The Project Gutenberg eBook of L'Impeccable Théophile Gautier et les sacrilèges romantiques This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: L'Impeccable Théophile Gautier et les sacrilèges romantiques Author: Louis Nicolardot Release date: December 7, 2012 [eBook #41578] Most recently updated: January 29, 2022 Language: French Credits: Produced by Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Print project.) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMPECCABLE THÉOPHILE GAUTIER ET LES SACRILÈGES ROMANTIQUES *** Produced by Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Print project.) Note de transcription: Quelques erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. La liste de ces corrections est donnée à la fin du texte. La ponctuation a fait l'objet de quelques corrections mineures. L'IMPECCABLE THÉOPHILE GAUTIER ET LES SACRILÈGES ROMANTIQUES _OUVRAGES DU MÊME AUTEUR_ MÉNAGE ET FINANCES DE VOLTAIRE, 1 vol. in-8, de 412 pages. Épuisé, rare. HISTOIRE DE LA TABLE, curiosités gastronomiques de tous les temps et de tous les pays, 1 vol. grand in-18 3 50 JOURNAL DE LOUIS XVI, 1 vol. grand in-18 jésus, papier vergé 5 » LES COURS ET LES SALONS DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE, 1 vol. grand in-18 3 50 LA CONFESSION DE SAINTE-BEUVE, 1 vol. grand in-18 3 50 IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE CHATILLON-SUR-SEINE.--J. ROBERT. L'IMPECCABLE THÉOPHILE GAUTIER ET LES SACRILÈGES ROMANTIQUES PAR LOUIS NICOLARDOT [Logo de l'éditeur] PARIS TRESSE, ÉDITEUR 8, 9, 10, 11, GALERIE DU THÉATRE-FRANÇAIS PALAIS-ROYAL 1883 _Tous droits réservés._ [Bandeau] L'IMPECCABLE THÉOPHILE GAUTIER ET LES SACRILÈGES ROMANTIQUES I Théophile Gautier a obtenu une voix, un jour d'élection à l'Académie. Ce bulletin que la presse attribua à Lamartine était de Sainte-Beuve. C'était tout naturel. Gautier n'a jamais parlé de son père qui est devenu directeur d'un bureau d'octroi, comme l'avait été M. de Sainte-Beuve, le père de Sainte-Beuve; il est incontestablement le fils unique de Joseph Delorme. Gautier avait commencé les visites d'usage pour chaque candidat d'un fauteuil d'immortel; il dut les cesser. Les dominateurs de l'Académie le reçurent froidement, comme un inconnu et feignirent d'ignorer ses titres. C'est que parmi ses ouvrages figure un roman dont le genre est un prétexte d'exclusion. L'Académie a ouvert ses bras à Littré et à Renan, mais elle se pique de respecter la morale: c'est là une inconséquence. Qu'est-ce que la morale sans la religion? Gautier obtint à son tour un disciple. Baudelaire le vénéra comme un _maître impeccable_. Or, un disciple n'est pas au-dessus du maître. Le thermomètre doit baisser de Sainte-Beuve à Baudelaire et descendre à la glace. Chez Baudelaire tout fut étude; ses traits annonçaient plus de contention d'esprit que de chaleur naturelle; il était toujours d'une propreté recherchée, mais il ne décorait rien de tout ce qu'il portait; sa parole était nette, claire, argentine, mais froide; très poli, mais sans familiarité, sans abandon, sans excentricité; s'il faisait rire, c'était souvent à ses dépens, car il était évident qu'il avait préparé ses conversations pour les visites et les dîners; à la moindre contradiction il était tout désorienté. Il m'a toujours semblé un don Juan systématique. Pour mieux poser, il se donnait à ses amis comme le fils d'un prêtre et d'une religieuse, chose très fausse. Pour qui l'a hanté ou lu, ce volcan de passions est tout simplement du givre; il en a l'éclat et la frigidité. Le givre ne plaît que parce qu'il rompt la monotonie des jours de brouillards et de neige. La neige a son utilité dans l'hiver; mais le givre? La camaraderie est venue en grossissant toujours après Baudelaire. Gautier a eu son apothéose; grâce à une souscription, un monument est consacré à sa mémoire. La publication si précoce d'un ouvrage comme _Mademoiselle de Maupin_ décèle le tempérament et le style. Un pareil début annonce une prédestination à l'impuissance. Gautier et Sainte-Beuve sont morts à peu près au même âge, peu après la soixantième année. Ils sont entrés de bonne heure dans cette _Légion de la Bedaine_ dont j'ai parlé dans la _Confession de Sainte-Beuve_. Né avec une organisation plus frêle, Sainte-Beuve a été forcé plus tôt de discontinuer ses expérimentations de la volupté; la conscience de sa laideur a doublé la faiblesse de sa constitution; mais une curiosité infatigable le portait à toucher à toutes les branches de l'arbre de la science du bien et du mal; il a dévoré les moralistes les plus rigides du Jansénisme avec la même avidité que les poésies érotiques. Il a suivi tous les succès, mais en restant sur la réserve, parce qu'il n'a presque travaillé que pour la presse, obligée de respecter plus de convenances que le livre. Gautier avait une belle figure et surtout une chevelure d'un Jupiter Olympien; il faisait honneur à toutes les modes du temps et se sentait attiré vers le beau dans tous les genres; mais sa physionomie manquait d'expression. Sa dernière maladie a prouvé qu'il devait être impuissant, depuis plusieurs années. Il avait à peine passé la cinquantaine qu'il se disait franchement arrivé à l'heureux âge de l'impuissance. Essentiellement lymphatique, il n'a connu ni les transports ni les tourments des passions. Il a pu être libertin, mais jamais voluptueux. S'il fut immoral, ce fut plus par système que par besoin. _Paresseux avec délices_, il a écrit plus par nécessité que par enthousiasme et conviction; il a maintes fois cédé à ses amis le souci de faire ses articles, car son Pégase avait toujours besoin de quelque coup d'éperon pour finir la copie. Indifférent au bien et au mal, il n'a mérité ni ennemis acharnés, ni amis dévoués, comme certains journalistes. Au fond ce n'était qu'un bon compagnon; impossible de lui reprocher de ces basses vengeances, de ces trahisons qui pèsent sur la mémoire de Sainte-Beuve. Sainte-Beuve n'a jamais fumé et fut toujours très sobre; il n'avait d'appétit de Gargantua que pour les livres et croyait toujours ne rien savoir; il restait sous l'impression de sa dernière lecture. Gautier mangeait beaucoup et fumait toujours; mais de tous les livres, ceux qu'il préférait c'étaient les lexiques. Tous ceux qui l'ont le plus hanté s'accordent à lui reconnaître cette manie dont ses lecteurs ne se douteront pas, comme on verra. C'est parce qu'on lui fait l'honneur de l'estimer comme un linguiste que l'idée m'est venue de l'étudier. Je laisse de côté tout ce qu'il a composé; je n'entreprendrai d'examiner que les deux volumes de ses _Poésies complètes_, publiées par la librairie Charpentier. Ayant toujours préféré la poésie parfaite à la prose parfaite, et ne m'étant jamais donné la peine de commettre de mauvais vers, je puis me flatter de n'avoir aucun préjugé pour examiner ces deux volumes; j'espère les juger sans fanatisme comme sans envie, puisque je n'ai point connu Gautier et que j'ai une bonne provision de sympathie à la disposition de quiconque l'admire. Ce qui m'a suggéré l'idée de consacrer une étude à ces deux volumes, c'est la grande importance qu'ils ont rapportée à l'auteur, avant et après sa mort. Depuis le sacre ou le mariage des rois et la naissance des dauphins ou des princes du sang, aucun événement n'a été l'occasion d'une éruption de vers comparable à celle dont le décès de Gautier devint le sujet. Ce fut comme un grand concours d'Élégies. Tous ceux qui se donnent la peine de faire des vers, se mirent en grand deuil; ils en auraient perdu les cheveux, s'il leur en était resté; s'ils ne sont point morts de chagrin, c'est seulement pour ne pas augmenter le désespoir d'une calamité publique. La librairie s'est hâtée de recueillir et de cristalliser toutes ces larmes si précieuses; elle en a construit le _Tombeau de Gautier_. Comme le livre est beau, tous ceux qui ont pleuré des vers se consolent dans la pensée d'avoir laissé de belles lamentations à la tendresse de la postérité. Cette unanimité de témoignages dont aucun écrivain n'avait jamais joui, prouve: 1º que les poètes ne sont maintenant plus envieux;--2º que les poètes n'ont aucun doute sur l'immortalité de l'âme à laquelle ils sacrifient publiquement tant de vers;--et 3º que le métier de courtisan n'était pas absolument abject sous la monarchie, puisque les républicains de la veille ou du lendemain, de principes ou d'intérêts, ont mis tant de zèle à le rétablir. Ces trois choses sont dignes de louanges. Tous ceux qui se donnent la peine de faire des vers, ont cru devoir cette marque publique de reconnaissance à la mémoire de Gautier. Le premier il a dit et redit que tout le monde peut faire des vers, et que c'est le travail et non l'inspiration, qui fait le mérite de la versification. C'était rétablir la corvée des mots au détriment des facultés natives. Autrefois on enseignait que, pour être poète, il fallait être né poète. Gautier a changé cela. Aussi tous ceux qui sont en état d'observer les règles de la prosodie affirment, avec la foi de Trissotin, qu'ils sont des poètes. Tant pis pour l'expérience, si elle rejette ce sophisme, si fanfaron de sa hardiesse et de sa nouveauté! Il y avait bien quelque chose comme cela dans la prose et les vers de Victor Hugo, mais pas à l'état de symbole. Il jouissait du droit d'aînesse et du droit du plus fort; on ne songea point à lui disputer le premier rang. Mais on reconnut Gautier comme le second poète; c'était Dieu et Mahomet, son prophète. Donc on adora et on pria, en esprit et en vérité, Victor Hugo comme le Père éternel de la Poésie; pareillement on adora et on pria, en esprit et en vérité, Théophile Gautier comme le Fils Unique du Dieu de la Poésie. De tous ceux qui se condamnent à la corvée des vers, il n'y en a pas un qui ne croie procéder du Père et du Fils, et ne se regarde comme l'Esprit de la Trinité Poétique. Ceci explique pourquoi les poètes qui abusent de tout, laissent le Saint-Esprit assez tranquille; Béranger avait affirmé que l'Esprit est de trop dans la Trinité. Pour consacrer l'invention de cette érudition des mots qui doit, dans l'avenir, remplacer l'âme du poète et le cerveau du penseur, tous ceux qui se donnent la peine de faire des vers acclamèrent Gautier _poète impeccable_. Cet adjectif qualificatif, essentiellement catholique, n'avait jamais été appliqué à un homme, ni à plus forte raison à un écrivain. L'Eglise Romaine allait proclamer solennellement, en plein concile, le dogme de l'Immaculée Conception de la Sainte Vierge: de là l'idée de retirer le mot impeccable de sa retraite, si rarement troublée, et de le graver sur le front d'un poète. Il est digne de remarque que tous les prosateurs et poètes, qui ont précédé et suivi le mouvement révolutionnaire de 1830, se sont ingéniés à jouer le rôle de Tartuffes par l'affectation exclusive et permanente de tous les substantifs, verbes et adjectifs, créés ou consacrés par la Religion et respectés par l'usage. Au moyen de cette hypocrisie de mots, ils se sont insinués dans les familles chrétiennes et chez tous les honnêtes gens pour y déposer le germe du scepticisme qu'ils ont tenu bien caché, suivant leurs intérêts, mais qu'ils n'ont pas manqué de professer et d'étaler dès que leur fortune le leur permit, sans courir aucun risque. Ils ont recours à l'enterrement civil pour se venger de la longue contrainte de leur passé de saltimbanque. Par cette manifestation ne se rendent-ils pas la justice qu'ils ne méritent que le néant et l'oubli pour avoir autant tartufié que versifié? Le titre d'_impeccable_ décerné et maintenu à Gautier, mérite attention. Aussi c'est comme linguiste que je me propose de le prendre. Toute l'Ecole romantique viendra lui tenir compagnie dans cette étude de linguistique à propos de vers, bâclés à coup de dictionnaire, pour justifier la théorie que la Poésie n'est après tout qu'une fabrique de vers à laquelle on ne doit demander que le tapage d'une musique tambourine, le charivari de tous les mots à vent. Cette étude de mots nous donnera toute l'histoire des sacrilèges romantiques. L'office du Saint-Sacrement défie la Critique. Depuis Fontenelle, c'est un fait reconnu en littérature que l'_Imitation de Jésus-Christ_ est le plus beau livre qui soit sorti de la main des hommes; jadis Corneille l'a traduit en vers; de nos jours Lamennais l'a traduit en prose; le chapitre cinquième du troisième livre est consacré à l'Amour; c'est encore ce qu'on peut trouver de plus complet sur ce sujet. Tout le quatrième livre est relatif à l'Eucharistie; c'est le chef-d'oeuvre de l'ouvrage. Après la _Transfiguration_, de Raphaël, et le _Jugement dernier_, de Michel-Ange, les artistes ont toujours placé au premier rang la _Dispute du saint sacrement_ par Raphaël, la _Cène de Jésus-Christ avec les Apôtres_, par Léonard de Vinci, la _Communion de S. Jérome_, par le Dominiquin. Ce que Bossuet a écrit de plus original, de plus hardi, de plus étonnant, ce sont ses _Méditations_ sur _la Cène_; les romantiques qui aiment tant la difficulté vaincue, n'ont rien produit de comparable à la dix-huitième et à la vingt-quatrième, comme tour de force dans notre langue. Se souvient-on des négations de Spinosa qui n'aimait que les mouches et les araignées, quand on voit les tableaux que _la Messe_, la _Fête-Dieu_, la _Communion_ ont inspirés à Chateaubriand? Osera-t-on comparer aux taquineries de Bayle qui n'a jamais aimé que les marionnettes, ce _Traité sur les sacrifices_ que Joseph de Maistre composa pour développer et justifier la page consacrée à la _Communion_ dans les _Soirées de Saint-Pétersbourg_? Après l'_Essai sur l'Indifférence en matière de Religion_ par l'abbé de Lamennais, l'ouvrage le plus remarquable que notre siècle doive à un prêtre, ce sont les _Considérations sur le dogme générateur_ de la piété catholique par l'abbé Gerbet, mort évêque de Perpignan. Au commencement de l'empire, Sainte-Beuve en a rendu compte et ne lui a reproché que le défaut d'être trop court. L'auteur n'aurait rien laissé à désirer, s'il avait mieux connu l'Histoire ecclésiastique. Dans une station à Dijon, sous la République, le R. P. Lacordaire prêchait sur l'Eucharistie; il devint si éblouissant, si pathétique qu'un général transporté d'admiration, se leva subitement et s'écria: «F..... que c'est beau!» Personne ne se scandalisa parce que cette exaltation exprimait le sentiment de tout l'auditoire ravi, comme un seul homme, jusqu'aux lèvres du prêtre. Napoléon a été enivré de toutes les jouissances humaines; il avoua, un jour, à ses maréchaux éblouis de sa gloire, que c'était le jour de sa première communion qu'il regardait comme le plus beau de sa vie. A Sainte-Hélène, il s'humilia sous les verges du Dieu des Armées, confessa ses fautes et mourut muni des sacrements de l'Église, en désirant que ses restes fussent un jour portés dans l'Église des Invalides. Sous la Commune, la première communion se fit à Paris, comme d'habitude, mais avec moins de pompe. On a nommé dans le temps les chefs de la Commune qui ont assisté, vivement émus, à la première communion de leurs enfants. Il y a eu des Églises qui n'ont pas été profanées, comme on s'y attendait, parce qu'elles ont eu pour protecteurs de ces pères dont les enfants venaient d'y faire la première communion. Le plus auguste des sacrements est devenu pour les romantiques le plus habituel sujet de profanations. Depuis Michelet jusqu'au romancier, le mot de communion est étendu à tout; c'est la famille, c'est le mariage, c'est le concubinage, c'est le viol, c'est même une cohue. Sainte-Beuve a consacré une partie de sa vie à étudier l'histoire de Port-Royal, il n'a pas hésité à scruter les mystères de la théologie que les docteurs de l'Eglise n'ont abordés qu'en tremblant. Aussi lui est-il arrivé de laisser pour définitions des images qui font la risée des théologiens et des écrivains aussi bien chez les protestants que chez les catholiques. Il n'a pas même compris le sens des mots latins les plus simples, les plus clairs pour quiconque se donne la peine d'ouvrir un dictionnaire latin-français. Feu M. Hector de Saint-Maur a publié en 1865, chez Douniol, libraire du _Correspondant_, une traduction en vers du _Psautier_, qui a eu tout le succès qu'elle mérite. Il s'agit de rendre le cinquième verset du quatrième Psaume qui se chante aux Complies du Dimanche: _Irascimini et nolite peccare_. La pensée de David n'inspire que ce vers: Blasphémez et criez, oui,--mais ne péchez plus. Le Dante que le traducteur a dû lire, n'a pas laissé les blasphémateurs impunis; dans son _Enfer_, ch. XI, il les plonge dans le même cercle de douleurs que les usuriers et les sodomites. Dans son _Histoire des Français de divers états_, Monteil a eu soin de rappeler tous les châtiments auxquels les blasphémateurs furent condamnés, depuis Philippe-Auguste jusqu'à la Révolution. Il faut être romantique pour ne pas qualifier le blasphème de péché! Un écolier de huitième traduira ainsi les mots latins précités: _Fâchez-vous et gardez-vous de pécher_. Il est clair comme le jour qu'il s'agit ici d'une colère qui est un mérite, et non l'un des sept péchés capitaux. C'est la colère de Jacob contre Ruben, l'aîné de ses enfants, qui a souillé sa couche. C'est la colère de Moïse, brisant les tables de la loi en voyant l'idolatrie de son peuple. C'est la colère de saint Pierre, reprochant leur hypocrisie à Ananie et à sa femme Saphire. C'est la colère de Jésus-Christ, chassant du Temple tous ces marchands qui font de la maison de la prière une caverne de voleurs. Lorsque je fis ces observations à M. de Saint-Maur, il eut honte de son ignorance et de sa bévue. Ses lecteurs comme ses critiques, ne s'en étaient pas aperçus. Dans la _Chute d'un Ange_, les traits de Lackmi réunissent à la fois femme, enfant, démon, ange. Ainsi nous avons sous les yeux les deux âges, les deux sexes, le bien et le mal, la félicité et le désespoir, la charité et le blasphème, le paradis et l'enfer, et la terre par-dessus le marché! Il faudra reléguer la Philosophie à la Salpêtrière, si elle ne va plus loin que Bacon, Descartes, Malebranche et Leibnitz. Les romantiques ont accablé d'injures M. Désiré Nisard pour avoir protesté contre la _littérature facile_. Que deviendra notre langue pour les Français et les étrangers, si l'on continue de ne tenir aucun compte du sens des mots? II A l'époque où Gautier, né en 1811, débuta, l'épigraphe était à la mode. La religiosité aspirait à remplacer la religion, comme le protestantisme s'était substitué au catholicisme. La Poésie avait usurpé les honneurs du culte; les poètes ne manquèrent pas de se rendre mutuellement le service de s'ordonner prêtres et de se sacrer pontifes, en réservant sinon l'infaillibilité, au moins la suprématie à Victor Hugo. Enivrés de la conscience de leur jeunesse et de leur génie, ils parlaient haut et criaient fort pour rappeler le grand vent, qui avait précédé les langues de feu, le saint jour de la Pentecôte. Pour que l'illusion fût complète, Sainte-Beuve composa _le Cénacle_, qui tiendrait lieu des _Actes des Apôtres_, de saint Luc. Il fallait un texte pour justifier la mission; l'épigraphe devint de rigueur pour toute tête de livre, de chapitre ou de chant. On emprunta des mots à tous les dictionnaires, afin que le miracle de la diversité des langues ne pût être révoqué en doute par personne. Gautier eut la modestie de se contenter des principales langues de l'Occident. Il associa à des citations du français de tous les âges en général, et en particulier du breton et du provençal, des pensées latines, espagnoles, italiennes, anglaises, allemandes. Il laissa la Grèce à Sainte-Beuve, qui l'avait adoptée pour _Sainte Mère_; il se dédommagea de ce sacrifice, en demandant un mot au _Dictionnaire arabe_. A la vérité, il n'y a que deux épigraphes, une latine et une seconde espagnole, dans le poème sur l'Espagne. Le poème d'_Albertus_ n'est décoré que d'une épigraphe anglaise au fronton. Gautier avait fait ses preuves en linguistique dans son premier recueil de poésie. Sur soixante-deux pièces, il n'y en a qu'une qui se passe d'épigraphe, parce que c'est une imitation; en comptant bien, on y trouve cent douze épigraphes, savoir vingt pièces qui sont réduites à une épigraphe, trente-sept pièces qui marchent sur deux épigraphes, deux pièces qui tiennent le triangle de trois épigraphes, et enfin trois pièces qui s'élèvent à quatre épigraphes, la plus haute puissance de l'épigraphe. Il n'est pas facile de deviner pourquoi on étale quatre, trois ou deux épigraphes, quand une seule suffirait. Ainsi une pièce qui s'appuie sur des épigraphes de Shakespeare, de Goldsmith, de Tibulle et de Villon ne se compose que de deux strophes, de chacune six vers, sur le _coin du feu_. Les épigraphes ne citent qu'une fois Antoine de Baïf, Amadis Jamyn, Barthelemy, Béranger, Bürger, Bernardin de Saint-Pierre, Crabbe, Callimaque, traduction de La Porte Duteil, A. Chartier, De Lingendes, Dovalle, Du May, Dubartas, Estienne de Knobelsdorff, Ferideddin Atar, Goërres, Goëthe, François Ier, Grandval, Joachim du Bellay, Jules de Saint-Félix, P. L. Jacob, Le Chastelain de Coucy, Méry et Barthélemy, Mandeville, Malherbe, Peyrols, Ponthus de Thyard, Saint-Amand, Saintine, Shakspeare, Am. Tastu, Tibulle, Théophile, Ulric Guttinguer, Victor Pavie, P. Virgilius Maro, Wordsworth, enfin Eugène De***, Auguste M*** et mademoiselle L. A. qui figure pour tout son sexe. On a usé du passé et du présent; on devance l'avenir de l'_inédit_ de M***. Les épigraphes accordent l'honneur du _bis_ pour lord Byron, A. Guiraud, Goldsmith, Villon, Philippe Desportes, Petrus Borel, Jean de La Fontaine, Catulle, qui reprend ensuite son vrai nom de V. Catullus pour ceux qui aiment les mots en _us_, Labrunie, qui est le pseudonyme de G. de Nerval, dont le vrai nom revient après en toutes lettres. Trois poètes seulement sont rappelés trois fois sur la scène des épigraphes: Alfred de Musset, puis Joseph Delorme, J. Delorme qui se relève Sainte-Beuve, et enfin Marot, qui devient Clément Marot et reste Maître Clément Marot. Le triomphe des quatre citations est réservé à Ronsard tout court, une fois, qui reparaît trois autres fois avec ses nom et prénom de Pierre Ronsard. Victor Hugo est le seul qui monte sur le char après lui. Outre ces cinquante-deux noms plus ou moins connus ou plus ou moins oubliés maintenant, les épigraphes affectent, pour exercer la perspicacité et l'érudition du lecteur, d'indiquer seulement le titre des ouvrages, ou des compositions: _The lay of last minstrel_, _Don Juan_, _Inferno_, _son Autounous_, _li roman du Brut_, _le lay de maistre Ytier Marchand_, _les loyales et pudiques amours de Scolton de Virbluneau_, _Epistre à la première vieille_, _Roman de la Rose_, _le livre des quatre Dames_, _le Confiteor de l'infidèle éprouvé_, _la complainte de Valentin Granson_, _le Vagabond_, _Bataille des chasseurs_, _Teresa_, _Hernani_, _Marion Delorme_, _Sara la Baigneuse_, _Harmonies_. Dans ce jeu de colin-maillard des épigraphes, on arrivera à toucher du doigt la plupart des auteurs de ces pièces. Mais il faut se résigner au mystère de l'anonyme pour ce reste d'épigraphes: _Ancien fabliau_, _Ancien proverbe breton_, _épitaphe gothique_. Heureusement tout finit par des chansons, comme dans l'histoire. Ainsi _chanson italienne_, _chanson espagnole_, _chanson des marins_, _ballade des petites filles_. C'est fâcheux que cette profusion d'épigraphes fasse seulement beaucoup de bruit pour rien. _Ne pleure pas_, dit Dovalle. Béranger répond: _Chauffons-nous, chauffons-nous bien_. Sainte-Beuve offre _des petits horizons_. Vite Alfred de Musset de crier: _Allons, la belle nuit d'été_; _En chasse, et chasse heureuse!_ Victor Hugo étend ses ailes pour voler, en poussant ce soupir: _Notre Dame, que c'est haut!_ Mais ses filles l'arrêtent. De là ces réflexions: _La petite fille est devenue jeune fille! La jeune fille rieuse! Oh! la paresseuse fille!_ Pendant ce temps-là Méry et Barthélemy se demandent _où trouver le bonheur?_ La _Ballade des petites filles_ le donne pour rien: _Hanneton, vole, vole, vole!_ L'épigraphe est le flambeau comme le résumé d'une composition, et doit donner le diapason du morceau. Un auteur se révèle dans le choix des épigraphes, aussi bien que dans le style. Au lieu d'être le Saint-Denis des rois et des princes du sang de l'Intelligence, l'épigraphe de Gautier n'est qu'un cimetière où les personnages les plus fameux sont confondus, dans la fosse commune, avec les gens les plus médiocres, avec les écrivains morts-nés. Le pédantisme d'une érudition de noms propres dégénère en badauderie, et le badaud ne montre que la niaiserie. III Dès la deuxième page, Gautier dit: _Recueilli dans moi_. La plus vile prose rejetterait ce recueillement; un capucin ne voudrait pas répéter cette expression dans un sermon pour les domestiques. Gautier ne sait pas même échapper aux fautes que toutes les grammaires conseillent d'éviter. On est averti qu'il faut faire attention aux substantifs qui conservent leur unité et n'admettent point de fraction. Gautier aurait donc dû mettre _ou_ au lieu d'_à_ ou bien _six_, au lieu de _cinq_ dans ce vers: Aux discrètes lueurs de quatre _à_ cinq bougies. Il y a des bougies de différentes dimensions, de divers prix; mais il n'y en a point de quatre à cinq. Pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'il ignore ce que tout le monde sait, il affectera de savoir ce que tout le monde ignore. Le _Dictionnaire_ lui donnera raison, mais auparavant, il sera exposé à être qualifié d'absurde, comme ces vers: J'aime sous les charmilles, Dans le parc Saint-Fargeau, voir les petites filles Emplir leurs _tabliers de pain de hanneton_. Afin d'avoir une idée de ce _pain de hanneton_, je me suis adressé à des pharmaciens; ils m'ont répondu que le hanneton est inconnu comme remède dans les ordonnances. J'ai consulté un célèbre médecin, qui a connu Gautier; soit en qualité de docteur, soit à titre d'amateur de poésie, il a trouvé le vers de Gautier absurde, à tous les points de vue. J'ai soumis mes difficultés à d'excellents écrivains, tous disciples de Gautier; ils n'ont pas pu gober ce _pain de hanneton_. J'ouvre par hasard le _Dictionnaire_ de Littré au mot _Pain_, et je lis: _pain de hanneton: fruits de l'orme_. Tous ceux qui n'ont pas un Littré à leur disposition, ne commenceront-ils pas par rire de la boulangerie de Gautier? Ce _pain de hanneton_ est d'un pédant, et surtout d'un précieux ridicule. Si un Molière avait à refaire les _Précieuses Ridicules_, il est probable qu'il ne manquerait pas d'attacher à Cathos et à Madelon des _tabliers emplis de pain de hanneton_. On ne joue guère au colin-maillard du précieux sans toucher au galimatias. Contentons-nous de quelques citations, car on pourrait en prendre à chaque page: 1. Esquif infortuné que d'un _baiser vermeil_ Dans sa course jamais n'a _doré_ le soleil. 2. Car les Anges du ciel, du reflet de leurs ailes, Dorent de tes murs noirs les _ombres solennelles_. 3. Toi, dont le _plomb_ à l'hirondelle Toujours porte une mort _fidèle_. 4. Et j'ose dans l'_azur, dont l'encens fait la brume_ Chez les Olympiens, m'élever jusqu'à vous. Je ne suis pas envieux, mais je voudrais bien savoir si M. Leconte de l'Isle trouverait dans les _OEuvres_ de Delille, quelque chose d'équivalent au _doré d'un baiser vermeil_, à cet anémique verbe _dorer_ qui ne peut que _rougir_; à _une mort fidèle_ au _plomb_ ou bien à l'_hirondelle_, ce qui n'est pas distingué; à la _brume faite_ de l'_encens fait_ par l'_azur_; et à ces _ombres solennelles_ des _murs noirs_ de Notre-Dame que _les Anges du ciel dorent du reflet de leurs ailes_. Au tour du galimatias pur, ce _profond_ qui n'est que _creux et vide_, comme disait autrefois Figaro. 1. Je t'aimerai, ma jeune folle, Un peu _plus que toujours,--longtemps!_ Je voudrais bien savoir ce que M. Coppée, qui est à l'âge du _serment_ des toujours, entend par un _longtemps_ qui doit durer _plus que toujours_. 2. Asile calme et vert comme en peint Hobbéma. Où les _chuchotements dont est fait le silence_ Troublent seuls du rêveur la douce somnolence. Je voudrais bien savoir ce que M. Anatole France entend par le _silence fait_ par _les chuchotements_: 3. Il est un _sentier_ creux dans la vallée étroite, Qui ne _sait_ trop _s'il marche à gauche ou bien à droite_. Je souhaiterai bon voyage à M. Paul Bourget, qui a déjà parcouru la Grèce, l'Italie, l'Angleterre, l'Écosse, l'Irlande, une partie de l'Allemagne, s'il connaît le point de bifurcation de ce _sentier_ ivre _qui ne sait trop s'il marche à gauche ou bien à droite_. Il fera bien de lui servir de guide. 4. Par delà le soleil et par delà l'espace Où Dieu n'arriverait qu'après l'éternité: Pour le coup, il faut pour commentateur un vrai vieillard, un vieillard à cheveux blancs, un vieillard à moustaches de grognard, un contemporain de Gautier. Aurait-on osé demander à M. Amédée Pommier ce qu'il faut entendre par _l'espace où Dieu n'arriverait qu'après l'éternité_? 5. Et l'enfant, _hier encore chérubin chez les anges_, Par le ver du linceul est piqué sous ses langes. Qui m'expliquera comment, avant de mourir, l'enfant est un _Chérubin chez les Anges_ et par conséquent au-dessus des Anges! A mon secours l'excellent traducteur du _Livre de Job_ et du _Psautier_! Mais M. Hector de Saint-Maur unissait au bon sens des classiques l'imagination des romantiques; il est le seul de nos poètes qui sut s'attendrir et pleurer, et, au besoin, rire comme Racine. Il se serait moqué de moi comme de Gautier, si je l'avais pris pour un docteur en Israël, dans une question grammaticale du ressort de sa petite fille Suzanne, qui lui inspira de si beaux vers. Gautier a des fanatiques qui lui passent tout en faveur de la couleur. Il est certain qu'il sent et décrit bien un tableau; c'est son unique aptitude. Il est aussi certain qu'il ne voit rien dans la nature; toutes ses descriptions n'annoncent et ne montrent rien. Son poème sur l'Espagne sera une duperie pour quiconque relira certains passages de _Télémaque_. Fénelon, qui n'a pas visité l'Espagne, a mieux saisi la couleur locale que Gautier, qui a parcouru toute l'Espagne en amateur. Puisqu'on persiste à prendre Gautier pour un éminent coloriste, le premier après le premier peintre, il est bon d'entrer dans son atelier et de bien regarder sa palette. IV Notre peintre mérite de recevoir, de la reconnaissance des Bas Bleus, le titre de _Maître Bleu_. Le _bleu_ est la couleur favorite de sa palette. Aussi ne lui arrive-t-il que _deux fois_ de laisser _le bleu_ à sa nature vierge, à sa nature brute de substantif. Il le délaie avec la même habileté qu'Eustache Lesueur; il bleuit autant que la manufacture des Gobelins, et plus que la blanchisserie du Grand Hôtel à sept cents chambres. Il voit tout en bleu, parce qu'il a tout passé au bleu. Il se fait un _paradis bleu_; dès lors toute la création s'ouvre devant lui comme un _Grand Livre bleu_. Pour être digne de scruter toutes les merveilles de ce nouveau _Dictionnaire bleu_, qui manquait à l'art et au commerce, il faut préalablement se laver de toute souillure dans l'_eau bleue_. Rien de plus facile que de se jeter dans les _bleus océans_, de se frictionner avec les _flots bleus_, de se reposer sur l'_épaule bleue de l'océan_, de se sécher sur le _tapis bleu de la mer_, et de se regarder, comme Narcisse, dans le _bleu cristal de l'océan_. C'est le moyen d'avoir une _figure bleue_. Dès qu'on aura serré une _ceinture bleue_, on devra donner un _baiser bleu_ aux pieds meurtris et _bleus_ du Christ, afin de n'avoir pas peur des _roués meurtris et bleus_ qu'on rencontrerait; on aura de plus la vertu de terrasser, après saint Georges, les _dragons bleus_, et l'on ne sera pas accroché par la _chevelure bleue des sirènes_. L'_oiseau bleu du coeur_ n'a pas un instant à perdre sous la _voûte en bleu_, à moins qu'il ne se recueille, _derrière le dos bleu des chartreux_, sur la dalle des _couvents dans le bleu_. C'est _le jour le plus bleu_. Les _bleus nuages_, la _muraille bleue de l'horizon_ reculent à mesure qu'on s'avise de passer à travers les _franges bleues de l'horizon_. Guidé par l'_étoile bleue_, attiré par les _sourires bleus du ciel_, on suit le _bleu chemin de l'air_; on ne quitte pas l'_air bleu_. Continuellement éclairé par la _lumière bleue_, on ne saurait être distrait que par les _oiseaux bleus_. _Le ciel bleu de la fresque_ a dû faire pressentir la couleur du ciel. Sans doute _le ciel_ peut être _noir ou bleu_. Heureusement _le noir devient bleu_. Il faut bien admettre que _le ciel est bleu_, puisqu'il est question au moins _huit fois_ du _ciel bleu_. Le _ciel bleu de l'Amérique_ est donné en exemple à ceux qui n'auraient pas compris la définition, ou conserveraient quelque doute. Donc _ciel tout bleu_, _beau ciel toujours bleu_, _cieux toujours bleus_. Le bleu est infatigable; il marche aussi bien derrière que devant; solitaire comme le singulier, multiple comme le pluriel, il va toujours son train: de là les _champs bleus du ciel_ et les _champs du ciel bleu_. Il y a des variations dans ce ciel bleu, pour que sa monotonie ne dégoûte personne. Aussi _en juin les cieux se font plus bleus_. Mais pour qui tant de bleu? C'est le _bleu séjour du soleil_. A cette hauteur de bleu le _globe bleu d'Uranie_ rappelle _deux petits globes bleus_, offerts comme l'emblème de la terre. C'est le moment ou jamais de la voir tout en bleu. Soit la nature, soit l'effet, de _reflet bleu_, de _reflets bleus_, à première vue ce sont des _abîmes bleus_ que les _grandes perspectives bleues_. Heureusement de l'_immensité bleue_ se dégagent et l'_immensité bleue du lac_, et le _grand désert bleu_, et le _Sahara bleu_. Celui qui possède le secret de _bleuir les hautes cimes des Alpes_ prodigue _rochers bleus_, _côteaux bleus_, _colline bleue_ auxquels répondent les _toits bleus_ des habitations. Il n'est pas plus difficile de _bleuir les campagnes_; les _campagnes bleues_ une fois ouvertes, on est libre, dans le _bleu de la plaine_, de couper ici des _bleuets_, là encore des _bleuets_, d'attraper au vol la _demoiselle bleue_, de boire dans le _calice bleu de la pervenche_, de se chauffer au _gaz bleu_ ou même au _jet de gaz bleu_. Ce serait la perfection du bleu, si on n'avait pas oublié le petit poisson bleu, qui aurait eu tant de grâce à frétiller à travers les jets de gaz bleu, à expirer dans le gaz bleu. Un _oeil bleu_ est à la disposition des borgnes et des amateurs, qui ont l'habitude de ne regarder que d'un oeil la nature et l'art. Ceux qui ont le goût moins difficile, ceux qui font usage de deux yeux, trouveront des _yeux bleus_ éparpillés partout comme sur les plumages du paon. Il faudrait être aveugle pour ne pas admirer le royaume du bleu. _L'oeil bleu du printemps_ peut vénérer le _bel oeil bleu du ciel_, saluer les _yeux bleus de la lune_, courtiser l'_étoile aux yeux bleus_, caresser les _yeux bleus de la montagne_, baiser l'_oeil bleu des fleurs_, dévorer la _fleur aux doux yeux bleus_ ou l'_oeil bleu au coeur des nénuphars_, à moins qu'il ne soit empêché par la _fée au bleu regard_. Les créatures animées n'ont rien à envier à la matière. _Bel ange_ a _oeil bleu_. C'est un _ange aux yeux bleus_ que l'ange de l'Inspiration aux ailes roses. Les deux sexes ont été doués des mêmes agréments. L'enfant à _l'oeil bleu_ peut jouer avec la fillette à _l'oeil bleu_. Les yeux bleus sont toujours occupés: témoin la _blonde aux yeux bleus rêveurs_. Qu'on admire les _beaux yeux bleus de la jeune fille_, mais qu'on n'oublie pas qu'il reste pour les mélancoliques de _pâles yeux bleus_ et des _yeux cernés et bleus_. Le bleu fait pied de grue en poésie puisqu'il n'a qu'un pied. Le bleu à deux pieds irait beaucoup plus vite et serait meilleur ouvrier. Où le chercher? Maître Bleu s'écrie incontinent: _A nous l'azur!_ Accordé de bon coeur. Au moins _douze fois_, il prend le substantif _azur_, dans ses mains, comme une masse; il le presse, le broie, le pulvérise, et il en fait un adjectif qualificatif qui se répand à l'infini comme l'huile. De là l'_azur du ciel_ comme l'_azur des cieux_, l'_azur aux cieux_ comme l'_azur des cieux_. Le _manteau d'azur de la nuit_ ne doit pas être jaloux des _robes d'azur du ciel et de l'horizon_. L'_azur est immuable_ de nature, mais susceptible de nuances. Donc _faible azur_, mais _double azur_, quand on est _cerclé par le ciel et la mer_. Suivant les goûts ou les besoins, on donne pour rien l'_azur vénitien_, le _splendide azur du ciel italien_, et même le _limpide azur du Japon_, si on a la manie de l'_azur lointain_, et si on est tenté de respirer sur les _montagnes au front d'azur_. A-t-on foi aux _yeux d'azur de l'ange_? qu'on s'abandonne, comme un enfant, aux _ailes d'azur de l'ange gardien_, au _plumage d'azur des chérubins joufflus_. Mais attention! L'_Amour_ aussi a des _ailes d'azur_, et les _yeux d'azur de l'ange_ deviennent quelquefois les _regards d'azur_ de la belle à tout faire. Il vaudrait mieux s'arrêter au _regard d'azur de la violette_, observer la _langue d'azur des dragons_, couper les _bleuets peints d'azur_ dans les _plaines d'azur_ et poursuivre dans les _parterres d'azur_, tantôt le _scarabée au corselet d'azur_, tantôt la _demoiselle_, ce _tourbillon d'or, de gaz et d'azur_. A défaut de _veines d'azur_, de _front veiné d'azur_, qu'on se couvre d'une _couronne d'azur_ qui fera un bel effet avec un _albornez d'azur_, une _écharpe d'azur_ et tout accoutrement de _fil d'azur_, à _plis d'azur_. Un pareil équipage est de rigueur pour s'incliner sur le _champ d'azur du papier_ en face des _rideaux d'azur_ de quelque _berceau_. Quand les _flots d'azur de la mer du coeur_ viendront à se soulever, ce sera le moment de nager dans le _fluide azur_, de se plonger dans le _plus limpide azur_. Il n'y a pas rien que la _mer d'azur_, les _mers aux lames d'azur_. La _langue d'azur de l'intarissable flot_ apprend que le _lac d'azur_, les _ruisseaux d'azur_ sont les _champs d'azur de l'eau_. En cherchant bien, on finit par découvrir des _palais d'azur_ sous les ondes. L'azur a rendu tant de services, depuis qu'il est devenu le bleu à deux pieds, qu'il mérite d'être élevé à la dignité de verbe et de jouir, en cette qualité, du privilège de trois pieds. Pour le coup _beau ciel azuré_, _vélin azuré_ et même _pâleur azurée de la mort_. On est sûr de le voir avec ses trois pieds toutes les fois que le pied de grue du bleu, l'azur en bleu bipède sont trop faibles ou trop petits pour marcher en ligne. Mais il y a bleu et bleu, et par conséquent la beauté de la variété dans l'unité de la poétique bleue, de même que dans l'Eglise Gallicane. Anathème au _bleu sombre_! Mais salut aux _deux lacs bleus comme des turquoises_, au _bleu volubilis_, au _bleu myosotis_ et surtout à l'_oeil bleu d'outremer_! De l'_outremer_ sort l'_outremer du ciel_, qui doit captiver tout _front bleuissant d'outremer_. Cet _outremer_ a pour perfection un _beau ton plus vif que nul saphir_. Le _saphir_ proteste et se réclame de la splendeur du _saphir des eaux_, de _manche de saphir_ et de _baldaquin de saphir_. Le bleu le plus rare est le lapis; il n'a servi qu'une fois pour orner un _anneau de lapis_. Il en est de même de l'indigo. Le _ciel_ est _indigo_ pour les fameuses journées de juillet 1830. Voilà assurément trop de bleu pour qu'il n'en passe pas un peu. Cette nuance de langueur sera le bleuâtre, autre espèce de bleu à trois pieds, qui remplira tous les devoirs du service à trois pieds avec les rares sujets fournis par l'azuré, l'outremer et l'indigo. Le _sommeil_ se présente comme l'_amant bleuâtre_ de la nuit. _Reflet bleuâtre_ est tout naturel, dès qu'on admet _clarté bleuâtre_, _jour bleuâtre_. Le foyer seul suffit à donner une idée du bleuâtre; on y remarque les _bleuâtres vapeurs_, la _langue bleuâtre du gaz_, les _bleuâtres fils du feu_. En suivant la _bleuâtre rampe_, on parviendra au _temple bleuâtre_. Si l'on est dégoûté de l'_haleine bleuâtre des villes_, on respirera un air plus pur sur les _montagnes bleuâtres_; c'est une excellente position pour se rappeler la _veine bleuâtre_, les _veines bleuâtres_, la _bouche bleuâtre_ des vivants, et songer au _teint bleuâtre_ des trépassés. Pour que le bleu ne perde pas tout son éclat, sa propriété originelle, il faut se hâter de le relever avec le contraste de différentes couleurs. Donc _face jaune et bleue des foetus_; _trame blanche et bleue_; _lointains bleus et verts_; _pendu à la peau bleue et verte_; _Mont Gemmi rouge et bleu_; _toits rouges et bleus_; _poussière rouge et bleue_; _braise_ qui _flambe rouge et bleu_; _fleurs d'azur et de vermeil_; enfin couronne de _bleuets_ et _coquelicots_. Certes voilà bien du bleu; le sujet est si fécond qu'il serait facile de trouver encore, si l'on se donnait la peine de chercher. Il est temps de faire la facture de toutes ces livraisons de bleu. Il se trouve que le bleu a servi de pittoresque deux cents fois. Lamartine paraîtra bien modéré, si l'on se donne la peine de compter les touches de bleu que Timon lui reprochait comme une profusion de couleur. V Anne de Boleyn avait un oeil bleu et un oeil noir. On serait tenté de croire que _Maître Bleu_ avait deux yeux bleus. La vérité est qu'il n'avait qu'un oeil bleu; nous allons prouver que son autre oeil était jaune. Cette singularité est une couleur locale de moyen âge, comme on se le représentait après l'avénement de Louis-Philippe. Converti par le succès des _Rayons jaunes_, de _Joseph Delorme_, maintenant si passés, _Maître Bleu_ s'est affublé de la livrée du jaune, comme l'Empereur de la Chine, avec autant de ferveur qu'il s'était voué au bleu. Devenu _Maître Jaune_, il passera tout au jaune aussi bien qu'il a tout passé au bleu et laissera un _Dictionnaire jaune_. Dans les vers adressés aux _yeux bleus de la montagne_, il n'a pas manqué d'enfoncer deux lacs bleus comme des turquoises pour lesquels l'azur du ciel fait de l'harmonie imitative. Il compose une pièce sur les _Taches jaunes_; il est digne de remarque qu'il n'y ait de jaune que le titre dans ces vers. Mais il a tellement usé et même abusé du jaune dans le voisinage, qu'il faut pardonner cette inadvertance. Il enfoncera les _Rayons jaunes_ de _Joseph Delorme_ avec le même succès qu'il a éclipsé le bleu de Lamartine. Ceci fera comprendre pourquoi Victor Hugo, qui a fait un mariage d'amour, qui a été père de filles et garçons, a été amené à adopter après les Franciscains, la couleur accaparée par les classes pauvres chez les anciens Romains; il a la modestie de se réduire au _fauve_, qui jure avec sa prédilection pour les couleurs éclatantes, tous les trésors du jaune ayant été accaparés par ses thuriféraires, Théophile Gautier, qui a dédaigné de se marier, et Sainte-Beuve, si laid qu'il n'a pas pu trouver une fille d'Eve qui voulût lui promettre amour et fidélité, par-devant M. le curé et M. le maire. Au moins _quatorze fois_ il est question d'_or_. Mais à qui cet or? C'est _notre or_. On a occasion de donner _or pour_ or; on paie au _poids de l'or_. On ne confondra avec l'_or faux_ ni le _vieil or_, ni même le _filet d'or pur_. Aussi a-t-on les _prunelles d'or fin de l'étoile polaire_ pour diriger le _gouvernail d'or fin_, et distinguer l'_or des aurores d'été_ et l'_or fauve de soie_ de l'_or du hâle_. On joue avec les _sequins d'or_; on roule sur des _monceaux d'or_; on possède _coffre plein d'or_. En un mot, on dispose de _tout l'or du Pactole_. Si l'on se ruine pour un _bal plein d'or_, on saura exploiter ensuite l'_Inde pleine d'or_, afin d'avoir continuellement ou _coffre d'or_ ou _coffret d'or_ jusqu'au moment où on reposera dans une _urne d'or_, sous une _épitaphe d'or_. Un _microcosme d'or_ à la main pour remplacer l'insuffisance du _binocle d'or_, la vie va devenir une _vision d'or_, une étude de _livres d'or_, sur _fond d'or_; de sorte qu'on ne sera pas tenté d'apostasier dans les _pagodes toutes d'or_, ni de s'enfermer dans les _tourelles d'or_ de palais enchanté. Qu'on saisisse un _long fil d'or_ pour mieux se tenir sur _les ailes d'or des nuages_ et traverser heureusement les _rivages d'or de l'univers des rêves_. Le _rayon d'or qui scintille_ nous conduira, à travers les _étincelles d'or_, aux _rayons d'or du nimbe sidéral_, aux _beaux rayons d'or_, à l'_astre d'or_, à l'_or du soleil_, au _gros ballon d'or du soleil_, en un mot, au _soleil d'or du printemps_. Il a pour cortège des _étoiles d'or_. De loin elles font l'effet de _petites paillettes d'or_. En réalité _ces étoiles d'or_ ont _habits d'or_, _doigt d'or_, _yeux d'or_. Il y a _cent mille astres_ qui se redressent comme _des fleurs d'or_. Un _Ange d'or_ annonce qu'elles sont les créatures du _saint Triangle d'or_. Devant Lui se courbent le _glaive d'or_ de saint Michel, le _bouclier d'or_ de l'Ange gardien, l'_auréole d'or_ de l'Ange de l'Inspiration, l'_auréole d'or_ du Bel Ange de la poésie, tout _ange aux ailes d'or_, tout ce qu'il y a d'_envergure d'or_, d'_ailes d'or_, de _gerbe d'or de l'auréole_, d'_auréole d'or_, de _nimbe à pointes d'or_. Notre-Dame, _damasquinée de l'or des caresses du soir_, invite le prêtre à s'unir au ciel. Il a sous la main _calice d'or_ pour dire la messe, l'_or chevelu des gloires_ pour bénir, _encensoir d'or_ pour parfumer les autels et les fidèles. Sous le _manteau d'or d'amour profond_, l'_or du coeur_, une fois ouvert avec la _clef d'or de l'âme_, priera avec l'esprit du prêtre. Précédé par les _victoires aux longues ailes d'or_, le chevalier s'empresse de s'agenouiller, dès qu'il a quitté son cheval aux _étriers d'or_. On oublie ses _galons d'or_, pour le _bouclier d'or_, la _cuirasse de fer étoilée de clous d'or_, les _armes d'acier bruni étoilé de clous d'or_. Au tour du poète. A lui les _cithares d'or_! La _note_ a des _ailes d'or_ pour transporter dans l'infini tout ce qui sort des poètes _aux rimes d'or_, comme Pétrarque. Ses larmes sont _divines_; elles vont se transformer en _larmes d'or_. Il est temps que le beau sexe dévot quitte le _balcon d'or_ pour incliner et _front d'or_ et _tempe, couleur d'or_. A la vérité, il est défendu d'étaler ici les _chevelures d'or_, les _flots d'or_ du chignon, l'_or des tresses blondes_, le _ruisseau d'or des chevelures blondes_, comme si c'était l'_or des cheveux roux de la Chimère_; à plus forte raison doit-on cacher la _riche gorge d'or_. Comme _Maître Jaune_ n'aime point le _luxe bariolé d'argent et d'or_, il a eu soin de prévenir tous les désirs de la fille qui est une _fleur d'or_, et dont la vertu est une autre _fleur d'or_. Donc à ces _yeux d'or_ et _chaîne de Venise en or_, et _rubans d'or_, et _bracelet d'or_ et même _souliers d'or_. On lui donne jusqu'à des _grosses boules d'or_ pour se faire un chapelet. Toute fête exige un festin. On a pourvu à tout; soit pour la soif, soit pour la faim. Voilà _coupe d'or_; qu'on la remplisse de l'_océan d'or_. Le pain est facile à tirer des _moissons d'or_, du _blé d'or_, de l'_or des blés_, des _blés à flots d'or_, de _l'or des gerbes_ et surtout de l'_océan d'or de la riche moisson de la campagne de Rome_. Des vases à _ventres d'or_ contiennent, pour mettre sur le pain sec, le _fruit d'or_, la _tunique d'or des oranges_, l'_orange_ aux tons _d'or_ et les _pommes d'or de l'arbre de la science_. Permis après d'aller se promener sur le _sable d'or_ des jardins ou sur la _grève au sable d'or_; partout on glissera sur la _poudre d'or_. L'or ne manque pas au cadre d'or. Si on chérit les animaux, voici _lion d'or_ et _béliers aux pieds d'or_. Tout là-haut, là-haut plane l'_aigle d'or_; plus près bourdonne l'_abeille d'or_, suivie d'un essaim d'_abeilles d'or_. Attention à la _jupe d'or de la salamandre_! Où va la _demoiselle aux prunelles d'or_, la _demoiselle aux minces corsets d'or_, la _demoiselle, tourbillon d'or, de gaze et d'azur_? C'est vers la _fleur d'or_, pour se désaltérer dans les _coupes d'or des fleurs_. Elle vole de l'_or de la tulipe_ à la _tulipe d'or_, de l'_or des marguerites_ à la _marguerite au coeur étoilé d'or_. Si elle remarque quelque _bouton d'or_, elle préfère le _gai bouton d'or_ aux boutons d'or sans épithète. Qui peut le plus peut le moins. Or, il n'y a rien de plus malléable ni de plus ductile que l'or. Que n'a-t-on point fait avec un long fil d'or? Grâce à un _filet doré_, nous allons descendre dans les _rêves dorés_. L'or pur, l'or simple et massif, l'or solipède doit céder le tour à l'or devenu verbe, au doré moins précieux que l'or à pied de grue, comme le bleu substantif, mais plus utile puisqu'il est bipède et met ses deux pieds au service de l'hiatus, de la césure et de la rime, avec le même courage que l'azur. On a reproché à la vieille école poétique l'abus des lambris dorés dans ses descriptions. Pour se ménager des amis parmi les classiques _Maître Jaune_ ne se donne la peine qu'une seule fois de fabriquer des _lambris dorés_, afin d'en conserver le souvenir. Si l'on passe la _grille dorée_, qu'on soulève la _portière dorée_ sans abîmer les _glands dorés_. Derrière les _murs dorés_ se dressent, comme dans une exposition universelle, _Alhambra doré_, _colosse doré_, _minarets dorés_, _lit doré_, _tilburys dorés_, _bûchers dorés_ auxquels répondent et _urne dorée_ et _cercueils dorés_: tout cela est éclairé par des _vitraux dorés_. Il y a encore la _dorure de la croix_. N'eût-il pas été plus convenable de donner une croix d'or plus tôt, le jour où l'on exposait calice d'or, encensoir d'or, gloires d'or? En rognant un peu les tourelles d'or, on aurait pu couler une croix d'or assez lourde pour n'importe quel porte-croix. L'_été dorera le blé vert_; le temps venu, _blés dorés_; mais les blés d'or ne les éclipseront-ils pas sur la place? Les _papillons dorés_ oseront-ils voltiger sur les fleurs d'or avec la même audace que l'abeille d'or et le tourbillon d'or de la demoiselle? _Front doré_, _tresse dorée_, _col blond et doré_ ne seront-ils pas jaloux de tant de chevelures d'or, de tempes d'or? Pourquoi l'_astre aux rayons dorés_? Ces rayons dorés sont-ils destinés à faire mieux ressortir ses rayons d'or, comme les pierreries fausses qu'on entremêle aux vraies? Qui distinguera l'_étoile dorée_ dans un ciel de cent mille astres d'or? Pourquoi l'_aile blanche et dorée de l'ange_ au milieu de tant d'ailes d'or des anges? Il est évident que le doré n'est étendu le plus souvent que comme synonyme d'or, et qu'on le préfère à l'or, parce qu'il a un pied de plus. Il y aurait de la mauvaise foi à chicaner sur les procédés de dorure. Qui accepte l'or du hâle doit passer le _doré d'une couche de hâle_. Pour l'amour de l'art il faut tolérer, sinon admirer le rayon _d'en haut qui dore un taudis_, le _marbre grec doré par l'ambre italien_, un _beau reflet ambré_ qui _dore le front du jour_, le _rayon de soleil_ qui _dore de reflets éclatants des cheveux follets_. Mais qu'on blâme comme mauvais effet ces _Anges_ qui, du _reflet de leurs ailes dorent les ombres solennelles des murs noirs de Notre-Dame_. De pareils reflets auraient tenu lieu des _taches jaunes_ qui n'ont point répondu à l'appel de ce titre de pièce pour lutter avec les seize nuances de _jaune_ des fameux _rayons jaunes_, de Joseph Delorme. Il est vrai que le jaune est encore employé fréquemment pour synonyme de doré, d'or, comme _jaune rayon_, _jaune étincelle_, et surtout les _nimbes jaunes des longs anges blancs_. A titre de bipède, le jaune est de la même famille que le doré, mais il a sur le doré l'avantage de pouvoir faire le pied de grue et de ne compter que pour un pied, toutes les fois qu'il doit retirer un pied devant la bouche de l'élision. Il ne faut pas être difficile sur l'_immensité jaune_. Qu'en dirait le _Fleuve jaune_? De _vitres jaunes_ peut-il sortir autre chose que _jaune lumière_, _vernis jaune_? Que l'on mette _chapeaux jaunes_, _sandales de cuir jaune_ pour observer le _teint jaune_, _le crâne jaune_, la _face jaune et bleue des foetus_, le _ventre jaune de la sorcière_, les _vieillards_ au _cuir jaune et rugueux_, tout _corps plus jaune qu'un mort_. Sinon qu'on aille se promener sur la _mousse jaune_, et qu'on réserve le _chaume jaune_ aux _moissons jaunes_. S'il reste encore une minute, que ce soit pour les _blancs et jaunes nénuphars_. On est sobre de jaune, parce qu'il déteint avec le temps comme le bleu, et qu'il ne gagne pas à vieillir. Il n'y a guère de bon que le _vin jauni de vieillesse_. _Plafond jauni_ et _carreaux jaunis_ n'ont pas plus de valeur que _portraits jaunis_, _marge jaunie des bouquins_. Il y a plus laid que tout ce jauni, ce sont: _lèvres jaunies des courtisanes de bas lieu_, _front jauni de fiel_, _face jaunie_, _tête de mort jaunie_, _os jaunis_, _ossements jaunis_. Voilà l'effet inévitable du temps impitoyable. L'_automne_ ne _jaunit-il_ pas _le bois_, si beau, quand il est tout verdoyant comme l'émeraude? Les _roses de l'aurore_ ne _jaunissent_-elles pas en quelques instants pour disparaître sans retour? On tient tellement au jaune vif et au jaune pâle qu'on dédaigne de recourir en faveur du jaune aux seize nuances que la manufacture des Gobelins donne à chaque couleur. On n'emprunte qu'une variété à la profusion de la Flore; on en fait un _ciel de safran_. On craint d'arracher plus de deux fruits à l'abondance de l'horticulture. Le _citron_ n'est guère offert plus de _deux fois_, soit au singulier, soit au pluriel. On ménage les _orangers frileux_; une fois l'_orange_ tient lieu de _lest_ à la barcarolle; dans _deux cas_ il colorie le _teint_ et la _peau_. Pourquoi? on a découvert un _sable plus jaune que l'orange_. On finit par unir le citron et l'orange; il en résulte _un ciel vert à tons de citron et d'orange_. On se fait un point de conscience de ne tirer que de l'_ambre_ de toutes les mines de la nature. L'_odeur d'ambre_, le _parfum d'ambre_ mène sur la piste des _pastilles d'ambre_, au _jaune reflet d'ambre_, et conduit enfin au _boudoir ambré_: là _cassolette ambrée_, _atmosphère ambrée_ qui viendront augmenter les _parfums ambrés du printemps_. La mélancolie, qui est la Vénusette des romantiques, regrette le jaune du souci. Mais Joseph Delorme avait si bien déraciné le jaune souci, que cette fleur est comme perdue. Il en est autrement du blé de Turquie, du maïs dont les grains, les cheveux et les robes auraient pu remplacer le safran, le citron et l'orange. Cet oubli est inconcevable chez un _Maître Jaune_, qui fut le premier à porter le costume arabe dans les bals masqués et travestis du docteur Belliol où l'on vit tous les artistes et les écrivains de l'époque entrer, l'un après l'autre, avec toute la variété des livrées dépeintes dans les chapitres de _Notre-Dame de Paris_. Stendhal a intitulé, on ne sait pourquoi, l'un de ses romans: _Rouge et Noir_. On ferait bien d'appeler maintenant les poésies de Gautier l'_OEuvre jaune et bleue_. Il est certain que c'est un écrivain mi-partie jaune et bleue, suivant les _us_ et coutumes du moyen âge. Le bleu annonce qu'il a dû aimer. Il est de la nature du jaune de tout éclipser; il est aussi de fâcheux augure en amour. Pour savoir si le _Maître Jaune_ sera aimé autant qu'aime _Maître Bleu_, qu'on joue à pile ou face. La face du bleu représente: Deux cents. Que lit-on sur la pile où sont notés tous les exemples de jaune? Hélas! Deux cent vingt-quatre. On demandera à la marguerite si le jaune n'a pas menti. VI La stérile abondance de tous ces coups de pinceau bleus et jaunes ne démontrera que l'inanité du fond. Peintre manqué, Gautier s'est fait poète. Il fait des vers parce qu'il a lu des vers, et il imite les vers qu'il a lus, en se servant du vocabulaire à la mode. Il est aussi incapable d'enthousiasme que de fiel. Toujours monotone, il est aussi médiocre que possible. Au moment où l'on croit que le badaud va s'élever à l'art, on est tout surpris de tomber dans la niaiserie. Il ne bourdonne pas plus fort et ne s'élève pas plus haut que le hanneton; avec un dictionnaire de poche, le gamin est assez éclairé pour l'écraser sous le ridicule. Si l'on veut savoir son idéal, il répond naïvement dans son _Ambition_: Etre Shakspeare, être Dante, être Dieu! Comme c'est impossible, il faut bien qu'il cherche. Dans un moment d'ennui, il dira: Ici-bas être heureux, c'est oublier. Il a le bon goût de ne pas se désespérer. Aussi parvient-il à trouver le bonheur: Car le bonheur est fait de trois choses sur terre, Qui sont:--Un beau soleil, une femme, un cheval. Il ne veut pas de gêne dans le plaisir. Dans la _Débauche_, il exècre les gens qui gardent les convenances sociales dans l'immoralité de la vie privée: J'aime trente fois mieux une débauche franche. Dans le _Triomphe de Pétrarque_, il explique pourquoi il s'est dispensé de tout: Rêveur harmonieux, tu fais bien de chanter: Car c'est le _seul devoir_ que Dieu donne aux poètes, Et le monde à _genoux_ les devrait écouter. Pourquoi pas? Il montre à Jean Duseigneur La tête homérique et napoléonienne De notre roi Victor. Tout est grêle et mesquin dans cette époque étroite Où Victor Hugo, seul, porte sa tête droite Et _crève les plafonds_ de son crâne géant. Victor Hugo revient sur la scène, mais cette fois c'est Hugo et compagnie: De nos auteurs chéris, Victor et Sainte-Beuve, Aigles audacieux, qui d'une route neuve Et d'obstacles semée, ont tenté les hasards. Voilà la République des lettres proclamée; elle a Victor Hugo pour président, et Sainte-Beuve pour vice-président. Hugo ne devra pas être jaloux, car Sainte-Beuve s'incline devant l'_essor souverain_, le _vol sublime_ de ce _noble ami_ et dit humblement: L'Aigle saint n'est pour moi qu'un vautour qui me ronge Sans m'emporter au ciel. Gautier se hâte d'exposer le tableau de la situation: Le siècle où nous sommes Est mauvais pour nous tous, oseurs et jeunes hommes. Il se vante d'être hardi. Aussi emploiera-t-il un verbe et un substantif qu'on avait dédaignés depuis certaine ode qui fut si fatale à Piron. Un siècle plus tôt, il aurait été voltairien; le temps de l'incrédulité commence à passer. Pour être remarqué, il faut donc donner une chiquenaude à la décrépitude des derniers disciples de Voltaire, de Rousseau, de Diderot. L'on ne croit plus à rien. Quel est le résultat de l'impiété? La passion est morte avec la foi. Donc il est de l'intérêt du talent de revenir à la première des vérités: L'esprit est immortel, on ne peut le nier. Ceci admis, _l'âme, hôte des cieux_, jouit des plus consolantes pensées: La jeune fille!--elle est un souvenir des cieux. L'espoir aussi trouve son compte: O mon amour la plus tendre! De ce ciel où je te crois. Il est fâcheux que le charme de cette vision soit détruit par le tableau d'un _plaisir_ à _briser les forces_, et finisse comme le temple de la prostitution: Mon petit lit rouge à colonnes torses Ce soir-là se change en bleu paradis. Pour se représenter le séjour des Élus comme l'ignoble paradis de Mahomet, qui n'est qu'un sérail, il ne faut pas avoir une conviction bien profonde ni une foi bien éclairée. J'ai les talons usés de battre cette route Qui ramène toujours de la science au doute. Cette science se réduit probablement à la lecture de _Faust_. On fera à Goëthe ce sacrifice: A présent jeune encore, mais certain que notre âme, Inexplicable essence, insaisissable flamme, Une fois exhalée, en nous tout est néant. Plus tard on reviendra à l'espoir du néant: Le néant vous appelle et l'oubli vous réclame. Quand il vous faut mourir, pourquoi vouloir vivre, Vous qui ne croyez pas et n'avez pas d'espoir? Dans l'immobilité savourer lentement, Comme un philtre endormeur, l'anéantissement: Voilà quel est mon voeu. On n'est pas aussi _certain_ qu'on s'en vante, devant ce néant. Aussi on aspire à un néant qui n'est qu'une fontaine de Jouvence: Je veux dans le néant renouveler mon être. Ce néant est peut-être une découpure de paradis. Il a pour pendant un néant, qui est une miniature d'enfer: Mais vous, vous tomberez, sans que l'onde s'émeuve Dans ce gouffre sans fond où _le remords nous suit_. Ces deux contrastes de néant sont occasionnés par le jugement dernier qu'il convient de conserver comme excellent sujet de tableau pour la poésie aussi bien que pour la peinture, puisque le pinceau de Michel-Ange attend un rival de plume, une Épopée de l'Apocalypse. En dépit du doute de la science et de la certitude du néant, on ne se permet que les exclamations de cette âme naturellement chrétienne dont parle Tertullien. On dit une fois: _O Dieu!_ On répète cinq fois: _Mon Dieu!_ Deux fois on s'écrie: _O mon Dieu!_ Il est vrai qu'on prie _mon Dieu_, une fois pour lui faire admirer un tableau d'amour. A la _tombée du jour_, on adorera Dieu: Je n'y compris qu'un seul mot: c'était Dieu, Dans _Albertus_, on récitera son symbole: Dieu seul est le grand maître. Comme preuve de l'existence de Dieu, on dira _à un jeune tribun_: Qui douterait de Dieu devant de belles femmes? L'argument est sans réplique pour les voluptueux. Mais les impuissants et les refusés ont une excuse d'incrédulité, dans le sixième sonnet: Et comment croire en Dieu, quand on n'est pas aimé? Les femmes sont si peu difficiles, si peu cruelles, qu'on conçoit avec peine comment on s'y prend pour ne point se faire aimer d'elles. Elles se lasseront vite de vers ennuyeux; mais on arrivera infailliblement à leur plaire, si on les laisse dire tout ce qu'elles veulent. Quand un homme de talent a un grand fond d'amour à dépenser, et qu'il ne trouve pas de femme qui veuille bien puiser dans ce trésor, il n'a qu'à suivre l'exemple de saint Augustin, qui devint si grand, depuis qu'il se résigna à l'abandon de la maîtresse dont il avait eu un enfant. Homme du monde, M. de Ravignan voulait se marier; ses voeux furent rejetés; sa carrière religieuse le consola vite de cet échec. Henri Lacordaire ne fut amoureux qu'une fois; c'était pour le bon motif; timide et gauche comme les gens qui n'ont pas connu les femmes, ce qu'il n'osait pas dire, il l'écrivait, mais il attachait ses lettres avec une épingle tantôt au schall, tantôt à la robe de la bien-aimée: elle se fâcha et dit nettement à sa mère qu'elle se jetterait dans un couvent, si l'on ne la débarrassait pas d'un prétendant si bête. Le dédaigné en conserva toujours de la rancune contre les femmes; il affectait de se moquer de leurs larmes et de leurs chagrins. Il fut tout étonné de se surprendre à pleurer la mort d'une matrone pour qui il eut autant d'amitié que de vénération; ce fut pour lui comme une nymphe Égérie; d'un mot, _prenez garde_, elle le ramenait à l'ordre dans les questions politiques. Le père Lacordaire a trouvé dans la chaire évangélique des jouissances intellectuelles qui valent bien le plaisir éphémère d'un mariage qui aurait été malheureux. M. de Lamartine avait une passion sérieuse pour une jeune, jolie et riche voisine; sa réputation d'homme prodigue lui attira un refus; recherché à son tour par une jeune fille qui ne se lassait point de le suivre dans la compagnie de sa mère, il restait froid, mais il n'hésita point à accepter le joug du mariage, quand on lui offrit en perspective une dot de 1,800,000 francs. Aucun poète n'a jamais exercé autant d'influence sur le coeur des femmes; à la Chambre des Députés, toutes demandaient à le voir; dès qu'elles l'apercevaient, elles poussaient un soupir; après, elles se faisaient montrer Berrier; cette figure ne leur disant rien du tout, elles reportaient incontinent leurs regards sur Lamartine et ne cessaient point de le contempler. Il est impossible de calculer combien il y a eu de femmes du monde qui sont allées chez lui pour se mettre à sa disposition. Les Messalines couraient chez Alexandre Dumas: on cite un jour où il en vint jusqu'à quatre, l'une après l'autre, de sorte que la servante eut des inquiétudes sur la santé de son maître. L'ambition tourna la tête à bien des femmes vers Gambetta; quand il était à Tours, il reçut en moyenne quatre demandes en mariage par jour; chaque lettre garantissait la vertu, la beauté et la fortune des soupirantes. Après cette digression qu'on dédie à tous les refusés, hâtons-nous de revenir à Gautier. En vérité, exiger qu'une femme se donne au premier venu pour croire en Dieu, c'est faire de la foi une affaire de prostitution. On est sur le chemin de la niaiserie; on continue de le suivre. Que dit l'_Ambition_? Être Shakspeare, être Dante, être Dieu! Du moment qu'on s'est mis cette idée dans la tête, il n'est pas surprenant que l'oeuvre de l'homme puisse devenir Dieu, comme la statue de Pygmalion s'anima et se changea en femme. De là cette conséquence: Peinture, la rivale et l'égale de Dieu. Il y a peinture et peinture. On ne distingue rien, parce qu'on veut plaire aux artistes passés, présents et futurs, à Courbet aussi bien qu'à Raphaël qu'on révère comme un homme au-dessus de l'homme. On s'est fait de Dieu un bon compagnon d'atelier. Un jour qu'on aura beaucoup de modèles, les rapins s'amuseront à contrarier le rival et l'égal de leur pinceau, car il lui faudra entendre cette _déclaration_: C'est un amour sans mélange, Pur à rendre Dieu jaloux. Si la jalousie n'a pas fait fuir le Dieu, voici ce qu'_Albertus_ va lui apprendre: Poignante volupté,--plaisir qui fait peut-être L'homme l'égal de Dieu. Sur ce terrain, Sénèque fait honte à l'homme, en comparant sa faiblesse à la vigueur du bouc que Buffon montre capable de satisfaire l'ardeur de cent cinquante chèvres. Si l'homme est seulement peut-être le rival de Dieu, le bouc sera certainement l'égal de Dieu. Or, comme le poisson est plus fécond que le bouc, il faudra lui concéder d'être supérieur à Dieu. On a calculé qu'une paire de harengs dont les oeufs ne se perdraient pas, suffirait pour peupler tout ce qu'il y a d'eau dans le globe, en moins de dix ans. Ainsi, de conséquence en conséquence dans cette question de génération, la logique amènera invinciblement tout lecteur impartial à tirer cette conclusion: Le Dieu de ce Gautier ne vaut pas un hareng. VII Gautier ne recule pas dans sa mosaïque de mots. Considérant, son _âme, ange elle-même_, il convoite _une âme_ Capable d'aimer comme aimerait un ange. Il développe sa pensée sur le plaisir: Poignante volupté,--plaisir qui fait peut-être L'homme l'égal de Dieu! qui ne veut vous connaître S'il ne vous a connus, moments délicieux, Et si longs et si courts qui valent une vie, Et que voudrait payer l'ange qui les envie De son éternité de bonheur dans les cieux? Il laisse les démons, les mauvais anges assez tranquilles. Toutefois il pense à l'_ange déchu_, à l'_ange, exilé des cieux_. Il aime l'_ange gardien_ comme _compagnon fidèle_, maintes fois il se réclame de _son ange gardien_. La classe des anges une fois reconnue, il s'élève jusqu'aux séraphins, distingue les _chérubins en légions merveilles_, ne prend point l'archange saint Michel pour l'ange Ituriel, et sépare les chérubins d'avec les anges. Il connaît si bien les anges du ciel qu'il peut en faire un dénombrement aussi authentique que celui des douze tribus d'Israël, laissé par Moïse. Il cultive l'ange de la mort, l'ange de minuit, l'ange de la douleur, l'ange des douleurs, l'ange des jugements, l'ange du souvenir, l'ange de la poésie et surtout l'ange de l'inspiration. Suivant leur rang, il prodigue les ailes d'or, les ailes jaunes, les ailes d'azur, les ailes roses, les ailes blanches. S'imaginant l'_ange amoureux_, il regarde la _fille comme un ange d'amour_, appelle la _jeune fille_ un _jeune ange_ et dit _cher ange_ pour chère fille. Le mot lui sert de paravent à l'adultère ou à la fornication pour cette _Fatuité_: J'aime, et parfois un ange avec un corps de femme Le soir descend du ciel pour dormir sur mon coeur. Même quand le plaisir n'a pas été complet et que l'amour ne peut inspirer qu'une _Élégie_, c'est un ange qui figure. A plus forte raison ce sera un ange qui, dans un _sonnet_, fera des colonnes torses du petit lit rouge d'un taudis un _paradis bleu_: Un ange chez moi parfois vient le soir Dans un domino d'Hilcampt ou Palmire, Robe en moire antique avec cachemire, Voilette et chapeau faisant masque noir. Ses ailes ainsi, nul ne peut les voir, Ni ses yeux d'azur où le ciel se mire; Son joli menton que l'artiste admire, Un bouquet le cache ou bien le mouchoir. Nous fumons tous deux en prenant le thé. Tout le choeur des anges finit par passer à l'Opéra. Ce sera leur nuit du fameux 4 août de la première Assemblée constituante. Autant de filles, autant d'anges à marchander et à acheter au poids de l'or. Elles restent des anges après comme avant ce trafic; les hommes seuls sont des démons de corruption. Sur ce sujet, Gautier reste le premier. Ainsi dès 1823, Alfred de Vigny avait pris le mot hébreu _Eloa_ qui signifie _Dieu_, pour faire dans un _mystère_, _Eloa ou la soeur des anges_, un Dieu des deux sexes, un Dieu hermaphrodite pour quiconque s'en tient au genre du dictionnaire. Reniant sa gloire de poète catholique, Lamartine se rapprocha de la nouvelle école sacrilège et lui offrit en 1838, la _Chute d'un ange_; plus tard il proclama Charlotte Corday l'_ange de l'assassinat_. On raconte que M. de Lamartine réunit un jour tous les membres de sa famille pour leur offrir un banquet; il resta triste et taciturne pendant toute la durée du repas; on crut que le dessert lui donnerait de la gaieté. On lui demanda donc la raison d'un silence si prolongé. Alors il déplia une serviette et en retira un livre; puis il dit en pleurant: «Mon fils Alphonse était l'orgueil de la famille; il vient de la déshonorer.» Il jeta le livre au feu; ce livre c'était la _Chute d'un ange_. Le poète resta si confondu qu'il ne fit plus de poème du même genre. Les saints ne sont pas plus épargnés que les anges, comme l'annonce _Albertus_. Un ange, un saint du ciel, pour être à cette place Eussent vendu leur stalle au paradis de Dieu. _Albertus_ se ravise, et dans la crainte que les saints ne soient considérés comme d'une nature plus parfaite que les anges, il ajoute bientôt: La dame était si belle Qu'un saint du paradis se fût damné pour elle. Voici donc la Toussaint. Le _saint amour des choses éternelles_ engendre la _sainte poésie_ de laquelle découlent l'_hymne saint des poètes_, _extase sainte_, _saint transport_, _saintes larmes_, _saintes funérailles_ de Napoléon, et surtout _nudité sainte_ des vers cyniques. _La sage liberté_ survient, comme _Fille du saint Devoir_ auquel s'associe le _saint Travail_ des _Jeunes Détenus_. La _sainteté de l'Art_, dirigée par la _sainte beauté_ fera avec une _sainte langueur_, des _plus saintes ruines_ une _peinture sainte comme les autels_. On pourra y montrer _à un jeune Tribun_ Les _Antiques Vénus_, aux gracieuses poses, Que l'on voit étalant leur _sainte nudité_. Toute cette sanctification est probablement l'effet des _flots saints du baptême_. On finit par mettre sur les autels Les saints désespérés et reniant leur Dieu. Grâce au _profil divin du verre_, coulé par la _divine nourrice_ de solitude pour recéler l'_onction divine_, composée avec le _divin baume_ d'un _divin parterre_ d'_odeur divine_, de _divines senteurs des fleurs_, un _coeur plein d'extase divine_ de concert avec une _âme_ débordant des _plus divins parfums_ peut, comme un _oiseau divin_, s'élever jusqu'aux _choses divines_ dans ses _transports divins_, dans les _beaux élans divins de la passion_ et, par l'effet d'un _vertige divin_ contempler face à face les _exemples divins_, donner un _baiser divin_ avec un _sentiment divin_ à la _forme divine de l'Art_. Un _rayon divin_ ou un _divin rayon_ guide vers le _pinceau divin_ qui a créé les _divins appas_, les _attraits divins_ de la _gorge divine_, des _divins genoux_, de la _jambe divine_, de l'_oreille divine_, du _divin contour_. Les _palmes divines de la poésie_ attendent les _poètes divins_ dont la _plume divine_ fera _oeuvre divine_, _chant divin_ du _langage divin_; on leur passera de _divines larmes_. Il n'y a point d'acception de personnes. Il faut que tout passe au divin, les gentils comme les juifs, la _divine courtisane_ de Madeleine aussi bien que ces _hôtes divins_ d'Eschyle, d'Euripide, et de Sophocle. Soit imitation de Gautier, soit instinct d'hugolâtre, M. Théodore de Banville a fait de _la divine courtisane_ une poseuse de son _douzain de Parisiennes_, de _Parisiennes de Paris_ dans ses _Esquisses parisiennes_ avec aussi peu de scrupule qu'il consacre une _Ballade à la sainte Vierge_ pour finir un volume de _Trente-six Ballades joyeuses_. Un homme qui a eu l'ambition d'_Être Dieu_, et qui a passé sa vie d'artiste à faire de tout, des saints, des anges et des dieux, ne devait pas être méchant. Il eut sans doute un coeur, digne d'un légataire universel des épouses et concubines de Salomon. Il est opportun d'ausculter ce coeur et de compter ses palpitations. VIII Or, ce sera Dieu même qu'il prendra pour témoin de son amour, à la fin de l'unique _Elégie_ des _Poésies diverses_ de 1833-1838. Aimer! ce mot-là seul contient toute la vie. Près de l'amour que sont les choses qu'on envie? Trésors, sceptres, lauriers, qu'est tout cela, _mon Dieu_! Comme la gloire est creuse et vous contente peu! L'amour seul peut combler les profondeurs de l'âme, Et toute ambition meurt aux bras d'une femme. On croirait cet amour éternel; mais il est trop violent pour durer longtemps. Aussi ne veut-on passer avec lui qu'un bail de trois ou six ou neuf années, ainsi qu'il est stipulé dans cette _Elégie quatrième_; Puis un amour âgé de trois ans importune; C'est presque un mariage; un jour avec l'ennui Vient la réflexion; l'amour s'en va... L'expérience apprend que l'amour est frileux et émigre avec les oiseaux de passage. _La Dernière Feuille_ le constate, en 1837: L'oiseau s'en va, la feuille tombe, L'amour s'éteint, car c'est l'hiver. Hé bien! bon voyage à ce petit Monsieur Dumollet, car ce sera autant de gagné sur le chauffage, l'éclairage et autres menus frais d'entretien. Il faut se hâter de résilier le bail de trois ou six ou neuf années, déménager le grand appartement et se contenter d'un petit logement pour un terme ou deux, de chacun trois mois. Une location de six mois suffit pour la saison d'été. L'amour ne veut rien de plus. _Albertus_ l'avoue: Les hommes Sont ainsi;--leur toujours ne passe pas six mois.-- Pour peu qu'on continue la soustraction, on devra vendre ses meubles, et vagabonder dans les hôtels ou auberges où on loge à la nuit. Excellente précaution de prudence, car _la tête de mort_ chuchote: L'amour, passion creuse et vaine. Aussi _Albertus_ parle ainsi, dès 1831. Et je n'aime à présent que ma mère. Tout autre amour en moi s'est tu. L'unique _Elégie_ des _Poésies_, de 1833-1838, répètera: Chimère D'aimer une autre femme que sa mère. Avant de magnifier ainsi la mère, Gautier avait un père, mais il ne parle point de ce père. Un jour il quitta la société de quelques amis pour aller donner un coup de pied à un homme qui était près d'eux; quand il revint, l'un des causeurs lui dit: «Vous ne vous gênez guère avec ce Monsieur»--Il répondit: «Mais c'est mon père.» Pour un poète qui se croyait un déclassé de l'Orient, cette reconnaissance de la paternité choqua tout le monde. Il avait aussi des soeurs; il les oublie. Il y a encore un garçon et deux filles qui portent son nom et méritent plus qu'un amour de six mois. Pourquoi n'a-t-il pas sacrifié à la mère de son fils et à la mère de ses deux filles trois vers qui sont un outrage à la famille? Comment la succession ne renonce-t-elle pas à cet héritage de quelques mots? Reste à savoir si la misanthropie de ce testament d'amour s'accorde avec le contexte des _Poésies complètes_. Gautier nous a mis à la main tant de marguerites qu'il sera facile de recommencer l'épreuve maintes fois pour bien s'assurer qu'il était décidément voué au jaune, comme Panurge. Dès l'_Elégie deuxième_, mauvais pronostic: Elle était tout pour moi qui ne suis rien pour elle. Dans _Albertus_, on s'arrête en route pour se plaindre: En ce temps-là j'aimais et maintenant j'arrange Mes beaux amours en méchants vers. En 1834, on se cache dans le _Trou du serpent_; c'est pour y murmurer: Je n'aime rien, parce que rien ne m'aime. Mon âme usée abandonne mon corps; Je porte en moi le tombeau de moi-même, Et suis plus mort que ne sont bien des morts. Toujours délaissé, on se plonge dans la _Tristesse_: Moi, je n'aime plus rien, Ni l'homme, ni la femme, Ni mon corps, ni mon âme Pas même mon vieux chien. Hélas! j'ai dans le coeur une tristesse affreuse. Les _Poésies diverses_, de 1833-1838, nous enlèvent sur _le sommet de la Tour_; si on prête l'oreille à la cheminée de telle dernière pièce, on entendra: Depuis longtemps, pauvre et rude manoeuvre, Insensible à la joie, à la vie, à l'amour. _La Comédie de la mort_ nous conduit en 1838. Même complainte: Je ne suis plus, hélas! que l'ombre de moi-même, Que la tombe vivante où gît tout ce que j'aime Et je me survis seul. Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse, Je ne puis rien aimer. Le changement de climat le consolera-t-il des déceptions d'une ingrate patrie? Hélas! le soleil d'Espagne n'a pas de rayons de chaleur assez forts pour ranimer notre tourtereau transi qui roucoule _In deserto_: Les pitons des sierras, les dunes du désert, Où ne pousse jamais un seul brin d'herbe vert; Les monts aux flancs zébrés de tuf, d'ocre et de marne, Et que l'éboulement de jour en jour décharne, Le grès plein de micas papillotant aux yeux, Le sable sans profit buvant les pleurs des cieux, Le rocher refrogné dans sa barbe de ronce, L'ardente solfatare avec la pierre-ponce, Sont moins secs et moins morts aux végétations, Que le roc de mon coeur ne l'est aux passions. N'importe à quel âge on le suive, on est forcé de regarder comme la clef de son _Dépit Amoureux_ ces vers de la _Thébaïde_: J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée; Puis sur l'autre plateau deux grains de vermillon Impalpable, qui teint l'aile du papillon, Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance. IX Ainsi son amour n'est qu'un _Dieu_ rimant bien avec _peu_. Cette disette de conquêtes est expliquée par la nature du caractère qui ne sait pas dévorer l'ennui et prend les béquilles et la perruque du vieillard pour mieux se donner l'air du _Malade Imaginaire_. Gautier commit la maladresse de se faire et de rester le disciple, le fils unique de Joseph Delorme que le beau sexe eut le bon goût de fuir comme un porc-épic, à cause de ce triple dégoût d'ennui mortel, de maladies imaginaires et de vieillesse prématurée, fort inutile à une laideur assez complète pour n'avoir pas besoin d'autre repoussoir. La _Préface_ des _Premières Poésies_, de 1830-1832, commence par ces mots: «L'auteur du présent livre est un jeune homme frileux et maladif.» La première pièce est une _Méditation_, calquée sur le début de Joseph Delorme: Virginité du coeur, hélas! sitôt ravie! Songes riants, projets de bonheur et d'amour, Fraîches illusions du matin de la vie, Pourquoi ne pas durer jusqu'à la fin du jour? Le _sonnet deuxième_ est encore plus invraisemblable: Moi, mes traits soucieux sont couverts de pâleur; Car, dès mes premiers ans souffrant et solitaire, Dans mon coeur je nourris une pensée austère, Et mon front avant l'âge a perdu cette fleur Qui s'entr'ouvre vermeille, au printemps de la vie, Et qui ne revient plus alors qu'elle est ravie! _Le Trou du serpent_, de 1834, ne fait que jeter deux ans de poudre sur cette perruque de vieillard: Devant ma vie, aux trois quarts dépensée, Déjà vieillard et n'ayant pas vécu. _La Comédie de la mort_, de 1838, nous amène à la fosse que la perspective d'une mort prématurée s'est creusée avec l'empressement du Trappiste: Mes vers sont les tombeaux tout bordés de sculptures; Ils cachent un cadavre. Le fossoyeur ne saurait craindre le danger d'un enterrement prématuré. Il y a longtemps que la _Thébaïde_ a donné tous les symptômes de la putréfaction: Je ne vis plus: je suis une lampe sans flamme, Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme. Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé Que ces vieux mendiants que jusques à la porte Le chien de la maison en grommelant escorte. Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît, Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait Le buffle à qui l'on vient de percer la narine. De tous les sentiments, croulés dans la ruine Du temple de mon âme, il ne reste debout Que deux piliers d'airain: la haine et le dégoût. Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée; Ma tête de cheveux n'est pas découronnée; A peine vingt épis sont tombés du faisceau. Rien ne manque au procès-verbal du décès. On a composé jusqu'à l'épitaphe: Ainsi me voilà donc sans foi ni passion, Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre, Et dès le premier mot sachant la fin du livre. On se hâte d'ajouter, afin que l'oraison funèbre ne vienne point importuner le néant de cette fosse: Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui: Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui; Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires, Plutôt que les enfants, les estime les pères. Ils sont venus au monde avec des cheveux gris; Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes, Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul, Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul, Le moins accompagné sur la route du monde, Hélas! c'est le jeune homme à tête brune ou blonde, Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé. On a tout accompli dans les règles. On a eu soin préalablement de faire une retraite dans les _ténèbres_. On lègue âme et corps à l'_oubli_, au _néant_, mais à un _néant_ qui éternise _les remords_. On commande un convoi muet, comme ceux des athées, c'est l'enterrement civil que Sainte-Beuve a désiré de bonne heure et qu'il a spécifié dans tous ses testaments; c'est l'enterrement civil que recommande Dargaud pour faire contraste avec sa traduction de Job et du Psautier et ses liaisons avec Lamartine. On établit exécuteurs testamentaires le Destin et la Nécessité pour trancher toutes les difficultés auxquelles donneront lieu les innombrables contradictions de cet enfant de Mère Nature. Ils s'arrangeront à l'amiable; ils ont plein pouvoir. En s'associant avec les _saints désespérés_, ils interviendront pour les _morts_ qui _seront bannis de la terre et des cieux_, prendront à partie l'_Ange_ qui _dit à la terre un éternel adieu_ au moment où elle va être consumée pour toujours. Ils devront pousser _l'Archange à la bouche ronde_, afin qu'il ne perde pas une minute à sonner le _clairon du jugement dernier_ qu'on attend avec impatience, à la fin de la _Thébaïde_, comme un beau tableau qui vaudra mieux que la fresque de la _Chapelle Sixtine_ au Vatican. X L'annonce d'un convoi d'athée aurait seule suffi pour être méprisé et exécré des femmes, puisque ce gouffre leur enlève le Toujours. Elles admettent difficilement le matérialisme et sa dernière conséquence du néant; elles croient si bien à l'immortalité que beaucoup se demandent pourquoi il n'y a point de paradis pour les chiens, les chats, les oiseaux et les bêtes dont elles sont folles. Elles se font un culte des tombeaux. Il faut les connaître bien peu pour ne pas s'apercevoir combien elles se plaisent dans l'ostentation des larmes. Habituellement elles ne se trouvent pas mal; toutefois, elles s'imaginent qu'elles sont mieux, qu'elles deviennent parfaites, quand elles pleurent beaucoup. Elles aiment à aimer toujours; elles aiment autant à pleurer toujours, à paraître des fontaines de larmes. Est-ce que le néant pourrait leur rendre leurs larmes? Puis, les femmes n'ont-elles pas assez d'ennuis personnels, sans avoir besoin qu'on leur dédie la théorie de la pratique de l'ennui? Puis encore, les femmes n'ont-elles pas assez de leurs indispositions périodiques, des maladies plus ou moins graves qui les accablent au moins la moitié de leur vie, sans qu'on ait la barbarie de leur demander de servir de garde-malade à tous les malades imaginaires, pleins de santé, et dans tout l'épanouissement de la jeunesse? Enfin les femmes vieillissent si vite qu'elles ont besoin de toutes les ressources de leur esprit naturel et des conseils de leurs amis pour réparer l'irréparable outrage des ans, en plaçant et le faux et la couleur, partout où il le faut. Ce qu'elles se permettent, elles le louent chez tous ceux qui se rajeunissent pour les satisfaire. Comme le lierre, leur faiblesse ne se conserve qu'en s'appuyant sur la force. C'était changer le rôle des sexes que s'arracher les cheveux, se courber le dos, se casser les membres, s'ôter tout éclat et découvrir toute l'impuissance de la vieillesse, comme nouveau genre de séduction. D'ailleurs était-ce bien original que toutes ces façons de geindre? Mais tout cela est nouveau comme le Jeu d'Oie, renouvelé des Grecs, un plagiat plutôt qu'une imitation. Ces quémandeurs d'amour avaient volé leur poétique de catarrhe, de bandage et de perruque aux supercheries des truands, aux haillons de bric-à-brac des gueux, aux contorsions ou lamentations des mendiants de la rue, soi-disant pères du nombre invariable et obligé de cinq enfants sans pain, en un mot à toutes les contrefaçons et profanations des souffrances morales et physiques de la pauvreté. Sainte-Beuve, l'amoureux postiche avait échoué. Le grime Gautier ne devait pas être plus heureux, quoiqu'il eût tant d'avantages sur Sainte-Beuve, étant plus jeune, jouissant d'un tempérament moins lymphatique, d'une chevelure abondante et superbe, et surtout d'une tête orientale près desquelles la laide figure de l'autre aurait bien fait de se cacher sous ses cheveux roux. Tous les fabricateurs de vers de cette époque ne connaissaient pas la femme, quand ils se sont empressés de débuter. Depuis, ils se sont repus de plaisir; ils ont eu des goûts de valets pour les servantes; ils sont descendus plus bas encore. Plusieurs fois Sainte-Beuve m'a rappelé le nom et le prix de ces Muses, qui tenaient lieu de Vénusettes dans le domaine de la police. Mais jamais tous ces romantiques n'ont pu s'élever jusqu'à la femme du monde; sous ce rapport, ils sont inférieurs à tous les classiques du grand siècle qui se sont perfectionnés dans la société des dames de Versailles; ils sont même au-dessous des écrivains du XVIIIe siècle, qui ont conservé la tradition des convenances dans le badinage et la gaieté, depuis Voltaire jusqu'à Gresset. Le charme des ruelles et des salons de femmes, qui a répandu tant de grâce, de finesse, de légèreté sur la langue des âges précédents, on le chercherait vainement dans les productions des hugolâtres. Ils sont lourds comme s'ils portaient un manteau de plomb; ils sont raides comme s'ils avaient été passés à l'empois; ils sont si monotones qu'ils en deviennent ennuyeux. Aucun d'eux ne sait rire, et par conséquent jouer avec la langue française. Aussi quel embarras quand il faut parler à la femme? Le compliment, qui doit être court, simple, aisé, se gonfle comme un ballon, se traîne comme une harangue. On peut citer Gautier comme exemple. Il s'était imposé la tâche de douze sonnets; il a été obligé de rebrousser chemin jusqu'à la mythologie pour venir à bout de cette corvée. Ses autres sonnets sont passables et préférables à ceux de Sainte-Beuve. Mais pour ceux qui sont envoyés à une princesse, le lecteur a autant besoin de patience que l'auteur. Toute femme qui n'aurait pas la politesse exquise d'une _bonne princesse_, d'une _indulgente princesse_ renverrait la _dédicace_ de ce _Douzain de Sonnets_ avec ces mots: Assez du premier! N'importe quelle suivante du temps de Molière eût pris la fuite à la vue de ce pavé d'ours qui va casser une tête humaine pour ne pas manquer d'écraser une mouche qui trouble le sommeil de l'_Amateur des Jardins_, dans La Fontaine. XI Si le style est l'homme même, on doit se flatter de connaître tout Gautier. Il a toujours été si ennuyé, il a tant souffert de voir si rarement accueillir le peu d'amour que son tempérament lymphatique mettait au service d'une imagination passablement frileuse, qu'il convient de ne le juger qu'avec le plus d'indulgence possible. D'ailleurs il n'a aucune originalité, c'est un imitateur. Il est plus ou moins badaud et souvent souverainement, mais parce qu'il copie servilement tout ce que la badauderie et la niaiserie ont mis à la mode. Maintenant que des becs de gaz éclairent toute la distance qui sépare la station d'arrivée du point de départ, il faudrait être aveugle pour ne pas distinguer la physionomie de toute l'école. Ce qui frappe à première vue, c'est la corvée qui remplace l'inspiration. La plus vile prose dédaignerait habituellement ce qui fait la nouveauté et l'orgueil de cette poésie. Tous les mots les plus rutilants sont invités à battre aussi fort que le tambour; l'oreille en est assourdie, et c'est tout: le volcan n'a vomi que des glaçons; on ne trouve rien d'aussi froid, d'aussi sec, d'aussi aride chez les classiques. Le mouvement, et même le souffle de la vie manquent, parce qu'il n'y a ni l'âme du poète, ni le cerveau du penseur. On croupira dans le laid, on ne sortira pas du petit, parce qu'il est impossible que l'imagination s'élève, par suite d'un travail forcé, jusqu'au grand, quand on n'a aucun principe. On aura beau presser, comme une orange, toute cette raffinerie d'accouplements de consonnes et de voyelles, on n'en dégagera que le dernier refuge de l'athéisme. On ne croit à rien, parce qu'on n'aime rien. Il n'y a pas d'autre amour que l'amour-propre. La profusion des images ne cache qu'une abondance stérile. Les mots tiennent lieu d'idées et de sentiments; ils sont tout. Encore si c'était l'expression propre? Mais non! La cacophonie est érigée en harmonie; l'enjambement se donne l'air de la période la plus commune; la rime rappelle les mariages mal assortis; fort étonnés d'être mis, à l'alignement de la mesure, les mots se coudoient, se battent et se tuent dans la contradiction. On est très heureux qu'on n'ait affaire qu'avec le précieux, car c'est le galimatias qui prétend dominer, si le creux et le vide laissent un instant de répit au bon sens. Quand les romantiques se comptèrent, se réunirent, s'enrégimentèrent et arborèrent leur étendard, la langue était depuis longtemps arrivée à la perfection dans tous les genres. Molière l'avait nettoyée des dernières taches du précieux. Malgré toute sa hardiesse, le XVIIIe siècle s'était contenté de cet héritage; il le conserva comme un patrimoine; c'est la seule chose qu'il ait respectée et laissée intacte à la postérité. Ce que les philosophes avaient seulement ébranlé, les conventionnels l'abattirent, trône et autel, châteaux et chaumières; la guillotine n'épargnait rien. Quand on inaugura le culte de la Raison, on choisit une belle actrice. La Raison était bien drapée, dernier hommage rendu à la pudeur d'une langue chrétienne. Les romantiques iront aussi à Notre-Dame; que vont-ils y faire? Ils avaient sous la main une langue formée et perfectionnée par le Christianisme sur les genoux de toutes les femmes les plus belles, les plus riches, les plus spirituelles et les plus gaies, les plus tendres de la société. Il aurait fallu une mère chrétienne, une mère sainte à celui qui prétendait enrichir une langue à son apogée; elle manqua à l'audacieux. Ses disciples ne furent pas plus heureux. Les temples étaient rouverts depuis longues années; la religion florissait. On ne la nia point, mais on ne lui demanda rien. On ne pouvait pas quitter les salons de Chateaubriand pour aller vénérer au Panthéon les restes de Voltaire et de Rousseau. Après tant de révolutions d'idées occasionnées par le Protestantisme, la Fronde, l'Encyclopédie, la Convention, l'Opposition, on jugea prudent de laisser les choses comme elles étaient, sous la protection du drapeau tricolore. Mais on s'imagina que le temps était mûr pour une révolution de mots. On était jeune; il suffit d'un bond pour reculer jusqu'au siècle de Marot et de Ronsard, et se désaltérer à la source de la langue moderne. Le lexique de Rabelais aurait dû suffire, puisque c'est le dictionnaire le plus complet qu'on ait encore, car il a conservé tout ce qu'il y avait de bon dans le passé, mis à profit les langues mortes et les langues vivantes, emprunté partout et, au besoin, créé des mots de toutes qualités, de toutes mesures, au point qu'il s'en trouve de si longs qu'ils forment à eux seuls un vers alexandrin, sans compter ces réunions inintelligibles de voyelles et de consonnes qui arrivent à composer un chiffre de 19 lettres, puis de 36, puis de 54, enfin de 56 qu'il serait tout à fait impossible de prononcer. On dédaigna Rabelais précisément parce qu'il avait trop fait, cumulant les fonctions de classique et de romantique. Il ne s'agissait pas de faire mieux, mais autrement. D'ailleurs, maudire Voltaire et se réclamer de Rabelais eût été une contradiction; puis bon gré, mal gré, il aurait fallu rire avec Rabelais. On était naturellement maussade, sinon ennuyeux; ce fut une raison de se croire sérieux. On déblatéra contre Voltaire et Rousseau, on bafoua le savant, on qualifia l'érudition de pédantisme, afin qu'il fût clair comme le jour qu'on respectait les idées, et qu'on ne travaillait qu'à une révolution de mots. A la vérité on se mettait sous l'invocation de la Renaissance, qui avait été la résurrection du polythéisme. L'OLYMPE fournissait une infinité de divinités mâles et femelles, belles et laides, grandes et petites, répondant à toutes les nuances des sept couleurs, se prêtant à la mesure de tous les genres de vers, tantôt manchots et boiteux, tantôt étendant autant de bras et de pieds que la circonstance réclamait. Tout le Panthéon fut abandonné parce qu'on remarqua qu'il y avait passablement d'esprits soi-disant éclairés, qui avaient maille à partir avec l'Etre suprême auquel la Convention avait réduit la sainte Trinité. On reconnut Dieu, mais on confessa aussi que la foi était morte. Pour plaire aux croyants on exhiba la beauté de la femme comme une nouvelle et invincible preuve de l'existence de Dieu. Mais pour ne pas scandaliser les hommes qui sont dans l'impuissance de manifester leur amour, les laids et les sots dont les flammes ne rencontrent que dédain, dégoût, on recourut à ce nouveau sophisme qu'il n'y a point de Dieu pour ceux qui ne sont pas aimés. C'était proclamer un Dieu de caoutchouc, mais c'était Dieu! Assez pour la liberté des cultes d'après la charte. On se posta sur les épaules de la Renaissance comme sur un observatoire, afin d'accuser de fadeur, de pâleur toute la littérature moderne, en lui offrant le tableau des derniers siècles du Moyen Age. On se garda bien de remuer les idées de cet âge d'or de la foi; on n'en montra que les costumes et les ornements bariolés de toutes couleurs, les pierres et non les âmes, les coutumes, mais jamais l'esprit des moeurs, tout l'extérieur au détriment de l'intérieur. A ce prix, on se crut coloriste. La vérité est qu'il n'y a jamais eu d'écrivain aussi incolore que tous les artistes de cette audacieuse école. Victor Hugo n'a qu'un pennon fauve; nous savons que le drapeau de Gautier est seulement mi-partie jaune et bleue; on trouvera difficilement un autre rapin qui ait manié heureusement jusqu'à trois couleurs. Le pittoresque seul de ce petit livre des _Fables_ de La Fontaine donne plus de variété de tons, de nuances que l'oeuvre complète de tous les romantiques. Le mépris de Boileau pour «l'abondance stérile» est vengé. Gloire et reconnaissance aux professeurs qui font apprendre par coeur l'_Art poétique_, aussi multicolore que tous les chefs-d'oeuvre du siècle de Louis le Grand! On a échoué comme coloriste, parce qu'on s'est fait peintre par dévouement. Mais, on sera sinon infaillible, du moins indéfectible dans la révolution des mots, parce qu'on est né linguiste. On n'inventera aucun mot nouveau, parce qu'on n'a rien de nouveau à dire; ainsi Gautier se bornera à mettre Tartuffe en adverbe et à employer tantôt le féminin, tantôt le masculin en l'honneur de l'amour. On ressuscitera de vieux mots; aussi Gautier revient deux fois au verbe rosir. Comment enrichir la langue? ce sera en la ruinant, en lui ôtant tout crédit, au point qu'elle n'obtiendra point de concordat et ne se réhabilitera jamais dans le commerce. La révolution des mots aboutit à une banqueroute frauduleuse, en faisant de chaque mot un barbarisme. La métaphysique des mots est le premier dogme que nos maîtres linguistes affectent de méconnaître. Les mots ne sont plus considérés que comme les esclaves de la césure, de l'hiatus et de la rime relativement à la mesure; suivant qu'on a besoin d'un pied, de deux pieds, de trois pieds, de quatre pieds ou plus, on met à l'alignement des mots solipèdes, bipèdes, quadrupèdes, quintupèdes, sextupèdes. Cette levée de mots de différentes tailles se contredira, se battra; mais on compte sur la discipline du vers pour les habituer à la marche et au silence. On prendra pour l'éclat de l'antithèse la révolte de la contradiction; on chantera victoire après une boucherie du sens et de la propriété de chaque mot dont on a eu le caprice. L'érudition des mots est la même chose que l'ignorance des mots. Qu'on ouvre au hasard n'importe quel livre de tout romantique, on est sûr d'y signaler, aussi bien que dans Gautier, soit des contradictions, soit des barbarismes qui sont de la force des fautes grammaticales pour lesquelles les enfants subissent la férule et sont condamnés à un _pensum_. La révolution des idées enfante la révolution des choses; la Convention trône après l'Encyclopédie, et la guillotine de Sanson succède au blasphème de Voltaire et de Diderot. La Révolution des mots engendrera la Commune; au délire des poètes répondra le pétrole. Qu'ils l'aient voulu ou non, les romantiques sont les précurseurs des Communards. Ils sont des sots, s'ils ne l'ont pas prévu. Ils sont bien bêtes, s'ils le nient. XII Pour cette révolution de mots Victor Hugo s'est nommé roi. C'était le poète-roi, mais pas pour les idées, comme le roi-poète David. Gautier acclama le roi Victor, de concert avec tous les hugolâtres. Pour être un vrai roi, Hugo se nomma aussi prêtre, afin de rappeler le roi-prêtre Melchisédec. A cet effet, il érigea la poésie en sacerdoce. Il s'attribua la tiare et le sceptre des Césars; ses disciples le révérèrent comme le souverain Pontife; pour le servir sur l'autel de la vanité, ils entrèrent dans les ordres majeurs ou mineurs. Autant de poètes, autant de prêtres. On s'agenouille devant les prêtres; Gautier recommande d'écouter à genoux le poète. Dans toutes les religions on exempte le prêtre d'une multitude de charges; Gautier dispense le poète de tout; il ne lui impose qu'un devoir, celui de chanter. Malgré son bon sens, Balzac a partagé tout cet engouement. On lit cette profession dans sa lettre, du 18 novembre 1846: «Aujourd'hui, l'écrivain a remplacé le _prêtre_, il a revêtu la chlamyde des martyrs, il souffre mille maux, il prend la lumière sur l'autel et la répand au sein des peuples; il est prince, il est mendiant, il console, il maudit, il prie, il prophétise; sa voix ne parcourt pas seulement la nef d'une cathédrale, elle peut quelquefois tonner d'un bout du monde à l'autre; l'humanité, devenue son troupeau, écoute ses poésies, les médite, et une parole, un vers, ont maintenant autant de poids dans les balances politiques qu'en avait jadis une victoire. La presse a organisé la pensée, et la pensée va bientôt exploiter le monde; une feuille de papier, instrument d'une immortelle idée, peut niveler le globe; le _pontife_ de cette terrible et majestueuse puissance ne relève donc plus des rois ni des grands; il tient sa mission de Dieu.--Je prie rarement.» Est-ce clair? Il fallait un temple à cette procession de poètes. Hugo bâtit une grande _Notre-Dame_, de papier in-8. Gautier se contenta d'une petite _Notre-Dame_, de papier aussi, mais d'une feuille in-18. Tous les autres eurent une madone, puisque l'_Angelus_ avait porté bonheur à Byron. Ceux qui eurent l'idée d'examiner tout ce qu'il y avait de noir sur le blanc dans la grande _Notre-Dame_, de papier in-8º, remarquèrent que l'auteur avait oublié de mettre un Dieu dans le tabernacle. Le roi-pontife Hugo a-t-il l'intention de se déclarer Dieu, comme faisaient les Césars, ou attend-il un décret de déification des derniers vétérans de son _cénacle_? Heureusement il a eu jusqu'à présent la modestie de ne se manifester qu'en qualité de Lucifer; il rend aux églises l'hommage de ne pas y entrer assister au service divin, quand il daigne suivre un convoi catholique; il manque rarement un enterrement civil pour se donner un beau sujet de lumière dans les ténèbres. Il est fâcheux que ces discours de croquemort soient inférieurs aux _Oraisons funèbres_ de Bossuet, de Fléchier, de Massillon, de Mascaron, prononcées dans les églises, après une mort chrétienne. Le temple était vide; rien de plus facile que de réparer la distraction du grand prêtre au moyen d'un mot solipède. Aussi les hugolâtres rôdèrent tout autour de la métropole de Paris; ils n'hésitèrent point à envahir Notre-Dame; ils se jetèrent sur tous les vases sacrés, mais pour les profaner comme Balthasar. Gautier arracha des gloires d'or un Dieu pour rire, un Dieu de poche, tout juste ce qu'il faut à ceux qui ne veulent que d'un _Dieu_ rimant bien avec _Peu_. Rappelons-nous que Le Dieu de ce Gautier ne vaut pas un hareng. Donc les _saints désespérés_ qui ont _renié leur Dieu_. Donc saint athéisme. Et d'un. Pour ceux qui ont la foi, l'espérance et la charité, Gautier dit, et sa parole créa, à la minute, des dieux à l'infini, des cieux nouveaux, qui ne tenaient rien de l'Olympe. Il mit au divin la nature et ses parfums, tous les membres du corps et toutes les facultés de l'âme, le pinceau du peintre et la lyre du poète, les poètes sans exception; Eschyle, Sophocle, Euripide comme Pétrarque, leur chant et leurs larmes, et jusqu'à la courtisane de Madeleine, pour ses fautes, il est vrai, et non pour son repentir: tout était dieu, excepté Dieu même, suivant le célèbre mot de Tertullien, décoré par Bossuet. La dévotion avait de quoi se rassasier. Donc panthéisme. Et de deux. A tant de dieux il fallait des adorateurs pour occuper leur solitude. Gautier dit, et sa parole crée, pour remplacer les mauvais anges et augmenter le choeur des bons anges, une multitude d'anges nouveaux, des anges pour tous les besoins et toutes les allégories. Il mêle, à ces anges masculins ou neutres, une grande variété d'anges femelles; il fait des anges de toutes les femmes, surtout des adultères et des fornicatrices; il s'abat, une nuit de bal, à l'Opéra; toutes les filles encore à vendre ou déjà vendues sont métamorphosées en anges, pendant qu'elles chantent ou dansent; elles n'échappent point au sort des maîtresses qui fument dans leur boudoir avec l'amant de coeur: de cette sorte, tout ce qui avait été oublié au divin fut transporté à l'ange. Il n'y avait eu qu'une courtisane de divinisée; mais à cette deuxième époque de la genèse, toutes les catégories de la prostitution, les filles qui se donnent comme les filles qui se vendent, les adultères désintéressées ou vénales, furent élevées à la dignité d'anges. Anges mâles et femelles ont bien fumé, chanté, dansé; ils doivent avoir faim et soif. Qu'ils boivent et mangent, suivant leur goût; Sainte-Beuve, qui a bâclé le _Cénacle_, a donné l'exemple de faire gras le Vendredi-Saint. Entre anges tout est licite. Gautier, qui est le fils de quelqu'un et le père de filles et de garçon, semble supprimer la paternité et n'admet d'autre amour que celui de la mère. Pour que l'amour ne devienne point une passion creuse et vide, il convient de le débarrasser de tout engagement, puisque toute union ne dure pas plus de six mois. Donc que tous ces anges Vénusets et Vénusettes suivent leurs caprices et ne se refusent rien. Donc promiscuité. Et de trois. La _sainteté de l'art_, lavé dans les _saints flots du baptême_, veut s'élever à la _peinture sainte comme les autels_. Pour avoir des _modèles divins_ il faut donc que les anges se dépouillent de tout et marchent, comme Adam et Ève, dans l'Éden. Qu'ils ne rougissent pas, car où il y aurait de la gêne, il n'y aurait plus de plaisir. Plus de pudeur, puisque le vice est supprimé. D'ailleurs Gautier a fait de Dieu un bon compagnon d'atelier, qui n'est, après tout, que le rival ou au plus l'égal de la peinture. Donc que les anges mâles et femelles reviennent à l'état de nature, au berceau de l'innocence, car Gautier demande à voir la _sainte nudité_ des _antiques Vénus_. Donc cynisme. Et de quatre. Si l'on peut tout faire, à plus forte raison doit-on tout dire, afin que le vers soit libre enfin. Qui s'y opposerait? Gautier n'a-t-il pas fait de Dieu le camarade de Dante, de Shakspeare qui étaient si peu précieux, si peu bégueules? La _sainte poésie_ réclame, dans ses _saints transports_, dans ses _extases saintes_, et avec de _saintes larmes_, la _sainte nudité du vers_. Sois réhabilité, Piron! tu as trop pleuré la verve de quelques heures de ta jeunesse, qui t'a fermé les portes de l'Académie. Tu es le précurseur de la liberté de penser; la sainte nudité pourra désormais passer dans les mandements des évêques après les _sermons_ de saint Bernard sur le _Cantique des cantiques_ et les _Méditations_ de Bossuet sur les transports de l'amour. Lamartine n'a-t-il pas donné la _vision_ de l'_obscénité sainte_ comme du _saint amour_ et de _la faculté sainte_ de la reproduction dans la _Chute d'un Ange_ qui vit dans le panthéisme et finit par le blasphème et le suicide, comme Werther et tous les héros des légendes, poèmes et romans de l'école romantique? Donc obscénité. Et de cinq. Décidément tartufier et versifier, c'est une rime très riche. Total de la révolution des mots ou de la niaiserie des barbarismes: escamotage du sacerdoce, sacrilèges, saint athéisme, promiscuité, cynisme, obscénité, et pour fin: enterrement civil, désiré par Gautier, stipulé par le testament de Sainte-Beuve et journellement consacré par Hugo pour les _saints désespérés_, qui ont _renié leur Dieu_. Voilà ce que les romantiques ont dit. Les communards ont-ils répété autre chose dans leurs placards et leurs sermons? Le soir, les églises n'étaient-elles pas devenues le temple de la prostitution comme de l'athéisme? Les femmes et les maîtresses des romantiques étaient trop vieilles pour étaler leur sainte nudité des antiques Vénus. Autrefois il y avait des femmes romantiques qui ne se faisaient aucun scrupule de se mettre dans la sainte nudité des antiques Vénus. La vile prose des communards aurait reculé devant les exigences de la sainte poésie des romantiques. Les Vénusettes de la Commune laissèrent la sainte nudité des antiques Vénus à tous les romantiques, et préférèrent ne paraître, dans les églises profanées, que plus ou moins bien vêtues, avec la décence de la Raison des régicides, sur le grand autel de Notre-Dame. Que reste-t-il d'impeccable dans la fabrique de vers de Théophile Gautier? XIII Comme la littérature est l'expression de la société, suivant l'observation de Bonald qui remonte à 1805, il est indispensable de demander à l'Histoire le commentaire des principes romantiques qui ont passé sous les yeux du lecteur. C'est un fait assez connu et souvent rappelé depuis, qu'au château d'un comte, après un souper fort gai où tous les convives avaient gagé à qui dirait ou ferait le plus de folies, M. Thiers, si peu rabelaisien, trouva plaisant de se rendre au balcon et d'agir sans façon comme il l'eût fait sur les bords du Titicaca; là il mit bas son pantalon, et, entre deux chandelles, il montra sa mappemonde du duc de Vendôme, puis il laissa dans le vase d'usage la preuve qu'il avait bien bu, bien mangé et bien digéré, aux applaudissements de la galerie et à l'éternel désespoir des gens comme Sainte-Beuve, qui ont trouvé ou jugeront de mauvais goût la publication de la fameuse lettre de la princesse Palatine sur un sujet analogue. C'est un fait aussi connu qu'aux _Vendanges de Bourgogne_, le restaurant le plus vaste et le plus fameux sous le règne de Louis-Philippe, et situé près du canal au Faubourg du Temple, il s'est maintes fois donné des banquets où tous les convives restaient entièrement nus, depuis le commencement jusqu'à la fin du repas; sans doute, on ne se gêne pas entre hommes; il est certain que ces sauvages de la civilisation ne se réunissaient point pour bougironner. On nomme un individu qui crut s'illustrer en faisant servir habituellement, dans le même restaurant, à ses commensaux également tout nus, un immense plateau sur lequel une superbe femme était étalée toute nue sur un amas de persil. On nomme un autre amphitryon qui brûla d'éclipser ces deux espèces de banquets de Suétone; il organisa des soupers de garçons avec des femmes libres; chacun devait avoir sa chacune; l'étiquette voulait que chaque sexe quittât tous ses vêtements avant de se mettre à table, et ne les reprît que pour partir. La vie privée ne laisse rien à imaginer sur l'oubli des convenances. Un des romanciers les plus célèbres accoutuma sa fille à se baigner avec lui; depuis, elle eut un mari et probablement quelques caprices, mais elle ne cessa d'aimer l'auteur de ses jours comme un père, de le chérir comme un homme de la race d'Hercule, et de l'adorer comme un écrivain de génie, à ce point qu'elle tenait une lampe perpétuellement allumée devant son buste. Un autre romancier se mettait à sa fenêtre dans un costume d'une si grande indécence que, sur la plainte des locataires de la maison et des passants, le commissaire de police du quartier fut obligé de le menacer, s'il ne respectait pas plus les convenances, de l'envoyer en police correctionnelle pour outrages aux moeurs et à la morale publique. Dès que la saison le permettait, il restait tout nu sur son canapé, et c'est dans cette position qu'il recevait les visiteurs, le cigare à la bouche. Il aimait à prendre ses bains avec ses filles; on s'est souvent demandé s'il a froidement perpétré le crime que Loth ne commit que dans l'ivresse la plus profonde. Les employés du Ministère de l'Instruction publique et des Cultes ont été plusieurs fois curieux de savoir ce qui se passait dans le cabinet d'un grand-maître de l'Université; à travers le trou de la serrure, ils apercevaient Cousin contemplant la Philosophie sans voile dans la personne d'une belle blanchisseuse du quartier de la Sorbonne. Une fois je parlais avec Préault d'une matrone dont le mari a été pair de France; il me dit: «Un jour, j'allai voir un de mes confrères; je frappai à la porte et j'ouvris immédiatement, suivant mon habitude, puisque la clef était dans la serrure. Là je rencontrai cette dame qui était toute nue; elle ne rougit nullement et ne parut pas plus embarrassée que les poseuses de profession qu'on payait à cette époque, quatre francs la séance; elle ne fut préoccupée que du désir de savoir comment je la trouvais, suivant mon idéal d'artiste.» Ainsi point de précaution pour une importunité; le premier venu pouvait tout voir, contrairement à l'habitude des ateliers de retirer la clef, et de ne recevoir personne, quand on a des modèles. Il est vrai qu'un pair de France prit si peu ses mesures qu'il fut trouvé par un commissaire de police, escorté du mari outragé, dans un flagrant délit d'adultère avec une femme mariée. Tout l'Olympe politique riait d'avance et ne savait quelle contenance il faudrait faire le jour où on serait forcé de juger un Mars de plume surpris dans le même lit avec une autre Vénus par un Vulcain de pinceau. L'affaire n'alla pas plus loin que dans Homère. Le demandeur finit par retirer sa plainte et voulut bien se contenter d'un dédommagement de quarante mille francs qui furent payés, me disait Sainte-Beuve, sur la cassette du roi Louis-Philippe. Un commissaire de police alla, pendant la nuit du fameux coup d'État, arrêter à son domicile l'un des hommes qui firent le plus de mal à l'empire et qui ont le plus profité de sa chute: ce personnage fut trouvé couché dans le même lit avec sa belle-mère, la seule maîtresse qu'on lui ait connue; pendant ce temps-là sa femme reposait, dans une autre chambre, dans le même lit avec le seul amant qu'on lui ait aussi connu. Ces différents tableaux paraîtront du classique tout pur au prix d'une exhibition, toute romantique, car pour le coup le beau c'est le dégoûtant. Un étranger entra, un jour, dans le bureau de l'un des directeurs de Revue; le voyant triste, abattu au milieu d'un cercle d'amis, il demanda la cause de cet état; sur un silence prolongé, il crut qu'il serait plus poli de multiplier ses questions. Pour se débarrasser de tant d'importunité, le directeur impatienté s'écria: «Vous voulez savoir ce que j'ai; eh bien, le voilà.» Alors il montra à toute l'assistance l'un de ces magnifiques cas de maladie qui sont de la spécialité du docteur Ricord. On a raison d'appeler les suites des liaisons dangereuses des maladies secrètes; quiconque en est atteint, éprouve la plus vive répugnance à aller consulter un médecin; il y a des individus qui ont souffert toute la vie pour avoir attendu des semaines, des mois et même des années avant de se soumettre à un traitement qui aurait guéri radicalement, s'il n'avait pas été entrepris trop tard, à une époque où ces maladies ne sont plus secrètes. Il est digne de remarque que la fondation du Musée Dupuytren coïncide avec l'explosion des Romantiques. Il y vint tant de femmes et tant d'hommes de tout âge et de toute condition que l'entrée qui était d'abord publique, n'est plus maintenant réservée qu'aux médecins et aux personnes munies de carte. Que de gens courent admirer au Musée de Cluny une ceinture de chasteté à laquelle tant de contes sur le cadenas font allusion! Cependant dans le voisinage de l'École de médecine, la plupart des boutiques mettent en montre des ceintures de continence pour les petits garçons et les petites filles affaiblis ou épuisés par des exercices licencieux. Ces habitudes désordonnées ont amené beaucoup de cas d'anémie dans l'adolescence, chez les classes aisées ou opulentes. Les chefs de famille feraient bien d'y penser; leur présence empêche souvent le médecin d'interroger le malade; il n'est pas obligé de tout deviner. Il a été plusieurs fois question et, dans l'avenir on parlera beaucoup du _Livre d'amour_, tiré seulement à un petit nombre d'exemplaires qui se vendent de cent cinquante à deux cents francs. Si l'on juge de cet amour par les vers qu'il a vomis et qui sont quelquefois dignes de M. de Pourceaugnac, on ne sera pas étonné de trouver tant de gens qui regardent cette histoire comme un des romans les plus invraisemblables. Or, en ce temps-là il y avait à Paris une famille qu'on citait et qu'on admirait comme la maison de Philémon et de Baucis. C'était comme un nid de tourterelles. Il vint une époque où madame se trouva fatiguée, épuisée par plusieurs grossesses successives et encore plus excédée des infatigables exigences du devoir conjugal. Elle demanda du repos et confessa qu'elle fermerait les yeux et garderait le silence si Monsieur choisissait une suppléante au dehors. Un romancier célébre trouva dans une jeune actrice toutes les qualités que réclamait la circonstance. Monsieur alla donc en ville, il voulut de la variété dans le plaisir; après le bouilli il demanda du rôti. La permission accordée pour une personne fut utilisée pour plusieurs. Pendant ces intrigues, madame abusa du repos et paressa. Elle songea peu à la coquetterie de la toilette; elle perdit les plus utiles pratiques qui conservent et rehaussent la beauté; son négligé passa les bornes de la simplicité. Elle était encore jeune, belle, mais dénuée de cet esprit qui conserve toujours plus ou moins d'empire. Dans la _Luxure_, Eugène Sue a peint ce fléau des ménages. Trouvant mieux et toujours de mieux en mieux en ville, Monsieur ne fut nullement tenté de réclamer ses droits. Madame ne s'attendait pas à être délaissée, et se désespéra de cette séparation de corps; elle s'ennuya. Caliban offrit ses consolations et apprit que Monsieur abusait de la tolérance. Ce qui n'était plus que dégoûtant pour un mari sembla appétissant à un remplaçant. S'il y eut vengeance d'un côté, il y eut aussi vengeance de l'autre. Ici l'amour, c'est la haine, la plus noire bassesse. Il est inouï qu'un homme de lettres ait jamais mis le public dans la confidence de ses relations avec une femme mariée, du vivant du mari et des enfants. Cette exploitation d'un adultère auquel les contemporains n'ont guère cru, a besoin d'un commentaire qu'on lit dans le _Livre de Bord_, (tome Ier, p. 237), publié par Alphonse Karr, en 1879. Madame dit à Caliban: «Je veux prendre pour complice d'une faute qui sera unique un homme qu'on ne puisse m'accuser d'aimer, un homme qui ne puisse pas m'avoir plu; je choisirai donc le plus laid, le plus désagréable, le plus ennuyeux, le plus traître, le plus répugnant au physique et au moral, des hommes que je connaisse; c'est vous dire que j'ai pensé à vous; voulez-vous de moi?» Il fallait être un Caliban pour jouer le fanfaron, après avoir avalé ces couleuvres. Quel est l'homme qui ne mettrait pas à la porte l'effrontée qui viendrait lui tenir un pareil langage de Méduse? A cette époque régnait une femme qui fut comme un sérail pour les gens de lettres. Elle retenait forcément pour la nuit le dernier des visiteurs de la soirée. Tous ceux qui ont été ses amants, sont sortis de sa couche plus ou moins affaiblis et ennuyés; on ne leur a jamais retrouvé la vigueur physique, la gaieté de jeunesse, la verve de talent qu'ils avaient eue avant ce commerce. Un vampire ne leur aurait pas fait plus de mal. Cependant cette créature n'avait aucun charme d'intimité; tous ceux qui l'ont connue, ne la représentent que sous l'image de la femelle du taureau. Il y avait aussi une espèce d'Aspasie, grande, belle, grosse; un ministre qui croyait être prodigue en payant le plaisir dix francs, se fit un devoir de lui accorder une pension de huit cents francs; quand on demandait dans les bureaux à quel titre elle devait cette faveur, les employés répondaient: «C'est une jolie femme.» Pour un article et même pour une réclame, on pouvait compter sur elle. Sa complaisance a dû être bien grande, car elle est morte jaune et maigre comme un squelette. Il est certain que Sainte-Beuve, Gautier et Baudelaire n'ont jamais osé mettre leur expérience prétendue de leur glacée et glaçante volupté au service de madame Sérail et de madame Aspasie. J'ai nommé Baudelaire, disciple de Gautier, qui fut le disciple de Sainte-Beuve. Il gagne beaucoup dans la jeunesse qui fait de la poésie une pluie de verglas. Ses _Fleurs du Mal_ lui valurent un procès en police correctionnelle; il fut condamné à la suppression de quelques pièces; peu lu avant ce jugement, il a été très recherché depuis. Il voulut jouer le fanfaron de vices. Voyons comment il réussit. Il allait habituellement manger rue du Bac dans un restaurant où il avait un crédit d'ouvert; le mémoire était payé, de temps en temps, en partie par un honorable beau-père qui laissait au débiteur le soin de solder le reste. Baudelaire y amenait toujours une femme libre. Or, pendant longtemps, oui fort longtemps, il y eut un moment où, pendant le dîner, on entendait du dehors des soupirs et des bruits de chaise prolongés. Les officiers de l'établissement enviaient le bonheur du client et admiraient son tempérament, en croyant deviner ce qui se passe ordinairement dans un cabinet particulier. Un jour la curiosité les poussa à regarder par le trou de la serrure pendant un tapage de diable à quatre. Ils furent bien étonnés d'apercevoir Vénusette lisant tranquillement un livre près de la fenêtre lorsque l'amphitryon s'évertuait à geindre et à faire faire à son siège toutes sortes de sauts périlleux. Baudelaire ne recommença plus sa comédie à l'avenir, dès que les garçons de restaurant l'eurent bien convaincu, en riant comme des fous, qu'ils n'étaient point sa dupe. Un soir, Théophile Sylvestre me mena avec M. Barbey d'Aurevilly dans un café de la rue de Rivoli; nous y rencontrâmes Baudelaire qui affectait d'être ivre-mort. Je le qualifiai de don Juan systématique; alors le masque tomba, l'ivresse cessa. Baudelaire ne fut plus qu'un homme doué de raison et de la plus grande placidité de caractère. Un des hellénistes les plus lourds, les plus laids, les plus gauches, vraie personnification du vers de Molière et de La Fontaine qui ont trouvé le sot savant encore plus sot que le sot ignorant, ne pouvait avoir pour Aspasie que des servantes auxquelles il promettait de les élever jusqu'à la hauteur de sa position, si elles se montraient bonnes à tout faire. Devenu inspecteur de l'Université, il s'imagina que, pour l'amour du grec, on lui passerait une dame de compagnie. A Strasbourg, les étudiants qui avaient appris qu'il n'était pas seul en tournée, lui offrirent un banquet; au dessert, on but à la santé du savant; puis on trinqua en l'honneur de sa femme. Comme on parlait latin, l'helléniste eut la maladresse de s'écrier en rougissant: _Non conjux_. Alors d'une voix unanime, les étudiants répliquèrent: «Bravo, _concubina_.» Ce surnom de _concubina_ resta attaché à la mémoire de l'inspecteur. Chez lui, si l'on saluait la femme qui paraissait toujours sur un bon pied, il avait l'habitude de dire: «C'est ma concubine.» Un autre inspecteur de l'Université, écrivain assez estimé qui est devenu l'un des meilleurs ministres de l'Instruction publique et qui est mort membre de l'Académie-Française, présentait des frais de voyage qui n'étaient pas aussi motivés que les mémoires de ses confrères; un jour qu'il était importuné par les exigences de la comptabilité, il fut forcé d'avouer que les énigmes de son compte-rendu avaient pour but les dépenses qu'il croyait avoir le droit de se permettre dans les maisons de filles des différentes villes que sa commission lui enjoignait de parcourir. Tout finit à cette débauche réclamée par Gautier, dégoûté de l'amour. Une des meilleures pages de Rabelais est consacrée aux Muses, toujours chastes, parce qu'elles sont perpétuellement occupées. Vivant à une époque où l'érudition tint lieu de génie, écrivant pour des hommes plus sensualistes que spiritualistes, il n'a pu créér une femme, parce qu'il n'a pas compris l'amour. Il n'a eu ni plan ni but; sans frein parce qu'il manquait d'idéal, il a touché à tout et fini par l'obscénité. Les mots l'ont plus fasciné que les choses, les pensées que les sentiments. Plus on l'étudie, plus l'on reste persuadé qu'il n'a eu d'autre passion que de prouver qu'il connaissait tous les mots dont on fait usage dans toutes les classes de la société. Tous ses personnages ne sont que des pédants de dictionnaires. Les romantiques pour qui la poésie est un problème du pied des mots comme les nombres pour le mathématicien, devaient inévitablement arriver au même résultat. _La fille Elisa_ répond à Rabelais. Ce n'est qu'une femelle humaine. Ces créatures n'ont que le sexe de la femme; n'ayant rien vu, rien connu, ne sachant rien, n'entendant rien, vivant toujours renfermées, elles manquent de charme et de conversation. Elles n'échappent au dégoût de leur métier et aux remords de la conscience qu'en s'enivrant sans cesse. Elles se vendent au premier venu pour acheter un voyou qui les bat et ne les fait sortir que pour manger le peu qu'elles ont gagné. Elles meurent presque toutes dans quelque hôpital, soit de phthisie, soit de maladies honteuses. On connaît les romantiques qui sont morts dans ces maisons de filles. On nomme les romantiques qui ont abrégé leur vie en fréquentant ces filles. C'est un de ses admirateurs qui a pris soin de faire savoir que Sainte-Beuve était un infatigable coureur de ces filles. Il y a eu de ces filles qui ont été relâchées, sur sa recommandation, lorsqu'elles étaient prises en contravention par la police. Il poussa la curiosité jusqu'à s'enquérir de tout ce que ces filles sont capables de faire. Un jour, l'un des rédacteurs du _Constitutionnel_ se trouvait, aux Champs-Elysées, à un café-concert, lorsqu'il vit Sainte-Beuve se placer et s'asseoir en dehors de l'enceinte, très près de lui. Il put donc tout entendre. Or, une fille s'empressa d'accoster Sainte-Beuve; immédiatement il toucha à ces goûts dont parle Martial, à ces habitudes que Suétone reproche à Tibère, à ces dépravations des impuissants pour qui la femme n'est plus qu'une bouche. La fille s'étant vantée de se prêter parfaitement à tout, il voulut savoir son nom. Alors il lui dit: «Ce n'est pas vrai; il n'y en a que trente-deux; je sais leur nom et leur adresse. Votre nom n'est pas sur ma liste.» Voilà le dernier mot de la débauche. Sous Louis XIV, tous les grands écrivains ont plus ou moins aimé et ont été plus ou moins aimés; ils sont morts en chrétiens. La Fontaine a fait ses _Fables_ et ses _Contes_, parce qu'il a connu l'amour; sa fin fut digne d'un homme qui avait vu dans la mort le soir d'un beau jour; on trouva un cilice sous sa chemise. Si maintenant les Romantiques affichent la débauche et prêchent l'enterrement civil, c'est parce qu'ils n'ont pas aimé et qu'ils n'ont pas été aimés. Il faut savoir gré à Gautier d'avoir révélé le secret de l'École. [Cul-de-lampe] _Imprimerie Générale de Châtillon-sur-Seine.--J. Robert._ * * * * * Corrections: Page 17: «verset et» remplacé par: «verset» (le cinquième verset du quatrième Psaume) Page 58: «les exclamation» par: «les exclamations» (on ne se permet que les exclamations de cette âme) Page 61: «Shaskspeare» par: «Shakspeare» (Être Shakspeare, être Dante, être Dieu!) Page 72: «1337» par: «1837» (_La Dernière Feuille_ le constate, en 1837) Page 75: «lontemps» par: «longtemps» (Depuis longtemps, pauvre et rude manoeuvre) Page 79: «syptômes» par: «symptômes» (a donné tous les symptômes de la putréfaction) Page 109: «explosoin» par: «explosion» (coïncide avec l'explosion des Romantiques.) *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMPECCABLE THÉOPHILE GAUTIER ET LES SACRILÈGES ROMANTIQUES *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. 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