eux qui produisent dans l’esprit de leurs Hôtes ces pieuses fantaisies qu’ils suivent comme des inspirations ; ce sont les mêmes qui sont cause des vœux imprudens, & des austerités outrées ; ils font de l’un un fanatique ; de l’autre un imbecile ; ils envoyent -66- dans un Cloître celui-ci qui étoit né pour servir l’Estat dans les affaires ou dans les armées, & arrachent celui-là du sein de sa famille pour en faire un Misantrope, un malheureux dans la solitude. Combien tous les jours ces mêmes Rats font-ils fabriquer de Testamens ridicules, dans lesquels un pere de famille penetré d’une indifference subite pour ses enfans, les désherite dévotement, pour enrichir un Tartuffe, bâtir un Temple, ou engraisser une Communauté d’Inutiles ? En general, ils causent dans l’esprit un si prodigieux dérangement, qu’un homme toujours en contradiction avec les autres hommes, fait les plus grandes folies par des principes très-sages.

Il est inutile de protester, que je ne parle pas de tous les Devots, je les respecte sincerement, & je suis persuadé que les honnêtes gens remplis d’une saine Dévotion sont de tous les hommes ceux qui ont le moins de Rats.

Donnons, si vous voulez, Monsieur, le troisiéme rang aux Rats des Gens de génie, des hommes à talents. Les Poëtes en ont toujours eû la cervelle bien meublée, & l’on ne s’accoutumeroit point à voir un Rimeur parfaitement raisonnable : je croi bien qu’Apollon -67- les inspire, mais c’est souvent Apollon Sminthien, c’est-à-dire le Ratier. Les Mathematiciens ne manquent pas aussi de Rats, & les Peintres, & les Musiciens en sont largement partagés. Tous ces Messieurs generalement regnent dans une Sphere plus ou moins étenduë, hors de laquelle leurs Rats les tiranisent un peu : Heureusement leurs Talents excusent leurs écarts.

Faites-moi grace, Monsieur, pour la quatriéme Classe, ou permettez-moi d’y comprendre indistinctement les Rats de tout le genre humain, & vous vous donnerez la peine de les y démêler. Tout homme qui n’a pas de liaison dans ses pensées, de suite dans ses actions, d’ordre dans ses desseins, qui semble souvent agir plutôt par hasard, par caprice, ou par principe de mecanisme, que par raison, s’appelle Ratier ; au moins ce sont les idées que je croi attachées à ce terme. Or quel est le mortel qui ne merite pas quelquefois ce nom ? La différence, Monsieur, est du plus au moins, & cette difference est infinie.

Que le Seigneur Asmodée étoit placé avantageusement sur la Tour de Sansalvador avec Don Cléofas, pour lui montrer ce qui se passoit dans Madrid ! Supposons, Monsieur, -68- que je fusse dans Paris, sur un Observatoire pareil, avec un Etranger curieux de connoître des Ratiers, je pourrois peut-être lui montrer des personnages assez singuliers en ce genre, en supposant encore que par la même puissance diabolique les toits fussent enlevés, & que je pusse promener mes yeux dans l’interieur des maisons : convenons, encore qu’il est nuit ; car j’ai besoin de toutes ces suppositions.

Voyez-vous, dirois-je à mon Compagnon, au fond de ce College, dans une chambre qui donne sur un petit jardin, un homme empaqueté dans une robe de chambre assez malpropre, qui paroît glacé sur un pupitre ; c’est une sorte d’homme de Lettres, il fait quelquefois de méchans Vers ; & je gage qu’en ce moment il éguise une Epigrame contre le genre humain ; car il déteste tous les hommes en general par semestre ; & je sçai qu’il est à present dans son semestre de Misantropie ; au commencement du mois il se fait une liste alphabetique des tables où il doit aller manger, & il croiroit faire une impolitesse à ses Hôtes de n’y pas aller le jour marqué sur ses tablettes ; au reste il s’y presente vêtu comme un Disciple de Diogene, & s’imagine encore être mis fort galamment. La premiere -69- fois qu’il voit un homme, il l’aime subitement, il l’accable de politesse, mais la seconde, à peine daigne-t-il le saluer : Il se fait une infinité de petites regles qu’il suit inviolablement ; quinze jours d’avance il est reglé, que tel jour, à telle heure, il fera des Vers, ou de la Prose, que le soir il ira necessairement en tel endroit, ou qu’il ne se laissera point voir qu’à telle heure ; & son plan une fois tracé, s’agiroit-il de racheter la vie à tous ses amis, il ne s’en écarteroit pas, tant il est esclave des Loix qu’il s’impose.

Portez votre vûë, continuerois-je, à plusieurs ruës au-delà du College ; appercevez-vous sur la droite, dans un grand Hôtel, cette jolie femme qui se met à sa toilette ? Je la connois, & je sçai à quoi cet appareil est destiné : lorsqu’elle sera bien parée, elle se placera dans une niche, où elle joüira des honneurs de la Divinité ; on brûlera de l’encens à ses pieds ; enfin elle recevra au milieu de la fumée & des bougies, au moins un culte domestique.

Dans la maison voisine, examinez cette autre femme qui est couchée non-chalamment dans un beau lit d’étoffe d’or ; admirez la richesse des meubles, considerez la beauté des lustres & la quantité des bougies. Combien -70- de monde autour d’elle ! Cependant il n’y a ni Prêtre ni Medecin ; aussi n’est-elle point malade ; elle a prise en aversion la lumiere du soleil, & ne souffre pendant le jour même que celle des flambeaux ; enfin son Lit est son Thrône, & son Appartement son Empire ; il change souvent de face, car elle en varie les meubles aussi souvent qu’on fait les décorations d’un theatre. La folie de cette Dame a succedé à une autre toute opposée, elle a couru pendant cinq ans les Provinces à grands frais, sans aucun dessein : à present elle se délasse apparemment de ses fatigues.

Passons à un autre quartier, dirois-je encore à mon Etranger : Voyez-vous, sur cette place, un grand concours de monde. C’est une batterie qui a attiré cette foule ; je connois un des acteurs, c’est un homme singulier, plein de probité, & qui ne manque pas même de merite, mais ennemi juré des petits chapeaux, il a vû passer un Cavalier qui en portoit un de cette espece, il lui a demandé pourquoi il ne portoit que la moitié d’un chapeau ? L’autre lui a répondu brusquement, ils se sont piqués ; enfin ils en sont venus aux mains ; cependant cette avanture n’engagera point cet homme à faire grace aux petits chapeaux, il est aussi brave qu’il -71- est fol, & ne va jamais en campagne sans un mulet chargé de lames, comme s’il avoit autant de bras que le Géant Briarée.

Sur le coin de cette même place, regardez ce Donjon élevé qui n’est éclairé que par la sombre lueur d’une lampe ; y voyez-vous un homme maigre, abattu, armé d’une discipline épouventable ? Croiriez-vous que c’est un Sermon Academique plein d’esprit, & d’éloquence qui l’a converti : le voilà dans son Donjon, comme étoit Simeon Stylite sur sa colonne ; mais le monde n’y perdra rien, il y reviendra bien-tôt avec des passions plus violentes ; c’est sa coutume, il fait alternativement des parties de débauche & de devotion ; il passe quelquefois un quartier dans un Cloître, ensuite un autre chez des Courtisannes.

Regardez à gauche, continuerois-je ; appercevez-vous dans une maison isolée, un homme qui se promene comme un fol dans une salle basse ? C’est un Savant très-riche, contre l’ordinaire de ses confreres ; il a partagé Paris en plusieurs parties égales par des demi-diametres qui aboutissent à un centre où il fait sa demeure principale, & c’est la maison que je vous montre ; mais il a encore loué, dans tous les Quartiers, quantité de chambres -72- qui repondent sur ces rayons à des distances proportionelles du centre, de sorte qu’étant presque toujours également éloigné de plusieurs de ses logemens, le hasard décide de celui qu’il visitera ; il les parcourt souvent sans s’y arrêter, comme le Soleil fait les douze Signes du Zodiaque ; & quelquefois il y fait des Stations. Cependant il a des domestiques, mais il ne les voit que par rencontre, & ils lui sont aussi inutiles que le doivent être à Jupiter ses Satellites, si cette planette n’est point habitée.

Je descends, Monsieur, de mon Observatoire, & je finis mes Portraits crainte de vous ennuyer ; depuis le Cedre jusqu’à l’Hisope, je ne vois dans le monde que des Ratiers, mais pour les bien peindre, il me faudrait deux choses, l’esprit du Diable Asmodée, & la plume de Monsieur le Sage.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-73-

V. LETTRE.

Hinc populum latè regem belloque superbum
Venturum.

Virg.

Revenons, Monsieur, aux Rats naturels, & commençons enfin l’Histoire de ceux dont je ne vous ai fait encore que les caracteres. Leur nom est celebre de tous tems dans les Annales de tous les Peuples & dans la Mythologie.

Lorsque les Dieux épouvantés par les Geants, s’enfuirent si prudemment en Egypte, sous diverses figures d’animaux, celle du Rat ne fut pas negligée. M. Scarron dit que :

Momus devint Singe, Apollon Corbeau,
Bacchus un Bouc, Vulcan un Veau,
Pan un Rat, &c.

Pan étoit peut-être le mieux avisé de ses Confreres, puisque sous cette forme empruntée, sa Divinité étoit parfaitement en sûreté, à moins que les Geants ne se fussent transformés en Chats.

C’est sans doute depuis cette metamorphose que les Rats ont été adorés, car ils l’ont été aussi-bien que les Chats.

-74- [71]Dans l’Egypte jadis toute bête étoit Dieu,
Tant l’homme au contraire étoit bête :
Tout animal ailleurs qui n’a ni feu ni lieu,
Avoit là son Temple & sa Fête.
On avoit fait un jour au Temple du Dieu Chat
D’un Rat blanc & sans tache un pompeux sacrifice :
Le lendemain c’est le tour du Dieu Rat ;
Il faut, pour le rendre propice,
Qu’à ses Autels un Chat périsse.

[71] Fables de M. de la Motte.

Ce n’est pas dans l’Egypte seulement où toute bête étoit Dieu, que les Rats ont eû des Autels. La crainte qui fit les premiers Dieux du monde, força les [72]Phrigiens de les déïfier, [73]& les Peuples de Balsora & de Cambaye se feroient encore aujourd’hui un cas de conscience de faire du mal à ces animaux.

[72] Ælien & Pline.

[73] Balbus in itinerario Ind. Ori. c. 4.

S’ils sont des Dieux dans la Mithologie, ils figurent en Heros dans l’Histoire : elle est remplie de leurs conquêtes, & d’actions éclatantes qui les placent à côté des Alexandre, des Tamerlan, des Gengisckan ; semblables à ces Nations guerrieres du Septentrion -75- qu’on a vû dans differens siecles se déborder dans l’Europe & dans l’Asie, comme des torrens impetueux renverser tout ce qui s’opposoit à leur passage, détruire des Empires, ou se les soumettre, souvent des milliers de Rats belliqueux ont pris des villes, conquis des Provinces, chassé des Peuples.

[74]Dieux malfaisans, ils firent souvent ressentir les effets de leur toute puissance aux Phrygiens qui les adoroient, & chasserent brusquement de leur Païs ces braves Troyens qui avoient soutenu dix ans les efforts réünis de toute la Grece ; enfin le Simoïs & le Scamandre, ces Fleuves celebres de la Troade n’ont vû quelquefois sur leurs bords que des Rats. [75]Pareille conqueste sur le Meandre ; les Migrations de plusieurs Peuples de l’Ionie n’ont eû d’autres causes que la cruelle necessité de ceder leurs terres à des armées de Rats victorieuses.

[74] Bochart de sacris animalibus. Pline, Ælien, &c.

[75] Pausanias.

Passons en Thrace, nous y verrons les Abderites, Peuples assez connus par une Comedie Françoise, chassés de leur Patrie par ces mêmes Conquerans : [76]Cette révolution -76- arriva sous le regne de Cassandre Roy de Macedoine, l’un des Successeurs d’Alexandre. Les Rats reconciliés sans doute par une paix solide avec les Grenoüilles depuis cette fameuse bataille qu’Homere a chantée, se liguérent avec elles ; soutenus des Legions amphibies de ces Alliés, ils inonderent de leurs troupes les terres des Abderites, assiegerent la ville d’Abdere, & chasserent enfin les Habitans de tout le Pays, après leur avoir enlevé leur Capitale.

[76] Justin. Hist.

Les Histoires ne disent rien de la conduite du Siege, de sorte qu’on ignore comment la Ville fut attaquée & défenduë ; on ne sçait si elle fut emportée d’assaut & livrée au pillage, ou bien si elle se rendit par capitulation, & quels en furent les articles. Voilà comment les faits les plus importans de l’antiquité demeurent dans l’obscurité, faute de l’utile secours des Gazettes qui nous donnent, (soit dit en passant) un grand avantage sur les anciens.

Cependant, malgré la disette des Memoires, on peut assurer qu’Abdere essuya deux grands Sieges ; le premier, est celui dont nous venons de parler ; le second fut formé par les Abderites mêmes qui voulurent rentrer dans leur Ville : ils firent de puissans -77- efforts, & ils y rentrerent enfin, mais ce ne fut pas, selon toute apparence, sans une horrible effusion de sang, les assiegeans combattans pour reconquerir leurs foyers, & les assiegés pour conserver leur Conquête. On peut conjecturer encore, que les Rats étoient seuls entrés dans Abdere, qu’ils avoient abandonné aux Grenoüilles les Rivieres, les Marais, les Prairies, & tout ce qui pouvoit être à la bien-séance de ces Alliés.

[77]Les Habitans de Ceretto, petite Ville du Royaume de Naples, se souviennent encore d’avoir été obligés, il n’y a pas cinquante ans, de disputer le terrain avec les Rats, comme avoient fait les Abderites. Les tremblemens de terre causés par les embrasemens du Mont-Vesuve, donnerent lieu à cet évenement. La Ville de Ceretto en fut presque toute boulversée, une bonne partie de ses Habitans demeurerent sous les ruïnes, & ceux qui eurent le bonheur de se sauver, se retirerent dans la plaine, où ils établirent une espece de camp ; mais bien-tôt il ne fut pas de beaucoup plus sûr que la Ville : une armée de Rats vint les y menacer d’un sort plus triste que celui qu’ils avoient évité ; c’est-à-dire, -78- de les manger tous vifs. On opposa le fer & le feu à ces Legions furieuses, on fit de bons retranchemens, & l’on passa plusieurs nuits sous les armes crainte de surprise ; jamais allarme ne fut plus chaude.

[77] Misson, Voyage d’Italie, Tom. 3. p. 360.

Dans cet étrange embarras, on eut recours à un Chat, on l’envoya contre les Rats, mais ce fut pour leur servir de pâture. Dans un instant ils l’immolerent aux mânes de leurs peres mangés par les Chats, ou plûtôt il fut autant sacrifié à l’appétit, qu’à la haine Nationale. Jugez par-là, Monsieur, de la solidité de [78]l’inscription qui étoit autrefois sur une porte d’Arras avant que Loüis XI. eût pris cette Ville.

[78]

Quand les Rats mingeront les Cas,
Le Roi sera Seigneur d’Arras ;
Quand la Mer qui est grande & lée,
Sera à la Saint Jean gelée,
On verra par dessus la glace
Sortir ceux d’Arras de leur Place.

Les Rats ont fait des choses aussi surprenantes en Italie ; on leur a quelquefois abandonné des [79]Campagnes, & même des Villes. Par exemple celle de Cosa, [80]à present -79- Orbitello, dont les Histoires nous disent seulement, que les Habitans furent contraints de laisser leurs Dieux Penates à la merci de ces animaux furieux.

[79] Ager Frixiensium. Baronius in Annalibus.

[80] Circa Italiam Murium agrestium vis ex agris emersa quosdam è patrio solo pepulit.

Diod. Lib. 3.

Dicuntur cives quondam migrare coacti
Muribus infestos deseruisse lares.

Rutilius Rufus.

Selon Bochart (opere de sacris animalibus) Diodore & Rutilius parlent de Cosa, à present Orbitello.

[81]Dans l’Isle de Gyara, l’une des Cyclades, ils ont fait encore une expedition bien plus memorable : Pline, d’après Strabon, & tous les Naturalistes d’après Pline, en parlent comme du plus terrible de tous les prodiges. Les Rats ayant formé le dessein de chasser les Insulaires, ravagerent leurs terres, couperent les moissons, les legumes, mangerent les magasins ; en un mot, affamerent l’Isle, ensuite ils attaquerent les hommes & les animaux jusques dans les Villes. Ils étoient en si grande quantité, que les Habitans, quand ils n’auroient rien eû à craindre pour leur vie, ne pouvoient esperer de tuer même sans résistance tant de millions de Rats, qui sembloient sortir de terre. Il leur falut donc obéir à la necessité, & prendre le seul parti qui restoit ; c’est-à-dire, d’abandonner ce qu’ils ne pouvoient pas conserver.

[81] Pline après Theophraste. Voyez Gesnerus de Quadrupedibus p. 809.

Ils furent encore obligés, en gagnant les Ports, -80- de s’ouvrir des passages l’épée à la main, à travers les bataillons ennemis qui les harcellerent jusqu’à leurs vaisseaux. La fureur des Rats ne s’en tint point-là encore ; [82]les Insulaires embarqués, ils entrerent avec rage dans les maisons, & y mangerent jusqu’aux métaux, le fer, le cuivre, l’or, l’argent, tout fut dévoré.

[82] Pline & Ælien disent que les Rats mangerent de l’or & de l’argent dans l’Isle de Gyara pour satisfaire leur inclination naturelle à voler.

Ce trait merveilleux, est expliqué differemment par les Historiens ; pour moi je pense que ce prodige ne doit pas être attribué à la faim, mais plûtôt à une sage précaution : à l’exemple de ceux qui avoient rongé les cordes des Arcs, & les Couroyes des Boucliers des Assiriens ; ils penserent peut-être qu’il faloit dévorer les Arsenaux, & tout ce dont on pouvoit fabriquer des armes contre eux, afin de pouvoir combattre avec avantage leurs ennemis s’ils venoient à rentrer dans l’Isle, ou du moins leur ôter la superiorité des armes.

Ce que je viens de toucher des Rats, à l’égard des Assyriens, n’est point une bagatelle, il ne s’agit pas moins que d’une bataille gagnée, dont les Rats meritent tout l’honneur. Un grand Historien de nos jours parle fort -81- au long, après Herodote, de cette belle action, & je ne puis mieux faire, que de rapporter ses propres termes.

Sethon ou Sévéchus Roy des Egyptiens, & grand Prêtre de Vulcain, Prince dévot, avoit irrité ses troupes par son avarice & ses mauvais traitemens. [83]« Il éprouva bientôt leur ressentiment dans une guerre qui lui survint tout à coup, & dont il ne se tira que par une protection miraculeuse… Sennacherib Roy des Arabes & des Assyriens étant entré avec une nombreuse armée en Egypte, les Officiers & les Soldats Egyptiens refuserent de marcher contre lui. Le Prêtre de Vulcain réduit à une telle extrêmité, eut recours à son Dieu qui lui dit de ne point perdre courage, & de marcher hardiment contre les ennemis avec le peu de gens qu’il pourroit ramasser : Il le fit ; un petit nombre de Marchands, d’Ouvriers, & d’Etrangers se joignit à lui ; avec cette poignée de gens il s’avança jusqu’à Péluse où Sennacherib avoit établi son camp. La nuit suivante une multitude effroyable de Rats se répandit dans le camp des Assyriens, & y ayant rongé les cordes -82- de leurs Arcs, & toutes les courroyes de leurs Boucliers, les mit hors d’état de se défendre. Ainsi désarmés ils furent obligés de prendre la fuite, & ils se retirerent après avoit perdu une grande partie de leurs troupes. Sethon de retour chez lui se fit ériger une statuë dans le Temple de Vulcain, où tenant à la main droite un Rat, il disoit dans une inscription :

Que par moi l’on apprenne à respecter les Dieux. »

[83] M. Rollin Hist. ancienne Tom. 1. après Herodote.

On auroit pû, ce me semble, ajoûter, & à craindre les Rats.

[84]Un autre Prêtre nommé Crinis fut puni de son indévotion par ces mêmes animaux qui avoient si bien servi le dévot Sethon. Celui-là étoit Pontife d’Apollon, mais de ces Pontifes indolens qui vivent voluptueusement d’un benefice qu’ils desservent fort mal. Sa négligence dans les sacrifices scandalisoit les peuples ; Apollon en fut irrité, & couvrit les champs de Crinis d’une prodigieuse quantité de Rats & de Souris. La punition de ses fautes lui en fit connoître l’énormité, il rentra en lui-même, & songea à détourner la colere de son Dieu par -83- sa pieté & son zéle à remplir les devoirs de son Ministére ; il réüssit : le Dieu naturellement bon lui fit entendre qu’il étoit satisfait de sa conduite, & qu’il lui rendoit ses bonnes graces ; mais ce n’étoit pas assez, il falloit délivrer Crinis des troupes qui vivoient à discretion sur ses terres, il l’obtint encore. On croira peut-être qu’Apollon n’eut besoin, pour les renvoyer, que d’une parole, ou d’un clin d’œil, enfin que du même signal qui les avoit ramassés : point du tout, engraissés aux dépens du Prêtre, ils firent les mutins, & ne jugerent pas à propos d’obéir.

[84] Noël le Comte, Diction. de la Fable.

Alors Apollon indigné de leur insolence, jura par le Styx qu’il les extermineroit tous ; mais connoissant à quels ennemis il avoit à faire, il se servit contr’eux des mêmes fléches, avec lesquelles il avoit terrassé le Géant Titius, le Serpent Pithon, & les fils de l’orgueilleuse Niobé. Il ne jura pas en vain, ils périrent tous jusqu’au dernier, mais avec honneur, sans penser seulement à fuir.

Cette victoire fut gravée au temple de mémoire, & justement chantée sur le double vallon par les chastes sœurs du Vainqueur. On croit même, & je n’en doute pas, que c’est depuis cette action qu’Apollon fut appellé -84- Smynthien du nom des Rats nommés Smynthés par les Œoliens, les Crétois, & les Troyens, comme il avoit reçu le surnom de Pythius, après avoir exterminé le Serpent Python.

Aussi les Peuples que je viens de citer sacrifioient à Apollon Smynthien lorsque les Rats désoloient leurs campagnes ; c’étoit le Champion du tems dans ces sortes de calamités publiques. En Créte surtout il étoit principalement fêté sous ce titre, il y avoit un Temple magnifique, où il étoit représenté tenant un Rat à la main droite.

Apollo Smyntheus

Ces deux Histoires, Monsieur, ne vous ont peut-être point plû, à cause des miracles sur lesquels elles sont fondées. En voici une plus moderne, & que l’on donne pour plus naturelle. [85]Il y a quelques trois cens quarante ou cinquante ans que les Rats & les Souris s’étoient si fort multipliés à Hamelen Ville du Duché de Lunebourg, que les habitans n’étoient plus maîtres dans leurs maisons ; ils se voyoient bientôt obligés de les abandonner, lorsqu’un Charlatan se présente aux Magistrats, & leur promet de les débarrasser -85- de ces ennemis domestiques moyennant une somme qu’il leur demande. Que ne lui auroit-on pas donné ? Les conventions faites, le Charlatan court par toutes les ruës, rassemble les Rats au bruit d’un tambour, & les emmene hors de la Ville, on ne sçait où. Après il revient triomphant demander la trop juste récompense de son service : mais il étoit déja oublié, les Magistrats lui manquerent de paroles, & refuserent de le payer. Piqué de leur mauvais procedé, il reprit son tambour, & les enfans attirés par sa réputation, & par le bruit, coururent aussi-tôt après lui, il sortit avec eux de la Ville, & n’y rentra jamais, non plus que les enfans qu’on chercha inutilement.

[85] Atlas Major. De Janson Tom. 1. dans la description de l’Allemagne.

La mémoire de ce jour malheureux se conserve encore à Hamelen, à pareil jour les portes de la Ville sont fermées, & il est défendu d’y battre la caisse. Cet homme étoit sans doute un grand enchanteur, mais sans le tambour magique, Hamelen seroit peut-être devenuë Ratopolis.

Vous voyez, Monsieur, que les Rats sont une nation très-belliqueuse, qu’ils sont capables des plus grandes choses, & aussi formidables malgré leur petitesse, que les -86- Lyons, les Tigres, les Léopards, & toutes les bêtes féroces qui désolent l’Afrique.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-87-

VI. LETTRE.

Bella, horrida bella !

Virg.

MONSIEUR,

L’endroit le plus brillant de l’histoire militaire des Rats, est la guerre qu’ils eurent autrefois avec les Grenouilles, guerre interessante & trop peu connuë hors des Colléges. Si l’on vante les Chats pour avoir fait le sujet de deux [86]dissertations Académiques, quel comble de gloire pour les Rats d’avoir été chantés sur la Lyre, sur la Trompette de l’inimitable, de l’incomparable Homere, sur cette même Trompette qui a célébré la colere implacable [87]d’Achille, la fortune de Priam, & les longs [88]voyages -88- du sage [89]Epoux de Pénélope !

[86] M. de Fontenelle a cherché en Physicien pourquoi les Chats tombent ordinairement sur leurs piéds, & M. Lemery a examiné leurs yeux & leur poil, qu’il appelle des phosphores naturels : sur quoi on a dit que les Chats étoient fort utiles dans les Académies, & cela peut être.

[87] Achille dans le fond n’étoit qu’un enfant gâté, un garçon mutin & volontaire, qui pour une petite grisette, nommée Briseïs, se sépare brutalement de l’armée des Confédérés.

[88] Depuis Itaque jusqu’à Tenedos, & de Tenedos aux côtes de Sicile & d’Afrique, toujours sur la Méditerranée.

[89] Le sage, le vertueux Ulysse toujours guidé dans ses desseins & voyages par Minerve, ne laissoit pas, malgré sa tendresse pour Penelope, d’en conter en passant à Circé, à Calipso, & tant d’autres.

Aussi heureux qu’Achille, & dignes comme lui de l’envie d’Alexandre [90]les Rats ont été les Héros d’Homere, quelle fortune pour eux ; surtout auprès des judicieux adorateurs de l’antiquité qui croyent le Poëte Grec sans défaut & ses héros parfaits ! [91]Aux yeux de Madame Dacier, les Rats ne dévoient point être de simples Rats, mais des Héros poëtiques. Qu’il me seroit facile de relever leur gloire par celle d’Homere, & de faire valoir en leur faveur la Batrakomiomachie ! Mais je me suis interdit l’éloge, & la sévérité de l’histoire me le défend.

[90] Atque is (Alexander) tamen cum in Sigeo ad Achillis tumulum adstitisset : O fortunate, inquit adolescens, qui tuæ virtutis Homerum præconem invenisti. Cic. pro Arch. n. 24.

Alexandre voyant le tombeau d’Achille, s’écria : Heureux Prince, vous devez votre gloire à Homere, je vous envie moins vos actions qu’un pareil historien pour immortaliser les miennes !

[91] Jamais on n’a aimé personne comme Madame Dacier faisoit Homere, elle n’a jamais pû lui voir le moindre défaut.

[92]Après tout, il n’est pas bien certain que ce Poëme soit l’ouvrage du Chantre -89- d’Ilion : des Ecrivains d’un grand mérite en ont douté, d’autres ont osé décider qu’il lui étoit faussement attribué aussi bien que les Hymnes, le Margite, & quelques petites pieces semblables qui portent son nom. Un Ecrivain [93]célébre fait honneur du combat des Rats & des Grenoüilles à Pigrès ou Tigrès d’Halicarnasse frere de l’illustre Artemise, & le nom de ce Carien se lit à la tête d’un ancien manuscrit[94].

[92] Lisez la Preface de M. Boivin sur la Batrakomiomachie dans les journaux de Trévoux. Mois de Janvier 1718.

[93] Suidas.

[94] De la Bibliotheque du Roi.

Observez encore après [95]un Critique éclairé, que la plus grande partie du Poëme consiste en Parodies de l’Iliade & de l’Odyssée, & que ces Parodies en font tout l’agrément : Remarquez qu’il s’y trouve beaucoup de vers foibles, négligés, & même vicieux, mais surtout une affectation marquée à jetter du ridicule sur les Dieux d’Homere & particulierement sur la redoutable Pallas qui se plaint comme une commere de ce que les Rats lui ont rongé quelques colifichets de femme, & qui est plus embarrassée que si elle avoit perdu son Ægide. Après ces observations qui ne sont -90- point à mépriser, Pigrès pourroit bien avoir fait la [96]Batrakomiomachie ; mais autre inconvenient : non seulement il feroit perdre aux Rats la gloire d’avoir été chantés par Homere, mais encore au divin Homere celle d’avoir inventé la Poësie burlesque ; ce qui seroit très-fâcheux, parce qu’on étoit bien aise de devoir à l’inventeur de la Poësie épique ce burlesque sublime qui donne de la noblesse aux plus petites choses, & de la gravité aux plus ridicules : car pour le bas burlesque dont on a masqué l’Iliade & l’Ænéide, c’est un genre miserable, justement méprisé aujourd’hui, & qui trouve à peine des admirateurs dans les antichambres.

[95] Heinsius.

[96] Ce mot composé signifie bataille des Rats & des Grenouilles.

Il faut convenir de bonne foi que les argumens des Critiques modernes sont pressans, mais d’un autre côté nous sommes depuis tant de siécles en possession de croire qu’Homere est Auteur du Poëme en question : Peut-on à présent revenir contre la prescription ? [97]Martial & [98]le Sculpteur -91- Archelaüs se seroient-ils trompés avec toute l’Antiquité ? Cela n’est pas croyable. Enfin il y va de l’interêt des Rats que cet Ouvrage soit du Poëte Grec ; donc il doit être de lui, c’est, ce me semble, assez bien conclure, au moins pour ma cause.

[97]

Perlege Mæonio cantatas carmine Ranas,
Et frontem nugis solvere disce meis.

Martial.

[98] Dans le siécle dernier on a déterré près de Rome dans des anciens Jardins de l’Empereur Claude un bas relief representant un Homere, avec deux Rats, pour signifier qu’il étoit Auteur du combat des Rats. L’ouvrage est d’Archelaüs Sculpteur de Pryenne.

Mais cet avantage ne fait qu’augmenter mon embarras, plus ce Poëme sera d’Homere, & plus il me sera difficile de vous en parler d’une façon qui réponde à la reputation de son Auteur. L’Iliade de M. de la Motte m’effraye, & m’apprend qu’il y a dans les Ouvrages de ce Poëte divin des beautés à la Grecque qui s’évanoüissent dès qu’on veut les habiller à la Françoise, & que ses pensées sont des fleurs tendres qu’il ne faut toucher qu’avec beaucoup de délicatesse. Au reste, Monsieur, je ne vous ferai pas une traduction littérale de ce fameux combat des Rats[99], je ne vous en promets qu’une Analyse dans laquelle je me donnerai -92- même bien des libertés. Je commence.

[99] M. Boivin de l’Académie des Belles Lettres a traduit ce Poëme en vers, sa traduction a été bien reçuë ; & j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de mêler quelquefois ses vers avec ma prose.

Ratopolis Capitale des Rats, comme qui diroit Ratonville, & Batrakopolis Capitale des Grenoüilles, furent long-tems voisines sans rivalité, & florissantes sans jalousie : on assure même que depuis leur fondation, les deux Etats séparés par des bornes naturelles, avoient joüi sans interruption d’une tranquillité profonde jusqu’au regne du Roi Ratapon, & de l’Empereur Bouffard, époque malheureuse d’une guerre sanglante. Alors un coup imprévû du destin rompit une paix si constante, & les fautes des [100]Souverains précipiterent leurs sujets dans des malheurs affreux.

[100] Quidquid delirant Reges plectuntur Achivi. Hor. serm.

Psicarpax fils du Roi des Rats, trotoit un jour sur le bord des Marais de Batrachopolis : Bouffard Empereur des Grenoüilles l’apperçut, & le prit à sa taille avantageuse, & à son port majestueux pour un Monarque, ou tout au moins pour un Chevalier errant ; il lui adressa aussi-tôt la parole, lui offrit son amitié, lui demanda la sienne, & le pria de lui apprendre son nom. Psicarpax le satisfit avec cette noble fierté que peut seule donner une haute naissance, il venta le Roi Ratapon -93- son pere, la Reine Trotine sa mere, & son ayeul Lampon. Il ne craignit pas même de dire qu’il étoit redouté dans tout l’Univers, qu’il étoit connu des Dieux, des hommes, des oiseaux. Ce Prince croyoit sans doute, que la modestie n’est qu’une vertu populaire ; d’ailleurs il exageroit visiblement, trompé peut-être par les flatteries de ses Courtisans ou par les fausses idées qu’il s’étoit faites de l’activité de la Renommée.

Les hommes se trompent tous les jours comme lui sur cet article ; la Renommée, avec toutes les aîles qu’on lui donne, ne fait souvent que planer sur les mêmes lieux, souvent il ne sort de ses cent bouches, au lieu de voix tonnantes, que des murmures, des bruits sourds, qui pour se repeter mille fois dans le même endroit, ne percent pas un certain nombre de méridiens. Cependant la passion qu’ont les hommes de se faire un nom, est une folie très-utile à la societé, & contre laquelle les gens sages ne déclameront jamais.

Revenons à notre Rat, il avoit d’autres biens que la gloire, & peut-être de plus solides : il ne les oublia pas, il parla de ses richesses avec emphase, & de la délicatesse de sa table avec un air de satisfaction que -94- Bouffard remarqua : il en sourit, persuadé à son tour que la table de l’Empereur des Grenoüilles valloit mieux que celle du Roi Ratapon, & dit au Prince que s’il faisoit consister son honneur à bien manger, il trouveroit tout ce qu’il pourroit désirer à la Cour des Grenoüilles, en même-tems il le presse d’y passer.

Passons ce Lac, dit-il, mon dos vous servira de barque,
Bien-tôt avec plaisir vous verrez mon Palais :
Mais de peur de tomber au milieu des marais,
Prince, tenez-vous bien. Cela dit, il s’avance.

Psicarpax curieux de voir le Palais de Bouffard, & plus encore d’y faire bonne chere, se rend sans balancer aux instances du Monarque aquatique, il oublie que sa Grandeur devroit l’attacher au rivage, & s’embarque hardiment sur un Element dont il ne considere pas le danger.

Psicarpax sur son dos légerement s’élance,
L’accolle, & de ses bras le serre étroitement :
D’abord le cœur flatté d’un doux ravissement,
Il voguoit près des bords sans crainte du naufrage :
Mais si-tôt qu’il se vit éloigné du rivage,
Et que les flots troublés lui gagnerent le dos,
Il fut troublé comme eux, & n’eut plus de repos.

-95- Son trouble étoit juste sans doute, mais qu’alloit-il chercher dans cette galere ? Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’en tremblant il tâchoit de faire bonne contenance, & n’osoit dire à Bouffard ce qu’il souffroit. Cependant la crainte, passion toujours dévote, lui arracha des vœux : c’étoit bien convenir qu’il n’avoit plus d’autre ressource.

O toi, s’écria-t-il, fardeau d’amour, merveille si vantée !
Sur le dos d’un taureau jusqu’en Créte portée.
Europe, étoit-ce ainsi que tu passas les flots ?

Il alloit ensuite s’adresser à Jupiter qu’il interessoit si adroitement à son péril, en lui rappellant ses amours : mais un spectacle terrible lui glaça les sens, & lui ôta la voix ! C’étoit un Serpent énorme (au moins il parut tel) qui leva la tête sur la surface des eaux. Fatale rencontre ! L’Empereur à la vûë de cet ennemi mortel disparut à l’instant, & s’enfonça bien avant dans le limon. Que devint le Prince abandonné à la merci des flots ? Il nage, il s’enfonce, il reparoît, il boit l’onde bourbeuse, il va périr, & il l’auroit fait plutôt [101]s’il n’avoit dû nécessairement -96- prononcer le discours qui suit :

[101] Les anciens étoient de grands harangueurs : les Heros d’Homere haranguoient avant que de se battre, en se battant, après s’être battus, & jusqu’à la mort exclusivement.

Cruel ! n’espere pas cacher ton crime aux Dieux ;
Un œil, un œil vengeur voit tout du haut des Cieux :
Pernicieux écüeil d’où provient mon naufrage,
Tu n’aurois pas sur terre eû le même avantage ;
J’aurois sçû mieux que toi sauter, luter, courir :
Tu m’as traîné dans l’eau pour me faire mourir ;
Mais je serai vangé, les Rats sçauront ton crime,
Et toi-même dans peu tu seras ma victime.
Un flot injurieux tranchant là son discours,
Il lui tranche aussi la vie au plus beau de ses jours.

Je ne sçai si les imprécations de Psicarpax étoient fort justes ; vouloit-il que Bouffard laissât manger sa Majesté Imperiale par le Serpent ? Remarquez aussi que le Prince Rat pensoit de lui ce que nous pensons de nous ; il se croyoit fort considerable aux yeux des immortels, il s’imaginoit que les intérêts de sa petite altesse étoient ceux du Ciel, & que la foudre étoit faite pour le venger ; quelle vanité ! Il implora en vain les Dieux vengeurs de l’hospitalité violée, [102]ils sont ordinairement du côté de la Prudence & il avoit négligé cette Divinité.

[102] Nullum numen abest si sit prudentia.

-97- Cependant les Rats apprirent bien-tôt sa triste destinée, comme il l’avoir prédit. Son Ecuyer qui du rivage en avoit été témoin, courut à Ratopolis annoncer ce malheur, & répandit par tout la fureur & la consternation.

Au point du jour naissant la clameur des Héros,
Assemble chez le Roi les Etats Généraux ;
On sonne le tocsin par toute la Province,
On fait sçavoir par tout que haut & puissant Prince,
Psicarpax froid, sans vie étendu sur le dos,
Erre loin du rivage à la merci des flots.

Le Roi Ratapon pleure d’abord, devant les Etats, la perte de son cher fils, unique, & vain appui de son Trône : ensuite il leur fait entendre adroitement que son malheur domestique interesse tous ses fidéles Sujets, & qu’ils doivent servir sa vengeance : Psicarpax, leur dit-il, a péri d’une façon indigne.

Séduit par les discours d’un perfide étranger :
Mais çà, mes cher amis, songeons à nous venger ;
Il faut verser du sang, ne versons plus de larmes,
Armons-nous. Aussi-tôt chacun courut aux armes,
Il ne fut pas besoin de les mieux animer,
Le Démon des combats prit soin de les armer.

-98- En même-tems un Hérault est envoyé à Batrakopolis.

Il tient en main un Sceptre, & déclarant la guerre,
Il prononce ces mots d’une voix de tonnerre :
De la part des Etats & du Roi Ratapon ;
Je déclare la guerre aux hôtes du limon.
Grenoüilles, votre Prince a fait périr le nôtre,
On les a vû tantôt sur les flots l’un & l’autre :
Armez-vous, & quiconque a du cœur parmi vous
Qu’il le fasse paroître aujourd’hui contre nous.

Cette déclaration jetta l’allarme dans l’empire des marais, & l’on murmura tout bas contre l’Empereur ; il sentit bien la nécessité où il étoit de se justifier : mais dédaignant la voix des manifestes dans lesquels la vérité même est souvent suspecte, il protesta hautement dans l’assemblée des Etats, non seulement d’innocence, mais encore d’ignorance sur le crime qu’on lui imputoit. Cette courte justification soutenuë de l’assurance qu’il donna aux Grenoüilles de battre les Rats, produisit un effet surprenant ; elles reprennent aussi-tôt courage, déja elles méprisent l’ennemi, & ne demandent qu’à en venir aux mains.

Voilà donc, Monsieur, la guerre commencée, -99- & l’orage prêt à créver. Qu’il va couler de sang ! Quel carnage va se faire sur la terre, & sur l’onde ! Et pourquoi, me direz-vous ? Pour la mort d’un miserable petit Rat. Mais la guerre de Troye eut-elle un sujet plus grave ? Achille, Ajax, Ulysse, Dioméde, Nestor, & tous les Princes Grecs eurent bien la patience de se morfondre dix ans devant les murs de Troye pour venger l’injure de Menelas, comme si l’honneur de toute la Grece eût été attaché au front de ce bon Prince. Qu’avoient fait Priam, & les Troyens à ces redresseurs de torts, comme le sçut bien dire Achille lorsqu’il boudoit pour avoir Briseïs ? & que leur importoit que la belle Heleine fût entre les bras de Pâris, ou du fils d’Atrée ? étoient-ils sages d’abandonner leurs Etats, & leurs femmes pour faire rendre celle de Menelas ? Ils meritoient le même malheur que lui. Le prudent Ulysse l’échappa belle, jugez du sort des autres qui n’avoient pas des Pénélopes comme le Roi d’Itaque.

Ne pourrois-je pas citer des guerres de Ministres, & des guerres de Religion entreprises sur des motifs aussi légers ? J’ai lu -100- [103]quelque part que les Arabes ont autrefois donné des batailles pour décider plus absolument que dans les écoles, si les attributs de Dieu étoient distingués réellement ou virtuellement.

[103] Herbelot, Bibl. Orient.

Les postures indécentes d’un soldat Romain, qui, des galeries du Temple de Jerusalem scandalisa les Juifs un jour de Pâques, furent cause d’une grande sédition ; ensuite de la guerre de Vespasien, enfin de la destruction de la Ville, & de toute la Nation : & la plûpart des Conquérans, à compter depuis Alexandre jusqu’à Charles XII. Roi de Suéde, avoient-ils d’autres motifs de répandre tant de sang, que l’amour de la gloire ? Et ce beau nom signifie tout ce que l’on veut.

Mais le Roi Ratapon & tous ses Sujets étoient trop offensés dans la personne du Prince Psicarpax, pour laisser sa mort impunie : aussi les Dieux qui s’étoient autrefois partagés entre les Grecs & les Troyens, ne jugerent pas la querelle des Rats & des Grenoüilles indifferente pour l’Olympe.

Jupiter assemble les Dieux, & leur fait considerer dans les deux armées ces guerriers intrépides.

Qui la pique à la main marchent avec audace,
-101- Tel que Mars au milieu des campagnes de Thrace,
Tels qu’on vit autrefois ces Titans orgueilleux,
Tels qu’on vit d’Ixion les enfans sourcilleux.

Il demande ensuite à la troupe céleste, qui d’entr’eux prend part à cette grande journée.

Puis soudain s’adressant à la fiere Pallas,
Ma fille, c’est à toi de défendre les Rats,
Ils assistent, dit-il, à tous tes sacrifices,
A l’odeur de tes mets ils trouvent des délices,
Ils fréquentent enfin ton Temple & tes Autels.

C’étoit justement ce dont se plaignoit la Déesse. Elle répondit à son pere, que les Rats étoient une race sacrilége qui ne fréquentoit ses Temples que pour ronger ses couronnes, dévorer ses sacrifices, & boire l’huile de ses lampes : mais elle exagera sur tout l’attentat qu’ils avoient commis sur une [104]coëffure ou un voile, enfin quelqu’ornement, qu’elle avoit travaillé de sa propre -102- main ; & pour surcroît de chagrin, ajoûta-t-elle, un miserable Ouvrier à qui je l’ai donné à racommoder m’importune tous les jours pour son payement, & je n’ai pas de quoi le satisfaire.

[104] Depuis Pallas jusqu’à nous, il est arrivé dans les toilettes de si grandes révolutions, qu’on ne sait quel nom donner à cet ornement de Pallas : il sera tout ce qu’on voudra, excepté un panier, qui, ce me semble, siéroit mal à une Déesse de son caractere.

Après cela la pauvre Déesse de la Sagesse devoit-elle protéger les Rats ? Cependant elle protesta qu’elle ne favoriseroit point leurs ennemis contre lesquels elle avoit aussi des griefs ; car un jour qu’elle s’étoit couchée sur le bord d’un marais, fatiguée d’une grande bataille, les croassemens des Grenoüilles ne lui permirent pas de fermer l’œil : Or une prude n’oublie pas un trait semblable.

Elle conclut donc qu’il falloit les laisser battre, & conseilla aux Dieux de ne point se mêler des affaires de ces peuples féroces : Oüi, dit-elle :

Leur audace est extrême,
Ils oseroient de près attaquer un Dieu même,
Evitons de leurs dards les coups audacieux,
Et voyons leurs combats sans descendre des Cieux.

Les immortels qui se souvenoient encore des blessures qu’avoient reçûës Mars & Vénus dans les plaines de Phrigie, applaudirent aux sages discours de Pallas, & s’assirent -103- autour du Trône de Jupiter pour regarder impunément l’action.

S’ils firent sagement pour leur sûreté, ils firent fort bien aussi de laisser tous les événemens à la valeur des combattans. S’ils étoient ainsi demeurés neûtres à Troye, les Héros qui s’y signalerent auroient encore été bien plus grands : Qu’est-ce que c’étoit que le vaillant Achille qui ne pouvoit se faire blesser qu’au talon, tandis que ses armes trempées dans le Styx portoient la mort & l’horreur par tout ? Ulysse & les autres Héros assistés d’une divinité qui étoit sage ou brave pour eux, n’avoient qu’un héroïsme emprunté.

Cependant les deux armées sont en présence ; des troupes bruyantes de moucherons sonnent la charge, & Jupiter les seconde de son tonnerre. Les Grenoüilles avoient placé une partie de leurs troupes sur un Tertre glissant, afin de combattre avec avantage les Rats qui viendroient les y attaquer, & leur corps de bataille formé dans les joncs au milieu d’un marais presque desseiché, étoit appuyé d’un côté contre de grandes flaques d’eau, & couvert par tout par des rivages escarpés à la reserve de quelques intervales applanis, mais étroits.

-104- Les Rats qui virent bien que le terrain ne leur permettoit pas de s’étendre sur un grand front, & de faire marcher ensemble toutes leurs troupes, prirent le parti de les diviser en plusieurs corps, pour attaquer en même-tems par differens endroits. Un détachement d’Archers alla se poster sur une hauteur qui commandoit le Tertre sur lequel les Grenoüilles s’étoient logées, & de là, faisoit pleuvoir sur-elles une grêle de fléches, tandis qu’un second corps de Rats les prenoit en flanc, & que d’autres se répandoient dans le marais, favorisés par des bataillons d’Archers qui bordoient les rivages escarpés, d’où ils tiroient sans cesse.

Ainsi l’affaire s’engagea par tout où les Rats purent trouver des débouchés : bien plus ils jetterent des barques sur ces flaques d’eau dont les Grenoüilles se croyoient si bien épaulées, & les remplirent de Grenadiers qui se trouverent sur l’ennemi avant qu’il s’en fût seulement douté.

Cependant des batteaux ne se rassemblent pas en un moment, & un passage de troupes comme celui-là ne peut gueres se faire à la vûë des ennemis sans qu’on en ait des nouvelles. Avec un peu plus de vigilance, & des espions bien payés, les Généraux n’auroient -105- pas fait un coup de tête semblable ; aussi je suis persuadé que dans le tems on ne manqua pas de les blâmer, & de croasser justement des Vaudevilles sur leur compte. Ce qu’il y a de sûr, c’est que cette faute coûta cher aux Grenoüilles, & gâta absolument leurs affaires.

Obligées de faire face de toutes parts à des milliers de Rats qui leur tomboient sur les bras, elles formerent un bataillon quarré, & se battirent vigoureusement : la mêlée fut horrible, & la fureur égale de part & d’autre : un Héros abattu étoit à l’instant vengé par la mort de son vainqueur. La terre fumoit de sang, les eaux en étoient teintes, & l’action sembloit ne devoir finir que par la défaite entiere des deux armées.

Mais enfin les Grenoüilles ne purent soutenir les efforts des Rats, le Roi Ratapon blessa mortellement l’Empereur Bouffard : ce malheur ébranla ses troupes, & le Prince Méridarpax acheva de les mettre en déroute ; ce redoutable Rat fit des prodiges de force & de valeur, il renversoit lui seul des bataillons entiers : plus grand qu’Achille parce qu’il n’étoit pas invulnérable comme lui, déja sans le secours de Mars ni de Pallas, il faisoit pancher la victoire du côté des -106- Rats, si Jupiter fût demeuré neûtre : mais il lui fut impossible, soit sentiment de compassion, soit désir de donner des preuves de sa toute-puissance, soit enfin qu’il craignît la destruction entiére de l’espece des Grenoüilles, il en eut pitié. C’en est trop, dit-il, la fureur de Méridarpax offense le Ciel, il faut que Mars ou Pallas descendent là-bas pour arrêter la rage de ce téméraire.

Mon pere, répond Mars, nos efforts seroient vains,
En vain Pallas & moi nous armerions nos mains
Pour arrêter des Rats la vaillance funeste :
A peine il suffira de la troupe céleste.
Descendons tous ensemble, ou bien lancez sur eux
Cet effroyable dard, ce dard impétueux,
Qui dompta les Titans ces illustres rebelles,
Qui fit choir Encelade & ses hautes échelles,
Et Typhon, & Mimas, & ces grands criminels,
Dont l’orgueil déclara la guerre aux immortels.

La chose étoit sérieuse ; & le pere des Dieux ne pouvant se faire obéïr par ses enfans, fut obligé de suivre leur conseil.

Jupiter prend en main son tonnerre,
Qui, d’abord en grondant épouvante la terre,
L’Olympe est ébranlé jusqu’à ses fondemens,
Puis il lance la foudre & ses traits consumans
-107- Qui portent à son gré des coups inévitables,
. . . . . . . . . . . . . . .
En cet affreux moment tout tremble dans le monde,
Tout tremble, Rats sur terre, & Grenoüilles dans l’Onde :
Mais bien-tôt condamnant une telle frayeur
Le peuple Souriquois rappelle sa vigueur,
Ne donne aucune trêve aux Grenoüilles timides,
Et du sang ennemi teint les plaines humides.

Quelle douleur pour le grand Jupiter de voir périr ses Grenoüilles, & quel affront de voir des Rats braver son tonnerre qu’il faisoit respecter aux hommes mêmes ! Il auroit peut-être volontiers abandonné les peuples des Marais à leur destinée, s’il l’avoit pû faire avec honneur, mais il s’étoit trop avancé pour réculer.

[105]Tenter est d’un mortel, réussir est d’un Dieu.

[105] Trag. de Childeric.

Engagé de soutenir la justesse sentencieuse de ce vers heureux, il envoya aux Grenoüilles des troupes auxiliaires qui firent ce qu’il n’avoit pû faire du haut de l’Olympe : c’étoient des Ecrevices. Ces monstres plus redoutables que le tonnerre couverts d’écailles, -108- armés de tenailles tranchantes, étonnerent d’abord les Rats par leur figure effroyable : cependant ceux-ci firent ferme, mais dès qu’ils se sentirent tenaillés & déchirés par ces nouveaux ennemis contre lesquels le courage & la valeur leur devenoient inutiles, ils battirent la retraite, ils la firent en assez bon ordre, quoi qu’à dire vrai, avec un peu de précipitation.

Cependant cette retraite qui ne fut point une déroute leur fit autant d’honneur que leur en auroit fait la victoire. S’ils céderent le champ de bataille, ils le laisserent jonché de leurs ennemis ; leur perte à proportion ne fut pas considerable, & il leur resta la gloire solide d’avoir combattu non seulement contre des ennemis puissans, mais encore contre un élement étranger, & les Dieux mêmes.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-109-

VII. LETTRE.

Agmen subjectis spargere in arvis,
Crescere quod subito majus majusque videtur.

Ovid.

Je vous annonce, Monsieur, des choses toutes merveilleuses sur l’origine, l’ancienneté, & la multiplication des Rats. Noé, si vous voulez en croire des [106]Docteurs Arabes, fut le reparateur de l’espece des Rats, comme Deucalion, selon les Poëtes, l’a été du genre humain, & d’une façon aussi simple : Noé donna un soufflet au Cochon, qui éternua sur le champ un Rat ; ce Rat étoit femelle apparemment, & de plus femelle feconde par elle-même, car dans peu l’Arche fut remplie de semblables animaux qui alloient rongeant jour & nuit, & menoient grand train les provisions du Patriarche & de ses enfans. Il se repentit bien-tôt d’avoir augmenté sa Ménagerie d’une bête si incommode, & résolut de réparer sa faute. Pour cela il n’eut besoin que de ses -110- soufflets miraculeux ; le Lion souffleté éternua & lui donna un Chat armé de pied en cappe. Aussi-tôt ce nouvel animal courut à sa destination, & commença contre les Rats cette horrible guerre que sa posterité a toujours poussée avec tant de chaleur.

[106] Murtady Auteur Arabe (traduit en François par M. Vattier) des merveilles de l’Egypte. Lisez encore les Lettres Persanes.

Vous saurez encore, Monsieur, que le Cochon avoit été éternué par l’Eléphant, pour débarrasser l’Arche de toutes les choses inutiles & désagréables à l’odorat.

Sur ces deux traditions orientales, je fais deux réflexions : La premiere, que le Rat est plus ancien que le Chat ; & vous sentez parfaitement combien je pourrois exagerer cet avantage. La seconde, que le Rat peut rapporter son origine à l’Elephant, puisque par le Cochon il en descend en ligne droite. Le plus petit des quadrupedes, vient donc du plus gros animal qui soit dans la nature, & sans doute cela est admirable. C’est ainsi, ajouteroit un moraliste, que nous ne ressemblons pas toûjours à nos peres, & qu’on est souvent fort petit, quoique descendu de très-grands personnages. Pour cette moralité seule, les idées de mes Auteurs meritent peut-être quelque consideration ; cependant si on me contestoit leur autorité, j’avouë que l’on m’embarrasseroit fort.

-111- La génération des Rats est plus misterieuse encore que leur origine ; les Naturalistes l’ont toûjours regardée comme un grand problême, & l’ont expliquée par des prodiges surprenans. Il est vrai que les histoires sont pleines de faits particuliers & d’exemples qui se renouvellent tous les jours dont il paroît d’abord difficile de rendre compte en n’accordant aux Rats que les principes de fécondité communs à tous les animaux à quatre pieds.

Nous avons vû qu’ils étoient en possession autrefois de désoler les campagnes des Troyens & des Œoliens ; ainsi je crois facilement, après Ælien, qu’ils se sont trouvés une fois en assez grand nombre pour couper en herbe tous les bleds de ces peuples ; je crois même que cela leur arrivoit souvent[107]. Auprès de Calene ils moissonnerent en une nuit un champ fort vaste ; & dans un [108]autre endroit de l’Italie, ils mangerent en peu de tems jusqu’aux fourrages ; [109]en Allemagne ils ravagerent, une année, les bleds si furieusement qu’ils y causerent une -112- chereté de vivres ; [110]dans la Palestine il y a des cantons entierement abandonnés aux Rats, & d’autres où il seroit inutile de rien semer, si certains oiseaux de proye n’en devoroient sans cesse une infinité ; [111]on assure même que les Rats ont apporté quelque fois la peste dans des pays par leur multitude, & c’est pour cette raison que les [112]Romains, faisant la Guerre en Espagne, envoyoient bien loin des détachemens pour donner la chasse aux Rats, qui, outre la peste, auroient bien pû encore leur apporter plus sûrement la famine. Ces exemples en effet, prouvent presque de nouvelles créations de Rats.

[107] Niphus apud Aldovrandum lib. 2. p. 437.

[108] Baronius Annal. Tom. 13.

[109] Hist. Allem. part. 2, Aldov. p. 437.

[110] Aldovrandus ibidem.

[111] Strabon Liv. 3.

[112] Idem ibid.

Ils ne respectent gueres plus la France que les pays étrangers ; quelquefois des Provinces en sont inondées de façon, qu’on moissonne fort peu après eux ; la terre n’est couverte que de trous qui se communiquent, & d’où l’on voit incessamment passer des Rats ; ce sont des choses qu’on ne voit que trop souvent : cependant trois mois avant la récolte il eût peut-être été difficile de trouver -113- deux Rats dans deux lieux de terrain.

Or l’on ne peut pas imaginer d’abord que quelques Rats dispersés dans un pays, puissent, dans un Eté, l’inonder de leur race ; ainsi on a formé differens sistêmes pour expliquer ce phénomene.

Le plus simple étoit peut-être de soupçonner, 1o. que les Rats ont pendant l’hiver des retraites qu’on ne connoît pas, & d’où ils sortent au printems en plus grand nombre qu’on ne pense ; 2o. que la premiere portée que font les anciens est bien-tôt en état d’en faire une seconde, cette seconde une troisiéme, la troisiéme une quatriéme, (comme cela est en effet) & peut-être au-delà. Ensuite on pourroit calculer à peu près le produit d’un nombre supposé, & je crois qu’alors on ne seroit pas si étonné de voir tant de Rats.

Mais on a trouvé qu’il étoit plus court d’imaginer confusément que les Rats sortent de la terre, sans s’embarrasser de quelle façon ; ou bien de croire purement & simplement qu’elle les produit par une vertu générative, selon le beau principe de l’ancienne Philosophie, que la corruption d’une chose -114- est la génération d’une autre ; ou conformément aux idées des Epicuriens, persuadés que la Terre détrempée & échauffée par le Soleil, avoit produit par sa propre force les animaux qui l’habitent, & l’homme même. Il n’y a presque personne qui ne soit du sentiment des Epicuriens à l’égard des insectes, ausquels on ne donne d’autre principe de leur existence que la corruption ; mais on prétend démontrer la thèse à l’égard des Rats. [113]On assure que le Nil étant retiré, on voit dans les endroits où il a laissé son limon, des milliers de Rats à moitié formés : une partie en est déjà animée, & l’autre, qui n’est encore que bouë, prête à recevoir l’organization. Ainsi l’on pourroit voir sensiblement cette merveilleuse opération : mais un miracle de cette nature seroit de trop grande conséquence dans toute la Physique, pour le croire sur le témoignage de Pline.

[113] Ælien. Pline.

[114]Il n’est pas plus aisé de se persuader qu’il pleut des Rats en Thébaïde, ni [115]qu’il se soit trouvé des femelles de Rats qui -115- portoient dans leur ventre d’autres femelles pleines ; & il faut sans doute avoir pour Aristote toute la foi qu’on avoit jadis pour ses idées dans les Colleges, pour croire sur sa parole, qu’une femelle sans mâle enfermée dans un boisseau de millet y fit cent vingt petits, & qu’en général elles peuvent toutes concevoir sans mâles en lêchant du sel, comme on a écrit des Jumens d’Espagne, qu’elles conçoivent en tournant la croupe au vent du midi.

[114] Ælien.

[115] Idem.

Il est vrai que ces prodiges une fois averés, la fecondité des Rats n’a plus rien d’inconcevable, je ne les refuterai point, je serois même le premier à les croire si je les voyois.

Le peuple a aussi formé ses sistêmes sur la multiplication des Rats, comme les Naturalistes ; & vous jugez bien, Monsieur, qu’il a encore moins oublié le merveilleux. Accoûtumé à ne considerer les choses que par rapport à l’interêt qu’il en retire, ou à l’incommodité qu’il en reçoit, il admet confusément deux principes, Dieu, & les Démons ; il rapporte le bien à Dieu, & rejette le mal sur les esprits malins : Voilà toute la physique des génies foibles & superstitieux.

-116- Ainsi dans les années où il y a beaucoup de Rats, ils en accusent les Sorciers, & les Magiciens, c’est-à-dire, des hommes imaginaires à qui ils donnent ces noms. C’est sans doute s’y prendre à merveille, pour ne jamais rien voir dans les opérations de la Nature.

Consequemment au même préjugé, des gens plus sots encore que les Paysans, parce qu’ils sont plus éclairés, ont proposé de chasser les Rats des Jardins & des champs par la Magie. [116]Ces Docteurs ont composé un Talisman, qu’ils disent très-efficace, le voici : Sur un papier qu’on attache à un bâton dans le champ d’où on veut chasser les Rats, on écrit ces mots redoutables : Adjuro vos omnes Mures qui hic consistitis ne mihi inferatis injuriam : assigno vobis hunc agrum, in quo si vos posthac deprehendero, matrem Deorum testor, singulos vestrum in septem frusta discerpam.

[116] Apud Aldovr. p. 438.

« Je vous conjure tous, méchans Rats qui êtes ici, de ne me faire aucun tort ; je vous défens ce champ, & si après ma défense je vous y retrouve jamais, j’atteste la mere des Dieux, que je vous couperai -117- chacun en sept morceaux. »

Vraisemblablement cette conjuration ne vaudroit rien en François ; peut-être aussi les Rats accoûtumés à ne pas fort respecter le Latin, pourroient bien la dévorer même en cette langue.

C’est, sans doute, par condescendance pour les idées du Peuple, que le Clergé, dans certains siécles nébuleux a laissé introduire la coutume d’excommunier les Rats, cérémonie au moins inutile. On l’observoit sur tout fort exactement en Bourgogne dans les Villes d’Autun, de Baune, & de Mâcon : la chose se traitoit dans les régles, elle passoit d’abord par devant les Juges civils ; deux Avocats plaidoient l’un pour, & l’autre contre les Rats, ensuite, sur la Sentence des Juges seculiers, ceux d’Eglise faisoient droit.

Monsieur de Chassaneuz, qui est mort premier Président du Parlement de Provence, ce Jurisconsulte connu par ses Commentaires sur la Coûtume de Bourgogne, & par d’autres Ouvrages, [117]ne crut pas les Rats indignes de son éloquence & de son érudition.

[117] Les Jurisconsultes Romains avoient aussi eu égard aux Rats dans leurs loix, témoin celle-ci. Si fullo vestimenta polienda acceperit, eaque mures roserint, ex locato tenetur quia debuit ab hac re cavere. L. Item quæritur §. si fullo ff. de loc. & cond.

Au commencement du quinziéme siécle -118- les Rats accusés, & convaincus d’avoir fait beaucoup de dégats aux environs d’Autun, furent excommuniés par l’Evêque ; Monsieur de Chassaneuz, qui étoit alors Avocat du Roy dans cette Ville, prit leur défense & fit en leur faveur un fort beau plaidoyer, au moins autant qu’on peut le présumer ; car malheureusement il n’est point dans ses Ouvrages, & je l’ai cherché inutilement ailleurs ; ceux qui pourroient en recouvrer un Manuscrit, feroient un présent bien précieux à la République des Lettres.

Monsieur le Président de Thou en parle comme d’une piece qui a subsisté, mais qu’il n’a pas vûë, & semble ne la citer qu’après Chassaneuz lui-même, qui en parle dans son Traité de la Coûtume de Bourgogne.

Comme on l’a perduë, les historiens en ont raisonné selon qu’il leur a plû. [118]Ils disent « que… Monsieur de Chassaneuz… étant à Autun dans un tems que quelques Villages de l’Auxois demandoient qu’il plût aux Juges d’Eglise d’excommunier -119- les Rats qui désoloient le pays, il avoit pris la défense de ces animaux, & remontré que le terme qui leur avoit été donné pour comparoître étoit trop court, d’autant plus qu’il y avoit pour eux du danger à se mettre en chemin, tous les Chats des Villages voisins étant aux aguets pour les arrêter en passant : sur quoi, Chassaneuz avoit obtenu qu’ils seroient cités de nouveau, avec un plus long délai pour y répondre. »

[118] Le P. Niceron Tom. 3. pour servir à l’Histoire des Hommes illustres, p. 376.

Dans des tems où l’on citoit gravement le Diable en Justice, on pouvoit bien y citer des Rats, qui, sans doute, étoient nécessairement condamnés par défaut : cependant on ne peut croire qu’un homme de bon sens, comme l’étoit M. Chassaneuz, ait allegué les motifs de défense que je viens de citer.

Quoiqu’il en soit, il est certain par ses propres Ouvrages, qu’il a deffendu la cause des Rats, & qu’il a décidé qu’on avoit droit de les excommunier, aussi-bien que les Mouches, les Chenilles, les Sauterelles & autres insectes, contre lesquels on pratiquoit alors les mêmes cérémonies ; il y a même des Villages en Bourgogne où les Paysans obligent encore leurs Curés de les renouveller.

-120- Un moyen physique de détruire les Rats des champs & des maisons, mais plus efficace que les Talismans & les excommunications, seroit sans contredit une découverte très-utile, & digne des recherches des plus grands Physiciens ; au reste, il y a une certaine proportion entre leur multiplication & leur destruction, établie par la nature même, qui a dû pourvoir aux inconveniens qui résulteroient, si les especes des animaux se multiplioient à l’infini ; de sorte qu’elles se conservent toutes à peu près dans la même quantité.

Ainsi la chaleur, les grains, la fécondité naturelle des Rats, en remplissent un pays pendant l’été ; mais bien-tôt les pluyes, les gelées, la faim, les eaux en font perir une partie ; les oiseaux de proye en détruisent beaucoup, & la mort naturelle en emporte encore d’avantage ; car ils ne vivent pas long-tems, c’est pourquoi dans Horace [119]un Rat Epicurien fait souvenir son compagnon que sa vie est fort courte, & l’exhorte, selon la morale d’Epicure, à la faire bonne.

[119] Vive memor quàm sis ævi brevis. Hor. Serm.

Il ne reste donc de Rats après l’hiver qu’à peu près autant qu’il en faut pour repeupler un pays, ce qui est dans l’ordre de la Nature, -121- quoique contraire à nos interêts : & si l’on en voit tantôt plus, tantôt moins, cette difference vient de l’irrégularité de differentes causes.

Il faut ajoûter aux principes de leur destruction, les guerres qu’ils se font ; car ils se mangent lorsqu’ils sont affamés. Sans cette barbarie, plus commune encore aux Rats domestiques, qu’à ceux des champs, nous en serions bien autrement incommodés, malgré l’Arsenic, les piéges & les Souricieres ; mais heureusement pour nous, semblables aux Romains qui, invincibles à toutes les nations étrangeres, ne purent se détruire que par eux-mêmes, les Rats se dévorent les uns les autres, & il en perit plus dans leurs guerres civiles, qu’entre les griffes des Chats. C’est peut-être exagerer, je sçai l’antipathie qui régne entre ces deux especes ; cependant, puisque l’occasion s’en présente, je vais vous rapporter un fait qui prouve que cette haine n’est pas absolument inflexible. Après cet exemple, on ne doit pas désesperer de la réconciliation des J… & des M…

[120]On a vû, ô forza d’Amor ! un gros Rat -122- & une Chate s’aimer passionnément, & raprocher des especes entre lesquelles la figure & l’antipathie sembloient mettre une barriere éternelle. De cet amour bisarre il sortit une race mixte ; ce n’étoient ni des Rats, ni des Chats, leur condition étoit incertaine, & cette incertitude devoit produire des effets fort surprenans. Les deux especes dont ils participoient, voyoient également leurs ennemis dans cette race équivoque ; les uns les poursuivoient tandis que les autres en avoient peur ; de leur côté, comme Rats, ils devoient craindre un Chat, & comme Chats l’aimer ; de même qu’en qualité de Chats ils devoient se jetter sur un Rat, & l’aimer comme Rats. Quelle nature ! quel conflit d’inclinations ! Ils se défendirent autant qu’il leur fut possible contre les Chats ; mais enfin ceux-ci leur livrerent tant de combats, & toujours avec des forces si superieures qu’ils les exterminerent. On ajoûte que leur mere fut cruellement persecutée par les Matoux, indignés qu’elle leur eût preferé un Rat ; mais que constante à sa passion, bien loin d’en avoir honte, elle n’abandonna jamais son amant, & le défendit même en toutes occasions contre ses rivaux qui avoient juré sa perte.

[120] Rep. des Lettres, Mars 1718.

Il me semble que ce trait auroit bien relevé -123- la fidelité des Chates, & justifié seul la chaste Diane, d’avoir pris la forme d’une de ces femelles.

Au reste, Monsieur, je ne vous apprendrai pas d’autres anecdotes sur les amours des Rats ; il n’y a point chez eux de tendres Héloïses ni d’infortunés Abailards désunis de leur être ; la galanterie se traite chez eux sans éclat, & leurs trous paisibles ne ressemblent point aux bruyans théatres des goutieres où leurs ennemis miaulent avec tant de pompe leurs peines & leurs plaisirs.

J’ai l’honneur d’être, &c.

-124-

VIII. LETTRE.

Si nocent, prosunt.

Sur les Pieces que je viens de produire contre les Rats, le Peuple a-t-il tort, Monsieur, de les prendre au criminel, ne doit-il pas les détester comme la peste des maisons & des campagnes, & les regarder consequemment par un retour sur la Divinité comme un fleau du Ciel ? L’Ecriture même autorise cette opinion par un exemple qu’on ne doit pas mettre dans l’ordre des effets naturels : C’est la plaïe dont les Philistins furent frappés après qu’ils eurent pris l’Arche-d’Alliance sur les Juifs, [121]leur Païs se trouva tout-à-coup inondé de Rats, la terre sembloit les jetter hors de son sein par milliers pour ravager les campagnes, & bien-tôt tout auroit été consumé, si les Prêtres des Philistins -125- n’eussent reconnu que le Dieu d’Israël redemandoit l’Arche par ce châtiment. Ils conseillerent donc de la renvoyer au plus vîte, ils firent même fondre cinq Rats d’or qu’ils mirent dedans comme une offrande expiatoire ; en effet l’Arche renduë, les Rats se dissiperent comme ils étoient venus.

[121] Aggravata est manus Domini super Azotios & demolitus est eos, & percussit eos in secretiori parte natium… & ebullierunt villæ & agri… & nati sunt mures. Cap. 5. v. 6. Lib. 1. Reg.

Nolite dimittere eam vacuum… juxta numerum provinciarum Philistinorum quinque anos aureos facietis, & quinque mures aureos, &c. Ibid. Cap. 6. v. 3. & 5.

Cependant Philastre Evêque de [122]Brescia, qui vivoit du tems de saint Augustin, n’approuve point le present des Rats d’or, il en conclut même que [123]les Philistins adoroient les Rats, & leur assigne une place honorable parmi les premiers Heretiques, autant que ce nom peut convenir à des Payens. Philastre étoit un bon Prêtre, à qui les Heresies coûtoient peu, il en trouvoit sur les jours de la semaine, sur la pluralité des mondes, sur la division de la terre ; enfin dans tout ce qui choquoit ses préjugés.

[122] Ville d’Italie, autrefois Brixia, connuë par ces vers fameux.

Brixia vestrates quæ condunt carmina vates,
Non sunt nostrates tergere digna nates.

[123] Catalog. Hær. p. 7. Musoritæ sunt quidam nomine qui sorices colunt, quique, &c.

Mais ce n’est point aux champs seulement, aux fruits, aux moissons que ces Rats vengeurs -126- sont funestes ; ils punissent quelquefois les coupables en leurs personnes mêmes, ils châtient le crime jusques sur le thrône & sur l’Autel ; & les illustres scelerats pour lesquels il n’est point de Justice, ne peuvent leur échaper, témoin les Histoires Tragiques d’un [124]Poppiel II. Roi de Pologne, & [125]d’Hatton II. Archevêque de Mayence : Ce Poppiel, surnommé Sardanapale [126]fut devoré par une armée de Rats qui vinrent l’attaquer dans son Palais : on dit même, que pour rendre l’exemple plus terrible, cette affreuse catastrophe se passa dans un grand festin en presence de toute la Cour, qui ne put défendre le Roi. Son crime étoit le massacre de ses Oncles, sur lesquels il avoit usurpé la Couronne, il leur avoit même refusé la sépulture, & cet excès de cruauté inutile, lui devint fatal ; car les Rats se formerent de la pourriture des cadavres des Princes : ils outrerent à leur tour la vengeance, en l’étendant sur la femme & les enfans de Poppiel, suivant l’ancien usage de punir tout ce qui appartenoit au coupable. Ainsi ils allerent au-delà des bornes -127- de la Justice, & peut-être de leur mission.

[124] Misson, voyage d’Allemagne, Tom. 1. p. 68.

[125] Idem ibid. p. 66, & 67.

[126] L’an 823.

Le crime de l’Archevêque Hatton, surnommé Bonose, n’étoit pas moins criant. Dans un tems [127]de famine il avoit fait brûler inhumainement un grand nombre de pauvres dans une grange, sous pretexte que c’étoient des bouches inutiles qu’il falloit sacrifier au salut des autres. Les Rats le punirent de sa barbare politique, il tomba malade dans une maison qui lui appartenoit sur le bord du Rhin, entre Bacharach & Rudisheim, les Rats vinrent l’y assieger en si grand nombre, que pour s’en délivrer, il fut obligé de se faire transporter dans une petite Isle que forme le Rhin, vis-à-vis la maison qu’il abandonnoit ; mais ces animaux opiniâtres passerent le Fleuve à la nage & dévorerent sa grandeur dans une tour quarrée qu’on appelle encore la Tour des Rats, & qui sera un monument éternel, ou du moins de longue durée, de la cruauté d’Hatton, de la récompense de son crime, & de la puissance redoutable des Rats, Ministres des vengeances Celestes : Ils en ont bien exercé d’autres, & je passe sous silence l’Histoire d’un soldat -128- qu’ils mangerent aussi, parce qu’elle n’a pas le même brillant que celle d’un Roi & d’un Archevêque. Au reste je vous prie, Monsieur, toutes les fois que je parle de prodiges pareils, de penser que je les raconte sans en être caution : Equidem plura transcribo quam credo.

[127] L’an 967.

Tous ces traits justifient encore les Juifs d’avoir [128]detesté les Rats comme des animaux immondes & indignes de servir aux Sacrifices, outre que la Tribu de Levy n’auroit sçû que faire d’un semblable casuel. Cette aversion judaïque semble subsister encore aujourd’hui, on voit tous les jours des Gens fort raisonnables, sur toute autre chose, qui ne peuvent souffrir les Rats ; il y a même des femmes si délicates sur leur compte qu’elles ne peuvent sans frissonner entendre prononcer leur nom : mais on peut bien passer cette foiblesse à la tendre imagination des Dames, quand on a vû des hommes de guerre, bons Officiers d’ailleurs, s’évanoüir à la vûë d’une souris ; j’ai toujours soupçonné qu’ils ne s’évanouïssoient pas sincerement, parce que dans une campagne ils en auroient trouvé trop souvent l’occasion : Et qu’auroient-ils fait à -129- la tête d’une armée, les ennemis n’auroient eû qu’à mener contre eux un bataillon de Rats, ou seulement en charger leurs drapeaux, pour les battre aussi facilement que les soldats de [129]Cambyse prirent Peluse en attachant sur leurs boucliers des Chats que les assiegés adoroient : Je sçai qu’on peut naître avec ces sortes d’antipathies violentes, mais quand on travaille à les détruire, on réüssit au moins à les affoiblir.

[128] Abominationem & Murem, Isaïe cap. 66.

[129] Histoire des Empires & des Republiques, &c. Tom. 1.

Je me lasse enfin, Monsieur, de dire du mal des Rats, & je croi aussi que tous les Memoires que j’avois ramassés contre eux sont épuisés. Je vous les ai peints comme la plus méchante race de tous les animaux. Voyons à present s’ils ne sont dans le monde absolument d’aucune utilité. On croit encore leur faire grace en les traitant de multitude inutile & vorace, selon l’application qu’on leur a faite d’un Vers Latin, [130]cependant dans tous les tems ils ont servi aux hommes à une infinité d’usages. [131]Les livres de Medecine sont pleins de leurs propriétés ; leur tête, leur -130- cœur, leurs cendres, jusqu’à leurs excremens tout y a des effets admirables, comme de resserrer la vessie aux enfans, de rendre les hommes puissans, les femmes steriles, & mille autres qualités.

[130]

Nos numerus sumus & fruges consumere nati.

Hor. lib. 1. epist. 2.

[131] Aldov. lib. 2. p. 434, & 435.

[132]Les peuples de Calicut mangent communément des Rats sans craindre que cette nourriture leur fasse perdre la memoire, [133]comme des Rabins ont écrit qu’elle l’ôtoit. Ils prétendoient par-là expliquer phisiquement pourquoi les Chats n’ont pas la fidelité & l’attachement des Chiens. Ces idées Rabiniques sont assez plaisantes, & il seroit à souhaiter qu’elles fussent vraies : on payeroit quelquefois bien cher un verre d’eau du Lethé[134], s’il étoit possible d’en avoir, & l’on n’en auroit plus besoin, si les Rats avoient la vertu de cette liqueur miraculeuse.

[132] Aldov. lib. 2. p. 434, & 435.

[133] Buxtorf & Arnaud de Villeneuve.

[134] Lethé, Fleuve d’Oubli.

Malgré le peu de foi que j’ai aux Voyageurs, je crois cependant celui [135]qui rapporte que dans un voyage au Bresil, les provisions ayant manqué, on ne se nourrit quelque-tems que de Rats qu’on payoit trois à quatre écus chacun ; le prix ne fait rien à la chose -131- qui a dû arriver plus d’une fois sur mer : & dans de pareilles circonstances on ne se plaint point sûrement de l’incommodité des Rats.

[135] Lierius Burgundus apud Aldov. p. 434.

De quelle ressource ne sont-ils pas aussi dans les Siéges ? A celui de Cassilin [136]par Annibal, un Rat fut vendu deux cens écus, ce n’étoit point trop pour celui qui l’acheta, car il lui sauva la vie, au lieu que celui qui le vendit mourut de faim avec son argent. Ils n’étoient point à bon marché à Paris, lorsqu’Henri IV. l’assiégeoit, [137]témoin celui qui fut mieux payé qu’un morceau délicat par une femme de qualité. Au Siege de Melun sous Charles VI. on s’en régala de même, & on ne les rebuta pas [138]à celui de Calais par Edoüard Roi d’Angleterre. Toute l’horreur qu’en avoient les Juifs ne tint pas contre les extrêmités de la faim, qui les contraignit d’en manger au fameux Siége de Jerusalem, & à celui de Samarie ; enfin ils seront toujours pour les assiegés d’une ressource d’autant plus grande quelle est immanquable.

[136] Cassilinum obsidente Annibale murem CC. nummis væniisse annales tradunt, eumque qui vendiderat fame interiisse, emptorem vixisse. Pline.

[137] Felix Cornejo hist. de la Ligue & du siége de Paris.

[138] Histoire du Comte d’Oxfort par Madame de Gomez.

Croiriez-vous, Monsieur, que ces mêmes -132- animaux ont contribué autrefois à Rome aux divertissemens publiques ? [139]L’Empereur Heliogabale en fit rassembler dix mille, pour figurer dans ce même Cirque, si fameux par les combats des Gladiateurs & des Bêtes feroces de toute espece. Si le Peuple de Rome ressembloit à celui de Paris, je suis sûr que jamais le Cirque n’a été si rempli ; cependant ce Spectacle étoit moins singulier dans une Ville où l’on voyoit communément dans les ruës des Rats [140]attelés à de petits Chariots ; car c’étoit un amusement aussi ordinaire aux enfans, que de faire des Maisonettes, & d’aller à cheval sur un bâton. Je suis surpris que les petits Habitans des Colleges qui n’ont pas manqué de faire leurs Réflexions sur ces Chariots pueriles, ne les ayent pas renouvellé des Romains, au moins pour montrer qu’ils ont profité de la lecture d’Horace ; ils les façonneroient aisément au carosse, puisqu’ils les rendent très-familiers, sur-tout ceux des champs ausquels -133- ils apprennent mille gentillesses malgré [141]l’indocilité que Pline leur a prêtée ; ces Rats, [142]Danseurs de Corde, qu’on a promenés il n’y a pas si long-tems par toute l’Europe, & qu’on a admirés par-tout, ne prouvent rien moins que de l’indocilité, & [143]celui qu’on avoit dressé à servir de chandelier en tenant entre ses pattes une chandelle allumée assis sur son derriere, faisoit tout ce qu’on pourroit exiger d’un Singe.

[139] Lampride, cité par Aldovrand liv. 2. p. 434.

[140]

Ædificare casas, plaustello adjungere mures,
Ludere par impar, equitare in arundine longa.

Hor. lib. 2. Sermon. Sat. 3.

[141] Notandum est autem hirundines è volucribus, & mures ex animalibus esse indociles. Plin. cap. de muribus.

[142] Guerres de Flandre, d’Espagne & d’Italie, ou Mémoires du Marquis, &c.

[143] Albertus.

Il faut bien compter, Monsieur, sur votre indulgence, pour vous faire de pareils détails, aussi ne vous les donnai-je pas pour être d’une grande importance ; cependant tous ces traits rassemblés prouvent qu’on peut tirer des Rats quelqu’amusement, & tout ce qui amuse est utile. Si les Rats, comme nous l’apprend Horace, amusoient les Enfans de Rome, ils occupoient serieusement le College des Augures, & souvent embarrassoient fort les Prêtres, le Senat, & les Generaux. Ils étoient regardés comme Prophetiques, aussi bien que les Corbeaux, & les sacrés Poulets : l’on étudioit religieusement les Signes favorables ou -134- sinistres qu’ils pouvoient donner ; mais communément on les interpretoit en mauvaise part.

Le cri aigu d’un Rat ou d’une Souris suffisoit pour rompre & annuller les auspices, lorsque les Augures tenoient leurs Comices. Il n’en falut pas davantage à [144]Fabius Maximus, pour abdiquer la dictature, & à Caïus Flaminius General de la Cavalerie pour se démettre de sa Charge, comme si ces animaux leur en eussent donné l’ordre exprès de la part de Jupiter Stator, Patron de la République. [145]Quelque tems avant la guerre des Marses, les Rats rongerent des Boucliers d’argent à Lanuvium, & l’on devina qu’ils vouloient par-là annoncer une guerre avec ces Etrangers, comme les insultes qu’ils firent à la chaussure du General [146]Carbon, furent prises pour les avant-coureurs de sa mort. [147]Le General Marcellus fut plus troublé avant sa derniere campagne de ce que les Rats avoient porté leurs dents sacriléges sur l’or du Temple de Jupiter, que de -135- tous les autres Signes funestes qui l’avoient inquiété. Les Rats, comme vous voyez, Monsieur, étoient de grande consequence dans la Religion ; & les Romains excessivement dévots.

[144] Ælianus lib. 1. Varr. lib. 11. apud Aldov. p. 428.

[145] Ciceron liv. 2. de la Divination.

[146] Aldov. p. 428. titulo præsagia.

[147] Plutarque dans la vie de Marcellus.

Il est vrai qu’il y avoit à Rome des esprits forts, comme il y en a eû par tout, qui ne croyoient à la Religion, que par benefice d’inventaire, qui se moquoient des Dieux, & de la divination ; par consequent fort peu scrupuleux sur le compte des Rats : les Philosophes en general osoient même s’en moquer publiquement, au grand scandale sans doute des consciences délicates.

Ciceron, par exemple, en parle avec toute l’incredulité d’un Academicien : [148]« Nous sommes, dit-il, si legers & si imprudens, que si les Rats viennent à ronger quelque chose, quoique ce soit leur métier, nous en faisons un prodige : Avant la guerre des Marses, sur ce que les Rats avoient rongé des Boucliers à Lanuvium, les Aruspices prononcerent, que c’étoit un prodige horrible, comme s’il importoit beaucoup que les Rats qui rongent jour -136- & nuit, rongent des Boucliers, ou des Cribles ; car si nous donnons là-dedans, il s’ensuit, que parce que les Rats ont rongé chez moi les Livres de la Republique de Platon, j’ai dû craindre pour la Republique, ou que s’ils venoient à ronger les Livres d’Epicure sur la Volupté, je devrois craindre la cherté des Vivres. »

[148] Ciceron liv. 2. de la Divination, cité de Monsieur Dacier.

Ciceron se moquoit sans doute des Rats avec beaucoup d’esprit ; mais il ne prévoyoit pas alors qu’un Octave, qu’un Antoine, qu’un Lepide renverseroient un jour cette liberté dont les Rats lui avoient peut-être pronostiqué la ruine, en rongeant les Livres de la Republique de Platon, & s’il avoit eû le bonheur d’être assez superstitieux pour ajoûter foi à ces avertissemens, il n’auroit point été dans la suite enveloppé dans les proscriptions des Triumvirs.

Le grave Caton s’égaïoit aussi sur les présages qu’on tiroit des Rats. [149]Consulté par des Gens qui le pressoient de leur expliquer ce que signifioient des Botines rongées par les Rats : Rien, leur répondit-il, qu’y a-t-il d’étonnant que des Rats mangent des Botines ? mais ce seroit un prodige inoüi si les -137- Botines eussent mangé les Rats.

[149] Augustinus Niphus apud Aldov. Lib. 2. p. 428. & 429.

Au reste, les Philosophes n’ont jamais donné le ton nulle part, & malgré leurs plaisanteries on a toujours accordé aux Rats un pressentiment infaillible de l’avenir, il est même des cas où on peut le faire sans superstition. Par exemple, un peu avant [150]qu’Helice fût renversée par un tremblement de terre, les Rats en sortirent en foule, & les habitans qui ne sçavoient pas leurs raisons furent tous ensévelis sous les ruines de leur Ville ; on rapporte ce fait comme prodigieux, & il n’est que naturel, les Rats sans esprit de divination ne pouvoient-ils pas s’appercevoir les premiers du tremblement de terre & en craindre les suites. [151]Ils ont la sage coutume de déloger d’une maison dès qu’elle menace une ruine prochaine, & je m’en rapporterois mieux à eux qu’à tous les Experts du monde, parce que logés comme ils le sont, ils peuvent mieux juger si un mur travaille, s’il incline, enfin de l’état des poutres, & de tout l’édifice ; ainsi le danger pressant, ils vont chercher des habitations -138- plus solides, l’instinct leur suffit pour cela : ils abandonnent aussi les maisons qu’on démolit, celles où ils ne trouvent plus à manger, & les lieux où il y a trop de chats, rien de plus simple ; c’est pourquoi la maison voisine s’en trouve quelquefois remplie depuis la cave jusqu’au grenier ; alors les bonnes femmes surprises de se voir tant de nouveaux hôtes sur les bras, au lieu de conjecturer les motifs naturels de leur migration, ne manquent pas de s’imaginer que c’est l’effet d’un sort qu’on leur a jetté, & de s’en prendre à tous ceux ou celles qui ont le malheur de leur déplaire.

[150] Ville de Grece ; ce fait est rapporté par Elien.

[151] Mures ruinis imminentibus præmigrant, Plin. de muribus.

Mais de tous les Aruspices qui ont annoncé des évenemens futurs sur l’autorité des Rats, aucun ne l’a fait aussi sûrement qu’un certain [152]Pierius Valerianus ; c’étoit un homme de Lettres qui faisoit ses délices d’Horace & de Pindare : malheureusement il trouva à Rome leurs ouvrages rongés par les Rats, & augura hardiment de ce prodige la décadence du bon goût à Rome ; il ne risquoit rien. Par tout où l’on verra les originaux des grands Maîtres, soit dans les belles Lettres, les Sciences, ou les Arts abandonnés -139- à la merci des Rats, on pourra en bonne Myomancie faire la même prédiction que Valerianus.

[152] August. Niphus lib. de Auguriis.

Que vous dirai-je de plus, Monsieur, sur les usages qu’on a fait des Rats ? On leur donnoit des significations allegoriques dans les énigmes & les emblêmes, lorsque ces sortes de mystéres étoient à la mode : en voici deux exemples. [153]Les Scithes envoyerent par leurs Ambassadeurs un Rat entre-autres choses au premier Darius Roi de Perse qui leur avoit déclaré la guerre, & ce Rat signifioit, selon l’explication qu’en donna le Général Gabrias, que les Perses, à moins de se cacher sous terre comme les Rats, n’échaperoient pas aux fléches redoutables des Scithes. Voilà une terrible gasconade.

[153] Herodote liv. 4.

Le second exemple est d’une espece un peu differente : [154]en bâtissant la Ville d’Argilla en Thrace, on trouva des Rats qui se battoient, & ce prodige (car c’en étoit un assurément) fit augurer que les habitans d’Argilla seroient un jour une nation Belliqueuse & indomptable ; de même que la tête de cheval qu’on -140- rencontra en creusant les fondemens du Capitole, annonça la gloire & la grandeur future des Romains. Quel rapport y a-t-il, me direz-vous, entre des Rats qui se battent, & la bravoure future d’un peuple qui n’existe pas encore ? C’est à vous, Monsieur, à faire vos observations sur ce que je rapporte simplement comme Narrateur : L’Histoire des Rats est si intimément liée avec celle de l’esprit humain, que nous pouvons par tout y trouver quelque chose pour nous, ou plutôt c’est moins l’Histoire des Rats que celle des hommes, de leurs mœurs, de leurs opinions, de leurs superstitions, &c. Cette reflexion feroit sans doute un effet admirable dans une Préface, parce qu’elle est toute morale, & peut-être ne vient-elle pas mal à propos à la conclusion de cet Ouvrage. Si mes Lettres, Monsieur, ne vous ont pas ennuyé, je me croirai fort heureux ; si elles vous ont amusé, j’aurai réussi au-delà de ce que je devois attendre, & je ne me repentirai jamais d’avoir exercé ma plume sur un sujet aussi bizarre que l’Histoire des Rats.

[154] Plin. de Muribus.

J’ai l’honneur d’être, &c.

FIN.

TABLE DES MATIERES.

A.

Abderites (les) chassés de leur Capitale par les Rats, page 75

Abeilles, leur gouvernement monarchique, 4

A bon Chat bon Rat, 2

Accouplement incroyable d’un gros Rat avec une Chatte, 121

Achille. Les Rats aussi heureux que lui, 88. Il n’avoit qu’un Héroïsme emprunté, 103

Amiens, surpris avec un sac de Noix, note 25, 24

Anciens (les) étoient de grands Harangueurs, note 101, 95

Animaux imités par les hommes, 3

Annibal, dans la guerre, prend pour modele un Chat, & Scipion un Rat, 2

Antipathies pour les Rats, 128

Apollon Sminthien. Origine de ce surnom, 83

Arabes (les) ont donné des batailles pour la distinction des attributs de Dieu, 100

Arabie. Les Chauvesouris empêchent d’y cueillir la Casse, 52

Archelaüs, son bas relief, 90

Argilla Ville de Thrace. Les Rats pronostiquent la bravoure de ses Habitans, 139

Asmodée sur la Tour de San-Salvador, 67

Avantage des Rats sur les Grenouilles, 105

Avoir des Rats. Origine de ce Proverbe, 20

Autorité d’Homere, d’Herodote, d’Aristote pour l’Histoire des Rats, 12

B.

Bataille gagnée par les Rats sur les Assyriens, 81

Bataille (la) des Rats & des Grenouilles intéresse les Dieux, 100

Batrakomiomachie (la) Parodie de l’Iliade & de l’Odyssée, 89

Batrakopolis, Capitale des Grenouilles, 92

Beaumont. (M. de) Son Apologie des Marmotes, 58

Blocus de Ratopolis, 46

Boileau trouve les Bêtes moins bêtes que les hommes, 7

Boisseau de millet où une femelle de Rat fit 120 petits sans mâle, selon Aristote, 115

Boivin (M.) de l’Académie des Belles Lettres. Sa traduction de la Batrakomiomachie, 91

Bouffard, Empereur des Grenouilles, 92. Est blessé mortellement par le Roi Ratapon, 105

Bresil (le) Il y a des Chauvesouris fort grosses, 52

C.

Caius Flaminius se démet de la charge de Général de la Cavalerie sur le cri d’une Souris, 134

Calais (siége de) par Edouard Roi d’Angleterre, on y mangeoit des Rats, 131

Cambyse Roi de Perse prend une ville avec des Chats, 129

Canards & Oyes sauvages (les) ont donné l’idée du Triangle d’Elien & de la Tête de Porc, 3

Carbon (le Général). Sa mort pronostiquée par les Rats, 134

Caraïbes (les) honorent singuliérement les Chauvesouris comme de bons Anges, 53

Cartesiens (les) ont fait tort aux animaux en les regardant comme des Machines, 10

Castors (les) battent la retraite, 3. Leur Gouvernement Aristocratique, 4

Castors nobles & roturiers, note 3, 4

Cassilin étant assiégé par Annibal, un Rat fut vendu deux cents écus, 131

Caton. Sa réponse au sujet des botines rongées par les Rats, 136

Cerès montre aux hommes à labourer la terre, instruite par l’exemple des cochons, 5

Ceretto, Ville du Royaume de Naples, ce qu’y firent les Rats, 77

Champ fort vaste (un) moissonné dans une nuit par les Rats, 111

Chariots des enfans de Rome traînés par des Rats, 132

Chat pris dans un filet, délivré par un Rat, 23

Chat (un) dévoré par les Rats, 78

Chauvesouris blanches, 52

Chauvesouris ou Rats d’air, 51

Chevaux (les) attaqués par le Loup se rangent en bataille, 4

Chinois (les) mangent les Chauvesouris, 52

Ciceron, sa mauvaise pointe sur le nom de Verrès, 17. Se moque avec beaucoup d’esprit des signes attachés aux Rats, 135

Cicognes (les) ont des sentinelles, 3

Cochon (le) éternuë un Rat dans l’Arche de Noé, 110

Codrus (le Poëte) ses vers rongés par les Rats, 13

Coquettes, leurs Rats, 65

Covarruvias fait venir Rat à rodendo, 17

Cri (le) d’un Rat annulloit les auspices, 134

Crinis (le Prêtre) puni de son indévotion par les Rats, 82

D.

Dacier (Madame) folle d’Homere, note 91, 88

Dame, dans une niche comme une idole, 69

Dame, depuis dix ans dans son lit, ibid.

Darius I. les Scythes lui envoyent un Rat, 139

Débauché converti par un Sermon Académique, 71

Déliberation contre Rodilard, 43

Délicatesse des Dames sur le compte des Rats, 128

Détachement de Troupes Romaines pour donner la chasse aux Rats, 112

Devots, leurs Rats, 65

Dieux (les) du paganisme tirés de la famille des Patriarches, 16

Dieux (les) sont ordinairement du côté de la prudence, 96

Diogene méprise les repas des Athéniens encouragé par la frugalité d’un Rat, 27

Du Cerceau (le Pere). Son Rat voyageur, 33

E.

Egypte. Il y a des Rats piquans comme des Hérissons, 61

Elephant raillé par un Rat petit-maître, 31

Elephant (l’) éternuë le cochon dans l’Arche, 110

Enfans éveillés comme une portée de Souris, 20

Enfans d’Hamelen (les) perdus, 85

Epictete malheureux prêche la patience, 32

Erasme, son Eloge de la Folie, 64

Europe. Apostrôphe à cette belle, 95

Excommunication des Rats en Bourgogne, 117. Idem, encore en usage en ce pays, 119

Exemple qui fait esperer la réconciliation des J… & des M… 121

F.

Fabius Maximus abdique la Dictature sur le cri d’une souris, 134

Fables (les) de la Fontaine peignent bien les Rats, 12

Fable du Rat Philosophe & du Chat, 47

Famine causée en Allemagne par les Rats, 111

Faute des Généraux Grenouillards, 105

Femelles de Rats portent dans leur ventre d’autres femelles pleines, selon Elien, 114. Idem, conçoivent sans mâle en lechant du Sel, 115

Femme dérive de Fama, 17

Florus confond les plaines de Philippes avec celles de Pharsale, 37

Fourmis, leur gouvernement démocratique, 4

Fourmont (M.) ses misérables étymologies, 16

Fureur de voyager, 35

G.

Galanterie chez les Rats se traite sans éclat, 123

Génération mystérieuse des Rats, 111

Gens de guerre qui s’évanouissent à la seule vûë d’un Rat, 128

Gliraria, ménageries de Marmotes établies à Rome par Marcus Scaurus beau-fils de Scylla, 60

Gloire, nom arbitraire, 100

Gouvernement, quels ont été les modeles des trois espéces principales de Gouvernement, 4

Grandeur (la) de Psicarpax devoit l’attacher au rivage, 94

Grenouilles (les) se postent sur un tertre glissant, 103

Guerres de Ministres & de Religion, 100

Guerres civiles des Rats ; ils se mangent, 121

Gyara (l’Isle de) Les Rats en chasserent les habitans, & y mangerent les metaux, 79

H.

Hatton, Archevêque de Mayence mangé par les Rats, 127

Hamelen (ville) délivrée des Rats par un Charlatan par le bruit d’un tambour, 85

Helene, cause ridicule de la Guerre de Troye, 99

Helice ville de Grece. Les Rats en sortirent avant qu’elle fût renversée par un tremblement de terre, 137

Heliogabale (l’Empereur) fait rassembler dix mille Rats dans le Cirque, 132

Herault d’armes envoyé par les Rats à Batrakopolis, 98

Hermine, peau du Rat Pontique, 62

Histoire de Chaillot, 9

Homme de lettres ratier, 68

Homme ennemi des petits chapeaux, 70

Hongrie, les Rats y tirent sur le verd, 61

Horace, Juvenal & Pline proposent les animaux pour modeles de sagesse, note 11, 8

I.

Ichneumons (les) Rats d’Egypte fort utiles pour détruire les Crocodiles, 54

Jerôme (S.) ce qu’il dit du Musavelaine dans une lettre à Démetriade, 57

Jerusalem, à son dernier siége on y mangea des Rats, 131

Ignorance, cause de la mort d’un Rat, 41

Indes (les) Il y a des Rats argentés, 61

Isle du Pin. Les Rats y sont roux, ibid.

Juifs (les) détestoient les Rats, 128

Jupiter envoye des Ecrevisses au secours des Grenouilles, 107

L.

Lampon, ayeul de Psicarpax, 93

Lanuvium, les Rats y rongerent des Boucliers d’argent. Interprétation de ce prodige, 134

Le Sage (M.) sa plume délicate, 72

Licentié de Paris impertinent avec sa fourrure, 63

Lion (le) éternuë un Chat dans l’Arche, 110

M.

Madagascar. Il y a des Chauvesouris fort grosses, 52

Magasins (les) des Fourmis détruits par M. de Reaumur, note 4, 5

Mages (les) ont en abomination les Rats d’Eau, 53

Maldives (les Isles) il y a des Chauvesouris fort grosses, 52

Manifestes souvent suspects, 98

Marcellus (le Général) effrayé par des visions, & sur tout par les Rats, 134

Marmotes, leur industrie, leur prévoyance, leur adresse à voiturer du foin, 57. Sont cause en partie de la décadence de l’Empire Romain, 61

Mars & Vénus blessés dans les plaines de Phrigie, 102

Marses, leur guerre annoncée par les Rats, 134

Martial, son sentiment sur la Batrakomiomachie, 90

Mathématiciens, leurs Rats, 67

Melun (siége de) sous Charles VI. on y mangea des Rats, 131

Menelas cocu, 99

Meridarpax, Prince Rat. Sa valeur extraordinaire, 105. Plus grand qu’Achille, ibid.

Mothe (M. de la) son Iliade, 91

Moucherons qui sonnent la charge, 103

Moustaches respectables des Rats, 19

Murtady Auteur Arabe, ses idées sur la création des animaux, 109

Musaraigne, ou Rat aveugle, sa sépulture en Egypte, 56

Musavelaine, ou Rat de Coudrier, ibid.

Musiciens & peintres, leurs Rats, 67

N.

Noé réparateur de la race des Rats, 109

Nuremberg. Il y a des Rats de la couleur des liévres, 61

O.

Orbitello, ville d’Italie abandonnée aux Rats, 78

Origine du mot Rat, 17

P.

Pallas piquée contre les Rats pour quelques colifichets qu’ils lui ont rongé, 89. Et contre les Grenoüilles, 102

Pan se transforme en Rat pour éviter la fureur des Géans, 73

Papillons (les) de bon exemple pour les amans malheureux, 5

Paris (siége de) par Henri IV ; les Rats y étoient fort chers, 131

Penelope. Ulysse seul en avoit une, 99

Perion & Menage dérivent Rat de Mus, note 19, 18

Petit-gris, peau du Rat lassique, 62

Petits-Maîtres, leurs Rats, 65

Peuple (le) rapporte tout à Dieu ou aux démons, 115

Peuples (les) de Balsora & de Cambaye craignent de faire du mal aux Rats, 74. Ceux de Calicut les mangent, 130

Philastre, sa facilité à trouver des hérésies par tout où il vouloit, 125

Philosophes (les) se moquoient de la divination sur les Rats, 135

Phisionomie aimable des Souris, 19

Phrygiens (les) adoroient les Rats, 74. Idem, chassés par eux, ibid.

Pierius Valerianus, sur quoi il augure la décadence du bon goût à Rome, 138

Pigrès ou Tigrès, frere d’Arthémise, 89

Pilotis (les) des Castors, & les celules des abeilles premiers morceaux d’architecture, 5

Platon croit que nous avons beaucoup appris des Animaux pendant l’Age d’Or, 6

Pline accuse à tort les Rats d’indocilité, 133

Poëtes, leurs Rats, 66

Poppiel Roi de Pologne mangé par les Rats, 126

Porc-Epic (le) lance adroitement des fléches, 4

Postures indécentes d’un Soldat Romain causes de la guerre de Vespasien, 100

Proportions entre la multiplication & la destruction des Rats, 120

Proserpine, son voile parsemé de Rats en broderie, 62

Psicarpax, Prince Rat, fils du Roi Ratapon, 92

Punition des Philistins, 124

R.

Rat (le) tenant table, 26

Rat (C***) calotin. Sa lettre, 30

Rat servant de chandelier, 133

Ratapon (le Roi) pleure devant les Rats, 97

Ratopolis Capitale des Rats, 92

Rats (les) ont plus mangé de Livres que le feu n’en a consumé dans la Bibliotheque d’Alexandrie, 13

Rats (les) n’oseront point toucher à leur histoire, 14

Rats ambulans, préférables à la glande pineale des Cartésiens, 21

Rats magnifiques, 25. Habitans les Bibliothèques, 29

Rats pedans, 29

Rats solitaires déshonorent le plus leur nation, 44

Rats d’eau, 51. Réputés poisson par quelques Religieux, 53

Rats de terre, 51. De cerveau, 64

Rats célébrés par Homere, 87. Se partagent en plusieurs corps, 104. Jettent des barques sur des flaques d’eau, ibid.

Rats formés de la terre, 113. Du limon du Nil, 114

Rats excommuniés. Chassaneuz premier Président du Parlement de Provence plaide pour eux, 117

Rats cités en Justice, 119

Rats d’or des Philistins, 125

Rats vengeurs des crimes, 126. Danseurs de corde, 133. Regardés chez les Romains comme prophétiques, 134

Renards, Blereaux, Lapins, inventeurs des mines & des contremines, 4

Retraite des Rats après la bataille, 108

Revolutions dans les toilettes, 101

Rodilardus (le Chat) enfariné. Ses ruses éventées par un Rat, 23

Rollin (M.) & Pline au sujet des Marmotes, 60

Romains & Carthaginois comparés aux Chats & aux Rats, 1

Ronge-maille délivre un Lion d’un piége, 22

Rossignol inventeur de la musique avant Apollon, 5

S.

Sacrifices, les Rats en étoient exclus, 128

Samarie assiégée, on y mangea des Rats, 131

Sandoval, ses fautes de Topographie, 38

Savant qui a des appartemens dans tous les quartiers de Paris, 71

Science des étimologies, sorte de Divination, 15

Scudery (M. de) fait passer des Vaisseaux de la Mer Caspienne dans la Mer Noire, 36

Sennacherib Roi des Assyriens battu par les Rats, 81

Sentence d’un Rat Epicurien, 120

Sethon Roi d’Egypte secouru par les Rats, 81

Soldat mangé par les Rats, 127

Sorciers accusés de remplir les campagnes de Rats, 116

Sortileges prétendus pour envoyer des Rats dans les Maisons, 138

Souriceau qui a peur d’un Coq, & prend de l’amitié pour un Chat, 24

Souriceau, symbole de nos attachemens, 42

Sujet de la Guerre de Troye moins grave que celui de la Guerre des Rats & des Grenouilles, 99

Systemes sur la formation des Insectes, 114

Systêmes du peuple sur la multiplication des Rats, 115

T.

Talisman pour chasser les Rats des champs & des jardins, 116

Testamens ridicules dictés par les Rats des Dévots, 66

Thebaïde, il y pleut des Rats selon Elien, 114

Tortuë militaire imitée de la Tortuë, 3

Tonnerre de Jupiter méprisé par les Rats, 107

Tourterelles modéles de constance, 5

Tribu de Levy n’auroit pas fait grand profit sur des Sacrifices de Rats, 128

Trotine (la Reine) mere du prince Psicarpax, 93

Troye, prise par un Cheval de bois, 24

V.

Ver-à-soie (le) a montré à filer la laine & les écorces d’arbres, 5

Virgile confond les plaines de Philippes avec celles de Pharsale, 57

Virginie (la) les Rats y servent de pendants d’oreilles, 61

Ulysse l’échape belle, 99

Voyages pénibles d’un philosophe chrétien, 58

Voyage (dans un) au Bresil on se nourrit de Rats, 130

Usages des Rats dans la Médecine, 129 & 130

FIN.

FAUTES A CORRIGER.

Page 13. ligne 6. millons, lisez, millions.

p. 40. l. 14. ont, l. avoient.

p. 47. v. 4. Le voyageur eut bien-tôt fait son paquet, lisez en deux vers séparés,

Le voyageur eut bientôt fait
Son paquet.

p. 53. l. 2. parce craignoient, lisez, craignent.

p. 54. l. 5. & 18. & p. 55. l. 13. Icheumon, lis. Ichneumon.

p. 57. l. 3. le, lisez la.

p. 59. l. 6. passons à l’Apologiste. sa, lisez, passons à l’Apologiste sa.

p. 64. l. 7. d’invisibles, lisez invisibles.

p. 64. l. 8. génies : lisez génies.

p. 64. li. 20. Ratieres, lisez Ratiers.

p. 73. lig. 5. les peuples ? lisez les peuples.

p. 74. l. 21. Alexandres, lisez Alexandre.

p. 76. l. 16. s’ils se rendirent, lisez si elle se rendit.

p. 84. l. 13. à la main, lisez à la main droite.

p. 92. l. 21. pour Chevalier, lisez pour un Chevalier.

p. 98. l. 16. toujours, lisez souvent.

p. 111 l. 14. Æliens, lisez Œoliens.

Ibid. l. 15. Œlien, lisez Ælien.

p. 120. note 119. sit, lisez sis.

p. 122. l. 10. le, lisez les.

NOTE DU TRANSCRIPTEUR

L’orthographe est conforme à l’original, malgré ses incohérences (par ex. sçavoir/savoir, tems/temps, Ulisse/Ulysse, etc.). On a corrigé les fautes indiquées en errata, ainsi que les coquilles manifestes.