The Project Gutenberg eBook of Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 3/8)

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Title: Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 3/8)

Author: J. B. de Saint-Victor

Release date: April 4, 2018 [eBook #56918]

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK TABLEAU HISTORIQUE ET PITTORESQUE DE PARIS DEPUIS LES GAULOIS JUSQU'À NOS JOURS (VOLUME 3/8) ***

TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS,
DEPUIS LES GAULOIS JUSQU'À NOS JOURS.

Dédié au Roi
Par J. B. de Saint-Victor.

Seconde Édition,
REVUE, CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
TOME SECOND.—PREMIÈRE PARTIE.

Miratur molem..... Magalia quondam.
Æneid., lib. I.

Enseigne

PARIS,
À LA LIBRAIRIE CLASSIQUE ÉLÉMENTAIRE,
CHEZ LESAGE, RUE DU PAON, No 8.

M DCCC XXII.

TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.

IMPRIMERIE DE COSSON, RUE GARENCIÈRE, No 5.

(p. 1) TABLEAU
HISTORIQUE ET PITTORESQUE
DE PARIS.

QUARTIER MONTMARTRE.

Ce quartier est borné à l'orient par les rues Poissonnière et du Faubourg-Poissonnière exclusivement jusqu'aux barrières; au septentrion, par l'extrémité des faubourgs inclusivement; à l'occident, par les rues de l'Arcade et du Rocher, jusqu'à la barrière de Mouceaux; au midi, par la rue Neuve-des-Petits-Champs, la place des Victoires, et par les rues des Fossés-Montmartre et Neuve-Saint-Eustache aussi inclusivement.

On y comptoit, en 1789, soixante-dix-huit rues, trois culs-de-sac, une église paroissiale, deux chapelles, deux couvents d'hommes, deux couvents et une communauté de filles, deux places, une salle de spectacle et une bibliothèque publique.

PARIS SOUS LA RÉGENCE DE CHARLES DAUPHIN, SOUS CHARLES V ET CHARLES VI.

La régence du dauphin, depuis Charles V, et le règne de Charles VI, sous lesquels on éleva l'enceinte qui, du côté oriental, traversoit une petite portion de ce quartier[1], sont mémorables par (p. 2) les grands événements qui se passèrent alors dans Paris.

Pour bien faire comprendre ces événements, il est nécessaire que nous revenions encore sur les premiers temps de la monarchie, et que nous ajoutions quelques traits au tableau que nous avons déjà tracé de la situation politique des premiers Capétiens.

Nous avons fait voir, dans le volume précédent, quel fut en France le gouvernement monarchique sous les deux premières races, où il continua de demeurer tel que les barbares du Nord l'avoient apporté du sein de leurs forêts; et le miracle de son existence, au milieu de tant de causes de destruction dont il étoit comme assailli de toutes parts, n'a pu être expliqué que par l'influence toujours croissante de la religion chrétienne, seul principe d'unité qui pût maintenir entre elles tant de parties incohérentes d'un tout aussi mal constitué. Nous avons en même temps montré que ces deux races de rois tombèrent l'une après l'autre par des causes absolument semblables, par la foiblesse et la lâcheté de leurs derniers princes; le courage et la force étant alors la première condition, une condition indispensable pour acquérir un trône et pour le conserver; et l'histoire de la (p. 3) chute des enfants de Charlemagne nous a rappelé, dans toutes ses circonstances essentielles, celle des rois francs, descendants de Clovis[2]. Toutefois si la catastrophe fut la même pour l'une et l'autre famille, les résultats de ces deux grandes infortunes furent bien différents pour l'État. L'heureuse institution des maires du palais, qui substituoit presque toujours, dans l'administration de l'empire, un ministre vigoureux à un prince dégénéré, contribua à sauver la monarchie, au moment où disparoissoit la première race de nos rois; rien alors ne fut changé dans les rapports qui unissoient la nation à son chef politique; et Charlemagne, succédant aux droits des Mérovingiens, régna au même titre que Clovis, avec le même degré de puissance et les mêmes attributions. Il n'en fut pas de même sous sa propre race: tous ces rois qui vinrent après lui, si peu capables de soutenir le trône, au milieu des dangers toujours croissants dont il étoit entouré, étant demeurés entièrement abandonnés à eux-mêmes, les vices d'un système politique si imparfait se développèrent aussitôt avec une effrayante rapidité: la division se mit nécessairement, nous dirions presque naturellement partout; et la société parut rétrograder jusqu'au gouvernement domestique des (p. 4) simples peuplades. Ce fut dans ce danger imminent d'une dissolution entière du corps social, que la puissance spirituelle devint prépondérante dans l'État, toutes les classes de la société s'empressant de s'y soumettre, se réfugiant en quelque sorte sous l'abri de son autorité, par l'instinct de la conservation[3], et par une de ces inspirations secrètes de la Providence qui seule décide du salut et de la perte des nations, et les conduit, par des voies admirables et qui nous sont inconnues, au but que ses décrets leur ont marqué. Que l'Église ait alors sauvé l'État, qu'elle ait empêché cette belle France de devenir un champ de carnage et de destruction, et comme un vaste repaire de soldats farouches, sans cesse armés les uns contre les autres et se faisant une guerre d'extermination, c'est ce qui est palpable en quelque sorte pour tous les bons esprits, pour tous ceux qui considèrent d'un œil attentif les événements de cette époque mémorable, et qui, pour les bien juger, s'affranchissent de toute passion et de tout préjugé.

Il est remarquable que ce fut contre le vœu de la haute noblesse et des vassaux les plus puissants, que la race de Charlemagne monta sur le trône[4], tandis que ce furent ces grands vassaux eux-mêmes (p. 5) qui donnèrent la couronne à Hugues-Capet. C'est qu'au degré d'indépendance où ils étoient parvenus vers la fin de la seconde race, un chef choisi par eux et dans leurs rangs n'avoit rien qui pût le leur rendre redoutable, en même temps qu'il rendoit légitime tout ce qu'ils avoient usurpé. Nous avons vu que le premier des Capets reçut la couronne de France aux conditions auxquelles il leur avoit plu de la lui donner; qu'entouré de quelques stériles marques d'honneurs, il vécut presque isolé dans sa petite souveraineté, au milieu de cette agrégation de petits souverains, toujours indépendants, souvent en révolte ouverte contre lui; et que ses premiers successeurs demeurèrent comme lui dans cet état de foiblesse et d'obscurité. Comment leurs descendants trouvèrent-ils le moyen d'en sortir? Comment dans cette situation qui sembloit, pour ainsi dire, désespérée, qui les mettoit, en apparence, si fort au-dessous des deux races qui les avoient précédées, parvinrent-ils à une puissance incomparablement plus grande et surtout plus solide et plus durable? C'est ce qu'il convient d'examiner.

Deux causes principales y contribuèrent; et, chose singulière, c'est dans la foiblesse même de ces princes qu'elles prirent naissance et que s'en développèrent les premiers effets. Nous avons déjà indiqué la première: ce fut la cessation du plaid général (p. 6) ou assemblée de la nation[5], qui n'étoit autre chose, sous les deux premières races, qu'une espèce de confédération de la noblesse entière contre la puissance du monarque, que chaque année ses lois et ses décrets faisoient rentrer dans les limites qu'elle lui avoit tracées, dès qu'il avoit fait quelques tentatives pour en sortir. Ces assemblées tombèrent en désuétude, parce que l'intérêt général, qui les avoit établies et maintenues, disparut devant un nombre infini d'intérêts particuliers que le malheur des temps et l'usurpation avoit créés et mis à sa place. Le plaid général qui limitoit la puissance des rois mettoit aussi des bornes à celle des vassaux: les seigneurs cessèrent de s'y rendre, parce qu'il s'y faisoit appellation de leurs justices particulières, dont ils avoient fait, à la fin de la seconde race, des justices souveraines; parce que les lois générales qui s'y faisoient, supposoient, par une conséquence inévitable, une administration générale dont nul autre que le roi ne pouvoit être dépositaire, à laquelle il ne leur convenoit plus de demeurer soumis, que même ils ne vouloient plus absolument reconnoître. Ainsi, par un effet contraire, la puissance extraordinaire et illégale qu'ils s'étoient arrogée, les isolant les uns des autres, contribuoit à les affoiblir: car, dès ce moment, (p. 7) et par des degrés d'abord insensibles, mais dont l'accroissement devint plus rapide, à mesure que tant d'autres circonstances eurent accru la puissance du roi comme seigneur féodal, son plaid particulier prit la place du plaid général, et devint la source de toute législation, comme il l'avoit été de toute justice. Alors tous les vassaux inférieurs, toute la population des villes, tout ce qui ne fut pas sous la dépendance immédiate des grands vassaux, devint dépendant du roi, sous tous les rapports qui constituent la vraie monarchie; et jusqu'à un certain point, les princes de la troisième races surent en profiter.

Voilà ce qui accrut leur puissance. Ce qui la consolida, ce fut l'ordre nouveau de succession qui s'établit dans la famille royale, l'hérédité de la couronne devenant le partage exclusif de l'aîné des fils du roi, ou de tout autre prince qui représentoit cet aîné. Il n'est peut-être pas un seul de nos historiens qui, à l'occasion de cette disposition nouvelle, devenue par la suite loi fondamentale de l'État, n'ait admiré la politique profonde des premiers Capets qui avoient su l'établir. Il falloit admirer la Providence divine qui avoit arrêté que la France deviendroit un grand et puissant royaume et le premier de la chrétienté, et non les vues prévoyantes de ces princes dont la puissance étoit trop bornée et trop précaire pour qu'il leur fût possible de rien arranger dans l'avenir au (p. 8) profit de leurs descendants. Et en effet, qu'étoit-ce que le partage de la succession royale sous les deux premières races, sinon le partage du domaine de la famille, domaine alors immense, et répandu dans toutes les parties du royaume[6]; et comment les comtes de Paris, devenus rois, auroient-ils pu partager leur petit comté, de manière à laisser plusieurs rois après eux? Ils pouvoient encore moins créer pour telles ou telles provinces des rois sans territoire, qui n'y auroient point été reconnus, et que le seigneur suzerain du canton eût sans doute fait citer à sa cour de justice, pour qu'ils eussent à sortir sans délai des terres de sa dépendance. Il n'y eut donc qu'un seul héritier[7], parce qu'il n'y avoit qu'un seul domaine indivisible, et que par conséquent il étoit impossible que la succession fût partagée; et ce qui ne fut que le résultat de quelques circonstances particulières à la troisième race, circonstances que ses premiers rois considérèrent sans doute comme très-défavorables pour eux, devint, dans la suite, la sûreté de cette (p. 9) race, et le gage le plus sûr de sa splendeur et de sa prospérité.

Et ce qui prouve que dans cette désignation de l'aîné de leur fils pour leur succéder au trône, ces princes ne suivirent que la loi de la nécessité et non pas celle que devoit leur tracer une saine politique, c'est qu'au moment même où des circonstances plus heureuses eurent accru le domaine royal (et ce fut à Philippe-Auguste qu'il dut cet accroissement considérable, qui sembloit devoir fixer à jamais les nobles destinées des rois de France) le successeur de ce prince[8] se hâta de partager entre ses enfants les provinces nouvellement conquises au profit de la monarchie, renouvelant ainsi en leur faveur les partages funestes qui avoient amené la ruine des deux premières races; et il est très-probable que s'il ne leur donna pas à tous le titre (p. 10) de roi, c'est que la coutume de l'indivisibilité de la succession au trône avoit déjà pris force de loi; et que d'ailleurs, nous le répétons, les grands vassaux, maîtres absolus chez eux, n'eussent point souffert cette multiplicité de souverains.

Si l'on suit attentivement la marche de ces premiers Capétiens, on n'y voit qu'un dessein assez constamment suivi et qui semble avoir été tout le fond de leur politique: ce fut de chercher dans le peuple un appui contre la noblesse; ce qu'ils firent, comme nous l'avons déjà dit, par le soin qu'ils eurent, en faisant rentrer les communes sous leur juridiction, de leur accorder de nouveaux priviléges[9], surtout par l'importance qu'ils donnèrent aux bourgeois de Paris, qui devoient si étrangement abuser de ces faveurs extraordinaires et de ces concessions imprudentes. Ce fut une faute très-grave, qui eut les plus funestes conséquences pour la monarchie, et d'autant plus funestes qu'en même temps que ces princes mettoient tous leurs soins à élever le peuple et à abaisser les grands, ils combattoient de toutes leurs forces l'influence si naturelle, si légitime et surtout si salutaire de la puissance spirituelle, de cette puissance qui déjà avoit été le salut de la France, qui seule encore pouvoit offrir à la puissance politique (p. 11) un véritable appui. Dans cette situation précaire où il avoit plu aux rois capétiens de se placer, entre des nobles factieux et des plébéiens indociles, il ne paroît pas qu'aucun d'eux, à aucune époque, ait entièrement compris quel immense secours il en pouvoit tirer, et qu'une société chrétienne se trouvoit en contradiction avec elle-même, si la puissance temporelle n'y étoit, même sous certains rapports qui semblent aux esprits vulgaires purement politiques, soumise aux décisions de cette puissance universelle, instituée par Dieu même pour être la règle suprême de la société entière des fidèles, et pour tout ramener sans cesse à sa sublime unité. Saint Louis n'est pas lui-même exempt sur ce sujet de quelques reproches. Mais ce furent surtout les démêlés violents et scandaleux de Philippe-le-Bel avec le pape Boniface VIII, démêlés dans lesquels tous les torts étoient évidemment du côté du monarque françois, qui commencèrent à porter atteinte au respect religieux dont les peuples jusqu'alors avoient été pénétrés pour le vicaire de Jésus-Christ. Le séjour forcé de plusieurs papes en France et le grand schisme d'Occident, plus fatal à la religion que tout le reste, accrurent encore cette disposition fâcheuse, et les premiers symptômes de la dissolution sociale ne tardèrent point à se manifester. Ces considérations si importantes recevront plus tard leur développement: il suffit de les indiquer (p. 12) ici pour bien faire comprendre la suite des événements.

Nous avons expliqué comment les successeurs de Hugues Capet sortirent peu à peu de cet état de foiblesse extrême où le chef de leur race avoit été réduit, quels moyens ils surent employer pour y parvenir, quelles circonstances heureuses les favorisèrent. Les victoires si éclatantes et si décisives de Philippe-Auguste firent une impression profonde sur les grands vassaux, qui, jusqu'alors, ne sembloient point avoir compris eux-mêmes le danger de leur position, ni ce que le pouvoir royal tiroit de force de l'isolement dans lequel chacun d'eux s'étoit placé, ainsi que du caractère nouveau qui lui avoit été donné. Nous avons vu que les plus puissants d'entre eux renouvelèrent leurs confédérations, non plus pour former, comme dans les temps anciens, une assemblée nationale qui pût légalement arrêter les empiétements du monarque sur leurs droits et priviléges, mais pour créer des ligues et machiner des complots contre lui, se faisant ainsi ses ennemis parce qu'ils commençoient à redouter qu'il ne devînt leur maître. Sous la régence de Blanche et sous le règne mémorable de saint Louis, ils furent contenus; et nous avons déjà dit pourquoi, dans ces premiers âges de la monarchie, les princes courageux et d'un grand caractère étoient presque toujours sûrs de (p. 13) triompher dans cette lutte sans cesse renaissante; mais, sous des règnes plus foibles, une faute déjà commise et qui ne pouvoit être réparée, rendit à ces vassaux indociles et orgueilleux tous les avantages qu'ils avoient perdus.

On devine sans doute quelle est cette faute irréparable dont nous voulons parler: le mariage de Louis-le-Jeune avec Éléonore de Guyenne avoit réuni à la couronne deux des plus belles provinces de France; son divorce, plus fatal que vingt défaites, en rendit possesseurs les rois d'Angleterre, et établit dans le sein même de ce beau royaume une puissance rivale de celle de ses propres rois, et revêtue comme elle d'un caractère sacré et inviolable. Les monarques anglois, devenus ainsi vassaux des rois de France, et ne supportant qu'avec impatience le joug d'un vasselage si humiliant pour des têtes couronnées, se firent à l'égard de ceux-ci une politique conforme à leurs nouveaux intérêts, c'est-à-dire que, décidés à secouer ce joug insupportable, et incapables d'y jamais parvenir, s'ils demeuroient livrés à leurs propres forces, ils se firent le point d'appui formidable de tout vassal qui voulut se révolter. La politique de nos princes devoit être, à son tour, de ne point prendre de repos que ces dangereux ennemis ne fussent entièrement chassés de France. Il est probable que Louis VIII et Louis IX eussent pu mettre fin à cette grande entreprise, pendant le (p. 14) long règne de Henri III, s'ils en eussent senti toutes les conséquences: ils ne le firent point, et ce foible règne s'étant prolongé jusque sous celui de Philippe-le-Hardi, la cour de France continua à ne point s'inquiéter.

Édouard Ier, prince actif et valeureux, lui prouva bientôt, sous Philippe-le-Bel, combien elle avoit eu tort de se tranquilliser sur un semblable voisinage: une lutte opiniâtre et continuelle s'engagea entre ces deux rois, lutte dans laquelle le monarque anglais, trouvant sans cesse de nouvelles ressources dans l'esprit de révolte et de mutinerie des grands vassaux, souvent même des petits, causa souvent de très-grands embarras à son seigneur suzerain, et ne cessant de troubler la France, montra à ses successeurs la route qu'il leur falloit suivre pour obtenir des succès plus décisifs, y étendre et y consolider de plus en plus leurs établissements. Cependant les rois de France, qui ne possédoient encore ni assez de sujets immédiats ni des revenus assez considérables pour se soutenir uniquement avec leurs propres forces contre un ennemi qui ne leur faisoit la guerre qu'en leur suscitant mille autres ennemis, appeloient à leur secours les peuples à peine affranchis, ajoutoient sans cesse aux priviléges des villes et des communes pour prix des levées d'hommes et des subsides extraordinaires qu'ils leur demandoient, et par ces concessions impolitiques, mais (p. 15) que les fautes précédentes rendoient peut-être nécessaires, créoient ainsi dans l'État une corporation nouvelle plus difficile à gouverner, plus portée à la mutinerie et à l'insolence que cette noblesse altière dont ils eurent sans doute souvent à se plaindre, mais qui seule cependant leur fournissoit encore de sûrs auxiliaires et des armées capables de tenir tête à l'ennemi. Ainsi se forma, de cette complication d'imprudences et de malheurs, le troisième ordre de l'État: ce fut Philippe-le-Bel lui-même qui le premier appela les députés des communes à délibérer avec le clergé et la noblesse sur les affaires du royaume, et donna à ce tiers-ordre une importance politique dont il abusa si étrangement par la suite, ou, pour mieux dire, à l'instant même qu'elle lui eut été accordée. Dès lors il devint difficile de rien obtenir sans assembler les états-généraux que ce prince avoit si malheureusement institués[10]; ils se tinrent le plus (p. 16) souvent à Paris, dont la population étoit plus riche, plus nombreuse, voyoit de plus près la cour, étoit placée au centre des affaires, sur lesquelles, par conséquent, elle pouvoit exercer une plus grande influence. Alors ce fut à remuer principalement (p. 17) cette population que s'attachèrent tous les chefs de factions, au milieu de tant de troubles et de revers de fortune qu'amenoit sans cesse cette position étrange à laquelle la France étoit réduite; et c'est ainsi que l'histoire de cette ville fameuse devient, à partir de cette époque, l'histoire même de la monarchie.

Édouard Ier eût poussé plus loin ses avantages, si, heureusement pour la France, il n'eût trouvé, dans son propre pays, des embarras qui arrêtèrent le cours de ses projets ambitieux. Sous son foible successeur Édouard II, les monarques françois reprirent leur ascendant; et les règnes de Louis-le-Hutin, de Philippe-le-Long et de Charles-le-Bel furent moins agités. Mais un grand prince monta sur le trône d'Angleterre; et la cause du mal n'étant point détruite, le caractère de ce nouvel ennemi, et des circonstances encore plus fâcheuses en aggravèrent bientôt les effets.

Et d'abord la première démarche hostile que fit Édouard III, dont le règne mémorable préparoit tant de malheurs à la France, fut de disputer la possession de ce royaume à Philippe de Valois, renouvelant à l'occasion de l'avénement de ce prince les querelles qui s'étoient élevées entre Jeanne, fille de Louis-le-Hutin, et Philippe-le-Long. Pour succéder à Charles-le-Bel, il appuyoit son droit sur ce que sa mère Isabelle étoit fille de Philippe-le-Bel, dont, par conséquent, il (p. 18) étoit le petit-fils, et plus proche parent que Philippe-de-Valois, neveu de ce monarque; d'un autre côté, on revendiquoit aussi la couronne pour Blanche, fille unique du feu roi, et née après la mort de son père. Mais la même loi[11] qui avoit donné l'exclusion à Jeanne fit rejeter Blanche; et les prétentions d'Édouard, qui ne présentoit d'autres titres à cet héritage que ceux que lui donnoit la ligne féminine, ne semblèrent pas plus légitimes aux barons assemblés. Forcé de céder, et reconnoissant peut-être au fond de l'âme combien étoient futiles ces titres sur lesquels se fondoit sa demande, le roi d'Angleterre n'en feignit pas moins de grands ressentiments (p. 19) comme si on l'eût dépouillé d'un bien qui lui appartenoit légitimement, et fit de cette injustice prétendue le principal prétexte de la guerre acharnée qu'il ne cessa de faire à Philippe, s'alliant à tous ses ennemis, se déclarant contre lui l'auxiliaire des rebelles et le protecteur des traîtres.

À l'époque où ces ressentiments, vrais ou faux, excitoient contre le successeur de Charles-le-Bel un ennemi si actif et si puissant, et sembloient donner une animosité nouvelle à la vieille haine de l'Angleterre contre la France, si nous examinons la situation de ce prince à l'égard des autres grands vassaux, nous la voyons également entourée de périls et d'inimitiés.

Le comté d'Artois avoit été séparé de la couronne avant l'existence de la loi salutaire qui changeoit en simples apanages les portions du domaine de la couronne que nos rois avoient jusqu'alors si imprudemment accordées en toute propriété à leurs fils cadets. Ce grand fief étant devenu vacant par la mort de Robert II, Philippe-le-Bel, fondé sur ce que la représentation n'y avoit pas lieu, l'avoit adjugé, en 1302, à Mahaud, fille de ce prince, par préférence à Robert III, qui n'étoit que son petit-fils, et neveu de l'héritière. Robert ayant appelé de ce jugement sous Philippe-le-Long, et essayé même de soutenir son droit par la force des armes, un nouvel arrêt confirma Mahaud (p. 20) dans la possession du comté-pairie d'Artois, et Robert, contraint une seconde fois de s'y soumettre, resta tranquille pendant les règnes assez courts de ce prince et de Charles-le-Bel son successeur.

Mais sous celui de Philippe de Valois, dont il étoit beau-frère, et à qui il avoit rendu des services assez importants, Robert crut pouvoir faire revivre ses prétentions, et attaqua, pour la troisième fois, le jugement rendu en faveur de Mahaud. Il le pouvoit, sans doute, et sans mériter aucun blâme, au risque de se voir condamné pour la quatrième fois; mais pour faire réussir une mauvaise cause dont lui-même désespéroit, il employa des moyens frauduleux, indignes d'un prince, et déshonorants pour tout homme, quel qu'il pût être[12]. Cette basse et criminelle intrigue fut découverte, et la condamnation de ce prince est célèbre par toutes les formalités qui y furent observées, et qui nous ont conservé la manière dont on procédoit à l'égard des pairs de France dans les causes criminelles. Banni du royaume, le comte d'Artois va chercher un asile en Angleterre, où (p. 21) Édouard le reçoit à bras ouverts, l'admet dans tous ses conseils et ce dangereux esprit, qui ne respiroit que la vengeance, n'a plus d'autre pensée que d'exciter à la guerre contre son propre pays un prince ardent et ambitieux qui n'y étoit déjà que trop disposé. En même temps qu'il le détermine à entrer en France, il l'aide à pratiquer dans plusieurs provinces des intelligences qui devoient assurer le succès de son invasion. Édouard se fait donc le chef secret de tous les seigneurs mécontents. Il pousse à la révolte les Flamands, toujours prêts à se révolter, et commence les hostilités. Elles n'ont toutefois rien de décisif; la ligue se dissout, et une trève d'un an qu'il obtient de son ennemi trop facile, lui donne le temps de mieux prendre ses mesures.

Des troubles naissent en Bretagne au sujet de l'hérédité de ce grand fief. Le roi de France se déclare pour Charles de Blois que le feu duc avoit institué son héritier; Édouard prend aussitôt le parti de Jean de Montfort son contendant. La guerre recommence et cesse encore au détriment de Philippe, qui ne sait point profiter des avantages qu'il avoit obtenus. Le supplice d'Olivier de Clisson, que le roi fait exécuter comme coupable de félonie[13], la rallume bientôt, et plus furieuse que (p. 22) jamais. Ici commence cette suite non interrompue de revers dont la France fut accablée sous le règne de ce prince, et sous le règne plus malheureux encore de son successeur. Édouard débarque en Normandie où la trahison lui avoit préparé des voies qui le conduisent jusqu'aux portes de Paris dont il brûle et dévaste les environs[14]. Cependant tout étoit tellement livré au hasard dans les opérations militaires de ce temps-là, que pressé à son tour par Philippe qui le poursuit sans relâche et l'atteint près de Créci, le roi d'Angleterre, qui essayoit de faire sa retraite en Flandre, sembloit perdu sans ressource et ne pouvoir échapper à une entière défaite: la valeur impétueuse et inconsidérée des Français lui procure, dans cette situation désespérée, une victoire complète, décisive, et dont les suites sont terribles. Tout semble perdu; la France consternée ne peut empêcher son ennemi de prendre Calais, après un siége de trois ans, et de se faire ainsi une place d'armes d'où il lui devient facile de conduire, dans quelques jours, une armée jusqu'aux portes de sa capitale et à travers (p. 23) la plus riche de ses provinces; le peuple est foulé et mécontent, la noblesse dispersée et découragée; les campagnes ravagées restent sans culture; les traîtres et les rebelles s'affermissent dans l'alliance de l'étranger, et le royaume entier est en proie à des maux qui, depuis long-temps, lui étoient inconnus.

D'un autre côté, cette application de la loi fondamentale de l'État qui avoit porté sur le trône Philippe-le-Long et Philippe de Valois, au préjudice de deux filles des rois leurs prédécesseurs, n'avoit pu avoir lieu sans faire naître une foule de mécontents; et le premier de ces deux princes s'étoit vu forcé à faire de grands sacrifices pour apaiser les plus puissants. Dans ces diverses transactions, Eudes de Bourgogne, oncle de Jeanne, avoit obtenu en mariage la fille aînée du roi, et pour dot le comté de Bourgogne, ce qui le rendit possesseur des deux grands fiefs de ce nom. Pour se faire donner un si riche présent, Eudes avoit sacrifié entièrement les intérêts de sa pupille; et la fille de Louis Hutin, mariée à Philippe, comte d'Évreux, étoit restée dépouillée de presque tout apanage jusqu'à l'avénement de Philippe de Valois. Ce prince, en montant sur le trône, crut devoir lui rendre le royaume de Navarre, comme une sorte de compensation de la perte qu'elle avoit essuyée; mais cette donation, qui pouvoit être juste dans les idées et les coutumes de ce temps-là, (p. 24) suscita bientôt un ennemi de plus aux rois de France, en créant encore un grand fief; et nous allons bientôt voir Charles, roi de Navarre, fils de Jeanne et de Philippe d'Évreux, appeler à son tour l'Anglois dans le cœur de la France.

Jean commença à régner sous ces tristes auspices, au milieu de cette confusion de tous les droits et de cet oubli de tous les devoirs. Les Flamands, les Bretons et une partie des seigneurs normands introduisoient à l'envi les Anglois jusque dans le cœur de la France, marchoient sous leurs bannières, ou les aidoient de toute leur influence. Mais de tous ces ennemis intérieurs, le plus dangereux étoit ce fameux roi de Navarre, Charles-le-Mauvais, prince qui joignoit malheureusement à tous les vices du cœur toutes les ressources de l'esprit, et dont on ne peut mieux peindre la perversité qu'en disant qu'il a complétement mérité le surnom odieux que lui a conservé l'histoire. Maître en Normandie de plusieurs places fortifiées que le roi lui avoit imprudemment accordées en échange du comté d'Angoulême, et ne cherchant qu'un prétexte pour lever l'étendard de la révolte, il feignit d'être mortellement offensé de ce que le roi avoit donné ce comté au connétable Charles d'Espagne son favori; et se vengeant de cet affront prétendu comme il convenoit à un caractère tel que le sien de le faire, il fit assassiner le connétable, et ouvrit aussitôt aux Anglois toutes (p. 25) ces places qu'il possédoit si près de la capitale du royaume. Réduit à faire un traité honteux avec ce traître, et le cœur toujours ulcéré du meurtre de son connétable, Jean fait arrêter à Rouen et exécuter sur-le-champ les seigneurs qui avoient aidé le Navarrois dans cet assassinat; ce prince est arrêté lui-même à Paris, où il étoit venu, à la prière du dauphin, pour assister à sa réception comme duc de Normandie. «Cette action auroit l'air d'une perfidie, dit le président Hénault, si le roi n'avoit pas été informé que Charles traitoit avec l'Anglois, et avoit voulu séduire jusqu'à son fils: mais le meurtre du connétable n'auroit-il pas été une excuse suffisante à cette vengeance?»

(1356.) L'emprisonnement du roi de Navarre fait courir aux armes son frère Philippe, et les parents des seigneurs qui avoient été exécutés à Rouen; ils appellent à leur secours Édouard III: la trève entre la France et l'Angleterre, tant de fois rompue et renouvelée, se change enfin en une guerre cruelle et ouvertement déclarée.

Le roi Jean marche contre le prince de Galles, l'atteint à Maupertuis, à deux lieues de Poitiers, dans des vignes d'où il lui étoit impossible de se sauver, livre bataille, la perd par cette inconsidération et cette témérité qui lui ont été trop justement reprochées, est fait prisonnier, et laisse son royaume en proie aux factieux, déchiré par (p. 26) la guerre civile et extérieure, et n'ayant pour tout appui, dans de telles extrémités, qu'un jeune prince sans expérience et sans considération personnelle. En effet, on auguroit mal de l'esprit du dauphin pour avoir prêté un moment l'oreille aux séductions du Navarrois, qui vouloit le mettre mal avec son père; de son courage, parce qu'on l'accusoit de s'être retiré du combat dès le commencement de la bataille de Poitiers[15]: telle étoit l'opinion qu'on avoit alors de ce Charles, jeune d'âge et de conseil, comme dit Froissart, et qui fut depuis le sauveur de la France, et l'un de ses plus grands rois.

Ce prince revint à Paris aussitôt après cette funeste bataille, y prit le titre de lieutenant-général du royaume[16], et assembla les états-généraux pour en obtenir des secours et des conseils dans une situation aussi pressante. De telles assemblées, si souvent dangereuses, le sont surtout dans les moments de trouble et de foiblesse du gouvernement. Celle-ci commença par se plaindre de l'administration, des ministres, etc., et fut d'autant plus (p. 27) turbulente, que le tiers-ordre y eut la principale influence[17]. L'arrestation d'un grand nombre de serviteurs du roi[18], et la mise en liberté de Charles-le-Mauvais furent ensuite demandées; on vouloit que le dauphin se fît un conseil pris parmi les membres des états, et que rien ne s'exécutât sans sa participation: c'étoit à ce prix qu'on lui accordoit des troupes et de l'argent. Ce prince, qui sentit l'atteinte que de telles demandes portoient à son autorité, feignit d'être disposé à y consentir, en même temps qu'il cherchoit des mesures pour les déconcerter. Il n'y en avoit point d'autres à prendre que de rompre à l'instant cette assemblée de factieux: c'est ce qu'il fit en leur déclarant qu'il attendoit des ordres du roi, sans lesquels il ne pouvoit rien décider, et qu'il étoit aussi résolu de consulter à ce sujet l'empereur son oncle. L'assemblée se sépara, non sans murmures, et le peuple, à qui on avoit fait concevoir de grandes espérances de la nouvelle administration, commença à éprouver du mécontentement.

(p. 28) Le dauphin partit en effet pour aller trouver l'empereur Charles IV qui étoit alors à Metz, et laissa le duc d'Anjou son frère à Paris, avec le titre de son lieutenant. Avant son départ, il avoit été arrêté entre ces deux princes, que, pendant l'absence du premier, l'autre publieroit une ordonnance sur la mise en circulation d'une monnoie nouvelle où l'espèce étoit altérée; fâcheuse, mais seule ressource qu'il fût possible d'employer, puisqu'on n'avoit obtenu de l'assemblée aucun subside. Une fermentation sourde régnoit dans la ville: il sembloit qu'elle n'attendît qu'un coup d'autorité pour éclater. À peine l'ordonnance fut-elle rendue publique, qu'Étienne Marcel, prévôt des marchands, qui déjà s'étoit fait remarquer dans l'assemblée des états par la violence de ses opinions, et qui va jouer un rôle si odieux dans cette funeste époque de notre histoire, se rendit au Louvre, suivi de quelques factieux, et là parla au duc d'Anjou avec tant de hardiesse et d'insolence, que ce prince intimidé consentit à suspendre l'exécution de cette mesure jusqu'à l'arrivée de son frère.

Instruit par le duc d'Anjou de ce qui se passoit, le dauphin hâta son retour, dévoré d'inquiétudes et fort incertain de ce qui lui restoit à faire. Il sembloit que la France entière fût insensible à ces malheurs et à ces dangers du trône, qui devoient cependant retomber sur elle de tout leur poids: (p. 29) le prince n'avoit trouvé de bonnes dispositions nulle part, excepté dans les états de Languedoc qui arrêtèrent de lui envoyer quelques troupes, mais qui ne purent exécuter cette bonne résolution, parce que leur pays étoit menacé lui-même par les Anglois, maîtres d'une grande partie de la Guienne, et qui infestoient toutes les provinces maritimes de France, depuis la Gascogne jusqu'à la Flandre. Arrivé à Paris, Charles ne tarda point à reconnoître qu'il lui étoit impossible de détruire le crédit que Marcel avoit su prendre sur les Parisiens; il essaya donc de le gagner, car il étoit urgent pour lui de donner cours à la nouvelle monnoie. Une entrevue eut lieu, dans une maison du cloître Saint-Germain-l'Auxerrois, entre plusieurs envoyés du prince et le prévôt des marchands; mais ils essayèrent vainement de le ramener à des sentiments plus modérés: non-seulement Marcel demeura inflexible et sourd à toutes leurs propositions, mais, jugeant très-bien qu'il pouvoit mettre à profit un semblable incident pour accroître encore son influence, il alla, en sortant de cette assemblée, apprendre au peuple tout ce qui venoit de s'y passer.

Il y eut aussitôt un soulèvement général; toutes les boutiques furent fermées; les ouvriers cessèrent leurs travaux; les bourgeois prirent les armes, et l'on n'entendit plus de tous côtés que des injures et des menaces contre le gouvernement. On n'avoit (p. 30) point de troupes à opposer à ce peuple révolté; et ce fut une nécessité de céder pour le moment à l'orage; en conséquence, le dauphin se rendit le lendemain au palais, et là, en présence de Marcel, il annonça la suppression de la nouvelle monnoie et le pardon du tumulte de la veille. Devenu plus audacieux par cet acte de condescendance, le prévôt des marchands demanda de nouveau la proscription des serviteurs du roi, qu'il avoit rendus les objets de la haine publique, ajoutant à cette demande celle de la confiscation de leurs biens, et, d'une seconde convocation des états-généraux: il fallut encore consentir à ces demandes séditieuses.

Ce fut dans cette assemblée que l'autorité du dauphin, déjà si chancelante, reçut les dernières atteintes. Un nouveau conseil lui fut donné, composé de trente-six membres tirés du sein des états, et il n'est pas besoin de dire que Marcel fut le premier choisi. Ce conseil eut l'administration des finances, la conduite de toutes les affaires, et l'on ne laissa au lieutenant-général du royaume d'autre marque d'autorité que la triste prérogative de consacrer les délibérations absolues de ces insolents conseillers, par une ordonnance publiée en son nom. Il avoit été décidé qu'on leveroit un subside pour former une armée: il fut arrêté qu'eux seuls pourroient en disposer. Sur leur demande, les deux cours supérieures du parlement et de la (p. 31) chambre des comptes furent dissoutes, et ils créèrent eux-mêmes un nouveau parlement qu'ils remplirent de gens dévoués à leurs volontés. Tels furent les premiers excès auxquels se livrèrent les factieux pendant la tenue des états; et Robert Lecoq, évêque de Laon, l'un des plus emportés d'entre eux, termina la dernière séance par un discours séditieux qui prouva qu'ils ne comptoient point en rester au point où ils étoient parvenus.

Cependant le roi prisonnier venoit de conclure à Bordeaux une trève de deux années, pendant laquelle on devoit négocier de sa rançon: la nouvelle en fut apportée à Paris par le comte d'Eu, le comte de Tancarville et l'archevêque de Sens. Ces seigneurs étoient en même temps porteurs d'une lettre signée du roi, qui annuloit, en conséquence du nouveau traité, tout ce qu'avoient fait les états, et surtout la levée du subside. Ce fut alors qu'on put voir jusqu'où va l'aveuglement d'un peuple livré à des chefs de parti. Ceux-ci, voyant le coup terrible qu'un tel message alloit porter à leur autorité, trouvèrent le moyen de persuader à cette populace insensée qu'une telle mesure étoit un attentat contre sa propre sûreté; de manière qu'elle s'attroupa de nouveau, demandant la levée du subside avec une fureur qui n'eût été explicable que si l'on eût voulu le maintenir, et qu'elle en eût demandé la suppression. Les députés du roi, menacés pour leur vie, furent forcés (p. 32) de quitter Paris, et le dauphin ne put apaiser le tumulte qu'en publiant, contre l'ordre de son père, la prorogation des états et la levée de l'impôt: ce qui rétablit pour quelque temps un calme apparent dans la capitale.

Cependant Marcel et ses partisans, qui vouloient une révolte déclarée, répandirent le bruit que les députés du roi n'avoient quitté Paris que pour rassembler des troupes contre ses habitants, et que la noblesse des environs avoit pris parti pour ces trois seigneurs: aussitôt le peuple effrayé courut aux armes, et plaça des corps-de-garde et des sentinelles dans les différents quartiers; les portes de la ville furent fermées, des chaînes furent tendues dans les rues et dans les carrefours; on alla plus loin, et, avant d'examiner si le bruit avoit quelque fondement, on entreprit le travail immense d'achever les nouvelles fortifications qui avoient été commencées après la bataille de Poitiers[19], et dont l'objet étoit de renfermer dans la ville une partie des faubourgs bâtis depuis le règne de Philippe-Auguste. Des fossés furent creusés autour de la muraille qui défendoit la partie occidentale, et embrassèrent les faubourgs situés à l'orient; on éleva des parapets, on construisit des redoutes, on plaça sur les remparts des canons et des balistes; (p. 33) et cette terreur panique fit achever en peu de jours des travaux qui, dans une circonstance ordinaire, auroient demandé plusieurs années; travaux que ce peuple aveugle avoit refusé de faire, quelques années auparavant[20], lorsque l'armée anglaise, campée à Poissy, menaçoit de faire le siége de leur ville. Il résulta toutefois de ces mesures extrêmes et violentes qui furent prises dans cette circonstance, que, par la suite, l'autorité du dauphin en fut affermie, ce qui certainement n'avoit pas été le but des factieux.

Ceux-ci, pour soulever le peuple de Paris, avoient suivi la marche des démagogues de tous les temps et de tous les pays, en l'enivrant de vaines illusions, en lui donnant l'espoir d'une félicité jusqu'alors inconnue. Il arriva qu'ils perdirent leur crédit, comme l'ont toujours perdu leurs pareils, par l'impossibilité où ils se trouvèrent de réaliser ces chimériques promesses. Ils rencontrèrent d'abord un obstacle embarrassant dans le clergé et la noblesse, qui résistèrent à toutes leurs séductions, et se séparèrent d'eux, aimant mieux abandonner momentanément les rênes de l'État à ces tyrans subalternes, que d'être, (p. 34) même en apparence, complices de leurs attentats. Plusieurs députés du tiers-ordre ayant reconnu la méchanceté de Marcel et de ses complices, se détachèrent également de leur parti; de manière qu'il ne se trouva plus, du conseil des réformateurs, que dix à douze membres, bourgeois ou échevins de Paris, qui voulussent prendre part aux affaires.

Cependant le clergé et la noblesse refusoient en même temps de contribuer au subside dont le poids entier retomba sur le peuple; il se fit en outre, dans la perception de cet impôt, des dilapidations telles qu'il fut impossible de lever les troupes pour lesquelles il avoit été ordonné; d'où il arriva que Philippe, frère du roi de Navarre, faisant des courses jusqu'aux environs de Paris, et en ravageant les campagnes sous les yeux mêmes des Parisiens, on se trouva sans moyens de défense à lui opposer. Une si fâcheuse situation fit ouvrir les yeux, et les réformateurs commencèrent à tomber dans le mépris.

Le dauphin crut cette circonstance favorable pour secouer le joug sous lequel il gémissoit depuis si long-temps. Marcel, l'évêque de Laon et leurs complices furent mandés au Louvre; et là le prince, leur parlant avec un ton d'autorité qu'il n'avoit osé prendre jusqu'alors, leur déclara qu'il prétendoit gouverner désormais sans tuteurs, et qu'il leur défendoit de se mêler davantage des affaires du royaume. Abandonnés par le (p. 35) peuple, les factieux se montrèrent aussi lâches qu'ils avoient été insolents dans leur puissance usurpée: ils se retirèrent confus et consternés. Mais ils s'étoient trop avancés pour se croire en sûreté dans une entière soumission, et ils ne parurent céder que pour se donner le temps de tramer de nouveaux complots. Abandonnés des deux premiers ordres, qui, en se séparant d'eux, avoient hautement manifesté l'indignation qu'ils ressentoient de leur audace et de leur insolence, ils reconnurent qu'ils étoient perdus, s'ils ne se donnoient un chef dont l'autorité fût assez grande pour les protéger et les maintenir. Le roi de Navarre étoit un homme tel qu'il le leur falloit pour jouer au milieu d'eux ce premier rôle: et dès ce moment toutes leurs vues se fixèrent sur lui.

Cependant, après ce coup d'autorité qu'il s'étoit enfin décidé à frapper, Charles avoit quitté Paris pour aller dans différentes villes du royaume solliciter les secours qu'il ne pouvoit obtenir de cette ville, et qu'exigeoit impérieusement la situation pressante des affaires. Ayant donc pris leurs mesures dans le plus profond secret, les conjurés députèrent vers lui pour l'engager à revenir au milieu d'eux, lui promettant de l'argent en abondance, se rétractant de leurs premières demandes, et lui faisant d'ailleurs de telles protestations de respect et de soumission, qu'il ne poussa pas plus loin son voyage, n'en ayant pas d'ailleurs obtenu (p. 36) les résultats qu'il en attendoit. Mais à peine fut-il rentré à Paris qu'il put reconnoître à quel point il s'étoit trompé en comptant sur le retour sincère de ces traîtres; car, lorsqu'il fut question de réaliser les promesses qu'ils lui avoient faites, Marcel, répondant au nom du conseil, lui déclara qu'ils ne pouvoient rien décider que les états ne fussent convoqués pour la troisième fois. Ils savoient le parti qu'ils pouvoient tirer d'une semblable assemblée. Malgré l'expérience du passé, le dauphin eut encore la foiblesse d'y consentir.

À peine les états étoient-ils ouverts, qu'on apprit l'évasion de Charles-le-Mauvais. Jean de Pecquigny, gouverneur de l'Artois et l'un des chefs de la faction, avoit été chargé par ses complices de le délivrer, et s'étoit acquitté avec bonheur et adresse de cette commission difficile. Les uns disent qu'il surprit de nuit le château d'Arleux en Pailleul[21], où il étoit renfermé, d'autres qu'il se le fit délivrer, ayant profité d'un moment où le gouverneur de cette forteresse étoit absent, et contrefait un ordre du dauphin de le remettre entre ses mains. Quoiqu'il en soit, il réussit dans cette entreprise dont les suites devoient être si funestes, et conduisit sur-le-champ le prince à Amiens. La nouvelle de son évasion ne tarda point (p. 37) à parvenir à Paris: les gens bien intentionnés en frémirent; ce fut la joie et le triomphe des factieux. Ils commencèrent par présenter le roi de Navarre aux Parisiens mécontents comme un ami et un protecteur, de qui ils avoient le droit de tout attendre: lorsqu'ils furent assurés de lui avoir gagné l'affection de la multitude, Marcel, l'évêque de Laon et Pecquigny allèrent, non plus avec une apparence de soumission, mais avec l'audace qu'inspire le succès, demander au dauphin un sauf-conduit sans réserve pour son plus cruel ennemi. Ils l'obtinrent du prince, obligé de dissimuler et accablé d'un tel revers; et le Navarrois, précédé d'une troupe de brigands qu'il avoit recueillis dans les prisons d'Amiens, entra dans la capitale, aux acclamations d'une population immense qui voyoit en lui son libérateur.

Le lendemain de son arrivée, Charles-le-Mauvais, qui étoit allé loger à l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, monta sur un échafaud dressé contre les murs de ce monastère, et de là harangua le peuple de Paris qu'il avoit réuni dans le Pré-aux-Clercs. Il s'y trouva plus de dix mille personnes, et le prévôt des marchands y étoit présent lui-même, entouré de plusieurs de ses officiers. Dans ce discours adroit et éloquent, le Navarrois fit une peinture touchante des injustices et des maux qu'il avoit soufferts, pour exciter à son égard la pitié et l'intérêt, parla avec amertume (p. 38) des fautes de l'administration actuelle, afin d'aigrir encore davantage les esprits contre le jeune prince, et finit par protester de son dévouement pour la France, faisant même entendre qu'il y auroit maintenu l'ordre s'il avoit eu quelque autorité.

Le peuple, avide de nouveautés, écouta la harangue du roi de Navarre avec la plus vive satisfaction. Aussitôt Marcel, dont toutes les démarches étoient combinées avec lui, alla trouver le dauphin au Palais, où il venoit de se retirer, et le pria de rendre justice à ce prince sur tous les griefs dont il se plaignoit. Entouré des satellites de ce brigand, il fallut que l'héritier présomptif de la couronne consentît, non-seulement à voir l'ennemi mortel de son père et de toute sa famille, mais encore à lui faire toutes les satisfactions qu'il lui plut d'exiger. L'entrevue eut lieu dans l'hôtel de la reine Jeanne, et dès le lendemain, sur la requête du roi de Navarre, le conseil décida que le dauphin lui donneroit une amnistie entière pour lui et pour tous les seigneurs de son parti; que tous ses biens, terres et forteresses confisqués, lui seroient rendus; qu'on réhabiliteroit la mémoire des seigneurs exécutés à Rouen; et ce qui passe toute croyance et met le comble à l'opprobre d'un semblable traité, que toutes les prisons seroient ouvertes pour en laisser sortir tous les malfaiteurs, quels qu'ils fussent. C'étoit une des conditions expressément exigées par le Navarrois, qui donna (p. 39) lui-même la liste de tous les crimes pour lesquels il demandoit grâce[22]. Cette âme atroce, et qui ne méditoit que des forfaits, sembloit jouir d'avance de son impunité dans celle de ces misérables, qui d'ailleurs pouvoient lui fournir d'utiles instruments de ses coupables entreprises.

Toutefois, malgré ces complaisances, ou pour mieux dire cette extrême foiblesse du dauphin, la paix entre les deux princes ne fut pas de longue durée. Après un très-court séjour à Paris, pendant lequel ils se visitèrent avec une feinte cordialité, et dînèrent même quelquefois ensemble[23], le Navarrois partit pour aller se mettre en possession des places qui lui avoient été restituées par le traité; mais comme ceux qui les gardoient au nom du roi refusèrent de les lui rendre, il saisit ce prétexte pour lever de nouveau des troupes; et, s'avançant vers Paris, il en ravagea les environs, et fit des courses jusqu'aux portes mêmes de la ville.

Le dauphin, vivement touché des désastres (p. 40) auxquels le peuple des campagnes étoit exposé, voulut de son côté lever une armée pour s'y opposer. Les factieux, toujours poursuivis par l'image de leurs crimes, s'imaginèrent que cet armement se préparoit contre eux, et, pour en détourner l'effet, ne trouvèrent d'autre moyen que de jeter de nouvelles alarmes parmi les Parisiens. Ils y réussirent tellement, que, malgré toutes les protestations du prince, il y eut un refus général de recevoir dans la ville aucun homme armé; et tandis qu'ils ôtoient ainsi à ce prince tout moyen de repousser l'ennemi qui désoloit les campagnes environnantes, ces traîtres l'accusoient auprès du peuple de négligence et d'incapacité, et le lui présentoient comme l'auteur de tous les maux dont il étoit accablé. Ces insinuations perfides ayant porté à son comble l'animosité de cette multitude, Marcel crut que le moment étoit venu de donner à son parti un caractère d'indépendance et de révolte déclarée. Il fut convenu que pour s'unir plus étroitement et se distinguer de ceux qu'ils appeloient des traîtres à la patrie, tous ceux qui suivoient la bonne cause prendraient un signe visible qui pût leur servir de ralliement: ce signe étoit un chaperon ou capuce[24], mi-parti de (p. 41) drap rouge et pers. Les sentiments religieux dont le peuple ne cessoit point d'être animé, même au milieu de ses plus grands excès, paroissant aux conjurés propres à fortifier encore leurs attentats politiques, ils érigèrent une confrérie sous l'invocation de Notre-Dame, dans laquelle on vint en foule se faire inscrire. De même on ne vit plus dans les rues que des chaperons de deux couleurs, et personne n'osa plus sortir sans ce signe de salut[25].

Cependant le dauphin, dont l'esprit et le caractère se formoient au milieu de ces orages populaires, osa cette fois-ci lutter ouvertement contre les factieux, et, puisque tout se faisoit par le peuple, essayer de leur disputer son affection. Ayant fait avertir les Parisiens de s'assembler aux halles, il s'y rendit accompagné seulement de cinq personnes. Cette marque de confiance fit d'abord impression sur la multitude; et lorsque ce prince, prenant la parole, eut expliqué les motifs qui l'avoient porté à lever des troupes, et donné sur ses intentions les explications nobles et franches qu'il lui étoit si facile de trouver, on vit ce peuple aussi inconstant dans sa haine que dans son amour, et toujours entraîné (p. 42) par l'impression du moment, lui rendre toute sa faveur et répondre à son discours par les plus vives acclamations.

Mais il ne tarda pas à donner une preuve nouvelle de cette méprisable versatilité: car il arriva que Marcel, justement effrayé de ce changement, l'ayant à son tour harangué le lendemain dans l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, regagna aussitôt une partie de cette populace, qui, toujours plus portée à croire les méchants, parce qu'ils flattent ses passions, rejeta cette fois-ci tout ce que le dauphin put dire pour la ramener. Il est vrai qu'il fit la faute de ne pas se rendre lui-même à l'assemblée, et d'y envoyer son chancelier, ce qui ne pouvoit produire la même impression.

Dans cette nouvelle disposition des esprits, il falloit peu de chose pour rallumer le feu de la sédition. Le juste supplice du changeur Perrin Macé[26], qui avoit assassiné, dans la rue, Jean Baillet, trésorier du dauphin, fut la cause accidentelle de nouveaux excès qui passèrent tous ceux qui s'étoient commis jusqu'alors. Le coupable s'étoit sauvé dans l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, d'où il fut arraché par ordre du dauphin, qui le fit juger et exécuter sur-le-champ. Aussitôt (p. 43) l'évêque de Paris, qui étoit lui-même un des factieux les plus ardents, se récria contre la violation des immunités ecclésiastiques, redemanda le corps qu'on fut obligé de lui rendre, et auquel il fit faire des obsèques honorables. Le prévôt des marchands y assista suivi d'une foule nombreuse, qui ne voyoit qu'une victime dans ce meurtrier, et s'animoit de plus en plus contre le dauphin.

Vainement ce prince essaya-t-il d'intimider les conjurés en faisant répandre la nouvelle de la délivrance prochaine du roi: ceux-ci, informés, par leurs liaisons secrètes, de ce qui se passoit en Angleterre, ne rabattirent rien de leur insolence. Elle éclata même plus vivement encore, peu de jours après, dans une députation qu'ils lui firent, au sujet de Charles-le-Mauvais, qui, toujours armé et ne cessant de dévaster la campagne de Paris, continuoit à demander l'exécution du traité. Un moine jacobin, nommé frère Simon de Langres, qui étoit à la tête des députés, eut l'audace de signifier au prince qu'il eût à rendre justice au roi de Navarre, ajoutant que, par une délibération faite entre eux, il avoit été arrêté que sur-le-champ toutes ses forteresses lui seroient rendues. Un autre moine, religieux de Saint-Denis, alla plus loin encore, et lui déclara qu'ils étoient déterminés à prendre parti contre celui des deux qui refuseroit de se soumettre à l'arrangement (p. 44) qu'ils venoient de régler. Ils n'ignoroient pas qu'il ne dépendoit pas du dauphin de faire restituer au Navarrois ses places de Normandie[27]; mais ils remplissoient leur but, qui étoit de le rendre odieux au peuple, en le présentant comme l'infracteur du traité; et Charles-le-Mauvais, dans le projet qu'il méditoit, n'étoit point fâché d'un incident qui fortifioit des troubles dont il étoit bien résolu de profiter.

Toutefois de telles violences n'étoient que le prélude d'attentats plus grands que préparoit Marcel; et l'on peut ici remarquer que tous ces vils ambitieux qui cherchent à parvenir au pouvoir suprême par la révolte des peuples, ne manquent jamais de les pousser à quelques crimes atroces, pour leur ôter toute idée de retour au devoir, en leur enlevant tout espoir de pardon. Le jeudi 22 février fut choisi par le prévôt des marchands pour les scènes sanglantes qu'il avoit depuis long-temps concertées. Dès le matin une populace armée et nombreuse, composée en partie de gens de métier, s'assembla, par son ordre, aux environs de l'église de Saint-Éloi dans la (p. 45) Cité. L'intention de ces furieux paroissoit être d'entourer le palais où logeoit alors le dauphin, lorsqu'ils en virent sortir l'avocat-général Regnaut-d'Acy qui s'en retournoit à sa maison, située près de l'église de Saint-Landri. Il est aussitôt désigné, poursuivi jusque près de l'église de la Magdeleine, où les séditieux l'atteignent et le percent de mille coups. Marcel, les voyant échauffés par ce premier meurtre, se met à leur tête, marche vers le palais, en monte les degrés, et entre dans la chambre du dauphin. Le voyant étonné et effrayé de cette multitude qui remplissoit ses appartements: «Sire, lui dit-il, ne vous esbahissés de choses que vous voyez; car il est ordonné et convient qu'il soit ainsi.» Se tournant ensuite vers ses gens: «Allons, continua-t-il, faites en bref ce pourquoi vous êtes venus ici.»

À peine eut-il cessé de parler, que ces furieux se jetèrent sur les maréchaux de Champagne et de Normandie. Le premier, qui étoit le seigneur de Conflans, est massacré à l'instant devant le prince. Robert de Clermont[28], le second de ces deux seigneurs, est immolé dans la chambre prochaine, où il venoit de se sauver. Tous les officiers qui environnoient le dauphin fuient et se (p. 46) dispersent épouvantés, le laissant seul à la merci de ces forcenés. Il crut d'abord un moment qu'on en vouloit à ses jours; on prétend même qu'il s'abaissa jusqu'à demander la vie à Marcel, qui lui dit: «Sire, vous n'avez garde[29];» et sur-le-champ ôtant son chaperon, il le lui mit sur la tête pour gage de sa sûreté.

Cependant les corps des deux seigneurs massacrés furent traînés devant l'infortuné Charles, roulés le long des degrés du palais jusqu'à la pierre de marbre placée sous les fenêtres de son appartement; et là, ils restèrent exposés tout le reste de la journée aux regards et aux insultes de cette vile populace[30].

Dès que cette œuvre fut consommée, Marcel se rendit à l'hôtel-de-ville, entouré des exécuteurs de ses assassinats; et traversant une foule immense qui remplissoit la place, il parut bientôt à une fenêtre, et de là rendit compte au peuple de ce qu'il venoit de faire pour son salut et pour le bien du royaume: on lui répondit par des acclamations générales. Aussitôt il retourne, ou plutôt il est porté au palais, et ose remonter à l'appartement du dauphin pour lui demander son approbation sur ce qui venoit de se passer, disant que tout (p. 47) s'étoit fait par la volonté du peuple. Un refus eût produit de nouveaux crimes. Le prince accorda tout; et pour gage de réconciliation, le prévôt lui envoya, dès le soir même, deux pièces de drap aux couleurs de la faction, dont il fut fait sur-le-champ des chaperons pour lui et pour tous les officiers de sa maison.

Les états avoient tenu avant ces événements, et tinrent depuis plusieurs assemblées, dans lesquelles se trouvèrent quelques députés des provinces, qui n'avoient point encore quitté Paris. Intimidés par les factieux, ils les laissèrent maîtres absolus des délibérations, et ratifièrent toutes les lois que ceux-ci proposèrent pour le maintien de leur autorité, lois qui furent aussitôt portées à la sanction du dauphin, et approuvées par lui, comme il avoit approuvé le meurtre de ses deux maréchaux.

Sur ces entrefaites, le roi de Navarre arriva à Paris, suivi d'une troupe nombreuse de gens armés, et il fut visible qu'il y avoit été appelé par les conjurés; car, le jour même de son arrivée, le prévôt des marchands alla le trouver à l'hôtel de Nesle, où il étoit descendu, et là eut avec lui une très-longue conférence. Toutefois il paroît que ce méchant prince ne trouva pas que les dispositions séditieuses des Parisiens fussent parvenues au point où il désiroit qu'elles fussent amenées; car il consentit à entrer dans une sorte (p. 48) d'arrangement avec le dauphin, qui signa sans contestation tous les articles d'un traité dressé par les chefs de la faction, et notamment par l'évêque de Laon. Alors le Navarrois, sûr de ses complices, et bien persuadé qu'il avoit dissipé toutes les méfiances de Charles, quitta Paris pour aller ourdir ailleurs de nouvelles trames, et attendre une occasion plus favorable d'y rentrer.

Le lendemain de son départ, le dauphin, qui jusque là n'avoit porté que le titre de lieutenant du royaume, ayant atteint sa vingt-unième année[31], prit le titre de régent; et quoique son pouvoir fût plus borné que jamais, il ne paroît pas que personne se soit avisé de lui contester un titre qui appartenoit légitimement à l'héritier présomptif de la couronne. Il arriva seulement que l'éclat de cette nouvelle dignité inquiétant davantage les conjurés, ils multiplièrent les vexations et les affronts de toute espèce dont ils prenoient plaisir à l'accabler, le forçant à recevoir dans le conseil de nouveaux factieux pris parmi les échevins de Paris, le contrariant dans ses moindres résolutions, observant jusqu'à ses moindres démarches. Enfin cette tyrannie alla si loin, et lui devint si insupportable, qu'il résolut de secouer enfin le joug de ces misérables, en sortant (p. 49) de Paris, bien déterminé à ne rentrer dans cette ville que lorsqu'il seroit dans une situation à pouvoir punir les traîtres qui l'avoient soulevée. Ce dessein fut conduit avec mystère et exécuté avec adresse: car dix-huit mois de contrainte et de malheurs avoient appris à ce prince à dissimuler à propos ses sentiments. Dès qu'il fut hors des murs, il se rendit à Compiègne, où toute la noblesse des environs vint aussitôt le trouver. Toute celle qui habitoit Paris abandonna cette ville aussitôt qu'elle eut appris son départ, et se rassembla de même auprès de lui, de manière qu'en peu de jours il se trouva à la tête d'une petite armée, toute composée de gentilshommes. Il reçut en même temps des députés de plusieurs provinces, qui lui offroient des subsides et des secours contre les Parisiens. Enfin, dans l'assemblée des états-généraux qu'il convoqua sur-le-champ dans la ville où il se trouvoit, tout ce qui s'étoit passé dans la capitale fut condamné d'une voix unanime, et l'autorité légitime commença à reprendre sa force et sa dignité.

(1358.) Alors les factieux sentirent renaître leurs frayeurs; ils apprirent en outre que, dans une entrevue que le roi de Navarre venoit d'avoir avec le régent, celui-ci avoit rejeté toutes les propositions que l'autre avoit pu lui faire d'un accommodement avec les Parisiens, et montré la ferme résolution de punir tous ceux qui les avoient (p. 50) entraînés dans la révolte. Ils essayèrent alors de conjurer l'orage en envoyant au régent quelques membres de l'université, qui, au nom de leur corps, l'invitèrent à rentrer dans la ville, lui protestant de la soumission de ses habitants. Charles les reçut avec bonté, et ne refusa point une amnistie générale; mais sous la condition expresse qu'on livreroit entre ses mains cinq ou six des chefs les plus coupables, promettant d'ailleurs de ne point attenter à leur vie.

Marcel et ses complices n'eurent garde d'accepter de semblables conditions: ils ne crurent pas même que le prince fût disposé à les remplir; et prenant, comme tous les grands criminels, une sorte d'énergie dans la terreur même des supplices qu'ils avoient mérités, ils résolurent d'opposer la force à la force, et, s'il falloit succomber, de reculer du moins, à quelque prix que ce fût, le moment de leur perte. Ils marchèrent d'abord vers le Louvre, dont ils s'emparèrent sans éprouver la moindre résistance. On répara les brèches des fortifications, on creusa des fossés, on éleva des remparts dans les parties qui étoient encore découvertes; et toute la multitude, à qui les conjurés avoient persuadé que Charles s'avançoit à la tête de sa noblesse pour exercer sur elle les plus terribles vengeances, secondoit leurs travaux avec une incroyable activité. À cette triste époque, il sembloit qu'une fureur épidémique se (p. 51) fût emparée de tous les esprits. Tandis que les insensés Parisiens se fortifioient ainsi dans leur ville, résolus de s'y défendre jusqu'à la dernière extrémité, la France entière étoit dans la plus épouvantable confusion: désolée à la fois par les Grandes compagnies[32] et par la révolte frénétique des paysans, connue sous le nom de la Jacquerie[33], elle n'offroit de tous côtés qu'un vaste théâtre de pillages, des massacres et d'incendies.

Cependant l'armée du régent s'accroissoit de (p. 52) jour en jour; il faisoit fortifier les places qui environnoient Paris, et tout annonçoit qu'il ne tarderoit pas à marcher sur cette ville. Les rebelles, au nombre d'environ trois cents, venoient de faire sur la ville de Meaux, alors en son pouvoir, une tentative qui ne leur avoit point réussi; et le comte de Foix, à la tête seulement de vingt-cinq hommes d'armes, avoit repoussé facilement cette troupe mal armée et sans aucune expérience de la guerre. Leur courage fut tellement abattu de ce petit échec, que, pour le ranimer, Marcel se vit dans la nécessité de rappeler le roi de Navarre, qui sembloit avoir compté sur les extrémités où se trouveroient les factieux, et en attendre impatiemment les effets. Il rentra donc dans Paris, suivi d'une petite troupe de soldats, jura de le défendre de toutes ses forces, et reçut le titre de capitaine et de gouverneur général de la ville, titre qui parut, même aux yeux de ses partisans, avilir sa dignité de roi, mais qui servoit le dessein où il étoit d'accoutumer par degrés les Parisiens à sa domination. On l'accuse d'avoir conçu dès ce moment le dessein de monter sur le trône de France; et sa (p. 53) conduite, chef-d'œuvre d'adresse et de perfidie jusqu'à la fin des troubles, ne permet guère d'en douter.

L'armée du régent, nombreuse et aguerrie, étoit déjà sous les murs de la capitale. Le Navarrois fit d'abord, à la tête de six mille hommes, une sortie qui ne réussit pas; et sur-le-champ il demanda une seconde fois à traiter. Vaincu par les sollicitations de la reine Jeanne, le prince voulut bien y consentir. L'entrevue eut lieu entre Vincennes et l'abbaye Saint-Antoine, et là une nouvelle convention fut faite, par laquelle Charles-le-Mauvais s'engageoit de nouveau à s'unir avec lui envers et contre tous, le roi de France excepté. Le régent la signa, intérieurement convaincu que son ennemi ne tarderoit pas à la violer.

En effet, deux jours après il revint à Paris, sous prétexte d'y faire ratifier le traité. Les Parisiens, comme il l'avoit prévu, ou pour mieux dire les chefs de la faction, bien loin de vouloir y accéder, firent une nouvelle sortie, dans laquelle ils furent complètement battus par les troupes royales. Alors le roi de Navarre prétendit que par ce combat le régent avoit enfreint les conditions de l'accommodement, et renouvela ses alliances avec eux.

Quelque temps après, les rebelles, encouragés par un petit succès qu'ils avoient obtenu du côté de Corbeil, sortirent de nouveau, et en très-grand nombre, de Paris, ayant à leur tête le roi (p. 54) de Navarre lui-même; mais, à leur grand étonnement, dès que ce prince eut aperçu les troupes du régent, il s'avança vers leurs chefs, eut une longue conférence avec eux, et ramena ensuite ses gens dans la ville sans avoir combattu. Une telle conduite commença à le rendre suspect. Ses soldats, qui avoient aussi fait partie de l'expédition, furent insultés par le peuple, et ce prince, irrité, ou feignant de l'être, quitta brusquement Paris, et vint s'établir à Saint-Denis.

Cependant la reine Jeanne, toujours médiatrice entre les deux partis, et qui étoit restée auprès du régent, dans l'espérance de renouer les négociations, parvint à l'amener encore une fois à des conférences nouvelles, qui furent tenues à l'extrémité du pont des Carrières, village dans lequel ce prince étoit logé. Dans le traité qui fut alors proposé, le roi de Navarre eut l'air d'abandonner entièrement les Parisiens, qui devoient se remettre à la discrétion du régent, toutefois avec cette clause, qu'il ne seroit rien décidé à leur sujet que d'après l'avis unanime de la reine Jeanne, du roi de Navarre, du duc d'Orléans et du comte d'Étampes. Le Navarrois s'attendoit bien que les rebelles recevroient encore plus mal ce second traité que le premier; et en effet ils ne répondirent que par des menaces et des injures à ceux qui vinrent le leur présenter, non que le peuple ne fût las des maux qu'il souffroit et de ses vains efforts (p. 55) pour maintenir sa rébellion, mais parce que Marcel, désespéré, comprimoit tous les mouvements qui auroient pu le porter à rentrer dans le devoir.

C'étoit à cette situation extrême que le roi de Navarre vouloit amener le traître pour le forcer, lui et les siens, à se remettre entièrement entre ses mains; et c'est ce qui arriva. En effet, le prévôt des marchands, voyant sa ruine inévitable, et dans cette lassitude du peuple et dans les forces redoutables qui se dirigeoient contre lui, alla trouver Charles-le-Mauvais, qui, retiré à Saint-Denis, et toujours flottant en apparence entre les deux partis, attendoit dans ce lieu le succès de son astucieuse politique. La situation du rebelle étoit telle, que son salut dépendoit alors du caprice d'un homme encore plus méchant que lui, et qui ne le regardoit plus que comme un vil instrument de ses méchancetés. Dès qu'il eut pris avec le Navarrois le ton d'un suppliant, celui-ci commença par le dépouiller des trésors qu'il avoit amassés, en exigeant de lui des sommes considérables; il lui fit perdre ensuite par degrés le peu de faveur populaire qui lui restoit, en l'engageant dans de fausses démarches qui aliénoient de plus en plus les esprits, par exemple, en le forçant à délivrer environ cent cinquante Anglois que les Parisiens avoient eux-mêmes emprisonnés au Louvre. Enfin les choses en vinrent au point que (p. 56) Marcel, détesté de ce même peuple dont il avoit été l'idole, et de quelque côté qu'il tournât les yeux, ne voyant plus qu'une mort honteuse et certaine, convint de livrer la ville au Navarrois, et promit de le faire couronner roi de France, s'il vouloit le protéger lui et ses complices, contre les fureurs de ce peuple détrompé.

Marcel, ayant pris toutes les mesures qu'il jugea nécessaires pour l'exécution de son projet, fit avertir le roi de Navarre, qui s'approcha secrètement de la ville avec une troupe nombreuse de soldats. À un signal convenu, les portes devoient lui en être ouvertes; et la nuit qui précédoit le 1er d'août étoit celle qu'ils avoient choisie pour l'exécution de leur complot. En conséquence, le prévôt, accompagné de quelques bourgeois de sa faction, les uns armés, les autres sans armes, se rendit à la porte Saint-Denis, qui étoit une de celles qu'il devoit livrer, en demanda la clef à l'officier du poste, et voulut renvoyer la troupe qui la gardoit pour la remplacer par ses gens. Les bourgeois qui veilloient à cette porte, étonnés de cet ordre nouveau, commencèrent à concevoir des soupçons, et demandèrent à Marcel les raisons qui le portoient à en agir ainsi. Au milieu de la dispute qui s'élevoit entre eux, survint Jean Maillard, compère de Marcel, autrefois l'un de ses partisans les plus dévoués, et qui, ce jour-là même, rompit ouvertement avec lui. Il commandoit cette même (p. 57) nuit le quartier d'où dépendoit le poste où l'on se querelloit et étoit arrivé au bruit, avec Simon Maillard son frère et plusieurs de leurs amis[34].

«Estienne, lui dit-il, que faites-vous ici à cette heure?—Jean, répondit le prévôt, à vous qu'en monte[35] de le savoir? Je suis ici pour prendre garde à la ville, dont j'ai le gouvernement.—Pardieu, reprit Maillard, il n'en va mie ainsi, ains n'êtes ici à cette heure pour nul bien, et je vous montrerai, continua-t-il, en s'adressant à ceux qui étoient auprès de lui, comme il tient les clefs de la porte en ses mains pour trahir la ville.—Jean, vous mentés, répliqua le prévôt.—Mais vous, Estienne, mentés, s'écria Maillard;» aussitôt il monte à cheval, fait flotter une bannière royale, et suivi des siens, parcourt les rues en criant: Montjoie Saint-Denis au roi et au duc; puis s'arrêtant quelque temps aux halles, (p. 58) il y donne l'alarme au peuple. Cependant le prévôt conserve, dans cette situation périlleuse, toute sa présence d'esprit; et trompant par une ruse ceux qui auroient pu l'arrêter, il répète avec ses gens ce même cri de Montjoie Saint-Denis; et tous se dirigent à grande hâte, et toujours criant, du côté de la porte Saint-Antoine.

Pendant cette altercation de Marcel et de Maillard, le sire Pepin Désessarts, et le sire Jean de Charny, avoient eu, dit Froissard, comme par inspiration divine, quelque révélation du coup qui se préparoit. Sans rien savoir de ce qui se passoit, sans avoir avec Maillard aucune intelligence, ils s'arment; et Martin Désessarts, frère de Pepin, et Jacques de Pontoise, huissier d'armes, se joignent à eux. À leur premier appel se rassemblent autour de ces braves un grand nombre de leurs amis et de bourgeois restés fidèles au roi et au dauphin. D'abord ils se précipitent dans la maison de Joseran de Marcon, trésorier du roi de Navarre, agent de ce prince à Paris, et l'un des principaux conspirateurs: ils ne le trouvent point; déjà il étoit auprès de Marcel. Soudain ils courent à l'hôtel-de-ville: le chevalier Désessarts y saisit une bannière royale et se met à la poursuite du prévôt, en criant avec ses amis: Montjoie Saint-Denis au roi et au duc: meurent les traîtres. En un moment ils sont à la porte Saint-Antoine; ils y surprennent Marcel, tenant entre ses mains les clefs (p. 59) de Paris, et l'interpellent brusquement. Là comme à la Bastille Saint-Denis commencent de violents débats; les esprits s'échauffent: les menaces suivent les injures; déjà Maillard étoit arrivé avec ses amis, et leur troupe avoit grossi celle des fidèles. Les amis de Marcel se mettent en défense; on se mêle, on se frappe en tumulte. Le peuple attroupé poussoit contre eux des cris: À mort, à mort; tuez, tuez le prévôt et ses alliés; car ils sont traîtres. Philippe Giffart, échevin, étoit bien armé et le casque en tête: il vendit chèrement sa vie. Marcel, voyant tout perdu, étoit monté sur les degrés de la Bastille; il alloit s'enfuir: le sire de Charny s'élance à sa poursuite, l'atteint, lui décharge un coup de hache sur la tête, et le renverse mourant. Pierre Fouace et d'autres bourgeois se jettent sur lui et l'achèvent à coups d'épée et de hallebarde. Simon le Paumier et beaucoup de ses satellites, percés de mille coups, expirent sur son corps plus noblement qu'il n'appartenoit à de tels scélérats. On cherche de tous côtés les partisans de Marcel; tous ceux que l'on rencontre sont massacrés; beaucoup sont pris dans leurs demeures, chargés de fers et traînés en prison. La populace exerce mille outrages sur le corps du traître et sur ceux de ses complices les plus criminels; les autres périrent, (p. 60) les jours suivants, par la main du bourreau, et, à l'exception de l'évêque de Laon, pas un seul n'échappa[36].

Trois jours après ce grand événement, le régent rentra dans la ville soumise et repentante, au milieu de mille cris de joie, et alla loger au Louvre. Le gouverneur de ce château, nommé Pierre Caillard, eut la tête coupée pour l'avoir mal défendu contre Marcel.

Cependant le roi de Navarre, voyant ses projets avortés du côté des Parisiens, se livre tout entier au roi d'Angleterre, avec lequel il avoit toujours négocié, même dans le temps qu'il faisoit avec le régent traité sur traité; et cessant dès lors de garder aucune mesure à l'égard de ce prince, lui déclare une guerre ouverte, bloque Paris avec une nombreuse armée, et ravage ses environs. La situation du dauphin parut en ce moment plus difficile que jamais. Il avoit beaucoup de peine à lever les troupes nécessaires pour combattre avec succès un ennemi aussi acharné: car la noblesse étoit rentrée dans ses foyers aussitôt qu'elle l'avoit vu maître de Paris; et, dans les désordres qu'une licence générale faisoit naître en France, chaque ville, forcée de songer à sa propre sûreté, ne (p. 61) s'empressoit guère à lui fournir des soldats. D'un autre côté, il n'osoit s'éloigner de la capitale, où il y avoit encore des mécontents et de nouveaux complots à craindre, où son autorité étoit loin d'être bien affermie. Il en fit dans ce temps-là même une assez fâcheuse expérience: douze bourgeois accusés d'intelligence avec le roi de Navarre avoient été arrêtés par son ordre. Cette arrestation excita de grands murmures; et tel étoit l'esprit de méfiance et de mutinerie qui régnoit encore, que ce prince fut obligé de se rendre sur la place de Grève, et là, monté sur les degrés de la croix, de se justifier devant le peuple de cet acte d'autorité, en donnant la preuve que ces hommes étoient coupables. Bien qu'ils fussent convaincus, il n'osa pas ensuite les punir.

Toutefois ce prince mit dans sa conduite un tel mélange de douceur et de fermeté; il montra tellement, par toutes ses démarches, qu'il n'avoit en vue que le bien de l'État, qu'il parvint peu à peu à se concilier tous les esprits, et qu'il obtint des états-généraux, qui furent convoqués peu de temps après, des forces suffisantes pour tenir tête au Navarrois. (1359) Alors celui-ci osa encore proposer de faire un traité; et tel étoit le malheur des temps, que le dauphin jugea avantageux de l'accepter, et même reçut dans Paris, avec toutes sortes d'honneurs et de caresses, un perfide qui ne méditoit que sa ruine, qui même, (p. 62) en signant cette paix frauduleuse, continuoit en effet la guerre: car son frère Philippe de Navarre avoit refusé, d'accord avec lui, d'entrer dans l'accommodement, et venoit de réunir aux troupes du roi d'Angleterre les soldats qu'il commandoit, lesquels appartenoient réellement à Charles-le-Mauvais[37].

Peu de temps après, fut présenté aux États assemblés le traité négocié en Angleterre pour la liberté du roi Jean: les conditions en étoient si honteuses, qu'il excita une indignation générale et fut rejeté d'une voix unanime. Édouard irrité rentre dans la France désolée par tant d'ennemis intérieurs, l'attaque par l'Artois, la Champagne et la Bourgogne, ne trouve de résistance nulle part, et s'avance jusqu'aux portes de Paris, chassant devant lui les habitants de la campagne qui se réfugièrent dans ses murs. Ce fut dans cette circonstance que le dauphin donna ordre de mettre le feu aux maisons qui étoient hors de l'enceinte, du côté méridional[38], afin que les Anglois ne pussent pas s'y loger. Ceux-ci, après (p. 63) être demeurés huit jours devant la ville, furent forcés de décamper, faute de vivres[39]. Édouard se retira dans la Beauce avec son armée, et l'année d'après, le traité de Brétigni[40] rendit la liberté au roi Jean. Charles-le-Mauvais fit en même temps sa paix avec ce prince, par la médiation du roi d'Angleterre.

(1360.) Ce fut le 13 décembre de cette année que le roi rentra enfin dans sa capitale, après une absence de quatre années. Il y fut reçu au milieu des transports de la plus vive allégresse. Les Parisiens, à son aspect, sembloient oublier tous les maux qu'ils avoient soufferts, et se livroient, pour l'avenir, aux plus douces espérances. De nouvelles calamités les attendoient: une famine affreuse, suite ordinaire des guerres civiles, vint désoler la ville et y causa de grands ravages. La misère du peuple étoit à son comble, et cependant il falloit fournir les sommes énormes[41] qui avoient été promises à l'Anglois par un des articles du traité. Fidèle observateur de sa parole, Jean rejeta constamment tous les moyens qu'on (p. 64) put lui offrir de l'éluder; mais ceux qu'il employa pour l'accomplir attestent la situation extrême à laquelle il se trouvoit réduit. Il n'en trouva point d'autres qu'une nouvelle altération des monnoies, et le rappel des Juifs, toujours riches, quoique sans cesse dépouillés, et aspirant toujours à rentrer dans un pays où ils devoient s'attendre à chaque instant à une nouvelle proscription. Un tel phénomène moral étonne d'abord, mais s'explique ensuite facilement, si l'on considère qu'eux seuls connoissoient l'industrie et le commerce; et que les François d'alors, oisifs, ignorants et fastueux, étoient, par leurs passions et par leur paresse, une proie qui se livroit d'elle-même aux usures sans cesse renaissantes de ces habiles traitants. Ils donnèrent donc avec empressement une somme très-forte pour la rançon du roi, se soumirent à un tribut annuel non moins considérable, et, à ces conditions, obtinrent la liberté de rentrer en France et d'y demeurer pendant vingt années. Ce fut ainsi qu'on parvint à exécuter cette clause du traité, bien onéreuse sans doute, mais moins fatale que celles par lesquelles le roi cédoit aux Anglois les plus belles provinces de la France[42], leur livroit les points (p. 65) les plus importants de ses côtes, et consentoit à les établir jusque dans le cœur de ses états.

Il se passa, du reste, peu d'événements importants à Paris pendant les dernières années du règne du roi Jean. Il n'y fut point fait d'autres fondations que celles des colléges de Boissi, de Boncourt, de Justice, des petites écoles, et de l'hôpital du Saint-Esprit pour les pauvres orphelins. Ce prince, aidé des sages conseils de son fils s'occupa à rétablir la police dans cette grande ville. Il réorganisa le parlement, dont les désordres de la régence avoient suspendu les séances et dispersé les membres les plus éclairés et les plus vertueux. Il fit aussi des réglements pour une meilleure organisation du guet de Paris[43]. (p. 66) (1363) Une contagion horrible enleva, cette année, près de la moitié de ce qui restoit d'habitants dans cette capitale.

Cependant le royaume continuoit d'être en proie à tous les maux de la guerre, au sein de cette paix si chèrement achetée que le retour de son roi lui avoit procurée. Toujours perfide dans sa politique à l'égard de la France, Édouard n'avoit pas voulu rappeler en Angleterre les soldats, la plupart Allemands, Brabançons, Gascons, etc., qui composoient les garnisons des places que le traité l'obligeoit de rendre; il avoit même négligé à dessein d'acquitter leur solde, de manière que ces troupes, abandonnées à elles-mêmes au milieu de nos provinces, se joignirent aux brigands qui déjà les désoloient, et y accrurent cette terrible armée si connue sous le nom de grandes compagnies, l'un des plus cruels fléaux dont la France eût encore été accablée. Ils se répandirent en Champagne, en Bourgogne, dans le Lyonnois, dans la Franche-Comté, exterminèrent une armée de gentilshommes que l'on envoya contre eux, ce qui jusqu'alors étoit sans exemple, dévastèrent tout le pays qu'ils parcoururent, pénétrèrent jusqu'aux portes d'Avignon où ils rançonnèrent le pape épouvanté, et continuèrent leurs courses et leurs ravages dans l'est de la France, jusque sous le règne suivant, où elle en fut enfin délivrée.

En 1364, Jean, dont la bonne foi est devenue (p. 67) célèbre dans l'histoire, retourna en Angleterre, pour traiter de la rançon du duc d'Anjou son fils qui s'en étoit évadé, et y mourut peu de temps après son arrivée: «C'étoit un prince peu avisé,» dit le président Hénault, qui loue, ainsi que tous les autres historiens, son grand courage, et cette bonne foi, le trait le plus remarquable de son caractère[44]. Qu'il fût peu avisé, rien ne le prouve plus qu'un des derniers actes d'autorité qu'il exerça avant de quitter pour toujours son royaume. En 1361, Philippe de Rouvre, dernier duc de Bourgogne de la première maison souveraine de ce duché, étoit mort âgé de quatorze ans. Jean avoit réuni ce grand fief à la couronne par le droit du sang, comme étant le plus proche parent de ce jeune prince. Tout sembloit lui faire une loi de le garder, pour réparer, du moins en partie, les brèches énormes que le traité de Brétigni avoit faites au territoire de la France. Cependant, par une inconcevable imprudence et un mouvement de tendresse aveugle que ses enfants payèrent bien cher par la suite, au lieu de conserver un domaine aussi important, il le donna à Philippe-le-Hardi son quatrième fils, à titre d'apanage. Cette donation fut faite le 6 septembre (p. 68) 1363. Ce prince réunit depuis la comté-pairie de Flandre à la branche de Bourgogne, par son mariage avec Marguerite, dernière héritière des comtes de cette province; et un nouveau vassal s'éleva au milieu du royaume, plus puissant et plus redoutable encore que tous ceux qui le désoloient depuis si long-temps.

Cette belle France étoit au dernier degré d'abaissement lorsque Charles V monta sur le trône. Elle avoit perdu tout ce que Philippe-Auguste avoit conquis sur les Anglais; les peuples étoient ruinés, les campagnes dévastées et sans culture, le trésor obéré, l'autorité royale avilie, les troupes découragées. Ce fut par une faveur spéciale de la Providence qu'elle obtint un chef d'une prudence aussi consommée, d'un esprit aussi ferme et aussi pénétrant. Cet esprit supérieur et cette prudence salutaire lui fournirent les moyens de réparer tous les maux qui avoient affligé le royaume sous le règne de son père. Le nouveau roi n'étoit point un prince guerrier: la foiblesse de sa complexion et les infirmités dont il étoit accablé ne lui permettoient point les exercices militaires, et jamais il ne parut à la tête de ses armées. Mais tandis que, dans le fond de son cabinet, il méditoit des plans pour le bonheur de son peuple et la gloire de son règne, un général, le plus habile de son siècle, et qu'il eut l'adresse de s'attacher, les exécutoit avec le plus rare bonheur. Qui ne connoît les faits (p. 69) d'armes presque fabuleux de l'héroïque connétable Duguesclin, et cette suite non interrompue de victoires qui rendirent à la France presque tout ce qu'elle avoit perdu sous Philippe de Valois et le roi Jean; la fin du règne d'Édouard aussi malheureuse que le cours en avoit été heureux et brillant; tant de merveilles opérées dans six campagnes, et Charles, dans cinq années de paix, ramenant l'abondance au sein de ses États, rétablissant l'ordre et la prospérité dans ses finances, se créant des armées valeureuses et disciplinées? En même temps qu'il forçoit l'étranger à sortir de ses provinces, les ennemis intérieurs furent subjugués, entre autres le Navarrois, toujours perfide, toujours uni aux ennemis de la France, et combattant tour à tour à force ouverte et par des assassinats. Sous ce règne mémorable, les provinces se virent enfin délivrées de l'horrible fléau des grandes compagnies, que le connétable sut employer utilement, en les emmenant à la conquête de l'Espagne[45]. Les lettres fleurirent[46]; l'agriculture se ranima; et si le ciel eût accordé une vie plus longue à un si grand roi, il est hors de doute que les malheurs affreux qui désolèrent (p. 70) le règne de son successeur ne seroient jamais arrivés.

Sous de tels princes, les capitales des empires sont assez heureuses pour n'offrir que peu de pages à l'histoire. Le théâtre de la guerre est loin d'elles: une sage police y maintient l'ordre, et rarement il s'y passe de grands événements. Paris eut ce bonheur tant que vécut Charles V. Sa tranquillité ne fut troublée que par quelques querelles qui s'élevèrent entre les écoliers de l'Université et les fermiers de l'impôt du vin. Malgré les fraudes dont ceux-ci les accusoient, ils furent maintenus dans le droit de franchise de cet impôt, dont ils jouissoient de temps immémorial. Le prévôt de Paris, Hugues Aubriot, qui sembloit vouloir tenir tête à l'Université elle-même, en différant de prêter le serment qu'il lui devoit, ne put également soutenir une lutte aussi inégale contre un corps si puissant et si spécialement favorisé du monarque. (1366) Il fut obligé de se rendre le 10 octobre dans l'assemblée générale des quatre facultés, qui se tint aux Bernardins, et là, de faire publiquement le serment par lequel il s'engagea à conserver les priviléges de l'Université tant qu'il seroit en charge.

(1368.) La cinquième année du règne de ce prince fut remarquable par l'établissement des religieux hospitaliers de l'ordre de Saint-Antoine à Paris, et par la naissance du dauphin, depuis (p. 71) l'un de nos plus malheureux rois, sous le nom de Charles VI. Quelques jours après sa naissance, ce prince fut porté avec une pompe extraordinaire dans l'église de Saint-Paul, et tenu sur les fonts baptismaux par Charles de Montmorenci et par la reine douairière Jeanne d'Évreux. Le roi donna le Dauphiné en apanage à son fils aussitôt qu'il eut reçu le jour. Il fut ainsi le premier des enfants de France qui porta, en naissant, le titre de dauphin[47].

(1369.) Assemblée mémorable du parlement, le 9 mai, veille de l'Ascension, dans laquelle comparurent les comtes d'Armagnac, de Foix, et plusieurs autres seigneurs, appelants au roi contre Édouard, roi d'Angleterre. Ce prince y est cité comme vassal de la couronne, et n'ayant pas comparu, les terres qu'il possédoit en France sont confisquées. Ce fut la cause d'une guerre nouvelle que le roi prévoyoit, et à laquelle il se préparoit (p. 72) depuis long-temps. Ce fut alors que l'abbé de Saint-Germain, ayant reçu l'ordre de fortifier son abbaye, fut obligé, pour le mettre à exécution, de démolir la chapelle de Saint-Martin-des-Orges, dépendante de l'Université, et même de disposer de quelques arpents de terrain qui appartenoient également à cette compagnie, à laquelle il donna en échange le droit de patronage sur la cure de Saint-Germain-le-Vieux[48].

(1370.) Cette année, Hugues Aubriot, prévôt de Paris, pose la première pierre des fondements de la Bastille. Cette énorme forteresse ne fut achevée que sous le règne suivant. Cependant les Anglais, qui s'étoient avancés dans l'intérieur de la France, pénètrent jusqu'aux portes de la capitale, et se présentent en bataille entre Ville-Juif et Paris. Le roi, qui n'avoit que douze cents hommes d'armes, reste renfermé dans la ville, et permet seulement une légère escarmouche du côté du faubourg Saint-Marceau. L'ennemi est battu, et décampe le même jour pour se retirer en Anjou.

(1371.) Le roi confirme les habitants de Paris dans le droit qu'ils avoient de temps immémorial de jouir de tous les priviléges de la noblesse[49]. Mort de la reine Jeanne d'Évreux.

(p. 73) (1374.) On continue l'enceinte de la ville commencée sous la régence; elle ne fut achevée que sous Charles VI. Le prévôt de Paris fait en même temps rétablir le grand pont qui s'étoit rompu. On croit que le pont Saint-Michel fut bâti sous le même règne et quelques années après.

Cette même année est mémorable par l'ordonnance de Charles V, du mois d'août, qui fixe la majorité de nos rois à quatorze ans. L'Université, le prévôt des marchands et les échevins de la ville furent présents à l'enregistrement qui en fut fait au parlement[50].

(p. 74) (1378.) Entrée solennelle de l'empereur Charles IV, qui vint à Paris accompagné de son fils Venceslas, roi des Romains[51]. Le motif du voyage de ce prince étoit d'acquitter un vœu qu'il avoit fait de visiter l'abbaye de Saint-Maur à Paris. Il mourut quelques mois après. Des assassins envoyés par le roi de Navarre pour attenter à la vie du roi sont arrêtés et exécutés.

(1379.) Le roi confisque la Bretagne sur le comte de Montfort, et la réunit à son domaine pour crime de félonie, sauf les droits des enfants de Charles de Blois[52]. Commencement du schisme qui, pendant quarante ans, divisa l'Église, et dont nous examinerons plus tard les funestes conséquences. Après la mort de Grégoire XI, Urbain VI avoit été élu par les cardinaux qui étoient alors à Rome. Plusieurs étant sortis de la ville prétendirent que l'élection n'avoit pas été libre, parce qu'effectivement ils avoient été contraints par le peuple d'entrer au conclave; et s'assemblant de nouveau, ils élurent Clément VII, qui se retira (p. 75) à Avignon. L'Université de Paris, consultée par le roi, reconnut ce dernier pape qu'il favorisoit.

(1380.) La santé du roi avoit toujours été languissante depuis la maladie terrible qu'il avoit eue pendant sa régence, maladie dont on attribua la cause au poison qui lui avoit été donné par Charles-le-Mauvais. Un médecin en suspendit l'effet en lui ouvrant le bras, et déclara que, quand cette plaie se refermeroit, le prince mourroit. La plaie se referma, et Charles V mourut le 16 septembre de cette année, âgé de quarante-trois ans.

Ce prince avoit acheté, pendant la prison du roi son père, une maison appartenante au comte d'Étampes, et située près de l'église Saint-Paul. Il appeloit ce palais l'hôtel solennel des grands ébattements, et l'habitoit de préférence à toutes les autres demeures royales. Nous donnerons en son lieu une description de cet hôtel, qu'il orna de tout ce que le luxe de ce temps-là put lui faire imaginer de plus magnifique. «L'argent immense qu'il y dépensa, dit le président Hénault, dans des temps si malheureux, pourroit étonner; aussi donna-t-il des lettres, en 1364, pour que cet hôtel fût réuni au domaine. Mais ce fut l'effet d'une plus sage administration: car ayant trouvé, à la mort de son père, le trésor épuisé, il répara les finances, ses troupes furent bien payées, il (p. 76) gagna les princes ses voisins, il bâtit plus qu'aucun de ses prédécesseurs, et il ne mit pas d'impôts[53]

Sous le règne de Charles V furent fondés les colléges de Bayeux, de Daimville et de Beauvais.

Gouvernée par un prince si sage, la France avoit respiré un moment; elle commençoit à se remettre des blessures profondes qu'elle avoit reçues sous les premiers Valois, lorsqu'un nouveau règne, plus malheureux qu'aucun de ceux qui l'avoient précédé, la replongea dans des désastres plus grands encore, et la réduisit à de telles extrémités, qu'il s'en fallut peu que, devenue une des provinces de son plus implacable ennemi, elle cessât d'être comptée au nombre des nations. Dans ce tableau, dont nous allons rassembler les principaux traits, on verra réunis tous les fléaux dont la vengeance (p. 77) du ciel peut affliger un peuple qu'elle a résolu de punir: une minorité orageuse, et le long règne d'un roi en démence; des princes avides et ambitieux, se disputant le pouvoir; la France entière divisée en factions, au gré de ces tyrans subalternes; l'ennemi extérieur prenant part à nos guerres civiles, et introduit dans le sein même de l'État par ceux qui devoient le défendre; l'honneur et la foi bannis de tous les cœurs; la fureur aveugle, le vil intérêt, tous les genres de corruption infectant toutes les classes de la société; enfin, ce qui passe tant d'horreurs, ce qui est presque sans exemple dans les annales du monde, une reine à la fois voluptueuse et cruelle, femme coupable, mère dénaturée, qui trahit son époux malheureux, qui conspire contre son propre fils, le proscrit, se ligue avec l'étranger pour lui ravir son héritage, satisfaite de le voir chasser du trône de ses ancêtres, si elle peut obtenir une part de ses dépouilles: le règne de Charles VI offre le spectacle de toutes ces calamités.

Les trois frères de Charles V lui avoient survécu: ils étoient encore dans la force de l'âge, tous les trois ambitieux, et cette passion se joignoit, dans le duc d'Anjou, à la cruauté et à une insatiable avarice; dans le duc de Berri les mêmes vices étoient tempérés par une indolence qui faisoit le fonds de son caractère; le duc de Bourgogne étoit le seul dont l'ambition, plus dangereuse (p. 78) peut-être, étoit ennoblie par quelques qualités brillantes, et par des sentiments moins indignes de sa naissance et de son rang.

Les vives contestations qui s'élevèrent entre ces trois princes au sujet d'une régence qui ne devoit durer que deux années, furent un triste pronostic des troubles et des divisions auxquels la France alloit être livrée. À peine Charles eut-il les yeux fermés que les ducs de Berri et de Bourgogne se rendirent à Melun, où ils s'emparèrent de la personne de l'héritier du trône et de ses frères, alors dans cette ville. Quant au duc d'Anjou, il courut à Paris se saisir des trésors du feu roi. On convoqua ensuite une assemblée, où fut appelé tout ce qu'il y avoit de plus grand dans l'État: là, après une contestation très-longue et très-animée, dans laquelle le duc d'Anjou fit éclater les prétentions les plus immodérées, on nomma des arbitres qui lui déférèrent la régence et la présidence du conseil. L'éducation du roi et la surintendance de sa maison furent confiées au duc de Bourgogne et au duc de Bourbon, oncle maternel du jeune prince; mais il fut arrêté en même temps que, pour le bien de la chose publique et pour le bon gouvernement du royaume, le roi seroit émancipé et sacré avant l'âge.

Cependant la ville de Paris étoit entourée de soldats, que les princes, dans ces circonstances difficiles, avoient jugé à propos d'y appeler. Le (p. 79) duc de Bourgogne, qui les commandoit, pressoit journellement le duc d'Anjou de payer leur solde sur les fonds dont il s'étoit emparé: non-seulement le régent refusoit de le faire, mais il levoit encore sur les Parisiens de nouveaux impôts, dont il accroissoit les sommes immenses qu'il avoit déjà amassées. Il en résulta que les soldats, privés de leur paie, ravagèrent les campagnes, et que les paysans, dépouillés et maltraités par eux, vinrent encore augmenter la misère des Parisiens en se réfugiant dans la ville. Le mécontentement que fit naître, dans une circonstance aussi fâcheuse, cette augmentation d'impôts, s'accrut encore de la rigueur avec laquelle on les exigeoit. Des murmures on en vint aux menaces. Les violences des percepteurs continuant toujours, la populace se soulève, et s'assemblant tumultuairement, force le prévôt des marchands de marcher à sa tête, et de la conduire au palais, où elle demande à grands cris l'abolition des impôts, ordonnée en mourant par le feu roi. Le duc d'Anjou savoit prendre des mesures violentes et tyranniques, mais il n'avoit point dans le caractère assez de vigueur pour les soutenir. Il plia devant les rebelles, accrut par là leur insolence, et dès lors on put prévoir un soulèvement général, si toutes les demandes qu'ils avoient faites ne leur étoient accordées. Tels furent les premiers effets de l'avarice et de la foiblesse du régent.

(p. 80) Le sacre du jeune roi fit naître des espérances qui parurent calmer quelques instans les esprits. Cette cérémonie eut lieu le 4 novembre, et le même jour le duc d'Anjou quitta le titre de régent; mais il n'en resta pas moins à la tête du conseil, dont il dirigeoit toutes les opérations. L'influence qu'il y conservoit se fit bientôt reconnoître par les nouvelles exactions dont la France entière, et particulièrement la ville de Paris, furent accablées, et aussitôt la sédition se ralluma. Un nouveau rassemblement se forme: les mutins tirent l'épée, s'emparent encore du prévôt des marchands qu'ils entraînent avec eux au palais, et demandent à grands cris que le roi, ou le duc d'Anjou, se présente pour entendre leurs plaintes. Le duc paroît, monte sur la table de marbre, écoute le prévôt forcé de parler dans le sens de la multitude, et fait une réponse vague, dans laquelle il fait entendre à ces furieux qu'on pourra avoir égard à leurs demandes lorsqu'ils cesseront d'employer la violence pour les obtenir. De semblables paroles annonçoient le dessein de résister à la rébellion, et en même temps trop peu de courage d'esprit pour l'exécuter. Le peuple se retira en effet, mais enhardi par ce qui venoit de se passer, et bien résolu de se porter aux dernières extrémités, si l'on cherchoit encore à l'amuser de vaines promesses. Du reste, toutes ces demandes, si coupables dans la forme, étoient justes en (p. 81) effet; et c'étoit le régent qui poussoit le peuple au désespoir.

Cependant le conseil du roi s'étoit rassemblé, et l'on délibéroit sur les demandes des séditieux, dont le nombre augmentoit à chaque instant. Enfin l'avis le plus timide, et par conséquent le plus mauvais, prévalut. Il fut décidé qu'on annonceroit une abolition de tous les nouveaux subsides imposés en France depuis le règne de Philippe-le-Bel; et telle étoit la frayeur de la cour, que le chancelier, en publiant cette ordonnance à la multitude assemblée, le fit en des termes pleins de douceur et de bienveillance, déclarant que le roi abolissoit ces impôts pour récompenser l'obéissance et la fidélité de son peuple. L'effet d'un tel discours fut de porter au dernier degré l'insolence de cette populace. À peine le chancelier avoit-il cessé de parler, qu'un cri général s'éleva pour demander l'expulsion des juifs, dont plusieurs étoient au nombre des receveurs publics. Le chancelier, déconcerté, retourne au conseil faire part de cet incident; et sur-le-champ, sans attendre une nouvelle délibération, la foule se porte aux maisons de ces malheureux, enfonce les portes, brise les caisses, pille les meubles et l'argent, massacre tous ceux qu'elle peut rencontrer, sans distinction de sexe ni d'âge. La plupart d'entre eux se sauvèrent au Châtelet, où les cachots leurs servirent d'asile. Cependant ce nouvel (p. 82) attentat resta encore impuni. On se contenta de rétablir les juifs dans leurs demeures, et d'exiger des Parisiens une restitution des effets pillés, à laquelle personne n'obéit.

(1380.) Dans les états-généraux, qui furent tenus peu de temps après, les princes tentèrent vainement de rétablir les impôts qu'ils avoient été forcés de supprimer. Non-seulement ils n'obtinrent rien de cette assemblée, mais il arriva ce qui est un effet assez ordinaire de ces sortes de réunions sous un gouvernement foible et corrompu: c'est que les députés, qui sentirent l'avantage qu'ils avoient sur un ministère inhabile et incertain dans ses résolutions, parlèrent et agirent dans le sens des factieux, demandant un changement total dans l'administration, proposant des réformes, réclamant les anciennes franchises et libertés de la nation, imaginant des plans de constitution, etc., toutes choses inexécutables, dont la plupart furent cependant adoptées par ce conseil imprudent et pusillanime, qui, loin de diriger les événements, se laissoit entraîner par l'impulsion journalière qu'il en recevoit. Il en résulta que le peuple, bercé d'espérances chimériques, conçut, de l'inexécution de ces projets absurdes, un mécontentement profond que rien ne put apaiser, et qu'on peut regarder comme la source principale de tous les désordres qui se succédèrent jusqu'à la fin de ce règne déplorable.

(p. 83) (1381.) Le duc d'Anjou venoit d'être appelé au trône de Naples par l'adoption de la reine Jeanne. Avant de sortir de France, il voulut faire encore quelques tentatives pour en arracher des sommes nouvelles: il sembloit que ce fût une proie qu'il n'abandonnoit qu'à regret. Dans le conseil, c'étoit toujours sur les besoins de l'État et sur la création de nouveaux impôts qu'il ramenoit toutes les délibérations; il essaya même quelques tentatives auprès de la multitude, à qui il envoya Philippe de Villiers et Jean Desmarets, avocat du roi, dont le crédit étoit très-grand auprès d'elle; mais, loin de persuader le peuple par les discours qu'ils lui tinrent à ce sujet, ils ne tirèrent d'autre fruit de leur éloquence que d'exciter tout à coup une nouvelle sédition. À peine les Parisiens eurent-ils connu les intentions de la cour, qu'ils déclarèrent ennemi public quiconque entreprendroit de rétablir les impôts abolis par le roi. Ils ne s'en tinrent pas à cette déclaration; ils prirent les armes, se saisirent des portes, tendirent des chaînes, et se formèrent en compagnies pour la sûreté commune. Plusieurs autres villes, où l'on voulut exercer les mêmes actes d'autorité, se livrèrent aux mêmes excès, entre autres la ville de Rouen. La révolte y prit même un caractère si grave et si inquiétant qu'on jugea nécessaire d'en faire un exemple éclatant, et qui pût intimider les autres. En conséquence il fut résolu que le roi partiroit sur-le-champ (p. 84) avec une armée pour faire justice de la ville rebelle. Il y fut suivi de ses oncles et de toute la cour.

Le duc d'Anjou crut cette circonstance favorable pour réaliser ses projets financiers, principalement pour rétablir les aides, dans lesquelles on lui avoit accordé un droit; mais par une supercherie ridicule, et qui prouve l'extrême foiblesse de son caractère, il avoit ordonné que, pendant son absence, le bail en fût proclamé à huis clos dans les cours du Châtelet. Il le fut en effet; des adjudicataires osèrent se présenter, et le lendemain l'adjudication en fut publiée, au milieu du marché, par un homme à cheval, qui s'enfuit ensuite à toute bride. Le jour suivant, les receveurs se présentèrent aux halles: le premier qui entra en exercice s'étant approché d'une pauvre fruitière, et voulant lever sur sa marchandise ce droit qui n'étoit que d'un denier, elle appela à son secours, et sur-le-champ il fut mis en pièces. Le soulèvement, déjà préparé, sembloit n'attendre qu'un premier meurtre pour éclater avec plus de violence que jamais. Cinq cents hommes de la lie du peuple se trouvent rassemblés dans un moment: armés de bâtons, de fourches et de tous les instruments que le hasard peut leur présenter, ils poursuivent les collecteurs, les massacrent partout où ils les rencontrent, jusqu'au pied des autels, où plusieurs d'entre eux s'étoient réfugiés; (p. 85) leurs maisons sont pillées et démolies; à chaque instant le nombre des séditieux augmente, et les quartiers les plus fréquentés en sont inondés. Leur audace s'accroissant avec le nombre, ils courent à l'hôtel-de-ville, en enfoncent les portes, se saisissent des habillements de guerre, des armes, et particulièrement de maillets[54] de plomb fabriqués sous le règne précédent, et déposés dans cet édifice. Il manquoit un chef à ces mutins: ils se souvinrent que Hugues Aubriot, ancien prévôt des marchands, accusé peu de temps auparavant par l'Université qui le haïssoit, et condamné sur ses poursuites à une prison perpétuelle, étoit alors enfermé dans les cachots de l'évêché. Ils allèrent aussitôt l'en tirer, et le mirent à leur tête. Mais ce magistrat donna, en cette circonstance, une grande preuve de fidélité: car, la nuit suivante, il trouva le moyen de s'échapper de leurs mains, et sortit de Paris.

De l'hôtel-de-ville les séditieux se rendirent en appareil de guerre à l'abbaye Saint-Germain, où on leur avoit dit que plusieurs partisans et un grand nombre de juifs s'étoient réfugiés avec les deniers royaux. Ce monastère étoit alors revêtu des fortifications commencées sous le dernier règne, et ils y livrèrent vainement plusieurs assauts, (p. 86) dans lesquels, malgré leur acharnement, ils furent toujours repoussés. Les plus emportés proposèrent alors d'aller piller et raser les maisons royales: on ne sait ce qui les détourna de cette résolution.

La nuit vint suspendre leur fureur; mais le lendemain ils se rassemblèrent de nouveau, et plus animés que jamais, ils sortirent en foule de la ville, dans l'intention d'aller couper le pont de Charenton, pour fermer le retour aux troupes royales. La crainte d'être enveloppés par les gens de guerre qu'ils aperçurent dans la campagne fit qu'ils rentrèrent précipitamment, sans avoir pu exécuter ce projet.

Cependant, tout ce qu'il y avoit de citoyens aisés et paisibles étoit dans les plus vives alarmes; dix mille bourgeois s'étoient armés, résolus d'opposer la force à la force, si cette populace tentoit le pillage de la ville, et les deux partis en présence s'apprêtoient à s'entr'égorger. Dès le commencement de l'émeute, l'évêque, les principaux magistrats, tous ceux qui, par leur autorité ou leur influence, auroient pu arrêter les progrès de la sédition, s'étoient enfuis, dans la crainte d'en être les victimes: Jean Desmarets eut seul le courage de rester, et cet acte de dévouement apaisa l'orage. Il étoit éloquent; le peuple l'aimoit et le respectoit; il osa lui parler et essayer de le ramener à l'obéissance. Mêlant avec adresse des menaces de la vengeance du roi (p. 87) à la promesse de l'abolition des impôts, intimidant à la fois et donnant des espérances à ces furieux, il parvint à les calmer un peu, et à les déterminer à attendre qu'on fît droit à leurs demandes.

(1382.) La nouvelle du soulèvement de Paris parvint à Rouen, où le roi étoit resté quelque temps, après avoir tiré une vengeance exemplaire de la rébellion de cette ville. Aussitôt le conseil fit marcher des troupes vers la capitale, résolu de faire subir un châtiment non moins terrible à ses habitants. Ceux-ci, de leur côté, instruits de ce qui venoit de se passer à Rouen, étoient bien déterminés à se défendre jusqu'à la dernière extrémité, et surtout à ne point entendre parler de subsides. Ils avoient posé des corps-de-garde dans les principaux quartiers ainsi qu'aux portes de la ville, et le feu de la révolte paroissoit prêt à se rallumer. Cependant les bourgeois de Paris, étrangers à tous ces mouvements, placés entre les fureurs de la populace et les ressentiments de la cour, qui pouvoit les confondre dans sa vengeance, pensoient à apaiser la colère du roi. Ils obtinrent en conséquence qu'on lui envoyât une députation composée de membres de l'Université, à la tête de laquelle l'évêque de Paris s'offrit de marcher. Elle fut introduite auprès du prince, auquel elle présenta les supplications de cette classe fidèle de citoyens en des termes si touchants, (p. 88) qu'il en fut profondément ému, et accorda en leur faveur la suppression des impôts si ardemment désirée, et une amnistie générale, de laquelle il exceptoit cependant les auteurs de la révolte. Cette grâce fut publiée aussitôt dans Paris par Desmarets lui-même, qui, accablé d'années et d'infirmités, se fit porter en litière, pour avoir la joie d'annoncer une si heureuse nouvelle à ce peuple coupable; mais il eut la douleur de le trouver insensible à cet acte de clémence: l'esprit de révolte étoit si loin d'être éteint, que les mutins s'opposèrent ouvertement à l'exécution de quelques-uns de leurs chefs, que le prévôt des marchands vouloit envoyer au supplice. Un nouveau soulèvement étoit sur le point d'éclater, si la cour n'eût ordonné de suspendre ces exécutions; on fut obligé de faire noyer[55] secrètement les plus criminels.

Le roi, ne jugeant pas à propos de rentrer à Paris, à cause de ces mauvaises dispositions du peuple, parcourut diverses villes peu éloignées de cette capitale, telles que Compiègne, Meaux, Pontoise, (p. 89) et partout son conseil eut des conférences avec les députés des provinces pour le rétablissement des impôts; partout il éprouva une résistance que soutenoit l'exemple donné par les Parisiens. On tenta alors avec ceux-ci de nouvelles négociations, dans lesquelles ils se montrèrent aussi intraitables qu'auparavant. Ils refusèrent l'établissement des gabelles, auquel le conseil réduisoit ses demandes, comme ils avoient refusé celui des aides. Enfin le duc d'Anjou, voyant qu'il étoit impossible de vaincre l'obstination de cette multitude, prit la résolution de faire revenir les troupes, et de leur abandonner la campagne de Paris. Les dégâts qu'elles y commirent retomboient principalement sur les riches bourgeois de la ville, c'est-à-dire sur ceux qui n'avoient pris aucune part à la révolte; mais il en résulta que, par leur entremise, les conférences furent renouées, et que, par un accord qui satisfit à la fois et le peuple et la cour, le roi rentra dans Paris, sous la condition qu'il ne seroit plus parlé des impôts, source de toutes ces querelles, mais que la ville lui paieroit une somme de cent mille francs[56], à titre de présent. Cette somme fut encore livrée au duc d'Anjou, mais ce fut la dernière de ses exactions; il partit enfin pour la conquête de Naples, où l'on sait (p. 90) qu'il perdit et ses trésors et la vie. Le duc de Bourgogne le remplaça dans la direction suprême des affaires. Quant au duc de Berri, il gouvernoit alors le Languedoc, dont il étoit à la fois le spoliateur et le tyran.

Peu de temps après, le roi marcha avec une armée au secours, de Louis de Male, comte de Flandre, dont les sujets s'étoient révoltés. Le duc de Bourgogne, héritier par sa femme de ce comté, commandoit les François, et gagna sur les Flamands la bataille de Rosebecq, qui les força à rentrer sous le joug de l'autorité légitime.

Pendant cette expédition, les Maillotins, toujours inquiets sur les dispositions de la cour, crurent l'occasion favorable pour recommencer leurs désordres. Il y eut de nouveaux rassemblements de factieux, dans lesquels il n'étoit question de rien moins que de raser le Louvre et la Bastille; mais ils en furent détournés par un marchand nommé Nicolas le Flamand, qui leur conseilla d'attendre l'issue de la guerre de Flandre, qu'ils espéroient devoir être fatale au roi. Cette circonstance ne fit qu'accroître la colère de ce prince, qui, revenant sous les murs de Paris avec une armée triomphante, résolut enfin de faire un exemple éclatant de cette ville rebelle.

On n'osa pas, cette fois, lui en disputer l'entrée; elle se fit par la porte Saint-Denis, dont toutes les barrières furent arrachées. Une députation (p. 91) voulut en vain arrêter le jeune roi, qui s'avançoit au milieu de ses oncles et de toute sa cour. Il passa outre sans daigner l'écouter, se rendit à la cathédrale, et de là au Palais. L'armée, distribuée dans les différents quartiers, s'empara des corps-de-garde, des places publiques et de tous les lieux où les rebelles avoient coutume de s'assembler.

Alors les habitants reçurent l'ordre de déposer leurs armes au Palais et au château du Louvre[57]. On procéda en même temps à la recherche des plus coupables, qui furent arrêtés au nombre de trois cents; deux furent exécutés sur-le-champ, et les autres conduits en prison. La duchesse d'Orléans, l'Université en corps tentèrent vainement de fléchir le monarque, que son oncle, le duc de Berri, maintenoit dans son inflexibilité.

Les jours suivants on noya un grand nombre de rebelles arrêtés. Nicolas le Flamand eut la tête tranchée. Son supplice étoit juste sans doute[58], et tous ces actes de rigueur étoient nécessaires; mais (p. 92) cette vengeance légitime que le prince tiroit de ses sujets fut souillée par le meurtre du vertueux Desmarets. Ce magistrat vénérable, plus que septuagénaire, l'organe des lois, l'honneur et l'amour de ses concitoyens, fut condamné à subir la même peine que les factieux dont il avoit si souvent arrêté les excès. On lui faisoit un crime de ce qui auroit dû lui mériter des récompenses, d'être resté au milieu de ces mutins. Son véritable crime étoit de s'être attiré la haine des ducs de Berri et de Bourgogne, en prenant hautement contre eux le parti du duc d'Anjou. Il protesta de son innocence sur l'échafaud, et son supplice couvrit d'une honte éternelle ceux qui l'avoient condamné.

Ces exécutions terribles n'étoient que les préliminaires d'une scène plus effrayante encore, mais dont les suites furent moins funestes. On avoit dressé un trône sur les degrés du Palais. Charles VI y parut accompagné des princes, du conseil et d'un grand nombre de seigneurs. Une foule immense remplissoit la cour: dès que le roi eut pris place, le chancelier d'Orgemont prononça un discours véhément, dans lequel il remit sous les yeux de cette multitude tous les crimes dont elle s'étoit rendue coupable, et rappela les exécutions déjà faites, ajoutant que tout n'étoit pas fini, et qu'un grand nombre subiroient encore la mort qu'ils avoient méritée. À ces mots, les oncles du (p. 93) roi se jetèrent à ses genoux, en le priant d'avoir pitié de son peuple. Les dames et les demoiselles de Paris, sans coiffure, échevelées, demandèrent la même grâce, tandis que les hommes, prosternés, crioient miséricorde. Alors le jeune roi, dont la leçon étoit faite, dit qu'il pardonnoit aux Parisiens, et qu'il convertissoit la peine criminelle en civile, c'est-à-dire en amendes. L'avarice des princes avoit imaginé ce honteux expédient; et de ces amendes, qui furent excessives, il n'en entra pas un tiers dans le trésor royal.

Du reste, les aides, les gabelles et autres impôts furent rétablis sans la moindre opposition; la charge du prévôt des marchands supprimée et réunie à celle du prévôt de Paris; l'échevinage aboli, ainsi que les quarteniers, dixainiers et autres officiers de ce genre, etc. C'est ainsi que se terminèrent ces premiers troubles; mais il étoit aisé de voir qu'ils avoient laissé dans les cœurs de profonds ressentiments, et que la moindre occasion suffiroit pour les faire renaître.

Il y eut une trêve d'un an entre la France et l'Angleterre, qui reprirent ensuite les armes à l'occasion du schisme. Tandis que le pape Urbain, pour qui tenoit l'Angleterre, publioit dans ce pays une espèce de croisade contre la France, Clément VII, que le clergé français avoit reconnu, et qui avoit établi son siége à Avignon, tenta de lever sur tous les bénéfices du royaume une taxe (p. 94) à laquelle l'Université s'opposa de toutes ses forces. Le roi défendit la levée du subside imposé; et le pape, malgré ses plaintes et ses menaces, se vit forcé d'y renoncer.

La mort du comte de Flandre commença cette puissance formidable des ducs de Bourgogne. Philippe-le-Hardi, son gendre, lui succéda dans les comtés de Flandre, de Bourgogne, d'Artois, de Rethel, de Nevers, etc. L'année d'après, ce prince fit sa paix avec les Flamands, qui n'avoient pas cessé d'être en révolte ouverte contre leur dernier souverain. Cette même année, un projet de descente en Angleterre, habilement concerté par le connétable de Clisson, manqua par la faute du duc de Berri, qui arriva trop tard au rendez-vous. On prétend que ce prince avare avoit été gagné par Richard II, que cette expédition eût perdu sans ressource. L'hiver suivant, on fit de nouveaux préparatifs, toujours dirigés par Clisson, sujet fidèle et grand capitaine. Cette fois-ci, le monarque anglois s'adressa au duc de Bretagne, qui croyoit avoir quelque sujet de se plaindre du connétable: poussé par son animosité personnelle, plus encore que par le désir de plaire à Richard, le duc attira Clisson dans ses états, et l'y retint prisonnier. Son premier projet avoit été de le faire mourir; mais revenu à des sentiments plus humains, sans se montrer cependant entièrement généreux, il le rendit au roi de France, moyennant (p. 95) une forte rançon, et en se faisant céder quatre ou cinq places. Cet événement déconcerta encore les projets formés contre l'Angleterre.

Ce fut à cette époque que commencèrent les querelles entre l'Université et les Jacobins, au sujet de l'immaculée conception de la Vierge, que ces derniers refusoient d'admettre. L'Université porta la question au pied du trône pontifical, où elle fut jugée en sa faveur. Les Jacobins s'étant obstinés, malgré cette décision, à la rejeter, furent retranchés du corps enseignant, et forcés par l'autorité temporelle à se rétracter. Ce ne fut qu'après seize ans de querelles et de persécutions qu'ils parvinrent enfin à se réconcilier avec l'Université, qui leur permit de rentrer dans son sein, et de continuer à donner des leçons[59]. On ne peut nier que dans cette controverse cette compagnie n'ait montré plus d'animosité contre les Dominicains que de véritable zèle pour la vérité.

L'attentat du duc de Bretagne auroit eu des (p. 96) suites funestes pour lui, si les ducs de Berri et de Bourgogne, jaloux du crédit de Clisson, n'eussent apaisé la colère du roi et ménagé une négociation dont le résultat fut que le duc remettroit au connétable l'argent et les places qu'il lui avoit extorqués. Ce prince vint ensuite à Paris, où il rendit hommage au roi, et fit à Clisson une simple réparation civile, qui ne rétablit entre eux qu'une vaine apparence d'amitié. Cette année fut remarquable par la mort de Charles-le-Mauvais[60].

(1389.) La reine Isabelle de Bavière, que le roi avoit épousée quatre ans auparavant, fait son entrée à Paris. Cette princesse, qui devint depuis un objet de haine et d'horreur pour tous les bons Français, en étoit alors l'amour et l'espérance. Elle avoit déjà donné un dauphin, et étoit enceinte lorsqu'elle fit cette entrée, qui surpassa en magnificence tous les spectacles de ce genre offerts jusqu'alors à la curiosité des Parisiens.

Peu de temps après le roi voulut enfin prendre les rênes de l'État, que les ducs de Bourgogne et de Berri avoient si long-temps sacrifié à leur ambition (p. 97) et à leur intérêt. Ces deux princes, malgré leur mécontentement, se virent forcés de céder un pouvoir emprunté, et se retirèrent, l'un dans son gouvernement de Languedoc, l'autre dans ses États de Flandre. Les nouveaux ministres, à la tête desquels fut placé le duc de Bourbon, oncle du roi, avoient de l'habileté et de bonnes intentions: ils réformèrent de nombreux abus dans l'administration de la justice et des finances; une partie des impôts fut supprimée. D'un autre côté, le connétable n'attendoit que l'expiration d'une trève faite avec les Anglois pour achever de les chasser de France, et leur rendre ensuite les maux qu'ils nous avoient faits, en portant la guerre dans leur propre pays. Tout sembloit annoncer un règne glorieux et fortuné: cet espoir ne fut pas de longue durée. La nuit du 13 au 14 juin 1392, ce seigneur, sortant peu accompagné de l'hôtel Saint-Paul, est attaqué, dans la rue Culture-Sainte-Catherine, par vingt hommes armés, que Pierre de Craon, favori du duc d'Orléans, frère du roi, avoit apostés pour l'assassiner[61]. Clisson, après s'être long-temps défendu, aidé par un seul domestique, qui eut le courage de ne point l'abandonner, tomba sur le seuil d'une porte entr'ouverte, où il reçut encore plusieurs coups d'épée (p. 98) de ses assassins, qui le crurent mort et se retirèrent. Cependant il n'étoit point blessé mortellement, et guérit. Trois des complices de Craon ayant été saisis, firent bientôt connoître le principal auteur du crime, qui se sauva aussitôt de Paris et alla se réfugier en Bretagne. Le duc, sommé de le rendre, répondit qu'il avoit passé sur ses terres, mais qu'il n'y étoit plus. Le roi, que les liaisons de ce vassal avec l'Angleterre, et sa mauvaise foi dans l'exécution du traité conclu avec Clisson, avoient déjà fort indisposé, résolut aussitôt de porter la guerre dans ses états. Les ducs de Berri et de Bourgogne, à qui il envoya l'ordre de venir le joindre avec les troupes qu'ils devoient fournir, obéirent, mais en criant hautement que cette guerre étoit injuste. Le 5 d'août l'armée partit du Mans et prit la route de Nantes; on prétend qu'on remarquoit, depuis trois ou quatre jours, quelque égarement dans l'esprit et dans les yeux du roi: une espèce d'apparition qui s'offrit à lui[62] pendant qu'il traversoit (p. 99) la forêt du Mans augmenta le désordre dans lequel il étoit plongé, et peu d'instants après il fut frappé d'un coup de soleil qui acheva de le rendre furieux. On le vit tout à coup s'élancer, l'épée à la main, sur ceux qui l'environnoient; et, avant qu'on eût pu le saisir et le désarmer, il tua, dit-on, quatre de ses officiers. Tels furent les premiers signes de cette démence qui, pendant un long règne, ne lui laissa que quelques intervalles de raison, et plongea l'État dans les malheurs inouïs dont il nous reste à parler.

Dès ce moment il ne fut plus question de faire la guerre au duc de Bretagne; on ramena le roi à Paris: les ministres qu'il s'étoit choisis furent chassés et persécutés par les ducs de Berri et de Bourgogne, qui s'emparèrent de nouveau du gouvernement; on ne pensa plus à profiter des troubles dont l'Angleterre étoit agitée; une trève de vingt-huit ans fut signée avec Richard II. Sur la demande de ce prince, Pierre de Craon obtint sa grâce, et cet assassin revint à la cour en même temps qu'on en bannissoit Clisson, et qu'on le dépouilloit de toutes ses charges.

Depuis cette époque jusqu'à celle de la mort du (p. 100) duc de Bourgogne, il se passa peu d'événements importants à Paris. De temps en temps l'état du roi sembloit donner des lueurs d'espérances qui ne tardoient pas à s'évanouir; les processions, les prières publiques, l'exposition des reliques, tout ce que le zèle religieux des peuples pouvoit imaginer étoit inutilement employé pour obtenir du ciel sa guérison; les moyens humains n'étoient pas plus efficaces, et l'art des médecins s'étoit vainement épuisé à chercher des remèdes à cette funeste maladie[63]. Cependant les ducs de Berri et de Bourgogne continuoient à gouverner et à dépouiller la France. Le duc d'Orléans, non moins ambitieux et peut-être encore plus avide, ne voyoit qu'avec une extrême jalousie le pouvoir de ces deux princes, et se plaignoit de ce qu'étant frère du roi, et par conséquent plus près du trône que ses oncles, il n'avoit cependant qu'une très-petite part (p. 101) dans l'administration. Il haïssoit surtout le duc de Bourgogne, plus actif et plus entreprenant que l'autre; et cette haine, qui bientôt devint réciproque, fut dès lors poussée à un tel point, que les deux rivaux rassemblèrent des troupes aux environs de Paris, et qu'il s'en fallut peu qu'ils ne donnassent à ses habitants le spectacle d'un combat où le sang françois seul auroit coulé. La reine et les autres princes du sang parvinrent avec beaucoup de peine à rétablir entre eux une apparente réconciliation. Toutefois, le conseil, assemblé par ordre du roi dans un de ces moments de calme que lui laissoit son mal, décida que le duc de Bourgogne auroit la principale administration, parce qu'effectivement il avoit plus d'expérience, et paroissoit moins disposé à abuser de l'autorité que le duc d'Orléans, qu'entraînoient la fougue de ses passions, et un goût de dépense effréné. Celui-ci, forcé de céder, en conserva un ressentiment profond; dès lors ce ne fut plus que cabales et intrigues de la part de ces deux princes, cherchant mutuellement à se supplanter, à s'arracher le pouvoir; la reine soutenoit son beau-frère, les ministres et le peuple donnoient la préférence au duc de Bourgogne. Tel fut le prélude des désordres que devoit produire la longue rivalité de ces deux maisons, rivalité dans laquelle on vit la nation françoise, toujours légère, enthousiaste quelquefois jusqu'à l'imbécillité, déchirer elle-même (p. 102) son propre sein pour soutenir l'odieuse querelle de princes qui ne combattoient qu'afin d'usurper le droit d'être ses tyrans.

(1399.) Révolution en Angleterre. Richard II est détrôné par son cousin germain le duc de Lancastre, qui fut proclamé roi sous le nom de Henri IV, et qui le fit mourir peu de temps après avoir usurpé son trône. Richard avoit épousé la fille aînée de Charles VI, et dans toute autre situation ce monarque eût sans doute tiré vengeance de son assassinat; mais l'avis du duc de Bourgogne fut de reconnoître l'usurpateur, et il prévalut. Cependant l'occasion eût été favorable pour rompre une trève onéreuse, et enlever aux Anglois le peu de places et de châteaux qui leur restoient en France. Dans ses courts intervalles de bon sens le roi revenoit sans cesse à cette pensée; il ordonnoit d'envoyer des troupes en Guienne, et des secours aux mécontents; mais ces ordres restoient sans exécution, parce qu'il retomboit presque aussitôt dans sa déplorable démence.

(1402.) Naissance du cinquième fils de Charles, lequel fut roi depuis sous le nom de Charles VII. Les deux aînés étoient morts en bas âge; les deux autres vivoient encore.

(1404.) Nous touchons à cette époque où il n'y a plus ni patrie, ni roi, ni nation. Le duc de Bourgogne meurt le 7 avril de cette année à Hall, dans le Brabant. Jean, dit Sans peur, son fils (p. 103) aîné, après avoir pris possession de ses nombreux états, vient à la cour, où la reine et le duc d'Orléans, maîtres absolus de l'esprit du malheureux roi tour à tour imbécile ou furieux, ne se servoient de l'autorité entièrement remise entre leurs mains que pour assouvir leur avarice et leurs voluptés. Le mécontentement étoit extrême et général; le nouveau duc de Bourgogne, qui venoit de marier sa fille aînée au dauphin, et le comte de Charolois son fils avec une des filles du roi, appuyé de cette double alliance et de sa qualité de prince du sang, demanda dans le conseil une place qu'on ne put lui refuser. Il s'en servit habilement pour détruire le crédit de son rival, en s'élevant fortement contre les impositions nouvelles que celui-ci ne cessoit d'y proposer; par là il gagna la faveur des Parisiens, tandis que leur haine croissoit à chaque instant contre le duc d'Orléans. Quelque temps après il se retira de la cour, comme s'il lui eût été impossible de supporter plus long-temps le spectacle des profusions de la reine et de son beau-frère, et leurs indécentes familiarités[64].

Cependant le désordre augmentoit de jour en jour davantage; la misère du peuple étoit à son comble; on murmuroit de tous les côtés contre (p. 104) le luxe insolent de la cour, et contre cette avidité du duc d'Orléans, que rien ne pouvoit assouvir. Un moine augustin, prêchant devant la reine, osa se rendre l'organe de ces plaintes populaires; on essaya de l'effrayer, mais il n'en parla qu'avec plus de force devant le roi, qui avoit désiré de l'entendre[65]. Ce prince, dont le cœur étoit droit et les intentions bonnes, fut frappé du discours du prédicateur, et comme il se trouvoit alors dans un moment où son mal lui laissoit quelque relâche, il assembla lui-même le conseil pour délibérer sur la situation de l'État. Il s'y trouva des conseillers assez hardis pour confirmer tout ce qu'avoit dit le moine; dès lors une réforme fut résolue, et l'on manda le duc de Bourgogne. Il partit pour Paris aussitôt qu'il en eut reçu l'ordre; mais il eut soin de se faire suivre par un gros corps de troupes, et cette opération fut conduite avec un tel mystère, que, lorsque la nouvelle en parvint à la cour, son armée étoit déjà sous les murs de la capitale.

Le roi venoit de tomber dans un accès plus violent qu'aucun de ceux qu'il avoit éprouvés jusqu'alors; on ne pensoit déjà plus aux projets de réforme, et la reine, ainsi que le duc d'Orléans, étoient alors plus puissants que jamais. Cette arrivée subite du duc de Bourgogne les (p. 105) frappa de terreur. Ils n'avoient aucune force à lui opposer; le peuple les détestoit; presque tout le conseil étoit contre eux, et ils se trouvoient en quelque sorte à la merci de leur ennemi. Dans cette situation extrême, le duc d'Orléans ne vit d'autre parti à prendre que celui de la fuite; et la reine, qui n'eut pas honte de le suivre, chargea, avant son départ, Louis de Bavière son frère, et quelques seigneurs qui lui étoient attachés, d'enlever le dauphin. Elle les attendoit à Corbeil, où le duc d'Orléans étoit allé la joindre; mais le duc de Bourgogne, instruit à temps de cet enlèvement, avoit volé aussitôt sur les traces des ravisseurs, et ramené le jeune prince, qui d'ailleurs ne s'étoit décidé à les suivre qu'avec la plus grande répugnance. Alors la reine et son beau-frère, plus effrayés que jamais, quittèrent Corbeil et se réfugièrent à Melun. Le dauphin, conduit par le duc de Bourgogne, rentra dans Paris aux acclamations de tous ses habitants.

Cependant le duc d'Orléans faisoit fortifier Melun, et envoyoit des ordres dans toutes les provinces pour faire lever des troupes; en même temps le parlement recevoit de lui des lettres, dans lesquelles l'action du duc de Bourgogne étoit traitée d'attentat contre la majesté souveraine. Bientôt il se trouva à la tête de vingt mille hommes, avec lesquels il s'approcha de la capitale. Son ennemi prenoit, de son côté, des mesures pour (p. 106) défendre cette ville, et il étoit secondé par ses habitants. Les chaînes et les armes qu'on leur avoit enlevées lors de la révolte des Maillotins leur furent rendues; on mit le Louvre et la Bastille en état de défense; plus de vingt-cinq mille soldats furent rassemblés dans l'enceinte de la ville, sans compter les corps répandus dans les villages circonvoisins. On s'attendoit à une bataille, dont l'issue ne pouvoit qu'être funeste à la France, quel qu'eût été le vainqueur. Les princes du sang sentirent alors toute l'étendue du péril; ils se firent médiateurs entre les deux rivaux, et, après deux mois de mouvemens et d'alarmes, on parvint enfin à conclure à Vincennes un traité dans lequel le duc de Bourgogne fut admis à partager avec le duc d'Orléans l'autorité de lieutenant-général du royaume.

(1406.) Cette paix hypocrite dura une année, pendant laquelle les deux princes, à la tête des deux armées qu'on avoit levées pour achever d'expulser les Anglois du royaume, se montrèrent aussi mauvais capitaines qu'ils étoient habiles en intrigues et en factions. (1407.) Ils reparurent ensuite dans le conseil, où leur animosité réciproque sembla avoir pris de nouvelles forces. Toujours opposés l'un à l'autre dans les débats, soutenant leur avis avec aigreur et emportement, on trembloit à chaque instant qu'ils n'en vinssent à quelque violence, et les princes n'étoient occupés (p. 107) que du pénible soin d'apaiser ces fougueux ennemis. Cependant on étoit loin de s'attendre à la catastrophe qui étoit sur le point d'arriver. Le duc de Bourgogne avoit formé, depuis six mois, le dessein de faire assassiner le duc d'Orléans. On prétend qu'une indiscrétion de ce dernier, qui s'étoit vanté d'avoir obtenu les faveurs de la duchesse de Bourgogne, contribua plus encore que leur haine politique à pousser l'époux outragé à cet horrible attentat. Quoi qu'il en soit, il fut médité et conduit avec un sang-froid et une patience qui le rendent encore plus exécrable. Les assassins, au nombre de dix-huit, entrèrent, le 6 novembre, dans une maison portant l'enseigne de Notre-Dame, près la porte Barbette, et y restèrent cachés pendant dix-sept jours. Le 20 du même mois il se fit, par les soins du duc de Berri, une nouvelle réconciliation entre les deux princes; et l'on ne peut raconter sans frémir que, conduits tous les deux aux Augustins par leur médiateur, ils y communièrent à la même messe, et que mille témoignages de confiance et d'amitié succédèrent à cette pieuse cérémonie.

Trois jours après, le duc d'Orléans, qui avoit passé une partie de la journée à l'hôtel Saint-Paul, se rendit à l'hôtel Barbette, où demeuroit la reine, alors en couches; il y soupa. Vers huit heures, Schas de Courte-Heuse, valet de chambre du roi, et l'un des conjurés, se fit annoncer, et lui dit (p. 108) que ce prince le demandoit à l'instant à l'hôtel Saint-Paul pour une affaire de la plus grande importance. Le duc fit seller sa mule et partit sur-le-champ, accompagné seulement de deux écuyers montés sur le même cheval, et précédé de quelques valets de pied qui portoient des flambeaux. Les assassins étoient rangés le long d'une maison située au-dessus de l'hôtel Notre-Dame: aux premiers mouvements qu'ils firent, le cheval qui portoit les deux écuyers prit le mors aux dents, et ne s'arrêta qu'à l'entrée de la rue Saint-Antoine. Le duc fut aussitôt enveloppé par cette troupe de scélérats, qui l'attaqua en criant: À mort!—Je suis le duc d'Orléans, dit-il en élevant la voix. Tant mieux, repartit un des meurtriers, c'est ce que nous demandons, et en même temps un coup de hache lui abattit la main gauche, dont il tenoit le pommeau de sa selle. Plusieurs coups de glaive et de massue s'étant rapidement succédés, il tomba bientôt de cheval, épuisé par le sang qu'il perdoit, et se défendit encore quelque temps à terre, relevé sur ses genoux, et parant avec le bras les nouveaux coups qu'on lui portoit. Qu'est ceci? d'où vient ceci? s'écrioit-il de temps en temps. Enfin un dernier coup de massue lui fit sauter la cervelle, et l'étendit roide mort sur le pavé[66]. Les assassins, en se retirant, mirent le (p. 109) feu à la maison qui leur avoit servi de retraite, et semèrent des chausses-trapes pour arrêter ceux qui voudroient les poursuivre.

Cependant les écuyers revinrent; les domestiques qui étoient restés à l'hôtel Barbette arrivèrent[67]; ils relevèrent le cadavre défiguré de leur maître, et le portèrent dans l'hôtel du maréchal de Rieux, situé vis-à-vis de l'endroit où le meurtre venoit de se commettre. Dans un moment la funeste nouvelle est répandue: la reine, à demi morte de douleur et d'effroi, se fait transporter à l'hôtel Saint-Paul. Dès la pointe du jour les princes s'assemblent à l'hôtel d'Anjou, rue de la Tixeranderie; on fait fermer les portes de la ville; des corps-de-garde sont placés dans les rues, et l'on commence la recherche des assassins. Le corps du duc d'Orléans fut alors transféré dans l'église des Blancs-Manteaux, où les princes allèrent le visiter. Aucun d'eux ne donna plus de signes de (p. 110) douleur, ne manifesta une plus vive indignation que le duc de Bourgogne; il croyoit son crime bien caché: en effet, on n'eut garde de jeter les soupçons sur lui, et ils errèrent pendant plusieurs jours sur diverses personnes que le duc d'Orléans avoit offensées. Enfin le prévôt de Paris ayant appris qu'un des assassins s'étoit réfugié dans l'hôtel de Bourgogne, vint sur-le-champ au conseil, et demanda des ordres pour être autorisé à faire des perquisitions dans les palais des princes du sang. Le duc, qui jusque là avoit joué son rôle avec toute l'audace d'un scélérat consommé, perdit alors contenance. Frappé comme d'un coup de foudre par cet incident, auquel il étoit loin de s'attendre, prévoyant quelle seroit la décision du conseil et les suites terribles qu'elle alloit avoir, il conduisit le duc de Berri à l'une des extrémités de la salle, et là, d'une voix tremblante et la pâleur sur le front, il lui confessa son crime et sortit. L'horreur qu'un tel aveu inspira à ce prince ne lui permit de prendre à l'instant même aucune mesure contre l'assassin. Le lendemain on voulut, mais trop tard, s'assurer de sa personne; il étoit déjà loin de Paris et hors de toute atteinte[68].

(p. 111) (1407.) Les suites furent loin de répondre au premier mouvement d'indignation qu'avoit produit un crime aussi atroce. Vainement la duchesse d'Orléans[69], qui étoit à Château-Thierry lorsqu'elle apprit cette fatale nouvelle, accourut à Paris se jeter aux pieds du roi et lui demander vengeance; vainement l'infortuné monarque, alors dans son bon sens, lui jura de faire un grand exemple du coupable: le duc de Bourgogne, qui ne voyoit de salut pour lui que dans son audace, du fond de ses États où il rassembloit toutes ses forces, menaçoit déjà ses ennemis, et leur faisoit éprouver toutes les terreurs dont il avoit été un moment frappé. Non-seulement on n'avoit point de troupes à lui opposer, mais la reine et les princes voyoient avec douleur que les Parisiens, satisfaits de la mort du duc d'Orléans, étoient disposés à favoriser son assassin, que ses déclamations contre les impôts avoient rendu cher à la populace. On se vit donc bientôt dans la triste nécessité de négocier avec celui qu'on avoit voulu punir: les conférences se tinrent à Amiens, et le duc de Bourgogne s'y montra tellement intraitable, que le duc de Berri et le roi de Sicile[70], (p. 112) qu'on avoit envoyés auprès de lui pour obtenir qu'au moins il demandât pardon au roi de son crime, s'en revinrent sans avoir pu rien terminer. Alors il s'approcha de la capitale avec son armée, résolu d'y entrer de vive force, si l'on tentoit de lui opposer quelque résistance.

À l'approche du meurtrier de son époux, la duchesse d'Orléans sortit de Paris. Le Bourguignon y entra comme dans une place conquise, au milieu de la consternation de la cour, et des transports de joie du peuple, qui voyoit en lui son libérateur. Il osa non-seulement se présenter aux yeux du roi, mais demander à justifier l'assassinat du duc d'Orléans. Cette justification inouïe eut lieu dans la grande salle de l'hôtel Saint-Paul; l'assemblée étoit composée des princes du sang, des prélats, des seigneurs, des cours souveraines, du prévôt des marchands et des principaux bourgeois. Un cordelier nommé Jean Petit, dont la mémoire doit être encore plus exécrable que celle du duc, y parut en son nom, et prononça une harangue dans laquelle il osa étaler et soutenir les maximes les plus abominables du tyrannicide. Un morne silence régnoit dans l'assemblée pénétrée (p. 113) d'horreur. Le lendemain, l'infâme orateur répéta son discours sur un échafaud dressé au milieu du parvis de Notre-Dame; et la populace assemblée l'écouta avec les plus vifs applaudissements.

La reine effrayée s'enfuit précipitamment à Melun avec le dauphin et ses autres enfants; les princes du sang la suivirent. C'étoit ce que demandoit le duc de Bourgogne, qui, devenu par là l'arbitre suprême du gouvernement, n'éprouva plus aucun obstacle pour arracher à un monarque en démence cette approbation qu'il désiroit avec tant d'ardeur. Charles VI signa en effet des lettres, dans lesquelles il déclaroit que le duc de Bourgogne n'avoit tué son frère que par le fervent et loyal amour et bonne affection qu'il a eu à lui et à sa lignée.

(1408.) Le triomphe de ce prince fut court; et c'est une chose remarquable, dans ces temps de désastres, que cette alternative de bons et de mauvais succès, signe évident de la foiblesse des deux factions. Tandis que le duc de Bourgogne dominoit à Paris, la reine et la duchesse d'Orléans rassembloient leurs partisans; le duc de Bretagne leur amenoit une armée; et bientôt leurs forces furent telles que ces deux princesses menacèrent à leur tour la capitale, et que leur adversaire ne chercha qu'un prétexte honorable pour leur céder la place. Il le trouva dans la révolte (p. 114) des Liégeois contre leur souverain. Celui-ci l'appeloit à son secours: il y vola. Alors la reine, la duchesse et les princes entrèrent à Paris, où ils ne trouvèrent que haine et ressentiment contre eux, tandis qu'on y regrettoit ouvertement le duc de Bourgogne. À peine furent-ils arrivés, qu'ils firent indiquer un lit de justice, où la mémoire du duc d'Orléans fut justifiée, et une accusation intentée contre son meurtrier. On alloit le condamner, lorsqu'on apprit la nouvelle de la victoire signalée qu'il venoit de remporter sur les Liégeois dans la plaine de Tongres. Ce succès jeta l'effroi au milieu de cette cour foible et incertaine, en même temps qu'il accrut l'insolence et l'animosité des Parisiens. On vit à son tour le duc de Bourgogne se rapprocher en vainqueur des murs de la capitale, et forcer de nouveau ses ennemis à la fuite; mais cette fois-ci ils jugèrent à propos d'emmener avec eux le malheureux Charles, et cette cour fugitive prit la route de la Touraine, tandis que le duc rentroit à Paris.

Le départ du roi déconcerta ce prince: quel que fût pour lui l'attachement des Parisiens, il avoit besoin de la présence du monarque pour ôter à sa conduite une apparence de révolte qui auroit fini par lui enlever tous ses partisans. Cette circonstance le rendit disposé à écouter les propositions qui lui furent faites par ses ennemis, non moins embarrassés que lui. Une nouvelle (p. 115) négociation fut donc entamée, et la mort de la duchesse d'Orléans[71], qui arriva sur ces entrefaites, la rendit plus facile qu'on ne l'avoit d'abord espéré. Enfin on conclut à Tours un traité dans lequel la paix devoit être scellée par le mariage du comte de Vertus, fils puîné du duc d'Orléans, avec une fille du duc de Bourgogne[72], et la ville de Chartres fut choisie pour le lieu de l'entrevue. Elle se fit dans la cathédrale; le duc s'y prosterna aux pieds du roi, et lui demanda pardon. Se présentant ensuite devant les jeunes fils du duc d'Orléans[73], il les pria d'ôter de leur cœur tout souvenir de son crime. Les réponses, concertées d'avance, furent favorables; on s'embrassa mutuellement, et chacun se sépara conservant dans son cœur sa haine et ses projets de vengeance. Le roi revint alors à Paris, accompagné du duc de Bourgogne, et les princes d'Orléans retournèrent à Blois.

(1409.) Pour ne point voir le triomphe de son ennemi, la reine se retira de nouveau à Melun, emmenant avec elle le dauphin qui entroit dans (p. 116) sa quatorzième année; et, par une politique mal entendue, elle affecta de ne paroître à la cour que dans les intervalles de santé dont jouissoit quelquefois le roi. C'étoit ce que demandoit le duc de Bourgogne: il mit à profit ces instants précieux pour regagner la confiance des princes; des recherches sévères qu'il affecta de faire sur les dilapidations des financiers, et le supplice du surintendant Montagu[74], qui fut la suite de cette enquête, lui acquirent de nouveaux droits à l'attachement des Parisiens; enfin il trouva le moyen d'endormir la reine elle-même dans une fausse sécurité, en ayant l'air de n'oser rien entreprendre sans la consulter, en lui faisant part de toutes les délibérations. Par cette conduite habile et modérée, il parvint à se faire nommer surintendant (p. 117) de l'éducation du dauphin, et maître absolu des affaires, au point que la haine et la jalousie des princes se réveillèrent avec une nouvelle fureur. Tel fut le motif (1410) de leur première confédération, tenue à Gien le 15 avril de cette année. L'intérêt de l'État, le maintien de la justice, le service du roi étoient les prétextes de cette ligue; l'expulsion du duc de Bourgogne en était le véritable objet. Ce fut à cette conférence qu'on arrêta le mariage du duc d'Orléans, qui venoit de perdre son épouse, avec Bonne, fille du comte d'Armagnac. Ce seigneur, l'un des plus grands hommes de son temps, devint alors l'âme du parti auquel il étoit attaché; il eut le funeste privilége de lui donner son nom, et en fut par la suite l'une des plus illustres victimes.

Le duc de Bourgogne se préparoit, de son côté, à recevoir ses ennemis. Il rassembloit des troupes, il s'assuroit des alliés, et entre autres le duc de Bretagne, qu'il avoit trouvé le moyen de détacher du parti contraire. Cependant les Armagnacs, car il faut maintenant employer ce mot et celui de Bourguignons pour désigner les deux factions qui s'apprêtoient à déchirer l'État, les Armagnacs s'avançoient des bords de la Loire vers Paris, ravageant impitoyablement tout le pays. Arrivés à Chartres, les princes écrivirent au roi une lettre dans laquelle ils déclaroient n'avoir pris les armes que pour l'affranchir, ainsi (p. 118) que le dauphin, de la tyrannie du duc de Bourgogne. Le conseil y répondit par une injonction de mettre bas les armes; le roi, qui trouvoit toujours juste le parti entre les mains duquel il étoit, vouloit lui-même marcher contre les rebelles, dont l'armée, divisée en trois corps, campoit déjà sous les murs de Paris.

Cependant tant de préparatifs formidables, car chaque armée s'élevoit à près de cent mille combattants, ne produisirent rien de décisif. L'hiver approchoit, et les princes craignoient le manque de vivres et la dissolution de leurs troupes: de son côté, le duc de Bourgogne étoit peu sûr d'alliés rangés sous ses drapeaux pour un intérêt qui leur étoit étranger; et il éclatoit déjà dans son armée des germes de divisions qui lui donnoient de vives inquiétudes. Un nouveau traité fut donc encore conclu au château de Wicestre[75] par les soins du duc de Berri, le médiateur accoutumé. Les conditions de ce traité, que dictoit l'impuissance de se nuire, furent que les chefs des deux partis se retireroient de la cour, et ne pourroient y reparoître sans un ordre du roi. Ils s'engageoient en outre à ne point armer avant Pâques de l'année 1412, époque à laquelle on espéroit (p. 119) que le dauphin seroit en état de gouverner par lui-même.

(1411.) Cette paix fut rompue presque aussitôt que signée, et l'on ne peut dissimuler que le duc d'Orléans fut l'infracteur du traité[76]. Les deux partis arment de nouveau. Pour prévenir les malheurs dont on étoit menacé, la reine veut faire déclarer le dauphin régent du royaume. Le vieux duc de Berri, toujours ambitieux et jaloux, s'oppose à cette mesure, qui auroit pu sauver l'État. Cependant l'animosité des Armagnacs et des Bourguignons éclatoit par les menaces et les injures les plus violentes. Les premiers avoient passé la Seine, et s'avançoient vers Paris, ravageant le Beauvoisis et le Soissonnois, tandis que le duc de Bourgogne rassembloit ses forces dans le Vermandois. De nouvelles conférences tenues à Melun n'eurent aucun succès; et le duc de Berri, par la partialité qu'il y montra pour la faction orléanoise, perdit toute la confiance des Parisiens; on le soupçonna même de vouloir leur livrer la ville, ce qui le força d'en sortir. Dans cet état de trouble et d'inquiétude, le corps municipal et les (p. 120) principaux bourgeois, craignant le retour des horreurs dont ils avoient déjà été les témoins, crurent bien faire en nommant à la place de gouverneur de Paris, vacante par la retraite du duc, le comte de Saint-Pol, zélé partisan du Bourguignon; et en cela, loin de détruire le mal, ils l'aggravèrent. Pour favoriser le parti auquel il étoit attaché, le nouveau gouverneur de Paris voulut rendre sa domination indépendante de la cour, et ce fut dans les dernières classes du peuple qu'il chercha des instruments propres à l'exécution d'un tel projet. Une compagnie, composée de bouchers, d'écorcheurs et d'un ramas de misérables pris dans la plus vile populace, fut rassemblée sous le commandement des Goix, des Sainctyon, des Thibert, propriétaires de la Grande-Boucherie de Paris[77]. Ce corps reçut le nom de Milice royale, et ce fut à lui que la garde de Paris fut confiée. Il s'en rendit bientôt la terreur: ces hommes féroces parcoururent la ville, répandant le sang humain comme celui des animaux qu'ils étoient accoutumés à verser. Le nom d'Armagnac devint un signe de proscription; et quiconque le recevoit d'un de ses ennemis étoit, sur-le-champ, et sans examen, assommé, noyé ou massacré. Il suffisoit de déplaire à ces scélérats ou d'exciter leur avidité pour éprouver (p. 121) leurs fureurs; et s'ils épargnoient quelques-uns des plus riches citoyens, c'étoit pour les traîner en prison, et leur faire acheter chèrement leur liberté. Toutes les autorités se taisoient devant eux; ils assiégeoient journellement le palais du souverain, les diverses juridictions, et il ne se publioit plus d'ordonnances qu'au gré de cette insolente milice; enfin leurs excès allèrent au point qu'on ne crut pas le roi et le dauphin en sûreté à l'hôtel Saint-Paul, et qu'on jugea nécessaire de les transférer au Louvre. Des citoyens paisibles s'étoient exilés de la ville, espérant trouver un asile dans les campagnes: des dangers plus grands encore les y attendoient. Les paysans, à qui le roi avoit permis, l'année précédente, de s'armer pour résister aux gens de guerre qui les opprimoient, étoient devenus eux-mêmes des brigands qui prenoient le nom de Bourguignons pour se livrer impunément au meurtre et au pillage; et l'on vit se renouveler, non-seulement aux environs de Paris, mais dans la France entière, toutes les horreurs de la Jacquerie.

Ce n'étoit pas assez pour ces indignes princes d'avoir armé les malheureux François les uns contre les autres, et de détruire ainsi la France par les mains de ses propres enfants, on les vit appeler à cette destruction nos plus implacables ennemis. Les deux partis mendièrent bassement le secours des Anglois, qui, malgré la trève, ne (p. 122) cessoient de désoler nos côtes; et le duc de Bourgogne eut le honteux avantage d'en obtenir les premiers secours. Par suite d'un traité qu'il signa avec le roi d'Angleterre Henri IV, six mille archers lui furent envoyés sous la conduite du comte d'Arundel. Il fit depuis avec Henri V un traité encore plus infâme, dont nous ne tarderons pas à parler.

Cependant les troupes orléanoises s'avançoient dans l'intention de s'emparer de Paris; mais il n'y avoit pas d'apparence qu'elles pussent y entrer autrement que de vive force, car la cour, entourée de la faction bourguignonne, n'avoit pas la liberté du choix; et, assiégée dans le Louvre par les factieux, elle se voyoit dans la nécessité de se déclarer pour leur parti. Les princes apprirent alors que le duc de Bourgogne, après avoir pris d'assaut la ville de Ham, et réduit toutes les places environnantes, marchoit à leur rencontre: ils lui évitèrent la moitié du chemin, et les deux armées se trouvèrent en présence près de Montdidier. Une bataille décisive sembloit inévitable; mais un incident qui résultoit de la mauvaise discipline militaire de ces temps-là les empêcha encore d'en venir aux mains. Les Flamands, qui faisoient la principale force du duc, se retirèrent tout à coup de son armée, alléguant que le temps pour lequel ils s'étoient engagés venoit d'expirer. Prières, menaces, promesses, rien ne put les retenir, (p. 123) et le duc, frémissant de rage, fut obligé de faire lui-même une prompte retraite devant ses ennemis.

Alors les troupes orléanoises, traversant l'Oise, se dirigèrent rapidement sur Paris, qu'elles regardoient comme une proie assurée. À leur approche, toutes les villes ouvrirent leurs portes, excepté Saint-Denis, qui bientôt fut forcé de capituler. Il n'en fut pas de même de la capitale: vainement les princes y envoyèrent des hérauts d'armes pour annoncer la fuite du duc de Bourgogne, et protester de la pureté de leurs intentions. Cette horde de brigands, qu'avoit armée le comte de Saint-Pol, se composoit alors de presque tous les artisans de la ville; aux Goix, aux Thibert et autres chefs s'étoient joints Jean de Troyes, chirurgien, et un écorcheur nommé Caboche[78], d'où les nouveaux factieux furent appelés Cabochiens. Ces misérables exerçoient un empire absolu, et les crimes atroces qu'ils avoient commis, ceux qu'ils commettoient encore tous les jours, ne leur laissoient d'autre ressource que de se défendre en désespérés. La reine, que le départ du duc de Bourgogne avoit déterminée à revenir à Paris pour essayer d'y ressaisir l'autorité, s'y trouvoit alors traitée en captive; la (p. 124) cour, tremblante devant cette troupe forcenée, rendoit contre les princes ordonnances sur ordonnances; les chaires retentissoient d'invectives et d'anathèmes contre eux: et ces déclamations augmentoient encore la haine des Parisiens, toujours religieux, même au milieu de leurs plus grandes fureurs. Ils demandèrent à grands cris de faire une sortie contre les Armagnacs, qui campoient alors tranquillement à leurs portes: le comte de Saint-Pol et le prévôt de Paris Désessarts, cédant à leur désir, les conduisirent vers un poste ennemi; mais ils furent complètement battus, quoique six fois plus nombreux. Peu de jours après ils s'en vengèrent en allant mettre le feu au château de Wicestre, qui appartenoit au duc de Berri. Cependant il n'y avoit pas d'apparence qu'une populace presque sans armes et nullement aguerrie pût faire lever le siége à une armée telle que celle des princes, lorsque le duc de Bourgogne, qui venoit d'être joint par les troupes que le roi d'Angleterre s'étoit engagé à lui fournir, accourut au secours de la capitale, où il entra, non sans quelque danger.

À son arrivée tout changea de face: une nouvelle ordonnance plus précise et plus sévère que celles qui l'avoient précédée fut rendue contre les princes ligués et leurs adhérents; ils y furent déclarés ennemis publics et criminels de lèse-majesté. La publication qu'on en fit porta un coup mortel à (p. 125) la faction orléanoise; la désertion commença à se mettre parmi ses partisans, et devint en peu de temps si forte, que, se trouvant dans l'impossibilité de défendre les postes qu'il avoit enlevés, le duc d'Orléans fut à son tour obligé de songer à une retraite, qui de jour en jour devenoit plus urgente. Elle fut exécutée de nuit, et l'armée marcha sans se reposer jusqu'à Étampes. À peine fut-elle partie, que les Bourguignons se répandirent dans la campagne de Paris, achevant d'y dévaster ce qui avoit échappé au brigandage des Armagnacs. Ils s'emparèrent ensuite de Dourdan et d'Étampes, où le parti ennemi avoit laissé une forte garnison. De leur côté, les troupes orléanoises remportèrent près de Tours un avantage assez considérable sur le comte de la Marche[79].

(1412.) Ce fut alors que les princes négocièrent ouvertement avec l'Angleterre, pour la détacher du parti bourguignon. Tandis qu'ils prenoient l'engagement de lui livrer une portion considérable de la France, en renouvelant les principales clauses du traité de Brétigni, le duc de Bourgogne se servoit à Paris de cette indigne transaction pour prouver au roi et à la France entière que la faction orléanoise avoit formé le (p. 126) projet de le détrôner. L'animosité des partis parut alors plus furieuse que jamais: plusieurs provinces devinrent tour à tour le théâtre de la guerre, entre autres le Berri, dans lequel le roi s'avança à la tête de cent mille hommes. Toutes les villes lui ouvrirent leurs portes, et il arriva en maître irrité devant Bourges, dont le siége fut aussitôt entrepris. Le duc de Berri épouvanté fit faire des propositions d'accommodement, que le Bourguignon voulut d'abord faire rejeter; mais telle étoit alors la mauvaise constitution des armées, que les vainqueurs se trouvoient en peu de temps aussi embarrassés que les vaincus. L'armée royale manquoit de vivres, et étoit sur le point de se dissoudre. On saisit donc avec empressement cette ouverture d'une nouvelle paix, qu'on espéroit enfin rendre plus durable que les précédentes. Le dauphin, gendre du duc de Bourgogne, força en quelque sorte ce prince à une entrevue avec le duc de Berri, par suite de laquelle fut signé un nouveau traité, qui renouvela toutes les conditions de celui de Chartres. On le ratifia peu de temps après dans une assemblée solennelle tenue à Auxerre, où se trouvèrent tous les grands du royaume et des députés de toutes les cours souveraines[80]. Les deux partis y renoncèrent à toute alliance étrangère, surtout à celle de l'Angleterre. (p. 127) Enfin des tournois et des fêtes brillantes terminèrent ce congrès de manière à faire espérer un avenir meilleur, si l'on n'avoit pas eu une si triste expérience du passé.

Les méfiances et les haines étoient en effet bien loin d'être apaisées; et déjà auprès des deux partis existants s'en élevoit un troisième plus imposant, auquel chacun des deux autres essaya de se rattacher: ce parti étoit celui du dauphin. Ce jeune prince, d'un caractère altier et bouillant, commençoit à s'indigner de cette ambition de son beau-père, qui ne cessoit d'attaquer un pouvoir dont il devoit un jour hériter. Pour la combattre avec avantage, il imagina de favoriser les partisans de la maison d'Orléans, tandis que le duc de Bourgogne, qui ne désiroit rien tant que la rupture du traité, leur suscitoit mille difficultés pour en éluder les conditions et aigrir leurs ressentiments. Il étoit aussi de son intérêt de jeter dans le peuple de nouveaux ferments de révolte contre la cour; et pour y parvenir il provoqua une assemblée (p. 128) des états-généraux, dans laquelle l'administration désastreuse des finances fut exposée au grand jour, et attaquée surtout par les députés du tiers-état. Un moine nommé Eustache de Pavilly y lut un mémoire, dans lequel aucun des agents de ce ministère ne fut épargné; ce qui jeta une telle terreur parmi eux, que la plupart s'enfuirent, entre autres Désessarts, le plus coupable de tous. Long-temps créature du duc de Bourgogne, il s'étoit attiré la haine de ce prince en le trahissant[81], et cette haine étoit devenue plus violente encore depuis qu'il s'étoit attaché ouvertement au parti du dauphin.

(1413). Ce changement fit sa perte: par suite de cette nouvelle liaison, il quitta, l'année suivante, la ville de Cherbourg, où il s'étoit retiré, se rapprocha de Paris, et trouva le moyen de s'emparer de la Bastille. Son dessein, concerté avec le dauphin, étoit, dit-on, d'enlever ce jeune prince et de le mettre à la tête du parti orléanois, qui devoit ensuite lui fournir les moyens de rentrer en maître dans la capitale. Alors le duc de Bourgogne, poussé à bout, ne balance plus à lever le masque: ses partisans s'assemblent, c'est-à-dire cette troupe de brigands qui avoit déjà désolé la ville; ils soulèvent le peuple; on court à la Bastille, (p. 129) où Désessarts, surpris et déconcerté, consent à se livrer, avec Antoine Désessarts[82] son frère, entre les mains du duc, après en avoir obtenu la promesse qu'il ne leur seroit fait aucun mal. Les deux prisonniers furent sur-le-champ conduits au Louvre.

Devenue plus insolente par ce premier succès, la populace furieuse se précipite vers l'hôtel de Guienne, où logeoit le dauphin, en brise les portes et pénètre jusqu'à l'appartement du prince. On saisit devant lui plusieurs de ses officiers[83], que l'on conduit en prison dans l'hôtel même du duc de Bourgogne; quelques-uns sont massacrés avant d'y arriver. Le lendemain les séditieux demandent à grands cris qu'on leur livre Désessarts; et le duc, malgré la foi jurée, l'abandonne à ces forcenés. Il est plongé dans les cachots du Châtelet. Alors se renouvelèrent, avec des excès plus grands encore, les horreurs des premiers mouvements populaires; et la plume fatiguée se refuse presque à retracer ce tableau monotone des mêmes violences et des mêmes assassinats. Le dauphin est retenu prisonnier dans l'hôtel Saint-Paul; de nouvelles (p. 130) listes de proscriptions sont dressées; les factieux osent violer ce qu'ils avoient jusqu'alors respecté, l'appartement même du roi. Ils y entrent armés, et s'emparent à ses yeux des plus grands seigneurs de sa cour[84], et de vingt dames ou demoiselles attachées au service de la reine. Les proscrits, sans distinction de sexe ni d'âge, sont liés deux à deux, placés sur des chevaux, et dans cet état conduits en prison, au milieu des huées et des outrages de la multitude; et l'on force le roi à publier des ordonnances qui autorisent ces attentats. Un grand nombre de ces infortunés sont noyés pendant les ténèbres ou massacrés dans les cachots. Un nouveau code dicté par ces scélérats parut alors sous le nom d'ordonnances cabochiennes; et le roi, accompagné des princes et du conseil, ayant sur la tête le chaperon blanc, nouveau signe de ralliement adopté par la faction, fut forcé d'aller au parlement faire enregistrer ces monuments de crime et de licence. Désessarts, qui, dans des circonstances à peu près pareilles, avoit condamné Montagu à mort, périt du même supplice et par un jugement non moins inique, mais qu'on peut regarder comme un juste châtiment de la Providence. (p. 131) Enfin les excès de cette populace en vinrent à un tel point, que le duc de Bourgogne, principal moteur de toutes ces atrocités, commença à en craindre pour lui-même les aveugles effets, et crut prudent d'éloigner de cette ville désolée le duc de Charolois son fils, et le seul espoir de sa race.

Il résulta de cette inquiétude du duc de Bourgogne, et de la situation violente du dauphin, qu'on poussoit au désespoir, un changement dans les affaires plus prompt qu'on ne pouvoit l'espérer. Ce jeune prince avoit vainement tenté de s'échapper: on le gardoit à vue; et tous les jours en butte à de nouveaux outrages[85], il n'attendoit désormais son salut que de la faction des princes, avec laquelle il trouvoit le moyen d'entretenir des relations secrètes. Leur ligue, qui s'étoit fortifiée par la jonction du roi de Sicile et du duc de Bretagne commençoit aussi à alarmer leur ennemi. La guerre sembloit prête à renaître: cependant, avant de (p. 132) commencer les hostilités, ils jugèrent convenable de proposer à la cour de nouvelles négociations, basées sur les conditions de la paix d'Auxerre. Elles furent tenues à Pontoise; et le duc de Bourgogne, placé entre des ennemis puissants, les ressentiments du dauphin et une multitude effrénée qu'il ne pouvoit plus maîtriser, se vit forcé d'y envoyer des députés. Un projet de pacification, dont le principal article fut la soumission entière des princes à l'autorité du souverain, fut présenté au roi et ratifié par le parlement, auquel la cour crut devoir l'envoyer, afin d'en imposer aux mutins par un acte aussi éclatant. Il eut tout l'effet qu'on en pouvoit désirer. Les citoyens honnêtes, qui gémissoient en silence de tant de calamités, se ranimèrent dès qu'ils virent l'autorité disposée à les soutenir; on tint dans divers quartiers des assemblées dont le but étoit de chercher des moyens de désabuser le peuple sur les scélérats qui l'entraînoient dans l'abîme. Il fut moins difficile à persuader qu'on ne l'avoit craint d'abord; et le désir de la paix commençoit à devenir général, lorsque le traité qu'on avoit renvoyé aux princes fut remis, ratifié par eux, entre les mains du roi.

Alors les chefs des rebelles tentèrent un dernier effort: ils se rendirent à l'hôtel Saint-Paul, et demandèrent qu'on leur communiquât les articles. Sur le refus qu'on leur en fit, ils coururent s'emparer de l'hôtel-de-ville; et dans ce poste, où (p. 133) ils étoient les plus forts, ils décidèrent qu'à l'instant la ville délibéreroit sur le traité; mais ils ne purent empêcher que cette délibération ne fût remise à la pluralité des voix recueillies dans les quartiers. Ce fut là le coup mortel porté à la faction bourguignonne. Il se trouva, par un heureux hasard, qu'une partie de sa milice étoit sortie de la ville pour une expédition, sous la conduite de Jacqueville, ce qui les empêcha de tenter de nouvelles violences. Vainement le chirurgien de Troyes essaya-t-il le lendemain de haranguer le peuple assemblé: un cri de paix qui s'éleva de tous côtés le força bientôt à se taire. Le parlement, les cours souveraines, l'université se rendirent à l'hôtel Saint-Paul, où le roi leur donna audience des fenêtres du palais. Là il fut supplié d'ordonner l'exécution du traité de Pontoise, et l'élargissement des prisonniers.

Alors les factieux désespérés se rassemblèrent au nombre d'environ trois mille hommes près de Saint-Germain-l'Auxerrois, résolus de marcher vers l'hôtel Saint-Paul. Mais la troupe qui accompagnoit le dauphin et le duc de Berri, grossie à tous moments par les bourgeois armés qui venoient s'y réunir en foule, s'élevoit déjà à plus de trente mille hommes, et le duc de Bourgogne, jugeant que la partie n'étoit pas égale, fit avertir ces furieux de se retirer. On le vit lui-même, s'efforçant de faire bonne contenance, venir se (p. 134) joindre aux deux princes, qu'il accompagna toute la journée; mais il comptoit si peu qu'il y eût désormais quelque sûreté pour lui à Paris, qu'il s'enfuit peu de jours après, abandonnant à la rigueur des lois ceux de ses partisans qui avoient différé de se sauver[86]. Alors les Armagnacs rentrèrent en vainqueurs; et par cette révolution subite, qui suivoit toujours le succès de l'un ou de l'autre parti, les ministres et officiers institués par le duc de Bourgogne furent destitués et remplacés par des créatures des princes; de nouvelles déclarations faites par le roi abolirent toutes celles qu'il avoit publiées contre eux; enfin le gouvernement absolu de l'État fut tout entier entre les mains de la faction triomphante.

Jusqu'ici les Bourguignons et les Armagnacs, tour à tour oppresseurs ou opprimés, n'ont excité aucun intérêt, soit dans leurs succès, soit dans leurs revers. Cependant si, dans cette lutte de factieux qui cherchent à s'arracher un pouvoir usurpé, on éprouve moins d'indignation contre un des deux partis, ce parti est sans contredit celui des princes de la maison d'Orléans. Sans parler de l'assassinat qui rend le duc de Bourgogne si (p. 135) détestable, et qui légitime en quelque sorte la haine et la vengeance de ses ennemis, entre deux partis dont l'un emploie sans cesse les fureurs de la populace, les massacres, les supplices, toutes les violences pour assurer ses succès, tandis que l'autre a dans ses intérêts tous ceux qui, dans les désordres publics, ont quelque chose à perdre, il est difficile de rester long-temps indécis.

Presque tous ceux qui ont écrit l'histoire de France nous semblent n'avoir pas établi avec assez de discernement les caractères si différents de ces deux factions. Incertains dans leurs jugements, vagues dans leurs récits, ils les confondent sans cesse dans le même mépris, dans la même indignation, ce qui est injuste dans toutes les époques de leurs longs débats, ce qui l'est surtout dans la catastrophe à jamais exécrable dont il nous reste à parler.

Le dauphin manquoit de jugement et de caractère; il étoit livré à ses plaisirs, foible et emporté tout à la fois; enfin, sous tous les rapports, incapable de gouverner dans des temps aussi difficiles. Cependant il étoit avide du pouvoir; et c'étoit pour en avoir été écarté par le duc de Bourgogne, qu'il avoit appelé le parti orléanois à son secours. Les chefs de ce parti, parmi lesquels se trouvoit un homme supérieur, le comte d'Armagnac, sentant l'incapacité de ce jeune prince, l'éloignèrent également des affaires. Cette conduite lui sembla tyrannique et insupportable. Un acte de rigueur exercé (p. 136) par sa mère contre quelques seigneurs[87], compagnons de ses plaisirs, acheva de pousser sa patience à bout; et, changeant aussitôt de parti, au gré de ses passions insensées et impétueuses, il ne cessa d'écrire lettres sur lettres au duc de Bourgogne, pour l'inviter à venir le délivrer de cette servitude. Celui-ci étoit alors dans ses états de Flandre, où il songeoit déjà à réparer l'échec qu'il avoit essuyé, en levant des impôts et des soldats. Il saisit avec avidité ce prétexte de recommencer la guerre, et s'avança de nouveau vers Paris à la tête d'une nombreuse armée, annonçant hautement le projet d'arracher le dauphin à ses tyrans. Ici commence une nouvelle suite de malheurs que nos historiens n'ont pas manqué de rejeter sur cette prétendue tyrannie des Armagnacs: cependant que pouvoient-ils faire? Placés entre un roi imbécile, une reine ambitieuse et avare, un ennemi aussi atroce que perfide, un jeune prince sans prudence et sans énergie; entourés d'une multitude aveugle et dévouée au parti contraire, devoient-ils abandonner et le salut de la France et le soin de leur propre sûreté à des mains incapables (p. 137) d'en répondre? N'étoient-ils pas réellement les seuls protecteurs des citoyens honnêtes et paisibles? Les vit-on jamais commettre des assassinats pour maintenir leur autorité? Ne falloit-il pas que l'État fût gouverné; et ne valoit-il pas mieux qu'avec les mêmes droits et de meilleures intentions que le duc de Bourgogne, les princes de la maison d'Orléans s'emparassent de ce gouvernement?

Mais si l'on pouvoit prouver en outre que, dès cette époque, l'infâme Bourguignon avoit conclu avec le roi d'Angleterre[88] un traité par lequel il reconnoissoit ses droits au trône de France, et s'engageoit à lui livrer son roi et son pays, est-il possible alors de balancer un seul instant? ne faut-il pas voir désormais dans les Armagnacs les défenseurs de la patrie, le vrai parti de l'État, et un insensé dans le jeune prince qui appelle à son secours l'ennemi le plus dangereux de sa famille, un traître digne du dernier supplice? Ce traité existe[89]; excepté le père Daniel et Villaret, aucun (p. 138) de nos historiens ne semble l'avoir connu; et, pour en avoir ignoré la véritable date, ni l'un ni l'autre n'en tire les conséquences qu'il est nécessaire d'en tirer. Cependant la face des choses est entièrement changée par l'existence et surtout par la date de cette pièce. Elle explique et les mesures prises contre l'aveuglement du dauphin et la violence des poursuites exercées contre le duc de Bourgogne, et la mort subite du second dauphin; elle (p. 139) fait comprendre l'entreprise, folle en apparence, de Henri V, abordant les côtes de France avec une armée peu nombreuse, non plus pour rentrer dans la possession de quelques villes, mais avec la résolution manifeste de s'emparer du royaume.

Reprenons la suite des faits: le duc de Bourgogne arriva à Saint-Denis avec une armée trop peu nombreuse pour faire le siége de Paris; mais il comptoit sur l'affection que lui portoit toujours la multitude, et sur le parti que pouvoit avoir le dauphin: il en arriva autrement qu'il ne l'avoit espéré. Il avoit affaire à un homme d'un grand caractère; et le comte d'Armagnac prit sur-le-champ le parti qu'il falloit prendre. Il força le dauphin de désavouer son beau-père; un messager que celui-ci osa adresser au roi fut renvoyé sans être entendu, et menacé de mort s'il osoit reparoître. En même temps qu'une ordonnance du monarque déclaroit ce prince ennemi de l'État, des mesures sévères contenoient le peuple, toujours prêt à se soulever. Les artisans et autres gens de peine eurent défense d'approcher des remparts, sous peine de mort; tous les habitants indistinctement furent désarmés; on leur ôta de nouveau les chaînes qui leur avoient été rendues; des soldats parcouroient les rues, marchant en bataille, enseignes déployées, prêts à fondre sur les mutins au premier signal; et c'est alors que l'on put juger combien il étoit facile de contenir cette multitude, (p. 140) si terrible lorsqu'elle a brisé ses entraves. Personne n'osa remuer; mais les Parisiens en conçurent contre le comte d'Armagnac une haine implacable.

(1414.) Des mesures si vigoureuses déconcertèrent le duc de Bourgogne, qui s'enfuit précipitamment dans ses États, où il fut poursuivi par une armée nombreuse que commandoit le roi en personne. Battu sur tous les points, réduit aux dernières extrémités, il se vit contraint à demander lui-même une paix qu'il falloit lui refuser, que jamais les princes, et surtout le comte, ne lui eussent accordés, mais que l'impatient dauphin sut faire accepter à son père, parce qu'il croyoit y trouver une occasion de secouer ce qu'il appeloit la tyrannie des Armagnacs.

Cette nouvelle paix fut signée à Arras; mais si l'on en considère les articles, il n'est pas difficile de voir que le dauphin, mécontent du parti d'Orléans, ne se méfioit pas moins du duc de Bourgogne, dont il connoissoit sans doute alors les liaisons avec le roi d'Angleterre. Entre autres conditions extrêmement dures, il fut expressément enjoint à ce prince de ne point approcher de Paris sans la permission du roi et du dauphin: il s'y soumit; mais tout étoit déjà préparé pour l'horrible trahison qu'il méditoit depuis long-temps.

Pendant l'absence de Charles, des ambassadeurs (p. 141) de Henri V étoient venus à Paris demander la princesse Catherine sa fille en mariage pour le nouveau roi; et par une audace que la trahison du duc de Bourgogne peut seule expliquer, ils réclamèrent en même temps le rétablissement des clauses du traité de Brétigni. Le duc de Berri, qui les reçut, les renvoya, en leur disant qu'il ne pouvoit rien décider par lui-même. Le roi d'Angleterre fit, dès ce moment, ses préparatifs pour porter la guerre en France.

Après la paix d'Arras, les princes et le dauphin revinrent ensemble à Paris, mais déjà divisés entre eux. Armagnacs et Bourguignons, tout étoit également odieux au fils de Charles VI; il vouloit le pouvoir sans partage, et son parti entièrement détaché des deux autres parut bientôt à découvert. Cependant les premières tentatives qu'il fit pour secouer le joug ne lui réussirent point[90], et les ducs d'Orléans et de Bourbon, instruits à temps, rompirent ses mesures. Alors le jeune prince, outré de dépit, sort de Paris et se rend à Bourges. La reine et les princes effrayés lui écrivent dans les termes les plus pressants pour l'engager à revenir; il a l'air de se rendre à leurs (p. 142) sollicitations, leur indique un rendez-vous à Corbeil; et par une ruse hardie qu'on étoit loin d'attendre de son caractère, tandis que toute la cour l'attendoit dans cette ville, il force sa marche vers Paris, fait lever, en passant, le pont de Charenton, arrive au Louvre, s'empare de la ville, dont il fait fermer les portes, et envoie sur-le-champ ordre à tous les princes, le duc de Berri excepté, de se retirer dans leurs terres.

Devenu maître par ce coup d'autorité, le dauphin s'abandonna, dès ce moment, à toute la fougue de son caractère altier et violent, à son goût effréné pour les plaisirs et pour la dissipation. Les trésors de l'État furent prodigués aux compagnons et aux ministres de ses voluptés; mais ce qui prouve, contre l'avis de plusieurs historiens, que le duc de Bourgogne n'étoit pour rien dans l'entreprise qu'il venoit de faire, c'est qu'un des premiers essais qu'il fit de son pouvoir fut de reléguer à Saint-Germain la dauphine, fille de ce prince, afin de se livrer sans contrainte à ses déréglements.

(1415.) Il étoit impossible qu'un semblable caractère pût se maintenir dans les circonstances plus critiques encore où la France alloit se trouver, et lui-même parut le sentir. En effet, Henri V venoit de débarquer à Harfleur[91], dont il s'étoit (p. 143) emparé; et, maître de la campagne, il s'avançoit à travers la Picardie, demandant hautement la couronne de France, en vertu des droits d'Édouard. Dans cette extrémité il fallut songer à remettre la défense de l'État à l'un des deux partis: quels que fussent les ressentiments du dauphin à l'égard des princes d'Orléans, il n'hésita pas un seul instant à leur donner la préférence sur un perfide dont la trahison étoit maintenant dévoilée à ses yeux; le duc osa faire des offres de services[92], qui furent rejetées avec mépris. Enfin, après la malheureuse bataille d'Azincourt[93], plus sanglante que décisive, il tenta de nouveau de séduire et le roi et le dauphin, en leur offrant une armée qu'il s'engageoit à mettre entièrement à leur disposition; (p. 144) mais il fut de nouveau repoussé; on lui défendit de paroître à la cour autrement qu'avec sa suite ordinaire, et les villes reçurent l'ordre de refuser passage à ses troupes.

Ce fut pendant le cours de cette négociation, où le duc de Bourgogne tenta vainement de ramener à lui le dauphin, que ce jeune prince mourut d'un mal subit et violent qui l'emporta en six jours. On soupçonna qu'il avoit été empoisonné, et les deux factions s'en accusèrent réciproquement: mais parmi leurs chefs, lequel avoit le plus besoin de cette mort? qui, du Bourguignon et des princes d'Orléans, étoit le plus accoutumé à commettre des assassinats?

À ce dauphin Louis succédoit le prince Jean son frère, âgé de dix-sept ans. Il étoit alors à Valenciennes, auprès du comte de Hainaut, dont il avoit épousé la fille. Le nouveau dauphin, d'un esprit borné et d'un caractère encore plus foible que son frère, ne faisoit rien que d'après les conseils de son beau-père. Il refusa de revenir à la cour où on le pressoit de se rendre, si le roi ne faisoit sa paix avec le duc de Bourgogne, auquel le duc de Hainaut étoit entièrement dévoué.

Cependant le comte d'Armagnac, appelé à Paris par Charles, venoit de recevoir de sa main l'épée de connétable et le titre de premier ministre. Tout plioit sous ses ordres, et pour la première fois les rênes de l'État se trouvèrent dans (p. 145) une main capable de les diriger. C'est une grande inconséquence de la part du continuateur de Vély d'avoir accusé ce grand homme de hauteur et d'inflexibilité dans la situation extraordinaire où il se trouvoit. Cet historien n'avoit pas vécu au milieu des discordes civiles: s'il en eût fait la triste expérience, il eût su que ce n'est point par la confiance et la douceur que l'on peut ramener des esprits qu'une longue licence a livrés à tous les genres de corruption. Paris fut tranquille, parce que l'administration fut sévère et même dure; et en effet il ne s'agissoit point ici de se faire aimer, mais de se faire craindre. Le nouveau ministre employa, pour déconcerter les traîtres, étouffer les complots, tous les moyens de rigueur nécessaires, l'exil, l'emprisonnement, les supplices: il fit ce qu'il devoit faire, et il faut en accuser le malheur des temps. Tandis qu'il maintenoit ainsi la tranquillité dans Paris, la défense du royaume n'étoit point oubliée: il faisoit réparer les forteresses, méditoit des plans pour chasser les Anglois du continent, et s'efforçoit de rétablir l'ordre dans les finances. Enfin il résulta des mesures prises par le connétable, que le duc de Bourgogne, cantonné dans la Brie[94], où une foule de petits combats (p. 146) fatiguoient inutilement son armée, attendant vainement quelque mouvement favorable des partisans qu'il avoit dans la ville, se vit dans la nécessité de se faire donner, par le dauphin, un ordre de désarmer, afin de couvrir au moins la honte de sa retraite.

La fin de cette année fut remarquable par l'arrivée de l'empereur Sigismond à Paris. Ce prince, qui venoit, en apparence, dans l'intention de faire cesser les divisions de la France et de l'Angleterre, prit en effet des engagements contre elle avec Henri V et le duc de Bourgogne, trouva le moyen de mécontenter tout le monde pendant le court séjour qu'il fit dans la capitale[95], et partit ensuite pour Calais, d'où il alla à Londres continuer ses intrigues.

(1416.) Les conspirations renaissoient à chaque instant; les partisans du duc de Bourgogne, toujours nombreux, toujours actifs, malgré les rigueurs employées contre eux, profitèrent d'un moment où le connétable étoit allé en Normandie, pour tenter une nouvelle entreprise. Elle devoit être décisive: il ne s'agissoit pas moins que de massacrer le roi et la reine, les princes, et sans distinction tous les partisans de la faction orléanoise. Cet horrible complot fut découvert par la (p. 147) femme d'un changeur nommé Michel Laillier. Les conjurés périrent dans les supplices, et avouèrent avant de mourir que toutes ces horreurs avoient été non-seulement approuvées, mais commandées par le duc de Bourgogne.

À la première nouvelle de cet événement, le connétable revint précipitamment à Paris, où sa présence porta de nouveau la terreur dans le parti contraire. Ce fut alors que la Grande-Boucherie, berceau de toutes les séditions, et point de rassemblement des factieux, fut rasée jusqu'aux fondements. Les taxes furent augmentées; on multiplia les proscriptions, les emprisonnements, les supplices: personne n'osa murmurer. On ne peut assez admirer le généreux courage de ce grand ministre, qui, dans une situation aussi terrible, entouré d'ennemis intérieurs qu'il avoit tant de peine à contenir, n'en rejetoit pas moins avec une noble fierté toute espèce de trève avec les Anglois, qu'il vouloit absolument chasser de France. Il partit en effet de nouveau pour aller faire le siége de Harfleur, qu'il fut bientôt forcé d'abandonner, trahi dans cette entreprise hardie par la fortune plus que par son génie; et c'est alors que Henri, ne trouvant plus d'obstacles, se disposa à rentrer en France; que le Bourguignon alla à Calais renouveler l'infâme traité de 1414; et que tout se prépara pour consommer la ruine de ce malheureux royaume.

(p. 148) Le duc de Berri, oncle du roi, mourut cette année à Paris, dans son hôtel de Nesle. Ce prince, l'un des principaux artisans des malheurs publics, étoit alors sans pouvoir et sans considération. Personne ne le regretta; sa mort même ne fit aucune sensation; mais le connétable en profita pour commencer à produire le jeune Charles, comte de Ponthieu, second fils du roi; il le fit nommer gouverneur de Paris.

Cependant le dauphin refusoit toujours de se rendre à la cour; et le comte de Hainaut sur les nouvelles sollicitations qui furent faites à ce jeune prince, osa venir lui-même à Paris signifier qu'on ne devoit point compter sur son retour, si l'on ne faisoit la paix avec le duc de Bourgogne. On savoit que ce seigneur étoit la seule cause de cette obstination insensée: on résolut de l'arrêter. Instruit de ce dessein, il se retira précipitamment à Compiègne, où il trouva, à son arrivée, le dauphin expirant. On ne douta point qu'il n'eût été empoisonné, et les soupçons tombèrent tour à tour sur la reine, sur le connétable, sur le roi de Sicile, beau-père du nouveau dauphin, sur le duc de Bourgogne. Les présomptions des historiens se portent principalement sur le roi de Sicile: mais l'homme qui avoit déjà commis et médité tant d'assassinats; qui, dans ce moment même, venoit de jurer la perte de toute la famille régnante, ne doit-il pas être plus justement soupçonné d'un (p. 149) crime qui ne pouvoit être utile qu'à lui? Le comte de Ponthieu devint par cette mort l'héritier présomptif du trône et l'unique espoir de la France.

Henri V venoit de descendre à la Touques, en Normandie; le duc de Bourgogne s'avançoit, de son côté, à la tête d'une armée nombreuse, appelant les peuples à la défense de la patrie, publiant des manifestes contre les Armagnacs, dans lesquels il nioit impudemment ses liaisons avec l'étranger. Partout où il passoit il abolissoit les impôts; et la multitude, se laissant prendre à cet appât frivole et usé, combloit de bénédictions un perfide qui n'avoit pour objet que de faire ainsi une diversion en faveur de l'Angleterre. Cependant le connétable, entouré de tant d'ennemis, manquant d'argent pour lever des soldats, forcé d'abandonner la campagne à l'Anglois et au Bourguignon, avoit encore à lutter contre les jalousies de la reine, avide de pouvoir et incapable de commander; contre l'orgueil des grands, qu'humilioit la hauteur de son caractère et l'excès de sa puissance. Dans ce temps malheureux, où il n'y avoit plus ni honneur ni patrie, on haïssoit, on vouloit perdre le seul homme capable de tout sauver. (1417.) La reine surtout, dévorée d'ambition au milieu de la vie molle et voluptueuse qu'elle menoit au château de Vincennes, étoit son ennemie la (p. 150) plus acharnée et la plus redoutable[96]. Ce fut pour prévenir ses mauvais desseins qu'il avertit le roi de ses intrigues galantes avec Boisbourdon, son grand-maître d'hôtel. On arrêta Boisbourdon; il fut mis à la question où il avoua tout, cousu dans un sac et jeté dans la rivière. Isabelle fut reléguée à Tours; et le dauphin, d'après l'avis du connétable, se saisit, pour les besoins de l'État, des trésors qu'elle avoit amassés. Depuis l'assassinat du duc d'Orléans, elle ne pouvoit entendre prononcer le nom du duc de Bourgogne sans frémir: cet horreur céda au désir de se venger; et, quoique gardée à vue, elle trouva le moyen de lui écrire pour implorer son secours. Depuis deux mois le traître rôdoit aux environs de Paris, s'éloignant, s'approchant, et assiégeant les petites villes des environs. Sa faction étoit si puissante dans cette capitale, que le connétable et le dauphin n'osoient presqu'en sortir, ce qui favorisoit les progrès des Anglois en Normandie[97]. À la réception de cette lettre, il part (p. 151) à la tête de quinze cents cavaliers choisis, arrive à Tours avec une diligence inconcevable, délivre la reine et la conduit à Troyes. Elle y établit sa cour, prend le titre de régente, crée une chambre souveraine à Amiens, après avoir cassé le parlement de Paris et les autres cours supérieures, et défend de reconnoître l'autorité du roi et du dauphin, sous le prétexte si souvent employé qu'ils ne jouissoient pas de leur liberté.

(1418.) Pendant ce temps les hostilités continuoient aux portes mêmes de Paris. On se prenoit mutuellement des villes; on se harceloit par de petits combats; dans les murs, les conspirateurs ne cessoient point de s'agiter, et leurs conspirations sans cesse avortées produisoient de nouvelles rigueurs, qui augmentoient encore le nombre des mécontents. Cependant les Anglois s'avançoient rapidement dans l'intérieur de la France, et la réunion de tous les membres de la famille royale, si elle eût été possible, pouvoit seule sauver le royaume. Quelques évêques s'entremirent pour tâcher d'arriver à ce but si désirable. La prétendue régente et le duc de Bourgogne nommèrent des députés; le dauphin en nomma de (p. 152) son côté. Ces députés tinrent plusieurs assemblées au village de la Tombe, entre Montereau et Bray-sur-Seine, dans lesquelles on finit par convenir que la décision des principaux articles seroit remise à deux légats du Saint-Siége qui étoient venus offrir leur médiation. Ces légats assistèrent donc aux conférences, et dressèrent ensuite un traité qui portoit que le dauphin et le duc de Bourgogne gouverneroient conjointement le royaume. Le connétable et le chancelier de Marle détournèrent hautement le roi et le dauphin de ratifier une semblable transaction[98]; et tout espoir de rapprochement fut rompu de nouveau et sans retour.

La vigilance et la vigueur d'esprit du connétable étoient telles, qu'on peut présumer que le duc de Bourgogne n'eût point recueilli de ses crimes tout le fruit qu'il en attendoit, si une trahison tramée par un petit nombre de citoyens obscurs, et par cela même aussi inattendue qu'impénétrable, n'eût renversé en un instant toutes les mesures prises par son redoutable adversaire. Il arriva que, dans un moment où presque toutes les troupes royales étoient sorties de la ville pour essayer de reprendre Marcoussy, Montlhéry et (p. 153) quelques autres villes enlevées par le parti bourguignon, un certain Perrinet Leclerc, fils d'un marchand de fer sur le Petit-Pont, fut maltraité par les gens d'un des seigneurs du parti d'Armagnac, et n'en put obtenir justice du prévôt de Paris. Outré de ce refus, il résolut de se venger, s'associa quelques complices, et fit savoir à Lisle-Adam, qui commandoit dans Pontoise pour le duc de Bourgogne, que, s'il vouloit s'approcher secrètement de la ville, il espéroit pouvoir l'y introduire par la porte de Bucy. Dans la nuit du 28 au 29 mai, ce seigneur s'y présenta, accompagné de huit cents hommes d'armes. Perrinet Leclerc, qui en avoit dérobé les clefs sous le chevet du lit de son père, l'un des quarteniers de la ville, et gardien de cette porte, la lui ouvrit à un signal convenu. Lisle-Adam entre avec sa troupe; ils marchent en silence jusqu'au Châtelet, où cinq cents bourgeois, avertis par les émissaires de la faction bourguignonne, venoient de se rassembler, et se joignent à eux. Tous s'écrient à l'instant: La paix! la paix! vive le roi et Bourgogne! et, se partageant en plusieurs corps, se répandent dans les quartiers, où ces cris sont répétés. La populace se précipite aussi des maisons dans les rues en faisant retentir l'air des mêmes acclamations, et, s'armant aussitôt de tout ce qu'elle peut trouver, se joint aux conjurés. Ils vont à l'hôtel Saint-Paul, éveillent le roi, l'obligent de s'habiller, de marcher (p. 154) à cheval à leur tête, et le promènent ainsi dans les rues, pour faire croire qu'il approuve l'entreprise. Tanneguy-du-Châtel, prévôt de Paris, tremblant aux premiers cris pour les jours du dauphin, avoit volé à son hôtel. Ce jeune prince dormoit tranquillement: il l'enveloppe dans un de ses draps, l'enlève de son lit, et est assez heureux pour arriver à la Bastille, chargé de ce précieux fardeau. Le lendemain il le conduisit à Melun. Cependant les chefs des conjurés dirigent leurs hordes sur les hôtels du chancelier, des ministres et des principaux partisans de la faction contraire. Le chancelier de Marle, l'archevêque de Reims, plusieurs évêques, une foule de seigneurs et de membres des cours souveraines sont arrachés de leurs lits, chargés de fers et traînés en prison. Le comte d'Armagnac qu'on avoit vainement cherché dans sa demeure, ne tarda pas à être découvert et arrêté[99]. Toutefois, pendant la première nuit et les deux jours qui la suivirent, il y eut peu de sang de répandu. On attendoit le retour d'un courrier expédié au duc de Bourgogne, alors à Dijon, lorsque Tanneguy-du-Châtel, le maréchal de Rieux et les autres seigneurs qui (p. 155) s'étoient emparés de la Bastille, rentrèrent dans cette forteresse, avec seize cents hommes d'armes, et de là se jetèrent dans la ville, espérant surprendre les Bourguignons, et délivrer le connétable, mais ils rencontrèrent ceux-ci préparés à les recevoir, et il se livra, au milieu de la rue Saint-Antoine, un combat opiniâtre dans lequel, accablés par la supériorité du nombre, ils furent forcés de se retirer, après avoir laissé quatre cents des leurs sur la place. La Bastille se rendit alors à composition. Sur ces entrefaites, l'horrible milice des bouchers, proscrite et bannie de la ville par les Armagnacs, y rentra, ne respirant que la vengeance et le crime; et le 10 juin arrivèrent enfin les nouvelles que l'on attendoit du duc de Bourgogne. Aussitôt les bruits les plus sinistres et les plus alarmants sur les projets des partisans du dauphin sont répandus parmi le peuple, dont on allume à dessein la fureur; ces bruits s'accroissent en volant de bouche en bouche, et cette multitude est bientôt persuadée que son salut dépend de l'entière extermination des Armagnacs. Enfin le 12 juin, jour à jamais exécrable, parvenue au dernier degré de la rage, elle court d'abord à la Conciergerie, en enfonce les portes, en fait sortir tous les prisonniers, et, quels qu'ils soient, Armagnacs, Bourguignons, criminels, débiteurs, les égorge tous, sans épargner ni le sexe, ni l'âge; dans un moment la cour du palais (p. 156) est inondée de sang et couverte de cadavres; le chancelier, six évêques, un grand nombre de membres du parlement expirent percés de mille coups; le connétable est au nombre de ces illustres victimes. Les mêmes atrocités se renouvellent dans toutes les prisons. Au Grand-Châtelet, les prisonniers, au désespoir, veulent résister, et du haut de ses tours essaient de repousser leurs assassins: on y met le feu, et on les force à se précipiter eux-mêmes sur la pointe des piques et des épées placées en bas pour les recevoir. Ces scènes abominables se terminèrent par le spectacle peut-être plus horrible encore des outrages que ces barbares exercèrent sur les restes mutilés de leurs victimes. Les cadavres du connétable et du chancelier, après avoir été traînés pendant trois jours dans les rues, furent jetés à la voirie.

Le 14 juillet, la reine et le duc de Bourgogne arrivèrent à Paris. «Ils y firent, disent les historiens, une entrée triomphante; le peuple jetoit des fleurs sur leur passage; on n'entendoit de tous côtés qu'un cri général d'acclamation et d'allégresse; la joie brilloit sur tous les visages.» Entourés de ces bandes d'assassins, cortége bien digne d'eux, ils allèrent descendre à l'hôtel Saint-Paul, où l'infortuné Charles, entièrement privé de sa raison, reçut Isabelle comme l'épouse la plus tendre et la plus vertueuse, et le duc de Bourgogne comme le sujet le plus affectionné et le plus fidèle.

(p. 157) «Le ciel, dit Saint-Foix, purgea Paris de ses infâmes habitants[100]; avant la fin de l'année il en mourut plus de cent mille, presque tous de la populace et meurtriers[101]

Les événements qui terminèrent ce malheureux règne n'appartiennent plus qu'indirectement à l'histoire de la ville de Paris, désormais soumise aux tyrans qu'elle s'étoit choisis, et n'osant plus secouer un joug dont elle commença aussitôt à sentir toute la pesanteur. Le roi d'Angleterre s'avançoit en conquérant dans la Normandie, où cependant la résistance héroïque de la ville de Rouen le retint assez long-temps, et lui fit perdre assez de monde pour qu'on pût juger qu'il n'eût retiré de son expédition que des revers et de la honte, (p. 158) si la France n'eût pas été d'avance trahie et livrée entre ses mains. Tandis que l'armée angloise étoit occupée à ce siége, le dauphin, qui résistoit à peine au duc de Bourgogne, voyant un nouvel ennemi prêt à fondre sur lui, essaya de traiter avec Henri, qui accepta la négociation, la fit durer tout le temps qu'il jugea nécessaire à ses intérêts, et la rompit en faisant des propositions absurdes qu'il fallut rejeter. (1419.) Déjà les Anglois étoient répandus dans l'Île-de-France, et faisoient des incursions jusque dans les faubourgs de Paris. Le dauphin, au désespoir, ne voit plus de ressources que dans une réconciliation avec le duc de Bourgogne: il fait faire auprès de lui des démarches qui sont accueillies; il en résulte une entrevue à Poissy-le-Fort, où les deux princes se donnent des témoignages très-vifs de confiance et d'amitié qui pouvoient être sincères de la part du dauphin, mais qui, suivant toutes les probabilités, n'étoient qu'une nouvelle perfidie de l'infâme Bourguignon. Ils signèrent un traité dans cette conférence, et il y fut convenu qu'ils se reverroient le 18 août suivant à Montereau-Faut-Yonne. Dans cette seconde entrevue, Jean-sans-Peur est poignardé par les gens de la suite du dauphin. Les historiens ont tellement varié sur les circonstances de ce meurtre, qu'on ignorera probablement toujours s'il étoit prémédité, et si le jeune prince fut réellement ce complice d'un assassinat (p. 159) que rien ne peut justifier, quoiqu'il eût été commis sur un des hommes les plus exécrables qui aient jamais existé. Son caractère, naturellement doux et humain qui ne se démentit pas un seul instant dans tout le cours de sa vie, porte à croire qu'il n'avoit aucune connoissance du complot, et qu'il l'eût empêché, s'il l'avoit connu. D'ailleurs, pourquoi supposer un complot? N'est-il pas plus naturel de penser que le duc de Bourgogne, accoutumé à tous les crimes, ayant voulu commettre ici le plus détestable de tous en s'emparant de ce dernier rejeton de la famille royale, dont il avoit d'ailleurs promis la ruine à l'usurpateur, fut tué dans le cas d'une légitime défense[102]?

Quoi qu'il en soit, ce meurtre, loin d'avancer les affaires du dauphin, les rendit encore plus mauvaises. L'odieuse Isabelle se lia contre son propre fils avec Philippe-le-Bon, fils et successeur de Jean-sans-Peur; et ce jeune prince, aveuglé par la vengeance, n'eut pas honte de seconder les projets formés par le roi d'Angleterre pour la destruction de sa propre maison. Le résultat de leur triple alliance fut cette convention inouïe signée à Troyes le 21 mai, par laquelle Henri V, devenu l'époux de la princesse Catherine, est déclaré (p. 160) régent et héritier du royaume après la mort de Charles VI.

(1420.) Cette même année les deux rois firent leur entrée à Paris le premier dimanche de l'Avent. Charles VI fut conduit à l'hôtel Saint-Paul, où la coupable Isabelle, désormais sans honneurs et sans crédit, fut obligée de le suivre. Le roi d'Angleterre se logea au Louvre. Bientôt les taxes multipliées, les outrages et les violences de toute espèce apprirent aux Parisiens la différence qu'il y a entre le règne du souverain légitime et celui de l'étranger. Insolents et mutins sous l'autorité paternelle de leurs rois, ils se montrèrent dociles et même rampants sous celle de leurs oppresseurs. Telles sont les bassesses du cœur humain, lorsqu'il est livré à sa corruption.

Le 23 décembre, le roi tient un lit de justice où dominent les juges vendus à Henri V. Les auteurs de l'assassinat du duc de Bourgogne y sont déclarés criminels de lèse-majesté, et par conséquent indignes de toute succession. Le roi, dans cette déclaration, ne parle du roi d'Angleterre qu'en le qualifiant de son très amé fils, héritier et régent du royaume, tandis que, parlant de son propre fils, il le nomme sans cesse Charles, soit-disant dauphin[103].

(p. 161) Cependant ce jeune prince ne se laissoit point abattre à des coups aussi rudes, et songeoit à reconquérir par la force un bien qui lui appartenoit si légitimement. Il faisoit fortifier les villes d'au-delà de la Loire, transportoit à Poitiers le parlement et l'université de Paris, et prenoit hautement le titre de régent du royaume. «Ainsi, disent nos historiens, on vit en même temps en France deux rois, deux reines, deux parlements, deux universités de Paris.»

(1421.) La bataille de Beaugé, gagnée par le maréchal de La Fayette sur le duc de Clarence, lieutenant-général de Normandie, qui y fut tué, en l'absence de Henri V son frère, repassé en Angleterre, rassure le dauphin. Le comte de Douglas, qui lui avoit amené sept mille Écossais, (p. 162) eut grande part à cette victoire, et fut fait connétable.

(1422.) Henri V repasse la mer et accourt pour se venger de la défaite de Beaugé; il livre plusieurs combats, et meurt à Vincennes le 31 août, âgé de trente-six ans. Il laisse la régence de France à son frère le duc de Bedfort, et celle d'Angleterre à son cadet le duc de Glocester.

Charles VI le suivit de près. Sa mort sauva la France, comme celle de Jean-sans-Terre avoit sauvé l'Angleterre.


Les événements politiques sont tellement enchaînés les uns aux autres pendant le cours du malheureux règne dont nous venons de tracer le tableau, qu'il n'a pas été possible d'y placer les événements moins importants qui se passèrent, à la même époque, dans Paris. Il n'y fut construit qu'un seul monument public, le pont Notre-Dame; et l'on n'y voit d'autre fondation que celle de trois colléges[104].

Sous ce règne l'Université se mêla moins des affaires de l'État qu'auparavant, parce que ceux qui gouvernoient parurent moins disposés à le souffrir; mais on la voit, soutenant toujours ses priviléges avec la même ardeur, fermer ses classes (p. 163) sur le moindre déni de justice, jeter ainsi l'alarme dans tous les esprits, et obtenir, par ce moyen immanquable, une prompte satisfaction de ses ennemis. Elle força Charles de Savoisi, dont les gens avoient insulté et maltraité ses suppôts, à une réparation flétrissante pour ce seigneur, qui étoit chambellan du roi, et jouissoit à la cour de la plus haute considération. Elle osa braver le conseil du roi même, qui portoit atteinte à ses droits, et le conseil fut obligé de céder. N'eût-il pas mieux valu ne pas l'offenser, puisqu'elle étoit si redoutable, que de compromettre ainsi l'autorité? ou plutôt ne doit-on pas s'étonner qu'une compagnie de gens de lettres ait eu alors une telle influence? Ceci prouve du moins que nos aïeux, que l'on nous présente sans cesse comme si ignorants et si grossiers, faisoient une grande estime, peut-être même une estime exagérée, de la science et des savants, qu'à tort ou à raison ils considéroient comme très-utiles au perfectionnement de la société; et que tous les efforts de ceux qui la gouvernoient tendoient à ce perfectionnement.

Au milieu de la confusion horrible des temps dont nous venons de présenter le tableau, et lorsque l'État sembloit prêt à se dissoudre, une institution remise à propos en vigueur contribua puissamment à le sauver. Ce fut le rétablissement, fait par Charles V, des lois et de l'ancienne discipline de la chevalerie, négligées depuis plusieurs (p. 164) siècles, et même tombées en désuétude. Il dut à ces nobles institutions les succès éclatants qui illustrèrent son règne et qui sauvèrent alors la France. Une sage politique l'avoit porté à les faire refleurir; elles se soutinrent sous son fils Charles VI, par la passion que ce prince eut toute sa vie pour les armes et pour les exercices militaires[105]. Pendant les troubles qui agitèrent son déplorable règne, la chevalerie dégénéra, parce que les chefs de parti, qui avoient besoin d'instruments de leurs fureurs, multiplièrent sans mesure le nombre des chevaliers, et firent entrer dans cet ordre une foule de gens indignes d'y prendre place, tant par la bassesse de leur origine que par leur inexpérience dans la guerre. Elle se releva de nouveau sous Charles VII, conquérant et pacificateur de la France.

Dès Philippe-le-Bel, le duel judiciaire avoit été défendu en matière civile, mais il fut encore autorisé long-temps dans les poursuites criminelles; (p. 165) et, sous le règne de Charles VI, on fit à Paris une triste épreuve de cette coutume barbare. La dame de Carrouge avoit accusé auprès de son mari un gentilhomme nommé Legris d'avoir attenté à son honneur: Legris nia le fait, et, sur la plainte de Carrouge, le parlement déclara qu'il échéoit gage, et ordonna le duel. Legris y fut tué, et, dans la suite, son innocence fut reconnue par le témoignage même de l'auteur du crime, qui le déclara en mourant.

Les fleurs de lis sans nombre dans l'écu de France, avant le règne de Charles V, furent réduites à trois par ce prince, en l'honneur de la Sainte-Trinité, comme cela est prouvé par un passage où Raoul de Presle parlant à Charles lui dit: Si portez les armes de trois fleurs de lis, en signe de la benoîte Trinité, etc.

ORIGINE DU QUARTIER MONTMARTRE.

Ce quartier est ainsi appelé, parce qu'une de ses rues principales conduit à une montagne située au nord de Paris, laquelle porte maintenant (p. 166) le nom de Montmartre, mais dont le nom primitif est incertain. Frédégaire, un de nos plus anciens chroniqueurs, l'appelle mons Mercomire, mons Mercori, mons Cori; Abbon, dans son poëme du siége de Paris, la nomme en différents endroits mons Martis, cacumina Martis. C'est d'après ces deux autorités que quelques-uns de nos historiens l'ont désigné indifféremment sous les noms de mont de Mercure et de mont de Mars; ils ont de même prétendu que les deux églises qu'on y a bâties remplaçoient deux temples consacrés sur cette montagne à ces fausses divinités. On ne peut en effet donner une autre interprétation que celle de mont de Mars aux expressions dont Abbon s'est servi; mais Jaillot remarque que ce même auteur a employé le mot Cori pour exprimer le vent de nord-ouest, et il en conclut qu'il ne seroit pas impossible que Frédégaire ne l'eût entendu qu'en ce sens, en désignant la montagne seulement par sa situation, et que ses copistes, qui ne comprenoient pas ce mot, ne l'eussent rendu par celui de mons Mercori ou mons Mercurii. Dans ce cas le nom primitif de mons Martis ou mont de Mars seroit le seul véritable.

Quoi qu'il en soit de cette difficulté si peu importante à éclaircir, Hilduin, abbé de Saint-Denis, qui écrivoit ses Aréopagitiques vers l'an 834, est le premier qui se soit servi du nom de mont (p. 167) des Martyrs, au lieu de celui de mont de Mercure, que ce lieu portoit alors suivant son témoignage. C'est sur la foi de cet historien que l'on a cru, d'après une tradition qui s'est conservée jusqu'à nous, que saint Denis et ses compagnons avoient été martyrisés sur cette montagne. Toutefois cette tradition a été combattue: on lui a opposé l'auteur de la vie de sainte Geneviève et celui des actes de saint Denis, qui fixent le lieu du martyre de ces saints confesseurs à six milles de Paris, in sexto à Parisiis milliario vitam finierunt. L'un d'eux appelle ce lieu vicus Catoliacencis, et l'on a cru y reconnoître la ville de Saint-Denis. Ceux qui prennent parti pour Hilduin, après avoir prouvé que son témoignage étoit préférable à celui des deux écrivains anonymes cités contre lui, le fortifient encore de celui de l'auteur des gestes de Dagobert, qui, sans désigner le lieu du martyre de saint Denis et de ses compagnons, dit qu'ils furent exécutés à la vue même de la ville, In prospectu ipsius civitatis interemptos. Ils ajoutent à cette circonstance un grand nombre d'autres raisons qui prouvent leur patience et leur sagacité, et rendent leur sentiment beaucoup plus probable que l'autre; cependant leurs preuves ne nous semblent point assez évidentes pour qu'il soit possible de prononcer définitivement sur une question qui d'ailleurs est d'une si petite importance, qu'on peut regretter que de savants (p. 168) hommes aient employé leurs veilles et perdu un temps précieux à faire des recherches aussi frivoles.

Si nous examinons maintenant le quartier qui doit son nom à cette montagne fameuse, nous trouvons que, bien que son extrémité méridionale fût renfermée dans l'enceinte élevée sous Charles V et Charles VI, cependant il n'a réellement commencé à se former que dans les premières années du dix-septième siècle, et lorsque cette enceinte eut été abattue. Jusque là un grand terrain couvert de cultures et de marais remplissoit l'espace qui séparoit les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré, dont les grandes rues isolées se prolongeoient à travers la campagne.

À l'époque où Louis XIII fit construire la dernière muraille fortifiée dont Paris ait été entouré, la porte Montmartre, située[106] à peu près entre la rue Neuve-Saint-Eustache et celle dite des Fossés-Montmartre, fut reculée, comme nous l'avons déjà dit, à plus de deux cents toises de sa première position, à l'endroit où est maintenant le boulevart, et où commence la rue du faubourg (p. 169) qui porte le même nom. Dans ce nouvel espace, qui, dans sa largeur, s'étendoit jusqu'à la porte Saint-Honoré, on commença dès lors à percer des rues et à élever de nouveaux édifices.

Ces murailles furent, peu de temps après, démolies par ordre de Louis XIV, et sur la place qu'elles occupoient, on planta la double rangée d'arbres qui forment la promenade appelée aujourd'hui Boulevart. Ces nouveaux ouvrages avoient été poussés, en 1684, jusqu'à la porte Sainte-Anne, et là, la suite en fut interrompue par la rencontre des fossés de la ville, des buttes de terre qui avoient autrefois servi aux fortifications, et de quelques maisons bâties sur les contrescarpes. Cet obstacle, qui dura deux années, fut enfin levé par des lettres-patentes du mois de juillet 1686, lesquelles, confirmant deux arrêts précédents, permirent aux prévôts des marchands et échevins de faire aplanir les buttes, combler les fossés, et de se mettre en possession des maisons et terrains qui se trouvoient dans l'alignement du cours, après en avoir payé la valeur aux propriétaires. Tout l'emplacement des fortifications et les matériaux provenant des démolitions leur furent également accordés, sous la condition que le produit en seroit employé aux embellissements de la ville. L'espace entier qu'entouroit la nouvelle promenade fut bientôt couvert d'édifices.

(p. 170) Ce n'est qu'à la fin du siècle dernier qu'on a vu s'élever, sur la portion de ce quartier située au-delà du boulevart, et qu'on nomme Chaussée-d'Antin, ces belles constructions qui en font une des parties les plus régulières et les plus belles de Paris, et la demeure de ses plus riches habitants.

MONASTÈRE DES CAPUCINES.

Pour ne point mettre de confusion dans la description des monuments de ce quartier, nous sommes forcés de faire ici quelque changement à l'ordre que nous suivons ordinairement. Au lieu de commencer par les édifices qui sont situés dans sa partie orientale, nous transporterons d'abord le lecteur à l'extrémité de la rue Neuve-des-Petits-Champs, pour le ramener, en suivant cette rue, jusqu'à la place des Victoires, d'où nous pourrons ensuite nous avancer, par une marche assez régulière, jusqu'aux extrémités de l'espace que nous avons à parcourir.

C'étoit dans cette partie de la rue Neuve-des-Petits-Champs, (p. 171) et vis-à-vis de la place Vendôme, qu'étoient situés l'église et le monastère des religieuses Capucines, dont les jardins s'étendoient jusqu'aux boulevarts. Elles avoient occupé, dans le principe, un autre couvent à peu de distance de celui-ci; mais quoique nous ayons déjà indiqué[107] à quelle occasion elles le quittèrent pour venir s'établir dans cette nouvelle habitation, il convient cependant de donner ici avec plus de détails l'histoire de la fondation de cet ordre et de l'établissement de ces religieuses.

Elles reconnoissoient pour leur fondatrice Louise de Lorraine, veuve de Henri III. Après la mort funeste de ce prince, la reine s'étoit retirée à Moulins, où des œuvres de piété occupèrent entièrement les dernières années de sa vie: ce fut dans cette retraite qu'elle forma le projet de fonder un couvent de l'ordre des Capucines; mais la mort l'ayant surprise avant qu'elle eût pu l'exécuter, elle en chargea, par son testament[108], Philippe-Emmanuel (p. 172) de Lorraine, duc de Mercœur, son frère, auquel elle légua les sommes qu'elle crut nécessaires pour la fondation et la dotation de ce couvent. Le duc de Mercœur étant mort lui-même l'année d'après, Marie de Luxembourg sa veuve se fit un devoir d'exécuter les dernières volontés de la reine sa belle-sœur[109]; et son zèle la porta même à ajouter de ses propres deniers à la somme de 60,000 liv. léguée par cette princesse, somme qui ne se trouva point encore suffisante pour l'entière exécution de ce pieux dessein.

L'hôtel de Retz, appelé alors l'hôtel du Péron, situé sur une partie du terrain qu'occupe actuellement la place Vendôme, lui ayant paru convenable à la fondation qu'elle méditoit, madame de Mercœur en fit l'acquisition, et donna des ordres pour qu'on y construisît sur-le-champ une chapelle et les autres lieux réguliers qui constituent un monastère. Elle en posa elle-même la première pierre le 29 mai 1604; toutefois, pour que cet établissement auquel elle prenoit un vif intérêt n'éprouvât (p. 173) aucun retard, cette princesse, mettant à profit le temps que demandoient les constructions et les dispositions intérieures qu'elle faisoit faire dans cet hôtel, s'étoit retirée au faubourg Saint-Antoine, dans une grande maison composée de deux corps de logis[110], dont elle occupa l'un, et destina l'autre pour les filles qui voudroient embrasser la vie austère de l'ordre réformé de Saint-François. Douze filles prirent l'habit de cet ordre le 24 juillet 1604; et deux ans après les bâtiments de leur monastère étant achevés, le cardinal de Gondi, assisté de l'évêque de Paris, son neveu, y installa solennellement les douze nouvelles religieuses[111].

La règle de ce monastère étoit, celle des filles de Sainte-Claire exceptée, la plus austère de toutes les règles établies dans les communautés de filles. Vêtues de la bure la plus grossière, les Capucines ne vivoient que d'aumônes, marchant toujours nu-pieds, excepté dans la cuisine et dans le jardin, et ne faisant jamais usage de chair, même dans les maladies mortelles, etc. Cette rigoureuse austérité a fait croire que le couvent de Paris étoit le seul de cet institut de France; mais il est bien certain qu'il y en avoit trois, (p. 174) un à Tours, un autre à Marseille et celui de Paris.

Les religieuses Capucines demeurèrent dans la maison fondée par la duchesse de Mercœur jusqu'au 19 avril 1688, époque de leur translation au couvent que Louis XIV leur fit bâtir dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, lorsque le projet eut été formé d'élever la place Vendôme. Ce prince leur accorda de nouvelles lettres-patentes le 25 mars 1689; et le 27 août suivant leur église fut dédiée sous le titre de Saint-Louis.

Le portail de cette église, construit seulement en 1722, étoit un des exemples les plus frappants de ce goût bizarre pire que la barbarie, dans lequel l'architecture étoit tombée au commencement du siècle dernier. Deux pilastres d'ordre dorique, quoique de proportion toscane, s'élevoient de chaque côté; ils étoient surmontés d'un entablement gigantesque, dont la frise et la corniche formoient un plein-cintre énorme qui couronnoit cette singulière composition; l'archivolte de la porte, hors de toute proportion avec une si vaste corniche, étoit surmontée d'un bas-relief remplissant tout l'espace qui séparoit ces deux portions de cercle, ce qui complétoit le ridicule de cette décoration; enfin elle étoit si mauvaise de tous points, qu'on n'a jamais su quel fut l'architecte qui en avoit donné le dessin, tous ceux à qui on crut devoir l'attribuer dans les ouvrages écrits à cette époque s'étant empressés de la désavouer.

(p. 175) L'auteur de la sculpture étoit Antoine Vassé. Cet ouvrage médiocre, mais cependant bien supérieur au portail, étoit composé d'un grand cartouche soutenu par trois anges, au milieu duquel on lisoit ces mots en lettres d'or: Pavete ad sanctuarium meum, ego Dominus. Au-dessus de la corniche s'élevoit une croix qu'accompagnoient deux anges en adoration.

L'intérieur de l'église étoit peu spacieux, mais proprement décoré, et remarquable surtout par des chapelles[112] et des mausolées d'une grande magnificence.

Les bâtiments du monastère, construits sur les dessins de d'Orbay, avoient coûté au roi près d'un million; toutes les cellules des religieuses étoient boisées, et les cloîtres vitrés; ce qui fut fait sans doute pour prévenir les accidents auxquels elles étoient exposées par l'excessive sévérité de leur institution[113].

(p. 176) CURIOSITÉS DU MONASTÈRE ET DE L'ÉGLISE DES CAPUCINES.

TABLEAUX.

Sur le maître-autel, une descente de croix, copie de Jouvenet, par Restout[114].

Dans la chapelle dite de Louvois, une résurrection, par Antoine Coypel.

Dans la première chapelle à droite en entrant, le martyre de saint Ovide, par Jouvenet.

Dans une autre chapelle, saint Jean, par François Boucher.

TOMBEAUX.

Au milieu du chœur des religieuses reposoit, sous une simple tombe de marbre noir, le corps de Louise de Lorraine, reine de France, et fondatrice de ce couvent. Elle avoit ordonné par son testament que son corps y fût inhumé. L'épitaphe, aussi modeste que le tombeau, étoit conçue en ces termes:

«Ci gist Louise de Lorraine, reine de France et de Pologne, qui décéda à Moulins en 1601, et laissa vingt mille écus pour la construction de ce couvent, que Marie de Luxembourg, duchesse de Mercœur, sa belle-sœur, a fait bâtir l'an 1605. Priez Dieu pour elle.»

Dans la chapelle de Saint-Ovide[115] étoit le tombeau de Charles, duc de Créqui, mort le 13 février 1687. Ce monument, exécuté par Pierre Mazeline, a été déposé depuis au musée des Petits-Augustins[116].

(p. 177) Armande de Lusignan, épouse du duc de Créqui, morte le 11 août 1707, fut inhumée dans le même tombeau.

Une autre chapelle servoit de sépulture à la famille de Letellier-Louvois. On y voyoit le tombeau du marquis de Louvois[117].

Dans ce même tombeau avoient été inhumés: Anne de Souvré de Courtanvaux, épouse du marquis de Louvois, morte en 1715;

Louis-François-Marie, marquis de Barbesieux, fils du marquis et de la marquise de Louvois, mort en 1691;

Camille Letellier, connu sous le nom de l'abbé de Louvois, frère du précédent, mort en 1718.

Les autres personnages remarquables qui avoient leur sépulture dans cette église étoient:

M. de Saint-Pouange, fils de Jean-Baptiste Colbert, cousin germain de M. de Louvois, mort en 1706;

Marie de Berthemet de Saint-Pouange son épouse, morte en 1732;

La marquise de Pompadour, morte en 1764;

Alexandrine Le Normand d'Étiole sa fille.

(p. 178) LES NOUVELLES-CATHOLIQUES.

Cette communauté de filles, instituée pour la propagation de la religion catholique, apostolique et romaine, étoit établie rue Sainte-Anne, entre les rues Neuve-Saint-Augustin et des Petits-Champs. En formant cet établissement, on avoit eu pour but d'offrir aux personnes du sexe, qui désiroient renoncer au judaïsme ou à l'hérésie, un asile où elles pussent trouver des secours temporels et l'instruction nécessaire pour assurer leur conversion. Le projet de cette institution, conçu par le père Hyacinthe, franciscain, fut approuvé en 1634 par François de Gondi, premier archevêque de Paris, et autorisé par une bulle d'Urbain VIII, du 3 juin de la même année. Le roi Louis XIII la confirma par ses lettres-patentes du mois d'octobre 1637, et Louis XIV, par de nouvelles lettres du mois d'octobre 1649.

Les premières supérieures de cette communauté (p. 179) furent la sœur Garnier, de l'hospice de la Providence, et mademoiselle Gaspi, deux saintes filles qui avoient eu connoissance, dès le principe, du projet du père Hyacinthe, et l'avoient favorisé de tout leur pouvoir. La nouvelle institution fut d'abord placée derrière Saint-Sulpice, dans la rue des Fossoyeurs; de là les Nouvelles-Catholiques furent transférées rue Pavée, au Marais. Elles y étoient encore en 1647; mais peu de temps après on leur procura une maison plus commode, située rue Sainte-Avoie. Il étoit à craindre cependant que cette communauté, qui n'avoit encore aucuns fonds permanents pour subsister, ne pût se soutenir long-temps. Mais il en arriva autrement; et c'est une chose remarquable que, dans ce royaume et principalement dans sa capitale, un établissement public conçu dans des vues utiles, et surtout avec l'intention d'instruire et d'édifier, n'a jamais manqué de trouver de puissants protecteurs et de nobles libéralités dans la première classe de ses habitants. Cette bienfaisance éclairée se propageoit de race en race, et l'on peut dire que de telles traditions d'honneur, de vertu et de bienséance n'étoient pas un des moindres soutiens de l'État. Les Nouvelles-Catholiques, à qui le roi faisoit une pension annuelle de 1,000 livres, virent bientôt leur existence assurée par les dons de plusieurs personnes pieuses, et notamment d'une des plus (p. 180) illustres maisons de France[118]; ce qui les mit en état, non-seulement de remplir sans inquiétude l'objet de leur institution, mais encore, au moyen d'une économie sévère établie dans leur administration, d'acheter, rue Sainte-Anne, un terrain sur lequel elles firent bâtir une maison et une chapelle[119].

La première pierre du maître-autel fut posée, au nom de la reine, par la duchesse de Verneuil, le 12 mai 1672; et la chapelle fut bénite le 27 du même mois, sous le titre de l'exaltation de la Sainte-Croix et de sainte Clotilde. Cette maison jouissoit de tous les priviléges accordés aux maisons de fondation royale; priviléges qui furent renouvelés et confirmés de nouveau par lettres-patentes du roi, en date du mois d'avril 1673, sous la condition expresse qu'elle ne pourroit être (p. 181) changée en maison de profession religieuse, et que les filles qui en feroient partie resteroient dans l'état séculier, et vivroient selon les règles et statuts donnés par l'archevêque de Paris.

Les principales charges de cette communauté étoient triennales, et les engagements entre le corps et ses membres, étant réciproquement libres, pouvoient se rompre de part et d'autre sans aucune difficulté[120].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES NOUVELLES-CATHOLIQUES.

Sur le maître-autel, un beau tableau de le Brun, représentant un Christ. On voyoit au pied de la croix sainte Clotilde, reine de France, y déposant sa couronne.

Au-dessus de la grille du chœur, un saint Sébastien, sans nom d'auteur. Vis-à-vis une descente de croix attribuée à Palme-le-Vieux.

Près de la chaire, saint Claude ressuscitant un enfant, par Pierre d'Ulin.

Cette communauté avoit pour sceau une croix avec ces paroles: Vincit mundum fides nostra[121].

(p. 182) BIBLIOTHÉQUE DU ROI.

La bibliothéque du Roi est placée rue de Richelieu, dans le vaste édifice qui s'étend depuis l'arcade Colbert jusqu'à la rue Neuve-des-Petits Champs.

De même que la ville de Paris, dont elle est un des plus beaux ornements, cette bibliothéque eut de très-foibles commencements; et son accroissement suivit pour ainsi dire celui de cette capitale.

Charlemagne fut le premier de nos souverains qui essaya de faire naître en France le goût des sciences et des lettres; mais ses efforts, et ceux des savants qu'il avoit attirés à sa cour, n'eurent pas le succès qu'il en avoit espéré. La France redevint barbare sous le règne de ses foibles successeurs; et, pendant près de quatre siècles de guerres intestines et de désordres de toute espèce, les ténèbres les plus épaisses couvrirent ce beau royaume, que la religion chrétienne put seule empêcher (p. 183) alors de redevenir une contrée tout-à-fait sauvage. Cependant tous les établissements utiles créés par ce grand monarque ne périrent pas avec lui: les écoles qu'il avoit instituées auprès des monastères et de chaque cathédrale subsistèrent et continuèrent à être fréquentées, même dans les temps de la plus profonde ignorance. Il est vrai que les leçons qu'on y donnoit se réduisoient à peu de chose: et si l'on en excepte la théologie, la première des sciences, et toujours la même dans tous les temps et dans tous les lieux où règne la religion catholique, quelques principes de grammaire, les subtilités de la dialectique d'alors, et la musique qui n'étoit autre chose que le plain-chant, telles étoient les connoissances qu'on y acquéroit, et ces connoissances ne sortoient pas des cloîtres. Les clercs et les moines étoient les seuls qui sussent lire en France, et qui possédassent le petit nombre des livres existants dans ce royaume, sans que personne fût tenté de leur envier une semblable possession. On voyoit parmi ces livres peu d'exemplaires des ouvrages grecs et latins, qui passoient alors pour aussi profanes que leurs auteurs, et qu'on ne lisoit point sans permission. Des copies de la Bible, quelques traités des Pères, des canons, des missels, des livres liturgiques et de plain-chant, formoient dans ces temps-là toutes les bibliothéques. Saint Louis, qui semble avoir eu quelque projet de créer un (p. 184) dépôt public de livres[122], n'y donna point de suite, puisqu'il légua sa bibliothéque aux Jacobins et aux Cordeliers de Paris, à l'abbaye de Royaumont et aux Jacobins de Compiègne. Avant et depuis ce prince jusqu'à Charles V, nos rois n'avoient d'autres livres que ceux qui étoient nécessaires à leur usage particulier; et quoique Sauval ait dit que ce dernier prince «tira du Palais-Royal tous les livres que lui et ses prédécesseurs avoient amassés avec non moins de dépenses que de curiosité,» on peut cependant avancer sans crainte de se tromper, que cette collection n'étoit pas nombreuse; et nous apprenons par le Mémoire historique sur la bibliothéque du roi, imprimé à la tête du catalogue des livres qui la composent, que le roi Jean n'avoit que six volumes de sciences et d'histoire, et trois ou quatre de dévotion.

Charles V doit donc être regardé comme le véritable fondateur de la bibliothéque royale. Ce prince aimoit les lettres et les savants. La protection qu'il leur accordoit en augmenta le nombre et multiplia les ouvrages; on s'empressoit de toutes parts à lui en offrir, et il faisoit copier tous ceux qu'il jugeoit les plus utiles. Cette collection, immense pour le temps, fut placée, comme nous (p. 185) l'avons déjà dit, dans une tour du Louvre qu'on nomma la tour de la librairie. Elle en occupoit les trois étages; l'inventaire que Gilles Mallet en fit en 1373 nous apprend que cette bibliothéque étoit alors composée de 910 volumes[123].

Elle fut entièrement dispersée sous le règne désastreux de l'infortuné Charles VI. Le duc de Bedford, qui prenoit alors le titre de régent du royaume, en acheta la plus grande partie pour la somme de 1200 livres, et la fit passer en Angleterre, avec les archives déposées également dans le palais du Louvre.

Charles VII, pendant les troubles continuels qui agitèrent son règne, ne put s'occuper du rétablissement de cette bibliothéque. Louis XI, plus tranquille, recueillit quelques livres épars dans différentes maisons royales, et l'imprimerie nouvellement inventée lui fournit des moyens plus faciles d'en augmenter le nombre. Charles VIII joignit à cette petite collection quelques livres qu'il avoit rapportés de Naples, seul fruit qu'il retira de la conquête de ce royaume. La garde de cette collection fut confiée à Laurent Palmier.

Elle s'accrut encore sous Louis XII, qui y réunit la bibliothéque formée à Blois par Louis d'Orléans, laquelle étoit composée de quelques volumes (p. 186) tirés originairement de la librairie du Louvre. Ce prince y ajouta encore les livres qui avoient appartenu au célèbre Pétrarque, et la bibliothéque des ducs de Milan. Le gardien qu'il y préposa se nommoit Jean de La Barre.

Cependant toute cette collection, déposée alors dans cette même ville de Blois, ne contenoit encore, en 1544, que 1,890 volumes, lorsque François Ier l'incorpora à celle qu'il avoit commencé de former à Fontainebleau, sous la garde de Mathieu La Bise. Ce prince, nommé à si juste titre le restaurateur des sciences et des lettres, sentant l'extrême importance d'un semblable dépôt, chargea ses ambassadeurs auprès des cours étrangères d'acheter et de recueillir tous les manuscrits grecs ou latins qu'ils pourroient se procurer. Plusieurs savants distingués voyagèrent aussi par ses ordres dans les contrées lointaines pour le même objet. Cette bibliothéque royale commença alors à devenir vraiment digne du titre qu'elle portoit. Pierre Duchâtel en étoit le gardien.

Cependant, quoique l'imprimerie eût déjà fait de rapides progrès, à l'exception de 200 volumes imprimés, il n'y avoit encore que des manuscrits dans la bibliothéque royale. Henri II contribua plus efficacement à son augmentation par son ordonnance de 1556[124], laquelle enjoignoit aux libraires (p. 187) qui faisoient imprimer, de fournir un exemplaire en vélin, et relié, de chaque livre dont on leur accordoit le privilége. Cette utile et sage précaution avoit été imaginée par un avocat nommé Raoul Spifame. Catherine de Médicis joignit à tant de livres déjà rassemblés la bibliothéque que le maréchal de Strozzi avoit achetée après la mort du cardinal Ridolfi, neveu du pape Léon X[125]. Pierre Duchâtel fut conservé par Henri II. Pierre de Montdoré lui succéda.

Cette bibliothéque resta languissante sous Henri III, et ne fut augmentée que des livres imprimés avec privilége. Après Montdoré le célèbre Jacques Amiot, nommé maître de la librairie, se fit un plaisir d'en procurer l'entrée aux savants. Il eut pour successeur un homme non moins célèbre, l'historien Jacques-Auguste de Thou.

Henri IV, dont le règne fut malheureusement si court et si agité, étendit néanmoins ses soins sur cet établissement. Par ses lettres du 14 juin 1594, il donna des ordres pour faire transporter à Paris la bibliothéque que François Ier avoit établie à Fontainebleau[126]; il y ajouta celle de Catherine (p. 188) de Médicis, malgré l'opposition et les vives réclamations des créanciers de cette reine; et la collection entière fut placée dans les salles du collége de Clermont, alors vacant, sous la garde du président de Thou, qui avoit succédé à son père. En 1604, cette bibliothéque fut transportée dans une grande salle du cloître des Cordeliers. Isaac Casaubon étoit alors maître de la librairie et conserva cette place jusqu'à la mort de Henri IV.

Sous Louis XIII, elle fut enrichie de manuscrits syriaques, turcs, arabes, persans, sans compter les livres imprimés avec privilége. Elle fut alors transférée du cloître des Cordeliers, dans une grande maison située rue de la Harpe, au-dessus de Saint-Côme. On y distribua les livres dans le rez-de-chaussée et dans le premier étage, ce qui la fit appeler la haute et la basse librairie[127]. Cependant, malgré les efforts réunis de tant de souverains, la bibliothéque royale ne contenoit pas encore 7,000 volumes à la mort de ce prince[128].

(p. 189) Louis XIV, dont le nom rappelle tant de genres de gloire, imprima à cet établissement le caractère de grandeur qui a signalé toutes les entreprises de son règne. Les acquisitions que fit ce prince, soit en manuscrits, soit en livres imprimés, furent si considérables et se succédèrent si rapidement, qu'en 1674 on y comptoit déjà plus de 30,000 volumes; et qu'à sa mort, arrivée en 1715, il en renfermoit environ 70,000[129].

Dès 1666, la maison de la rue de la Harpe ne suffisoit plus pour contenir la bibliothéque du roi, qui s'accroissoit de jour en jour. Louis XIV lui destinoit une place au Louvre, dont il avoit déjà fait reprendre les travaux. En attendant qu'on pût y placer ce précieux dépôt, M. de Colbert le fit transporter rue Vivienne, dans deux maisons qui lui appartenoient et qui touchoient son hôtel. Ce fut alors qu'on y joignit les autres curiosités qu'elle contient maintenant, et dont nous ne tarderons pas à parler. M. de Louvois, qui succéda à ce ministre, songeoit à la transporter dans les bâtiments de la place Vendôme, qu'on élevoit en 1687, lorsque sa mort fit évanouir ce projet.

(p. 190) La bibliothéque, augmentée encore par les soins du régent, resta donc dans les deux maisons de la rue Vivienne jusqu'en 1721, époque à laquelle il devint impossible de l'y laisser plus long-temps, à cause de la quantité toujours croissante des livres qu'elle contenoit. Alors, sur la proposition de M. l'abbé Bignon, qui, à cette époque, en étoit le gardien, le duc d'Orléans la fit placer dans les vastes bâtiments qu'elle occupe encore aujourd'hui[130].

Ces bâtiments s'étendent dans la rue de Richelieu depuis la rue Neuve-des-Petits-Champs jusqu'à celle de Colbert, et, dans cette immense façade, n'offrent qu'un mur presque entièrement nu et une porte cochère dépouillée de tout ornement. Cette porte donne entrée dans une cour assez vaste, mais dont la proportion est vicieuse, et les constructions correspondantes sans symétrie. On peut reconnoître au premier coup d'œil, et par ce manque de régularité, et par la mauvaise disposition de ces constructions, que non-seulement cet édifice n'a pas été bâti pour contenir une bibliothéque, mais encore que les corps-de-logis qui le composent ont été élevés à plusieurs reprises et pour divers usages: il ne faut donc point s'étonner (p. 191) de n'y pas trouver l'heureuse distribution et les communications commodes que l'on auroit le droit d'exiger dans un monument construit exprès pour une semblable collection.

Toutes les salles du rez-de-chaussée, qui entourent la cour dans une étendue de 115 toises, sont destinées à servir aux bureaux, magasins et ateliers dépendans de la bibliothéque, laquelle est divisée en cinq départements ou dépôts.

DÉPÔT DES LIVRES IMPRIMÉS.

Il est situé au premier étage, et l'on y arrive par un grand escalier, précédé d'un vestibule, lequel est à droite de l'entrée principale. Cet escalier[131], remarquable par la hardiesse de sa construction et la beauté de sa rampe de fer, conduit dans une première galerie de neuf croisées de face, de là dans un salon de quatre, et enfin dans une autre immense galerie, formant deux retours d'équerre, laquelle est éclairée par trente-trois croisées. Toutes ces ouvertures donnent sur la (p. 192) cour; et sur les murs opposés sont distribués des corps d'armoires dans toute la hauteur du plancher. Cette hauteur est divisée par un balcon en saillie, qui continue horizontalement dans toute la longueur de ces galeries. On y monte par plusieurs petits escaliers pratiqués dans la boiserie, de manière que tous les livres, rangés par étage depuis le parquet jusqu'au plafond, peuvent être atteints et communiqués au public avec la plus grande facilité.

Ce dépôt étoit composé, en 1789, d'environ 150,000 volumes[132], sans compter une quantité prodigieuse de pièces rares sur toutes les matières possibles, conservées avec soin dans des porte-feuilles. Les livres y sont divisés en cinq classes: théologie, jurisprudence, histoire, philosophie et belles-lettres.

CURIOSITÉS DU DÉPÔT DES LIVRES IMPRIMÉS.

Dans la partie de la grande galerie qui traverse d'une aile à l'autre sont:

1o. Les bustes en marbre de Jérôme Bignon et de l'abbé Bignon, tous les deux bibliothécaires;

(p. 193) 2o. Le monument en bronze élevé à la gloire de Louis-le-Grand, de la France et des arts, par Titon du Tillet. Tous les grands écrivains dont la France s'honore, principalement ceux du dix-septième siècle, y sont représentés rangés sur le Mont-Parnasse: des médaillons sont consacrés aux auteurs d'un moindre mérite. Ce monument, dont les figures n'ont pas plus d'un pied de proportion, est mesquin et de mauvais goût;

3o. Dans une cinquième salle qui communique à la dernière aile de cette galerie, on voit la partie supérieure des deux fameux globes composés à Venise par Vincent Coronelli, frère mineur, et présentés à Louis XIV en 1683 par le cardinal d'Estrées, qui les avoit fait faire exprès pour ce monarque. Ils ont trente-quatre pieds six pouces et quelques lignes de circonférence, et sont entourés de deux grands cercles de bronze de treize pieds de diamètre, qui en forment les horizons et les méridiens[133]. La partie inférieure de ces deux sphères colossales est placée dans une pièce à rez-de-chaussée, dont le plafond, ouvert circulairement, laisse passer dans la salle du premier étage une portion de leurs hémisphères[134];

4o. Aux deux angles des retours en équerre de la même galerie sont placés deux petits globes gravés et réduits d'après les grands;

5o. On y conserve aussi plusieurs planches de l'imprimerie en bois, appelée imprimerie à planches fixes, laquelle a précédé la découverte de l'imprimerie à caractères mobiles.

(p. 194) DÉPÔT DES MANUSCRITS.

Sur le même palier à droite est la porte d'entrée qui conduit à ce précieux dépôt. Il est renfermé dans cinq petites pièces en retour, qui forment le premier étage du petit côté de la cour, au-dessus du vestibule et dans une grande galerie dite galerie Mazarine, dont le rez-de-chaussée dépend des bâtiments de la trésorerie.

Cette belle galerie est éclairée par huit croisées en voussures, ornées de coquilles dorées. En face sont des niches décorées de paysages[135], par Grimaldi Bolognèse, qui en a également couvert les embrasures des croisées; mais ce qui est surtout remarquable, c'est le plafond peint à fresque en 1651, par Romanelli. Ce peintre célèbre y a représenté plusieurs sujets de la fable; et il n'est aucun de ses ouvrages qui offre une plus belle couleur, un meilleur goût de dessin[136], une disposition plus gracieuse. Ces divers tableaux sont (p. 195) distribués dans des compartiments bien entendus, mêlés de médaillons en camaïeux, soutenus par des figures et ornements imitant le stuc. Toute cette décoration, faite dans le style du temps, n'a pas sans doute l'élégante simplicité qu'on exigeroit aujourd'hui, mais n'est point cependant dépourvue de noblesse et d'élégance.

Les cinq pièces qui précèdent cette galerie sont aussi décorées de peintures à fresque que le temps a dégradées.

Les manuscrits contenus dans ce dépôt sont divisés par fonds; et chaque fonds porte le nom de celui qui en a fait la collection, qui l'a légué ou vendu à la bibliothéque.

Cette collection, la plus riche et la plus intéressante qui existe en ce genre, s'élevoit, en 1789, à près de 50,000 volumes. Elle se composoit d'abord de manuscrits en langues anciennes et orientales, rangés dans l'ordre suivant: les manuscrits hébreux, les syriaques, les samaritains, les cophtes, les éthiopiens, les arméniens, les arabes, les persans, les turcs, les indiens, les siamois, les livres et manuscrits chinois, les grecs, les latins, etc.; ce qui formoit à peu près 25,000 volumes.

Les manuscrits italiens, allemands, anglois, espagnols, françois, etc., formoient une seconde division non moins nombreuse; parmi ces derniers, on distingue une suite très-précieuse de mémoires, titres et autres matériaux relatifs à (p. 196) l'histoire de France, et qui peuvent y répandre un grand jour, surtout depuis Louis XI[137].

Les principaux fonds qui composent cette immense collection sont d'abord l'ancien fonds du roi; ensuite ceux de Dupuy, de Béthune, de Brienne, de Gainières, de Dufourni, de Louvois, de La Mare, de Baluse, de de Mesme, de Colbert, de Cangé, de Lancelot, de du Cange, de Serilly, d'Huet, de Fontanieu, de Sautereau, etc.

CURIOSITÉS DU DÉPÔT DES MANUSCRITS.

Elles se composent principalement de missels, d'heures et d'évangiles du moyen âge, dont les couvertures sont chargées d'ornements et de sculptures en or, en argent, en ivoire, etc. Parmi ces manuscrits, qui sont en très-grande quantité, on distingue principalement:

1o. Le manuscrit fameux des épîtres de saint Paul, en grec et (p. 197) en latin, écrit à deux colonnes, en belles lettres majuscules. C'est un des plus anciens que l'on connoisse; il paroît être du sixième ou du septième siècle;

2o. La bible et les heures de Charles-le-Chauve. La couverture des heures est enrichie de pierres précieuses et de deux bas-reliefs d'ivoire d'un travail très-curieux.

DÉPÔT OU CABINET DES MÉDAILLES.

Le salon qui contient ce précieux dépôt est situé à l'extrémité de la première partie de la grande galerie des livres imprimés.

François Ier, Henri II et Charles IX paroissent avoir été les premiers de nos rois qui aient songé à faire des collections d'antiques et de médailles[138]. Mais les troubles qui agitèrent la France sur la fin du règne de ce dernier prince, et sous celui de son successeur, dispersèrent ce que ses prédécesseurs et lui avoient eu tant de peine à recueillir. Henri IV eut aussi le projet de former une collection semblable; sa mort précipitée l'empêcha de le réaliser.

Il étoit réservé à Louis XIV d'exécuter un (p. 198) semblable dessein, à peine commencé jusqu'à lui. «Gaston d'Orléans, dit M. l'abbé Barthélemy, avoit donné au roi une suite de médailles en or; et comme M. de Colbert s'aperçut que Sa Majesté se plaisoit à consulter ces restes de l'antiquité savante, il n'oublia rien pour satisfaire un goût si honorable aux lettres. Par ses ordres et sous ses auspices, M. Vaillant[139] parcourut plusieurs fois l'Italie et la Grèce, et en rapporta une infinité de médailles singulières. On réunit plusieurs cabinets à celui du roi: et des particuliers, par un sacrifice dont les curieux seuls peuvent apprécier l'étendue, consacrèrent volontairement dans ce dépôt ce qu'ils avoient de plus précieux en ce genre. Ces recherches ont été continuées dans la suite avec le même succès. Le cabinet du roi a reçu des accroissements successifs, et l'on pourroit dire qu'il est à présent au-dessus de tous ceux qu'on connoît en Europe, s'il ne jouissoit depuis long-temps d'une réputation si bien méritée.

»Cette immense collection est divisée en deux (p. 199) classes principales, l'antique et la moderne. La première comprend plusieurs suites particulières: celle des rois, celle des villes grecques, celle des familles romaines, celle des empereurs, et quelques-unes de ces suites se subdivisent en d'autres, relativement à la grandeur des médailles et au métal. C'est ainsi que des médailles des empereurs on a formé deux suites de médaillons et de médailles en or; deux autres de médaillons et de médailles en argent; une cinquième de médaillons en bronze; une sixième de médailles de grand bronze; une septième de celles de moyen bronze; une huitième enfin de médailles de petit bronze. La moderne est distribuée en trois classes: l'une contient les médailles frappées dans les différents États de l'Europe; l'autre, les monnoies qui ont cours dans presque tous les pays du monde; et la troisième, les jetons. Chacune de ces suites, soit dans le moderne, soit dans l'antique, est, par le nombre, la conservation et la rareté des pièces qu'elle contient, digne de la magnificence du roi et de la curiosité des amateurs[140]

(p. 200) Ces médailles furent d'abord réunies au Louvre, ainsi que les antiquités éparses dans les maisons royales. M. de Louvois eut ordre ensuite de faire transférer ce cabinet à Versailles, où il fut placé auprès de l'appartement du roi, et confié à la garde de Rainsart, savant antiquaire. Ce n'est que vers la fin du siècle dernier qu'il fut rapporté à la bibliothéque et déposé dans la salle où on le voit aujourd'hui.

Dans cette même salle sont réunis la collection des pierres gravées et le cabinet des antiques. La première contient un grand nombre de chefs-d'œuvre des artistes grecs, gravés en creux et en relief, et les plus belles agates gravées par les modernes. On remarque principalement, parmi les monuments antiques, le tombeau de Chilpéric Ier, roi de France, découvert à Tournai en 1653; les deux grands boucliers votifs, en argent, trouvés dans le Rhône et en Dauphiné en 1656 et 1714; la fameuse agate de la Sainte-Chapelle; la sardoine onyx, dite vase de Ptolémée, etc., etc.

Il contient encore un très-grand nombre de figures, de bustes, de vases, d'instruments de sacrifices, de marbres chargés d'inscriptions, d'urnes funéraires, de meubles, de bijoux, etc., recueillis des antiquités grecques et romaines. Vers le milieu du dix-huitième siècle, M. le comte de Caylus ajouta à tant de richesses une quantité considérable d'antiquités égyptiennes, étrusques, (p. 201) etc., que cet illustre amateur avoit rassemblées, et qu'il a publiées en vingt-six planches, accompagnées de notes et de dissertations justement estimées.

DÉPÔT OU CABINET DES PLANCHES GRAVÉES ET ESTAMPES.

Ce cabinet occupe l'entresol au-dessous des cinq premières pièces du dépôt des manuscrits.

On doit encore à Louis XIV la création de cette collection à laquelle il en est peu en Europe qui soient comparables. Le goût dont ce prince étoit possédé pour tout ce qui avoit quelque rapport aux beaux-arts, le porta à faire l'acquisition de l'importante collection amassée à grands frais par l'abbé de Marolles, et composée des meilleures estampes depuis l'origine de la gravure jusqu'au moment où il vivoit. Elle est contenue en 264 volumes, format grand atlas, et fut le premier fonds de ce cabinet.

Quelques années auparavant, Gaston d'Orléans avoit légué au roi une suite d'histoire naturelle, qu'il avoit fait peindre en miniature par Nicolas Robert, d'après les plantes de son jardin botanique et les animaux de sa ménagerie de Blois. Cette suite fut jointe à celle de l'abbé de Marolles, et augmentée des productions de trois artistes, Jean Joubert, Nicolas Aubriet et mademoiselle (p. 202) Basseport, qui, sous la fin du règne de ce prince et sous Louis XV, continuèrent de peindre de la même manière des objets pris dans les trois règnes de la nature. Cette partie seule contenoit 60 volumes in-folio[141].

La collection léguée au roi, en 1712, par M. de Gaignières, vint encore augmenter la richesse de ce cabinet de plus de 30,000 portraits rangés par pays et par états, et pris dans toutes les conditions, depuis le sceptre jusqu'à la houlette.

Louis XV l'enrichit aussi par les acquisitions qu'il fit des collections[142] de M. de Beringhem, de M. l'Allemand de Betz, de M. de Fontette, de M. Begon, et enfin d'une partie du cabinet de M. Mariette.

Enfin ce précieux cabinet, augmenté considérablement depuis par les acquisitions successives faites dans le siècle dernier, contenoit en 1789 environ 5,000 volumes, lesquels sont divisés en douze classes.

La première comprend les sculpteurs, architectes, (p. 203) ingénieurs et graveurs, depuis l'origine de la gravure jusqu'à nos jours; cette classe est distribuée par école, et chaque école par œuvres de maîtres; les estampes gravées en bois et en clair-obscur, distinguées sous les noms de vieux-maîtres et de grands-maîtres, se trouvent aussi dans cette première classe.

La seconde est composée des livres d'estampes de piété, de morale, d'emblèmes et de devises sacrées.

La troisième renferme tout ce qui concerne la fable et les antiquités grecques et romaines.

Dans la quatrième sont les médailles, monnoies, généalogie, chronologie et blason.

La cinquième contient les fêtes publiques, cavalcades, tournois, etc.

La sixième est destinée à la géométrie, aux machines, aux mathématiques, à tout ce qui concerne la tactique, les arts et métiers.

On trouve dans la septième les estampes relatives aux romans, facéties, bouffonneries, etc.

La botanique, l'histoire naturelle dans tous ses règnes, composent la huitième.

La neuvième est consacrée à la géographie.

Dans la dixième sont les collections des plans, l'élévation des édifices anciens et modernes, sacrés et profanes, palais, châteaux, etc.

La onzième contient les portraits, au nombre de plus de cinquante mille.

(p. 204) La douzième et dernière est un recueil complet de modes, habillements, coiffures et costumes de tous les pays du monde; on trouve dans ce recueil les modes françoises depuis Clovis jusqu'à nos jours.

Ce cabinet possède en outre une collection de planches gravées au nombre de près de deux mille[143].

DÉPÔT DES TITRES ET GÉNÉALOGIES.

Ce département, placé au second étage sur la droite de la cour, étoit composé de neuf pièces, dont trois contenoient les titres originaux des maisons et familles nobles de la France et de l'Europe.

Deux autres renfermoient les généalogies; dans la sixième étoient les mémoires des maisons et familles qui faisoient leurs preuves pour être présentées à la cour, reçues dans les chapitres nobles, etc.

On avoit commencé en 1785 un supplément qui devoit occuper les trois dernières pièces[144].

(p. 205) PLACE DES VICTOIRES.

Il est peu de personnes qui ignorent que cette place fut construite dans le dix-septième siècle, par les ordres de François, vicomte d'Aubusson, duc de La Feuillade, pair et maréchal de France, colonel des gardes-françoises. Ce seigneur, comblé de bienfaits par son souverain, et poussant jusqu'à l'enthousiasme les sentiments d'admiration et d'amour qu'il ressentoit pour lui, voulut éterniser sa reconnoissance par un monument public élevé à la gloire de son auguste bienfaiteur. Sa première pensée fut de faire exécuter en marbre une statue de Louis XIV, et de la placer ensuite dans l'endroit de la ville le plus apparent et le plus convenable. Mais, la statue faite, il se dégoûta de ce premier dessein; et, ne trouvant pas (p. 206) qu'il répondît à la grandeur du monarque qu'il vouloit honorer, il conçut un plan plus vaste et plus magnifique: ce fut de chercher un emplacement sur lequel on pût construire une place publique, et d'y élever un monument plus imposant qu'une simple statue. L'hôtel de la Ferté-Senecterre, édifice vaste et isolé, situé entre les rues Neuve-des-Petits-Champs (aujourd'hui la Vrillière), du Petit-Reposoir et des Fossés-Montmartre, lui ayant paru propre à l'exécution de son projet, il l'acheta en 1684, et sur-le-champ en fit commencer la démolition. Mais comme cet emplacement ne suffisoit pas, le corps-de-ville, voulant partager avec le duc de La Feuillade la gloire de cette entreprise, acheta l'hôtel d'Émery et quelques maisons et jardins contigus, qui s'étendoient le long de la rue du Petit-Reposoir et de celle des Vieux-Augustins. On commença aussitôt la place: Jules Hardouin Mansard en donna le dessin; la ville traita, en 1685, avec le sieur Predot, architecte, pour la construction des bâtiments qui l'environnent, et le duc de La Feuillade se chargea seul des dépenses relatives à l'érection du monument.

Cette place est d'un diamètre peu considérable en comparaison de plusieurs autres places régulières de Paris, car elle n'a que quarante toises de diamètre. Mais la manière dont elle est située lui donne sur toutes un grand avantage: environnée (p. 207) de six rues qui viennent y aboutir et dont trois[145] ont une longueur considérable, elle offre, sous différents points de vue et à une très-grande distance, la perspective de ses riches constructions, plus remarquables encore lorsque s'élevoit au milieu d'elles le beau monument que nous allons bientôt décrire.

Une ligne droite de bâtiments symétriques termine d'un côté la place des Victoires; circulaire dans le reste de son étendue, elle y présente une ordonnance uniforme qui n'est pas dépourvue de beauté. Un grand ordre de pilastres ioniques qui embrasse deux rangs de croisées s'élève sur un soubassement décoré d'arcades à refends; chaque croisée du premier étage est séparée par un pilastre, et celles du second sont placées sous l'architrave, dont la saillie est soutenue par de petites consoles d'un très-mauvais goût. Mais le plus grand défaut qu'on reproche à tout cet ensemble, c'est le comble à la Mansarde qui le termine: cette ridicule invention de croisées isolées au milieu des toits défigure le plus grand nombre des somptueux édifices élevés dans le dix-septième siècle; et en effet, l'œil le moins exercé peut sentir la différence prodigieuse que produiroit, pour l'élégance (p. 208) et la majesté de la place que nous décrivons, une ligne continue de balustrades remplaçant ces niches mesquines et gothiques auxquelles Mansard a eu le malheur de donner son nom.

Du milieu de cette place s'élevoit, sur un piédestal en marbre blanc veiné, la statue pédestre de Louis XIV. Ce prince, revêtu des habits de son sacre, fouloit aux pieds un Cerbère dont les trois têtes désignoient la triple alliance; une figure ailée, représentant la Victoire, un pied posé sur un globe, et l'autre en l'air, d'une main lui mettoit sur la tête une couronne de laurier, et de l'autre tenoit un faisceau de palmes et de branches d'olivier; ce groupe fondu d'un seul jet étoit de plomb doré, ainsi que les ornements[146] qui l'accompagnoient. Au bas de la statue on lisoit cette inscription en lettres d'or: Viro immortali[147]. Aux quatre angles du piédestal étoient (p. 209) autant de figures en bronze de proportion, représentant des esclaves chargés de chaînes; on croyoit assez communément que ces figures désignoient les nations que Louis XIV avoit subjuguées; mais il est plus naturel de penser qu'on avoit voulu seulement exprimer, par une allégorie générale, la puissance de ce prince, et le bonheur de ses armes.

Les bas-reliefs qui couvroient les quatre faces du piédestal représentoient, le premier, la préséance de la France sur l'Espagne en 1662; le second, la conquête de la Franche-Comté en 1668; le troisième, le passage du Rhin en 1672; et le quatrième, la paix de Nimègue en 1678. Le monument (p. 210) entier, depuis la base jusqu'au sommet de la statue, avoit trente-cinq pieds d'élévation; le pourtour, jusqu'à neuf pieds de distance, étoit pavé de marbre et entouré d'une grille de fer de la hauteur de six pieds.

Enfin quatre grands fanaux ornés de sculpture éclairoient cette place pendant la nuit; ils étoient élevés chacun sur trois colonnes doriques, de marbre veiné, disposées en triangle, et dont les piédestaux étoient chargés de plusieurs inscriptions relatives aux actions les plus mémorables du roi. La dédicace de la statue se fit le 28 mars 1686[148] avec toute la pompe et toutes les cérémonies usitées en pareille circonstances[149]. Martin Vanden Bogaer, plus connu sous le nom de Desjardins, avoit conduit avec autant de talent que de succès tous ces ouvrages, dont il avoit fourni les dessins. C'étoit pour la première fois que la ville de Paris étoit ornée d'un monument en relief d'un volume aussi considérable, et l'on mettoit justement alors au nombre des chefs-d'œuvre (p. 211) de l'art une production à laquelle on ne pouvoit rien comparer dans les travaux de ce genre qui l'avoient précédée. Nous dirons plus: depuis on n'a rien fait, dans la sculpture monumentale, qui l'ait égalée, surtout sous le rapport de la composition. L'attitude du monarque étoit pleine de noblesse et de majesté, et le groupe entier pyramidoit avec une rare élégance. Quoique les esclaves placés au pied de la statue fussent d'une proportion colossale, cependant l'œil n'en étoit point blessé, parce qu'elles se trouvoient dans un rapport exact avec toutes les autres parties du monument: du reste, le faire savant et gracieux de ces figures ne le cédoit point à celui de la statue du héros; et elles étoient surtout estimées pour la beauté des expressions.

Afin de rendre ce monument aussi durable que les ouvrages des hommes peuvent l'être, le duc de La Feuillade céda et substitua perpétuellement de mâles en mâles, à ceux de sa maison, et après l'extinction de sa race, à la ville de Paris, le duché de La Feuillade, valant alors 22,000 livres de rente, à la charge par les possesseurs de pourvoir à toutes les réparations nécessaires, de faire redorer, tous les vingt-cinq ans, le groupe et les ornements qui l'accompagnoient, enfin d'entretenir dans les quatre fanaux des lumières suffisantes pour éclairer la place pendant la nuit dans toutes les saisons de l'année. Malgré tant de précautions (p. 212) prises pour assurer la durée de cette fondation, à peine le duc de La Feuillade fut-il mort qu'on y donna atteinte. Ce seigneur mourut au mois de septembre 1691, et dès le 20 avril 1699 le conseil d'état rendit un arrêt qui ordonnoit que dorénavant il ne seroit plus mis de lumière dans les quatre fanaux de la place des Victoires[150]; cet arrêt donna lieu à un autre, qui fut rendu deux ans après la mort de Louis-le-Grand, par lequel il fut permis au maréchal Louis de La Feuillade son fils de faire démolir ces fanaux, qui, n'étant plus allumés, étoient devenus entièrement inutiles[151].

(p. 213) »L'abbé de Choisy, dit Saint-Foix, raconte que le maréchal de La Feuillade avoit dessein d'acheter une cave dans l'église des Petits-Pères, et qu'il prétendoit la pousser sous terre, jusqu'au milieu de cette place, afin de se faire enterrer précisément sous la statue de Louis XIV. Je sais que le maréchal de La Feuillade n'avoit pas mérité, par des actions et des victoires signalées, d'avoir un tombeau à Saint-Denis, comme Duguesclin et Turenne; mais il n'étoit pas aussi de ces courtisans inutiles[152] à l'État, qu'on devoit enterrer au pied de la statue de leur maître, dans la place publique consacrée à l'idole qu'ils ont encensée et peu servie. La plaisanterie de l'abbé de Choisy est de ces traits qui tombent à faux, et qui ne font tort qu'à l'écrivain dont ils décèlent la malignité.»

Le témoignage de Saint-Foix est ici d'autant moins suspect, qu'il saisit assez volontiers l'occasion de lancer un sarcasme et de placer une épigramme, (p. 214) lorsqu'il s'agit des cours et de courtisans. Cependant on ne peut s'empêcher de reconnoître que le duc de La Feuillade, dans son amour pour Louis XIV, passa peut-être les bornes des affections qu'il est permis d'avoir pour un simple mortel; et, en rejetant l'histoire du caveau qui n'est point appuyée d'autorités suffisantes, du moins faut-il convenir qu'il avoit résolu de fonder des lampes qui auroient brûlé nuit et jour devant la statue; projet insensé dont l'exécution ne manqua que parce qu'on ne voulut pas lui permettre de l'exécuter.

LES AUGUSTINS RÉFORMÉS, DITS LES PETITS-PÈRES.

Nous avons déjà eu occasion de remarquer que, dans le quatorzième siècle, soit par le malheur des temps, soit par une suite naturelle de la foiblesse de l'homme qui tend sans cesse au relâchement, plusieurs ordres monastiques avoient beaucoup perdu de leur première ferveur. Quelques saints personnages, animés d'un zèle apostolique, entreprirent (p. 215) à différentes époques de faire revivre les observances établies par les fondateurs, et d'introduire la réforme dans les monastères qui s'étoient plus ou moins écartés de l'esprit de leur institution. Tel fut le père Thomas de Jésus, augustin portugais, d'une famille illustre par ses dignités et ses services, lequel conçut, en 1565, le projet de ramener les religieux de son ordre à une vie plus régulière. Quoiqu'il soit regardé par la plupart des historiens comme le principal auteur de la réforme des Augustins, cependant il est certain qu'il n'eut pas la satisfaction d'exécuter un si beau dessein: car on voit dans un abrégé de la vie de ce saint religieux, placé à la tête du livre des Souffrances de Jésus-Christ, dont il est l'auteur, «que son zèle pour la rigueur de l'observance lui fit entreprendre une réforme, mais qu'il trouva de si grands obstacles dans l'exécution, qu'il fut obligé d'abandonner son projet.» Il paroît en effet que tous ses efforts ne purent les surmonter, et qu'une longue captivité qu'il endura ensuite en Afrique le força à renoncer entièrement à une si louable et si grande entreprise.

Ce ne fut que cinq ou six ans après sa mort, arrivée en 1582, que le projet de la réforme fut renouvelé et accepté par le chapitre général, tenu à Tolède le 30 novembre 1588. Le père Louis de Léon, premier définiteur, en rédigea les constitutions, qui n'étoient que les anciennes observances, (p. 216) et elles furent approuvées par le pape Sixte-Quint. Cette réforme, reçue sous le nom d'Augustins déchaussés, fit des progrès rapides en Espagne et en Italie, où elle fut d'abord soumise à la juridiction du provincial de Castille. Mais comme les Augustins non réformés crurent pouvoir lui disputer cette autorité, le pape Clément VIII, par sa bulle du 11 février 1682, érigea les couvents réformés en province, avec faculté d'élire un provincial et des prieurs. Cette réforme étoit alors composée de dix congrégations, toutes hors de France, et gouvernées chacune par un vicaire général, sous la juridiction, visite et correction du général de l'ordre.

En 1594, Guillaume d'Avançon, archevêque d'Embrun et alors ambassadeur du roi auprès du souverain pontife, proposa d'établir dans le royaume des religieux de cette réforme, et offrit de les recevoir dans son prieuré de Villars-Benoît[153], ce qui fut agréé par un bref de Clément VIII, du 23 novembre 1595. Toutes les formalités nécessaires pour l'exécution de ce projet étant remplies, les pères François Amet et Mathieu de Sainte-Françoise, augustins françois, qui, quelque temps auparavant, s'étoient rendus à Rome pour y vivre au milieu des Augustins réformés, (p. 217) revinrent en France à la sollicitation de l'archevêque d'Embrun, et s'établirent à Villars-Benoît vers la fin de juillet 1596.

Les deux puissances temporelle et spirituelle concoururent à favoriser cette réforme. Le pape, par un bref du 21 décembre de l'an 1600, permit aux religieux de la nouvelle observance de s'étendre par toute la France, de recevoir des novices, des fondations, etc.; et Henri IV leur accorda, le 26 juin 1607, des lettres-patentes par lesquelles il approuve leur établissement à Villars-Benoît, et leur permet d'en former d'autres dans telle partie de son royaume qu'ils voudroient choisir. Mais ce fut à Marguerite de Valois, première femme de ce monarque, que les Augustins durent particulièrement leur établissement à Paris. Cette princesse étant revenue dans cette capitale en 1605, et voulant accomplir le vœu qu'elle avoit fait d'y fonder un monastère en action de grâces du danger imminent dont elle avoit été délivrée lorsqu'elle étoit renfermée dans le château d'Usson en Auvergne, résolut de bâtir un couvent et une église sous l'invocation de la Sainte-Trinité, avec une chapelle dite des Louanges, où quatorze religieux, se relevant tour à tour, deux par deux et d'heure en heure, devoient chanter les louanges de Dieu jour et nuit sans discontinuation. Pour l'exécution de ce dessein, elle jeta les yeux sur la communauté du père Amet son confesseur et (p. 218) son prédicateur ordinaire, le chargea de rassembler le nombre de sujets nécessaires pour composer cette nouvelle communauté, et céda ensuite à ces religieux, sous le nom d'Augustins réformés déchaux, un terrain suffisant pour la construction de l'église et du couvent[154], avec 6,000 livres de rente, aux charges et conditions portées par le contrat de fondation. Ce contrat, en date du 26 septembre 1609, fut approuvé par un bref du pape du 1er juillet 1610, et confirmé par les lettres-patentes du roi, données le 20 mars de la même année. Ces actes n'étoient que la confirmation solennelle des engagements que cette princesse avoit pris précédemment avec les Augustins: car, avant que leur demeure pût les recevoir, elles les avoit logés dans son palais; et, dès le 21 mars 1608, la première pierre de la chapelle dite des Louanges, qui a subsisté jusqu'à ces derniers temps, avoit été posée par ses ordres.

Les Augustins réformés prirent possession du monastère et des revenus que la reine Marguerite (p. 219) leur avoit donnés, et ils en jouissoient depuis trois ans, lorsque cette princesse, soit par inconstance, soit par quelque mécontentement particulier à l'égard du père Amet, révoqua la donation qu'elle avoit faite en faveur de ces religieux, et les obligea, le 29 décembre 1612, à sortir de leur couvent, et à le céder à d'autres Augustins réformés de la province de Bourges, qu'elle leur substitua par contrat du 12 avril 1613.

La reine Marguerite chercha à couvrir l'inconséquence et l'injustice de ce procédé, en alléguant que les Augustins déchaussés ne remplissoient pas et ne pouvoient pas remplir les clauses du contrat du 26 septembre 1609, dont une portoit textuellement que lesdits religieux s'obligeoient «de faire chanter en ladite Chapelle des Louanges, en l'intention de ladite dame royne, perpétuellement les hymnes, cantiques et psaumes d'action de grâce ci-dessus mentionnés, et selon les airs qui en seront baillez par ladite dame royne, etc.» Or, disoit Marguerite, la règle des Augustins déchaussés ne leur permet pas de chanter, mais seulement de psalmodier; de plus ils sont constitués ordre mendiant: donc ils ne peuvent posséder des rentes, etc. Ceux-ci répondoient en peu de mots que toutes ces difficultés, qui existoient au moment de la donation comme alors, avoient été levées par leur acquiescement au contrat de fondation, et par la sanction du (p. 220) pape et du roi. Une telle réponse n'admettoit aucune réplique; mais la puissance l'emporta sur la justice, et les Augustins déchaussés, malgré leurs réclamations et leurs protestations plusieurs fois réitérées, furent contraints d'abandonner leur couvent, et même de quitter Paris et de retourner à Avignon et à Villars-Benoît[155].

Les historiens ne sont pas d'accord sur l'époque du retour de ces religieux dans la capitale: cependant on peut conjecturer avec quelque fondement qu'ils y revinrent vers l'année 1619[156], puisque la permission de M. de Gondi, archevêque de (p. 221) Paris, pour l'établissement d'un couvent de cette réforme, est du 19 juin 1620. Ils se logèrent alors dans une maison qu'ils avoient louée, hors de la porte Montmartre, près de l'endroit où fut bâtie depuis l'église de Saint-Joseph.

Leur communauté s'étant fort augmentée, et le local qu'ils occupoient devenant trop resserré, les Augustins déchaussés achetèrent, en 1628, un terrain contenant environ huit arpents, lequel étoit situé près du Mail, entre le faubourg Saint-Honoré et le faubourg Montmartre, et prièrent le roi Louis XIII, alors régnant, de vouloir bien se déclarer le fondateur du nouveau couvent qu'ils avoient le projet de bâtir sur cet emplacement. Ce monarque, ayant consenti à leur accorder cette faveur, descendit, le 9 décembre 1629, dans les fondements, posa la première pierre de l'église; et en reconnoissance des victoires qu'il avoit remportées par l'intercession de la Sainte-Vierge, et spécialement de celle qui lui avoit soumis la Rochelle l'année précédente, il ordonna que l'église qu'on alloit bâtir fût dédiée sous l'invocation de Notre-Dame-des-Victoires.

Cette église étant devenue trop petite relativement au quartier, dont la population s'augmentoit tous les jours, on commença à en bâtir une nouvelle en 1656. Elle fut bénie le 20 décembre de l'année suivante; mais, faute de moyens pécuniaires, la construction en fut interrompue à différentes (p. 222) reprises, et ce n'est qu'en 1730 qu'elle fut totalement achevée. M. Leblanc, évêque de Joppé, qui avoit été religieux augustin, la consacra le 13 novembre de la même année.

Les religieux qui vivoient sous la règle de Saint-Augustin étoient fort multipliés au seizième siècle; mais les différentes congrégations de cet ordre n'étoient point uniformes dans leur habillement ni dans leur chant. Benoît XIII, par son bref du 27 janvier 1726, enregistré en parlement le 27 juillet de la même année, ordonna qu'ils se conformeroient au chant grégorien, qu'ils porteroient un capuce rond, et se feroient raser la barbe; un autre bref de Benoît XIV, du 1er février 1746, approuvé par lettres-patentes du roi, données le 7 avril suivant, permit aux Augustins déchaussés de porter la chaussure comme les autres religieux augustins. Ils furent soumis, à cette époque, et par ce même bref, à un vicaire-général élu par le chapitre de la congrégation.

Quant au nom de Petits-Pères qu'on donnoit vulgairement à ces religieux, nous n'avons rien trouvé de bien authentique sur son origine. Les uns croient qu'ils durent cette dénomination à la petitesse et à la pauvreté de leur premier établissement; d'autres racontent que Henri IV ayant aperçu dans son antichambre les pères Mathieu de Sainte-Françoise et François Amet, qui étoient fort petits, demanda qui étoient ces petits pères-là, (p. 223) et que dès-lors on commença à les appeler Petits-Pères.

L'église de cette congrégation, qui existe encore, mais qui a changé de destination[157], n'est ni d'une étendue considérable, ni d'une bonne distribution. Elle se compose d'une nef de trente-quatre pieds de largeur dans œuvre, sur vingt-deux toises, cinq pieds de longueur, y compris le sanctuaire, et de quarante-neuf pieds de hauteur sous clef. Cette nef, décorée d'une ordonnance ionique de vingt-six pieds d'élévation, est flanquée dans toute sa longueur de chapelles de quinze pieds de profondeur, dont les murs de refend étoient fermés de portes et de grilles de fer. Ces portes étoient dans l'alignement des petites portes collatérales du portail, de manière que les chapelles de cette église lui tenoient lieu alors de bas-côtés.

Au-dessus de l'ordre ionique s'élève la voûte, laquelle est sphérique, en plein cintre, et se prolonge sur toute la capacité du vaisseau. On y a pratiqué des croisées formant lunettes, et séparées par des archivoltes qui tombent à l'aplomb de chaque pilastre, le tout couvert de cassettes, tables chantournées, etc. Le maître-autel, qui séparoit le (p. 224) chœur de la nef, étoit isolé à la romaine, construit en marbre et enrichi de bronzes, dorures, etc. On estimoit la menuiserie du jeu d'orgues et celle du chœur; du reste cette église, décorée de tribunes en pierres, percée de cette quantité d'arcades formant chapelles, surchargée d'ornements bizarres et mesquins, est encore un de ces monuments du mauvais goût qui a régné si long-temps dans l'architecture françoise. Les fondations en furent commencées par Pierre-le-Muet; Libéral Bruant éleva l'église jusqu'à sept pieds au-dessus de terre; et elle fut enfin achevée par un troisième architecte, Gabriel Leduc. Toutefois l'ouvrage resta imparfait jusqu'en 1739, qu'on construisit le portail sur les dessins de Cartaud, architecte du roi.

Ce portail est encore une imitation de ces formes pyramidales imaginées par Mansard, et employées dans presque toutes les églises bâties à cette époque. Il est composé de deux ordres de pilastres, l'un ionique et l'autre corinthien. Les critiques d'alors blâmèrent ces pilastres, et auroient préféré des colonnes; mais, quelque parti qu'on eût pris, avec de semblables lignes et un ensemble aussi bizarre, il étoit bien impossible de produire un beau monument. La façade entière a soixante-trois pieds d'élévation non compris le fronton, et soixante-quinze pieds et demi de largeur[158].

(p. 225) Les bâtiments du couvent étoient situés à la gauche du chœur, et n'avoient rien de remarquable[159].

CURIOSITÉS DU MONASTÈRE ET DE L'ÉGLISE DES AUGUSTINS DÉCHAUSSÉS.

TABLEAUX.

Au-dessus de la corniche du pourtour de la croisée, les quatre Évangélistes, par Robin.

Dans la quatrième chapelle à gauche, un saint Jean dans le désert, par Bon Boullogne.

Dans la première chapelle à droite, un autre saint Jean dans le désert, par La Grenée jeune.

Dans la quatrième chapelle du même côté, saint Nicolas de Tolentin, par Galloche.

Le chœur étoit décoré de sept tableaux peints par Carle Vanloo.

Sur la porte de la sacristie, saint Grégoire délivrant les âmes du purgatoire, par Bon Boullogne.

Au fond de cette même sacristie, la translation que fit faire Luitprand, roi des Lombards, des reliques de saint Augustin, par Galloche.

Il y avoit un grand nombre de tableaux de différents maîtres dans le cloître, le réfectoire et la bibliothèque, et principalement dans un cabinet contenant des médailles, des antiquités et des objets d'histoire naturelle.—La collection qu'on y voyoit étoit composée, dit-on, de morceaux très-précieux des trois écoles.

SCULPTURES ET TOMBEAUX.

Dans la chapelle de la Vierge, sa statue, sous le nom de Notre-Dame de Savone. Cette chapelle avoit été revêtue de marbre en 1674, par ordre de Louis XIV, qui en avoit fait la promesse à la reine sa mère. La statue de la Vierge y fut alors placée.

C'étoit une figure de marbre blanc de Carrare, de six pieds de proportion, revêtue d'un manteau, et ayant sur la tête une couronne dorée, telle que l'aperçut, dans une vision, Antoine Botta, paysan des environs de Savone, qui institua cette dévotion. Sa figure, en petit et à genoux, se voyoit sur une console près de l'autel.

Dans la chapelle en face, la statue en marbre de Saint-Augustin, par Pigalle.

La sixième chapelle à droite contenoit le tombeau du marquis de l'Hôpital, mort en 1702, par Jean-Baptiste Poultier. Ce tombeau étoit de marbre noir. Au-dessus on voyoit une pleureuse assise, tenant d'une main un mouchoir, et de l'autre un médaillon, sur lequel étoient deux têtes, représentant le marquis et la marquise de l'Hôpital.

Dans la quatrième chapelle à gauche étoit le tombeau du musicien Lulli, mort en 1687. Ce monument, qui fut transporté au musée des Petits-Augustins, est composé d'un cénotaphe noir, auquel sont adossées deux femmes dans l'attitude de la plus profonde douleur. Deux génies, qu'on suppose représenter (p. 227) les deux genres de la musique, sont assis sur la pierre du tombeau: au-dessus est placé le buste en bronze de ce musicien célèbre. Toute cette composition, qui n'est pas dépourvue de mérite, quoiqu'un peu maniérée, surtout dans le jet des draperies, a été exécutée par un sculpteur nommé Cotton, élève du célèbre Anguier.

Dans le même tombeau avoit été aussi inhumé Michel Lambert, beau-père de Lulli, mort en 1696.

Dans une autre chapelle étoit la sépulture de Gédéon Dumetz, comte de Rosnay, président honoraire de la chambre des comptes, mort en 1709.

La bibliothèque de ces pères, l'une des plus belles des monastères de Paris, avoit cent trente-un pieds de long sur dix-neuf de large; elle contenoit près de 40,000 volumes, rangés dans un très-bel ordre. On y voyoit deux globes de Coronelly, et beaucoup de portraits de grands hommes et de savants, parmi lesquels on remarquoit celui d'un de leurs religieux, peint par Rigaud. Au milieu du plafond étoit une fresque remarquable en ce qu'elle avoit été exécutée en dix-huit heures par Mathey; elle représentoit la Religion s'unissant à la Vérité pour chasser l'Erreur.

(p. 228) L'ÉGLISE SAINT-JOSEPH.

Cette chapelle, qui dépendoit de la paroisse de Saint-Eustache, n'étoit pas précisément une succursale, comme quelques auteurs l'ont cru: car l'abbé Lebeuf observe qu'elle n'avoit ni saint ciboire ni fonts baptismaux. Voici ce que les historiens de Paris, qui ont parlé très-succinctement de cette petite église, nous apprennent de son origine: Le cimetière de la paroisse de Saint-Eustache étoit placé, en 1625, dans la rue du Bouloi, derrière l'hôtel du chancelier Séguier. Ce terrain, qui contenoit environ trois cents toises, se trouvant à la convenance de ce magistrat, il fit un traité avec les marguilliers de Saint-Eustache, par lequel ils lui cédèrent l'emplacement de leur cimetière, à la charge de leur en fournir un autre dans le faubourg Montmartre, et d'y faire construire une chapelle sous l'invocation de saint Joseph. Cette convention fut ratifiée, la même année, par l'archevêque de Paris[160]. Cependant (p. 229) il paroît qu'elle ne fut pas exécutée sur-le-champ; car des lettres du même archevêque, du 14 juillet 1640, nous apprennent que, ce même jour, la première pierre d'une chapelle qui devoit être dédiée sous le titre et l'invocation de saint Joseph, fut bénite par le curé de Saint-Eustache, et posée par M. le chancelier Séguier, qui s'étoit obligé de la faire construire à ses frais. Le cimetière de la rue du Bouloi fut en même temps transféré à côté de cette chapelle. Il existoit à Paris peu d'édifices de ce genre dont l'architecture fût plus simple et plus médiocre; mais ce lieu n'en est pas moins à jamais célèbre: c'étoit là que deux des plus beaux génies du grand siècle littéraire de la France, Molière et La Fontaine, avoient leur sépulture[161].

LES FILLES DE SAINT-THOMAS-D'AQUIN.

Les filles Saint-Thomas étoient des religieuses de l'ordre de Saint-Dominique, dont le couvent étoit situé rue Neuve-Saint-Augustin, en face de (p. 230) la rue Vivienne[162]. Ces filles devoient leur établissement à Paris à Anne de Caumont, femme de François d'Orléans de Longueville, comte de Longueville, comte de Saint-Pol et duc de Fronsac. Cette dame ayant obtenu du cardinal Barberin, légat du pape Urbain VIII[163], la permission de fonder à Paris un monastère de religieuses de l'ordre des frères prêcheurs réformés, sous l'invocation de sainte Catherine de Sienne, fit venir de Toulouse, avec le consentement de l'archevêque de cette ville, la mère Marguerite de Jésus et six autres religieuses du même ordre. Arrivées à Paris le 27 novembre 1626, elles furent installées, le 2 mars de l'année suivante, avec l'approbation de l'archevêque de Paris, dans une maison appelée l'hôtel du Bon Air, située au faubourg Saint-Marcel, rue Neuve-Sainte-Geneviève. Ces religieuses y demeurèrent jusqu'en 1632, qu'elles allèrent se loger vieille rue du Temple, au Marais; mais la maison qu'elles y occupoient n'étant pas encore d'une distribution assez commode pour une communauté, on construisit pour elles, dans la rue Neuve-Saint-Augustin, un couvent où elles (p. 231) vinrent s'établir le 7 mars 1642[164], et dans lequel elles sont demeurées jusqu'à leur suppression.

Ces religieuses, étant entrées dans leur nouveau domicile le jour que l'église célèbre la fête de saint Thomas, l'un des personnages les plus illustres de l'ordre de saint Dominique, jugèrent à propos de signaler une époque si solennelle pour leur communauté en prenant le nom de ce saint docteur: telle est l'origine de cette dénomination.

Le portail extérieur de leur monastère faisoit face à la rue Vivienne et n'avoit rien de remarquable. Le frontispice de l'église, qui ne fut totalement achevée qu'en 1715, ne l'étoit pas davantage[165]; cette église étoit décorée intérieurement de pilastres et d'arcades, et n'avoit d'autre ornement (p. 232) qu'un tableau peint par d'Ulin, représentant saint Jérôme au désert.

La comtesse de Saint-Pol, fondatrice des Filles Saint-Thomas, avoit été inhumée dans l'église de leur ancien couvent au Marais. Ses cendres furent transportées dans celle du nouveau monastère, lorsque ces religieuses y eurent été établies.

THÉÂTRE ITALIEN.

Ce théâtre, uniquement occupé, depuis son érection, par la troupe de l'Opéra-Comique, doit le nom qu'il porte encore aux comédiens italiens, dont les acteurs chantants ne furent pendant long-temps que de simples associés. L'établissement en France de ces farceurs ultramontains remonte jusqu'au règne de Henri III, qui en fit demander une troupe à Venise pour jouer devant lui, pendant les états de Blois. Ils vinrent ensuite à Paris, où ils débutèrent le 15 juin 1577, à l'hôtel du Petit-Bourbon, sous le titre singulier de gli Gelosi[166]. (p. 233) «Il y avoit un tel concours, dit un auteur contemporain, que les quatre meilleurs prédicateurs de Paris n'en avoient pas tous ensemble autant quand ils prêchoient.» Le même auteur ajoute «que le 26 juin suivant, la cour assemblée aux Mercuriales fit défense aux Gelosi de plus jouer leurs comédies, parce qu'elles n'enseignoient que paillardises.»

Cette défense ne tarda pas à être levée: par ordre exprès du roi, les comédiens italiens rouvrirent leur théâtre après trois mois d'interruption, et continuèrent encore pendant quelque temps de représenter leurs farces grossières; mais les troubles du royaume les forcèrent bientôt de l'abandonner et de retourner en Italie.

En 1584 on vit paroître une autre troupe qui ne fit à Paris qu'un très-court séjour, et fut remplacée, en 1588, par une troisième dont l'apparition ne fut pas de plus longue durée. Henri IV en amena de Piémont une quatrième qui quitta encore la France au bout de deux années. Trois nouvelles troupes se succédèrent sans beaucoup de succès sous Louis XIII et sous le ministère du cardinal Mazarin. Enfin il en vint une qui, plus heureuse ou pourvue de meilleurs acteurs, obtint sous Louis XIV la permission de jouer d'abord à l'hôtel de Bourgogne[167] alternativement avec les comédiens (p. 234) françois; puis sur le théâtre du petit Bourbon avec la troupe de Molière; ensuite sur celui du Palais-Royal. Bientôt après, les deux troupes d'acteurs françois s'étant réunies dans les salles de la rue Guénégaud, les comédiens italiens se trouvèrent seuls possesseurs de l'hôtel de Bourgogne, où ils continuèrent leurs représentations.

La composition de leurs pièces, les personnages qu'ils y faisoient paroître, sembloient offrir quelque image imparfaite de l'ancienne comédie latine; mais du reste on y retrouvoit toute la licence et toute la barbarie d'un théâtre encore dans son enfance. Ces personnages dont les noms et les caractères étoient invariablement fixés, et qui reparoissoient sans cesse dans toutes leurs intrigues, étoient en Italie au nombre de douze[168], dont quatre seulement furent conservés en France sur leur théâtre devenu par degrés plus régulier. Quant aux pièces italiennes, c'étoient de simples canevas qu'on attachoit derrière les coulisses, et que chaque acteur consultoit avant d'entrer en scène, où il parloit ensuite d'inspiration. Il résultoit le plus souvent de cette comédie improvisée des conversations plates, diffuses et ennuyeuses, mais quelquefois (p. 235) aussi un dialogue très-naturel et très-plaisant, lorsque l'acteur avoit de l'esprit, et que le fond de la situation étoit réellement comique. Les deux Dominique, Thomassin y excellèrent; et, vers la fin du siècle dernier, on a vu le dernier et peut-être le plus parfait de ces arlequins, Carlin, aussi amusant par le naturel de son jeu que par la finesse naïve de ses saillies, attirer encore la foule et charmer la meilleure compagnie de Paris dans des scènes entières qu'il composoit, dit-on, sur-le-champ, et rendoit aussitôt avec une grâce inimitable.

Cependant ces pièces à canevas, débitées au milieu de la capitale, dans une langue étrangère, n'eurent jamais un succès général; et les comédiens italiens, qui sentoient l'impossibilité de se soutenir avec d'aussi foibles ressources, hasardèrent, dès le commencement de leur établissement à l'hôtel de Bourgogne, d'y mêler quelques pièces françoises. Les acteurs françois s'en plaignirent: Louis XIV ayant daigné se faire juge du différent, une saillie[169] de l'arlequin Dominique, qui portoit la parole au nom de sa troupe, décida le gain de sa cause; et le monarque, qu'il avoit fait rire, (p. 236) voulut que les Italiens continuassent à jouer en françois. Mais ils abusèrent de cette permission: les pièces qu'ils représentoient, composées par des auteurs médiocres, n'eurent de succès que par les indécences et les personnalités dont elles étoient remplies. Ils poussèrent même l'audace jusqu'à travestir sur leur scène les personnages les plus distingués[170]; et ce scandale devint si intolérable, que le roi donna ordre que leur théâtre fût fermé, avec défense expresse aux acteurs de jouer à Paris sur quelque autre théâtre que ce fût. Cet ordre fut exécuté le 4 mai 1697.

Dix-neuf ans après, le duc d'Orléans, régent, fit venir d'Italie une nouvelle troupe pour laquelle on rouvrit le théâtre de l'hôtel de Bourgogne, où elle débuta le 16 mai 1716, par une pièce intitulée l'Inganno Fortunato (l'Heureuse surprise). À leurs anciens canevas italiens, ces nouveaux acteurs joignirent aussi des pièces françoises, mais qui furent faites avec plus d'art et de talent; et c'est alors que Marivaux et Boissy enrichirent ce théâtre de leurs ouvrages. Cependant son succès fut si médiocre, qu'en 1721 ses acteurs imaginèrent de quitter l'hôtel de Bourgogne (p. 237) pour venir s'établir à la Foire. Ils y jouèrent trois années consécutives, pendant le temps de la foire seulement[171]. Mais la fortune ne les ayant pas traités plus favorablement dans ce nouvel établissement, ils se virent forcés de retourner à leur ancien domicile.

Dans cette même année 1721, où les comédiens italiens faisoient leur début à la foire Saint-Laurent, on y vit reparoître les acteurs de l'Opéra-Comique qui en avoient été long-temps exclus, et qui étoient alors, pour les premiers, des rivaux extrêmement redoutables. Ce spectacle, dont la destinée a été si brillante vers la fin du siècle dernier, avoit eu l'origine la plus obscure, ne jouissoit encore que d'une existence précaire, et éprouva de grandes vicissitudes avant d'obtenir quelque consistance. En 1678 une misérable troupe ambulante étoit venue s'établir aux foires Saint-Germain et Saint-Laurent; elle y représenta quelques intermèdes qui n'étoient qu'un composé bizarre de plaisanteries grossières, de danses, de machines et de sauts périlleux: tels furent les commencements de l'Opéra comique.

Toutefois ces comédiens forains ne prirent ce dernier titre que trente-sept ans après, au moyen (p. 238) d'un traité qu'ils firent avec les syndics et directeurs de l'Opéra. Les pièces qui composèrent leur premier répertoire n'étoient que de petites comédies en prose mêlées de vaudevilles, et accompagnées de danses et de ballets, auxquelles ils joignirent des parodies de toutes les pièces représentées à l'Opéra et à la Comédie Françoise. Plusieurs écrivains d'un véritable talent, entre autres le célèbre Le Sage, ne dédaignèrent point alors de travailler pour ce théâtre. On y vit bientôt paroître une foule de petits ouvrages pétillant d'esprit et de gaieté, qui y attirèrent un tel concours de spectateurs, que les grands théâtres furent entièrement abandonnés. Les comédiens françois, voyant leur salle déserte, se plaignirent de nouveau, et, faisant valoir leurs priviléges, obtinrent une ordonnance qui défendoit aux comédiens forains de jouer autre chose que des pantomimes. Réduits au rôle des personnages muets, ceux-ci imaginèrent plusieurs expédients qui piquèrent la curiosité et ajoutèrent encore à leurs succès. Le premier fut d'écrire sur des cartons, et en caractères assez gros pour qu'on pût les lire dans toute la salle, la prose ou les vers qu'il étoit interdit à l'acteur de débiter[172]. Le second, qui parut plus (p. 239) piquant, fut de faire jouer par leur orchestre des airs connus sur lesquels des gens payés par eux et répandus dans le parterre chantoient des couplets, tandis que l'acteur faisoit des gestes sur le théâtre. Il arrivoit souvent que les spectateurs s'unissoient à eux par un chorus général, ce qui répandoit une sorte d'ivresse dans la salle, et faisoit tourner toutes les têtes. Enfin l'engouement pour les acteurs de l'Opéra-Comique devint tel, que les comédiens françois ne virent d'autres moyens pour éviter leur ruine complète, que d'obtenir que ce théâtre seroit tout-à-fait fermé. Ce fut à la foire Saint-Laurent de 1718 que la défense de revenir aux foires suivantes leur fut signifiée.

Cette défense dura trois ans. En 1721 on les vit reparoître, comme nous venons de le dire, d'abord à la foire Saint-Germain, où ils ne jouèrent que des vaudevilles, et ensuite à celle de Saint-Laurent, où ils obtinrent la permission de représenter des opéras comiques. Depuis cette époque jusqu'en 1752, pendant un espace de trente ans, tour à tour supprimés ou rétablis, ils passèrent successivement sous l'administration de plusieurs directeurs toujours incertains de conserver leur entreprise, et faisant d'ailleurs d'assez mauvaises affaires à cause des obstacles de tout genre que leur suscitoient les (p. 240) grands théâtres. Enfin, en 1752, le privilége de l'Opéra-Comique ayant été accordé pour la seconde fois au sieur Monnet, il imagina de faire bâtir une salle élégante à la foire Saint-Laurent, rassembla un orchestre excellent, fit un choix de pièces agréables, ce qui ramena le public à ce spectacle, et lui fournit le moyen de faire une petite fortune après quatre ans d'administration. À sa retraite, la direction de ce théâtre passa entre les mains d'une compagnie à la tête de laquelle étoit le sieur Favart. Il en fit l'ouverture à la foire Saint-Germain, et l'enrichit d'un grand nombre de petits ouvrages dont l'agrément sembloit devoir assurer la prospérité de son entreprise. Mais la nouvelle société étoit à peine établie, que l'Académie royale de musique, toujours maîtresse souveraine des destinées de tous ces théâtres subalternes, jugea à propos de lui retirer son privilége et de l'affermer aux Italiens, qui ne l'avoient sollicité que dans l'espérance de se relever un peu, par cette réunion, du discrédit dans lequel ils étoient tombés. Les deux théâtres quittèrent alors pour toujours les foires Saint-Laurent et Saint-Germain, et se fixèrent à l'hôtel de Bourgogne. Ceci arriva en 1761.

Ce fut là l'époque brillante de l'Opéra-Comique. Alors parurent les jolies bagatelles qui formèrent le fond de son répertoire, et les compositeurs célèbres dont la musique expressive et (p. 241) gracieuse fait encore aujourd'hui le charme des amateurs. Cette troupe possédoit en même temps des acteurs excellents; son orchestre étoit un des meilleurs de Paris; enfin tout sembloit réuni pour faire de l'Opéra-Comique un spectacle nouveau, bien frivole sans doute, mais par cela même bien fait pour enchanter la société oisive et plus frivole encore à laquelle il étoit destiné. Il en résulta que les canevas italiens, déjà discrédités, parurent encore plus insipides après la réunion. Plusieurs acteurs qui se retirèrent ne furent point remplacés; et après la retraite de Carlin, qui seul soutint ce genre jusqu'en 1780, il n'y eut plus d'Italiens à ce théâtre. L'Opéra-Comique y tint alors la première place, et joua alternativement avec les comédiens françois de la troupe italienne, qui peu à peu ont aussi disparu, parce qu'ils étoient médiocrement goûtés.

En 1783, ces deux dernières troupes, encore réunies, quittèrent la rue Mauconseil pour s'établir dans la nouvelle salle qu'on venoit de construire pour eux, entre les rues de Grammont et de Richelieu, sur l'emplacement d'un hôtel appartenant à M. le duc de Choiseul. Cet édifice, qu'ils ont quitté encore depuis la révolution, est celui dont nous donnerons ici la description.

Il fut élevé en 1782 sur les dessins de Heurtier. Un péristyle de huit colonnes de l'ordre ionique antique en décore la façade. Six de ces (p. 242) colonnes sont placées sur le devant, et deux en retour sont engagées dans le massif du bâtiment. Les proportions de cette ordonnance ont un caractère mâle et peut-être trop sévère pour un édifice de ce genre. L'architecte s'est même abstenu d'y introduire aucun ornement de sculpture: un acrotère lisse couronne le dessus de l'entablement et les joints horizontaux de l'appareil sont la seule richesse qui relève le mur du fond, percé de baies, carrées au rez-de-chaussée, et cintrées en arcades au premier étage[173].

La place sur laquelle donne cette façade est régulièrement bâtie, et ce monument a l'avantage de présenter une masse parfaitement isolée entre quatre points de communication, la place, le boulevart et les deux rues latérales; ce qui donne à son ensemble un aspect assez imposant. Toutefois les connoisseurs éprouvent quelque regret de voir adossée à cet édifice une maison particulière dont le terrain, réuni à celui du théâtre, eût fourni à l'architecte les moyens d'étendre sa composition, en pratiquant, du côté du boulevart, un portique, de vastes foyers, une salle de répétition; enfin en mettant cette partie dans un rapport symétrique avec le reste du monument. C'est ainsi que, dans les grandes entreprises d'architecture faites à Paris, il arrive trop souvent que des vues d'intérêt personnel (p. 243) viennent en traverser l'exécution, et mécontentent à la fois et le public et l'architecte.

L'intérieur de la salle offroit dans le principe une forme ovale divisée en trois rangs de loges, couronnées par un entablement, derrière lequel s'élevoit une grande voussure en caissons. Peu de temps après on jugea à propos d'y faire des changements dont la direction fut confiée à M. de Wailly. Dans la hauteur de cet entablement et de la voussure, il pratiqua deux rangs de loges de plus sur les côtés, et, dans la partie qui fait face au théâtre, un paradis en forme d'amphithéâtre.

Le plafond, peint par Renou, représentoit Apollon et les Muses. Il a été détruit dans les dernières restaurations faites à cette salle[174].

LES CAPUCINS DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN.

Dans les vingt dernières années qui précédèrent la révolution, le quartier de la Chaussée-d'Antin (p. 244) avoit totalement changé de face; on y avoit percé de nouvelles rues et bâti un grand nombre de belles maisons qui se remplissoient d'habitants. Il en résulta bientôt que cette partie de la ville, devenant de jour en jour plus considérable, se trouva trop éloignée de la paroisse Saint-Eustache, dont elle dépendoit, pour en obtenir régulièrement les secours nécessaires à une si nombreuse population. Cette circonstance fit naître l'idée d'y établir un couvent de religieux; et le gouvernement ayant jeté les yeux sur les Capucins, qu'il jugea propres à remplir le but qu'il se proposoit, leur fit construire, au bout de la rue Thiroux, la maison dont nous parlons. Dès qu'elle fut achevée, les religieux de cet ordre qui habitoient le monastère de la rue Saint-Jacques y furent transférés solennellement, ce qui se fit le 15 septembre 1783. La bénédiction de l'église avoit été faite par l'archevêque le 20 novembre 1782.

Ce monument, qui existe encore[175], offre, du côté de la rue Thiroux, une surface de vingt-sept toises de largeur sur sept de hauteur, y compris le portail de l'église. La façade, d'une belle proportion, présente, dans son étendue, un corps (p. 245) de logis et deux pavillons en avant-corps[176]. Les pavillons sont composés d'un grand fronton et d'un petit attique, et sur la ligne entière de la façade sont pratiquées huit niches destinées à recevoir des figures; au-dessus étoient placés deux bas-reliefs de Clodion, qui ont été arrachés.

On entre dans cet édifice par trois portes percées dans le corps de logis et dans les deux pavillons. Celle du milieu conduit à une grande cour couverte en terrasse; elle est élevée de deux marches, et décorée d'un ordre toscan, qui présente en petit une imitation des monuments de Pestum[177]. Cette galerie servoit de point de communication entre les diverses parties de l'édifice: elle conduisoit à l'église, située dans le pavillon à gauche, et aux logements des religieux, qui occupoient celui de la droite. La façade contenoit un vestibule, les parloirs, les escaliers; et par les portes latérales extérieures on entroit dans l'église et dans les cellules.

Ce joli monument fait le plus grand honneur à son architecte, M. Brongniart. Les formes en sont gracieuses, les profils purs, l'ordonnance générale d'une noble simplicité. L'intérieur de l'église est également digne d'attention: il est décoré d'une ordonnance dorique; des joints d'appareil (p. 246) sont tracés sur toute la surface des murs et des voûtes; et cette décoration, élégante et simple, est exécutée avec autant d'intelligence que de goût.

Le porche d'entrée de l'église forme tribune; l'ancien autel en forme de sarcophage, étoit en bois; et au fond du chœur des religieux, pratiqué derrière cet hôtel, on voyoit pour toute peinture une grisaille imitant le bas-relief, laquelle représentoit la prédication de saint François.

Plusieurs personnes se sont étonnées et s'étonnent encore de ce que, dans une église si nouvellement bâtie, on ne voit de chapelles que d'un côté: c'étoit un usage anciennement établi dans les maisons de l'ordre de Saint-François, et l'architecte a été forcé de s'y conformer.

Cet ordre n'est pas le seul où cet usage singulier, et dont nous n'avons pu découvrir l'origine, soit constamment pratiqué. Plusieurs autres maisons d'ordre mendiants l'observent dans la construction de leurs églises; et nous citerons entre autres les Augustins, qui n'ont également qu'un rang de chapelles latérales.

Au-delà du cloître est un jardin d'une assez grande étendue, et une cour de service ayant entrée sur la rue.

La bibliothèque de ces religieux étoit composée de cinq à six mille volumes, parmi lesquels on distinguoit la première bible imprimée au (p. 247) Louvre. On y voyoit aussi cinq tableaux de Vignon, représentant différents traits de la vie de saint François.

LA CHAPELLE NOTRE-DAME-DE-LORETTE, OU DES PORCHERONS.

Cette chapelle étoit située[178] au bout du faubourg Montmartre, à l'extrémité de la rue Coquenart. On ignore et l'époque précise de son érection et le nom de son fondateur. Le premier acte authentique où il en soit fait mention est un titre du 13 juillet 1646, par lequel M. de Gondi, archevêque de Paris, permet aux habitants des Porcherons, des paroisses de Saint-Eustache et de Montmartre, d'y établir une confrérie sous le titre de Notre-Dame-de-Lorette, dont la fête devoit être célébrée le jour de la Nativité de la Sainte-Vierge. (p. 248) On y voit, par les lettres que ce prélat fit expédier à cette occasion, que c'étoient ces mêmes habitants qui avoient demandé et obtenu la permission de faire construire cette chapelle pour y recevoir, en cas de nécessité, les sacrements et autres consolations spirituelles. Comme elle fut bâtie sur le territoire de la paroisse de Montmartre, elle ne fut reconnue alors que pour une aide de cette paroisse, et non pour une succursale, comme le dit Jaillot, qui confond mal à propos ces deux dénominations. En effet, les lettres de l'archevêque de Paris dont nous venons de parler portent que les confrères n'y pourront faire chanter la messe à haute voix, excepté les jours de fêtes consacrés spécialement à la Vierge; qu'on n'y fera point d'eau bénite, et qu'il n'y sera offert de pain à bénir que pendant ces mêmes solennités. Ce n'est que vers la fin du dernier siècle que le service divin s'est fait dans cette chapelle d'une manière régulière, comme dans une église succursale. Nous n'avons pu découvrir si cet usage s'introduisit par le consentement formel du curé de Montmartre, ou simplement avec son approbation tacite.

Le jour de la fête de la présentation, dite de la Chandeleur, tous les garçons des Porcherons et des environs avoient le privilége d'y rendre le pain bénit, et alloient à l'offrande un cierge à la main.

(p. 249) LA CHAPELLE SAINT-JEAN-PORTE-LATINE.

Cette chapelle, bâtie peu de temps avant la révolution, sur la droite de la grande rue du faubourg Montmartre, au-dessus de la rue de Buffaut, étoit desservie par deux prêtres, et servoit d'aide à la paroisse Saint-Eustache.

On y a depuis quelque temps transporté la dévotion de Notre-Dame-de-Lorette; et elle est devenue paroisse sous ce dernier nom.

HÔTELS.

ANCIENS HÔTELS DÉTRUITS.

Hôtel de Beautru.

Il étoit situé rue Neuve-des-Petits-Champs. On en fit depuis les écuries d'Orléans.

(p. 250) Hôtel de Choiseul.

Il étoit situé rue de Richelieu, à l'endroit où est maintenant la rue Neuve-Saint-Marc. C'est sur l'emplacement de ses jardins qu'ont été bâtis le théâtre italien et les édifices qui l'environnent[179].

Hôtel de Cléry.

Cet hôtel existoit en 1540 dans la rue qui porte son nom, et aboutissoit alors aux fossés de la ville.

Hôtel de la Ferté-Senecterre.

Ce vaste édifice, isolé entre les rues Neuve-des-Petits-Champs et des Fossés-Montmartre, fut abattu lors de la construction de la place des Victoires[180].

Hôtel de Menars.

Cet hôtel, élevé dans la rue qui en a pris le nom, avoit succédé à celui de Grancey et au jardin Thevenin, dont Sauval fait une longue et pompeuse description.

(p. 251) Hôtel de Grammont.

Il étoit situé rue Neuve-Saint-Augustin. Cet hôtel fut démoli en 1766, et c'est sur son emplacement que fut ouverte la rue désignée sous le même nom, et qui aboutit au boulevart. C'étoit un édifice immense qu'accompagnoit un jardin magnifique. Les ducs de Grammont l'ont possédé pendant trois ou quatre générations.

Hôtel de Louvois.

Cet hôtel s'élevoit dans la rue de Richelieu, où il occupoit un terrain considérable en face de la rue de Colbert. Il avoit été mis en vente peu de temps avant la révolution, et étoit dès ce temps-là destiné à être abattu, pour ouvrir une communication avec la rue Sainte-Anne. Ce projet a été exécuté depuis, et un grand nombre de constructions nouvelles ont été élevées sur son vaste emplacement[181].

(p. 252) HÔTELS EXISTANTS EN 1789.

Hôtel de la duchesse de Bourbon (rue Neuve-des-Petits-Champs).

Tout l'intérieur en avoit été décoré par Rousset, architecte du roi. Il étoit enrichi de peintures des plus grands maîtres.

Hôtel de la compagnie des Indes.

Cet hôtel, dont la principale entrée est sur la rue Neuve-des-Petits-Champs, faisoit anciennement partie du palais Mazarin, le plus grand qu'il y eût alors à Paris, après les maisons royales. Il s'étendoit depuis la rue Vivienne jusqu'à celle de Richelieu, et se composoit, dans ce vaste espace, d'un très-grand nombre d'appartements magnifiquement décorés, où ce ministre, plus puissant et plus riche que bien des souverains, avoit rassemblé une quantité immense d'objets d'arts les plus précieux. On comptoit dans ce palais plus de quatre cents morceaux des plus belles sculptures antiques en marbre, en bronze, en porphyre, etc. Il étoit décoré de plus de quatre cents tableaux des plus grands peintres, parmi lesquels il s'en trouvoit sept de Raphaël, trois du Corrège, huit du Titien, deux d'André del Sarte, douze (p. 253) de Louis Carrache, cinq de Paul Véronèse, vingt-un du Guide, vingt-huit de Vandick, etc., etc.

La bibliothèque, placée dans une galerie qui règne le long de la rue de Richelieu, étoit composée des livres les plus rares; et si l'on en croit Gabriel Naudé, un des plus savants bibliothécaires de ces temps-là, on y comptoit plus de quarante mille volumes[182]. Tous ces livres furent dispersés pendant ces troubles de la fronde qui forcèrent le cardinal Mazarin à sortir du royaume.

Après la mort de ce ministre, son palais fut partagé en deux parties par ses héritiers. La plus considérable demeura au duc de Mazarin, et continua de porter le nom de palais Mazarin, jusqu'en 1719, que le roi en fit l'acquisition pour y placer les bureaux de la compagnie des Indes. C'est aussi dans l'enceinte de cet hôtel qu'en 1724 on établit la Bourse du commerce de Paris.

L'autre partie, qui étoit échue en partage au marquis de Mancini, duc de Nevers, prit le nom d'hôtel de Nevers qu'il porta jusqu'à l'époque où le régent en fit l'acquisition pour y établir la banque royale, dont le trop fameux Law fut le directeur. Nous avons déjà dit qu'après la suppression de cette banque, on y plaça la bibliothèque.

(p. 254) Ier hôtel de Choiseul (rue Grange-Batelière).

Il fut bâti par Carpentier, architecte du roi, pour feu M. Bouret. Il a appartenu successivement à M. de La Borde, à M. de La Reynière, et en dernier lieu à M. le duc de Choiseul dont il a pris le nom.

Hôtel de Colbert (rue Vivienne, en face de la rue de Colbert).

Cet hôtel fut appelé de Croisi, parce qu'il avoit appartenu à M. de Colbert, marquis de Croisi.

Hôtel du contrôleur-général (rue Neuve-des-Petits-Champs).

Louis Levau en fut l'architecte; et il l'avoit bâti pour Hugues de Lionne, secrétaire d'état. Louis Phelippeaux de Pont-Chartrain, chancelier de France, l'acheta en 1703. Cet hôtel fut ensuite destiné par le roi, d'abord au logement des ambassadeurs extraordinaires, ensuite à celui du ministre des finances. Lorsque M. de Calonne parvint à ce ministère, il y fit faire de grands embellissements, et l'orna d'un grand nombre d'objets d'arts extrêmement précieux, entre autres d'une collection (p. 255) de tableaux des trois écoles qui a joui d'une grande réputation[183].

Hôtel de Gesvres (rue Neuve-Saint-Augustin).

Il fut élevé par l'architecte Le Pautre, pour M. de Boisfranc, chancelier du duc d'Orléans. Par le mariage de la fille de ce personnage avec le duc de Tresme, cet hôtel passa dans cette maison; il fut connu depuis sous le nom d'hôtel de Tresme.

Hôtel des Menus-Plaisirs (rue Bergère).

Cet hôtel, qui a sa principale entrée sur cette rue, occupe une vaste étendue de terrain. Il servoit d'entrepôt aux machines employées dans les divertissements destinés à la cour, et l'on y avoit bâti une jolie salle de spectacle, dans laquelle on faisoit les répétitions des opéras et des ballets qui devoient se donner à Versailles[184].

L'école royale de chant et de déclamation étoit placée dans un bâtiment construit exprès au coin des rues Poissonnière et Bergère, et qui fait partie de l'hôtel des Menus-Plaisirs. L'ouverture de cette école, établie sous la monarchie par les soins de (p. 256) M. le baron de Breteuil, se fit le 1er avril de l'année 1784[185].

Grand hôtel de Montmorency (rue Saint-Marc).

Ce grand et magnifique hôtel, bâti en 1704 sur les dessins de Lassurance, de l'académie royale d'architecture, dans une situation avantageuse, avec un superbe jardin[186], appartenoit, au moment de la révolution, à M. le duc de Montmorency, qui y avoit fait faire des embellissements considérables. La façade sur la cour est décorée d'un ordre d'architecture ionique, élevé sur les dessins de Perin.

Petit hôtel de Montmorency (rue Basse-du-Rempart).

Il a vue sur le boulevard; ses deux faces équilatérales sont décorées de colonnes, à l'aplomb desquelles on a placé des figures. Ce joli édifice a été élevé sur les dessins de Le Doux, architecte du roi.

Hôtel de Richelieu.

Cet hôtel, situé rue Neuve-Saint-Augustin, (p. 257) avoit été bâti en 1707 avec plus de dépense que de goût et de régularité, sur les dessins d'un architecte nommé Pierre Levé. Son premier propriétaire fut un riche financier; il passa ensuite au comte de Toulouse, puis au duc d'Antin, directeur-général des bâtiments; enfin le maréchal de Richelieu, qui l'acheta en 1757, en fit sa demeure habituelle, et l'embellit de tout ce que les arts purent lui fournir alors de plus riche et de plus élégant.

Ces décorations, qui passeroient aujourd'hui pour être de mauvais goût, ont été entièrement changées; mais ce qui étoit digne, dans cette maison, de fixer en tout temps l'attention des connoisseurs, c'étoient trois statues placées dans ses jardins, dont une étoit antique, et les deux autres passoient pour être de la main de Michel-Ange[187].

Hôtel Thélusson (rue de Provence, en face de la rue d'Artois).

Il avoit été bâti pour madame Thélusson, par (p. 258) l'architecte Le Doux. Peu de temps avant la révolution il étoit occupé par M. de Pons-Saint-Maurice.

Cette maison, construite dans un goût tout-à-fait moderne, est remarquable par une très large voussure décorée de caissons, qui en forme l'entrée. Elle est composée d'un avant-corps circulaire qui domine sur les deux ailes, ce qui donne à ce petit édifice de la grâce et de la légèreté. C'est une des plus jolies habitations particulières de Paris.

Hôtel d'Uzès (rue Montmartre).

Ce bâtiment a encore été construit sur les dessins de Le Doux. Il est remarquable par l'arc de triomphe qui lui sert d'entrée, et par la décoration imposante de la façade qui règne sur la cour[188].

Hôtel de la Vallière (rue Neuve-Saint-Augustin.)

Il appartenoit, dans le principe, au duc de Lorges, qui le vendit à la princesse, première douairière de Conti. À sa mort, arrivée en 1739, le duc de (p. 259) La Vallière, étant devenu propriétaire de cet hôtel, lui donna son nom, qu'il a toujours porté depuis.

AUTRES HÔTELS
LES PLUS REMARQUABLES DE CE QUARTIER.

(p. 260) BARRIÈRES.

Les limites du quartier Montmartre terminent la ville de Paris du côté du septentrion, dans un espace qui s'étend depuis la barrière de Mouceaux jusqu'à celle de Sainte-Anne, et comprend dans cette partie des nouvelles murailles cinq barrières placées dans l'ordre suivant:

FONTAINES.

Fontaine des Petits-Pères.

Cette fontaine adossée au mur du couvent de ces religieux, au coin des rues Vide-Gousset et Notre-Dame-des-Victoires, n'a rien de remarquable que l'inscription suivante composée par Santeuil.

Quæ dat aquas, saxo latet hospita nympha sub imo:
Sic tu cum dederis dona, latere velis.

Fontaine de Colbert.

Cette fontaine, qui donne de l'eau de la Seine, est située dans la rue Colbert dont elle a pris le nom.

(p. 261) Fontaine de la rue Montmartre.

Elle a été construite dans la rue qui porte ce nom, vis-à-vis celle de Saint-Marc, donne également de l'eau de la Seine, et n'offre rien, dans sa construction, qui mérite d'être remarqué.

(p. 262) RUES ET PLACES DU QUARTIER MONTMARTRE.

Rue d'Amboise. Cette rue, qui donne, d'un côté dans la rue de Richelieu, de l'autre dans celle de Favart, fut percée vers le temps où l'on bâtit le Théâtre Italien, c'est-à-dire, de 1783 à 1784.

Rue Sainte-Anne. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs et finit à la rue Neuve-Saint-Augustin. Dans tous les plans publiés au commencement du siècle dernier, elle est désignée sous le nom de Lionne, qu'elle devoit à l'hôtel de M. de Lionne, secrétaire d'état. Nous ignorons à quelle époque elle prit celui de Sainte-Anne, que portoit déjà l'autre partie, et que la rue entière a gardé jusqu'au commencement de la révolution[190].

Rue d'Antin. Elle donne d'un bout dans la rue Neuve-Saint-Augustin, de l'autre dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, vis-à-vis l'hôtel d'Antin, depuis de (p. 263) Richelieu, d'où elle a pris son nom. Dès le 14 mai 1713, il avoit été ordonné qu'il seroit percé une rue en face de cet hôtel; mais cet arrêt n'ayant pas été exécuté alors, il en fut rendu un second confirmatif du premier, avec lettres-patentes du premier décembre 1715, enregistrées le 8 février suivant.

Le marché aux chevaux se tenoit anciennement dans l'espace occupé par la rue et l'hôtel d'Antin.

Rue d'Artois[191]. Elle fut ouverte en 1769 sur le boulevart, et vis-à-vis la rue de Grammont. On la perça à travers des jardins qui appartenoient à M. de La Borde. Alors la rue de Provence n'existoit point encore, et la nouvelle rue aboutissoit à un égout situé sur une partie du terrain que l'autre occupe aujourd'hui.

Rue Neuve-Saint-Augustin. Elle aboutit d'un côté à la rue de Richelieu, et de l'autre à celle de Louis-le-Grand. Cette rue, qui fut percée vers le milieu du dix-septième siècle, s'appela rue Saint-Augustin depuis la rue Notre-Dame-des-Victoires jusqu'à celle de Richelieu, et l'on donna ensuite indifféremment le même nom et celui de rue Neuve-Saint-Augustin, à la continuation qu'on en fit jusqu'à la rue de Gaillon. Dans un censier de l'archevêché de 1663, on la trouve indiquée sous le nom de rue Neuve-de-Saint-Augustin, jadis dite de Saint-Victor; mais il n'est point dit dans quelle partie elle a pu porter ce dernier nom. Elle finissoit à la rue de Lorges, nom que portoit alors la partie septentrionale de la rue de Gaillon. Ce ne fut qu'en mars 1701 que le roi ordonna qu'elle seroit prolongée, et qu'elle formeroit jusqu'à la rue Neuve-des-Petits-Champs un retour (p. 264) d'équerre qui seroit appelé rue de Louis-le-Grand. Cet arrêt fut confirmé par un autre du 3 juillet 1703, par lequel il paroît que depuis la rue de Gaillon jusqu'à celle de Louis-le-Grand, la continuation de la rue Neuve-Saint-Augustin devoit être appelée rue de Lorges. Soit qu'il se fût élevé des difficultés sur l'acquisition des terrains nécessaires, soit que les religieux de Saint-Denis-de-la-Chartre, qui avoient des droits sur cet emplacement, eussent fait naître alors des obstacles à l'exécution de ces arrêts pour la conservation de leur censive, ou pour en être indemnisés, on voit par un troisième arrêt, du premier décembre 1715, que ce projet avoit été suspendu, au moins en partie. Il n'a été absolument exécuté qu'en 1718.

La rue Saint-Augustin étoit ainsi nommée, parce qu'elle régnoit le long d'un mur de clôture des religieux augustins, vulgairement appelés Petits-Pères.

Rue de la Tour-d'Auvergne. Elle va transversalement de la rue de Rochechouart à celle des Martyrs. Cette rue ne se trouve indiquée sur aucun plan avant 1762; c'étoit la continuation du chemin qui conduisoit de la Nouvelle-France à Montmartre.

Rue Basse ou chemin du Rempart. Elle règne le long du boulevart. Par arrêt du conseil, du 7 août 1714, il avoit été défendu de bâtir le long du rempart à plus de trente toises de distance. L'objet de cette défense étoit de conserver ce chemin pour les voitures, et de ménager à ce moyen le sol du boulevart. Les mêmes défenses furent renouvelées en 1720, mais avec une exception qui permettoit à la ville de supprimer ce chemin depuis la Ville-l'Évêque jusqu'à la chaussée de Gaillon. Il le fut en effet, mais on ne tarda pas à sentir combien il étoit nécessaire, et l'on décida qu'il seroit rétabli. Ce fut alors qu'on commença à construire dans sa longueur (p. 265) les jolies maisons qui lui ont fait donner le nom de rue Basse, parce que le terrain en est beaucoup plus bas que celui du rempart.

Rue Baudin. C'est une petite ruelle qui, commençant d'un côté à la rue Blanche, aboutit de l'autre à la rue Saint-George, dans les marais des Porcherons; elle tenoit ce nom d'un jardinier qui avoit présidé à l'établissement d'une grande partie des jardins dont sont accompagnées les maisons qui forment cette rue[192].

Ruelle Beauregard.—Voyez rue des Martyrs.

Rue Bellefond. Elle traverse de la rue Poissonnière dans celle de Rochechouart. On croit qu'elle doit son nom à madame de Bellefond, abbesse de Montmartre. Dans quelques plans on la trouve mal à propos indiquée sous le nom de rue Jollivet.

Rue Bergère. Elle aboutit à la rue Poissonnière et à celle du Faubourg-Montmartre. Ce n'étoit dans son origine qu'un chemin dont la direction a souvent varié du côté du faubourg Montmartre. La communication en fut ensuite interrompue, et il ne forma plus qu'un cul-de-sac dans lequel il y en avoit un autre plus petit qui subsistoit encore en 1738. Tous deux aboutissoient à des jardins potagers. Enfin ce chemin fut ouvert et continué en ligne droite, et l'on commença à y bâtir des maisons. Comme cette rue coupe en partie le terrain qu'on appeloit anciennement Clos aux Halliers, elle ne fut long-temps connue que sous cette dénomination générale donnée à tout le territoire. Cependant d'anciens titres de l'archevêché prouvent que le nom de rue Bergère qu'on (p. 266) lui donna ensuite, étoit un vieux nom sous lequel elle étoit désignée dès 1652. On la trouve aussi indiquée dans quelques plans sous celui de rue du Berger.

Rue Blanche.—Voyez rue de la Croix-Blanche.

Rue Bleue.—Voyez rue d'Enfer.

Rue Boudreau. Cette rue, percée depuis 1780, donne d'un côté dans la rue Caumartin, de l'autre dans celle de Trudon.

Rue de Buffaut. Cette rue, percée également depuis 1780, aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Montmartre, de l'autre à la rue Coquenart.

Rue Cadet. Elle commence au faubourg Montmartre presque vis-à-vis la rue de Provence, et aboutit à la rue de Rochechouart, au coin des rues d'Enfer et Coquenart. Sur presque tous les plans on la trouve indiquée sous le nom de Voirie, parce qu'en effet il en a existé une pendant long-temps dans cet endroit. On a depuis donné le nom de Cadet, tant à cette rue qu'à une croix élevée à l'une de ses extrémités. Ce nom vient du clos Cadet lequel étoit situé au-dessous à droite.

Rue Neuve-des-Capucins. Cette rue fut ouverte dans la chaussée d'Antin à l'époque où l'on bâtit le nouveau couvent de ces religieux; elle donne d'un côté dans la rue Thiroux, et de l'autre dans celle de la chaussée d'Antin[193].

Rue des Capucines. Elle fait la continuation de la rue Neuve-des-Petits-Champs, depuis la rue Louis-le-Grand et la place Vendôme jusqu'au boulevart. Elle doit son nom au couvent des religieuses capucines qui y étoit situé. Quelques historiens ne la distinguent pas de la rue Neuve-des-Petits-Champs.

(p. 267) Rue Caumartin. C'est une de ces rues nouvelles percées depuis 1780 dans les marais de la chaussée d'Antin. Elle est ouverte d'un côté sur le boulevart, et aboutit de l'autre à la rue Neuve-des-Mathurins.

Rue de Chabanais. Cette rue, ouverte en 1777, commence dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, entre les rues Sainte-Anne, et de Richelieu, et, par un retour d'équerre, se termine à la rue Sainte-Anne.

Rue Neuve-des-Petits-Champs. Elle aboutit à la rue de la Feuillade et à celle des Capucines. Son nom vient du lieu où elle est située, lequel étoit couvert de marais et de jardins potagers. Elle commençoit autrefois à la rue des Petits-Champs (depuis rue de la Vrillière), et ne fut prolongée que successivement. Il paroît que, de là jusqu'à la rue Vivienne, elle fut appelée ensuite rue Beautru, du nom d'un hôtel qui y étoit situé.

Rue Chantereine. C'étoit autrefois une petite rue qui faisoit la continuation de la rue des Postes, et aboutissoit à celle du Faubourg-Montmartre; elle se nommoit alors Chantrelle. Jaillot avoit déjà pensé que ce nom étoit un mot altéré qui venoit de Chante-Reine, lequel avoit été le véritable nom de cette rue. Ce n'étoit autrefois, ainsi que la rue des Postes, qui en fait la continuation, qu'une ruelle qui traversoit des jardins, et toutes les deux ne sont désignées dans les plans du siècle dernier, que sous le nom de ruellette au marais des Porcherons. Aujourd'hui la rue Chantereine, qui se prolonge jusqu'à la rue de la Chaussée-d'Antin, est couverte de beaux édifices, et a pris place parmi les plus belles rues de Paris.

Rue Chauchat. Cette rue nouvelle, percée depuis 1780, donne d'un bout dans celle de Provence, de l'autre dans la rue Chantereine.

(p. 268) Rue de la Chaussée-d'Antin[194]. Elle va du boulevart à la rue Saint-Lazare. Ce n'étoit, dans le dix-septième siècle, qu'un chemin tortueux qui conduisoit aux Porcherons[195]. Il commençoit à la porte de Gaillon, et tout le long régnoit un égout découvert. De là lui sont venus les différents noms de Chemin des Porcherons, de rue de l'Égout de Gaillon et de Chaussée de Gaillon. On l'a aussi appelée, dès ce temps-là, la Chaussée d'Antin, à cause de l'hôtel d'Antin, depuis de Richelieu, en face duquel ce chemin étoit ouvert. Il prit ensuite le nom de chemin de la Grande Pinte, de l'enseigne d'un cabaret situé à son extrémité. Enfin on le désigna sous celui de rue de l'Hôtel-Dieu, à cause d'une ferme appartenant à cet hospice, située rue Saint-Lazare, et d'un pont placé sur l'égout, appelé le pont de l'Hôtel-Dieu.

Le quartier de Gaillon s'étant considérablement augmenté au commencement du dix-huitième siècle, surtout (p. 269) après la mort de Louis XIV, le roi ordonna, par son arrêt du conseil, du 31 juillet 1720, que le chemin de Gaillon, qui, comme nous l'avons dit, alloit en serpentant, seroit redressé jusqu'à la barrière des Porcherons, dans la largeur de dix toises, et planté d'un rang d'arbres de chaque côté; mais, la ville ayant représenté qu'il seroit plus convenable et plus utile de faire construire une rue droite de huit toises de large, et de redresser l'égout jusqu'à la barrière de la Grande Pinte, une ordonnance du 4 décembre de la même année lui en accorda la permission. L'égout fut revêtu de murs et voûté, et la rue percée et alignée d'après le plan présenté.

Telle est l'origine de la rue de la Chaussée d'Antin, maintenant l'une des plus belles de Paris; les rues qui l'environnent se formèrent successivement, et un nouveau quartier, le plus riche aujourd'hui et le plus brillant de tous, fut ajouté à la ville.

Rue du Gros-Chenet. Elle aboutit d'un côté dans la rue de Cléry, de l'autre dans celle du Sentier, et doit son nom à l'enseigne que portoit autrefois une maison située au coin de la rue Saint-Roch. Valleyre la désigne, sur son plan, sous le nom de Gros-Chêne. Il paroît que c'est une erreur, et rien n'indique qu'elle ait jamais porté ce nom.

Rue de Choiseul. Elle a été ouverte depuis 1780, à travers les hôtels qui bordoient la partie septentrionale de la rue Neuve-Saint-Augustin, et de là elle s'étend jusqu'au boulevart.

Rue de Cléry. La partie de cette rue qui est de ce quartier, va de la rue Montmartre à celle des Petits-Carreaux. Son nom vient de l'hôtel de Cléry qui y étoit situé. Valleyre dit que cette partie de la rue s'appeloit aussi Mouffetard. C'est une erreur; ce nom n'a été donné autrefois qu'à la partie qui va des Petits-Carreaux à la porte Saint-Denis.

(p. 270) Rue de Clichy. Cette rue, qui commence dans celle de Saint-Lazare, et aboutit à une des barrières de Paris, a porté jusqu'en 1780 le nom de rue du Coq. Elle le devoit à une grande maison située vis-à-vis de son ouverture, et qu'on appeloit le Château-Cocq ou du Cocq, du nom d'une ancienne famille dont on voyoit encore, vers la fin du siècle dernier, les armes sculptées sur une vieille porte murée, avec la date de 1320. Au-dessus étoit une chapelle où l'on disoit la messe les dimanches et jours de fêtes. L'hôtel Cocq étoit aussi connu sous le nom de Château des Porcherons.

La rue du Coq n'est désignée sur les anciens plans que sous le nom de Chemin de Clichy, parce qu'effectivement elle conduit à ce village.

Rue de Colbert. Elle traverse de la rue Vivienne dans celle de Richelieu, et doit son nom à l'hôtel de Colbert, en face duquel elle a été ouverte vers le milieu du dix-septième siècle, sur une partie de l'emplacement du palais Mazarin.

Rue Coquenart. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg-Montmartre, de l'autre elle joint l'extrémité de la rue Cadet. Elle est ainsi appelée du lieu où elle a été percée, lequel est désigné dans de vieux titres sous ceux de Coquemart et Coquenart. L'abbé Lebeuf l'appelle rue Goguenard. À la fin du dix-septième siècle elle reçut de la chapelle qui y est située, le nom de rue de Notre-Dame-de-Lorette.

Rue du Croissant. Elle va de la rue Montmartre à celle du Gros-Chenet, et doit à une enseigne ce nom sous lequel elle étoit connue dès 1612.

Rue Sainte-Croix. C'est une rue nouvelle percée depuis 1780, laquelle fait la continuation de la rue Thiroux, et aboutit à la rue Saint-Lazare.

(p. 271) Rue de la Croix-Blanche. Elle commence à la rue Saint-Lazare ou des Porcherons, et aboutit à la barrière. On l'appeloit aussi simplement rue Blanche.

Rue de la Tour des Dames. Cette rue est parallèle à la rue de la Croix-Blanche, et fut ainsi nommée d'un moulin qui s'y trouvoit, lequel appartenoit aux dames de Montmartre. On l'appelle maintenant rue de la Rochefoucauld.

Rue de l'Égout. Elle fait suite à la rue de Provence, prenant son origine à la rue de la Chaussée d'Antin, et finissant à celle de la Pologne, où se termine le quartier. Cette rue, qui fut ouverte à peu près en même temps que celle dont elle est la continuation, doit son nom à l'égout découvert qui se prolongeoit autrefois sur ce terrain et dans cette direction. On la nomme aujourd'hui rue Saint-Nicolas.

Rue d'Enfer. Elle aboutit d'un côté dans la rue Cadet, de l'autre dans la rue Poissonnière où finit le quartier. On ignore l'origine de ce nom qu'elle a changé, pendant la révolution, contre celui de rue Bleue.

Rue Neuve-Saint-Eustache. Elle donne d'un bout dans la rue Montmartre, et de l'autre dans celle des Petits-Carreaux. Cette rue, qui fut formée sur l'emplacement du fossé de l'enceinte de Charles VI, s'appeloit anciennement rue Saint-Côme ou du Milieu-du-Fossé[196]. Dès l'an 1641 on la trouve désignée sous le nom de rue Neuve-Saint-Eustache.

Rue Favart. Elle commence à l'extrémité du Pâté des Italiens, forme à droite un des côtés de la place de la Comédie italienne, et va se terminer au boulevart. (p. 272) Elle fut construite en même temps que le monument.

Rue de la Feuillade. Elle fait la continuation de la rue Neuve-des-Petits-Champs, et aboutit à la place des Victoires. On lui a donné ce nom en l'honneur de M. de La Feuillade, qui avoit fait bâtir la place des Victoires et élever le monument qui la décoroit. Avant cette époque cette rue étoit connue sous le nom de rue des Jardins[197].

Rue Feydeau. Cette rue donne d'un bout dans la rue Montmartre, de l'autre dans celle de Richelieu; elle a été ainsi appelée du nom d'une famille qui, sous la monarchie, avoit rempli les plus hautes places de la magistrature. On la désignoit en 1675 sous le titre de rue des Fossés-Montmartre auquel on ajouta l'épithète de Neuve, pour la distinguer de celle des Fossés-Montmartre, qu'on nommoit alors simplement rue des Fossés. La rue Feydeau ne portoit ce nom qu'à son extrémité, du côté de la porte Gaillon; mais elle s'étendoit sous celui des Fossés jusqu'à la porte Montmartre. Toute cette partie ayant été couverte des maisons et jardins qui formèrent la rue Neuve-Saint-Augustin, on donna à celle qui fut conservée le nom de Feydeau, qu'elle avoit déjà porté vers la fin du dix-septième siècle.

Rue Saint-Fiacre. Elle va de la rue des Jeûneurs aux boulevarts, et, à la fin du dernier siècle, elle se fermoit encore à ses deux extrémités. Cette rue doit son nom à l'ancien fief de Saint-Fiacre sur lequel elle est située. Sauval l'a confondue avec le cul-de-sac du même nom, situé rue Saint-Martin, qu'il appelle rue du Figuier. (p. 273) Elle conserve aujourd'hui le premier de ces noms qu'elle portoit originairement, comme on le voit dans les plans de de Chuyes, et même dans un acte de 1630[198].

Rue des Trois Frères. Elle a été percée pour ouvrir une communication entre la rue de Provence et la rue Chantereine. Nous ignorons l'étymologie de son nom, de même que celui de Houssaie que porte aujourd'hui sa partie méridionale.

Rue de Gaillon. Cette rue qui s'étendoit autrefois d'un côté jusqu'à la rue Saint-Honoré, se prolongeoit de l'autre entre les emplacements de l'hôtel de Richelieu et de celui de la Vallière jusqu'à une des portes de la ville, qui avoit reçu d'elle le nom de porte Gaillon. Louis XIV ayant ordonné en 1645 que toutes les places vides entre les portes Saint-Denis et Saint-Honoré fussent vendues et couvertes d'édifices, la partie de celle-ci qui dépassoit la rue Neuve-Saint-Augustin fut supprimée, et la porte abattue en 1700. Nous avons déjà fait connoître, en parlant de la rue Saint-Roch, l'étymologie du nom de celle de Gaillon.

Rue Saint-Georges. Ce n'étoit dans le principe qu'une ruelle qui donnoit dans la rue Baudin et dans celle de Saint-Lazare; c'est maintenant une rue superbe, couverte de riches hôtels, qui traverse cette dernière, et se prolonge jusqu'à la rue de Provence.

Rue de Grammont. Elle fait la continuation de la rue Sainte Anne et aboutit au boulevart. Cette rue a été percée, en 1767, sur l'emplacement de l'hôtel de Grammont rue Neuve-Saint-Augustin, lequel fut démoli à cette époque.

Rue Grange-Batelière. Elle commence au boulevart, (p. 274) et conduisoit à une maison appelée encore dans le siècle dernier la Grange-Batelière, laquelle lui a donné son nom. Cette maison, qui avoit appartenu, dans le principe, à l'évêque, fut donnée par la suite avec son territoire au chapitre de Sainte-Opportune, et le prélat en conserva seulement la suzeraineté; elle passa depuis en plusieurs mains. À la fin du quatorzième siècle, on voit que ce fief étoit possédé par Gui, comte de Laval; et un acte de 1424 contient la donation que fait Jean de Malestroit, évêque de Nantes et chancelier de Bretagne, de l'hôtel, cour, grange, colombier, jardins, etc., de la Grange-Batelière, au monastère de Saint-Guillaume des Blancs-Manteaux. On apprend par le même acte que cet hôtel relevoit de l'évêque de Paris, et que les terres qui en dépendoient contenoient 120 arpents. En 1473 il appartenoit à Jean de Bourbon, comte de Vendôme, qui sans doute l'avoit acheté de ces religieux.

Lorsqu'on traça le boulevart, il y avoit devant cette maison une place vague où les eaux et les boues de la rue de Richelieu venoient se perdre dans une fosse profonde qu'on y avoit creusée; ce qui répandoit une infection dangereuse pour les quartiers environnants. Cette circonstance détermina à former de cette place une rue de même largeur et dans la même direction que la rue de Richelieu. On en perça une autre en retour d'équerre jusqu'à la rencontre du chemin des marais; on y pratiqua un égout découvert qui alloit se perdre dans le grand, et cette nouvelle rue fut appelée rue des Marais. Telle est l'origine du cul-de-sac de la Grange-Batelière. Le retour d'équerre que fait la rue du même nom dans celle du Faubourg-Montmartre fut alors appelé rue Neuve-Grange-Batelière, quoiqu'il eût été tracé avant l'autre partie. Il y passoit aussi un égout.

Les noms de la Grange-Batelière varient beaucoup (p. 275) dans les anciens titres. Elle est indiquée en 1243 sous celui de Granchia Batilliaca; en 1252 et 1254, elle est appelée Granchia Bataillie; en 1290, Granchia-Bail-Taillée, et en 1308, la Grange au Gastelier, etc.

Rue de Grétry. Elle forme derrière le pâté des Italiens un retour d'équerre avec la rue de Favart, et aboutit de l'autre côté à la rue de Grammont. Elle a été construite, comme toutes les rues environnantes, en même temps que le théâtre italien.

Rue de Hanovre. Voyez rue Projetée.

Rue de la Houssaie. Voyez rue des Trois Frères.

Rue des Jeûneurs. Elle va de la rue Montmartre à celle du Gros-Chenet. Le véritable nom de cette rue est celui de Jeux-Neufs, lequel vient de deux jeux de boules dont elle occupe la place; et ce n'est que par corruption qu'on la nomme rue des Jeûneurs. Cependant cette dernière dénomination a prévalu. Elle portoit ce nom de Jeux-Neufs en 1643[199].

Rue Joquelet. C'est une petite rue qui traverse de la rue Montmartre dans celle de Notre-Dame-des-Victoires. Elle a pris ce nom d'un bourgeois qui y avoit une maison. Elle le portoit dès 1622.

Rue Saint-Joseph. Cette rue, qui aboutit à la rue Montmartre et à celle du Gros-Chenet, est désignée sur tous les plans publiés dans le dix-septième siècle sous le nom de rue du Temps-Perdu. Cependant elle étoit connue sous celui de Saint-Joseph dès 1646; et c'est ainsi qu'elle est appelée dans un contrat ensaisiné à l'archevêché le 13 juillet de cette année. De Chuyes l'indique aussi sous ces deux noms dans son Guide des chemins (p. 276) de 1647. Celui de Saint-Joseph lui vient de la chapelle qui y étoit située.

Rue Joubert. Voyez rue Neuve-des-Capucins.

Rue Saint-Lazare. Elle va de la Pologne à la rue du Faubourg-Montmartre. Elle est aussi connue sous le nom de rue des Porcherons. Plusieurs plans du dernier siècle la nomment rue des Porcherons ou d'Argenteuil, parce qu'elle conduit à ce bourg.

Rue de Louis-le-Grand. Elle commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs, et finit au boulevart. D'après les plans manuscrits et gravés du siècle dernier, il paroît qu'il y avoit, le long du monastère des Capucines, un chemin qui fut depuis couvert par les maisons de la rue Louis-le-Grand. Un arrêt du conseil, du 20 mars 1701, ordonna l'ouverture de cette rue. Elle ne devoit s'étendre que depuis la rue Neuve-Saint-Augustin jusqu'à celle des Petits-Champs; mais on la prolongea jusqu'au boulevart, en vertu d'un arrêt du 3 juillet 1703. Elle avoit reçu, dans la révolution, le nom de rue des Piques. On l'appelle maintenant rue de la Place Vendôme.

Rue du Mail. Cette rue aboutit dans celle des Petits Pères et dans la rue Montmartre; elle doit son nom à un mail ou palemail sur lequel elle fut ouverte, et qui régnoit depuis la porte Montmartre jusqu'à celle de Saint-Honoré. Elle portoit ce nom dès 1636. Un traité fait sous Louis XIII, pour la continuation des fortifications commencées par ordre de Charles IX, adopté par le conseil le 23 novembre 1633, et enregistré au parlement le 5 juillet de l'année suivante, portoit entre autres clauses l'ouverture et la construction des rues du Mail, Cléry, Neuve-Saint-Eustache, Neuve-Saint-Augustin, Notre-Dame-des-Victoires, Neuve-des-Petits-Champs, Richelieu, Sainte-Anne, Neuve-Saint-Honoré, etc.

(p. 277) Rue Saint-Marc. Elle traverse de la rue de Richelieu dans la rue Montmartre. C'étoit un chemin de communication entre les faubourgs Montmartre et Saint-Honoré. Elle a été ouverte vers le milieu du dix-septième siècle, et doit vraisemblablement son nom à quelque enseigne.

Rue Neuve-Saint-Marc. Elle fait la continuation de la précédente, et donne d'un bout dans la rue de Richelieu, de l'autre sur la place de la comédie italienne. Cette rue a été ouverte sur une partie de l'hôtel de Choiseul.

Rue de Marivaux. Cette rue parallèle à celle de Favart, et qui a reçu, comme elle, le nom d'un des auteurs les plus renommés du théâtre italien, a été construite en même temps et sur le même plan.

Rue des Martyrs[200]. Cette rue, qui est la continuation de celle du Faubourg-Montmartre jusqu'à la barrière, doit son nom à une chapelle érigée à l'endroit où l'on croit que Saint-Denis et ses compagnons ont été décapités. Elle étoit connue anciennement sous le nom de rue des Porcherons. Sur plusieurs plans on la trouve confondue avec la rue du Faubourg-Montmartre.

Rue Neuve-des-Mathurins. Cette rue, percée en 1778, aboutit d'un côté à la rue de la Chaussée d'Antin, de l'autre à celle de l'Arcade, où finit le quartier. Elle doit son nom à son emplacement sur lequel les Mathurins avaient plusieurs possessions.

Rue de la Ferme des Mathurins. Elle fut percée à la même époque dans la rue précédente, d'où elle va aboutir dans la rue Saint-Nicolas, ci-devant de l'Égout.—Il (p. 278) y a vis-à-vis un cul-de-sac qui porte le même nom.

Rue de Menars. Elle aboutit d'un côté dans la rue de Richelieu, de l'autre dans celle de Grammont. Le nom qu'elle porte lui vient d'un hôtel situé en cet endroit, lequel appartenoit au président de Menars. C'étoit autrefois un cul-de-sac qui avoit été percé en 1767 sur le terrain de l'hôtel de Grammont.

Rue de la Michodière[201]. Cette rue, qui fait suite à celle de Gaillon, et vient aboutir au boulevart, a été percée depuis 1780 sur une partie du terrain et des jardins de l'hôtel de Richelieu et des maisons adjacentes. Elle doit son nom à M. de La Michodière, conseiller d'état.

Rue Monthalon. Cette rue, qui fait suite à la rue Coquenart, et vient aboutir à celle du Faubourg-Poissonnière, a été percée sur des jardins depuis 1780.

Rue Montmartre. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier ne commence qu'à la rue Neuve-Saint-Eustache, et aboutit au boulevart. Dans cette rue se trouve le cul-de-sac de Saint-Pierre, qui doit ce nom à la rue Saint-Pierre dont il est voisin. En 1622 il portoit le nom des Mazures. Il prit ensuite celui de cul-de-sac de la rue Neuve-Montmartre; puis des Marmouzets. La Caille et Piganiol le nomment Gourtin et Saint Pierre Gourtin.

Il y avoit encore autrefois dans cette rue un autre cul-de-sac nommé cul-de-sac des Commissaires. C'étoit anciennement une rue nommée de l'Arche, parce (p. 279) qu'elle étoit ouverte sur le fief de l'Arche, autrefois Saint-Mandé. Lorsqu'on eut coupé cette rue, la partie qui subsista fut nommée cul-de-sac de l'Épée Royale, comme on peut le voir dans de Chuyes; c'étoit le nom d'une enseigne. En 1647, il le quitta pour prendre celui d'un particulier appelé Ragouleau. Ce cul-de-sac est désigné sous ce nom dans un censier de l'archevêché de 1663. Enfin on lui avoit donné celui des Commissaires, nous ignorons à quelle occasion.

Rue du Faubourg-Montmartre. Elle va du boulevart à l'abbaye de Montmartre, en comprenant sous ce nom la rue des Martyrs dont nous venons de parler[202].

(p. 280) Rue des Fossés-Montmartre. Elle traverse de la rue Montmartre à la place des Victoires. Avant la construction de cette place, elle s'étendoit jusqu'à la rue des Petits-Champs, en face de l'hôtel de la Vrillière, aujourd'hui de Toulouse. Cette rue doit son nom au fossé qui se prolongeoit jusqu'à la porte Montmartre, et c'est sur son emplacement qu'elle a été bâtie. Elle fut d'abord nommée rue du Fossé, des Fossés. Cependant dès 1647 elle portoit le même nom qu'aujourd'hui.

Rue Saint-Nicolas. Voyez rue de l'Égout.

Rue Papillon. C'est une petite rue de traverse ouverte depuis 1780 qui donne d'un côté dans la rue Monthalon, et de l'autre dans celle d'Enfer.

Rue le Pelletier. C'est une rue nouvelle percée peu de temps avant la révolution, et qui donne sur le boulevart et dans la rue de Provence.

Rue des Petits-Pères. Elle aboutit d'un côté aux rues de la Vrillière et de la Feuillade, de l'autre au coin de la rue Vide-Gousset. C'est une continuation de l'ancien mail et de la rue qui en porte le nom. Elle doit le sien au couvent des religieux augustins réformés, vulgairement appelés Petits-Pères.

Rue Pétrelle. Voyez rue de la Rochefoucault.

Rue Saint-Pierre. Elle aboutit d'un côté dans la rue Montmartre, de l'autre, dans celle de Notre-Dame-des-Victoires. Elle doit son nom à une maison qui avoit pour enseigne l'image de Saint-Pierre. Elle prit en 1603 celui de Pénécher, d'un particulier qui y demeuroit. On en fit ensuite par corruption la rue Péniche; puis en 1666 rue Péniche, dite de Saint-Pierre. Il paroît qu'elle avoit été ouverte sur un terrain que les titres du seizième siècle appellent le clos Gautier, autrement des Mazures, et le petit chemin herbu.

Rue Pigalle. Voyez rue Royale.

(p. 281) Rue des Postes. C'étoit ainsi qu'on nommoit autrefois la partie de la rue Saint-Georges qui va de la rue Chantereine à celle de Saint-Lazare. Des postes de commis, établis en cet endroit par les fermiers-généraux pour empêcher la contrebande, lui avoient fait donner ce nom. Nous avons déjà fait connoître, à l'article de la rue Chantereine, celui sous lequel elle étoit désignée avant cette dernière dénomination.

Rue Projetée. C'est une rue nouvelle, ouverte sur la rue de Choiseul, et qui lui sert de communication avec la rue de la Michodière et celle de Louis-le-Grand: on la nomme aujourd'hui rue de Hanovre.

Rue de Provence. Le projet de cette rue fut conçu en 1771, lorsque l'on eut résolu de couvrir l'égout qui traversoit ce terrain dans toute sa longueur. Elle est devenue depuis une des plus belles rues de Paris, et n'est presque composée que d'hôtels somptueux et de maisons élégantes.

Rue Ribouté. Cette petite rue, ouverte depuis 1780, communique de la rue d'Enfer à celle de Monthalon.

Rue de Richelieu. La partie de cette rue située dans ce quartier commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs et finit au boulevart. Dans le principe elle se nommoit rue Royale, et venoit aboutir à une porte du même nom, située près de la rue Feydeau. La porte fut démolie en 1701; et en 1704, un arrêt du conseil ordonna que la rue seroit continuée jusqu'au boulevart.

Rue de la Rochefoucault. Voyez rue de la Tour-des-Dames.

Rue Saint-Roch. Elle fait la continuation de la rue des Jeûneurs, ou Jeux-Neufs, et va de la rue du Gros-Chenet à la rue Poissonnière. Elle est indiquée sans nom dans le plan de de Chuyes.

Rue de Rochechouart. Elle fait la continuation de la (p. 282) rue Cadet, et aboutit au chemin de Clignancourt. Elle doit sans doute son nom à Marguerite de Rochechouart de Mont-Pipeau, abbesse de Montmartre, morte en 1727. Le chemin sans nom qui est au bout de cette rue est nommé maintenant rue Pétrelle.

Rue Richer. Cette rue, qui communique de la rue du Faubourg-Montmartre à celle du Faubourg-Poissonnière, étoit un passage sans nom avant 1772. Depuis il avoit reçu celui de Passage de la grille. La rue Richer n'a été couverte de maisons que depuis la révolution.

Rue Royale. Ce n'étoit autrefois qu'un chemin qui, de la rue de la Croix-Blanche conduisoit à Montmartre. C'est maintenant une très-belle rue garnie de maisons élégantes, et qui se termine à la barrière nommée aujourd'hui de Montmartre[203].

Rue du Sentier. Cette rue fait la continuation de celle du Gros-Chenet, et aboutit au boulevart. Elle doit son nom au sentier sur lequel on l'a bâtie. On la trouve désignée mal à propos dans quelques plans sous les noms de Centière, Centier et Chantier.

Rue Taitbout. Cette rue, percée depuis 1780 sur le boulevart, entre la rue d'Artois et celle de la Chaussée-d'Antin, va aboutir à la rue de Provence.

Rue Thiroux. Cette rue a été ouverte, depuis 1780, dans la rue Neuve-des-Mathurins, vis-à-vis la rue Caumartin. Elle donne dans celle de Sainte-Croix, qui en fait la continuation.

Rue des Filles-Saint-Thomas. Elle commence à la rue Notre-Dame-des-Victoires, et finit à celle de Richelieu, (p. 283) vis-à-vis la rue Neuve-Saint-Augustin. Cette rue doit son nom au couvent des Filles-Saint-Thomas qui y étoit situé; elle a été ouverte en partie sur le terrain des Augustins, partie sur celui de ces religieuses.

Rue de la place Vendôme. Voyez rue Louis-le-Grand.

Rue Notre-Dame-des-Victoires. Elle fait la continuation de la rue des Petits-Pères, et va, par un retour d'équerre, aboutir dans la rue Montmartre. Son nom lui vient de l'église des Augustins, qui étoit sous l'invocation de Notre-Dame-des-Victoires. On l'a nommée anciennement le chemin Herbu, rue des Victoires; et en 1647, rue des Augustins déchaussés, autrement, de Notre-Dame-des-Victoires.

Rue Vivienne. Elle traverse de la rue des Petits-Champs dans celle des Filles-Saint-Thomas, et se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue Feydeau; mais dans cette dernière partie elle s'appeloit rue Saint-Jérôme[204]. Elle doit le premier nom à une famille très-connue qui portoit celui de Vivien. On la trouve indiquée sous ce nom de Vivien, sur les plans de Gomboust et de Bullet.

Rue Vide-Gousset. Elle commence au bout des rues des Petits-Pères et de Notre-Dame-des-Victoires, et se termine à la place des Victoires. Avant la construction de cette place elle faisoit partie de la rue du Petit-Reposoir, qui se trouve de l'autre côté. Son nom lui vient probablement de quelque vol qui aura été commis dans cet endroit. Avant la construction de la place, elle faisoit partie de la rue qui existe encore de l'autre côté, et qui porte le nom du Petit Reposoir.

(p. 284) PLACES.

Place des Victoires. Voyez p. 205.

Place de la Comédie Italienne. Elle est peu spacieuse et formée par les rues de Favart et de Marivaux, par la façade du monument, et par un bâtiment isolé nommé le Pâté des Italiens.

PASSAGES.

Passage Cendrier. Il aboutit d'un côté à la rue Neuve-des-Mathurins, de l'autre à la rue Basse-du-Rempart.

Passage des Petits-Pères. Il aboutit d'un côté à la rue des Petits-Pères, maintenant rue Neuve-des-Petits-Pères et de l'autre à l'église.

Passage Saulnier. Il communique de la rue Bleue à la rue Richer.

RUES NOUVELLES.

Rue Neuve-Saint-Augustin. C'est une continuation de cette rue ouverte sur l'ancien terrain des Capucines. Elle traverse la rue de la Paix et vient aboutir au boulevart.

Rue du Helder. Elle a été ouverte depuis la révolution sur l'emplacement d'une caserne des gardes françoises, et aboutit d'un côté au boulevart, de l'autre à la rue de Provence.

Rue de Laval. Cette rue nouvelle, percée depuis la révolution, commence à la rue Pigalle et vient aboutir à la barrière.

Rue de Louvois. Elle a été ouverte sur le terrain de l'ancien hôtel Louvois, et donne d'un bout dans la rue de Richelieu, de l'autre dans la rue Sainte-Anne.

(p. 285) Rue de Lully. Cette rue ouverte sur le même terrain communique de la rue de Louvois à la rue Rameau.

Rue Pinon. C'est l'ancien cul-de-sac Grange-Batelière que l'on a ouvert sur la rue d'Artois. Le nom de Pinon est celui d'un président à mortier du parlement de Paris, propriétaire du fief de Grange-Batelière.

Rue du Port-Mahon. Elle commence au carrefour Gaillon, et donne, de l'autre bout, dans la rue de Hanovre.

Rue Rameau. Cette rue, ouverte sur le terrain de l'hôtel Louvois et parallèle à celle qui porte ce dernier nom, communique de même de la rue de Richelieu à la rue Sainte-Anne.

Rue de la Paix. Cette rue nouvelle ouverte sur l'ancien terrain des Capucines, commence à la rue Neuve-des-Petits-Champs, vis-à-vis la place Vendôme, et vient aboutir au boulevart: c'est une des plus belles rues de Paris.

PASSAGES NOUVEAUX.

Passage Feydeau. Ce passage ouvert sur l'ancien terrain du couvent des Filles-Saint-Thomas, communique d'un côté à la rue des Filles-Saint-Thomas, de l'autre à la rue Feydeau.

Passage du Panorama. Il a été ouvert dans la rue Saint-Marc, et communique de cette rue au boulevart.

CULS-DE-SACS NOUVEAUX.

Cul-de-sac de Briare. Il est situé dans la rue de Rochechouart, entre les rues de la Tour-d'Auvergne et Coquenart.

Cul-de-sac Coquenart. On le trouve dans la rue du même nom, presque vis-à-vis la rue de Buffaut.

Il y a dans la rue Richer un cul-de-sac sans nom.

(p. 286) ANTIQUITÉS ROMAINES
DÉCOUVERTES DANS LE QUARTIER MONTMARTRE.

Sculptures en bas-relief; monuments sépulcraux. Ces restes d'antiquités furent découverts en 1751 dans une fouille que l'on faisoit rue Vivienne, pour établir les fondements d'une écurie. On y trouva:

1o. Huit fragments de marbre, ornés de bas-reliefs qui représentent, entre autres sujets, un homme à demi couché sur un lit et un esclave portant un plat; Bacchus et Ariane; une prêtresse rendant des oracles, et un homme qui les écrit dans un livre; un repas de trois convives couchés sur des lits, et encore un esclave portant un plat, etc. M. de Caylus, qui a publié la gravure, et donné la description de ces fragments,[205] ne doutent point qu'ils n'appartiennent à des tombeaux; et, en effet, il n'eut point de sujets plus souvent répétés sur les cippes et les sarcophages qui nous sont restés de l'antiquité, que l'histoire symbolique de Bacchus, et ces repas funèbres que l'on faisoit en l'honneur des morts.

2o. Un cippe cinéraire en marbre, dont la face principale est ornée d'une guirlande de fleurs et de fruits, que soutiennent deux têtes de bélier. L'inscription placée au-dessous de ce feston nous apprend que Pithusa a fait exécuter ce monument pour sa fille Ampudia Amanda, morte à l'âge de dix-sept ans.

(p. 287) 3o. Un couvercle de marbre, richement orné de sculptures, qui a dû appartenir à un autre cippe d'une plus grande dimension que le précédent.

Autre monument sépulcral. C'est un cippe cinéraire semblable à celui que nous venons de décrire. Il fut découvert dans la même rue en 1806, et dans une fouille que l'on faisoit également pour quelques réparations ou constructions, dans la maison de cette rue qui porte le numéro 8. À chaque angle de cette urne, des têtes de béliers soutiennent des festons de fleurs et de fruits, dont les quatre côtés du cippe sont décorés. Quatre aigles éployées occupent la partie inférieure des quatre angles, et sur le feston de la face principale où est gravée l'inscription, est sculptée une biche dont un autre aigle déchire le dos. Nous apprenons par cette inscription que Chrestus, affranchi, a fait ériger ce monument à son patron Nonius Junius Epigonus. Les autres faces offrent, au-dessous de chaque feston, une plante, un patère et une aiguière ou præfericulum.

Dans une autre maison de cette même rue, on trouva sous terre une épée de bronze que Montfaucon a fait graver dans ses antiquités.

On déterra encore à peu de distance de là, depuis la révolution, et en creusant la terre pour établir les fondations de la nouvelle Bourse, plusieurs fragments de poterie romaine, et deux poids antiques de verre[206].

(p. 288) Nous apprenons de Frodoart[207] que sur le penchant de ce monticule, et vers le nord, il existoit un vieil édifice qui fut renversé en 944, par un ouragan très-violent. On présumoit que c'étoient les restes d'un temple consacré à quelque divinité du paganisme, et probablement au dieu Mars, dont ce lieu avoit reçu le nom.

Des fouilles ayant été ordonnées dans cet endroit en 1737 et 1738, et d'après l'indication laissée par cet ancien historien, on y découvrit les restes d'un bâtiment dont le plan offroit un parallélogramme divisé en cellules, dont quelques-unes contenoient des fourneaux. On y reconnut les vestiges de deux chambres cimentées intérieurement et extérieurement; du côté du midi, un canal qui descendoit de la fontaine du Buc, apportoit l'eau dans cet édifice; et cette eau y pénétroit par une ouverture voisine des fourneaux. L'abbé Lebeuf, qui avoit suivi les travaux de ces fouilles, a cru y voir une maison de bains particuliers. M. de Caylus, qui recueillit depuis avec le plus grand soin toutes les notions relatives à ces recherches, pensa que ce pouvoit être un bâtiment destiné à des fonderies. Tous les deux s'accordent à n'y point reconnoître un temple payen. Dans les ruines de ce même édifice, furent trouvés un vase de terre d'un travail grossier, et une tête de bronze grande comme nature[207].

(p. 289) Au bas de cette même montagne, et dans la partie opposée, on découvrit encore, en creusant un puits, deux fragments de bas-reliefs en marbre blanc, offrant des enfants ailés qui montent sur un char; un bras de bronze qui a dû appartenir à une statue d'environ huit pieds de proportion, un petit buste et quelques fragments de poterie romaine.

MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.

Place des Victoires. La statue colossale du général Desaix, tué à la bataille de Marengo, y a occupé quelques années la place où s'élevoit auparavant le monument de Louis XIV; et c'étoit là une de ces idées heureuses qui ne pouvoient entrer que dans une tête comme celle de Buonaparte. Cette statue étoit en bronze, et représentoit ce général entièrement nu, (ce qui étoit encore dans les convenances de ce temps-là), tenant une épée de la main droite, et affublé d'un petit manteau jeté sur l'épaule gauche. Même avant la fin du règne de l'usurpateur, on fut obligé de détruire ce monument monstrueux et ridicule tout à la fois; et rien jusqu'à la restauration ne l'avoit remplacé.

La statue de Louis XIV va reprendre la place qui lui appartient. Le grand monarque y sera représenté à cheval, et M. Bosio est chargé de l'exécution de ce monument.

Église des Petits-Pères. Cette église, qui a été rendue au culte, possède deux nouveaux tableaux dont la ville de Paris lui a fait présent, et que l'on a placés dans le chœur. L'un représente la Conversion de saint Augustin, l'autre, la Vision de sainte Monique. Tous les deux (p. 290) ont été exécutés par M. Gailliot, et forment le complément de l'Histoire de Saint-Augustin, dont les principaux événements ont été retracés dans les six tableaux de Carle Vanloo, déjà mentionnés.

À l'entrée de l'église, à gauche et au-dessus du bénitier, on a gravé sur une table de marbre, avec sa traduction latine, ce vers grec rétrograde qui est très-connu,

Νἱψον ανομεματα με μοναν οψιν.

Ablue peccata non solam faciem.

On fait dans la chapelle qui contenoit le tombeau de Lully les réparations nécessaires pour y replacer ce monument; et cette même chapelle est déjà ornée du portrait en médaillon de ce musicien célèbre. Au-dessous est gravée en lettres d'or une inscription en six vers latins, composée par Santeuil.

Il a été placé un pavillon télégraphique au-dessus du clocher de cette église.

Théâtre Feydeau. Cette salle fut élevée en 1791, sur une portion du terrain appartenant aux Filles-Saint-Thomas, et sur les dessins de MM. Legrand et Molinos. Elle avoit été construite pour une troupe de bouffons italiens, qui en prit possession dans cette même année; et cet édifice porta d'abord le nom de théâtre de Monsieur.

Après avoir été successivement occupée par plusieurs autres troupes, et un moment par les comédiens françois, cette salle appartient, depuis quinze ans environ, à la troupe de l'Opéra-Comique françois.

La façade de ce monument, entourée, dans la rue Feydeau de maisons qui permettent à peine de la voir, s'y présente obliquement sur un plan circulaire, et se compose de (p. 291) parties trop grandes pour l'emplacement resserré dans lequel elle a été construite. Trois arcs percés dans le soubassement permettent de descendre de voiture sous le vestibule: c'est une heureuse idée, et qui produiroit beaucoup d'effet, si elle avoit été exécutée et développée sur une ligne plus étendue. Des caryatides d'un bon style forment l'accompagnement de sept arcades qui décorent le premier étage. C'est un monument élevé avec célérité au milieu des difficultés insurmontables que présentoit le terrain, et qui par conséquent ne doit point être jugé avec sévérité.

La Bourse. Cet édifice, dont la première pierre fut posée en 1808, et qui n'est point encore entièrement achevé, s'élève sur l'emplacement du couvent des Filles-Saint-Thomas. Son plan offre un parallélogramme de 212 pieds dans sa longueur, et de 126 pieds dans sa largeur. Il est entouré d'un péristyle composé de 66 colonnes corinthiennes, formant, tout autour de l'édifice, une galerie couverte à laquelle on arrive par un perron de seize marches qui occupe toute la face occidentale du monument. Des bas-reliefs ornent cette galerie, et représentent des sujets symboliques, qui tous se rapportent au commerce et à l'industrie.

Un grand vestibule sert de communication pour se rendre à droite aux salles particulières des agens et des courtiers de change, à gauche au tribunal de commerce.

La salle de la Bourse, située au rez-de-chaussée et au centre de l'édifice, a 116 pieds de longueur sur 76 de largeur. Elle est éclairée par le comble, et peut contenir 2000 personnes.

Ce monument, que l'on doit mettre, pour la pureté du style, au nombre des plus beaux de Paris, a été élevé sur (p. 292) les dessins de M. Brogniart. Cet architecte étant mort en 1813, la suite des travaux a été confiée à M. Labarre, qui, dit-on, a scrupuleusement suivi le plan primitif.

On assure que la rue Vivienne sera prolongée jusqu'au boulevart; et que, du côté de la rue Notre-Dame-des-Victoires, il sera percée une rue nouvelle de soixante pieds de large, laquelle devra se prolonger jusqu'à la rue Montmartre. Il est difficile, en effet, qu'un édifice de cette importance n'amène pas quelques changements dans la disposition des maisons et des rues dont il est environné.

Théâtre de l'Opéra. L'Opéra ne quitta le théâtre provisoire qui lui avoit été élevé sur le boulevart Saint-Martin[208] pour s'établir rue de Richelieu, que dans les premières années de la révolution. Ce vaste édifice, qui s'élève vis-à-vis la bibliothéque du roi, n'avoit point été construit pour recevoir un tel spectacle; et sous le rapport de l'architecture, il ne présente rien d'intéressant. Toutefois, par suite de cette translation, il subit, tant dans sa forme que dans sa décoration intérieure, plusieurs changements remarquables.

C'est un bâtiment isolé au milieu des quatre rues qui l'environnent, et la face principale, qui donne sur la rue de Richelieu, offre un grand portique composé de onze arcades, au-dessus duquel est le foyer.

Le vestibule intérieur est décoré de colonnes doriques, qui soutiennent le plafond. La salle qui porte en partie sur ce vestibule a 60 pieds de diamètre, et l'avant-scène présente 45 pieds d'ouverture.

Le foyer public est vaste et commode; il forme une (p. 293) galerie divisée sur sa longueur en trois parties par huit colonnes ioniques.

Personne n'ignore, et l'assassinat du duc de Berri, le 13 février 1820, au moment où il sortoit de ce théâtre, et toutes les circonstances si terribles et si touchantes qui accompagnèrent ses derniers moments; circonstances parmi lesquelles le lieu où la Providence avoit voulu placer le lit dans lequel ce malheureux prince mourut en héros et en chrétien, n'étoit pas la moins singulière et la moins frappante. La salle de l'Opéra dut être fermée dès ce jour même, et pour toujours; mais on trouva bientôt plusieurs millions pour en construire une nouvelle, plus vaste, plus magnifique, qui s'est élevée en peu de mois, comme par enchantement, tandis que plusieurs de nos églises restent dépouillées, sont à peine et lentement réparées, et que, faute d'une somme qui seroit à peine en capital l'intérêt annuel de celles qu'a coûté ce nouvel Opéra, les bâtiments neufs du séminaire de Saint-Sulpice sont interrompus, et tomberont peut-être en ruines avant d'avoir été achevés! Nous parlerons tout à l'heure de cette salle, qui est ouverte depuis près d'une année.

Théâtre des Variétés. Il a été construit par l'architecte Cellérier sur le boulevart Montmartre, et dans un emplacement long et étroit qui lui présentoit de très-grandes difficultés, difficultés qu'il a su vaincre avec autant d'adresse que de bonheur. L'entrée de ce théâtre offre un grand vestibule orné avec élégance, au fond duquel deux rampes d'escaliers conduisent aux loges et au foyer. Ce foyer, placé au-dessus du vestibule, se termine par un balcon qui a vue sur le boulevart.

La façade est à deux étages tétrastyles. Les colonnes du rez-de-chaussée sont doriques, et celles du premier étage, ioniques. Au-dessus s'élève un fronton, derrière (p. 294) lequel est un amortissement. Cette décoration a de l'élégance et de la simplicité.

Nouvelle salle de l'Opéra. Cet édifice a été bâti dans la rue le Pelletier sur un terrain qui dépend de l'hôtel Choiseul; il se compose au rez-de-chaussée de sept arcades élevées sur six marches, et présente des deux côtés un avant-corps avec terrasses, pour servir d'entrée aux piétons. Le premier étage est orné de huit colonnes ioniques, à moitié engagées dans le mur, avec attiques, portant huit statues qui représentent huit muses: la neuvième manque! peut-être l'architecte ignoroit-il qu'elle existât; il n'y a que ce moyen d'expliquer une si étrange omission. Les intervalles des colonnes sont percés de neuf grandes arcades, dont les archivoltes sont portées sur des colonnes et des pilastres d'ordre dorique, et d'une moindre dimension que les colonnes ioniques déjà citées. Les tympans sont ornés de figures et d'attributs symboliques. Tout cet ensemble a une apparence très-mesquine, et il est difficile de rien imaginer d'un plus mauvais goût.

Saint-Vincent de Paule. Cette église nouvelle a été construite dans la rue Monthalon. Elle n'a point de portail; la dimension en est très-petite; et l'intérieur jusqu'à présent ne présente rien qui mérite d'être remarqué.

Le Timbre royal. Cet édifice, situé dans la rue de la Paix, se compose en grande partie d'anciens bâtiments qui appartenoient au couvent des Capucines, et d'une façade nouvelle qui donne sur la rue. Cette façade, qui ressemble assez à celle d'une prison, se compose d'un grand mur tout nu, portant de chaque côté deux médaillons dans lesquels sont deux figures de génies sculptées en bas-relief.

Église des capucins de la Chaussée-d'Antin. On a (p. 295) élevé dans cette église un tombeau à M. le comte de Choiseul-Gouffier, ambassadeur du roi de France à Constantinople avant la révolution, et auteur d'un voyage en Grèce. Il se compose d'un tronçon de colonne noire, qui s'élève sur une base en marbre blanc, et que surmonte une urne en marbre blanc. Une inscription apprend que ce tombeau lui a été élevé par son épouse.

Fontaines des capucins de la Chaussée-d'Antin. Ces deux fontaines extrêmement simples, mais de bon goût dans leur simplicité, se composent de deux cuves de forme antique qui reçoivent l'eau de deux mascarons placés au-dessus.

Abatoir de Rochechouart. Il est situé vers la barrière qui porte ce nom, et adossé au mur d'enceinte. (Voyez à la fin du troisième volume, 2e partie, l'article Abatoirs.)

(p. 296) QUARTIER SAINT-EUSTACHE.

Ce quartier étoit borné à l'orient par les rues de la Tonnellerie, Comtesse-d'Artois et Montorgueil exclusivement, jusqu'au coin de la rue Neuve-Saint-Eustache; au septentrion, par les rues Neuve-Saint-Eustache et des Fossés-Montmartre, et par la place des Victoires aussi exclusivement; à l'occident, par la rue des Bons-Enfants inclusivement; et au midi, par la rue Saint-Honoré exclusivement.

On y comptoit, en 1789, trente-six rues, un cul-de-sac, une église paroissiale, deux chapelles, une communauté de filles, une halle au blé, etc.

Avant Philippe-Auguste, le quartier que nous allons décrire formoit un de ces bourgs dont Paris étoit alors environné, et que ce prince renferma dans la nouvelle enceinte qu'il fit élever. Ce bourg, bâti sur un territoire dépendant de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, déjà entourée elle-même d'un gros bourg qui portoit son nom, étoit connu sous la dénomination de nouveau bourg Saint-Germain-l'Auxerrois[209].

La muraille que ce prince éleva autour de sa (p. 297) capitale ne renferma cependant qu'une partie de l'espace qui forme aujourd'hui le quartier Saint-Eustache. Cette muraille passoit entre les rues d'Orléans et de Grenelle, traversoit le terrain occupé depuis par l'hôtel de Soissons (aujourd'hui par la Halle au blé), et de là se prolongeoit le long des rues Plâtrière, du Jour, la pointe Saint-Eustache, la rue Montorgueil, etc. Il y avoit dans cet espace deux portes: celle qui étoit placée vis-à-vis Saint-Eustache, entre les rues Plâtrière et du Jour, et une fausse porte percée dans la rue Montorgueil pour la commodité des comtes d'Artois, qui possédoient un hôtel dans les environs.

Les murailles élevées sous Charles V et Charles VI achevèrent de renfermer dans la ville ce qui restoit encore de ce quartier hors de la vieille enceinte. Ces nouveaux murs passèrent sur l'emplacement où est situé l'hôtel de Toulouse, traversèrent ensuite le terrain de la place des Victoires, et se prolongèrent sur la ligne de la rue des Fossés-Montmartre, des rues Montmartre, de Bourbon, etc. Cet état de chose fut maintenu jusqu'au règne de Louis XIII.

(p. 298) L'ÉGLISE SAINT-EUSTACHE.

Cette grande paroisse n'étoit d'abord qu'une simple chapelle, sous l'invocation de sainte Agnès. Les conjectures les plus probables portent à croire qu'elle fut bâtie et érigée vers le commencement du treizième siècle, mais ce sont de simples conjectures: car il ne nous reste aucun renseignement certain ni sur l'époque précise de sa fondation, ni sur le nom de son fondateur. Une tradition vulgaire veut que Jean Alais ait fait construire cette chapelle de Sainte-Agnès en satisfaction d'avoir été le premier auteur d'un impôt d'un denier sur chaque panier de poisson qui arrivoit aux Halles[210]. Il porta même plus loin, dit-on, le témoignage de son repentir et de ses regrets; car, selon quelques écrivains[211], il voulut que son corps fût jeté, après sa mort, dans un cloaque où se perdoient les eaux et les immondices de ce marché. Cet égout, qui existoit encore au milieu du dernier siècle, au bas de la rue Montmartre (p. 299) et de la rue Traînée, étoit effectivement couvert d'une pierre élevée qu'on nommoit le Pont Alais.

Quoi qu'il en soit de la vérité de cette tradition, qui n'est appuyée sur aucun titre, il est certain que, dès l'an 1213, il y avoit en cet endroit une chapelle de Sainte-Agnès, qui dépendoit du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois. On lit en effet, dans un cartulaire de cette église[212], un jugement rendu au mois de février 1213, sur une contestation survenue entre le doyen et les chanoines, au sujet des offrandes qui se faisoient aux quatre principales fêtes de l'année dans la chapelle de Sainte-Agnès, nouvellement bâtie, super oblationibus novæ capellæ sanctæ Agnetis; et ce jugement est le premier acte où il soit fait mention de l'origine de cette église. L'abbé Lebeuf semble n'avoir pas eu connoissance de cette pièce, car, en citant une sentence arbitrale rendue en 1216, par laquelle il est décidé que le doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois a les mêmes droits dans la chapelle de Sainte-Agnès que dans l'église Saint-Germain, il ajoute ensuite que c'est le premier acte qui regarde l'origine de la paroisse de Saint-Eustache[213].

Il y a lieu de penser que, peu de temps après la dernière de ces deux époques, cette chapelle (p. 300) fut érigée en paroisse, pour la commodité du grand nombre d'habitants qui demeuraient aux environs; car, dès l'an 1223, on la trouve qualifiée du titre d'Ecclesia sancti Eustachii. On voit en outre dans l'histoire de Paris que des contestations élevées entre Guillaume de Varzi, doyen de Saint-Germain, et le prêtre ou curé de cette église, furent terminées au mois de juillet de la même année 1223[214]; et l'on présume qu'ayant déjà été rebâtie et agrandie, elle avoit été dédiée sous le nom de saint Eustache, parce qu'elle possédoit sans doute quelques reliques de ce saint, qui souffrit le martyre à Rome, mais dont le corps étoit déposé, depuis environ un siècle, dans l'abbaye de Saint-Denis. Forcés de choisir entre des conjectures, celle-ci nous paroît beaucoup plus vraisemblable que ce qui a été avancé sans aucune preuve par l'auteur anonyme d'une vie de saint Eustase, abbé de Luxeu. Cet auteur prétend que «l'Église de Saint-Eustache doit son titre à une chapelle consacrée sous l'invocation de saint Eustase, qui existoit depuis plusieurs siècles près de celle de Sainte-Agnès, et que le peuple, altérant la prononciation d'Eustase, en avoit fait Eustache, lequel se trouve écrit dans les anciennes chroniques saint Wistasse, saint (p. 301) Vitase, et saint Huitace[215].» Cette opinion a été rejetée par tous les historiens de Paris.

Aussitôt que cette chapelle eut été érigée en paroisse, plusieurs pieux citoyens s'empressèrent d'y fonder des chapellenies[216], qui, avec les oblations ordinaires des fidèles, assurèrent la subsistance de son clergé. On trouve dans les titres de ces fondations qu'un riche particulier nommé Guillaume Poin-Lasne, fonda, au mois de mars de l'année 1223, dans l'église de Saint-Eustache, deux chapellenies avec une dotation de 300 liv. de rente[217]. Une autre fut fondée en 1342, avec (p. 302) une rente de 12 liv., en exécution d'une clause du testament de dame Marie la Pointe pâtissière. Cette fondation étoit établie sous la condition de trois messes par semaine; et les exécuteurs testamentaires demandèrent qu'elle fût exécutée à l'autel de Saint-Jacques et de Sainte-Anne[218]. Enfin on lit parmi les noms des fondateurs de ces chapellenies ceux de Louis d'Orléans, frère du roi Charles VI, de MM. Nicolaï, seigneurs de Gausainville, et de quelques autres personnages distingués.

Plusieurs confréries furent aussi établies dans cette église: une des plus anciennes étoit celle de Saint-Louis, instituée par les porteurs de blé, avec la permission de Charles VI. Le premier président du parlement fut également autorisé, en 1496, à former une confrérie en l'honneur de Saint-Roch, dans une chapelle de la même église; et en 1622, on y trouve, sous le nom de Notre-Dame-de-Bon-Secours, une autre confrérie créée pour le soulagement des pauvres honteux[219].

L'église de Saint-Eustache fut, à différentes époques, réparée et augmentée; mais en 1532 la résolution ayant été prise de la rebâtir entièrement, on commença à y travailler le 19 août (p. 303) de la même année[220]. Les dépenses considérables que nécessitoit la construction d'un édifice aussi important, élevé sur un plan extrêmement vaste, ne permirent pas de le terminer aussi promptement qu'on l'eût désiré. Il ne put être achevé qu'en 1642; et ce fut particulièrement aux libéralités du chancelier Séguier et de M. de Bullion, surintendant des finances, que l'on dut son entier achèvement. Cependant, dès le mois d'avril 1637, la consécration en avoit été faite par M. de Gondi, archevêque de Paris.

L'architecture de cette église excita, dans le temps, une admiration générale, et l'on regardoit comme un chef-d'œuvre de goût ce dessin extraordinaire, qui, s'éloignant du gothique pour se rapprocher des formes antiques, offre cependant un mélange bizarre de l'un et de l'autre[221]. On trouvoit qu'elle réunissoit tout ce qu'on peut désirer dans un monument de ce genre; grandeur du vaisseau, belle disposition, richesse de matières, ornements délicats, etc.; le portail surtout enlevoit tous les suffrages: «Il est environné, dit un des anciens historiens de Paris, d'un grand circuit formé de balustres, et c'est un des plus (p. 304) beaux de Paris pour sa largeur et l'excellence de ses ouvrages taillés fort mignonnement et délicatement sur la pierre[222]

Cependant le goût ne tarda pas à devenir meilleur. Sous le règne de Louis XIV, on reconnut que ce portail avoit été bâti sur un plan défectueux; alors M. de Colbert fit don d'une somme de 20,000 livres[223] pour en faire construire un autre, somme qui se trouva tellement insuffisante, qu'il fut impossible à la fabrique de remplir les intentions du donataire. Sur les représentations qui lui furent faites, ce ministre permit qu'on en différât l'exécution jusqu'à ce que les intérêts de cette somme réunis au capital eussent formé un fonds assez considérable pour l'entier achèvement de cette construction.

En 1752, le curé et les marguilliers, voyant que les 20,000 livres et les intérêts s'élevoient à un capital de 111,146 livres, jugèrent qu'il étoit temps d'en remplir la destination; et la construction du nouveau portail fut décidée. La première pierre en fut posée avec grand appareil par le duc de Chartres le 12 mai 1754. À peine ce portail eut-il été élevé jusqu'au premier ordre, qu'il se trouva que la somme amassée étoit déjà épuisée, ce qui (p. 305) força d'interrompre les travaux. Ils furent repris en 1772; mais le manque de fonds obligea une seconde fois de les suspendre, et jusqu'à ce jour cette façade est restée imparfaite. Elle avoit été érigée sur les dessins de Mansard de Joui, et continuée après lui par Moreau, architecte du roi et de la ville de Paris.

Cette composition, qu'on peut regarder comme une imitation malheureuse du portail de Servandoni, à Saint-Sulpice, n'a d'autre mérite que d'avoir été exécutée sur une assez grande échelle. La largeur beaucoup trop considérable de ses entre-colonnements, surtout au second ordre, entraînera sa destruction; et déjà le poids énorme de la plate-bande qui supporte le fronton y a causé de fâcheuses dégradations, et semble écraser les maigres colonnes qui la soutiennent. Le genre de cette architecture massive, et qui n'est ni antique ni moderne, n'a d'ailleurs aucune espèce de rapport avec le reste de l'édifice[224]; on en peut dire autant du bâtiment de la sacristie, pratiqué au rond-point de l'église, sur le carrefour dit la Pointe-Saint-Eustache, bâtiment parasite, qui renouvelle le funeste exemple, tant de fois donné, (p. 306) d'adosser des maisons particulières aux temples, dont le caractère principal est d'être isolé de toute habitation profane.

L'intérieur de cette église, la plus spacieuse de Paris après celle de Notre-Dame, n'est remarquable que par la hauteur extraordinaire de ses voûtes: car, nous le répétons, il n'est rien de plus choquant que ce mélange d'architecture gothique et moderne dont elle est composée. Au milieu de la voûte de la croisée et au centre de celle qui termine le fond du chœur sont deux clefs pendantes, dont la saillie est très-grande, et où viennent aboutir les arêtes de ces voûtes. Du reste, les piliers sont tellement multipliés dans la longueur de la nef, qu'il faut absolument être au milieu pour bien juger de l'étendue de tout le vaisseau.

À la construction du nouveau portail étoit lié le plan d'une place symétrique qui l'auroit entouré, et le roi avoit déjà même accordé 100,000 écus pour les premiers frais de cette opération; mais plusieurs circonstances obligèrent de changer la destination de cette somme[225]; et ce projet, qui eût été à la fois utile et agréable aux habitants de ce quartier, resta sans exécution.

(p. 307) Le maître-autel de cette église étoit décoré d'un corps d'architecture soutenu par quatre colonnes de marbre d'ordre corinthien. Six statues de la même matière ornoient cet autel; elles étoient de la main du célèbre Sarrasin, et représentoient saint Louis[226], la Vierge, saint Eustache, sainte Agnès et deux anges en adoration.

L'œuvre, dessinée par Cartaud, et la chaire à prêcher, exécutée sur les dessins de Lebrun par Le Pautre, avoient de la réputation comme ouvrages de sculpture et de menuiserie. On remarquoit en outre dans cette église un très-grand nombre de peintures et de monuments, dont nous allons donner, suivant notre coutume, une notice exacte et détaillée.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-EUSTACHE.

TABLEAUX.

Derrière le maître-autel, une Cène attribuée à Porbus.

Dans la chapelle de la Vierge, deux tableaux de Lafosse, placés des deux côtés de l'autel, et représentant l'un et l'autre la Salutation angélique.

Dans la septième chapelle à droite, saint Jean dans le désert, par Le Moine.

Dans la chapelle suivante, la prédication du même saint, par Vincent.

Lors de la construction du nouveau portail, on détruisit deux (p. 308) chapelles. Dans la troisième étoient trois tableaux à fresque de Pierre Mignard.

1o. Au plafond, les cieux ouverts et le Père éternel au milieu d'une gloire d'anges;

2o. Sur la partie droite du mur, la Circoncision;

3o. Sur la partie gauche, saint Jean baptisant Jésus-Christ dans le Jourdain.

On voyoit dans l'autre trois sujets exécutés dans la même manière par Lafosse; au plafond, le Père éternel accompagné des quatre évangélistes donnoit la bénédiction aux mariages d'Adam et d'Ève et de Marie avec Joseph, qui étoient peints sur les murs latéraux de cette chapelle.

STATUES ET TOMBEAUX.

Au-dessus de la chaire du prédicateur étoit représenté saint Eustache implorant le secours du ciel pour ses deux enfants emportés par un lion et une louve. Ce morceau de sculpture avoit été exécuté sur les dessins de Le Brun.

Sur la grille de fer qui séparoit la nef du chœur s'élevoit un crucifix de bronze, l'un des plus grands morceaux de ce genre qu'il y eût en France. Il étoit d'un sculpteur nommé Étienne Laporte. Ce Christ, qui pesoit, avec la croix, 1054 livres, fut transporté ensuite dans la chapelle des fonts.

Sous un grand arc, à côté de la chapelle de la Vierge, étoit le tombeau de J.-B. Colbert, ministre sous Louis XIV, mort en 1683[227].

(p. 309) Colbert, représenté à genoux sur un sarcophage de marbre noir, avoit les yeux fixés sur un livre qu'un ange tenoit ouvert devant lui; la Religion et l'Abondance, grandes comme nature, étoient assises des deux côtés du monument. La figure du ministre et celle de l'Abondance étoient de Coyzevox; celles de l'ange et de la Religion, de Tuby[228].

Des médaillons de bronze représentoient Joseph occupé à faire distribuer du blé au peuple d'Égypte, et Daniel donnant les ordres du roi Darius aux satrapes et aux gouverneurs de Perse; sur les jambages de l'arcade, sous laquelle étoit posé le tombeau, on lisait plusieurs passages de l'Écriture.

J.-B. Colbert, marquis de Seignelay, fils aîné du ministre, mort en 1690, fut inhumé dans le même tombeau.

Vis-à-vis de ce monument, et sur un des piliers de la nef, un bas-relief de marbre blanc représentait l'Immortalité soutenant le buste de Martin Cureau de La Chambre, médecin ordinaire de Louis XIV, et membre de l'Académie françoise, mort en 1669, à l'âge de soixante-quinze ans. Ce morceau, que l'on a vu aussi au Musée des monuments françois, avoit été exécuté par Tuby, d'après les dessins du Cavalier Bernin.

Plusieurs autres personnages illustres, soit par leur naissance, soit par leurs talents, avoient encore leur sépulture dans cette église. Les plus remarquables étoient:

René Benoît, docteur de Sorbonne, d'abord curé de Saint-Eustache, puis nommé à l'évêché de Troie[229], mort en 1608. Il fut un de ceux qui, en 1593, furent appelés pour instruire Henri IV dans la religion catholique.

François d'Aubusson de La Feuillade, pair et maréchal de (p. 310) France, mort en 1691. Nous avons déjà parlé de ce personnage en donnant la description de la place des Victoires.

Anne-Hilarion de Constantin, comte de Tourville, vice-amiral, maréchal de France, et l'un des plus grands hommes de mer qu'elle ait possédés, mort en 1701.

Gabriel-Claude, marquis d'O, lieutenant-général des armées navales du roi, mort en 1728.

Gabriel-Simon, marquis d'O, brigadier des armées du roi, mort en 1734, âgé de trente-sept ans. En lui finit la maison d'O, l'une des plus anciennes de la Normandie.

François de Chevert, lieutenant-général des armées du roi, mort en 1769. On voyoit au Musée des monuments françois son buste et son tombeau, avec une épitaphe composée par d'Alembert pour ce grand capitaine[230].

Bernard de Girard, seigneur du Haillan, né à Bordeaux en 1535. Il fut historiographe de France, secrétaire des finances, et le premier qui exerça la charge de généalogiste du Saint-Esprit[231]: mort en 1610.

Marie Jars de Gournay, fille adoptive de Montaigne, et à laquelle on est redevable de la compilation des œuvres de cet homme célèbre: morte en 1645[232].

(p. 311) Vincent Voiture, écrivain qui passa pour le plus bel esprit de la France, quelque temps avant qu'elle eût produit des hommes de génie, mort en 1648.

Claude Favre, sieur de Vaugelas, habile grammairien, mort en 1650.

François de La Mothe Le Vayer, savant illustre, et précepteur de Philippe de France, duc d'Orléans, mort en 1672.

Amable de Bourzeis, abbé de Saint-Martin-des-Cores, mort en 1672.

Antoine Furetière, célèbre par un bon dictionnaire françois, et par ses démêlés avec l'Académie françoise, mort en 1688.

Isaac de Benserade, poète ingénieux et habile courtisan, mort en 1691.

Claude Genest, auteur de plusieurs tragédies, entre autres de Pénélope, qui est restée au théâtre. Il étoit abbé de Saint-Vilmer, aumônier de la duchesse d'Orléans, et secrétaire des commandements de M. le duc du Maine, mort en 1719.

Nota. Les sept derniers personnages que nous venons de nommer étoient tous membres de l'Académie françoise.

Charles Lafosse, l'un des meilleurs peintres de son temps, mort en 1716.

Guillaume Homberg, chimiste, physicien, naturaliste, renommé par ses vastes connoissances et par les nombreux écrits dont il a enrichi les Mémoires de l'Académie des sciences, mort en 1715.

À côté du chœur, à droite, étoit la chapelle de sainte Marguerite, dans laquelle on voyoit deux petits monuments en marbre et en bronze doré. Ils avoient été élevés à la mémoire d'Hilaire de Rouillé du Coudray et du marquis de Vins.

À peu de distance et du même côté, on trouvoit une autre chapelle dite de saint Jean-Baptiste, dans laquelle avoient été inhumés deux ministres d'état, père et fils: Joseph-Jean-Baptiste Fleuriau d'Armenonville, garde des sceaux de France en 1722, mort en 1728; Charles-Jean-Baptiste Fleuriau, comte de Morville, secrétaire d'état sur la démission de son père en 1722, et reçu la même année à l'Académie françoise, mort en 1732. Leur tombeau, exécuté par Bouchardon, consistoit en une urne accompagnée de quelques ornements fort simples.

(p. 312) La paroisse de Saint-Eustache étoit un démembrement de celle de Saint-Germain-l'Auxerrois; et la nomination de la cure appartenoit au chapitre de Notre-Dame, comme ayant succédé, après la réunion, aux droits du chapitre de Saint-Germain. La circonscription de cette paroisse étoit d'une très-grande étendue; elle comprenoit:

La rue de la Lingerie des deux côtés, le côté gauche de la rue aux Fers; de là elle prenoit le côté gauche de la rue Saint-Denis jusqu'à l'espace compris entre la rue Mauconseil et celle du Petit-Lion. Ensuite, traversant la rue Françoise, elle s'étendoit jusqu'au cul-de-sac de la Bouteille, d'où elle reprenoit la rue Montorgueil, la rue des Petits-Carreaux, et suivoit tout le côté gauche de la rue Poissonnière.

Cette paroisse avoit encore le côté gauche de la rue d'Enfer, des rues Coquenart et de Saint-Lazare. En revenant elle avoit les rues nouvellement bâties dans la Chaussée-d'Antin; puis la rue Neuve-Saint-Augustin, une partie de la rue de Richelieu jusqu'à la rue Saint-Honoré; et depuis le coin de la rue Saint-Honoré, tout le côté gauche, jusqu'à celle de la Lingerie, point de départ.

Parmi les reliques qu'on gardoit dans cette église, on en remarquoit une de saint Eustache, (p. 313) son patron, renfermée dans une châsse d'argent. Cette relique lui avoit été envoyée, sous le pontificat de Grégoire XV, par le cardinal d'Est et par le chapitre de Saint-Eustache de Rome[233].

COMMUNAUTÉ DE SAINTE-AGNÈS.

Cette communauté, située dans la rue Plâtrière, avoit été instituée dans l'intention charitable de procurer aux jeunes filles pauvres du quartier un moyen honnête d'existence, en les élevant gratuitement dans les différents genres d'industrie propres à leur sexe, tels que la couture, la broderie, la tapisserie, etc.[234] Léonard de Lamet, curé de Saint-Eustache, avoit conçu l'idée de cet établissement, à la formation duquel plusieurs personnes pieuses s'empressèrent (p. 314) de concourir. Ces premières libéralités suffirent aux besoins les plus pressants de cette maison, qui ne fut d'abord composée que de trois sœurs; mais en 1681, trois ans après sa fondation, on y comptoit déjà quinze sœurs-maîtresses, qui donnoient des leçons à plus de deux cents jeunes filles. Le roi, convaincu des avantages que la classe indigente pouvoit retirer d'un pareil établissement, le confirma par lettres-patentes du mois de mars 1682, enregistrées le 28 août 1683. Par ces lettres il est dit que cette communauté jouira de toutes les franchises et priviléges des maisons de fondation royale, à condition néanmoins qu'elle ne pourra être changée en maison de profession religieuse, et qu'elle continuera, comme elle a commencé, à remplir l'objet de son institution. La même année M. de Colbert lui fit don de 500 livres de rentes.

Rien n'étoit comparable au zèle et à la charité des saintes filles qui dirigeoient cette utile fondation. Dans l'extrême pauvreté où elles vivoient, elles se privoient souvent du nécessaire pour fournir aux besoins des enfants qui leur étoient confiés. On les vit, dans l'hiver rigoureux de 1709, et dans la disette qui le suivit, pousser cette ardente charité jusqu'à sacrifier leur contrat de 500 livres, seul bien qu'elles possédassent, pour acheter la farine nécessaire à la subsistance de leurs pauvres petites élèves. Tels sont les prodiges (p. 315) du christianisme; et une vertu si touchante mérite d'autant plus d'être louée, que, trouvant en elle-même la seule récompense qu'elle désire, elle évite la louange, et fait ses délices de l'obscurité.

Le curé de Saint-Eustache étoit chargé de la surveillance de la communauté de Sainte-Agnès, dont la maison avoit, dans la rue du Jour, une porte par laquelle les sœurs se rendoient à l'office divin de la paroisse. On y prenoit aussi en pension de jeunes demoiselles qui recevoient une éducation honorable et chrétienne dans une partie de l'édifice séparée de l'école des pauvres filles[235].

CHAPELLE DE SAINTE-MARIE-ÉGYPTIENNE, OU DE LA JUSSIENNE.

On ignore également et le nom du fondateur et dans quel temps fut bâtie cette chapelle, qui (p. 316) faisoit le coin de la rue Montmartre et de celle de la Jussienne. Tous les auteurs qui en ont parlé n'ont présenté que des conjectures qui ne sont appuyées sur aucun acte authentique. Dubreul, dom Félibien, et Piganiol qui les copie, lui assignent une origine fort ancienne, et, sur la foi de quelques titres mal interprétés, se sont imaginé qu'elle avoit été donnée aux Augustins lors de leur premier établissement à Paris, c'est-à-dire vers l'an 1250[236].

L'abbé Lebeuf conjecture que «cette chapelle a pu servir de clôture à une femme de Blois, qui s'y sera renfermée pour faire pénitence de s'être mêlée du métier des Égyptiens ou Bohémiens, ou bien à une autre de ces Égyptiennes qui se disoient condamnées à faire des pélerinages par pénitence et par mortification, et qui se seroit renfermée dans cette chapelle pour y finir ses jours, à l'imitation de sainte Marie-Égyptienne[237].

Jaillot pense que toutes ces opinions sont destituées de fondement. Il prétend d'abord que les Augustins n'ont jamais possédé cette chapelle; et les preuves qu'il en donne sont que ces religieux achetèrent une maison et un jardin hors la porte (p. 317) de Montmartre; que non-seulement il n'est point fait mention dans le contrat d'acquisition qu'il y eût alors de chapelle en ce lieu, mais qu'il est au contraire prouvé qu'il n'y en avoit point, par l'acte même d'amortissement du mois de décembre 1259, lequel porte qu'ils y devoient faire construire une maison et une chapelle, ibidem domum et oratorium construere[238]. Celle qu'ils y firent élever portoit le nom de Saint-Augustin, et c'est ainsi qu'elle est désignée dans la bulle du pape Alexandre IV, du 6 juin 1260. Lorsque les Augustins abandonnèrent cette demeure en 1285, il n'est fait mention de la chapelle ni dans la cession qu'ils firent de leur manoir, en 1290, à Guillaume le Normand, ni dans la vente que l'évêque de Paris en fit en 1293 à Robert, fils du comte de Flandre. «On stipula, dit-il, dans cet acte, que le cimetière ne seroit point employé à des usages profanes: le silence qu'on garde sur la chapelle ne donneroit-il pas lieu de penser que, si elle eût existé, on auroit également stipulé ou qu'elle seroit conservée, ou que si l'on venoit à l'abattre, le terrain n'en seroit pas moins respecté que celui du cimetière? Il y a plus: auroit-on permis aux Augustins de la vendre à un particulier? Il en faut donc conclure qu'elle (p. 318) ne subsistoit plus alors, et que celle de Sainte-Marie-Égyptienne fut bâtie depuis sur l'emplacement de l'ancienne ou sur celui du cimetière qui lui étoit contigu[239]

Le même critique oppose aux conjectures de l'abbé Lebeuf que les Égyptiens ou Bohémiens dont il parle ne furent connus à Paris, suivant les anciens auteurs, que dans l'année 1427[240], et (p. 319) que cette chapelle existoit bien auparavant, puisqu'il en est fait mention dans le censier de l'évêché de 1372, où elle est appelée chapelle de Quoque Héron, et dans celui de 1399, où elle est indiquée sous le nom de la chapelle de l'Égyptienne; et que le surnom de Blois se trouve pour la première fois dans une opposition faite par l'évêque, le 19 juin 1438, aux criées d'une maison rue Coq-Héron, près l'Égyptienne-de-Blois.

Après avoir détruit l'assertion des auteurs qui l'ont précédé, Jaillot avoue qu'il n'a rien trouvé d'authentique, ni sur la fondation de cet édifice, ni sur l'étymologie de son nom; nous imiterons sa réserve, n'ayant pas plus que lui le moyen d'éclaircir ce point si obscur de l'histoire des monuments de Paris[241].

Les marchands drapiers avoient choisi cette chapelle pour y placer leur confrérie, et y faisoient dire une messe tous les dimanches et fêtes, usage qui s'est pratiqué jusqu'à la révolution.

(p. 320) COLLÉGE DES BONS-ENFANTS[242], ET CHAPELLE SAINT-CLAIR.

Ce collége, depuis long-temps détruit, étoit situé près de l'église Saint-Honoré, dans la rue à laquelle il a donné son nom; et la chapelle de Saint-Clair en dépendoit. Quelques historiens en ont attribué la fondation à Renold Chereins ou Cherei, fondateur de l'église collégiale de Saint-Honoré; d'autres assurent avec plus d'autorité[243] que la construction de cette basilique n'étoit pas encore achevée, lorsque Étienne Belot et Ada sa femme projetèrent, en 1208, de faire construire auprès d'elle une maison pour treize pauvres écoliers, qui seroient instruits par un chanoine de Saint-Honoré, dont ils auroient (p. 321) fondé la prébende. Ce qui a pu tromper ceux qui ont soutenu l'autre opinion, c'est que Renold Cherei voulut bien contribuer à cette bonne œuvre par la cession de l'emplacement sur lequel fut bâtie cette maison, laquelle fut appelée l'Hôpital des pauvres écoliers.

C'étoit l'évêque de Paris qui nommoit les boursiers de ce collége; et, quoiqu'il ne fût pas situé dans le quartier de l'Université, il n'en étoit pas moins soumis à ses lois comme toutes les autres institutions du même genre. Les choses restèrent en cet état jusqu'en 1432, que, sur la demande du chapitre de Saint-Honoré qui se disoit fort pauvre, cet établissement, alors composé seulement d'un chanoine-maître, d'un chapelain et de quatre pauvres écoliers, fut réuni avec sa chapelle à cette collégiale, par Jacques du Chastelier, évêque de Paris[244]; mais ce changement ne fut pas de longue durée. L'Université se hâta de représenter qu'il existait une prébende spécialement fondée pour le service de ce collége, et cette représentation détermina l'évêque à casser l'union qu'il avoit prononcée, et à rétablir le collége sur le même pied qu'auparavant. Ceci dura jusqu'en 1602, époque à laquelle les Chanoines de Saint-Honoré, par des raisons que (p. 322) les historiens n'indiquent pas, obtinrent une nouvelle réunion de ce collége à leur chapitre, réunion qui fut confirmée par une bulle de Clément VIII du mois d'octobre de la même année, vérifiée au parlement le 30 juillet 1605.

Il paroît vraisemblable que le chapitre avoit promis de se charger directement d'y faire continuer l'enseignement, car dans l'année 1611 on y voit encore deux professeurs. Mais cette nouvelle administration ne fut point continuée; les études y cessèrent bientôt entièrement, et le collége resta incorporé et annexé au chapitre, ainsi que la chapelle qui en dépendoit. Dédiée d'abord sous l'invocation de la Sainte-Vierge, elle prit ensuite le nom de Saint-Clair, à l'occasion d'une confrérie en l'honneur de ce saint qui y avoit été établie en 1486, et qui l'en a fait regarder depuis comme le principal titulaire[245].

(p. 323) HALLE AU BLÉ.

La Halle au blé, placée autrefois dans le quartier où étoient les principales Halles de Paris, consistoit en une place irrégulière, mais d'une très-vaste étendue, et entourée de maisons. On peut s'en faire une idée assez juste en se figurant un grand espace vide au milieu des maisons qui donnent sur les rues de la Lingerie, de la Cordonnerie, des Grands-Piliers, de la Tonnellerie et de la Friperie.

Il y avoit une autre Halle ou Marché au blé, qui, de temps immémorial, se tenoit dans la Cité, vis-à-vis l'église de la Magdeleine. Ce marché appartenoit aux rois de France; et l'on trouve qu'en 1216 Philippe-Auguste, qui venoit de faire construire les Halles dans Champeaux, en fit présent à son échanson, dont il vouloit récompenser les services. Un siècle après il appartenoit à un chanoine de Notre-Dame de Paris, et en 1436 le chapitre de cette église en étoit le propriétaire. Ce n'est que vers le milieu du dix-septième (p. 324) siècle que l'on jugea à propos de réunir ensemble les deux marchés au blé dans le quartier commun à tous les marchés de Paris.

La ville ayant fait l'acquisition, en 1755, du terrain qu'avoit occupé l'hôtel de Soissons, démoli quelques années auparavant, la résolution fut prise de bâtir sur cet emplacement une nouvelle halle au blé, et d'abandonner l'ancienne, dont l'incommodité se faisoit sentir de jour en jour davantage. Cet édifice, commencé en 1763, fut achevé dans l'espace de trois ans, par les soins de M. de Viarmes, prévôt des marchands[246], d'après les dessins de M. Le Camus de Mézières, architecte.

Ce monument, formé d'un vaste portique circulaire qui règne autour d'une cour de vingt pieds de diamètre, est le seul de ce genre qui (p. 325) existe à Paris, et qui puisse nous donner une idée des théâtres et amphithéâtres des anciens, composés, il est vrai, les uns d'un simple demi-cercle, les autres dans une forme elliptique, mais dont la masse devoit offrir à l'œil un effet à peu près semblable à celui que présente ce monument.

La cour immense que renferme cet édifice fut laissée à découvert lors de sa construction; mais on s'aperçut bientôt que les portiques voûtés qui l'environnent n'étoient pas suffisants pour abriter tous les grains auquel il sert d'entrepôt, et le projet de couvrir cette cour fut arrêté. MM. Legrand et Molinos, architectes, chargés, en 1782, de ce grand travail, l'exécutèrent avec une rare perfection, d'après le système ingénieux et économique de Philibert Delorme, c'est-à-dire en charpente, composée de planches de sapin appareillées deux à deux[247]. Cette coupole, presque égale en diamètre à celle du Panthéon de Rome, percée de vingt-cinq rayons garnis de vitraux, produisoit le plus grand effet, et paroissoit d'une grandeur et d'une légèreté surprenantes. L'œil parcouroit avec étonnement cette voûte immense de cent quatre-vingt-dix-huit pieds de développement dans sa montée, trois cent soixante-dix-sept pieds de circonférence, et cent pieds (p. 326) de hauteur du pavé à son sommet; on ne concevoit pas comment elle pouvoit se soutenir ainsi découpée, et sur moins d'un pied d'épaisseur apparente[248].

Ce monument, si imposant par sa masse, mérite encore d'être remarqué pour sa construction soignée, la légèreté de ses voûtes en briques, la forme recherchée et l'appareil de ses deux escaliers; enfin il est peu d'édifices à Paris qui présentent, sous tous les rapports d'ensemble et de détails, un aspect plus satisfaisant[249].

La colonne astronomique que l'on voit accolée à sa surface extérieure est celle que Catherine de Médicis fit élever, en 1572, dans la cour de l'hôtel de Soissons, et le seul débris qui reste de cette demeure royale. Cette colonne, d'ordonnance dorique, a quatre-vingt-quinze pieds d'élévation. Bullant, qui en fut l'architecte, creusa dans son intérieur un escalier[250] qui existe encore, et qui conduisoit autrefois à une espèce d'observatoire (p. 327) établi sur le tailloir, dans lequel on prétend que Catherine de Médicis se retiroit souvent avec ses astronomes.

À l'époque de la construction de la Halle au blé, cette colonne, qui avoit été conservée par les soins généreux d'un simple particulier[251], fut engagée dans le mur du nouveau monument, ce qui lui a fait perdre une partie de son effet. On pratiqua en même temps dans le soubassement une fontaine publique; et sur le fût on traça un méridien, très-ingénieux, composé par le père Pingré, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, et de l'Académie des Sciences.

(p. 328) HOSPICE DE LA RUE DE GRENELLE.

Cet hôpital ou hospice, qui existoit encore en 1760, avoit été fondé en 1497[252] dans cette rue, pour huit pauvres filles ou veuves de quarante à cinquante ans. Il étoit situé près de la rue des Deux-Écus, et devoit son établissement à Catherine Du Homme, veuve de Guillaume Barthélemi, qui légua à cet effet un jardin dont elle étoit propriétaire dans la rue de Grenelle, chargeant les enfants de sa sœur de l'exécution de ses volontés à cet égard.

(p. 329) HÔTELS.

ANCIENS HÔTELS DÉTRUITS.

Hôtel d'Aligre.

Cet hôtel, situé rue d'Orléans, s'étendoit anciennement jusqu'aux rues Saint-Honoré et de Grenelle[253]. Il appartenoit, sous le règne de Henri II, à M. de Roquencourt, contrôleur-général des finances[254], qui en fit don à Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. De cette famille il passa à Pierre Brûlart, marquis de Sillery; puis à Achille de Harlay, maître des requêtes. Son fils ayant été nommé premier président en 1669, le vendit à M. de Verthamont. Du reste, cet édifice n'avoit rien de remarquable ni dans son architecture ni dans son intérieur.

(p. 330) Hôtel de Chamillart.

Cet hôtel étoit situé rue Coq-Héron. Il a porté le nom d'hôtel de Gesvres, puis celui de Chamillart, contrôleur-général des finances, qui en avoit fait l'acquisition. Il prit ensuite celui de Coigny, du maréchal de ce nom qui l'habita long-temps, ainsi que sa famille. Il n'avoit rien de remarquable.

Hôtel de Flandre.

Sauval, le seul des historiens de Paris qui ait parlé de cet hôtel avec quelque détail, est tellement obscur et embrouillé dans ce qu'il en dit, son récit offre même tant de contradictions évidentes, qu'il n'est pas facile d'y démêler la vérité. Cependant, en le comparant avec les foibles renseignements que l'on rencontre ailleurs, on trouve que Gui de Dampierre, comte de Flandre, acheta, vers l'an 1292, d'un bourgeois nommé Coquillier, une grande maison située dans la rue appelée de son nom rue Coquillière, et que ce seigneur ne la trouvant point assez vaste, il acquit encore de Simon Matiphas de Buci, évêque de Paris, trois arpents et demi de terres voisines, sur lesquels il fit construire son hôtel et les jardins qui en dépendoient. Cet hôtel étoit situé près des (p. 331) murailles qui formoient l'enceinte de la ville sous le règne de Charles V, et avoit sa principale entrée sur la rue Coquillière.

Il paroît qu'il occupoit tout l'espace renfermé entre les rues des Vieux-Augustins, Pagevin, Plâtrière et Coquillière[255]. Robert, fils aîné du comte de Flandre, fit, en 1293, une nouvelle acquisition de l'évêque de Paris. Les censiers de l'archevêché nous apprennent qu'il en acheta[256] le pourpris ou manoir, qui avoit servi aux Augustins lors de leur premier établissement dans cette ville, et toutes les terres qui l'environnoient[257].

Cet hôtel appartint à ses descendants jusqu'au mariage de Marguerite de Flandre avec Philippe de France, fils du roi Jean, et premier duc de Bourgogne de la seconde race. Il passa ensuite à Antoine de Bourgogne, duc de Brabant, leur second fils. Après sa mort et celle de ses fils, qui ne laissèrent point d'enfants, cet hôtel fut réuni aux domaines des ducs de Bourgogne, comtes de Flandre.

En 1493, il appartenoit encore à Marie de Bourgogne, fille unique du dernier duc de ce nom, laquelle (p. 332) épousa Maximilien, archiduc d'Autriche; leurs enfants en héritèrent, et l'hôtel subsista jusqu'en 1543. Au mois de septembre de cette année, François Ier ordonna, par lettres-patentes, qu'il seroit démoli, et l'emplacement divisé en plusieurs places, que l'on vendroit à des particuliers. On ne conserva de cet édifice que deux gros pavillons carrés, bâtis, l'un dans l'alignement de la rue Coquillière, et l'autre le long de la rue Coq-Héron, lesquels ne furent démolis qu'en 1618.

L'enceinte de cet hôtel étoit si étendue que sur le terrain qu'il occupoit on bâtit depuis les hôtels d'Armenonville (actuellement des Postes), de Chamillart, de Bullion, et un grand nombre d'autres maisons moins considérables.

Hôtel de Laval.

Cette maison, dont François Mansard fut l'architecte, avoit été bâtie au bout de la rue Coquillière, près de l'emplacement des anciennes fortifications de la ville. Elle appartenoit, en 1684, à M. Berrier, qui, faisant faire des fouilles dans son jardin, y trouva, à deux toises de profondeur, les fondements d'un ancien édifice, et dans les ruines d'une vieille tour, une tête de femme[258] (p. 333) en bronze antique. Elle étoit un peu plus grande que nature, surmontée d'une tour qui lui servoit de coiffure; et les yeux en avoient été arrachés, apparemment parce qu'ils étoient d'argent. La découverte de cette figure exerça beaucoup la sagacité des antiquaires, et fit naître une foule de conjectures. La tour crénelée et à six faces dont elle étoit couronnée parut à quelques-uns une preuve convaincante que c'étoit une tête de la déesse Cybèle, autrefois en grande vénération dans les Gaules. Le père Molinet pensa que ce pouvoit être celle d'une statue d'Isis spécialement honorée à Paris. Enfin les auteurs du Journal de Trévoux crurent y voir une représentation de la ville elle-même, déifiée sous le nom de la déesse Lutèce.

Hôtel de Royaumont.

Cet hôtel, bâti en 1613 par Philippe Hurault, évêque de Chartres et abbé de Royaumont, étoit situé rue du Jour, et fut pendant quelque temps le rendez-vous général des duellistes de Paris. Il étoit alors occupé par François de Montmorency, comte de Boutteville; et les braves de la cour et de la ville s'y assembloient le matin dans une salle basse, où l'on trouvoit toujours du pain et du vin sur une table dressée exprès, et des fleurets pour s'escrimer.

(p. 334) Hôtel de Soissons.

Cet hôtel, bâti sur l'emplacement qu'occupe actuellement la Halle au blé, s'étendoit d'un côté jusqu'aux rues Coquillière, du Four, de Grenelle, et de l'autre comprenoit dans son enceinte une partie des rues d'Orléans et des Vieilles-Étuves; mais il n'eut pas toujours ni le même nom ni la même étendue: car depuis le treizième siècle, époque à laquelle remontent les notions que l'on possède sur ce monument, jusqu'à sa destruction, nous trouvons qu'il changea vingt fois de maître et cinq fois de nom. Il fut nommé d'abord l'hôtel de Nesle, puis l'hôtel de Bohème, ensuite le couvent des Filles Pénitentes, l'hôtel de la Reine, enfin l'hôtel de Soissons.

Il fut d'abord connu sous le nom d'hôtel de Nesle, parce qu'il appartenoit, au treizième siècle, aux seigneurs de cette illustre maison. On voit, par les titres du trésor des chartes, que Jean II de Nesle, châtelain de Bruges, et Eustache de Saint-Pol sa femme, le donnèrent, en 1232, au roi saint Louis et à la reine Blanche sa mère[259], (p. 335) à laquelle il appartint presque aussitôt en entier par le don que le roi lui fit de tous les droits qu'il pouvoit y avoir. Dès que la reine Blanche en fut devenue l'unique propriétaire, elle en fit sa demeure habituelle; et ce fut dans cette maison qu'elle mourut.

Il est très-probable qu'après la mort de la reine Blanche cet hôtel fut réuni aux domaines de la couronne, puisqu'en 1296 Philippe-le-Bel, petit-fils de saint Louis, le donna à Charles, comte de Valois, son frère, et qu'en 1327 Philippe de Valois, depuis roi de France, en fit présent à son tour à Jean de Luxembourg, roi de Bohème. Jusqu'à cette époque l'hôtel de Nesle n'avoit pas changé de nom; mais alors on lui donna celui du nouveau propriétaire, et depuis ce temps on le trouve désigné dans plusieurs chartes du quatorzième siècle sous les noms de Behagne, Bahaigne, Béhaine, Bohaigne, etc., dont on se servoit alors pour exprimer celui de Bohème. Après la mort du roi de Bohème, Bonne de Luxembourg sa fille, ayant épousé Jean de France, fils aîné de Philippe de Valois, et depuis son successeur, (p. 336) cet hôtel revint de nouveau, par ce mariage, au domaine de la couronne.

On trouve ensuite que Jean et Charles son fils en firent don à Amédée VI, comte de Savoie, en vertu d'un traité conclu entre eux le 5 janvier 1354. Cet hôtel passa ensuite à la maison d'Anjou; mais nous n'avons trouvé aucun titre qui ait pu nous instruire si ce fut par don ou par acquisition que cette famille en devint propriétaire. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'en 1388 il appartenoit à Marie de Bretagne, veuve de Louis de France, fils du roi Jean, duc d'Anjou, roi de Jérusalem et de Sicile, et à Louis IIe du nom leur fils; car, dans cette année 1388, ils le vendirent 12,000 livres au roi Charles VI, qui le donna à son frère Louis de France, duc de Touraine et de Valois, depuis duc d'Orléans. On continua cependant toujours à l'appeler l'hôtel de Bohème; et il fut connu sous ce nom jusqu'en 1492 ou 1493, époque à laquelle le duc d'Orléans (depuis Louis XII) accorda une partie de cet hôtel aux Filles Pénitentes pour y établir leur communauté[260]: il prit alors le nom de Maison des Filles Pénitentes.

Comme ce fut à cette occasion que commencèrent les changements qui par degrés firent disparoître (p. 337) toutes les anciennes constructions de ce monument, nous croyons à propos de donner ici une idée de ce qu'il étoit à cette époque.

L'hôtel, ou plutôt le palais de Bohème, presque toujours habité par des souverains ou par des princes du sang de France, ne le cédoit alors ni au Louvre ni aux autres maisons royales, soit par l'étendue, soit par la richesse des décorations intérieures. Le principal corps de logis contenoit deux grands appartements de parade avec tous leurs accessoires. Ils étoient éclairés par des croisées longues, étroites et fermées de fil d'archal; les lambris et plafonds étoient en bois d'Irlande couvert de sculptures, ce qui étoit alors un très-grand luxe: car ceux qui décoroient au Louvre les appartements du roi et de la reine n'étoient ni d'un autre travail ni d'une autre matière. Le jardin placé devant ces appartements avoit à peu près quarante-cinq toises de longueur, et s'étendoit depuis la rue d'Orléans jusqu'à la place qui est devant Saint-Eustache; au milieu de ce jardin étoit un bassin avec un jet d'eau, et auprès une grande esplanade où le roi et les princes venoient s'exercer à la joute et aux autres jeux guerriers en usage dans ces temps-là. Tel étoit le magnifique manoir qui excitoit l'admiration de nos aïeux, et dont les historiens nous ont transmis la description la plus détaillée, avec les regrets les plus vifs de ce qu'après la cession faite d'une partie de (p. 338) cette maison aux Filles Pénitentes, de si beaux lieux eussent été convertis en chapelles, dortoirs, cloîtres, etc.

Ces filles achetèrent, en 1498, le reste de la maison, et alors cet hôtel ne fut plus désigné que sous le nom de Maison des Filles Pénitentes. D'après ce que nous venons de dire, on voit qu'il occupoit dès lors une vaste étendue de terrain; cependant on se tromperoit si l'on croyoit qu'il comprît à cette époque tout celui qui fut renfermé depuis dans l'hôtel de Soissons. Qu'on se figure les murs de l'enceinte de Philippe-Auguste qui traversoient cet endroit à une certaine distance de la rue de Grenelle; qu'on se représente la rue d'Orléans prolongée jusqu'à la rue Coquillière, on aura une idée assez juste de l'étendue de l'hôtel de Bohème remplissant l'espace intermédiaire, ce qui pouvoit former à peu près la moitié du terrain qu'a occupé depuis l'hôtel de Soissons. Déjà même on avoit percé et démoli le mur de clôture de la ville pour agrandir cet édifice, lorsque les Filles Pénitentes s'y établirent. Elles y restèrent jusqu'en 1572, époque à laquelle Catherine de Médicis, ayant abandonné la construction des Tuileries, les fit transférer rue Saint-Denis, et choisit cet endroit pour y faire bâtir un nouveau palais qui fut appelé hôtel de la Reine.

Cette princesse acheta pour cet effet plusieurs maisons du côté de la rue du Four, et fit abattre (p. 339) le monastère et l'église des Filles Pénitentes avec tout ce qui en dépendoit; par ses ordres on coupa les rues d'Orléans et des Étuves, qu'elle fit renfermer dans le plan du nouvel édifice; de sorte qu'il ne resta pas le moindre vestige ni de l'hôtel de Nesle, ni de celui de Bohème, ni du couvent des Filles Pénitentes. Les bâtiments qu'elle fit élever formoient cinq appartements immenses, et d'une magnificence vraiment royale. En effet Sauval dit l'avoir vu occupé en même temps par plusieurs princes du sang; et il ajoute que cet hôtel étoit si vaste et si commode, qu'il n'y avoit à Paris que le Palais Cardinal qui pût lui être comparé[261].

On entroit dans cette belle demeure par un superbe portail imité de celui de Farnèse à Caprarole; au-delà de la grande cour étoit un parterre, au milieu duquel s'élevoit une Vénus de marbre blanc, ouvrage de Jean Goujon; elle étoit portée sur quatre consoles, et placée au-dessus d'un bassin en marbre de la même couleur.

Du côté des rues Coquillière et de Grenelle, on avoit tracé un autre grand parterre, accompagné de plusieurs allées d'arbres qui servoient de promenade publique. À l'un des angles de ce jardin s'élevoit une chapelle qui passoit pour la (p. 340) plus grande et la plus ornée qu'il y eût alors à Paris.

À sa mort, arrivée en 1589, Catherine de Médicis avoit légué son hôtel à Christine de Lorraine sa petite-fille; mais ses créanciers empêchèrent l'effet de cette donation[262], et il fut vendu, en 1601, à Catherine de Bourbon, sœur de Henri IV. Trois ans après, cette princesse mourut, et cet édifice changea encore de maître. L'acquisition en fut faite par Charles de Soissons, fils de Louis de Bourbon, premier prince de Condé, d'où il passa dans la maison de Savoie, par le mariage d'une de ses filles avec Thomas François de Savoie, prince de Carignan. Cette princesse lui porta en dot cet hôtel, qui ne cessa point d'être appelé hôtel de Soissons.

Après la mort du prince de Carignan, la propriété en fut transmise à ses créanciers, qui le firent démolir en entier dans les années 1748 et 1749, à la réserve de la colonne dont nous avons déjà parlé. Enfin, en 1755, la ville de Paris, en vertu de lettres-patentes, fit l'acquisition de ce terrain, pour y faire construire la Halle au blé[263].

(p. 341) Hôtel du duc de Berri.

Cet hôtel, situé dans la rue du Four, occupoit presque tout l'espace compris entre l'hôtel de Bohème et les rues des Vieilles-Étuves et des Deux-Écus. Il passa au connétable d'Albret vers le commencement du quinzième siècle, fut ensuite confisqué sur son fils, et vendu à divers particuliers. Nous croyons que c'est le même hôtel qui appartenoit, un siècle auparavant, à Jacques de Bourbon, connétable de France sous le règne du roi Jean.

Hôtel de Calais.

Il étoit situé rue Plâtrière et à l'entrée de cette rue, du côté de la rue Coquillière. Cet hôtel, que l'on appeloit aussi le Châtel de Calais, appartenoit dans le quatorzième siècle au comte de Joigny, et ensuite au sieur Bernard de Chaillon; enfin, au mois de mai 1387, il fut donné par le roi à Guillaume de La Trémoille[264]. Cet hôtel tenoit à des écuries et à un manége que Charles V avoit fait bâtir dans une rue adjacente, et que l'on nommoit le Séjour du Roi[265], et l'hôtel de Laval avoit été en partie élevé sur son emplacement.

(p. 342) HÔTELS EXISTANTS EN 1789.

Hôtel de Bullion (rue Plâtrière).

Cet hôtel fut bâti vers l'an 1630 par Claude de Bullion, surintendant des finances. Un tel édifice, qui n'a rien que de médiocre dans son architecture, nous paroîtroit peu digne aujourd'hui de servir de logement à un surintendant des finances[266]. On remarquoit seulement dans l'intérieur deux galeries qui avoient été peintes et décorées par trois artistes célèbres, Vouet, Blanchard et Sarazin. Ces décorations ont été détruites.

Hôtel des Fermes, ci-devant de Séguier (rue de Grenelle).

Cet hôtel, dont la porte principale est dans la rue de Grenelle, a été habité par des princes et par plusieurs personnages illustres. Il est connu dès le seizième siècle, et consistoit alors en deux maisons qui appartenoient à Isabelle Le Gaillard, femme de René Baillet, seigneur de Sceaux, et second président du parlement. Cette dame les (p. 343) vendit, en 1573, à Françoise d'Orléans, veuve de Louis de Bourbon, premier prince de Condé. On voit ensuite cette demeure passer entre les mains de Henri de Bourbon, dernier duc de Montpensier, et sa veuve le revendre, après sa mort, à Roger de Saint-Larri, duc de Bellegarde, qui en étoit propriétaire en 1612. Celui-ci le fit rebâtir et agrandir, au moyen de quelques acquisitions qu'il fit dans la rue du Bouloi; et ces nouvelles constructions furent faites sous la direction de Ducerceau. Elles furent composées, suivant l'usage de ce temps-là, d'assises de briques liées ensemble par des chaînes de pierres en bossage; mauvais genre d'architecture dont nous avons déjà remarqué la bizarrerie.

Pierre Séguier, chancelier de France, ayant acheté cet hôtel en 1633, l'augmenta depuis de deux vastes galeries construites l'une sur l'autre, et qui régnoient entre les deux jardins, depuis le grand corps-de-logis jusqu'à la rue du Bouloi. La galerie supérieure formoit une bibliothéque; et toutes les deux avoient été ornées de peintures par Simon Vouet.

Le même peintre avoit enrichi la chapelle de tableaux, dont les sujets étoient pris de la vie de la sainte Vierge et de celle de Jésus-Christ. Sur l'autel étoient deux statues de Sarrazin, qui représentoient saint Pierre et sainte Magdeleine, patrons du chancelier Séguier et de son épouse.

(p. 344) Ce fut dans cet hôtel que ce magistrat se fit un plaisir d'accueillir les artistes et les savants, qui trouvèrent en lui un protecteur puissant et éclairé. Ce zèle et cet amour qu'il témoigna toute sa vie pour les sciences et les arts déterminèrent l'Académie françoise à le choisir pour son chef après la mort du cardinal de Richelieu. Le chancelier ayant accepté un patronage qui alors étoit très-honorable, cette compagnie tint ses séances dans sa maison jusqu'en 1673, que le roi lui accorda une salle au Vieux-Louvre.

Ce fut dans ce même hôtel que le chancelier Séguier eut plus d'une fois l'honneur de recevoir Louis XIV, et qu'en 1656 la reine de Suède honora l'Académie françoise de sa présence.

Vers la fin du dix-septième siècle, les fermiers-généraux en firent l'acquisition pour y tenir leurs assemblées et placer leurs bureaux; et ils en sont demeurés propriétaires jusqu'au moment de la révolution.

Hôtel des Postes (rue Plâtrière).

Cet hôtel n'étoit, vers la fin du quinzième siècle, qu'une grande maison, appelée l'Image Saint-Jacques, laquelle appartenoit à Jacques Rebours, procureur de la ville. Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d'Épernon, l'ayant achetée et fait rebâtir, elle fut vendue par Bernard de Nogaret (p. 345) son fils à Barthélemi d'Hervart, contrôleur-général des finances, qui la fit reconstruire presque en entier, et n'épargna rien pour en faire une habitation magnifique. On y remarquoit particulièrement plusieurs ouvrages de Mignard, et le tableau de la chapelle, représentant la Prédication de saint Jean-Baptiste, par Bon Boulongne.

Cet hôtel passa ensuite à M. Fleuriau d'Armenonville, secrétaire d'état, et au comte de Morville son fils, ministre secrétaire d'état aux affaires étrangères; il portoit encore le nom d'hôtel d'Armenonville, lorsqu'en 1757 le roi le fit acheter pour y placer les bureaux des postes. On y fit alors les constructions et distributions nécessaires à sa nouvelle destination[267].

La maison de l'intendant-général des postes est renfermée dans l'enceinte de cet hôtel. Sa porte d'entrée, qui donne sur la rue Coq-Héron, est accompagnée de deux pavillons.

Hôtel de Toulouse.

Cet hôtel fut bâti vers l'an 1620, sur les dessins de François Mansard, pour Raymond-Phelypeaux de la Vrillière, secrétaire d'état; en 1701 il fut vendu à M. Rouillé, maître des requêtes; enfin le comte de Toulouse, qui l'acheta en 1713, lui (p. 346) donna le nom qu'il n'a point cessé de porter jusqu'aux derniers temps de la monarchie. Cet hôtel est situé en face de la petite rue de la Vrillière. Le portail, que l'on a long-temps admiré, passoit pour un des ouvrages les plus remarquables de Mansard.

Cet édifice, bâti sur un terrain irrégulier, s'étend le long de la rue Neuve-des-Bons-Enfants jusqu'à la rue Baillif. Il n'offre rien dans sa construction de vraiment beau; et dans un temps où l'on n'étoit pas difficile en architecture, on y trouvoit déjà de grands défauts.

Les vastes et nombreux appartements qu'il renferme étoient décorés avec un luxe d'ornements prodigieux. La galerie et les cabinets contenoient une collection de tableaux de grands maîtres, qui jouissoit de beaucoup de réputation. Formée par le comte de Toulouse, elle avoit été augmentée par son fils M. le duc de Penthièvre, qui, à l'époque de la révolution, habitoit cet hôtel avec madame la princesse de Lamballe sa fille.

Le grand escalier intérieur, placé dans l'aile gauche, conduisoit à une salle dite des Amiraux, et ainsi appelée parce qu'on y voyoit les portraits de tous les amiraux de France, depuis Florent de Varennes, qui vivoit en 1270, jusqu'à M. le duc de Penthièvre inclusivement[268].

(p. 347) Hôtel de Gesvres.

Cet hôtel, situé dans la rue Croix-des-Petits-Champs, a eu autrefois quelque célébrité, moins à cause du nom qu'il portoit, que parce qu'il étoit le seul endroit où l'on tolérât autrefois les jeux de hasard, ces jeux que, depuis, la sagesse de nos rois avoit entièrement supprimés, et que l'on a vus l'objet des spéculations fiscales, et pour ainsi dire des encouragements de tous les gouvernements révolutionnaires qui se sont succédé. En 1750, une compagnie d'assurances en avoit fait aussi le lieu de ses assemblées; et c'est pourquoi on y voyoit sculptées sur la porte les armes du roi, avec une ancre de vaisseau.

FONTAINES.

Fontaine de la nouvelle Halle.

Elle a été pratiquée dans le piédestal de la colonne astronomique élevée par Catherine de Médicis, et qui se trouve maintenant adossée à la Halle au blé.

(p. 348) RUES ET PLACES DU QUARTIER SAINT-EUSTACHE.

Rue des Vieux-Augustins. Elle aboutit d'un côté à la rue Montmartre, de l'autre à la rue Coquillière, et doit cette dénomination aux Grands-Augustins qui s'y établirent en arrivant à Paris. Il paroît que depuis cette époque elle a toujours été appelée ainsi, mais seulement jusqu'à la rue Pagevin, qui donnoit autrefois son nom à la continuation de celle-ci jusqu'à la rue Coquillière. En effet, le territoire de ces religieux ne s'étendoit pas au-delà de la rue Soli. Ce domaine, qui passa ensuite dans les mains de plusieurs propriétaires, s'appeloit, au seizième siècle, le clos Gaultier Saulseron[269].

Rue Babille. En construisant la Halle au blé sur l'emplacement (p. 349) de l'hôtel de Soissons, on pratiqua six rues pour en faciliter l'accès et les débouchés; celle-ci forme la continuation de la rue d'Orléans, et doit son nom à M. Babille, avocat au parlement, chevalier de l'ordre du roi, alors échevin.

Rue Baillifre, vulgairement appelée Baillif. Elle va de la rue des Bons-Enfants à celle de la Croix-des-Petits-Champs. Tous les plans du dix-septième siècle la confondent avec la rue des Bons-Enfants, qu'ils font aboutir en retour d'équerre dans la rue Croix-des-Petits-Champs. Elle en étoit cependant distinguée, dès le siècle précédent. Sauval dit qu'elle s'appelle Baliffre, et qu'elle doit ce nom à Claude Baliffre, surintendant de la musique de Henri IV, à qui ce prince donna les places qui bordent cette rue. Jaillot pense que cette assertion n'est pas juste, et que Sauval a confondu les noms. Cet emplacement avoit été donné, selon lui, par la ville à bail emphytéotique à Claude Baillifre, sur la succession duquel elle fut saisie, et adjugée par décret, le 19 décembre 1626, à Henri Bailli. La maison est énoncée dans ce décret «comme étant située rue Bailliffre, au bout de la rue des Petits-Champs, dans la pointe du rempart, tenant d'une part au sieur Bailli, intendant de la musique du roi, et de l'autre à Mathieu Baillifre.» Mathieu et Claude Baliffre sont aussi désignés dans les censiers de l'archevêché comme propriétaires de maisons situées rue Baliffre.

Rue du Bouloi ou Bouloir. Elle aboutit d'un côté à la rue Coquillière, de l'autre à celle de la Croix-des-Petits-Champs. Sauval, qui l'appelle rue du Bouloir, dit qu'en 1359 elle se nommoit la rue aux Bulliers, dite la cour Basile, et que, de Bulliers ou Boulliers, le peuple a fait Bouloi ou Bouloir. En effet, dans tous les titres de l'archevêché du quatorzième siècle, elle est désignée (p. 350) sous le nom de rue aux Bouliers et de la cour Basile. Cette cour étoit située vis-à-vis le cimetière de Saint-Eustache, qui fut vendu, comme nous l'avons dit, au chancelier Séguier[270]. La maison du Bouloi, qui a donné son nom à cette rue, étoit située vis-à-vis la douane, et on l'appeloit ainsi dès le commencement du seizième siècle[271]. Les Carmélites ont eu autrefois un couvent dans cette rue, où elles s'établirent en 1656.

Rue du Bout du Monde. Elle traverse de la rue Montmartre à celle de Montorgueil. On la nommoit, en 1489, ruelle des Aigoux; en 1564, rue où soûloient être les égouts de la ville. C'étoit en effet le passage d'un égout découvert. Un misérable rébus, qui formoit l'enseigne d'une maison[272], lui fit donner le nom qu'elle porte aujourd'hui; on y avoit représenté un os, un bouc, un duc (oiseau) et un globe, figure du monde, avec l'inscription os bouc duc monde (au bout du monde).

Rue de Calonne[273]. Cette rue, ouverte depuis 1780, lorsque M. de Calonne étoit contrôleur-général des finances, sert de communication entre les rues des Prouvaires et de la Tonnellerie, où se termine ce quartier à l'orient.

Rue Croix-des-Petits-Champs. Cette rue, qui donne d'un bout dans la rue Saint-Honoré, et de l'autre aboutit à la place des Victoires, tire la dernière partie de son nom du terrain sur lequel elle a été construite, lequel consistoit en jardins et en petits champs. Elle ne fut originairement connue que sous ce nom de rue des Petits-Champs, (p. 351) et alors elle se terminoit à la rue qui s'appelle aujourd'hui de la Vrillière; on la prolongea jusqu'à la place des Victoires peu de temps après la construction de cette place. La dénomination de rue de la Croix-des-Petits-Champs qu'elle reçut dans la suite, et qu'elle conserve encore aujourd'hui, lui vient d'une croix qui s'y trouvoit placée à l'entrée, du côté de la rue Saint-Honoré, et qu'on recula depuis jusqu'à l'angle formé par la rue du Bouloi. Elle a aussi porté le nom d'Aubusson dans la partie voisine de la place des Victoires; mais ce nom n'a pas subsisté long-temps.

Rue Coq-Héron. Elle fait la continuation de la rue de la Jussienne, et aboutit à la rue Coquillière. On l'a ainsi appelée dès son origine, qui est très-ancienne; du reste on ignore l'étymologie ou la cause de cette dénomination. Ce n'étoit qu'un cul-de-sac en 1298. On trouve dans le grand cartulaire de l'évêché le titre d'une reconnoissance de huit deniers sur une maison située au bout d'une ruelle sine capite quæ vocatur Quoqueheron[274].—Cette rue s'est ensuite prolongée jusqu'à la rue Montmartre. Plusieurs titres du seizième siècle la nomment rue de l'Égyptienne, dite Coquehéron; mais cette dénomination ne peut s'appliquer qu'à la partie de cette rue qui est connue aujourd'hui sous le nom de la Jussienne.

Rue Coquillière. Elle aboutit d'un côté à la petite place qui est devant l'église de Saint-Eustache, et de l'autre à la rue Croix-des-Petits-Champs. Quelques auteurs ont dit, d'après Sauval, que cette rue fut d'abord nommée Coquetière, parce que les coquetiers, qui font trafic d'œufs, arrivoient à la Halle par cette rue; et que, du (p. 352) temps de Marot, on l'appeloit Coquillart, du nom d'un particulier. Il est plus vraisemblable qu'elle doit son nom à Pierre Coquillier, qui, en 1292, vendit à Gui de Dampierre une grande maison qu'il avoit fait bâtir dans cette rue. Il paroît constant que cette famille étoit ancienne dans ce quartier: car on lit dans un manuscrit de la Bibliothéque du roi[275] qu'en 1262 et 1265 Odeline Coquillière (Coclearia) fonda une chapelle de Saint-Eustache; dans un acte de 1255 il est également fait mention d'Adam et Robert Coquillière. Enfin la considération dont jouissoient ces bourgeois étoit telle qu'ils firent donner leur nom à celle des portes de l'enceinte de Philippe-Auguste qui fut élevée à l'extrémité de cette rue; on la trouve effectivement désignée, dans les titres de ce siècle et du suivant, sous le nom de la porte au Coquiller[276].

Rue des Deux-Écus. Cette rue, qui traverse de la rue des Prouvaires dans celle de Grenelle, n'a pas toujours eu une aussi grande étendue. Quoiqu'elle fût autrefois bornée par la rue d'Orléans, elle portoit trois noms, depuis cette rue jusqu'à celle des Prouvaires. À partir de cette dernière jusqu'à la rue du Four, et même jusqu'à celle des Vieilles-Étuves, on la trouve nommée Traversaine, Traversane et Traversine; ensuite entre ces deux rues, rue des Écus, des Deux-Écus; enfin rue de la Hache et des Deux-Haches[277], depuis la rue des Vieilles-Étuves jusqu'à celle de Nesle, dite depuis d'Orléans; et ses diverses parties étoient encore distinguées sous ces trois noms au commencement du siècle. Corrozet (p. 353) indique aussi la rue des Deux-Écus et celle des Deux-Haches; il ajoute ensuite la rue de la Vieille, celle de la Brehaigne et Pressoir du Bret. Guillot parle aussi d'une rue Raoul-Menuicet. Les changements survenus à l'hôtel de Nesle, dit depuis hôtel de Soissons, ont fait disparoître ces rues, dont nous allons indiquer la situation.

La rue d'Orléans s'appeloit alors rue de Nesle; elle traversoit le terrain de l'hôtel de Soissons, et aboutissoit à la petite place qui fait face à l'église Saint-Eustache; il en subsiste encore une partie dans la rue Oblin, qui, avant la démolition de cet hôtel, se nommoit cul-de-sac de l'hôtel de Soissons.

La rue des Vieilles-Étuves se prolongeoit aussi et aboutissoit dans la rue de Nesle, presque vis-à-vis la porte de l'hôtel du même nom; c'est cette partie de rue, depuis celle des Deux-Écus jusqu'à l'angle qu'elle formoit avec la rue de Nesle, qu'on appeloit la Vieille Brehaigne, nom que Corrozet a mal à propos séparé en deux.

À l'égard du Pressoir du Bret[278], il étoit vis-à-vis, dans la rue des Deux-Écus, entre celles du Four et des Vieilles-Étuves.

C'est dans ce même endroit, c'est-à-dire entre les rues des Vieilles-Étuves et d'Orléans, que la rue des Deux-Écus s'appeloit des Deux-Haches, de l'enseigne d'une maison située au coin de la rue des Étuves, dite aujourd'hui rue de Varennes.

Quant à la rue Raoul Menuicet, ou plutôt Raoul Mucet, Jaillot la place dans la partie de la rue des Veilles-Étuves comprise dans l'hôtel de Soissons; il fonde (p. 354) cette assertion sur le dit des rues de Guillot, dont voici les termes[279].

En la rue Raoul Menuicet
Trouvai un homme qui mucet,
Une femme en terre et ensiet,
La rue des Étuves en prêt siet.

Il s'appuie en outre du témoignage de l'abbé Lebeuf[280], qui croit reconnoître cette rue dans le cul-de-sac de Soissons, lequel faisoit la continuation des rues de Nesle et des Étuves qui y aboutissoient, d'où il résulte que la rue Raoul Mucet devoit être près de celle des Étuves.

Enfin il ajoute qu'il y avoit un cimetière en cet endroit, lequel étoit certainement situé entre la rue du Four et la continuation de celle des Vieilles-Étuves. En effet, les censiers de l'évêché indiquent en cet endroit plusieurs maisons qui appartenoient à la fabrique de Saint-Eustache; celui de 1372 énonce une maison aux bourgeois de Saint-Huitasse, qui est à présent cimetière; et, pour ne laisser aucun doute sur sa position, la désigne comme contiguë aux maisons qui furent au vicomte de Melun. Or, tous les titres[281] nous apprennent qu'il y en avoit qui furent acquises par Mathieu de Nanterre, président au parlement, et qu'elles étoient situées entre les rues que nous nommons du Four, des Deux-Écus et de la Nouvelle-Halle au blé.

Enfin la rue des Deux-Écus fut depuis prolongée jusqu'à la rue de Grenelle; ce fut, selon le plus grand (p. 355) nombre des historiens de Paris, Catherine de Médicis qui la fit ouvrir sur son terrain pour la commodité du public, et en quelque sorte pour le dédommager des parties des rues d'Orléans et des Vieilles-Étuves qu'elle avoit supprimées et enclavées dans son hôtel. Cependant Jaillot pense qu'elle ne fut ouverte qu'après la mort de cette reine, dans l'an 1606.

Rue des Bons-Enfants. Elle commence à la rue Saint-Honoré, et aboutit à la rue Baillif et à la rue Neuve-des-Bons-Enfants. Cette rue doit son nom au collége qui jadis y étoit situé, et dont nous avons déjà plusieurs fois parlé. Avant l'établissement de ce collége et la fondation de l'église Saint-Honoré, cette rue n'étoit connue que sous la dénomination de chemin qui va à Clichi; elle prit ensuite le nom de ruelle par où l'on va au collége des Bons-Enfants[282], et de rue aux Écoliers de Saint-Honoré.

Rue Neuve-des-Bons-Enfants. Elle fait la continuation de la rue des Bons-Enfants, et aboutit à la rue Neuve-des-Petits-Champs. Cette rue fut percée sur un terrain de sept cent onze toises que le cardinal de Richelieu avoit acquis en 1634, et qu'il rétrocéda à un particulier nommé Barbier. Quelques titres paroissent fixer l'époque de l'ouverture de cette rue à l'année 1640; il est certain du moins que, l'année suivante, elle étoit couverte de maisons du côté du Palais-Royal.

Rue des Veilles-Étuves. Elle va de la rue Saint-Honoré à celle des Deux-Écus, et doit ce nom à des étuves ou bains, particulièrement destinés aux dames[283], qui s'y (p. 356) trouvoient situés. En 1300 on la nommoit simplement des Étuves, et en 1350, des Vieilles-Étuves[284].

Rue du Four. Elle conduit de la rue Saint-Honoré au carrefour qui est vis-à-vis l'église Saint-Eustache, et doit son nom au four bannal de l'évêque qui y étoit. On l'appeloit, en 1255, le Four de la Couture[285], parce qu'il (p. 357) étoit situé dans la Couture de l'évêque, vicus Furni in Culturâ et justitiâ episcopi.

Rue de Grenelle. Cette rue aboutit d'un côté dans celle de Saint-Honoré, et de l'autre dans la rue Coquillière; elle doit vraisemblablement son nom à Henri de Guernelles, qui y demeuroit au commencement du treizième siècle[286]. C'est par altération dans la manière de le prononcer qu'il a été changé depuis en ceux de Guarnelles, Guarnales, Garnelle, et enfin de Grenelle, que cette rue porte aujourd'hui[286].

Rue du Jour. Elle donne d'un côté dans la rue Coquillière, et de l'autre dans la rue Montmartre. Cette rue a porté d'abord, en 1256 et 1258[287], le nom de Raoul Roissolle ou Rissolle, ensuite celui de Jehan le Mire, qui, dans le quatorzième siècle, possédoit des maisons dans cette rue. Vers l'an 1434 elle prit le nom de rue du Séjour, d'un manége et de plusieurs autres bâtiments que Charles V y fit construire. Cet hôtel, appelé le Séjour du roi lorsque la rue se nommoit encore Jehan le Mire, consistoit en trois cours, six corps de logis, une chapelle, une grange et un jardin. Ce dernier nom fut ensuite abrégé, et l'on s'accoutuma à dire seulement la rue du Jour. On la trouve indiquée ainsi dès 1526.

Rue de la Jussienne. Elle aboutit d'un côté dans la rue Coq-Héron, et de l'autre dans la rue Montmartre. Son vrai nom est rue de Sainte-Marie-l'Égyptienne, qu'elle devoit à la chapelle dédiée sous l'invocation de cette sainte, qui y étoit située. On la trouve sous cette dénomination et sous celles de l'Égyptienne, de l'Égyptienne-de-Blois, (p. 358) Gipecienne[288], et enfin, par une altération plus grande, de la Jussienne. Elle faisoit autrefois partie de la rue Coq-Héron.

Rue Mercier. Cette rue va d'un bout à la rue de Grenelle, de l'autre à la Halle au blé. Elle doit son nom à M. Mercier, l'un des échevins de la ville lors de la construction de cette halle, et fut percée à la même époque.

Rue Montmartre. La partie de cette rue qui se trouve dans ce quartier commence à la pointe Saint-Eustache, et finit au coin des rues Neuve-Saint-Eustache et des Fossés-Montmartre. On l'appeloit, au quatorzième siècle, rue de la Porte-Montmartre, parce que la porte désignée sous ce nom y étoit située.

Il y a, dans cette partie de la rue Montmartre, un cul-de-sac nommé cul-de-sac de Saint-Claude. Les censiers de l'évêché du siècle passé l'indiquent sous le nom de cul-de-sac de la rue du Bout-du-Monde. Boisseau, sur son plan, le nomme rue du Rempart, et sur un plan manuscrit il est nommé rue du Puits; de Chuyes et Valleyre l'appellent rue Saint-Claude, quoiqu'il y ait plus de deux siècles que ce soit un cul-de-sac. Ce dernier nom lui vient d'une enseigne.

Rue Oblin. Elle va de la place qui est devant Saint-Eustache à la Halle au Blé, et doit son nom à l'un des entrepreneurs de ce dernier édifice.

Rue d'Orléans. Elle va de la rue Saint-Honoré à celle des Deux-Écus. Son premier nom étoit rue de Nesle, et alors elle se prolongeoit jusqu'à la rue Coquillière. Lorsque le roi de Bohème, Jean de Luxembourg, y demeura, elle prit le nom de Bohème; et en 1388 on l'appela rue d'Orléans, après que Louis de France, duc d'Orléans, fut (p. 359) devenu propriétaire de l'hôtel de Bohème. On la trouve aussi quelquefois sous la dénomination de rue d'Orléans, dite des Filles-Pénitentes et des Filles-Repenties[289].

Rue Pagevin. Elle fait la continuation de la rue Verderet, depuis la rue Coq-Héron jusqu'à celle des Vieux-Augustins, et doit son nom à un particulier qui y demeuroit. Cette rue existoit dès 1293, et n'étoit connue alors que sous la dénomination de ruelle; depuis elle fut appelée rue Breneuse, vieux mot qui désignoit une rue étroite et malpropre; peut-être n'étoit-ce qu'une altération du nom de Jacques Berneult, sous lequel elle est indiquée dans le rôle de taxe de l'année 1313. On la trouve encore nommée rue Berneuse sur le plan de Dheullan et dans Corrozet; cependant elle étoit connue sous celui de Pagevin dès 1575[290].

Rue du Pélican. C'est une petite rue qui traverse de la rue de Grenelle dans celle de la rue Croix-des-Petits-Champs. Le nom obscène qu'elle portoit anciennement a été heureusement changé depuis plus de deux cents ans en celui de Pélican. Cette rue est ainsi nommée dans un titre de 1565[291].

Rue Plâtrière. Elle fait la continuation de la rue de Grenelle depuis la rue Coquillière jusqu'à la rue Montmartre. Sauval dit que, dans une charte de 1283, il a trouvé «Domus Guillelmi Plasterii in vico Henri de Guernelles; or, ajoute-t-il, comme la rue de Grenelle est contiguë à la rue Plâtrière, de là on peut inférer que la rue Plâtrière s'appeloit anciennement rue Guernelle, (p. 360) et qu'avec le temps elle a pris son nom de ce Guillaume Plâtrier.»

Cette conjecture, adoptée par plusieurs auteurs, est rejetée par Jaillot, qui pense que le nom de cette rue ne vient point de celui d'un particulier, mais d'une plâtrière qui se trouvoit dans cet endroit. On ne la trouve point en effet sous la dénomination de Guillaume Plâtrier, comme cela devroit être si ce particulier lui eût donné son nom; mais tous les actes de ce temps et la taxe de 1313 l'indiquent sous celui de la Plâtrière, vicus Plastrariæ et Plastreriæ[292]. Cet ancien nom et la preuve de sa véritable étymologie sont également consignés dans le contrat de vente que fit, en 1293, Simon Matifas de Buci, évêque de Paris, en faveur du comte de Flandre, du terrain qu'avoient occupé les Augustins, et des terres labourables qui en étoient voisines[293]. Ce terrain étoit séparé de celui de l'hôtel de Flandre par une ruelle représentée aujourd'hui par la rue Pagevin; l'évêque cède cette ruelle autant qu'il est en lui, et s'exprime ainsi: Ruellam pourprisio antedicto, quæ ruella in directum protenditur, usque ad murum mansionis, vel manerii potentissimi viri comitis antedicti, et tendit usque ad vicum qui dicitur vicus Maversæ in quo vico est Plastreria quædam.

C'est donc cette plâtrière qui a fait donner à la rue dont il s'agit le nom qu'elle porte, et qu'elle a toujours conservé depuis. Pendant la révolution on l'appeloit rue J.-J. Rousseau, parce que cet écrivain y avoit demeuré.

Rue des Prouvaires. Elle fait la continuation de la rue du Roule, et aboutit à la rue Traînée, en face du portail méridional de Saint-Eustache. Le véritable nom (p. 361) de cette rue est celui des Prévoires ou Provoires[294], mot qui, dans l'ancien langage, vouloit dire prêtres; et ce nom lui avoit été donné parce que, dès le treizième siècle, les prêtres de Saint-Eustache y demeuroient. La preuve que le mot provoire ou prévoire signifioit autrefois prêtre se trouve dans une chronique françoise du quatorzième siècle, où on lit que li prevoires chantèrent leurs litanies par la ville, et gittèrent eau bénite par les hosteux[295].

Rue du Reposoir, ou du Petit-Reposoir. On ignore l'étymologie du nom de cette rue, qui, faisant la continuation de la rue Pagevin, vient aboutir à la place des Victoires; elle se prolongeoit autrefois jusqu'à la rue du Mail, et la rue Vide-Gousset en faisoit partie avant la construction de la place. On ne la connoissoit dans le principe que sous le nom de rue Breneuse, qui lui étoit commun avec la rue Pagevin et la rue Verderet, dont nous allons parler tout à l'heure.

Rue de Sartine. Cette rue, qui commence au carrefour des rues Coquillière, Plâtrière et de Grenelle, et va aboutir à la Halle au blé, fut ainsi nommée parce que (p. 362) M. de Sartine étoit lieutenant-général de police lorsqu'elle fut ouverte.

Rue Soly. Cette rue qui traverse de la rue de la Jussienne dans celle des Vieux-Augustins, a pris son nom d'un particulier appelé Bertrand Soly, lequel étoit propriétaire de plusieurs maisons dans la rue des Vieux-Augustins[296].

Rue Tiquetonne. Elle va de la rue Montmartre dans celle de Montorgueil. On la nommoit en 1372 rue de Denys le Coffrier, du nom d'un de ses habitants. Celui de Tiquetonne lui vient, par altération, de Rogier de Quiquetonne, boulanger, lequel y demeuroit en 1339, et obtint, après Denys le Coffrier, l'honneur de lui donner le nom qu'elle a conservé jusqu'à ce jour[297].

Rue Traînée. Elle règne le long de l'église de Saint-Eustache, depuis la rue du Four jusqu'à la rue Montmartre. Sauval dit qu'en 1313 on lit la ruelle au curé de Saint-Huystace. Cette rue s'appeloit aussi anciennement rue de la Barillerie; elle est ainsi énoncée dans les titres de l'archevêché, et dans les criées d'une maison qui y étoit située en 1476. Les censiers de 1489 et de 1530 lui donnent le même nom, et l'indiquent comme située devant le petit huis Saint-Eustache. C'est dans un titre nouvel du 2 mars 1574, qu'on la trouve pour la première fois nommée rue Traînée. Du reste, on ignore l'étymologie de ce dernier nom.

Rues de Vannes, de Varennes et de Viarmes. Ce sont des communications pratiquées pour faciliter l'entrée de la Halle au Blé.

La rue de Viarmes est l'espace circulaire qui règne (p. 363) autour de la Halle; elle doit son nom à M. de Viarmes, prévôt des marchands. Celle de Vannes doit le sien à M. Jolivet de Vannes, avocat et procureur du roi et de la ville; et celle de Varennes à M. de Varennes, échevin.

Rue Verderet ou Verdelet. Elle aboutit d'un côté à la rue Plâtrière, et de l'autre au coin des rues de la Jussienne et Coq-Héron. Ce nom est altéré. Nos aïeux, plus naïfs, voulant désigner une rue très-malpropre, l'avoient appelée rue Merderet. Tel étoit son véritable nom en 1295[298]. Au siècle suivant, on la trouve sous celui de l'Orderue, autrement la rue sale, et de rue Breneuse[299]; ce dernier nom lui étoit commun, comme nous l'avons dit, avec les ruelles qui en faisoient la continuation. Cette rue fut élargie en 1758 de cinq pieds qu'on prit sur le terrain de l'hôtel des postes.

Rue de la Vrillière. Elle traverse de la rue Croix-des-Petits-Champs dans la rue Neuve-des-Petits-Champs, dont autrefois elle faisoit partie. Son nom lui vient de M. Phelypeaux de la Vrillière, secrétaire d'état, qui y fit bâtir, en 1620, un magnifique hôtel, lequel passa depuis au comte de Toulouse[300].

Rue (petite) de la Vrillière. Elle va de la grande rue de la Vrillière à la place des Victoires, qui, dans l'origine, n'avoit point d'issue de ce côté; il y avoit même un corps-de-logis bâti dans la rue de la Vrillière, sur la partie du terrain qu'avoit occupée la rue des Fossés-Montmartre, laquelle se prolongeoit anciennement jusqu'à cet endroit. M. Phelypeaux de Châteauneuf obtint (p. 364) qu'il seroit abattu, et procura par là à son hôtel un point de vue à peu près semblable à celui dont il jouissoit avant que la place eût été bâtie. Cette nouvelle issue fut d'abord appelée rue Percée, ensuite petite rue de la Vrillière.

ANTIQUITÉS ROMAINES
DÉCOUVERTES DANS LE QUARTIER SAINT-EUSTACHE.

Tête d'Isis Cybèle. Nous avons déjà fait mention de ce monument[301] qui a fort exercé la sagacité de nos antiquaires, et que chacun d'eux a expliqué suivant les conjectures plus ou moins heureuses qui se sont présentées à son esprit. Aux savants que nous avons déjà cités il faut joindre le comte de Caylus qui a fait sur cette tête une dissertation dans laquelle il cherche à éclaircir difficilement ce qui ne présente pas la moindre difficulté. Avant que le christianisme eût été introduit dans les Gaules, elles étoient déjà devenues provinces romaines, et l'on y adoroit les dieux des Romains: il ne faut donc pas plus s'étonner d'avoir trouvé à Paris une tête de Cybèle ou d'Isis, que d'y avoir découvert un autel consacré à Jupiter, à Mercure, à Vénus, etc. Tous ces dieux du paganisme y avoient des temples et sans doute des statues; et s'il faut s'étonner de quelque chose, c'est de n'en avoir pas trouvé de plus nombreux débris.[302]

(p. 365) MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.

Église Saint-Eustache. Le portail de cette église est maintenant dégagé des échoppes qui l'obstruoient, et fermé d'une grille de fer.—La ville de Paris lui a donné quatre tableaux exécutés par des peintres modernes, et représentant la conversion de saint Augustin; le baptême de Jésus-Christ; sa prédication; un martyr.

Halle au blé. La voûte en bois de ce monument ayant été brûlée vers l'année 1802, on conçut, comme nous l'avons déjà dit, l'heureuse idée de la reconstruire en cercles de fer, dont les diverses parties sont liées entre elles par des écrous; ces cercles, posés les uns au-dessus des autres, vont diminuant de diamètre jusqu'au sommet de la voûte, formant dix-huit assises à partir de son extrémité inférieure. Ils sont recouverts en lames de cuivre que l'on a étamées afin de les préserver de l'oxidation. Ainsi cette voûte unit maintenant la plus grande solidité à sa légèreté première, et se trouve à l'abri de presque tous les accidents possibles.

Banque de France. Elle a été placée dans l'hôtel de Toulouse, auquel on a fait, à cette occasion, des réparations immenses, et où l'on a pratiqué toutes les dispositions nécessaires à un aussi vaste établissement. La porte d'entrée a reçu aussi une décoration nouvelle: dans son tympan ont été sculptées deux figures en bas-relief, dont l'une tient un aviron et l'autre porte une corne d'abondance, symboles de l'agriculture et du commerce. L'attique est surmonté de deux autres figures de ronde bosse et également symboliques; sur la clef sont deux mains (p. 366) serrées, et dans une niche au fond de la cour on a placé une statue de Mercure.

Marché des Prouvaires. Il a été établi entre les rues des Prouvaires, du Four, des Deux-Écus, et se prolonge jusqu'à la rue Traînée. Tout cet espace a été divisé en compartiments par des poteaux qui soutiennent des charpentes couvertes. Certains jours de la semaine on y étale de la viande, et dans d'autres jours il est destiné à la vente du fromage.

PASSAGES.

Passage des Prouvaires. Ce passage a été percé en face du nouveau marché, et conduit à l'ancienne Halle à la viande.

(p. 367) QUARTIER DES HALLES.

Ce quartier est borné à l'orient par la rue Saint-Denis exclusivement, depuis le coin de la rue de la Ferronnerie jusqu'au coin de la rue Mauconseil; au septentrion, par la rue Mauconseil aussi exclusivement; à l'occident, par les rues Comtesse-d'Artois et de la Tonnellerie inclusivement; et au midi, par la rue de la Ferronnerie et partie de celle de Saint-Honoré exclusivement.

On y comptoit, en 1789, vingt-quatre rues, une place, plusieurs halles, etc., et plus anciennement, une église paroissiale et un cimetière public.

Sous le règne de Charles VII, lorsque, par une suite des malheurs du règne précédent, un prince anglois s'arrogeoit le titre de roi de France, et que Paris, sous sa domination tyrannique, recevoit un juste châtiment de sa rébellion, le quartier que nous allons décrire fut le théâtre de plusieurs scènes aussi tragiques que touchantes. C'étoit aux halles que l'on exécutoit ordinairement les coupables de conspiration contre l'État, ou de trahison contre les intérêts du prince; et comme on appeloit alors traîtres et conspirateurs tous ceux qui, restés fidèles à leur légitime souverain, cherchoient à le servir autrement que par des vœux stériles, plusieurs citoyens généreux qui conspirèrent (p. 368) ainsi, à différentes époques, pour l'honneur et pour la justice, criminels uniquement par le mauvais succès de leur entreprise, vinrent sur cette place recevoir la mort de la main d'un bourreau.

Dans cette épouvantable confusion où la démence de Charles VI et les attentats de Jean-sans-Peur avoient plongé la France, dans cette suite d'événements prodigieux qui la relevèrent contre toute probabilité, qui arrachèrent enfin sa capitale au joug de l'étranger, il se trouve un tel enchaînement de causes et d'effets, que l'histoire de Paris devient plus que jamais celle de la monarchie entière, et qu'on ne peut en rendre la suite intelligible sans présenter en même temps quelque esquisse de ce vaste tableau.

Tout paroissoit désespéré: l'autorité légitime avoit non-seulement perdu la force qui lui étoit nécessaire pour se maintenir et se faire respecter, mais encore presque tout son ascendant moral qui seul pouvoit la lui faire recouvrer. Charles, déshérité par son père, soupçonné d'un meurtre qui sembloit justifier ce traitement barbare, sembloit ne posséder d'ailleurs aucune de ces qualités brillantes qui, dans les situations difficiles, éblouissent et ramènent le vulgaire, maîtrisent les événements, et finissent par enchaîner la fortune. Pour reconquérir un grand royaume, il falloit joindre à une activité infatigable une constance à toute épreuve, (p. 369) une politique profonde, toute la science d'un habile général. Le dauphin, à peine âgé de vingt ans, n'avoit que le courage d'un soldat: du reste, il montroit un caractère foible, doux, facile à dominer, un penchant très-vif pour les plaisirs et la volupté, une indolence presque invincible; telles étoient les dispositions apparentes d'un prince qui, resserré entre les pays asservis sous la domination angloise et les vastes états du duc de Bourgogne[303], entouré d'une noblesse valeureuse sans doute, mais où l'on ne comptoit pas alors un seul chef expérimenté[304], (p. 370) d'une poignée de soldats découragés et sans discipline, avoit à lutter contre un ennemi[305] maître de sa capitale et de la plus grande partie de ses provinces, contre des armées puissantes que commandoient les premiers capitaines de l'Europe. D'ailleurs, telle étoit alors la corruption où un demi-siècle de discordes intestines avoit plongé les esprits, qu'aux yeux d'un très-grand nombre de François un roi d'Angleterre, petit-fils de leur propre souverain, apportant en outre à la couronne de France de prétendus droits, toujours contestés, mais réclamés sans cesse, n'avoit nullement les apparences d'un usurpateur. Un prince du sang royal, puissant et considéré, s'étoit déclaré en sa faveur; et le nouveau duc de Bourgogne, succédant à la haine de son père contre Charles, sembloit faire un acte de piété filiale qui augmentoit encore cette affection aveugle que le peuple portoit à sa maison. Enfin, tel étoit l'état des choses et le vertige qui entraînoit la nation, que, s'il eût été possible que les conquérants, oubliant (p. 371) qu'ils avoient une autre patrie, se fussent faits François pour gouverner la France, il est presque indubitable que la révolution eût été complète et sans retour.

Mais c'est un vice radical attaché à toute conquête où le vainqueur, conservant les liens naturels qui l'attachent à son pays, apporte au milieu de la nation conquise son esprit national et ses habitudes étrangères, que, dès le commencement de sa domination, il s'établit nécessairement entre ses anciens et ses nouveaux sujets des différences humiliantes pour ces derniers, et qui excitent en eux de vifs ressentiments. Leur mécontentement fait bientôt naître des méfiances qui divisent sans retour les deux peuples; et la tyrannie d'un côté, la révolte de l'autre, sont des suites inévitables de ce choc des passions et des intérêts. Dans cet état de choses, si la nation est brave et généreuse, et qu'il se présente un chef assez imposant pour rallier autour de lui tous ceux qui sont impatients du joug, ce n'est pas une armée qu'il rassemble, c'est une population entière, à laquelle il est difficile que le conquérant, qui n'a que des soldats, puisse long-temps résister. Telle fut, dans la révolution qui rendit à Charles VII l'héritage de ses pères, la marche et la cause des événements; et nous pensons, contre l'opinion de plusieurs historiens, que ce fut moins par amour pour son roi que par haine contre un vainqueur insolent, que (p. 372) la France entière se souleva pour replacer sur le trône un prince qu'elle en avoit vu chasser, pour ainsi dire, avec joie. Du reste, ces discordes intestines, ces désordres qui sembloient devoir perdre à la fois l'État et son souverain, augmentèrent en effet la vigueur et la prospérité de l'un et de l'autre: car de telles révolutions ne se font point sans que l'autorité légitime n'en acquière de nouvelles forces, par la raison que, revenant à elle à cause du besoin extrême qu'ils en ont, les sujets sont alors disposés à lui accorder même plus qu'elle n'eût jamais osé demander. Aussi verrons-nous, par suite de cet heureux retour, le peuple françois prendre un esprit meilleur, et la monarchie plus de puissance et de majesté.

(1422.) Charles étoit dans le château d'Espally, situé auprès du Puy en Velay, lorsqu'il reçut la nouvelle de la mort de son père. Après les premiers moments donnés à sa douleur, il pensa à poursuivre le projet légitime qu'il avoit formé de remonter sur le trône de ses ancêtres. La bannière de France fut déployée dans la chapelle du château; un petit nombre de courtisans et d'officiers qui l'accompagnoient l'y proclamèrent roi, et, peu de jours après, le nouveau monarque prit la route de Poitiers, où il se fit couronner avec le plus grand appareil. On vit à cette cérémonie les princes de Clermont, d'Alençon, et les principaux seigneurs attachés à son parti.

(p. 373) Tandis que ces choses se passoient, le duc de Bedfort, régent du royaume, rassembloit à Paris, dans la grand'chambre du parlement, tous les membres de cette cour suprême, les magistrats des autres cours supérieures, ceux du Châtelet, les députés des divers chapitres, l'université, le prévôt de la ville, ses échevins et ses principaux bourgeois. Dans cette assemblée, si imposante en apparence, mais dont les membres étoient, ou dominés par la terreur, ou aveuglés par la passion, le chancelier fit du traité de Troyes une lecture et une apologie qui furent suivies d'un serment de fidélité au roi d'Angleterre Henri VI, que l'on exigea de tous les assistants, que prêtèrent ensuite tous les bourgeois séparément, et généralement tous les habitants de la ville, depuis les princes et les prélats jusqu'aux domestiques et aux simples artisans.

Après cette vaine formalité, qui, loin d'affermir le pouvoir de l'usurpateur, prouvoit au contraire l'embarras de sa situation présente, et ses inquiétudes pour l'avenir, le duc de Bedfort sortit de Paris au milieu de l'hiver, car la rigueur de la saison n'avoit point suspendu les hostilités, et s'avança vers Meulan, dont ses troupes avoient déjà ouvert le siége. Ce fut vainement qu'un corps de royalistes, commandé par les comtes de Narbonne et d'Aumale, entreprit de le faire lever: la mésintelligence des chefs et le défaut de paye des soldats (p. 374) arrêta cette troupe à six lieues de la ville; elle se débanda, et Meulan se rendit. Pendant ce temps, le maréchal de l'Île-Adam, l'un des généraux du duc de Bourgogne, recouvroit la Ferté-Milon, dont les François s'étoient emparés; et Luxembourg achevoit de les chasser de Picardie. Une conspiration tramée en faveur du roi fut découverte en même temps à Paris, et n'eut d'autre résultat que le supplice de la plupart des conjurés. Michel Lallier, qui en étoit le chef, et que nous verrons reparoître par la suite, eut le bonheur de se sauver.

(1423.) À ces mauvais succès du parti de Charles se joignit bientôt la défection du duc de Bretagne, entraîné dans celui des Anglois par le duc de Bourgogne, plus animé que jamais à poursuivre la vengeance du meurtre de son père. Une entrevue qui eut lieu à Amiens entre le régent et ces deux princes s'y termina par une triple alliance et un double mariage. Le duc de Bedfort épousa Anne de Bourgogne, sœur de Philippe; et la dauphine Marguerite fut accordée au comte de Richemont, frère du duc de Bretagne, à ce Richemont, depuis le sauveur de la France, alors son ennemi. Les trois princes jurèrent de s'aimer comme des frères, de s'entr'aider comme n'ayant qu'un même intérêt; et dès le commencement les affaires de Charles parurent perdues sans ressource.

(p. 375) Un nouveau revers l'attendoit encore. Les hostilités continuoient avec le même acharnement; une foule de petites places étoient tour à tour prises, reprises par l'un et l'autre parti. Les Anglois s'étoient emparés de Pont-sur-Seine, de Vertus, de Mortagne, etc.; de leur côté, les royalistes avoient emporté Mâcon, et ensuite Crevant, que les ennemis ne tardèrent pas à leur arracher. Il arriva qu'au moment où cette dernière place capituloit, Stuart, connétable d'Écosse, nouvellement arrivé avec quelques renforts que ce pays fournissoit au roi, accourut, suivi de quelques chefs royalistes, pour l'empêcher de se rendre. Trouvant la ville entre les mains des ennemis, et se voyant, par leur réunion, à la tête d'environ dix mille hommes, les généraux françois résolurent de la reprendre de vive force. Le général Salisbury, occupé alors au siége de Montaguillon, le quitte à cette nouvelle avec la plus grande partie de ses troupes, vole à la rencontre des François, et traverse l'Yonne à la vue de ses impétueux ennemis, qui sur-le-champ abandonnent une position formidable, d'où rien n'auroit pu les forcer, pour s'élancer dans la plaine et y provoquer un combat inégal. Le courage étoit le même des deux côtés: la discipline et la science militaire assuroient la supériorité des Anglois. Jamais victoire ne fut plus complète: cette petite armée, presque la seule ressource de l'infortuné Charles, fut anéantie. La (p. 376) défection d'une foule de places qui tenoient encore pour lui dans diverses provinces suivit de près ce fatal événement. L'Anjou et le Maine furent ravagés, et la victoire que le comte d'Aumale remporta quelque temps après à la Gravelle[306] sur une portion de l'armée angloise, assez importante pour donner au parti royaliste le temps de respirer, mais non pour offrir aucun résultat décisif, laissa toujours une supériorité marquée au parti de l'usurpateur.

(1424.) La bataille de Crevant avoit mis Charles à deux doigts de sa perte; celle de Verneuil parut achever entièrement sa ruine. Elle se donna sur les frontières du Perche et de la Normandie; le duc de Bedfort, Salisbury, Warwick commandoient les troupes angloises. Les François, conduits encore par le connétable d'Écosse, venoient de reprendre la petite ville d'Ivry: les généraux anglois qui accouroient pour en faire lever le siége leur offrirent la bataille qu'ils acceptèrent avec la même imprudence, et qu'ils perdirent par le même défaut d'ordre et de discipline. Cinq mille hommes restèrent sur le champ de bataille, parmi lesquels étoit le général écossois et la fleur de la noblesse françoise: elle fut écrasée à cette bataille comme à celle d'Azincourt.

(p. 377) Cette victoire fut célébrée à Paris par des réjouissances publiques; et l'on voudroit en vain dissimuler que la multitude de ses habitants, alors dévouée au duc de Bedfort, la reçut avec la plus vive allégresse. Pour changer en si peu de temps ces esprits foibles et passionnés, il avoit suffi de supprimer quelques impôts, appât grossier, mais immanquable, qu'ont toujours su mettre en usage ceux qui connoissent les bassesses du vulgaire, et qui ont besoin de sa faveur. Cependant, dans le temps même où ce peuple insensé faisoit éclater sa joie, des citoyens fidèles conspiroient encore pour le roi; et le duc, à son retour, eut de nouveaux conjurés à punir.

Charles n'avoit plus de troupes; ses finances étoient épuisées, ses partisans découragés[307]. Après la déroute des François à Verneuil, l'ennemi s'étoit jeté dans le Maine, dont il avoit enlevé les principales places; et ses partis parcouroient sans résistance l'Anjou et toutes les provinces voisines jusqu'aux bords de la Loire. Les Bourguignons étoient sur le point de se joindre aux Anglois pour (p. 378) achever d'anéantir le petit nombre de royalistes qui luttoient encore contre la fortune. C'en étoit fait de la monarchie: des divisions particulières qui s'élevèrent tout à coup entre le duc de Glocestre et Philippe-le-Bon furent la première cause de son salut.

Jacqueline de Hainaut, veuve du dauphin Jean[308], et depuis mariée au duc de Brabant, n'avoit point voulu reconnoître ce second époux, et venoit de contracter un troisième mariage avec le duc de Glocestre, à qui elle apportoit en dot un des plus riches héritages de l'Europe. Le duc de Brabant étoit neveu du duc de Bourgogne: celui-ci, irrité de l'affront qu'on faisoit à un prince de sa maison, s'en plaignit au duc de Bedfort, qui, prévoyant les suites fâcheuses d'un semblable événement, voulut dès le principe en arrêter les effets. Mais l'imprudent Glocestre, loin d'écouter les sages conseils de son frère, levoit des troupes en Angleterre pour soutenir les prétentions de son épouse; et ces troupes, avec lesquelles il arriva à Calais six semaines après la bataille de Verneuil, furent employées, non à achever d'écraser l'ennemi commun, incapable alors d'opposer la moindre résistance, mais à marcher contre l'allié le plus considérable de son parti, qu'il attaqua sur-le-champ (p. 379) en s'emparant du Hainaut. Le duc de Bourgogne, surpris, mais non déconcerté, eut bientôt rassemblé une armée suffisante pour arrêter les progrès de son adversaire; et les Pays-Bas, auparavant si tranquilles, devinrent le théâtre d'une guerre acharnée. Toutefois elle ne fut pas de longue durée: Glocestre étoit alors hors d'état de résister long-temps à un aussi puissant souverain; et bientôt, accablé par des forces supérieures, il se vit forcé de retourner honteusement en Angleterre; mais l'effet de cette entreprise extravagante fut tel, que le roi de France put s'apercevoir, dans une négociation qu'il osa tenter auprès du duc de Bourgogne, que ce prince, blessé jusqu'au fond du cœur de la conduite de l'Anglois, pourroit revenir un jour au seul parti que son honneur et son véritable intérêt lui ordonnoient de suivre.

On négocioit en même temps auprès du duc de Bretagne; et Charles, profitant avec habileté du mécontentement du comte de Richemont, que le duc de Bedfort venoit d'offenser[309], lui faisoit offrir l'épée de connétable. Cette démarche, mal reçue d'abord, eut bientôt un plein succès. Le projet d'alliance fut approuvé par le duc de Bretagne et par les états assemblés; et Richemont, qui étoit allé en Flandre pour obtenir l'agrément de (p. 380) Philippe sur la nouvelle dignité qui lui étoit proposée, trouva ce prince disposé non-seulement à le lui accorder, mais même à sacrifier ses ressentiments, si Charles eût voulu également lui sacrifier les meurtriers de son père, devenus ses favoris. Le refus qu'il en fit éloigna seul cette réconciliation, et prolongea les malheurs de la France.

Avant de rien accepter, Richemont avoit demandé que du moins ces favoris[310] fussent éloignés; et, dans l'extrémité où il se trouvoit, Charles n'avoit rien osé refuser. À peine ces demandes du nouveau connétable furent-elles connues, que la petite cour du monarque fut remplie de cabales et d'intrigues. La division se mit entre les courtisans; et l'on vit, ce qu'on ne pourra croire, ce jeune prince, incapable de résister à leurs séductions et même à leurs violences[311], fuir de ville en ville à l'approche de son connétable, qui revenoit auprès de lui à la tête d'une armée qu'il avoit rassemblée pour le défendre. Enfin il fallut céder au cri général qui s'éleva contre son aveugle obstination. Tanneguy du Châtel eut la générosité de (p. 381) s'exiler lui-même; les autres reçurent ordre de se retirer de la cour; mais, en s'éloignant, l'un d'eux (le président Louvet) eut l'adresse de se faire remplacer auprès de Charles par le seigneur de Giac, sa créature. (1425.) L'indolent monarque s'abandonna également sans réserve à ce nouveau ministre, qui, plus dangereux et plus avide encore que les autres, laissa sans solde, sans vivres, sans secours, la petite armée de Richemont, qui venoit d'entrer en campagne. (1426.) Le connétable éprouve des revers, revient à la cour frémissant d'indignation; et, par une hardiesse que les circonstances terribles où étoient réduites les affaires peuvent à peine justifier, il fait enlever Giac, le livre, pour la forme, à un tribunal devant lequel ses crimes et ses déprédations sont dévoilés, et fait tomber sa tête sur un échafaud. Un nouveau favori le remplace, et, loin d'être effrayé de la catastrophe de son prédécesseur, abuse encore plus insolemment de sa faveur: le connétable le fait assassiner; et lorsque Charles, indigné, lui demande compte de ces violences injurieuses, il ne se justifie qu'en lui déclarant que ce qu'il a fait est pour le bien du royaume. Cependant cet homme, si redoutable aux flatteurs de son roi, commit bientôt après une faute irréparable, en mettant lui-même dans la confiance de ce jeune prince un homme qu'il croyoit entièrement dévoué à ses intérêts, et qui devint bientôt le plus (p. 382) fatal de tous ses ennemis, et le plus grand obstacle au rétablissement de la monarchie. La Trémoille, plus adroit, plus ambitieux, d'une naissance plus illustre que tous ceux qui l'avoient précédé, prit bientôt, sur un maître qui ne demandoit qu'à être dominé un ascendant que, pendant long-temps, rien ne put détruire; et le premier usage qu'il fit de sa faveur fut de se mettre en état de n'avoir rien à craindre des entreprises de celui qui la lui avoit procurée. Par ses intrigues, Charles, déjà offensé de la hauteur de son connétable, lui donne tous les dégoûts qui peuvent le détacher de ses intérêts; et, dans une situation à peu près désespérée, se prive lui-même du seul sujet qui pouvoit empêcher sa ruine entière. Tout étoit perdu, si la conduite des Anglais n'eût été aussi impolitique, ou, pour mieux dire, aussi insensée que celle du monarque françois. Ils traitoient déjà la France en pays de conquête, eux qui ne s'y maintenoient que par l'espèce de délire dont la nation étoit en quelque sorte enivrée. Le duc le Bedfort en partageoit les provinces avec son frère le duc de Glocestre; ils accabloient d'impôts les peuples dont le soulèvement pouvoit en un moment détruire leurs foibles armées[312] et leur puissance factice. Ils avoient déjà commencé à mécontenter un prince dont les dispositions (p. 383) favorables ou contraires auroient seules suffi pour décider de leur sort; et l'affaire de Jacqueline de Hainaut, que le duc de Glocestre s'obstina à soutenir, même après avoir été chassé de la Flandre, et qu'il n'abandonna que lorsque cette princesse eut été entièrement dépouillée de ses états par le duc de Bourgogne, fut, comme nous l'avons dit, la source d'un refroidissement que nous allons voir s'accroître de jour en jour, jusqu'au moment où il se changera en une rupture ouverte qui leur portera les derniers coups.

(1427.) Cependant cette rupture étoit loin encore d'éclater, et les divisions qui régnoient dans le parti du roi favorisoient les entreprises des Anglois. Ils continuoient à prendre des villes, lorsqu'ils se virent tout à coup arrêtés par le bâtard d'Orléans, si fameux depuis sous le nom de Dunois. Ce prince, à peine alors sorti de l'enfance, remporta une victoire complète sur deux capitaines expérimentés, Suffolk et Warwick, et leur fit lever le siége de Montargis. Sur cette nouvelle, le duc de Bedfort, absent depuis huit mois, hâte son retour en France, amenant avec lui des renforts considérables. À son arrivée, le duc de Bretagne, qu'il menace, abandonne le parti du roi, sans pouvoir ébranler la fidélité du comte de Richemont, qui persiste à suivre la mauvaise fortune d'un prince ingrat, dont il étoit haï et persécuté. Mais en même temps qu'il donnoit des preuves (p. 384) d'un dévouement si magnanime, on le vit, par un effet de cette hauteur de caractère qu'il ne pouvoit dompter, essayer, en s'unissant aux princes aussi fatigués que lui de l'insolence de La Trémoille, de former un parti qui pût écraser ce perfide. Déjà les conjurés s'étoient emparés de Bourges, lorsque le roi, quittant avec précipitation la ville de Chinon, qui étoit sa résidence ordinaire, vint se présenter à eux. Son arrivée et les intrigues du favori dissipèrent en un instant ces premiers germes de guerre civile; toutefois le connétable, exclu de la paix que firent les princes, se vit forcé de se réserver pour des temps meilleurs.

(1438.) Assuré du duc de Bretagne, croyant n'avoir plus rien à redouter des suites de la querelle de Glocestre avec le duc de Bourgogne, Bedfort jugea le moment favorable pour achever d'abattre un prince livré à ses flatteurs, entouré de mécontents, sans troupes, sans argent, réduit enfin aux dernières extrémités. Afin de rendre ce dernier coup décisif, il convoqua à Paris une nouvelle assemblée, dans laquelle il eut l'imprudence de demander tous les biens, rentes et héritages donnés aux églises depuis quarante ans. Il étoit inouï qu'on eût jamais fait une demande aussi audacieuse, aussi contraire aux idées qui régnoient alors non-seulement à Paris, mais dans toute la France: aussi le duc éprouva-t-il une résistance telle qu'il se vit forcé de suspendre (p. 385) d'abord, et ensuite d'abandonner entièrement son projet. Il en résulta néanmoins ce mauvais effet, que le peuple, dont une légère suppression d'impôts lui avoit gagné les esprits, commença à murmurer contre son gouvernement, et à sentir toute la pesanteur du joug étranger.

Ces difficultés n'empêchèrent pas le duc d'ouvrir la campagne avec des forces tellement supérieures, que Charles n'osa pas même tenter de mettre quelque obstacle à leurs mouvements. Salisbury étoit à leur tête, et parcourut en conquérant cette vaste partie de la France qui est renfermée entre la Seine et la Loire. Toutes les places qui environnoient Orléans ouvrirent leurs portes ou furent emportées d'assaut, et le siége de cette ville importante fut résolu par le général anglois. C'étoit une entreprise décisive, mais difficile: la garnison, peu nombreuse à la vérité, étoit commandée par des chefs intrépides; La Hire, Xaintrailles, Chabannes, Villars, le bâtard d'Orléans, suivis de la fleur de la noblesse françoise, s'étoient jetés dans la place, résolus de défendre jusqu'à la dernière extrémité ce dernier boulevart de la monarchie, et ils avoient inspiré aux moindres soldats ainsi qu'aux habitants toute l'ardeur dont ils étoient animés. La sape, la mine, des assauts continuels, tout fut employé du côté des assiégeants, dont l'armée grossissoit à chaque instant; les assiégés, qui recevoient aussi de temps en temps (p. 386) des renforts, disputoient le terrain pied à pied, ne cédoient un fort que lorsqu'ils se voyoient prêts à être ensevelis sous ses ruines, et offroient, dans un rempart nouveau, construit à l'instant même, de nouveaux obstacles à l'ennemi. La mort de Salisbury, emporté par un boulet de canon, n'interrompit pas les opérations du siége; et les capitaines qui lui succédèrent, Talbot, Suffolk, le lord Poll, n'en exécutèrent pas moins le projet qu'avoit conçu cet habile général, d'entourer la place d'une circonvallation qui rendoit l'arrivée des convois de jour en jour plus difficile et plus meurtrière. La ville, bloquée de toutes parts, commença bientôt à ressentir la disette des vivres, et devoit succomber dans peu si elle n'étoit promptement secourue. À une armée de vingt-quatre mille hommes qui l'assiégeoit, Charles ne pouvoit opposer que trois mille soldats mal disciplinés, et dont ni lui ni ses généraux ne savoient même tirer parti. Cependant cette foible ressource lui fut encore enlevée dans cette bataille, si fameuse sous le nom de la Journée aux Harengs[313], où cette petite troupe, commandée par le comte de Clermont, fut presque entièrement exterminée. À cette (p. 387) fatale nouvelle, le roi, voyant tout perdu, vouloit se retirer dans le Dauphiné: il en fut détourné par la reine son épouse, princesse d'un courage et d'une vertu supérieure; on dit que la fameuse Agnès Sorel ne lui donna pas des conseils moins généreux. Mais il étoit réservé à une femme plus célèbre et plus digne de l'être que la maîtresse d'un roi, de sauver la France, et de rendre à Charles l'honneur et sa couronne. (1429.) C'est au milieu de cette indécision honteuse à laquelle ce malheureux prince étoit livré, qu'on voit paroître cette fille étonnante, singulière, que l'on crut alors envoyée par le ciel même, dont encore aujourd'hui le courage et l'enthousiasme religieux forcent au respect les esprits même les plus corrompus, et feront à jamais l'admiration de la postérité. Quelque idée que l'on puisse se faire des inspirations puissantes, invincibles, qui poussèrent une jeune vierge, aussi innocente que timide, née dans l'obscurité, élevée dans l'ignorance, à vaincre tant d'obstacles pour arriver jusqu'à un grand monarque, pour oser lui promettre des victoires regardées comme chimériques par ses meilleurs capitaines, en fixer l'époque, s'en déclarer le principal instrument; inspirations dont l'effet fut si prodigieux, qu'on vit le roi de France, son intrépide noblesse, son armée entière, subjugués par le plus inconcevable ascendant, marcher sous la conduite d'une simple villageoise à des combats qui sembloient (p. 388) devoir achever leur perte, et obtenir des triomphes qu'on avoit jusque là jugés impossibles; quelques conjectures que l'on forme, quelque opinion que l'on adopte sur cet événement unique dans l'histoire, les contempteurs des miracles, tout superbes et dédaigneux qu'ils ont coutume d'être, ne pourront s'empêcher du moins d'y reconnoître un des coups les plus éclatants de cette Providence spéciale à laquelle les païens, même les plus grossiers, ont rendu hommage, Providence qui veille sur les empires, décide de leur sort, les perd ou les sauve à son gré, souvent par les agents les plus obscurs, par les moyens qui sont les plus éloignés de toute prévoyance humaine. Jeanne d'Arc, dite la Pucelle, avoit promis que l'ennemi leveroit le siége d'Orléans, que le roi seroit couronné et sacré à Reims, que Paris rentreroit sous sa domination, que les Anglois seroient entièrement expulsés du royaume. Pour commencer l'accomplissement de sa prédiction, elle pénètre dans la ville assiégée à la tête d'un convoi: son aspect y fait renaître l'espérance; et les assiégeants, déjà frappés de sa renommée, sont saisis d'une terreur soudaine. Les François, conduits par cette héroïne, osent attaquer à leur tour, jusque dans ses forts, cet ennemi qui, la veille encore, insultoit leurs remparts; et le siége d'Orléans est levé en peu de jours comme par une sorte d'enchantement. Jargeau, Beaugency, plusieurs autres villes de l'Orléanois sont emportées (p. 389) par les royalistes, qui reprennent aussitôt l'offensive. Bedfort, déconcerté, envoie des renforts à ses troupes éperdues: l'armée françoise, plus foible que celle des Anglois, mais désormais invincible, marche à sa rencontre, et remporte, à Patay, une victoire éclatante, que suit bientôt la reddition d'une foule de places. Les routes de la Champagne sont ouvertes; sur les sollicitations de l'héroïne, Charles, renfermé dans la petite ville de Loches, où il vivoit dans l'oisiveté et dans les plaisirs, tandis qu'on faisoit pour lui la conquête de son royaume, se décide alors à la quitter et à marcher vers Reims: car Jeanne avoit déclaré que l'objet principal de sa mission étoit de le conduire dans cette ville pour y recevoir l'onction sacrée. Sur la route elle parvient à ménager une réconciliation entre le roi et son fidèle connétable; la ville de Troyes, qui veut résister, est forcée; Châlons ouvre ses portes; les Bourguignons, renfermés dans Reims, et qui pouvoient le défendre, l'évacuent à l'arrivée de l'armée royale[314]; enfin, le 27 juillet 1429, Charles fait son entrée dans cette ville aux acclamations du peuple, et peu de jours après il y est sacré, et reconnu solennellement roi légitime de la France.

Une révolution si rapide, si inattendue, jeta (p. 390) le duc de Bedfort dans des terreurs qu'il ne lui fut plus possible de dissimuler. Il se vit alors réduit à implorer ce même duc de Bourgogne, que, quelques mois auparavant, il avoit lui-même outragé[315], lorsqu'il voyoit d'avance la chute d'Orléans inévitable, et la conquête de la France assurée. Sur ses instances réitérées, Philippe, respectant encore en lui son beau-frère, vint à Paris et parut se prêter aux mesures qui furent prises pour en contenir les habitants, disposés à se soulever en faveur de leur roi. On tint divers conseils pour former un plan de campagne qui pût arrêter les progrès rapides de l'ennemi. Les chaires retentirent de nouveau de déclamations furieuses contre les Armagnacs; des processions publiques furent ordonnées; enfin, dans une assemblée où il avoit encore convoqué les principaux habitants de Paris, le régent essaya d'exciter leur indignation en faisant relire devant eux le traité conclu entre Jean-sans-Peur et le dauphin, en remettant sous leurs yeux l'assassinat de Montereau, la foi du serment violé, etc.; mais il fut loin d'en obtenir l'effet qu'il attendoit; et ce discours, auquel le duc de (p. 391) Bourgogne mêla ses anciennes protestations, fut accueilli avec des marques visibles d'improbation. On n'en exigea pas moins de nouveaux serments d'attachement au roi d'Angleterre, serments qui n'étoient pas plus sincères que les vaines démonstrations du duc de Bourgogne. En effet ce prince ne tarda pas à reprendre la route de ses états; et tandis qu'on attendoit à Paris des troupes qu'il avoit promises, et qu'il n'envoya pas, il s'arrêtoit à Arras pour y écouter des députés de Charles, qui conçut enfin des espérances fondées de l'amener à cette réconciliation tant désirée.

De nouveaux succès étoient le moyen le plus sûr d'y parvenir; et déjà le monarque vainqueur s'étoit avancé jusqu'à Dammartin[316], menaçant sa capitale. Deux fois le duc de Bedfort en sortit, et vint s'établir dans un camp retranché, en face de l'armée françoise, espérant l'engager dans d'imprudentes attaques; mais l'expérience des fautes passées n'avoit point été perdue; les François surent contenir leur impétuosité, et le régent rentra dans Paris sans avoir pu les faire donner dans le piége. La réduction de Compiègne et de Beauvais suivit de près cet événement; et le prince anglais, qui voyoit en frémissant tomber ainsi toutes les places qui protégeoient la capitale, se vit cependant (p. 392) forcé d'en sortir précipitamment pour aller s'opposer au connétable, qui venoit de se jeter dans la Normandie, avoit surpris Évreux, et parcouroit sans obstacle toute la province. Les précautions qu'il prit avant son départ prouvèrent qu'il ne comptoit plus sur l'affection d'un peuple détrompé. La garnison fut augmentée d'un renfort considérable; une police active et sévère, répandue dans tous les quartiers, jeta la méfiance et l'alarme dans ces cœurs ulcérés et accablés sous le poids de leurs regrets et de leurs maux: car Paris subissoit alors dans toute sa rigueur le sort ordinaire des villes rebelles à leurs souverains légitimes. La misère et la tyrannie avoient détruit ou fait fuir le plus grand nombre de ses habitants, et ceux qui restoient étoient dépouillés chaque jour de leurs biens pour fournir à leurs tyrans de nouveaux moyens de les opprimer. Les gens d'église eux-mêmes n'étoient point épargnés; on s'étoit saisi de tous les dépôts judiciaires; le commerce et l'industrie avoient disparu; enfin Paris n'étoit plus que l'ombre de cette ville autrefois si peuplée et si florissante.

Cependant, ni les forces dont ils s'entouroient, ni la sévérité de leur police, ni l'appareil des supplices ne suffisoient pour rassurer les oppresseurs; et par cette inconséquence, qui est une suite presque inévitable de l'inquiétude continuelle des tyrans, ils imaginèrent de lier par des serments (p. 393) nouveaux un peuple que leurs violences pouvoient à peine contenir. Ce fut l'évêque de Thérouanne, Jean de Luxembourg, gouverneur de la ville en l'absence du duc de Bedfort, qui conçut cette idée absurde de convoquer encore une assemblée générale des cours souveraines, de l'université, des chefs du clergé, des principaux bourgeois, assemblée dans laquelle furent renouvelés et la garantie du traité de Troyes, et ce serment de fidélité déjà prêté tant de fois; mais le comble de la démence fut de nommer des commissaires, qui reçurent l'ordre de parcourir les divers quartiers, et d'y recevoir le même serment de tous les corps et de tous les habitants de la ville.

Le roi étoit alors à Compiègne, incertain s'il marcheroit sur Paris, ou s'il se dirigeroit vers la Picardie, dont les principales villes étoient disposées à le reconnoître. Il paroît que la crainte de causer quelque ombrage au duc de Bourgogne, avec lequel il continuoit toujours à négocier, le détermina à prendre le premier parti. Il entra donc à Saint-Denis, que les ennemis avoient abandonné, et en même temps ses soldats occupèrent les postes de la Chapelle, d'Aubervilliers et de Montmartre. Le duc de Bedfort étoit absent: cette circonstance fit espérer qu'il pourroit s'exciter dans le peuple quelque mouvement favorable[317], (p. 394) et l'on résolut de tenter un assaut. On a accusé Jeanne d'Arc d'avoir conçu cette entreprise vraiment téméraire; mais il existe de fortes preuves qu'elle n'y eut d'autre part que d'y avoir vaillamment combattu. Depuis le grand événement de Reims, regardant sa mission comme finie, elle avoit plusieurs fois sollicité sa retraite, que Charles lui avoit toujours refusée. On la vit dès lors s'éloigner des conseils, et, moins sûre de la victoire, ne plus paroître dans les batailles que pour y prodiguer sa vie, et donner aux soldats l'exemple du courage le plus héroïque.

L'assaut décidé, le dimanche 8 septembre, l'armée, commandée par le duc d'Alençon, le comte de Clermont et le sire de Montmorency, s'approcha (p. 395) de la porte Saint-Denis, et fit de ce côté une fausse attaque, tandis qu'un corps de troupes se portoit sur un retranchement élevé devant le rempart du Marché aux pourceaux, situé à l'endroit où est aujourd'hui la butte Saint-Roch. Le rempart fut emporté; mais le soulèvement sur lequel on avoit compté ne se fit point, parce que les Anglois eurent l'adresse de répandre sur-le-champ dans la ville des bruits sinistres qui jetèrent l'alarme et continrent les esprits. Tandis qu'ils couroient à la défense de la partie attaquée, des voix s'élevèrent dans tous les quartiers, s'écriant que tout étoit perdu; que les royalistes, maîtres de la ville, n'épargnoient personne, et que chacun songeât à sa propre sûreté. Cette ruse eut tout l'effet qu'on en pouvoit attendre; les habitants effrayés se hâtèrent de se réfugier dans leurs maisons, et les royalistes, ne voyant paroître sur les murailles que des ennemis, prirent le parti de se retirer. Jeanne fut blessée dans cette action d'un trait d'arbalète qui lui traversa la cuisse[318]. Quatre (p. 396) jours après l'armée décampa, et prit la route de Lagny-sur-Marne, qui venoit de se soumettre au roi.

Tandis que Charles s'éloignoit, Bedfort rentroit dans Paris, et employoit toutes les ressources de son courage et de son esprit pour réparer ses fautes passées, et ramener la fortune qui l'abandonnoit. Il venoit d'écrire en Angleterre afin de presser l'envoi de nouveaux secours; frappé de l'effet qu'avoit produit sur les peuples la cérémonie du sacre de Charles, il demandoit qu'on fît partir au plus tôt le jeune Henri, et publioit avec éclat que ce prince venoit pour être couronné dans sa ville capitale; il cherchoit enfin à regagner l'amitié du duc de Bourgogne, qu'il combloit de caresses, de marques de déférence, qu'il ne cessoit d'inviter à revenir à Paris, en lui manifestant sa résolution de ne plus rien faire que de concert avec lui.

(1430.) Il y vint en effet, mais ce retour, loin d'avancer les affaires du régent, sembla en précipiter la ruine. Philippe fit son entrée dans cette ville à la tête d'une nombreuse noblesse et de huit cents hommes d'armes, qui lui donnèrent à l'instant sur son allié, humilié et jaloux, une prépondérance qu'augmentoit encore l'affection que lui (p. 397) portoient les Parisiens. Cette supériorité fut telle que peu de jours après il ne craignit point de publier, dans la grand'salle du Palais, une trève que ses députés venoient de conclure, à Saint-Denis, avec les ambassadeurs du roi, principalement pour les provinces de Picardie, d'Artois, de Champagne et de Bourgogne. Il alla plus loin: dans la même journée, sur la demande des habitants et de l'université, il se fit nommer, jusqu'à Pâques de l'année suivante, lieutenant-général du royaume et gouverneur de Paris; et le régent, réduit alors au seul gouvernement de la Normandie, se vit forcé de remettre la plus grande partie de la France entre les mains d'un prince à qui, six mois auparavant, il avoit refusé le séquestre d'Orléans. Outré de dépit, il partit aussitôt pour cette province; et Philippe retourna en Flandre, laissant le maréchal de l'Île-Adam pour commander dans la ville.

L'hiver n'interrompit point les hostilités: elles continuèrent sans aucun succès décisif; mais ces combats partiels, dans lesquels on exerçoit contre les malheureux habitants des provinces toutes les violences que légitimoit alors l'insubordination de l'état militaire, satisfaisoient l'avidité des chefs et des soldats, qui, presque indépendants de leurs souverains, formoient alors plutôt des bandes de partisans que de véritables armées. Aussi la misère des peuples et la barbarie de cette guerre ne se (p. 398) peuvent-elles concevoir: il n'y avoit plus d'asile dans les campagnes pour le laboureur, à qui l'on ôtoit tout, jusqu'au moyen de les cultiver; dans une foule de siéges, où les villes étoient tour à tour prises, reprises par les deux partis, l'usage étoit de ne faire aucun quartier aux habitants, qu'on massacroit tous sans exception, si quelques-uns d'entre eux avoient pris part à la défense; quant à la garnison, on l'envoyoit ordinairement au supplice. Enfin, telle étoit la licence inconcevable de ces temps malheureux, qu'au milieu de cette guerre nationale on vit des seigneurs attachés au bon parti se faire des guerres particulières[319], aussi funestes au roi qu'à eux-mêmes; d'autres, au milieu des suspensions d'armes, ravager les provinces déjà soumises, afin de maintenir sous leurs ordres les aventuriers qu'ils soudoyoient. Il falloit que le prince tolérât toutes ces horreurs, et ce n'étoit qu'en désolant la France qu'il étoit possible de la sauver.

Charles, en quittant l'Île-de-France, en avoit laissé le gouvernement au comte de Clermont, qui s'empara de quelques villes, prenant toujours la précaution de se tenir à une très-petite distance de Paris. Le terme de Pâques approchoit, époque à laquelle le duc de Bourgogne devoit en rendre (p. 399) le commandement aux Anglois: la crainte de rentrer sous leur domination, et la proximité de l'armée royale firent concevoir encore à quelques sujets fidèles le projet de s'emparer de la ville pour la remettre aux généraux de Charles. Les conjurés, au nombre desquels on comptoit plusieurs membres du parlement et du Châtelet, et quelques-uns des principaux bourgeois, trouvèrent le moyen de correspondre avec les royalistes, par l'entremise d'un religieux qui se chargea de la commission périlleuse de porter leurs messages. Toutes les mesures sembloient heureusement concertées; à un signal donné, on devoit livrer une des portes aux troupes du roi; des marques avoient été distribuées pour servir de signe de ralliement à tous les membres de la conspiration; elle alloit éclater, lorsque le religieux fut arrêté. Appliqué à la torture, les tourments lui arrachèrent les noms de ses complices, dont on s'empara, au nombre de plus de cent cinquante; six furent décapités aux Halles, plusieurs exécutés secrètement ou précipités dans la Seine. Quelques-uns rachetèrent leur vie par la perte de leur fortune.

Jusqu'à l'époque qui devoit faire rentrer Paris sous cette autorité royale, après laquelle il soupiroit, il devoit se passer encore de bien nombreux événements. Dans la situation embarrassante où il se trouvoit, le duc de Bedfort n'épargnoit aucun moyen pour s'attacher le duc de Bourgogne: négociations, (p. 400) caresses, dons, promesses, tout fut employé de nouveau pour regagner sa confiance et son amitié. Cette obstination ne fut pas sans quelque succès; toutefois le concert de ces deux princes, plutôt apparent que réel, n'eut d'autre effet que de prolonger les malheurs de la France.

Philippe continua donc à faire la guerre au roi, et commença la campagne par le siége de Compiègne, dont il ne put s'emparer[319]. Mais la plus belle victoire n'eût pas semblé aux Anglois plus avantageuse pour eux que cette vaine entreprise, puisqu'elle les rendit maîtres de celle qu'ils regardoient comme l'unique cause de tous leurs désastres. Jeanne, qui s'étoit jetée dans la place, fut faite prisonnière dans une sortie. Personne n'ignore quelle fut la suite de ce malheureux événement: indignement livrée à ses implacables ennemis, traînée long-temps de cachots en cachots, amenée à Rouen devant un tribunal composé pour sa perte, condamnée par ces barbares au plus affreux supplice, elle fit éclater, dans ce long cours d'iniquités, une patience, une grandeur d'âme qui augmentent encore l'admiration qu'inspirent (p. 401) son courage et ses vertus. L'opprobre dont on voulut la couvrir dans cette infâme procédure, retomba tout entier sur ses juges abominables; et Charles, qui, vingt-cinq ans après, réhabilita sa mémoire et confirma les titres de noblesse qu'il avoit accordés à cette héroïne et à sa famille, ne peut être absous du reproche d'avoir abandonné, dans de telles extrémités, celle à laquelle il devoit son honneur et le salut de la France.

Reprenons la suite des événements: les royalistes triomphoient partout; après la délivrance de Compiègne, une foule de places tombèrent entre leurs mains; Xaintrailles battit les Anglais à Germigni; Barbazan remporta sur les Bourguignons une victoire éclatante à la Croisette[320]; l'empressement des villes et des provinces à rentrer sous l'autorité du roi sembloit s'accroître de jour en jour; (1431) le découragement, la terreur étoient alors passés dans le parti des Anglois, qui n'opposoient plus que des efforts languissants au mouvement de cette révolution qu'un enthousiasme si extraordinaire avoit commencée. Le retour du duc de Bourgogne manquoit seul à la fortune de Charles, qui, du reste, toujours indolent, toujours livré aux caprices et aux intérêts de son favori, ne triomphoit encore que par l'expérience et (p. 402) la valeur de ses généraux. On le vit même, tant étoit grand son aveuglement pour ce La Trémoille qui le dominoit, prendre parti pour lui dans la guerre particulière qu'il avoit en Poitou contre le connétable, et employer, pour assiéger les places du premier officier de sa couronne, des troupes nécessaires au salut de la France et au rétablissement de ses affaires. Tel étoit alors ce prince, qui depuis, par une conduite entièrement opposée, fit voir qu'il étoit loin d'être dépourvu des qualités d'un roi.

Vers ce temps-là Henri VI, qui depuis dix-huit mois étoit en France, quitta enfin la ville de Rouen, et vint à Paris pour cette cérémonie du couronnement, dont on attendoit de si grands effets. Il y fit son entrée, entouré de seigneurs anglois; et l'on doit dire, pour l'honneur de la noblesse françoise, qu'il ne s'y trouva aucun membre de ses plus illustres maisons. La ville déploya, dans cette occasion, toute la magnificence alors en usage dans les entrées de nos rois. Les rues par lesquelles le monarque passa étoient tendues en tapisseries; on avoit élevé d'espace en espace des échafauds sur lesquels des acteurs muets représentoient des mystères[321]. On (p. 403) voyoit près de la porte de Paris un enfant monté sur une longue estrade, revêtu d'habits royaux, et la tête ornée de deux couronnes; autour de lui étoient de jeunes garçons représentant les pairs de France et d'Angleterre, dont ils portoient sur leurs vêtements les armes relevées en broderies. Lorsque Henri VI parut, cette troupe s'avança vers lui, et lui offrit les deux écus des deux nations. Le cortége se rendit d'abord au palais, où le roi s'arrêta quelque temps pour visiter les reliques et autres curiosités de la Sainte-Chapelle; de là il prit le chemin du palais des Tournelles[322], qu'on avoit préparé pour le recevoir. Quelques jours après, ce jeune prince reçut l'onction sacrée, dans la cathédrale, des mains du cardinal de Wincester, et dîna le même jour publiquement au palais. On lui fit tenir ensuite un lit de justice, dans lequel il reçut le serment des corps et l'hommage des seigneurs; du reste le peuple n'éprouva dans cette circonstance solennelle aucune marque de cette munificence paternelle à (p. 404) laquelle ses souverains l'avoient accoutumé; les subsides continuèrent à être levés avec plus de rigueur que jamais; il ne fut accordé aucune grâce ni publique ni particulière; et peu de temps après son couronnement Henri VI quitta Paris et la France pour retourner en Angleterre.

(1432.) Cette année et les trois suivantes n'offrent guère que le spectacle affligeant et monotone de combats partiels, de forteresses emportées tour à tour par les deux partis, de ravages, de massacres, de pillages continuels; mais, au milieu de tant d'horreurs, il est facile de reconnoître que le parti du roi prenoit chaque jour un nouvel ascendant. La ville de Chartres venoit de lui être livrée; peu s'en fallut qu'un coup de main ne le rendît maître de Rouen. Bedfort, dont les embarras augmentoient de jour en jour sur le continent, voyoit croître encore ses alarmes des brouilleries qui s'élevoient en Angleterre, où le parlement refusoit de fournir de nouveaux subsides pour une conquête qui achevoit d'épuiser la nation. Le duc de Bourgogne, occupé dans ses propres états par ses sujets révoltés, étoit sur le point de lui échapper, et ne tenoit plus à son parti que par la tendresse qu'il avoit pour la duchesse de Bedfort sa sœur. La mort prématurée de cette princesse rompit ce dernier lien. Cependant tel étoit l'aveuglement de l'usurpateur, tel étoit l'orgueil dont l'avoit enflé l'habitude du succès, que, dans des conférences (p. 405) qui furent tenues peu de temps après pour tenter d'arriver à une paix générale, il refusa à Charles le titre de roi, et, pour vouloir tout avoir, perdit l'occasion de conserver sans danger la plus grande partie de sa conquête.

Toutefois les événements se pressoient pour sa ruine. Par son nouveau mariage avec Jacqueline de Luxembourg, Bedfort sembla prendre plaisir lui-même à changer en mésintelligence déclarée la froideur qui existoit depuis long-temps entre lui et le duc de Bourgogne; la Normandie entière se souleva; enfin le roi, plutôt fatigué de son favori qu'éclairé sur les torts dont il étoit coupable, permit qu'on le lui enlevât par un moyen à peu près semblable à celui qui l'avoit débarrassé des autres[323], et Richemont, le soutien et l'espoir de la France, fut enfin rappelé. Alors Philippe sort de cette incertitude funeste où il étoit demeuré si long-temps. Décidé à faire sa paix avec le roi, il veut, par un reste d'égards, tenter un dernier effort pour faire entrer l'Anglois dans le traité. Celui-ci, plus aveuglé que jamais, refuse la cession que le roi consent à lui faire de la Guienne et de la Normandie, et se retire sans (p. 406) même daigner entamer les négociations. (1435.) Sa retraite détermine cette paix tant désirée entre le roi et son terrible vassal, qui en dicte les conditions, humiliantes pour son souverain, et par cela même honteuses pour lui, puisqu'elles prouvèrent que c'étoit son intérêt particulier et non un mouvement généreux qui le portoit à un acte d'où dépendoit le salut de la France.

Isabelle de Bavière mourut dix jours après la signature de ce traité. On prétend que la terreur dont fut frappée cette mère dénaturée à la nouvelle d'une paix qui ne lui laissoit plus que la honte d'un crime inutile, hâta le moment de sa mort. Cependant dès long-temps sa punition avoit commencé, et l'histoire offre peu d'exemples aussi frappants des vengeances que le ciel exerce sur les grands coupables. En horreur à tous les bons François qu'elle avoit trahis, méprisée des Anglois eux-mêmes qui profitoient de sa trahison, rassasiée d'outrages, réduite souvent aux dernières extrémités de la misère, depuis la signature du traité de Troyes, elle traînoit, dans l'hôtel Saint-Paul, une vieillesse obscure et déshonorée, n'obtenant pas même la pitié que l'on accorde aux derniers des humains. Cette haine et ce mépris la poursuivirent jusqu'après sa mort: à peine ses funérailles furent achevées, que tous ceux qu'un reste de respect humain avoit forcés d'y assister, abandonnèrent son cercueil; on le transporta, la nuit, (p. 407) de Notre-Dame au port Saint-Landri, escorté seulement de quatre personnes; là il fut déposé dans un petit bateau, qui le conduisit à Saint-Denis, où on l'inhuma, sans aucune pompe, auprès du tombeau de Charles VI[324].

Mais une mort plus remarquable fut celle du duc de Bedfort. Il succomba, comme Isabelle, au chagrin que lui causoit une paix qui achevoit d'arracher la France de ses mains. Sa perte porta le dernier coup au parti anglois, qu'il soutenoit seul depuis long-temps par la vigueur et l'activité de son esprit, après l'avoir ébranlé par son orgueil et sa fausse politique. La nouvelle de sa mort[325] vint encore augmenter les alarmes des troupes qu'il avoit laissées à la garde de la capitale. Les chefs qui les commandoient imaginèrent, dans cette extrémité, de tenter une expédition sur Saint-Denis, qu'ils enlevèrent, et dont ils rasèrent les fortifications. Ils espéroient, par cette opération, ôter du moins une ressource à l'ennemi, qui les pressoit chaque jour davantage; mais les royalistes, maîtres de toutes les places qui environnoient Paris, (p. 408) chassèrent les soldats qui s'étoient logés dans la place démantelée, occupèrent le pont de Charenton, et bloquèrent ainsi cette grande ville de tous les côtés. Bientôt les horreurs de la famine vinrent accroître les maux qu'y causoit la tyrannie.

(1436.) À mesure que la situation de l'étranger devenoit plus périlleuse, cette tyrannie devenoit plus cruelle. La ville étoit remplie de délateurs; la terreur avoit frappé tous les esprits; les fers, les tortures, les supplices punissoient à l'instant non-seulement les murmures, mais le moindre signe d'impatience et de mécontentement; et ce qui peint mieux que tout ce qu'on pourroit dire le désordre affreux de ces temps déplorables, c'est que trois évêques[326] étoient les principaux auteurs de tant de maux. Par l'ordre de cet odieux triumvirat, plusieurs citoyens, soupçonnés seulement d'être attachés au parti du roi, furent précipités secrètement dans la Seine; et l'activité de leurs recherches sembloit rendre toute conspiration impossible.

Il se trouva cependant des hommes d'un courage assez héroïque pour ne pas s'effrayer du danger presque inévitable qui les menaçoit, et pour tenter de nouveau la noble entreprise de remettre Paris sous l'autorité légitime. À leur tête étoit ce (p. 409) Michel Lallier[327] que nous avons déjà vu échouer une fois dans ce grand projet, et qui avoit trouvé, on ne sait comment, le moyen de rentrer dans la ville. Uniquement occupés de l'intérêt commun, ces magnanimes citoyens firent avertir le roi de leur dessein, ne lui demandant, pour prix d'un service aussi signalé, qu'un pardon général pour leurs compatriotes. Assurés de sa parole royale et des promesses du duc de Bourgogne, ils ne pensèrent plus alors qu'aux moyens d'accomplir leur projet; et tandis qu'ils formoient, dans les murs de Paris, un parti composé de tous les habitants dont la fidélité leur étoit connue, le connétable, d'accord avec eux, rassembloit les garnisons des places voisines, et se tenoit prêt à tout événement.

Les mesures furent si bien concertées, et le choix des nouveaux conjurés fait avec tant de bonheur et de prudence, que les ennemis ne purent monter à la source de la conspiration, quoiqu'il en transpirât des indices suffisants pour les jeter dans les plus vives alarmes. Leur trouble se manifesta bientôt dans l'incertitude de leurs résolutions, et dans les mesures insensées qui les suivirent. D'un côté ils écrivoient au conseil de régence établi à Rouen pour demander des secours; de (p. 410) l'autre ils députoient au duc de Bourgogne pour obtenir qu'il ménageât une suspension d'armes. Ils ordonnoient des processions publiques; ils faisoient défendre aux habitants, sous peine de mort, d'approcher des remparts; enfin, comme s'ils eussent voulu se rendre aussi ridicules qu'ils étoient odieux, ils imaginèrent, pour dernière ressource, de faire prêter encore le serment du traité de Troyes. Cependant la garnison angloise, composée seulement de deux mille hommes, manquoit de munitions de guerre, et n'avoit plus de vivres que pour trois jours.

Enfin tout étant préparé pour le succès de la conspiration, les chefs de l'entreprise firent avertir le connétable de s'avancer. Ce prince, suivi seulement d'un corps de troupes suffisant pour seconder la bonne volonté des Parisiens, accompagné du maréchal de l'Île-Adam, du bâtard d'Orléans et de plusieurs autres seigneurs et chevaliers d'un courage éprouvé, marcha toute la nuit, et vint, à la pointe du jour, se poster derrière les Chartreux: c'étoit le vendredi 15 avril 1436. Des soldats qu'il envoya aussitôt à la porte Saint-Michel lui rapportèrent qu'on leur avoit crié, du haut des murs, «Que cette porte ne pouvoit s'ouvrir, qu'ils allassent à celle de Saint-Jacques, et qu'on besognoit pour eux aux Halles.» Richemont, sans perdre de temps, se rend à la porte où il étoit attendu; il y renouvelle à haute voix l'assurance (p. 411) de l'amnistie déjà promise, et à l'instant même on lui ouvre une poterne, par laquelle les gens de pied commencent à défiler. Les premiers entrés brisent la serrure qui retenoit le pont-levis, et donnent passage à la cavalerie. Cependant l'Île-Adam, impatient de se signaler, s'étoit saisi d'une échelle qu'on lui avoit tendue du haut des murailles, et déjà parvenu sur les remparts, il y avoit arboré la bannière royale, en s'écriant ville gagnée! À ces cris, à l'aspect du connétable et de ses braves guerriers qui se précipitoient dans la ville, le peuple s'assemble, les rues retentissent d'acclamations; les cris de vivent le roi et le duc de Bourgogne se mêlent à ceux des vainqueurs. Les Anglois, surpris et effrayés, courent aux armes; Wilbi, gouverneur de la ville, l'évêque de Thérouanne, Morhier, prévôt de Paris, le boucher Sainctyon se mettent à leur tête, et leur troupe se dirige vers les quartiers des Halles, Saint-Denis et Saint-Martin, où ils espéroient pouvoir se retrancher. Mais le signal avoit été donné en même temps partout; partout ils rencontrent les habitants en armes, et portant déjà la croix blanche sur leurs habits. On les presse de toutes parts, on les repousse de rue en rue, on les écrase du faîte des maisons; et, à mesure qu'ils reculent, on tend les chaînes. Animé par ce premier succès, le peuple court au rempart Saint-Denis, et pointe sur eux quelques pièces d'artillerie, qui augmentent (p. 412) encore leur désordre, et les forcent à fuir précipitamment vers la porte Saint-Antoine, où Wilby, accompagné de l'élite de sa troupe, essayoit encore de tenir ferme. Mais tout l'effort de la multitude s'étant alors porté de ce côté, les Anglois, accablés sous le nombre, déjà réduits aux deux tiers des leurs, ne virent plus d'autre moyen de salut que de se renfermer dans la Bastille, où ils eurent à peine le temps d'arriver. Cependant le connétable recevoit, sur le pont de Notre-Dame, Lallier, qui, suivi des autres chefs de la conjuration, venoit lui présenter un étendard aux armes de France. Il embrassa ce généreux citoyen, et, s'adressant aux bourgeois qui l'environnoient: «Mes bons amis, leur dit-il, le bon roi Charles vous remercie cent mille fois, et moi de par lui, de ce que si doucement lui avez rendu la maîtresse cité de son royaume; et si quelqu'un a mépris par devers monsieur le roi, soit absent ou présent, il lui est tout pardonné.» Les soldats reçurent en même temps la défense, sous peine de mort, d'exercer la moindre violence contre les habitants; et le jour même de cette révolution, qui n'avoit pas coûté une seule goutte de sang françois, on vit la tranquillité rétablie dans la ville; des marchés publics, fermés depuis plus de trente années, furent rouverts, et l'abondance et la joie prirent la place de la famine et du désespoir. Deux jours après, (p. 413) les Anglois, pressés par la disette, se trouvèrent heureux d'obtenir une capitulation qui leur permettoit de se retirer en Normandie. Telle étoit la haine qu'ils avoient inspirée, qu'on fut forcé de les conduire par les dehors de la ville pour les soustraire aux insultes de la populace.

Le parlement, auquel il étoit possible d'adresser de justes reproches, mais qui pouvoit aussi s'excuser sur les violences dont on avoit usé à son égard, vint faire ses soumissions. Il étoit alors réduit à vingt membres[328], parmi lesquels on comptoit un très-petit nombre de partisans des Anglois. Avant de lui laisser reprendre le cours de ses séances, le connétable eût désiré avoir l'ordre du roi; mais les inconvénients qui pouvoient résulter de l'interruption de la justice, ne lui permirent pas de l'attendre, et les juridictions (p. 414) inférieures rentrèrent également dans l'exercice de leurs fonctions; enfin le rappel des bannis, sous la condition de prêter un nouveau serment, acheva de combler les vœux de la ville de Paris, qui vit bientôt rentrer dans son sein toutes les familles que les troubles en avoient exilées.

L'université eut sa part de ce pardon général, et elle en avoit besoin. On ne peut dissimuler que, pendant une époque si honteuse pour la France, elle n'eût démenti cette fidélité dont sous les règnes précédents elle ne s'étoit jamais départie. On peut dire plus: c'est qu'elle prodigua aux ennemis de l'État les marques de dévouement le plus vil et le plus lâche, lorsque le parlement, les cours supérieures, le corps de ville, soumis à la même tyrannie, gardoient du moins le silence en lui obéissant. Cependant, malgré ce pardon, cette compagnie perdit, dès ce moment, beaucoup de l'autorité et de la considération[329] dont elle avoit joui jusqu'alors.

(1437.) La guerre continuoit avec les Anglois; mais le duc de Bourgogne, embarrassé par les séditions sans cesse renaissantes de ses sujets, ne pouvoit être d'une grande utilité au roi, qui, (p. 415) après tout, n'en avoit pas un extrême besoin. La campagne de cette année s'ouvrit par la prise de plusieurs places; elle fut surtout mémorable par le siége de Montereau-faut-Yonne, dans lequel Charles, déployant cette valeur héroïque[330] qui semble avoir été héréditaire dans la maison de France, s'exposa plus sans doute qu'il ne convient à un roi, mais accrut encore l'amour de ses sujets, et arracha l'admiration de ses ennemis. Ce fut au milieu de l'éclat que répandoit sur lui cet exploit guerrier que ce prince rentra dans sa capitale, vingt ans après en être sorti. Jamais entrée ne fut plus touchante et plus solennelle: la joie des Parisiens alloit jusqu'à l'ivresse; le souverain et les sujets, également attendris, confondoient ensemble leurs larmes et leurs transports. Les façades des maisons décorées de riches tapis, des spectacles disposés, de distance en distance sur des échafauds, des représentations de mystères, des fontaines d'où couloient des flots de vin et de liqueurs, offroient à chaque pas des témoignages de l'allégresse et de l'enthousiasme des habitants. Les clefs furent présentées au roi, dès le village de la Chapelle, par le corps de ville; les échevins portèrent d'abord le dais, et furent ensuite relevés (p. 416) par le corps des marchands. Le goût bizarre du siècle se mêloit à la magnificence de ce grand appareil: une mascarade composée des sept péchés mortels à cheval, et des sept vertus, conduisoit la marche des seigneurs, du parlement et des juridictions inférieures; trois anges chantant moult mélodieusement, reçurent le roi à la porte Saint-Denis, tandis que d'autres anges, élevés sur une terrasse, entouroient un saint Jean-Baptiste montrant l'Agnus Dei. Le roi et le dauphin s'avançoient au milieu de ce cortége, armés de toutes pièces et la tête découverte. Le grand écuyer[331] portoit le casque, le roi d'armes une cuirasse, et un autre écuyer l'épée royale; à la droite du roi marchoit le connétable, tenant à la main le bâton blanc, marque de sa dignité. Huit cents archers composoient la bataille du roi. Les princes du sang, une foule de seigneurs et de chevaliers se pressoient sur ses pas, étalant sur leurs habits et sur tout leur attirail un luxe éblouissant. Ils étoient couverts, ou plutôt chargés, eux et leurs chevaux, de draps d'or, d'argent, et de plaques d'orfévrerie armoriées. Charles mit pied à terre au portail de la cathédrale, où il écouta la harangue de l'université, et prêta le serment de l'évêque[332]. De (p. 417) l'église il se rendit au palais, où il coucha. Le lendemain le monarque montra lui-même au peuple assemblé les reliques conservées dans la Sainte-Chapelle, et le même jour il quitta la Cité pour aller habiter l'hôtel situé vis-à-vis le palais des Tournelles[333].

Telle fut cette pompe solennelle, qu'on peut (p. 418) vraiment appeler une fête nationale, puisqu'elle sembloit le gage d'un avenir aussi heureux que le passé avoit été misérable. Cependant ces jours de bonheur et de repos étoient encore éloignés. Malgré la misère excessive des peuples, les besoins extrêmes de l'État forcèrent le roi à maintenir les impôts, et même à les exiger avec une sorte de rigueur. Pour comble de maux, une épidémie affreuse, qui se répandit sur toute la France, exerça principalement ses ravages sur Paris, où elle enleva en peu de temps plus de cinquante mille habitants. Le roi se hâta de quitter cette malheureuse ville; les princes, les seigneurs, les gens de guerre la désertèrent en foule; et elle se trouva tellement abandonnée, qu'on eut quelque crainte de la voir retomber au pouvoir de l'ennemi. Mais plusieurs citoyens courageux[334] se dévouèrent dans un péril si imminent, et, bravant les dangers de la contagion, restèrent dans la ville, en prirent le commandement, et y maintinrent un tel ordre, que les Anglois n'osèrent pas faire la moindre tentative. La famine vint joindre ses horreurs à celles de la peste, comme si le ciel n'eût pas encore épuisé toute sa vengeance sur ce peuple coupable, à qui son roi avoit pardonné.

(p. 419) Les dernières années de ce règne, si fécond encore en grands événements, n'ont plus qu'une foible liaison avec l'histoire de Paris, désormais soumis et paisible sous l'autorité de son roi légitime. Charles VII y fit peu de séjour: lorsque la guerre lui donnoit quelque relâche, c'étoit à Chinon, à Tours, à Angers, qu'il faisoit habituellement sa demeure. Une grande partie de la France restoit encore à conquérir: elle ne le fut entièrement qu'au bout de treize années, avec des alternatives continuelles de bons et de mauvais succès. Enfin la bataille de Fourmigni acheva cette grande révolution; et les Anglois, chassés de la Normandie, leur dernier refuge, se virent, en 1450, réduits à la seule ville de Calais, qu'ils possédèrent encore pendant plus d'un siècle. On sait d'ailleurs que Charles eut d'autres ennemis non moins dangereux à combattre. À peine les grands et les princes se furent-ils aperçus que l'autorité royale commençoit à se raffermir, qu'ils renouèrent leurs intrigues et recommencèrent leurs cabales; et, chose singulière, le dauphin[335], depuis si jaloux de son autorité et des prérogatives du trône, lorsqu'il fut devenu roi, se trouvoit sans cesse mêlé à toutes ces révoltes, prêtoit aux factieux l'appui de son nom et les encourageoit par son exemple. Personne (p. 420) n'ignore à quel point les égarements de ce fils ingrat et rebelle, les trahisons de ceux-là même qui avoient reçu les marques les plus éclatantes de sa faveur, et ces conspirations sans cesse renaissantes dont il étoit entouré, répandirent d'amertume sur les derniers jours de Charles VII. Il fut le seul qui ne jouit pas de ce repos que donnoient à la France ses victoires et ses travaux. Quelque temps avant sa mort il soupçonna même la fidélité des Parisiens, et cessa de revenir au milieu d'eux. Toutefois ses soupçons n'étoient pas fondés[336]; et si l'on excepte les disputes éternelles de l'université avec les bourgeois et les autres autorités, il ne se passa rien dans cette ville qui en troublât la tranquillité, ni qui mérite d'être remarqué.

(1461.) Charles mourut à Mehun-sur-Yèvre, le 22 juillet de cette année. Si l'on en croit les historiens du temps, un homme de la cour, qu'il aimoit et qui lui avoit donné des preuves de fidélité et d'attachement dont il lui étoit impossible de douter, étant venu l'avertir qu'on cherchoit à l'empoisonner, et lui ayant même fait entendre que le dauphin n'étoit point étranger à cet horrible complot, (p. 421) l'impression qu'il reçut de cette révélation fut si terrible, qu'elle le jeta dans une espèce de frénésie pendant laquelle il refusa obstinément de prendre aucune nourriture, quelle que fût la main qui la lui présentât. Lorsqu'il fut revenu à lui, il n'étoit plus temps; et cette longue abstinence[337] avoit attaqué en lui le principe de la vie. Il mourut quelques jours après, dans de grands sentiments de piété, demandant pardon à Dieu de son incontinence, qui étoit presque l'unique vice que l'on pût reprocher à cet excellent roi.

On ne sauroit comprendre le jugement étrange que porte de ce prince le président Hénault: «Charles VII, dit-il, ne fut que le témoin des merveilles de son règne; on eût dit que la fortune, en dépit de l'indifférence du monarque, et pour faire quelque chose de singulier, s'étoit plu à lui donner à la fois des ennemis puissants et de vaillants défenseurs, sans qu'il semblât avoir part aux événements..... Sa vie étoit employée en galanteries, en jeux, en fêtes, etc.» Il est vrai que la première moitié de cette vie si orageuse semble oisive: retiré au-delà de la Loire, on ne voit point le monarque détrôné paroître à la tête de ses soldats; il se laisse maîtriser par ses favoris; il se livre à son goût pour les voluptés; (p. 422) il n'est occupé que d'amusements frivoles. Mais au milieu même de ces foiblesses et de ces désordres que nous ne pensons point à justifier, il savoit confier la conduite de ses armées et le soin de défendre ce qu'il n'avoit point encore perdu de son royaume, aux La Hire, aux Xaintrailles, à tout ce que la France possédoit alors de plus vaillants hommes, qui devinrent depuis d'habiles généraux; et c'est déjà beaucoup pour un prince aussi jeune et d'aussi peu d'expérience que de savoir choisir ses serviteurs. Peut-être même, comme l'observe très-judicieusement le P. Daniel, étoient-ce ces braves capitaines eux-mêmes qui, voyant que le salut de l'État étoit tout entier dans la conservation de ce prince, l'éloignoient par prudence des dangers qu'il auroit courus dans un temps où son parti pouvoit à peine se soutenir contre les Anglois, maîtres alors de la plus grande et la plus belle partie de son royaume. Mais, dès qu'une suite de victoires qu'on peut appeler miraculeuses l'eût placé dans une position plus digne d'un roi de France, il ne faut que lire le simple récit des faits d'un si glorieux règne, pour reconnoître dans Charles VII toutes les qualités qui font les grands princes, une bravoure qui va jusqu'à l'héroïsme, une activité infatigable qui nous le montre à la tête de ses armées, partout où la guerre semble présenter quelque chose de grand et de décisif: car, et c'est encore une remarque de l'historien que (p. 423) nous venons de citer, ce fut cette résolution qu'il prit de faire la guerre en personne autant qu'il le pourroit, qui fut le salut du royaume, et qui sembla fixer désormais la victoire sous ses drapeaux. Dans sa conduite envers un fils ingrat et des sujets révoltés, il n'est pas moins admirable par un mélange de fermeté, de prudence et de bonté, qui lui ramenoit les uns, et réduisoit bientôt les autres à n'avoir plus d'autre recours que la clémence du prince qu'ils avoient offensé. Ajoutons encore que son administration fut ferme et bienfaisante; qu'il fit une foule de réglements utiles, principalement dans l'administration de la justice, raffermissant ainsi par sa sagesse le trône dont l'épée de ses capitaines lui avoit d'abord rouvert le chemin, et dont la sienne avoit achevé la conquête.

Mais si les peuples furent plus tranquilles et plus heureux sous son gouvernement qu'ils ne l'avoient été depuis bien des siècles, ils durent surtout cet état nouveau de calme et de bonheur à une entreprise d'une politique et d'une vigueur qui annoncent dans ce prince un esprit aussi éclairé que courageux. Nous avons montré à quel point, au commencement de la troisième race, le gouvernement féodal avoit dégénéré de sa première institution, et l'anarchie désastreuse qui avoit été l'inévitable conséquence d'une si profonde corruption. Au milieu de ces longs désordres, les peuples étoient devenus libres; ils avoient été armés; (p. 424) et les malheureux règnes que nous venons de parcourir nous prouvent que cette révolution qui avoit créé un troisième ordre dans l'État y avoit introduit en même temps un ferment nouveau de révolte et de destruction, plus redoutable peut-être que tous les maux qui jusqu'alors l'avoient désolé. Dans cette lutte continuelle des vassaux contre le souverain, on avoit vu cette puissance nouvelle flotter au milieu des partis, au gré de ses passions aveugles et féroces, se fortifier des divisions funestes qui agitoient l'État, et prendre un tel ascendant qu'il eût fallu une toute autre puissance que celle des rois d'alors pour la détruire; et qu'essayer de la diriger étoit tout ce qu'il étoit possible de faire: c'est ce que fit Charles VII. Les armées n'étoient plus comme autrefois uniquement composées de gentilshommes: à l'exception de quelques corps d'élite, ce n'étoit plus, sous la conduite de quelques seigneurs indociles, qu'un ramas de vagabonds indisciplinés, plus redoutables peut-être pendant la paix que pendant la guerre, qui, portant partout le pillage et la désolation, achevoient de détruire ce que l'ennemi avoit oublié de piller et de ravager. De tous les maux dont la France étoit accablée, c'étoit le plus intolérable; c'étoit l'obstacle le plus grand à l'entière expulsion de l'ennemi qui l'avoit envahie: car, après l'avoir vaincu, il devenoit impossible avec de pareilles troupes de profiter de la victoire. Charles sut donc se servir avec la plus (p. 425) grande habileté de cette puissance nouvelle que les malheurs publics lui avoient donnée: sous prétexte d'avoir toujours sur pied des troupes suffisantes pour résister aux invasions des Anglois, ce prince, en licenciant ses autres troupes, conserva un corps de neuf mille hommes d'infanterie et de seize mille cavaliers; des fonds furent assignés pour l'entretien de cette petite armée, qui fut soumise à une discipline militaire constante et régulière, commandée par des officiers dévoués au monarque, et distribuée dans les places de son royaume qu'il jugea les plus favorables à la surveillance générale qu'il vouloit établir. La plus illustre noblesse ne tarda pas à briguer l'honneur d'entrer dans ce corps, et s'accoutuma dès lors non-seulement à n'attendre que du souverain les honneurs et les récompenses, mais encore à dépendre absolument de son autorité. Il résulta de cette heureuse innovation que la milice féodale, composée de vassaux rassemblés à la hâte sous les bannières de leurs seigneurs, tomba peu à peu dans le mépris, parce qu'elle ne pouvoit soutenir la comparaison avec cette troupe vraiment militaire; elle cessa par là même d'être redoutable au prince, et dès ce moment l'action du pouvoir monarchique devint plus imposante et plus régulière.

C'étoit avoir fait un grand pas; et la véritable monarchie eût été dès lors établie en France, si, (p. 426) par une inconséquence que maintenant on peut à peine expliquer, et qui fut, ainsi que nous l'avons déjà dit, commune à tous les rois de la troisième race, et comme le fond de leur politique, Charles VII n'eût point, à l'imitation de ses prédécesseurs, attaqué et affoibli autant qu'il étoit en lui de le faire la puissance spirituelle dont tous ces rois auroient dû faire leur principal refuge, et dans laquelle ils eussent indubitablement trouvé leur plus solide appui. C'est sous ce règne que l'on vit pour la première fois dans l'Occident un concile élever sa puissance au-dessus de celle du pape qui l'avoit convoqué, poser des bornes à sa juridiction, pousser même l'audace jusqu'à élire un autre pontife, lorsqu'il n'avoit d'existence que par la volonté de ce même pape qu'il prétendoit déposer; et par une contradiction non moins inexplicable que tout le reste, on vit le roi de France, en même temps qu'il recevoit les décrets du concile de Bâle dans tout ce qui attaquoit la juridiction papale, repousser les décrets de ce même concile en demeurant dans l'obédience d'Eugène, et en rejetant le pape schismatique que ce concile avoit créé. Telle fut l'origine de la fameuse pragmatique-sanction, l'une des plus grandes plaies qui aient été faites à l'Église et aux sociétés chrétiennes, plaie que les siècles suivants n'ont fait qu'accroître et envenimer. Nous réservons pour le commencement du règne de Louis XI le tableau de tant d'outrages faits au (p. 427) chef de la chrétienté dès le règne de Philippe-le-Bel et peut-être même auparavant; et nous essaierons ensuite, et dans tout le cours de cette histoire, de faire comprendre, même aux plus aveugles et aux plus prévenus, quels en furent pour le pouvoir temporel les funestes résultats.

Il n'y eut sous ce règne d'autre fondation que celle de l'hôpital des veuves, dans le quartier Saint-Eustache[338].

LES HALLES.

Le premier marché qu'il y ait eu à Paris étoit situé dans la Cité, entre le monastère de Saint-Éloi et la rue ou chemin qui conduisoit d'un pont à l'autre, et qui subsiste encore sous le nom de la rue du Marché-Palu. L'accroissement de la ville du côté du nord obligea d'en établir un autre à la place de Grève, et ce nouveau marché subsista jusqu'au règne de Louis VI, dit le Gros[339]. (p. 428) D'après les conjectures les plus probables, ce fut ce prince qui le fit transporter sur l'emplacement qu'il occupe encore aujourd'hui, lequel n'étoit originairement qu'une grande pièce de terre nommée Campelli, Champeaux ou Petits-Champs, et située entre l'ancienne ville de Paris et quelques-uns des bourgs qui y furent renfermés sous Philippe-Auguste.

Ce territoire étoit dans la censive de plusieurs seigneurs: le roi, l'évêque de Paris, le chapitre de Sainte-Opportune, le prieuré de Saint-Martin-des-Champs, celui de Saint-Denis-de-la-Chartre, l'évêque de Thérouanne, en avoient chacun une partie[340]. Ces droits divers, défendus avec toute la licence qu'autorisoit alors le régime féodal, donnèrent de l'embarras à nos rois, qui ne parvinrent à lever de tels obstacles qu'en faisant des transactions, et en accordant des indemnités, dont il est resté des traces jusque dans le dix-septième siècle. Dans une charte de l'an 1137, Louis VII reconnoît devoir cinq sous de cens au chapitre de (p. 429) Saint-Denis-de-la-Chartre, pour le rachat de ses droits sur un fonds de terre dans Champeaux. Il est probable que tous les autres propriétaires reçurent de semblables dédommagements; mais ce fut surtout l'évêque de Paris qu'il fut difficile de satisfaire. Possesseur de la plus grande partie de ce vaste emplacement, il fallut que le roi consentît à partager avec lui et la souveraineté et les droits qui se percevoient dans le marché. C'est alors que fut faite cette fameuse transaction dont nous avons déjà parlé[341], par laquelle il fut convenu que l'évêque jouiroit de la troisième partie de tous ces droits[342].

Quoique tout porte à croire que le règne de Louis-le-Gros fut l'époque de la translation du marché de la Grève aux Champeaux, cependant les historiens ni aucuns titres ne nous donnent de renseignements certains sur l'époque précise de ce nouvel établissement; on ne connoît pas non (p. 430) plus d'une manière positive quelle étoit l'étendue de ce terrain, dont Sauval établit les bornes du côté de la ville à l'endroit de la rue Saint-Denis où étoit le couvent des religieuses de Saint-Magloire[343]. Les juifs établis dans Champeaux, comme il est (p. 431) prouvé par une bulle de Calixte II de l'an 1119[344], occupoient alors, suivant toutes les apparences, l'espace qui est entre les rues de la Lingerie, de la Tonnellerie et de la Cordonnerie. Un diplôme de Louis VII de 1137[345], appelé la grande charte de Saint-Martin, nous apprend qu'il y avoit aussi en cet endroit des merciers et des changeurs.

À peine Philippe-Auguste fut-il monté sur le trône, qu'il s'occupa du soin d'embellir et d'agrandir la ville de Paris. Le marché de Champeaux lui ayant paru mériter une attention particulière, il le fit environner de murs, et y transféra la foire de Saint-Ladre ou Saint-Lazare, qu'il acheta à cet effet des religieux de ce prieuré, et des lépreux, qui, demeurant hors la ville, avoient apparemment quelques droits sur cette foire. Cette acquisition fut faite en 1181; et si quelques auteurs ne placent l'établissement des Halles que deux ans plus tard, c'est que la construction n'en fut entièrement achevée qu'en 1183. Elle se composoit de magasins ou appentis bien clos pour conserver les marchandises et les préserver des injures de l'air, (p. 432) et d'étaux pour les exposer en vente. Lorsque ce marché eut été achevé, on eut soin d'y adapter des portes qui étoient exactement fermées la nuit, pour la sûreté des marchands et celle de leurs denrées. L'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens facilitèrent l'exécution de cet utile établissement.

Les Halles s'augmentèrent sous saint Louis. Ce prince y fit construire deux bâtiments pour les marchands de draps, et un troisième pour les merciers et corroyeurs. Ces derniers lui payèrent d'abord 75 livres de loyer, vu qu'il en étoit propriétaire; mais en 1263 ils obtinrent de ce prince l'entière propriété de leur marché, à charge de 13 deniers parisis de cens et d'investiture. Saint Louis permit aussi aux lingères et aux vendeurs de menues friperies d'étaler le long d'un des murs du cimetière des Saints-Innocents.

Philippe-le-Hardi y ajouta une halle pour les cordonniers et les peaussiers. Enfin, dans les siècles suivants, les Halles se multiplièrent tellement, qu'il n'y avoit guère de sorte de marchands qui n'eût la sienne. C'est de là que viennent les noms de la plupart des rues environnantes, telles que celles de la Toilerie, la Lingerie, la Cordonnerie, la Friperie, la Poterie, etc.; on y vendoit aussi, à certains jours, des œufs, du beurre, des graisses, du poisson, des grains et du vin; enfin plusieurs marchands forains y avoient (p. 433) des halles particulières qui portoient le nom de leurs villes, telles que la halle de Douai, d'Amiens, celles de Pontoise, de Beauvais, etc.[346].

Les halles subsistèrent en cet état jusqu'à François Ier; alors on nomma des commissaires pour retirer au profit du roi les loges et étaux du domaine qui avoient été aliénés. On racheta les halles, on les détruisit pour en former de nouvelles, telles à peu près qu'on les voyoit avant la révolution; ce qui ne fut entièrement exécuté que sous Henri II.

Les Champeaux ou les halles étoient un des anciens lieux patibulaires de Paris. Dès l'an 1209 plusieurs criminels y avoient été suppliciés; et Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, y fut décapité sur un échafaud qui étoit dressé à demeure sur cette place[347]. Le pilori, situé près de l'endroit (p. 434) où se tient encore aujourd'hui, à certains jours, le marché au beurre et au fromage[348], n'a été démoli qu'en 1786. C'étoit une tour octogone[349], (p. 435) percée à l'étage supérieur de grandes fenêtres sur toutes les faces; au milieu de cet espace vide on avoit pratiqué une machine de bois tournante, également percée de trous, dans lesquels on faisoit passer la tête et les bras de certains criminels, tels que les banqueroutiers frauduleux, les concussionnaires et autres, dont les délits n'étoient pas assez graves pour que la loi les condamnât à la perte de la vie. On les y exposoit pendant trois jours de marché consécutifs, deux heures chaque jour; et de demi-heure en demi-heure on leur faisoit faire le tour du pilori pour qu'ils fussent vus de tous les côtés et exposés aux insultes de la populace.

Dans cette même place, auprès de la tour dont nous venons de parler, s'élevoit une croix, ainsi qu'il y en avoit aux autres gibets de Paris. C'étoit au pied de cette croix que les cessionnaires devoient venir déclarer l'abandon qu'ils faisoient de leurs biens, et qu'ils recevoient le bonnet vert de la main du bourreau. Sans cette cérémonie infamante, les effets de la cession n'avoient pas lieu.

La disposition des Halles a reçu de grandes (p. 436) améliorations lors de la suppression du cimetière des Innocents et de la démolition de l'église et des charniers qui environnoient cette enceinte, démolition qui étoit à peine entièrement effectuée au moment de la révolution. Voici la situation des différentes halles ou marchés dans les dernières années de la monarchie.

Halle à la Marée.

Cette halle étoit située auprès de la rue de la Cossonnerie. À l'époque où saint Louis destina ce lieu à la vente du poisson de mer, il dépendoit d'un fief appartenant à une famille de Paris, du nom d'Hellebick, qu'il fallut indemniser, et à laquelle on accorda pour cet effet de certains droits à prendre sur la vente du poisson. Après l'extinction de la famille Hellebick, ce droit se trouva partagé: une partie fut acquise par les élus et procureurs de la marchandise de poisson de mer; l'autre fut cédée, en 1530, à l'Hôtel-Dieu de Paris[350]. Le manoir de ce fief et les droits (p. 437) qu'il donnoit sur la vente du poisson ont subsisté jusqu'à la suppression des droits féodaux.

Halle au Poisson d'eau douce.

Elle se tenoit, avant la révolution, dans une maison située rue de la Cossonnerie. C'étoit là que se faisoit, à trois heures du matin, la distribution du poisson aux petits marchés de Paris[351].

Halle à la Viande.

Elle se tenoit dans la boucherie de Beauvais, située vis-à-vis de la rue au Lard, entre la rue Saint-Honoré et celle de la Poterie[352].

Halle aux Fruits.

C'étoit dans l'ancienne halle au blé, où se tient aujourd'hui le marché de la viande, que se vendoit (p. 438) tout le fruit qui arrivoit à Paris. Cette vente se faisoit pendant la nuit et au lever du jour[353].

Halle aux Poirées.

Elle occupoit un emplacement situé entre la rue de la Fromagerie (maintenant rue du Marché aux Poirées), celle de la Lingerie et la rue aux Fers[354].

Halle aux Herbes et aux Choux.

Il se tenoit le long de la rue de la Ferronnerie, et obstruoit le passage avant que les charniers eussent été abattus[355].

Halle au Fromage.

Elle se tenoit le mardi matin, sur l'ancienne place de la halle au blé. C'étoit là que l'on vendoit aussi le beurre et les œufs[356].

(p. 439) Halle aux Cuirs.

Cette halle étoit originairement située entre la rue au Lard et celle de la Lingerie. On la transféra, en 1785, rue Mauconseil, dans un autre emplacement dont nous aurons bientôt occasion de parler.

Halle aux Draps et aux Toiles.

Cette halle, isolée entre les rues de la Poterie et de la Petite-Friperie, aboutit par ses deux extrémités opposées aux rues de la Lingerie et de la Tonnellerie. Elle a été restaurée en 1787, sur les dessins et sous la conduite de MM. Legrand et Molinos, qui employèrent, pour la couvrir, les procédés déjà si heureusement appliqués à la coupole de la halle au blé. Ce monument, composé d'une voûte en berceau, formant un demi-cercle parfait de cinquante pieds de diamètre sur quatre cents pieds de longueur, est éclairé par un grand nombre de croisées carrées, que séparent des arcs doubleaux ornés de sculpture, et présente, dans sa masse et dans ses détails, une élégante simplicité[357].

(p. 440) L'ÉGLISE DES SAINTS-INNOCENTS.

L'église des Saints-Innocents étoit située vis-à-vis la rue Saint-Denis, sur une partie de l'emplacement des halles. Cette église doit être mise au nombre des plus anciennes de Paris; et, quoiqu'on ignore la date précise de sa fondation, des titres authentiques prouvent qu'elle existoit déjà dans le douzième siècle. En effet, sans citer l'autorité des auteurs du Gallia christiana, qui disent qu'en 1150 les doyen et chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois consentirent au décret de l'évêque de Paris, qui décidoit que la présentation à la cure des Saints-Innocents appartiendroit au chapitre de Sainte-Opportune, on trouve dans un Cartulaire de Saint-Magloire[358] l'acte d'une permutation faite en 1156 contre le chapitre de Saint-Merri et l'abbaye Saint-Magloire, à laquelle (p. 441) ce chapitre donne une certaine portion de terrain en échange d'une autre qui est au chevet de l'église des Saints-Innocents: Pro parte cujusdam terre que est ad capucium ecclesie Sanctorum Innocentium.

L'existence de l'église des Saints-Innocents dans le douzième siècle est encore confirmée par les bulles d'Adrien IV, du 4 des ides de mars 1159, et d'Alexandre III, des calendes d'octobre 1178, lesquelles énoncent, parmi les priviléges du chapitre de Sainte-Opportune, le droit de nomination à la cure des Saints-Innocents, droit confirmé par une foule d'actes subséquents, et d'autant plus légitime que le terrain sur lequel cette église étoit bâtie appartenoit primitivement à ce chapitre[359].

D'après des actes si précis et si authentiques, on ne peut s'empêcher d'être étonné qu'il ait régné une si grande diversité d'opinions entre les historiens de Paris sur l'origine de cette église. La plupart se contentent de dire qu'elle fut bâtie ou rebâtie sous le règne de Philippe-Auguste: quelques-uns même ont insinué que ce prince y employa une partie des sommes confisquées sur les juifs, lors de leur (p. 442) expulsion du royaume, ce qui placeroit l'origine de ce monument à une époque postérieure à l'an 1182. Nous venons de donner la preuve qu'il existoit bien antérieurement[360].

D'autres, sur la foi d'une ancienne chronique, ont avancé que l'église des Saints-Innocents fut construite à l'occasion d'un jeune enfant appelé Richard, que les juifs avoient crucifié à Pontoise; et la seule preuve qu'ils en rapportent, c'est que, dans cette chronique, elle est quelquefois désignée sous le nom de Saint-Innocent (Ecclesia Sancti Innocentii). On ne peut avancer une assertion dont la fausseté soit plus évidente. En effet l'événement dont il est question eut lieu à Pontoise dans l'année 1179; et, selon d'autres historiens du temps, le corps du jeune martyr y fut transféré de cette ville dans l'église des Innocents: donc elle existoit à cette époque, et nous ajouterons qu'il est même très-probable que déjà elle avoit été reconstruite[361].

(p. 443) Sur l'origine du nom qu'elle portoit, il y a lieu de croire que cette église, bâtie à l'angle du cimetière, avoit remplacé une chapelle dédiée sous le vocable des saints Innocents, pour lesquels le roi Louis VII avoit une dévotion particulière. On sait en effet que dans les anciens cimetières il y avoit toujours quelque chapelle dans laquelle les fidèles venoient offrir des prières pour les morts; et ce qui fortifie cette opinion, c'est qu'à l'époque où Philippe-Auguste fit entourer de murs le cimetière de Champeaux, rebâtir et augmenter[362] l'église des Saints-Innocents, il existoit dans cet enclos une chapelle semblable sous le nom de Saint-Michel[363], laquelle fut renfermée dans l'enceinte de l'église: on la voyoit dans la seconde aile, du côté du midi.

Cette église ne fut dédiée qu'en 1445, par (p. 444) Denis Dumoulin, patriarche d'Antioche et évêque de Paris. L'époque de cette dédicace a fait encore croire à quelques auteurs que, construite sous Philippe-Auguste, elle avoit été rebâtie en 1445. Ils auroient évité cette erreur s'ils eussent fait attention qu'on ne peut pas déduire de l'époque de la dédicace d'une église celle de sa construction. En effet, il y avoit un grand nombre d'églises à Paris, qui, quoique élevées dans le quatorzième et le quinzième siècle, n'avoient été dédiées que dans le seizième, les évêques ne faisant guère autrefois de dédicaces qu'elles ne leur fussent demandées[364].

Une statue de bronze adossée à l'un des piliers de la chapelle de la Vierge représentoit Alix La Burgote, recluse[365] du quinzième siècle, décédée en 1466, et inhumée dans cette paroisse. Cette (p. 445) figure, originairement couchée sur un marbre noir soutenu par quatre lions de bronze, formoit la décoration d'un tombeau qui avoit été élevé à cette sainte fille par ordre de Louis XI. Ce même monarque avoit fondé dans cette église, en 1474, six places d'enfants de chœur pour y faire le service en musique, ce qui s'est exécuté jusqu'à sa destruction.

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES INNOCENTS.

TABLEAUX.

Sur le maître autel, un tableau représentant le massacre des Innocents, par Michel Corneille.

SCULPTURES ET TOMBEAUX.

Dans une chapelle voisine de la porte méridionale, on voyoit la figure en relief d'un prêtre revêtu des habits sacerdotaux, et la tête couverte de l'aumusse. Cette représentation gothique, d'une assez bonne exécution, paroissoit être du commencement du treizième siècle.

Les personnages les plus remarquables inhumés dans cette église étoient:

Simon de Perruche, évêque de Chartres, neveu du pape Martin VI, mort en 1297: sa tombe étoit dans le chœur.

Jean Sanguin, seigneur de Betencourt, conseiller et maître de la chambre des comptes, mort en 1425, et Guillaume Sanguin, échanson du roi Charles VI, conseiller et maître d'hôtel du duc de Bourgogne, vicomte de Neufchâtel, mort en 1441. Ces deux personnages avoient été inhumés dans le même tombeau.

On y voyoit aussi les épitaphes de plusieurs personnes du nom de Potier, à commencer par Nicolas Potier, seigneur de Groslay, mort en 1501, jusqu'à Bernard Potier de Blancmesnil, mort en 1610.

(p. 446) Les historiens de Paris rapportent une anecdote qui peint assez vivement les mœurs singulières des temps malheureux dont nous venons de tracer un rapide tableau. En 1429, lorsque les Anglois étoient encore maîtres de Paris, un cordelier nommé frère Richard arriva dans cette ville pour y prêcher la réforme et la pénitence. Afin de frapper plus vivement les esprits, il déclara d'abord à la multitude qu'il venoit d'outremer, où il avoit visité le tombeau de J.-C. Cette circonstance fit à l'instant de ce moine un objet de vénération, et la foule se porta dans l'église des Saints-Innocents, où le nouvel apôtre, monté sur un échafaud de huit à neuf pieds de hauteur, prêcha plusieurs jours de suite depuis cinq heures du matin jusqu'à dix, sans qu'un sermon aussi long parût le fatiguer, ni ennuyer cinq à six mille personnes qui s'étouffoient pour l'entendre. L'impression qu'il fit fut telle que les auditeurs, touchés jusqu'aux larmes, sortoient de son sermon pour allumer des feux où ils jetoient leurs dez, leurs cartes, les billes de billards, les boules et autres jeux. Les femmes, par un plus grand sacrifice encore, y faisoient brûler leurs rubans, leurs parures, en chargeant d'injures pieuses toutes ces frivolités. Les flammes consumèrent encore un grand nombre de talismans connus alors sous le nom de madagoires, mandragores ou mains de gloire, que les plus (p. 447) crédules conservoient précieusement dans leurs maisons comme des gages certains des faveurs de la fortune. Frère Richard prêcha aussi dans d'autres églises, notamment dans celle de Notre-Dame de Boulogne. Enfin il devoit débiter son dernier sermon un dimanche à Montmartre: l'empressement pour aller l'écouter fut si vif, qu'un grand nombre d'habitants de Paris de tout sexe et de tout âge sortirent de la ville dès le samedi, et couchèrent dans les champs, afin d'être mieux placés le lendemain à cette intéressante cérémonie. Mais leur attente fut cruellement trompée; et le matin ils apprirent, à leur grand chagrin, que frère Richard étoit sorti précipitamment de Paris pour aller joindre le roi Charles. Ce monarque, sentant de quelle utilité pouvoit être un homme qui avoit un talent si merveilleux pour toucher la multitude, n'avoit rien épargné pour l'attirer dans son parti. Ainsi la politique d'alors, plus habile que celle de nos jours, savoit appeler la religion à son secours; et dans ces temps de confusion, de désordre, la religion étoit en effet son plus ferme appui, ou, pour mieux dire, son unique refuge. On abusa sans doute trop souvent de ce ministère de paix et de vérité, mais cette fois-ci il fut habilement employé dans une cause noble et juste; et frère Richard contribua, en prêchant dans les villes et les villages, à augmenter le nombre des partisans du roi. Du (p. 448) reste, on ne tarda pas à l'oublier à Paris. «On regretta, disent les historiens, les billards brûlés; les femmes reprirent tous les affiquets et les joyaux qu'elles avoient abandonnés, et toutes mirent bas les médailles au nom de Jésus qu'elles portoient, pour remettre à la place la croix de saint André que frère Richard leur avoit fait ôter.»

L'église des Innocents n'avoit de paroissiens que dans trois rues. Sa circonscription comprenoit la rue de la Ferronnerie, des deux côtés, la partie de la rue Saint-Denis qui étoit derrière l'église, et le côté de la rue aux Fers qui touchoit à la galerie du cloître, ce qui formoit en tout soixante à quatre-vingts maisons. L'abbé Lebeuf cite cinq ou six chapellenies fondées dans cette église pendant le cours du quinzième siècle.

LE CIMETIÈRE DES SAINTS-INNOCENTS.

Ce cimetière, qui occupoit l'emplacement où se tient actuellement le grand marché aux fruits et aux légumes, avoit fait autrefois partie du territoire (p. 449) de Champeaux, situé à peu de distance de l'enceinte de la ville. Il est probable que, dès la plus haute antiquité, ce terrain fut destiné à la sépulture des habitants de ce quartier[366]; car les premiers chrétiens, à l'imitation des Romains, n'enterroient point leurs morts dans les villes, mais sur les grands chemins ou dans les champs qui en étoient voisins. Il n'y avoit, dans les premiers temps du christianisme, que les rois, les princes, les évêques et les abbés qui obtinssent l'honneur d'être inhumés dans les cryptes des basiliques, ou dans les oratoires qu'on avoit bâtis auprès: c'est ainsi que Clovis, sainte Clotilde sa fille, et les enfants de Clodomir eurent leur tombeau dans la basilique de Saint-Pierre, depuis consacrée à Sainte-Geneviève; Childebert, dans celle de Saint-Vincent; et Saint-Germain, évêque de Paris, dans l'oratoire de Saint-Symphorien.

Le lieu dont nous parlons servit d'abord de cimetière aux paroissiens de Saint-Germain, et devint bientôt commun, d'abord aux paroisses qui en furent démembrées, ensuite à quelques autres, ainsi qu'aux hôpitaux qui se trouvoient dans le voisinage. C'étoit, dans le principe, un grand terrain ouvert de toutes parts, au milieu d'un espace (p. 450) entièrement désert; mais lorsque les Champeaux eurent été renfermés dans la ville, et qu'on eut établi les halles à peu de distance de ce lieu consacré, il arriva que le silence religieux qui devoit y régner fut bientôt troublé par le bruit et le passage continuel d'une population entière qui se portoit en foule aux divers marchés; les cendres des morts furent profanées, foulées aux pieds par les hommes et par les animaux les plus vils; les anciens historiens prétendent même, ce qui semble presque incroyable, que, dès que le jour avoit cessé, il devenoit, pour les dernières classes du peuple, un lieu de débauche et de prostitution. Instruit de ces désordres, Philippe-Auguste se hâta d'y remédier, en faisant entourer ce cimetière de murs où l'on pratiqua des portes qui ne s'ouvroient que pour les cérémonies funéraires. Cette clôture fut faite en 1186[367], quoique plusieurs auteurs mal informés la placent deux ans plus tard.

L'augmentation progressive des habitants de Paris se faisant sentir très-rapidement, surtout dans ce quartier, il devint bientôt urgent de donner plus d'étendue au cimetière: ce fut aux libéralités de Pierre de Nemours, évêque de Paris, que l'on dut cet accroissement. Ce prélat fit don, en 1218, d'une place qui lui appartenoit du côté (p. 451) des halles, laquelle, d'après son intention, fut jointe à l'ancien emplacement[368]. Depuis, cet enclos n'a point été augmenté.

LES CHARNIERS.

Autour du cimetière des Innocents s'élevoit une immense galerie voûtée, connue sous le nom de Charniers[369]. Ses arcades avoient été construites à diverses époques, et notamment vers la fin du quatorzième siècle, par plusieurs notables bourgeois de Paris, dont elles portoient le chiffre ou les armes[370]. Quelques-unes offroient des inscriptions, principalement celle qui avoit été élevée par Nicolas Flamel, du vivant de sa femme; elle étoit située du côté de la rue de la Lingerie: on y voyoit le chiffre de cet écrivain, N. F., et plusieurs figures symboliques, entre autres un homme tout (p. 452) noir peint sur la muraille. Lorsqu'en 1786 on détruisit cette enceinte, il y avoit long-temps que toutes ces figures avoient disparu, mais on y déchiffroit encore ce reste d'inscription.

Hélas mourir convient,
Sans remède homme et femme,
........ Nous en souvienne.
Hélas mourir convient,
Le corps ..........
Demain peut-être dampnés,
A faute ........
Mourir convient,
Sans remède homme et femme.

La première arcade du côté de la rue Saint-Denis étoit encore due aux libéralités de Flamel; et c'est là qu'étoit placé le monument que cet homme, si singulièrement célèbre, avoit fait élever uniquement pour sa femme: car l'opinion qui veut qu'il ait aussi été enterré sous les charniers des Innocents est fausse; il eut sa sépulture à Saint-Jacques-de-la-Boucherie[371]. Ce tombeau de Pernelle a vivement exercé l'imagination d'une foule de visionnaires entêtés des chimères de l'alchimie, lesquels ont prétendu trouver, dans les figures qui y étoient représentées, ainsi que dans (p. 453) celles du portail de Notre-Dame, un sens mystérieux et profond qui n'a jamais existé que dans leurs cerveaux malades[372].

(p. 454) AUTRES MONUMENTS ET CURIOSITÉS DU CIMETIÈRE DES SAINTS-INNOCENTS.

La Tour de Notre-Dame-des-Bois. Ce monument, qui a subsisté jusqu'à la suppression du cimetière, est au nombre de ceux dont l'origine et l'usage sont entièrement inconnus. Il étoit d'une forme octogone, d'une construction demi-gothique, haut d'environ quarante pieds, et placé en avant et à droite du portail de l'église. Sauval et Piganiol, qui lui ont supposé une antiquité antérieure même au christianisme, antiquité que démentoit le seul aspect de sa construction, ont débité à ce sujet une foule de conjectures dépourvues de preuves et de critiques. Nous croyons que, dans l'ignorance complète où nous sommes à ce sujet, le silence est préférable à de vaines et inutiles suppositions. Une niche contenant l'image de la Vierge, et pratiquée dans sa partie orientale, lui avoit fait donner le nom qu'il a porté jusqu'à sa destruction[373].

La Croix Gastine. Cette croix avoit d'abord été élevée sur l'emplacement d'une maison appartenante à Philippe de Gastine, pendu en 1571, par arrêt du parlement, pour avoir tenu chez lui (p. 455) des assemblées de calvinistes. Nous avons déjà dit que, par suite de l'édit de pacification accordé à ces sectaires, cette croix avoit été transportée dans le cimetière des Innocents: elle étoit placée vis-à-vis la première arcade des charniers du côté de la rue Saint-Denis, et près de la face latérale de l'église. Ce monument, d'une forme pyramidale et d'une architecture élégante, étoit surtout remarquable par un bas-relief de la main de Jean Goujon, représentant le triomphe du Saint-Sacrement[374].

Le Prêchoir. C'étoit un petit bâtiment carré, orné de quatre pilastres qui supportoient un toit pyramidal extrêmement élevé. Il étoit situé vis-à-vis le portail de l'église, et à peu de distance de la partie des Charniers qui s'étendoit le long de la rue aux Fers. Nous ignorons quelle étoit la destination de cette construction singulière; mais son nom semble indiquer qu'elle servoit à faire des sermons ou des conférences à certains jours de l'année[375].

Le Calvaire. Ce monument gothique, et de plein relief, étoit placé du même côté sous une arcade des charniers, et entouré d'une grille dans toute sa hauteur. Il représentoit, suivant toutes les apparences, le Christ apparoissant aux saintes Femmes. Il a été entièrement détruit.

La chapelle de Villeroy. Ce petit monument, d'un style gothique assez élégant, étoit adossé aux Charniers qui régnoient le long de la rue de la Lingerie. On ignore à quelle époque il a été construit, et quel nom il portoit avant que la famille de Villeroy en eût fait l'acquisition pour en faire un lieu de sépulture qui lui appartenoit exclusivement[376].

La chapelle Pomereux. Elle étoit située du même côté, en se rapprochant de la rue de la Féronnerie. C'étoit un simple massif carré, en pierres de taille, surmonté d'une calotte et d'une croix. Elle servoit également de sépulture à la famille dont elle portoit le nom.

Le Squelette de Germain Pilon. Cette petite figure en ivoire étoit précieusement conservée dans une armoire pratiquée dans une (p. 456) des faces de la tour de Notre-Dame-des-Bois, et qui ne s'ouvroit pour le public qu'une fois par an, le jour de la Toussaint. Cet ouvrage, digne, par son exécution, du sculpteur célèbre qu'on en croit l'auteur, avoit été déposé, depuis la révolution, au Musée des monuments françois.

Le cimetière des Innocents contenoit encore un grand nombre d'autres monuments sépulcraux, croix, tombes, inscriptions, etc., dont nous ne tarderons pas à parler.

SÉPULTURES.

Parmi la multitude innombrable de personnes qui avoient été inhumées dans ce cimetière, on n'en cite qu'un très-petit nombre qui méritent d'être remarquées; savoir:

Jean Le Boulanger, premier président du parlement, mort en 1482.

Cosme Guymier, président aux enquêtes, écrivain du quinzième siècle.

Jean l'Huillier, conseiller au parlement, mort en 1535.

André Sanguin, conseiller, mort en 1539.

Nicolas Lefebvre, qui fut précepteur de Henri de Bourbon, prince de Condé, puis de Louis XIII, mort en 1612.

Le célèbre historien François-Eudes de Mézerai, mort en 1683.

Suivant Gilles Corozet, on lisoit, de son temps, dans ce cimetière, l'épitaphe suivante, gravée sur une plaque de cuivre:

Cy gist Iollande Bailly, qui trépassa l'an 1514, la quatre-vingt-huitième année de son âge, la quarante-deuxième de son veuvage, laquelle a vu ou pu voir, devant son trépas, deux cent quatre-vingt-treize enfants issus d'elle[377].

(p. 457) Les galeries des charniers étoient occupées par un grand nombre de marchands de toute espèce, par des écrivains publics, qui ne craignoient pas d'habiter continuellement un foyer de putréfaction, dont l'activité devenoit de jour en jour plus forte et plus dangereuse. Il y avoit déjà long-temps qu'on en sentoit les graves inconvénients, même pour la ville entière, au centre de laquelle il étoit placé. Dès l'an 1765, le parlement de Paris avoit rendu un arrêt par lequel il ordonnoit qu'à partir du 1er janvier 1766 il ne seroit plus fait d'inhumations dans les cimetières situés dans l'intérieur de la ville; et il avoit en même temps indiqué les endroits qui paroissoient les plus convenables et les plus commodes pour huit cimetières communs. Il sembloit que la sagesse d'un tel réglement n'eût dû éprouver ni obstacles ni contradictions: cependant, par des motifs plus spécieux que solides, et qui n'auroient pas dû entrer un moment en comparaison avec un intérêt aussi grand que celui de la conservation des citoyens, l'exécution de cet arrêt fut suspendue pendant très-long-temps, et ce n'est qu'en 1780 qu'on cessa (p. 458) tout-à-fait d'enterrer des morts dans le cimetière des Innocents.

La démolition en fut commencée environ six ans après, sous la direction de MM. Legrand et Molinos. On abattit l'église et les charniers; les fosses furent ouvertes à une grande profondeur, et l'on s'occupa d'en recueillir les ossements avec le soin le plus religieux. Tandis que cette opération se faisoit, on préparait hors de la ville un lieu convenable pour les recevoir. Une maison située près de la barrière Saint-Jacques, et nommée la Tombe-Isouard, avoit paru propre à remplir le but qu'on se proposoit, en ce qu'elle étoit située au-dessus des carrières de Montrouge, et qu'il étoit facile d'y ouvrir une communication avec ces vastes souterrains: un puits fut creusé à cet effet dans un petit enclos attenant à cette maison, et les ossements, apportés successivement dans des chariots couverts, y furent descendus et déposés sur deux lignes parallèles, et à six pieds de hauteur. Des prêtres en surplis et chantant l'office des morts suivoient les chariots. Lorsque le transport fut entièrement achevé, on éleva un mur en maçonnerie qui sépara ces nouvelles catacombes des autres parties des carrières, et l'archevêque lui-même y descendit pour les bénir[378].

(p. 459) Quant aux monuments sépulcraux, tels que les croix, les tombes en pierre et en plomb, les épitaphes et autres inscriptions, ils furent rangés avec beaucoup d'ordre dans le jardin de cette maison, où l'on a pu les voir encore dans les premiers temps de la révolution. Nous croyons que, sous le règne de la Convention, ils ont été en grande partie détruits ou dispersés.

HÔTELS.

Hôtel du comte d'Artois (détruit).

Cet hôtel, qui appartenoit à Robert II, neveu de saint Louis, et que probablement il avoit fait bâtir, étoit situé dans la rue dite aujourd'hui Comtesse-d'Artois, entre les rues Pavée et Mauconseil. Nous apprenons que ce prince avoit fait percer le mur d'enceinte en cet endroit, tant pour sa commodité que pour celle du public; et l'on y avoit pratiqué, par son ordre, une fausse porte, laquelle prit le nom de Porte au comte d'Artois, et le donna, dit-on, à la rue.

(p. 460) LA PLACE ET LA FONTAINE DES INNOCENTS.

Cette fontaine, construite en 1550 sur les dessins de Pierre Lescot, et ornée de sculptures par Jean Goujon, n'avoit point dans l'origine la forme qu'elle offre maintenant. Composée alors seulement de trois arcades, elle occupoit l'angle de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers, développant en ligne droite deux de ses arcades sur cette dernière rue, et la troisième en retour sur la rue Saint-Denis. Dans cet espace, elle remplaçoit une ancienne fontaine qui existoit dès le treizième siècle, puisqu'il en est fait mention dans un accord passé en 1273, entre Philippe-le-Hardi et le chapitre de Saint-Merri. Chacune de ses arcades, comprise dans la hauteur d'un ordre de pilastres composites, avec piédestal, entablement et attique, étoit couronnée d'un fronton, et le tout s'élevoit sur un soubassement d'où l'eau (p. 461) s'échappoit par de petits mascarons. Cinq figures de naïades occupoient les intervalles des pilastres, et six bas-reliefs ornoient les frontons et les entablements.

Lorsque la démolition de l'église et des charniers des Innocents eut été achevée, et que l'on eut converti leur emplacement en un marché public, on sentit aussitôt la nécessité de décorer d'un monument public la nudité de cette place immense. La destination du lieu indiquoit que ce monument devoit être une fontaine, et l'on regrettoit que celle des Innocents, reléguée à l'une de ses extrémités, n'offrît pas dans sa construction un ensemble qui la rendît propre à cette décoration. L'irrégularité de sa forme sembloit y opposer en effet des obstacles invincibles, lorsqu'une inspiration heureuse rendit tout-à-coup facile ce qui d'abord avoit paru impraticable. M. Six, architecte, eut la gloire de résoudre ce problème abandonné par mille autres: il proposa au baron de Breteuil, alors ministre de Paris, d'oser changer la forme primitive de cette fontaine, et de la reconstruire au centre de la place sans faire aucun changement à sa décoration, mais en ajoutant seulement une quatrième face aux trois premières, et en faisant du tout un carré parfait.

Ce moyen à la fois simple, ingénieux et économique, dont le résultat étoit d'isoler, sous un aspect peut-être encore plus élégant, un monument (p. 462) conçu dans son origine sur un plan si différent, fut accueilli avec empressement, et valut une récompense à son inventeur. Sous la direction de M. Poyet, alors architecte de la ville, et de MM. Legrand et Molinos, architectes des monuments publics, la fontaine fut démontée, transportée et reconstruite sans que la sculpture eût éprouvé la moindre altération. M. Pajou, chargé de l'exécution des bas-reliefs et des trois figures qui devoient décorer la nouvelle façade, sut imiter le style de son modèle de manière à mériter des éloges. Les lions du soubassement et les autres ornements furent partagés entre MM. l'Huilier, Mézières et Daujon. Le monument offrit alors, dans son nouvel ensemble, un quadrilatère surmonté d'une coupole recouverte en cuivre, et formée en écailles de poisson: le tout, posé sur un socle et des gradins de dix pieds de hauteur, présenta une élévation totale de quarante-deux pieds et demi.

Ce chef-d'œuvre, l'honneur de l'école françoise, et comparable peut-être aux plus belles productions de l'antiquité, n'a pas toujours été apprécié à sa juste valeur, même par des gens de l'art; et, dans le siècle dernier, un architecte célèbre[379] trouvoit qu'il n'avoit pas le caractère mâle qui convenoit à une fontaine; que les ornements trop (p. 463) riches et trop recherchés dont il est couvert étoient une faute contre le goût et les convenances. Plus éclairés aujourd'hui sur les vrais principes de la belle architecture, les connoisseurs admirent au contraire avec quel discernement exquis les deux grands artistes ont su allier, dans leur ouvrage, la simplicité de l'ensemble à la richesse des détails, étaler avec une sage retenue, et dans une harmonie parfaite, ce que l'architecture a de plus brillant, ce que la sculpture peut offrir de plus élégant et de plus gracieux. Ce n'étoit pas trop de tout le luxe corinthien pour accompagner ces bas-reliefs incomparables dans lesquels Jean Goujon semble s'être surpassé lui-même. C'est là surtout que l'on peut voir ce qu'étoit le talent de cet homme extraordinaire, qu'on a comparé au Corrége pour la grâce de ses productions, et qui certainement l'emportoit de beaucoup sur lui pour la noblesse du style et la pureté du dessin. Ici la finesse des contours, la souplesse des mouvements, l'heureux agencement des draperies sous lesquelles le nu se développe avec le sentiment le plus délicat, tout rappelle la naïveté et la perfection de l'antique, dont Goujon a été, depuis la renaissance des arts, le plus excellent imitateur; et nous ne craignons point d'être accusés d'exagération, en donnant à ces bas-reliefs le premier rang parmi les chefs-d'œuvre de la sculpture moderne.

Cette merveille de l'art excita, dès son origine, (p. 464) une vive et profonde admiration, devenue plus grande encore aujourd'hui que le goût de l'école est plus que jamais porté vers l'étude et l'imitation de l'antique. Cependant nous ferons remarquer comme une singularité assez frappante qu'elle ne put inspirer au meilleur poëte latin du dix-septième siècle, chargé d'en faire l'éloge, qu'une pensée froide et absurde, renfermée dans un distique qu'on ne laissa pas de graver sur le soubassement. Au milieu de tant de grâces et de perfections, Santeuil ne fut saisi que de la vérité avec laquelle le sculpteur avoit rendu les eaux, qui cependant sont d'une imitation très-médiocre, par la raison qu'il est impossible à la sculpture de les imiter; et cette impression bizarre lui fit composer ces deux vers, qui ne le sont guère moins:

Quos duros cernis simulatos marmore fluctus,
Hujus nympha loci credidit esse suos.

Dans les petites tables placées au-dessous des impostes, on lit ces mots: Fontium Nymphis; et, avant que cette fontaine eût été changée de place, une inscription françoise, gravée sur le soubassement du côté de la rue Saint-Denis, faisoit savoir que ce côté avoit été disposé, en 1708, pour fournir une plus grande quantité d'eau.

Cet édifice, dont l'entretien avoit été fort négligé, fut réparé dans cette même année 1708. Vers 1741 on se proposa de le restaurer une (p. 465) seconde fois; mais comme cette restauration auroit altéré la beauté de la sculpture, que les entrepreneurs avoient imaginé de faire regratter, on fit heureusement jeter bas les échafauds avant que cette opération barbare eût été commencée; et il fut décidé que l'on conserveroit à la postérité ce magnifique ouvrage dans toute sa pureté[380].

Fontaine du Marché-Carreau ou Pilori.

Elle fut construite en 1601, alors qu'Antoine Guyot, président en la chambre des comptes, étoit prévôt des marchands; mais les eaux n'y furent conduites que sous la prévôté de François Miron. C'est à quoi faisoit allusion l'inscription en vers latins qu'on y lisoit avant la révolution:

Saxeus agger eram, ficti modo fontis imago:
Viva mihi laticis Miro fluenta dédit[381].

(p. 466) RUES ET PLACES DU QUARTIER DES HALLES.

Rue de la Chanverrerie. Un de ses bouts donne dans la rue Saint-Denis, l'autre dans celle de Mondetour. L'orthographe du nom de cette rue a considérablement varié. On trouve Chanverie dans Guillot, Chanvrerie dans la taxe de 1313, Chanvoirerie dans Corrozet, Champ-verrerie dans Sauval, Chanverrerie dans de Chuyes, Champvoirie dans La Caille, Champvoirerie, Chanvoirie, etc. Cette différence d'orthographe a fait naître deux opinions sur l'étymologie de ce nom. Quelques-uns ont cru que l'endroit où cette rue est située étoit une campagne, ou faisoit partie du terrain de Champeaux, dans lequel se seroit trouvée une verrerie; et qu'ainsi il faut écrire Champ-verrerie. Ce sentiment, destitué de toute preuve, n'est appuyé que sur l'autorité de Sauval. L'autre opinion fait venir le nom de cette rue du mot chanvre, et semble plus probable. En effet, 1o on trouve qu'on vendoit aux halles les filasses et les chanvres, et l'on ne trouve aucune mention ni indice qu'il y ait eu une verrerie en cet endroit; 2o le nom de Chanverie que lui donne Guillot, et celui de Chanvrerie qu'on lit dans la taxe de 1313, sont plus analogues au chanvre qu'à une verrerie; (p. 467) 3o ce qui semble lever toute difficulté est le mot latin Canaberia, que des actes lui donnent. Dans les lettres de Pierre de Nemours, évêque de Paris, du mois de juin 1218[382], il est fait mention d'une maison in vico de Chanaberia, prope S. Maglorium. Dans un amortissement du mois d'octobre 1295, cette rue est nommée Vicus Canaberie[383]; et afin qu'on ne la confonde pas avec une autre, elle y est indiquée in censiva Morinensi (le fief de Thérouenne). Enfin les registres capitulaires de Notre-Dame indiquent toujours cette rue sous les noms de Chanvrie, de Chanvrerie[384].

Rue Comtesse d'Artois. Elle commence à la pointe Saint-Eustache, et finit à la rue Montorgueil, au coin de la rue Mauconseil. Dans les titres du quatorzième siècle, elle est indifféremment nommée rue au comte d'Artois; rue de la Porte à la Comtesse, et rue à la Comtesse d'Artois. Le nom de rue au comte d'Artois venoit de Robert II, neveu de saint Louis, dont l'hôtel étoit situé entre les rues Pavée et Mauconseil. Cette rue est confondue maintenant avec la rue Montorgueil, dont elle a pris le nom[385].

(p. 468) Rue de la Cordonnerie. Elle traverse de la rue de la Tonnellerie au marché aux Poirées. Elle a pris son nom des cordonniers[386] et vendeurs de cuirs, qui quittèrent, suivant les apparences, la rue des Fourreurs nommée d'abord de la Cordonnerie, pour venir s'établir aux halles dans celle que nous décrivons.

Rue de la Coçonnerie, ou Cossonnerie. Elle va de la rue Saint-Denis aux halles. Cette rue est fort ancienne. Sauval dit[387] qu'au douzième siècle elle portoit le nom de Via Cochoneria, et en 1330 de la Coçonnerie. On lit Vicus Quoconneriæ dans un titre de Saint-Magloire, en 1283[388]; in Buco Coconnerie ante halas, dans un acte du mois (p. 469) d'octobre 1295. Sauval dit que ces noms viennent des cochons et de la charcuterie qu'on y vendoit, ou des volailles, gibiers et œufs qui s'y débitoient, Cossonnerie voulant dire la même chose que Poulaillerie. On la trouve indiquée dans nos nomenclatures Cossonnerie, ce qui ne suit pas aussi exactement l'orthographe du vieux mot latin que l'autre manière.

Rue du Cygne. Elle va de la rue Saint-Denis dans celle de Mondetour, et doit ce nom à une enseigne. Dès la fin du treizième siècle on connoissoit la maison O Cingne. Guillot indique la rue au Cingne, et le rôle de 1314 la rue au Cigne.

Rue de l'Échaudé. C'étoit un petit passage qui alloit de la rue au Lard dans celle de la Poterie. On ignore d'où lui vient ce nom qu'on ne donne qu'à trois rues disposées en triangle: il se confond maintenant avec la rue Le Noir, dont il fait la suite.

Rue de la Pointe Saint-Eustache. Un de ses bouts donne à l'extrémité de la rue Traînée, et l'autre se termine aux halles, au coin de la rue de la Tonnellerie. Son nom vient, selon quelques-uns, du clocher de l'église de Saint-Eustache, qui étoit bâti en pointe ou pyramide. Selon d'autres, il vient de la pointe formée par les rues qui y viennent aboutir. Ce carrefour est en effet indiqué en 1300 et dans les siècles suivants sous le nom de la Pointe Saint-Huystace. Nous avons déjà dit que nous croyons cette rue la même que celle qui est désignée par Guillot sous le nom de Nicolas Arode[389].

Rue aux Fers. Elle va de la rue Saint-Denis au marché aux Poirées. On a beaucoup varié sur le nom (p. 470) de cette rue qui est très-ancienne, étant connue dès le treizième siècle. Sur plusieurs plans, tant anciens que modernes, on lit rue aux Fers; d'autres écrivent au Ferre, et aux Fèves. Le voisinage de la halle où l'on vend des légumes a sans doute servi de fondement à cette dernière dénomination. Le rôle de 1313 et d'autres actes l'indiquent sous le nom de rue au Feure. Sauval dit qu'elle le portoit en 1297[390]; et il peut lui convenir, ainsi que celui de Fouare, qui signifie aussi paille, parce qu'on croit, dit-il, qu'elle a servi de marché. Jaillot pense que son véritable nom est celui de rue au Fèvre, qu'on écrivoit anciennement au Feure la consonne v ne se distinguant point alors dans les actes d'avec la voyelle u. Dans ce sens le mot fèvre veut dire un artisan, un fabricant, faber. C'est ainsi qu'elle est nommée dans un arrêt du 26 mars 1321: in capite vici Fabri juxta halas. Ainsi la dénomination de rue aux Fers, qu'on lui donne depuis plus de cent cinquante ans, n'a pas d'autre fondement que l'usage.

Rue de la Friperie (la grande et la petite). Ces deux rues doivent leur nom aux fripiers qui en habitent la plus grande partie; elles aboutissent toutes deux à la rue de la Tonnellerie. La grande rue de la Friperie se termine à la rue Jean-de-Beausse, et la petite à celle de la Lingerie[391].

Rue de la Fromagerie. Elle aboutit d'un côté dans la rue de la Pointe-Saint-Eustache; de l'autre dans le marché aux Poirées. On la nommoit anciennement (p. 471) vieille Fromagerie, sans doute à cause des marchands de fromage qui y demeuroient[392]; et c'est ainsi qu'on la trouve indiquée dans les plans de la fin du quinzième siècle. Guillot l'appelle de la Formagerie.

Rue Jean-de-Beausse. Elle traverse de la rue de la Friperie dans celle de la Cordonnerie, et doit son nom à un particulier qui y avoit un étal. Il en est fait mention dans un compte du hallage, en 1484. Son nom n'a pas varié depuis[393].

Rue au Lard. Elle commence à la rue de la Lingerie et aboutit à la boucherie de Beauvais. Presque toutes les nomenclatures portent rue Aulard, comme si elle eût emprunté ce nom d'un particulier. Cependant il (p. 472) est certain qu'on y vendoit autrefois du lard et des charcuteries, ce qui donne lieu de croire qu'il faut écrire au Lard, opinion que fortifie la vue de plusieurs anciens plans où l'on s'est conformé à cette orthographe[394].

Rue de la Lingerie. Une de ses extrémités donne dans la rue de la Féronnerie, l'autre dans le marché aux Poirées, au coin de la rue aux Fers. Elle doit son nom aux lingères et vendeurs de menues friperies à qui saint Louis permit d'étaler le long du cimetière des Innocents jusqu'au marché aux Poirées, privilége qui leur fut confirmé par plusieurs de ses successeurs. Les gantiers étoient établis de l'autre côté de cette rue: aussi trouve-t-on dans plusieurs actes la lingerie et la ganterie indiquées au même endroit. Les étaux de lingères subsistèrent en ce lieu jusqu'au règne de Henri II. Ce prince, ayant racheté toutes les halles, vendit cet emplacement à des particuliers pour y construire des maisons[395], lesquelles ont formé une rue qui a pris le nom de rue de la Lingerie.

Rue de Mondetour. Elle aboutit d'un côté dans la rue des Prêcheurs, et de l'autre dans celle du Cygne. Guillot et ceux qui l'ont suivi ont écrit Maudetour, et avec raison. Elle est ainsi nommée dans les rôles de 1300 et de 1313; et ce nom subsistoit encore du temps de Corrozet. Sauval dit qu'elle s'appeloit, au quatorzième siècle, Maudestour et Maudestours[396], et, depuis la rue du (p. 473) Cygne jusqu'à celle de la Truanderie, ruelle ou rue Jean Gilles. On varie sur l'étymologie de ce nom. L'abbé Lebeuf a inféré du nom de Maudetour, qui veut dire mauvais détour, ou que c'étoit un endroit dans lequel on avoit fait quelque mauvaise rencontre, ou que ce nom pouvoit venir de l'ancien château de Maudestor[397]. Jaillot pense que c'est un nom de famille, et il cite à l'appui de son sentiment plusieurs titres anciens, et entre autres les déclarations rendues en 1540, parmi lesquelles on trouve celle d'une maison sise rue Pyrouet en Thérouenne, aboutissant des deux parts aux héritiers de feu Claude Foucault, sieur de Maudetour[398].

Rue Le Noir. Cette rue, qui donne de la rue Saint-Honoré dans celle de la Poterie, a été ouverte depuis 1780, et doit son nom à M. Le Noir, lieutenant-général de police.

Rue Pirouette. Voyez Tirouane.

Rue de la Poterie. Elle donne d'un bout dans la rue de la Lingerie, et de l'autre dans celle de la Tonnellerie. Son nom lui vient des poteries qui s'y vendoient encore dans le dix-septième siècle. Elle a porté anciennement les noms de rue des deux Jeux de Paume, rue Neuve des deux Jeux de Paume, parce qu'effectivement il y en avoit deux qui occupoient l'emplacement où est aujourd'hui la halle aux draps et aux toiles.

Rue des Potiers d'Étain. On désigne sous ce nom la partie des piliers des halles qui règne depuis la rue Pirouette jusqu'à celle de la Cossonnerie. Elle doit ce nom aux potiers d'étain qui s'y sont établis. On la désignoit plus ordinairement sous le nom général de Piliers (p. 474) des Halles, et quelquefois sous celui de Petits Piliers, parce qu'il y en a un plus petit nombre de ce côté[399].

Rue des Prêcheurs. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Denis, et de l'autre à la halle. On la connoissoit sous ce nom dès le douzième siècle. Sauval dit qu'en 1300 elle s'appeloit rue aux Prêcheurs, et depuis au Prêcheur, à cause d'une maison où pendoit pour enseigne le prêcheur, et qui étoit nommée en 1381 l'hôtel du Prêcheur[400].

Jaillot croit que la maison et l'enseigne devoient leur nom à un particulier: car il dit avoir vu des lettres de Maurice de Sully, évêque de Paris, de l'an 1184[401], qui attestent que Jean de Mosterolo avoit donné à l'abbaye de Saint-Magloire ce qu'il avoit de droit in terra Morinensi, et 9 sous sur la maison de Robert le Prêcheur, Prædicatoris. Au siècle suivant, cette rue se nommoit des Prêcheurs; elle est indiquée ainsi dans un amortissement du mois de juin 1252, concernant une maison située in vico Prædicatorum[402].

Rue de la Réale. Elle donne d'un bout dans la rue de la grande Truanderie, et de l'autre sous les piliers des halles. Dans les titres du quinzième siècle, elle est appelée ruelle ou rue Jean Vingne, Vuigne, Vigne, des Vignes. Ce mot, que Jaillot croit être une altération de celui de Jean Bigne, Bingue ou Bigue, ainsi que l'écrivoit Guillot, a été le nom de plusieurs particuliers dont les actes font mention[403]. Du reste, on trouve cette (p. 475) rue déjà désignée sous le nom de la Réale, sur tous les plans du dix-septième siècle.

Rue Tirouane. Elle va d'un côté aux rues de Mondetour et de la Petite Truanderie, et de l'autre aux piliers des halles. On la connoît également sous le nom de rue Pirouette. Il y a apparence que ce terrain formoit anciennement deux rues, dont l'une s'appeloit Therouenne, qui est le nom du fief. Quant au nom de la seconde, il a été souvent altéré. On trouve dans la liste des rues du quinzième siècle, rue Petonnet, et rue Tironne, ou Térouenne; dans Corrozet et Bonfons, rue du Petonnet, du Peronnet, Tironnet et Teronne. Enfin elles semblent ne former plus qu'une seule rue sous le nom de Pirouet en Tiroye, en Tiroire, en Theroenne, Tirouer, Therouanne et Tirouanne; en 1413, Pierret de Terouenne; Pirouet en Therouenne dans le quinzième et le seizième siècle; enfin Pirouette en Therouenne, qui est son véritable nom.

Rue de la Tonnellerie. Elle aboutit d'un côté à la rue Saint-Honoré, de l'autre à celle de la Fromagerie et à la halle; elle portoit ce nom dès le treizième siècle. On la trouve quelquefois désignée sous le nom de la Toilerie, parce qu'autrefois cette rue étoit distinguée en deux parties: la Tonnellerie étoit la rue ou chemin sous les piliers, l'autre côté étoit la Toilerie. On l'appeloit aussi rue des Toilières; et au quatrième livre des comptes de Marcel, en 1557, elle est indiquée rue des Toilières, qui fait front aux rues de la Tonnellerie et aux Toilières du côté de la halle au blé. On connoît plus particulièrement cette rue sous le nom des grands Piliers des Halles[404].

(p. 476) Rue de la Grande Truanderie. Elle traverse de la rue Comtesse d'Artois dans celle de Saint-Denis. On donne à ce nom deux étymologies: les uns le font venir du vieux mot truand, qui signifioit un gueux, un vagabond, un diseur de bonne aventure, espèce de gens que les partisans de cette étymologie supposent avoir occupé autrefois cette rue, à laquelle ils auroient donné leur nom. D'autres, et c'est le plus grand nombre, font dériver ce nom du vieux mot tru, truage, qui signifie tribut, impôt, subside. Jaillot penche pour cette dernière opinion. «De ce mot trus, dit Pasquier dans ses Recherches, vient celui de Truander, pour dire gourmander, parce que ceux qui sont destinés à exiger les tributs sont ordinairement gens fâcheux qui ont peu de pitié des pauvres, sur lesquels ils exercent les mandements du roi.» Il y a grande apparence, ajoute-t-il, qu'on donna le nom de truanderie aux rues où les bureaux de ces fermiers et receveurs étoient établis.

Guillot parle en cet endroit du carrefour de la Tour.

Où l'on geite mainte sentence
En la maison à dam Sequence[405].

Ce carrefour étoit la première entrée des halles; il est vraisemblable qu'on y percevoit les droits sur les marchandises qui arrivoient à ce marché, et que la rue en avoit pris le nom qu'elle n'a point cessé de porter jusqu'à ce jour. Ce carrefour subsiste encore à l'endroit où les deux rues de la Truanderie forment un angle.

(p. 477) Rue de la Petite Truanderie. Elle commence au coin de la rue Mondetour et aboutit dans la rue de la Grande Truanderie, à la place du puits d'Amour[406], d'où cette rue fut appelée anciennement rue du Puits d'Amour et de l'Arian, ou Arienne.

Rue Verdelet. Cette rue, qui traverse de la rue Mauconseil dans celle de la Grande Truanderie, se nommoit anciennement rue Merderiau, Merderai, Merderel (p. 478) et Merderet. On a adouci ce mot en changeant deux lettres; et, au commencement du dix-septième siècle, on la nommoit déjà rue Verdelet.

MONUMENTS NOUVEAUX
ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.

Marché des Innocents. Il étoit autrefois occupé tous les jours par des marchands fripiers, immédiatement après avoir servi de marché aux légumes. Depuis la révolution, les fripiers ont été transportés au marché du Temple; et sur le vaste emplacement de la place des Innocents on a élevé quatre rangs de poteaux figurés en colonnes, et soutenant des charpentes recouvertes en ardoises; et là sont placés plus commodément ceux qui vendent les légumes, les herbes, les fruits, etc.

Marché au Poisson. Il a été nouvellement construit sur son ancien emplacement: c'est un grand carré, circonscrit et divisé par des poteaux. Ceux de l'extrémité sont en pierres de taille, et ceux de l'intérieur simplement en bois et d'une plus petite dimension. Tout ce carré est couvert, et abondamment pourvu d'eau par diverses fontaines.

Ancienne halle à la Viande. Elle est aujourd'hui destinée à la vente du beurre et des œufs, et se divise comme les autres en compartiments formés par des poteaux que recouvre une toiture. Plusieurs maisons ont été abattues afin de rendre l'entrée de cette halle plus commode.

(p. 479) Fontaine de la Pointe-Saint-Eustache. Cette fontaine, dont la simplicité étoit extrême, a reçu une décoration fort élégante. Elle se compose maintenant d'une niche au fond de laquelle est un masque de Silène vomissant l'eau dans une coquille d'où elle se répand dans un vase à deux anses, porté par quatre gaînes formées de pates et de têtes de lions, dont deux rejettent l'eau dans un bassin demi-circulaire. Sur le vase, un bas-relief représente une nymphe qui donne à boire à un amour.

(p. 480) QUARTIER SAINT-DENIS.

Ce quartier est borné à l'orient par la rue Saint-Martin et par celle du faubourg du même nom exclusivement; au septentrion, par les faubourgs Saint-Denis et Saint-Lazare inclusivement et jusqu'aux barrières; à l'occident, par les rues du Faubourg-Poissonnière, Poissonnière et Montorgueil jusqu'au coin de la rue Mauconseil inclusivement; et au midi, par les rues aux Oues[407] et Mauconseil aussi inclusivement.

On y comptoit, en 1789, cinquante et une rues, onze culs-de-sacs, trois églises paroissiales, une église collégiale, une chapelle, une communauté d'hommes, un couvent et trois communautés de filles, un hôpital, etc.

Ce quartier, qui commence au centre de la ville, et qui finit à son extrémité septentrionale, a suivi, dans son accroissement, celui des diverses enceintes qui se sont succédé.

Avant Philippe-Auguste il n'existoit point encore, puisque la clôture qui environnoit Paris du temps de Louis-le-Jeune passoit à l'endroit où est aujourd'hui le cloître Saint-Merri. Les murailles que Philippe fit bâtir embrassèrent un vaste terrain qui, dans la partie dépendante de ce quartier, (p. 481) s'étendoit depuis dans la rue Montorgueil jusqu'à celle du Bourg-l'Abbé, renfermant dans son circuit une partie du bourg qui a donné son nom à cette dernière rue, l'hôpital Saint-Josse et le couvent de Saint-Magloire, avec les cultures qui en dépendoient[408].

Ces cultures furent bientôt couvertes de maisons; et la rue Saint-Denis, qu'on nomma depuis la grant rue, la grant chaussée de M. saint Denis, commença à se former. Un faubourg nouveau la prolongea bientôt hors de l'enceinte; et lorsque, sous Charles V, on jugea nécessaire de reculer les fortifications de la ville, le terrain qui fut renfermé dans le quartier dont nous parlons étoit déjà presque entièrement couvert de maisons. La porte Saint-Denis fut dès lors placée à l'endroit où elle étoit encore au commencement du règne de Louis XIV[409]: car, depuis Charles V jusqu'à cette époque, cette partie de l'enceinte de Paris ne reçut aucun nouvel accroissement. Mais à peine eut-elle été bâtie, qu'on vit une autre rue extérieure, faisant encore suite à la rue Saint-Denis, se prolonger dans la campagne avec le nom de rue du Faubourg Saint-Denis.

Cette dernière rue, qui conduisoit à la maison (p. 482) Saint-Lazare, resta, jusqu'au règne de Louis XIV, isolée au milieu des champs. Sous ce prince, on la voit enfin coupée par quelques rues transversales qui la lient aux autres faubourgs; mais le terrain que renfermoient ces rues ne contenoit encore que des jardins, des marais et autres terres labourables.

Ce n'est que dans le dix-huitième siècle qu'on a commencé à couvrir ces places vides, et que ce faubourg est devenu successivement un des plus populeux de la capitale.

SAINT-JACQUES-DE-L'HÔPITAL.

Cet hôpital et son église avoient été fondés pour y recevoir les pélerins qui iroient à Saint-Jacques de Compostelle et qui en reviendroient: mais par qui et à quelle époque? c'est sur quoi les historiens ne sont pas d'accord. On a pu déjà remarquer que, dans l'histoire des anciens monuments de Paris, ce sont presque toujours ces deux points qui sont enveloppés d'une plus profonde obscurité. Ce n'est qu'en discutant les différentes opinions, en comparant (p. 483) les dates, en vérifiant les actes, qu'on peut espérer d'y jeter quelques lumières, et de démêler la vérité à travers tant de traditions confuses et d'erreurs accréditées ou par l'ignorance ou par l'intérêt personnel. Par exemple, une ancienne tradition attribue la fondation de l'hôpital et de l'église de Saint-Jacques à Charlemagne; et quoique cette opinion soit destituée de tout fondement, elle a cependant été adoptée par une foule d'écrivains, tant anciens que modernes[410]. Les chanoines mêmes de cette église sembloient l'avoir autorisée par la forme de leur sceau, qui représentoit d'un côté saint Jacques, et de l'autre Charlemagne. Cependant il n'y a d'autre autorité, pour soutenir une origine aussi peu vraisemblable, que la Chronique du faux Turpin, où il est dit que ce monarque avoit fait bâtir, entre Paris et Montmartre, une église du titre de Saint-Jacques. Non-seulement on s'est trompé en croyant que cela devoit s'entendre de Saint-Jacques-de-l'Hôpital, mais il s'est trouvé qu'on commettoit une double erreur: car, quoique le fait ne soit pas plus vrai à l'égard de Saint-Jacques-de-la-Boucherie, cependant ceux qui ont fabriqué l'histoire de Turpin n'ont pu avoir en vue que cette dernière église, puisqu'il existe des manuscrits de cette histoire (p. 484) fabuleuse écrits dès le treizième siècle, temps auquel l'église de Saint-Jacques-de-l'Hôpital n'étoit certainement pas bâtie. Les auteurs les plus exacts fixent l'époque de sa fondation en 1315; une ancienne inscription gravée sur une des portes la marquoit en 1317; l'abbé Lebeuf la place en 1322.

Il paroît constant que cet hôpital fut fondé, au commencement du quatorzième siècle, par des Parisiens qui, ayant fait le pélerinage de Saint-Jacques de Compostelle, lequel étoit célèbre dès le neuvième siècle, imaginèrent, pour perpétuer la mémoire de ce pieux voyage, de former entre eux une société ou confrérie. Quelques historiens prétendent que, dès 1298, elle tenoit ses assemblées dans l'église de Saint-Eustache; mais on ne voit point qu'elle ait été autorisée avant le règne de Louis X, qui, par ses lettres-patentes du 10 juillet 1315, approuva cette association, et lui permit de tenir ses assemblées aux Quinze-Vingts.

Charles de Valois, comte d'Anjou, et plusieurs notables bourgeois de Paris, s'y étant fait inscrire, en augmentèrent tellement les fonds par leurs libéralités, que, dès 1317, les confrères se crurent assez riches pour entreprendre la construction d'un hôpital et d'une chapelle. Ils achetèrent à cet effet le terrain qu'occupoient encore, dans ces derniers temps, l'église, le cloître et les maisons de leur dépendance; mais, s'étant bientôt aperçus qu'ils avoient commencé une entreprise au-dessus de (p. 485) leurs facultés, ils s'adressèrent à l'official de Paris, qui, en 1319, leur accorda des lettres par lesquelles les fidèles étoient exhortés à secourir de leurs aumônes les confrères pélerins de Saint-Jacques, et qui autorisoient ceux-ci à faire des quêtes dans les différents quartiers de la ville et au dehors, pour la construction de leur hôpital. Ces quêtes eurent un succès complet, et procurèrent des sommes plus que suffisantes pour continuer les bâtiments déjà commencés.

Cependant ils se virent forcés d'en suspendre quelque temps les travaux, par les oppositions que formèrent bientôt à leur établissement le chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois et le curé de Saint-Eustache. Une requête que les confrères adressèrent alors au pape Jean XXII, pour faire lever ces obstacles, nous apprend que leur intention étoit que la chapelle fût desservie par quatre chapelains, dont l'un, sous le nom de trésorier, auroit l'administration des biens destinés pour la célébration du service divin, et seroit comptable envers les administrateurs choisis par les confrères; que ce service seroit célébré par lesdits chapelains, lesquels seroient obligés de dire l'office canonial, et de résider; que le trésorier auroit 50 liv. de revenu, et les chapelains 40 liv.; que toutes les offrandes faites à l'hôpital, pour quelque cause que ce fût, seroient employées totalement, tant à la construction de l'hôpital qu'à la nourriture des pélerins, des (p. 486) pauvres et des malades; qu'enfin il y auroit, pour le service de la chapelle, une cloche de poids suffisant, et près de l'hôpital un cimetière destiné à la sépulture des pélerins, des pauvres et des serviteurs de la maison[411].

Jean XXII, par une bulle du 18 juillet 1322, donna son approbation au projet des confrères pélerins, toutefois après avoir fait vérifier par des commissaires délégués à cet effet si la confrérie avoit les moyens d'exécuter les promesses mentionnées dans la requête[412]. Ces mêmes commissaires réglèrent en même temps les indemnités qu'il étoit juste de payer aux chapitre et doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois, ainsi qu'au curé de Saint-Eustache, sur le territoire desquels cet hôpital devoit être bâti, et qui, comme nous venons de le dire, s'étoient d'abord opposés à son établissement. Les premiers abandonnèrent leurs prétentions moyennant la somme de 40 liv. parisis, et le curé de Saint-Eustache renonça aux siennes pour celle de 160 liv. Les commissaires décidèrent aussi que les confrères, étant garants du revenu de 170 liv. affecté aux quatre prêtres (p. 487) de cet hôpital, il étoit juste qu'ils présentassent aux bénéfices; qu'en conséquence la nomination du trésorier seroit faite par l'évêque d'après leur présentation, et celle des chapelains par le trésorier. Ce droit de patronage et de présentation fut ensuite confirmé en faveur des confrères pélerins par une bulle du même pape Jean XXII de l'année 1326, et par une autre du pape Clément VI en 1342.

Les choses restèrent dans cet état jusqu'au commencement du quinzième siècle, où il se fit, dans la chapelle de cet hôpital, appelée alors église, plusieurs autres fondations de chapelains de deux espèces différentes[413]: la première fut de quatorze chapelains, depuis réduits à douze, lesquels devoient dire un certain nombre de messes, avec le droit et l'obligation d'assister à l'office du chœur, de loger dans le cloître, et de recevoir certaines distributions. On créa dans la seconde neuf autres chapelains, distingués des premiers en ce qu'ils (p. 488) n'avoient ni séance au chœur ni logement dans le cloître; ces derniers furent supprimés en 1482, et l'on appliqua une partie des fonds de leurs chapellenies à l'entretien des enfants de chœur. Depuis cette époque on ne compta dans l'église de Saint-Jacques-de-l'Hôpital que vingt titulaires, dont huit étoient chargés de faire l'office du chœur à tour de semaine, et prenoient en conséquence la qualité de chanoines; les douze autres, qui n'étoient tenus que d'assister à l'office et de dire un certain nombre de messes, avoient conservé le nom de chapelains. On y ajouta depuis quatre vicaires, un sacristain et quatre enfants de chœur.

Les confrères pélerins continuèrent à jouir, sans aucune contestation, du plein exercice de leurs droits sur cet hôpital et sur cette église, jusqu'au mois de décembre 1672. Le roi ayant rendu à cette époque un édit par lequel il donnoit à l'ordre de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazare-de-Jérusalem l'administration et la jouissance perpétuelle des maisons, droits, biens et revenus de plusieurs ordres hospitaliers, hospices, hôpitaux, etc., Saint-Jacques-de-l'Hôpital se trouva au nombre des maisons dont cet acte d'autorité changeoit la destination. Les confrères réclamèrent vivement contre une telle spoliation: après vingt ans de contestations et de plaidoiries, un nouvel édit, vérifié au grand conseil le 9 avril 1693, révoqua celui du mois de décembre 1672, (p. 489) et remit Saint-Jacques-de-l'Hôpital à ses premiers administrateurs. De nouvelles difficultés s'élevèrent bientôt au sujet de cette maison; mais comme il seroit aussi long que fastidieux d'en donner le détail, nous nous bornerons à dire qu'en 1722 elle fut réunie une seconde fois à l'ordre du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, et qu'enfin elle en fut encore séparée en 1734. Les arrêts du conseil qui rétablirent l'ancienne administration furent confirmés par lettres-patentes du 15 avril de la même année, et enregistrés au parlement le 4 juin suivant. Les choses restèrent en cet état jusqu'au 1er juillet 1781, que de nouvelles lettres-patentes décidèrent irrévocablement du sort de cet hôpital, dont elles accordèrent les biens à celui des Enfants-Trouvés; celui-ci en a joui jusqu'au moment où on les a vendus comme biens nationaux.

À l'époque de 1789, il ne restoit plus de bénéficiers dans Saint-Jacques-de-l'Hôpital qu'un trésorier, quatre chapelains, un vicaire-sacristain et quatre enfants de chœur. Le trésorier exerçoit les fonctions curiales dans l'étendue du cloître seulement. Tous les ans, le premier lundi d'après la fête de saint Jacques-le-Majeur, les confrères s'assembloient dans l'église, et faisoient une procession solennelle, où ils assistoient, ayant un bourdon d'une main et un cierge de l'autre.

Cette église, qui n'avoit rien de remarquable, avoit été bâtie en 1322, et dédiée, en 1323, par (p. 490) Jean de Marigni, évêque de Beauvais[414]. Le trésor contenoit différens reliquaires fort riches, qu'il devoit aux libéralités de Philippe-le-Long, de Jeanne d'Évreux, troisième femme de Charles-le-Bel, et de quelques autres bienfaiteurs.

On lisoit au-dessus des portes de l'hôpital, du côté du cloître, les deux inscriptions suivantes, gravées en lettres d'or sur deux tables de marbre noir.

Nullos fundatores ostento, quia humiles, quia plures, quorum nomina tabella non caperet, cœlum recipit: vis illis inseri? Vestem præbe, panem frange pauperibus peregrinis.

(p. 491) Sur la seconde:

«Hôpital fondé, en l'an de grâce 1317, par les pélerins de Saint-Jacques, pour recevoir leurs confrères; réparé et augmenté en l'année 1652[415]

L'HÔPITAL DE LA TRINITÉ.

La plupart des historiens de Paris qui nous ont précédés nous offrent peu de secours lorsqu'il est question de fixer les dates et de démêler les origines; et il suffit qu'un monument ait quelque antiquité pour que l'on trouve à son sujet vingt opinions contradictoires. Par exemple, au sujet de l'hôpital de la Trinité, Corrozet et Sauval disent (p. 492) que «deux chevaliers, seigneurs de Galendes, donnèrent en 1202 leur maison pour y fonder un prieuré de l'ordre de Prémontré, lequel fut achevé en 1210.» Dubreul et le Maire ont écrit que «deux Allemands firent construire un hôpital pour les pélerins; qu'en 1210 ils obtinrent la permission d'y bâtir une chapelle, et qu'ils fondèrent trois religieux de Prémontré.» L'auteur des Tablettes parisiennes n'en place la fondation qu'en 1217, et La Caille en recule l'époque jusqu'en 1544. Sans entrer dans la discussion des raisons qui ont fait assigner des époques si différentes à l'origine de cet hôpital, nous tâcherons de la découvrir par l'examen des titres qui en font mention. Quoiqu'il n'en reste aucun qui soit antérieur à l'an 1202, il est hors de doute cependant que ces titres ne sont pas les premiers, puisqu'on trouve dans le cartulaire de Saint-Germain-l'Auxerrois[416] des lettres d'Eudes de Sully, évêque de Paris, dans lesquelles il déclare que de son consentement et de son autorité on avoit construit une chapelle dans la maison hospitalière de la Croix-de-la-Reine. Or, ces lettres, qui sont de la date de 1202, et qui furent données pour terminer une contestation élevée entre les frères de cet hôpital et le chapitre de Saint-Germain, prouvent (p. 493) évidemment que la fondation en avoit été faite avant cet incident. Ces mêmes lettres nous apprennent en outre, 1o que cet hôpital avoit été fondé par Guillaume Escuacol, à l'usage des pauvres de ce quartier, ad opus pauperum ejusdem loci; 2o qu'il s'appeloit l'hôpital de la Croix-de-la-Reine, à cause d'une croix ainsi nommée, placée au coin des rues Greneta et de Saint-Denis où cet hôpital avoit été construit; 3o enfin, que l'on convint qu'il seroit payé par les frères, à l'église de Saint-Germain, une rente de 10 sous, pour l'indemniser des droits qu'elle avoit sur ce terrain, et qu'il n'y auroit point de cloches à la chapelle. Toutefois ce dernier article ne fut pas long-temps observé, et les frères de l'hôpital prétendirent bientôt avoir des cloches. Le chapitre de Saint-Germain s'y opposa avec une grande vivacité. Choisi une seconde fois pour arbitre, Eudes de Sully décida, par sa sentence du mois d'août 1207[417], que les frères auroient ces cloches qu'on leur contestoit, en payant annuellement 10 autres sous au chapitre de Saint-Germain. On voit dans cet acte que cette maison prit dès lors le nom de la Sainte-Trinité, qui étoit apparemment le vocable de la chapelle.

Il paroît que cet état de choses subsista jusqu'en (p. 494) 1210, et que jusqu'à cette époque cet hôpital, administré par un chapelain, fut véritablement un lieu d'asile pour les pauvres. Mais soit que les fondateurs eussent reconnu des vices dans cette forme d'administration, soit que leurs affaires particulières ne leur permissent pas d'y donner tous leurs soins, ils jugèrent plus convenable de n'y recevoir désormais que des pélerins, et d'en confier la conduite aux religieux de Prémontré. Des lettres de Pierre de Nemours, évêque de Paris, de cette dernière année[418], nous apprennent que Guillaume Escuacol et Jehan Paâlée, son frère utérin, offrirent à Thomas, abbé d'Hermières, la direction de cette maison, à condition qu'il y auroit au moins trois religieux de son ordre chargés d'y exercer l'hospitalité à l'égard des pélerins, mais seulement de ceux qui ne font que passer. Ministerium hospitalitatis peregrinorum tantummodò transeuntium; qu'ils célèbreroient la messe et l'office divin, etc. On lit dans les annales de l'ordre de Prémontré que l'abbé Thomas souscrivit à ces conditions, et y envoya un maître et quatre de ses chanoines[419].

(p. 495) Les religieux d'Hermières restèrent seuls maîtres de la maison de la Trinité jusqu'en 1545; mais long-temps avant cette époque l'hospitalité avoit cessé d'y être exercée; et ce qui pourra sembler aussi étonnant que bizarre à ceux qui n'entrent pas dans l'esprit de ces temps anciens, c'est que cette maison religieuse, où les offices divins ne cessèrent point d'être pratiqués, fut en même temps, et pendant plus d'un siècle, la seule salle de spectacle que possédât la ville de Paris. Nous nous réservons, lorsque nous traiterons de l'histoire du Théâtre Français, de dire à quelle occasion les représentations des mystères succédèrent aux bouffonneries obscènes des jongleurs qui existoient en France de temps immémorial; et comment, par un zèle indiscret qu'il est facile toutefois de comprendre et d'expliquer, on voulut (p. 496) faire un moyen d'édification des mêmes spectacles qui pendant si long-temps avoient été des écoles de scandale et de libertinage. Il ne sera question ici que de leur établissement à Paris.

Delamarre et dom Félibien prétendent que le premier essai s'en fit, en 1398, à l'abbaye de Saint-Maur-des-Fossés[420]. Les pieux histrions qui figuroient dans ces mystères étoient alors nommés pélerins, parce qu'ils n'avoient point encore de demeure fixe, et qu'ils promenoient de ville en ville le spectacle nouveau et bizarre qu'ils avoient inventé. Le succès qu'ils obtinrent leur fit naître l'idée de venir se fixer à Paris, où ils ne trouvèrent point de local plus commode pour leurs représentations qu'une salle de l'hospice de la Trinité, destinée originairement à loger les voyageurs, mais déjà vacante à cette époque. Ils louèrent cette salle, qui avoit vingt et une toises de long sur six de large, et débutèrent par le mystère de la Passion, qui leur attira une grande foule de spectateurs. Mais bien que le goût d'alors ne fût pas très-délicat, le mélange monstrueux qu'ils y firent de ce que la morale a de plus saint aux plaisanteries les plus grossières, fit une impression si désagréable sur les esprits éclairés, qu'une ordonnance du prévôt de Paris, du 3 juin de la même année, (p. 497) défendit de représenter aucun jeu de personnages, soit des vies des saints ou autrement, sans le congé du roi, à peine d'encourir son indignation, et de forfaire envers lui.

Cette défense détermina les pélerins à recourir à l'autorité du roi lui-même; et, pour se le rendre favorable, ils imaginèrent d'ériger leur société en confrérie de la Passion de Notre Seigneur. Leur entreprise, présentée sous un aspect nouveau qui flattoit un genre de dévotion alors répandu dans toutes les classes de la société, changea totalement de nature, même aux yeux les plus prévenus. Charles VI, qui aurait peut-être repoussé les histrions, accueillit les confrères avec bienveillance, assista à leur mystère, et leur permit, par ses lettres-patentes du mois de décembre 1402, de le représenter, ainsi que d'autres pièces semblables, tant à Paris que dans l'étendue de la prévôté, et vicomté. Ces mêmes lettres nous apprennent que cette confrérie étoit déjà fondée dans l'église de la Trinité sous le titre de maître et gouverneurs de la confrérie de la Passion et Résurrection de Notre Seigneur; que ces spectacles avoient déjà été représentés avant 1402; et, ce qui est plus curieux sans doute, que Charles VI s'étoit fait inscrire au nombre des confrères. Au reste, le succès de ces drames absurdes, regardés alors presque comme des cérémonies religieuses, fut si prodigieux, et l'invention en parut si favorable (p. 498) à la piété, que, pendant long-temps, les curés de Paris eurent la complaisance d'avancer l'heure des vêpres, les dimanches et fêtes, jours de ces représentations, afin de procurer à leurs paroissiens la liberté de jouir d'un spectacle si édifiant[421]. Il perdit depuis beaucoup de sa première vogue; mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler.

Toutefois les choses restèrent en cet état jusque vers le milieu du seizième siècle. Dès le 14 janvier de l'an 1536, le parlement avoit ordonné «que les deux salles de la Trinité, dont la haute servoit pour la représentation des farces et jeux, seroient appliquées à l'hébergement de ceux qui étoient infectés de maladies vénériennes et contagieuses.» Mais il paroît que cet arrêt n'eut point son exécution: car on voit ces mêmes malades placés à l'hôpital Saint-Eustache, en vertu d'un autre arrêt du 3 mars de la même année. Enfin, en 1545, un troisième arrêt ayant ordonné »que les enfants mâles des pauvres, étant au-dessus de l'âge de sept ans, seroient ségrégés d'avec leurs pères et mères, et mis à un lieu à part, pour y être nourris, logés et enseignés en la religion chrétienne,» l'hôpital de la Trinité parut le lieu le plus convenable qu'il fût possible de choisir pour ce nouvel établissement; et les confrères de (p. 499) la Passion, malgré leurs vives réclamations, se virent forcés d'abandonner leur salle, dans laquelle on pratiqua des dortoirs pour ces pauvres enfants.

Les religieux de Prémontré, qui desservoient précédemment cet hôpital, continuèrent cependant, malgré ce changement, d'y faire leur demeure et d'y célébrer le service divin, ce qui dura jusqu'en 1562, qu'ils jugèrent convenable d'en laisser l'administration entière à ceux que le parlement en avoit chargés.

Ces administrateurs étoient le curé de la paroisse de Saint-Eustache et quatre bourgeois notables de la ville[422]. L'établissement avoit été fondé pour y recevoir cent garçons et trente-six filles orphelins de père ou de mère, mais valides. Les garçons donnoient, en entrant, 400 liv., et les filles 50, sommes qui leur étoient rendues en sortant. Le frère et la sœur ne pouvoient être reçus dans cette maison que successivement. On leur apprenoit à tous à lire et à écrire, et les métiers pour lesquels ils montroient le plus d'aptitude; et pour parvenir plus facilement à ce but de l'institution, on avoit obtenu que l'enclos de la maison seroit privilégié. Les artisans qui s'y établissoient gagnoient la maîtrise en instruisant dans leur art (p. 500) un de ces enfants, qui acquéroit en même temps la qualité de fils de maître[423].

Cet établissement, si utile à la classe indigente, si salutaire à la société en général, puisqu'il arrachoit aux désordres, qui sont la suite de la misère et de l'oisiveté, une foule de malheureux jetés dans son sein sans aucune ressource, avoit obtenu de nos rois une protection spéciale et paternelle qui en assuroit le succès, lorsque la révolution, opérée, disoit-on, pour rendre au foible et au pauvre ses droits imprescriptibles, est venue l'envelopper dans cette destruction générale qu'elle a faite de tous les établissements créés pour la foiblesse et l'indigence.

L'église de cette maison fut rebâtie et agrandie en 1598. Elle étoit sombre, peu commode, et n'avoit rien de remarquable que son portail, élevé dans le siècle suivant (en 1671), sur les dessins de François d'Orbay. Cette construction, qui subsiste encore, est composée d'une ordonnance corinthienne, surmontée d'un attique[424].

(p. 501) ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-SAUVEUR.

Cette église n'étoit originairement qu'une chapelle, bâtie auprès d'une ancienne tour qui s'élevoit au coin de la rue Saint-Sauveur, et qu'on n'a démolie que dans l'année 1778. La chapelle en avoit reçu le nom de chapelle de la Tour, et dépendoit de Saint-Germain-l'Auxerrois, à qui appartenoit ce territoire. On ignore absolument par qui et dans quel temps elle fut construite; il ne se trouve aucun acte, aucun titre qui puisse indiquer l'époque de cette fondation. Sauval et ses copistes ont imaginé que cette chapelle avoit été bâtie, vers l'an 1250, par l'ordre de saint Louis, pour y faire ses prières, et se reposer lorsqu'il alloit à pied à Saint-Denis. Il est très-possible que ce monarque se soit arrêté plusieurs fois dans cette chapelle, dans cette dévote intention, mais il s'en faut tellement que l'on trouve dans cette circonstance la preuve qu'il l'avoit fait bâtir, que le contraire est évidemment prouvé par la simple comparaison des (p. 502) époques: tout le monde sait que saint Louis partit pour la Terre-Sainte le 12 juin 1248, et n'en revint qu'en 1254; et, quand même on n'auroit pas cet argument décisif à opposer, il seroit facile de produire des titres relatifs à ce monument, lesquels sont antérieurs à la naissance de ce saint roi. En effet, dès l'an 1216 il y eut une sentence arbitrale rendue au mois de décembre, qui confirma le doyen de Saint-Germain-l'Auxerrois dans la perception des droits qu'il prétendoit avoir sur la chapelle de la Tour[425].

On n'est pas plus instruit sur le temps où elle fut érigée en église paroissiale sous le nom de Saint-Sauveur, et l'on a vainement cherché quelque titre qui fixât l'époque de son érection. Les pièces les plus anciennes où il soit fait mention de la paroisse de Saint-Sauveur sont deux actes que Jaillot dit avoir découverts dans les archives de l'archevêché et dans le cartulaire de Saint-Germain-l'Auxerrois: l'un est un amortissement de 1284, accordé par l'évêque de Paris au curé de Saint-Sauveur, de 10 sous parisis sur trois maisons situées près de la porte Montmartre; l'autre est un contrat du 10 août 1299, par lequel Mathilde donne au prêtre de Saint-Sauveur 12 deniers de cens à prendre sur sa maison sise dans la rue qui porte le même nom. La découverte de ces titres (p. 503) est d'autant plus importante que l'abbé Lebeuf, ordinairement assez exact dans ses recherches, se contente de dire qu'en 1303 le chapitre de Saint-Germain tiroit quelque revenu de cette église, laquelle portoit alors le nom de Saint-Sauveur; et qu'en 1335 Thomas de Ruel, qui en étoit curé, avoit prêté serment aux chanoines en cette qualité.

On voit, par ce que nous venons d'établir, que, dès le commencement du treizième siècle, cette chapelle étoit une succursale de Saint-Germain-l'Auxerrois, et qu'elle fut érigée en paroisse vers la fin de ce même siècle. Les faubourgs de Paris s'étant considérablement accrus et peuplés depuis l'enceinte de Philippe-Auguste, il est assez vraisemblable que l'éloignement de l'église de Saint-Germain occasionnant des difficultés pour l'administration des sacrements, le chapitre de cette église sentit la nécessité de faire ériger en paroisse la chapelle de la Tour qui étoit située au-delà de cette enceinte[426].

Cette église fut entièrement reconstruite sous le règne de François Ier, et sept chapelles y furent bénites en 1537; on l'agrandit en 1571 et en 1622; enfin, en 1713, elle fut réparée et embellie au moyen du bénéfice d'une loterie qui lui fut accordé par le roi. C'étoit un édifice d'un gothique (p. 504) assez élégant[427]. Une partie de ses constructions ayant été ébranlée par la démolition de la tour qui l'avoisinoit, et l'église entière menaçant ruine, on l'avoit abattue quelque temps avant la révolution; et sur l'emplacement qu'elle occupoit s'élevoit déjà une nouvelle et très-belle basilique, dont M. Poyet, architecte du duc d'Orléans, avoit donné le plan, lorsqu'arriva le règne de la philosophie et de la raison: l'église prit aussitôt la forme d'une salle de comédie, qui cependant n'a point été achevée[428].

CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-SAUVEUR.

Il n'y avoit de remarquable dans l'ancienne église que la chapelle de la Vierge. Les dessins en avoient été donnés par Blondel, architecte du roi. Jean-Baptiste Lemoine fils avoit fait les sculptures, et Noël-Nicolas Coypel les peintures, qui consistoient en un tableau de l'Assomption placé au-dessus de l'autel, et un plafond représentant les cieux qui s'ouvroient pour recevoir la Sainte-Vierge.

SÉPULTURES.

Sauval assure que Turlupin, Gautier Garguille, Gros-Guillaume et Guillot-Gorju, les plus excellents acteurs[429] qu'il y ait jamais eu, ont été enterrés dans cette église; néanmoins on ne (p. 505) trouve que le nom de Gautier-Garguille sur les registres mortuaires de cette paroisse. Mais il faut observer qu'avant 1660 il n'y avoit point de registres réguliers dans les églises paroissiales, et que la négligence avec laquelle on constatoit les naissances et décès étoit telle, qu'il en est résulté des erreurs et des omissions sans nombre, qui ne permettent de regarder comme certains et authentiques que tous les actes de ce genre faits depuis cette dernière époque.

Dans l'église de Saint-Sauveur avoient été inhumés:

Guillaume Colletet, avocat au parlement, un des quarante de l'Académie françoise, plus connu par les satires de Boileau que par ses ouvrages, mort en 1659.

Raymond Poisson, comédien, mort en 1659.

Jacques Vergier, poète érotique, mort en 1720.

La cure de cette église étoit, dans l'origine, à la nomination du chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois; mais, depuis qu'il avoit été réuni au chapitre de Notre-Dame, le curé étoit nommé par l'archevêque de Paris.

Une particularité assez remarquable touchant l'église de Saint-Sauveur, c'est que, dans le commencement du quinzième siècle, Alexandre Nacart, qui en étoit curé, étoit en même temps procureur au parlement, et s'acquittoit à la fois de ce double ministère. Les historiens de Paris[430] rapportent fort au long les contestations de ce curé avec les doyens et chapitre de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui prétendoient avoir droit aux offrandes et émoluments curiaux qui se percevoient dans cette église; (p. 506) ils se plaignoient en outre que Nacart ne résidoit point, et qu'il donnoit plus d'application à ses fonctions de procureur qu'à celles de curé. Nacart ayant été condamné par sentence de l'official du 16 mars de l'an 1407, se soumit à tout ce qu'on exigea de lui; et les parties demeurèrent d'accord, sans qu'il fût plus question de sa non-résidence, ni de ce qu'on lui avoit objecté touchant sa qualité de procureur.

La circonscription de cette paroisse formoit un carré à angles fort inégaux. En partant de la rue Saint-Denis, elle commençoit à la première maison qui se trouve après la rue Mauconseil, suivoit ce côté de la rue Saint-Denis, d'où elle entroit dans la rue de Bourbon, qu'elle comprenoit du même côté jusqu'à la rue du Petit-Carreau; suivant ensuite le côté gauche de cette dernière rue, elle embrassoit une partie de la rue Montorgueil du même côté, jusque vis-à-vis le cul-de-sac de la Bouteille. À cet endroit, la ligne qui séparoit les territoires des paroisses Saint-Sauveur et Saint-Eustache coupoit les deux côtés de la rue Françoise; et de là celle de Saint-Sauveur embrassoit les maisons qui se trouvoient derrière jusqu'au point de départ.

(p. 507) HÔTEL-DIEU DE JEAN CHENART.

Cet hospice avoit été fondé en 1425 dans la rue Saint-Sauveur par Jean Chenart, épicier, et garde de la Monnoie de Paris, pour huit pauvres femmes veuves de la paroisse dont dépendoit cette rue et dont nous venons de parler. Nous ignorons en quel temps a cessé cette fondation; mais le censier de l'évêché en fait encore mention en 1489.

HÔPITAL DE PIERRE GODIN.

C'est ainsi qu'est nommé cet hôpital dans les censiers de l'évêché de 1489; mais ils indiquent en 1372 qu'il avoit été fondé par Philippe de Marigny. Il en est fait mention, dans plusieurs titres, sous le nom de l'Hôtel-Dieu Saint-Eustache.

(p. 508) COMMUNAUTÉ DES FILLES-DIEU.

L'opinion la plus vraisemblable sur l'établissement des Filles-Dieu, est qu'il doit son origine à Guillaume d'Auvergne, depuis évêque de Paris. Prédicateur plein de zèle et de charité, il avoit déterminé, par la force et l'onction de ses sermons, plusieurs femmes de mauvaise vie à sortir du vice où elles étoient plongées, et à expier par la pénitence les désordres de leur vie passée. Touché de leur repentir, mais craignant les rechutes auxquelles leur misère ou leur foiblesse pouvoit les exposer, le pieux ecclésiastique forma le dessein de les réunir dans un asile où elles pussent vivre loin du monde, et au milieu des pratiques continuelles de la religion. Il leur fit bâtir à cet effet une maison sur une partie du terrain que Guillaume Barbette, bourgeois de Paris, lui avoit vendu; ce terrain, de deux arpents et demi, étoit situé hors de la ville, et près de Saint-Lazare[431].

(p. 509) Ce fut l'an 1226 que ces filles[432] entrèrent dans cette maison. Cette date, sur laquelle presque tous les historiens sont d'accord, suffit pour réfuter l'opinion du petit nombre de ceux qui regardent saint Louis comme le fondateur de cette communauté, puisque ce prince, alors âgé de douze ans, ne monta sur le trône qu'à la fin de cette même année; mais la bienveillance particulière dont il ne cessa d'honorer cet établissement, les bâtiments nouveaux qu'il fit élever dans son enceinte, les revenus qu'il fixa pour l'entretien des filles qui l'occupoient, et les priviléges qu'il leur accorda lui ont justement mérité ce titre de fondateur, et (p. 510) c'étoit sans doute pour ces motifs qu'il étoit désigné comme tel dans l'inscription placée sur la porte d'entrée de ce monastère.

L'an 1232 il y eut une cession faite aux Filles-Dieu par les frères et prieur de Saint-Lazare, de quatre arpents de terre avec la censive et la justice qu'ils y exerçoient, ainsi que le droit de dîmes; cession qui fut faite moyennant 12 liv. de rente[433]. On voit aussi, par les anciennes chartes, qu'en 1253 elles acquirent encore huit autres arpents de terre contigus aux précédents. Saint Louis leur accorda presque aussitôt l'amortissement des fonds qu'elles venoient d'acquérir, y ajouta la permission de tirer de l'eau de la fontaine de Saint-Lazare, et de la faire conduire dans leur couvent, et pour mettre le comble à ses bienfaits, les dota de 400 l. de rente assignées sur son trésor. Mais, en faisant cette dotation, il augmenta le nombre de ces religieuses, qui fut alors porté jusqu'à deux cents[434].

Vers l'an 1349, la peste horrible qui ravagea Paris, la famine, la misère qui en furent la suite, firent périr plus de la moitié de ces religieuses. Ce triste événement engagea l'évêque de Paris à (p. 511) réduire leur nombre à soixante. Sur une telle réduction faite par l'autorité du diocésain, et dont la communauté ne pouvoit être responsable, les trésoriers de France se persuadèrent qu'ils avoient le droit de réduire aussi de leur côté la rente de ces religieuses à 200 liv. Ils donnoient pour raison que saint Louis n'avoit constitué la rente de 400 l. qu'à condition qu'elles seroient au nombre de deux cents, et que l'évêque n'avoit pu, de son autorité privée, diminuer ce nombre sans le consentement du roi. Les Filles-Dieu réclamèrent vivement contre ce retranchement de leurs revenus, et leurs représentations furent favorablement écoutées par le roi Jean. Ce prince, par sa charte de l'an 1350, leur continua la rente entière que saint Louis leur avoit accordée, mais sous la condition qu'à l'avenir elles seroient au moins au nombre de cent.

Les Filles-Dieu demeurèrent dans ce monastère jusqu'après la malheureuse bataille de Poitiers, dans laquelle ce monarque fut fait prisonnier. Nous avons déjà dit[435] que les Parisiens épouvantés, croyant déjà voir l'ennemi au pied de leurs murailles, prirent la résolution d'en accroître les fortifications, brûlèrent les faubourgs peu considérables qui s'étendoient autour de l'enceinte méridionale, et renfermèrent dans les fossés et arrière-fossés (p. 512) les faubourgs beaucoup plus étendus qui s'étoient formés au nord de la ville. D'après le plan arrêté, les arrière-fossés devoient traverser la culture et l'enclos des Filles-Dieu: elles furent donc obligées d'abandonner leur maison, de la faire démolir, et de se retirer dans la ville. Jean de Meulant, alors évêque de Paris, les transféra dans un hôpital situé près la porte Saint-Denis, et fondé en 1316 par Imbert de Lyons ou de Lyon, bourgeois de Paris, en exécution des dernières volontés de deux de ses fils morts avant lui. Leur but, en fondant cet hôpital, avoit été de procurer l'hospitalité aux femmes mendiantes qui passeroient à Paris. Elles devoient y être logées une nuit, et congédiées le lendemain avec un pain et un denier. Il paroît, par les différents actes, que la chapelle de cette maison étoit sous le titre de Saint-Quentin.

L'évêque, en établissant les Filles-Dieu dans ce nouvel asile, y fonda une autre chapelle sous le nom de la Magdeleine; et, les soumettant aux mêmes pratiques de charité qui s'y exerçoient auparavant, il régla, dans les statuts qu'il leur donna, qu'il y auroit douze lits pour les pauvres femmes mendiantes. Ces religieuses firent construire alors les lieux réguliers nécessaires à leur communauté; et, pour n'être point troublées dans les exercices du cloître et dans la récitation des (p. 513) divins offices, elles commirent le soin de l'hospitalité à des sœurs converses[436].

Les désordres et l'esprit de licence qui marquèrent la fin de ce siècle introduisirent peu à peu le relâchement dans cette maison. L'ordre et l'esprit monastique se perdirent; on vit s'affoiblir par degrés la ferveur et la piété des premiers temps; et le relâchement en vint au point que les divins offices, d'abord négligés, y cessèrent enfin tout-à-fait. Aux religieuses, dont le nombre diminuoit de jour en jour, succédèrent des victimes infortunées du libertinage, qui, bien différentes de celles pour lesquelles cet asile avoit été fondé, cherchèrent moins à y cacher la honte de leurs désordres, qu'à se préserver de l'indigence, qui en est la suite ordinaire; et ce lieu, suivant l'expression d'une ordonnance de Charles VIII, fut appliqué à pécheresses qui, toute leur vie, avoient abusé de leurs corps, et à la fin étoient en mendicité. Résolu de faire cesser un tel scandale, ce monarque ordonna qu'on fît venir des religieuses réformées de Fontevrault pour occuper ce monastère; mais quoique les lettres-patentes données par lui à cet (p. 514) effet soient du 27 décembre 1483, cependant quelques discussions sur les droits que l'évêque exerçoit précédemment dans cet hôpital, droits qui sembloient contraires aux constitutions de l'ordre de Fontevrault[437], apportèrent du retard à l'exécution des ordres de Charles VIII. L'obstacle fut enfin levé par le sacrifice que le prélat fit de ses priviléges, en considération de l'avantage qui devoit résulter de ce changement; et, dans l'année 1494 ou 1495, huit religieuses de cet ordre célèbre[438] furent installées dans cette maison, où il ne restoit plus que trois ou quatre des anciennes religieuses, et à peu près autant de sœurs converses, qui négligeoient même de s'acquitter des devoirs de l'hospitalité qui leur étoit confiée.

Les nouvelles religieuses, quoique toujours soumises à la règle de Fontevrault, prirent le nom de Filles-Dieu, qu'elles ont conservé jusqu'à la destruction des ordres religieux, et continuèrent à exercer l'hospitalité prescrite par le fondateur de la maison jusque vers l'an 1620, où l'hôpital et la chapelle furent détruits. On ignore par quelle (p. 515) raison ce changement eut lieu, et si elles furent autorisées par les supérieurs ecclésiastiques; mais il est présumable que les lois de police, qui, à cette époque, commençoient à se perfectionner, avoient déjà considérablement diminué le nombre des femmes mendiantes auxquelles cet hôpital devoit servir d'asile, et rendu cette fondation à peu près inutile.

L'année même de leur établissement, les nouvelles Filles-Dieu commencèrent à faire construire l'église qu'on voyoit encore avant la révolution. Ce fut Charles VIII qui en posa la première pierre, sur laquelle étoient gravés le nom de ce roi et les armes de France. Cette église, achevée seulement en 1508, fut dédiée la même année. Elle n'avoit rien de remarquable dans son architecture ni dans son intérieur. Le maître-autel, décoré de quatre colonnes corinthiennes en marbre, fut élevé depuis sur les dessins de François Mansard. Contre un des piliers de la nef étoit une statue du Christ attachée à la colonne[439].

(p. 516) Avant la révolution on voyoit encore, au chevet extérieur de cette église, un crucifix devant lequel on conduisoit anciennement les criminels qu'on alloit exécuter à Montfaucon; ils le baisoient, recevoient de l'eau bénite, et les Filles-Dieu leur apportoient trois morceaux de pain et du vin: ce triste repas s'appeloit le dernier repas du patient. On ignore l'origine et les motifs de cet usage. Plusieurs ont pensé qu'il étoit imité des Juifs, qui donnoient du vin de myrrhe, et quelques autres drogues fortifiantes aux criminels, pour les rendre moins sensibles au supplice qu'ils alloient souffrir[440].

Dans un titre de 1581 on voit que Pierre de Gondi, évêque de Paris, unit à ce monastère la chapelle de Sainte-Magdeleine, que Jean de Meulant avoit fondée lorsqu'il transféra les Filles-Dieu dans la ville.

(p. 517) LES FILLES
DE L'UNION-CHRÉTIENNE,
OU DE SAINT-CHAUMONT.

Voici encore une de ces institutions créées par l'esprit de charité, et que nous voyons s'élever presque à chaque pas que nous faisons dans cette grande cité, pour le pauvre, pour le foible, pour celui qui souffre, pour toutes les misères humaines. Tels sont les prodiges d'une religion attaquée, calomniée par tant de mauvais esprits, devenus aveugles et presque stupides à force de perversité. Il n'est point ici besoin d'apologie: les murs de ces touchants asiles, leurs ruines, s'il en est encore que la cupidité n'ait pas fait disparoître, ont une éloquence qui l'emporte de beaucoup sur tout ce que pourroit dire l'historien. Plus nous avançons dans notre carrière, plus ils vont se multiplier à nos yeux; et nous ne doutons pas que le lecteur, frappé du simple récit des faits, n'admire cette harmonie merveilleuse de la religion et du (p. 518) pouvoir, liés ensemble sous la monarchie par d'indissolubles nœuds, et se prêtant de mutuels secours pour rendre les hommes meilleurs et plus heureux.

Près de la porte Saint-Denis, et sur le côté droit de la rue du même nom, étoit la communauté des Filles de l'Union-Chrétienne, autrement dites de Saint-Chaumont. Elle avoit été fondée en 1661 par demoiselle Anne de Croze, d'une famille noble et ancienne, pour l'instruction des nouvelles catholiques et des jeunes filles qui manquoient de secours temporels et de protecteurs qui pussent les leur procurer. L'association des Filles de la Providence, formée par madame de Pollalion, servit de modèle à la nouvelle institution: ce fut même dans la maison créée par cette sainte veuve que les premiers fondements en furent jetés. Toutefois c'est par erreur que plusieurs historiens lui en ont attribué l'origine; et ce ne fut que trois ans après sa mort, arrivée en 1657, que commença l'établissement dont nous parlons ici.

Mademoiselle de Croze fut aidée dans l'exécution de son dessein par un saint prêtre nommé Jean-Antoine Le Vachet, qui, depuis plusieurs années, travailloit à Paris avec beaucoup de succès à l'instruction des nouvelles catholiques. Trois dames, élèves de madame de Pollalion, s'étant offertes pour partager les travaux de la pieuse fondatrice, elle leur proposa de s'établir avec elle (p. 519) dans une maison qui lui appartenoit à Charonne; et c'est là que furent faits les premiers essais de ce nouvel institut. Ils furent si heureux que cette charitable demoiselle résolut d'y consacrer entièrement sa personne et ses biens, et fit sur-le-champ au séminaire qu'elle venoit de former une donation de la maison et des dépendances qui y étoient attachées. Non-seulement Louis XIV approuva ce contrat, mais il y ajouta la faveur de donner en 1673 des lettres-patentes qui autorisèrent l'établissement, et permit à ces filles de recevoir, acquérir et posséder tous dons, legs et héritages à titre de fondation. On doit bien penser que l'équité et la reconnoissance mirent la fondatrice à la tête de cette communauté, laquelle ne tarda pas à procurer à la religion des avantages supérieurs même aux espérances qu'on en avoit conçues. Pour les rendre encore plus efficaces, la sœur de Croze et ses associées jugèrent qu'il étoit nécessaire de transférer leur institution dans le sein même de la capitale; et M. de Harlai, archevêque de Paris, auprès de qui elles en sollicitèrent la permission, n'apporta aucun obstacle à ce projet. Il s'agissoit de choisir un local: ces dames n'en trouvèrent point qui fût plus convenable que l'hôtel de Saint-Chaumont, près la porte Saint-Denis. Ce lieu, qu'on nommoit, au commencement du dix-septième siècle, la Cour Bellot, avoit reçu son nouveau nom de Melchior Mitte, marquis de (p. 520) Saint-Chaumont, qui, en 1631, en avoit fait l'acquisition, et qui, s'étant également rendu propriétaire de dix maisons environnantes, avoit fait bâtir un hôtel sur ce vaste emplacement. Cette propriété, passée depuis en d'autres mains, étoit alors en vente, et les sœurs de l'Union-Chrétienne se trouvèrent en état de l'acheter pour la somme de 92,000 liv. Le contrat d'acquisition fut passé le 30 août 1683. Le roi autorisa encore cette translation par de nouvelles lettres-patentes données au mois d'avril 1687, et enregistrées le 18 novembre de la même année, lesquelles portent expressément que cette maison ne pourra être changée ni convertie en maison de profession religieuse; que les sœurs qui y sont actuellement et celles qui leur succéderont seront toujours en l'état de séculières, suivant leur institut. Cette formalité nécessaire pour rendre un établissement légal n'étoit cependant pas entièrement remplie, lorsque les Filles de l'Union-Chrétienne vinrent à Paris, car elles s'y rendirent au commencement de l'année 1685, dès que l'acte qui assuroit leur possession eut été ratifié; et, au mois de février suivant, leur chapelle fut bénite sous l'invocation de Saint-Joseph.

Les maisons de cet institut se multiplièrent: on en comptoit vingt distribuées dans différentes villes du royaume, et qui formoient une congrégation dont le séminaire de Saint-Chaumont étoit la maison (p. 521) principale, et la résidence de la supérieure générale.

Une partie de cette maison ainsi que la chapelle avoient été rebâties en 1781, sur les dessins de M. Convers, architecte de la princesse de Conti. Ce fut cette princesse, protectrice de la communauté de Saint-Chaumont, qui en posa la première pierre, et, l'année suivante, la bénédiction en fut faite par l'archevêque de Paris. Cette chapelle, dont la façade existe encore, offre une décoration composée de colonnes ioniennes, au-dessus desquelles règne une voûte ornée de caissons. On voyoit sur le maître-autel un tableau représentant une Nativité, par Ménageot[441].

C'est dans le jardin de cette maison, où logea autrefois le duc de La Feuillade, que fut jetée en fonte la statue de Louis XIV qui étoit sur la place des Victoires.

(p. 522) NOTRE-DAME
DE BONNE-NOUVELLE.

Cette église, située dans le quartier qu'on appeloit autrefois Ville-Neuve-sur-Gravois, entre la rue Beauregard et celle de la Lune, a succédé à une chapelle qui y avoit été construite en 1551, pour servir de succursale à la paroisse Saint-Laurent. Cette chapelle porta le nom de Saint-Louis et de Sainte-Barbe jusqu'en 1563, qu'elle fut dédiée par Jean-Baptiste Tiercelain, évêque de Luçon, sous l'invocation de la Sainte-Vierge[442]. Ce n'étoit au reste qu'un très-petit édifice, long de treize toises sur quatre de large.

Lors des guerres de la Ligue, en 1593, on avoit été obligé de raser les maisons de ce quartier, ainsi que cette chapelle, pour y construire des fortifications. La paix et la tranquillité ayant succédé aux désordres que ces divisions intestines avoient fait naître, ce lieu abandonné se repeupla assez (p. 523) promptement, au moyen des priviléges qui furent accordés aux ouvriers qui vinrent s'y établir. En 1624, la population en étoit déjà si nombreuse que ses habitants déclarèrent à l'archevêque de Paris que, se trouvant trop éloignés de la paroisse de Saint-Laurent, ils désiroient obtenir la permission de faire rebâtir la chapelle de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, dont il restoit encore quelques débris; permission qui leur fut accordée par ce prélat, toutefois après qu'il se fut assuré du consentement du curé de Saint-Laurent[443]. Il paroît que ce pasteur, qui le donna d'abord, jugea à propos par la suite de le retirer: car il survint des difficultés qui suspendirent l'entier achèvement de l'église; et, quoiqu'une inscription placée au frontispice marquât qu'elle avoit été achevée en 1626, ce n'est cependant qu'en 1652 qu'un arrêt du 21 mai permit aux habitants d'en reprendre les travaux. Cependant plusieurs actes antérieurs portent à croire qu'on y célébroit le service divin avant cette dernière époque. Elle ne fut érigée en cure ou vicairie perpétuelle que dans le mois de juillet 1673.

Les curés de cette église eurent depuis quelques contestations moins importantes avec les prieurs et religieux de Saint-Martin-des-Champs, curés (p. 524) primitifs de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et qui réclamoient tous les ans certains priviléges et certaines redevances auxquels ces pasteurs cherchèrent vainement à se soustraire. Un arrêt du parlement, donné en 1676, les força à reconnoître le patronage de ce monastère, et à remplir les obligations contractées envers lui. On remarquera ici qu'il faut dire et écrire Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle, et non pas de Bonnes-Nouvelles, comme plusieurs auteurs l'ont cru mal à propos: car le titre de cette église est relatif à l'Annonciation de la Vierge; et dans tous les actes latins passés par les curés de cette église, ils se qualifient pastor à Bono Nuntio.

La circonscription du territoire de cette paroisse étoit triangulaire. Elle commençoit au coin de la rue de Bourbon et de celle du Petit-Carreau; et toutes les maisons à droite qui terminoient cette dernière rue, ainsi que toutes celles du côté droit de la rue Poissonnière, étoient de cette paroisse. Au bout de cette rue, suivant le rempart aussi à droite, revenant au premier coin de la rue de Bourbon, et longeant ensuite cette dernière rue jusqu'à son bout qui donne dans la rue du Petit-Carreau, on se trouve avoir fait le tour du triangle. Ce triangle renfermoit ainsi, dans ces deux côtés, la moitié de la rue de Cléry, la rue Beauregard, et plusieurs autres petites rues adjacentes.

(p. 525) FILLES DE LA PETITE
UNION-CHRÉTIENNE,
OU LE PETIT SAINT-CHAUMONT.

Cet établissement faisoit partie de la congrégation de l'Union-Chrétienne, dont nous venons de parler; il avoit à peu près le même but et la même destination. Ce fut au vertueux ecclésiastique dont le zèle avoit si puissamment contribué à la fondation de la première communauté, que l'on dut encore cette nouvelle institution. Témoin des dangers et des embarras auxquels étoient exposées des personnes persécutées par leurs parents pour avoir embrassé la foi catholique, des extrémités auxquelles étoient réduites de jeunes filles qui, cherchant à se mettre en condition, manquoient de toutes les ressources de la vie, et même d'asile, il persuada à plusieurs personnes pieuses de partager l'intérêt que lui inspiroient ces êtres foibles et malheureux, et leur eut bientôt trouvé des protecteurs assez puissants[444] pour pouvoir penser à (p. 526) leur procurer une retraite et les secours nécessaires. Les membres de cette association charitable jetèrent les yeux sur une maison située rue de la Lune, que François Berthelot, secrétaire des commandements de Marie-Victoire de Bavière, dauphine de France, et Marie Regnault son épouse, avoient fait bâtir pour y recevoir et soigner cinquante soldats revenus de l'armée, malades ou blessés. La construction de l'hôtel royal des Invalides, que le roi avoit ordonnée vers ce temps-là, ayant rendu inutiles les vues bienfaisantes de ces deux époux, ils acceptèrent avec plaisir les propositions qui leur furent faites de céder cette maison aux Filles de l'Union-Chrétienne, que la sœur Anne de Croze envoya de Charonne pour administrer le nouvel établissement. Ceci se passa en 1682; des lettres-patentes du mois de février 1685, enregistrées au parlement du 5 février 1686, et à la chambre des comptes le 4 du même mois de l'année suivante, confirmèrent ensuite cette donation.

Sainte-Anne étoit la patronne titulaire de cette maison, qui a subsisté jusqu'au commencement de la révolution[445].

(p. 527) LA PORTE SAINT-DENIS.

Dans la première enceinte, élevée sous le règne de Philippe-Auguste, la porte Saint-Denis étoit située entre la rue Mauconseil et celle du Petit-Lion; sous Charles IX elle fut reculée et placée entre les rues Neuve-Saint-Denis et Sainte-Appoline. Une suite constante de victoires et de prospérités avoit déjà fait ériger deux arcs-de-triomphe à la gloire de Louis XIV: la rapidité de ses conquêtes en 1672, le passage du Rhin, quarante villes fortifiées, et trois provinces soumises dans l'espace de deux mois, engagèrent la ville de Paris à lui élever ce nouveau monument de son amour et de sa reconnoissance.

Les murailles de Paris avoient été abattues; les faubourgs touchoient à la ville, dont ils terminoient alors le vaste circuit. L'isolement du nouveau monument, sa forme, son caractère, ses attributs, ses inscriptions, tout concouroit à en donner une autre idée que celle que produit l'aspect d'une porte de ville. Cependant cette dénomination (p. 528) populaire a prévalu, tant pour cet arc-de-triomphe que pour celui qui l'avoisine[446]; et, quoiqu'elle manque entièrement de justesse, la tyrannie de l'usage ne nous permet pas d'en employer une autre.

François Blondel, le plus savant et peut-être le plus grand architecte du dix-septième siècle, fit élever sur ses dessins cette magnifique composition. Il lui donna une largeur de soixante-douze pieds sur une hauteur précisément égale; puis, partageant cette largeur en trois parties, chacune de vingt-quatre pieds, il assigna celle du milieu pour l'ouverture de l'arc, et réserva les deux autres pour ses piédroits, au milieu desquels il perça deux portes de cinq pieds d'ouverture sur le double de hauteur[447].

Sur le nu de ces piédroits sont placées de grandes (p. 529) pyramides en bas-relief, qui, de leurs piédestaux, s'élèvent jusqu'au-dessous de l'entablement, où elles se terminent par un globe que porte un petit amortissement. Ces piédestaux et ces pyramides, également répétés sur la façade qui regarde la ville, et sur celle qui est tournée vers le faubourg, sont chargés de trophées d'armes disposés avec un art admirable, et dont l'exécution rappelle jusqu'à un certain point celle des ornements de la colonne Trajane.

Au pied des pyramides qui sont en regard de la ville, à droite est représenté le Rhin saisi d'étonnement et d'épouvante; on voit à gauche la Hollande, sous la figure d'une femme éperdue, assise sur un lion demi-mort, qui, d'une de ses pates, tient une épée rompue, et de l'autre un faisceau de flèches brisées et en partie renversées[448]. Les pyramides de l'autre façade n'offrent point de figures: elles posent sur des lions couchés[449].

Deux bas-reliefs, placés au-dessous de l'arc, représentent, du côté de la ville, le passage du Rhin (p. 530) à Tholuys; de l'autre, la prise de Maëstricht; dans la frise de l'entablement qui règne immédiatement au-dessus, on lisoit en gros caractères cette inscription: Ludovico Magno. Une niche carrée, figurée au-dessous des bas-reliefs, reçoit la porte: elle a pour claveau la dépouille d'un lion dont la tête et les pates pendent sur le sommet de l'archivolte; et dans les tympans triangulaires de la niche sont sculptées des Renommées en bas-relief, tant à la face du faubourg qu'à celle de la ville.

Girardon avoit été chargé d'abord de l'exécution de tous ces ornements de sculpture; et déjà il avoit achevé les rosaces du grand archivolte, (p. 531) lorsqu'il se vit obligé d'abandonner cette entreprise pour aller à Versailles, où le roi l'appeloit à d'autres travaux. Anguier l'aîné, qui lui succéda, ne le fit point regretter; et l'on convient généralement qu'il n'a point été produit, dans le siècle de Louis XIV, de sculpture qui soit supérieure à celle de ce monument.

Sous le rapport de l'architecture, il est également considéré, tant pour l'harmonie et le grand caractère de ses proportions, que pour l'excellente exécution de toutes ses parties, comme un des plus beaux ouvrages de cette époque célèbre. »On peut même avancer, dit un habile architecte (M. Legrand), qu'il n'est peut-être point d'édifice en France qui porte un caractère plus viril et plus capable de mériter l'attention des hommes qui se destinent aux arts, et d'attirer l'admiration des connoisseurs.»

LA MAISON DE SAINT-LAZARE.

Il y a grande apparence que la maison de Saint-Lazare a été bâtie sur les ruines du monastère de Saint-Laurent, dont Grégoire de Tours fait mention[450], (p. 532) et dont nous ne tarderons pas à parler. Toutefois ce sont de simples conjectures; et il faut avouer qu'il est impossible de rien présenter de certain sur les commencements de cet ancien hospice. Il avoit été institué pour servir d'asile aux malades attaqués de la lèpre, et l'on a des preuves qu'il existoit dès le douzième siècle. Cependant, bien qu'on ne puisse fixer précisément la date de son établissement, on peut assurer qu'à cette époque il étoit encore nouveau, par la raison qu'il n'y avoit pas très-long-temps que la maladie affreuse et incurable qu'on y soignoit avoit pénétré en France. En effet, soit qu'avant les croisades le peu de communications que nous avions avec l'Orient, où elle existoit de temps immémorial, nous eût préservés de ce fléau, soit que les progrès en eussent été arrêtés par cette police sage et sévère qui interdisoit l'entrée des villes aux lépreux, nous ne voyons pas qu'on ait établi de léproseries dans ce royaume sous les deux premières races de nos rois.

Une des principales causes de l'obscurité qui règne sur l'origine de Saint-Lazare, c'est la perte presque totale des titres originaux de cette maison. Ils furent en grande partie dispersés ou détruits dès le commencement de ces temps malheureux où (p. 533) la ville de Paris étoit sous la domination des Anglois, ainsi que le roi Charles VI le reconnoît lui-même dans ses lettres du 1er mai 1404. De là l'incertitude et les contradictions des historiens, tant sur l'état primitif de cette espèce de communauté, que sur celui de la léproserie qui y étoit jointe.

Quelques-uns ont pensé que c'étoit un prieuré de Saint-Augustin, sans doute parce que, dans plusieurs actes, il est fait mention du prieur et du couvent de Saint-Lazare. L'abbé Lebeuf, qui penche pour cette opinion, ajoute qu'on ne connoît rien de certain sur cette maison avant l'an 1147, et que ce n'est qu'en 1191 qu'il y fut établi un clergé régulier, composé d'un prieur et de religieux de l'ordre que nous venons de nommer.

Lemaire a avancé une autre opinion[451]: il a prétendu que les religieux du monastère de Saint-Laurent, qui existoit anciennement en cet endroit, prirent le titre de Saint-Lazare, qui leur fut donné par Philippe-Auguste au mois de juin 1197. Les auteurs du Gallia Christiana disent au contraire[452] qu'en 1150 Louis-le-Jeune ayant ramené avec lui de la Terre-Sainte douze chevaliers de Saint-Lazare, il leur donna un palais qu'il avoit hors de la ville et la chapelle qui (p. 534) en dépendoit, laquelle depuis ce temps a pris le nom de Saint-Lazare.

Le commissaire Delamare, qui a adopté leur sentiment[453], donne à cet événement une époque antérieure: il dit que les Sarrasins ayant chassé les chrétiens de la Terre-Sainte, les chevaliers de Saint-Lazare se retirèrent en France l'an 1137, et se mirent sous la protection de Louis VII, qui leur donna la maison dont nous venons de parler. Mais ni ces anecdotes ni ces dates ne sont malheureusement soutenues de la moindre autorité. 1o. Lorsque Louis-le-Jeune revint de la Terre-Sainte, l'hôpital de Saint-Lazare existoit depuis plus de quarante ans; et, s'il fut donné par lui aux chevaliers hospitaliers, ce n'est pas d'eux qu'il a pris son nom, puisqu'il le portoit auparavant. 2o. On ne trouve aucune preuve de ce don; il n'existe pas la moindre trace que les chevaliers de Saint-Lazare aient joui de cette maison, qu'ils l'aient conservée, ni qu'ils l'aient cédée, soit volontairement, soit par autorité.

Nous n'essaierons pas d'ajouter des conjectures nouvelles à celles de ces écrivains; et, laissant pour incertain ce qui ne peut être suffisamment éclairci, nous nous bornerons à faire connoître ce que nous avons pu réunir de plus authentique sur (p. 535) cette institution, d'après les titres et les actes qui en font mention.

C'est, comme nous venons de le dire, lorsque nous parlerons de l'église Saint-Laurent, que nous donnerons les raisons qui nous portent à croire que cette basilique étoit située, dans le principe, à l'endroit où fut construite depuis la léproserie dont il est ici question; mais sans nous occuper ici de cette origine, si nous examinons uniquement ce dernier établissement, nous ne voyons pas qu'il en soit fait mention nulle part avant le règne de Louis-le-Gros. Le premier qui en ait parlé est un auteur contemporain de ce prince[454], lequel nous apprend qu'en allant à Saint-Denis y prendre l'oriflamme il s'arrêta long-temps dans la maison des lépreux, tandem foràs progrediens, leprosorum adiit officinas. On sait aussi qu'Adélaïde de Savoie sa femme en fut la principale bienfaitrice; que le même prince accorda à cette maison, en 1110, une foire, qui fut depuis rachetée par Philippe-Auguste, et transférée aux halles, comme nous l'avons remarqué en parlant du quartier où elles sont maintenant situées. Enfin les marques de bienveillance et de protection que leur donnèrent ces souverains et leurs premiers successeurs[455] furent telles, que la plupart (p. 536) des historiens en ont tiré la conséquence que cette maison étoit de fondation royale, et lui en ont donné la qualification.

On ne peut douter que cette léproserie n'ait eu, dès ses commencements, une chapelle, et qu'on n'ait donné à l'une et à l'autre le nom de saint-Lazare, vulgairement Saint-Ladre: car la plus grande partie des établissements de ce genre sont sous son invocation[456]. Il est certain aussi que cette maison étoit gouvernée par un prêtre qui prenoit la qualité de prieur; mais nous pensons avec Jaillot, et contre le sentiment de l'abbé Lebeuf, que ce titre n'indique point ici le supérieur d'une communauté régulière. En effet, les termes de prieur et de couvent n'avoient pas toujours alors l'acception positive qu'on leur donne aujourd'hui: le mot religiosi ne signifioit pas toujours des religieux, mais une société de personnes pieuses engagées dans l'état ecclésiastique, ou vivant en communauté, quoique séculières. Telle étoit sans doute la communauté des frères et sœurs qui composoient (p. 537) la maison dont nous parlons; et l'on peut opposer aux actes où son chef est appelé prieur une foule de titres non moins authentiques, où il n'est question que du maître et des frères tant sains que malades de la maison de Saint-Lazare[457]. Mais il est une preuve plus forte, et même sans réplique, qu'on ne peut voir dans cette institution un ordre régulier: c'est que cette maison étoit dans la dépendance du chapitre de Notre-Dame[458], et que le maître, nommé par l'évêque, étoit amovible à sa volonté. L'évêque seul avoit le droit de visiter la léproserie, de faire des réglements, de les changer, de réformer les abus, de se faire rendre des comptes, etc.; et l'on sait que tous ces actes d'autorité étoient exercés, dans les communautés régulières, par le chapitre général et particulier. Enfin, dans les institutions de ce genre, on nomme souvent pour prieurs d'une maison des sujets qui lui sont étrangers; ici le (p. 538) prieur devoit être pris dans la maison même; l'abbé Lebeuf, qui cite les statuts que Foulques de Chanac, évêque de Paris, donna en 1348 à la maison de Saint-Lazare, statuts qui furent confirmés par Audouin, son successeur immédiat, détruit lui-même par cette citation l'opinion qu'il a avancée. Un des article porte «que le prieur seroit un frère Donné, et cependant prêtre; qu'il seroit curé des frères et des sœurs, et administrateur de leurs biens.» Or il ne pouvoit ignorer ce qu'étoient les Donnés[459]; et ce seul mot devoit suffire pour le convaincre qu'il n'y avoit point de religieux à Saint-Lazare.

(p. 539) Il y a une grande apparence que cette maison fut ainsi administrée jusqu'au commencement du seizième siècle: mais les visites que l'évêque y fit en 1513 l'ayant convaincu de la nécessité d'une réforme et de la difficulté d'y réussir sans changer entièrement l'administration, il usa du droit qu'il avoit, et y introduisit en 1515 des chanoines réguliers de Saint-Victor. Il paroît que même alors cette maison ne prit pas le titre de prieuré, ou du moins qu'il lui fut contesté: car le parlement, qui, dès 1560, avoit nommé des commissaires pour la visiter, donna enfin, sur le vu des lettres, titres et papiers concernant cette maison et prétendu prieuré de Saint-Lazare, un arrêt de réglement, le 9 février 1566, par lequel le tiers du revenu de ladite maison est destiné à la nourriture et entretenement des pauvres lépreux, auquel est affectée la léproserie dudit lieu, un autre tiers à la subsistance des religieux, et le tiers restant à payer les dettes dudit prétendu prieuré. Cet arrêt prouve au moins que le parlement ne regardoit pas cette maison comme un prieuré, et en outre qu'à cette époque il y avoit encore en France des lépreux. Par ce même arrêt, l'évêque est maintenu dans son droit de visite et de réforme, et le prieur est tenu de lui représenter tous les trois mois les registres de recette et de dépense, et une fois chaque année de lui rendre compte de son administration. Un tel acte suffit seul pour détruire (p. 540) absolument l'opinion de Lemaire et autres, qui supposent un prieuré affecté à Saint-Lazare, auquel on joignit depuis une léproserie.

Au commencement du siècle suivant, les guerres de religion et les malheurs de la Ligue furent des obstacles à l'entière exécution du réglement dont nous venons de parler. La lèpre ayant cessé en France, on ne voyoit plus de malades à Saint-Lazare; la mésintelligence régnoit entre le chef et les membres; la subordination n'existoit plus, et le temporel étoit mal administré. Adrien Lebon, alors prieur ou chef de cette maison, n'ayant pu, malgré sa sagesse et sa prudence, y rétablir l'ordre et la concorde, prit enfin le parti d'offrir la conduite de cet établissement au célèbre Vincent-de-Paul, instituteur et supérieur des Prêtres de la Mission, et de consentir à l'union qui en fut faite à cette congrégation par un concordat du 7 janvier 1632.

Les Prêtres de la Mission.

Ce ne fut pas tout-à-fait, comme le dit le père Hélyot, dans son Histoire des ordres religieux, à l'instar de la congrégation de l'Oratoire, ni dans la vue de former de jeunes ecclésiastiques à la piété et à la vertu, que le saint personnage que nous venons de nommer jeta les fondements de la congrégation de la Mission. Le nom seul de (p. 541) cette institution annonce l'objet que Vincent-de-Paul se proposoit: il avoit reconnu par lui-même le besoin d'instruction qu'on éprouvoit dans les campagnes, où trop souvent la négligence des pasteurs, quelquefois même leur peu de lumières et de discernement, laissoit les hommes simples et grossiers qui les habitent dans l'ignorance des premiers éléments de la religion. Ce fut donc pour dissiper cette ignorance, aussi préjudiciable aux individus qu'à la société, que cet homme apostolique se dévoua particulièrement à ces missions. Quelques prêtres vertueux et choisis par lui l'aidoient dans ces pieux travaux; et le fruit qu'ils produisirent dans les terres du comte de Joigny, auquel Vincent-de-Paul étoit attaché, fit naître à ce seigneur, ainsi qu'à la dame son épouse, le désir de former à Paris un établissement de ce genre, et sous sa direction. Toutefois ce projet, conçu dès 1617, n'eut son exécution que quelques années après. Ce fut en 1624 que M. de Gondi, archevêque de Paris, et frère de M. le comte de Joigny, voulant favoriser un projet si utile et si saint, donna à Vincent-de-Paul la place de principal et chapelain du collége des Bons-Enfants, près de Saint-Victor. Ce prélat destina dès lors ce collége pour la fondation de la nouvelle congrégation, à laquelle il l'unit et l'incorpora par son décret du 8 juillet 1627.

Cependant il restoit encore beaucoup à faire (p. 542) pour arriver au but que l'on s'étoit proposé: le collége et les maisons qui en dépendoient menaçoient ruine, et les revenus en étoient trop modiques pour subvenir aux besoins de l'établissement. M. et Mme de Joigny sentirent la nécessité d'achever l'œuvre qu'ils avoient si heureusement commencée, et donnèrent une somme de 40,000 liv., tant pour la reconstruction des édifices que pour l'entretien des membres de la communauté. Le contrat, qui est du 7 avril, annonce la piété des fondateurs et l'objet de l'institut, dont les «membres doivent s'occuper de l'instruction des pauvres de la campagne, ne prêcher ni administrer les sacrements dans les grandes villes, sinon en cas d'une notable nécessité, et assister spirituellement les pauvres forçats, afin qu'ils profitent de leurs peines corporelles.»

Les services que la congrégation des Missions rendit dès ses commencements furent si utiles à la religion, que le souverain pontife, par sa bulle du mois de janvier 1632, l'érigea en titre, sous le nom de Prêtres de la Mission; ce qui fut depuis confirmé par lettres-patentes du mois de mai 1642, enregistrées au mois de septembre suivant.

Ce fut à cette époque que M. Lebon, prieur ou chef de la maison de Saint-Lazare, en offrit l'administration à saint Vincent-de-Paul. Celui-ci, vaincu par des instances réitérées pendant (p. 543) plus d'une année, et déterminé par des conseils qu'il ne pouvoit ni ne devoit rejeter, consentit enfin à l'accepter. Le concordat fut passé, comme nous l'avons dit, le 7 janvier 1632, enregistré le 21 mars suivant, et approuvé par la bulle d'Innocent X, du 18 avril 1645. De nouvelles lettres-patentes du mois de mars 1660, enregistrées le 15 mai 1662, confirmèrent cette transaction.

En plaçant à Saint-Lazare les Prêtres de la Mission, le cardinal de Gondi exigea qu'il y eût au moins douze ecclésiastiques pour célébrer les saints offices, et acquitter les fondations; il les chargea de recevoir les lépreux de la ville et des faubourgs, de faire des missions chaque année dans quelques bourgs ou villages de son diocèse[460], de faire des catéchismes, de confesser, prêcher, et préparer les jeunes ecclésiastiques aux ordinations. Personne n'ignore que, jusqu'au moment de sa suppression, les membres de cette congrégation s'acquittèrent de tous ces devoirs avec autant de zèle que de succès[461].

(p. 544) Dès que saint Vincent-de-Paul et ses dignes associés furent entrés en possession de Saint-Lazare, tout commença à y prendre une face nouvelle. La maison, qui menaçoit ruine de tous côtés, fut réparée en attendant qu'on en eût bâti une plus grande et plus convenable à une communauté aussi nombreuse: elle devint bientôt le chef-lieu de la mission et la résidence du supérieur-général.

Ce fut Edme Joly, troisième général de la congrégation, qui fit élever la plupart des vastes et solides édifices qui composent cette maison, et qui existent encore aujourd'hui. Cependant le grand corps-de-logis qui donne du côté de la ville avoit été construit quelque temps avant lui. Quant aux anciens bâtiments de l'hôpital Saint-Lazare, ils avoient tous été détruits, à l'exception de l'église, qui étoit petite[462], et dont la construction gothique n'avoit rien de remarquable. L'enclos de cette communauté étoit le plus grand qu'il y eût à Paris et dans les faubourgs[463].

(p. 545) CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-LAZARE.

TABLEAUX.

Dans la nef, un tableau représentant l'apothéose de saint Vincent-de-Paul; par frère André.

Dans le chœur, huit autres tableaux, savoir:

1. Saint Vincent-de-Paule prêchant les pauvres de l'hôpital du Saint-Nom-de-Jésus; par le même.

2. Le même saint faisant une mission dans les campagnes; par de Troy.

3. Louis XIII au lit de la mort, assisté par ce saint prêtre, comme il l'avoit désiré; par le même.

4. Saint Vincent présidant une conférence ecclésiastique, par le même.

5. Le conseil de conscience établi par Anne d'Autriche, dans lequel siégeoit saint Vincent; par le même.

6. Saint Vincent prêchant les galériens; par Restout.

7. Le même saint présentant à Dieu les prêtres de sa congrégation; par Baptiste.

8. Le saint au milieu d'une assemblée de dames, qu'il exhorte à faire des charités aux enfants trouvés; par Galloche.

Au fond du réfectoire, où le général de la congrégation mangeoit toujours au milieu de deux pauvres, qui partageoient les mets qu'on lui servoit, étoit un grand tableau représentant le déluge universel. Ce réfectoire pouvoit contenir plus de deux cents personnes.

TOMBEAUX ET INSCRIPTIONS.

Au milieu du chœur, près de l'aigle, étoit autrefois une tombe plate, sur laquelle on lisoit:

HIC JACET

Venerabilis vir Vincentius à Paulo, præsbyter, fundator, seu institutor et primus superior generalis congregationis missionis, nec non puellarum charitatis. Obiit die 26 septembris anno 1660, ætatis verò suæ 84.

(p. 546) Vincent-de-Paul ayant été béatifié par le pape Innocent XIII, le 13 août 1729, le 29 septembre suivant son corps fut exhumé en présence de l'archevêque de Paris, et déposé dans une châsse d'argent, que l'on plaça sur l'autel de la chapelle de Saint-Lazare.

Sur le premier pilier de l'église, en entrant dans le chœur, à gauche, étoit une inscription latine où étoient gravées les principales conditions auxquelles l'hôpital Saint-Lazare avoit été donné à saint Vincent-de-Paul et à sa congrégation.

L'apothicairerie et la bibliothéque méritoient d'être vues, pour le bel ordre qui y régnoit.

Lorsque nos rois vouloient faire leur entrée solennelle dans Paris, ils se rendoient autrefois à Saint-Lazare, où ils recevoient le serment de fidélité et d'obéissance de tous les ordres de la ville. Cette cérémonie se faisoit dans un bâtiment nommé le Logis du Roi; puis la cavalcade partoit de là pour entrer ensuite dans la ville par la porte Saint-Denis[464]. L'usage étoit aussi de déposer dans cette maison les corps des rois et des reines de France, lorsqu'on les conduisoit à Saint-Denis pour être inhumés. L'archevêque de Paris et tous les prélats du royaume se trouvoient entre les deux portes du prieuré, pour recevoir le convoi, chantoient sur le cercueil le De profundis et les autres prières accoutumées, y donnoient l'eau bénite, et ensuite le corps étoit porté à Saint-Denis par (p. 547) les hannouars, ou vingt-quatre porteurs de sel jurés de la ville[465].

À l'extrémité de l'enclos de Saint-Lazare et sur la rue du faubourg étoit une grande maison appelée le Séminaire Saint-Charles; c'étoit une dépendance de celle des Prêtres de la Mission, destinée pour ses membres convalescents et pour les retraites de quelques ecclésiastiques[466].

(p. 548) LES FILLES DE LA CHARITÉ.

La maison principale des Filles de la Charité, également instituée par saint Vincent-de-Paul, étoit vis-à-vis celle de Saint-Lazare. Quoique cet établissement ne soit pas fort ancien, les historiens de Paris ne paroissent cependant pas d'accord sur l'époque de son institution. Cette discordance vient sans doute des différentes manières dont chacun d'eux a considéré cet établissement, comme projeté, naissant ou consolidé par l'autorité civile et ecclésiastique. En effet, dom Félibien et l'abbé Lebeuf placent l'institution des Filles de la Charité en 1642; Piganiol en 1633; La Caille et l'auteur des Tablettes parisiennes en 1653. On en pourroit faire remonter l'origine jusqu'à l'année 1617, dans laquelle ce saint prêtre institua en province l'Association de la Charité des Servantes des Pauvres.

Cette louable et pieuse institution avoit pour objet de rendre aux pauvres malades les soins qu'exigeoit leur état. Elle se répandit dans les (p. 549) provinces voisines, et fut même adoptée à Paris dans la paroisse de Saint-Sauveur; mais une telle association n'étoit alors que ce que nous appelons encore aujourd'hui Assemblées de Dames de Charité. Le zèle et la prévoyance ne suffisoient pas: il falloit des forces et une certaine activité qu'on ne peut guère trouver dans des personnes délicates et élevées dans toutes les habitudes de l'aisance et de la mollesse. Louise de Marillac, veuve de M. Legras, secrétaire des commandements de la reine Marie de Médicis, se distinguoit alors par son ardente charité envers les pauvres, au service desquels elle s'étoit particulièrement dévouée: l'exercice des vertus chrétiennes augmentant de jour en jour l'ardeur de son zèle, cette vertueuse dame désira de s'y consacrer encore d'une manière plus spéciale, c'est-à-dire par un vœu solennel. Vincent-de-Paul, sous la direction duquel elle s'étoit placée, l'ayant soumise aux épreuves réitérées que la prudence exigeoit, lui permit enfin d'entreprendre l'utile établissement qu'elle projetoit. Madame Legras commença, le 21 novembre 1633, à en faire l'essai dans la maison qu'elle occupoit près Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Le succès passa ses espérances, et le nombre de celles qui, entraînées par un si grand exemple, vinrent s'offrir pour partager ses charitables travaux, devint en peu de temps assez considérable pour l'engager à chercher une plus vaste demeure: (p. 550) en 1636 elle alla habiter une maison située à la Villette: dans ce nouvel asile la communauté continua à s'accroître; mais elle étoit également éloignée des secours de la maison de Saint-Lazare, sous l'administration et la direction de laquelle elle avoit été mise, et des pauvres auxquels ses services étoient consacrés. Ces inconvénients engagèrent, cinq ans après, madame Legras à se rapprocher de Saint-Lazare, et à s'établir vis-à-vis de cette maison. Ce fut dans ce dernier domicile que cette communauté, chef-lieu de toutes les maisons des Sœurs de la Charité, demeura fixée jusqu'au moment où la révolution, après avoir anéanti les premières classes de la société, exerça ses fureurs jusque sur les servantes des pauvres, qu'elle chassa de leur asile, qu'elle dispersa au nom de la philosophie et de l'humanité[467].

La communauté des Sœurs de la Charité avoit été érigée en confrérie par M. de Gondi, coadjuteur de l'archevêque de Paris, le 20 novembre 1646: ce prélat, plus connu sous le nom du cardinal de Retz, ayant succédé à M. de Gondi son (p. 551) oncle, approuva, le 18 janvier 1655, les réglements que Vincent-de-Paul avoit faits pour cette communauté. L'autorité royale ne tarda pas à confirmer cet établissement par des lettres-patentes, qui furent expédiées au mois de novembre 1658 et enregistrées le 16 décembre suivant.

Par les règles et constitutions données aux Filles ou Sœurs de la Charité, elles étoient mises sous la direction perpétuelle du général de la Mission, et l'on renouveloit tous les trois ans l'élection de leur supérieure. Il n'y eut que madame Legras, fondatrice de la communauté, qui, à la prière de saint-Vincent-de-Paul, conserva cette dignité suprême pendant le reste de sa vie. Elle mourut le 15 mars 1660, âgée de soixante-huit ans.

Les Sœurs de la Charité n'étoient, dans le commencement de leur institution, que des filles de la campagne ou d'une naissance commune, propres par leurs habitudes et leur éducation à des travaux pénibles et grossiers; mais la charité chrétienne qui rapproche tous les états, et la piété qui consulte moins les forces que le courage, montrèrent bientôt dans leurs rangs des filles de bonne famille et d'une naissance distinguée, qui, suivant à la lettre les maximes de l'Évangile, quittoient le monde pour Dieu, préféroient le vêtement le plus humble et les occupations les plus dures, les plus rebutantes, au luxe et à la vanité du siècle, souffroient avec patience et douceur les (p. 552) rebuts et les vivacités de ceux qu'elles servoient, et, par cette vertu plus qu'humaine, prouvoient qu'il est de ces âmes privilégiées qui réunissent tous les caractères que saint Paul donne à la charité, et qui en remplissent tous les devoirs. On les appeloit vulgairement Sœurs Grises, de la couleur de leur habillement. Après cinq ans d'épreuves, elles faisoient des vœux simples qu'elles renouveloient le 25 mars de chaque année. Leur emploi étoit de prendre soin des pauvres et des malades dans les paroisses, les hôpitaux, et d'instruire les jeunes filles auxquelles elles apprenoient à lire et à écrire. L'utilité de ces établissements en avoit si heureusement multiplié le nombre, qu'on en comptoit environ quatre cents dans le royaume. Il y avoit quarante de ces filles aux Invalides, vingt aux Incurables, et plus de quatre-vingts dans les principales paroisses de Paris[468].

(p. 553) LA FOIRE SAINT-LAURENT.

Nous avons déjà eu plus d'une fois l'occasion de rappeler que Louis-le-Gros avoit accordé une foire aux lépreux de Saint-Lazare, et que cette concession, confirmée par Louis-le-Jeune, avoit été rachetée, en 1181, par Philippe-Auguste, lorsqu'il fit établir les halles de Champeaux. Cette acquisition avoit été faite moyennant la somme de 300 liv., que ce même prince échangea ensuite avec la maison de Saint-Lazare, en lui accordant la foire Saint-Laurent, laquelle n'étoit, dans l'origine, qu'un rendez-vous momentané de marchands, tel qu'on en voit encore dans toutes les parties de la France, à certains jours de fêtes patronales. Cette foire, qui commençoit alors le matin de la Saint-Laurent, et finissoit le soir de la même journée, fut successivement prolongée jusqu'à quinze jours. Elle éprouva ensuite quelque interruption; et ce n'est que lorsque les Prêtres de la Mission eurent été établis à Saint-Lazare, qu'il fut question de faire revivre cet ancien privilége. (p. 554) Cependant, quoiqu'ils eussent été substitués à tous les droits de cette maison, et que cette foire leur eût même été spécialement accordée, ils furent obligés, dans cette circonstance, de recourir à l'autorité du roi, qui, par ses lettres-patentes du mois d'octobre 1661, enregistrées le 30 janvier 1665, «approuva, ratifia et confirma le don qui avoit été fait précédemment de la foire aux Prêtres de la Mission, avec tous les droits et priviléges qui y étoient attachés.»

Cette foire s'étoit tenue jusque là dans le faubourg, sur une place découverte que l'on appeloit le Champ de Saint-Laurent. Par ces mêmes lettres, il fut permis aux Prêtres de la mission de la transférer dans un lieu quelconque de leur domaine. Ils destinèrent à cet effet un champ de cinq à six arpents, entouré de murs, dans lequel ils firent percer des rues bordées d'arbres, et construire des boutiques qu'occupèrent des traiteurs, des limonadiers et des marchands de toute espèce. La foire de Saint-Laurent, qui n'a cessé d'être fréquentée qu'à la fin du dix-huitième siècle, duroit alors trois mois, étant ouverte le 1er juillet et finissant le 1er septembre. Ce lieu, jusque-là désert, s'animoit alors, devenoit le rendez-vous de toutes les classes de la société, et offroit ce mélange amusant et varié que présentent toutes les réunions publiques des grandes villes, réunions que la gaieté françoise rendoit encore plus piquantes (p. 555) et plus remarquables à Paris que partout ailleurs. Il s'y établit des spectacles qui pendant long-temps firent les délices de la société oisive et frivole de cette grande ville; et cette foire partagea avec celle de Saint-Germain la gloire d'avoir été le berceau de l'opéra-comique[469].

CHAPELLE SAINTE-ANNE.

Ce petit monument, qui n'existe plus depuis long-temps, avoit été élevé, sous l'invocation de cette sainte, dans la rue qu'on nomme aujourd'hui rue du Faubourg-Poissonnière, pour la commodité de quelques habitants trop éloignés de l'église de Montmartre. Sur la permission qu'il en obtint de l'abbesse de ce monastère, Roland de Buce, confiseur, destina à cet établissement une maison dont il étoit propriétaire dans ce faubourg. (p. 556) Il fit construire la chapelle et la maison du chapelain, puis céda le tout à l'abbaye de Montmartre, par contrat du 23 octobre 1656. Toutefois cette cession fut loin d'être désintéressée: car il ne la fit qu'à condition d'être remboursé de la valeur de la terre et des frais de la construction.

Cette chapelle, qui étoit située un peu au-dessus de la rue de Paradis et du côté opposé, fut bénite le 27 juillet 1657; et, le 11 août suivant, l'archevêque de Paris permit d'y célébrer le service divin, toutefois sous la condition expresse de reconnoître le curé de Montmartre comme pasteur.

HÔTELS.

Hôtel de Bourgogne (détruit).

Cet hôtel avoit été originairement bâti pour les comtes d'Artois: il paroît qu'il étoit situé dans la rue Pavée, non loin des murs de l'enceinte de Philippe-Auguste, lesquels bornoient l'espace où il étoit renfermé. Cette enceinte ayant été reculée de ce côté, l'hôtel d'Artois s'étendit dans la rue Mauconseil jusque vis-à-vis Saint-Jacques-de-l'Hôpital. (p. 557) Marguerite, comtesse d'Artois et de Flandre, qui dès lors en étoit propriétaire, le porta en dot à Philippe-le-Hardi, fils du roi Jean, lequel fut la tige de la nouvelle branche de Bourgogne. Il devint ensuite l'habitation favorite de Jean-sans-Peur son fils, qui le préféra à l'hôtel de Flandre, dont ce prince lui avoit laissé le choix[470]. Les ducs de Bourgogne qui lui succédèrent en firent également leur demeure, sans qu'il perdît totalement pour cela son premier nom d'hôtel d'Artois, qu'on retrouve encore dans plusieurs actes; cependant dès lors et depuis on l'appela plus communément l'hôtel de Bourgogne.

Cet hôtel, ainsi que les autres biens de la maison de Bourgogne, ayant été réuni à la couronne après la mort de Charles-le-Téméraire, tué au siége de Nanci en 1477, fut successivement occupé par différents particuliers, auxquels nos rois avoient accordé des logements dans les habitations royales, ce qui dura jusqu'au temps de François Ier. Alors cet antique édifice, apparemment mal entretenu, tomboit si fort en ruine qu'il devint (p. 558) presque inhabitable, ce qui détermina ce monarque à ordonner, par son édit du 20 septembre 1543, qu'il seroit démoli, et son emplacement divisé par portions, que l'on vendroit à l'enchère. Peu de temps après, les confrères de la Passion, qu'on venoit d'expulser de l'hôpital de la Trinité, achetèrent de Jean Rouvet, acquéreur principal, une partie de ce terrain, moyennant 16 livres de cens, et 225 livres de rente rachetable de 4500 livres, à la charge d'y faire construire une salle pour les représentations de leur spectacle, et des loges dont une appartiendroit audit Rouvet et aux siens leur vie durant. Le contrat d'acquisition est du 30 août 1548. Un arrêt du 17 novembre de la même année nous apprend que la salle étoit déjà construite, puisqu'il permet d'y jouer des sujets profanes et licites, et qu'il défend aux confrères d'y représenter le mystère de la Passion, ni quelque autre mystère sacré que ce soit. Des lettres d'amortissement pour cette acquisition furent expédiées par le roi Charles IX au mois de janvier 1566, et enregistrées en la chambre des comptes le 25 février 1567. Dès que les confrères eurent fait construire leur salle, on ne donna plus d'autre nom à cet édifice que celui d'hôtel de Bourgogne.

D'après la défense qui venoit de leur être faite, les confrères, ne croyant pas qu'il fût de leur honneur de monter sur le théâtre pour y représenter (p. 559) des pièces profanes, prirent le parti de louer leur hôtel[471] et leur privilége à une troupe de comédiens qui venoit de se former, se réservant toutefois deux loges pour eux et leurs amis, lesquelles furent appelées loges des maîtres.

Les confrères de la Passion demeurèrent propriétaires de l'hôtel de Bourgogne jusqu'au mois de décembre 1676, époque à laquelle cette association fut supprimée, et ses revenus furent attribués à l'hôpital général, pour la nourriture et l'entretien des enfants trouvés. On voit alors le théâtre de cet hôtel occupé par les comédiens italiens qui s'étoient introduits en France sous le règne de Henri III. Un ordre du roi ayant fait fermer ce théâtre en 1617, il servit ensuite de salle pour le tirage des loteries jusqu'au 18 de mai de l'an 1716, que le duc d'Orléans, régent, y rétablit les comédiens italiens.

Nous avons déjà raconté les révolutions, les alternatives de bonne et de mauvaise fortune qu'éprouva cette troupe étrangère jusqu'au moment où, réunie aux acteurs de l'Opéra-Comique, (p. 560) elle abandonna l'hôtel de Bourgogne pour venir s'établir dans le nouveau théâtre qu'on lui avoit construit sur l'emplacement de l'hôtel de Choiseul, événement qui n'arriva qu'en 1783[472].

La salle fut ensuite abattue, et sur l'espace vide qu'elle occupoit on transféra, en 1784, le marché aux Cuirs, situé auparavant dans le quartier des Halles.

HÔTELS EXISTANTS EN 1789.

Parmi un assez grand nombre de maisons nouvellement construites à l'extrémité du quartier Saint-Denis, et principalement dans le faubourg Poissonnière, on remarque:

FONTAINES.

Fontaine des Filles-Dieu.

Elle étoit située dans la rue Saint-Denis, à côté de la porte d'entrée de ce couvent; établie d'abord (p. 561) en 1265, détruite dans les siècles suivants, elle fut reconstruite au même endroit en 1605. Cette fontaine, qui n'a rien de remarquable dans sa construction, existe encore et reçoit l'eau de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais.

Fontaine de la Croix de la Reine ou de la Trinité.

Cette ancienne fontaine subsiste encore au coin de la rue Greneta, et présente dans sa forme actuelle une portion de cercle adossée à l'angle de la rue. Son premier nom est le même que celui qu'avoit porté, dans l'origine, l'hôpital de la Trinité, et dont nous avons fait connoître l'étymologie[474].

Fontaine du Ponceau.

Cette fontaine, réparée en 1605, donnoit alors de l'eau de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais; elle est alimentée aujourd'hui par le canal de l'Ourcq[475].

Fontaine Saint-Lazare.

Elle fut construite dans le treizième siècle, vis-à-vis de cette maison, et réparée dans le dix-septième. (p. 562) L'eau qu'elle donne vient de l'aquéduc des Prés-Saint-Gervais.

MARCHÉ AUX CUIRS.

Voyez ci-dessus, p. 564.

BARRIÈRES.

Les limites de ce quartier terminent la ville du côté du septentrion, et renferment trois barrières, savoir:

(p. 563) RUES ET PLACES DU QUARTIER SAINT-DENIS.

Rue Sainte-Apolline. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans la rue Saint-Martin. C'est par erreur que sur les plans de Jouvin et de Bullet elle est désignée sous le nom de rue Neuve-d'Orléans, la rue qui porte ce nom en étant très-éloignée et séparée par le boulevart.

Rue Sainte-Barbe. Elle commence à la rue Beauregard, et se termine au boulevart; cette rue étoit connue sous ce nom dès 1540, et le devoit à la chapelle érigée sous l'invocation de saint Louis et de sainte Barbe, dont nous avons parlé à l'article de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.

Rue Beauregard. Elle aboutit aux rues de Cléry et Poissonnière; on la connoissoit, dès le seizième siècle, sous ce nom, dont nous ignorons d'ailleurs l'étymologie.

Rue Beaurepaire. Elle donne d'un bout dans la rue Montorgueil, et de l'autre dans celle des Deux-Portes. Cette rue, qui existoit dès 1255, se trouve indiquée dans les cartulaires de l'évêché de cette année[478], sous le nom (p. 564) de Bellus locus; on la trouve encore dans un acte de 1258 sous celui de Vicus qui dicitur Bellus Reditus[479]. Dès l'an 1313 cette rue et le terrain sur lequel elle étoit située avoient changé leur nom latin en celui de Beaurepaire. En 1478 on y voyoit une plâtrière qui portoit le même nom.

Rue de Bourbon[480]. Cette rue, qui aboutit d'un côté aux rues des Petits-Carreaux et Montorgueil, et de l'autre vient finir à la porte Saint-Denis, doit son nom à dame Jeanne de Bourbon, abbesse de Fontevrault, à qui les dames de la communauté des Filles-Dieu, sorties de cet ordre, voulurent faire honneur; en effet ce furent elles qui changèrent son ancienne dénomination, laquelle étoit rue Saint-Côme et rue du Milieu des Fossés, noms qu'elle portoit conjointement avec celles qui couvroient le fossé qu'on avoit creusé en cet endroit. On la trouve indiquée, dès 1639, sous le nom de rue de Bourbon.

Rue du Bourg-l'Abbé. Elle aboutit d'un côté dans la rue aux Oues (ou aux Ours), et de l'autre dans la rue Greneta. Il y a plusieurs opinions sur l'étymologie du nom de cette rue. Sauval[481] prétend qu'elle le doit à un particulier nommé Simon du Bourg-l'Abbé ou du Bourlabbé; Jaillot présume qu'elle le doit à un ancien bourg qui existoit sous les rois de la seconde race. Ce bourg s'étant accru, on y construisit la chapelle de Saint-Georges, dont nous avons déjà parlé, laquelle prit depuis le nom de Saint-Magloire; et comme elle dépendoit de (p. 565) l'abbé de ce monastère, il lui paroît vraisemblable que le bourg voisin, qui s'augmentait tous les jours, en prit le nom de Bourg-l'Abbé.

Le commissaire Delamare a cru que ce nom venoit de l'abbé de Saint-Martin-des-Champs[482], sur la censive duquel ce bourg étoit, dit-il, en partie situé; mais il a confondu le Beaubourg, qui étoit véritablement dans la censive de Saint-Martin-des-Champs, avec le Bourg-l'Abbé, qui a été jusqu'aux derniers temps dans celle de Saint-Magloire.

Rue du Petit-Carreau ou des Petits-Carreaux. Elle commence à la rue Saint-Sauveur, et va jusqu'à celle de Cléri, en faisant la continuation de la rue Montorgueil. La plupart des anciens plans ne la distinguent point de cette dernière rue; mais ils indiquent en cet endroit les Petits-Carreaux, qui étoient l'enseigne d'une maison, laquelle subsistoit encore à la fin du siècle dernier, et devoit ce nom au lieu où elle étoit située. En 1628 le registre des ensaisinements désigne aussi la rue sous le nom des Petits-Carreaux; Sauval lui donne le même nom. Ce n'est que dans les plans et nomenclatures modernes qu'elle est nommée du Petit-Carreau. La partie de cette rue qui tient à la rue Poissonnière contenoit plusieurs étaux de bouchers, et s'appeloit, en 1637, rue des Boucheries[483].

(p. 566) Rue Saint-Claude. Cette rue, qui aboutit d'un côté dans la rue Sainte-Foi, et de l'autre dans la rue de Cléri, n'est ouverte que depuis 1652. On lui donna d'abord le nom de Sainte-Anne; celui qu'elle porte aujourd'hui lui vient d'une maison faisant l'un des coins de la rue de Bourbon, laquelle avoit pour enseigne l'image de Saint-Claude[484].

Rue de Cléri. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence à la rue des Petits-Carreaux, et se termine à celle de Saint-Denis. On a déjà remarqué qu'elle devoit son nom à l'hôtel de Cléri, et qu'elle le portoit, dès 1540, dans toute son étendue. Il y a quelques actes du dix-septième siècle dans lesquels la partie de cette rue qui s'étend du côté de la porte Saint-Denis est nommée rue Mouffetard.

Il y a dans cette rue une ruelle, autrefois sans nom, qui va dans la rue Beauregard; on la nomme aujourd'hui rue des Degrés.

Rue Saint-Denis. La partie de cette rue qui dépend de ce quartier commence aux rues aux Oues et Mauconseil, et aboutit à la porte Saint-Denis. Nous avons déjà remarqué qu'on l'appeloit anciennement la chaussée et la grant rue Saint-Denys.

(p. 567) Il y a dans la rue Saint-Denis quatre culs-de-sac.

Le premier se nomme cul-de-sac des Peintres; il est situé près de l'endroit où étoit l'ancienne porte de l'enceinte de Philippe-Auguste, laquelle fut démolie en 1535. C'étoit anciennement une ruelle appelée de l'Arbalète, de l'enseigne d'une maison dans laquelle étoient deux jeux de paume pratiqués le long des anciens murs. On la nomma ensuite ruelle sans chef, dite des Étuves, puis ruelle de l'Asne-Rayé, de l'enseigne d'une hôtellerie qui lui étoit contiguë; enfin on croit que ce cul-de-sac a pris le nom qu'il porte aujourd'hui d'un peintre nommé Guyon Le Doux, qui fit bâtir une maison avec une tournelle en saillie au coin de cette ruelle: d'autres pensent que cette dénomination lui vient d'une famille qui y demeuroit au treizième siècle; car en 1303 la maison de l'Arbalète appartenoit aux enfants de Gilles le Peintre, ce qui est prouvé par un acte authentique de cette même année.

Le second, situé du même côté, près la Trinité, a le nom de cul-de-sac de Bas-Four; il a porté successivement ceux de rue sans-chef, ruelle sans-chef, aboutissant à la Trinité; ruelle sans-chef appelée Bas-Four. On ignore l'étymologie de ce dernier nom, qui a prévalu.

Le troisième, appelé cul-de-sac de l'Empereur[485], est situé de l'autre côté de la rue. Il doit ce nom à l'enseigne d'une maison, et le portoit dès 1391; cependant il paroît que cette ruelle, ainsi que la rue Thévenot, portoient aussi les noms de rue des Cordiers et de la Corderie, parce qu'elles renfermoient plusieurs ateliers (p. 568) de ce genre. On la trouve indiquée sous ce dernier nom, et en même temps sous celui de l'Empereur dans un titre de 1591.

Le quatrième cul-de-sac, appelé cour Sainte Catherine, doit son nom à une maison et à un jardin anciennement appelés le Pressoir, lesquels appartenoient aux religieuses de Sainte-Catherine; elles avoient acquis cette propriété pour venir y prendre de temps en temps quelque repos, et y avoient fait construire une chapelle en 1641.

Rue des Degrés.—Voyez rue de Cléri.

Rue du Faubourg-Saint-Denis. Elle commence à la porte Saint-Denis, et finit à la maison de Saint-Lazare et au coin de la rue Saint-Laurent.

Rue Neuve-Saint-Denis. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin. On l'appela d'abord rue des Deux-Portes, parce qu'elle aboutissoit aux portes Saint-Denis et Saint-Martin. On la trouve indiquée, dès 1655, sous le nom de rue Neuve Saint-Denis[486].

Rue Basse-Saint-Denis. Cette rue règne le long du boulevart, et continuoit autrefois jusqu'à la rue du Faubourg-Poissonnière; mais vers 1770 elle fut coupée presque à la moitié de son ancienne étendue. On l'appeloit autrefois rue des Fossés-Saint-Denis, Basse-Villeneuve, Neuve-des-Filles-Dieu.

Il y a dans cette rue trois culs-de-sac.

1o. Le cul-de-sac Saint-Laurent, qui doit sans doute son nom au territoire où il est situé, lequel dépendoit de la paroisse Saint-Laurent.

2o. Le cul-de-sac des Filles-Dieu, parce qu'il se (p. 569) trouve sur le terrain de leur ancien enclos. Ce cul-de-sac s'appeloit anciennement ruelle Couvreuse.

3o. Le cul-de-sac des Babillards. On ignore l'étymologie de cette dénomination; à l'extrémité de cette rue, du côté du faubourg Poissonnière, étoit le cimetière de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle[487].

Rue de l'Échiquier. Cette rue, construite depuis 1780, traverse de la rue du Faubourg-Poissonnière dans celle de Saint-Denis. Elle a pris ce nom d'une maison dite de l'Échiquier, située sur une partie du terrain au travers duquel elle a été percée.

Rue des Petites-Écuries. Elle donne aussi d'un bout dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, et de l'autre dans celle du Faubourg-Poissonnière, et doit son nom aux petites-écuries du roi, situées autrefois dans la première de ces deux rues.

Rue d'Enghien[488]. Cette rue, parallèle à celle de l'Échiquier, et plus avancée dans le faubourg, traverse également de la rue du Faubourg-Poissonnière à celle du Faubourg-Saint-Denis. Elle a été ouverte quelques années avant la rue de l'Échiquier.

Rue Saint-Étienne ou rue Neuve-Saint-Étienne-à-la-Villeneuve. Un de ses bouts donne dans la rue Beauregard, l'autre sur le boulevart. Elle étoit connue sous ce nom en 1540, et on le lui a redonné, environ cent ans après, lorsqu'on a rebâti les maisons de la Villeneuve.

Rue des Filles-Dieu. Elle va de la rue Saint-Denis (p. 570) dans celle de Bourbon. Le censier de l'archevêché de 1530 la nomme rue Neuve de l'Ursine alias des Filles-Dieu. Dans celui de 1643 on indique une rue Saint-Guillaume entre les rues Neuve-des-Fossés et de Cléri, et une maison sise rues Saint-Guillaume et Sainte-Foi. Ainsi l'on doit en conclure que la rue Saint-Guillaume est représentée par le retour d'équerre que fait aujourd'hui la rue des Filles-Dieu dans celle de Bourbon.

Rue Sainte-Foi. Elle commence à la rue Saint-Denis, et se termine à celle des Filles-Dieu. On l'appela rue du Rempart, ensuite des Corderies, enfin rue Sainte-Foi. Elle portoit ce dernier nom dès 1644.

Rue Françoise. Elle traverse de la rue Mauconseil dans la rue Pavée. Le premier nom qu'elle ait porté étoit simplement rue Neuve. On la trouve ainsi indiquée dans plusieurs actes concernant la vente et l'adjudication de l'hôtel de Bourgogne. On la voit désignée sous celui de rue Neuve-Saint-François dans Sauval; et un autre auteur ajoute à ce nom l'épithète de Percée. Corrozet ne l'indique que sous le nom général de rue qui traverse par dedans l'hôtel de Bourgogne. Elle fut ouverte, en 1543, par ordre de François Ier, sous le règne duquel il se fit de grands changements dans ce quartier par la démolition de l'hôtel de Bourgogne.

C'est dans cette rue qu'étoit la principale porte de la salle des confrères de la Passion, au-dessus de laquelle on voyoit encore, peu de temps avant la révolution, une croix et quelques autres instruments de la Passion.

Rue Greneta. Elle va de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin. Tous les titres du treizième siècle nous apprennent que cette rue se nommoit alors Darnetal ou d'Arnetal. On la trouve cependant désignée, dans un acte de 1236, sous le nom de la Trinité. Le nom d'Arnetal, qu'elle portoit en 1262, 1265, etc., (p. 571) s'altéra insensiblement dans les siècles suivants, et se changea en ceux de Guernetat, Garnetat, et Grenetat, enfin, en supprimant la lettre finale, Greneta. Dans cette rue étoit placée la principale entrée de l'hôpital de la Trinité[489].

Rue Guérin-Boisseau. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Saint-Martin, et doit son nom à un particulier. Cette rue étoit connue dès le milieu du treizième siècle, et les actes de ce temps en font mention sous le nom vicus Guerini Bucelli[490]; au commencement du siècle suivant on disoit rue Guerin-Boucel, et dès 1345 rue Guérin-Boisseau.

Rue Hauteville. Cette rue, qui fut ouverte dans le siècle dernier, donne d'un bout dans la rue Basse-Saint-Denis, et, se prolongeant dans le faubourg, va aboutir dans celle de Paradis. Nous ignorons l'étymologie de ce nouveau nom. Dans l'origine elle portoit celui de la Michodière.

Rue du Grand-Hurleur. Elle aboutit d'un côté dans la rue Bourg-l'Abbé, et de l'autre dans celle de Saint-Martin. Elle est nommée de Heuleu et Huleu dans un bail à cens du mois de février 1253[491]; et ce nom se retrouve dans un nombre infini de titres[492], ainsi que sur les anciens plans. Jaillot dit avoir vu des manuscrits où (p. 572) elle est indiquée sous le nom de rue du Pet; et en effet elle est ainsi désignée sur les plans de Gomboust et de Bullet. Dans des actes de 1627 et 1643, on la nomme rue des Innocents, autrement dite du Grand-Heuleu; elle porte le même nom des Innocents dans le procès-verbal du 24 avril 1636.

Rue du Petit-Hurleur. Elle commence rue Bourg-l'Abbé, et aboutit dans celle de Saint-Denis. On l'appeloit, suivant Corrozet et Boisseau, du Petit-Heuleu, de même que la précédente avoit le nom du Grand-Heuleu; et du Petit-Leu, suivant Gomboust et Bullet. Elle est nommée sur quelques plans rue Palée; ce nom venoit apparemment de Jean Palée, l'un des fondateurs de l'hôpital de la Trinité, ou de quelqu'un de sa famille, car dans une transaction du mois d'octobre 1265, elle est nommée vicus Johannis Palée[493]; elle le portoit encore en 1540.

Piganiol remarque, d'après Adrien Le Valois, que le nom de ces rues est altéré; qu'il faut dire Hue-le. Selon ces auteurs, l'étymologie de ce mot vient de ce que, ces rues étant autrefois habitées par des filles publiques, dès que le peuple y voyoit entrer un homme, il excitoit les enfants à se moquer de lui, en disant hüe-le (raille-le, crie après lui). Jaillot combat cette étymologie, qui ne soutient pas l'examen d'une saine critique. En effet, nous venons de voir qu'il n'y avoit que la rue du Grand-Hurleur qui fut appelée de Heuleu tout court; ainsi l'étymologie de M. Le Valois n'auroit aucune application à la petite; en outre, dans le nombre des rues désignées, par les ordres de saint Louis et de ses successeurs, pour servir de retraite aux femmes publiques, qu'ils se virent forcés (p. 573) de tolérer, on ne trouve point celle de Heuleu. Elle ne devoit donc pas son nom aux huées que méritent les courtisanes et ceux qui les fréquentent. Il y a plus, l'ordonnance de saint Louis n'est que de 1254; et, comme nous l'avons observé plus haut, la rue se nommoit de Heuleu dès 1253 et même auparavant. Jaillot pense qu'il est plus vraisemblable de croire que cette rue doit son nom à un particulier. Il est certain, ajoute-t-il, qu'anciennement on disoit Heu pour Hugues et Leu pour Loup. On trouve un amortissement fait par un chevalier nommé Hugo Lupus, d'un don fait à l'église de Saint-Magloire au mois de mars 1231[494]; et enfin, dans les archives de l'abbaye d'Hières, il y avoit un acte de concession d'un moulin faite à cette abbaye vers l'an 1150, par lequel on voit que Clémence, abbesse d'Hières, étoit sœur de Heu-Leu, Hugonis Lupi. Il conclut de tout ceci que l'ancienne orthographe usitée du temps de saint Louis, où l'on écrivoit hüe leu, est la véritable. L'abbé Lebeuf avoit avant lui adopté cette opinion[495].

Rue Saint-Laurent. Elle traverse du faubourg Saint-Lazare dans celui de Saint-Laurent, et doit son nom à l'église Saint-Laurent, qui se trouve auprès. On l'a quelquefois appelée rue Neuve-Saint-Laurent, pour la distinguer de celle du faubourg, qu'on appeloit aussi rue Saint-Laurent.

Rue du Faubourg-Saint-Lazare. Ce n'est que la continuation du faubourg Saint-Denis, à laquelle on a donné ce nom, et même celui de rue Saint-Lazare, parce que l'église y étoit située[496].

(p. 574) Rue du Petit-Lion. Elle fait la continuation de la rue Pavée, et aboutit à celle de Saint-Denis. En 1360 elle s'appeloit rue du Lion d'or outre la porte Saint-Denis[497]. Dans ce même siècle et dans le suivant, on la nommoit simplement rue au Lion ou du Lion; mais dans les quinzième et seizième siècles on l'appeloit rue du Grand-Lion, de l'enseigne d'une maison qui y étoit située; elle prit peu de temps après le nom du Petit-Lion, qu'elle a toujours gardé depuis. Sauval[498] et quelques autres ont dit que cette rue s'est quelquefois appelée rue de l'Arbalète ou des Arbalétriers, qui, dit-il, y ont eu long-temps un lieu très-vaste destiné à leurs exercices: toutefois elle n'est ainsi nommée dans aucun titre; mais comme en 1421 les maisons de la rue au Lion aboutissoient, par-derrière, au jardin du maître des arbalétriers[499], on peut croire qu'elle en avoit reçu la dénomination populaire de rue de l'Arbalète.

Rue de la Longue-Allée. Ce n'est qu'un passage qui conduit de la rue Saint-Denis dans celles du Ponceau, des Égouts et Neuve-Saint-Denis; elle s'est appelée aussi rue de la Houssaie. On la nomme aujourd'hui passage Lemoine.

Rue de la Lune. Elle va d'un bout dans la rue Poissonnière, et de l'autre au boulevart, près la porte Saint-Denis. Elle étoit bâtie dès 1648, et l'on croit que son nom lui vient de quelque enseigne.

Rue Martel. Cette rue, percée depuis 1780, donne (p. 575) d'un bout dans celle des Petites-Écuries, de l'autre dans la rue de Paradis.

Rue Mauconseil. Elle traverse de la rue Saint-Denis dans celle de Montorgueil; il ne paroît pas que cette rue ait jamais porté d'autre nom; dès 1250 elle est appelée vicus Mali Consilii; en 1269, 1300, etc., rue Mauconseil. Sauval[500] pense que le nom de Mauconseil vient du seigneur du château de Mauconseil, situé en Picardie: cette étymologie paroît assez vraisemblable.

Rue Montorgueil. Elle fait la continuation de la rue Comtesse-d'Artois, et aboutit à celle des Petits-Carreaux. On ignore l'étymologie du nom de cette rue, qu'on désignoit, dès le treizième siècle, sous celui de vicus Montis Superbi.

Il y a dans cette rue un cul-de-sac appelé cul-de-sac de la Bouteille, qui règne le long des anciens murs de l'enceinte de Philippe-Auguste. Ce cul-de-sac se nommoit, dans le dix-septième siècle, cul-de-sac de la Cueiller[501], et devoit ce nom à une maison qui y étoit située en 1603. Il fut nommé ensuite rue Commune, et prit enfin, d'une enseigne, le nom de cul-de-sac de la Bouteille, qu'il porte aujourd'hui.

Vis-à-vis de ce cul-de-sac, et au milieu de la rue Montorgueil, on voyoit encore, à la fin du quinzième siècle, une tour de l'ancienne enceinte; mais comme elle gênoit le passage pour arriver aux halles, sur la requête des habitants de cette rue et de Nicolas Janvier, marchand de poisson, la ville en ordonna la démolition le 17 décembre 1498.

Rue Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle. Elle traverse de la rue Beauregard au boulevart. Il paroît qu'elle a remplacé une ancienne rue qui étoit en cet endroit avant (p. 576) la démolition de la Villeneuve, et qui s'appeloit rue Neuve-Saint-Louis et Sainte-Barbe. Elle doit son nom à l'église de Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle.

Rue Notre-Dame-de-Recouvrance. Elle va également de la rue Beauregard au boulevart; en 1540 elle portoit déjà ce nom. Quand on la rebâtit, au commencement du dix-septième siècle, on l'appela Petite rue Poissonnière, probablement parce qu'elle est parallèle à la rue Poissonnière; depuis elle a repris le nom qu'on lui avoit donné dans son origine.

Rue Neuve d'Orléans. Elle traverse, le long du boulevart, du faubourg Saint-Denis à celui de Saint-Martin, et n'offre qu'un rang de maisons qui donnent sur cette promenade. Quelques-uns ont cru que la rue Sainte-Apolline avoit anciennement ce nom. Si véritablement elle l'a porté, on a voulu le conserver en le donnant à celle-ci, qui n'étoit dans l'origine qu'un simple chemin, lequel ne fut couvert de maisons que long-temps après l'autre. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle étoit désignée ainsi il y a plus de cent cinquante ans, ce qui est prouvé par des plans qui remontent à cette époque.

Rue aux Ours (ou aux Oues). Elle donne d'un bout dans la rue Saint-Denis, de l'autre dans celle de Saint-Martin. Nous avons déjà dit que c'étoit par corruption que cette rue étoit appelée aux Ours, et désignée ainsi sur les inscriptions qui sont à ses extrémités. Nos ancêtres écrivoient et prononçoient ou Ouë pour Oie; et comme il y avoit, dès le treizième siècle, des rôtisseurs établis dans cette rue, la grande quantité d'oies qu'ils faisoient cuire en avoit fait donner le nom à la rue, vicus ubi coquuntur anseres[502], la rue où l'on cuit les oies; vicus (p. 577) Anserum, la rue as Oues, via ad Aucas, vicus ad Ocas[503].

Rue de Paradis. Elle aboutit d'un côté à la rue du Faubourg-Saint-Denis, de l'autre à la rue Poissonnière. Ce n'étoit autrefois qu'une ruelle indiquée sous ce nom dès 1643; auparavant elle se nommoit rue Saint-Lazare, (p. 578) parce qu'elle faisoit la continuation de la grande rue de ce nom, ainsi que la rue d'Enfer.

Rue Pavée. Elle commence à la rue Montorgueil, et se termine à celle du Petit-Lion, au coin de la rue des Deux-Portes; elle est très-ancienne, et énoncée sous ce nom dans le rôle de taxe de 1313, et dans plusieurs actes postérieurs.

Rue Saint-Philippe. Elle va de la rue de Bourbon (p. 579) dans celle de Cléri, et fut ouverte, en 1719, sur un terrain vide qui étoit entre ces deux rues. On ignore pourquoi elle porte le nom de Saint-Philippe.

Rue Poissonnière. Elle fait la continuation de la rue des Petits-Carreaux, et se termine au boulevart. Avant que la clôture de Charles VI eût été reculée sous Louis XIII, ce n'étoit qu'un chemin appelé du val Larroneux; il est ainsi nommé dans un acte de l'an 1290, cheminus qui dicitur vallis Latronum[504]. Il devoit ce nom au terrain auquel il est contigu: on le nomma aussi chemin et rue des Poissonniers et des Poissonnières, parce que c'étoit par cet endroit qu'arrivoient les marchands de marée. On le trouve aussi sous les noms de la Poissonnerie et de rue de Montorgueil, dite de la Poissonnerie. Une partie des bâtiments qui forment cette rue fut faite en 1633; le terrain sur lequel elle est située s'appeloit, en 1391, le clos aux Halliers[505], autrement dit les masures de Saint-Magloire; depuis on l'a nommé le champ aux Femmes.

Rue du Faubourg-Poissonnière. Elle fait la continuation de la rue Poissonnière par-delà le boulevart, et traverse jusqu'à la barrière cette portion de Paris connue sous le nom de la Nouvelle-France[506]. Cet endroit, dont la population étoit considérable dès le milieu du dix-septième siècle, fut érigé en faubourg en 1648, et prit, ainsi que la rue, le nom de Sainte-Anne, de la chapelle qui y fut bâtie à peu près dans ce temps sous l'invocation de cette sainte. Telle est l'opinion de quelques historiens (p. 580) de Paris; cependant comme la chapelle ne fut érigée qu'en 1655, il est plus probable que le nom de rue Sainte-Anne lui venoit d'une porte construite à l'entrée du faubourg en 1645, et qui avoit été ainsi nommée pour faire honneur à la reine Anne d'Autriche. Auparavant cette rue n'étoit connue que sous le nom de chaussée de la Nouvelle-France.

Rue du Ponceau ou des Égouts. Elle va de la rue Saint-Denis à celle de Saint-Martin. Les plans de Paris et les tables des rues diffèrent presque tous en cet endroit; les uns ne présentent qu'une seule rue des Égouts, d'autres distinguent cette rue de celle du Ponceau; il y en a qui placent la rue du Ponceau, du côté de la rue Saint-Martin, jusqu'au coude qui s'y trouve; d'autres, au contraire, lui donnent ce nom depuis ce coude jusqu'à la rue Saint-Denis; et c'est l'opinion qui paroît la mieux fondée[507].

Ces deux noms viennent d'un égout qui passe encore aujourd'hui dans cette rue, et d'un petit pont qu'on avoit construit au-dessus pour la facilité du passage. On trouve dans les archives de Saint-Martin-des-Champs une foule de titres qui font mention, dès le quatorzième siècle, du Poncelet des maisons bâties sur le Poncel, à l'opposite de la chapelle Ymbert, et près le Ponceau et la rue Guérin-Boisseau. Les registres capitulaires de Notre-Dame indiquent en 1413 le Ponceau Saint-Denis emprès les Nonains (les Filles-Dieu.)

Cet égout fut couvert en 1605, et l'on y fit une rue par l'ordre et aux dépens de M. Miron, alors prévôt des (p. 581) marchands. Ce magistrat fit en même temps réparer la fontaine voisine, qui porte le même nom.

Rue des Deux-Portes. Elle va de la rue Pavée dans la rue Thévenot. Ce nom lui vient de deux portes qui la fermoient autrefois à ses extrémités; en 1427 elle finissoit à la rue Saint-Sauveur, et se nommoit alors rue des Deux-Petites-Portes.

Rue du Renard. Elle aboutit d'un côté dans la rue Saint-Denis, de l'autre dans celle des Deux-Portes. Sauval n'a point parlé de cette rue, quoiqu'elle soit fort ancienne; il en est fait mention dans le rôle des taxes de 1313, sous le nom de rue Perciée, et depuis rue Percée. Il y a toute apparence qu'elle doit son nom à un particulier: car on trouve dans le censier de l'évêché, de 1372, que Robert Renard avoit sa maison au coin de cette rue, devant la Trinité; et dans celui de 1399, que cette maison avoit pour enseigne le Renard: la rue en avoit pris le nom dès la fin du quatorzième siècle.

Rue Saint-Sauveur. Elle va de la rue Saint-Denis à l'endroit où se joignent les rues Montorgueil et des Petits-Carreaux: ce nom lui vient de l'église Saint-Sauveur. On voit par plusieurs actes que cette rue existoit dès l'an 1285.

Rue Neuve-Saint-Sauveur. Elle aboutit dans les rues de Bourbon et des Petits-Carreaux, et fut ainsi nommée parce qu'on avoit projeté d'ouvrir une rue qui devoit traverser de la rue de Bourbon dans celle de Saint-Sauveur. Ce projet n'ayant pas été exécuté, on a donné à celle-ci le nom qu'on avoit destiné à l'autre. Anciennement elle s'appeloit rue de la Corderie, ensuite rue Boyer, du nom d'un particulier. On la trouve sous ces deux noms dans les censiers de l'archevêché: celui de 1603 la nomme rue des Corderies, alias cour des Miracles, (p. 582) et celui de 1622, rue Neuve-Saint-Sauveur, anciennement dite Boyer[508].

Rue Saint-Spire. Elle a été bâtie sur un emplacement de figure triangulaire qui se trouvoit entre les rues de Bourbon, de Sainte-Foi et des Filles-Dieu; elle traverse de l'une à l'autre de ces deux dernières.

Le cimetière de Saint-Sauveur étoit dans cette rue.

On y voit aussi un cul-de-sac appelé de la Grosse-Tête. On présume que ce nom lui vient de celui d'un particulier qui, en 1341, avoit sa maison dans cet endroit, ou peut-être d'une enseigne: car le censier de l'évêché, de 1372, énonce la maison de la Grosse-Tête.

Rue de Marie-Stuart.—Voyez rue Tireboudin.

Rue Thévenot. Elle traverse de la rue des Petits-Carreaux (p. 583) à celle de Saint-Denis. Ce n'étoit, dans son origine, qu'un cul-de-sac dans la rue des Petits-Carreaux, qu'on appeloit, en 1372, des Cordiers, ensuite de la Cordière et de la Corderie. Elle portoit encore cette dernière dénomination, lorsqu'à la fin du dix-septième siècle on la prolongea jusqu'à la rue Saint-Denis. Le sieur André Thévenot, ancien contrôleur des rentes de l'hôtel-de-ville, y ayant fait bâtir plusieurs maisons, elle prit aussitôt son nom.

La partie du cul-de-sac qui subsistoit encore hors de l'alignement de la rue a été conservée, et forme le cul-de-sac de l'Étoile, lequel doit son nom à une enseigne.

Rue Tireboudin. Cette rue, qui aboutit d'un côté dans la rue des Deux-Portes, et de l'autre dans celle de Montorgueil, portoit anciennement un nom très-indécent, et qui se ressentoit de la simplicité, ou, pour mieux dire, de la grossièreté des mœurs de nos ancêtres. Sur le changement de nom qu'elle a éprouvé, Saint-Foix raconte, sans examen, l'anecdote suivante: «Marie Stuart, femme de François II, passant dans cette rue, en demanda le nom: il n'étoit pas honnête à prononcer; on en changea la dernière syllabe, et ce changement a subsisté.» Celui qui a fourni ce petit conte à cet écrivain a manqué d'exactitude: car Marie Stuart, reine d'Écosse, fut mariée à François II en 1558; et dès 1419 le censier de l'évêché indique cette rue sous le nom de Tireboudin: elle porte le même nom dans le compte des confiscations pour les Anglois, en 1420 et 1421[509].

Rue de Tracy. Cette rue, percée en 1781, lorsqu'on construisit le nouveau portail de Saint-Chaumont, donne (p. 584) d'un côté dans la rue du Ponceau, et de l'autre dans celle de Saint-Denis. Elle portoit, dans l'origine, le nom de rue des Dames de Saint-Chaumont.

MONUMENTS NOUVEAUX ET RÉPARATIONS FAITES AUX ANCIENS MONUMENTS DEPUIS 1789.

FONTAINES.

Fontaines de la rue Saint-Denis. Elles sont établies des deux côtés de cette rue, en forme de piliers carrés, et fournissent abondamment à ses nombreux habitants des eaux qui viennent du canal de l'Ourcq.

On a aussi construit sous cette rue un vaste égout qui s'étend dans toute sa longueur, et qui a procuré à cette partie populeuse de Paris une propreté et une salubrité que l'on avoit jusqu'alors essayé vainement de lui donner.

Fontaine du Ponceau. Cette fontaine, située à l'angle que forme le retour de cette rue dans celle de Saint-Denis, a reçu des eaux plus abondantes qui lui viennent du canal de l'Ourcq, et une forme nouvelle plus élégante. Elle se compose maintenant d'un demi-bassin circulaire, au-dessus duquel s'élève un jet d'eau; et de ce bassin l'eau tombe en nappe dans un autre bassin de plus grande dimension, qui s'élève seulement à deux pieds de terre, et sert d'abreuvoir aux chevaux.

(p. 585) RUES NOUVELLES.

Rue du Caire. Cette rue, percée sur le terrain des Filles-Dieu, aboutit, d'un côté, dans la rue de Bourbon, de l'autre dans la rue Saint-Denis.

Rue de la Chapelle. Elle aboutit d'un côté à l'enceinte de Paris entre les barrières des Vertus et de Saint-Denis, de l'autre dans celle de Château-Landon.

Rue de la Charité. Elle commence en face du portail de Saint-Laurent, et donne dans la rue qui porte le nom de cette église.

Rue de Château-Landon. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg-Saint-Martin, et de l'autre vient finir à la barrière des Vertus.

Rue du Chaudron. Elle prend son origine dans la rue précédente, et vient finir vers la conduite d'eau du canal de l'Ourcq.

Rue de la Fidélité. Elle commence dans la rue du Faubourg-Saint-Denis en face de la rue du Paradis, et aboutit dans celle du Faubourg-Saint-Martin.

Rue des Forges. Elle a été ouverte sur l'ancienne cour des Miracles, et donne, de l'autre bout, dans la rue du Caire.

Rue des Fossés-Saint-Martin. Elle donne d'un bout dans la rue du Faubourg Saint-Lazare, de l'autre dans celle du Faubourg-Saint-Martin.

Rue des Messageries. Elle traverse la rue de Paradis, et vient par un retour d'équerre aboutir à celle du Faubourg-Poissonnière.

Chemins sans nom. Il y en a deux qui communiquent de la rue du Faubourg-Saint-Denis dans celle de la Chapelle.

(p. 586) PASSAGES.

Passage du Caire. Il a été ouvert dans le bâtiment des Filles-Dieu, et aboutit d'un côté à la rue de Bourbon, de l'autre à la rue Saint-Denis. Ce passage est occupé par des marchands de tout genre.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE DU DEUXIÈME VOLUME.

(p. 587) TABLE DES MATIÈRES.
SECOND VOLUME.—PREMIÈRE PARTIE.

QUARTIER MONTMARTRE.

QUARTIER SAINT-EUSTACHE.

QUARTIER DES HALLES.

QUARTIER SAINT-DENIS.

FIN DE LA TABLE DE LA 1re PARTIE DU SECOND VOLUME.

Notes

1: Elle étoit bâtie sur l'emplacement où sont la rue des Fossés-Montmartre et la place des Victoires: c'étoit la seule partie du quartier Montmartre qui existât alors.

2: Voyez t. I, p. 484, 2e partie.

3: Voyez t. I, p. 336, 1re partie.

4: Ibid. p. 489, 2e partie.

5: Voyez t. I, p. 144, 1re partie.

6: T. I, p. 62, 1re partie.

7: Hugues Capet n'eût pu diviser le royaume entre plusieurs fils, quand bien même il l'auroit voulu, puisqu'il n'en eut qu'un seul, Henri Ier; et les intrigues de Constance, femme de Robert, pour porter ce prince à donner la couronne à son fils cadet au préjudice de l'aîné, prouvent que le droit d'aînesse dans la succession au pouvoir royal n'étoit point encore, sous ce dernier prince, irrévocablement établi.

8: Louis VIII (Voyez t. I, p. 693, 2e partie). Ce ne fut que sous Philippe-le-Hardi que la loi des apanages commença d'être en vigueur, loi trop tardive, qui mit sans doute un terme aux démembrements que chaque règne apportoit au domaine de la couronne, mais qui ne put réparer le mal déjà fait, et empêcher que la propriété entière des provinces données par les prédécesseurs de ce prince à leurs fils cadets, ne se perpétuât dans les diverses branches de la famille royale, cette hérédité ayant lieu suivant la ligne directe de descendance, et sans distinction de mâles et de femelles.

L'apanage au contraire devint une espèce de majorat ou de substitution, et dut ainsi, à défaut d'héritiers, revenir au domaine de la couronne.

9: Voyez t. I, p. 685 et seqq., 2e partie.

10: Pendant long-temps on n'avoit demandé à la noblesse que le service personnel; et hors des cas où elle devoit ce service, le roi n'avoit d'autres troupes que celles qu'il pouvoit soudoyer. Ces cas où la noblesse étoit tenue de servir étant assez rares, il arrivoit que les rois, pour obtenir la prestation du service personnel, lorsqu'il ne leur étoit point dû, convoquoient des assemblées générales où ils faisoient approuver leur demande par les barons. Alors ceux-ci levoient la taille dans leurs domaines pour l'armée du roi; car ce n'étoit que dans ce cas déjà mentionné du service personnel que leurs vassaux étoient tenus de s'armer et de les suivre. Il en étoit de même pour la noblesse réunie des provinces; et lorsqu'il vouloit avoir son assistance, le roi négocioit avec elle comme avec les barons.

Or, les villes appartenantes au roi ayant aussi leurs priviléges, il falloit également négocier avec elles. Philippe-le-Bel crut bien faire en simplifiant ces opérations, et convoqua à cet effet des assemblées générales, où furent appelés les députés des villes en même temps que ceux de la noblesse. Ce fut en 1304 que se tint la première assemblée de cette espèce. Elle présenta avec les anciens parlements de la nation cette différence essentielle, que les barons et les pairs n'y formèrent point une chambre séparée où, de même que dans le conseil suprême décrit par Hincmar[10-A], se seroient préparées les propositions qui devoient être ensuite présentées à la noblesse du second ordre, et seulement aux députés de cette noblesse: car, dans cette première assemblée, ainsi que dans quelques-unes des suivantes, les députés des villes n'eurent point voix consultative, et ne furent admis qu'à représenter leurs besoins et leurs facultés. Si l'assemblée des états eût été ainsi divisée en deux chambres, les grands présidents de la cour du roi auroient eu seuls le droit d'entrer dans celle des seigneurs, et les moindres conseillers n'eussent été placés qu'au degré où il leur convenoit d'être. Mais tous les députés des différents ordres s'étant réunis dans une seule assemblée, les conseillers de la cour firent corps avec les députés des villes, ou le tiers-état; le baronnage disparut et les pairs ne comparurent pas. Ce changement dans la forme de ces assemblées générales eut, en raison du nouvel élément qu'on y avoit introduit, les plus graves conséquences. Ce n'étoit plus le parlement général de la nation; et comme de telles réunions étoient en effet composées de tous les états, il fallut donner un nom nouveau à une chose toute nouvelle, et on les nomma états-généraux.

10-A: Voyez t. I, p. 133, 1re partie.

11: Tous nos historiens disent les uns après les autres que ce fut en vertu de la loi salique que cette exclusion fut prononcée. Il eût été plus exact de dire que ce fut en vertu d'une loi commune à tous les Francs, loi qui existoit chez eux de temps immémorial, et qui, voulant qu'on fût brave, robuste, utile à la nation, pour avoir le droit de la gouverner (Voy. t. I, p. 66, 1re partie), déclaroit par cela même les femmes incapables de régner. La marque à laquelle Gontram fit connoître à Childebert qu'il l'appeloit à l'héritage de son royaume, fut de lui mettre une lance à la main: «Mes péchés ont fait, lui dit-il ensuite, qu'il ne me reste rien de ma race, si ce n'est vous, qui êtes le fils de mon frère: soyez donc mon héritier.» (Greg. Tur., lib. 7, c. 33, lib. 9, c. 20.) Gontram avoit cependant une fille; mais elle ne pouvoit manier la lance; et il se contenta de lui donner un apanage considérable. La cérémonie d'élever un prince sur le pavois ou bouclier pour lui faire prendre possession de la royauté, prouve seule que, pour être roi, il falloit être homme et guerrier.

12: Il s'étoit fait fabriquer de faux titres, entre autres un contrat de mariage de Philippe d'Artois son père, et de Blanche de Bretagne sa mère, par lequel le comte d'Artois son grand père cédoit le comté à Philippe et à ses enfants mâles, à l'exclusion des filles, en s'en réservant seulement l'usufruit.

13: Le crime de félonie ou de trahison, différent de celui de révolte ouverte, avoit été, dans tous les temps, considéré chez les Francs comme le plus grand des crimes et puni de mort: «La multiplicité des princes à qui il étoit permis de se recommander, dit du Buat, et qui possédoient comme par indivis le droit de régner sur leurs fidèles communs, fournissoit toujours des protecteurs à la révolte, et en diminuoit en quelque sorte la noirceur.»

14: Voyez t. I, p. 735, 2e partie.

15: Ce fut, dit-on, la faute de son gouverneur, qui le força, ainsi que deux de ses frères, à cette action dont le résultat fut d'indisposer contre eux tous les esprits.

16: Le dauphin n'avoit alors que dix-neuf ans, et par les lois du royaume il ne pouvoit être majeur qu'à vingt-un ans; sa minorité étoit incompatible avec la régence, à moins d'un ordre particulier du roi.

17: La noblesse étoit alors sans crédit. Écrasée à la bataille de Créci, la défaite de Poitiers avoit achevé sa ruine. Ceux qui n'y avoient point été tués ou pris étoient l'objet du mépris du peuple, qui les accusoit d'avoir abandonné le roi.

18: Entre autres Pierre de La Forest, chancelier de France, archevêque de Rouen; Simon de Bussy, premier président du parlement; Robert de Lorris, chambellan du roi; Jean Chamillart et Pierre d'Orgemont, présidents du parlement; Jean Poilvillain, souverain maître des monnoies, etc.

19: Voyez t. Ier, p. 34, 1re partie.

20: Sous le règne de Philippe-de-Valois. Le peuple de Paris s'opposa alors à ce que l'on augmentât les fortifications de la ville, parce qu'il eût fallu, pour y parvenir, abattre une certaine quantité de maisons, ce qui auroit causé du dommage à un assez grand nombre de particuliers.

21: Sur les frontières de la Picardie et du Cambrésis.

22: Larrons, meurtriers, voleurs de grands chemins, faux monnoyeurs, faussaires, coupables de viol, ravisseurs de femmes, perturbateurs du repos public, assassins, sorciers, sorcières, empoisonneurs, etc. (Trés. des ch. reg. 80, p. 268.)

23: On a cru que ce fut dans un de ces festins que le roi de Navarre trouva le moyen de faire prendre au dauphin un poison si violent, que, malgré la promptitude avec laquelle il fut secouru, il en perdit les ongles et les cheveux, et conserva toute sa vie une langueur qui en avança la fin.

24: Ce capuce ressembloit à celui que portoient les religieux. Le pers étoit une couleur d'un bleu tirant sur le vert. (Du Cange.)

25: Cette politique odieuse fut depuis imitée par le duc de Guise sous le règne de Henri III.

26: Voyez t. Ier, p. 552, 2e partie.

27: Les gouverneurs de ces places, bien informés que les ordres donnés par le dauphin pour les remettre au roi de Navarre lui avoient été extorqués, déclarèrent qu'ils n'en sortiroient point, sans un ordre signé de la main même du roi qui les leur avoit confiées.

28: C'étoit ce seigneur qui avoit arraché Perrin Macé de l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie.

29: «N'ayez pas peur.»

30: Ils furent portés le soir au cimetière de Sainte-Catherine-du-Val-des-Écoliers, où on les enterra sans solennités, avec Regnaut-d'Acy, tué le même jour.

31: Ce fut lui qui fixa depuis cette majorité à quatorze ans, comme nous le dirons ci-après.

32: Ces grandes compagnies, dont il faut chercher le principe dans cette fureur des guerres féodales, qui, armant tout seigneur d'un château contre le château de son voisin, avoit porté la noblesse françoise à se faire des auxiliaires de ses serfs et de ses manants, ces grandes compagnies étoient composées, la plupart, de soldats échappés à la bataille de Poitiers, auxquels s'étoient joints des vagabonds de tous les pays. Cette multitude, accoutumée à vivre de rapines et de pillages, s'étoit répandue dans les campagnes, où elle commettoit tous les désordres imaginables. La France ne fut entièrement délivrée de ce fléau que par le connétable Bertrand Duguesclin, qui détermina les grandes compagnies à le suivre en Espagne.

33: Ils furent poussés à cette révolte par la situation extrême à laquelle les réduisoient les partis qui désoloient la France. Les campagnes étoient devenues un séjour affreux pour leurs habitants. Également opprimés, rançonnés, dépouillés par les vainqueurs et par les vaincus, tant de maux les jetèrent dans une sorte de fureur qui fut principalement dirigée contre les nobles, dont ils avoient juré l'entière extermination. La première étincelle éclata dans le Beauvoisis; et dans un moment l'embrasement fut général. Le détail des horreurs auxquelles se livra cette multitude féroce et désespérée fait frissonner, et passe tout ce que la vengeance et la barbarie ont jamais imaginé de plus exécrable. La noblesse, épouvantée d'abord, se réunit ensuite pour arrêter ce nouveau fléau, tellement terrible qu'il suspendit un moment l'animosité des factions; et ce qui peut paroître surprenant, c'est que le roi de Navarre, qui désiroit la perte des nobles presque tous attachés au régent, contribua beaucoup à la destruction des Jacques. Ils furent anéantis dans cette même année 1358.

34: Presque tous nos historiens racontent que ce fut Maillard qui tua Marcel au moment où il alloit livrer la Bastille Saint-Antoine aux troupes du roi de Navarre; et nous avions suivi leur récit dans notre première édition. Nous ignorions alors que M. Dacier, dans un mémoire lu à l'académie des inscriptions et belles-lettres en 1778, avoit prouvé, d'après les traditions les plus authentiques, que les choses ne s'étoient point passées ainsi, et que cet honneur d'avoir frappé le traître appartenoit à un autre: nous offrons donc ici une relation nouvelle de cet événement dans laquelle les faits sont rectifiés d'après le Mémoire du savant académicien.

35: Qu'importe.

36: Ces dernières circonstances de l'événement sont racontées un peu différemment par les historiens de Paris. Nous avons préféré suivre Vély, le père Daniel, le président Hénault, etc.

37: Tandis que Philippe dévastoit les provinces avec les troupes de son frère, celui-ci conspiroit encore à Paris pour y introduire les Anglois. Le complot fut découvert par deux fidèles citoyens qu'on avoit voulu y faire entrer. Le roi de Navarre quitta alors cette ville avec précipitation, et se retira à Mantes, d'où il envoya défier le régent et ses frères.

38: Voyez t. Ier, p. 34, 1re partie.

39: On dit que dans le dépit qu'il conçut de ne pouvoir s'en emparer, Édouard envoya un défi au régent, qui eut le bon esprit de le refuser.

40: Un orage violent qu'Édouard essuya dans cet endroit, épouvanta, dit-on, si fort son armée, qu'il crut y reconnoître l'ordre du ciel de faire la paix. (Hénault.)

41: Elles s'élevoient à trois millions d'écus d'or.

42: Le Poitou, la Saintonge, l'Agénois, le Périgord, le Limousin, le Querci, le Rouergue, le pays de Tarbes, l'Angoumois, La Rochelle, Montreuil, Calais et plusieurs autres villes avec leurs dépendances, les comtés de Ponthieu et de Guines, de Bigorre, de Gavre, de Foix, d'Armagnac, les fiefs de Tours, plusieurs autres seigneuries, le tout en pleine souveraineté, et sans nulle mouvance de la couronne de France.

43: L'événement qui donna lieu à l'ordonnance du roi Jean mérite d'être cité. Ce fut un procès qui s'éleva entre le prévôt et l'évêque de Paris, Jean de Meulant. Les évêques avoient le droit de faire faire le guet autour de la cathédrale pendant toute la nuit, et d'y faire prendre et punir les malfaiteurs. Les archers du Châtelet ayant rencontré les gens de Jean de Meulant qui traversoient la ville armés, leur enlevèrent leurs armes, et les mirent en prison. Sur la plainte de l'évêque, le parlement rendit un arrêt par lequel il fut maintenu dans son droit, mais sous la condition que les officiers de sa justice seroient obligés de porter leurs armes dans des sacs jusqu'à la cour de l'évêché, et de les remporter de même.

44: Il disoit que «quand la bonne foi seroit bannie du reste du monde, elle devroit se retrouver dans la bouche des rois.»

45: Il en chassa Pierre-le-Cruel, et fit couronner à sa place Henri, comte de Transtamare, frère bâtard du roi.

46: Charles V peut être regardé comme le fondateur de la Bibliothèque royale de Paris.

47: Ce fut sous le règne de Philippe-de-Valois que le Dauphiné et le comté de Viennois entrèrent dans le domaine de la couronne de France, par la cession qu'en fit à ce prince Humbert II, dernier prince de la maison de la Tour-du-Pin qui ait possédé cette souveraineté. «On a cru mal à propos, dit le président Hénault, qu'une des conditions du traité avoit été que le titre de dauphin seroit porté par le fils aîné de nos rois. Il arriva au contraire que le premier dauphin, nommé par Humbert, fut le second fils de Philippe de Valois; mais il est vrai que cela n'eut pas lieu, et que ce titre a toujours été porté depuis par le fils aîné du roi.»

48: Voyez t. Ier, p. 263, 1re partie.

49: Ils avoient la garde et le bail de leurs enfants; ils pouvoient posséder des fiefs nobles et arrière-fiefs, user de brides d'or et autres ornements attachés à l'ordre de la chevalerie, prendre des armes de chevalier comme les nobles d'origine, etc.

50: Cette loi, dont l'objet étoit de mettre ordre à l'abus des régences qui absorboient l'autorité royale, ne reçut son dernier perfectionnement que par une ordonnance nouvelle, rendue en 1404, laquelle régla qu'en quelque minorité qu'il pût être, le roi, à son avénement au trône, seroit réputé roi; et que le royaume seroit gouverné par lui, et en son nom par les princes les plus proches de son trône, et par les personnes les plus sages de son conseil. Nous voyons, sous la première race, que tant que l'héritier de la couronne étoit mineur, le royaume étoit réellement entre les mains des seigneurs qui le lui gardoient conjointement avec les autres rois, ses parents, s'il en avoit; et l'on en trouve une preuve assez frappante dans l'histoire tragique des fils de Clodomir. Si le prince n'avoit point de parents qui pussent le remplacer, et qu'il plût aux seigneurs régents de se démettre de leur droit en faveur d'un seul gouverneur du jeune monarque, ce gouverneur unique étoit roi: c'est ce qui arriva, sous la seconde race, pendant la minorité de Charles-le-Simple. Cette coutume se prolongea jusque sous la troisième; et quoique le régent du royaume ne portât plus alors le titre de roi, il n'en étoit pas moins la source de tout le pouvoir; il n'empruntoit point son autorité du prince mineur, et les lettres royaux étoient intitulés de son nom.

51: Voyez t. Ier, p. 160, 1re partie.

52: Cette réunion n'eut pas lieu, parce que le duc sut se défendre, et que le roi mourut peu de temps après. (Hénault.)

53: Le président Hénault se trompe: Charles V fut dans la nécessité de mettre des impôts; et ce qui le prouve, c'est que le jour même de sa mort, il supprima, par une ordonnance expresse, une partie de ceux qu'il avoit établis. Mais ces impôts étoient mis pour le bien public; et c'est ce qu'un religieux augustin, prêchant le jour de l'Ascension devant Charles VI, la reine et le duc d'Orléans, eut la hardiesse de dire, ajoutant qu'alors on connoissoit l'emploi de l'argent qu'on levoit sur les peuples; qu'il avoit servi au feu roi à chasser l'ennemi du royaume, à fortifier ses places, à reprendre celles qui lui avoient été enlevées; et que sous ce nouveau règne on ne voyoit point qu'il s'en fit un semblable usage, quoique les peuples fussent bien plus chargés, etc. (Hist. anonyme, liv. XXV, ch. 6.)

54: C'est de là que ces séditieux reçurent le nom de Maillotins.

55: Cette manière de faire mourir ceux qu'on ne vouloit pas exécuter publiquement étoit fort en usage dans ce siècle. On enfermoit les criminels qu'on vouloit faire périr ainsi dans un sac lié par en haut; on les précipitoit ordinairement sous le pont au Change ou hors de la ville, au-dessus des Célestins. L'auteur des Antiquités de Paris pense que c'est de là qu'est venue l'expression de gens de sac et de corde, employée pour désigner les scélérats. (Antiq. de Paris., t. II, liv. 10.)

56: Environ un million de notre monnoie.

57: Il fut résolu en même temps d'abattre l'ancienne porte Saint-Antoine, d'achever la Bastille, commencée sous le règne précédent, et de construire à côté du Louvre une nouvelle tour, qui seroit environnée d'un fossé rempli d'eau, et rendroit ainsi le roi maître des deux principales entrées de Paris.

58: Ce séditieux avoit déjà reçu une fois sa grâce pour avoir participé au meurtre des maréchaux massacrés sous la régence du dauphin, depuis Charles V.

59: Quoique le concile de Bâle ait décidé depuis que l'opinion de l'immaculée conception devoit être embrassée par tous les catholiques, et que le concile de Trente ait fait une déclaration qui confirme cette opinion, cependant il est de fait que l'Église ne s'est point prononcée sur cette question de manière à en faire un article de foi; et que plusieurs papes, Pie V, Grégoire XV et Alexandre VII ont défendu de traiter d'hérétiques ceux qui soutenoient la doctrine contraire.

60: Il mourut d'un accident aussi horrible que singulier. Pour ranimer ses forces épuisées par la débauche, il avoit coutume de se faire coudre dans un drap imbibé d'eau-de-vie. Le feu y ayant pris un jour par l'imprudence d'un domestique, il fut consumé par les flammes, et périt après trois jours des plus excessives souffrances. Peu de temps avant sa mort, il avoit tenté de faire empoisonner Charles VI et sa famille.

61: Il accusoit le connétable de lui avoir fait perdre les bonnes grâces de ce prince.

62: On prétend qu'un grand fantôme noir, revêtu d'une robe blanche, ayant la tête et les pieds nus, l'air égaré et le regard furieux, s'élança subitement d'entre deux arbres, et saisit la bride de son cheval, en lui criant: Roi, ne chevauche plus avant, mais retourne, car tu es trahi. Le roi, glacé d'horreur, s'arrêta en frémissant et sans pouvoir proférer une seule parole. Quelques hommes d'armes qui se trouvoient auprès de lui frappèrent sur les mains du spectre, ce qui le contraignit à lâcher les rênes. Il se retira ensuite sans que personne songeât à l'arrêter. Saint-Foix, qui juge mieux qu'à l'ordinaire de cette époque de notre histoire, croit voir, dans cet événement singulier, une nouvelle manœuvre des indignes princes qui obsédoient l'infortuné monarque; et il est difficile en effet d'en juger autrement.

63: Le roi, fatigué de tant de tentatives inutiles, ne vouloit plus absolument voir de médecins, lorsque le maréchal de Sancerre, qui commandoit en Guienne, lui envoya deux moines augustins de ce pays-là, qui passoient pour très-habiles dans la médecine et dans l'astrologie. Ces deux hommes osèrent accuser le duc d'Orléans d'avoir jeté un sort sur le roi son frère. L'accusation étoit insensée de toutes manières: ayant été interpellés d'en donner des preuves, et n'ayant pu le faire, ils furent condamnés à mort et exécutés. C'est à cette occasion que fut donnée la déclaration qui accorde des confesseurs aux criminels, ce qui auparavant ne se pratiquoit pas en France. Ce fut Pierre de Craon qui sollicita cette déclaration.

64: On soupçonnoit entre eux quelque intrigue galante; et le caractère de tous les deux rend ce soupçon très-vraisemblable.

65: Voyez p. 76.

66: Lorsqu'il ne donna plus aucun signe de vie, les assassins approchèrent un flambeau, pour voir s'il étoit mort. Alors un homme, dont le visage étoit caché sous un chaperon vermeil, sortit de l'hôtel Notre-Dame: il tenoit une massue, dont il déchargea un dernier coup sur le prince, en disant: Éteignez tout, allons-nous-en, il est mort. Étoit-ce le duc de Bourgogne? (Villaret.)

67: Les valets de pied qui l'accompagnoient s'étoient enfuis; un seul, nommé Jacob, voyant son maître renversé, se jeta sur lui, essayant de lui faire un rempart de son corps. On le trouva expirant lorsqu'on vint relever le corps du duc: Haro, monseigneur mon maître, s'écria ce fidèle et courageux serviteur, et il rendit les derniers soupirs.

68: Il fit rompre le pont de Sainte-Maxence, pour arrêter ceux qui pourroient le poursuivre; et ayant trouvé des chevaux préparés sur la route, il arriva en six heures à Bapaume. En mémoire de son heureuse délivrance, ce prince ordonna qu'on y sonneroit à perpétuité l'Angelus à une heure après midi. Ces pratiques de dévotion; mêlées aux crimes les plus exécrables sont des traits qui caractérisent ce siècle.

69: Valentine de Milan.

70: Louis II, fils du duc d'Anjou, qui, après la mort de son père, revint en France, et conserva le titre de roi, quoiqu'il n'eût pas un pouce de terrain dans le royaume dont il se prétendoit souverain.

71: Elle mourut de douleur de la fin funeste de son mari, et du regret de n'en pouvoir tirer vengeance.

72: Ce mariage ne se fit point.

73: Ce prince avoit laissé trois fils légitimes: Charles, père de Louis XII; Philippe, comte de Vertus; et Jean, comte d'Angoulême, aïeul de François Ier; il avoit un fils naturel, qui fut le célèbre comte de Dunois.

74: Il avoit la faveur du roi, de la reine et de la plupart des princes; et l'estime qu'en avoit faite avant eux Charles V, qui l'avoit élevé par degrés aux emplois les plus éminents, prouve que Jean de Montagu n'étoit pas un homme ordinaire. On le fit mettre à la question, où il avoua, dit le père Daniel, ce qui étoit et ce qui n'étoit pas; et sur ce qu'il avoit confessé, il fut condamné à avoir la tête tranchée. Ce fut le prévôt de Paris Désessarts qui présida le tribunal par lequel il fut condamné, tribunal de commissaires et non de juges, suivant l'observation naïve et profonde qu'en fit un religieux de l'abbaye de Marcoussy[74-A] à François Ier. On dit que ce prince fut si frappé de cette distinction, que, mettant la main sur l'autel, il fit serment de ne jamais faire mourir personne par commissaires.

74-A: Montagu y avoit été enterré, quelques années après son exécution.

75: Depuis Bicêtre. On le nommoit ainsi, parce qu'il avoit appartenu à Jean, évêque de Wicestre en Angleterre.

76: En faisant arrêter le seigneur de Crouy, que le duc de Bourgogne envoyoit en qualité d'ambassadeur au duc de Berri. Le duc d'Orléans le soupçonnoit d'être un des assassins de son père. Il est vrai que ces assassins avoient été exclus du traité; mais il n'étoit pas permis d'arrêter Crouy et de le faire mettre à la question sur un simple soupçon.

77: Voyez t. Ier, p. 539, 2e partie.

78: C'étoit un sobriquet qu'on lui avoit donné. Son véritable nom étoit Simon Coutelier.

79: Le boucher Goix, blessé dans ce combat, vint mourir à Paris; on lui fit des funérailles magnifiques, auxquelles le duc de Bourgogne n'eut pas honte d'assister.

80: Le duc de Bourgogne, dans un conseil secret qu'il tint avec deux de ses créatures, Jacqueville et Désessarts, leur fit part du projet qu'il avoit conçu, de profiter de l'occasion de cette assemblée pour faire égorger à la fois les ducs de Berri, d'Orléans et le comte de Vertus. Désessarts ne put dissimuler l'horreur qu'un tel projet lui inspiroit, et détermina ce méchant prince à l'abandonner. Il fit en même temps avertir le duc d'Orléans, qui vint à Auxerre escorté par deux mille hommes d'armes. Le Bourguignon sut depuis cette trahison, et ne la pardonna jamais à Désessarts.

81: Voyez la note précédente.

82: Ce fut cet Antoine Désessarts qui fit depuis élever le Saint-Christophe colossal que l'on voyoit dans l'église de Notre-Dame. (Voy. t. I, p. 323, 1re partie.)

83: Le duc de Bar, Jean de Wailly, son nouveau chancelier, les seigneurs de la Rivière, de Marcoignet, de Boissay, de Rambouillet, etc.

84: Ces seigneurs étoient Louis de Bavière, frère de la reine, l'archevêque de Bourges, le chancelier et le trésorier d'Aquitaine, etc.; les dames Baune d'Armagnac, chancelière de la reine, du Quénoy, d'Anclus, de Noviant, du Châtel, etc.

85: Nous en citerons un exemple: Jacqueville, capitaine de la milice de Paris, passant avec sa troupe près de l'hôtel Saint-Paul, où le dauphin donnoit un bal, monta brusquement à l'appartement du prince, et lui reprocha la dissolution dans laquelle il vivoit. S'adressant ensuite au seigneur de La Trémoille, il l'accabla d'invectives, l'accusant d'être le conseiller et le ministre de ces indécentes orgies. Le dauphin indigné tira sa dague, et s'élança sur Jacqueville pour l'en percer. Alors les soldats de celui-ci se jetèrent sur La Trémoille, qu'ils auroient massacré, si le duc de Bourgogne, qui survint, ne lui eût sauvé la vie.

86: Plusieurs furent punis du dernier supplice, entre autres le frère de Jean de Troyes. On trouva chez ce scélérat une liste de proscription qui dévouoit à la mort plus de quatorze cents personnes.

87: C'étoient les seigneurs de Moï, de Brimeu, de Montauban et de Croy. Ils furent arrêtés dans sa chambre, parce qu'on les soupçonnoit d'être attachés au duc de Bourgogne. Le dauphin fut si irrité de cet affront, qu'il voulut sortir pour appeler le peuple à son secours; les princes le retinrent.

88: Henri V, qui venoit de succéder à son père, mort en 1412.

89: Ces deux auteurs n'en parlent qu'à la date de 1416, et Saint-Foix prouve très-bien qu'il ne fut que renouvelé à cette époque et qu'il avoit été conclu dès l'année 1414. Dans cette transaction, le duc de Bourgogne expose que:

«Jusqu'alors, faute de bonnes informations, il avoit méconnu et ignoré les véritables droits du roi d'Angleterre et de ses héritiers à la couronne de France; qu'en ayant pris connoissance, il les reconnoît justes et légitimes; qu'il promet et s'engage en conséquence de faire une guerre mortelle à Charles VI et au dauphin, et se soumet à faire hommage-lige audit roi d'Angleterre, dès qu'il sera en possession d'une notable partie du royaume de France; reconnoissant que, quoique cet hommage soit dû dès à présent, il a été différé, pour le plus grand avantage de l'un et de l'autre;

»Que, par toutes les voies secrètes qu'il saura ou qui lui seront indiquées, il fera en sorte que ledit roi d'Angleterre soit mis en possession réelle et paisible dudit royaume;

»Que, pendant que ledit roi d'Angleterre sera occupé à poursuivre ses droits, lui, duc de Bourgogne, fera la guerre avec toutes ses forces aux ennemis que ledit roi d'Angleterre a dans le royaume de France; c'est à savoir, à A. B. C. D. et à tous leurs pays et partisans désobéissants audit roi d'Angleterre;

»Que, dans les traités d'alliance, lettres-patentes ou autrement, s'il paroît toujours tenir pour Charles VI, soi-disant roi de France et pour le dauphin, ce ne sera que par dissimulation, pour un plus grand bien et pour faire mieux réussir le projet formé entre ledit roi d'Angleterre et lui, duc de Bourgogne.»

C'est ainsi qu'un prince du sang, petit-fils du roi Jean, et premier pair du royaume, se lioit avec les ennemis naturels de sa patrie pour arracher le sceptre de sa maison, et le faire passer dans celle d'un usurpateur, d'un étranger, à qui même la couronne d'Angleterre n'appartenoit pas. (Saint-Foix.)

90: Les conjurés, dont les chefs étoient les courtisans du dauphin, devoient aller au Louvre, mettre ce prince à leur tête, s'emparer des postes les plus importants, chasser les Orléanois et massacrer ceux qui feroient résistance.

91: Depuis le Havre-de-Grâce.

92: Villaret, toujours persuadé que le traité du Bourguignon avec le roi d'Angleterre n'existoit point encore, blâme, comme impolitique, un refus très-raisonnable, et une méfiance qu'on auroit dû avoir plus tôt. Pour n'avoir point connu un point historique aussi essentiel, cet historien ne peut ici rien éclaircir, rien expliquer, et donne aux personnages des motifs, aux événements des causes entièrement opposées à la vérité.

93: Elle fut perdue par la faute du connétable d'Albret, qui y périt avec la fleur de la noblesse françoise et six princes du sang. Le duc d'Orléans y fut fait prisonnier. Cependant le vainqueur, épuisé et réduit à dix-huit mille hommes, de cinquante qu'il avoit à son arrivée, fut forcé de regagner Calais et de repasser en Angleterre. Sa victoire, dit Rapin de Thoiras, ne lui avoit pas acquis un pouce de terre; plus des deux tiers de l'armée françoise n'avoient pas donné; et rien n'eût été plus facile à réparer qu'un semblable échec dans des circonstances ordinaires.

94: Il se tenoit principalement dans la ville de Lagny, ce qui lui fit donner par les Parisiens le nom de Jean de Lagny qui n'a pas hâte.

95: Voyez t. Ier, p. 161, 1re partie.

96: On avoit fait un fonds pour le paiement des troupes; cette princesse avare voulut s'en emparer, sous prétexte de l'entretien de sa maison et des pensions qui lui étoient dues: le connétable s'y opposa, elle le menaça. Il la connoissoit, et crut devoir aller au-devant de sa vengeance.

97: Du désordre que le duc de Bourgogne causoit dans l'État, il arrivoit que les autres grands vassaux séparoient leurs intérêts de ceux de la monarchie. La reine de Sicile, duchesse du Maine et de l'Anjou, fit une trève avec Henri pour ses terres, c'est-à-dire qu'elle s'engagea à ne point fournir son contingent à la France; le duc de Bretagne en fit une pareille; la Bourgogne, la Champagne, la Picardie, l'Artois et la Flandre étoient au pouvoir du duc de Bourgogne: on peut juger dans quel embarras devoient être le connétable et le dauphin pour trouver de l'argent et des troupes. (Saint-Foix.)

98: Villaret accuse encore ici l'ambition du connétable d'Armagnac, que cette paix auroit, dit-il, dépouillé de toute sa puissance. La même erreur produit jusqu'à la fin les mêmes inconséquences dans le récit de cet historien.

99: Il s'étoit caché chez un maçon, qui n'eut pas le courage de braver un ordre par lequel il étoit défendu, sous peine de mort, de donner asile aux Armagnacs. Dès que cet ordre eut été publié, il alla lui-même dénoncer le connétable.

100: Il y eut encore, quelques jours après, de nouveaux assassinats. Les troupes qui environnoient Paris empêchant les vivres d'arriver, on persuada au peuple que c'étoient les Armagnacs qui étoient cause de la famine; sur ce bruit ses fureurs se rallumèrent; il courut aux prisons, où il massacra encore toutes les personnes arrêtées depuis la première boucherie. Capeluche, bourreau de la ville, étoit à la tête des assassins, et le duc de Bourgogne, moteur secret de ces nouvelles horreurs, eut une conférence avec lui au palais. Quelques jours après, voyant que ces excès alloient plus loin qu'il ne l'avoit voulu d'abord, il fit saisir et exécuter ce scélérat, ainsi que plusieurs autres chefs, et tout rentra dans l'ordre.

101: Juvénal des Ursins. Il est l'auteur d'une histoire de Charles VI depuis 1380 jusqu'à 1422, et étoit fils du célèbre prévôt des marchands du même nom, qui exerça cette charge sous ce malheureux prince, et fut un de ses plus fidèles et de ses plus courageux serviteurs.

102: C'est ainsi que plusieurs historiens ont présenté cet événement.

103: Il faut remarquer, dans cette déclaration, qu'aucun des complices du meurtre de Jean-sans-Peur n'y est nommé, et que, malgré la terreur que pouvoit inspirer la présence du roi d'Angleterre, qui désiroit sans doute que le dauphin fût déclaré coupable, on n'y parle de lui, à l'occasion du meurtre, qu'en termes équivoques; ce qu'il est d'autant plus nécessaire d'observer, que tous nos historiens qui ont parlé de cet arrêt en ont parlé sans l'avoir vu, et se sont contentés de copier Monstrelet, qui, en historien téméraire, a cru que le dauphin fut cité à la table de marbre, etc., et que, n'ayant pas comparu, il fut jugé par contumace avec tous ses complices, banni à perpétuité, et déclaré incapable de succéder à la couronne, ce qui est absolument contraire à la vérité. (Rapin Thoyras, acte de Rymer.) Les pères Bénédictins s'expliquent de même. (Art de vérifier les dates.) «Ce fait, quoique attesté par Monstrelet et par tous les historiens, ne paroît pas néanmoins bien constant.» (Hénault.)

104: Les colléges de Fortet, de Reims et de Cocquerel.

105: Son ardeur pour les tournois étoit telle, qu'elle lui attira souvent des reproches dans ces temps où les tournois étoient le plus en honneur. Contre l'usage ordinaire des princes, et surtout des rois, il s'y mesuroit avec les plus braves et les plus adroits jouteurs, sans aucun examen de la disproportion du rang; et en même temps qu'il compromettoit sa dignité, il exposoit témérairement ses jours dans ces luttes imprudentes. Cette passion ne l'abandonna pas même dans les dernières années de sa vie, où sa maladie avoit presque entièrement épuisé ses forces, et, en 1414, on le voit encore paroître dans les tournois.

106: Voyez pl. 77. Nous donnons une représentation de cette ancienne porte Montmartre, d'après le plan de Paris exécuté en tapisserie sous Charles IX. Quant à la nouvelle, elle ressembloit entièrement à la porte Saint-Honoré, bâtie également sous Louis XIII.

107: Voyez t. Ier, p. 976, 2e partie.

108: Ce testament, en date du 28 janvier 1601, énonce que ce couvent doit être fondé dans la ville de Bourges; et les lettres-patentes que Henri IV accorda, au mois d'octobre 1602, pour autoriser cet établissement, portent que la fondation avoit été faite à Paris. Il paroît qu'il y eut des obstacles à l'accomplissement littéral des dernières volontés de la reine; mais aucun des historiens de Paris ne fait connoître la raison de cette discordance. On sait seulement que madame de Mercœur, qui devoit être instruite des intentions de la reine sa belle-sœur, se crut obligée de faire demander le consentement de l'archevêque et des maire et échevins de la ville de Bourges.

109: Elle éprouva d'abord quelques difficultés de la part des Capucins, qui s'opposoient à Rome à cet établissement, ne voulant en aucune manière se charger de confesser et gouverner ces religieuses; mais le pape Clément VIII le leur ayant ordonné par son bref de l'an 1603, ces religieux s'y soumirent, et les obstacles furent entièrement levés.

110: Cette maison se nommoit la Roquette, et étoit accompagnée de prés et de terres labourables. Elle a été occupée depuis par des religieuses hospitalières.

111: Les Capucins, au nombre de quatre-vingts, allèrent les chercher à leur demeure du faubourg Saint-Antoine, et les conduisirent processionnellement jusqu'à leur nouveau monastère.

112: En 1756, il fallut reprendre sous œuvre et le portail et l'église, qui étoient d'une construction peu solide; alors ces mausolées furent détruits et rétablis ensuite, mais avec négligence. C'étoit pour la troisième fois qu'on restauroit ce portail, qu'il eût mieux valu abattre dès la première. (Voyez pl. 77.)

113: Ce monastère, ainsi que tant d'autres monuments de ce genre, a été démoli depuis la révolution. Sur son emplacement on a percé une rue qui forme la traverse de la rue Neuve-des-Petits-Champs au boulevart. (Voyez l'article Monuments nouveaux.)

114: L'original, qu'avoient autrefois possédé ces religieuses, avoit été transporté dans les salles de l'académie de peinture.

115: Le corps de ce saint avoit été donné par ce seigneur aux Capucines. Ce fut le concours extraordinaire de peuple qu'attiroit sa fête, célébrée le 31 août, qui donna naissance à la foire de Saint-Ovide, tenue jusqu'en 1771 sur la place Vendôme, et transportée depuis à la place Louis XV.

116: Sur un cénotaphe en marbre blanc est couchée la statue, aussi en marbre blanc, du duc, revêtu du grand habit de l'ordre du Saint-Esprit; l'Espérance le console et lui soutient la tête, tandis qu'un génie, placé à ses pieds, semble pleurer sa mort.

117: Ce monument, également déposé au musée des Petits-Augustins, représente ce célèbre ministre à moitié couché sur un sarcophage de marbre vert antique; une femme assise à ses pieds, et tenant un livre ouvert, le regarde en pleurant; cette figure est le portrait d'Anne de Souvré de Courtanvaux son épouse. Le groupe entier est de la main de Girardon, et présente des beautés remarquables.

Au bas du sarcophage sont deux figures en bronze, l'une, du même sculpteur, offrant la Sagesse sous la forme de Minerve; l'autre, commencée par Desjardins, et terminée par Vancleve, représentant la Vigilance.

118: La maison de Créqui.

119: Quelques historiens ont avancé que c'étoit M. de Turenne qui avoit donné aux Nouvelles-Catholiques leur maison de la rue Sainte-Anne. Jaillot présente une opinion contraire; et les raisons sur lesquelles il se fonde nous ont paru assez solides. «Je ne doute point, dit-il, que M. de Turenne, qui avoit abjuré la religion protestante, n'ait été du nombre des bienfaiteurs des Nouvelles-Catholiques; mais je n'ai trouvé aucune preuve qu'il leur eût donné la maison où elles demeurent actuellement. Il n'est pas nommé dans le contrat d'acquisition, et si sa modestie l'eût engagé à cacher ses bienfaits, la reconnoissance des Nouvelles-Catholiques se seroit empressée de les publier après sa mort, ou au moins de consigner ce fait dans leurs archives.»

120: Il y avoit un second établissement de ce genre, connu sous le nom de Filles de l'Union Chrétienne, communément appelées Filles de Saint-Chaumont. Nous en parlerons en son lieu.

121: La maison des Nouvelles-Catholiques a été détruite et remplacée par des maisons particulières.

122: Voy. t. I, p. 713, 2e partie.

123: Voyez t. Ier, p. 772, 2e partie.

124: Cette ordonnance fut renouvelée par Louis XIII en 1617.

125: Elle s'empara de cette bibliothéque, sous le prétexte plus spécieux que réel qu'elle étoit un démembrement de la bibliothéque des Médicis.

126: Cet ordre ne fut exécuté qu'au mois de mai 1599.

127: Les principaux gardes de la bibliothéque, depuis cette époque jusqu'à nos jours, furent MM. Dupuy, Jérôme Bignon, Bignon fils, l'abbé Le Tellier, l'abbé Bignon; Bignon, prévôt des marchands, son neveu; Bignon, fils du précédent, etc.

128: C'est ce qu'on peut juger par l'état où elle se trouvoit en 1661. Suivant le Mémoire historique ci-dessus cité, Louis XIV y avoit joint plus de 9,000 volumes imprimés et 200 manuscrits légués par MM. Dupuy, 1923 volumes manuscrits du comte de Béthune, etc. Cependant la bibliothéque ne contenoit alors que 6088 manuscrits et 10,658 volumes imprimés. On y ajouta dans la suite et après la mort du cardinal Mazarin les manuscrits de Brienne.

129: Louis XV l'augmenta depuis plus qu'aucun de ses prédécesseurs; à la fin de son règne le nombre des livres imprimés s'élevoit déjà à plus de 100,000 volumes.

130: Ces bâtiments étoient un démembrement du palais du cardinal Mazarin, qui avoit été divisé en deux parties par ses héritiers.

131: Il y avoit sur la voûte une peinture à fresque exécutée du temps du cardinal Mazarin par un Italien nommé Pellegrini. Elle étoit tellement dégradée par le temps et l'humidité, qu'on a jugé à propos de l'effacer entièrement, lors de la restauration qu'on a faite de cet escalier.

132: On aura peine à croire que, pendant les vingt années de la révolution, cette bibliothèque se soit accrue de près de 200,000 volumes. Il n'y a cependant aucune exagération dans ce calcul, et nous pouvons affirmer, d'après les autorités les plus sûres et les renseignements les plus exacts, qu'elle contient aujourd'hui au moins 300,000 volumes. La manie de faire des livres, est une maladie épidémique qui a gagné l'Europe entière; et certes ce dépôt, tout immense qu'il est, ne contient pas la moitié des sottises, des erreurs, des folies niaises ou perverses qui s'impriment depuis la Tamise jusqu'à la Néva.

133: Ces cercles ont été exécutés par Butterfieldt, fameux ingénieur du roi, mort à Paris en 1724, âgé de 89 ans.

134: Ces deux globes furent placés en 1704 dans les deux pavillons du jardin de Marly; de là on les transporta dans une salle du Louvre, d'où Louis XV les fit tirer, en 1722, pour en orner la bibliothèque. Ce n'est qu'en 1731 que fut construit le salon dans lequel ils sont placés. Il est inutile sans doute de dire que, d'après les nouvelles découvertes faites en géographie, ces belles machines ne sont plus que des objets de pure curiosité.

135: Ces peintures sont masquées aujourd'hui par les tablettes où sont placés les manuscrits.

136: Nous ne prétendons pas dire par là que ce dessin soit excellent. Romanelli avoit les défauts communs à presque tous les peintres de son temps. Ses figures sont maniérées, et le style est loin d'en être sévère. Il n'en est pas moins vrai que cette grande machine, peinte avec franchise et vigueur, est une production très-estimable. Elle a conservé encore toute sa fraîcheur.

137: Cette collection a été, de même que celle des livres imprimés, considérablement augmentée pendant la révolution, et s'étoit élevée alors jusqu'à 70,000 volumes. Les accroissements qu'elle avoit reçus se composoient de 500 manuscrits de la bibliothéque du Vatican; de ceux de la bibliothéque de Saint-Marc à Venise; de plusieurs autres tirés de Bologne, de Milan, de Munich et autres villes d'Allemagne et d'Italie; mais surtout des riches collections de la Sorbonne, de Saint-Victor, de Saint-Germain-des-Prés[137-A], etc., etc. Nous saisissons avec plaisir cette occasion de rappeler que c'est en grande partie aux soins de M. Van-Prat, savant distingué et l'un des conservateurs actuels de la bibliothéque, qu'on doit la conservation de cette dernière collection, qui fut sur le point d'être consumée dans l'incendie des bâtiments de l'abbaye, arrivé pendant la révolution.

137-A: On a rendu, depuis la restauration, les manuscrits enlevés aux diverses bibliothéques de l'Europe.

138: François Ier plaça dans le garde-meuble environ vingt médailles d'or et une centaine d'argent. Henri II en recueillit un assez grand nombre, qu'il réunit dans sa bibliothéque avec celles de François Ier; il y joignit ensuite la collection précieuse que Catherine de Médicis avoit apportée en France. Enfin Charles IX essaya de consolider cet établissement, en assignant au Louvre une salle pour y rassembler les médailles antiques, et en créant un garde particulier pour ces objets.

139: D'autres savants parcoururent aussi, par ordre du roi, la Sicile, la Grèce, l'Égypte, la Perse, l'Asie-Mineure, et concoururent, par leurs recherches, à la splendeur de ce cabinet, entre autres MM. Demonceaux, Vaufleb, Petit de La Croix, Galland, de Nointel, ambassadeur à Constantinople, Paul Lucas, etc.

140: Ceci a été écrit en 1754. Depuis, cette collection a reçu, comme toutes les autres, de grands accroissements, et principalement jusqu'au moment de la révolution, par les soins et les recherches de M. l'abbé Barthélemi lui-même. Depuis cette époque elle avoit été presque doublée par toutes les collections enlevées à Rome et dans l'Italie. Une partie de ces richesses a été rendue à ses propriétaires.

141: M. Van-Spandonck, qui vient de mourir, étoit chargé, dès 1789, de la continuation de ce beau travail.

142: La collection de M. de Beringhem est composée de 466 volumes et de 50 porte-feuilles de cartes célestes, terrestres et hydrographiques.—Celle de M. l'Allemand de Betz, de 80 volumes.—Celle de M. de Fontette remplissoit 60 porte-feuilles.—Enfin dans celle de M. Begon est une suite d'oiseaux peints à la gouache, que l'on attribue à la célèbre Sibylle de Mérian.

143: Il faut ajouter à tant de richesses les acquisitions nombreuses faites depuis la révolution, pendant laquelle les productions de la gravure se sont multipliées plus que jamais.

144: Ce dépôt pouvoit passer pour le plus riche et le plus précieux de l'Europe, par l'ancienneté et l'originalité des titres dont il étoit composé. Les cabinets de MM. de Gaignières et d'Hozier en formèrent le premier fonds, lequel fut augmenté en 1720 par M. l'abbé Bignon de tout ce qu'il put trouver de purement généalogique dans les dépôts des manuscrits et des livres imprimés. On y joignit depuis les cabinets du chevalier Blondeau, de M. Jault; les généalogies d'André Duchesne, de Kerc-Daniel, de Scohier, etc., etc., etc.

145: La rue de la Feuillade, au bout de laquelle se prolonge la rue Neuve-des-Petits-Champs; celle des Fossés-Montmartre, et la rue Croix-des-Petits-Champs.

146: Ces ornements étoient un globe, une massue d'Hercule, une peau de lion, un casque et un bouclier.

147: Plusieurs autres inscriptions, auxquelles on a reproché avec raison d'être trop fastueuses, couvroient les diverses faces du piédestal. Nous ne rapporterons que celle qui sert de dédicace, et qui explique le sujet de tout l'ouvrage.

Ludovico Magno; Patri exercituum, et ductori semper felici.—Domitis hostibus. Protectis sociis. Adjectis imperio fortissimis populis. Extructis ad tutelam finium firmissimis arcibus. Oceano et Mediterraneo inter se junctis. Prædari vetitis toto mari piratis. Emendatis legibus. Deletâ calvinianâ impietate. Compulsis ad reverentiam nominis gentibus remotissimis, cunctisque summâ providentia et virtute domi forisque compositis.—Franciscus vice comes d'Aubusson, dux de La Feuillade, ex Franciæ paribus, et tribunis equitum unus, in Allobrogibus prorex, et Prætorianorum præfectus.—Ad memoriam posteritatis sempiternam. P. D. C. 1686.

Cette même inscription étoit répétée en françois: À Louis-le-Grand, le père et le conducteur des armées, toujours heureux.—Après avoir vaincu ses ennemis, protégé ses alliés, ajouté de très-puissants peuples à son empire, assuré les frontières par des places imprenables, joint l'Océan à la Méditerranée, chassé les pirates de toutes les mers, réformé les lois, détruit l'hérésie, porté, par le bruit de son nom, les nations les plus barbares à le venir révérer des extrémités de la terre, et réglé parfaitement toutes choses au dedans et au dehors par la grandeur de son courage et de son génie.—François, vicomte d'Aubusson, duc de La Feuillade, pair et maréchal de France, gouverneur du Dauphiné et colonel des gardes-françoises.—Pour perpétuelle mémoire à la postérité.

148: La place n'étoit pas encore entièrement finie en 1691.

149: Le duc de La Feuillade y parut à cheval, et fit trois fois le tour du monument, suivi du régiment des gardes, dont il étoit colonel; à quoi il ajouta toutes les prosternations que les Romains faisoient autrefois devant les statues de leurs empereurs. Le prévôt des marchands et les échevins assistèrent à cette cérémonie. Il y eut le soir un grand feu d'artifice devant l'Hôtel-de-Ville, et des feux de joie dans toutes les rues de Paris.

150: Cet arrêt étoit motivé sur des raisons de police si frivoles, qu'elles en sont presque ridicules: «Les habitants des maisons de cette place étoient, disoit-on, incommodés par l'attroupement des fainéants et des vagabonds qu'attiroit la lumière de ces fanaux.» On n'a pu découvrir la véritable cause d'une semblable détermination, que quelques personnes ont attribuée à ce distique assez plaisant qu'un Gascon afficha, dit-on, sur le piédestal de la statue.

La Feuillade, sandis, je crois que tu me bernes,
De placer le soleil entre quatre lanternes.

151: Les dégradations de ce monument ont commencé quelques jours avant la fédération du 14 juillet 1790. Alors les quatre figures d'esclaves furent enlevées et déposées dans la cour du Musée; on les a depuis transportées aux Invalides, où elles sont encore. Les quatre bas-reliefs avoient été déposés au Musée des monuments françois, et adaptés au soubassement d'une colonne triomphale qui ornoit le jardin de cette maison. Quant à la statue, elle fut abattue le 10 août.

La représentation que nous donnons du monument entier est d'autant plus précieuse, qu'il n'en existe, même à la bibliothèque, que des gravures grossières qui n'en peuvent donner aucune idée satisfaisante. Celle-ci a été faite sur un dessin très-exact, exécuté, d'après le monument même, par un artiste distingué.

152: Il s'étoit fait avantageusement connoître à la bataille de Rethel, en 1650; aux siéges de Mouson, de Valenciennes, d'Arras, etc. Il ne se fit pas moins remarquer au combat de Saint-Gothard contre les Turcs, en 1664, ainsi que dans la campagne du roi en Franche-Comté, où il emporta le fort Saint-Étienne l'épée à la main.

153: Il étoit prieur commendataire de ce bénéfice, situé dans le diocèse de Grenoble, non loin de Mont-Meillan.

154: L'emplacement cédé par la reine Marguerite consistoit en un terrain précédemment occupé par les frères de la Charité, et une portion du petit pré aux Clercs, contenant six arpents, qu'elle avoit pris à cens et à rentes de l'université; ce qui formoit en partie cet espace que nous voyons environné du quai Malaquais et des rues des Petits-Augustins, Jacob et des Saints-Pères, emplacement qu'elle avoit d'abord destiné à faire les jardins de son hôtel, situé rue de Seine.

155: Saint-Foix, qui a fait de ses Essais sur Paris un recueil d'épigrammes, dit à ce sujet: Assurément ces pères n'aimoient pas la musique, car ils s'obstinèrent à ne vouloir que psalmodier. On voit combien cette froide plaisanterie porte à faux. Mais ce qui est réellement plaisant, c'est de voir avec quelle complaisance tous les auteurs de Manuels, de Voyages, de Promenades, de Miroirs, et autres ouvrages de ce genre sur Paris, ont servilement répété ce quolibet de Saint-Foix, et mille autres qui, pour la plupart, n'ont pas de fondement plus solide que celui que nous relevons ici.

156: L'abbé Lebeuf place ce retour en 1623, les historiens de Paris en 1629; mais ces dates ne conviennent ni à leur premier établissement à Paris en 1608, ni à ceux qu'ils ont eus depuis, soit à Paris, soit aux environs. Sauval s'est encore trompé en disant qu'ils avoient été établis avant cette époque dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, puisque le roi ne leur donna la chapelle des Loges, située dans cette forêt, qu'en 1626; que la reine Anne d'Autriche ne fit bâtir leur église qu'en 1644; et qu'enfin elle ne s'en déclara la fondatrice que par ses lettres-patentes du mois de février 1648. C'est également sans fondement que l'abbé Lebeuf place au même endroit des ermites de Saint-Augustin, dans le seizième siècle.

157: Elle a servi, pendant les premières années de la révolution, de salle d'assemblée pour la municipalité, les élections, etc. Elle fut depuis la Bourse provisoire de la ville de Paris; et les bâtiments du couvent formoient une des douze maisons municipales de cette ville. Depuis cette église a été rendue au culte.

158: Voyez pl. 77.

159: Il y avoit dans l'église des Augustins une confrérie de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs; si l'on en croit Baillet, la dévotion à la Vierge, sous cette dénomination, est la plus ancienne de toutes; elle commença en orient, et passa en occident du temps des croisades. Elle consiste à honorer Marie affligée au pied de la croix. Ce fut la reine Anne d'Autriche qui établit cette confrérie dans l'église de ces religieux; elle fut approuvée par Alexandre VII, qui donna un bref d'indulgences le 26 mai 1656; des lettres-patentes du 20 décembre de la même année l'autorisèrent; la reine s'en déclara la protectrice; et, le 24 mars de l'année suivante, elle vint dans cette église, où elle fut reçue en cette qualité. Les princesses et autres dames qui l'accompagnoient se firent inscrire en même temps dans cette sainte association.

160: On avoit déjà accordé une semblable permission en 1560.

161: On a fait de l'église un marché, qui conserve le nom de Saint-Joseph. L'emplacement du cimetière ayant été couvert de maisons, les cendres de ces deux grands écrivains en furent retirées, renfermées dans des sarcophages, et déposées dans le jardin du Musée des monuments françois.

162: Cette partie de la rue Neuve-Saint-Augustin prit, quelque temps après, le nom de rue des Filles-Saint-Thomas.

163: Par une bulle datée du 5 octobre 1625.

164: Plusieurs historiens, entre autres Sauval, l'abbé Lebeuf, La Caille, Labarre et Piganiol ne placent cette translation qu'en 1652. Nous avons suivi Jaillot, qui, ordinairement très-exact dans ses recherches, assure avoir vu des plans publiés en 1641 et en 1647, lesquels indiquent ce couvent comme existant déjà dans la rue Neuve-Saint-Augustin.

165: Ce monastère a été détruit. Ses jardins, qui occupoient un vaste emplacement depuis la rue Notre-Dame-des-Victoires jusqu'à une petite distance de celle de Richelieu, furent en partie dénaturés dès les premières années de la révolution. On y construisit dès-lors un passage[165-A], une rue nouvelle et un théâtre.

Sur ce qui reste de ce terrain on a élevé un vaste et magnifique monument qui sert de Bourse à la ville de Paris. Voyez l'article Monuments nouveaux.

165-A: Le passage Feydeau.

166: Les Jaloux. Ce nom doit s'entendre ici dans le sens de jaloux ou ambitieux de plaire.

167: Rue Mauconseil.

168: L'arlequin, le pantalon, le docteur, le scapin, le beltrame, le capitan, le scaramouche, le giangurgolo, le mezzetin, le tartaglia, le polichinelle et le pierrot. Les quatre premiers sont ceux qui furent conservés.

169: Baron, qui parloit au nom des comédiens françois, ayant exposé les griefs de sa troupe, le roi ordonna à Dominique de parler à son tour: Sire, dit-il, comment parlerai-je?—Parle comme tu voudras, lui répondit le roi.—Il ne m'en faut pas davantage, reprit Dominique, j'ai gagné ma cause; et en effet ce jeu de mots la lui fit gagner.

170: On les accusa d'avoir voulu peindre le caractère de madame de Maintenon dans une comédie intitulée la Fausse prude, qu'ils étoient sur le point de donner. Ce fut cette accusation vraie ou fausse qui décida leur perte.

171: À leurs canevas italiens ils joignirent alors des parodies, des intermèdes, des ballets héroïques ou pantomimes, et jusqu'à des feux d'artifice.

172: Ces cartons étoient roulés; chaque acteur en avoit dans une de ses poches le nombre qui lui étoit nécessaire pour son rôle. Il tiroit le carton dont il avoit besoin, le dérouloit et le mettoit ensuite dans la poche opposée. Ce moyen bizarre n'amusa pas long-temps.

173: Voyez pl. 75.

174: Dans ces restaurations faites en 1797, l'architecte, M. Bienaimé, a jugé à propos de changer les dispositions intérieures de la salle, à laquelle il a donné une forme sphéroïdale; il a aussi donné une nouvelle distribution aux loges, et un aspect nouveau à la décoration générale. Tous ces changements ont paru de bon goût.

175: On y a établi un collége de l'université.

176: Voy. pl. 77.

177: Voy. pl. 76.

178: Elle a été détruite. Il n'en reste plus que la façade à demi ruinée; et son intérieur forme maintenant un cul-de-sac où l'on a construit des baraques.

179: Voyez p. 241.

180: Voyez p. 206.

181: Trois rues ont été percées, et deux théâtres ont été bâtis, depuis la révolution, sur le terrain de cet hôtel. (Voyez les articles Rues nouvelles et Monuments nouveaux.)

182: Pour bien apprécier un luxe aussi prodigieux, il faut se rappeler qu'à cette époque la bibliothèque du roi en contenoit à peine sept mille.

183: Cet hôtel n'a point changé de destination, et depuis la révolution, n'a point cessé d'être habité par le ministre des finances.

184: Cet hôtel sert encore de magasin pour toutes les décorations et machines de l'Opéra.

185: Cet hôtel, qui conserve toujours la même destination, est connu maintenant sous le nom de Conservatoire de Musique.

186: Sur les divers changements qu'a éprouvés cet hôtel, Voy. l'article Monuments nouveaux.

187: Les deux statues attribuées à Michel-Ange ont été transportées au Muséum, et placées pendant quelque temps à l'entrée de la grande galerie des tableaux.

Les jardins de l'hôtel de Richelieu, qui s'étendoient jusqu'au boulevard, où ils étoient terminés par un joli pavillon nommé pavillon d'Hanovre, ont été considérablement diminués depuis la révolution; une rue nouvelle a été ouverte, et beaucoup de maisons ont été bâties sur la partie qu'on en a détachée.

188: L'hôtel d'Uzès est actuellement occupé par l'administration des douanes.

189: Cet hôtel est maintenant occupé par le ministre des affaires étrangères.

190: Elle fut nommée alors rue Helvétius. Elle a repris, depuis 1815, son ancien nom.

191: Pendant la révolution, elle a porté le nom de Cérutti. Depuis 1814 cette rue a repris son premier nom.

192: On a changé son nom en celui de rue de la Tour des Dames; elle se trouve fermée par un mur élevé dans la rue de la Rochefoucault, où elle vient finir aujourd'hui.

193: Cette rue a pris, dans la révolution, le nom de rue Joubert.

194: Cette rue a reçu, dans la révolution, le nom de rue de Mirabeau et celui de rue du Montblanc.

195: Les Porcherons étoient autrefois une espèce de bourg séparé du quartier Montmartre, et situé un peu au-dessus des barrières. Ce lieu étoit rempli de cabarets, où le peuple se rendoit en foule le dimanche, parce que le vin s'y vendoit à meilleur marché. Depuis que les Porcherons ont été compris dans l'enceinte de Paris, ils ont cessé d'être fréquentés, et c'est principalement à Belleville que se font maintenant ces sortes de rassemblements. Il y avoit et il y a encore aux environs de Paris un assez grand nombre d'endroits de cette espèce, que l'on désigne sous la dénomination générale de Guinguettes, tels que la Nouvelle-France, la Petite-Pologne (auprès des Porcherons), la plaine des Sablons, et celle de Grenelle, le moulin de Javelle, Vaugirard, le Grand et le Petit-Chantilly, la Rapée, le Grand et le Petit-Charonne, Ménil-Montant, la Haute-Borne, la Courtille, le Gros-Caillou, le Port-à-l'Anglais.

196: Arch. de l'archev.

197: Arch. de l'archev.

198: Arch. de l'archev.

199: Arch. de l'archev.

200: On a percé, dans cette rue, un chemin qui aboutit aux murs de Paris, et qu'on a nommé ruelle Beauregard.

201: À côté de cette rue, et sur les jardins de l'hôtel de Richelieu, on a percé une rue nouvelle qui donne dans celle de Louis-le-Grand, et se nomme rue du Port-Mahon.

202: L'église et l'abbaye de Montmartre, étant situées hors des murs de Paris, se trouvent naturellement rejetées de notre plan. Cependant la célébrité du lieu est tel, que, sans en faire l'histoire, nous croyons devoir du moins lui consacrer une note. Il y avoit, dès la fin du septième siècle ou au commencement du suivant, une église consacrée sur cette montagne à Saint-Denis, et une petite chapelle, ædicula, parva ecclesia, où l'on conservoit les reliques de plusieurs autres martyrs dont les noms ne sont pas parvenus jusqu'à nous. En 1096, ces deux églises furent données, avec quelques terres qui en dépendoient, aux moines de Saint-Martin-des-Champs. Ces religieux les cédèrent, en 1133, au roi Louis-le-Gros, en échange de Saint-Denis-de-la-Chartre[202-A]; et, l'année suivante, ce prince et Alix de Savoie, sa femme, y fondèrent l'abbaye de Bénédictines, qui en jouissoit encore dans les derniers temps de la monarchie. Le couvent qu'on y voyoit occupoit la place de la chapelle: il fut d'abord érigé en prieuré dépendant de l'abbaye située sur le sommet de la montagne; mais depuis il avoit été réuni. Les religieuses, ayant fait ensuite bâtir des lieux réguliers et une église, laissèrent l'ancienne église pour le service de la paroisse.

202-A: Voyez t. Ier, p. 271, 1re partie.

203: Cette rue a été nommée, depuis la révolution, rue Pigalle, parce que ce sculpteur y avoit une maison. On y a percé à droite une rue transversale qu'on a appelée rue de Laval.

204: Les religieuses de Saint-Thomas avoient ensuite renfermé cette partie de rue dans l'enceinte de leur monastère.

205: Recueil d'antiq., t. II, p. 373, et suivantes.

206: «En 1628, un jardinier, fouillant la terre dans l'endroit de cette rue où se tenoit la Bourse, y trouva neuf cuirasses qui avoient été faites pour des femmes; on n'en pouvoit douter à la façon dont elles étoient relevées en bosse, et arrondies sur l'un et l'autre côté de l'estomac. Quelles étoient ces héroïnes, et dans quel siècle vivoient-elles? c'est ce que je n'ai pu découvrir; j'ai seulement trouvé dans Mézerai, année 1147, à l'article de la croisade prêchée par saint Bernard, que plusieurs femmes ne se contentèrent pas de prendre la croix, mais qu'elles prirent aussi les armes pour la défendre, et composèrent des escadrons de leur sexe, rendant croyable tout ce qu'on a dit des prouesses des Amazones.» (Saint-foix.)

207: Antiquités, etc., t. III.

208: Voyez l'article Opéra, dans la description du quartier Saint-Martin, 2e partie de ce volume.

209: Voyez le plan de Paris sous Louis-le-Jeune.

210: Hist. de Par., t. I, p. 348.

211: Ibid.

212: Cart. S. Germ. Autiss.

213: Hist. de Par., t. I, p. 92.—T. III, p. 97.

214: Cart. S. Germ. Autiss.Gall. Christ., t. VII, col. 257. Car. Livriac.

215: Vie de S. Eustase, 1569.

216: Les chapellenies, dont nous avons déjà parlé plus d'une fois, étoient des espèces de bénéfices auxquels étoient attachés certains revenus provenant d'un capital ou d'un immeuble cédé par le fondateur, à la charge par celui qui en jouissoit de dire des messes ou autres prières dans une chapelle érigée ou désignée à cet effet parmi celles qui existoient dans l'église. Comme les immeubles légués avoient quelquefois une certaine étendue, ils acquirent, dans la suite des temps, de l'importance, à raison de l'accroissement du quartier où ils se trouvoient situés. Ainsi nous voyons que les chapelains de Saint-Eustache avoient, au commencement du quatorzième siècle, droit de basse-justice, et des amendes jusqu'à soixante sous en trois rues, hors des murs de la ville et dans le quartier Saint-Eustache. En conséquence ils préposoient des officiers pour rendre la justice dans les lieux soumis à leur juridiction. Ces droits, qui furent confirmés à différentes époques par des arrêts du parlement, avoient fait de ces chapellenies de très-bons bénéfices. Aussi les trouve-t-on qualifiées, dans les anciennes chartes, d'optimæ capelleniæ.

217: Rech. sur Paris, t. II, quart. S. Eust., p. 29.—Cart. de l'évêché. A. 5185, fol. 67.

218: Pet. Cart., charte 378.—Hist. Eccles. Paris, t. II, p. 634.

219: Hist. du dioc. de Par., t. II, p. 634.

220: On prit à cet effet un terrain considérable du côté de la rue du Jour. Il paroît qu'il y avoit anciennement, entre l'église et cette rue, une autre rue parallèle. Jaillot pense que ce pouvoit être la rue de la Croix-Neuve, désignée sur d'anciens plans.

221: Voyez pl. 80.

222: Voyez pl. 83.

223: Piganiol dit 40,000 liv.; nous avons suivi Jaillot, qui est toujours plus exact.

224: Voy. pl. 79. Au côté méridional de cette église est un autre portail construit en même temps que le corps du bâtiment; et bien qu'il offre un mélange de plusieurs genres d'architecture, il est cependant fort supérieur à celui-ci et pour l'élégance des formes et pour le mérite de l'exécution. (Voy. pl. 83.)

225: Elle fut employée à bâtir une maison, rue Traînée, pour le logement du curé et des prêtres attachés au service de cette paroisse.

226: Cet artiste avoit imaginé de donner à la figure de saint Louis la ressemblance de Louis XIII; celle de la Vierge étoit le portrait d'Anne d'Autriche, et le petit Jésus qu'elle tenoit entre ses bras ressembloit à Louis XIV encore enfant.

227: Au bas de ce tombeau, du côté de la chapelle qui lui étoit adossée, on lisoit l'épitaphe suivante:

D. O. M.

Præclarâ ac pernobili stipite equitum Colbertorum, qui anno Domini 1285 ex Scotiâ in Galliam transmigrarunt, ortus est vir magnus, Joannes Baptista Colbertus, marchio de Seignelai, etc., regi administer, œrarii rationes in certum et facilem statum redegit. Rem navalem instauravit. Promovit commercium. Bonarum artium studia fovit. Summa regni negotia pari sapentiâ et æquitate gessit. Fidus, integer, providus, Ludovico Magno placuit. Obiit Parisiis, anno Domini 1683, ætatis 64.

Nota. L'auteur qui rapporte cette épitaphe ajoute qu'elle étoit très-peu apparente et presque cachée, ce qu'il attribue à la crainte que le public ne remarquât avec malignité que l'on faisoit descendre Colbert d'une famille noble d'Écosse, tandis que réellement il étoit d'une origine françoise fort commune.

228: Ce monument, vanté comme un chef-d'œuvre de noblesse et de correction par tous les historiens, avoit été déposé au Musée des monuments françois. On ne peut nier qu'il n'y ait de la vérité dans la figure de Colbert; mais les deux statues allégoriques de l'Abondance et de la Religion manquent de caractère et d'expression, et présentent, dans le jet de leurs draperies, l'affectation et le mauvais goût qui entraînoient déjà l'École vers cette dégradation totale où elle est tombée sous le règne de Louis XV. La figure de l'ange a été détruite pendant la révolution.

229: Il ne put obtenir de bulles, et fut obligé de renoncer à cet évêché.

230: Cette épitaphe, écrite en françois, mérite d'être rapportée:

«François de Chevert, gouverneur de Givet et de Charlemont, lieutenant-général des armées du roi: sans aïeux, sans fortune, sans appui, orphelin dès l'enfance, il entra au service à l'âge de XI ans; il s'éleva, malgré l'envie, à force de mérite, et chaque grade fut le prix d'une action d'éclat. Le titre seul de maréchal de France a manqué, non pas à sa gloire, mais à l'exemple de ceux qui le prendront pour modèle. Il étoit né à Verdun-sur-Meuse, le 2 février 1693; il mourut à Paris le 24 janvier 1769.»

231: Son Histoire de France depuis Pharamond jusqu'à la mort de Charles VIII est le premier recueil de ce genre qu'on ait composé en françois; mais les erreurs innombrables dont elle est remplie, et la barbarie du style, l'ont fait reléguer dans la poussière des bibliothéques.

232: On lisoit sur sa tombe l'épitaphe suivante:

«Maria Gornacensis, quam Montanus ille filiam, Justus Lipsius adeòque omnes docti sororem agnoverunt, vixit annos 80, devixit 13 Jul. an. 1685. Umbra æternùm victura».

233: L'église de Saint-Eustache, rendue au culte, est aujourd'hui l'une des paroisses de Paris.

234: Sauval, t. I, p. 650.

235: Cette institution n'existe plus. Ses bâtiments sont maintenant occupés par des particuliers.

236: Dubreuil, p. 550.—Hist. de Par., t. I, p. 331.

237: T. I, p. 105. Cette chapelle est désignée dans quelques titres sous le nom de Sainte-Marie-l'Égyptienne-de-Blois.

238: Pet. Cart. de l'évêché, fol. 128, chart. 158.

239: Rech. sur Par., quart. S. Eust., p. 33.

240: Paris étoit alors au pouvoir des Anglois. La populace ignorante et crédule de cette malheureuse ville reçut, comme des gens inspirés, ces étrangers qui la bercèrent des contes les plus ridicules. Ils débitèrent que, nés dans la Basse-Égypte, ils avoient d'abord abjuré leur fausse religion pour embrasser la religion catholique; mais qu'étant ensuite retombés dans leurs premières erreurs, ils n'avoient pu en obtenir l'absolution du pape que sous la condition de courir le monde pendant sept ans. Ils arrivèrent d'abord au nombre de douze, dont l'un se disoit duc et l'autre comte; les dix autres passoient pour des gens de leur suite, et les traitoient avec une apparence de respect. Le reste de la troupe les suivit de près; mais comme ils étoient environ cent vingt, hommes, femmes, vieillards et enfants, ils reçurent l'ordre de s'arrêter au village de la Chapelle, entre Paris et Saint-Denis. Ce fut là que les Parisiens, et surtout les femmes, allèrent consulter ces vagabonds, qui abusèrent bien étrangement de leur simplicité. Ils disoient aux femmes: ton mari t'a fait cousse; aux hommes: ta femme t'a fait coux. Ces oracles impertinents produisirent un tel désordre dans les ménages, que l'évêque fut obligé, pour les faire cesser, de se rendre lui-même au village de la Chapelle; là un religieux prêcha avec force contre les diseurs de bonne aventure, et excommunia, par son ordre, tous ceux qui leur avoient montré leurs mains et avoient ajouté foi à leurs prédictions. Cette cérémonie effraya tellement les esprits, que, dès le jour même, le village de la Chapelle fut désert, et que les Bohémiens, n'y trouvant plus de pratiques, allèrent chercher fortune ailleurs.

241: Cette chapelle a été détruite dans la révolution, et remplacée par une maison particulière.

242: Cette dénomination des Bons Enfants étoit autrefois commune à tous les colléges de France; mais ces établissements s'étant multipliés, on s'accoutuma à les distinguer par le nom de leurs fondateurs.

243: Hist. univ. Par., t. III, p. 45.

244: Manusc. de Saint-Germ.-des-Prés, c. 453, fol. 252.

245: Dans cette chapelle avoit été inhumé Geoffroi Cœur ou Cueur, maître-d'hôtel du roi Louis XI, et fils de Jacques Cœur, trésorier du roi Charles VII. Cette circonstance a fait croire à quelques-uns qu'il étoit l'un des fondateurs de cette chapelle et du collége, ce qui ne pouvoit être, puisqu'il mourut en 1478, ainsi que le portoit son épitaphe. On ne peut le regarder que comme un bienfaiteur qui aura contribué à leur rétablissement.

246: Le projet de démolir l'hôtel de Soissons avoit été conçu dès le règne de Louis XIV, et M. de Colbert avoit résolu de faire de ce grand espace une des plus belles places monumentales de Paris. On eût vu au sommet d'un rocher très-élevé et dont la base eût été assise au milieu d'un immense bassin, la statue en bronze de Louis XIV foulant aux pieds la Discorde et l'Hérésie. Quatre fleuves, également en bronze, et d'une proportion colossale, auroient versé de larges nappes d'eau dans le bassin entouré d'une balustrade de marbre; là se seroient rendues les eaux de l'aquéduc d'Arcueil, pour être ensuite distribuées par des canaux dans différents quartiers de la ville. Tout étoit disposé pour l'exécution de ce grand dessein, lorsque la mort du ministre le fit avorter. Le modèle du monument, déjà exécuté en petit par Girardon, a long-temps orné le cabinet de ce sculpteur.

247: Ces planches n'avoient qu'un pied de largeur, un pouce d'épaisseur et quatre pieds de longueur.

248: Voyez pl. 81. Cette coupole ayant été incendiée en 1802, par la négligence d'un plombier, a été reconstruite depuis dans la même forme, mais en matières incombustibles; et, l'on y a fait une heureuse application de l'appareil en fer fondu que l'on avoit employé dans la construction des ponts de l'Arsenal et des Arts.

249: Sur le mur de face intérieure on voyoit trois médaillons en bas-relief, exécutés par M. Roland, représentant les portraits de Louis XV, de M. Le Noir, lieutenant de police, et de Philibert Delorme. Les deux premiers ont été détruits.

250: Cet escalier est orné de bas-reliefs qui représentent des trophées, des couronnes, des C et des H entrelacés, des miroirs cassés, et des lacs d'amour déchirés, emblèmes du veuvage et de la douleur de cette princesse.

251: M. Louis Petit de Bachaumont, le même qui nous a laissé trente volumes d'anecdotes et de nouvelles. On alloit la démolir avec le reste de l'hôtel lorsqu'il en fit l'acquisition moyennant 800 liv., et la céda ensuite à la ville, sous la condition qu'elle seroit conservée.

252: Sauval, t. I, p. 509.—Hist. de Par., préf.

253: Il en existe encore une partie assez considérable dans la rue d'Orléans.

254: Sauval, t. II, p. 121.

255: Arch. de l'archev.

256: Voyez l'article de la chapelle Sainte-Marie-Égyptienne, page 317.

257: Cet espace comprenoit tout ce que nous voyons aujourd'hui entre les rues de la Jussienne, Montmartre, des Vieux-Augustins et Pagevin.

258: Cette tête se voit maintenant au cabinet des antiques de la Bibliothéque du roi.

259: Il y avoit à Paris deux hôtels de Nesle: celui dont il est fait mention ici, et le fameux hôtel dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, lequel étoit situé de l'autre côté de la rivière, et près de la porte du même nom. Quelques auteurs ont avancé que ce fut ce dernier qui fut donné à saint Louis et à sa mère; mais plusieurs titres authentiques prouvent d'une manière évidente que l'hôtel en question étoit dans la censive de l'évêque de Paris. L'hôtel de Nesle, situé sur la rive méridionale, étoit dans la seigneurie de l'abbé de Saint-Germain; d'où il s'ensuit nécessairement que ce devoit être celui dont nous parlons ici.

260: Voyez t. I, p. 584, 2e partie.

261: Voy. pl. 82.

262: Dans les mémoires du temps, on voit qu'en 1591 la duchesse de Nemours et sa fille y demeuroient, ainsi que le duc de Mayenne son fils. Cet hôtel étoit alors nommé l'hôtel des Princesses.

263: On peut remarquer qu'en 1604 Charles de Soissons acheta cet hôtel en entier 90,300 liv., et que cent cinquante ans après, en 1755, la ville de Paris acheta l'emplacement seul 2,800,367 liv.

264: 3e liv. des Chartes, fol. 10.

265: Voyez dans la liste des rues, la rue du Jour.

266: Il est depuis long-temps habité par des particuliers. Avant la révolution, le rez-de-chaussée avoit déjà été converti en salles de vente, où l'on faisoit surtout des expositions de tableaux.—Il continue d'être employé au même usage.

267: Elle n'a point changé depuis la révolution.

268: Cet hôtel est maintenant occupé par l'administration de la Banque de France. Voyez l'article Monuments nouveaux.

269: Reg. des Ensaisin. du chap. S. Honoré, fol. 373, verso. Lorsque les Augustins quittèrent ce quartier en 1293, leur manoir passa à Robert, comte de Nevers, qui le donna à son fils en 1296. (Grand cart. de l'évêché, fol. 90, verso; cart. 137.) Il appartint depuis aux évêques de Paris: car on a trouvé qu'en 1315 Guillaume Baufet, qui tenoit alors le siége épiscopal de cette ville, donna ce terrain à cens à Jean de Clamart. (Arch. de l'archev.)

270: Voyez p. 228.

271: Cens. de l'évêché.

272: C'étoit la cinquième à droite en entrant par la rue Montmartre.

273: Depuis rue de la Fayette, autrefois rue du Contrat-Social.

274: Fol. 273, cart. 437.

275: Côté 5185:B.

276: Traité de la Pol., t. I, p. 76.

277: Cens. de l'évêché.—Cart. de S. Germ. l'Aux.—Compte des annivers., 1482.

278: C'est par altération que ce pressoir est nommé du Bret; il faut dire d'Albret, la maison du connétable d'Albret étant située entre ces trois rues.

279: Voyez t. Ier, p. 436, 1re partie.

280: T. I, p. 584.

281: Cens. de 1489, fol. 47; verso.

282: Cens. de 1372, 1489 et 1573.

283: L'usage des étuves étoit anciennement aussi commun en France, même parmi le peuple, qu'il l'est et l'a toujours été dans la Grèce et dans l'Asie; on y alloit presque tous les jours. Saint Rigobert avoit fait bâtir des bains pour les chanoines de son église, et leur fournissoit le bois pour chauffer l'eau. Grégoire de Tours parle de religieuses qui avoient quitté leur couvent, parce qu'on s'y comportoit dans le bain avec peu de modestie. Le pape Adrien Ier recommandoit au clergé de chaque paroisse d'aller se baigner processionnellement tous les jeudis, en chantant des psaumes.

Il paroît que les personnes que l'on prioit à dîner ou à souper étoient en même temps invitées à se baigner. «Le roi et la reine, dit la Chronique de Louis XI, firent de grandes chères dans plusieurs hôtels de leurs serviteurs et officiers de Paris; entre autres, le dixième de septembre mil quatre cent soixante-sept, la reine, accompagnée de madame de Bourbon, de mademoiselle Bonne de Savoie sa sœur, et de plusieurs autres dames, soupa en l'hôtel de maître Jean Dauvet, premier président en parlement, où elles furent reçues et festoyées très-noblement, et on y fit quatre beaux bains richement ornés, croyant que la reine s'y baigneroit, ce qu'elle ne fit pas, se sentant un peu mal disposée, et aussi parce que le temps étoit dangereux; et en l'un desdits bains se baignèrent madame de Bourbon et mademoiselle de Savoie; et dans l'autre bain à côté se baignèrent madame de Monglat et Perrette de Châlon, bourgeoise de Paris..... Le mois suivant, le roi soupa à l'hôtel de sire Denis Hesselin, son panetier, où il fit grande chère, et y trouva trois beaux bains richement tendus, pour y prendre son plaisir de se baigner, ce qu'il ne fit pas, parce qu'il étoit enrhumé, et qu'aussi le temps étoit dangereux.» (Saint-Foix.)

284: Arch. de l'archev.

285: Temporalité de N. D.—Bibl. du roi, côté B., no 5181.

286: Pet. cart. de l'évêché, fol. 140 et 163.

287: Past. A, fol. 675 et 681.

288: Cens. de l'évêché, 1489.

289: Arch. de l'archev.

290: Cens. de l'évêché.

291: Arch. de l'archev.

292: Arch. de l'archev.

293: Ibid.

294: Role de Taxe de 1313.—Cens. de l'évêché, 1372.

295: En 1476, Alphonse V, roi de Portugal, vint à Paris pour y solliciter des secours contre Ferdinand, fils du roi d'Aragon, qui lui avoit enlevé la Castille. Louis XI, disent les historiens, lui fit rendre de grands honneurs, et tâcha de lui procurer tous les agréments possibles. On le logea rue des Prouvaires, chez un épicier nommé Laurent Herbelot. On le mena au Palais, où il eut le plaisir d'entendre plaider une belle cause. Le lendemain il alla à l'évêché, où l'on procéda en sa présence à la réception d'un docteur en théologie; et, le dimanche suivant, premier décembre, on ordonna une procession de l'université qui passa sous ses fenêtres. Tels étoient les amusements d'alors.

296: Cens. de l'évêché.

297: Ibid.

298: Cart. de S. Magl.

299: Nécrol. de N. D.

300: Voyez p. 344.

301: Voyez p. 332.

302: Antiquités, etc., t. II, p. 379.

303: Voici quelle étoit la position respective des deux partis: Les Anglois, maîtres de Paris, possédoient la Normandie, l'Île-de-France, la Brie, la Champagne, la Picardie, le Ponthieu, le Boulonois, le Calaisis jusqu'aux frontières de Flandre; la partie la plus considérable de l'Aquitaine jusqu'aux Pyrénées et à l'Océan; ils disposoient, par leur alliance avec le duc de Bourgogne, du duché de ce nom et des provinces de Flandre et d'Artois.

Charles étoit réduit à la province de Languedoc, arrachée avec peine au comte de Foix, à celles du Dauphiné, de l'Auvergne, du Bourbonnais, du Berry, du Poitou, de la Saintonge, de la Touraine et de l'Orléanois. Il pouvoit aussi compter sur quelques parties de l'Anjou et du Maine, qui jusque là n'avoient point été entamées. La Bretagne, incertaine encore entre les deux partis, sembloit attendre les événements.

304: Ils se formèrent depuis dans les combats innombrables qu'il leur fallut livrer pour rétablir leur maître sur son trône; et en effet l'expérience n'a que trop prouvé que, dans la guerre surtout, la théorie n'est rien sans une pratique continuelle. Mais, à cette époque, Xaintrailles, La Hire, La Fayette, Narbonne, le duc d'Alençon, etc., etc., n'étoient encore que de braves guerriers, tandis que Salisbury, Warwick, Arundel, Sommerset, Suffolk, Talbot, étaient des généraux aussi habiles que courageux.

305: Henri VI, nommé pendant près de vingt ans roi de France et d'Angleterre, et depuis chassé du premier royaume et dépouillé du second, n'étoit alors qu'un enfant de neuf mois; mais l'intrépidité et les lumières de Henri V sembloient revivre dans son frère, le duc de Bedfort, qu'il avoit nommé, en mourant, régent de France.

306: Petite ville située sur le ruisseau de l'Oudon, entre les rivières du Maine et de la Villaine.

307: Ce fut alors que les Anglois, enorgueillis de tant de succès, lui donnèrent le nom de roi de Bourges.

Les Anglois, avec leurs croix rouges,
Voyant lors sa confusion,
L'appelèrent le roi de Bourges
Par forme de dérision.

(Vigiles de Charles VII.)

308: Voyez p. 144.

309: Il lui avoit refusé le commandement des troupes.

310: Entre autres le président Louvet, Davaugour, Frottier, et le prévôt Tanneguy du Châtel. Les trois premiers avoient trempé dans la conjuration des Penthièvre contre le duc de Bretagne, et le dernier étoit toujours soupçonné d'être le principal auteur de la mort de Jean-sans-Peur.

311: Le comte dauphin d'Auvergne fut tué en plein conseil, aux yeux mêmes du roi, par Tanneguy du Châtel.

312: Quoique beaucoup plus puissants que le parti de Charles, ils n'avoient pas alors dix mille hommes de troupes effectives.

313: Elle fut ainsi nommée, parce que le général anglois conduisoit un convoi composé principalement de barils remplis de cette espèce de poisson. Le but du comte de Clermont étoit d'enlever ce convoi.

314: On présuma qu'ils en avoient reçu secrètement l'ordre du duc de Bourgogne.

315: Les généraux qui commandoient dans cette place, ayant perdu l'espoir de la défendre encore long-temps, avoient offert de la mettre en séquestre entre les mains du duc de Bourgogne, et ce prince avoit agréé leur proposition; mais le duc de Bedfort la rejeta avec une hauteur et des réflexions offensantes qui blessèrent Philippe jusqu'au fond du cœur.

316: À neuf lieues de Paris.

317: Quelques jours auparavant, le duc d'Alençon et les autres généraux avoient trouvé le moyen de faire semer dans Paris plusieurs écrits, par lesquels ils exhortoient les citoyens à reconnoître leur souverain légitime, et à seconder les efforts qu'il alloit faire pour les délivrer de l'oppression sous laquelle ils gémissoient. Pour effacer l'impression que ces lettres auroient pu produire, les Anglois firent courir le bruit que le roi, plus irrité que jamais contre les Parisiens, avoit juré leur entière destruction; que son projet étoit d'abord de livrer la ville au pillage et à la brutalité de ses soldats, ensuite de tout exterminer sans distinction de sexe ni d'âge, de renverser de fond en comble les édifices, et de faire passer la charrue sur le sol qu'ils occupoient. Ces fables grossières firent alors peu d'impression[317-A], et ont été employées depuis avec plus de succès dans des siècles où l'on a prétendu avoir plus de raison et de lumières.

317-A: Les registres du parlement disent positivement que ce projet ne paroissoit pas vraisemblable.

318: Elle reçut cette blessure pour s'être obstinée à rester sur le bord du fossé, criant qu'on lui apportât des fascines pour le combler, lorsque l'armée avoit déjà commencé sa retraite. Forcée, par la douleur et par le sang qu'elle perdoit, de se coucher derrière le revers d'une petite éminence, elle y resta jusqu'au soir, que le duc d'Alençon vint enfin la chercher, et la fit transporter à Saint-Denis. L'indifférence avec laquelle elle avoit été traitée dans cette circonstance lui fit renouveler avec plus d'instances que jamais ses sollicitations auprès du roi pour obtenir enfin la liberté de quitter la cour; mais Charles persista toujours à lui refuser son congé.

319: Charles attachoit une si grande importance à l'alliance de Philippe, que, dès qu'il sut qu'il vouloit attaquer Compiègne, il donna des ordres qu'on remît cette ville entre ses mains, et que le gouverneur fût puni pour l'avoir défendue et conservée malgré lui.

320: Aux environs de Châlons en Champagne.

321: Il n'y avoit pas long-temps qu'on avoit imaginé ces sortes de pantomimes; jusque là les mystères avoient été des espèces de drames, où l'acteur parloit et gesticuloit à la fois. Nous aurons occasion d'en parler plus longuement par la suite.

322: Les historiens racontent que ce prince, passant devant l'hôtel Saint-Paul, qui n'étoit séparé du palais des Tournelles que par la rue Saint-Antoine, on lui fit remarquer, à une des fenêtres, la reine son aïeule, qu'il salua en abaissant son chaperon. La malheureuse Isabelle ne put soutenir un spectacle qui lui rappeloit le souvenir de ses crimes; elle rendit le salut, laissa échapper quelques larmes, et courut renfermer au fond de son palais sa honte et ses remords.

323: Il fut enlevé à Chinon, à l'insu du roi, chargé de fers et conduit au château de Montrésor. Charles d'Anjou, comte du Maine, et la reine de Sicile, étoient, en apparence, à la tête de ce complot, dont Richemont, quoique absent, étoit l'âme.

324: On lui érigea depuis un tombeau en marbre, que l'on a vu déposé au Musée des monuments françois, avec ceux de Charles VI, du duc d'Orléans son frère, de Valentine de Milan, de Tanneguy du Châtel, etc. Tous ces personnages y sont représentés, suivant l'usage du temps, revêtus de leurs habits, et couchés sur leur tombe.

325: Il mourut à Rouen.

326: Les évêques de Thérouanne, de Beauvais et de Paris.

327: Les autres se nommoient Jean de La Fontaine, Michel de Lancrais, Thomas Pigache, Nicolas de Louvier et Jacques de Bergières.

328: Le roi le recomposa, cette année même, avec les magistrats qui l'avoient suivi à Poitiers; mais ceux qui étoient restés à Paris furent conservés, ce qui prouve qu'on trouva, dans le malheur du temps, des raisons suffisantes pour excuser leur apparente infidélité. Toutefois il convient de remarquer ici, et nous aurons occasion d'en parler par la suite avec de plus grands développements, que c'est à cette époque de discordes civiles et de malheurs publics que le parlement commença à donner quelques signes d'indépendance, et à se mettre, sinon ouvertement, du moins par une marche systématique et savamment combinée selon les temps et les circonstances, à la tête du parti populaire, et en opposition avec le monarque et les autres ordres de l'État.

329: Jusque là elle n'avoit connu, en matière de discipline, que l'autorité du souverain pontife; sous ce règne elle se vit forcée de recevoir de la puissance séculière des règles de mœurs et de conduite.

330: Il se précipita le premier dans le fossé, le traversa ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, planta lui-même une échelle, et, l'épée à la main, parvint au haut des murs à travers une grêle de traits.

331: Pothon de Xaintrailles.

332: Voici quelle étoit la forme de cet ancien usage introduit par la piété de nos monarques: «Le jour de sa première entrée dans la capitale, le roi, accompagné des princes de son sang, des seigneurs et de toute sa cour, se rend dans le parvis de la cathédrale, dont les portes sont fermées; l'évêque, revêtu de ses habits pontificaux et escorté de son clergé, les fait ouvrir, et vient au devant du souverain avec la croix, l'encensoir et le livre des Évangiles. Il lui adresse ces paroles: Seigneur, avant que vous entriez dans cette église, vous devez et êtes tenu de prêter le serment, à l'exemple de vos prédécesseurs rois de France, à leur nouvel et joyeux avénement. Le prince adore la croix, baise le livre des Évangiles; un ecclésiastique présente la formule du serment conçu en ces termes: Suivant les anciennes concessions qui nous ont été accordées par vos prédécesseurs, nous vous demandons que vous conserviez à chacun de nous, et aux églises qui nous sont confiées, le privilége canonique, le bénéfice de la loi, la justice et la protection, ainsi qu'un roi y est obligé envers chaque évêque et l'église dont il a l'administration. Le monarque s'oblige dans les mêmes termes au maintien des priviléges, et confirme son serment par ces mots: Ainsi je le veux et le promets.» (Extrait et traduit par Villaret des manuscrits de M. de Brienne, vol. 268, fol. 1).

333: Cette entrée offre à peu près les mêmes particularités que celle de Henri VI; et ces deux récits suffisent pour donner une idée de celles qui les ont précédées, lesquelles ne diffèrent de celles-ci que par quelques circonstances de peu d'importance, principalement en ce qu'on n'y représenta point de mystères, ce genre de spectacle n'ayant été introduit à Paris que sous Charles VI.

334: Ambroise de Lore, prévôt de Paris, Adam de Cambrai, premier président, et Simon Charles, président de la chambre des comptes.

335: Louis XI.

336: Ils furent occasionnés par un voyage mystérieux que fit à Paris Antoine, bâtard du duc de Bourgogne; le roi s'imagina qu'il se tramoit encore quelque nouvelle ligue entre le duc de Bourgogne et les Parisiens; et ses inquiétudes le portèrent même à envoyer des officiers pour y faire une enquête, dont le résultat le rassura entièrement sur la fidélité de sa capitale.

337: Il avoit passé sept à huit jours sans manger.

338: Voyez p. 328.

339: L'existence de ce marché à la place de Grève est prouvée par une charte de Louis VII de l'an 1141; et ce fut sans doute parce que Louis-le-Gros en avoit établi un aux Champeaux, que Louis VII consentit, moyennant soixante-dix livres, que la place de Grève restât à perpétuité libre et sans édifice.

340: Le chapitre de Notre-Dame y possédoit aussi quelque chose. On voit dans ses registres que Louis-le-Gros lui donna locum in suburbio Paris., qui dicitur Campellus, et ejusdem loci fossatum. Ces lettres sont datées de l'an 29 de son règne, et 4 de Louis son fils.

341: Voyez t. Ier, p. 349, 1re partie.

342: Telle est l'origine de la tierce-semaine de l'évêque dont il est parlé dans une foule d'actes, et des juridictions opposées du For-le-Roi, et du For-l'Évêque. Ce droit de l'évêque subsistoit encore dans le dix-septième siècle; mais comme il survenoit fréquemment des contestations entre les préposés des deux parties pour la perception, le roi jugea à propos, en 1664, de le racheter; et par différents arrêts on liquida à 25,882 liv. ce qui pouvoit revenir à ce prélat, tant pour son droit de tierce-semaine que pour l'indemnité de ses justices supprimées et réunies au Châtelet en 1674.

343: Cet écrivain tombe ici dans une erreur assez grave, car il ajoute que, dans les dixième et douzième siècles, le prieuré de Saint-Martin-des-Champs devoit en faire partie; c'est la conséquence qu'il tire de la dénomination de S. Martinus de Campellis, qui se trouve, dit-il, dans les bulles de Benoit VI et d'Alexandre III, et dans les lettres de Louis VII. Une simple réflexion pouvoit lui suffire pour éviter ces anachronismes et ces méprises; il auroit vu 1o qu'il ne pouvoit être question du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, qui n'existoit plus au dixième siècle, et qui n'a été rebâti que vers 1060, par conséquent plus de quatre-vingts ans après le pontificat de Benoit VI, mort en 974; 2o ce n'est pas Benoit VI, mais son successeur immédiat Benoit VII, qui a donné une bulle dans laquelle il est fait mention de Saint-Martin in Campellis: or, cette bulle sans date, qu'on peut fixer, avec les auteurs du Gallia Christiana, vers 980, confirme à Élysiard, évêque de Paris, la possession de cette église comme une dépendance ou appartenance de son évêché. Ce pape est mort en 984, et Élysiard en 988, par conséquent plus de douze ans avant que Saint-Martin-des-Champs fût rebâti. La bulle d'Innocent II, dont Alexandre III a adopté tous les termes, indique seulement Ecclesiam in Campellis; mais ce n'est qu'une confirmation en faveur de l'église de Paris de toutes les dépendances qui lui appartenoient alors; or Sauval n'ignoroit pas que jamais l'évêque de Paris n'a eu de droit sur l'abbaye du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, et que dans les actes qu'il cite il n'en est pas question, mais de la petite abbaye ou église de Saint-Martin-de-Champeaux en Brie, qui véritablement dépendoit de l'église de Paris.

À l'égard des lettres de Louis VII de l'an 1137, que cite Sauval, il ne les avoit pas sans doute lues, car dans deux endroits cette église est nommée S. Martinus de Campanis, ainsi que dans les diplômes de Henri Ier et de Philippe Ier, et dans les bulles des papes. Depuis 1060, on lit toujours S. Martinus ad Campos ou de Campis. (Jaillot.)

344: Hist. S. Mart., p. 157.

345: Ibid., p. 28.

346: La boucherie de Beauvais, qui existoit encore pendant les premières années de la révolution, devoit son nom à cette halle qu'on prit en partie, en 1416, pour y établir vingt-huit étaux de bouchers. Les habitants de Beauvais y renoncèrent entièrement en 1474; et l'on perça en 1553 le passage par lequel on alloit de la rue de la Féronnerie à cette boucherie. (Mémor. O, fol. 153.)

347: On lit dans Sauval des détails de cette exécution, qui sont curieux et propres à faire connoître les usages de ces temps.

«On sait que Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, eut la tête tranchée en 1477, sous le règne de Louis XI. Cet infortuné seigneur fut conduit de la Bastille aux halles, monté sur un cheval caparaçonné de noir. Étant arrivé, il fut mené aux chambres de la halle aux poissons lesquelles on avoit exprès tendues en noir; on les avoit aussi arrosées de vinaigre, et parfumées avec deux sommes de cheval de bourrée de genièvre, qu'on y avoit fait brûler pour ôter le goût de la marée que lesdites chambres et greniers sentoient. Ce fut là que le duc de Nemours se confessa; et pendant cet acte de religion, on servit une collation composée de douze pintes de vin, du pain blanc et des poires, pour messieurs du parlement et officiers du roi étant lesdits greniers. Pour cette collation on donna douze sous parisis à celui qui l'avoit fournie. Le duc de Nemours, s'étant confessé, fut conduit à l'échafaud par une galerie de charpente qu'on avoit pratiquée depuis lesdites chambres et greniers jusqu'à l'échafaud du pilori, où il fut exécuté.»

348: Les plus fameux étymologistes du dix-septième siècle, tels que Borel, Spelman, Ducange, Ménage, ont cherché l'étymologie du mot pilori, et aucun d'eux n'a pu en trouver une satisfaisante. Sauval dit que ce nom a été donné à ce gibet par altération, parce qu'il y avoit en cet endroit un puits qu'un contrat de l'année 1295 appelle Puteus dictus Lori, et que le puits Lori, ou de Lori, a fait donner le nom au gibet qui a été bâti aux environs, trois cents ans après. Cette étymologie est assez ingénieuse et paroît d'abord assez vraisemblable; mais Jaillot la combat par des raisons si solides, qu'il est impossible de l'admettre. Il établit, 1o que pilori est un mot générique qui signifie un poteau ou pilier du seigneur, au haut duquel sont ses armes, et qui porte au milieu des chaînes ou carcans, marques de sa haute justice; que ces poteaux étoient connus à Paris et dans les provinces sous le nom de pilori, quoiqu'il n'y eût ni puits ni voisins qui s'appelassent Lori; 2o que Sauval, qui dit que ce pilori n'a été élevé qu'en 1542, en fait mention en plusieurs autres endroits avant l'époque qu'il lui donne ici, et qu'il ne pouvoit ignorer qu'il en existoit de semblables dans le quatorzième siècle aux carrefours des rues de Bussy, du Four et des Boucheries; 3o enfin un tableau conservé à Saint-Germain-des-Prés, que dom Bouillart a fait graver, et a inséré dans l'histoire de cette abbaye, représente le pilori qu'elle avoit en 1368, à peu près semblable à celui des halles.

349: Voyez pl. 88.

350: On lit dans un état des biens de cette maison, imprimé en 1651, que le revenu casuel de la moitié de ce fief consistoit alors dans le droit de deux deniers sur chaque charrette de marée venant aux halles, et qu'il produisoit deux cents livres, année commune.

Le marché de la marée s'étend maintenant le long de la rue du Marché-aux-Poirées (ci-devant de la Fromagerie), jusqu'à la seconde entrée de la halle à la viande.

351: La destination de cette maison a été changée; elle est habitée par des particuliers, et le marché au poisson d'eau douce se tient maintenant au bout de la rue de la Cossonnerie, vis-à-vis les piliers des potiers d'étain.

352: Elle a été transportée depuis sur la place qui servoit autrefois de halle au blé, et qui porte maintenant le nom de halle à la viande. On vend aussi de la volaille sur cette même place, mais seulement dans la partie située au nord.

353: Le marché aux fruits se tient maintenant le matin sur la place des Innocents, le long de la rue aux Fers. D'un côté de la fontaine se vendent les fruits rouges, et de l'autre les fruits à pepin.

354: Ce marché n'a point changé de place.

355: Il se tient maintenant, partie dans cette rue et partie sur la place des Innocents.

356: Ces denrées se vendent encore, le mardi, dans le même emplacement, et les autres jours, sous les piliers des potiers d'étain. (Voyez pour les mutations nouvelles qui ont pu être faites à ces divers marchés, l'article Monuments nouveaux).

357: Elle fait le fond de la place des Innocents du côté des piliers des Halles. (Voyez la vue de cette place, pl. 87.)

358: Fol. 37, ex Bibl. Reg., no 5414.

359: Des chartes de Louis VII, publiées en 1625, par Gosset, chevecier de cette église, paroissent supposer qu'en vertu d'un traité fait entre Louis-le-Gros et l'évêque de Paris, une partie du territoire de Champeaux, sur lequel étoit bâtie l'église des Innocents, appartenoit au clergé de Sainte-Opportune.

360: Sauval a commis plusieurs anachronismes en parlant de cette église. Il dit qu'en 1380 le pape Clément VIII unit cette cure au chapitre de Saint-Opportune: c'étoit alors Urbain VI qui occupoit le siége de l'Église, Clément VIII n'ayant été élu pape que le 30 janvier 1591. Il n'est pas mieux fondé à dire que cette union fut cassée par une bulle de Calixte III, du 1er septembre 1457: car il est certain que la cure des Saints-Innocents dépendoit du chapitre de Sainte-Opportune plus de quatre cents ans avant cette dernière époque.

361: Dubreul et Piganiol se sont trompés en disant que ce fut dans le cimetière que cette relique fut déposée, et que par-dessus on éleva une tombe de la hauteur de trois pieds. Rigord, auteur contemporain, dit formellement que ce fut dans l'église, le lieu saint convenant certainement mieux au dépôt du corps d'un martyr qu'on vouloit exposer à la vénération des fidèles.

362: Voyez pl. 85. Les constructions faites par ordre de ce prince existoient encore à l'époque où cette église a été détruite. La tour, dont le haut fut refait dans le dix-huitième siècle, et les galeries qui entouroient cet édifice, annonçoient bien, par leur style, l'époque de Philippe-Auguste. Il faut en excepter cependant cette seconde aile méridionale, laquelle sembloit être un peu plus moderne.

363: C'étoit aussi une coutume de bâtir dans les cimetières une chapelle sous le vocable de cet archange.

364: Selon l'abbé Lebeuf, l'église de Notre-Dame n'a pas encore été dédiée.

365: Les Recluses étoient des femmes qui, par un zèle extrême de dévotion, faisoient vœu de se renfermer à perpétuité dans des cellules pratiquées auprès de quelque église. Ces cellules, dont la porte étoit murée dès qu'elles y étoient entrées, avoient deux ouvertures étroites et grillées, l'une du côté de l'église, par laquelle la recluse entendoit le service divin, l'autre du côté opposé, par laquelle elle recevoit ses aliments. La cellule des Saints-Innocents étoit la plus célèbre. Alix La Burgote y vécut quarante-six ans, ainsi que le portoit son épitaphe; avant elle, une autre femme, nommée Jeanne La Vodrière, y avoit été renfermée, et l'on en compte encore plusieurs autres dans le courant du même siècle.

366: Les autres cimetières avoient été placés primitivement sur la montagne de Sainte-Geneviève, hors de l'enceinte, du côté du midi. Il y avoit aussi un cimetière aux environs de Saint-Gervais.

367: Dubreul, p. 783 et 830.

368: Arch. de l'archevêché.

369: Voyez pl. 86.

370: La cinquième du côté de la rue de la Lingerie avoit été bâtie par Nicolas Boulard, bourgeois de Paris, qui y avoit fait graver son écusson. On a conservé aussi une inscription placée sur une de ces voûtes, et conçue en ces termes: L'an de grâce 1397 fut fondé ce charnier, et le fit faire Pierre Potier, pelletier et bourgeois de Paris, en l'honneur de Dieu et de la vierge Marie, et tous les benoîts saints et saintes du paradis, pour mettre les ossements des trépassés. Priez Dieu pour lui et pour les trépassés. On devoit aussi plusieurs de ces arcades au maréchal de Boucicault, mort au commencement du quinzième siècle.

371: Voyez t. Ier, p. 552, 2e partie.

372: Cette sculpture représentoit le Père éternel soutenu par deux anges jouant des instruments; trois autres anges environnoient sa tête, et portoient des rouleaux sur lesquels étoient gravés des passages de l'Écriture et des sentences dévotes. À droite et à gauche on voyoit Flamel et Pernelle présentés à Dieu par saint Pierre et saint Paul; au-dessus, dans de petits cartels, étoient sculptés des animaux symboliques, etc. Il n'y a rien dans tout cela d'extraordinaire, ni qui sorte du goût de dévotion en usage dans ce temps-là.

Au-dessus du cintre qui contenoit ce bas-relief, on lisoit en gros caractères gothiques:

Nicolas Flamel et Pernelle sa femme.

À l'entour étoient plusieurs tables en pierre, qui contenoient les vers suivants:

Les pauvres âmes trépassées,
Qui de leurs oirs sont oubliées,
Requièrent des passants par cy,
Qu'ils prient à Dieu que mercy
Veuille avoir d'elles, et leur fasse
Pardon, et à vous doint sa grace.
L'église et les lieux de céans
Sont à Paris bien moult séans,
Car toute pauvre créature
Y est reçue à sépulture,
Et qui bien y fera, soit mis
En paradis et ses amis.
Qui céans vient dévotement
Tous les lundis ou autrement,
Et de son pouvoir y fait dons,
A indulgence et pardons,
Écrits céans en plusieurs tables,
Moult nécessaires et profitables.
Nul ne sait que tels pardons vaillent
Qui durent quand d'autres bons faillent.
De mon paradis,
Pour mes bons amis,
Descendu jadis,
Pour être en croix mis[372-A].

372-A: Pour exécuter un projet de construction, les marguilliers de la paroisse des Saints-Innocents voulurent faire abattre ce monument; mais ceux de Saint-Jacques-de-la-Boucherie s'y opposèrent, en qualité d'exécuteurs testamentaires de Nicolas Flamel, et leur opposition força les autres de renoncer à leur projet.

373: Voyez pl. 85.

374: Voyez pl 85. Nous croyons que ce monument est actuellement dans une maison de campagne aux environs de Paris.

375: Voyez pl. 85.

376: Voyez pl. 88.

377: On rapporte qu'en 1365, sous Charles V, Raymond du Temple, architecte de ce prince, faisant, par son ordre, des réparations dans le Louvre, et manquant de pierres pour ce travail, fut obligé d'en prendre dans le cimetière des Innocents. Il acheta, le 27 septembre de cette même année 1365, dix tombes, qu'il paya 14 sols parisis la pièce, à Thibaud de La Nasse, marguillier de la paroisse des Saints Innocents.

En 1484, les Anglois, maîtres de Paris, choisirent ce cimetière pour en faire le théâtre d'une fête, qu'ils donnèrent en réjouissance de la bataille de Verneuil. Ce fut un spectacle anglois dans toute la force du terme: des personnages des deux sexes, de tout âge et de toutes conditions, y passèrent en revue et exécutèrent diverses danses, ayant la mort pour coryphée. Cette triste et dégoûtante allégorie s'appeloit la danse Macabrée. Villaret prétend en trouver l'étymologie dans les mots anglois to make, faire, et to breack, briser; mais cet historien n'explique point le rapport qu'il peut y avoir entre ces deux mots et une pareille danse. Nous serions tout aussi embarrassés que lui de le faire.

378: Ces catacombes existent encore, et l'entrée en est ouverte au public.

379: Jacques François Blondel.

380: On a introduit depuis peu dans cette fontaine un très-grand volume d'eau, qui, se répandant en nappes et en gerbes dans les bassins, contribue à augmenter le bel effet de sa masse. (Voyez pl. 88.)

381: Sur les restaurations faites à cette fontaine, voyez l'article Monuments nouveaux.

382: Cart. S.-Magl., fol. 181.

383: Ibid., fol. 58.

384: Reg. Cap. 3, p. 206 et 246. Dès 1459 il y avoit dans cette rue une maison appelée l'hôtel de la marchandise du poisson de mer. Cette maison, destinée pour y faire dessaler le poisson, fut transportée depuis dans la rue de la Cossonnerie.

385: L'abbé Lebeuf, dans ses notes sur le dit des rues de Paris par Guillot, avance, et d'autres ont répété d'après lui, que cette rue s'appeloit, en 1253, rue de la Savaterie; en 1300, au Comte d'Artois, de Bourgogne, Nicolas Arode, et de la porte à la Comtesse au quinzième siècle. On ne trouve aucun acte où cette rue soit appelée de la Savaterie, non plus que de Bourgogne; à l'égard de la rue Nicolas Arode, l'abbé Lebeuf, qui croit la reconnoître dans la rue Comtesse-d'Artois, avoit oublié qu'il en avoit indiqué une de ce nom dans le quartier Saint-Martin-des-Champs; d'où l'on pourroit supposer, ou qu'il y en avoit deux du même nom, ce qu'on ne trouve nulle part, ou que cette rue portoit ce nom avant qu'on lui eût donné celui de Comtesse d'Artois, ce qui ne peut se concilier avec l'énoncé du rôle de 1313. Voici ce qu'il porte: «La première Queullette de la paroisse de Saint-Huystace se commence de la porte feu Nicolas Arode jusqu'à la pointe Saint-Huystace, d'illec jusqu'à la porte de Montmartre...... La troisième Queullette, de la porte au comte d'Artois jusqu'au coin devant le Pilori.» D'où il est facile de concevoir que la rue Nicolas Arode devoit être celle que nous nommons rue de la Pointe-Saint-Eustache, et non la rue de la Comtesse-d'Artois, laquelle commençoit où l'autre finissoit.

386: Ce n'est que par syncope que ceux qui font et vendent des souliers sont nommés cordonniers, car originairement on les appeloit cordouanniers, parce que le premier cuir dont les François se servirent pour leurs souliers venoit de Cordoue, et en conséquence étoit appelé du Cordouan.

387: T. I, p. 128.

388: Lebeuf, t. II, p. 586.

389: On la nomme maintenant place de la pointe Saint-Eustache.

390: T. I, p. 134.

391: La petite rue de la Friperie est indiquée sur quelques plans sous le nom de la Chausseterie. On donnoit anciennement ce nom à la rue Saint-Honoré, depuis les piliers des halles jusqu'à la rue des Prouvaires.

392: Sauval, t. I, p. 137.

393: Il y avoit encore, à la fin du siècle dernier, une petite rue qui formoit une partie circulaire, laquelle sortoit de la rue Jean-de-Beausse et y rentroit. Cette rue, qu'on nommoit du Petit-Saint-Martin, s'appeloit, au quinzième siècle, suivant Jaillot, ruelle ou rue du Four-Saint-Martin. Cette opinion est fondée sur des actes qui prouvent que, dès 1119, le prieuré de Saint-Martin-des-Champs jouissoit d'un four aux halles. Ce four, dont il est fait mention dans une bulle de Calixte II, est désigné dans tous les titres de cette abbaye sous le nom de fief de la Rapée (au marché aux Poirées), in vico qui dicitur Judæorum. Or, cette rue des Juifs, le même auteur la croit remplacée par la grande rue de la Friperie, qui aboutissoit à celle du Petit-Saint-Martin. Il ne reste plus aucun vestige de cette dernière, dont l'emplacement est entièrement couvert par des maisons. On a également fermé un cul-de-sac ou passage qui donnoit dans cette rue, et qui existoit encore avant la révolution. On l'avoit alors partagé en deux parties qui formoient des cours, et on l'appeloit rue Grosnière. Ce nom, dont nous ignorons l'origine, a beaucoup varié, et l'on trouve ce même passage sous ceux de l'Engronnerie, l'Angrognerie, de la Grongnerie. On l'a aussi nommé petite rue Saint-Martin.

394: L'ancienne boucherie de Beauvais étoit placée en face de cette rue, et en faisoit la continuation. C'est maintenant un cul-de-sac, nommé, comme la rue, cul-de-sac au Lard.

395: Ils s'étoient engagés à les construire avec des arcades de pierres et quatre étages au-dessus, ce qui ne fut pas entièrement exécuté.

396: T. I, p. 151.

397: T. II, p. 587.

398: Rec. de Blondeau, t. XXVIII, 1er cahier.

399: On la nomme aujourd'hui rue des Piliers des Potiers d'Étain.

400: T. I, p. 159.

401: Cart. S. Magl., fol. 40.

402: Ibid., fol 38.

403: On trouve un Jean Bigue échevin de Paris en 1281.

404: Molière naquit, dit-on, dans une maison de cette rue, laquelle subsiste encore: c'est la seconde du côté de la rue Saint-Honoré, sous les piliers. On y a placé son buste, avec une inscription qui rappelle cet événement. Depuis quelques années ce petit fait a été contesté.

405: Voyez t. Ier, p. 436, 1re partie.

406: Ce puits, qui ne subsiste plus, se trouvoit à la pointe de la grande et de la petite Truanderie. Il fut, dit-on, ainsi nommé à cause de la fin tragique d'une jeune fille qui s'y précipita et s'y noya, se voyant trompée et abandonnée par son amant. Environ trois cents ans après cette aventure, un jeune homme, réduit au désespoir par les rigueurs de sa maîtresse, choisit le même puits pour terminer sa vie et ses tourments; mais le résultat en fut bien différent: il s'y jeta avec tant de bonheur, qu'il ne fut pas même blessé, et que sa maîtresse, touchée de cette preuve d'amour, consentit ensuite à l'épouser. L'heureux époux, voulant marquer sa reconnoissance envers ce puits, le fit refaire à neuf, et fit graver sur la margelle ces deux vers, qu'on y lisoit encore, dit Sauval, vers la fin du seizième siècle.

L'amour m'a refait,
En 1525, tout-à-fait.

Cependant Piganiol n'a aucun égard à ces anecdotes, et prétend que le puits d'amour n'a reçu ce nom que parce qu'il servoit de rendez-vous aux valets et aux servantes, qui, sous prétexte de venir puiser de l'eau, y venaient faire l'amour. (T. III, p. 311.) Jaillot trouve cette nouvelle explication suspecte, ainsi que celle de puy ou podium, nom qui, selon le même auteur, signifie un carrefour ou une petite éminence, et qu'il suppose avoir été donné anciennement à cet endroit à cause de sa situation. Toutefois ce critique ne paroît pas adopter davantage l'autre étymologie, et pense que ce nom vient du propriétaire ou de l'enseigne de la maison à laquelle le puits étoit adossé.

407: Vulgairement aux Ours.

408: Voyez le deuxième plan de Paris, et successivement les autres plans.

409: Voyez pl. 91.

410: Fauchet, Corrozet, Belleforest, Duchesne, Lemaire, les auteurs du Dictionnaire historique.

411: Hist. de Par., t. I, p. 546; et t. III, p. 328.

412: Cette bulle fut adressée à l'évêque de Beauvais, et non à celui de Paris, sans qu'on puisse en connoître la raison. La même année 1322, Charles-le-Bel avoit donné des lettres-patentes pour autoriser cet établissement. (Dubreul, p. 985.)

413: Il avoit aussi été réglé, vers la fin du quinzième siècle, qu'on pourroit admettre au nombre des confrères des fidèles qui n'auroient pas fait le voyage de Saint-Jacques en Galice, sous la condition qu'ils constateroient en avoir été empêchés par quelque incommodité, et qu'ils donneroient à l'hôpital une somme égale à celle que le voyage auroit coûté. Aux quinzième et seizième siècles, on admit encore dans cette société les confrères de deux autres célèbres pélerinages, savoir, celui de Saint-Claude en Franche-Comté, et celui de Saint-Nicolas de Varengeville, connu autrement sous le nom de Saint-Nicolas en Lorraine.

414: Les historiens varient beaucoup sur la personne qui posa la première pierre de cette église. Dubreul et dom Félibien prétendent qu'elle fut posée par la reine Jeanne d'Évreux, assistée de sa mère, de ses filles et autres princes et princesses. Mais le premier entend par là Jeanne, reine de France et de Navarre, femme de Philippe-le-Bel, laquelle mourut en 1304; le second, Jeanne d'Évreux, troisième femme de Charles-le-Bel, qui ne fut mariée qu'en 1325. Piganiol et Lemaire ont cru faire une découverte en y voyant Jeanne de France, fille de Louis Hutin; mais cette princesse, qui, à la vérité, a été reine de Navarre, et mariée à Philippe, comte d'Évreux, n'a jamais été reine de France, n'a point eu de sœur, et Marguerite de Bourgogne sa mère étoit morte dès 1315. Enfin Jaillot pense que la reine qui fit cette cérémonie étoit Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe-le-Long. Ce sentiment paroît en effet plus probable: sa mère Mahaut, comtesse d'Artois, vivoit encore; et la reine, alors veuve, avoit elle-même trois filles.

415: Les bâtiments de cette collégiale ne sont point entièrement détruits, et servent de magasins à divers particuliers; le cloître, qui existe encore, est devenu un passage public, qui a trois issues sur les rues Mauconseil et du Cygne. La représentation que nous donnons de l'église est gravée, pour la première fois, d'après un dessin fait dans le dix-septième siècle. (Voyez pl. 92.)

416: Fol. 18, verso.

417: Cart. S. Germ. Autiss., folio 18, verso.

418: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 19, verso.

419: L'abbé Lebeuf dit, en parlant de cet hôpital (t. I, p. 116), qu'en 1348 on en prit le cimetière pour inhumer les pestiférés, et qu'au seizième siècle cela se pratiquoit encore. Ce fait, dont il n'apporte aucune preuve, manque tout-à-fait de vraisemblance. Le cimetière de la Trinité ne devoit pas être fort vaste; et comme, suivant les historiens de Paris, la maladie épidémique qui régnoit alors emportoit, à l'Hôtel-Dieu seulement, plus de cinq cents personnes par jour, et que d'ailleurs on avoit été obligé de fermer le cimetière des Innocents, il n'est pas croyable que celui de cet hôpital pût contenir tant de morts. Il est probable que l'abbé Lebeuf a anticipé sur l'époque, et qu'il a voulu parler d'un acte de 1353, dont il est fait mention dans un manuscrit de la bibliothéque de Saint-Germain-des-Prés (Manusc. de l'abbé d'Estrées, fol. 6), par lequel les religieux qui étoient à la Trinité cédèrent à la ville une partie de leur jardin pour y faire un cimetière commun, et se chargèrent de l'entretenir, moyennant 18 deniers par fosse ordinaire, et 6 deniers pour celles des enfants.

420: Cette abbaye étoit située sur les bords de la Marne, à deux lieues de Paris.

421: Hist. de Par., t. II, p. 726.

422: Le procureur-général fut par la suite chef des administrateurs.

423: Comme ces enfants étoient vêtus d'étoffe bleue, ils étoient vulgairement connus sous le nom d'Enfants bleus.

424: Voyez pl. 91. Cette église sert maintenant de magasin à un marchand de liqueurs; du reste, tous les bâtiments de l'hôpital ont été dénaturés, divisés entre plusieurs particuliers; et la cour est devenue un passage public.

425: Gall. christ., t. VII, p. 257.

426: On a pu remarquer que cette origine est commune au plus grand nombre des paroisses de Paris.

427: Voyez pl. 92.

428: Ce sont des bains publics qui occupent aujourd'hui cet emplacement.

429: Ces trois personnages sont fameux dans l'ancienne histoire du théâtre françois, et excelloient effectivement dans les farces qui précédèrent chez nous la renaissance de la bonne comédie. Nous aurons occasion d'en reparler.

430: Hist. de Par., t. I, p. 349.

431: Cet établissement éprouva d'abord quelques obstacles de la part des prieur et religieux de Saint-Martin-des-Champs et du curé de Saint-Laurent, sur le territoire et paroisse desquels cette maison avoit été bâtie; mais ils furent entièrement levés au mois d'avril de l'année 1226, par un accord qui fut passé entre ces pauvres femmes nouvellement converties, les religieux de Saint-Martin et le curé de Saint-Laurent. Par cet acte il fut convenu que la maison seroit érigée en hôpital, qu'elle ne pourroit servir à un autre usage sans le consentement des parties contractantes; que le curé de Saint-Laurent seroit indemnisé des droits curiaux arbitrés à 20 sous de rente annuelle; que les chapelains seroient à la nomination du prieur de Saint-Martin; que ces femmes auroient un cimetière, des fonts et deux cloches, et qu'elles pourroient acquérir jusqu'à treize arpents de terrain. (Hist. de Par., t. V, p. 602.)

432: Elles furent dès lors connues sous le nom de Filles-Dieu, sans qu'on sache pour quelle raison et par qui elles furent autorisées à s'appeler ainsi. Cependant Sauval dit qu'elles ne prirent le nom de Filles-Dieu qu'en 1232, et que jusque là on les appela Filles nouvellement converties.

433: Dubreul, p. 885.

434: Le titre de cette fondation ne se trouve pas; mais le nombre des religieuses et le revenu qui leur fut affecté sont connus par les lettres du roi Jean du mois de novembre 1350, rapportées tout au long dans l'Histoire de Paris de dom Félibien et Lobineau, t. III, p. 116 et suiv.

435: Voyez t. I, p. 37, 1re partie, et dans ce vol. p. 32.

436: On n'a aucun renseignement précis sur la règle que suivoient ces religieuses, ni sur la couleur et la forme de leur vêtement; mais il paroît qu'elles étoient particulièrement soumises à l'évêque de Paris, qui nommoit, pour gouverner le spirituel et le temporel de ce monastère, un prêtre sous le titre de maître-proviseur et gouverneur de la maison des Filles-Dieu.

437: Personne n'ignore que toute l'autorité, dans l'ordre de Fontevrault, résidoit dans l'abbesse, dont les religieux mêmes dépendoient immédiatement.

438: On les avoit tirées du monastère de la Magdeleine, près d'Orléans, et de celui de Fontaine, près de Meaux.

439: Les nombreux historiens de Paris, dont aucun ne s'est montré difficile sur le mérite des ouvrages de l'art, conviennent tous cependant que le dessin de cette figure étoit très-mauvais; mais on ne peut s'empêcher de trouver quelque chose de risible dans l'emphase avec laquelle ils parlent de la corde qui l'attachoit à la colonne. «L'exécution en étoit si vraie, disent-ils, que les cordiers eux-mêmes y étoient trompés.» On sait aujourd'hui apprécier à leur juste valeur les prestiges d'une imitation aussi puérile, prestiges tellement faciles à produire dans ces minces accessoires, que les grands artistes les négligent presque toujours, et que ces minuties font ordinairement tout le mérite de ceux qui n'en ont aucun.

440: Les bâtiments des Filles-Dieu ont été en partie détruits; et sur l'emplacement qu'occupoient ces constructions a été percée une rue qui établit une communication nouvelle entre la rue Bourbon-Villeneuve et celle de Saint-Denis. La portion conservée a changé de forme: c'est maintenant un passage garni de boutiques, que l'on nomme Foire du Caire. (Voyez l'article Monuments nouveaux.)

441: Ces bâtiments existent encore, et sont occupés par des marchands et des particuliers.

442: Piganiol et ceux qui l'ont copié se sont trompés en disant que cette dédicace n'eut lieu qu'après la reconstruction de cette chapelle. (L'abbé Lebeuf, p. 491.)

443: L'abbé Lebeuf, p. 491.

444: Louis-Antoine de Noailles, évêque de Châlons; la duchesse de Noailles sa mère; mademoiselle de Lamoignon; mademoiselle Mallet, etc.

445: La maison, qui existe encore, est maintenant habitée par des particuliers.

446: La porte Saint-Martin.

447: Ces portes avoient été faites, dans l'origine de ce bâtiment, pour le passage des gens de pied. L'intérieur de chaque passage, voûté en cintre bombé, sert de communication à un escalier qui monte à des entresols pris au-dessus les uns des autres dans l'épaisseur des piles. L'un de ces escaliers, contenant cent cinquante marches, s'élève depuis le rez-de-chaussée jusqu'à la plate-forme.

Du reste ce fut contre son gré que Blondel fit ces ouvertures, et il se plaint avec juste raison, dans un de ses ouvrages, de la nécessité de pratiquer de telles percées dans les piédestaux et sous les pyramides qui semblent avoir besoin d'un soubassement de la plus grande solidité.

448: Blondel dit qu'il a imaginé ces figures au bas des pyramides, «à l'exemple des médailles que nous avons d'Auguste et de Titus, où l'on voit des figures de femmes assises au pied des trophées et des palmiers, qui marquoient ou la conquête de l'Égypte par Auguste, ou celle de la Judée par Titus.»

449: Sur des tables placées sous les piédestaux des pyramides étoient quatre inscriptions, composées par Blondel lui-même, aussi bon littérateur que grand architecte, savoir:

À droite du côté de la ville:

Quod diebus vix sexaginta Rhenum, Vahalim, Mosam, Isalam superavit. Subegit provincias tres. Cepit urbes munitas quadraginta.

À gauche, du même côté:

Emendatâ malè memori Batavorum gente. Præf. et Ædil. Poni C. C. anno R. S. M. DC. LXXII.

À droite, sur la façade en regard du faubourg:

Præf. et Ædil. Poni C. C. anno R. S. M. DC. LXXIII.

À gauche, sur la même façade:

Quod Trajectum ad Mosam XIII diebus cepit.

À côté de ces inscriptions, et sur le retour supérieur des piédroits des portes, sont des trophées d'armes en bas-relief, dans le goût de ceux du piédestal de la colonne Trajane.

450: Lib. VI, cap. 9.

451: T. II, p. 67.

452: T. VII, Col. 1045.

453: Traité de la Pol., t. I, p. 607.

454: Odo de Diogilo, Hist. Ecc. Par., t. II, p. 456.

455: Nous apprenons d'une charte de Louis-le-Jeune, de l'an 1147, que les lépreux de Saint-Lazare avoient droit de faire choisir dans les caves de Paris, où étoit le vin du roi, dix muids de vin par an, et qu'ensuite on leur donna en échange la pièce de bœuf royal avec six pains et quelques bouteilles de vin.

456: Les historiens modernes ont souvent confondu les léproseries avec les hôpitaux, en les appelant maladeries, qui est le nom de ces derniers, au lieu de maladreries, qui ne convient qu'aux léproseries.

457: Hist. de Par., t. V, p. 602, 603.—Hist. eccles. Par., t. II, p. 454, 455.

458: Past. A. p. 712, B. p. 307, D. p. 285. La maison de Saint-Lazare étoit assujettie à une redevance envers le clergé et les marguilliers de Notre-Dame de Paris, dont un manuscrit de l'an 1490 parle en ces termes: «Les marguilliers ont toujours pris, le lundi avant l'Ascension, quand la procession est retournée de Montmartre à Saint-Ladre, XXI sistreuses de vin (chaque sistreuse contenant trois chopines) par les mains des sergents du chapitre; lequel vin les frères Saint-Ladre payent et livrent auxdits sergents.»

459: Les frères Donnés, Donati, Condonati, étoient différents de ceux qu'on appeloit Oblats, oblati. On entendoit, par les premiers, des personnes qui se dévouoient à des monastères, auxquels elles donnoient leur bien en tout ou en partie, pour y être vêtues, nourries et logées. C'étoient des personnes libres qui prenoient ce parti par dévotion, et pour éviter les dangers que l'on court dans le monde. Cette classe étoit composée d'ecclésiastiques et de séculiers. Les Oblati, au contraire, étoient des gens d'une condition basse, qui s'agrégeoient à un monastère pour y rendre les services les plus vils. Ils étoient astreints les uns et les autres à l'obéissance envers l'abbé ou les supérieurs; mais il y avoit une différence marquée dans leur dévouement et dans leurs fonctions: les uns ne se donnoient aux monastères que pour s'y sanctifier, et y mener une vie douce et tranquille; un contrat solennel déposé sur l'autel formoit leur engagement. Les autres, au contraire, sembloient contracter une sorte de servitude; ils se passoient autour du cou la corde des cloches, et se mettoient sur la tête trois ou quatre deniers, qu'ils déposoient ensuite sur l'autel en signe d'esclavage.

460: La bulle d'érection portoit que les ecclésiastiques qui voudroient y entrer s'obligeroient à ne jamais prêcher dans les villes où il y a archevêché, évêché ou présidial. Cette congrégation étoit du corps du clergé séculier; on y faisoit cependant les quatre vœux simples, dont on ne pouvoit être relevé que par le pape ou le supérieur général.

461: Il s'y faisoit en outre des retraites pour les ecclésiastiques à chaque ordination; on y recevoit également des laïques qui vouloient faire des exercices spirituels, et particulièrement des jeunes gens dérangés que leurs parents y faisoient renfermer: ce qui s'exécutoit sur un ordre du roi.

462: Nous donnons une vue de cette église telle qu'elle étoit avant la construction du corps-de-logis qui fait la façade du bâtiment. (Voyez pl. 92.)

463: Cet enclos, planté d'arbres, existe encore en entier. Il est seulement bordé de maisons du côté du faubourg Poissonnière. Il paroît qu'on y fera passer une branche du canal de l'Ourcq.

464: Vers la fin du dix-huitième siècle, ces entrées commencèrent à se faire par la porte Saint-Antoine.

465: Voici ce qu'on lit dans le récit de la pompe funèbre de Charles VIII: «Marchoient les vingt-quatre porteurs de sel de la ville, qu'on nomme hannouars; lesquels disoient que, par privilége, ils devoient porter le corps dudit seigneur roi[465-A], depuis Paris jusqu'à la Croix-Pendante, près de Saint-Denis; mais il fut dit que les gentilshommes de la chambre le porteroient, sans préjudice du privilége que disoient avoir lesdits hannouars.»

«Sur quel motif, dit Saint-Foix, pouvoit être fondé ce privilége? Voici ce que j'imagine: On avoit perdu l'art d'embaumer les corps; on les coupoit par pièces, qu'on saloit après les avoir fait bouillir dans de l'eau pour séparer les os de la chair. Apparemment que les porteurs de sel étoient chargés de ces grossières et barbares opérations, et qu'ils obtinrent l'honneur de porter ces tristes restes, etc.[465-B]»

465-A: Ils avoient porté les corps de Charles VI et de Charles VII, et portèrent celui de Henri IV. (De Thou, liv. III, chap. 25.)

465-B: Henri V, roi d'Angleterre, étant mort à Vincennes en 1422, «son corps fut mis par pièces et bouilli dans un chaudron, tellement que la chair se sépara des os; l'eau fut jetée dans un cimetière, et les os avec la chair furent mis dans un coffre de plomb, avec plusieurs espèces d'épices et de choses odoriférantes et sentant bon.»

466: La maison de Saint-Lazare est actuellement destinée à la réclusion des femmes condamnées par jugement du tribunal criminel. Elles y sont occupées aux différents travaux convenables à leur sexe.

467: Les Sœurs de la Charité ont été rétablies par les révolutionnaires eux-mêmes, forcés ainsi de rendre à la religion un hommage involontaire, et de reconnoître qu'il est des choses qu'il n'appartient qu'à elle de commander et d'opérer. Le chef-lieu de cette sainte et admirable institution est maintenant rue du Bac, faubourg Saint-Germain.

468: Le bâtiment de cette communauté a été détruit en partie, et en partie changé en maisons particulières. Sur son emplacement on a percé une rue nouvelle qui conduit à l'église Saint-Laurent.

469: L'enclos de la foire Saint-Laurent, presque entièrement abandonné, n'est maintenant rempli que de masures, dans lesquelles cependant on trouve encore quelque trace de l'ancienne disposition des bâtiments.

470: Sauval rapporte que Jean-sans-Peur, assassin du duc d'Orléans, y avoit fait construire une chambre toute en pierres de taille, avec tous les accessoires nécessaires pour s'y défendre, et que c'étoit là qu'il couchoit toutes les nuits. Ces terreurs dont il étoit agité ont été, dans tous les temps, la première punition des grands crimes, et jamais surnom ne convint moins à un scélérat et à un tyran que celui de sans Peur qu'on lui avoit donné.

471: Ils avoient fait sculpter sur l'une des portes (celle qui donnoit sur la rue Françoise), les instruments de la Passion; mais c'est à tort que Piganiol a prétendu que ce fut pour marquer que leur théâtre étoit uniquement destiné à la représentation des choses saintes, puisque l'arrêt de 1548 le leur défendoit expressément. Ils vouloient seulement indiquer, par cet emblème, le droit de propriété qu'ils avoient sur cet hôtel.

472: Voy. p. 241.

473: Depuis la révolution, le nombre des maisons élégantes bâties dans cette partie de la ville s'est prodigieusement augmenté.

474: Voyez p. 206.

475: Voyez l'article Monuments Nouveaux.

476: Depuis barrière Poissonnière, aujourd'hui du Télégraphe.

477: Cette barrière a été fermée.

478: Fol. 162, verso, cart. 219.—Fol. 80, verso, cart. 3.

479: Parv. cart., fol. 117, recto.—Cart. 185.

480: Pendant la révolution elle a porté le nom de rue d'Aboukir. Les bâtiments de cette rue n'étoient pas encore entièrement achevés au commencement du dix-huitième siècle.

481: T. I, p. 115.

482: Traité de la Pol., t. I, p. 139.

483: Il y avoit autrefois dans cette rue deux culs-de-sacs. Le premier s'appeloit de la Corderie. Il forme aujourd'hui l'entrée de la rue Thévenot et le cul-de-sac de l'Étoile.

Le second a porté différents noms; en 1622 on l'appeloit ruelle du Crucifix, et il le portoit encore en 1646. Suivant les censiers de l'archevêché, de Chuyes et Valleyre le nomment cul-de-sac du Petit-Jésus; et sur plusieurs plans on le trouve sous la dénomination de cul-de-sac de Saint-Claude. Ces différents noms viennent des enseignes qu'on a substituées les unes aux autres. Il avoit repris son nom du Crucifix au milieu du dix-septième siècle, et il est encore énoncé ainsi dans un arrêt du conseil du 9 août 1768, et dans les lettres-patentes expédiées en conséquence le 1er septembre suivant, en vertu desquelles, de l'avis du prévôt des marchands et des échevins, donné le 7 mars précédent, il est permis au sieur Pierre Leprieur de le supprimer et d'employer le terrain à son profit, moyennant 3 deniers de cens par toise, et une redevance annuelle de 30 livres au domaine.

484: Reg. des ensaisin. de l'archev., 1666.

485: On le nomme maintenant cul-de-sac Mauconseil.

486: Arch. de l'archev.

487: Sur l'emplacement qu'il occupoit on a élevé une maison particulière.

488: Pendant la révolution elle avoit pris le nom de rue de Mably.

489: Cette entrée et la cour de cet hôpital forment maintenant un passage qui donne de la rue Greneta dans celle de Saint-Denis, vis-à-vis l'ancien emplacement de Saint-Sauveur. Il se nomme passage de la Trinité.

C'étoit à l'origine de la rue Grenata qu'étoit placée la porte aux Peintres, bâtie du temps de Catherine de Médicis.

490: Arch. de S. Martin des Champs.

491: Arch. de l'archev.

492: Cart. de S. Magl., fol. 75, 76, 369, etc.

493: Arch. de l'archev.

494: Cart. S.-Magl., fol. 42.

495: T. I, p. 298.

496: On l'appelle aujourd'hui indistinctement faubourg Saint-Denis. On comptoit dans cette rue trois casernes des Gardes-Françoises.

497: Reg. des Chartres.

498: T. I, p. 147.

499: Compt. des confisc. 1421, p. 36.

500: T. I, p. 150.

501: Arch. de l'archev.

502: Cart. de Saint-Martin-des-Champs.

503: Au milieu de cette rue, et au coin qui la joint à la rue Salle-au-Comte, étoit autrefois une statue de la Vierge, enfermée dans une grille de fer, et connue vulgairement sous le nom de Notre-Dame de la Carole. Il n'est aucun historien de Paris qui ait omis de parler d'un attentat sacrilége commis sur cette statue par un soldat, le 3 juillet 1418. On rapporte que ce malheureux, sortant désespéré d'un cabaret où il avoit perdu tout son argent, frappa cette figure de plusieurs coups de couteau, qui, ajoute-t-on, en firent sortir du sang. Ayant été pris et conduit devant le chancelier de Marle, son procès lui fut fait, et il subit le dernier supplice. Toutes ces circonstances étoient représentées dans un tableau qu'on voyoit à Saint-Martin-des-Champs, dans la chapelle de la Vierge, derrière le chœur. Les uns ajoutent qu'après cet attentat la statue fut portée dans cette église, et qu'il est vraisemblable que c'étoit elle qu'on voyoit posée dans la nef sur un autel, où elle étoit révérée sous le nom de Notre-Dame de Carole, parce que cet événement arriva, disent-ils, sous le règne de Charles VI: d'autres prétendent qu'elle fut laissée à sa place, et que c'étoit la même qu'on voyoit encore dans la rue au moment de la révolution.

Quelques auteurs judicieux, entre autres Jaillot, ont manifesté des doutes sur la réalité du fait qui a donné lieu à cette dévotion et à tout ce qui s'est pratiqué depuis à ce sujet. Voici les motifs sur lesquels ils se fondent pour ne pas adopter légèrement cette histoire, d'après une tradition incertaine.

1o. Le journal de Charles VI, l'histoire de ce prince par Jean Juvénal des Ursins, la continuation de celle de Le Laboureur, par Jean Lefèvre, de même que nos meilleurs historiens, ne parlent point de ce fait.

2o. En le supposant vrai, on ne peut pas dire que le coupable ait été traduit devant le chancelier de Marle, puisque ce magistrat, victime de la faction de Bourgogne, avoit été massacré le 12 juin précédent.

3o. Les registres du parlement portent que le 29 mai, avant l'aurore, le duc de Bourgogne étant entré dans Paris, le parlement suspendit ses fonctions, et ne les reprit que le 25 juillet suivant.

4o. La chapelle de Notre-Dame de la Carole, qui étoit au rond-point ou chevet de l'église de Saint-Martin-des-Champs, et la statue qu'on y voyoit, existoient sous ce nom avant le règne de Charles VII; enfin, ce n'est que sur la tradition de l'événement dont il s'agit qu'on plaça à l'entrée de cette chapelle un tableau qui en représentoit les diverses circonstances.

Quoi qu'il en soit, il y avoit un grand concours de peuple dans cette rue le 3 juillet de chaque année; le soir on y allumoit un feu d'artifice, et l'on brûloit ensuite une figure d'osier revêtue de l'habit des Suisses. Cette nation réclama contre un usage qui lui étoit injurieux, et dont elle avoit d'autant plus lieu de se plaindre qu'il n'y avoit point de Suisses en France à l'époque où l'on suppose que cet événement arriva. Sous le règne de Louis XV, le gouvernement fit cesser ces justes plaintes; et l'on supprima d'abord le feu d'artifice, qui d'ailleurs, dans un endroit si resserré, pouvoit occasionner des incendies. Toutefois la coutume de promener le même jour dans Paris une figure gigantesque et ridicule, qui n'étoit propre qu'à effrayer les femmes enceintes et les enfants, subsista encore quelque temps, et ne fut abolie que peu d'années avant la fin de la monarchie.

504: Cart. S. Germ. Autiss., fol. 44.

505: Arch. de l'archev.

506: La Nouvelle-France étoit autrefois une des guinguettes de Paris.

507: Cette division avoit été adoptée dans ces derniers temps; mais, dans la dernière nomenclature, la rue entière étoit désignée sous le nom de rue du Ponceau.

508: Dans cette rue est la cour des Miracles. Ce nom étoit commun à tous les endroits où se retiroient autrefois les gueux, les vagabonds et gens sans aveu, et celui-ci étoit un des plus considérables. Cette cour consistoit en une place assez vaste et un très-grand cul-de-sac[508-A]. On assure qu'avant qu'on enfermât les mendiants dans l'Hôpital-Général, à Bicêtre, etc., on y comptoit plus de cinq cents familles entassées les unes sur les autres.

Ce fut par antiphrase que l'on donna aux lieux qui étoient habités par de pareilles gens, le nom de cour des miracles, parce que ces gueux, qui pendant la journée erroient dans la ville, contrefaisant les malades et les estropiés, trouvoient, sans miracle, en rentrant le soir dans leur repaire, la santé la plus parfaite et le libre usage de leurs membres.

Dans les années qui précédèrent la révolution, on avoit établi dans cette cour, et du côté de la rue Bourbon-Villeneuve, une halle au poisson qui n'existe plus.

508-A: La disposition des lieux est changée. La cour des Miracles offre actuellement un passage qui communique par trois ouvertures à différentes rues. Voyez l'art. Rues nouvelles.

509: Cependant, d'après ce récit évidemment faux, la rue a reçu, depuis quelques années, la dénomination de rue de Marie Stuart.

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Autres corrections effectuées:

—Page 35: "dans différentes villes de royaume" remplacé par "dans différentes villes du royaume".

—Page 66: "(1563) Une contagion horrible enleva" remplacé par "(1363) Une contagion horrible enleva".

—Page 83: "(1581.) Le duc d'Anjou venoit" remplacé par "(1381.) Le duc d'Anjou venoit".

—Page 147: "renouveler l'infâme traité de 1314;" remplacé par "renouveler l'infâme traité de 1414;".

—Page 213: "mais ils n'étoient pas aussi" remplacé par "mais il n'étoit pas aussi".

—Page 238: "Réduits aux rôle des personnages muets" remplacé par "Réduits au rôle des personnages muets".

—Page 262: "rue Neuve-des-Petits-Petits-Champs" remplacé par "rue Neuve-des-Petits-Champs".

—Page 311: "Claude Favre, sieur de Vaugeas," remplacé par "Claude Favre, sieur de Vaugelas,".

—Page 311: "dans lequel on voyoit deux" remplacé par "dans laquelle on voyoit deux".

—Page 338: "qu'a occupé depuis l'hôtel Soissons" remplacé par "qu'a occupé depuis l'hôtel de Soissons".

—Page 376: "Bedfort, Salisbury, Warwich" remplacé par "Bedfort, Salisbury, Warwick".

—Page 419: "se virent, en 1350, réduits" remplacé par "se virent, en 1450, réduits".

—Page 476: "y a grande apparence," remplacé par "Il y a grande apparence,".

—Note 74: "qui l'avoit élevé par degrés aux emplois les éminents" remplacés par "qui l'avoit élevé par degrés aux emplois les plus éminents".

—Note 347: "étant esdits greniers." remplacé par "étant lesdits greniers.".

—L'ancre de la note 302 n'étant pas présente dans le texte, elle a été rajoutée en fin de paragraphe.